Opinion dissidente de M. le juge Robinson

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163-20201211-JUD-01-06-EN
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OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE ROBINSON
[Traduction]
Interprétation de l’expression «locaux de la mission» figurant à l’alinéa i) de l’article premier de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques –– Amalgame fait par la majorité entre le pouvoir de l’Etat accréditaire d’objecter à la désignation des locaux de la mission et une obligation d’obtenir le consentement de cet Etat à cette désignation –– Conclusion selon laquelle l’Etat accréditaire a un pouvoir d’émettre une objection n’ayant pas de fondement dans la convention de Vienne –– Définition de l’expression «locaux de la mission» établissant un critère objectif –– Manquement par la France aux obligations que lui impose la convention de Vienne.
1. Je suis en désaccord avec l’ensemble des conclusions figurant au paragraphe 126 de l’arrêt. Les éléments soumis à la Cour démontrent que l’immeuble sis au 42 avenue Foch a acquis le statut de «locaux de la mission» au sens de l’alinéa i) de l’article premier de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques (ci-après la «convention de Vienne» ou la «convention»). En conséquence, par ses mesures à l’égard de l’immeuble  entrée, perquisitions, saisie et ordonnance de confiscation ––, la France n’a pas respecté l’inviolabilité que confère l’article 22 de la convention à l’immeuble en question, en tant que «locaux de la mission».
2. Dans la première partie du présent exposé, je me pencherai sur l’interprétation de la majorité selon laquelle la convention autorise un Etat accréditaire à objecter et à faire échec unilatéralement à la désignation par la Guinée équatoriale de l’immeuble sis au 42 avenue Foch comme «locaux de la mission». Dans la deuxième partie, je décrirai la manière dont il conviendrait, à mon sens, d’interpréter la convention. Dans la troisième partie, j’examinerai les violations alléguées de cet instrument ainsi que les remèdes dus à raison de ces violations. La quatrième partie sera consacrée à mes conclusions générales.
Première partie : l’interprétation de la convention faite par la majorité
3. La question décisive en l’espèce est celle de savoir si l’immeuble sis au 42 avenue Foch a acquis le statut de «locaux de la mission» au sens de l’alinéa i) de l’article premier de la convention. S’il a acquis ce statut avant les mesures prises par la France, il y a non-respect de l’inviolabilité de cet immeuble garantie par l’article 22 de la convention.
4. Le raisonnement de la majorité consiste à soutenir que la convention de Vienne confère à l’Etat accréditaire le pouvoir d’objecter à la désignation par l’Etat accréditant d’un immeuble comme «locaux de la mission» et que, puisqu’il existe dans la présente affaire des éléments attestant que la France a objecté en plusieurs occasions à cette désignation par la Guinée équatoriale, l’immeuble n’a pas acquis ce statut.
5. L’article 22 de la convention dispose que «[l]es locaux de la mission sont inviolables». L’alinéa i) de l’article premier définit lesdits locaux comme «[l]es bâtiments ou ... parties de bâtiments et du terrain attenant qui, quel qu’en soit le propriétaire, sont utilisés aux fins de la mission, y compris la résidence du chef de la mission». Il semble découler du raisonnement de la majorité que, même s’il existe des preuves claires d’activités diplomatiques au 42 avenue Foch, et donc de l’utilisation de cet immeuble aux fins de la mission, celui-ci ne peut acquérir le statut de locaux de la mission diplomatique si la France, en tant qu’Etat accréditaire, objecte à ce que la Guinée équatoriale le désigne comme tel. Cette proposition va à rebours du sens ordinaire de
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l’expression «utilisé aux fins de la mission». Un immeuble «utilisé aux fins de la mission» au sens de l’alinéa i) de l’article premier ne devrait pas se voir dénier le statut de «locaux de la mission», et donc l’inviolabilité, du fait de l’objection de l’Etat accréditaire. C’est mal comprendre la convention que de l’interpréter ainsi. La définition des locaux de la mission n’est pas soumise à une clause de «non-objection» ; autrement dit, rien dans la définition ne subordonne son application à l’absence d’objection de la part de l’Etat accréditaire.
6. La France a raison de relever ce qu’elle appelle «la lettre et ... l’esprit essentiellement consensuels» de la convention de Vienne ; elle cite à cet égard l’article 2, qui dispose que «[l]’établissement de relations diplomatiques entre Etats et l’envoi de missions diplomatiques permanentes se font par consentement mutuel». Elle a également raison de dire que l’Etat accréditant est tenu d’exercer de bonne foi les droits que lui confère cet instrument. Je me félicite en particulier qu’elle ait déclaré que l’application de la convention exigeait ce qu’elle a décrit comme un «lien de confiance» entre les Etats accréditant et accréditaire. Cet instrument repose fondamentalement sur la réciprocité et l’équilibre. Hélas, l’approche suivie par la majorité ne rend pas suffisamment compte de cette caractéristique de la convention.
Le problème posé par la conclusion figurant au paragraphe 67
7. Au paragraphe 67, il est dit que, «[à] la lumière de ce qui précède, la Cour estime que la convention de Vienne ne peut être interprétée comme autorisant un Etat accréditant à imposer unilatéralement son choix de locaux de la mission à l’Etat accréditaire lorsque ce dernier a objecté à ce choix».
8. Le fondement juridique de cette conclusion n’est pas clair compte tenu des positions contradictoires avancées par la France et la majorité elle-même. La conclusion en question n’aurait été valable que si la majorité avait établi que l’Etat accréditaire avait le pouvoir d’objecter à la désignation par l’Etat accréditant d’un immeuble comme locaux de sa mission, condition qu’elle n’a pas respectée. Dans le présent exposé de mon opinion, je ferai valoir que, tandis que l’Etat accréditant est en droit de désigner un immeuble comme locaux de sa mission, la majorité n’a pas démontré que la convention confère à l’Etat accréditaire le pouvoir d’objecter à cette désignation.
9. Au paragraphe 52 de l’arrêt, la majorité cite la position de la France  énoncée aux paragraphes 3.3 et 3.5 de son contre-mémoire  selon laquelle
«l’applicabilité à un immeuble particulier du régime de protection prévu par la convention de Vienne est subordonnée au respect de «deux conditions cumulatives», qui supposent, premièrement, que l’Etat accréditaire n’objecte pas expressément à l’octroi du «statut diplomatique» à l’immeuble en question et, deuxièmement, que l’immeuble soit «affecté de manière effective» aux fins de la mission diplomatique».
Or, en plusieurs occasions, la France a affirmé non seulement que, en tant qu’Etat accréditaire, elle était en droit d’objecter à ce que le statut diplomatique fût accordé à l’immeuble, mais aussi que l’octroi de ce statut était subordonné à son consentement. A titre d’exemple, au paragraphe 3.3 de son contre-mémoire, celui même dont est tirée la citation qui précède, elle a déclaré ce qui suit :
«[L]a France n’a jamais consenti à octroyer le statut de local diplomatique à l’immeuble du 42, avenue Foch, lequel ne pouvait en aucun cas être considéré comme étant utilisé à des fins diplomatiques lorsqu’il a fait l’objet de mesures de perquisition et de saisie par les autorités judiciaires françaises. Par conséquent, l’immeuble du 42, avenue Foch n’a jamais acquis le statut de local diplomatique et la France n’a pas pu
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méconnaître les obligations lui incombant en application de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques.»
Au paragraphe 3.9 de son contre-mémoire, la France a encore précisé expressément que son consentement était requis aux fins de la désignation des «locaux de la mission» :
«Ainsi, conformément à la lettre et à l’esprit essentiellement consensuels de la convention de Vienne, les locaux que l’Etat accréditant souhaite utiliser aux fins de sa mission diplomatique ne peuvent l’être que lorsque l’Etat accréditaire y consent, a fortiori ne s’y oppose pas expressément, à la suite de la notification réalisée par l’Etat accréditant.»
10. Il existe deux autres facteurs touchant à l’assise juridique et, partant, à la validité de la conclusion tirée par la majorité au paragraphe 67. Premièrement, il est évident que l’argumentation de la Guinée équatoriale vise à répondre à l’affirmation de la France consistant, non pas à revendiquer un droit d’objecter à la désignation de l’immeuble comme locaux de la mission, mais à subordonner une telle désignation à son consentement. Le paragraphe 47 de l’arrêt renvoie ainsi au fait que la Guinée équatoriale reconnaît que «plusieurs Etats subordonnent la désignation des locaux de missions diplomatiques sur leur territoire à quelque forme de consentement» ; au paragraphe 44, relativement à la question de savoir si l’octroi du statut de locaux diplomatiques est subordonné à un quelconque consentement exprès ou implicite de l’Etat accréditaire, il est fait référence à l’argument de la Guinée équatoriale selon lequel, à chaque fois qu’«ils ont jugé nécessaire de soumettre un acte de l’Etat accréditant au consentement de l’Etat accréditaire, les rédacteurs de la convention ont veillé à ce que celle-ci soit explicite à cet égard» ; au même paragraphe de l’arrêt, la majorité cite l’argument de la Guinée équatoriale renvoyant à plusieurs dispositions de la convention qui n’exigent pas le consentement de l’Etat accréditaire.
