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153-20180322-ORA-01-01-BI
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CR 2018/8 (traduction)
CR 2018/8 (translation)
Jeudi 22 mars 2018 à 10 heures
Thursday 22 March 2018 at 10 a.m.
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Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte. La Cour se réunit ce matin pour entendre le début du premier tour de plaidoiries du Chili.
Je donne la parole à M. Claudio Grossman Guiloff, agent du Chili. Vous avez la parole.
M. GROSSMAN :
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est un honneur pour moi que de me présenter devant vous en tant qu’agent du Chili. Je saisis l’occasion pour saluer la présence de M. Roberto Ampuero, ministre chilien des affaires étrangères, ainsi que d’autres représentants du Gouvernement et membres du Sénat et du corps diplomatique chiliens. Je salue aussi respectueusement nos contradicteurs boliviens, à commencer par M. le ministre des affaires étrangères, Fernando Huanacuni. De même que les Boliviens suivent ces audiences avec attention, les Chiliens ont eux aussi les yeux rivés sur leurs télévisions ou écrans d’ordinateur, et scrutent minute par minute les articles consacrés aux événements de «La Haya».
2. Monsieur le président, le Chili vient de tenir ses septièmes élections libres et régulières depuis le retour de la démocratie en 1990. Le 11 mars, notre nouveau président, M. Sebastian Piñera, et notre nouveau congrès ont prêté serment. Nous sommes fiers de l’engagement profond du Chili en faveur de la primauté du droit, de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance de la justice. Notre pays entend favoriser l’autonomie de son peuple en respectant les droits et libertés de tous les citoyens et en en leur offrant les meilleures perspectives.
3. L’action du Chili dans la communauté internationale est marquée par le respect du droit international, de la paix, des droits de l’homme et de la coopération bilatérale ou multilatérale, et par un attachement sans faille à ces objectifs. Le Chili joue un rôle moteur au sein de l’Organisation des Nations Unies et, malgré sa population relativement faible et sa situation géographique, fournit des forces de maintien de la paix à des opérations dans le monde entier. Le rôle que le Chili a joué dans les accords de paix historiques conclus entre le Gouvernement de la Colombie et sa principale opposition armée en septembre 2016 est un autre exemple de son engagement en faveur de la paix et du règlement pacifique des différends internationaux.
4. Le Chili a ratifié presque tous les traités relatifs aux droits de l’homme et participe activement aux organisations internationales régionales et mondiales pour traiter dans la
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coopération les questions intéressant l’humanité toute entière ; il joue un rôle de premier plan dans la protection des océans, la lutte contre le changement climatique et la promotion du développement durable. Le Chili est fier de l’action qu’il mène au sein des organisations de coopération et d’intégration régionales, parmi lesquelles l’Organisation des Etats américains, l’Union des nations sud-américaines, la Communauté des Etats d’Amérique latine et des Caraïbes, et l’Alliance pacifique. Il y a quelques jours, il a ainsi, avec 11 autres pays, signé à Santiago l’accord de partenariat transpacifique global et progressiste.
5. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, le Chili et ses voisins vivent en paix depuis plus d’un siècle. Comme vous le savez, le Chili et la Bolivie ont conclu en 1904 un traité de paix et d’amitié qui a entièrement réglé toutes les questions territoriales pendantes entre les deux Etats. Par ce traité, ceux-ci sont convenus de l’intégralité de la frontière qui les sépare1. Le Chili a par ailleurs reconnu à la Bolivie, «à titre perpétuel, un droit de transit commercial absolu et inconditionnel sur son territoire et dans ses ports situés sur le Pacifique», ainsi que d’autres privilèges et avantages, parmi lesquels la construction de voies de chemin de fer alors essentielles à son développement2.
6. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, permettez-moi d’être tout à fait clair. Le traité de paix de 1904 constitue un règlement exhaustif accepté par les deux Etats. Il n’y a pas eu d’«entente historique» échappant à la portée de cet instrument.
7. Plutôt qu’un mur, comme la Bolivie tente de le faire accroire à la Cour, le traité de paix de 1904 constitue un pont entre nos deux peuples, les Parties y ayant l’une et l’autre librement consenti. Il est la pierre angulaire de notre relation bilatérale, à partir de laquelle le Chili et la Bolivie ont par la suite conclu des accords portant sur le commerce, les migrations et la coopération. Le traité de paix de 1904 garantit à la Bolivie un accès sans restriction au territoire chilien pour le transport de marchandises dans les deux sens. Le principal port utilisé par la Bolivie à cette fin est situé à Arica, où, au cours de ces dernières années, près de 80 % du fret était
1 Traité de paix et d’amitié entre la Bolivie et le Chili, signé à Santiago le 20 octobre 1904 (ci-après le «traité de paix de 1904»), CMC, annexe 106, article II.
2 Traité de paix de 1904, CMC, annexe 106, articles III et VI.
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bolivien3. Le demandeur y jouit d’importants avantages en matière d’entreposage et y est exonéré de droits de douane, comme il l’est à Antofagasta4. Le Chili a en outre mis à la disposition de la Bolivie des installations permettant un libre transit par le port d’Iquique5, mais celle-ci n’a pas souhaité les utiliser.
8. De fait, le Chili a fait bien plus que ce que lui imposait le traité. Ces dernières années, il a construit trois nouvelles installations frontalières, élargi et modernisé les routes reliant la Bolivie aux ports d’Arica, d’Iquique et d’Antofagasta, et modernisé les équipements portuaires à Arica en multipliant par quatre la capacité d’entreposage totale, ce qui a occasionné pour lui des coûts importants6. La Bolivie est l’un des rares pays au monde à exercer ses pouvoirs douaniers dans les ports d’un autre pays.
9. Le régime juridique établi par le traité de paix de 1904, y compris l’accès de la Bolivie à la mer, n’a été affecté par aucun changement politique intervenu dans l’un ou l’autre pays.
10. Et pourtant, la Bolivie ne se satisfait pas de son accès libre et perpétuel aux ports chiliens. Elle veut changer la nature de son accès à la mer, revenant ainsi sur ce qu’elle a librement accepté en 1904. Le demandeur veut que le Chili lui cède une partie de son territoire côtier, territoire incontesté sur lequel celui-ci n’a cessé d’exercer sa souveraineté pendant plus d’un siècle ; territoire où se trouvent Arica et Parinacota, où vivent et travaillent quelque 300 000 chiliens.
11. La Bolivie souhaite à la fois récrire l’histoire d’une guerre du 19e siècle et reviser le traité de paix de 1904. Autrement dit, elle prétend que sa demande respecte l’arrêt que la Cour a rendu en 2015 sur l’exception préliminaire, alors qu’en réalité, elle ne tient aucun compte de cette décision. La Cour a en effet indiqué clairement que la présente affaire ne portait ni sur le statut
3 Memoria Puerto de Arica 2016, p. 60, peut être consulté sur le site Internet http://www.puertoarica.cl/www/descargas/Memorias/memoria_2016.pdf (consulté le 20 March 2018).
4 Circulaire chilienne no 36 relative à la perception de l’impôt sur le revenu concernant les personnes et biens en transit depuis ou vers la Bolivie, 20 juin 1951 (EPC, annexe 45(A)) ; Empresa Portuaria de Chile, résolution no 99 du 26 décembre 1996, CMC, annexe 313, article 2 ; convention de commerce, signée à Santiago le 6 août 1912, EPC, annexe 34, article I ; convention de transit, signée à Santiago le 16 août 1937, EPC, annexe 44, article I.
5 Autorisation de libre transit accordée par le port d’Iquique à la République de Bolivie, conformément au traité de paix, d’amitié et de commerce de 1904 conclu entre le Chili et la Bolivie, et établissement d’un bureau de douane bolivien à Iquique, par le décret no 141 du 13 mai 2008, peut être consulté sur le site Internet https://www.leychile.cl/Navegar?idNorma=272761 (consulté le 20 mars 2018).
6 Ministère des affaires étrangères du Chili, «le Sous-secrétaire Riveros assiste à l’inauguration de la zone d’extension du port d’Arica» (26 avril 2016), peut être consulté sur le site Internet : https://minrel.gob.cl/subsecretario-riveros-asiste-a-inauguracion-de-zo… (consulté le 20 mars 2018).
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juridique du traité de paix de 1904, ni sur une obligation de résultat7. Le véritable objet du différend qui oppose les deux Etats est le point de savoir si le Chili est tenu de négocier de bonne foi l’accès souverain de la Bolivie à la mer et, si tel est le cas, s’il a manqué à cette obligation8. La Bolivie a présenté à la Cour une demande formulée en des termes dont elle savait qu’ils ne pouvaient être acceptés ; puis elle a modifié cette demande chaque fois que l’occasion s’est présentée, dans l’espoir d’obtenir tout de même quelque chose. Le fait demeure cependant que cette demande est indéfendable et doit être rejetée dans son intégralité.
12. La Bolivie déforme à la fois les faits et le droit.
a) Premièrement, ainsi que nous l’avons précisé dans nos écritures, la violation par la Bolivie des termes d’un traité datant de 1874 et son refus de régler ce différend par voie d’arbitrage ont été les véritables causes de la guerre du Pacifique, ce à quoi il convient d’ajouter l’expulsion collective arbitraire de Chiliens et la confiscation de leurs biens9. A cet égard, le Chili rappelle à la Bolivie que la Cour n’a pas pour mission de statuer sur l’histoire ou sur le résultat de la guerre du Pacifique.
b) Deuxièmement, le Chili rejette catégoriquement la manière dont la Bolivie décrit son comportement, et il est déçu par cette attitude. C’est la Bolivie qui, à maintes reprises, a mis fin aux négociations et rompu les relations diplomatiques avec lui. Pour sa part, il a mené de bonne grâce des échanges diplomatiques et des discussions bilatérales avec elle. A différentes époques, de différentes manières et motivé par des considérations différentes, il a cherché à examiner les aspirations et souhaits de la Bolivie visant à améliorer son accès à l’océan Pacifique. Le fait qu’un Etat soit disposer à engager un dialogue diplomatique avec ses voisins ne crée cependant pas une obligation juridique de négocier ni, à fortiori, de parvenir à un accord. Aucun des échanges entre les deux Etats n’était fondé sur l’existence de pareille obligation.
c) Troisièmement, et ainsi que la Cour l’a déjà établi, le traité de paix de 1904 n’est pas en cause en la présente instance, et il ne saurait l’être. La souveraineté du Chili sur l’intégralité du
7 Affaire relative à l’Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili), exception préliminaire, C.I.J. Recueil 2015, p. 604, par. 32.
8 Ibid., par. 32-33.
9 Voir CMC, par. 2.21-2.23.
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territoire terrestre situé entre la Bolivie et l’océan Pacifique a été établie pleinement et à titre perpétuel en 1904. Il s’ensuit que la Bolivie n’a aucun droit sur ce territoire, l’arrêt de la Cour sur l’exception préliminaire partant d’ailleurs du principe que le demandeur ne réclame pas un tel droit. Comme la Bolivie le sait parfaitement, l’article VI du pacte de Bogotá exclut de la compétence de la Cour les questions déjà réglées au moyen d’une entente ou régies par des traités en vigueur en 1948.
13. La Bolivie a indiqué que sa demande était fondée sur une prétendue obligation de négocier un accès souverain ; ce qu’elle entend exactement par là a cependant beaucoup changé en cours d’instance, y compris encore cette semaine. La dernière tentative du demandeur pour revenir sur le règlement intervenu en 1904 repose sur des allégations d’ordre général invoquant une injustice historique. Réparer une injustice ne saurait toutefois consister à demander à la Cour de sortir de son rôle judiciaire, à faire fi de la décision que celle-ci a rendue en 2015 ou à traiter le Chili comme un méchant cherchant à isoler la Bolivie, et ce, sur la base d’allégations totalement infondées et erronées.
14. Contrairement à ce que nous avons entendu cette semaine10, la demande de la Bolivie n’est ni simple ni modeste. Celle-ci a présenté moult versions de ladite demande, chacune dénotant un manque de confiance considérable dans la précédente. En nous présentant lundi la dernière version en date, qui est aussi la plus extrême, le demandeur a tenté de fonder une obligation de négocier la cession d’un territoire souverain sur «l’appartenance à la communauté des nations»11. Les conséquences de cette assertion sur les relations internationales donnent le vertige. Celle-ci est également la preuve criante que le demandeur ne croit pas vraiment lui-même à l’existence d’un accord, d’une déclaration unilatérale ou de toute autre forme de comportement ayant établi une obligation de négocier.
15. Ces acrobaties ne font que révéler les véritables intentions de la Bolivie. Celle-ci demande à la Cour de dire que le Chili a l’obligation juridique «de négocier avec [elle] en vue de parvenir à un accord [lui] octroyant … un accès pleinement souverain à l’océan Pacifique»12. Alors
10 CR 2018/6, p. 58, par. 2 et p. 60, par. 10 (Lowe).
11 CR 2018/6, p. 62, p. 20 (Lowe).
12 REB, p. 192 a).
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que, dans ses plaidoiries sur l’exception préliminaire du Chili en 2015, elle était revenue en arrière pour invoquer une obligation de comportement et non plus une obligation de résultat13, la Bolivie a par la suite continué d’affirmer que le Chili avait l’obligation de négocier en vue de parvenir à un accord lui octroyant un accès souverain. Eh bien, en dépit des manoeuvres du demandeur pour que la Cour se déclare compétente lors de la phase de l’exception préliminaire, ce que celui-ci entend par «accès souverain» est désormais tout à fait clair ; cela signifie cession de territoire14.
16. Ce que la Bolivie tente d’obtenir de la Cour est que celle-ci prescrive une négociation conduisant à un accord par lequel un territoire chilien souverain lui serait cédé. Selon elle, cette obligation de négocier a une durée infinie et ne s’éteindra jamais tant qu’elle n’aura pas obtenu le résultat spécifique qu’elle recherche. Aucun document et aucune déclaration invoquée par le demandeur ne permet d’étayer l’existence de pareille obligation, que ce soit en droit ou en fait ; la nouvelle argumentation de la Bolivie fondée sur le droit international général ne le permet pas davantage.
17. En dehors de l’enceinte du palais de la paix, le demandeur s’est toutefois exprimé plus librement sur ses réelles motivations. Il a ainsi confirmé qu’il était ici pour mettre en oeuvre la prescription énoncée dans sa constitution de 2009, qui proclame le «droit inaliénable et imprescriptible [de la Bolivie] sur le territoire donnant accès à l’océan Pacifique et à son espace maritime»15. Cette constitution fait également obligation au pouvoir exécutif de dénoncer ou de renégocier les traités qui lui sont contraires16. En 2013, le Sénat bolivien a déclaré que l’obligation constitutionnelle de dénoncer et de renégocier ces traités pourrait être exécutée en utilisant les juridictions internationales pour les contester17. A peine deux mois plus tard, la Bolivie déposait sa requête devant la Cour. Ce sont ces prescriptions constitutionnelles qui sont à l’origine de la présente affaire, et non un quelconque comportement du Chili.
13 CR 2015/21, p. 18, par. 9 (Forteau) et p. 27-28, par. 11 (Remiro Brotóns).
14 Voir, notamment, REB, par. 185, 216, 268, 342 et 346.
15 Constitution politique de l’Etat plurinational de Bolivie, 7 février 2009, DC, annexe 447, par. 1 de l’article 267.
16 Ibid., 7 février 2009, DC, annexe 447, neuvième disposition transitoire.
17 Loi bolivienne sur l’application de dispositions normatives — exposé des motifs, 6 février 2013, EPC, annexe 71, art. 6.
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18. S’il devait subsister le moindre doute quant aux véritables intentions du demandeur, il suffirait de se reporter aux propos qu’a tenus le président bolivien il y a à peine trois jours, lorsqu’il a annoncé au monde : Antofagasta «était, est et sera bolivienne»18. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, 700 000 Chiliens résident à Antofagasta, territoire sur lequel le Chili exerce sa souveraineté depuis 114 ans.
19. Dans les exposés qui vous seront présentés aujourd’hui et demain, le Chili examinera ce qu’il reste de l’argumentation de la Bolivie, argumentation dans laquelle l’analyse des faits et du droit est remarquablement ténue. Ce n’est pas en se contentant d’énumérer des dates de documents ou de citer ces derniers de manière sélective en en déformant les termes et en les sortant de leur contexte que la Bolivie parviendra à s’acquitter de la charge de la preuve qui lui incombe en la présente espèce.
20. Sir Daniel Bethlehem nous donnera tout à l’heure un aperçu des principaux éléments de l’argumentation du Chili. M. Jean-Marc Thouvenin examinera ensuite les principes juridiques applicables à la demande de la Bolivie. Mme Kate Parlett démontrera ensuite qu’aucune obligation de négocier un accès souverain ne s’est fait jour sur la base des événements diplomatiques qui ont eu lieu entre 1910 et 1929. Enfin, M. Samuel Wordsworth entamera l’examen des notes diplomatiques de juin 1950 et de la thèse de la Bolivie selon laquelle celles-ci constituaient un accord international en vue de négocier un accès souverain. Cet exposé sera complété demain.
21. Demain, M. Wordsworth traitera également du processus de Charaña qui s’est déroulé de 1975 à 1978, et ce, de manière plus approfondie que ne l’a fait la Bolivie, démontrant que ce processus n’a ni créé ni confirmé quelque obligation juridique de négocier et que l’échec de ces négociations était clairement dû à la Bolivie.
22. Mme Mónica Pinto établira que les déclarations politiques et résolutions de l’Organisation des Etats américains au cours des années 1980, ainsi que le comportement des Etats intéressés, n’ont créé aucune obligation de négocier. Elle soulignera que l’Assemblée générale de l’OEA n’a adopté aucune résolution sur le sujet depuis trente ans.
18 @evoespueblo, 19 mars 2018, «La CIJ, en el fallo sobre controversia Perú y Chile, determinó el 27/01/2014 que ‘al momento de su independencia, Perú y Chile, no eran estados vecinos, porque entre los dos países se encontraba Charcas’, y desde 1825 es Bolivia. Antofagasta fue, es y será territorio boliviano.» https://twitter.com/evoespueblo.
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23. M. Ben Juratowitch démontrera ensuite qu’aucune obligation de négocier n’a perduré ni vu le jour après le retour à la démocratie au Chili en 1990.
24. Enfin, M. Harold Koh conclura le premier tour de plaidoiries du Chili en soulignant que des échanges diplomatiques ordinaires entre Etats voisins ne sauraient être transformés en sources d’une obligation juridique de négocier. Pareille approche découragerait en effet le règlement pacifique des différends par la voie diplomatique.
25. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, le Chili tire fierté de son rôle et de sa réputation en tant que partie prenante active et avisée à l’action collective menée pour faire face aux défis que rencontre le monde. Il tient cependant à réitérer qu’il n’a jamais eu aucune obligation juridique de négocier la cession à la Bolivie de son territoire et de la souveraineté y afférente, et que pareille obligation ne lui incombe pas non plus aujourd’hui.
26. Je vous remercie de votre attention. Monsieur le président, je vous saurais gré de bien vouloir appeler à la barre sir Daniel Bethlehem.
Le PRESIDENT : Je remercie l’agent du Chili et appelle à la barre sir Daniel Bethlehem. Sir Daniel, vous avez la parole.
Sir Daniel BETHLEHEM :
EXPOSÉ INTRODUCTIF
Observations liminaires
1. Monsieur le président, Madame la vice-présidente, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est un honneur pour moi que de me présenter devant vous aujourd’hui — et devant la Cour dans sa nouvelle composition — pour représenter le Chili dans cette affaire. Mon exposé se divisera en quatre parties. Je souhaiterais tout d’abord formuler un certain nombre d’observations pour réagir immédiatement à ce qu’a dit la Bolivie en début de semaine. Nos interventions constitueront une réponse aux plaidoiries du demandeur, et je serai le premier à traiter ses arguments. Je reviendrai également sur certains points que l’agent du Chili vient d’aborder.
2. Je me pencherai ensuite sur le contexte plus général. La Bolivie cherche en effet à vous montrer certaines choses et à vous en cacher d’autres. Nous estimons, pour notre part, qu’une
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perspective plus équilibrée s’impose, et je recenserai par conséquent certains éléments qui devraient vous aider à examiner l’affaire à travers le prisme approprié.
3. Troisièmement, je reviendrai sur la thèse de la Bolivie et formulerai quelques observations sur son argument relatif à une prétendue entente historique.
4. Enfin, à titre de conclusion, j’aborderai brièvement un argument que la Bolivie n’a pas fait valoir en début de semaine.
Points de l’argumentation de la Bolivie appelant une réponse immédiate
5. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je commencerai par formuler six observations pour répondre immédiatement à l’argumentation que la Bolivie a présentée en début de semaine.
6. Premièrement, il est pour le moins frappant d’entendre le demandeur affirmer que toute forme de dialogue entre Etats crée une obligation juridique de poursuivre ce dialogue et que, une fois qu’elle s’est fait jour, cette obligation de dialoguer ne s’éteint plus jamais. M. Remiro Brotóns l’a dit sans détour mardi en avançant que, lorsqu’un Etat sollicite officiellement la tenue de négociations sur telle ou telle question et qu’un autre Etat donne suite à cette demande, ce dernier est lié par une obligation de négocier qu’il ne peut plus renier19, assertion qu’un autre conseil de la Bolivie a d’ailleurs reprise dans son exposé.
7. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, il s’agit là d’une affirmation singulière qui, si on la considère conjointement avec l’argument de M. Lowe relatif au paragraphe 3 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies, formaliserait et restreindrait la diplomatie sans profiter à quiconque. Cette assertion est également erronée d’un point de vue juridique, puisqu’elle fait l’impasse sur l’essence même de ce qui est requis pour qu’un Etat soit soumis à une obligation juridique, à savoir une intention d’être liée, qu’elle soit explicite ou implicite, exprimée par un acte ou par une position.
8. Deuxièmement, je tiens à relever — et cela est tout aussi frappant — que M. Forteau, en concluant son exposé de mardi, a formulé l’observation selon laquelle le Chili chercherait à noyer
19 CR 2018/7, p. 19, par. 20 (Remiro Brotóns).
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la Cour sous un flot de détails20. Voilà qui est fort surprenant. En la présente espèce, la Bolivie, en sa qualité de demandeur, prie en effet la Cour de prescrire au Chili de mener des négociations à l’issue desquelles il devra lui céder une partie de son territoire souverain. Pour ce faire, elle demande à la Cour de supposer qu’il existe une obligation juridique contraignante de négocier et d’empêcher le Chili, par le jeu de l’estoppel, d’affirmer le contraire. Or, après avoir plaidé pendant près de six heures depuis le début de la semaine, la Bolivie a cité tout au plus quelques brefs extraits d’un ou de deux documents à l’appui de son argumentation. Et, de fait, M. Lowe, en renvoyant simplement au paragraphe 3 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies, a laissé entendre que vous pourriez parvenir à la conclusion que le Chili est juridiquement tenu de négocier sans tenir compte d’un quelconque élément du comportement des Parties. M. Remiro Brotóns et Mme Sander ont certes invoqué certains documents, mais leurs propos sont restés des plus abstraits. En substance, nous ne pouvons que constater que la demande de la Bolivie repose intégralement sur des affirmations et des généralités, et non sur des éléments de preuve.
9. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, si les Parties sont divisées en ce qui concerne les éléments requis pour se forger une opinion sensée et réfléchie en la présente espèce, c’est bien sur ce point. Nous nous trouvons ici devant une cour de justice, et pas n’importe laquelle : nous nous trouvons devant la cour de justice de la communauté internationale. La Bolivie allègue qu’une obligation juridique de négocier incomberait au Chili en vue de parvenir à ce que M. Forteau a qualifié de «solution définitive», à savoir la cession à la première d’une partie du territoire souverain du second21. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, il appartient au demandeur de donner des détails à la Cour, et ce, pour démontrer sa thèse. Or, il n’a rien fait de tel. Au lieu de cela, il fonde son argumentation sur la perception erronée d’une injustice historique ancrée dans la vision partiale de Mme Chemillier-Gendreau, qui tente de déterrer une histoire sanglante22. Cela n’a rien à voir avec le droit ! Le Chili, quant à lui, se présente devant la Cour fort d’une argumentation fondée sur des éléments de preuve. Eléments de preuve que la Bolivie n’a pas traités. Le présent différend ne saurait toutefois être tranché sur la base d’un appel
20 CR 2018/7, p. 74, par. 51 (Forteau).
21 CR 2018/7, p. 74, par. 51 (Forteau).
22 CR 2018/6, p. 32, par. 3 et 4 (Chemillier-Gendreau).
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aux bons sentiments. Il s’agit d’un différend d’ordre juridique, et c’est sur les détails tant raillés par M. Forteau qu’un arrêt équitable devra reposer.
10. Troisièmement, je tiens à appeler l’attention de la Cour sur les changements et contradictions qui caractérisent l’argumentation du demandeur. Celle-ci est en effet pour le moins fluctuante, puisque nous avons entendu en début de semaine sa quatrième mouture. Dans son mémoire, la Bolivie a ainsi commencé par se prévaloir d’un droit à un accès souverain à l’océan Pacifique, indiquant qu’elle «se trouv[ait] ... dans une situation unique et sans précédent, puisqu’elle [était] privée de littoral depuis plus d’un siècle alors même qu’elle poss[édait] un [tel] droit ... qu’elle n’a[vait] pas été autorisée à exercer»23. Ce même argument est du reste repris ailleurs dans le mémoire24.
11. Ce droit allégué à un accès souverain était la pierre angulaire de la décision sollicitée par la Bolivie — que vous devriez voir apparaître à l’écran et qui demeure inchangée ; la citation est tirée de la réplique. Il est demandé à la Cour de dire et juger que le Chili est tenu de s’acquitter de ladite obligation de négocier «afin que soit assuré à la Bolivie un accès pleinement souverain à l’océan Pacifique»25. Eh bien, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, cette prétention est la seule constante dans l’argumentation du demandeur, qui affirme qu’il existe une obligation de résultat imposant au Chili de négocier en vue de réaliser un objectif déterminé.
12. Lors des audiences consacrées à l’exception préliminaire, la Bolivie a en effet modifié sa thèse. Pour contrer l’argument du Chili selon lequel elle cherchait à remettre en cause ce qui avait été fixé par le traité de 1904, elle a changé son fusil d’épaule, invoquant dès lors une obligation de comportement — négocier de bonne foi — et non plus une obligation de résultat26 et présentant une nouvelle théorie sur le sens de l’expression «accès souverain».
13. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, la Cour a pris le demandeur au mot et conclu, aux paragraphes 32 et 33 de son arrêt sur l’exception préliminaire, qu’il ne la priait
23 MB, par. 20, les italiques sont de moi.
24 MB, par. 94. Voir également l’examen de ce point dans DC, par. 1.4–1.17.
25 MB, conclusions et décision sollicitée, litt. c).
26 Voir CR 2015/21, p. 18, par. 9. Dans son second tour de plaidoiries sur l’exception préliminaire, la Bolivie a aussi clairement rejeté la position du Chili selon laquelle elle demandait à la Cour de prescrire à celui-ci de renégocier afin de transformer son accès non souverain à travers le territoire chilien en un accès souverain : ibid., p. 27 et 28, par. 11.
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pas de dire et juger qu’il avait droit à un accès souverain27. Ainsi qu’elle l’a établi, l’objet du différend dont elle est saisie concerne la question de savoir si le Chili est tenu de négocier un accès souverain à l’océan Pacifique28, ce qui exclut celle de savoir si la Bolivie a droit à un tel accès. La Cour a en effet souligné que, même à supposer, arguendo, qu’il existe une obligation de négocier, «il ne lui appartiendrait pas de prédéterminer le résultat de toute négociation qui se tiendrait en conséquence de cette obligation»29. Elle a jugé au stade de l’examen de l’exception préliminaire que le différend dont elle était saisie avait pour objet l’existence d’une obligation de comportement, et non d’une obligation de résultat.
14. Dans sa réplique, la Bolivie a de nouveau changé d’optique. C’est ainsi que l’argumentation qui, dans son mémoire, était essentiellement axée sur un engagement explicite et implicite de négocier qu’aurait pris le Chili a cédé la place à une thèse largement fondée sur l’estoppel, les attentes légitimes et l’acquiescement30. La Bolivie a également cherché, dans sa réplique, à refaire porter sa demande sur une obligation de résultat, ce à quoi elle avait opportunément renoncé aux fins de la procédure consacrée à l’exception préliminaire.
15. Nous en arrivons ensuite à l’argumentation qui nous a été présentée en début de semaine, et à la nouvelle théorie avancée par M. Lowe et fondée sur le paragraphe 3 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies. Même si la réplique de la Bolivie (à la différence du mémoire) contient une référence faite en passant à cette disposition, la théorie de M. Lowe est entièrement nouvelle. La Cour, nous a-t-il dit, n’a pas besoin d’examiner quelque élément de preuve ayant trait au comportement des Parties pour établir l’existence d’une obligation de négocier, car celle-ci est énoncée au paragraphe 3 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies. Mme Sander a d’ailleurs fait écho aux propos de M. Lowe, lorsqu’elle s’est référée à l’article 3 de la Charte de l’OEA31.
27 Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 604 et 605, par. 32 et 33.
28 Ibid., p. 605, par. 34, et p. 610, par. 54.
29 Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 605, par. 33.
30 Aux paragraphes 332, 334, 396 et 436 de son mémoire, la Bolivie s’est référée aux attentes légitimes, mais n’a soulevé aucun argument fondé sur une quelconque source faisant autorité. Voir CMC, par. 63, note de bas de page no 204, et REB, par. 322.
31 CR 2018/6, p. 30, par. 32 (Akhavan).
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16. Voilà donc pour les changements. S’agissant des contradictions que présente la thèse de la Bolivie, celles-ci ressortent clairement des arguments avancés par ses différents conseils. L’agent du demandeur, ainsi que M. Akhavan, Mme Chemillier-Gendreau et MM. Remiro Brotóns et Forteau ont parlé presque d’une seule voix d’une obligation de résultat. Comme l’a exposé M. Akhavan à l’ouverture des plaidoiries de la Bolivie, «le Chili a une obligation contraignante de négocier en vue de mettre un terme à l’enclavement de la Bolivie»32. Le résultat est donc prédéterminé, seules ses modalités restant à étudier. Quant à M. Forteau, il a conclu le premier tour de plaidoiries de la Bolivie en indiquant que celle-ci priait la Cour de prescrire une solution définitive, à savoir que le Chili doit négocier en vue de garantir au demandeur un accès souverain à l’océan Pacifique33. Des conclusions concordantes ont été présentées par l’agent, ainsi que par Mme Chemillier-Gendreau et M. Remiro Brotóns34.
17. M. Lowe a cependant joué une autre partition, et ce, avec l’appui de Mme Sander. L’exposé de M. Lowe portait en effet entièrement sur une obligation de comportement, et non sur une obligation de résultat35. M. Lowe a notamment indiqué qu’il convenait de prendre connaissance de toute communication et d’examiner toute proposition. Il a par ailleurs fait part de sa surprise devant les réticences du Chili à considérer une proposition aussi modeste36.
18. Que devons-nous donc penser de ce changement dans la thèse de la Bolivie et de ses contradictions ? En premier lieu, il importe simplement de reconnaître le caractère fluctuant de cette thèse et d’en tirer les conséquences. M. Akhavan a inauguré les plaidoiries du demandeur lundi en vantant la simplicité de la demande de la Bolivie37, et M. Forteau a conclu ces plaidoiries mardi sur le même ton38. Or, la demande de la Bolivie est loin d’être aussi simple. Ce n’est pas que le demandeur ait des difficultés à l’exposer ; nos contradicteurs sont très talentueux. Ce n’est pas que cette demande s’appuie sur des éléments de preuve complexes ; les conseils de la Bolivie se
32 CR 2018/6, p. 30, par. 32 (Akhavan). Voir également CR 2018/6, p. 23, par. 1 (Akhavan).
33 CR 2018/7, p. 74, par. 52 (Forteau).
34 Voir CR 2018/6, p. 18, par. 5-6 (agent) ; CR 2018/6, p. 34, par. 10 (Chemillier-Gendreau) ; CR 2018/6, p. 35, par. 15 (Chemillier-Gendreau) ; CR 2018/6, p. 39, par. 28 (Chemillier-Gendreau) ; CR 2018/6, p. 45, par. 50 (Chemillier-Gendreau) ; CR 2018/6, p. 56-57, par. 41-42 (Remiro Brotóns).
35 Voir, par exemple, CR 2018/6, p. 61, par. 14 (Lowe).
36 CR 2018/6, p. 58, par. 4 (Lowe).
37 CR 2018/6, p. 18, par. 5 (Akhavan).
38 CR 2018/7, p. 74, par. 51 (Forteau).
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sont bien gardés de nous en présenter. Non, cela tient tout simplement au fait que la Bolivie construit sa thèse au fur et à mesure. Chaque fois que l’on cherche à la saisir, celle-ci prend une forme nouvelle. Nous ne savons toujours pas quand est née la prétendue obligation de négocier. Nous ne savons toujours pas si la Bolivie invoque une obligation de résultat ou si M. Lowe a des objectifs plus modestes, bien que parés des plus beaux atours.
19. Selon le Chili, ce caractère insaisissable de l’argumentation du demandeur devrait conduire la Cour à hésiter longuement au moment de se prononcer sur la demande qui lui est faite. Une affaire dans laquelle une partie invoque une obligation juridique incombant selon elle à l’autre partie, obligation qui, quelle que soit la manière dont elle est présentée, porte sur une cession de territoire, exige l’application d’un critère de preuve très strict. Pareille obligation ne saurait être présumée à la légère. L’on ne saurait pas davantage suivre aveuglément la Bolivie lorsqu’elle affirme qu’elle s’est fondée de bonne foi sur ce que, selon elle, le Chili s’est engagé à faire, mais qu’elle a pourtant bien du mal à définir et ne parvient pas à démontrer.
20. En quoi consiste donc exactement la thèse de la Bolivie ? Le demandeur invoque-t-il une obligation de comportement ou une obligation de résultat ? S’il s’agit d’une obligation de résultat, au vu de l’arrêt qu’elle a rendu sur l’exception préliminaire, la Cour n’est tout simplement pas compétente. Si, en revanche, la Bolivie invoque une obligation de comportement, alors il lui faut, compte tenu de la nature juridique d’une telle obligation, présenter des éléments factuels.
21. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, M. Lowe s’est référé lundi au commentaire de la Charte des Nations Unies de M. Bruno Simma. Il en a cité des extraits qu’il a présentés sous l’onglet n° 16 du dossier de plaidoiries de la Bolivie, à l’appui de son affirmation selon laquelle le paragraphe 3 de l’article 2 de la Charte était juridiquement contraignant et imposait aux Etats de s’employer activement à régler leurs différends internationaux. Il s’est cependant gardé de citer le paragraphe qui suit l’extrait qu’il a présenté, et qui se lit comme suit :
«Il convient de noter que le paragraphe 3 de l’article 2 n’oblige les Etats à faire de leur mieux pour régler un différend existant entre eux que dans la mesure de leurs possibilités… [L]’obligation consacrée au paragraphe 3 de l’article 2 ne doit pas être confondue avec l’obligation de parvenir à un résultat concret précis»39.
39 B. Simma et al., The Charter of the United Nations. A Commentary (3e éd., 2012), vol. 1, p. 190. [Traduction du Greffe].
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22. Les obligations de comportement ne visent donc pas à parvenir à un résultat concret précis. Le demandeur n’a aucun droit à un accès souverain à la mer et la Cour n’est pas saisie de cette question. Rien ne permet à la Bolivie de demander à la Cour de dire que le Chili est tenu de négocier «en vue de parvenir à un accord octroyant à [la Bolivie] un accès pleinement souverain à l’océan Pacifique». Et, s’agissant de l’obligation de comportement alléguée, son existence n’est nullement étayée par les faits qui ont été versés au dossier.
23. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, ma quatrième observation concerne le fond de l’argumentation de M. Lowe relative au paragraphe 3 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies. En l’exposant, M. Lowe a parlé du caractère modeste de la demande bolivienne. Or, si modestie il y a, elle réside dans l’économie avec laquelle M. Lowe a défini les questions en cause, économie qui visait à dissimuler un véritable tour de passe-passe.
24. M. Lowe a invité la Cour à remédier à une injustice extra legem, une injustice historique remontant au XIXe siècle que la Bolivie invoque à présent pour fonder sa demande. Dans l’appel qu’il a lancé à la Cour pour qu’elle fournisse les outils permettant de faciliter le règlement des différends, il nous a dit combien le monde serait meilleur si seulement la Cour saisissait l’occasion que la Bolivie lui offre en la présente espèce40.
25. Le Chili aussi aimerait un nouvel ordre mondial, fondé sur des relations de bon voisinage. Et c’est dans cet esprit qu’il a plus d’une fois tendu la main à la Bolivie, pour finalement se heurter à l’intransigeance de celle-ci. Contrairement à ce que nous avons entendu cette semaine, la demande de la Bolivie n’est pas si modeste que cela. Le demandeur ne nous dit pas : «Nous devrions nous efforcer de régler notre différend ; amis chiliens, asseyez-vous avec nous et parlons ensemble sans condition préalable». Il ne dit pas : «Tout ce que nous demandons, c’est que le Chili vienne discuter et rechercher les moyens de régler le différend qui subsiste entre nous». Ce que dit la Bolivie est fort différent.
26. La demande de la Bolivie s’affiche de nouveau à l’écran. Comme on le voit clairement, le demandeur impose une condition préalable aux négociations qu’il souhaite mener avec le Chili.
40 CR 2018/6, p. 59, par. 6 (Lowe).
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Il n’aspire pas simplement à des négociations de bonne foi, mais demande au Chili de s’engager préalablement sur un résultat consistant à lui accorder un accès souverain à la mer.
27. La nouvelle théorie de M. Lowe appelle une dernière observation. Comme cela ressort de son exposé, le différend que le conseil a à l’esprit lorsqu’il invoque le paragraphe 3 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies est l’injustice que la Bolivie prétend avoir subi au XIXe siècle, à savoir qu’elle «s’est vue privée de son accès à la mer à la suite de la mainmise sur une partie de son territoire»41. Voilà qui pose un problème fondamental. Ce «différend», celui auquel M. Lowe se réfère, a incontestablement été réglé par le traité de 1904. Ce traité a tiré un trait sur la guerre du Pacifique et donné effet à l’injonction de conclure un traité de paix et d’amitié définitif qui avait été faite aux deux Etats dans la convention d’armistice de 1884. Le différend invoqué par M. Lowe à l’appui de son argumentation concernant le paragraphe 3 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies est donc un différend qui, aux termes du pacte de de Bogotá, ne relève indubitablement pas de la compétence de la Cour.
28. Le cinquième point que je développerai a trait à un refrain repris par plusieurs conseils de la Bolivie : si le Chili ne pensait pas être tenu par une obligation de négocier, demande la Bolivie, alors pourquoi l’a-t-il fait ?
29. C’est une question étrange, mais peut-être cadre-t-elle avec ce que nous a dit M. Remiro Brotóns, à savoir que l’on ne répond à une demande de négocier présentée par son voisin que si l’on entend contracter une obligation juridique de poursuivre les négociations par la suite.
30. Le Chili et la Bolivie sont voisins. Le premier souhaiterait entretenir de bonnes relations avec la seconde. Entre bons voisins, on se parle ; on trouve des moyens de discuter, même en cas de difficultés. Aussi, à différents moments, le Chili s’est rapproché de la Bolivie, y compris sur la question de l’aspiration de cette dernière à bénéficier d’un accès souverain.
31. Ce nonobstant, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, accepter de discuter n’est pas la même chose qu’accepter d’être obligé de discuter. Il importe également de noter que la volonté du Chili d’engager le dialogue avec la Bolivie était influencée par les
41 CR 2018/6, p. 66, par. 40 (Lowe).
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circonstances factuelles et les impératifs politiques qui étaient les siens à telle ou telle époque. Par exemple, s’agissant des notes de juin 1950, le dialogue alors entamé par le Chili était motivé par la possibilité de parvenir à un accord avec la Bolivie par lequel celle-ci aurait obtenu un accès souverain à la mer, mais en échange de l’autorisation d’utiliser les eaux du lac Titicaca et d’autres lacs boliviens à des fins d’irrigation et de production hydroélectrique au Chili42. De même, au cours du processus de Charaña de 1975 à 1978, le Chili était disposé à négocier, mais uniquement sur la base d’un échange de territoires souverains entre les deux Etats. M. Wordsworth reviendra sur ces deux points plus en détail tout à l’heure.
32. Le point essentiel est qu’il n’y a pas de réponse unique à la question, posée par la Bolivie, de savoir pourquoi le Chili a engagé le dialogue avec elle s’il ne s’estimait pas tenu de le faire, si ce n’est qu’il ne l’a jamais fait parce qu’il pensait y être juridiquement tenu. Le Chili était mû par des objectifs de bon voisinage, mais aussi par ses propres impératifs politiques, qui fluctuaient en fonction des circonstances et du moment. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, comme vous en conviendrez, il n’y a là rien d’inhabituel ni d’indigne. C’est ainsi que fonctionnent les Etats partout dans le monde, pour des raisons parfaitement valables, et souvent à des fins parfaitement légitimes.
33. Il convient également de dire un mot de l’appréciation erronée que fait la Bolivie de la dynamique de négociation qu’aurait engendrée son comportement au fil des ans. Sans vouloir m’attarder sur le sujet, le fait est que chaque fois que le Chili a accepté de discuter des velléités d’accès souverain de la Bolivie, et que les choses ne se sont pas déroulées comme celle-ci l’aurait souhaitée, elle s’est toujours dérobée. La Bolivie est très douée pour rompre les relations diplomatiques, comme pour fixer ses conditions.
