Opinion individuelle de M. le juge Cançado Trindade

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155-20160317-JUD-01-01-EN
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45
OPINION INDIVIDUELLE
DE M. LE JUGE CANÇADO TRINDADE
[Traduction]
table des matières
paragraphes
I. Prolégomènes 1-4
II. Conclusions des Parties et questions posées par les
membres
de la Cour 5-6
III. Réponses des Parties 7-15
1. Réponse du Nicaragua 7-9
2. Réponse de la Colombie 10-12
3. Appréciation générale 13-15
IV. Les pouvoirs inhérents au-
delà du consentement
des États 16-21
V. L’interprétation téléologique (ut res magis valeat quam
pereat) au-
delà du consentement des États 22-27
VI. La primauté de la recta ratio sur la voluntas ou de
la conscience humaine sur la « volonté » 28-41
VII. La compétence de la compétence (Kompetenz Kompetenz)
au-
delà du consentement des États 42-47
VIII. Les pouvoirs inhérents comme moyen de combler
les lacunes
et la pertinence des principes généraux 48-58
IX. Les pouvoirs inhérents et la juris dictio au-
delà de
la justice
transactionnelle 59-66
X. Les pouvoirs inhérents et le contrôle de l’exécution
des décisions 67-75
XI. Épilogue 76-82
*
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I. Prolégomènes
1. La question des pouvoirs inhérents des juridictions internationales
a, une fois encore, fait l’objet d’une attention particulière devant la Cour,
au fil de la procédure en la présente affaire relative à des Violations alléguées
de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes
(Nicaragua c. Colombie). Les Parties ont l’une et l’autre judicieusement
défendu leurs vues sur la question des facultés ou pouvoirs inhérents,
directement mise en jeu par la quatrième exception préliminaire soulevée
par la Colombie, estimant utile, dans leurs exposés, de se référer à la
jurisprudence
pertinente des juridictions internationales contemporaines
(notamment celles compétentes en matière de droits de l’homme) sur ce
point.
2. Ayant, dans le présent arrêt, conclu qu’elle avait compétence en
vertu du pacte de Bogotá et rejeté, ce faisant, la première exception préliminaire
de la Colombie, la Cour aurait pu (et dû) analyser les arguments
des Parties relativement au « pouvoir inhérent » invoqué par le
Nicaragua et contesté par la Colombie au titre de sa quatrième exception
préliminaire — fût‑ce pour, en définitive, rejeter quand même
cette dernière —, et non déclarer de façon minimaliste et elliptique
qu’« il n’y a[vait] pas lieu » pour elle de se prononcer à cet égard (arrêt,
par. 104).
3. Etant donné l’importance particulière que j’accorde à cette question,
récurrente dans la pratique des juridictions internationales, et le fait
qu’elle a été portée à l’attention de la Cour dans la présente espèce, non
seulement dans le cadre de la phase écrite de la procédure mais également
lors des audiences qui se sont tenues devant elle, il me semble
nécessaire,
après un rappel des positions des Parties y relatives et du traitement
que lui a réservé la Cour, de préciser les fondements de ma position
personnelle sur ladite question et les différents aspects qu’elle met
en jeu.
4. Il s’agit, après tout, d’un sujet qui intéresse le fonctionnement des
juridictions internationales contemporaines dans le cadre de leur mission
commune de réalisation de la justice et qu’on ne peut, selon moi, se
contenter d’éluder. Les points qu’il me semble devoir aborder dans le présent
exposé de mon opinion individuelle sont donc les suivants : a) les
pouvoirs inhérents au-
delà du consentement des Etats ; b) l’interprétation
téléologique (ut res magis valeat quam pereat) au-
delà du consentement
des Etats ; c) la compétence de la compétence (Kompetenz Kompetenz)
au-
delà du consentement des Etats ; d) la primauté de la recta ratio sur la
voluntas ou de la conscience humaine sur la « volonté » ; e) les pouvoirs
inhérents comme moyen de combler les lacunes et la pertinence des principes
généraux ; f) les pouvoirs inhérents et la juris dictio au‑delà de la
justice transactionnelle ; et g) les pouvoirs inhérents et le contrôle de
l’exécution des jugements et arrêts. Je conclurai mon exposé par un bref
épilogue.
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II. Conclusions des Parties et questions posées
par les membres de la Cour
5. Dans les exposés qu’elles ont présentés au fil de la procédure (écrite
et orale) en la présente affaire, les deux Parties ont fait référence, à propos
de la question des facultés ou pouvoirs inhérents, à la jurisprudence pertinente
de la Cour interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) et de la
Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Dans la phase écrite de
la procédure, le Nicaragua et la Colombie ont l’un et l’autre cité l’arrêt
rendu par la CIDH le 28 novembre 2003 en l’affaire Baena-Ricardo et
consorts c. Panama, ainsi que l’arrêt du 7 février 2013 de la CEDH (grande
chambre) en l’affaire Fabris c. France 1. Le Nicaragua s’est également
référé aux arrêts rendus par la CEDH (grande chambre) dans les affaires
Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse et Bochan c. Ukraine,
les 30 juin 2009 et 5 février 2015 respectivement 2.
6. A l’audience publique du 2 octobre 2015, alors que la procédure
orale arrivait à son terme, j’ai estimé utile de poser les trois questions
suivantes au Nicaragua et à la Colombie :
« Tout au long de la procédure, cette semaine, les deux Parties en
litige ont fait référence à la jurisprudence pertinente de juridictions
internationales contemporaines, concernant en particulier la question
de leurs facultés ou pouvoirs inhérents. Ayant écouté avec attention
les deux Parties en leurs plaidoiries, j’aurai trois questions à leur
adresser, afin d’obtenir d’elles des éclaircissements d’ordre conceptuel,
dans le contexte du cas d’espèce.
Premièrement : les facultés ou pouvoirs inhérents des juridictions
internationales contemporaines découlent‑ils de l’exercice même de
leurs fonctions judiciaires internationales ?
Deuxièmement : les différentes bases pouvant fonder la compétence
des juridictions internationales contemporaines ont‑elles une
incidence sur la portée de leur compétence de la compétence ?
Troisièmement : les différentes bases pouvant fonder la compétence
des juridictions internationales contemporaines conditionnent‑elles le
fonctionnement des mécanismes correspondants de contrôle de l’exécution
de leurs décisions, jugements et arrêts respectifs ? » 3
1 Mémoire de la République du Nicaragua, par. 1.27 ; exceptions préliminaires de la
République de Colombie, par. 5.22-5.23.
2 Exposé écrit de la République du Nicaragua sur les exceptions préliminaires de la
République de Colombie, par. 5.35.
3 Voir CR 2015/25, p. 47.
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III. Réponses des Parties
1. Réponse du Nicaragua
7. Une semaine plus tard, le 9 octobre 2015, les deux Parties ont présenté
à la Cour leurs réponses écrites aux questions que je leur avais
posées au terme des audiences. En réponse à ma première question, le
Nicaragua a affirmé que, de son point de vue, les juridictions internationales
tenaient leur pouvoir inhérent « non seulement de l’exercice de leur
fonction judiciaire, mais plus largement de leur existence et de leur nature
mêmes en tant qu’organes judiciaires » 4.
8. S’agissant de ma deuxième question, le Nicaragua a fait valoir que,
« dans tous les cas », la base de compétence (acte constitutif) d’une juridiction
internationale emportait « le pouvoir ou la faculté de trancher la
question de l’existence et de la portée de son pouvoir inhérent » 5. La compétence
de la compétence (Kompetenz Kompetenz) pouvait être « considér[
ée] [comme un] pouvoir … inhérent » même si l’on pouvait, en l’exerçant,
aboutir à des conclusions différentes en fonction de l’acte applicable ; elle
constituait, selon lui, un « principe bien établi en droit et d’application
générale » 6, et ce, qu’elle soit ou non « expressément conféré[e] » à la juridiction
concernée par son statut 7.
9. Enfin, en réponse à ma troisième question, le Nicaragua a estimé que
« toutes les juridictions [étaient] également habilitées à déterminer la portée
des pouvoirs (… inhérents) qui leur [étaient] conférés », et qu’elles
devaient « absolument disposer d’une certaine compétence pour assurer
l’exécution de leurs décisions » 8. Les juridictions internationales, qu’elles
fussent ou non assistées par un autre organe doté de pouvoirs de contrôle,
disposaient à cet égard aussi d’un « pouvoir inhérent », même si celui‑ci
pouvait varier selon la juridiction en cause 9.
2. Réponse de la Colombie
10. La Colombie a, pour sa part, écrit, en sa réponse à ma première
question, que la Cour était « investie des « pouvoirs inhérents » qui [étaient]
nécessaires à la bonne administration de la justice, pour lui permettre
d’assurer la bonne marche des affaires dont elle conna[issait] » 10, tout en
ajoutant qu’il « n’exist[ait] pas de « compétence inhérente » permettant à
4 Réponse écrite du Nicaragua aux questions posées par M. le juge Cançado Trindade
à l’audience publique tenue dans la matinée du 2 octobre 2015, NICOLC 2015/32, p. 2.
5 Ibid., p. 3.
6 Ibid., p. 2.
7 Ibid.
8 Ibid., p. 3.
9 Cf. ibid., p. 3‑4.
10 Réponse écrite de la Colombie aux questions posées par M. le juge Cançado
Trindade
à l’audience publique tenue dans la matinée du 2 octobre 2015, NICOLC
2015/33, p. 2, par. 3.
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la Cour, ainsi que l’y invit[ait] le Nicaragua, de se saisir de nouvelles
affaires » 11.
11. Concernant ma deuxième question, la Colombie a affirmé, au sujet
de la compétence de la compétence, que le pouvoir de la Cour de se prononcer
sur sa propre compétence était « [e]xpressément conféré … [et]
n’emport[ait] nullement, en soi, une faculté ou une compétence inhérente
» 12. Selon elle, une juridiction ne saurait se voir « conférer, quant au
fond du différend, quelque pouvoir inhérent dont elle ne serait pas par
ailleurs revêtue » 13.
12. En réponse à ma troisième question, la Colombie a indiqué que,
lorsqu’une juridiction internationale disposait d’un « mécanisme de
contrôle de l’exécution de ses décisions, celui-
ci d[evait] figurer dans son
acte constitutif, soit le texte établissant sa compétence » 14 (dispositions
statutaires). Elle a précisé que, dans le cas de la Cour, ce mécanisme était
prévu non pas par son Statut, mais par la Charte des Nations Unies
(« dont [le Statut] f[aisait] partie intégrante »), laquelle « conf[érait] pareille
compétence au Conseil de sécurité » ; par ailleurs, il découlait selon elle du
« pacte de Bogotá (notamment son article L) [que] les Etats parties à ce
dernier [étaient] convenus que la Cour n’a[vait] pas compétence en matière
de contrôle d’exécution » 15.
3. Appréciation générale
13. Comme on l’a vu, le Nicaragua attribue une plus large portée aux
pouvoirs inhérents : ils découlent, selon lui, de l’existence même des juridictions
internationales, indépendamment de ce qu’énoncent distinctement
leurs instruments constitutifs, les juridictions en question étant
systématiquement investies d’une compétence de la compétence. Le Nicaragua
estime, par ailleurs, que les pouvoirs inhérents sont indispensables
pour permettre à ces juridictions « d’exercer une certaine compétence » à
l’égard de l’exécution de leurs décisions, et ce, qu’elles bénéficient, ou
non, du concours d’organes de surveillance distincts.
14. La Colombie, en revanche, soutient que les pouvoirs inhérents sont
exercés lorsque cela est nécessaire à la bonne administration de la justice ;
elle estime que, de portée plus limitée, ces pouvoirs n’emportent aucune
compétence de la compétence, et conteste l’existence d’une « compétence
inhérente » ; enfin, l’instrument constitutif d’une juridiction (la Charte des
Nations Unies, dans le cas de la Cour) ne comporte, selon elle, aucune
disposition expresse portant sur le contrôle de l’exécution de ses décisions.
11 Réponse écrite de la Colombie aux questions posées par M. le juge Cançado
Trindade
à l’audience publique tenue dans la matinée du 2 octobre 2015, NICOLC 2015/33,
p. 2, par. 4.
12 Ibid., p. 3, par. 6.
13 Ibid., p. 4, par. 6.
14 Ibid., par. 7.
15 Ibid.
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15. Il n’est pas surprenant de voir s’opposer ces deux points de vue
concernant la portée des facultés ou pouvoirs inhérents des juridictions
internationales. Rien, selon moi, n’empêchait la Cour de se prononcer sur
cette question. Le fait qu’elle s’en soit abstenue traduit une conception
assez minimaliste, que je ne partage pas, de l’exercice de la fonction judiciaire
internationale. Après tout, que ce soit en matière de recevabilité et
de compétence ou sur le fond, les décisions sont censées fournir le raisonnement
et la motivation qui les sous‑tendent. Pour examiner cette question,
je me propose d’aborder, dans les paragraphes suivants, les points
interdépendants déjà énumérés ci‑dessus (supra, par. 4).
IV. Les pouvoirs inhérents au-
delà du consentement des États
16. La question des facultés ou pouvoirs inhérents a, de fait, été soulevée
à maintes reprises devant des juridictions internationales. J’ai ainsi eu
l’occasion de m’y intéresser au cours de ma longue carrière de juge 16 et,
récemment encore, j’en ai traité dans le cadre des opinions individuelles
que j’ai présentées dans d’autres affaires opposant devant la Cour des
Etats latino‑américains, comme celles relatives à Certaines activités
menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua)
et à la Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve
San Juan (Nicaragua c. Costa Rica) (jonction d’instances, ordonnances du
17 avril 2013, C.I.J. Recueil 2013, p. 166 et 184), ou celle relative à l’Obligation
de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili) (exception
préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 592).
17. J’entends ici résumer, plutôt que de les reproduire un à un à l’identique,
les points que j’ai développés dans ces opinions individuelles, avant
de m’intéresser brièvement à d’autres aspects liés de la question, qui sont
pertinents aux fins du présent arrêt de la Cour. Dans le contexte des
ordonnances rendues par la Cour en 2013 dans les instances jointes relatives
à Certaines activités et à la Construction d’une route, je suis revenu
sur la conceptualisation des « pouvoirs implicites » et des « pouvoirs inhérents
», en rappelant ce qui suit :
« Si la notion de « pouvoirs implicites » a été introduite dans la
doctrine pour poser des limites aux pouvoirs transcendant la lettre
des instruments constitutifs — limites tenant aux buts et fonctions de
l’organisation internationale concernée —, la notion de « pouvoirs
inhérents » l’a été dans un tout autre but, à savoir établir les pouvoirs
de la personne juridique concernée pour lui permettre d’atteindre ses
objectifs, tels qu’énoncés dans son instrument constitutif. Ce que je
tiens à souligner par là, c’est que cette expression même de « pouvoirs
16 J’ai ainsi traité de cette question il y a près de vingt ans, dans l’opinion dissidente que
j’ai jointe à la décision rendue par la CIDH en l’affaire Genie Lacayo c. Nicaragua (demande
en revision, résolution du 13 septembre 1997), par. 1-28, en particulier le paragraphe 7.
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inhérents » a parfois été appliquée au fonctionnement des entités
judiciaires internationales ; or, si l’expression est la même, sa raison
d’être et sa connotation sont différentes lorsqu’il s’agit de juridictions
internationales. Une autre précision s’impose ici, pour bien comprendre
le fonctionnement de celles-
ci. Comprendre et agir sont
comme l’avers et le revers d’une même médaille : ad intelligendum
etad agendum. » (C.I.J. Recueil 2013, p. 174 et 191, par. 6.) 17
18. Je me suis ensuite efforcé de démontrer la pertinence du principe de
compétence de la compétence (Kompetenz Kompetenz) aux fins de l’exercice
de la fonction judiciaire internationale (ibid., p. 174-175 et 191-192,
par. 7-9), ainsi que le rôle des pouvoirs inhérents dans la bonne administration
de la justice (ibid., p. 175-182 et 192-198, par. 10-27). J’ai ainsi
souligné, notamment, que la Cour et sa devancière, la Cour permanente
de Justice internationale, avaient « l’une et l’autre ordonné des jonctions
avant la lettre, même en l’absence (avant 1978) d’une disposition en ce
sens dans leur instrument constitutif » (ibid., p. 181 et 198, par. 25).
19. La plupart des juridictions internationales ont, de fait, le pouvoir
exprès 18 de fixer elles-mêmes leurs règles de procédure, lorsque, par
exemple, une situation donnée n’est pas entièrement couverte par les dispositions
existantes. La mise en oeuvre de ces règles et la résolution des
questions insuffisamment encadrées par celles‑ci — en application de pouvoirs
inhérents — échappent de même à la « volonté » ou au consentement
des Etats. Même en l’absence de disposition expresse à cet égard, les juridictions
internationales sont habilitées à exercer leurs pouvoirs inhérents
aux fins de garantir la bonne administration de la justice.
20. Dans l’opinion individuelle que j’ai jointe ensuite à l’arrêt au fond
rendu tout récemment — le 16 décembre 2015 — dans ces deux mêmes
affaires relatives à Certaines activités et à la Construction d’une route, j’ai
poursuivi mon analyse en expliquant que la Cour avait, selon moi, en cas
de circonstances imprévues, « le pouvoir ou la faculté intrinsèque de
prendre la décision qui s’impos[ait] pour garantir le respect des mesures
conservatoires qu’elle a[vait] indiquées et préserver ainsi les droits en jeu »
(C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 773, par. 45), ajoutant ceci :
« Dans ces circonstances, une juridiction internationale ne saurait
s’abstenir d’exercer ce pouvoir ou cette faculté de s’assurer de la mise
en oeuvre de ses propres décisions, dans l’intérêt de la bonne administration
de la justice. Le défaut de mise en oeuvre de mesures conservatoires
constitue un manquement aux obligations internationales
découlant de celles-
ci.
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17 Pour une analyse de l’élaboration conceptuelle des « pouvoirs implicites » des organisations
internationales (qui se distinguent des « pouvoirs inhérents » des juridictions internationales),
voir A. A. Cançado Trindade, Direito das Organizações Internacionais, 6e éd.,
Belo Horizonte/Brésil, Del Rey, 2014, p. 7‑135 et 645-646.
18 Dans le cas de la Cour, c’est l’article 30 de son Statut qui lui confère ce pouvoir.
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[L]a Cour est pleinement habilitée à indiquer motu proprio des
mesures conservatoires totalement ou partiellement différentes de
celles qui sont sollicitées. [E]lle peut en indiquer motu proprio de
nouvelles
sans attendre qu’une partie présente une demande à cet
effet. [L]a Cour a le pouvoir ou la faculté intrinsèque de s’assurer ex
officio de la mise en oeuvre des mesures conservatoires et d’en renforcer
ainsi la dimension préventive. » (C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 779-
780, par. 63 et 70.)
21. Dans une autre opinion individuelle récente, présentée en l’affaire
relative à l’Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique entre la
Bolivie et le Chili, déjà mentionnée, j’ai jugé opportun de souligner que
« le principe de la bonne administration de la justice se retrouv[ait]
dans toutes les procédures incidentes [devant la Cour], à savoir les
exceptions préliminaires, les mesures conservatoires, les demandes
reconventionnelles et l’intervention. Comme on pouvait s’y attendre,
les principes généraux imprègnent et guident l’ensemble des procédures
devant la Cour. » (arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 627, par. 30.)
Une juridiction internationale doit toujours avoir à l’esprit le principe de
la bonne administration de la justice (voir ibid., p. 642, par. 67).
V. L’interprétation téléologique (ut res magis valeat quam pereat)
au-
delà du consentement des États
22. Cela m’amène à la question de l’interprétation téléologique, qui obéit
au principe de l’effet utile ou ut res magis valeat quam pereat. Selon la
conception que j’en ai, cette doctrine, que je défends, touche non seulement
au droit matériel ou substantiel (c’est-à-dire les droits revendiqués et à protéger),
mais recouvre aussi les questions de compétence et le droit processuel.
Je reviendrai brièvement sur quelques observations que j’avais faites
sur ce point dans l’opinion dissidente que j’ai jointe à l’arrêt rendu le
1er avril 2011 sur les exceptions préliminaires en l’affaire relative à l’Application
de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie). J’y indiquais que,
selon le principe, étayé par une jurisprudence bien établie, de l’effet utile,
« les Etats parties à des instruments relatifs aux droits de l’homme
doivent veiller à ce que les dispositions conventionnelles aient les effets
voulus sur leurs ordres juridiques internes respectifs. Ce principe …
s’applique non seulement aux normes de fond des instruments relatifs
aux droits de l’homme (autrement dit à celles qui concernent les droits
protégés), mais aussi aux normes de procédure, en particulier celles
ayant trait au droit de recours individuel et à l’acceptation de la compétence
obligatoire des organes judiciaires internationaux de protection
dans les affaires contentieuses. Ces normes conventionnelles, qui
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53
sont essentielles pour assurer l’efficacité du système de protection
international, devraient être interprétées et appliquées de sorte à donner
une utilité pratique réelle aux garanties qu’elles énoncent… Telle a
été, comme je l’ai déjà dit …, la démarche suivie par la Cour européenne
des droits de l’homme et la Cour interaméricaine des droits de
l’homme. » (C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 276‑277, par. 79.)
23. Je me suis ensuite référé à quelques exemples pertinents issus de la
jurisprudence de ces deux juridictions internationales, rappelant notamment
que, dans son arrêt du 23 mars 1995 sur les exceptions préliminaires
en l’affaire Loizidou c. Turquie,
« la Cour européenne des droits de l’homme [avait] fait observer que
la lettre et l’esprit de la convention européenne ne permett[ai]ent pas
de conclure à l’existence de restrictions à la clause facultative relative
à la reconnaissance de la juridiction contentieuse de la Cour 19. Dans
le domaine de la protection internationale des droits de l’homme, il
n’existe pas de limitations « implicites » à l’exercice des droits protégés
; et les limites énoncées dans les traités de protection devraient
être interprétées de manière restrictive. La clause facultative de compétence
obligatoire des cours internationales des droits de l’homme
n’admet pas de limitations autres que celles qui sont expressément
énoncées dans les instruments considérés. » (Ibid., p. 277, par. 80.)
24. J’ai par ailleurs souligné que, dans son arrêt du 4 septembre 1998
sur les exceptions préliminaires en l’affaire Castillo Petruzzi et autres
c. Pérou, la CIDH avait elle aussi relevé qu’elle ne saurait être à la merci
de limites qui n’étaient pas prévues dans la convention américaine relative
aux droits de l’homme et que les Etats parties invoquaient en raison de
problèmes d’ordre interne (ibid.) 20. Dans cette même opinion dissidente
présentée en l’affaire relative à l’Application de la convention internationale
sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, j’ajoutais :
« La clause relative à la compétence obligatoire des cours internationales
des droits de l’homme est, à mon avis, un élément fondamental
(cláusula pétrea) de la protection internationale de l’être
humain, qui n’admet d’autres restrictions que celles expressément
prévues dans les instruments de protection des droits de l’homme
considérés. La Cour interaméricaine des droits de l’homme l’a établi
dans ses arrêts (compétence) sur la Cour constitutionnelle et
Ivcher Bronstein c. Pérou (du 24 septembre 1999) 21. Le laisser-faire
19 Voir CEDH, affaire Loizidou c. Turquie (exceptions préliminaires), Strasbourg, C.E.,
arrêt du 23 mars 1995, p. 25, par. 82, et voir p. 22, par. 68. Sur le caractère généralisé des
obligations conventionnelles des Etats parties, voir aussi les obiter dicta formulés par la
Cour dans sa décision antérieure, en l’affaire Belilos c. Suisse (1988).
20 Ainsi que je l’ai également soutenu dans l’opinion individuelle (par. 36 et 38) que j’ai
jointe à cet arrêt.
21 CIDH, affaire de la Cour constitutionnelle (compétence), arrêt du 24 septembre 1999,
série C no 55, p. 44, par. 35 ; CIDH, affaire Ivcher Bronstein (compétence), arrêt du
24 septembre 1999, série C no 54, p. 39, par. 36.
droits souverains et espaces maritimes (op. ind. cançado trindade) 53
54
que représente l’insertion de limitations, qui ne sont pas prévues
dans les instruments relatifs aux droits de l’homme, dans un instrument
d’acceptation d’une clause facultative de compétence obligatoire
représente une distorsion historique regrettable de la
conception originale de pareille clause, qui est à mon sens inacceptable
dans le domaine de la protection internationale des droits de
l’être humain.
Toute autre interprétation ne permettrait pas de garantir que l’instrument
de protection des droits de l’homme en question a l’effet
utile voulu dans le droit interne de chaque Etat partie. La décision de
la CIDH en l’affaire Hilaire c. Trinité‑et‑Tobago (exceptions préliminaires,
arrêt du 1er septembre 2001) était claire : les modalités d’acceptation,
par un Etat partie à la convention américaine relative aux
droits de l’homme, de la juridiction contentieuse de la Cour sont
expressément énoncées aux paragraphes 1 et 2 de l’article 62 ; elles ne
sont pas données à titre purement indicatif, mais sont au contraire
très précises, et elles n’autorisent les Etats parties à ajouter aucune
autre condition ou restriction (numerus clausus).
Dans mon opinion individuelle en l’affaire … Hilaire c. Trinité‑et‑Tobago,
j’ai jugé bon de relever ce qui suit :
« … [N]ous ne pouvons accepter une pratique internationale
soumise au volontarisme des Etats, qui a trahi l’esprit et le but de
la clause facultative de compétence obligatoire, au point de la
dénaturer entièrement — et qui a perpétué la fragmentation du
monde en unités étatiques qui se considèrent comme les arbitres
finals de la portée des obligations internationales contractées tout
en ne semblant pas croire véritablement en ce qu’elles ont accepté :
la justice internationale. » » (C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 277‑279,
par. 81-83.)
25. En concluant mon opinion dissidente, j’ai exprimé la mise en garde
suivante :
« La Cour ne peut continuer de toujours privilégier le consentement
des Etats par rapport à toute autre considération, même lorsque
ce consentement a déjà été donné par les Etats au moment de la ratification
des instruments en question.
La Cour ne peut continuer de se livrer à une interprétation littérale,
ou grammaticale et statique, des termes des clauses compromissoires
comprises dans ces traités, pour en tirer des « conditions
préalables » à l’exercice de sa juridiction, dans un souci de suivre la
pratique traditionnelle en matière d’arbitrage international. » (Ibid.,
p. 320, par. 205-206.)
26. J’ai également souligné que l’objectif de réalisation de la justice
« p[ouvait] difficilement être atteint si l’on part[ait] d’une perspective
volontariste strictement centrée sur les Etats en recherchant constamment
droits souverains et espaces maritimes (op. ind. cançado trindade) 54
55
leur consentement. La Cour ne peut, à mon sens, continuer de sacrifier à
ce qu’elle estime être les « intentions » ou la « volonté » des Etats » (C.I.J.
