Opinion dissidente de Mme la vice-présidente Xue

Document Number
163-20201211-JUD-01-02-EN
Parent Document Number
163-20201211-JUD-01-00-EN
Document File
Bilingual Document File

OPINION DISSIDENTE DE MME LA JUGE XUE, VICE-PRÉSIDENTE
[Traduction]
1. Je suis malheureusement en désaccord avec la décision rendue par la Cour dans la présente affaire. Il est de mon devoir de juge d’exposer les raisons de ma position.
1. La question pertinente dans la présente affaire
2. Mon désaccord avec la majorité tient principalement à ma position sur la question de la compétence (voir Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (I), opinion dissidente commune de Mme la juge Xue, vice-présidente, Mme la juge Sebutinde, M. le juge Robinson et M. le juge ad hoc Kateka, p. 340). La présente espèce est un exemple illustrant l’importance de la détermination de l’objet d’un différend et son rapport étroit avec la compétence. Comme il ressort du contexte factuel relaté dans l’arrêt, la question du statut de l’immeuble sis au 42 avenue Foch (également dénommé «l’immeuble») fait partie intégrante, et est indissociable, du différend qui oppose la Guinée équatoriale et la France concernant les immunités des hauts fonctionnaires et biens d’Etat de la première par rapport à la juridiction des tribunaux de la seconde. En restreignant le champ de sa compétence à l’interprétation et à l’application de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques (également dénommée la «convention de Vienne» ou la «convention»), la Cour s’est elle-même empêchée de procéder à un examen approfondi et suffisant des éléments de preuve produits devant elle et de l’ensemble des questions pertinentes en l’espèce, et donc de parvenir à un règlement judiciaire satisfaisant du différend.
3. En substance, la question du statut de l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris concerne les immunités des biens d’Etat vis-à-vis de la juridiction pénale de tribunaux étrangers. A cet égard, deux éléments sont pertinents. L’un est la transaction intervenue au sujet de l’immeuble entre M. Teodoro Nguema Obiang Mangue, le vice-président de la Guinée équatoriale, et la République de Guinée équatoriale. Le second élément est le droit de la Guinée équatoriale de désigner cet immeuble en tant que locaux de sa mission diplomatique. S’agissant du premier élément, les justificatifs produits par la Guinée équatoriale montrent que la transaction a été dûment réalisée au regard du droit français. Deux documents sont particulièrement intéressants et probants.
4. Le premier est un formulaire intitulé «Cession de droits sociaux non constatée par un acte à déclarer obligatoirement» et daté du 17 octobre 2011. Il montre que M. Teodoro Nguema Obiang Mangue a cédé le 15 septembre 2011 à la République de Guinée équatoriale, pour un prix de 6 353 428 euros, les droits sociaux des cinq sociétés suisses propriétaires de l’immeuble. A cette fin, un droit d’enregistrement d’un montant de 317 672 euros a été perçu par les autorités fiscales françaises à Noisy-le-Grand (annexe 5 des réponses de la Guinée équatoriale aux questions des juges Bennouna et Donoghue, 26 octobre 2016).
5. Le deuxième de ces documents est un formulaire intitulé «Déclaration de plus-value sur les cessions de biens meubles ou de parts de sociétés à prépondérance immobilière» et daté du 20 octobre 2011. Il atteste qu’un impôt sur le revenu afférent à la plus-value d’un montant de 1 145 740 euros a été prélevé par les autorités fiscales françaises sur la cession, le 15 septembre 2011, des actions des cinq sociétés suisses à prépondérance immobilière par M. Teodoro Nguema Obiang Mangue à la République de Guinée équatoriale (annexe 6 des réponses de la Guinée équatoriale aux questions des juges Bennouna et Donoghue, 26 octobre 2016).
- 2 -
6. Bien que la France ait affirmé que ces actes n’avaient pas suffi à transférer effectivement la propriété de l’immeuble à la Guinée équatoriale, celui-ci étant toujours enregistré au nom des cinq sociétés suisses, cette position ne cadrait pas avec celle adoptée par la justice française à l’égard de la propriété de l’immeuble. Selon celle-ci, M. Teodoro Nguema Obiang Mangue, par l’intermédiaire des cinq sociétés suisses, était propriétaire de l’immeuble depuis le 20 décembre 2004 (voir arrêt rendu le 10 février 2020 par la Cour d’appel de Paris en l’affaire relative à M. Teodoro Nguema Obiang Mangue, p. 62). En toute logique, si la Guinée équatoriale ne pouvait posséder l’immeuble par le truchement des cinq sociétés suisses, celui-ci ne pouvait pas davantage appartenir à M. Teodoro Nguema Obiang Mangue.
