Opinion individuelle de M. le juge Iwasawa

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172-20210204-JUD-01-05-EN
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157
90
OPINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGE IWASAWA
[Traduction]
Non-ressortissants
fondés à jouir des droits de l’homme conférés par le droit
international — Compétence de la Cour étant limitée aux différends touchant
l’interprétation ou l’application de la CIEDR — Mesures dont le demandeur tire
grief devant être susceptibles de constituer une discrimination raciale au sens de la
CIEDR pour fonder la compétence de la Cour — Expression « origine nationale »
figurant au paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR n’englobant pas la
nationalité actuelle — Différence de traitement fondée sur la nationalité ayant
« pour but ou pour effet » d’opérer une discrimination fondée sur l’« origine
nationale » étant susceptible de constituer une discrimination raciale au sens de la
CIEDR — Juridictions et organes internationaux chargés des droits de l’homme
ayant adopté et développé la notion de discrimination indirecte — Cour ne
disposant pas de tous les faits nécessaires pour se prononcer sur l’allégation de
discrimination indirecte formulée par le demandeur — Questions soulevées
constituant l’objet même du différend sur le fond — Cour ayant dû dire que la
première exception n’avait pas un caractère exclusivement préliminaire.
1. La Cour estime que l’expression « origine nationale » figurant au
paragraphe 1 de l’article premier de la convention internationale sur l’élimination
de toutes les formes de discrimination raciale (ci-
après la
« CIEDR » ou la « convention ») n’englobe pas la nationalité actuelle
(arrêt, par. 105). Examinant en outre la question de savoir si les mesures
imposées par les Emirats arabes unis constituent à l’égard des Qatariens
une discrimination indirecte fondée sur leur « origine nationale », elle
considère que, « quand bien même les mesures dont le Qatar tire grief
dans le cadre de son allégation de « discrimination indirecte » seraient avérées,
elles ne peuvent être constitutives de discrimination raciale au sens
de la convention » (ibid., par. 112). La Cour en conclut que la première
exception préliminaire soulevée par les Emirats arabes unis, à savoir que
le différend n’entre pas dans le champ ratione materiae de la CIEDR, doit
être retenue (ibid., par. 114).
2. Si je conviens que l’expression « origine nationale » employée au
paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR n’englobe pas la nationalité
actuelle, je ne rejoins pas l’analyse ni la conclusion de la Cour concernant
la demande du Qatar relative à la discrimination indirecte.
L’exception préliminaire des Emirats arabes unis, en ce qu’elle se rapportait
à cette demande, soulevait des questions qui auraient nécessité un
examen approfondi par la Cour au stade du fond. La Cour aurait donc
dû dire que la première exception préliminaire des Emirats arabes unis ne
présentait pas un caractère exclusivement préliminaire.
3. La présente opinion est structurée comme suit. Dans la première partie,
j’examinerai le statut des non-ressortissants
en droit international.
application de la ciedr (op. ind. iwasawa) 158
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J’expliquerai que, étant donné que les droits de l’homme sont des droits
inaliénables que chacun possède, les non-ressortissants
peuvent aussi s’en
prévaloir en vertu du droit international. Dans la seconde partie, je montrerai
tout d’abord que, la compétence de la Cour en l’espèce étant limitée
aux différends touchant l’interprétation ou l’application de la CIEDR, il
faut, pour qu’elle puisse s’exercer, que les mesures prises par les Emirats
arabes unis soient susceptibles d’être constitutives de « discrimination
raciale » au sens de la convention. J’exposerai ensuite les motifs pour lesquels,
selon moi, la nationalité actuelle n’est pas comprise dans l’expression
« origine nationale » employée au paragraphe 1 de l’article premier de
la CIEDR. Après cela, j’aborderai la notion de discrimination indirecte et
je décrirai comment une différence de traitement fondée sur la nationalité
actuelle peut avoir « pour but ou pour effet » d’opérer une discrimination
sur le fondement d’un motif prohibé au titre du paragraphe 1 de l’article
premier de la CIEDR. Enfin, j’expliquerai les raisons pour lesquelles
la Cour aurait dû déclarer que la première exception préliminaire des
Emirats arabes unis ne présentait pas un caractère exclusivement préliminaire.
I. Les droits de l’homme des non-ressortissants
en droit international
4. Le droit international protège depuis longtemps les droits des non-ressortissants,
cette protection préexistant à celles accordées par les Etats
à leurs propres nationaux. Du XIXe siècle au début du XXe siècle, une
norme minimale internationale en matière de traitement des étrangers
s’est fait jour en droit international. Celui-
ci ne contenait alors que peu de
règles régissant le traitement par les Etats de leurs propres nationaux,
traditionnellement considéré comme relevant des affaires internes des
Etats.
5. Lors de la conférence de la paix de Paris tenue en 1919-1920, il fut
proposé d’inclure dans le Pacte de la Société des Nations des dispositions
sur la liberté de religion et l’égalité raciale. Ces propositions ayant finalement
été rejetées, aucune règle, pas même des plus basiques, n’a été inscrite
dans le pacte concernant les droits de l’homme. A défaut, un certain
nombre d’Etats, principalement d’Europe centrale et orientale, conclurent
des traités ou formulèrent des déclarations par lesquelles ils s’engageaient
à protéger les minorités sur leur territoire. En outre, l’Organisation internationale
du Travail, créée en 1919, adopta ses premières conventions sur
les droits des travailleurs. Si certains efforts furent faits pendant la période
de l’entre-deux-guerres
pour inclure la protection des droits de l’homme
dans le droit international, force est de constater que cette protection se
limitait alors à certains droits ou ne s’appliquait qu’à un nombre limité de
pays.
6. En 1945, la donne changea radicalement avec l’adoption de la Charte
des Nations Unies, traité révolutionnaire en ceci que le développement et
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92
l’encouragement du respect des droits de l’homme figuraient parmi les
buts de l’Organisation, mais également parce que les droits de l’homme y
étaient garantis pour « tous sans distinction » (art. 1, par. 3, et art. 55 c)).
L’adoption de la Charte marqua le début d’une expansion du droit international
des droits de l’homme, qui se poursuivit par la suite.
7. En 1948, l’Assemblée générale des Nations Unies adopta la Déclaration
universelle des droits de l’homme, qui énumérait les droits de
l’homme devant être protégés par les Etats en vertu de la Charte. Inspirée
de la doctrine des droits naturels, celle-
ci disposait que « [t]ous les êtres
humains naissent libres et égaux en dignité et en droits » (article premier ;
les italiques sont de moi) et que « [c]hacun peut se prévaloir de tous les
droits et de toutes les libertés proclamés dans la … Déclaration, sans distinction
aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de
religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale
ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation »
(art. 2 ; les italiques sont de moi). Il ressort clairement de l’utilisation du
terme « notamment » que la liste de motifs de discrimination prohibés
figurant à l’article 2 de la déclaration est illustrative et non exhaustive.
Par ailleurs, la liste contient l’expression « toute autre situation », qui
revêt une portée générale. Ainsi, même si la nationalité n’est pas expressément
mentionnée dans la liste des motifs proscrits, on peut conclure que
la discrimination fondée sur la nationalité est prohibée par la Déclaration
universelle des droits de l’homme et que les non-ressortissants
jouissent
également des droits de l’homme consacrés par cet instrument.
8. En 1966, l’Assemblée générale adopta le Pacte international relatif
aux droits économiques, sociaux et culturels et le Pacte international relatif
aux droits civils et politiques. Ce dernier prévoit, au paragraphe 1 de
son article 2, que
« [l]es Etats parties … s’engagent à respecter et à garantir à tous les
individus … les droits reconnus dans le … Pacte, sans distinction
aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion,
d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale
ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation »
(les italiques sont de moi).
L’article 26 du même instrument, clause de non-discrimination
autonome,
contient des dispositions similaires. Comme c’est le cas pour la Déclaration
universelle des droits de l’homme, on peut conclure que, en principe,
les non-ressortissants
peuvent se prévaloir des droits de l’homme garantis
par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et qu’il est
interdit aux Etats parties d’opérer une discrimination fondée sur la nationalité.
9. La formulation employée dans le Pacte international relatif aux
droits économiques, sociaux et culturels diffère légèrement. Le paragraphe
2 de l’article 2 prévoit ainsi que les Etats parties « s’engagent à
garantir que les droits … énoncés [dans le Pacte] seront exercés sans dis-
application de la ciedr (op. ind. iwasawa) 160
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crimination aucune fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la
religion, l’opinion politique ou toute autre opinion, l’origine nationale ou
sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation » (les italiques sont
de moi). L’expression « fondée sur » a un sens plus restrictif que le terme
« notamment » utilisé dans la Déclaration universelle des droits de
l’homme et dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Néanmoins, étant donné que la liste des motifs de discrimination
prohibés, comme ceux qui figurent dans la déclaration et dans le pacte,
contient l’expression de portée générale « toute autre situation », on peut
conclure que cette liste est également illustrative et non exhaustive. De
plus, le paragraphe 3 de l’article 2 dispose que « [l]es pays en voie de développement
… peuvent déterminer dans quelle mesure ils garantiront les
droits économiques reconnus dans le … Pacte à des non-ressortissants
».
Si l’on interprète cette clause a contrario, on peut conclure que les droits
de l’homme énoncés dans le Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels sont également garantis, en principe, aux
non‑nationaux.
10. Les conventions régionales relatives aux droits de l’homme prévoient
elles aussi des clauses de non-discrimination,
telles que l’article 14
de la convention européenne des droits de l’homme ou les articles 1 et 24
de la convention américaine relative aux droits de l’homme. Parmi les
motifs de discrimination prohibés qui sont énumérés dans ces dispositions
figurent également des expressions de portée générale : « ou toute autre
situation » dans l’article 14 de la convention européenne, et « toute autre
condition sociale » dans l’article 1 de la convention américaine. Ces listes
de motifs prohibés sont donc également considérées comme illustratives
et non exhaustives. En conséquence, de même que les conventions internationales
examinées ci-
dessus,
les conventions régionales doivent être
interprétées comme protégeant les droits des non-ressortissants.
11. Les juridictions et organes internationaux chargés des droits de
l’homme que ces instruments ont établis pour contrôler leur mise en
oeuvre par les Etats ont confirmé que les non-ressortissants
jouissaient des
droits de l’homme ainsi protégés et que la discrimination fondée sur la
nationalité était interdite.
12. S’agissant du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
le Comité des droits de l’homme a adopté, en 1986, l’observation
générale no 15 sur la situation des étrangers au regard du Pacte, dans
laquelle il affirmait que, « [e]n général, les droits énoncés dans le Pacte
s’appliquent à toute personne … quelle que soit sa nationalité » et que « la
règle générale est que chacun des droits énoncés dans le Pacte doit être
garanti, sans discrimination entre les citoyens et les étrangers » 1.
13. Par la suite, le Comité des droits de l’homme s’est prononcé sur un
certain nombre de communications individuelles et a jugé que la discrimination
fondée sur la nationalité était prohibée par l’article 26 du Pacte
1 Comité des droits de l’homme, observation générale no 15 : Situation des étrangers au
regard du Pacte, 22 juillet 1986, par. 1‑2.
application de la ciedr (op. ind. iwasawa) 161
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international relatif aux droits civils et politiques. En l’affaire Gueye et
consorts c. France, des militaires à la retraite de nationalité sénégalaise qui
avaient servi dans l’armée française avant l’indépendance du Sénégal ont
présenté une plainte reprochant à la France d’avoir enfreint l’article 26 au
motif que les allocations de retraite qu’ils percevaient étaient inférieures à
celles dont bénéficiaient les militaires à la retraite de nationalité française.
Le Comité a estimé que cette pratique constituait une discrimination fondée
sur la nationalité, en violation de l’article 26 2. Le Comité a également
constaté des violations de l’article 26 dans un certain nombre d’affaires
portées devant lui contre la République tchèque. Ces affaires concernaient
des ressortissants tchèques qui avaient fui la Tchécoslovaquie sous le joug
communiste et avaient vu leurs biens confisqués selon la législation alors
en vigueur. En vertu de la loi tchèque de 1991 relative à la restitution des
biens, pour prétendre à une restitution ou à une indemnisation, le requérant
devait être citoyen de la République fédérale tchèque et slovaque et
avoir le statut de résident permanent sur son territoire. Plusieurs personnes
ayant perdu la citoyenneté tchèque après avoir quitté le pays ont
soumis des communications au Comité, arguant qu’elles avaient subi une
discrimination en raison de leur absence de citoyenneté. Le Comité a jugé
que la condition de la citoyenneté avait un caractère déraisonnable et discriminatoire,
et constituait une violation de l’article 26 du Pacte 3.
14. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a également
confirmé que le Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels s’appliquait aux non-ressortissants.
Dans son observation
générale no 20 de 2009, il a en effet déclaré que « [l]e motif de la
nationalité ne doit pas empêcher l’accès aux droits consacrés par le
Pacte », tout en soulignant que « [l]es droits visés par le Pacte s’appliquent
à chacun, y compris les non-ressortissants
» 4.
15. Les organes de contrôle institués par les conventions régionales
relatives aux droits de l’homme ont adopté la même position. La Cour
européenne des droits de l’homme (ci‑après la « CEDH ») a jugé que la
discrimination fondée sur la nationalité était prohibée par la convention
2 Comité des droits de l’homme, Gueye et consorts c. France, 3 avril 1989, communication
no 196/1985, par. 9.4.
3 Voir, par exemple, Comité des droits de l’homme, Simunek et consorts c.
République tchèque, 19 juillet 1995, communication no 516/1992, par. 11.6 ; Adam c. République
tchèque, 23 juillet 1996, communication no 586/1994, par. 12.6 ; Blazek et consorts c.
République tchèque, 12 juillet 2001, communication no 857/1999, par. 5.8 ; Des Fours
Walderode c. République tchèque, 30 octobre 2001, communication no 747/1997, par. 8.4.
Voir aussi Comité des droits de l’homme, Karakurt c. Autriche, 4 avril 2002, communication
no 965/2000, par. 8.4 (où le Comité a jugé, dans le contexte d’une candidature à
une élection de comité d’entreprise, que le fait d’opérer une distinction entre étrangers sur
la base de leurs différentes nationalités constituait une discrimination constitutive d’une
violation de l’article 26).
4 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, observation générale no 20 : La
non-discrimination
dans l’exercice des droits économiques, sociaux et culturels (art. 2,
par. 2 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels), 18 mai
2009, par. 30.
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européenne des droits de l’homme 5. La Cour interaméricaine des droits
de l’homme s’est prononcée dans le même sens à propos de la convention
américaine relative aux droits de l’homme 6.
16. En outre, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté en 1985
la Déclaration sur les droits de l’homme des personnes qui ne possèdent
pas la nationalité du pays dans lequel elles vivent (résolution 40/144), qui
énumère les droits applicables aux individus qui se trouvent dans des Etats
dont ils ne sont pas ressortissants. Bon nombre de ces droits sont inspirés
des dispositions figurant dans la Charte internationale des droits de
l’homme (la Déclaration universelle des droits de l’homme, le Pacte international
relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et le Pacte
international relatif aux droits civils et politiques), et il est souligné que la
protection de ces droits sera assurée aux non-ressortissants,
quoiqu’ils
soient désignés quelque peu différemment. La déclaration de 1985 apporte
une preuve supplémentaire que les non-ressortissants
jouissent de la plupart
des droits de l’homme énoncés dans les instruments susmentionnés.
17. S’il est clair que les non-ressortissants
bénéficient des droits de
l’homme conférés par le droit international, celui-
ci autorise toutefois les
Etats à opérer des distinctions entre ressortissants et non-ressortissants
concernant certains droits, tels que les droits politiques et le droit d’entrer
sur leur territoire. L’article 25 du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques prévoit ainsi que « tout citoyen » a le droit de prendre
part à la direction des affaires publiques, de voter et d’être élu, et d’accéder
aux fonctions publiques ; le paragraphe 4 de l’article 12 énonce également
que nul ne peut être arbitrairement privé du droit d’entrer « dans
son propre pays ». Dans son observation générale no 15, le Comité des
droits de l’homme a constaté que « certains des droits reconnus dans le
Pacte ne sont expressément applicables qu’aux citoyens » 7.
18. En outre, le droit international autorise les Etats à opérer des distinctions
entre ressortissants et non-ressortissants
en cas de danger public
exceptionnel. Selon le paragraphe 1 de l’article 4 du Pacte, les Etats
peuvent, dans un tel cas, prendre des mesures dérogeant aux obligations
prévues par le Pacte, sous réserve que ces mesures n’entraînent pas une
discrimination fondée sur « la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion
ou l’origine sociale ». Ni « la nationalité » ni « toute autre situation » ne
figurent dans cette liste. Etant donné que le paragraphe 2 de l’article 4
interdit de déroger à certains droits, même en cas de danger public exceptionnel,
nul ne peut être privé de ces droits inaliénables, y compris les non-5
Voir, par exemple, CEDH, Andrejeva c. Lettonie, Grande Chambre, arrêt du 18 février
2009, requête no 55707/00, par. 87 ; Biao c. Danemark, Grande Chambre, arrêt du 24 mai
2016, requête no 38590/10, par. 93.
6 Voir, par exemple, Cour interaméricaine des droits de l’homme, Juridical Condition
and Rights of Undocumented Migrants, avis consultatif OC-18/03 du 17 septembre 2003,
par. 118 ; Rights and Guarantees of Children in the Context of Migration and/or in Need of
International Protection, avis consultatif OC-21/14 du 19 août 2014, par. 53.
7 Comité des droits de l’homme, observation générale no 15, voir note 1 ci-
dessus,
par. 2.
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96
ressortissants. Pour ce qui est des autres droits, en revanche, rien n’interdit
aux Etats d’introduire des restrictions qui s’appliquent uniquement aux
non-ressortissants
en cas de danger public exceptionnel.
19. De surcroît, même s’agissant des droits conférés aux non-ressortissants
par le droit international, il n’est pas interdit aux Etats d’établir certaines
distinctions fondées sur la nationalité. Les organes de contrôle institués par
les instruments internationaux et régionaux des droits de l’homme ont
recours à des cadres similaires pour déterminer si une distinction donnée
constitue ou non une discrimination. Une différence de traitement est considérée
comme constitutive de discrimination, à moins que les critères qui
fondent la différenciation soient raisonnables et objectifs ; en d’autres
termes, à moins qu’elle poursuive un but légitime ou qu’il y ait un rapport
raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé 8.
Ce cadre général s’applique également à la question de savoir si des distinctions
particulières fondées sur la nationalité constituent une discrimination.
Ainsi, un traitement préférentiel accordé à certains groupes de non-ressortissants
en vertu d’accords internationaux peut être considéré raisonnable
et objectif, et ne constitue donc pas une discrimination 9.
20. Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (ci-
après le
« Comité de la CIEDR »), dans sa recommandation générale XXX concernant
la discrimination contre les non-ressortissants,
a pris note des protections
susmentionnées que le droit international accorde à ces derniers 10. Aux
termes du paragraphe 2 de l’article premier de la CIEDR, celle-
ci « ne s’applique
pas aux distinctions, exclusions, restrictions ou préférences établies
par un Etat partie à la Convention selon qu’il s’agit de ses ressortissants ou
de non-ressortissants
». Dans la recommandation générale, le Comité a souligné
que « [l]e paragraphe 2 de l’article premier doit être interprété de
manière à éviter … de diminuer de quelque façon que ce soit les droits et
libertés reconnus et énoncés en particulier dans la Déclaration universelle
des droits de l’homme, le Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques
» 11. De façon similaire, le Comité a fait observer ce qui suit :
« Quoique certains de[s] droits [énumérés à l’article 5 de la CIEDR],
tels que le droit de participer aux élections, de voter et d’être candi-
8 Voir, par exemple, Comité des droits de l’homme, observation générale no 18 : Non-discrimination,
9 novembre 1989, par. 13 ; CEDH, Biao c. Danemark, voir note 5 ci-
dessus,
par. 90 ; Cour interaméricaine des droits de l’homme, Proposed Amendments to the Naturalization
Provision of the Constitution of Costa Rica, avis consultatif du 19 janvier 1984,
OC‑4/84, par. 57.
9 Voir, par exemple, Comité des droits de l’homme, van Oord c. Pays-Bas, 23 juillet
1997, communication no 658/1995, par. 8.5 ; CEDH, C. c. Belgique, arrêt du 7 août 1996,
requête no 21794/93, par. 38.
10 Comité de la CIEDR, recommandation générale XXX concernant la discrimination
contre les non-ressortissants,
5 août 2004.
11 Ibid., par. 2. Pour l’essentiel, ce paragraphe répète ce que le Comité avait déjà affirmé
en 1993. Recommandation générale XI concernant les non-ressortissants, 9 mars 1993,
par. 3.
application de la ciedr (op. ind. iwasawa) 164
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dat, puissent être réservés aux ressortissants, les droits de l’homme
doivent être, en principe, exercés par tous. Les Etats parties sont
tenus de garantir un exercice égal de ces droits par les ressortissants
et les non-ressortissants
dans toute la mesure prévue par le droit
international. » 12
21. Comme je l’expliquerai plus en détail ci-
après, le présent différend
concerne uniquement « l’interprétation et l’application de [la CIEDR] » et
non d’autres règles du droit international. La Cour n’a pas compétence
pour se prononcer sur la question de savoir si les mesures prises par les
Emirats arabes unis respectent les autres règles du droit international.
II. La « discrimination raciale »
au sens de la convention internationale
sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
1. La Cour est compétente à l’égard des différends touchant
l’interprétation ou l’application de la convention internationale
sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
22. Le présent différend a été porté devant la Cour en application de
l’article 22 de la CIEDR, selon lequel la compétence de la Cour est limitée
aux différends « touchant l’interprétation ou l’application de la … Convention
». Afin de déterminer si le présent différend est de ceux qui concernent
l’interprétation ou l’application de la CIEDR, la Cour doit examiner si
les demandes du Qatar entrent dans le champ d’application de celle-
ci
(arrêt, par. 72). Pour que cela soit le cas, il faut que les mesures dont le
Qatar tire grief soient susceptibles d’être constitutives de « discrimination
raciale » au sens de la convention. En conséquence, la question de savoir
si les mesures en cause sont susceptibles de constituer une discrimination
raciale au titre de la CIEDR est d’une importance capitale en l’espèce.
Dans la négative, la Cour n’a pas compétence, que ces mesures soient ou
non susceptibles de constituer une discrimination fondée sur la nationalité
en vertu d’autres règles du droit international.
23. Tout comme ils l’ont fait devant la Cour, les Emirats arabes unis
ont objecté devant le Comité de la CIEDR que le différend qui les opposait
au Qatar excédait la portée ratione materiae de la convention. Conformément
à l’article 91 du règlement intérieur du Comité de la CIEDR,
celui-
ci a traité l’exception d’incompétence ratione materiae comme une
question de recevabilité 13. Pour la Cour, cependant, cette exception pose
une question de compétence. Si les mesures prises par les Emirats arabes
12 Comité de la CIEDR, recommandation générale XXX, voir note 10 ci-
dessus,
par. 3.
13 Nations Unies, Comité de la CIEDR, décision sur la compétence du Comité pour
connaître de la communication interétatique présentée par le Qatar contre les Emirats
arabes unis, 27 août 2019, doc. CERD/C/99/3, par. 57.
application de la ciedr (op. ind. iwasawa) 165
98
unis ne sont pas susceptibles d’être constitutives de discrimination raciale
en vertu de la CIEDR, le différend échappe à la compétence ratione materiae
de la Cour.
24. Le paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR définit la « discrimination
raciale » comme suit :
« Dans la présente Convention, l’expression « discrimination
raciale » vise toute distinction, exclusion, restriction ou préférence
fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou
ethnique, qui a pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre
la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions
d’égalité, des droits de l’homme et des libertés fondamentales
dans les domaines politique, économique, social et culturel ou dans
tout autre domaine de la vie publique. »
25. La définition de la « discrimination raciale » telle qu’elle figure dans
cette disposition comporte deux aspects. Premièrement, les mesures
doivent constituer une distinction, une exclusion, une restriction ou une
préférence ayant pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre
la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice des droits de l’homme. En
d’autres termes, elles doivent entraîner un traitement différencié. Deuxièmement,
la différence de traitement doit être fondée sur l’un des motifs
prohibés, à savoir « la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale
ou ethnique ».
26. Comme la Cour l’a relevé, il n’est pas contesté que la « décision
d’expulsion » et les « interdictions d’entrée », ainsi que les « mesures tendant
à restreindre la diffusion, à la radio, à la télévision et sur Internet,
des émissions de certaines sociétés de médias qatariennes », constituent un
traitement différencié (arrêt, par. 57 et 59). La question qui se pose, en
revanche, est celle de savoir si ces mesures sont ou non « fondées sur » l’un
des motifs énumérés au paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR, et
sont donc susceptibles d’être constitutives de discrimination raciale.
27. Dans leur première exception préliminaire, les Emirats arabes unis
soutiennent que la Cour n’a pas compétence ratione materiae pour
connaître du présent différend car les mesures en cause opèrent une différenciation
fondée sur la « nationalité actuelle » et n’entrent donc pas dans
le champ d’application de la convention. Le paragraphe 1 de l’article premier
de la CIEDR, contrairement aux dispositions relatives à la non-discrimination
des autres instruments des droits de l’homme examinés
plus haut, ne fait pas précéder l’énumération des motifs prohibés d’un
terme tel que « notamment », et ne contient pas non plus d’expression de
portée générale comme « toute autre situation ». Le libellé du paragraphe 1
de l’article premier indique donc clairement que la liste des motifs de discrimination
prohibés est exhaustive et non illustrative. Pour que la différence
de traitement soit constitutive de « discrimination raciale », elle doit
être fondée sur l’un des motifs prohibés spécifiés, à savoir « la race, la
couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique ». La « nationalité
» ne figure pas sur cette liste. Néanmoins, le Qatar avance que l’ex-
application de la ciedr (op. ind. iwasawa) 166
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pression « origine nationale » englobe la nationalité, y compris la
nationalité actuelle, argument auquel s’opposent les Emirats arabes unis.
Après un examen approfondi de cette question, la Cour conclut que l’expression
« origine nationale » n’englobe pas la nationalité actuelle (arrêt,
par. 74-105). Je souscris à cette conclusion de la Cour. La section suivante
de la présente opinion exposera mon raisonnement et avancera notamment
des motifs supplémentaires en sus de ceux énoncés par la Cour.
2. « Nationalité » et « origine nationale »
28. Les motifs prohibés énumérés au paragraphe 1 de l’article premier
— « la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique
» — sont des caractéristiques inhérentes aux personnes, immuables
et permanentes. L’« origine nationale » ne figure pas séparément dans
cette liste, mais est incluse conjointement avec l’« origine ethnique », selon
la formulation « origine nationale ou ethnique ». Le texte indique donc
une relation étroite entre les expressions « origine nationale » et « origine
ethnique ». Lue dans son sens ordinaire et dans ce contexte, l’expression
« origine nationale » peut être interprétée comme faisant référence au pays
ou au groupe culturel (nation) dont une personne est originaire.
