Opinon individuelle de M. le juge Robinson

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116-20220209-JUD-01-03-EN
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OPINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGE ROBINSON
[Traduction]
Indemnité de 225 000 000 dollars des Etats-Unis adjugée par la Cour au titre des dommages
causés aux personnes  Questions soulevées au sujet du raisonnement ayant conduit la Cour à fixer
ce montant  Appui tiré par la Cour de la sentence de la CREE  Perception et application par la
Cour du principe des considérations d’équité.
Norme de preuve au stade des réparations  Cour n’ayant pas appliqué la norme moins
stricte appropriée au stade des réparations.
1. Si j’ai voté en faveur de l’adjudication par la Cour d’une indemnité de 225 000 000 dollars
des Etats-Unis pour les dommages causés aux personnes, je souhaite formuler certaines observations
au sujet du raisonnement qui a conduit la Cour à fixer ce montant et de la façon dont elle a géré la
question de la norme de preuve au stade des réparations.
La démarche de la Cour en matière d’indemnisation
2. La démarche de base de la Cour en matière d’indemnisation est ainsi exposée au
paragraphe 106 :
«La Cour peut, à titre exceptionnel, octroyer une indemnisation sous la forme
d’une somme globale, dans la limite des possibilités offertes par les éléments de preuve
et compte tenu de considérations d’équité. Une telle approche peut être justifiée lorsque
les éléments de preuve permettent de conclure qu’un fait internationalement illicite a
indubitablement causé un préjudice avéré mais qu’ils ne permettent pas une évaluation
précise de l’étendue ou de l’ampleur de ce préjudice.»
3. S’agissant des dommages aux personnes, ce chef de dommages couvre cinq catégories de
préjudice, à savoir les pertes en vies humaines, les atteintes aux personnes, les viols et violences
sexuelles, le recrutement et le déploiement d’enfants-soldats et les déplacements de population. Pour
chacune de ces catégories, la Cour, après avoir analysé l’étendue et la valeur des dommages ou du
préjudice, a décidé d’accorder une indemnisation dans le cadre d’une somme globale. Elle n’a pas
fixé le montant de l’indemnité propre à chaque catégorie de préjudice et a fini par adjuger ce qu’elle
a appelé une somme globale de 225 000 000 dollars des Etats-Unis pour les dommages causés aux
personnes. Dans la présente opinion, relativement à l’espèce, le terme «chef de dommages» s’entend
selon le cas des dommages aux personnes, des dommages aux biens, des dommages aux ressources
naturelles et du dommage macroéconomique. Ce sont toutefois des dommages aux personnes que
relèvent les cinq catégories de préjudice mentionnées ci-dessus.
4. Le recours à la notion de somme globale est inédit dans les travaux de la Cour. En l’affaire
du Détroit de Corfou, celle-ci a adjugé à titre d’indemnité une somme totale composée de celles
qu’elle avait accordées au titre de chacun des trois chefs de dommages. Dans l’affaire Ahmadou
Sadio Diallo, elle a accordé une somme totale composée des indemnités qu’elle avait fixées au titre
de chacun des trois chefs de dommages. En l’affaire relative à Certaines activités, elle a également
accordé une somme totale composée des indemnités qu’elle avait fixées pour chacun des deux chefs
de dommages. Elle a donc adopté en l’espèce une démarche «pionnière» en fixant une indemnité
finale, appelée «somme globale» et visant cinq catégories de préjudice, sans avoir auparavant arrêté
une indemnité propre à chacune de ces cinq catégories.

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SEPARATE OPINION OF JUDGE ROBINSON
The Court’s award of US$225 million for damage to persons — Questions
raised about the Court’s reasoning in arriving at that figure — The Court’s reliance
on the EECC Award — The Court’s approach to and the application of the
principle of equitable considerations.
Standard of proof at the reparations phase — The Court’s failure to apply the
lower standard applicable at the reparations phase.
1. Although I voted in favour of the award by the Court of US$225 million
as compensation for damage to persons, I wish to make some observations
about the reasoning employed by the Court to arrive at that sum,
its treatment of the standard of proof at the reparations phase and the
compensability of macroeconomic damage.
The Court’s Approach to the Award of Compensation
2. The Court’s basic approach to the award of compensation is set out
in paragraph 106 as follows:
“[t]he Court may, on an exceptional basis, award compensation in the
form of a global sum, within the range of possibilities indicated by
the evidence and taking account of equitable considerations. Such an
approach may be called for where the evidence leaves no doubt that
an internationally wrongful act has caused a substantiated injury, but
does not allow a precise evaluation of the extent or scale of such
injury.”
3. The head of damage, damages to persons, has five categories of injuries,
namely, loss of life, injuries to persons, rape and sexual violence,
recruitment and deployment of child soldiers, and displacement of populations.
In respect of each category, after analysing the extent and valuation
of the damage or injury, the Court decided to award compensation
for each category of injury as part of a global sum. The Court did not fix
compensation for each category of injury, and ultimately awarded what it
described as a global sum of US$225 million for damage to persons. In
this opinion in relation to this case, the term “heads of damages” is taken
as applying to damage to persons, damage to property, damage to natural
resources and macroeconomic damage. However, damage to persons
has the five categories of injuries stated above.
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156
OPINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGE ROBINSON
[Traduction]
Indemnité de 225 000 000 dollars des Etats-Unis adjugée par la Cour au titre
des dommages causés aux personnes — Questions soulevées au sujet du
raisonnement ayant conduit la Cour à fixer ce montant — Appui tiré par la Cour
de la sentence de la CREE — Perception et application par la Cour du principe des
considérations d’équité.
Norme de preuve au stade des réparations — Cour n’ayant pas appliqué la
norme moins stricte appropriée au stade des réparations.
1. Si j’ai voté en faveur de l’adjudication par la Cour d’une indemnité
de 225 000 000 dollars des Etats-Unis pour les dommages causés aux personnes,
je souhaite formuler certaines observations au sujet du raisonnement
qui a conduit la Cour à fixer ce montant et de la façon dont elle a
géré la question de la norme de preuve au stade des réparations.
La démarche de la Cour en matière d’indemnisation
2. La démarche de base de la Cour en matière d’indemnisation est ainsi
exposée au paragraphe 106 :
« La Cour peut, à titre exceptionnel, octroyer une indemnisation sous
la forme d’une somme globale, dans la limite des possibilités offertes
par les éléments de preuve et compte tenu de considérations d’équité.
Une telle approche peut être justifiée lorsque les éléments de preuve
permettent de conclure qu’un fait internationalement illicite a indubitablement
causé un préjudice avéré mais qu’ils ne permettent pas une
évaluation précise de l’étendue ou de l’ampleur de ce préjudice. »
3. S’agissant des dommages aux personnes, ce chef de dommages
couvre cinq catégories de préjudice, à savoir les pertes en vies humaines,
les atteintes aux personnes, les viols et violences sexuelles, le recrutement
et le déploiement d’enfants‑soldats et les déplacements de population.
Pour chacune de ces catégories, la Cour, après avoir analysé l’étendue et
la valeur des dommages ou du préjudice, a décidé d’accorder une indemnisation
dans le cadre d’une somme globale. Elle n’a pas fixé le montant
de l’indemnité propre à chaque catégorie de préjudice et a fini par adjuger
ce qu’elle a appelé une somme globale de 225 000 000 dollars des Etats-
Unis pour les dommages causés aux personnes. Dans la présente opinion,
relativement à l’espèce, l’expression « chef de dommages » s’entend selon
le cas des dommages aux personnes, des dommages aux biens, des dommages
aux ressources naturelles et du dommage macroéconomique. Ce
sont toutefois des dommages aux personnes que relèvent les cinq catégories
de préjudice mentionnées ci-
dessus.
166 armed activities (sep. op. robinson)
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4. The use by the Court of the concept of a global sum is unprecedented
in its work. In the Corfu Channel case, the Court awarded a total
sum as compensation reflecting the aggregation of specific awards that it
had made in respect of each of the three heads of damage. In
Ahmadou Sadio Diallo, the Court awarded a total sum that reflected the
aggregation of awards that it had made in respect of each of the three
heads of damage. In Certain Activities, the Court also awarded a total
sum of compensation that reflected the aggregation of specific awards
that it had made in respect of each of the two heads of damages. In this
case, therefore, the Court is in a “brave new world” in the approach that
it has adopted of making a final award in respect of the five categories of
injuries, without previously making specific awards for those five categories.
5. In 2009, the Eritrea-Ethiopia
Claims Commission (“EECC” or “the
Commission”) determined the reparations to be awarded in the dispute
between the two countries arising out of an armed conflict that lasted
about two years. At the outset it must be clarified that the reliance placed
by the Court on the EECC’s Award is wholly misplaced. The Court states
that in respect of cases of mass casualties resulting from an armed conflict,
“the judicial or other bodies concerned have awarded a global sum,
for certain categories of injury, on the basis of the evidence at their disposal”
(Judgment, para. 107). It then refers to the EECC’s Final Award
on Eritrea’s Damages Claims (2009) 1. Although the language in that
paragraph does not mean that the Court was implying that the EECC
used the term “global sum”, it must be clarified that that term is not used
by the Commission in any part of its Award. An examination of that
Award shows that the EECC did not do anything that was remotely similar
to what the Court has done in this case. The EECC awarded compensation
in the form of a specific sum for each category of injury and then
made a final award that reflected an aggregation of those specific sums,
which it simply described as the “total monetary compensation”. For
example, in respect of rape, the Commission awarded a specific sum of
US$2 million, which it added to the other sums awarded for the other
categories of injuries making a grand total of US$161,455,000. It is inappropriate
to describe the award of US$2 million as a global sum, thereby
suggesting that the EECC’s approach to compensation was similar to
that of the Court. It is nothing of the sort, because, unlike the EECC, the
Court does not award a specific sum for any of the five categories of injuries
in respect of damage to persons; it awards what it describes as a
global sum.
1 Eritrea-Ethiopia
Claims Commission (EECC), Final Award, Eritrea’s Damages
Claims, Decision of 17 August 2009, United Nations, Reports of International Arbitral
Awards (RIAA), Vol. XXVI, pp. 505‑630.
activités armées (op. ind. robinson) 166
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4. Le recours à la notion de somme globale est inédit dans les travaux
de la Cour. En l’affaire du Détroit de Corfou, celle-
ci a adjugé à titre d’indemnité
une somme totale composée de celles qu’elle avait accordées au
titre de chacun des trois chefs de dommages. Dans l’affaire Ahmadou
Sadio Diallo, elle a accordé une somme totale composée des indemnités
qu’elle avait fixées au titre de chacun des trois chefs de dommages. En
l’affaire relative à Certaines activités, elle a également accordé une somme
totale composée des indemnités qu’elle avait fixées pour chacun des deux
chefs de dommages. Elle a donc adopté en l’espèce une démarche « pionnière
» en fixant une indemnité finale, appelée « somme globale » et visant
cinq catégories de préjudice, sans avoir auparavant arrêté une indemnité
propre à chacune de ces cinq catégories.
5. En 2009, la Commission des réclamations Erythrée-Ethiopie
(la
« CREE » ou la « Commission ») a déterminé les réparations à payer à
l’issue du différend qui opposait les deux pays par suite d’un conflit armé
qui avait duré environ deux ans. Il y a lieu de préciser d’emblée que la
Cour s’est fourvoyée en s’appuyant comme elle l’a fait sur les travaux de
la CREE. Elle déclare que, dans le cas d’un large groupe de victimes en
situation de conflit armé, « les instances judiciaires ou autres chargées de
le faire ont recouru à l’octroi de sommes globales, pour certaines catégories
de préjudice, sur la base des éléments de preuve mis à leur disposition
» (arrêt, par. 107). Elle fait ensuite référence à la sentence finale de la
CREE (Réclamations de dommages de l’Erythrée, 2009) 1. Si l’on ne peut
interpréter le libellé de ce paragraphe comme faisant dire à la Cour que la
CREE avait effectivement utilisé l’expression « somme globale », il importe
de préciser que celle-
ci ne figure nulle part dans la sentence de la Commission.
L’examen de cette sentence montre que la CREE n’a rien fait qui
puisse s’apparenter de près ou de loin à la démarche suivie par la Cour en
l’espèce. La CREE a adjugé une indemnité composée des sommes spécifiquement
fixées pour chaque catégorie de préjudice, puis prononcé une
indemnité finale correspondant au total des sommes ainsi arrêtées, et désignée
par l’expression « indemnisation pécuniaire totale ». Par exemple, en
ce qui concerne le viol, la Commission a adjugé spécifiquement la somme
de 2 000 000 dollars des Etats‑Unis, qu’elle a ensuite ajoutée aux sommes
qu’elle avait accordées au titre des autres catégories de préjudice, pour un
total de 161 455 000 dollars des Etats‑Unis. Il est inexact de qualifier de
somme globale l’indemnité de 2 000 000 dollars des Etats‑Unis et de laisser
entendre que la démarche adoptée par la CREE s’apparente à celle de
la Cour. Il n’en est rien puisque, contrairement à la CREE, la Cour n’a
pas accordé d’indemnité spécifique pour chacune des cinq catégories de
préjudice relevant des dommages aux personnes ; elle a adjugé ce qu’elle a
appelé une « somme globale ».
1 Commission des réclamations Erythrée-Ethiopie
(CREE), Sentence finale, Réclamations
de dommages de l’Erythrée, décision du 17 août 2009, Nations Unies, Recueil des
sentences arbitrales (RSA), vol. XXVI, p. 505‑630.
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6. In relation to cases of mass injuries, the Court found that it may
“form an appreciation of the extent of damage on which compensation
should be based without necessarily having to identify the names of all
victims or specific information about each building destroyed in the
conflict”
(para. 114). The thrust of this opinion is that the Court should
have implemented this important finding by making a specific award of
compensation in respect of each category of injury. Such a course would
have rendered the Court’s ultimate award of compensation more comprehensible.