34. Ce n’est certainement pas dans de telles circonstances que le Chili aurait accepté de contracter une obligation de négocier, ou l’aurait confirmée. Ce n’est certainement pas dans de telles circonstances que le Chili aurait pris des positions envers la Bolivie qui lui auraient donné de faux espoirs. Se référant à l’ordre du jour en 13 points de 2006, M. Forteau a dit, en concluant son
42 Dans le cadre d’un projet de grands travaux financé par les Etats-Unis et discuté entre le président chilien Gonzales Videla et le président américain Truman en mai 1950. Voir, par exemple, le communiqué du ministère bolivien des affaires étrangères relatif à la déclaration du président du Chili, 30 mars 1951, REB, annexe 279.
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exposé, que les deux Etats savaient exactement ce qu’ils faisaient43. Eh bien, il a tout à fait raison. Les deux Etats savaient ce qu’ils faisaient et partageaient effectivement une vision commune : ils étaient convenus de poursuivre leurs relations sur de nouvelles bases. A cette fin, ils ont adopté une approche pragmatique, en mettant de côté les aspirations de la Bolivie à un accès souverain et en en minimisant l’importance. Ils reconnaissaient en effet tous deux que le fait de mettre en avant une question ne pouvant être réglée dans l’immédiat risquait de faire échouer les tentatives de dialogue sur d’autres questions. M. Juratowitch reviendra demain plus en détail sur ce point. En résumé, après 1990, le dialogue entre le Chili et la Bolivie s’est focalisé sur des initiatives concrètes. La Bolivie a peut-être conservé ses aspirations, mais il n’y a eu aucun échange entre les Parties sur la question de la cession d’un territoire souverain, et rien n’a donné à penser que le Chili ait pu être lié par une obligation de négocier. L’accent était mis sur d’autres points.
35. Mon dernier argument se rapporte à la manière dont la Bolivie invoque l’histoire. Je reviendrai tout à l’heure plus en détail sur ce qu’elle qualifie d’entente historique, mais je voudrais dans un premier temps formuler deux observations générales à ce sujet. La première est qu’il n’y a pas eu d’entente historique en deux volets, contrairement à ce qu’affirme la Bolivie. Le traité de 1904 a définitivement tiré un trait sur les événements de la fin du XIXe siècle. De par son objet, son intitulé et son contenu, il constituait un traité de paix et d’amitié définitif, négocié et conclu librement et sans entrave, et ce, par les deux Parties, comme l’avait annoncé la convention d’armistice de 1884 qui avait mis fin à la guerre du Pacifique. Il n’y avait pas de second volet au traité de 1904 appelé à être négocié par la suite et visant à accorder à la Bolivie un accès souverain à l’océan Pacifique. La prétendue existence d’une entente historique en deux volets est une construction a posteriori dépourvue de tout fondement.
36. La Bolivie fonde son hypothèse d’entente historique sur un traité — l’accord de cession territoriale de 1895 — qui n’est jamais entré en vigueur et a été supplanté neuf ans plus tard par le traité de 1904. Les éléments versés au dossier montrent que le président bolivien de l’époque considérait que ce traité était une bonne affaire44. Il a mené sa campagne présidentielle sur cette
43 CR 2018/7, p. 72-73, par. 48 (Forteau).
44 Bolivie, 13e séance de clôture du congrès national bolivien, 2 février 1905 (La Paz, 1905), EPC, annexe 30, p. 123.
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base et a été élu. Il est vrai que certains de ses successeurs, y compris le président actuel, ont tenté de revenir sur cette question, mais affirmer qu’il existerait une entente historique en deux volets ne résiste pas à un examen attentif des éléments de preuve.
37. Ma deuxième observation générale porte sur ce que la Bolivie qualifie d’injustice historique. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est aux historiens qu’il appartient d’interpréter l’histoire. Le Chili est revenu dans son contre-mémoire sur la présentation historique erronée que fait la Bolivie45. Mais Mme Chemillier-Gendreau et M. Lowe veulent peut-être inciter la Cour à corriger la manière dont la Bolivie perçoit aujourd’hui les abus qu’elle a commis au XIXe siècle. Quoi qu’il en soit, le fait est que la présente affaire n’a pas pour objet d’arbitrer entre des visions divergentes du XIXe siècle. Naturellement, les juridictions sont souvent amenées à apprécier certains événements historiques, et le font comme il convient. Mais tel n’est pas le cas ici, pour des raisons qui tiennent tant au fond qu’à la compétence. Sur le fond, quand la Bolivie se réfère à une prétendue injustice historique du XIXe siècle, c’est à l’émotion qu’elle fait appel et non pas au droit, et sa thèse est donc entachée d’un vice matériel. S’agissant de la compétence, les questions réglées par une entente ou régies par des traités en vigueur au moment où le pacte de Bogotá a été conclu, le 30 avril 1948, ne relèvent pas de la juridiction de la Cour46. Quelle que soit la perception que l’on ait de l’histoire du XIXe siècle, le traité de paix et d’amitié de 1904 a tiré un trait sur les revendications antérieures. La Cour n’a pas à connaître de ces questions.
Redéfinir le prisme
38. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, j’en arrive à mon deuxième sujet, à savoir la perspective d’ensemble, et je vous donnerai ainsi une idée de ce qui n’apparaît pas dans le tableau dépeint par les conseils de la Bolivie. A cette fin, j’énoncerai un certain nombre d’éléments qui, selon nous, définissent correctement le prisme à travers lequel vous devriez considérer cette affaire.
39. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, lorsque vous vous penchez sur les échanges qu’ont eus les Parties au fil des années, il est important que vous ne les voyiez pas
45 CMC, p. 21-32.
46 Conformément à l’article VI du pacte de Bogotá.
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avec le recul de juges et de juristes s’intéressant aux problèmes des décennies plus tard, mais tels qu’ils étaient perçus à l’époque par les hommes politiciques et diplomates qui y ont pris part. Loin de moi l’idée de laisser entendre que vous devriez vous départir de votre rôle judiciaire. Bien au contraire, la présente espèce appelle un examen judiciaire très rigoureux. Ce que je veux dire, c’est que, en vous livrant à cet exercice, vous ne devriez pas ignorer les réalités de la diplomatie ou votre expérience en la matière, comme si cela n’était pas pertinent. Le contexte diplomatique est au contraire très important. Que vous soyez diplomate de haut rang et représentant de l’Etat, conseiller juridique au ministère des affaires étrangères ou homme politique, la principale question depuis des décennies dans les relations chiléno-boliviennes a été la suivante : lorsqu’un représentant de la Bolivie vient frapper à votre porte et vous dit «nous voudrions vous parler de l’accès souverain», que dites-vous ? Que faites-vous ?
40. Vous pourriez aisément répondre, dans un esprit de bon voisinage, ou dans l’espoir d’instaurer de bonnes relations et que cela débouche sur quelque chose de plus concret : «Mais bien sûr, nous serions ravis de discuter avec vous. Il vaut mieux que vous n’en attendiez rien, étant donné que nos accords territoriaux sont régis par le traité de 1904, mais nous serions ravis de nous entretenir avec vous.»
41. C’est ce qui se passe partout dans le monde, dans les grandes salles où se tiennent les Assemblées générales des Nations Unies ou de l’OEA, ou en marge de ces réunions ; lorsque sont rédigées et échangées des propositions informelles pour tenter de clarifier les points d’accord et de désaccord potentiels ; lorsque des dirigeants politiques acceptent de discuter, même sur la base d’un ordre du jour déjà arrêté, tout en partant honnêtement du principe que le dialogue n’est pas une obligation, mais une étape essentielle pour déterminer si le problème peut être résolu.
42. Tel est le cas ici des échanges qu’ont eus le Chili et la Bolivie au fil des années. Le Chili ne les renie pas, mais il entend qu’ils soient pris pour ce qu’ils étaient, à savoir des démarches politiques authentiques et ouvertes, des tentatives de faire évoluer les relations entre les Parties, mais pas pour un engagement pris par le Chili de satisfaire aux aspirations de la Bolivie, ni pour des discussions concernant uniquement la manière d’accomplir les desseins cette dernière. Il s’agit là d’un habillage juridique tout à fait artificiel qui ne reflète pas la réalité des échanges diplomatiques, et qui les dessert.
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Les réalités diplomatiques
43. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, en vous penchant sur l’intention objective des hommes politiques et diplomates chiliens lorsqu’ils échangent avec leurs homologues boliviens, il convient de garder à l’esprit deux réalités pratiques, d’ordre diplomatique. La première est le simple fait que constituent l’existence du traité de 1904 et la très grande portée de cet instrument sur les questions de souveraineté territoriale entre les deux Etats. Les traités peuvent être revisés, et de nouveaux arrangements adoptés, si les parties en conviennent. Mais lorsqu’il existe un traité, comme celui de 1904, qui règle des questions de souveraineté territoriale entre deux Etats, les représentants de l’un d’entre eux sont fondés à partir du principe que les arrangements convenus dans cet instrument ne sauraient être perturbés ou revisés par quoi que ce soit d’autre qu’un engagement conventionnel ultérieur, exprès et contraignant en vue d’adopter un système différent. Autrement dit, le traité de 1904 est un filet de sécurité qui garantit votre position et vous amène à juste titre à être mieux disposé à engager un dialogue non contraignant.
44. La seconde réalité diplomatique est qu’il est entendu, tant d’un point de vue diplomatique que juridique, que le dialogue diplomatique n’est pas, à lui seul, source d’obligations contraignantes. Tout diplomate le sait intimement. C’est ce que les juristes auraient dit. C’est ce que les hommes politiques auraient compris. Le refrain «rien n’est convenu tant que tout n’est pas convenu» est l’adage le plus important dans toute négociation. Dans aucun monde rationnel le représentant d’un Etat, entamant un dialogue avec un homologue d’un autre Etat, ne déclarerait à ce dernier la chose suivante : «je suis heureux de discuter. Certes, rien n’est convenu tant que tout n’est pas convenu, mais, par exception à ce principe, je vous fais d’emblée don avec plaisir d’un engagement ferme et juridiquement contraignant de négocier avec vous jusqu’à ce que vous ayez atteint votre objectif.»
45. Or, c’est exactement ce que la Bolivie vous demande d’admettre. Elle vous demande d’admettre que le Chili, par le dialogue qu’il a eu avec elle et par son comportement, a manifesté un engagement juridiquement contraignant sans limite de temps ni condition consistant à négocier la cession d’une partie de son territoire souverain, la seule question demeurant à trancher étant la forme que revêtira le cadeau que constitue ce territoire souverain. Pareil argument n’est tout simplement pas crédible.
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Une perspective plus complète
46. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, outre ces réalités diplomatiques, d’autres considérations déterminent le prisme à travers lequel vous devriez examiner l’affaire qui vous a été soumise par la Bolivie pour que votre analyse soit correcte.
47. La première de ces considérations est le cadre juridique bien établi des relations entre les Parties en matière de souveraineté territoriale tout au long de la période de plus d’un siècle qui s’est écoulée avant que la Bolivie n’introduise la présente instance. Je veux, bien entendu, parler du traité de 1904.
48. J’ai déjà dit que le traité de 1904 constituait un filet de sécurité, mais il demeure pertinent à d’autres fins encore. Et, puisque la phase de l’exception préliminaire s’est déroulée il y a trois ans et que la composition de la Cour a changé, je propose d’examiner très brièvement un ou deux aspects de cet instrument.
49. Le traité de 1904 constituait un règlement définitif de toutes les questions de souveraineté. Par l’article II  actuellement projeté à l’écran  «est reconnue la souveraineté absolue et perpétuelle du Chili» sur les territoires occupés par celui-ci en vertu de la convention d’armistice de 1884, qui avait mis fin à la guerre du Pacifique. Un texte dense de deux pages et demie fait suite à ce bref extrait de l’article II  projeté à l’écran , qui délimite, de manière exhaustive, la frontière entre les deux Etats. Vous pouvez voir cette délimitation à l’écran, dont il ressort clairement que la frontière a été délimitée dans son intégralité. Il ne reste aucun espace non délimité permettant à la Bolivie d’invoquer aujourd’hui une deuxième étape concernant son accès souverain à l’océan Pacifique. Cette deuxième étape est une construction de la Bolivie qui ne trouve aucun écho dans le traité de 1904.
50. L’accord territorial énoncé à l’article II était complété par la disposition de l’article VI du traité de 1904  à présent projetée à l’écran à côté de l’article II  accordant à la Bolivie «à titre perpétuel, un droit de transit commercial absolu et inconditionnel sur [le] territoire [du Chili] et dans ses ports situés sur le Pacifique». Et cette disposition de l’article VI était elle-même complétée par d’autres dispositions du traité qui, ensemble, établissaient ce qui devait constituer un cadre exhaustif régissant les relations entre les deux Etats à l’avenir.
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51. Il ressort donc clairement des articles II et VI projetés côte à côte à l’écran que le traité de 1904 a réglé la question de l’accès de la Bolivie à l’océan Pacifique. Ainsi que je le démontrerai tout à l’heure plus en détail, dans le cadre du règlement énoncé par le traité de 1904, la Bolivie a renoncé à toute prétention à un accès souverain pour obtenir un droit de libre transit perpétuel de nature conventionnelle. Avec son argument de l’entente historique, elle tente aujourd’hui de réduire à néant l’accord de 1904, mais elle ne peut étayer cet argument sur aucun fondement.
52. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, outre le fait qu’il constitue un filet de sécurité, le traité de 1904 demeure pertinent aux fins des présentes audiences consacrées au fond en ce qu’il a établi un règlement territorial exhaustif entre le Chili et la Bolivie et réglé de façon définitive la question de l’accès de cette dernière à l’océan Pacifique.
53. La deuxième considération offrant une perspective plus complète est l’évolution des relations entre les Parties sur le terrain, sur la base du traité de 1904. Cet instrument constitue le cadre juridique bien établi de ces relations en ce qui concerne la souveraineté territoriale, mais il n’a pas mis en place un régime statique. Au fil des années, les Parties ont ainsi pris des mesures visant à améliorer et à garantir le droit de libre transit vers l’océan Pacifique octroyé à la Bolivie à l’article VI, et elles continuent de le faire aujourd’hui. Ce point est abordé de façon détaillée dans le contre-mémoire du Chili47.
54. Nous comprenons, bien sûr, que la Bolivie cherche à minimiser ces développements. Ils n’en restent pas moins pertinents, car ils indiquent ce que les Parties ont effectivement fait au fil des années, et ce que l’on peut en déduire à propos des intentions du Chili s’agissant d’un prétendu engagement de négocier un accès souverain.
55. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, la troisième considération qu’il convient de garder à l’esprit pour avoir une perspective plus complète est que, pendant 53 des 56 dernières années, les deux Etats n’ont pas entretenu de relations diplomatiques. La Bolivie les a rompues en 1962, et elles n’ont été reprises qu’en 1975. La Bolivie a de nouveau rompu les relations diplomatiques avec le Chili en 1978, et elles n’ont pas repris à ce jour.
47 CMC, p. 26-34.
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56. Les relations entre les peuples chilien et bolivien demeurent toutefois bonnes, et les deux pays continuent également de coopérer sur un large éventail de questions, y compris les améliorations que je viens d’évoquer concernant le droit de libre transit vers l’océan Pacifique dont jouit la Bolivie en vertu du traité de 1904. L’absence de relations diplomatiques est cependant éloquente car elle est l’indicateur le plus clair de ce que les relations entre les deux Etats n’ont, pendant de longues décennies, pas été propices à des engagements, quelle que soit la manière dont ils auraient été exprimés, visant à contracter une obligation contraignante de négocier l’octroi à la Bolivie d’un accès souverain à l’océan Pacifique.
57. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, la Bolivie vous a présenté un tableau partial qui tente de donner un sens au comportement que les Parties ont eu entre elles au cours de plus d’un siècle de dialogue. Elle s’efforce de vous faire accroire que ce comportement a été cohérent tout au long de cette période. Voilà qui est très loin de la réalité. M. Juratowitch traitera ce point de façon plus détaillée dans son exposé de demain. Pour l’heure, j’aimerais vous faire comprendre qu’il est important que vous considériez à la fois la situation dans son ensemble et les détails du dialogue entre les Parties. Mes collègues vous présenteront ces détails, mais nous pensons que votre vision de l’affaire sera plus claire si vous considérez aussi le comportement des Parties à travers le prisme plus vaste que je vous ai proposé.
L’entente historique invoquée par la Bolivie
58. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, j’en viens à mon troisième sujet, à savoir le récit historique que nous a présenté la Bolivie.
59. En début de semaine, le demandeur nous a beaucoup parlé de sa prétendue entente historique et de ses deux piliers, le premier étant la cession au Chili des territoires que la Bolivie a perdus au cours de la guerre du Pacifique, et le second, la cession à la Bolivie d’un territoire devant lui assurer un accès souverain à l’océan. Le seul problème, c’est que cette thèse du demandeur n’est que pure fiction ; elle n’a rien à voir avec les faits historiques bien documentés. Il n’y avait pas de second volet à cette prétendue entente qui, au vu des éléments de preuve versés au dossier, relève du révisionnisme.
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60. C’est dans sa réplique que le demandeur a avancé cet argument d’une entente historique remontant au XIXe siècle, argument que le Chili a traité en détail au chapitre 3 de sa duplique. Or, les conseils de la Bolivie ne semblent pas avoir pris la peine de lire ce chapitre, puisqu’ils n’ont même pas fait mine de traiter les éléments de preuve qu’il contient. J’en recenserai les points principaux dans un instant mais, compte tenu du grand cas que fait le demandeur de son argument relatif à une entente historique, je vous invite, Mesdames et Messieurs de la Cour, à examiner dès à présent le chapitre en question de la duplique, ce qui ne laissera plus aucun doute quant au fait que cette thèse de la Bolivie est dépourvue de tout fondement.
61. L’argument relatif à une entente historique trouve son origine dans la vaine tentative de la Bolivie d’invoquer l’accord de cession territoriale de 1895 comme fondement d’une obligation expresse de négocier. Ainsi qu’il l’a exposé dans son mémoire, le demandeur a en effet fondé son obligation alléguée de négocier sur cet instrument. Comme il l’a précisé dans ladite pièce, cet accord aurait «créé pour le Chili l’obligation internationale de «céder» une zone de territoire prédéfinie établissant concrètement un accès souverain à la mer pour la Bolivie»48.
62. Le seul problème que pose cette assertion est le fait que l’accord de cession territoriale de 1895 n’est jamais entré en vigueur et est resté dépourvu de tout effet, ce que la Bolivie a passé sous silence dans son mémoire. La Cour a toutefois reconnu que cet instrument n’était jamais entré en vigueur dans l’arrêt qu’elle a rendu sur l’exception préliminaire, et plus précisément au paragraphe 16 de cette décision49.
63. La Bolivie ayant perdu la possibilité d’invoquer l’accord de 1895 comme instrument ayant donné naissance à une obligation juridique contraignante, il ne lui restait d’autre choix que d’inventer. C’est ainsi qu’elle a imaginé cet argument relatif à une entente historique, qui consiste à dire que l’instrument en cause, bien que dépourvu de tout effet, reflétait néanmoins, d’une façon ou d’une autre, un engagement pris par le Chili de lui céder une partie de son territoire en vue de lui octroyer un accès souverain à l’océan.
48 MB, par. 340.
49 Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 599, par. 16.
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64. Les documents relatifs aux négociations ayant conduit à la conclusion du traité de 1904, ainsi que les commentaires des auteurs éclairés de l’époque, ne laissent cependant subsister aucun doute sur le fait que la Bolivie avait renoncé à toute aspiration à disposer d’un port sur le Pacifique afin de bénéficier des arrangements dont les deux Etats étaient finalement convenus dans cet instrument.
65. Les propres documents du ministère des affaires étrangères de la Bolivie, que le Chili a annexés à sa duplique, nous donnent une bonne vue d’ensemble des négociations qui ont abouti à la conclusion du traité de 1904. A titre d’exemple, une circulaire en date du 25 janvier 1901, adressée aux légations de la Bolivie à l’étranger par le ministère bolivien des affaires étrangères50, contient le commentaire suivant :
«Si la Bolivie devait renoncer à obtenir un port, condition indispensable à son essor et à son développement commercial, il a été exigé que lui soient fournis des moyens susceptibles de pallier cette absence de port, dont le Chili affirmait qu’il ne pouvait le lui accorder, afin qu’elle bénéficie, dans la mesure du possible, d’une compensation à cet égard.»
66. L’année suivante, dans une lettre en date du 10 avril 1902 adressée au président bolivien, la légation de la Bolivie au Chili a par ailleurs énoncé les principaux éléments de ce qui allait devenir le traité de 1904. On ne trouve dans cette lettre nulle mention d’une demande de la Bolivie tendant à obtenir un accès souverain à la mer, et rien ne donne à penser qu’une quelconque initiative parallèle — ce que la Bolivie qualifie désormais de second volet de son entente historique — devrait être menée en vue de concrétiser cet accès51.