Recueil 2011 (I), p. 321, par. 209). J’ai, pour finir, indiqué ce qui suit :
« La position et la thèse que j’avance dans la présente opinion dissidente
sont que, lorsque la Cour est priée de régler un différend
entre Etats sur la base d’un traité relatif aux droits de l’homme,
[c]ette nécessité de bien interpréter [pareils] traités … (à l’aune des
canons d’interprétation énoncés aux articles 31-33 des deux conventions
de Vienne sur le droit des traités, datées de 1969 et 1986) vaut
à mon sens aussi bien pour leurs dispositions de fond que pour leurs
dispositions procédurales, et donc pour une disposition telle que la
clause compromissoire contenue à l’article 22 de la CIEDR. Elle est
dans l’intérêt suprême des êtres humains que les Etats ont voulu protéger
en promouvant et en adoptant ces traités. La raison d’humanité
l’emporte sur la traditionnelle raison d’Etat.
Dans le présent arrêt, la Cour est complètement passée à côté de
l’essentiel. Au lieu de cela, elle a choisi d’exalter comme d’habitude le
consentement des Etats, qualifié (au paragraphe 110) « de principe
fondamental du consentement ». Je n’adhère pas du tout à ce point
de vue car, à mes yeux, le consentement n’est pas « fondamental », et
n’est même pas un « principe ». Ce qui est « fondamental », autrement
dit ce qui forme le fondement de la Cour depuis sa création, c’est
l’impératif de la réalisation de la justice au moyen de la juridiction
obligatoire. Le consentement des Etats n’est qu’une règle à respecter
… C’est un moyen et non une fin, c’est une exigence procédurale et
non un élément d’interprétation des traités. Ce n’est en aucun cas
l’un des prima principia. Voilà ce que j’ai tâché de démontrer dans la
présente opinion dissidente. » (Ibid., p. 321‑322, par. 210-211.)
27. Qu’il me soit permis de le répéter : contrairement à ce que postule
habituellement la Cour, le consentement des Etats n’est pas un « principe
fondamental », ni même un « principe » tout court ; il s’agit, au mieux,
d’une règle (traduisant une prérogative dont jouissent les Etats ou une
concession qui leur a été faite) qui doit être respectée en tant qu’acte premier
de l’engagement à respecter une obligation internationale. Il n’entre
certainement pas dans les éléments à prendre en compte pour l’interprétation
des traités. Une fois cet acte accompli, le consentement des Etats
n’est plus une condition de l’exercice par une juridiction de sa compétence
obligatoire, qui lui était antérieure et qui continue de s’exercer indépendamment
de lui.
VI. La primauté de la recta ratio sur la voluntas
ou de la conscience humaine sur la « volonté »
28. De toute évidence, la recta ratio prime la voluntas, la conscience
humaine prime la « volonté ». Je rappellerai à cet égard, en me plaçant
dans une perspective historique, que le nouveau jus gentium tel que l’ont
droits souverains et espaces maritimes (op. ind. cançado trindade) 55
56
conçu les « pères fondateurs » du droit des nations (suivant les préceptes
établis par Francisco de Vitoria au XVIe siècle) était fondé sur une
lex praeceptiva appréhendée par la raison humaine et en aucun cas issue
de la « volonté » des sujets de droit eux‑mêmes (et notamment des Etats).
Etaient ainsi jetées les bases d’un véritable jus necessarium transcendant
les limites du jus voluntarium. Les enseignements des « pères fondateurs »
de notre discipline sont pérennes et restent d’une actualité frappante.
29. La conception volontariste, en revanche, systématiquement axée sur
le consentement ou la « volonté » des Etats, s’est révélée déficiente non seulement
en droit, mais également dans d’autres domaines du savoir. L’obsession
du pouvoir sans respect des valeurs ne mène à rien. S’agissant du droit
international, si, comme l’affirment les partisans du positivisme volontariste,
c’est par la « volonté » des Etats que les obligations sont créées, c’est aussi
par cette même « volonté » qu’elles sont violées, et l’on aboutit ainsi à des
raisonnements circulaires incapables d’expliquer la nature des obligations
internationales. Dans les sciences sociales, les « relativistes » sont bien en
peine d’expliquer toute notion qui ne cadre pas avec leur pétition de principe.
Dans le domaine des relations internationales et des sciences politiques,
les « réalistes » s’attachent au présent (l’ici et le maintenant) et ne peuvent
expliquer — ni prédire — les changements soudains qui se produisent sur la
scène internationale ; il leur faut donc réajuster leur point de vue à la nouvelle
« réalité ». Le fait est incontestable : la conscience prime la « volonté ».
30. Si l’on se penche un instant sur la doctrine internationale, l’on
constate qu’un certain nombre de juristes ont, au cours du siècle dernier,
soutenu cette idée de la primauté de la conscience humaine sur la
« volonté » en tant que fondement du droit des nations, dans le droit fil de
la pensée jusnaturaliste (en remontant aux enseignements de Francisco
de Vitoria, de Francisco Suárez et d’Hugo Grotius, aux XVIe et
XVIIe siècles). Dans son ouvrage publié à titre posthume en 1944, La
morale internationale, Nicolas Politis a ainsi avancé que l’on ne pouvait
dissocier légalité et justice, toutes deux devant aller de pair pour favoriser
l’élaboration graduelle du droit international 22.
31. Dans un cours dispensé à l’Institut des hautes études internationales
à Paris (1932‑1933), Albert de La Pradelle (qui avait été membre du
comité consultatif de juristes ayant établi la version initiale du Statut de
la Cour permanente de Justice internationale (CPJI) en 1920) avait déjà,
dans le même esprit, mis en garde contre le danger d’une approche strictement
interétatique pour l’élaboration progressive du droit international,
soulignant la nécessité de ne pas perdre de vue les notions de personne
humaine, de peuples et d’humanité 23.
22 Nicolas Politis, La morale internationale, New York, Brentano’s, 1944, p. 157‑158,
161 et 165. Invoquant les philosophes de la Grèce antique, et notamment Euripide, il
affirme que celui qui commet une injustice « est plus malheureux que ne l’est sa victime »
(ibid., p. 102).
23 Albert de La Pradelle, Droit international public (cours sténographié), Paris, Institut
des hautes études internationales, 1932-1933, p. 25, 33, 37 et 40-41.
droits souverains et espaces maritimes (op. ind. cançado trindade) 56
57
32. Selon la conception qu’en avait Albert de La Pradelle, le droit des
gens transcende la dimension interétatique ; il s’agit d’un « droit de la
communauté humaine », d’un véritable « droit de l’humanité » 24, d’où
l’importance capitale des principes généraux du droit, qui guident, en
définitive, l’élaboration progressive du droit international 25. L’éminent
juriste estimait par ailleurs qu’il existait « incontestablement un droit
naturel » qui devait, de nos jours,
« être considéré comme étant un droit rationnel qui exprim[ait] les
réquisitions de la conscience juridique de l’heure. Or, la conscience
juridique de l’humanité devient de plus en plus complexe, précise, elle
est de plus en plus nuancée, ses exigences deviennent avec le temps de
plus en plus fortes. C’est un effet de la culture générale, de la civilisation,
du progrès des idées ; il ne faut donc pas considérer le droit naturel
ou rationnel comme étant un droit immuable qui est fixé dès
l’origine et qui ne change pas. S’il change, mais ces changements ne
sont pas des changements de caprice, ces changements constituent
une évolution, cette évolution accompagne celle de l’humanité. » 26
33. Dans la même optique, Max Huber, ancien juge de la CPJI, écrit,
dans son ouvrage intitulé La pensée et l’action de la Croix‑Rouge (1954),
que le droit international est également tourné vers les valeurs humaines
fondamentales, qu’il est censé protéger : c’est là le véritable jus gentium,
selon une conception non pas positiviste mais jusnaturaliste 27, qui
représente ainsi le « droit de l’humanité » 28. Au‑delà des intérêts
interétatiques,
l’humanité entière est concernée.
34. L’idée d’une société civile universelle (civitas maxima gentium),
telle que la concevaient les grands philosophes classiques, se retrouve,
poursuit Max Huber, dans la Charte des Nations Unies elle‑même, qui,
pour des raisons morales, attache une grande importance aux peuples et
à la personne humaine (c’est le droit des gens proprement dit). La
conscience juridique internationale a, selon lui, reconnu la nécessité de
poursuivre l’« humanisation » du droit international 29, processus historique
qui continue selon moi de suivre son cours 30.
35. Dans son ouvrage El Nuevo Derecho Internacional en Sus Relaciones
con la Vida Actual de los Pueblos (1962), l’ancien juge de la Cour
24 Cf. note 23 supra, p. 49, 149 et 264.
25 Ibid., p. 222 et 413.
26 Ibid., p. 412.
27 M. Huber, La pensée et l’action de la Croix‑Rouge, Genève, CICR, 1954, p. 26 et 247.
28 Ibid., p. 270.
29 Ibid., p. 286, 291-293 et 304.
30 Voir A. A. Cançado Trindade, A Humanização do Direito Internacional, 2e éd.,
Belo Horizonte/Brésil, Del Rey, 2015, p. 3‑789 ; A. A. Cançado Trindade, La Humanización
del Derecho Internacional Contemporáneo, Mexico, Edit. Porrúa, 2014, p. 1‑324 ;
A. A. Cançado Trindade, Los Tribunales Internacionales Contemporáneos y la Humanización
del Derecho Internacional, Buenos Aires, Ed. Ad-Hoc, 2013, p. 7‑185.
droits souverains et espaces maritimes (op. ind. cançado trindade) 57
58
Alejandro Alvarez relève de même le rôle essentiel, dans l’évolution
du droit international 31, de « la conscience juridique universelle » dont
découlent les normes et les préceptes internationaux 32 ; selon lui, les principes
généraux du droit contribuent grandement à la formation d’un droit
international universel 33.
36. Dans l’opinion dissidente jointe à l’arrêt rendu le 22 juillet 1952, au
stade des exceptions préliminaires, en l’affaire de l’Anglo-Iranian
Oil Co.
(Royaume-Uni c. Iran), le juge Alvarez s’oppose à une interprétation restrictive
de l’article 36 du Statut de la Cour (C.I.J. Recueil 1952, p. 131
et 134) et à la conception volontariste du droit international (ibid., p. 127
et 133). Selon lui, les droits garantis par le droit international « ne résultent
pas de la volonté des Etats » mais de la conscience humaine (ibid., p. 130).
37. Dans le cadre de ce même courant de pensée, toujours, Stefan Glaser
a soutenu, dans son cours délivré à l’Académie de droit international de La
Haye en 1960, que les normes du droit des nations émanent de la conscience
humaine (la recta ratio), formant ainsi une justice naturelle indépendamment
de la « volonté » des Etats. Assimilant les devoirs d’ordre moral aux
obligations juridiques, il attache la plus grande importance aux principes
généraux du droit (règle pacta sunt servanda, principe de la bonne foi), et
considère que les fondements du droit international sont de nature essentiellement
morale 34. J’ajouterai ici que, de fait, les préceptes tels que la règle
pacta sunt servanda et le principe de la bonne foi découlent de la raison
naturelle et sont profondément ancrés dans la doctrine du droit naturel.
38. Pour ce qui me concerne, j’avais déjà eu l’occasion, avant l’arrêt
rendu ce jour en l’espèce, d’exprimer les préoccupations que m’inspire
l’importance excessive que la Cour accorde au volontarisme d’Etat. Dans
une longue opinion dissidente jointe à l’arrêt du 3 février 2012 en l’affaire
relative aux Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie ;
Grèce intervenant), j’avais pris soin de rappeler les réflexions, aujourd’hui
oubliées, de certains juristes qui, au milieu du XXe siècle, s’étaient intéressés
aux valeurs humaines fondamentales, dans l’espoir de voir le droit des
gens transcender la dimension purement interétatique et devenir un véritable
droit de l’humanité (C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 191‑194, par. 32-40).
La recta ratio prime la voluntas, la conscience humaine prime la « volonté ».
39. J’avais, dans une autre opinion dissidente jointe à l’arrêt rendu le
1er avril 2011 en l’affaire relative à l’Application de la convention internationale
sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, et
déjà mentionnée, longuement examiné la progression historique de l’idéal
professé de juridiction obligatoire, qui a été à l’origine de la clause facul-
31 Alejandro Alvarez, El Nuevo Derecho Internacional en Sus Relaciones con la Vida
Actual de los Pueblos [Le droit international nouveau dans ses rapports avec la vie des
peuples], Santiago du Chili, Editorial Jurídica de Chile, 1962, p. 49, 57 et 77.
32 Ibid., p. 155‑156 et 356-357.
33 Ibid., p. 163 et 292.
34 S. Glaser, « Culpabilité en droit international pénal », Recueil des cours de l’Académie
de droit international de La Haye (1960), vol. 99, p. 561‑563, 566-567, 582-583 et 585.
droits souverains et espaces maritimes (op. ind. cançado trindade) 58
59
tative (paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la Cour permanente), et
la pratique ultérieure des Etats qui, en assortissant leurs déclarations
d’acceptation de toutes sortes de restrictions, l’ont dévoyé jusque dans sa
raison d’être, dénaturant et privant de toute efficacité cette clause dans
une manifestation de volontarisme pur (C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 254‑265,
par. 37-43 et 45-63).
40. J’avais ensuite souligné, avant de m’intéresser aux clauses compromissoires
(ibid., par. 64 et suiv.), que, étant donné cette pratique abusive
et à défaut d’avoir, lors de l’élaboration du Statut de la Cour nouvellement
créée en 1945, saisi l’occasion d’y mettre fin et de promouvoir ainsi
la juridiction obligatoire de celle‑ci,
« [l]e fondement même de [cette] juridiction obligatoire [avait] été
perdu de vue au profit d’une conception volontariste dépassée du
droit international qui avait prévalu au début du siècle dernier et ce,
alors même que plusieurs générations de juristes avisés avaient mis
en garde contre les conséquences dommageables de cette conception
pour la conduite des relations internationales. Il est vrai que, dans le
même temps, d’autres juristes, fort nombreux, continuaient de mettre
l’accent sur l’importance que revêt, en règle générale, le consentement
des Etats, plaçant celui-
ci bien au-
dessus
des impératifs de réalisation
de la justice au niveau international. » (Ibid., p. 257, par. 44.)
41. Il est fort regrettable que l’obsession de devoir compter avec le
consentement des Etats prévale aujourd’hui encore, par inertie mentale
sans doute, dans la pratique juridique et le règlement judiciaire des différends
internationaux. La conclusion qui s’impose, selon moi, est que, si
l’on s’obstine à privilégier la volonté des Etats, le règlement judiciaire des
différends interétatiques ne dépassera jamais le stade préhistorique où il
se trouve encore aujourd’hui. Je le répète, la recta ratio prime la voluntas,
la conscience humaine prime la « volonté ».
VII. La compétence de la compétence (Kompetenz Kompetenz)
au-
delà du consentement des États
42. Dans le même sens (la primauté de la conscience sur la « volonté »),
j’ai, dans une allocution prononcée le 1er novembre 2000 dans le cadre de
la conférence organisée à Rome à l’occasion du cinquantenaire de la
convention européenne des droits de l’homme, rappelé les décisions susmentionnées
de la CEDH (arrêt de 1995 sur les exceptions préliminaires
en l’affaire Loizidou c. Turquie) et de la CIDH (arrêts de 1999 en l’affaire
de la Cour constitutionnelle et en l’affaire Ivcher Bronstein), et formulé les
réflexions suivantes :
« Tant la Cour européenne que la Cour interaméricaine ont, à juste
titre, posé des limites au volontarisme de l’Etat, sauvegardé l’intégrité
de leurs conventions des droits de l’homme respectives et la pri-
droits souverains et espaces maritimes (op. ind. cançado trindade) 59
60
mauté de considérations d’ordre public sur la volonté des Etats
individuels, fixé des critères plus élevés de comportement des Etats et
instauré un certain degré de contrôle d’éventuelles restrictions abusives
de la part de ces derniers, et amélioré, de manière rassurante, la
situation des individus en tant que sujets du droit international des
droits de l’homme, les dotant de la pleine capacité procédurale. » 35
43. Les juridictions internationales ont le pouvoir de statuer sur leur
propre compétence 36. Celles chargées de la protection des droits de
l’homme (telles que la CIDH et la CEDH, dont la jurisprudence a été
invoquée par les deux Parties dans le cadre de la procédure devant la
Cour en la présente affaire (voir supra)), en particulier, ont réussi à s’affranchir
du consentement des Etats et à préserver ainsi l’intégrité de leur
compétence. Elles ne se sont jamais écartées de l’interprétation téléologique,
affirmant leur compétence de la compétence et exerçant leurs
pouvoirs inhérents.
44. Si la CEDH et la CIDH n’avaient pas statué en ce sens dans les
affaires susmentionnées (Loizidou c. Turquie pour la première, Cour
constitutionnelle et Ivcher Bronstein pour la seconde), leur compétence
aurait été battue en brèche et les deux conventions en cause se seraient
trouvées privées de leur effet utile. Ces deux juridictions internationales
ont bien compris que leur compétence de la compétence et leurs pouvoirs
inhérents n’étaient pas contraints par le consentement des Etats, car, si tel
était le cas, elles ne pourraient tout simplement pas rendre la justice. Dans
l’affaire Loizidou c. Turquie, la CEDH a écarté la possibilité de conclure à
l’existence de restrictions limitant sa compétence. Dans l’affaire de la
Cour constitutionnelle et l’affaire Ivcher Bronstein 37, la CIDH a exercé son
pouvoir inhérent pour affirmer sa compétence, et rejeté la demande par
laquelle l’Etat défendeur avait tenté de « se soustraire » unilatéralement à
celle‑ci.
45. La CIDH et la CEDH se sont opposées au volontarisme et ont
tenu à affirmer leur compétence de la compétence, se posant en gardiennes
et maîtresses de leur propre juridiction. Elles ont contribué à établir la
primauté des considérations d’ordre public sur le volontarisme subjectif
des Etats. Elles n’ont pas hésité à exercer leurs pouvoirs inhérents, préservant
ainsi résolument l’intégrité des fondements de leur compétence res-
35 A. A. Cançado Trindade, « La contribution de l’oeuvre des cours internationales des
droits de l’homme au développement du droit international public », dans Conseil de l’Europe,
La Convention européenne des droits de l’homme à 50 ans (Bulletin d’information sur
les droits de l’homme, numéro spécial no 50 (2000), p. 8‑9).
36 Pour une analyse générale, voir notamment I. F. I. Shihata, The Power of the International
Court to Determine Its Own Jurisdiction — Compétence de la Compétence, La Haye,
Nijhoff, 1965, p. 1‑304.
37 De même que dans l’affaire Hilaire, Benjamin et Constantine (exceptions préliminaires,
2001).
droits souverains et espaces maritimes (op. ind. cançado trindade) 60
61
pective. En adoptant cette position de principe, elles ont, en somme,
considéré à juste titre que la conscience l’emportait sur la volonté.
46. S’agissant des juridictions internationales pénales, je rappellerai
que, dans la décision qu’a rendue sa chambre d’appel le 2 octobre 1995 en
l’affaire Tadić, le Tribunal pénal international pour l’ex‑Yougoslavie
(TPIY) a défini la compétence comme suit :
« il s’agit fondamentalement — ainsi qu’il ressort de l’origine latine
du terme lui-
même, jurisdictio — d’un pouvoir juridique et donc,
nécessairement, d’un pouvoir légitime de « dire le droit » dans ce
domaine, de manière définitive et faisant autorité. C’est son sens
dans tous les systèmes juridiques. » (Par. 10.)
47. La chambre d’appel du TPIY a ajouté qu’une conception étroite de
la compétence ne pouvait se justifier en droit international, soulignant
que les limites aux pouvoirs d’un tribunal international ne sauraient être
présumées et, « en tout état de cause, … ne p[ouvaient] … être déduites du
concept de compétence proprement dit » (par. 11). En préconisant une
conception large de sa compétence, le TPIY a considéré que cette compétence
n’était pas limitée aux pouvoirs que le Conseil de sécurité entendait
lui confier, mais recouvrait également des pouvoirs inhérents qui lui
étaient propres (voir par. 14-15). Se fondant sur sa compétence de la compétence,
il s’est déclaré habilité à examiner jusqu’à la validité de sa propre
création par le Conseil de sécurité (par. 18-22).
VIII. Les pouvoirs inhérents comme moyen de combler les lacunes
et la pertinence des principes généraux
48. Les tribunaux internationaux ont exercé leurs facultés ou pouvoirs
inhérents dans différentes situations. L’on en trouve un exemple dans la
décision rendue il y a une vingtaine d’années par la CIDH, en l’affaire
Genie Lacayo c. Nicaragua (résolution du 13 septembre 1997), relativement
à la demande en revision d’un arrêt. Dans mon opinion dissidente,
j’ai souligné ce qui suit :
« Le présent recours est sans précédent dans l’histoire de la Cour
interaméricaine [CIDH] : … en l’espèce, la Cour est pour la première
fois appelée à se prononcer sur une demande en revision d’un arrêt, …
procédure qui n’est prévue ni dans la convention américaine [relative
aux droits de l’homme], ni dans son Statut ou son Règlement. Le
silence de ces textes à cet égard ne doit toutefois pas être interprété
comme équivalant à une vacatio legis, qui entraînerait l’irrecevabilité
de la demande. Le fait que ni la convention ni le Statut ou le Règlement
ne comportent de disposition y afférente n’empêche pas la Cour
de déclarer recevable la demande en revision d’un arrêt : l’apparente
vacatio legis doit s’effacer, dans ce cas précis, devant l’impératif de
justice naturelle. » (Par. 2 et 6.)
droits souverains et espaces maritimes (op. ind. cançado trindade) 61
62
49. Appelant l’attention sur l’importance des principes généraux du
droit, dans le contexte de l’affaire en cause également, j’ai ajouté :
« La Cour doit ainsi se prononcer … en se fondant — suivant la
règle jura novit curia — sur les principes généraux du droit processuel
et en recourant aux pouvoirs inhérents propres à sa fonction judiciaire.
Les êtres humains et les institutions dont ils font partie ne sont
pas infaillibles, et il n’existe aucune juridiction digne de ce nom qui
ne reconnaisse la possibilité — certes exceptionnelle — d’obtenir la
revision d’un jugement, que ce soit en droit international ou en droit
interne. » (Par. 7.)
50. La CIDH elle-même a reconnu, dans la décision susmentionnée,
que son pouvoir inhérent d’examiner, dans des circonstances particulières,
une demande en revision était conforme aux « principes généraux
du droit processuel, tant interne qu’international » (par. 9). Ce n’est là
que l’un des cas où une juridiction peut faire usage de ses pouvoirs
inhérents
; il y en a plusieurs autres, mettant en jeu, par exemple, le
droit à une procédure régulière ou l’attribution de réparations ; la jurisprudence
des juridictions internationales pénales en offre de nombreuses
illustrations.
51. S’agissant du droit à une procédure régulière, le Tribunal pénal
international pour le Rwanda (TPIR, chambre de première instance III) a
ainsi reconnu, en l’affaire Rwamakuba (décision du 31 janvier 2007), le
« pouvoir propre [au tribunal] [d’]accorder [réparation] à un accusé
ou à un ancien accusé dont les droits ont été violés alors qu’il était
poursuivi ou jugé devant le Tribunal. … [C]e pouvoir … lui est indispensable
pour exercer ses fonctions judiciaires et respecter ses obligations
découlant des normes internationales en matière de droits de
l’homme. » (Par. 49.)
Dans cette même affaire, le TPIR a précisé (décision du 13 septembre
2007 de la chambre d’appel) que son pouvoir inhérent incluait, lorsque
cela était nécessaire, l’attribution de réparations « proportionnelles à la
gravité du préjudice » causé (par. 27).
52. La Cour pénale internationale (CPI, chambre de première instance
V-A) a, pour sa part, observé, en l’affaire Le Procureur c. William Samoei
Ruto et Joshua Arap Sang (Situation en République du Kenya, décision du
17 avril 2014), qu’elle était habilitée à utiliser un tel pouvoir 38 pour « préserver
son intégrité judiciaire » (par. 80), et que celui‑ci lui était « indispensable
pour exercer la compétence qui lui revenait au premier chef et
s’acquitter de ses obligations et fonctions essentielles » (par. 81). Elle a
précisé qu’elle pouvait notamment y recourir pour ordonner la comparution
de témoins 39.
38 Soit son pouvoir « inhérent », quoique la Cour utilise l’adjectif « implicite ».
39 Voir par. 87-89, 91, 100, 104 et 110-111.
droits souverains et espaces maritimes (op. ind. cançado trindade) 62
63
53. Dans la décision rendue par sa chambre d’appel le 29 novembre 2002
en l’affaire Bobetko, le TPIY, a quant à lui estimé qu’il « a[vait] le pouvoir
inhérent de suspendre les actions constituant un abus de procédure » afin
d’« exercer effectivement sa compétence sur le déroulement de la procédure
» (par. 15). Dans la décision ultérieure du 1er septembre 2005, rendue
par sa chambre d’appel en l’affaire Stanković, le tribunal a conclu qu’il
était notamment habilité, en vertu de ses pouvoirs inhérents, à rendre des
ordonnances « raisonnablement liées » à la tâche lui incombant, dans le
cadre de l’exercice même de sa fonction judiciaire (par. 51).
54. Plus récemment, en l’affaire Hartmann, une chambre spéciale du
TPIY a rappelé que celui‑ci était doté d’un « pouvoir inhérent » en vertu
duquel il pouvait « déclarer coupables d’outrage les personnes qui entrav[
aient] délibérément et sciemment le cours de la justice » (arrêt du 14 septembre
2009, par. 19). Elle a ajouté que ce pouvoir, fondé sur la
jurisprudence constante du tribunal, visait à réprimer « toute conduite qui
entrav[ait] le cours de la justice ou lui port[ait] atteinte » (par. 18).
55. Le Tribunal spécial pour le Liban (TSL, chambre d’appel) s’est,
pour sa part, longuement penché, dans sa décision du 10 novembre 2010
en l’affaire El-Sayed, sur l’exercice des pouvoirs inhérents 40 aux fins de
garantir l’équité de la procédure (par. 15, 48 et 52), l’égalité des armes
(par. 17) et, en résumé, la bonne administration de la justice (par. 49
et 52). L’on voit donc que, s’agissant des pouvoirs inhérents, ces prononcés
de différentes juridictions pénales internationales vont tous dans le
même sens.