Had the Court followed that approach, an award for a specific
category of injury, such as rape, made on the basis of its appreciation of
the extent of injury should not be treated as part of a global sum, because
it is inevitable that in cases of mass casualties an approach is taken reflecting
the totality of the wrongfulness relating to a specific category of injury
rather than the specificity of individual acts constituting that totality. In
that regard, it may be recalled that the Court categorically rejected Uganda’s
submission that it was necessary for the Democratic Republic of the
Congo (DRC) to adduce evidence showing specific injuries to specific
persons
or specific damage to specific property at a particular time or
place. In this case the Court has correctly shunned the particularization
of injuries.
The Concept of an Award of Compensation in the Form of a Global Sum
“within the Range of Possibilities Indicated by the Evidence”
7. The Court’s use of the concept of an award of compensation within
the range of possibilities indicated by the evidence appears to have been
inspired by the EECC’s Eritrea Damages Claims Award, in which the
phrase is used twice. Page 508 of the Award reads,
“The Commission required clear and convincing evidence that
damage occurred, but less rigorous proof for purposes of the quantification
of damages which requires exercises of judgment and approximation.
In commercial arbitration, lack of evidence may warrant
dismissal of a damages claim for failure of proof. In contrast, when
serious violations of international law, causing harm to many individuals,
have been determined, it would be inappropriate to dismiss
the claim outright. The Commission recognized its obligation
to determine
appropriate compensation, even if the process involves
estimation or guesswork within the range of possibilities indicated by
the evidence. The Commission further took into account a trade-off
fundamental to recent international efforts to address injuries affecting
large number of victims. Compensation levels were thus reduced,
balancing uncertainties flowing from the lower standard of proof.” 2
2 EECC, Final Award, Eritrea’s Damages Claims, Decision of 17 August 2009, RIAA,
Vol. XXVI, p. 508.
activités armées (op. ind. robinson) 167
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6. La Cour a dit que, dans le cas de dommages massifs, elle pouvait « parvenir
à une estimation de l’étendue des dommages sur laquelle devra être
fondée l’indemnisation sans avoir nécessairement à identifier le nom de
chaque victime ou des informations spécifiques sur chaque bâtiment ou
autre bien détruit pendant le conflit » (par. 114). La présente opinion vise
essentiellement à souligner que la Cour aurait dû donner suite à cette importante
conclusion en adjugeant une indemnité spécifique pour chaque catégorie
de préjudice, ce qui aurait rendu plus compréhensible l’indemnité
finalement accordée. En optant pour une telle démarche, la Cour aurait pu
éviter que l’indemnité accordée pour telle ou telle catégorie de préjudice, par
exemple le viol, fixée sur la base de son appréciation de l’étendue du préjudice,
puisse être considérée comme la fraction d’une somme globale, parce
que, dans les cas où les victimes sont nombreuses, on en vient forcément à
s’attacher à l’illicéité globalement attribuée à cette catégorie de préjudice,
plutôt qu’à la spécificité des actes individuels dont elle résulte. Il y a lieu de
rappeler à cet égard que la Cour a rejeté catégoriquement la prétention de
l’Ouganda selon laquelle il incombait à la République démocratique du
Congo (RDC) de présenter des éléments de preuve montrant que tel préjudice
avait été causé à telle personne ou que tel dommage avait été causé à tel
bien, à tel moment et en tel lieu. En l’espèce, c’est à bon droit que la Cour
s’est refusée à exiger le détail des dommages.
La notion d’adjudication d’une indemnisation sous forme de somme globale
« dans la limite des possibilités offertes par les éléments de preuve »
7. Pour adjuger une indemnité dans la limite des possibilités offertes
par les éléments de preuve, la Cour paraît s’être inspirée des Réclamations
de dommages de l’Erythrée de la CREE, où l’expression figure deux fois.
On lit ce qui suit à la page 508 de la sentence :
« La Commission devait compter sur des éléments de preuve clairs et
convaincants pour ce qui est de la survenance des dommages, mais s’est
montrée moins exigeante s’agissant de la quantification de ceux-
ci,
laquelle fait appel au jugement et à l’approximation. En matière d’arbitrage
commercial, l’insuffisance de la preuve peut entraîner le rejet de
toute réclamation pour dommage. Par contre, lorsqu’une violation grave
du droit international portant préjudice à de nombreuses personnes a été
constatée, la réclamation ne saurait être rejetée purement et simplement.
La Commission a reconnu qu’elle avait l’obligation de déterminer l’indemnité
appropriée, même si cela l’amène à estimer ou à supposer, dans
la limite des possibilités offertes par les éléments de preuve. Elle a en
outre tenu compte du compromis qui s’est révélé être une caractéristique
essentielle des efforts récents à l’échelle internationale en cas de dommages
touchant un grand nombre de victimes. Les niveaux d’indemnisation
ont ainsi été réduits, afin de compenser les incertitudes découlant de
l’application d’un critère moins strict d’établissement de la preuve. » 2
2 CREE, Sentence finale, Réclamations de dommages de l’Erythrée, décision du 17 août
2009, RSA, vol. XXVI, p. 508.
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Paragraphs 37 and 38 of the Award also explain the Commission’s understanding
of the concept. The language in these paragraphs is essentially
the same as that on page 508. Considering that the Award on Eritrea’s
Damages Claims is cited favourably seven times in the Judgment, it is
surprising that the Court has not followed the Commission’s approach to
determining compensation.
8. Four points may be made about the manner in which the Commission
uses the term “within the range of possibilities indicated by the evidence”,
which distinguishes it from the Court’s approach. The first point
is that, as indicated below, the Commission is careful to set the context in
which recourse may be had to the concept of an award of compensation
within the range of possibilities indicated by the evidence:
(i) the quantification of damages for serious violations of international
law resulting in harm to individuals calls for the exercise of judgment
and approximation, particularly in relation to mass conflicts, which
inevitably lead to uncertainties with regard to the extent and valuation
of damage;
(ii) in light of this particular context, there is a lower standard of proof
at the reparations phase;
(iii) in applying that lower standard of proof, a court or tribunal has an
“obligation to determine appropriate compensation, even if the
process
involves estimation or guesswork within the range of possibilities
indicated by the evidence” 3; and
(iv) the trade-off for a court or tribunal relying on estimation or guesswork
of compensation due in a case of mass casualties such as a war
is that compensation may be reduced.
The Court’s use of the concept does not reveal any sensitivity to that
context which the Commission was careful to identify for its use. In particular,
no sensitivity is shown by the Court to the linkage between the
use of the concept and the lower standard of proof at the reparations
phase. In the vast majority of instances where the Court finds that the
evidence does not allow it to even approximate the extent of the damage,
the evidence is such that had the Court been sensitive to the lower standard
of proof, it would have been in a position either by estimation or
guesswork to determine the extent and valuation of the damage; nor does
the Court’s approach reveal any sensitivity to reducing the compensation
sum as a trade-off for “uncertainties flowing from the lower standard of
proof” 4. This trade-off is described by the Commission as “fundamental
to recent international efforts to address injuries reflecting large numbers
3 EECC, Final Award, Eritrea’s Damages Claims, Decision of 17 August 2009, RIAA,
Vol. XXVI, p. 508.
4 Ibid.
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Aux paragraphes 37 et 38 de la sentence, la Commission explique son
interprétation de la notion, dans des termes semblables à ceux de la
page 508. Considérant que la sentence concernant les réclamations de
l’Erythrée est citée avec approbation pas moins de sept fois dans l’arrêt,
on peut s’étonner que la Cour n’ait pas suivi la démarche de la Commission
en matière d’indemnisation.
8. Quatre remarques viennent à l’esprit en ce qui concerne l’usage que
fait la Commission de la formule « dans la limite des possibilités offertes
par les éléments de preuve » et qui le distingue de la démarche suivie par
la Cour. Premièrement, ainsi qu’il est indiqué plus loin, la Commission a
pris soin d’établir le contexte dans lequel il était possible d’avoir recours
à la notion d’adjudication d’une indemnisation dans la limite des possibilités
offertes par les éléments de preuve :
i) la quantification des dommages découlant de violations graves du
droit international portant atteinte aux personnes fait appel au jugement
et à l’approximation, surtout dans le cas de conflits faisant de
nombreuses victimes, qui entraînent inévitablement des incertitudes
quant à l’étendue et à la valeur des dommages ;
ii) dans ce contexte particulier, une norme de preuve moins stricte s’applique
au stade des réparations ;
iii) au moment d’appliquer cette norme moins rigoureuse, la juridiction
saisie a « l’obligation de déterminer l’indemnité appropriée, même si
cela l’amène à estimer ou à supposer, dans la limite des possibilités
offertes par les éléments de preuve » 3 ;
iv) la nécessité de recourir à l’estimation ou à la supposition pour fixer
l’indemnité à payer dans les cas où les victimes sont nombreuses,
notamment en situation de guerre, peut avoir pour corollaire la
réduction du montant adjugé.
L’application de la notion par la Cour n’indique de la part de celle-
ci
aucune considération pour le contexte que la Commission avait pris soin
de définir à cette fin. En particulier, la Cour ne fait aucun cas du lien entre
l’application de cette notion et celle de la norme de preuve moins rigoureuse
au stade des réparations. Dans la grande majorité des cas où la Cour
en viendra à la conclusion que les éléments de preuve ne lui permettent
même pas de se faire une idée approximative de l’étendue des dommages,
les preuves seront telles qu’elle aurait pu, en se montrant ouverte à l’application
de la norme de preuve moins stricte, établir par estimation ou supposition
l’étendue et la valeur du préjudice ; la démarche de la Cour
n’indique par ailleurs, de la part de celle-
ci, aucune ouverture à l’idée de
réduire l’indemnité à payer en contrepartie des « incertitudes découlant de
l’application d’un critère moins strict d’établissement de la preuve » 4. Pour
3 CREE, Sentence finale, Réclamations de dommages de l’Erythrée, décision du 17 août
2009, RSA, vol. XXVI, p. 508.
4 Ibid.
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of victims” 5. The opinion will later address issues relating to the standard
of proof.
9. The second point is that it is within that special context and against
that special background that the phrase “within the range of possibilities
indicated by the evidence” must be interpreted. The Commission is not at
large in the estimation or guesswork that it is allowed to engage in; rather,
it must discharge its functions having regard to the evidence, but in doing
so it considers possible assessments of the evidence and exercises its judgment
in adopting an appreciation of the evidence that allows it to estimate
the extent and value of the injury. This is very much like applying
the principle of equitable considerations. Thus, there is no inconsistency
between the Commission’s reference to estimation or guesswork and the
finding in Story Parchment that “the damages may not be determined by
mere speculation or guess[work]” 6, because the Commission’s approach
is that the estimation or guesswork is to be carried out within the range
of possibilities indicated by the evidence; in other words, the range of possibilities
indicated by the evidence functions as a restraint or rein on the
circumstances in which recourse may be had to estimation or guesswork,
the latter being nothing more than a method of approximating compensation.
10. The third point is that the purpose for which the Commission uses
the concept of “within the range of possibilities indicated by the evidence”
would seem to be wholly different from the purpose for which it is used
by the Court. The Commission sets out its understanding of the concept
at the beginning of the Award. Although it does not make any explicit
reference to that concept in its analysis of any of the categories of injuries,
it is safe to presume that its analysis on compensation is informed by that
concept as outlined at the beginning of the Award. In that regard, the
Commission determines a specific sum for each category of injury within
the range of possibilities indicated by the evidence. On the other hand, the
Court, although purporting to use the concept of “within the range of
possibilities indicated by the evidence”, refrains from determining a specific
sum as compensation for each category of injury. The Court has
therefore not applied the concept in the way that it was used by the Commission.
This difference is, of course, explained by the Court’s use of a
global sum, a concept which does not appear to admit of specific determinations
of compensation for a category of injury. To the extent that the
Court’s concept of a global sum does not involve estimating compensation
for each category of injury, it is inconsistent with the Commission’s
5 EECC, Final Award, Eritrea’s Damages Claims, Decision of 17 August 2009, RIAA,
Vol. XXVI, p. 508.
6 United States Supreme Court, Story Parchment Co. v. Paterson Parchment Paper Co.,
United States Reports [U.S.], 1931, Vol. 282, p. 563.
activités armées (op. ind. robinson) 169
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la Commission, il s’agit là d’un compromis qui s’est révélé être une « caractéristique
essentielle des efforts récents à l’échelle internationale en cas de
dommages touchant un grand nombre de victimes » 5. Les questions relatives
à la norme de preuve seront examinées plus loin dans la présente
opinion.
9. Deuxièmement, c’est à la lumière de ce contexte particulier que doit
être interprétée la formule « dans la limite des possibilités offertes par les
éléments de preuve ». La Commission n’est pas entièrement libre lorsqu’elle
est ainsi appelée à estimer ou à supposer : elle doit s’acquitter de sa
tâche en tenant compte des éléments de preuve, mais, ce faisant, elle examine
les différentes façons d’apprécier ces éléments et s’appuie sur son
jugement pour retenir celle qui lui permettra d’estimer l’étendue et la
valeur du préjudice. La démarche s’apparente à l’application du principe
des considérations d’équité. Il n’y a donc aucune contradiction entre le
recours par la Commission à l’estimation ou à la supposition et la conclusion
formulée dans l’affaire Story Parchment, selon laquelle « les dommages
ne peuvent être déterminés par simple conjecture ou supposition » 6,
puisque la Commission part du principe que c’est dans la limite des possibilités
offertes par les éléments de preuve qu’il y a lieu d’estimer ou de
supposer ; autrement dit, la limite des possibilités offertes par les éléments
de preuve sert de balise ou de frein dans les cas où il convient d’estimer
ou de supposer, cette méthode n’étant rien de plus que la détermination
de l’indemnité par approximation.
