Opinion dissidente de M. le juge Robinson

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172-20210204-JUD-01-04-EN
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OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE ROBINSON
[Traduction]
1. Je ne souscris pas à la décision énoncée au paragraphe 115 de l’arrêt
de retenir la première exception préliminaire soulevée par les Emirats
arabes unis, ni à la conclusion selon laquelle la Cour n’a pas compétence
pour connaître de la requête déposée par le Qatar.
2. Il est établi que, pour que la Cour ait compétence pour se prononcer
sur la requête, les violations reprochées par le Qatar doivent entrer dans
les prévisions de la convention internationale sur l’élimination de toutes
les formes de discrimination raciale (ci‑après la « convention » ou la
« CIEDR ») 1.
Première exception préliminaire
3. Au paragraphe 56 de l’arrêt, la Cour évoque comme suit la manière
dont le Qatar a défini l’objet du différend :
« [l]e premier [chef de discrimination raciale] se rapporte à la « décision
d’expulsion » et aux « interdictions d’entrée », qui visent expressément
les nationaux qatariens, le second, aux restrictions imposées
à des sociétés de médias qatariennes. En outre, le Qatar avance un
troisième chef, affirmant que les mesures prises par les Emirats arabes
unis, y compris celles sur lesquelles le Qatar fonde ses premier et deuxième
chefs de discrimination, entraînent une « discrimination indirecte
» fondée sur l’origine nationale qatarienne. »
4. La majorité a conclu à tort que les griefs découlant des mesures faisant
l’objet des première et troisième demandes du Qatar n’entraient pas
dans les prévisions de la convention.
A. Première demande
5. L’article premier de la CIEDR est libellé comme suit :
« 1. Dans la présente Convention, l’expression « discrimination
raciale » vise toute distinction, exclusion, restriction ou préférence
fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou
ethnique, qui a pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre
la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des condi-
1 Plates-formes
pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique),
exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 810, par. 16.
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tions d’égalité, des droits de l’homme et des libertés fondamentales
dans les domaines politique, économique, social et culturel ou dans
tout autre domaine de la vie publique.
2. La présente Convention ne s’applique pas aux distinctions,
exclusions, restrictions ou préférences établies par un Etat partie à la
Convention selon qu’il s’agit de ses ressortissants ou de non-ressortissants.
3. Aucune disposition de la présente Convention ne peut être interprétée
comme affectant de quelque manière que ce soit les dispositions
législatives des Etats parties à la Convention concernant la nationalité,
la citoyenneté ou la naturalisation, à condition que ces dispositions ne
soient pas discriminatoires à l’égard d’une nationalité particulière. »
Sens de l’expression « origine nationale » figurant au paragraphe 1 de
l’article premier de la convention
6. Le différend entre les Parties portait sur la question de savoir si l’expression
« origine nationale » figurant dans la définition de la discrimination
raciale énoncée au paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR
excluait ou englobait les différences de traitement fondées sur la nationalité.
Le Qatar soutenait à bon droit que pareilles différences de traitement
étaient bel et bien englobées.
7. En vertu du droit international coutumier, les dispositions de l’article
premier de la convention doivent être interprétées de bonne foi suivant le
sens ordinaire à attribuer à leurs termes dans leur contexte et à la lumière
de l’objet et du but de la convention. Selon le sens ordinaire des termes
« origine » et « nationale », l’expression « origine nationale » renvoie au
lien de rattachement historique d’une personne au pays dans lequel vit le
peuple auquel elle appartient. Ce lien peut s’inscrire sur une durée plus ou
moins longue. Dans certains cas, la personne peut, tout en vivant dans un
autre pays et en étant ressortissante de ce pays, conserver la citoyenneté
du pays avec lequel elle a également un lien de rattachement historique.
Dans d’autres cas, cela n’est pas possible. Le sens ordinaire de l’expression
« origine nationale » ne permet en rien d’affirmer que celle‑ci ne peut
s’appliquer à la nationalité actuelle d’une personne. La majorité se range
à l’idée générale que la nationalité peut changer mais que l’origine nationale
est une caractéristique innée et donc immuable. La validité d’une
telle affirmation est contestable en ce qu’elle distingue trop nettement et
sans nuances la nationalité de l’origine nationale.
8. L’origine nationale ne renvoie pas seulement au pays dont sont originaires
les ancêtres ; elle peut également faire référence au lieu de naissance.
Ainsi, il est clair que l’origine nationale peut englober la nationalité
car du lieu de naissance peuvent découler aussi bien la nationalité que
l’origine nationale. La directive du 5 juin 2017 visait non seulement les
nationaux qatariens, mais également les Qatariens se trouvant aux Emirats
arabes unis en qualité de résident ou de visiteur, ainsi que le peuple
application de la ciedr (op. diss. robinson) 148
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qatarien, ces dernières catégories faisant clairement référence à l’origine
nationale. De fait, l’immense majorité des personnes qui acquièrent une
nationalité selon la règle du jus sanguinis restent détentrices de cette nationalité
à vie. Au Qatar et aux Emirats arabes unis, l’acquisition de la
nationalité est fondée sur la loi du sang. Une personne ayant ainsi acquis
sa nationalité la conservera donc, selon toute vraisemblance, en sus de
son origine nationale. En ce sens, il semblerait que la nationalité soit alors
tout aussi immuable que l’origine nationale.
9. La majorité invoque l’arrêt rendu par la Cour en l’affaire Nottebohm
(Liechtenstein c. Guatemala) (deuxième phase, arrêt, C.I.J. Recueil 1955,
p. 20) à l’appui de son raisonnement selon lequel la nationalité relève du
pouvoir discrétionnaire de l’Etat. Or cette affaire, sur laquelle la Cour a
statué en 1955, reflète une conception du droit international alors largement
axée sur l’Etat mais qui a ensuite été marquée par l’évolution du
droit des droits de l’homme. Ainsi, il est à présent généralement admis
qu’un Etat n’a pas toute latitude pour déchoir un individu de sa nationalité
dès lors que cette mesure fait de l’intéressé un apatride.
10. Le sens ordinaire de l’expression « origine nationale » doit être
interprété
dans son contexte et à la lumière de l’objet et du but de la
convention.
11. Pour ce qui est du contexte, le régime exceptionnel énoncé au paragraphe
2 de l’article premier prévoyant des distinctions selon qu’il s’agit
de ressortissants ou de non-ressortissants n’a de sens que si la définition
de la discrimination raciale figurant au paragraphe 1 de l’article premier
recouvre également de telles distinctions ; si ces distinctions n’étaient pas
comprises dans la définition qui inclut la discrimination fondée sur l’origine
nationale, il n’y aurait pas lieu de prévoir l’exception visée au paragraphe
2. L’argument des Emirats arabes unis selon lequel ce paragraphe
a été ajouté pour « éviter tout doute » n’avait aucun fondement ; les rédacteurs
ont intégré ce paragraphe parce qu’ils le jugeaient nécessaire, la
nationalité étant englobée dans l’origine nationale. Le paragraphe 2 de
l’article premier doit donc être considéré comme établissant, sur la base
du paragraphe 1, un régime exceptionnel lié aux distinctions qu’une partie
contractante pourrait faire entre ressortissants et non-ressortissants
; il
permet en fait aux Etats parties de déroger à l’interdiction de la discrimination
énoncée au paragraphe 1 de l’article premier en adoptant des mesures
qui établissent une distinction entre ressortissants et non‑ressortissants.
Si le paragraphe 3 de l’article premier autorise les Etats à adopter des
dispositions législatives qui introduisent une différenciation entre nationaux
et non-nationaux,
il est important de noter qu’il impose également
que ces dispositions ne soient pas discriminatoires à l’encontre d’une
nationalité particulière. A cet égard, il mérite d’être relevé que le Qatar
soutenait que les mesures mises en oeuvre par les Emirats arabes unis opéraient
une discrimination à l’encontre des personnes ayant spécifiquement
la nationalité qatarienne. Pour ce qui est de l’objectif de la convention, il
ressort clairement du préambule et du dispositif que celle‑ci vise à éliminer
toute forme de discrimination raciale, objectif qui ne serait pas atteint
application de la ciedr (op. diss. robinson) 149
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si les Etats avaient entière latitude pour opérer une discrimination entre
ressortissants et non-ressortissants.
L’interprétation selon laquelle l’expression
« origine nationale » dans la convention englobe la nationalité est
donc conforme au but et à l’objet de l’instrument. Par conséquent, le sens
ordinaire de l’expression « origine nationale », interprété dans son contexte
et à la lumière de l’objet et du but de la convention, englobe les différences
de traitement fondées sur la nationalité.
Travaux préparatoires
12. Il peut être fait appel aux travaux préparatoires pour confirmer le
sens ordinaire de l’expression « origine nationale » exposé ci-
dessus.
Il ressort
des travaux que, lors de l’examen, par la Troisième Commission de
l’Assemblée générale des Nations Unies, du texte qui allait devenir le paragraphe
1 de l’article premier, certains membres interprétaient l’expression
« origine nationale » comme englobant la nationalité ou comme étant équivalente
au terme « nationalité ». D’autres délégations considéraient, en
revanche, qu’inclure l’expression « origine nationale » pourrait obliger les
Etats à accorder aux non-ressortissants
sur leur territoire des droits qui
seraient normalement réservés à leurs ressortissants. Afin de prendre en
compte cette dernière préoccupation, la France et les Etats-Unis avaient
proposé un amendement visant à exclure le terme « nationalité » de la définition
de l’« origine nationale ». Cette proposition avait toutefois suscité
une vive opposition et avait été retirée. Un compromis avait été conjointement
proposé par neuf puissances et accepté, ce qui avait résulté en l’ajout
des paragraphes 2 et 3. La France et les Etats‑Unis avaient jugé la proposition
de compromis « tout à fait acceptable ». L’acceptation du compromis
indiquait sans équivoque le rejet de l’exclusion de la nationalité du
concept d’origine nationale. La majorité cherche à faire grand cas du fait
que la proposition était un compromis. Certes, le texte du paragraphe 2 est
issu d’un compromis, mais son sens est clair. Il reflète l’entente trouvée
entre la position de certains Etats, comme la France et les Etats-Unis,
selon laquelle la convention ne devrait pas empêcher les Etats parties
d’opérer une distinction entre ressortissants et non-ressortissants,
et la
position d’autres Etats préoccupés par le fait que l’expression « origine
nationale » ne devrait pas être interprétée de façon étroite et restrictive. La
Commission dans son ensemble avait donc accepté le compromis selon
lequel l’expression « origine nationale » engloberait la nationalité actuelle,
tout en laissant aux Etats la possibilité de réserver certains droits à leurs
ressortissants. Les travaux confirment donc l’interprétation découlant du
sens ordinaire de l’expression « origine nationale ».
