Déclaration de M. le juge Bhandari

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164-20230330-JUD-01-06-EN
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DÉCLARATION DE M. LE JUGE BHANDARI
[Traduction]
Expropriation judiciaire ⎯ Critères permettant d’établir que le comportement d’une juridiction interne est constitutif d’expropriation ⎯ Décisions d’autres cours et tribunaux internationaux ⎯ Regret que la Cour n’a pas développé plus avant son raisonnement et ses motifs.
1. Dans la présente déclaration, j’indiquerai quelles sont, selon moi, les failles du raisonnement de la Cour concernant l’allégation d’expropriation formulée par l’Iran sur le fondement du paragraphe 2 de l’article IV du traité d’amitié. Les passages de l’arrêt consacrés à l’expropriation judiciaire méritaient à mon sens une analyse plus poussée.
2. Le paragraphe 184 de l’arrêt se lit comme suit :
« La Cour estime que des décisions de justice ordonnant que des biens ou des participations dans des biens fassent l’objet de saisies et de mesures d’exécution ne constituent pas par elles-mêmes des actes de dépossession ou d’expropriation. Elles ne peuvent devenir des actes d’expropriation ouvrant droit à indemnisation que si elles sont entachées d’un élément d’illicéité spécifique. Un tel élément est présent, dans certains cas, lorsqu’une dépossession de biens résulte d’un déni de justice, ou lorsqu’un organe judiciaire applique des mesures administratives ou législatives contraires au droit international et, ce faisant, entraîne une dépossession de biens. Pour déterminer s’il existe un élément d’illicéité spécifique, il est par conséquent nécessaire d’examiner dans leur ensemble les mesures législatives, administratives et judiciaires prises par les États-Unis. » (Les italiques sont de moi.)
3. Dans ce paragraphe, la Cour traite d’un aspect important des relations économiques internationales et entend énoncer une règle de droit international. Or son affirmation n’est étayée par aucun précédent ni aucun motif approprié. Selon moi, la Cour devrait faire preuve d’une extrême prudence lorsqu’elle formule ainsi des exposés de droit d’ordre général. Le cas échéant, elle devrait, à tout le moins, s’assurer que ses affirmations résistent à l’examen en les fondant sur l’analyse et les éléments requis. Elle ne l’a pas fait dans le présent arrêt, alors même que d’autres juridictions internationales s’étaient déjà penchées sur cet aspect du droit international de l’expropriation.
4. Si ce paragraphe n’est nullement étayé, c’est cependant peut-être parce qu’il ne correspond pas nécessairement aux interprétations de l’expropriation habituellement retenues dans les décisions des juridictions internes. Aux termes du paragraphe 184,
« [u]n … élément [d’illicéité] est présent, dans certains cas, lorsqu’une dépossession de biens résulte d’un déni de justice, ou lorsqu’un organe judiciaire applique des mesures administratives ou législatives contraires au droit international et, ce faisant, entraîne une dépossession de biens ».
Il s’agit là d’une proposition discutable.
5. Selon l’interprétation généralement adoptée par les juridictions internationales, pour qu’une décision de justice soit constitutive d’expropriation, c’est la décision elle-même qui doit être entachée d’un élément d’illicéité au regard du droit international. Lorsqu’une juridiction ne fait rien d’autre qu’appliquer de manière licite une loi qui, elle, est contraire à une obligation conventionnelle ou n’est
- 2 -
pas conforme au droit international de quelque autre manière, cela ne suffit pas nécessairement pour que la décision de justice qui en résulte soit constitutive d’expropriation1. C’est à cette aune que la Cour semble avoir interprété les faits de l’espèce, puisqu’elle a spécifiquement jugé que « les droits des sociétés iraniennes de comparaître devant les tribunaux américains, d’avancer des arguments juridiques et de former des appels n’[avaie]nt pas été entravés ». Et la Cour d’ajouter :
« La promulgation de dispositions législatives supprimant certains moyens de défense fondés sur la personnalité juridique distincte et leur application par les tribunaux ne constituent pas en elles-mêmes un grave manquement dans l’administration de la justice qui équivaille à un déni de justice. » (Arrêt, par. 143 ; les italiques sont de moi.)
6. Les décisions des tribunaux arbitraux statuant sur les différends opposant des investisseurs à des États, qui sont aujourd’hui les principales juridictions internationales à connaître de réclamations concernant des expropriations, admettent généralement que, pour qu’il y ait expropriation, la décision judiciaire interne elle-même doit être entachée d’illicéité. Pour l’essentiel, ces juridictions ont ainsi distingué les décisions de justice légitimes des ingérences abusives. Pour ce faire, en plus de constater que le comportement du pouvoir judiciaire de l’État concerné privait en substance un investisseur de ses droits économiques, elles ont exigé que puisse être démontré un élément d’irrégularité. On notera que, ainsi que l’ont souligné ces tribunaux, conclure à une expropriation judiciaire est l’exception et non la règle. En résumé, on ne peut en règle générale considérer qu’il y a expropriation en l’absence d’une décision judiciaire équivalant à un déni de justice ou emportant violation de toute autre règle de droit international, comme le non-respect du principe de régularité de la procédure ou de certaines garanties de procédure spécifiques prévues par des traités et le droit international coutumier.
7. On trouve confirmation de cette interprétation dans des décisions récentes. Le différend opposant Lion Mexico Consolidated LP aux États-Unis du Mexique, soumis à l’arbitrage en vertu de l’accord de libre-échange nord-américain (ALENA), portait sur des manoeuvres judiciaires et administratives frauduleuses auxquelles s’était livré un débiteur. Dans sa sentence de 2021, le tribunal arbitral saisi de cette affaire a réaffirmé, à titre de règle générale, que, « au regard de l’article 1110 [de l’ALENA], la responsabilité du fait d’une expropriation découlant de décisions de juridictions internes ne p[ouvai]t être engagée que s’il [étai]t constaté qu’il y a[vait] eu un déni de justice »2.
