Opinon dissidente de M. le juge ad hoc Dugard

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OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE AD HOC DUGARD
[Traduction]
Impossibilité d’accepter le mode de quantification retenu par la Cour  Révision à la hausse du coût de la dégradation des biens et services environnementaux  Regret que la Cour n’ait pas tenu compte de considérations telles que la protection de l’environnement, les changements climatiques et la gravité du comportement de l’Etat défendeur  Caractère erga omnes de l’obligation de ne pas porter atteinte au service de régulation des gaz.
TABLE DES MATIÈRES
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I. La méthode utilisée par la Cour pour chiffrer à 120 000 dollars des Etats-Unis l’indemnité due à raison des dommages causés à l’environnement ................................................................. 2
II. Révision à la hausse du coût de la dégradation des biens et services environnementaux ............. 6
III. La nécessité de tenir compte de la formation du sol et de la lutte contre l’érosion ...................... 7
IV. Considérations d’équité................................................................................................................ 9
V. Protection de l’environnement .................................................................................................... 10
VI. Changements climatiques .......................................................................................................... 10
VII. La gravité des actes de l’Etat défendeur ................................................................................... 12
Conclusion........................................................................................................................................ 15
1. Je souscris à l’ensemble des conclusions de la Cour, à l’exception de celle d’allouer au Costa Rica une indemnité de 120 000 dollars des Etats-Unis à raison des dommages environnementaux liés à la dégradation ou à la perte de biens et services résultant des activités illicites du Nicaragua. Mon désaccord avec la Cour est si profond, tant sur le plan du raisonnement qu’en ce qui concerne le montant accordé, qu’il me semble plus exact de qualifier mon opinion de dissidente, et non d’individuelle.
2. A première vue, la présente affaire pourrait paraître banale. Des dommages causés à une zone humide de 6,19 hectares, à raison desquels l’Etat lésé ne demande que 6 711 685,26 dollars des Etats-Unis à titre d’indemnisation, ne laissent guère imaginer qu’il s’agit d’une affaire importante requérant toute l’attention de la Cour internationale de Justice. Il ne faut toutefois pas se fier aux apparences. Le différend qui opposait le Costa Rica et le Nicaragua soulevait trois questions fondamentales : l’invasion par la force du territoire d’un Etat, la dégradation intentionnelle d’une zone humide sous protection internationale, et la violation calculée et délibérée d’une ordonnance rendue par la présente Cour.
3. Le Costa Rica demandait à être indemnisé pour les frais et dépenses liés aux mesures d’inspection, de surveillance et de remise en état rendues nécessaires par les activités illicites du Nicaragua. Il réclamait également une indemnisation pour les dommages matériels causés à l’environnement par lesdites activités.
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4. Je ne m’étendrai pas sur la décision de la Cour concernant l’indemnité que le Costa Rica réclamait à raison des frais et dépenses qu’il avait dû engager pour inspecter la zone envahie par le Nicaragua et pour remédier aux dommages causés à son environnement par ce dernier. La Cour a certes pu se montrer parfois trop stricte dans son examen des demandes du Costa Rica mais, pour l’essentiel, celui-ci ne peut s’en prendre qu’à lui-même de n’avoir pas produit de preuves suffisantes des frais et dépenses qu’il prétendait avoir supportés. La Costa Rica demandait principalement le remboursement des salaires versés à ses agents chargés de surveiller la zone en litige mais, s’il est effectivement fort possible qu’il ait dû engager spécialement du personnel à cette fin ou payer à ses agents des heures supplémentaires, il n’a pas produit d’éléments de preuve suffisants à l’appui de ses prétentions.
5. C’est à la demande du Costa Rica concernant les dommages matériels causés à l’environnement que je m’intéresserai dans le présent exposé de mon opinion. Cette demande obligeait la Cour à chiffrer les dommages occasionnés à l’environnement du Costa Rica par les activités illicites du Nicaragua. Inévitablement, cette évaluation pécuniaire sera perçue comme donnant la mesure de l’intérêt de la Cour pour la protection de l’environnement, à une époque où la plupart des Etats conviennent de la nécessité d’un engagement national et international en vue de préserver l’environnement de notre planète.
6. L’évaluation de dommages environnementaux est une tâche difficile, d’autant plus qu’il n’existe en la matière aucune méthode scientifique agréée. La preuve en est que les Parties ont en l’espèce proposé des méthodes d’évaluation différentes et avancé des chiffres très éloignés. Le Costa Rica demandait 2 880 745,82 dollars des Etats-Unis, tandis que le Nicaragua n’estimait ne lui devoir que la somme dérisoire de 34 987 dollars des Etats-Unis.
7. Je suis en désaccord à la fois avec la méthode que la Cour a utilisée pour calculer le montant de l’indemnité due et avec la valeur qu’elle a attribuée aux dommages environnementaux. La Cour a décidé d’allouer au Costa Rica 120 000 dollars des Etats-Unis à titre d’indemnisation pour les dommages causés à son environnement. J’aurais pour ma part accordé au Costa Rica une somme bien inférieure à celle qu’il réclamait, mais largement supérieure à celle que la Cour lui a octroyée. A mon sens, la somme de 120 000 dollars des Etats-Unis revêt un caractère purement symbolique au regard des graves dommages que le Nicaragua a, par son comportement scandaleux, causés à une zone humide sous protection internationale. Dans le présent exposé de mon opinion, je me livrerai à une critique de la méthode employée par la Cour pour parvenir au chiffre de 120 000 dollars des Etats-Unis, qui, à mon grand regret, ne tient aucun compte de considérations d’équité concernant, par exemple, la nature de la zone touchée, les répercussions de la déforestation sur les changements climatiques et le comportement du Nicaragua.
I. La méthode utilisée par la Cour pour chiffrer à 120 000 dollars des Etats-Unis l’indemnité due à raison des dommages causés à l’environnement
8. Calculer le montant de l’indemnité due pour des dommages environnementaux n’est pas chose aisée. Cela a été souligné par la Commission d’indemnisation des Nations Unies (ci-après la «Commission d’indemnisation») établie en 1991 pour examiner les réclamations consécutives à l’invasion et à l’occupation illicites du Koweït par l’Iraq1. Le comité de commissaires a mis en avant qu’il était «intrinsèquement difficile de vouloir attribuer une valeur monétaire à des
1 Voir Nations Unies, résolution 687 (1991) du Conseil de sécurité, par. 16 et 18. Voir également, au sujet de la Commission d’indemnisation des Nations Unies, R. Higgins et al. (dir. publ.), Oppenheim’s International Law : United Nations, vol. II, Oxford University Press, 2017, p. 1254 et suiv.
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ressources naturelles ayant subi des dommages»2, et le groupe d’experts chargé par le Programme des Nations Unies pour l’environnement d’aider la Commission d’indemnisation a décrit l’évaluation des dommages environnementaux comme «une tâche ardue» soulevant «en elle-même des difficultés d’ordre analytique et pratique s’agissant de bien cerner les différents éléments du dommage, ainsi que sa nature et son étendue afin de prévoir le délai de reconstitution nécessaire, et de déterminer le montant de l’indemnité due»3.