10. Troisièmement, l’objectif dans lequel la Commission a recours à la
notion de « limite des possibilités offertes par les éléments de preuve »
paraît complètement différent de celui que poursuit la Cour ce faisant. La
Commission expose son interprétation de la notion au début de la sentence.
Bien qu’elle n’y fasse aucune référence explicite dans son analyse
des différentes catégories de préjudice, on peut supposer sans crainte de se
tromper que la notion exposée au début de la sentence inspire son analyse
de l’indemnisation. A cet égard, la Commission fixe un montant spécifique
pour chaque catégorie de préjudice dans la limite des possibilités
offertes par les éléments de preuve. La Cour, pour sa part, et bien qu’elle
affirme avoir recours à la notion de « limite des possibilités offertes par les
éléments de preuve », s’abstient de fixer une indemnité propre à chaque
catégorie de préjudice. En conséquence, elle n’a pas appliqué la notion de
la même manière que l’a fait la Commission. La différence réside de toute
évidence dans la fixation par la Cour d’une somme globale, démarche qui
ne semble guère permettre la détermination d’une indemnité propre à
chaque catégorie de préjudice. Dans la mesure où elle exclut la fixation
d’un montant spécifique pour chaque catégorie de préjudice, la conception
de la somme globale adoptée par la Cour est incompatible avec la
5 CREE, Sentence finale, Réclamations de dommages de l’Erythrée, décision du 17 août
2009, RSA, vol. XXVI, p. 508.
6 Cour suprême des Etats-Unis, Story Parchment Co. v. Paterson Parchment Paper Co.,
United States Reports [U.S.], 1931, vol. 282, p. 563.
170 armed activities (sep. op. robinson)
161
concept of compensation involving estimation or guesswork within the
range of possibilities indicated by the evidence.
11. The fourth point is that, unlike the Commission, it appears that the
Court does not see itself as having an obligation to determine appropriate
compensation even if it has to use estimation or guesswork within the
range of possibilities indicated by the evidence. It is odd that the Court
seizes on the last part of the Commission’s dictum — within the range of
possibilities indicated by the evidence — but ignores the first part which
refers to the obligation to determine appropriate compensation by estimation
or even by guesswork. The Commission’s approach calls for
action by the tribunal to determine appropriate compensation even by
estimation or guesswork, but places a restraint on that action. By ignoring
that obligation, the Court has not followed the Commission’s
approach on the nine occasions that the Judgment uses the phrase “within
the range of possibilities indicated by the evidence”. It would seem that
the Court is still searching for a precision in the evidence that the law
does not require. The Court does not appear to acknowledge that the
quantification of damages in situations of mass casualties resulting from
a war requires what the Commission calls “exercises of judgment
and approximation”. Regrettably, the Court appears to approach the
reliability of the evidence for the purpose of determining the extent and
valuation of the damage or injury with the rigour of an insurer examining
a claim for damages arising from an accident between two motor
vehicles.
Comprehending the Court’s Concept of a Global Sum
12. The Court determined that on the basis of the evidence, the number
of lives lost was in a range from 10,000 to 15,000 (para. 162); the
number of displaced populations was in a range from 100,000 to 500,000
(para. 223); the number of children recruited and deployed fell within a
range (para. 206); however, the Court did not identify that range. In relation
to injuries to persons, the Court determined that the evidence only
allowed it to find that a “significant number of such injuries occurred”
(para. 181); in relation to rape and sexual violence, the Court determined
that the evidence only allowed it to find that “a significant number of
such injuries occurred” (para. 193).
13. Compensation is based on a determination of the extent of damage
or injury and its valuation. If the determination of the extent of damage
or injury is wrong, compensation based on the valuation will also be
wrong. Since the Court awards compensation for each category of injury
as part of a global sum, it is reasonable to expect that when added
activités armées (op. ind. robinson) 170
161
méthode d’indemnisation suivie par la Commission et consistant à déterminer
l’indemnité par estimation ou supposition dans la limite des possibilités
offertes par les éléments de preuve.
11. Quatrièmement, contrairement à la Commission, la Cour ne semble
pas se sentir tenue à l’obligation de déterminer l’indemnité appropriée,
même s’il lui faut pour cela recourir à l’estimation ou à la supposition
dans la limite des possibilités offertes par les éléments de preuve. Il est
étrange que la Cour ait fait sienne la dernière partie du principe énoncé
par la Commission, à savoir la limite des possibilités offertes par les éléments
de preuve, à l’exclusion de la première partie, soit l’obligation de
déterminer l’indemnité appropriée en ayant recours à l’estimation, voire à
la supposition. La méthode préconisée par la Commission exige de la juridiction
qu’elle s’emploie à déterminer l’indemnité appropriée, même s’il
lui faut avoir recours à l’estimation ou à la supposition, tout en encadrant
cette action. En ne s’acquittant pas de cette obligation, la Cour s’est écartée
de la méthode de la Commission chacune des neuf fois où elle utilise
dans son arrêt la formule « dans la limite des possibilités offertes par les
éléments de preuve ». Il semble qu’elle s’acharne à rechercher dans les
éléments
de preuve un degré de précision qui n’est pas requis en droit.
Elle ne semble pas reconnaître que, dans les cas où les victimes sont
nombreuses
en raison d’une guerre, la quantification des dommages fait
appel, ainsi que l’a dit la Commission, « au jugement et à l’approximation
». Il est regrettable que la Cour semble appliquer à la fiabilité des
éléments de preuve, en vue de déterminer l’étendue et la valeur des dommages
ou du préjudice, la rigueur dont ferait preuve un assureur appelé à
examiner une réclamation pour dommages faisant suite à un accident de
la route.
La notion de somme globale selon la conception de la Cour
12. La Cour a conclu, en se fondant sur les éléments de preuve, que le
nombre de vies perdues se situait entre 10 000 et 15 000 environ (par. 162) ;
que les déplacements de population semblaient avoir concerné 100 000
à 500 000 personnes (par. 223) ; qu’une échelle de valeurs se dégageait
en ce qui concerne le recrutement et le déploiement d’enfants‑soldats
(par. 206), sans toutefois quantifier cette échelle de valeurs. S’agissant des
atteintes aux personnes, elle a décidé que les preuves disponibles lui permettaient
seulement de « constater qu’un nombre considérable de ces
atteintes s[’étaie]nt produites » (par. 181) ; quant aux viols et violences
sexuelles, elle a pareillement conclu que les preuves disponibles lui permettaient
seulement de « constater qu’un nombre considérable d’atteintes
de ce type s[’étaie]nt produites » (par. 193).
13. L’indemnisation est fondée sur la détermination de l’étendue du
dommage ou du préjudice ainsi que son évaluation. Si la détermination
de l’étendue du dommage ou du préjudice est erronée, l’indemnité basée
sur son évaluation le sera aussi. Puisque la Cour entend indemniser chacune
des catégories de préjudice dans le cadre d’une somme globale, on
171 armed activities (sep. op. robinson)
162
together, the aggregation of those five parts would comprise the global
sum of US$225 million.
14. In effect, the Court’s approach calls for the addition of a specific
number of persons from the range that is identified for loss of life and
displacement of populations to what is described as a “significant number”
in respect of rape and sexual violence and injuries to persons. However,
it is not possible to add the certain and precise number that may be
identified within those two ranges to something that is as uncertain and
imprecise as a “significant number” and arrive at the global sum of
US$225 million. The matter is rendered more complicated by the fact
that, in respect of the recruitment and deployment of child soldiers, the
Court states that there is a range but does not identify the range. Although
two numbers, 1,800 and 2,500, are indicated in paragraph 204 on the
recruitment of child soldiers, there is nothing to show how these numbers
could constitute a range. The Court’s approach would have been more
comprehensible if it had identified a range in respect of all five categories
of injuries. Regrettably, since the Court’s assessment of the extent of the
damage is open to criticism, its global award of compensation of
US$225 million is also open to question.
15. It is regrettable that the Court does not explain the concept of the
global sum. Although the concept, as developed by the Court, suggests
that the addition of the five parts in respect of the categories of injuries
constitutes the global sum, the analysis above shows that the five parts
are not susceptible to addition. In any event, as noted before, the Court’s
use of the concept of the global sum does not appear to allow a specific
determination of compensation for each category of injury; if it did, the
final award would not be global. However, the dilemma is that, absent an
award for each category of injury, the global sum is difficult to comprehend
and appears to be snatched from thin air. Thus, the global sum is
incompatible with a specific determination of compensation for each category
of injury but is incomprehensible without such a determination.
Another difficulty is that, since compensation is awarded for each of the
five categories of injuries as part of the global sum, it is evident that the
global sum may be partitioned, thereby implying that it is capable of disaggregation,
with the result that the sum loses its global character.
16. By stating that it may exceptionally award compensation in the
form of a global sum, the Court acknowledges that the more usual practice
is for a final award of compensation to reflect the aggregation of
specific awards for each category of injury. In my view, Democratic
Republic of the Congo v. Uganda was not an appropriate case to depart
from the more usual practice. This is a case in which the Court has found
that one Party has committed breaches not only of international humani-
activités armées (op. ind. robinson) 171
162
peut raisonnablement penser que, lorsqu’on additionne les cinq portions
d’indemnité, on devrait parvenir à la somme globale de 225 000 000 dollars
des Etats-Unis.
14. En réalité, la démarche de la Cour consiste à additionner un nombre
précis de personnes, soit l’ensemble de celles qui ont été recensées au chapitre
des pertes en vies humaines et des déplacements de population, à ce
qui est qualifié de « nombre considérable » du côté des viols et violences
sexuelles et des atteintes aux personnes. Or il est impossible d’additionner
les nombres précis et certains qui ont pu être établis pour les deux premières
catégories aux quantités aussi imprécises et incertaines qu’évoque
un « nombre considérable », pour arriver à la somme globale de
225 000 000 dollars des Etats-Unis. La question est d’autant plus complexe
que, s’agissant du recrutement et du déploiement d’enfants-soldats,
la Cour conclut à l’existence d’une échelle de valeurs quant au nombre
possible de victimes, sans toutefois la quantifier. Si l’on trouve bien deux
nombres, soit 1800 et 2500, au paragraphe 204 en ce qui concerne le recrutement
d’enfants-soldats,
rien n’indique qu’ils correspondent effectivement
à cette échelle de valeurs. La démarche de la Cour aurait été plus facile à
comprendre si celle-
ci avait défini une telle échelle de valeurs pour chacune
des cinq catégories de préjudice. Malheureusement, parce que l’évaluation
de l’étendue du préjudice par la Cour prête à la critique, l’indemnité
globale
de 225 000 000 dollars des Etats-Unis s’en trouve fragilisée.
15. Il est regrettable que la Cour n’explique pas la notion de somme
globale. Même si cette notion élaborée par la Cour laisse à penser que
l’addition des cinq portions d’indemnité se rapportant aux différentes
catégories de préjudice mène à la somme globale, l’analyse qui précède
montre que ces cinq portions se prêtent mal à l’addition. En tout état de
cause, ainsi qu’il a été mentionné précédemment, l’utilisation que fait la
Cour de la notion de somme globale ne semble pas permettre la détermination
d’une indemnité spécifique pour chaque catégorie de préjudice ;
autrement, l’indemnité finale ne serait pas globale. Le dilemme est que,
faute de fixation d’une indemnité pour chacune des catégories de préjudice,
la somme globale s’explique difficilement et paraît arbitraire. Celle-
ci
est donc incompatible avec la détermination d’une indemnité spécifique
pour chaque catégorie de préjudice, tout en étant incompréhensible en
l’absence d’une telle détermination. Une difficulté supplémentaire réside
dans le fait qu’une indemnité est accordée pour chacune des cinq catégories
de préjudice dans le cadre de la somme globale, ce qui montre clairement
que la somme globale peut être subdivisée et laisse à penser qu’elle
est susceptible de ventilation, perdant ainsi son caractère global.
16. En déclarant qu’elle peut, à titre exceptionnel, octroyer une indemnisation
sous la forme d’une somme globale, la Cour se trouve à reconnaître
que, selon la méthode habituelle, l’indemnité finale correspond au
total des montants adjugés pour chaque catégorie de préjudice. A mon
avis, l’affaire République démocratique du Congo c. Ouganda était mal choisie
pour que la Cour déroge à la pratique habituelle. Il s’agit d’une affaire
où elle a constaté que l’une des Parties avait violé non seulement le droit
172 armed activities (sep. op. robinson)
163
tarian law but also of international human rights law, giving rise to claims
for compensation for loss of life, injuries to persons, rape and sexual violence,
the recruitment and deployment of child soldiers, and displacement
of populations. Each category of injury is unique, having its own peculiar
characteristics, warranting individual treatment by the Court in its award
of compensation. The uniqueness and peculiarity of each category of
injury are lost in the award of a global sum for all five categories. For
example, given the significance that international human rights law
attaches to the right to life — it is a predicate to the enjoyment and exercise
of all other human rights, and is the first article of the International
Covenant on Civil and Political Rights and the International Covenant
on Economic Social and Cultural Rights — it is inappropriate to award a
sum as compensation not only for the loss of life but also for another
category of injury such as displacement of populations. There is no justification
for commingling an award of compensation for loss of life with
an award of compensation for any other category of injury.
17. The concept of the global sum has been used in investment arbitration
— see for example, Blount Brothers Corporation v. Iran 7 and Adam
Joseph Resources v. CNA Metals 8 in which each Tribunal awarded a
global sum for all costs claimed by the claimant; however, in that field,
which is largely concerned with commercial and investment activities, it
does not present the substantive and presentational problems that arise in
a case relating to the loss of life, injuries to persons and the other categories
of injuries in this case. In light of all the difficulties presented by the
concept of the global sum, it has to be questioned whether it is an appropriate
tool for the discharge by the Court of its judicial function.