8. L’affaire Krederi v. Ukraine semble avoir inspiré le présent arrêt. Dans sa sentence de 2018, le tribunal saisi de l’affaire avait observé que, dans le contexte des litiges de droit privé portant sur la propriété de biens meubles ou immeubles, « les décisions de justice [donnant gain de cause à l’une
1 Je relèverai que l’Iran, dans son mémoire, a affirmé que « les tribunaux américains s’[étaie]nt contentés d’appliquer les lois et décrets présidentiels des États-Unis », voir par. 5.64.
2 Lion Mexico Consolidated LP v. United Mexican States, affaire CIRDI no ARB (AF)/15/2, sentence du 20 septembre 2021, par. 188. Pour étayer sa conclusion, le tribunal a cité The Loewen Group, Inc. and Raymond L. Loewen v. United States of America, affaire CIRDI no ARB(AF)/98/3, sentence du 26 juin 2003, par. 141 :
« Le fait que les requérants invoquent l’article 1110 ne conforte en rien la demande présentée sur le fondement de l’article 1105. Dans les circonstances de l’espèce, il ne pourra être fait droit à une demande se rapportant à une appropriation qui aurait été effectuée en violation de l’article 1110 que si Loewen établit qu’un déni de justice a été commis conformément à l’article 1105. »
Dans l’affaire Loewen, le tribunal a fait appel au critère de l’« injustice manifeste, s’entendant d’une absence de procédure régulière aboutissant à une issue contraire à la bonne règle judiciaire », aux fins de déterminer s’il y avait eu traitement injuste et inéquitable ou déni de justice (ibid., par. 132).
- 3 -
ou l’autre partie au litige] n[’étaie]nt pas constitutives d’expropriation »3. Il a ajouté que, si une juridiction concluait à l’invalidité d’un transfert de propriété, « les transferts de propriété qui en résult[ai]ent n’équival[ai]ent pas à une expropriation »4. Le tribunal a ensuite précisé que, pour déterminer si l’on était en présence d’une expropriation indirecte ou d’une mesure équivalant à une expropriation dans ces circonstances, il était nécessaire d’établir « la présence d’un élément supplémentaire d’illicéité entachant la procédure ou d’un déni de justice »5. Dans cette affaire, le tribunal a jugé qu’il n’y avait pas eu expropriation au motif que le principe de régularité de la procédure avait été respecté dans les procédures judiciaires internes6.
9. D’autres décisions de juridictions internationales s’appuient sur des raisonnements analogues. Elles ont pour dénominateur commun le fait que c’est la décision de justice elle-même qui doit être entachée d’un élément d’illicéité. Ainsi, dans l’affaire Swisslion v. Macedonia, le tribunal, se prononçant sur une demande relative à une expropriation résultant d’une décision de justice, a conclu que, « [é]tant donné que l’action des juridictions n’[étai]t pas entachée d’illicéité, le premier élément constitutif de l’expropriation alléguée par le requérant n’[étai]t pas établi »7. Dans l’affaire Manolium Processing v. Belarus, le tribunal a affirmé que
« le critère [à appliquer à une demande relative à une expropriation indirecte fondée sur un arrêt de la Cour suprême du Bélarus] d[eva]it être équivalent à celui utilisé pour les décisions de justice contraires au standard [du traitement juste et équitable] : l’expropriation judiciaire doit résulter d’un déni de justice »8.
Le tribunal a estimé qu’il n’y avait pas eu expropriation judiciaire, puisqu’il n’y avait pas eu déni de justice9. Dans l’affaire Muhammet Çap & Sehil v. Turkmenistan, alors même que les requérants n’avaient pas présenté d’allégations d’expropriation judiciaire dans le cadre de procédures internes relatives à la résiliation de contrats, le tribunal a observé que « le niveau de preuve requis pour établir l’expropriation judiciaire [étai]t élevé et [qu’]il n’a[vait] pas été atteint en l’espèce »10.
10. Certaines juridictions ont retenu à cet égard un niveau de preuve particulièrement élevé. Dans l’affaire Garanti Koza v. Turkmenistan, le tribunal a ainsi jugé qu’une saisie de biens ne pouvait être considérée comme une expropriation à moins qu’il existe « un élément d’irrégularité grave et fondamental entachant la procédure »11.
3 Krederi Ltd. v. Ukraine, affaire CIRDI no ARB/14/17, sentence du 28 juillet 2018, par. 709 (les italiques sont de moi).
4 Ibid. (les italiques sont de moi).
5 Ibid., par. 713 (les italiques sont de moi).
6 Ibid., par. 715.
7 Swisslion DOO Skopje v. The former Yugoslav Republic of Macedonia, affaire CIRDI no ARB/09/16, sentence du 6 juillet 2012, par. 314.
8 OOO Manolium Processing v. Republic of Belarus, affaire C.P.A. no 2018-06, sentence finale du 22 juin 2021, par. 591.
9 Ibid., par. 592.
10 Muhammet Çap & Sehil Inşaat Endustri ve Ticaret Ltd. Sti. v. Turkmenistan, affaire CIRDI no ARB/12/6, sentence du 4 mai 2021, par. 950. Le tribunal a relevé que les requérants avaient « été représentés lors des audiences », avaient « exposé leurs arguments », « eu l’occasion de répondre aux griefs formulés dans la requête et [avaie]nt de fait déposé des écritures à cet effet », et « exercé [leur] droit de faire appel », concluant par ces motifs à l’absence de violation du droit à une procédure régulière. Ibid., par. 953-954.