Travaux du Comité de la CIEDR et recommandation générale XXX
13. Le 1er octobre 2002, 32 ans après sa création, le Comité de la CIEDR
a adopté la recommandation générale XXX, dont le paragraphe 4 prévoit
que
application de la ciedr (op. diss. robinson) 150
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« l’application d’un traitement différent fondé sur le statut quant à la
citoyenneté ou à l’immigration constitue une discrimination si les critères
de différenciation, jugés à la lumière des objectifs et des buts de
la convention, ne visent pas un but légitime et ne sont pas proportionnés
à l’atteinte de ce but ».
Cette recommandation a remplacé la recommandation XI de 1993. Le
Qatar souscrit au paragraphe 4 de la recommandation XXX parce que,
selon lui, les mesures prises par les Emirats arabes unis ont eu des incidences
disproportionnées sur les Qatariens. Pour les Emirats arabes unis,
cette recommandation ne reflète pas le droit et ne devrait pas être suivie
par la Cour. La question revêt une certaine importance, la Cour ayant, par
le passé, tenu compte des travaux des organes onusiens de surveillance des
traités relatifs aux droits de l’homme. Bien que la Cour ne soit pas tenue
de se conformer aux recommandations de tels organes, elle a indiqué dans
l’arrêt rendu en l’affaire Ahmadou Sadio Diallo qu’elle accorderait une
« grande considération » à l’interprétation adoptée par le Comité des droits
de l’homme institué par le Pacte international relatif aux droits civils et
politiques 2. La contribution que le Comité de la CIEDR a apportée à la
protection des droits de l’homme par son suivi de l’application de la
convention est indéniable. La Cour n’a aucune raison de ne pas attacher
une grande importance aux recommandations du Comité (qui est considéré
à juste titre comme le gardien de la convention) si celles‑ci ne sont pas
contraires au droit international des droits de l’homme ou au droit international
général. Une telle approche permet de promouvoir la clarté, la
cohérence et la sécurité juridique prônées par la Cour dans son arrêt en
l’affaire Ahmadou Sadio Diallo 3. Il est déplorable que la Cour n’ait pas
suivi la recommandation du Comité de la CIEDR en l’espèce, et il convient
de relever que la majorité ne s’en est pas expliquée.
14. Le paragraphe 4 de la recommandation XXX traduit le tiraillement
entre le pouvoir de l’Etat et l’insistance sur les droits fondamentaux de la
personne dans le droit international à la suite de la Seconde Guerre mondiale.
Il vise à assurer un équilibre entre le respect des mesures prises par un
Etat dans l’exercice de ses pouvoirs souverains et la mesure dans laquelle
celles-
ci peuvent légitimement limiter la portée d’un droit de l’homme fondamental.
Le principe de proportionnalité est appliqué dans la mise en oeuvre
de tous les grands instruments internationaux et régionaux relatifs aux droits
de l’homme et par les nombreux Etats dont les constitutions et les lois
internes contiennent des dispositions concernant la protection des libertés et
droits fondamentaux inspirées de la Déclaration universelle des droits de
l’homme et de la convention européenne des droits de l’homme. Ce principe
est également appliqué par toutes les cours régionales des droits de l’homme.
J’estime pour ma part qu’il pourrait bien refléter une règle de droit interna-
2 Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo),
fond, arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 663‑664, par. 66.
3 Ibid.
application de la ciedr (op. diss. robinson) 151
84
tional coutumier. Ce principe est en effet appliqué dans l’interprétation et la
mise en oeuvre des instruments relatifs aux droits de l’homme, même si le
terme « proportionnalité » lui-
même n’y figure pas nécessairement. Selon ce
principe, les Etats sont tenus de justifier toute dérogation à un droit de
l’homme fondamental en apportant la preuve que la mesure dérogatoire sert
un but légitime et qu’elle est proportionnée à la réalisation de ce but. Ainsi
que l’a dit la Cour elle-même dans son avis consultatif sur les Conséquences
juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, dans
lequel elle a donné son interprétation du paragraphe 3 de l’article 12 du
Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la dérogation doit
constituer la mesure la moins restrictive nécessaire pour atteindre ce but 4.
Une fois que la Cour tient pour établi que les mesures prises par un Etat
dans le cadre de la mise en oeuvre des paragraphes 2 et 3 de l’article premier
de la convention sont considérées à juste titre comme soulevant une question
de dérogation à l’interdiction de la discrimination raciale prévue par
l’article premier, elle doit, si elle veut s’inscrire dans la droite ligne de l’évolution
du corpus du droit international des droits de l’homme depuis 1945,
appliquer le principe de proportionnalité afin de déterminer si cette question
se pose ou non. Une telle question, si elle venait à se poser, relèverait des
dispositions de la convention et constituerait un aspect important du différend
relatif à son interprétation ou son application.
15. Interpréter la convention comme ne nécessitant pas l’application du
principe de proportionnalité énoncé au paragraphe 4 de la recommandation
générale XXX revient à considérer qu’elle fait figure d’exception
parmi les instruments relatifs aux droits de l’homme adoptés depuis la fin
de la Seconde Guerre mondiale. Qui plus est, la recommandation du
Comité cadre parfaitement avec le but de la convention, à savoir l’élimination
de toutes les formes de discrimination raciale, puisqu’elle confirme
que les Etats ne sont pas libres d’adopter des mesures de nature à faire
subir à des personnes une discrimination disproportionnée sur le fondement
de leur nationalité. L’effet de la recommandation n’est pas d’empêcher
les Etats d’adopter des mesures faisant une distinction entre
ressortissants et non-ressortissants.
La recommandation n’interdit que les
mesures qui ne peuvent être justifiées par le fait qu’elles servent un but
légitime et sont proportionnées à la réalisation de ce but.
16. Dans les circonstances de l’espèce et dans le contexte des paragraphes
2 et 3 de l’article premier de la convention, il était loisible aux
Emirats arabes unis d’adopter des mesures établissant une distinction
entre les ressortissants émiriens et ceux d’Etats tiers, y compris le Qatar.
Toutefois, en adoptant de telles mesures, les Emirats arabes unis étaient
tenus de veiller à ce que celles-
ci poursuivent un but légitime et soient
proportionnées à la réalisation de ce but. Or le Qatar a fait valoir que les
mesures prises visaient d’une façon disproportionnée les Qatariens. En
outre, si le paragraphe 3 de l’article premier autorise un Etat à adopter
4 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé,
avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 192‑193, par. 136.
application de la ciedr (op. diss. robinson) 152
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des mesures établissant des distinctions sur le fondement de la nationalité,
il dispose expressément que pareilles mesures ne doivent pas être discriminatoires
à l’égard d’une nationalité particulière.
17. Le paragraphe 4 de la recommandation générale XXX acquiert une
pertinence toute particulière à la lumière du grief du Qatar selon lequel les
mesures prises visaient d’une façon disproportionnée les ressortissants du
Qatar. Comme observé plus haut, le principe de proportionnalité devient
applicable dès lors qu’un traité ou une législation nationale contient une
disposition qui est, en réalité, une dérogation à un droit de l’homme fondamental.
Par conséquent, dans le contexte particulier de la présente
affaire, le grief du Qatar selon lequel les mesures prises ont eu une incidence
disproportionnée sur les Qatariens en raison de leur nationalité,
notion que recouvre l’expression « origine nationale », entrait dans les prévisions
de la convention.
18. Compte tenu de ce qui précède, la première demande du Qatar
entrait dans les prévisions de la convention.
B. Deuxième demande
19. Je souscris à la conclusion de la majorité selon laquelle la demande
du Qatar relative à la discrimination à l’encontre de sociétés de médias
n’entre pas dans les prévisions de la convention.
C. Troisième demande
20. Au sens de la convention, la « discrimination raciale » s’entend
d’une mesure restrictive fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou
l’origine nationale ou ethnique, ayant pour but ou pour effet de compromettre
la jouissance, dans des conditions d’égalité, de droits de l’homme
fondamentaux. Toutefois, comme M. le juge Crawford l’a déclaré en l’affaire
Ukraine c. Fédération de Russie,
« [l]a définition de la « discrimination raciale » figurant à l’article premier
de la CIEDR n’exige pas que la restriction apportée soit expressément
fondée sur les motifs raciaux ou autres qui y sont énumérés ;
il suffit que cette restriction affecte directement un groupe pour un ou
plusieurs de ces motifs » 5.
Le Qatar a invoqué l’analyse du juge Crawford pour distinguer une
mesure restrictive fondée expressément sur l’un des motifs prohibés (la
discrimination directe) d’une mesure qui, bien que n’étant pas fondée
expressément sur l’un des motifs prohibés, concerne directement un
groupe pour l’un de ces motifs. Selon le Qatar, s’il n’était pas d’emblée
5 Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme
et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination
raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du
19 avril 2017, C.I.J. Recueil 2017, déclaration de M. le juge Crawford, p. 215, par. 7.
application de la ciedr (op. diss. robinson) 153
86
apparent que les mesures émiriennes visaient les personnes d’origine
nationale qatarienne, elles les concernaient de fait directement, par leur
effet, ce qui constituait une discrimination indirecte. Même s’il s’agit là
d’un volet de la thèse plaidée par le Qatar, je considère que la
qualification
de « discrimination indirecte » prête très souvent à confusion
et qu’il est préférable de se concentrer sur l’essence de la demande du
Qatar.
21. Il est opportun de formuler certaines observations au sujet de la
discrimination indirecte. En premier lieu, la qualification de « discrimination
indirecte » peut prêter à confusion car, pour que la discrimination
indirecte soit avérée, les mesures en cause doivent, par leur effet, concerner
directement des personnes appartenant au groupe protégé. En l’espèce,
elles concernaient directement des personnes d’origine nationale
qatarienne. Il n’y a rien d’indirect dans la façon dont les mesures concernaient,
par leur effet, ces personnes. En deuxième lieu, les traitements
qualifiés par le Qatar de discrimination indirecte sont fréquents dans la
pratique des Etats. En troisième lieu, la qualification de « discrimination
indirecte » a ceci de fâcheux qu’elle semble indiquer ou impliquer un
niveau de gravité inférieur à celui de la discrimination directe, ce qui
pourrait porter d’aucuns à sous-estimer
la discrimination indirecte. Une
telle tendance est manifeste au paragraphe 112 de l’arrêt, dans lequel la
majorité évoque les « effets collatéraux ou secondaires » des mesures. En
quatrième lieu, les restrictions donnant lieu à une discrimination indirecte
constituent souvent une discrimination déguisée ; la discrimination peut
alors être difficile à déceler, les mesures restrictives n’étant pas, à première
vue, expressément fondées sur des motifs raciaux ou autres.