29. La « nationalité », en revanche, est un lien juridique qu’instaure un
Etat avec les personnes qu’il reconnaît comme étant des nationaux. Il
s’agit du statut légal d’un individu en tant que citoyen d’un Etat. La
nationalité est une condition modifiable qui diffère fondamentalement,
par sa nature, des caractéristiques énumérées au paragraphe 1 de l’article
premier, lesquelles sont inhérentes, immuables et permanentes. Cette différence
cruciale donne à penser que la nationalité n’est pas englobée dans
les motifs prohibés dont la liste figure au paragraphe 1 de l’article premier,
en ce compris l’« origine nationale ».
30. Le paragraphe 1 de l’article premier doit également être lu dans le
contexte des autres dispositions de la convention. Ainsi, le paragraphe 2
du même article dispose que « [l]a présente Convention ne s’applique pas
aux distinctions, exclusions, restrictions ou préférences établies par un
Etat partie à la Convention selon qu’il s’agit de ses ressortissants ou de
non-ressortissants
», et le paragraphe 3 prévoit qu’« [a]ucune disposition
de la présente Convention ne peut être interprétée comme affectant de
quelque manière que ce soit les dispositions législatives des Etats parties à
la Convention concernant la nationalité, la citoyenneté ou la naturalisation,
à condition que ces dispositions ne soient pas discriminatoires à l’égard
d’une nationalité particulière » (les italiques sont de moi). On peut raisonnablement
considérer que cette condition a été incorporée au paragraphe
3 car aucune autre disposition de la convention n’interdisait la
discrimination fondée sur la nationalité. En outre, aux termes de l’article
5, les Etats parties s’engagent à garantir le droit de chacun à l’égalité
devant la loi dans la jouissance des droits énoncés dans cette disposition,
parmi lesquels figurent des droits qui sont généralement réservés aux
citoyens, tels que les droits politiques.
application de la ciedr (op. ind. iwasawa) 167
100
31. D’après le Qatar, les paragraphes 2 et 3 de l’article premier énoncent
des exceptions à la définition établie au paragraphe 1 et impliquent que la
nationalité est un motif de discrimination prohibé selon celle-
ci. Or les
paragraphes 2 et 3 traduisent plutôt une volonté, de la part des rédacteurs,
d’exclure de la portée de la convention les différences de traitement fondées
sur la nationalité et de veiller à ce que la convention n’empêche pas les
Etats parties de réglementer les questions de nationalité. Ils n’énoncent pas
des exceptions au paragraphe 1, mais précisent que la définition de la discrimination
raciale figurant dans cette disposition ne doit pas être interprétée
comme englobant les distinctions opérées sur la base de la nationalité.
32. Interpréter l’expression « origine nationale » comme n’englobant
pas la nationalité est également compatible avec l’objet et le but de la
CIEDR, à savoir l’élimination de « toutes les formes et de toutes les manifestations
» de discrimination raciale (préambule ; voir aussi les articles 2
et 5). Bien que la nationalité ne soit pas incluse dans l’expression « origine
nationale », le paragraphe 1 de l’article premier n’en interdit pas moins
toute différenciation de traitement fondée sur la nationalité lorsqu’elle a
« pour but ou pour effet » d’opérer une discrimination sur la base de
l’« origine nationale » (voir la section II.3 ci-
dessous).
33. Les travaux préparatoires de la CIEDR, dont la Cour fait un examen
approfondi, confirment que l’intention des rédacteurs n’était pas
d’inclure la nationalité parmi les motifs de discrimination raciale (arrêt,
par. 89-97). Je tiens à cet égard à appeler l’attention sur deux points en
particulier. Premièrement, la définition de la discrimination raciale établie
par la Commission des droits de l’homme et figurant dans le projet de
convention présenté à la Troisième Commission de l’Assemblée générale
en 1964 contenait la phrase suivante : « [Dans ce paragraphe, l’expression
« origine nationale » ne désigne pas le statut conféré à une personne par sa
qualité de citoyen d’un Etat donné.] » (Voir arrêt, par. 94.) Deuxièmement,
au cours des travaux de la Troisième Commission, la France et les
Etats‑Unis d’Amérique avaient proposé un amendement disposant que
« l’expression « origine nationale » ne désign[ait] ni la « nationalité » ni la
« citoyenneté » » et que la convention n’était pas applicable aux distinctions
« fondées sur des différences de nationalité ou de citoyenneté » 14.
Lors du retrait de cette proposition, le représentant français avait déclaré
que l’autre texte, qui sera finalement adopté comme libellé de l’article premier,
était « tout à fait acceptable » pour les deux pays (voir ibid., par. 90
et 96). Le Comité de la CIEDR a également reconnu qu’« il ressort des
travaux préparatoires de la Convention que, à aucune des étapes de l’élaboration
de cet instrument … la notion d’« origine nationale » n’a été
considérée comme recouvrant la nationalité ou la citoyenneté » 15.
14 Nations Unies, Compte rendu de l’Assemblée générale, vingtième session, Troisième
Commission, « Projet de convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale », doc. A/6181, 18 décembre 1965, p. 12, par. 32.
15 Nations Unies, Comité de la CIEDR, décision sur la recevabilité de la communication
interétatique présentée par le Qatar contre l’Arabie saoudite, 27 août 2019,
doc. CERD/C/99/6, par. 12.
application de la ciedr (op. ind. iwasawa) 168
101
34. La distinction entre « origine nationale » et « nationalité » se justifie
également par les différents degrés d’exigence requis pour se prononcer
sur la licéité d’un traitement différencié au titre de chacun de ces deux
motifs. La discrimination raciale est l’une des formes de discrimination
les plus odieuses. Les différences de traitement fondées sur l’un des motifs
prohibés énoncés au paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR sont
intrinsèquement problématiques et doivent faire l’objet d’un examen des
plus rigoureux. Par exemple, la CEDH a jugé que, « [e]n cas de différence
de traitement fondée sur la race, la couleur ou l’origine ethnique, la notion
de justification objective et raisonnable doit être interprétée de manière
aussi stricte que possible » 16, et est allée jusqu’à affirmer qu’« [a]ucune différence
de traitement fondée exclusivement ou dans une mesure déterminante
sur l’origine ethnique d’un individu ne peut passer pour justifiée
dans une société démocratique contemporaine » 17. Ainsi, si une différence
de traitement est basée sur « la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine
nationale ou ethnique », les Etats doivent assumer la très lourde tâche de
démontrer que cette différenciation poursuit un but légitime et qu’il existe
un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et
le but visé. L’examen doit être des plus rigoureux et satisfaire à un critère
très élevé.
35. Lorsque la différence de traitement est fondée sur la nationalité, le
degré d’exigence requis est différent. Etant donné que les non-ressortissants
ne jouissent généralement pas du droit de voter ou d’être élu et ne sont
donc pas en mesure de protéger leurs intérêts par le biais du processus
politique, un examen rigoureux s’impose. Cependant, les Etats étant
autorisés à établir des distinctions entre ressortissants et non-ressortissants
en ce qui concerne certains droits ou dans certaines circonstances, il n’est
pas nécessaire d’appliquer un degré d’exigence aussi rigoureux que lorsque
les distinctions sont fondées sur « la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine
nationale ou ethnique ». La CEDH a déclaré que « seules des considérations
très fortes p[ouvai]ent l’amener à estimer compatible avec la
Convention une différence de traitement exclusivement fondée sur la
nationalité » 18. Si l’examen doit toujours satisfaire à un critère élevé, le
degré d’exigence requis par la CEDH n’est toutefois pas aussi rigoureux,
et le critère pas aussi élevé, que dans le cas de distinctions fondées sur « la
race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique » 19.
16 CEDH, D. H. et autres c. République tchèque, Grande Chambre, arrêt du 13 novembre
2007, requête no 57325/00, par. 196.
17 CEDH, Biao c. Danemark, voir note 5 ci-
dessus,
par. 94.
18 CEDH, Andrejeva c. Lettonie, voir note 5 ci-
dessus,
par. 87 ; Biao c. Danemark, voir
note 5 ci-
dessus,
par. 93.
19 Voir aussi CEDH, Biao c. Danemark, voir note 5 ci-
dessus,
opinion dissidente
commune aux juges Villiger, Mahoney et Kjølbro, par. 30 (« les Etats bénéficient d’une
ample marge d’appréciation en matière de différences de traitement fondées sur une « autre
situation » [en l’occurrence l’ancienneté de la nationalité], ce qui n’est pas le cas s’agissant
de différences de traitement fondées sur l’origine « nationale » ou « ethnique » »).
application de la ciedr (op. ind. iwasawa) 169
102
36. Comme il est dit dans l’arrêt, la Cour a pris en compte, dans sa
jurisprudence, la pratique des organes et juridictions établis en vertu de
conventions internationales et régionales relatives aux droits de l’homme,
dans la mesure où celle-
ci était pertinente aux fins de l’interprétation
(arrêt, par. 77). En l’espèce, cependant, la Cour estime que la jurisprudence
des juridictions régionales des droits de l’homme « n’est … guère
utile pour l’interprétation de l’expression « origine nationale » figurant
dans la CIEDR », parce que la finalité des instruments régionaux « est
d’assurer la portée étendue de la protection des droits de l’homme et des
libertés fondamentales » (ibid., par. 104). La CIEDR proscrit la discrimination
raciale et diffère à l’évidence des conventions générales relatives
aux droits de l’homme, qui interdisent de nombreux types de discrimination.
Cependant, l’interdiction générale de discrimination inclut celle de la
discrimination raciale et les autres conventions relatives aux droits de
l’homme citent également l’« origine nationale » parmi les motifs de discrimination
prohibés. Par conséquent, la pratique des organes et juridictions
établis en vertu de conventions internationales et régionales relatives aux
droits de l’homme est pertinente aux fins de l’interprétation de l’article
premier de la CIEDR.
37. Interpréter l’expression « origine nationale » figurant au paragraphe
1 de l’article premier de la CIEDR comme ne recouvrant pas la
nationalité est également compatible avec l’interprétation qu’ont fait ces
organes et juridictions de formulations similaires utilisées dans d’autres
conventions relatives aux droits de l’homme. Ainsi qu’il a été noté plus
haut (voir la section I), les conventions internationales relatives aux droits
de l’homme contiennent généralement des dispositions relatives à la non-discrimination
énumérant des motifs de discrimination prohibés, parmi
lesquels figure l’« origine nationale », mais pas la « nationalité ». Lorsqu’ils
interprètent ces dispositions, ces organes et juridictions distinguent généralement
la « nationalité » de l’« origine nationale » et ne considèrent pas
que cette dernière englobe la première.
38. Les dispositions relatives à la non-discrimination
contenues dans les
instruments fondamentaux des droits de l’homme adoptés par les
Nations Unies ne mentionnent pas la nationalité parmi les motifs prohibés
de discrimination, exception faite de la convention internationale sur
la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres
de leur famille, qui cite, parmi les motifs proscrits, la « nationalité » et
l’« origine nationale » (art. 1 et 7). En interprétant cette convention, le
Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et
des membres de leur famille a expressément traité l’« origine nationale » et
le « statut au regard de la citoyenneté » comme deux motifs de discrimination
distincts 20.
20 Voir, par exemple, observation générale conjointe no 3 (2017) du Comité pour la protection
des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille et no 22 (2017)
du Comité des droits de l’enfant sur les principes généraux relatifs aux droits de l’homme des
enfants dans le contexte des migrations internationales, 16 novembre 2017, par. 3.
application de la ciedr (op. ind. iwasawa) 170
103
39. De même, le Comité des droits de l’homme ne considère pas que
l’expression « origine nationale », telle qu’elle est utilisée dans le Pacte
international relatif aux droits civils et politiques, englobe la nationalité.
Au lieu de cela, il a adopté la position selon laquelle la nationalité est
visée par l’expression « toute autre situation », qui figure, au même titre
que l’« origine nationale », parmi les motifs de discrimination prohibés
énoncés à l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques. Dans l’affaire Gueye et consorts c. France concernant les allocations
de retraite versées à d’anciens militaires de l’armée française de
nationalité sénégalaise (voir le paragraphe 13 ci-
dessus),
le Comité a jugé
qu’il y avait eu discrimination sur la base de la nationalité, tout en
concluant que « rien ne venait étayer l’allégation selon laquelle l’Etat partie
s’était livré à des pratiques de discrimination raciale à l’encontre des
auteurs ». Le Comité a, par ailleurs, expressément indiqué que la différenciation
sur le fondement de la nationalité « [étai]t visée par l’expression
« toute autre situation » figurant à l’article 26 » 21.
40. L’affaire Karakurt c. Autriche, également portée devant le Comité
des droits de l’homme, est plus éclairante encore. Cette instance concernait
un ressortissant turc ayant soumis une plainte au motif que la législation
autrichienne du travail, en interdisant aux non-ressortissants
autrichiens d’occuper des postes au sein des comités d’entreprise, portait
atteinte à ses droits en vertu de l’article 26 du Pacte. Or, lors de la ratification
du Pacte, l’Autriche avait émis une réserve, précisant que « [l]’article
26 [étai]t interprété comme n’excluant pas la distinction de traitement
selon qu’il s’agit de ressortissants autrichiens ou de ressortissants étrangers,
permise en vertu du paragraphe 2 de l’article 1 de la [CIEDR] ». Le
Comité a estimé qu’il ne pouvait, du fait de cette réserve, examiner la
plainte en ce qu’elle concernait la distinction entre ressortissants autrichiens
et non-ressortissants,
mais que rien ne l’empêchait d’en connaître
s’agissant de la distinction établie par l’Autriche entre les ressortissants de
pays membres de l’Espace économique européen (EEE) et les non-ressortissants
de l’EEE. Deux membres du Comité, en désaccord avec la
première constatation du Comité, avaient soutenu que l’intention de
l’Autriche était d’harmoniser ses obligations découlant du Pacte avec
celles qui lui incombaient en vertu de la CIEDR. Partant, selon eux, « le
Comité se vo[ya]it empêché d’apprécier si une distinction faite entre ressortissants
autrichiens et étrangers [était] assimilable à une discrimination
fondée sur « la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou
ethnique » », ajoutant que la nationalité ne relevait pas des motifs de discrimination
raciale visés par la CIEDR et que, en conséquence, la réserve
de l’Autriche ne faisait pas obstacle à la compétence du Comité à connaître
de la plainte de l’auteur concernant la distinction entre ressortissants et
non-ressortissants
autrichiens. D’après eux, « le paragraphe 2 de l’article
premier de [la CIEDR] indique clairement que la nationalité n’est pas
21 Comité des droits de l’homme, Gueye et consorts c. France, voir note 2 ci-
dessus,
par. 9.4 ; les italiques sont de moi.
application de la ciedr (op. ind. iwasawa) 171
104
englobée dans la notion d’« origine nationale » », mais « les distinctions
fondées sur la nationalité relèvent de la notion « toute autre situation »
visée à l’article 26 et non des motifs de discrimination visés au paragraphe
1 de l’article premier de la [CIEDR] ». Et de conclure que « la
réserve de l’Autriche à l’article 26 n’influe pas sur la compétence du
Comité à déterminer si une distinction faite entre nationaux et étrangers
constitue une discrimination proscrite au sens de l’article 26 du Pacte
mais fondée sur des motifs autres que ceux visés également dans la
[CIEDR] » 22.
41. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, tout comme
le Comité des droits de l’homme, est d’avis que l’« origine nationale », qui
figure parmi les motifs de discrimination prohibés énoncés au paragraphe
2 de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels, « renvoie au pays, à la nation ou au lieu
d’origine d’un individu » 23, et que la nationalité entre dans la catégorie
« toute autre situation » 24.
42. Ainsi qu’il a été indiqué plus haut, les conventions régionales relatives
aux droits de l’homme prévoient également des clauses de non-discrimination,
dans lesquelles figurent des listes de motifs de
discrimination prohibés, considérées comme illustratives, et les juridictions
et organes de contrôle que ces instruments ont établis ont confirmé
que les droits de l’homme y énoncés s’appliquent également aux non-ressortissants
(voir les paragraphes 10 et 15 ci-
dessus).
En règle générale,
ces juridictions et organes ne considèrent pas que la nationalité relève de
l’« origine nationale ». Ainsi, dans l’affaire Luczak c. Pologne, la CEDH a
déclaré qu’« une différence de traitement fondée sur la nationalité … est
l’un des motifs de discrimination prohibés par l’article 14, qui en dresse
une liste non exhaustive » 25.
43. Le Comité de la CIEDR a confirmé, dans sa jurisprudence, que les
différences de traitement fondées sur la nationalité ne constituent pas, en
elles-mêmes, une « discrimination raciale » au sens de la CIEDR. Dans
l’affaire Diop c. France, un ressortissant sénégalais affirmait être victime
d’une violation, par la France, de la CIEDR au motif que sa demande
d’inscription au tableau de l’ordre des avocats de Nice avait été rejetée
parce qu’il ne possédait pas la nationalité française. Le Comité a conclu
22 Comité des droits de l’homme, Karakurt c. Autriche, voir note 3 ci-
dessus,
opinion individuelle
(en partie dissidente) de sir Nigel Rodley et M. Martin Scheinin, membres du Comité.
23 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, observation générale no 20, voir
note 4 ci-
dessus,
par. 24.
24 Ibid., par. 15 et 30.
25 CEDH, Luczak c. Pologne, quatrième section, arrêt du 27 novembre 2007, requête
no 77782/01, par. 46. Voir aussi CEDH, Andrejeva c. Lettonie, voir note 5 ci-
dessus,
par. 87‑92 (où est examinée, en vertu de l’article 14 de la convention européenne, une
distinction fondée sur « le seul et unique critère » de la nationalité sans que soit aucunement
mentionnée l’origine nationale). Pour la Cour interaméricaine des droits de l’homme,
voir, par exemple, Juridical Condition and Rights of Undocumented Migrants, voir note 6
ci-
dessus,
par. 101 (où figurent séparément dans la liste des motifs « nationalité » et
« origine … nationale »).
application de la ciedr (op. ind. iwasawa) 172
105
qu’il n’y avait pas eu violation, déclarant que « le refus d’inscrire [l’auteur]
au barreau reposait sur le fait qu’il n’avait pas la nationalité française, et
non sur l’un quelconque des motifs énumérés au paragraphe 1 de l’article
premier » 26. De la même façon, dans l’affaire Quereshi c. Danemark, le
Comité de la CIEDR a jugé ne pas être en mesure d’établir que les autorités
danoises s’étaient fourvoyées en concluant que les propos injurieux
tenus à l’égard des « étrangers » lors du congrès d’un parti ne constituaient
pas un acte de discrimination raciale, « une allusion générale aux étrangers
ne désign[ant] pas à l’heure actuelle un groupe spécifique de personnes
… défini par une race, une appartenance ethnique, une couleur,
une ascendance ou une origine nationale ou ethnique spécifiques » 27.
44. Pour les raisons indiquées par la Cour (arrêt, par. 74‑105) et les
motifs exposés ci-
dessus,
j’estime que la nationalité actuelle n’est pas
englobée dans l’« origine nationale » visée au paragraphe 1 de l’article premier
de la CIEDR et que les différences de traitement fondées sur la
nationalité actuelle ne constituent pas, en elles-mêmes, une « discrimination
raciale » au sens de la CIEDR.
45. Selon l’article 22 de la CIEDR, la Cour n’a compétence que si les
mesures contestées sont susceptibles de constituer une « discrimination
raciale » au sens de la convention. Dans la section qui suit, j’examinerai la
question de savoir si les différences de traitement fondées sur la nationalité,
bien que non constitutives, en elles-mêmes, de discrimination raciale
au sens de la CIEDR, peuvent avoir pour but ou pour effet d’opérer une
discrimination sur la base de l’un des motifs prohibés énumérés au paragraphe
1 de l’article premier de la CIEDR et constituer ainsi une discrimination
raciale.
3. Les distinctions fondées sur la « nationalité » peuvent avoir pour but ou
pour effet d’opérer une discrimination sur la base de l’« origine nationale »
46. En ce qui concerne la discrimination indirecte, la majorité de la
Cour considère que, « quand bien même les mesures dont le Qatar tire
grief dans le cadre de son allégation de « discrimination indirecte » seraient
avérées, elles ne peuvent être constitutives de discrimination raciale »
(arrêt, par. 112) et conclut que la première exception préliminaire soulevée
par les Emirats arabes unis doit donc être retenue (ibid., par. 114). Je
conteste respectueusement cette conclusion. L’allégation de discrimination
indirecte formulée par le Qatar nécessite un examen approfondi au
stade du fond. La Cour aurait dû dire que la première exception préliminaire
présentée par les Emirats arabes unis n’avait pas un caractère exclusivement
préliminaire.
26 Comité de la CIEDR, Diop c. France, 18 mars 1991, communication no 2/1989,
par. 6.6.
27 Comité de la CIEDR, Quereshi c. Danemark, 9 mars 2005, communication
no 33/2003, par. 7.3. Voir aussi Comité de la CIEDR, P. S. N. c. Danemark, 8 août 2007,
communication no 36/2006, par. 6.4.
application de la ciedr (op. ind. iwasawa) 173
106
47. J’examinerai d’abord la notion de discrimination indirecte telle
qu’elle a été adoptée et développée par les juridictions et organes internationaux
chargés des droits de l’homme et sa définition selon la CIEDR.
Dans la section suivante, j’exposerai les raisons pour lesquelles le grief de
discrimination indirecte formulé par le Qatar aurait dû être examiné en
détail au stade du fond.
48. La définition de la discrimination raciale énoncée au paragraphe 1
de l’article premier de la CIEDR établit deux conditions. Premièrement,
il doit s’agir d’une distinction, exclusion, restriction ou préférence « fondée
sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique
». Deuxièmement, la différence de traitement doit avoir « pour but
ou pour effet » de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la
jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité, des droits de
l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique,
social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique.
49. Si une différence de traitement fondée sur la nationalité a « pour but
ou pour effet » d’opérer une discrimination sur la base de l’un des motifs
prohibés figurant au paragraphe 1 de l’article premier, elle est susceptible
de constituer une « discrimination raciale » au sens de la convention. La
CIEDR a pour but et pour effet l’élimination « de toutes les formes et de
toutes les manifestations » de discrimination raciale (préambule ; voir
aussi art. 2 et 5). Veiller à ce qu’une différence de traitement fondée sur la
nationalité n’a pas « pour but ou pour effet » d’opérer une discrimination
sur la base de l’un des motifs prohibés énumérés au paragraphe 1 de l’article
premier est compatible avec l’objet et le but de la convention, et exigé
par celle-
ci.
50. Comme l’a reconnu M. le juge Crawford, « une restriction peut être
constitutive d’une discrimination raciale si elle a pour « effet » d’entraver
la jouissance ou l’exercice, sur un pied d’égalité, des droits énoncés dans
la CIEDR » 28. De façon similaire, MM. les juges Tomka, Gaja et Gevorgian
ont fait observer, dans leur déclaration commune jointe à la première
ordonnance en indication de mesures conservatoires en l’espèce,
que « [d]es différences de traitement appliquées à des personnes d’une
nationalité donnée p[ouvai]ent également obéir à certaines raisons liées à
l’origine ethnique et donc tomber sous le coup de la CIEDR » 29.
51. La notion de discrimination indirecte a été largement adoptée et
développée par les juridictions et organes internationaux chargés des
droits de l’homme, y compris le Comité de la CIEDR. Toute règle, mesure
ou politique apparemment neutre qui nuit de manière disproportionnée et
28 Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme
et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination
raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du
19 avril 2017, C.I.J. Recueil 2017, déclaration de M. le juge Crawford, p. 215, par. 7.
29 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale (Qatar c. Emirats arabes unis), mesures conservatoires, ordonnance
du 23 juillet 2018, C.I.J. Recueil 2018 (II), déclaration commune de MM. les juges Tomka,
Gaja et Gevorgian, p. 437, par. 6.
application de la ciedr (op. ind. iwasawa) 174
107
injustifiable à un groupe protégé constitue une discrimination, quand bien
même elle ne viserait pas spécifiquement ce groupe. Pour apprécier si cette
incidence est disproportionnée, il est nécessaire de procéder à une comparaison
entre différents groupes. Le contexte et les circonstances dans lesquels
la différenciation a été mise en oeuvre doivent être pris en compte
pour déterminer si la mesure en question est constitutive de discrimination.
52. Le Comité de la CIEDR a reconnu, dans sa pratique, la nécessité de
traiter non seulement de la discrimination directe, mais également de la
discrimination indirecte. Dans sa recommandation générale XIV de 1993,
concernant le paragraphe 1 de l’article premier de la convention, le Comité
a dit que « [p]our savoir si une mesure a un effet contraire à la Convention,
il se demandera si elle a une conséquence distincte abusive sur un
groupe différent par la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale
ou ethnique » 30. Dans l’affaire L. R. et consorts c. République slovaque,
il a rappelé ceci :
« [L]a définition de la discrimination raciale donnée à l’article premier
n’englobe pas seulement les mesures qui sont explicitement discriminatoires,
mais aussi les mesures qui ne sont pas discriminatoires
à première vue mais le sont dans les faits et dans leurs effets, c’est-àdire
des mesures qui représentent une discrimination indirecte. Pour
évaluer l’existence d’une discrimination indirecte, le Comité doit
prendre pleinement en compte les circonstances et le contexte particuliers
entourant la requête, puisque, par définition, la discrimination
indirecte ne peut être démontrée que par des preuves
indirectes. » 31
53. Les autres organes conventionnels des droits de l’homme ont également
souscrit à la notion de discrimination indirecte. Comme l’a rappelé
le Comité des droits de l’homme,
« l’article 26 interdit la discrimination tant directe qu’indirecte, cette
dernière notion caractérisant une règle ou une mesure qui semble neutre
a priori ou dénuée de toute intention discriminatoire mais qui peut
néanmoins entraîner une discrimination du fait de son effet négatif,
exclusif ou disproportionné, sur une certaine catégorie de personnes » 32.
Selon le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, « [c]ertaines
formes directes ou indirectes de traitement différencié peuvent être consti-
30 Comité de la CIEDR, recommandation générale XIV concernant le paragraphe 1 de
l’article premier de la convention, 17 mars 1993, par. 2.
31 Comité de la CIEDR, L. R. et consorts. c. République slovaque, 7 mars 2005, communication
no 31/2003, par. 10.4. Voir aussi Comité de la CIEDR, recommandation générale
XXXII, signification et portée des mesures spéciales dans la convention internationale
sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, août 2009, par. 7.
32 Comité des droits de l’homme, Derksen c. Pays-Bas, 1er avril 2004, communication
no 976/2001, par. 9.3. Voir aussi Comité des droits de l’homme, Althammer et consorts
c. Autriche, 8 août 2003, communication no 998/2001, par. 10.2.
