Opinion individuelle de M. le juge ad hoc Pocar

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166-20191108-JUD-01-06-EN
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OPINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGE AD HOC POCAR [Traduction] Compétence ratione materiae de la Cour au titre de la CIRFT  Interprétation de l’article 2 de la CIRFT  Responsabilité encourue par l’Etat au regard de la CIRFT faute d’avoir pris des mesures efficaces pour prévenir et réprimer l’infraction visée à l’article 2  Adhésion à l’interprétation faite de l’expression «toute personne» utilisée à l’article 2  Large interprétation de l’expression «toute personne» étayée par l’objet et le but de la CIRFT ainsi que par la pratique internationale relative à la conclusion de traités analogues  Nécessité de raisonner autrement pour conclure que l’interprétation de la définition du terme «fonds» employé à l’article premier doit être réservée au stade du fond  Définition des «biens» étroitement liée aux faits et donc ressortissant au fond. 1. Souscrivant à l’arrêt de la Cour et à sa décision de rejeter les exceptions préliminaires soulevées en l’espèce par la Fédération de Russie, je me bornerai à préciser brièvement ma position sur quelques questions largement débattues entre les Parties, qui concernent la compétence ratione materiae de la Cour. 2. Fidèle à sa jurisprudence, la Cour a rappelé que, «pour déterminer si elle a compétence ratione materiae au titre d’une clause compromissoire visant les différends concernant l’interprétation ou l’application d’un traité, il lui faut rechercher si les actes dont le demandeur tire grief «entrent dans les prévisions» du traité contenant la clause. Il peut ainsi se révéler nécessaire d’interpréter les dispositions qui définissent le champ d’application du traité» (arrêt, paragraphe 57). La Cour a ainsi entrepris d’interpréter certaines des dispositions qui définissent le champ d’application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme (ci-après la «CIRFT»), le but étant d’établir en particulier I) si le fait pour tout Etat de financer un acte prohibé par l’article 2 en son paragraphe 1 a) ou b) peut constituer une infraction au sens dudit paragraphe 1, et II) si l’article 2 vise la commission de l’infraction de financement du terrorisme envisagée en son paragraphe 1 par une personne privée uniquement, ou également par un agent de l’Etat. S’agissant par contre d’une autre question III)  l’interprétation à donner à la définition du terme «fonds» figurant au paragraphe 1 de l’article premier de la CIRFT , la Cour a fait observer qu’«il n’[était] nul besoin de traiter de cette question touchant au champ d’application de la CIRFT au stade actuel de la procédure» (arrêt, paragraphe 62). I. Financement par l’Etat au regard de la CIRFT 3. A propos de la première question, la Cour conclut que, dans la mesure où la CIRFT s’applique aux infractions commises par des individus et où l’article 4 requiert que chaque Etat partie érige en infractions pénales au regard de son droit interne les infractions visées à l’article 2 en les frappant de peines appropriées, le financement par un Etat d’actes de terrorisme «n’est pas visé par la CIRFT» et «n’entre pas dans le champ d’application de la convention» (arrêt, paragraphe 59). Je souscris à cette conclusion. Une convention qui fait aux Etats parties obligation d’incriminer dans leur législation une conduite individuelle donnée, ainsi que de la prévenir et de la réprimer, suppose inévitablement que tous les Etats ayant adhéré à cet instrument ne se livreront pas eux-mêmes à une telle conduite. Leur en faire spécifiquement obligation pourrait donc paraître superflu. - 2 - 4. Cependant, tout Etat qui commettrait directement l’infraction visée à l’article 2 n’en verrait pas moins sa responsabilité engagée au regard de la convention, du fait non pas de la commission même de cette infraction mais de son omission de prendre les mesures nécessaires pour la prévenir et la réprimer. En tout état de cause, même si sa conduite n’entrait pas dans le champ d’application de la CIRFT, l’Etat pourrait voir sa responsabilité engagée au regard du droit international coutumier du fait de la commission de l’infraction. De plus, toute autre juridiction compétente pourrait, le cas échéant, s’autoriser des constatations faites par la Cour pour juger une demande fondée sur la responsabilité de l’Etat en droit international. II. Financement d’actes de terrorisme par des agents de l’Etat 5. S’agissant de la deuxième question susmentionnée, celle de savoir si la commission, par un agent de l’Etat, d’une infraction de financement du terrorisme au sens du paragraphe 1 de l’article 2 de la CIRFT tombe sous le coup de cette disposition, la Cour conclut que les termes «toute personne» «visent les individus de manière générale» et que «la convention ne contient aucun élément de nature à exclure quelque catégorie de personnes que ce soit», et notamment pas celle des agents de l’Etat (arrêt, paragraphe 61). Partant, «les Etats parties à la CIRFT sont tenus de prendre les mesures nécessaires et de coopérer pour prévenir et réprimer les infractions de financement d’actes de terrorisme commises par quelque personne que ce soit». Bien que cette question ait été l’objet d’échanges intenses et développés entre les Parties, la conclusion de la Cour me semble aller de soi et emporter la conviction. 6. Pour parvenir à cette conclusion, la Cour invoque expressément le sens ordinaire de l’expression «toute personne» utilisée au paragraphe 1 de l’article 2 de la CIRFT. Si cette invocation est assurément suffisante en elle-même, j’estime toutefois que la conclusion de la Cour est aussi solidement étayée par un examen de l’objet et du but de la CIRFT, selon la règle générale d’interprétation énoncée à l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités, ainsi que par la pratique internationale observée à l’occasion de la conclusion de traités analogues. 