22. Pour toutes ces raisons, il est regrettable que la majorité n’ait pas
traité la troisième demande du Qatar de manière satisfaisante.
23. Le Qatar, dans sa troisième demande, faisait essentiellement valoir
que les interdictions d’entrée, la décision d’expulsion et les restrictions
imposées à des sociétés de médias n’étaient pas, à première vue, censées
opérer une discrimination à l’encontre des Qatariens sur le fondement de
leur origine nationale (en d’autres termes, elles n’étaient pas expressément
fondées sur l’origine nationale), mais étaient, par leur effet, constitutives
de discrimination sur ce fondement.
24. Il convient de souligner que la troisième demande du Qatar était
dissociée du grief selon lequel les mesures prises ont fait subir aux Qatariens
une discrimination en raison de leur nationalité ; le Qatar soutenait
que ces mesures, par leur effet, opéraient également une discrimination à
l’encontre des Qatariens en raison des liens culturels qu’ils entretenaient
avec le Qatar, et donc, de leur origine nationale qatarienne. Les exemples
donnés par le Qatar au sujet de l’incidence desdites mesures sur les Qatariens
étaient des cas classiques de discrimination fondée sur l’origine
nationale ; ils montraient précisément en quoi les Qatariens avaient subi
les effets des mesures en cause en raison de leurs liens culturels avec le
Qatar en tant qu’Etat. Il s’ensuit que la troisième demande du Qatar,
fondée sur l’effet des mesures sur les Qatariens en tant que personnes
application de la ciedr (op. diss. robinson) 154
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d’origine nationale qatarienne, n’est pas affectée par la conclusion de la
majorité, au paragraphe 105 de l’arrêt, selon laquelle « les mesures dont le
Qatar tire grief en l’espèce dans le cadre de sa première demande, fondées
sur la nationalité actuelle de ses ressortissants, n’entrent pas dans le
champ d’application de la CIEDR ». Le Qatar, dans sa troisième demande,
soutenait que les mesures fondées sur l’origine nationale, l’un des motifs
de discrimination prohibés par la convention, entraient dans les prévisions
de celle‑ci.
25. Pour illustrer comment les mesures émiriennes impliquaient de fait
directement des personnes d’origine nationale qatarienne au motif qu’elles
s’identifiaient aux traditions et à la culture nationales qatariennes, portaient
l’habit qatarien ou parlaient avec l’accent qatarien, le Qatar a
donné, entre autres, les exemples suivants :
« i) De façon générale, le Qatar affirmait que les mesures ciblaient les
« Qatariens » et étaient discriminatoires à leur encontre en ce
qu’elles les visaient en tant que communauté historico-culturelle,
et non comme simples détenteurs d’un passeport qatarien. A cet
égard, il a cité le témoignage d’un individu non qatarien vivant au
Qatar depuis plus de 60 ans qui avait déclaré s’être vu interdire
l’entrée sur le sol émirien au motif que, selon ses dires, « l’agent
des services de l’immigration l’a[vait] cru qatarien en raison de
[s]on apparence vestimentaire » ; ses compagnons de voyage, quant
à eux, qui ne portaient pas l’habit traditionnel qatarien, avaient
été autorisés à entrer sur le territoire. Cet individu soulignait que,
avant l’adoption de ces mesures, il était entré ou sorti des Emirats
arabes unis à de nombreuses reprises sans rencontrer aucun problème
à la frontière ;
ii) un autre individu, qui se considérait comme totalement qatarien
mais n’était pas ressortissant de l’Etat du Qatar, avait rapporté
avoir été soumis à des interrogatoires par les agents émiriens pour
le simple fait que son passeport indiquait qu’il était né au Qatar. »
L’argument du Qatar selon lequel le traitement réservé à ces personnes à
la frontière au motif de leur origine nationale était la conséquence des
interdictions d’entrée sur le territoire qui visaient les Qatariens est fondé.
L’obligation imposée par la convention de ne pas opérer de discrimination
à l’encontre de personnes au motif de leur origine nationale peut donc être
invoquée et ce traitement entre dans les prévisions de la convention.
26. En dépit de ces exemples évidents de la façon dont les mesures ont,
par leur effet, opéré une discrimination à l’égard des personnes d’origine
nationale qatarienne, la majorité a conclu qu’elles n’étaient pas constitutives
de discrimination raciale au sens de la convention. Au paragraphe
112 de l’arrêt, la majorité fait une déclaration dont la validité est
contestable, à savoir que
« [e]n la présente espèce, bien que les mesures fondées sur la nationalité
actuelle des ressortissants qatariens puissent produire des effets
collatéraux ou secondaires sur des personnes nées au Qatar ou de
application de la ciedr (op. diss. robinson) 155
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parents qatariens, ou sur des proches de ressortissants qatariens
résidant aux Emirats arabes unis, il ne s’agit pas là d’une discrimination
raciale au sens de la convention ».
Cette conclusion est discutable car, dans ce volet de la thèse qu’il plaidait,
le Qatar ne tirait pas grief des mesures fondées sur la nationalité qatarienne
actuelle. Comme la majorité elle-même l’a noté au paragraphe 60
de l’arrêt en exposant les griefs du Qatar, la cause plaidée par le Qatar
s’agissant de ce qu’il décrivait comme une discrimination indirecte était
indépendante de son grief relatif aux mesures fondées sur la nationalité.
Le Qatar avait clairement indiqué que ce volet de sa demande était fondé
sur l’origine nationale, qui constitue l’un des motifs prohibés aux termes
de la définition de la discrimination raciale. On peut ensuite faire observer,
au sujet de cette conclusion, la regrettable référence faite aux « effets
collatéraux ou secondaires » des mesures, regrettable en ce qu’elle suggère
que ce que le Qatar a décrit comme une discrimination indirecte équivaut
à ce que la majorité décrit comme des effets collatéraux ou secondaires.
Ainsi qu’il a été noté plus haut, l’essence de la troisième demande du
Qatar est que ces mesures concernaient directement les Qatariens, sur le
fondement de leur origine nationale. L’incidence de telles mesures sur les
Qatariens n’a rien de collatéral ou de secondaire. En outre, par cette affirmation,
la majorité semble faire référence aux effets collatéraux ou secondaires
des mesures sur les personnes d’origine nationale qatarienne ;
cependant, cela est loin d’être clair lorsqu’elle mentionne ces effets sur
« des personnes nées au Qatar ou de parents qatariens, ou sur des proches
de ressortissants qatariens résidant aux Emirats arabes unis », étant donné
que cette catégorisation pourrait également renvoyer aux personnes de
nationalité qatarienne.
27. La majorité ne cherche pas à étayer sa conclusion par une argumentation
raisonnée ; par une simple affirmation, elle énonce, au paragraphe
112 de l’arrêt, que « les mesures dont le Qatar tire grief n’entraînent
pas, par leur but ou par leur effet, une discrimination raciale à l’égard des
Qatariens en tant que groupe social distinct au motif de leur origine
nationale ». Ce qu’entend la majorité par une discrimination raciale à
l’égard des Qatariens « en tant que groupe social distinct » n’est pas clair.
Assurément, elle ne peut vouloir dire par là qu’elle n’admet pas que les
Qatariens constituent un groupe social distinct, étant donné que le Qatar
a présenté des éléments de preuve non contestés en ce sens par l’intermédiaire
de son expert, M. John Peterson. Si la majorité admet que les Qatariens
constituent un groupe social distinct, il ne fait alors aucun doute que
des preuves convaincantes ont été apportées pour illustrer l’effet discriminatoire
des mesures sur les Qatariens en tant que groupe, et donc au motif
de leur origine nationale. Quoi de plus éloquent, en effet, pour illustrer le
caractère distinctif du groupe social auquel appartient une personne, que
ses vêtements ou son accent ? Et si ce lien culturel est exploité aux fins
d’opérer une discrimination suite à l’interdiction d’entrée sur le territoire,
pourquoi ce traitement ne peut-il pas constituer une discrimination raciale
application de la ciedr (op. diss. robinson) 156
89
au motif de l’origine nationale ? La majorité n’apporte aucune explication,
mais elle assène avec force l’affirmation sibylline selon laquelle « les
mesures dont le Qatar tire grief … ne peuvent être constitutives de discrimination
raciale au sens de la convention ». La majorité ne marque même
pas une pause dans son raisonnement pour déterminer et examiner les
circonstances factuelles qui, selon le Qatar, entraînent, par leur effet, une
discrimination sur le fondement de l’origine nationale. Si toutefois les
mesures en cause comportaient un élément inhérent empêchant qu’elles
donnent lieu, par leur effet, à pareille discrimination, la majorité n’a pas
précisé quel était cet élément.
28. En résumé, le grief du Qatar selon lequel les mesures, par leur effet,
ont opéré une discrimination à l’égard des Qatariens au motif de leur
origine nationale entrait dans les prévisions de la convention.
Conclusion
29. Compte tenu de ce qui précède, la première exception préliminaire
aurait dû être rejetée, le différend entre les Parties touchant l’interprétation
ou l’application de la convention, et la Cour aurait dû se déclarer
compétente ratione materiae en vertu de l’article 22 de la CIEDR à l’égard
des première et troisième demandes du Qatar.
(Signé) Patrick L. Robinson.

Bilingual Content

146
79
DISSENTING OPINION OF JUDGE ROBINSON
1. I disagree with the finding in paragraph 115 of the Judgment upholding
the first preliminary objection of the United Arab Emirates (“UAE”)
and the finding that the Court has no jurisdiction to entertain the Application
filed by Qatar.
2. It is settled that for the Court to have jurisdiction to entertain the
Application, the violations of which Qatar complains must fall within the
provisions of the International Convention on the Elimination of All
Forms of Racial Discrimination (hereinafter the “Convention” or
“CERD”) 1.
First Preliminary Objection
3. In paragraph 56 of the Judgment the Court refers to Qatar’s characterization
of the dispute as follows:
“[t]he first is its claim arising out of the ‘travel bans’ and ‘expulsion
order’, which make express reference to Qatari nationals. The second
is its claim arising from the restrictions on Qatari media corporations.