9. C’est la première fois que la Cour a examiné une réclamation pour dommages environnementaux. Partant, pour évaluer les dommages subis par le Costa Rica, il lui était loisible de retenir la méthode qui lui semblait appropriée. Après examen des différentes méthodes proposées par les Parties, elle a conclu qu’elle s’abstiendrait de «choisir entre ces deux méthodes ou d’utiliser exclusivement l’une d’elles pour évaluer les dommages subis par la zone humide protégée qui est située au Costa Rica», et qu’elle emprunterait à l’une ou à l’autre chaque fois que leurs éléments offriraient une base raisonnable d’évaluation (arrêt, par. 52). La Cour a déclaré que, pour apprécier les dommages causés à l’environnement, elle procéderait à une «évaluation globale» plutôt que d’attribuer une valeur à telle ou telle catégorie de biens et services environnementaux (ibid., par. 78), et que, en l’absence d’éléments de preuve suffisants quant à l’étendue des dommages matériels, elle tiendrait compte de considérations d’équité (ibid., par. 35) et de la nature de la zone touchée, en tant que zone humide sous protection internationale.
10. Or, une analyse minutieuse de l’arrêt montre clairement que la Cour a en fait suivi une autre approche. Cette approche n’est en outre pas satisfaisante. Je le démontrerai dans les paragraphes suivants, tout d’abord en exposant les arguments des Parties puis en faisant la critique du raisonnement tenu par la Cour pour parvenir à la somme octroyée.
11. Le Costa Rica était partisan de la «méthode des services écosystémiques», se fondant à cet égard sur un rapport établi par une organisation non gouvernementale costa-ricienne, la Fundación Neotrópica, qui prônait de chiffrer les dommages environnementaux sur la base de la réduction ou de la perte de la capacité de l’environnement de procurer certains biens et services. Ces biens et services comprenaient aussi bien ceux qui étaient commercialisés (comme le bois) que ceux qui ne l’étaient pas (comme la régulation des gaz et l’atténuation des risques naturels). Une valeur pécuniaire était attribuée à ces biens et services environnementaux par transposition de valeurs tirées d’études concernant d’autres écosystèmes présentant des conditions similaires. Le Costa Rica soutenait en outre que les pertes résultant des agissements du Nicaragua devaient être évaluées sur une période de cinquante ans, soit la durée selon lui nécessaire pour que la zone touchée retrouve son état d’origine. Il modérait cette estimation en appliquant un taux d’actualisation de 4 %, censé rendre compte de la vitesse à laquelle l’environnement se reconstituerait. Le Costa Rica demandait une indemnisation pour la perte ou la dégradation de six biens et services, à savoir : le bois sur pied, les matières premières (fibres et énergie), les services de régulation des gaz et de la qualité de l’air (piégeage du carbone, notamment), d’atténuation des risques naturels, de formation du sol et de lutte contre l’érosion, et enfin les services liés à la biodiversité.
2 Conseil d’administration de la Commission d’indemnisation des Nations Unies, Rapport et recommandations du comité de commissaires concernant la cinquième tranche de réclamations «F4», Nations Unies, doc. S/AC.26/2005/10, 30 juin 2005, par. 81.
3 «Conclusions of the Working Group of Experts on Liability and Compensation for Environmental Damage arising from Military Activities», par. 44, Programme des Nations Unies pour l’environnement, Liability and Compensation for Environmental Damage : Compilation of Documents, Nairobi, 1998 [traduction du Greffe].
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12. Le Nicaragua préconisait pour sa part une méthode d’évaluation moins complexe fondée sur le «coût de remplacement des services écosystémiques», selon laquelle le Costa Rica n’avait droit qu’à une indemnité pour le remplacement des services environnementaux qui soit avaient été perdus soit risquaient de l’être tant que la zone touchée n’aurait pas retrouvé son état antérieur. Cette valeur devait être calculée par rapport au montant de la prime versée aux agriculteurs pour qu’ils préservent une zone équivalente jusqu’à ce que les services procurés par la zone touchée soient de nouveau assurés. Le Nicaragua rejetait donc à la fois le système du transfert de valeurs pour attribuer une valeur pécuniaire aux biens et services et la période de reconstitution de cinquante ans.
13. Le Nicaragua a soumis un rapport de deux experts, Mme Payne et M. Unsworth, examinant les 2 823 112 dollars des Etats-Unis réclamés par le Costa Rica pour les six biens et services qu’il prétendait avoir perdus en conséquence des actes du Nicaragua. Acceptant par pure hypothèse la méthode prônée par Neotrópica, Payne et Unsworth corrigeaient certaines erreurs qu’ils percevaient dans son application et concluaient que, lorsque cette méthode était bien appliquée, le Costa Rica n’avait droit qu’à 84 296 dollars des Etats-Unis.
14. La Cour a examiné ces différentes méthodes, mais ne s’est finalement fondée que sur l’«analyse corrigée» du Nicaragua, qu’elle a ajustée quelque peu afin de rendre compte de ses critiques concernant certaines de ces «corrections». Ces critiques étaient les suivantes : premièrement, Payne et Unsworth avaient tort d’attribuer aux matières premières une valeur de 1200 dollars des Etats-Unis (contre 17 877 dollars des Etats-Unis chez Neotrópica) en postulant que la perte de biens et services ne s’étendrait pas au-delà de la première année ; deuxièmement, leur évaluation à 5144 dollars des Etats-Unis concernant les services liés à la biodiversité (contre 40 730 dollars des Etats-Unis chez Neotrópica) ne faisait pas suffisamment cas de l’importance de ces services dans une zone humide sous protection internationale, ni du fait que la repousse ne génèrerait probablement pas, dans un proche avenir, une biodiversité aussi riche que celle qui existait à l’origine dans la zone ; troisièmement, les 47 778 dollars des Etats-Unis attribués à la régulation des gaz dans l’«analyse corrigée» (contre 937 509 dollars des Etats-Unis chez Neotrópica) ne tenaient pas compte de la perte future en matière de piégeage de carbone, puisque la perte de ce service était erronément considérée comme une perte non-renouvelable. La Cour n’a pas formulé d’objections s’agissant de l’analyse corrigée de Payne et Unsworth concernant la valeur des arbres abattus, chiffrée à 30 175 dollars des Etats-Unis (contre 462 490 dollars des Etats-Unis chez Neotrópica).