108
application de la ciedr (op. ind. iwasawa) 175
tutives de discrimination au regard du paragraphe 2 de l’article 2 [du
Pacte] », définissant la discrimination indirecte comme s’entendant « de
lois, de politiques ou de pratiques qui semblent neutres a priori mais qui
ont un effet discriminatoire disproportionné sur l’exercice des droits
consacrés par le Pacte eu égard à des motifs de discrimination interdits
» 33. De la même manière, le Comité pour l’élimination de la discrimination
à l’égard des femmes a déclaré que « [les Etats parties] d[evai]ent
veiller à ce qu’il n’y ait ni discrimination directe ni discrimination indirecte
[à l’égard des femmes] », et expliqué dans quels cas se produit la
discrimination indirecte 34.
54. Les juridictions régionales des droits de l’homme ont également
admis la notion de discrimination indirecte. La CEDH a ainsi déclaré
qu’« une mesure ou politique ayant des effets préjudiciables disproportionnés
sur un groupe donné peut être considérée comme discriminatoire,
qu’elle vise spécifiquement ou non ce groupe » 35. De même, de l’avis de la
Cour interaméricaine des droits de l’homme,
« une violation du droit à l’égalité et à la non-discrimination
se produit
également dans les situations et les cas de discrimination indirecte,
reflétée dans l’effet disproportionné de normes, d’actions, de
politiques ou de mesures qui, quand bien même leur formulation est
neutre ou semble l’être, ou leur portée est générale et n’opère pas de
distinction, ont des effets négatifs sur certains groupes vulnérables » 36.
55. Le Comité de la CIEDR a appliqué la notion de discrimination
indirecte dans le contexte du traitement réservé aux non-ressortissants.
Dans l’affaire B. M. S. c. Australie, le Comité a examiné un système de
quota, mis en place par le Gouvernement australien, limitant le nombre
de médecins formés à l’étranger qui étaient autorisés à aller au-
delà de la
première épreuve des examens de passage en vue de devenir médecin
agréé dans ce pays. Ayant estimé que les éléments produits ne permettaient
pas de conclure que « le système désavantage[ait] des personnes
d’une race ou d’une origine nationale particulière », le Comité a jugé que
les faits, tels qu’ils lui avaient été communiqués, ne faisaient pas apparaître
de violation de la CIEDR. Il a néanmoins recommandé à l’Australie
de prendre des mesures et d’améliorer la transparence de la procédure
33 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, observation générale no 20, voir
note 4 ci-
dessus,
par. 10.
34 Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, recommandation
générale no 28 concernant les obligations fondamentales des Etats parties découlant de
l’article 2 de la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard
des femmes, 19 octobre 2010, par. 16.
35 CEDH, J.D. et A c. Royaume Uni, première section, arrêt du 24 octobre 2019,
requêtes nos 32949/17 et 34614/17, par. 85.
36 Cour interaméricaine des droits de l’homme, Nadege Dorzema et al. v. Dominican
Republic, arrêt du 24 octobre 2012, par. 235.
application de la ciedr (op. ind. iwasawa) 176
109
d’agrément de façon à garantir que « le système ne soit en rien discriminatoire
à l’égard des candidats étrangers, quelles que soient leur race ou leur
origine nationale ou ethnique » 37. En outre, le Comité n’a eu de cesse de
demander aux Etats parties de lui faire rapport sur la situation des non-ressortissants,
en particulier des migrants et des réfugiés, qui appartiennent
souvent à un seul groupe ethnique et sont susceptibles de subir
une discrimination raciale sur la base de l’un des motifs prohibés énumérés
au paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR. Il a rejeté une interprétation
du paragraphe 2 de cet article qui « dégage[rait] les Etats parties
de toute obligation de fournir des informations sur les lois relatives aux
étrangers », affirmant que « les Etats parties ont l’obligation de fournir des
renseignements complets sur les lois en question et leur application » 38.
Après examen des rapports soumis par les Etats parties, le Comité adopte
régulièrement des observations finales qui comprennent des recommandations
relatives au traitement des non-ressortissants.
Ces pratiques du
Comité de la CIEDR peuvent être éclairées par la notion de discrimination
indirecte. Si une différence de traitement fondée sur la nationalité ne
constitue pas, en elle-même, une discrimination raciale au sens de la
CIEDR, elle est constitutive de discrimination raciale si elle a « pour but
ou pour effet » d’opérer une discrimination sur la base de l’un des motifs
prohibés par le paragraphe 1 de l’article premier.
56. En septembre 2001, la conférence mondiale contre le racisme, la
discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée,
tenue à Durban en Afrique du Sud, a adopté la déclaration de Durban,
selon laquelle « le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance
qui y est associée reposent sur des considérations de race, de couleur,
d’ascendance ou d’origine nationale ou ethnique » (déclaration de
Durban, par. 2 ; les italiques sont de moi), et
« la xénophobie dont les non-ressortissants,
en particulier les
migrants, les réfugiés et les demandeurs d’asile, sont l’objet est l’une
des grandes sources du racisme contemporain et … les violations des
droits fondamentaux de ces groupes relèvent pour la plupart de pratiques
discriminatoires, xénophobes et racistes » (ibid., par. 16).
Les rédacteurs de cette déclaration ont considéré que la xénophobie à
l’égard des non-ressortissants
« [étai]t l’une des grandes sources du racisme
contemporain », probablement en raison du fait que, souvent, celle-
ci a
pour but ou pour effet d’opérer une discrimination fondée sur « la race, la
couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique ». Ainsi, la préoccupation
exprimée dans la déclaration de Durban au sujet de la xénophobie
contre les non-ressortissants
peut également être expliquée par la
notion de discrimination indirecte.
37 Comité de la CIEDR, B. M. S. c. Australie, 12 mars 1999, communication no 8/1996,
par. 9.2, 10, 11.1.
38 Comité de la CIEDR, recommandation générale XI, voir note 11 ci-
dessus,
par. 2.
application de la ciedr (op. ind. iwasawa) 177
110
57. En 2004, sous l’influence de la déclaration de Durban, le Comité de
la CIEDR a adopté la recommandation générale XXX concernant
la discrimination
contre les non-ressortissants
39. Au paragraphe 4 de
celle-
ci, le Comité affirmait ce qui suit :
« Aux termes de la Convention, l’application d’un traitement différent
fondé sur le statut quant à la citoyenneté ou à l’immigration
constitue une discrimination si les critères de différenciation, jugés à
la lumière des objectifs et des buts de la Convention, ne visent pas un
but légitime et ne sont pas proportionnés à l’atteinte de ce but. » 40
L’expression « jugés à la lumière des objectifs et des buts de la Convention
», dans ce contexte, peut s’entendre comme se rapportant aux situations
dans lesquelles les différences de traitement fondées sur la nationalité
ont pour but ou pour effet d’opérer une discrimination sur la base d’un
motif prohibé figurant au paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR,
à savoir la discrimination indirecte.
58. Enfin, la notion de discrimination indirecte sous-tend vraisemblablement
la décision du Comité de la CIEDR sur la recevabilité de la communication
interétatique soumise par le Qatar contre les Emirats arabes
unis en application de l’article 11 de la CIEDR. Le Comité, s’appuyant
principalement sur sa pratique antérieure, en particulier le paragraphe 4
de la recommandation générale XXX 41, a conclu que les griefs soulevés
par le Qatar « ne sort[ai]ent pas du champ de [s]a compétence ratione
materiae ». Comme il a été relevé ci‑dessus, le paragraphe 4 peut être analysé
à la lumière de la notion de discrimination indirecte. Il se peut que le
Comité soit parvenu à cette conclusion précisément parce que le traitement
différencié fondé sur la nationalité actuelle est susceptible de constituer
indirectement une discrimination raciale.
4. L’exception soulevée par les Emirats arabes unis
n’a pas un caractère exclusivement préliminaire
59. Conformément à la notion de discrimination indirecte expliquée à
la section précédente, si la différence de traitement fondée sur la nationalité
actuelle a un effet préjudiciable disproportionné sur un groupe différent
par « la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou
ethnique », elle est constitutive de discrimination raciale au sens du paragraphe
1 de l’article premier de la CIEDR.
60. En la présente espèce, le Qatar a explicitement reconnu que « c’est
39 Comité de la CIEDR, recommandation générale XXX, voir note 10 ci-
dessus.
40 Ibid., par. 4. Le Comité a ainsi eu recours au cadre qu’il avait utilisé pour statuer sur
la discrimination au titre du paragraphe 1 de l’article premier pour se prononcer sur les
différences de traitement fondées sur la citoyenneté. Comité de la CIEDR, recommandation
générale XIV, voir note 30 ci-
dessus,
par. 2.
41 Nations Unies, Comité de la CIEDR, décision sur la recevabilité de la communication
interétatique soumise par le Qatar contre les Emirats arabes unis, 27 août 2019,
doc. CERD/C/99/4, par. 57‑63.
application de la ciedr (op. ind. iwasawa) 178
111
sur l’« origine nationale » que le Qatar fonde ses réclamations » 42. Il soutient
que les Emirats arabes unis se sont livrés à une discrimination indirecte
à l’égard des personnes d’origine nationale qatarienne. Il ne prétend
pas que les mesures adoptées par les Emirats arabes unis étaient discriminatoires
au titre d’un autre motif prohibé, à savoir « la race, la couleur,
l’ascendance ou l’origine ethnique ». Les Emirats arabes unis, pour leur
part, affirment que les mesures dont le Qatar tire grief ne constituent pas
une discrimination indirecte fondée sur l’origine nationale. Ils soutiennent
qu’aucune mesure n’a été prise, pour ce qui est de leur but ou de leur
effet, contre un quelconque membre d’un groupe autre que celui défini
par la nationalité qatarienne.
61. Il appartient donc à la Cour de déterminer si les mesures prises par
les Emirats arabes unis sur le fondement de la nationalité actuelle nuisent
de manière disproportionnée et injustifiable à un groupe identifiable différent
par l’origine nationale. Pour ce faire, il lui faut d’abord identifier un
groupe différent par l’« origine nationale » et bénéficiant d’une protection
en vertu de la convention, puis évaluer si les mesures en cause ont un effet
préjudiciable disproportionné et injustifiable sur ce groupe protégé par
rapport à d’autres groupes.
62. S’agissant de la première question, le Qatar soutient que les Qatariens
se distinguent par leur « origine nationale » au sens historico-culturel,
définie par leur héritage ou ascendance, leur affiliation familiale ou tribale,
leurs traditions et leur culture nationales et leurs liens géographiques
avec la péninsule du Qatar. Selon lui, plusieurs facteurs, notamment le
dialecte ou l’accent, les vêtements traditionnels ou l’appartenance à certaines
familles, distinguent les Qatariens des autres communautés nationales
de la région du Golfe. Pour étayer cette affirmation, le Qatar
invoque principalement un rapport d’expert 43. Les Emirats arabes unis,
quant à eux, avancent que les Qatariens et les Emiriens partagent des
liens géographiques ainsi qu’une hérédité, une langue, un patrimoine, des
traditions et une culture communs, à tel point qu’ils constituent le même
peuple, même si les nationalités sont différentes. Ils ne produisent toutefois
aucun élément de preuve à l’appui de cette affirmation. Les Emirats
arabes unis admettent que « [l]a discrimination déguisée relève bien du
champ d’application de la CIEDR », mais soutiennent qu’« il n’y a pas de
discrimination, qu’elle soit ouverte ou déguisée, directe ou indirecte, à
l’égard d’une catégorie protégée par la CIEDR » 44. L’existence même d’un
groupe protégé par la CIEDR est donc contestée par les Parties. Sur la
base des écritures et plaidoiries des Parties et des éléments de preuve présentés,
la Cour n’est pas en mesure de déterminer si un groupe protégé
par la CIEDR peut être différent par l’origine nationale. Au vu du dossier
de l’affaire, elle ne dispose pas de tous les faits nécessaires pour se prononcer
sur la première question.
42 CR 2020/9, p. 17, par. 19 (Amirfar).
43 Mémoire du Qatar (ci-
après « MQ »), vol. VI, annexe 162, rapport d’expert de
M. J. E. Peterson, 9 avril 2019.
44 CR 2020/8, p. 14, par. 10 (Bethlehem) ; les italiques sont dans l’original.
application de la ciedr (op. ind. iwasawa) 179
112
63. La seconde question est celle de savoir si les mesures contestées ont
un effet préjudiciable disproportionné et injustifiable sur le groupe protégé
par rapport aux autres groupes. Le Qatar allègue que les mesures en
cause ont des « incidences disproportionnées » sur les droits des Qatariens
45. De leur côté, les Emirats arabes unis affirment que ces mesures
visent les nationaux qatariens, et non les personnes d’origine nationale
qatarienne. Ils soutiennent que les personnes d’origine nationale qatarienne,
mais ne détenant pas la nationalité qatarienne, n’ont été ni visées
ni touchées par les mesures, contrairement aux personnes de nationalité
qatarienne mais possédant une autre origine nationale.
64. Pour que les mesures contestées en l’espèce soient constitutives de
discrimination indirecte, elles doivent avoir un effet préjudiciable disproportionné
et injustifiable sur le groupe protégé identifié par rapport aux
autres groupes. S’il incombe au Qatar de prouver un tel effet disproportionné,
c’est aux Emirats arabes unis qu’il revient de démontrer que ces
mesures étaient fondées exclusivement sur la nationalité. Le contexte et
les circonstances dans lesquels la différenciation a été mise en oeuvre
doivent être pris en compte pour déterminer si la mesure en cause est
constitutive de discrimination. L’examen de ces questions requiert une
analyse factuelle approfondie. De même que, pour la première question
traitée ci-
dessus,
les faits dont dispose la Cour ne lui permettent pas de se
prononcer sur la seconde question. En outre, ces questions constituent
l’objet même du différend au fond, et c’est donc au stade du fond qu’elles
devraient être tranchées. La Cour ne devrait statuer à leur sujet qu’après
la présentation des arguments et des éléments de preuve de chaque Partie
à ce stade ultérieur.
65. La majorité de la Cour est d’avis que, « [e]n la présente espèce, bien
que les mesures fondées sur la nationalité actuelle des ressortissants qatariens
puissent produire des effets collatéraux ou secondaires sur des personnes
nées au Qatar ou de parents qatariens, ou sur des proches de
ressortissants qatariens résidant aux Emirats arabes unis, il ne s’agit pas
là d’une discrimination raciale au sens de la convention » parce qu’elles
« n’entraînent pas, par leur but ou par leur effet, une discrimination
raciale à l’égard des Qatariens en tant que groupe social distinct au motif
de leur origine nationale ». Selon elle, « quand bien même les mesures
dont le Qatar tire grief dans le cadre de son allégation de « discrimination
indirecte » seraient avérées, elles ne peuvent être constitutives de discrimination
raciale au sens de la convention » (arrêt, par. 112). Elle conclut en
conséquence que la Cour « n’est pas compétente ratione materiae pour
connaître de la … demande du Qatar [relative à la discrimination indirecte]
» (ibid., par. 113).
66. Je suis en désaccord avec l’analyse de la majorité et avec sa conclusion
concernant la demande du Qatar relative à la discrimination indirecte.
S’il était avéré que les mesures ont un effet préjudiciable
45 MQ, par. 3.109 ; exposé écrit du Qatar [sur les exceptions préliminaires soulevées par
les Emirats arabes unis] (ci-
après « EEQ »), par. 2.111.
application de la ciedr (op. ind. iwasawa) 180
113
disproportionné et injustifiable sur un groupe identifiable différent par
l’origine nationale, et qu’elles n’étaient pas exclusivement basées sur la
nationalité, les mesures constitueraient une discrimination raciale au sens
de la convention, relevant de la notion de discrimination indirecte. La
majorité ne propose pas d’analyse approfondie pour appuyer sa conclusion
selon laquelle, bien que les mesures fondées sur la nationalité actuelle
des ressortissants qatariens puissent produire « des effets collatéraux ou
secondaires » sur les Qatariens, elles n’entraînent pas, « par leur but ou
par leur effet », une discrimination raciale à l’égard des Qatariens « en tant
que groupe social distinct au motif de [l’]origine nationale ». En tirant
cette conclusion, la majorité a, de fait, tranché le différend au fond au
stade des exceptions préliminaires.
67. Comme elle l’a fait observer en l’affaire relative à l’Application de la
convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et
de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination
raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), la Cour, au stade
des exceptions préliminaires, doit seulement déterminer si les mesures
contestées sont susceptibles de porter atteinte aux droits protégés par la
CIEDR, et n’a pas besoin de s’assurer que ces mesures constituent effectivement
une « discrimination raciale » au sens du paragraphe 1 de l’article
premier de la CIEDR, ni dans quelle mesure certains actes pourraient
être couverts par les paragraphes 2 et 3 de l’article premier de la convention.
La Cour a expliqué que « [c]es deux questions port[ai]ent sur des
points de fait, largement tributaires des éléments de preuve relatifs au but
ou à l’effet des mesures alléguées … et rel[evai]ent donc de l’examen au
fond » 46. Il en va de même de la demande du Qatar relative à la discrimination
indirecte en l’espèce.
68. Il convient également de tenir compte du fait que le Qatar a considérablement
étoffé son allégation de discrimination indirecte lors de la
phase des exceptions préliminaires. Dans la première ordonnance en indication
de mesures conservatoires rendue par la Cour en l’espèce, cinq
juges ont émis l’avis que l’expression « origine nationale » n’englobait pas
la nationalité 47. MM. les juges Tomka, Gaja et Gevorgian ont souligné en
outre que la « possibilité [de discrimination indirecte] … n’a … pas été
évoquée par le Qatar » 48. Durant la procédure orale sur les exceptions
préliminaires en l’espèce, les Emirats arabes unis ont soutenu que « le
46 Application de la convention internationale pour la répression du financement du
terrorisme
et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination
raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2019 (II), p. 595, par. 94 ; les italiques sont de moi.
47 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale (Qatar c. Emirats arabes unis), mesures conservatoires, ordonnance
du 23 juillet 2018, C.I.J. Recueil 2018 (II), voir note 29 ci-
dessus,
déclaration commune
de MM. les juges Tomka, Gaja et Gevorgian, p. 436, par. 4-5 ; opinion dissidente de M. le
juge Crawford, p. 475, par. 1 ; opinion dissidente de M. le juge Salam, p. 481‑483, par. 2-7.
48 Ibid., déclaration commune de MM. les juges Tomka, Gaja et Gevorgian, p. 437,
par. 6.
application de la ciedr (op. ind. iwasawa) 181
114
Qatar ne fai[sai]t nullement état de discrimination indirecte dans sa
requête » et que, « pour tenter de remettre à flot un argument qui prend
l’eau de toutes parts, le conseil du Qatar … affirm[ait] … que la discrimination
dénoncée par le Qatar [étai]t de nature indirecte » 49. Il convient
cependant de noter que, dans sa requête, le Qatar avait, de fait, mentionné
une discrimination « de jure ou de facto » au motif de l’origine
nationale et que, dans sa demande en indication de mesures conservatoires,
il avait prié la Cour d’ordonner aux Emirats arabes unis de cesser
et de s’abstenir de commettre tout acte pouvant entraîner, « directement
ou indirectement », une forme quelconque de discrimination raciale à
l’égard de Qatariens ou d’entités du Qatar 50. Dans son mémoire, le Qatar
a également affirmé que les mesures prises par les Emirats arabes unis
avaient un « effet » discriminatoire sur les Qatariens 51. Pour autant, il est
vrai que le demandeur a développé son argumentation sur la discrimination
indirecte de façon significative au stade des exceptions préliminaires,
notamment dans son exposé écrit 52 et, plus encore, dans ses plaidoiries. A
cet égard, la Cour fait remarquer, fort à propos, que « l’objet d’un différend
n’est pas limité par les termes expressément utilisés par l’Etat demandeur
dans sa requête » (arrêt, par. 61) et que le « Règlement [de la Cour]
n’interdit pas au Qatar d’affiner l’argumentation juridique présentée dans
sa requête ou d’avancer de nouveaux arguments » (ibid., par. 63 et 68).
69. Il importe cependant de garder à l’esprit que, lors de la phase des
exceptions préliminaires, les parties n’ont qu’une seule occasion de
confronter leurs vues dans le cadre d’écritures. Après le dépôt par le
Qatar de son exposé écrit en réponse aux exceptions préliminaires soulevées
par les Emirats arabes unis, ces derniers n’avaient pas la possibilité
de réfuter par écrit les arguments qu’y avançait le demandeur, y compris
ceux ayant trait à la discrimination indirecte. A l’audience, les Parties ont
présenté l’une et l’autre leurs arguments à cet égard, mais seulement dans
une mesure limitée et pas de manière approfondie. La demande du Qatar
relative à la discrimination indirecte aurait dû être examinée en détail par
la Cour au stade du fond, une fois celle-
ci pleinement informée des faits,
éléments de preuve et arguments pertinents des Parties.
70. Aux termes du paragraphe 4 de l’article 79ter du Règlement de la
Cour, lorsque celle-
ci est appelée à statuer sur une exception préliminaire, elle
la retient ou la rejette, ou elle peut « déclarer que, dans les circonstances de
l’espèce, [cette] exception n’a pas un caractère exclusivement préliminaire ».
71. La Cour a exprimé antérieurement sa position au sujet de l’examen
des exceptions préliminaires comme suit :
« En principe, une partie qui soulève des exceptions préliminaires a
droit à ce qu’il y soit répondu au stade préliminaire de la procédure,
49 CR 2020/8, p. 28, par. 25 (Sheeran).
50 Requête du Qatar, p. 61, par. 66 ; demande en indication de mesures conservatoires
du Qatar, par. 19.
51 MQ, chap. III, sect. I.B.2.
52 EEQ, chap. II, sect. III.
application de la ciedr (op. ind. iwasawa) 182
115
sauf si la Cour ne dispose pas de tous les éléments nécessaires pour se
prononcer sur les questions soulevées ou si le fait de répondre à l’exception
préliminaire équivaudrait à trancher le différend, ou certains de ses
éléments, au fond. » 53
Dans la présente affaire, la Cour ne dispose pas de tous les éléments
nécessaires pour se prononcer sur les deux questions que soulève l’allégation
de discrimination indirecte formulée par le Qatar. Il s’agit là précisément
de questions qui devraient être examinées en détail par la Cour au
stade du fond. En outre, si l’exception des Emirats arabes unis comporte
« à la fois des aspects préliminaires et des aspects de fond », elle est « inextricablement
liée [au fond] » 54. La présente espèce satisfait donc aux critères
établis par la Cour pour déterminer qu’une exception préliminaire
n’a pas un caractère exclusivement préliminaire.
72. Pour les raisons exposées ci-
dessus,
la Cour aurait dû dire que, dans
les circonstances de la présente espèce, la première exception préliminaire
des Emirats arabes unis ne présentait pas un caractère exclusivement préliminaire.
73. Cette conclusion concorde avec les conclusions finales formulées
par le demandeur à la fin de ses plaidoiries, dans lesquelles il priait la
Cour « a) de rejeter les exceptions préliminaires soulevées par les Emirats
arabes unis ; … d) ou, à titre subsidiaire, de rejeter la deuxième exception
préliminaire … et de juger … que la première exception préliminaire … n’a
pas un caractère exclusivement préliminaire » 55. La demande du Qatar
relative à la discrimination indirecte aurait dû être examinée en détail par
la Cour au stade du fond, sur la base des faits et des éléments de preuve
présentés par les Parties. La conclusion énoncée ci-
dessus
au paragraphe
72 ne devrait pas être interprétée comme préjugeant d’une quelconque
manière celles auxquelles la Cour aurait pu parvenir sur le fond.
(Signé) Iwasawa Yuji.
53 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 852, par. 51 ; les italiques sont de moi.
54 Voir Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971
résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Etats-Unis d’Amérique),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 133‑134, par. 49 ; Questions
d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident
aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 28‑29, par. 50.
55 CR 2020/9, p. 45, par. 9 (Al-Khulaifi).

Bilingual Content

157
90
SEPARATE OPINION OF JUDGE IWASAWA
Non‑citizens are entitled to human rights under international law — The
jurisdiction of the Court is limited to disputes with respect to the interpretation or
application of CERD — For the Court to have jurisdiction, the measures of which
the Applicant complains must be capable of constituting racial discrimination
within the meaning of CERD — The term “national origin” in Article 1,
paragraph 1, of CERD does not encompass current nationality — If differentiation
of treatment based on nationality has the “purpose or effect” of discrimination
based on “national origin”, it is capable of constituting racial discrimination within
the meaning of CERD — International human rights courts and bodies have
embraced and developed the notion of indirect discrimination — The Court does
not have all the facts necessary to make determinations on the Applicant’s claim of
indirect discrimination — The issues raised constitute the very subject‑matter of
the dispute on the merits — The Court should have declared that the first
preliminary objection does not possess an exclusively preliminary character.
1. The Court finds that the term “national origin” in Article 1, paragraph
1, of the International Convention on the Elimination of All Forms
of Racial Discrimination (hereinafter “CERD” or the “Convention”)
does not encompass current nationality (Judgment, para. 105). The Court
also examines whether the measures taken by the UAE discriminate indirectly
against Qataris on the basis of their “national origin”, and holds
that “even if the measures of which Qatar complains in support of its
‘indirect discrimination’ claim were to be proven on the facts, they are not
capable of constituting racial discrimination within the meaning of the
Convention” (ibid., para. 112). Accordingly, the Court concludes that the
first preliminary objection raised by the UAE, that the dispute falls outside
the scope ratione materiae of CERD, must be upheld (ibid., para. 114).
2. I agree that the term “national origin” in Article 1, paragraph 1, of
CERD does not encompass current nationality. However, I do not agree
with the Court’s analysis and its conclusion regarding Qatar’s claim of
indirect discrimination. The UAE’s objection, inasmuch as it relates to
Qatar’s claim of indirect discrimination, raises issues that require a
detailed examination by the Court at the merits stage. The Court therefore
should have declared that the first preliminary objection of the UAE
does not possess an exclusively preliminary character.
3. This opinion is structured as follows. I shall first review the position
of non‑citizens under international law. I will explain that since human
157
90
OPINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGE IWASAWA
[Traduction]
Non-ressortissants
fondés à jouir des droits de l’homme conférés par le droit
international — Compétence de la Cour étant limitée aux différends touchant
l’interprétation ou l’application de la CIEDR — Mesures dont le demandeur tire
grief devant être susceptibles de constituer une discrimination raciale au sens de la
CIEDR pour fonder la compétence de la Cour — Expression « origine nationale »
figurant au paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR n’englobant pas la
nationalité actuelle — Différence de traitement fondée sur la nationalité ayant
« pour but ou pour effet » d’opérer une discrimination fondée sur l’« origine
nationale » étant susceptible de constituer une discrimination raciale au sens de la
CIEDR — Juridictions et organes internationaux chargés des droits de l’homme
ayant adopté et développé la notion de discrimination indirecte — Cour ne
disposant pas de tous les faits nécessaires pour se prononcer sur l’allégation de
discrimination indirecte formulée par le demandeur — Questions soulevées
constituant l’objet même du différend sur le fond — Cour ayant dû dire que la
première exception n’avait pas un caractère exclusivement préliminaire.
