Opinion dissidente de M. Weeramantry (traduction)

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095-19960708-ADV-01-12-EN
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OPINION DISSIDENTE DE M. WEERAMANTRY

TABLE DES MATIÈRES

Pages
OBSERVATIO PNÉLIMINAIRES SUR L'AVIS DE LACOUR 433

a) Motifs de mon désaccord 433
b) Les aspects positifs de l'avis de la Cour 433
c) Observations sur le dernier paragraphe 435
i) Paragraphe 2, alinéa B, du dispositif (adopté par 11 voix
contre 3)
ii) Paragraphe 2, alinéaE (adopté par 7 voix contre 7, par la
voix prépondérante duPrésident)

iii) Paragraphe2, alinéaA (adopté à I'unanimité)
iv) Paragraphe 2, alinéaC (adopté à I'unanimité)
v) Paragraphe 2, alinéaD (adopté à I'unanimité)
vi) Paragraphe 2, alinéaF (adopté à l'unanimité)
vii) Paragraphe 1 du dispositif (adoptépar 13 voix contre une)
1. INTRODUCTION

1. Importance primordiale de la question soumiseà la Cour
2. Exposés soumis à la Cour
3. Quelques observations préliminairessur la Charte des Nations
Unies
4. Le droit applicable aux armes nucléaires
5. Remarques préliminairessur le droit humanitaire

6. Le lien entre le droit humanitaire et les réalitésde la guerre
7. Le seuil critique atteint avec les armes nucléaires
8. Possession et utilisation
9. Positions différentes adoptées par les Etats favorableà la
thèse de la licéité
10. La nécessitéde clarifier l'étatdu droit

Il. NATURE ET EFFET DES ARMES NUCLÉAIRES
1. La nature des armes nucléaires
2. Euphémismesmasquant les réalitésde la guerre nucléaire
3. Les effets de l'arme nucléaire

a) Dommages à l'environnement et à l'écosystème
b) Dommages aux générationsfutures
c) Dommages aux populations civiles
d) L'hiver nucléaire
e) Pertes en vies humaines
f) Effets des rayonnements sur la santé
g) Effet thermique et souffle
h) Malformations congénitales
i) Dommages transnationaux j) Anéantissement possible de l'ensemblede la civilisation
i) Institutions sociales
ii) Structures économiques
iii) Trésorsculturels

k) L'impulsion électromagnétique
1) Dommages aux réacteurs nucléaires
m) Dommages a la productivité alimentaire
n) Explosions nucléaires multiples résultant de ripostes en
étatde légitime défense
O) «L'ombre du champignon nucléaire»

4. La spécificitdes armes nucléaires
5. Les différencesentre le niveau actuel des connaissances scien-
tifiques et celui de 1945
6. Les bombes d'Hiroshima et de Nagasaki permettent-elles de
conclure qu'il est possible de survivrela guerre nucléaire?
7. Une vision venant du passé

III. DROIT HUMANITAIRE
1. Les «considérations élémentairesd'humanité»

2. L'origine multicuturelle du droit humanitaire de la guerre
3. Aperçu de l'évolutiondu droit humanitaire
4. L'acceptation par les Etats de la clause de Martens
5. Les ((exigencesde la conscience publique))
6. Les répercussions dela Charte des Nations Unies et des droits
de l'homme sur «les considérations d'humanité))et les «exi-
gences de la conscience publique»
7. L'argument du caractère non intentionnel des ((dommages
collatéraux»
8. L'illicéiexiste indépendamment d'interdictions spécifiques

9. L'arrêt rendudans l'affaire du Lotus
10. Règles particulièresdu droit humanitaire de la guerre
a) L'interdiction de causer des maux superflus
b) Le principe de proportionnalité
c) Le principe de distinction
d) Respect des Etats non belligérants
e) L'interdiction du génocide

f) L'interdiction des dommages à l'environnement
g) Droit relatif aux droits de l'homme
11. L'opiniojuvis
12. Le protocole de Genève de 1925sur les gaz

i) Les rayonnements sont-ils toxiques?
ii) Les rayonnements mettent-ils des «matières» en contact
avec le corps humain?
13. L'article3 a) du règlement de La Haye

IV. LÉGITIM EEFENSE
1. Maux superflus

2. Proportionnalitélerreur
3. Distinction
4. Etats non belligérants MENACE OU EMPLOI D'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW. EERAMANTRY)

5. Génocide
6. Dommages àl'environnement
7. Droits de l'homme

1. Deux visions philosophiques

2. Les buts de la guerre
3. Le concept de «menace de la force)) dans la Charte des
Nations Unies
4. L'égalitédans le contexte du droit de la guerre
5. Caractèreillogique d'un régimedualiste en matière dedroit de
la guerre
6. Le processus d'élaboration des décisions en matière nu-
cléaire

VI. L'ATTITUDE DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE VIS-À-V IES ARMES
NUCLEAIRES

1. Universalité de l'adhésionau but ultime de l'élimination com-
plète
2. Rappel des écrasantes majorités favorableà l'abolition totale
3. L'opinion publique mondiale
4. Interdictions existantes
5. Interdictions partielles

6. Quels sont les Etats spécialementconcernés?
7. Les Etats ont-ils, en devenant partiàsdes traités régionaux,
reconnu la licéitédes armes nucléaires?
VII. QUELQUES ASPECTS PARTICULIERS

1. Le traité sur la non-prolifération
2. Dissuasion

i) Qu'entend-on par dissuasion?
ii) La dissuasion, contre quel acte est-elle dirigée?
iii) Les degrés dela dissuasion
iv) La dissuasion minimale
v) Le problème de la crédibilité
vi) La différenceentre dissuasion et possession
vii) Le problème juridique de l'intention
viii) La tentation d'utiliser les armes tenues en réserves

fins de dissuasion
ix) La dissuasion et l'égalité souveraine
x) Incompatibilité de la dissuasion avec les principes
énoncésdans la déclaration de Saint-Pétersbourg
3. Représailles
4. Conflits internes

5. La doctrine de la nécessité
6. Armes nucléaires àeffets limitésou tactiques ou du champ de
bataille
VIII. QUELQUE ARGUMENTS AVANCÉS POUR SOUTENIR QUE LA COUR NE

DEVRAIT PAS DONNER L'AVIS CONSULTATIF SOLLICITÉ
1. Un tel avis consultatif serait dépourvud'effets pratiques
2. Les armes nucléairesont préservéla paix mondiale MENACE OU EMPLOID'ARMES NUCLÉAIRES (OP. DISS. WEERAMANTRY) 432

IX. CONCLUSION 552

1. La tâche de la Cour
2. Les options qui s'offrent a l'humanité
APPENDICE (L.e risque encouru par les Etats neutres.) Comparaison des
effets des bombes 555 a) Motifs de mon désaccord
Après avoir mûrement réfléchi, j'estimeque l'emploi et la menace de

l'emploi d'armes nucléairessont illicites en toutes circonstances parce
qu'ils sont incompatibles avec les principes fondamentaux du droit inter-
national et constituent la négation mêmedes valeurs humanitaires sur
lescluelles repose la structure du droit humanitaire; parce qu'ils sont
contraires au droit conventionnel et en particulier au protocole de Genève
de 1925concernant la prohibition d'emploi à la guerre de gazasphyxiants,
toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques, et à l'article 23 a)
du règlement deLa Haye de 1907;parce qu'ils sont inconciliables avec le
principe fondamental de la dignitéet de la valeur de la personne humaine
qui est àla base de l'ensembledu droit; et parce qu'ilsportent atteinte à
l'environnement au point de menacer toutes les formes de vie sur la pla-
nète.

Je regrette que la Cour n'ait pasdit sans détouret catégoriquement que
l'emploi ou la menace de l'emploi de telles armes est illiciten toutes cir-
constances sans exception. Telle est la conclusion que la Cour aurait dû
énoncer avec fermetéet sans équivoque, réglant ainsi cette question juri-
dique une fois pour toutes.
La Cour a préféré s'engagesrur la voie de la thèse del'illicéité en for-
mulant des déclarations de trèsgrande portée qui vont nettement dans ce
sens tout en en émettant d'autres qui sont à la fois ambiguës et manifes-
tement erronées.
Je me suis donc vu contraint de présenter cette opinion dissidentebien
que l'avisde la Cour comporte des parties auxquellesje souscris et sur la

base desquelles on peut raisonnablement conclure à l'illicéité. Ceasspects
de l'avis de la Cour sont analysés ci-après. Ilsfont faire au droit interna-
tional un grand pas en avant dansla voie del'interdiction totale. Et, en ce
sens,l'avisde la Cour contient des déclarationspositivesrevêtant une très
grande importance.
Sur les six alinéasdu paragraphe 2 du dispositif de l'avis, il y en a deux
avec lesquelsje suis en profond désaccord. Je crois queces deux alinéas
énoncentle droit de manièreerronéeet incomplèteet je me suis vu dans
l'obligation d'émettre unvote négatif à leur sujet.
J'ai toutefois votéen faveur du paragraphe 1 du dispositif et de quatre
des six alinéasdu paragraphe 2.

b) Les aspects positifs de l'avisde la Cour

L'avis consultatif en l'espèceconstitue la première décision de laCour
- et, de fait, d'un tribunal international- qui définisseclairement les
restrictions touchant les armes nucléaires découlantde la Charte des

Nations Unies. C'est la première décisionde ce type qui se réfère expres-
sément à l'incompatibilité des armes nucléaires avec ledroit des conflits
armés etle droit international humanitaire. C'est aussi la premièredéci-sion de ce type qui exprime l'avis que l'emploi desarmes nucléaires est
circonscrit et limitépar une séried'obligations conventionnelles.
Dans le domaine de l'environnement, c'est le premier avis qui, à pro-
pos des armes nucléaires,consacre expressémentle principe de ((l'inter-
diction d'utiliser desméthodeset moyens de guerre conçus pour causer ou
dont on peut attendre qu'ils causeront»des dommages étendus, durables
et graves à l'environnement et de ((l'interdiction de mener des attaques
contre l'environnement naturel à titre de représailles))(par. 31).
Dans le domaine du désarmement nucléaire, l'avisrappelle aussi à
toutes les nations qu'ellesont l'obligation de meneà terme des négocia-
tions sous tous leurs aspects, empêchant ainsi quene se perpétue uneme-
nace à l'intégritédu droit international.
Une fois ces propositions établies,il convient seulement d'examiner les

conséquencesde l'emploi desarmes nucléairespour parvenir à la conclu-
sion qu'il n'ya aucun emploi ou aucune menace d'emploi de ces armes
qui ne soit pas contraire aux principes susmentionnés. L'avis analyse
assez longuement les nombreuses caractéristiques propres aux armes
nucléairesqui sont en contradiction flagrante avec les valeurs fondamen-
tales sur lesquelles reposent la Charte des Nations Unies, le droit inter-
national et le droit international humanitaire. Compte tenu de ces élé-
ments, il est désormais établiqu'il est impossibleque les armes en cause
soient compatibles avec lesprincipes fondamentaux, énoncés par la Cour,
ce qui fait qu'ellessont illicitessur la base de la conclusion unanime de la
Cour.
Je voudrais en particulier rappeler qu'aux termes de l'article, para-
graphe 4, de la Charte, le respect des buts des Nations Unies est une obli-

gation. Ces buts concernent le respect des droits de l'homme et de la
dignitéet de la valeur de la personne humaine. Ils concernent également
les relations amicales entre les nations et le bon voisinage (cf. l'article 1
(((Butset principes)))lu conjointement avec lepréambule).La corrélation
entre licéitéet respect de ces principes a maintenant étéétabliepar un
organe judiciaire. Des armes qui peuvent anéantirun million ou un mil-
liard d'êtreshumains (selon lesestimations présentéesàla Cour) font peu
de cas dela dignitéet de la valeur de la personne humaine oudu principe
du bon voisinage. Elles sont bannies en vertu même des principes énoncés
par la Cour.
Bien que je ne souscrive pas à toutes les conclusions de la Cour, des
élémentsnettement favorables àla thèsede l'illicéitdécoulent certaine-
ment de celles qui ont étéadoptées à l'unanimité. J'exposeraiplus loin

dans la présente opinion d'autres élémentspermettant d'établirl'incom-
patibilité totale des armes nucléaires avec les principesénoncéspar la
Cour.
Il est possible que de nouvelles précisions puissentêtreapportées à
l'avenir dans ce domaine.
Je vais maintenant faire quelques observations sur les différentsalinéas
du paragraphe 2 du dispositif. J'examinerai d'abord les deux alinéas aux-
quels je ne souscris pas. c) Observationssur le dernier paragraphe

i) Paragraphe 2, alinéaB, du dispositif (adoptépar II voix contre 3)
S'agissant del'alinéaB,je suis d'avisque l'emploi desarmes nucléaires
est soumis par le droit conventionnel à des restrictions complètes et uni-
verselles. On peut notamment citer à cet égard,outre les traités surl'en-

vironnement, le protocole de Genèvede 1925sur les gaz et l'article 23a)
du règlement de La Haye. Je reviendrai sur ces questions dans mon
opinion. Je ne crois pas que l'on puissedire qu'il n'y a pas d'interdictions
imposéespar le droit conventionnel à l'emploi de telles armes.

ii)Paragraphe 2, alinéaE (adoptépar 7 voix contre 7,par la voix pré-
pondérantedu Président)

Je suis en profond désaccordavec la teneur des deux phrases de cet
alinéa.
Je suisfermementopposé àl'inclusiondu mot ((généralement)[)((gener-
ally»] dans la premièrephrase. C'est là un terme trop vague pour avoir
sa place dans un avis consultatif et je ne peux m'associerà une déclara-
tion laissant entendre, siindirectement que ce soit, que l'emploi desarmes
nucléaires ~ourrait ne Dasêtrecontraire au droit en toutes circonstances.
Je regrette la présencede ce mot dans une phrase qui, sans lui, énoncerait
correctement le droit. Le terme ((généralement))me paraît aussi intro-
duire un élémentde contradiction interne dans l'avis puisque, aux ali-
néasC et D, la Cour conclut que la menace ou 1e 4i mploi d'armes nu-
cléairesdoit être compatibleavec la Charte des Nations Unies, les prin-
cipes du droit international et les principes du droit humanitaire; comme
une telle compatibilitéest impossible, lesarmes en question sont illicites.

Le mot ((généralement)) [((generally»] peut avoir de nombreux sens,
depuis ((enrègle généralen,ormalement)) à ((universellement etpour tous
ou presque tous))'.Mêmedans cette deuxièmeacception, il comporte des
échappatoires,si limitées soient-elles,qui ne traduisent pas véritablement
le droit. Le principe juridique ne doit laisser subsister aucune zone
d'ombre où une nation puisse se réfugierpour s'ériger,dans un domaine
aussi crucial, en seuljuge de sa propre cause.
Le but principal de cette opinion est de démontrer que ce n'est pas
généralementmais dans tous les cas qu'il serait contraire aux règlesdu
droit international, et en particulier aux principes et règles du droit
humanitaire, de recourir à l'emploi ou à la menace d'emploi des armes
nucléaires. Voilàce qu'il aurait fallu direl'alinéaE du paragraphe 2 du
dispositif de l'avis consultatif et rien de plus.
La deuxièmepartie de l'alinéa E indique que, vu l'état actueldu droit
international, la Cour ne peut conclure de façon définitiveque la menace
ou l'emploi d'armes nucléaires serait liciteou illicite dans une circons-

'The Shorter Oxford English Dictionary, 3eéd., 1987,vol. 1,p. 840.tance extrêmede légitime défense.Il me semble aller de soi qu'en cas de
recours aux armes nucléairesle droit de la guerre (jus inbello) s'applique
et que de nombreux principes du droit de la guerre, qui sont mentionnés
dans la présente opinion, interdisent totalement l'emploi de telles armes.
Le droit existant étantsuffisamment clair sur ce point, la Cour aurait pu

se prononcer de manière définitive,sans laisser de côté cette question
essentielle comme si les principes n'étaient pasassez bien établispour la
trancher. Il y avait d'autant plus de raison de dissiper cette incertitude
que la Cour étaitdéjà parvenue aux conclusions très précises rappelées
plus haut.

iii)Paragraphe 2, alinéaA (adopté à l'unanimité)

Pour ma part, je verrais mieux cette déclaration indiscutable dans les
qualitésque dans le dispositif.

iv) Paragraphe 2, alinéaC (adopté à l'unanimité)
Les aspects positifs de cet alinéa ont déjàété soulignésL . a Cour y

confirme par une décisionunanime les conditions auxquelles serait subor-
donnée,sur la base de la Charte, la licéitde l'emploi des armes nucléaires,
conditions qui sont absolument incompatibles avec les effets de l'emploi
de telles armes. J'estime donc que, selon l'alinéaC, l'emploi d'armes nu-
cléaires est illicite quelles que soient les circonstances dans lesquelles
elles sont utilisées que ce soit en réponse à une agression ou au titre
de la légitime défense,sur le plan international ou national, en vertu
d'une décision individuelleou d'une décision prise collectivement avec
d'autres nations. L'approbation unanime de ce principe par tous les
membres de la Cour fait faire au principe de I'illicéité de l'emploi des
armes nucléairesun grand pas en avant par rapport au temps où aucune
analyse judiciaire n'avait été entreprisepar aucun tribunal international
au sujet de la licéité desarmes nucléaires.

Les tenants de la licéitéde l'emploi desarmes nucléairesont soutenu
avec insistance que ce qui n'est pas expressémentinterdit àun Etat lui est
permis. Partant decette prémisse,on a dit que l'emploide l'arme nucléaire
était un domaine où la liberté deI'Etat n'était paslimitée. J'estimeque les
restrictions énoncées à l'alinéaC réduisentcet argument à néant.

v) Paragraphe 2, alinéaD (adopté à l'unanimité)

Cet alinéa, adopté, lui aussi, à l'unanimité par la Cour, énonce la
condition supplémentaire de la compatibilité avec les exigences du droit
international applicable dans les conflits armés, spécialementcelles des
règles du droit international humanitaire, ainsi qu'avec les obligations
particulières en vertu de traités.
Cet alinéavise une trèslarge gamme d'interdictions.

Dans mon opinion, j'indiquerai quels sont ces règleset principes etpourquoi il est impossible de s'y conformer dans le cas des armes nu-
cléaires,eu égard à leur nature et à leurs effets.
Si la preuve peut êtreapportéeque l'arme nucléaireest contraire à ces

principes, cette arme est illicite selon les termes de l'alinéaD du para-
graphe 2 du dispositif de l'avis de la Cour.

vi) Paragraphe 2, ainéaF (adopté à l'unanimité)

Cet alinéaest,à proprement parler, étranger à la question. Mais, dans
le contexte généraldu problème des armes nucléaires, ilcontient un utile
rappel des obligations des Etats en la matièreet j'ai votépour son adop-
tion.
Je vais maintenant exposer mes vues sur la question posée à la Cour.
Comme cette question ne concerne que l'emploi et la menace d'emploi
des armes nucléaires,je n'aborderai pas le problème dela licéité sous ses

autres aspects importants, tels que la possession, la proliférationverticale
et horizontale, le montage et les essais.
Je formule quelques réserves à l'égardde certains des motifs sur les-
quels repose l'avisde la Cour, que j'exposerai plusloin. En particulier, et
bien que j'approuve l'argumentation qui a conduit la Cour à rejeter les
diverses exceptions soulevéesau sujet de la recevabilitéet de la compé-
tence, je tiens dire que je n'approuve pas le paragraphe 14de l'avis où
il est dit que le refus de donner à l'organisation mondiale de la Santé
l'avis consultatif sollicitépar elle a été justipar le défaut de compé-
tence de la Cour en l'espèce.Mon désaccordavec cette position constitue
la base de l'opinion dissidente que j'ai jointe à l'avis de la Cour dans

l'affaire enquestion.
J'estime que, dans ses développementssur la question des représailles
(par. 46), la Cour aurait dû conclureàl'illicéité des représaillepnériode
de conflit armé. Je suis de surcroît en désaccordtant avec ce que dit la
Cour dans le contexte du génocideau sujet de l'intention dirigke contre
un groupe comme tel, qu'avec ses considérations sur la dissuasion
nucléaire. Cesaspects sont analysésdans mon opinion.

vii) Paragraphe 1 du dispositif (adoptépar 13 voix contre une)

Un dernier point doit êtresignaléavant de passer au fond de la pré-

sente opinion dissidente. J'ai votéen faveur de la premièreconclusion de
la Cour - reproduite au paragraphe 1 du dispositif - qui fait suite au
rejet par la Cour des diverses exceptions touchant la recevabilitéet la
compétencesoulevéespar les Etats soutenant la thèse de la licéité des
armes nucléaires.J'appuie fermement les vues expriméespar la Cour à
l'appui de sa décisionsur ces questions, mais les exceptions qui ont été
soulevéesappellent de ma part quelques observations supplémentaires
que j'ai exposéesdans mon opinion dissidente relative à la demande de
l'Organisation mondiale de la Santé, laquelle a suscité des exceptions
analogues. Je m'abstiendrai de répéterici ces observations, étant donnéles conclusions auxquelles la Cour est parvenue. Mais ce que j'ai dit sur
ce point dans l'opinion dissidente en question doit être considéré comme

un complément à ce qui va suivre.

1. Importance primordiale de la question soumise à la Cour

Je vais maintenant aborder le fond de la présente opinion.
L'affaire considéréea dès l'origine suscité dans le monde un intérêt
sans précédentdans les annales de la Cour. Trente-cinq Etats ont déposé

des exposés écritset vingt-quatre ont présentédes exposésoraux. Une
multitude d'organisations, y compris des organisations non gouverne-
mentales, ont également envoyé des communications à la Cour et lui ont
soumis de la documentation; et près de deux millions de signatures
recueilliesdans près devingt-cinq pays et émanantd'organisations et de
particuliers ont été effectivement reçuespar la Cour. D'autres pièces
contenant des signatures, sivolumineuses que la Cour a été dans l'impos-

sibilité matériellede les recevoir, ont été remisesà divers autres déposi-
taires. L'archiviste de la Cour estime que, si on prend aussi en compte ces
pièces,plus de trois millions de signatures ont étéreçues2. Le nombre
total de signatures, dont certaines n'ont pu êtredéposéesauprès de la
Cour, dépasse largement ce chiffre. C'est du Japon, la seule nation a
avoir été victimed'une attaque nucléaire,qu'émaneleplus grand nombre
de signatures3. Bien que ces organisations et ces particuliers n'aient pas

soumis d'exposés enbonne et due forme à la Cour, leur action témoigne
d'une effervescence de l'opinion publique mondiale qui n'est pas sans
pertinencejuridique, comme on leverra plus loin dans la présente opinion.
L'idéeque les armes nucléairessont intrinsèquement illicites et que la
conscience de cette illicéidevrait contribuer notablement àl'avènement
d'un monde dénucléarisé n'es ptas nouvelle. Albert Schweitzer s'yréfère
dès 1958dans une lettre à Pablo Casals où il évoque

((l'argument le plus élémentaireet le plus évident: à savoir que le
droit international interdit les armes ayant des effets impossiblesà
maîtriser qui causent des dommages illimitésaux populations ne se

Interrogé surle nombre des signatures reçues, l'archiviste a réponduce qui suit dans
un mémorandum: «Donner leur chiffre exact reviendraitmpter les étoilesdans le
ciel.»
Les auteurs d'une déclaration exprimant la conscience publique d'origine japonaise
ont signalé,dans une communication au Greffier, qu'outre les 1564954 signatures dépo-
séesauprès de la Cour, ils ont déposédans un entrepôt de La Haye7signatures
que la Cour n'a pas pu recevoir faute de place. Une autre source en Europe a indiqué
avoir reçu,propos des demandes d'avis consultatif soàla Cour, 3691899 signa-
tures, dont338408 provenaient du Japon. trouvant pas dans la zone des combats, comme c'estle cas des armes
atomiques et nucléaires ...L'argument selon lequel ces armes sont
contraires au droit international résumetout ce que nous avons à

leur reprocher. Il a l'avantage d'être un argumentjuridique ...Aucun
gouvernement ne peut nier que ces armes violent le droit internatio-
nal ...et on ne peut purement et simplement faire abstraction du
droit international !»4

Si donc les non-spécialistesont de longue date reconnu la nécessité de
l'examinersous ses aspects juridiques, la question n'a jusqu'à présentfait
l'objet d'aucune décisionjudiciairefaisant autorité émanantd'un tribunal
international. Elle a été examinépear les tribunaux japonais dans l'affaire
Shimoda5,maisjusqu'à la soumission à la Cour des deux demandes d'avis

consultatif, aucun organe judiciaire international n'a eu à en connaître. La
responsabilitéqui incombe à la Cour est donc extraordinairement lourde
et ses conclusions revêtent nécessairement unie mportance exceptionnelle.
La question a été intensémentdébattue devant la Cour à partir de
points de vue opposés.La Cour a l'avantage de voir se présenter devant
elle les spécialistesles plus éminentsdu droit international. Dans leurs
exposés,ils ont souligné la valeurhistorique que revêtenttant la présente

demande d'avis consultatif émanant de l'Assemblée généralq eue la
demande de l'OMS qui a été examinéa eussi par la Cour. Selon l'un
d'entre eux, ces demandes

«feront date dans l'histoire de la Cour sinon dans l'histoire tout
court. Il est probable que ces demandes portent sur la question juri-
dique la plus importante qui lui ait jamais étésoumise.)) (M. Sal-
mon, Iles Salomon, CR95i32, p. 38.)

Selon un autre: «Ce n'est pas tous les jours qu'on a l'occasion de
plaider pour la survie de l'humanité devantune Cour aussi prestigieuse. ))
(M. David, Iles Salomon, CR95i32, p. 49.)

Puisque c'est le plus grave des problèmes concevables qui est abordé
dans le présent avisconsultatif, il est du devoir de la Cour d'examiner,
dans un tel contexte, toutes les sources disponibles du droit international,
en allant aussi loin que possible dans ses recherches. La force et la
richesse insoupçonnées que recèlent ces sources n'attendent que d'être
mises au jour. Ces sources recèlent-elles des principes pluspuissants que
la puissance elle-mêmes ,ur la base desquels devrait êtrerégiel'arme de

destruction la plus puissante qui ait jamais étéconçue?
On ne saurait trop souligner que la fonction de la Cour est de dire le
droit tel qu'il est aujourd'hui et non tel qu'il pourrait êtredemain. Le

Albert Schweitzer, Letfers 1905-1965,H. W. Baher (dir. publ.), J. Neugroschel (trad.)
[dont la traduction anglaise a servi de basersion française ci-dessus], 1992,p. 280,
lettre Pablo Casals du 3 octobre 1958; les italiques sont de moi.
?C?Shirnoda c.I'Etatjaponais, The Japanese Annual of International Law, 1964,p. 212-problèmeest de savoir si l'on peut, pour conclure à l'illicéide l'emploi
ou de la menace d'emploi des armes nucléaires,s'appuyer sur les prin-
cipes juridiques existants et non sur une aspiration idéalistede ce que
le droit devrait être? En répondantà la présentedemande d'avis consul-
tatif, la Cour traite d'une question deege lata et non de legeferenda.
En se prononçant sur une question qui suscite des arguments si contra-
dictoires, la Cour peut essentiellement se trouver devant trois possibilités.
Si les principes du droit international établissentque l'emploi de l'arme

nucléaire est licite,la Cour est tenue de conclure en ce sens. Les forces
antinucléairesdans le monde pèsentd'un poids énorme maiscela ne doit
pas détourner la Cour de son devoir, qui est de déclarer quel'emploi des
armes nucléaires est licitesi c'est ce que dit le droit. Une deuxièmepos-
sibilité estque le droit ne fournit aucune indication préciseni dans un
sens ni dans l'autre. En pareil cas, il faut prendre acte de ce silenceet une
nouvelle impulsion pourrait être donnéeau développement du droit.
Enfin, si les règles et principes juridiques font apparaître que l'arme
nucléaire est illicite, laCour doit se prononcer en ce sens sans se laisser
intimider par les immenses forces soutenant la thèsede la licéit. omme
je l'ai indiquédèsle début,tout bien considéré, cette dernièreoption me
paraît êtrela bonne. Les forces qui s'opposentà la thèsede l'illicésont
certes colossales. Mais la confrontation avec des forces colossales n'apas
empêché le droit de poursuivre sa progression vers l'affirmation de sa pri-

mauté. Ledroit ne craint pas d'imposer des limites à la force matérielle
lorsque les principes juridiques l'exigent. C'est ens'affirmant énergique-
ment en présencede forces apparemment colossales ou irrésistiblesque le
droit a établisa primauté. Une fois que la Cour a déterminéce que dit le
droit et mis le cap dans cette direction, elle ne peut pas s'arrêterpour
mesurer purement et simplementl'ampleur des forces globales masséesde
chaque côté desa route.

2. Exposéssoumis a la Cour

Outre les exposés relatiàsla compétence del'Assemblée générap lour
demander cet avis consultatif, un grand nombre d'exposéssur le droit
positif en la matière ont étésoumis de part et d'autre par les nombreux
Etats qui se sont présentésdevant la Cour ou ont déposédes exposés

écrits.
Bien qu'ily ait nécessairement desrépétitionsdans ces divers exposés,
ils constituent dans leur ensemble une véritablemasse de documents, qui
analyse le droit de la guerre jusque dans ses fondements théoriques. Un
trèsgrand nombre d'éléments de fait ont également étésoumis à la Cour
pour mettre en lumière le caractère spécifiqueque présentent à maints
égardsles armes nucléaires, même comparéesaux autres armes de des-
truction massive, en raison des ravages sans précédentqu'elles peuvent
causer à l'humanitéet à son environnement pour les générations à venir.
De leur côté,les adversaires de la thèsede l'illicéitont soutenu que,
bien qu'il existe un grand nombre de traités sur les armes nucléaires,aucun ne contient de clause déclarantces armes expressément illicites.A
les entendre, au contraire, les divers traités sur les armes nucléaires
conclus par la communauté internationale et notamment le traité sur la
non-prolifération impliquent clairement que les armes en question sont
actuellement licites pour ce qui est des puissances nucléaires.Leur thèse
est que le principe de I'illicéide l'emploi ou de la menace d'emploi des

armes nucléaires,malgréles grands progrès faitsdans la voie de sa recon-
naissance, est encore du domaine du futur. Il relèvepour le moment,
selon eux, de la lex ferenda et non de la lex lata. Très souhaitable mais
encore en devenir, c'est un principe en gestation.

Dans la présente opinion,je ne peux traiter comme ils devraient l'être
tous les arguments présentés à la Cour, mais je tenterai d'analyser cer-
tains des plus importants.

3. Quelques observationspréliminairessur la Charte des Nations Unies

Ce n'est que quelques semaines avant que le monde n'entre brusque-
ment dans l'èrede l'atome qu'a étésignée laCharte des Nations Unies.
Les pays signataires ont adoptéce document à San Francisco le 26juin
1945. La bombe a étélarguéesur Hiroshima le 6 août 1945. Il ne s'est
écouléque quarante jours entre les deux événements,l'un et l'autre si
chargés de signification pour l'avenir de l'humanité. La Charte des
Nations Unies a inauguré unenouvelle èred'espoir. La bombe a ouvert
une nouvelle èrede destruction.
Sihabituéqu'il fût aux ravages causéspar la guerre classique, lemonde
n'en a pas moins étéconsternéet horrifiépar la puissance de la bombe
nucléaire - modeste pourtant par rapport à ce qui se fait aujourd'hui.
Les horreurs de la guerre qu'avaient connues les rédacteurs dela Charte

n'étaient que les horreurs, comparativement plus limitées,vécuesjus-
que-là pendant la seconde guerre mondiale. Pourtant ces horreurs, gra-
véesdans la conscience de l'humanitépar le conflit le plus dévastateurde
l'histoire, avaient suffi pour mobiliser les énergiesde la communauté
internationalecar ellesavaient, pour citer la Charte, «infligé l'humanité
d'indicibles souffrances». Le pouvoir d'infliger d'indiciblessouffrancesà
l'humanité allait quelquessemaines plus tard être multiplié des dizaines
de fois par la bombe. La Charte, rédigéedans l'ignorance totale de cet
accroissement de la puissance des armements, a-t-elle lancéun message
adapté à l'èrenucléairequi allait s'ouvrir?
Les premières lignesde la Charte contiennent sixformules clésqui sont

d'une extrêmepertinence en l'espèce.
La Charte s'ouvre sur lesmots: ((Nous, peuples desNations Unies» -
montrant ainsi que tout ce qui suit exprime la volontédes peuples de la
Terre. C'est dans la volontéet les aspirations collectives de ces peuples
que la Charte trouve sa source - une véritéqu'ilne faut jamais perdre de
vue. Dans l'affaire soumisea la Cour, lespeuples du monde ont un intérêt
vital et l'opinion publique mondiale exerce une influence importante surle développementdes principes du droit international public. Comme on
le verra dans la suite de la présente opinion, le droit applicable est large-

ment fonction des ((principes d'humanité))et des ((exigencesde la cons-
cience publique)), pour ce qui est de déterminerles moyens et méthodes
de guerre qu'il est permis d'utiliser.
La Charte dit ensuite que les peuples des Nations Unies sont résolus à
préserverles générations futuresdu fléaude la guerre. L'expériencede la
générationd'alors se limitait à la guerre non nucléaireet une formulation
encore plus énergiqueaurait sans doute étéadoptéesi l'on avait étécons-
cient du potentiel destructeur des armes nucléaireset de la persistance de
leurs effets d'une génération à l'autre.
Immédiatement après ces deux idées,la Charte en avance une troi-

sième,cellede la dignitéet de la valeur de la personne humaine reconnues
comme la considération suprêmedans la sociétémondiale de demain,
alors mêmeque le monde allait avoir la révélationd'un moyen de faucher
des vies par millions avec une seule bombe atomique.
Juste après ces trois idées,la Charte en émet une quatrième,celle de
l'égalitéde droit des nations grandes et petites - idéalque la notion de
puissance nucléaire met sérieusement en péril.
Ensuite vient la notion du maintien du respect des obligations nées des
traités et((autres sources du droit international» (les italiques sont de

moi). La thèse qui conteste la licéité desarmes nucléairess'appuie prin-
cipalement non sur les traités maissur «les autres sources du droit inter-
national)) (essentiellement le droit humanitaire), dont les principes sont
universellement acceptés.
La sixième idéepertinente contenue dans le préambule dela Charte a
trait au progrès social età l'instauration de meilleures conditions de vie
dans une liberté plusgrande. Loin de contribuer à la réalisation de cet
idéalénoncépar la Charte, l'arme qui nous occupe a la capacité de faire
retourner l'humanité à l'âge de pierre- si ellene l'anéantitpas complè-
tement.

On dirait vraiment qu'avec une prescience remarquable les auteurs de
la Charte ont eu l'intuition des grandes valeurs liéesau progrès et au
bien-êtrede l'humanité qui allaient êtremenacées de destruction par
l'apparition, six semaines plus tard, d'une arme assez puissante pour
modifier à tout jamais le visage de la guerre - une arme qu'un de ses
créateurs,empruntant à l'antique sagesseorientale, qualifierait unjour de
celle «qui anéantit les mondes>)6, lui reconnaissant ainsi le pouvoir
d'ébranlerl'univers.
La Cour est maintenant appelée à émettreun avis sur la licéitéde cette

arme. Les six idées cruciales énoncéea su tout débutde la Charte ne doi-
vent jamais être perdues devue car chacune d'entre elles est un point de
repère dont il ne faut pas s'écarter àla légère.

Robert Oppenheimer citant le Blzagavad-Gita. Voir Peter Goodchild, Robert Oppen-
heimer: Shattever of Worlds, 1980. MENACE OU EMPLOI D'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW . EERAMANTRY) 443

4. Le droit applicable aux armes nucléaires

Comme le souligne Oscar Schachter, le droit applicable aux armes
nucléaires estbeaucoup plus étenduque ne «le donne àpenser le discours
des stratèges du nucléaireet des spécialistesde la science politique»7 et
les divers éléments de ce droit pourraient être rangésdans les cinq caté-
gories suivantes :

1) Le droit international applicable d'une manièregénéraleaux conflits
armés - lejus in bello, parfois désignésous le nom de «droit huma-
nitaire de la guerre)).
2) Le jus ad bellum - les règles régissantle droit des Etats de faire la
guerre. Ces règlestrouvent leur expression dans la Charte des Nations
Unies et dans le droit coutumier pertinent.

3) La lex specialis- lesobligationsjuridiques internationales qui concer-
nent spécialementles armes nucléaires et lesarmes de destruction
massive.
4) Le corpus de droit international régissant lesdroits et les obliga-
tions des Etats en général,qui peut avoir une incidence sur la politi-
que en matière d'armes nucléaires dans des circonstances détermi-
nées.
5) Le droit interne, d'origine constitutionnelle et législative, éventuelle-

ment applicable aux décisions desautorités nationales en matière
d'armes nucléaires.

Chacune de ces catégoriessera analyséedans la présente opinion mais
c'est surtout la premièrequi retiendra mon attention.
Cette analyse montrera également que les diverses sources du droit
international énuméréea su paragraphe 1 de l'article 38 du Statut de la
Cour corroborent toutes la conclusion que l'emploi desarmes nucléaires
est illicite en toute circonstance.

5. Remarques préliminairessur le droit humanitaire

C'est dans le domaine du droit humanitaire que l'on trouve les règles
les plus préciseset les plus pertinentes sur la question à l'examen.
Le droit et la coutume humanitaires ont des lettres de noblesse fort
anciennes, remontant à des milliers d'années,et tirent leur origine de

nombreuses civilisations - cellesnotamment de la Chine, de l'Inde, de la
Grèce, deRome, du Japon, de l'Islam et de l'Europe moderne. Au fildes
siècles,maintes idées religieuseset philosophiques ont étéapportées au
creuset d'où est sorti le droit humanitaire moderne. Ainsi s'est traduit
l'effort de la consciencehumaine pour atténuer dansune certaine mesure

Actes de la Canadian Conference on Nuclear Weapons and the Law, publiéssous le
titreawyers and the Nuclear Debate, Maxwell Cohen et Margaret Gouin (dir. publ.),
1988,p. 29.la barbarie et les effroyables souffrances de la guerre. Pour citer une
déclaration célèbreadoptée dans ce domaine (la déclaration de Saint-
Pétersbourg de 1868),ledroit internationalhumanitaire vise à concilier«les
nécessitéd se la guerre» avec «les lois de l'humanité».A l'époquerécente,
l'accroissement du pouvoir meurtrier et dévastateur des armements a
provoqué dans la conscience morale une réaction qui s'est traduite par
des formulations d'une portéede plus en plus large.
On est aujourd'hui en présenced'un solide corpus juridique, consistant

en un certain nombre de principes généraux, à la fois assez souples pour
s'adapter au rythme sans précédent de l'évolution de la situation en
matière d'armementset assez fermement établispour recueillir l'adhésion
de tous les membres de la communauté des nations. A ce corps de prin-
cipes généraux s'ajoutentles dispositions spéciales - plus de six cents au
total - que contiennent les conventions de Genève et leurs protocoles
additionnels, ainsi que les nombreuses autres conventions consacrées à
des sujets spécialiséscomme celui des armes chimiques et bactériolo-
giques. Il y a donc là un corpus juridique autonome très étoffé que la
présente affaire permet en quelque sorte de tester.
Le droit humanitaire est en constante évolution. Il a sa vitalitépropre.
Comme l'a déclaréle Tribunal de Nüremberg en 1945, en présencede

((crimesde guerre» et autres crimes non définis, (([ledroit de la guerre]
n'est pas statique; grâce à un processus continu d'adaptation, il reste en
phase avec les exigences d'un monde en évoluti~n»~.Le droit humani-
taire se développeau fur et à mesure que les souffrances de la guerre
gagnent en intensité.Avec l'arme nucléaire,ces souffrances atteignent un
paroxysme qui dépassetout. La réactiondu droit humanitaire, discipline
vivante, doit être pertinente, raisonnableet efficace.
De par leur nature même, lesproblèmesdu droit humanitaire ne sont
pas de ceux sur lesquels on peut se livrer à des spéculations abstraites
dans une tour d'ivoire, loin des tristes réalitéqsui en sont la substance
même.Ne se laissant pas enfermer dans le cadre de la logique et du droit
au pied de la lettre, ils ne peuvent être logiquementou intellectuellement

dissociésde leur douloureux contexte. On ne peut vraiment s'y attaquer
qu'en mettant clairement en évidenceles questions juridiques que sou-
lèvela barbarie de la guerre, si déplaisantessoient-elles.
Cette barbarie est souvent occultéepar un voile de généralitéo su de
platitudes du type :((Toute guerre est cruelle»,ou :«Les armes nucléaires
sont les armes de destruction massive les plus dévastatrices qui aient
jamais étéconçues.)) Il faut examiner de plus près les vraies réalitésque
cachent ces observations et mettre en lumièredans toute leur acuitéles
souffrances humaines effectivement enduréeset les menaces multiformes
que les armes considérées font peser sur la destinéehumaine. C'est à cette
condition que le droit humanitairepeut jouer un rôle utile. N'est-cepas la

Procès des grands criminelsde guerre devant le Tribunal militaire international, 1948,
vol. 22, p. 464.

222révélation desatrocitéscommises sur les champs de bataille qui a été le
point de départdu droit humanitaire moderne? La présente opinionana-
lysera donc les effets concrets des armes nucléairesde manière suffisam-
ment détaillée pour démontrerque lesprincipes du droit humanitaire leur
sont applicables.

6. Le lien entre le droit humanitaire et les réalités de la guerre

Le XIXe siècletendait à considérerla guerre, sur le plan émotionnel,
comme une entreprise glorieuse et, sur le plan pratique, comme le pro-
longement naturel de la diplomatie. Légitimée par certains philosophes,
respectéepar presque tous les hommes d'Etat et glorifiéepar maints ar-
tistes et poètes, la guerre dissimulait sa barbarie derrière un écran de
légitimitéd, e respectabilitéet de grandeur.
Le récit Un souvenir de Solferino d'Henri Dunant, écritau retour du
champ de bataille de Solferinoen 1859,a révélé au grand public la cruauté
de la guerre avec une force qui a secoué l'indifférence de la civilisation
contemporaine et amorcéledéveloppementdudroit humanitaire moderne.

Il faut que le droit reste constamment en prise avecle réel sil'on ne veut
pas qu'il s'éloigne trop de son objet et ne devienne donc stérile.
Le récithistorique de Dunant a si profondément touchéla conscience
de son époquequ'il ne pouvait manquer d'avoir un échojuridique. Voici
sa description des cruelles réalitésde la guerre telle qu'ellese pratiquaità
l'époque,qui met en lumièreune lutte corps à corps horrible et épouvan-
table :

((Autrichiens et alliésse foulent aux pieds, s'entretuent sur des
cadavres sanglants, s'assomment à coups de crosse, se brisent le
crâne, s'éventrent avecle sabre et la baïonnette ..- point de quar-
tier...C'est une boucherie ...

Parfois, la lutte devient plus effrayante par l'approche d'un esca-
dron de cavalerie qui passe au galop ...écrasant sousles pieds ferrés
[des chevaux] les morts et les mourants ...L'un [des blessés]a la
mâchoire emportée ; un autre la tête écrasée u;n troisièmela poitrine
enfoncée.
L'artillerie lancéeà fond de train suit la cavalerie. Ellese fraie une
route à travers les cadavres et lesblessésgisant indistinctement sur le
sol. Les membres sont brisés et broyés, les cervelles jaillissent,la
terre s'abreuve de sang et le sol est jonché de débrishumains.))

La description du champ de bataille après le combat n'est pas moins
saisissante:

((Dans le silence de la nuit, on entend des gémissements, dessou-
pirs étouffés pleins d'angoisse et de souffrance, des voix déchirantes
qui appellent du secours. Qui pourra jamais redire les agonies de
cette nuit? Le soleildu 2.5juin 18.59éclairel'un des spectacles lesplus affreux
qui se puissent présenterà l'imagination.
Le champ de bataille estjonché de cadavres d'hommeset de che-
vaux. Ils sont comme seméssur les routes, dans les fossés,les ravins,
les buissons, les prés, surtout aux approches du village de Solfe-
rino.»

Telles étaient les réalités dela guerre, auxquelles la conscience juri-
dique de l'époque a réagipar le développementdu droit humanitaire.
Depuis le célèbre témoignage de Dunant, l'arme nucléairea multipliéle
problème par mille. La conscience contemporaine a réagi en consé-
quence, comme en témoignent amplementlesprotestations mondiales, les
résolutions del'Assembléegénérale et la volonté universelle d'éliminer
purement et simplement les armes nucléaires. Rienici du détachementdu
chercheur parvenant à ses conclusions par le biais d'un subtil maniement

de la logiquejuridique.
Tout comme c'est à la faveur d'un contact étroit avec la réalitésans
fard des combats d'artillerie et de cavalerie que s'est dégagéle droit
humanitaire moderne, c'est l'analyse de la réalitécrue de la guerre
nucléairequi peut susciter la réaction juridique appropriée.
Si à la barbarie des combats d'artillerie etde cavalerie a succéla bar-
barie sans commune mesure de l'atome, nous avons sur les contempo-
rains de Dunant un double avantage: celui d'avoir à notre disposition un
droit humanitaire bien établi etcelui d'être amplementrenseignéssur les
souffrances humaines en cause. En présence de conséquences infiniment
plus terrifiantes que cellesdes techniques militaires plus rudimentaires qui
étaienten usage à l'époque deDunant, la consciencejuridique de notre

temps ne saurait rester passive.
Voici comment un témoin décritce qu'il a vu après que I'arme ato-
mique eut étéutiliséepour la première fois à l'ère nucléaire- et des
centaines de scènessemblables se sont sûrement dérouléesau mêmemo-
ment, beaucoup étantd'ailleursrelatéesdans les archives contemporaines.
Les victimes n'étaient pas, comme à Solferino, des combattants:

((C'était un spectacle horrible. Des centaines de blessés qui
essayaient de fuir dans les collines passaient devant notre maison.
Les regarder était presque intolérable. Leur visage et leurs mains
étaient brûléset gonfléset de grands lambeaux de peau détachés de
leurs chairs pendaient de leur corps comme des haillons d'un épou-
vantail. Ils cheminaient comme des fourmis. Toute la nuit, ils sont
passésdevant notre maison mais au matin le cortège s'étaitarrêtéJ.e
les ai trouvés gisant dechaque côté de laroute, dans un tel entasse-
ment qu'il étaitimpossible de passer sans piétiner leurs corps.
Et ils n'avaient plusde visage! Leurs yeux, leur nez et leur bouche
avaient étébrûléset on aurait dit que leurs oreilles avaient fondu.

étaitdifficilede distinguer la face antérieurede la face postérieure de
leur corps. Un soldat dont il ne restait du visage que les dents qui
saillaient me demanda de l'eau maisje n'en avaispas. (Jejoignis les MENACE OU EMPLOI D'ARMES NUCLÉAIRES (OP.DISS.WEERAMANTR4 Y4)7

mains et priai pour lui. Il ne parla plus.) Ses derniers mots avaient
sans doute étépour demander de l'eau.~~

Multipliez cette scènepar mille ou mêmepar un million et vous pour-
rez vous représenter l'un des effets, parmi bien d'autres, de la guerre
nucléaire.

Il existe une volumineuse documentation sur les ravages causéspar les
armes nucléaires - demis la carbonisation et la mutilation des coros
dans un rayon de plusieurs kilomètres autour du lieu de l'explosion
jusqu'aux lésions à évolution lente,en passant par les cancers et les leu-
cémiesqui compromettent la vie humaine, les mutations génétiquesqui
menacent l'intégritéde l'espèce,la dévastation de l'environnement qui
met en danger l'habitat humain, et l'atteinte à toutes les formes d'orga-
nisation qui sape les fondements mêmede la société humaine.

Les bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki ont étédeux inci-
dents isoléssurvenus à trois jours d'intervalle. Ils nous apprennent très
peu de choses sur les effets possibles d'explosionsmultiples qui se succé-
deraient probablement à un rythme rapide si une guerre nucléaire éclatait
aujourd'hui (voir ci-après sect.II, par. 6). Au surplus, cinquante ans de
recherches ont abouti à la mise au point de bombes dotéesd'un pouvoir
destructeur soixante-dix ou même septcents fois supérieur à celui des

bombes d'Hiroshima et de Nagasaki. Une seulebombe serait aujourd'hui
capable de causer à ces deux villes des dévastations plusieurs fois supé-
rieures à celles qu'elles ont subies, et qu'en serait-il d'une succession de
bombes?

7. Le seuil critique atteint avec lesarmes nucléaires

Abstraction faite des souffrances humaines qu'elles engendrent, les
armes nucléairesnous amènent, comme nous l'avons déjàsouligné, à un
seuilcritique. Elles ont la capacité dedétruirel'ensemblede la civilisation

- tout ce qu'ont produit des milliersd'années d'effortsdans lescontextes
culturels les plus divers. Sans doute ((l'évocationdu triste sort de survi-
vants affaiblis retombantdans l'abrutissement de l'âge de pierren'est-elle
pas une tâche qu'une personne douée de sensibilitéentreprend volon-
tiers», mais il faut savoir ((envisager avec lucidité l'issueprobable de la
voie sur laquelle est engagéel'humanité» 'O.Puisque les armes nucléaires
sont capables de détruire toute vie sur la planète, elles mettent en péril

toutes les aspirations de l'humanitéau cours de son histoire, et l'huma-
nitéelle-même.

HiroshimaDiary: The Journal ofa Japanese Physician August 6-September 30, 1945,
par Michihiko Hachiya, M.D., traduit et éditépar Warner Wells, M.D., p. 14-15.
'O«The Medical and Ecological Effects of Nuclear War», par Don G. Bates, profes-
seur d'histoire de la médecine,Universitédans McGill Law Journal, 1983,vol. 28,
p. 717. On peut ici faire un parallèle entre le droit de l'environnement et le
droit de la guerre.
Il fut un temps où l'atmosphère, lesmers et la surfacede la terre parais-
saient suffisamment vastes pour supporter n'importe quel niveau de pollu-
tion et se régénérer enmêmetemps. Le droit étaitdonc très tolérantvis-
à-vis de la pollution. Mais lorsqu'on s'est rendu compte qu'un seuil
critique allait bientôt être atteintau-delà duquel l'environnement ne serait
plus capable de supporter de pollution sans risquer la destruction, le droit
s'est trouvécontraint de repenser son attitude vis-à-vis du phénomène.
11en va de mêmedu droit de la guerre. Jusqu'à l'avènement de l'âge
nucléaire, on pensait que l'humanité pouvait survivre à toute guerre,

quelle qu'en fût l'ampleur, et retrouver son équilibre. Avec l'arme
nucléaire,on a atteint un seuil critique avec l'apparition de la sinistrepos-
sibilitéque l'humanité ne survive pas à la prochaine guerre nucléaire et
que toute civilisation ne soit détruite. Le droit de la guerre s'est alors
trouvé contraint de revoir son attitude faceà cette réalité nouvelle.

8. Possession et utilisation

Bien que ce soit l'utilisation et non la possession des armes nucléaires
qui soit ici en cause, il a été présentéla Cour de nombreux arguments
qui ont traità la possession et sont donc sans pertinence pour la question
considérée.
Un rappel a par exemple étéfait, à l'appui de la thèse selon laquelle le
problème des armes nucléairesrelèvede l'autoritésouveraine de chaque
Etat, du passage ci-après de l'arrêt rendudans l'affaire desctivités mili-
taires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c.
Etats-Unis d'Amérique) :

«il n'existe pas en droit international de règles,autres que celles que
1'Etat intéressé peut accepter,par traité ou autrement, imposant la
limitation du niveau d'armement d'un Etat souverain)) (C.I.J. Recueil
1986, p. 135)))(CR95123, p. 79, France; les italiques sont de moi).
Ce paragraphe concerne manifestement la détention, et non l'utilisa-

tion des armes en cause.
On a, de même, répété à satiété quele traité sur la non-prolifération
n'interdit pas la possession des armes nucléaires aux Etats qui en sont
dotés. Mais là encore, si on peut,àl'extrême rigueur, déduire de ce traité
qu'il permet de posséderdes armes nucléaires,on ne saurait l'interpréter
comme autorisant l'emploide ces armes puisqu'il ne s'applique en aucune
manière à l'emploi ou à la menace d'emploi des armes en question.
S'agissant de ce problème, le traitéest dépourvu de pertinence.

9. Positions différentesadoptéespar les Etats favorables
à la thèsede la licéité

Il existe des différencesnotables dans les positions des Etats favorables
à la thèsede la licéitde l'emploi des armes nucléaires.De fait, il y a, surdes aspects essentiels, des divergences de vues entre les Etats dotés
d'armes nucléaires eux-mêmes.
Ainsi, la position française est la suivante:

«Ce critère de proportionnalité ne permet pas en lui-même
d'exclure par principe l'utilisation, que ce soit en riposte ou en pre-
mier emploi, de quelque arme déterminéeque ce soit, et notamment
de l'arme nucléaire, dès lors que cet emploi vise àfaire face à une
agression et qu'il apparaît comme le moyen adéquatdefaire face à
celle-ci.»(Exposé écridte la France, p. 29; les italiques sontde moi.)

Seloncetteposition,lesfacteurs mentionnéspourraient,dans tel ou telcas
d'espèce,l'emportermêmesur le principe de proportionnalité. Il semble en
résulter quepour déterminersi l'emploide l'armeest permis,il faut avant
tout savoirsicelui-ciconstituelemoyenleplus appropriéde faireface àune
agression.Les Etats-Unis d'Amériquepour leur part déclarentque:
«La question de savoir si une agression au moyen d'armes nu-
cléaires serait disproportionnée dépend entièrement des circons-

tances, notamment du caractère de la menace ennemie, de l'intérêt
que présentela destruction de l'objectif,dela nature, de la puissance
et des effets probables de l'arme, ainsi que de l'ampleur du risque
pour la population civile, etc. (Exposéécrit desEtats-Unis, p. 23.)
Ainsi, la position des Etats-Unis prend soigneusement en considération
des facteurs tels que la nature, la dimension et les effets de l'engin et

l'ampleur du risque encouru par les civils.
Pour la Fédérationde Russie, la «clause de Martens» (voir ci-après la
section III, paragraphe 4) est inopérante et peut aujourd'hui être formel-
lement considéréeinapplicable (exposéécrit dela Fédérationde Russie,
p. 13).
Le Royaume-Uni, en revanche, accepte l'applicabilitéde la clause de
Martens mais affirme que cette clause n'établit pas,par elle-même, l'illi-
céité desarmes nucléaires (exposé écritdu Royaume-Uni, p. 48,
par. 3.58). La position du Royaume-Uni est que les termes mêmesde la
clause de Martens requièrent l'identification d'une règlede droit coutu-
mier bannissant l'emploi desarmes nucléaires.
Ainsi donc, lespuissances dotéesd'armesnucléaires elles-même conçoi-
vent différemment, chacuneen ce qui la concerne, la portéeet jusqu'à la

base de la thèsede la licéité et ces différencedse conception doivent être
soigneusement analyséesdans le contexte de la question posée àla Cour.

10. La nécessitéde clar$er l'état dudroit

On ne saurait trop mettre l'accent sur l'importance qu'il y a a clarifier
l'étatdu droit sur la licéité desarmes nucléaires.
Le 6juin 1899,M. de Martens, l'auteur de la clause du mêmenom qui
sera examinée assezlonguement dans la présente opinion, a fait, en sa
qualité de président de la deuxième 'sous-commissionde la deuxièmecommission de la conférencede La Haye, les observations suivantes en
réponse à ceux qui soutenaient qu'il valait mieuxmaintenir le droit de la
guerre dans le vague :

((Cette opinion est-elle bien juste? Cette incertitude est-elle profi-
table au faible? Le faible devient-il plus fort parce quees devoirsdu
fort ne sont pas déterminés? Lefort devient-il plus faible parce que
ses droits sont préciséet, par conséquent,limités?Je ne le pense pas.
Je suis profondément convaincu que c'est surtout dans l'intérêd tu
faible que ces droits ainsi que ces devoirs devraient êtreprécisés...
[Plar deux fois, en 1874et 1899,deux grandes conférences interna-
tionales ont réuni les hommes les plus compétents et les plus émi-

nents du monde civiliséen la matière. Ils n'ont pas réussi à détermi-
ner les lois et coutumes de la guerre. Ils se sont séparésen laissant
subsister le vague complet sur toutes ces questions ...
Laisser planer une incertitude sur ces questions aurait fatalement
pour résultat de fairetriompher les intérêts de la force, en sacrifiant
ceux de l'humanité. » 'l

C'est ce même soucide clarté qui a conduit l'Assemblée général e
demander a la Cour de donner un avis sur l'emploi desarmes nucléaires.
Les nations qui ont le contrôle de ces armes se sont opposées à la
demande de l'Assemblée etelles ont été suivies par quelques autres. Il est
de l'intérêdte toutes lesnations que soit éclaircieune question qui n'a, on
ne sait pourquoi, jamais été posée en termes exprèasu cours des cin-
quante dernières annéeset qui est donc restéesans réponse, laissant pla-
ner sur le destin de l'humanité une grande incertitude qui s'étend à des
points aussi fondamentaux que l'avenir de la vie humaine sur la planète.
Le droit doit être clairement énoncé p,ar référenceaux droits et obliga-
tions des Etats résultantdu nouvel ordre mondial établipar la Charte des
Nations Unies qui, pour la première foisdans l'histoire humaine,a banni la

guerre par une décisionunanime de la communautédes nations. Depuis
l'adoption de ce document historique qui était encoredans les limbes à
l'époquede la déclaration deMartens, cinquante ans ont passé, cinquante
ans d'inaction s'agissant de la réponse à donner à la plus importante des
questionsjuridiques qui sesoientjamais posées à la communautémondiale.

II. NATURE ET EFFETS DES ARMES NUCLÉAIRES

1. La nature des armes nucléaires
Le problème soumis à la Cour concerne l'application du droit huma-

nitaire à des questions de fait, et non l'interprétation du droit humani-
taire en tant que discipline abstraite.

sous-commission de la deuxième commission, sixième séance, ministère des affairese
étrangères, La Haye,1899,troisièmepartie, p. 114-115 (les italiques sont de moi). MENACEOU EMPLOID'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW. EERAMANTR4 Y5)1

La Cour doit déterminer si l'emploi des armes nucléairesa, dans les
faits, des conséquencessi inhumaines qu'il porte atteinte aux principes de
base du droit humanitaire. Tant pour le présent avis consultatif quepour
celui qu'a demandé l'Organisation mondiale de la Santé, une masse
considérable d'éléments de faia t été soumise à la Cour pour l'aider à
recenser les nombreuses manières dont les effets des armes nucléaires
mettent en jeu l'application de divers principes du droit humanitaire. Il y
a lieu d'examiner ces éléments de fait, au moins dans leurs grandes lignes,

car ils mettent en évidence, mieuxque ne peuvent le faire des considéra-
tions générales,les caractéristiquespropres aux armes nucléaires.
Qui plus est, comme d'aucuns soutiennent que la guerre nucléaire
pourrait êtrecirconscrite, une étude détaillédee la spécificité et e l'irré-
versibilité deseffets des armes nucléaires s'impose.

2. Euphémismes masquant les réalités dle a guerre nucléaire

Il serait paradoxal que le droit international, systèmeau service de la

paix et de l'ordre planétaire, accorde une place à un engin capable de
réduire à néantl'agencement du monde, les millénaires de civilisationqui
y ont conduit, et l'humanitéelle-même.Si ce paradoxe est passé large-
ment inaperçu, au point que le droit humanitaire n'apparaît pas dans le
paysage, c'est notamment parce que l'euphémismeest la caractéristique
du langage désincarnédes opérations militaires et du style châtiéde la
diplomatie. Il masque l'horreur de la guerre nucléaire en détournant
l'attention sur des notions abstraites telles que la légitimedéfense,les \
représailleset la proportionnalité du dommage, qui n'ont guère de perti-

nence dans un contexte de destruction totale.
Les effroyables dommages menaçant la population civile et les Etats
neutres sont qualifiés de((dommagescollatéraux)) parce qu'ils ne sont
pas directement voulus; la destruction des villespar le feu est qualifiéede
«considérables dommages d'origine thermique». On parle de «niveaux
acceptables de pertes humaines)) mêmesi des millions de morts sont en
cause. Le maintien de l'équilibre de la terreurest dénommé((préparation
nucléaire)), ladestruction assurée,«dissuasion», et la dévastation totale

de l'environnement, ((dommages à l'environnement)). Techniquement
détachéesde leur contexte humain, de telles expressions contournent le
monde de la souffrance humaine, qui est à l'originedu droit humanitaire.
Comme je l'ai soulignéau débutde la présente opinion,le droit huma-
nitaire doit, pour êtreappliqué efficacement,êtreen prise avec les dures
réalités de la guerre.l ne peut le faire avec ce type de langage12.
Les anciens philosophes comme les linguistes modernes ont bien vu
qu'il étaitpossible d'occulter les grands problèmes par le biais d'un jar-

l2Concernant ce point, on pourra se reporàeun recueil d'essais philosophiques
contemporains sur le problème de la guerre, Critique of Wav, Robert Ginsberg
(dir. publ.),9.Voir en particulier le chapitre 6: «War and the Crisis of Language)), de
Thomas Merton. MENACE OU EMPLOID'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW. EERAMANTR4 Y5)2

gon qui en masque la substance. Confucius à qui l'on demandait com-
ment faire régnerl'ordre et la moralitédans 1'Etatrépondit: «En utilisant
les termes voulus», c'est-à-dire enappelant chaque chose par son nomI3.
La sémantique moderne a, elle aussi, dénoncéles confusions engen-
dréespar le recours à des euphémismesqui dissimulent le véritablesens
des mots 14.Le langage de la guerre nucléaire, riche en euphémismest,end
à éluderles vrais problèmes (extermination des individus par millions,

carbonisation des populations urbaines, malformations génétiques, effets
cancérigènes,destruction de la chaîne alimentaire et mise en périlde la
civilisation). Les pertes massives en vies humaines sont comptabilisées
avec le mêmedétachement que les élémentsd'un bilan qui peut toujours
êtreéquilibré. Ledroit humanitaire ne peut s'acquitter lucidement de sa
tâche que s'ilse débarrasse dece camouflage verbal et s'attaque aux réa-
litésqui constituent son véritable objet. Il ne faut pas laisser un langage

édulcoréet désincarnémasquer l'incompatibilité radicale de l'arme
nucléaire avec lesfondements du droit international.