56. La jurisprudence internationale pertinente en la matière a récemment
amené les théoriciens du droit à s’intéresser eux aussi à cette tendance
des juridictions internationales à utiliser leurs pouvoirs inhérents
pour combler les lacunes de leurs instruments constitutifs 41. De fait, il
semble aujourd’hui généralement admis qu’il existe un grand nombre de
situations dans lesquelles les cours et les tribunaux internationaux peuvent
user de leurs pouvoirs inhérents, compte tenu en particulier des différentes
fonctions qui leur sont assignées.
57. Quoique le Tribunal international du droit de la mer (TIDM) n’ait
jamais, pour sa part, abordé de manière explicite cette question, il ne fait
aucun doute que, en tant que juridiction internationale, il dispose de pouvoirs
inhérents aux fins d’exercer la fonction judiciaire que lui confère la
convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Certains de ses juges
s’y sont, de fait, expressément référés dans les opinions individuelles qu’ils
ont jointes aux décisions rendues en deux affaires successives, celle du
Navire « Saiga » (no 2) (Saint-Vincent-
et-les Grenadines c. Guinée) (arrêt
40 Voir par. 2, 15, 17, 43, 45-49, 52, 54 et 56.
41 Voir notamment P. Gaeta, « Inherent Powers of International Courts and Tribunals »,
Man’s Inhumanity to Man — Essays on International Law in Honour of Antonio Cassese
(L. C. Vohrah, F. Pocar et al., dir. publ.), La Haye, Kluwer, 2003, p. 359 et 364-367 ;
C. Brown, « The Inherent Powers of International Courts and Tribunals », British Yearbook
of International Law (2005), vol. 76, p. 203, 215, 221, 224 et 244.
droits souverains et espaces maritimes (op. ind. cançado trindade) 63
64
du 1er juillet 1999) et celle du Navire « Louisa » (Saint-Vincent-
et-les
Grenadines
c. Royaume d’Espagne) (arrêt du 28 mai 2013).
58. En résumé, les juridictions internationales contemporaines ont eu
recours aux pouvoirs inhérents qui leur semblaient nécessaires au bon
exercice de leurs fonctions judiciaires respectives. Elles ont montré qu’elles
étaient prêtes à en user (en se prononçant sur des questions de compétence
ou d’administration de la preuve, de fond ou de réparations) et
n’ont pas manqué de le faire en de fréquentes occasions et dans des situations
diverses, afin de garantir une bonne administration de la justice.
IX. Les pouvoirs inhérents et la juris dictio
au-
delà de la justice transactionnelle
59. Ce qui importe finalement aux juridictions internationales, c’est
d’attacher à leur fonction judiciaire les pouvoirs inhérents nécessaires aux
fins de la bonne administration de la justice. Ainsi, en l’affaire Mucić,
Delić and Landžo, le TPIY a jugé (arrêt du 8 avril 2003 de la chambre
d’appel) que, outre les pouvoirs qui lui étaient expressément attribués, il
disposait « du pouvoir inhérent, du fait de sa fonction judiciaire, de
conduire ses débats de manière à s’assurer que la justice soit rendue »
(par. 16). Ce pouvoir comprenait la faculté de réexaminer toute décision
si cela était nécessaire « pour éviter une injustice » (par. 49). Dans le cadre
de sa mission d’administration de la justice, le tribunal est doté du pouvoir
inhérent de « s’assurer que les procès conduits devant lui n’entraînent
pas d’injustice » (par. 50) 42.
60. Dans le même esprit, le Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL)
a expliqué, dans la décision du 17 janvier 2005 rendue par sa chambre d’appel
en l’affaire Sam Hinga Norman, Moinina Fofana et Allieu Kondewa, que
le pouvoir inhérent d’une juridiction, s’il ne pouvait être exercé en violation
des dispositions expresses de son Règlement, pouvait en revanche l’être en
l’absence de telles dispositions (par. 41). Une juridiction — ainsi que le
reconnaît la jurisprudence du TPIY — peut recourir à son pouvoir inhérent
pour « réexaminer ses propres décisions aux fins d’éviter une injustice ou une
erreur judiciaire » (par. 40) 43.
61. Comme il ressort des paragraphes précédents (sections VII‑VIII),
les juridictions internationales contemporaines se sont déclarées favorables
à l’exercice de pouvoirs inhérents afin de garantir la bonne exécution
de leur fonction judiciaire internationale. Cela semble d’autant plus
clair si l’on tient compte du fait que, au-
delà du règlement pacifique des
différends, leur mission consiste plus largement à dire le droit (juris dictio).
Les juridictions internationales contemporaines compétentes en
matière de droits de l’homme ainsi qu’en matière pénale ont adopté ce
point de vue dans l’exercice de leurs fonctions judiciaires respectives.
42 Voir également par. 52-53.
43 Voir également par. 34.
droits souverains et espaces maritimes (op. ind. cançado trindade) 64
65
62. J’ai, sur ce point, eu l’occasion, dans l’allocution que j’ai donnée
lors des célébrations organisées par la Cour pour commémorer le
centenaire
du Palais de la Paix à La Haye en 2013, de souligner que,
parallèlement à la conception traditionnelle (toujours défendue par certains
des occupants de ce Palais), selon laquelle une juridiction internationale
doit « se contenter de régler le différend en cause et d’en offrir une
résolution aux parties (ce qui s’apparente à la justice transactionnelle) en
n’examinant que les moyens que celles‑ci lui ont soumis », il en existe une
autre,
« plus large — que je défends —, selon laquelle le juge se doit de
dépasser ce cadre et de dire le droit (juris dictio), contribuant ainsi
au règlement d’autres situations similaires et au développement progressif
du droit international. Une certaine créativité judiciaire est
possible dans l’interprétation, voire la définition, du droit applicable ;
les juridictions demeurent libres, en effet, de déterminer le droit
applicable, indépendamment des arguments présentés par les parties
(juria novit curia). » 44
63. Cette conception plus large se justifie au regard de la jurisprudence
pertinente des juridictions internationales compétentes en matière de
droits de l’homme et en matière pénale. Déjà, dans un arrêt rendu en
formation plénière le 18 janvier 1978 dans une affaire appelée à faire date,
Irlande c. Royaume-Uni, la CEDH avait estimé qu’il entrait dans ses fonctions
non seulement de trancher ou de régler les différends dont elle était
saisie, mais également, plus largement, d’appliquer, de « clarifier » et de
« développer » les normes de la convention européenne des droits de
l’homme et de contribuer de la sorte au respect, par les Etats parties, de
leurs engagements (par. 154).
64. Vingt‑cinq ans plus tard, dans son arrêt du 24 juillet 2003 en l’affaire
Karner c. Autriche, la CEDH (première section) a tenu le même propos,
en précisant qu’elle pouvait, de fait, clarifier et développer le
corpus juris de la convention, étant donné que sa mission consistait non
seulement à régler les affaires dont elle était saisie, mais aussi à élever les
normes de protection des droits de l’homme et à étendre la jurisprudence
dans ce domaine à l’ensemble de la communauté des Etats parties à la
convention (par. 26).
65. La CIDH a elle aussi dépassé le simple cadre du règlement des différends
et adopté cette même conception élargie de sa juris dictio dans sa
jurisprudence constante. Le fait mérite d’être relevé, car il est arrivé que les
décisions de juridictions internationales (notamment la CEDH et la CIDH)
aient des conséquences qui ne se limitaient pas aux seuls Etats en litige mais
touchaient également d’autres Etats parties à la convention en cause 45.
44 A. A. Cançado Trindade, « A Century of International Justice and Prospects for
the Future », Rétrospective d’un siècle de justice internationale et perspectives d’avenir
(A. A. Cançado Trindade et D. Spielmann, dir. publ.), Oisterwijk, Wolf, 2013, p. 16, par. 40.
45 Ibid., p. 16, par. 41.
droits souverains et espaces maritimes (op. ind. cançado trindade) 65
66
66. Cette conception, adoptée par la CIDH autant que par la CEDH,
sous-tend par ailleurs, de façon implicite, la notion d’« arrêts pilotes » que
l’on trouve dans les travaux de cette dernière 46. Il s’agit d’accorder davantage
d’importance aux raisonnements des juridictions et à l’exercice de
leurs pouvoirs inhérents, dépassant largement l’approche traditionnelle
plus stricte d’une justice transactionnelle. En tranchant les différends et en
disant le droit, les juridictions internationales ont exercé leurs pouvoirs
inhérents et se sont efforcées de garantir la bonne administration de la
justice, lorsqu’elles se sont trouvées face à de nouvelles difficultés. Elles se
sont ainsi dotées des moyens de contribuer au développement progressif
du droit international 47.
X. Les pouvoirs inhérents et le contrôle de l’exécution
des décisions
67. J’en viens maintenant à un autre aspect de la question, évoqué
dans le cadre de la procédure en la présente affaire, à savoir les pouvoirs
inhérents sous l’angle du contrôle de l’exécution des jugements et arrêts
de la Cour. Les Parties ont toutes deux soulevé ce point, à des titres différents
48, en rapport avec la cinquième exception préliminaire de la Colombie.
Le fait qu’une juridiction internationale puisse compter sur l’aide
d’un organe de surveillance distinct pour assurer l’exécution de ses jugements
ou arrêts ne signifie pas, selon moi, qu’elle doive se désintéresser de
leur exécution une fois qu’elle a rendu lesdits jugements ou arrêts. Tant
s’en faut.
68. Ainsi, le fait que le paragraphe 2 de l’article 94 de la Charte des
Nations Unies confie au Conseil de sécurité le soin de faire exécuter les
arrêts et ordonnances de la Cour ne signifie aucunement que celle-
ci doive
cesser de s’en préoccuper. Le Conseil de sécurité n’a que très rarement eu
46 A partir du prononcé de son arrêt du 22 juin 2004 en l’affaire Broniowski c. Pologne.
47 Voir, à cet égard, les ouvrages suivants : H. Lauterpacht, The Development
of International Law by the International Court, Londres, Stevens, 1958, p. 3‑400 ;
A. A. Cançado Trindade, Os Tribunais Internacionais e a Realização da Justiça, Rio de
Janeiro, Renovar, 2015, p. 1‑507 ; J. G. Merrills, The Development of International Law by
the European Court of Human Rights, 2e éd., Manchester University Press, 1993, p. 1‑255 ;
A. A. Cançado Trindade, El Ejercicio de la Función Judicial Internacional – Memorias de la
Corte Interamericana de Derechos Humanos, 3e éd., Belo Horizonte/Brésil, Del Rey, 2013,
p. 1‑409 ; L. J. van den Herik, The Contribution of the Rwanda Tribunal to the Development
of International Law, Leyde, Nijhoff, 2005, p. 1‑284 ; The Development of International Law
by the International Court of Justice (C. J. Tams et J. Sloan, dir. publ.), Oxford University
Press, 2013, p. 3‑396 ; et voir M. Lachs, « The Development and General Trends of International
Law in Our Time », Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye
(1980), vol. 169, p. 245‑246, 248-249 et 251.
48 Voir conclusions dans CR 2015/22, p. 60‑62, par. 1, 3 et 8 (Colombie) ; CR 2015/23,
p. 46‑50 et 54, par. 4-5, 9, 12, 14-15 et 23 (Nicaragua) ; CR 2015/24, p. 37, par. 23
(Colombie) ; CR 2015/25, p. 37‑43, par. 12-19 et 22 (Nicaragua).
droits souverains et espaces maritimes (op. ind. cançado trindade) 66
67
à intervenir à cet égard, si ce n’est dans l’affaire Nicaragua c. Etats-Unis
de 1986 49. Conformément au paragraphe 1 de l’article 94 de la Charte des
Nations Unies, l’inexécution d’une décision constituerait une nouvelle
violation, d’où l’importance de s’en prémunir. Cette préoccupation continue,
selon moi, d’incomber à la Cour comme à toutes les autres juridictions
internationales.
69. S’agissant de la Cour en particulier, il a été supposé à tort qu’il ne
lui revenait pas de veiller à l’exécution de ses propres décisions. Mais l’on
pourra bien invoquer le silence du Statut à cet égard, ou le paragraphe 2
de l’article 94 de la Charte des Nations Unies, le fait est que cette dernière
disposition ne confère pas au Conseil de sécurité l’autorité exclusive de
garantir cette exécution. Un examen plus approfondi de certaines dispositions
du Statut 50 montre au contraire que la Cour est fondée à s’occuper
de l’exécution de ses décisions 51.
70. Ce qui doit donc, selon moi, être dénoncé, c’est non pas le pouvoir
normatif (qui a souvent été critiqué de manière irréfléchie), mais l’inaction
et la passivité des instances judiciaires, notamment lorsqu’il s’agit
d’assurer l’exécution de leurs décisions. A cet égard, avant de s’interroger
sur la possibilité de recourir à cet effet aux juridictions internes, il conviendrait
d’approfondir quelque peu l’analyse conceptuelle du rôle même de
la Cour et des autres juridictions internationales en la matière.
71. L’on trouve des éléments utiles, à cet égard, dans la pratique de la
CEDH (qui bénéficie du concours du comité des ministres du Conseil
de l’Europe) et de la CIDH (qui, depuis son arrêt historique du
28 novembre 2003 en l’affaire Baena-Ricardo et al. c. Panama, a recours à
la tenue, après le prononcé de ses décisions, d’audiences visant à en
contrôler l’exécution). Dans le cadre de la présente espèce devant la Cour,
il a été fait référence à l’ordonnance du 27 novembre 2003 rendue en l’affaire
Blake c. Guatemala, dans laquelle la CIDH avait reconnu être dotée
de pouvoirs inhérents en matière de « contrôle de l’exécution de ses décisions
» (par. 1) 52.
72. Les pouvoirs de contrôle conférés au comité des ministres ne sont,
en tout état de cause, pas exclusifs, et la CEDH peut s’occuper elle-même
du suivi de ses décisions, ainsi que sa grande chambre l’a reconnu dans un
certain nombre d’affaires, notamment Verein gegen Tierfabriken Schweiz
(VgT) c. Suisse (arrêt du 30 juin 2009) et Bochan c. Ukraine (arrêt du
5 février 2015). En résumé, les juridictions internationales ne sauraient,
selon moi, demeurer indifférentes à l’inexécution de leurs propres déci-
49 Voir C. Schulte, Compliance with Decisions of the International Court of Justice,
Oxford University Press, 2004, p. 38‑40, 42 et 63, et voir p. 68 (s’agissant de l’Assemblée
générale), p. 70 (Secrétaire général) et p. 77 et 79 (juridictions nationales).
50 Les articles 41, 57, 60 et 61, par. 3.
51 Voir M. Al-Qahtani,
« The Role of the International Court of Justice in the Enforcement
of Its Judicial Decisions », Leiden Journal of International Law (2002), vol. 15,
p. 781‑783, 786, 792, 796 et 803.
52 Cité dans CR 2015/23, p. 54, par. 23 (Pellet).
droits souverains et espaces maritimes (op. ind. cançado trindade) 67
68
sions. Elles ont, dans ce domaine aussi, des pouvoirs inhérents qui leur
permettent de s’assurer que celles-
ci seront mises en oeuvre.
73. Les juridictions internationales préservent, ce faisant, l’intégrité de
leur compétence. L’on ne peut que s’étonner que la doctrine juridique
internationale ne se soit guère intéressée à cette question jusqu’à présent.
Cela est regrettable car l’exécution des décisions des juridictions internationales
est indispensable pour promouvoir l’état de droit dans la communauté
internationale 53. De plus, depuis 2006, la question de l’état de droit
aux niveaux national et international, systématiquement inscrite à l’ordre
du jour de l’Assemblée générale des Nations Unies 54, suscite chaque
année un intérêt croissant parmi les Etats membres.
74. Il semble donc paradoxal que l’importance de l’exécution des décisions
des juridictions internationales ne soit pas, à ce jour, plus largement
reconnue. La présente affaire, relative à des Violations alléguées de droits
souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes, a selon moi
mis en évidence la nécessité d’accorder davantage d’attention à cette
question de l’exécution, en ce qu’elle a trait aux pouvoirs inhérents des
juridictions internationales. Les juristes qui se préoccupent sincèrement
de la réalisation de la justice — et ils ne sont pas si nombreux — ont à cet
égard un rôle à jouer, dans un contexte où le reste de la profession se
soucie surtout de stratégie contentieuse et d’« obtenir gain de cause ».
75. Le chemin de la justice est long, et peu de progrès ont été faits,
pour l’instant, dans la conceptualisation du contrôle de l’exécution des
décisions, jugements et arrêts des juridictions internationales. C’est au
contraire l’inertie mentale qui a marqué ces dernières décennies. Il est
grand temps de remédier à cette inaction et à cette passivité. Le contrôle
de l’exécution des décisions est, après tout, une question de nature juridictionnelle.
Une juridiction internationale ne saurait en aucun cas rester
indifférente lorsque l’exécution de ses décisions est en jeu.
XI. Épilogue
76. Ayant examiné cette question des pouvoirs inhérents, en ce qu’elle
concerne l’exécution des décisions de la Cour, que le Nicaragua et la
Colombie ont tous deux évoquée à des titres différents, j’en viens à la
conclusion de ma présente opinion individuelle. Ainsi que je l’ai souligné
dans les pages qui précèdent, le traitement qu’a réservé la Cour, en la
53 Voir notamment, récemment, A. A. Cançado Trindade, « Prologue : An Overview
of the Contribution of International Tribunals to the Rule of Law », The Contribution of
International and Supranational Courts to the Rule of Law (G. De Baere et J. Wouters, dir.
publ.), Cheltenham/Northhampton, E. Elgar, 2015, p. 3‑18.
54 Voir les résolutions de l’Assemblée générale publiées sous les cotes A/RES/61/39
(4 décembre 2006), A/RES/62/70 (6 décembre 2007), A/RES/63/128 (11 décembre 2008),
A/RES/64/116 (16 décembre 2009), A/RES/65/32 (6 décembre 2010), A/RES/66/102
(9 décembre 2011), A/RES/67/97 (14 décembre 2012), A/RES/68/116 (16 décembre 2013),
A/RES/69/123 (10 décembre 2014) et A/RES/70/118 (14 décembre 2015).
droits souverains et espaces maritimes (op. ind. cançado trindade) 68
69
présente affaire, à la question soulevée par la Colombie dans sa quatrième
exception préliminaire ne reflète pas la richesse des pièces de procédure en
l’espèce et des arguments présentés (dans les phases écrite et orale) par les
deux Parties.
77. La Cour aurait selon moi dû tenir expressément compte de l’ensemble
des arguments des Parties, quand bien même son analyse l’aurait
conduite à rejeter en définitive, comme elle le fait ici, la quatrième exception
préliminaire. Les arguments des Parties à la présente affaire soulèvent
en effet un point important, qui est invoqué de manière récurrente devant
la Cour et sur lequel il y a lieu de poursuivre la réflexion en vue de favoriser
la réalisation de la justice au niveau international.
78. Le fait que, dans le présent arrêt, la Cour ait conclu qu’elle avait
compétence au titre du pacte de Bogotá (et rejeté, ce faisant, la première
exception préliminaire de la Colombie) ne la dispensait pas d’examiner les
arguments des deux Parties sur une question aussi importante que celle de
ses facultés ou pouvoirs inhérents (de se prononcer sur la non-exécution
alléguée de son arrêt de 2012) 55. J’ai, quant à moi, cru devoir passer en
revue ces arguments — même si je considère que la quatrième exception
préliminaire est indéfendable et devait donc bien être rejetée —, là où la
Cour s’est contentée de conclure de manière évasive qu’« il n’y a[vait] pas
lieu » pour elle de se prononcer sur la question 56.
79. Les juridictions internationales contemporaines exercent leurs pouvoirs
inhérents au-
delà du consentement des Etats, contribuant ainsi à la
bonne administration de la justice. L’on trouve des exemples (voir supra)
dans lesquels elles ont affirmé leur compétence de la compétence (Kompetenz
Kompetenz), laquelle a fait la preuve de sa pertinence aux fins de
l’exercice de la fonction judiciaire internationale. L’on trouve également
des exemples d’application par elles de l’interprétation téléologique,
au‑delà du consentement des Etats. Elles font par ailleurs usage de leurs
pouvoirs inhérents, indépendamment de ce consentement, pour combler
les lacunes de leurs instruments constitutifs, ce qui met en exergue l’importance
des principes généraux.
80. En réaffirmant l’exercice de leurs pouvoirs inhérents aux fins de la
bonne exécution de leur fonction judiciaire internationale, ces juridictions
ont renforcé la conception — que je défends — d’une mission qui ne se
cantonne pas au règlement des différends (ou à la justice transactionnelle),
et consiste, plus largement, à dire le droit (juris dictio). Elles s’intéressent
par ailleurs également au contrôle de l’exécution de leurs décisions, une
question qui est d’ordre juridictionnel.
81. Les pouvoirs inhérents dont jouissent les juridictions internationales
s’étendent aussi à cet aspect, le contrôle de l’exécution de leurs décisions.
Elles préservent ainsi l’intégrité de leur propre compétence ; après
tout — ainsi que je l’ai souligné —, elles ne sauraient rester indifférentes
en cas de non‑exécution de leurs décisions. Il s’agit là d’un point essentiel
55 Voir par. 16 et 101 de l’arrêt.
56 Voir par. 104 et point 1 e) du dispositif de l’arrêt.
droits souverains et espaces maritimes (op. ind. cançado trindade) 69
70
pour promouvoir l’état de droit dans la communauté internationale —
question qui, systématiquement inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée
générale des Nations Unies depuis une dizaine d’années, suscite un intérêt
croissant parmi les Etats membres.
82. Dernier point et non des moindres : mon analyse, dans le présent
exposé, de l’usage que font spécifiquement les juridictions internationales
contemporaines de leurs facultés ou pouvoirs inhérents me renforce dans
la conviction que la recta ratio prime la voluntas. Il faut en finir avec la
conception volontariste du droit international. Il faut que se répande
l’idée d’une primauté de la conscience sur la « volonté » et il faut porter
une attention constante aux valeurs humaines fondamentales. C’est ainsi
que pourront être assurés le développement progressif du droit international
et, en définitive, la réalisation de la justice au niveau international.
(Signé) Antônio Augusto Cançado Trindade.

Bilingual Content

44
45
SEPARATE OPINION
OF JUDGE CANÇADO TRINDADE
table of contents
Paragraphs
I. Prolegomena 1‑4
II. Submissions of the Parties and Questions from
the Bench 5‑6
III. Responses from the Contending Parties 7‑15
1. Response from Nicaragua 7‑9
2. Response from Colombia 10‑12
3. General assessment 13‑15
IV. Inherent Powers beyond State Consent 16‑21
V. The Teleological Interpretation (Ut Res Magis Valeat
Quam Pereat) beyond State Consent 22‑27
VI. Recta Ratio above Voluntas, Human Conscience above
the “Will” 28‑41
VII. Competénce de la Compétence/Kompetenz Kompetenz
beyond State Consent 42‑47
VIII. Inherent Powers Overcoming Lacunae, and the Relevance
of General Principles 48‑58
IX. Inherent Powers and Juris Dictio beyond Transactional
Justice 59‑66
X. Inherent Powers and Supervision of Compliance with
Judgments 67‑75
XI. Epilogue 76‑82
*
44
45
OPINION INDIVIDUELLE
DE M. LE JUGE CANÇADO TRINDADE
[Traduction]
table des matières
paragraphes
I. Prolégomènes 1-4
II. Conclusions des Parties et questions posées par les
membres
de la Cour 5-6
III. Réponses des Parties 7-15
1. Réponse du Nicaragua 7-9
2. Réponse de la Colombie 10-12
3. Appréciation générale 13-15
IV. Les pouvoirs inhérents au-
delà du consentement
des États 16-21
V. L’interprétation téléologique (ut res magis valeat quam
pereat) au-
delà du consentement des États 22-27
VI. La primauté de la recta ratio sur la voluntas ou de
la conscience humaine sur la « volonté » 28-41
VII. La compétence de la compétence (Kompetenz Kompetenz)
au-
delà du consentement des États 42-47
VIII. Les pouvoirs inhérents comme moyen de combler
les lacunes
et la pertinence des principes généraux 48-58
IX. Les pouvoirs inhérents et la juris dictio au-
delà de
la justice
transactionnelle 59-66
X. Les pouvoirs inhérents et le contrôle de l’exécution
des décisions 67-75
XI. Épilogue 76-82
*
45 sovereign rights and maritime spaces (sep. op. cançado trindade)
46
I. Prolegomena
1. Once again before this Court, the question of inherent powers of
international tribunals has been the object of particular attention in the
course of the proceedings in the present case of Alleged Violations of Sovereign
Rights and Maritime Spaces in the Caribbean Sea (Nicaragua v.
Colombia). The two Contending Parties have aptly presented their distinct
outlooks of the issue of inherent powers or facultés : in their submissions
before the Court, they have seen it fit to refer to the relevant case
law of contemporary international tribunals (in particular international
human rights tribunals) in respect, in particular, of the issue of their
inherent powers or facultés. The issue pertains directly to the fourth preliminary
objection raised by Colombia.
2. In the present Judgment, the International Court of Justice (ICJ),
having found that it has jurisdiction under the Pact of Bogotá, dismissing
Colombia’s first preliminary objection, could and should have shed some
light on the points made by the Contending Parties — Nicaragua’s claim
of “inherent jurisdiction” and Colombia’s fourth preliminary objection —
even if for dismissing this latter as well, rather than, in a minimalist posture,
elliptically saying that “there is no ground” for it to deal with the
issue (Judgment, para. 104).
3. Given the importance that I attach to this particular issue, recurrent
in the practice of international tribunals, and given the fact that it was
brought to the attention of the ICJ in the cas d’espèce, not only in the
written phase of the proceedings, but also in the course of the hearings
before it, I feel obliged to leave on the records, first, the positions of the
Parties and the treatment dispensed to it, and, secondly, the foundations
of my own personal position on it, in its interrelated aspects.
4. It is, after all, an issue of relevance to the operation of contemporary
international tribunals, in their common mission of the realization of justice.
In my perception, this is an issue which cannot simply be eluded. The
aspects which I deem it fit to cover, in the present separate opinion, refer
to the following successive points: (a) inherent powers beyond State consent;
(b) the teleological interpretation (ut res magis valeat quam pereat)
beyond State consent; (c) compétence de la compétence/Kompetenz Kompetenz
beyond State consent; (d) recta ratio above voluntas, human conscience
above the “will”; (e) inherent powers overcoming lacunae, and the
relevance of general principles; (f) inherent powers and juris dictio, beyond
transactional justice ; and (g) inherent powers and supervision of compliance
with judgments. I shall at last come to my brief epilogue.
droits souverains et espaces maritimes (op. ind. cançado trindade) 45
46
I. Prolégomènes
1. La question des pouvoirs inhérents des juridictions internationales
a, une fois encore, fait l’objet d’une attention particulière devant la Cour,
au fil de la procédure en la présente affaire relative à des Violations alléguées
de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes
(Nicaragua c. Colombie). Les Parties ont l’une et l’autre judicieusement
défendu leurs vues sur la question des facultés ou pouvoirs inhérents,
directement mise en jeu par la quatrième exception préliminaire soulevée
par la Colombie, estimant utile, dans leurs exposés, de se référer à la
jurisprudence
pertinente des juridictions internationales contemporaines
(notamment celles compétentes en matière de droits de l’homme) sur ce
point.