7. La Guinée équatoriale n’a pas approché la France au sujet de l’immeuble qu’au niveau diplomatique. Le 14 février 2012, son président a adressé à son homologue français une lettre dans laquelle il déclarait que l’immeuble sis au 42 avenue Foch était
«une propriété légalement acquise par le Gouvernement de Guinée équatoriale et où résid[ait] … la représentante auprès de l’UNESCO, chargée des biens de l’ambassade. [Il ajoutait que l]adite propriété joui[ssait] de la protection légale et diplomatique, en accord avec la convention de Vienne et des accords bilatéraux signés entre les deux Etats».
La France n’a accepté aucune des déclarations faites en ce sens par la Guinée équatoriale.
8. Ces documents démontrent que, dans la présente affaire, le différend entre les Parties allait bien au-delà de la désignation des locaux d’une mission diplomatique. Il ressort clairement des faits que l’objection persistante de la France à la demande de la Guinée équatoriale visant à désigner l’immeuble en cause comme locaux de sa mission n’avait guère de rapport avec les circonstances et conditions dans lesquelles un bien peut acquérir le statut diplomatique. Etant donné la controverse qui opposait les Parties au sujet de la procédure pénale visant M. Teodoro Nguema Obiang Mangue, la France, en tant qu’Etat accréditaire, disposait de tous les moyens voulus pour faire en sorte que l’immeuble en litige n’acquière pas le statut juridique recherché par la Guinée équatoriale ; il était impossible à cette dernière d’obtenir le consentement de la France à la désignation de l’immeuble en tant que locaux de sa mission diplomatique. La réinstallation par la Guinée équatoriale de son ambassade dans l’immeuble était pour elle, dans une large mesure, une façon d’empêcher la confiscation de cet édifice, qu’elle estimait être son bien d’Etat. Les deux Parties avaient pleinement conscience de la situation.
9. S’agissant du deuxième élément, c’est-à-dire la question du droit de la Guinée équatoriale d’utiliser l’immeuble aux fins de sa mission diplomatique, les actes officiels des autorités françaises concernant l’enregistrement de la cession des droits sociaux liés à l’immeuble et le prélèvement de l’impôt sur la plus-value ont raisonnablement fondé la Guinée équatoriale à penser qu’elle avait acquis la propriété de l’immeuble. Si elle entendait maintenir ce bien dans le domaine privé, la France aurait dû couper court à la transaction afin de signifier clairement à la Guinée équatoriale le statut de l’immeuble. Outre ces actes officiels de ses autorités, la France n’a, à aucun moment de la procédure, mis en doute l’authenticité de la cession de l’immeuble par M. Teodoro Nguema Obiang Mangue à la Guinée équatoriale.
10. Le différend entre les Parties concernant le statut de l’immeuble tient à la propriété de celui-ci. Tout d’abord, la motivation avancée par la France à l’appui de son objection à la demande de la Guinée équatoriale portait directement sur la propriété de l’immeuble. Dans sa note verbale en date du 11 octobre 2011 adressée à l’ambassade de Guinée équatoriale, le service du protocole du ministère français des affaires étrangères déclarait que l’immeuble sis au 42 avenue Foch «ne fai[sait]
- 3 -
pas partie des locaux relevant de la mission diplomatique de la République de Guinée équatoriale [mais] rel[evait] du domaine privé et, de ce fait, du droit commun». Cette déclaration indiquait que la France ne reconnaîtrait pas que l’immeuble était devenu un bien d’Etat de la Guinée équatoriale.
11. Ensuite, la question de la propriété a influé sur le comportement de la France à l’égard de l’immeuble. Si elle ne détermine pas le statut de mission diplomatique, la propriété des locaux, lorsqu’elle est détenue par l’Etat accréditant, ouvre toutefois droit à la protection prévue par la convention de Vienne sur les relations diplomatiques ainsi que par les règles coutumières relatives aux immunités juridictionnelles de l’Etat et de ses biens. Ainsi qu’il est indiqué dans le préambule de la convention, les règles coutumières continuent de régir les questions non expressément réglées par la convention. Dans la présente affaire, ces règles auraient pu entrer en jeu lors de l’examen de la licéité des mesures de perquisition, de saisie et de confiscation imposées par la justice française au sujet de l’immeuble, si la question de la propriété avait été dûment analysée.