67. Dans son ouvrage consacré à l’histoire des négociations diplomatiques avec le Pérou et la Bolivie, M. Emilio Bello Codesido, le ministre chilien des affaires étrangères qui a signé le traité de 1904 et auquel la Bolivie s’est référée en début de semaine, précise que «l’idée d’offrir à [celle-ci] une zone d’accès à la mer a été écartée en raison de son caractère impraticable, bien qu’il s’agisse d’une aspiration logique et légitime»52. Plus important encore, il ajoute que l’un des points des négociations ayant fait l’objet d’un traitement particulier était «l’abandon par la Bolivie de
50 DC, annexe 375, p. 33.
51 DC, annexe 376.
52 Ibid., annexe 383.
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toute aspiration à un port sur le Pacifique»53. Je répète : «L’abandon par la Bolivie de toute aspiration à un port sur le Pacifique». En contrepartie de l’abandon de sa revendication d’un accès souverain, le demandeur a bénéficié des arrangements convenus dans le traité de 1904.
68. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, l’argument de la Bolivie relatif à une entente historique est dépourvu de fondement. Le demandeur a renoncé à sa revendication d’un port au profit des arrangements finalement convenus dans le traité de 1904. Celui-ci occupe donc tout l’espace ; il n’y a pas de second volet en attente d’accord. Même si les Boliviens peuvent aujourd’hui se lamenter de ce que firent leurs aïeux il y a un siècle, l’histoire démontre, pour reprendre les propos tenus en 1901 par M. Federico Diez de Medina, ministre bolivien des affaires étrangères, que des «hommes ... raisonnables des deux pays [se sont engagés] afin de parvenir à la paix». Les conseils de la Bolivie souhaiteront peut-être invoquer quelque accord caché, mais il n’y en avait pas. S’il entend fonder son argumentation relative à une obligation de négocier, le demandeur doit s’appuyer sur des engagements contraignants contractés à l’époque en question, et non sur des affirmations fictives relatives à une entente qui remonterait au dix-neuvième siècle.
Observations finales
69. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je conclurai mon exposé en formulant quelques brèves, très brèves, observations finales sur un argument que la Bolivie n’a pas avancé en début de semaine, mais auquel elle a fait allusion. Plus d’une fois, les conseils du demandeur, se référant aux échanges entre les deux Etats, ont en effet dit que ce comportement, qu’il soit considéré séparément ou conjointement avec d’autres éléments, avait fait naître, pour le Chili, un engagement contraignant à négocier.
70. Si elle n’a donné que très peu de détails sur le fondement juridique permettant de déduire l’existence de pareil engagement de tel ou tel échange, la Bolivie n’a pas dit un seul mot sur une quelconque théorie de l’accumulation. A en juger par son mutisme, nous supposons donc que l’expression qu’il soit considéré séparément ou conjointement que le demandeur répète tel un mantra n’est rien de plus que cela — un mantra, donc —, et que la Bolivie ne fait pas valoir une
53 Ibid.
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théorie de l’accumulation d’arguments. Ce qui est certain, c’est qu’elle n’a pas développé pareille notion dans ses écritures, mais elle dispose bien évidemment encore d’un tour de plaidoiries pour ce faire, ce qui nous réservera peut-être une énième mouture de son argumentation.
71. Ce nonobstant, pour que la Cour ne s’y méprenne pas, je tiens à formuler deux observations très brèves. La première est que 0 + 0 + 0 = 0. Lorsque l’on cherche à fonder une obligation juridique, le tout ne peut être plus grand que la somme des parties. La Bolivie ne saurait fonder pareille obligation sur un comportement consistant en une série de dialogues qui, examinés individuellement, n’étayent pas l’argument qu’elle fait valoir.
72. Deuxièmement, pour qu’il y ait «comportement général», il faut en réalité qu’une série d’actes cohérents et continus relient comme un fil rouge l’ensemble des échanges invoqués pour produire un effet cumulatif. Or, un tel fil rouge n’existe pas dans les échanges que la Bolivie cherche à relier les uns aux autres. Mais je n’en dirai pas plus à ce sujet, puisque M. Juratowitch traitera cet aspect plus en détail dans son exposé de demain.
73. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, ainsi s’achève ma plaidoirie. Je vous remercie de votre aimable attention. Monsieur le président, je vous prie de bien vouloir appeler à la barre M. Jean-Marc Thouvenin, qui poursuivra les plaidoiries du Chili.
The PRESIDENT: Je vous remercie. I now give the floor to Professor Thouvenin. You have the floor.
Mr. THOUVENIN:
THE LEGAL FRAMEWORK
I. Introduction
1. Thank you, Mr. President. Mr. President, Members of the Court, it is a great honour to appear before you to present some of Chile’s arguments, and I would like to thank Chile for the trust it has placed in me.
2. It falls to me to set out Chile’s position on:
(a) the sources of international law relied on by Bolivia to found the alleged obligation it invokes, and
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(b) the content of an obligation to negotiate, where it exists, and its termination.
Before doing so, I shall make three brief observations on Bolivia’s case.
A. Bolivia’s request
3. The first, which follows on from what Sir Daniel has just said, concerns the obligation to negotiate that Bolivia alleges is opposable to Chile in this case.
4. Is this a Russian doll or a Trojan horse? The fact remains: when you open the obligation to negotiate, it is another obligation that emerges, the obligation for Chile to grant sovereign access to the sea. Thus a right, for Bolivia, to be given this access.
5. However, Mr. President, Bolivia cannot make such a claim before you. This Court has carefully interpreted Bolivia’s request and found that [tab 10]: “[t]he Application does not ask the Court to adjudge and declare that Bolivia has a right to sovereign access [to the sea]”54. This finding, which is on the screen, is essential to the Judgment fixing the limits of the Court’s jurisdiction in this case, a Judgment rendered expressly “[b]earing in mind the subject-matter of the dispute” as identified by the Court55.
6. Accordingly, in law, anything in Bolivia’s pleadings that amounts to asking the Court to adjudge that Bolivia has a right to be given access to the sea, anything that requires you to “predetermine the outcome of any negotiation that would take place in consequence”56 of an obligation to negotiate, anything that the Court has expressly identified as falling outside its jurisdiction, qualifies as a new claim, which transforms the subject-matter of the dispute the Court has deemed itself competent to entertain57. This aspect of the request, and the arguments accompanying it, should therefore simply be disregarded by the Court, since they are quite clearly inadmissible.
54 Obligation to Negotiate Access to the Pacific Ocean (Bolivia v. Chile), Preliminary Objection, Judgment, I.C.J. Reports 2015 (II), pp. 604-605, paras. 32 and 33; see also CMC, paras. 1.19-1.21.
55 Obligation to Negotiate Access to the Pacific Ocean (Bolivia v. Chile), Preliminary Objection, Judgment, I.C.J. Reports 2015 (II), p. 610, para. 54.
56 Ibid., pp. 604-605, para. 33.
57 Territorial and Maritime Dispute between Nicaragua and Honduras in the Caribbean Sea (Nicaragua v. Honduras), Judgment, I.C.J. Reports 2007 (II), p. 695, para. 108; Ahmadou Sadio Diallo (Republic of Guinea v. Democratic Republic of the Congo), Merits, Judgment, I.C.J. Reports 2010 (II), p. 656, para. 39.
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B. The overall tenor of Bolivia’s case
7. My second observation concerns the overall tenor of Bolivia’s case. It seeks to manufacture the elusive “missing link” in its case file, namely a legal obligation for Chile to negotiate to satisfy Bolivia’s aspiration.
8. To create the illusion of such an obligation, Bolivia uses a variety of courtroom “techniques”. These of course include rhetoric, for which our friends on the other side of the Bar have a rare talent. The Court is no stranger to rhetoric and perfectly capable of deciding what is law. But I will say something about our opponents’ favourite technique, which is accumulation: Bolivia tries to “mass together” everything it finds, to inundate the Court with all kinds of information, so as to give an impression of density to an argument which has none whatsoever.
9. I would like to say something here about the idea, developed for the first time before the Court on Monday, that the obligation to negotiate of which you are seised derives not only from agreements, unilateral acts, etc. — I shall come back to this later — but also from Article 2, paragraph 3, of the United Nations Charter.
10. According to Bolivia, the concept of a “dispute” contained in that Article covers, in particular, any situation “where a serious problem is raised with a neighbouring State, [and when] the State declines to offer any reaction and refuses absolutely to address the matter at all”58.
11. It results from this, if we have understood Professor Lowe’s explanations correctly, that:
(a) since Bolivia has notified Chile that it has a vital need for access to the sea, and since
(b) Chile does not want to discuss this,
(c) then a dispute exists under Article 2, paragraph 3,
(d) which generates an obligation, for Chile, to negotiate that vital need for access to the sea.
12. This calls for four remarks.
13. First, if that formula were correct, any State could, whenever it felt like it, legally oblige its neighbours to negotiate with regard to its aspirations, claiming that those aspirations related to its vital needs.
14. Second, the word “negotiate” appears nowhere in the text of Article 2, paragraph 3, of the Charter, which we are nonetheless told generates an obligation to do so.
58 CR 2018/6, p. 69, para. 52 (Lowe).
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15. Third, the Court will perhaps have been frustrated to hear on Monday that its jurisprudence concerning the concept of a “dispute” is “irrelevant”59. Because, on the contrary, it is — quite rightly — generally considered to be “ample”, to cover disputes in general, and not to be limited to disputes “of a legal nature”. What is more, “the political or legal character of a dispute is not a material distinction, but a distinction relating to the type of arguments and the vocabulary chosen by the parties”60.
16. A “dispute”, in the sense of Article 2, paragraph 3, is nothing other than “a disagreement on a point of law or fact, a conflict of legal views or of interests” between parties61, in accordance with the Mavrommatis jurisprudence.
17. The “Simma Commentary” mentioned by my eminent opponent — the relevant contribution to which was written by Christian Tomuschat — says exactly that: “A dispute arises when a State addresses specific claims to another State, which the latter State rejects”62.
18. That same author further explains:
“Realistically, the Charter refrains from demanding of States that they should maintain with all of their neighbours relations of friendship and good neighbourliness, although this is a desirable state of affairs; it confines itself to requiring all States not to let their disputes with other countries degenerate into a peace-threatening configuration”63.
19. When one State informs another of its aspirations and its problems, and the latter does not wish to discuss them, there is no “disagreement”, “conflict” or “opposition” liable to give rise to an obligation. But there is certainly some frustration.
20. Mr. President, Members of the Court, in international law, there is no obligation for States to negotiate with their neighbours with regard to their aspirations. They may do so; and they often do so; but they are in no way obliged to do so under the Charter of the United Nations. One State’s frustration does not beget another State’s obligation.
59 CR 2018/6, p. 67, para. 44, and p. 69, para. 52 (Lowe).
60 H. Ascensio, “Art. 33”, in: J.-P. Cot, A. Pellet (eds.), La Charte des Nations Unies, Commentaire article par article, Vol. 1, 3rd edition, Economica, 2005, p. 1049. [Translation by the Registry.]
61 Mavrommatis Palestine Concessions, Judgment No. 2, 1924, P.C.I.J., Series A, No. 2, p. 11.
62 C. Tomuschat, “Art. 2(3)”, in B. Simma et al., The Charter of the United Nations: A Commentary, Vol. 1, 3rd ed., para. 27.
63 C. Tomuschat, “Art. 2, par. 3”, in A. Zimmermann, C. Tomuschat, K. Oellers-Frahm, C. Tams, The Statute of the International Court of Justice: A Commentary, 2nd ed., Oxford, 2012, p. 85.
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21. Fourth, and, in any event, contrary to what Bolivia has suggested, Chile has not turned its back on its neighbour’s problems. For over a century, Chile has made constant efforts to improve Bolivia’s access to the sea, within the framework of the right of transit granted under the 1904 Treaty, and even outside the scope of its provisions64.
C. The heart of Bolivia’s case
22. That brings me to my third observation, which concerns the claim that lies at the heart of Bolivia’s case, namely that a State is subject to an obligation to negotiate from the moment it declares that it is willing to open a negotiation.
23. This argument is in fact untenable in the light of the response given by the States to Article 15, subparagraph (a), of the draft submitted by the International Law Commission in 1968 to the Diplomatic Conference in Vienna which was to adopt what became the Vienna Convention on the Law of Treaties.
24. That text reads as follows [tab 11]:
“A State is obliged to refrain from acts tending to frustrate the object of a proposed treaty when:
(a) It has agreed to enter into negotiations for the conclusion of the treaty, while these negotiations are in progress”65.
25. This text was rejected by the Diplomatic Conference66, in particular  and this is what is important here  because the majority of the participants expressed their firm belief that, contrary
64 See, e.g., Convention on Trade between Chile and Bolivia, signed at Santiago on 6 Aug. 1912; Preliminary Objection of the Republic of Chile (“POC”) (Ann. 34); Protocol Regarding the Transfer of the Bolivian Section of the Railroad from Arica to La Paz between Bolivia and Chile, signed at Santiago on 2 Feb. 1928, POC (Ann. 42); Act of Transfer of the Railroad from Arica to the Plateau of La Paz — Bolivian Section between Bolivia and Chile, signed at Viacha on 13 May 1928, POC (Ann. 43); Protocol on the Management of the Chilean and Bolivian Sections of the Railway from Arica to La Paz, signed at La Paz on 29 Aug. 1928, CMC (Ann. 132); Convention on Transit between Bolivia and Chile, signed at Santiago on 16 Aug. 1937, POC (Ann. 44); Chilean Circular No. 36 on the collection of taxes on revenue relating to persons and goods in transit from or to Bolivia, 20 June 1951, POC (Ann. 45 A); Chilean Circular No. 36 on the collection of taxes on revenue relating to persons and goods in transit from or to Bolivia, 20 June 1951, POC (Ann. 45 A); Declaration of Arica by the Ministers of Foreign Affairs of Bolivia and Chile, signed at Arica on 25 Jan. 1953, CMC (Ann. 150); Chile-Bolivia Treaty of Economic Complementation, signed at Arica on 31 Jan. 1955, CMC (Ann. 151); Supplementary Protocol to the Treaty of Economic Complementation on Facilities for the Construction of the Oil Pipeline, signed at La Paz on 14 Oct. 1955, CMC (Ann. 153); Agreement Modifying Article Two of the Protocol on the Exploitation of the Bolivian Section of the Arica-La Paz Railway of 29 Aug. 1928, agreed by exchange of notes on 10 Nov. 1955, CMC (Ann. 154); Agreement on the Sica Sica — Arica Oil Pipeline of Yacimientos Petrolíferos Fiscales Bolivianos, Transiting through Chilean Territory between Bolivia and Chile, signed at Santiago on 24 April 1957, CMC (Ann. 155); Chilean Ministry of National Defence, Undersecretary of the Navy, Decree No. 009, 29 Feb. 2000, CMC (Ann. 319); Convention between Chile and Bolivia on Integrated Border Controls, signed at Santiago on 17 Feb. 2004, CMC (Ann. 331); Agreement on Customs Cooperation and Information Exchange between Bolivia and Chile, signed at Santiago on 17 Feb. 2004, CMC (Ann. 330); Letter from the Chilean Internal Tax Administration to the Chilean Ambassador Deputy Secretary of the Ministry of Foreign Affairs, No. 1270, 29 July 2010, POC (Ann. 45 E).
65 Yearbook of the International Law Commission, 1966, Vol. II, p. 202 (emphasis added).
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to what this text might suggest, a State does not bind itself in any way when it agrees to enter into negotiations67. The general opinion was, to use the words of Paul Reuter, that:
“opening negotiations entails no commitment, since negotiating amounts to an entirely discretionary action; until the negotiations are concluded, the negotiator retains complete freedom: to accept, reject, suspend, break off, consult public opinion  anything is possible”68.
The idea of changing this state of affairs, as suggested by the draft text, was rejected as contrary to both practice and the opinio juris, and also deemed entirely inappropriate, since adopting it would have had the effect, according to the States, of dissuading them from entering into negotiations, undermining the very basis of diplomatic relations69. The “catastrophic” visions of which Chile is said to be so “fond”, according to Professor Remiro Brotóns, are therefore far from being the hallucinations that he implies70.
26. In fact, the International Law Commission itself held the view that a State which agrees to enter into negotiations with another State is under no obligation to negotiate. It simply wished it to be mentioned that the principle of good faith requires conduct of a certain nature while negotiations are in progress. But even this clarification, however little binding it may have been, was seen by the States as incompatible with their freedom in respect of negotiations to which they were not bound by the mere fact of having agreed to open them.
II. The theory of the sources of the obligations on which Bolivia’s case is based
27. If I may, Mr. President, I shall now discuss the sources of the obligations on which Bolivia’s claim is based. Professors Remiro Brotóns and Akhavan will forgive me for failing to refute their caricatures of Chile’s position on this subject, which are part of the familiar courtroom
66 Official Records of the United Nations Conference on the Law of Treaties, First and Second Sessions, Vienna, 26 March-24 May 1968 and 9 April-22 May 1969, A/CONF.39/11.Add.2, Reports of the Committee of the Whole, pp. 131-132.
67 See United Nations Conference on the Law of Treaties, First Session, 26 March-24 May 1968, A/CONF.39/C.1/SR.19, statements by the representatives of Venezuela, p. 97, para. 4; Switzerland, para. 5; India, p. 98, para. 18; Austria, p. 100, para. 50; Germany, p. 101, para. 53; Uruguay, A/CONF.39/C.1/SR.20, p. 102, para. 3; Mali, p. 103, para. 9.
68 P. Reuter, “The obligation to negotiate”, in Mélanges Morelli, Paris, 1975, pp. 711-733, in particular p. 714. [Translation by the Registry.]
69United Nations Conference on the Law of Treaties, First Session, 26 March-24 May 1968, A/CONF.39/C.1/SR.19, statements by the representatives of Venezuela, p. 97, para. 4; Switzerland, p. 97, para. 5; Lebanon, p. 101, para. 51; Greece, p. 98, para. 16.
70CR 2018/6, p. 52, para. 27 (Remiro Brotóns).
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ploy of misrepresenting your opponent’s positions, all the better to expose their alleged futility71. Nor shall I hold forth, though not without regret, on the idea of an “atmosphere of treaties”, so poetically evoked by Professor Remiro Brotóns72. But my time is limited, so I shall focus on the law. This is an impossible task in just a few minutes, but I shall apply myself to it, since the Applicant has summoned up, in turn and on top of one another, a great many instances from international law. Local custom is left aside, but not the general principle of international law, since Bolivia is relying on the general obligation to negotiate contained in the Charter of the United Nations, which I dismissed as irrelevant a few moments ago. Let us therefore look at what remains.
A. Agreement
28. I shall begin with agreement. Whether tacit or explicit, agreement is only valid if it reflects at the same time a “common and reciprocal intent between the contracting parties”73 and the intention of the States concerned to be bound by law74. Without these two elements, there is no legal obligation. Judge Ranjeva expressed this very well:
“A common intent is not . . . in itself sufficient to create legal obligations. This would be the case where the parties to an agreement did not intend to establish a mutual legal relationship and sought to exclude their common intent from the area governed by the law.”75
(i) Explicit agreement
29. This requirement of two elements, a common intent and the intention to be bound by law, naturally applies to an exchange of diplomatic correspondence that constitutes a treaty. This type of treaty assumes in principle that the parties have agreed on the terms of their commitment, in order to express their “common intent” with the precision that is appropriate for a treaty. The United Nations Glossary of terms relating to Treaty actions describes this well-known diplomatic
71CR 2018/6, pp. 49-50, paras. 16-19 (Remiro Brotóns); CR 2018/7, p. 51, para. 28 (Akhavan).
72CR 2018/6, p. 52, para. 24 (Remiro Brotóns).
73 F. Capotorti, “Cours général de droit international public”, RCADI, Vol. 248, 1994-IV, p. 148. [Translation by the Registry.]
74 RC, para. 2.8.
75 Fisheries Jurisdiction (Spain v. Canada), Jurisdiction of the Court, Judgment, I.C.J. Reports 1998, dissenting opinion of Judge Ranjeva, p. 569, para. 41.
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practice as follows: “States may express their consent to be bound by an ‘exchange of letters/notes’ . . . In practice, the second letter or note, usually the letter or note in response, will typically reproduce the text of the first.”76
30. In this context, it is generally doubtful that a succession of Notes in which the second does not reproduce the text of the first can constitute a treaty. But even supposing that, although different, the terms of the two Notes are seen as faithfully reflecting a similarity of views, which implies at the very least that they are talking about the same thing, it would still be necessary, in order for their exchange to create international obligations, for them to express the parties’ intention to be bound by law. This cannot be presumed, since many formal agreements do not have that ambition. Everything depends on the intention expressed by the parties, as that emerges from the words they have chosen to use: if those words are not suggestive of legal obligations, then they will be characterizing a purely political stance. When such is the case, the agreement falls into the well-known category of “non-legally binding agreements”, or in French, “actes concertés non conventionnels”77.
Mr. President, I am starting to make slips of the tongue; perhaps that means it is time to take a break.
The PRESIDENT: Thank you, Professor, the Court will now take a break of 15 minutes. The sitting is suspended.
The Court adjourned from 11.30 a.m. to 11.50 a.m.
