Opinion dissidente de Mme. Higgins (traduction)

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095-19960708-ADV-01-14-EN
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OPINION DISSIDENTE DE M~~ HIGGINS

(Traduction]

1.J'approuve tout ce que la Cour a dit sur les raisons pour lesquelles
elle doit donner le présent aviset une grande partie de ce qu'ellea dit sur
le fond de la question qui lui est posée. J'ai voté ausiour les alinéas A,
B, C, D, et F du paragraphe 2 du dispositif. Les quatre premiers alinéas
annoncent en quelque sorte ce qui est au cŒurmêmedu problème et qui
fait l'objet de l'alinéaE du paragraphe 2. Je regrette de n'avoir pu voter
pour cet alinéatel que la Cour l'a libellé.
2. Dans la premièrepartie de son avis, la Cour a rejeté des suggestions
tendant à ce qu'elle use de son pouvoir discrétionnaire pour refuser de
donner l'avis demandé parceque la question ne serait pas juridique,
qu'elle serait trop vague, qu'elle amènerait la Cour à écrire des scéna-

rios ou encore l'obligeraita «légiférer».Mais au paragraphe 97 de son
avis eta l'alinéaE du paragraphe 2 du dispositif, la Cour prononce bel et
bien, en cequi concerne la question clé,un non liquet fondé surle carac-
tère incertain de l'état actueldu droit et sur les élémentsde fait. Cette
démarcheme paraît illogique.
3. Je souscris pour l'essentielà la motivation juridique des alinéasA,
B, C et D du paragraphe 2. Bien que l'alinéaC soit formuléde façon
négative,il résulte clairement de l'analysede la Cour que ni les disposi-
tions de la Charte, ni le droit international coutumier, ni le droit conven-
tionnel ne rendent illicite en soila menace ou l'emploi d'armes nucléaires.
4. Dans son arrêtsur les Activitésmilitaires et paramilitaires au Nica-
raguaet contre celui-ci(Nicaragua c. Etats-Unis d'Amérique),la Cour a
confirmé qu'il existaiten droit international coutumier une règlede pro-
portionnalité dans l'exercicede la légitimedéfense.Elle y a noté que la

Charte «ne comporte pas la règle spécifique ..selon laquelle la légitime
défensene justifierait que des mesures proportionnelles à l'agression
armée subie, etnécessairespour y riposter» (C.I.J. Recueil 1986, p. 94,
par. 176).Qui plus est, la Cour indique clairement, dans le présent avis
(par. 40-41), que mêmesi l'article 51 ne contient aucune mention spéci-
fique de la proportionnalité, celle-ci ne s'enapplique pas moins lorsque la
légitimedéfense estexercée envertu de la Charte.
5. Dans l'affaire desActivitésmilitaires etparamilitaires au Nicaragua
et contre celui-ci, il résulte nettement des termes employéspar la Cour
que la notion de proportionnalité en matière delégitimedéfenselimite la
riposte àce qui est nécessairepour repousser l'agression. Cela cadre bien
avec la conception du professeur Ago (c'étaitalors son titre) qui avait
précisé,dans l'additif à son huitième rapport sur la responsabilité des
Etats, que la notion de proportionnalité visait le caractère proportionné

des moyens mis en Œuvrepour répondre àl'attaque et non pas une quel-conque symétrieentre les modalitésde l'agression initiale etles modalités
de la riposte (AiCN.4/318/Add.5-7, par. 121,Annuaire de la Commission
du droit international,1980,vol. II, premièrepartie, p. 67).
6. Le paragraphe 2E du dispositif énoncedans sa premièrepartie que
la menace ou l'emploi d'armes nucléaires serait généralemenc tontraire
aux règles dudroit international applicable dans lesconflits armés,etspé-

cialement aux principes etrèglesdu droit humanitaire et, dans sa deuxième
partie, que la Cour ne peut conclure que la menace ou l'emploi d'armes
nucléaires serait liciteou illicitedans une circonstance extrêmede légitime
défensedans laauelle la survie même d'unEtat serait en cause.
7. Je n'ai pas été en mesurede voter pour ces conclusions pour plu-
sieurs raisons. Une exigence essentielledu processus judiciaire est que le
tribunal indique comment il est parvenu à sa conclusion. Or, je crois que
la Cour ne l'a pas fait en ce qui concerne la première partie du para-
graphe 2 E. Dans tout dispositif judiciaire, les conclusions doivent être
claires.II me semble que le sens du paragraphe 2 E ne l'estpas (et peut-
être cette absencede clartéest-elle considérée comme une qualité)J .e
regrette vivement le non liquet que constitue la deuxièmepartie du para-

graphe 2 E. Je crois que, dans cette deuxièmephrase, la Cour refuse de
répondre à une question qui, en fait, ne lui a jamais été posée.
8. Après avoir dit, en se référanà la Charte et au droit conventionnel,
que la menace ou l'emploi d'armes nucléaires n'esp tas interdit en soi, la
Cour examine si une interdiction en soi résultedu droit applicable dans
les conflits armés(et spécialementdu droit humanitaire).
9. Pour répondre à la question qui lui est posée,il ne suffit pas que la
Cour mentionne brièvement les exigences du droit applicable dans les
conflits armés(y compris le droit humanitaire) puis se contente de con-
clure aue la menace ou I'em~loid'armesnucléaires est généralemein llticite
par rapport àces principes et àces normes. La Cour se borne àaffirmer

que lesprincipes et règlesdu droit humanitaire s'appliquent aux armesnu-
cléaires.Au paragraphe 95, se référantaux ((caractéristiquesuniques des
armes nucléaires)),elle dit que leur utilisation ((n'apparaît guère conci-
liable» avec les exigencesdu droit humanitaire et ((serait généralement
contraire))à ce droit (paragraphe 2 E du dispositif). A aucun moment la
Cour ne s'attelle, dans son avis,à la tâche que lui imposait certainement
la question posée,à savoir appliquer systématiquementle droit approprié
à la menace ou àl'emploi d'armes nucléaires. Elleconclut sans avoir pro-
cédé à une analyse détailléeU. ne phase essentielledu processusjudiciaire
- celle de la motivation juridique - a été omise.
10. Ce que la Cour aurait dû faire, d'après moi,c'est expliquer, préci-
ser et appliquer les élémentsclésdu droit humanitaire identifiéspar elle.

Comme la Cour, je pense que certains principes générauxrésultant des
traités surle droit applicable dans les conflits arméset sur le droit huma-
nitaire sont obligatoires soit titre d'obligations conventionnelles perma-
nentes soit à titre de prescriptions de droit international coutumier. Ces
principes ontpour origine toute une sériede sources incontestées('jeveux
dire par là qu'ils ne relèventen rien des dispositions du protocole addi-tionnel 1 aux conventions de Genève de 1949 et sont indépendants des
opinions formuléesquant à l'application de ces dispositions aux armes
nucléaires).On peut se référer enparticulier à la déclaration de Saint-
Pétersbourg du 11 décembre1868 et au règlement annexé à la conven-

tion IV de La Haye de 1907,articles 22 et 23 e). La Cour rappelle que le
Tribunal militaire de Nuremberg a jugé en1946que le règlementannexé
à la convention IV de La Have faisait wartie en 1939 du droit interna-
tional coutumier (avis consultatif, par. 80).
11. Le principe juridique selon lequel les parties à un conflit armé
n'ont pas un choix illimitéquant aux armes et aux méthodes qu'elles
emploient ne permet pas, à lui seul, de répondre à la question dont la
Cour est saisie. Son but est de faire en sorte que l'emploi desarmes et les
méthodes de guerreutiliséessoient conformes aux autres règlesde fond.
12. En ce qui concerne le choix des armes, il n'est pas permis de causer
des souffrances inutiles aux combattants ennemis ni de rendre leur mort
inévitableni d'aggraver les souffrances de ceux qui sont mis hors de com-

bat. Le rapport de la commission militaire internationale de Saint-Péters-
bourg (1868) a de même précisé qu'ni'létait paslégitimede s'enprendre
aux civils pour s'assurer de la victoire sur l'ennemi et que, s'agissant
mêmede mettre hors de combat des militaires, toute méthoden'était pas
licite. Dans nombre d'exposés écrits ou oraux présentés à la Cour, ces
deux élémentsvont de pair. Mais la Cour indique clairement, au para-
graphe 78 de son avis, que les interdictions visant des méthodessuscep-
tibles de causer des maux superflus concernant le second élémenta ,utre-
ment dit, mêmequand il s'agit de mettre hors de combat des forces
militaires de l'ennemi, il existe une limitation quant aux moyens dont on
peut se servir. Ces dispositions ne visent pas la protection des civi-s il

y en a d'autresà cet effet. Il est de toute façon absolument interdit d'atta-
quer des civils, que ce soit au moyen d'armes nucléairesou avec d'autres
armes. L'illicéité deasttaques dirigéescontre des civils est indépendante
de toute disposition interdisant d'infliger des «maux superflus)) ou
d'aggraver les souffrances de ceux qui sont déjàhors de combat.
13. Si donc la clause relative aux ((maux superflus)) ne constitue pas
une interdiction généralemais vise la protection des combattants, nous
devons nous demander si lesconséquencesprimaires effrayantes de l'arme
nucléaire - effet de souffle, incendies,rayonnements, retombées radioac-
tives - ne causent pas des maux superflus considérables. Ces effets
entraînent certes des souffrances abominables. Mais ce ne sont pas néces-

sairement des «maux superflus)) au sens où cette expression doit être
comprise dans le contexte du droit de 1868et de 1907,lequel est orienté
vers la limitation des moyens utiliséscontre la cible légitime qu'estle per-
sonnel militaire.
14. L'article 23a) du règlementde La Haye avait pour arrière-plan la
disposition de l'article 22 (par lequel commence un chapitre sur les
moyens de nuire à l'ennemi) selon lequel le choix des moyensde nuire
à l'ennemi n'estpas illimité.Un certain niveau de violence est nécessai-
rement autorisé dans l'exercicede la légitimedéfense;le droit humani- MENACEOU EMPLOID'ARMES NUCLÉAIRES (OP.DISS.HIGGINS) 586

taire cherche à contenir cette force (ainsi que ses utilisations illicites) en
prescrivant une série«équilibrée» de normes.C'est ainsi qu'il est illicite
de causer des souffrances et des dévastations allant au-delà de ce qui

est nécessairepour atteindre ces buts légitimes.La mise en Œuvre de
ce précepte exige que soit réaliséun équilibre entre la nécessitéet
l'humanité. Cette facon de ~arvenir à une bonne inter~rétation de la
notion de «maux superflus))a étéapprouvée entre autres par les Pays-
Bas (avis consultatif sur la Licéitéde l'utilisation des armes nucléaires
par un Etat dans un conflit armé,exposéécrit,par. 27), par le Royaume-
Uni (ibid., exposéécrit,par. 36 et suiv., et exposéoral, CR95/34), par
les Etats-Unis (ibid., exposéécrit,par. 25) et par la Nouvelle-Zélande
(exposé écritdans le cadre de la présente demande d'avis consultatif,
par. 69).
15. La pratique diplomatique ultérieure confirme cette interprétation
des «maux superflus)) viséspar le règlement de 1907. Lors de la confé-

rence d'experts gouvernementaux sur l'emploi de certaines armes conven-
tionnelles, tenue àLucerne en 1974, lesexperts sont tombés d'accordsur
ce qu'il fallait entendre par«maux» et par «superflus». A cet égard,ils
ont dit :

«Ce problème présuppose unesorte de relation entre l'importance
de la blessure ou des souffrances infligées(aspects humanitaires)
d'une part et la nécessité plusou moins grande de choisir telle ou
telle arme (aspect militaire) d'autre part.» (Rapport de la confé-
rence, publiépar le Comitéinternational de la Croix-Rouge en 1975,
par. 23.)