7. Premièrement, la CIRFT a pour but et objet de prévenir et réprimer le financement d’actes de terrorisme, prescrivant aux Etats parties d’incriminer le fait pour toute personne de fournir ou réunir des fonds dans l’intention de les voir utilisés ou en sachant qu’ils seront utilisés, en tout ou partie, en vue de commettre : a) un acte qui constitue une infraction au regard et selon la définition d’autres traités énumérés en annexe, et b) certains autres actes dirigés contre des civils ou des personnes qui ne participent pas aux hostilités dans une situation de conflit armé, actes constitutifs de violations du droit international humanitaire. Compte tenu de cet objet et de ce but de la convention, il serait foncièrement contradictoire de faire aux Etats parties obligation de prendre les mesures nécessaires et de coopérer pour prévenir et réprimer la commission de l’infraction de financement du terrorisme qui est visée au paragraphe 1 de l’article 2, tout en les dispensant de cette obligation dès lors que leurs agents seraient en cause. Il convient de rappeler à cet égard que, dans la mesure où tout acte de prévention ou de répression incomberait aux agents de l’Etat, consacrer leur impunité en droit aurait inévitablement et certainement pour effet de contrarier la réalisation du but de la convention. Ainsi, exclure les agents de l’Etat du champ de l’expression «toute personne» irait clairement à l’encontre non seulement du texte du paragraphe 1 de l’article 2, mais aussi de l’objet et du but de la CIRFT. 8. Deuxièmement, cette interprétation de l’article 2 de la CIRFT est confirmée par la pratique internationale observée lors de la conclusion de traités analogues portant répression de telle ou telle conduite individuelle illicite. - 3 - 9. Il en est certainement ainsi de traités prescrivant aux Etats parties d’incriminer des actes communément qualifiés de terroristes, comme les conventions et protocoles visés à l’alinéa a) du paragraphe 1 de l’article 2 et énumérés dans l’annexe de la CIRFT, la plupart desquels retiennent la même expression «toute personne» ou, dans deux cas (nos 3 et 5 de l’annexe), le terme «auteur» sans autre précision, et sans exclure d’aucune façon l’agent de l’Etat. Le fait d’étendre la juridiction pénale aux infractions commises par des agents de l’Etat n’est donc nullement contraire à la pratique internationale. Il ressort même de cette pratique que, lorsqu’une restriction est ménagée, elle vient au contraire soustraire à la loi pénale l’individu agissant à titre privé, en limitant l’établissement de la responsabilité pénale individuelle aux agents de l’Etat. C’est ainsi que la convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants qualifie le crime de torture de répréhensible, aux fins de ses dispositions, «lorsqu’une … douleur ou de[s] … souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite» (article premier, paragraphe 1). 10. Une approche non restrictive dans la qualification de l’auteur de l’infraction se retrouve également dans les conventions qui prescrivent aux Etats parties d’incriminer les violations du droit international humanitaire, comme les actes visés à l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 2 de la CIRFT. A cet égard, les dispositions pertinentes de chacune des quatre conventions de Genève du 12 avril 1949 et du protocole additionnel I du 8 juin 1977, qui instituent le régime dit des «infractions graves», prévoient que les Etats parties «s’engagent à prendre toute mesure législative nécessaire pour fixer les sanctions pénales adéquates à appliquer aux personnes ayant commis, ou donné l’ordre de commettre, l’une ou l’autre des infractions graves à la présente Convention définies à l’article suivant» (article 146, paragraphe 1 de la convention IV ; les trois autres conventions comportent une disposition identique : article 49 de la convention I, article 50 de la convention II; article 129 de la convention III). Aucune restriction n’est apportée quant à la qualité de ces personnes. Toutefois, dès lors que les conventions et le protocole I visent les seules infractions commises en temps de conflit armé international, les auteurs en seront généralement des agents de l’Etat et non des individus agissant à titre privé. Une fois de plus, lorsqu’une restriction est formulée, elle vise l’incrimination de tout ou tous actes commis par l’individu agissant à titre privé, et non par l’agent de l’Etat. 11. Enfin, force est de rappeler qu’une conclusion venant limiter la responsabilité pénale de l’agent de l’Etat par rapport à celle de l’individu agissant à titre privé irait à l’encontre de la pratique interne des Etats en matière d’incrimination pénale. Dans tout Etat démocratique, la loi pénale n’établit aucune distinction selon la qualité de l’auteur, si ce n’est pour retenir la qualité d’agent public comme une circonstance aggravante aux fins de la sanction à imposer à l’auteur de l’infraction considérée. 12. Je conclus qu’il résulte sans équivoque aussi bien du sens ordinaire du texte que de l’objet et du but de la convention, ainsi que de la pratique internationale observée par les Etats en concluant des traités analogues, que l’expression «toute personne» employée au paragraphe 1 de l’article 2 de la CIRFT doit s’entendre comme visant à la fois l’individu agissant à titre privé et l’agent de l’Etat. III. L’interprétation de la définition du terme «fonds» relève du fond 13. S’agissant maintenant de la troisième question évoquée plus haut, à savoir celle de l’interprétation de la définition du terme «fonds» figurant au paragraphe 1 de l’article premier de la CIRFT, la Cour rappelle que, d’après ladite disposition, ce terme s’entend - 4 - «des biens de toute nature, corporels ou incorporels, mobiliers ou immobiliers, acquis par quelque moyen que ce soit, et des documents ou instruments juridiques sous quelque forme que ce soit, y compris sous forme électronique ou numérique, qui attestent un droit de propriété ou un intérêt sur ces biens, et notamment les crédits bancaires, les chèques de voyage, les chèques bancaires, les mandats, les actions, les titres, les obligations, les traites et les lettres de crédit, sans que cette énumération soit limitative». 