Qatar’s third claim is that the measures taken by the UAE, including
the measures on which Qatar bases its first and second claims, result
in ‘indirect discrimination’ on the basis of Qatari national origin.”
4. The majority has wrongly concluded that the claims arising from the
first and third measures do not fall within the provisions of the Convention.
A. The First Claim
5. Article 1 of CERD reads as follows:
“1. In this Convention, the term ‘racial discrimination’ shall mean
any distinction, exclusion, restriction or preference based on race,
colour, descent, or national or ethnic origin which has the purpose or
effect of nullifying or impairing the recognition, enjoyment or exercise,
on an equal footing, of human rights and fundamental freedoms
1 Oil Platforms (Islamic Republic of Iran v. United States of America), Preliminary
Objection, Judgment, I.C.J. Reports 1996 (II), p. 810, para. 16.
146
79
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE ROBINSON
[Traduction]
1. Je ne souscris pas à la décision énoncée au paragraphe 115 de l’arrêt
de retenir la première exception préliminaire soulevée par les Emirats
arabes unis, ni à la conclusion selon laquelle la Cour n’a pas compétence
pour connaître de la requête déposée par le Qatar.
2. Il est établi que, pour que la Cour ait compétence pour se prononcer
sur la requête, les violations reprochées par le Qatar doivent entrer dans
les prévisions de la convention internationale sur l’élimination de toutes
les formes de discrimination raciale (ci‑après la « convention » ou la
« CIEDR ») 1.
Première exception préliminaire
3. Au paragraphe 56 de l’arrêt, la Cour évoque comme suit la manière
dont le Qatar a défini l’objet du différend :
« [l]e premier [chef de discrimination raciale] se rapporte à la « décision
d’expulsion » et aux « interdictions d’entrée », qui visent expressément
les nationaux qatariens, le second, aux restrictions imposées
à des sociétés de médias qatariennes. En outre, le Qatar avance un
troisième chef, affirmant que les mesures prises par les Emirats arabes
unis, y compris celles sur lesquelles le Qatar fonde ses premier et deuxième
chefs de discrimination, entraînent une « discrimination indirecte
» fondée sur l’origine nationale qatarienne. »
4. La majorité a conclu à tort que les griefs découlant des mesures faisant
l’objet des première et troisième demandes du Qatar n’entraient pas
dans les prévisions de la convention.
A. Première demande
5. L’article premier de la CIEDR est libellé comme suit :
« 1. Dans la présente Convention, l’expression « discrimination
raciale » vise toute distinction, exclusion, restriction ou préférence
fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou
ethnique, qui a pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre
la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des condi-
1 Plates-formes
pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique),
exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 810, par. 16.
147 application of the cerd (diss. op. robinson)
80
in the political, economic, social, cultural or any other field of public
life.
2. This Convention shall not apply to distinctions, exclusions,
restrictions or preferences made by a State Party to this Convention
between citizens and non‑citizens.
3. Nothing in this Convention may be interpreted as affecting in
any way the legal provisions of States Parties concerning nationality,
citizenship, or naturalization, provided that such provisions do not
discriminate against any particular nationality.”
The meaning of the term “national origin” in Article 1 (1) of the Convention
6. The dispute between the Parties concerns the question whether the
term “national origin” in the definition of racial discrimination in Article
1 (1) of CERD excludes or encompasses differences of treatment based
on nationality. Qatar is correct in its argument that the term “national
origin” encompasses differences of treatment based on nationality.
7. By virtue of customary international law, the provisions of Article 1
of the Convention must be interpreted in good faith in accordance with
their ordinary meaning in their context and in light of the object and purpose
of the Convention. According to the ordinary meaning of the words
“national” and “origin”, the term “national origin” refers to a person’s
historical relationship with a country where the people to which that person
belongs are living. This relationship may extend for a short period or
for a relatively long period. In some cases, the person may, while living in
another country and having the citizenship of that country, retain citizenship
of the country with which he also has a historical relationship. In
other cases, he may not. There is nothing in the ordinary meaning of the
term “national origin” that would render it inapplicable to a person’s current
nationality. The majority has argued as a general proposition that,
while nationality is changeable, national origin is a characteristic acquired
at birth and for that reason is immutable. As a general proposition, the
validity of this statement is questionable. It is too stark in its presentation
of the difference between nationality and national origin and does not
reflect the nuances distinguishing one from the other.
8. National origin refers not only to the place from which one’s forebears
came; it may also refer to the place where one was born. For that
reason, it is clear that national origin can encompass nationality because
the place where one was born can give rise to both one’s nationality as
well as one’s national origin. The directive of 5 June 2017 referred not
only to Qatari nationals but also to Qatari residents and visitors in the
UAE and the Qatari people, the latter categories clearly referring to
application de la ciedr (op. diss. robinson) 147
80
tions d’égalité, des droits de l’homme et des libertés fondamentales
dans les domaines politique, économique, social et culturel ou dans
tout autre domaine de la vie publique.
2. La présente Convention ne s’applique pas aux distinctions,
exclusions, restrictions ou préférences établies par un Etat partie à la
Convention selon qu’il s’agit de ses ressortissants ou de non-ressortissants.
3. Aucune disposition de la présente Convention ne peut être interprétée
comme affectant de quelque manière que ce soit les dispositions
législatives des Etats parties à la Convention concernant la nationalité,
la citoyenneté ou la naturalisation, à condition que ces dispositions ne
soient pas discriminatoires à l’égard d’une nationalité particulière. »
Sens de l’expression « origine nationale » figurant au paragraphe 1 de
l’article premier de la convention
6. Le différend entre les Parties portait sur la question de savoir si l’expression
« origine nationale » figurant dans la définition de la discrimination
raciale énoncée au paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR
excluait ou englobait les différences de traitement fondées sur la nationalité.
Le Qatar soutenait à bon droit que pareilles différences de traitement
étaient bel et bien englobées.
7. En vertu du droit international coutumier, les dispositions de l’article
premier de la convention doivent être interprétées de bonne foi suivant le
sens ordinaire à attribuer à leurs termes dans leur contexte et à la lumière
de l’objet et du but de la convention. Selon le sens ordinaire des termes
« origine » et « nationale », l’expression « origine nationale » renvoie au
lien de rattachement historique d’une personne au pays dans lequel vit le
peuple auquel elle appartient. Ce lien peut s’inscrire sur une durée plus ou
moins longue. Dans certains cas, la personne peut, tout en vivant dans un
autre pays et en étant ressortissante de ce pays, conserver la citoyenneté
du pays avec lequel elle a également un lien de rattachement historique.
Dans d’autres cas, cela n’est pas possible. Le sens ordinaire de l’expression
« origine nationale » ne permet en rien d’affirmer que celle‑ci ne peut
s’appliquer à la nationalité actuelle d’une personne. La majorité se range
à l’idée générale que la nationalité peut changer mais que l’origine nationale
est une caractéristique innée et donc immuable. La validité d’une
telle affirmation est contestable en ce qu’elle distingue trop nettement et
sans nuances la nationalité de l’origine nationale.
8. L’origine nationale ne renvoie pas seulement au pays dont sont originaires
les ancêtres ; elle peut également faire référence au lieu de naissance.
Ainsi, il est clair que l’origine nationale peut englober la nationalité
car du lieu de naissance peuvent découler aussi bien la nationalité que
l’origine nationale. La directive du 5 juin 2017 visait non seulement les
nationaux qatariens, mais également les Qatariens se trouvant aux Emirats
arabes unis en qualité de résident ou de visiteur, ainsi que le peuple
148 application of the cerd (diss. op. robinson)
81
national origin. As a matter of fact, the vast majority of persons who
acquire nationality on the basis of jus sanguinis will spend the rest of their
lives holding that nationality. In Qatar and the UAE, nationality is
acquired on the basis of jus sanguinis. Therefore, a person who acquires
nationality on the basis of jus sanguinis will, more likely than not, retain
that nationality along with his national origin. In that sense, that person’s
nationality would seem to be just as unchangeable as his national origin.
9. The majority has relied on the Court’s Judgment in Nottebohm
(Liechtenstein v. Guatemala), Second Phase, Judgment, I.C.J. Reports
1955, p. 20, to support its reasoning that nationality is subject to the discretion
of the State. However, that case, decided in 1955, reflects a substantially
State‑centred approach to international law that has been
affected by subsequent developments in human rights law. For example,
it is now generally accepted that a State is not entirely free to deprive a
person of his nationality where this act would render the person stateless.
10. The ordinary meaning of the term “national origin” must be read in
its context and in light of the Convention’s object and purpose.
11. As far as context is concerned, the exceptional régime in Article
1 (2) providing for distinctions between citizens and non‑citizens is
only intelligible on the basis that the definition of racial discrimination in
Article 1 (1) also covers such distinctions; if those distinctions were not
part of the definition that includes discrimination on the basis of national
origin, there would be no need to provide for the exception in this paragraph.
There is no merit in the UAE’s submission that the paragraph was
inserted “for the avoidance of doubt”; the drafters inserted the paragraph
because they considered it necessary, since nationality was encompassed
by national origin. Article 1 (2) therefore must be seen as carving out
from Article 1 (1) an exceptional régime relating to distinctions that a
Contracting Party may make between citizens and non‑citizens; in effect,
Article 1 (2) allows States parties to derogate from the prohibition of
discrimination in Article 1 (1) by measures that distinguish between citizens
and non‑citizens. While Article 1 (3) allows States to adopt legal
provisions that distinguish between nationals and non‑nationals, importantly
it requires that those provisions must not discriminate against a
particular nationality. In that regard, it is noteworthy that Qatar alleges
that the UAE’s measures discriminate against persons of the specific
nationality of Qatar. As far as the aim of the Convention is concerned,
its Preamble and operative provisions make clear that its purpose is to
eliminate racial discrimination in all its forms, an objective that would
not be achieved if States were left entirely free to discriminate between
citizens and non‑citizens. Interpreting “national origin” in the Convention
as encompassing nationality is therefore consistent with the Convention’s
object and purpose. Consequently, the ordinary meaning of the
term “national origin” when read in its context and in light of the Con-
application de la ciedr (op. diss. robinson) 148
81
qatarien, ces dernières catégories faisant clairement référence à l’origine
nationale. De fait, l’immense majorité des personnes qui acquièrent une
nationalité selon la règle du jus sanguinis restent détentrices de cette nationalité
à vie. Au Qatar et aux Emirats arabes unis, l’acquisition de la
nationalité est fondée sur la loi du sang. Une personne ayant ainsi acquis
sa nationalité la conservera donc, selon toute vraisemblance, en sus de
son origine nationale. En ce sens, il semblerait que la nationalité soit alors
tout aussi immuable que l’origine nationale.