The PRESIDENT: Please be seated. The sitting is resumed. I would now ask Professor Thouvenin to continue his speech.
Mr. THOUVENIN:
31. Thank you very much. Mr. President, Members of the Court, I was speaking before the break about the rigour with which it is proper to verify whether a treaty commitment exists. It is
76 https://treaties.un.org/pages/overview.aspx?path=overview/glossary/page…; (emphasis added).
77 F. Münch, “Non-Binding Agreements”, Zeitschrift für ausländisches öffentliches Recht und Völkerrecht, Vol. 29, 1969, p. 1.
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with such rigour that we should consider the legal effect of the “informal agreements, declarations and communiqés” whose purpose is in principle, as observed by Professor Jacqué in his course at the Hague Academy of International Law, “to give rise to no more than a behavioural model of a political nature”78. It is only “in exceptional cases”, he continues, that these instruments can create reciprocal obligations, so that one must be “cautious when analysing a commitment given in such a document, since this could be a purely political undertaking”79.
32. A good example of a commitment without binding legal effect expressed in a communiqué was provided in the Aegean Sea Continental Shelf case, to which Bolivia curiously attaches great importance80.
33. In this case, the Court took the view that whether the Brussels Joint Communiqué of 31 May 1975 was an agreement authorizing a unilateral referral to the Court “essentially depend[ed] on the nature of the act or transaction to which the Communiqué g[ave] expression”, and that it was necessary to “have regard above all to its actual terms and to the particular circumstances in which it was drawn up”81.
34. In this case, having explored the circumstances and the terms of the communiqué, in the text of which the Prime Ministers concerned had nevertheless used the word “decided”, the Court found that there was no legal agreement82.
35. We note  and it is quite normal, Mr. President, since sovereign powers do not bind themselves by mistake  that in order for a joint communiqué to be regarded as a legally binding agreement, both its terms and the circumstances in which it was drawn up must come into play. If the terms are not there, the circumstances will never be sufficient. And if the terms are there, but not the circumstances, no agreement will be formed.
36. I now turn to the present case.
78 J.-P. Jacqué, “Acte et norme en droit international public”, RCADI, Vol. 227, 1991-II, pp. 394-395. [Translation by the Registry.]
79 Ibid., pp. 391-392. [Translation by the Registry.]
80 MB, para. 296.
81 Aegean Sea Continental Shelf (Greece v. Turkey), Judgment, I.C.J. Reports 1978, p. 39, para. 96.
82 Ibid., pp. 39-40, paras. 97-98.
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37. Mr. President, allow me to make a purely linguistic digression. The English phrase “is open formally to enter into a direct negotiation aimed at searching for a formula” does not, as Bolivia claims83, mean “open to officially entering into direct negotiations with a view to finding the formula”, which has an entirely different meaning.
38. That being clear, I note that the texts which Bolivia wrongly claims to be explicit agreements state that Chile is “open to enter into a negotiation”  “willing to enter into a negotiation”, according to Bolivia  or “resolved to continue the dialogue” with its neighbour. Do such words ordinarily reflect a legal commitment? The answer is no. Allow me, Mr. President, to illustrate this briefly with three recent instances in which the same words Bolivia puts in Chile’s mouth were used by States without conveying any intention to be legally bound [tab 12]:
(a) In September 2013, when Iran was coming under pressure for its stance on nuclear weapons, the United States President Barack Obama made it known through his press office that “it had ‘long been the position of President Obama’ that he’d be willing to enter bilateral negotiations [with Iran] . . . The extended hand has been there from the moment the president was sworn into office.”84
(b) Last year, the Chinese Ambassador to Mexico publicly announced that: “China is willing to negotiate a free-trade agreement with Mexico”85.
39. Members of the Court, clearly, none of these unilateral statements had as its purpose to create, or the effect of creating, a legal obligation. Behind these words there are political postures — no doubt important from a political and diplomatic standpoint — but there are no legal undertakings.
40. As regards joint declarations in which States say they have “resolved” to do one thing or another, once again, practice unequivocally shows that they are not intended to create legal obligations. One of many good examples86 is the Joint Statement of the Ministers for Foreign
83 MB, Annex 109 B.
84 “White House: Obama ‘willing’ to meet with Iran’s Rouhani”, The Hill, 19 September 2013, http://thehill.com/homenews/administration/323419-white-house-obama-wil….
85 “China willing to negotiate FTA with Mexico, says ambassador”, China Daily, 29 June 2017, http://www.chinadaily.com.cn/business/2017-06/29/content_29929713.htm.
86 For another example, see the Japan/Australia Joint Press Statement, 18 January 2018, http://www.mofa.go.jp/files/000326262.pdf; U.S.-Pakistan Joint Statement, 1 March 2016, https://pk.usembassy.gov/u-s-pakistan-strategic-dialogue-joint-statemen….
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Affairs of Japan, the United States and Australia of 25 July 2016. It states, inter alia, that: “The Ministers resolved to further strengthen cooperation in the following fields: . . . Effective implementation of the Paris Agreement, striving for entry into force in 2016.”87
41. It is perhaps a pity for the Paris Agreement, but there is clearly no legal obligation behind these words.
42. To conclude this point, Mr. President: the words that Bolivia insists carry legal obligations are not intended to do so.
(ii) Tacit agreement and acquiescence
43. Among the cluster of alternative contentions it puts forward, Bolivia also relies on tacit agreement and acquiescence, as if the tacit agreement and acquiescence theories were consolation prizes for whoever fails to prove an explicit agreement.
44. Clearly, the tacit agreement theory must be handled with extreme caution. It can only be applied when there is rock-solid proof of the existence of such an agreement88.
45. Yet, in rather stark contrast, Bolivia’s discussion of tacit agreement, and of acquiescence for that matter, is remarkably underdeveloped.
46. In its written pleadings, Bolivia relies on a political statement made before the Organization of American States on 26 October 197989, to which Chile allegedly responded with a silence that Bolivia claims was approval. But, Mr. President, diplomats are well aware that they have no obligation to respond to everything their counterparts say before the political organs of international organizations. Bolivia also referred  this week as well90  to the declaration of November 1984, which it made on signing the United Nations Convention on the Law of the Sea. But one only has to read it to realize that it did not call for any response on Chile’s part, since it
87 Joint Statement of the Ministers for Foreign Affairs of Japan, the United States and Australia, 25 July 2016, https://foreignminister.gov.au/releases/Pages/2016/jb_mr_160725.aspx.
88 Territorial and Maritime Dispute between Nicaragua and Honduras in the Caribbean Sea (Nicaragua v. Honduras), Judgment, I.C.J. Reports 2007 (II), p. 735, para. 253; Delimitation of the maritime boundary in the Bay of Bengal (Bangladesh/Myanmar), Judgment, ITLOS Reports 2012, p. 44, para. 117.
89 Minutes of the Second Meeting of the General Committee of the OAS General Assembly, 26 October 1979, CMC, Annex 248.
90 CR 2018/7, p. 50, paras. 24-25 (Akhavan).
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simply asserted Bolivia’s aspiration, without in any way claiming that Chile was legally bound to negotiate in order to satisfy that aspiration.
47. Apart from this, last Tuesday, Professor Akhavan merely attempted, first, to persuade you  in vain, I believe  not to address the question of tacit agreements with the rigour and high standards that are characteristic of this Court and reflected in its jurisprudence91, and, second, to argue that the fact that Chile has clearly and distinctly asserted, on several occasions, that nothing in its conduct could be seen as legally binding it, actually confirms the contrary, since, as Bolivia would have it, the exception proves the rule92. The Court will decide.
B. Unilateral acts
48. I shall now turn to the question of unilateral acts, without restating the obvious fact — on which the Parties agree, moreover — that such acts can only create legal obligations if such is the clearly stated intention of their authors93, and if that intention is entirely clear from both the terms of the act and the circumstances in which it was adopted. I will also not dwell on the rarity of unilateral acts that create legal obligations, which “is easily explained given that no State willingly makes spontaneous, complimentary concessions”94.
49. Here, the Parties disagree on at least three points.
50. First, contrary to what has been suggested by Bolivia, a State cannot just casually claim that another State unilaterally made statements that legally bind it. The evidentiary requirements are very high95. In this regard, the reactions a statement elicits when it is made are particularly relevant in determining its possible legal effects96. If the alleged recipient of a promise does not see
91 CR 2018/7, pp. 48-49, paras. 18-20 (Akhavan).
92 CR 2018/7, p. 49, para. 21 (Akhavan).
93 MB, para. 304; CMC, para. 4.17.
94 E. Suy, Les actes juridiques unilatéraux en droit international public, Paris, L.G.D.J., 1962, p. 111. [Translation by the Registry.]
95 International Law Commission, “Guiding principles applicable to unilateral declarations of States capable of creating legal obligations, with commentaries thereto”, Yearbook of the International Law Commission, 2006, Vol. II, Part Two.
96 International Law Commission, “Guiding principles applicable to unilateral declarations of States capable of creating legal obligations, with commentaries thereto”, Yearbook of the International Law Commission, 2006, Vol. II, Part Two, Principle 3 and commentaries thereto.
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in the statement anything that constitutes a legal undertaking, to claim otherwise, a posteriori, is nothing less than to rewrite diplomatic history.
51. Second, Bolivia contends that it can rely on documents drafted unilaterally by its own agents, documents which are purely internal and which quote words that were neither verified nor validated by the Chilean officials to whom they were attributed97. Bolivia sets great store by them, as if it can rely on its own internal documents to prove the existence of unilateral acts whereby Chile allegedly promised to concede a sovereign access to the sea. But, Mr. President, have the words quoted been properly transcribed? Even assuming that they were, have they been taken out of context? Chile cannot say, because the actors presented in those texts are no longer here to bear witness. It is thus necessary to exercise the utmost caution. The Court will, moreover, recall that when the Permanent Court of International Justice accepted the famous Ihlen Declaration, it took due care to ascertain that the declaration corresponded to “the words recorded in the minute by M. Ihlen himself”98.
52. As regards the acts that are unquestionably attributable to Chile, my colleagues will return to each one of them in turn and demonstrate that they do not manifest any intention to be legally bound.
53. It remains for me to say something –– it is at least the third point on which the Parties disagree –– of the circumstances that should be taken into consideration to determine the scope of an act. The most compelling is the context in which the act occurred. In the Burkina Faso/Republic of Mali case, the Court analysed the scope of a unilateral declaration by the Head of State of Mali, who stated publicly that “if the Organization of African Unity Commission decides objectively that the frontier line passes through Bamako, my Government will comply with the decision”99. The Court held that it was not a legal undertaking, not –– as Professor Akhavan claims –– because this “hyperbolic” statement was not serious100, but because  and I shall let the Court speak for itself [tab 13]:
97 CR 2018/7, p. 43, para. 4 (Akhavan); see, for example, MB, Ann. 56, RB, Anns. 325 and 334, and MB, Ann. 66.
98 Legal Status of Eastern Greenland, Judgment, 1933, P.C.I.J., Series A/B, No. 53, p. 58.
99 Frontier Dispute (Burkina Faso/Republic of Mali), Judgment, I.C.J. Reports 1986, p. 571, para. 36.
100 CR 2018/7, p. 46, para. 13 (Akhavan).
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“Here, there was nothing to hinder the Parties from manifesting an intention to accept the binding character of the conclusions of the Organization of African Unity Mediation Commission by the normal method: a formal agreement on the basis of reciprocity.”101
54. These are very same circumstances that prevail in this case.
C. Estoppel
55. Bolivia also relies on the estoppel rule. Mr. President, this is another rule that should not be invoked lightly, because, in the words of the Court in the Gulf of Maine case, of “the problems that the application of this concept in international law may raise generally”102. The conditions for its application are accordingly both strict and cumulative.
56. Estoppel only comes into play where there is doubt about the position of the State against which it is invoked, in the sense that there is uncertainty as to whether it intended to bind itself  this is what the Arbitral Tribunal in the Chagos case called the “grey area”103. In the present case, there is no doubt about Chile’s intention, which has never been to bind itself legally, as Chile has made clear on a number of occasions.
57. The other conditions for estoppel have been summarized by the Court. According to your jurisprudence, an estoppel would only arise if the State against which it is invoked [tab 14]:
“by its acts or declarations . . . had consistently made it fully clear that it had agreed [to an obligation]. It would further be necessary that, by relying on such an attitude, [the State invoking estoppel] had changed position to its own detriment or had suffered some prejudice (North Sea Continental Shelf, Judgment, I.C.J. Reports 1969, p. 26, para. 30; Land, Island and Maritime Frontier Dispute (El Salvador/Honduras), Application to Intervene, Judgment, I.C.J. Reports 1990, p. 118, para. 63)”104.
101 Frontier Dispute (Burkina Faso/Republic of Mali), Judgment, I.C.J. Reports 1986, p. 574, para. 40.
102 Delimitation of the Maritime Boundary in the Gulf of Maine Area (Canada/United States of America), Judgment, I.C.J. Reports 1984, p. 310, para. 148.
103 Chagos Marine Protected Area (Republic of Mauritius v. United Kingdom), PCA No. 2011-3, p. 178, para. 447, mentioned approvingly by Bolivia in its Reply, para. 325.
104 Land and Maritime Boundary between Cameroon and Nigeria (Cameroon v. Nigeria), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1998, p. 303, para. 57.
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58. For an estoppel to exist, therefore, the acts or declarations of the State in question must have consistently made it fully clear that it considered itself to be legally bound105. That representation must not be of an “unclear nature”106.
59. In the present case, there has been no clear, consistent and unequivocal representation showing that Chile considered itself to be bound by the obligation invoked by Bolivia. The terms of some of Chile’s declarations reflected its openness to negotiation, but this cannot legitimately be construed as anything other than an entirely traditional diplomatic stance.
60. Estoppel would also require Bolivia to provide documentary evidence that it has, “in all good faith”, interpreted Chile’s conduct as expressing a legal undertaking on its part. It is clearly not enough for Bolivia to state this in Court; it has to prove it. Yet not only has Bolivia failed to provide any documentary evidence, since there is absolutely nothing to that effect in its file, but above all, it is incapable of doing so because it was perfectly well aware of Chile’s position, both by virtue of the wording carefully chosen by Chile in its various official communications, which leave no doubt as to its intentions, but also as a result of Chile’s denials, for example in 1963107, 1967108, 1987109 and 1988110. The World Court has always rejected the idea of estoppel in such circumstances111.
105 Serbian Loans, Judgment No. 14, 1929, P.C.I.J., Series A No. 20, p. 39 (“clear and unequivocal representation”); case of the Temple of Preah Vihear (Cambodia v. Thailand), Merits, Judgment, I.C.J. Reports 1962, dissenting opinion of Sir Percy Spender, p. 143 (“clear and unequivocal representation”); North Sea Continental Shelf (Federal Republic of Germany/Denmark) (Federal Republic of Germany/Netherlands), Judgment, I.C.J. Reports 1969, p. 26, para. 30 (“clearly and consistently” represented); Land and Maritime Boundary between Cameroon and Nigeria (Cameroon v. Nigeria), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1998, p. 303, para. 57 (“by its acts or declarations Cameroon had consistently made it fully clear that it had agreed”); Chagos Marine Protected Area (Republic of Mauritius v. United Kingdom), PCA No. 2011-3, Award of 18 March 2015, p. 174, para. 438 (“clear and consistent representations”).
106 Delimitation of the Maritime Boundary in the Gulf of Maine Area (Canada v. United States of America), Judgment, I.C.J. Reports 1984, p. 309, para. 145.
107 RC, paras. 5.31-5.32.
108 RC, para. 5.33.
109 RC, para. 5.20 (a).
110 RC, para. 5.20 (b).
111 Serbian Loans, Judgment No. 14, 1929, P.C.I.J., Series A, No. 20, p. 39; Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (Belgium v. Spain) (New Application: 1962), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1964, pp. 24-25; Land, Island and Maritime Frontier Dispute (El Salvador/Honduras), Application to Intervene, Judgment, I.C.J. Reports 1990, p. 118, para. 63; Land and Maritime Boundary between Cameroon and Nigeria (Cameroon v. Nigeria), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1998, p. 304, para. 58; Sovereignty over Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, Middle Rocks and South Ledge (Malaysia v. Singapore), Judgment, I.C.J. Reports 2008, p. 81, para. 228.
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61. Estoppel would also require Bolivia to prove that, while it relied in good faith on an impression given by Chile’s conduct, Chile’s alleged change of position caused it to suffer prejudice.
62. On this point too, Bolivia’s file contains nothing.
III. The content of an obligation to negotiate
63. I shall move on now, Mr. President, to the content of an obligation to negotiate, where it exists. I should like to make two general comments before considering the present case.
64. First of all, Bolivia is on the wrong path when it suggests that this content meets general standards that are still relevant112. As Paul Reuter observed: “there is no uniform obligation to negotiate”113. Each case must therefore  and this is really a matter of common sense  be taken on its own merits.
65. Second, Bolivia is also wrong to claim, in its Reply, that where an obligation to negotiate exists, it must be defined in the light of its alleged “cause”. In actual fact, just as with any international obligation, where an obligation to negotiate exists, it is to be interpreted in the light of the terms of the undertaking given, and its purpose, as evidenced by those terms.
66. Mr. President, I come now to the facts, in other words the purpose of the obligation to negotiate which Bolivia has invoked before the Court.
67. Contrary to what Professor Forteau claimed on Tuesday, on the basis of a document from 1975, the purpose is not “to arrive at a ‘definitive solution to Bolivia’s landlocked situation’”114.
68. The purpose of negotiating, if we go (as we must) by the terms of the documents attributable to Chile, from which Bolivia claims to derive this obligation, is to see whether there is a solution to Bolivia’s aspiration that is also acceptable to Chile in the light of its own interests. It involves “reaching a mutually convenient solution”, according to the terms of the 1975 document, which my opponent presented to you in a biased manner.
112 CR 2018/6, pp. 59-61, paras. 7-17 (Lowe); see in particular MB, Chap. II, section II; see also RB, paras. 167-175.
113 P. Reuter, “De l’obligation de négocier”, op. cit., p. 715. [Translation by the Registry.]
114 CR 2018/7, p. 64, para. 29 (Forteau), referring to CMC, Ann. 180.
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69. It is to negotiate “ex nihilo: on the matter which is the subject of the negotiations”115, without any requirement other than to find out whether it is possible for each party to satisfy its own interests while also satisfying those of the other party.
70. In other words,
(a) the purpose of these negotiations is not to reconcile competing rights claimed by Chile and Bolivia, since Bolivia does not claim any right of access to the sea, as you held in your Judgment on the Preliminary Objections;
(b) their purpose is also not to implement a right which Bolivia and Chile have conceded to each other, since they have made no such concession116;
(c) it is also not about implementing an obligation to settle a dispute peacefully. As I have shown, there is no dispute that Bolivia can invoke, under the obligation to settle disputes peacefully, that gives rise to an obligation to negotiate.
71. Consequently, the jurisprudence on this type of negotiation, the only jurisprudence relied on by Bolivia in its written and oral pleadings117, is of no help to it whatsoever, and it makes absolutely no sense for Bolivia to invoke it.
72. If an obligation existed, it would therefore  and I would stress this point  be an obligation of conduct, in which Chile and Bolivia would freely compare their views in order to see whether they can find a mutually acceptable agreement, as long as they are convinced that such an outcome is possible.
73. The important point to make here is that where such an obligation exists, it cannot survive a finding by either party, or both, that no mutually satisfactory solution can be found.
74. Professor Forteau claims the reverse, arguing that in general international law “the obligation to negotiate is an obligation of tracto continuo”118, referring rather enigmatically, in the present case, to Article 33 of the United Nations Charter119, apparently without having consulted
115 P. Reuter, “De l’obligation de négocier”, op. cit., p. 270. [Translation by the Registry.]
116 RC, paras. 2.42-2.47.
117 CR 2018/7, p. 65, para. 31 (Forteau).
118 CR 2018/7, p. 65, para. 31 (Forteau).
119 CR 2018/7, p. 65, footnote 243 (Forteau).
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Professor Lowe120. But no matter. In any event, general international law cannot be a source of the obligation to negotiate that is at issue in the present case.
75. The Court will also have noted the words of Professor Forteau when he said that the obligation to negotiate cannot be terminated on the grounds that it has been fully discharged, even though the Parties have tried but failed to find a compromise in good faith, since that situation was not provided for by Chile’s undertakings and declarations121. This is a very puzzling position. But perhaps Bolivia will provide more details on Monday.
76. In any event, Mr. President, “an obligation to negotiate does not imply an obligation to reach an agreement”122, as the Permanent Court of International Justice previously pointed out. Therefore, in the case of negotiations the sole purpose of which is to seek a mutually satisfactory solution, if a party concludes that none of the solutions on offer can be satisfactory, it will obviously be entitled to consider that the undertaking to negotiate which it had originally given, and which it has implemented as far as was reasonable, serves no further purpose. It is useful here to refer once again to Paul Reuter:
“Where the result of the negotiations can only be achieved by an agreement, for example in the case of trade negotiations, and where the prospect of success appears to have been definitively ruled out, it is reasonable to accept that the obligation to negotiate has lapsed for want of subject-matter”123.