15. Le fait que la Cour ait semblé se fonder sur cette «analyse corrigée» pose problème pour plusieurs raisons. Premièrement, cette analyse attribue une valeur à chaque chef de dommages pris isolément, alors que la Cour déclare au contraire dans son arrêt ne pas vouloir chiffrer des catégories particulières de dommages. Deuxièmement, la Cour ne peut légitimement voir dans certains éléments de l’«analyse corrigée» une «base raisonnable» aux fins de sa propre évaluation. La méthode utilisée pour calculer la valeur du bois, par exemple, repose sur une estimation du volume de bois par hectare dans la zone touchée. Aucun élément du dossier soumis à la Cour ne justifie l’emploi d’une telle méthode de calcul. La Cour ne s’est pas non plus assurée du caractère raisonnable des études utilisées dans l’«analyse corrigée» concernant le transfert de valeurs. Troisièmement, la Cour a rejeté le délai de reconstitution de cinquante ans avancé par le Costa Rica pour les biens et services touchés, faisant observer que ce délai pouvait «varie[r] selon les composantes de l’écosystème et qu’il serait incorrect d’attribuer une durée unique aux différentes catégories de biens et services désignées par le Costa Rica» (arrêt, par. 76). Toutefois, elle n’a donné aucune indication quant au délai de reconstitution selon elle approprié pour les biens et services en question. Ce délai est-il de vingt à trente ans, à savoir le délai accepté par le Nicaragua4,
4 Contre-mémoire du Nicaragua sur la question de l’indemnisation, p. 61, par. 4.43.
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ou de dix à vingt ans pour la biodiversité et de un à cinq ans pour les matières premières et la régulation des gaz, comme l’a indiqué l’expert du Nicaragua, M. Kondolf5 ? Faute d’indications sur le délai de reconstitution retenu par la Cour, il est impossible d’apprécier l’incidence de ce paramètre sur son évaluation.
16. L’absence de toute précision sur la valeur à attribuer à la perte de «près de 300 arbres», dont beaucoup avaient plus de cent ans, est d’autant plus inexplicable que la Cour a déclaré que «le dommage le plus important qui ait été causé à la zone, et qui sembl[ait] être à l’origine d’autres dommages environnementaux, concern[ait] les arbres abattus par le Nicaragua» (arrêt, par. 79). La Cour a également déclaré qu’«[u]ne évaluation globale permet[tait] de rendre compte de la corrélation existant entre l’abattage des arbres et les dommages causés à d’autres biens et services environnementaux (comme les autres matières premières, les services de régulation des gaz et de la qualité de l’air, et la biodiversité du point de vue de l’habitat et du renouvellement des populations)» (ibid.). Etant donné le rôle central joué –– de l’avis de la Cour –– par les arbres dans l’évaluation des dommages causés à l’environnement, il est étonnant que celle-ci n’ait pas précisé la valeur qu’elle attribuait aux près de 300 arbres coupés par le Nicaragua en 2010 et 2013. La Cour a rejeté le montant total de 34 987 dollars des Etats-Unis proposé par le Nicaragua au Costa Rica à titre d’indemnisation (ibid., par. 77), mais sans indiquer sa propre estimation concernant les arbres abattus. Il est permis de supposer, en dépit de son silence sur ce point, que la Cour n’a pas retenu la valeur de 30 175 dollars des Etats-Unis que Payne et Unsworth attribuaient au bois dans leur analyse corrigée (contre 462 490 dollars chez Neotrópica). La Cour n’a pas non plus indiqué comment les arbres abattus sont censés être évalués. Convient-il de tabler sur le prix moyen du bois sur pied en attribuant une valeur au stock éliminé et à son potentiel de croissance sur cinquante ans, comme le préconisait le Costa Rica (ibid., par. 60) ? Ou convient-il de tabler sur la valeur attribuée à chaque arbre abattu, et sur la perte de ces arbres pendant une période de reconstitution de cinquante ans ou moins ? Nous n’en savons tout simplement rien.
17. Ce que nous savons, en revanche, c’est que la Cour a estimé que le Costa Rica avait droit à une indemnité supérieure aux 84 296 dollars des Etats-Unis fixés par Payne et Unsworth. Cela signifie que les ajustements apportés par la Cour à cette analyse (dont certains obéissent peut-être à des considérations d’équité, la seule mentionnée dans l’arrêt concernant la nature de la zone touchée en tant que zone humide sous protection internationale) comptent pour 35 704 dollars des Etats-Unis, portant à 120 000 dollars des Etats-Unis le montant total de l’indemnité allouée à raison des dommages causés à l’environnement.
18. Pareille évaluation est à mon sens bien loin de rendre compte des dommages environnementaux causés à une zone humide sous protection internationale, surtout lorsque l’on en connaît le contexte, et il aurait fallu accorder une indemnité autrement plus élevée afin de réviser à la hausse le coût de la dégradation des arbres, des matières premières, de la biodiversité et de la régulation des gaz et d’inclure une somme pour la dégradation du service de formation du sol, les dommages causés à l’environnement, les répercussions de la déforestation et de la destruction du sous-bois sur les changements climatiques, ainsi que la gravité du préjudice que le Nicaragua a intentionnellement causé à l’environnement d’une zone humide.
5 Contre-mémoire du Nicaragua sur la question de l’indemnisation, annexe 2, p. 160 (le «rapport Kondolf» (2017)).
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II. Révision à la hausse du coût de la dégradation des biens et services environnementaux
19. Voici ce que la Cour a conclu au sujet de la dégradation des biens et services environnementaux. Premièrement, elle a considéré que, dans une affaire de dommages environnementaux telle que celle-ci, elle devait procéder à une évaluation globale. Deuxièmement, elle a estimé devoir pour ce faire s’inspirer de considérations d’équité, dont l’une avait trait au fait qu’il avait été porté atteinte à une zone humide sous protection internationale. Troisièmement, elle a jugé que l’«analyse corrigée» par le Nicaragua de l’évaluation de Neotrópica, en tant qu’elle chiffrait à 84 296 dollars des Etats-Unis la perte subie par le Costa Rica du fait de la dégradation de certains biens et services, tendait à sous-estimer le montant de l’indemnité due à ce dernier. Quatrièmement, elle a considéré que ladite «analyse corrigée» du Nicaragua n’était pas satisfaisante s’agissant des matières premières et de la régulation des gaz, étant donné qu’elle comptabilisait la dégradation de ces biens et services comme un événement unique sans tenir compte de la période de reconstitution nécessaire. Cinquièmement, elle a jugé que l’évaluation du Nicaragua concernant les services liés à la biodiversité péchait en ce qu’elle ne tenait compte ni de la nature de la zone touchée, en tant que zone humide sous protection internationale, ni du fait que la repousse ne génèrerait pas une biodiversité aussi riche que celle qui existait à l’origine dans la zone. Sixièmement, elle a conclu que le Costa Rica n’avait droit à aucune indemnisation pour la perte des services d’atténuation des risques naturels ou de formation du sol et de lutte contre l’érosion. Septièmement, elle a déclaré que le dommage le plus important qui ait été causé à la zone, et qui était à l’origine de la dégradation d’autres biens et services, concernait les arbres abattus par le Nicaragua. Et, huitièmement, elle a constaté que le Nicaragua avait abattu près de 300 arbres lors du creusement du caño de 2010 et du caño oriental de 2013, et non 200 comme le prétendait cet Etat.