9. La majorité invoque l’arrêt rendu par la Cour en l’affaire Nottebohm
(Liechtenstein c. Guatemala) (deuxième phase, arrêt, C.I.J. Recueil 1955,
p. 20) à l’appui de son raisonnement selon lequel la nationalité relève du
pouvoir discrétionnaire de l’Etat. Or cette affaire, sur laquelle la Cour a
statué en 1955, reflète une conception du droit international alors largement
axée sur l’Etat mais qui a ensuite été marquée par l’évolution du
droit des droits de l’homme. Ainsi, il est à présent généralement admis
qu’un Etat n’a pas toute latitude pour déchoir un individu de sa nationalité
dès lors que cette mesure fait de l’intéressé un apatride.
10. Le sens ordinaire de l’expression « origine nationale » doit être
interprété
dans son contexte et à la lumière de l’objet et du but de la
convention.
11. Pour ce qui est du contexte, le régime exceptionnel énoncé au paragraphe
2 de l’article premier prévoyant des distinctions selon qu’il s’agit
de ressortissants ou de non-ressortissants n’a de sens que si la définition
de la discrimination raciale figurant au paragraphe 1 de l’article premier
recouvre également de telles distinctions ; si ces distinctions n’étaient pas
comprises dans la définition qui inclut la discrimination fondée sur l’origine
nationale, il n’y aurait pas lieu de prévoir l’exception visée au paragraphe
2. L’argument des Emirats arabes unis selon lequel ce paragraphe
a été ajouté pour « éviter tout doute » n’avait aucun fondement ; les rédacteurs
ont intégré ce paragraphe parce qu’ils le jugeaient nécessaire, la
nationalité étant englobée dans l’origine nationale. Le paragraphe 2 de
l’article premier doit donc être considéré comme établissant, sur la base
du paragraphe 1, un régime exceptionnel lié aux distinctions qu’une partie
contractante pourrait faire entre ressortissants et non-ressortissants
; il
permet en fait aux Etats parties de déroger à l’interdiction de la discrimination
énoncée au paragraphe 1 de l’article premier en adoptant des mesures
qui établissent une distinction entre ressortissants et non‑ressortissants.
Si le paragraphe 3 de l’article premier autorise les Etats à adopter des
dispositions législatives qui introduisent une différenciation entre nationaux
et non-nationaux,
il est important de noter qu’il impose également
que ces dispositions ne soient pas discriminatoires à l’encontre d’une
nationalité particulière. A cet égard, il mérite d’être relevé que le Qatar
soutenait que les mesures mises en oeuvre par les Emirats arabes unis opéraient
une discrimination à l’encontre des personnes ayant spécifiquement
la nationalité qatarienne. Pour ce qui est de l’objectif de la convention, il
ressort clairement du préambule et du dispositif que celle‑ci vise à éliminer
toute forme de discrimination raciale, objectif qui ne serait pas atteint
149 application of the cerd (diss. op. robinson)
82
vention’s object and purpose encompasses differences of treatment based
on nationality.
The Travaux Préparatoires
12. Recourse may be had to the travaux préparatoires to confirm the
ordinary meaning of the term “national origin” set out above. The travaux
préparatoires show that during the discussion in the United Nations Third
Committee of what ultimately became Article 1 (1), some members understood
the term “national origin” to include nationality or understood it
as equated with the word “nationality”. On the other hand, some delegations
argued that the inclusion of the term “national origin” might oblige
States to give to non‑citizens in their territory rights that would normally
be reserved for their own citizens. To take account of the latter concern,
France and the United States proposed an amendment, the effect of
which was to exclude “nationality” from the definition of “national origin”.
However, this proposal met with strong opposition and was withdrawn.
A nine‑power compromise proposal was made and accepted,
resulting in the addition to Article 1 of paragraphs 2 and 3. France and
the United States indicated that the compromise proposal was “entirely
acceptable”. The acceptance of the compromise proposal indubitably
indicated the rejection of the exclusion of nationality from the concept of
national origin. The majority attempts to make much of the fact that the
proposal was a compromise. Of course, the text of paragraph 2 is a compromise,
but its meaning is clear. It reflects the agreement reached between
the position of those States, such as France and the United States, that
the Convention should not prevent States parties from distinguishing
between citizens and non‑citizens, and the position of those States who
were concerned that the term “national origin” should not be construed
narrowly and restrictively. The entire Committee therefore accepted the
compromise that the term “national origin” would encompass current
nationality, but would leave States with the ability to reserve certain
rights to their citizens. The travaux préparatoires therefore confirm the
interpretation resulting from the ordinary meaning of the term “national
origin”.
The work of the CERD Committee and General Recommendation XXX
13. On 1 October 2002, 32 years after its establishment, the CERD
Committee adopted General Recommendation XXX, paragraph 4 of
which provides that
application de la ciedr (op. diss. robinson) 149
82
si les Etats avaient entière latitude pour opérer une discrimination entre
ressortissants et non-ressortissants.
L’interprétation selon laquelle l’expression
« origine nationale » dans la convention englobe la nationalité est
donc conforme au but et à l’objet de l’instrument. Par conséquent, le sens
ordinaire de l’expression « origine nationale », interprété dans son contexte
et à la lumière de l’objet et du but de la convention, englobe les différences
de traitement fondées sur la nationalité.
Travaux préparatoires
12. Il peut être fait appel aux travaux préparatoires pour confirmer le
sens ordinaire de l’expression « origine nationale » exposé ci-
dessus.
Il ressort
des travaux que, lors de l’examen, par la Troisième Commission de
l’Assemblée générale des Nations Unies, du texte qui allait devenir le paragraphe
1 de l’article premier, certains membres interprétaient l’expression
« origine nationale » comme englobant la nationalité ou comme étant équivalente
au terme « nationalité ». D’autres délégations considéraient, en
revanche, qu’inclure l’expression « origine nationale » pourrait obliger les
Etats à accorder aux non-ressortissants
sur leur territoire des droits qui
seraient normalement réservés à leurs ressortissants. Afin de prendre en
compte cette dernière préoccupation, la France et les Etats-Unis avaient
proposé un amendement visant à exclure le terme « nationalité » de la définition
de l’« origine nationale ». Cette proposition avait toutefois suscité
une vive opposition et avait été retirée. Un compromis avait été conjointement
proposé par neuf puissances et accepté, ce qui avait résulté en l’ajout
des paragraphes 2 et 3. La France et les Etats‑Unis avaient jugé la proposition
de compromis « tout à fait acceptable ». L’acceptation du compromis
indiquait sans équivoque le rejet de l’exclusion de la nationalité du
concept d’origine nationale. La majorité cherche à faire grand cas du fait
que la proposition était un compromis. Certes, le texte du paragraphe 2 est
issu d’un compromis, mais son sens est clair. Il reflète l’entente trouvée
entre la position de certains Etats, comme la France et les Etats-Unis,
selon laquelle la convention ne devrait pas empêcher les Etats parties
d’opérer une distinction entre ressortissants et non-ressortissants,
et la
position d’autres Etats préoccupés par le fait que l’expression « origine
nationale » ne devrait pas être interprétée de façon étroite et restrictive. La
Commission dans son ensemble avait donc accepté le compromis selon
lequel l’expression « origine nationale » engloberait la nationalité actuelle,
tout en laissant aux Etats la possibilité de réserver certains droits à leurs
ressortissants. Les travaux confirment donc l’interprétation découlant du
sens ordinaire de l’expression « origine nationale ».
Travaux du Comité de la CIEDR et recommandation générale XXX
13. Le 1er octobre 2002, 32 ans après sa création, le Comité de la CIEDR
a adopté la recommandation générale XXX, dont le paragraphe 4 prévoit
que
150 application of the cerd (diss. op. robinson)
83
“differential treatment based on citizenship or immigration status will
constitute discrimination if the criteria for such differentiation, judged
in light of the objectives and purposes of the Convention, are not
applied pursuant to a legitimate aim and are not proportional to the
achievement of this aim”.
This recommendation replaced General Recommendation XI of 1993.
Qatar embraces General Recommendation XXX, paragraph 4, because,
in its view, the UAE’s measures had a disproportionate impact on Qataris.
The UAE on the other hand argues that this recommendation does not
reflect the law and should not be followed by the Court. The matter is of
some importance because the Court has in the past taken account of the
work of the United Nations supervisory bodies of human rights treaties.
While the Court is not bound by the recommendations of such bodies, in
Ahmadou Sadio Diallo, it indicated that it would attach “great weight” to
the interpretations of the International Covenant on Civil and Political
Rights (hereinafter the “ICCPR”) by the Human Rights Committee 2.
The contribution, made by the CERD Committee to the protection of
human rights by its monitoring of the implementation of the Convention,
cannot be questioned. There is no reason why the Court should not attach
great weight to the recommendations of the CERD Committee (which is
properly seen as the guardian of the Convention), if they are not in conflict
with international human rights law or general international law.
This approach will promote the achievement of the clarity, consistency
and legal security which the Court referred to in Ahmadou Sadio Diallo 3.
It is regrettable that, in this case, the Court did not follow the CERD
Committee’s recommendation. Notably, the majority did not offer any
explanation for not following it.
14. Paragraph 4 of Recommendation XXX reflects the tug between
State power and the stress placed in international law after World War II
on the fundamental rights of the individual. The paragraph seeks to strike
a balance between measures taken by a State in the exercise of its sovereign
powers and the extent to which those measures may properly derogate
from a fundamental human right. The principle of proportionality is
applied in the implementation of all the major global and regional human
rights instruments; it is also applied by the multitude of States, which
have, in their national constitutions and laws, provisions relating to the
protection of fundamental rights and freedoms that have been influenced
by the Universal Declaration of Human Rights and the European Convention
on Human Rights. The principle of proportionality is applied by
all regional human rights courts. My own view is that the principle may
very well reflect a rule of customary international law. It is a principle
2 Ahmadou Sadio Diallo (Republic of Guinea v. Democratic Republic of Congo), Merits,
Judgment, I.C.J. Reports 2010 (II), pp. 663‑664, para. 66.
3 Ibid.
application de la ciedr (op. diss. robinson) 150
83
« l’application d’un traitement différent fondé sur le statut quant à la
citoyenneté ou à l’immigration constitue une discrimination si les critères
de différenciation, jugés à la lumière des objectifs et des buts de
la convention, ne visent pas un but légitime et ne sont pas proportionnés
à l’atteinte de ce but ».