3. Les effets de l'avrnenucléaire

Avant 1945,lesbombes lesplus puissantes étaientdes enginsdotésd'une
charge d'environ 20 tonnes de TNT (trinitrotoluène)15. Les armes nu-
cléaires employées à Hiroshima et à Nagasaki avaient une puissance
explosived'à peu près 15et 12kilotonnes respectivement - soit 15000 et
12000tonnes de TNT. Bien des armes existantes ou en cours d'expérimen-
tation ont une puissance de dizaines ou de centaines de fois supérieure à

ces bombes. Des bombes de l'ordre d'une mégatonne (l'équivalent de un
million de tonnes de TNT) ou de plusieurs mégatonnessont stockéesdans
les arsenaux nucléairesmondiaux; certaines ont une puissance supérieure
à 20 mégatonnes (l'équivalentde 20 millions de tonnes de TNT). Une
bombe d'une mégatonnedotée d'unepuissance correspondant àun million
de tonnes de TNT exploserait avec une puissance quelque soixante-dix fois
supérieure à celle des bombes utiliséescontre le Japon et une bombe de

20 mégatonnesle ferait avec une puissance plus de mille fois supérieure.
Ces chiffres abstraits ne parlent pasà l'esprit et pour faire comprendre
ce qu'ils recouvrent on a eu recours àdes images concrètes.Par exemple,
il faudrait, pour transporter par chemin de fer la quantité de TNT à
laquelle correspond une bombe d'une mégatonne, un train de 350 kilo-
mètresde longI6. On se représentemieux ce que signifiesemer la mort et
la destruction sur le territoire d'un ennemi au moyen d'une seule bombe

d'une mégatonne si l'on évoquel'image d'un train de 350 kilomètres de

l3Cité dansRobert S. Hartman, «The Revolution against War», dans The Critiqueof
Wau,p. 324.
l4«Ils serveàtintégrerces inventions infernales dans le cadre de la politique de puis-
sal5N. Singh et E. McWhinney, ~ucliau Weapon;and cont&porary ~nteriational War;.,
1989,p. 29.
'6%tes, op. cit, p. 719.long chargé deTNT, acheminé enterritoire étrangerpour y exploser. On
ne saurait soutenir que cela est admissible en droit international. Et peu
importe que le train ait, non pas 350,mais 150,100,20 ou 2kilomètres de
long, ou qu'il ait 1750 ou 7000 kilomètres de long, ces derniers chiffres
correspondant respectivement à des bombes de 5 et 20 mégatonnes.

Voilà de quelle puissance est dotée l'armequi retient l'attention de la
Cour - une puissance par rapport àlaquelle tout ce qui précède, même
pris cumulativement, est dérisoire.La puissance d'une bombe de 5 méga-
tonnes dépassecelle de l'ensemble desbombes utiliséesau cours de la
seconde guerre mondiale et la puissance d'une bombe de 20 mégatonnes
est ((supérieure à celle que représente la totalité des explosifs utilisés

durant les guerres qui ont émaillé le cours de l'histoire de l'humanité))17.
Les armes utilisées à Hiroshima et à Nagasaki sont des «petites»
bombes par rapport à cellesdisponibles aujourd'hui et, commeje l'aidéjà
dit,une bombe d'une mégatonneéquivaut à quelque soixante-dix bombes
d'Hiroshima et une bombe de 15 mégatonnes à presque mille bombes
d'Hiroshima. Pourtant, la puissance destructrice sans précédentde l'arme
considéréen'est pas son seul trait distinctif. Elle possède aussi enpropre

la caractéristique d'avoirdes effets impossibles contenir à la fois dans le
temps et dans l'espace. Elle estsans équivalentpar la menace qu'elle fait
peser sur l'avenir de l'humanité.Elle l'est aussipar le danger persistant
qu'ellefait courirà la santélongtemps après son utilisation. Sison emploi
viole le droit humanitaire, ce n'est pas simplement parce qu'elle estune
arme de destruction ma~sive'~mais pour des raisons qui relèvent de
l'essencemêmedu droit humanitaire.

Les armes atomiques possèdent certainescaractéristiques quiles distin-
guent des armes classiques et que la commission de l'énergieatomique
des Etats-Unis d'Amérique arésuméesen ces termes:

(([l'armeatomique] diffère desautres bombes principalement à trois
égards: son explosion 1) dégageune quantité d'énergieau moins
mille fois supérieureà celle que produisent les bombes au TNT les
plus puissantes; 2) s'accompagne de l'émissionde rayonnements
invisiblesàla fois pénétrants etdélétèreest dégage enoutre une cha-

leur et une lumière intenses; et 3) laisse subsister des substances
radioactives qui émettent des rayonnements potentiellement nui-
sibles pour les organismes vivants»19.

l7Bates, opcit.,. 719.
L'Assemblée générale dsations Unies, dans le document final de sa dixièmeses-
sion extraordinaire, la première consacréeau désarmementa étéunanime a classer
les armes nucléairesdans la catégorie des armes dedestruction massive, conclusion qui a
étéadoptéepar consensusCR95/25, p. 17).
l9Effectsof Atomic Weapons, établi par la commission de l'énergieatomique des
McWhinney, op.cit.p. 30.n avec le département de la défense, 1950, citédans Singh et L'analyse plus détailléequi figure ci-après est baséesur des éléments

d'information présentés à la Cour, qui n'ont pas été contestés lors des
audiences mêmepar les Etats qui soutiennent que l'emploi des armes
nucléaires n'estpas illicite. Ces éléments fournissent la base factuellesur
laquelle l'échange d'arguments juridiques doit nécessairement reposer si
l'on ne veut pas qu'il se réduise à un simple débatd'idées.

a) Dommages à l'environnement et à I'éco~ystème~~

L'arme nucléaire estsans équivalentpour ce qui est de l'ampleur des
dommages qu'elle peut causer à l'environnement, ainsi que la Commis-
sion mondiale de l'environnement et du développement l'a soulignéen

1987dans les termes suivants:
«Par rapport aux conséquencesprobables de la guerre atomique,

il n'est pas de menace à l'environnement qui ne paraisse insigni-
fiante. Les armes nucléaires marquent un tournant qualitatif dans
l'histoire de l'art de la guerre. Une seule bombe thermonucléaire
peut avoir une puissance explosive supérieure à celle de tous les
explosifs utilisésau combat depuis l'invention de la poudre. Outre
qu'ellesmultiplient à l'infiniles effets destructeurs du souffle et de la

chaleur, ces armes font intervenir un nouvel agent létal - le rayon-
nement ionisant - dont l'effet létalse prolonge aussi bien dans le
temps que dans l'espace. »21

Les armes nucléairesont la capacité de détruire l'ensemble del'écosys-
tème de la planète. Celles qui sont stockées à l'heure actuelle dans les
arsenaux mondiaux ont plusieurs foisla puissance nécessairepour anéan-
tir toute vieà la surface de la Terre.
L'arme nucléaire possède enpropre une autre caractéristique, évoquée
au cours des audiences, qui est d'exposer aux rayonnements ionisants les

forêts de conifères,les récoltes, la chaîne alimentaire, le bétailet l'écosys-
tèmemarin.

b) Dommages aux générations futures

Les effets des armes nucléaires sur l'écosystèmese prolongent en pra-
tique au-delà de toute limite temporelle concevable. La «période» de l'un
des sous-produitsd'une explosion nucléaire - le plutonium 239 - est de
plus de vingt mille ans. Après un échange nucléaire majeur, la radioacti-
vitérésiduellene redescendrait à un niveau minimal qu'au bout de plu-

sieurs «périodes». La période est «le temps nécessaire pour que la

'OA propos du droit de l'environnement, voir ci-après la sectionIII, paragraphe 10,
al21~ommission mondiale sur l'environnement et le développement («la commission
Brundtland))),otre avenir tous1987,p. 362-363,citédans CR95122, p. 55.radioactivité émisepar un élémentpur diminue de moitié. La période
des isotopes radioactifs connus varie entre IO-' secondes et 1016an-
nées»22.
Le tableau ci-dessous indique la période des principaux éléments
radioactifs apparaissant àla suite d'une explosion nucléaire:

Nucléide Période
Césium137 30,2ans
Strontium90 28,6ans
Plutonium239 24 100ans
Plutonium240 6570ans
Plutonium241 14,4ans
Américium241 432ans23

Théoriquement, l'ordre de grandeur pourrait être de dizaines de mil-
liers d'années. Dans quelque perspective qu'on se place, on peut dire
sans risque de se tromper qu'aucune génération n'esten droit, pour
quelque motif que ce soit, d'infliger pareils dommages aux générations

futures.
La Cour internationale de Justice, en tant qu'organe judiciaire princi-
pal des Nations Unies, habilitéeplus qu'aucun autre tribunal à dire età
appliquer le droit international avec l'autorité quiest la sienne, doit, dans
sa jurisprudence, reconnaître dûment les droits des générations futures.
S'ilest un tribunal qui peut reconnaître et protéger leurs intérsn droit,
c'est bienla Cour.
Il està noter, dans ce contexte, que la notion de droits des générations
futures n'est plus une notion embryonnaire cherchant à acquérir une
reconnaissancejuridique. Elle s'est intégréeau droit international par le

biais d'importants traités, de l'opiniojuris et des principes générauxdu
droit reconnus par les nations civilisées.
Parmi les traités, on peut mentionner la convention de Londres de
1979sur les déversementsen mer, la convention de 1973sur le commerce
international des espèces menacéesd'extinction et la convention de 1972
concernantla protection du patrimoine mondial, culturel et naturel. Tous
cesinstruments énoncentexpressémentleprincipe de protection du milieu
naturel dans l'intérêdtes générations futures,élevéau rang d'obligation
contraignante pour les Etats.

L'opinio juris est maintenant abondante puisque plusieurs ouvrages
importants ont été consacrés à la question et que des notions comme
celles de l'équitéintergénérationset du patrimoine commun de l'huma-
nité sont aujourd'huibienétablies24. ul n'ignore de surcroît l'attention que
prêteune multitude de systèmesjuridiques traditionnels partout dans le
monde à la protection de l'environnement dans l'intérêdtes générations

2"ncyclopaediaBritannica Micropaedia, édition de1992,vol. 9, p. 893.
23Source: Radioecology, Holm (dir. publ.), 1995,World ScientificPublishing Co.
24Pour plus de détails, voirEdith Brown Weiss, In Fairness to Future Generations:
International Law, Common Patrimony and Intergenerational Equity, 1989.futures. Enfin, une séried'importantes déclarations internationales ont
étéadoptées, à commencer par la déclaration de Stockholm de 1972sur
l'environnement.
Lorsque des donnéesscientifiques indiscutables mettent en évidencela

perspective d'une pollution de l'environnement s'étendant sur des cen-
taines de générations,la Cour manquerait à son devoir si elle n'étaitpas
très attentiveaux moyens de sauvegarder l'avenirpar l'application du droit
actuel. Les idéaux dela Charte des Nations Unies ne sont pas limitésau
temps présent,ils s'inscrivent dans le cadre d'une perspective dynamique
de progrès social et d'amélioration des conditions de vie et ils doivent
bénéficiernon seulement à la générationactuelle mais aussi aux ((géné-
rations futures)). La perspective d'une dégradation de l'environnement se
prolongeant pour ainsi dire à l'infini suffiraià,elle seule,à justifier la

mise en Œuvre des principes conservatoires du droit international que la
Cour est suprêmementhabilitée à énonceret qu'elle doit nécessairement
appliquer.

c) Dommages aux populations civiles

11va sans dire, sur ce point particulier, que les armes nucléaires
l'emportent sur toutes les autres armes de destruction massive. Pour citer

une étudebien connue sur le développementdu droit international:
«Les armes de destruction massive - les armes ABC - ont ceci
de particulier qu'il est impossible d'en limiter l'effet destructeur,

dans l'espace et dans le temps, aux objectifs militaires. En consé-
quence, leur emploi ferait un nombre inimaginable et incalculable de
victimes dans la population civileet serait au demeurant - même en
l'absence de dispositions conventionnelles expresses - contraire au
droit international. Cela dit, la question des armes de destruction
massive dépasseaujourd'hui le cadre du droit humanitaire au sens
étroit etest devenue l'un desaspects essentiels de la coexistence paci-
fique des Etats dotésde systèmes sociauxdifférents. DZ5

d) L'lzivernucléaire

Un échange de tirs nucléaires pourrait conduire à l'hiver nucléaire,
phénomènecausépar l'accumulation dans l'atmosphère, à la suite des
incendies provoquéspar les armes en question dans les villes,les forêtset
les campagnes, de centaines de millions de tonnes de particules de suie.
Le nuage de fuméeet les débris projetésen l'air par des explosions mul-
tiples feraient écranà la lumière solaire, anéantissant les récoltesdans le

monde entier et conduisant à la famine généraliséeD . epuis l'article col-
lectif de Turco, Toon, Ackerman, Pollack et Sagan sur l'hiver nucléaire et

25Géza Herczegh,Development ofIntevnationa1 Humanitarian Law, 1984,p. 93. Les
armes «ABC» s'entendent des armes atomiques, biologiques et chimiques.les conséquencesmondiales d'explosions nucléairesmultiples (dénommée
((Etude TTAPS», sigle établi à partir des initiales de ses auteurs)26, un

énormetravail a étéconsacré à l'analyse scientifique détaillée des effets
des nuages de poussière et de fuméeque créerait une guerre nucléaire.
L'étudeTTAPS a démontréque des nuages de fuméegénéréd sans un
hémisphèrepourraient, en l'espace de quelques semaines, se propager à

l'autre hémi~phère~~ C.ette étude,parmi d'autres, montre qu'une chute
de températurede quelques degréssurvenant à la suite de l'hiver nucléaire
à la saison où mûrissent les récoltespeut leur être très largement fatale
sur une superficie aussi vaste que celle d'un hémisphère.De tels phé-

nomènes font donc peser une menace mêmesur les pays non belligé-
rants :

«Il est maintenant universellement admis que les effets climatiques
d'un hiver nucléaire etleurs séquellessous forme de pénurie alimen-

26 Science, 23 décembre1983,vol. 222, p. 1283.
27 La propagation, d'un hémisphère à l'autre, d'un nuage de particules de poussière,
s'accompagnant de conséquencesanalogues à cellesde l'hiver nucléairen'est pas une vue
futuriste sans rapport avec la réalité vécu1815,l'éruptiondu volcan indonésienam-

bora a projetédans l'atmosphère une tellequantitéde poussière etde fuméeque l'année
1816a étédans le monde entier une annéede récoltescatastrophiques et d'obscurité.Le
numérode mars 1984de la revue Scientific Amevican reproduiàla page 58 un poème de
lord Byron intitulé«Darkness» [«Les Ténèbres))]qui semblerait avoir été inspirépar
cette annéesans été. u cours d'une audition consacrée en décembre1983par le Sénatdes
Etats-Unis d'Amériqueaux effetsde la guerre nucléaire,le physicien russe Kapitza a, dans
ce contexte, appelél'attention sur le poème en question qui, a-t-ildit, est bien connu des
Russes grâce à la traduction qu'en a faite le romancier Ivan Tourgueniev. En voici
quelques extraits qui expriment, avec la puissance évocatrice de la poésiel,e désespoir des
hommes et la désolation de l'environnementàl'ère postnucléair:
«Ô terreur sans pareille! en cette horreur profonde
Une seule espérance animeencore le monde.
Dans les vastes forêtsles flammes s'allumaient
Mais hélas! d'heureen heure elles se consumaient
Les troncs, en pétillant,se réduisaient encendre;
Et dans l'obscuritétout allait redescendre.
Leurs mourantes lueurs sur le front des humains
Sur ces fronts sillonnéspar le sceau des destins,
Jetaient en s'éteignant une clarté dernière
Epouvantable adieu que leur dit la lumière!
Les uns se prosternaient, et répandaient des pleurs

..Le monde ne fut plus qu'un vide épouvantable.
Dans ses gouffres profonds, cet abîme effroyable
Renfermait, calcinés,tous les débrisépars
Des cités, des jardins, desmonuments, des arts:
Chaos inanimé,sans saisons, sans verdure
De tout ce qui vécut immense sépulture.
Les rivières,les lacs etOcéanbourbeux
Ne portaient qu'une eau morte en leurs flancs caverneux;
Abandonnés des mains qui les rendaient agiles
Les vaisseaux sur la mer pourrissaient immobiles»
[Traduction par un contemporain de l'auteur, figurant dans les collections de la Biblio-
thèque nationale de France sous la signature..y.] taire aggravéepar la destruction de l'infrastructure pourraient avoir
sur la population de la planèteun impact global plus important que
les effets immédiatsdes explosions nucléaires.On a de plus en plus

de preuves que, dans l'après-guerrenucléaire, l'homosapiens n'aura
aucun asile écologiqueoù se réfugier. Il apparaît que la vie serait
menacéepartout sur la planète. »28

e) Pertes en vies humaines

D'après des estimations de l'Organisation mondiale de la Santé, le

nombre des morts varierait entre un million et un milliard, selon le cas
envisagé(bombe unique, guerre limitéeou guerre totale) et le nombre des
blesséss'établiraitau mêmeniveau dans chacun de ces cas.
A Hiroshima et à Nagasaki - les deux seules fois où une bombe
nucléairea été utiliséd eans un contexte de conflit armé - il y a eu, selon
le représentant du Japon, 140000 et 74 000 morts, respectivement, le
nombre total d'habitants s'élevantdans le premier cas à 350 000 et dans
le second à 240000. Si les mêmesbombes avaient été larguées sur des

villesà forte densitéde population comptant des millions d'habitants,
comme Tokyo, New York, Paris, Londres ou Moscou, elles auraient fait
un nombre incommensurablement plus élevé de victimes.
Une intéressantecomparaison statistique a été présentée à la Cour par
le maire de Nagasaki qui a indiquéque le bombardement de Dresde par
773appareilsbritanniques, suivid'uneavalanchede 650000bombes incen-
diaires larguéespar 450 avions américains, avaient fait 135000 morts

- à peu près autant que l'unique bombe nucléaire lancée sur Hiro-
shima - une bombe de dimension modeste par rapport à celles d'au-
jourd'hui.

f) Effets des rayonnements sur la santé

L'explosion d'un engin nucléaire s'accompagne de rayonnements ins-

tantanés, et de retombées radioactives.

((11est bien établique la réaction defission qu'utilise la bombe A
provoque des rayonnements nucléaires résiduelsau mêmetitre que
la réaction de fusion utilisée par la bombe thermonucléaire ou
bombe H. »29

A ces effets immédiats s'ajoutent des effets à long terme causéspar
l'action des rayonnements ionisants sur l'êtrehumain et l'environnement.

Wilfrid Bach, «Climatic Consequences of Nuclear War», actes du sixième congrès
nucléaire(IPPNW), Cologne, 1986, publiéssous le titre Maintain Life on Earth! 1987,
p. 154.
29Singh et McWhinney, op. cit., p. 123.Les rayonnements ionisants ont sur les cellulesdes conséquencesqui peu-
vent aboutir à leur destruction ou diminuer leur capacité de fonctionne-

ment 30.
La population victime d'une attaque nucléaire est exposée à un triple
danger - du fait de l'effetthermique, du souffle et des rayonnements -
et il est difficiled'isoler les conséquences desrayonnements de celles du
souffle et de l'effet thermique. Tchernobyl a toutefois permis d'étudier
isolémentles conséquences desrayonnements :

((Tchernobyl est le plus vaste champ d'expériencedont la science

aitjamais disposépour étudierleseffetsde l'irradiation totale d'êtres
humains, sans que sa tâche se trouve compliquéepar des blessures
imputables au souffle etlou aux brûlures. )31

Ces effets peuvent être à long terme (cancers, chéloïdes)ou à court
terme (anorexie, diarrhée,interruption de la production de cellules san-
guines, hémorragie,lésionsde moelle osseuse, lésionsdu système nerveux
central, convulsions,troubles vasculaires etcollapsuscardio-vasculaire) 32.

Tchernobyl, qui n'a provoqué que des dommages consécutifs à l'irra-
diation et ce dans une zone relativement peu peuplée,a exigéla mobilisa-
tion de toutes les ressources médicalesdont disposait une nation puis-
sante et a obligé à faire venir massivement de tous les coins de l'Union
soviétiquedu personnel, des fournitures et des équipementsmédicaux -

cinq mille camions, huit cents autobus, deux cent quarante ambulances,
hélicoptèreset trains spéciaux33.Or, l'explosion de Tchernobyl corres-
pondait approximativement à celle d'une bombe d'une puissance d'une
demi-kilotonne34 équivalant à un vingt-cinquième de la puissance de
la bombe relativement modeste d'Hiroshima, qui ne. représentait elle-
mêmeque un soixante-dixièmede la puissance d'une bombe d'une méga-

tonne. Comme il a étéindiqué précédemmentd ,es bombes de plusieurs
dizaines de mégatonnessont aujourd'hui stockéesdans les arsenaux nu-
cléaires.
L'irradiation provoque des souffrances qui ne sont pas seulement
atroces mais peuvent durer toute une vie. Des personnes sont décédées
à Hiroshima et à Nagasaki à l'issue d'un martyr qui a durédes dizaines

d'annéesaprès que la bombe nucléaireeut été largués eur ces deux villes.
Le maire d'Hiroshima a décrit àla Cour la lente agonie des survivants -
dont il a étélargement rendu compte dans les nombreuses publications
parues sur cette question. L'Indonésie acitél'ouvrage d'Antonio Cassese,
Violence and Law in the Modevn Age (1988), qui appelle l'attention

30Herbert Abrams, ((Chernobyl and the Short-Term Medical Effects ofNuclear Warn,
actes du congrèsde ~'IPPNW,op.cit., p. 122.
31Ibid.p. 120.
3Vbid.,p. 122-125
33Ibid., p. 121.
34Ibid., p. 127. sur le fait que «pour avoir une idée dessouffrances humaines ..il faut se
référernon seulement aux chiffres et aux statistiques ...mais aussi au

témoignage dessurvivants». Ces témoignagesrelatant des souffrances
intolérablessont multiples et bien connus35.
Il convient aussi de se reworter aux nombreux documents recus à ce
sujet par le Greffe et notamment aux travaux rassembléssous' letitre
International Symposium: Fifty Years since the Atomic Bombing oj
Hiroshima and Nagasaki. On ne peut s'aventurer, dans le cadre de la pré-
sente opinion, à dresser un inventaire, si succinct soit-il, des souffrances

décrites.
Le bilan s'alourdit encore si 1'011 y ajoute les lentes agonies consécu-
tivesà l'irradiation. D'aprèsdesstatistiquesfournies à la Courpar lerepré-
sentant du Japon, on compte, à cinquante ans de distance, plus de trois
cent vingt mille survivants irradiés qui souffrent de séquelles diverses
et notamment d'affections malignes attribuables à l'irradiation (leucé-
mie, cancer de la thyroïde, cancer du sein, cancer du poumon, cancer

de l'estomac, cataracte). Comme les armes nucléaires stockéesdans les
arsenaux de la planète ont une puissance plusieurs fois supérieure à celle
des armes dont nous parlons ici, on peut en attendre des ravages multi-
pliésà l'infini.
Comme l'indique l'organisation mondiale de la Santé (CR95/22,p. 23-
24), la surexposition aux radiations détruit les systèmesimmunitaires et
accroît la vulnérabilitédes victimes aux infections et aux cancers.

Outre un accroissement des malformations génétiqueset des tumeurs
chéloïdesdéfigurantes déjà mentionnées, l'irradiation a égalemenptro-
voqué des traumatismes psychologiques, que l'on continue d'observer
chezlessurvivants d'Hiroshima et de Nagasaki.Leslésionssont dues à l'ir-
radiation directe et aux rayonnements émispar le sol, par les immeubles
chargés de radioactivitéet par les particules de suie et les poussières
radioactives qui retombent sur le sol plusieurs mois après avoir étépro-
jetéesdans la stratosphère par la force de l'expl~sion~~.

Il existe en tout état de cause une abondante documentation médicale
portant spécialementsur leseffetsdela guerre nucléaire,quej'ai analysée
plus en détaildans mon opinion dissidente relative à la demande d'avis
consultatif de l'Organisation mondiale de la Santé(C.I.J. Recueil 1996,
p. 115-127).Ces donnéesmédicalesont été prises en compte dans le pré-
sent exposé des effets spécifiqued se l'arme nucléaire.

35 AUnombre des descriptions publiàel'époquequi sont mondialement connues, on
peut citerHiroshima par John Hersey, ouvrage auquel le New Yorker a consacré
l'intégralité denumérodu 31 août 1946et qui a ultérieurementparu dans la collection
Penguin Classic, également en 1946;Hiroshima Diary: The Journal of a Japanese Physi-
cian August 6-September 301945,par Michihiko Hachiya, M.D., University of North
Carolina Press, 1955,ete Day Man Lost: Hiroshima, 6 Augus1945,Kodansha, 1972.
Ces ouvrages font partie d'une volumineuse bibliographie.
36 Concernant les effets de l'irradiation, voir, généralement,Nuclear Radiation in War-
fare, 1981,par le professeur Joseph Rotblat, lauréatdu prix Nobel.g) Effet thermique et souffle

Les dommages causéspar les armes nucléairessont attribuables à trois
causes: l'effet thermique, le souffle et les rayonnements. Comme l'a
indiquéle représentant del'organisation mondiale de la Santé,les consé-
quences qu'entraînent les deux premières causes sont quantitativement
différentes decellesqui résultent de l'explosion de bombes classiquestan-
dis que les conséquencesqui découlent dela troisième causesont propres
aux armes nucléaires - lesquelles provoquent, outre une irradiation ins-
tantanée, des retombées radioactives.

La spécificitéde l'arme nucléaire ressortdes statistiques concernant
l'effet thermique et le souffle qu'elle génère.Le représentant du Japon a
appelénotre attention sur des estimations selon lesquelles les explosions
d'Hiroshima et de Nagasaki ont produit des températures de plusieurs
millions de degrés centigrades et des pressions de plusieurs centaines de
milliers d'atmosphères. Ona calculéque, dans la boule de feu résultant
de l'explosion nucléaire, latempérature et la pression étaient les mêmes

qu'au centre du soleil3'. Il s'est produit, environ trente minutes après
l'explosion, des tourbillons et des tempêtes thermiquesqui ont détruit
soixante-dix mille cent quarante-sept maisons à Hiroshima et dix-huit
mille quatre cents à Nagasaki. Selon les chiffres fournis par le maire
d'Hiroshima, le souffleaccompagnant l'onde de choc initiale a atteint une
vitesse d'environ 1600kilomètres à l'heure. Le souffle

((transforme les êtres humains etles débrisen projectiles qui entrent
violemment en collision avec les objets fixeset lesuns avec les autres.
Fractures multiples, blessures, crânes, membres et organes internes
broyés,telles sont quelques-unes des innombrables conséquencesqui
en résultent.»38

h) Malformations congénitales

Les effets intergénérations des armes nucléaires en font une catégorie
d'armes à part. Comme le souligne la délégationdes Iles Salomon, les
effets négatifsde la bombe sont

((virtuellement permanents - l'humanité est destinée à en ressentir
le contrecoup jusque dans un avenir très éloigné - si avenir il y a,
et rien n'est moins sûr dans l'hypothèse d'un conflit nucléaire))
(CR 95/32, p. 36).

Outre des dommages à l'environnement dont les générationsfutures
auront à souffrir pendant très longtemps, les rayonnements causent des

37Bates, op. cit., p. 772. LeBhagavad-Gita dit: «plus brillant qu'un millier de soleils»,
expression largement utiliséepar les savants nucléaires,par exempleRobert Jungk, auteur
de Brighter than a Thousand Suns: A Personal History of the Atomic Scientist, 1982,et
par Oppenheimer dans sa célèbrecitation de la mêmesource.
38Zbid.,p. 723.ravages génétiqueset aboutissent à des tares et malformations congéni-
tales comme on l'a constatéà Hiroshima et àNagasaki (où tous ceux qui
se trouvaient au voisinage de l'explosion - les hibakusha - se sont
plaints pendant des années d'être pour cette raison victimes d'une discri-
mination sociale) ainsi qu'auxIles Marshall et en d'autres zones du Paci-

fique. Selon le maire de Nagasaki:
«les descendants des survivants des explosions atomiques devront

êtresuivis pendant plusieurs générationspour décelerl'impact géné-
tique, ce qui signifieque des générationsde personnes vivront dans
l'angoisse))(CR 95/27,p. 43).

Le maire d'Hiroshima a indiqué à la Cour que les enfants qui avaient
été «exposéa sux radiations dans le sein de leur mère révélaient souvent
au moment de la naissance une microcéphalie, syndrome combinant
arriération mentale et développementincomplet)) (ibid., p. 29). Il s'est
exprimédans les termes suivants :

«Il n'y a aucun espoir que ces enfants deviennent des individus
normaux. On ne peut rien faire pour eux sur le plan médical. La
bombe atomique a marqué d'un stigmate indélébile lavie d'êtres
totalement innocents qui n'avaient mêmepas encore vu le jour.))
(Ibid., p. 30.)

Au Japon, le problème social des hibakusha concerne non seulement
les personnes hideusement défiguréespar des tumeurs chéloïdes mais
aussi des enfants présentant des malformations et ceux qui, ayant été

exposésaux explosions nucléaires, risquent d'avoir été génétiquement
atteints et de donner le jour à des enfants anormaux. Il y a là un pro-
blème de droits de l'homme très sérieux,qui a surgi longtemps après
l'explosion de la bombe et qui se posera nécessairement pendant des
générations.
Madame Lijon Eknilang, des Iles Marshall, a signalé à la Cour des
anomalies génétiquesqu'on n'avait jamais observéessur le territoire insu-
laire jusqu'aux campagnes d'essais nucléairesdans l'atmosphère. Elle a
fait une émouvante description des anomalies congénitales qui ont été
constatéesaprès que la population locale eut été exposéa eux radiations.
Elle a dit qu'aux Iles Marshall, des femmes

«donnent naissance non à des enfants comme nous aimons les ima-
giner mais àdes choses que, nous inspirant de la réalité quotidienne,

nous dénommons «poulpes», «pommes» ou «tortues». Nous
n'avons pas de mot dans notre langue pour décrirece genre de créa-
ture parce qu'il n'enétaitjamais venu au monde avant que nous ne
soyons exposésaux radiations.
Des femmes de Rongelap, de Likiep, d'Ailuk et d'autres atolls des
Iles Marshall ont aussi donné naissance à des monstres ...Une
femme de Likiep a accouché d'un enfant bicéphale ...Il y a aujourd'hui à Ailuk une fillette privéede genoux, et qui n'a que trois

doigts à chaque pied et un seul bras.
A Rongelap et dans les îlesvoisines, l'anomalie la plus fréquente à
la naissance est celle de I'«ectoplasmie». Les enfants sont dépour-
vus de charpente osseuse et leur peau est transparente. On peut voir
battre leur cerveau et leur cŒur. Les grossesses anormales font de
nombreuses victimes ...et lesfemmesqui survivent accouchent d'une
sorte de grappe de raisins noirs que nous nous hâtons de faire dis-

paraître et d'enterrer...
Sij'ai entrepris ce long voyage pour me présenterdevant la Cour
aujourd'hui, c'estpour vous demander de faire tout en votre pouvoir
pour que la souffrance qui a éténotre lot à nous, citoyens des Iles
Marshall, soit épargnéeau reste du monde. » (CR 95/32, p. 30-31 .)

Un autre pays où ont été enregistrées des naissances d'enfants anor-
maux, Vanuatu, a fait une déclaration non moins émouvante devant
l'Assembléemondiale de laSantélors de l'examen, dans cette enceinte,de
la possibilité desoumettre à la Cour la question des armes nucléaires.Le
représentant de Vanuatu a signalé la naissance au bout de neuf mois

d'une substance qui respire mais qui n'a ni visage, ni bras, ni jambes39.

i) Dommages transnationaux

En cas d'explosion nucléaire,les retombées,mêmesi elles proviennent
d'une seule détonation locale, sont impossibles à contenir dans les limites
d'un territoire nationa140.Selon des études de l'Organisation mondialede
la Santé,elless'étendraientsur des centaines de kilomètres sousle vent et
l'effet des rayons gamma résultant des retombéespourrait êtreressenti

par le corps humain, mêmeau-delà des frontières, de diverses manières:
contact avec le sol devenu radioactif, inhalation de l'air, absorption de
denrées contaminéeset inhalation de radioactivité en suspension. A cet
égard,la comparaison entre les superficies touchéespar les bombes du
type classique et les armes nucléaires, présentée dans le diagramme joint
en appendice à la présenteopinion, qui a été publié dans une étude de
l'Organisation mondiale de la Santé esttrèsinstructive. On peut donc se

faire une idéedu danger auquel seraient exposéeslespopulations neutres.
Toutes les nations, y compris celles qui procèdent à des essais souter-
rains, conviennent que de très grandes précautions doivent êtreprises
pour éviter qu'une explosion nucléairesouterraine ne contamine l'envi-
ronnement. Il sera manifestement impossible de prendre de telles précau-

39Compte rendu de la treizième séance plée,uarante-sixièmeAssembléemondiale
de la Santé,4mai 1993,doc. A46NRl13, p. 11,communiqué à la Cour par l'organisa-
tion mondiale de la Santé.
40Voir le diagramme joint en anneàela présenteopinion, qui est tirédu document
intituléffets de la guerre nucléairesur la santé et les services de santé, Organisation
mondiale de la santé, éd., 1987,p. 16. tions en cas d'emploi d'armes nucléairesdans le contexte d'un conflit
armé puisque les-explosions auront nécessairement lieudans l'atmo-
sphèreou sur terre. Les explosions nucléairesdans l'atmosphère ont des
effets délétères si notoires qu'elles ont déjà étéinterdites par le traité
d'interdiction partielle des essais nucléaires etque l'on se rapproche de

dus en DIUS d'un traitéd'interdiction des essais dans tous les milieux. Si
les puissances dotées d'armesnucléairesconviennent aujourd'hui que les
explosions souterraines soumises aux contrôles rigoureux d'une cam-
pagne d'essais ont des effets si néfastessur la santé et l'environnement
qu'ilfaut lesinterdire, comment considérer comme acceptablesdes explo-
sions à l'air libre échappant à tout contrôle?
Les effets transfrontières des radiations sont mis en évidencepar la
catastrophe de Tchernobyl qui a eu des effets dévastateurs surune vaste
superficiedu fait qu'il étaitimpossible d'arrêterle déplacement des sous-

produits de la réaction nucléaireL. a santé,la production agricole et laitière
et la démographieont été compromises à un degré sans précéden stur des
superficiess'étendant surdes milliersde kilomètres carrés. Le 30novembre
1995,le Secrétaire généraaldjoint aux affaires humanitaires des Nations
Unies a annoncé queles cancers de la thyroïde, dont beaucoup diagnosti-
quéschezdesenfants, étaient devenus deux cent quatre-vingt-cinq fois plus
fréquents qu'avantl'accident au Belarus, que le nombre de personnes ori-
ginairesdu Belarus. de la Russie et de l'Ukraine aui continuaient de vivre
u
loin de chez elleset étaientsouvent sans abri avoisinait trois cent soixante-
quinze mille - chiffre comparable à celui despersonnes déplacéed su fait
des combats au Rwanda - et qu'environ neuf millions de personnes
avaient été atteintesd'une manière ou d'uneautre4'. Dix ans après Tcher-
nobyl, leseffetsdela tragédiesefont encore sentir sur de vastes superficies,
non seulement en Russie mais aussi dans d'autres pays comme la Suède.
Pourtant, ils ont eu pour origine un simple accident,non une volontédéli-
béréede causer des dommages par l'emploi d'armes nucléairesi;ls ne se

sont pas accompagnés des ravagesattribuables à l'effet thermique ou à
l'effet de souffle que provoquent les armes nucléaires;ils ont été causés
exclusivementpar l'irradiation - l'une seulementdes trois manièresdont
les armes nucléairestuent; et ils ont fait suiàeun accident deproportions
nettement plus modestes que les explosions d'Hiroshima et de Nagasaki.

j) Anéantissementpossible de l'ensemblede la civilisation

La guerre nucléaire a la capacitéd'anéantirl'ensemble de la civilisa-
tion. 11suffirait pour obtenir ce résultat d'utiliser une infime partie des
réservesd'armes nucléaires stockéesdans les arsenaux des puissances
nucléaires.
Un ancien secrétaire d'Etat des Etats-Unis d'Amérique,Henry Kissin-

ger, a un jour déclaré, à propos des assurances stratégiquesen Europe:

41New York Times Service, citédans le numérodu 30novembre 1995de l'International
Herald Tribune.

242 MENACE OUEMPLOI D'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW. EERAMANTRY) 465

«Nos alliéseuropéensne devraient pas nous inviter constamment

à multiplier des assurances stratégiques que nous ne sommes pas
prêts,ou, si nous le sommes, ne devrions pas être prêts à mettre en
application car, en le faisant, nous risquons d'anéantirla civilisa-
tion.»42

De même,Robert McNamara, secrétaired'Etat àla défense desEtats-
Unis de 1961 à 1968,a écrit:
«Peut-on raisonnablement croire que ne seraient employées,dans
le cadre d'une guerrenucléaire,que quelques dizaines ou même quel-

ques centaines d'armes nucléairesalors mêmeque les deux parties
auraient encore des dizaines de milliers d'armes à leur disposition?
La réponsene peut être que négative.»43
Les stocks d'armes sont peut-êtreen voie de réduction maisce n'est pas

à l'échellede milliers ou mêmede centainesd'armes nucléairesque le pro-
blèmesepose. Il suffirait de quelques dizaines d'armes pour causer toutes
les destructions dont un aperçu a étédonné au début de la présente
opinion.
Tel est le risque que comporte l'emploi des armes nucléaires - un
risque qu'aucune nation n'est en droit de prendre, quels que soient les
dangers auxquels elle se trouve exposée. Ledroit d'un individu de dé-

fendre ses propres intérêtsest un droit qu'il possède à l'encontre de ses
adversaires. Il ne peut pas légitimement, en l'exerçant,anéantirle village
où il habite.

i) Institutions sociales

Toutes les institutions d'une société organisé e les instances judi-
ciaires et législatives,la police, les servicesde santé, d'éducation,des trans-
ports, des communications et des postes et téléphones,ainsi que la presse
- disparaîtraient totalement juste après une attaque nucléaire. Les
centres de commandementet les serviceslesplus importants de l'adminis-

tration du pays seraient paralysés.Il en résulteraitun «chaos social àune
échellesans précédentdans l'histoire de l'humanité»44.

ii) Structures économiques

Economiquement, la sociétéreviendrait non pas à son niveau du
Moyen Age mais aux temps les plus reculésde l'histoire de l'humanité.
Une des étudesles plus connues qui évoquentce scénariorésumela situa-
tion dans les termes suivants:

42Henry A. Kissinger, ((NATO Defense and the Soviet Threat)), Survivul, novembre-
décembre1979,p. 266(conférencea Bruxelles),citépar Robert S. McNamara dans «The
Military Role of Nuclear Weapons: Perceptions and Misperceptions)), Foreign Affirs,
1983-1984,vol. 1, p. 59; les italiques sont de moi.
43Robert S. McNamara, op. cit., p. 71.
Bates, op. cit., p. 726. ((11faudrait ...non pas reconstruire l'économie préexistante mais
en inventer une nouvelle, à un niveau beaucoup plus primitif ...
L'économiedu Moyen Age, par exemple, étaitloin d'avoir la capa-
citéde production de la nôtre mais elle étaitextrêmement complexe
et nos contemporains ne seraient pas capables de bâtir instantané-
ment un système économique médiévas lur les ruines de celui du
XX" siècle ...Au milieu des restes de l'ère spatiale,ils seraient inca-
pables de trouver, parmi les débrisd'une économie moderne répan-
dus autour d'eux - iciune automobile, là une machine à laver - les

moyens de satisfaire leurs besoins les plus élémentaires... [Ills ne se
soucieraient pas de reconstruire l'industrie automobile ou l'industrie
électronique: ils se soucieraient de savoir comment trouver dans
les bois des baies non radioactives et comment identifier les arbres à
écorce comestible.» 45

iii) Trésors culturels

Il convient également deprendre en compte la destruction des trésors
culturels, témoinsdu progrèsde la civilisation à travers les âges. L'impor-
tance de la protection de cet aspect de la civilisation a été reconnuepar la
convention de La Haye du 14 mai 1954 concernant la protection des
biens culturels en cas de conflit armé, quiproclame que le patrimoine cul-
turel a droit à une protection spéciale.Les monuments historiques, les
Œuvresd'art et les lieux de culte qui constituent le patrimoine culturel ou
spirituel des peuples ne doivent servir de cible à aucun acte d'hostilité.

Le protocole additionnel II dispose que les biens culturels et les lieux
de culte qui constituent le patrimoine culturel et spirituel des peuples ne
doivent pas faire l'objet d'attaques. Semblables attaques constituent des
violations graves du droit humanitaire tel qu'il découle des conventions
et du protocole. La protection du patrimoine culturel en temps de guerre
est considérée commesi importante par la communauté mondiale que
l'Unesco a élaboréun ((Programme spécialpour la protection de la cul-
ture en temps de guerre)).Chaque destruction d'unbien culturel a entraîné

une réaction d'indignation de l'opinion publique et desprotestations en
raison des violations du droit de la guerre.
Or, il est manifeste que la bombe nucléaire n'épargnepas les trésors
culturels46.Elle réduiten cendres et anéantit tout ce qui se trouve dans
son rayon de destruction, les biens culturels comme le reste.
Malgréle «blitz» subi par de nombreuses grandes agglomérations pen-
dant la seconde guerre mondiale, bien des monuments culturels ont été
épargnés.Tel ne sera pas le cas si une guerre nucléaire éclate.

45Jonathan Schell, The Fate of the Eavth, 1982, p. 69-70, citédans Bates, op. cit.,
p. 727.
46Concernant le devoir des Etats de protégerlepatrimoine culturel, voir l'article5de la
convention de 1972concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel. L'importance considérable que revêlte patrimoine culturel dans tous

les pays ressort clairement des statistiques relativesàun seul d'entre eux.
Ily avait en 1986dans la seule République fédérale d'Allemagne environ
un million de monuments classésdont neuf mille dans la seule ville de
C~logne~~.Une attaque nucléairesur une ville comme Cologne priverait
l'Allemagne et l'ensemble de la communauté mondiale d'une fraction
appréciable de leur patrimoine culturelcar une bombe unique anéantirait
aisémentles neuf mille monuments, n'en laissant pas un seul debout -
résultat auquel n'est parvenu aucun des bombardements de la seconde

guerre mondiale.
De cesmonuments, comme de n'importe quelautre bâtiment, la bombe
nucléaire ne laissera subsister que des décombres radioactifs. Si l'on
considèreque la préservationdu patrimoine culturel de l'humanitérevêt
une importance cruciale pour la civilisation, il faut se rendre compte que
la bombe nucléaireen causera inévitablement sadestruction.

k) L'impulsion électromagnétique

L'explosion d'une bombe nucléaire s'accompagned'un autre phéno-
mènecaractéristique,celuide l'impulsion électromagnétique qui, selon les
spécialistes,a pour effet de chasser les électrons des molécules d'air
situéesdans les couches supérieures de l'atmosphère, électronsqui sont
alors attiréspar le champ magnétiquede la Terre. Leur descente le long
des lignes de force magnétique engendre une très forte et très soudaine
poussée d'énergie - l'impulsion électromagnétique - qui met hors ser-
vicetous les systèmesélectroniques.Quand tous ces systèmesne fonction-

nent plus, les lignes de communication sont coupées,les servicesde santé
(y compris les services essentiels) sont gravement perturbés et la vie
moderne organisée s'arrête. Mêm es dispositifs de commandement et
de contrôle dont dépendentles réactions àune attaque nucléaire risquent
de tomber en panne, ce qui entraîne le danger supplémentaire que des
bombes nucléairesne soient involontairement activées.
Un dictionnaire scientifique classique, le Dictionnaire encyclopédique
d'électronique, décritles effets de l'impulsion électromagnétiquedans les

termes suivants :
((Impulsion électromagnétique, impulsion nucléair eforte impul-
sion d'énergie électromagnétique rayonnéepar une explosion
nucléairedans l'atmosphère; est due aux collisions entre les rayons

gammas émispendant les premières nano-secondes de l'explosion et
les électronsdes molécules del'atmosphère; l'impulsion électroma-
gnétiqueproduite par une explosion nucléaire de puissance moyenne
à environ 400 kilomètres d'altitude peut mettre hors service instan-
tanément la majeure partie des appareils électroniques à semi-con-

47Voir Hiltrud Kier, ((UNESCO Programme for the Protection of Culture in War-
tirne» insérédans les actes du sixièmecongrès mondial de I'IPPNW, op.199.., p. MENACEOU EMPLOID'ARMES NUCLÉAIRES (OP.DISSW . EERAMANTRY) 468

ducteursd'un pays grand comme les Etats-Unis et une grande partie

de ses réseaux de distribution d'énergiesans que d'autres effets
soient ressentis au sol, avec des conséquences militaires facilesma-
giner.»48

L'impulsion électromagnétique a, entre autres caractéristiques, celle,
importante, de se déplacer à des vitessesphénoménales de telle sorte que le
dérèglement dessystèmesde communication causépar la contamination
radioactive peut s'étendreinstantanément au-delàdes frontièresnationales
et perturber les lignesde communication et les services essentielsdes pays
neutres. Etant donnélerôle capital que jouent lescommunications électro-
niques dans lefonctionnementde la sociétémoderne àtous lesniveaux, on
serait en présence d'uneatteinte injustifiéeaux pays en question.

Un autre effet important de l'impulsion électromagnétique rayonnée
par les armes nucléaires estque les installations de production et de dis-
tribution d'énergie,y compris les systèmesde contrôle, risquent de se
dérégler,ce qui pourrait, dans l'hypothèse où une centrale nucléaire se
trouverait dans la zone affectée,provoquer la fusion accidentelle du cŒur
du réacteur4g.

1) Dommages aux réacteurs nucléaires

Etant donné l'ampleur des dévastations et l'intensitéde la chaleur
dégagée,toutes les centrales nucléairesde la région seraient touchées,
avec pour conséquence l'élévation àun niveau dangereux de la radioac-
tivitéprovenant de cette source, sans parler de la radioactivitéattribuable
à la bombe elle-mêmeL . 'Europe compte à elle seule deux cents centrales

nucléaires dispersées sur le continent, dont certaines sont situéeàproxi-
mité d'agglomérations. Il y a de surcroît cent cinquante installations
d'enrichissementde l'uranium50.Un réacteurnucléaireendommagépour-
rait émettre:

«des doses létalesde radiations sur une distance de 240 kilomètres
sous le vent et générer destaux notables de contamination radioac-
tive de l'environnement dont l'effet pourrait êtreressenti à près de
1000kilomètres»

L'arme nucléaire,si elle étaitutiliséecontre l'un quelconque des pays où
sont situés lesquelque quatre cent cinquante réacteurs nucléairesactuel-
lement en servicedans le monde, pourrait provoquer dans son sillageune
sériede «Tchernobyls ».

48Michel Fleutry, Dictionnaire encyclopédique d'électroniqu(eanglais-français), 1995,
p. 250.
49Gordon Thompson, ((Nuclear Power and the Threat of Nuclear War)), dans les
Actes du sixièmecongrèsmondial deIPPNW, op. cit., p. 240.
50William E. Butler (dir. publ.), Control over Compliance with International Law,
1991,p. 24.
51Bates, op. cit., p. 720. MENACEOU EMPLOI D'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW. EERAMANTR4Y 6)9

L'irradiation ainsi provoquée aurait des conséquencesdiverses: ano-

rexie, arrêtde la production de cellules sanguines, diarrhée, hémorragie,
lésionde la moelle osseuse, convulsions, troubles vasculaires et collapsus
cardio-vasculaires 52.

m) Dommages a laproductivité alimentaire

Contrairement aux autres armes,dont l'impactdirect est le plus dévasta-
teur, les armes nucléaires peuventcauser des dommages bien plus grands

ultérieurement que dans l'immédiat. L'étude techniqd ue tailléeintitulée
Environmentnl Consequences of NuclearWar, après avoirsignalécertaines
incertitudesquant aux effetsindirectsde la guerrenucléaire, affirme que:

«Ce qu'on peut néanmoins dire sans risquer de se tromper, c'est
que la population humaine est beaucoup plus vulnérableaux effets
indirects de la guerre nucléaire,notamment à sesrépercussionssur la
productivité et l'approvisionnement alimentaires, qu'aux effets
directs de la guerre elle-même. »53

L'hiver nucléaire,s'il survenaità la suite d'échangesde tirs nucléaires
multiples, pourrait perturber le systèmed'approvisionnement alimentaire
de l'ensemblede la planète.
Après la campagne d'essais nucléaires menée en 195p 4ar les Etats-
Unis dans le Pacifique, on pêchait encoredans diverses zones du Paci-

fique, huit mois aprèsles explosions, du poisson contaminéet impropre à
la consommation humaine. En outre, lesrécoltesdans diverses régionsdu
Japon ont étécontaminées par des pluies radioactives. Telles sont les
constatations qui ont été faitespar une Commission internationale
d'experts médicaux nommés par l'Association japonaise des médecins
contre la bombe A et à la bombe HS4.Au surplus:

((L'emploidesarmes nucléairesentraîne unecontamination de l'eau
et desaliments, ainsique du sol et desvégétaux qui peuveny t pousser,
et cenon seulementdans la zone immédiatement touchép ear lesradia-
tions nucléaires mais aussidans toute la zone, beaucoup plus étendue

et sans limitesdéfinissables,ffectéepar lesretombées radioactives. »55

n) Explosions nucléairesmultiples résultantde rispostes en étatde légi-
time défense

En cas d'emploi de l'arme en étatde légitimedéfense à la suite d'une
attaque nucléaire initiale, l'écosystème q,ui aura déjàsubi l'impact de la
premièreattaque nucléaire,devra supporter en plus les conséquencesde

53SCOPE publication 28, paràeLa Royal Society,Londres, le 6janvier 1986,vol. 1,
p. 481.
54Mentionnéesdans Singh et McWhinney, op. cit., p. 124.
55Ibid., p. 122. MENACE OU EMPLOI D'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW. EERAMANTR4Y 7)0

la riposte, laquelle ne se limitera pas nécessairementau lancement d'une
seule bombe car le pays attaqué sera si dévastéqu'il ne sera pas en
mesure de calculer avec précision l'intensité de la riposte nécessaire. En
pareil cas, la tendance riposter aussi énergiquement qu'il est possible est
un élément à prendre en compte dans toute analyse réaliste de la situa-
tion. L'écosystèmesubirait donc l'impact d'explosions nucléaires mul-
tiples, qu'il ne pourrait pas supporter sans dommages permanents et irré-
versibles. Des capitalesà forte densité depopulation risqueraient d'être
viséeset la civilisation d'être totalementdétruite.
L'histoirerapporte que certains desconquérantslesplus implacables des

sièclespassés,une fois maîtres d'une villerebelle, la faisait raser complète-
ment, n'ylaissant subsisteraucun signe devie,pas mêmel'aboiement d'un
chien ou le miaulement d'un chat. Interrogésur la compatibilité d'untel
comportement avec le droit de la guerre, n'importe quel étudianten droit
international répondrait sans aucun doute par la négative.Il s'étonnerait
mêmequ'on lui pose une telle question. A notre époquede développement
plus avancé, l'armenucléaireva beaucoup plus loin, ne laissant rien après
elle que la dévastationla plus complèteau milieu d'un silencede mort.

O) ((L'ombredu champignon nucléair» e

Comme il est indiquédans les exposésaustraliens (CR95122, p. 49),
toute la génération d'après-guerrea vécu àl'ombre de la peur - l'ombre
du champignon nucléaire, dit-on parfois -, une peur qui domine l'en-
semble de la réflexionsur l'avenir de l'humanité.Cette peur, qui pèse
comme une malédictionsur l'esprit desenfants en particulier, est en elle-
mêmeune calamitéet elle durera aussi longtemps qu'il y aura des armes
nucléaires.Lesjeunes ont besoin de grandir dans un climat d'espoir, sans
avoir àredouter qu'à un moment quelconque de leur existence la vieou la
santéne leur soit arrachée, enmêmetemps que tous ceux qu'ils aiment, à
cause d'une guerre à laquelle leur pays ne sera peut-êtremêmepas partie.

Tout ce qui précèdemontre que, mêmeparmi les armes de destruction
massive dont beaucoup sont déjà interdites par le droit international,
l'arme nucléaire occupe une place unique parce qu'ellea la capacité elle
seule de détruiretout ce que l'humanitéa construit au fil des siècleset
tout ce dont l'humanitéa besoin pour survivre.
Je conclurai cette partie de mon opinion en citant la déclaration sou-
mise à la Cour par M. Joseph Rotblat, membre de l'équipebritannique
qui a participé au projet Manhattan à Los Alamos, rapporteur de
l'enquêteconduite en 1983 par l'Organisation mondiale de la Santéau
sujet des effets de la guerre nucléairesur la santéet les servicesde santé,

et lauréatdu prix Nobel. Le professeur Rotblat faisait partie de l'une des
délégations mais n'apas pu se présenterdevant la Cour pour des raisons
de santé. MENACEOU EMPLOID'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW. EERAMANTRY) 471

Voici un extrait de sa déclaration à la Cour:

«J'ai lu les exposés écrits présenté psar le Royaume-Uni et les
Etats-Unis.Leur position surla licéité de l'emploidel'arme nucléaire
repose sur trois prémisses:a) que les armes ne causeraient pas néces-
sairement de maux superflus; b) qu'elles nefrapperaient pas néces-
sairement sans distinction les populations civiles; et c) qu'elles
n'auraient pas nécessairement d'effetssur le territoire d7Etats tiers.
Parlant à titre professionnel, j'exprime l'opinion - exposée plus
haut et dans les rapports de l'OMS quej'ai mentionnés - qu'à quel-
que cas de figure qu'on puisse raisonnablement se référer leur posi-

tion est indéfendablesur les trois points.» (CR 95132,annexe, p. 2.)

4. La spécificité dea svmes nucléaives

Après cet exposé des élémentdse fait, il est presque superflu de déve-
lopper des arguments juridiques car peut-on concevoir qu'un système
juridique puisse renfermer un principe permettant que la société qu'il
régit soit ainsi décimée e dtétruit- comme d'ailleurs l'environnement
naturel qui assure l'existencede cette sociétédepuis des temps immémo-
ri au^?^^Les risques sont si impressionnants que toute une sériede prin-
cipesjuridiques se présentent à l'esprit pour les éviter.
Je me bornerai, a ce stade de la présente opinion, à récapitulerles rai-
sons pour lesquelles l'arme nucléaire occupe, mêmp earmi les armes de
destruction massive, une place à part. Les armes nucléaires:

1) sèmentla mort et la destruction;
2) provoquent des cancers, leucémies,tumeurs chéloïdeset d'autres
affections du mêmetype;
3) sont la cause de troubles gastro-intestinaux et cardio-vasculaires et
d'autres affections du mêmetype;

4) continuent, des dizaines d'annéesaprèsavoir été utilisées, à avoir les
effets sur la santé évoqués plushaut;
5) portent atteinte aux droits des générationsfutures concernant l'envi-
ronnement;
6) sont la cause de malformations congénitales,d'arriérationmentale et
de dommages génétiques;
7) risquent de provoquer un hiver nucléaire;
8) contaminent et détruisentla chaîne alimentaire;
9) mettent en danger l'écosystème;

10) ont des effets de chaleur et de souffle de niveaux létaux;
II) génèrentdes rayonnements et des retombées radioactives;
12) produisent une impulsion électromagnétiqueentraînant de graves
perturbations ;
13) provoquent la désintégration dela société;
14) mettent la civilisation en danger;

56Ce point est développé ci-aàrla section V, paragraphe 1. MENACEOU EMPLOID'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW . EERAMANTR4 Y7)2

15) menacent la survie de l'humanité;
16) dévastentle patrimoine culturel;

17) produisent des effets qui se font sentir pendant des milliers d'années;
18) menacent toutes les formes de vie sur la planète;
19) causent des dommages irréversibles aux droits des générations fu-
tures;
20) exterminent les populations civiles;
21) causent des dommages dans les Etats voisins;
22) provoquent des tensions psychologiques et des syndromes de peur,

comme ne lefait aucun autre type d'uvmes.

Chacun de ces élémentsest en lui-mêmeassez préoccupant pour justi-
fier le classement des armes en question dans une catégorie à part rele-
vant spécialementdes principes du droit humanitaire. Pris conjointement,
ils rendent irréfutable la thèse exigeant l'application de ces principes. La
liste est loin d'être complète. Maispour citer une étude récente:

«Une fois établi que tout espoir est interdit à l'homme du
XXe siècle si une guerre nucléaire éclate,il n'est guère utile de
chercher à déterminer quelssont ses autres effets.»57

L'Assemblée générala e, dans sa ((Déclaration sur la prévention d'une
catastrophe nucléaire)) de 1981, résuméles faits qui précèdentdans les
termes appropriés suivants :
((toutes les horreurs des guerres du passé et toutes les autres cala-
mités que l'humanitéa connues paraîtraient moindres au regard de

ce qu'implique l'emploi des armes nucléaires qui peuvent détruirela
civilisation sur la Terre58.
Tel est donc le contexte dans lequel s'inscrit l'examen de la question
juridique dont la Cour est saisie. Détachée de son pénible et sinistre

contexte factuel, cette question ne peut pas être abordéesérieusement.Si
l'on met en revanche les effets de l'arme- si totalement contraires à tous
les principes d'humanité - en regard des principes acceptés du droit
humanitaire, on ne peut aboutir qu'à une seule conclusion. L'analyse qui
va suivre soulignera que les principes humanitaires sont manifestement
violéspar les conséquences des armes nucléaires.Elle montrera que les
effets de l'arme nucléaire et les principes humanitaires du droit de la
guerre sont complètement antinomiques.

5. Les différences entre le niveau actueldes connaissancesscientzjiques
et celui de 1945

Le 17juillet 1945,M. Stimson, secrétaired'Etat à la guerre des Etats-
Unis d'Amérique,voulant informer le premier ministre de l'époque, Chur-

57Bates, op. cip. 721.
58Résolution361100du 9 décembre1981. MENACE OU EMPLOI D'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW. EERAMANTR4 Y7)3

chill, que son pays avait fait exploser avec succèsune bombe nucléaire
expérimentaledans le désertdu Nouveau-Mexique, lui a envoyéle mes-
sage codésuivant: ((Nouveau-nésbien arrivés. »59 Depuis le jour, lourd
de conséquences,où l'avènement d'une bombe inconnue a pu, même
dans un message codé, être saluée ences termes, on a énormémentappris
sur les effets de cette nouvelle arme.
Sans doute en savait-on déjà beaucoup, à l'époque,sur la puissance de
la bombe mais des connaissances infiniment plus étenduesont mainte-

nant été acquisessur les effets des bombes nucléaires.Outre les nom-
breuses étudesmilitaires, il faut citer, parmi des centaines d'autres, les
études détailléedse l'Organisation mondiale de la Santéet d'autres orga-
nisations spécialiséescomme l'Association internationale des médecins
pour la prévention dela guerre nucléaire(IPPNW); les étudesTTAPS
sur l'hivernucléaire;les études dela Commission scientifiquesur les pro-
blèmesde l'environnement (SCOPE); cellesdu Conseil international des
unions scientifiques(CIUS); et cellesde l'Institut des Nations Unies pour
la recherche sur le désarmement (UNIDIR). Une bonne partie de cette

documentation a étécommuniquée à la Cour ou déposée à la biblio-
thèque de la Cour par l'organisation mondiale de la Santéet plusieurs
des Etats qui se sont présentésdevant la Cour dans la présente affaire.
Sous l'angle de l'étatdes connaissances, de l'acceptabilitémorale et de
la licéitél,a question de l'utilisation des armes nucléairesse pose donc
aujourd'hui en termes trèsdifférents deceux de 1945et doit êtreanalysée
dans une perspective tout à fait nouvelle en tenant compte de l'énorme
masse de donnéesaccumulées. Ces nouvellesdonnéesont une trèsgrande
importance s'agissant de la question de la licéité soumise la Cour.
Un mêmeacte s'apprécie en droit de manièretotalement différenteselon

que son auteur a agi enayant pleinement consciencedesconséquences qui en
découlentou lorsqu'il les ignorait totalement. Un pays qui utilise l'arme
nucléaireaujourd'hui ne saurait prétendrequ'il n'est pas au courant des
effetsàattendre deson acte. C'esten fonctiondesconnaissancesde 1996que
la question de la licéité dsrmes nucléairesdoit êtreexaminée.

6. Les bombes d'Hiroshimaet de Nagasakipermettent-ellesde conclure
qu'ilestpossible de survivrà laguerrenucléaire ?

Une question dépassetous les aspects particuliers des règlesdu droit
humanitaire et en un sens les regroupe tous en une seule, la population
cible- en fait la race humaine - a-t-elle une chance de survivre? Cette
possibilitéde survie marque le point critique de chacun des dangers aux-
quels répondent les divers principes du droit humanitaire. Le point

extrêmequi est atteint lorsqu'un danger particulier parvientàson poten-
tiel maximum est le point où il n'y a pas de survie possible. C'est à ce
point que conduit la guerre nucléaire.Le fait qu'une telle guerre peut

Winston Churchill, The Second World War, vol. 6, Triumph and Tragedy, 1953,
p. 63.anéantirla race humaine et toute la civilisation a doncpour conséquence
que tous les principes du droit humanitaire doivent être appliqués.
Silerisquequ'iln'yait, encasdeguerre nucléaire, aucunechancede survie
n'estpas toujours clairementperçu,c'esten raison de cequi s'est paaprès
Hiroshima et Nagasaki. Le fait que des armesnucléairesont étutiliséesau
Japon et que ce pays a résisté la guerre et en est sorti plus dynamiqueet
plusfort peut donnerà l'observateurl'illusionrassurante qu'ilestpossiblede
survivreà la guerre nucléair. ettevisioncomplaisantes'estinsinuéejusque
dans ledroit international caril existeun vaguesentimentque la preuvea été
faite qu'ilest possiblede survivrea guerre nucléaire.