11. Deuxièmement, il est tout aussi clair que l’arrêt lui-même repose fondamentalement sur l’idée que le consentement de l’Etat accréditaire est requis aux fins de la désignation d’un immeuble comme locaux de la mission. Tous les exemples de pratique étatique énoncés au paragraphe 69 illustrent ainsi des cas dans lesquels, comme il est précisé dans l’arrêt lui-même, l’«accord préalable» de l’Etat accréditaire est nécessaire pour qu’un immeuble puisse être désigné comme locaux de la mission. A l’évidence, le mot «accord» est synonyme de «consentement». Selon la majorité, l’Allemagne exige l’accord préalable de son ministère fédéral des affaires étrangères et le Brésil, l’autorisation préalable de son ministère des affaires étrangères ; exiger l’accord ou l’autorisation préalable revient à exiger le consentement de l’Etat accréditaire. En outre, nombre des Etats dont la France a invoqué la pratique dans son contre-mémoire soumettent expressément à leur consentement la désignation d’un immeuble comme locaux de la mission ; voir, par exemple, le renvoi à la pratique du Royaume-Uni, du Canada, de la République tchèque ou de la Turquie au paragraphe 3.18 du contre-mémoire du défendeur. Le paragraphe 72 de l’arrêt contient un exemple caractéristique de la confusion faite par la majorité entre l’exigence du consentement et le pouvoir d’objection de l’Etat accréditaire. Les deux dernières phrases se lisent comme suit :
«Certains Etats accréditaires peuvent énoncer à l’avance, par leur législation ou par des lignes directrices officielles, les modalités selon lesquelles leur accord peut être donné, tandis que d’autres peuvent opter pour une réponse au cas par cas. Ce choix proprement dit n’a aucune incidence sur le pouvoir de l’Etat accréditaire d’émettre une objection.»
«Accord» a la même signification que «consentement». La majorité s’est fourvoyée ici en faisant un amalgame entre une obligation d’obtenir le consentement de l’Etat accréditaire et le pouvoir de cet Etat d’émettre une objection, c’est-à-dire entre deux régimes totalement distincts ; en d’autres
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termes, elle a employé sans établir de distinction les deux notions pourtant différentes que sont le consentement et l’objection.
12. En raison des diverses références faites par l’une et l’autre des Parties, ainsi que dans l’arrêt lui-même, à l’obligation d’obtenir le consentement de l’Etat accréditaire à la désignation d’un immeuble comme locaux de la mission et au droit de cet Etat d’objecter à une telle désignation par l’Etat accréditant, il est impossible de déterminer les raisons pour lesquelles la majorité s’est concentrée sur le droit d’objection au paragraphe 67. La majorité n’explique pas pourquoi elle n’a pas décidé de faire sien le critère que la France a avancé en plusieurs occasions comme étant celui à appliquer, à savoir que son consentement serait requis pour la désignation par un Etat accréditant d’un immeuble comme locaux de sa mission. En fait, au cours de la procédure orale, la France a déclaré qu’il «exist[ait] bel et bien une pratique française d’agrément général tacite».
13. Sur le plan juridique, il y a une différence importante entre un régime subordonnant la désignation d’un immeuble comme locaux de la mission au consentement de l’Etat accréditaire et un régime conférant à cet Etat accréditaire un pouvoir d’objecter à une telle désignation. Il est erroné d’assimiler le pouvoir d’objection de l’Etat accréditaire à une obligation d’obtenir son consentement. Si l’Etat accréditaire a le pouvoir d’objecter à la désignation par l’Etat accréditant d’un immeuble comme locaux de sa mission, le second peut procéder à la désignation tant que le premier n’a pas exercé ledit pouvoir ; en revanche, si la désignation par l’Etat accréditant d’un immeuble comme locaux de sa mission est soumise au consentement de l’Etat accréditaire, le premier est totalement empêché de désigner cet immeuble avant d’avoir obtenu le consentement du second.
14. La convention emploie les deux notions séparément, et non de manière interchangeable. A titre d’exemple, aux termes du paragraphe 1 de son article 4, «[l]’Etat accréditant doit s’assurer que la personne qu’il envisage d’accréditer comme chef de la mission auprès de l’Etat accréditaire a reçu l’agrément de cet Etat». Ainsi, l’Etat accréditant est totalement empêché de désigner une personne comme chef de sa mission avant que l’Etat accréditaire ait donné son consentement. A l’inverse, aux termes de l’article 6 de la convention, «[p]lusieurs Etats peuvent accréditer la même personne en qualité de chef de mission auprès d’un autre Etat, à moins que l’Etat accréditaire ne s’y oppose». Plusieurs Etats ont donc la possibilité de procéder à l’accréditation auprès d’un autre Etat d’une seule et même personne comme chef de mission, qui demeure ainsi accréditée pourvu et tant que l’Etat accréditaire n’objecte pas. Ces deux articles illustrent la différence entre les deux régimes et le soin pris par les rédacteurs de la convention de les employer dans le bon contexte. Le régime exigeant le consentement de l’Etat accréditaire protège de manière plus rigoureuse les intérêts de cet Etat que celui qui lui confère le pouvoir d’objecter à une mesure de l’Etat accréditant. A l’évidence, la convention attache à l’accréditation du chef de mission auprès de l’Etat accréditaire de plus lourdes conséquences pour les intérêts de cet Etat, dans sa relation avec l’Etat accréditant, qu’à l’accréditation d’une même personne par deux Etats auprès d’un troisième. En conséquence, si la première accréditation ne peut se faire sans le consentement de l’Etat accréditaire, celui-ci n’a que le pouvoir d’objecter à la seconde.
15. La convention renferme sept dispositions subordonnant au consentement de l’Etat accréditaire une mesure prise par l’Etat accréditant : le paragraphe 1 de l’article 4, la deuxième phrase de l’article 7, le paragraphe 2 de l’article 8, l’article 12, le paragraphe 2 de l’article 19, le paragraphe 1 de l’article 27 et l’article 46 de la convention ; deux autres dispositions confèrent à l’Etat accréditaire le pouvoir d’objecter à une mesure prise par l’Etat accréditant : le paragraphe 1 de l’article 5 et l’article 6. Le paragraphe 1 de l’article 22 de la convention est un très bon exemple du soin mis, dans la convention, à distinguer les deux notions différentes que sont le consentement
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et l’objection. Il prévoit que «[l]es locaux de la mission sont inviolables[ et qu’i]l n’est pas permis aux agents de l’Etat accréditaire d’y pénétrer, sauf avec le consentement du chef de la mission». Ici, compte tenu de la très haute importance attachée à l’inviolabilité des locaux de la mission  l’objet même de la présente affaire , la convention emploie la notion plus rigoureuse du consentement de l’Etat accréditant. Les intérêts de celui-ci n’auraient pas été respectés s’il avait été dit dans cette disposition qu’il était permis aux agents de l’Etat accréditaire de pénétrer dans les locaux, sauf objection du chef de la mission de l’Etat accréditant.
16. A la lumière de l’analyse qui précède, l’amalgame fait par la majorité entre les deux notions  l’obligation d’obtenir le consentement de l’Etat accréditaire à la désignation par l’Etat accréditant d’un immeuble comme locaux de sa mission et le pouvoir de l’Etat accréditaire d’objecter à une telle désignation  constitue une grave erreur de droit. Le fait que la majorité n’ait pas expliqué, au paragraphe 67 de l’arrêt, pourquoi elle s’est concentrée sur un régime conférant à l’Etat accréditaire le pouvoir d’objecter à la désignation par l’Etat accréditant d’un immeuble comme locaux de sa mission traduit une approche irrationnelle et d’autant plus déroutante que, dans son raisonnement, la majorité s’appuie sur une pratique étatique qui consiste à exiger le consentement de l’Etat accréditaire à la désignation d’un immeuble comme locaux de la mission, et non à conférer à celui-ci le pouvoir d’objecter à cette désignation (voir l’analyse figurant aux paragraphes 30 à 37 ci-après).
Les failles de l’interprétation de la convention faite par la majorité
17. La majorité a présenté trois fondements à l’appui de la conclusion tirée au paragraphe 67 de l’arrêt, à savoir que «la convention de Vienne ne peut être interprétée comme autorisant un Etat accréditant à imposer unilatéralement son choix de locaux de la mission à l’Etat accréditaire lorsque ce dernier a objecté à ce choix».
18. Le premier fondement est énoncé au paragraphe 63 de l’arrêt. L’article 2 de la convention dispose que «[l]’établissement de relations diplomatiques entre Etats et l’envoi de missions diplomatiques permanentes se font par consentement mutuel». La majorité conclut que l’article 2 est incompatible avec «une interprétation de la convention selon laquelle un immeuble pourrait acquérir le statut de locaux de la mission sur la base de la désignation unilatérale de l’Etat accréditant et ce, en dépit de l’objection expresse de l’Etat accréditaire». Cette conclusion appelle une explication car, en dépit de l’existence de l’article 2, la convention permet aux Etats accréditant et accréditaire d’agir unilatéralement en ce qui concerne certaines questions, même en cas d’objection. Pour ne donner que deux exemples, en vertu de l’article 20 de la convention, la mission de l’Etat accréditant et son chef ont le droit de placer le drapeau et l’emblème de cet Etat sur les locaux de la mission ; en vertu de l’article 9, l’Etat accréditaire a le pouvoir de déclarer persona non grata un membre de la mission. Dans ces deux articles, l’exigence du consentement mutuel des Etats accréditant et accréditaire aux fins de l’établissement de relations diplomatiques et le droit qu’ont l’un et l’autre d’agir unilatéralement dans certaines situations ne s’excluent pas mutuellement.