14. A propos de l’interprétation de cette définition, la Cour déclare ce qui suit dans son arrêt : «Cette définition englobe de nombreuses sortes d’instruments financiers ainsi que d’autres biens. La Fédération de Russie n’ayant pas soulevé d’exception d’incompétence particulière au sujet de la portée du terme «fonds», et en particulier en ce qui concerne la fourniture d’armes mentionnée par l’Ukraine dans ses conclusions, il n’est nul besoin de traiter de cette question touchant au champ d’application de la CIRFT au stade actuel de la procédure. L’interprétation de la définition de ce terme pourrait toutefois être pertinente, le cas échéant, lors de l’examen au fond.» (Arrêt, paragraphe 62.) 15. Je conviens avec la Cour que l’interprétation de la définition du terme «fonds» est à réserver au stade de l’examen au fond, mais j’estime que la Cour aurait dû motiver cette conclusion autrement. Au paragraphe 62 de l’arrêt, la Cour semble inférer que la question de l’interprétation du terme «fonds» aurait pu donner lieu à une exception préliminaire de la part de la Fédération de Russie, qui aurait porté sur le champ d’application de la CIRFT et aurait donc pu avoir une incidence sur sa compétence ratione materiae. Je ne suis pas de cet avis. Premièrement, en déclarant simplement que la définition du terme «fonds» contenue au paragraphe 1 de l’article premier de la CIRFT «englobe de nombreuses sortes d’instruments financiers ainsi que d’autres biens» (les italiques sont de moi), la Cour risque d’induire en erreur. En fait, cette disposition vise principalement «des biens de toute nature, corporels ou incorporels, mobiliers ou immobiliers, acquis par quelque moyen que ce soit» et ne vise des documents ou instruments juridiques qu’en tant qu’ils sont susceptibles d’attester l’existence d’un droit de propriété sur ces biens ; lesdits documents peuvent inclure, sans s’y limiter, des instruments financiers. La disposition met ainsi l’accent sur les biens, et non sur les instruments financiers, lesquels ne peuvent être pris en considération que pour autant qu’ils attestent quelque droit de propriété sur de tels biens. Quand on sait en outre que l’énumération des instruments financiers n’est pas limitative, ces documents juridiques et instruments financiers ne sauraient en aucun cas contribuer à circonscrire le champ d’application de la convention. 16. En ce qui concerne les biens, le paragraphe 1 de l’article premier en donne également une définition non limitative, puisqu’il se réfère à des «biens de toute nature». Autrement dit, il s’agit non pas d’établir la nature des biens compris dans cette définition, mais de rechercher si les biens utilisés dans tel ou tel cas peuvent servir à la commission des actes visés à l’alinéa a) ou b) du paragraphe 1 de l’article 2 de la CIRFT. Il faut donc déterminer quels biens ont effectivement été fournis ou réunis dans l’intention qu’ils soient utilisés aux fins illicites envisagées à l’alinéa a) ou b) du paragraphe 1 de l’article 2 ou en sachant qu’ils le seraient. S’agissant de l’existence de l’intention requise chez l’auteur, cette question soulève des points de droit et surtout de fait qu’il convient d’examiner au stade du fond. 17. Je relève, à propos de l’existence des éléments moraux requis, que la Cour conclut que les questions y afférentes «n’ont pas d’incidence sur la portée de la convention et ne sont donc pas - 5 - pertinentes pour ce qui est de la compétence ratione materiae» (arrêt, paragraphe 63). A mon avis, la Cour aurait dû raisonner de la même façon en ce qui concerne l’interprétation de la notion de «fonds». 18. En conclusion, de mon point de vue, la Fédération de Russie a eu raison de ne pas soulever la question de la définition du terme «fonds» pour contester la compétence de la Cour. Toute exception ainsi soulevée aurait dû être rejetée pour les motifs exposés ci-dessus. (Signé) Fausto POCAR. ___________

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670 116 SEPARATE OPINION OF JUDGE AD HOC POCAR Jurisdiction ratione materiae of the Court on the basis of the ICSFT — Interpretation of Article 2 of the ICSFT — State responsibility under the ICSFT for not having taken appropriate measures to prevent and suppress the offence described in Article 2 — Agreement with the interpretation of the term “any person” of Article 2 — Inclusive interpretation of the term “any person” supported by the object and purpose of the ICSFT and the international practice in the conclusion of similar treaties — Different reasoning to conclude that the interpretation of the definition of “funds” of Article 1 should be left to the merits — Definition of assets is closely related to the facts and is therefore a matter for the merits. 1. I concur with the Judgment of the Court and with its decision to reject the preliminary objections of the Russian Federation in this case. Therefore, I will only briefly clarify my position on a couple of issues, which have been largely debated between the Parties, concerning the jurisdiction ratione materiae of the Court. 2. Following its jurisprudence, the Court has recalled that “in order to determine the Court’s jurisdiction ratione materiae under a compromissory clause concerning disputes relating to the interpretation or application of a treaty, it is necessary to ascertain whether the acts of which the applicant complains ‘fall within the provisions’ of the treaty containing the clause. This may require the interpretation of the provisions that define the scope of the treaty.” (Judgment, para. 57.) Consequently, the Court has proceeded to give an interpretation of some of the provisions that define the scope of the International Convention for the Suppression of the Financing of Terrorism (hereinafter “ICSFT”), with a view to establishing, in particular, (I) whether the financing by a State of an act prohibited under paragraph 1 (a) and (b) of Article 2 may constitute an offence under Article 2, paragraph 1, and (II) whether Article 2 covers the perpetration of the offence of financing terrorism as described in Article 2, paragraph 1, by a private individual or also by a State official. By contrast, on another issue (III) — the interpretation of the definition of the term “funds” under Article 1, paragraph 1, of the ICSFT — the Court observed that “this issue relating to the scope of the ICSFT [did not] need [to] be addressed at the present stage of the proceedings” (Judgment, para. 62). 