Il fautdonc passer brièvement en revuequelques-uns des points sur les-
quels le scénariominimaliste d'une attaque nucléaire remontant à un
demi-sièclediffère manifestementde ce que serait vraisemblablement une
guerre nucléaireaujourd'hui. Les différencessuivantes sont ànoter:
1) Les bombes employées à Hiroshima et à Nagasaki avaient une puis-

sance qui ne dépassaientpas 15kilotonnes. Les bombes susceptibles
d'êtreutiliséesdans le cadre d'une guerre nucléaireauront une puis-
sance infiniment supérieure.
2) Hiroshima et Nagasaki ont mis fin àla guerre. Cette guerre nucléaire
étantlimitée à l'utilisation de deux bombes nucléairesde petite taille.
Rien ne permet de supposer que la prochaine guerre nucléaire,si elle
a lieu, sera aussi limitéecar des échanges multiplessontàprévoir.
3) Le pays cible, dans le cas d'Hiroshima et de Nagasaki, n'étaitpas une
puissance dotées d'armesnucléaires.Et il n'y avait pas d'autre puis-
sance dotéed'armes nucléairesqui étaitprête àlui venir en aide. La
guerre nucléairede demain, si ellea lieu, aura pour théâtre un monde

où il existe une multiplicitéd'armes nucléaires,qui ne sont pas la sans
raison. La possibilitéqu'une fraction de cet arsenal, si petite soit-elle,
entre en action créedonc un risque permanent dont il faut tenir
compte dans le contexte d'une éventuelleguerre nucléaire.
4) Les villes d'Hiroshima et de Nagasaki, si importantes fussent-elles,
n'étaientpas les centres nerveux du gouvernement et de l'administra-
tion du Japon. Ce sont probablement les grandes villeset les capitales
des pays belligérantsqui seront viséesdans le contexte d'une éven-
tuelle guerre nucléaire.
5) Les dommages catastrophiques à l'environnement comme l'hiver
nucléaireque pourrait causer un échangemultiple de bombes n'étaient

pas à craindre dans le cas des bombes de petite taille utilisées à
Hiroshima et à Nagasaki.
Hiroshima et Nagasaki ne prouvent donc pas qu'il soit possible de sur-
vivre à la guerre nucléaire. Elles préfigurentplutôt,à une échelletrès
réduite, les dangers inhérents à une éventuelleguerre nucléaire. Elles

fournissent la réponseà des questions qui auraient pu susciter des doutes
s'ilavait fallu examiner leproblème dela licéité desarmes nucléairessur
la base des seules donnéesscientifiques sans pouvoir s'appuyer sur une
démonstration pratique de leurs effets sur la population. MENACE OU EMPLOI D'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW. EERAMANTR4 7)5

Ainsi donc, tous les maux que les règlesdu droit humanitaire visent à
prévenirsont à prendre en considérationdans l'examen desquestions de
survie que soulèvel'utilisation éventuelle desarmes nucléairesdans une
situation de guerre.

7. Une vision venant du passé

J'arrive ainsi au terme de la section de la présente opinionoù j'ai ana-
lyséleplus largement possible les effetsde la bombe sur la base des résul-
tats connus de son emploi et des donnéesscientifiques disponibles. La
non-conformité dela bombe avec les normes du droit humanitaire et, de
fait, avec les principes fondamentaux du droit international semble donc
tout à fait évidente- et je reviendrai plus loin sur ce point.
Pour situer le problème dans une perspective plus vaste, ilconvient de
rappeler que, bien que n'ayant pas ététémoin de l'utilisationeffectivede
l'arme nucléaire et bienaue n'avant Das accès à la masse de données

scientifiques aujourd'hui disponibles, un observateur perspicace a su,
longtemps avant l'invention de la bombe, en percevoir l'incompatibilité
avec toute forme d'ordre social, notion qui englobe bien sûr ledroit inter-
national. Dans The Wovld Set Fvee, H. G. Wells, partant de ce que l'on
savait déjàen 1913grâce aux travaux d'Einstein et d'autres savantssur la
corrélation entre lamatièreet l'énergie,a eu la prémonition dela création
de la bombe. Se projetant dans l'avenir avecune remarquable prescience,
il écrivait en1913:

«Les bombes atomiques avaient réduit les problèmes internatio-
naux à l'insignifiance total...nous avons réfléchi à la possibilité
d'empêcherl'utilisation deceseffroyables enginsavant que lemonde
ne soit entièrement détruit.Car il nous paraît touà fait évidentque
ces bombes, et le pouvoir destructeur encore plus grand auquel elles
ouvrent la voie, pourraient très facilement saper tout le systèmede

relations et d'institutions de l'humanit))60
Dès 1913,la puissance que recelait l'atome était théoriquement connue.
Sur cette base et en l'absencede toute confirmation pratique, on a pu pré-
voir que la bombe était capable de saper tout le systèmede relations et
d'institutions de l'humanité.Le droit international est l'un des éléments

les plus fragiles de ce système.
11est remarquable que la question de savoir si l'arme est permise au
regard du droit international continue d'être sérieusemen dtébattuealors
mêmeque la preuve de sa puissance a été,quarante ans après que les
conséquences à en attendre auront été qualifiéed se «tout à fait évi-
dentes)), administrée de façon terrifiante et alors mêmeque le monde a
disposé,depuis, d'un nouveau délai deréflexionde cinquante ans.

60H. G. Wells, The First Men in the Moon et The World Set Fïee, Literary Press,
Londres, réimpressionnon datéede l'édition de1913,p. 237. Voir aussi l'allusion
dansR. J. Lifton et Richard Falk, Indefensible Weapons, 1982,p. 59. III. DROIT HUMANITAIRE

On peut dire que la principale question dont la Cour est saisie est de
savoir si les armes nucléairessont, à un degré quelconque,compatibles

avec les ~rinci~esfondamentaux du droit humanitaire.
L'application aux armes nucléaires des principesdu droit humanitaire
n'a été contestée à aucun stade de la ~rocédure et a maintenant été
confirméepar l'avis unanime de la Cour (alinéaD du paragraphe 2 du
dispositif). La plupart des Etats qui soutiennent que l'emploi desarmes
nucléaires est liciteont d'ailleurs reconnu que leur utilisation est soumise
aux règlesdu droit international humanitaire.
Ainsi la Fédération deRussie a déclaré:

«Bien entendu, les développementsqui précèdentne signifientpas
que l'emploi des armes nucléaires n'est assujetti aucune limitation.
Mêmesi leur emploi est en principe justifiable - en état delégitime
défense individuelleou collective- il doit s'insérerdans le cadre des
restrictions imposéespar le droit humanitaire en ce qui concerne les
moyens et méthodes de conduite des activités militaires.Il est impor-

tant de noter que, s'agissant des armes nucléaires,ces restrictions
découlentdu droit coutumier plutôt que du droit conventionnel. »
(Exposé écrit,p. 18.)
Les Etats-Unis d'Amériquese sont exprimésdans les termes suivants:

«La position des Etats-Unis, qui n'est pas nouvelle, est que les
divers principes du droit international des conflits armés s'appli-
quent à l'emploi des armes nucléaires comme ils s'appliquent à
l'ensemble des autres méthodes et movens de guerre. Mais cela ne
signifiepas que l'emploi desarmes nucléairessoit interdit par le droit

de la guerre. Comme le démontre la suite du présent exposé,la
réponse à la question de la licéité dépend des circonstances précises
qui entourent un cas déterminé d'emploid'une arme nucléaire.))
(Exposé écrit,p. 21 .)

Et le Royaume-Uni le fit ainsi:
((11s'ensuitde là que le droit des conflits arméspar rapport auquel
la licéitéd'un emploi déterminé debombes nucléairesdoit s'appré-
cier englobe toutes les dispositions du droit international coutumier

(y compris cellesqui ont étécodifiéesdans le protocole additionnel 1)
et, le cas échéant,du droit conventionnel, àl'exclusion toutefois des
dispositions du protocole 1qui ont introduit de nouvelles règlesdans
ledroit.)) (Exposé écrit,p. 46, par. 3.55.)

La subordination des armes nucléairesaux règlesdu droit humanitaire
est donc universellement reconnue et a maintenant étéconfirméesur le
plan judiciaire en tant que principe indiscutable du droit international.
Il faut donc maintenant mettre en regard les grands principes du droit
humanitaire et les effets avérés des bombes nucléaireq sui ont été décrits MENACEOU EMPLOI D'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW. EERAMANTRY) 477

plus haut. Une fois rapprochés les principes et les faits, leur incompati-
bilitétotale ne peut aboutir qu'à une seule conclusion - que les armes
nucléairessont incompatibles avec le droit humanitaire. Puisqu'elles sont
sans conteste régiespar le droit humanitaire, elles sont sans conteste illi-
cites.
Parmi les interdictions du droit international humanitaire qui sont per-
tinentes dans la présente affairefigurent l'interdiction des armes causant
des maux superflus, des armes qui ne font pas de distinction entre la
population civileet lescombattants et des armes qui ne permettent pas de

respecter les droits des Etats neutres.
Je vais maintenant analyser plus en détailsces considérations.

1. Les «considérations élémentaires d'humani» té

Cette formule est la traduction d'une notion clédu droit humanitaire.
La conduite d'un Etat dans une situation donnée est-elle contraire aux

considérationsélémentairesd'humanité? 11suffit d'évoquer cette formule
et de rappeler les résultatsavérésde la bombe décrits plushaut pour que
la contradiction éclateau grand jour. L'opposition est si radicale qu'on
peut s'étonnerqu'elle ait mêmepu êtremise en doute.
Peut-on soutenir, en toute logique, qu'exterminer massivement les
habitants du pays ennemi, empoisonner l'air qu'ilsrespirent, provoquer
chez eux des cancers, des tumeurs chéloïdeset des leucémies,exposer un
grand nombre de leurs descendants à des risques de malformations
congénitales etd'arriération mentale, dévaster leur territoire et rendre

leurs produits alimentaires impropres à la consommation, peut-on soute-
nir que des actes de ce genre sont compatibles avec les ((considérations
élémentaires d'humanité))?A moins d'êtreprêt à répondreen conscience
à ces questions par l'affirmative, on doit reconnaître qu'il n'ya plus place
pour aucune discussion sur le point de savoir si les armes nucléaires vio-
lent le droit humanitaire, et donc le droit international.
Le présidentWoodrow Wilson, dans un discours prononcé lors d'une
séanceconjointe du Congrèsle 2 avril 1917,a trèsbien formulé cetteidée

lorsqu'il a di:
((Progressivementet laborieusement, l'effort de développementde
ce droit s'est poursuivi, avec des résultats certes bien modestes ...
mais toujours, du moins, en pleine connaissance de ce que le cŒur et

la conscience de l'humanitéexigeaient. »61
S'agissant desarmes nucléaires,il ne peut pas y avoir le moindre doute
sur ce que «le cŒur et la conscience de l'humanité))exigent. Un autre

61Discours prononcéle 2 avril 1917par le président desEtats-Unis d'Aàuneque
séance conjointe des deuxchambres du Congrès, réimprimédanserican Journal of
InternationLaw, 1917,vol. 11,suppl., p. 144. Lesparoles du présidentétaientinspirées
par les attaques des sous-marins allemands contre les navires de guerre et les navires
marchands indistinctement; il a parlédans ce contexte dee contre l'humanité)).président desEtats-Unis, le président Reagan, a déclaré:((J'appelle de
tous mes vŒuxlejour où il ne restera plus d'armes nucléaires nullepart
sur la terre.»62Cette attitude, qui est aussi - comme le souligne la pré-

sente opinion en divers endroits - celle de simples citoyens dans le
monde entier, inspire le droit humanitaire moderne, qui a fait desprogrès
depuis le temps où le président Wilson en qualifiaitles résultatsde «bien
modestes».
La suite de la présente opinion sera consacrée à un examen de l'état
actuel de développement des principesdu droit humanitaire.

2. L'origine multicuturelle du droit humanitaire de la guerre

Le droit humanitaire de la guerre tire une autoritéaccrue du fait que,
loin d'être une invention récente ou l'émanationd'une culture détermi-
née,il remonte à des temps anciens et repose sur une tradition trois fois
millénaireet que, comme on l'a déjà soulignéi,l a de profondes racines

dans de nombreuses cultures - hindoue, bouddhiste, chinoise, chré-
tienne, islamique et africaine. Toutes ces cultures ont dégagé une sériede
restrictions à la possibilité d'employertel ou tel moyen pour combattre
l'ennemi. Le problème à l'examen est universel et la Cour est elle-même
une instance universelle dont la composition doit statutairement refléter
les principales formes de culture du monde'j3.La Cour ne saurait ne tenir

aucun compte en l'espècedes traditions multiculturelles qui existent sur
cette importante question; il lui faut au contraire invoquer dans toute sa
plénitudel'autoritéuniverselle dont elle peut se prévaloirpour donner à
ses conclusions un poids supplémentaire - le poids que confèrent aux
traditions considérées laprofondeur de leurs racines historiques et
l'ampleur de leur champ gé~graphique~~.

S'agissant des armes nucléaires, latradition ancestrale de l'Asiedu Sud
touchant l'interdiction d'employer des armes hyperdestructives est parti-
culièrement pertinente. Cette tradition se reflètedans deux célèbresépo-
péesindiennes, le Ramayana et le Malzabharatha, qui sont connues et
régulièrement représentéed sans toute l'Asie du Sud et du Sud-Est où
elles font partie du patrimoine culturel vivant des pays de la région.Ces

deux épopées nepourraient pas êtreplus précisesdans leurs références à
l'interdiction en question et ellesportent sur une histoire vieillede près de
trois mille ans.

62Discours du 16juin 1983,mentionnépar Robert McNamara, op. cit., p. 60.
63Je note à ce propos que notre éminent collègue,le juge latino-américain Andrés
Aguilar-Mawdsley, est malheureusement décédésixjours avant que ne commencent les
audiences dans la présente affaire,ce qui a réduitle nombre desjugesrze et privé
la Cour de sa composante latino-américaine.
64Comme le souligne une étude contemporaine du développementdu droit interna-
tional humanitaire, apparaît que «des efforts ont étéfaits par tous leà toutess
les époquespour limiter les ravages de la guerre)) (Herczegh, op. cit., p. 14). MENACE OU EMPLOID'ARMES NUCLÉAIRES (OP.DISSW. EERAMANTRY) 479

Le Rarn~yana~~raconte l'histoire héroïqued'une guerre entre Rama,
prince d'Ayodhya en Inde, et Ravana, souverain du Sri Lanka. Au cours
de cette lutte épique,que ce classique décrit dans le moindre détail, le
demi-frère deRama, Lakshmana, vint à acquérir un engin de guerrequi
pouvait ((détruiretoute la race de l'ennemi, y compris ceux qui ne pou-
vaient porter les armes)).

Rama fit valoir à Lakshmana que l'enginne pouvait êtreutilisédans le
combat

((parce que ce type de destruction massive étaitinterdit par les lois
de la guerre héritéesdu passé mêms ei Ravana cherchait à atteindre,
par une guerre injuste, un objectif contraire au droit»66.

Les lois de la guerre auxquelles Rama se conformait étaient, déjà à son
époque,des lois traditionnelles. Les lois de Manu interdisaient le recours
aux stratagèmes et à la ruse ainsi que toute attaque contre des adversaires
sans armes et des non-combattants et, ce, que la guerre soit juste ou
injuste67.L'historien grec Megasthene~~~rapporte qu'il étaitd'usage en

Inde que les arméesen lutte épargnent les paysans travaillant dans leurs
champs, même sila bataille faisait rage tout près d'eux. Il signale en outre
que la terre de l'adversaire n'était pasdétruite par le feu ni ses arbres
abattus69.
Le Mahabharatha est le récit d'unelutte épiqueentre les Kauravas et
lesPandavas qui évoque, lui aussi,leprincipe interdisant les armes hyper-

destructives lorsqu'il signale que:
((Arjuna, se conformant aux lois de la guerre, s'abstint d'utiliser le
«pasupathastva»,une arme hyperdestructive, au motif que, dès lors

que le combat ne faisait appel qu'aux armes classiques ordinaires,
l'emploi d'armes extraordinaires ou non classiques eût éténon seu-
lement contraire à la religion ou aux lois de la guerre reconnues,
mais immoral.» 70

Les armes causant des maux superflus ont également été bannies par
les lois de Manu qui mentionnent par exemple les flèchesavec pointe à

The Ramayana, traduction française baséesur la traduction de Romesh Chunder
Dutt.
66Voir Nagendra Singh, «The Distinguishable Characteristics of the Concept of Law
as It Developed in Ancientdia)), dans Liber Amicorum fou the Right Honourable Lord
Wilberforce, 1987, p. 93. Le passage pertinent du Ramayana se trouve dans Yuddah
Kanda (Sloka). VIII.39.
67~inusmiti, vii, 91, 92.
68Auvrox. 350 av. J.-C.-290 av. J.-C. Historien et divlomate de la Grèce ancienne.
envoy$en ambassade par Seleucos1à Chandragupta ~aurya, il est l'auteur du compté
rendu le plus complet sur l'Inde que connût alors le monde grec.
Polity, 1980,p. 162-163.ts, citédans N. Singh, Juristic Concepts of Ancient Indian
70Mahabharatha,Udyog Parva, 194.12, citédans Nagendra Singh, ((The Distinguish-
able Characteristics of the Concept of Law as It Developed inAncient India)), op. cit.,
p. 93. MENACEOU EMPLOID'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW. EERAMANTRY) 480

barbillons qui, une fois entréesdans le corps, seraient difficilesà extirper
ou les flèchesaux pointes rougies au feu ou empoisonnées71.
La sagesse de la tradition judaïque ancienne se reflète,pour ce qui est

de l'environnement, dans le passage ci-aprèsdu Deutéronome (20 :19):

((Lorsque tu tentes de capturer une ville, n'abats pas ses arbres
fruitiers mêmesi le siègedure longtemps. Mange les fruits mais ne
détruispas les arbres. Les arbres ne sont pas tes ennemis. » (Les ita-
liques sont de moi.)

Des étudesrécentessur la conduite de la guerre chez les peuples afri-
cains révèlentde même l'existencede traditions humanitaires dans le

cadre des conflits armés,les adversaires étanttraitésavec modération et
clémence7*.Par exemple, il y avait en Afrique un art de la guerre tradi-
tionnel qui prévoyaitdans certains cas l'interdiction d'armes déterminées
et certaines régionsappliquaient, la veille, au cours et au lendemain des
hostilités,un cérémonial,des conventions et des règlestrès complexq -
un systèmed'indemnisation étantmême
Dans la tradition chrétienne,le deuxième concilede Latran tenu en
1139 mérite une mention spécialepour avoir interdit les armes trop

cruelles pour êtreutiliséesau combat, l'arbalèteet les machines de siège,
condamnées comme ((meurtrièreset odieuses au Seigneur »74.Nussbaum,
citant cette clause, observe qu'elle((paraît certainement curieuse à l'èrede
la bombe atomique)). Elle montre qu'on s'est très tôt rendu compte des
dangers que comportait l'introduction de techniques nouvelles sur le
champ de bataille. Dans d'autres domaines du droit de la guerre, des
efforts ont été faitspour imposer certains contrôles, par exemple, par la

proclamation de ((trêvesde Dieu» qui interdisaient les combats certains
jours de la semaine et qui pouvaient se prolonger, selon les diocèses,du
mercredi au coucher du soleil jusqu'au lundi à l'aube75.
Le décretde Gratien, au XIIe siècle,a été l'un des premiers écricts hré-
tiens à traiter de ces principes et l'interdiction de certaines armes imposée
par le deuxième concilede Latran témoignede l'intérêt croissans tuscité
par la question. S'agissant de la philosophie chrétienne,on notera que si

la notion de guerre juste (jus ad bellum) a ététrèstôt examinée très en
détailpar des penseurs comme saint Augustin, il a fallu attendre plusieurs
sièclespour que lejus in bello fasse l'objet d'étudesapprofondies.
Vitoria a recueilli des traditions de diverses origines sur le sujet et, en
particulier, les traditions guerrières de l'époque dela chevalerie; saint

71Manusmrti, VII.90, citédans N. Singh, Zndiaand International Law, 1973,p. 72.
72Voir Y. Diallo, Traditions africaines et droit humanitaire, 1978,p. 16; E. Bello,Afri-
can Customary Hurnanitarian Law, CICR, 1980, l'un et l'autre mentionnésdans Herc-
zegh, op. cit., p. 14.
73Bello, op. cit., p. 20-21.
74Résolutions du deuxième concilede Latran. canon XXIX, cit.oar Nussbaum. A
Concise History of the Law of Nations, 1947,p. 25.
75Zbid.,p. 26. MENACEOU EMPLOI D'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW. EERAMANTRY) 481

Thomas d'Aquin a élaboréune doctrine très détailléesur la protection
des non-combattants; et d'autres auteurs ont alimenté le courant de
penséede plus en plus développé engendrépar la question.
Dans la tradition islamique, lesloisdela guerre interdisaient d'employer
les flèchesempoisonnées ainsi que d'enduire de poison les armes telles

que lances ou épées76I.l étaitformellement prohibé d'utiliser pour tuer
des procédés inutilement cruelset de pratiquer des mutilations. Les non-
combattants, les femmes et les enfants, les moines et les lieux de culte
étaient expressémentprotégésL .es récoltes etle bétail devaientêtre épar-
gnésÏÏ par quiconque avait le contrôle d'un territoire. Les prisonniers
devaient êtretraités avecclémence coilformément à des préceptes cora-
niques tels que: «Nourris, pour l'amour d'Allah, l'indigent, l'orphelin et

le captif.»78Le droit islamique était si développéen ce qui concerne la
conduite à observer pendant les hostilitésqu'il ordonnait non seulement
que les prisonniers soient bien traités mais aussi que, s'ils exprimaient
leurs dernières volontéspendant leur captivité,celles-ci soient communi-
quées à l'ennemi par la voie appr~priée~~.
La tradition bouddhiste allait encore plus loin car elle étaittotalement

pacifiste et interdisait de tuer, d'infliger dessouffrances, de faire des pri-
sonniers ou de s'emparer des biens ou du territoire d'autrui, en toutes cir-
constances. Puisqu'elle bannit totalement la guerre, elle ne pourrait en
aucun cas donner son aval aux armes de destruction - surtout à une
arme telle que la bombe nucléaire:

«Pour le bouddhisme, il n'y a pas de «guerre juste», notion falla-
cieuse imaginée et propagée pour justifier et excuser la haine, la

cruauté,la violence et l'extermination. Qui déterminece qui estjuste
et injuste? Les puissants et les vainqueurs sont «justes» et les faibles
et les vaincus sont «injustes». Notre guerre est toujours «juste>)et
votre guerre toujours «injuste». Le bouddhisme n'accepte pas ce
point de vue. » s0

Dans un avis consultatif sur une question de droit humanitaire touchant
la licéitéde l'emploi de la force au point de menacer l'humanité tout
entière de destruction, ce serait une grave erreur de passer sous silence

les conceptions humanitaires qui nous viennent de l'une des plus impor-
tantes traditions culturelles du monde8'.

76Voir N. Singh, India and International Law, op. cit., p. 216.
77Qur'an,11.205.
78Ibid., LXXVII.8; les italiques sont de moi.
79S. R. Hassan, The Reconstruction of Legal Thought in Islam, 1974, p. 177. Voir,
d'une manière générale, Majdhadduri,War and Peacein the Law of Islam, 1955.Pour
un aperçu du droit islamique concernant la guerre, voir C.eeramantry, Islamic
Jurisprudence: Some International Perspectives,1988,p. 134-138.
*OConcernant le bouddhisme et le droit international, voir, d'une manière générale,
K. N. Jayetilleke, «The Principles of International Law in Buddhist Doctrine)), Recueil
des cours de l'Académiede droit internationalde La Haye, t. 120 (1967),p. 441-567. Dans l'histoire plus récente,les exemples d'adhésion aux principes
humanitaires sont très nombreux. C'est ainsi que pendant la guerre de
Crimée,en 1855,il a étéproposélors du siègede Sébastopoll'emploi du

soufre, mais le Gouvernement britannique s'y était opposé. De même,
pendant la guerre civileaméricaine,il a été proposéen 1862de placer du
chlore dans les obus utiliséspar les forces del'Union, mais le gouverne-
ment a rejeté cetteprop~sition~~.
C'est dans ce riche contexte culturel qu'il faut replacer les questioàs
l'étudeen se rendant bien compte qu'ellesn'ont pas leur origine dans un
sentiment nouveau néau siècledernier et si éloigné dela tradition uni-
verselle pour qu'on puisse s'enécarter à la légère.
Face aux cruautés de la guerre, Grotius notait, en le déplorant, que:

((lorsque les armes commencent à parler, tout respect pour les lois
divines et humaines est balayé, commesi les hommes avaient, à par-
tir de là, toute libertépour commettre tous les crimes»83.

Les thèses de Grotius avaient une large assise et insistaient sur le carac-
tèreabsolument contraignant des restrictions applicables à la conduite de
la guerre. En élaborant ces thèses,Grotius s'est appuyé sur l'expérience
collective de l'humanitépuiséedans une large gamme de civilisations et
de cultures.
Dans son étudeencyclopédique des sources écrites d'oùses principes
découlent,Grotius n'a naturellement pas eu accèsaux témoignagesfour-

nis par les traditionsindoue, bouddhiste et islamique sur les questions à
l'étudeet a dû travailler sans le bénéficede cet appoint documentaire
considérabled'où il ressort que la branche du droit que nous désignons
sous lenom dejus inbel10est universelledans sesorigineset remonte à la
plus haute Antiquité.

3. Aperçu de l'évolution dudroit humanitaire

Les principes humanitaires font depuis longtemps partie de la gamme
d'idées-forcesqui constituent le corpus du droit international. Le droit
international moderne est le produit de cent ans d'efforts humanitaires

inspiréspar les souffrances de la guerre. Ces efforts ont eu pour but de
juguler la tendance, si souvent observéeen périodede conflit,à enfreindre
tous les préceptes dictéspar la compassion humaine. Ils ont étécou-
ronnés desuccèsdans plusieurs domaines bien précis, maissi cesrésultats
concrets ont pu être obtenusc'est parce qu'il y avait à la base, et pour
donner l'impulsion nécessaire, desprincipes généraux exigeantque soit
évitéetoute souffrance humaine excessive par rapport aux buts et aux
nécessitésde la guerre.

82Voir L. S. Wolfe,Chernical and Biological Warfare: Effects and Consequences»
McGill Law Journal, 1983, vol. 28, p. 735. Voir également«Chernical Warfare)), Ency-
clopaediaBvitannica, 1959,vol. 5, p. 353-358.
83Grotius, Prolégomènes,par. 28. C'est aux Etats-Unis d'Amérique que revientle mérite d'une des pre-
mièresinitiatives prises pour établir sous uneforme écriteles règlesdu
droit humanitaire devant guider la conduite des armées. Pendant la
guerre de sécession,le président Lincoln a chargéle professeur Lieber
d'élaborer, à l'intention des arméesdu généralGrant, des instructions

dont M. de Martens, délégué du tsar Nicolas II à la conférence de la
paix de 1899,a dit qu'elles avaient beaucoup amélioréle sort non seule-
ment des troupes des Etats-Unis mais aussi de celles de la confédé-
ration sudiste. Rendant hommage à cette initiative, M. de Martens l'a
décrite comme unexemple dont la conférencede Bruxelles de 1874con-
voquéepar l'empereur Alexandre II «a étéle développement logique et
naturel)). Cette conférence est à l'origine de la conférence dela paix de

1899,et des conventions de La Haye qui revêtenttant d'importance en
l'espècex4.
La déclaration de Saint-Pétersbourg de 1868 stipule que «le seul but
légitime)) de la guerre est «l'affaiblissement des forces militaires de
l'ennemi))et de nombreuses déclarations ultérieuresont repris ceprincipe
en lerenforçant s5.Il est l'expressiond'une règletrès anciennede la guerre
acceptéepar de nombreuses civilisationsx6.

La clause de Martens. du nom de son auteur. a étéinsérée. à la suite
d'un vote unanime, dans'le préambulede la con"ention II de ~a Haye de
1899(et de la convention IV de 1907)concernant les lois et coutumes de
la guerre sur terre. Cette clause se lit comme suit:

((En attendant qu'un code plus complet deslois de la guerre puisse
êtreédicté,les Hautes Parties contractantes jugent approprié de
déclarer que, dans les cas qui ne sont pas couverts par des Règle-

ments spéczjîquesadoptéspar elles, les populations des territoires
occupéset les belligérants restent sousla sauvegarde et sous l'empire
des principes du droit des gens, telsqu'ils résultent des usages établis
entre nations civilisées,des lois de l'humanité et desexigences de la
consciencepublique. » (Les italiques sont de moi.)

Bien que la clause de Martens tire son origine de dissensions sur le sta-
tut des mouvements de résistanceen territoire occupéapparues entre les

participants aux conférences de la paix deLa Haye, elle est aujourd'hui
considérée comme applicable à l'ensemble du droit humanitaires7. Elle

84Pour le discours de de Martens, voir Conférence internationalede lapaix, La Haye,
18mai-29 juillet 1899,. cit., p. 114.
85Règlements de La Haye de 1899et de 1907,art. 25; convention de La Haye (IX) de
1907, article premier; résolution du 30 septembre 1928de l'Assemblée de la Société des
Nations; résolutions2444 (XXIII) du 19 décembre1968 et 2675 (XXV) du 9 décembre
1970de l'Assembléegénérale desNations Unies; protocole additionnel 1aux conventions
de Genève de 1949,art. 48 et 51.
86Voir, ci-après,la section V, paragraphe 2, sur «Les buts de la guerre)).
87Voir D. Fleck (dir. publ.), The Handbook of Humanitarian Law in Armed Conjicts,
1995,p. 29. MENACEOU EMPLOI D'ARMES NUCLÉAIRES (OP.DISS.WEERAMANTRY) 484

apparaît sous une forme ou sous une autre dans plusieurs grands traités
de droit humanitaire 88.Elle indique clairement qu'au-delà des règlespré-
cises qui ont déjàpu êtreélaborées,il existe un ensemble de principes
généraux suffisammentbien établispour êtresusceptibles d'application

dans les situations qui ne sont pas encore régiespar une règleparticu-
lière89.
Il convient égalementde mentionner à cet égard,l'article 22 du règle-
ment de La Haye de 1907qui dispose que «les belligérantsn'ont pas un
droit illimitéquant au choix des moyens de nuire à l'ennemi)).

Il y a là autant de preuves que le droit international, loin d'être insen-
sible à des problèmes qui ont un tel retentissement sur le bien-être de
l'humanité,a depuis longtemps reconnu l'importance capitale des consi-
dérations d'humanité dans le choix de ses attitudes et de ses réactions
face au non-respect, dans quelque contexte que ce soit, de ces mêmes
considérations.Les déclarationsévoquées plushaut ont été faites,il faut

le rappeler, à une époqueoù les armements se développaient à un rythme
accéléré sous l'impulsion du progrès technique. On présumaitqu'un peu
partout dans le monde la hiérarchie militaireavait en chantier des armes
plus perfectionnéeset plus dévastatrices et qu'il en serait ainsipendant
des années.Les principes qui s'élaboraientétaientdonc destinés à s'appli-

auer aux armes existantes comme aux armes à venir. aux armes connues
comme aux armes à naître. Il s'agissait de principes généraux conçusen
pensant aux armes nouvelles tout autant qu'à celles d'hier.
- Les parties aux conventions de ~enève de 1949 ont expressément
reconnu que la clause de Martens faisait partie du droit international
existant - idée qu'aucun juriste international ne peut sérieusement

contester.
Comme l'ont soulignéMcDougal et Feliciano :

«On ne peut guèreadmettre la licéité d'actions visant à terroriser
délibérémenlta population de l'adversaire en lui faisant subir des
destructions massives sans rendre vaines et sans objet toutes les res-
trictions juridiques à l'emploi de la violence.

Première convention de Genève de1949, art. 63, par. 4; deuxième convention de
Genève,art. 62, par. 4; troisièmeconvention de Genève,art. 142,par. 4; quatrième con-
vention de Genève, art. 158,par. convention sur les armes inhumaines, 1980,prèam-
bule, cinquième alinéa.
89A la dernière séance de laquatrième commission de la conférence de la paix tenue
le 26 septembre 1907, M. de Martens a résuméle résultat destravaux dans les termes
suivants
«Si, depuis l'Antiquitéjusqu'à nos jours, on répétaitl'adage romain Inter arma
silent leges, nous avons proclaméhautement Inter arma vivant ..C'est le plus
grand triomphe du droit et de la justice sur la force brutale et les nécessitésde la
guerre.(Deuxième conférenceinternationale de la paix, La Haye, 15juin-18 octobre
1907, Actes et documents, ministère des affaires étrangères, La Haye, Imprimerie
nationale, 1907,t.I, p. 924.)
90M. S. McDougal et F. P. Feliciano, Law and Minimum World Public Order: The
Legal Regulation of International Coercion, 1961,p. 657. MENACE OU EMPLOID'ARMES NUCLÉAIRES(OP. DISSW. EERAMANTR4 Y8)5

Le droit international établit depuis longtemps une distinction entre les

armes classiques et celles qui causent des maux superflus. L'intérêq tu'il
porte à ce problèmene s'estjamais démenti. C'estainsi que la convention
de 1980sur l'interdiction et la limitation de l'emploi de certaines armes
classiques qui peuvent êtreconsidérées comme produisant des effetstrau-
matiques excessifs ou comme frappant sans discrimination traite dans
trois protocoles séparésdes armes qui produisent des éclatsnon loca-
lisables impossibles à détecterdans le corps humain (protocole 1); des

mines, piègeset autres dispositifs (protocole II) et des armes incendiaires
(protocole III).
Si le droit international était en 1899 assez vugoureux au niveau des
principes pour établirque l'extraordinaire cruauté de la balle dum-dum
ou des projectiles qui explosent dans le corps humain était excessivepar
rapport aux buts de la guerreg1 et que les projectiles diffusant des gaz
asphyxiants ou délétèreé s taient,eux aussi, extraordinairement cruelsg2,
n'est-ilpas surprenant, du point de vue d'un observateur objectif, que ce

mêmedroit international soit, en 1996, si faible au niveau des prin-
cipesqu'avec plusd'un sièclede droit humanitaire à son actif il ne soit tou-
jours pas capable de parvenir à la conclusion que la cruautédes armes nu-
cléaires estexcessivepar rapport aux buts de la guerre. On peut en tout
cas s'étonner,et lemot est faible, que l'emploicontre un seul soldat d'une
seule balle dum-dum soit un acte de cruautéexcessiveque le droit inter-
national ne tolère plus depuis 1899alors que ne l'estpas le fait de réduire

en cendres, en une seconde, cent mille civils. Et l'étonnement grandit
encore si l'on sait que l'arme en question est capable, en cas d'utilisations
multiples, de mettre en danger l'espècehumaine tout entièreet toutes les
formes de civilisation.
Chaque branche du savoir a intérêt à prendre de temps à autre un peu
de recul età se mettre sans comwlaisance àla recherche des anomalies ou
absurditésqu'elle peut recéler. Siune anomalie ou une absurditémani-
feste se révèleet n'est pas contestée,la discipline en question risque fort

d'êtreperçue comme prise au piège de ses propres subtilités.Le droit
international n'est heureusement pas dans cette situation, mais il y serait
si la conclusion que les armes nucléairessont illicites devait êtrejugée
erronée.
Comme le montrera l'analyse qui va suivre, le droit international n'est
pas si démuni qu'il ne puisse relever ce défisans précédent.Le droit
humanitaire n'est pas une construction inutile face au péril nucléaire. 11
offre une multitude de principes assez amples, assez profonds et assez

vigoureux pour permettre de résoudre le problème.
Le droit humanitaire a bien sûr reçu la sanction de la jurisprudence de

91Déclaration internationale interdisant l'emploi de balles qui s'épanouissentou
s'aplatissent facilementdans le corps humain, signéee le 29juillet 1899.
92Déclaration internationale prohibant l'emploi de projectiles qui ont pour but unique
de répandredes gaz asphyxiants ou délétères,àLa Haye le 29juillet 1899.la Cour internationale de Justice (voir par exemple Détroit de Corfou,
C.I.J. Recueil 1949, p. 22; Actions armées frontalières ettransfronta-

lières (Nicaragua c. Honduras), C.I.J. Recueil 1988, p. 114), mais la
Cour n'a pasjusqu'à présent été amenée à l'examiner en profondeur. La
présente affaire lui offreune occasion idéalede le faire.

4. L'acceptation par les Etats de la clause deMartens

La clause de Martens a recueilli l'assentiment généralde la commu-
nautéinternationale. Elle a, ainsi qu'il est rappelédansd'autres parties de
la présente opinion, été incorporéd eans une sériede traités, elle a été
appliquéepar des instances judiciaires internationales, elle a été incor-
poréedans lesmanuels militaires93et ellea étégénéralementacceptéepar
la doctrine internationale comme résumant en quelques lignes toute la

philosophie du droit de la guerre.
Au procèsKrupp (1948), elle a étédécritecomme:
«une clause générale,qui fait des usages établisentre nations civi-
lisées,des lois de l'humanitéet des exigences de la conscience pu-
blique le critèreà appliquer au cas où les dispositions de la conven-

tion et du règlementqui y est annexéne couvriraient pas telle ou telle
situation survenant au combat ou en marge du combat»94.

Pour lord Wright, elleexprime la philosophie générale du règlementde
La Haye qui identifie un trèsgrand nombre de crimes de guerre

«et abandonne le reste à l'autoritéde cette clause souveraine où se
trouvent effectivement définis enquelques mots tout l'esprit ettout
le but du droit de la guerre et d'ailleurs de l'ensembledu droit parce
que l'objet du droit sous toutes ses formes est de faire prévaloir

autant que possible dans les relations mutuelles des êtres humains
intéressés les principesdu droit et de la justice, ainsi que de'huma-
nité»95.
La clausede Martensest donc une composantebienétabliedu droit inter-

national coutumier actuel.Ledroit international a depuislongtempsdépassé
le stade où l'onpouvait débattredu point de savoirsilesprincipes en cause
étaient devenus partie intégrante du droit international coutumier. Aucun
Etat ne serait prêt aujourd'huià renier l'un quelconquede cesprincipes.
Pour qu'une règle puisseêtreconsidéréecomme faisant partie du droit
international coutumier, il faut, selon un critère admis par beaucoup,

93Voir ci-aprèsla section III, paragraphe 10,lettre a).
94Law Reports of Trials of War Criminals, vol. 10,p. 133.
95Préface delord Wright au dernier volume des Law Reports of Trials of War Crimi-
nuls, vol. 15,p. xiii. Voir également l'analyse de la clause deMartens figurant dans Singh
etMcWhinney, op. cit., p. 46 et suiv., qui se réfèrenotamment aux deux passages cités
ci-dessus. MENACE OU EMPLOID'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW. EERAMANTRY) 487

qu'elle soit«si largement et si généralementacceptée qu'il soit impossible
au'un Etat civiliséla renie»96. Aucun Etat ne renierait auiourd'hui l'un
quelconque des principes considérés;ce qui semble donner lieu à contes-
tation, c'est l'application de ces principes au cas particulier des armes
nucléairesqui, pour une raison obscure, semblent être placées,pour ce

qui est de leur régimejuridique, au-dessus des autres armes. Si le droit
humanitaire établit une réglementationpour les armes de moindre puis-
sance par crainte qu'elles ne causent les maux excessifsque ses principes
ont pour objet de prévenir, il doit à fortiori établir une réglementation
pour les armes plus puissantes. Essayer de soustraire les armes nucléaires
à l'application des principes du droit humanitaire est indéfendable non
seulement sur le plan des considérations d'humanité mais aussi sur le
plan de la logique.
Ce raisonnement vaut aussi pour l'argument selon lequel il ne peut pas

se créerde règlesde droit coutumier en présenced'objections de la part
des Etats dotésd'armes nucléaires (exposéécritdes Etats-Unis d7Amé-
rique, p. 9)97.Les principes générauxdu droit coutumier applicables en la
matière ont étéacceptéspar ces Etats longtemps avant l'invention des
armes nucléaires.Or, c'estde cesprincipes généraux quedécoule l'illicéité
des armes en auestion.
Il paraît clair que si ces principes sont acceptéset demeurent incontes-
tés,leur applicabilité au cas particulier des armes nucléairesne saurait
être raisonnablementmise en doute.

5. Les ((exigences de la conscience publique»
Cette formule, extraite de la clause de Martens, résume l'essencedu

droit humanitaire. La clause de Martens et bon nombre des formulations
de principes humanitaires qui l'ont suivie reconnaissaient que les convic-
tions collectives en matière de comportement humanitaire doivent impé-
rativement trouver leur expression dans le droit.
La formule est, bien sûr, si générale qu'il n'esptas toujours facile de
déterminersi une conviction sur un point particulier est assez largement
partagéepour entrer dans son champ d'application.
Mais, en ce qui concerne l'emploi ou la menace d'emploi des armes
nucléaires,le problème ne se pose pas car, sur cette question, la cons-

ciencede la communauté mondiale s'est exprimée,et ce àmaintes reprises
et dans les termes les plus catégoriques, comme en témoignentnon seu-
lement les résolutions adoptées par l'Assemblée générala eu fil des ans,
mais le fait que des multitudes de personnes dans pratiquement tous les
pays, des organismes professionnels à caractère multinationalg8 et bien
d'autres groupements à travers le monde proclament sans relâche leur
conviction que la conscience publique exige que les armes nucléaires ne

96West Rand Central Gold Mining Co., Ltd. v. R. (1905), 2 KB, p. 407.
97A ce sujet, voir aussi ci-après la sectionVI, paragraphe 6.
98Concernant ces organisations, voir ci-après la sectionVI, paragraphe 3. soient pas utilisées.Partout dans lemonde, des présidentset des premiers
ministres, des prêtreset des prélats,des travailleurs et des étudiants,des
femmeset desenfants manifestent inlassablementleur opposition à l'égard

de la bombe et de ses dangers. C'est d'ailleursle mêmesentiment qui
anime l'ensemble de la communauté des nations lorsque, par exemple,
elle convient dans le traité sur la non-prolifération que l'objectif est, en
dernière analyse, l'élimination de toutes les armes nucléaires. Un tel
objectif a été confirmé par la conférencede 1995 chargée d'examinerle

traité surla non-prolifération et réaffirméau cours des travaux en cours
concernant l'élaborationd'un traitéd'interdiction totale des essais.
La section suivante de la présente opinion(sect. VI, par. 6) traitera de
la sensibilisation de l'opinion publique aux questions humanitaires, que
l'on doit aux immenses progrès faits par le droit relatif aux droits de

l'homme depuis la signature de la Charte des Nations Unies en 1945.
Les résolutions del'Assembléegénéralesur la question sont trèsnom-
breuse~~~P . our n'en citerqu'une, rappelons que la résolution1653(XVI)
de 1961déclareque :

((L'emploides armes nucléaireset thermonucléairesest contraire à
l'esprit,à la lettre et aux buts de la Charte des Nations Unies et
constitue, en tant que tel, une violation directe de la Charte)),

et ajoute, en se référantplus particulièrement au droit international,

qu'un tel emploi «est contraire au droit international et aux lois de l'hu-
manité)).De surcroît, selon l'Assemblée généraln e, n seulement l'utilisa-
tion des armes nucléaires,mais aussi «la menace)) d'utiEsation de telles
armes sont interdites 'O0.
Les armes nucléairesont étébannies par traité dans de nombreuses

zones de l'espace planétaire - les fonds marins, l'Antarctique, 1'Amé-
rique latine et les Caraïbes, le Pacifique et l'Afrique, sans parler de l'es-
pace extra-atmosphérique. Une telle convergence dans l'action et dans les

99 Résolution 1653 (XVI) du 24 novembre 1961 (((Déclaration sur I'interdiction de
l'emploi des armes nucléaires et thermonucléaires»); résolution 2936 (XXVII) du
29 novembre 1972(«Non-recours àla force dans les relations internationale; et interdic-
tion permanente de l'utilisation des armes nucléaires)));résolution 33/71u 14 dé-
cembre 1978 («Non-recours aux armes nucléaires et préventionde la guerre nucléaire»);
résolution34183G du 11décembre1979(((Interdiction de l'emploi des armes nucléaireset
préventionde la guerre nucléaire; résolution36/921du 9 décembre1981(«Non-recours
aux armes nucléaires et prévention dela guerre nucléaire))); résolution 441117C du
15décembre1989 (aConvention sur I'interdiction de l'utilisation des armes nucs);ire»
résolution 45159B du 4 décembre 1990 (((Convention sur l'interdiction de l'utilisation
des armes nucléaires))); résolution46/37u 6 décembre1991(«Convention sur l'inter-
diction de l'utilisation des armes nucléaires))). Voir également,par exemple, la réso-
lution 361100du 9 décembre1981(((Déclarationsur la préventiond'une catastrophe nu-
cléaire))),par. lLes Etats et hommes d'Etat qui emploient les premiers des armes nu-
cléairescommettent le crime le plus grave contre l'humanité.
'O0Résolution2936 (XXVII) du 29 novembre 1972(«Non-recours àla force dans les
relations internationales et interdiction permanente de l'utilisation des armes nucléaires))),
dixième alinéadu préambule.engagements ne s'accorderait pas avec l'idéeque ces armes puissent être
mondialement reconnues comme compatibles avec les principes généraux
d'humanité.Elle traduit plutôt un sentiment universel qu'ellesportent en
elles un élémentqui perturbe profondément la conscience publique de

notre temps.
Comme on l'ajustement observé:

«En cette époque où la protection des droits de l'homme pro-
gresse, plus peut-être qu'en aucuneautre, il est non seulement sou-
haitable mais impératif,s'agissant d'une question qui n'intéresse rien
de moins que le sort de la civilisation humaine, de prendre dûment
consciencede ceque tous lesmembres de la société humaine, au plan
officielcomme au plan non officiel,attendent du droit. »'O1

Sans doute aucun principe, si élevé soit-il, ne peut-il faire l'unanimité
absolue de la communauté mondiale. Pourtant, il serait difficilede trou-
ver une idée aussilargement et universellement partagée que celle de
l'inadmissibilitéde l'emploi desarmes nucléaires. Les diversespositions

prises sur cette question ((traduisentun vaste consensus collectifsur l'idée
que les armes et les moyens de combat nucléaires nesauraient êtresous-
traits aux règleshumanitaires applicables dans les conflits armés)) 'O2.
L'incompatibilitéentre les ((exigencesde la conscience publique»et les
caractéristiques de l'armeapparaît trèsclairement sil'on présentelespro-
blèmessous forme de questions qui pourraient êtreposées à la conscience
publique du monde, incarnéedans chaque pays par un simple citoyen.
Voici quelques exemples, parmi bien d'autres:

Est-il licite,pour atteindre les buts de la guerre, de provoquer l'appari-
tion à grande échelledans la population ennemie de cancers, tumeurs
chéloïdes et leucémies?
Est-il licite, pour atteindre les buts de la guerre, d'exposer lesenfants
naître de la population ennemie au risque de malformations congénitales
et d'arriération mentale?
Est-il licite, pour atteindre les buts de la guerre,mpoisonner.les res-
sources alimentaires de la population ennemie?

Est-il licite, pour atteindre les buts de la guerre, d'infliger l'un quel-
conque de ces types de dommages àla population de pays n'ayant rien à
voir avec le conflit qui a conduità la guerre nucléaire?

La liste est longue des questions de ce genre qui pourraient êtreposées.
S'il est concevable que l'une quelconque de ces interrogations reçoive
une réponseaffirmative de la part de la consciencepublique du monde, la

'O1Burns H. Weston, «Nuclear Weapons and International Law: Prolegomenon to
General Illenality», New York Law School Journal of International and Conznarative
Law, 1982-1$83,~vol.4, p. 252, ainsi que lesqdoy sont citées.
'O2Ibid., p. 242thèsede la licéité desarmes nucléaires estpeut-être défendable. Sinon,la
thèsede I'illicéitsemble irréfutable.

6. Les répercussions de laCharte des Nations Unies
et des droits de I'hommesur les considérations d'humanité
et les exigences de la conscience publique'O3

Les changements considérables qui se sont produits après la guerre
dans le domaine des droits de l'homme, depuis l'adoption en 1948de la
Déclaration universelle des droits de l'homme, ont nécessairement eu des
répercussionssur ce que recouvrent la notion de «considérations d'huma-
nité»et celled'«exigences de la conscience publique ».L'évolutionqu'ont

connue les notions relatives aux droits de l'homme, tant dans leur for-
mulation qu'en accédant à l'universalité,dépasseen importance celle de
bien des sièclesantérieurs. La conscience publique de la communauté
mondiale a donc acquis une grande force et une grande sensibilitéaux
«considérations d'humanité))et à ses ((exigences)).Comme le vaste sys-
tème de règles et normes internationalement acceptées en matière de
droits de l'homme s'est intégré à la conscience collective de la population
du globe - ce qui n'étaitpas le cas avant la seconde guerre mondiale -
les principes qui lui servent de fondement tendent à être invoquésspon-

tanément et automatiquement chaque fois que se pose un problème de
normes humanitaires.
Cette évolution progressive a nécessairement une incidence sur la
conception qu'on se fait, à l'époquecontemporaine, de l'humanitéet des
normes d'humanité, le niveau de l'attente se situant bien au-dessus de ce
qu'il étaità l'époqueoù la clause de Martens a été formulée.
Pour bien mesurer l'ampleur de ce changement, il faut se rappeler que
la première pierre du droit humanitaire moderne a été posée dans un
siècle(le XIXe siècle)qui est souvent décritcomme «le sièclede Clau-
sewitz)), au motif qu'à l'époque la guerre était largement considérée

comme un mode naturel de règlement des différends etun prolongement
naturel de la diplomatie. La situation a, depuis lors, énormémentévolué
puisque la Charte des Nations Unies interdit aujourd'hui tout recours àla
force par les Etats (art., par. 4) sauf en cas de légitime défense(art. 51).
L'avis de la Cour met en lumière l'importance de ces articles, et la pré-
sente opinion a, dèsle départ, souligné qu'il en résulte des conséquences
très étendues (voir «Observations préliminaires))). L'article 2, para-
graphe 3, prévoitexpressémentque tous les Membres règlentleurs diffé-
rends internationaux par des moyens pacifiques de manière que la paix et

la sécuritéinternationales,ainsi que lajustice, ne soient pas mises en dan-
ger. Cette vision radicalement différentede la normalitéet de la légitimité
de la guerre a indubitablement rehaussé le niveau des ((exigences de la
conscience publique)) de notre temps.

'O3Voir aussi ci-aprèsla section III, paragraphe 10,lettre g) MENACEOU EMPLOI D'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW . EERAMANTRY) 491

Les dispositionsde la Charte concernant lesdroits de l'homme, commeles
articles 1, 55, 62 et 76, la Déclarationuniverselle desdroits de l'hommede
1948,les deux pactes de 1966relatifs aux droits de l'homme (droitscivilset
politiquesd'unepart et droits économiques,sociaux etculturelsd'autre part)
et les nombreuses conventions sur des sujets particuliers qui formulent des
normes enmatièrede droits de l'homme,telle laconvention sur l'interdiction
de latorture - autant d'instruments qui font maintenant partie intégrantede

la consciencepublique de la communauté internationale - ont beaucoup
enrichi etprécisé lnaotion de violation desnormes humanitaires par rapport
à l'époque oùla clausede Martens a vu lejour. Lesrègleset normes relatives
aux droits del'hommeimprègnentaujourd'huisiprofondémentla conscience
collective qu'elles s'infiltrent un ppartout dans le droit humanitaire.
Des commentaires allant dans le même sensont été présenté(spar

exemple, par l'Australie (CR 95122,p. 25)) dans des exposésqui appellent
en outre l'attention sur le fait que l'Assemblée généralaesoulignéle lien
entre droits de l'homme et armes nucléaires lorsqu'ellea condamné la
guerre nucléaireen tant qu'«atteinte au droit primordial de l'homme -
le droit à la vie»IO4.
Parallèlement à l'évolution qui s'est produite dans le domaine des
droits de l'homme, le développementd'un autre vaste domaine du droit

- le droit de l'environnement - a égalementcontribué à sensibiliser la
conscience publique aux problèmes d'environnement qui influent sur les
droits de l'homme. Comme l'a soulignéla Commission du droit interna-
tional dans le cadre de ses travaux sur la responsabilité des Etats, une
conduite qui met gravement en danger la préservation de l'environne-
ment contrevient à des principes ((aujourd'hui si profondément ancrés

dans la conscience universelle qu'ils sont devenus des règlesparticulière-
ment essentielles du droit international général» 'O5.

7. L'argumentdu caractèrenon intentionnel des((dommagescollatévaux»

Il importe peu que les effets des armes nucléairesne soient pas direc-

tement voulus mais soient des «sous-produits» ou des «dommages col-
latéraux)).Le fait est que ces effets résultent inévitablement del'emploi
de l'arme. Il n'est pas concevable, dans un systèmejuridique cohérent,
que l'auteur d'un acte qui engendre de telles conséquencessoit dégagéde
toute responsabilité juridique pour les avoir causés,pas plus qu'il n'est
concevable qu'un automobiliste lancé à 150kilomètres à l'heure dans une
rue commerçante bondée se trouve dégagéde toute responsabilité juri-

dique pour la mort de ses victimes au motif qu'il n'avait pas l'intention
de les tuer.

'O4Résolution38/75de l'Assemblée générale ednate du 15décembre1983(((Condam-
nation de la guerrecléairen),paragraphe 1 du dispositif.
'O5Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa vingt-hui-
tième session,Annuaire de la Commission du droit international, 1976, vol. II, deuxième
partie, p. 101,par. 33. MENACE OU EMPLOID'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW. EERAMANTR4 Y9)2

La masse de connaissances dont on dispose sur les conséquencesde
l'arme nucléairefait àce point partie du domaine public universel que nul
ne peut plaider l'ignorance avec quelque chance d'êtrecru.

8. L'illicéitéexiste indépendamment d'interdictionsspéci$ques

La thèse des Etats opposés à l'illicéité repose engrande partie sur
l'argument selon lequel ce qui n'est pas expressémentinterdit à un Etat
est permis. Pour déterminer la valeur de cet argument, j'utiliserai quel-
ques exemples concrets :

a) si demain étaitinventéun rayon capable d'incinérerinstantanément
tout organisme vivant dans un rayon de 150 kilomètres, devrait-on
attendre qu'un traité international l'interdise expressémentpour le
déclarerincompatible avec les principes fondamentaux du jus in bel10
et non susceptible par conséquent d'êtrelégitimement utilisé à la
guerre? Il serait, semble-t-il, ridicule de devoir attendre la convoca-
tion d'une conférence internationale, l'élaboration d'un traité et le
laborieux processus de ratification avant que le droit ne reconnaîsse
que l'arme en question est illicite;
b) le caractèrespécieuxde l'argument selon lequelce qui n'estpas expres-
sémentinterdit est autorisé ressortégalementd'un autre exemple cité
dans une partie antérieurede laprésente opinion. Cet argument condui-

raità la conclusionqu'immédiatement avantl'adoption des traités inter-
disant les armes bactériologiquesil étaitlicite d'utiliser des ogivespor-
teusesdesubstancesbactériologiqueslesplusmeurtrièrespour provoquer
desépidémiec satastrophiques dans la population ennemie.Cetteconclu-
sion n'estguèrecrédibleetn'estdéfendablequ'à condition de faire tota-
lement abstraction des principes préexistants dudroit humanitaire.

Le fait qu'il n'existepas de traité ou de déclaration qualifiant expres-
sémentl'arme d'illicite est sans pertinence dèslors que l'illicéité découle
de principes de droit international coutumier, qui sont bien plus impor-
tants que telle ou telle arme ou telle ou telle déclaration. Il n'est pas
nécessaire d'identifierchaque arme interdite par le droit international en
raison de sa cruauté ou de sa brutalité, pas plus qu'il n'est nécessaire
d'énumérertous les instruments de torture dans un énoncé del'interdic-
tion généralede la torture. C'est au principe que le droit international
coutumier s'intéresse.Tel instrument de torture ou telle arme n'est à
prendre en considération qu'aux fins de l'application de principes incon-
testés- principes qui ont souvent été décrits commeétantd'une nature

telle qu'aucune nation civiliséene serait prêteàles renier.
Tout au long de l'histoire, les spécialistes desarmements ont inventé à
maintes reprises, en faisant appelà des applications nouvelles de la tech-
nologie, des armes sans équivalent dans l'arsenal existant. Il n'est pas
nécessaired'attendre qu'un traité condamne expressémentune arme nou-
velle pour déclarer que son emploi est contraire aux principes du droit
international. Si- et tel est incontestablement le cas- la clause de Martens énonce
un principe de droit international universellement accepté, il en découle

qu'au-delà du domaine des interdictions expresses existe le domaine des
principes générauxdu droit humanitaire. En fin de compte, «un acte de
guerre qui n'est pas expressément interdit par des accords internationaux
ou par le droit coutumier n'est pas nécessairement, ipso facto, auto-
risé))'O6.
A l'évidence,aucun système de droit ne peut fonctionner ou se déve-
lopper par le seul moyen d'interdictions formulées en termes explicites.

Dans tout systèmede droit on trouve, outre un ensemblede prescriptions
et d'interdictions, toute une gamme de principes généraux quisont appli-
qués, de temps à autre, à des comportements et situations n'ayant pas
encore fait l'objet de règles expresses.Le principe général est appliqué à
la situation considérée et unerègle plus spécifiquese dégagede cette
application particulière.
Un systèmejuridique fondé surl'idéeque ce qui n'est pas expressément

interdit est autoriséserait un systèmetout à fait primitif et le droit inter-
national a largement dépasséce stade. En admettant mêmeque les sys-
tèmes internes puissent fonctionner sur cette base, ce qui est bien loin
d'êtresûr, le droit international, néde sièclesde réflexionphilosophique,
ne peut fonctionner ainsi. Dans beaucoup de pays, la philosophie juri-
dique moderne a démontré quela thèseen question étaitinsoutenable en
droit interne et, partant,à fortiori en droit international. Comme le sou-
ligne un ouvrage bien connu sur la théoriedu droit:

«De mêmeque la terre est entouréepar l'atmosphère, les règlesde

tout ordre juridique sont entouréesd'un ensemble de principes et de
doctrines qui non seulement influencent la mise en Œuvre des règles
mais en conditionnent parfois l'existence même. » 'O7

Le point de savoir s'il est fait mention dans le droit conventionnel de
l'illicéitdes armes nucléairesest plus pertinent que la question de savoir
si l'on trouve dans une convention ou une déclaration quelconque une
référence à la licéitédes armes. Le fait est que bien que les documents
internationaux traitant des armes nucléaires sous de maints aspects soient
fort nombreux, on n'y trouve pas l'ombre d'une indication que lémploi

ou la menace d'emploi des armes nucléaires est licite. En revanche, il
existe de nombreuses déclarations internationales qui prennent expressé-
ment position contre la licéitéde l'emploi des armes nucléaires.Elles sont
mentionnéesdans d'autres parties de la présente opinion.
Les principes générauxsont tout à la fois une source pour le dévelop-
pement du droit et un repère sur l'état d'espritde la société. Refuser d'en
tenir compte comme certains le préconisent c'est condamner le droit

international à dériver sansses repères conceptuels. «Les principes géné-

'06D. Fleck, op. cit., p. 28, qui fait reposer ce principe sur la clause de Martens
'O7Dias, Jurisprudenc4"éd., 1976,p. 287. MENACE OU EMPLOI D'ARMES NUCLÉAIRES (OP.DISS.WEERAMANTRY) 494

raux de droit reconnus par les nations civilisées»ne cessent pas d'êtredu
droit simplementparce qu'il n'existe pas de traité international qui inter-
dise expressément de massacrer aveuglémentles populations au moyen
d'armes nucléaires,de provoquer des dommages irréversibles au détri-
ment des générationsfutures au moyen d'armes nucléaires,de détruire
l'environnement au moyen dhrmes nucléaires,et de causer desdommages
irréparables aux Etats neutres au moyen d'armes nucléaires.Si l'on sup-

prime de la phrase qui précèdeles mots en italiques, on ne peut que cons-
tater qu'elle ne vise que des actes qui sont interdits par le droit interna-
tional. Il semble spécieuxde soutenir que le principe de l'interdiction ne
peut pas êtreinvoquédu fait du défautd'identification de l'arme.
La doctrine qui veut que le souverain ait toute latitude pour faire tout
ce qu'une loi n'interdit pas expressémentest une doctrine qui a fait long
feu. Lorsque le positivisme a été poussé à ce point extrêmedans la doc-
trine juridique, la société humainea étéconduite à quelques-uns de ses
pires excès.L'histoire montre que le pouvoir sans le garde-fou des prin-
cipes devient abus de pouvoir. Il n'est pas inutile d'écrireles choses noir
sur blanc mais le droit ne se réduit pas, tant s'en faut,à ce qui est écrit
noir sur blanc.

S'agissant plus spécialementdu droit de la guerre, la doctrine en ques-
tion viderait de sens la clause de Martens qui dispose expressément
qu'«en attendant qu'un code plus complet deslois de la guerre puisse être
édictél,es Hautes Parties contractantes ...déclare[nt]que, dans les cas qui
ne sontpas couvertspar des règlementsspécifiquesadoptéspar elles))(les
italiques sont de moi), les principes humanitaires qu'elle énonce s'appli-
queront.
En vertu donc d'un accord exprès (si tant est que cette condition soit
nécessaire),la vaste gamme des principes du droit humanitaire contenus
dans le droit international coutumier est applicable à la question, qui n'a
pas encore fait l'objet de dispositions conventionnelles.