2. Ayant, dans le présent arrêt, conclu qu’elle avait compétence en
vertu du pacte de Bogotá et rejeté, ce faisant, la première exception préliminaire
de la Colombie, la Cour aurait pu (et dû) analyser les arguments
des Parties relativement au « pouvoir inhérent » invoqué par le
Nicaragua et contesté par la Colombie au titre de sa quatrième exception
préliminaire — fût‑ce pour, en définitive, rejeter quand même
cette dernière —, et non déclarer de façon minimaliste et elliptique
qu’« il n’y a[vait] pas lieu » pour elle de se prononcer à cet égard (arrêt,
par. 104).
3. Etant donné l’importance particulière que j’accorde à cette question,
récurrente dans la pratique des juridictions internationales, et le fait
qu’elle a été portée à l’attention de la Cour dans la présente espèce, non
seulement dans le cadre de la phase écrite de la procédure mais également
lors des audiences qui se sont tenues devant elle, il me semble
nécessaire,
après un rappel des positions des Parties y relatives et du traitement
que lui a réservé la Cour, de préciser les fondements de ma position
personnelle sur ladite question et les différents aspects qu’elle met
en jeu.
4. Il s’agit, après tout, d’un sujet qui intéresse le fonctionnement des
juridictions internationales contemporaines dans le cadre de leur mission
commune de réalisation de la justice et qu’on ne peut, selon moi, se
contenter d’éluder. Les points qu’il me semble devoir aborder dans le présent
exposé de mon opinion individuelle sont donc les suivants : a) les
pouvoirs inhérents au-
delà du consentement des Etats ; b) l’interprétation
téléologique (ut res magis valeat quam pereat) au-
delà du consentement
des Etats ; c) la compétence de la compétence (Kompetenz Kompetenz)
au-
delà du consentement des Etats ; d) la primauté de la recta ratio sur la
voluntas ou de la conscience humaine sur la « volonté » ; e) les pouvoirs
inhérents comme moyen de combler les lacunes et la pertinence des principes
généraux ; f) les pouvoirs inhérents et la juris dictio au‑delà de la
justice transactionnelle ; et g) les pouvoirs inhérents et le contrôle de
l’exécution des jugements et arrêts. Je conclurai mon exposé par un bref
épilogue.
46 sovereign rights and maritime spaces (sep. op. cançado trindade)
47
II. Submissions of the Parties
and Questions from the Bench
5. In the course of the proceedings (written and oral phases) in the
present case of Alleged Violations of Sovereign Rights and Maritime
Spaces in the Caribbean Sea, both Contending Parties, in their submissions,
when addressing the issue of inherent powers or facultés, referred
to the relevant case law of the Inter‑American Court of Human Rights
(IACtHR) and of the European Court of Human Rights (ECHR). In the
written phase of the proceedings in the cas d’espèce, both Nicaragua and
Colombia referred to the IACtHR’s judgment (of 28 November 2003) in
the case of Baena-Ricardo and Others v. Panama, as well as the ECHR’s
(Grand Chamber) judgment (of 7 February 2003) in the case of Fabris v.
France 1. Nicaragua further referred to the ECHR’s (Grand Chamber)
judgments (of 30 June 2009 and 5 February 2015, respectively) in the
cases of Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) v. Switzerland, and of
Bochan v. Ukraine 2.
6. Subsequently, towards the end of the oral phase of the proceedings
in the cas d’espèce, in the public sitting of 2 October 2015 before the
Court, I deemed it fit to put the three following questions to the two Contending
Parties, Nicaragua and Colombia :
“In the course of the proceedings along this week, both Contending
Parties referred to the relevant case law of contemporary international
tribunals, in particular in respect of the question of their inherent
powers or facultés. Having listened attentively to their oral arguments,
I have three questions to address to both Parties, so as to
obtain further precisions, at conceptual level, from both of them, in
the context of the cas d’espèce.
First : Do the inherent powers or facultés of contemporary international
tribunals ensue from the exercise itself, by each of them, of their
international judicial function ?
Second : Do the distinct bases of jurisdiction of contemporary international
tribunals have an incidence on the extent of their compétence
de la compétence ?
Third : Do the distinct bases of jurisdiction of contemporary international
tribunals condition the operation of the corresponding
mechanisms of supervision of compliance with their respective judgments
and decisions?” 3
1 Memorial of the Republic of Nicaragua [hereinafter “Memorial”, para. 1.27 ; and
Preliminary Objections of the Republic of Colombia, paras. 5.22‑5.23.
2 Written Statement of the Republic of Nicaragua to the Preliminary Objections of the
Republic of Colombia, of 20 April 2015, para. 5.35.
3 Cf. CR 2015/25, of 2 October 2015, p. 47.
droits souverains et espaces maritimes (op. ind. cançado trindade) 46
47
II. Conclusions des Parties et questions posées
par les membres de la Cour
5. Dans les exposés qu’elles ont présentés au fil de la procédure (écrite
et orale) en la présente affaire, les deux Parties ont fait référence, à propos
de la question des facultés ou pouvoirs inhérents, à la jurisprudence pertinente
de la Cour interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) et de la
Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Dans la phase écrite de
la procédure, le Nicaragua et la Colombie ont l’un et l’autre cité l’arrêt
rendu par la CIDH le 28 novembre 2003 en l’affaire Baena-Ricardo et
consorts c. Panama, ainsi que l’arrêt du 7 février 2013 de la CEDH (grande
chambre) en l’affaire Fabris c. France 1. Le Nicaragua s’est également
référé aux arrêts rendus par la CEDH (grande chambre) dans les affaires
Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse et Bochan c. Ukraine,
les 30 juin 2009 et 5 février 2015 respectivement 2.
6. A l’audience publique du 2 octobre 2015, alors que la procédure
orale arrivait à son terme, j’ai estimé utile de poser les trois questions
suivantes au Nicaragua et à la Colombie :
« Tout au long de la procédure, cette semaine, les deux Parties en
litige ont fait référence à la jurisprudence pertinente de juridictions
internationales contemporaines, concernant en particulier la question
de leurs facultés ou pouvoirs inhérents. Ayant écouté avec attention
les deux Parties en leurs plaidoiries, j’aurai trois questions à leur
adresser, afin d’obtenir d’elles des éclaircissements d’ordre conceptuel,
dans le contexte du cas d’espèce.
Premièrement : les facultés ou pouvoirs inhérents des juridictions
internationales contemporaines découlent‑ils de l’exercice même de
leurs fonctions judiciaires internationales ?
Deuxièmement : les différentes bases pouvant fonder la compétence
des juridictions internationales contemporaines ont‑elles une
incidence sur la portée de leur compétence de la compétence ?
Troisièmement : les différentes bases pouvant fonder la compétence
des juridictions internationales contemporaines conditionnent‑elles le
fonctionnement des mécanismes correspondants de contrôle de l’exécution
de leurs décisions, jugements et arrêts respectifs ? » 3
1 Mémoire de la République du Nicaragua, par. 1.27 ; exceptions préliminaires de la
République de Colombie, par. 5.22-5.23.
2 Exposé écrit de la République du Nicaragua sur les exceptions préliminaires de la
République de Colombie, par. 5.35.
3 Voir CR 2015/25, p. 47.
47 sovereign rights and maritime spaces (sep. op. cançado trindade)
48
III. Responses from the Contending Parties
1. Response from Nicaragua
7. One week later, on 9 October 2015, both Parties provided the Court
with their written answers to the questions I had put to them at the end
of the Court’s hearings in the cas d’espèce. In its written reply, Nicaragua
stated, in response to my first question, that, in its view, the inherent powers
of international tribunals ensue, “more widely than from the exercise
of their judicial function”, from “their very existence and nature as judicial
organs” 4.
8. As to my second question, Nicaragua contended that “in all cases”,
the basis for jurisdiction (statute) of an international tribunal “includes
the power or faculté to decide on the existence and scope of an inherent
power” 5. The compétence de la compétence (Kompetenz Kompetenz), even
if leading to distinct conclusions according to the various Statutes,
“can be said to be inherent”, it is “a well‑established legal principle of
general application” 6. This is so, in its view, irrespective of “whether or
not it is expressly granted” by the Statute of the international tribunal
concerned 7.
9. And as to my third question, Nicaragua was of the view that “all
tribunals have the same right to determine the scope of their own
(. . . inherent) powers”, it being “indispensable” for them “to exercise
some kind of jurisdiction on the implementation of their own judgments” 8.
Even if it may vary from one tribunal to another, international tribunals
have here an “inherent power” as well, in respect of the implementation
of their own judgments (whether they can count or not on the assistance
of another organ with supervisory powers) 9.
2. Response from Colombia
10. For its part, Colombia, in its written reply, stated, in response
to my first question, that the ICJ “has such ‘inherent powers’ as are
necessary
in the interests of the good administration of justice for the
proper conduct of cases over which it has jurisdiction” 10. It then added
that, yet, there is “no such thing as an ‘inherent jurisdiction’ enabling the
4 Written Reply of Nicaragua to the Questions Put by Judge Cançado Trindade at the
Public Sitting Held on the Morning of 2 October 2015, doc. NICOLC 2015/32, p. 2.
5 Ibid., p. 3.
6 Ibid., p. 2.
7 Ibid.
8 Ibid., p. 3.
9 Cf. ibid., pp. 3‑4.
10 Written Reply of Colombia to the Questions Put by Judge Cançado Trindade at
the Public Sitting Held on the Morning of 2 October 2015, doc. NICOLC 2015/33, of
9 October 2015, p. 2, para. 3.
droits souverains et espaces maritimes (op. ind. cançado trindade) 47
48
III. Réponses des Parties
1. Réponse du Nicaragua
7. Une semaine plus tard, le 9 octobre 2015, les deux Parties ont présenté
à la Cour leurs réponses écrites aux questions que je leur avais
posées au terme des audiences. En réponse à ma première question, le
Nicaragua a affirmé que, de son point de vue, les juridictions internationales
tenaient leur pouvoir inhérent « non seulement de l’exercice de leur
fonction judiciaire, mais plus largement de leur existence et de leur nature
mêmes en tant qu’organes judiciaires » 4.
8. S’agissant de ma deuxième question, le Nicaragua a fait valoir que,
« dans tous les cas », la base de compétence (acte constitutif) d’une juridiction
internationale emportait « le pouvoir ou la faculté de trancher la
question de l’existence et de la portée de son pouvoir inhérent » 5. La compétence
de la compétence (Kompetenz Kompetenz) pouvait être « considér[
ée] [comme un] pouvoir … inhérent » même si l’on pouvait, en l’exerçant,
aboutir à des conclusions différentes en fonction de l’acte applicable ; elle
constituait, selon lui, un « principe bien établi en droit et d’application
générale » 6, et ce, qu’elle soit ou non « expressément conféré[e] » à la juridiction
concernée par son statut 7.
9. Enfin, en réponse à ma troisième question, le Nicaragua a estimé que
« toutes les juridictions [étaient] également habilitées à déterminer la portée
des pouvoirs (… inhérents) qui leur [étaient] conférés », et qu’elles
devaient « absolument disposer d’une certaine compétence pour assurer
l’exécution de leurs décisions » 8. Les juridictions internationales, qu’elles
fussent ou non assistées par un autre organe doté de pouvoirs de contrôle,
disposaient à cet égard aussi d’un « pouvoir inhérent », même si celui‑ci
pouvait varier selon la juridiction en cause 9.
2. Réponse de la Colombie
10. La Colombie a, pour sa part, écrit, en sa réponse à ma première
question, que la Cour était « investie des « pouvoirs inhérents » qui [étaient]
nécessaires à la bonne administration de la justice, pour lui permettre
d’assurer la bonne marche des affaires dont elle conna[issait] » 10, tout en
ajoutant qu’il « n’exist[ait] pas de « compétence inhérente » permettant à
4 Réponse écrite du Nicaragua aux questions posées par M. le juge Cançado Trindade
à l’audience publique tenue dans la matinée du 2 octobre 2015, NICOLC 2015/32, p. 2.
5 Ibid., p. 3.
6 Ibid., p. 2.
7 Ibid.
8 Ibid., p. 3.
9 Cf. ibid., p. 3‑4.
10 Réponse écrite de la Colombie aux questions posées par M. le juge Cançado
Trindade
à l’audience publique tenue dans la matinée du 2 octobre 2015, NICOLC
2015/33, p. 2, par. 3.
48 sovereign rights and maritime spaces (sep. op. cançado trindade)
49
Court to take jurisdiction over new cases, as urged upon the Court by
Nicaragua” 11.
11. As to my second question, Colombia asserted, as to compétence de
la compétence, that the Court’s deciding as to jurisdiction amounts to “an
express power, and in and of itself in no way gives rise to an inherent
power or jurisdiction” 12. Colombia added, in this connection, that no
such considerations can give rise to “an inherent power or jurisdiction
over the merits of a case” that an international tribunal “does not otherwise
have” 13.
12. And as to my third question, Colombia was of the view that a
mechanism of supervision of compliance with judgments “must be found
in the instrument which created” the international tribunal and “established
its jurisdiction” 14 (statutory provisions). In the case of the ICJ,
such a mechanism is provided not by its Statute, but by the UN Charter
(“of which the Statute is an integral part”), which “assigns such competence
to the Security Council” ; and, in its view, the “Pact of Bogotá (in
particular, Article L), reflects the States parties’ understanding that the
Court is not the venue for matters of supervision of compliance” 15.
3. General Assessment
13. As just seen, Nicaragua sustains a broader scope of inherent powers
: irrespective from what is provided distinctly in statutes of international
tribunals, they ensue from their very existence, and they are all
endowed with the compétence de la compétence ; inherent powers, in its
view, are indispensable also for them “to exercise some kind of jurisdiction”
on the implementation of their own judgments, whether assisted or
not by other supervisory organs.
14. For its part, Colombia, rather distinctly, takes the view that inherent
powers are exercised when necessary in the interests of the sound
administration of justice ; it ascribes a stricter scope to them, sustaining
that they do not amount to compétence de la compétence, that there is no
“inherent jurisdiction”, and that supervision of compliance with judgments
is not expressly provided in the Statute or constitutive Charter (of
the UN, in the case of the ICJ).
11 Written Reply of Colombia to the Questions Put by Judge Cançado Trindade at
the Public Sitting Held on the Morning of 2 October 2015, doc. NICOLC 2015/33, of
9 October 2015, p. 2, para. 4.
12 Ibid., p. 3, para. 6.
13 Ibid., p. 4, para. 6.
14 Ibid., para. 7.
15 Ibid.
droits souverains et espaces maritimes (op. ind. cançado trindade) 48
49
la Cour, ainsi que l’y invit[ait] le Nicaragua, de se saisir de nouvelles
affaires » 11.
11. Concernant ma deuxième question, la Colombie a affirmé, au sujet
de la compétence de la compétence, que le pouvoir de la Cour de se prononcer
sur sa propre compétence était « [e]xpressément conféré … [et]
n’emport[ait] nullement, en soi, une faculté ou une compétence inhérente
» 12. Selon elle, une juridiction ne saurait se voir « conférer, quant au
fond du différend, quelque pouvoir inhérent dont elle ne serait pas par
ailleurs revêtue » 13.
12. En réponse à ma troisième question, la Colombie a indiqué que,
lorsqu’une juridiction internationale disposait d’un « mécanisme de
contrôle de l’exécution de ses décisions, celui-
ci d[evait] figurer dans son
acte constitutif, soit le texte établissant sa compétence » 14 (dispositions
statutaires). Elle a précisé que, dans le cas de la Cour, ce mécanisme était
prévu non pas par son Statut, mais par la Charte des Nations Unies
(« dont [le Statut] f[aisait] partie intégrante »), laquelle « conf[érait] pareille
compétence au Conseil de sécurité » ; par ailleurs, il découlait selon elle du
« pacte de Bogotá (notamment son article L) [que] les Etats parties à ce
dernier [étaient] convenus que la Cour n’a[vait] pas compétence en matière
de contrôle d’exécution » 15.
3. Appréciation générale
13. Comme on l’a vu, le Nicaragua attribue une plus large portée aux
pouvoirs inhérents : ils découlent, selon lui, de l’existence même des juridictions
internationales, indépendamment de ce qu’énoncent distinctement
leurs instruments constitutifs, les juridictions en question étant
systématiquement investies d’une compétence de la compétence. Le Nicaragua
estime, par ailleurs, que les pouvoirs inhérents sont indispensables
pour permettre à ces juridictions « d’exercer une certaine compétence » à
l’égard de l’exécution de leurs décisions, et ce, qu’elles bénéficient, ou
non, du concours d’organes de surveillance distincts.
14. La Colombie, en revanche, soutient que les pouvoirs inhérents sont
exercés lorsque cela est nécessaire à la bonne administration de la justice ;
elle estime que, de portée plus limitée, ces pouvoirs n’emportent aucune
compétence de la compétence, et conteste l’existence d’une « compétence
inhérente » ; enfin, l’instrument constitutif d’une juridiction (la Charte des
Nations Unies, dans le cas de la Cour) ne comporte, selon elle, aucune
disposition expresse portant sur le contrôle de l’exécution de ses décisions.
11 Réponse écrite de la Colombie aux questions posées par M. le juge Cançado
Trindade
à l’audience publique tenue dans la matinée du 2 octobre 2015, NICOLC 2015/33,
p. 2, par. 4.
12 Ibid., p. 3, par. 6.
13 Ibid., p. 4, par. 6.
14 Ibid., par. 7.
15 Ibid.
49 sovereign rights and maritime spaces (sep. op. cançado trindade)
50
15. It is not surprising to see these two distinct conceptions of the
scope of inherent powers or facultés of international tribunals. I see no
reason for the Court not having pronounced upon this issue. Having
abstained from doing so, reflects a rather minimalist outlook, which I do
not share, of the exercise of the international judicial function. After all,
in matters of both admissibility and jurisdiction, as well as of substance,
judgments are expected to contain reason and persuasion. In dwelling
upon this issue, I propose to address, in the following paragraphs, the
interrelated points that I have identified (supra, para. 4).
IV. Inherent Powers beyond State Consent
16. The issue of inherent powers or facultés has, in effect, been raised
time and time again before international tribunals. For some years, I have
been dealing with it, in distinct jurisdictions 16; within the ICJ, I have
recently addressed it, inter alia, e.g., in my separate opinions in other
Latin American cases, namely, those of Certain Activities Carried Out by
Nicaragua in the Border Area (Costa Rica v. Nicaragua) and Construction
of a Road in Costa Rica along the San Juan River (Nicaragua v. Costa
Rica) (Joinder of Proceedings, Orders of 17 April 2013, I.C.J. Reports
2013, pp. 166 and 184), as well as that of Obligation to Negotiate Access
to the Pacific Ocean (Bolivia v. Chile), Preliminary Objection, Judgment,
I.C.J. Reports 2015 (II), p. 592).
17. It is not my intention to reiterate here all that I have already stated
in those separate opinions, but rather only to summarize it, and then
focus briefly on other and related aspects of the matter, of relevance to
the present Judgment of the ICJ. In my previous separate opinions in the
two aforementioned joined cases of Certain Activities and Construction of
a Road (Orders of 2013), I revisited the conceptualization of “implied”
and “inherent powers”, and pointed out that
“While the doctrinal construction of ‘implied powers’ was intended
to set up limits to powers transcending the letter of constitutive charters
— limits found in the purposes and functions of the international
organization at issue — the doctrinal construction of ‘inherent powers’,
quite distinctly, was intended to assert the powers of the juridical
person at issue for the accomplishment of its goals, as provided for
in its constitutive charter. The point I wish here to make is that the
same expression — ‘inherent powers’ — has at times been invoked in
16 For example, almost two decades ago, I addressed it in the IACtHR, in my dissenting
opinion in the case of Genie Lacayo v. Nicaragua (Appeal of Revision of Judgment,
resolution of 13 September 1997), paras. 1‑28, esp. para. 7.
droits souverains et espaces maritimes (op. ind. cançado trindade) 49
50
15. Il n’est pas surprenant de voir s’opposer ces deux points de vue
concernant la portée des facultés ou pouvoirs inhérents des juridictions
internationales. Rien, selon moi, n’empêchait la Cour de se prononcer sur
cette question. Le fait qu’elle s’en soit abstenue traduit une conception
assez minimaliste, que je ne partage pas, de l’exercice de la fonction judiciaire
internationale. Après tout, que ce soit en matière de recevabilité et
de compétence ou sur le fond, les décisions sont censées fournir le raisonnement
et la motivation qui les sous‑tendent. Pour examiner cette question,
je me propose d’aborder, dans les paragraphes suivants, les points
interdépendants déjà énumérés ci‑dessus (supra, par. 4).
IV. Les pouvoirs inhérents au-
delà du consentement des États
16. La question des facultés ou pouvoirs inhérents a, de fait, été soulevée
à maintes reprises devant des juridictions internationales. J’ai ainsi eu
l’occasion de m’y intéresser au cours de ma longue carrière de juge 16 et,
récemment encore, j’en ai traité dans le cadre des opinions individuelles
que j’ai présentées dans d’autres affaires opposant devant la Cour des
Etats latino‑américains, comme celles relatives à Certaines activités
menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua)
et à la Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve
San Juan (Nicaragua c. Costa Rica) (jonction d’instances, ordonnances du
17 avril 2013, C.I.J. Recueil 2013, p. 166 et 184), ou celle relative à l’Obligation
de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili) (exception
préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 592).
17. J’entends ici résumer, plutôt que de les reproduire un à un à l’identique,
les points que j’ai développés dans ces opinions individuelles, avant
de m’intéresser brièvement à d’autres aspects liés de la question, qui sont
pertinents aux fins du présent arrêt de la Cour. Dans le contexte des
ordonnances rendues par la Cour en 2013 dans les instances jointes relatives
à Certaines activités et à la Construction d’une route, je suis revenu
sur la conceptualisation des « pouvoirs implicites » et des « pouvoirs inhérents
», en rappelant ce qui suit :
« Si la notion de « pouvoirs implicites » a été introduite dans la
doctrine pour poser des limites aux pouvoirs transcendant la lettre
des instruments constitutifs — limites tenant aux buts et fonctions de
l’organisation internationale concernée —, la notion de « pouvoirs
inhérents » l’a été dans un tout autre but, à savoir établir les pouvoirs
de la personne juridique concernée pour lui permettre d’atteindre ses
objectifs, tels qu’énoncés dans son instrument constitutif. Ce que je
tiens à souligner par là, c’est que cette expression même de « pouvoirs
16 J’ai ainsi traité de cette question il y a près de vingt ans, dans l’opinion dissidente que
j’ai jointe à la décision rendue par la CIDH en l’affaire Genie Lacayo c. Nicaragua (demande
en revision, résolution du 13 septembre 1997), par. 1-28, en particulier le paragraphe 7.
50 sovereign rights and maritime spaces (sep. op. cançado trindade)
51
respect of the operation of international judicial entities ; yet, though
the expression is the same, its rationale and connotation are different,
when it comes to be employed by reference to international tribunals.
Another precision is here called for, for a proper understanding of
the operation of these latter. Understanding and operation go hand
in hand : ad intelligendum et ad agendum” (I.C.J. Reports 2013, pp. 174
and 191, para. 6) 17.
18. I then sought to demonstrate the relevance of Kompetenz Kompetenz
(compétence de la compétence) to the exercise of the international
judicial function (ibid., pp. 174‑175 and 191-192, paras. 7‑9), and how
inherent powers contribute to the sound administration of justice (la
bonne administration de la justice) (ibid., pp. 175‑182 and 192-198,
paras. 10‑27). Thus, for example, both the PCIJ and the ICJ have “effected
joinders avant la lettre, even in the absence (before 1978) of a provision to
that effect in their interna corporis” (ibid., pp. 181 and 198, para. 25).
19. In effect, most international tribunals have an express power 18 to
adopt their own rules of procedure. It may so happen that at times a
given situation may not be sufficiently covered by the rules. The application
of their rules, and the resolution of issues not sufficiently addressed
by them, with recourse to their inherent powers, are likewise beyond the
“will” or consent of States. Even in the absence of an express provision
thereon, international tribunals are entitled to exercise their inherent
powers in order to secure the sound administration of justice.
20. In my subsequent separate opinion, in the very recent Judgment (as
to the merits, of 16 December 2015) in the same two joined cases of Certain
Activities and Construction of a Road, I have retaken my consideration
of the matter, expressing my understanding that, if any unforeseeable
circumstance should arise, the ICJ is “endowed with inherent powers or
facultés to take the decision that ensures compliance with the provisional
measures it has ordered, and thus the safeguard of the rights at stake”
(I.C.J. Reports 2015 (II), p. 773, para. 45). And I added :
“In such circumstances, an international tribunal cannot abstain
from exercising its inherent power or faculté of supervision of compliance
with its own Orders, in the interests of the sound administration
of justice (la bonne administration de la justice). Non‑compliance
with provisional measures of protection amounts to a breach of international
obligations deriving from such measures.
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17 For a study of the conceptualization of “implied powers” of international organizations
(distinctly from “inherent powers” of international tribunals), cf. A. A. Cançado Trindade,
Direito das Organizações Internacionais, 6th ed., Belo Horizonte/Brazil, Edit. Del Rey,
2014, pp. 7‑135 and 645‑646.
18 Like the ICJ, in Article 30 of its Statute.
droits souverains et espaces maritimes (op. ind. cançado trindade) 50
51
inhérents » a parfois été appliquée au fonctionnement des entités
judiciaires internationales ; or, si l’expression est la même, sa raison
d’être et sa connotation sont différentes lorsqu’il s’agit de juridictions
internationales. Une autre précision s’impose ici, pour bien comprendre
le fonctionnement de celles-
ci. Comprendre et agir sont
comme l’avers et le revers d’une même médaille : ad intelligendum
etad agendum. » (C.I.J. Recueil 2013, p. 174 et 191, par. 6.) 17
18. Je me suis ensuite efforcé de démontrer la pertinence du principe de
compétence de la compétence (Kompetenz Kompetenz) aux fins de l’exercice
de la fonction judiciaire internationale (ibid., p. 174-175 et 191-192,
par. 7-9), ainsi que le rôle des pouvoirs inhérents dans la bonne administration
de la justice (ibid., p. 175-182 et 192-198, par. 10-27). J’ai ainsi
souligné, notamment, que la Cour et sa devancière, la Cour permanente
de Justice internationale, avaient « l’une et l’autre ordonné des jonctions
avant la lettre, même en l’absence (avant 1978) d’une disposition en ce
sens dans leur instrument constitutif » (ibid., p. 181 et 198, par. 25).