The Principle of Equitable Considerations
18. In relation to loss of life, injuries to persons, and rape and sexual
violence, the Court determined that the evidence at its disposal did not
allow it to determine even an approximate number of lives lost (para. 162),
or of injuries to persons (para. 181), or of rapes and other acts of sexual
violence (para. 193). It is submitted that it would only be in the rarest of
cases that the Court would not be in a position to approximate the numbers
of lives lost, injuries to persons, and rapes, had it determined compensation
on the basis of equitable considerations. The opinion now
7 Iran-US Claims Tribunal, Case No. 52, Blount Brothers Corporation v. The Government
of the Islamic Republic of Iran, Iran Housing Company, Award No. 215-52-1 of
27 February 1986, para. 101.
8 Kuala Lumpur Regional Centre for Arbitration, Adam Joseph Resources (M) SDN
BHD v. CNA Metals Limited, KLRCA Case No. INT/ADM-29-2011, Final Award on
Costs, 15 April 2016, para. 4.11.
activités armées (op. ind. robinson) 172
163
international humanitaire, mais aussi le droit international des droits de
l’homme, donnant lieu à des réclamations pour pertes en vies humaines,
atteintes aux personnes, viols et violences sexuelles, recrutement et déploiement
d’enfants-soldats,
et déplacements de population. Chaque catégorie
de préjudice est unique et présente des caractéristiques qui lui sont propres,
et demande à être considérée individuellement par la Cour dans le cadre de
l’indemnisation. L’adjudication d’une somme globale pour les cinq catégories
de préjudice prive chacune d’elles de son caractère unique et spécifique.
Par exemple, devant l’importance que le droit international des
droits de l’homme attache au droit à la vie — il est le préalable à la jouissance
et à l’exercice de tous les autres droits de l’être humain et figure à
l’article premier du Pacte international relatif aux droits civils et politiques
et du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels
—, il est malavisé d’adjuger une seule et même somme à titre d’indemnité
non seulement pour les pertes en vies humaines mais aussi pour une
autre catégorie de préjudice telle que les déplacements de population. Rien
ne justifie que l’indemnité adjugée pour les pertes en vies humaines soit
amalgamée avec l’indemnité visant quelque autre catégorie de préjudice.
17. La notion de somme globale a été utilisée dans le contexte de l’arbitrage
en matière d’investissement : voir par exemple les affaires Blount
Brothers Corporation v. Iran 7 et Adam Joseph Resources v. CNA Metals 8,
où le tribunal a, dans chaque cas, adjugé une somme globale couvrant
toutes les dépenses réclamées. Dans ce domaine, toutefois, où il s’agit en
majeure partie d’activités commerciales et d’investissement, on ne retrouve
pas les mêmes problèmes de fond et de présentation qui se posent en ce
qui concerne les pertes en vies humaines, atteintes aux personnes et autres
catégories de préjudice dont il est question en l’espèce. Compte tenu de
toutes les difficultés que soulève la notion de somme globale, on est en
droit de se demander si celle-
ci constitue le bon outil pour permettre à la
Cour de s’acquitter de sa mission juridictionnelle.
Le principe des considérations d’équité
18. S’agissant des pertes en vies humaines, des atteintes aux personnes
et des viols et violences sexuelles, la Cour a conclu que les éléments de
preuve dont elle disposait ne lui permettaient pas de déterminer, fût-ce
approximativement, le nombre de morts (par. 162), de blessés (par. 181)
ou de cas de viols ou de violences sexuelles (par. 193). Je me permets
d’avancer que, si elle avait eu recours aux considérations d’équité pour
l’indemnisation, ce n’est que dans des cas rarissimes que la Cour aurait été
incapable de déterminer de manière approximative le nombre de vies per-
7 Tribunal des réclamations Iran/Etats-Unis, affaire no 52, Blount Brothers Corporation
v. The Government of the Islamic Republic of Iran, Iran Housing Company, Award
No. 215-52-1 of 27 February 1986, par. 101.
8 Kuala Lumpur Regional Centre for Arbitration, Adam Joseph Resources (M) SDN
BHD v. CNA Metals Limited, KLRCA Case No. INT/ADM-29-2011, Final Award on
Costs, 15 April 2016, par. 4.11.
173 armed activities (sep. op. robinson)
164
proceeds to an examination of the principle of equitable considerations as
it has been developed by the Court and other tribunals.
19. The Court’s case law is that recourse may be had to equitable considerations
as the basis for an award of compensation in situations where
the evidence provides certainty as to damage caused by the wrongful conduct
of a respondent, but no certainty as to the extent of that damage. In
that regard, in Certain Activities (Costa Rica v. Nicaragua) the Court
cited the following passage from Story Parchment, cited in Trail Smelter:
“Where the tort itself is of such a nature as to preclude the ascertainment
of the amount of damages with certainty, it would be a
perversion of fundamental principles of justice to deny all relief to the
injured person, and thereby relieve the wrongdoer from making any
amend for his acts. In such case, while the damages may not be determined
by mere speculation or guess, it will be enough if the evidence
show the extent of the damages as a matter of just and reasonable
inference, although the result be only approximate.” 9
20. In Al-Jedda, the European Court of Human Rights relied on Article
41 of the European Convention, which allows it to “afford just satisfaction”
to an injured party in circumstances where the domestic law only
allows partial reparation. In Diallo, the Court cited the following passage
from Al-Jedda v. United Kingdom: “[i]ts guiding principle is equity, which
above all involves flexibility and an objective consideration of what is
just, fair and reasonable in all the circumstances of the case, including not
only the position of the applicant but the overall context in which the
breach occurred” 10. Although Al-Jedda was a case involving non-material
harm, the elements of the principle of equity that are identified — flexibility,
fairness and reasonableness in all the circumstances of the case — are
equally applicable to a claim for material harm. It is significant that the
European Court highlights the element of flexibility, which, while it does
not allow for wild approximations, does allow the Court to make a reasonable
approximation of the extent and valuation of the damage.
9 Certain Activities Carried Out by Nicaragua in the Border Area (Costa Rica v. Nicaragua),
Compensation, Judgment, I.C.J. Reports 2018 (I), p. 27, para. 35 citing Trail
Smelter case (United States, Canada), Awards of 16 April 1938 and 11 March 1941, RIAA,
Vol. III, p. 1920; see also Story Parchment Co. v. Paterson Parchment Paper Co., United
States Reports [U.S.], 1931, Vol. 282, p. 563.
10 Ahmadou Sadio Diallo (Republic of Guinea v. Democratic Republic of the Congo),
Compensation, Judgment, I.C.J. Reports 2012 (I), p. 335, para. 24, citing ECtHR, Al-Jedda
v. United Kingdom, Judgment of 7 July 2011 (Grand Chamber), Application No. 27021/08,
para. 114.
activités armées (op. ind. robinson) 173
164
dues, d’atteintes aux personnes et de viols. J’examinerai ci-
après le principe
des considérations d’équité, ainsi qu’il a été élaboré par la Cour et
d’autres juridictions.
19. La jurisprudence de la Cour enseigne qu’il est possible de se fonder
sur des considérations d’équité pour déterminer l’indemnité à verser dans
les cas où les éléments de preuve disponibles rendent certaine l’existence
du dommage causé par la conduite illicite du défendeur, mais non son
étendue. Sur ce point, dans l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire relative à
Certaines activités (Costa Rica c. Nicaragua), la Cour a reproduit l’extrait
ci-
après de l’arrêt Story Parchment, cité en l’affaire Trail Smelter :
« Ce serait pervertir les principes fondamentaux de la justice que
de refuser tout secours à la victime — et par là même libérer l’auteur
du préjudice de l’obligation de réparation — sous prétexte que l’acte
illicite est de nature à empêcher que le montant de l’indemnité puisse
être déterminé avec certitude : en pareil cas, si le montant de l’indemnité
ne doit pas être établi par simple spéculation ou conjecture, il
suffit néanmoins que l’ampleur des dommages soit démontrée par
une déduction juste et raisonnable, quand bien même le résultat n’en
serait qu’approximatif. 9 »
20. Dans l’affaire Al-Jedda, la Cour européenne des droits de l’homme
s’est fondée sur l’article 41 de la convention européenne, qui lui permet
d’accorder une « satisfaction équitable » à la partie lésée dans les cas où le
droit interne ne permet qu’une réparation imparfaite. Dans l’affaire Diallo,
la Cour a repris l’extrait suivant de l’arrêt rendu en l’affaire Al-Jedda
c. Royaume‑Uni : « guidée par le principe de l’équité, qui implique avant
tout une certaine souplesse et un examen objectif de ce qui est juste, équitable
et raisonnable compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’affaire,
c’est-à-dire non seulement de la situation du requérant, mais aussi
du contexte général dans lequel la violation a été commise » 10. Bien que
l’affaire Al-Jedda concerne un dommage moral, les éléments du principe
de l’équité qui y sont recensés — souplesse et caractère juste, équitable et
raisonnable, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’affaire —
valent tout autant en cas de réclamation pour dommage matériel. Il
importe de souligner la mise en évidence, par la Cour européenne, de
l’élément de souplesse qui, sans ouvrir la voie aux estimations fantaisistes,
permet néanmoins à la Cour de se fonder sur une approximation raisonnable
de l’étendue et de la valeur du dommage.
9 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica
c. Nicaragua), indemnisation, arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 27, par. 35, citant Trail
Smelter case (United States, Canada), sentences des 16 avril 1938 et 11 mars 1941, RSA,
vol. III, p. 1920 ; voir également Story Parchment Co. v. Paterson Parchment Paper Co.,
United States Reports [U.S.], 1931, vol. 282, p. 563.
10 Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo),
indemnisation, arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 335, par. 24, citant CEDH, Al-Jedda
c. Royaume-Uni, arrêt du 7 juillet 2011 (Grande Chambre), requête no 27021/08, par. 114.
174 armed activities (sep. op. robinson)
165
21. That the Court’s jurisprudence is consistent with the use of the
principle of equitable considerations to arrive at approximate determinations
of the extent of the damage is evident from its finding in Certain
Activities that “the absence of certainty as to the extent of damage did not
necessarily preclude it from awarding an amount that it considered
approximately to reflect the value of the impairment or loss of environmental
goods or services” 11. The principle of equitable considerations,
therefore, allows the Court to approximate the valuation of the damage
suffered in cases where there is certainty that there was some damage, but
none as to its extent. It is in such circumstances that an award of compensation
is made on the basis of equitable considerations. The Court, if it
applies the principle of equitable considerations, is not required to be precise
in its determination of either the number of victims or its valuation of
the damage suffered.
22. In Diallo, Guinea submitted claims of US$250,000 for non-material
injury and US$550,000 for other material damage 12. The Court awarded
US$85,000 for non-material
injury 13 and US$10,000 for material injury 14
on the basis of equitable considerations. In respect of the award of
US$10,000 for loss of personal property, the Court found credible an
inventory prepared by Guinea but concluded that “Guinea has failed to
prove the extent of the loss of Mr. Diallo’s personal property listed on the
inventory and the extent to which any such loss was caused by the DRC’s
unlawful conduct” 15. The Court reasoned that Mr. Diallo did suffer some
material injury in relation to his personal property but indicated that it
could not accept the large sum claimed by Guinea. In those circumstances,
the Court “consider[ed] it appropriate to award an amount of
compensation based on equitable considerations” 16. Despite Guinea’s
failure to prove the extent of Mr. Diallo’s loss in relation to his personal
property, the Court awarded US$10,000 as compensation. The Court had
no valuation of any of the property listed on the inventory, but that did
not deter it from approximating the damage suffered by Mr. Diallo.
23. It is noteworthy that, against the background of a total lack of
evidence as to the value of the property listed on the inventory, the Court
11 Certain Activities Carried Out by Nicaragua in the Border Area (Costa Rica v. Nicaragua),
Compensation, Judgment, I.C.J. Reports 2018 (I), pp. 38‑39, para. 86.
12 Ahmadou Sadio Diallo (Republic of Guinea v. Democratic Republic of the Congo),
Compensation, Judgment, I.C.J. Reports 2012 (I), p. 330, para. 10.
13 Ibid., p. 335, para. 25.
14 Ibid., p. 338, para. 36.
15 Ibid., p. 337, para. 31.
16 Ibid., para. 33.
activités armées (op. ind. robinson) 174
165
21. Il ne fait aucun doute que la jurisprudence de la Cour admet le
recours au principe des considérations d’équité pour parvenir à une détermination
approximative de l’étendue du dommage, comme en témoigne
la conclusion qu’elle a formulée en l’affaire relative à Certaines activités :
« l’absence de certitude quant à l’étendue des dommages n’exclut pas
nécessairement l’octroi d’une somme qui, selon elle, reflète approximativement
la valeur de la dégradation ou de la perte de biens et services
environnementaux subie » 11. Ainsi, le principe des considérations d’équité
permet à la Cour de déterminer de manière approximative la valeur des
dommages subis dans les cas où l’existence de ceux-
ci est certaine, mais
non leur étendue. C’est dans de telles circonstances qu’une indemnité est
adjugée sur la base de considérations d’équité. Lorsqu’elle choisit d’appliquer
le principe des considérations d’équité, la Cour n’est pas tenue d’être
précise pour déterminer le nombre de victimes ou la valeur des dommages
subis.