19. Le deuxième fondement est énoncé aux paragraphes 64 et 65 de l’arrêt. La majorité affirme que, si l’Etat accréditaire tient de l’article 9 de la convention le pouvoir de déclarer personae non gratae des membres d’une mission diplomatique, il n’existe cependant pas de mécanisme analogue pour les locaux de la mission ; en conséquence, elle soutient que, s’il n’avait pas le pouvoir d’objecter à la désignation par l’Etat accréditant des locaux de la mission, l’Etat accréditaire devrait faire un choix radical entre octroyer une protection aux locaux ou rompre ses relations diplomatiques avec l’Etat accréditant. S’il n’existe pas, pour les locaux de la mission, de disposition correspondant à celle qui confère à l’Etat accréditaire le pouvoir de déclarer
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persona non grata un membre d’une mission, c’est parce que la notion de persona non grata a trait à des personnes et non à des biens. Un Etat accréditaire serait toutefois parfaitement en mesure, sans rompre les relations diplomatiques, de déclarer personae non gratae certains membres de la mission de l’Etat accréditant et, ainsi, d’empêcher de fait cette dernière de fonctionner.
20. Le troisième fondement est énoncé au paragraphe 66 de l’arrêt, qui traite du préambule de la convention.
21. Dans la présente affaire, la majorité a procédé à une interprétation extraordinaire du préambule de la convention. Le préambule fait partie du contexte aux fins de l’interprétation d’un traité et apporte souvent un précieux éclairage dans le cadre de la lecture et de l’application de l’instrument en question. En l’espèce, la majorité a toutefois forcé l’interprétation du préambule afin de la faire cadrer  non sans mal  avec sa conclusion.
22. Le deuxième alinéa du préambule mentionne comme des facteurs ayant motivé la conclusion de la convention trois buts et principes de la Charte des Nations Unies : l’égalité souveraine des Etats, le maintien de la paix et de la sécurité internationales ainsi que le développement de relations amicales entre les nations. Ces trois buts et principes reflètent non seulement des règles du droit international coutumier mais aussi des normes de jus cogens. Tous trois revêtent une importance fondamentale aux fins de l’interprétation et de l’application de la convention. Pourtant, tout au long de son analyse, la majorité ne se réfère qu’au développement de relations amicales entre les nations. La convention a été adoptée en 1961, à une époque où nombre de colonies accédaient à l’indépendance. Pour cette raison, il est surprenant que la majorité n’ait pas cru bon de faire allusion au principe de l’égalité souveraine des Etats dans le cadre de son interprétation de la convention, pour laquelle ce principe était tout aussi important que le but consistant à favoriser des relations d’amitié entre les pays. Il s’agit d’un principe qui peut faire obstacle aux comportements des Etats accréditant ou accréditaire susceptibles de compromettre le droit de l’autre partie à l’égalité de traitement sur la base de sa souveraineté. De même, il ne faut pas perdre de vue le renvoi à l’objectif du maintien de la paix et de la sécurité internationales, la rupture des relations diplomatiques entre des Etats accréditant et accréditaire pouvant avoir une incidence négative à cet égard.
23. Selon la majorité, le préambule précise que la convention a pour objectif de «contribuer à favoriser les relations d’amitié entre les pays». Il faut toutefois également entendre par là que, pour le développement de relations d’amitié entre les pays, la convention doit être interprétée et appliquée en tenant compte du principe de l’égalité souveraine des Etats et du but consistant à maintenir la paix et la sécurité internationales. La majorité interprète ensuite le préambule comme signifiant que l’objectif du développement de relations d’amitié «d[oi]t être atteint par l’octroi aux Etats accréditants et à leurs représentants d’importants privilèges et immunités». Mais il ne s’agit pas là d’une bonne interprétation du préambule, qui reflète simplement le fait que, dans l’esprit des auteurs de la convention, l’adoption de celle-ci contribuerait à favoriser des relations d’amitié entre les pays. L’interprétation de la majorité relève de l’hyperbole.
24. La majorité se sert à tort du préambule pour fonder la distinction qu’elle établit entre les «importants privilèges» des Etats accréditants et les «obligations lourdes» imposées par la convention aux Etats accréditaires (paragraphe 66 de l’arrêt). Ici, son but est évident : elle entend brosser un tableau de la convention dépeignant l’Etat accréditaire comme étant à tel point surchargé d’obligations que, de manière compréhensible, cet instrument lui confèrerait le pouvoir d’objecter à la désignation par l’Etat accréditant des locaux de sa mission. Cette interprétation est artificielle et
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constitue une invention qu’aucun des cinquante-trois articles de la convention de Vienne ne saurait fonder.
25. La majorité a perdu de vue un élément très important dans l’équilibre que la convention vise à établir entre les intérêts des Etats accréditant et accréditaire. Tandis que le paragraphe 1 de l’article 47 dispose que «l’Etat accréditaire ne fera pas de discrimination entre les Etats», l’alinéa a) du paragraphe 2 du même article 47 exempte un comportement qui serait autrement considéré comme discriminatoire, à savoir le fait pour l’Etat accréditaire d’appliquer «restrictivement l’une des dispositions de la ... convention parce qu’elle est ainsi appliquée à sa mission dans l’Etat accréditant». Cette capacité de rétorsion  que la convention n’accorde pas à l’Etat accréditant  allège considérablement ce que la majorité appelle les «obligations lourdes» imposées par cet instrument aux Etats accréditaires.
26. Plus stupéfiant encore, la majorité laisse entendre que le fait que le préambule reconnaisse le principe selon lequel les privilèges et immunités doivent servir l’intérêt de la fonction, et non un but personnel et privé, est compréhensible compte tenu des «obligations lourdes» qu’impose aux Etats accréditaires le régime d’inviolabilité prévu par la convention. Ce principe s’explique mieux par l’ancrage de cet instrument dans les trois buts et principes fondamentaux de la Charte énoncés au deuxième alinéa du préambule. Il semble plus judicieux de considérer que le préambule prévoit une convention dont la portée s’étend au-delà des relations bilatérales entre les Etats accréditant et accréditaire, au profit d’un but plus large, mondial et communautaire, dicté par les trois buts et principes susmentionnés. Pour parler sans ambages, l’argument de la majorité peut se résumer ainsi : sur la base du préambule, les «importants privilèges» accordés à l’Etat accréditant se soldent par des «obligations lourdes» pour l’Etat accréditaire. S’il est indéniable que la convention vise à établir un équilibre entre les droits et intérêts des Etats accréditant et accréditaire, l’interprétation de son préambule faite par la majorité semble toutefois réduire cet instrument à un simple arrangement transactionnel dans le cadre duquel tout est déterminé par la logique du «donnant-donnant» et des contreparties. Pareille interprétation éloigne la convention de tout idéal dépassant les intérêts étriqués des Etats accréditant et accréditaire.
27. La conclusion très lourde de conséquences de la majorité, qui touche au coeur même de l’affaire, repose essentiellement sur cette analyse du préambule puisque, comme il a déjà été relevé, la majorité ne trouve aucun appui dans son analyse des articles 2, 4, 7, 9 et 39 de la convention. Or, si cette conclusion est correcte, il est aussi permis de soutenir que, compte tenu de l’équilibre que cet instrument vise à ménager entre les intérêts respectifs des Etats accréditant et accréditaire, l’on ne saurait l’interpréter comme autorisant l’Etat accréditaire à décider unilatéralement qu’un immeuble qui a été utilisé aux fins de la mission et désigné comme tel par l’Etat accréditant n’a pas le statut de locaux de la mission. Cette conclusion est renforcée par le fait que le préambule impose de tenir compte de l’objet et du but consistant à favoriser des relations d’amitié, dans le respect du principe de l’égalité souveraine des Etats et dans l’intérêt du maintien de la paix et de la sécurité internationales.
28. Si elle cite certaines dispositions qui montrent comment la convention vise à établir un équilibre entre les intérêts respectifs des Etats accréditant et accréditaire, la majorité ne tient pas compte du fait qu’interpréter cet instrument comme conférant à l’Etat accréditaire le pouvoir de faire échec unilatéralement au choix par l’Etat accréditant d’un immeuble comme locaux de la mission compromet gravement cet équilibre. La raison en est que cet équilibre est censé refléter l’obligation d’interpréter et d’appliquer la convention en tenant dûment compte des trois buts et principes énoncés dans le préambule.
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29. En résumé, le raisonnement de la majorité n’étaye pas la conclusion que celle-ci tire au paragraphe 67 de l’arrêt.
L’examen par la majorité de la pratique des Etats
30. L’aspect peut-être le plus surprenant du raisonnement de la majorité se trouve au paragraphe 69 de l’arrêt, où il est fait référence à la pratique consistant, pour «un certain nombre d’Etats accréditaires, tous parties à la convention de Vienne, [à] impose[r] expressément aux Etats accréditants d’obtenir leur accord préalable pour acquérir et utiliser des locaux à des fins diplomatiques». Cette pratique est citée à l’appui de la conclusion voulant que l’Etat accréditaire ait le pouvoir d’objecter à la désignation par l’Etat accréditant des locaux de sa mission. A cet égard, l’on peut formuler les observations ci-après.