19. La plupart des juridictions internationales ont, de fait, le pouvoir
exprès 18 de fixer elles-mêmes leurs règles de procédure, lorsque, par
exemple, une situation donnée n’est pas entièrement couverte par les dispositions
existantes. La mise en oeuvre de ces règles et la résolution des
questions insuffisamment encadrées par celles‑ci — en application de pouvoirs
inhérents — échappent de même à la « volonté » ou au consentement
des Etats. Même en l’absence de disposition expresse à cet égard, les juridictions
internationales sont habilitées à exercer leurs pouvoirs inhérents
aux fins de garantir la bonne administration de la justice.
20. Dans l’opinion individuelle que j’ai jointe ensuite à l’arrêt au fond
rendu tout récemment — le 16 décembre 2015 — dans ces deux mêmes
affaires relatives à Certaines activités et à la Construction d’une route, j’ai
poursuivi mon analyse en expliquant que la Cour avait, selon moi, en cas
de circonstances imprévues, « le pouvoir ou la faculté intrinsèque de
prendre la décision qui s’impos[ait] pour garantir le respect des mesures
conservatoires qu’elle a[vait] indiquées et préserver ainsi les droits en jeu »
(C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 773, par. 45), ajoutant ceci :
« Dans ces circonstances, une juridiction internationale ne saurait
s’abstenir d’exercer ce pouvoir ou cette faculté de s’assurer de la mise
en oeuvre de ses propres décisions, dans l’intérêt de la bonne administration
de la justice. Le défaut de mise en oeuvre de mesures conservatoires
constitue un manquement aux obligations internationales
découlant de celles-
ci.
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17 Pour une analyse de l’élaboration conceptuelle des « pouvoirs implicites » des organisations
internationales (qui se distinguent des « pouvoirs inhérents » des juridictions internationales),
voir A. A. Cançado Trindade, Direito das Organizações Internacionais, 6e éd.,
Belo Horizonte/Brésil, Del Rey, 2014, p. 7‑135 et 645-646.
18 Dans le cas de la Cour, c’est l’article 30 de son Statut qui lui confère ce pouvoir.
51 sovereign rights and maritime spaces (sep. op. cançado trindade)
52
The Court is fully entitled to order motu proprio provisional measures
which are totally or partially different from those requested by
the contending parties. (. . .) The Court is fully entitled to order further
provisional measures motu proprio ; it does not need to wait for
a request by a party to do so. (. . .) The Court has inherent powers
or facultés to supervise ex officio compliance with provisional measures
of protection and thus to enhance their preventive dimension”
(I.C.J. Reports 2015 (II), pp. 779‑780, paras. 63 and 70).
21. In another recent separate opinion, in the aforementioned case
concerning the Obligation to Negotiate Access to the Pacific Ocean, opposing
Bolivia to Chile, I deemed it fit to stress that
“the principle of the sound administration of justice (la bonne administration
de la justice) permeates the considerations of all the (. . .) incidental
proceedings before the Court, namely, preliminary objections,
provisional measures of protection, counter‑claims and intervention. As
expected, general principles mark their presence, and guide, all Court
proceedings” (Judgment, I.C.J. Reports 2015 (II), p. 627, para. 30).
The principle of the sound administration of justice (la bonne administration
de la justice) is always to be kept in mind by an international tribunal
(cf. ibid., p. 642, para. 67).
V. The Teleological Interpretation (Ut Res Magis Valeat Quam
Pereat) beyond State Consent
22. This brings me to the question of the teleological interpretation,
pursuant to the principle of effet utile, or ut res magis valeat quam pereat.
In my understanding, the teleological interpretation, which I support,
covers not only material or substantive law (e.g., the rights vindicated and
to be protected) but also jurisdictional issues and procedural law as well.
May I briefly recall a couple of points I made, in this respect, in my
dissenting
opinion in the case concerning the Application of the International
Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination
(Georgia v. Russian Federation), Judgment on preliminary objections
of 1 April 2011, I pondered therein that, by virtue of the principle of
effet utile,
“widely supported by case law, States parties to human rights treaties
ought to secure to the conventional provisions the appropriate effects
at the level of their respective domestic legal orders. Such principle
(. . .) applies not only in relation to substantive norms of human rights
treaties (that is, those which provide for the protected rights), but also
in relation to procedural norms, in particular those relating to the
right of individual petition and to the acceptance of the compulsory
jurisdiction in contentious matters of the international judicial organs
of protection. Such conventional norms, essential to the efficacy of
droits souverains et espaces maritimes (op. ind. cançado trindade) 51
52
[L]a Cour est pleinement habilitée à indiquer motu proprio des
mesures conservatoires totalement ou partiellement différentes de
celles qui sont sollicitées. [E]lle peut en indiquer motu proprio de
nouvelles
sans attendre qu’une partie présente une demande à cet
effet. [L]a Cour a le pouvoir ou la faculté intrinsèque de s’assurer ex
officio de la mise en oeuvre des mesures conservatoires et d’en renforcer
ainsi la dimension préventive. » (C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 779-
780, par. 63 et 70.)
21. Dans une autre opinion individuelle récente, présentée en l’affaire
relative à l’Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique entre la
Bolivie et le Chili, déjà mentionnée, j’ai jugé opportun de souligner que
« le principe de la bonne administration de la justice se retrouv[ait]
dans toutes les procédures incidentes [devant la Cour], à savoir les
exceptions préliminaires, les mesures conservatoires, les demandes
reconventionnelles et l’intervention. Comme on pouvait s’y attendre,
les principes généraux imprègnent et guident l’ensemble des procédures
devant la Cour. » (arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 627, par. 30.)
Une juridiction internationale doit toujours avoir à l’esprit le principe de
la bonne administration de la justice (voir ibid., p. 642, par. 67).
V. L’interprétation téléologique (ut res magis valeat quam pereat)
au-
delà du consentement des États
22. Cela m’amène à la question de l’interprétation téléologique, qui obéit
au principe de l’effet utile ou ut res magis valeat quam pereat. Selon la
conception que j’en ai, cette doctrine, que je défends, touche non seulement
au droit matériel ou substantiel (c’est-à-dire les droits revendiqués et à protéger),
mais recouvre aussi les questions de compétence et le droit processuel.
Je reviendrai brièvement sur quelques observations que j’avais faites
sur ce point dans l’opinion dissidente que j’ai jointe à l’arrêt rendu le
1er avril 2011 sur les exceptions préliminaires en l’affaire relative à l’Application
de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie). J’y indiquais que,
selon le principe, étayé par une jurisprudence bien établie, de l’effet utile,
« les Etats parties à des instruments relatifs aux droits de l’homme
doivent veiller à ce que les dispositions conventionnelles aient les effets
voulus sur leurs ordres juridiques internes respectifs. Ce principe …
s’applique non seulement aux normes de fond des instruments relatifs
aux droits de l’homme (autrement dit à celles qui concernent les droits
protégés), mais aussi aux normes de procédure, en particulier celles
ayant trait au droit de recours individuel et à l’acceptation de la compétence
obligatoire des organes judiciaires internationaux de protection
dans les affaires contentieuses. Ces normes conventionnelles, qui
52 sovereign rights and maritime spaces (sep. op. cançado trindade)
53
the system of international protection, ought to be interpreted and
applied in such a way as to render their safeguards truly practical and
effective (. . .). Such has been, as I have already indicated (. . .), the
approach pursued in practice by the ECHR and the IACtHR.”
(I.C.J. Reports 2011 (I), pp. 276‑277, para. 79.)
23. I then recalled a couple of relevant examples from the case law of
both international tribunals. For example, I singled out that in the case of
Loizidou v. Turkey (judgment on preliminary objections of 23 March
1995), the ECHR warned that
“in the light of the letter and the spirit of the European Convention
[of Human Rights] the possibility cannot be inferred of restrictions to
the optional clause relating to the recognition of the contentious jurisdiction
of the ECHR 19. In the domain of the international protection
of human rights, there are no ‘implicit’ limitations to the exercise of
the protected rights ; and the limitations set forth in the treaties of
protection ought to be restrictively interpreted. The optional clause
of compulsory jurisdiction of the international tribunals of human
rights does not admit limitations other than those expressly contained
in the human rights treaties at issue.” (Ibid., p. 277, para. 80.)
24. I further recalled that, in the case of Castillo Petruzzi and Others v.
Peru (judgment on preliminary objections of 4 September 1998), the
IACtHR
also stated that it could not be at the mercy of limitations not
foreseen in the American Convention on Human Rights and invoked by
the States parties for reasons or vicissitudes of domestic order (ibid.) 20.
And I added, in the same dissenting opinion in the aforementioned case
concerning the Application of the CERD Convention (2011) :
“The clause pertaining to the compulsory jurisdiction of international
human rights tribunals constitutes, in my view, a fundamental
clause (cláusula pétrea) of the international protection of the human
being, which does not admit any restrictions other than those expressly
provided for in the human rights treaties at issue. This has been so
established by the IACtHR in its judgments on competence in the
cases of the Constitutional Tribunal and Ivcher Bronstein v. Peru
(of 24 September 1999) 21. The permissiveness of the insertion of lim-
19 Cf. ECHR, Loizidou v. Turkey (preliminary objections), Strasbourg, C.E., judgment
of 23 March 1995, p. 25, para. 82, and cf. p. 22, para. 68. On the prevalence of the conventional
obligations of the States parties, cf. also the Court’s obiter dicta in its previous decision,
in the Belilos v. Switzerland case (1988).
20 As also upheld in the concurring opinion of Judge Cançado Trindade (paras. 36
and 38) appended thereto.
21 IACtHR, case of the Constitutional Tribunal (competence), judgment of 24 September
1999, p. 44, para. 35 ; IACtHR, case of Ivcher Bronstein (competence), judgment
of 24 September 1999, p. 39, para. 36.
droits souverains et espaces maritimes (op. ind. cançado trindade) 52
53
sont essentielles pour assurer l’efficacité du système de protection
international, devraient être interprétées et appliquées de sorte à donner
une utilité pratique réelle aux garanties qu’elles énoncent… Telle a
été, comme je l’ai déjà dit …, la démarche suivie par la Cour européenne
des droits de l’homme et la Cour interaméricaine des droits de
l’homme. » (C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 276‑277, par. 79.)
23. Je me suis ensuite référé à quelques exemples pertinents issus de la
jurisprudence de ces deux juridictions internationales, rappelant notamment
que, dans son arrêt du 23 mars 1995 sur les exceptions préliminaires
en l’affaire Loizidou c. Turquie,
« la Cour européenne des droits de l’homme [avait] fait observer que
la lettre et l’esprit de la convention européenne ne permett[ai]ent pas
de conclure à l’existence de restrictions à la clause facultative relative
à la reconnaissance de la juridiction contentieuse de la Cour 19. Dans
le domaine de la protection internationale des droits de l’homme, il
n’existe pas de limitations « implicites » à l’exercice des droits protégés
; et les limites énoncées dans les traités de protection devraient
être interprétées de manière restrictive. La clause facultative de compétence
obligatoire des cours internationales des droits de l’homme
n’admet pas de limitations autres que celles qui sont expressément
énoncées dans les instruments considérés. » (Ibid., p. 277, par. 80.)
24. J’ai par ailleurs souligné que, dans son arrêt du 4 septembre 1998
sur les exceptions préliminaires en l’affaire Castillo Petruzzi et autres
c. Pérou, la CIDH avait elle aussi relevé qu’elle ne saurait être à la merci
de limites qui n’étaient pas prévues dans la convention américaine relative
aux droits de l’homme et que les Etats parties invoquaient en raison de
problèmes d’ordre interne (ibid.) 20. Dans cette même opinion dissidente
présentée en l’affaire relative à l’Application de la convention internationale
sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, j’ajoutais :
« La clause relative à la compétence obligatoire des cours internationales
des droits de l’homme est, à mon avis, un élément fondamental
(cláusula pétrea) de la protection internationale de l’être
humain, qui n’admet d’autres restrictions que celles expressément
prévues dans les instruments de protection des droits de l’homme
considérés. La Cour interaméricaine des droits de l’homme l’a établi
dans ses arrêts (compétence) sur la Cour constitutionnelle et
Ivcher Bronstein c. Pérou (du 24 septembre 1999) 21. Le laisser-faire
19 Voir CEDH, affaire Loizidou c. Turquie (exceptions préliminaires), Strasbourg, C.E.,
arrêt du 23 mars 1995, p. 25, par. 82, et voir p. 22, par. 68. Sur le caractère généralisé des
obligations conventionnelles des Etats parties, voir aussi les obiter dicta formulés par la
Cour dans sa décision antérieure, en l’affaire Belilos c. Suisse (1988).
20 Ainsi que je l’ai également soutenu dans l’opinion individuelle (par. 36 et 38) que j’ai
jointe à cet arrêt.
21 CIDH, affaire de la Cour constitutionnelle (compétence), arrêt du 24 septembre 1999,
série C no 55, p. 44, par. 35 ; CIDH, affaire Ivcher Bronstein (compétence), arrêt du
24 septembre 1999, série C no 54, p. 39, par. 36.
53 sovereign rights and maritime spaces (sep. op. cançado trindade)
54
itations, not foreseen in the human rights treaties, in an instrument
of acceptance of an optional clause of compulsory jurisdiction, represents
a regrettable historical distortion of the original conception of
such clause, in my view unacceptable in the field of the international
protection of the rights of the human person.
Any understanding to the contrary would fail to ensure that the
human rights treaty at issue has the appropiate effects (effet utile) in
the domestic law of each State party. The IACtHR’s decision in the
case of Hilaire v. Trinidad and Tobago (preliminary objections, judgment
of 1 September 2001) was clear : the modalities of acceptance,
by a State party to the American Convention on Human Rights, of
the contentious jurisdiction of the IACtHR, are expressly stipulated
in Article 62 (1) and (2), and are not simply illustrative, but quite
precise, not authorizing States parties to interpose any other conditions
or restrictions (numerus clausus).
In my concurring opinion in the (. . .) Hilaire v. Trinidad and Tobago
case, I saw it fit to ponder that :
‘(. . .) we cannot abide by an international practice which has
been subservient to State voluntarism, which has betrayed the
spirit
and purpose of the optional clause of compulsory
jurisdiction,
to the point of entirely denaturalizing it, and which
has led to the perpetuation of a world fragmented into State units
which regard themselves as final arbiters of the extent of
the contracted international obligations, at the same time that
they do not seem truly to believe in what they have accepted : the
international justice.’” (I.C.J. Reports 2011 (I), pp. 277-279,
paras. 81-83.)
25. In concluding my dissenting opinion in the case concerning the
Application of the CERD Convention, I warned that
“This Court cannot keep on privileging State consent above
everything, time and time again, even after such consent has already
been given by States at the time of ratification of those treaties.
The Court cannot keep on embarking on a literal or grammatical
and static interpretation of the terms of compromissory clauses
enshrined in those treaties, drawing ‘preconditions’ therefrom for the
exercise of its jurisdiction, in an attitude remindful of traditional international
arbitral practice.” (Ibid., p. 320, paras. 205‑206.)
26. I further warned that the goal of the realization of justice “can
hardly be attained from a strict State‑centred voluntarist perspective, and
a recurring search for State consent. This Court cannot, in my view, keep
droits souverains et espaces maritimes (op. ind. cançado trindade) 53
54
que représente l’insertion de limitations, qui ne sont pas prévues
dans les instruments relatifs aux droits de l’homme, dans un instrument
d’acceptation d’une clause facultative de compétence obligatoire
représente une distorsion historique regrettable de la
conception originale de pareille clause, qui est à mon sens inacceptable
dans le domaine de la protection internationale des droits de
l’être humain.
Toute autre interprétation ne permettrait pas de garantir que l’instrument
de protection des droits de l’homme en question a l’effet
utile voulu dans le droit interne de chaque Etat partie. La décision de
la CIDH en l’affaire Hilaire c. Trinité‑et‑Tobago (exceptions préliminaires,
arrêt du 1er septembre 2001) était claire : les modalités d’acceptation,
par un Etat partie à la convention américaine relative aux
droits de l’homme, de la juridiction contentieuse de la Cour sont
expressément énoncées aux paragraphes 1 et 2 de l’article 62 ; elles ne
sont pas données à titre purement indicatif, mais sont au contraire
très précises, et elles n’autorisent les Etats parties à ajouter aucune
autre condition ou restriction (numerus clausus).
Dans mon opinion individuelle en l’affaire … Hilaire c. Trinité‑et‑Tobago,
j’ai jugé bon de relever ce qui suit :
« … [N]ous ne pouvons accepter une pratique internationale
soumise au volontarisme des Etats, qui a trahi l’esprit et le but de
la clause facultative de compétence obligatoire, au point de la
dénaturer entièrement — et qui a perpétué la fragmentation du
monde en unités étatiques qui se considèrent comme les arbitres
finals de la portée des obligations internationales contractées tout
en ne semblant pas croire véritablement en ce qu’elles ont accepté :
la justice internationale. » » (C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 277‑279,
par. 81-83.)
25. En concluant mon opinion dissidente, j’ai exprimé la mise en garde
suivante :
« La Cour ne peut continuer de toujours privilégier le consentement
des Etats par rapport à toute autre considération, même lorsque
ce consentement a déjà été donné par les Etats au moment de la ratification
des instruments en question.
La Cour ne peut continuer de se livrer à une interprétation littérale,
ou grammaticale et statique, des termes des clauses compromissoires
comprises dans ces traités, pour en tirer des « conditions
préalables » à l’exercice de sa juridiction, dans un souci de suivre la
pratique traditionnelle en matière d’arbitrage international. » (Ibid.,
p. 320, par. 205-206.)
26. J’ai également souligné que l’objectif de réalisation de la justice
« p[ouvait] difficilement être atteint si l’on part[ait] d’une perspective
volontariste strictement centrée sur les Etats en recherchant constamment
54 sovereign rights and maritime spaces (sep. op. cançado trindade)
55
on paying lip service to what it assumes as representing the State’s ‘intentions’
or ‘will’” (I.C.J. Reports 2011 (I), p. 321, para. 209). And I finally
stated that :
“The position and the thesis I sustain in the present dissenting opinion
is that, when the ICJ is called upon to settle an inter‑State dispute
on the basis of a human rights treaty, (. . .) [t]he proper interpretation
of human rights treaties (in the light of the canons of treaty interpretation
of Articles 31‑33 of the two Vienna Conventions on the Law
of Treaties, of 1969 and 1986) covers, in my understanding, their
substantive as well as procedural provisions, thus including a provision
of the kind of the compromissory clause set forth in Article 22 of the
CERD Convention. This is to the ultimate benefit of human beings,
for whose protection human rights treaties have been celebrated, and
adopted, by States. The raison d’humanité prevails over the old raison
d’Etat.
In the present Judgment, the Court entirely missed this point : it
rather embarked on the usual exaltation of State consent, labelled, in
paragraph 110, as ‘the fundamental principle of consent’. I do not at
all subscribe to its view, as, in my understanding, consent is not ‘fundamental’,
it is not even a ‘principle’. What is ‘fundamental’, i.e., what
lays in the foundations of this Court, since its creation, is the imperative
of the realization of justice, by means of compulsory jurisdiction.
State consent is but a rule to be observed (. . .). It is a means, not an
end, it is a procedural requirement, not an element of treaty interpretation
; it surely does not belong to the domain of the prima principia.
This is what I have been endeavouring to demonstrate in the present
dissenting opinion.” (Ibid., pp. 321‑322, paras. 210‑211.)
27. May I here again stress that, in my understanding, unlike what the
ICJ has usually assumed, State consent is not at all a “fundamental principle”,
it is not even a “principle” ; it is at most a rule (embodying a prerogative
or concession to States) to be observed as the initial act of
undertaking an international obligation. It is surely not an element of
treaty interpretation. Once that initial act is performed, it does not condition
the exercise of a tribunal’s compulsory jurisdiction, which preexisted
it and continues to operate unaffected by it.
VI. Recta Ratio above Voluntas, Human Conscience
above the “Will”
28. Recta ratio surely stands above voluntas, human conscience above
the “will”. May I here further recall, in historical perspective, that the
new jus gentium, as conceived by the “founding fathers” of the law of
droits souverains et espaces maritimes (op. ind. cançado trindade) 54
55
leur consentement. La Cour ne peut, à mon sens, continuer de sacrifier à
ce qu’elle estime être les « intentions » ou la « volonté » des Etats » (C.I.J.
Recueil 2011 (I), p. 321, par. 209). J’ai, pour finir, indiqué ce qui suit :
« La position et la thèse que j’avance dans la présente opinion dissidente
sont que, lorsque la Cour est priée de régler un différend
entre Etats sur la base d’un traité relatif aux droits de l’homme,
[c]ette nécessité de bien interpréter [pareils] traités … (à l’aune des
canons d’interprétation énoncés aux articles 31-33 des deux conventions
de Vienne sur le droit des traités, datées de 1969 et 1986) vaut
à mon sens aussi bien pour leurs dispositions de fond que pour leurs
dispositions procédurales, et donc pour une disposition telle que la
clause compromissoire contenue à l’article 22 de la CIEDR. Elle est
dans l’intérêt suprême des êtres humains que les Etats ont voulu protéger
en promouvant et en adoptant ces traités. La raison d’humanité
l’emporte sur la traditionnelle raison d’Etat.
Dans le présent arrêt, la Cour est complètement passée à côté de
l’essentiel. Au lieu de cela, elle a choisi d’exalter comme d’habitude le
consentement des Etats, qualifié (au paragraphe 110) « de principe
fondamental du consentement ». Je n’adhère pas du tout à ce point
de vue car, à mes yeux, le consentement n’est pas « fondamental », et
n’est même pas un « principe ». Ce qui est « fondamental », autrement
dit ce qui forme le fondement de la Cour depuis sa création, c’est
l’impératif de la réalisation de la justice au moyen de la juridiction
obligatoire. Le consentement des Etats n’est qu’une règle à respecter
… C’est un moyen et non une fin, c’est une exigence procédurale et
non un élément d’interprétation des traités. Ce n’est en aucun cas
l’un des prima principia. Voilà ce que j’ai tâché de démontrer dans la
présente opinion dissidente. » (Ibid., p. 321‑322, par. 210-211.)
27. Qu’il me soit permis de le répéter : contrairement à ce que postule
habituellement la Cour, le consentement des Etats n’est pas un « principe
fondamental », ni même un « principe » tout court ; il s’agit, au mieux,
d’une règle (traduisant une prérogative dont jouissent les Etats ou une
concession qui leur a été faite) qui doit être respectée en tant qu’acte premier
de l’engagement à respecter une obligation internationale. Il n’entre
certainement pas dans les éléments à prendre en compte pour l’interprétation
des traités. Une fois cet acte accompli, le consentement des Etats
n’est plus une condition de l’exercice par une juridiction de sa compétence
obligatoire, qui lui était antérieure et qui continue de s’exercer indépendamment
de lui.
VI. La primauté de la recta ratio sur la voluntas
ou de la conscience humaine sur la « volonté »
28. De toute évidence, la recta ratio prime la voluntas, la conscience
humaine prime la « volonté ». Je rappellerai à cet égard, en me plaçant
dans une perspective historique, que le nouveau jus gentium tel que l’ont
55 sovereign rights and maritime spaces (sep. op. cançado trindade)
56
nations (as from the sixteenth‑century lessons of Francisco de Vitoria),
was based on a lex praeceptiva, apprehended by human reason, and thus
could not possibly derive from the “will” of subjects of law themselves
(States and others). The way was thus paved for the apprehension of a
true jus necessarium, transcending the limitations of the jus voluntarium.
The lessons of the “founding fathers” of our discipline are perennial, are
endowed with an impressive topicality.
29. Contrariwise, the voluntarist conception, obsessed with State consent
or “will”, has proven flawed, not only in the domain of law, but also
in the realms of other branches of human knowledge. The attachment to
power, oblivious of values, leads nowhere. As to international law, if, as
voluntarist positivists argue, it is by the “will” of States that obligations
are created, it is also by their “will” that they are violated, and one ends
up revolving in vicious circles which are unable to explain the nature of
international obligations. As to social sciences, so‑called relativists cannot
explain anything which does not fit into their petitio principii. And as to
international relations and political science, so‑called realists focus on the
present (here and now), and cannot explain — nor forecast anything that
suddenly changes in the international scenario ; they thus have to readjust
their minds to the new “reality”. Definitively, it is inescapable that conscience
stands above the “will”.
30. Turning for a while to international legal doctrine, there were
jurists who, throughout the last century, supported the primacy of human
conscience over the “will” in the foundations of the law of nations, in the
line of jusnaturalist thinking (going back to the lessons of Francisco
de Vitoria, Francisco Suárez and Hugo Grotius, in the sixteenth‑seventeenth
centuries). Thus, for example, in his posthumous book La
morale internationale (1944), Nicolas Politis sustained that legality cannot
prescind from justice, they both go together, so as to foster the progressive
development of international law 22.
31. Earlier on, in the same line of thinking, in his course delivered at
the Institut des Hautes Etudes Internationales in Paris (1932‑1933),
Albert de La Pradelle (who had been a member of the Advisory Committee
of Jurists which drafted the original Statute of the Permanent Court
of International Justice [PCIJ] in 1920), warned that the strictly inter‑State
dimension is dangerous to the progressive development of international
law ; one ought to keep in mind also the human person, the peoples and
humankind 23.
22 Nicolas Politis, La morale internationale, N.Y., Brentano’s, 1944, pp. 157‑158, 161
and 165. In invoking the ancient Greeks, in particular Euripides, he pondered that whoever
commits an injustice, “est plus malheureux que ne l’est sa victime” [is more unhappy than
the victim] ; ibid., p. 102.
23 Albert de La Pradelle, Droit international public [Cours sténographié], Paris, Institut
des hautes études internationales, 1932‑1933, pp. 25, 33, 37 and 40‑41.
droits souverains et espaces maritimes (op. ind. cançado trindade) 55
56
conçu les « pères fondateurs » du droit des nations (suivant les préceptes
établis par Francisco de Vitoria au XVIe siècle) était fondé sur une
lex praeceptiva appréhendée par la raison humaine et en aucun cas issue
de la « volonté » des sujets de droit eux‑mêmes (et notamment des Etats).
Etaient ainsi jetées les bases d’un véritable jus necessarium transcendant
les limites du jus voluntarium. Les enseignements des « pères fondateurs »
de notre discipline sont pérennes et restent d’une actualité frappante.