670 116 OPINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGE AD HOC POCAR [Traduction] Compétence ratione materiae de la Cour au titre de la CIRFT — Interprétation de l’article 2 de la CIRFT — Responsabilité encourue par l’Etat au regard de la CIRFT faute d’avoir pris des mesures efficaces pour prévenir et réprimer l’infraction visée à l’article 2 — Adhésion à l’interprétation faite de l’expression « toute personne » utilisée à l’article 2 — Large interprétation de l’expression « toute personne » étayée par l’objet et le but de la CIRFT ainsi que par la pratique internationale relative à la conclusion de traités analogues — Nécessité de raisonner autrement pour conclure que l’interprétation de la définition du terme « fonds » employé à l’article premier doit être réservée au stade du fond — Définition des « biens » étroitement liée aux faits et donc ressortissant au fond. 1. Souscrivant à l’arrêt de la Cour et à sa décision de rejeter les exceptions préliminaires soulevées en l’espèce par la Fédération de Russie, je me bornerai à préciser brièvement ma position sur quelques questions largement débattues entre les Parties, qui concernent la compétence ratione materiae de la Cour. 2. Fidèle à sa jurisprudence, la Cour a rappelé que, « pour déterminer si elle a compétence ratione materiae au titre d’une clause compromissoire visant les différends concernant l’interprétation ou l’application d’un traité, il lui faut rechercher si les actes dont le demandeur tire grief « entrent dans les prévisions » du traité contenant la clause. Il peut ainsi se révéler nécessaire d’interpréter les dispositions qui définissent le champ d’application du traité. » (Arrêt, par. 57.) La Cour a ainsi entrepris d’interpréter certaines des dispositions qui définissent le champ d’application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme (ci-après la « CIRFT »), le but étant d’établir en particulier I) si le fait pour tout Etat de financer un acte prohibé par l’article 2 en son paragraphe 1 a) ou b) peut constituer une infraction au sens dudit paragraphe 1, et II) si l’article 2 vise la commission de l’infraction de financement du terrorisme envisagée en son paragraphe 1 par une personne privée uniquement, ou également par un agent de l’Etat. S’agissant en revanche d’une autre question III) — l’interprétation à donner à la définition du terme « fonds » figurant au paragraphe 1 de l’article premier de la CIRFT —, la Cour a fait observer qu’« il n’[était] nul besoin de traiter de cette question touchant au champ d’application de la CIRFT au stade actuel de la procédure » (arrêt, par. 62). 671 application of the icsft and cerd (sep. op. pocar) 117 I. State Financing and the ICSFT 3. On the first question the Court concludes that, since the ICSFT addresses offences committed by individuals, and Article 4 requires each State party to establish the offence set forth in Article 2 as a criminal offence under its domestic law and to make that offence punishable by appropriate penalties, the financing by a State of such an offence “is not addressed by the ICSFT”, and “[i]t lies outside the scope of the Convention” (Judgment, para. 59). I agree with this conclusion. A convention imposing on States parties the obligation to criminalize in their legislation a specific individual conduct, and to prevent and suppress it, inevitably presupposes that the States accepting the convention would not engage themselves in that conduct. Thus, imposing on them a corresponding obligation under the convention could appear superfluous. 4. However, should a State directly commit the offence described in Article 2, its responsibility would nevertheless be engaged under the Convention, not for the commission of the offence as such, but for not having taken appropriate measures for preventing and suppressing it. In any event, even if the conduct of a State lies outside the scope of the ICSFT, that State may still be responsible under customary international law for the commission of the offence. Furthermore, any other competent jurisdiction could rely, as the case may be, on the findings made by the Court as evidence for adjudicating a claim based on State responsibility under international law. II. Financing of Acts of Terrorism by State Officials 5. On the second question mentioned above, whether the perpetration by a State official of the offence of financing terrorism as described in Article 2, paragraph 1, of the ICSFT is covered by the said provision, the Court concludes that the expression “any person” “covers individuals comprehensively”, and that “[t]he Convention contains no exclusion of any category of persons”, notably not of State agents (Judgment, para. 61). Therefore, “all States parties to the ICSFT are under an obligation to take appropriate measures and to co-operate in the prevention and suppression of offences of financing acts of terrorism committed by whichever person”. Although this matter has been the subject of an intense and articulated discussion between the Parties, I find that the Court’s conclusion is obvious and compelling. 