Ils se sont accordés à reconnaître que la notion de «maux superffus))
impliquait un ((équilibre» ou une ((relation» et non l'interdiction d'infli-
ger des souffrances graves, voire très graves.Dans la mesure où il y a eu
désaccord,celui-ci a porté plutôt sur le point de savoir si l'élémendt e la
nécessité militairese limitaità exiger qu'une arme soit capable de mettre
un ennemi hors de combat ou s'il permettait que l'on s'en prenne au
matériel,aux lignes de communication et aux ressources de l'adversaire
(ibid., par. 25).
16. C'est cette interprétation du principe qui explique que les Etats
aient pu interdire spécifiquement l'emploi des ballesdum-dum alors que

certaines armes qui provoquent des maux beaucoup plus considérables
n'ont jamais fait l'objet d'interdictions spécifiques ni,dans la pratique
générale desEtats, étéconsidéréescomme manifestement interdites en
application du principe qui prohibe les «maux superflus)). C'est ainsique
le statut des projectiles incendiaires, des lance-flammes, du napalm, des
armes à grande vitesse- tous moyens particulièrement odieux de faire la
guerre - est restécontesté.
17. L'interdiction d'infliger dessouffrances inutiles et des maux super-
flus est, pour le personnel militaire, une protection qui doit êtreappréciée
par rapport à la nécessitéd'une attaque contre la cible militaire qu'ilvise. Le principe ne stipule pas qu'une cible légitime nedoit pas êtreatta-
quée parcequ'il pourrait en résulter de grandes souffrances.
18. Une question cruciale demeurecependant sans réponse: quellenéces-
sitémilitaire est assez grande pour jamais justifier le genre de souffrance

que l'emploi d'armes nucléaires infligeraitau personnel militaire? Cette
question exigeelle-même que l'on connaisse l'ampleurdes souffrancesdont
on parle et les circonstances qui les occasionnent. On a dit que les souf-
frances pourraient êtrerelativement limitéessur un théâtre d'opérationsoù
seraientutiliséesdesarmestactiques. La Cour considère àjuste titre que cela
n'estpas certain. Silessouffrancesressemblent à cellesque l'onassociehabi-
tuellement à l'emploi desarmes nucléaires - du fait du souffle,du rayon-
nement, du choc, du risque d'escalade, du risque de propagation dans
l'espaceet letemps - on peut concevoirque seuleslescirconstanceslesplus
extrêmes (défensc eontre d'indicibles souffrances ou contre la disparition

d'un Etat ou de populations) pourraient justifier qu'on établisseune((rela-
tion» équilibréeentre la nécessitémilitaire et les exigencesde l'humanité.
19. Pour montrer comment elle est parvenue à la conclusion énoncée
au paragraphe 2 E du dispositif, la Cour aurait dû, aprèsavoir analyséles
dispositions du droit humanitaire relatives à la protection des combat-
tants, appliquer systématiquement à la protection des civils les règleset
principes humanitaires. On aurait pu s'attendre que, dans ce contexte, la
Cour examine lesprincipales questionsjuridiques suivantes: l'interdiction
de s'attaquer à des civils empêche-t-ellel'attaque d'un objectif militaire
dèslors que des pertes civiles collatéralessont inévitables?Compte tenu

de la réponse à cette question, que veut-on dire quand on exige qu'une
arme soit capable de distinguer entre cibles civiles et cibles militaires et
comment cela s'applique-t-il aux armes nucléaires?

20. Pour certains des Etats qui se sont exprimésdevant la Cour, le fait
qu'il y ait beaucoup de victimes civilessuf$t à montrer que le dommage
collatéralest excessif. Mais le droit applicable dans les conflits armésse
présentesous la forme d'une interdiction générale - les civilsne peuvent
faire l'objet d'une attaque armée - et la question du nombre de victimes

ou de la souffrance subie (à condition que cette obligation fondamentale
soit respectée)doit êtreenvisagéedans le cadre de l'«équilibre» ou de la
«relation» entre les nécessitésde la guerre et les exigencesde l'humanité.
Les articles 23 g), 25 et 27 de l'annexe à la convention IV de La Haye
sont à cet égard pertinents. Mêmes'il n'est pas spécifiquement men-
tionné, le principe de proportionnalité est exprimédans de nombreuses
dispositions du protocole additionnel 1 aux conventions de Genève de
1949.C'est ainsique l'on ne peut attaquer mêmeun objectif légitimesiles
pertes civilescollatéralesdoivent être disproportionnées àl'avantage mili-

taire que l'on attend de cette attaque. On est inévitablementamené à se
poser la question de savoir si, au cas où une cible serait légitime etoù
l'emploi d'armes nucléairesserait le seul moyen de la détruire, cettedes-
truction pourrait jamais êtreindispensable au point que 1'01inflige aux
civils des dommages collatéraux massifs. 21. Pour remplir la condition juridique d'après laquelle un objectif
militaire ne doit pas êtreattaqué si les pertes civilescollatérales risquent
d'êtreexcessivespar rapport à l'avantage militaire retiré de cetteattaque,
cet ((avantage militaire)) doit êtrelià la survie mêmede 1'Etatou per-
mettre d'écarter de grandeset cruelles souffrances (qu'ellessoient causées

par des armes nucléairesou d'autres armes de destruction massive) et il
ne doit pas y avoir d'autres moyens d'éliminer l'objectif ilitaire en ques-
tion.
22. On dit que les dommages collatérauxcausésaux civils,mêmes'ils
sont proportionnels à l'importance de l'objectif militaire, ne doivent
jamais être intentionnels.((L'intention se définitpar ce que l'on décidede
faire ou ce que l'on cherche à réaliserpar les moyens que l'on décide
d'employer. ))(Finnis, Boyle et Grisez, Nuclear Detevrence, Morality and
Idealism, 1987,p. 92-93.)Cela se rapproche beaucoup de la doctrine juri-
dique de la prévisibilité, evertu de laquelle chacun est censévouloir les
conséquencesde ses actes. Est-ce que, pour autant, le fait de savoir que,

dans des circonstancesdonnées,l'emploide l'arme nucléaireentraînerala
mort de civils équivaut à une intention de s'attaquer à des civils? En
droit, l'analyse doit toujours tenir compte du contexte et la question phi-
losophique poséeici n'est pas différente qu'il s'agissd'armes nucléaires
ou d'autres armes. L'obligation de ne pas s'attaquer aux civilsvaut aussi
pour les armes conventionnelles. Or, on a toujours admis que les dom-
mages collatéraux provoquéspar ces armes ne résultaient pas d'une
((intention)), condition bien sûr que l'élémend te proportionnalité soit
respecté.
23. Dans le présentcontexte, la condition poséepar le droit humani-
taire selon laquelle on ne doit pas utiliser d'armes incapables de distin-
guer entre cibles civileset cibles militaires est trèsimportante aussi.

24. La condition d'après laquelle une arme doit pouvoir faire la dis-
tinction entre cibles militaires et cibles civilesn'est pas un principe géné-
ral de droit humanitaire énoncédans le droit de 1899, de 1907 ou de
1949,mais elle résultede la règlede base qui veut que l'on ne doit pas
s'attaquer aux civils. On a beaucoup discuté,sans aboutir à un résultat,
pour savoir si ceprincipe seréfèreaux armes qui, vu la manièredont elles
sont couramment utilisées,frappent indistinctement les civils et les com-
battants (((Lesarmes de nature à causer des maux superflus ou àfrapper
sans discrimination)),rapport sur lestravaux d'experts, publié parle CICR
en 1973)ou s'il se réfèreaux armes qui, «du point de vue de leurs effets
dans le temps et l'espace,ne pouvaient êtreemployéesavec une précision

suffisante et prévisiblepour atteindre la ciblevisée))(((Conférenced'ex-
perts gouvernementaux sur l'emploi de certaines armes conventionnelles,
Lucerne, 1974»,rapport publiépar le CICR en 1975,p. 10-11,par. 31,voir
aussi Kalshoven, ((Arms, Armaments and International Law)), Recueil
des cours del'Académiede droit internationalde La Haye, t. 191(1985),
p. 236). Sil'on admet quece concept a une existenceautonome, qu'il est
distinct de celui de dommage collatéral (qu'il recouvre en partie),et
quelle que soit l'interprétation retenue,on peut conclure qu'une armesera illicite en soi si elle ne peut pas êtredirigéecontre un objectif mili-
taire et lui seul, indépendammentdes dommages collatérauxqui peuvent
se produire. Malgré les caractéristiques uniques et la nature profon-

dément destructrice de toutes les armes nucléaires,cette expression s'ap-
plique à des armes diverses dont les effets ne sont pas tous les mêmes.
Dans la mesure où une arme nucléairedonnéeserait incapable de faire la
distinction, son emploi serait illicite.
25. Je ne crois pas qu'il soitjuridiquement utile de dire que l'emploi
d'armesnucléaires est((généralemenctontraireaux règlesdu droit interna-
tional applicable dans les conflits armés,et spécialementaux principes et
règlesdu droit humanitaire)) (paragraphe 2 E du dispositif). Que veut
dire ((généralement))? Est-ce une allusion numérique, uneréférenceaux
différentstypes d'armes nucléairesou veut-on donner à entendre que les

règlesdu droit humanitaire ne peuvent s'appliquer sauf exception? S'il
en est ainsi, dans quels cas la Cour a-t-elle analyséces règles en endon-
nant la bonne interprétation, et dans quels cas a-t-elle analysé leur appli-
cation aux armes nucléaires?Quelles sont les exceptions que recouvre le
terme ((généralement))?Faut-il les associer aux possibilités exception-
nellesde respecter le droit humanitaire? Ou bien le terme ((généralement))
indique-t-il, surtout compte tenu du paragraphe 96, que, si l'emploi
d'armes nucléairesdans une circonstance extrêmede légitime défense est
licite, il en résulte exceptionnellementque cet emploi devient compatible

avec le droit humanitaire? La terminologie du paragraphe 2 E du dispo-
sitif soulèvetoutes ces questions sans répondre à aucune d'entre elles.
26. Il y a une autre raison pour laquelle je n'ai pu voter en faveur du
paragraphe 2E du dispositif. C'est qu'ilénonce une conséquencenégative
du droit humanitaire et des exceptions possibles (d'ailleurs non spéci-
fiées).Le rôle du droit humanitaire, contrairement aux traités interdisant
l'emploi d'une arme déterminée,est de prescrire des normes de conduite
et non de donner des réponsesd'un caractère généralau sujet d'armes
particulières. Je n'exclus cependant pas l'éventualitéqu'une telle arme
soit illicite au regard du droit humanitaire, s'il serévélait impossible

qu'ellerépondeun jour aux exigencesde ce droit - quel que soit le type
d'engin appartenant à cette catégoried'armes etquel que soit le lieu de
son utilisation. Nous pouvons penser que, dans l'état actueldu dévelop-
pement de l'armement, il y a trèspeu de chances pour qu'un Etat puisse
se conformer aux exigencesdu droit humanitaire. Mais c'est autre chose
que de considérer l'emploid'armes nucléairescomme ((généralemenitlli-
cite)).
27. Le sens de la deuxièmephrase du paragraphe 2 E du dispositif -
et partant le sens des deux phrases du paragraphe, rapprochéesl'une de
l'autre - n'est pas clair. La deuxièmephrase ne se réfèreprobablement

pas à la légitime défense s'exerçand tans les circonstances exceptionnelles
- qu'implique le mot ((généralement) ) où l'on pourrait considérerla
menace ou l'emploi d'armes nucléairescomme compatible avec le droit
humanitaire. Si,comme la Cour l'aindiquéau paragraphe 42 (et au para-
graphe 2 C du dispositif), la Charte ne rend pas par elle-même illicitel'emploi des armes nucléaires et si, dans un cas donné, cet emploi est
conforme aux dispositions de l'article 51 et est compatible avec le droit
humanitaire, la Cour ne peut guère vouloir dire dans la deuxièmephrase
du paragraphe 2E qu'elle ignore si cette utilisation serait licite ou illicite.
28. Il semble par conséquentque la Cour vise les circonstances ((géné-
rales»,à savoir cellesoù la menace ou l'emploi d'armes nucléairesviole le
droit humanitaire, et qu'elle se demande si, dans ces civconstances, le
recours à la force dans un cas extrêmeet conformément à l'article 51 de
la Charte pourrait êtrenéanmoins considéré comme licite ou non. La