1. La Cour estime que l’expression « origine nationale » figurant au
paragraphe 1 de l’article premier de la convention internationale sur l’élimination
de toutes les formes de discrimination raciale (ci-
après la
« CIEDR » ou la « convention ») n’englobe pas la nationalité actuelle
(arrêt, par. 105). Examinant en outre la question de savoir si les mesures
imposées par les Emirats arabes unis constituent à l’égard des Qatariens
une discrimination indirecte fondée sur leur « origine nationale », elle
considère que, « quand bien même les mesures dont le Qatar tire grief
dans le cadre de son allégation de « discrimination indirecte » seraient avérées,
elles ne peuvent être constitutives de discrimination raciale au sens
de la convention » (ibid., par. 112). La Cour en conclut que la première
exception préliminaire soulevée par les Emirats arabes unis, à savoir que
le différend n’entre pas dans le champ ratione materiae de la CIEDR, doit
être retenue (ibid., par. 114).
2. Si je conviens que l’expression « origine nationale » employée au
paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR n’englobe pas la nationalité
actuelle, je ne rejoins pas l’analyse ni la conclusion de la Cour concernant
la demande du Qatar relative à la discrimination indirecte.
L’exception préliminaire des Emirats arabes unis, en ce qu’elle se rapportait
à cette demande, soulevait des questions qui auraient nécessité un
examen approfondi par la Cour au stade du fond. La Cour aurait donc
dû dire que la première exception préliminaire des Emirats arabes unis ne
présentait pas un caractère exclusivement préliminaire.
3. La présente opinion est structurée comme suit. Dans la première partie,
j’examinerai le statut des non-ressortissants
en droit international.
158 application of the cerd (sep. op. iwasawa)
91
rights are inalienable rights of everyone, non‑citizens are also entitled to
human rights under international law. In the second Section, I will first
show that, because the jurisdiction of the Court in the present case is
limited to the interpretation or application of CERD, in order for the
Court to have jurisdiction, the measures taken by the UAE must be capable
of constituting “racial discrimination” under CERD. Secondly, I shall
explain the reasoning for my view that current nationality is not encompassed
within the term “national origin” in Article 1, paragraph 1, of
CERD. Thirdly, I shall discuss the notion of indirect discrimination and
describe how differentiation of treatment based on current nationality can
have the “purpose or effect” of discriminating on the basis of a prohibited
ground listed in Article 1, paragraph 1, of CERD. Finally, I shall explain
the reasons why the Court should have declared that the first preliminary
objection of the UAE does not possess an exclusively preliminary character.
I. Human Rights of Non‑Citizens
under International Law
4. The protection of the rights of non‑citizens has a long history in
international law, which pre-dates the protections accorded to States’
own nationals. In the nineteenth and early twentieth centuries, an international
minimum standard of treatment of aliens developed in international
law. By contrast, international law at that time contained few rules
regulating States’ treatment of their own nationals, which was traditionally
considered to be part of the internal affairs of States.
5. At the Paris Peace Conference held in 1919‑1920, proposals were
made to include in the Covenant of the League of Nations clauses on
freedom of religion and racial equality. These proposals were ultimately
defeated, and the Covenant failed to stipulate even minimum rules concerning
human rights. Instead, a number of mostly Central and Eastern
European States concluded treaties or made declarations committing
themselves to protect minorities within their territories. In addition, the
International Labour Organization, which was established in 1919, began
adopting conventions on the rights of workers. Thus, while some efforts
were made in the interwar period to protect human rights under international
law, this protection was extended only to certain rights or covered
only a limited number of States.
6. In 1945, this situation changed dramatically with the adoption of the
Charter of the United Nations. The Charter was revolutionary in that it
application de la ciedr (op. ind. iwasawa) 158
91
J’expliquerai que, étant donné que les droits de l’homme sont des droits
inaliénables que chacun possède, les non-ressortissants
peuvent aussi s’en
prévaloir en vertu du droit international. Dans la seconde partie, je montrerai
tout d’abord que, la compétence de la Cour en l’espèce étant limitée
aux différends touchant l’interprétation ou l’application de la CIEDR, il
faut, pour qu’elle puisse s’exercer, que les mesures prises par les Emirats
arabes unis soient susceptibles d’être constitutives de « discrimination
raciale » au sens de la convention. J’exposerai ensuite les motifs pour lesquels,
selon moi, la nationalité actuelle n’est pas comprise dans l’expression
« origine nationale » employée au paragraphe 1 de l’article premier de
la CIEDR. Après cela, j’aborderai la notion de discrimination indirecte et
je décrirai comment une différence de traitement fondée sur la nationalité
actuelle peut avoir « pour but ou pour effet » d’opérer une discrimination
sur le fondement d’un motif prohibé au titre du paragraphe 1 de l’article
premier de la CIEDR. Enfin, j’expliquerai les raisons pour lesquelles
la Cour aurait dû déclarer que la première exception préliminaire des
Emirats arabes unis ne présentait pas un caractère exclusivement préliminaire.
I. Les droits de l’homme des non-ressortissants
en droit international
4. Le droit international protège depuis longtemps les droits des non-ressortissants,
cette protection préexistant à celles accordées par les Etats
à leurs propres nationaux. Du XIXe siècle au début du XXe siècle, une
norme minimale internationale en matière de traitement des étrangers
s’est fait jour en droit international. Celui-
ci ne contenait alors que peu de
règles régissant le traitement par les Etats de leurs propres nationaux,
traditionnellement considéré comme relevant des affaires internes des
Etats.
5. Lors de la conférence de la paix de Paris tenue en 1919-1920, il fut
proposé d’inclure dans le Pacte de la Société des Nations des dispositions
sur la liberté de religion et l’égalité raciale. Ces propositions ayant finalement
été rejetées, aucune règle, pas même des plus basiques, n’a été inscrite
dans le pacte concernant les droits de l’homme. A défaut, un certain
nombre d’Etats, principalement d’Europe centrale et orientale, conclurent
des traités ou formulèrent des déclarations par lesquelles ils s’engageaient
à protéger les minorités sur leur territoire. En outre, l’Organisation internationale
du Travail, créée en 1919, adopta ses premières conventions sur
les droits des travailleurs. Si certains efforts furent faits pendant la période
de l’entre-deux-guerres
pour inclure la protection des droits de l’homme
dans le droit international, force est de constater que cette protection se
limitait alors à certains droits ou ne s’appliquait qu’à un nombre limité de
pays.
6. En 1945, la donne changea radicalement avec l’adoption de la Charte
des Nations Unies, traité révolutionnaire en ceci que le développement et
159 application of the cerd (sep. op. iwasawa)
92
not only included the promotion and encouragement of respect for human
rights as one of the purposes of the Organization, but also declared that
human rights were guaranteed for “all without distinction” (Art. 1,
para. 3, and Art. 55 (c)). The adoption of the Charter marked the beginning
of a process of continual expansion of international human rights
law.
7. In 1948, the General Assembly of the United Nations adopted the
Universal Declaration of Human Rights (hereinafter the “UDHR”),
which set out a catalogue of human rights to be protected by States under
the Charter. Influenced by the idea of natural rights, it provided that
“[a]ll human beings are born free and equal in dignity and rights”
(Art. 1; emphasis added) and that “[e]veryone is entitled to all the rights
and freedoms set forth in this Declaration, without distinction of any kind,
such as race, colour, sex, language, religion, political or other opinion,
national or social origin, property, birth or other status” (Art. 2; emphasis
added). From the phrase “such as”, it is clear that the list of prohibited
grounds of discrimination in Article 2 of the UDHR is illustrative, and
not exhaustive. Moreover, the list includes the catch‑all term “other status”.
Thus, even though nationality is not expressly mentioned in the list
of prohibited grounds, it may be concluded that discrimination based on
nationality is prohibited by the UDHR and that non‑citizens are also
entitled to the human rights enshrined therein.
8. In 1966, the General Assembly adopted the International Covenant
on Economic, Social and Cultural Rights (hereinafter the “ICESCR”)
and the International Covenant on Civil and Political Rights (hereinafter
the “ICCPR”). The ICCPR provides in Article 2, paragraph 1, that
“[e]ach State Party . . . undertakes to respect and to ensure to all
individuals . . . the rights recognized in the present Covenant, without
distinction of any kind, such as race, colour, sex, language, religion,
political or other opinion, national or social origin, property, birth or
other status” (emphasis added).
Article 26 of the ICCPR, a self‑standing non‑discrimination clause, contains
comparable language. As with the UDHR, it may be concluded
that, in principle, non‑citizens are entitled to the human rights provided
for in the ICCPR, and that the States parties are prohibited from discriminating
on the basis of nationality.
9. The wording used by the ICESCR is slightly different. Article 2,
paragraph 2, provides that the States parties “undertake to guarantee
that the rights enunciated in the present Covenant will be exercised without
discrimination of any kind as to race, colour, sex, language, religion,
application de la ciedr (op. ind. iwasawa) 159
92
l’encouragement du respect des droits de l’homme figuraient parmi les
buts de l’Organisation, mais également parce que les droits de l’homme y
étaient garantis pour « tous sans distinction » (art. 1, par. 3, et art. 55 c)).
L’adoption de la Charte marqua le début d’une expansion du droit international
des droits de l’homme, qui se poursuivit par la suite.
7. En 1948, l’Assemblée générale des Nations Unies adopta la Déclaration
universelle des droits de l’homme, qui énumérait les droits de
l’homme devant être protégés par les Etats en vertu de la Charte. Inspirée
de la doctrine des droits naturels, celle-
ci disposait que « [t]ous les êtres
humains naissent libres et égaux en dignité et en droits » (article premier ;
les italiques sont de moi) et que « [c]hacun peut se prévaloir de tous les
droits et de toutes les libertés proclamés dans la … Déclaration, sans distinction
aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de
religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale
ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation »
(art. 2 ; les italiques sont de moi). Il ressort clairement de l’utilisation du
terme « notamment » que la liste de motifs de discrimination prohibés
figurant à l’article 2 de la déclaration est illustrative et non exhaustive.
Par ailleurs, la liste contient l’expression « toute autre situation », qui
revêt une portée générale. Ainsi, même si la nationalité n’est pas expressément
mentionnée dans la liste des motifs proscrits, on peut conclure que
la discrimination fondée sur la nationalité est prohibée par la Déclaration
universelle des droits de l’homme et que les non-ressortissants
jouissent
également des droits de l’homme consacrés par cet instrument.
8. En 1966, l’Assemblée générale adopta le Pacte international relatif
aux droits économiques, sociaux et culturels et le Pacte international relatif
aux droits civils et politiques. Ce dernier prévoit, au paragraphe 1 de
son article 2, que
« [l]es Etats parties … s’engagent à respecter et à garantir à tous les
individus … les droits reconnus dans le … Pacte, sans distinction
aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion,
d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale
ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation »
(les italiques sont de moi).
L’article 26 du même instrument, clause de non-discrimination
autonome,
contient des dispositions similaires. Comme c’est le cas pour la Déclaration
universelle des droits de l’homme, on peut conclure que, en principe,
les non-ressortissants
peuvent se prévaloir des droits de l’homme garantis
par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et qu’il est
interdit aux Etats parties d’opérer une discrimination fondée sur la nationalité.
9. La formulation employée dans le Pacte international relatif aux
droits économiques, sociaux et culturels diffère légèrement. Le paragraphe
2 de l’article 2 prévoit ainsi que les Etats parties « s’engagent à
garantir que les droits … énoncés [dans le Pacte] seront exercés sans dis-
160 application of the cerd (sep. op. iwasawa)
93
political or other opinion, national or social origin, property, birth or
other status” (emphasis added). The words “as to” are more restrictive
than the words “such as” used in the UDHR and the ICCPR. Nevertheless,
because the list of prohibited grounds of discrimination, like those in
the UDHR and the ICCPR, contains the catch‑all term “other status”, it
may be concluded that this list is also illustrative, and not exhaustive.
Moreover, Article 2, paragraph 3, provides that “[d]eveloping countries
. . . may determine to what extent they would guarantee the economic
rights recognized in the present Covenant to non‑nationals”.
Interpreting this clause a contrario, it may be concluded that the human
rights provided for in the ICESCR are also guaranteed in principle to
non‑nationals.
10. Regional conventions on human rights likewise contain non‑discrimination
clauses, such as Article 14 of the European Convention
on Human Rights and Articles 1 and 24 of the American Convention
on Human Rights. The lists of prohibited grounds of discrimination in
these clauses also contain catch‑all terms: “other status” in Article 14 of
the European Convention and “other social condition” in Article 1 of the
American Convention. Thus, these lists of prohibited grounds are equally
considered to be illustrative, and not exhaustive. Accordingly, like the
international conventions discussed above, regional conventions are
understood to protect the rights of non‑citizens.
11. The international human rights bodies and courts established by
these treaties to monitor their implementation by States have confirmed
that non‑citizens are entitled to the human rights provided for therein and
that discrimination based on nationality is prohibited.
12. With regard to the ICCPR, in 1986 the Human Rights Committee
adopted General Comment No. 15 on the position of aliens under the Covenant,
in which it affirmed that “[i]n general, the rights set forth in the
Covenant apply to everyone . . . irrespective of his or her nationality”,
and that “the general rule is that each one of the rights of the Covenant
must be guaranteed without discrimination between citizens and aliens” 1.
13. Subsequently, in a number of individual communication cases, the
Human Rights Committee has held that discrimination based on nationality
is prohibited by Article 26 of the ICCPR. In Gueye et al. v. France,
1 Human Rights Committee, General Comment No. 15 on the position of aliens under
the Covenant, 22 July 1986, paras. 1‑2.
application de la ciedr (op. ind. iwasawa) 160
93
crimination aucune fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la
religion, l’opinion politique ou toute autre opinion, l’origine nationale ou
sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation » (les italiques sont
de moi). L’expression « fondée sur » a un sens plus restrictif que le terme
« notamment » utilisé dans la Déclaration universelle des droits de
l’homme et dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Néanmoins, étant donné que la liste des motifs de discrimination
prohibés, comme ceux qui figurent dans la déclaration et dans le pacte,
contient l’expression de portée générale « toute autre situation », on peut
conclure que cette liste est également illustrative et non exhaustive. De
plus, le paragraphe 3 de l’article 2 dispose que « [l]es pays en voie de développement
… peuvent déterminer dans quelle mesure ils garantiront les
droits économiques reconnus dans le … Pacte à des non-ressortissants
».
Si l’on interprète cette clause a contrario, on peut conclure que les droits
de l’homme énoncés dans le Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels sont également garantis, en principe, aux
non‑nationaux.
10. Les conventions régionales relatives aux droits de l’homme prévoient
elles aussi des clauses de non-discrimination,
telles que l’article 14
de la convention européenne des droits de l’homme ou les articles 1 et 24
de la convention américaine relative aux droits de l’homme. Parmi les
motifs de discrimination prohibés qui sont énumérés dans ces dispositions
figurent également des expressions de portée générale : « ou toute autre
situation » dans l’article 14 de la convention européenne, et « toute autre
condition sociale » dans l’article 1 de la convention américaine. Ces listes
de motifs prohibés sont donc également considérées comme illustratives
et non exhaustives. En conséquence, de même que les conventions internationales
examinées ci-
dessus,
les conventions régionales doivent être
interprétées comme protégeant les droits des non-ressortissants.
11. Les juridictions et organes internationaux chargés des droits de
l’homme que ces instruments ont établis pour contrôler leur mise en
oeuvre par les Etats ont confirmé que les non-ressortissants
jouissaient des
droits de l’homme ainsi protégés et que la discrimination fondée sur la
nationalité était interdite.
12. S’agissant du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
le Comité des droits de l’homme a adopté, en 1986, l’observation
générale no 15 sur la situation des étrangers au regard du Pacte, dans
laquelle il affirmait que, « [e]n général, les droits énoncés dans le Pacte
s’appliquent à toute personne … quelle que soit sa nationalité » et que « la
règle générale est que chacun des droits énoncés dans le Pacte doit être
garanti, sans discrimination entre les citoyens et les étrangers » 1.
13. Par la suite, le Comité des droits de l’homme s’est prononcé sur un
certain nombre de communications individuelles et a jugé que la discrimination
fondée sur la nationalité était prohibée par l’article 26 du Pacte
1 Comité des droits de l’homme, observation générale no 15 : Situation des étrangers au
regard du Pacte, 22 juillet 1986, par. 1‑2.
161 application of the cerd (sep. op. iwasawa)
94
retired soldiers of Senegalese nationality who had served in the French
Army prior to the independence of Senegal claimed that France was in
breach of Article 26 because the pensions they received were inferior to
those enjoyed by retired soldiers of French nationality. The Committee
considered that this practice constituted discrimination based on nationality
in violation of Article 26 2. The Committee also found violations of
Article 26 in a number of cases brought against the Czech Republic.
These cases concerned Czech nationals who had fled Czechoslovakia
under communist pressure and had their property confiscated under the
legislation then applicable. The Czech Restitution Act of 1991 provided
for restitution of property or compensation, but only if a person was a
citizen of the Czech and Slovak Republic and was a permanent resident
in its territory. Persons who lost Czech citizenship after leaving the country
submitted communications to the Committee, claiming that they had
been discriminated against because of their lack of citizenship. The Committee
found the condition of citizenship unreasonable and discriminatory,
in violation of Article 26 of the ICCPR 3.
14. The Committee on Economic, Social and Cultural Rights (hereinafter
the “CESCR”) has similarly confirmed that the ICESCR applies to
non‑citizens. In General Comment No. 20 of 2009, the CESCR declared
that “[t]he ground of nationality should not bar access to Covenant
rights”, while noting that this was “without prejudice to the application
of art. 2, para. 3, of the Covenant”. It confirmed that “[t]he Covenant
rights apply to everyone including non‑nationals” 4.
15. The monitoring bodies established by regional conventions on
human rights have taken the same position. The European Court of
Human Rights (hereinafter the “ECtHR”) has held that discrimination
based on nationality is prohibited by the European Convention on
2 Human Rights Committee, Gueye et al. v. France, 3 April 1989, Communication
No. 196/1985, para. 9.4.
3 E.g. Human Rights Committee, Simunek et al. v. Czech Republic, 19 July 1995,
Communication No. 516/1992, para. 11.6; Adam v. Czech Republic, 23 July 1996, Communication
No. 586/1994, para. 12.6; Blazek et al. v. Czech Republic, 12 July 2001, Communication
No. 857/1999, para. 5.8; Des Fours Walderode v. Czech Republic, 30 October
2001, Communication No. 747/1997, para. 8.4. See also Human Rights Committee, Karakurt
v. Austria, 4 April 2002, Communication No. 965/2000, para. 8.4 (finding a distinction
between aliens made solely on the basis of their different nationalities concerning
their capacity to stand for election to a works council to be discrimination in violation of
Article 26).
4 CESCR, General Comment No. 20 on non‑discrimination in economic, social and
cultural rights (Art. 2, para. 2, of the International Covenant on Economic, Social and
Cultural Rights), 18 May 2009, para. 30.
application de la ciedr (op. ind. iwasawa) 161
94
international relatif aux droits civils et politiques. En l’affaire Gueye et
consorts c. France, des militaires à la retraite de nationalité sénégalaise qui
avaient servi dans l’armée française avant l’indépendance du Sénégal ont
présenté une plainte reprochant à la France d’avoir enfreint l’article 26 au
motif que les allocations de retraite qu’ils percevaient étaient inférieures à
celles dont bénéficiaient les militaires à la retraite de nationalité française.
Le Comité a estimé que cette pratique constituait une discrimination fondée
sur la nationalité, en violation de l’article 26 2. Le Comité a également
constaté des violations de l’article 26 dans un certain nombre d’affaires
portées devant lui contre la République tchèque. Ces affaires concernaient
des ressortissants tchèques qui avaient fui la Tchécoslovaquie sous le joug
communiste et avaient vu leurs biens confisqués selon la législation alors
en vigueur. En vertu de la loi tchèque de 1991 relative à la restitution des
biens, pour prétendre à une restitution ou à une indemnisation, le requérant
devait être citoyen de la République fédérale tchèque et slovaque et
avoir le statut de résident permanent sur son territoire. Plusieurs personnes
ayant perdu la citoyenneté tchèque après avoir quitté le pays ont
soumis des communications au Comité, arguant qu’elles avaient subi une
discrimination en raison de leur absence de citoyenneté. Le Comité a jugé
que la condition de la citoyenneté avait un caractère déraisonnable et discriminatoire,
et constituait une violation de l’article 26 du Pacte 3.
14. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a également
confirmé que le Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels s’appliquait aux non-ressortissants.
Dans son observation
générale no 20 de 2009, il a en effet déclaré que « [l]e motif de la
nationalité ne doit pas empêcher l’accès aux droits consacrés par le
Pacte », tout en soulignant que « [l]es droits visés par le Pacte s’appliquent
à chacun, y compris les non-ressortissants
» 4.
15. Les organes de contrôle institués par les conventions régionales
relatives aux droits de l’homme ont adopté la même position. La Cour
européenne des droits de l’homme (ci‑après la « CEDH ») a jugé que la
discrimination fondée sur la nationalité était prohibée par la convention
2 Comité des droits de l’homme, Gueye et consorts c. France, 3 avril 1989, communication
no 196/1985, par. 9.4.
3 Voir, par exemple, Comité des droits de l’homme, Simunek et consorts c.
République tchèque, 19 juillet 1995, communication no 516/1992, par. 11.6 ; Adam c. République
tchèque, 23 juillet 1996, communication no 586/1994, par. 12.6 ; Blazek et consorts c.
République tchèque, 12 juillet 2001, communication no 857/1999, par. 5.8 ; Des Fours
Walderode c. République tchèque, 30 octobre 2001, communication no 747/1997, par. 8.4.
Voir aussi Comité des droits de l’homme, Karakurt c. Autriche, 4 avril 2002, communication
no 965/2000, par. 8.4 (où le Comité a jugé, dans le contexte d’une candidature à
une élection de comité d’entreprise, que le fait d’opérer une distinction entre étrangers sur
la base de leurs différentes nationalités constituait une discrimination constitutive d’une
violation de l’article 26).
4 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, observation générale no 20 : La
non-discrimination
dans l’exercice des droits économiques, sociaux et culturels (art. 2,
par. 2 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels), 18 mai
2009, par. 30.
162 application of the cerd (sep. op. iwasawa)
95
Human Rights 5. So has the Inter‑American Court of Human Rights
(hereinafter the “IACtHR”) with regard to the American Convention on
Human Rights 6.
16. Furthermore, the General Assembly of the United Nations adopted
in 1985 the Declaration on the Human Rights of Individuals Who Are
not Nationals of the Country in which They Live (resolution 40/144),
which lists rights applicable to individuals present in States of which they
are not nationals. A substantial number of the rights mentioned therein
replicate provisions contained in the International Bill of Human Rights
(the UDHR, the ICESCR and the ICCPR), emphasizing their applicability
to non‑citizens, albeit using somewhat different wording. This declaration
provides further evidence that non‑citizens are entitled to most of the
human rights contained in these instruments.
17. While it is clear that non‑citizens are entitled to human rights under
international law, international law does allow States to draw distinctions
between citizens and non‑citizens in respect of certain rights, such as
political rights and the right to enter a country. For example, Article 25
of the ICCPR provides that “[e]very citizen” shall have the right to take
part in the conduct of public affairs, to vote and to be elected, and to
have access to public service; and Article 12, paragraph 4, states that no
one shall be arbitrarily deprived of the right to enter “his own country”.
In General Comment No. 15 of 1986, the Human Rights Committee
acknowledged that “some of the rights recognized in the Covenant are
expressly applicable only to citizens” 7.
18. In addition, international law allows States to draw distinctions
between citizens and non‑citizens in time of public emergency. Article 4,
paragraph 1, of the ICCPR permits States, in time of public emergency,
to take measures derogating from their obligations under the Covenant,
provided such measures do not involve discrimination on the ground of
“race, colour, sex, language, religion or social origin”. Neither “nationality”
nor “other status” is included in this list. Since Article 4, paragraph 2,
makes certain rights non‑derogable even in time of public emergency, no
one, including non‑citizens, can be deprived of these non‑derogable rights.
With regard to the other rights, however, States are not prohibited from
5 E.g. ECtHR, Andrejeva v. Latvia, Grand Chamber, judgment of 18 February 2009,
No. 55707/00, para. 87; Biao v. Denmark, Grand Chamber, judgment of 24 May 2016,
No. 38590/10, para. 93.
6 E.g. IACtHR, Juridical Condition and Rights of Undocumented Migrants, advisory
opinion of 17 September 2003, OC‑18/03, para. 118; Rights and Guarantees of Children in
the Context of Migration and/or in Need of International Protection, advisory opinion of
19 August 2014, OC‑21/14, para. 53.
7 Human Rights Committee, General Comment No. 15, supra note 1, para. 2.
application de la ciedr (op. ind. iwasawa) 162
95
européenne des droits de l’homme 5. La Cour interaméricaine des droits
de l’homme s’est prononcée dans le même sens à propos de la convention
américaine relative aux droits de l’homme 6.
16. En outre, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté en 1985
la Déclaration sur les droits de l’homme des personnes qui ne possèdent
pas la nationalité du pays dans lequel elles vivent (résolution 40/144), qui
énumère les droits applicables aux individus qui se trouvent dans des Etats
dont ils ne sont pas ressortissants. Bon nombre de ces droits sont inspirés
des dispositions figurant dans la Charte internationale des droits de
l’homme (la Déclaration universelle des droits de l’homme, le Pacte international
relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et le Pacte
international relatif aux droits civils et politiques), et il est souligné que la
protection de ces droits sera assurée aux non-ressortissants,
quoiqu’ils
soient désignés quelque peu différemment. La déclaration de 1985 apporte
une preuve supplémentaire que les non-ressortissants
jouissent de la plupart
des droits de l’homme énoncés dans les instruments susmentionnés.
17. S’il est clair que les non-ressortissants
bénéficient des droits de
l’homme conférés par le droit international, celui-
ci autorise toutefois les
Etats à opérer des distinctions entre ressortissants et non-ressortissants
concernant certains droits, tels que les droits politiques et le droit d’entrer
sur leur territoire. L’article 25 du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques prévoit ainsi que « tout citoyen » a le droit de prendre
part à la direction des affaires publiques, de voter et d’être élu, et d’accéder
aux fonctions publiques ; le paragraphe 4 de l’article 12 énonce également
que nul ne peut être arbitrairement privé du droit d’entrer « dans
son propre pays ». Dans son observation générale no 15, le Comité des
droits de l’homme a constaté que « certains des droits reconnus dans le
Pacte ne sont expressément applicables qu’aux citoyens » 7.
18. En outre, le droit international autorise les Etats à opérer des distinctions
entre ressortissants et non-ressortissants
en cas de danger public
exceptionnel. Selon le paragraphe 1 de l’article 4 du Pacte, les Etats
peuvent, dans un tel cas, prendre des mesures dérogeant aux obligations
prévues par le Pacte, sous réserve que ces mesures n’entraînent pas une
discrimination fondée sur « la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion
ou l’origine sociale ». Ni « la nationalité » ni « toute autre situation » ne
figurent dans cette liste. Etant donné que le paragraphe 2 de l’article 4
interdit de déroger à certains droits, même en cas de danger public exceptionnel,
nul ne peut être privé de ces droits inaliénables, y compris les non-5
Voir, par exemple, CEDH, Andrejeva c. Lettonie, Grande Chambre, arrêt du 18 février
2009, requête no 55707/00, par. 87 ; Biao c. Danemark, Grande Chambre, arrêt du 24 mai
2016, requête no 38590/10, par. 93.