6. To reach that conclusion, the Court explicitly relies on the ordinary meaning of the expression “any person” referred to in Article 2, paragraph 1, of the ICSFT. While this reference is certainly sufficient, I am of the view that the Court’s conclusion is also strongly supported by an analysis of the object and purpose of the ICSFT, in accordance with the general rule of interpretation set forth in Article 31 of the Vienna Con- application de la cirft et de la ciedr (op. ind. pocar) 671 117 I. Financement par l’État au regard de la CIRFT 3. A propos de la première question, la Cour conclut que, dans la mesure où la CIRFT s’applique aux infractions commises par des individus et où l’article 4 requiert que chaque Etat partie érige en infractions pénales au regard de son droit interne les infractions visées à l’article 2 en les frappant de peines appropriées, le financement par un Etat d’actes de terrorisme « n’est pas visé par la CIRFT » et « n’entre pas dans le champ d’application de la convention » (arrêt, par. 59). Je souscris à cette conclusion. Une convention qui fait aux Etats parties obligation d’incriminer dans leur législation une conduite individuelle donnée, ainsi que de la prévenir et de la réprimer, suppose inévitablement que tous les Etats ayant adhéré à cet instrument ne se livreront pas eux-mêmes à une telle conduite. Leur en faire spécifiquement obligation pourrait donc paraître superflu. 4. Cependant, tout Etat qui commettrait directement l’infraction visée à l’article 2 n’en verrait pas moins sa responsabilité engagée au regard de la convention, du fait non pas de la commission même de cette infraction mais de son omission de prendre les mesures nécessaires pour la prévenir et la réprimer. En tout état de cause, même si sa conduite n’entrait pas dans le champ d’application de la CIRFT, l’Etat pourrait voir sa responsabilité engagée au regard du droit international coutumier du fait de la commission de l’infraction. De plus, toute autre juridiction compétente pourrait, le cas échéant, s’autoriser des constatations faites par la Cour pour juger une demande fondée sur la responsabilité de l’Etat en droit international. II. Financement d’actes de terrorisme par des agents de l’État 5. S’agissant de la deuxième question susmentionnée, celle de savoir si la commission, par un agent de l’Etat, d’une infraction de financement du terrorisme au sens du paragraphe 1 de l’article 2 de la CIRFT tombe sous le coup de cette disposition, la Cour conclut que les termes « toute personne » « visent les individus de manière générale » et que « la convention ne contient aucun élément de nature à exclure quelque catégorie de personnes que ce soit », et notamment pas celle des agents de l’Etat (arrêt, par. 61). Partant, « les Etats parties à la CIRFT sont tenus de prendre les mesures nécessaires et de coopérer pour prévenir et réprimer les infractions de financement d’actes de terrorisme commises par quelque personne que ce soit ». Bien que cette question ait été l’objet d’échanges intenses et développés entre les Parties, la conclusion de la Cour me semble aller de soi et emporter la conviction. 6. Pour parvenir à cette conclusion, la Cour invoque expressément le sens ordinaire de l’expression « toute personne » utilisée au paragraphe 1 de l’article 2 de la CIRFT. Si cette invocation est assurément suffisante en elle-même, j’estime toutefois que la conclusion de la Cour est aussi solidement étayée par un examen de l’objet et du but de la CIRFT, selon la règle générale d’interprétation énoncée à l’article 31 de la convention de 672 application of the icsft and cerd (sep. op. pocar) 118 vention on the Law of Treaties, as well as by international practice in the conclusion of similar treaties. 7. Firstly, the object and purpose of the ICSFT is to prevent and suppress the financing of terrorism through the criminalization by State parties of the conduct of any person who provides or collects funds with the intention that they should be used, or in the knowledge that they are to be used, in full or in part, in order to carry out: (a) acts which constitute offences within the scope of and as defined in a list of other treaties, and (b) certain other acts against civilians or persons not taking part in the hostilities in a situation of armed conflict, which constitute violations of international humanitarian law. In light of this object and purpose of the Convention, it would be inherently contradictory to impose on States parties the obligation to take appropriate measures and to co-operate to prevent and suppress the commission of the offence of financing terrorism as described in Article 2, paragraph 1, and at the same time to exclude that obligation by letting States parties free not to do so when their State officials are involved. It has to be recalled in this regard that, since any prevention or suppression activity will have to be carried out by State officials, a legal recognition of their impunity would inevitably and definitely hamper a successful implementation of the purpose of the Convention. Thus, an exclusion of State officials from the scope of the expression “any person” would plainly contradict not only the text of Article 2, paragraph 1, but also the object and purpose of the ICSFT. 8. Secondly, this reading of Article 2 of the ICSFT is confirmed by international practice in the conclusion of similar treaties providing for the criminalization of unlawful conduct by individuals. 9. This is certainly the case for treaties that impose on States parties to criminalize acts that are commonly qualified as being terrorist acts, like the conventions and protocols referred to in Article 2, paragraph 1 (a), and listed in the Annex to the ICSFT. Most of them use the same expression “any person” or, in a couple of cases (Nos. 3 and 5 of the Annex), the expression “offender” without any further qualification, and without any exclusion of State officials. Thus, the provision for criminal jurisdiction also over crimes committed by public officials is by no means inconsistent with international practice. Rather, that practice even shows that, when a restriction is made, it goes the other way around and excludes private individuals from the scope of the criminal rule, by limiting the establishment of individual criminal responsibility to public officials. In this respect, e.g., the Convention against Torture and Other Cruel, Inhuman or Degrading Treatment or Punishment, concluded on 10 December 1984, defines the crime of torture as being punishable, for the purposes of the Convention, “when . . . pain or suffering is inflicted by or at the instigation of or with the consent or acquiescence of a public official or other person acting in an official capacity” (Art. 1, para. 1). 