20. La Cour débute son évaluation globale en concluant que l’«analyse corrigée» du Nicaragua, qui aboutit à un montant de 84 296 dollars des Etats-Unis, tend à sous-estimer la valeur à attribuer à la dégradation des biens et services environnementaux et souffre de certaines «insuffisances» (ibid., par. 82). Elle l’achève en concluant que, eu égard à ces «insuffisances», la valeur globale à attribuer aux dommages environnementaux résultant des activités illicites du Nicaragua est de 120 000 dollars des Etats-Unis. Malheureusement, la Cour n’indique d’aucune façon comment elle a calculé la différence entre ces deux chiffres, à savoir 35 704 dollars des Etats-Unis. Des considérations d’équité ont peut-être joué un rôle dans son évaluation. La Cour a invoqué à ce titre le caractère de la zone touchée, en tant que zone humide sous protection internationale, et en a probablement tenu compte dans son calcul. Nous savons également qu’elle a désapprouvé les conclusions énoncées dans l’«analyse corrigée» du Nicaragua concernant la valeur à attribuer à la dégradation des matières premières, de la biodiversité et du service de régulation des gaz dans l’attente de leur reconstitution. Je présume que la Cour a révisé à la hausse le montant fixé dans l’«analyse corrigée» pour la dégradation des matières premières, qui tablait sur une perte limitée à un an, afin de répercuter cette dégradation sur une période de reconstitution plus longue. Peut-être a-t-elle retenu le chiffre de vingt à trente ans accepté par le Nicaragua ? Je présume, pareillement, que la Cour a révisé à la hausse le montant fixé dans l’«analyse corrigée» pour les services liés à la biodiversité afin de rendre compte du fait que la repousse ne génèrerait pas «dans un proche avenir» une biodiversité aussi riche que celle qui existait à l’origine. Là encore, la Cour n’a pas précisé la durée supposée de cette reconstitution, mais il ne semble pas déraisonnable de tabler sur une durée de vingt ans puisque tel était le délai approuvé par le Nicaragua. Je présume enfin que la Cour a également révisé à la hausse la somme fixée dans l’«analyse corrigée» pour les services de régulation des gaz et de la qualité de l’air, Payne et Unsworth n’ayant pas tenu compte de la perte future concernant le piégeage annuel du carbone puisqu’ils supposaient que «la perte de ces services ne se produi[rait] qu’une seule fois» (ibid., par. 85). Aucun délai de reconstitution n’est précisé mais, ici encore, il ne paraît pas déraisonnable de tabler sur vingt ans.
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21. Je peine à concevoir que l’ensemble des facteurs énumérés plus haut, que la Cour a désignés comme autant de considérations pertinentes pour parvenir à une évaluation globale de la perte ou de la dégradation des biens et services environnementaux, puisse se traduire en valeur pécuniaire par la somme modique de 35 704 dollars des Etats-Unis.
III. La nécessité de tenir compte de la formation du sol et de la lutte contre l’érosion
22. Ces dernières années, la Cour a été très critiquée pour son administration des éléments de preuve dans des situations factuelles complexes et des domaines extrêmement techniques6. Ces critiques concernaient pour beaucoup le manque de transparence dont elle tendait à faire preuve lorsqu’elle exposait son analyse des éléments de preuve et la manière dont elle était parvenue à ses conclusions sur les faits en litige. Ce problème d’établissement des faits se trouve une nouvelle fois illustré par l’opacité du raisonnement qui a conduit la Cour à conclure que le Costa Rica n’avait pas démontré que le service de formation du sol et de lutte contre l’érosion avait été dégradé du fait de la construction des caños de 2010 et 2013 par le Nicaragua7. C’est d’autant plus regrettable que la demande formulée par le Costa Rica à raison de ce chef de dommages était la plus élevée (1 179 924 dollars des Etats-Unis). Dans ces circonstances, il était permis de s’attendre à ce que la Cour veille particulièrement à bien expliciter sa conclusion.
23. Dans la présente affaire, le Nicaragua ne niait pas avoir enlevé 9502,72 mètres cubes de sol dans les zones où il avait construit ses caños de 2010 et 2013. Les Parties s’accordaient à reconnaître que le sol enlevé dans les caños avait été remplacé par des sédiments alluvionnaires. Elles étaient en revanche divisées sur le point de savoir si le sol formé par ces sédiments alluvionnaires était de moins bonne qualité, comme le prétendait le Costa Rica, et, dans l’affirmative, s’il était susceptible de résister à l’érosion et de remplir les mêmes fonctions pour l’environnement que le sol enlevé.
24. Le Nicaragua soutenait que les matières qui étaient venues combler à nouveau les caños n’étaient pas sensiblement différentes de celles qui avaient été déplacées par ses travaux, et faisait grief au Costa Rica de n’avoir pas démontré par des analyses de sol spécifiques que le sol formé par les sédiments alluvionnaires était effectivement de moins bonne qualité que le sol d’origine, et donc moins susceptible de résister à l’érosion et d’exercer pour l’environnement les mêmes fonctions que le sol dragué. Pour cette raison, le Nicaragua estimait que le Costa Rica n’avait droit à aucune indemnisation concernant le sol.
25. S’il est vrai que le Costa Rica n’a procédé à aucun prélèvement pour établir que le sol d’origine était de meilleure qualité que le nouveau sol constitué de sédiments alluvionnaires, il a
6 Voir L. Malintoppi, «Fact-Finding and Evidence before the International Court of Justice (Notably in Scientific-Related Disputes)», Journal of International Dispute Settlement, Vol. 7 (2016), p. 421 ; J. Devaney, Fact-Finding before the International Court of Justice, Cambridge University Press, Cambridge, 2016 ; voir également A. Riddell et B. Plant, Evidence before the International Court of Justice, British Institute of International and Comparative Law, 2009.
7 Voir les observations formulées sur l’établissement des faits dans l’exposé de mon opinion individuelle dans Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) et Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 859-860.
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toutefois produit un rapport de M. Thorne sur la question. S’appuyant sur le rapport d’une mission consultative Ramsar8, M. Thorne a déclaré ce qui suit :
«les propriétés des sédiments et du sol divergent pour ainsi dire en tous points, principalement en raison de l’absence relative de matière organique, d’humus et de vie microbienne dans les premiers et de leur grande abondance dans le second. Sur le plan biologique, il y a littéralement un monde entre une masse de sédiments fluviaux récemment déposés (appelés alluvions) et une masse de sol évolué»9.
M. Thorne a ensuite précisé que d’autres ingrédients devaient s’ajouter aux sédiments pour former un sol, dont, en particulier, des matières organiques, lesquelles avaient besoin de temps afin de «se décomposer et [de] produire les composants qui assurent pour l’essentiel la fertilité des sols»10. Il faut des dizaines d’années, a-t-il ajouté,
«pour que les matières organiques et la fertilité des sols qui forment actuellement les sédiments de remplissage des caños puissent se rapprocher de l’état caractéristique des sols qui soutenaient les peuplements forestiers anciens/mâtures enlevés par le Nicaragua pour construire les caños»11.