11 Garanti Koza LLP v. Turkmenistan, affaire CIRDI no ARB/11/20, sentence du 19 décembre 2016, par. 365.
- 4 -
11. De même, on relèvera à titre de comparaison que, dans les différends portés devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) concernant la protection de la propriété au titre de l’article 1 du protocole no 1 à la convention européenne des droits de l’homme et l’ingérence alléguée de systèmes judiciaires nationaux dans l’exercice du droit à la propriété, l’accent est aussi généralement mis sur la procédure judiciaire en elle-même. Par exemple, l’affaire Vulakh and others v. Russia portait sur un litige opposant des parties privées au sujet d’une demande d’indemnisation. La CEDH a indiqué que le rôle de l’État dans un différend relevant de l’article 1 du protocole no 1 se limitait à fournir le cadre nécessaire pour établir les droits et les obligations de caractère civil des requérants par le biais de son système judiciaire. Même si, comme la CEDH l’a précisé, le fait qu’il prévoie une instance judiciaire ne suffit pas à engager sa responsabilité au titre de l’article 1 du protocole no 1, « l’État peut être tenu responsable des préjudices résultant de ces décisions si celles-ci ne sont pas conformes au droit interne ou si elles sont entachées d’arbitraire ou manifestement déraisonnables, méconnaissant ainsi l’article 1 du Protocole no 1 »12. La CEDH a expliqué que, pour assurer les protections prévues par l’article 1 du protocole no 1, « les États ont l’obligation de prévoir une procédure judiciaire offrant les garanties procédurales nécessaires et permettant ainsi aux tribunaux nationaux de trancher efficacement et équitablement tout litige éventuel entre particuliers »13.
12. Certains tribunaux internationaux se sont montrés moins stricts sur ce point. Bien que cette position se conçoive tout à fait, elle apparaît dans l’ensemble minoritaire. Dans l’affaire Saipem v. Bangladesh, le tribunal a affirmé que l’expropriation judiciaire ne supposait pas nécessairement l’existence d’un déni de justice (bien qu’il ait indiqué « partag[er] l’avis des parties selon lequel une expropriation par un tribunal présuppos[ait] que l’intervention de ce dernier soit illégale »)14. Dans l’affaire Sistem v. Kyrgyzstan, les droits de propriété dont jouissait un investisseur à l’égard d’un hôtel avaient été abrogés par suite de décisions du système judiciaire de l’État hôte invalidant un contrat d’achat d’actions. Le tribunal n’a pas examiné séparément la licéité de la décision de justice. Il a jugé que l’abrogation des droits contractuels par l’État équivalait à une expropriation, affirmant que « [l]a décision de la Cour a[vait] tout autant privé le requérant de ses droits de propriété à l’égard de l’hôtel que si l’État avait ordonné son expropriation »15. Dans l’affaire Standard Chartered Bank (Hong Kong) v. Tanzania, le tribunal a indiqué que « des décisions de justice permettant l’action ou l’inaction des autres formes de pouvoir de l’État et privant l’investisseur de ses biens ou de ses droits de propriété demeur[ai]ent susceptibles d’être constitutives d’expropriation ». Et d’ajouter que, « [b]ien qu’un déni de justice puisse dans certains cas donner lieu à une expropriation, cela ne signifie pas pour autant qu’une expropriation judiciaire ne peut se produire que s’il y a déni de justice »16. Certains tribunaux ont aussi fait droit à des demandes relatives à des expropriations résultant de décisions de juridictions internes lorsque celles-ci s’inscrivaient dans une succession d’actions ou d’omissions ou dans le cadre d’une action combinée attribuable à l’État17.
12 Vulakh and others v. Russia, Application No. 33468/03, Judgment, 10 January 2012, par. 44. Voir en outre Melnychuk v. Ukraine, Application No. 28743/03, Decision, 5 July 2005, par. 3.
13 Vulakh and others v. Russia, Application No. 33468/03, Judgment, 10 January 2012, par. 45.
14 Saipem S.p.A. v. The People’s Republic of Bangladesh, affaire CIRDI no ARB/05/07, sentence du 30 juin 2009, par. 181.
15 Sistem Mühendislik İnşaat Sanayi ve Ticaret A.Ş. v. Kyrgyz Republic, affaire CIRDI no ARB(AF)/06/1, sentence du 9 septembre 2009, par. 118.
16 Standard Chartered Bank (Hong Kong) Limited v. United Republic of Tanzania, affaire CIRDI no ARB/15/41, sentence du 11 octobre 2019, par. 279.
17 Voir, par exemple, Rumeli A.S. and Telsim Mobil Telekomunikasyon Hizmetleri A.S. v. Republic of Kazakhstan, affaire CIRDI no ARB/05/16, sentence du 29 juillet 2008, par. 705-715 ; Antoine Abou Lahoud et Leila Bounafeh-Abou Lahoud c. République démocratique du Congo, affaire CIRDI no ARB/10/4, sentence du 7 février 2014, par. 501-505.
- 5 -
13. Ces éléments montrent clairement que la plupart des décisions internationales vont dans le sens d’une position différente de celle qui a été adoptée dans le présent arrêt. Bien que ces vues n’aient évidemment aucun effet contraignant à l’égard de la Cour, il convient de disposer de raisons suffisantes et de motifs supérieurs pour aller à contre-courant de la jurisprudence internationale. En tout état de cause, et plus encore à la lumière de la position adoptée par la Cour sur ce point, il eût été bon de proposer une analyse plus exhaustive, s’appuyant sur un raisonnement plus poussé et étayée par des sources autorisées, quant à la question de l’expropriation judiciaire.
(Signé) Dalveer BHANDARI.
___________

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182
DECLARATION OF JUDGE BHANDARI
Judicial expropriation — Criteria for establishing expropriation involving
conduct of domestic court — Decisions of other international courts and
tribunals — Court should have offered more comprehensive reasoning and
justification.
1. I make this declaration to indicate what are, in my view, shortcomings
in the Court’s reasoning on Iran’s expropriation claim under Article IV (2) of
the Treaty of Amity. The passages in the Judgment concerning judicial
expropriation in my view require greater depth of analysis.
