Opinion dissidente de M. le juge ad hoc Cot

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172-20190614-ORD-01-06-EN
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OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE AD HOC COT
Vote contre le dispositif  Litispendance  Eléments essentiels de la litispendance  Pertinence du remède  Litispendance et organes quasi judiciaires  Règlement des différends de la CIEDR  Interprétation plausible de l’article 22  Autres conditions pour l’indication des mesures conservatoires  Suspension de la procédure.
INTRODUCTION
1. Je suis au regret de ne pouvoir m’associer aux conclusions de la majorité de la Cour. A mon avis, la Cour aurait dû faire droit au moins à la première mesure conservatoire demandée par les Emirats arabes unis. J’estime que, à la lumière de la doctrine de la litispendance, les droits procéduraux allégués par les Emirats arabes unis sont au moins plausibles en vertu de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (ci-après la «CIEDR» ou la «convention») (I), et que les autres conditions pour l’indication de cette mesure sont également remplies (II).
I. LITISPENDANCE ET LA PLAUSIBILITÉ DES DROITS ALLÉGUÉS
2. En ce qui concerne la première mesure conservatoire sollicitée par les Emirats arabes unis, à savoir que la Cour ordonne que le Qatar retire immédiatement la communication qu’il a soumise au Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, les deux Parties ont fait référence à la notion de litispendance, mais ont contesté sa pertinence pour l’article 22 de la CIEDR. Les Emirats arabes unis font valoir que la doctrine de la litispendance exige que la Cour ordonne au Qatar de ne pas poursuivre les procédures parallèles devant le Comité (demande, par. 42). Le Qatar, pour sa part, estime que cette doctrine, même si elle existait, ne s’applique pas au mécanisme de règlement des différends prévu par la convention (CR 2019/6, p. 23, par. 33-35 (Lowe)).
3. Le statut de la doctrine de la litispendance en droit international public n’est pas bien clair. A la différence du principe de l’autorité de la chose jugée, la doctrine de la litispendance ne trouve pas son fondement textuel dans le Statut ou le Règlement de la Cour. La Cour, de même que son prédécesseur, n’a ni affirmé ni rejeté l’applicabilité de la doctrine de la litispendance aux affaires dont elle a été saisie. Toutefois, dans l’affaire relative à Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise, en interprétant la prétention du Gouvernement polonais, le défendeur, la Cour permanente a demandé «si la litispendance, qui a pour objet de prévenir un conflit de choses jugées, peut être invoquée dans les rapports internationaux» (compétence, arrêt no 6, 1925, C.P.J.I. série A no 6, p. 20). La Cour permanente a rejeté sans difficulté la prétention de la Pologne selon laquelle l’action formée par l’Allemagne  le demandeur  au sujet de l’Usine de Chorzów devant la Cour devait être suspendu tant que le Tribunal arbitral mixte germano-polonais n’aura pas rendu sa décision sur l’action relative au même établissement industriel, «car il est évident que les éléments essentiels qui constituent la litispendance ne se rencontrent pas ici» (ibid., p. 20).
4. La Cour permanente ne s’est pas prononcée de manière générale sur la nature et le statut de la doctrine de la litispendance devant elle. Toutefois, le raisonnement ci-dessus suggère que la Cour permanente n’a pas exclu que la doctrine de la litispendance puisse s’appliquer à une affaire devant elle si les «éléments essentiels» sont présents. La première question est donc de savoir quels sont les «éléments essentiels» d’application de la doctrine de la litispendance (A). La question suivante est de savoir si les dispositions de la CIEDR, notamment l’article 22, prévoient une telle conception de la litispendance (B).