Cour répondqu'elle ne peut se prononcer à ce sujet.
29. La Cour s'est bornée à conclure a une ((incompatibilitéd'ordre
général)) avecle droit humanitaire, puis a prononcé un véritable non
liquet sur le point de savoir si l'emploi d'armes nucléaires en casde légi-
time défense lorsque la survied'un Etat est en cause pourrait êtrelicite,
mêmesi cet emploi étaitdans ce cas particulier contraire au droit huma-
nitaire. En évitant ainside se prononcer, la Cour laisse nécessairement
ouverte la possibilitéqu'un recours à l'arme nucléaire,contraire au droit
humanitaire, soit néanmoins considéré comme liciteE . lle est donc allée
beaucoup plus loin que ne l'ont fait les Etats dotésde l'arme nucléairequi
se sont exprimésdevant la Cour et qui ont pleinement admis que pour
êtrelicite la menace ou l'emploi d'armes nucléaires devait respecter aussi

bien lejus ad bellum que lejus inbel10(voir avis consultatif, par. 86).
30. Il n'est pas douteux que la formule choisie est un non liquet car la
Cour ne se borne pas à invoquer l'insuffisancedes faits et des arguments
concernant les armes dites ((propres» et ((précises». Je pense comme la
Cour qu'on ne lui a pas expliquéde façon convaincante dans quelles cir-
constances il pourrait êtreessentield'utiliser ce genre d'armement. On ne
saurait supposer que des armes de ce type (à utiliser peut-êtrecontre des
sous-marins ou dans des déserts) puissent représenterpour un Etat doté
de l'arme nucléairetout ce dont il a besoin pour mener une politique de
dissuasion efficace.
31. La formule contenue dans la deuxièmepartie du paragraphe 2 E

mentionne aussi ((l'étatactuel du droit international)) comme la base du
non liquet prononcé par la Cour. J'ai beaucoup de mal à comprendre
cette mention. Le paragraphe 2 F du dispositif et les derniers para-
graphes de l'avismontrent que la Cour espère qu'il sera possiblede par-
venir à un désarmement - y compris un désarmement nucléaire - com-
plet, négociéet vérifiéM. ais ce n'est pas parce que l'on n'a pas encore
atteint ce but qu'aucune conclusion ne peut êtretiréedu droit internatio-
nal quant à l'emploi d'armes nucléaires enétatde légitimedéfense.Le
droit international ne consiste pas seulement en interdictions totales. On
ne saurait dire non plus qu'il n'existe pas un droit positif de la légitime
défensesur lequellaCour puisse donner un avis - car c'est,tout compte

fait, un des domaines du droit international les mieux développés.
32. La mention ((l'étatactuel du droit international)) ne renverrait-elle
pas au droit humanitaire? C'estl'undes nombreux éléments qui manquent
de clarté.Cet aspect sembleêtre déjà traitdans la premièrepartie du para- graphe 2 E. Quoi qu'il en soit,le droit humanitaire est lui aussi déjà bien
développé. Lefait qu'il énonceses principes en termes généraux etque
ceux-cisoulèvent souventd'autres questions appelant une réponse ne sau-
. rait justifier un non liquet. C'est justement lafonction du juge de partir de
principes d'application générale, d'expliciter leusrens et de les appliqàer
des situations données. Telest précisémenlterôle de la Cour internationale
de Justice tant en matière contentieuse qu'en matière consultative.
33. La référence à ((l'étatactuel du droit international)) renvoie-t-eàle
des conflits que l'on peut percevoir entre d'une part l'acceptation très

répanduede la possession d'armes nucléaires (etpar conséquent,on peut
leprésumer, dela licéitéde leur emploi en certaines circonstances), accep-
tation mentionnée par la Cour aux paragraphes 67 et 96 de l'avis, et
d'autre part les exigences du droit humanitaire. S'ilen est ainsi, je crois
qu'il s'agitlà d'une fausse dichotomie. La recherche de la dissuasion, la
protection qu'assure le «parapluie» nucléaire, l'acceptation tacite des
réserveset des déclarationsfaites par les puissances nucléaires à l'égard
de traités interdisant le recoursà l'arme nucléairedans certaines régions,
la recherche d'éventuellesgaranties de sécurités,ont tous des élémentsqui
mettent en évidenceune pratique internationale importante intéressant
non seulement le droit de la légitime défense mais aussi le droit humani-
taire. Si un grand nombre des Etats de la communauté internationale

estiment que l'emploi d'armes nucléairespeut être dansune circonstance
extrêmecompatible avec les obligations que leur impose la Charte (soit
comme puissances nucléaires soitcomme bénéficiairesdu «parapluie»
nucléaireou des garanties de sécurité),on peut supposer qu'ils estiment
aussi ne violer en rien leurs obligations au regard du droit humanitaire.
34. Rien dans les exposés présentén s'indique que les Etats qui ont
donnédes garanties en matière nucléaire et ceuxqui les ont reçues ont
considéréqu'ils violaientle droit humanitaire mais ont néanmoinsdécidé
d'agir en dépit d'une telle violation. En résumé,l'importance que l'on
peut accorder à la pratique des Etats qui vient d'être mentionnée est utile
non seulement pour comprendre ces dispositions complexes du droit

humanitaire mais aussi celles concernant le droit de la légitime défense
énoncédans la Charte.
35. Pour tous ces motifs, je ne vois pas pourquoi la Cour a utiliséles
termes figurant dans la deuxièmepartie du paragraphe 2E du dispositif.
36. C'est aussi,je crois, un principe important et bien établique la
notion du non liquet - c'est bienla situation en l'espèce- ne fait pas
partie de la jurisprudence de la Cour.
37. Certes, la Cour a plusieurs fois refuséde répondre à une question
alors même qu'elles'étaitdéclaréecompétente.Elle a invoquédes motifs
d'opportunité (article 65 du Statut; Or monétairepris à Rome en 1943 et
Cameroun septentrional) ou des graves vices de procédure(Droit d'asile
et Haya de la Torre). Mais «dans aucune de ces affaires le non liquet ne

résulte ...d'insuffisances du droit)) (Rosenne, The Law and Practice of
the International Court, 2" éd.revisée,p. 100). 38. Cette formulation regrettable fait abstraction de soixante-cinq
annéesd'un noble passé judiciaire comme des convictions de nos prédé-
cesseurs. L'ancien Président de la Cour, M. Elias, nous rappelle que ce
qu'il dénomme des((instruments utiles)) existent et peuvent nous aider si
nous éprouvons des difficultés à utiliser les sources habituelles du droit
international. A son avis, «ils interdisenà la Cour de prononcer un non
liquet dans une affaire déterminée)) (Elias, The International Court of
Justice and Some Contemporary Problems, 1983, p. 14).
39. Leséminentsrédacteursde la neuvièmeéditionde l'ouvrage Oppen-

heim's International Law nous rappellent ceci:
«il n'existe pas toujours une règlejuridique claire et spécifiquefaci-
lement applicable dans toute situation internationale, mais toute
situation internationale peut êtrerésolue en droit)) (Jennings et
Watts, vol. 1,p. 13).

40. La situation ne change pas si l'on fait valoir que le problème tient
autant à l'«antinomie» ou aux conflitsdes diversélémentsdu droit qu'au
caractère prétendument vague de ce droit. A supposer qu'une telle anti-
nomie existe (ce dont je doute, comme je l'ai dit ci-dessus), le rôle du juge
est précisément de dire quelleest celle parmi deux ou plusieurs normes

contraires qui est applicable dans les circonstances de I'espèce.Le corpus
du droit international consiste souvent en des normes qui, prises isolé-
ment, paraissent s'orienter dans des directions différentes, par exemple:
les Etats ne doivent pas recourirà la forcelles Etats peuvent recourirà la
force en cas de légitimedéfense;pacta sunt sevvandalun Etat peut dénon-
cer un traitéou en suspendre l'application pour des raisons déterminées.
Il appartient au juge de dire, dans le contexte et sur la base de motifs qu'il
doit exposer, pourquoi il y a lieu de privilégierune norme par rapport à ,
une autre dans le cas considéré. Commeces normes existent indubitable-
ment et que les difficultésrencontréespar la Cour concernent leur appli-
cation, on ne saurait parler de législationjudiciaire.
41. On ne peut rester insensible devant les insupportables souffrances

et l'ampleur des destructions dont les armes nucléaires peuvent êtrela
cause. Il est bien compréhensible que l'on attende de ceux que préoc-
cupent cessouffranceset cesdévastationsqu'ils déclarent cette cause illicite.
On peut fort bien se demander si, quand un juge procède à une analyse
juridique de notions comme celles de «maux superflus)),de ((dommage
collatéral))ou de «droità la légitimedéfense)),il n'a pas perdu de vue I'as-
pect réellementhumain de la situation. L'objectif judiciaire à atteindre,
qu'il s'agisse de répondre à des questions difficiles d'interprétation du
droit humanitaire ou de résoudre de prétendues tensions entre normes
antagoniques, porte sur les valeurs que le droit international s'efforce de
promouvoir et de protéger.En l'espèce, c'estla surviephysique des popu-

lations que nous ne devons jamais perdre de vue. Nous vivons dans un
ordre mondial décentraliséoù l'on sait que certains Etats possédant
l'arme nucléaire préfèrent rester en dehorsdu systèmecréépar le traité
sur la non-prolifération, tandis que d'autres Etats non parties ont déclaréleur intention d'accéderà l'arme nucléaire etoù l'on croit que d'autres
encore possèdent clandestinement cette arme ou s'emploient à l'obtenir
sous peu (certains d'entre eux pouvant d'ailleurs être partiesau traitésur
la non-prolifération). Il ne me semble pas que prononcer l'illicéité des
armes nucléaires en toute circonstance ou donner les réponses que la
Cour formule au paragraphe 2E du dispositif soient lesmeilleurs moyens
de protéger l'humanitécontre ces souffrances indicibles que nous redou-
tons tous.

(SignéR )osalyn HIGGINS.

Bilingual Content

DISSENTING OPINION OF JUDGE HIGGINS

1. 1 agree with al1that the Court has to Sayas to why it must render
this Opinion and much that it has to say on the substance of the question
put to it.1have also voted in favour of paragraphs 2A, 2B, 2C, 2D and
2F of the dispositif. The first four of these findings are in a sense stepping
stones to the heart of the matter, which is to be found in paragraph 2E.

1 have, with regret, been unable to vote for what the Court there deter-
mines.
2. In the first part of its Opinion the Court has rejected suggestions
that it should in its discretion decline to give the Opinion on the grounds
that the question is not legal, or is too vague, or would require the Court
to make scenarios, or would require it to "legislate". But at paragraph 97
of its Opinion, and in paragraph 2E of its dispositif, the Court effectively
pronounces a non liquet on the key issue on the grounds of uncertainty in
the present state of the law, and of facts.find this approach inconsistent.