Cette recommandation a remplacé la recommandation XI de 1993. Le
Qatar souscrit au paragraphe 4 de la recommandation XXX parce que,
selon lui, les mesures prises par les Emirats arabes unis ont eu des incidences
disproportionnées sur les Qatariens. Pour les Emirats arabes unis,
cette recommandation ne reflète pas le droit et ne devrait pas être suivie
par la Cour. La question revêt une certaine importance, la Cour ayant, par
le passé, tenu compte des travaux des organes onusiens de surveillance des
traités relatifs aux droits de l’homme. Bien que la Cour ne soit pas tenue
de se conformer aux recommandations de tels organes, elle a indiqué dans
l’arrêt rendu en l’affaire Ahmadou Sadio Diallo qu’elle accorderait une
« grande considération » à l’interprétation adoptée par le Comité des droits
de l’homme institué par le Pacte international relatif aux droits civils et
politiques 2. La contribution que le Comité de la CIEDR a apportée à la
protection des droits de l’homme par son suivi de l’application de la
convention est indéniable. La Cour n’a aucune raison de ne pas attacher
une grande importance aux recommandations du Comité (qui est considéré
à juste titre comme le gardien de la convention) si celles‑ci ne sont pas
contraires au droit international des droits de l’homme ou au droit international
général. Une telle approche permet de promouvoir la clarté, la
cohérence et la sécurité juridique prônées par la Cour dans son arrêt en
l’affaire Ahmadou Sadio Diallo 3. Il est déplorable que la Cour n’ait pas
suivi la recommandation du Comité de la CIEDR en l’espèce, et il convient
de relever que la majorité ne s’en est pas expliquée.
14. Le paragraphe 4 de la recommandation XXX traduit le tiraillement
entre le pouvoir de l’Etat et l’insistance sur les droits fondamentaux de la
personne dans le droit international à la suite de la Seconde Guerre mondiale.
Il vise à assurer un équilibre entre le respect des mesures prises par un
Etat dans l’exercice de ses pouvoirs souverains et la mesure dans laquelle
celles-
ci peuvent légitimement limiter la portée d’un droit de l’homme fondamental.
Le principe de proportionnalité est appliqué dans la mise en oeuvre
de tous les grands instruments internationaux et régionaux relatifs aux droits
de l’homme et par les nombreux Etats dont les constitutions et les lois
internes contiennent des dispositions concernant la protection des libertés et
droits fondamentaux inspirées de la Déclaration universelle des droits de
l’homme et de la convention européenne des droits de l’homme. Ce principe
est également appliqué par toutes les cours régionales des droits de l’homme.
J’estime pour ma part qu’il pourrait bien refléter une règle de droit interna-
2 Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo),
fond, arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 663‑664, par. 66.
3 Ibid.
151 application of the cerd (diss. op. robinson)
84
that is applied in the interpretation and application of human rights
instruments even though the word “proportionality” may not be found in
those instruments. The principle requires States to justify a derogation
from a fundamental human right by showing that the derogatory measure
serves a legitimate aim and is proportional to the achievement of
that aim. As the Court itself held in its Advisory Opinion in Legal Consequences
of the Construction of a Wall in the Occupied Palestinian Territories
in its interpretation of Article 12 (3) of the ICCPR, the derogation
must be the least restrictive measure needed to achieve that aim 4. Once
the Court is satisfied that measures taken by a State in the implementation
of Articles 1 (2) and 1 (3) are properly seen as raising a question of
derogation from the prohibition of racial discrimination under Article 1,
it must, if it is to be consistent with the development of the corpus of
international human rights law since 1945, apply the principle of proportionality
in order to determine whether that question arises. Such a question,
if it arises, falls within the provisions of the Convention and would
be an important aspect of the dispute relating to its interpretation or
application.
15. If the Convention is interpreted as not requiring the application of
the principle of proportionality set out in paragraph 4 of General Recommendation
XXX, it would be an outlier among the number of human
rights treaties that have been adopted since World War II. Moreover, the
Committee’s recommendation is wholly consistent with the purpose of
the Convention to eliminate all forms of racial discrimination, since it
confirms that States are not free to adopt measures that disproportionately
discriminate against persons on the basis of their nationality. The
effect of the recommendation is not to prevent States from adopting measures
that differentiate between citizens and non‑citizens. It only prohibits
measures that cannot be justified on the basis that they serve a legitimate
aim and are proportional to the achievement of that aim.
16. In the circumstances of this case and in the context of Article 1 (2)
and (3) of the Convention, it was open to the UAE to adopt measures
distinguishing between United Arab Emirates’ citizens and the citizens of
other States, including those of Qatar. However, in adopting those measures,
the UAE was obliged to ensure that the measures served a
legitimate
aim and were proportionate to the achievement of that aim.
Qatar has argued that Qataris were disproportionately targeted by the
measures. Moreover, although Article 1 (3) allows a State to adopt measures
providing for distinctions on the basis of nationality, it specifically
4 Legal Consequences of the Construction of a Wall in the Occupied Palestinian Territory,
Advisory Opinion, I.C.J. Reports 2004 (I), pp. 192‑193, para. 136.
application de la ciedr (op. diss. robinson) 151
84
tional coutumier. Ce principe est en effet appliqué dans l’interprétation et la
mise en oeuvre des instruments relatifs aux droits de l’homme, même si le
terme « proportionnalité » lui-
même n’y figure pas nécessairement. Selon ce
principe, les Etats sont tenus de justifier toute dérogation à un droit de
l’homme fondamental en apportant la preuve que la mesure dérogatoire sert
un but légitime et qu’elle est proportionnée à la réalisation de ce but. Ainsi
que l’a dit la Cour elle-même dans son avis consultatif sur les Conséquences
juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, dans
lequel elle a donné son interprétation du paragraphe 3 de l’article 12 du
Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la dérogation doit
constituer la mesure la moins restrictive nécessaire pour atteindre ce but 4.
Une fois que la Cour tient pour établi que les mesures prises par un Etat
dans le cadre de la mise en oeuvre des paragraphes 2 et 3 de l’article premier
de la convention sont considérées à juste titre comme soulevant une question
de dérogation à l’interdiction de la discrimination raciale prévue par
l’article premier, elle doit, si elle veut s’inscrire dans la droite ligne de l’évolution
du corpus du droit international des droits de l’homme depuis 1945,
appliquer le principe de proportionnalité afin de déterminer si cette question
se pose ou non. Une telle question, si elle venait à se poser, relèverait des
dispositions de la convention et constituerait un aspect important du différend
relatif à son interprétation ou son application.
15. Interpréter la convention comme ne nécessitant pas l’application du
principe de proportionnalité énoncé au paragraphe 4 de la recommandation
générale XXX revient à considérer qu’elle fait figure d’exception
parmi les instruments relatifs aux droits de l’homme adoptés depuis la fin
de la Seconde Guerre mondiale. Qui plus est, la recommandation du
Comité cadre parfaitement avec le but de la convention, à savoir l’élimination
de toutes les formes de discrimination raciale, puisqu’elle confirme
que les Etats ne sont pas libres d’adopter des mesures de nature à faire
subir à des personnes une discrimination disproportionnée sur le fondement
de leur nationalité. L’effet de la recommandation n’est pas d’empêcher
les Etats d’adopter des mesures faisant une distinction entre
ressortissants et non-ressortissants.
La recommandation n’interdit que les
mesures qui ne peuvent être justifiées par le fait qu’elles servent un but
légitime et sont proportionnées à la réalisation de ce but.
16. Dans les circonstances de l’espèce et dans le contexte des paragraphes
2 et 3 de l’article premier de la convention, il était loisible aux
Emirats arabes unis d’adopter des mesures établissant une distinction
entre les ressortissants émiriens et ceux d’Etats tiers, y compris le Qatar.
Toutefois, en adoptant de telles mesures, les Emirats arabes unis étaient
tenus de veiller à ce que celles-
ci poursuivent un but légitime et soient
proportionnées à la réalisation de ce but. Or le Qatar a fait valoir que les
mesures prises visaient d’une façon disproportionnée les Qatariens. En
outre, si le paragraphe 3 de l’article premier autorise un Etat à adopter
4 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé,
avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 192‑193, par. 136.
152 application of the cerd (diss. op. robinson)
85
provides
that such measures must not discriminate against a particular
nationality.
17. Paragraph 4 of General Recommendation XXX becomes relevant
in light of Qatar’s claim that the measures disproportionately targeted
persons of Qatari citizenship. As noted before, the principle of proportionality
becomes applicable once a treaty or national law provides for
what is in effect a derogation from a fundamental human right. In the
particular context of this case therefore, Qatar’s claim that the measures
disproportionately affected Qataris on the basis of their nationality, which
is encompassed by the term “national origin”, falls within the provisions
of the Convention.
18. In light of the foregoing, Qatar’s first claim falls within the provisions
of CERD.
B. The Second Claim
19. I am in agreement with the finding of the majority that Qatar’s
claim relating to discrimination against media corporations does not fall
within the provisions of the Convention.
C. The Third Claim
20. According to the Convention, the term “racial discrimination”
refers to a restrictive measure that is based on race, colour, descent, or
national or ethnic origin, which has the purpose or effect of impairing the
enjoyment, on an equal footing, of fundamental human rights. However,
as Judge Crawford stated in his declaration in Ukraine v. Russian Federation,
“[t]he definition of ‘racial discrimination’ in Article 1 of CERD does
not require that the restriction in question be based expressly on
racial or other grounds enumerated in the definition; it is enough
that it directly implicates such a group on one or more of these
grounds” 5.
Qatar relies on this analysis by Judge Crawford in order to distinguish
between a restrictive measure that is based expressly on one of the protected
grounds (direct discrimination) and one that, although not based
expressly on one of those grounds, nonetheless directly implicates a group
on one of the protected grounds. Translated to the circumstances of this
5 Application of the International Convention for the Suppression of the Financing of
Terrorism and of the International Convention on the Elimination of All Forms of Racial
Discrimination (Ukraine v. Russian Federation), Provisional Measures, Order of 19 April
2017, I.C.J. Reports 2017, declaration of Judge Crawford, p. 215, para. 7.
application de la ciedr (op. diss. robinson) 152
85
des mesures établissant des distinctions sur le fondement de la nationalité,
il dispose expressément que pareilles mesures ne doivent pas être discriminatoires
à l’égard d’une nationalité particulière.