22. Dans l’affaire Diallo, la Guinée réclamait la somme de 250 000 dollars
des Etats-Unis au titre du préjudice moral et 550 000 dollars des
Etats-Unis au titre des autres dommages matériels 12. La Cour a adjugé la
somme de 85 000 dollars des Etats-Unis pour le préjudice immatériel 13 et
celle de 10 000 dollars des Etats-Unis pour le préjudice matériel 14, sur le
fondement de considérations d’équité. S’agissant de l’indemnité de
10 000 dollars des Etats-Unis accordée au titre de la perte de biens personnels,
la Cour a tenu pour crédible l’inventaire dressé par la Guinée,
mais a néanmoins conclu que cette dernière « n’a[vait] … pas réussi à établir
l’étendue de la perte subie par M. Diallo en ce qui concerne ses biens
personnels répertoriés dans l’inventaire ni la mesure dans laquelle cette
perte aurait été causée par le comportement illicite de la RDC » 15. Elle a
expliqué que M. Diallo avait effectivement subi un certain préjudice
matériel s’agissant de ses biens personnels, mais ajouté qu’elle ne pouvait
retenir le montant très important réclamé par la Guinée. Dans ces conditions,
elle a jugé « approprié d’accorder une indemnité qui sera[it] calculée
sur la base de considérations d’équité » 16. Bien que la Guinée n’ait pas su
prouver l’étendue de la perte subie par M. Diallo relativement à ses biens
personnels, la Cour a adjugé une indemnité de 10 000 dollars des Etats-
Unis. Elle ne disposait d’aucune estimation de la valeur des biens figurant
dans l’inventaire, mais cela ne l’a pas empêchée d’évaluer de manière
approximative le dommage subi par M. Diallo.
23. Il y a lieu de noter que, devant l’absence totale de preuve quant à
la valeur des biens inventoriés, la Cour n’a fourni aucune explication pré-
11 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica
c. Nicaragua), indemnisation, arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 38-39, par. 86.
12 Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo),
indemnisation, arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 330, par. 10.
13 Ibid., p. 335, par. 25.
14 Ibid., p. 338, par. 36.
15 Ibid., p. 337, par. 31.
16 Ibid., par. 33.
175 armed activities (sep. op. robinson)
166
offered no specific explanation either for its decision to award compensation
on the basis of equitable considerations or for the sum it awarded.
The Court did nothing more than outline the facts of the case and then
announce its decision to award compensation on the basis of equitable
considerations. That, of course, does not mean that the Court’s decision
was unreasoned, because it was within the Court’s power to award compensation
in the particular circumstances of a case, applying the elements
of flexibility, fairness and reasonableness.
24. It is acknowledged that, in contradistinction to Diallo, which
addresses compensation for a single individual, the present case relates to
mass casualties in an armed conflict. However, Diallo establishes a principle
whereby the Court can arrive at an approximation of the damage
and correspondingly make an award of compensation. This principle is as
applicable to mass casualties as it is to a single individual, although, concededly,
its application will be more difficult in relation to the former.
Indeed, its application is particularly appropriate in the context of a mass
casualty, such as the armed conflict between Uganda and the DRC,
because of the inevitable uncertainties that will arise in determining quantities,
e.g. the number of persons who lost their lives.
25. In Chaparro Alvarez and Lapo Iñiguez v. Ecuador (cited by the
Court in Diallo 17), the applicants sought compensation for pecuniary
damage resulting from their unlawful detention and the Ecuadorian Government’s
unlawful seizure of their factory that produced ice chests. With
regard to pecuniary damage arising from the seizure of the applicants’
property, the Inter-American
Court of Human Rights (IACtHR)
noted that the only evidence presented was an expert appraisal that
“made general references, without defining the amount they are requesting
as compensation for this concept and without developing a logical
reasoning that would allow the Court to assess the damage effectively
caused” 18. The IACtHR expressly acknowledged “the complexity of
determining the commercial value” of the applicant’s company, but nonetheless
it awarded the sum of US$150,000 “based on the equity
principle” 19.The IACtHR took into consideration the fact that the “factory
had been in operation for several years and that, at the time of the
facts, had received some loans to improve its productivity” 20. Like the
Court in Diallo, the IACtHR did not have any specific evidence on the
basis of which it could arrive at an approximate valuation of the loss suffered
by the company, but that did not deter it from arriving at a sum on
the basis of equitable considerations that, in its view, approximated to the
value of the loss suffered by the company. Again, like the Court in Diallo,
17 Ahmadou Sadio Diallo (Republic of Guinea v. Democratic Republic of the Congo),
Compensation, Judgment, I.C.J. Reports 2012 (I), p. 337, para. 33.
18 Chaparro Alvarez and Lapo Iñiguez v. Ecuador, Judgment of 21 November 2007 (Preliminary
Objections, Merits, Reparations and Costs), IACtHR, Series C, No. 170, para. 230.
19 Ibid., para. 232.
20 Ibid.
activités armées (op. ind. robinson) 175
166
cise, que ce soit de sa décision d’accorder une indemnité sur la base de
considérations d’équité ou de la somme adjugée. Elle s’est contentée d’esquisser
les faits de l’affaire avant d’annoncer sa décision d’accorder une
indemnisation fondée sur des considérations d’équité. Bien entendu, cela
ne signifie pas que sa décision n’était pas motivée, puisqu’elle était fondée
à adjuger une indemnité dans les circonstances propres à l’affaire, en
appliquant les éléments que sont la souplesse et le caractère équitable et
raisonnable.
24. Il est admis que l’espèce doit être distinguée de l’affaire Diallo, où
il s’agissait d’indemniser une seule personne, alors que la présente affaire
concerne de nombreuses victimes en situation de conflit armé. Quoi qu’il
en soit, l’affaire Diallo a permis l’établissement du principe selon lequel la
Cour peut se faire une idée approximative des dommages et adjuger une
indemnité en conséquence. Ce principe vaut aussi bien pour les victimes
nombreuses que pour une seule personne, encore que, force est de
l’avouer, son application est plus difficile dans le premier cas. Elle est en
revanche particulièrement opportune en cas de victimes nombreuses,
comme dans celui du conflit opposant l’Ouganda et la RDC, en raison
des inévitables incertitudes qu’entraîne la quantification, par exemple
celle des personnes ayant perdu la vie.
25. Dans l’affaire Chaparro Alvarez et Lapo Iñiguez c. Equateur (citée
par la Cour dans l’arrêt Diallo 17), les demandeurs cherchaient à être
indemnisés des dommages pécuniaires résultant de leur détention illégale
et de la saisie illégale par le Gouvernement équatorien de leur usine de
fabrication de glacières. S’agissant des dommages pécuniaires résultant de
la saisie des biens des demandeurs, la Cour interaméricaine des droits de
l’homme a relevé que le seul élément de preuve présenté était une expertise
qui « comportait des références générales, sans toutefois définir le montant
de l’indemnité réclamée à ce titre et sans articuler de raisonnement logique
[lui] permettant … d’évaluer les dommages effectivement causés » 18. La
Cour interaméricaine a expressément reconnu que « la détermination de la
valeur commerciale [de l’entreprise du demandeur] était une tâche complexe
», mais a néanmoins adjugé la somme de 150 000 dollars des Etats-
Unis « sur le fondement du principe de l’équité » 19. Elle a tenu compte du
fait que « l’usine fonctionnait depuis plusieurs années et, à l’époque des
faits, avait obtenu certains prêts pour augmenter sa productivité » 20. A
l’instar de la Cour en l’affaire Diallo, elle ne disposait d’aucun élément de
preuve spécifique lui permettant de se faire une idée approximative de la
valeur de la perte subie par l’entreprise, ce qui ne l’a toutefois pas empêchée
d’en arriver, sur la base de considérations d’équité, au montant qui, à
ses yeux, se rapprochait de la valeur de la perte subie par l’entreprise. Là
17 Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo),
indemnisation, arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 337, par. 33.
18 Chaparro Alvarez et Lapo Iñiguez c. Equateur, arrêt du 21 novembre 2007 (exceptions
préliminaires, fond, réparations et frais), CIADH, série C, no 170, par. 230.
19 Ibid., par. 232.
20 Ibid.
176 armed activities (sep. op. robinson)
167
it is noteworthy that, in the face of a total lack of any evidence as to the
valuation of the loss suffered by the company, the IACtHR did not offer
any specific reason either for awarding compensation on the basis of equitable
considerations or for the sum it awarded.
26. In Diallo, the Court specifically cited paragraphs 240 and 242 of
Chaparro which read:
“240. The representatives did not present any supporting documentation
that would allow the Court to establish the value of Mr. Lapo’s
house. Consequently, the Court decides, in equity, to establish the
sum of US$20,000.00, (twenty thousand United States dollars). The
State must pay this amount to Mr. Lapo within one year of notification
of this judgment.
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242. The amount requested for [Chaparro’s apartment] is
US$135,729.07 (one hundred and thirty-five thousand seven hundred
and twenty-nine United States dollars and seven cents). From the evidence
provided, the Court is unable to establish clearly the basis used
by the expert to establish that the apartment was worth this amount,
since no additional evidence or arguments have been submitted by the
representatives in this regard. Therefore, it decides to establish, in
equity, the amount of US$40,000.00 (forty thousand United States
dollars), which the State must deliver to Mr. Chaparro to compensate
him for the loss of his apartment. The State must pay this amount to
Mr. Chaparro within one year of notification of this judgment.” 21
27. Chaparro provides a very strong precedent for the Court to arrive
at an approximate sum as compensation for injuries suffered by the DRC,
because in relation to Mr. Lapo’s house there was no supporting documentation
that allowed the Inter-American
Court to establish its value.
Nonetheless, that court awarded the sum of US$20,000. Further, although
the IACtHR found the expert evidence in relation to the value of
Mr. Chaparro’s apartment to be wholly unhelpful, it “establish[ed], in
equity, the amount of US$40,000” as compensation. It is quite likely that
the Court cited this case because it felt that the principle of equity, on the
basis of which the Inter-American
Court acted, had elements that were
similar to the principle of equitable considerations it applied in Diallo.
28. As in Diallo, the IACtHR did not offer any specific reason either
for awarding compensation on the basis of equity or for the sum it
awarded. It outlined the facts and thereafter awarded compensation on
the basis of equity, although it had no supporting evidence whatsoever in
21 Chaparro Alvarez and Lapo Iñiguez v. Ecuador, Judgment of 21 November 2007
(Preliminary Objections, Merits, Reparations and Costs), IACtHR, Series C, No. 170,
paras. 240 and 242.
activités armées (op. ind. robinson) 176
167
encore, il y a lieu de noter que, à l’instar de la Cour en l’affaire Diallo,
devant une absence totale de preuve concernant la valeur de la perte
essuyée par l’entreprise, la Cour interaméricaine n’a fourni aucune justification
particulière, que ce soit pour l’adjudication d’une indemnité sur la
base de considérations d’équité ou pour la somme fixée.
26. Dans l’affaire Diallo, la Cour a fait expressément référence aux
paragraphes 240 et 242 de l’arrêt Chaparro, dont le texte suit :
« 240. Les représentants n’ont fourni aucune pièce documentaire
de nature à permettre à la Cour de déterminer la valeur de la résidence
de M. Lapo. Par conséquent, la Cour décide, en équité, d’en
fixer la valeur à 20 000 (vingt mille) dollars des Etats‑Unis. L’Etat est
tenu de payer cette somme à M. Lapo dans l’année suivant la notification
du présent arrêt.
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242. La somme réclamée pour [l’appartement de Chaparro] est de
135 729,07 (cent trente-cinq mille sept cent vingt-neuf et sept cents)
dollars des Etats-Unis. Les éléments de preuve fournis ne permettent
pas à la Cour de déterminer clairement sur quelles bases l’expert a
fixé à ce montant la valeur de l’appartement, étant donné que les
représentants n’ont rapporté aucune preuve ou justification supplémentaire
à cet égard. En conséquence, elle décide d’arrêter, en équité,
la somme de 40 000 (quarante mille) dollars des Etats-Unis, à verser
par l’Etat à M. Chaparro en compensation de la perte de son appartement.
L’Etat est tenu de payer cette somme à M. Chaparro dans
l’année suivant la notification du présent arrêt. » 21
27. L’affaire Chaparro constitue un précédent très solide sur lequel la
Cour aurait pu s’appuyer pour en arriver à fixer un montant approximatif
pour l’indemnisation des dommages subis par la RDC puisque, s’agissant
de la résidence de M. Lapo, aucune pièce documentaire n’avait été versée
pour aider la Cour interaméricaine à en déterminer la valeur. Cette dernière
a néanmoins adjugé la somme de 20 000 dollars des Etats-Unis. En
outre, bien qu’elle ait jugé complètement inutile l’expertise produite relativement
à la valeur de l’appartement de M. Chaparro, elle a « déterminé,
en équité, la somme de 40 000 dollars des Etats-Unis » à titre d’indemnité.
Il y a gros à parier que, si la Cour a fait référence à cette affaire, c’est
parce qu’elle estimait que le principe de l’équité, sur lequel s’est fondée la
Cour interaméricaine, avait des éléments en commun avec le principe des
considérations d’équité qu’elle a appliqué dans l’affaire Diallo.
28. Tout comme dans l’affaire Diallo, la Cour interaméricaine n’a
fourni aucune raison particulière pour avoir adjugé une indemnisation
sur la base de l’équité ou pour en justifier le montant. Elle a brossé un
tableau des faits, puis accordé l’indemnité en se fondant sur l’équité, alors
21 Chaparro Alvarez et Lapo Iñiguez c. Equateur, arrêt du 21 novembre 2007 (exceptions
préliminaires, fond, réparations et frais), CIADH, série C, no 170, par. 240 et 242.
177 armed activities (sep. op. robinson)
168
relation to the value of the house and the apartment, the principle of
equity allowed it to make a reasonable estimate of the compensation.
29. Here again, although this case does not relate to mass casualties in
an armed conflict, the principle of equity, on which it relies, is as applicable
to such casualties as it is to a single individual.
30. In its Final Award on Eritrea’s Damages Claims, the EECC
acknowledged that there were significant weaknesses in the evidence relating
to the extent of injury or valuation. Nonetheless, since the violations
of harm to individuals were many, the Commission,
“in the circumstances[, has] sought to develop a reasonable estimate
of the losses resulting from the injuries it found, taking account of the
likely population of the affected areas and estimates of the frequency
and extent of loss. This process was unavoidably imprecise and uncertain,
but it was necessary given the limitations of the record.” 22
The element of reasonableness on which the Commission relied is a significant
component of the principle of equitable considerations; it is
equally clear that this element allows a court or tribunal to navigate areas
of uncertainty and imprecision in the evidence with a view to fixing a sum
for compensation.
