Opinion dissidente de M. le juge ad hoc Kateka

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163-20201211-JUD-01-07-EN
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OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE AD HOC KATEKA
[Traduction]
Désaccord avec le dispositif de l’arrêt  Désaccord avec le raisonnement pour des motifs de procédure et de fond  Questions préliminaires  Préambule de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques ne pouvant à lui seul fonder une condition de consentement  Circonstances dans lesquelles un bien acquiert le statut de «locaux de la mission»  Arrêt méconnaissant la condition de l’«utilisation» et préférant une condition de «consentement»  Interprétation de l’alinéa i) de l’article premier de la convention de Vienne  Statut de l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris  Critère de la communication en temps voulu et du caractère non arbitraire et non discriminatoire  Sort des locaux diplomatiques de la Guinée équatoriale.
I. Introduction
1. Je regrette de ne pas être d’accord avec la conclusion de la Cour, selon qui l’immeuble sis au 42 avenue Foch n’a jamais acquis le statut de «locaux de la mission» de la République de Guinée équatoriale en République française au sens de l’alinéa i) de l’article premier de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques (ci-après la «convention de Vienne» ou la «convention»). Je ne suis pas non plus d’accord avec la déclaration de l’arrêt indiquant que la France n’a pas manqué aux obligations qui lui incombent au titre de la convention de Vienne. J’ai donc voté contre le dispositif figurant au paragraphe 126 de l’arrêt, y compris le point par lequel la majorité rejette le surplus des conclusions de la République de Guinée équatoriale. Je suis d’avis que l’immeuble sis au 42 avenue Foch a acquis le statut de mission diplomatique de la Guinée équatoriale et que la France, en prenant des mesures de contrainte contre cet immeuble, a manqué aux obligations que lui fait la convention de Vienne. Je ne souscris pas au raisonnement de la Cour pour des motifs de procédure et de fond. Pour ce qui est de la procédure, je ne suis pas la Cour lorsqu’elle lit dans la convention de Vienne une exigence de consentement sur laquelle la convention est muette et qu’elle écarte la condition de l’«utilisation» qui est mentionnée dans l’instrument. A cet égard, je ne m’accorde pas avec la Cour, qui s’appuie trop sur le préambule sous prétexte d’interpréter l’objet et le but la convention. Je traiterai les questions de fond que sont les conditions (appelées «circonstances» dans l’arrêt) et le statut de l’immeuble après avoir examiné certaines questions préliminaires pertinentes.
II. Questions préliminaires
2. La majorité conclut que, si l’Etat accréditaire objecte à la désignation par l’Etat accréditant d’un certain bien comme faisant partie des locaux de sa mission diplomatique, et si cette objection est communiquée en temps voulu et n’a un caractère ni arbitraire ni discriminatoire, ce bien n’acquiert pas le statut de «locaux de la mission» au sens de l’alinéa i) de l’article premier de la convention de Vienne et ne bénéficie donc pas de la protection prévue à l’article 22 de la convention (paragraphe 74 de l’arrêt). Elle est d’avis qu’il est possible de résoudre le différend entre les Parties en s’appuyant sur la condition de consentement (ou de non-objection). Et ce, parce que la Cour ajoute simplement dans l’arrêt (paragraphe 75) que, «[s]i nécessaire, elle se penchera ensuite sur la deuxième condition qui, selon la France, doit être remplie pour qu’un bien acquière le statut de «locaux de la mission», à savoir le critère de l’affectation réelle». Cette conclusion est plutôt surprenante pour plusieurs raisons. Premièrement, avant d’y parvenir, la Cour a analysé très longuement les deux conditions de la désignation des locaux diplomatiques (paragraphes 61 à 73 de l’arrêt). Deuxièmement, la conclusion est étonnante parce que la condition de consentement ou de non-objection n’est pas prévue par la convention, qui n’en dit mot. Troisièmement, la majorité recourt à un raisonnement  interpréter le traité selon les dispositions de la convention de Vienne sur le droit des traités  auquel je ne souscris pas pour arriver à sa position consistant à faire appel
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à la condition de consentement ou de non-objection et à ignorer opportunément celle de l’«utilisation». Elle élude cette dernière condition, qui est prévue par la convention de Vienne. Aux paragraphes 107, 108 et 109 de l’arrêt, elle renvoie à la condition en question comme étant celle de l’affectation réelle. Il s’agit de références incidentes faites dans le contexte de la justification de l’argument de la majorité relatif au consentement ou à la non-objection et de la poursuite pénale menée en France contre M. Teodoro Nguema Obiang Mangue. Je regrette donc l’invocation sélective d’un critère de consentement ou de non-objection qui n’existe pas, tout comme son association à la norme ou au critère de la «communication en temps voulu et du caractère non arbitraire et non discriminatoire». J’entrerai davantage dans les détails lorsque j’examinerai les conditions de la désignation d’une mission diplomatique.