3. 1 agree with most of the legal reasoning that sustains para-
graphs 2A, 2B, 2C and 2D. Although paragraph 2C is negatively for-
mulated, it is clear from the Court's analysis that neither the Charter
provisions, nor customary international law, nor treaty law, make the
threat or use of nuclear weapons unlawful per se.
4. In its Judgment on Military and Paramilitary Activities the Court

confirmed the existence of a rule of proportionality in the exercise of
self-defence under customary international law. It there noted that the
Charter "does not contain any specific rule whereby self-defence would
warrant only measures which are proportional to the armed attack and
necessary to respond to it" (Military and Paramilitary Activities in and
against Nicaragua (Nicaragua v. United States of America), 1.C.J.
Reports 1986, p. 94, para. 176).Importantly, in the present Opinion the
Court makes clear (paras. 40-41) that notwithstanding the absence of
specificmention of proportionality in Article 51,this requirement applies
equally to the exercise of self-defenceunder the Charter.
5. In the Military and Paramilitary Activities case the terms used by
the Court already made clear that the concept of proportionality in self-
defence limits a response to what is needed to reply to an attack. This is
consistent with the approach of Professor Ago (as he then was), who had
made clear in the Addendum to his Eighth Report on State Responsibil-
ity that the concept of proportionality referred to was that which was
proportionate to repelling the attack, andnot a requirement of symmetry

between the mode of the initial attack and the mode of response (AICN.41 OPINION DISSIDENTE DE M~~ HIGGINS

(Traduction]

1.J'approuve tout ce que la Cour a dit sur les raisons pour lesquelles
elle doit donner le présent aviset une grande partie de ce qu'ellea dit sur
le fond de la question qui lui est posée. J'ai voté ausiour les alinéas A,
B, C, D, et F du paragraphe 2 du dispositif. Les quatre premiers alinéas
annoncent en quelque sorte ce qui est au cŒurmêmedu problème et qui
fait l'objet de l'alinéaE du paragraphe 2. Je regrette de n'avoir pu voter
pour cet alinéatel que la Cour l'a libellé.
2. Dans la premièrepartie de son avis, la Cour a rejeté des suggestions
tendant à ce qu'elle use de son pouvoir discrétionnaire pour refuser de
donner l'avis demandé parceque la question ne serait pas juridique,
qu'elle serait trop vague, qu'elle amènerait la Cour à écrire des scéna-

rios ou encore l'obligeraita «légiférer».Mais au paragraphe 97 de son
avis eta l'alinéaE du paragraphe 2 du dispositif, la Cour prononce bel et
bien, en cequi concerne la question clé,un non liquet fondé surle carac-
tère incertain de l'état actueldu droit et sur les élémentsde fait. Cette
démarcheme paraît illogique.
3. Je souscris pour l'essentielà la motivation juridique des alinéasA,
B, C et D du paragraphe 2. Bien que l'alinéaC soit formuléde façon
négative,il résulte clairement de l'analysede la Cour que ni les disposi-
tions de la Charte, ni le droit international coutumier, ni le droit conven-
tionnel ne rendent illicite en soila menace ou l'emploi d'armes nucléaires.
4. Dans son arrêtsur les Activitésmilitaires et paramilitaires au Nica-
raguaet contre celui-ci(Nicaragua c. Etats-Unis d'Amérique),la Cour a
confirmé qu'il existaiten droit international coutumier une règlede pro-
portionnalité dans l'exercicede la légitimedéfense.Elle y a noté que la

Charte «ne comporte pas la règle spécifique ..selon laquelle la légitime
défensene justifierait que des mesures proportionnelles à l'agression
armée subie, etnécessairespour y riposter» (C.I.J. Recueil 1986, p. 94,
par. 176).Qui plus est, la Cour indique clairement, dans le présent avis
(par. 40-41), que mêmesi l'article 51 ne contient aucune mention spéci-
fique de la proportionnalité, celle-ci ne s'enapplique pas moins lorsque la
légitimedéfense estexercée envertu de la Charte.
5. Dans l'affaire desActivitésmilitaires etparamilitaires au Nicaragua
et contre celui-ci, il résulte nettement des termes employéspar la Cour
que la notion de proportionnalité en matière delégitimedéfenselimite la
riposte àce qui est nécessairepour repousser l'agression. Cela cadre bien
avec la conception du professeur Ago (c'étaitalors son titre) qui avait
précisé,dans l'additif à son huitième rapport sur la responsabilité des
Etats, que la notion de proportionnalité visait le caractère proportionné

des moyens mis en Œuvrepour répondre àl'attaque et non pas une quel- 318iAdds.5-7,para. 121, Yearbook of the International Law Commission,
1980, Vol. II, Part One, p. 69).

6. Paragraph 2E Statesin its first part that the threat or use of nuclear
weapons would generally be contrary to the rules of international law
applicable in armed conflict, in particular the principles and rules of
humanitarian law; and in its second part that the Court cannot conclude
whether a threat or use of nuclear weapons in extremis in self-defence,

where a State's very survival was at stake, would be lawful or unlawful.

7. 1have not been able to vote for these findings for several reasons. It
is an essential requirement of the judicial process that a court should
show the steps by which it reaches its conclusions. 1believe the Court has
not done so in respect of the first part of paragraph 2E. The findings in
a judicial dispositif should be clear. 1believe paragraph 2E is unclear in
its meaning (and one may suspect that this lack of clarity is perhaps
regarded as a virtue). 1greatly regret the non liquet offered in the second
part of paragraph 2E. And 1 believe that in that second sentence the
Court is declining to answer a question that was in fact never put to it.

8. After finding that the threat or use of nuclear weapons is not pro-

hibited per se by reference to the Charter or treaty law, the Court moves
to see if it is prohibitedper se by reference to the law of armed conflict
(and especially humanitarian law).
9. It is not sufficient, to answer the question put to it, for the Court
merely briefly to state the requirements of the law of armed conflict
(including humanitarian law) and then simply to move to the conclusion
that the threat or use of nuclear weapons is generally unlawful by refer-
ence to these principles and norms. The Court limits itself to affirming
that the principles and rules of humanitarian law apply to nuclear weap-
ons. It finds in paragraph 95, by reference to "the unique characteristics
of nuclear weapons" that their use is "scarcely reconcilable" with the
requirements of humanitarian law and "would generally be contrary" to
humanitarian law (dispositif, para. 2E). At no point in its Opinion does
the Court engage in the task that is surely at the heart of the question

asked: the systematic application of the relevant law to the use or threat
of nuclear weapons. It reaches its conclusions without the benefit of
detailed analysis. An essential step in thejudicial process - that of legal
reasoning - has been omitted.
10. What in my view the Court should have done is to explain, elabo-
rate and apply the key elements of humanitarian law that it identifies.
1agree with the Court that certain general principles emanating from the
treaties on the law of armed conflict and on humanitarian law are bind-
ing, either as continuing treaty obligations or as prescriptions of custom-
ary international law. These principles stem from a variety of uncon-
tested sources (by which 1mean they are in no way dependent upon the
provisions of Additional Protocol 1 to the Geneva Conventions of 1949conque symétrieentre les modalitésde l'agression initiale etles modalités
de la riposte (AiCN.4/318/Add.5-7, par. 121,Annuaire de la Commission
du droit international,1980,vol. II, premièrepartie, p. 67).
6. Le paragraphe 2E du dispositif énoncedans sa premièrepartie que
la menace ou l'emploi d'armes nucléaires serait généralemenc tontraire
aux règles dudroit international applicable dans lesconflits armés,etspé-

cialement aux principes etrèglesdu droit humanitaire et, dans sa deuxième
partie, que la Cour ne peut conclure que la menace ou l'emploi d'armes
nucléaires serait liciteou illicitedans une circonstance extrêmede légitime
défensedans laauelle la survie même d'unEtat serait en cause.
7. Je n'ai pas été en mesurede voter pour ces conclusions pour plu-
sieurs raisons. Une exigence essentielledu processus judiciaire est que le
tribunal indique comment il est parvenu à sa conclusion. Or, je crois que
la Cour ne l'a pas fait en ce qui concerne la première partie du para-
graphe 2 E. Dans tout dispositif judiciaire, les conclusions doivent être
claires.II me semble que le sens du paragraphe 2 E ne l'estpas (et peut-
être cette absencede clartéest-elle considérée comme une qualité)J .e
regrette vivement le non liquet que constitue la deuxièmepartie du para-

graphe 2 E. Je crois que, dans cette deuxièmephrase, la Cour refuse de
répondre à une question qui, en fait, ne lui a jamais été posée.
8. Après avoir dit, en se référanà la Charte et au droit conventionnel,
que la menace ou l'emploi d'armes nucléaires n'esp tas interdit en soi, la
Cour examine si une interdiction en soi résultedu droit applicable dans
les conflits armés(et spécialementdu droit humanitaire).
9. Pour répondre à la question qui lui est posée,il ne suffit pas que la
Cour mentionne brièvement les exigences du droit applicable dans les
conflits armés(y compris le droit humanitaire) puis se contente de con-
clure aue la menace ou I'em~loid'armesnucléaires est généralemein llticite
par rapport àces principes et àces normes. La Cour se borne àaffirmer

que lesprincipes et règlesdu droit humanitaire s'appliquent aux armesnu-
cléaires.Au paragraphe 95, se référantaux ((caractéristiquesuniques des
armes nucléaires)),elle dit que leur utilisation ((n'apparaît guère conci-
liable» avec les exigencesdu droit humanitaire et ((serait généralement
contraire))à ce droit (paragraphe 2 E du dispositif). A aucun moment la
Cour ne s'attelle, dans son avis,à la tâche que lui imposait certainement
la question posée,à savoir appliquer systématiquementle droit approprié
à la menace ou àl'emploi d'armes nucléaires. Elleconclut sans avoir pro-
cédé à une analyse détailléeU. ne phase essentielledu processusjudiciaire
- celle de la motivation juridique - a été omise.
10. Ce que la Cour aurait dû faire, d'après moi,c'est expliquer, préci-
ser et appliquer les élémentsclésdu droit humanitaire identifiéspar elle.

Comme la Cour, je pense que certains principes générauxrésultant des
traités surle droit applicable dans les conflits arméset sur le droit huma-
nitaire sont obligatoires soit titre d'obligations conventionnelles perma-
nentes soit à titre de prescriptions de droit international coutumier. Ces
principes ontpour origine toute une sériede sources incontestées('jeveux
dire par là qu'ils ne relèventen rien des dispositions du protocole addi-nor upon any views held as to the application of those provisions to
nuclear weapons). Particular referencemay be made to the St. Petersburg
Declaration of 11December 1868and to the Regulations, annexed to the
Hague Convention IV, 1907,Articles 22 and 23 (e). The Court recalls
that the Regulations annexed to Hague Convention IV were in 1946held
by the Nuremberg Military Tribunal to have become part of customary

international law by 1939.(Opinion, para. 80.)