M. Thorne a souligné que les sols consolidés par les racines de plantes vivantes étaient bien plus résistants à l’érosion12. Il a conclu en déclarant que les activités du Nicaragua avaient clairement entravé la formation du sol et la lutte contre l’érosion. Il s’agit là des conclusions d’un expert qui, lors des audiences sur le fond, s’était révélé être un témoin crédible dans une discipline qu’il avait qualifiée de «pédologie «classique»»13.
26. La Cour a rejeté la demande formulée par le Costa Rica à raison des dommages causés à la formation du sol et à la lutte contre l’érosion, déclarant ce qui suit :
«Si certains éléments tendent à démontrer que le sol enlevé par le Nicaragua était de meilleure qualité que celui qui comble désormais les deux caños, le Costa Rica n’a cependant pas apporté la preuve que cette différence ait une incidence sur la lutte contre l’érosion, et la Cour ne dispose pas d’éléments suffisants quant à la qualité des deux types de sol pour lui permettre d’apprécier la perte éventuellement subie par le Costa Rica»14.
27. Cette conclusion laconique appelle la question suivante. La Cour disposait d’un rapport solidement motivé de M. Thorne concernant la différence existant entre les deux types de sols, qui était étayé par un rapport Ramsar. Est-ce parce que M. Thorne n’a pas, en sus de son exposé de pédologie classique, procédé à des analyses de sol spécifiques que la Cour a jugé son témoignage insuffisant pour établir la différence de qualité des deux types de sols ? Ou est-ce parce que la Cour
8 Secrétariat de la convention de Ramsar, «Rapport de la mission consultative Ramsar no 69 : zone humide d’importance internationale du nord-est des Caraïbes (Humedal Caribe Noreste), Costa Rica», 17 décembre 2010, cité dans l’analyse du rapport de M. G. M. Kondolf, par M. Colin R. Thorne, 25 juillet 2017, réplique du Costa Rica sur la question de l’indemnisation, annexe 2, p. 171 (ci-après le «rapport Thorne» (2017)).
9 Rapport Thorne (2017), p. 171.
10 Rapport Thorne (2017), p. 172.
11 Rapport Thorne (2017), p. 173.
12 Rapport Thorne (2017), p. 173-174. Pour lire les arguments avancés sur ce point, voir réplique du Costa Rica sur la question de l’indemnisation, p. 13-14.
13 Rapport Thorne (2017), p. 173.
14 Arrêt, par. 74.
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a jugé le témoignage de M. Kondolf, qui ne fournissait pas davantage de données scientifiques, plus convaincant ? Tout de même, la Cour n’était-elle pas tenue d’expliquer dans une certaine mesure les raisons pour lesquelles elle a rejeté le témoignage de M. Thorne fondé sur la «pédologie «classique»» ?
28. A mon sens, le Costa Rica a suffisamment démontré que des sédiments alluvionnaires récents ont nécessairement une valeur nutritive inférieure à celle de sols évolués au sein d’une zone forestière. Procéder à une étude sur site aurait certes été la meilleure manière de démontrer que le nouveau sol était de moins bonne qualité que l’ancien, mais cela ne signifie pas qu’un rapport d’expert attestant que des dépôts alluvionnaires peuvent être réputés avoir une qualité inférieure à celle de sols organiques évolués ne suffise pas à satisfaire à la charge de la preuve. L’indemnisation de 1 179 924 dollars des Etats-Unis demandée par le Costa Rica à raison de la formation du sol et de la lutte contre l’érosion était excessive. Toutefois, à la lumière du rapport Thorne, il ne fait aucun doute que de graves dommages ont été causés à la qualité du sol, qu’ils sont susceptibles d’indemnisation et qu’ils ne s’effaceront qu’au terme d’une longue période de reconstitution. Pour cette raison, j’estime que la Cour aurait dû accorder une certaine valeur à la dégradation du service de formation du sol.
IV. Considérations d’équité
29. La Cour a évoqué, mais non clairement affirmé, la pertinence des considérations d’équité aux fins de l’octroi d’une indemnisation pour dommages15. Lorsque l’étendue des dommages ne peut être établie, son appréciation est à la discrétion de la Cour. La recherche d’équité guidera la Cour dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire. En 1997, l’Institut de droit international a ainsi déclaré :
«Les régimes en matière d’environnement devraient adopter une conception large de la réparation, comprenant la cessation de l’activité en cause, la restitution en nature, l’indemnisation et, si nécessaire, la satisfaction.
Les indemnités allouées sous ces régimes devraient couvrir à la fois les pertes économiques et le coût de mesures de réhabilitation et de remise en état. Dans ce contexte, il faudrait également tenir compte de la nécessité d’une évaluation équitable ainsi que d’autres critères dégagés par les conventions internationales et les décisions juridictionnelles.»16
Dans la présente affaire, la Cour aurait pu et, à mon sens, aurait dû tenir compte d’un certain nombre de considérations d’équité dans son calcul de l’indemnisation. Ces considérations concernaient la protection de l’environnement, l’importance attachée à la lutte contre les changements climatiques dans le monde d’aujourd’hui et la gravité des agissements de l’Etat défendeur. Malheureusement, la Cour semble n’avoir fait cas que de la nature de la zone touchée, en tant que zone humide sous protection internationale.
15 Arrêt, par. 35. En renvoyant à sa décision en l’affaire Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo) (indemnisation, arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 337, par. 33), dans laquelle elle avait calculé le montant de l’indemnité due sur la base de considérations d’équité, la Cour a laissé entendre qu’elle tiendrait compte en l’espèce de telles considérations en l’absence d’éléments de preuve suffisants quant à l’étendue des dommages matériels.
16 Session de Strasbourg, 1997, résolution III, «La responsabilité en droit international en cas de dommages causés à l’environnement», art. 24 ; les italiques sont de moi.
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V. Protection de l’environnement
30. Point n’est besoin de rappeler l’importance attachée à la protection de l’environnement dans l’ordre juridique international moderne. Celle-ci est consacrée dans les déclarations de Stockholm (1972) et de Rio (1992) et a été reconnue comme un droit de l’homme dans la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (article 24). La destruction de l’environnement constitue à la fois un fait internationalement illicite et un crime international17. Dans la présente affaire, le Nicaragua a intentionnellement porté atteinte à l’environnement d’un autre Etat, dans une zone humide sous protection internationale.
31. Les zones humides sont des écosystèmes extrêmement fragiles qui revêtent une importance particulière. Le rapport de M. Thorne, sur lequel le Costa Rica faisait fond, expose les raisons pour lesquelles la Humedal Caribe Noreste, au sein de laquelle se trouve la zone touchée, a été inscrite sur la liste des zones humides d’importance internationale en 199618. Ces raisons tiennent notamment à sa grande valeur en tant que haut lieu de la diversité génétique et écologique de la région ainsi que lieu d’escale pour les poissons et oiseaux migrateurs19. La dégradation d’un tel environnement doit être prise très au sérieux, et le montant de l’indemnité doit être à la mesure des dommages causés.