3. C’est à bon droit que la Cour en appelle à la règle de l’interprétation des traités au paragraphe 61. Cependant, l’arrêt ne rend pas justice à la règle énoncée à l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités. Tout d’abord, la majorité considère que les dispositions de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques prises dans leur sens ordinaire n’aident pas à déterminer les circonstances dans lesquelles un bien acquiert le statut de «locaux de la mission». Sans essayer d’interpréter l’alinéa i) de l’article premier de ladite convention, elle conclut simplement que cette disposition n’aide pas à déterminer comment un immeuble peut en venir à être utilisé aux fins d’une mission diplomatique (paragraphe 62 de l’arrêt). Ensuite, elle se sert de l’objet et du but de la convention en invoquant son préambule, en particulier le troisième considérant relatif au fait de contribuer à favoriser les relations d’amitié entre les pays. Malheureusement, cela crée un élément de confusion quant à l’objet et au but à prendre en considération. En effet, l’arrêt invoque aussi le but consistant à assurer l’accomplissement efficace des fonctions des missions diplomatiques en tant que représentants des Etats (quatrième considérant du préambule de la convention de Vienne cité au paragraphe 66 de l’arrêt). A cette occasion, la majorité convient avec la défenderesse que les privilèges et immunités diplomatiques mettent à la charge de l’Etat accréditaire des obligations lourdes. Je ne partage pas ce point de vue. Il convient de rappeler que la réciprocité imprègne la pratique diplomatique. L’affirmation de la majorité, pour qui les Etats accréditaires ont des obligations lourdes ou étendues, a un caractère trompeur. Comme l’a déclaré à juste titre Denza1, «[c]haque Etat est à la fois un Etat accréditant et un Etat accréditaire».
4. Cette idée d’obligations lourdes conduit la majorité à affirmer qu’il existe un déséquilibre entre les obligations incombant à l’Etat accréditaire (paragraphe 65 de l’arrêt) et celles auxquelles est tenu l’Etat accréditant en ce qui concerne les privilèges et immunités des diplomates et des missions diplomatiques. C’est là un point de vue erroné. L’article 2 de la convention de Vienne prévoit l’établissement de relations diplomatiques par consentement mutuel. Les avantages pour les missions diplomatiques sont contrebalancés par les sanctions prévues dans la convention. L’arrêt (paragraphe 67) renvoie au passage bien connu de l’affaire relative au Personnel diplomatique et consulaire2:
« les règles du droit diplomatique constituent un régime se suffisant à lui-même qui, d’une part, énonce les obligations de 1’Etat accréditaire en matière de facilités, de privilèges et d’immunités à accorder aux missions diplomatiques et, d’autre part, envisage le mauvais usage que pourraient en faire des membres de la mission et précise les moyens dont dispose 1’Etat accréditaire pour parer à de tels abus».
1 Eileen Denza, Diplomatic Law: Commentary on the Vienna Convention on Diplomatic Relations, quatrième édition, 2016, Oxford, Oxford University Press, p. 2.
2 Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran (Etats-Unis d’Amérique c. Iran), arrêt, C.I.J. Recueil 1980, p. 40, par. 86.
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La Cour réaffirme ici la règle bien établie en droit diplomatique de la réciprocité sanctionnant le non-respect.
5. Je considère que les inconvénients mentionnés ci-dessus auraient été évités si la majorité ne s’était pas trop appuyée sur le préambule de la convention dans le cas d’espèce. Même si, dans sa jurisprudence3, la Cour a accordé une importance juridique aux préambules, le poids juridique donné à celui de la convention de Vienne est, à mon avis, plutôt excessif. Il est vrai que les préambules font partie des traités et que les juridictions s’y réfèrent lorsqu’elles appliquent les dispositions interprétatives de la convention de Vienne sur le droit des traités. Cela étant, en se servant du préambule pour interpréter la convention de Vienne sur les relations diplomatiques, la Cour fait des déclarations de très grande portée sur des questions qui ne figurent pas dans l’instrument. J’ai déjà mentionné le déséquilibre dont souffriraient les Etats accréditaires et leurs prétendues obligations lourdes. Il est préoccupant que la majorité utilise le mécanisme de l’objet et du but pour lire dans la convention ce que celle-ci ne prévoit pas, tout en méconnaissant la condition qui y est énoncée, comme je l’explique ci-après.