Il. The legal principle by which parties to an armed conflict do not
have an unlimited choice of weapons or of methods of warfare cannot of
itself give the answer to the question before the Court. Its purpose is to
ensure that weapons, both in the context of their use, and in the methods
of warfare, must comply with the other substantive rules.
12. It is not permitted in the choice of weapons to cause unnecessary
suffering to enemy combatants, nor to render their death inevitable, nor
to aggravate their sufferings when disabled. Equally, the Report of the
International Military Commission in St. Petersburg of 1868made clear

that harm to civiliansas a means of securing victory over the enemy was
not a legitimate right of war; and that even in seeking to disable the mili-
tary not every method was lawful. There has been, in many of the written
and oral submissions made to the Court, a conflation of these two ele-
ments. But the Court itself makes clear, in paragraph 78 of its Opinion,
that the prohibitions against means of conflict that cause unnecessary
suffering is directed towards the fulfilment of the second, progressive,
limb - namely, that even in seeking to disable the military forces of the
enemy, there is a limitation upon the means that may be employed. These
provisions are not directed at the protection of civilians - other provi-
sions servethat purpose. It is in any event absolutely prohibited to attack
civilians, whether by nuclear or other weapons. Attack upon civilians
does not depend for its illegality upon a prohibition against "superfluous

injury" or aggravating the sufferings of men already disabled.

13. If then the 'iunnecessarysuffering" provision does not operate as a
generalized prohibition, but is rather directed at the protection of com-
batants, we must ask whether it still does not follow that the appalling
primary effects of a nuclear weapon - blast waves, fires, radiation or
radioactive fallout -cause extensiveunnecessary suffering? These effects
indeed cause horrendous suffering. But that is not necessarily "unneces-
sary suffering" as this term is to be understood within the context of the
1868and 1907law, which is directed at the limitation of means against a
legitimate target, military personnel.

14. The background to Article 23 (a) of the Hague Regulations was
the celebrated provision in Article 22 (which opens a Chapter on the
means of injuring the enemy) that the means of injuring the enemy is not
unlimited. A certain level of violence is necessarily permissible in the
exercise of self-defence; humanitarian law attempts to contain that forcetionnel 1 aux conventions de Genève de 1949 et sont indépendants des
opinions formuléesquant à l'application de ces dispositions aux armes
nucléaires).On peut se référer enparticulier à la déclaration de Saint-
Pétersbourg du 11 décembre1868 et au règlement annexé à la conven-

tion IV de La Haye de 1907,articles 22 et 23 e). La Cour rappelle que le
Tribunal militaire de Nuremberg a jugé en1946que le règlementannexé
à la convention IV de La Have faisait wartie en 1939 du droit interna-
tional coutumier (avis consultatif, par. 80).
11. Le principe juridique selon lequel les parties à un conflit armé
n'ont pas un choix illimitéquant aux armes et aux méthodes qu'elles
emploient ne permet pas, à lui seul, de répondre à la question dont la
Cour est saisie. Son but est de faire en sorte que l'emploi desarmes et les
méthodes de guerreutiliséessoient conformes aux autres règlesde fond.
12. En ce qui concerne le choix des armes, il n'est pas permis de causer
des souffrances inutiles aux combattants ennemis ni de rendre leur mort
inévitableni d'aggraver les souffrances de ceux qui sont mis hors de com-

bat. Le rapport de la commission militaire internationale de Saint-Péters-
bourg (1868) a de même précisé qu'ni'létait paslégitimede s'enprendre
aux civils pour s'assurer de la victoire sur l'ennemi et que, s'agissant
mêmede mettre hors de combat des militaires, toute méthoden'était pas
licite. Dans nombre d'exposés écrits ou oraux présentés à la Cour, ces
deux élémentsvont de pair. Mais la Cour indique clairement, au para-
graphe 78 de son avis, que les interdictions visant des méthodessuscep-
tibles de causer des maux superflus concernant le second élémenta ,utre-
ment dit, mêmequand il s'agit de mettre hors de combat des forces
militaires de l'ennemi, il existe une limitation quant aux moyens dont on
peut se servir. Ces dispositions ne visent pas la protection des civi-s il

y en a d'autresà cet effet. Il est de toute façon absolument interdit d'atta-
quer des civils, que ce soit au moyen d'armes nucléairesou avec d'autres
armes. L'illicéité deasttaques dirigéescontre des civils est indépendante
de toute disposition interdisant d'infliger des «maux superflus)) ou
d'aggraver les souffrances de ceux qui sont déjàhors de combat.
13. Si donc la clause relative aux ((maux superflus)) ne constitue pas
une interdiction généralemais vise la protection des combattants, nous
devons nous demander si lesconséquencesprimaires effrayantes de l'arme
nucléaire - effet de souffle, incendies,rayonnements, retombées radioac-
tives - ne causent pas des maux superflus considérables. Ces effets
entraînent certes des souffrances abominables. Mais ce ne sont pas néces-

sairement des «maux superflus)) au sens où cette expression doit être
comprise dans le contexte du droit de 1868et de 1907,lequel est orienté
vers la limitation des moyens utiliséscontre la cible légitime qu'estle per-
sonnel militaire.
14. L'article 23a) du règlementde La Haye avait pour arrière-plan la
disposition de l'article 22 (par lequel commence un chapitre sur les
moyens de nuire à l'ennemi) selon lequel le choix des moyensde nuire
à l'ennemi n'estpas illimité.Un certain niveau de violence est nécessai-
rement autorisé dans l'exercicede la légitimedéfense;le droit humani-(and illegal uses offorce too), by providing a "balancing" set of norms. It
is thus unlawful to cause suffering and devastation which is in excessof
what is required to achieve these legitimate aims. Application of this
proposition requires a balancing of necessity and humanity. This

approach to the proper understanding of "unnecessary suffering" has
been supported, inter alia, by the Netherlands (Advisory Opinion on the
Legality of the Use by a State of Nz~clearWeapons in Armed ConfSict,
Written Statement, para. 27), the United Kingdom (ibid., Written State-
ment, paras. 36 ff. and oral statement (CR95134)); the United States
(ibid., Written Statement, para. 25) and New Zealand (Written State-
ment, para. 69, submitted in connection with the present request for advi-
sory opinion).

15. Subsequent diplomatic practice confirms this understanding of
"unnecessary suffering" as established in the 1907 Regulations. In the
Lucerne Conference of Governmental Experts on the Use of Certain

Conventional Weapons of 1974,the Experts were agreed both what was
meant by "suffering" and by "unnecessary". As to the latter:

"This involved some sort of equation between, on the one hand,
the degree of injury or suffering inflicted (the humanitarian aspect)
and, on the other, the degree of necessity underlying the choice of a
particular weapon (the military aspect)." (Conference Report, pub-
lished by the International Committee of the Red Cross (ICRC),
1975,para. 23.)

They were in accord that the concept entailed a "balancing" or "equa-
tion" rather than a prohibition against a significantdegree or even a vast
amount of suffering.Any disagreement rather lay in whether, on the mili-
tary necessity side of the equation, al1 that was permitted was to put
enemy personnel hors de combat, or whether it was permitted also to
attack enemy material, lines of communication and resources (ibid.,
para. 25).

16. Itis this understanding of the principle that explains why States
have been able to move to a specific prohibition of dum-dum bullets,
whereas certain weapons that cause vastly greater suffering have neither
been the subject of specific prohibitions, nor, in general State practice,

been regarded as clearly prohibited by application of the "unnecessary
suffering" principle. The status of incendiary projectiles, flamethrowers,
napalm, high velocity weapons - al1especiallyrepugnant means of con-
ducting hostilities- have thus remained contested.

17. The prohibition against unnecessary suffering and superfluous
injury is a protection for the benefit of military personnel that is to be
assessed by reference to the necessity of attacking the particular military MENACEOU EMPLOID'ARMES NUCLÉAIRES (OP.DISS.HIGGINS) 586

taire cherche à contenir cette force (ainsi que ses utilisations illicites) en
prescrivant une série«équilibrée» de normes.C'est ainsi qu'il est illicite
de causer des souffrances et des dévastations allant au-delà de ce qui

est nécessairepour atteindre ces buts légitimes.La mise en Œuvre de
ce précepte exige que soit réaliséun équilibre entre la nécessitéet
l'humanité. Cette facon de ~arvenir à une bonne inter~rétation de la
notion de «maux superflus))a étéapprouvée entre autres par les Pays-
Bas (avis consultatif sur la Licéitéde l'utilisation des armes nucléaires
par un Etat dans un conflit armé,exposéécrit,par. 27), par le Royaume-
Uni (ibid., exposéécrit,par. 36 et suiv., et exposéoral, CR95/34), par
les Etats-Unis (ibid., exposéécrit,par. 25) et par la Nouvelle-Zélande
(exposé écritdans le cadre de la présente demande d'avis consultatif,
par. 69).
15. La pratique diplomatique ultérieure confirme cette interprétation
des «maux superflus)) viséspar le règlement de 1907. Lors de la confé-

rence d'experts gouvernementaux sur l'emploi de certaines armes conven-
tionnelles, tenue àLucerne en 1974, lesexperts sont tombés d'accordsur
ce qu'il fallait entendre par«maux» et par «superflus». A cet égard,ils
ont dit :

«Ce problème présuppose unesorte de relation entre l'importance
de la blessure ou des souffrances infligées(aspects humanitaires)
d'une part et la nécessité plusou moins grande de choisir telle ou
telle arme (aspect militaire) d'autre part.» (Rapport de la confé-
rence, publiépar le Comitéinternational de la Croix-Rouge en 1975,
par. 23.)

Ils se sont accordés à reconnaître que la notion de «maux superffus))
impliquait un ((équilibre» ou une ((relation» et non l'interdiction d'infli-
ger des souffrances graves, voire très graves.Dans la mesure où il y a eu
désaccord,celui-ci a porté plutôt sur le point de savoir si l'élémendt e la
nécessité militairese limitaità exiger qu'une arme soit capable de mettre
un ennemi hors de combat ou s'il permettait que l'on s'en prenne au
matériel,aux lignes de communication et aux ressources de l'adversaire
(ibid., par. 25).
16. C'est cette interprétation du principe qui explique que les Etats
aient pu interdire spécifiquement l'emploi des ballesdum-dum alors que

certaines armes qui provoquent des maux beaucoup plus considérables
n'ont jamais fait l'objet d'interdictions spécifiques ni,dans la pratique
générale desEtats, étéconsidéréescomme manifestement interdites en
application du principe qui prohibe les «maux superflus)). C'est ainsique
le statut des projectiles incendiaires, des lance-flammes, du napalm, des
armes à grande vitesse- tous moyens particulièrement odieux de faire la
guerre - est restécontesté.
17. L'interdiction d'infliger dessouffrances inutiles et des maux super-
flus est, pour le personnel militaire, une protection qui doit êtreappréciée
par rapport à la nécessitéd'une attaque contre la cible militaire qu'iltarget. The principle does not stipulate that a legitimate target is not to
be attacked if it would cause great suffering.
18. There remains unanswered the crucial question: what military
necessity is so great that the sort of suffering that would be inflicted on
military personnel by the use of nuclear weapons would ever bejustified?
That question, in turn, requires knowing the dimensions of the suffering
of which we speak and the circumstances which occasion it. It has been

suggested that suffering could be relatively limited in the tactical theatre
of war. The Court rightly regards that evidence as uncertain. If the suf-
fering is of the sort traditionally associated with the use of nuclear weap-
ons - blast, radiation, shock, together with risk of escalation, risk of
spread through space and time - then only the most extreme circum-
stances (defenceagainst untold suffering or the obliteration of a State or
peoples) could conceivably "balance" the equation between necessityand
humanity.