31. Premièrement, il existe un conflit manifeste entre la première phrase du paragraphe 69 de l’arrêt («La pratique étatique vient de surcroît étayer cette conclusion») et la dernière du paragraphe 68 de l’arrêt («Cela n’indique pas pour autant que l’Etat accréditaire ne puisse objecter à l’affectation, par l’Etat accréditant, d’un immeuble à sa mission diplomatique, empêchant par son objection l’immeuble en question d’acquérir le statut de «locaux de la mission»»). Ce conflit tient à ce que la pratique étatique invoquée est sans rapport avec la question de savoir si l’Etat accréditaire peut objecter à l’affectation par l’Etat accréditant d’un immeuble comme locaux de sa mission ; cette pratique étaye au contraire la conclusion selon laquelle l’accord ou l’autorisation préalable, en d’autres termes le consentement de l’Etat accréditaire, est nécessaire aux fins de la désignation des locaux de la mission. Là encore, la majorité a fait l’amalgame entre le régime qui confère à l’Etat accréditaire le pouvoir d’objecter à la désignation des locaux de la mission et celui qui subordonne au consentement de cet Etat la désignation des locaux de la mission. La majorité semble partir du principe que, si la désignation d’un immeuble comme locaux de la mission est soumise au consentement de l’Etat accréditaire, celui-ci peut logiquement objecter à cette désignation. Ce raisonnement ne serait toutefois pas correct car le choix entre le régime du consentement et le régime de l’objection ne dépend pas de la logique ; il dépend de ce qu’exige la convention à la lumière du contexte particulier et de la distinction qu’elle établit elle-même entre ces deux régimes très distincts  s’agissant de cette distinction, voir l’analyse faite ci-dessus, aux paragraphes 13 à 16. (A titre incident, l’on notera que la référence au Diplomatic Immunities and Privileges Act sud-africain de 2001 n’est pas utile, puisque la citation n’indique pas que cette loi subordonne un transfert au consentement préalable de l’Afrique du Sud, en tant qu’Etat accréditaire).
32. Deuxièmement, la pratique étatique citée n’a pas valeur de règle de droit international coutumier ; si tel était le cas, cela aurait certainement été indiqué. La majorité n’affirme donc pas qu’il s’agit d’une pratique générale et suffisamment répandue, ni que les Etats accréditants ou accréditaires qui la suivent le font parce qu’ils estiment y être juridiquement tenus.
33. Troisièmement, tout au plus cette pratique pourrait-elle peut-être être considérée comme dénotant l’acquiescement des Etats accréditants qui s’y conforment à une obligation d’obtenir le consentement des Etats accréditaires ; à ce titre, elle n’aurait une pertinence juridique que pour les Etats ayant ainsi acquiescé ; autrement dit, ladite pratique ne reflétant pas le droit international coutumier, elle ne serait pas opposable aux Etats autres que ceux qui la suivent.
34. Quatrièmement, dans la mesure où certains Etats accréditaires adoptent une législation exigeant leur consentement, il convient de noter que la France ne compte pas au nombre de ces Etats. En l’absence d’une telle législation, la Guinée équatoriale n’avait pas tort de faire valoir que la France était tenue de lui notifier ce qu’elle appelait sa «pratique ... d’agrément général tacite» ; à
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défaut de notification, comment la demanderesse ou tout autre Etat accréditant pourrait-il avoir connaissance de ce régime d’agrément tacite ? Etant donné que la pratique étatique exigeant le consentement de l’Etat accréditaire à la désignation des locaux de la mission ne reflète pas une règle de droit international coutumier ni ne constitue une pratique ultérieurement suivie au sens de l’alinéa b) du paragraphe 3 de l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités, il est difficile de comprendre comment un Etat accréditant qui n’a été ni avisé ni consulté pourrait être lié par cette pratique. La majorité affirme que, puisqu’elle a le droit d’émettre une objection, la France a également celui de déterminer les modalités d’une telle objection. Elle n’a toutefois pas établi que la convention confère à l’Etat accréditaire ce pouvoir d’objecter.
35. Cinquièmement, il ne suffit pas de dire, comme le fait la majorité, que la pratique n’établit pas nécessairement l’accord des parties au sens de l’alinéa b) du paragraphe 3 de l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités ; le fait est que, en réalité, la pratique est loin de satisfaire aux exigences de cette disposition.
36. Sixièmement, le plus remarquable dans le raisonnement suivi en ce qui concerne cette pratique étatique est que la majorité considère que la pratique exigeant que l’Etat accréditaire consente à ce qu’un immeuble acquière le statut de locaux de la mission et l’absence de toute objection à cet égard constituent des «facteurs qui vont à l’encontre de la conclusion selon laquelle l’Etat accréditant aurait le droit au titre de la convention de Vienne de désigner unilatéralement les locaux de sa mission diplomatique». Une pratique qui n’a que peu sinon aucune valeur juridique ne saurait être invoquée pour faire échec au droit que l’Etat accréditant pourrait tenir de la convention de désigner un immeuble comme locaux de sa mission dans des circonstances où l’immeuble en question satisfait à l’exigence de cet instrument selon laquelle il doit être «utilisé aux fins de la mission». En tout état de cause, l’on ne voit pas clairement qui, selon la majorité, serait censé objecter à cette pratique. Comme il a déjà été indiqué, cette dernière pourrait peut-être dénoter tout au plus un acquiescement de la part des Etats qui la suivent, c’est-à-dire l’Etat accréditaire et un Etat accréditant particulier. Cet effet limité et contestable de la pratique ne saurait avoir d’incidence sur un Etat qui ne s’y conforme pas, que ce soit en qualité d’Etat accréditaire ou d’Etat accréditant. Comment la majorité peut-elle attendre d’un Etat qui ne suit pas cette pratique et qui n’en a très probablement même pas connaissance qu’il émette une objection ?
37. Selon la Guinée équatoriale, lorsque le consentement de l’Etat accréditaire est requis, comme à l’article 12 de la convention, celle-ci le spécifie expressément ; il s’ensuit que lorsqu’elle ne le précise pas, comme dans le cas de la désignation des locaux de la mission, le consentement de l’Etat accréditaire n’est pas nécessaire. La majorité rejette cette interprétation a contrario. D’aucuns manifestent malheureusement une certaine réticence à recourir à un tel raisonnement dans le domaine de l’interprétation des traités, ce qui est fâcheux puisque des outils d’interprétation tels que le principe de l’effet utile, ou ut res magis valeat quam pereat, et le raisonnement a contrario sont admis comme des aides utiles en la matière. Dans les circonstances de la présente affaire, le raisonnement a contrario de la Guinée équatoriale est conforme à l’objet et au but de la convention, qui consistent à favoriser des relations d’amitié entre les pays, dans le respect du principe de l’égalité souveraine des Etats et dans l’intérêt du maintien de la paix et de la sécurité internationales. Le fait d’interpréter la convention comme autorisant l’Etat accréditaire à objecter et à faire échec unilatéralement à la désignation par l’Etat accréditant d’un immeuble en tant que locaux de sa mission serait incompatible avec la réalisation de ce but, puisque cela mettrait en péril l’équilibre que la convention vise à établir dans les relations entre les Etats accréditant et accréditaire.
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Deuxième partie : la juste interprétation de la convention
38. Bien que la majorité ait examiné le sens de l’expression «locaux de la mission» employée à l’alinéa i) de l’article premier de la convention, la conclusion à laquelle elle est parvenue au paragraphe 67 de l’arrêt est principalement motivée non pas par la définition des locaux de la mission donnée sous cet alinéa, mais par son point de vue selon lequel la convention ne permet pas à la Guinée équatoriale de désigner l’immeuble comme «locaux de la mission» si la France, en tant qu’Etat accréditaire, objecte à cette désignation. En optant pour cette approche, la majorité traite la définition des «locaux de la mission» comme si elle était quasiment superflue. Ce qu’impose la convention de Vienne sur le droit des traités, c’est d’interpréter l’expression «utilisé aux fins de la mission» conformément à son sens ordinaire, dans son contexte et à la lumière de l’objet et du but de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques.
39. S’agissant du sens ordinaire de l’expression «utilisé aux fins de la mission» («used for the purposes of the mission»), l’on peut se référer à la définition du verbe «use» donnée dans le Concise Oxford Dictionary (7e édition), à savoir «cause to act or serve a purpose» («utiliser» étant défini dans le Grand Robert de la langue française comme «[r]endre utile, faire servir à une fin précise»). Il semblerait donc que, pour pouvoir considérer un immeuble comme les «locaux de la mission», il faille disposer d’éléments attestant que cet immeuble a servi aux fins d’une mission. Nous recherchons par conséquent des preuves que les fonctions d’une mission diplomatique y ont été exécutées ; ces fonctions sont décrites de manière non exhaustive à l’article 3 de la convention de Vienne. En outre, le sens ordinaire de l’expression «utilisé aux fins de la mission» doit être interprété dans le contexte dans lequel celle-ci est employée et à la lumière de l’objet et du but de la convention.
40. Le 4 octobre 2011, la Guinée équatoriale a adressé à la France une note verbale précisant qu’elle «dispos[ait] depuis plusieurs années d’un immeuble situé au 42 Avenue FOCH, Paris XVIème[,] qu’elle utilis[ait] pour l’accomplissement des fonctions de sa Mission Diplomatique sans qu’elle ne l’[eû]t formalisé expressément auprès de[s] services [français] jusqu’à ce jour».
41. La France a affirmé que l’immeuble ne pouvait être considéré comme les locaux de la mission qu’après son affectation effective, soit après que l’Etat accréditant eut terminé d’y emménager. La Guinée équatoriale a raison de répondre que, suivant cette approche, la France, l’Etat accréditaire, pourrait pénétrer dans l’immeuble sans sa permission d’Etat accréditant à tout moment avant l’achèvement du déménagement.
42. La Guinée équatoriale cite les éléments ci-après à l’appui de son argument selon lequel l’immeuble sis au 42 avenue Foch a été utilisé aux fins de sa mission à compter du 4 octobre 2011 :
i) La note verbale du 4 octobre 2011 dans laquelle elle affirmait «dispose[r] depuis plusieurs années d’un immeuble situé au 42 Avenue FOCH … qu’elle utilis[ait] pour l’accomplissement des fonctions de sa Mission Diplomatique».
ii) Le 4 octobre 2011, après avoir informé la France de l’affectation de l’immeuble aux fins de sa mission diplomatique, la Guinée équatoriale y a apposé des affichettes portant l’inscription «République de Guinée équatoriale — locaux de l’ambassade». La France affirme que ses fonctionnaires ont vu ces affichettes le 5 octobre 2011.
iii) Le 17 octobre 2011, la Guinée équatoriale a logé sa déléguée permanente auprès de l’UNESCO et chargée d’affaires dans l’immeuble.