6. Etant donné que la majorité a accordé au préambule de la convention de Vienne un rôle éminent dans le contexte de l’interprétation des traités, il convient de rappeler certains canons en matière d’interprétation des traités énoncés à l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités. Ces canons montrent que les rédacteurs de la convention ont voulu mettre l’accent sur le processus d’interprétation en tant qu’unité4. Cette unité s’applique dans l’examen du texte et du contexte de l’objet et du but du traité, mais consiste aussi à ne pas prendre en considération une disposition isolée de celui-ci mais à le lire comme un ensemble.
7. Si les préambules ont une influence normative sur la compréhension du sens des traités5, cette influence est limitée. S’il n’est pas soutenu par des dispositions normatives spécifiques, le préambule en soi ne fait pas naître d’obligations de fond pour les parties à un traité. Comme l’a souligné M. le juge ad hoc Mensah6 :
«En particulier, je ne conçois pas que «l’objet et [le] but de la CNUDM, tels qu’exposés dans son préambule», imposent per se aux parties à la convention des obligations vis-à-vis d’Etats ayant délibérément choisi de ne pas consentir à être liés par les dispositions de cet instrument.»
C’est ce qu’a affirmé le juge en réponse à la déclaration de la Cour indiquant que, «[e]u égard à l’objet et au but de la CNUDM, tels qu’exposés dans son préambule, le fait que la Colombie n’y soit pas partie n’exonère pas le Nicaragua des obligations qu’il tient de l’article 76 de cet instrument»7.
8. La conclusion que je tire de l’analyse ci-dessus est que, si les préambules sont utiles à l’interprétation des traités, ils ne doivent pas être élevés au rang de moyens susceptibles de modifier
3 Droits des ressortissants des Etats-Unis d’Amérique au Maroc (France c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 1952, p. 196 ; Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 624.
4 Commission du droit international (CDI), commentaire de l’article 27 (à présent article 31), Annuaire, 1966, vol. II, p. 240.
5 O. Dörr et al., Vienna Convention on the Law of Treaties: A Commentary, Springer-Verlag Berlin Heidelberg, 2018, p. 10.
6 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 765 ; déclaration de M. le juge ad hoc Mensah.
7 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 669, par. 126.
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le sens d’un traité au détriment de l’intention des rédacteurs. Ainsi, la Cour s’est prononcée contre une interprétation qui, en invoquant les buts et objets de la convention, entraînerait dans les dispositions de la convention de Madrid de 1880 des modifications radicales et des additions. Agir autrement reviendrait non pas à interpréter le traité, mais à le réviser
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III. Circonstances dans lesquelles un bien acquiert le statut de «locaux de la mission» au sens de la convention
9. Les deux conditions invoquées par les Parties dans leurs plaidoiries relativement au statut des locaux de la mission sont le consentement  ou la non-objection  et l’utilisation d’un bien. La défenderesse a fait valoir l’existence de deux conditions cumulatives, à savoir le consentement et l’affectation réelle, c’est-à-dire l’utilisation effective aux fins de la mission. La demanderesse a soutenu que la convention de Vienne ne subordonnait pas l’octroi du statut diplomatique au consentement de l’Etat accréditaire. Quant à la condition de l’utilisation, la Guinée équatoriale a estimé qu’elle était remplie dès qu’un bâtiment était désigné par l’Etat accréditant. Je vais examiner ces deux conditions l’une après l’autre.
10. Je commence par la condition que la majorité a préférée, à savoir le consentement ou la non-objection. Il est dit dans l’arrêt dit que, si l’objection de la France est communiquée en temps voulu et n’a un caractère ni arbitraire ni discriminatoire, le bien n’acquiert pas le statut de «locaux de la mission» au sens de l’alinéa i) de l’article premier de la convention de Vienne et ne bénéficie donc pas de la protection prévue à l’article 22 de la convention (paragraphe 74 de l’arrêt). La Cour parvient à cette conclusion après avoir examiné l’objet et le but de la convention. En sus d’utiliser le préambule, la majorité a formulé la norme ou le critère de la «communication en temps voulu et du caractère non arbitraire et non discriminatoire».