32. La Cour semble avoir tenu compte du fait que les actes du Nicaragua ont porté atteinte à la Humedal Caribe Noreste dans son calcul du montant de l’indemnité due. Elle a ainsi déclaré (arrêt, par. 80) :
«la nécessité d’une évaluation globale est dictée par les caractéristiques particulières de la zone touchée par les activités du Nicaragua, celle-ci faisant partie de la zone humide du nord-est des Caraïbes, qui bénéficie d’une protection au titre de la convention de Ramsar et où coexistent divers biens et services environnementaux qui sont étroitement liés. Les zones humides comptent parmi les écosystèmes les plus variés et foisonnants au monde. Grâce à l’interaction de ses composantes physiques, biologiques et chimiques, une zone humide remplit de nombreuses fonctions vitales, notamment en favorisant la richesse de la biodiversité, en exerçant une action régulatrice sur le régime des eaux et en jouant le rôle de puits à sédiments et à polluants.»
Toutefois, la Cour n’a précisé d’aucune manière comment une telle considération se traduisait en valeur pécuniaire. Etant donné que cette considération n’est pas la seule à avoir conduit la Cour à décider de porter à 120 000 dollars des Etats-Unis les 84 296 dollars des Etats-Unis proposés par Payne et Unsworth dans leur «analyse corrigée», il ne devait pas s’agir d’une somme importante. L’octroi d’une somme si modique ne contribuera guère à souligner l’importance de la protection d’une zone humide Ramsar.
VI. Changements climatiques
33. La corrélation entre déforestation et changements climatiques est évidente. Bien que les connaissances scientifiques en la matière demeurent fragmentaires, il ne fait aucun doute que la destruction d’arbres aggrave les changements climatiques. Les forêts adultes emmagasinent une grande quantité de carbone qui est absorbée par les arbres eux-mêmes et par le sol qui les entoure,
17 Voir Statut de Rome de la Cour pénale internationale, art. 8 2) b) iv).
18 Rapport Thorne (2017), p. 169.
19 Rapport Thorne (2017), p. 169.
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sous l’action des matières végétales en décomposition. Lorsque les arbres sont détruits, le carbone est libéré dans l’atmosphère, ce qui accroît la quantité de dioxyde de carbone et d’autres gaz à effet de serre qui accélèrent le réchauffement et les changements climatiques.
34. Le Nicaragua a détruit près de 300 arbres sur 6,19 hectares du «territoire litigieux». Le Costa Rica réclamait 937 509 dollars des Etats-Unis pour la perte ainsi causée en matière de régulation des gaz. Là encore, la somme réclamée était excessive, mais une grande partie de celle-ci aurait dû être accordée.
35. Le Nicaragua soutenait que le coût de la perte de cette fonction de piégeage du carbone représentait la valeur de ce service écologique pour la population mondiale et que le Costa Rica ne pouvait donc réclamer l’intégralité de la somme due pour les dommages causés20. Il va de soi que le problème touche la communauté internationale tout entière. L’obligation de ne pas se livrer à une déforestation illicite entraînant une libération de carbone dans l’atmosphère et entravant le piégeage des gaz constitue assurément une obligation erga omnes. Cela étant, il est notoire que les Etats tiers ne font que rarement, sinon jamais, valoir les droits que leur confère la violation d’obligations erga omnes. En pareilles circonstances, c’est l’Etat le plus directement touché qui est le plus susceptible de faire valoir de tels droits, tant pour son propre compte que pour celui de la communauté mondiale. Le Costa Rica aurait donc dû être autorisé à recevoir une indemnisation intégrale pour ce dommage. Dans le cadre de ses prétentions à cet égard, il faisait valoir à la fois son intérêt propre et celui de la communauté internationale dans son ensemble.
36. La Cour n’a formulé aucune conclusion sur le point de savoir quels Etats pourraient présenter une réclamation, alors qu’il s’agissait là d’une question centrale dans l’argumentation du Nicaragua concernant l’évaluation de la dégradation des services de piégeage du carbone et de régulation des gaz. Elle n’a pas non plus répondu à la question de savoir si des dommages causés au service de régulation des gaz sont en quelque circonstance susceptibles de réparation intégrale au bénéfice d’un seul Etat. Elle a en cela manqué une occasion de contribuer au développement progressif du droit international coutumier relatif à l’atténuation des changements climatiques21.
37. La Cour ne pouvait ignorer la pertinence, pour sa décision en l’espèce, de l’accord de Paris sur les changements climatiques conclu le 4 novembre 201622. Plus de 170 Etats parties, dont le Nicaragua et le Costa Rica23, se sont engagés à poursuivre l’objectif visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre et ont, ce faisant, reconnu l’existence d’un lien entre de telles émissions et les changements climatiques24. Les Parties ont également reconnu l’importance de conserver et de renforcer les puits et réservoirs de gaz à effet de serre25.
38. La Cour aurait dû tenir compte de l’article 4 de l’accord de Paris, aux termes duquel les parties s’engagent à parvenir dès que possible à un «plafonnement mondial des émissions de gaz à
20 Contre-mémoire du Nicaragua sur la question de l’indemnisation, annexe 1, p. 131 (le «rapport Payne et Unsworth» (2017)).
21 Voir plus loin dans la présente section.
22 Accord de Paris conclu le 22 avril 2016, en application de la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, et entré en vigueur le 4 novembre 2016.
23 L’accord de Paris est entré en vigueur le 22 novembre 2017 à l’égard du Nicaragua, et le 12 novembre 2016 à l’égard du Costa Rica.
24 Accord de Paris, art. 4 et 10.
25 Accord de Paris, art. 5.
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effet de serre». A cette fin, les parties se fixent des objectifs internes et sont tenues de s’efforcer de les atteindre. Chacune «établit, communique et actualise les contributions déterminées au niveau national successives qu’elle prévoit de réaliser» et doit «pren[dre] des mesures internes pour l’atténuation en vue de réaliser les objectifs desdites contributions»26. Cela démontre que, s’il reste vrai que le monde tout entier bénéficie, dans la pratique, de la pureté de l’air et d’une réduction des émissions de carbone sur le territoire de chaque Etat, la communauté internationale a volontairement adopté à l’égard de la régulation des gaz une stratégie d’individualisation des obligations incombant aux Etats. De manière corollaire, il est considéré que la régulation des gaz bénéficie au premier chef aux Etats à titre individuel. De fait, si les frais et bienfaits associés à la gestion de ce service n’était pas individualisés de telle façon, il n’existerait aucun moyen d’obliger les Etats à rendre compte de leurs efforts pour réduire leur émissions de carbone en application de l’article 4 de l’accord de Paris (le Costa Rica a présenté en 2015 sa «contribution déterminée au niveau national», dans laquelle il citait le renforcement des puits à carbone par l’utilisation des sols et la reforestation au nombre des quatre mesures d’atténuation envisagées par son gouvernement)27.