77. Mr. President, Members of the Court, I have presented these final considerations for the sake of completeness. They apply only in respect of an obligation to negotiate that has been duly found to exist. But in the present case, even though Bolivia has invoked every possible source of international law, the “missing link”  the legal obligation  is still missing.
78. This concludes my speech. I thank you for your kind attention, and I would ask you, Mr. President, to give the floor to Kate Parlett.
Le PRESIDENT: Je vous remercie. J’appelle à présent Mme Kate Parlett à la barre.
120 CR 2018/6, p. 61, para. 14 (Lowe).
121 CR 2018/7, p. 64, para. 29 (Forteau).
122 Railway Traffic between Lithuania and Poland, Advisory Opinion, 1931, P.C.I.J., Series A/B, No. 42, p. 116.
123 P. Reuter, “De l’obligation de négocier”, op. cit., p. 729. [Translation by the Registry.]
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Mme PARLETT :
LES ÉCHANGES DIPLOMATIQUES DE 1910 À 1926
1. Monsieur le président, Madame la vice-présidente, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est un honneur pour moi de me présenter à nouveau devant vous aujourd’hui, et un privilège d’avoir été chargée par la République du Chili d’examiner les échanges diplomatiques que les Parties ont eus dans la première partie du XXe siècle.
2. En début de semaine, les conseils de la Bolivie vous ont dit que, au cours de cette période, le Chili avait pris un engagement juridiquement contraignant de négocier un accès souverain. Pareil engagement résulterait d’un accord exprès, de déclarations unilatérales et d’un estoppel. Pour faire bonne mesure, la Bolivie a également soutenu que cette période confirmait l’existence d’une entende historique en vue de négocier un accès souverain, qui aurait été antérieure et aurait survécu au traité de paix de 1904. De façon remarquable, la Bolivie n’a pas examiné devant vous le moindre document. Ses plaidoiries ont simplement consisté à répéter diverses assertions au sujet des éléments de preuve, en se référant occasionnellement à des extraits choisis de manière très sélective.
3. Il m’incombe aujourd’hui d’examiner devant vous le contenu réel des éléments de preuve.
I. La demande bolivienne de 1910
4. Commençons par une proposition bolivienne de 1910. Le traité de paix que la Bolivie et le Chili avaient conclu en 1904 était alors en vigueur depuis six ans, et les deux Etats avaient mis en oeuvre le règlement global qui y était prévu. Le Chili contrôlait les provinces côtières de Tacna et d’Arica, à l’ouest de la frontière dont le tracé intégral avait déjà été convenu avec la Bolivie, étant entendu qu’il serait définitivement décidé en temps utile qui, du Chili ou du Pérou, aurait souveraineté sur l’une et l’autre de ces provinces.
5. Tel est le contexte dans lequel la Bolivie adressa, le 22 avril 1910, une proposition au Chili et au Pérou. Vous trouverez le texte de cette proposition sous l’onglet n° 16 de votre dossier. La Bolivie y demandait aux deux Etats s’ils seraient ouverts à ses «suggestions» et «propositions»
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concernant la possibilité de lui donner souveraineté sur un territoire côtier et un port124. Elle se déclarait également prête à offrir une compensation si des discussions avaient lieu125, confirmant que cette proposition n’était pas formulée sur la base d’une quelconque entente antérieure dont l’un des termes n’aurait pas été satisfait.
6. Une semaine plus tard, la Bolivie adressa au Chili une nouvelle lettre dans laquelle elle lui donnait l’assurance que, lorsqu’elle formulerait ses «aspirations» au sujet du port convoité, elle «écoutera[it] avec une déférence absolue les conseils et l’opinion du Chili» et que, si ce dernier «juge[ait] plus approprié de reporter l’étude de cette question», la Bolivie se plierait à ses vues126.
7. Le Chili répondit le 14 août 1910. Il indiqua que, compte tenu des arrangements qu’il avait pris avec le Pérou concernant Tacna et Arica, il n’était pas en mesure de discuter d’Arica avec la Bolivie127. Il se déclara cependant disposé à discuter «d’autres moyens de servir les intérêts commerciaux» de la Bolivie, comme la facilitation du commerce bolivien dans les ports chiliens128.
8. La Bolivie répondit le 29 août en sachant gré au Chili de sa «bonne volonté». Elle déclara qu’elle soumettrait «un mémorandum exposant ses souhaits» concernant la facilitation de son commerce dans les ports chiliens129. En définitive, toutefois, elle ne formula aucune proposition.
9. Ces échanges montrent que les deux Etats ne dialoguaient pas sur la base d’une quelconque obligation préexistante, pas plus qu’ils n’entendaient créer la moindre obligation juridique : la Bolivie priait simplement le Chili d’écouter ses propositions, comme l’octroi d’une compensation, en lui exprimant sa déférence absolue. Il ressort clairement de ces échanges que la Bolivie n’agissait pas sur la base d’une entente historique non satisfaite, mais qu’elle cherchait au contraire à parvenir à un nouvel accord.
124 Mémorandum bolivien du 22 avril 1910 ; MB, annexe 18, p. 88-89. Sauf indication contraire, tous les numéros de page indiqués ici renvoient à la numérotation des volumes d’annexes imprimés.
125 Ibid., p. 91.
126 Lettre en date du 29 avril 2010 adressée au ministre plénipotentiaire du Chili en Bolivie par le ministre bolivien des affaires étrangères ; DC, annexe 380, p. 71 ; onglet n° 17 du dossier de plaidoiries.
127 Lettre en date du 14 août 2010 adressée au Gouvernement bolivien par le ministre plénipotentiaire du Chili en Bolivie ; DC, annexe 381, p. 75 ; onglet n° 18 du dossier de plaidoiries.
128 Ibid., p. 77.
129 Lettre en date du 29 août 2010 adressée au ministre plénipotentiaire du Chili en Bolivie par le ministère bolivien des affaires étrangères ; DC, annexe 382, p. 81 ; onglet n° 19 du dossier de plaidoiries.
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10. Cette semaine, la Bolivie a mentionné deux autres éléments de preuve datant de cette décennie, mais ni l’un ni l’autre ne sert sa cause.
a) Il vous a été dit que le président bolivien M. Montes avait, en 1913, insisté «sur le droit de la Bolivie de disposer de son propre port»130. L’élément que la Bolivie a produit –– lequel figure sous l’onglet n° 20 de votre dossier –– indique que, en avril 1913, avant d’être réélu président, M. Montes avait laissé entendre dans un discours que Tacna et Arica devaient être rattachées à la Bolivie, mais que sa position n’avait pas été acceptée par le Gouvernement bolivien131.
b) Vous avez également entendu cette semaine que le ministre des affaires étrangères du Chili, M. Bello Codesido, a déclaré dans un ouvrage publié en 1919 que le Chili «considér[ait] [l’]aspiration [de la Bolivie] à posséder son propre port comme étant légitime et respectable»132. Dans le même ouvrage, l’ancien ministre expliquait en des termes dépourvus d’ambigüité que, au cours des négociations qui avaient préludé à la conclusion du traité de paix de 1904, la Bolivie avait renoncé à «toute aspiration à un port sur le Pacifique»133. Sir Daniel vous a montré ce passage à l’ouverture de l’audience d’aujourd’hui. M. Bello Codesido déclarait également dans son ouvrage qu’une réémergence de l’aspiration à disposer d’un port pouvait «conduire à de nouveaux accords fondés sur une compensation suffisante et équitable» pour le Chili134. Cela montre non seulement qu’il n’existait aucune entente historique non satisfaite, mais aussi qu’aucun engagement n’avait été pris.
II. Le procès-verbal de 1920
11. La Bolivie fait grand cas d’un document daté du 10 janvier 1920, dans lequel il est rendu compte d’une série de réunions entre le ministre du Chili et le ministre des affaires étrangères de la Bolivie. La Bolivie a baptisé ce document l’«acte de 1920».
130 CR 2018/6, p. 36, par. 19 (Chemillier-Gendreau).
131 Note n° 136 de la légation bolivienne en date du 25 avril 1913 ; MB, annexe 41, p. 177-178.
132 E.B. Codesido, Notes sur l’histoire des négociations diplomatiques menées avec le Pérou et la Bolivie, 1900-1904 (1919) ; CMC, annexe 115, p. 303.
133 E.B. Codesido, Notes sur l’histoire des négociations diplomatiques menées avec le Pérou et la Bolivie, 1900-1904 (1919) ; DC, annexe 383, p. 91 ; voir également p. 87 (qui contient un extrait traduit du même ouvrage, figurant à l’annexe 115 du contre-mémoire) (citant le mémoire de 1902 du ministère chilien des affaires étrangères, ainsi qu’indiqué à la page 89).
134 E.B. Codesido, Notes sur l’histoire des négociations diplomatiques menées avec le Pérou et la Bolivie, 1900-1904 (1919) ; CMC, annexe 115, p. 303.
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12. M. Akhavan s’est focalisé cette semaine sur le procès-verbal de ces réunions sans vous en présenter le contenu réel : il vous a dit que ce document constituait un accord à l’effet de négocier un accès souverain135 ; qu’il renfermait des déclarations unilatérales contraignantes visant à mettre un terme à l’enclavement de la Bolivie136 ; qu’il créait une situation d’estoppel, et avait fait naître des attentes légitimes du côté de la Bolivie137. Ces arguments sont tous intenables.
13. Vous trouverez le texte du procès-verbal en question sous l’onglet n° 21.
14. Vous constaterez que, dans la seconde moitié de la page 323 et sur une bonne partie de la page suivante, le ministre du Chili énumérait sept idées susceptibles de constituer les bases d’un accord138.
15. Comme la Bolivie vous l’a dit, ces idées avaient déjà été avancées par le Chili quatre mois plus tôt139, mais la Bolivie avait alors décidé de ne pas les accepter car le Chili lui demandait en contrepartie de le soutenir dans le cadre du plébiscite140, une condition qui restait litigieuse. Toujours est-il que le Chili a présenté ces sept points lors des réunions de janvier.
16. A partir de l’avant-dernier paragraphe de la page 323, vous pouvez lire que :
a) selon le point I, le traité de 1904 était censé définir les relations politiques des deux Etats et avoir mis un terme à l’ensemble des questions consécutives à la guerre. Selon le point III, la Bolivie avait renoncé à son «aspiration à disposer de son propre port en échange de la construction de la voie de chemin de fer» et de l’exécution d’autres obligations contractées par le Chili dans le traité de paix de 1904141.
b) Sur la page suivante, au point IV, nous lisons que «le Chili [était] disposé à faire en sorte que la Bolivie obtienne un accès à la mer qui lui soit propre» au nord d’Arica ;
135 CR 2018/6, p. 26, par. 13 (Akhavan).
136 CR 2018/7, p. 43-44, par. 4-5 (Akhavan).
137 CR 2018/6, p. 26, par. 15 (Akhavan) ; CR 2018/7, p. 52, par. 32-33 (Akhavan).
138 Procès-verbal du 10 janvier 1920 ; CMC, annexe 118, p. 323 et 325.
139 Mémorandum chilien du 9 septembre 1919 ; CMC, annexe 117, p. 317-319.
140 Voir la note en date du 21 novembre 1919 adressée à l’envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de la Bolivie au Chili par le ministère bolivien des affaires étrangères ; DC, annexe 384, p. 97-101. Voir également p. 109-111.
141 Procès-verbal du 10 janvier 1920 ; CMC, annexe 118, p. 323 et 325.
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c) au point V, le Chili «accept[ait] d’entamer de nouvelles négociations visant à répondre à l’aspiration de [la Bolivie], sous réserve qu[’il] remporte le plébiscite»142 ;
d) le point VI semble indiquer qu’un accord devait être conclu pour circonscrire précisément la zone concernée –– confirmant qu’il s’agissait d’idées préliminaires –– ainsi que pour déterminer la compensation due au Chili143 ; et enfin,
e) aux termes du point VII : «la Bolivie veillera[it] bien évidemment à exercer son influence diplomatique en faveur du Chili et à coopérer efficacement pour assurer à celui-ci une issue favorable dans le cadre du plébiscite concernant Tacna et Arica»144.
17. La Bolivie a cité ces trois points préliminaires de manière sélective. Or les réunions ne se sont pas arrêtées là : le procès-verbal se poursuit encore sur sept pages. Ainsi, prenant note des «objectifs de cordialité et de rapprochement politique», la Bolivie a exposé ses propres arguments, auxquels le Chili a répondu, et quelques échanges supplémentaires ont eu lieu.
18. Puis –– il s’agit du dernier paragraphe de la page 337 –– le ministre bolivien a invité le Chili à «examiner posément les faits, afin de parvenir à un accord qui réponde aux aspirations de la Bolivie, moyennant une compensation équitable [p. 339]». Il est donc clair que les représentants des deux Etats ne faisaient qu’échanger des vues, et rien de plus.
19. Le paragraphe suivant, page 339, le confirme : «[L]es présentes déclarations ne contiennent aucune disposition créant des droits ou obligations pour les Etats représentés par leurs auteurs...»145 Le ministre des affaires étrangères de la Bolivie a ensuite réitéré le souhait de son pays d’acquérir le port d’Arica, ce qui était incompatible avec la proposition avancée par le Chili au point IV, à savoir la cession d’une «zone située au nord d’Arica»146.
20. Ce paragraphe confirme deux choses :
a) premièrement, il prouve de manière concluante qu’il n’était pas dans l’intention des signataires du procès-verbal de 1920 de contracter la moindre obligation juridique au nom de leur pays ;
142 Procès-verbal du 10 janvier 1920 ; CMC, annexe 118, p. 325.
143 Ibid.
144 Ibid.
145 Ibid., p. 339.
146 Ibid., p. 325. Voir également p. 333 (où le Chili rejette la cession du port d’Arica).
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b) deuxièmement, il confirme l’absence d’accord sur les idées proposées par le Chili, puisque la Bolivie a conclu les réunions en faisant à celui-ci une proposition incompatible avec ses propositions.
21. La Bolivie a avancé divers arguments pour tenter de tourner l’effet évident de ce paragraphe essentiel147, mais aucun n’est convaincant. Le procès-verbal de 1920 ne crée aucune obligation juridique ni n’en confirme l’existence. C’est donc également en pure perte que la Bolivie affirme que les points IV et V des propositions chiliennes constituaient des déclarations unilatérales contraignantes148 donnant lieu à un estoppel.
22. A l’audience de mardi, la Bolivie a avancé deux autres arguments au sujet du procès-verbal de 1920.
a) Elle a affirmé que la référence faite au procès-verbal de 1920 dans les préambules des deux notes de 1950 en confirmait l’effet juridique149. Dans l’introduction de sa note, la Bolivie décrivait ce procès-verbal comme l’un des $«antécédents importants [antecedentes dans l’original espagnol] témoignant d’une orientation très claire de la politique internationale de la République du Chili»150 alors que, dans sa propre note, le Chili faisait simplement référence à «ces antécédents»151. La Bolivie traduit antecedentes en anglais par «precedents» [précédents], mais «antécédents» est une traduction plus exacte, au sens de contexte. Ce terme est dépourvu de la connotation juridique associée au terme «précédent»152. La Bolivie n’obtiendra rien de cette façon.
b) La Bolivie vous a également renvoyé à l’ouvrage d’un historien chilien publié en 2004, qui indique que $«[l]e Chili s’[est] engag[é]» en vertu du point V des idées exposées dans le procès-verbal153. Il est évident que cette interprétation post hoc n’est guère utile à la Cour et, dans un passage que la Bolivie ne vous a pas montré, le même auteur a présenté le
147 Cf. CR 2018/7, p. 16, par. 9 (Remiro Brotóns) ; REB, par. 202.
148 CR 2018/7, p. 43-44, par. 4-5 (Akhavan).
149 CR 2018/7, p. 16, par. 11 (Remiro Brotóns).
150 Note en date du 1er juin 1950 adressée au ministre des affaires étrangères du Chili par l’ambassadeur de la Bolivie auprès du Chili ; DC, annexe 398, p. 247.
151 Note en date du 20 juin 1950 adressée à l’ambassadeur de la Bolivie auprès du Chili par le ministre des affaires étrangères du Chili ; DC, annexe 399, p. 253.
152 Cf. CR 2018/7, p. 61, par. 20 (Forteau).
153 CR 2018/7, p. 17, par. 11 (Remiro Brotóns).
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procès-verbal de 1920 en ces termes : «Ce n’est pas un traité. Ce texte énumère simplement les bases d’un traité futur et consigne les préoccupations mises en avant par le Chili et la Bolivie à cet égard»154.
23. Enfin, la Bolivie a tenté de jouer la carte de l’estoppel et des attentes légitimes en affirmant que, «se fiant à la promesse du Chili, [elle avait], au lieu de dénoncer le traité de 1904, sout[enu] son voisin aux fins de ce plébiscite, en escomptant un accès souverain à la mer»155. Aucun élément de preuve n’a été produit à l’appui de ce soutien allégué, et ses propres documents de l’époque semblent indiquer que la Bolivie n’avait alors nullement l’intention de coopérer avec le Chili aux fins du plébiscite prévu156. En tout état de cause, le plébiscite n’a jamais eu lieu, de sorte que l’argument de la confiance invoqué par la Bolivie est surprenant, pour dire le moins. S’agissant de l’affirmation selon laquelle elle se serait abstenue de dénoncer le traité de paix de 1904 au motif qu’elle se serait fiée aux promesses alléguées du Chili, la Bolivie a en réalité tenté de dénoncer le traité la même année, par une demande adressée à la Société des Nations.
III. La demande en revision du traité de paix de 1904 soumise par la Bolivie à la Société des Nations
24. C’est ainsi que, en novembre 1920, la Bolivie présenta à la Société des Nations une demande en revision ou en nullité du traité de paix de 1904157. Le Chili s’opposa à cette demande158 qui, en définitive, fut considérée comme excédant la compétence de la Société des Nations159. Dans une déclaration devant l’Assemblée de celle-ci, le 28 septembre 1921, le représentant chilien fit observer ce qui suit :
154 O. Pinochet de la Barra, Chile and Bolivia: How much longer! (2004) ; REB, annexe 352, p. 1265.
155 CR 2018/6, p. 26, par. 15 (Akhavan) ; voir également CR 2018/7, p. 52, par. 33 (Akhavan).
156 Voir la note n° 200 en date du 31 mars 1926 adressée à M. Eduardo Diez de Medina, ministre plénipotentiaire de la Bolivie au Chili, par M. Alberto Gutierrez, ministre des affaires étrangères de la Bolivie ; REB, annexe 240, p. 81, notamment.
157Voir la lettre en date du 1er novembre 1920 adressée à M. James Eric Drummond, Secrétaire général de la Société des Nations, par les représentants de la Bolivie ; EPC, annexe 37.
158 Voir la déclaration faite le 7 septembre 1921 par le représentant du Chili, M. Augustín Edwards, au cours de la 5e séance plénière de l’Assemblée de la Société des Nations ; CMC, annexe 119 ; voir également la lettre no 14 en date du 19 décembre 1920 adressée au président de l’Assemblée de la Société des Nations par les représentants du Chili ; EPC, annexe 38.
159 Société des Nations, rapport du comité de juristes sur les réclamations du Pérou et de la Bolivie, 21 septembre 1921 ; EPC, annexe 39. Voir également la déclaration faite le 28 septembre 1921 par M. M. C. Aramayo, représentant de la Bolivie, au cours de la 22e séance plénière de l’Assemblée de la Société des Nations ; CMC, annexe 120, p. 373.
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«[L]a Bolivie peut chercher satisfaction dans des négociations directes librement consenties. Le Chili n’a jamais fermé cette porte à la Bolivie, et je suis en mesure de déclarer que rien ne nous sera plus agréable que d’envisager directement avec elle les meilleurs moyens d’aider à son développement. C’est son amitié que nous voulons.»160
25. Le conseil de la Bolivie a évoqué cette déclaration lundi161, mais n’a fait référence qu’à la première phrase. C’est uniquement sur la base de cette citation tronquée qu’il a pu laisser entendre qu’elle concernait un accès souverain.
26. Ensuite, mardi, le conseil de la Bolivie vous a dit que, par ces propos, le Chili «a[vait] déclaré devant la Société des Nations que [la dénonciation du traité de paix de 1904] serait inutile au motif que «la Bolivie p[ouvait] chercher à obtenir satisfaction par des négociations directes»»162, ce qui, là encore, fonderait la Bolivie à faire valoir l’argument de l’estoppel et des attentes légitimes.
27. J’ai trois observations à formuler à cet égard.
a) Premièrement, comme je l’ai expliqué en citant le passage concerné dans son intégralité, cette déclaration ne signifiait pas que le Chili négocierait un accès souverain.
b) Deuxièmement, la Bolivie n’a ensuite pas accepté la proposition du Chili de discuter des moyens de faciliter son développement, mais lui a proposé, deux mois plus tard, d’engager un arbitrage tripartite sur la question du sort de Tacna et d’Arica, ou de soumettre celle-ci à l’examen d’une conférence internationale163. Le Chili lui a clairement répondu que le différend relatif à Tacna et Arica ne la concernait pas164. Il a rappelé que la Bolivie avait été invitée à exposer «son point de vue concernant ses aspirations à disposer d’un port sur le Pacifique», mais qu’elle avait répondu ne pas avoir de propositions à soumettre au Chili à ce sujet165. Rien de tout cela n’étaye le nouvel argument de la Bolivie fondé sur la confiance.