17. Le paragraphe 4 de la recommandation générale XXX acquiert une
pertinence toute particulière à la lumière du grief du Qatar selon lequel les
mesures prises visaient d’une façon disproportionnée les ressortissants du
Qatar. Comme observé plus haut, le principe de proportionnalité devient
applicable dès lors qu’un traité ou une législation nationale contient une
disposition qui est, en réalité, une dérogation à un droit de l’homme fondamental.
Par conséquent, dans le contexte particulier de la présente
affaire, le grief du Qatar selon lequel les mesures prises ont eu une incidence
disproportionnée sur les Qatariens en raison de leur nationalité,
notion que recouvre l’expression « origine nationale », entrait dans les prévisions
de la convention.
18. Compte tenu de ce qui précède, la première demande du Qatar
entrait dans les prévisions de la convention.
B. Deuxième demande
19. Je souscris à la conclusion de la majorité selon laquelle la demande
du Qatar relative à la discrimination à l’encontre de sociétés de médias
n’entre pas dans les prévisions de la convention.
C. Troisième demande
20. Au sens de la convention, la « discrimination raciale » s’entend
d’une mesure restrictive fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou
l’origine nationale ou ethnique, ayant pour but ou pour effet de compromettre
la jouissance, dans des conditions d’égalité, de droits de l’homme
fondamentaux. Toutefois, comme M. le juge Crawford l’a déclaré en l’affaire
Ukraine c. Fédération de Russie,
« [l]a définition de la « discrimination raciale » figurant à l’article premier
de la CIEDR n’exige pas que la restriction apportée soit expressément
fondée sur les motifs raciaux ou autres qui y sont énumérés ;
il suffit que cette restriction affecte directement un groupe pour un ou
plusieurs de ces motifs » 5.
Le Qatar a invoqué l’analyse du juge Crawford pour distinguer une
mesure restrictive fondée expressément sur l’un des motifs prohibés (la
discrimination directe) d’une mesure qui, bien que n’étant pas fondée
expressément sur l’un des motifs prohibés, concerne directement un
groupe pour l’un de ces motifs. Selon le Qatar, s’il n’était pas d’emblée
5 Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme
et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination
raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du
19 avril 2017, C.I.J. Recueil 2017, déclaration de M. le juge Crawford, p. 215, par. 7.
153 application of the cerd (diss. op. robinson)
86
case, Qatar’s submission is that although the UAE’s measures do not on
their face refer to persons of Qatari national origin, as a matter of fact by
their effect they directly implicate persons of Qatari national origin. Qatar
describes this as indirect discrimination. Although Qatar has framed this
part of its case as one of indirect discrimination, in my view, since labels
such as “indirect discrimination” are very often misleading, it is better to
concentrate on the essence of Qatar’s claim.
21. Some comments on indirect discrimination are appropriate. First,
the label “indirect discrimination” may be misleading because, for the
so‑called indirect discrimination to occur, the measures in question must
by their effect directly implicate persons in the protected group. In this
case, the measures directly implicate persons of Qatari national origin.
There is nothing that is indirect in the way the measures by their effect
implicate persons of Qatari national origin. Second, the kind of treatment
described by Qatar as indirect discrimination occurs frequently in the
practice of States. Third, another drawback with the label “indirect discrimination”
is that it would seem to suggest or imply that indirect discrimination
is inferior to what is called direct discrimination, and for that
reason, there may be a tendency to undervalue indirect discrimination.
This tendency is evident in paragraph 112 of the Judgment where the
majority speaks of “collateral or secondary effects” of the measures.
Fourth, the kind of restriction that gives rise to indirect discrimination is
frequently disguised discrimination; the discrimination may be difficult to
detect because, on its face, the restrictive measure is not based expressly
on racial or other grounds.
22. For all these reasons, it is regrettable that the majority did not
address Qatar’s third claim in a satisfactory manner.
23. The substance of Qatar’s third claim is that while the travel ban, the
expulsion order and the restrictions on media corporations do not, on
their face, purport to discriminate against Qataris on the basis of their
national origin — that is, are not based expressly on national origin — by
their effect, they constitute discrimination on that basis.
24. It must be emphasized that Qatar’s third claim operates independently
of its claim that the measures discriminated against Qataris by reason
of their nationality; Qatar argues that by reason of their effect the
measures also discriminate against Qataris because of their cultural links
with Qatar and, therefore, by reason of their Qatari national origin. The
examples given by Qatar of how Qataris have been impacted by the measures
are a classical illustration of discrimination based on national origin;
they show precisely how Qataris were impacted by the measures by
reason of their cultural ties with Qatar as a nation. It follows, therefore,
that Qatar’s third claim, based as it is on the effect of the measures on
Qataris as persons of Qataris national origin, is not affected by the majority’s
finding in paragraph 105 that “the measures complained of by Qatar
application de la ciedr (op. diss. robinson) 153
86
apparent que les mesures émiriennes visaient les personnes d’origine
nationale qatarienne, elles les concernaient de fait directement, par leur
effet, ce qui constituait une discrimination indirecte. Même s’il s’agit là
d’un volet de la thèse plaidée par le Qatar, je considère que la
qualification
de « discrimination indirecte » prête très souvent à confusion
et qu’il est préférable de se concentrer sur l’essence de la demande du
Qatar.
21. Il est opportun de formuler certaines observations au sujet de la
discrimination indirecte. En premier lieu, la qualification de « discrimination
indirecte » peut prêter à confusion car, pour que la discrimination
indirecte soit avérée, les mesures en cause doivent, par leur effet, concerner
directement des personnes appartenant au groupe protégé. En l’espèce,
elles concernaient directement des personnes d’origine nationale
qatarienne. Il n’y a rien d’indirect dans la façon dont les mesures concernaient,
par leur effet, ces personnes. En deuxième lieu, les traitements
qualifiés par le Qatar de discrimination indirecte sont fréquents dans la
pratique des Etats. En troisième lieu, la qualification de « discrimination
indirecte » a ceci de fâcheux qu’elle semble indiquer ou impliquer un
niveau de gravité inférieur à celui de la discrimination directe, ce qui
pourrait porter d’aucuns à sous-estimer
la discrimination indirecte. Une
telle tendance est manifeste au paragraphe 112 de l’arrêt, dans lequel la
majorité évoque les « effets collatéraux ou secondaires » des mesures. En
quatrième lieu, les restrictions donnant lieu à une discrimination indirecte
constituent souvent une discrimination déguisée ; la discrimination peut
alors être difficile à déceler, les mesures restrictives n’étant pas, à première
vue, expressément fondées sur des motifs raciaux ou autres.
22. Pour toutes ces raisons, il est regrettable que la majorité n’ait pas
traité la troisième demande du Qatar de manière satisfaisante.
23. Le Qatar, dans sa troisième demande, faisait essentiellement valoir
que les interdictions d’entrée, la décision d’expulsion et les restrictions
imposées à des sociétés de médias n’étaient pas, à première vue, censées
opérer une discrimination à l’encontre des Qatariens sur le fondement de
leur origine nationale (en d’autres termes, elles n’étaient pas expressément
fondées sur l’origine nationale), mais étaient, par leur effet, constitutives
de discrimination sur ce fondement.
24. Il convient de souligner que la troisième demande du Qatar était
dissociée du grief selon lequel les mesures prises ont fait subir aux Qatariens
une discrimination en raison de leur nationalité ; le Qatar soutenait
que ces mesures, par leur effet, opéraient également une discrimination à
l’encontre des Qatariens en raison des liens culturels qu’ils entretenaient
avec le Qatar, et donc, de leur origine nationale qatarienne. Les exemples
donnés par le Qatar au sujet de l’incidence desdites mesures sur les Qatariens
étaient des cas classiques de discrimination fondée sur l’origine
nationale ; ils montraient précisément en quoi les Qatariens avaient subi
les effets des mesures en cause en raison de leurs liens culturels avec le
Qatar en tant qu’Etat. Il s’ensuit que la troisième demande du Qatar,
fondée sur l’effet des mesures sur les Qatariens en tant que personnes
154 application of the cerd (diss. op. robinson)
87
in the present case as part of its first claim, which are based on the current
nationality of its citizens, do not fall within the scope of CERD”. Qatar’s
third claim is that the measures that are based on national origin, a protected
ground in the Convention, fall within the provisions of the Convention.
25. Qatar’s examples of how the UAE’s measures as a matter of fact
directly implicated persons of Qatari national origin on the basis of identification
with Qatari national traditions and culture, their dress and
accent include the following:
“(i) As a general matter, Qatar argues that the measures target and
discriminate against ‘Qataris’ as a historical-cultural
community
and not merely as holders of a Qatari passport. In this regard,
Qatar cites the statement of a person, not a Qatari national who
had lived in Qatar for over 60 years and who was denied entry
into the UAE because, as he stated, ‘the immigration officer saw
me as Qatari because of the way I was dressed’; on the other hand,
his travel companions who were not wearing traditional Qatari
dress were allowed to enter. That person stresses that prior to the
measures he had travelled to and from the UAE on many occasions
without experiencing any problem at the border.
(ii) Another person who identifies completely as Qatari, but is not a
Qatari citizen relates that he was subjected to interrogation by the
UAE’s officials merely because his passport showed that he was
born in Qatar.”
There is merit in Qatar’s argument that the treatment to which these persons
were subjected at the border on the basis of their national origin
resulted from the travel ban which targeted Qataris. Consequently, the
obligation under the Convention not to discriminate against persons on
the basis of their national origin was engaged and the treatment falls
within the provisions of the Convention.
26. Despite these clear examples of how the measures discriminate by
their effect on persons of Qatari national origin, the majority concluded
that they do not constitute racial discrimination within the meaning of
the Convention. In paragraph 112 of the Judgment the majority makes a
statement of questionable validity. It states that
“[i]n the present case, while the measures based on current Qatari
nationality may have collateral or secondary effects on persons born
in Qatar or of Qatari parents, or on family members of Qatari
application de la ciedr (op. diss. robinson) 154
87
d’origine nationale qatarienne, n’est pas affectée par la conclusion de la
majorité, au paragraphe 105 de l’arrêt, selon laquelle « les mesures dont le
Qatar tire grief en l’espèce dans le cadre de sa première demande, fondées
sur la nationalité actuelle de ses ressortissants, n’entrent pas dans le
champ d’application de la CIEDR ». Le Qatar, dans sa troisième demande,
soutenait que les mesures fondées sur l’origine nationale, l’un des motifs
de discrimination prohibés par la convention, entraient dans les prévisions
de celle‑ci.