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iv) Le déménagement des services de l’ambassade a été progressif. Plusieurs d’entre eux, tels que le consulat, la comptabilité et l’administration, ont commencé leurs activités depuis l’immeuble dès leur transfert.
v) Depuis le 27 juillet 2012, tous les services de l’ambassade sont installés dans l’immeuble1 (voir la note verbale adressée par la Guinée équatoriale à la France à cette date).
vi) Des représentants français, en particulier des agents du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, ont adressé du courrier au 42 avenue Foch à Paris. La plus récente de ces correspondances date du 9 octobre 2019. A cet égard, la Guinée équatoriale a invoqué une lettre envoyée à cette date par ledit ministère pour solliciter son appui aux fins de l’élection d’un représentant français à la trente et unième session de l’assemblée de l’Organisation maritime internationale, entre le 25 novembre et le 5 décembre 2019. Elle a invoqué également des demandes de visa soumises au 42 avenue Foch par des fonctionnaires français souhaitant se rendre en Guinée équatoriale les 8 et 9 février 2015.
43. La France a allégué que l’immeuble n’était pas réellement utilisé aux fins de la mission entre le 4 octobre 2011 et le 27 juillet 2012. Cependant, même si cela était factuellement correct, la pratique de certains Etats, décisions judiciaires comprises, étaye le point de vue selon lequel une utilisation prévue de locaux aux fins de la mission suffit pour que ces locaux aient droit à une protection diplomatique lorsque s’ensuit une utilisation effective.
44. Avant l’adoption d’une législation en la matière en 1987, la pratique au Royaume-Uni montrait qu’un immeuble était considéré comme «locaux de la mission» «dès l’instant où il était à la disposition» de celle-ci2, pourvu que le consentement préalable au projet eût été obtenu conformément à la législation locale et que «l’intention [fût] d’utiliser l’immeuble «aux fins de la mission» dès l’achèvement des travaux de construction et de décoration»3. Il ressort de cette pratique que le Royaume-Uni estimait qu’un immeuble bénéficiait de l’immunité au titre de l’article 22 de la convention avant même qu’il fût effectivement utilisé à des fins diplomatiques. Même lorsqu’un immeuble ne servait plus aux fins de la mission, le pays laissait s’écouler un «délai raisonnable» avant que sa force publique pût y pénétrer pour mener une enquête. Ainsi, en 1984, à la suite de coups de feu tirés depuis les locaux de la mission diplomatique libyenne à Londres, le Royaume-Uni décida de rompre ses relations diplomatiques avec la Libye, mais continua de traiter lesdits locaux comme inviolables pendant les sept jours qui suivirent cette décision. Bien que lesdits locaux eussent été vidés deux jours avant l’expiration de ce délai, le Royaume-Uni attendit tout de même que les sept jours se fussent complètement écoulés avant de laisser ses agents pénétrer dans les lieux pour rechercher des éléments de preuve liés à la fusillade. Alors que l’immeuble n’avait, de fait, pas été utilisé pendant cet intervalle de deux jours, le Royaume-Uni a continué de respecter l’immunité de la mission. Je reconnais que cette pratique a changé depuis et que les locaux d’une mission acquièrent désormais leur statut juridique une fois obtenu le consentement du secrétaire d’Etat britannique4. Cela étant, la pratique du Royaume-Uni antérieure à l’adoption de la législation de 1987 demeure pertinente en tant qu’exemple de pratique d’un Etat qui n’établit ni d’obligation d’obtenir le consentement de l’Etat accréditaire aux fins de la
1 Réplique de la Guinée équatoriale, p. 22, par. 1.42.
2 E. Denza, Diplomatic Law: Commentary on the Vienna Convention on Diplomatic Relations (4e éd.), Oxford, Oxford University Press, 2016, p. 147.
3 Ibid.
4 Aux termes du paragraphe 1 de l’article premier du Diplomatic and Consular Premises Act de 1987, au Royaume-Uni, les missions diplomatiques doivent obtenir le consentement exprès du secrétaire d’Etat aux affaires étrangères et du Commonwealth pour que les bureaux qu’elles acquièrent puissent être considérés comme des locaux «utilisés aux fins de la mission» et donc bénéficier de l’inviolabilité. Ce consentement ne peut toutefois être accordé ou retiré que si le secrétaire d’Etat «estime que le droit international le permet».
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désignation d’un immeuble en tant que locaux de la mission, ni de pouvoir d’objection dudit Etat à cette désignation.
45. En l’affaire République démocratique du Congo c. Segrim NV, la justice belge avait rendu une décision contre la République démocratique du Congo (RDC) (la Belgique et la RDC sont toutes deux parties à la convention). Cette décision n’ayant pas été exécutée, le demandeur, Segrim, chercha à obtenir la saisie d’une villa appartenant à la RDC. Il s’agissait de l’ancienne résidence d’un agent diplomatique congolais dont l’état s’était dégradé et qui n’était plus habitée à l’époque. Aux termes de l’article 30 de la convention de Vienne, la demeure privée d’un agent diplomatique jouit des mêmes inviolabilité et protection que les locaux de la mission. La RDC contesta la saisie au motif que la villa jouissait de l’immunité d’exécution au titre de la convention de Vienne. Selon Segrim, bien que la villa eût été utilisée par le passé pour loger des diplomates congolais, son abandon depuis plusieurs années lui avait fait perdre le bénéfice de l’immunité que lui conférait la convention de Vienne, de sorte qu’elle pouvait être saisie. La Cour d’appel de Bruxelles fut donc priée de déterminer si la demeure privée d’un agent diplomatique (locaux qui jouissent de la même inviolabilité que ceux de la mission), inhabitée mais destinée à être utilisée en tant que résidence diplomatique, bénéficiait de l’immunité en vertu de la convention de Vienne.
46. La Cour d’appel de Bruxelles a jugé que la villa jouissait toujours de la protection prévue par la convention de Vienne car la RDC, qui y effectuait des rénovations, avait exprimé, en réponse à une mesure d’exécution, son intention de l’utiliser pour y mener des activités diplomatiques. Elle a estimé que
«cette décision quant à [l’]usage [de l’édifice] suffi[sait] à présumer que le principe juridique en question d[eva]it être appliqué. Il convient donc de décider que l’immeuble, avant d’être vidé, était utilisé par l’Etat accréditant pour y mener des activités diplomatiques, fonction qui relève de la souveraineté nationale, et que, partant, il ne saurait faire l’objet d’une saisie».
47. En outre, selon la Cour d’appel de Bruxelles,
«[i]l suffit que la décision souveraine de l’Etat étranger concernant l’utilisation [de l’immeuble] ne soit pas contredite par la pratique effective. Segrim … n’[a] produit à cet égard aucun fait qui permettrait de déduire que l’utilisation prévue n’est pas étayée dans la pratique. Il ressort au contraire clairement des documents soumis par l’appelant que les derniers travaux contractuels importants ont été effectués en 1998 et 1999 afin de remettre l’immeuble en état, ce qui confirme l’utilisation prévue que l’Etat congolais a fait valoir».
48. La Cour d’appel de Bruxelles a jugé que, conformément au paragraphe 3 de l’article 22 de la convention de Vienne et au droit international coutumier, le bien saisi continuait de jouir de l’immunité d’exécution5. Trois éléments importants méritent d’être relevés dans cet arrêt. Premièrement, la Cour d’appel a pris note des travaux effectués pour préparer l’immeuble à l’exercice de fonctions diplomatiques. Deuxièmement, elle a souligné que l’utilisation prévue correspondait à l’utilisation effective de la villa. Troisièmement, elle a considéré que, si tel n’était pas le cas selon l’Etat accréditaire, c’était à lui qu’il incombait d’étayer cette affirmation.
5 Cour d’appel de Bruxelles, République démocratique du Congo c. Segrim NV, arrêt de la 8e chambre, 11 septembre 2001, RW 2002 03, 1509, ILDC 41 (BE 2001), par. 19-23. [Traduction du Greffe.]
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49. Il importe de relever que la Cour d’appel de Bruxelles a rendu cet arrêt au sujet de l’immunité applicable à une villa à l’abandon qui faisait l’objet de travaux de rénovation mais était destinée à servir de résidence diplomatique. Les faits de la présente espèce sont bien plus éloquents encore : l’immeuble désigné par la Guinée équatoriale comme locaux de sa mission n’était pas à l’abandon ; les éléments de preuve indiquent que la demanderesse avait achevé son emménagement dans l’immeuble au 27 juillet 2012 ; au cours de la procédure orale, la Guinée équatoriale a fait valoir que, entre le 4 octobre 2011 et le 27 juillet 2012, elle avait organisé le transfert de son ambassade et le déménagement effectif de ses bureaux situés au 29 boulevard de Courcelles aux nouveaux locaux du 42 avenue Foch. Bien que la France ait affirmé n’avoir trouvé aucune preuve que des fonctions diplomatiques eussent été exercées dans l’immeuble, le fait que la Guinée équatoriale ait témoigné en particulier qu’elle avait organisé et préparé le déménagement en vue d’établir les locaux de sa mission dans le nouvel immeuble démontre une intention d’utiliser ce dernier à cette fin, ce qui n’a été contredit ni par la France ni par un quelconque argument avancé par la majorité. S’il était difficile pour la France d’établir qu’aucune trace d’activités diplomatiques n’était visible dans l’immeuble, c’est parce que, selon les éléments de preuve dont dispose la Cour, elle y avait effectué sa dernière série de perquisitions entre le 14 et le 23 février 2012, soit environ six mois avant que la Guinée équatoriale ne l’informe de la pleine utilisation de l’immeuble, le 27 juillet 2012. Il s’agit précisément de la période au cours de laquelle l’immeuble aurait été préparé en vue d’être utilisé comme locaux de la mission. L’utilisation prévue correspondait à l’utilisation effective, comme l’indique la note verbale envoyée le 27 juillet 2012 par la Guinée équatoriale pour confirmer qu’elle utiliserait désormais l’immeuble sis au 42 avenue Foch en tant que locaux diplomatiques.