6 Voir, par exemple, Cour interaméricaine des droits de l’homme, Juridical Condition
and Rights of Undocumented Migrants, avis consultatif OC-18/03 du 17 septembre 2003,
par. 118 ; Rights and Guarantees of Children in the Context of Migration and/or in Need of
International Protection, avis consultatif OC-21/14 du 19 août 2014, par. 53.
7 Comité des droits de l’homme, observation générale no 15, voir note 1 ci-
dessus,
par. 2.
163 application of the cerd (sep. op. iwasawa)
96
introducing restrictions that apply only to non‑citizens in time of public
emergency.
19. Furthermore, even in respect of the rights to which non‑citizens are
entitled under international law, States are not prohibited from making
certain distinctions based on nationality. The monitoring bodies established
by the international and regional human rights treaties use similar
frameworks to determine whether a distinction constitutes discrimination.
A differentiation of treatment is considered to constitute discrimination,
unless the criteria for such a differentiation are reasonable and
objective; in other words, unless it pursues a legitimate aim and there is a
reasonable relationship of proportionality between the means employed
and the aim sought to be achieved 8. This general framework also applies
to the question of whether particular distinctions based on nationality
constitute discrimination. Thus, for instance, preferential treatment given
to certain groups of non‑citizens by virtue of international agreements
may be considered reasonable and objective and therefore would not constitute
discrimination 9.
20. The Committee on the Elimination of Racial Discrimination (hereinafter
the “CERD Committee”), in its General Recommendation XXX
on discrimination against non-citizens,
took note of the aforementioned
protections that international law provides to non‑citizens 10. Article 1,
paragraph 2, of CERD provides that “[t]his Convention shall not apply
to distinctions, exclusions, restrictions or preferences made by a
State Party to this Convention between citizens and non‑citizens”. In the
General Recommendation, the Committee stressed that “Article 1,
paragraph
2 . . . should not be interpreted to detract in any way from
the rights and freedoms recognized and enunciated in particular in
[the UDHR, the ICESCR and the ICCPR]” 11. Similarly, the Committee
noted:
“Although some of [the rights listed in Article 5 of CERD], such
as the right to participate in elections, to vote and to stand for elec-
8 E.g. Human Rights Committee, General Comment No. 18 on non‑discrimination,
9 November 1989, para. 13; ECtHR, Biao v. Denmark, supra note 5, para. 90; IACtHR,
Proposed Amendments to the Naturalization Provision of the Constitution of Costa Rica,
advisory opinion of 19 January 1984, OC‑4/84, para. 57.
9 E.g. Human Rights Committee, van Oord v. Netherlands, 23 July 1997, Communication
No. 658/1995, para. 8.5; ECtHR, C. v. Belgium, judgment of 7 August 1996,
No. 21794/93, para. 38.
10 CERD Committee, General Recommendation XXX on discrimination against
non‑citizens, 5 August 2004.
11 Ibid., para. 2. This paragraph essentially repeats what the Committee had already
affirmed in 1993. CERD Committee, General Recommendation XI on non‑citizens,
9 March 1993, para. 3.
application de la ciedr (op. ind. iwasawa) 163
96
ressortissants. Pour ce qui est des autres droits, en revanche, rien n’interdit
aux Etats d’introduire des restrictions qui s’appliquent uniquement aux
non-ressortissants
en cas de danger public exceptionnel.
19. De surcroît, même s’agissant des droits conférés aux non-ressortissants
par le droit international, il n’est pas interdit aux Etats d’établir certaines
distinctions fondées sur la nationalité. Les organes de contrôle institués par
les instruments internationaux et régionaux des droits de l’homme ont
recours à des cadres similaires pour déterminer si une distinction donnée
constitue ou non une discrimination. Une différence de traitement est considérée
comme constitutive de discrimination, à moins que les critères qui
fondent la différenciation soient raisonnables et objectifs ; en d’autres
termes, à moins qu’elle poursuive un but légitime ou qu’il y ait un rapport
raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé 8.
Ce cadre général s’applique également à la question de savoir si des distinctions
particulières fondées sur la nationalité constituent une discrimination.
Ainsi, un traitement préférentiel accordé à certains groupes de non-ressortissants
en vertu d’accords internationaux peut être considéré raisonnable
et objectif, et ne constitue donc pas une discrimination 9.
20. Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (ci-
après le
« Comité de la CIEDR »), dans sa recommandation générale XXX concernant
la discrimination contre les non-ressortissants,
a pris note des protections
susmentionnées que le droit international accorde à ces derniers 10. Aux
termes du paragraphe 2 de l’article premier de la CIEDR, celle-
ci « ne s’applique
pas aux distinctions, exclusions, restrictions ou préférences établies
par un Etat partie à la Convention selon qu’il s’agit de ses ressortissants ou
de non-ressortissants
». Dans la recommandation générale, le Comité a souligné
que « [l]e paragraphe 2 de l’article premier doit être interprété de
manière à éviter … de diminuer de quelque façon que ce soit les droits et
libertés reconnus et énoncés en particulier dans la Déclaration universelle
des droits de l’homme, le Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques
» 11. De façon similaire, le Comité a fait observer ce qui suit :
« Quoique certains de[s] droits [énumérés à l’article 5 de la CIEDR],
tels que le droit de participer aux élections, de voter et d’être candi-
8 Voir, par exemple, Comité des droits de l’homme, observation générale no 18 : Non-discrimination,
9 novembre 1989, par. 13 ; CEDH, Biao c. Danemark, voir note 5 ci-
dessus,
par. 90 ; Cour interaméricaine des droits de l’homme, Proposed Amendments to the Naturalization
Provision of the Constitution of Costa Rica, avis consultatif du 19 janvier 1984,
OC‑4/84, par. 57.
9 Voir, par exemple, Comité des droits de l’homme, van Oord c. Pays-Bas, 23 juillet
1997, communication no 658/1995, par. 8.5 ; CEDH, C. c. Belgique, arrêt du 7 août 1996,
requête no 21794/93, par. 38.
10 Comité de la CIEDR, recommandation générale XXX concernant la discrimination
contre les non-ressortissants,
5 août 2004.
11 Ibid., par. 2. Pour l’essentiel, ce paragraphe répète ce que le Comité avait déjà affirmé
en 1993. Recommandation générale XI concernant les non-ressortissants, 9 mars 1993,
par. 3.
164 application of the cerd (sep. op. iwasawa)
97
tion, may be confined to citizens, human rights are, in principle, to
be enjoyed by all persons. States parties are under an obligation to
guarantee equality between citizens and non‑citizens in the enjoyment
of these rights to the extent recognized under international law.” 12
21. As I will explain in more detail below, the present dispute concerns
solely “the interpretation and application of [CERD]” and not other rules
of international law. The Court has no jurisdiction to make determinations
as to whether the measures taken by the UAE comply with other
rules of international law.
II. “Racial Discrimination”
under the International Convention on the
Elimination of All Forms of Racial Discrimination
1. The Court Has Jurisdiction with respect to the Interpretation or
Application of the International Convention on the Elimination of
All Forms of Racial Discrimination
22. The present dispute has been brought to the Court pursuant to
Article 22 of CERD. According to this clause, the Court’s jurisdiction is
limited to disputes “with respect to the interpretation or application of
this Convention”. In order to determine whether the present dispute is
one with respect to the interpretation or application of CERD, the Court
needs to examine whether Qatar’s claims fall within the scope of CERD
(Judgment, para. 72). For Qatar’s claims to fall within the scope of
CERD, the measures of which it complains must be capable of constituting
“racial discrimination” within the meaning of CERD. Accordingly,
whether the measures at issue are capable of constituting racial discrimination
under CERD is critically important in the present case. If they are
not, the Court has no jurisdiction, irrespective of whether the same measures
could constitute discrimination based on nationality under other
rules of international law.
23. Just as it has done before this Court, the UAE raised before the
CERD Committee the objection that its dispute with Qatar falls outside
the scope ratione materiae of CERD. In accordance with Rule 91 of its
Rules of Procedure, the Committee dealt with the preliminary issue of its
competence ratione materiae as a question of admissibility 13. For this
Court, however, this objection raises an issue of jurisdiction. If the measures
taken by the UAE are not capable of constituting racial discrimina-
12 CERD Committee, General Recommendation XXX, supra note 10, para. 3.
13 CERD Committee, Decision on the jurisdiction of the inter‑State communication
submitted by Qatar against the United Arab Emirates, dated 27 August 2019,
UN doc. CERD/C/99/3, para. 57.
application de la ciedr (op. ind. iwasawa) 164
97
dat, puissent être réservés aux ressortissants, les droits de l’homme
doivent être, en principe, exercés par tous. Les Etats parties sont
tenus de garantir un exercice égal de ces droits par les ressortissants
et les non-ressortissants
dans toute la mesure prévue par le droit
international. » 12
21. Comme je l’expliquerai plus en détail ci-
après, le présent différend
concerne uniquement « l’interprétation et l’application de [la CIEDR] » et
non d’autres règles du droit international. La Cour n’a pas compétence
pour se prononcer sur la question de savoir si les mesures prises par les
Emirats arabes unis respectent les autres règles du droit international.
II. La « discrimination raciale »
au sens de la convention internationale
sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
1. La Cour est compétente à l’égard des différends touchant
l’interprétation ou l’application de la convention internationale
sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
22. Le présent différend a été porté devant la Cour en application de
l’article 22 de la CIEDR, selon lequel la compétence de la Cour est limitée
aux différends « touchant l’interprétation ou l’application de la … Convention
». Afin de déterminer si le présent différend est de ceux qui concernent
l’interprétation ou l’application de la CIEDR, la Cour doit examiner si
les demandes du Qatar entrent dans le champ d’application de celle-
ci
(arrêt, par. 72). Pour que cela soit le cas, il faut que les mesures dont le
Qatar tire grief soient susceptibles d’être constitutives de « discrimination
raciale » au sens de la convention. En conséquence, la question de savoir
si les mesures en cause sont susceptibles de constituer une discrimination
raciale au titre de la CIEDR est d’une importance capitale en l’espèce.
Dans la négative, la Cour n’a pas compétence, que ces mesures soient ou
non susceptibles de constituer une discrimination fondée sur la nationalité
en vertu d’autres règles du droit international.
23. Tout comme ils l’ont fait devant la Cour, les Emirats arabes unis
ont objecté devant le Comité de la CIEDR que le différend qui les opposait
au Qatar excédait la portée ratione materiae de la convention. Conformément
à l’article 91 du règlement intérieur du Comité de la CIEDR,
celui-
ci a traité l’exception d’incompétence ratione materiae comme une
question de recevabilité 13. Pour la Cour, cependant, cette exception pose
une question de compétence. Si les mesures prises par les Emirats arabes
12 Comité de la CIEDR, recommandation générale XXX, voir note 10 ci-
dessus,
par. 3.
13 Nations Unies, Comité de la CIEDR, décision sur la compétence du Comité pour
connaître de la communication interétatique présentée par le Qatar contre les Emirats
arabes unis, 27 août 2019, doc. CERD/C/99/3, par. 57.
165 application of the cerd (sep. op. iwasawa)
98
tion under CERD, the dispute falls outside the jurisdiction ratione
materiae of the Court.
24. Article 1, paragraph 1, of CERD defines “racial discrimination” as
follows:
“In this Convention, the term ‘racial discrimination’ shall mean any
distinction, exclusion, restriction or preference based on race, colour,
descent, or national or ethnic origin which has the purpose or effect
of nullifying or impairing the recognition, enjoyment or exercise, on
an equal footing, of human rights and fundamental freedoms in the
political, economic, social, cultural or any other field of public life.”
25. The definition of “racial discrimination” under this provision has
two elements. First, the measures must constitute a distinction, exclusion,
restriction or preference which has the purpose or effect of nullifying or
impairing the recognition, enjoyment or exercise of human rights. In
other words, they must entail differential treatment. Secondly, the differential
treatment must be based on one of the prohibited grounds, namely,
“race, colour, descent, or national or ethnic origin”.
26. As noted by the Court, it is not disputed that the “expulsion order”
and the “travel bans”, as well as the “measures to restrict broadcasting
and internet programming by certain Qatari media corporations”, constitute
differential treatment (Judgment, paras. 57 and 59). It is, however,
disputed whether these measures are “based on” one of the grounds listed
in Article 1, paragraph 1, of CERD and are thus capable of constituting
racial discrimination.
27. In its first preliminary objection, the UAE maintains that the Court
lacks jurisdiction ratione materiae over the present dispute because the
alleged acts differentiate on the basis of “current nationality” and do not
fall within the scope of CERD. Article 1, paragraph 1, of CERD, unlike
the non‑discrimination provisions of the other human rights instruments
discussed above, contains neither a phrase like “such as” before the list of
prohibited grounds, nor a catch‑all term like “other status”. The wording
of Article 1, paragraph 1, therefore clearly indicates that the list of prohibited
grounds is exhaustive, and not illustrative. In order for differential
treatment to constitute “racial discrimination”, it must be based on one
of the specified prohibited grounds: “race, colour, descent, or national or
ethnic origin”. “Nationality” is not included in the list. Nonetheless,
Qatar argues that the term “national origin” encompasses nationality,
including present nationality, while the UAE disagrees. The Court examines
this issue in detail and concludes that “national origin” does not
encompass current nationality (Judgment, paras. 74‑105). I agree with
application de la ciedr (op. ind. iwasawa) 165
98
unis ne sont pas susceptibles d’être constitutives de discrimination raciale
en vertu de la CIEDR, le différend échappe à la compétence ratione materiae
de la Cour.
24. Le paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR définit la « discrimination
raciale » comme suit :
« Dans la présente Convention, l’expression « discrimination
raciale » vise toute distinction, exclusion, restriction ou préférence
fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou
ethnique, qui a pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre
la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions
d’égalité, des droits de l’homme et des libertés fondamentales
dans les domaines politique, économique, social et culturel ou dans
tout autre domaine de la vie publique. »
25. La définition de la « discrimination raciale » telle qu’elle figure dans
cette disposition comporte deux aspects. Premièrement, les mesures
doivent constituer une distinction, une exclusion, une restriction ou une
préférence ayant pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre
la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice des droits de l’homme. En
d’autres termes, elles doivent entraîner un traitement différencié. Deuxièmement,
la différence de traitement doit être fondée sur l’un des motifs
prohibés, à savoir « la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale
ou ethnique ».
26. Comme la Cour l’a relevé, il n’est pas contesté que la « décision
d’expulsion » et les « interdictions d’entrée », ainsi que les « mesures tendant
à restreindre la diffusion, à la radio, à la télévision et sur Internet,
des émissions de certaines sociétés de médias qatariennes », constituent un
traitement différencié (arrêt, par. 57 et 59). La question qui se pose, en
revanche, est celle de savoir si ces mesures sont ou non « fondées sur » l’un
des motifs énumérés au paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR, et
sont donc susceptibles d’être constitutives de discrimination raciale.
27. Dans leur première exception préliminaire, les Emirats arabes unis
soutiennent que la Cour n’a pas compétence ratione materiae pour
connaître du présent différend car les mesures en cause opèrent une différenciation
fondée sur la « nationalité actuelle » et n’entrent donc pas dans
le champ d’application de la convention. Le paragraphe 1 de l’article premier
de la CIEDR, contrairement aux dispositions relatives à la non-discrimination
des autres instruments des droits de l’homme examinés
plus haut, ne fait pas précéder l’énumération des motifs prohibés d’un
terme tel que « notamment », et ne contient pas non plus d’expression de
portée générale comme « toute autre situation ». Le libellé du paragraphe 1
de l’article premier indique donc clairement que la liste des motifs de discrimination
prohibés est exhaustive et non illustrative. Pour que la différence
de traitement soit constitutive de « discrimination raciale », elle doit
être fondée sur l’un des motifs prohibés spécifiés, à savoir « la race, la
couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique ». La « nationalité
» ne figure pas sur cette liste. Néanmoins, le Qatar avance que l’ex-
166 application of the cerd (sep. op. iwasawa)
99
this conclusion of the Court. The next Section of this opinion will explain
my reasoning, including additional reasons to those provided by the
Court.
2. “Nationality” and “National Origin”
28. The prohibited grounds listed in Article 1, paragraph 1 — “race,
colour, descent, or national or ethnic origin” — are inherent, immutable
and permanent characteristics of individuals. “National origin” is not
listed independently, but together with “ethnic origin” as “national or
ethnic origin”. Thus, the text indicates a close relationship between the
terms “national origin” and “ethnic origin”. Read in its ordinary meaning
in this context, “national origin” can be understood as referring to the
country or cultural group (nation) from which a person originates.
29. “Nationality”, on the other hand, is a legal bond a State creates
with certain persons whom it accepts as its nationals. It is a person’s legal
status as a citizen of a State. Nationality is an alterable condition and is
fundamentally different in nature from the characteristics of individuals
listed in Article 1, paragraph 1, which are inherent, immutable and permanent.
This crucial difference suggests that nationality is not encompassed
within any of the prohibited grounds listed in Article 1,
paragraph 1, including “national origin”.
30. Article 1, paragraph 1, must also be read in the context of the Convention’s
other provisions. Paragraph 2 of Article 1 provides that “[t]his
Convention shall not apply to distinctions, exclusions, restrictions or
preferences made by a State Party to this Convention between citizens
and non‑citizens”, and paragraph 3 provides that “[n]othing in this Convention
may be interpreted as affecting in any way the legal provisions of
States Parties concerning nationality, citizenship or naturalization, provided
that such provisions do not discriminate against any particular nationality”
(emphasis added). It is reasonable to consider that this proviso was
inserted in paragraph 3 because CERD does not otherwise prohibit discrimination
based on nationality. Furthermore, in Article 5, States parties
undertake to guarantee the right of everyone to equality before the law in
the enjoyment of the listed rights, which include rights that are typically
reserved for citizens, such as political rights.
application de la ciedr (op. ind. iwasawa) 166
99
pression « origine nationale » englobe la nationalité, y compris la
nationalité actuelle, argument auquel s’opposent les Emirats arabes unis.
Après un examen approfondi de cette question, la Cour conclut que l’expression
« origine nationale » n’englobe pas la nationalité actuelle (arrêt,
par. 74-105). Je souscris à cette conclusion de la Cour. La section suivante
de la présente opinion exposera mon raisonnement et avancera notamment
des motifs supplémentaires en sus de ceux énoncés par la Cour.
2. « Nationalité » et « origine nationale »
28. Les motifs prohibés énumérés au paragraphe 1 de l’article premier
— « la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique
» — sont des caractéristiques inhérentes aux personnes, immuables
et permanentes. L’« origine nationale » ne figure pas séparément dans
cette liste, mais est incluse conjointement avec l’« origine ethnique », selon
la formulation « origine nationale ou ethnique ». Le texte indique donc
une relation étroite entre les expressions « origine nationale » et « origine
ethnique ». Lue dans son sens ordinaire et dans ce contexte, l’expression
« origine nationale » peut être interprétée comme faisant référence au pays
ou au groupe culturel (nation) dont une personne est originaire.
29. La « nationalité », en revanche, est un lien juridique qu’instaure un
Etat avec les personnes qu’il reconnaît comme étant des nationaux. Il
s’agit du statut légal d’un individu en tant que citoyen d’un Etat. La
nationalité est une condition modifiable qui diffère fondamentalement,
par sa nature, des caractéristiques énumérées au paragraphe 1 de l’article
premier, lesquelles sont inhérentes, immuables et permanentes. Cette différence
cruciale donne à penser que la nationalité n’est pas englobée dans
les motifs prohibés dont la liste figure au paragraphe 1 de l’article premier,
en ce compris l’« origine nationale ».
30. Le paragraphe 1 de l’article premier doit également être lu dans le
contexte des autres dispositions de la convention. Ainsi, le paragraphe 2
du même article dispose que « [l]a présente Convention ne s’applique pas
aux distinctions, exclusions, restrictions ou préférences établies par un
Etat partie à la Convention selon qu’il s’agit de ses ressortissants ou de
non-ressortissants
», et le paragraphe 3 prévoit qu’« [a]ucune disposition
de la présente Convention ne peut être interprétée comme affectant de
quelque manière que ce soit les dispositions législatives des Etats parties à
la Convention concernant la nationalité, la citoyenneté ou la naturalisation,
à condition que ces dispositions ne soient pas discriminatoires à l’égard
d’une nationalité particulière » (les italiques sont de moi). On peut raisonnablement
considérer que cette condition a été incorporée au paragraphe
3 car aucune autre disposition de la convention n’interdisait la
discrimination fondée sur la nationalité. En outre, aux termes de l’article
5, les Etats parties s’engagent à garantir le droit de chacun à l’égalité
devant la loi dans la jouissance des droits énoncés dans cette disposition,
parmi lesquels figurent des droits qui sont généralement réservés aux
citoyens, tels que les droits politiques.
167 application of the cerd (sep. op. iwasawa)
100
31. Qatar argues that since paragraphs 2 and 3 of Article 1 are exceptions
to the definition established in paragraph 1, they imply that nationality
is a prohibited ground under the definition in paragraph 1. However,
paragraphs 2 and 3 rather convey the drafters’ intent to exclude differential
treatment based on nationality from the scope of the Convention and
to make sure that the Convention does not prevent States parties from
regulating questions of nationality. They are not exceptions to paragraph
1, but instead clarify that the definition of racial discrimination in
paragraph 1 should not be read to encompass distinctions based on
nationality.
32. Interpreting “national origin” as not encompassing nationality is
also consistent with CERD’s object and purpose of eliminating racial discrimination
“in all its forms and manifestations” (Preamble; see also
Arts. 2 and 5). Although nationality is not encompassed within “national
origin”, Article 1, paragraph 1, still prohibits differential treatment based
on nationality when it has the “purpose or effect” of discriminating on
the basis of “national origin” (see Section II (3) below).
33. The travaux préparatoires of CERD confirm that the drafters did
not intend nationality to constitute a ground of racial discrimination. The
Court analyses the travaux préparatoires in detail (Judgment, paras. 89‑97).
I would draw attention to the following two points in particular. First,
the definition of racial discrimination prepared by the Commission on
Human Rights and presented to the Third Committee of the General
Assembly in 1964 contained the following sentence: “[In this paragraph
the expression ‘national origin’ does not cover the status of any person as
a citizen of a given State.]” (See Judgment, para. 94.) Secondly, in the
course of the work of the Third Committee, France and the United States
of America proposed an amendment that would have provided that “the
expression ‘national origin’ does not mean ‘nationality’ or ‘citizenship’”
and that the Convention was not applicable to distinctions “based on differences
of nationality or citizenship” 14. In withdrawing this proposal, the
French delegate stated that the alternative text, which was eventually
adopted as Article 1, was “entirely acceptable” to both France and the
United States (see ibid., paras. 90 and 96). The CERD Committee has
also accepted that “the travaux préparatoires of the Convention show that
in the different stages of the elaboration of the Convention . . . the ground
‘national origin’ was understood as not covering ‘nationality’ or
‘citizenship’” 15.
14 United Nations, Official Records of the General Assembly, Twentieth Session, Third
Committee, “Draft International Convention on the Elimination of All Forms of Racial
Discrimination”, UN doc. A/6181, 18 December 1965, p. 12, para. 32.
15 CERD Committee, Decision on the admissibility of the inter‑State communication
submitted by Qatar against Saudi Arabia, dated 27 August 2019, UN doc. CERD/C/99/6,
para. 12.
application de la ciedr (op. ind. iwasawa) 167
100
31. D’après le Qatar, les paragraphes 2 et 3 de l’article premier énoncent
des exceptions à la définition établie au paragraphe 1 et impliquent que la
nationalité est un motif de discrimination prohibé selon celle-
ci. Or les
paragraphes 2 et 3 traduisent plutôt une volonté, de la part des rédacteurs,
d’exclure de la portée de la convention les différences de traitement fondées
sur la nationalité et de veiller à ce que la convention n’empêche pas les
Etats parties de réglementer les questions de nationalité. Ils n’énoncent pas
des exceptions au paragraphe 1, mais précisent que la définition de la discrimination
raciale figurant dans cette disposition ne doit pas être interprétée
comme englobant les distinctions opérées sur la base de la nationalité.
32. Interpréter l’expression « origine nationale » comme n’englobant
pas la nationalité est également compatible avec l’objet et le but de la
CIEDR, à savoir l’élimination de « toutes les formes et de toutes les manifestations
» de discrimination raciale (préambule ; voir aussi les articles 2
et 5). Bien que la nationalité ne soit pas incluse dans l’expression « origine
nationale », le paragraphe 1 de l’article premier n’en interdit pas moins
toute différenciation de traitement fondée sur la nationalité lorsqu’elle a
« pour but ou pour effet » d’opérer une discrimination sur la base de
l’« origine nationale » (voir la section II.3 ci-
dessous).
33. Les travaux préparatoires de la CIEDR, dont la Cour fait un examen
approfondi, confirment que l’intention des rédacteurs n’était pas
d’inclure la nationalité parmi les motifs de discrimination raciale (arrêt,
par. 89-97). Je tiens à cet égard à appeler l’attention sur deux points en
particulier. Premièrement, la définition de la discrimination raciale établie
par la Commission des droits de l’homme et figurant dans le projet de
convention présenté à la Troisième Commission de l’Assemblée générale
en 1964 contenait la phrase suivante : « [Dans ce paragraphe, l’expression
« origine nationale » ne désigne pas le statut conféré à une personne par sa
qualité de citoyen d’un Etat donné.] » (Voir arrêt, par. 94.) Deuxièmement,
au cours des travaux de la Troisième Commission, la France et les
Etats‑Unis d’Amérique avaient proposé un amendement disposant que
« l’expression « origine nationale » ne désign[ait] ni la « nationalité » ni la
« citoyenneté » » et que la convention n’était pas applicable aux distinctions
« fondées sur des différences de nationalité ou de citoyenneté » 14.
Lors du retrait de cette proposition, le représentant français avait déclaré
que l’autre texte, qui sera finalement adopté comme libellé de l’article premier,
était « tout à fait acceptable » pour les deux pays (voir ibid., par. 90
et 96). Le Comité de la CIEDR a également reconnu qu’« il ressort des
travaux préparatoires de la Convention que, à aucune des étapes de l’élaboration
de cet instrument … la notion d’« origine nationale » n’a été
considérée comme recouvrant la nationalité ou la citoyenneté » 15.
14 Nations Unies, Compte rendu de l’Assemblée générale, vingtième session, Troisième
Commission, « Projet de convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale », doc. A/6181, 18 décembre 1965, p. 12, par. 32.