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A. Les «éléments essentiels» de la litispendance
5. En rejetant l’applicabilité de la litispendance, la Cour permanente dans l’affaire relative à Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise s’est référée au fait que les plaideurs n’étaient pas les mêmes, que deux demandes n’étaient pas identiques, et que les tribunaux arbitraux mixtes et la Cour permanente «n[’étaient] pas des juridictions du même ordre» (ibid., p. 20). Contrairement à la précision du premier élément, les deux derniers éléments ne sont pas dépourvus d’ambiguïté, de sorte qu’une clarification supplémentaire est nécessaire. En particulier, la question est de savoir si, pour reconnaître l’identité de deux demandes, au-delà de l’identité des faits et des arguments juridiques, les remèdes sollicités dans les deux procédures devraient également être identiques (1). En outre, en ce qui concerne l’identité de deux juridictions «du même ordre», il faut savoir si la doctrine de la litispendance ne s’applique qu’à la concurrence entre deux organes judiciaires, à l’exclusion des procédures parallèles entre un organe judiciaire et un organe quasi judiciaire (2).
1. Pertinence du remède sollicité
6. Le Qatar fait valoir que les remèdes qu’il sollicite devant la Cour et devant le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale ne sont pas identiques, parce qu’il a simplement demandé au Comité, dans sa communication, de transmettre cette communication aux Emirats arabes unis afin que ceux-ci a) y répondent dans le délai de trois mois et b) prennent toutes les mesures nécessaires pour faire cesser les mesures coercitives. Le Qatar soutient en outre que sa note verbale du 29 octobre 2018 transmise au Comité était une simple demande d’assistance d’une commission de conciliation. Selon lui, cela contraste avec les remèdes demandés dans la présente affaire, qui veulent de la Cour qu’elle statue et déclare une série de violations du droit international et qu’elle ordonne aux Emirats arabes unis de prendre une série de mesures (CR 2019/6, p. 24, par. 38-40 (Lowe)).
7. Toutefois, la demande du Qatar de transmettre sa communication aux Emirats arabes unis et la demande formulée dans la note verbale du 29 octobre 2018 n’étaient que des étapes de procédure à suivre conformément aux paragraphes 1 et 2 de l’article 11 de la convention. Il ne s’agit pas de remèdes à proprement parler. En substance, dans sa communication au Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, le Qatar se plaint que les Emirats arabes unis ont violé les obligations découlant des dispositions de la convention, notamment les articles 2, 4, 5 et 6 (voir le paragraphe 57 de la communication). Il ne semble pas y avoir de désaccord entre les Parties sur le point que les fondements factuels de ces allégations sont virtuellement identiques à ceux qui figurent dans la requête présentée à la Cour. Il demande ensuite aux Emirats arabes unis de prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre fin aux mesures coercitives qui, selon lui, constituent une violation du droit international et de ses obligations prévues dans la convention (voir le paragraphe 123 de la communication). A mon avis, cela est suffisant pour conclure que les remèdes sollicités par le Qatar devant le Comité et devant la Cour sont essentiellement identiques. Par conséquent, les remèdes sollicités par le Qatar, s’ils sont pertinents pour l’application de la doctrine de la litispendance, confirment l’identité des demandes présentées par le Qatar devant les deux organes.
2. Litispendance et organes quasi judiciaires
8. Le Qatar maintient que la doctrine de la litispendance, même si elle existe, ne s’applique qu’aux questions de concurrence entre tribunaux judiciaires et qu’elle n’est donc pas applicable en l’espèce parce que ni le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale ni la Commission de conciliation ad hoc prévue par l’alinéa a) du paragraphe 1 de l’article 12 de la convention ne constitue pas un organe judiciaire (CR 2019/6, p. 23, par. 33-35 (Lowe)). Le Qatar souligne qu’il
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n’y a aucune possibilité d’obligations contradictoires dans les circonstances présentes, étant donné que la procédure du Comité ne peut aboutir à l’imposition d’une obligation aux Parties (CR 2019/8, p. 23, par. 27 (Lowe)).