160 Déclaration faite le 28 septembre 1921 par le représentant du Chili, M. Agustín Edwards, au cours de la 22e séance plénière de l’Assemblée de la Société des Nations ; CMC, annexe 120, p. 372.
161 CR 2018/6, p. 26, par. 14 (Akhavan).
162 CR 2018/7, p. 52, par. 32 (Akhavan).
163 Note en date du 20 décembre 1921 adressée à M. Ernesto Barros Jarpa, ministre des affaires étrangères du Chili, par M. Alberto Gutiérrez, ministre des affaires étrangères de la Bolivie ; REB, annexe 236, p. 25 et 27.
164 Note en date du 21 décembre 1921 adressée au ministre plénipotentiaire de la Bolivie au Chili par le ministre des affaires étrangères du Chili ; DC, annexe 385, p. 117.
165 Ibid., p. 119.
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c) Troisièmement, la Bolivie n’a pas laissé entendre qu’elle aurait pu de quelque autre manière, ou sur quelque autre base juridique solide, chercher à dénoncer le traité de paix de 1904 et la délimitation définitive des frontières terrestres des deux Etats qui s’y trouvait effectuée. Si elle avait des arguments sérieux à faire valoir à l’appui d’un estoppel, elle disposerait d’éléments de preuve concrets à cet égard ; or elle ne vous en a présenté aucun.
IV. La correspondance de 1923
28. Je fais encore un saut de deux ans dans le temps pour en venir à la correspondance échangée début 1923. La Bolivie demanda une nouvelle fois au Chili à ce que le traité de paix de 1904 fût revisé166, ce que le Chili refusa par lettre du 6 février 1923, non sans ajouter qu’il était
«animé du plus grand esprit de conciliation et d’équité, [et] demeur[ait] attentif aux propositions du gouvernement [bolivien] en vue de conclure un nouveau pacte adapté à la situation de la Bolivie, sans toutefois modifier le traité de paix ni rompre la continuité territoriale du Chili»167.
29. Le Chili confirma que cette expression de son ouverture aux propositions de la Bolivie ne faisait pas suite à une entente historique non satisfaite étant donné qu’il précisa expressément que toute discussion serait basée sur l’octroi de «compensations mutuelles»168, un détail crucial que la Bolivie a omis de mentionner lorsqu’elle s’est référée à ce document en début de semaine169. En tout état de cause, le fait que le Chili fût disposé à écouter les propositions de la Bolivie ne démontre pas d’intention de créer une obligation juridique.
30. La Bolivie vous a présenté son compte rendu interne d’une réunion qui aurait eu lieu le lendemain entre son ambassadeur à Santiago et le ministre chilien des affaires étrangères. Le conseil de la Bolivie a particulièrement insisté sur ce document –– il s’agissait de l’un des trois uniques éléments de preuve qu’il vous a présentés. Or, le document lui-même indique ce qui suit :
«Le ministre m’a convié à une réunion aujourd’hui. Il a déclaré qu’il était inutile pour la Bolivie d’insister sur la revision et que, lorsque le sort de Tacna et
166 Note en date du 27 janvier 1923 adressée au ministre des affaires étrangères du Chili par son homologue bolivien ; CMC, annexe 124, p. 399.
167 Note en date du 6 février 1923 adressée à l’envoyé spécial et ministre plénipotentiaire de la Bolivie au Chili par le ministre chilien des affaires étrangères ; CMC, annexe 125, p. 405.
168 Ibid., p. 407.
169 CR 2018/6, p. 37, par. 21 (Chemillier-Gendreau).
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d’Arica aurait été réglé, [le Chili] ser[ait] en mesure de donner un port à la Bolivie en échange de compensations.»170
31. Il vous a été dit que ces propos emportaient tous les effets d’une déclaration unilatérale de nature contraignante171. Ces propos ont été projetés sur vos écrans et mis dans la bouche du ministre des affaires étrangères du Chili172. Il ne vous a pas été dit qu’il s’agissait d’un récit paraphrasé tiré d’un compte-rendu interne bolivien particulièrement succinct.
32. Ce document se poursuit en ces termes : «J’ai répondu que je demanderai des instructions et lui ai dit que la Bolivie espérait voir aboutir ses négociations actuelles.»173
33. Mais lorsque la Bolivie répondit à la lettre du Chili du 6 février, elle demanda une fois encore la revision du traité de paix de 1904 et déclara que, à défaut d’accord sur ce point, elle quitterait la table des négociations174. Cette condition étant inacceptable pour le Chili, il fut coupé court aux discussions175, conformément à l’intention exprimée par la Bolivie.
34. Lors de son premier tour, la Bolivie a beaucoup insisté sur les termes que le président Arturo Alessandri aurait prononcés la semaine suivante, le 27 février 1923176. Mais là encore, la déclaration alléguée est paraphrasée –– et non citée –– dans un bref document interne bolivien. Nous avons trouvé une déclaration effectivement faite par le président Alessandri tout juste six semaines plus tard, dans laquelle celui-ci indiquait qu’il prendrait les aspirations boliviennes en considération, mais que le Chili n’était lié par aucun engagement juridique envers la Bolivie. Cette déclaration figure dans l’élément de preuve versé sous l’onglet no 28. Se référant à l’arbitrage pendant avec le Pérou concernant Tacna et Arica, le président dit ceci :
170 Note du ministre plénipotentiaire de la Bolivie en date du 9 février 1923 ; MB, annexe 49, p. 213.
171 CR 2018/7, p. 44, par. 6 (Akhavan).
172 Voir le dossier de plaidoiries du 20 mars 2018, onglet no 27.
173 Note du ministre plénipotentiaire de la Bolivie en date du 9 février 1923 ; MB, annexe 49, p. 213.
174 Voir l’onglet no 27 du dossier de plaidoiries (22 mars 2018) : note en date du 12 février 1923 adressée à M. Luis Izquierdo, ministre chilien des affaires étrangères, par M. Ricardo Jaimes Freyre, envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de la Bolivie au Chili, EPC, annexe 40, p. 1 («je ne peux rien faire d’autre que de vous annoncer que mon gouvernement m’a ordonné de mettre fin à ces négociations, car leur raison d’être était de rechercher une base solide et sûre permettant de réconcilier les aspirations de la Bolivie [à une revision du traité de 1904] et les intérêts du Chili»). Voir également la note en date du 15 février 1923 adressée à M. Luis Izquierdo par M. Ricardo Jaimes Freyre, EPC, annexe 41.
175 Note en date du 22 février 1923 adressée à l’envoyé spécial et ministre plénipotentiaire de la Bolivie au Chili par le ministre chilien des affaires étrangères ; CMC, annexe 126, p. 411 et 415, notamment.
176 CR 2018/6, p. 26, par. 14 (Akhavan) et CR 2018/7, p. 44, par. 6 (Akhavan). Voir également CR 2018/6, p. 37, par. 21 (Chemillier-Gendreau), où il est indiqué à tort que cette déclaration a été formulée le 2 mars 1923.
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«Si la sentence arbitrale … le prescrit, j’examinerai généreusement les aspirations de la Bolivie de la manière et selon les modalités [arrêtées dans les lettres de février] : ce sera une nouvelle contribution précieuse de mon pays à l’harmonie en Amérique puisque, du point de vue juridique, nous n’avons aucun engagement envers la Bolivie. Nos relations sont définies de manière exhaustive et définitive par le [traité de 1904].»177
V. La proposition Kellogg
35. La Bolivie fait ensuite un nouveau saut de trois ans dans le temps, pour en venir à certains documents qui faisaient suite à une proposition adressée fin 1926 au Chili et au Pérou par le secrétaire d’Etat des Etats-Unis d’Amérique, M. Kellogg. Dans le contexte du différend opposant le Chili et le Pérou, M. Kellogg proposa que ces deux Etats conviennent de céder à la Bolivie la souveraineté sur l’ensemble des provinces de Tacna et d’Arica, en échange d’une compensation adéquate178.
36. Le Chili répondit à cette proposition dans un document adressé au secrétaire d’Etat américain, qui est connu sous le nom de mémorandum Matte. Les parties pertinentes figurent sous l’onglet no 29, aux pages 436 et 437. Vous constaterez que le Chili y déclarait qu’il «n’a[vait] pas écarté l’idée de céder une bande de territoire et un port à la Bolivie» et que, une fois la question de la souveraineté sur Tacna et Arica définitivement réglée, il «honorera[it] ses déclarations concernant l’examen des aspirations de la Bolivie»179. Cela étant, il relevait également que la proposition Kellogg «[allait] bien au-delà des concessions que le Gouvernement chilien [était] généreusement en mesure de faire». Il indiquait clairement que, s’il «s’[était] toujours montré disposé à prendre en considération l’ensemble des propositions de règlement», y compris l’octroi d’une compensation, «le fait qu’il examine pareilles propositions» ne signifiait toutefois nullement qu’il renonçait à son droit à ce que son différend avec le Pérou concernant Tacna et Arica fût réglé
177 «Le président Alessandri expose les lignes directrices de la politique étrangère chilienne», El Mercurio (Chili), 4 avril 1923 ; CMC, annexe 127, p. 423 ; onglet no 28 du dossier de plaidoiries.
178 Mémorandum en date du 30 novembre 1926 sur la question de Tacna et d’Arica remis aux Gouvernements du Chili et du Pérou par le secrétaire d’Etat des Etats-Unis d’Amérique ; CMC, annexe 128, p. 431.
179 Mémorandum en date du 4 décembre 1926 sur la question de Tacna et d’Arica remis au secrétaire d’Etat des Etats-Unis d’Amérique par le ministre chilien des affaires étrangères ; CMC, annexe 129, p. 436 (les italiques sont de nous).
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conformément au traité d’Ancón180. Il déclarait qu’il «examiner[ait] le principe de la proposition»181, sans aller plus loin.
37. Trois jours plus tard, la Bolivie adressa au Chili une lettre dans laquelle elle se référait au mémorandum Matte et prétendait l’accepter182.
38. Outre que ce mémorandum n’était pas adressé à la Bolivie, il n’aura évidemment pas échappé à la Cour que des déclarations selon lesquelles un Etat n’a pas exclu de procéder d’une certaine façon, et prendra en considération une proposition et les aspirations d’un autre Etat, ne suffisent pas à établir une obligation de négocier juridiquement contraignante.
39. La proposition Kellogg ne fut en définitive acceptée ni par le Pérou183, ni par le Chili. La Bolivie en prit acte dans une longue circulaire adressée en janvier 1927 à ses légations à l’étranger184, mais sans affirmer alors que le Chili était tout de même tenu de négocier avec elle sur la base d’une promesse unilatérale qui aurait été formulée dans le mémorandum Matte, ou d’un accord constitué par ce document et la réponse de la Bolivie, ni même sur quelque autre base historique.
40. Ces quelques échanges diplomatiques de 1926 furent suivis par un long silence de la Bolivie. En 1929, par le traité de Lima, le Chili rendit la province de Tacna au Pérou et obtint définitivement la souveraineté sur celle d’Arica. Comme la Cour le sait, le protocole complémentaire joint au traité de Lima prévoyait en son article premier que ni le Chili ni le Pérou ne pourraient céder Tacna ou Arica à un Etat tiers «sans accord préalable entre eux»185. En réaction à cette disposition, la Bolivie affirma à l’époque qu’«une telle politique, qui n[’allait] pas dans le sens d’une véritable coopération internationale, risqu[ait] de faire naître un profond ressentiment
180 Ibid.
181 Ibid., p. 436-437.
182 Note en date du 7 décembre 1926 adressée à l’envoyé spécial et ministre plénipotentiaire du Chili en Bolivie par le ministre bolivien des affaires étrangères ; CMC, annexe 130 ; dossier de plaidoiries, onglet no 30.
183 Mémorandum en date du 12 janvier 1927 sur la question de Tacna et d’Arica remis au secrétaire d’Etat des Etats-Unis d’Amérique par le Gouvernement péruvien ; CMC, annexe 131, p. 457.
184 Circulaire en date du 21 janvier 1927 adressée aux légations de la Bolivie à l’étranger par le ministère bolivien des affaires étrangères ; DC, annexe 387, p. 139.
185 Traité entre le Chili et le Pérou réglant le différend relatif à Tacna et Arica (le «traité de Lima»), avec protocole complémentaire. Signés à Lima, le 3 juin 1929 (entrés en vigueur le 28 juillet 1929), Société des Nations, Recueil des traités, vol. 94, p. 401 ; EPC, annexe 11, p. 176.
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dans la conscience bolivienne»186. Elle ne réagit pas en faisant valoir que le Chili était soumis à une obligation de négocier187. Au contraire, elle tut son aspiration à un accès souverain à la mer et ne sortit de son silence qu’une fois les années 1940 déjà largement entamées.
VI. Conclusion
41. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, l’insistance de la Bolivie sur cette période de l’histoire est difficile à saisir. La Chili n’a contracté aucune obligation juridique de négocier un accès souverain, pas plus qu’il n’en a confirmé l’existence, et la Bolivie a beau prétendre le contraire, la faiblesse de ses arguments est si évidente que l’on se demande pourquoi elle importune la Cour avec cette période. De plus, le fait que la Bolivie fonde aujourd’hui son argumentation sur l’estoppel en se référant principalement à des déclarations vieilles de près d’un siècle, et sans vraiment prendre la peine d’étayer son argument de la confiance, montre que sa thèse manque totalement de sérieux.
42. En insistant sur cette période, la Bolivie semble tenter de trouver des arguments à l’appui de sa nouvelle théorie de la continuité. Toutefois, ce que montrent réellement les éléments de cette époque, c’est que, à partir de 1910, la Bolivie a cherché à conclure un nouvel accord pour revenir sur ce qui avait été convenu en 1904. Contrairement à ce que ses conseils affirment en l’espèce devant vous, elle ne faisait pas valoir l’existence de quelque entente historique qui aurait survécu depuis le XIXe siècle et qui devait toujours être honorée. Il ressort également du dossier que les échanges que les deux Etats ont eus pendant cette période n’ont donné naissance à aucune obligation de négocier un accès souverain, et les tentatives de la Bolivie de faire croire le contraire ne trouvent pas appui dans le contenu réel des éléments de preuve.
43. Monsieur le président, cela met un terme à mon exposé, et je vous prie de bien vouloir appeler M. Wordsworth à la barre afin qu’il examine avec vous les notes diplomatiques de 1950.
Le PRESIDENT : Je vous remercie. J’appelle à présent M. Wordsworth à la barre. Vous avez la parole, Monsieur.
186 Mémorandum no 327 du ministre bolivien des affaires étrangères en date du 1er août 1929 ; MB, annexe 23, p. 117.
187 Voir DC, par. 4.33.
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M. WORDSWORTH :
LES NOTES DIPLOMATIQUES DE 1950
I. Introduction
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est pour moi un privilège de paraître devant vous et d’avoir été chargé par le Chili de traiter de l’un des principaux arguments avancés par la Bolivie pour défendre sa cause, qui consiste à prétendre que les deux notes diplomatiques datées respectivement du 1er et du 20 juin 1950 et la déclaration commune de Charaña en date du 8 février 1975 ont donné naissance à des accords internationaux.
2. Je commencerai par les notes des 1er et 20 juin 1950, en les examinant à la lumière de ce qu’a dit la Cour de la formation des accords internationaux dans deux affaires bien connues, soumettant ainsi la thèse de la Bolivie à l’épreuve de la réalité, épreuve dont il peut être utile de garder à l’esprit les résultats.
a) Dans l’affaire du l’affaire du Plateau continental de la mer Egée, le communiqué conjoint daté du 31 mai 1975 qui était au coeur de l’affaire a été invoqué par la Grèce dans une instance introduite le 10 août 1976188.
b) En l’affaire Qatar c. Bahreïn, le Qatar, dans sa requête déposée le 8 juillet 1991, invoquait un procès-verbal signé en décembre 1990189.
3. Qu’en est-il en la présente affaire ? Je relève d’abord qu’environ 63 ans se sont écoulés entre l’envoi des notes de 1950 et le moment où la Bolivie, en 2013, a déposé sa requête, après des décennies sans aucune négociation concernant son accès souverain à la mer, et que l’épisode de Charaña, remontant au milieu des années 1970 et seule période où cette question ait été négociée, a pris fin lorsque la Bolivie a rompu ses relations diplomatiques avec le Chili. De surcroît, comme je l’expliquerai plus en détail dans un moment, la Bolivie, durant ces 63 années, n’a nullement cherché à conserver une position cohérente sur le caractère contraignant qu’elle prête maintenant à ces notes. Tout cela incite fortement à conclure que lesdites notes n’emportaient aucune obligation juridique.
188 Plateau continental de la mer Egée (Grèce c. Turquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1978, p. 5-6, par. 1.
189 Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1994, p. 114, par. 1 et 3.
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II. Le libellé des notes de 1950
4. Je vais m’intéresser maintenant au libellé des deux notes.
A. La note de la Bolivie en date du 1er juin 1950
5. Voyons d’abord la note de la Bolivie en date du 1er juin 1950 (onglet no 32 du dossier de plaidoiries). On y trouve la proposition suivante :
«Ces [précédents importants] témoignant d’une orientation très claire de la politique de la République du Chili, j’ai l’honneur de proposer à Votre Excellence que les Gouvernements de la Bolivie et du Chili entament officiellement des négociations directes en vue de satisfaire à ce besoin fondamental que représente pour la Bolivie un accès souverain à l’océan Pacifique, et de résoudre ainsi le problème de l’enclavement de ce pays, dans la perspective d’avantages réciproques pour les deux peuples et le respect de leurs intérêts véritables.»190
6. J’ai trois brèves observations à faire au sujet de cette proposition.
7. Premièrement, elle renvoie à des «précédents importants», c’est-à-dire à diverses déclarations antérieures de représentants du Chili et à d’autres éléments. Or, rien ne permet de penser que de telles déclarations aient emporté un quelconque engagement juridiquement contraignant, et rien non plus ne permet d’envisager raisonnablement qu’elles aient pu avoir un tel effet. Il ne suffit pas non plus de qualifier ces déclarations de «précédents» pour qu’elles acquièrent on ne sait trop comment un caractère juridiquement contraignant, comme Mme Parlett vient de l’expliquer.
8. Deuxièmement, il est proposé que les deux Etats «entament officiellement des négociations directes», «una negociación directa». Il ne s’agit pas là d’une proposition d’entente sur une obligation indéterminée de négocier. Ce qui est proposé, c’est l’ouverture officielle de négociations, et rien d’autre.
9. Troisièmement, la proposition porte sur des négociations directes dont l’objectif est précisément défini comme étant l’obtention par la Bolivie d’une satisfaction : «satisfaire à ce besoin fondamental que représente pour la Bolivie un accès souverain».
190 Note en date du 1er juin 1950, adressée au ministre chilien des affaires étrangères par l’ambassadeur de Bolivie au Chili, DC, annexe 398, p. 247 ; les italiques sont de nous.
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B. La note du Chili en date du 20 juin 1950
10. Dans sa réponse du 20 juin 1950 à la note de la Bolivie, le Chili s’est écarté sur des points importants de ce que celle-ci avait proposé. Cette note (onglet no 33 du dossier de plaidoiries) rappelle ce que la Bolivie avait dit dans sa note de l’orientation de la politique étrangère chilienne, et cite sa proposition. Le Chili y explique ensuite ce qui suit :
«Les divers éléments rappelés dans la note à laquelle j’ai l’honneur de répondre montrent que le Gouvernement du Chili est parfaitement disposé à examiner, dans le cadre de négociations directes avec la Bolivie et sans préjudice de la situation juridique créée par le traité de paix de 1904, la possibilité de répondre au voeu de votre gouvernement, et ce, dans le respect des intérêts du Chili.»191
11. Rien là-dedans n’indique non plus la préexistence d’une quelconque obligation juridique. De plus, et c’est là un point sur lequel je reviendrai un peu plus tard, le Chili a tenu à souligner l’importance qu’il attachait dans sa politique étrangère au maintien de la situation juridique créée par le traité de paix de 1904.
12. La note du Chili se poursuit en ces termes :
«A cette occasion, j’ai l’honneur d’informer Votre Excellence que mon gouvernement entend demeurer fidèle à cette position et que, dans un esprit d’amitié fraternelle envers la Bolivie, il est disposé à entamer officiellement des négociations directes en vue de [rechercher]la formule qui permettrait d’assurer à la Bolivie un accès souverain à l’océan Pacifique qui lui soit propre, et au Chili d’obtenir des compensations de nature non territoriale tenant pleinement compte de ses intérêts.»192
13. Je ferai sur cette note six observations.
14. Premièrement, le Chili y déclare qu’il s’en tiendra à sa position antérieure, à savoir qu’il se montre «disposé à examiner dans le cadre de négociations directs avec la Bolivie ... la possibilité de répondre à [son] voeu». Rien dans cette formulation ne suggère que le Chili manifestait une intention antérieure ou nouvelle d’être juridiquement lié, ou qu’il agissait compte tenu des droits que la Bolivie prétend maintenant exister par l’effet de ce qu’elle appelle une «entente historique»193.