15 Nations Unies, Comité de la CIEDR, décision sur la recevabilité de la communication
interétatique présentée par le Qatar contre l’Arabie saoudite, 27 août 2019,
doc. CERD/C/99/6, par. 12.
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101
34. An additional reason to distinguish “national origin” from “nationality”
relates to the different levels of scrutiny that are required in reviewing
the lawfulness of differential treatment under each ground. Racial
discrimination is one of the most invidious forms of discrimination. Differentiation
of treatment based on a prohibited ground listed in Article 1,
paragraph 1, of CERD is inherently suspect and must meet the most rigorous
scrutiny. For example, the ECtHR has held that “[w]here the difference
in treatment is based on race, colour or ethnic origin, the notion of
objective and reasonable justification must be interpreted as strictly as
possible” 16. The ECtHR has gone so far as to affirm that “[n]o difference
in treatment based exclusively or to a decisive extent on a person’s ethnic
origin is capable of being justified in a contemporary democratic
society” 17. In this way, if the difference in treatment is based on “race,
colour, descent, or national or ethnic origin”, States bear a very heavy
burden in demonstrating that the difference pursues a legitimate aim and
that there is a reasonable relationship of proportionality between the
means employed and the aim sought to be achieved. The scrutiny must be
most rigorous and the threshold must be very high.
35. When the difference in treatment is based on nationality, the level
of scrutiny required is different. Since non‑citizens normally have no right
to vote or be elected, and thus are unable to protect their interests through
the political process, rigorous scrutiny is warranted for distinctions based
on nationality. However, because States are entitled to make distinctions
between citizens and non‑citizens in respect of some rights or in certain
circumstances, the level of scrutiny required need not be as rigorous as in
cases of distinctions based on “race, colour, descent, or national or ethnic
origin”. The ECtHR has declared that “very weighty reasons would have
to be put forward before it could regard a difference of treatment based
exclusively on the ground of nationality as compatible with the
Convention” 18. While that threshold remains high, the scrutiny required
by the ECtHR is not as rigorous and the threshold is not as high as for
cases of distinctions based on “race, colour, descent, or national or ethnic
origin” 19.
16 ECtHR, D. H. and Others v. Czech Republic, Grand Chamber, judgment of
13 November 2007, No. 57325/00, para. 196.
17 ECtHR, Biao v. Denmark, supra note 5, para. 94.
18 ECtHR, Andrejeva v. Latvia, supra note 5, para. 87; Biao v. Denmark, supra note 5,
para. 93.
19 See also ECtHR, Biao v. Denmark, supra note 5, joint dissenting opinion of Judges
Villiger, Mahoney and Kjølbro, para. 30 (“a wide margin of appreciation is afforded to
member States in relation to differences in treatment on the basis of ‘other status’ [in this
case, length of nationality], as opposed to ‘national’ or ‘ethnic’ origin”).
application de la ciedr (op. ind. iwasawa) 168
101
34. La distinction entre « origine nationale » et « nationalité » se justifie
également par les différents degrés d’exigence requis pour se prononcer
sur la licéité d’un traitement différencié au titre de chacun de ces deux
motifs. La discrimination raciale est l’une des formes de discrimination
les plus odieuses. Les différences de traitement fondées sur l’un des motifs
prohibés énoncés au paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR sont
intrinsèquement problématiques et doivent faire l’objet d’un examen des
plus rigoureux. Par exemple, la CEDH a jugé que, « [e]n cas de différence
de traitement fondée sur la race, la couleur ou l’origine ethnique, la notion
de justification objective et raisonnable doit être interprétée de manière
aussi stricte que possible » 16, et est allée jusqu’à affirmer qu’« [a]ucune différence
de traitement fondée exclusivement ou dans une mesure déterminante
sur l’origine ethnique d’un individu ne peut passer pour justifiée
dans une société démocratique contemporaine » 17. Ainsi, si une différence
de traitement est basée sur « la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine
nationale ou ethnique », les Etats doivent assumer la très lourde tâche de
démontrer que cette différenciation poursuit un but légitime et qu’il existe
un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et
le but visé. L’examen doit être des plus rigoureux et satisfaire à un critère
très élevé.
35. Lorsque la différence de traitement est fondée sur la nationalité, le
degré d’exigence requis est différent. Etant donné que les non-ressortissants
ne jouissent généralement pas du droit de voter ou d’être élu et ne sont
donc pas en mesure de protéger leurs intérêts par le biais du processus
politique, un examen rigoureux s’impose. Cependant, les Etats étant
autorisés à établir des distinctions entre ressortissants et non-ressortissants
en ce qui concerne certains droits ou dans certaines circonstances, il n’est
pas nécessaire d’appliquer un degré d’exigence aussi rigoureux que lorsque
les distinctions sont fondées sur « la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine
nationale ou ethnique ». La CEDH a déclaré que « seules des considérations
très fortes p[ouvai]ent l’amener à estimer compatible avec la
Convention une différence de traitement exclusivement fondée sur la
nationalité » 18. Si l’examen doit toujours satisfaire à un critère élevé, le
degré d’exigence requis par la CEDH n’est toutefois pas aussi rigoureux,
et le critère pas aussi élevé, que dans le cas de distinctions fondées sur « la
race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique » 19.
16 CEDH, D. H. et autres c. République tchèque, Grande Chambre, arrêt du 13 novembre
2007, requête no 57325/00, par. 196.
17 CEDH, Biao c. Danemark, voir note 5 ci-
dessus,
par. 94.
18 CEDH, Andrejeva c. Lettonie, voir note 5 ci-
dessus,
par. 87 ; Biao c. Danemark, voir
note 5 ci-
dessus,
par. 93.
19 Voir aussi CEDH, Biao c. Danemark, voir note 5 ci-
dessus,
opinion dissidente
commune aux juges Villiger, Mahoney et Kjølbro, par. 30 (« les Etats bénéficient d’une
ample marge d’appréciation en matière de différences de traitement fondées sur une « autre
situation » [en l’occurrence l’ancienneté de la nationalité], ce qui n’est pas le cas s’agissant
de différences de traitement fondées sur l’origine « nationale » ou « ethnique » »).
169 application of the cerd (sep. op. iwasawa)
102
36. As noted in the Judgment, the Court has taken into account in its
jurisprudence the practice of bodies and courts established by international
and regional human rights conventions, in so far as it is relevant
for the purposes of interpretation (Judgment, para. 77). In the present
case, however, the Court considers the jurisprudence of regional human
rights courts to be “of little help for the interpretation of the term
‘national origin’ in CERD”, because the purpose of the regional
instruments
“is to ensure a wide scope of protection of human rights and
fundamental freedoms” (ibid., para. 104). CERD prohibits racial discrimination
and certainly differs from general human rights conventions,
which prohibit many kinds of discrimination. Nevertheless, the general
prohibition of discrimination includes the prohibition of racial discrimination
and the other human rights conventions also list “national origin”
among the prohibited grounds of discrimination. Therefore, the practice
of bodies
and courts established by international and regional human
rights conventions is relevant to the interpretation of Article 1 of CERD.
37. Interpreting the term “national origin” in Article 1, paragraph 1, of
CERD as not encompassing nationality is consistent with the interpretation
of similar language in other human rights conventions by these bodies
and courts. As noted above (see Section I), international human rights
conventions usually contain non‑discrimination provisions with a list of
prohibited grounds of discrimination that includes “national origin” but
not “nationality”. In interpreting these provisions, these bodies and
courts typically distinguish “nationality” from “national origin” and do
not consider the former to be encompassed by the latter.
38. Non‑discrimination provisions of the core human rights treaties
adopted by the United Nations do not contain nationality among the
prohibited grounds of discrimination, except for the International Convention
on the Protection of the Rights of Migrant Workers and Members
of Their Families, which lists “nationality” separately from and in
addition to “national origin” as a prohibited ground (Arts. 1 and 7). In
interpreting that Convention, the Committee on the Protection of the
Rights of All Migrant Workers and Members of Their Families has
explicitly treated “national origin” and “citizenship status” as two distinct
grounds of discrimination 20.
20 E.g. Joint General Comment No. 3 (2017) of the Committee on the Protection of the
Rights of All Migrant Workers and Members of Their Families and No. 22 (2017) of the
Committee on the Rights of the Child on the general principles regarding the human rights
of children in the context of international migration, 16 November 2017, para. 3.
application de la ciedr (op. ind. iwasawa) 169
102
36. Comme il est dit dans l’arrêt, la Cour a pris en compte, dans sa
jurisprudence, la pratique des organes et juridictions établis en vertu de
conventions internationales et régionales relatives aux droits de l’homme,
dans la mesure où celle-
ci était pertinente aux fins de l’interprétation
(arrêt, par. 77). En l’espèce, cependant, la Cour estime que la jurisprudence
des juridictions régionales des droits de l’homme « n’est … guère
utile pour l’interprétation de l’expression « origine nationale » figurant
dans la CIEDR », parce que la finalité des instruments régionaux « est
d’assurer la portée étendue de la protection des droits de l’homme et des
libertés fondamentales » (ibid., par. 104). La CIEDR proscrit la discrimination
raciale et diffère à l’évidence des conventions générales relatives
aux droits de l’homme, qui interdisent de nombreux types de discrimination.
Cependant, l’interdiction générale de discrimination inclut celle de la
discrimination raciale et les autres conventions relatives aux droits de
l’homme citent également l’« origine nationale » parmi les motifs de discrimination
prohibés. Par conséquent, la pratique des organes et juridictions
établis en vertu de conventions internationales et régionales relatives aux
droits de l’homme est pertinente aux fins de l’interprétation de l’article
premier de la CIEDR.
37. Interpréter l’expression « origine nationale » figurant au paragraphe
1 de l’article premier de la CIEDR comme ne recouvrant pas la
nationalité est également compatible avec l’interprétation qu’ont fait ces
organes et juridictions de formulations similaires utilisées dans d’autres
conventions relatives aux droits de l’homme. Ainsi qu’il a été noté plus
haut (voir la section I), les conventions internationales relatives aux droits
de l’homme contiennent généralement des dispositions relatives à la non-discrimination
énumérant des motifs de discrimination prohibés, parmi
lesquels figure l’« origine nationale », mais pas la « nationalité ». Lorsqu’ils
interprètent ces dispositions, ces organes et juridictions distinguent généralement
la « nationalité » de l’« origine nationale » et ne considèrent pas
que cette dernière englobe la première.
38. Les dispositions relatives à la non-discrimination
contenues dans les
instruments fondamentaux des droits de l’homme adoptés par les
Nations Unies ne mentionnent pas la nationalité parmi les motifs prohibés
de discrimination, exception faite de la convention internationale sur
la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres
de leur famille, qui cite, parmi les motifs proscrits, la « nationalité » et
l’« origine nationale » (art. 1 et 7). En interprétant cette convention, le
Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et
des membres de leur famille a expressément traité l’« origine nationale » et
le « statut au regard de la citoyenneté » comme deux motifs de discrimination
distincts 20.
20 Voir, par exemple, observation générale conjointe no 3 (2017) du Comité pour la protection
des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille et no 22 (2017)
du Comité des droits de l’enfant sur les principes généraux relatifs aux droits de l’homme des
enfants dans le contexte des migrations internationales, 16 novembre 2017, par. 3.
170 application of the cerd (sep. op. iwasawa)
103
39. Similarly, the Human Rights Committee does not view the term
“national origin”, as used in the ICCPR, as encompassing nationality.
Rather, it has taken the position that nationality falls within the term
“other status”, which is listed along with “national origin” among the
prohibited grounds of discrimination in Article 26 of the ICCPR. In
Gueye et al. v. France, the case concerning the pensions of retired French
soldiers of Senegalese nationality (see paragraph 13 above), the Committee
held that there was discrimination based on nationality, while finding
“no evidence to support the allegation that the State party has engaged in
racially discriminatory practices vis‑à‑vis the authors”. In doing so, the
Committee expressly stated that a differentiation by reference to nationality
“falls within the reference to ‘other status’ in . . . article 26” 21.
40. Karakurt v. Austria, another case before the Human Rights Committee,
is even more illuminating. The case involved a claim by a Turkish
national that a labour law of Austria which barred non‑Austrian nationals
from holding positions on works councils violated his rights under
Article 26 of the ICCPR. Upon its ratification of the ICCPR, Austria
entered a reservation that “Article 26 is understood to mean that it does
not exclude different treatment of Austrian nationals and aliens, as is also
permissible under article 1, paragraph 2, of [CERD]”. The Committee
considered that it was precluded by this reservation from examining the
claim of the author of the communication in so far as it related to the
distinction between Austrian nationals and non‑nationals, but that it was
not precluded from examining the author’s claim relating to the distinction
made by Austria between nationals of the European Economic Area
(EEA) and non‑EEA nationals. Two members disagreed with the first
conclusion of the Committee. They maintained that Austria’s intention
was to harmonize its obligations under the ICCPR with those under
CERD. Hence, in their view, “the Committee [was] precluded from
assessing whether a distinction made between Austrian nationals and
aliens amounts to such discrimination on grounds of ‘race, colour, descent
or national or ethnic origin’”. They contended, however, that nationality
was not a ground of racial discrimination under CERD and, therefore,
that the Committee was not barred by the Austrian reservation from
examining the author’s claim on the distinction between Austrian nationals
and non‑nationals. For them, “Article 1, paragraph 2, of [CERD]
makes it clear that citizenship is not covered by the notion of ‘national
origin’”. By contrast, “distinctions based on citizenship fall under the
notion of ‘other status’ in article 26 and not under any of the grounds of
discrimination covered by article 1, paragraph 1, of [CERD]”. They con-
21 Human Rights Committee, Gueye et al. v. France, supra note 2, para. 9.4; emphasis
added.
application de la ciedr (op. ind. iwasawa) 170
103
39. De même, le Comité des droits de l’homme ne considère pas que
l’expression « origine nationale », telle qu’elle est utilisée dans le Pacte
international relatif aux droits civils et politiques, englobe la nationalité.
Au lieu de cela, il a adopté la position selon laquelle la nationalité est
visée par l’expression « toute autre situation », qui figure, au même titre
que l’« origine nationale », parmi les motifs de discrimination prohibés
énoncés à l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques. Dans l’affaire Gueye et consorts c. France concernant les allocations
de retraite versées à d’anciens militaires de l’armée française de
nationalité sénégalaise (voir le paragraphe 13 ci-
dessus),
le Comité a jugé
qu’il y avait eu discrimination sur la base de la nationalité, tout en
concluant que « rien ne venait étayer l’allégation selon laquelle l’Etat partie
s’était livré à des pratiques de discrimination raciale à l’encontre des
auteurs ». Le Comité a, par ailleurs, expressément indiqué que la différenciation
sur le fondement de la nationalité « [étai]t visée par l’expression
« toute autre situation » figurant à l’article 26 » 21.
40. L’affaire Karakurt c. Autriche, également portée devant le Comité
des droits de l’homme, est plus éclairante encore. Cette instance concernait
un ressortissant turc ayant soumis une plainte au motif que la législation
autrichienne du travail, en interdisant aux non-ressortissants
autrichiens d’occuper des postes au sein des comités d’entreprise, portait
atteinte à ses droits en vertu de l’article 26 du Pacte. Or, lors de la ratification
du Pacte, l’Autriche avait émis une réserve, précisant que « [l]’article
26 [étai]t interprété comme n’excluant pas la distinction de traitement
selon qu’il s’agit de ressortissants autrichiens ou de ressortissants étrangers,
permise en vertu du paragraphe 2 de l’article 1 de la [CIEDR] ». Le
Comité a estimé qu’il ne pouvait, du fait de cette réserve, examiner la
plainte en ce qu’elle concernait la distinction entre ressortissants autrichiens
et non-ressortissants,
mais que rien ne l’empêchait d’en connaître
s’agissant de la distinction établie par l’Autriche entre les ressortissants de
pays membres de l’Espace économique européen (EEE) et les non-ressortissants
de l’EEE. Deux membres du Comité, en désaccord avec la
première constatation du Comité, avaient soutenu que l’intention de
l’Autriche était d’harmoniser ses obligations découlant du Pacte avec
celles qui lui incombaient en vertu de la CIEDR. Partant, selon eux, « le
Comité se vo[ya]it empêché d’apprécier si une distinction faite entre ressortissants
autrichiens et étrangers [était] assimilable à une discrimination
fondée sur « la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou
ethnique » », ajoutant que la nationalité ne relevait pas des motifs de discrimination
raciale visés par la CIEDR et que, en conséquence, la réserve
de l’Autriche ne faisait pas obstacle à la compétence du Comité à connaître
de la plainte de l’auteur concernant la distinction entre ressortissants et
non-ressortissants
autrichiens. D’après eux, « le paragraphe 2 de l’article
premier de [la CIEDR] indique clairement que la nationalité n’est pas
21 Comité des droits de l’homme, Gueye et consorts c. France, voir note 2 ci-
dessus,
par. 9.4 ; les italiques sont de moi.
171 application of the cerd (sep. op. iwasawa)
104
cluded that “the Austrian reservation to article 26 does not affect the
Committee’s competence to examine whether a distinction made between
citizens and aliens amounts to prohibited discrimination under article 26
of the Covenant on other grounds than those covered also by [CERD]” 22.
41. The CESCR, like the Human Rights Committee, has taken the
view that “national origin”, which is listed among the prohibited grounds
of discrimination in Article 2, paragraph 2, of the ICESCR, “refers to a
person’s State, nation, or place of origin” 23, and that nationality falls
within “other status” 24.
42. As previously noted, regional conventions on human rights also
contain non‑discrimination provisions with lists of prohibited grounds of
discrimination, which are recognized to be illustrative, and the monitoring
courts and bodies established by these conventions have confirmed
that the human rights provided for therein also apply to non‑citizens (see
paragraphs 10 and 15 above). These courts and bodies usually do not
consider nationality as falling within “national origin”. For example, in
Luczak v. Poland, the ECtHR stated that “a difference in treatment on
the basis of nationality . . . falls within the non‑exhaustive list of prohibited
grounds of discrimination in Article 14” 25.
43. The CERD Committee has confirmed in its jurisprudence that differentiation
of treatment based on nationality does not per se constitute
“racial discrimination” under CERD. In Diop v. France, a Senegalese
citizen claimed that France was in violation of CERD because his application
for membership of the Bar of Nice had been rejected for the reason
that he was not a French national. The Committee found no violation,
stating that “the refusal to admit [the author] to the Bar was based on the
22 Human Rights Committee, Karakurt v. Austria, supra note 3, individual opinion by
Committee Members Sir Nigel Rodley and Mr. Martin Scheinin (partly dissenting).
23 CESCR, General Comment No. 20, supra note 4, para. 24.
24 Ibid., paras. 15 and 30.
25 ECtHR, Luczak v. Poland, Fourth Section, judgment of 27 November 2007,
No. 77782/01, para. 46. See also ECtHR, Andrejeva v. Latvia, supra note 5, paras. 87‑92
(examining under Article 14 of the European Convention a distinction based on the “sole
criterion” of nationality without any reference to national origin). For the IACtHR, see
e.g. Juridical Condition and Rights of Undocumented Migrants, supra note 6, para. 101
(listing “nationality” separately from “national . . . origin”).
application de la ciedr (op. ind. iwasawa) 171
104
englobée dans la notion d’« origine nationale » », mais « les distinctions
fondées sur la nationalité relèvent de la notion « toute autre situation »
visée à l’article 26 et non des motifs de discrimination visés au paragraphe
1 de l’article premier de la [CIEDR] ». Et de conclure que « la
réserve de l’Autriche à l’article 26 n’influe pas sur la compétence du
Comité à déterminer si une distinction faite entre nationaux et étrangers
constitue une discrimination proscrite au sens de l’article 26 du Pacte
mais fondée sur des motifs autres que ceux visés également dans la
[CIEDR] » 22.
41. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, tout comme
le Comité des droits de l’homme, est d’avis que l’« origine nationale », qui
figure parmi les motifs de discrimination prohibés énoncés au paragraphe
2 de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels, « renvoie au pays, à la nation ou au lieu
d’origine d’un individu » 23, et que la nationalité entre dans la catégorie
« toute autre situation » 24.
42. Ainsi qu’il a été indiqué plus haut, les conventions régionales relatives
aux droits de l’homme prévoient également des clauses de non-discrimination,
dans lesquelles figurent des listes de motifs de
discrimination prohibés, considérées comme illustratives, et les juridictions
et organes de contrôle que ces instruments ont établis ont confirmé
que les droits de l’homme y énoncés s’appliquent également aux non-ressortissants
(voir les paragraphes 10 et 15 ci-
dessus).
En règle générale,
ces juridictions et organes ne considèrent pas que la nationalité relève de
l’« origine nationale ». Ainsi, dans l’affaire Luczak c. Pologne, la CEDH a
déclaré qu’« une différence de traitement fondée sur la nationalité … est
l’un des motifs de discrimination prohibés par l’article 14, qui en dresse
une liste non exhaustive » 25.
43. Le Comité de la CIEDR a confirmé, dans sa jurisprudence, que les
différences de traitement fondées sur la nationalité ne constituent pas, en
elles-mêmes, une « discrimination raciale » au sens de la CIEDR. Dans
l’affaire Diop c. France, un ressortissant sénégalais affirmait être victime
d’une violation, par la France, de la CIEDR au motif que sa demande
d’inscription au tableau de l’ordre des avocats de Nice avait été rejetée
parce qu’il ne possédait pas la nationalité française. Le Comité a conclu
22 Comité des droits de l’homme, Karakurt c. Autriche, voir note 3 ci-
dessus,
opinion individuelle
(en partie dissidente) de sir Nigel Rodley et M. Martin Scheinin, membres du Comité.
23 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, observation générale no 20, voir
note 4 ci-
dessus,
par. 24.
24 Ibid., par. 15 et 30.
25 CEDH, Luczak c. Pologne, quatrième section, arrêt du 27 novembre 2007, requête
no 77782/01, par. 46. Voir aussi CEDH, Andrejeva c. Lettonie, voir note 5 ci-
dessus,
par. 87‑92 (où est examinée, en vertu de l’article 14 de la convention européenne, une
distinction fondée sur « le seul et unique critère » de la nationalité sans que soit aucunement
mentionnée l’origine nationale). Pour la Cour interaméricaine des droits de l’homme,
voir, par exemple, Juridical Condition and Rights of Undocumented Migrants, voir note 6
ci-
dessus,
par. 101 (où figurent séparément dans la liste des motifs « nationalité » et
« origine … nationale »).
172 application of the cerd (sep. op. iwasawa)
105
fact that he was not of French nationality, not on any of the grounds
enumerated in article 1, paragraph 1” 26. Similarly, in Quereshi v. Denmark,
the CERD Committee held that it could not conclude that the
Danish authorities had reached an inappropriate conclusion in determining
that offensive statements made at a party about “foreigners” did not
amount to an act of racial discrimination, because “a general reference to
foreigners does not at present single out a group of persons . . . on the
basis of a specific race, ethnicity, colour, descent or national or ethnic
origin” 27.
44. For the reasons given by the Court (Judgment, paras. 74‑105) and
the reasons set out above, I am of the view that current nationality is not
encompassed within “national origin” under Article 1, paragraph 1, of
CERD and, therefore, that differentiation of treatment based on current
nationality does not per se constitute “racial discrimination” within the
meaning of CERD.
45. In accordance with Article 22 of CERD, the Court has jurisdiction
only if the challenged measures are capable of constituting “racial discrimination”
within the meaning of CERD. The next Section turns to
examine whether differential treatment based on nationality, although it
does not per se constitute racial discrimination under CERD, can nonetheless
have the purpose or effect of discrimination on the basis of one of
the prohibited grounds listed in Article 1, paragraph 1, of CERD and
thus constitute racial discrimination indirectly.
3. Distinctions Based on “Nationality” Can Have the Purpose
or Effect of Discrimination Based on “National Origin”
46. With regard to Qatar’s claim of indirect discrimination, the majority
of the Court considers that “even if the measures of which Qatar complains
in support of its ‘indirect discrimination’ claim were to be proven
on the facts, they are not capable of constituting racial discrimination”
(Judgment, para. 112), and concludes that the first preliminary objection
of the UAE must therefore be upheld (ibid., para. 114). I respectfully
disagree.
Qatar’s claim of indirect discrimination requires a detailed
examination at the merits stage. The Court should have declared that the
first preliminary objection of the UAE does not possess an exclusively
preliminary character.
26 CERD Committee, Diop v. France, 18 March 1991, Communication No. 2/1989,
para. 6.6.
27 CERD Committee, Quereshi v. Denmark, 9 March 2005, Communication
No. 33/2003, para. 7.3. See also CERD Committee, P. S. N. v. Denmark, 8 August 2007,
Communication No. 36/2006, para. 6.4.
application de la ciedr (op. ind. iwasawa) 172
105
qu’il n’y avait pas eu violation, déclarant que « le refus d’inscrire [l’auteur]
au barreau reposait sur le fait qu’il n’avait pas la nationalité française, et
non sur l’un quelconque des motifs énumérés au paragraphe 1 de l’article
premier » 26. De la même façon, dans l’affaire Quereshi c. Danemark, le
Comité de la CIEDR a jugé ne pas être en mesure d’établir que les autorités
danoises s’étaient fourvoyées en concluant que les propos injurieux
tenus à l’égard des « étrangers » lors du congrès d’un parti ne constituaient
pas un acte de discrimination raciale, « une allusion générale aux étrangers
ne désign[ant] pas à l’heure actuelle un groupe spécifique de personnes
… défini par une race, une appartenance ethnique, une couleur,
une ascendance ou une origine nationale ou ethnique spécifiques » 27.
44. Pour les raisons indiquées par la Cour (arrêt, par. 74‑105) et les
motifs exposés ci-
dessus,
j’estime que la nationalité actuelle n’est pas
englobée dans l’« origine nationale » visée au paragraphe 1 de l’article premier
de la CIEDR et que les différences de traitement fondées sur la
nationalité actuelle ne constituent pas, en elles-mêmes, une « discrimination
raciale » au sens de la CIEDR.
45. Selon l’article 22 de la CIEDR, la Cour n’a compétence que si les
mesures contestées sont susceptibles de constituer une « discrimination
raciale » au sens de la convention. Dans la section qui suit, j’examinerai la
question de savoir si les différences de traitement fondées sur la nationalité,
bien que non constitutives, en elles-mêmes, de discrimination raciale
au sens de la CIEDR, peuvent avoir pour but ou pour effet d’opérer une
discrimination sur la base de l’un des motifs prohibés énumérés au paragraphe
1 de l’article premier de la CIEDR et constituer ainsi une discrimination
raciale.
3. Les distinctions fondées sur la « nationalité » peuvent avoir pour but ou
pour effet d’opérer une discrimination sur la base de l’« origine nationale »
46. En ce qui concerne la discrimination indirecte, la majorité de la
Cour considère que, « quand bien même les mesures dont le Qatar tire
grief dans le cadre de son allégation de « discrimination indirecte » seraient
avérées, elles ne peuvent être constitutives de discrimination raciale »
(arrêt, par. 112) et conclut que la première exception préliminaire soulevée
par les Emirats arabes unis doit donc être retenue (ibid., par. 114). Je
conteste respectueusement cette conclusion. L’allégation de discrimination
indirecte formulée par le Qatar nécessite un examen approfondi au
stade du fond. La Cour aurait dû dire que la première exception préliminaire
présentée par les Emirats arabes unis n’avait pas un caractère exclusivement
préliminaire.