29. La conception volontariste, en revanche, systématiquement axée sur
le consentement ou la « volonté » des Etats, s’est révélée déficiente non seulement
en droit, mais également dans d’autres domaines du savoir. L’obsession
du pouvoir sans respect des valeurs ne mène à rien. S’agissant du droit
international, si, comme l’affirment les partisans du positivisme volontariste,
c’est par la « volonté » des Etats que les obligations sont créées, c’est aussi
par cette même « volonté » qu’elles sont violées, et l’on aboutit ainsi à des
raisonnements circulaires incapables d’expliquer la nature des obligations
internationales. Dans les sciences sociales, les « relativistes » sont bien en
peine d’expliquer toute notion qui ne cadre pas avec leur pétition de principe.
Dans le domaine des relations internationales et des sciences politiques,
les « réalistes » s’attachent au présent (l’ici et le maintenant) et ne peuvent
expliquer — ni prédire — les changements soudains qui se produisent sur la
scène internationale ; il leur faut donc réajuster leur point de vue à la nouvelle
« réalité ». Le fait est incontestable : la conscience prime la « volonté ».
30. Si l’on se penche un instant sur la doctrine internationale, l’on
constate qu’un certain nombre de juristes ont, au cours du siècle dernier,
soutenu cette idée de la primauté de la conscience humaine sur la
« volonté » en tant que fondement du droit des nations, dans le droit fil de
la pensée jusnaturaliste (en remontant aux enseignements de Francisco
de Vitoria, de Francisco Suárez et d’Hugo Grotius, aux XVIe et
XVIIe siècles). Dans son ouvrage publié à titre posthume en 1944, La
morale internationale, Nicolas Politis a ainsi avancé que l’on ne pouvait
dissocier légalité et justice, toutes deux devant aller de pair pour favoriser
l’élaboration graduelle du droit international 22.
31. Dans un cours dispensé à l’Institut des hautes études internationales
à Paris (1932‑1933), Albert de La Pradelle (qui avait été membre du
comité consultatif de juristes ayant établi la version initiale du Statut de
la Cour permanente de Justice internationale (CPJI) en 1920) avait déjà,
dans le même esprit, mis en garde contre le danger d’une approche strictement
interétatique pour l’élaboration progressive du droit international,
soulignant la nécessité de ne pas perdre de vue les notions de personne
humaine, de peuples et d’humanité 23.
22 Nicolas Politis, La morale internationale, New York, Brentano’s, 1944, p. 157‑158,
161 et 165. Invoquant les philosophes de la Grèce antique, et notamment Euripide, il
affirme que celui qui commet une injustice « est plus malheureux que ne l’est sa victime »
(ibid., p. 102).
23 Albert de La Pradelle, Droit international public (cours sténographié), Paris, Institut
des hautes études internationales, 1932-1933, p. 25, 33, 37 et 40-41.
56 sovereign rights and maritime spaces (sep. op. cançado trindade)
57
32. In Albert de La Pradelle’s outlook, the droit des gens transcends
the inter‑State dimension, it is a “droit de la communauté humaine”, a true
“droit de l’humanité” 24. Hence the utmost importance of the general principles
of law, which ultimately guide the progressive development of
international law 25. The learned jurist added that there is “surely a natural
law”, which, nowadays,
“must be regarded as a rational law which expresses the dictates of
the juridical conscience of the times. However, the juridical conscience
of humankind is becoming increasingly complex and precise, it is
increasingly nuanced, its requirements becoming increasingly demanding
with time. This is an effect of general culture, civilization and the
progress of ideas ; natural or rational law must not therefore be
regarded as an immutable law that is fixed from the outset and does
not change. It does change, but those changes are not capricious, they
constitute a development, one that goes hand in hand with the development
of humankind.” 26
33. In the same perspective, Max Huber (a former judge of the PCIJ),
in his book La pensée et l’action de la Croix Rouge (1954), wrote that
international law is also turned to basic human values, which it ought to
protect : this is the true jus gentium, from a jusnaturalist, rather than positivist,
conception 27. It thus represents the “droit de l’humanité” 28. This
outlook goes well beyond inter‑State interests, beholding humankind as a
whole.
34. The idea of civitas maxima gentium, as conceived by the classic
international legal philosophers, Huber proceeded, is projected into the
UN Charter itself, which is, on ethical grounds, attentive to peoples and
the human person (proper of the droit des gens). The international juridical
conscience, to his mind, has acknowledged the need to pursue the
“humanization” of international law 29, a historical process which is, in
my own perception, gradually advancing in our times 30.
35. Likewise, Alejandro Alvarez (a former judge of the ICJ), in his
book El Nuevo Derecho Internacional en Sus Relaciones con la Vida Actual
24 Cf. note 23 supra, pp. 49, 149 and 264.
25 Ibid., pp. 222 and 413.
26 Ibid., p. 412. [Translation by the Registry.]
27 M. Huber, La pensée et l’action de la Croix-Rouge, Geneva, CICR, 1954, pp. 26
and 247.
28 Ibid., p. 270.
29 Ibid., pp. 286, 291‑293 and 304.
30 Cf. A. A. Cançado Trindade, A Humanização do Direito Internacional, 2nd ed.,
Belo Horizonte/Brazil, Edit. Del Rey, 2015, pp. 3‑789 ; A. A. Cançado Trindade, La
Humanización
del Derecho Internacional Contemporáneo, Mexico, Edit. Porrúa, 2014,
pp. 1‑324 ; A. A. Cançado Trindade, Los Tribunales Internacionales Contemporáneos y la
Humanización del Derecho Internacional, Buenos Aires, Ed. Ad‑Hoc, 2013, pp. 7‑185.
droits souverains et espaces maritimes (op. ind. cançado trindade) 56
57
32. Selon la conception qu’en avait Albert de La Pradelle, le droit des
gens transcende la dimension interétatique ; il s’agit d’un « droit de la
communauté humaine », d’un véritable « droit de l’humanité » 24, d’où
l’importance capitale des principes généraux du droit, qui guident, en
définitive, l’élaboration progressive du droit international 25. L’éminent
juriste estimait par ailleurs qu’il existait « incontestablement un droit
naturel » qui devait, de nos jours,
« être considéré comme étant un droit rationnel qui exprim[ait] les
réquisitions de la conscience juridique de l’heure. Or, la conscience
juridique de l’humanité devient de plus en plus complexe, précise, elle
est de plus en plus nuancée, ses exigences deviennent avec le temps de
plus en plus fortes. C’est un effet de la culture générale, de la civilisation,
du progrès des idées ; il ne faut donc pas considérer le droit naturel
ou rationnel comme étant un droit immuable qui est fixé dès
l’origine et qui ne change pas. S’il change, mais ces changements ne
sont pas des changements de caprice, ces changements constituent
une évolution, cette évolution accompagne celle de l’humanité. » 26
33. Dans la même optique, Max Huber, ancien juge de la CPJI, écrit,
dans son ouvrage intitulé La pensée et l’action de la Croix‑Rouge (1954),
que le droit international est également tourné vers les valeurs humaines
fondamentales, qu’il est censé protéger : c’est là le véritable jus gentium,
selon une conception non pas positiviste mais jusnaturaliste 27, qui
représente ainsi le « droit de l’humanité » 28. Au‑delà des intérêts
interétatiques,
l’humanité entière est concernée.
34. L’idée d’une société civile universelle (civitas maxima gentium),
telle que la concevaient les grands philosophes classiques, se retrouve,
poursuit Max Huber, dans la Charte des Nations Unies elle‑même, qui,
pour des raisons morales, attache une grande importance aux peuples et
à la personne humaine (c’est le droit des gens proprement dit). La
conscience juridique internationale a, selon lui, reconnu la nécessité de
poursuivre l’« humanisation » du droit international 29, processus historique
qui continue selon moi de suivre son cours 30.
35. Dans son ouvrage El Nuevo Derecho Internacional en Sus Relaciones
con la Vida Actual de los Pueblos (1962), l’ancien juge de la Cour
24 Cf. note 23 supra, p. 49, 149 et 264.
25 Ibid., p. 222 et 413.
26 Ibid., p. 412.
27 M. Huber, La pensée et l’action de la Croix‑Rouge, Genève, CICR, 1954, p. 26 et 247.
28 Ibid., p. 270.
29 Ibid., p. 286, 291-293 et 304.
30 Voir A. A. Cançado Trindade, A Humanização do Direito Internacional, 2e éd.,
Belo Horizonte/Brésil, Del Rey, 2015, p. 3‑789 ; A. A. Cançado Trindade, La Humanización
del Derecho Internacional Contemporáneo, Mexico, Edit. Porrúa, 2014, p. 1‑324 ;
A. A. Cançado Trindade, Los Tribunales Internacionales Contemporáneos y la Humanización
del Derecho Internacional, Buenos Aires, Ed. Ad-Hoc, 2013, p. 7‑185.
57 sovereign rights and maritime spaces (sep. op. cançado trindade)
58
de los Pueblos (1962), also wrote that “the universal juridical conscience”
plays a very important role in the evolution of international law 31; it is
therefrom that international norms and precepts emanate 32. In his view,
general principles of law much contribute to the formation of a universal
international law 33.
36. Earlier on, in his dissenting opinion in the Anglo‑Iranian Oil Co.
(United Kingdom v. Iran) case (preliminary objections, Judgment
of 22 July 1952), Judge Alvarez expressed his opposition to a restrictive
interpretation of Article 36 of the Statute of the ICJ (I.C.J. Reports 1952,
pp. 131 and 134) and to the voluntarist conception of international law
(ibid., pp. 127 and 133). To him, rights under international law “do not
result from the will of States”, but from human conscience (ibid., p. 130).
37. Still in the same line of thinking, in his course delivered at the
Hague Academy of International Law in 1960, Stefan Glaser likewise sustained
that the norms of the law of nations emanate from human conscience
(recta ratio), conforming natural justice, independently of the
“will” of States. There is an assimilation of moral duties to legal duties,
and general principles of law (pacta sunt servanda, bona fides) are
endowed with the utmost importance ; the foundation of international
law is essentially ethical 34. In effect, may I here add, pacta sunt servanda
and bona fides are precepts which ensue from natural reason, and are
deeply‑rooted in natural law thinking.
38. For my part, the present Judgment in the case of Alleged Violations
of Sovereign Rights and Maritime Spaces in the Caribbean Sea is not the
first time when, within the ICJ, I express my concerns as to its undue reliance
on State voluntarism. I have likewise done so on earlier occasions as
well. Thus, in my extensive dissenting opinion in the case of the Jurisdictional
Immunities of the State (Germany v. Italy : Greece intervening)
(Judgment of 3 February 2012), I cared to rescue some forgotten doctrinal
trends nowadays, which, in the mid‑twentieth century, focused on
fundamental human values, so as to make the droit des gens evolve well
beyond the strict inter‑State dimension, into a droit de l’humanité
(I.C.J. Reports 2012 (I), pp. 191‑194, paras. 32‑40). Recta ratio stands
above voluntas, human conscience stands above the “will”.
39. In the same line of thinking, in my lengthy dissenting opinion in
the aforementioned case concerning the Application of the CERD Convention
(Judgment of 1 April 2011), I examined the historical development of
the professed ideal of compulsory jurisdiction, which originally inspired
the optional clause (of Article 36 (2) of the ICJ Statute), and the follow-
31 Alejandro Alvarez, El Nuevo Derecho Internacional en Sus Relaciones con la Vida
Actual de los Pueblos [The New International Law in Its Relations with the Life of the
Peoples], Santiago de Chile, Editorial Jurídica de Chile, 1962, pp. 49, 57 and 77.
32 Ibid., pp. 155‑156 and 356‑357.
33 Ibid., pp. 163 and 292.
34 S. Glaser, “Culpabilité en droit international pénal”, 99 Recueil des cours de l’Académie
de droit international de La Haye (1960), pp. 561‑563, 566-567, 582‑583 and 585.
droits souverains et espaces maritimes (op. ind. cançado trindade) 57
58
Alejandro Alvarez relève de même le rôle essentiel, dans l’évolution
du droit international 31, de « la conscience juridique universelle » dont
découlent les normes et les préceptes internationaux 32 ; selon lui, les principes
généraux du droit contribuent grandement à la formation d’un droit
international universel 33.
36. Dans l’opinion dissidente jointe à l’arrêt rendu le 22 juillet 1952, au
stade des exceptions préliminaires, en l’affaire de l’Anglo-Iranian
Oil Co.
(Royaume-Uni c. Iran), le juge Alvarez s’oppose à une interprétation restrictive
de l’article 36 du Statut de la Cour (C.I.J. Recueil 1952, p. 131
et 134) et à la conception volontariste du droit international (ibid., p. 127
et 133). Selon lui, les droits garantis par le droit international « ne résultent
pas de la volonté des Etats » mais de la conscience humaine (ibid., p. 130).
37. Dans le cadre de ce même courant de pensée, toujours, Stefan Glaser
a soutenu, dans son cours délivré à l’Académie de droit international de La
Haye en 1960, que les normes du droit des nations émanent de la conscience
humaine (la recta ratio), formant ainsi une justice naturelle indépendamment
de la « volonté » des Etats. Assimilant les devoirs d’ordre moral aux
obligations juridiques, il attache la plus grande importance aux principes
généraux du droit (règle pacta sunt servanda, principe de la bonne foi), et
considère que les fondements du droit international sont de nature essentiellement
morale 34. J’ajouterai ici que, de fait, les préceptes tels que la règle
pacta sunt servanda et le principe de la bonne foi découlent de la raison
naturelle et sont profondément ancrés dans la doctrine du droit naturel.
38. Pour ce qui me concerne, j’avais déjà eu l’occasion, avant l’arrêt
rendu ce jour en l’espèce, d’exprimer les préoccupations que m’inspire
l’importance excessive que la Cour accorde au volontarisme d’Etat. Dans
une longue opinion dissidente jointe à l’arrêt du 3 février 2012 en l’affaire
relative aux Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie ;
Grèce intervenant), j’avais pris soin de rappeler les réflexions, aujourd’hui
oubliées, de certains juristes qui, au milieu du XXe siècle, s’étaient intéressés
aux valeurs humaines fondamentales, dans l’espoir de voir le droit des
gens transcender la dimension purement interétatique et devenir un véritable
droit de l’humanité (C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 191‑194, par. 32-40).
La recta ratio prime la voluntas, la conscience humaine prime la « volonté ».
39. J’avais, dans une autre opinion dissidente jointe à l’arrêt rendu le
1er avril 2011 en l’affaire relative à l’Application de la convention internationale
sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, et
déjà mentionnée, longuement examiné la progression historique de l’idéal
professé de juridiction obligatoire, qui a été à l’origine de la clause facul-
31 Alejandro Alvarez, El Nuevo Derecho Internacional en Sus Relaciones con la Vida
Actual de los Pueblos [Le droit international nouveau dans ses rapports avec la vie des
peuples], Santiago du Chili, Editorial Jurídica de Chile, 1962, p. 49, 57 et 77.
32 Ibid., p. 155‑156 et 356-357.
33 Ibid., p. 163 et 292.
34 S. Glaser, « Culpabilité en droit international pénal », Recueil des cours de l’Académie
de droit international de La Haye (1960), vol. 99, p. 561‑563, 566-567, 582-583 et 585.
58 sovereign rights and maritime spaces (sep. op. cançado trindade)
59
ing distorted State practice of inserting, in declarations of its acceptance,
restrictions of all kinds, militating against its rationale, and, in a display
of sheer voluntarism, denaturalizing that clause and depriving it of all
efficacy (I.C.J. Reports 2011 (I), pp. 254‑265, paras. 37‑43 and 45‑63).
40. Before moving into compromissory clauses (ibid., paras. 64ss.), I
then added that, with this distorted practice, and the opportunity missed
in the elaboration of the Statute of the new ICJ in 1945 to put an end to
it and thus to enhance compulsory jurisdiction,
“One abandoned the very basis of the compulsory jurisdiction of
the ICJ to an outdated voluntarist conception of international law,
which had prevailed at the beginning of the last century, despite the
warnings of lucid jurists of succeeding generations as to its harmful
consequences to the conduction of international relations. Yet, a considerable
part of the legal profession continued to stress the overall
importance of individual State consent, regrettably putting it well
above the imperatives of the realization of justice at international
level.” (Ibid., p. 257, para. 44.)
41. It seems most regrettable that, still in our days, the obsession with
reliance on State consent remains present in legal practice and international
adjudication, apparently by force of mental inertia. In my perception,
it is hard to avoid the impression that, if one still keeps on giving
pride of place to State voluntarism, we will not move beyond the pre‑history
of judicial settlement of disputes between States, in which we
still live. May I here reiterate that recta ratio stands above voluntas,
human conscience stands above the “will”.
VII. Compétence de la Compétence/Kompetenz Kompetenz
beyond State Consent
42. In the same line of thinking (beholding conscience above the
“will”), in my address delivered on 1 November 2000 at the Rome Conference
on the Cinquentenary of the European Convention of Human
Rights, in recalling the aforementioned decisions of the ECHR in the case
of Loizidou v. Turkey (1995), and of the IACtHR in the cases of the Constitutional
Tribunal and of Ivcher Bronstein (1999), I pondered that :
“Both the European and Inter‑American courts have rightly set
limits to State voluntarism, have safeguarded the integrity of the
respective human rights conventions and the primacy of considera-
droits souverains et espaces maritimes (op. ind. cançado trindade) 58
59
tative (paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la Cour permanente), et
la pratique ultérieure des Etats qui, en assortissant leurs déclarations
d’acceptation de toutes sortes de restrictions, l’ont dévoyé jusque dans sa
raison d’être, dénaturant et privant de toute efficacité cette clause dans
une manifestation de volontarisme pur (C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 254‑265,
par. 37-43 et 45-63).
40. J’avais ensuite souligné, avant de m’intéresser aux clauses compromissoires
(ibid., par. 64 et suiv.), que, étant donné cette pratique abusive
et à défaut d’avoir, lors de l’élaboration du Statut de la Cour nouvellement
créée en 1945, saisi l’occasion d’y mettre fin et de promouvoir ainsi
la juridiction obligatoire de celle‑ci,
« [l]e fondement même de [cette] juridiction obligatoire [avait] été
perdu de vue au profit d’une conception volontariste dépassée du
droit international qui avait prévalu au début du siècle dernier et ce,
alors même que plusieurs générations de juristes avisés avaient mis
en garde contre les conséquences dommageables de cette conception
pour la conduite des relations internationales. Il est vrai que, dans le
même temps, d’autres juristes, fort nombreux, continuaient de mettre
l’accent sur l’importance que revêt, en règle générale, le consentement
des Etats, plaçant celui-
ci bien au-
dessus
des impératifs de réalisation
de la justice au niveau international. » (Ibid., p. 257, par. 44.)
41. Il est fort regrettable que l’obsession de devoir compter avec le
consentement des Etats prévale aujourd’hui encore, par inertie mentale
sans doute, dans la pratique juridique et le règlement judiciaire des différends
internationaux. La conclusion qui s’impose, selon moi, est que, si
l’on s’obstine à privilégier la volonté des Etats, le règlement judiciaire des
différends interétatiques ne dépassera jamais le stade préhistorique où il
se trouve encore aujourd’hui. Je le répète, la recta ratio prime la voluntas,
la conscience humaine prime la « volonté ».
VII. La compétence de la compétence (Kompetenz Kompetenz)
au-
delà du consentement des États
42. Dans le même sens (la primauté de la conscience sur la « volonté »),
j’ai, dans une allocution prononcée le 1er novembre 2000 dans le cadre de
la conférence organisée à Rome à l’occasion du cinquantenaire de la
convention européenne des droits de l’homme, rappelé les décisions susmentionnées
de la CEDH (arrêt de 1995 sur les exceptions préliminaires
en l’affaire Loizidou c. Turquie) et de la CIDH (arrêts de 1999 en l’affaire
de la Cour constitutionnelle et en l’affaire Ivcher Bronstein), et formulé les
réflexions suivantes :
« Tant la Cour européenne que la Cour interaméricaine ont, à juste
titre, posé des limites au volontarisme de l’Etat, sauvegardé l’intégrité
de leurs conventions des droits de l’homme respectives et la pri-
59 sovereign rights and maritime spaces (sep. op. cançado trindade)
60
tions of ordre public over the will of individual States, have set higher
standards of State behaviour and established some degree of control
over the interposition of undue restrictions by States, and have reassuringly
enhanced the position of individuals as subjects of the
international
law of human rights, with full procedural capacity.” 35
43. International tribunals have the power to determine their own
jurisdiction 36. And international human rights tribunals (like the IACtHR
and the ECHR), in particular — the case law of which has been invoked
by the Contending Parties in the course of the proceedings before the ICJ
in the present case of Alleged Violations of Sovereign Rights and Maritime
Spaces in the Caribbean Sea (cf. supra) — have succeeded in liberating
themselves from the chains of State consent, and have thereby succeeded
in preserving the integrity of their respective jurisdictions. They have consistently
pursued a teleological interpretation, have asserted their compétence
de la compétence, and have exercised their inherent powers.
44. Had they not taken the decisions they took, in the aforementioned
cases of Loizidou v. Turkey, of the Constitutional Tribunal and of
Ivcher Bronstein, the consequences would have been disastrous for their
respective jurisdictions, and they would have deprived the respective conventions
of their effet utile. They rightly understood that their compétence
de la compétence, and their inherent powers, are not constrained by State
consent ; otherwise, they would simply not be able to impart justice. In
the Loizidou v. Turkey case, the ECHR discarded the possibility of inferring
restrictions to its jurisdiction. In the Constitutional Tribunal and
Ivcher Bronstein cases 37, the IACtHR exercised its inherent power to
uphold its own jurisdiction, and discarded the respondent State’s attempt
to “withdraw” unilaterally from it.
45. Those two international tribunals opposed the voluntarist posture,
and insisted on their compétence de la compétence, as guardians and masters
of their respective jurisdictions. The ECHR and the IACtHR contributed to
the primacy of considerations of ordre public over the subjective voluntarism
of States. They did not hesitate to exercise their inherent powers, and thereby
decidedly preserved the integrity of the bases of their respective jurisdictions.
35 A. A. Cançado Trindade, “The Contribution of the Work of the International
Human Rights Tribunals to the Development of Public International Law”, Council of
Europe, The European Convention of Human Rights at 50 (50 Human Rights Information
Bulletin (2000), pp. 8‑9).
36 For a general study, cf., e.g., I. F. I. Shihata, The Power of the International Court
to Determine Its Own Jurisdiction — Compétence de la Compétence, The Hague, Nijhoff,
1965, pp. 1‑304.
37 And also in the Hilaire, Benjamin and Constantine case (preliminary objections,
2001).
droits souverains et espaces maritimes (op. ind. cançado trindade) 59
60
mauté de considérations d’ordre public sur la volonté des Etats
individuels, fixé des critères plus élevés de comportement des Etats et
instauré un certain degré de contrôle d’éventuelles restrictions abusives
de la part de ces derniers, et amélioré, de manière rassurante, la
situation des individus en tant que sujets du droit international des
droits de l’homme, les dotant de la pleine capacité procédurale. » 35
43. Les juridictions internationales ont le pouvoir de statuer sur leur
propre compétence 36. Celles chargées de la protection des droits de
l’homme (telles que la CIDH et la CEDH, dont la jurisprudence a été
invoquée par les deux Parties dans le cadre de la procédure devant la
Cour en la présente affaire (voir supra)), en particulier, ont réussi à s’affranchir
du consentement des Etats et à préserver ainsi l’intégrité de leur
compétence. Elles ne se sont jamais écartées de l’interprétation téléologique,
affirmant leur compétence de la compétence et exerçant leurs
pouvoirs inhérents.
44. Si la CEDH et la CIDH n’avaient pas statué en ce sens dans les
affaires susmentionnées (Loizidou c. Turquie pour la première, Cour
constitutionnelle et Ivcher Bronstein pour la seconde), leur compétence
aurait été battue en brèche et les deux conventions en cause se seraient
trouvées privées de leur effet utile. Ces deux juridictions internationales
ont bien compris que leur compétence de la compétence et leurs pouvoirs
inhérents n’étaient pas contraints par le consentement des Etats, car, si tel
était le cas, elles ne pourraient tout simplement pas rendre la justice. Dans
l’affaire Loizidou c. Turquie, la CEDH a écarté la possibilité de conclure à
l’existence de restrictions limitant sa compétence. Dans l’affaire de la
Cour constitutionnelle et l’affaire Ivcher Bronstein 37, la CIDH a exercé son
pouvoir inhérent pour affirmer sa compétence, et rejeté la demande par
laquelle l’Etat défendeur avait tenté de « se soustraire » unilatéralement à
celle‑ci.
45. La CIDH et la CEDH se sont opposées au volontarisme et ont
tenu à affirmer leur compétence de la compétence, se posant en gardiennes
et maîtresses de leur propre juridiction. Elles ont contribué à établir la
primauté des considérations d’ordre public sur le volontarisme subjectif
des Etats. Elles n’ont pas hésité à exercer leurs pouvoirs inhérents, préservant
ainsi résolument l’intégrité des fondements de leur compétence res-
35 A. A. Cançado Trindade, « La contribution de l’oeuvre des cours internationales des
droits de l’homme au développement du droit international public », dans Conseil de l’Europe,
La Convention européenne des droits de l’homme à 50 ans (Bulletin d’information sur
les droits de l’homme, numéro spécial no 50 (2000), p. 8‑9).
36 Pour une analyse générale, voir notamment I. F. I. Shihata, The Power of the International
Court to Determine Its Own Jurisdiction — Compétence de la Compétence, La Haye,
Nijhoff, 1965, p. 1‑304.
37 De même que dans l’affaire Hilaire, Benjamin et Constantine (exceptions préliminaires,
2001).
60 sovereign rights and maritime spaces (sep. op. cançado trindade)
61
In sum, for taking such position of principle, the IACtHR and the ECHR
rightly found that conscience stands above the will.
46. As to international criminal tribunals, it may be recalled that, in
the Tadić case, the ad hoc International Criminal Tribunal for the former
Yugoslavia (ICTY — Appeals Chamber) held (decision of 2 October
1995) that jurisdiction
“is basically — as is visible from the Latin origin of the word itself,
jurisdiction — a legal power, hence necessarily a legitimate power, ‘to
state the law’ (dire le droit) within this ambit, in an authoritative and
final manner. This is the meaning which it carries in all legal systems”
(para. 10).
47. The ICTY (Appeals Chamber) added that in international law a
narrow concept of jurisdiction is unwarranted ; it warned that limitations
to an international tribunal cannot be presumed and, “in any case, they
cannot be deduced from the concept of jurisdiction itself” (para. 11). In
upholding its jurisdiction in a broad sense, it understood that the ICTY’s
jurisdiction was not limited to those powers the Security Council intended
to entrust it with, but it also encompassed the Tribunal’s own inherent
powers (cf. paras. 14‑15). The ICTY relied on its own compétence de la
compétence in order to assert its power even to review the validity of its
own establishment by the Security Council (cf. paras. 18‑22).