10. An unrestricted approach as to the qualification of the perpetrators has also been adopted by the conventions that impose on States parties application de la cirft et de la ciedr (op. ind. pocar) 672 118 Vienne sur le droit des traités, ainsi que par la pratique internationale observée à l’occasion de la conclusion de traités analogues. 7. Premièrement, la CIRFT a pour but et objet de prévenir et réprimer le financement d’actes de terrorisme, prescrivant aux Etats parties d’incriminer le fait pour toute personne de fournir ou réunir des fonds dans l’intention de les voir utilisés ou en sachant qu’ils seront utilisés, en tout ou partie, en vue de commettre : a) un acte qui constitue une infraction au regard et selon la définition d’autres traités énumérés en annexe, et b) certains autres actes dirigés contre des civils ou des personnes qui ne participent pas aux hostilités dans une situation de conflit armé, actes constitutifs de violations du droit international humanitaire. Compte tenu de cet objet et de ce but de la convention, il serait foncièrement contradictoire de faire aux Etats parties obligation de prendre les mesures nécessaires et de coopérer pour prévenir et réprimer la commission de l’infraction de financement du terrorisme qui est visée au paragraphe 1 de l’article 2, tout en les dispensant de cette obligation dès lors que leurs agents seraient en cause. Il convient de rappeler à cet égard que, dans la mesure où tout acte de prévention ou de répression incomberait aux agents de l’Etat, consacrer leur impunité en droit aurait inévitablement et certainement pour effet de contrarier la réalisation du but de la convention. Ainsi, exclure les agents de l’Etat du champ de l’expression « toute personne » irait clairement à l’encontre non seulement du texte du paragraphe 1 de l’article 2, mais aussi de l’objet et du but de la CIRFT. 8. Deuxièmement, cette interprétation de l’article 2 de la CIRFT est confirmée par la pratique internationale observée lors de la conclusion de traités analogues portant répression de telle ou telle conduite individuelle illicite. 9. Il en est certainement ainsi de traités prescrivant aux Etats parties d’incriminer des actes communément qualifiés de terroristes, comme les conventions et protocoles visés à l’alinéa a) du paragraphe 1 de l’article 2 et énumérés dans l’annexe de la CIRFT, la plupart desquels retiennent la même expression « toute personne » ou, dans deux cas (nos 3 et 5 de l’annexe), le terme « auteur » sans autre précision, et sans exclure d’aucune façon l’agent de l’Etat. Le fait d’étendre la juridiction pénale aux infractions commises par des agents de l’Etat n’est donc nullement contraire à la pratique internationale. Il ressort même de cette pratique que, lorsqu’une restriction est ménagée, elle vient au contraire soustraire à la loi pénale l’individu agissant à titre privé, en limitant l’établissement de la responsabilité pénale individuelle aux agents de l’Etat. C’est ainsi que la convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants qualifie le crime de torture de répréhensible, aux fins de ses dispositions, « lorsqu’une … douleur ou de[s] … souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite » (art. premier, par. 1). 10. Une approche non restrictive dans la qualification de l’auteur de l’infraction se retrouve également dans les conventions qui prescrivent 673 application of the icsft and cerd (sep. op. pocar) 119 the obligation to criminalize violations of international humanitarian law, as are the acts referred to in Article 2, paragraph 1 (b), of the ICSFT. In this respect, the relevant provisions of each of the four Geneva Conventions of 12 August 1949 and of Additional Protocol I of 8 June 1977, which institute the régime of the so-called “grave breaches”, provide that the State parties thereto “undertake to enact any legislation necessary to provide effective penal sanctions for persons committing, or ordering to be committed, any of the grave breaches of the present Convention defined in the following Article” (Article 146, first paragraph of Geneva Convention IV. An identical provision is enshrined in the other three Conventions : Article 49 of GC I, Article 50 of GC II ; Article 129 of GC III). No restriction is made as to the qualifications of those persons. However, as the Conventions and Additional Protocol I only refer to violations committed in international armed conflicts, the perpetrators will normally be State officials rather than private individuals. Again, if a restriction is made, it concerns the criminalization of act(s) committed by private persons, not by State officials. 11. Finally, it has to be recalled that a conclusion restricting the criminal responsibility of State officials as compared with that of private individuals would also go against domestic State practice in enacting criminal legislation. Domestic criminal laws of a democratic State do not make any distinction as to the qualification of perpetrators and, when they do, it is to provide that the qualification of public official is to be regarded as an aggravating circumstance for the purposes of the punishment of the author of the criminal activity at issue. 