9. L'arrêtrendu dans l'affaire du Lotus

Une bonne partie de l'argumentation qui se fonde sur l'absence de
texte énonçant expressémentl'illicéité prend pour point de départ l'arrêt
rendu dans l'affaire du Lotus. Dans cette affaire, la Cour permanente a
recherché :

«si oui ou non le droit international comporte un principe en vertu
duquel il aurait étéinterdità la Turquie d'exercer, dans les circons-
tances de cecas, despoursuites pénalescontre le lieutenant Demons ))
(C.P.J.I. sérieA no 10, p. 21).

Il a étéjugéque, en l'absence d'un tel principe ou d'une règleprécise à
laquelle il aurait expressémentconsenti, un Etat ne pouvait voir son pou-
voir limité.
En fait, mêmesur la base de l'arrêtdu Lotus, les principes considérés
sont applicables car, s'agissant du droit de la guerre, lespuissancesdotées MENACEOU EMPLOID'ARMES NUCLÉAIRES (OP.DISSWEERAMANTRY) 495

d'armes nucléairesont expressément accepté queles principes humani-
taires du droit de la guerre s'appliquent. Mises à part ces puissances,
certaines autres puissances qui se sont déclarédevant la Cour opposées
à une conclusion d'illicéité(ou qui n'ont pas adopté une position tran-
chée à l'égardde la demande d'avis consultatifàl'examen)sont aussi par-
tiesà la convention de La Haye, dont l'Allemagne,lesPays-Bas, l'Italie et
le Japon.

L'arrêtdans l'affaire du Lotus a été rendu à propos d'une collision en
haute mer, en temps de paix, entre leLotus, navire battant pavillon fran-
çais, et un navire battant pavillon turc. Huit marins et passagers turcs
ayant trouvéla mort, la question se posait de la comparution devant les
tribunaux turcs, pour meurtre, de l'officierfrançais responsable. La situa-
tion n'avait donc rienà voir avec celles dans lesquelles le droit humani-
taire de la guerre s'applique. Le concept de droit humanitaire était déjà
bien établià l'époquede l'arrêtdans l'affaire du Lotus mais il n'étaitpas
pertinent en l'espèce.La Cour n'aurait jamais imaginé, lorsqu'elle a
tranchécette affaire, que sa décision, rendue dans un contexte si totale-
ment différent, puisse être invoquépeour réduire ànéanttout ce que le

droit humanitaire de la guerre avait déjàédifié car l'interprétation que
l'on cherchemaintenant à donner de l'affaire du Lotus n'aboutià rien de
moins qu'à une mise à l'écart de principes humanitaires aussi solidement
établis queceux de la clause de Martens qui, selon ses termes exprès,
doivent s'appliquer «dans les cas qui ne sont pas couverts par des règle-
ments spécifiquesadoptéspar [lesHautes Parties contractantes])).
Au surplus, le droit international était à cette époque généralement
divisé endeux catégories - le droit de la paix et le droit de la gu-,re
distinction que respectaient les textes juridiques d'alors. Le principe que
la Cour vermanente a énoncédans l'arrêtdu Lotus se situait entièrement
dans le Lontexte du droit de la paix.
Il ressort implicitement de cet arrêtque la souveraineté desautres Etats

doit êtrerespectée.L'une des caractéristiques des armes nucléaires est
qu'elle violela souverainetéd'autres pays qui n'ont en aucune manière
consenti aux atteintesà leurs droits souverains fondamentaux que com-
porte implicitementl'emploi de l'arme nucléaire. Onne saurait, sans faire
totalement abstraction du contexte. intervréter l'arrêtdans l'affaire du
Lotus comme énonçant une théorie, applicable aussi bien en temps de
paix qu'en temps de guerre, selon laquelle un Etat serait libre d'agàsa
guise pourvu qu'il n'ait pas pris d'engagement contraire. Une telle inter-
prétationde l'arrêtvouerait àun sort funeste le développement progressif
du droit international.
Il est à noter qu'exactement quatre ans auparavant, à propos de la

question de la souverainetédes Etats, la Cour permanente a remarqué,
dans son avis consultatif concernant lesécretsde nationalitépvomulgués
en Tunisie et au Maroc, que la souverainetédes Etats aurait un champ de
plus en plus réduitet de plus en plus restreint au fur etsure du déve-
loppement du droit international (avis consultatiJ;1923, C.P.J.I. sévieB
no 4, p. 121-125, 127, 130). Au cours du demi-sièclequi s'est écoulédepuis l'affaire du Lotus, le droit international et le droit relatif au com-
portement humanitaire en temps de guerre se sont, à l'évidence,considé-
rablement développés, en ajoutant de nouvelles restrictionsà la souverai-
netédes Etats qui existaient à l'époque de l'affaireen question. La Cour
elle-même a établi,dans l'affaire duDétroitde Corfou, que le droit inter-
national coutumier imposait aux Etats le devoir de conduire leurs affaires

de manière à ne pas causer de tort aux autres, alors mêmeque l'acte por-
tant atteinte aux droits de 1'Etatplaignant ne faisait pas l'objet d'unepro-
hibition formulée ipsissimus verbis. La Cour ne peut pas en 1996 faire
sienne une interprétation de l'arrêtdu Lotus tellement étroite qu'elle
ramènerait le droit au stade où il se trouvait avant la clause de Martens.

10. Règlesparticulières du droit humanitaire de la guerre

Le droit international humanitaire comporte plusieurs principes qui
s'entrelacent pour en constituer la trame. II se caractérise non par un
manque mais par une abondance de règlesqui, séparémentou conjoin-
tement, frappent d'illicéité l'emploi ou la menace d'emploi des armes
nucléaires.

Les règlesdu droit international humanitaire ont manifestement acquis
le statut de règlesdu jus cogens car ce sont des règlesfondamentales de
caractère humanitaire auxquelles il ne peut êtredérogésans renier les
considérations élémentaired s'humanitédont ellesvisent à assurer le res-
pect. Les règlesdu jus cogens incluent, comme l'écritRoberto Ago:

((les règles fondamentales concernant la sauvegarde de la paix et
notamment celles qui interdisent le recours à la force ou la menace
de la force. Les règlesfondamentales de caractère humanitaire (inter-
diction du génocide, del'esclavage et de la discrimination raciale,
protection des droits essentiels de la personne humaine en temps de
paix et en temps de guerre); les règlesqui interdisent les atteintes
à l'indépendanceet à l'égalitésouveraine des Etats; les règlesqui
assurent à tous les membres de la communauté internationale la
jouissance de certains biens communs (haute mer, espace extra-

atmosphérique, etc.).» 'O8
La question a l'examen n'estpas de savoir s'ilexiste une règleimpéra-
tive qui interdit expressémentles armes nucléaires mais de déterminers'il
y a des principes de base ressortissant au jus cogens auxquels les armes
nucléairesportent atteinte. Dans l'hypothèseoù de tels principes ressor-

tissant aujus cogens pourraient êtreidentifiés,il s'ensuivrait que l'arme
elle-mêmeest interdite sur la base du jus cogens.

'O8Recueil des coursde l'Académiede droit international de La Haye, t. 134 (1971),
p. 324, note 37 (les italiques sont de moi). On trouvera également uneétudedétaillée des
Peremptory Norms (Jus Cogens) in InternationalLaw, 1988,p. 596-715,où l'auteur con-
clut que bon nombre des principes du droit humanitaire de la guerre relèventdu
cogens. MENACEOU EMPLOID'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISS.WEERAMANTRY) 497

Comme je l'ai soulignéau débutde la section III, la plupart des Etats
qui appuient la thèsede la licéité de l'emploi desarmes nucléairesrecon-
naissent que le droit international humanitaire en régit l'utilisation,

laquelle doit se conformer aux principes de ce droit. Les plus importants
de ces principes sont, notamment, les suivants:
a) l'interdiction de causer des maux superflus;
b) le principe de proportionnalité;

c) le principe de distinction entre combattants et non-combattants;

d) l'obligation derespecter la souverainetéterritoriale des Etats non bel-
ligérants;
e) l'interdiction du génocide et des crimescontre l'humanité;
f) l'interdiction de causer des dommages durables et graves à l'environ-
nement;

g) le droit relatif aux droits de l'homme.

a) L'interdiction de causer desmaux superflus

La clause de Martens déjà évoquép elus haut a donné à ce principe sa
formulation classique en droit moderne en déclarant quene sont pas per-
mises lesarmes incompatibles avec «les lois de l'humanitéet les exigences
de la conscience publique)).
L'interdiction de causer des souffrances cruelles et superflues, qui fait

depuis longtemps partie des principes générauxdu droit humanitaire, a
étéconsacréedans une multitude de codes, de déclarationset de traités
qui constituent un corpus juridique solide et étofféc,haque document fai-
sant application des principes généraux à une ou plusieurs situationspar-
ticulière~'~~T.ous ces documents attestent l'existencede principes géné-
raux supérieurs qui transcendent les réalitésparticulières viséesdans
chacun d'eux.
Le principe interdisant de causer des maux superflus a étéincorporé
dans les manuels militaires courants. Ainsi le Manual of Military Law

britannique, publiépar le War Officeen 1916et en usage pendant la pre-
mièreguerre mondiale, contient les dispositions suivantes:
«IV. Moyens utilisés dansla conduite de la guerre

39. Le premier principe de laguerre est la nécessitéd'affaiblir et de
détruirela capacitéde résistancede l'ennemi. Toutefois les moyens
qui peuvent êtreemployéspour lui nuire ne sont pas illimités [une
note de bas de page cite l'article22 du règlementde La Haye: «Les

'O9On peut mentionner, par exemple, le code Lieber de 1863(adoptépar les Etats-Unis
d'Amérique entant que règlement decampagne des armées);la déclarationde Saint-Pé-
tersbourg de 1868; les conventions de La Haye-de 1899et de 1907; le protocole de 1925
concernant la prohibition d'emploi guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires
et de moyens bactériologiques;le règlement deLa Haye de 1923sur la guerre aérienne;le
statut de Nuremberg de 1945et les quatre conventions de Genèvede 1949. MENACEOU EMPLOI D'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISS.WEERAMANTRY) 498

belligérantsn'ont pas un droit illimitéquant au choix des moyens de
nuire à l'ennemi.))]. Ilsfont en pratique l'objet de restrictions pré-
cises découlant de conventions et de déclarations internationales

ainsi que desrèglescoutumièresdela guerre. A cela s'ajoutent lesexi-
gences de la morale, de la civilisation et de l'honneur, qui doivent
êtrerespectées.

42. Il est expressémentinterdit d'employer desarmes, projectiles
ou matières conçuspour causer des maux superflus [article23 e) du

règlement de La Haye]. Sont ici visés,entre autres, les lances à
pointe barbelée,les balles de forme irrégulière, les projectiles remplis
de verre briséet autres matières du mêmegenre; de mêmeque la
pratique consistant à faire des entaillesà la surface des balles, de
limer l'extrémitéde leur enveloppe et de les enduire d'une substance
susceptible de s'enflammer ou de blesser. Cette interdiction ne s'ap-
plique toutefois pas à l'utilisation des explosifscontenus dans les
mines, torpilles aériennesou grenades à main.» (P. 242-243.)

Voilà ce que disait le manuel des forces arméesbritanniques en usage
pendant la premièreguerre mondiale, longtemps avant que les principes
de la conduite humanitaire de la guerre n'aient acquis le solide statut

qu'ils ont aujourd'h~i''~.
Dès 1862, Franz Lieber a admis que mêmela nécessité militaire est
soumise aux lois et usages de la guerre, principe qui a étéincorporédans
les instructions adressées à l'arméeH1.Les manuels de campagne mo-
dernes publiéspar le ministère de la guerre des Etats-Unis d'Amérique
sont strictementconformes au règlementde La Haye et soumettent expres-
sémentla nécessité militaireaux ((loiscoutumièreset conventionnelles de
la guerre))'12.
Les faits décritsdans la section II de la présenteopinion sont plus que
suffisants pour établir que l'arme nucléaire cause desmaux superflus

excédant de beaucoup ce qu'exigent les buts de la guerre.
On a tiréargument, en ce qui concerne le principe relatif aux maux
superflus, du fait que, aux termes de l'article 23e) du règlement de La
Haye de 1907, il est interdit ((d'employer des armes, projectilesou ma-
tièresconçuspour causer des maux superflus))(lesitaliques sont de moi).
L'arme nucléaire,a-t-on dit, n'est pas conçue pour causer des maux, les
maux qu'elle cause relèvent plutôt des ((effets secondaires)) des explo-
sions. On peut répondre à cet argument en s'appuyant sur le principe
juridique bien connu que l'auteur d'un acte doit êtreprésuméen avoir
voulu toutes les conséquencesnaturelles et prévisibles (voir ci-dessusla

"O Concernant la validité des manuels militaires et son importance, voir Singh et
McWhinney, op. cit., p. 52-53.
Règle générale100, Instructions for the Government of the Armies of the United
States in the Field, s. 14.
Singh et McWhinney, op. cit., p. 59. MENACEOU EMPLOID'ARMES NUCLÉAIRES (OP.DISSW . EERAMANTRY) 499

section III, paragraphe 7). Il repose en outre sur une interprétation litté-
rale qui ne tient pas compte de l'esprit de la disposition ni des préoccu-
pations dont elle s'inspire - méthode d'interprétation particulièrement
contestable dans le cas d'un instrument humanitaire. On peut aussi faire

valoir que les armes nucléairessont en fait utilisées «en partie pour tirer
avantage des effets destructeurs des rayonnements et des retombées»113.

b) Le principe deproportionnalité

Voir le développementde ce point ci-après, section IV, p. 514-516.

c) Le principe dedistinction

Le principe de distinction répond au souci d'éviterque les armes de
guerre ne soient utilisées aveuglémentcontre des objectifs militaires et
contre la population civile. Les non-combattants doivent êtreprotégés

par le droit de la guerre. Mais l'absence de distinction est l'essence même
de l'arme nucléaire.Une arme qui peut raser une ville et provoquer à elle
seule autant de destructions aue des milliers de bombes n'est Das une
arme qui établit une distinction quant à ses effets. Les rayonnements
qu'elle émetdans d'immenses territoires ne font pas de distinction entre
combattants et non-combattants ni, d'ailleurs, entre Etats belligérantset
Etats neutres.
L'article 48 du protocole additionnel 1 de 1977 aux conventions de
Genève de 1949 réitère entant que «règle fondamentale))la règle bien
établiedu droit humanitaire suivante:

«En vue d'assurer le respect et la protection de la population civile
et des biens de caractère civil, les parties au conflit doiventen tout
temps faire la distinction entrela population civileet lescombattants
ainsi qu'entre les biens de caractère civil et les objectifs militaires et,
par conséquent, ne diriger leurs opérations que contre des objectifs

militaires. (Les italiques sont de moi.)
La règlede la distinction entre population civile et personnel militaire
est, comme certaines autres règlesdu jus in bello, le fruit d'une longue
tradition et l'apanage de nombreuses cultures. Nous avons déjà rappelé

que, dans l'Inde d'autrefois, il était d'usage queles paysans continuent à
travailler dans les champs, au voisinage de l'armée de l'envahisseur,
confiants dans la protection que leur assurait la tradition qui faisait de la
guerre une affaire de combattantsn4. Cette évocation, si idyllique qu'elle
soit et si éloignée desatrocités dela guerre, nous rappelle utilement que
des principes humanitaires fondamentaux comme le principe de distinc-
tion ne sont pas des normes récentesinconnues des époques antérieures.

Il3Ian Brownlie, «Some Legal Aspects of the Use of Nuclear Weapons)), International
and Compavative Law Quarterly, 1965,vol. 14,p. 445.
"4 Nagendra Singh, op. cit. ci-dessus note 69. MENACEOU EMPLOI D'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW. EERAMANTRY) 500

Le principe de la protection de la population civileen période deconflit
arméest depuis longtemps une règlebien établiedu droit international
humanitaire. Le protocole additionnel 1 aux conventions de Genève de
1949dispose au paragraphe 5, lettre b), de son article 51 que les ((atta-
ques effectuéessans discrimination)) qu'il interdit comprennent:

«les attaques dont on peut attendre qu'elles causent incidemment
des pertes en vies humaines dans la population civile, des blessures

aux personnes civiles, des dommages aux biens de caractère civil, ou
une combinaison de ces pertes et dommages, qui seraient excessifs
par rapport à l'avantage militaire concret et direct attendu)).

De même,aux termes du paragraphe 2, lettre b), de l'article 57, une at-
taque est interdite lorsqu'il apparaît:

«que l'on peut attendre qu'elle cause incidemment des pertes en vies
humaines dans la population civile, des blessures aux personnes

civiles,des dommages aux biens de caractère civil, ou une combinai-
son de ces pertes et dommages, qui seraient excessifspar rapport à
l'avantage militaire concret et direct attendu)).

Les nombreux comportements relevant de cette règleont été analysés
dans la résolutionadoptée par l'Institut dedroit international à la confé-
rence d'Edimbourg en 1969 Il5,qui les a déclarés interditspar le droit en
vigueur à l'époque.Au nombre des actes décrits commeinterdits par le

droit en vigueur figurent:

((toutes les attaques menées à quelque titre que ce soit et par
n'importe quel moyen et destinées à l'anéantissementd'un groupe,
d'une région ou d'un centre urbain sans distinction possible entre
forces arméeset populations civiles ou entre objectifs militaires et
objets non militaires)) l16;

((toutes les actions qui, à quelque titre que ce soit, sont destinées à
semer la terreur dans la population civile)) "';

((l'emploi detoutes les armes qui, par leur nature, frappent sans dis-
tinction objectifs militaires et objets non militaires, forces armées et
populations civiles.Est interdit notamment l'emploi des armes dont
l'effet destructeur est trop grand pour pouvoir être limité à des

objectifs militaires déterminésou dont l'effet est incontrôlable ...
ainsi que des armes aveugles.»lls

Au sujet de l'appui qu'a reçu ce texte de la part des auteurs les plus éminents, voir
ci-aprèsla sectionI, paragraphe 11.
Annuaire de l'Institut de droit international. 1969. n, A.vo,. II. ,. 360. oar. 8: Iran.
CR 95/26, p. 47, note 45.
"s7Ibid., par. 7.Institut de droit international, 1969,no 53, vol. II, p. 377, par. 6.d) Respect des Etats non belligérants

Le dommage irréparable auxtierces parties non belligérantes, quiest la
conséquence naturelle et prévisible de l'emplodies armes nucléaires, est un
facteur àprendre en considérationpour décidersi de tellesarmes sont per-
misesou non. Ce n'estpas un seul Etat non belligérant mais l'ensemble de
la communautédes Etats qui risque de subir des dommages irrémédiables.
Comme lesrayonnements sont impossibles àarrêter,ils sepropagent dans
lemonde entier. L'étendue démesuré des dommagesque causent lesarmes
nucléairespar rapport aux plus puissantes des armes classiquesestmise en
évidencepar le diagramme joint en annexe à la présente opinion,qui est

repris des études del'organisation mondiale de la Santé.Diverses études,
dont l'étudeTTAPS, établissent de façonconcluante que, lorsque lesvents
accentuent la dispersion des retombées,les effets délétèredses explosions
dans un hémisphère peuventse propager à l'autre hémisphère. Aucune
partie du globe - et donc aucun pays - n'està l'abri de ces effets.
J'ai examinédans le mêmecontexte l'argument du défautd'intention
selon lequel une action dirigéecontre un Etat ennemi n'est pas caracté-
riséepar une intention de causer des dommages à une tierce partie; si de
tels dommages sont causés,elle n'engage pas la responsabilité de son
auteur. Cet argument a déjàétéanalyséplus haut et j'ai souligné qu'il
était indéfendable(sect. III, par. 7). Le lancement d'une arme nucléaire
est un acte délibéréL .es dommages aux pays neutres en sont la consé-

quence naturelle, prévisibleet même inévitable. Ld eroit international ne
peut pas faire place à une règle de non-responsabilité si radicalement
opposéeaux principes fondamentaux de la doctrine juridique universelle.

e) L'interdiction dugénociden9

J'estime que ce que dit la Cour sur les rapports entre l'arme nucléaire
et le génocide estinadéquat (paragraphe 26 de l'avis).
L'emploi d'armes nucléaired sans le cadre d'une riposte a une attaque
nucléaire,surtout dans l'hypothèse d'une ripostgénéraliséc e,userait vrai-
semblablementun génocideen déclenchanutn échange nucléaire généralisé
du type envisagéà la sectionIV(ci-après).Même une bombe nucléaire«mo-
deste», du genre de cellesqui ont étéutiliséesau Japon, pourrait êtreun
instrument de génocidesi 1'01considèrele nombre de personnes qui ont été

tuéesdans ce pays à la suite de ces explosions. Lancée sur uneville, une
seule bombe pourrait faire plus d'un million demorts. Si un nombre plus
élevéde bombes devait être utilisé enriposte, lenombre desmorts pourrait,
selonlesestimations del'organisation mondiale de la Santé surleseffetsde
la guerre nucléaire, atteindre,dans le pays auteur de l'attaque et les autres
pays, le total de un milliard.Un tel résultat constituebien un génocideet ne
peut, quellesque soient les circonstances, être tolééar le droit.

Il9Voir aussi, sur ce point, ci-aprèsla section III, paragraphe 10,lettre g), concernant
le droit relatif aux droits de l'homme. Quiconque emploie une bombe nucléaire sait nécessairementqu'elle
aura pour effet de tuer un si grand nombre de personnes que des popu-
lations entièresdisparaîtront. Le génocide,selonla définitionqu'endonne

la convention sur le génocide(art. II), s'entend detout acte commis dans
l'intention de détruire,en tout ou en partie, un groupe national, ethnique,
racial ou religieux, comme tel. Les actes inclus dans la définitionsont
notamment les suivants: meurtre de membres du groupe, atteinte grave à
l'intégrité physiqueou mentale de membres du groupe et soumission
intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa
destruction physique totale ou partielle.
Il existeune tendance, dans lesdiscussions sur la définitiondu génocide
dans la convention, à mettre trop l'accent sur les mots «comme tel».

L'argument qu'on en tire est que l'atteinte a un groupe national, eth-
nique, racial ou religieux en tant que tel doit êtreun résultat intention-
nel et non pas un effet secondaire d'un autre acte. Mais puisque les
bombes nucléairesont la capacitéd'anéantirmassivement la population,
les chiffres s'échelonnant entre plusieurs centaines de milliers et plu-
sieurs millions de personnes, il ne fait pas de doute que l'arme vise, en
tout ou en partie, le groupe national de1'Etatcontre lequel elleest dirigée.
Le Tribunal de Nuremberg ajugéque l'extermination de la population

civile en tout ou en partie est un crime contre l'humanité. C'estprécisé-
ment le résultat auquelaboutit une arme nucléaire.

f) L'interdiction des dommages a l'environnement

L'environnement, l'habitat commun de tous les Etats Membres des
Nations Unies, ne peut êtreendommagépar un ou plusieurs Membres au
détrimentdes autres. J'ai déjà rappelé, à propos des exigencesde la cons-

ciencepublique (ci-dessussect. III, par. 6), que les principes de la protec-
tion de l'environnement sont aujourd'hui «si profondément ancrésdans
la conscience de l'humanitéqu'ils sont devenus des règlesparticulière-
ment essentielles du droit international général»120L .a Commission du
droit international a mêmequalifié de crimeinternational la pollution
massive de l'atmosphère ou des mers l2I.Ces aspects ont été évoqués plus
haut.
Le droit de l'environnement comporte un certain nombre de principes
auxquels les armes nucléaires portent atteinte. Le principe de l'équité

intergénérations etle principe du patrimoine commun ont déjà été men-
tionnés.Parmi les autres principes du droit de l'environnement suscep-
tibles d'être reconnuspar la Cour à la faveur de la présente demande
d'avis consultatif et d'êtreutilisésdans la formulation de ses conclusions

lZ0Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa vingt-hui-
tième session.Annuaire de la Commission du droit international. 1976.vol. II. deuxième
partie, p.1:par. 33.
lZ1Paragraphe 3d) de l'article 19 du projet de la Commission du droit international
sur la responsabilité desEtats,, p. 89.figurent le principe de précaution, le principe de la tutelle sur les res-
sources de la terre, le principe suivant lequel la charge de la preuve que
les mesures de sécuritéont été prisesincombe à l'auteur de l'acte mis en
cause et le principe ((pollueur-payeur» qui impose à l'auteur d'un dom-
mage à l'environnement l'obligation d'indemniser les victimescomme il

convient 12'.Des efforts ont été faits récemmentsur leplanjuridique pour
formuler ce qu'on a appeléles ((principesde la sécurité écologique))dans
le cadre d'un processus de développementnormatif et de codification du
droit de l'environnement motivépar la nécessitéde protégerla civilisa-
tion humaine contre la menace de son autodestruction.

Un auteur'23 qui énumèreonze principes de cette nature inclut parmi
eux la ((prohibition de l'agression écologique»en se fondant notamment
sur la convention de 1977 sur l'interdiction d'utiliser destechniques de
modification de l'environnement à des fins militaires ou toutes autres fins
hostiles, qui est entrée en vigueur le 5 octobre 1978 (Nations Unies,
Recueil des traités, vol. 1108, p. 151), ainsi que sur la résolution de

l'Assemblée générale de Nsations Unies intitulée ((Responsabilité histo-
rique des Etats concernant la préservationde la nature pour les généra-
tions présenteset futures)) (résolution 3518en date du 30 octobre 1980).
Le mêmeauteur souligne que:

((Dansladoctrine juridique soviétique[aujourd'hui russe],lamodi-
fication délibérée, à des fins hostiles, de l'environnement - l'écocide
- est illicite et considérécomme un crime international. )) 124

Un autre auteur, après avoir appelé l'attention sur la nécessitéde
concevoir une réaction collective coordonnée à la crise mondiale de

l'environnement et sur la difficulté d'yparvenir, fait observer:
((Mais lescirconstances exigent impérieusementune telle réaction ;

si nous ne sommes pas capables de faire de la préservation dela pla-
nètenotre nouveau principe d'organisation, c'est la survie même de
notre civilisation qui sera compromise. » '2s

Voilà une définition vigoureusede ce qui inspire le droit de I'environ-
nement de notre temps, la préservation dela planète en tant que «nou-
veau principe d'organisation ))sans lequel toute civilisation est en danger.
Un moyen, d'ores et déjàmis en Œuvre, de parvenir a la réaction
collective organisée évoquée pluhsaut est de s'appuyer sur le droit inter-

122Voir les référencàcesprincipes dans mon opinion dissidente relaàl'affaire de
laDemande d'examen de la situation au titre du paragraplze 63 de l'arrêtvendu par la
Cour le 20 dicembre 1974 dans l'affaire des Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande
c.Iz3A. Timoschenko, «Ecological Securi:Global Change Paradigm?)) Columbia Jour-
nal of IrzternationalEnvironmental Law and Policy, 1990, vol. 1, p. 127.
n4 Timoschenko, op. cit.
"5 A. Gore, Earth in tlze Balance: Ecology and the Human Spirit, 1992, p. 295, cité
dans Guruswamy, Palmer et Weston,International Environmental Law and World Order,
1994,p. 264.national de l'environnement et il n'est pas étonnant que les principes de

base axéssurla survie de la civilisation, voire de l'espèrehumaine, fassent
déjàpartie intégrante dece droit.
La mêmequestion est abordéesous un angle différentdans une étude
remarquable où il est dit ce qui suit:

((L'auto-annihilation de notre espècen'est pas un acte qu'on puisse
qualifierderationnel ou de raisonnable; pourtant c'estun acte que, sans
tout à fait nous l'avouerànous-mêmesn ,ous sommesprêts à commettre
dans certainescirconstances.Ne pouvant êtreun acte entièrementinten-
tionnel à moins que son auteur n'ait perdu l'esprit,il ne peut survenir
qu'à la suite de quelque inadvertance, dans le sillaged'une activité qui,

elle, est intentionnelle, par exemple la défense de notre patrie, ou la
défense de laliberté,ou la défensedu socialisme ou la défensede
n'importe quelle cause dans laquelle nous croyons. Ce n'est donc que
parce que nous ne mesurons pas l'ampleur et la gravitédu périlque
nous nous comportons comme nous le faisons. Nous ne pouvons agir
ainsi que sinous ne voyonspas bien où nous conduisent nos actions. Si
nous prenions consciencede l'ampleur du dangeret reconnaissionssans

détouret sansréserve quetout emploidel'armenucléairerisque depro-
voquer un holocauste dont l'issuepourrait être la disparition de toute
vie humaine, nous verrions alors l'annihilation comme une chose non
seulement impensable maisinfaisable. » 126

Les principes du droit de l'environnement ne tirent pas leur validitéde
dispositions conventionnelles. Ils relèvent du droit international coutu-
mier. Ils sont l'une des conditions sinequa non de la survie de l'humanité.
Qu'ils fassentpartie intégrante du droit international coutumier, I'acti-
vitéinternationale en apporte la preuve concrète dans divers contextes.

C'est ainsi que, dans sa résolution 687 de 1991,le Conseil de sécuritéa
déclaréque l'Iraq était ((responsable en vertu du droit international ...
[des] atteintes à l'environnement» résultant de son invasion illicite du
Koweït. Cette responsabiliténe découlaitpas d'un traité car l'Iraq n'était
partie ni à la convention de 1977sur la modification de l'environnement
ni aux protocoles additionnels de 1977 ni à aucun instrument traitant
expressémentde la question. La responsabilité de l'Iraq, affirméepar le

Conseil de sécuritéen termes si dépourvus d'ambiguïté, étaitmanifeste-
ment une responsabilité fondéesur le droit international coutumier 127.
Les principes en question s'appliquent aussi bien en temps de guerre
qu'en temps de paix car ils procèdent d'obligations générales applicables
dans les deux situations 128.

Jonathan Schell, The Fate of the Earth, 1982,p. 186.
12'Une conclusion en ce sens a étéformuléepar les Iles Salomon au cours des au-
diences(CR 95/32, Sands, p. 71).
Iz8Voir, par exemple, la manière dont sont rédigésle principe 21 de la déclaration de
Stockholm et le principede la déclaration deRio relatifs aux devoirs des Etats en ma-
tièrede préventiondes dommagesà l'environnement d'autres Etats. Le principe de base en la matière est énoncéau paragraphe 3 de l'ar-
ticle 35 du protocole additionnel 1 de 1977 aux conventions de Genève
qui interdit:
((d'utiliser desméthodesou moyens de guerre qui sont conçus pour

causer, ou dont on peut attendre qu'ils causeront, des dommages
étendus,durables et graves à l'environnement naturel)).
L'article 55, quantà lui, interdit:

((d'utiliserdes méthodesou des moyens de guerre conçus pour cau-
ser ou dont peut attendre qu'ils causent de tels dommages à I'envi-
ronnement naturel, compromettant de ce fait la santéou la survie de
la population ».

La question n'estpas de savoir si l'on a voulu ou non viser les armes
nucléaires.Il suffit de voir dans ces dispositions des énoncés de principes
incontestésdu droit international coutumier. Soutenir que les principes
généraux ainsi énoncé nessont pas assezexplicitespour pouvoir êtreconsi-
dérés comme applicablea sux armes nucléairesou que les armes nucléaires
ont été délibérémp eatséessous silenceet ne sont donc pas couvertes ou
mêmequ'ilétaitclairemententendu que lesarmes nucléairesn'entraient pas
dans le champ des dispositions en cause, c'estmettre en reliefl'incongruité
d'une thèsequi reconnaît comme interdites les armes présentantune noci-
vitémoindre pour l'environnement maislaisse intact un moyen infiniment
plus puissant de causerles dommages que le traité apour but de prévenir.
Dèslors qu'existent desobligations généraled sécoulantdu droit interna-

tional coutumier, il importe peu que lesdivers accordssur l'environnement
contiennent ou non une mention expresse des dommages causés par les
armes nucléaires.Les mêmesprincipes s'appliquent que l'on soit en pré-
sencede hauts fourneaux qui émettentdes fumées, de réacteurp srésentant
des fuites ou d'engins explosifs.On ne saurait déduiredu fait que leshauts
fourneaux et lesréacteursne sont pas expressément désigné dsns lestraités
sur l'environnement qu'ilssont soustraits au champ d'application des
normes et principes indiscutableset bien établis énoncé dsans ces traités.
La question de l'applicabilitédu droit de l'environnement dans le pré-
sent contexte peut aussi êtreabordéesous l'angledu principe du bon voi-
sinage qui est à la fois implicitement et expressémentconsacrédans la
Charte des Nations Unies. Ce principe est l'une des bases du droit inter-
national moderne, qui a vu l'échecd'un systèmeoù chaque Etat souverain
pouvait s'employer à défendresesintérêtd sansun splendideisolementpar

rapport aux autres Etats. Un ordre mondial dans lequel tous les Etats
souverains sont tributaires du mêmeenvironnement a pour corollaire une
interdépendance mutuelle quiexige coopérationet bon voisinage.
La Charte des Nations Unies fait mention du ((principegénérad l u bon
voisinage dans le domaine social, économique et commercial, compte
tenu des intérêtset de la prospéritédu reste du monde» (art. 74). Un
choix qui peut conduire à la destruction de l'environnement planétaire
sera fatal non seulement àl'environnement mais aussiaux intérêtd sans le MENACE OU EMPLOID'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISS.WEERAMANTRY) 506

domaine social, économiqueet commercial qui dépendent étroitement de
cet environnement. En reconnaissant expressément l'existenced'un devoir
généralde bon voisinage, la Charte fait de ce devoir un élément essentiel
du droit international.
La Cour a, dès le début de ses activités,appuyéce principe en affir-
mant le devoir de tout Etat de ne pas ((laisser utiliser son territoire aux
fins d'actes contraires aux droits des autresEtats» (Détroitde Corfou,
C.I.J. Recueil 1949, p. 22).
La question de la responsabilitédes Etatsà l'égardde l'environnement
est analysée plus en détail dans mon opinion dissidente relative à la

demande d'avisconsultatif de l'organisation mondiale de la Santé (C.I.J.
Recueil 1996, p. 139-143)et cette analyse doit êtreconsidéréecomme un
complément à l'examen desproblèmes d'environnement contenu dans la
présenteopinion. Comme je l'ai indiquédans cette opinion dissidente, le
dommage causé à l'environnement par les armes nucléaires estla consé-
quence de la violation d'une obligation incombant àl'Etat, ce qui ajoute
une dimension de plus à la question de l'illicéitde l'emploi ou de la
menace d'emploi desarmes nucléaires.

g) Droit relatif aux droits del'homme'29

Dans la présente opinion, j'ai évoqué à la section III, paragraphe 6,
l'influence qu'a eue le développement des droits de l'homme dans la
période d'après-guerre surles notions de ((considérationsd'humanité))et
d'«exigences de la conscience publique ».
Une analyse plus détaillée du contenu de la Déclarationuniverselle des
droits de l'homme conduit à ranger parmi les droits fondamentaux de
l'homme auxquelsles armes nucléairesportent atteinte le droità la dignité
(préambuleet article premier), le droit la vie, ledroit de l'individà la

sûretéde sa personne (art. 3),le droit aux soins médicaux(art. 25, par.e
droit de semarier et deprocréer(art.6,par. l), la protection de lamaternité
et de l'enfance(art. 25, par. 2) et le droit vie culturelle(art. 27, par. 1).
Selon la doctrine établieen matière de droits de l'homme, il n'est pas
possible de déroger à certains droits en aucune circonstance, notamment
au droit à la vie, qui fait partie du noyau irréductible des droits de
l'homme.
Le préambule de la Déclaration affirme que la reconnaissance de la
dignité inhérente detous les membres de la famille humaine constitue le
fondement de la liberté,de lajustice et de la paix dans le monde. L'article
premier proclame que: «Tous les êtres humainsnaissent libres et égaux

en dignitéet en droits. L'article 6 dispose que chacun a droià la recon-
naissance en tous lieux de sa personnalité juridique. Le pacte internatio-
nal relatif aux droits civilset politiques précisece droit et oblige les Etats
à faire en sorte qu'il soitprotégépar la loi. Le paragraphe 1de l'article 6

Iz9Voir aussi ci-dessus la section III, paragraphe 6est conçu comme suit: «Le droit à la vie est inhérent à la personne
humaine. Cedroit doit être protégé par la loi.Les Etats parties au pacte
se sont expressément engagés à donner effet aux dispositions du pacte.

La convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des
libertésfondamentales (1950, art. 2) et la convention américaine relative
aux droits de l'homme (1969, art. 4) proclament égalementle droit à la
vie. C'est l'un desdroits auxquels il n'est pas possible de déroger et qui
fait partie intégrantedu noyau irréductibledes droits de l'homme.
On a soutenu que le droit à la vie n'est pas un droit absolu et que la
privation de la vie durant des hostilités estune exception nécessaire ce
principe. Mais lorsqu'une arme peut tuer entre un million et un milliard

de personnes, comme l'Organisation mondiale de la Santél'a indiqué à la
Cour, la vie humaine se trouve dévaloriséeau point qu'il n'ya plus de
dignitéhumaine au sens où on l'entend dans toutes les cultures. Un Etat
qui entreprend délibérémenten quelque circonstance que ce soit une
action aboutissant à ce résultat porte atteinte au respect de la dignité
fondamentale de la personne humaine dont dépendla paix du monde et
auquel sont tenus tous les Etats Membres des Nations Unies.
Je ne me réfèrepas seulement ici à des dispositions de la Déclaration

universelle des droits de l'homme ou d'autres instruments relatifs aux
droits de l'homme, mais à un aspect fondamental du droit de la Charte
dont le préambule indiqueque les peuples des Nations Unies sont notam-
ment résolus à ((proclamer à nouveau [leur]foi dans les droitsfondamen-
taux de l'homme, dans la dignit et la valeurde la personne humaine))
(lesitaliques sont de moi). Jamais au coursd'une longue histoire marquée
par l'inhumanité de l'hommeenvers l'homme n'a été inventéeune arme
qui est si contraire, comme c'est le cas dearne nucléaire,à la dignitéet

à la valeur de la personne humaine.
Il faut aussi mentionner l'observation généraledu Comitédes droits de
l'homme des Nations Unies intitulée «Le droit à la vie et lesarmes
nucléaires))I3O,qui fait sienne l'opinion de l'Assemblée générale selon
laquelle le droità la vie est particulièrement pertinent dans le cas des
armes nucléairesI3l. Considérant que les armes nucléaires constituent
l'une des plus graves menaces à la vie et au droià la vie, le Comité avu
un tel conflit entre les armes nucléaires et ledroit international qu'il a

proposéde qualifier l'emploi de ces armes de crime contre l'humanité.
Tous ces droits de l'homme procèdent d'un droit fondamental -
décritpar RenéCassin comme «le droit des êtres humains à l'existence))
(CR 95132,p. 64,y compris la note 20). C'est sur cette base que le système
des droits de l'homme dans toute sa complexité a été laborieusement
construit par la communautémondiale pendant la périoded'aprèsguerre.
Reconnaître la licéité, enquelque circonstance que ce soit, de l'emploi

130Gen. C 14123reproduit dans M. Nowak, United Nations Covenant on Civil and
Political Riglzts, 1983,p. 861.
I3lRésolution 38/75 de l'Assemblée généntitulée ((Condamnation de la guerre
nucléaire»,paragraphe 1 du dispositif.d'une arme qui peut faucher des vies par millions, ce serait détruire les
bases sur lesquellesrepose un systèmedélicatqui représente l'unedes réa-
lisationsjuridiques les plus remarquables du XXesiècle.Ce système,bâti
sur l'une des valeurs les plus essentielles et les plus dignes de respect que
connaisse le droit, ne peut pas survivre sous une forme théorique - ce
qui serait le cas si ledroit international devait reconnaître une telle licéité.

Autant y renoncer purement et simplement.

II. L'opinio juris

On peut dire que l'opiniojuvis admet pour l'essentiel que les armes
nucléairesportent atteinte aux principes existants du droit humanitaire.
L'opinio juvisest une source importante du droit international et il est
impossible de citer dans le cadre de la présenteopinion toutes les sources
faisant autorité susceptibles d'être mentionnées. Jm ee bornerai àme réfé-
rer a une résolution évoquée pluh saut - la résolutionadoptéepar 1'Ins-
titut de droit international en 1969àsa sessiond'Edimbourg, a une époque
où la doctrine s'intéressaitbeaucoup moins qu'aujourd'hui à la question
des armes nucléaires et s'étaietn fait peu expriméesur la question.

La conclusion de l'Institut (voir ci-dessusla section III, paragraphe 10,
lettre6)) suivant laquelle le droit international existant interdit en parti-
culier l'emploid'armesdont l'effetdestructeur «est trop importantpour pou-
voirêtrelimité àdesobjectifsmilitairesdéterminé osu dont l'effetestincontrô-
lable...ainsi quedesarmes aveugles)) 132a étéadoptéepar60voixcontre une,
avec2abstentions.CharlesDe Visscher,lord McNair, Roberto Ago, Suzanne
Bastid, Erik Castrén,sir Gerald Fitzmaurice, Wilfred Jenks, sir Robert Jen-
nings, Charles Rousseau, Grigory Tunkin, sir Humphrey Waldock, José
Maria Ruda, Oscar Schachteret Kotaro Tanaka, pour ne citer que quelques-

uns des noms figurant dans une liste prestigieusedes plus éminents spécia-
listesdu droit international de l'époque,ont votépour cette conclusion.

12. Le pvotocole deGenève de 1925sur lesgaz

Abstraction faite des divers principes générauxqui ont étéinvoqués à
ce point de la présente analyse, on peut s'appuyer sur une base conven-
tionnelle pour soutenir que les armes nucléairessont illicites- ce qui m'a
amené à voter contre le paragraphe 2 B du dispositif où il est déclaréque
le droit international conventionnel ne comporte pas d'interdiction com-
plète et universelle de la menace ou de l'emploi desarmes nucléairesen
tant que telles. Je pense en particulier au protocole concernantla prohibi-
tion d'emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de

moyens bactériologiques, en date du 17juin 1925(communémentdésigné
sous le nom de protocole de Genève sur les gaz). La prohibition que
contient cet instrument est formuléeen termes si générauxqu'elle s'étend
aux armes nucléaires, qui sont dès lors couvertes par une interdiction

132Annuaire de l'Institut de droit international, 1969,no 53, vol. II, p. 360, par. 7.

286conventionnelle. De nombreux auteurs souscrivent à cette opinion '33.AU
surplus, si lesrayonnements sont toxiques, ils tombent sous le coup de la

règleinterdisant les armes toxiques contenue à l'article 23 a) du règle-
ment deLa Haye, règlequi a été décritceomme énonçant«la prohibition
spécifiquela plus solidement établie quiexiste dans le domaine des armes
et instruments de guerre)) 134et qui est admise depuis des temps immémo-
riaux dans bon nombre de cultures.

Le protocole de Genève sur les gaz est rédigé en termes trèg sénéraux.
Il interdit l'emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires
«ainsi que de tous liquides, matièresouprocédés analogues»(lesitaliques
sont de moi).
Pour queceprotocole soit applicableaux armes nucléaires, il faut établi:

1) que les rayonnements sont toxiques; et
2) qu'ils mettent une matière en contact avec le corps humain.

Si on parvient à établirqu'il faut répondrepar l'affirmative à ces deux
questions, il en découlerait queles effets nocifs des rayonnements sur le
corps humain sont viséspar les termes du protocole.

i) Les rayonnements sont-ils toxiques?

Un produit toxique est généralementdéfini comme une substance
capable, par elle-même,de nuire à la santépar contact avec le corps ou
par absorpti~n'~~.La description des effets des rayonnements figurant
ci-dessus, à la section II, paragraphe 3, lettre f), montre clairement que
les rayonnements ont pour effet de détruirela vie ou de perturber grave-

ment les fonctions des organes et des tissus.
Schwarzenberger souligne qu'à partir d'une certaine dose l'irradiation

133Voir Burns H. Weston, op. cit., p. 241; E. Castrén, The Present Law of War and
Neutrality, 1954, p. 207; G. Schwarzenberger, The Legality of Nuclear Weapons, 1958,
p. 37-38; N. Singh, Nuclear Weapons and International Law, 1959, p. 162-166; Falk,
Meyrowitz et Sanderson,((Nuclear Weapons and International Law», Indian Journal of
International Law, 1980, vol. 20, p. 563; Julius Stone, Legal Controls of International
Conjict, 1954, p. 556; Spaight, Air Power and War Rights, 3e éd., 1947, p. 275-276;
H. Lauterpacht (dir. pub].), dans Oppenheim's International Law, vol. 2, 7' éd., 1952,
p. 348.
134Singh et McWhinney, op. cit., p. 120.
135Le McGraw-Hill Dictionary of ScientiJicand Technical Terms contient la définition
suivante du produit toxique:
«Toute substance capable à doses relativement faibles de détruire la vie ou de
perturber gravement les fonctions des organes et des tissus.))1978,p. 1237.)

La définitiondel'Oxford English Dictionary se lit comme suit:
«Toute substance qui, introduite dans un organisme vivant ou absorbéepar un tel
organisme, détruitla vie ou altèrela santé, indépendammentde moyens mécaniques
ou de modifications thermiques directes. Leterme s'emploienotamment pour désigner
une substance capable de détruirela vie rapidement etibles doses...
Dans l'usage scientifique, toutefois, on parle aussi d'«intoxication lente)) pour
désignerl'effet cumulatif d'une drogue ou d'un agent nuisible absorbé pendant un
certain temps.)(Vol. XII, p. 2, éditionde 1989.)du corps s'accompagne de symptômes en tous points identiques à ceux
que provoquent les produits toxiques I3'j.
Dès lors queles radiations radioactives sont toxiques, elles sont égale-
ment couvertes par l'interdiction des armes toxiques contenue dans le

règlementde La Haye dont il a déjà été questionE . lles agissent en réalité
de manière plus insidieuse que les gaz toxiques car elles provoquent des
troubles génétiquesqui durent pendant des générations.
Lespays membresde l'OTAN ont eux-mêmer seconnu leseffetstoxiques
des armes nucléairespuisque, à l'occasion de l'adhésion de la République
fédérale d'Allemagnaeu traitédel'AtlantiqueNord, ilsont, dans l'annexeII
au protocole sur le contrôle des armes relatif aux accords de Paris du

23 octobre 1954,définiune arme nucléairecomme étant toute arme:
ctconçuepour contenir ou utiliser uncombustible nucléaire oudes iso-
topesradio-actifset qui,par explosionouautre transformation nucléaire

non contrôlée ...est capable de destruction massive,dommages géné-
ralisésou empoisonnementsmassifs» (lesitaliques sont de moi).

ii) Les rayonnements mettent-ils des «matières» en contact avec le corps
humain ?

Les définitionsdéjàcitéesemploient le terme «substance». Le proto-
cole de Genève sur les gaz fait mention de «matières» ayant des pro-

priétéstoxiques. Il faut donc déterminersi une radiation est une «subs-
tance)) ou une «matière» ou simplement un rayon comparable à un
rayon de lumière qui, lorsqu'il touche un objet, ne met pas nécessaire-
ment une substance ou une «matière» en contact avec cet objet. Dans le
premier cas, les conditions requises pour que le protocole de Genève soit
applicable seraient remplies.

La définition que donne le Shorter 0.xford Dictionary du terme
«radioactif» [«radioactives »] est la suivante : «capable (comme le
radium) d'émettrespontanémentdesrayons composésdeparticules maté-
riellesse déplaçant à trèsgrande vitesse»137.
Les scientifiques138 font une distinction entre le spectre des radiations
électromagnétiquesayant une masse zéro à l'étatstationnaire (théorique)

(ondes radioélectriques, micro-ondes, rayons infrarouges, lumière visible,
rayons ultraviolets, rayons X et rayons gamma) et les radiations qui font
intervenir des particules ayant une masse (électrons,protons et neutrons)

136The Legality of Nucleav Weapons, 1958, p. 35. L'auteur fait très pertinemment
observer que les rayonnements(tuent ou nuisent gravemeàtla santé dans des condi-
tions, aurait dit Gentili, plus dignes de démons qued'êtreshumains civilisés». Gentilia
en effet écritque bien que la guerre soit une lutte entre êtres humains, l'emploi de moyens
tels que le poison en fait une lutte de démonsure Belli Libri Tves (1612), livre II,
chap. VI, p. 161,trad. J. C. Rolfe [dont la traduction anglaise a sàrla version
française ci-dessus]).
138Voir Encyclopaedia Britannica Macropaedia, vol. 26, p. 471 et suiv., au mot
((Radiation. MENACEOU EMPLOID'ARMES NUCLÉAIRES (OP.DISSW. EERAMANTR5 Y1)1

et qui naissent du déplacement à très grande vitesse des particules en
question.
Les rayonnements ionisants émis par les armes nucléaires appar-
tiennent au deuxième type. Ils consistent notamment en une émission
d'un flux de particules 139qui entrent en contact avec le corps humain et
altèrent les tissus. En d'autres termes, c'est une substance matériellequi

a des effets dommageables sur le corps et une telle substance entre néces-
sairement dans le champ de l'interdiction desarmes toxiques édictéepar
le protocole de Genèvesur les gaz.
Il est donc indiscutable que les rayonnements sont une matière. Comme
le dit Schwarzenberger :

((La formule «tous liquides, matières ou procédés analogues))est
conçue en termes si larges qu'elle englobe toutes les armes «ana-

logues ))qu'ellesfassent ou non partie de l'arsenal des armes connues
ou utilisées à l'époque dela signature du protocole. Si les rayonne-
ments et les retombées provoquéspar les armes nucléairespeuvent
êtreconsidéréscomme des substances toxiques, ils peuvent êtreassi-
milés à un gaz toxique ..» 140

Les spécialistesse sont demandé si la matière émisedevait être une
matière gazeuse, étant donnéque la disposition considéréevise les «ma-

tières)) analogues aux gaz. On notera à cet égard que le libellén'exige
pas que la toxicitéprovienne d'un gaz puisqu'il englobe les liquide msa-
tières et jusqu'aux procédésanalogues. Mais mêmesi l'on s'en tient
aux gaz, la terminologie militaire n'a, detoute évidence,jamais fait, pour
ce qui est des«gaz», de distinction stricte entre l'étatsolide, l'état liquide
et l'étatgazeux. Comme le soulignent Singh et McWhinney, l'ypérite (gaz
moutarde) est, en fait, d'un point de vue strictement scientifique, un

liquide, alors que le chlore est un gaz, mais dans la terminologie militaire
l'un etl'autre entrent dans la catégoriedes gaz14'.
Il nous paraît donc irréfutable queles armes nucléairessont viséespar
le protocole de Genève sur les gaz .Qui plus est, si les radiations radioac-
tives sont effectivement toxiques, leur prohibition relèverait d'une inter-
diction du droit coutumier universel et s'appliquerait à tout Etat, qu'il

soit ou non partie au protocole de Genève de 1925142.
Un élémens tupplémentairequimilite en faveur de l'applicabilité du pro-
tocolede Genèvesur lesgazest que lemot «procédé» sviseprobablement les
bombes nucléaires,ce qui rend sans pertinence la question de savoir si les
radiations entrent dans la catégoriedes ((matièresanalogues)).

139Le McGraiv-Hill Dictionaïy of Plzysics and Mathematics (1978, p. 800) définitle
rayonnement comme «une émissionde particule..ou de photonsà haute énergieou
d'une combinaison des deux
140Op. cit., p. 38.
14'Op cit., p. 126.
14'Voir, en ce sens, Schwarzenberger,op. cit., pà propos des armes chimiques
et bactériologiques. Les armes nucléaires, puisqu'ellesétaient inconnues à l'époqueoù les
documents à l'examen ont étéélaborés,ne pouvaient pas être nommé-
ment désignéesmais elles sont couvertes par la lettre et par l'esprit du

protocole et du règlement de La Haye.
Les Etats-Unis d'Amériqueont fait valoir que:

((Cette interdiction n'était pas censées'appliquer et n'a pas été
appliquée aux armes conçues pour tuer ou blesser par d'autres
moyens, quand bien mêmeelles généreraientdes sous-produits
asphyxiants ou toxiques.)) (Exposéécrit, p.25.)

Si les radiations sont en fait l'un des principaux sous-produits générépsar
une arme nucléaire - et c'esteffectivementce qu'ellessont - il est difficile
de voir sur la base de quel principe doctrinal on peut prétendre qu'elles

ne font pas partie des conséquences naturelleset prévisiblesde l'utilisation
de l'arme. Ces «sous-produits» sont parfois désignés sousle nom de dom-
mages collatéraux,mais de quelque manière qu'on les désigneils consti-
tuent l'une des principales conséquences de la bombe etsont trop bien
connus pour pouvoir êtreconsidérés endroit comme non intentionnels.
Au surplus, la thèse considéréerepose sur l'argument juridiquement
inacceptable selon lequel un actecomporte des conséquences licites et des

conséquences illicites, les premières justifiantou excusant les secondes.

13. L'article 23 a) du règlement de La Haye

L'analyse qui précèdedémontre que les rayonnements sont toxiques.

Poursuivant le raisonnement, on est amené à la conclusion que l'emploi
des armes nucléaires aboutit également à une violation manifeste de
l'article 23a) du règlement de La Haye qui formule sans ambiguïté une
interdi~tion'~~.Ce point n'appelle pas de longs développementscar il est
bien établique l'interdiction catégoriquedes substances toxiques qui y est
contenue est une des lois de la guerre les plus anciennes et les plus large-
ment reconnues. Puisque «la pratique universellement acceptée des
nations civiliséesest de considérer les substances toxiques comme inter-

dites», la prohibition contenue à l'article 23 a) du règlementde La Haye
a été considéré comme ayant force obligatoire mêmepour les Etats qui
ne sont pas parties à cet instrument conventionnel:

«Ainsi donc, abstraction faite du droit purement conventionnel, la
coutume tellequ'ellesereflètedanslesprincipes généraud xu droit inter-
dirait également l'emploiàla guerre de substancestoxiques,parce qu'il
est barbare, inhumain et indigne d'une nation civiliséeet, par surcroît,
empreint de perfidie. 144

'44Zbid .,. cit., p. 121.y, ocit.,. 127et 121. MENACEOU EMPLOID'ARMES NUCLÉAIRES (OP.DISSW. EERAMANTRY) 513

IV. LA LÉGITIME DÉFENSE

C'est probablement la légitimedéfense qui soulève les problèmes les
plus délicats dans la présente affaire. La deuxième phrase du para-
graphe 2 E du dispositif indique qu'au vu de l'état actueldu droit inter-
national, ainsi que des éléments de faitdont elle dispose, la Cour ne peut
conclure de façon définitiveque la menace ou l'emploi d'armes nucléaires
serait licite ou illicite dans une circonstance extrêmede légitimedéfense
dans laquelle la survie mêmed'un Etat serait en cause. J'ai votécontre
cette phrase parce que je ne considère comme licites en aucune circons-
tance la menace d'emploi ou l'emploi d'armes nucléairesqui sont l'un et
l'autre contraires aux principes fondamentaux du jus inbello. Cette

conclusion est claire et découle inéluctablement de principes bien établis
du droit international.
Siune nation est attaquée,elle a sans aucun doute le droit, reconnu par
la Charte des Nations Unies, de se défendre. Elle entre alors dans le
domaine du jus inbello, régipar les principes du droit humanitaire qui
s'appliquent dans le cadre de la légitimedéfense commedans le cadre de
n'importe quelle opération militaire.Il nous faut donc déterminer quels
principes du jus inbello régissent l'emploi des armes nucléairesen étatde
légitimedéfense.
Le premier point àrelever est qu'ily a une différenceentre employer la
fovce en état de légitime défense(ce qui est un droit incontestable) et

employer des armes nucléaivesen étatde légitimedéfense. L'autorisation
donnée par le droit international pour le premier cas ne vaut pas pour le
second, qui est, au demeurant, régipar d'autres principes.
Les sept principes du droit humanitaire examinés dans la présente
opinion s'appliquent à l'emploi des armes nucléaires aussibien en étatde
légitimedéfenseque dans le cadre de n'importe quelle autre opération de
guerre. Les principes touchant les maux superflus, la proportionnalité, la
distinction, les Etats non belligérants,le génocide,les dommagesàl'envi-
ronnement et les droits de l'homme seraient tous violés,que l'hypothèse
soit cellede la légitimedéfenseou celled'une agression pure et simple. Le
jus inbello couvre tous les emplois de la force quels qu'en soient les
motifs. Toute exception serait contraire l'essence même de sesprincipes.

L'Etat initialement attaqué userait vraisemblablement, en riposte, des
mêmesmoyens. En présence des dévastations causéespar la première
attaque, surtout s'il s'agit d'une attaque nucléaire, la tentation sera
grande de recourir à n'importe quel engin nucléaire disponible.
Robert McNamara écritce qui suit à propos de la réactionà une pre-
mièrefrappe :

((Mais en pareilles circonstances, les dirigeants de part et d'autre
seraient irrésistiblement poussés venger leur pays pour les pertes
subies età assurer la préservation des intérêtsen cause. Et chacun
craindrait que l'adversaire ne se préparelancer une attaque de plus
grande envergure àtout moment. Ils seraient de surcroît mal infor- més,du fait des perturbations causéesdans les réseauxde commu-
nication par la conflagration (ou mêmepar des frappes directes).
Dèslors, il est infiniment probable que, plutôt que de se rendre, cha-
cun des adversaires intensifierait sa riposte, dans l'espoir d'arrêterle

combat en amenant l'autre a capituler.)) 145
Une telle réaction précipiteraitla catastrophe globale car une contre-
réaction seraità prévoir etpourrait mêmeêtre automatiquementdéclen-
chée.
11faut redire ici qu'un Etat qui est attaqué a indubitablement le droit
d'employer toutes les armes dont il dispose pour repousser un agresseur.

Mais ce principe s'entend sous réserveque les armes en question soient
conformes aux règlesfondamentales de la guerre. C'est seulement dans
ceslimites et dans le but exclusifde repousser l'ennemi que 1'Etatattaqué
peut mettre en Œuvretout son potentiel militaire contre l'agresseur. Il y a
là un point incontestable et nul n'a jamais soutenu,à quelque tribune ou
dans quelque ouvrage de doctrine que ce soit, qu'une nation contre
laquelle seraient utilisées,par exemple, des armes chimiques ou biolo-
giques serait en droit d'utiliser le mêmetype d'armes dans l'exercicedu
droit de légitimedéfenseou d'anéantirla population de l'agresseur. Il est
surprenant que d'aucuns voient dans la plus dévastatrice des armes de
destruction massive la seule exception a apporter à une conclusion dictée
par les principes les plus élémentairesdu droit humanitaire.

Cela dit, je vais passer maintenant brièvementen revue les divers prin-
cipes du droit humanitaire qui pourraient être violéspar un pays en état
de légitimedéfense.

1. Maux superflus

Les atroces souffrances causéespar les armes nucléaires,qui ont été
décrites plushaut dans la présenteopinion, ne résultentpas seulement de
l'emploi de ces armes à des fins agressives. Les séquelles desrayonne-
ments sont tout aussi douloureuses, que l'arme ait été utilisée enétatde
légitimedéfenseou non.

Le principe de proportionnalité peut à première vue paraître respecté
en cas de riposte nucléairea une attaque nucléaire. Mais à y regarder de
plus près,il est, en pareil cas, violéa maints égards. Comme l'a souligné
la France:

((L'évaluationde la nécessitéet de la proportionnalité desmesures
de riposte à l'agression dépend de lanature de l'agression, de son
ampleur, du risque qu'elle fait courir et de l'adaptation de ces me-
sures au but défensifrecherché. » (CR 95/23, p. 82-83.)

145McNamara, op. cit., p. 71-72. MENACEOU EMPLOI D'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW . EERAMANTR5 Y1)5

C'estjustement pour cela qu'il est impossiblede détermineravec préci-
sion en quoi consiste une riposte appropriée et proportionnée de la part
d'une nation victime d'une frappe n~cléaire'~~S.'agissant de la riposte
nucléaire à une attaque nucléaire,on peut craindre, comme je l'ai déjà
souligné,qu'une riposte nucléairetotale n'ouvre la voie à tous les scé-
narios apocalyptiques décrits avec tant de force d'évocation dans les
ouvrages consacrés à la question.

De surcroît, un facteur d'appréciationentre en jeu: il faut déterminer
l'intensitéde l'attaque et la proportionnalité de la riposte. Mais on ne
peut mesurer que ce qui est mesurable. Dans le cas de la guerre nucléaire,
rien n'est plusmesurable. Il n'y a pas d'échellepour mesurer la dévasta-
tion totale. Nous entrons dans un domaine où le principe de proportion-
nalitén'a plus de sens.
On ne doit pas non plus méconnaître,dans le cas des armes nucléaires,
le risque d'une erreur humaine. Une riposte nucléaire à une attaque

nucléaire,si bien planifiée soit-elle, nepeut pas, dans la confusion du
moment, être subtilementdosée enfonction de la puissance des armes de
l'attaquant. Mêmedans le climat comparativement plus détendu etplus
serein du temps de paix, l'erreur est possible et peut allerjusqu'à déclen-
cher une attaque nucléaireinvolontaire. C'est ce qui ressort des études
sur la guerre nucléaire in~olontaire'~~.Le risque d'accident serait infini-
ment plus grand dans le contexte stressant d'une riposte à une attaque

nucléaire.
Selon le Bulletin of the Atomic Scientists:

«Les plus hauts échelonsdu pouvoir et leurs sources de renseigne-
ments font appel à des ordinateurs et àd'autres types de matérielqui
sont de plus en plus complexes et, par conséquent, deplus en plus
susceptibles d'erreurs. Un certain nombre de cas ont été signaléosù
le dysfonctionnement de la machine ou de défaillancesde l'esprit
humain ou des deux auraient pu, s'ilsn'avaient été immédiatement
détectés,aboutir à une guerre nucléaire involontaire.» 148

Le résultat serait une guerre nucléaire totale.
Là encore, on peut invoquer le témoignage d'hommes d7Etatayant une

solide expérience enmatière de politique étrangèreet de politique mili-
taire, qui confirment qu'une guerre nucléairetotale est le résultat auquel
on peut s'attendre. Robert McNamara fait observer:

((Commed'autres qui ont étudiéla question, j'ai peine àconcevoir
que les guerres nucléaires«limitées»puissent rester limitées - il est
très probable qu'une décision d'utiliser desarmes nucléairesaurait

14GSur ce point, voir ci-dessus la section II, paragraphe 3, lettre n), et la section VII,
paragraphe6.
14'Par exemple, Risks of Unintentional Nuclear War, Institut des Nations Unies pour
la recherche sur le désarmement(UNIDIR), 1982.
148Juin 1982,vol. 38, p. 68. MENACEOU EMPLOID'ARMES NUCLÉAIRES (OP. DISSW. EERAMANTR5 Y1)6

les mêmesconséquences catastrophiques qu'un échange nucléaire
total.»149

L'ancien secrétaired'Etat Henry Kissinger adopte la mêmeposition:

«La guerre limitéene suppose pas seulement des forces militaires
et des doctrines appropriées. Elle exigeen outre, de la part des diri-

geants politiques, beaucoup de discipline et de subtilitéet, de la part
de la sociétéu, ne grande confiancô dans ses dirigeants. Car la guerre
limitée est sur le plan psychologique beaucoup plus complexe à
mener que la guerre totale ...Une guerre totale serait probablement
le résultat d'une décisionsi précipitée - à supposer qu'on puisse
parler de décisiondans ce contexte - et s'accompagnerait de souf-
frances d'une telle ampleur qu'il n'y aura pas place pour des discus-
sions sur les nuances de la politique.»