50. En Allemagne (Etat partie à la convention de Vienne), il semble que l’intention d’utiliser un immeuble comme locaux de la mission suffise pour considérer que celui-ci est «utilisé aux fins de la mission», à condition que cette intention ne soit pas trop vague. Dans quatre affaires connexes, Tietz et consorts c. République populaire de Bulgarie, Weinmann c. République de Lettonie, Bennett et Ball c. République populaire de Hongrie et Cassirer et Geheeb c. Japon6, qui peuvent aisément être distinguées de la présente espèce, la Cour suprême des restitutions de Berlin a examiné la question de la protection diplomatique dans le contexte d’un projet d’utilisation de locaux et a conclu à l’absence de toute activité diplomatique entre l’Etat accréditant et l’Etat accréditaire concernés. Elle a souligné qu’une vague intention de la part d’un Etat d’utiliser un bien qui lui appartient comme locaux de la mission ne suffisait pas pour faire bénéficier ce bien de l’immunité de juridiction. Dans chacune de ces affaires, des biens situés à Berlin-Ouest avaient été vendus par des émigrés juifs à un Etat étranger, qui les avait utilisés comme locaux de sa mission jusqu’en 1945. Quatorze ans plus tard, trois de ces Etats, la Lettonie, la Bulgarie et la Hongrie, n’avaient pas de relations diplomatiques avec la République fédérale d’Allemagne, tandis que le quatrième, le Japon, avait maintenu son ambassade à Bonn. La Cour a conclu, sur la base des faits de l’espèce, que l’immunité des locaux diplomatiques pouvait être suspendue dans des circonstances spéciales :
«[A]ucune activité diplomatique d’aucune sorte, au sens de la conduite de relations diplomatiques entre un Etat souverain accréditant et un Etat souverain accréditaire, n’existant à Berlin-Ouest, l’immunité accordée à ces locaux avait pris fin. L’immunité ne saurait découler de l’intention d’utiliser des immeubles aux fins de la mission dans le cas où Berlin redeviendrait la capitale d’une Allemagne réunifiée, mais découle «seulement d’une utilisation réelle et courante des locaux».»7
51. Les circonstances exceptionnelles qui caractérisaient ces affaires n’existent pas en la présente espèce. L’intention d’utiliser les locaux à des fins diplomatiques au cas où Berlin
6 International Law Reports (ILR), vol. 28, p. 369, 385, 392 et 396.
7 Ibid.
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redeviendrait la capitale de l’Allemagne réunifiée était tout simplement trop hypothétique pour fonder l’immunité diplomatique ; en l’espèce, l’intention d’utiliser l’immeuble sis au 42 avenue Foch comme «locaux de la mission» s’est traduite par une utilisation effective à peine neuf mois plus tard, si bien que cette intention pourrait difficilement être décrite comme trop vague pour fonder l’immunité diplomatique.
52. Toujours en Allemagne, en l’affaire Grèce c. B, la Haute Cour régionale (Bavière, Munich) a pour sa part conclu ce qui suit :
«Bien que des locaux non aménagés et inutilisés ne soient pas automatiquement considérés comme servant à l’exercice de fonctions étatiques, puisqu’ils peuvent être détenus à des fins commerciales, ils sont néanmoins susceptibles de l’être dans certains cas. Pour distinguer les cas les uns des autres, les intentions existantes au moment de l’acquisition du bien pourraient être cruciales, surtout lorsque ces intentions se sont traduites en actes par la suite.»8
53. Ce qui ressort de la pratique du Royaume-Uni (Etat partie à la convention de Vienne) antérieure à sa législation de 1987 et des précédents cités, c’est que l’expression «utilisé aux fins de la mission» doit être interprétée sur la base non seulement de son sens ordinaire, mais aussi de son contexte et à la lumière de l’objet et du but de la convention. Il est vrai que, comme le soutient la majorité, le sens ordinaire de l’expression «utilisé aux fins de la mission» suggère une utilisation effective à ces fins. Ledit sens doit toutefois être interprété dans le contexte dans lequel l’expression est employée et à la lumière de l’objet et du but de la convention. L’établissement d’une ambassade ou d’une mission prend normalement un certain temps  cela relève du contexte de l’expression. La pratique et les précédents susmentionnés montrent que, pour déterminer si un immeuble a acquis le statut de locaux de la mission, il convient de ménager un délai raisonnable pour les préparatifs à l’utilisation effective de la mission lorsque cette utilisation prévue est suivie d’une utilisation effective. Lorsqu’elle examine la valeur de cette pratique, la Cour doit tenir dûment compte du fait que celle-ci comprend des décisions judiciaires manifestement pesées avec grand soin par les juridictions d’Etats parties à la convention, y compris une cour d’appel qui constitue la plus haute juridiction du district judiciaire de Bruxelles (Belgique). Dans sa situation en l’espèce, la Guinée équatoriale avait encore de meilleurs arguments que ceux soulevés dans toutes ces autres affaires, puisqu’elle transférait simplement ses locaux diplomatiques d’un endroit à Paris à un autre situé dans la même ville. L’objet et le but de la convention ne sauraient aucunement avoir pour effet de faire obstacle à l’utilisation prévue ; au contraire, cet instrument doit être interprété comme visant à garantir que le transfert d’une mission diplomatique d’un endroit à un autre ne porte pas préjudice au statut diplomatique de l’immeuble dans lequel la mission est transférée. A la lumière de ce qui précède, il y a lieu d’interpréter la convention comme ouvrant droit à la protection prévue par son article 22 lorsque l’utilisation prévue des locaux à des fins diplomatiques est suivie d’une utilisation effective à ces fins.
54. Une autre interprétation possible de la pratique du Royaume-Uni antérieure à sa législation de 1987 et des affaires citées serait qu’elles pourraient constituer une pratique ultérieurement suivie au sens de l’alinéa b) du paragraphe 3 de l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités. A vrai dire, cette interprétation ne me paraît pas correcte, puisque rien ne donne à penser qu’une telle pratique reflète l’accord des parties à la convention de Vienne sur les relations diplomatiques de manière générale. Il eût toutefois appartenu à la Cour de décider du poids qu’elle entendait accorder à cette pratique.
8 Grèce c. B, ordonnance rendue en appel, affaire no 4 Wx 269/14, 12 septembre 2014, ILDC 2386 (DE 2014), par. 20-21. [Traduction du Greffe.]
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55. La pratique examinée fait apparaître que l’utilisation prévue de l’immeuble constitue un facteur pertinent aux fins de déterminer si celui-ci a droit à l’immunité. Les preuves de cet usage prévu résident dans la déclaration non contestée de la Guinée équatoriale selon laquelle, au cours de la période allant du 4 octobre 2011 au 27 juillet 2012, elle a organisé le transfert et le déménagement effectif de l’ambassade dans l’immeuble sis au 42 avenue Foch. La Guinée équatoriale a également envoyé une note verbale le 27 juillet 2012 pour informer les autorités françaises de l’utilisation effective des locaux du 42 avenue Foch en tant que locaux de sa mission diplomatique à compter de cette date. Cette utilisation effective de l’immeuble satisferait même au critère défini par la France de «l’affectation réelle» et de «l’usage effectif». Il ressort toutefois de l’examen de la pratique de certains Etats (paragraphes 43 à 54 de la présente opinion) qu’un immeuble a droit à l’immunité sur la base de son utilisation prévue en tant que locaux diplomatiques lorsque cette utilisation est suivie d’une utilisation effective de l’immeuble comme locaux diplomatiques. Ainsi, l’usage prévu et l’usage effectif peuvent être considérés comme le point de départ et l’aboutissement d’un continuum qui est couvert de bout en bout par l’immunité. En conséquence, l’immeuble sis au 42 avenue Foch a acquis l’immunité le 4 octobre 2011, puisqu’il s’agit de la date à partir de laquelle il a été prévu de l’utiliser aux fins de la mission. Ce statut a été confirmé par l’utilisation effective des locaux à des fins diplomatiques qui s’en est suivie après le 27 juillet 2012.
56. C’est à la Guinée équatoriale qu’il incombait d’établir que l’immeuble sis au 42 avenue Foch pouvait être considéré comme les locaux de sa mission au sens de l’alinéa i) de l’article premier de la convention de Vienne. Elle s’est selon moi acquittée de sa charge de la preuve, puisque la Cour disposait d’éléments attestant une intention d’utiliser l’immeuble comme locaux de la mission à compter du 4 octobre 2011, suivie de l’utilisation effective de l’immeuble à cette fin à compter du 27 juillet 2012. Si la Cour n’était pas d’avis que la Guinée équatoriale s’était acquittée de sa charge, compte tenu des éléments démontrant que l’immeuble avait droit à la protection diplomatique à compter du 4 octobre 2011, elle disposait assurément d’éléments attestant que, depuis le 27 juillet 2012, l’immeuble était effectivement utilisé aux fins de la mission. Cela dit, ma position est que l’immeuble sis au 42 avenue Foch a acquis le statut de locaux de la mission de la Guinée équatoriale au 4 octobre 2011.