12. I conclude that both the ordinary meaning of the text and the object and purpose of the Convention, as well as the international practice of States in drafting similar treaties, show unequivocally that the expression “any person” contained in Article 2, paragraph 1, of the ICSFT must be understood as comprising private individuals and State officials. III. Interpretation of the Definition of “Funds” Is for the Merits 13. Coming now to the third issue mentioned above, i.e. the interpretation of the definition of “funds” under Article 1, paragraph 1, of the ICSFT, the Court recalls that this term is defined in the said provision as meaning “assets of every kind, whether tangible or intangible, movable or immovable, however acquired, and legal documents or instruments in any form, including electronic or digital, evidencing title to, or interest in, such assets, including, but not limited to, bank credits, application de la cirft et de la ciedr (op. ind. pocar) 673 119 aux Etats parties d’incriminer les violations du droit international humanitaire, comme les actes visés à l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 2 de la CIRFT. A cet égard, les dispositions pertinentes de chacune des quatre conventions de Genève du 12 août 1949 et du protocole additionnel I du 8 juin 1977, qui instituent le régime dit des « infractions graves », prévoient que les Etats parties « s’engagent à prendre toute mesure législative nécessaire pour fixer les sanctions pénales adéquates à appliquer aux personnes ayant commis, ou donné l’ordre de commettre, l’une ou l’autre des infractions graves à la présente Convention définies à l’article suivant » (article 146, paragraphe 1, de la convention IV ; les trois autres conventions comportent une disposition identique : article 49 de la convention I, article 50 de la convention II ; article 129 de la convention III). Aucune restriction n’est apportée quant à la qualité de ces personnes. Toutefois, dès lors que les conventions et le protocole I visent les seules infractions commises en temps de conflit armé international, les auteurs en seront généralement des agents de l’Etat et non des individus agissant à titre privé. Une fois de plus, lorsqu’une restriction est formulée, elle vise l’incrimination de tout ou tous actes commis par l’individu agissant à titre privé, et non par l’agent de l’Etat. 11. Enfin, force est de rappeler qu’une conclusion venant limiter la responsabilité pénale de l’agent de l’Etat par rapport à celle de l’individu agissant à titre privé irait à l’encontre de la pratique interne des Etats en matière d’incrimination pénale. Dans tout Etat démocratique, la loi pénale n’établit aucune distinction selon la qualité de l’auteur, si ce n’est pour retenir la qualité d’agent public comme une circonstance aggravante aux fins de la sanction à imposer à l’auteur de l’infraction considérée. 12. Je conclus qu’il résulte sans équivoque aussi bien du sens ordinaire du texte que de l’objet et du but de la convention, ainsi que de la pratique internationale observée par les Etats en concluant des traités analogues, que l’expression « toute personne » employée au paragraphe 1 de l’article 2 de la CIRFT doit s’entendre comme visant à la fois l’individu agissant à titre privé et l’agent de l’Etat. III. L’interprétation de la définition du terme « fonds » relève du fond 13. S’agissant maintenant de la troisième question évoquée plus haut, à savoir celle de l’interprétation de la définition du terme « fonds » figurant au paragraphe 1 de l’article premier de la CIRFT, la Cour rappelle que, d’après ladite disposition, ce terme s’entend « des biens de toute nature, corporels ou incorporels, mobiliers ou immobiliers, acquis par quelque moyen que ce soit, et des documents ou instruments juridiques sous quelque forme que ce soit, y compris sous forme électronique ou numérique, qui attestent un droit de pro- 674 application of the icsft and cerd (sep. op. pocar) 120 travellers cheques, bank cheques, money orders, shares, securities, bonds, drafts, letters of credit”. 14. The Court addresses the issue of the interpretation of this definition by stating in its Judgment : “This definition covers many kinds of financial instruments and includes also other assets. Since no specific objection to the Court’s jurisdiction was made by the Russian Federation with regard to the scope of the term ‘funds’ and in particular to the reference in Ukraine’s submissions to the provision of weapons, this issue relating to the scope of the ICSFT need not be addressed at the present stage of the proceedings. However, the interpretation of the definition of ‘funds’ could be relevant, as appropriate, at the stage of an examination of the merits.” (Judgment, para. 62.) 15. I agree with the conclusion of the Court that the interpretation of the definition of “funds” is to be left to the stage of an examination of the merits. However, it seems to me that the reasons for reaching that conclusion should have been different. In paragraph 62 of the Judgment, the Court seems to infer that the question of the interpretation of the term “funds” is an issue that could have been the object of a preliminary objection if it had been raised by the Russian Federation, as relating to the scope of the ICSFT and thus possibly affecting the jurisdiction of the Court ratione materiae. I do not believe this is the case. First, it may be misleading to state succinctly that the definition of “funds” contained in Article 1, paragraph 1, of the ICSFT “covers many kinds of financial instruments and includes also other assets” (emphasis added). This provision, actually, refers principally to “assets of every kind, whether tangible or intangible, movable or immovable, however acquired” and refers to legal documents and instruments only as they may evidence title to such assets ; these documents may also include, but are not to be limited to financial instruments. Thus, the provision puts the accent on assets, not on financial instruments, which may come into consideration only as evidence of the entitlement to assets. Considering further that the list of financial instruments is unlimited, in no case these legal documents and financial instruments may play a role in circumscribing the scope of the Convention. 