12. En résumé, en restreignant le champ de sa compétence en la présente affaire, la Cour a éludé certains aspects cruciaux du différend entre les Parties. Le point de savoir si l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris est devenu propriété de l’Etat de Guinée équatoriale par le transfert de sa propriété n’est pas ici une simple question de droit français ; il s’agit en définitive des droits et obligations dont les Etats sont titulaires en droit international dans la conduite des procédures pénales concernant un Etat étranger ou ses biens.
2. Interprétation de la convention de Vienne
13. Je conviens avec la majorité que les dispositions de la convention de Vienne ne précisent pas à quel moment et dans quelles conditions un bien acquiert le statut de «locaux de la mission», au sens de l’alinéa i) de son article premier, et commence à bénéficier des privilèges et immunités y énoncés. Eu égard à l’objet et au but de la convention, l’Etat accréditant ne peut imposer unilatéralement son choix de locaux à l’Etat accréditaire. Je suis toutefois en désaccord avec le raisonnement de la Cour qui tend à laisser entendre que, par son objection persistante à la désignation recherchée par l’Etat accréditant, l’Etat accréditaire et lui seul aurait le dernier mot. Une telle interprétation n’est, à mon sens, pas conforme à l’objet et au but de la convention et ne tient pas non plus compte de la pratique des Etats en matière diplomatique.
14. Suivant la position de la majorité, un immeuble ne saurait acquérir le statut de locaux de la mission en étant unilatéralement désigné comme tel par l’Etat accréditant, si l’Etat accréditaire objecte à ce choix. L’Etat accréditaire, en revanche, aurait le pouvoir d’objecter à l’affectation par l’Etat accréditant d’un immeuble à sa mission diplomatique et, ce faisant, d’empêcher l’immeuble en question d’acquérir le statut de locaux de la mission. Trois raisons ont conduit la majorité à cette conclusion. Premièrement, en vertu de l’article 2 de la convention de Vienne, l’établissement de relations diplomatiques entre les Etats et de missions diplomatiques permanentes doit se faire par consentement mutuel. La désignation unilatérale, par un Etat accréditant, d’un immeuble aux fins de sa mission diplomatique, au mépris de l’objection de l’Etat accréditaire, irait à l’encontre de ce fondement consensuel. Deuxièmement, pour réaliser l’objectif de la convention consistant à «favoriser les relations d’amitié entre les pays», l’Etat accréditaire est tenu d’accorder d’importants privilèges et immunités à la mission diplomatique de l’Etat accréditant. Ces lourdes obligations devraient cependant être mises en balance avec le pouvoir de l’Etat accréditaire d’objecter au choix fait par l’Etat accréditant quant aux locaux de sa mission. Troisièmement, le régime d’immunité et d’inviolabilité établi par la convention pour les missions diplomatiques apporte certaines restrictions à la souveraineté de l’Etat accréditaire, mais sans prévoir aucun mécanisme permettant de contrer les éventuelles utilisations à mauvais escient ou abusives d’un tel traitement. Pour remédier à cette
- 4 -
vulnérabilité de l’Etat accréditaire, le régime en question devrait lui reconnaître le pouvoir d’objecter (voir arrêt, paragraphes 63 à 67).