2. Paragraph 184 of the Judgment states as follows:
“The Court considers that a judicial decision ordering the attachment
and execution of property or interests in property does not per se constitute
a taking or expropriation of that property. A specific element of
illegality related to that decision is required to turn it into a compensable
expropriation. Such an element of illegality is present, in certain
situations, when a deprivation of property results from a denial of justice,
or when a judicial organ applies legislative or executive measures
that infringe international law and thereby causes a deprivation of
property. Therefore, in order to determine whether there exists a specific
element of illegality, it is necessary to examine the legislative,
executive and judicial acts adopted by the United States as a whole.”
(Emphasis added.)
3. This paragraph addresses an important aspect of international economic
relations, and it states a purported rule of international law. That
statement, however, is not supported by any precedent or adequate reasons.
In my opinion, the Court should be extremely cautious when making such
broad statements of law. When it does so, the Court should, at a minimum,
ensure that its statements can withstand scrutiny by backing them up with
the necessary analysis and support. That has not occurred here, notwithstanding
the fact that other international tribunals have explored this aspect
of the international law of expropriation.
4. Perhaps the reason why this paragraph stands unsupported, though, is
because it is not necessarily in keeping with prevailing understandings of
expropriation in connection with decisions by domestic courts. Paragraph 184
states that
182
DÉCLARATION DE M. LE JUGE BHANDARI
[Traduction]
Expropriation judiciaire — Critères permettant d’établir que le comportement
d’une juridiction interne est constitutif d’expropriation — Décisions
d’autres cours et tribunaux internationaux — Regret que la Cour n’a pas
développé plus avant son raisonnement et ses motifs.
1. Dans la présente déclaration, j’indiquerai quelles sont, selon moi, les
failles du raisonnement de la Cour concernant l’allégation d’expropriation
formulée par l’Iran sur le fondement du paragraphe 2 de l’article IV du traité
d’amitié. Les passages de l’arrêt consacrés à l’expropriation judiciaire méritaient
à mon sens une analyse plus poussée.
2. Le paragraphe 184 de l’arrêt se lit comme suit :
« La Cour estime que des décisions de justice ordonnant que des biens
ou des participations dans des biens fassent l’objet de saisies et de
mesures d’exécution ne constituent pas par elles-mêmes des actes de
dépossession ou d’expropriation. Elles ne peuvent devenir des actes d’expropriation
ouvrant droit à indemnisation que si elles sont entachées
d’un élément d’illicéité spécifique. Un tel élément est présent, dans certains
cas, lorsqu’une dépossession de biens résulte d’un déni de justice,
ou lorsqu’un organe judiciaire applique des mesures administratives ou
législatives contraires au droit international et, ce faisant, entraîne une
dépossession de biens. Pour déterminer s’il existe un élément d’illicéité
spécifique, il est par conséquent nécessaire d’examiner dans leur
ensemble les mesures législatives, administratives et judiciaires prises
par les États-Unis. » (Les italiques sont de moi.)
3. Dans ce paragraphe, la Cour traite d’un aspect important des relations
économiques internationales et entend énoncer une règle de droit international.
Or, son affirmation n’est étayée par aucun précédent ni aucun motif
approprié. Selon moi, la Cour devrait faire preuve d’une extrême prudence
lorsqu’elle formule ainsi des exposés de droit d’ordre général. Le cas échéant,
elle devrait, à tout le moins, s’assurer que ses affirmations résistent à l’examen
en les fondant sur l’analyse et les éléments requis. Elle ne l’a pas fait dans
le présent arrêt, alors même que d’autres juridictions internationales s’étaient
déjà penchées sur cet aspect du droit international de l’expropriation.
4. Si ce paragraphe n’est nullement étayé, c’est cependant peut-être parce
qu’il ne correspond pas nécessairement aux interprétations de l’expropriation
habituellement retenues dans les décisions des juridictions internes.
Aux termes du paragraphe 184,
183
“an element of illegality is present, in certain situations, when a deprivation
of property results from a denial of justice, or when a judicial organ
applies legislative or executive measures that infringe international law
and thereby causes a deprivation of property”.
This is a debatable proposition.
5. The prevailing understanding among international tribunals is that, in
order for a judicial decision to constitute an expropriation, an element of
international unlawfulness must taint the judicial decision itself. When a
court in a lawful manner simply applies legislation that is itself in breach of
a treaty obligation, or otherwise not in conformity with international law,
that is not necessarily sufficient for the judicial decision to amount to an
expropriation1. That latter scenario seems to reflect the Court’s understanding
of the facts in this case, given its specific finding that “the rights of
Iranian companies to appear before the courts in the United States, to make
legal submissions and to lodge appeals, have not been curtailed ”. The Court
then adds that
“[t]he enactment of legislative provisions removing legal defences based
on separate legal personality, and their application by the courts, do not
in themselves constitute a serious failure in the administration of
justice amounting to a denial of justice” (Judgment, para. 143, emphasis
added).
6. The decisions of investor-State arbitral tribunals, the primary international
tribunals to adjudicate expropriation claims today, largely accept the
requirement that the domestic judicial decision itself must be tainted by
unlawfulness. For the most part, these tribunals have distinguished legitimate
judicial determinations from abusive interferences. They have done so
by requiring, in addition to a finding that the conduct of a State’s judiciary
substantially deprived an investor of its economic rights, a further element
of impropriety. Notably, these tribunals emphasized that a finding of judicial
expropriation is an exception rather than the rule. In sum, no
expropriation would, as a general rule, occur in the absence of a judicial
decision amounting to a denial of justice or other violation of international
law, such as lack of due process or non-compliance with specific procedural
safeguards set out in treaties and customary international law.
7. Recent decisions have generally confirmed this understanding. Lion
Mexico Consolidated LP v. United Mexican States, an arbitration under the
North American Free Trade Agreement (“NAFTA”), concerned a fraudulent
1 I note Iran’s statement in its Memorial that “the U.S. judiciary has merely acted to implement
U.S. legislation and executive orders”: Memorial of the Islamic Republic of Iran, para. 5.64.
certain iranian assets (decl. bhandari)
certains actifs iraniens (décl. bhandari) 183
« [u]n … élément [d’illicéité] est présent, dans certains cas, lorsqu’une
dépossession de biens résulte d’un déni de justice, ou lorsqu’un organe
judiciaire applique des mesures administratives ou législatives contraires
au droit international et, ce faisant, entraîne une dépossession de biens ».