11. Je ne suis pas d’accord avec la majorité lorsqu’elle affirme que le consentement ou la non-objection de l’Etat accréditaire est nécessaire pour qu’un immeuble soit désigné comme la mission diplomatique. Tout d’abord, comme je l’ai déjà fait observer, la convention est muette sur ce point. Elle ne subordonne pas l’octroi du statut diplomatique au consentement ou à la non-objection de l’Etat accréditaire. Ensuite, lorsque le consentement de l’Etat accréditaire est requis, la convention l’indique. De nombreuses dispositions, telles que les articles 5 (par. 1), 6, 7, 8 (par. 2), 12, 19 (par. 2), 27 (par. 1) et 46 de la convention de Vienne, énoncent l’exigence du consentement ou de la non-objection de l’Etat accréditaire.
12. On peut reprendre ici quelques-unes de ces dispositions pour illustrer les cas où le consentement ou la non-objection est nécessaire. L’article 4 exige que l’agrément de l’Etat accréditaire soit reçu pour l’accréditation d’un chef de la mission ; de même, l’article 10 requiert une notification pour la nomination des membres de la mission. La logique de ces dispositions est renforcée par l’article 4 de la convention de Vienne sur les relations consulaires, adoptée en 1963, qui prescrit le consentement pour l’établissement d’un poste consulaire. Par conséquent, lorsque les rédacteurs de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques ont estimé qu’il était nécessaire d’obtenir le consentement de l’Etat accréditaire, ils l’ont prévu expressément dans l’instrument.
13. La majorité affirme en outre ne pas être convaincue par la lecture a contrario que la Guinée équatoriale fait de l’article 12, qui exige le consentement de l’Etat accréditaire pour l’établissement de bureaux annexes de la mission de l’Etat accréditant. Elle ne considère pas qu’une
8 Droits des ressortissants des Etats-Unis d’Amérique au Maroc (France c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 1952, p. 196.
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telle lecture a contrario soit compatible avec l’objet et le but de la convention de Vienne. La raison avancée pour ce rejet n’est pas convaincante. Il est dit que l’Etat accréditaire devrait prendre des dispositions spéciales pour assurer la sécurité de cette annexe. Selon moi, l’Etat accréditaire est tenu d’assurer la sécurité de toutes les missions diplomatiques, que ce soit dans la capitale ou dans d’autres villes. De surcroît, cet argument est fondé sur le postulat erroné que l’Etat accréditaire aurait des obligations lourdes. J’ai déjà traité ce point plus haut (paragraphes 3 et 4 de la présente opinion). La même logique s’applique à l’argument que la majorité avance au paragraphe 67 de l’arrêt à propos de l’Etat accréditant imposant unilatéralement à l’Etat accréditaire son choix de locaux de sa mission.
14. La majorité déclare également qu’il est difficile de concilier une interprétation de la convention qui permettrait à l’Etat accréditant d’utiliser un bien aux fins d’une mission diplomatique en dépit de l’objection expresse de l’Etat accréditaire. Elle invoque l’article 2 de la convention de Vienne relatif à l’établissement de relations diplomatiques qui se font par consentement mutuel. A mon avis, cela revient à mélanger deux notions différentes. Si l’établissement de relations diplomatiques se fait par consentement mutuel, il ne s’ensuit pas automatiquement que deux Etats entretenant des relations diplomatiques ouvriront des missions diplomatiques dans leurs capitales respectives. Les relations peuvent être favorisées à partir des capitales respectives. Toutefois, une fois qu’une mission diplomatique est établie, les responsabilités réciproques de l’Etat accréditant et de l’Etat accréditaire entrent en jeu conformément à la convention de Vienne.
15. L’analogie (paragraphe 65 de l’arrêt) entre la disposition relative à la persona non grata énoncée à l’article 9 de la convention de Vienne et l’absence de mécanisme équivalent pour les locaux de la mission est hors sujet. Comme je l’ai indiqué au paragraphe 4 ci-dessus, la convention est un régime autonome qui concerne les personnes, les locaux et les biens. Il ne faut pas prendre ses dispositions isolément, mais les considérer comme formant un régime intégré. Ainsi, les sanctions dont dispose l’Etat accréditaire à l’égard des personnes peuvent également servir à régler des différends concernant des locaux ou des biens. Un Etat accréditaire peut rompre ses relations diplomatiques avec un Etat accréditant qui ne respecte pas les règles de la convention de Vienne. Il peut également utiliser la disposition de la persona non grata pour expulser les diplomates d’un Etat qui enfreint le régime de la convention de Vienne.