15. Je conviens avec la majorité que le droit international régissant les relations diplomatiques, en tant que régime autonome, ne confère pas à l’Etat accréditant un droit unilatéral de désigner les locaux de sa mission diplomatique, mais le fait de formuler la restriction imposée à cet Etat en des termes si catégoriques, comme si la décision revenait à l’Etat accréditaire et à lui seul, ne me semble pas constituer une bonne interprétation de la convention de Vienne. Le principe fondamental de droit international contenu dans le préambule de la convention, à savoir le principe de l’égalité souveraine, constitue le fondement juridique du droit international régissant les relations diplomatiques. Les privilèges et immunités diplomatiques, pour «importants» ou «lourds» de conséquences qu’ils soient, ne sont pas accordés de manière unilatérale à l’Etat accréditant par l’Etat accréditaire. La mission diplomatique que l’Etat accréditaire établit lui-même sur le territoire de l’Etat accréditant bénéficie du même traitement sur le sol de ce dernier. En d’autres termes, c’est de manière mutuelle que les Etats s’octroient et bénéficient des privilèges et immunités diplomatiques. La notion de réciprocité est un élément essentiel qui assure la stabilité des relations diplomatiques entre les Etats. L’établissement de missions diplomatiques permanentes, pour servir les objectifs consistant à maintenir la paix et la sécurité et à favoriser les relations d’amitié entre les pays, doit être fondé sur le respect mutuel des principes de la souveraineté des Etats et de l’égalité de traitement.
16. Ainsi que la Cour le reconnaît en l’espèce, la pratique étatique à l’égard de la désignation des locaux diplomatiques est très variable ; la question est dans une large mesure régie par la pratique des Etats selon les circonstances propres à chacun d’eux. Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’existe aucun principe à suivre dans le concret. Les Parties à la présente affaire s’accordent à reconnaître que, comme l’indiquent son objet et son but, la convention repose fondamentalement sur la nécessité de favoriser des relations d’amitié entre deux Etats souverains. Pour atteindre cet objectif, les Etats parties doivent coopérer dès leurs toutes premières relations diplomatiques. En vertu du principe de l’égalité souveraine, l’Etat accréditant a le droit de choisir le lieu de sa mission diplomatique dans la capitale de l’Etat accréditaire, lequel conserve cependant le pouvoir discrétionnaire d’acquiescer, ou d’objecter, à une telle désignation. Selon l’article 21 de la convention de Vienne, nonobstant son droit d’objecter, l’Etat accréditaire demeure tenu de faciliter l’acquisition par l’Etat accréditant de locaux diplomatiques. Il va de soi que ni une désignation unilatérale par l’Etat accréditant, ni une objection persistante de l’Etat accréditaire ne pourrait mettre un point final au débat dans la pratique, puisque ni l’une ni l’autre ne pourrait conduire à l’établissement d’une mission diplomatique. Seules la coopération et la consultation peuvent permettre de parvenir à une solution mutuellement acceptable.
17. En l’espèce, c’est à l’aune de la pratique constante de la France que le différend des Parties concernant le statut de l’immeuble devait être tranché. La Cour aurait tout d’abord dû rechercher si la France avait adopté une quelconque loi ou directive officielle en la matière. A défaut, c’est sur la pratique établie de la France qu’il fallait se fonder. En contestant l’argument de la Guinée équatoriale voulant que celle-ci ait suivi la procédure normale, la France n’a pas produit d’éléments convaincants démontrant que sa pratique ait jusque-là consisté à subordonner systématiquement l’acquisition du statut diplomatique à son consentement préalable. En outre, son refus répété de l’affectation sollicitée par la Guinée équatoriale ne tient pas tant à cette procédure elle-même qu’aux poursuites pénales contestées.
18. Comme il a été relevé plus haut, la désignation par la Guinée équatoriale de l’immeuble sis au 42 avenue Foch en tant que locaux de sa mission diplomatique ne constitue pas un cas ordinaire. L’immeuble en question n’est pas le premier que la Guinée équatoriale ait affecté à son ambassade ; il s’agit du lieu où la mission a été réinstallée. Son statut est l’objet même du différend
- 5 -
des Parties concernant les immunités des biens d’Etat. Quelles que soient les circonstances, tant que la France campera sur sa position au sujet de la procédure pénale litigieuse, elle ne reconnaîtra pas cet immeuble en tant que locaux de l’ambassade équato-guinéenne. Partant, un examen général des circonstances dans lesquelles un bien acquiert le statut diplomatique ne répond pas à la véritable question au coeur de la présente affaire. La question déterminante ici n’est pas de savoir si la France, en tant qu’Etat accréditaire, avait le droit souverain d’objecter au choix de locaux diplomatiques fait par la Guinée équatoriale ; il s’agit de savoir si elle a indûment exercé sa juridiction en imposant des mesures de contrainte à l’encontre d’un bien d’Etat de la Guinée équatoriale.