25. Pour illustrer comment les mesures émiriennes impliquaient de fait
directement des personnes d’origine nationale qatarienne au motif qu’elles
s’identifiaient aux traditions et à la culture nationales qatariennes, portaient
l’habit qatarien ou parlaient avec l’accent qatarien, le Qatar a
donné, entre autres, les exemples suivants :
« i) De façon générale, le Qatar affirmait que les mesures ciblaient les
« Qatariens » et étaient discriminatoires à leur encontre en ce
qu’elles les visaient en tant que communauté historico-culturelle,
et non comme simples détenteurs d’un passeport qatarien. A cet
égard, il a cité le témoignage d’un individu non qatarien vivant au
Qatar depuis plus de 60 ans qui avait déclaré s’être vu interdire
l’entrée sur le sol émirien au motif que, selon ses dires, « l’agent
des services de l’immigration l’a[vait] cru qatarien en raison de
[s]on apparence vestimentaire » ; ses compagnons de voyage, quant
à eux, qui ne portaient pas l’habit traditionnel qatarien, avaient
été autorisés à entrer sur le territoire. Cet individu soulignait que,
avant l’adoption de ces mesures, il était entré ou sorti des Emirats
arabes unis à de nombreuses reprises sans rencontrer aucun problème
à la frontière ;
ii) un autre individu, qui se considérait comme totalement qatarien
mais n’était pas ressortissant de l’Etat du Qatar, avait rapporté
avoir été soumis à des interrogatoires par les agents émiriens pour
le simple fait que son passeport indiquait qu’il était né au Qatar. »
L’argument du Qatar selon lequel le traitement réservé à ces personnes à
la frontière au motif de leur origine nationale était la conséquence des
interdictions d’entrée sur le territoire qui visaient les Qatariens est fondé.
L’obligation imposée par la convention de ne pas opérer de discrimination
à l’encontre de personnes au motif de leur origine nationale peut donc être
invoquée et ce traitement entre dans les prévisions de la convention.
26. En dépit de ces exemples évidents de la façon dont les mesures ont,
par leur effet, opéré une discrimination à l’égard des personnes d’origine
nationale qatarienne, la majorité a conclu qu’elles n’étaient pas constitutives
de discrimination raciale au sens de la convention. Au paragraphe
112 de l’arrêt, la majorité fait une déclaration dont la validité est
contestable, à savoir que
« [e]n la présente espèce, bien que les mesures fondées sur la nationalité
actuelle des ressortissants qatariens puissent produire des effets
collatéraux ou secondaires sur des personnes nées au Qatar ou de
155 application of the cerd (diss. op. robinson)
88
citizens residing in the UAE, this does not constitute racial discrimination
within the meaning of the Convention”.
This finding is questionable because in this part of its case Qatar is not
complaining about the measures that are based on current Qatari nationality.
As the majority itself noted in paragraph 60 of the Judgment: in
setting out Qatar’s complaint, Qatar’s case in relation to what it describes
as indirect discrimination is independent of its complaint about the measures
on the basis of nationality; Qatar has made it clear that this part of
its case is based on national origin, which is one of the protected grounds
in the definition of racial discrimination. The second comment that may
be made on this finding relates to the regrettable reference to the “collateral
or secondary effects” of the measures. The finding is regrettable
because it suggests that what Qatar describes as indirect discrimination is
equivalent to what the majority describes as the collateral or secondary
effects of the measures. As noted before, the essence of Qatar’s third
claim is that these measures directly implicate Qataris on the basis of their
national origin. There is nothing collateral or secondary about the impact
of the measures on Qataris on the basis of their national origin. Moreover,
in this statement the majority seems to be referring to the collateral
or secondary effects of the measures on persons of Qatari national origin;
however, this is not at all clear from its reference to those effects on “persons
born in Qatar or of Qatari parents, or on family members of Qatari
citizens residing in the UAE”, since that categorization of persons could
also refer to persons of Qatari nationality.
27. The majority does not seek to substantiate its finding by way of
reason; it proceeds by way of assertion by simply stating that “the various
measures of which Qatar complains do not, either by their purpose or
their effect, give rise to racial discrimination against Qataris as a distinct
social group on the basis of their national origin” (paragraph 112 of the
Judgment). It is not clear what the majority means by racial discrimination
against Qataris as a “distinct social group”. It certainly could not
mean that the majority does not accept that Qataris constitute a distinct
social group, since uncontradicted evidence was given by Qatar through
its expert, Mr. John Peterson, that Qataris constitute such a group. If the
majority accepts that Qataris constitute a distinct social group, then certainly
cogent evidence has been provided to illustrate the discriminatory
effect of the measures on Qataris as such a group, and therefore, on the
basis of their national origin. For what could be more illustrative of the
distinctiveness of the social group to which a person belongs than his
dress and speech and, if this cultural linkage is exploited for discriminatory
reasons as a result of the travel ban, why is that treatment not capable
of constituting racial discrimination on the basis of national origin?
The majority is silent as to a reason but strong in its oracular declaration
application de la ciedr (op. diss. robinson) 155
88
parents qatariens, ou sur des proches de ressortissants qatariens
résidant aux Emirats arabes unis, il ne s’agit pas là d’une discrimination
raciale au sens de la convention ».
Cette conclusion est discutable car, dans ce volet de la thèse qu’il plaidait,
le Qatar ne tirait pas grief des mesures fondées sur la nationalité qatarienne
actuelle. Comme la majorité elle-même l’a noté au paragraphe 60
de l’arrêt en exposant les griefs du Qatar, la cause plaidée par le Qatar
s’agissant de ce qu’il décrivait comme une discrimination indirecte était
indépendante de son grief relatif aux mesures fondées sur la nationalité.
Le Qatar avait clairement indiqué que ce volet de sa demande était fondé
sur l’origine nationale, qui constitue l’un des motifs prohibés aux termes
de la définition de la discrimination raciale. On peut ensuite faire observer,
au sujet de cette conclusion, la regrettable référence faite aux « effets
collatéraux ou secondaires » des mesures, regrettable en ce qu’elle suggère
que ce que le Qatar a décrit comme une discrimination indirecte équivaut
à ce que la majorité décrit comme des effets collatéraux ou secondaires.
Ainsi qu’il a été noté plus haut, l’essence de la troisième demande du
Qatar est que ces mesures concernaient directement les Qatariens, sur le
fondement de leur origine nationale. L’incidence de telles mesures sur les
Qatariens n’a rien de collatéral ou de secondaire. En outre, par cette affirmation,
la majorité semble faire référence aux effets collatéraux ou secondaires
des mesures sur les personnes d’origine nationale qatarienne ;
cependant, cela est loin d’être clair lorsqu’elle mentionne ces effets sur
« des personnes nées au Qatar ou de parents qatariens, ou sur des proches
de ressortissants qatariens résidant aux Emirats arabes unis », étant donné
que cette catégorisation pourrait également renvoyer aux personnes de
nationalité qatarienne.
27. La majorité ne cherche pas à étayer sa conclusion par une argumentation
raisonnée ; par une simple affirmation, elle énonce, au paragraphe
112 de l’arrêt, que « les mesures dont le Qatar tire grief n’entraînent
pas, par leur but ou par leur effet, une discrimination raciale à l’égard des
Qatariens en tant que groupe social distinct au motif de leur origine
nationale ». Ce qu’entend la majorité par une discrimination raciale à
l’égard des Qatariens « en tant que groupe social distinct » n’est pas clair.
Assurément, elle ne peut vouloir dire par là qu’elle n’admet pas que les
Qatariens constituent un groupe social distinct, étant donné que le Qatar
a présenté des éléments de preuve non contestés en ce sens par l’intermédiaire
de son expert, M. John Peterson. Si la majorité admet que les Qatariens
constituent un groupe social distinct, il ne fait alors aucun doute que
des preuves convaincantes ont été apportées pour illustrer l’effet discriminatoire
des mesures sur les Qatariens en tant que groupe, et donc au motif
de leur origine nationale. Quoi de plus éloquent, en effet, pour illustrer le
caractère distinctif du groupe social auquel appartient une personne, que
ses vêtements ou son accent ? Et si ce lien culturel est exploité aux fins
d’opérer une discrimination suite à l’interdiction d’entrée sur le territoire,
pourquoi ce traitement ne peut-il pas constituer une discrimination raciale
156 application of the cerd (diss. op. robinson)
89
that “the measures of which Qatar complains . . . are not capable of constituting
racial discrimination within the meaning of the Convention”. In
its reasoning, the majority does not even pause to identify and examine
the factual circumstances cited by Qatar as giving rise to discrimination
by effect on the basis of national origin. If there is an inherent element in
these measures that renders them incapable of resulting in discrimination
by effect on the basis of national origin, the majority has not identified it.
28. In sum, Qatar’s claim that the measures by their effect discriminated
against Qataris on the basis of their national origin falls within the
provisions of the Convention.
Conclusion
29. In light of the foregoing, the first preliminary objection should have
been rejected as the dispute between the Parties concerns the interpretation
or application of the Convention, and the Court should have found
that it has jurisdiction ratione materiae under Article 22 of CERD in
respect of the Qatar’s first and third claims in its first preliminary objection.
(Signed) Patrick L. Robinson.
application de la ciedr (op. diss. robinson) 156
89
au motif de l’origine nationale ? La majorité n’apporte aucune explication,
mais elle assène avec force l’affirmation sibylline selon laquelle « les
mesures dont le Qatar tire grief … ne peuvent être constitutives de discrimination
raciale au sens de la convention ». La majorité ne marque même
pas une pause dans son raisonnement pour déterminer et examiner les
circonstances factuelles qui, selon le Qatar, entraînent, par leur effet, une
discrimination sur le fondement de l’origine nationale. Si toutefois les
mesures en cause comportaient un élément inhérent empêchant qu’elles
donnent lieu, par leur effet, à pareille discrimination, la majorité n’a pas
précisé quel était cet élément.
28. En résumé, le grief du Qatar selon lequel les mesures, par leur effet,
ont opéré une discrimination à l’égard des Qatariens au motif de leur
origine nationale entrait dans les prévisions de la convention.
Conclusion
29. Compte tenu de ce qui précède, la première exception préliminaire
aurait dû être rejetée, le différend entre les Parties touchant l’interprétation
ou l’application de la convention, et la Cour aurait dû se déclarer
compétente ratione materiae en vertu de l’article 22 de la CIEDR à l’égard
des première et troisième demandes du Qatar.
(Signé) Patrick L. Robinson.

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Opinion dissidente de M. le juge Robinson

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