26 Comité de la CIEDR, Diop c. France, 18 mars 1991, communication no 2/1989,
par. 6.6.
27 Comité de la CIEDR, Quereshi c. Danemark, 9 mars 2005, communication
no 33/2003, par. 7.3. Voir aussi Comité de la CIEDR, P. S. N. c. Danemark, 8 août 2007,
communication no 36/2006, par. 6.4.
173 application of the cerd (sep. op. iwasawa)
106
47. I shall start by examining the notion of indirect discrimination as
embraced and developed by international human rights courts and bodies
and the role it plays under CERD. Then, in the next Section, I will explain
why Qatar’s claim of indirect discrimination should have been examined
in detail at the merits stage.
48. The definition of racial discrimination in Article 1, paragraph 1, of
CERD sets out two conditions. First, there must be a distinction, exclusion,
restriction or preference “based on race, colour, descent, or national
or ethnic origin”. Secondly, the differential treatment must have the “purpose
or effect” of nullifying or impairing the recognition, enjoyment or
exercise, on an equal footing, of human rights and fundamental freedoms
in the political, economic, social, cultural or any other field of public life.
49. If differentiation of treatment based on nationality has the
“purpose
or effect” of discrimination based on one of the prohibited
grounds listed in Article 1, paragraph 1, it is capable of constituting “racial
discrimination” within the meaning of the Convention. The object and
purpose of CERD is to eliminate racial discrimination “in all its forms
and manifestations” (Preamble; see also Arts. 2 and 5). Ensuring that differentiation
of treatment based on nationality does not have the “purpose
or effect” of discriminating based on any of the prohibited grounds in
Article 1, paragraph 1, is consistent with, and indeed required by, the
object and purpose of the Convention.
50. Judge Crawford has acknowledged that “[a restriction] may constitute
racial discrimination if it has the ‘effect’ of impairing the enjoyment
or exercise, on an equal footing, of the rights articulated in CERD” 28.
Likewise, Judges Tomka, Gaja and Gevorgian observed in their joint
declaration
appended to the Court’s first provisional measures Order in
the present case that “[d]ifferences of treatment of persons of a specific
nationality may target persons who also have a certain ethnic origin and
therefore would come under the purview of CERD” 29.
51. International human rights courts and bodies, including the CERD
Committee, have embraced and developed the notion of indirect discrimination.
If a rule, measure or policy that is apparently neutral has an
unjustifiable disproportionate prejudicial impact on a certain protected
28 Application of the International Convention for the Suppression of the Financing of
Terrorism and of the International Convention on the Elimination of All Forms of Racial
Discrimination (Ukraine v. Russian Federation), Provisional Measures, Order of 19 April
2017, I.C.J. Reports 2017, declaration of Judge Crawford, p. 215, para. 7.
29 Application of the International Convention on the Elimination of All Forms of Racial
Discrimination (Qatar v. United Arab Emirates), Provisional Measures, Order of 23 July
2018, I.C.J. Reports 2018 (II), joint declaration of Judges Tomka, Gaja and Gevorgian,
p. 437, para. 6.
application de la ciedr (op. ind. iwasawa) 173
106
47. J’examinerai d’abord la notion de discrimination indirecte telle
qu’elle a été adoptée et développée par les juridictions et organes internationaux
chargés des droits de l’homme et sa définition selon la CIEDR.
Dans la section suivante, j’exposerai les raisons pour lesquelles le grief de
discrimination indirecte formulé par le Qatar aurait dû être examiné en
détail au stade du fond.
48. La définition de la discrimination raciale énoncée au paragraphe 1
de l’article premier de la CIEDR établit deux conditions. Premièrement,
il doit s’agir d’une distinction, exclusion, restriction ou préférence « fondée
sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique
». Deuxièmement, la différence de traitement doit avoir « pour but
ou pour effet » de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la
jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité, des droits de
l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique,
social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique.
49. Si une différence de traitement fondée sur la nationalité a « pour but
ou pour effet » d’opérer une discrimination sur la base de l’un des motifs
prohibés figurant au paragraphe 1 de l’article premier, elle est susceptible
de constituer une « discrimination raciale » au sens de la convention. La
CIEDR a pour but et pour effet l’élimination « de toutes les formes et de
toutes les manifestations » de discrimination raciale (préambule ; voir
aussi art. 2 et 5). Veiller à ce qu’une différence de traitement fondée sur la
nationalité n’a pas « pour but ou pour effet » d’opérer une discrimination
sur la base de l’un des motifs prohibés énumérés au paragraphe 1 de l’article
premier est compatible avec l’objet et le but de la convention, et exigé
par celle-
ci.
50. Comme l’a reconnu M. le juge Crawford, « une restriction peut être
constitutive d’une discrimination raciale si elle a pour « effet » d’entraver
la jouissance ou l’exercice, sur un pied d’égalité, des droits énoncés dans
la CIEDR » 28. De façon similaire, MM. les juges Tomka, Gaja et Gevorgian
ont fait observer, dans leur déclaration commune jointe à la première
ordonnance en indication de mesures conservatoires en l’espèce,
que « [d]es différences de traitement appliquées à des personnes d’une
nationalité donnée p[ouvai]ent également obéir à certaines raisons liées à
l’origine ethnique et donc tomber sous le coup de la CIEDR » 29.
51. La notion de discrimination indirecte a été largement adoptée et
développée par les juridictions et organes internationaux chargés des
droits de l’homme, y compris le Comité de la CIEDR. Toute règle, mesure
ou politique apparemment neutre qui nuit de manière disproportionnée et
28 Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme
et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination
raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du
19 avril 2017, C.I.J. Recueil 2017, déclaration de M. le juge Crawford, p. 215, par. 7.
29 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale (Qatar c. Emirats arabes unis), mesures conservatoires, ordonnance
du 23 juillet 2018, C.I.J. Recueil 2018 (II), déclaration commune de MM. les juges Tomka,
Gaja et Gevorgian, p. 437, par. 6.
174 application of the cerd (sep. op. iwasawa)
107
group, it constitutes discrimination notwithstanding that it is not specifically
aimed at that group. The analysis of disproportionate impact
requires a comparison between different groups. The context and circumstances
in which the differentiation was introduced must be taken into
account in determining whether the measure amounts to discrimination.
52. The CERD Committee has recognized in its practice the need to
address not only direct but also indirect discrimination. In its 1993 General
Recommendation XIV on article 1, paragraph 1, of the Convention,
the Committee stated that “[i]n seeking to determine whether an action
has an effect contrary to the Convention, it will look to see whether that
action has an unjustifiable disparate impact upon a group distinguished
by race, colour, descent, or national or ethnic origin” 30. In L. R. et al. v.
Slovakia, it recalled that
“the definition of racial discrimination in article 1 expressly extends
beyond measures which are explicitly discriminatory, to encompass
measures which are not discriminatory at face value but are discriminatory
in fact and effect, that is, if they amount to indirect discrimination.
In assessing such indirect discrimination, the Committee must
take full account of the particular context and circumstances of the
petition, as by definition indirect discrimination can only be demonstrated
circumstantially.” 31
53. The other human rights treaty bodies have likewise embraced the
notion of indirect discrimination. The Human Rights Committee has
recalled that
“article 26 prohibits both direct and indirect discrimination, the latter
notion being related to a rule or measure that may be neutral on its
face without any intent to discriminate but which nevertheless results
in discrimination because of its exclusive or disproportionate adverse
effect on a certain category of persons” 32.
The CESCR has declared that “[b]oth direct and indirect forms of differential
treatment can amount to discrimination under article 2, para-
30 CERD Committee, General Recommendation XIV on article 1, paragraph 1, of the
Convention, 17 March 1993, para. 2.
31 CERD Committee, L. R. et al. v. Slovakia, 7 March 2005, Communication
No. 31/2003, para. 10.4. See also CERD Committee, General Recommendation XXXII on
the meaning and scope of special measures in the International Convention on the Elimination
of All Forms Racial Discrimination, August 2009, para. 7.
32 Human Rights Committee, Derksen v. Netherlands, 1 April 2004, Communication
No. 976/2001, para. 9.3. See also Human Rights Committee, Althammer et al. v. Austria,
8 August 2003, Communication No. 998/2001, para. 10.2.
application de la ciedr (op. ind. iwasawa) 174
107
injustifiable à un groupe protégé constitue une discrimination, quand bien
même elle ne viserait pas spécifiquement ce groupe. Pour apprécier si cette
incidence est disproportionnée, il est nécessaire de procéder à une comparaison
entre différents groupes. Le contexte et les circonstances dans lesquels
la différenciation a été mise en oeuvre doivent être pris en compte
pour déterminer si la mesure en question est constitutive de discrimination.
52. Le Comité de la CIEDR a reconnu, dans sa pratique, la nécessité de
traiter non seulement de la discrimination directe, mais également de la
discrimination indirecte. Dans sa recommandation générale XIV de 1993,
concernant le paragraphe 1 de l’article premier de la convention, le Comité
a dit que « [p]our savoir si une mesure a un effet contraire à la Convention,
il se demandera si elle a une conséquence distincte abusive sur un
groupe différent par la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale
ou ethnique » 30. Dans l’affaire L. R. et consorts c. République slovaque,
il a rappelé ceci :
« [L]a définition de la discrimination raciale donnée à l’article premier
n’englobe pas seulement les mesures qui sont explicitement discriminatoires,
mais aussi les mesures qui ne sont pas discriminatoires
à première vue mais le sont dans les faits et dans leurs effets, c’est-àdire
des mesures qui représentent une discrimination indirecte. Pour
évaluer l’existence d’une discrimination indirecte, le Comité doit
prendre pleinement en compte les circonstances et le contexte particuliers
entourant la requête, puisque, par définition, la discrimination
indirecte ne peut être démontrée que par des preuves
indirectes. » 31
53. Les autres organes conventionnels des droits de l’homme ont également
souscrit à la notion de discrimination indirecte. Comme l’a rappelé
le Comité des droits de l’homme,
« l’article 26 interdit la discrimination tant directe qu’indirecte, cette
dernière notion caractérisant une règle ou une mesure qui semble neutre
a priori ou dénuée de toute intention discriminatoire mais qui peut
néanmoins entraîner une discrimination du fait de son effet négatif,
exclusif ou disproportionné, sur une certaine catégorie de personnes » 32.
Selon le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, « [c]ertaines
formes directes ou indirectes de traitement différencié peuvent être consti-
30 Comité de la CIEDR, recommandation générale XIV concernant le paragraphe 1 de
l’article premier de la convention, 17 mars 1993, par. 2.
31 Comité de la CIEDR, L. R. et consorts. c. République slovaque, 7 mars 2005, communication
no 31/2003, par. 10.4. Voir aussi Comité de la CIEDR, recommandation générale
XXXII, signification et portée des mesures spéciales dans la convention internationale
sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, août 2009, par. 7.
32 Comité des droits de l’homme, Derksen c. Pays-Bas, 1er avril 2004, communication
no 976/2001, par. 9.3. Voir aussi Comité des droits de l’homme, Althammer et consorts
c. Autriche, 8 août 2003, communication no 998/2001, par. 10.2.
108
175 application of the cerd (sep. op. iwasawa)
graph 2, of the Covenant”, defining indirect discrimination as “laws,
policies or practices which appear neutral at face value, but have a disproportionate
impact on the exercise of Covenant rights as distinguished
by prohibited grounds of discrimination” 33. Similarly, the Committee on
the Elimination of Discrimination against Women has declared that
“States parties shall ensure that there is neither direct nor indirect discrimination
against women”, and explained when indirect discrimination
occurs 34.
54. Regional human rights courts have accepted the notion of indirect
discrimination as well. For example, the ECtHR has stated that “a policy
or measure that has disproportionately prejudicial effects on a particular
group may be considered discriminatory, regardless of whether the policy
or measure is specifically aimed at that group” 35. Similarly, the IACtHR
has considered that
“a violation of the right to equality and non‑discrimination also
occurs in situations and cases of indirect discrimination reflected in
the disproportionate impact of norms, actions, policies or other measures
that, even when their formulation is or appears to be neutral, or
their scope is general and undifferentiated, have negative effects on
certain vulnerable groups” 36.
55. The CERD Committee has applied the notion of indirect discrimination
in the context of the treatment of non‑citizens. In B. M. S. v. Australia,
the Committee examined a quota system introduced by Australia
that limited the number of doctors trained abroad who were permitted to
pass the first stage of the medical examination process to be registered as
a doctor in that country. The Committee held that it could not reach the
conclusion that “the system works to the detriment of persons of a
particular
race or national origin” and therefore found that the facts as
submitted did not disclose a violation of CERD. It nonetheless recommended
to Australia to take measures and improve the transparency of the
medical registration procedure to ensure that “the system is in no way
discriminatory towards foreign candidates irrespective of their race
33 CESCR, General Comment No. 20, supra note 4, para. 10.
34 Committee on the Elimination of Discrimination against Women, General Recommendation
No. 28 on the core obligations of States parties under article 2 of the Convention
on the Elimination of All Forms of Discrimination against Women, 19 October 2010,
para. 16.
35 ECtHR, First Section, J.D. and A v. the United Kingdom, judgment of 24 October
2019, Nos. 32949/17 and 34614/17, para. 85.
36 IACtHR, Nadege Dorzema et al. v. Dominican Republic, judgment of 24 October
2012, para. 235.
108
application de la ciedr (op. ind. iwasawa) 175
tutives de discrimination au regard du paragraphe 2 de l’article 2 [du
Pacte] », définissant la discrimination indirecte comme s’entendant « de
lois, de politiques ou de pratiques qui semblent neutres a priori mais qui
ont un effet discriminatoire disproportionné sur l’exercice des droits
consacrés par le Pacte eu égard à des motifs de discrimination interdits
» 33. De la même manière, le Comité pour l’élimination de la discrimination
à l’égard des femmes a déclaré que « [les Etats parties] d[evai]ent
veiller à ce qu’il n’y ait ni discrimination directe ni discrimination indirecte
[à l’égard des femmes] », et expliqué dans quels cas se produit la
discrimination indirecte 34.
54. Les juridictions régionales des droits de l’homme ont également
admis la notion de discrimination indirecte. La CEDH a ainsi déclaré
qu’« une mesure ou politique ayant des effets préjudiciables disproportionnés
sur un groupe donné peut être considérée comme discriminatoire,
qu’elle vise spécifiquement ou non ce groupe » 35. De même, de l’avis de la
Cour interaméricaine des droits de l’homme,
« une violation du droit à l’égalité et à la non-discrimination
se produit
également dans les situations et les cas de discrimination indirecte,
reflétée dans l’effet disproportionné de normes, d’actions, de
politiques ou de mesures qui, quand bien même leur formulation est
neutre ou semble l’être, ou leur portée est générale et n’opère pas de
distinction, ont des effets négatifs sur certains groupes vulnérables » 36.
55. Le Comité de la CIEDR a appliqué la notion de discrimination
indirecte dans le contexte du traitement réservé aux non-ressortissants.
Dans l’affaire B. M. S. c. Australie, le Comité a examiné un système de
quota, mis en place par le Gouvernement australien, limitant le nombre
de médecins formés à l’étranger qui étaient autorisés à aller au-
delà de la
première épreuve des examens de passage en vue de devenir médecin
agréé dans ce pays. Ayant estimé que les éléments produits ne permettaient
pas de conclure que « le système désavantage[ait] des personnes
d’une race ou d’une origine nationale particulière », le Comité a jugé que
les faits, tels qu’ils lui avaient été communiqués, ne faisaient pas apparaître
de violation de la CIEDR. Il a néanmoins recommandé à l’Australie
de prendre des mesures et d’améliorer la transparence de la procédure
33 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, observation générale no 20, voir
note 4 ci-
dessus,
par. 10.
34 Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, recommandation
générale no 28 concernant les obligations fondamentales des Etats parties découlant de
l’article 2 de la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard
des femmes, 19 octobre 2010, par. 16.
35 CEDH, J.D. et A c. Royaume Uni, première section, arrêt du 24 octobre 2019,
requêtes nos 32949/17 et 34614/17, par. 85.
36 Cour interaméricaine des droits de l’homme, Nadege Dorzema et al. v. Dominican
Republic, arrêt du 24 octobre 2012, par. 235.
176 application of the cerd (sep. op. iwasawa)
109
or national or ethnic origin” 37. In addition, the Committee has consistently
asked States parties to report on the status of non‑citizens, particularly
migrants and refugees, who often belong to a single ethnic group
and are susceptible to racial discrimination based on one of the prohibited
grounds listed in Article 1, paragraph 1, of CERD. It has rejected an
interpretation of Article 1, paragraph 2, that would “absolv[e] States parties
from any obligation to report on matters relating to legislation on
foreigners”, affirming that “States parties are under an obligation to
report fully upon legislation on foreigners and its implementation” 38.
After considering reports submitted by States parties, the Committee regularly
adopts concluding observations that include recommendations on
the treatment of non‑citizens. These practices of the CERD Committee
can be explained by the notion of indirect discrimination. While differentiation
of treatment based on nationality does not per se constitute racial
discrimination within the meaning of CERD, it constitutes racial discrimination
if it has the “purpose or effect” of discrimination based on one of
the prohibited grounds in Article 1, paragraph 1.
56. In September 2001, the World Conference against Racism, Racial
Discrimination, Xenophobia and Related Intolerance held in Durban,
South Africa, adopted a Declaration against Racism, Racial Discrimination,
Xenophobia and Related Intolerance (hereinafter the “Durban Declaration”).
The Durban Declaration stated that “racism, racial
discrimination, xenophobia and related intolerance occur on the grounds of
race, colour, descent or national or ethnic origin” (Durban Declaration,
para. 2; emphasis added), and that
“xenophobia against non‑nationals, particularly migrants, refugees
and asylum‑seekers, constitutes one of the main sources of contemporary
racism and . . . human rights violations against members of
such groups occur widely in the context of discriminatory, xenophobic
and racist practices” (ibid., para. 16).
The drafters of the Durban Declaration considered that xenophobia
against non‑nationals “constitutes one of the main sources of contemporary
racism”, presumably because it often has the purpose or effect of
discrimination based on “race, colour, descent or national or ethnic origin”.
Thus, the concern expressed by the Durban Declaration about
xenophobia against non‑nationals may also be explained by the notion of
indirect discrimination.
37 CERD Committee, B. M. S. v. Australia, 12 March 1999, Communication
No. 8/1996, paras. 9.2, 10 and 11.1.
38 CERD Committee, General Recommendation XI, supra note 11, para. 2.
application de la ciedr (op. ind. iwasawa) 176
109
d’agrément de façon à garantir que « le système ne soit en rien discriminatoire
à l’égard des candidats étrangers, quelles que soient leur race ou leur
origine nationale ou ethnique » 37. En outre, le Comité n’a eu de cesse de
demander aux Etats parties de lui faire rapport sur la situation des non-ressortissants,
en particulier des migrants et des réfugiés, qui appartiennent
souvent à un seul groupe ethnique et sont susceptibles de subir
une discrimination raciale sur la base de l’un des motifs prohibés énumérés
au paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR. Il a rejeté une interprétation
du paragraphe 2 de cet article qui « dégage[rait] les Etats parties
de toute obligation de fournir des informations sur les lois relatives aux
étrangers », affirmant que « les Etats parties ont l’obligation de fournir des
renseignements complets sur les lois en question et leur application » 38.
Après examen des rapports soumis par les Etats parties, le Comité adopte
régulièrement des observations finales qui comprennent des recommandations
relatives au traitement des non-ressortissants.
Ces pratiques du
Comité de la CIEDR peuvent être éclairées par la notion de discrimination
indirecte. Si une différence de traitement fondée sur la nationalité ne
constitue pas, en elle-même, une discrimination raciale au sens de la
CIEDR, elle est constitutive de discrimination raciale si elle a « pour but
ou pour effet » d’opérer une discrimination sur la base de l’un des motifs
prohibés par le paragraphe 1 de l’article premier.
56. En septembre 2001, la conférence mondiale contre le racisme, la
discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée,
tenue à Durban en Afrique du Sud, a adopté la déclaration de Durban,
selon laquelle « le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance
qui y est associée reposent sur des considérations de race, de couleur,
d’ascendance ou d’origine nationale ou ethnique » (déclaration de
Durban, par. 2 ; les italiques sont de moi), et
« la xénophobie dont les non-ressortissants,
en particulier les
migrants, les réfugiés et les demandeurs d’asile, sont l’objet est l’une
des grandes sources du racisme contemporain et … les violations des
droits fondamentaux de ces groupes relèvent pour la plupart de pratiques
discriminatoires, xénophobes et racistes » (ibid., par. 16).
Les rédacteurs de cette déclaration ont considéré que la xénophobie à
l’égard des non-ressortissants
« [étai]t l’une des grandes sources du racisme
contemporain », probablement en raison du fait que, souvent, celle-
ci a
pour but ou pour effet d’opérer une discrimination fondée sur « la race, la
couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique ». Ainsi, la préoccupation
exprimée dans la déclaration de Durban au sujet de la xénophobie
contre les non-ressortissants
peut également être expliquée par la
notion de discrimination indirecte.
37 Comité de la CIEDR, B. M. S. c. Australie, 12 mars 1999, communication no 8/1996,
par. 9.2, 10, 11.1.
38 Comité de la CIEDR, recommandation générale XI, voir note 11 ci-
dessus,
par. 2.
177 application of the cerd (sep. op. iwasawa)
110
57. In 2004, influenced by the Durban Declaration, the CERD Committee
adopted General Recommendation XXX on discrimination
against non‑citizens 39. In its paragraph 4, the Committee proclaimed:
“Under the Convention, differential treatment based on citizenship
or immigration status will constitute discrimination if the criteria for
such differentiation, judged in the light of the objectives and purposes
of the Convention, are not applied pursuant to a legitimate aim, and
are not proportional to the achievement of this aim.” 40
The phrase “judged in the light of the objectives and purposes of the Convention”
in this context may be understood as referring to situations
where differential treatment based on citizenship has the purpose or effect
of discriminating on the basis of a prohibited ground listed in Article 1,
paragraph 1, of CERD, that is, indirect discrimination.
58. Finally, the notion of indirect discrimination presumably underlies
the CERD Committee’s decision on the admissibility of the inter‑State
communication brought by Qatar against the UAE pursuant to Article 11
of CERD. The Committee concluded that the allegations submitted by
Qatar “do not fall outside the scope of competence ratione materiae of the
Convention”, relying primarily on its previous practice, in particular
paragraph 4 of General Recommendation XXX 41. As noted above, paragraph
4 can be explained by the notion of indirect discrimination. The
Committee may have come to the above conclusion precisely because differentiation
based on current nationality is capable of constituting racial
discrimination indirectly.
4. The Objection of the UAE Does Not Possess an Exclusively
Preliminary Character
59. In accordance with the notion of indirect discrimination explained
in the previous Section, if differentiation of treatment based on current
nationality has an unjustifiable disproportionate prejudicial impact on an
identifiable group distinguished by “race, colour, descent, or national or
ethnic origin”, it constitutes racial discrimination within the meaning of
Article 1, paragraph 1, of CERD.
60. In the present case, Qatar has explicitly acknowledged that “it is on
39 CERD Committee, General Recommendation XXX, supra note 10.
40 Ibid., para. 4. The Committee thus employed the framework it had used for discrimination
under Article 1, paragraph 1, to examine differential treatment based on citizenship.
See CERD Committee, General Recommendation XIV, supra note 30, para. 2.
41 CERD Committee, Decision on the admissibility of the inter‑State communication
submitted by Qatar against the United Arab Emirates, dated 27 August 2019,
UN doc. CERD/C/99/4, paras. 57‑63.
application de la ciedr (op. ind. iwasawa) 177
110
57. En 2004, sous l’influence de la déclaration de Durban, le Comité de
la CIEDR a adopté la recommandation générale XXX concernant
la discrimination
contre les non-ressortissants
39. Au paragraphe 4 de
celle-
ci, le Comité affirmait ce qui suit :
« Aux termes de la Convention, l’application d’un traitement différent
fondé sur le statut quant à la citoyenneté ou à l’immigration
constitue une discrimination si les critères de différenciation, jugés à
la lumière des objectifs et des buts de la Convention, ne visent pas un
but légitime et ne sont pas proportionnés à l’atteinte de ce but. » 40
L’expression « jugés à la lumière des objectifs et des buts de la Convention
», dans ce contexte, peut s’entendre comme se rapportant aux situations
dans lesquelles les différences de traitement fondées sur la nationalité
ont pour but ou pour effet d’opérer une discrimination sur la base d’un
motif prohibé figurant au paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR,
à savoir la discrimination indirecte.
58. Enfin, la notion de discrimination indirecte sous-tend vraisemblablement
la décision du Comité de la CIEDR sur la recevabilité de la communication
interétatique soumise par le Qatar contre les Emirats arabes
unis en application de l’article 11 de la CIEDR. Le Comité, s’appuyant
principalement sur sa pratique antérieure, en particulier le paragraphe 4
de la recommandation générale XXX 41, a conclu que les griefs soulevés
par le Qatar « ne sort[ai]ent pas du champ de [s]a compétence ratione
materiae ». Comme il a été relevé ci‑dessus, le paragraphe 4 peut être analysé
à la lumière de la notion de discrimination indirecte. Il se peut que le
Comité soit parvenu à cette conclusion précisément parce que le traitement
différencié fondé sur la nationalité actuelle est susceptible de constituer
indirectement une discrimination raciale.
4. L’exception soulevée par les Emirats arabes unis
n’a pas un caractère exclusivement préliminaire
59. Conformément à la notion de discrimination indirecte expliquée à
la section précédente, si la différence de traitement fondée sur la nationalité
actuelle a un effet préjudiciable disproportionné sur un groupe différent
par « la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou
ethnique », elle est constitutive de discrimination raciale au sens du paragraphe
1 de l’article premier de la CIEDR.
60. En la présente espèce, le Qatar a explicitement reconnu que « c’est
39 Comité de la CIEDR, recommandation générale XXX, voir note 10 ci-
dessus.
40 Ibid., par. 4. Le Comité a ainsi eu recours au cadre qu’il avait utilisé pour statuer sur
la discrimination au titre du paragraphe 1 de l’article premier pour se prononcer sur les
différences de traitement fondées sur la citoyenneté. Comité de la CIEDR, recommandation
générale XIV, voir note 30 ci-
dessus,
par. 2.
41 Nations Unies, Comité de la CIEDR, décision sur la recevabilité de la communication
interétatique soumise par le Qatar contre les Emirats arabes unis, 27 août 2019,
doc. CERD/C/99/4, par. 57‑63.
178 application of the cerd (sep. op. iwasawa)
111
‘national origin’ that [it] bases its claims” 42. It claims that the UAE has
engaged in indirect discrimination against persons of Qatari national origin.