3. Les critères appliqués par la Cour
19. Dans son arrêt, la Cour reconnaît que le pouvoir de l’Etat accréditaire d’objecter à la désignation par l’Etat accréditant de ses locaux diplomatiques connaît certaines limites. Elle considère que, pour exercer ce pouvoir de manière raisonnable et de bonne foi, l’Etat accréditaire doit communiquer son objection en temps voulu et de manière ni arbitraire, ni discriminatoire. Je cite :
«si l’Etat accréditaire objecte à la désignation par l’Etat accréditant d’un certain bien comme faisant partie des locaux de sa mission diplomatique, et si cette objection est communiquée en temps voulu et n’a un caractère ni arbitraire ni discriminatoire, ce bien n’acquiert pas le statut de «locaux de la mission» au sens de l’alinéa i) de l’article premier de la convention de Vienne et ne bénéficie donc pas de la protection prévue à l’article 22 de la convention. La question de savoir s’il a été satisfait aux critères mentionnés ci-dessus doit être appréciée dans les circonstances propres à chaque affaire.» (Arrêt, paragraphe 74.)
Ces trois critères régissant l’objection de l’Etat accréditaire  à savoir la communication en temps voulu, le caractère non arbitraire et l’absence de discrimination  ne font pas débat en principe. C’est la manière dont ils doivent être appliqués dans la pratique qu’il convient d’examiner.
20. S’agissant du premier critère, relatif à la communication en temps voulu, il ne fait aucun doute que, chaque fois que la Guinée équatoriale a informé le service du protocole du ministère français des affaires étrangères de sa désignation ou de son utilisation de l’immeuble en tant que locaux de sa mission diplomatique, le ministère a objecté sans délai. Etant donné le contexte factuel de l’affaire, les réponses que la France a adressées en temps utile à la Guinée équatoriale sont suffisamment éloquentes : les Parties étaient divisées quant au statut de l’immeuble. Un silence ou un retard de la France dans sa réponse aurait pu être perçu ou considéré comme un acquiescement de sa part à la position de la Guinée équatoriale.
21. En examinant la question de savoir si l’objection de la France à la désignation par la Guinée équatoriale de l’immeuble en tant que locaux de sa mission diplomatique revêtait un caractère arbitraire, la Cour se réfère inévitablement à la procédure pénale contestée. Son raisonnement est toutefois fondé sur le postulat que la procédure pénale visant M. Teodoro Nguema Obiang Mangue et les mesures de contrainte contre l’immeuble n’étaient pas en litige entre les Parties. Ce postulat est clairement erroné.
22. Tout d’abord, au sujet de la note verbale du 11 octobre 2011 indiquant que l’immeuble sis au 42 avenue Foch «relève du domaine privé», la Cour déclare ce qui suit :
«Envisagée comme une réponse à cette notification, la note verbale de la France ne peut être interprétée comme faisant référence à la question de la propriété de
- 6 -
l’immeuble : elle avait pour objet de contester l’affirmation de la Guinée équatoriale selon laquelle l’immeuble était utilisé à des fins diplomatiques et, partant, relevait du «domaine public».» (Arrêt, paragraphe 106.)
De l’avis de la Cour, la position de la France était justifiée par le fait que, dans le cadre de la procédure pénale en cours, les autorités françaises avaient procédé à des inspections et à des perquisitions dans l’immeuble et avaient constaté que celui-ci n’était pas utilisé en tant que locaux de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale, ni ne faisait l’objet de préparatifs en vue d’une telle utilisation.
23. De plus, la Cour considère que l’objection de la France était également justifiée par la nécessité éventuelle, pour les autorités françaises, de procéder aux fins de la procédure pénale à de nouvelles perquisitions dans l’immeuble ou d’imposer à son égard d’autres mesures de contrainte, de sorte que le fait de consentir à l’affectation par la Guinée équatoriale de l’immeuble à sa mission diplomatique «aurait risqué d’entraver le bon fonctionnement de [l]a justice pénale [française]» (arrêt, paragraphe 109).
24. Pour ce qui concerne l’argument de la Guinée équatoriale selon lequel la France aurait dû se concerter avec elle avant de rejeter sa prétention au statut diplomatique pour l’immeuble, la Cour estime que la France n’avait, au titre de la convention de Vienne, aucune obligation de consulter la Guinée équatoriale avant de lui communiquer son objection.