16. As to the assets, the definition provided in paragraph 1 of Article 1 is also unlimited, as the provision refers to “assets of every kind”. In other terms, the issue is not to establish what kind of assets are included in the definition, but whether the ones used in a concrete situation are suitable to be used for committing the acts described in Article 2, paragraph 1 (a) and (b), of the ICSFT. The issue is therefore to establish which assets were actually provided or collected with the intention or the application de la cirft et de la ciedr (op. ind. pocar) 674 120 priété ou un intérêt sur ces biens, et notamment les crédits bancaires, les chèques de voyage, les chèques bancaires, les mandats, les actions, les titres, les obligations, les traites et les lettres de crédit, sans que cette énumération soit limitative ». 14. A propos de l’interprétation de cette définition, la Cour déclare ce qui suit dans son arrêt : « Cette définition englobe de nombreuses sortes d’instruments financiers ainsi que d’autres biens. La Fédération de Russie n’ayant pas soulevé d’exception d’incompétence particulière au sujet de la portée du terme « fonds », et en particulier en ce qui concerne la fourniture d’armes mentionnée par l’Ukraine dans ses conclusions, il n’est nul besoin de traiter de cette question touchant au champ d’application de la CIRFT au stade actuel de la procédure. L’interprétation de la définition de ce terme pourrait toutefois être pertinente, le cas échéant, lors de l’examen au fond. » (Arrêt, par. 62.) 15. Je conviens avec la Cour que l’interprétation de la définition du terme « fonds » est à réserver au stade de l’examen au fond, mais j’estime que la Cour aurait dû motiver cette conclusion autrement. Au paragraphe 62 de l’arrêt, la Cour semble inférer que la question de l’interprétation du terme « fonds » aurait pu donner lieu à une exception préliminaire de la part de la Fédération de Russie, qui aurait porté sur le champ d’application de la CIRFT et aurait donc pu avoir une incidence sur sa compétence ratione materiae. Je ne suis pas de cet avis. Premièrement, en déclarant simplement que la définition du terme « fonds », contenue au paragraphe 1 de l’article premier de la CIRFT, « englobe de nombreuses sortes d’instruments financiers ainsi que d’autres biens » (les italiques sont de moi), la Cour risque d’induire en erreur. En fait, cette disposition vise principalement « des biens de toute nature, corporels ou incorporels, mobiliers ou immobiliers, acquis par quelque moyen que ce soit » et ne vise des documents ou instruments juridiques qu’en tant qu’ils sont susceptibles d’attester l’existence d’un droit de propriété sur ces biens ; lesdits documents peuvent inclure, sans s’y limiter, des instruments financiers. La disposition met ainsi l’accent sur les biens, et non sur les instruments financiers, lesquels ne peuvent être pris en considération que pour autant qu’ils attestent quelque droit de propriété sur de tels biens. Quand on sait en outre que l’énumération des instruments financiers n’est pas limitative, ces documents juridiques et instruments financiers ne sauraient en aucun cas contribuer à circonscrire le champ d’application de la convention. 16. En ce qui concerne les biens, le paragraphe 1 de l’article premier en donne également une définition non limitative, puisqu’il se réfère à des « biens de toute nature ». Autrement dit, il s’agit non pas d’établir la nature des biens compris dans cette définition, mais de rechercher si les biens utilisés dans tel ou tel cas peuvent servir à la commission des actes visés à l’alinéa a) ou b) du paragraphe 1 de l’article 2 de la CIRFT. Il faut donc déterminer quels biens ont effectivement été fournis ou réunis 675 application of the icsft and cerd (sep. op. pocar) 121 knowledge that they were to be used for unlawful purposes as described in Article 2, paragraph 1 (a) and (b). With regard to the existence of the requisite intention of the perpetrator, this issue raises problems of law but especially of fact that are properly a matter for the merits of the case. 17. I note, with respect to questions concerning the existence of the requisite mental elements, that the Court concludes that they “do not affect the scope of the Convention and therefore are not relevant to the Court’s jurisdiction ratione materiae” (Judgment, para. 63). In my opinion, the Court should have adopted a similar reasoning as far as the interpretation of the notion of “funds” is concerned. 18. In conclusion, correctly, in my view, the Russian Federation did not raise the issue of the definition of “funds” to object to the jurisdiction of the Court. Had it done so, such objection should have been rejected for the reasons expressed above. (Signed) Fausto Pocar. application de la cirft et de la ciedr (op. ind. pocar) 675 121 dans l’intention qu’ils soient utilisés aux fins illicites envisagées à l’alinéa a) ou b) du paragraphe 1 de l’article 2, ou en sachant qu’ils le seraient. S’agissant de l’existence de l’intention requise chez l’auteur, cette question soulève des points de droit et surtout de fait qu’il convient d’examiner au stade du fond. 17. Je relève, à propos de l’existence des éléments moraux requis, que la Cour conclut que les questions y afférentes « n’ont pas d’incidence sur la portée de la convention et ne sont donc pas pertinentes pour ce qui est de la compétence ratione materiae » (arrêt, par. 63). A mon avis, la Cour aurait dû raisonner de la même façon en ce qui concerne l’interprétation de la notion de « fonds ». 18. En conclusion, de mon point de vue, la Fédération de Russie a eu raison de ne pas soulever la question de la définition du terme « fonds » pour contester la compétence de la Cour. Toute exception ainsi soulevée aurait dû être rejetée pour les motifs exposés ci- dessus. (Signé) Fausto Pocar.

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Opinion individuelle de M. le juge ad hoc Pocar

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