19. To show how it reached its findings in paragraph 2E of the dis-
positif,the Court should, after analysing the provisions of humanitarian

law concerning the protection of combatants, then systematically have
applied the humanitarian rules and principles as they apply to the protec-
tion of civilians. The major legal issues in this context which it might
have been expected the Court would address are these: does the prohibi-
tion against civilians being the object of attack preclude attack upon a
military target if it is realized that collateral civilian casualties willbe un-
avoidable? And in the light of the answer to the above question, what
then is meant by the requirements that a weapon must be able to dis-
criminate between civilianand military targets and how will this apply to
nuclear wear>ons?
20. For sime States making submissionsto the Court,the largenumber
of civilian victims was said itself to show that the collateral damage is

excessive.But the law of armed conflict has been articulated in terms of a
broad prohibition - that civiliansmay not be the object of armed attack
- and the question of numbers or suffering (provided always that this
primary obligation is met) falls to be considered as part of the "balan-
cing" or "equation" between the necessities of war and the requirements
of humanity. Articles 23 (g), 25 and 27 of the Annex to the Fourth
Hague Convention have relevance here. The principle of proportionality,
even if finding no specific mention, is reflected in many provisions of
Additional Protocol 1 to the Geneva Conventions of 1949.Thus even a
legitimate target may not be attacked if the collateral civilian casualties
would be disproportionate to the specificmilitary gain from the attack.

One is inevitably led to the question of whether, if a target is legitimate
and the use of a nuclear weapon is the only way of destroying that target,
any need can ever be so necessary as to occasion massivecollateral dam-
age upon civilians.vise. Le principe ne stipule pas qu'une cible légitime nedoit pas êtreatta-
quée parcequ'il pourrait en résulter de grandes souffrances.
18. Une question cruciale demeurecependant sans réponse: quellenéces-
sitémilitaire est assez grande pour jamais justifier le genre de souffrance

que l'emploi d'armes nucléaires infligeraitau personnel militaire? Cette
question exigeelle-même que l'on connaisse l'ampleurdes souffrancesdont
on parle et les circonstances qui les occasionnent. On a dit que les souf-
frances pourraient êtrerelativement limitéessur un théâtre d'opérationsoù
seraientutiliséesdesarmestactiques. La Cour considère àjuste titre que cela
n'estpas certain. Silessouffrancesressemblent à cellesque l'onassociehabi-
tuellement à l'emploi desarmes nucléaires - du fait du souffle,du rayon-
nement, du choc, du risque d'escalade, du risque de propagation dans
l'espaceet letemps - on peut concevoirque seuleslescirconstanceslesplus
extrêmes (défensc eontre d'indicibles souffrances ou contre la disparition

d'un Etat ou de populations) pourraient justifier qu'on établisseune((rela-
tion» équilibréeentre la nécessitémilitaire et les exigencesde l'humanité.
19. Pour montrer comment elle est parvenue à la conclusion énoncée
au paragraphe 2 E du dispositif, la Cour aurait dû, aprèsavoir analyséles
dispositions du droit humanitaire relatives à la protection des combat-
tants, appliquer systématiquement à la protection des civils les règleset
principes humanitaires. On aurait pu s'attendre que, dans ce contexte, la
Cour examine lesprincipales questionsjuridiques suivantes: l'interdiction
de s'attaquer à des civils empêche-t-ellel'attaque d'un objectif militaire
dèslors que des pertes civiles collatéralessont inévitables?Compte tenu

de la réponse à cette question, que veut-on dire quand on exige qu'une
arme soit capable de distinguer entre cibles civiles et cibles militaires et
comment cela s'applique-t-il aux armes nucléaires?

20. Pour certains des Etats qui se sont exprimésdevant la Cour, le fait
qu'il y ait beaucoup de victimes civilessuf$t à montrer que le dommage
collatéralest excessif. Mais le droit applicable dans les conflits armésse
présentesous la forme d'une interdiction générale - les civilsne peuvent
faire l'objet d'une attaque armée - et la question du nombre de victimes

ou de la souffrance subie (à condition que cette obligation fondamentale
soit respectée)doit êtreenvisagéedans le cadre de l'«équilibre» ou de la
«relation» entre les nécessitésde la guerre et les exigencesde l'humanité.
Les articles 23 g), 25 et 27 de l'annexe à la convention IV de La Haye
sont à cet égard pertinents. Mêmes'il n'est pas spécifiquement men-
tionné, le principe de proportionnalité est exprimédans de nombreuses
dispositions du protocole additionnel 1 aux conventions de Genève de
1949.C'est ainsique l'on ne peut attaquer mêmeun objectif légitimesiles
pertes civilescollatéralesdoivent être disproportionnées àl'avantage mili-

taire que l'on attend de cette attaque. On est inévitablementamené à se
poser la question de savoir si, au cas où une cible serait légitime etoù
l'emploi d'armes nucléairesserait le seul moyen de la détruire, cettedes-
truction pourrait jamais êtreindispensable au point que 1'01inflige aux
civils des dommages collatéraux massifs. 21. It must be that, in order to meet the legal requirement that a mili-
tary target may not be attacked if collateral civilian casualties would be
excessive inrelation to the military advantage, the "military advantage"
must indeed be one related to the very survival of a State or the avoid-
ance of infliction (whether by nuclear or other weapons of mass destruc-
tion) of vast and severe suffering on its own population; and that no
other method of eliminating this military target be available.

22. It issaid that collateral damage to civilians, even if proportionate
to the importance of the military target, must never be intended. "One's

intent is defined by what one chooses to do, or seeks to achieve through
what one chooses to do." (Finnis, Boyle and Grisez, Nuclear Deterrence,
Morality and Idealism, 1987,pp. 92-93.)This closelyapproximates to the
legal doctrine of foreseeability, by which one is assumed to intend the
consequences of one's actions. Does it follow that knowledge that in con-
crete circumstances civilians will bekilled by the use of a nuclear weapon
is tantamount to an intention to attack civilians? In law, analysis must
always be contextual and the philosophical question here put is no dif-
ferent for nuclear weapons than for other weapons. The duty not to
attack civilians as such applies to conventional weapons also. Collateral
injury in respect of these weapons has always been accepted as not con-
stituting "intent", provided always that the requirements of proportion-
ality are met.

23. Very important also in the present context is the requirement of
humanitarian law that weapons may not be used which are incapable of
discriminating between civilian and military targets.
24. The requirement that a weapon be capable of differentiating
between military and civilian targets is not a general principle ofumani-
tarian law specified in the 1899, 1907or 1949 law, but flows from the
basic rule that civilians may not be the target of attack. There has been
considerable debate, as yet unresolved, as to whether this principle refers
to weapons which, because of the way they are commonly used, strike
civilians and combatants indiscriminately (Weapons That May Cause
Unnecessary Suffering or Have Indiscriminate Effects, Report of the
Work of Experts, published by the ICRC, 1973) or whether it refers to
whether a weapon "having regard to [its] effects in time and space" can
"be employed with sufficient or with predictable accuracy against the

chosen target" (Conference of Government Experts on the Use of Cer-
tain Conventional Weapons, Lucerne, 1974, Report published by the
ICRC, 1975,pp. 10-1 1,para. 31 ;seealso Kalshoven, "Arms, Armaments
and International Law", Receuil des cours de l'Académiede droit inter-
national de La Haye, Vol. 191(1985-II),p. 236). For this concept to have
a separate existence,distinct from that of collateral harm (with which it
overlaps to an extent), and whichever interpretation of the term is
chosen, it may be concluded that a weapon will be unlawful per se if it is 21. Pour remplir la condition juridique d'après laquelle un objectif
militaire ne doit pas êtreattaqué si les pertes civilescollatérales risquent
d'êtreexcessivespar rapport à l'avantage militaire retiré de cetteattaque,
cet ((avantage militaire)) doit êtrelià la survie mêmede 1'Etatou per-
mettre d'écarter de grandeset cruelles souffrances (qu'ellessoient causées

par des armes nucléairesou d'autres armes de destruction massive) et il
ne doit pas y avoir d'autres moyens d'éliminer l'objectif ilitaire en ques-
tion.
22. On dit que les dommages collatérauxcausésaux civils,mêmes'ils
sont proportionnels à l'importance de l'objectif militaire, ne doivent
jamais être intentionnels.((L'intention se définitpar ce que l'on décidede
faire ou ce que l'on cherche à réaliserpar les moyens que l'on décide
d'employer. ))(Finnis, Boyle et Grisez, Nuclear Detevrence, Morality and
Idealism, 1987,p. 92-93.)Cela se rapproche beaucoup de la doctrine juri-
dique de la prévisibilité, evertu de laquelle chacun est censévouloir les
conséquencesde ses actes. Est-ce que, pour autant, le fait de savoir que,

dans des circonstancesdonnées,l'emploide l'arme nucléaireentraînerala
mort de civils équivaut à une intention de s'attaquer à des civils? En
droit, l'analyse doit toujours tenir compte du contexte et la question phi-
losophique poséeici n'est pas différente qu'il s'agissd'armes nucléaires
ou d'autres armes. L'obligation de ne pas s'attaquer aux civilsvaut aussi
pour les armes conventionnelles. Or, on a toujours admis que les dom-
mages collatéraux provoquéspar ces armes ne résultaient pas d'une
((intention)), condition bien sûr que l'élémend te proportionnalité soit
respecté.
23. Dans le présentcontexte, la condition poséepar le droit humani-
taire selon laquelle on ne doit pas utiliser d'armes incapables de distin-
guer entre cibles civileset cibles militaires est trèsimportante aussi.

24. La condition d'après laquelle une arme doit pouvoir faire la dis-
tinction entre cibles militaires et cibles civilesn'est pas un principe géné-
ral de droit humanitaire énoncédans le droit de 1899, de 1907 ou de
1949,mais elle résultede la règlede base qui veut que l'on ne doit pas
s'attaquer aux civils. On a beaucoup discuté,sans aboutir à un résultat,
pour savoir si ceprincipe seréfèreaux armes qui, vu la manièredont elles
sont couramment utilisées,frappent indistinctement les civils et les com-
battants (((Lesarmes de nature à causer des maux superflus ou àfrapper
sans discrimination)),rapport sur lestravaux d'experts, publié parle CICR
en 1973)ou s'il se réfèreaux armes qui, «du point de vue de leurs effets
dans le temps et l'espace,ne pouvaient êtreemployéesavec une précision

suffisante et prévisiblepour atteindre la ciblevisée))(((Conférenced'ex-
perts gouvernementaux sur l'emploi de certaines armes conventionnelles,
Lucerne, 1974»,rapport publiépar le CICR en 1975,p. 10-11,par. 31,voir
aussi Kalshoven, ((Arms, Armaments and International Law)), Recueil
des cours del'Académiede droit internationalde La Haye, t. 191(1985),
p. 236). Sil'on admet quece concept a une existenceautonome, qu'il est
distinct de celui de dommage collatéral (qu'il recouvre en partie),et
quelle que soit l'interprétation retenue,on peut conclure qu'une arme incapable of being targeted at a military objective only, even if collateral
harm occurs. Notwithstanding the unique and profoundly destructive
characteristics ofal1nuclear weapons, that very term covers a variety of
weapons which are not monolithic in al1their effects. To the extent that
a specific nuclear weapon would be incapable of this distinction, its use
would be unlawful.

25. 1 do not consider it juridically meaningful to Say that the use of
nuclear weapons is "generally .. .contrary to the rules of international
law applicable in armed conflict, and in particular the principles and rules
of humanitarian law" (dispositiJ;para. 2E).What doesthe term "generally"
mean? 1sit a numerical allusion, or is it a reference to different types of
nuclear weapons, or is it a suggestion that the rules of humanitarian law
cannot be met Savefor exceptions? If so, where is the Court's analysis of
these rules, properly understood, and their application to nuclear weap-
ons? And what are any exceptions to be read into the term "generally"?
Are they to be linked to an exceptional ability to comply with humani-
tarian law? Or does the term "generally", especially inthe light of para-
graph 96, suggest that if a use of nuclear weapons in extreme circum-
stances of self-defence were lawful, that might of itself exceptionally
make such a use compatible with the humanitarian law? The phraseology

of paragraph 2E of the dispositif raises al1these questions and answers
none of them.