Plus loin, il écrit:

«La su"rre nucléaire limitéen'est Das seulement. dans cette lo-
gique, impossible, elle est aussi inappropriée. Et d'abord, elle cause-
rait, dans la zone des combats, des dévastations comparables par
leur importance à cellesqu'engendrerait une guerre thermonucléaire.
Nous détruirions donc les populations mêmesque nous cherchions à
protéger.» 151

Ce n'est donc pas de l'extravagance que d'anticiper, en cas d'emploi
d'armes nucléairesen état delégitimedéfense,un échange nucléairetotal.
Il y a là un risque totalement inacceptable au regard du droit humani-
taire, un risque dont aucun ordre juridique ne saurait s'accommoder.

3. Distinction

Comme on l'a déjà soulignédans la présente opinion, les armes nu-
cléairesportent atteinte au principe de distinction entre forces armées et
populations civiles.Sans doute la mêmeremarque vaut-elle pour d'autres
armes mais l'arme nucléaire a, outre son effet radioactif, des effets de
chaleur et de souffle tels qu'elle se place dans une catégorie à part. En
présence d'armes quifont des centaines de milliers, voire des millions de

victimes, le principe de distinction perd toute pertinence juridique.

4. Etats non belligérants

C'est dans cecas qu'apparaît l'une desprincipales objections à l'emploi
des armes nucléairesen étatde légitimedéfense.
La légitimedéfensene peut êtreconsidérée comme relevant exclusive-

149Op. cit., p. 72.
I5OHenry Kissinger, Nuclear Weupons and Foreign Policy, 1957,p. 167.
Ibid., p. 175. MENACEOU EMPLOID'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW. EERAMANTR5 Y1)7

ment de la compétence des Etats intéressésque pour autant qu'elle ne
cause pas certainement des dommages aux Etats non belligérants.Si une
stratégie delégitimedéfensea un tel effet sur les Etats neutres non belli-

gérants, la question sort du cadre de la compétenceinterne. Il est conce-
vable qu'un acte de légitimedéfensecause des dommages accidentels et
involontaires à un Etat tiers. Une telle situation peut êtreenvisagée et
peut mêmeeffectivement se produire, mais cette question ne se pose pas
ici.

5. Génocide

Le problème du génocidea déjàété analysé lS2La légitimedéfensequi,
comme on l'a vu à propos de la proportionnalité, aboutira selon toute
probabilité àune guerre nucléairetotale risque, plus encore que la frappe
initiale, de conduire au génocide.Si le fait de tuer entre un million et un

milliard d'individus n'entre pas dans le champ de la définition du géno-
cide, on se demande quel autre acte y entrera.
Aucune nation ne peut se voir reconnaître le droit de détruirela civi-
lisation pour défendreses intérêts nationaux.

6. Dommages à lénvironnement

On peut formuler à ce sujet des considérations analogues à celles qui
ont étéexposées à propos du génocide.La pollution de l'environnement
dans un vaste rayon peut conduire a l'hiver nucléaire eà la destruction
de l'écosystème.Ces effets se produiront que les armes nucléairesqui les

provoquent soient utiliséesdans le cadre d'une agression ou en état de
légitimedéfense.
Le droit international de l'environnement, en ce qui concerne les armes
nucléaires,est analysé plusen détaildans mon opinion dissidente relative
à la demande d'avis consultatif de l'organisation mondiale de la Santé
(C.I.J. Receuil 1996, p. 139-143)et ce qui est dit dans cette opinion doit
êtreconsidérécomme un complémentaux développements qui précèdent.

7. Droits de l'homme

Toutes les atteintes aux droits de l'homme mentionnées plushaut dans
la présente opinion résulteraient aussibien de l'emploi de la bombe en

étatde légitimedéfenseque dans le contexte d'une agression.

Les principes humanitaires que l'on vient d'examiner ont depuis long-
temps dépasséle stade de la simple aspiration philosophique. Intégrésau
droit vivant, ils représentent le couronnement juridique d'une lutte per-

'52Voir ci-dessus la section III, paragraphee)., lettresévérantepour contenir dans certaines limites la brutalité de la guerre à
outrance. Ils énoncent les règlesde base du comportement militaire de
l'époque actuelleet ont été forgép sar la communauté des nations en
réponseaux souffrances infligées àdesdizainesdemillionsd'êtres humains
au cours de deux cataclysmes planétaires et de nombreuses guerres de

moindre ampleur. Comme tous les principesjuridiques, ils s'appliquent à
l'ensembledes nations, grandes et petites.
Il semble difficile,compte tenu de l'impératif de cohérence auquel doit
satisfaire tout systèmejuridique pour êtrecrédible,d'envisagerque l'arme
nucléairepuisse êtreécartéedu champ de cet ensemble de principes chè-
rement acquis et qu'on puisse ainsi laisser librement un agent de destruc-
tion sans équivalent causer à une échellebien plus grande les maux que
les principes en question avaient mission de prévenir.

Trois autres aspects de l'argumentation présentée à la Cour à propos

de la légitimedéfenseseront maintenant brièvement évoqués.
Le Royaume-Uni (exposéécrit,par. 3.40)a tiréargumentd'une opinion
expriméepar M. Ago dans l'additif à son huitièmerapport sur la respon-
sabilitédes Etats, suivant laquelle:
«Il se peut très bien que l'action requise pour stopper et rejeter

l'agression doive prendre des proportions qui ne correspondent pas
à cellesde l'agression subie.Ce qui compte à ce sujet est le résultàt
atteindre par l'action «défensive»,non pas les formes, la substance
et l'intensité de l'actionelle-même»153
M. Ago souligne ici que l'action défensivedoit êtreen rapport avec son

objet qui est d'arrêteret de repousser l'agression. Comme il l'écritdans le
mêmeparagraphe :
((L'exigencedite de laproportionnalitéde l'action commiseen état
de légitimedéfensea trait ..au rapport entre cette action et le but
qu'elle se propose d'atteindre, à savoir ...d'arrêter et repousser

l'agression.»
Le but est d'arrêteret de repousser l'agression, non d'exterminer
l'agresseur ou de faire subir un génocide sa population. La référenceaux
formes, à la substance età l'intensité de l'actionest expressémentliéepar

l'auteur au résultatà atteindre et ne peut êtreinterprétée commefaisant
table rase de toutes les autres prescriptions humanitaires, par exemple,
cellesqui ont trait aux dommages aux Etats neutres, aux maux superflus
ou au principe de distinction. Un juriste aussi éminentne saurait se voir
attribuer l'intention de récuserles exigences classiques et irréductibles
du jus in bello- exigences au demeurant approuvées à la quasi-unani-

lS3Annuaire de la Commission du droit international, 1980,vol. II, première partie,
p.67, par. 121.

296mitépar l'Institut de droit international qu'il devait présidersi brillam-
ment par la suite. C'estpar 60 voix contre une, avec 2 abstentions, que la
session d'Edimbourg de 1969 a adopté la résol~tion'~~i;nterdisant les
armes qui frappent sans distinction objectifs militaires et objets non mili-
taires, forces armées etpopulations civiles,ainsi que les armes destinées
semer la terreur dans la population civile. M. Ago lui-mêmea votédans

le sens de la majorité.
Le deuxièmepoint qui appelle un commentaire est l'argument suivant
lequel la résolution 984 (1995) du Conseil de sécurité (exposé écrditu
Royaume-Uni, par. 3.42 et annexe D) conforte en quelque sorte l'idée
que l'emploi des armes nucléaires enriposte à une agression arméene
doit pas nécessairementêtre considéré commie llicite.
Si on lit attentivement la résolution en question, on constate qu'elle
donne aux Etats non dotés d'armesnucléairesl'assurance que le Conseil
de sécurité et lesEtats dotésd'armes nucléairesprendraient immédiate-
ment des mesures au cas où un Etat non doté d'armes nucléairesserait
victime d'un acte d'agression impliquant l'emploi d'armes nucléaires.La

résolution ne dit absolument rien sur le type de mesures à prendre pour
protégerla victime. S'il avait voulu traiter de cette question et déclarer
licite l'emploi desarmes nucléairesdans les circonstances indiquées,le
Conseil de sécuritéavait là une occasion idéalede le faire.
Pour achever l'analysede cette question, il convient de souligner que la
Cour est l'autoritésuprêmesur les problèmes delicéité eq t ue, mêmesi le
Conseil de sécuritéavait expressément approuvé l'emploi des armes
nucléaires,il ne serait pas pour autant interdità la Cour de formuler ses
propres conclusions sur la question.
Le troisièmepoint à signaler est que l'argumentation des adversairesde
l'illicéitend largement àestomper la distinction entre lejus adbellurnet
lejus in bello. Le recoursà la force peut êtrelégitimeou illégitime (ques-

tion qui relèvedu jus ad bellum) mais, une fois qu'il y a emploi de la
force, le droit qui s'applique estles in bello. Le droit humanitaire de la
guerreprend lerelais et régit lesactions de tous lesparticipants au conflit,
aussi bien l'agresseurque la victime. La thèse présentéeà la Cour semble
procéder del'idéeque, lorsqu'on est dans le cadre de l'exception au non-
recours à la force que constitue la légitime défensei,l n'y a pas place pour
l'application dujus in bello. Cette idée estjuridiquement erronéeet logi-
quement indéfendable.La véritéest, bien entendu, que lejus ad bellum
ne fait qu'ouvrir la porteàl'emploide la force (en cas de légitime défense
ou par décisiondu Conseil de sécurité)et que quiconque franchit cette
porte doit se conformer au jus in bello. Prétendre quela licéitéde l'em-

ploi de la force justifie la violation du droit humanitaire est totalement
aberrant.

154Déjàmentionnée ci-dessàsla section III, paragraphe 11 En résumé,il n'y a donc pas d'exception, à l'illicéide l'emploi des
armes nucléairesqui autoriserait le recoursàcesarmes en étatdelégitime
défense.
La légitime défense collective soulève des problème asnalogues à ceux
qui viennent d'êtreexaminés.

La légitime défense préventive - c'est-à-dire le recourà une attaque
préemptive,avant que l'adversaire n'ait effectivement attaqué - ne peut
pas, sur le plan juridique, prendre la forme d'une frappe nucléaire
puisqu'une première frappe nucléaire serait à l'évidenceinterdite par les
principes de base déjà mentionnés.Les armes non nucléairespourraient
sans doute êtreutiliséesdans ce contexte du fait des progrès de la tech-
nique moderne et des systèmesde ciblage perfectionnésqui ont mainte-
nant étémis au point.

1. Deux visions philosophiques

Dans la présente opinion,j'ai exposéune multitude de raisons à l'appui
de la conclusion selon laquellele recours aux armes nucléairesà quelque
fin que ce soit pourrait conduireà la destruction de la sociétéhumaine,
sinon de l'humanitéelle-même. Il a étéfait ainsi observer que toute règle

autorisant un tel emploi est contraire au droit international lui-même.
Deux visions philosophiques seront analyséesdans la présentesection,
fondées,l'une, sur la raison, l'autre, sur l'équité.
Selon la première, tous les postulats du droit présupposent, tant pour
ce qui est de la contribution qu'ils peuvent apporter que du cadre dans
lequel ils s'appliquent, quela société qu'snt mission de servir a un ave-
nir. Une règlededroit ou un systèmejuridique qui ne repose pas sur cette
prémisse nepeut prétendre à aucune légitimité,si séduisant quepuisse
êtrele raisonnement juridique qui l'étaie. Ce n'estpas seulement telle ou
telle règleparticulière qui est affectéepar le défautde légitimité, c'eslte
systèmejuridique tout entier qui est ébranlédans ses bases car les sys-
tèmesjuridiques sont faits pour une sociétéqui dure. Etant une éma-

nation de la sociétéi,ls s'effondrent avec la sociqui leur sert de cadre.
Cette idée,qui est au cŒur même de la notion de droit, est parfois perdue
de vue dans les débats surl'arme nucléaire.
Sans vouloir aller au fond des doctrines philosophiques sur la na-
ture du droit, j'évoquerai brièvementa,ux fins-de laprésenteanalyse, les
thèses avancéesau sujet de la justice à l'époque contemporaine par
deux éminents penseurs,H. L. A. Hart et John Rawls.
Hart, l'un desprincipaux représentants del'école positivistea, dans un
célèbre exposé du contenu minimum du droit naturel, donnédu principe
viséci-dessus la formulation lapidaire que voici:

«Nous l'acceptons comme un présupposé requispar la nature de la discussion; ce qui nous intéresse, c'estun ordonnancement social
projetédans la durée, pascelui d'un club du suicide.»15j

Il explique que:

«il y a des règles de comportement auxquelles toute organisation
sociale doit faire place pour êtreviable. Ces règlesconstituent en fait
le dénominateur commun du droit et de la morale conventionnelle
de toutes les sociétésqui ont atteint un point assez avancépour éta-
blir une distinction entre ces deux formes différentes de contrôle

social.»'j6
Le droit international est indubitablement une forme de contrôle social
mis en place et acceptépar lesmembres de la société internationale - les

Etats nations.
Hart poursuit :
«Les principes de conduite universellement reconnus qui trouvent

leur fondement dans des vérités élémentairecsoncernant les êtres
humains, leur environnement et leurs buts peuvent êtreconsidérés
comme définissantle contenu minimum du droit naturel, par opposi-
tion aux définitions plus ambitieuseset plus hasardeuses que l'on a
souvent voulu donner de la notion. » 15'

Ainsi se trouve définiun minimum acceptépar l'écolepositiviste, qui
met en cause certaines des approches plus littérales d'autresécoles.On en
revient au dénominateur commun auquel tous les systèmesjuridiques
doivent se conformer.
Pour aborder la question sous un autre angle, on peut dire que les

membres de la sociétéinternationale se sont, au cours des trois derniers
siècles,attachés a formuler un ensemble de règleset de principes destinés
a régircette société - ce que nous désignonssous le nom de droit inter-
national. Il leur faut maintenant se demander s'il y a place dans ce
contexte pour une règleen vertu de laquelle il serait licite, pour une rai-
son ou une autre, d'éliminer desmembres de la sociétéou, d'ailleurs, la
société elle-mêmL e.a sociétéinternationale, censéeêtrerégiepar une telle

règle,pourrait-elle être réputée y avoir souscrit - qu'elle se réclamedu
positivisme, du droit naturel ou de n'importe quelle autre philosophie?
La société internationale est-elle, pour reprendre l'expression de Hart, un
((club du suicide))?
Ce problèmen'a pas échappé à la sagacitédejuristes de pays non dotés
d'armes nucléairesqui sont conscients qu'en cas de conflit entre d'autres
Etats leur pays pourrait, bien que non belligérant, subir la dévastation

nucléaire résultant du conflit. Est-il possible que le droit international,
qui est censéêtreun systèmejuridique applicable à l'ensemble de la

lS5H.L.A. Hart, The Concept ofLaw, 1961,p. 188 (les italiques sont de moi).
156Zbid.
Is7Zbid .,189(les italiques sont de moi). MENACE OU EMPLOID'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW. EERAMANTRY) 522

société internationale, donne droit de cité à des principes qui permettent

la destruction de membres de cette société?
«Aucun systèmejuridique nepeut conférer à l'un quelconque deses

membresledroit d'anéantirla société dont il est l'émanationet dont il
vise à réglementerle fonctionnement. En d'autres termes, il ne peut
pas y avoir de règlesjuridiques qui autorisent la menace d'emploiou
l'emploi d'armes nucléaires. En fin de compte, les armes nucléaires
sont une réalité sans précédent qeuxiigeun effort de réflexionsur la
finalitédu droit international traditionnel. Un tel effort de réflexion

révéleraiq tue la question n'est pas de savoirs'ily a une interprétation
du droit de la guerre en vigueur qui interdit la menace d'emploi ou
l'emploi des armes nucléaires et uneautre qui le permet. Elle est de
savoir s'ily a place pour une telle interrogation dans le monde juri-
dique. Le droit ne peut simplement pas se saisir du problème parce
qu'il nesaurait tolérer uneinterprétation quinie son existencemême.

Le but du droit est d'instituer un ordre rationnel axésur la survie
alors quelesarmes nucléairesinterdisenttout espoir d'atteindrecebut.
En ce sens, les armes nucléairessont illicites par définition. » lS8

L'idée avancép ear Hart que l'activitéhumaine est avant tout axéesur
la survie se retrouve chez un ancien Président de la Cour, Nagendra
Singh, qui écritdans une étudesur les armes nucléairesqui a ouvert la
voie à beaucoup d'autres :

«Ce serait de l'impudence, de la partd'unenation isolée,de soutenir
que, pour sauver l'humanité del'esclavage,il a paru nécessairede la

détruire ...Aucune nation n'est investiedu droit d'anéantirune autre
nation ou mêmede détruiredes terres et leurs habitants sur des mil-
liers de kilomètres dans le vain espoir qu'une humanité affaiblie et
déchirée - résultatinévitablede la guerre nucléaire - serait préfé-
rable au sacrificede la dignitéhumaine - résultat hypothétiquedu
non-emploi des armes nucléaires. ))lS9

Nagendra Singh a dans lemêmeouvrage exprimé l'avisque «le recours
à de tellesarmes est incompatible non seulement avecle droit de la guerre

mais avec le droit international lui-même)) 160.
Une autre thèsephilosophique repose sur l'idéedu ((voiled'ignorance))
avancéepar John Rawls dans sa célèbreétude dela justice considérée
dans ses rapports avec l'équité 161.
Aux fins de la mise en place d'un système juridique «vivable», l'auteur
propose que, pour déterminersi un système estéquitable,on se demande

158B. S. Chimni, ((Nuclear Weapons and International Law: Some Reflections)), dans
p. 142 (les italiques sont de moi).says in Memory of Judge Nagendra Singh, 1992,
159Nagendra Singh, Nuclear Weapons and International Law, 1959,p. 242-243.
I6OIbid., p. 17.
16'John Rawls, A Tlzeoryof Justice, 1972. si ceux auxquels il est destiné seraient prêàl'accepter en ignorant tota-
lement quelle sera leur place dans le système.

Une nation ayant à choisir un système de droit international et ne
sachant pas si elle sera intégréeou non au groupe des nations dotées
d'armes nucléaires neserait guère encline à se rallierà un système qui

comporterait une règledéclarantlicite l'emploi par d'autres nations d'une
arme capable de l'anéantir,surtout si le droit de posséderl'arme en ques-
tion lui étaitrefuséet plus encore si elle risquait d'êtreanéantieou irré-
médiablement endommagée à la suite de conflits opposant d'autres
nations avec lesquels elle n'aurait rienà voir.
Le système serait, certes, attrayant pour quiconque serait assuré de
devenir membre du club nucléaire mais, dèslors qu'il y aurait un risque
d'êtreintégréau groupe des pays non dotés d'armes nucléaires, qui
accepterait un tel système enignorant totalement quel sera son sort? Et
cela changerait-il quelque chose si les membres du club nucléaire pre-
naient l'engagement - qu'il n'y aurait personne pour faire respecter-

de n'utiliser l'armequ'en cas d'extrême urgence?La réponse à ces ques-
tions ne fait pas le moindre doute. Sur la base des critèresde la légitimité
et de l'équitéu, n tel systèmejuridique serait sûrement voué à l'échec.
Ces analyses philosophiques sont d'une importance capitale lorsqu'il
s'agit de savoir si l'illicéitéde l'emploi des armes considérées estune
norme minimum de tout systèmede droit international fondé soit sur la
raison soit sur l'équité.Que l'on applique l'un ou l'autre de ces critères,
tous deux largement admis par la doctrine juridique moderne, le droit
international ne saurait énoncer,en ce qui concerne les armes nucléaires,
qu'une règle enprohibant l'emploi.
On tend parfois à perdre de vue des considérations essentiellescomme

cellesqui précèdentdans le débatsur la licéité desarmes nucléaires. Elles
sont pourtant décisivess'agissantd'une question qui met enjeu la validité
du droit international tout entier.

2. Les buts de la guerre

La guerre n'est jamais une fin en soi. Elle est un moyen au service
d'une fin. C'est ce qu'a reconnu la déclaration de Saint-Pétersbourg de
1868,évoquée ci-dessus àla section III, paragraphe 3, sur le droit huma-
nitaire, lorsqu'elle a affirméque l'affaiblissement des forces militaires de
l'ennemi estle seul but légitimede la guerre. Sur la base de ce principe, le

droit humanitaire a dégagé une règle,déjàmentionnée,selon laquelle «les
belligérants n'ont pas un droit illimitéquant au choix des moyens de
nuire à l'ennemi)) (article 22 du règlement de La Haye de 1907).
Une étudedu droit de la guerre n'a desens que si elle s'ordonne autour
des buts de la guerre; c'est le seulmoyen de situer dans leur vrai contexte
les restrictions auxquelles la guerre est subordonnée. Onest donc amené à
examiner brièvement la philosophie relative aux buts de la guerre. Il y a
plus de vingt sièclesque la doctrine s'intéressecette question. MENACEOU EMPLOI D'ARMES NUCLÉAIRES (OP.DISS.WEERAMANTRY) 524

J'ai déjàévoqué, à propos des armes hyperdestructrices, la tradition
indienne classique telle qu'elle est expriméedans les deux plus grandes
épopées de l'Inde, le Ramayana et le Mahabharatha. Dans cette tradition,
les armes en question étaient interdites parce que leurs effets dépassaient

les buts de la guerre.
C'est le mêmeesprit qui inspirait Aristote lorsqu'il écrivaitdans le
livreVI1 de la Politique: «La guerre ne doit êtreenvisagéeque comme
un moyen de parvenir à la paix.»'62 On se rappellera qu'Aristote distin-
guait entre les actions qui sont simplement nécessairesou utiles et celles
qui sont bonnes en elles-mêmesL . a paix est bonne et la guerre n'est qu'un
moyen d'y parvenir. Privéede son but - la paix- la guerre serait vide
de sens et inutile. Si l'on applique ce raisonnement dans le contexte
nucléaire,une guerre qui détruit l'autre partie est totalement dépourvue
de sens et d'utilitéet n'a donc aucune justification. Aristote voyait dans

la guerre une suspension temporaire de la normalité faisant place, une
fois la guerre inéluctablement parvenue à son terme, à un nouvel équi-
libre.
La philosophie de l'équilibre despouvoirs qui a dominéla diplomatie
européenne à compter de la paix d'Utrecht en 1713 reposait sur l'idée
non de l'éliminationde l'adversaire, mais de l'instauration d'un équilibre
des pouvoirs viable où le vaincu avait sa place. Mêmela théorieextrême,
défenduepar Clausewitz, selon laquelle la guerre est le prolongement de
la diplomatie présupposait que la nation vaincue continuait d'exister en
tant qu'entitéviable.

La Charte des Nations Unies elle-même reposesur le principe de base
que l'emploi de la force est interdit (sauf dans l'hypothèse, strictement
circonscrite, de la légitime défense)et que le but de la Charte est de pré-
server l'humanitédu fléaude la guerre. La paix entre les adversaires, non
la dévastation totale de l'un d'entre eux, est l'issue que la Charte envi-
sage.
Les armes nucléaires vident cesphilosophies de tout sens. Les échanges
nucléairesde demain, s'ils ont lieu, auront pour théâtre un monde où
aucune nation n'aura le monopole des armes nucléaires. Une guerre

nucléaire ne se réduira pas, comme dans le cas du Japon, au largage
d'une bombe par une seulepuissance. Un échange nucléairesera d'autant
plus inévitableque nous vivons à une époqueoù les armes nucléairessont
programmées pour une riposte instantanée et automatique en cas d'at-
taque nucléaire.
Les nations telles que nous les connaissons ne peuvent pas survivre en
tant qu'entitésviables à une guerre nucléaire.Dans le désert nucléaire,le
spectre qui hantera les vainqueurs (s'il y en a) comme les vaincus sera
celui du désespoir absolu. Nous avons là une méthode de guerre qui

conduit à des résultatsexcessifspar rapport aux buts de la guerre.

162Aristote, Politiversion française baséesur la traduction de John Warrington,
Heron Books, 1934,p. 212.

302 MENACEOU EMPLOI D'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW. EERAMANTRY) 525

3. Le concept de((menacede laforce)) dans la Charte
des Nations Unies

La question poséepar l'Assemblée généralceoncerne l'emploi de la
force et la menace de la force. En principe, I'emploide la force, mêmeau
moyen de l'arme la plus simple, est illicite en vertu de la Charte des
Nations Unies. Il n'y a donc pasà se demander si l'emploi de la force au
moyen d'une arme nucléaire est contraire au droit international. Si
l'emploi d'un simple fusil est prohibé,la question de savoir si une arme

nucléaire estinterdite n'a guère de sens.
La question de la menace de la force au sens de la Charte appelle quel-
ques commentaires. Elle exige un examen de la notion mêmede menace
de la force, telle qu'elle figuredans la Charte.
L'article 2, paragraphe 4, de la Charte interdit les menacàsl'intégrité
territoriale et l'indépendance politique detout Etat. Ainsi qu'il estréaf-
firmédans la déclaration sur les principes du droit international concer-
nant les relations amicales de 1970:

«Pareil recoursà la menace ou à l'emploide la force constitue une
violation du droit internationalet de la Charte desNations Unies etne
doitjamais êtreutilisé comme moyen de règlementdesproblèmesinter-
nationaux.»(Résolution2625(XXV)de l'Assemblée générale.)

Parmi les autres documents qui confirment qu'aux yeux de la commu-
nauté internationale la menace est interdite par le droit international, on
peut citer la déclaration de1965sur l'inadmissibilitéde l'intervention dans
lesaffaires intérieures desEtats et la protection de leur indépendanceet de
leur souveraineté(résolution 2131 (XX) de l'Assemblée générale) e lt
déclarationde 1987sur le renforcement del'efficacitédu principe de l'abs-
tention du recours àla menace ou à I'emploide la force dans les relations
internationales (résolution42/22 de l'Assemblée généralp e,r. 2).
Il està noter que la Charte des Nations Unies ne fait pas de distinction
entre l'emploi de la force et la menace de la force. L'un et l'autre sont
exclus du champ des comportements licites.
De nombreux documentsinternationaux confirment que la menace de
la force est totalement interdite. citera, parmi d'autres, la déclaration
de 1949 sur les éléments essentielsde la paix (résolution 290 (IV) de

l'Assembléegénérale);la déclaration de 1970 sur le renforcement de la
sécuritéinternationale (résolution2734 (XXV) de l'Assembléegénérale);
et la déclaration de1988sur la préventionet l'élimination des différends
et des situations qui peuvent menacer la paix et la sécuriinternationales
et le rôle des Nations Unies dans ce domaine (résolution 43/51 de
l'Assembléegénérale).L'acte final d'Helsinki (1975) enjoint aux Etats
participant de s'abstenir dela menace ou de I'emploide la force. Le pacte
de Bogota (le traitéaméricain surle règlement pacifique des différends)
est plus précisencore puisqu'il exigedes parties contractantes qu'elles
s'abstiennent «de la menace, de I'emploide la force ou de n'importe quel
autre moyen de coercition pour réglerleurs différends ..» Le principe du non-recours à la menace de la force est donc aussi fer-

mement établi quele principe du non-recours à la force et, dans aucune de
ses nombreuses formulations, il n'a fait l'objet d'exceptions.Si donc la
dissuasion est une forme de menace, elle est nécessairementcouverte par
l'interdiction de la menace de la force.
Une analyse plus détailléede la notion de dissuasion figure à la sec-
tion VII, paragraphe 2.

4. L'égalité dansle contexte du droit de la guerre

Il y a, dans l'ordre juridique international actuel, des inégalitésstruc-
turelles mais le fond du droit international - le corpus de normes et de
principes en quoi il consiste - s'applique également à tous. L'égalitéde
l'ensemble des sujetsdedroit dans le cadre d'un mêmeordre juridique est
une condition essentiellede l'intégrité et de la légitimitde cet ordre juri-

dique. La règlevaut pour le groupe de principes qui constituent le corpus
du droit international. Il ne saurait encore y avoir un droit pour les puis-
sants et un droit pour les autres. Une telle formule ne serait acceptable
dans aucun ordre interne; elle ne l'est pas davantage dans l'ordre inter-
national, qui repose sur la notion d'égalité.
Comme l'a dit en 1825lejuge américainJohn Marshall dans une for-
mule célèbre :

«Aucun principe du droit général n'est plus universellement
reconnu que leprincipe de la complèteégalité des nations. La Russie

et Genèveont des droits égaux. » 163

La notion d'égalité fait partie intégrantedu droit de la guerre comme de
toutes les autres composantes de l'ordre juridique international.
Il convient de relever un autre anomalie: si, en vertu du droit interna-
tional coutumier, l'emploide la bombe est licite,il est illogiquede refuser a
cent quatre-vingtsdescentquatre-vingt-cinq Membresdel'organisation des
Nations Unies le droit de simplementpossédercette arme. Le droit in-
ternational coutumiernepeut pas s'appliquerde façon aussiinégale,surtout
étantdonné la positiondes puissances dotées d'armesnucléairesqui pré-

tendent qu'ellesdoivent pouvoir employer la bombe à des finsde légitime
défense.Le droit de légitime défense es l'tun deceuxauxquelslesEtats sont
le plus attachés et l'article1 de la Charte des Nations Unies le reconnaît
comme un droit naturel de tous les Etats Membres des Nations Unies. Il
est impensable que ce droit soit accordé à des degrésvariables aux divers
membresde la famille desnations que représentel'OrganisationdesNations
Unies.

163Affaire de I'Antelope, [1825] Wheaton, p. 122. Voir Vattel: (<Unnain est un être
humain au mêmetitre qu'un géant;une petite république estun Etat souverain au même
titre que le royaume le plus puissant.it des gens, version française baséesur la tra-
duction de Fenwick dans Classics of International Law, S. 18.)

304 Il existe des inégalitésde fait et il continuera d'en exister aussi long-
temps que la communauté internationale sera composée d7Etats souve-
rains qui sont nécessairementinégauxpar leur taille, leur puissance, leur
richesse et leur influence. Mais, au plan conceptuel, il y a une grande dif-
férenceentre la constatation d'une inégalitéde fait et sa transposition en
une inégalitéde droit. C'est précisémencte pas que franchissent ceux, par
exemple, pour qui le silence des protocoles additionnels aux conventions
de Genèvesur l'interdiction de l'emploi desarmes nucléaireséquivaut à
une reconnaissance implicite de la licéitde l'emploi de ces armes par les
puissances dotées d'armesnucléaires. En réalitéc,e que traduit le silence
des protocoles c'est un accord pour ne pas traiter de la question, non un
accord pour reconnaître la licéitéde l'emploi des armes nucléaires. Les

«déclarations» des Etats-Unis et du Royaume-Uni selon lesquelles les
règlesétabliesou lesrèglesnouvelles énoncéed sans le protocole addition-
nel de 1977aux quatre conventions de Genève de 1949ne sont censéesni
régirni interdire l'emploi desarmes nucléaires nemettent pas en question
les principes de base qui existaient avant que ces instruments formels
ne soient adoptés et ne les formule noir sur blanc. Elles ne reposent
sur aucun argument philosophique ou juridique qui ait la moindre prise
sur les principes en question.l est absurde d'attribuer au silence des dis-
positions conventionnelles considéréesune valeur juridique supérieure
à celle des principes en cause.
On peut répondre de la mêmemanière à l'argument suivant lequel les
traitésimposant des interdictions partielles touchant les armes nucléaires
doivent être interprétés comme reconnaissantimplicitement, pour le

moment, la licéité de ces armes.
Cet argument est mal fondé. Trouver des accommodements dans le
cadre d'une situation dont on n'est pas maître n'équivaut ni à accepter
cette situation nià en reconnaître la licéité.De tels accommodements
n'emportent en aucune manière reconnaissance de la légitimitéde la
situation. La Malaisie a fait dans ce contexte une comparaison avec les
programmes d'échangede seringues visant à freiner la propagation des
maladies parmi les toxicomanes. De tels programmes ne peuvent pas être
interprétés commelégalisantl'abus des stupéfiants (observations écrites,
p. 14). Ce qui compte, c'est que, dans la multitude de résolutions et de
déclarations où il est question des armes nucléaires,on n'en trouve pas
une qui autorise l'emploi de ces armes à quelque fin que ce soit.
On ne saurait guère concevoir une règlejuridique qui permettrait à
quelques nations d'employer des armes chimiques et bactériologiques en

étatde légitime défense mais ne conféreraitpas le mêmedroit àd'autres.
Pourtant, c'estde cette logique juridique que procèdela position des pays
qui prétendent avoirle droit d'utiliser les armes nucléaires enétatde légi-
time défense.
Il faut en outre rappeler ici que la sociétéinternationale est par défini-
tion une sociétévolontariste. Il n'est loisiblà aucun de ses éléments
d'imposer aux autres à partir d'une position de force des limitesà leur
libertéd'action. Une telle structure ne peut fonctionner que sur la base del'égalité,faute de quoi «il y a tout lieu de craindre que le droit ne se
réduise à l'expression de la volontédes plus forts»"j4.
Si l'on veut que le droit international conserve l'autorité qu'il doit
avoir pour remplir les multiples fonctions bénéfiquesqui sont les siennes
dans la sociétéinternationale, il faut que chacune de ses composantes
satisfasse au critère de l'égalité.Sans doute certaines inégalitésstructu-
relles ont-elles étéintroduites dans l'ordre constitutionnel international
mais introduire des inégalitésdans le droit substantif, qui régittoutes les

nations sans distinction, est une tout autre question.
Il est a peine besoin de souligner que tout ce qui est dit dans la présente
section repose sur l'idéeque l'emploi des armes nucléairespar quelque
puissance que ce soit et dans quelque circonstance que ce soit est totale-
ment illicite. C'estlà la seule manière dont le principe d'égalité,fonde-
ment du droit international, puisse êtreappliqués'agissant de l'important
problème international que posent les armes nucléaires.

5. Caractèreillogiqued'un régimedualiste en matière

de droit de la guerre
Si l'on admettait que le droit humanitaire ne s'applique pas aux armes
nucléaires,on aboutirait à cette contradiction que le droit de la guerre

s'applique a certaines armes mais non à d'autres, mêmesi les deux caté-
gories d'armes pourraient êtreutiliséessimultanément. Un ensemble de
principes s'appliquerait aux armes nucléaires et un autre au reste des
armes. Si les deux catégories d'armes devaient êtreemployéesdans le
cadre d'une même guerre,le droit des conflits armésne serait plus que
confusion et anarchie.
Le Japon est une nation contre laquelle lesdeux catégories d'armes ont
été employées eitl n'est donc pas étonnant que la doctrine japonaise ait,
semble-t-il, étéla première à soulever ce problème. Le professeur Fajita,
dans un article qui a étéporté à notre attention, a déclaréce qui suit:

((cette scission entre les règlesde la guerre classique et celles de la
guerre nucléairedonnera de curieux résultats que l'on a peine à se
représenter parce que les armes classiques et les armes nucléaires
seront en fin de compte utiliséessimultanément et dans les mêmes
circonstances dans le cadre d'un éventuel conflitarmé» 165.

Un tel systèmedualiste est contraire à tout principejuridique et il n'a
étéavancé aucune raison de fond qui justifierait que les armes nucléaires
soient soustraites au régimejuridique normalement applicable à toutes
les armes. Seules ont été invoquées dersaisons d'opportunité ou des rai-
sons politiques et il n'est pas d'organe judiciaire ou de systèmejuridique

cohérent quipuisse accepter une dichotomie de ce genre.
Il est intéressant de noter à cet égardque même lesnations qui con-

L64Weston, op. cit., p. 254.
'65Kansai University Revieiv of Law and Political Science, 1982,vol. 3, p. 77.

306 MENACE OU EMPLOI D'ARMES NUCLÉAIRES (OP.DISSW . EERAMANTRY) 529

testent l'illicéité dearmes nucléaires entant que telles avertissent leurs
forces arméesdans leurs manuels militaires que les armes nucléairessont
soumises aux normes qui s'appliquent aux autres armes en période de
conflit armé '(j6.

6. Le processus d'élaborationdes décisions
en matière nucléaire

Dans une réflexionsur la licéitéde l'emploi des armes nucléaires, il
faut, étant donnéleur énormepotentiel de destruction a l'échelleplané-
taire, s'interroger sur le processus d'élaboration des décisions relatives a

leur emploi.
La décision d'utiliser lesarmes nucléaires - si décisionil y a - sera
vraisemblablement prise dans des conditions peu propices à des appré-
ciationsjuridiques nuancées puisque, selon toute probabilité, les passions
seront exacerbées,le temps fera défautet les faits seront mal connus. Ce
ne sera doncpas une décisionmûrement pesée,adoptéeaprès une analyse
détailléeet objective de tous les élémentsde fait à prendre en considéra-

tion mais une décision dictéepar l'appréhensionet la pression des événe-
ments. Des questions juridiques exigeant une réflexion approfondie
devront être tranchéesen quelques minutes, peut-êtremêmepar des mili-
taires et non par des juristes alors même qu'ellessont assez complexes
pour avoir retenu l'attention de la Cour pendant des mois. Le sort de
l'humanité ne peut pas raisonnablement dépendre d'une décision prise
dans de telles conditions.
Selon les étudesqui ont été faitessur le processus d'élaboration des

décisionsen matière nucléaire167u, ne crise nucléaire présenteles quatre
particularités suivantes :
1) la nécessitéde prendre des décisions crucialesen très peu de temps;

c'est la une caractéristique essentielle de toutes les situations de crise;
2) l'importance des enjeux et, en particulier, la gravitédu périlencouru
par l'intérêntational;
3) l'extrêmeincertitude engendréepar l'absence de renseignements précis
sur le déroulement des événements,les intentions de l'ennemi, etc.

4) l'intervention de considérations politiques limitant la liberté d'action

des autorités.
Si telles sont les conditions dans lesquelles les dirigeants doivent agir et
s'illeur faut apprécierla licéitéde tel ou tel comportement sans le secours
de directives, le risque d'une utilisation illicite de l'arme est considérable.

16'Voir Conn Nugent, «How a Nuclear War Might Begin)), dans les actes du sixième
congrès mondial de l'Association internationale des médecinspour la préventionde la
guerre nucléaire(IPPNW),op.cit.p. 117. L'arme nucléairedoit àmon avis êtredéclarée illiciteen toutes circons-
tances. Si certaines circonstances en rendent l'emploi licite - ce qui
paraît bien improbable - il faut les préciserpour éviterd'ajouter à la
confusion.

VI. L'ATTITUD EE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE
VIS-À-VI DES ARMES NUCLÉAIRES

S'il paraît utile de consacrer une section a cette question, c'est parce
que, indépendamment du rôle important que jouent des facteurs tels que
la consciencede l'humanitéet lesprincipes généraux de droit reconnus par
les nations civilisées,c'est de la volontédes peuples des Nations Unies
que procèdeledroit desNations Unies; or, aucune question depuis lacréa-
tion de l'organisation n'a suscitédans la communauté de ses membres

un intérêtaussi soutenu et aussi universel. Sans doute l'apartheid
a-t-il étéj,usqu'à une date récente, l'un desgrands problèmesinternatio-
naux sur lesquels se concentrait l'attention, mais il semble bien que
l'inquiétudecauséepar les armes nucléairesait étéplus constante et plus
profonde et l'horreur inspirée par leurs conséquences pluslargement
partagée. La tempête deprotestations provoquée par les armes nu-
cléairesn'a jamais connu de répitet continuera sans doute de faire rage
aussi longtemps que ces armes seront stockéesdans les arsenaux de la
planète.

1. Universalité del'adhésion au butultime
de 1'élimination complète

Les armes nucléairesont suscitédans la société internationale une réac-
tion sans équivoque - ellesconstituent un danger pour la civilisation et
doivent êtreéliminées.La nécessitéde les éliminercomplètement a été
soulignéepar plusieurs résolutions catégoriques del'Assemblée générale,
qui sont mentionnéesdans d'autres parties de la présenteopinion.
La déclarationla plus récente dela communauté internationale surcette

question a eu pour cadre la conférence chargée d'examinelre traitésur la
non-prolifération, tenue en 1995, laquelle a, sous le titre ((Principes et
objectifsdelanon-proliférationet du désarmement nucléaires))misl'accent
sur «les objectifs finals de l'élimination complète des armes nucléaires et
la conclusion d'un traité surle désarmement général ectomplet)). Cette
formule traduit le sentiment unanime de la communauté mondiale et
la volonté clairement exprimée de l'ensembledes nations de faire tout ce
qui est en leur pouvoir pour parvenir a l'élimination complète deces
armes.

Le traité sur la non-prolifération, loin de légitimerla possession des
armes nucléaires, visaità en assurer la liquidation et, en dernière analyse,
l'élimination. Son préambule prescrirait clairemen lt liquidation de tous
les stocks existants et l'éliminationdes armes en cause des arsenauxatio-naux. La faculté decontinuer à posséder des armes nucléairesp ,our autant

qu'ellefût reconnue par le traité, n'étaitpas absolue mais subordonnée à
la condition que soient poursuivies de bonne foi les négociations sur
des mesures efficacesconcernant la cessation au plus tôt de la course aux
armements nucléaires.Cette condition et le traitétout entier traduisaient
l'intention non d'accepter les armes nucléaires mais de les condamner
et de les rejeter. Cela étaitvrai lorsque le traité sur la non-prolifération
est entréen vigueur le 5 mars 1970et l'étaitencore lorsque s'est tenue en

1995la conférence chargée d'examinerle traitéet la question de sa pro-
r~gation'~~.
La conférencede 1995chargéed'examiner letraité sur la non-prolifé-
ration n'a rien révélé de nouveau sur l'universalitéet la force des enga-
gements qui existent en la matière; elle a simplement confirmé des posi-
tions qui ont été exprimées dè ls première résolutiondes Nations Unies
en 1945. On peut donc dire que, depuis la naissance des Nations Unies

et jusqu'à cejour, il existe une volonté unanime d'éliminer lesarmes nu-
cléaires - volontéqui est la conséquencenaturelle de l'horreur que ces
armes et leurs effets destructeurs inspirent à l'humanitétout entière.

2. Rappel des écvasantesmajoritésfavovables

à l'abolition totale

La volonté évoquée ci-dessus, qui ne pourrait s'exprimer plus claire-
ment qu'elle nele fait dans de nombreuses résolutions et déclarationsde
l'Assemblée générale, définit la perspectid vaens laquelle se situe l'examen
de la question du droit applicable.
Il n'est pas contestable que l'immense majorité des Etats est opposée
aux armes nucléaireset cherche à les faire totalement disparaître.
La toute première résolution de l'Assemblée générala edoptée à la

dix-septième séance plénièrel,e 24 janvier 1946, a constitué une com-
mission qui était notamment chargée de présenterdes propositions dé-
terminées en vue((d'éliminer,des armements nationaux, les armes ato-
miques et toutes autres armes importantes permettant des destructions
massives ».
En 1961, à Belgrade, les chefs d'Etat et de gouvernement des pays non
alignésont clairement reconnu la nécessitéd'élaborerun accord global

interdisant tous les essais nucléaires. Lemouvement des pays non alignés,

Au nombre des buts définispar le paragraphe 4 de la décisionno2 sur les ((Principes
férence figurele but suivant présenté comme une obligation desEtats parties intrinsèque-
ment liée la prorogation du traité:

«La volonté desEtats dotés d'armes nucléaires d'aller systématiquement eptro-
gressivement de l'avant afin de réduireles armes nucléairesdans leur ensemble, puis
de les éliminer.Par. 4 c).)
En outre, la conférence du désarmementa étéinvàtconclure les négociationssur un
traitéd'interdiction totale des essais nucléairesau plus tard en 1996(par. 4 a)).qui regroupe cent treize pays d'Asie, d'Afrique, d'Amérique latineet
d'Europe comptant sur leurs territoires non seulement la majeure partie
de la population mondiale mais aussi l'essentiel des ressourcesnaturelles
de la planèteet de sa biodiversité,a Œuvré enfaveur de l'élimination des
armes nucléaireset systématiquementappuyé toute une sériede résolu-

tions169tant au sein de l'Assemblée généraq leue dans d'autres instances
recherchant le même objectif. Lenombre considérabled'Etats qui prô-
nent le non-recours aux armes nucléairestémoigne éloquemmentdu sen-
timent unanime de la communauté mondiale à cet égard.
Les Etats qui se sont présentésdevant la Cour lui ont fait tenir une liste
de résolutions et de déclarations des Nations Unies où est exprimée la
position de l'écrasante majoritédes Etats Membres à l'égard desarmes
en question. Plusieurs de ces résolutionsqualifient I'emploi desarmes nu-
cléairesnon seulement de violation du droit international, mais aussi de
crime contre l'humanité.
Des résolutions sur le non-recours aux armes nucléaires etla pré-
vention de la guerre nucléaireont notamment étéadoptées en 1978par

103voix contre 18, avec 18 abstentions, en 1979par 112voix contre 16,
avec 14abstentions, en 1980par 113voix contre 19,avec 14abstentions
et en 1981par 121voix contre 19, avec 6 abstentions. On peut vraiment
qualifier ces majorités d'écrasantes(voir l'appendiceV aux observations
écritesde la Malaisie).
Lesrésolutions quiprésententl'élimination des armes nucléairescomme
le butà atteindre sont trèsnombreuses. Un Etat (la Malaisie) en a, dans
ses observations écrites,dénombréquarante-neuf, dont plusieurs ont été
adoptées à des majorités comparables et certaines sans aucune opposi-
tion, avec seulement trois ou quatre abstentions. C'est ainsique les réso-
lutions de 1986et de 1987 sur la conclusion d'arrangements internatio-

naux efficacespour garantir les Etatsnon dotésd'armesnucléairescontre
l'emploi ou la menace d'armes nucléairesont étéadoptées,la première
par 149voix contre zéro,avec 4 abstentions, et la deuxièmepar 151voix
contre zéro,avec 3 abstentions. Ces résolutionsoù l'éliminationcomplète
des armes nucléaires est présentéc eomme le but à atteindre témoignent
d'un sentiment unanime qui voit dans les armes nucléairesun danger
pour les intérêts générau dxe la communauté des nations.
Les déclarations del'Assemblée générale o,rgane représentatif princi-
pal de la communautéinternationale, n'ont peut-être pas,en elles-mêmes,
valeur de norme de droit mais lorsque, comme c'est lecas en l'espèce,
elles sont réitéréesi souvent et en termes catégoriqueselles confortent

sensiblement la thèsede l'illicéitde la menace d'emploi ou l'emploi des
armes nucléaires au regard du droit international coutumier. Si l'on
prend en outre en compte d'autres manifestations d'hostilité à l'emploi
ou à la menace d'emploi de ces armes, la thèse gagneencore en autorité.
Quant à savoir si certaines des résolutionsde l'Assemblée généraloent,

'69Voir ci-dessus la note 99. MENACE OU EMPLOID'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISS.WEERAMANTRY) 533

en elles-mêmesv ,aleur de norme de droit, c'estune question qu'il convient
d'examiner avec attention, sans oublier qu'une partie non négligeablede
la doctrine y répond affirmativement I7O.
Bien que ces résolutions aient été principalement parrainéespar le

groupe des pays non alignés,la thèse del'illicéita égalementreçul'appui
de pays extérieurs a ce groupe. Elle a notamment été défendue devant la
Cour par la Suède, Saint-Marin, l'Australie et la Nouvelle-Zélande.
Mêmeau sein des pays qui n'y souscrivent pas, l'opinion est profondé-
ment divisée.Notre attention a par exemple été appelée sur une résolu-
tion du Sénat italien en date du 13juillet 1995 recommandant au gou-
vernement de seprononcer en faveur d'une condamnation par la Cour de
l'emploi des armes nucléaires.
Il convient de rappeler que sur les cent quatre-vingt-cinq Etats
Membres des Nations Unies, il n'y en a que cinq qui disposent d'armes
nucléaireset ont définides politiques où ces armes jouent un rôle. Du

point de vue de la créationde la coutume internationale, la pratique et la
politique de cinq Etats sur cent quatre-vingt-cinq ne semblent pas cons-
tituer une base suffisante pour la naissance d'une coutume, quelle que
puisse êtrel'influence exercéedans le monde par ces cinq Etats. Comme
l'a souligné la Malaisie:
«Si les lois de l'humanité et les exigences de la conscience pu-

blique requièrent l'interdiction de ces armes, les cinq Etats dotés
d'armes nucléaires,si puissants soient-ils,ne peuvent que s'incliner.
(CR 95/27, p. 56.)
Devant une telle convergence d'opinions au niveau étatique, il est dif-
ficile de nier i'existence d'unepiniojuvis contre l'emploi ou la menace
d'emploi des armes nucléaireset il est toutà fait impossible de conclureà

l'existence d'une opiniojuvis en faveur de la licéitéde tel comportement.

3. L'opinion publique mondiale

A côtédes positions officielles,il faut mentionner une opinion publique
mondiale massivement orientée dans le même sens.Des protestations
énergiques contre les armes nucléaires ont étéémisespar des sociétés
savantes, des associations de spécialistes etde membres des professions
libérales,des confessionsreligieuses, des organisations féminines,despar-
tis politiques, des fédérationsd'étudiants,des syndicats, des organisations
non gouvernementales et la quasi-totalité des groupements au sein des-
quels s'exprime une opinion collective.Des centaines de groupements de
ce type existentà travers le monde. Je ne citerai que quelques-uns d'entre
eux pour donner une idéede leur diversité: Association internationale

des médecinspour la prévention de la guerre nucléaire (IPPNW); Cam-

Par exemple Brownlie, Principlesof Public InternationalLaw, 4e éd.,1990,p. 14,
qui décritla résolution 1653(XVI) de 1961sur les armes nucléaireset thermonucléaires
comme une «résolution normative)).pagne médicale contre les armes nucléaires; Association de savants
opposésaux armes nucléaires;Partisans du désarmement nucléaire; Asso-
ciation internationale des juristes opposés aux armes nucléaires
(IALANA); Association internationale des artistes et interprètes fa-
vorables au désarmement nucléaire; Association des spécialistes des
sciences socialesopposés à la guerre nucléaire; Sociétédep sartisans d'un
avenir exempt d'armes nucléaires;Fédérationeuropéenne desopposants

aux armes nucléaires; Fondation pour la paix à l'èrenucléaire; Cam-
pagne en faveur du désarmement nucléaire;Campagne de l'enfancepour
le désarmement nucléaire.On trouve de tels groupements dans tous les
pays et dans tous les secteurs d'activitéet leurs ramifications s'étendent
au monde entier.
J'ai déjàmentionné, au début de la présenteopinion, les millions de
signatures qui sont parvenues à la Cour.

4. Interdictions existantes

Une grande partie de la surface de la Terre ainsi que la totalité de
l'espace situé au-dessus de l'écorce terrestre et au-dessousde la surface

des mers et des océanssont désormais soumises à un régimejuridique qui
interdit jusqu'à la présence d'armes nucléairesP. armi les traités qui ont
conduit à ce résultat figurentle traitéde 1959sur l'Antarctique, le traité
de Tlatelolco de 1967 concernant l'Amériquelatine et les Caraïbes, le
traitéde Rarotonga de 1985relatif au Pacifique Sud et le traitédu Caire
de 1996concernant l'Afrique. A ces instruments s'ajoutent le traité inter-
disant les armes nucléairesdans l'atmosphère etl'espaceextra-atmosphé-
rique et le traité de 1971 interdisant de placer des armes nucléaires et
d'autres armes de destruction massive sur le fond des mers et des océans
ainsi que dans leur sous-sol (voirCR95122, p. 50). La majeure partie de
l'espace où l'activité humainepeut se déployer àla surface de la planète
est donc proclamée zone dénucléarisée - résultat qui n'aurait pu être

atteint s'il n'y avait pas un accord universel sur le danger résultant des
effets incontrôlables de ces armes et sur la nécessitde les éliminertota-
lement.

5. Interdictions partielles

C'est le mêmeaccord universel qui explique les résultats obtenus en
matière d'interdictions partielles et de réduction du niveau des arme-
ments nucléaires. Letraitéd'interdiction partielle des essais nucléaires de
1963qui a interdit les essais nucléairesdans l'atmosphère etle traité sur
la non-prolifération nucléaire de1968 sont particulièrement importants

dans ce domaine. Ces traitésinterdisent non seulement les essaisd'armes
nucléairesdans certaines circonstances, mais contiennent aussi des dis-
positions visant à empêcher la prolifération horizontaledes armes nu-
cléaires enimposant certaines obligations juridiques tant aux Etats dotés
d'armes nucléairesqu'aux Etats non dotésd'armes nucléaires.Le traitégénérald'interdiction des essais qui est en cours de négociations tend à
éliminertous les essais. Les accords START (START 1 et START II)
visent à procéder à des réductionsconsidérables - portant sur environ
deux mille engins par an - dans les arsenaux nucléaires desEtats-Unis
d'Amériqueet de la Fédération deRussie.

6. Quels sont les Etats spécialement concernés?

Sice sont les Etats dotésd'armes nucléairesqui sont lesplus concernés,
leur position hostileà l'illicéirevêt uneimportance particulière, même
s'ils ne représentent qu'une petite fraction (2,7 % environ) du nombre
total (cent quatre-vingt-cinq) des Etats Membres des Nations Unies.
De fait, les Etats dotésd'armes nucléairesont prétendu êtreles Etats
plus spécialement concernés.
S'agissant desarmes nucléaires toutefois,il faut se garder de conclure

hâtivement que ces Etats sont les plus concernés.Sans doute les Etats
dotés d'armesnucléaires possèdent-ilsles armes mais il faut, pour être
réaliste,prendre enconsidérationlespays qui seraient touchéspar l'emploi
de ces armes. Eux aussi doivent êtrerangésau nombre des Etats les plus
concernéscar, en cas d'emploides armes nucléaires,leur territoire et leurs
habitants seraient tout aussi exposésau risque de dommages nucléaires
que ceux des pays dotés d'armesnucléaires.Ce point a d'ailleurs étésou-
lignépar 17Egyptedans son exposé(CR95123, p. 40).
Pour apprécierla valeur de l'argument suivant lequel les Etats dotés
d'armes nucléairessont les Etats les plus spécialement concernési,l serait

utile d'examiner laquestion des essais nucléaires.Supposons qu'une puis-
sance métropolitaine procède à des essais nucléairesdans une colonie
lointaine, mais en s'entourant de précautions si insuffisantes que des
fuites de matières radioactives se produisent. Si les pays victimes de ces
fuites élevaientune protestation fondée sur l'illicéitdes essais, la puis-
sance métropolitaineserait malvenue àprétendrequ'étantpropriétaire de
l'arme elle est 1'Etatle plus concerné.Les Etats victimes seraient de toute
évidenceles Etats les plus touchés. Il en serait de mêmedans le contexte
d'une guerre puisque les rayonnements émispar une bombe explosant
dans l'atmosphèrene pourraient être contenusdans les limites de 1'Etat

visé.Les Etats voisins pourraient très légitimement,et plus légitime-
ment que 1'Etatpropriétaire dela bombe, prétendre être les Etats les plus
concernés.
Et il faudrait aussi compter avec les protestations de 1'Etat sur le ter-
ritoire duquel l'explosion aurait eu lieu. Ce point mérite d'être souligné
étant donnéque, sur les dizaines de guerres que le monde a connues
depuis 1945, pratiquement aucune ne s'est dérouléesur le sol de l'une
quelconque des puissances dotées d'armesnucléaires. C'est là un fait à
garder en mémoirelorsqu'on cherche à déterminer quelssont les Etats les

plus concernés.
Il serait plus juste de dire qu'aucun groupe de nations - qu'il soitou
non dotéd'armes nucléaires - ne peut soutenir que ce sont ses intérêts MENACE OU EMPLOID'ARMES NUCLÉAIRES (OP.DISSWEERAMANTR5 Y3)6

qui sont le plus spécialementen cause. Toutes les nations du monde sont
spécialement concernéespar les armes nucléairescar ce sont des pro-
blèmesde survie qui sont en jeu et la survie est une préoccupation uni-
verselle.

7. Les Etats ont-ils, en devenantpartiesà des traitésrégionaux,
reconnu la licéité deasrmes nucléaires?

LesEtats-Unis d'Amérique,leRoyaume-Uni etla France ont, dans leurs
exposésécrits, soutenu qu'en signantun traitérégional commele traitéde
Tlatelolco quia interdit l'emploidesarmes nucléairesen Amérique latine et
dans les Caraïbes, les Etats signataires ont implicitement reconnu qu'iln'y
a pas d'interdiction généralee l'emploides armes nucléaires.
Si les Etats signataires d'un tel traités'emploieàétabliret à conso-
lider un régimede non-prolifération dans leurs régions respectives,ce
n'est pas parce qu'ils ne reconnaissent pas l'illicéité générale daersmes
nucléaires,mais parce que les Etats pronucléairesne l'admettent pas.
La position des Etats de la régionressort très clairement du vote qu'ils
ont émislors de l'adoption de nombreuses résolutions de l'Assemblée
générale, plusieursd'entre eux, par exemple le Costa Rica, appuyant des

textes qui qualifient l'emploi desarmes nucléairesde crime contre l'huma-
nité,de violation de la Charte des Nations Unies etiou de violation du
droit international.
Le traitélui-même esttrès révélateur de l'attitude des Etats parties vis-
à-vis de l'arme puisqu'il y voit «une atteinte à l'intégritéde l'espèce
humaine »et lui reconnaît lepouvoir «de rendre finalement toute la Terre
inhabitable ».

VII. QUELQUE ASPECTS PARTICULIERS

1. Le traitésur la non-prolifération

On a soutenu que le traité sur lanon-proliférationadmet implicitement
la licéité desarmes nucléairespuisque tous les Etats parties acceptent
sans objection que les puissances dotées d'armes nucléaires puissent

posséder de telles armes. Comme on va le voir, cet argument est très
contestable:
i) Ainsi qu'il a déjà étésouligné,le traité sur la non-prolifération ne
porte pas sur la question de l'emploi ou de la menace d'emploi des
armes nucléaires.Aucune de ses dispositions ne reconnaît un droit

d'utiliser ces armes ou de menacer d'y avoir recours.
ii) Le traitéa été concludans le contexte de ce qu'on pourrait appeler
une ((situation de liquidation)). La communauté mondiale devait
compter avec l'existenced'une multiplicitéd'armes nucléaireset avec
le risque de proliférationde ces armes. Son objectif immédiat était de
liquider les stocks existants. Comme certains Etats l'ont fait valoir devant la Cour dans leurs
exposés,il est de fait qu'au moment où le traitéa étéélaboréla com-
munautémondiale - qu'elle soit ou non favorable à une telle situa-
tion - comptait un petit nombre d'Etats dotésd'armes nucléaireset
un grand nombre d'Etats non dotés d'armesnucléaires.La réalité
était queles Etats dotésd'armes nucléairesn'étaientpas disposés à
renoncer aux armes en question, que la prolifération était sérieuse-

ment à redouter et que tout devait être faitpour l'enrayer sans pour
autant perdre de vue que le but ultime était d'éliminer lesarmes
nucléaires.
iii) Comme on l'a déjàsouligné, s'inclinerdevant une réalitéinéluctable
n'équivaut pas à l'accepter, pas plus qu'accepter une situation
fâcheuse dont on n'est pas maître n'équivaut ày consentir.

iv) Dans la situation de liquidation évoquée plus haut, rien ne permet de
penser que, dans l'intention des rédacteurs du traité, le droit de
posséderl'arme étaitcenséenglober celui de l'utiliser ou de menacer
de l'utiliser. Le droiàla possession de l'arme, à supposer qu'il avait

alors existé,était un droit temporaire et conditionnel destiné dispa-
raître une fois les stocks complètement éliminés.
v) Dans son préambule,le traitéindique clairement qu'il a pour objec-
tif:
«la cessation de la fabrication d'armes nucléaires,la liquidation de

tous les stocks existantsdesdites armes, et l'élimination desarmes
nucléaires etde leurs vecteurs des arsenaux nationaux ..»

Ce préambule qui,il convient de le noter, constitue l'expression de
l'opinion unanime de tous les Etats parties, dotés ou non dotés

d'armes nucléaires,décrit l'utilisatioà la guerre des armes nucléaires
comme étantde nature à faire subir des dévastations«à l'humanité
entière».
Tout cela indique bien que, loin de reconnaître la licéité dearmes
nucléaires,le traité traduisait en fait un effort concerté dela commu-
nauté internationale pour réduire progressivement les stocks exis-
tants et parvenir finalement à leur élimination complète.Une telle
unanimité quant à la nécessité d'éliminer leasrmes nucléaireset de
conjuguer les effortsà cette fin contredit l'idéed'une reconnaissance,
par la communautémondiale, de la licéité du maintien de l'arme dans
les arsenaux des puissances dotéesd'armes nucléaires.

vi) En admettant mêmeque la possession de l'arme soit légitimée par le
traité, il ne peut s'agir de rien d'autre que de la possession et, par
surcroît, d'une légitimation temporaire. C'està cela tout au plus, vu
l'objet et les termes du traité, que les signataires ont consen-i et,
ce, en échangede la promesse que les puissances dotées d'armes
nucléairesne ménageraient aucun effort pour éliminer cesarmes,
dont tous les signataires ont reconnu qu'ellesétaientsi inacceptables qu'ellesdevaient êtreéliminéesI.l n'ya pas eu là reconnaissance d'un
droit mais reconnaissance d'unfait dont la licéité n'a pas été admise
car, si elle l'avait été,n n'aurait pas exigéde toutes les puissances
dotées d'armes nucléairesqu'elles s'emploient de bonne foi par tous

les moyens à éliminerces armes, dont le caractère inacceptable est le
principe de base qui a inspiréle traitétout entier.