Il s’agit là d’une proposition discutable.
5. Selon l’interprétation généralement adoptée par les juridictions internationales,
pour qu’une décision de justice soit constitutive d’expropriation,
c’est la décision elle-même qui doit être entachée d’un élément d’illicéité au
regard du droit international. Lorsqu’une juridiction ne fait rien d’autre
qu’appliquer de manière licite une loi qui, elle, est contraire à une obligation
conventionnelle ou n’est pas conforme au droit international de quelque
autre manière, cela ne suffit pas nécessairement pour que la décision de justice
qui en résulte soit constitutive d’expropriation1. C’est à cette aune que
la Cour semble avoir interprété les faits de l’espèce, puisqu’elle a spécifiquement
jugé que « les droits des sociétés iraniennes de comparaître devant les
tribunaux américains, d’avancer des arguments juridiques et de former des
appels n’[avaie]nt pas été entravés ». Et la Cour d’ajouter :
« La promulgation de dispositions législatives supprimant certains
moyens de défense fondés sur la personnalité juridique distincte et leur
application par les tribunaux ne constituent pas en elles-mêmes un grave
manquement dans l’administration de la justice qui équivaille à un déni
de justice. » (Arrêt, par. 143 ; les italiques sont de moi.)
6. Les décisions des tribunaux arbitraux statuant sur les différends opposant
des investisseurs à des États, qui sont aujourd’hui les principales juridictions
internationales à connaître de réclamations concernant des expropriations,
admettent généralement que, pour qu’il y ait expropriation, la décision judiciaire
interne elle-même doit être entachée d’illicéité. Pour l’essentiel, ces
juridictions ont ainsi distingué les décisions de justice légitimes des ingérences
abusives. Pour ce faire, en plus de constater que le comportement du
pouvoir judiciaire de l’État concerné privait en substance un investisseur de
ses droits économiques, elles ont exigé que puisse être démontré un élément
d’irrégularité. On notera que, ainsi que l’ont souligné ces tribunaux, conclure
à une expropriation judiciaire est l’exception et non la règle. En résumé, on ne
peut en règle générale considérer qu’il y a expropriation en l’absence d’une
décision judiciaire équivalant à un déni de justice ou emportant violation de
toute autre règle de droit international, comme le non-respect du principe de
régularité de la procédure ou de certaines garanties de procédure spécifiques
prévues par des traités et le droit international coutumier.
7. On trouve confirmation de cette interprétation dans des décisions
récentes. Le différend opposant Lion Mexico Consolidated LP aux États-
Unis du Mexique, soumis à l’arbitrage en vertu de l’accord de libre-échange
1 Je relèverai que l’Iran, dans son mémoire, a affirmé que « les tribunaux américains s’[étaie]nt
contentés d’appliquer les lois et décrets présidentiels des États-Unis », voir par. 5.64.
184 certain iranian assets (decl. bhandari)
scheme of judicial and administrative proceedings initiated by a debtor. In
its 2021 award, the tribunal reaffirmed the general rule that “liability for
expropriation under [NAFTA] Art. 1110 arising from the decisions of domestic
courts requires a finding of a denial of justice”2.
8. Krederi Ltd. v. Ukraine is a case from which the present Judgment
seems to have drawn inspiration. In its 2018 award, the tribunal observed, in
the context of private law disputes over ownership of movable or immovable
property, that “judicial determinations [of which party prevails in a private
law dispute over ownership of movable or immovable property] do not
constitute expropriation”3. It added that where a court finds that a property
transfer was invalid, “the resulting transfers of ownership do not amount to
expropriation”4. The tribunal in Krederi then stated it is necessary to ascertain,
in order to determine whether an indirect expropriation or a measure
tantamount to expropriation had occurred in those circumstances, “whether
an additional element of procedural illegality or denial of justice was
present”5. The tribunal in Krederi dismissed the expropriation claim on the
basis that the domestic judicial proceedings had not involved a breach of due
process6.
9. Other international decisions have adopted similar approaches. What
they have in common is that the unlawfulness in question must attach to the
judicial decision itself. Thus, in Swisslion v. Macedonia, the tribunal concluded
with respect to an expropriation claim premised on a judicial decision
that “[s]ince there was no illegality on the part of the courts, the first element
of the Claimant’s expropriation claim is not established”7. In Manolium Processing
v. Belarus, the tribunal stated that
2 Lion Mexico Consolidated LP v. United Mexican States, ICSID Case No. ARB(AF)/15/2,
Award of 20 September 2021, para. 188. In support, the tribunal cited The Loewen Group, Inc.
and Raymond L. Loewen v. United States of America, ICSID Case No. ARB(AF)/98/3, Award
of 26 June 2003, para. 141: “Claimants’ reliance on Article 1110 adds nothing to the claim
based on Article 1105. In the circumstances of this case, a claim alleging an appropriation in
violation of Article 1110 can succeed only if Loewen establishes a denial of justice under Article
1105.” The Loewen tribunal used the test of “[m]anifest injustice in the sense of a lack of
due process leading to an outcome which offends a sense of judicial propriety” for the determination
of unfair and inequitable treatment or denial of justice (ibid., para. 132).
3 Krederi Ltd. v. Ukraine, ICSID Case No. ARB/14/17, Award of 28 July 2018, para. 709
(emphasis added).