39. C’était la toute première fois que la Cour internationale de Justice avait l’occasion de s’exprimer sur cette question. En ces temps d’intense réflexion sur les moyens de lutter contre les changements climatiques, beaucoup d’attention sera inévitablement accordée à tout prononcé de la Cour en la matière. Le fait que la Cour ait gardé le silence conduira à penser qu’elle ne souhaite pas s’associer au consensus mondial visant à lutter avec détermination contre les changements climatiques.
VII. La gravité des actes de l’Etat défendeur
40. Dans la présente affaire, le comportement du Nicaragua a été caractérisé par la mauvaise foi et par une détermination à ne faire aucun cas ni du droit international ni de l’autorité de la Cour. Le Nicaragua a également affiché un mépris total pour l’environnement d’une zone humide sous protection internationale. En construisant son premier caño en 2010, il a tenté de modifier clandestinement le cours du fleuve San Juan afin de repousser les limites de son territoire. Il ne s’est pas mépris en toute bonne foi sur le tracé d’une frontière internationale. Cette tentative de modifier le tracé de la frontière s’est inévitablement accompagnée de dommages environnementaux, qui ont résulté de la destruction d’arbres, de végétation et de sol organique. La mauvaise foi du Nicaragua ressort du fait qu’il n’a pas dit la vérité au sujet de la présence de ses militaires sur le territoire litigieux, qui y sont restés jusqu’au 19 janvier 2011, alors que la procédure judiciaire venait de débuter28. Le mépris du Nicaragua pour l’environnement et pour l’ordonnance de la Cour ressort également du fait qu’il a soutenu la présence de plusieurs milliers d’étudiants nationalistes  des membres du mouvement écologiste dénommé le Guardabarranco  qui se faisaient passer pour des militants écologistes sur le territoire litigieux29. Pour couronner le tout, le Nicaragua a délibérément et intentionnellement violé en septembre 2013
26 Accord de Paris, art. 4, par. 2.
27 Ministère de l’environnement et de l’énergie du Costa Rica, contribution prévue déterminée au niveau mondial, San José, septembre 2015, app. 1, p. 12.
28 Voir l’exposé de l’opinion individuelle de M. le juge Robinson dans Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) et Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 811-812.
29 Voir l’exposé de mon opinion dissidente dans Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) ; Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), mesures conservatoires, ordonnance du 16 juillet 2013, C.I.J. Recueil 2013, p. 271.
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l’ordonnance en indication de mesures conservatoires que la Cour avait rendue en 201130. Cette violation, qu’il a tout d’abord niée, est une autre preuve encore de sa mauvaise foi. Elle démontre son refus de l’autorité de la Cour et son mépris total pour l’environnement.
41. Dans son évaluation de l’indemnisation due en l’espèce, la Cour aurait dû tenir compte de la gravité des activités illicites du Nicaragua. Le montant de l’indemnité aurait dû être à la mesure de ce comportement illicite31. La Commission du droit international s’est clairement exprimée en ce sens dans le commentaire de son projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite, lorsqu’elle a déclaré ce qui suit :
«Quant aux types de dommages pouvant donner lieu à indemnisation et aux principes d’évaluation à appliquer pour les chiffrer, ils varient selon le contenu des obligations primaires en cause, l’appréciation des comportements respectifs des parties et, plus généralement, le souci de parvenir à une solution équitable et acceptable.»32
42. L’Institut de droit international a fait écho à ce point de vue. Dans son rapport final de 1997 sur la responsabilité en droit international en cas de dommages causés à l’environnement, il a déclaré ceci :
«La réparation intégrale de dommages causés à l’environnement ne doit pas se solder par la fixation de dommages-intérêts excessifs, exorbitants, exemplaires ou punitifs. Les dommages-intérêts punitifs ne sont généralement pas admis en droit international, mais leur octroi pourrait être envisagé dans les cas où il serait équitable de prescrire une indemnisation excédant la valeur de la perte effective ou quelque autre mesure de substitution. Le cas des dommages délibérément causés à l’environnement pourrait constituer un bon exemple.»33
43. Compte tenu de la gravité des violations du droit international commises par le Nicaragua, le montant de l’indemnité aurait dû excéder celui qui aurait été accordé si les dommages à l’environnement avaient découlé d’un comportement licite34. Les juridictions internationales tiennent souvent compte, fût-ce de manière implicite, du comportement des parties et de la gravité de la violation dans leur évaluation de l’indemnisation35. Dans l’arbitrage de l’Alabama, le commissaire britannique (sir Cockburn) a dit que la réparation devait être raisonnablement
30 Voir l’exposé de la déclaration commune de MM. les juges Tomka et Greenwood, Mme la juge Sebutinde et M. le juge ad hoc Dugard dans Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) et Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 754.
31 J. Crawford, Brownlie’s Principles of Public International Law, 8e éd. , 2012, p. 573 : s’agissant de LG&E v. Argentina, un arbitrage mené sous les auspices du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), et de la commission des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie, M. Crawford a fait observer que «les deux instances avaient semblé avoir eu à l’esprit la nécessité de fixer le montant de l’indemnité de manière à ce qu’elle soit à la mesure du comportement illicite». [Traduction du Greffe.]
32 Annuaire de la Commission du droit international, 2001, vol. II (deuxième partie), p. 266 ; les italiques sont de moi.
33 Annuaire de l’Institut de droit international, rapport final, décembre 1996, éd. Pédone, p. 339 [traduction du Greffe].
34 Voir J. Crawford, Brownlie’s Principles of Public International Law, 8e éd. , 2012, p. 573 : «Dans le cas d’activités licites, le niveau d’indemnisation peut être moins élevé qu’il ne le serait en cas d’activités illicites d’emblée, telles que des attaques non provoquées ou une expropriation illicite» [traduction du Greffe].
35 R. Jennings and A. Watts (dir. publ.), Oppenheim’s International Law : Peace, vol. I, 9e éd., Londres, Longman, 1992, p. 533.
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proportionnelle non seulement à la perte ayant résulté de la faute (qu’il s’agît d’un acte ou d’une omission), mais aussi à la gravité même de la faute36. (Les vues exposées par sir Cockburn dans l’arbitrage de l’Alabama ont recueilli l’adhésion du juge Azevedo dans son opinion dissidente en l’affaire du Détroit de Corfou (Royaume-Uni c. Albanie)37.)