Conclusions on the Principle of Equitable Considerations
31. When the Court applies the principle of equitable considerations, it
is applying equity intra legem, equity within the law; in particular, it is
applying equity in the manner that Professor Francesco Francioni has
described it: “as a method for infusing elements of reasonableness and
‘individualized’ justice whenever the applicable law leaves a margin of
discretion to the court or tribunal which has to make the decision” 23. It is
not applying equity contra legem, an example of which is the power given
to the Court under Article 38, paragraph 2, of the Statute of the Court to
determine a case ex aequo et bono if it has the consent of the parties to do
so. In sum, therefore, the elements of the principle of equitable considerations
are reasonableness, flexibility, judgment, approximation and fairness.
Consequently, the Court’s finding that it may form an appreciation
of the extent of damage is nothing but an illustration of the principle of
equitable considerations, which allows for reasonableness and judgment,
as indicated by the EECC, and flexibility, as indicated by the European
Court of Human Rights in Al-Jedda. Another important feature of the
22 EECC, Final Award, Eritrea’s Damages Claims, Decision of 17 August 2009, RIAA,
Vol. XXVI, para. 72.
23 F. Francioni, “Equity in International Law”, Max Planck Encyclopedia of
International
Law, November 2020.
activités armées (op. ind. robinson) 177
168
qu’elle ne disposait pas du moindre élément de preuve quant à la valeur
de la maison et de l’appartement, le principe de l’équité lui permettant de
procéder à une estimation raisonnable de l’indemnité.
29. Là encore, bien que cette affaire n’ait rien à voir avec les nombreuses
victimes d’un conflit armé, le principe de l’équité, sur le fondement
duquel elle a été tranchée, s’applique aussi bien à de telles victimes
qu’à une seule personne.
30. Dans sa sentence finale relative aux réclamations de dommages de
l’Erythrée, la CREE a reconnu que les preuves se rapportant à l’étendue et
à la valeur du préjudice présentaient des lacunes importantes. Mais puisque
les violations portant atteinte aux personnes avaient été nombreuses, la
Commission,
« dans les circonstances, a cherché à parvenir à une estimation raisonnable
des pertes résultant des atteintes qu’elle a[vait] constatées,
tenant compte de la population probable des secteurs touchés et d’estimations
de la fréquence et de l’étendue des pertes. Cette démarche
était forcément imprécise et incertaine, mais elle était nécessaire en
raison des limites du dossier. » 22
Le caractère raisonnable évoqué par la Commission est un élément important
du principe des considérations d’équité ; il est également clair que
c’est cet élément qui permet à la juridiction de naviguer dans les eaux
incertaines et imprécises que constituent les éléments de preuve en vue de
fixer le montant de l’indemnité.
Conclusions concernant le principe des considérations d’équité
31. Lorsqu’elle applique le principe des considérations d’équité, la
Cour se fonde sur l’équité intra legem, soit l’équité dans le cadre du droit ;
en particulier, elle le fait de la manière énoncée par M. le professeur
Francesco Francioni : « en tant que méthode permettant d’infuser un
caractère raisonnable et des éléments de justice « individualisée », dès lors
que le droit applicable laisse à la juridiction saisie une marge d’appréciation
pour prendre sa décision » 23. Il ne s’agit pas de l’équité contra legem,
dont on trouve un exemple au paragraphe 2 de l’article 38 du Statut,
lequel réserve à la Cour la faculté, si les parties sont d’accord, de statuer
ex aequo et bono. En somme, le principe des considérations d’équité a
pour éléments le caractère raisonnable, la souplesse, le jugement, l’approximation
et l’équité. Par conséquent, la conclusion de la Cour selon
laquelle elle peut parvenir à une estimation de l’étendue des dommages
n’est rien d’autre qu’une illustration du principe des considérations
d’équité, qui suppose le caractère raisonnable et le jugement, ainsi que l’a
dit la CREE, de même que la souplesse évoquée par la Cour européenne
22 CREE, Sentence finale, Réclamations de dommages de l’Erythrée, décision du 17 août
2009, RSA, vol. XXVI, par. 72.
23 F. Francioni, « Equity in International Law », Max Planck Encyclopedia of International
Law, novembre 2020.
178 armed activities (sep. op. robinson)
169
principle of equitable considerations is that the court or tribunal, in
applying that principle, becomes actively engaged with the evidence so as
to estimate a sum for compensation, or, in the language of the EECC, “to
determine appropriate compensation”. The EECC sees this activity as
obligatory, even if it calls for estimation or guesswork, albeit an estimation
that is restrained by the range of possibilities indicated by the evidence.
It does not appear that the Court was prepared to become
sufficiently engaged with the evidence so as to estimate a sum for compensation.
Application of the Principle of Equitable Considerations
to the Facts of the Case
32. Had the Court applied the principle of equitable considerations, it
would have been able to determine a specific sum for compensation in
practically every case in which the DRC made a claim for compensation.
In those cases, the Court had before it, evidence from the DRC as to the
extent of damage or injury and the valuation of the damage or injury. It
also had before it, evidence from its own experts as well as from
United Nations bodies and non-governmental
organizations. Whenever
the Court has evidence of that kind before it, it is always in a position to
weigh the varying proposals from the parties and others and determine a
sum for compensation on the basis of equitable considerations. Even if
the Court only has evidence from the applicant and the respondent, or
from one party alone, by becoming actively engaged with the evidence, it
is in a position to determine a sum for compensation on the basis of equitable
considerations. It is not the case, as the Court asserts in relation to
loss of life, injuries to persons, and rape, that the evidence did not allow
it to even approximate the number of persons or injuries involved. Eritrea
and Ethiopia, like the DRC and Uganda, are poor, developing countries
with relatively limited infrastructural facilities, and it is therefore not surprising
that, except in relation to evidence for damage to buildings, the
evidence before the EECC was of the same quality as the evidence before
the Court. Nonetheless, the EECC found it possible in respect of all the
claims, except for those dismissed for lack of evidence, to fix a sum as
compensation on the basis of a reasonable estimate.
33. For example, Eritrea sought compensation for injury resulting
from rape 24. It provided very little evidence as to the extent
of the damage (i.e. number of women raped) or the valuation
of the injury. Rather, Eritrea proposed that each party set aside an estimated
US$500,000 to US$1,000,000 to fund locally administered
24 EECC, Final Award, Eritrea’s Damages Claims, Decision of 17 August 2009, RIAA,
Vol. XXVI, para. 236.
activités armées (op. ind. robinson) 178
169
des droits de l’homme dans l’affaire Al-Jedda. Le principe des considérations
d’équité comporte une autre caractéristique importante : en choisissant
de l’appliquer, la juridiction saisie s’engage activement dans
l’administration de la preuve afin d’estimer le montant de l’indemnité ou,
selon les termes de la CREE, « de déterminer l’indemnité appropriée ». La
CREE perçoit cette action comme obligatoire, même lorsqu’elle amène la
juridiction à estimer ou à supposer, encore que l’estimation soit encadrée
par la limite des possibilités offertes par les éléments de preuve. Il appert
que la Cour n’était pas disposée à s’engager suffisamment dans l’administration
de la preuve pour estimer le montant de l’indemnité.
Application du principe des considérations d’équité
aux faits de l’espèce
32. Si elle avait eu recours au principe des considérations d’équité, la
Cour aurait été en mesure de déterminer une indemnité spécifique dans
presque tous les cas où la RDC a présenté une réclamation. En effet, elle
disposait à leur égard des éléments de preuve rapportés par la RDC quant
à l’étendue et à la valeur des dommages ou du préjudice. Elle pouvait par
ailleurs compter sur les éléments fournis par ses propres experts ainsi que
ceux d’autres organes des Nations Unies et d’organismes non gouvernementaux.
Dès lors qu’elle peut s’appuyer sur de tels éléments de preuve, la
Cour est toujours à même de soupeser les diverses hypothèses présentées
par les parties et autres intéressés, et de parvenir au montant de l’indemnité
en se fondant sur des considérations d’équité. Même lorsque les éléments de
preuve n’émanent que des parties, voire d’une seule d’entre elles, en s’engageant
activement dans l’administration de la preuve, elle se donne les
moyens de déterminer le montant de l’indemnité sur la base de considérations
d’équité. On ne saurait soutenir, ainsi que l’affirme la Cour en ce qui
concerne les pertes en vies humaines, les atteintes aux personnes et le viol,
que les éléments de preuve ne lui permettaient pas de quantifier, ne fût-ce
qu’approximativement, les victimes et les atteintes en cause. L’Erythrée et
l’Ethiopie, tout comme la RDC et l’Ouganda, sont des pays pauvres et en
développement dont les infrastructures sont relativement limitées, et il ne
faut donc pas s’étonner que, sauf en ce qui concerne les éléments se rapportant
aux dommages causés aux bâtiments, les preuves présentées à la CREE
étaient de la même qualité que celles qui se trouvent devant la Cour. La
CREE est néanmoins parvenue, relativement à toutes les réclamations,
exception faite de celles qui ont été rejetées faute de preuve, à fixer le montant
de l’indemnité sur la base d’une estimation raisonnable.
33. Par exemple, l’Erythrée a réclamé l’indemnisation du préjudice
résultant du viol 24. Elle n’a rapporté que très peu d’éléments de preuve
quant à l’étendue (soit le nombre de femmes violées) ou à la valeur du
préjudice. Elle a plutôt proposé que chacune des parties réserve une
somme estimative allant de 500 000 à 1 000 000 dollars des Etats-Unis au
24 CREE, Sentence finale, Réclamations de dommages de l’Erythrée, décision du 17 août
2009, RSA, vol. XXVI, par. 236.
179 armed activities (sep. op. robinson)
170
programmes for women’s health care and support services for rape victims
25.
34. In light of the lack of evidence, the Commission faced similar challenges
to the Court in assessing the DRC’s claims for damage to persons
resulting from rape. Like the Court, the Commission noted “the cultural
sensitivities surrounding rape in both countries and the unwillingness of
victims to come forward” 26. As such, the Commission “ha[d] no illusion
that the record before it reveals the full scope of rape during the extended
armed conflict” 27. The Commission was, therefore, “acutely aware that
the full number of victims and the full magnitude of the harm they suffered
cannot and will not ever be known” 28. The parties similarly failed to
“provide the Commission with an agreed or useful methodology for
assessing compensation” 29.
35. However, the Commission’s award of compensation for rape
reflected a reliance on the elements of judgment and flexibility that is
missing in the Court’s determination of compensation for the same category
of injury. The Commission found that it was “predictable that each
Party failed to prove its damages claim for rape, either as to a reasonable
number of victims or as to a reasonable measure of economic harm” 30.
The Commission did not find it strange that the parties failed to identify
a sum to reflect the extent or valuation of the harm caused by rape,
because it was willing to accept the responsibility to determine appropriate
compensation. It rejected Eritrea’s proposal because it was

presented . . . without explanation” 31, and found that such amounts
did not provide sufficient support for rape victims 32. Importantly, the
Commission “consider[ed] that this serious violation of international
humanitarian law demand[ed] serious relief” 33. In order to adequately
compensate for the acute harm of rape, the Commission became so
actively engaged with the evidence that it awarded US$2 million to
Eritrea, for Ethiopia’s failure to prevent the rape of known and unknown
victims in Eritrea; this sum was in excess of Eritrea’s own proposal 34. In
making this award, the Commission obviously took into account that
“the record before it” did not reveal “the full scope of rape during the
extended armed conflict”.
25 EECC, Final Award, Eritrea’s Damages Claims, Decision of 17 August 2009, RIAA,
Vol. XXVI, para. 236.
26 Ibid., para. 234.
27 Ibid.
28 Ibid.
29 Ibid., para. 235.
30 Ibid.
31 Ibid., para. 237.
32 Ibid.
33 Ibid., para. 238.
34 Ibid., para. 239.
activités armées (op. ind. robinson) 179
170
financement de programmes locaux de soins de santé pour les femmes et
de services d’appui aux victimes de viol 25.
34. Etant donné la pénurie de preuves, la Commission a fait face aux
mêmes difficultés que celles qu’a éprouvées la Cour pour évaluer les réclamations
de la RDC pour préjudice personnel résultant du viol. Comme la
Cour, la Commission a pris note des « sensibilités culturelles entourant le
viol dans les deux pays et la réticence des victimes à se manifester » 26. Dans
ces conditions, la Commission « ne se faisait aucune illusion quant à la
question de savoir si le dossier reflétait correctement la pleine ampleur des
viols commis au cours du long conflit armé » 27. Elle avait donc « pleinement
conscience que le nombre réel des victimes et la pleine amplitude du
préjudice qu’elles avaient subi ne pouvaient être connus et ne le seraient
jamais » 28. Par ailleurs, les parties n’ont pas su « [lui] fournir une méthode
consensuelle ou utile pour déterminer l’indemnisation voulue » 29.
35. Cela dit, l’indemnisation octroyée par la Commission pour le viol
témoigne de la présence d’éléments de jugement et de souplesse qui brillent
par leur absence dans celle fixée par la Cour pour la même catégorie de
préjudice. La Commission a conclu qu’il était « à prévoir que ni l’une ni
l’autre des parties n’avait réussi à prouver ses réclamations en matière de
viol, que ce soit quant au nombre raisonnable de victimes ou quant à une
mesure raisonnable du préjudice économique » 30. La Commission ne s’est
pas étonnée de ce que les parties n’aient pas pu s’entendre sur une somme
correspondant à l’étendue ou à la valeur du préjudice résultant du viol,
parce qu’elle était disposée à assumer la responsabilité de déterminer l’indemnité
appropriée. Elle a rejeté la proposition de l’Erythrée, parce qu’elle
avait été « présentée … sans explication » 31 et que les montants en cause
étaient insuffisants pour offrir l’appui voulu aux victimes de viol 32. Chose
importante, la Commission a dit « considér[er] que cette violation grave du
droit international humanitaire appelait des réparations appréciables » 33.