2. Dissuasion

J'ai évoqué brièvement la question de la dissuasion à propos du traité
sur la non-prolifération. Mais il y a lieu de l'aborder sous d'autres aspects
car la dissuasion touche à la menace d'emploi des armes nucléaires -
l'un des points sur lesquels l'avis de la Cour a été sollicité.

i) Qu'entend-onpar dissuasion ?

On peut dire, essentiellement, que 17Etatqui recourt à la dissuasion
avertit le reste du monde de son intention d'utiliser l'arme nucléaire
contre n'importe quel Etat dans l'hypothèse où il ferait l'objet d'une
agression. Le concept doit êtreexaminé plusen détail.

ii)La dissuasion - contre quel acte est-elle dirigée?

Il y a dissuasion, au sens que revêtce terme dans le contexte des armes
nucléaires, lorsqu'unEtat cherche à en dissuader un autre de commettre

un acte de guerre - non d'adopter un comportement qu'il réprouve171.
Ce qui està craindre, dès lorsqu'un Etat possèdedes armes nucléaires
à des fins de dissuasion, c'est que cette distinction soit perdue de vue et
que la puissance que confère l'arme nucléaire soitutiliséepour découra-
ger un autre Etat d'adopter un comportement jugé indésirable.L'argu-
ment vaut naturellement pour tous les types d'armement, mais s'applique
à fortiori aux armes nucléaires. Commele soulignePolanyi, la dissuasion
a cette caractéristique particulièrement inquiétante qu'on peut,au lieu de

la cantonner à son objectif propre - prévenirlerecours à la guerre -, en
faire un moyen d'empêcherlescomportements auxquels on est opposé '72.
L'idéea été émise,par exemple, que la dissuasion peut servir à protéger
les ((intérêtsvitaux».En quoi consistent les intérêts vitaux et qulies défi-
nit? Peut-il s'agir d'intérêts strictement commerciaux?Et ces intérêts
commerciaux peuvent-ils se situer dans un Etat voisin ou sur un autre
continent?
On évoque égalementdans ce contexte la défensedes ((intérêtsstraté-

giques». Certains exposésse réfèrent aussi à la dissuasion dite ((infrastra-
tégique))consistant pour une nation à donner un ((coup de semonce»
de faible puissance lorsque ses intérêts vitauxsont menacés (voir par

IÏ1John Polanyi, Lawyers and the Nuclear Debate, op. cit., p. 19.
IÏ2Ibid. MENACE OU EMPLOI D'ARMES NUCLÉAIRES (OP.DISSW . EERAMANTRY) 539

exemple l'exposéde la Malaisie, CR95127, p. 53). La présente opinion
n'aborde pascesformes de dissuasion et netraite que de la dissuasion uti-

liséeà des fins de légitime défense enriposteà un acte de guerre.

iii) Les degrés dela dissuasion

La dissuasion peut se situer à divers niveaux allant de la dissuasion
maximale à une stratégie dedissuasion minimale ou quasi minimale173.
La dissuasion nucléaire minimalea étédécrite commeétant:

«une stratégie nucléaire consistantpour une ou plusieurs nations à
maintenir le nombre minimum d'armes nucléaires nécessairepour
faire subirà l'adversaire desdommages inacceptables dans la phase
postérieure à celle d'une attaque nucléaire»174.

Le principe de dissuasion repose sur la menace de représaillesmassives et,
comme l'a dit le professeur Brownlie:

«La mise en Œuvrede ce principe conduirait àune disproportion
entre la menace effectiveet la riposte. Une réactiondisproportionnée
ne répond pas àla définitionde la légitimedéfenseautoriséepar l'Ar-
ticle 51 de la Charte des Nations Unies.»175

Pour citer le mêmeauteur «les armes nucléaires dissuasivesont la détes-
table fonction d'infliger des représaillesimplacable- ce sont des instru-
ments de terreur plutôt que des armes de guerre»176.
Pour déterminer, commela question posée invite à le faire, si l'utilisa-
tion des armes nucléaires est liciteen toute circonstance, on doit s'inter-
roger sur la dissuasion minimale.

iv) La dissuasionminimale

La dissuasion, même minimale,a ceci d'inquiétant qu'un acte consi-
dérécomme défensifpar l'une desparties peut fort bien être perçupar
l'autre comme une menace. Telle est l'explication classiquede la course
aux armements telle que nous la connaissons et elle vaut pour tous les
types d'armes. Dans le cas des armes nucléaires, c'estune course aux
armements nucléairesqui est déclenchées,uscitant toute une sériede pro-

blèmesjuridiques. Par conséquent,même à son niveau minimal, la dis-
suasion entraîne une contre-dissuasion et amorce une spirale sans fin
d'essais nucléaireset de tensions, la conclusion étant que les objections
juridiques à la dissuasion s'appliquent aussià la dissuasion minimale.

'73R. C. Karp (dir. publ.), Security Without Nuclear Weapons? Different Perspectives
on Non-Nuclear Security, 1992,p. 251.
174Zbid., p. 250. L'auteur cite Hollins, Powers and Sommer, The Conquest of War:
Alternative Strategies for Global Security, 1989,p. 54-55.
175«Some Legal Aspects of the Use of Nuclear Weapons)), op. cit., p. 446-447.
176Zbid.,p. 445.v) Le problème dela crédibilité

La dissuasion n'est efficaceque si les autres parties sont convaincues
qu'il existe une réelleintention d'utiliser lesarmes contre elles au cas où
elles lanceraient une attaque. Une telle intention ne se communique pas
par un simple bluff car il est difficilede faire admettre la réalitéd'inten-
tions qui ne le sont pas. La dissuasion requiert donc une authentique
intention1''; d'utiliser lesarmes considérées. Ellen'atteint son but que si
ellequitte le monde des faux-semblants pour entrer dans le domaine de la

menace militaire sérieuse.
La dissuasion soulèvedonc la question de savoir non seulement si la
menace d'emoloi des armes en auestion est licite mais aussi celle de sa-
voir si leuremploi est licite. Comme elle a pour prémissela destruction
assuréede l'ennemi, elle va au-delà de ce qui est requis pour atteindre
les objectifs de la guerre. Au surplus, on ne peut guère s'attendre qu'il
y ait place, dans le cadre d'une riposte quasi instantanée à une attaque
armée,pour des choix subtils privilégiant lesmissiles nucléairesstraté-
giques appropriés et les armes ((propres)) qui causent un minimum de
dommages.

vi) La dqférenceentre dissuasion et possession

La dissuasion va plus loin que la possession. Elle ne se réduit pas au
simple stockage d'armes dans un arsenal. Elle signifieque les armes sont
prêtes à êtreeffectivement utilisées, qu'ellessont assemblées en vued'un
emploi immédiat, queles systèmesde commandement et de contrôle sont
programmés en conséquence,que les armes sont fixéessur les vecteurs,
que le personnel est prêt nuitet jour à entrer en action quasi instantané-
ment. Il y a manifestement une très grande différenceentre des armes
stockéesdans un entrepôt et des armes prêtes à servir. La simple posses-
sion et la dissuasion se différencientdonc nettement l'une de l'autre.

vii)Le problème juridique del'intention

Pour les raisons déjàesquissées,le recours à la dissuasion ne consiste
pas à stocker des armes pour susciter la terreur mais à stocker des armes
avec l'intention de les utiliser. Si cette intention existe, elleemporte toutes
les conséquences que le droit, tant interne qu'international, attache à
l'intention. Il y a intention de causer des dommages ou des ravages cor-
rélatifs.L'intention de causer les dommages ou des dévastations qui lais-
sent l'ennemi totalement anéantiou le raye purement et simplement de la

177Pour une analyse plus approfondie de la notion d'intention dans ce contexte, voir
Just War, Nonviolence and Nuclear Deterrence, D. L. Cady et R. Werner (dir. publ.),
1991,p. 193-205.carte va manifestement au-delà des buts de la guerre'7x. C'est elle qui
fournit l'élément psychologique implicite dans la notion de menace.
Toutefois, une intention secrète de commettre un acte dommageable
ou criminel n'emporte pas de conséquencesjuridiques tant qu'elle ne se
traduit pas par des actes. Une intention n'est donc pas illicite si elle reste
inavouée mais,dèslors qu'elleest expriméesoit ouvertement soit indirec-
tement, elle devient une infraction pénalequi consiste dans la menace de

commettre tel ou tel acte illicite.

La dissuasion est par définitionle contraire d'une intention secrète
d'utiliser les armes nucléaires. Elle suppose nécessairement qu'explici-
tement ou implicitement l'intention effective d'employer les armes nu-
cléaires estcommuniquée au monde extérieur. Elle n'est donc rien de
moins qu'une menace d'utilisation de ces armes. Si un acte est illicite, la

menace de commettre cet acte l'est aussi, surtout si elle est publiquement
exprimée.

viii) La tentation d'utiliser les armes tenuesen réserve à des$ns de dis-
suasion

On doit aussi compter, dans le présent contexte, avecla tentation d'uti-

liser les armes tenues en réserve à des fins de dissuasion. L'attention de la
Cour a été appelés eur les nombreux cas où est apparu un risque d'une
utilisation des armes nucléaires,dont la crise des missiles à Cuba offre
probablement l'exemple le plus célèbre.On nous a signalé une étude
baséesur les archives du Pentagone qui mentionne de nombreux cas sur-
venus entre 1946et 1980où la possibilité d'utiliser des armes nucléairesa
étéenvisagée 179.

ix) La dissuasion et l'égalité souveraine

Ce point a déjà été évoqué Si. l'on veut que la légitimedéfense soit
régiepar le principe de l'égalitéi,l faut que le droit d'user d'une arme
particulièreen étatde légitimedéfenseappartienne à toutes lesnations ou
n'appartienne à aucune. La première option n'est pas concevable et la

deuxième estdonc la seule possible.
Le parallèle, fait plus haut, avec les armes chimiques et bactériolo-
giques permet de mesurer combien toute autre solution serait anormale

17*Pour lesconnotations philosophiques de la dissuasion, edu point de vue du
droit naturel, voir Cady et Werner, op. cit., p. 207-219.Voir aussi John Finnis, Joseph
Boyle et Germain Grisez, Nuclear Deterrence, Mornlity and Realism, 1987. Parmi les
auteurs qui défendent essentiellementla même t,n peut citer Anthony Kenny, The
Logic of Detevrence,85,et The Ivory Tower, 1985; Roger Ruston, Nuclear Deterrence
trine~, dans Blake et Pole (dir. publ.), Objections to Nuclear Defense, 1984.c-
179Michio Kaku et Daniel Axelrod, To Win a Nucleav War, 1987, p. 5; CR95127,
p. 48. MENACEOU EMPLOID'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW. EERAMANTRY) 542

étant donné que les règles du droit international doivent s'appliquer
uniformément à l'ensemble de la communauté internationale. Il n'a pas
été expliqué pourquoi les armes nucléaires seraient soumisesà un régime
particulier.

x) Incompatibilité de la dissuasion avec les principes énoncés dans la
déclarationde Saint-Pétersbourg
Comme on l'a déjà souligné, ladéclarationde Saint-Pétersbourg,qui a

été entériné par de nombreux autres documents ultérieurs (voir ci-dessus
la section III, paragraphe 3), a indiqué que l'affaiblissementdes forces
militaires de l'adversaire est le seul but légitimeque les Etats doivent
chercher à atteindre durant une guerre (sur ce point, voir ci-dessusla sec-
tion V, paragraphe 2). La doctrine de la dissuasion a des objectifs qui
vont beaucoup plus loin - destruction des principales zones urbaines
et agglomérations et même((destruction mutuelle assurée)). Pendant
la guerre froide, notamment, des missiles étaient, en application de
cette doctrine, constamment en état d'alerte et pointés sur de nom-
breuses grandes villesdes puissances adverses. De telles actions sont bien
éloignées desprincipes solennellement acceptés à Saint-Pétersbourg et
maintes fois confirméspar la communauté internationale.

3. Représailles

La Cour n'a pas dit dans son avis si le principe des représailles est
acceptépar le droit international moderne. Je regrette qu'elle n'ait pas
saisicetteoccasion pour confirmer que ledroitinternationald'aujourd'hui
n'admet les représaillesni en temps de paix ni en temps de guerre.

Je tiens, pour ma part, à souligner que la licéitdu recours aux repré-
saillesne me paraît pas êtreune doctrine admise par ledroit international
contemporain.
La notion de représaillesfournit-elle la based'une exception possibleà
la règle selonlaquelle la riposte à une attaque est, comme toute autre
action militaire, soumise au droit de la guerre?
La déclaration relativeaux principes du droit international touchant

les relations amicales et la coopération entre les Etats (résolution2625
(XXV) de 1970)affirmecatégoriquement que:«Les Etats ont le devoir de
s'abstenir d'actes de représailles impliquant l'emploi de la force.
Le professeur Bowett énonce ce principe avec beaucoup de fermeté,
lorsqu'il déclare
«Rares sont les arguments concernant le droit international qui

bénéficientd'un appui aussi vigoureux que celui selon lequel, en
vertu de la Charte des Nations Unies, l'emploi de la forceà titre de
représailles est illicite. Certes, la Charte ne fait pas mention de
«représailles» ni de «rétorsion», mais cette thèse est généralement
considéréepar la doctrine et par le Conseil de sécurité comme un corollaire logique et nécessairede l'interdiction du recours à la force
énoncéeau paragraphe 4 de l'article 2, de l'obligation de réglerles

différendspar des moyens pacifiques prévueau paragraphe 3 de
l'article 2 et de la restriction au seul cas de la légitime défensedu
droit de recourir à la force.»180

Cettte position est inattaquable, mais il faut en outre rappeler que les
armes nucléairesposent des problèmes particuliers en raison de l'ampleur
des destructions qui en sont nécessairementla conséquence. De toute
manière, une doctrine élaboréepour des scénariosde guerre entièrement
différentsne saurait être appliquée aux armes nucléairessans que certains
de ses aspects ne soient réexaminés.
Le professeur Brownlie évoque cette questiondans les termes suivants:

«Il ne serait guèrelégitimed'étendreune doctrine conçue en fonc-
tion des caractéristiques particulièresdu théâtre d'opérationsde la
guerre traditionnelle à un échangede potentiel militaire qui, dans le
cas des emplois stratégiqueset dissuasifs des armes nucléaires,équi-
vaut à tout l'effort de guerre et au but essentiel de la guerre.>P1

Ces solides objections juridiques à la reconnaissance d'un droit de
représaillesacquièrent plus de force encore si l'on tient compte de deux
autres facteurs: le comportement de 1'Etatauteur des représailles et celui

de 1'Etatcontre lequel de telles représaillessont exercées.
L'Etat auteur des représaillesdoit faire preuve de mesure car il ne peut
légitimement chercher à atteindre un autre objectif que celui qui a été
rappeléplus haut. Si tentéqu'il soit, sous l'effet de la colèreou pour se
venger, de déchaînertoute la puissance nucléairedont il dispose, il doit
strictement contrôler sa réaction. A cet égard, il convient de rappeler
l'observation d'oppenheim qui, après avoir passé en revuetoute une série
d'exempleshistoriques, conclut:

«les représailles,au lieu d'êtreun moyen de faire respecter les règles
du combat, peuvent aisémentfournir l'occasion de commettre cyni-
quement des violations systématiques de ces règlesqui constituent
l'essence même du droit de la guerre»'82.

Les exemples historiques que cite Oppenheim se rapportent notam-
ment aux indicibles atrocités, prétendumentjustifiables sur la base de la
théoriedes représailles,qui ont étécommises pendant la guerre franco-
allemande, la guerre des Boers, la première etla seconde guerre mon-

dialelX3.Ces exemples révèlentla cruauté, le cynisme et l'outrance dans

International Law, 1972,vol. 66, p. 1, citédans Weston, Falk, D'Amato, International
Law and World Order, 1980,p. 910.
lS1«Some Legal Aspects of the Use of Nuclear Weapons)), op. cit., p. 445.
'" Op. cit., vol. II, p. 565.
l" Ibid., p. 563-565. MENACE OU EMPLOI D'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW. EERAMANTRY) 544

l'emploi de la force que le droit de la guerre a précisémentpour but
d'empêcher.Les séquellesdu droit de représailles qui pourraient avoir
survécuau développementdu droit de la guerre disparaissent avec l'arme
nucléaireen raison de sa nature même, telle qu'elle esd técritedans la pré-

sente opinion.
L'histoire nous enseigne que 1'Etatauteur des représaillesusera dans la
pratique de son ((droit de représailles)- si tant est qu'il exis-e en ne
tenant absolument aucun compte de l'objet et des limites de ce droit, qui
ne devrait êtreexercéque pour assurer le respect du droit de la guerre.
Quant à 1'Etatvictime des représailles- qui a initialement enfreint le
droit de la guerre - il ne sera que plus tentéde déchaînertoute la puis-
sance de l'arsenal nucléairedont il dispose pour riposter aux représailles
- ;imoins bien sûr d'être déjà totalementhors de combat.

Dans ces conditions, inviter la Cour à sanctionner la légitimitédu
recours a des représaillesnucléairesen cas d'attaque nucléaire reviendrait
à l'inviterà sanctionner un principe qui ouvre la voie à l'arbitraire età
l'outrance dans l'utilisation des armes nucléaires.
Si tant est que la doctrine des représaillespuisse sejustifier, ce ne peut
être quecomme un moyen de faire respecter le droit de la guerre. Comme
les représaillesne peuvent manifestement pas atteindre ce but dans le cas

des armes nucléaires,le seul motif qui justifierait une telle exception dis-
paraît. Cessante ratione legis, cessat @salex.

4. Conflits internes

La question posée à la Cour concerne l'emploi des armes nucléairesen
toute circonstance. La Cour a préciséqu'elle ne formulait aucune
observation sur ce point. Je suis d'avis que l'emploi de cette arme est

interdit en toutes circonstances.
Les règles d'humanité qui interdisent l'emploi de l'arme en question
dans les guerres à l'extérieur ne commencent pas à s'appliquer une fois les
frontières nationales franchies. Elles s'appliquent aussi sur le plan interne.
L'article3 commun aux quatre conventions de Genève s'applique à
tous les conflits armésde caractère non international qui ont pour cadre
le territoire d'une partiea la convention. Le protocole additionnel II de
1977concernant les conflits internes s'inspire de la clause de Martens et

se réfèreaux ((principes d'humanité et aux exigences de la conscience
publique ».
Le droit international ne fait donc pas de différence,en principe, entre
les populations à l'intérieuret à l'extérieurdes frontières.
Au surplus, si des armes nucléaires sont utiliséespar un Etat sur son
territoire,.leurs effets ne pourront, comme le prouve clairement l'analyse
qui précède, être cantonnés au territoire national.Ils se feront sentir bien
à l'extérieurdu territoire d'un Etat, comme en témoigne la catastrophe de

Tchernobyl. 5. La doctrine de la nécessité

La doctrine de la nécessité renferme-t-elleun principe qui pourrait
autoriser l'emploi desarmes nucléaires enriposte à un acte de guerre illé-
gitime?
Le principe de nécessitéa quelques partisans dans la doctrine relati-

vement ancienne et notamment dans l'écoleallemande lx4,qui l'a résu-
méedans l'adage allemand «Kriegsraeson geht vor Kriegsmanier» (cles
nécessitésde la guerre l'emportent sur la manière de faire la guerre»).
Mais certains auteurs allemands n'y souscrivent pas et, d'une manière
généralel,es auteurs anglais, français, italiens et américainsne la soutien-
nent pas IsS.

Selon cette doctrine, le droit de la guerre cessed'avoir force obligatoire
lorsque cen'estqu'en ycontrevenant qu'il est possiblede parer à l'extrême
danger résultant de l'acte illégitimeinitial.
Mais la naissance de ce principe remonte à une époque où il y avait
non pas de droit de la guerre, mais plutôt des usages de la guerre qui
n'avaient pas encore été consacrésdans des règlesjuridiques acceptées

par la communauté internationale comme ayant force obligatoire.
Les progrès accomplis dans la reconnaissance de la force obligatoire de
ces principes depuis la convention de Genève de 1864ne permet plus de
soutenir que leur applicabilité dépenddu bon vouloir et de l'appréciation
unilatéraledesparties. Dès avant la premièreguerremondiale, des auteurs
faisant autorité, comme Westlake, ont vigoureusement contesté la doc-

trine de la nécessitélS6 qui, avec la mise au point, durant la première
guerre mondiale, de nouveaux moyens de destruction àgrand rayon d'ac-
tion - en particulier les sous-marins et les aéronefs -, s'est révélédee
plus en plus dangereuse et inapplicable. En raison de l'apparition, pen-
dant la seconde guerre mondiale, des moyens de destruction massive,
cette doctrine est encore plus tombée en désuétude.

Les décisions destribunaux qui ont eu à connaître de crimes de guerre
durant cette période témoignent de l'effondrement de cette doctrine - à
supposer qu'elleait jamais étéadmise. L'affaire du Peleus lS7,relative àla
guerre sous-marine, jugéepar un tribunal militaire britannique; l'affaire
MilchlSX,jugée par le Tribunal militaire des Etats-Unis d'Amérique à
Nuremberg; et l'affaire KrupplS9,où le tribunal a examinéla question de

la nécessité économique grave, sont autant d'affaires où la doctrine de la
nécessitéa étécatégoriquement rejetéepar les tribunaux lgO.

Voir la liste des auteurs allemands citéspar Oppenheim, op. cit., vol. II, p. 231,
note 6.
Is5Zbid.,p. 232.
Is6Westlake, International La2'éd.,1910-1913,p. 126-128; The Collected Papers of
John Westlake on Public International Law, éd.L. Oppenheim, 1914,p. 243.
lS8War Crimes Trials, 1948,7, p. 44, 65.
lS9Zbid., 1949, 10,p. 138.
I9OVoir, sur ces affaires, Oppenheim, op. cit., p. 232-233. MENACEOU EMPLOI D'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW. EERAMANTR5 4)6

Cette doctrine débouchesur la revanche, la dévastation à outrance et
même,dans le contexte des armes nucléaires,le génocide.Dans la mesure

où elletend à supplanter lesprincipes du droit de la guerre, ellen'a pas sa
place dans le droit international moderne.
Comme l'écrit unauteur américain :

«y a-t-il une nécessitémilitaire qui obligeà réduire en cendres la
population de villes entièresà dévasterle territoire de pays neutres
proches et lointains età ravager le milieu naturel pour des généra-
tions ...? .Dans l'affirmative, nous assistonsà la fin des principes

de Nuremberg, au triomphe de la Kriegsraison, au rejet virtuel
de toutes les règles humanitaires des conflits armés ...La notion
mêmede «proportionnalité» disparaît et nous ne sommes pas loin
d'absoudre le crime de génocide perpétrésous la forme d'une
campagne militaire faite plus pour exterminer l'ennemi que pour
gagner une bataille ou une guerre.»lgl

6. Armes nucléaires à effets limitésou tactiques
ou du champ de bataille

On a déjà évoqué l'argument des tenants de la licéitéde l'emploi
des armes nucléaires selon lequelil est possible de minimiser les dangers
inhérents à ces armes en recourant à des armes «de faible puissance)),
«propres »,«à effetsréduits»ou ((tactiques».Ce point a desconséquences
importantes en ce qui concerne la question juridique soumiseà la Cour et

il faut donc étudieren détail l'argument selonlequel les armes à effets
limités priveraient de fondement les objections reposant sur le caractère
destructeur des armes nucléaires.
On examinera ci-après quelques-uns des facteurs à prendre en considé-
ration à cet égard:

i) Rien dans les éléments quiont été soumis àla Cour ne prouve qu'il
existe une arme nucléairequi n'émettepas de rayonnements, n'ait

pas d'effets délétères sur l'environnemene tt ne comporte pas de
conséquences nuisibles à la santé de la génération actuelle etde
cellesqui la suivront. S'ilexiste une arme nucléairequi ne présente
pas les caractéristiques très particulières évoquéespluhsaut dans la
présente opinion,on peut se demander pourquoi une arme classique
ne serait pas utiliséepour atteindre les buts recherchéspar l'emploi
des armes nucléaires.Nous ne pouvons raisonner que sur la base de
ce que nous savons des armes nucléaires.

I9lBurns H. Weston, ((Nuclear Weapons versus International Law: A Contextual
Reassessment)), McGLaw Journal, 1983,vol. 28, p. 578. MENACEOU EMPLOI D'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW . EERAMANTR5 Y4)7

ii) L'utilité pratique des armes nucléaires de faible puissance a été
contestée par les plus hautes autorités du monde militaire192et
scientifique193.
iii) On a souligné à propos de la légitimedéfense (voir ci-dessusla sec-
tionIV) combien il est difficile sur le plan politique, ainsi que l'ont
reconnu deux anciens secrétaires d'Etat des Etats-Unis d'Amérique,
Robert McNamara et Henry Kissinger, de maintenir la contre-

attaque dans les limites de ce qu'on a appeléune riposte restreinte
ou minimale. L'idéequ'on pourrait arrêterl'escalade ne paraît pas
réalistedans le contexte d'une attaque nucléaire.
iv) Mêmeen employant des armes nucléaires «de faible puissance)),
((tactiques)) ou «de combat)), on franchit le seuil nucléaire.L'Etat
qui serait la cible d'une telle riposte nucléaire ne saurait pas qu'il
est en présenced'une riposte restreinte ou tactique faisant appel à

une arme de faible puissance et on ne peut pas raisonnablement s'at-
tendre que sa contre-riposte soit de mêmenature, c'est-à-dire qu'il
utilise aussi une arme de faible puissance. La voie serait ainsi
ouverte et le seuil serait franchi pour une guerre nucléairetotale.
L'hypothèse que nous envisageons ici est celle d'une attaque
nucléaire suivie d'une riposte nucléaire restreinte. Comme on l'a
déjàvu :

a) compter sur une ((ripostecontrôlée)) n'est guèreréaliste;
b) attendre de la puissance nucléaire auteur de l'attaque initiale
une ((contre-riposte contrôlée)) à la ((riposte contrôlée)) est

encore moins réaliste.
Dans ces conditions, l'hypothèse considérée estcelle d'une guerre
nucléairetotale, d'où il résulteque l'utilisation d'armes nucléaires

dans le cadre d'une riposte contrôléeest illicite.
L'idéeque 1'Etat cible renoncerait volontairement à utiliser tout
son potentiel nucléaire est, comme je l'ai soulignéci-dessus, dans
la présenteopinion, à la fois fantaisiste et spéculative. Faire reposer
l'avenir de l'humanité sur une telle spéculation paraît bien hasar-
deux.
v) Comme l'a souligné l'undes Etats qui se sont présentés devantla
Cour :

((Essayerde démontrerquel'emploi d'uneseulearme nucléaire
n'estpas nécessairementincompatible aveclesprincipes d'huma-

'92GénéralColin Powell, A Soldier's Way, 1995,p. 324:

((Siminimesque soientces chargesnucléaires,nous franchirionsun seuil.Utiliserles
armes nucléairesdans la conjoncture actuelle serait l'une des initiatives militairesles
plus lourdes de conséquencesprisesdepuisHiroshimaaicommencé àm'interroger
sur l'utilitépratique de ces armes nucléaires de faible puissance.
193Voir Bulletin of the Atomic Scientists, mai 1985,p. 37,dont il est fait mention dans
les observations écrites de la Malaisie, p.20. nitérelèvede la théorieet de l'utopie. Dans la réalité, l'emploi

des armes nucléairesconduirait presque immanquablement au
déclenchement d'une guerre nucléaire. » (Australie, Gareth
Evans, CR 95/22, p. 49-50.)
vi) On pourrait soutenir qu'en présencede préparatifs visant à rendre

une arme nucléaire opérationnelleu , ne frappe préemptive estnéces-
saire à des fins de légitime défense. ais s'ilest fait usage, pour une
telle frappe, d'une arme nucléaire de ((faiblepuissance»comparable
par définition à une arme classique du point de vue de l'effet de
souffle,de l'effetthermique et desrayonnements,pourquoi utiliserune
arme nucléairequand une arme classique aurait les mêmes effets?
vii) Le risque d'accident doit aussi toujours être prisen compte. Les
armes nucléairesn'ontjamais été essayée dsans aucun théâtre d'opé-
rations. La possibilitéde limiter leur capacitéde destruction n'a pas
été établieet tout repose encore dans ce domaine sur des assurances
théoriques.Etant donnéque l'erreur humaine n'estjamais àexclure

dans une activitéhautement scientifique - comme l'explosion acci-
dentelle d'une navette spatiale avec tous sespassagers àbord - une
arme prétendument dotée d'un potentiel de destruction «limitée»
peut fort bien ne pas avoir de tels effetsà la suite d'une erreur ou
d'un défautde construction. On peut dire qu'abstraction faite du
problèmedes dimensions précisesde la bombe à utiliser, l'emploide
n'importe quel type d'armes nucléairessous la pression de l'urgence
est une démarche qui comporte des risques élevés d'a~cident'~~.
L'étude deI'UNIDIR que j'ai mentionnéeinsiste sur «la trèshaute
probabilité d'escalade une fois la confrontation amorcée»Ig5.

viii) Ce qu'il faut entendre par arme nucléairetactique «de faible puis-
sance» n'est pas clair et aucune des puissances dotéesd'armes nu-
cléaires n'afourni d'indication précise à la Cour sur ce point. La
Malaisie a en revanche appelél'attention de la Cour sur une loi des
Etats-Unis qui a interdit«la recherche-développementpouvant con-
duire à la ~roduction ...d'une armenucléaire à effetsréduits))(obser-
vations écrites,p.20),qui est définicomme ayant une puissance infé-
rieure à 5 kilotonnes (lesbombes d'Hiroshima etde Nagasaki étaient
dotées d'unepuissance de 15et 12kilotonnes respe~tivement)'~~D . es
armes de cette puissance peuvent, sauf preuve contraire, être présu-

méesengendrer tous les dangers inhérentsaux armes nucléaires, tels
qu'ils ont été décrits pluhsaut dans la présenteopinion.
ix) D'aucuns soutiennent qu'ilpourrait être faitusage d'une arme capa-
ble d'êtredirigéede manière précisesur une cible bien déterminée.
Mais l'expériencetoute récentede la guerre du Golfe a montréque
les armes, si perfectionnéesou ((miniaturisées))soient-elles,n'attei-

'94Voir ci-dessusl'étudede VUNIDIR, Risks of Unintentional Nuclear War.
lg5Zbid., p. 11.
196National Defense Authorization Act for Fiscal Year (FY) 1944,Public Law, 103-
160, 30 novembre 1993. gnent pas toujours précisément leur cible.Dans le cas des armes
nucléaires, pareilleerreur de tir aurait des conséquences extrême-
ment graves.
x) Etant donné qu'une guerre nucléaire,que la plus petite des armes

nucléaires suffiraità déclencher, ferait, selon les estimations de
l'organisation mondiale de la Santé, entreun million et un milliard
de morts, on ne peut que partager le sentiment exprimépar 1'Egypte
lorsque,à propos de ces pertes considérables,elle a déclaré:((même
dans l'hypothèse d'une extrêmm einiaturisation, pareils chiffresesti-
matifs sont toutà fait intolérablesau regard des principes généraux
du droit humanitaire» (CR95123, p. 43).
xi) Sion établitune comparaison avec les armes chimiques et bactério-
logiques, nul ne pourrait soutenir que, du fait que ces armes
employéesen petitequantiténe causeraient que des dommages com-
parativement réduits,les armes en question sont licites puisqu'il est
possible de les utiliser sans dépasser certaines limites.Si, de la même

manière, les armes nucléairessont de façon généraleillicites, celles
qui sont de ((faible puissance)) ne peuvent faire exception.
Dèslors que les armes nucléairessont intrinsèquement illicites, il
ne suffit pas de les utiliser en petites quantités ou d'employer des
catégories d'armes de faible puissancepour les rendre licites. De
même,on ne peut raisonnablement soutenir qu'un Etat attaqué au
moyen d'armes chimiques ou bactériologiques serait en droit de
riposter avec un nombre limitéd'armes de mêmenature. S'il n'est
pas permis d'utiliser ces diverses catégories d'armesmême enétat de
légitimedéfense, c'estessentiellement parce que leurs effets dépas-
sent les nécessitésde la guerre - une caractéristique qui leur est
commune à toutes.

xii) Mêmesi - et aucun des Etats qui se sont présentés devant laCour
n'a avancé untel argument - il existait une bombe nucléaire ne
comportant absolument aucun risque de propagation des rayonne-
ments et ne relevant pas de la catégorie des armes de destruction
massive, il serait toutà fait impossible à la Cour d'identifier les
armes nucléaireslicites et les armes nucléairesillicites car il lui fau-
draità cette fin procédeà des analyses techniques qui n'entreraient
pas dails sa compétence. La Cour doit donc se prononcer sur la
licéiten général.
En déclarant,avec l'autoritéqui s'attache à ses conclusions, que
toutes les armes nucléairesne sont pas illicites (c'est-à-dire que cer-
taines ne sont pas illicites), la Cour donneraàtquiconque se pro-

pose d'employer ou de menacer d'employer des armes nucléaires la
possibilité desoutenir que l'arme particulièreutiliséeou envisagée
est viséepar la déclaration en question. Aucune vérification ne
serait possible. On a ainsi ouvert la voie à la possibilitépour les
Etats d'employer n'importe quelle arme nucléaire à leur gré.
Si détaillées que puissentêtreles conclusions de la Cour, on ne
peut pas raisonnablement s'attendre qu'une puissance désireuse MENACE OU EMPLOID'ARMES NUCLÉAIRES (OP.DISSWEERAMANTRY) 550

d'utiliser des armes nucléairesveillà en choisir cellesqui répondent
aux critères définisdans ces conclusions.

VIII. QUELQUES ARGUMENTS AVANCÉS POUR SOUTENIR
QUE LA COUR NE DEVRAIT PAS DONNER L'AVIS CONSULTATIF SOLLICITÉ

1. Un tel avis consultatif serait dépourvud'effets pratiques

On a fait valoir que, quel que puisse êtrel'étatdu droit, la question de
l'emploi des armes nucléaires est une question politique qui met en jeu
des considérations politiques et qui relèved'une décision politique. C'est
peut-êtrele cas, mais il faut se rappeler que, si politique que puisse être
une question, un effort de clarification du droit, loin d'être inutile, vain
ou stérile, présentetoujours des avantages.

11est important que la Cour dise le droit tel qu'il est. Une décision
fondéesur une analyse correcte du droit inspirera le respect en vertu de
son autorité intrinsèque. Elle contribuera à l'instauration d'un climat
favorable au respect du droit. Elle renforcera l'autoritéde la Cour en la
faisant apparaître comme une institution qui s'acquitte de sa mission de
clarification et de développement du droit, indépendamment de toute
considération politique.
La décision de la Cour sur l'illicéitédu système d'apartheid n'avait
guère de chancesd'être appliquép ear le gouvernement mis en cause, mais

elle a contribuéà créer uncourant d'opinion qui a démanteléce système.
Sila Cour s'étaitlaisséearrêterpar l'inutilité deses décisions,l'apartheid
aurait peut-être prisfin beaucoup plus tard ou mêmesurvécu.La clarifi-
cation du droit est une fin en soi et pas seulement un moyen au service
d'une fin. Lorsque le droit est clair, il a plus de chances d'êtrerespecté
que s'il est enveloppé d'obscurité.
On a fait valoir que, dans les domaines relevant de la ((haute poli-
tique)), l'influence du droit international est minime. Mais, comme l'a

soulignéle professeur Brownlie en réponse à cet argument, mieux vaut
((proclamer une interdiction qui risque d'être transgresséeen périodede
crise que de renoncer à tout effort normatif»197.
Je tiens aussià rappeler dans ce contexte les observations très perspi-
caces d'Albert Schweitzer, citéesau début de la présente opinion, sur
l'utilitéd'une sensibilisation accrue de l'opinion publique au problème de
l'illicéides armes nucléaires.
La Cour doit s'acquitter de son rôle judiciaire, dire le droit et en pré-
ciser le contenu, comme elle a le pouvoir et la responsabilité de le faire,

sans se laisser arrêterpar des considérations politiques qui ne sont pas de
son ressort.

19' Some Legal Aspects of the Use of Nuclear Weapons »,p. 438 (lesitaliques
sont de moi).

328 2. Les armes nucléairesont préservé lp aaix mondiale

Certains Etats partisans de la thèse de la licéitéont soutenu que les
armes nucléairesont servi de manière décisivela cause de la sécurité
internationalependant les cinquante dernièresannéeset ont contribuéau
maintien de la paix mondiale.
Mêmeen admettant que cet argument soit exact, il n'a guèrede perti-
nence au regard de la question juridique dont la Cour est saisie. La
menace d'emploi d'une arme en violation du droit humanitaire de la
guerre ne cessepas d'être une violation dece droit simplement parce que
la terreur insurmontable que l'arme inspire a l'effet psychologique de

paralyser la partie adverse. La Cour ne peut souscrire à un systèmede
sécuritéreposant sur la terreur. Pour reprendre la saisissante formule
employéepar Winston Churchill devant la Chambre des communes en
1955, «la sécuritésera l'enfant vigoureux de la terreur et la survie la sŒur
jumelle de l'extermination)). Un ordre mondial qui fait de la sécuritéla
conséquencede la terreur et voit dans la survie et l'extermination des
choix interdépendants subordonnant la paix et l'avenir de l'homme à la
terreur. Ce n'est pas un ordre mondial que la Cour peut sanctionner. La
Cour doit faire prévaloir non le règne de la force et de la terreur mais
l'état dedroit, ainsi que les principes humanitaires du droit de la guerre
qui sont un élément essentielde l'ordre juridique international que la
Cour a mission de faire respecter.

Un ordre mondial fondé sur la terreur nous ramènerait à l'état de
nature décritpar Hobbes dans le Leviathan où les souverains «adoptent
la posture de gladiateurs, tenant leurs armes à bout de bras et s'affron-
tant du regard ..c'est-à-dire une posture belliqueuse»198.
Le droit international, arrivantàl'aube d'un nouveau siècleet comp-
tant plus de trois sièclesde développement,dont plus d'un sièclede déve-
loppement du droit humanitaire, peut faire mieux que de réaffirmerla
sujétiondu droit international à la terreur, ce qui marquerait un retourà
l'état denature décritpar Hobbes et non la reconnaissance de la pri-
mauté du droit international prônéepar Grotius. En présencede deux
visions du monde aussi dissemblables bien qu'émanantde deux auteurs

quasi contemporains, le droit international doit manifestement opter
pour celle de Grotius et la présente affaire afournià la Cour l'occasion
d'écrirece que les historiens de demain appelleront peut-être une «page
de Grotius)) dans l'histoire du droit international.Je regrette que la Cour
n'ait pas saisi cette occasion. Le silence qu'ellea gardé surles contradic-
tions entre la dissuasion et le droit international risque en outre de per-
pétuerla ((posture belliqueuse)), évoquéepar Hobbes, qui est implicite
dans la doctrine de la dissuasion.
Si décisivesque soient les considérations qui précèdentpour réfuter
l'argument selon lequel la dissuasion a eu le méritede préserverla paix

198Thomas Hobbes, The Leviathan, éd.James B. Randall, Washington Square Press,
1970,p. 86.mondiale, il y a plus encore. L'argument est infirmépar l'histoire. Il est

établi quele recours aux armes nucléairesa été envisagé plud s'une fois
au cours des cinquante dernières années.Parmi les exemples les plus
connus figure la crise des missiles de Cuba (1962) et la crise de Berlin
(1961). A ces deux exemples on pourrait en ajouter beaucoup d'autres,
puisésdans des étudesbien documentéessur le sujet 199.Le monde a, en
chacune de ces occasions, friséla catastrophe nucléaire et,pour ainsi dire,
retenu son souffle. Tout aurait pu arriver lors de ces confrontations où

ceux qui contrôlent le bouton nucléairese sont souvent trouvés engagés
dans une guerre des nerfs et l'humanité a eula chance d'échapper à des
échanges nucléaires. C'estde surcroît une erreur de dire que l'arme
nucléaire a sauvé le monde de la guerre puisqu'on dénombre, depuis
1945,plus d'une centaine deguerres qui ont fait vingt millions de morts200.
Certaines étudesdémontrent que, depuis la fin de la secondeguerre mon-
diale, il n'y a pas eu une seule année, sauf peut-être1968, qui n'ait été

marquée par des conflits armésen divers points du globe201et des en-
quêtesplus détaillées révèlen qtue sur les deux mille trois cent quarante
semaines qui se sont écouléesentre 1945et 1990,il n'y ena eu que trois
où le monde a vraiment été exemptde tout conflit202.
Sans doute n'y a-t-il pas eu de conflagration mondiale, mais l'arme
nucléairen'a pas marquéla fin d'un monde déchirépar la guerre et semé
de foyers de tension susceptibles de conduire, en cas d'intensification

du conflit et si les moyens sont disponibles, à l'emploi des armes nu-
cléaires. Ainsiseraient infligéesà l'humanité«les indicibles souffrances»
que la Charte des Nations Unies avait pour but principal de lui épar-
gner.

IX. CONCLUSION

1. La tâche de la Cour

On a rappelé (à la section VI, paragraphe 3, de la présente opinion)
que le mouvement antinucléaire a mobilisélesefforts de groupements très
divers - associations d'écologistes,de médecins,de juristes, de savants,
d'artistes-interprètes, de parlementaires ou de pacifistes, organisations
féminines,fédérationsd'étudiants - trop nombreux pour qu'on puisse
les mentionner. Il sont présents dans tous les pays et dans toutes les

régions.

I9Var exemple, The Nuclear Predicament: A Sourcebook, D. U. Gregory (dir. publ.),
1982.
200Ruth Sivard, dans World Military and Social Expenditures, World Priorities, 1993,
p. 20, dénombrecent quarante-neuf guerres et vingt-trois millionsde morts.
201Voir Charles Allen, The Savage Wars of Peace: Soldiers' Voices 1945-1989, 1989.
202Alvin et Heidi Toffler, War and Anti- War: Survival at the Dawn of the 21st Cen-
tury, 1993,p. 14. D'autres milieux ont adopté une opinion contraire pour des raisons
diverses.
Comme aucune voix autorisée ne s'estjusqu'à présent prononcéesur
l'étatdu droit dans ce domaine, la Cour a étéinvitée à donner un avis
consultatif. Cette invitation lui a été adressée par l'institution la plus

représentative du monde, motivéepar la conviction que l'instance judi-
ciaire suprême dela planète pouvait, en se prononçant sur cette question
capitale, êtred'un grand secours à l'humanité.
La demande qui a été soumise à la Cour lui a donné l'occasion
d'apporter une contribution exceptionnelle au sujet d'une question excep-
tionnelle. L'avis donnépar la Cour a permis de définirsur le plan judi-
ciaire certains principes importants applicables à la question pour la pre-
mièrefois. Pourtant, la Cour n'est pas, selon moi, allée aussi loin qu'elle
l'aurait dû.
Dans la présente opinion dissidente, j'ai exposé mesconclusions tou-

chant l'étatdu droit. Bien que conscient de l'ampleur des problèmes en
jeu, je m'en suis tenu au droit tel qu'il est - aux nombreux prin-
cipes dégagéspar le droit international coutumier et, plus spécialement,
au droit humanitaire qui couvre les diverses formes de dommages causés
par les armes nucléaires.Comme je l'ai dit au début,je considère, après
avoir mûrement réfléchi,que l'emploi et la menace d'emploi des armes
nucléaires sont incompatibles avec le droit international et avec les
fondements sur lesquels il repose. J'ai voulu dans la présente opinion ex-
poser mes raisons de manière assez détailléeet préciserpourquoi l'uti-

lisation ou la menace d'utilisation des armes nucléairessont totalement
interdites - sans réserveet en toutes circonstances - par le droit exis-
tant.
Il m'est réconfortant de voir que cesconclusionsjuridiques s'accordent
avec ce que je crois êtreles exigences de la morale et les intérêts de
l'humanité.

2. Les options qui s'offrent a l'humanité

En conclusion, je voudrais évoquer brièvement le manifeste Russell-

Einstein, publiéle 9juillet 1955.Deux des plus grands intellectuels de ce
siècle,Bertrand Russell et Albert Einstein, l'un et l'autre particulièrement
qualifiéspour parler d'une voix autorisée de la puissance que recèle
l'atome ont, avec quelques-uns des plus éminents savants du monde,
lancéun appel poignant au monde entier au sujet des armes nucléaires.
Cet appel étaitdictépar la raison, par l'humanitéet par le souci du sort
de l'espèce humaine. Raison, humanité et souci du sort de l'espèce
humaine font partie intégrantedu droit international.
Le droit international comporte une branche qui s'intéresse spéciale-

ment au droit humanitaire de la guerre. C'est dans la perspective de cette
branche du droit que se situe la présente affaire - une perspective dans
laquelle les préoccupations reflétéesdans le manifeste Russell-Einstein
prennent un relief particulier. Voici des extraits de cet appel:
«Nul ne sait dans quel rayon se diffuseraient ces particules radio-
actives létalesmais les autorités les plus dignes de foi conviennent
unanimement qu'une guerre faisant intervenir des bombes H pour-
rait mettre fin la race humaine...
...Nous lançons, en tant qu'êtres humains,un appel aux êtres
humains : rappelez-vous votre condition d'êtrehumain et oubliez le

reste. Si vous y parvenez, vous verrez s'ouvrir devant vous la voie
d'un nouvel éden;sinon, vous devrez affronter le risque d'un anéan-
tissement universel.))
Muni de l'arsenal de principes nécessaires,le droit international pour-
rait puissamment contribuer à dissiper l'ombre du champignon nucléaire
et àfaire lever l'aube éclatante d'uneère dénucléarisée.

Il n'estpas de question qui soit plus lourde de conséquencespour l'ave-
nir de l'humanitéet les contours de cet avenir transparaissent clairement

dans la trame du droit international. Cette question n'avait pas jusqu'à
présent été inscritaeu rôle d'un tribunal international.Maintenant qu'elle
l'a étée,t pour la première fois,il faut y répondrefermement, clairement
et catégoriquement.

(SignéC )hristopher Gregory WEERAMANTRY. Appendice

(Le risque encouru par les Etats neutres)

A - Zone mortelle pour l'onde de choc des bombes géantes(blockbusters)
utiliséespendant la seconde guerre mondiale.

B - Zone mortelle pour l'onde de choc de la bombe d'Hiroshima.
C - Zone mortelle pour l'onde dechoc d'une bombe de 1 Mt.

D - Zone rendue mortelle par les retombées radioactives d'une bombe de
1 Mt.

Bilingual Content

DISSENTING OPINION OF JUDGE WEERAMANTRY

TABLE OF CONTENTS

Pages
PRELIMINAR OYBSERVATIO NNSTHE OPINION OF THECOURT 433

(a) Reasons for dissent 433
(b) The positive aspects of the Court's Opinion 433
(c) Particular comments on the final paragraph 435

(i) Paragraph 2 B - (11votes to 3) 435

(ii) Paragraph 2E - (7 votes to 7. Casting vote in favour by
the President)
(iii) Paragraph2A - (Unanimous)
(iv) Paragraph 2C - (Unanimous)
(v) Paragraph 2D - (Unanimous)

(vi) Paragraph 2F - (Unanimous)
(vii) Paragraph 1- (13 votes to 1)

1. Fundamental importance of issue before the Court
2. Submissions to the Court
3. Some preliminary observations on the United Na1
Charter
4. The law relevant to nuclear weapons

5. Introductory observations on humanitarian law
6. Linkage between humanitarian law and the realities of a
7. The limit situation created by nuclear weapons
8. Possession and use
9. Differing attitudes of States supporting legality

10. The importance of a clarification of the law

II. NATURE AND EFFECT SFNUCLEAW REAPONS

1. The nature of the nuclear weapon
2. Euphemisms concealing the realities of nuclear war
3. The effects of the nuclear weapon
(a) Damage to the environment and the ecosystem
(b) Damage to future generations

(c) Damage to civilian populations
(d) The nuclear winter
(e) Loss of life
(f) Medical effects of radiation
(g) Heat and blast
(h) Congenital deformities
(i) Transnational damage OPINION DISSIDENTE DE M. WEERAMANTRY

TABLE DES MATIÈRES

Pages
OBSERVATIO PNÉLIMINAIRES SUR L'AVIS DE LACOUR 433

a) Motifs de mon désaccord 433
b) Les aspects positifs de l'avis de la Cour 433
c) Observations sur le dernier paragraphe 435
i) Paragraphe 2, alinéa B, du dispositif (adopté par 11 voix
contre 3)
ii) Paragraphe 2, alinéaE (adopté par 7 voix contre 7, par la
voix prépondérante duPrésident)

iii) Paragraphe2, alinéaA (adopté à I'unanimité)
iv) Paragraphe 2, alinéaC (adopté à I'unanimité)
v) Paragraphe 2, alinéaD (adopté à I'unanimité)
vi) Paragraphe 2, alinéaF (adopté à l'unanimité)
vii) Paragraphe 1 du dispositif (adoptépar 13 voix contre une)
1. INTRODUCTION

1. Importance primordiale de la question soumiseà la Cour
2. Exposés soumis à la Cour
3. Quelques observations préliminairessur la Charte des Nations
Unies
4. Le droit applicable aux armes nucléaires
5. Remarques préliminairessur le droit humanitaire

6. Le lien entre le droit humanitaire et les réalitésde la guerre
7. Le seuil critique atteint avec les armes nucléaires
8. Possession et utilisation
9. Positions différentes adoptées par les Etats favorableà la
thèse de la licéité
10. La nécessitéde clarifier l'étatdu droit

Il. NATURE ET EFFET DES ARMES NUCLÉAIRES
1. La nature des armes nucléaires
2. Euphémismesmasquant les réalitésde la guerre nucléaire
3. Les effets de l'arme nucléaire

a) Dommages à l'environnement et à l'écosystème
b) Dommages aux générationsfutures
c) Dommages aux populations civiles
d) L'hiver nucléaire
e) Pertes en vies humaines
f) Effets des rayonnements sur la santé
g) Effet thermique et souffle
h) Malformations congénitales
i) Dommages transnationaux (j) Potential to destroy al1civilization
(i) Social institutions
(ii) Economic structures
(iii) Cultural treasures
(k) The electromagnetic pulse
(1) Damage to nuclear reactors
(m) Damage to food productivity

(n) Multiple nuclear explosions resulting from self-defence

(O) "The shadow of the mushroom cloud"
4. The uniqueness of nuclear weapons
5. The differences in scientific knowledge between the present
time and 1945
6. Do Hiroshima and Nagasaki show that nuclear war is sur-
vivable?
7. A perspective from the past

III. HUMANITARIL ANW
1. "Elementary considerations of humanity"
2. Multicultural background to the humanitarian laws of war
3. Outline of humanitarian law
4. Acceptance by States of the Martens Clause

5. "The dictates of public conscience"
6. Impact of the United Nations Charter and human rights on
"considerations of humanity" and "dictates of public con-
science"
7. The argument that "collateral damage" is unintended

8. Illegality exists independently of specificprohibitions
9. The "Lotus" decision
10. Specificrules of the humanitarian law of war
(a) The prohibition against causing unnecessary suffering
(b) The principle of proportionality
(c) The principle of discrimination
(d) Respect for non-belligerent States

(e) The prohibition against genocide
(f) The prohibition against environmental damage
(g) Human rights law
11. Juristic opinion
12. The 1925Geneva Gas Protocol
(i) 1sradiation poisonous?

(ii)Does radiation involve contact of the body with
"materials"?
13. Article 23(a) of the Hague Regulations
IV. SELF-DEFENCE

1. Unnecessary suffering
2. Proportionalitylerror
3. Discrimination
4. Non-belligerent States j) Anéantissement possible de l'ensemblede la civilisation
i) Institutions sociales
ii) Structures économiques
iii) Trésorsculturels

k) L'impulsion électromagnétique
1) Dommages aux réacteurs nucléaires
m) Dommages a la productivité alimentaire
n) Explosions nucléaires multiples résultant de ripostes en
étatde légitime défense
O) «L'ombre du champignon nucléaire»

4. La spécificitdes armes nucléaires
5. Les différencesentre le niveau actuel des connaissances scien-
tifiques et celui de 1945
6. Les bombes d'Hiroshima et de Nagasaki permettent-elles de
conclure qu'il est possible de survivrela guerre nucléaire?
7. Une vision venant du passé

III. DROIT HUMANITAIRE
1. Les «considérations élémentairesd'humanité»

2. L'origine multicuturelle du droit humanitaire de la guerre
3. Aperçu de l'évolutiondu droit humanitaire
4. L'acceptation par les Etats de la clause de Martens
5. Les ((exigencesde la conscience publique))
6. Les répercussions dela Charte des Nations Unies et des droits
de l'homme sur «les considérations d'humanité))et les «exi-
gences de la conscience publique»
7. L'argument du caractère non intentionnel des ((dommages
collatéraux»
8. L'illicéiexiste indépendamment d'interdictions spécifiques

9. L'arrêt rendudans l'affaire du Lotus
10. Règles particulièresdu droit humanitaire de la guerre
a) L'interdiction de causer des maux superflus
b) Le principe de proportionnalité
c) Le principe de distinction
d) Respect des Etats non belligérants
e) L'interdiction du génocide

f) L'interdiction des dommages à l'environnement
g) Droit relatif aux droits de l'homme
11. L'opiniojuvis
12. Le protocole de Genève de 1925sur les gaz

i) Les rayonnements sont-ils toxiques?
ii) Les rayonnements mettent-ils des «matières» en contact
avec le corps humain?
13. L'article3 a) du règlement de La Haye

IV. LÉGITIM EEFENSE
1. Maux superflus

2. Proportionnalitélerreur
3. Distinction
4. Etats non belligérants 5. Genocide
6. Environmental damage
7. Human rights

1. Two philosophical perspectives
2. The aims of war
3. The concept of a "threat of force" under the United Nations

Charter
4. Equality in the texture of the laws of war
5. The logical contradiction of a dual régime in thelaws of war

6. Nuclear decision-making

VI. THE ATTITUDE OF THE INTERNATIONC ALMMUNITY TOWARDS
NUCLEAW R EAPONS
1. The universality of the ultimate goal of complete elimination

2. Overwhelming majorities in support of total abolition
3. World public opinion
4. Current prohibitions
5. Partial bans
6. Who are the States most specially concerned?
7. Have States, by participating in regional treaties, recognized
nuclear weapons as lawful?

VII. SOME SPECIAALSPECTS

1. The Non-Proliferation Treaty
2. Deterrence
(i) Meaning of deterrence
(ii) Deterrence from what?
(iii) The degrees of deterrence
(iv) Minimum deterrence
(v) The problem of credibility

(vi) Deterrence distinguished from possession
(vii) The legal problem of intention
(viii) The temptation to usethe weapons maintained for-
rence
(ix) Deterrence and sovereign equality
(x) Conflict with thet. Petersburg principle

3. Reprisals
4. Interna1 wars
5. The doctrine of necessity
6. Limited or tactical or battlefield nuclear weapons

VIII. SOME ARGUMENT AGAINST THE GRANT OF AN ADVISORO YPINION

1. The Advisory Opinion would be devoid of practical effects

2. Nuclear weapons have preserved world peace MENACE OU EMPLOI D'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW. EERAMANTRY)

5. Génocide
6. Dommages àl'environnement
7. Droits de l'homme

1. Deux visions philosophiques

2. Les buts de la guerre
3. Le concept de «menace de la force)) dans la Charte des
Nations Unies
4. L'égalitédans le contexte du droit de la guerre
5. Caractèreillogique d'un régimedualiste en matière dedroit de
la guerre
6. Le processus d'élaboration des décisions en matière nu-
cléaire

VI. L'ATTITUDE DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE VIS-À-V IES ARMES
NUCLEAIRES

1. Universalité de l'adhésionau but ultime de l'élimination com-
plète
2. Rappel des écrasantes majorités favorableà l'abolition totale
3. L'opinion publique mondiale
4. Interdictions existantes
5. Interdictions partielles

6. Quels sont les Etats spécialementconcernés?
7. Les Etats ont-ils, en devenant partiàsdes traités régionaux,
reconnu la licéitédes armes nucléaires?
VII. QUELQUES ASPECTS PARTICULIERS

1. Le traité sur la non-prolifération
2. Dissuasion

i) Qu'entend-on par dissuasion?
ii) La dissuasion, contre quel acte est-elle dirigée?
iii) Les degrés dela dissuasion
iv) La dissuasion minimale
v) Le problème de la crédibilité
vi) La différenceentre dissuasion et possession
vii) Le problème juridique de l'intention
viii) La tentation d'utiliser les armes tenues en réserves

fins de dissuasion
ix) La dissuasion et l'égalité souveraine
x) Incompatibilité de la dissuasion avec les principes
énoncésdans la déclaration de Saint-Pétersbourg
3. Représailles
4. Conflits internes

5. La doctrine de la nécessité
6. Armes nucléaires àeffets limitésou tactiques ou du champ de
bataille
VIII. QUELQUE ARGUMENTS AVANCÉS POUR SOUTENIR QUE LA COUR NE

DEVRAIT PAS DONNER L'AVIS CONSULTATIF SOLLICITÉ
1. Un tel avis consultatif serait dépourvud'effets pratiques
2. Les armes nucléairesont préservéla paix mondiale IX. CONCLUSION

1. The task before the Court
2. The alternatives before humanity
APPENDI(X demonstrating danger to neutral States) Cornparison of the
effects of bornbs 555 MENACE OU EMPLOID'ARMES NUCLÉAIRES (OP. DISS. WEERAMANTRY) 432

IX. CONCLUSION 552

1. La tâche de la Cour
2. Les options qui s'offrent a l'humanité
APPENDICE (L.e risque encouru par les Etats neutres.) Comparaison des
effets des bombes 555 (a) Reasonsfor Dissent

My considered opinion is that the use or threat of use of nuclear weap-
ons is illegal in any circurnstanceswhatsoevev.It violates the fundamental
principles of international law, and represents the very negation of the
humanitarian concerns which underlie the structure of humanitarian law.
It offends conventional law and, in particular, the Geneva Gas Protocol
of 1925,and Article 23 (a) of the Hague Regulations of 1907.It contra-
dicts the fundamental principle of the dignity and worth of the human
person on which al1law depends. It endangers the human environment in
a manner which threatens the entirety of life on the planet.

1regret that the Court has not held directly and categorically that the
use or threat of use of the weapon is unlawful in al1civcumstances with-
out exception. The Court should have so stated in a vigorous and forth-
right manner which would have settled this legal question now and for
ever.
Instead, the Court has moved in the direction of illegality yith some
far-reaching pronouncements that strongly point in that direction, while
making other pronouncements that are both less than clear and clearly
wrong.
1have therefore been obliged to title this a dissenting opinion, although
there are some parts of the Court's Opinion with which 1 agree, and
which may still afford a substantial basis for a conclusion of illegality.
Those aspects of the Court's Opinion are discussed below. They do take
the law far on the road towards total prohibition. In this sense, the
Court's Opinion contains positive pronouncements of significant value.

There are two of the six operative sections of the second part of the
Opinion with which 1 profoundly disagree. 1 believe those two para-
graphs state the law wrongly and incompletely, and 1have felt compelled
to vote against them.
However, 1have voted in favour of paragraph 1 of the dispositif, and
in favour of four out of the six items in paragraph 2.

(b) The Positive Aspects of the Court's Opinion

This Opinion represents the first decision of this Court, and indeed of
any international tribunal, that clearly formulates limitations on nuclear
weapons in terms of the United Nations Charter. It is the first such
decision which expressly addresses the contradiction between nuclear
weapons and the laws of armed conflict and international humanitarian
law. It is the firstuch decision which expresses the view that the use of a) Motifs de mon désaccord
Après avoir mûrement réfléchi, j'estimeque l'emploi et la menace de

l'emploi d'armes nucléairessont illicites en toutes circonstances parce
qu'ils sont incompatibles avec les principes fondamentaux du droit inter-
national et constituent la négation mêmedes valeurs humanitaires sur
lescluelles repose la structure du droit humanitaire; parce qu'ils sont
contraires au droit conventionnel et en particulier au protocole de Genève
de 1925concernant la prohibition d'emploi à la guerre de gazasphyxiants,
toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques, et à l'article 23 a)
du règlement deLa Haye de 1907;parce qu'ils sont inconciliables avec le
principe fondamental de la dignitéet de la valeur de la personne humaine
qui est àla base de l'ensembledu droit; et parce qu'ilsportent atteinte à
l'environnement au point de menacer toutes les formes de vie sur la pla-
nète.