4 Ibid. (emphasis added).
5 Ibid., para. 713 (emphasis added).
6 Ibid., para. 715.
7 Swisslion DOO Skopje v. the former Yugoslav Republic of Macedonia, ICSID Case No. ARB/
09/16, Award of 6 July 2012, para. 314.
certains actifs iraniens (décl. bhandari) 184
nord-américain (ALENA), portait sur des manoeuvres judiciaires et administratives
frauduleuses auxquelles s’était livré un débiteur. Dans sa sentence
de 2021, le tribunal arbitral saisi de cette affaire a réaffirmé, à titre de règle
générale, que, « au regard de l’article 1110 [de l’ALENA], la responsabilité
du fait d’une expropriation découlant de décisions de juridictions internes ne
p[ouvai]t être engagée que s’il [étai]t constaté qu’il y a[vait] eu un déni de
justice »2.
8. L’affaire Krederi v. Ukraine semble avoir inspiré le présent arrêt. Dans
sa sentence de 2018, le tribunal saisi de l’affaire avait observé que, dans le
contexte des litiges de droit privé portant sur la propriété de biens meubles
ou immeubles, « les décisions de justice [donnant gain de cause à l’une ou
l’autre partie au litige] n[’étaie]nt pas constitutives d’expropriation »3. Il a
ajouté que, si une juridiction concluait à l’invalidité d’un transfert de propriété,
« les transferts de propriété qui en résult[ai]ent n’équival[ai]ent pas à
une expropriation »4. Le tribunal a ensuite précisé que, pour déterminer si
l’on était en présence d’une expropriation indirecte ou d’une mesure équivalant
à une expropriation dans ces circonstances, il était nécessaire d’établir
« la présence d’un élément supplémentaire d’illicéité entachant la procédure
ou d’un déni de justice »5. Dans cette affaire, le tribunal a jugé qu’il n’y
avait pas eu expropriation au motif que le principe de régularité de la procédure
avait été respecté dans les procédures judiciaires internes6.
9. D’autres décisions de juridictions internationales s’appuient sur des raisonnements
analogues. Elles ont pour dénominateur commun le fait que
c’est la décision de justice elle-même qui doit être entachée d’un élément
d’illicéité. Ainsi, dans l’affaire Swisslion v. Macedonia, le tribunal, se prononçant
sur une demande relative à une expropriation résultant d’une
décision de justice, a conclu que, « [é]tant donné que l’action des juridictions
n’[étai]t pas entachée d’illicéité, le premier élément constitutif de l’expropriation
alléguée par le requérant n’[étai]t pas établi »7. Dans l’affaire
Manolium Processing v. Belarus, le tribunal a affirmé que
2 Lion Mexico Consolidated LP v. United Mexican States, affaire CIRDI no ARB(AF)/15/2,
sentence du 20 septembre 2021, par. 188. Pour étayer sa conclusion, le tribunal a cité The
Loewen Group, Inc. and Raymond L. Loewen v. United States of America, affaire CIRDI
no ARB(AF)/98/3, sentence du 26 juin 2003, par. 141 : « Le fait que les requérants invoquent
l’article 1110 ne conforte en rien la demande présentée sur le fondement de l’article 1105. Dans
les circonstances de l’espèce, il ne pourra être fait droit à une demande se rapportant à une
appropriation qui aurait été effectuée en violation de l’article 1110 que si Loewen établit qu’un
déni de justice a été commis conformément à l’article 1105. » Dans l’affaire Loewen, le tribunal
a fait appel au critère de l’« injustice manifeste, s’entendant d’une absence de procédure
régulière aboutissant à une issue contraire à la bonne règle judiciaire », aux fins de déterminer
s’il y avait eu traitement injuste et inéquitable ou déni de justice (ibid., par. 132).
3 Krederi Ltd. v. Ukraine, affaire CIRDI no ARB/14/17, sentence du 28 juillet 2018, par. 709
(les italiques sont de moi).
4 Ibid. (les italiques sont de moi).
5 Ibid., par. 713 (les italiques sont de moi).
6 Ibid., par. 715.
7 Swisslion DOO Skopje v. the former Yugoslav Republic of Macedonia, affaire CIRDI
no ARB/09/16, sentence du 6 juillet 2012, par. 314.
185 certain iranian assets (decl. bhandari)
“the standard [for an indirect expropriation claim based on a judgment
of the Belarus Supreme Court] must be equivalent to that applied to judicial
decisions which violate the [fair and equitable treatment] standard:
judicial expropriation must result from denial of justice”8.
The tribunal did not find that judicial expropriation had occurred, because it
had found no denial of justice9. In Muhammet Çap and Sehil v. Turkmenistan,
although the claimants had not alleged judicial expropriation in
connection with domestic proceedings concerning the termination of contracts,
the tribunal still observed that “[t]here is a high threshold to prove
judicial expropriation and that has not been proved in this case”10.
10. Some tribunals have articulated a particularly high threshold in this
regard. In Garanti Koza v. Turkmenistan, the tribunal found that a seizure of
property does not amount to an expropriation unless there existed “an element
of serious and fundamental impropriety about the legal process”11.
11. Similarly, by way of comparison, in litigation before the European
Court of Human Rights (“ECtHR”) concerning the right to property under
Article 1 of Protocol 1 to the European Convention on Human Rights and
alleged interferences with that right by national judiciaries, the emphasis has
also generally been on the judicial process itself. Vulakh and Others v.
Russia, for example, concerned a dispute between private parties regarding
a compensation claim. The ECtHR noted that a State’s role in a dispute under
Article 1 of Protocol 1 was limited to providing a forum for the determination
of the applicants’ civil rights and obligations in the form of its judicial
system. While providing a judicial forum did not, the ECtHR stated, by itself
engage the State’s responsibility under Article 1 of Protocol No. 1, “the State
may be held responsible for losses caused by such determinations if the court
decisions were not given in accordance with domestic law or if they were
flawed by arbitrariness or manifest unreasonableness contrary to Article 1 of
Protocol No. 1”12. The ECtHR explained that, in order to afford the protections
required by Article 1 of Protocol 1, “States are under an obligation to
afford judicial procedures that offer the necessary procedural guarantees and
8 OOO Manolium Processing v. The Republic of Belarus, PCA Case No. 2018-06, Final
Award of 22 June 2021, para. 591.