57. Pareille interprétation de la convention est conforme à son objet et à son but consistant à favoriser des relations d’amitié entre les pays, dans le respect du principe de l’égalité souveraine des Etats et dans l’intérêt du maintien de la paix et de la sécurité internationales, car elle assure un juste équilibre entre les intérêts respectifs des Etats accréditant et accréditaire.
Troisième partie : les violations alléguées de la convention de Vienne
a) Les perquisitions effectuées entre le 14 et le 23 février 2012
58. Les autorités françaises ont, à plusieurs reprises entre le 14 et le 23 février 2012, pénétré et procédé à des perquisitions dans les locaux sis au 42 avenue Foch sans le consentement du chef de la mission. Selon la Guinée équatoriale, plusieurs objets de valeur et des meubles ont été saisis au cours de ces perquisitions.
59. L’immeuble ayant acquis le statut de locaux de la mission le 4 octobre 2011, les perquisitions effectuées entre le 14 et le 23 février 2012 ont enfreint l’inviolabilité que lui conférait l’article 22 de la convention.
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b) La saisie pénale immobilière ordonnée le 19 juillet 2012
60. L’immeuble ayant acquis le statut juridique de locaux de la mission le 4 octobre 2011, il y a lieu de rechercher si la saisie pénale immobilière ordonnée le 19 juillet 2012 à son encontre emportait manquement par la France aux obligations que lui impose le paragraphe 3 de l’article 22 de la convention de Vienne, aux termes duquel «[l]es locaux de la mission, leur ameublement et les autres objets qui s’y trouvent, ainsi que les moyens de transport de la mission, ne peuvent faire l’objet d’aucune perquisition, réquisition, saisie ou mesure d’exécution».
61. La France a contesté que la saisie pénale immobilière porte atteinte à l’inviolabilité de l’immeuble. Selon elle, cette mesure n’a une incidence que sur le droit de propriété du bâtiment, dont elle n’enfreint donc pas l’inviolabilité.
62. La définition énoncée à l’alinéa i) de l’article premier indique clairement que la question de la propriété est dépourvue de pertinence aux fins de déterminer si l’immeuble et le terrain constituent les locaux de la mission. Cela ne signifie toutefois pas que la convention de Vienne autorise l’Etat accréditaire à agir en prenant des mesures de contrainte qui influent sur la propriété de l’immeuble de l’Etat accréditant. L’ordonnance de saisie du 19 juillet 2012 précise qu’elle a pour effet de rendre l’immeuble inaliénable9. Il est illogique de soutenir que la question de la propriété ne saurait avoir d’incidence sur l’inviolabilité des locaux prévue par l’article 22. La notion d’inviolabilité qui y est définie impose à l’Etat accréditaire le devoir de s’abstenir de tout acte qui pourrait entraver le fonctionnement des locaux en tant que mission diplomatique de l’Etat accréditant. Elle lui impose également le devoir de s’abstenir d’actes qui pourraient porter atteinte à la dignité de la mission dans l’exercice de ses fonctions souveraines. Le fonctionnement de la mission et la dignité de celle-ci sont des éléments relevant de l’inviolabilité. La saisie, qui a une incidence sur la propriété de l’immeuble, entraîne des conséquences financières et économiques susceptibles de nuire au fonctionnement et à la dignité de l’ambassade dans l’exercice de ses fonctions souveraines. A tout le moins, la mission doit être à même d’exercer ses fonctions, et l’incapacité de vendre l’immeuble, qui résulte de la saisie, peut entraver son fonctionnement ; il peut par exemple y avoir des circonstances dans lesquelles, pour continuer d’assurer l’exercice des fonctions d’une mission diplomatique, un Etat accréditant a besoin de vendre l’immeuble qui abrite cette dernière afin d’acquérir des locaux moins onéreux.
63. En résumé, la saisie emporte violation du paragraphe 3 de l’article 22 de la convention de Vienne. Elle porte également atteinte à la dignité de la mission, au sens du paragraphe 2 dudit article.
c) La confiscation de l’immeuble ordonnée par le tribunal correctionnel de Paris le 27 octobre 2017 et confirmée par la Cour d’appel de Paris le 10 février 2020
64. L’immeuble sis au 42 avenue Foch ayant acquis le statut de locaux de la mission le 4 octobre 2011, l’ordonnance rendue par le tribunal français le 27 octobre 2017 aux fins de sa confiscation enfreint l’article 22 de la convention de Vienne.
9 Contre-mémoire de la France, p. 19-20, par. 1.38-1.39.
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Remèdes
a) Cessation
65. Deux conditions doivent être réunies pour que l’on puisse ordonner la cessation d’un fait illicite. Premièrement, il doit être établi que «l’acte illicite [a] un caractère continu» et, deuxièmement, que «la règle violée [est] toujours en vigueur»10 au moment du prononcé de la décision. Dans le commentaire de l’article 30 de son projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite (ci-après le «projet d’articles de 2001»), la Commission du droit international déclare que cela s’applique également aux «situations dans lesquelles un Etat a violé une obligation à plusieurs occasions, ce qui implique un risque de répétition»11.
66. Après que l’immeuble eut été désigné en tant que locaux de la mission le 4 octobre 2011, la France y a mené des perquisitions entre le 14 et le 23 février 2012 avant d’en ordonner la saisie le 19 juillet 2012, puis finalement la confiscation. Le refus de la France de reconnaître l’immeuble comme «locaux de la mission» est une violation de caractère continu. Les perquisitions réalisées entre le 14 et le 23 février 2012 et les mesures de saisie et de confiscation ordonnées par la suite constituent des violations de l’article 22 de la convention de Vienne ; il s’agit de manquements à une obligation commis «à plusieurs occasions», ce qui implique un risque de répétition12. La France a persisté à ne pas reconnaître l’immeuble comme l’ambassade de Guinée équatoriale ; elle lui a refusé à maintes reprises le statut de «locaux de la mission». En conséquence, les conditions étaient réunies pour ordonner la cessation du fait illicite.
b) Assurances et garanties de non-répétition
67. Les assurances et garanties de non-répétition sont «le plus souvent demandées lorsque l’Etat lésé a des raisons de penser que le simple retour à la situation préexistante ne le protège pas de manière satisfaisante»13. En l’espèce, la France refuse de reconnaître l’immeuble comme mission diplomatique de la Guinée équatoriale. Au vu de ce comportement, qui indique que le retour à la situation préexistante ne fournira pas en soi une protection suffisante à la Guinée équatoriale, la Cour aurait dû ordonner à la France de donner des assurances et garanties de non-répétition appropriées.
c) Satisfaction
68. Aux termes du paragraphe 1 de l’article 37 du projet d’articles de 2001, il ne convient d’octroyer satisfaction pour un préjudice causé par un fait internationalement illicite que «dans la mesure où [ce préjudice] ne peut pas être réparé par la restitution ou l’indemnisation». La
10 Case concerning the difference between New Zealand and France concerning the interpretation or application of two agreements concluded on 9 July 1986 between the two States and which related to the problems arising from the Rainbow Warrior affair, Decision of 30 April 1990, Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales (RSA), vol. XX, partie III, p. 270, par. 114 [traduction française dans Revue générale de droit international public, tome XCIV (1990), p. 872-873, par. 114].
11 Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite et commentaires y relatifs, Annuaire de la Commission du droit international, 2001, vol. II, deuxième partie, p. 94, par. 3.
12 Ibid.
13 Ibid., p. 95, par. 9.
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satisfaction peut prendre la forme d’une reconnaissance de la violation, d’une expression de regrets ou d’excuses formelles
14.
69. Les faits de l’espèce justifiaient d’ordonner une mesure de satisfaction.
d) Indemnisation
70. Selon l’article 36 du projet d’articles de 2001, un Etat a droit à une indemnité à raison de tout dommage susceptible d’évaluation financière qu’il subit par suite d’un fait illicite. Certains dommages de ce type pourraient résulter des différentes perquisitions. En outre, si elle perdait la propriété de l’immeuble du fait de l’ordonnance de confiscation, la Guinée équatoriale serait fondée à obtenir une indemnité à raison de cette perte.
e) Contribution de la Guinée équatoriale
71. L’argument de la France voulant qu’il faille tenir compte de la contribution de la Guinée équatoriale aux préjudices qu’elle avait subis devait être rejeté, faute de preuves attestant que la demanderesse ait agi de manière intentionnelle ou négligente, c’est-à-dire sans faire preuve de la diligence voulue.
Abus de droit
72. La France a allégué que plusieurs actes de la Guinée équatoriale étaient constitutifs d’un abus de droit, notamment le fait que le président de cet Etat ait reconnu que l’immeuble sis au 42 avenue Foch avait été vendu à la Guinée équatoriale dans le but de soustraire son fils à des poursuites pénales par l’invocation du privilège diplomatique. Cela étant, à la lumière de sa conclusion en l’affaire relative au Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran, la Cour n’était pas nécessairement tenue de se prononcer sur l’allégation d’abus de droit15.
73. En l’affaire susmentionnée, la Cour avait jugé que la convention constituait un «régime se suffisant à lui-même» avec des dispositions spéciales pouvant être utilisées en réponse à un abus de droit allégué16. A cet égard, elle avait mis l’accent sur le droit de l’Etat accréditaire de rompre ses relations diplomatiques avec l’Etat accréditant et d’appeler à la fermeture de la mission incriminée. La Cour avait conclu que «le droit diplomatique lui-même fourni[ssait] les moyens de défense nécessaires ainsi que des sanctions contre les activités illicites de membres de missions diplomatiques ou consulaires»17 et que l’Etat accréditaire avait la possibilité de recourir à ce «remède plus radical si les abus [de leurs fonctions par des membres d’une mission] pren[aient] de graves proportions»18.