9. Toutefois, il n’est pas clair que seuls les conflits entre décisions contraignantes posent des problèmes dans les rapports internationaux et que les contradictions de décisions non contraignantes n’ont pas besoin d’être résolues ou évitées. La constatation du tribunal arbitral dans l’affaire de l’Usine de MOX selon laquelle «une procédure qui pourrait aboutir à deux décisions contradictoires sur la même question ne serait pas utile au règlement du différend entre les parties» (ordonnance n° 3, suspension de la procédure sur compétence et fond, et demande de nouvelles mesures conservatoires, le 24 juin 2003, par. 29) est valide quel que soit le caractère obligatoire ou non de la décision en cause. Le point de vue étroit du Qatar semble ignorer le rôle important des organes quasi judiciaires dans l’ordre juridique international moderne et ne tient pas compte de la multiplication des modes de règlement des différends internationaux.
10. Le processus de règlement des différends prévu par la CIEDR se trouve également parmi ces modes modernes de règlement des différends. Une Commission de conciliation ad hoc prévue par l’alinéa a) du paragraphe 1 de l’article 12 de la convention met ses bons offices à la disposition des Etats intéressés, afin de parvenir à une solution amiable qui est «fondée sur le respect de la présente Convention». En outre, le paragraphe 1 de l’article 13 de la convention prévoit qu’un rapport préparé par la Commission de conciliation ad hoc doit contenir ses conclusions «sur toutes les questions de fait relatives au litige entre les parties» et renfermer les recommandations «qu’elle juge opportunes en vue de parvenir à un règlement amiable au différend». Le mécanisme de règlement des différends entre Etats prévu par la CIEDR revêt donc un caractère quasi judiciaire dans la mesure où il aboutit à des conclusions de fait et de droit, fondées sur le respect des dispositions applicables de la convention. Il serait trop formaliste de supposer qu’un Etat partie d’un différend puisse ignorer une recommandation d’une Commission de conciliation ad hoc ou celle du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale lorsqu’elle contient une conclusion différente d’une décision éventuelle de la Cour.
11. Par conséquent, j’estime que la doctrine de la litispendance devrait être comprise d’une manière adaptative afin qu’elle puisse s’appliquer également aux problèmes de concurrence entre organes judiciaires et quasi judiciaires. Cette perspective est particulièrement importante lorsqu’on interprète des dispositions conventionnelles telles que l’article 22 de la CIEDR, qui prévoit de multiples modes de règlement des différends, mais avec quelques ambiguïtés quant à leurs relations. J’aborderai donc cette question dans la section suivante.
B. Litispendance et le règlement des différends de la CIEDR
12. Les dispositions de la CIEDR lues à la lumière de la doctrine de la litispendance examinée ci-dessus montrent que le droit procédural de ne pas être contraint de se défendre contre les mêmes allégations dans le cadre de procédures engagées en parallèle est au moins plausible (1). On constate également que l’ordonnance de la Cour n’exclut pas cette interprétation (2).
1. Une interprétation plausible de l’article 22
13. Au stade des mesures conservatoires, il n’est pas nécessaire de conclure définitivement à l’existence d’un droit allégué. La Cour peut exercer son pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires si elle est convaincue que les droits revendiqués sont «à tout le moins plausibles» (Violations alléguées du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955 (République
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islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), mesures conservatoires, ordonnance du 3 octobre 2018, par. 53). La présente ordonnance ne semble pas s’écarter de cette jurisprudence (voir le paragraphe 18).
14. A mes yeux, une interprétation possible de l’article 22 de la CIEDR permet de considérer que le mécanisme de règlement des différends prévu par la convention devrait être épuisé avant que la Cour ne soit saisie de l’affaire. La Cour, dans l’affaire Géorgie c. Fédération de Russie, a interprété que «les termes de l’article 22 … établissent des conditions préalables auxquelles il doit être satisfait avant toute saisine de la Cour» (Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 128, par. 141 ; les italiques sont de moi). Il s’ensuit alors que la procédure devant le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, si elle est pendante, doit être conclue avant la saisine de la Cour. Cela peut être considéré comme un mode de contrôle conventionnel de la litispendance. A mon avis, si plusieurs modes de règlement des différends sont envisagés par un traité avec un certain ordre à suivre, des parties à un différend concernant ce traité ont le droit procédural de prévoir que cet ordre est bien respecté. Il s’ensuit que, sur la base de l’article 22, les parties à un différend relatif à la CIEDR peuvent attendre légitimement que le différend ne puisse être pendant simultanément devant la Cour et devant le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale.