9 Ibid., para. 592.
10 Muhammet Çap and Sehil Inşaat Endustri ve Ticaret Ltd. Sti. v. Turkmenistan, ICSID
Case No. ARB/12/6, Award of 4 May 2021, para. 950. The tribunal noted that the claimants
“were represented at the hearings”, “put forward arguments”, “had the opportunity to and did
in fact file replies to the statements of claim”, and “exercised [the] right to appeal”, concluding
for these reasons that there were no due process violations. Ibid., paras. 953-954.
11 Garanti Koza LLP v. Turkmenistan, ICSID Case No. ARB/11/20, Award of 19 December
2016, para. 365.
12 Vulakh and Others v. Russia, Application No. 33468/03, Judgment of 10 January 2012,
para. 44. See further Melnychuk v. Ukraine, Application No. 28743/03, Decision of 5 July 2005, para. 3.
certains actifs iraniens (décl. bhandari) 185
« le critère [à appliquer à une demande relative à une expropriation indirecte
fondée sur un arrêt de la Cour suprême du Bélarus] d[eva]it être
équivalent à celui utilisé pour les décisions de justice contraires au standard
[du traitement juste et équitable] : l’expropriation judiciaire doit
résulter d’un déni de justice »8.
Le tribunal a estimé qu’il n’y avait pas eu expropriation judiciaire, puisqu’il
n’y avait pas eu déni de justice9. Dans l’affaire Muhammet Çap and Sehil v.
Turkmenistan, alors même que les requérants n’avaient pas présenté d’allégations
d’expropriation judiciaire dans le cadre de procédures internes relatives
à la résiliation de contrats, le tribunal a observé que « le niveau de preuve
requis pour établir l’expropriation judiciaire [étai]t élevé et [qu’]il n’a[vait]
pas été atteint en l’espèce »10.
10. Certaines juridictions ont retenu à cet égard un niveau de preuve particulièrement
élevé. Dans l’affaire Garanti Koza v. Turkmenistan, le tribunal a
ainsi jugé qu’une saisie de biens ne pouvait être considérée comme une
expropriation à moins qu’il existe « un élément d’irrégularité grave et fondamental
entachant la procédure »11.
11. De même, on relèvera à titre de comparaison que, dans les différends
portés devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) concernant
la protection de la propriété au titre de l’article 1 du protocole no 1 à la
convention européenne des droits de l’homme et l’ingérence alléguée de systèmes
judiciaires nationaux dans l’exercice du droit à la propriété, l’accent
est aussi généralement mis sur la procédure judiciaire en elle-même. Par
exemple, l’affaire Vulakh and Others v. Russia portait sur un litige opposant
des parties privées au sujet d’une demande d’indemnisation. La CEDH a
indiqué que le rôle de l’État dans un différend relevant de l’article 1 du protocole
no 1 se limitait à fournir le cadre nécessaire pour établir les droits et
les obligations de caractère civil des requérants par le biais de son système
judiciaire. Même si, comme la CEDH l’a précisé, le fait qu’il prévoie une instance
judiciaire ne suffit pas à engager sa responsabilité au titre de l’article 1
du protocole no 1, « l’État peut être tenu responsable des préjudices résultant
de ces décisions si celles-ci ne sont pas conformes au droit interne ou si elles
sont entachées d’arbitraire ou manifestement déraisonnables, méconnaissant
ainsi l’article 1 du Protocole no 1 »12. La CEDH a expliqué que, pour assurer
8 OOO Manolium Processing v. Republic of Belarus, affaire CPA no 2018-06, sentence finale
du 22 juin 2021, par. 591.
9 Ibid., par. 592.
10 Muhammet Çap and Sehil Inşaat Endustri ve Ticaret Ltd. Sti. v. Turkmenistan, affaire
CIRDI no ARB/12/6, sentence du 4 mai 2021, par. 950. Le tribunal a relevé que les requérants
avaient « été représentés lors des audiences », avaient « exposé leurs arguments », « eu l’occasion
de répondre aux griefs formulés dans la requête et [avaie]nt de fait déposé des écritures à
cet effet », et « exercé [leur] droit de faire appel », concluant par ces motifs à l’absence de violations
du droit à une procédure régulière. Ibid., par. 953-954.
11 Garanti Koza LLP v. Turkmenistan, affaire CIRDI no ARB/11/20, sentence du 19 décembre
2016, par. 365.
12 Vulakh and Others v. Russia, Application No. 33468/03, Judgment, 10 January 2012, par. 44.
Voir en outre Melnychuk v. Ukraine, Application No. 28743/03, Decision, 5 July 2005, par. 3.
186 certain iranian assets (decl. bhandari)
therefore enable the domestic courts and tribunals to adjudicate effectively
and fairly any disputes between private persons”13.
12. Certain international tribunals have adopted a more lenient posture.
While this is a defensible view, it appears overall to be the less favoured
position. In Saipem v. Bangladesh, the tribunal stated that judicial expropriation
does not presuppose a denial of justice (although it did “concur[] with
the parties that expropriation by the courts presupposes that the courts’
intervention was illegal”)14. In Sistem v. Kyrgyzstan, the investor’s ownership
rights in a hotel had been abrogated by decisions of the host State’s
judiciary invalidating a share purchase agreement. The tribunal did not separately
examine the lawfulness of the judicial decision. It found that the
State’s abrogation of contractual rights was tantamount to an expropriation
of property, stating that “[t]he Court decision deprived the Claimant of its
property rights in the hotel just as surely as if the State had expropriated it
by decree”15. In Standard Chartered Bank (Hong Kong) v. Tanzania, the tribunal
stated that “judicial decisions that permit the actions or inactions of
other branches of the State and which deprive the investor of its property or
property rights, can still amount to expropriation”. It added that “[w]hile
denial of justice could in some case[s] result in expropriation, it does not follow
that judicial expropriation could only occur if there is denial of justice”16.