44. D’autres exemples sont fournis par l’affaire du navire I’m Alone (1933-1935), dans laquelle une somme d’argent a été accordée à titre de «satisfaction matérielle» pour la destruction illicite intentionnelle d’un navire, ainsi que par l’arbitrage du Rainbow Warrior (1990), dans lequel il a été recommandé que la France paye 2 millions de dollars des Etats-Unis pour n’avoir pas respecté un accord antérieur avec la Nouvelle-Zélande38. La commission des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie a elle aussi tenu compte du comportement des parties dans son évaluation de l’indemnité à accorder. Elle a mis l’accent sur la nécessité de maintenir «la proportionnalité entre le type de délit et l’indemnisation due»39 et a fait observer qu’elle avait songé à la «gravité» [«gravity» and «seriousness» dans l’anglais] des violations en fixant le montant à allouer40.
45. MM. Jennings et Watts ont pour leur part déclaré que, lors d’une telle évaluation, il serait vraisemblablement fait une grande différence «entre les actes de réparation de faits internationalement illicites commis de manière délibérée et malveillante, et ceux résultant d’une simple négligence coupable»41. Je cite :
«Il est parfois soutenu que, eu égard à la souveraineté des Etats, la responsabilité de ceux-ci à raison de faits internationalement illicites consiste uniquement à réparer les torts qu’ils ont causés sans excéder les limites de la restitution, et que l’octroi d’indemnités excédant ces limites (souvent appelées dommages-intérêts «pénaux» ou punitifs) est exclu. Ce point de vue est difficile à concilier à la fois avec les principes et avec la pratique … les juridictions internationales [ayant] dans de nombreuses affaires accordé des dommages-intérêts qui, après analyse, doivent être considérés comme «pénaux».»42
36 J. Personnaz, La réparation du préjudice en droit international public, 1939, p. 107.
37 Détroit de Corfou (Royaume-Uni c. Albanie), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1949, p. 96. Voir T. Bingham, «Alabama Arbitration», Max Planck Encyclopaedia of International Public Law, par. 10.
38 Voir R. Kolb, «Legal effects of responsibility», The International Law of State Responsibility  An Introduction (2017), p. 166-167. M. Kolb reconnaît que «cette recommandation [dans l’arbitrage du Rainbow Warrior] peut fort bien avoir également, dans une certaine mesure, une dimension exemplaire ou punitive».
39 Commission des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie, sentence finale, réclamations de dommages de l’Ethiopie, décision du 17 août 2009, Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. XXVI, résumé, p. 638.
40 Ibid.
41 R. Jennings and A. Watts (dir. publ.), Oppenheim’s International Law : Peace, vol. I, 9e éd., Londres, Longman, 1992, p. 532 [traduction du Greffe].
42 Ibid., p. 533 [traduction du Greffe]. Après un examen attentif de la question des dommages-intérêts punitifs en droit international, Mme Nina Jorgensen a conclu
«[qu’]il est souvent difficile de faire la distinction entre les dommages-intérêts destinés à punir l’Etat fautif et ceux d’ordre purement compensatoire qui reflètent néanmoins le degré de gravité du manquement de l’Etat. A cet égard, la totalité de l’indemnité accordée dans une affaire donnée ou, à tout le moins, une partie de celle-ci peut être octroyée afin de remédier à diverses formes de perte non pécuniaire ou de préjudice moral, mais l’objectif poursuivi demeure compensatoire» («A Reappraisal of Punitive Damages in International Law» (1997), British Yearbook of International Law, vol. 68, numéro 1, p. 260) [traduction du Greffe].
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46. Non que je prône l’imposition de dommages-intérêts punitifs, mais je pense que la gravité du comportement du Nicaragua pouvait être prise en considération afin de tenter de rétablir pleinement le Costa Rica dans la situation qui était la sienne avant la violation nicaraguayenne.
Conclusion
47. Il est impossible de chiffrer avec précision les dommages que le Nicaragua a causés à l’environnement du Costa Rica. Le dictum énoncé dans l’arbitrage relatif à la Fonderie de Trail43 offre toutefois quelques éléments d’orientation dans la quête d’une indemnisation raisonnable et équitable. Dans sa sentence, le tribunal arbitral a déclaré ce qui suit :
«Ce serait pervertir les principes fondamentaux de la justice que de refuser tout secours à la victime  et par là même libérer l’auteur du préjudice de l’obligation de réparation  sous prétexte que l’acte illicite est de nature à empêcher que le montant de l’indemnité puisse être déterminé avec certitude : en pareil cas, si le montant de l’indemnité ne doit pas être établi par simple spéculation ou conjecture, il suffit néanmoins que l’ampleur des dommages soit démontrée par une déduction juste et raisonnable, quand bien même le résultat n’en serait qu’approximatif.»
48. Le Costa Rica réclamait une somme qui pouvait sembler exagérée à raison des dommages environnementaux que lui avait infligés le Nicaragua –– à savoir 2 880 745,82 dollars des Etats-Unis. La qualité du raisonnement avancé par le Costa Rica à l’appui de cette demande extravagante n’arrangeait rien. Ces facteurs ne doivent cependant pas occulter le fait que l’Etat demandeur a subi de graves dommages environnementaux et que le Nicaragua a commis ces dommages, non pas parce qu’il a eu le tort de mal interpréter le tracé d’une frontière historique, mais parce qu’il tentait stratégiquement, de manière intentionnelle et délibérée, de repousser les limites de son territoire au prix de l’environnement d’une zone humide sous protection internationale, qu’il entendait remodeler à sa guise. En mettant sa stratégie à exécution, le Nicaragua a causé de graves dommages aux arbres, à la végétation et au sol du Costa Rica. Il a altéré de façon irresponsable la biodiversité de la zone humide en question et a contribué, fût-ce dans une moindre mesure, au réchauffement de la planète en entravant le piégeage du carbone. Il s’agit là de violations graves. Dans sa décision, la Cour aurait dû rendre compte de cette gravité en attribuant une valeur pécuniaire plus élevée aux biens et services environnementaux dégradés par le Nicaragua et aux conséquences des activités menées par celui-ci dans une zone humide sous protection internationale. La destruction, par le Nicaragua, de près de 300 arbres de plus de cent ans offrait à la Cour une occasion de se prononcer sur les répercussions d’un tel comportement sur les changements climatiques et d’en fixer le prix. La Cour n’a malheureusement pas saisi cette occasion. En définitive, le comportement que le Nicaragua a eu lorsqu’il a envahi et occupé la zone humide pour s’y livrer à des travaux d’excavation n’aurait pas dû être ignoré lors du calcul du montant de l’indemnisation. Pour ces raisons, j’estime que la somme de 120 000 dollars des Etats-Unis octroyée par la Cour à titre d’indemnisation pour la dégradation des biens et services environnementaux ne répond pas aux considérations de justice et d’équité mises en avant par le tribunal dans l’arbitrage relatif à la Fonderie de Trail.
(Signé) John DUGARD.
___________
43 Trail Smelter case (United States, Canada), Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. III, p. 1920, citant la décision de la Cour suprême des Etats-Unis d’Amérique en l’affaire Story Parchment Company v. Paterson Parchment Paper Company (1931, United States Reports, vol. 282, p. 555) [traduction du Greffe].

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Opinon dissidente de M. le juge <i>ad hoc</i> Dugard

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