Afin de compenser dûment l’intense préjudice résultant du viol, la Commission
s’est engagée avec une telle ardeur dans l’administration de la
preuve qu’elle a adjugé à l’Erythrée, en réparation de l’omission, de la part
de l’Ethiopie, d’empêcher le viol de victimes connues et inconnues en Erythrée,
la somme de 2 000 000 dollars des Etats-Unis, soit au-
delà de la
somme réclamée 34. En adjugeant cette indemnité, la Commission a manifestement
tenu compte de ce que « le dossier devant elle » ne reflétait pas
« la pleine mesure des viols commis au cours du long conflit armé ».
25 CREE, Sentence finale, Réclamations de dommages de l’Erythrée, décision du 17 août
2009, RSA, vol. XXVI, par. 236.
26 Ibid., par. 234.
27 Ibid.
28 Ibid.
29 Ibid., par. 235.
30 Ibid.
31 Ibid., par. 237.
32 Ibid.
33 Ibid., par. 238.
34 Ibid., par. 239.
180 armed activities (sep. op. robinson)
171
36. The evidence relating to rape provides an illustration of a case in
which the Court could certainly have fixed a sum as compensation on the
basis of equitable considerations. The DRC relied on the finding by Congolese
investigators of 342 cases of rape. However, it correctly concluded
that that sum was an undercount for a variety of reasons, including the
common practice of rape during the war and the well-known cultural tendency
among victims not to report rape. Consequently, in order to take
account of those factors the DRC multiplied the number of 342 by five
and claimed compensation for 1,740 cases of rape and sexual violence. It
must be acknowledged that this was not a satisfactory approach. However,
there was evidence before the Court that would have allowed it to
award compensation for the rape of an identified number of victims on
the basis of equitable considerations. Instead, the Court found that there
was a significant number of victims of rape and sexual violence. While it
was correct for the Court not to accept the number of 1,740 cases of rape
as submitted by the DRC, it was certainly in a position to accept that
there were more than 342 such cases and identify a number that would
form the basis for the valuation of the injury, for the following reasons.
First, the Court had the uncontradicted statement by the DRC that for
cultural reasons cases of rape and sexual violence are under-reported.
Second, the DRC’s submission that rape and sexual violence were widespread
weapons of war in Ituri is supported by the ICC’s confirmation
that it was a “common practice” in that district (The Prosecutor v.
Bosco Ntaganda, ICC-01/04-02/06). Third, it had the statement of the
MONUC special report on the events in Ituri that “[c]ountless women
were abducted and became ‘war wives’, while others were raped or sexually
abused before being released”. Fourth, proof in this phase of the proceedings
does not require the same degree of certainty as the merits phase,
addressing responsibility for wrongful conduct. The Court can be satisfied
by proof on a balance of probabilities. These four factors provide a
sound basis for a conclusion that there were more than 342 cases of sexual
violence. The Court was in a position to identify a number higher
than 342 and award a sum for compensation on the basis of equitable
considerations.
37. Noticeably, the Commission played a more active role in its assessment
of compensation than the Court, which was relatively passive in
determining compensation. The Commission did not conclude that
the evidence was of such poor quality that it was unable to even approximate
the extent of the injury. Instead, it became actively engaged in the
whole process of determining compensation by showing sensitivity to
the inadequacy of the sum claimed by Eritrea as compensation and the
fact that a serious violation of international humanitarian law had been
committed.
38. A general comment that may be made is that the Court should
have become more active and more engaged in fixing compensation by
activités armées (op. ind. robinson) 180
171
36. Les éléments de preuve se rapportant au viol montrent bien que la
Cour aurait certainement pu fixer le montant de l’indemnité en se fondant
sur des considérations d’équité. La RDC s’est appuyée sur les conclusions
formulées par les enquêteurs congolais au sujet de 342 cas de viol. Elle a
toutefois, à juste titre, fait valoir que ce nombre était une sous-estimation
pour diverses raisons, dont le fait que le viol était une pratique répandue
pendant la guerre et la tendance culturelle bien connue des victimes à ne
pas se manifester. Par conséquent, afin de tenir compte de ces facteurs, la
RDC a multiplié le nombre de 342 par cinq, réclamant ainsi l’indemnisation
de 1740 cas de viol et de violences sexuelles. Force est de reconnaître
qu’il s’agit là d’une méthode peu satisfaisante. Pourtant, la Cour disposait
d’éléments de preuve qui lui auraient permis de fixer une indemnité pour le
viol d’un nombre connu de victimes sur la base de considérations d’équité.
Elle a plutôt conclu qu’il y avait eu un nombre considérable de victimes de
viol et de violences sexuelles. Si elle a eu raison de ne pas retenir le nombre
de 1740 cas de viol avancé par la RDC, elle aurait certainement été fondée
à accepter qu’il y en avait eu plus de 342 et à arrêter le nombre qui aurait
servi à déterminer la valeur du préjudice, et ce, pour les raisons qui suivent.
Premièrement, elle disposait d’une déclaration non contredite de la RDC
suivant laquelle les cas de viol étaient, pour des raisons culturelles, rarement
dénoncés. Deuxièmement, la prétention de la RDC selon laquelle le
viol et les violences sexuelles étaient des techniques de guerre répandues en
Ituri était appuyée par la CPI, qui avait confirmé qu’il s’agissait d’une
« pratique courante » dans le secteur (Le Procureur c. Bosco Ntaganda,
ICC-01/04-02/06). Troisièmement, avait été déposée devant elle la déclaration
tirée du rapport spécial de la MONUC sur les événements d’Ituri, aux
termes de laquelle « [d]’innombrables femmes [avaie]nt été enlevées, les
unes pour être gardées comme « épouses de guerre » et les autres pour être
violées ou soumises à des sévices sexuels avant d’être relâchées ». Quatrièmement,
à ce stade de la procédure, la preuve n’exige pas le même degré
de certitude qu’à celui du fond, qui concerne la responsabilité à l’égard
d’un comportement illicite. La Cour peut alors se convaincre sur la foi
d’une preuve prépondérante. Ces quatre facteurs constituent une base
solide pour conclure qu’il y a eu plus de 342 cas de violences sexuelles. La
Cour aurait été fondée à fixer un nombre supérieur à 342 et à adjuger une
indemnisation en se basant sur des considérations d’équité.
37. Il ne fait aucun doute que la Commission a, dans l’évaluation de
l’indemnité, joué un rôle plus actif que la Cour, qui s’est montrée relativement
passive au moment de déterminer celle-
ci. La Commission s’est
refusée à conclure que les preuves étaient de si piètre qualité qu’elle n’était
pas en mesure de déterminer, fût-ce approximativement, l’étendue du
préjudice.
Elle s’est plutôt engagée activement dans le processus de
détermination
de l’indemnisation, en se montrant sensible à l’insuffisance
du montant réclamé par l’Erythrée à titre d’indemnité et au fait
qu’une violation grave du droit international humanitaire avait été
commise.
38. On peut dire de façon générale que la Cour aurait dû s’engager
plus activement dans la fixation de l’indemnité en procédant à sa propre
181 armed activities (sep. op. robinson)
172
introducing its own determination of the extent and valuation of the
damage or injury. The Court appears to see itself as performing a passive
role as the recipient of the Parties’ submissions and the evidence as a
whole. Unlike the Commission, it does not see itself as being under an
“obligation to determine appropriate compensation, even if the process
involves estimation or guesswork within the range of possibilities indicated
by the evidence” 35. Certain Activities provides a precedent for the
Court becoming very engaged in the determination of compensation. In
that case, the Court rejected the methodologies proposed by both parties
for determining compensation for environmental damage and advanced
its own methodology, albeit in some respects borrowing from the parties’
methodologies. It was on the basis of its own methodology that the Court
awarded compensation to Costa Rica on the basis of equitable considerations.
39. In Diallo and Certain Activities, the Court awarded compensation
on the basis of equitable considerations. In this case, in respect of the five
categories of injuries relating to damage to persons, rather than determining
compensation on the basis of equitable considerations, the Court
awarded compensation taking into account equitable considerations. No
explanation is offered for the Court not following its approach in Diallo
and Certain Activities. It is certain, however, that the approach adopted
by the Court of awarding compensation taking into account equitable
considerations means that it would not have had the full benefit of the
principle. An award of compensation that only takes into account equitable
considerations merely treats equitable considerations as an element
in the determination of that award whereas an award of compensation
based on equitable considerations is one that is governed by the principle
of equitable considerations.
40. Thus, had the Court determined compensation on the basis of equitable
considerations, it would have been in a position to award a specific
sum as compensation for each category of injury.
Standard of Proof
41. The Court rightly concluded that the standard of proof at the merits
phase is higher than it is at the reparations phase. However, it does not
explicitly identify the lower standard applicable to the reparations phase.
That omission may be overlooked if the findings of the Court on questions
of compensation are consistent with the use of a lower standard of
proof. As noted before, where the Court has found that the evidence was
not sufficient to determine a reasonably precise or even an approximate
number of lives lost or persons injured, a finding could have been made
that the evidence was sufficient for that purpose on the basis of the lower
35 EECC, Final Award, Eritrea’s Damages Claims, Decision of 17 August 2009, RIAA,
Vol. XXVI, p. 508.
activités armées (op. ind. robinson) 181
172
détermination de l’étendue et de la valeur des dommages ou du préjudice.
La Cour semble se croire confinée à un rôle passif consistant à recevoir en
bloc les prétentions et les éléments de preuve que lui soumettent les Parties.
Contrairement à la Commission, elle ne s’estime pas tenue à « l’obligation
de déterminer l’indemnité appropriée, même si cela l’amène à
estimer ou à supposer, dans la limite des possibilités offertes par les éléments
de preuve » 35. L’affaire relative à Certaines activités constitue un
précédent où la Cour s’est engagée très activement dans la détermination
de l’indemnité. En l’occurrence, elle a écarté les méthodes que lui proposaient
les deux parties pour établir le montant de l’indemnité à verser
pour des dommages à l’environnement, et a élaboré sa propre méthode,
tout en puisant à certains égards dans celles que préconisaient les parties.
C’est en appliquant sa propre méthode que la Cour a adjugé une indemnité
au Costa Rica sur la base de considérations d’équité.
39. Dans l’affaire Diallo et dans celle relative à Certaines activités, la
Cour a adjugé une indemnisation en se fondant sur des considérations
d’équité. En l’espèce, relativement aux cinq catégories de préjudice relevant
des atteintes aux personnes, plutôt que de se baser sur des considérations
d’équité, elle a octroyé une indemnité en tenant compte de
considérations d’équité, sans donner la moindre explication des raisons
pour lesquelles elle n’avait pas repris la démarche qu’elle avait suivie dans
l’affaire Diallo et dans celle relative à Certaines activités. Or il est certain
que, ayant choisi d’adjuger une indemnisation en tenant compte de considérations
d’équité, elle ne s’est pas prévalue pleinement du principe. Lorsqu’il
est seulement tenu compte des considérations d’équité, celles-
ci
deviennent tout au plus un élément du processus de détermination, alors
que, lorsqu’elle est basée sur des considérations d’équité, l’indemnité est
régie par le principe des considérations d’équité.
40. En conséquence, si elle s’était basée sur des considérations d’équité
pour fixer l’indemnité à payer, la Cour aurait été en mesure d’adjuger un
montant précis pour chaque catégorie de préjudice.
La norme de preuve
41. La Cour a eu raison de conclure que la norme applicable au stade
du fond est plus stricte que celle qui vaut au stade des réparations. Elle ne
précise toutefois pas quelle est la norme moins rigoureuse qui régit
celui-
ci. On pourrait fermer les yeux sur cette omission pour peu que les
conclusions de la Cour sur les questions d’indemnisation témoignent de
l’application d’une norme de preuve moins stricte. Ainsi qu’il a été mentionné
précédemment, dans les cas où elle a conclu que les preuves disponibles
n’étaient pas suffisantes pour lui permettre de déterminer de
manière raisonnablement précise ou même approximative le nombre de
35 CREE, Sentence finale, Réclamations de dommages de l’Erythrée, décision du 17 août
2009, RSA, vol. XXVI, p. 508.
182 armed activities (sep. op. robinson)
173
standard of proof. For example, in relation to loss of life, the Court concludes
that the evidence was not sufficient to determine a reasonably precise
or even an approximate number of lives lost. The Court identifies a
range of lives lost from 10,000 to 15,000. There can be no doubt that on
the basis of the lower standard of proof the Court would have been in a
position to estimate the number of lives lost. Thus, if the Court determined
that 12,000 lives were lost on a lower standard of proof such as a
balance of probabilities its decision would be correct, because the evidence
supports the conclusion that it was more probable than not that
12,000 lives were lost. One could arrive at the same conclusion on every
occasion when the Court concluded that there was not sufficient evidence
to even approximate the extent of the injury.
42. Moreover, there are instances in which the Court has used a standard
of proof that is questionable because a lower standard should have
been used in relation to the extent or valuation of damage or injury. Paragraph
163 states: “Turning to valuation, the Court considers that the
DRC has not presented convincing evidence for its claim that the average
amount awarded by Congolese courts to the families of victims of war
crimes amounts to US$34,000.” Paragraph 180 states: “The DRC does
not provide convincing evidence that these figures are derived from the
average amounts awarded by Congolese courts in the context of the perpetration
of serious international crimes.” Paragraph 205 states: “In the
framework of the present reparation proceedings, these methodologies do
not provide a sufficient basis for assigning a specific valuation of damage
in respect of a child soldier.” Paragraph 243 reads: “In the Court’s view,
the DRC offers no convincing evidence for the number of 8,693 private
dwellings that it claims have been destroyed in Ituri.” Paragraph 248
states: “With regard to the valuation of the property lost, the Court considers
that the DRC has not provided convincing evidence supporting the
alleged average value of private dwellings, public buildings and property
looted.” Paragraph 307 states: “The Court considers that the figures put
forward by the DRC with respect to the quantity and value of exploited
diamonds for which Uganda owes reparation are not based on a convincing
methodological approach, in particular because the DRC relies on
insufficient and uncorroborated data.” Paragraph 319 states: “The evidence
furnished by the DRC does not provide a convincing basis for its
claim of US$2,915,880 for coltan.” Finally, paragraph 340 states: “The
methodology applied by the DRC to substantiate its claim is not convincing.”
