Déclaration commune de MM. les juges Cançado Trindade et Robinson

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169-20190225-ADV-01-05-EN
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DÉCLARATION COMMUNE DE MM. LES JUGES CANÇADO TRINDADE ET ROBINSON
[Traduction]
1. En plus de nos opinions individuelles respectives, nous estimons devoir présenter cette déclaration commune compte tenu de l’importance que nous attachons au contenu normatif des résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies s’appliquant à la question traitée dans le présent avis consultatif. Selon nous, la Cour aurait dû attacher plus d’importance à la valeur de résolutions essentielles telle que les résolutions 1188 (XII) du 11 décembre 1957, 1514 (XV) du 14 décembre 1960, 2621 (XXV) du 12 octobre 1970 et 2625 (XXV) du 24 octobre 1970. En négligeant ces résolutions, la Cour a affaibli leur valeur dans le développement, en droit international général, du droit fondamental à l’autodétermination.
2. Les résolutions adoptées par l’Assemblée générale avant 19601 témoignent d’un engagement ferme en faveur des droits humains fondamentaux : elles affirment la dignité et la valeur de la personne humaine ainsi que le respect du principe de l’égalité des droits. Ces résolutions ont jeté les fondations nécessaires à l’élaboration du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, droit qui a trouvé sa formulation définitive dans la résolution historique 1514 (XV) de l’Assemblée générale en date du 14 décembre 1960 (ci-après la «déclaration de 1960»). La déclaration de 1960 a marqué une étape essentielle pour l’humanité dans l’évolution du droit international s’agissant du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Si l’on veut bien se souvenir qu’en 1960, un tiers au moins de la population mondiale vivait encore sous domination coloniale, la déclaration doit être considérée comme une gigantesque avancée sur la voie de la libération et de la justice. Soutenue par la création, le 27 novembre 1961, du comité spécial chargé de surveiller son application2, la déclaration de 1960 témoigne de la volonté manifeste de l’Assemblée générale de réaliser, en droit international, le droit à l’autodétermination. En effet, elle constituait l’affirmation de ce droit en tant que norme universellement applicable à laquelle il était, par conséquent, impossible de déroger.
3. L’Assemblée générale a joué un rôle très actif pour garantir l’achèvement du processus de décolonisation à travers le monde, grâce notamment à l’adoption de plusieurs résolutions réaffirmant les dispositions de la déclaration de 1960 et surveillant son application au fil des années3.
1 Voir, par exemple, résolution 9 (I) de l’Assemblée générale en date du 9 février 1946, Populations qui ne s’administrent pas elles-mêmes ; résolution 566 (VI) de l’Assemblée générale en date du 18 janvier 1952, Participation des territoires non autonomes aux Travaux du Comité des renseignements relatifs aux territoires non autonomes ; résolution 545 (VI) de l’Assemblée générale en date du 5 février 1952, Insertion dans le Pacte ou les Pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme d’un article sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, se référant à la résolution 421 (V) de l’Assemblée générale en date du 4 décembre 1950 ; résolution 637 (VII) de l’Assemblée générale en date du 16 décembre 1952, Droit des peuples et des nations à disposer d’eux-mêmes ; résolution 738 (VIII) de l’Assemblée générale en date du 28 novembre 1953, Le droit des peuples et des nations à disposer d’eux-mêmes ; résolution 1188 (XII) de l’Assemblée générale en date du 11 décembre 1957, Recommandations concernant le respect, sur le plan international, du droit des peuples et des nations à disposer d’eux-mêmes ; résolution 1466 (XIV) de l’Assemblée générale en date du 12 décembre 1959, Participation des territoires non autonomes aux travaux de l’ONU et des Institutions spécialisées.
2 Résolution 1654 (XVI) de l’Assemblée générale en date du 27 novembre 1961, La situation en ce qui concerne l’application de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux.
3 Voir, par exemple , résolution 1654 (XVI) de l’Assemblée générale en date du 27 novembre 1961, La situation en ce qui concerne l’application de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux ; résolution 1956 (XVIII) de l’Assemblée générale en date du 11 décembre 1963, La situation en ce qui concerne l’application de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux ; résolution 2189 (XXI) de l’Assemblée générale en date du 13 décembre 1966, Application de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux.
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4. La déclaration de 1960 a cristallisé le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes en droit international général. Son importance cruciale a été par la suite confirmée par la Cour dans son avis consultatif de 1975 sur le Sahara occidental, dans lequel elle déclarait en particulier qu’elle «a été la base du processus de décolonisation qui s’est traduit, depuis 1960, par la création de nombreux Etats, aujourd’hui Membres des Nations Unies»4.
5. La déclaration sur les relations amicales5, adoptée en 1970, (ci-après la «déclaration de 1970») a réaffirmé les éléments constitutifs du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, plus particulièrement l’obligation de respecter l’intégrité territoriale des territoires non autonomes ainsi que, élément majeur, la volonté librement exprimée des peuples intéressés de mettre rapidement fin au colonialisme. La déclaration de 1970 constitue un nouvel exemple de la grande valeur des résolutions de l’Assemblée générale pour ancrer solidement le droit à l’autodétermination dans le droit international général.
6. En insistant, année après année, sur l’importance du droit fondamental des peuples à obtenir leur liberté et leur indépendance en tant que norme majeure du droit international, l’Assemblée générale est parvenue, grâce à ses résolutions et à leur application, à mener presque entièrement à bien le processus de décolonisation à travers le monde. Le présent avis consultatif doit être replacé dans cette perspective historique.
7. Compte tenu de la pertinence des résolutions de l’Assemblée générale pour les questions soulevées devant la Cour, il aurait fallu accorder une plus grande importance à leur valeur. On ne peut mettre en cause la valeur normative de ces résolutions en la matière : elles sont la preuve du développement continu de l’opinio juris communis en droit international coutumier.
8. Dans le présent avis consultatif, la Cour aurait dû examiner avec plus de soin l’importance des résolutions de l’Assemblée générale dans la consolidation du droit à l’autodétermination et, compte tenu de la pertinence du jus cogens pour les questions soulevées dans la procédure, elle aurait également dû se prononcer sur le caractère impératif (jus cogens) de ce droit.
(Signé) Antônio Augusto CANÇADO TRINDADE.
(Signé) Patrick ROBINSON.
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4 Sahara occidental, avis consultatiSahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueilf, C.I.J. Recueil 19751975, p., p. 32, par.32, par. 57.57.
5 RésolutionRésolution 26252625 (XXV)(XXV) de l’Assemblée générale en date du 24de l’Assemblée générale en date du 24 octobreoctobre 1970, 1970, Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies.

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