191 Note en date du 20 juin 1950 adressée à l’ambassadeur de Bolivie au Chili par le ministre chilien des affaires étrangères, DC, annexe 399, p. 253.
192 Ibid., p. 253 ; les italiques sont de nous.
193 Voir CR 2018/6, p. 39, par. 27 (Chemilier-Gendreau).
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15. Deuxièmement, rien ne dit dans cette note que le Chili convienne de quoi que ce soit. Il se montre «disposé à», «está llano a», formule qui est loin d’indiquer l’acceptation d’une quelconque obligation juridique.
a) Voici un exemple de la façon dont la Bolivie a elle-même employé cette formule. En mai 1962, après avoir rompu ses relations diplomatiques avec le Chili en raison d’un désaccord sur la Lauca, la Bolivie a déclaré ce qui suit dans une communication adressée à l’OEA (onglet no 34 du dossier de plaidoiries) : «Le Gouvernement bolivien déclare à cet égard qu’il est disposé à [está llano a] reprendre ses relations diplomatiques avec le Gouvernement chilien.»194
b) C’est exactement la même formule que le Chili a retenue dans sa note de 1950, employant l’expression «está llano a» pour exprimer une volonté politique, et non un engagement emportant une obligation juridique.
16. Mon troisième point est le suivant : ce à quoi le Chili se déclarait disposé dans sa note consistait à «entamer officiellement des négociations directes», c’est-à-dire à prendre part à un événement ponctuel, et non à se soumettre à une obligation indéterminée de négocier. Cela correspondait avec ce que la Bolivie avait proposé.
17. Quatrièmement, l’objet des négociations proposées n’était en revanche pas celui que souhaitait la Bolivie. Celle-ci voulait des négociations ayant pour but «de satisfaire à ce besoin fondamental que représent[ait] pour [elle] un accès souverain». Le Chili se déclarait en revanche disposé à entamer des négociations :
 … ayant pour but de rechercher, c’est-à-dire tendant à une certaine forme de comportement, «rechercher» ;
 et de rechercher quoi ? la formule …, terme lui aussi passablement vague ;
 … qui permettait  entendre «à la convenance du Chili»  d’assurer à la Bolivie un accès souverain à l’océan Pacifique qui lui soit propre, libellé où le choix des termes montre à quel
194 Note à l’OEA par laquelle la Bolivie demandait une médiation, 28 mai 1962, reproduite dans ministère bolivien des affaires étrangères et des cultes, La Desviaciòn del Río Lauca (Antecedentes y Documentos) (La Paz, 1962), p. 273-275, citation tirée de la page 274, dossier de plaidoiries, onglet no 34 («El Gobierno de Bolivia, al respecto, declara que está llano a reanudar sus relaciones con el Gobierno de Chile, puesto que, considera la armoniosa convivencia hemisférica, como una necesidad de todos los países americanos, una vez que desaparezca la causa que provocó su interrupción» ; les italiques sont de nous).
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point le contexte de la proposition était éloigné de la situation de négociation plus courante où sont revendiqués des droits concurrents.
18. Mardi, M. Remiro Brotóns, se référant à la note, a dit que le Chili s’était montré disposé à entamer officiellement des négociations directes, puis a ajouté : «L’objectif est parfaitement indiqué»195, il est de donner à la Bolivie son propre accès souverain à l’océan Pacifique. Il a bien évidemment escamoté ainsi le membre de phrase essentiel, ce qui lui a permis d’insinuer, tout à fait à tort, que le Chili était disposé à prendre part à des négociations dont l’objet était celui proposé par la Bolivie. Ce n’était manifestement pas ce que voulait le Chili. Et il y a lieu de se demander si cette assertion aurait été avancée si vous aviez eu sous les yeux le document en cause.
19. Suspendant cette analyse, il me paraît intéressant de relever à quel point le libellé des textes en cause dans des affaires portées devant la Cour au sujet d’une authentique obligation de négocier contractée par traité diffère du langage employé dans la note.
20. En l’affaire relative à l’Application de l’accord intérimaire, la disposition en cause du traité, le paragraphe 1 de son article 5, était ainsi libellée :
«Les Parties conviennent de poursuivre les négociations sous les auspices du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, conformément à la résolution 845 (1993) du Conseil de sécurité, en vue de parvenir à régler le différend mentionné dans cette résolution et dans la résolution 817 (1993) du Conseil.»196
Ce texte indique en termes clairs que les parties conviennent de poursuivre des négociations portant sur un objet défini d’un commun accord.
21. La Cour se souviendra que dans la même veine, l’article VI du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires dispose ce qui suit :
«Chacune des Parties au Traité s’engage à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire»197, etc.
22. Le libellé de ces instruments, par lesquels des Etats ont effectivement voulu contracter une obligation juridique durable de négocier, est on ne peut plus différent de la manière dont ont été rédigés les documents que la Cour examine maintenant.
195 CR 2018/7, p 19, par. 22 (Remiro Brotóns). Voir également CR 2018/6, p. 53, par. 28 (Remiro Brotóns).
196 Citation figurant dans Application de l’accord intérimaire du 13 septembre 1995 (ex-République yougoslave de Macédoine c. Grèce), arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (II), p. 656, par. 28 (onglet no 35 du dossier de plaidoiries).
197 Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, signé à Londres, Moscou et Washington le 1er juillet 1968 (entré en vigueur le 5 mars 1970), RTNU, vol. 729, p. 176, art. VI.
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23. Cela m’amène à ma cinquième observation. Dans sa note, la Bolivie avait proposé des négociations en se fondant sur une seule prémisse. Le Chili, de son côté, s’est montré «disposé» à entamer «officiellement» des négociations portant sur quelque chose de très différent.
a) La Bolivie aurait pu ensuite accepter le type de négociations que le Chili était disposé à entamer, mais il n’en a rien été.
b) M. Remiro Brotóns a souligné mardi que le Chili détenait depuis juin 1948 un projet de la note de la Bolivie, que celle-ci avait eu connaissance dès le 9 juin 1950 d’un projet de celle du Chili, et qu’en conséquence cette dernière avait été rédigée compte tenu de modifications suggérées par la Bolivie198. Or, invoquer ce qui a pu se passer dans les coulisses ne sert aucunement la cause de la Bolivie, et lui est même nuisible. Si le Chili avait voulu aligner le libellé de la note bolivienne, il aurait eu amplement le temps et l’occasion de le faire, et il s’y est tout simplement refusé. Le degré de mise en scène préalable atteste du caractère extrêmement délicat de la question, qui nécessitait que les déclarations soient préparées de telle sorte qu’elles puissent dans chacun des deux pays être acceptées par un plus large public199. Tout cela, cependant, ne transforme pas deux déclarations de position minutieusement rédigées, mais bien différentes, en un accord international.
24. J’en arrive enfin à ma sixième et dernière observation sur le libellé de la note chilienne du 20 juin.
a) La proposition de négociations de la Bolivie était muette sur la compensation qui reviendrait au Chili, mais il y était question, en des termes dont le vague était certainement délibéré, de «résoudre … le problème de l’enclavement de [la Bolivie], dans la perspective d’avantages réciproques pour les deux peuples et le respect de leurs intérêts véritables»200. En revanche, les négociations que le Chili se disait disposé à entamer devaient permettre également au Chili
198 CR 2018/7, p. 22-23, par. 26 (Remiro Brotóns).
199 Voir par exemple le procès-verbal d’une conversation entre le président chilien et l’ambassadeur de Bolivie au Chili, 17 juin 1948, DC, annexe 391, p. 189.
200 Note en date du 1er juin 1950 adressée au ministre chilien des affaires étrangères par l’ambassadeur de Bolivie au Chili ; DC, annexe 398, p. 247.
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«d’obtenir des compensations de nature non territoriale tenant pleinement compte de ses intérêts»201.
b) C’est là une autre différence importante entre les deux notes, et je relève que la question de la compensation qui reviendrait au Chili a jusqu’à présent brillé par son absence dans les demandes adressées à la Cour par la Bolivie202. On vous dit que les notes de 1950 constituent un traité203 ; vous êtes invités à donner effet à ce traité, et pourtant les demandes qui vous sont adressées n’ont strictement rien à voir avec ce à quoi le Chili s’est déclaré effectivement disposé dans sa note du 20 juin 1950, le comble étant que lesdites demandes ne font pas la moindre allusion à la question essentielle de la compensation.
25. Ce n’est pas là une position juridique cohérente. Si le fameux compromis prétendument issu d’un traité dont la Bolivie recherche maintenant l’exécution existait, il comprendrait inéluctablement une compensation. Or, ce que la Bolivie vous demande, c’est d’ordonner l’ouverture de négociations qui ne porteraient que sur un volet de ce qui est supposé avoir été convenu204 ; aussi y a-t-il lieu de se demander de quelle motivation procède cette incohérence patente de sa cause.
III. Les circonstances de la rédaction des notes de 1950
26. Pour répondre à cette question, je vais maintenant m’intéresser à la position de la Cour sur le deuxième point qu’elle a traité dans sa jurisprudence sur la formation des accords internationaux, dont il ressort qu’il y a lieu en l’espèce d’examiner, je transpose, les «circonstances dans lesquelles [les notes] [ont] été élaboré[es]»205. Je ferai trois observations.
27. Premièrement, la Bolivie souhaite que la Cour concentre son attention sur les déclarations faites par le Chili en 1948. En particulier, son conseil voudrait vous faire croire que lors d’une réunion tenue le 23 juillet 1948206, le président chilien González Videla avait pris
201 Note en date du 20 juin 1950 adressée à l’ambassadeur de Bolivie au Chili par le ministre chilien des affaires étrangères, DC, annexe 399, p. 253.
202 Voir les conclusions formulées par la Bolivie dans sa réplique, REB, p. 192.
203 Voir par exemple, CR 2018/7, p. 19, par. 19 (Remiro Brotóns).
204 Voir CR 2018/7, p. 21, par. 23 (Remiro Brotóns).
205 Plateau continental de la mer Egée (Grèce c. Turquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1978, p. 39, par. 96.
206 CR 2018/7, p. 45, par. 7 (Akhavan).
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verbalement un engagement contraignant de négocier, ou du moins qu’il avait fait une déclaration sur laquelle elle pouvait légitimement faire fond207. Cette déclaration est la suivante : «Ce qui a été convenu verbalement doit être considéré comme déjà écrit» ; elle figure dans un compte rendu interne de la réunion établie par la Bolivie208. Le Chili n’a pas pu de son côté trouver trace écrite de cette réunion, mais je pense que c’est sans grande importance.
28. Vous n’avez pas été invités à prendre connaissance de la déclaration par laquelle le président Videla avait défini le 1er juin 1948 le cadre dans lequel devaient s’inscrire les pourparlers de juin-juillet 1948. Vous auriez sinon pu lire que M. Ostria Gutiérrez, ambassadeur de Bolivie, avait demandé l’autorisation de déclarer ouvertes «des négociations visant à concrétiser l’aspiration de la Bolivie à disposer d’un port», ce à quoi le président chilien s’était opposé. C’est ce qui ressort des deux paragraphes que je vais citer, où le président disait que la Bolivie devait d’abord faire «une proposition concrète et précise», ce qu’il répétait plus loin :
«Le président a ajouté que ces entretiens informels ne devaient en aucun cas servir de base à de quelconques pourparlers, étant donné que l’idée de céder une bande de territoire au nord d’Arica n’avait été qu’un sujet de conversation, et qu’il ne lui appartenait pas de prendre des initiatives au sujet d’un problème qui concernait la Bolivie et non le Chili.»209
29. Il s’agissait donc d’entretiens informels sur lesquels on ne devrait pas se fonder.
30. D’ailleurs, il est clair que la Bolivie elle-même ne se fiait pas non plus à ce qui avait pu être dit lors de ces entretiens. Dans une communication interne datée du 25 mai 1950, l’ambassadeur de Bolivie exposait ce que celle-ci cherchait à obtenir en avançant la proposition qui allait faire l’objet de la note du 1er juin 1950 :
«Il a été convenu avec M. Manuel Trucco, sous-secrétaire aux affaires étrangères, d’envoyer la note dont je joins copie dans le but de faire sortir la question des négociations sur le port du champ des seuls entretiens privés, sans quoi elle risquerait d’y rester indéfiniment, comme le montre ce qui s’est passé depuis août 1946, et la mettre officiellement sur le tapis, et de coucher par écrit cette décision.»210
207 CR 2018/6, p. 56, par. 40 (Remiro Brotóns).
208 Note no 548/460 en date du 28 juillet 1948 adressée au ministre bolivien des affaires étrangères par l’ambassadeur de Bolivie au Chili, REB, annexe 259, p. 213.
209 Compte rendu de la rencontre entre le président du Chili et l’ambassadeur de Bolivie au Chili qui a eu lieu le 1er juin 1948, CMC, annexe 140, p. 507 et 509.
210 Note en date du 25 mai 1950 adressée au ministre bolivien des affaires étrangères par l’ambassadeur de Bolivie au Chili, REB, annexe 397, p. 233 ; les italiques sont de nous.
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31. Rien n’indique là-dedans que la Bolivie ait cru qu’un engagement contraignant avait été pris par le Chili, ou qu’elle ait accordé foi à quoi que ce soit qui aurait été dit précédemment par lui. De plus, le «but» assigné à ce qui allait devenir la note du 1er juin 1950 était d’officialiser l’ouverture de négociations et d’en garder trace écrite, et non d’établir un accord contraignant sur des négociations.
32. Cela m’amène à ma deuxième observation. Il ressort aussi de ce document du 25 mai 1950 que l’ambassadeur de Bolivie espérait que le Chili allait conclure avec la Bolivie un échange de notes dans la semaine. En effet, il écrivait ceci, et je précise que les italiques étaient dans l’original :
«S’il en était ainsi, et si nous parvenions à conclure l’échange desdites notes, nous franchirions une étape absolument décisive, même si la réponse à notre note ne faisait que reconnaître en termes généraux que les négociations porteraient sur le «besoin fondamental que représente pour la Bolivie un accès souverain à l’océan Pacifique».»211
33. L’ambassadeur de Bolivie ne voulait pas dire «si un échange de notes a lieu, nous aurons en main un traité ou quelque autre forme d’engagement juridiquement contraignant obligeant le Chili à négocier». Absolument rien ne permet de le penser. Il voyait bien que l’étape dont il parlait serait importante politiquement, et non en ce qu’elle permettrait à la Bolivie d’obtenir la reconnaissance expresse de son «besoin», ce dont le Chili s’est d’ailleurs abstenu dans sa propre note.
34. Ma troisième observation porte sur la compensation, et je voudrais, avec votre permission, Monsieur le président, poursuivre jusqu’au bout mon exposé sur ce point, ce qui nous amènera tout naturellement au terme de cette séance. Dès mars 1950, le Chili avait décidé que la compensation devrait prendre la forme d’un accès aux eaux boliviennes. Le 14 mars 1950, l’ambassadeur de Bolivie avait informé les participants à une réunion de ce qui suit :
«[le président chilien González Videla] a mentionné, pour la première fois, la possibilité d’utiliser des eaux boliviennes pour l’irrigation de la région nord du Chili, faisant valoir que l’arrangement apporterait des avantages économiques au Chili.
L’arrangement ne sera accepté que si le peuple chilien voit que la cession de territoire ne sera pas sans contrepartie. [Il s’agit là, je le rappelle, des propos du président chilien tels que rapportés par l’ambassadeur de Bolivie.] Je me propose de
211 Note en date du 25 mai 1950, adressée au ministre bolivien des affaires étrangères par l’ambassadeur de Bolivie au Chili, REB, annexe 397, p. 233 ; les italiques sont de nous.
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présenter l’arrangement à l’opinion publique chilienne en le résumant à une formule simple, lui disant qu’il s’agit d’échanger des terres contre de l’eau … Ainsi, la région nord du pays, au lieu d’être hostile à la décision, la soutiendrait et serait en somme du parti de la Bolivie.»212
35. De fait, une question aussi importante qu’une cession de territoire ne pouvait guère être réglée sans l’appui de l’opinion publique, y compris celui de la partie de la population la plus directement concernée.
36. Le projet d’aménagement hydrographique a ensuite été abordé par le président González Videla en avril 1950 lors d’entretiens avec M. Truman, président des Etats-Unis213. Selon le compte rendu de ses propos, le président chilien a expliqué ce qui suit au représentant de la Bolivie à Washington :
«Le Chili ne va pas demander une compensation territoriale ou économique. Il recherchera donc simplement un accord qui lui permette d’utiliser les eaux du Desaguadero pour l’irrigation et la production d’électricité, ce qu’il [le président chilien] espère être utile aux deux pays et servira aussi à justifier auprès de l’opinion publique chilienne un éventuel accord par lequel la Bolivie obtiendrait son propre port au nord d’Arica.»
Vous pouvez voir l’emplacement approximatif sur le croquis que nous avons établi ; la note se poursuit ainsi :
«Le président Truman s’est montré très favorable au projet envisagé par les gouvernements bolivien et chilien, et il a promis que le Gouvernement des Etats-Unis le soutiendrait fermement et résolument.»214
37. Ces éléments importent pour deux raisons.
a) Premièrement, ils montrent une fois de plus à quel point la Bolivie se fourvoie lorsqu’elle prétend que le Chili était disposé à convenir de lui accorder un accès souverain à la mer en vertu d’un quelconque «compromis historique». Le Chili était simplement disposé à engager des négociations sur la base d’une contrepartie. En fait, le Gouvernement chilien n’était en la matière pas libre d’agir à sa guise. Il lui fallait, pour reprendre les propos du président chilien,
212 Note en date du 14 mars 1950, adressée au ministre bolivien des affaires étrangères par l’ambassadeur de Bolivie au Chili, DC, annexe 395, p. 223 et 225.
213 Paroles de bienvenue adressées au président du Chili lors de son arrivée à National Airport, à Washington, le 12 avril 1950, DC, annexe 396 ; voir également A. Ostria Gutiérrez, Notes on Port Negotiations with Chile (1998), DC, annexe 440, p. 699-709.
214 A. Ostria Gutiérrez, Notes on Port Negotiations with Chile (1998), DC, annexe 440, p. 707.
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«justifier auprès de l’opinion publique chilienne la conclusion d’un éventuel accord par lequel la Bolivie obtiendrait son propre port au nord d’Arica»215.
b) Deuxièmement, la question de l’ouverture de négociations était également extrêmement sensible. Aussi bien au Chili qu’en Bolivie, l’opinion publique manifestait une vive opposition à des négociations, et d’ailleurs les négociations prévues en 1950 n’ont jamais eu lieu. Au début de cette semaine, la Bolivie a été remarquablement discrète sur ce point, parce qu’elle préfère vous présenter un tableau idéalisé où l’on voit les deux Etats avancer de conserve sur la voie de la réconciliation216. Or, la perspective de négociations sur une cession de territoire avait soulevé au Chili un puissant mouvement d’opinion hostile217 ; en Bolivie, cette perspective avait produit une réaction hostile semblable, motivée par la crainte que les négociations ne portent sur les eaux boliviennes218.
38. Pour ce qui est de la question actuellement examinée de la formation éventuelle d’un accord international ou de quelque autre source d’une obligation contraignante, étant donné les immenses risques de retombées politiques, dont tous les protagonistes étaient parfaitement conscients à en juger par les documents antérieurs à juin 1950, je dirai qu’il est objectivement improbable que tant le Chili que la Bolivie aient voulu être liés par un engagement de négocier. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je crois avoir dépassé un peu le temps qui m’était imparti, et vous prie de m’en excuser. Si vous le voulez bien, je traiterai demain matin devant vous des événements qui ont suivi les notes de juin 1950.
LE PRESIDENT : Je vous remercie. Ceci met un terme aux audiences de la journée. La Cour se réunira demain, vendredi 23 mars à 10 heures, pour entendre la fin du premier tour de plaidoiries du Chili et permettre à M. Wordsworth de terminer sa plaidoirie. L’audience est levée.
L’audience est levée à 13 h 5.
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215 A. Ostria Gutiérrez, Notes on Port Negotiations with Chile (1998), DC, annexe 440, p. 707.
216 CR 2018/6, p. 30, par. 35 (Akhavan).
217 Note no 648/460 en date du 28 juillet 1948 adressée au ministre bolivien des affaires étrangères par l’ambassadeur de Bolivie au Chili, REB, annexe 259, p. 211.
218 Voir la note no 844/513 en date du 9 septembre 1950 adressée au ministre bolivien des affaires étrangères par l’ambassadeur de Bolivie au Chili, REB, annexe 275, p. 359. Voir également A. Ostria Gutiérrez, A Work and a Destiny, Bolivia’s International Policy After the Chaco War (1953), DC, annexe 406, p. 297.
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