14 Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite et commentaires y relatifs, Annuaire de la Commission du droit international, 2001, paragraphe 2 de l’article 37, vol. II, deuxième partie, p. 113-115.
15 Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran (Etats-Unis d’Amérique c. Iran), arrêt, C.I.J. Recueil 1980, p. 40, par. 86.
16 Ibid.
17 Ibid., p. 38, par. 83.
18 Ibid., p. 40, par. 85.
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74. En conséquence, même si l’abus supposé de la Guinée équatoriale avait été établi, la convention de Vienne prévoyait un remède, à savoir l’expulsion de la mission et la rupture des relations diplomatiques.
75. L’allégation d’abus de droit aurait donc dû être rejetée au motif que la France devait recourir aux remèdes prévus dans la convention de Vienne pour répondre à un tel comportement.
Quatrième partie : conclusions
76. L’on peut ainsi tirer les conclusions ci-après :
i) La France a raison de relever ce qu’elle appelle «la lettre et ... l’esprit essentiellement consensuels de la convention de Vienne» et qu’il doit effectivement y avoir un «lien de confiance» entre les Etats accréditant et accréditaire. Il s’agit là d’éléments primordiaux pour bien interpréter et appliquer la convention, qui repose fondamentalement sur la réciprocité et l’équilibre.
ii) En faisant l’amalgame entre l’obligation d’obtenir le consentement de l’Etat accréditaire à la désignation par l’Etat accréditant d’un immeuble comme locaux de la mission et le pouvoir de l’Etat accréditaire d’objecter à cette désignation, la majorité prive de tout effet juridique la conclusion énoncée au paragraphe 67 de l’arrêt. Cette conclusion est irrationnelle, et donc invalide, puisque le raisonnement de la majorité ne traduit aucune distinction entre les deux notions pourtant différentes que sont l’exigence du consentement de l’Etat accréditaire à la désignation des locaux de la mission et le pouvoir de cet Etat d’objecter à une telle désignation. En outre, tandis que cette conclusion fait référence au pouvoir de l’Etat accréditaire d’objecter à la désignation par l’Etat accréditant d’un immeuble comme locaux de sa mission, la France a fait référence à plusieurs reprises au consentement et à l’objection comme étant deux notions distinctes, et la thèse de la demanderesse a consisté à répondre à l’argument selon lequel le consentement de la France en tant qu’Etat accréditaire était requis aux fins de cette désignation ; il convient également de noter que l’arrêt lui-même cite une pratique étatique qui atteste l’existence d’une obligation d’obtenir le consentement de l’Etat accréditaire à cette désignation, et non d’un pouvoir de l’Etat accréditaire d’y objecter. Cet amalgame de motifs distincts prive la conclusion de la majorité de tout effet juridique.
iii) Bien que je sois ici d’avis que la majorité n’a pas établi que la convention de Vienne confère à l’Etat accréditaire le pouvoir d’objecter à la désignation par l’Etat accréditant d’un immeuble comme locaux de la mission et que, en conséquence, point n’est besoin de rechercher si un tel pouvoir discrétionnaire a été exercé de manière raisonnable (conformément à l’arrêt rendu en l’affaire relative aux Droits des ressortissants des Etats-Unis d’Amérique au Maroc (France c. Etats-Unis d’Amérique))19, la présente affaire illustre un exercice déraisonnable de ce pouvoir. En effet, tantôt la France fait allusion à son pouvoir d’objecter à la désignation par la Guinée équatoriale d’un immeuble comme locaux de la mission, tantôt elle allègue qu’une telle désignation est soumise à son consentement. Cette incohérence traduit un exercice déraisonnable et arbitraire, par la France, de son pouvoir discrétionnaire qui prive l’objection de tout effet juridique. Partant, les objections de la France sur lesquelles la majorité s’appuie pour parvenir à sa conclusion au paragraphe 67 n’étaient pas valables, privant cette conclusion elle-même de toute validité.
19 Droits des ressortissants des Etats-Unis d’Amérique au Maroc (France c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 1952, p. 212.
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iv) Il existe de solides arguments en faveur de la conclusion selon laquelle la France a reconnu le statut diplomatique de l’immeuble sis au 42 avenue Foch lorsque des responsables français, parmi lesquels la secrétaire d’Etat chargée du développement et de la francophonie, s’y sont rendus afin d’obtenir des visas pour des visites en Guinée équatoriale. Ce comportement vaut reconnaissance tacite. Bien que l’article 5 de la convention de Vienne sur les relations consulaires recense la délivrance de visas comme une fonction consulaire, le paragraphe 2 de l’article 3 de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques précise qu’«[a]ucune disposition de [celle-ci] ne saurait être interprétée comme interdisant l’exercice de fonctions consulaires par une mission diplomatique». Ainsi, même si la liste non exhaustive des fonctions d’une mission diplomatique dressée au paragraphe 1 de son article 3 ne comprend pas la délivrance de visas, la convention de Vienne sur les relations diplomatiques autorise une mission diplomatique à en accorder. La majorité s’est contentée de formuler des assertions à cet égard, puisqu’elle a simplement affirmé, au paragraphe 114 de l’arrêt, que «[l]a Cour ne consid[érait] pas que l’obtention de visas au 42 avenue Foch à Paris perm[ît] de conclure que ces locaux étaient reconnus comme ceux d’une mission diplomatique». Dans les circonstances de la présente affaire, cette conclusion est erronée. En conséquence, la conclusion tirée par la majorité au paragraphe 67 n’est pas valide étant donné que le comportement de la France n’emporte pas objection à la désignation par la Guinée équatoriale de l’immeuble comme locaux de la mission, bien au contraire : il montre que la défenderesse a reconnu tacitement ladite désignation.
v) La majorité s’est abondamment fondée sur le préambule pour parvenir à sa conclusion très lourde de conséquences au paragraphe 67 de l’arrêt. Or, le préambule n’étaye pas une telle conclusion. Il est d’ailleurs inhabituel que la principale conclusion tirée dans un arrêt de la Cour repose fondamentalement sur l’interprétation du préambule d’un traité.
vi) Il ressort de la pratique des Etats relatée aux paragraphes 43 à 56 du présent exposé de mon opinion qu’un immeuble acquiert le statut de locaux de la mission lorsque son usage prévu aux fins de la mission est suivi d’un usage effectif à ces fins. Au vu de cette pratique, l’immeuble sis au 42 avenue Foch a acquis le statut de locaux de la mission le 4 octobre 2011, puisqu’il était destiné à être utilisé aux fins de la mission à compter de cette date et qu’il a ensuite été effectivement utilisé aux mêmes fins, à compter du 27 juillet 2012 au plus tard.
vii) A la lumière de l’équilibre qu’elle vise à établir entre les intérêts des Etats accréditant et accréditaire, et compte tenu de son objectif consistant à favoriser des relations d’amitié entre les pays, dans le respect du principe de l’égalité souveraine des Etats et dans l’intérêt du maintien de la paix et de la sécurité internationales, la convention ne devrait pas, pour trancher la question de savoir si un immeuble a acquis le statut de «locaux de la mission», être interprétée comme fondant l’Etat accréditant ou l’Etat accréditaire à imposer sa volonté à l’autre Etat.
viii) La convention établit un critère objectif permettant de déterminer si un immeuble a le statut de «locaux de la mission» : il faut que celui-ci soit «utilisé aux fins de la mission» ; il s’agit d’un critère pragmatique qui n’englobe pas le pouvoir de l’Etat accréditaire d’objecter à la désignation par l’Etat accréditant d’un immeuble comme locaux de sa mission. Il y a lieu de rechercher s’il a été satisfait au critère indépendamment des vues subjectives de l’Etat accréditant ou de l’Etat accréditaire quant au statut de l’immeuble. Eu égard à ce critère objectif, il n’est donc guère surprenant que la convention demeure muette sur les rôles respectifs des Etats accréditant et accréditaire en matière de désignation des locaux de la mission.
ix) Comment convient-il alors de régler un différend lorsque, comme en l’espèce, les parties sont en désaccord sur cette importante question ? Compte tenu de la relation qu’entretient
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la convention avec les trois buts et principes fondamentaux de la Charte des Nations Unies qui sont repris dans son préambule, si désaccord il y a, celui-ci doit être réglé au moyen d’une consultation menée de bonne foi entre les Parties et, en cas d’échec, sur la base d’un règlement par tierce partie. En l’espèce, la Guinée équatoriale a sollicité un règlement judiciaire sur la base de la clause compromissoire qui figure dans le protocole de signature facultative concernant le règlement obligatoire des différends qui accompagne la convention. La Cour devait régler le différend en utilisant le critère objectif énoncé à l’alinéa i) de l’article premier de la convention et parvenir à sa décision en appliquant ledit critère, tout en tenant compte des trois principes et buts fondamentaux mentionnés dans le préambule. Dans les circonstances de la présente affaire, elle disposait d’éléments de preuve suffisants pour conclure que, à l’époque pertinente, l’immeuble sis au 42 avenue Foch était utilisé aux fins de la mission de la Guinée équatoriale. Aussi ne puis-je souscrire à la conclusion de la majorité selon laquelle cet immeuble n’a jamais acquis le statut de «locaux de la mission».
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Le présent exposé de mon opinion reflète mes vues sur le fond de la présente affaire portée par la Guinée équatoriale contre la France. Il ne saurait être considéré comme reflétant d’une manière ou d’une autre mes vues sur le fond de l’affaire introduite par les autorités françaises devant les juridictions de la France à l’encontre de M. Teodoro Nguema Obiang Mangue.
(Signé) Patrick L. ROBINSON.
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Opinion dissidente de M. le juge Robinson

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