VIII. Inherent Powers overcoming Lacunae, and the Relevance
of General Principles
48. International tribunals have made use of their inherent powers or
facultés in distinct situations. An example, of almost two decades ago,
can be found in the decision of the IACtHR in the case of Genie Lacayo v.
Nicaragua (resolution of 13 September 1997), in respect of an appeal for
revision of a judgment. In my dissenting opinion appended thereto, I
pondered that
“The present appeal before the Inter‑American Court [IACtHR] is
unprecedented in its history: (. . .) in the present Genie Lacayo case
the Court is for the first time called upon to pronounce on an appeal
of revision of a judgment, (. . .) for which there is no provision either
in the American Convention [on Human Rights — ACHR], or in its
Statute or Regulations. The silence of these instruments on the question
is not to be interpreted as amounting to vacatio legis, with the
consequence of the inadmissibility of that appeal. (. . .) The fact that
no provision is made for it in the ACHR or in its Statute or Regulations
does not prevent the IACtHR from declaring admissible an
appeal of revision of a judgment : the apparent vacatio legis ought in
this particular [case] to give way to an imperative of natural justice.”
(Paras. 2 and 6.)
droits souverains et espaces maritimes (op. ind. cançado trindade) 60
61
pective. En adoptant cette position de principe, elles ont, en somme,
considéré à juste titre que la conscience l’emportait sur la volonté.
46. S’agissant des juridictions internationales pénales, je rappellerai
que, dans la décision qu’a rendue sa chambre d’appel le 2 octobre 1995 en
l’affaire Tadić, le Tribunal pénal international pour l’ex‑Yougoslavie
(TPIY) a défini la compétence comme suit :
« il s’agit fondamentalement — ainsi qu’il ressort de l’origine latine
du terme lui-
même, jurisdictio — d’un pouvoir juridique et donc,
nécessairement, d’un pouvoir légitime de « dire le droit » dans ce
domaine, de manière définitive et faisant autorité. C’est son sens
dans tous les systèmes juridiques. » (Par. 10.)
47. La chambre d’appel du TPIY a ajouté qu’une conception étroite de
la compétence ne pouvait se justifier en droit international, soulignant
que les limites aux pouvoirs d’un tribunal international ne sauraient être
présumées et, « en tout état de cause, … ne p[ouvaient] … être déduites du
concept de compétence proprement dit » (par. 11). En préconisant une
conception large de sa compétence, le TPIY a considéré que cette compétence
n’était pas limitée aux pouvoirs que le Conseil de sécurité entendait
lui confier, mais recouvrait également des pouvoirs inhérents qui lui
étaient propres (voir par. 14-15). Se fondant sur sa compétence de la compétence,
il s’est déclaré habilité à examiner jusqu’à la validité de sa propre
création par le Conseil de sécurité (par. 18-22).
VIII. Les pouvoirs inhérents comme moyen de combler les lacunes
et la pertinence des principes généraux
48. Les tribunaux internationaux ont exercé leurs facultés ou pouvoirs
inhérents dans différentes situations. L’on en trouve un exemple dans la
décision rendue il y a une vingtaine d’années par la CIDH, en l’affaire
Genie Lacayo c. Nicaragua (résolution du 13 septembre 1997), relativement
à la demande en revision d’un arrêt. Dans mon opinion dissidente,
j’ai souligné ce qui suit :
« Le présent recours est sans précédent dans l’histoire de la Cour
interaméricaine [CIDH] : … en l’espèce, la Cour est pour la première
fois appelée à se prononcer sur une demande en revision d’un arrêt, …
procédure qui n’est prévue ni dans la convention américaine [relative
aux droits de l’homme], ni dans son Statut ou son Règlement. Le
silence de ces textes à cet égard ne doit toutefois pas être interprété
comme équivalant à une vacatio legis, qui entraînerait l’irrecevabilité
de la demande. Le fait que ni la convention ni le Statut ou le Règlement
ne comportent de disposition y afférente n’empêche pas la Cour
de déclarer recevable la demande en revision d’un arrêt : l’apparente
vacatio legis doit s’effacer, dans ce cas précis, devant l’impératif de
justice naturelle. » (Par. 2 et 6.)
61 sovereign rights and maritime spaces (sep. op. cançado trindade)
62
49. Drawing attention to the importance of general principles of law
also in the present context, I then added that
“The Court ought thus to decide (. . .) on the basis — in application
of the principle jura novit curia — of general principles of procedural
law, and making use of the powers inherent to its judicial function.
Human beings, and the institutions they integrate, are not infallible,
and there is no jurisdiction worthy of this name which does not admit
the possibility — albeit exceptional — of revision of a judgment, be
it at international law level, or at domestic law level.” (Para. 7.)
50. The IACtHR itself acknowledged, in its aforementioned decision
in the Genie Lacayo case, that its inherent power to consider, in special
cases, an appeal for revision of a judgment, is in line with “the general
principles of procedural law, both domestic and international” (para. 9).
This is just one of the possible situations of recourse to inherent powers ;
there are several others, pertaining, e.g., inter alia, to the due process of
law, or else to the award of reparations. The relevant case law of international
criminal tribunals provides illustrations of it.
51. As to the due process of law, the ad hoc International Criminal
Tribunal for Rwanda (ICTR — Trial Chamber III), for example, in the
Rwamakuba case, upheld (decision of 31 January 2007) the Tribunal’s
“inherent power to provide an accused or former accused with an
effective remedy for violations of his or her human rights while being
prosecuted or tried before this Tribunal. Such power (. . .) is essential
both for the carrying out of its judicial functions and for complying
with its obligation to respect generally accepted international human
rights norms.” (Para. 49.)
In the same Rwamakuba case, the ICTR (Appeals Chamber) added (decision
of 13 September 2007) that its inherent power extends, in appropriate
circumstances, to ordering compensation, “proportional to the gravity
of the harm” suffered (para. 27).
52. For its part, the International Criminal Court (ICC Trial Chamber
V‑A), in the case of The Prosecutor v. William Samoei Ruto and
Joshua Arap Sang (Situation in the Republic of Kenya, decision of 17 April
2014), observed that it may use such power 38 so as “to preserve its judicial
integrity” (para. 80) ; that power is “essential for the exercise of its
primary jurisdiction or the performance of its essential duties and functions”
(para. 81). The ICC (Trial Chamber) added that it can make use of
that power, e.g., to order the attendance of witnesses 39.
38 Meaning “inherent” power, though using the term “implied” power.
39 Cf. paras. 87‑89, 91, 100, 104 and 110‑111.
droits souverains et espaces maritimes (op. ind. cançado trindade) 61
62
49. Appelant l’attention sur l’importance des principes généraux du
droit, dans le contexte de l’affaire en cause également, j’ai ajouté :
« La Cour doit ainsi se prononcer … en se fondant — suivant la
règle jura novit curia — sur les principes généraux du droit processuel
et en recourant aux pouvoirs inhérents propres à sa fonction judiciaire.
Les êtres humains et les institutions dont ils font partie ne sont
pas infaillibles, et il n’existe aucune juridiction digne de ce nom qui
ne reconnaisse la possibilité — certes exceptionnelle — d’obtenir la
revision d’un jugement, que ce soit en droit international ou en droit
interne. » (Par. 7.)
50. La CIDH elle-même a reconnu, dans la décision susmentionnée,
que son pouvoir inhérent d’examiner, dans des circonstances particulières,
une demande en revision était conforme aux « principes généraux
du droit processuel, tant interne qu’international » (par. 9). Ce n’est là
que l’un des cas où une juridiction peut faire usage de ses pouvoirs
inhérents
; il y en a plusieurs autres, mettant en jeu, par exemple, le
droit à une procédure régulière ou l’attribution de réparations ; la jurisprudence
des juridictions internationales pénales en offre de nombreuses
illustrations.
51. S’agissant du droit à une procédure régulière, le Tribunal pénal
international pour le Rwanda (TPIR, chambre de première instance III) a
ainsi reconnu, en l’affaire Rwamakuba (décision du 31 janvier 2007), le
« pouvoir propre [au tribunal] [d’]accorder [réparation] à un accusé
ou à un ancien accusé dont les droits ont été violés alors qu’il était
poursuivi ou jugé devant le Tribunal. … [C]e pouvoir … lui est indispensable
pour exercer ses fonctions judiciaires et respecter ses obligations
découlant des normes internationales en matière de droits de
l’homme. » (Par. 49.)
Dans cette même affaire, le TPIR a précisé (décision du 13 septembre
2007 de la chambre d’appel) que son pouvoir inhérent incluait, lorsque
cela était nécessaire, l’attribution de réparations « proportionnelles à la
gravité du préjudice » causé (par. 27).
52. La Cour pénale internationale (CPI, chambre de première instance
V-A) a, pour sa part, observé, en l’affaire Le Procureur c. William Samoei
Ruto et Joshua Arap Sang (Situation en République du Kenya, décision du
17 avril 2014), qu’elle était habilitée à utiliser un tel pouvoir 38 pour « préserver
son intégrité judiciaire » (par. 80), et que celui‑ci lui était « indispensable
pour exercer la compétence qui lui revenait au premier chef et
s’acquitter de ses obligations et fonctions essentielles » (par. 81). Elle a
précisé qu’elle pouvait notamment y recourir pour ordonner la comparution
de témoins 39.
38 Soit son pouvoir « inhérent », quoique la Cour utilise l’adjectif « implicite ».
39 Voir par. 87-89, 91, 100, 104 et 110-111.
62 sovereign rights and maritime spaces (sep. op. cançado trindade)
63
53. On its turn, in the Bobetko case, the ICTY (Appeals Chamber) held
(decision of 29 November 2002) that the ICTY “has an inherent power to
stay proceedings which are an abuse of process”, so as to fulfil the Tribunal’s
need “to exercise effectively the jurisdiction which it has to dispose
of the proceedings” (para. 15). Subsequently, the ICTY (Appeals Chamber)
further stated, in its decision (of 1 September 2005) in the Stanković
case, that the Tribunal’s inherent powers encompass the rendering of
orders “reasonably related” to the task before it, deriving from the exercise
itself of the judicial function (para. 51).
54. More recently, in the Hartmann case, a specially appointed Chamber
of the ICTY recalled (judgment of 14 September 2009) that the ICTY
has the “inherent power” to “hold in contempt those who knowingly and
wilfully interfere with its administration of justice” (para. 19). Such inherent
power, it added, is firmly established in the jurisprudence constante of
the ICTY, so as to ensure that a “conduct which obstructs, prejudices or
abuses the administration of justice” is punished (para. 18).
55. For its part, the Special Tribunal for Lebanon (STL Appeals
Chamber), likewise, in its decision (of 10 November 2010) in the matter
of El‑Sayed, extensively dwelt upon the exercise of inherent powers 40, so
as to secure the fairness of proceedings (paras. 15, 48 and 52), the equality
of arms (para. 17), and, in sum, the due process of law (paras. 49 and 52).
As it can be seen, such pronouncements of distinct international criminal
tribunals all point to the same direction, in so far as inherent powers are
concerned.
56. The relevant international case law on the matter has lately drawn
the attention, also of expert writing, to the use of inherent powers by
international tribunals in order to fill lacunae of their interna corporis 41.
There seems, in effect, to be general acknowledgment nowadays of the
multiplicity of possible situations of the use of inherent powers by international
tribunals, keeping in mind in particular the distinct functions
proper to each international tribunal.
57. Although the International Tribunal for the Law of the Sea
(ITLOS), for its part, has not explicitly addressed to date the issue of its
inherent powers, it goes without saying that, as an international tribunal,
it is vested with them, for the exercise of its judicial function pertaining to
the UN Convention on the Law of the Sea. In effect, some of its judges
have expressly referred to the inherent powers of ITLOS, in their separate
opinions appended to its judgments in two successive cases (namely, the
cases of M/V “SAIGA” (No. 2) (Saint Vincent and Grenadines v. Guinea),
40 Cf. paras. 2, 15, 17, 43, 45‑49, 52, 54 and 56.
41 Cf., inter alia, e.g., P. Gaeta, “Inherent Powers of International Courts and
Tribunals”, Man’s Inhumanity to Man — Essays on International Law in Honour of
Antonio Cassese (eds. L. C. Vohrah, F. Pocar et al.), The Hague, Kluwer, 2003, pp. 359
and 364‑367 ; C. Brown, “The Inherent Powers of International Courts and Tribunals”, 76
British Yearbook of International Law (2005), pp. 203, 215, 221, 224 and 244.
droits souverains et espaces maritimes (op. ind. cançado trindade) 62
63
53. Dans la décision rendue par sa chambre d’appel le 29 novembre 2002
en l’affaire Bobetko, le TPIY, a quant à lui estimé qu’il « a[vait] le pouvoir
inhérent de suspendre les actions constituant un abus de procédure » afin
d’« exercer effectivement sa compétence sur le déroulement de la procédure
» (par. 15). Dans la décision ultérieure du 1er septembre 2005, rendue
par sa chambre d’appel en l’affaire Stanković, le tribunal a conclu qu’il
était notamment habilité, en vertu de ses pouvoirs inhérents, à rendre des
ordonnances « raisonnablement liées » à la tâche lui incombant, dans le
cadre de l’exercice même de sa fonction judiciaire (par. 51).
54. Plus récemment, en l’affaire Hartmann, une chambre spéciale du
TPIY a rappelé que celui‑ci était doté d’un « pouvoir inhérent » en vertu
duquel il pouvait « déclarer coupables d’outrage les personnes qui entrav[
aient] délibérément et sciemment le cours de la justice » (arrêt du 14 septembre
2009, par. 19). Elle a ajouté que ce pouvoir, fondé sur la
jurisprudence constante du tribunal, visait à réprimer « toute conduite qui
entrav[ait] le cours de la justice ou lui port[ait] atteinte » (par. 18).
55. Le Tribunal spécial pour le Liban (TSL, chambre d’appel) s’est,
pour sa part, longuement penché, dans sa décision du 10 novembre 2010
en l’affaire El-Sayed, sur l’exercice des pouvoirs inhérents 40 aux fins de
garantir l’équité de la procédure (par. 15, 48 et 52), l’égalité des armes
(par. 17) et, en résumé, la bonne administration de la justice (par. 49
et 52). L’on voit donc que, s’agissant des pouvoirs inhérents, ces prononcés
de différentes juridictions pénales internationales vont tous dans le
même sens.
56. La jurisprudence internationale pertinente en la matière a récemment
amené les théoriciens du droit à s’intéresser eux aussi à cette tendance
des juridictions internationales à utiliser leurs pouvoirs inhérents
pour combler les lacunes de leurs instruments constitutifs 41. De fait, il
semble aujourd’hui généralement admis qu’il existe un grand nombre de
situations dans lesquelles les cours et les tribunaux internationaux peuvent
user de leurs pouvoirs inhérents, compte tenu en particulier des différentes
fonctions qui leur sont assignées.
57. Quoique le Tribunal international du droit de la mer (TIDM) n’ait
jamais, pour sa part, abordé de manière explicite cette question, il ne fait
aucun doute que, en tant que juridiction internationale, il dispose de pouvoirs
inhérents aux fins d’exercer la fonction judiciaire que lui confère la
convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Certains de ses juges
s’y sont, de fait, expressément référés dans les opinions individuelles qu’ils
ont jointes aux décisions rendues en deux affaires successives, celle du
Navire « Saiga » (no 2) (Saint-Vincent-
et-les Grenadines c. Guinée) (arrêt
40 Voir par. 2, 15, 17, 43, 45-49, 52, 54 et 56.
41 Voir notamment P. Gaeta, « Inherent Powers of International Courts and Tribunals »,
Man’s Inhumanity to Man — Essays on International Law in Honour of Antonio Cassese
(L. C. Vohrah, F. Pocar et al., dir. publ.), La Haye, Kluwer, 2003, p. 359 et 364-367 ;
C. Brown, « The Inherent Powers of International Courts and Tribunals », British Yearbook
of International Law (2005), vol. 76, p. 203, 215, 221, 224 et 244.
63 sovereign rights and maritime spaces (sep. op. cançado trindade)
64
judgment of 1 July 1999 ; and of M/V “Louisa” (Saint Vincent and Grenadines
v. Kingdom of Spain), judgment of 28 May 2013).
58. In short, contemporary international tribunals have resorted to the
inherent powers which appear to them necessary to the proper exercise of
their respective judicial functions. They have shown their preparedness to
make use of their inherent powers (in deciding on matters of jurisdiction,
or handling of evidence, or else merits and reparations), and have not
seldom made use of them, in distinct situations, in order to secure a
proper and sound administration of justice.
IX. Inherent Powers and Juris Dictio, beyond
Transactional Justice
59. Ultimately, the concern of international tribunals is to endow their
own respective judicial functions with the inherent powers needed to
ensure the proper and sound administration of justice. Thus, in the case
of Mucić, Delić and Landžo, the ICTY (Appeals Chamber, judgment of
8 April 2003) stated that, besides its express powers, it has also inherent
powers, “deriving from its judicial function”, so as “to control its proceedings
in such a way as to ensure that justice is done” (para. 16). They
include the inherent power to reconsider any of its own decisions, so as
“to prevent an injustice” (para. 49). In its administration of justice, it has
an inherent power “to ensure that its proceedings do not lead to injustice”
(para. 50) 42.
60. In the same line of thinking, in the case of Sam Hinga Norman,
Moinina Fofana and Allieu Kondewa, the Special Court for Sierra Leone
(SCSL — Appeals Chamber) explained (decision of 17 January 2005)
that, although the inherent power of a court cannot be exercised against
the express provisions of its Rules, it can be so when the Rules are silent
(para. 41). A tribunal — as acknowledged in the jurisprudence of the
ICTY — can have recourse to its inherent power “to reconsider its own
decision to avoid injustice or miscarriage of justice” (para. 40) 43.
61. As it can be seen from the preceding paragraphs (Sections VII‑VIII),
contemporary international tribunals have made statements in support of
their exercise of inherent powers for the proper performance of their
international judicial function. This becomes even clearer in the understanding
that their task goes beyond peaceful settlement of disputes, as
they also say what the law is (juris dictio). Contemporary international
human rights tribunals as well as international criminal tribunals have
espoused this outlook in the exercise of their respective judicial functions.
42 And cf. also paras. 52‑53.
43 And cf. also para. 34.
droits souverains et espaces maritimes (op. ind. cançado trindade) 63
64
du 1er juillet 1999) et celle du Navire « Louisa » (Saint-Vincent-
et-les
Grenadines
c. Royaume d’Espagne) (arrêt du 28 mai 2013).
58. En résumé, les juridictions internationales contemporaines ont eu
recours aux pouvoirs inhérents qui leur semblaient nécessaires au bon
exercice de leurs fonctions judiciaires respectives. Elles ont montré qu’elles
étaient prêtes à en user (en se prononçant sur des questions de compétence
ou d’administration de la preuve, de fond ou de réparations) et
n’ont pas manqué de le faire en de fréquentes occasions et dans des situations
diverses, afin de garantir une bonne administration de la justice.
IX. Les pouvoirs inhérents et la juris dictio
au-
delà de la justice transactionnelle
59. Ce qui importe finalement aux juridictions internationales, c’est
d’attacher à leur fonction judiciaire les pouvoirs inhérents nécessaires aux
fins de la bonne administration de la justice. Ainsi, en l’affaire Mucić,
Delić and Landžo, le TPIY a jugé (arrêt du 8 avril 2003 de la chambre
d’appel) que, outre les pouvoirs qui lui étaient expressément attribués, il
disposait « du pouvoir inhérent, du fait de sa fonction judiciaire, de
conduire ses débats de manière à s’assurer que la justice soit rendue »
(par. 16). Ce pouvoir comprenait la faculté de réexaminer toute décision
si cela était nécessaire « pour éviter une injustice » (par. 49). Dans le cadre
de sa mission d’administration de la justice, le tribunal est doté du pouvoir
inhérent de « s’assurer que les procès conduits devant lui n’entraînent
pas d’injustice » (par. 50) 42.
60. Dans le même esprit, le Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL)
a expliqué, dans la décision du 17 janvier 2005 rendue par sa chambre d’appel
en l’affaire Sam Hinga Norman, Moinina Fofana et Allieu Kondewa, que
le pouvoir inhérent d’une juridiction, s’il ne pouvait être exercé en violation
des dispositions expresses de son Règlement, pouvait en revanche l’être en
l’absence de telles dispositions (par. 41). Une juridiction — ainsi que le
reconnaît la jurisprudence du TPIY — peut recourir à son pouvoir inhérent
pour « réexaminer ses propres décisions aux fins d’éviter une injustice ou une
erreur judiciaire » (par. 40) 43.
61. Comme il ressort des paragraphes précédents (sections VII‑VIII),
les juridictions internationales contemporaines se sont déclarées favorables
à l’exercice de pouvoirs inhérents afin de garantir la bonne exécution
de leur fonction judiciaire internationale. Cela semble d’autant plus
clair si l’on tient compte du fait que, au-
delà du règlement pacifique des
différends, leur mission consiste plus largement à dire le droit (juris dictio).
Les juridictions internationales contemporaines compétentes en
matière de droits de l’homme ainsi qu’en matière pénale ont adopté ce
point de vue dans l’exercice de leurs fonctions judiciaires respectives.
42 Voir également par. 52-53.
43 Voir également par. 34.
64 sovereign rights and maritime spaces (sep. op. cançado trindade)
65
62. In this connection, on the occasion of the commemoration by the
ICJ of the centenary of the Peace Palace at The Hague (2013), I had the
occasion, in my address, to point out that, parallel to the traditional conception
(still prevailing in some circles at the Peace Palace) whereby an
international tribunal is “to limit itself to settle the dispute at issue and to
handle its resolution of it to the Contending Parties (a form of transactional
justice), addressing only what the parties had put before it”, there
is another conception,
“a larger one — the one I sustain — whereby the tribunal has to go
beyond that, and say what the law is (juris dictio), thus contributing
to the settlement of other like situations as well, and to the progressive
development of international law. In the interpretation itself — or
even in the search — of the applicable law, there is space for judicial
creativity ; each international tribunal is free to find the applicable
law, independently of the arguments of the Contending Parties (juria
novit curia).” 44
63. There is support for this larger conception in the relevant case law
of international human rights tribunals and international criminal tribunals.
Already in its judgment of 18 January 1978, in the landmark case of
Ireland v. United Kingdom, the plenary of the ECHR stated that its functions
were not only to decide or settle the cases lodged with it, but more
generally also to apply, “elucidate” and “develop” the norms of the European
Convention, thus contributing to the observance by States parties of
the engagements undertaken by them (para. 154).
64. Two and a half decades later the ECHR (First Section) made the
same point in its judgment of 24 July 2003, in the case of Karner v. Austria,
adding that it could elucidate and develop the corpus juris of the
European Convention, as its mission, besides settling individual cases,
also comprised raising human rights standards of human rights protection
and extending its own jurisprudence throughout the community of
States parties to the Convention (para. 26).
65. The IACtHR, likewise going beyond dispute settlement only, has
taken the same wide outlook of its juris dictio, in its jurisprudence constante.
This is significant, considering that there have been circumstances
wherein the judgments of international tribunals (particularly the ECHR
and the IACtHR) have had repercussions beyond the States parties to a
case, in other States parties to the respective Conventions 45.
44 A. A. Cançado Trindade, “A Century of International Justice and Prospects
for the Future”, A Century of International Justice and Prospects for the Future (eds.
A. A. Cançado Trindade and D. Spielmann), Oisterwijk, Wolf Publs., 2013, p. 16, para. 40.
45 Ibid., p. 16, para. 41.
droits souverains et espaces maritimes (op. ind. cançado trindade) 64
65
62. J’ai, sur ce point, eu l’occasion, dans l’allocution que j’ai donnée
lors des célébrations organisées par la Cour pour commémorer le
centenaire
du Palais de la Paix à La Haye en 2013, de souligner que,
parallèlement à la conception traditionnelle (toujours défendue par certains
des occupants de ce Palais), selon laquelle une juridiction internationale
doit « se contenter de régler le différend en cause et d’en offrir une
résolution aux parties (ce qui s’apparente à la justice transactionnelle) en
n’examinant que les moyens que celles‑ci lui ont soumis », il en existe une
autre,
« plus large — que je défends —, selon laquelle le juge se doit de
dépasser ce cadre et de dire le droit (juris dictio), contribuant ainsi
au règlement d’autres situations similaires et au développement progressif
du droit international. Une certaine créativité judiciaire est
possible dans l’interprétation, voire la définition, du droit applicable ;
les juridictions demeurent libres, en effet, de déterminer le droit
applicable, indépendamment des arguments présentés par les parties
(juria novit curia). » 44
63. Cette conception plus large se justifie au regard de la jurisprudence
pertinente des juridictions internationales compétentes en matière de
droits de l’homme et en matière pénale. Déjà, dans un arrêt rendu en
formation plénière le 18 janvier 1978 dans une affaire appelée à faire date,
Irlande c. Royaume-Uni, la CEDH avait estimé qu’il entrait dans ses fonctions
non seulement de trancher ou de régler les différends dont elle était
saisie, mais également, plus largement, d’appliquer, de « clarifier » et de
« développer » les normes de la convention européenne des droits de
l’homme et de contribuer de la sorte au respect, par les Etats parties, de
leurs engagements (par. 154).
64. Vingt‑cinq ans plus tard, dans son arrêt du 24 juillet 2003 en l’affaire
Karner c. Autriche, la CEDH (première section) a tenu le même propos,
en précisant qu’elle pouvait, de fait, clarifier et développer le
corpus juris de la convention, étant donné que sa mission consistait non
seulement à régler les affaires dont elle était saisie, mais aussi à élever les
normes de protection des droits de l’homme et à étendre la jurisprudence
dans ce domaine à l’ensemble de la communauté des Etats parties à la
convention (par. 26).
65. La CIDH a elle aussi dépassé le simple cadre du règlement des différends
et adopté cette même conception élargie de sa juris dictio dans sa
jurisprudence constante. Le fait mérite d’être relevé, car il est arrivé que les
décisions de juridictions internationales (notamment la CEDH et la CIDH)
aient des conséquences qui ne se limitaient pas aux seuls Etats en litige mais
touchaient également d’autres Etats parties à la convention en cause 45.
44 A. A. Cançado Trindade, « A Century of International Justice and Prospects for
the Future », Rétrospective d’un siècle de justice internationale et perspectives d’avenir
(A. A. Cançado Trindade et D. Spielmann, dir. publ.), Oisterwijk, Wolf, 2013, p. 16, par. 40.