Je regrette que la Cour n'ait pasdit sans détouret catégoriquement que
l'emploi ou la menace de l'emploi de telles armes est illiciten toutes cir-
constances sans exception. Telle est la conclusion que la Cour aurait dû
énoncer avec fermetéet sans équivoque, réglant ainsi cette question juri-
dique une fois pour toutes.
La Cour a préféré s'engagesrur la voie de la thèse del'illicéité en for-
mulant des déclarations de trèsgrande portée qui vont nettement dans ce
sens tout en en émettant d'autres qui sont à la fois ambiguës et manifes-
tement erronées.
Je me suis donc vu contraint de présenter cette opinion dissidentebien
que l'avisde la Cour comporte des parties auxquellesje souscris et sur la

base desquelles on peut raisonnablement conclure à l'illicéité. Ceasspects
de l'avis de la Cour sont analysés ci-après. Ilsfont faire au droit interna-
tional un grand pas en avant dansla voie del'interdiction totale. Et, en ce
sens,l'avisde la Cour contient des déclarationspositivesrevêtant une très
grande importance.
Sur les six alinéasdu paragraphe 2 du dispositif de l'avis, il y en a deux
avec lesquelsje suis en profond désaccord. Je crois queces deux alinéas
énoncentle droit de manièreerronéeet incomplèteet je me suis vu dans
l'obligation d'émettre unvote négatif à leur sujet.
J'ai toutefois votéen faveur du paragraphe 1 du dispositif et de quatre
des six alinéasdu paragraphe 2.

b) Les aspects positifs de l'avisde la Cour

L'avis consultatif en l'espèceconstitue la première décision de laCour
- et, de fait, d'un tribunal international- qui définisseclairement les
restrictions touchant les armes nucléaires découlantde la Charte des

Nations Unies. C'est la première décisionde ce type qui se réfère expres-
sément à l'incompatibilité des armes nucléaires avec ledroit des conflits
armés etle droit international humanitaire. C'est aussi la premièredéci-nuclear weapons is hemmed in and limited by a variety of treaty obli-
gations.
In the environmental field, it is the first Opinion which expressly
embodies, in the context of nuclear weapons, a principle of "prohibition

of methods and means of warfare which are intended, or may be expected,
to cause" widespread, long-term and severe environmental damage, and
"the prohibition of attacks against the natural environment by way of
reprisals" (para. 31).
In the field of nuclear disarmament, it also reminds al1nations of their
obligation to bring these negotiations to their conclusion in al1 their
aspects, thereby ending the coninuance of this threat to the integrity of
international law.
Once these propositions are established, one needs only to examine the
effects of the use of nuclear weapons to conclude that there is no possi-
bilitv whatsoever of a use or threat of use that does not offend these min-
ciples.This Opinion examines at some length the numerous unique quali-
ties of the nuclear weapon which stand in flagrant contradiction of the
basic values underlying the United Nations Charter, international law,
and international humanitarian law. In the light of that information, it
becomes demonstrably impossible for the weapon to comply with the
basic postulates laid down by the Court, thus rendering them illegal in

terms of the unanimous finding of the Court.

In particular,1would mention the requirement, in Article 2 (4) of the
Charter, of compliance with the Purposes of the United Nations. Those
Purposes involve respect for human rights, and the dignity and worth of
the human person. They also involve friendly relations among nations,
and good neighbourliness (see Article 1 (Purposes and Principles) read
with the Preamble). The linkage of legality with compliance with these
principles has now beenjudicially established. Weapons of warfare which
can kill a million or a billion human beings (according to the estimates
placed before the Court) show scant regard for the dignity and worth of
the human person, or for the principle of good neighbourliness. They
stand condemned upon the principles laid down by the Court.

Even though 1 do not agree with the entirety of the Court's Opinion,
strong indicators of illegality necessarilyflow from the unanimous parts
of that Opinion. Further details of the total incompatibility of the

weapons with the principles laid down by the Court appear in the body
of this Opinion.

It may be that further clarification will be possible in the future.

1 proceed now to make some comments on the individual para-
graphs of part 2 of the disposit 1isfhall deal first with the two para-
graphs with which 1disagree.sion de ce type qui exprime l'avis que l'emploi desarmes nucléaires est
circonscrit et limitépar une séried'obligations conventionnelles.
Dans le domaine de l'environnement, c'est le premier avis qui, à pro-
pos des armes nucléaires,consacre expressémentle principe de ((l'inter-
diction d'utiliser desméthodeset moyens de guerre conçus pour causer ou
dont on peut attendre qu'ils causeront»des dommages étendus, durables
et graves à l'environnement et de ((l'interdiction de mener des attaques
contre l'environnement naturel à titre de représailles))(par. 31).
Dans le domaine du désarmement nucléaire, l'avisrappelle aussi à
toutes les nations qu'ellesont l'obligation de meneà terme des négocia-
tions sous tous leurs aspects, empêchant ainsi quene se perpétue uneme-
nace à l'intégritédu droit international.
Une fois ces propositions établies,il convient seulement d'examiner les

conséquencesde l'emploi desarmes nucléairespour parvenir à la conclu-
sion qu'il n'ya aucun emploi ou aucune menace d'emploi de ces armes
qui ne soit pas contraire aux principes susmentionnés. L'avis analyse
assez longuement les nombreuses caractéristiques propres aux armes
nucléairesqui sont en contradiction flagrante avec les valeurs fondamen-
tales sur lesquelles reposent la Charte des Nations Unies, le droit inter-
national et le droit international humanitaire. Compte tenu de ces élé-
ments, il est désormais établiqu'il est impossibleque les armes en cause
soient compatibles avec lesprincipes fondamentaux, énoncés par la Cour,
ce qui fait qu'ellessont illicitessur la base de la conclusion unanime de la
Cour.
Je voudrais en particulier rappeler qu'aux termes de l'article, para-
graphe 4, de la Charte, le respect des buts des Nations Unies est une obli-

gation. Ces buts concernent le respect des droits de l'homme et de la
dignitéet de la valeur de la personne humaine. Ils concernent également
les relations amicales entre les nations et le bon voisinage (cf. l'article 1
(((Butset principes)))lu conjointement avec lepréambule).La corrélation
entre licéitéet respect de ces principes a maintenant étéétabliepar un
organe judiciaire. Des armes qui peuvent anéantirun million ou un mil-
liard d'êtreshumains (selon lesestimations présentéesàla Cour) font peu
de cas dela dignitéet de la valeur de la personne humaine oudu principe
du bon voisinage. Elles sont bannies en vertu même des principes énoncés
par la Cour.
Bien que je ne souscrive pas à toutes les conclusions de la Cour, des
élémentsnettement favorables àla thèsede l'illicéitdécoulent certaine-
ment de celles qui ont étéadoptées à l'unanimité. J'exposeraiplus loin

dans la présente opinion d'autres élémentspermettant d'établirl'incom-
patibilité totale des armes nucléaires avec les principesénoncéspar la
Cour.
Il est possible que de nouvelles précisions puissentêtreapportées à
l'avenir dans ce domaine.
Je vais maintenant faire quelques observations sur les différentsalinéas
du paragraphe 2 du dispositif. J'examinerai d'abord les deux alinéas aux-
quels je ne souscris pas. (c) Particular Comments on the Final Paragvaph

(i) Pavagraph2B - (Il votes to 3)
Regarding paragraph 2B, 1 am of the view that there are comprehen-

sive and universal limitations imposed by treaty upon the use of nuclear
weapons. Environmental treaties and, in particular, the Geneva Gas Pro-
toc01 and Article 23 (a) of the Hague Regulations, are among these.
These are dealt with in my opinion. 1do not think it is correct to Saythat
there are no conventional prohibitions upon the use of the weapon.

(ii) Pavagvaph 2E - (7 votes to 7. Casting vote in favouv by the
President)

1am in fundamental disagreementwith both sentencescontained within
this paragraph.
1strongly oppose the presence of the word "generally" in the first sen-
tence. The word is too uncertain in content for use in an Advisory Opin-

ion, and 1cannot assent to a proposition which, even by remotest impli-
cation, leaves open any possibility that the use of nuclear weapons would
not be contrary to law in any circumstances whatsoever. 1regret the pres-
ence of this word in a sentence which otherwise states the law correctly. Tt
would also appear that the word "generally" introduces an element of
interna1 contradiction into the Court's Opinion, for in paragraphs 2C
and 2D of the Court's Opinion, the Court concludes that nuclear
weapons must be consistent with the United Nations Charter, the prin-
ciples of international law, and the principles of humanitarian law, and,
such consistency being impossible, the weapon becomes illegal.
The word "generally" admits of many meanings, ranging through vari-
ous gradations, from "as a general rule; commonly", to "universally;
with respect to al1or nearly all" '.Even with the latter meaning, the word

opens a window of permissibility, however narrow, which does not truly
reflect the law. There should be no niche in the legal principle, within
which a nation may seek refuge, constituting itself the sole judge in its
own cause on so important a matter.
The main purpose of this opinion is to show that, not generally but
alwav,.,the threat or use of nuclear weaDons would be contrarv to the
rules of international law and, in particular, to the principles and rules of
humanitarian law. Paragraph 2E should have been in those terms, and
the Opinion need have stated no more.

The second paragraph of 2E states that the current state of interna-

tional law is such that the Court cannot conclude definitely whether the
threat or use of the weapon would or would not be lawful in extreme

' The Shorter Oxford English Dictionary, 3rd ed., 1987,Vol. 1, p. 840.

213 c) Observationssur le dernier paragraphe

i) Paragraphe 2, alinéaB, du dispositif (adoptépar II voix contre 3)
S'agissant del'alinéaB,je suis d'avisque l'emploi desarmes nucléaires
est soumis par le droit conventionnel à des restrictions complètes et uni-
verselles. On peut notamment citer à cet égard,outre les traités surl'en-

vironnement, le protocole de Genèvede 1925sur les gaz et l'article 23a)
du règlement de La Haye. Je reviendrai sur ces questions dans mon
opinion. Je ne crois pas que l'on puissedire qu'il n'y a pas d'interdictions
imposéespar le droit conventionnel à l'emploi de telles armes.

ii)Paragraphe 2, alinéaE (adoptépar 7 voix contre 7,par la voix pré-
pondérantedu Président)

Je suis en profond désaccordavec la teneur des deux phrases de cet
alinéa.
Je suisfermementopposé àl'inclusiondu mot ((généralement)[)((gener-
ally»] dans la premièrephrase. C'est là un terme trop vague pour avoir
sa place dans un avis consultatif et je ne peux m'associerà une déclara-
tion laissant entendre, siindirectement que ce soit, que l'emploi desarmes
nucléaires ~ourrait ne Dasêtrecontraire au droit en toutes circonstances.
Je regrette la présencede ce mot dans une phrase qui, sans lui, énoncerait
correctement le droit. Le terme ((généralement))me paraît aussi intro-
duire un élémentde contradiction interne dans l'avis puisque, aux ali-
néasC et D, la Cour conclut que la menace ou 1e 4i mploi d'armes nu-
cléairesdoit être compatibleavec la Charte des Nations Unies, les prin-
cipes du droit international et les principes du droit humanitaire; comme
une telle compatibilitéest impossible, lesarmes en question sont illicites.

Le mot ((généralement)) [((generally»] peut avoir de nombreux sens,
depuis ((enrègle généralen,ormalement)) à ((universellement etpour tous
ou presque tous))'.Mêmedans cette deuxièmeacception, il comporte des
échappatoires,si limitées soient-elles,qui ne traduisent pas véritablement
le droit. Le principe juridique ne doit laisser subsister aucune zone
d'ombre où une nation puisse se réfugierpour s'ériger,dans un domaine
aussi crucial, en seuljuge de sa propre cause.
Le but principal de cette opinion est de démontrer que ce n'est pas
généralementmais dans tous les cas qu'il serait contraire aux règlesdu
droit international, et en particulier aux principes et règles du droit
humanitaire, de recourir à l'emploi ou à la menace d'emploi des armes
nucléaires. Voilàce qu'il aurait fallu direl'alinéaE du paragraphe 2 du
dispositif de l'avis consultatif et rien de plus.
La deuxièmepartie de l'alinéa E indique que, vu l'état actueldu droit
international, la Cour ne peut conclure de façon définitiveque la menace
ou l'emploi d'armes nucléaires serait liciteou illicite dans une circons-

'The Shorter Oxford English Dictionary, 3eéd., 1987,vol. 1,p. 840.circumstances of self-defence.It seemsself-evidentto me that oncenuclear
weapons are resorted to, the laws of war (the jus in bello) take over, and
that there are many principles of the laws of war, as recounted in this
opinion, which totally forbid the use of such a weapon. The existing law
is sufficiently clear on this matter to have enabled the Court to make a
definite pronouncement without leaving this vital question, as though
sufficient principles are not already in existence to determine it. All the
more should this uncertainty have been eliminated in view ofthe Court's
very definite findings as set out earlier.

(iii)Paragraph 2A - (Unanimous)

Speaking for myself, 1 would have viewed this unquestionable proposi-
tion as a preliminary recital, rather than as part of the dispositif.

(iv) Paragraph 2 C - (Unanimous)

The positive features of this paragraph have already been noted. The
Court, in this paragraph, has unanimously endorsed Charter-based pre-
conditions to the legality of nuclear weapons, which are diametrically
opposed to the results of the use of the weapon. 1 thus read para-

graph 2C of the dispositif as rendering the use of the nuclear weapon
illegal without regard to the circumstances in which the weapon is
used - whether in aggression or in self-defence, whether internationally
or internally, whether by individual decision or in concert with other
nations. A unanimous endorsement of this principle by al1 the judges
of this Court takes the principle of illegality of use of nuclear weapons
a long way forward from the stage when there was no prior judicial
consideration of legality of nuclear weapons by any international
tribunal.

Those contending that the use of nuclear weapons was within the law

argued strongly that what is not expressly prohibited to a State is
permitted. On this basis, the use of the nuclear weapon was said to be a
matter on which the State's freedom was not limited. 1 see the limitations
laid down in paragraph 2C as laying that argument to rest.

(v) Paragraph 2D - (Unanimous)

This paragraph, also unanimously endorsed by the Court, lays down
the further limitation of compatibility with the requirements of interna-
tional law applicable in armed conflict, and particularly with the rules of
international humanitarian law and specifictreaty obligations.

There is a large array of prohibitions laid down here.
My opinion will show what these rules and principles are, and how it istance extrêmede légitime défense.Il me semble aller de soi qu'en cas de
recours aux armes nucléairesle droit de la guerre (jus inbello) s'applique
et que de nombreux principes du droit de la guerre, qui sont mentionnés
dans la présente opinion, interdisent totalement l'emploi de telles armes.
Le droit existant étantsuffisamment clair sur ce point, la Cour aurait pu

se prononcer de manière définitive,sans laisser de côté cette question
essentielle comme si les principes n'étaient pasassez bien établispour la
trancher. Il y avait d'autant plus de raison de dissiper cette incertitude
que la Cour étaitdéjà parvenue aux conclusions très précises rappelées
plus haut.

iii)Paragraphe 2, alinéaA (adopté à l'unanimité)

Pour ma part, je verrais mieux cette déclaration indiscutable dans les
qualitésque dans le dispositif.

iv) Paragraphe 2, alinéaC (adopté à l'unanimité)
Les aspects positifs de cet alinéa ont déjàété soulignésL . a Cour y

confirme par une décisionunanime les conditions auxquelles serait subor-
donnée,sur la base de la Charte, la licéitde l'emploi des armes nucléaires,
conditions qui sont absolument incompatibles avec les effets de l'emploi
de telles armes. J'estime donc que, selon l'alinéaC, l'emploi d'armes nu-
cléaires est illicite quelles que soient les circonstances dans lesquelles
elles sont utilisées que ce soit en réponse à une agression ou au titre
de la légitime défense,sur le plan international ou national, en vertu
d'une décision individuelleou d'une décision prise collectivement avec
d'autres nations. L'approbation unanime de ce principe par tous les
membres de la Cour fait faire au principe de I'illicéité de l'emploi des
armes nucléairesun grand pas en avant par rapport au temps où aucune
analyse judiciaire n'avait été entreprisepar aucun tribunal international
au sujet de la licéité desarmes nucléaires.

Les tenants de la licéitéde l'emploi desarmes nucléairesont soutenu
avec insistance que ce qui n'est pas expressémentinterdit àun Etat lui est
permis. Partant decette prémisse,on a dit que l'emploide l'arme nucléaire
était un domaine où la liberté deI'Etat n'était paslimitée. J'estimeque les
restrictions énoncées à l'alinéaC réduisentcet argument à néant.

v) Paragraphe 2, alinéaD (adopté à l'unanimité)

Cet alinéa, adopté, lui aussi, à l'unanimité par la Cour, énonce la
condition supplémentaire de la compatibilité avec les exigences du droit
international applicable dans les conflits armés, spécialementcelles des
règles du droit international humanitaire, ainsi qu'avec les obligations
particulières en vertu de traités.
Cet alinéavise une trèslarge gamme d'interdictions.

Dans mon opinion, j'indiquerai quels sont ces règleset principes etimpossible, in the light of the nature and effects of nuclear weapons, for
these to be satisfied.
If the weapon is demonstrably contrary to these principles, it is unlaw-
ful in accordance with this paragraph of the Court's Opinion.

(vi) Pavagraph 2F - (Unanimous)
This paragraph is strictly outside the terms of reference of the question.

Yet, in the overall context of the nuclear weapons problem, it is a useful
reminder of State obligations, and 1 have accordingly voted in favour
of it.
The ensuing opinion sets out my views on the question before the
Court. Since the question posed to the Court relates only to use and
threat of use, this opinion does not deal with the legality of other impor-
tant aspects of nuclear weapons, such as possession, vertical or horizon-
tal proliferation, assembling or testing.
1 should also add that 1 have some reservations in regard to some of
the reasoning in the body of the Court's Opinion. Those kervations will
appear in the course of this opinion. In particular, while agreeing with
the Court in the reasoning by which it rejects the various objections
raised to admissibility and jurisdiction, 1would register my disagreement
with the statement in paragraph 14 of the Opinion that the refusa1 to

give the World Health Organization the advisory opinion requested by it
wasjustified by the Court's lack ofjurisdiction in that case. My disagree-
ment with that proposition is the subject of my dissenting opinion in that
case.
1 am of the view that in dealing with the question of reprisals
(para. 46), the Court should have affirmatively pronounced on the ques-
tion of the unlawfulness of belligerent reprisals. 1do not agree also with
its treatment of the question of intent towards a group as such in relation
to genocide, and with its treatment of nuclear deterrence. These aspects
are considered in this opinion.

(vii) Pavagraph 1 - (13 votes to 1)
One other matter needs to be mentioned before 1 commence the sub-

stantive part of this dissenting opinion. 1have voted in favour of the first
finding of the Court, recorded in item 1 of the dispositif, which follows
from the Court's rejection of the various objections to admissibility and
jurisdiction which were taken by the Statesarguing in favour of the legal-
ity of nuclear weapons. 1 strongly support the views expressed by the
Court in the course of its reasoning on these matters, but 1 have some
further thoughts upon these objections, which 1 have set out in my dis-
senting opinion in relation to the WHO request, where also similar objec-
tions were taken. There is no need to repeat those observations in this
opinion, in view of the Court's conclusions. However, what 1have statedpourquoi il est impossible de s'y conformer dans le cas des armes nu-
cléaires,eu égard à leur nature et à leurs effets.
Si la preuve peut êtreapportéeque l'arme nucléaireest contraire à ces

principes, cette arme est illicite selon les termes de l'alinéaD du para-
graphe 2 du dispositif de l'avis de la Cour.

vi) Paragraphe 2, ainéaF (adopté à l'unanimité)

Cet alinéaest,à proprement parler, étranger à la question. Mais, dans
le contexte généraldu problème des armes nucléaires, ilcontient un utile
rappel des obligations des Etats en la matièreet j'ai votépour son adop-
tion.
Je vais maintenant exposer mes vues sur la question posée à la Cour.
Comme cette question ne concerne que l'emploi et la menace d'emploi
des armes nucléaires,je n'aborderai pas le problème dela licéité sous ses

autres aspects importants, tels que la possession, la proliférationverticale
et horizontale, le montage et les essais.
Je formule quelques réserves à l'égardde certains des motifs sur les-
quels repose l'avisde la Cour, que j'exposerai plusloin. En particulier, et
bien que j'approuve l'argumentation qui a conduit la Cour à rejeter les
diverses exceptions soulevéesau sujet de la recevabilitéet de la compé-
tence, je tiens dire que je n'approuve pas le paragraphe 14de l'avis où
il est dit que le refus de donner à l'organisation mondiale de la Santé
l'avis consultatif sollicitépar elle a été justipar le défaut de compé-
tence de la Cour en l'espèce.Mon désaccordavec cette position constitue
la base de l'opinion dissidente que j'ai jointe à l'avis de la Cour dans

l'affaire enquestion.
J'estime que, dans ses développementssur la question des représailles
(par. 46), la Cour aurait dû conclureàl'illicéité des représaillepnériode
de conflit armé. Je suis de surcroît en désaccordtant avec ce que dit la
Cour dans le contexte du génocideau sujet de l'intention dirigke contre
un groupe comme tel, qu'avec ses considérations sur la dissuasion
nucléaire. Cesaspects sont analysésdans mon opinion.

vii) Paragraphe 1 du dispositif (adoptépar 13 voix contre une)

Un dernier point doit êtresignaléavant de passer au fond de la pré-

sente opinion dissidente. J'ai votéen faveur de la premièreconclusion de
la Cour - reproduite au paragraphe 1 du dispositif - qui fait suite au
rejet par la Cour des diverses exceptions touchant la recevabilitéet la
compétencesoulevéespar les Etats soutenant la thèse de la licéité des
armes nucléaires.J'appuie fermement les vues expriméespar la Cour à
l'appui de sa décisionsur ces questions, mais les exceptions qui ont été
soulevéesappellent de ma part quelques observations supplémentaires
que j'ai exposéesdans mon opinion dissidente relative à la demande de
l'Organisation mondiale de la Santé, laquelle a suscité des exceptions
analogues. Je m'abstiendrai de répéterici ces observations, étant donnéon these matters in that dissenting opinion should be read as supplemen-
tary to this opinion as well.

1. Fundamental Importance of Issue before the Court

1now begin the substantive part of this opinion.
This case has from its commencement been the subject of a wave of
global interest unparalleled in the annals of this Court. Thirty-five States
have filed written statements before the Court and 24 have made oral

submissions. A multitude of organizations, including severalNGOs, have
also sent communications to the Court and submitted materials to it; and
nearly two million signatures have been actually received by the Court
from various organizations and individuals from around 25 countries. In
addition, there have been other shipments of signatures so voluminous
that the Court could not physically receive them and they have been
lodged in various other depositories. If these are also taken into account,
the total number of signatures has been estimated by the Court's archi-
vist at over three million2. The overall number of signatures, al1of which

could not be deposited in the Court, is well in excess of this figure. The
largest number of signatures has been received from Japan, the only
nation that has suffered a nuclear attack3. Though these organizations
and individuals have not made forma1submissions to the Court, they evi-
dence a groundswell of global public opinion which is not without legal
relevance, as indicated later in this opinion.

The notion that nuclear weapons are inherently illegal, and that a

knowledge of such illegality is of great practical value in obtaining a
nuclear-free world, is not new. Albert Schweitzerreferred to it, in a letter
to Pablo Casals, as early as 1958 in terms of:
"the most elementary and most obvious argument: namely, that

international lawprohibits weapons with an unlimitable effect, which
cause unlimited damage to people outside the battle zone. This is the

In a memorandum responding to an enquiry regarding the number of signatures
the sky." the archivist observes thatbe precise in this matter is to count the stars in
The sponsors of a Declaration of Public Conscience from Japan have stated, in a
communication to the Registrar, that they have stored in a warehouse in The Hague,
1,757,757 signatures, which the Court had no space to accommodate, in addition to
the 1,564,954actually deposited with the Court. Another source, based in Europe, has
reckoned the declarations it has received, in connection with the current applications
to the Court, at 3,691,899, of which 3,338,408have been received from Japan.les conclusions auxquelles la Cour est parvenue. Mais ce que j'ai dit sur
ce point dans l'opinion dissidente en question doit être considéré comme

un complément à ce qui va suivre.

1. Importance primordiale de la question soumise à la Cour

Je vais maintenant aborder le fond de la présente opinion.
L'affaire considéréea dès l'origine suscité dans le monde un intérêt
sans précédentdans les annales de la Cour. Trente-cinq Etats ont déposé

des exposés écritset vingt-quatre ont présentédes exposésoraux. Une
multitude d'organisations, y compris des organisations non gouverne-
mentales, ont également envoyé des communications à la Cour et lui ont
soumis de la documentation; et près de deux millions de signatures
recueilliesdans près devingt-cinq pays et émanantd'organisations et de
particuliers ont été effectivement reçuespar la Cour. D'autres pièces
contenant des signatures, sivolumineuses que la Cour a été dans l'impos-

sibilité matériellede les recevoir, ont été remisesà divers autres déposi-
taires. L'archiviste de la Cour estime que, si on prend aussi en compte ces
pièces,plus de trois millions de signatures ont étéreçues2. Le nombre
total de signatures, dont certaines n'ont pu êtredéposéesauprès de la
Cour, dépasse largement ce chiffre. C'est du Japon, la seule nation a
avoir été victimed'une attaque nucléaire,qu'émaneleplus grand nombre
de signatures3. Bien que ces organisations et ces particuliers n'aient pas

soumis d'exposés enbonne et due forme à la Cour, leur action témoigne
d'une effervescence de l'opinion publique mondiale qui n'est pas sans
pertinencejuridique, comme on leverra plus loin dans la présente opinion.
L'idéeque les armes nucléairessont intrinsèquement illicites et que la
conscience de cette illicéidevrait contribuer notablement àl'avènement
d'un monde dénucléarisé n'es ptas nouvelle. Albert Schweitzer s'yréfère
dès 1958dans une lettre à Pablo Casals où il évoque

((l'argument le plus élémentaireet le plus évident: à savoir que le
droit international interdit les armes ayant des effets impossiblesà
maîtriser qui causent des dommages illimitésaux populations ne se

Interrogé surle nombre des signatures reçues, l'archiviste a réponduce qui suit dans
un mémorandum: «Donner leur chiffre exact reviendraitmpter les étoilesdans le
ciel.»
Les auteurs d'une déclaration exprimant la conscience publique d'origine japonaise
ont signalé,dans une communication au Greffier, qu'outre les 1564954 signatures dépo-
séesauprès de la Cour, ils ont déposédans un entrepôt de La Haye7signatures
que la Cour n'a pas pu recevoir faute de place. Une autre source en Europe a indiqué
avoir reçu,propos des demandes d'avis consultatif soàla Cour, 3691899 signa-
tures, dont338408 provenaient du Japon. case with atomic and nuclear weapons . ..The argument that these
weapons are contrary to international law contains everything that
we can reproach them with. It has the advantage of being a legal
argument . . .No government can deny that these weapons violate
international law . ..and international law cannot be swept a~ide!"~

Though lay opinion has thus long expressed itself on the need for
attention to the legal aspects, thematter has not thus far been the subject
of any authoritative judicial pronouncement by an international tribunal.
It was considered by the courts in Japan in the Shimoda case5 but, until
the two current requests for advisory opinions from this Court, there has
been no international judicial consideration of the question. The respon-
sibility placed upon the Court is thus of an extraordinarily onerous

nature, and its pronouncements must carry extraordinary significance.
This matter has been strenuously argued before the Court from oppos-
ing points of view. The Court has had the advantage of being addressed
by a number of the most distinguished practitioners in the field of inter-
national law. In their submissions before the Court, they have referred to
the historic nature of this request by the General Assembly and the
request of the World Health Organization, which has been heard along
with it. In the words of one of them, these requests:

"will constitute milestones in the history of the Court, if not in
history per se. It is probable that these requests concern the most
important legal issue which has ever been submitted to the Court."
(Salmon, Solomon Islands, CR 95/32, p. 38.)

In the words of another, "Tt is not every day that the opportunity of
pleading for the survival of humanity in such an august forum is offered."
(David, Solomon Islands, CR 95132,p. 49.)
It isthus the gravest of possible issues which confronts the Court in
this Advisory Opinion. It requires the Court to scrutinize every available
source of international law, quarrying deep, if necessary, into its very
bedrock. Seams of untold strength and richness lie therein, waiting to be
quarried. Do these sources contain principles mightier than might alone,
wherewith to govern the mightiest weapon of destruction yet devised?

It needs no emphasis that the function of the Court is to state the law
as it now is, and not as it is envisaged in the future. 1sthe use or threat of

1992,p. 280,letter to Pablo Casals dated 3 October 1958; emphasis added.el (trans.),

Shimoda v. Tlze Japanese State, The Japanese Annual of International Law, 1964,
pp. 212-252. trouvant pas dans la zone des combats, comme c'estle cas des armes
atomiques et nucléaires ...L'argument selon lequel ces armes sont
contraires au droit international résumetout ce que nous avons à

leur reprocher. Il a l'avantage d'être un argumentjuridique ...Aucun
gouvernement ne peut nier que ces armes violent le droit internatio-
nal ...et on ne peut purement et simplement faire abstraction du
droit international !»4

Si donc les non-spécialistesont de longue date reconnu la nécessité de
l'examinersous ses aspects juridiques, la question n'a jusqu'à présentfait
l'objet d'aucune décisionjudiciairefaisant autorité émanantd'un tribunal
international. Elle a été examinépear les tribunaux japonais dans l'affaire
Shimoda5,maisjusqu'à la soumission à la Cour des deux demandes d'avis

consultatif, aucun organe judiciaire international n'a eu à en connaître. La
responsabilitéqui incombe à la Cour est donc extraordinairement lourde
et ses conclusions revêtent nécessairement unie mportance exceptionnelle.
La question a été intensémentdébattue devant la Cour à partir de
points de vue opposés.La Cour a l'avantage de voir se présenter devant
elle les spécialistesles plus éminentsdu droit international. Dans leurs
exposés,ils ont souligné la valeurhistorique que revêtenttant la présente

demande d'avis consultatif émanant de l'Assemblée généralq eue la
demande de l'OMS qui a été examinéa eussi par la Cour. Selon l'un
d'entre eux, ces demandes

«feront date dans l'histoire de la Cour sinon dans l'histoire tout
court. Il est probable que ces demandes portent sur la question juri-
dique la plus importante qui lui ait jamais étésoumise.)) (M. Sal-
mon, Iles Salomon, CR95i32, p. 38.)

Selon un autre: «Ce n'est pas tous les jours qu'on a l'occasion de
plaider pour la survie de l'humanité devantune Cour aussi prestigieuse. ))
(M. David, Iles Salomon, CR95i32, p. 49.)

Puisque c'est le plus grave des problèmes concevables qui est abordé
dans le présent avisconsultatif, il est du devoir de la Cour d'examiner,
dans un tel contexte, toutes les sources disponibles du droit international,
en allant aussi loin que possible dans ses recherches. La force et la
richesse insoupçonnées que recèlent ces sources n'attendent que d'être
mises au jour. Ces sources recèlent-elles des principes pluspuissants que
la puissance elle-mêmes ,ur la base desquels devrait êtrerégiel'arme de

destruction la plus puissante qui ait jamais étéconçue?
On ne saurait trop souligner que la fonction de la Cour est de dire le
droit tel qu'il est aujourd'hui et non tel qu'il pourrait êtredemain. Le

Albert Schweitzer, Letfers 1905-1965,H. W. Baher (dir. publ.), J. Neugroschel (trad.)
[dont la traduction anglaise a servi de basersion française ci-dessus], 1992,p. 280,
lettre Pablo Casals du 3 octobre 1958; les italiques sont de moi.
?C?Shirnoda c.I'Etatjaponais, The Japanese Annual of International Law, 1964,p. 212-use of nuclear weapons illegal under presently existing principles of law,
rather than under aspirational expectations of what the law should be?
The Court's concern in answering this request for an opinion is with /ex
lata not with lex ferenda.

At the most basic level, three alternative possibilitiescould offer them-
selves to the Court as it reaches its decision amidst the clash of opposing
arguments. If indeed the principles of international law decree that the
use of the nuclear weapon is legal, it must so pronounce. The anti-nuclear
forces in the world are immensely influential, but that circumstance does
not swerve the Court from its duty of pronouncing the use of the
weapons legal if that indeed be the law. A second alternative conclusion is
that the law gives no definite indication one way or the other. If so, that
neutral fact needs to be declared, and a new stimulus may then emerge
for the development of the law. Thirdly, if legal rules or principles dictate

that the nuclear weapon is illegal, the Court will so pronounce, un-
deterred again by the immenseforces ranged on the side of the legality of
the weapon. As stated at the very commencement, this last represents my
considered view. The forces ranged against the view of illegality are truly
colossal. However, collisions with the colossal have not deterred the law
on its upward course towards the concept of the rule of law. It has not
flinched from the task of imposing constraints upon physical power when
legal principle so demands. It has been by a determined stand against
forces that seemed colossal or irresistible that the rule of law has been
won. Once the Court determines what the law is, and ploughs its furrow
in that direction,it cannot pause to look over its shoulder at the immense
global forces ranged on either side of the debate.

2. Submissions to the Court
Apart from submissions relating to the competence of the General
Assembly to request this opinion, a large number of submissions on the

substantive law have been made on both sides by the numerous States
who have appeared before the Court or tendered written submissions.

Though there is necessarily an element of overlap among some of these
submissions, they constitute in their totality a vast mass of material,
probing the laws of war to their conceptual foundations. Extensive fac-
tua1material has also been placed before the Court in regard to the many
ways in which the nuclear weapon stands alone, even among weapons of
mass destruction, for its unique poteiltial of damaging humanity and its
environment for generations to come.

On the other hand, those opposing the submission of illegality have
argued that, despite a large number of treaties dealing with nuclear weap-problèmeest de savoir si l'on peut, pour conclure à l'illicéide l'emploi
ou de la menace d'emploi des armes nucléaires,s'appuyer sur les prin-
cipes juridiques existants et non sur une aspiration idéalistede ce que
le droit devrait être? En répondantà la présentedemande d'avis consul-
tatif, la Cour traite d'une question deege lata et non de legeferenda.
En se prononçant sur une question qui suscite des arguments si contra-
dictoires, la Cour peut essentiellement se trouver devant trois possibilités.
Si les principes du droit international établissentque l'emploi de l'arme

nucléaire est licite,la Cour est tenue de conclure en ce sens. Les forces
antinucléairesdans le monde pèsentd'un poids énorme maiscela ne doit
pas détourner la Cour de son devoir, qui est de déclarer quel'emploi des
armes nucléaires est licitesi c'est ce que dit le droit. Une deuxièmepos-
sibilité estque le droit ne fournit aucune indication préciseni dans un
sens ni dans l'autre. En pareil cas, il faut prendre acte de ce silenceet une
nouvelle impulsion pourrait être donnéeau développement du droit.
Enfin, si les règles et principes juridiques font apparaître que l'arme
nucléaire est illicite, laCour doit se prononcer en ce sens sans se laisser
intimider par les immenses forces soutenant la thèsede la licéit. omme
je l'ai indiquédèsle début,tout bien considéré, cette dernièreoption me
paraît êtrela bonne. Les forces qui s'opposentà la thèsede l'illicésont
certes colossales. Mais la confrontation avec des forces colossales n'apas
empêché le droit de poursuivre sa progression vers l'affirmation de sa pri-

mauté. Ledroit ne craint pas d'imposer des limites à la force matérielle
lorsque les principes juridiques l'exigent. C'est ens'affirmant énergique-
ment en présencede forces apparemment colossales ou irrésistiblesque le
droit a établisa primauté. Une fois que la Cour a déterminéce que dit le
droit et mis le cap dans cette direction, elle ne peut pas s'arrêterpour
mesurer purement et simplementl'ampleur des forces globales masséesde
chaque côté desa route.

2. Exposéssoumis a la Cour

Outre les exposés relatiàsla compétence del'Assemblée générap lour
demander cet avis consultatif, un grand nombre d'exposéssur le droit
positif en la matière ont étésoumis de part et d'autre par les nombreux
Etats qui se sont présentésdevant la Cour ou ont déposédes exposés

écrits.
Bien qu'ily ait nécessairement desrépétitionsdans ces divers exposés,
ils constituent dans leur ensemble une véritablemasse de documents, qui
analyse le droit de la guerre jusque dans ses fondements théoriques. Un
trèsgrand nombre d'éléments de fait ont également étésoumis à la Cour
pour mettre en lumière le caractère spécifiqueque présentent à maints
égardsles armes nucléaires, même comparéesaux autres armes de des-
truction massive, en raison des ravages sans précédentqu'elles peuvent
causer à l'humanitéet à son environnement pour les générations à venir.
De leur côté,les adversaires de la thèsede l'illicéitont soutenu que,
bien qu'il existe un grand nombre de traités sur les armes nucléaires,ons, no single clause in any treaty declares nuclear weapons to be illegal
in specificterms. They submit that, on the contrary, the various treaties
on nuclear weapons entered into by the international community, includ-
ing the Nuclear Non-Proliferation Treaty (NPT) in particular, carry a
clear implication of the current legality of nuclear weapons in so far as
concerns the nuclear powers. Their position is that the principle of the
illegality of the use or threat of use of nuclear weapons still lies in the
future, although considerable progress has been made along the road
leading to that result. Its lexferenda in their submission, and not yet of
the status of lex lata. Much to be desired, but not yet achieved, it is a
principle waiting to be born.

This opinion cannot possibly do justice toal1of the forma1submissions
made to the Court, but will attempt to deal with some of the more impor-
tant among them.

3. Sorne PrelirninaryObservations on the United Nations Charter

It was only a few weeks before the world was plunged into the age of
the atom that the United Nations Charter was signed. The subscribing
nations adopted this document at San Francisco on 26 June 1945. The
bomb was dropped on Hiroshima on 6 August 1945.Only 40 days inter-
vened between the two events, each so pregnant with meaning for the
human future.The United Nations Charter opened a new vista of hope.
The bomb opened new vistas of destruction.

Accustomed as it was to the destructiveness of traditional war, the
world was shaken and awe-struck at the Dowerof the nuclear bomb - a
small bomb by modern standards. ~he horrors of war, such as were
known to those who drafted the Charter, were thus only the compara-
tively milder horrors of World War II, as they had been experienced thus
far. Yet these horrors, seared into the conscience of humanity by the
most devastating conflict thus far in human history, were sufficient to
galvanize the world community into action, for, in the words of the
United Nations Charter, they had "brought untold sorrow to mankind".
The potential to bring untold sorrow to mankind was within weeks to be
multiplied several-fold by the bomb. Did that document, drafted in total
unawareness of this escalation in the weaponry of war, have anything to

say of relevance to the nuclear age which lay round the corner?

There are six keynote concepts in the opening words of the Charter
which have intense relevance to the matter before the Court.
The Charter's very first words are "We, the peoples of the United
Nations" - thereby showing that al1that ensues is the will of the peoples
of the world. Their collective will and desire is the very source of the
United Nations Charter and that truth should never be permitted to
recede from view. In the matter before the Court, thepeoples of the world
have a vital interest, and global public opinion has an important influ-aucun ne contient de clause déclarantces armes expressément illicites.A
les entendre, au contraire, les divers traités sur les armes nucléaires
conclus par la communauté internationale et notamment le traité sur la
non-prolifération impliquent clairement que les armes en question sont
actuellement licites pour ce qui est des puissances nucléaires.Leur thèse
est que le principe de I'illicéide l'emploi ou de la menace d'emploi des

armes nucléaires,malgréles grands progrès faitsdans la voie de sa recon-
naissance, est encore du domaine du futur. Il relèvepour le moment,
selon eux, de la lex ferenda et non de la lex lata. Très souhaitable mais
encore en devenir, c'est un principe en gestation.

Dans la présente opinion,je ne peux traiter comme ils devraient l'être
tous les arguments présentés à la Cour, mais je tenterai d'analyser cer-
tains des plus importants.

3. Quelques observationspréliminairessur la Charte des Nations Unies

Ce n'est que quelques semaines avant que le monde n'entre brusque-
ment dans l'èrede l'atome qu'a étésignée laCharte des Nations Unies.
Les pays signataires ont adoptéce document à San Francisco le 26juin
1945. La bombe a étélarguéesur Hiroshima le 6 août 1945. Il ne s'est
écouléque quarante jours entre les deux événements,l'un et l'autre si
chargés de signification pour l'avenir de l'humanité. La Charte des
Nations Unies a inauguré unenouvelle èred'espoir. La bombe a ouvert
une nouvelle èrede destruction.
Sihabituéqu'il fût aux ravages causéspar la guerre classique, lemonde
n'en a pas moins étéconsternéet horrifiépar la puissance de la bombe
nucléaire - modeste pourtant par rapport à ce qui se fait aujourd'hui.
Les horreurs de la guerre qu'avaient connues les rédacteurs dela Charte

n'étaient que les horreurs, comparativement plus limitées,vécuesjus-
que-là pendant la seconde guerre mondiale. Pourtant ces horreurs, gra-
véesdans la conscience de l'humanitépar le conflit le plus dévastateurde
l'histoire, avaient suffi pour mobiliser les énergiesde la communauté
internationalecar ellesavaient, pour citer la Charte, «infligé l'humanité
d'indicibles souffrances». Le pouvoir d'infliger d'indiciblessouffrancesà
l'humanité allait quelquessemaines plus tard être multiplié des dizaines
de fois par la bombe. La Charte, rédigéedans l'ignorance totale de cet
accroissement de la puissance des armements, a-t-elle lancéun message
adapté à l'èrenucléairequi allait s'ouvrir?
Les premières lignesde la Charte contiennent sixformules clésqui sont

d'une extrêmepertinence en l'espèce.
La Charte s'ouvre sur lesmots: ((Nous, peuples desNations Unies» -
montrant ainsi que tout ce qui suit exprime la volontédes peuples de la
Terre. C'est dans la volontéet les aspirations collectives de ces peuples
que la Charte trouve sa source - une véritéqu'ilne faut jamais perdre de
vue. Dans l'affaire soumisea la Cour, lespeuples du monde ont un intérêt
vital et l'opinion publique mondiale exerce une influence importante sur ence on the development of the principles of public international law. As
will be observed later in this opinion, the law applicable depends heavily
upon "the principles of humanity" and "the dictates of public con-
science", in relation to themeans and methods of warfare that are per-
missible.
The Charter's next words refer to the determination of those peoples to
Savesucceeding generations from the scourge of war. The only war they
knew was war with non-nuclear weapons. That resolve would presum-
ably have been steeled even further had the destructiveness and the inter-
generational effects of nuclear war been known.

The Charter immediately follows those two key concepts with a third
- the dignity and worth of the human person. This is recognized as the
cardinal unit of value in the global society of the future. A means was
about to reveal itself of snuffing it out by the million with the use of a
single nuclear weapon.
The fourth observation in the Charter, succeeding hard on the heels of
the first three, is the equal rights of nations large and small. This is an
ideal which is heavily eroded by the concept of nuclear power.
The next observation refers to the maintenance of obligations arising
from treaties and "other sourcesof international law" (emphasis added).
The argument against the legality of nuclear weapons rests principally
not upon treaties, but upon such "other sources of international law"
(mainly humanitarian law), whose principles are universally accepted.

The sixth relevant observation in the preamble to the Charter is its
object of promoting social progress and better standards of life in larger
freedom. Far from moving towards this Charter ideal, the weapon we are
considering is one which has the potential to send humanity back to the
Stone age if it survives at all.

Itis indeed as though, with remarkable prescience, the founding fathers
had picked out the principal areas of relevance to human progress and
welfare which could be shattered by the appearance only six weeks away
of a weapon which for ever would alter the contours of war - a weapon
which was to be described by one of its creators, in the words of ancient
oriental wisdom, as a "shatterer of world~"~.

The Court is now faced with the duty of rendering an opinion in regard
to the legality of this weapon. The six cardinal considerations set out at
the very commencement of the Charter need to be kept in constant view,
for each of them offers guidelines not to be lightly ignored.

Robert Oppenheimer,quoting The Bhagvadgita. SeePeter Goodchild, Robert Oppen-
heimer: Shattever of Worlds, 1980.

220le développementdes principes du droit international public. Comme on
le verra dans la suite de la présente opinion, le droit applicable est large-

ment fonction des ((principes d'humanité))et des ((exigencesde la cons-
cience publique)), pour ce qui est de déterminerles moyens et méthodes
de guerre qu'il est permis d'utiliser.
La Charte dit ensuite que les peuples des Nations Unies sont résolus à
préserverles générations futuresdu fléaude la guerre. L'expériencede la
générationd'alors se limitait à la guerre non nucléaireet une formulation
encore plus énergiqueaurait sans doute étéadoptéesi l'on avait étécons-
cient du potentiel destructeur des armes nucléaireset de la persistance de
leurs effets d'une génération à l'autre.
Immédiatement après ces deux idées,la Charte en avance une troi-

sième,cellede la dignitéet de la valeur de la personne humaine reconnues
comme la considération suprêmedans la sociétémondiale de demain,
alors mêmeque le monde allait avoir la révélationd'un moyen de faucher
des vies par millions avec une seule bombe atomique.
Juste après ces trois idées,la Charte en émet une quatrième,celle de
l'égalitéde droit des nations grandes et petites - idéalque la notion de
puissance nucléaire met sérieusement en péril.
Ensuite vient la notion du maintien du respect des obligations nées des
traités et((autres sources du droit international» (les italiques sont de

moi). La thèse qui conteste la licéité desarmes nucléairess'appuie prin-
cipalement non sur les traités maissur «les autres sources du droit inter-
national)) (essentiellement le droit humanitaire), dont les principes sont
universellement acceptés.
La sixième idéepertinente contenue dans le préambule dela Charte a
trait au progrès social età l'instauration de meilleures conditions de vie
dans une liberté plusgrande. Loin de contribuer à la réalisation de cet
idéalénoncépar la Charte, l'arme qui nous occupe a la capacité de faire
retourner l'humanité à l'âge de pierre- si ellene l'anéantitpas complè-
tement.

On dirait vraiment qu'avec une prescience remarquable les auteurs de
la Charte ont eu l'intuition des grandes valeurs liéesau progrès et au
bien-êtrede l'humanité qui allaient êtremenacées de destruction par
l'apparition, six semaines plus tard, d'une arme assez puissante pour
modifier à tout jamais le visage de la guerre - une arme qu'un de ses
créateurs,empruntant à l'antique sagesseorientale, qualifierait unjour de
celle «qui anéantit les mondes>)6, lui reconnaissant ainsi le pouvoir
d'ébranlerl'univers.
La Cour est maintenant appelée à émettreun avis sur la licéitéde cette

arme. Les six idées cruciales énoncéea su tout débutde la Charte ne doi-
vent jamais être perdues devue car chacune d'entre elles est un point de
repère dont il ne faut pas s'écarter àla légère.

Robert Oppenheimer citant le Blzagavad-Gita. Voir Peter Goodchild, Robert Oppen-
heimer: Shattever of Worlds, 1980. 4. The Law Relevant to Nuclear Weapons

As Oscar Schachter observes, the law relevant to nuclear weapons is

"much more comprehensive than one might infer from the discussions of
nuclear strategists and political scientists"', and the range of applicable
law could be considered in the following five categories:

1. The international law applicable generally to armed conflicts - the
jus in bello, sometimes referred to as the "humanitarian law of war".

2. The jus ad bellum - the law governing the right of States to go to
war. This law is expressed in the United Nations Charter and related
customary law.
3. The lex specialis - the international legal obligations that relate spe-
cifically to nuclear arms and weapons of mass destruction.

4. The whole corpus of international law that governs State obligations
and rights generally, which may affect nuclear weapons policy in par-
ticular circumstances.

5. National law, constitutional and statutory, that may apply to deci-
sions on nuclear weapons by national authorities.

All of these will be touched upon in the ensuing opinion, but the main
focus of attention will be on the first category mentioned above.
This examination will also show that each one of the sources of inter-
national law, as set out in Article 38 (1) of the Court's Statute, supports

the conclusion that the use of nuclear weapons in any circumstances is
illegal.

5. Intvoductory Obsevvations on Hu~nanitavianLaw

It is in the department of humanitarian law that the most specificand

relevant rules relating to this problem can be found.
Humanitarian law and custom have a very ancient lineage.They reach
back thousands of years. They were worked out in many civilizations -
Chinese, Indian, Greek, Roman, Japanese, Islamic, modern European,
among others. Through the ages many religious and philosophical ideas
have been poured into the mould in which modern humanitarian law has
been formed. They represented the effort of the human conscience to
mitigate in some measure the brutalities and dreadful sufferings of war.

Proceedings of the Canadian Conference on Nuclear Weapons and the Law, pub-
lished as Lawyers and the Nuclear Debate,Maxwell Cohen and Margaret Gouin (eds.),
1988,p. 29. MENACE OU EMPLOI D'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW . EERAMANTRY) 443

4. Le droit applicable aux armes nucléaires

Comme le souligne Oscar Schachter, le droit applicable aux armes
nucléaires estbeaucoup plus étenduque ne «le donne àpenser le discours
des stratèges du nucléaireet des spécialistesde la science politique»7 et
les divers éléments de ce droit pourraient être rangésdans les cinq caté-
gories suivantes :

1) Le droit international applicable d'une manièregénéraleaux conflits
armés - lejus in bello, parfois désignésous le nom de «droit huma-
nitaire de la guerre)).
2) Le jus ad bellum - les règles régissantle droit des Etats de faire la
guerre. Ces règlestrouvent leur expression dans la Charte des Nations
Unies et dans le droit coutumier pertinent.

3) La lex specialis- lesobligationsjuridiques internationales qui concer-
nent spécialementles armes nucléaires et lesarmes de destruction
massive.
4) Le corpus de droit international régissant lesdroits et les obliga-
tions des Etats en général,qui peut avoir une incidence sur la politi-
que en matière d'armes nucléaires dans des circonstances détermi-
nées.
5) Le droit interne, d'origine constitutionnelle et législative, éventuelle-

ment applicable aux décisions desautorités nationales en matière
d'armes nucléaires.

Chacune de ces catégoriessera analyséedans la présente opinion mais
c'est surtout la premièrequi retiendra mon attention.
Cette analyse montrera également que les diverses sources du droit
international énuméréea su paragraphe 1 de l'article 38 du Statut de la
Cour corroborent toutes la conclusion que l'emploi desarmes nucléaires
est illicite en toute circonstance.

5. Remarques préliminairessur le droit humanitaire

C'est dans le domaine du droit humanitaire que l'on trouve les règles
les plus préciseset les plus pertinentes sur la question à l'examen.
Le droit et la coutume humanitaires ont des lettres de noblesse fort
anciennes, remontant à des milliers d'années,et tirent leur origine de

nombreuses civilisations - cellesnotamment de la Chine, de l'Inde, de la
Grèce, deRome, du Japon, de l'Islam et de l'Europe moderne. Au fildes
siècles,maintes idées religieuseset philosophiques ont étéapportées au
creuset d'où est sorti le droit humanitaire moderne. Ainsi s'est traduit
l'effort de la consciencehumaine pour atténuer dansune certaine mesure

Actes de la Canadian Conference on Nuclear Weapons and the Law, publiéssous le
titreawyers and the Nuclear Debate, Maxwell Cohen et Margaret Gouin (dir. publ.),
1988,p. 29.In the language of a notable declaration in this regard (the St. Petersburg
Declaration of 1868),international humanitarian law is designed to "con-
ciliate the necessities of war with the laws of humanity". In recent times,
with the increasing slaughter and devastation made possible by modern
weaponry, the dictates of consciencehave prompted ever more compre-
hensive formulations.

It is today a substantial body of law, consisting of general principles
flexible enough to accommodate unprecedented developments in weap-
onry, and firm enough to command the allegiance of al1members of the
community of nations. This body of general principles exists in addition
to over 600 specialprovisions in the Geneva Conventions and their Addi-
tional Protocols, apart from numerous other conventions on special mat-
ters such as chemical and bacteriological weapons. It is thus animportant
body of law in its own right, and this case in a sense puts it to the test.

Humanitarian law is ever in continuous development. It has a vitality
of its own. As observed by the 1945 Nuremberg Tribunal, which dealt
with undefined "crimes against humanity" and other crimes, "[the law of

war] is not static, but by continual adaptation follows the needs of a
changing world" Humanitarian law grows as the sufferings of war keep
escalating. With the nuclear weapon, those sufferingsreach a limit situa-
tion, beyond which al1else is academic. Humanitarian law, as a living
discipline, must respond sensitively, appropriately and meaningfully.

By their very nature, problems in humanitarian law are not abstract,
intellectual enquiries which can be pursued in ivory-tower detachment
from the sad realities which are their stuff and substance. Not being mere
exercises in logic and black-letter law, they cannot be logically or intel-
lectually disentangled from their terrible context. Distasteful though it be
to contemplate the brutalities surrounding these legal questions, the legal
questions can only be squarely addressed when those brutalities are
brought into vivid focus.

The brutalities tend often to be hidden behind a veil of generalities and
platitudes - such as that al1war is brutal or that nuclear weapons are
the most devastating weapons of mass destruction yet devised. It is
necessaryto examine more closelywhat this means in al1its stark reality. A
close and unvarnished picture is required of the actual human sufferings
involved, and of the multifarious threats to the human condition posed
by these weapons. Then only can humanitarian law respond appropri-
ately. Indeed, it is by turning the spotlight on the agonies of the battle-

Trial of'the Major War Criminalsbefore the International Military Tribunal, 1948,
Vol. 22,p. 464.

222la barbarie et les effroyables souffrances de la guerre. Pour citer une
déclaration célèbreadoptée dans ce domaine (la déclaration de Saint-
Pétersbourg de 1868),ledroit internationalhumanitaire vise à concilier«les
nécessitéd se la guerre» avec «les lois de l'humanité».A l'époquerécente,
l'accroissement du pouvoir meurtrier et dévastateur des armements a
provoqué dans la conscience morale une réaction qui s'est traduite par
des formulations d'une portéede plus en plus large.
On est aujourd'hui en présenced'un solide corpus juridique, consistant

en un certain nombre de principes généraux, à la fois assez souples pour
s'adapter au rythme sans précédent de l'évolution de la situation en
matière d'armementset assez fermement établispour recueillir l'adhésion
de tous les membres de la communauté des nations. A ce corps de prin-
cipes généraux s'ajoutentles dispositions spéciales - plus de six cents au
total - que contiennent les conventions de Genève et leurs protocoles
additionnels, ainsi que les nombreuses autres conventions consacrées à
des sujets spécialiséscomme celui des armes chimiques et bactériolo-
giques. Il y a donc là un corpus juridique autonome très étoffé que la
présente affaire permet en quelque sorte de tester.
Le droit humanitaire est en constante évolution. Il a sa vitalitépropre.
Comme l'a déclaréle Tribunal de Nüremberg en 1945, en présencede

((crimesde guerre» et autres crimes non définis, (([ledroit de la guerre]
n'est pas statique; grâce à un processus continu d'adaptation, il reste en
phase avec les exigences d'un monde en évoluti~n»~.Le droit humani-
taire se développeau fur et à mesure que les souffrances de la guerre
gagnent en intensité.Avec l'arme nucléaire,ces souffrances atteignent un
paroxysme qui dépassetout. La réactiondu droit humanitaire, discipline
vivante, doit être pertinente, raisonnableet efficace.
De par leur nature même, lesproblèmesdu droit humanitaire ne sont
pas de ceux sur lesquels on peut se livrer à des spéculations abstraites
dans une tour d'ivoire, loin des tristes réalitéqsui en sont la substance
même.Ne se laissant pas enfermer dans le cadre de la logique et du droit
au pied de la lettre, ils ne peuvent être logiquementou intellectuellement

dissociésde leur douloureux contexte. On ne peut vraiment s'y attaquer
qu'en mettant clairement en évidenceles questions juridiques que sou-
lèvela barbarie de la guerre, si déplaisantessoient-elles.
Cette barbarie est souvent occultéepar un voile de généralitéo su de
platitudes du type :((Toute guerre est cruelle»,ou :«Les armes nucléaires
sont les armes de destruction massive les plus dévastatrices qui aient
jamais étéconçues.)) Il faut examiner de plus près les vraies réalitésque
cachent ces observations et mettre en lumièredans toute leur acuitéles
souffrances humaines effectivement enduréeset les menaces multiformes
que les armes considérées font peser sur la destinéehumaine. C'est à cette
condition que le droit humanitairepeut jouer un rôle utile. N'est-cepas la

Procès des grands criminelsde guerre devant le Tribunal militaire international, 1948,
vol. 22, p. 464.

222field that modern humanitarian law began. This opinion will therefore
examine the factual effects of nuclear weapons in that degree of minimum
detail which is necessary to attract to these considerations the matching
principles of humanitarian law.

6. Linkage between Humanitarian Law and the Realities of War

The nineteenth century tended to view war emotionally, as a glorious
enterprise, and practically, as a natural extension of diplomacy. Legiti-
mized by some philosophers, respected by nearly al1 statesmen, and
glorified by many a poet and artist, its brutalities tended to be concealed
behind screens of legitimacy, respectability and honour.

Henri Dunant's Memory of Solferino, written after a visit to the

battlefield of Solferino in1859,dragged the brutalities of war into public
view in a manner which shook contemporary civilization out of its com-
placency and triggered off the development of modern humanitarian law.
That spirit of realism needs to be constantly rekindled if the law is not to
stray too far from its subject matter, and thus become sterile.
Dunant's historic account touched the conscience of his age to the
extent that a legal response seemed imperative. Here is his description of
the raw realities of war as practised in his time:

"Here is a hand-to-hand struggle in al1its horror and frightful-
ness: Austrians and Allies trampling each other under foot, killing
one another on piles of bleeding corpses, felling their enemies with
their rifle butts, crushing skulls, rippingellies open with sabre and
bayonet. No quarter is given. It is a sheer butchery . . .
A little further on, it is the same picture, only made the more
ghastly by the approach of a squadron of cavalry, which gallops by,
crushing dead and dying beneath its horses' hoofs. One poor man
has his jaw carried away; another his head shattered; a third, who
could have been saved, has his chest beaten in.
Here comes the artillery, following the cavalry and going at full

gallop. The guns crash over the dead and wounded, strewn pell-me11
on the ground. Brains spurt under the wheels, limbs are broken and
torn, bodies mutilated past recognition - the soi1is literally puddled
with blood, and the plain littered with human remains."
His description of the aftermath is no less powerful:

"The stillness of the night was broken by groans, by stifled sighs
of anguish and suffering. Heart-rending voices kept calling for help.
Who could ever describe the agonies of that fearful night?révélation desatrocitéscommises sur les champs de bataille qui a été le
point de départdu droit humanitaire moderne? La présente opinionana-
lysera donc les effets concrets des armes nucléairesde manière suffisam-
ment détaillée pour démontrerque lesprincipes du droit humanitaire leur
sont applicables.

6. Le lien entre le droit humanitaire et les réalités de la guerre

Le XIXe siècletendait à considérerla guerre, sur le plan émotionnel,
comme une entreprise glorieuse et, sur le plan pratique, comme le pro-
longement naturel de la diplomatie. Légitimée par certains philosophes,
respectéepar presque tous les hommes d'Etat et glorifiéepar maints ar-
tistes et poètes, la guerre dissimulait sa barbarie derrière un écran de
légitimitéd, e respectabilitéet de grandeur.
Le récit Un souvenir de Solferino d'Henri Dunant, écritau retour du
champ de bataille de Solferinoen 1859,a révélé au grand public la cruauté
de la guerre avec une force qui a secoué l'indifférence de la civilisation
contemporaine et amorcéledéveloppementdudroit humanitaire moderne.

Il faut que le droit reste constamment en prise avecle réel sil'on ne veut
pas qu'il s'éloigne trop de son objet et ne devienne donc stérile.
Le récithistorique de Dunant a si profondément touchéla conscience
de son époquequ'il ne pouvait manquer d'avoir un échojuridique. Voici
sa description des cruelles réalitésde la guerre telle qu'ellese pratiquaità
l'époque,qui met en lumièreune lutte corps à corps horrible et épouvan-
table :

((Autrichiens et alliésse foulent aux pieds, s'entretuent sur des
cadavres sanglants, s'assomment à coups de crosse, se brisent le
crâne, s'éventrent avecle sabre et la baïonnette ..- point de quar-
tier...C'est une boucherie ...

Parfois, la lutte devient plus effrayante par l'approche d'un esca-
dron de cavalerie qui passe au galop ...écrasant sousles pieds ferrés
[des chevaux] les morts et les mourants ...L'un [des blessés]a la
mâchoire emportée ; un autre la tête écrasée u;n troisièmela poitrine
enfoncée.
L'artillerie lancéeà fond de train suit la cavalerie. Ellese fraie une
route à travers les cadavres et lesblessésgisant indistinctement sur le
sol. Les membres sont brisés et broyés, les cervelles jaillissent,la
terre s'abreuve de sang et le sol est jonché de débrishumains.))

La description du champ de bataille après le combat n'est pas moins
saisissante:

((Dans le silence de la nuit, on entend des gémissements, dessou-
pirs étouffés pleins d'angoisse et de souffrance, des voix déchirantes
qui appellent du secours. Qui pourra jamais redire les agonies de
cette nuit? When the sun came up on the twenty-fifth, it disclosed the most
dreadful sights imaginable. Bodies of men and horses covered the
battlefield corpses were strewn over roads, ditches, ravines, thickets
and fields: the approaches of Solferino were literally thick with
dead."

Such were the realities of war, to which humanitarian law was the
response of the legal conscience of the time. The nuclear weapon has
increased the savagery a thousandfold since Dunant wrote his famous
words. The conscience of Our time has accordingly responded in appro-
priate measure, as amply demonstrated by the global protests, the Gen-
eral Assembly resolutions, and the universal desire to eliminate nuclear
weapons altogether. It does not sit back in a spirit of scholarly detach-
ment, drawing its conclusions from refined exercises in legal logic.

Just as it is through close contact with the raw facts of artillery and
cavalry warfare that modern humanitarian law emerged, it is through a
consideration of the raw facts of nuclear war that an appropriate legal

response can emerge.
While we have moved from the cruelties of cavalry and artillery to the
exponentially greater cruelties of the atom, we now enjoy a dual advan-
tage, not present in Dunant's time -the established discipline of humani-
tarian law and ample documentation of the human suffering involved.
Realities infinitelymore awful than those which confronted Dunant's age
of simpler warfare cannot fail to touch the legal conscience of Our age.

Here is an eyewitness description from the first use of the weapon in
the nuclear age - one of hundreds of such scenes which no doubt
occurred simultaneously, and many of which have been recorded in con-
temporary documentation. The victims were not combatants, as was the
case at Solferino :

"It was a horrible sight. Hundreds of injured people who were try-
ing to escape to the hills passed Our house. The sight of them was
almost unbearable. Their faces and hands were burnt and swollen;
and great sheets of skin had peeled away from their tissues to hang
down like rags on a scarecrow. They moved like a line of ants. Al1
through the night they went past Our house, but this morning they

had stopped. 1found them lying on both sides of the road, so thick
that it was impossible to pass without stepping on them.