26. There is a further reason why 1have been unable to vote for para-
graph 2E of the dispositif. 1t states a negative consequence of humani-
tarian law and (unspecified)possible exceptions. The role of humanitar-
ian law (in contrast to treaties of specific weapon prohibition) is to
prescribe legal requirements of conduct rather than to give "generalized"
answers about particular weapons. 1do not, however, exclude the possi-
bility that such a weapon could be unlawful by reference to the humani-
tarian law. if its use could never com~lv with its reauirements - no
matter what specifictype within that clbiof weapon w8s being used and
no matter where it might be used. We may believe that, in the present
stage of weapon development, there may be very limited prospects of a
State being able to comply with the requirements of humanitarian law.
But that is different from finding the use of nuclear weapons "generally

unlawful".

27. The meaning of the second sentence of paragraph 2E of the dis-
positif,and thus what the two sentences of paragraph 2E of the dispositif
mean when taken together, is unclear. The second sentence is presumably
not referring to self-defence in those exceptional circumstances, implied
by the word "generally", that might allow a threat or use of nuclear
weapons to be compatible with humanitarian law. If, as the Court has
indicated in paragraph 42 (and operative paragraph 2C),the Charter law
does not peu se make a use of nuclear weapons illegal,and if a specificusesera illicite en soi si elle ne peut pas êtredirigéecontre un objectif mili-
taire et lui seul, indépendammentdes dommages collatérauxqui peuvent
se produire. Malgré les caractéristiques uniques et la nature profon-

dément destructrice de toutes les armes nucléaires,cette expression s'ap-
plique à des armes diverses dont les effets ne sont pas tous les mêmes.
Dans la mesure où une arme nucléairedonnéeserait incapable de faire la
distinction, son emploi serait illicite.
25. Je ne crois pas qu'il soitjuridiquement utile de dire que l'emploi
d'armesnucléaires est((généralemenctontraireaux règlesdu droit interna-
tional applicable dans les conflits armés,et spécialementaux principes et
règlesdu droit humanitaire)) (paragraphe 2 E du dispositif). Que veut
dire ((généralement))? Est-ce une allusion numérique, uneréférenceaux
différentstypes d'armes nucléairesou veut-on donner à entendre que les

règlesdu droit humanitaire ne peuvent s'appliquer sauf exception? S'il
en est ainsi, dans quels cas la Cour a-t-elle analyséces règles en endon-
nant la bonne interprétation, et dans quels cas a-t-elle analysé leur appli-
cation aux armes nucléaires?Quelles sont les exceptions que recouvre le
terme ((généralement))?Faut-il les associer aux possibilités exception-
nellesde respecter le droit humanitaire? Ou bien le terme ((généralement))
indique-t-il, surtout compte tenu du paragraphe 96, que, si l'emploi
d'armes nucléairesdans une circonstance extrêmede légitime défense est
licite, il en résulte exceptionnellementque cet emploi devient compatible

avec le droit humanitaire? La terminologie du paragraphe 2 E du dispo-
sitif soulèvetoutes ces questions sans répondre à aucune d'entre elles.
26. Il y a une autre raison pour laquelle je n'ai pu voter en faveur du
paragraphe 2E du dispositif. C'est qu'ilénonce une conséquencenégative
du droit humanitaire et des exceptions possibles (d'ailleurs non spéci-
fiées).Le rôle du droit humanitaire, contrairement aux traités interdisant
l'emploi d'une arme déterminée,est de prescrire des normes de conduite
et non de donner des réponsesd'un caractère généralau sujet d'armes
particulières. Je n'exclus cependant pas l'éventualitéqu'une telle arme
soit illicite au regard du droit humanitaire, s'il serévélait impossible

qu'ellerépondeun jour aux exigencesde ce droit - quel que soit le type
d'engin appartenant à cette catégoried'armes etquel que soit le lieu de
son utilisation. Nous pouvons penser que, dans l'état actueldu dévelop-
pement de l'armement, il y a trèspeu de chances pour qu'un Etat puisse
se conformer aux exigencesdu droit humanitaire. Mais c'est autre chose
que de considérer l'emploid'armes nucléairescomme ((généralemenitlli-
cite)).
27. Le sens de la deuxièmephrase du paragraphe 2 E du dispositif -
et partant le sens des deux phrases du paragraphe, rapprochéesl'une de
l'autre - n'est pas clair. La deuxièmephrase ne se réfèreprobablement

pas à la légitime défense s'exerçand tans les circonstances exceptionnelles
- qu'implique le mot ((généralement) ) où l'on pourrait considérerla
menace ou l'emploi d'armes nucléairescomme compatible avec le droit
humanitaire. Si,comme la Cour l'aindiquéau paragraphe 42 (et au para-
graphe 2 C du dispositif), la Charte ne rend pas par elle-même illicitecomplied with the provisions of Article 51 and was also compatible with
humanitarian law, the Court can hardly be saying in the second sentence
of paragraph 2E thatit knows not whether such a use would be lawful or
unlawful.
28. Therefore it seems the Court is addressing the "general" cir-
cumstances that it envisages - namely that a threat or use of nuclear
weapons violates humanitarian law - and that it is addressing

whether in those circumstances a use of force in extremis and in conform-
ity with Article 51 of the Charter, might nonetheless be regarded as
lawful, or not. The Court answers that it does not know.
29. What the Court has done is reach a conclusion of "incompatibility
in general" with humanitarian law; and then effectivelypronounce a non
liquet on whether a use of nuclear weapons in self-defencewhen the sur-
vival of a State is at issue might still be lawful, even were the particular
use to be contrary to humanitarian law. Through this formula of non-
pronouncement the Court necessarily leaves open the possibility that a
use of nuclear weapons contrary to humanitarian law might nonetheless
be lawful. This goes beyond anything that was claimed by the nuclear-
weapon States appearing before the Court, who fully accepted that any
lawful threat or use of nuclear weapons would have to comply with both
the jus ad bellum and the jus in bel10(see Advisory Opinion, para. 86).

30. That theformula chosen is a non liquet cannot be doubted, because
the Court does not restrict itself to the inadequacy of facts and argument
concerning the so-called "clean" and "precise" weapons. 1 share the
Court's view that it has not been persuasively explained in what circum-
stances it might be essential to use any such weaponry. Nor indeed may
it be assumed that such types of weapons (perhaps to be used against
submarines, or in deserts) can suffice to represent for a nuclear-weapon
State al1that is required for an effective policy of deterrence.

31. The formula in the second part of paragraph 2E refers also to "the
currentstate of international law" as the basis for the Court's non liquet.
1find it very hard to understand this reference. Paragraph F of the dis-
positif,and the final paragraphs of the Court's Opinion, indicate that the
Court hopes for a negotiated and verified total disarmament, including

nuclear disarmament. But it cannot be the absence of this goal which
means that international law has no answer to give on the use of nuclear
weapons in self-defence. International law does not simply consist of
total prohibitions. Nor can it be that there is no substantive law of self-
defence upon which the Court may offer advice - this, al1said and done,
is one of the most well-developed areas of international law.

32. Can the reference to "the current state of international law" pos-
sibly refer to humanitarian law? This is one of the many elements that is
unclear. This aspect appears to have been disposed of already in the firstl'emploi des armes nucléaires et si, dans un cas donné, cet emploi est
conforme aux dispositions de l'article 51 et est compatible avec le droit
humanitaire, la Cour ne peut guère vouloir dire dans la deuxièmephrase
du paragraphe 2E qu'elle ignore si cette utilisation serait licite ou illicite.
28. Il semble par conséquentque la Cour vise les circonstances ((géné-
rales»,à savoir cellesoù la menace ou l'emploi d'armes nucléairesviole le
droit humanitaire, et qu'elle se demande si, dans ces civconstances, le
recours à la force dans un cas extrêmeet conformément à l'article 51 de
la Charte pourrait êtrenéanmoins considéré comme licite ou non. La

Cour répondqu'elle ne peut se prononcer à ce sujet.
29. La Cour s'est bornée à conclure a une ((incompatibilitéd'ordre
général)) avecle droit humanitaire, puis a prononcé un véritable non
liquet sur le point de savoir si l'emploi d'armes nucléaires en casde légi-
time défense lorsque la survied'un Etat est en cause pourrait êtrelicite,
mêmesi cet emploi étaitdans ce cas particulier contraire au droit huma-
nitaire. En évitant ainside se prononcer, la Cour laisse nécessairement
ouverte la possibilitéqu'un recours à l'arme nucléaire,contraire au droit
humanitaire, soit néanmoins considéré comme liciteE . lle est donc allée
beaucoup plus loin que ne l'ont fait les Etats dotésde l'arme nucléairequi
se sont exprimésdevant la Cour et qui ont pleinement admis que pour
êtrelicite la menace ou l'emploi d'armes nucléaires devait respecter aussi

bien lejus ad bellum que lejus inbel10(voir avis consultatif, par. 86).
30. Il n'est pas douteux que la formule choisie est un non liquet car la
Cour ne se borne pas à invoquer l'insuffisancedes faits et des arguments
concernant les armes dites ((propres» et ((précises». Je pense comme la
Cour qu'on ne lui a pas expliquéde façon convaincante dans quelles cir-
constances il pourrait êtreessentield'utiliser ce genre d'armement. On ne
saurait supposer que des armes de ce type (à utiliser peut-êtrecontre des
sous-marins ou dans des déserts) puissent représenterpour un Etat doté
de l'arme nucléairetout ce dont il a besoin pour mener une politique de
dissuasion efficace.
31. La formule contenue dans la deuxièmepartie du paragraphe 2 E

mentionne aussi ((l'étatactuel du droit international)) comme la base du
non liquet prononcé par la Cour. J'ai beaucoup de mal à comprendre
cette mention. Le paragraphe 2 F du dispositif et les derniers para-
graphes de l'avismontrent que la Cour espère qu'il sera possiblede par-
venir à un désarmement - y compris un désarmement nucléaire - com-
plet, négociéet vérifiéM. ais ce n'est pas parce que l'on n'a pas encore
atteint ce but qu'aucune conclusion ne peut êtretiréedu droit internatio-
nal quant à l'emploi d'armes nucléaires enétatde légitimedéfense.Le
droit international ne consiste pas seulement en interdictions totales. On
ne saurait dire non plus qu'il n'existe pas un droit positif de la légitime
défensesur lequellaCour puisse donner un avis - car c'est,tout compte

fait, un des domaines du droit international les mieux développés.
32. La mention ((l'étatactuel du droit international)) ne renverrait-elle
pas au droit humanitaire? C'estl'undes nombreux éléments qui manquent
de clarté.Cet aspect sembleêtre déjà traitdans la premièrepartie du para-part of paragraph 2E. In any event, humanitarian law too is very well
developed. The fact that its principles are broadly stated and often raise
further questions that require a response can be no ground for a non
liquet. It is exactly the judicial function to take principles of general
application, to elaborate their nleaning and to apply them to specific
situations. This is precisely the role of the International Court, whether
in contentious proceedings or in its advisory function.
33. Perhaps the reference to "the current state of international law" is
a reference to perceived tensions between the widespread acceptance of
the possession of nuclear weapons (and thus, it may be presumed, of the
legality of their use in certain circumstances) as mentioned by the Court
in paragraphs 67 and 96 on the one hand, and the requirements of
humanitarian law onthe other. If so, 1believethis to be a falsedichotomy.