43. These are instances in which the Court has rejected claims on the
basis that the evidence was not convincing. This is too high a standard for
activités armées (op. ind. robinson) 182
173
vies perdues ou de personnes blessées, elle aurait pu les considérer comme
suffisantes à cette fin au regard de la norme de preuve moins stricte. Par
exemple, s’agissant des pertes en vies humaines, elle a conclu que les
preuves n’étaient pas suffisantes pour lui permettre de déterminer de
manière raisonnablement précise ou même approximative le nombre de
morts, tout en disant considérer que celui-
ci se situait dans une échelle
comprise entre 10 000 et 15 000. Il ne fait aucun doute que, en appliquant
une norme de preuve moins rigoureuse, elle aurait été en mesure d’estimer
le nombre de vies perdues. En conséquence, si elle avait conclu, au regard
d’une norme de preuve moins stricte, comme celle de la preuve prépondérante,
que les pertes en vies humaines s’élevaient à 12 000, sa décision
aurait été bien fondée, du fait que l’hypothèse correspondant à ce nombre
est la plus vraisemblable au regard des éléments de preuve. On pourrait
parvenir à la même conclusion dans tous les cas où la Cour a dit que les
éléments de preuve n’étaient pas suffisants pour lui permettre d’apprécier
l’étendue du préjudice, fût-ce approximativement.
42. Qui plus est, dans certains cas, la norme appliquée par la Cour est
discutable car elle aurait dû être moins stricte en ce qui concerne l’étendue et
la valeur des dommages ou du préjudice. Il convient de citer certains passages
de l’arrêt. Paragraphe 163 : « Passant à la question de l’évaluation des
dommages, la Cour considère que la RDC n’a pas présenté d’éléments
convaincants prouvant que, comme elle l’affirme, le montant moyen accordé
par les juridictions congolaises aux familles de victimes de crimes de guerre
s’élève à 34 000 dollars des Etats-Unis. » Paragraphe 180 : « [La RDC] n’apporte
pas de preuves convaincantes que ces montants sont déduits des
sommes moyennes adjugées par ses juridictions dans le contexte de la perpétration
de crimes internationaux graves. » Paragraphe 205 : « Dans le cadre
de la présente procédure relative aux réparations, ces méthodes ne fournissent
pas de base suffisante pour permettre à la Cour d’attribuer un montant
spécifique au dommage subi à raison de chaque enfant-soldat.
»
Paragraphe 243 : « De l’avis de la Cour, la RDC n’apporte pas d’éléments
convaincants pour justifier le chiffre de 8693 habitations privées qui ont
selon elle été détruites en Ituri. » Paragraphe 248 : « En ce qui concerne l’évaluation
des biens perdus, la Cour considère que la RDC n’a pas fourni d’éléments
de preuve convaincants à l’appui des valeurs moyennes alléguées pour
les habitations privées, les bâtiments publics et les biens pillés. » Paragraphe
307 : « La Cour considère que les chiffres avancés par la RDC en ce
qui concerne la quantité et la valeur des diamants exploités à raison desquels
l’Ouganda doit réparation
ne reposent pas sur une approche méthodologique
convaincante, notamment parce que la RDC se fonde sur des données
insuffisantes et non corroborées. » Paragraphe 319 : « Les éléments de preuve
produits par la RDC ne sauraient justifier de manière convaincante que
celle-
ci demande 2 915 880 dollars des Etats-Unis à raison de l’exploitation
du coltan. » Enfin, paragraphe 340 : « La méthode appliquée par la RDC
pour démontrer le bien-fondé de sa demande n’est pas convaincante. »
43. La Cour a dans tous ces cas écarté des réclamations parce que les
preuves n’étaient pas convaincantes. Or il s’agit là d’une norme trop
183 armed activities (sep. op. robinson)
174
the reparations phase. Notably, at the merits phase the Court used the
standard of convincing evidence in relation to questions of responsibility.
For example, paragraph 72 of the 2005 Judgment states that “[t]he Court
must first establish which relevant facts it regards as having been convincingly
established by the evidence, and which thus fall for scrutiny by reference
to the applicable rules of international law” 36; paragraph 210
states: “The Court finds that there is convincing evidence of the training
in UPDF training camps of child soldiers and of the UPDF’s failure to
prevent the recruitment of child soldiers in areas under its control.” 37
There are other instances in which the Court uses the standard of convincing
evidence at the merits phase. It follows that if convincing evidence
is the correct standard of proof for the merits phase, it cannot be the correct
standard for the reparations phase where the standard is lower.
Macroeconomic Damage
44. Notably, the Court did not rule on the question whether macroeconomic
damage was compensable under international law; it found
that the DRC had not established the required causal nexus between
Uganda’s wrongful conduct and the alleged macroeconomic damage.
45. In my view, macroeconomic damage is compensable. In the first
place, recourse may be had to the general principle of full compensation
that was reflected in the Factory at Chorzów case as well as Articles 31
and 36 of the ILC Draft Articles 38. In Factory at Chorzów, the Court held
that “reparation must, as far as possible, wipe out all the consequences of
the illegal act and reestablish the situation which would, in all probability,
have existed if that act had not been committed” 39. This is the classical
statement of the principle of full reparation which would certainly
include damage at the macroeconomic level resulting from an internationally
wrongful act. Second, the principle of full reparation is also
reflected in Article 31 (1) of the ILC Draft Articles which provides that
“[t]he responsible State is under an obligation to make full reparation for
the injury caused by an internationally wrongful act”. It is difficult to
understand why, in principle, the kind of damage to the economy of a
country that could be caused by a war, in which thousands died and were
injured and which lasted five years, would not be compensable under
international law. A war can so shock the economic foundations of a
State that damage at the macroeconomic level, for example, in relation to
the value of its currency, is bound to ensue. Third, under Article 36 of the
36 Armed Activities on the Territory of the Congo (Democratic Republic of the Congo v.
Uganda), Judgment, I.C.J. Reports 2005, p. 205, para. 72.
37 Ibid., p. 241, para. 210.
38 Draft Articles on the Responsibility of States for Internationally Wrongful Acts,
Yearbook of the International Law Commission, 2001, Vol. II, Part Two, pp. 92 and 98.
39 Factory at Chorzów, Merits, Judgment No. 13, 1928, P.C.I.J., Series A, No. 17, p. 47.
activités armées (op. ind. robinson) 183
174
rigoureuse pour le stade des réparations. Ainsi, au stade du fond, la Cour
a appliqué la norme de la preuve convaincante aux questions de responsabilité.
Par exemple, le paragraphe 72 de l’arrêt de 2005 énonce que « [l]a
Cour doit d’abord déterminer quels sont les faits pertinents qu’elle tient
pour dûment établis et qui doivent, par conséquent, être examinés au
regard des règles applicables du droit international » 36, tandis qu’on peut
lire au paragraphe 210 que « [l]a Cour estime qu’il existe des éléments de
preuve convaincants du fait que des enfants-soldats
ont été entraînés dans
les camps d’entraînement des UPDF et que celles-
ci n’ont rien fait pour
empêcher leur recrutement dans les zones sous leur contrôle » 37. Il existe
d’autres cas où la Cour a appliqué la norme de la preuve convaincante au
stade du fond. Il s’ensuit que, si la norme de la preuve convaincante est la
norme appropriée au stade du fond, elle ne peut l’être au stade des réparations,
qui appelle une norme moins stricte.
Le dommage macroéconomique
44. On ne peut s’empêcher de remarquer que la Cour ne s’est pas prononcée
sur la question de savoir si le dommage macroéconomique était
susceptible d’indemnisation en droit international ; elle a conclu que la
RDC n’avait pas établi le lien de causalité requis entre le comportement
illicite de l’Ouganda et le dommage macroéconomique invoqué.
45. A mon avis, le dommage macroéconomique est susceptible d’indemnisation.
Premièrement, il est toujours possible d’avoir recours au
principe de réparation intégrale, appliqué en l’affaire relative à l’Usine de
Chorzów et exposé aux articles 31 et 36 du projet d’articles de la CDI 38.
Dans ladite affaire, la Cour a dit que « la réparation doit, autant que possible,
effacer toutes les conséquences de l’acte illicite et rétablir l’état qui
aurait vraisemblablement existé si ledit acte n’avait pas été commis » 39.
Tel est l’énoncé consacré du principe de réparation intégrale, lequel viserait
certainement le dommage causé à l’échelle macroéconomique par un
acte internationalement illicite. Deuxièmement, le principe de réparation
intégrale figure aussi à l’article 31, paragraphe 1, du projet d’articles de la
CDI, lequel est ainsi libellé : « L’Etat responsable est tenu de réparer intégralement
le préjudice causé par le fait internationalement illicite. » Il est
difficile de comprendre pourquoi, en principe, le type de dommage causé
à l’économie d’un pays par une guerre au cours de laquelle des milliers de
personnes ont péri ou été blessées et qui a duré cinq ans ne serait pas
susceptible d’indemnisation en droit international. La guerre peut ébranler
les fondements économiques d’un Etat à tel point que les dommages à
l’échelle macroéconomique, par exemple la valeur de sa monnaie, sont
36 Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo
c. Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 205, par. 72.
37 Ibid., p. 241, par. 210.
38 Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite,
Annuaire de la Commission du droit international, 2001, vol. II, deuxième partie, p. 97 et 105.
39 Usine de Chorzów, fond, arrêt no 13, 1928, C.P.J.I. série A no 17, p. 47.
184 armed activities (sep. op. robinson)
175
ILC’s Draft Articles the responsible State has a duty to provide compensation,
which covers any financially assessable damage including loss of
profits in so far as it is established. Paragraph 5 of the commentary on
Article 36 states that financially assessable damage is “any damage which
is capable of being evaluated in financial terms”. There is no reason why
macroeconomic damage caused by a war should not be capable of being
evaluated in financial terms. Criticisms were levelled by economists on
behalf of Uganda at the Kinshasa study that was presented on behalf of
the DRC to establish the macroeconomic damage that it claimed. Notwithstanding
these criticisms, it is certainly possible that economic studies
could be presented to a court or tribunal substantiating macroeconomic
damage caused by a war. As a matter of law, such damage is compensable.
46. The Court dismissed the DRC’s claim for macroeconomic damage
on the ground that the DRC had not established a sufficiently direct and
certain causal nexus between the internationally wrongful act of Uganda
and any alleged macroeconomic damage. It is not clear whether in this
finding the Court applied the lower standard of proof at the reparations
phase. For example, if the standard of proof on the balance of probabilities
were applied, it would be reasonable to conclude that, on the basis of
the evidence in this case, the DRC established that there was a causal
nexus between the macroeconomic damage that the DRC alleged it had
suffered and the war. Using that standard, the DRC would have succeeded
in establishing this nexus by showing that it was more probable
than not that there was a sufficiently direct and certain causal nexus
between the internationally wrongful conduct of Uganda and the macroeconomic
damage it claimed.
47. In conclusion, questions may be raised about the reasoning
employed by the Court to arrive at a global sum of US$225 million as
compensation for damage to persons and also about its treatment of the
standard of proof at the reparations phase.
(Signed) Patrick L. Robinson.
activités armées (op. ind. robinson) 184
175
pour ainsi dire inévitables. Troisièmement, aux termes de l’article 36 du
projet d’articles de la CDI, l’Etat est tenu d’indemniser tout dommage
susceptible d’évaluation financière, y compris le manque à gagner, dans la
mesure où il est établi. Le paragraphe 5 du commentaire de l’article 36
définit le dommage susceptible d’évaluation financière comme « tout dommage
pouvant être évalué en termes financiers ». Il n’existe aucune raison
empêchant que le dommage macroéconomique causé par une guerre
puisse être évalué en termes financiers. L’étude de Kinshasa présentée au
nom de la RDC pour établir le dommage macroéconomique réclamé a été
critiquée par des économistes au nom de l’Ouganda. Malgré ces critiques,
il est certainement possible de présenter à une juridiction une étude économique
établissant le dommage macroéconomique causé par la guerre.
Ce dommage est donc susceptible d’indemnisation en droit.
46. La Cour a rejeté la réclamation de la RDC pour dommage macroéconomique
au motif que celle-
ci n’avait pas établi qu’il existait un lien
de causalité suffisamment direct et certain entre le fait internationalement
illicite commis par l’Ouganda et le dommage invoqué. Il est difficile de
voir si, pour parvenir à cette conclusion, la Cour a appliqué la norme de
preuve moins rigoureuse au stade des réparations. Par exemple, si l’on
appliquait la norme de la preuve prépondérante, il serait raisonnable de
conclure, au vu des éléments de preuve disponibles, que la RDC a établi
l’existence d’un lien de causalité entre le dommage macroéconomique
qu’elle dit avoir subi et la guerre. Selon cette norme, la RDC aurait réussi
à établir ce lien en montrant que l’existence d’un lien de causalité suffisamment
direct et certain entre le comportement internationalement illicite
de l’Ouganda et le dommage macroéconomique invoqué constituait
l’hypothèse la plus vraisemblable.
47. En conclusion, des questions pourraient se poser au sujet du raisonnement
qui a conduit la Cour à adjuger une somme globale de
225 000 000 dollars des Etats-Unis à titre d’indemnité pour les dommages
aux personnes et de la façon dont elle a géré la question de la norme de
preuve au stade des réparations.
(Signé) Patrick L. Robinson.

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Opinon individuelle de M. le juge Robinson

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