16. En ce qui concerne le consentement ou la non-objection, la majorité conteste les arguments de la Guinée équatoriale relatifs à la notification et à la consultation préalables (aussi appelée «concertation» au paragraphe 71 de l’arrêt). La notification préalable est requise dans le cadre des dispositions du droit interne de l’Etat accréditaire. A mon avis, il n’est pas rare qu’un Etat, lorsqu’il n’a pas de législation nationale en matière de droit diplomatique, adresse des circulaires aux missions diplomatiques par l’intermédiaire de son ministère des affaires étrangères. Ces circulaires sont des lignes directrices qui permettent aux missions diplomatiques de connaître la pratique d’un Etat particulier.
17. La question de la consultation (concertation) n’est pas non plus saugrenue. La demanderesse fait valoir que, en l’absence de législation ou de pratique établie, l’Etat accréditaire ne peut s’opposer à la désignation par l’Etat accréditant de ses locaux diplomatiques qu’en consultation avec celui-ci. La majorité (paragraphe 72) est d’avis que cette condition, notamment, ne trouve pas de fondement dans la convention de Vienne ou en droit international général. Et pourtant, elle a reconnu que le pouvoir de l’Etat accréditaire de s’opposer à la désignation par l’Etat accréditant de sa mission diplomatique n’est pas illimité. Un tel pouvoir doit être exercé de manière raisonnable et de bonne foi. La France elle-même se réfère à la lettre et à l’esprit consensuels de la convention de Vienne (paragraphe 54 de l’arrêt). Elle ajoute que, compte tenu des restrictions importantes que le régime d’inviolabilité impose à la souveraineté territoriale de l’Etat accréditaire, l’Etat accréditant est tenu d’user de bonne foi des droits qui lui sont conférés. Elle fait également référence à un «lien
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de confiance» entre l’Etat accréditant et l’Etat accréditaire. Selon moi, il s’agit d’une reconnaissance claire de la nécessité de la consultation. Le régime de consentement mutuel prévu à l’article 2 de la convention de Vienne relève du même esprit de nécessité de la consultation.
18. En ce qui concerne la pratique de l’Etat français, la défenderesse affirme qu’il existe une pratique française d’agrément général tacite, à savoir la non-opposition associée à un usage effectif. La majorité (paragraphe 69), comme la France, cite la pratique d’une dizaine d’Etats9 qui ont légiféré sur l’obligation d’obtenir un consentement préalable. On ne voit pas bien comment la pratique d’une poignée d’Etats peut être interprétée. S’agit-il de droit coutumier ? Cela ne peut être le cas. La majorité ne considère pas que cette pratique établisse nécessairement l’accord des parties au sens de l’alinéa b) du paragraphe 3 de l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités. Selon moi, il n’y a pas de pratique constante et cohérente de la France et ce, parce que les explications que celle-ci a données varient. Lorsqu’elle a refusé de faire droit à la demande de l’ambassade de Guinée équatoriale, la France a invoqué la condition de l’utilisation dans sa note verbale du 11 octobre 2011. Elle a affirmé que les locaux relevaient du domaine privé et donc du droit commun. Par la suite, elle a invoqué comme motif la saisie pénale immobilière prononcée le 19 juillet 2012.
19. C’est cette absence de pratique cohérente qui amène la Guinée équatoriale à accuser la défenderesse d’arbitraire et de discrimination. Je partage ce point de vue, comme je l’explique ci-dessous, pour ce qui est du statut de l’immeuble et du critère du caractère raisonnable et non discriminatoire s’agissant de refuser de reconnaître l’immeuble comme étant les locaux de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale.
20. Je passe à présent à la seconde condition, à savoir l’«utilisation» des locaux. Comme je l’ai déjà indiqué (paragraphe 2 ci-dessus), la majorité n’estime pas nécessaire de se prononcer sur l’exigence de «l’affectation réelle» qui permet à un immeuble de jouir des protections prévues à l’article 22. Mais elle n’a pas réellement cherché à vérifier l’existence de la nécessité contenue dans la formule «si nécessaire» figurant au paragraphe 75 de l’arrêt. Selon la majorité, le différend entre les Parties peut être résolu par l’analyse de la question de savoir si l’objection de la France à la désignation de l’immeuble sis au 42 avenue Foch comme locaux de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale a été formulée «en temps voulu et n’avait un caractère ni arbitraire ni discriminatoire». Comme je l’ai déjà indiqué, je ne souscris pas à cette approche qui méconnaît la condition de l’«utilisation» mentionnée dans la convention de Vienne, alors que la majorité adopte la condition de consentement ou de non-objection sur laquelle la convention est muette. Je ne suis pas non plus convaincu par le critère du caractère non arbitraire et non discriminatoire. Ce critère est adopté par la majorité pour rationaliser l’invocation de la condition de «consentement ou de non-objection», qui n’est pas prévue dans la convention.