2. La Cour n’exclut pas cette interprétation de l’article 22
15. J’estime que l’ordonnance que la Cour a rendue aujourd’hui n’exclut pas que cette interprétation de l’article 22 soit au moins plausible. La Cour a conclu que la première mesure demandée «ne concerne pas un droit plausible au regard de la CIEDR», et que cette mesure «concerne en réalité l’interprétation de la clause compromissoire énoncée à l’article 22 de la CIEDR» (voir le paragraphe 25). Toutefois, la Cour dans l’affaire relative à des Usines de pâte à papier a conclu qu’elle était compétente pour connaître de la demande en indication des mesures conservatoires concernant «le droit invoqué par l’Uruguay de voir la Cour statuer sur le fond de la présente affaire en vertu de l’article 60 du statut de 1975» (Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), mesures conservatoires, ordonnance du 23 janvier 2007, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 11, par. 29). Autrement dit, la Cour a conclu que l’article 60 du Statut de 1975  la clause compromissoire permettant aux parties de porter un différend devant la Cour  confère un droit procédural pouvant bénéficier de la protection des mesures conservatoires. Le fait que les droits allégués puissent porter sur l’interprétation d’une clause compromissoire n’empêche donc pas la Cour de conclure que ces droits doivent être préservés par des mesures conservatoires dans la mesure où ils sont plausibles. A mon avis, la question de savoir si les droits procéduraux allégués existent est intrinsèquement liée à celle de savoir «s’il est permis de mener des procédures devant le Comité de la CIEDR alors que la Cour est saisie de la même question» (voir le paragraphe 25).
16. Le paragraphe 25 de l’ordonnance mentionne en outre que la Cour s’est déjà penchée sur la question des procédures parallèles dans son ordonnance du 23 juillet 2018 et conclut que la Cour «ne voit aucune raison de s’écarter de ces vues au stade actuel de la procédure en l’espèce». Toutefois, la Cour, dans son ordonnance du 23 juillet 2018, a estimé qu’il n’était pas nécessaire de déterminer si une exception de litispendance serait applicable dans le cas d’espèce au motif que les conditions procédurales préalables à sa saisine énoncées à l’article 22 de la CIEDR apparaissent avoir été remplies (Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Qatar c. Emirats arabes unis), mesures conservatoires, ordonnance du 23 juillet 2018, p. 420-421, par. 39-40). A mon avis, la Cour n’est jamais parvenue à une conclusion particulière quant à savoir si l’article 22 de la convention contient le droit procédural des Etats parties de ne pas être contraint de se défendre dans des procédures parallèles.
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17. Je souligne qu’il ne s’agit ici que d’une interprétation possible de l’article 22 et qu’elle ne préjuge donc pas de la conclusion définitive de la Cour à un stade subséquent de l’affaire. La plausibilité d’un droit découlant d’un traité est parfois fondée sur une interprétation possible des dispositions de ce traité (voir, par exemple, Violations alléguées du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955 (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), mesures conservatoires, ordonnance du 3 octobre 2018, par. 67). Toutefois, une telle interprétation plausible présentée au stade des mesures conservatoires n’empêche pas la Cour de parvenir ultérieurement à une interprétation différente après un examen complet de l’affaire.
II. LES AUTRES CONDITIONS POUR L’INDICATION DES MESURES CONSERVATOIRES
18. Au-delà de la plausibilité du droit procédural revendiqué, je considère que les autres conditions pour l’indication des mesures conservatoires sont également remplies. Premièrement, la compétence prima facie de la Cour pour connaître d’une demande en indication de mesures conservatoires introduite par le défendeur est examinée au regard du fond de l’affaire introduite par le demandeur (Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), mesures conservatoires, ordonnance du 23 janvier 2007, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 10, par. 24), et la Cour a déjà confirmé sa compétence prima facie sur cette base dans son ordonnance du 23 juillet 2018 (Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Qatar c. Emirats arabes unis), mesures conservatoires, ordonnance du 23 juillet 2018, p. 421, par. 41). La présente ordonnance ne semble pas s’écarter de cette conclusion (voir le paragraphe 16).
