Déclaration M. le juge Bennouna

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166-20240131-JUD-01-04-EN
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DÉCLARATION DE M. LE JUGE BENNOUNA
[Texte original en français]
Mesure conservatoire de « non-aggravation »  Mesure d’accompagnement  Absence de violation  Déviation de la compétence de la Cour étant donné l’objet du différend dans la présente espèce.
1. La Cour, au point 6 du dispositif (paragraphe 404) du présent arrêt, a conclu que la Fédération de Russie a « manqué à l’obligation que lui imposait le paragraphe 2 du dispositif (paragraphe 106) de l’ordonnance en indication de mesures conservatoires du 19 avril 2017 de s’abstenir de tout acte qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le différend entre les Parties, ou d’en rendre la solution plus difficile ».
2. Au paragraphe 103 de l’ordonnance en indication de mesures conservatoires, du 19 avril 2017, la Cour a rappelé que « l’Ukraine l’a priée d’indiquer des mesures destinées à prévenir toute aggravation du différend l’opposant à la Fédération de Russie ». Elle a ajouté que,
« [l]orsqu’elle indique des mesures conservatoires à l’effet de sauvegarder des droits déterminés, la Cour dispose aussi du pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires en vue d’empêcher l’aggravation ou l’extension du différend quand elle estime que les circonstances l’exigent ».
3. La Cour a toujours considéré qu’elle ne pouvait pas ordonner la non-aggravation en tant que mesure conservatoire unique. En effet, celle-ci est destinée à accompagner des mesures concrètes ou spécifiques de préservation de certains droits, lorsque les circonstances l’exigent. Si, par conséquent, les mesures concrètes visent directement, aux termes de l’article 41 du Statut de la Cour, à préserver les droits des parties, la « non-aggravation » a été conçue comme une simple exhortation, qui leur est adressée, de respecter leurs obligations internationales. Il en découle que la « non-aggravation » constitue une mesure d’accompagnement recommandant aux parties, en termes généraux, de respecter la légalité internationale. C’est pour cette raison, à mon avis, que cette mesure n’a pas le même caractère obligatoire qui s’attache aux mesures spécifiques destinées à préserver les droits des parties.
4. C’est pour cela que la Cour, dans sa jurisprudence, ne s’est jamais aventurée à sanctionner le non-respect allégué de la mesure de « non-aggravation ». D’ailleurs, on peut se demander si elle avait compétence pour le faire dans la présente espèce. En d’autres termes, peut-elle se prononcer sur l’« opération militaire spéciale » dirigée contre l’Ukraine et sur la reconnaissance de la « République populaire de Donetsk » (RPD) et de la « République populaire de Louhansk » (RPL), en tant qu’États indépendants ? Toutes questions qui ne relèvent pas du différend dont elle est saisie.
5. Pour ces raisons, je regrette que la majorité ait décidé qu’il y a eu, en l’espèce, violation par la Fédération de Russie de la mesure de « non-aggravation », sans en tirer d’ailleurs aucune conséquence. En déviant de sa jurisprudence en la matière, la Cour prend le risque de se mettre en contradiction avec l’article 41 du Statut.
(Signé) Mohamed BENNOUNA.
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