21. La majorité se trouve dans la situation de devoir écarter la condition de l’«utilisation» et d’adopter une condition dont la convention ne dit mot. Elle se trouve également dans la situation épineuse consistant à se servir d’arguments fondés sur la condition de l’«utilisation» pour justifier la condition de consentement ou de non-objection (paragraphes 108 et 109 de l’arrêt). Selon moi, elle a commis une erreur en suivant cette approche.
22. L’arrêt dit que l’alinéa i) de l’article premier de la convention de Vienne contient une définition de ce qui constitue les «locaux de la mission» qui n’établit pas expressément comment et quand un immeuble peut en venir à être des locaux diplomatiques (paragraphe 62 de l’arrêt). Néanmoins, la majorité n’interprète pas cette disposition dans le détail. L’alinéa en question définit
9 Sur les 192 Etats parties à la convention de Vienne.
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les «locaux de la mission» comme étant les bâtiments et le terrain utilisés aux fins de la mission. Je suis d’avis que cette définition circulaire n’est pas uniquement descriptive. Le terme «utilisés» indique l’une des conditions de l’établissement des locaux de la mission. Le désaccord peut porter sur ce qu’il convient d’entendre par ce terme. La France l’interprète comme signifiant l’usage effectif ou réel (lorsqu’une mission diplomatique s’est complètement installée dans les locaux en question), tandis que la Guinée équatoriale estime qu’il recouvre les locaux affectés à des fins diplomatiques, c’est-à-dire l’usage prévu. Je partage ce dernier point de vue.
23. Le terme «utilisation» peut être interprété de différentes manières. En effet, il recouvre la planification et l’aménagement des locaux de la mission. Il s’agit d’un processus progressif. Une fois qu’un Etat accréditant a notifié l’ouverture d’une mission diplomatique et affecté un immeuble à cette fin, il faut du temps pour achever le processus d’emménagement. Les missions diplomatiques ne sont pas établies du jour au lendemain. Par exemple, le déménagement des missions diplomatiques de Bonn à Berlin dans les années 1990 a duré plusieurs années pour certaines d’entre elles.
24. Je partage à ce sujet le point de vue de la demanderesse, qui rejette l’idée que l’affectation est «réelle» ou «effective» seulement après qu’une mission diplomatique s’est complètement installée dans les locaux en question. Il faut aussi retenir l’usage prévu, en acceptant la situation dans laquelle l’Etat accréditant a assigné des locaux à des fins diplomatiques. L’immunité et l’inviolabilité doivent être accordées à partir du moment de l’affectation et de la notification à l’Etat accréditaire jusqu’à l’emménagement final dans les locaux. Dans le cas contraire, l’expression «utilisés aux fins de la mission» figurant à l’alinéa i) de l’article premier de la convention de Vienne serait privée d’effet utile dans ce contexte. Les agents de l’Etat accréditaire pourraient pénétrer dans les locaux  comme ils l’ont fait en l’espèce  sous le prétexte qu’il ne s’agit pas d’une «affection réelle ou effective» du bien. A cet égard, je partage l’avis, exprimé par M. le juge Robinson au paragraphe 43 de son opinion dissidente, qu’un immeuble bénéficie de l’immunité, motif pris de l’intention de l’utiliser comme locaux diplomatiques, lorsque cette intention est suivie d’une utilisation effective.
25. En conclusion de la présente section, j’affirme que la Cour aurait dû procéder à un examen approfondi des deux conditions du «consentement» et de l’«utilisation». La condition de consentement ou de non-objection ne se trouve pas dans la convention de Vienne et ne s’applique pas en l’espèce. Comme l’a écrit M. le juge Yusuf, président, dans son opinion individuelle, il s’agit d’une «nouvelle exigence» (paragraphe 59). La condition de l’utilisation qui est mentionnée à l’alinéa i) de l’article premier de la convention de Vienne peut être interprétée comme incluant l’intention d’utiliser un immeuble comme mission diplomatique, dans laquelle s’inscrivent les actes de la Guinée équatoriale pendant la période allant du 4 octobre 2011 au 27 juillet 2012.