It does not claim that the measures taken by the UAE were discriminatory
on the basis of another protected ground — “race, colour, descent,
or ethnic origin”. The UAE for its part contends that the measures complained
of by Qatar do not constitute indirect discrimination on the basis
of national origin. It maintains that no measure was taken, in terms of
either purpose or effect, against any person other than those belonging to
the group defined by Qatari nationality.
61. The task of the Court, therefore, is to determine whether the measures
taken by the UAE on the basis of current nationality have an unjustifiable
disproportionate prejudicial effect on an identifiable group
distinguished by national origin. In order to make this determination, it is
first necessary to identify a group that is distinguished by “national origin”
and entitled to protection under CERD. Subsequently, it must be
assessed whether the measures have an unjustifiable disproportionate
prejudicial impact on that protected group compared to other groups.
62. With regard to the first issue, Qatar contends that Qataris can be
distinguished by their “national origin” in the historical‑cultural sense,
defined by their heritage or descent, family or tribal affiliations, national
traditions and culture, and geographic ties to the peninsula of Qatar. It
argues that several factors, including dialect or accent, traditional dress
and family affiliations, distinguish Qataris from other national communities
in the Gulf region. Qatar relies mainly on an expert report in support
of this contention 43. The UAE for its part argues that Qatari and Emirati
people share geographical ties, as well as a common ancestry, language,
heritage, traditions and culture, to such an extent that they are the same
people, albeit with different nationalities. However, it submits no evidence
in support of this contention. The UAE accepts that “[d]isguised
discrimination would come within the scope of . . . CERD”, but maintains
that “there is no discrimination, whether open or disguised, direct or
indirect, against a CERD protected group” 44. Thus, the very existence of a
protected group under CERD is contested by the Parties. Based on the
pleadings of the Parties and the evidence submitted, the Court is not in a
position to establish whether a CERD protected group can be distinguished
by national origin. The materials before the Court do not provide
it with all the facts needed to resolve the first issue.
42 CR 2020/9, p. 17, para. 19 (Amirfar).
43 Memorial of Qatar (MQ), Vol. VI, Ann. 162, Expert Report of Dr. J. E. Peterson,
9 April 2019.
44 CR 2020/8, p. 14, para. 10 (Bethlehem); emphasis in the original.
application de la ciedr (op. ind. iwasawa) 178
111
sur l’« origine nationale » que le Qatar fonde ses réclamations » 42. Il soutient
que les Emirats arabes unis se sont livrés à une discrimination indirecte
à l’égard des personnes d’origine nationale qatarienne. Il ne prétend
pas que les mesures adoptées par les Emirats arabes unis étaient discriminatoires
au titre d’un autre motif prohibé, à savoir « la race, la couleur,
l’ascendance ou l’origine ethnique ». Les Emirats arabes unis, pour leur
part, affirment que les mesures dont le Qatar tire grief ne constituent pas
une discrimination indirecte fondée sur l’origine nationale. Ils soutiennent
qu’aucune mesure n’a été prise, pour ce qui est de leur but ou de leur
effet, contre un quelconque membre d’un groupe autre que celui défini
par la nationalité qatarienne.
61. Il appartient donc à la Cour de déterminer si les mesures prises par
les Emirats arabes unis sur le fondement de la nationalité actuelle nuisent
de manière disproportionnée et injustifiable à un groupe identifiable différent
par l’origine nationale. Pour ce faire, il lui faut d’abord identifier un
groupe différent par l’« origine nationale » et bénéficiant d’une protection
en vertu de la convention, puis évaluer si les mesures en cause ont un effet
préjudiciable disproportionné et injustifiable sur ce groupe protégé par
rapport à d’autres groupes.
62. S’agissant de la première question, le Qatar soutient que les Qatariens
se distinguent par leur « origine nationale » au sens historico-culturel,
définie par leur héritage ou ascendance, leur affiliation familiale ou tribale,
leurs traditions et leur culture nationales et leurs liens géographiques
avec la péninsule du Qatar. Selon lui, plusieurs facteurs, notamment le
dialecte ou l’accent, les vêtements traditionnels ou l’appartenance à certaines
familles, distinguent les Qatariens des autres communautés nationales
de la région du Golfe. Pour étayer cette affirmation, le Qatar
invoque principalement un rapport d’expert 43. Les Emirats arabes unis,
quant à eux, avancent que les Qatariens et les Emiriens partagent des
liens géographiques ainsi qu’une hérédité, une langue, un patrimoine, des
traditions et une culture communs, à tel point qu’ils constituent le même
peuple, même si les nationalités sont différentes. Ils ne produisent toutefois
aucun élément de preuve à l’appui de cette affirmation. Les Emirats
arabes unis admettent que « [l]a discrimination déguisée relève bien du
champ d’application de la CIEDR », mais soutiennent qu’« il n’y a pas de
discrimination, qu’elle soit ouverte ou déguisée, directe ou indirecte, à
l’égard d’une catégorie protégée par la CIEDR » 44. L’existence même d’un
groupe protégé par la CIEDR est donc contestée par les Parties. Sur la
base des écritures et plaidoiries des Parties et des éléments de preuve présentés,
la Cour n’est pas en mesure de déterminer si un groupe protégé
par la CIEDR peut être différent par l’origine nationale. Au vu du dossier
de l’affaire, elle ne dispose pas de tous les faits nécessaires pour se prononcer
sur la première question.
42 CR 2020/9, p. 17, par. 19 (Amirfar).
43 Mémoire du Qatar (ci-
après « MQ »), vol. VI, annexe 162, rapport d’expert de
M. J. E. Peterson, 9 avril 2019.
44 CR 2020/8, p. 14, par. 10 (Bethlehem) ; les italiques sont dans l’original.
179 application of the cerd (sep. op. iwasawa)
112
63. The second issue is whether the challenged measures have an unjustifiable
disproportionate prejudicial impact on the protected group compared
to other groups. Qatar claims that the measures have a
“disproportionate impact” on the rights of Qataris 45. The UAE for its
part contends that the measures are addressed to Qatari nationals, and
not persons of Qatari national origin. It maintains that persons of Qatari
national origin but not possessing Qatari nationality were neither
addressed nor affected by the measures, and that persons of Qatari
nationality but possessing some other national origin were nonetheless
addressed and affected by the measures.
64. In order for the measures challenged here to constitute indirect discrimination,
they must have an unjustifiable disproportionate prejudicial
impact on the identified protected group in comparison with other groups.
Qatar bears the burden of establishing such a disproportionate impact.
On the other hand, the UAE has the burden of demonstrating that the
measures were based exclusively on nationality. The context and circumstances
in which the differentiation was introduced must be taken into
account in determining whether the measures amount to discrimination.
The examination of these questions requires extensive factual analysis. In
the same way as for the first issue addressed above, the materials before
the Court do not provide it with all the facts necessary to address the
second issue. Moreover, these issues constitute the very subject‑matter of
the dispute on the merits, and as such their determination should be left
to the merits stage. The Court should rule on them only after the Parties
have presented their arguments and evidence at that stage.
65. The majority of the Court considers that “[w]hile in the present case
the measures based on current Qatari nationality may have collateral or
secondary effects on persons born in Qatar or of Qatari parents, or on
family members of Qatari citizens residing in the UAE, this does not constitute
racial discrimination within the meaning of the Convention”,
because they “do not, either by their purpose or by their effect, give rise
to racial discrimination against Qataris as a distinct social group on the
basis of their national origin”. In its view, “even if the measures of which
Qatar complains in support of its ‘indirect discrimination’ claim were to
be proven on the facts, they are not capable of constituting racial discrimination
within the meaning of the Convention” (Judgment, para. 112).
Accordingly, it concludes that the Court “does not have jurisdiction ratione
materiae to entertain Qatar’s [claim of indirect discrimination]” (ibid.,
para. 113).
66. I disagree with the majority’s analysis and its conclusion on Qatar’s
claim of indirect discrimination. If it were proven on the facts that the
measures have an unjustifiable disproportionate prejudicial impact on an
45 MQ, para. 3.109; Written Statement of Qatar on the Preliminary Objections of the
United Arab Emirates (WSQ), para. 2.111.
application de la ciedr (op. ind. iwasawa) 179
112
63. La seconde question est celle de savoir si les mesures contestées ont
un effet préjudiciable disproportionné et injustifiable sur le groupe protégé
par rapport aux autres groupes. Le Qatar allègue que les mesures en
cause ont des « incidences disproportionnées » sur les droits des Qatariens
45. De leur côté, les Emirats arabes unis affirment que ces mesures
visent les nationaux qatariens, et non les personnes d’origine nationale
qatarienne. Ils soutiennent que les personnes d’origine nationale qatarienne,
mais ne détenant pas la nationalité qatarienne, n’ont été ni visées
ni touchées par les mesures, contrairement aux personnes de nationalité
qatarienne mais possédant une autre origine nationale.
64. Pour que les mesures contestées en l’espèce soient constitutives de
discrimination indirecte, elles doivent avoir un effet préjudiciable disproportionné
et injustifiable sur le groupe protégé identifié par rapport aux
autres groupes. S’il incombe au Qatar de prouver un tel effet disproportionné,
c’est aux Emirats arabes unis qu’il revient de démontrer que ces
mesures étaient fondées exclusivement sur la nationalité. Le contexte et
les circonstances dans lesquels la différenciation a été mise en oeuvre
doivent être pris en compte pour déterminer si la mesure en cause est
constitutive de discrimination. L’examen de ces questions requiert une
analyse factuelle approfondie. De même que, pour la première question
traitée ci-
dessus,
les faits dont dispose la Cour ne lui permettent pas de se
prononcer sur la seconde question. En outre, ces questions constituent
l’objet même du différend au fond, et c’est donc au stade du fond qu’elles
devraient être tranchées. La Cour ne devrait statuer à leur sujet qu’après
la présentation des arguments et des éléments de preuve de chaque Partie
à ce stade ultérieur.
65. La majorité de la Cour est d’avis que, « [e]n la présente espèce, bien
que les mesures fondées sur la nationalité actuelle des ressortissants qatariens
puissent produire des effets collatéraux ou secondaires sur des personnes
nées au Qatar ou de parents qatariens, ou sur des proches de
ressortissants qatariens résidant aux Emirats arabes unis, il ne s’agit pas
là d’une discrimination raciale au sens de la convention » parce qu’elles
« n’entraînent pas, par leur but ou par leur effet, une discrimination
raciale à l’égard des Qatariens en tant que groupe social distinct au motif
de leur origine nationale ». Selon elle, « quand bien même les mesures
dont le Qatar tire grief dans le cadre de son allégation de « discrimination
indirecte » seraient avérées, elles ne peuvent être constitutives de discrimination
raciale au sens de la convention » (arrêt, par. 112). Elle conclut en
conséquence que la Cour « n’est pas compétente ratione materiae pour
connaître de la … demande du Qatar [relative à la discrimination indirecte]
» (ibid., par. 113).
66. Je suis en désaccord avec l’analyse de la majorité et avec sa conclusion
concernant la demande du Qatar relative à la discrimination indirecte.
S’il était avéré que les mesures ont un effet préjudiciable
45 MQ, par. 3.109 ; exposé écrit du Qatar [sur les exceptions préliminaires soulevées par
les Emirats arabes unis] (ci-
après « EEQ »), par. 2.111.
180 application of the cerd (sep. op. iwasawa)
113
identifiable group distinguished by national origin and that they were not
based exclusively on nationality, the measures would constitute racial discrimination
within the meaning of the Convention, in accordance with
the notion of indirect discrimination. The majority provides little analysis
in support of its conclusion that while the measures based on current
Qatari nationality may have “collateral or secondary effects” on Qataris,
they do not, “either by their purpose or by their effect”, give rise to racial
discrimination against Qataris “as a distinct social group on the basis of
their national origin”. By drawing that conclusion, the majority has in
effect determined the dispute on the merits at the preliminary objections
stage.
67. In the case concerning the Application of the International Convention
for the Suppression of the Financing of Terrorism and of the International
Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination
(Ukraine v. Russian Federation), the Court pointed out that, at the preliminary
objections stage, it only needs to ascertain whether the challenged
measures are capable of affecting the rights protected by CERD,
and that it does not need to satisfy itself that the measures actually constitute
racial discrimination within the meaning of Article 1, paragraph 1,
of CERD, or to what extent certain acts may be covered by Article 1,
paragraphs 2 and 3, of CERD. The Court explained that “[both of these]
determinations concern issues of fact, largely depending on evidence
regarding the purpose or effect of the measures alleged . . . and are thus
properly a matter for the merits” 46. The same is true for Qatar’s claim of
indirect discrimination in the present case.
68. It is also a relevant consideration that Qatar developed its claim of
indirect discrimination significantly during the preliminary objections
stage. In the Court’s first provisional measures Order in the present case,
five judges took the view that nationality was not encompassed within the
term “national origin” 47. Judges Tomka, Gaja and Gevorgian observed
in addition that “[the] possibility [of indirect discrimination] has not been
suggested by Qatar” 48. During the oral proceedings on the preliminary
objections in the present case, the UAE contended that “nowhere is [the]
indirect discrimination claim referred to in Qatar’s Application” and that
46 Application of the International Convention for the Suppression of the Financing of
Terrorism and of the International Convention on the Elimination of All Forms of Racial
Discrimination (Ukraine v. Russian Federation), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J.
Reports 2019 (II), p. 595, para. 94; emphasis added.
47 Application of the International Convention on the Elimination of All Forms of Racial
Discrimination (Qatar v. United Arab Emirates), Provisional Measures, Order of 23 July
2018, I.C.J. Reports 2018 (II), joint declaration of Judges Tomka, Gaja and Gevorgian,
p. 436, paras. 4-5; dissenting opinion of Judge Crawford, p. 475, para. 1; dissenting opinion
of Judge Salam, pp. 481‑483, paras. 2‑7.
48 Ibid., joint declaration of Judges Tomka, Gaja and Gevorgian, p. 437, para. 6.
application de la ciedr (op. ind. iwasawa) 180
113
disproportionné et injustifiable sur un groupe identifiable différent par
l’origine nationale, et qu’elles n’étaient pas exclusivement basées sur la
nationalité, les mesures constitueraient une discrimination raciale au sens
de la convention, relevant de la notion de discrimination indirecte. La
majorité ne propose pas d’analyse approfondie pour appuyer sa conclusion
selon laquelle, bien que les mesures fondées sur la nationalité actuelle
des ressortissants qatariens puissent produire « des effets collatéraux ou
secondaires » sur les Qatariens, elles n’entraînent pas, « par leur but ou
par leur effet », une discrimination raciale à l’égard des Qatariens « en tant
que groupe social distinct au motif de [l’]origine nationale ». En tirant
cette conclusion, la majorité a, de fait, tranché le différend au fond au
stade des exceptions préliminaires.
67. Comme elle l’a fait observer en l’affaire relative à l’Application de la
convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et
de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination
raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), la Cour, au stade
des exceptions préliminaires, doit seulement déterminer si les mesures
contestées sont susceptibles de porter atteinte aux droits protégés par la
CIEDR, et n’a pas besoin de s’assurer que ces mesures constituent effectivement
une « discrimination raciale » au sens du paragraphe 1 de l’article
premier de la CIEDR, ni dans quelle mesure certains actes pourraient
être couverts par les paragraphes 2 et 3 de l’article premier de la convention.
La Cour a expliqué que « [c]es deux questions port[ai]ent sur des
points de fait, largement tributaires des éléments de preuve relatifs au but
ou à l’effet des mesures alléguées … et rel[evai]ent donc de l’examen au
fond » 46. Il en va de même de la demande du Qatar relative à la discrimination
indirecte en l’espèce.
68. Il convient également de tenir compte du fait que le Qatar a considérablement
étoffé son allégation de discrimination indirecte lors de la
phase des exceptions préliminaires. Dans la première ordonnance en indication
de mesures conservatoires rendue par la Cour en l’espèce, cinq
juges ont émis l’avis que l’expression « origine nationale » n’englobait pas
la nationalité 47. MM. les juges Tomka, Gaja et Gevorgian ont souligné en
outre que la « possibilité [de discrimination indirecte] … n’a … pas été
évoquée par le Qatar » 48. Durant la procédure orale sur les exceptions
préliminaires en l’espèce, les Emirats arabes unis ont soutenu que « le
46 Application de la convention internationale pour la répression du financement du
terrorisme
et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination
raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2019 (II), p. 595, par. 94 ; les italiques sont de moi.
47 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale (Qatar c. Emirats arabes unis), mesures conservatoires, ordonnance
du 23 juillet 2018, C.I.J. Recueil 2018 (II), voir note 29 ci-
dessus,
déclaration commune
de MM. les juges Tomka, Gaja et Gevorgian, p. 436, par. 4-5 ; opinion dissidente de M. le
juge Crawford, p. 475, par. 1 ; opinion dissidente de M. le juge Salam, p. 481‑483, par. 2-7.
48 Ibid., déclaration commune de MM. les juges Tomka, Gaja et Gevorgian, p. 437,
par. 6.
181 application of the cerd (sep. op. iwasawa)
114
“to try and patch a leaky argument, Qatar’s counsel asserted . . . that
Qatar’s is an indirect discrimination claim” 49. It should be noted, however,
that in its Application, Qatar did refer to discrimination “de jure or
de facto” on the basis of national origin and that in its Request for the
indication of provisional measures, it requested that the Court order the
UAE to cease and desist from any and all conduct that could result,
“directly or indirectly”, in any form of racial discrimination against
Qatari individuals and entities 50. In its Memorial, Qatar also contended
that the UAE’s measures had a discriminatory “effect” on Qataris 51.
Nevertheless,
it is true that the Applicant significantly developed its
arguments
on indirect discrimination at the preliminary objections stage, in
its Written Statement 52 and in particular in its oral pleadings. The Court
properly points out in this regard that “the subject‑matter of a dispute is
not limited by the precise wording that an applicant State uses in its
application” (Judgment, para. 61), and that “the Rules of Court do not
preclude Qatar from refining the legal arguments presented in its Application
or advancing new arguments” (ibid., paras. 63 and 68).
69. It is nonetheless important to keep in mind that in preliminary
objection proceedings, the parties have only one chance to exchange written
submissions. After Qatar submitted its Written Statement in response
to the UAE’s Preliminary Objections, the UAE had no further opportunity
to refute in writing the arguments made by the Applicant therein,
including those pertaining to the claim of indirect discrimination. During
the oral proceedings, the Parties did exchange arguments on indirect discrimination,
but only to a limited extent and not thoroughly. Qatar’s
claim of indirect discrimination should have been examined in detail by
the Court at the merits stage, after being fully apprised of the relevant
facts, evidence and arguments of the Parties.
70. Under Article 79ter, paragraph 4, of the Rules of Court, when it is
called upon to rule on a preliminary objection, the Court shall uphold or
reject it, or “declare that, in the circumstances of the case, [it] does not
possess an exclusively preliminary character”.
71. The Court has previously expressed its view on the resolution of
preliminary objections as follows:
“In principle, a party raising preliminary objections is entitled to
have these objections answered at the preliminary stage of the pro-
49 CR 2020/8, p. 28, para. 25 (Sheeran).
50 Application of Qatar, p. 60, para. 66; Request for the indication of provisional
measures of Qatar, para. 19.
51 MQ, Chap. III, Sec. I.B.2.
52 WSQ, Chap. II, Sec. III.
application de la ciedr (op. ind. iwasawa) 181
114
Qatar ne fai[sai]t nullement état de discrimination indirecte dans sa
requête » et que, « pour tenter de remettre à flot un argument qui prend
l’eau de toutes parts, le conseil du Qatar … affirm[ait] … que la discrimination
dénoncée par le Qatar [étai]t de nature indirecte » 49. Il convient
cependant de noter que, dans sa requête, le Qatar avait, de fait, mentionné
une discrimination « de jure ou de facto » au motif de l’origine
nationale et que, dans sa demande en indication de mesures conservatoires,
il avait prié la Cour d’ordonner aux Emirats arabes unis de cesser
et de s’abstenir de commettre tout acte pouvant entraîner, « directement
ou indirectement », une forme quelconque de discrimination raciale à
l’égard de Qatariens ou d’entités du Qatar 50. Dans son mémoire, le Qatar
a également affirmé que les mesures prises par les Emirats arabes unis
avaient un « effet » discriminatoire sur les Qatariens 51. Pour autant, il est
vrai que le demandeur a développé son argumentation sur la discrimination
indirecte de façon significative au stade des exceptions préliminaires,
notamment dans son exposé écrit 52 et, plus encore, dans ses plaidoiries. A
cet égard, la Cour fait remarquer, fort à propos, que « l’objet d’un différend
n’est pas limité par les termes expressément utilisés par l’Etat demandeur
dans sa requête » (arrêt, par. 61) et que le « Règlement [de la Cour]
n’interdit pas au Qatar d’affiner l’argumentation juridique présentée dans
sa requête ou d’avancer de nouveaux arguments » (ibid., par. 63 et 68).
69. Il importe cependant de garder à l’esprit que, lors de la phase des
exceptions préliminaires, les parties n’ont qu’une seule occasion de
confronter leurs vues dans le cadre d’écritures. Après le dépôt par le
Qatar de son exposé écrit en réponse aux exceptions préliminaires soulevées
par les Emirats arabes unis, ces derniers n’avaient pas la possibilité
de réfuter par écrit les arguments qu’y avançait le demandeur, y compris
ceux ayant trait à la discrimination indirecte. A l’audience, les Parties ont
présenté l’une et l’autre leurs arguments à cet égard, mais seulement dans
une mesure limitée et pas de manière approfondie. La demande du Qatar
relative à la discrimination indirecte aurait dû être examinée en détail par
la Cour au stade du fond, une fois celle-
ci pleinement informée des faits,
éléments de preuve et arguments pertinents des Parties.
70. Aux termes du paragraphe 4 de l’article 79ter du Règlement de la
Cour, lorsque celle-
ci est appelée à statuer sur une exception préliminaire, elle
la retient ou la rejette, ou elle peut « déclarer que, dans les circonstances de
l’espèce, [cette] exception n’a pas un caractère exclusivement préliminaire ».
71. La Cour a exprimé antérieurement sa position au sujet de l’examen
des exceptions préliminaires comme suit :
« En principe, une partie qui soulève des exceptions préliminaires a
droit à ce qu’il y soit répondu au stade préliminaire de la procédure,
49 CR 2020/8, p. 28, par. 25 (Sheeran).
50 Requête du Qatar, p. 61, par. 66 ; demande en indication de mesures conservatoires
du Qatar, par. 19.
51 MQ, chap. III, sect. I.B.2.
52 EEQ, chap. II, sect. III.
182 application of the cerd (sep. op. iwasawa)
115
ceedings unless the Court does not have before it all facts necessary to
decide the questions raised or if answering the preliminary objection
would determine the dispute, or some elements thereof, on the merits.” 53
In the present case, the Court does not have before it all facts necessary
to decide the two issues raised in relation to Qatar’s claim of indirect discrimination.
They are precisely the issues that should be examined in
detail by the Court at the merits stage. Furthermore, while the UAE’s
objection contains “both preliminary aspects and other aspects relating to
the merits”, it is “inextricably interwoven with the merits” 54. Thus, the
present case fulfils the criteria laid down by the Court for finding that a
preliminary objection does not possess an exclusively preliminary character.
72. For the reasons set out above, the Court should have declared that,
in the circumstances of the present case, the first preliminary objection of
the UAE does not have an exclusively preliminary character.
73. This conclusion is in line with the final submissions that the Applicant
made at the end of the oral pleadings. It asked the Court to “(a)
Reject the Preliminary Objections presented by the UAE; . . . (d) Or, in
the alternative, reject the Second Preliminary Objection . . . and hold . . .
that the First Preliminary Objection . . . does not possess an exclusively
preliminary character” 55. Qatar’s claim of indirect discrimination should
have been examined in detail by the Court at the merits stage, on the
basis of facts and evidence submitted by the Parties. The conclusion
drawn in paragraph 72 above should not be interpreted as prejudging in
any way the potential findings of the Court on the merits.
(Signed) Iwasawa Yuji.
53 Territorial and Maritime Dispute (Nicaragua v. Colombia), Preliminary Objections,
Judgment, I.C.J. Reports 2007 (II), p. 852, para. 51; emphasis added.
54 See Questions of Interpretation and Application of the 1971 Montreal Convention
arising from the Aerial Incident at Lockerbie (Libyan Arab Jamahiriya v. United States of
America), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1998, pp. 133‑134, para. 49;
Questions of Interpretation and Application of the 1971 Montreal Convention arising from
the Aerial Incident at Lockerbie (Libyan Arab Jamahiriya v. United Kingdom), Preliminary
Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1998, pp. 28‑29, para. 50.
55 CR 2020/9, p. 45, para. 9 (Al-Khulaifi).
application de la ciedr (op. ind. iwasawa) 182
115
sauf si la Cour ne dispose pas de tous les éléments nécessaires pour se
prononcer sur les questions soulevées ou si le fait de répondre à l’exception
préliminaire équivaudrait à trancher le différend, ou certains de ses
éléments, au fond. » 53
Dans la présente affaire, la Cour ne dispose pas de tous les éléments
nécessaires pour se prononcer sur les deux questions que soulève l’allégation
de discrimination indirecte formulée par le Qatar. Il s’agit là précisément
de questions qui devraient être examinées en détail par la Cour au
stade du fond. En outre, si l’exception des Emirats arabes unis comporte
« à la fois des aspects préliminaires et des aspects de fond », elle est « inextricablement
liée [au fond] » 54. La présente espèce satisfait donc aux critères
établis par la Cour pour déterminer qu’une exception préliminaire
n’a pas un caractère exclusivement préliminaire.
72. Pour les raisons exposées ci-
dessus,
la Cour aurait dû dire que, dans
les circonstances de la présente espèce, la première exception préliminaire
des Emirats arabes unis ne présentait pas un caractère exclusivement préliminaire.
73. Cette conclusion concorde avec les conclusions finales formulées
par le demandeur à la fin de ses plaidoiries, dans lesquelles il priait la
Cour « a) de rejeter les exceptions préliminaires soulevées par les Emirats
arabes unis ; … d) ou, à titre subsidiaire, de rejeter la deuxième exception
préliminaire … et de juger … que la première exception préliminaire … n’a
pas un caractère exclusivement préliminaire » 55. La demande du Qatar
relative à la discrimination indirecte aurait dû être examinée en détail par
la Cour au stade du fond, sur la base des faits et des éléments de preuve
présentés par les Parties. La conclusion énoncée ci-
dessus
au paragraphe
72 ne devrait pas être interprétée comme préjugeant d’une quelconque
manière celles auxquelles la Cour aurait pu parvenir sur le fond.
(Signé) Iwasawa Yuji.
53 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 852, par. 51 ; les italiques sont de moi.
54 Voir Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971
résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Etats-Unis d’Amérique),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 133‑134, par. 49 ; Questions
d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident
aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 28‑29, par. 50.
55 CR 2020/9, p. 45, par. 9 (Al-Khulaifi).

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Opinion individuelle de M. le juge Iwasawa

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