45 Ibid., p. 16, par. 41.
65 sovereign rights and maritime spaces (sep. op. cançado trindade)
66
66. This is, furthermore, implicit in the notion of “pilot judgments/
arrêts pilotes” in the work of the ECHR 46. This outlook (such as the one
pursued by both the IACtHR and the ECHR) gives greater importance
to the reasoning of the tribunals and the exercise of their inherent powers,
well beyond the stricter traditional conception of transactional justice. In
settling disputes and saying what the law is, international tribunals have
exercised their inherent powers and endeavoured to secure the proper
administration of justice, in facing new challenges. International tribunals
have thus enabled themselves to contribute to the progressive development
of international law 47.
X. Inherent Powers and Supervision of Compliance
with Judgments
67. May I now turn to another point raised in the course of the proceedings
of the present case of Alleged Violations of Sovereign Rights and
Maritime Spaces in the Caribbean Sea, namely, that of inherent powers in
relation to compliance with judgments of the ICJ. The point was raised
by the two Contending Parties, on distinct grounds 48, in relation of
Colombia’s fifth preliminary objection. The fact that an international tribunal
can count on the assistance of another supervisory organ for seeking
compliance with its own judgments and decisions, in my view does
not mean that, once it renders its judgment or decision, it can remain
indifferent as to its compliance. Not at all.
68. The fact, for example, that Article 94 (2) of the UN Charter
entrusts the Security Council with the enforcement of ICJ judgments and
decisions, does not mean that compliance with them ceases to be a concern
of the Court. Not at all. Moreover, the Security Council has, in prac-
46 As from the rendering of its judgment of 22 June 2004 in the case of Broniowski v.
Poland.
47 Cf., in this respect, the books by : H. Lauterpacht, The Development of International
Law by the International Court, London, Stevens, 1958, pp. 3‑400 ; A. A. Cançado Trindade,
Os Tribunais Internacionais e a Realização da Justiça, Rio de Janeiro, Edit.
Renovar, 2015, pp. 1‑507 ; J. G. Merrills, The Development of International Law by the
European Court of Human Rights, 2nd ed., Manchester University Press, 1993, pp. 1‑255 ;
A. A. Cançado Trindade, El Ejercicio de la Función Judicial Internacional — Memorias de
la Corte Interamericana de Derechos Humanos, 3rd ed., Belo Horizonte/Brazil, Edit. Del
Rey, 2013, pp. 1‑409 ; L. J. van den Herik, The Contribution of the Rwanda Tribunal to the
Development of International Law, Leiden, Nijhoff, 2005, pp. 1‑284; [Various Authors,] The
Development of International Law by the International Court of Justice (eds. C. J. Tams and
J. Sloan), Oxford University Press, 2013, pp. 3‑396 ; and cf. M. Lachs, “The Development
and General Trends of International Law in Our Time”, 169 Recueil des cours de l’Académie
de droit international de La Haye (1980), pp. 245‑246, 248‑249 and 251.
48 Cf. submissions in CR 2015/22, of 28 September 2015, pp. 60‑62, paras. 1, 3 and 8
(Colombia) ; CR 2015/23, of 29 September 2015, pp. 46‑50 and 54, paras. 4‑5, 9, 12, 14‑15
and 23 (Nicaragua) ; CR 2015/24, of 30 September 2015, p. 37, para. 23 (Colombia) ;
CR 2015/25, of 2 October 2015, pp. 37‑43, paras. 12‑19 and 22 (Nicaragua).
droits souverains et espaces maritimes (op. ind. cançado trindade) 65
66
66. Cette conception, adoptée par la CIDH autant que par la CEDH,
sous-tend par ailleurs, de façon implicite, la notion d’« arrêts pilotes » que
l’on trouve dans les travaux de cette dernière 46. Il s’agit d’accorder davantage
d’importance aux raisonnements des juridictions et à l’exercice de
leurs pouvoirs inhérents, dépassant largement l’approche traditionnelle
plus stricte d’une justice transactionnelle. En tranchant les différends et en
disant le droit, les juridictions internationales ont exercé leurs pouvoirs
inhérents et se sont efforcées de garantir la bonne administration de la
justice, lorsqu’elles se sont trouvées face à de nouvelles difficultés. Elles se
sont ainsi dotées des moyens de contribuer au développement progressif
du droit international 47.
X. Les pouvoirs inhérents et le contrôle de l’exécution
des décisions
67. J’en viens maintenant à un autre aspect de la question, évoqué
dans le cadre de la procédure en la présente affaire, à savoir les pouvoirs
inhérents sous l’angle du contrôle de l’exécution des jugements et arrêts
de la Cour. Les Parties ont toutes deux soulevé ce point, à des titres différents
48, en rapport avec la cinquième exception préliminaire de la Colombie.
Le fait qu’une juridiction internationale puisse compter sur l’aide
d’un organe de surveillance distinct pour assurer l’exécution de ses jugements
ou arrêts ne signifie pas, selon moi, qu’elle doive se désintéresser de
leur exécution une fois qu’elle a rendu lesdits jugements ou arrêts. Tant
s’en faut.
68. Ainsi, le fait que le paragraphe 2 de l’article 94 de la Charte des
Nations Unies confie au Conseil de sécurité le soin de faire exécuter les
arrêts et ordonnances de la Cour ne signifie aucunement que celle-
ci doive
cesser de s’en préoccuper. Le Conseil de sécurité n’a que très rarement eu
46 A partir du prononcé de son arrêt du 22 juin 2004 en l’affaire Broniowski c. Pologne.
47 Voir, à cet égard, les ouvrages suivants : H. Lauterpacht, The Development
of International Law by the International Court, Londres, Stevens, 1958, p. 3‑400 ;
A. A. Cançado Trindade, Os Tribunais Internacionais e a Realização da Justiça, Rio de
Janeiro, Renovar, 2015, p. 1‑507 ; J. G. Merrills, The Development of International Law by
the European Court of Human Rights, 2e éd., Manchester University Press, 1993, p. 1‑255 ;
A. A. Cançado Trindade, El Ejercicio de la Función Judicial Internacional – Memorias de la
Corte Interamericana de Derechos Humanos, 3e éd., Belo Horizonte/Brésil, Del Rey, 2013,
p. 1‑409 ; L. J. van den Herik, The Contribution of the Rwanda Tribunal to the Development
of International Law, Leyde, Nijhoff, 2005, p. 1‑284 ; The Development of International Law
by the International Court of Justice (C. J. Tams et J. Sloan, dir. publ.), Oxford University
Press, 2013, p. 3‑396 ; et voir M. Lachs, « The Development and General Trends of International
Law in Our Time », Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye
(1980), vol. 169, p. 245‑246, 248-249 et 251.
48 Voir conclusions dans CR 2015/22, p. 60‑62, par. 1, 3 et 8 (Colombie) ; CR 2015/23,
p. 46‑50 et 54, par. 4-5, 9, 12, 14-15 et 23 (Nicaragua) ; CR 2015/24, p. 37, par. 23
(Colombie) ; CR 2015/25, p. 37‑43, par. 12-19 et 22 (Nicaragua).
66 sovereign rights and maritime spaces (sep. op. cançado trindade)
67
tice, very seldom done anything at all in that respect, except in the
Nicaragua v. United States case (1986) 49. Pursuant to Article 94 (1) of the
UN Charter, non‑compliance amounts to an additional breach ; hence the
importance of avoiding that, and of securing compliance. In my view,
compliance with their judgments and decisions remains a concern of the
ICJ as well as of all other international tribunals.
69. In the case of the ICJ in particular, it has been mistakenly assumed
that it is not the Court’s business to secure compliance with its own judgments
and decisions. Even if one invokes the silence of the Statute in this
respect, or else Article 94 (2) of the UN Charter, this latter does not confer
an exclusive authority to the Security Council to secure that compliance.
On the contrary, a closer look at some provisions of the Statute 50
shows that the Court is entitled to occupy itself with compliance with its
own judgments and decisions 51.
70. What is thus to be criticized, in my view, is not judicial law‑making
(as is often said without reflection), but rather judicial inactivism or
absenteeism — in particular in respect of ensuring compliance with judgments
and decisions. In this connection, before considering whether
recourse could be made to domestic courts to seek such compliance, further
attention should be devoted conceptually to the role of the ICJ itself,
and of other international tribunals, in securing compliance with their
own judgments and decisions.
71. The practice of the ECHR (which counts on the assistance of the
Committee of Ministers) and of the IACtHR (which has resorted to
post‑adjudicative hearings, ever since its landmark judgment,
of 28 November 2003, in the case of Baena-Ricardo and Others v. Panama)
provides useful elements to this effect. In the course of the proceedings
before the ICJ in the present case of Alleged Violations of Sovereign
Rights and Maritime Spaces in the Caribbean Sea, the IACtHR’s decision
in the case of Blake v. Guatemala (Order of 27 November 2003) was
invoked, when it asserted the Court’s inherent powers “to monitor compliance
with its decisions” (para. 1) 52.
72. The powers of the Committee of Ministers to supervise the execution
of the ECHR’s judgments, in any case, are not exclusive ; the Court
itself can be concerned with it, as the ECHR (Grand Chamber) acknowledged
in its judgments, e.g., in the cases of Verein gegen Tierfabriken
Schweiz
(VgT) v. Switzerland (of 30 June 2009), and of Bochan v. Ukraine
(of 5 February 2015). In sum, in my understanding, no international tribunal
can remain indifferent to non‑compliance with its own judgments. The
49 Cf. C. Schulte, Compliance with Decisions of the International Court of Justice, Oxford
University Press, 2004, pp. 38‑40, 42 and 63, and cf. p. 68 (as to the General Assembly),
p. 70 (as to the Secretary‑General), and pp. 77 and 79 (as to domestic courts).
50 Articles 41, 57, 60 and 61 (3).
51 Cf. M. Al‑Qahtani, “The Role of the International Court of Justice in the Enforcement
of Its Judicial Decisions”, 15 Leiden Journal of International Law (2002), pp. 781‑783,
786, 792, 796 and 803.
52 CR 2015/23, of 29 September 2015, p. 54, para. 23 (Pellet).
droits souverains et espaces maritimes (op. ind. cançado trindade) 66
67
à intervenir à cet égard, si ce n’est dans l’affaire Nicaragua c. Etats-Unis
de 1986 49. Conformément au paragraphe 1 de l’article 94 de la Charte des
Nations Unies, l’inexécution d’une décision constituerait une nouvelle
violation, d’où l’importance de s’en prémunir. Cette préoccupation continue,
selon moi, d’incomber à la Cour comme à toutes les autres juridictions
internationales.
69. S’agissant de la Cour en particulier, il a été supposé à tort qu’il ne
lui revenait pas de veiller à l’exécution de ses propres décisions. Mais l’on
pourra bien invoquer le silence du Statut à cet égard, ou le paragraphe 2
de l’article 94 de la Charte des Nations Unies, le fait est que cette dernière
disposition ne confère pas au Conseil de sécurité l’autorité exclusive de
garantir cette exécution. Un examen plus approfondi de certaines dispositions
du Statut 50 montre au contraire que la Cour est fondée à s’occuper
de l’exécution de ses décisions 51.
70. Ce qui doit donc, selon moi, être dénoncé, c’est non pas le pouvoir
normatif (qui a souvent été critiqué de manière irréfléchie), mais l’inaction
et la passivité des instances judiciaires, notamment lorsqu’il s’agit
d’assurer l’exécution de leurs décisions. A cet égard, avant de s’interroger
sur la possibilité de recourir à cet effet aux juridictions internes, il conviendrait
d’approfondir quelque peu l’analyse conceptuelle du rôle même de
la Cour et des autres juridictions internationales en la matière.
71. L’on trouve des éléments utiles, à cet égard, dans la pratique de la
CEDH (qui bénéficie du concours du comité des ministres du Conseil
de l’Europe) et de la CIDH (qui, depuis son arrêt historique du
28 novembre 2003 en l’affaire Baena-Ricardo et al. c. Panama, a recours à
la tenue, après le prononcé de ses décisions, d’audiences visant à en
contrôler l’exécution). Dans le cadre de la présente espèce devant la Cour,
il a été fait référence à l’ordonnance du 27 novembre 2003 rendue en l’affaire
Blake c. Guatemala, dans laquelle la CIDH avait reconnu être dotée
de pouvoirs inhérents en matière de « contrôle de l’exécution de ses décisions
» (par. 1) 52.
72. Les pouvoirs de contrôle conférés au comité des ministres ne sont,
en tout état de cause, pas exclusifs, et la CEDH peut s’occuper elle-même
du suivi de ses décisions, ainsi que sa grande chambre l’a reconnu dans un
certain nombre d’affaires, notamment Verein gegen Tierfabriken Schweiz
(VgT) c. Suisse (arrêt du 30 juin 2009) et Bochan c. Ukraine (arrêt du
5 février 2015). En résumé, les juridictions internationales ne sauraient,
selon moi, demeurer indifférentes à l’inexécution de leurs propres déci-
49 Voir C. Schulte, Compliance with Decisions of the International Court of Justice,
Oxford University Press, 2004, p. 38‑40, 42 et 63, et voir p. 68 (s’agissant de l’Assemblée
générale), p. 70 (Secrétaire général) et p. 77 et 79 (juridictions nationales).
50 Les articles 41, 57, 60 et 61, par. 3.
51 Voir M. Al-Qahtani,
« The Role of the International Court of Justice in the Enforcement
of Its Judicial Decisions », Leiden Journal of International Law (2002), vol. 15,
p. 781‑783, 786, 792, 796 et 803.
52 Cité dans CR 2015/23, p. 54, par. 23 (Pellet).
67 sovereign rights and maritime spaces (sep. op. cançado trindade)
68
inherent powers of international tribunals extend to this domain as well,
so as to ensure that their judgments and decisions are duly complied with.
73. In doing so, international tribunals are preserving the integrity of
their own respective jurisdictions. Surprisingly, international legal doctrine
has not yet dedicated sufficient attention to this particular issue.
This is regrettable, as compliance with judgments and decisions of international
tribunals is a key factor to foster the rule of law in the international
community 53. And, from 2006 onwards, the topic of “the rule of
law at the national and international levels” has remained present in the
agenda of the UN General Assembly 54, and has been attracting increasing
attention of Member States, year after year.
74. It appears, thus, paradoxical, that a greater general awareness has
not yet awakened as to the relevance of compliance with judgments and
decisions of international tribunals. The present case, before the ICJ, of
Alleged Violations of Sovereign Rights and Maritime Spaces in the Caribbean
Sea, has, in my perception, brought to the fore the need to dispense
much greater attention to the issue of such compliance, as related to the
inherent powers of international tribunals. Those jurists who are genuinely
concerned with, and engaged in, the realization of justice (they are
not so many), can contribute to it ; the legal profession, distinctly, remains
more interested in strategies of litigation and “winning cases” only.
75. The path to justice is a long one, and not much has been achieved
to date as to the proper conceptualization of the supervision of compliance
with judgments and decisions of international tribunals. Instead, the
force of mental inertia has persisted throughout decades. It is time to
overcome this absenteeism and passiveness. Supervision of such compliance
is, after all, a jurisdictional issue. An international tribunal cannot at
all remain indifferent as to compliance with its own judgments and decisions.
XI. Epilogue
76. Having addressed this point of inherent powers in relation to compliance
with judgments of the ICJ, brought before the Court (on distinct
grounds) by Nicaragua and Colombia, I come now to my last words in
the present separate opinion. As pointed out in the preceding pages, the
Court’s handling of the question raised by the fourth preliminary objec-
53 Cf., recently, e.g., A. A. Cançado Trindade, “Prologue : An Overview of the Contribution
of International Tribunals to the Rule of Law”, The Contribution of International
and Supranational Courts to the Rule of Law (eds. G. De Baere and J. Wouters),
Cheltenham/Northhampton, E. Elgar, 2015, pp. 3‑18.
54 Cf. General Assembly resolutions A/RES/61/39, of 4 December 2006; A/RES/62/70,
of 6 December 2007; A/RES/63/128, of 11 December 2008; A/RES/64/116, of 16 December
2009; A/RES/65/32, of 6 December 2010; A/RES/66/102, of 9 December 2011; A/RES/67/97,
of 14 December 2012; 68/116, of 16 December 2013; A/RES/69/123, of 10 December 2014 ;
and A/RES/70/118, of 14 December 2015.
droits souverains et espaces maritimes (op. ind. cançado trindade) 67
68
sions. Elles ont, dans ce domaine aussi, des pouvoirs inhérents qui leur
permettent de s’assurer que celles-
ci seront mises en oeuvre.
73. Les juridictions internationales préservent, ce faisant, l’intégrité de
leur compétence. L’on ne peut que s’étonner que la doctrine juridique
internationale ne se soit guère intéressée à cette question jusqu’à présent.
Cela est regrettable car l’exécution des décisions des juridictions internationales
est indispensable pour promouvoir l’état de droit dans la communauté
internationale 53. De plus, depuis 2006, la question de l’état de droit
aux niveaux national et international, systématiquement inscrite à l’ordre
du jour de l’Assemblée générale des Nations Unies 54, suscite chaque
année un intérêt croissant parmi les Etats membres.
74. Il semble donc paradoxal que l’importance de l’exécution des décisions
des juridictions internationales ne soit pas, à ce jour, plus largement
reconnue. La présente affaire, relative à des Violations alléguées de droits
souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes, a selon moi
mis en évidence la nécessité d’accorder davantage d’attention à cette
question de l’exécution, en ce qu’elle a trait aux pouvoirs inhérents des
juridictions internationales. Les juristes qui se préoccupent sincèrement
de la réalisation de la justice — et ils ne sont pas si nombreux — ont à cet
égard un rôle à jouer, dans un contexte où le reste de la profession se
soucie surtout de stratégie contentieuse et d’« obtenir gain de cause ».
75. Le chemin de la justice est long, et peu de progrès ont été faits,
pour l’instant, dans la conceptualisation du contrôle de l’exécution des
décisions, jugements et arrêts des juridictions internationales. C’est au
contraire l’inertie mentale qui a marqué ces dernières décennies. Il est
grand temps de remédier à cette inaction et à cette passivité. Le contrôle
de l’exécution des décisions est, après tout, une question de nature juridictionnelle.
Une juridiction internationale ne saurait en aucun cas rester
indifférente lorsque l’exécution de ses décisions est en jeu.
XI. Épilogue
76. Ayant examiné cette question des pouvoirs inhérents, en ce qu’elle
concerne l’exécution des décisions de la Cour, que le Nicaragua et la
Colombie ont tous deux évoquée à des titres différents, j’en viens à la
conclusion de ma présente opinion individuelle. Ainsi que je l’ai souligné
dans les pages qui précèdent, le traitement qu’a réservé la Cour, en la
53 Voir notamment, récemment, A. A. Cançado Trindade, « Prologue : An Overview
of the Contribution of International Tribunals to the Rule of Law », The Contribution of
International and Supranational Courts to the Rule of Law (G. De Baere et J. Wouters, dir.
publ.), Cheltenham/Northhampton, E. Elgar, 2015, p. 3‑18.
54 Voir les résolutions de l’Assemblée générale publiées sous les cotes A/RES/61/39
(4 décembre 2006), A/RES/62/70 (6 décembre 2007), A/RES/63/128 (11 décembre 2008),
A/RES/64/116 (16 décembre 2009), A/RES/65/32 (6 décembre 2010), A/RES/66/102
(9 décembre 2011), A/RES/67/97 (14 décembre 2012), A/RES/68/116 (16 décembre 2013),
A/RES/69/123 (10 décembre 2014) et A/RES/70/118 (14 décembre 2015).
68 sovereign rights and maritime spaces (sep. op. cançado trindade)
69
tion of Colombia does not reflect the richness of the proceedings in the
cas d’espèce, and of the arguments presented before the ICJ (in the written
and oral phases) by both Nicaragua and Colombia.
77. Their submissions should, in my view, have been fully taken into
account expressly in the present Judgment, even if likewise to dismiss the
fourth preliminary objection at the end. After all, the Parties’ submissions
in the present case of Alleged Violations of Sovereign Rights and Maritime
Spaces in the Caribbean Sea, raise an important question, recurrently put
before the Court, which continues to require our reflection so as to
endeavour to enhance the realization of justice at international level.
78. The fact that the Court has found, in the present Judgment, that it
has jurisdiction under the Pact of Bogotá (dismissing Colombia’s first
preliminary objection) did not preclude it from having considered the
arguments of the two Contending Parties on such an important issue as
its inherent powers or facultés (to pronounce on the alleged non‑compliance
with its 2012 Judgment) 55. I have felt obliged to do so, even if considering
that the fourth preliminary objection is unsustainable and was
thus to be likewise dismissed, rather than having simply said in an elusive
way that “there is no ground” to pronounce upon it 56.
79. Contemporary international tribunals exercise inherent powers
beyond State consent, thus contributing to the sound administration of
justice (la bonne administration de la justice). There are examples
(cf. supra) of assertion of their Kompetenz Kompetenz (compétence de la
compétence) ; this latter has proven of relevance to the exercise of the
international judicial function. There are illustrations of their pursuance
of the teleological interpretation beyond State consent. The use of inherent
powers by contemporary international tribunals beyond State consent,
has also aimed at filling lacunae in their interna corporis, drawing
attention to the relevance of general principles.
80. In upholding the exercise of inherent powers for the proper performance
of their international judicial function, contemporary international
tribunals have given support to the conception of their work — which I
sustain — of going beyond dispute‑settlement (transactional justice), further
to say what the law is (juris dictio). Moreover, the attention of contemporary
international tribunals extends to the monitoring of compliance
with their decisions, which is a jurisdictional issue.
81. The inherent powers of international tribunals extend to this particular
domain as well, to the supervision of execution of their judgments.
In doing so, they are preserving the integrity of their own respective jurisdictions
; after all, as I have pointed out, no international tribunal can
remain indifferent to non‑compliance with its own judgments. This is
55 Cf. paragraphs 16 and 101 of the present Judgment.
56 Cf. paragraph 104 and resolutory point 1 (e) of the dispositif of the present Judgment.
droits souverains et espaces maritimes (op. ind. cançado trindade) 68
69
présente affaire, à la question soulevée par la Colombie dans sa quatrième
exception préliminaire ne reflète pas la richesse des pièces de procédure en
l’espèce et des arguments présentés (dans les phases écrite et orale) par les
deux Parties.
77. La Cour aurait selon moi dû tenir expressément compte de l’ensemble
des arguments des Parties, quand bien même son analyse l’aurait
conduite à rejeter en définitive, comme elle le fait ici, la quatrième exception
préliminaire. Les arguments des Parties à la présente affaire soulèvent
en effet un point important, qui est invoqué de manière récurrente devant
la Cour et sur lequel il y a lieu de poursuivre la réflexion en vue de favoriser
la réalisation de la justice au niveau international.
78. Le fait que, dans le présent arrêt, la Cour ait conclu qu’elle avait
compétence au titre du pacte de Bogotá (et rejeté, ce faisant, la première
exception préliminaire de la Colombie) ne la dispensait pas d’examiner les
arguments des deux Parties sur une question aussi importante que celle de
ses facultés ou pouvoirs inhérents (de se prononcer sur la non-exécution
alléguée de son arrêt de 2012) 55. J’ai, quant à moi, cru devoir passer en
revue ces arguments — même si je considère que la quatrième exception
préliminaire est indéfendable et devait donc bien être rejetée —, là où la
Cour s’est contentée de conclure de manière évasive qu’« il n’y a[vait] pas
lieu » pour elle de se prononcer sur la question 56.
79. Les juridictions internationales contemporaines exercent leurs pouvoirs
inhérents au-
delà du consentement des Etats, contribuant ainsi à la
bonne administration de la justice. L’on trouve des exemples (voir supra)
dans lesquels elles ont affirmé leur compétence de la compétence (Kompetenz
Kompetenz), laquelle a fait la preuve de sa pertinence aux fins de
l’exercice de la fonction judiciaire internationale. L’on trouve également
des exemples d’application par elles de l’interprétation téléologique,
au‑delà du consentement des Etats. Elles font par ailleurs usage de leurs
pouvoirs inhérents, indépendamment de ce consentement, pour combler
les lacunes de leurs instruments constitutifs, ce qui met en exergue l’importance
des principes généraux.
80. En réaffirmant l’exercice de leurs pouvoirs inhérents aux fins de la
bonne exécution de leur fonction judiciaire internationale, ces juridictions
ont renforcé la conception — que je défends — d’une mission qui ne se
cantonne pas au règlement des différends (ou à la justice transactionnelle),
et consiste, plus largement, à dire le droit (juris dictio). Elles s’intéressent
par ailleurs également au contrôle de l’exécution de leurs décisions, une
question qui est d’ordre juridictionnel.
81. Les pouvoirs inhérents dont jouissent les juridictions internationales
s’étendent aussi à cet aspect, le contrôle de l’exécution de leurs décisions.
Elles préservent ainsi l’intégrité de leur propre compétence ; après
tout — ainsi que je l’ai souligné —, elles ne sauraient rester indifférentes
en cas de non‑exécution de leurs décisions. Il s’agit là d’un point essentiel
55 Voir par. 16 et 101 de l’arrêt.
56 Voir par. 104 et point 1 e) du dispositif de l’arrêt.
69 sovereign rights and maritime spaces (sep. op. cançado trindade)
70
essential, so as to foster the rule of law in the international community, —
a topic which has remained present, with growing attention on the part of
UN Member States, in the agenda of the UN General Assembly throughout
the last decade.
82. Last but not least, the consideration, in the present separate opinion,
of the exercise, in its distinct aspects, by contemporary international
tribunals, of their inherent powers or facultés, has prompted me to bring
to the fore my understanding that recta ratio stands above voluntas. There
is need to overcome the voluntarist conception of international law. There
is need of a greater awareness of the primacy of conscience above the
“will”, and of a constant attention to fundamental human values, so as to
secure the progressive development of international law, and, ultimately,
to foster the realization of justice at international level.
(Signed) Antônio Augusto Cançado Trindade.
droits souverains et espaces maritimes (op. ind. cançado trindade) 69
70
pour promouvoir l’état de droit dans la communauté internationale —
question qui, systématiquement inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée
générale des Nations Unies depuis une dizaine d’années, suscite un intérêt
croissant parmi les Etats membres.
82. Dernier point et non des moindres : mon analyse, dans le présent
exposé, de l’usage que font spécifiquement les juridictions internationales
contemporaines de leurs facultés ou pouvoirs inhérents me renforce dans
la conviction que la recta ratio prime la voluntas. Il faut en finir avec la
conception volontariste du droit international. Il faut que se répande
l’idée d’une primauté de la conscience sur la « volonté » et il faut porter
une attention constante aux valeurs humaines fondamentales. C’est ainsi
que pourront être assurés le développement progressif du droit international
et, en définitive, la réalisation de la justice au niveau international.
(Signé) Antônio Augusto Cançado Trindade.

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Document Long Title

Opinion individuelle de M. le juge Cançado Trindade

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