IV. Statut de l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris
26. Les Parties ont échangé de nombreuses notes diplomatiques entre le 4 octobre 2011 et le 27 juillet 2012. Ces deux dates sont essentielles pour déterminer le statut de l’immeuble sis au 42 avenue Foch. Il convient de noter que, la Cour s’étant déclarée incompétente à l’égard de l’immeuble en question en tant que propriété d’un Etat étranger au titre de la convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée (ou convention de Palerme), les demandes de la Guinée équatoriale antérieures au 4 octobre 2011 ne relèvent pas de la compétence de la Cour (paragraphe 77 de l’arrêt). La Guinée équatoriale admet que les événements antérieurs au 4 octobre 2011 n’entrent pas dans le champ de la présente affaire. Il est donc surprenant que la majorité invoque le critère de l’«utilisation» pour citer les perquisitions du 28 septembre et du 3 octobre 2011 comme preuves que l’immeuble sis au 42 avenue Foch n’était pas utilisé ni ne faisait l’objet de préparatifs en vue d’être utilisé à des fins diplomatiques. Les événements qui se sont
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produits dans la période antérieure au 4 octobre 2011 ne sont pas pertinents et n’auraient pas dû être invoqués par la majorité.
27. La France affirme avoir objecté systématiquement à chacune des notes diplomatiques de la Guinée équatoriale. La majorité convient avec la défenderesse que les autorités françaises ayant procédé à l’inspection sur place n’ont pas constaté que les locaux étaient utilisés ou faisaient l’objet de préparatifs en vue d’être utilisés comme mission diplomatique de la Guinée équatoriale. Elle rejette comme étant dénuées de pertinence les preuves que constituaient les affichettes apposées sur les locaux («Ambassade de Guinée équatoriale») et le fait que l’immeuble abritait la résidence de la déléguée permanente auprès de l’UNESCO. Elle rejette également la preuve du consentement implicite de la France et de sa reconnaissance tacite (paragraphe 32 ci-dessous). Cette position est regrettable.
28. Comme indiqué au paragraphe 20 ci-dessus, la majorité a établi une norme ou un critère consistant à déterminer si l’objection de la France était formulée en temps voulu et avait un caractère non arbitraire et non discriminatoire. Cet élément est difficile à justifier. La question de savoir si la France a agi en temps voulu est controversée. La France peut bien avoir répondu dans un délai d’une semaine à la note verbale de la Guinée équatoriale datée du 4 octobre 2011. Cependant, compte tenu de la longue durée du différend, on peut se demander si les événements ont fait l’objet d’un traitement en temps voulu. L’impasse entre les Parties a duré d’octobre 2011 au 13 juin 2016, date à laquelle la Guinée équatoriale a introduit une instance devant la Cour. La période de neuf mois comprise entre le 4 octobre 2011 et le 27 juillet 2012 a été le point culminant de la crise entre les Parties. Et pourtant, la France, en tant qu’Etat accréditaire, malgré les sanctions prévues par la convention de Vienne, n’a pas pris de mesures parce qu’elle ne voulait pas compromettre ses relations bilatérales avec la Guinée équatoriale. Si l’on peut le comprendre, cela ajoute néanmoins à la complexité de cette affaire singulière.
29. En tout état de cause, l’établissement du caractère raisonnable du comportement de la France sera fonction des circonstances particulières. La majorité conclut que la Guinée équatoriale avait connaissance, le 4 octobre 2011, des perquisitions menées les 28 septembre et 3 octobre 2011 dans le cadre de la procédure pénale. Il y avait donc des motifs raisonnables pour que la France s’opposât à ce que la Guinée équatoriale désignât l’immeuble comme ses locaux diplomatiques. Malheureusement, cet argument, comme il est déjà indiqué ci-dessus, concerne la période antérieure au 4 octobre 2011, qui n’est pas pertinente. Il est surprenant que la majorité ne tienne pas compte de cet élément temporel. En outre, les circonstances de la présente affaire laissent entrevoir que la Guinée équatoriale est victime d’un traitement injuste. Des accusations d’abus de droit ont été formulées, mais elles n’ont pas été commentées par la majorité. C’est, là encore, un élément regrettable.