The pursuit of deterrence, the shielding under the nuclear umbrella, the
silent acceptance of reservations and declarations by the nuclear powers
to treaties prohibiting the use of nuclear weapons in certain regions, the
seeking of possible security assurances - al1this points to a significant
international practice which is surely relevant not only to the law of self-
defence but also to humanitarian law. If a substantialnumber of States in
the international community believe that the use of nuclear weapons
might in extremis be compatible with their duties under the Charter
(whether as nuclear powers or as beneficiaries of "the umbrella" or secu-
rity assurances) they presumably also believe that they would not be vio-
lating their duties under humanitarian law.

34. Nothing in relevant statements made suggests that those States

giving nuclear assurances or receiving them believed that they would
be violating humanitarian law - but decided nonetheless to act in dis-
regard of such violation. In sum, such weight as may be given to the
State practice just referred to has a relevance for Our understanding
of the complex provisions of humanitarian law as much as for the pro-
visions of the Charter law of self-defence.

35. For al1of these reasons, 1 am unable to see why the Court resorts
to the answer it does in the second part of paragraph 2E of the dispositg
36. It is also, 1think, an important and well-established principle that
the concept of non liquet- for that is what we have here - is no part of
the Court's jurisprudence.
37. The Court has, of course, on several occasions, declined to answer
a question even after it has established its jurisdiction. Reasons of pro-

priety (Article 65 of the Statute; and the Monetavy Gold Removed fvom
Rome in 1943 and Northern Carneroonscases) or important defects in
procedure (the Asylum case, the Haya de la Torre case) have been given.
But "[in] none of these cases is the non-liquet due ...to deficienciesin the
law" (Rosenne, The Law and Practice of the Zntevnational Court, 2nd
rev. ed., p. 100). graphe 2 E. Quoi qu'il en soit,le droit humanitaire est lui aussi déjà bien
développé. Lefait qu'il énonceses principes en termes généraux etque
ceux-cisoulèvent souventd'autres questions appelant une réponse ne sau-
. rait justifier un non liquet. C'est justement lafonction du juge de partir de
principes d'application générale, d'expliciter leusrens et de les appliqàer
des situations données. Telest précisémenlterôle de la Cour internationale
de Justice tant en matière contentieuse qu'en matière consultative.
33. La référence à ((l'étatactuel du droit international)) renvoie-t-eàle
des conflits que l'on peut percevoir entre d'une part l'acceptation très

répanduede la possession d'armes nucléaires (etpar conséquent,on peut
leprésumer, dela licéitéde leur emploi en certaines circonstances), accep-
tation mentionnée par la Cour aux paragraphes 67 et 96 de l'avis, et
d'autre part les exigences du droit humanitaire. S'ilen est ainsi, je crois
qu'il s'agitlà d'une fausse dichotomie. La recherche de la dissuasion, la
protection qu'assure le «parapluie» nucléaire, l'acceptation tacite des
réserveset des déclarationsfaites par les puissances nucléaires à l'égard
de traités interdisant le recoursà l'arme nucléairedans certaines régions,
la recherche d'éventuellesgaranties de sécurités,ont tous des élémentsqui
mettent en évidenceune pratique internationale importante intéressant
non seulement le droit de la légitime défense mais aussi le droit humani-
taire. Si un grand nombre des Etats de la communauté internationale

estiment que l'emploi d'armes nucléairespeut être dansune circonstance
extrêmecompatible avec les obligations que leur impose la Charte (soit
comme puissances nucléaires soitcomme bénéficiairesdu «parapluie»
nucléaireou des garanties de sécurité),on peut supposer qu'ils estiment
aussi ne violer en rien leurs obligations au regard du droit humanitaire.
34. Rien dans les exposés présentén s'indique que les Etats qui ont
donnédes garanties en matière nucléaire et ceuxqui les ont reçues ont
considéréqu'ils violaientle droit humanitaire mais ont néanmoinsdécidé
d'agir en dépit d'une telle violation. En résumé,l'importance que l'on
peut accorder à la pratique des Etats qui vient d'être mentionnée est utile
non seulement pour comprendre ces dispositions complexes du droit

humanitaire mais aussi celles concernant le droit de la légitime défense
énoncédans la Charte.
35. Pour tous ces motifs, je ne vois pas pourquoi la Cour a utiliséles
termes figurant dans la deuxièmepartie du paragraphe 2E du dispositif.
36. C'est aussi,je crois, un principe important et bien établique la
notion du non liquet - c'est bienla situation en l'espèce- ne fait pas
partie de la jurisprudence de la Cour.
37. Certes, la Cour a plusieurs fois refuséde répondre à une question
alors même qu'elles'étaitdéclaréecompétente.Elle a invoquédes motifs
d'opportunité (article 65 du Statut; Or monétairepris à Rome en 1943 et
Cameroun septentrional) ou des graves vices de procédure(Droit d'asile
et Haya de la Torre). Mais «dans aucune de ces affaires le non liquet ne

résulte ...d'insuffisances du droit)) (Rosenne, The Law and Practice of
the International Court, 2" éd.revisée,p. 100). 38. This unwelcome formulation ignores 65 years of proud judicial
history and also the convictions of those who went before us. Former
President of the International Court, Judge Elias, reminds us that there
are what he terms "useful devices" to assist if there are difficulties in
applying the usual sources of international law. In his view these "pre-
clude the Court from pleading non liquet in any given case" (Elias, The
International Court of Justice and Some Contempovavy Pvoblems, 1983,
p. 14).
39. The learned editors of the 9th edition of Oppenheim S Intevnational
Law remind us:

"there is [not] always a clear and specificlegal rule readily applicable
to every international situation, but that every international situa-
tion is capable of being determined as a mattev of law" (Jennings
and Watts, Vol. 1,p. 13).

40. Nor is the situation changed by any suggestion that the problem is
as much one as "antimony" or clashes between various elements in the
law as much as alleged "vagueness" in the law. Even were there such an
"antimony" (which, as 1have indicated above, 1doubt), the judge's role
isprecisely to decide which of two or more competing norms is applicable
in the particular circumstances. The corpus of international law is
frequently made up of norms that, taken in isolation, appear to pull in
different directions- for example, States may not use forcelstates may
use force in self-defence; pacta sunt servandalStates may terminate or
suspend treaties on specifiedgrounds. It is the role of the judge to resolve,
in context, and on grounds that should be articulated, why the applica-

tion of one norm rather than another is to be preferred in the particular
case. As these norms indubitably exist, and the difficulties that face the
Court relate to their application, there can be no question of judicial
legislation.

41. One cannot be unaffected by the knowledge of the unbearable suf-
fering and vast destruction that nuclear weapons can cause. And one can
wellunderstand that it is expected of those who care about such suffering
and devastation that they should declare its cause illegal. It may well be
asked of a judge whether, in engaging in legal analysis of such concepts
as "unnecessary suffering", "collateral damage" and "entitlement to self-
defence", onehas not lost sight of the real human circumstances involved.
The judicial lodestar, whether in difficult questions of interpretation of

humanitarian law, or in resolving claimed tensions between competing
norms, must be those values that international law seeks to promote and
protect. In the present case, it is the physical survival of peoples that we
must constantly have in view. We live in a decentralized world order, in
which some States are known to possess nuclear weapons but choose to
remain outside of the non-proliferation treaty system; while other such
non-parties have declared their intention to obtain nuclear weapons; and
yet other States are believed clandestinely to possess, or to be working 38. Cette formulation regrettable fait abstraction de soixante-cinq
annéesd'un noble passé judiciaire comme des convictions de nos prédé-
cesseurs. L'ancien Président de la Cour, M. Elias, nous rappelle que ce
qu'il dénomme des((instruments utiles)) existent et peuvent nous aider si
nous éprouvons des difficultés à utiliser les sources habituelles du droit
international. A son avis, «ils interdisenà la Cour de prononcer un non
liquet dans une affaire déterminée)) (Elias, The International Court of
Justice and Some Contemporary Problems, 1983, p. 14).
39. Leséminentsrédacteursde la neuvièmeéditionde l'ouvrage Oppen-

heim's International Law nous rappellent ceci:
«il n'existe pas toujours une règlejuridique claire et spécifiquefaci-
lement applicable dans toute situation internationale, mais toute
situation internationale peut êtrerésolue en droit)) (Jennings et
Watts, vol. 1,p. 13).

40. La situation ne change pas si l'on fait valoir que le problème tient
autant à l'«antinomie» ou aux conflitsdes diversélémentsdu droit qu'au
caractère prétendument vague de ce droit. A supposer qu'une telle anti-
nomie existe (ce dont je doute, comme je l'ai dit ci-dessus), le rôle du juge
est précisément de dire quelleest celle parmi deux ou plusieurs normes

contraires qui est applicable dans les circonstances de I'espèce.Le corpus
du droit international consiste souvent en des normes qui, prises isolé-
ment, paraissent s'orienter dans des directions différentes, par exemple:
les Etats ne doivent pas recourirà la forcelles Etats peuvent recourirà la
force en cas de légitimedéfense;pacta sunt sevvandalun Etat peut dénon-
cer un traitéou en suspendre l'application pour des raisons déterminées.
Il appartient au juge de dire, dans le contexte et sur la base de motifs qu'il
doit exposer, pourquoi il y a lieu de privilégierune norme par rapport à ,
une autre dans le cas considéré. Commeces normes existent indubitable-
ment et que les difficultésrencontréespar la Cour concernent leur appli-
cation, on ne saurait parler de législationjudiciaire.
41. On ne peut rester insensible devant les insupportables souffrances

et l'ampleur des destructions dont les armes nucléaires peuvent êtrela
cause. Il est bien compréhensible que l'on attende de ceux que préoc-
cupent cessouffranceset cesdévastationsqu'ils déclarent cette cause illicite.
On peut fort bien se demander si, quand un juge procède à une analyse
juridique de notions comme celles de «maux superflus)),de ((dommage
collatéral))ou de «droità la légitimedéfense)),il n'a pas perdu de vue I'as-
pect réellementhumain de la situation. L'objectif judiciaire à atteindre,
qu'il s'agisse de répondre à des questions difficiles d'interprétation du
droit humanitaire ou de résoudre de prétendues tensions entre normes
antagoniques, porte sur les valeurs que le droit international s'efforce de
promouvoir et de protéger.En l'espèce, c'estla surviephysique des popu-

lations que nous ne devons jamais perdre de vue. Nous vivons dans un
ordre mondial décentraliséoù l'on sait que certains Etats possédant
l'arme nucléaire préfèrent rester en dehorsdu systèmecréépar le traité
sur la non-prolifération, tandis que d'autres Etats non parties ont déclaréshortly to possess nuclear weapons (some of whom indeed may be party
to the NPT). It is not clear to me that either a pronouncement of illegal-
ity in al1 circumstances of the use of nuclear weapons or the answers
formulated by the Court in paragraph 2E best serve to protect man-
kind against that unimaginable suffering that we al1fear.

(Signed) Rosalyn HIGGINS.leur intention d'accéderà l'arme nucléaire etoù l'on croit que d'autres
encore possèdent clandestinement cette arme ou s'emploient à l'obtenir
sous peu (certains d'entre eux pouvant d'ailleurs être partiesau traitésur
la non-prolifération). Il ne me semble pas que prononcer l'illicéité des
armes nucléaires en toute circonstance ou donner les réponses que la
Cour formule au paragraphe 2E du dispositif soient lesmeilleurs moyens
de protéger l'humanitécontre ces souffrances indicibles que nous redou-
tons tous.

(SignéR )osalyn HIGGINS.

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Opinion dissidente de Mme. Higgins (traduction)

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