Certain tribunals have also upheld expropriation claims involving domestic
judicial decisions where those decisions formed part of a series of acts or
omissions or of a composite act attributable to the State17.
13. These materials make it plain that most international decisions support
a stance different from the one adopted in this Judgment. While those views
are, of course, not binding on the Court, it requires sufficient reasons and
more justification to swim against the tide of international jurisprudence. In
any case, yet especially in light of the Court’s stance on this point, it would
13 Vulakh and Others v. Russia, Application No. 33468/03, Judgment of 10 January 2012,
para. 45.
14 Saipem S.p.A. v. The People’s Republic of Bangladesh, ICSID Case No. ARB/05/07,
Award of 30 June 2009, para. 181.
15 Sistem Mühendislik İnşaat Sanayi ve Ticaret A.Ş. v. Kyrgyz Republic, ICSID Case
No. ARB(AF)/06/1, Award of 9 September 2009, para. 118.
16 Standard Chartered Bank (Hong Kong) Limited v. United Republic of Tanzania, ICSID
Case No. ARB/15/41, Award of 11 October 2019, para. 279.
17 See e.g. Rumeli A.S. and Telsim Mobil Telekomunikasyon Hizmetleri A.S. v. Republic of
Kazakhstan, ICSID Case No. ARB/05/16, Award of 29 July 2008, paras. 705-715; Antoine
Abou Lahoud and Leila Bounafeh-Abou Lahoud v. Democratic Republic of the Congo, ICSID
Case No. ARB/10/4, Award of 7 February 2014, paras. 501-505.
certains actifs iraniens (décl. bhandari) 186
les protections prévues par l’article 1 du protocole no 1, « les États ont l’obligation
de prévoir une procédure judiciaire offrant les garanties procédurales
nécessaires et permettant ainsi aux tribunaux nationaux de trancher efficacement
et équitablement tout litige éventuel entre particuliers »13.
12. Certains tribunaux internationaux se sont montrés moins stricts sur ce
point. Bien que cette position se conçoive tout à fait, elle apparaît dans l’ensemble
minoritaire. Dans l’affaire Saipem v. Bangladesh, le tribunal a affirmé
que l’expropriation judiciaire ne supposait pas nécessairement l’existence
d’un déni de justice (bien qu’il ait indiqué « partag[er] l’avis des parties selon
lequel une expropriation par un tribunal présuppos[ait] que l’intervention de
ce dernier soit illégale »)14. Dans l’affaire Sistem v. Kyrgyzstan, les droits de
propriété dont jouissait un investisseur à l’égard d’un hôtel avaient été abrogés
par suite de décisions du système judiciaire de l’État hôte invalidant un
contrat d’achat d’actions. Le tribunal n’a pas examiné séparément la licéité
de la décision de justice. Il a jugé que l’abrogation des droits contractuels par
l’État équivalait à une expropriation, affirmant que « [l]a décision de la Cour
a[vait] tout autant privé le requérant de ses droits de propriété à l’égard de
l’hôtel que si l’État avait ordonné son expropriation »15. Dans l’affaire Standard
Chartered Bank (Hong Kong) v. Tanzania, le tribunal a indiqué que
« des décisions de justice permettant l’action ou l’inaction des autres formes
de pouvoir de l’État et privant l’investisseur de ses biens ou de ses droits de
propriété demeur[ai]ent susceptibles d’être constitutives d’expropriation ».
Et d’ajouter que, « [b]ien qu’un déni de justice puisse dans certains cas donner
lieu à une expropriation, cela ne signifie pas pour autant qu’une
expropriation judiciaire ne peut se produire que s’il y a déni de justice »16.
Certains tribunaux ont aussi fait droit à des demandes relatives à des expropriations
résultant de décisions de juridictions internes lorsque celles-ci
s’inscrivaient dans une succession d’actions ou d’omissions, ou dans le cadre
d’une action combinée attribuable à l’État17.
13. Ces éléments montrent clairement que la plupart des décisions internationales
vont dans le sens d’une position différente de celle qui a été adoptée
dans le présent arrêt. Bien que ces vues n’aient évidemment aucun effet
contraignant à l’égard de la Cour, il convient de disposer de raisons suffisantes
et de motifs supérieurs pour aller à contre-courant de la jurisprudence
13 Vulakh and Others v. Russia, Application No. 33468/03, Judgment, 10 January 2012,
par. 45.
14 Saipem S.p.A. v. The People’s Republic of Bangladesh, affaire CIRDI no ARB/05/07, sentence
du 30 juin 2009, par. 181.
15 Sistem Mühendislik İnşaat S anayi v e T icaret A .Ş. v. Kyrgyz Republic, affaire CIRDI
no ARB(AF)/06/1, sentence du 9 septembre 2009, par. 118.
16 Standard Chartered Bank (Hong Kong) Limited v. United Republic of Tanzania, affaire
CIRDI no ARB/15/41, sentence du 11 octobre 2019, par. 279.
17 Voir, par exemple, Rumeli A.S. and Telsim Mobil Telekomunikasyon Hizmetleri A.S.
v. Republic of Kazakhstan, affaire CIRDI no ARB/05/16, sentence du 29 juillet 2008, par. 705-
715 ; Antoine Abou Lahoud et Leila Bounafeh-Abou Lahoud c. République démocratique du
Congo, affaire CIRDI no ARB/10/4, sentence du 7 février 2014, par. 501-505.
187 certain iranian assets (decl. bhandari)
have done well to adopt a fuller analysis, more thoroughly reasoned and
supported by authority, on the question of judicial expropriation.
(Signed) Dalveer Bhandari.
certains actifs iraniens (décl. bhandari) 187
internationale. En tout état de cause, et plus encore à la lumière de la position
adoptée par la Cour sur ce point, il eût été bon de proposer une analyse plus
exhaustive, s’appuyant sur un raisonnement plus poussé et étayée par des
sources autorisées, quant à la question de l’expropriation judiciaire.
(Signé) Dalveer Bhandari.

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Déclaration de M. le juge Bhandari

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