25. Pareil raisonnement est totalement déséquilibré. Il met en évidence que la question de l’objection de la France à la désignation par la Guinée équatoriale de l’immeuble comme locaux de sa mission diplomatique ne peut être dissociée de celle des immunités des biens d’Etat dans le cadre d’une procédure pénale. A l’époque où la Guinée équatoriale a demandé pour la première fois l’affectation de l’immeuble à sa mission diplomatique, le fait de savoir si cet immeuble était utilisé ou faisait l’objet de préparatifs en vue d’être utilisé comme tel était indifférent pour l’objection française : la situation du bâtiment n’a eu aucune incidence sur la désignation voulue par la Guinée équatoriale. Si la France a objecté, c’était précisément pour maintenir l’immeuble sous le coup de mesures de contrainte aux fins de la procédure pénale en cours.
26. Comme la Cour le fait observer, le différend des Parties relatif à la procédure pénale visant M. Teodoro Nguema Obiang Mangue durait depuis quelques années déjà lorsque le transfert de la mission a eu lieu. Dire que, quand la Guinée équatoriale a décidé d’affecter l’immeuble à sa mission diplomatique, la France n’avait, au titre de la convention de Vienne, aucune obligation de la consulter va à l’encontre de l’objet et du but de la convention consistant à «favoriser les relations d’amitié entre les pays». Le différend concerne non seulement des hauts fonctionnaires de la Guinée équatoriale, mais aussi un grand nombre de biens de cet Etat. Le fait que la Guinée équatoriale ait repris l’immeuble et l’ait utilisé comme locaux de sa mission diplomatique ne peut être réputé «avantager des individus».
27. S’agissant du critère de l’absence de discrimination, le raisonnement de la Cour est relativement simple : il n’existe aucune circonstance comparable à celles de la présente affaire qui permette de déterminer si la France a agi de manière discriminatoire. Pour apprécier le comportement de la France, toutefois, point n’est besoin d’interroger la pratique de celle-ci à la recherche d’éventuels cas comparables ; il suffit de rechercher si, en pareilles circonstances, tout autre Etat aurait été traité ou accepté d’être traité par elle de la même façon.
- 7 -
28. Il ressort du dossier que la Guinée équatoriale a adressé au ministère français des affaires étrangères plusieurs notifications ou déclarations pour l’informer de la désignation ou de l’utilisation de l’immeuble aux fins de sa mission diplomatique (citons, entre autres, la note verbale en date du 4 octobre 2011 (mémoire de la Guinée équatoriale, annexe 33) et les notes verbales datées du 17 octobre 2011 (annexe 36), du 14 février 2012 (annexe 37), du 12 mars 2012 (annexe 44) et du 27 juillet 2012 (annexe 47)). Même après les communications officielles de la Guinée équatoriale à cet effet, les autorités françaises n’en ont pas moins procédé à plusieurs perquisitions dans l’immeuble, au cours desquelles divers biens ont été saisis et enlevés et certains effets personnels de M. Teodoro Nguema Obiang Mangue pris pour être vendus aux enchères. Les protestations officielles de la Guinée équatoriale contre ces actes sont restées lettre morte. Pendant près de quatre ans, c’est-à-dire du 27 juillet 2012 (date à laquelle la Guinée équatoriale a effectivement installé sa mission dans l’immeuble) jusqu’au 13 juin 2016 (date à laquelle la demanderesse a institué la présente instance contre la France devant la Cour), l’ambassade de Guinée équatoriale a utilisé l’immeuble pour l’accomplissement des fonctions officielles de sa mission diplomatique, mais sans bénéficier du statut et de la protection correspondants. Dans l’intervalle, des mesures de contrainte, notamment de saisie et de confiscation, ont été prises à l’encontre de l’immeuble. Une telle situation ne peut être considérée comme normale dans le cadre de relations diplomatiques ; il ne s’agit pas non plus de la relation que l’on attendrait entre deux Etats souverains égaux. Ces éléments, en eux-mêmes, démontrent que le fait d’accorder une place trop importante au pouvoir d’objection de l’Etat accréditaire risque de rompre le fragile équilibre que la convention de Vienne a su établir entre l’Etat accréditant et l’Etat accréditaire.
(Signé) XUE Hanqin.
___________

Document file FR
Document Long Title

Opinion dissidente de Mme la vice-présidente Xue

Links