30. La défenderesse ne peut par conséquent pas être absoute des accusations d’arbitraire et de discrimination. Ainsi, les autorités françaises ont perçu un impôt sur la plus-value pour le bien sis au 42 avenue Foch alors qu’elles n’avaient pas l’intention de transférer le titre de propriété de l’immeuble à la Guinée équatoriale. En outre, la France tente de réfuter les accusations d’arbitraire et de discrimination en citant un seul exemple d’un Etat X. Elle n’est pas convaincante. Affirmer qu’aucun autre Etat accréditant ne s’est jamais comporté en France comme l’a fait la Guinée équatoriale dans le cas d’espèce ne l’est pas davantage. On peut arguer ici qu’aucun autre pays ne s’est jamais trouvé dans la situation dans laquelle la Guinée équatoriale s’est trouvée en tant qu’Etat accréditant. Le lien établi entre les actes de la France et la procédure pénale devant les tribunaux français vient compléter le caractère inhabituel de la présente affaire. Malheureusement, la majorité convient avec la France que, si celle-ci avait accepté l’affectation de l’immeuble par la Guinée équatoriale, cela aurait risqué d’entraver le bon fonctionnement de la justice pénale française
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(paragraphe 109 de l’arrêt). Il s’agit là, à mon avis, d’une observation plutôt spéculative et inutile qui ne suffit pas à justifier le caractère raisonnable des nouvelles perquisitions menées par la France dans l’immeuble.
31. En ce qui concerne la date à partir de laquelle l’immeuble sis au 42 avenue Foch était désigné comme locaux diplomatiques de la Guinée équatoriale, je suis d’avis que la notification de la demanderesse datée du 4 octobre 2011 devrait être acceptée. La période comprise entre cette date et le 27 juillet 2012 a été mise à profit pour planifier le transfert des locaux du 29 boulevard de Courcelles au 42 avenue Foch à Paris.
32. A ce sujet, j’observe que les autorités françaises, par leurs actes, ont reconnu à maintes reprises que l’immeuble sis au 42 avenue Foch était les locaux de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale. Des agents français s’y sont rendus pour obtenir des visas ; l’immeuble a bénéficié d’une protection en 2015 et 2016 ; quatre lettres ont été adressées au 42 avenue Foch par les autorités françaises en 2019. La majorité (paragraphe 114 de l’arrêt) s’efforce de contrer ces éléments de reconnaissance en avançant des arguments qui ne sont pas probants. Il n’est guère convaincant de soutenir, sans donner de raisons, que l’obtention de visas au 42 avenue Foch à Paris ne permet pas de conclure que les locaux étaient reconnus (par la France) comme ceux de la mission diplomatique. La France, de manière peu concluante, essaie d’expliquer que les quatre lettres ont été envoyées par erreur (à des moments différents) !
33. Si la date du 4 octobre 2011 pose problème, il ne fait en revanche aucun doute que le 27 juillet 2012 est la date d’entrée en vigueur du statut diplomatique de la mission de la Guinée équatoriale au 42 avenue Foch. Plusieurs juges l’ont reconnu et ont voté en faveur de la reconnaissance du statut du 42 avenue Foch en tant que locaux de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale, même s’ils n’ont constaté aucun manquement à des obligations. La France concède que sa non-reconnaissance de l’immeuble et les saisies de biens sont antérieures au 27 juillet 2012. Elle déclare en outre que, depuis cette date, la Guinée équatoriale n’a jamais signalé d’incidents qui auraient pu troubler la tranquillité du bâtiment. Je suis d’avis qu’il s’agit là d’un consentement implicite et d’une reconnaissance tacite du statut diplomatique des locaux.
34. Compte tenu de ce qui précède, j’estime que l’immeuble sis au 42 avenue Foch a acquis le statut de locaux de la mission de la Guinée équatoriale en France à compter du 4 octobre 2011 et que la France manque aux obligations que lui fait la convention de Vienne.
V. Sort des locaux de la Guinée équatoriale en France
35. La Cour note (paragraphe 116) que le comportement de la France n’a pas privé la Guinée équatoriale de ses locaux diplomatiques en France, car la demanderesse en disposait déjà au 29 boulevard de Courcelles, que la France reconnaît toujours. Cela étant, les locaux sis au 42 avenue Foch ont été reconnus par la Cour en vertu de l’ordonnance en indication de mesures conservatoires de décembre 2016. Cette reconnaissance/protection prendra fin avec le présent arrêt sur le fond. Le sort de ces locaux sera plus incertain une fois qu’il aura été statué sur le pourvoi formé contre l’arrêt rendu par la cour d’appel le 10 février 2020. La confiscation de l’immeuble aura certainement des incidences sur le fonctionnement de l’ambassade de Guinée équatoriale en France. Il est regrettable que la Cour ait laissé sans réponse cette question, qui va au-delà de celle de la propriété des locaux. Il s’agit de la question de la dignité et de l’inviolabilité des locaux de la mission de la Guinée équatoriale, protégées par l’article 22 de la convention de Vienne. La stabilité des règles du droit diplomatique ne sera pas favorisée par cette omission de la Cour.
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(Signé) James KATEKA.
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Opinion dissidente de M. le juge ad hoc Kateka

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