19. Deuxièmement, en ce qui concerne «le lien entre les droits allégués dont la protection est recherchée par les mesures conservatoires sollicitées et l’objet de l’instance pendante devant la Cour sur le fond de l’affaire» (Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), mesures conservatoires, ordonnance du 23 janvier 2007, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 10, par. 27), je suis d’avis que le droit procédural revendiqué par les Emirats arabes unis a un lien suffisant avec l’objet de l’instance pendante devant la Cour sur le fond de l’affaire, car il s’agit de droit de ne pas être contraint de se défendre au sujet du différend porté par le Qatar.
20. Troisièmement, j’estime que la situation de litispendance «risque d’entraîner des conséquences irréparables» (voir Violations alléguées du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955 (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), mesures conservatoires, ordonnance du 3 octobre 2018, par. 77), car une défense insatisfaisante de la part des Emirats arabes unis en raison des procédures parallèles peut influencer irréparablement les décisions finales de la Cour ou du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, ou les deux.
21. Ayant conclu que toutes les conditions sont remplies, je suis d’avis que la première demande en indication de mesures conservatoires des Emirats arabes unis aurait dû être accordée. La dernière question est donc de savoir quelle était la mesure à adopter pour aborder de manière appropriée la situation de la litispendance. A cet égard, le Qatar a suggéré que le retrait immédiat par le Qatar de la communication qu’il a soumise au Comité pour l’élimination de la discrimination raciale risque de lui causer un préjudice disproportionné (CR 2019/6, p. 55-56, par. 1-5 (Klein)).
22. A mon avis, un retrait immédiat n’était pas le seul moyen de régler la situation de litispendance. Si la mesure demandée par les Emirats arabes unis pouvait avoir un effet disproportionné pour le Qatar, la Cour aurait pu rendre une ordonnance prévoyant la suspension de la procédure devant le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, en indiquant que le
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Qatar doit prendre toutes les mesures dont il dispose pour que la procédure devant le Comité soit suspendue tant que la décision définitive en la présente instance n’aura pas été rendue. Alternativement, la Cour aurait pu exercer le pouvoir que lui confère le paragraphe 1 de l’article 75 du Règlement de la Cour pour conclure, par exemple, qu’elle décide que la présente instance est suspendue, jusqu’à ce que le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale rende sa conclusion finale sur la communication portée par le Qatar. En réalité, la suspension de la procédure se trouve dans la pratique internationale. Le tribunal arbitral dans l’affaire de l’Usine MOX a décidé de suspendre sa propre procédure dans une situation similaire (ordonnance n° 3, suspension de la procédure sur compétence et fond, et demande de nouvelles mesures conservatoires, le 24 juin 2003, par. 29). Le Gouvernement polonais dans l’affaire relative à Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise a demandé une suspension plutôt qu’un retrait de la procédure devant la Cour permanente face aux procédures prétendument parallèles devant elle et le Tribunal arbitral mixte germano-polonais (compétence, arrêt no 6, 1925, C.P.J.I. série A no 6, p. 19). En plus, les Emirats arabes unis eux-mêmes dans le cas d’espèce ont évoqué la possibilité de suspendre la procédure (CR 2019/5, p. 29, par. 6 (Reisman)). J’estime qu’une telle suspension au lieu d’un retrait ne causerait pas de préjudice disproportionné au Qatar.
23. Quoi qu’il en soit, je suis d’avis que la Cour aurait dû indiquer une mesure conservatoire pour régler la situation de litispendance, soit par le retrait, soit par la suspension de la procédure. Pour ces raisons, j’ai voté contre le dispositif de la présente ordonnance.
(Signé) Jean-Pierre COT.
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