And they had no faces! Their eyes, noses and mouths had been
burned away, and it looked like their ears had been melted off. It
was hard to tell front from back. One soldier, whose features had
been destroyed and was left with his white teeth sticking out, asked
me for some water but 1 didn't have any. (1clasped my hands and Le soleildu 2.5juin 18.59éclairel'un des spectacles lesplus affreux
qui se puissent présenterà l'imagination.
Le champ de bataille estjonché de cadavres d'hommeset de che-
vaux. Ils sont comme seméssur les routes, dans les fossés,les ravins,
les buissons, les prés, surtout aux approches du village de Solfe-
rino.»

Telles étaient les réalités dela guerre, auxquelles la conscience juri-
dique de l'époque a réagipar le développementdu droit humanitaire.
Depuis le célèbre témoignage de Dunant, l'arme nucléairea multipliéle
problème par mille. La conscience contemporaine a réagi en consé-
quence, comme en témoignent amplementlesprotestations mondiales, les
résolutions del'Assembléegénérale et la volonté universelle d'éliminer
purement et simplement les armes nucléaires. Rienici du détachementdu
chercheur parvenant à ses conclusions par le biais d'un subtil maniement

de la logiquejuridique.
Tout comme c'est à la faveur d'un contact étroit avec la réalitésans
fard des combats d'artillerie et de cavalerie que s'est dégagéle droit
humanitaire moderne, c'est l'analyse de la réalitécrue de la guerre
nucléairequi peut susciter la réaction juridique appropriée.
Si à la barbarie des combats d'artillerie etde cavalerie a succéla bar-
barie sans commune mesure de l'atome, nous avons sur les contempo-
rains de Dunant un double avantage: celui d'avoir à notre disposition un
droit humanitaire bien établi etcelui d'être amplementrenseignéssur les
souffrances humaines en cause. En présence de conséquences infiniment
plus terrifiantes que cellesdes techniques militaires plus rudimentaires qui
étaienten usage à l'époque deDunant, la consciencejuridique de notre

temps ne saurait rester passive.
Voici comment un témoin décritce qu'il a vu après que I'arme ato-
mique eut étéutiliséepour la première fois à l'ère nucléaire- et des
centaines de scènessemblables se sont sûrement dérouléesau mêmemo-
ment, beaucoup étantd'ailleursrelatéesdans les archives contemporaines.
Les victimes n'étaient pas, comme à Solferino, des combattants:

((C'était un spectacle horrible. Des centaines de blessés qui
essayaient de fuir dans les collines passaient devant notre maison.
Les regarder était presque intolérable. Leur visage et leurs mains
étaient brûléset gonfléset de grands lambeaux de peau détachés de
leurs chairs pendaient de leur corps comme des haillons d'un épou-
vantail. Ils cheminaient comme des fourmis. Toute la nuit, ils sont
passésdevant notre maison mais au matin le cortège s'étaitarrêtéJ.e
les ai trouvés gisant dechaque côté de laroute, dans un tel entasse-
ment qu'il étaitimpossible de passer sans piétiner leurs corps.
Et ils n'avaient plusde visage! Leurs yeux, leur nez et leur bouche
avaient étébrûléset on aurait dit que leurs oreilles avaient fondu.

étaitdifficilede distinguer la face antérieurede la face postérieure de
leur corps. Un soldat dont il ne restait du visage que les dents qui
saillaient me demanda de l'eau maisje n'en avaispas. (Jejoignis les prayed for him. He didn't say anything more.) His plea for water
must have been his last word~."~

Multiply this a thousand-fold or even a million-fold and we have a pic-
ture of just one of the many possible effects of nuclear war.

Massive documentation details the sufferings caused by nuclear

weapons - from the immediate charring and mutilation for miles from
the site of the explosion, to the lingering after-effects - the cancers and
the leukaemias which imperil human health, the genetic mutations
which threaten human integrity, the environmental devastation which
endangers the human habitat, the disruption of al1organization, which
undermines human society.

The Hiroshima and Nagasaki experience were two isolated incidents
three days apart. They tell us very little of the effects of multiple explo-
sions that would almost inevitably follow in quick succession in the event
of a nuclear war today (see Section 11.6below). Moreover, 50 years of
development have intervened, with bombs being available now which
carry 70 or even 700 times the explosive power of the Hiroshima and
Nagasaki bombs. The devastation of Hiroshima and Nagasaki could be

magnified several-fold by just one bomb today, let alone a succession of
bombs.

7. The Limit Situation Created by Nuclear Weapons

Apart from human suffering, nuclear weapons, as observed earlier,
take us into a limit situation. They have the potential to destroy al1civi-
lization - al1that thousands of years of effort in al1cultures have pro-

duced. It is true "the dreary story of sickened survivors lapsing into
stone-age brutality is not an assignment that any sensitive person under-
takes willingly", but it is necessary to "contemplate the likely outcome of
mankind's present course clearsightedly" 'O.Since nuclear weapons can
destroy al1 life on the planet, they imperil al1 that humanity has ever
stood for, and humanity itself.

Hiroshima Diary: The Journal of a Japanese Physician August 6-September 30, 1945,
by Michihiko Hachiya, M.D., translated and edited by Warner Wells, M.D., University
of'O"The Medical and Ecological Effects of Nuclear War", by Don G. Bates, Professor
of the History of Medicine,cGill University, in McGill Law Journal, 1983, Vol. 28,
p. 717. MENACE OU EMPLOI D'ARMES NUCLÉAIRES (OP.DISS.WEERAMANTR4 Y4)7

mains et priai pour lui. Il ne parla plus.) Ses derniers mots avaient
sans doute étépour demander de l'eau.~~

Multipliez cette scènepar mille ou mêmepar un million et vous pour-
rez vous représenter l'un des effets, parmi bien d'autres, de la guerre
nucléaire.

Il existe une volumineuse documentation sur les ravages causéspar les
armes nucléaires - demis la carbonisation et la mutilation des coros
dans un rayon de plusieurs kilomètres autour du lieu de l'explosion
jusqu'aux lésions à évolution lente,en passant par les cancers et les leu-
cémiesqui compromettent la vie humaine, les mutations génétiquesqui
menacent l'intégritéde l'espèce,la dévastation de l'environnement qui
met en danger l'habitat humain, et l'atteinte à toutes les formes d'orga-
nisation qui sape les fondements mêmede la société humaine.

Les bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki ont étédeux inci-
dents isoléssurvenus à trois jours d'intervalle. Ils nous apprennent très
peu de choses sur les effets possibles d'explosionsmultiples qui se succé-
deraient probablement à un rythme rapide si une guerre nucléaire éclatait
aujourd'hui (voir ci-après sect.II, par. 6). Au surplus, cinquante ans de
recherches ont abouti à la mise au point de bombes dotéesd'un pouvoir
destructeur soixante-dix ou même septcents fois supérieur à celui des

bombes d'Hiroshima et de Nagasaki. Une seulebombe serait aujourd'hui
capable de causer à ces deux villes des dévastations plusieurs fois supé-
rieures à celles qu'elles ont subies, et qu'en serait-il d'une succession de
bombes?

7. Le seuil critique atteint avec lesarmes nucléaires

Abstraction faite des souffrances humaines qu'elles engendrent, les
armes nucléairesnous amènent, comme nous l'avons déjàsouligné, à un
seuilcritique. Elles ont la capacité dedétruirel'ensemblede la civilisation

- tout ce qu'ont produit des milliersd'années d'effortsdans lescontextes
culturels les plus divers. Sans doute ((l'évocationdu triste sort de survi-
vants affaiblis retombantdans l'abrutissement de l'âge de pierren'est-elle
pas une tâche qu'une personne douée de sensibilitéentreprend volon-
tiers», mais il faut savoir ((envisager avec lucidité l'issueprobable de la
voie sur laquelle est engagéel'humanité» 'O.Puisque les armes nucléaires
sont capables de détruire toute vie sur la planète, elles mettent en péril

toutes les aspirations de l'humanitéau cours de son histoire, et l'huma-
nitéelle-même.

HiroshimaDiary: The Journal ofa Japanese Physician August 6-September 30, 1945,
par Michihiko Hachiya, M.D., traduit et éditépar Warner Wells, M.D., p. 14-15.
'O«The Medical and Ecological Effects of Nuclear War», par Don G. Bates, profes-
seur d'histoire de la médecine,Universitédans McGill Law Journal, 1983,vol. 28,
p. 717. An analogy may here be drawn between the law relating to the envi-
ronment and the law relating to war.
At one time it was thought that the atmosphere, the seas and the land
surface of the planet were vast enough to absorb any degree of pollution

and yet rehabilitate themselves. The law was consequently very lax in its
attitude towards pollution. However, with the realization that a limit
situation would soon be reached, beyond which the environment could
absorb no further pollution without danger of collapse, the law found
itself compelled to reorientate its attitude towards the environment.
With the law of war, it is no different. Until theadvent of nuclear war,
it was thought that however massive the scale of a war, humanity could
survive and reorder its affairs. With the nuclear weaD.n.a,limit situation
was reached, in that the grim prospect opened out that humanity may
well fail to survive the next nuclear war, or that al1civilization may be
destroyed. That limit situation has compelled the law of war to reorien-
tate its attitudes and face this new reality.

8. Possession and Use

Although it is the use of nuclear weapons, and not possession, that is
the subject of this reference, many arguments have been addressed to the
Court which deal with possession and which therefore are not pertinent
to the issues before the Court.
For example, the Court was referred, in support of the position that
nuclear weapons are a matter within the sovereign authority of each
State, to the following passage in Military and Paramilitary Activities ivl
and against Nicaragua (Nicaragua v. United States of America) :

" 'ininternational law there are no rules, other than such rules asmay
be accepted by the State concerned, by treaty or otherwise, whereby
the level of armaments of a sovereign State can be limited' (I.C.J.
Reports 1986, p. 135)" (CR95123, p. 79, France; emphasis added).

This passage clearly relates to possession, not use.

Much was made also of the Nuclear Non-Proliferation Treaty, as per-
mitting nuclear weapons to the nuclear weapons States. Here again such
permission, if any, as may be inferred from that treaty relates to posses-
sion andnot use, for nowhere does the NPT contemplate or deal with the
use or threat of use of nuclear weapons. On questions of use or threat of
use, the NPT is irrelevant.

9. Differing Attitudes of States Supporting Legality

There are some significant differences between the positions adopted
by Statessupporting the legality of the use of nuclear weapons. Indeed, in On peut ici faire un parallèle entre le droit de l'environnement et le
droit de la guerre.
Il fut un temps où l'atmosphère, lesmers et la surfacede la terre parais-
saient suffisamment vastes pour supporter n'importe quel niveau de pollu-
tion et se régénérer enmêmetemps. Le droit étaitdonc très tolérantvis-
à-vis de la pollution. Mais lorsqu'on s'est rendu compte qu'un seuil
critique allait bientôt être atteintau-delà duquel l'environnement ne serait
plus capable de supporter de pollution sans risquer la destruction, le droit
s'est trouvécontraint de repenser son attitude vis-à-vis du phénomène.
11en va de mêmedu droit de la guerre. Jusqu'à l'avènement de l'âge
nucléaire, on pensait que l'humanité pouvait survivre à toute guerre,

quelle qu'en fût l'ampleur, et retrouver son équilibre. Avec l'arme
nucléaire,on a atteint un seuil critique avec l'apparition de la sinistrepos-
sibilitéque l'humanité ne survive pas à la prochaine guerre nucléaire et
que toute civilisation ne soit détruite. Le droit de la guerre s'est alors
trouvé contraint de revoir son attitude faceà cette réalité nouvelle.

8. Possession et utilisation

Bien que ce soit l'utilisation et non la possession des armes nucléaires
qui soit ici en cause, il a été présentéla Cour de nombreux arguments
qui ont traità la possession et sont donc sans pertinence pour la question
considérée.
Un rappel a par exemple étéfait, à l'appui de la thèse selon laquelle le
problème des armes nucléairesrelèvede l'autoritésouveraine de chaque
Etat, du passage ci-après de l'arrêt rendudans l'affaire desctivités mili-
taires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c.
Etats-Unis d'Amérique) :

«il n'existe pas en droit international de règles,autres que celles que
1'Etat intéressé peut accepter,par traité ou autrement, imposant la
limitation du niveau d'armement d'un Etat souverain)) (C.I.J. Recueil
1986, p. 135)))(CR95123, p. 79, France; les italiques sont de moi).
Ce paragraphe concerne manifestement la détention, et non l'utilisa-

tion des armes en cause.
On a, de même, répété à satiété quele traité sur la non-prolifération
n'interdit pas la possession des armes nucléaires aux Etats qui en sont
dotés. Mais là encore, si on peut,àl'extrême rigueur, déduire de ce traité
qu'il permet de posséderdes armes nucléaires,on ne saurait l'interpréter
comme autorisant l'emploide ces armes puisqu'il ne s'applique en aucune
manière à l'emploi ou à la menace d'emploi des armes en question.
S'agissant de ce problème, le traitéest dépourvu de pertinence.

9. Positions différentesadoptéespar les Etats favorables
à la thèsede la licéité

Il existe des différencesnotables dans les positions des Etats favorables
à la thèsede la licéitde l'emploi des armes nucléaires.De fait, il y a, surrelation to some very basic matters, there are divergent approaches
among the nuclear States themselves.
Thus the French position is that

"This criterion of proportionality does not itself rule out in prin-
ciple the utilization, whether in response or as a matter of first use,
of any particular weapon whatsoever, including a nuclear weapon,
provided that such use is intended to withstand an attack and appears
to be the most appropriate means of doing SO." (French Written
Statement, p. 29, emphasis added.)

According to this view, the factors referred to could, in a given case,
even outweigh the principle of proportionality. It suggests that the gov-
erning criterion determining the permissibility of the weapon is whether it
is the most appropriate means of withstanding the attack. The United
States position is that:
"Whether an attack with nuclear weapons would be dispropor-
tionate depends entirely on the circumstances, including the nature

of the enemy threat, the importance of destroying the objective, the
character, size and likely effects of theevice, and the magnitude of
therisk to civilians." (United States Written Statement, p. 23.)

The United States position thus carefullytakes into account such circum-
stances as the character, size and effects of the device and the magnitude

of risk to civilians.
The position of the Russian Federation is that the "Martens Clause"
(see Section 111.4) is not working at al1 and that today the Martens
Clause may formally be considered inapplicable (Written Statement,
p. 13).
The United Kingdom, on the other hand, while accepting the applica-
bility of the Martens Clause, submits that the clause does not on its own
establish the illegality of nuclear weapons (United Kingdom Written
Statement,p. 48, para. 3.58).The United Kingdom argues that the terms
of the Martens Clause make it necessary to point to a rule of customary
law outlawing the use of nuclear weapons.
These different perceptions of the scope, and indeed of the very basis
of the claim of legality on the part of the nuclear powers themselves, cal1
for careful examination in the context of the question addressed to the

Court.

10. The Importance of a Clar~cation of the Law

The importance of a clarification of the law upon the legality of
nuclear weapons cannot be overemphasized.
On 6 June 1899, Mr. Martens (presiding over the Second Subcommis-
sion of the Second Commission of the Hague Conference), after whom
the Martens Clause has been named (which will be referred to at somedes aspects essentiels, des divergences de vues entre les Etats dotés
d'armes nucléaires eux-mêmes.
Ainsi, la position française est la suivante:

«Ce critère de proportionnalité ne permet pas en lui-même
d'exclure par principe l'utilisation, que ce soit en riposte ou en pre-
mier emploi, de quelque arme déterminéeque ce soit, et notamment
de l'arme nucléaire, dès lors que cet emploi vise àfaire face à une
agression et qu'il apparaît comme le moyen adéquatdefaire face à
celle-ci.»(Exposé écridte la France, p. 29; les italiques sontde moi.)

Seloncetteposition,lesfacteurs mentionnéspourraient,dans tel ou telcas
d'espèce,l'emportermêmesur le principe de proportionnalité. Il semble en
résulter quepour déterminersi l'emploide l'armeest permis,il faut avant
tout savoirsicelui-ciconstituelemoyenleplus appropriéde faireface àune
agression.Les Etats-Unis d'Amériquepour leur part déclarentque:
«La question de savoir si une agression au moyen d'armes nu-
cléaires serait disproportionnée dépend entièrement des circons-

tances, notamment du caractère de la menace ennemie, de l'intérêt
que présentela destruction de l'objectif,dela nature, de la puissance
et des effets probables de l'arme, ainsi que de l'ampleur du risque
pour la population civile, etc. (Exposéécrit desEtats-Unis, p. 23.)
Ainsi, la position des Etats-Unis prend soigneusement en considération
des facteurs tels que la nature, la dimension et les effets de l'engin et

l'ampleur du risque encouru par les civils.
Pour la Fédérationde Russie, la «clause de Martens» (voir ci-après la
section III, paragraphe 4) est inopérante et peut aujourd'hui être formel-
lement considéréeinapplicable (exposéécrit dela Fédérationde Russie,
p. 13).
Le Royaume-Uni, en revanche, accepte l'applicabilitéde la clause de
Martens mais affirme que cette clause n'établit pas,par elle-même, l'illi-
céité desarmes nucléaires (exposé écritdu Royaume-Uni, p. 48,
par. 3.58). La position du Royaume-Uni est que les termes mêmesde la
clause de Martens requièrent l'identification d'une règlede droit coutu-
mier bannissant l'emploi desarmes nucléaires.
Ainsi donc, lespuissances dotéesd'armesnucléaires elles-même conçoi-
vent différemment, chacuneen ce qui la concerne, la portéeet jusqu'à la

base de la thèsede la licéité et ces différencedse conception doivent être
soigneusement analyséesdans le contexte de la question posée àla Cour.

10. La nécessitéde clar$er l'état dudroit

On ne saurait trop mettre l'accent sur l'importance qu'il y a a clarifier
l'étatdu droit sur la licéité desarmes nucléaires.
Le 6juin 1899,M. de Martens, l'auteur de la clause du mêmenom qui
sera examinée assezlonguement dans la présente opinion, a fait, en sa
qualité de président de la deuxième 'sous-commissionde la deuxièmelength in this opinion), made the following observations in reply to the
contention tbat it was preferable to leave the laws of war in a vague state.
He said:

"But is this opinion quite just? 1sthis uncertainty advantageous to
the weak? Do the weak become stronger because the duties of the
strong are not determined? Do the strong become weaker because
their rights are specifically defined and consequently limited? 1 do
not think so. 1am fully convinced that it is particularly in the inter-
est of the weak that these rights and duties be defined. . . .

Twice, in 1874 and 1899, two great international Conferences
have gathered together the most competent and eminent men of the
civilizedworld on the subject. They have not succeeded in determin-
ing the laws and customs of war. They have separated, leaving utter
vagueness for al1these questions. . . .
To leave uncertainty hovering over these questions would neces-
sarily be to allow the interests of force to triumph over those of
humanity . . .ll

It is in this quest for clarity that the General Assembly has asked the
Court to render an opinion on the use of nuclear weapons. The nations
who control these weapons have opposed this application, and so have
some others. It is in the interests of al1nations that this matter be clarified
which, for one reason or another, has not been specificallyaddressed for
the past 50 years. It has remained unresolved and has hung over the
future of humanity, like a great question mark, raising even issues so pro-

found as the future of human life upon the planet.

The law needs to be clearly stated in the light of State rights and obli-
gations under the new world dispensation brought about by the United
Nations Charter which, for the first time in human history, outlawed war
by the consensus of the community of nations. Fifty years have passed
since that epoch-making document which yet lay in the distant future
when Martens spoke. Those 50 years have been years of inaction, in so
far as concerns the clarification of this most important oflegal issues ever
to face the global community.

II. NATURE AND EFFECTS OF NUCLEAR WEAPONS

1. The Nature of the Nuclear Weapon

The matter before the Court involves the application of humanitarian
law to questions of fact, not the construction of humanitarian law as an
abstract body of knowledge.

" J. B. Scott, "The Conference of 1899", The Proceedingsof the Hague PeaceConfev-
ences, 1920,pp. 506-507; emphasis added.commission de la conférencede La Haye, les observations suivantes en
réponse à ceux qui soutenaient qu'il valait mieuxmaintenir le droit de la
guerre dans le vague :

((Cette opinion est-elle bien juste? Cette incertitude est-elle profi-
table au faible? Le faible devient-il plus fort parce quees devoirsdu
fort ne sont pas déterminés? Lefort devient-il plus faible parce que
ses droits sont préciséet, par conséquent,limités?Je ne le pense pas.
Je suis profondément convaincu que c'est surtout dans l'intérêd tu
faible que ces droits ainsi que ces devoirs devraient êtreprécisés...
[Plar deux fois, en 1874et 1899,deux grandes conférences interna-
tionales ont réuni les hommes les plus compétents et les plus émi-

nents du monde civiliséen la matière. Ils n'ont pas réussi à détermi-
ner les lois et coutumes de la guerre. Ils se sont séparésen laissant
subsister le vague complet sur toutes ces questions ...
Laisser planer une incertitude sur ces questions aurait fatalement
pour résultat de fairetriompher les intérêts de la force, en sacrifiant
ceux de l'humanité. » 'l

C'est ce même soucide clarté qui a conduit l'Assemblée général e
demander a la Cour de donner un avis sur l'emploi desarmes nucléaires.
Les nations qui ont le contrôle de ces armes se sont opposées à la
demande de l'Assemblée etelles ont été suivies par quelques autres. Il est
de l'intérêdte toutes lesnations que soit éclaircieune question qui n'a, on
ne sait pourquoi, jamais été posée en termes exprèasu cours des cin-
quante dernières annéeset qui est donc restéesans réponse, laissant pla-
ner sur le destin de l'humanité une grande incertitude qui s'étend à des
points aussi fondamentaux que l'avenir de la vie humaine sur la planète.
Le droit doit être clairement énoncé p,ar référenceaux droits et obliga-
tions des Etats résultantdu nouvel ordre mondial établipar la Charte des
Nations Unies qui, pour la première foisdans l'histoire humaine,a banni la

guerre par une décisionunanime de la communautédes nations. Depuis
l'adoption de ce document historique qui était encoredans les limbes à
l'époquede la déclaration deMartens, cinquante ans ont passé, cinquante
ans d'inaction s'agissant de la réponse à donner à la plus importante des
questionsjuridiques qui sesoientjamais posées à la communautémondiale.

II. NATURE ET EFFETS DES ARMES NUCLÉAIRES

1. La nature des armes nucléaires
Le problème soumis à la Cour concerne l'application du droit huma-

nitaire à des questions de fait, et non l'interprétation du droit humani-
taire en tant que discipline abstraite.

sous-commission de la deuxième commission, sixième séance, ministère des affairese
étrangères, La Haye,1899,troisièmepartie, p. 114-115 (les italiques sont de moi). The Court is enquiring into the question whether the use of nuclear
weapons produces factual consequences of such an inhumane nature as
to clash with the basic principles of humanitarian law. Both in regard to
this Advisory Opinion and in regard to that sought by the World Health

Organization, a vast mass of factual material has been placed before the
Court as an aid to its appreciation of the many ways in which the effects
of nuclear weapons attract the application of various principles of
humanitarian law. It is necessary to examine these specificfacts, at least
in outline, for they illustrate, more than any generalities can, the unique
features of the nuclear weapon.
Moreover, the contention that nuclear war is in some way containable
renders essential a detailed consideration of the unique and irreversible
nature of the effects of nuclear weapons.

2. Euphemisms Concealing the Realities of Nucleav War

It would be a paradox if international law, a system intended to pro-
mote world peace and order, should have a place within it for an entity
that can cause total destruction of the world system, the millennia of civi-
lization which have produced it, and humanity itself. A factor which
powerfully conceals that contradiction, even to the extent of keeping
humanitarian law at bay, is the use of euphemistic language - the dis-
embodied language of military operations and the polite language of
diplomacy. They conceal the horror of nuclear war, diverting attention to

intellectual concepts such as self-defence, reprisals, and proportionate
damage which can have little relevance to a situation of total destruction.

Horrendous damage to civilians and neutrals is described as collateral
damage, because it was not directly intended; incineration of cities
becomes "considerable thermal damage". One speaks of "acceptable
levels of casualties", even if megadeaths are involved. Maintaining the
balance of terror is described as "nuclear preparedness" ;assured destruc-
tion as "deterrence", total devastation of the environment as "environ-

mental damage". Clinically detached from their human context, such
expressions bypass the world of human suffering, out of which humani-
tarian law has sprung.

As observed at the commencement of this opinion, humanitarian law
needs to be brought into juxtaposition with the raw realities of war if it is
to respond adequately. Such language is a hindrance to this process12.
Both ancient philosophy and modern linguisticshave clearly identified
the problem of the obscuring of great issuesthrough language which con-

IZThis aspect is addressed in a volume of contemporary philosophical explorations of
the problem of war,he CritiqoufeWar, Robert Ginsberg (ed.), 1969. See, inparticular,
Chap. 6, "War and theCrisis of Language", by Thomas Merton. MENACEOU EMPLOID'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW. EERAMANTR4 Y5)1

La Cour doit déterminer si l'emploi des armes nucléairesa, dans les
faits, des conséquencessi inhumaines qu'il porte atteinte aux principes de
base du droit humanitaire. Tant pour le présent avis consultatif quepour
celui qu'a demandé l'Organisation mondiale de la Santé, une masse
considérable d'éléments de faia t été soumise à la Cour pour l'aider à
recenser les nombreuses manières dont les effets des armes nucléaires
mettent en jeu l'application de divers principes du droit humanitaire. Il y
a lieu d'examiner ces éléments de fait, au moins dans leurs grandes lignes,

car ils mettent en évidence, mieuxque ne peuvent le faire des considéra-
tions générales,les caractéristiquespropres aux armes nucléaires.
Qui plus est, comme d'aucuns soutiennent que la guerre nucléaire
pourrait êtrecirconscrite, une étude détaillédee la spécificité et e l'irré-
versibilité deseffets des armes nucléaires s'impose.

2. Euphémismes masquant les réalités dle a guerre nucléaire

Il serait paradoxal que le droit international, systèmeau service de la

paix et de l'ordre planétaire, accorde une place à un engin capable de
réduire à néantl'agencement du monde, les millénaires de civilisationqui
y ont conduit, et l'humanitéelle-même.Si ce paradoxe est passé large-
ment inaperçu, au point que le droit humanitaire n'apparaît pas dans le
paysage, c'est notamment parce que l'euphémismeest la caractéristique
du langage désincarnédes opérations militaires et du style châtiéde la
diplomatie. Il masque l'horreur de la guerre nucléaire en détournant
l'attention sur des notions abstraites telles que la légitimedéfense,les \
représailleset la proportionnalité du dommage, qui n'ont guère de perti-

nence dans un contexte de destruction totale.
Les effroyables dommages menaçant la population civile et les Etats
neutres sont qualifiés de((dommagescollatéraux)) parce qu'ils ne sont
pas directement voulus; la destruction des villespar le feu est qualifiéede
«considérables dommages d'origine thermique». On parle de «niveaux
acceptables de pertes humaines)) mêmesi des millions de morts sont en
cause. Le maintien de l'équilibre de la terreurest dénommé((préparation
nucléaire)), ladestruction assurée,«dissuasion», et la dévastation totale

de l'environnement, ((dommages à l'environnement)). Techniquement
détachéesde leur contexte humain, de telles expressions contournent le
monde de la souffrance humaine, qui est à l'originedu droit humanitaire.
Comme je l'ai soulignéau débutde la présente opinion,le droit huma-
nitaire doit, pour êtreappliqué efficacement,êtreen prise avec les dures
réalités de la guerre.l ne peut le faire avec ce type de langage12.
Les anciens philosophes comme les linguistes modernes ont bien vu
qu'il étaitpossible d'occulter les grands problèmes par le biais d'un jar-

l2Concernant ce point, on pourra se reporàeun recueil d'essais philosophiques
contemporains sur le problème de la guerre, Critique of Wav, Robert Ginsberg
(dir. publ.),9.Voir en particulier le chapitre 6: «War and the Crisis of Language)), de
Thomas Merton.ceals their key content. Confucius, when askedhow he thought order and
morality could be created in the State, answered, "By correcting names."
By this he meant calling each thing by its correct name13.
Modern semantics has likewise exposed the confusion caused by words
of euphemism, which conceal the true meanings of conceptsI4. The lan-
guage of nuclear war, rich in these euphemisms, tends to sidetrack the
real issues of extermination by the million, incineration of the popula-
tions of cities, genetic deformities, inducement of cancers, destruction of

the food chain, and the imperilling of civilization. The mass extinction of
human lives is treated with the detachment of entries in a ledger which
can somehow be reconciled. If humanitarian law is to address its tasks
with clarity, it needs to strip away these verbal dressings and come to
grips with its real subject-matter. Bland and disembodied language should
not be permitted to conceal the basic contradictions between the nuclear
weapon and the fundamentals of international law.

3. The Effects of the Nuclear Weapon

Before 1945 "the highest explosive effect of bombs was produced by
TNT devices of about 20 tons"I5. The nuclear weapons exploded in
Hiroshima and Nagasaki were more or less of the explosive power of 15
and 12 kilotons respectively, that is, 15,000 and 12,000 tons of TNT
(trinitrotoluene) respectively. Many of the weapons existing today and in
process of being tested represent several multiples of the explosive power
of these bombs. Bombs in the megaton (equivalent to a million tons of

TNT) and multiple megaton range are in the world's nuclear arsenals,
some being even in excessof 20 megatons (equivalent to 20 million tons
of TNT). A one-megaton bomb, representing the explosive power of a
million tons of TNT, would be around 70 times the explosive power of
the bombs used on Japan, and a 20-megaton bomb well over a thousand
times that explosive power.

Since the mind is numbed by such abstract figures and cannot compre-

hend them, they have been graphically concretized in various ways. One
of them is to picture the quantity of TNT represented by a single one-
megaton bomb, in terms of its transport by rail. It has been estimated
that this would require a train 200 miles long16. When one is carrying
death and destruction to an enemy in war through the use of a single one-
megaton bomb, it assists the comprehension of this phenomenon to think

l3Cited Robert S. Hartman, "The Revolution against War", in The Critiqueof War,
v.324.
l4"They serve to build these figments of hell into the system of power politics, and to
dim the minds of the nuclear citizens." (Ibid., p. 325.)
l5N. Singh and E. McWhinney, Nuclear Weapons and Contemporary International
Law, 1989,p. 29.
I6Bates, op. cit., p. 719. MENACE OU EMPLOID'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW. EERAMANTR4 Y5)2

gon qui en masque la substance. Confucius à qui l'on demandait com-
ment faire régnerl'ordre et la moralitédans 1'Etatrépondit: «En utilisant
les termes voulus», c'est-à-dire enappelant chaque chose par son nomI3.
La sémantique moderne a, elle aussi, dénoncéles confusions engen-
dréespar le recours à des euphémismesqui dissimulent le véritablesens
des mots 14.Le langage de la guerre nucléaire, riche en euphémismest,end
à éluderles vrais problèmes (extermination des individus par millions,

carbonisation des populations urbaines, malformations génétiques, effets
cancérigènes,destruction de la chaîne alimentaire et mise en périlde la
civilisation). Les pertes massives en vies humaines sont comptabilisées
avec le mêmedétachement que les élémentsd'un bilan qui peut toujours
êtreéquilibré. Ledroit humanitaire ne peut s'acquitter lucidement de sa
tâche que s'ilse débarrasse dece camouflage verbal et s'attaque aux réa-
litésqui constituent son véritable objet. Il ne faut pas laisser un langage

édulcoréet désincarnémasquer l'incompatibilité radicale de l'arme
nucléaire avec lesfondements du droit international.

3. Les effets de l'avrnenucléaire

Avant 1945,lesbombes lesplus puissantes étaientdes enginsdotésd'une
charge d'environ 20 tonnes de TNT (trinitrotoluène)15. Les armes nu-
cléaires employées à Hiroshima et à Nagasaki avaient une puissance
explosived'à peu près 15et 12kilotonnes respectivement - soit 15000 et
12000tonnes de TNT. Bien des armes existantes ou en cours d'expérimen-
tation ont une puissance de dizaines ou de centaines de fois supérieure à

ces bombes. Des bombes de l'ordre d'une mégatonne (l'équivalent de un
million de tonnes de TNT) ou de plusieurs mégatonnessont stockéesdans
les arsenaux nucléairesmondiaux; certaines ont une puissance supérieure
à 20 mégatonnes (l'équivalentde 20 millions de tonnes de TNT). Une
bombe d'une mégatonnedotée d'unepuissance correspondant àun million
de tonnes de TNT exploserait avec une puissance quelque soixante-dix fois
supérieure à celle des bombes utiliséescontre le Japon et une bombe de

20 mégatonnesle ferait avec une puissance plus de mille fois supérieure.
Ces chiffres abstraits ne parlent pasà l'esprit et pour faire comprendre
ce qu'ils recouvrent on a eu recours àdes images concrètes.Par exemple,
il faudrait, pour transporter par chemin de fer la quantité de TNT à
laquelle correspond une bombe d'une mégatonne, un train de 350 kilo-
mètresde longI6. On se représentemieux ce que signifiesemer la mort et
la destruction sur le territoire d'un ennemi au moyen d'une seule bombe

d'une mégatonne si l'on évoquel'image d'un train de 350 kilomètres de

l3Cité dansRobert S. Hartman, «The Revolution against War», dans The Critiqueof
Wau,p. 324.
l4«Ils serveàtintégrerces inventions infernales dans le cadre de la politique de puis-
sal5N. Singh et E. McWhinney, ~ucliau Weapon;and cont&porary ~nteriational War;.,
1989,p. 29.
'6%tes, op. cit, p. 719.in terms of a 200-mile train loaded with TNT being driven into enemy

territory, to be exploded there. It cannot be said that international law
would consider this legal. Nor does it make any difference if the train is
not 200miles long, but 100miles, 50miles, 10miles, or only 1mile. Nor,
again, could it matter if the train is 1,000miles long, as would be the case
with a 5-megaton bomb, or 4,000 miles long, as would be the case with a
20-megaton bomb.
Such is the power of the weapon upon which the Court is deliberating

- power which dwarfs al1historical precedents, even if they are consid-
ered cumulatively. A 5-megaton weapon would represent more explosive
power than al1of the bombs used in World War II and a 20-megaton
bomb "more than al1of the explosives used in al1of the wars in the his-
tory of mankind" 17.

The weapons used at Hiroshima and Nagasaki are "small" weapons
compared with those available today and, as observed earlier, a one-
megaton bomb would represent around 70 Hiroshimas and a 15-megaton
bomb around 1,000Hiroshimas. Yet the unprecedented magnitude of its
destructive power is only one of the unique features of the bomb. It is
unique in its uncontainability in both space and time. It is unique as a
source of peril to the human future. It is unique as a source of continuing

danger to human health, even long after its use. Its infringement of
humanitarian law goes beyond its being a weapon of mass de~truction'~;
to reasons which penetrate far deeper into the core of humanitarian law.

Atomicweapons have certain specialcharacteristics distinguishing them
from conventional weapons, which were summarized by the United
States Atomic Energy Commission in terms that :

"it differs from other bombs in three important respects: jïrst, the
amount of energy released by an atomic bomb is a thousand or more
times as great as that produced by the most powerful TNT bombs;
secondly, the explosion of the bomb is accompanied by highly
penetrating and deleterious invisible rays, in addition to intense

heat and light; and, thirdly, the substances which remain after the
explosion are radio-active, emitting radiations capable of producing
harmful consequences in livingorganisms" 19.

l7Bates, op. cit., p. 719.
l8The Final Document of the First Special Session of the United Nations General
Assembly devoted to Disarmament (1978)unanimously categorized nuclear weapons as
weapons of mass destruction, a conclusion which wasadopted by consensus (CR 95125,
p. 17).
sion in CO-operationthe Department of Defense, 1950, citedin Singh andWhinney,mis-
op. cit., p. 30.long chargé deTNT, acheminé enterritoire étrangerpour y exploser. On
ne saurait soutenir que cela est admissible en droit international. Et peu
importe que le train ait, non pas 350,mais 150,100,20 ou 2kilomètres de
long, ou qu'il ait 1750 ou 7000 kilomètres de long, ces derniers chiffres
correspondant respectivement à des bombes de 5 et 20 mégatonnes.

Voilà de quelle puissance est dotée l'armequi retient l'attention de la
Cour - une puissance par rapport àlaquelle tout ce qui précède, même
pris cumulativement, est dérisoire.La puissance d'une bombe de 5 méga-
tonnes dépassecelle de l'ensemble desbombes utiliséesau cours de la
seconde guerre mondiale et la puissance d'une bombe de 20 mégatonnes
est ((supérieure à celle que représente la totalité des explosifs utilisés

durant les guerres qui ont émaillé le cours de l'histoire de l'humanité))17.
Les armes utilisées à Hiroshima et à Nagasaki sont des «petites»
bombes par rapport à cellesdisponibles aujourd'hui et, commeje l'aidéjà
dit,une bombe d'une mégatonneéquivaut à quelque soixante-dix bombes
d'Hiroshima et une bombe de 15 mégatonnes à presque mille bombes
d'Hiroshima. Pourtant, la puissance destructrice sans précédentde l'arme
considéréen'est pas son seul trait distinctif. Elle possède aussi enpropre

la caractéristique d'avoirdes effets impossibles contenir à la fois dans le
temps et dans l'espace. Elle estsans équivalentpar la menace qu'elle fait
peser sur l'avenir de l'humanité.Elle l'est aussipar le danger persistant
qu'ellefait courirà la santélongtemps après son utilisation. Sison emploi
viole le droit humanitaire, ce n'est pas simplement parce qu'elle estune
arme de destruction ma~sive'~mais pour des raisons qui relèvent de
l'essencemêmedu droit humanitaire.

Les armes atomiques possèdent certainescaractéristiques quiles distin-
guent des armes classiques et que la commission de l'énergieatomique
des Etats-Unis d'Amérique arésuméesen ces termes:

(([l'armeatomique] diffère desautres bombes principalement à trois
égards: son explosion 1) dégageune quantité d'énergieau moins
mille fois supérieureà celle que produisent les bombes au TNT les
plus puissantes; 2) s'accompagne de l'émissionde rayonnements
invisiblesàla fois pénétrants etdélétèreest dégage enoutre une cha-

leur et une lumière intenses; et 3) laisse subsister des substances
radioactives qui émettent des rayonnements potentiellement nui-
sibles pour les organismes vivants»19.

l7Bates, opcit.,. 719.
L'Assemblée générale dsations Unies, dans le document final de sa dixièmeses-
sion extraordinaire, la première consacréeau désarmementa étéunanime a classer
les armes nucléairesdans la catégorie des armes dedestruction massive, conclusion qui a
étéadoptéepar consensusCR95/25, p. 17).
l9Effectsof Atomic Weapons, établi par la commission de l'énergieatomique des
McWhinney, op.cit.p. 30.n avec le département de la défense, 1950, citédans Singh et The following more detailed analysis is based on materials presented to
the Court, which have not been contradicted at the hearings, even by the

States contending that the use of nuclear weapons is not illegal. They
constitute the essential factual foundation on which the legal arguments
rest, and without which the legal argument is in danger of being reduced
to mere academic disputation.

(a) Damage to the environment andthe e~osystern~~

The extent of damage to the environment, which no other weapon is
capable of causing, has been summarized in 1987by the World Commis-
sion on the Environment and Development in the following terms :

- "The likely consequences of nuclear war make other threats to the
environment pale into insignificance. Nuclear weapons represent a
qualitatively new step in the development of warfare. One thermo-

nuclear bomb can have an explosive power greater than al1 the
explosives used in wars since the invention of gunpowder. In addi-
tion to the destructive effects of blast and heat, immensely magnified
by these weapons, they introduce a new lethal agent - ionising
radiation - that extends lethal effects over both space and time." 21

Nuclear weapons have the potential to destroy the entire ecosystem of
the planet. Those already in the world's arsenals have the potential of
destroying life on the planet several times over.

Another special feature of the nuclear weapon, referred to at the hear-
ings, is the damage caused by ionizing radiation to coniferous forests,
crops, the food chain, livestock and the marine ecosystem.

(b) Damage tofuture generations

The effects upon the ecosystem extend, for practical purposes, beyond
the limits of al1foreseeable historical time. The half-life of one of the by-
products of a nuclear explosion - plutonium 239 - is over 20,000years.
With a major nuclear exchange it would require several of these "half-

life" periods before the residuary radioactivity becomes minimal. Half-
life is "the period in which the rate of radioactive emission by a pure

20On environmental law, see further Section III.10 (f) below.

21World Commission on Environment and Development ("the Brundtland Commis-
sion"),Our Common Future, 1987,p. 295, cited in CR 95/22, p. 55. L'analyse plus détailléequi figure ci-après est baséesur des éléments

d'information présentés à la Cour, qui n'ont pas été contestés lors des
audiences mêmepar les Etats qui soutiennent que l'emploi des armes
nucléaires n'estpas illicite. Ces éléments fournissent la base factuellesur
laquelle l'échange d'arguments juridiques doit nécessairement reposer si
l'on ne veut pas qu'il se réduise à un simple débatd'idées.

a) Dommages à l'environnement et à I'éco~ystème~~

L'arme nucléaire estsans équivalentpour ce qui est de l'ampleur des
dommages qu'elle peut causer à l'environnement, ainsi que la Commis-
sion mondiale de l'environnement et du développement l'a soulignéen

1987dans les termes suivants:
«Par rapport aux conséquencesprobables de la guerre atomique,

il n'est pas de menace à l'environnement qui ne paraisse insigni-
fiante. Les armes nucléaires marquent un tournant qualitatif dans
l'histoire de l'art de la guerre. Une seule bombe thermonucléaire
peut avoir une puissance explosive supérieure à celle de tous les
explosifs utilisésau combat depuis l'invention de la poudre. Outre
qu'ellesmultiplient à l'infiniles effets destructeurs du souffle et de la

chaleur, ces armes font intervenir un nouvel agent létal - le rayon-
nement ionisant - dont l'effet létalse prolonge aussi bien dans le
temps que dans l'espace. »21

Les armes nucléairesont la capacité de détruire l'ensemble del'écosys-
tème de la planète. Celles qui sont stockées à l'heure actuelle dans les
arsenaux mondiaux ont plusieurs foisla puissance nécessairepour anéan-
tir toute vieà la surface de la Terre.
L'arme nucléaire possède enpropre une autre caractéristique, évoquée
au cours des audiences, qui est d'exposer aux rayonnements ionisants les

forêts de conifères,les récoltes, la chaîne alimentaire, le bétailet l'écosys-
tèmemarin.

b) Dommages aux générations futures

Les effets des armes nucléaires sur l'écosystèmese prolongent en pra-
tique au-delà de toute limite temporelle concevable. La «période» de l'un
des sous-produitsd'une explosion nucléaire - le plutonium 239 - est de
plus de vingt mille ans. Après un échange nucléaire majeur, la radioacti-
vitérésiduellene redescendrait à un niveau minimal qu'au bout de plu-

sieurs «périodes». La période est «le temps nécessaire pour que la

'OA propos du droit de l'environnement, voir ci-après la sectionIII, paragraphe 10,
al21~ommission mondiale sur l'environnement et le développement («la commission
Brundtland))),otre avenir tous1987,p. 362-363,citédans CR95122, p. 55.sample falls by a factor of two. Among known radioactive isotopes, half-
lives range from about seconds to 1016year~"~~.

The following table gives the half-lives of the principal radioactive
elements that result from a nuclear test:

Nucleid Half-lfe
Cesium137 30.2years
Strontium90 28.6years
Plutonium239 24,100years
Plutonium240 6,570 years
Plutonium241 14.4years
Americium241 432~ears~~

Theoretically, this could run to tens of thousands of years. At any level
of discourse, it would be safe to pronounce that no one generation is

entitled, for whatever purpose, to inflict such damage on succeeding
generations.

This Court, as the principal judicial organ of the United Nations,
empowered to state and apply international law with an authority
matched by no other tribunal must, in itsjurisprudence, pay due recogni-
tion to the rights of future generations. If there is any tribunal thatcan
recognize and protect their interests under the law, it is this Court.

It is to be noted in this context that the rights of future generations

have passed the stage when they were merely an embryonic right
struggling for recognition. They have woven themselves into interna-
tional law through major treaties, through juristic opinion and through
general principles of law recognized by civilized nations.
Among treaties may be mentioned, the 1979London Ocean Dumping
Convention, the 1973Convention on International Trade in Endangered
Species, and the 1972 Convention Concerning the Protection of the
World Cultural and Natural Heritage. Al1 of these expressly incor-
porate the principle of protecting the natural environment for future

generations, and elevate the concept to the level of binding State obli-
gation.
Juristic opinion is now abundant, with several major treatises appear-
ing upon the subject and with such concepts as intergenerational equity
and the common heritage of mankind being academically well estab-
lishedZ4.Moreover, there is a growing awareness of the ways in which a
multiplicity of traditional legal systems across the globe protect the envi-
ronment for future generations. To these must be added a series of major

22Encyclopaedia Britannica Micropaedia, 1992ed., Vol. 9, p. 893.
23Source: Radioecology, Holm ed., 1995,World ScientificPublishing Co.
24For further references, seeEdith Brown Weiss, In Fairness to Future Generations:
International Law, Common Patrimony and Intergenerational Equity, 1989.radioactivité émisepar un élémentpur diminue de moitié. La période
des isotopes radioactifs connus varie entre IO-' secondes et 1016an-
nées»22.
Le tableau ci-dessous indique la période des principaux éléments
radioactifs apparaissant àla suite d'une explosion nucléaire:

Nucléide Période
Césium137 30,2ans
Strontium90 28,6ans
Plutonium239 24 100ans
Plutonium240 6570ans
Plutonium241 14,4ans
Américium241 432ans23

Théoriquement, l'ordre de grandeur pourrait être de dizaines de mil-
liers d'années. Dans quelque perspective qu'on se place, on peut dire
sans risque de se tromper qu'aucune génération n'esten droit, pour
quelque motif que ce soit, d'infliger pareils dommages aux générations

futures.
La Cour internationale de Justice, en tant qu'organe judiciaire princi-
pal des Nations Unies, habilitéeplus qu'aucun autre tribunal à dire età
appliquer le droit international avec l'autorité quiest la sienne, doit, dans
sa jurisprudence, reconnaître dûment les droits des générations futures.
S'ilest un tribunal qui peut reconnaître et protéger leurs intérsn droit,
c'est bienla Cour.
Il està noter, dans ce contexte, que la notion de droits des générations
futures n'est plus une notion embryonnaire cherchant à acquérir une
reconnaissancejuridique. Elle s'est intégréeau droit international par le

biais d'importants traités, de l'opiniojuris et des principes générauxdu
droit reconnus par les nations civilisées.
Parmi les traités, on peut mentionner la convention de Londres de
1979sur les déversementsen mer, la convention de 1973sur le commerce
international des espèces menacéesd'extinction et la convention de 1972
concernantla protection du patrimoine mondial, culturel et naturel. Tous
cesinstruments énoncentexpressémentleprincipe de protection du milieu
naturel dans l'intérêdtes générations futures,élevéau rang d'obligation
contraignante pour les Etats.

L'opinio juris est maintenant abondante puisque plusieurs ouvrages
importants ont été consacrés à la question et que des notions comme
celles de l'équitéintergénérationset du patrimoine commun de l'huma-
nité sont aujourd'huibienétablies24. ul n'ignore de surcroît l'attention que
prêteune multitude de systèmesjuridiques traditionnels partout dans le
monde à la protection de l'environnement dans l'intérêdtes générations

2"ncyclopaediaBritannica Micropaedia, édition de1992,vol. 9, p. 893.
23Source: Radioecology, Holm (dir. publ.), 1995,World ScientificPublishing Co.
24Pour plus de détails, voirEdith Brown Weiss, In Fairness to Future Generations:
International Law, Common Patrimony and Intergenerational Equity, 1989.international declarations commencing with the 1972 Stockholm Decla-
ration on the Human Environment.

When incontrovertible scientific evidence speaks of pollution of the
environment on a scale that spans hundreds of generations, this Court

would fail in its trust if it did not take serious note of the ways in which
the distant future is protected by present law. The ideals of the United
Nations Charter do not limit themselves to the present, for they look for-
ward to the promotion of social progress and better standards of life, and
they fix their vision, not only on the present, but on "succeeding genera-
tions". This one factor of impairment of the environment over such a
seemingly infinite time span would by itself be sufficient to cal1 into
operation the protective principles of international law which the Court,

as the pre-eminent authority empowered to state them, must necessarily
~PP~Y.

(c) Damage to civilianpopulations

This needs no elaboration, for nuclear weapons surpass al1 other
weapons of mass destruction in this respect. In the words of a well-known
study of the development of international law :

"A characteristic of the weapons of mass destruction - the ABC
weapons - is that their destructive effect cannot be limited in space

and time to military objectives.Consequently theiruse would implythe
extinction of unforeseeable and indeterminable masses of the civilian
population. This means also that their actual employment wouldbe -
even in the absence of explicittreaty provisions - contrary to interna-
tional law, but it is also true that the problem of the weapons of mass
destruction has grown out of the sphere of humanitarian law taken in
the narrow senseand has become one of the fundamental issues of the
peaceful coexistenceof States with different social system~."~~

(d) The nuclear winter

One of the possible after-effects of an exchange of nuclear weapons is
the nuclear winter, a condition caused by the accumulation of hundreds
of millions of tons of soot in the atmosphere, in consequence of fires in
cities, in forests and the countryside, caused by nuclear weapons. The
smoke cloud and the debris from multiple explosions blots out sunlight,
resulting in crop failures throughout the world and global starvation.

Starting with the paper by Turco, Toon, Ackerman, Pollack and Sagan
(known as the TTAPS study after the names of its authors) on "Nuclear

25GézaHerczegh, Developmentof International HumanitarianLaw, 1984,p. 93. "ABC
weapons" refer to atomic, biological and chemical weapons.

234futures. Enfin, une séried'importantes déclarations internationales ont
étéadoptées, à commencer par la déclaration de Stockholm de 1972sur
l'environnement.
Lorsque des donnéesscientifiques indiscutables mettent en évidencela

perspective d'une pollution de l'environnement s'étendant sur des cen-
taines de générations,la Cour manquerait à son devoir si elle n'étaitpas
très attentiveaux moyens de sauvegarder l'avenirpar l'application du droit
actuel. Les idéaux dela Charte des Nations Unies ne sont pas limitésau
temps présent,ils s'inscrivent dans le cadre d'une perspective dynamique
de progrès social et d'amélioration des conditions de vie et ils doivent
bénéficiernon seulement à la générationactuelle mais aussi aux ((géné-
rations futures)). La perspective d'une dégradation de l'environnement se
prolongeant pour ainsi dire à l'infini suffiraià,elle seule,à justifier la

mise en Œuvre des principes conservatoires du droit international que la
Cour est suprêmementhabilitée à énonceret qu'elle doit nécessairement
appliquer.

c) Dommages aux populations civiles

11va sans dire, sur ce point particulier, que les armes nucléaires
l'emportent sur toutes les autres armes de destruction massive. Pour citer

une étudebien connue sur le développementdu droit international:
«Les armes de destruction massive - les armes ABC - ont ceci
de particulier qu'il est impossible d'en limiter l'effet destructeur,

dans l'espace et dans le temps, aux objectifs militaires. En consé-
quence, leur emploi ferait un nombre inimaginable et incalculable de
victimes dans la population civileet serait au demeurant - même en
l'absence de dispositions conventionnelles expresses - contraire au
droit international. Cela dit, la question des armes de destruction
massive dépasseaujourd'hui le cadre du droit humanitaire au sens
étroit etest devenue l'un desaspects essentiels de la coexistence paci-
fique des Etats dotésde systèmes sociauxdifférents. DZ5

d) L'lzivernucléaire

Un échange de tirs nucléaires pourrait conduire à l'hiver nucléaire,
phénomènecausépar l'accumulation dans l'atmosphère, à la suite des
incendies provoquéspar les armes en question dans les villes,les forêtset
les campagnes, de centaines de millions de tonnes de particules de suie.
Le nuage de fuméeet les débris projetésen l'air par des explosions mul-
tiples feraient écranà la lumière solaire, anéantissant les récoltesdans le

monde entier et conduisant à la famine généraliséeD . epuis l'article col-
lectif de Turco, Toon, Ackerman, Pollack et Sagan sur l'hiver nucléaire et

25Géza Herczegh,Development ofIntevnationa1 Humanitarian Law, 1984,p. 93. Les
armes «ABC» s'entendent des armes atomiques, biologiques et chimiques.Winter : Global Consequences of Multiple Nuclear Explosions" 26, an

enormous volume of detailed scientificwork has been done on the effect
of the dust and smoke clouds generated in nuclear war. The TTAPS
study showed that smoke clouds in one hemisphere could within weeks

move into the other hemisphere2'. TTAPS and other studies show that a
small temperature drop of a few degrees during the ripening season,
caused by the nuclear winter, can result in extensive crop failure even on
a hemispherical scale. Such consequences are therefore ominous for non-

combatant countries also.

"There is now a consensus that the climatic effects of a nuclear
winter and the resulting lack of food aggravated by the destroyed

26 Science, 23 December 1983, Vol. 222, p. 1283.
27 The movement of a cloud of dust particles from one hemisphere to another, with the
resultant effects resembling those of a nuclear winter, are not futuristic scenarios un-
related to past experience. In 1815, the eruption of the Indonesian volcano, Tambora,

injected dust and smoke into the atmosphere on a scale so great as to result in worldwide
crop failure and darkness in 1816. The Scientific American, March 1984, p. 58, repro-
duced a poem, "Darkness", written by Lord Byron, thought to have been inspired by this
year without a summer. At a hearing of the United States Senate on the effects of nuclear
war, in December 1983, the Russian physicist, Kapitza, drew attention to this poem, in
the context of the effects of nuclear war, referring to it as one well known to Russians
through its translation by the novelist Ivan Turgenev. Here are some extracts, capturing
with poetic vision the human despair and the environmental desolation of the post-
nuclear scene :

"A fearful hope was al1the world contain'd;
Forests were set on fire - but hour by hour
They fell and faded - and the crackling trunks
Extinguish'd witha crash - and al1was black.
The brows of men by the despairing light
Wore an unearthly aspect, as by fits

The flashes fell upon them; some lay down
And hid their eyes and wept; . ..

. ..The world was void,
The populous and the powerful was a lump,
Seasonless, herbless, treeless, manless,lifeless
A lump of death - a chaos of hard clay.
The rivers, lakes, and ocean al1stood still,
And nothing stirr'd within their silent depths;
Ships sailorless lay rotting on the sea. ..".les conséquencesmondiales d'explosions nucléairesmultiples (dénommée
((Etude TTAPS», sigle établi à partir des initiales de ses auteurs)26, un

énormetravail a étéconsacré à l'analyse scientifique détaillée des effets
des nuages de poussière et de fuméeque créerait une guerre nucléaire.
L'étudeTTAPS a démontréque des nuages de fuméegénéréd sans un
hémisphèrepourraient, en l'espace de quelques semaines, se propager à

l'autre hémi~phère~~ C.ette étude,parmi d'autres, montre qu'une chute
de températurede quelques degréssurvenant à la suite de l'hiver nucléaire
à la saison où mûrissent les récoltespeut leur être très largement fatale
sur une superficie aussi vaste que celle d'un hémisphère.De tels phé-

nomènes font donc peser une menace mêmesur les pays non belligé-
rants :

«Il est maintenant universellement admis que les effets climatiques
d'un hiver nucléaire etleurs séquellessous forme de pénurie alimen-

26 Science, 23 décembre1983,vol. 222, p. 1283.
27 La propagation, d'un hémisphère à l'autre, d'un nuage de particules de poussière,
s'accompagnant de conséquencesanalogues à cellesde l'hiver nucléairen'est pas une vue
futuriste sans rapport avec la réalité vécu1815,l'éruptiondu volcan indonésienam-

bora a projetédans l'atmosphère une tellequantitéde poussière etde fuméeque l'année
1816a étédans le monde entier une annéede récoltescatastrophiques et d'obscurité.Le
numérode mars 1984de la revue Scientific Amevican reproduiàla page 58 un poème de
lord Byron intitulé«Darkness» [«Les Ténèbres))]qui semblerait avoir été inspirépar
cette annéesans été. u cours d'une audition consacrée en décembre1983par le Sénatdes
Etats-Unis d'Amériqueaux effetsde la guerre nucléaire,le physicien russe Kapitza a, dans
ce contexte, appelél'attention sur le poème en question qui, a-t-ildit, est bien connu des
Russes grâce à la traduction qu'en a faite le romancier Ivan Tourgueniev. En voici
quelques extraits qui expriment, avec la puissance évocatrice de la poésiel,e désespoir des
hommes et la désolation de l'environnementàl'ère postnucléair:
«Ô terreur sans pareille! en cette horreur profonde
Une seule espérance animeencore le monde.
Dans les vastes forêtsles flammes s'allumaient
Mais hélas! d'heureen heure elles se consumaient
Les troncs, en pétillant,se réduisaient encendre;
Et dans l'obscuritétout allait redescendre.
Leurs mourantes lueurs sur le front des humains
Sur ces fronts sillonnéspar le sceau des destins,
Jetaient en s'éteignant une clarté dernière
Epouvantable adieu que leur dit la lumière!
Les uns se prosternaient, et répandaient des pleurs

..Le monde ne fut plus qu'un vide épouvantable.
Dans ses gouffres profonds, cet abîme effroyable
Renfermait, calcinés,tous les débrisépars
Des cités, des jardins, desmonuments, des arts:
Chaos inanimé,sans saisons, sans verdure
De tout ce qui vécut immense sépulture.
Les rivières,les lacs etOcéanbourbeux
Ne portaient qu'une eau morte en leurs flancs caverneux;
Abandonnés des mains qui les rendaient agiles
Les vaisseaux sur la mer pourrissaient immobiles»
[Traduction par un contemporain de l'auteur, figurant dans les collections de la Biblio-
thèque nationale de France sous la signature..y.] infrastructure could have a greater overall impact on the global
population than the immediate effects of the nuclear explosions. The
evidence is growing that in a post-war nuclear world Homo Sapiens
will not have an ecological niche to which he could flee. It is appar-

ent that life everywhere on this planet would be threatened."28

(e) Loss of life

The WHO estimate of the number of dead in the event of the use of a
singlebomb, a limited war and a totalwar varies from one million to one

billion, with, in addition, a similar number of injured in each case.

Deaths resulting from the only two uses of nuclear weapons in war -
Hiroshima and Nagasaki - were 140,000and 74,000respectively, accord-
ing to the representative of Japan, out of total populations of 350,000
and 240,000 respectively. Had these same bombs been exploded in cities
with densely packed populations of millions, such as Tokyo, New York,

Paris, London or Moscow, the loss of life would have been incalculably
more.

An interesting statistic given to the Court by the Mayor of Nagasaki is
that the bombing of Dresden by 773British aircraft followed by a shower
of 650,000 incendiary bombs by 450 American aircraft caused 135,000
deaths - a similar result to a single nuclear bomb on Hiroshima - a
"small" bomb by today's standards.

(f) Medical effects of radiation

Nuclear weapons produce instantaneousradiation, in addition to which
there is also radioactive fallout.

"It is well established that residual nuclear radiation is a feature of

the fission or Atomic bomb as much as the thermo-nuclear weapon
known as the 'fusion bomb' or H-b~mb."~~

Over and above the immediate effects just set out, there are longer
term effects caused by ionizing radiation acting on human beings and on

28Wilfrid Bach, "Climatic Consequences of Nuclear War", in Proceedings ofthe Sixth
World Congress of the International Physicians for the Prevention of Nuclear War
(IPPNW), Cologne, 1986,published as Maintain Life on Earth!, 1987,p. 154.

29Singh and McWhinney, op. cit., p. 123. taire aggravéepar la destruction de l'infrastructure pourraient avoir
sur la population de la planèteun impact global plus important que
les effets immédiatsdes explosions nucléaires.On a de plus en plus

de preuves que, dans l'après-guerrenucléaire, l'homosapiens n'aura
aucun asile écologiqueoù se réfugier. Il apparaît que la vie serait
menacéepartout sur la planète. »28

e) Pertes en vies humaines

D'après des estimations de l'Organisation mondiale de la Santé, le

nombre des morts varierait entre un million et un milliard, selon le cas
envisagé(bombe unique, guerre limitéeou guerre totale) et le nombre des
blesséss'établiraitau mêmeniveau dans chacun de ces cas.
A Hiroshima et à Nagasaki - les deux seules fois où une bombe
nucléairea été utiliséd eans un contexte de conflit armé - il y a eu, selon
le représentant du Japon, 140000 et 74 000 morts, respectivement, le
nombre total d'habitants s'élevantdans le premier cas à 350 000 et dans
le second à 240000. Si les mêmesbombes avaient été larguées sur des

villesà forte densitéde population comptant des millions d'habitants,
comme Tokyo, New York, Paris, Londres ou Moscou, elles auraient fait
un nombre incommensurablement plus élevé de victimes.
Une intéressantecomparaison statistique a été présentée à la Cour par
le maire de Nagasaki qui a indiquéque le bombardement de Dresde par
773appareilsbritanniques, suivid'uneavalanchede 650000bombes incen-
diaires larguéespar 450 avions américains, avaient fait 135000 morts

- à peu près autant que l'unique bombe nucléaire lancée sur Hiro-
shima - une bombe de dimension modeste par rapport à celles d'au-
jourd'hui.

f) Effets des rayonnements sur la santé

L'explosion d'un engin nucléaire s'accompagne de rayonnements ins-

tantanés, et de retombées radioactives.

((11est bien établique la réaction defission qu'utilise la bombe A
provoque des rayonnements nucléaires résiduelsau mêmetitre que
la réaction de fusion utilisée par la bombe thermonucléaire ou
bombe H. »29

A ces effets immédiats s'ajoutent des effets à long terme causéspar
l'action des rayonnements ionisants sur l'êtrehumain et l'environnement.

Wilfrid Bach, «Climatic Consequences of Nuclear War», actes du sixième congrès
nucléaire(IPPNW), Cologne, 1986, publiéssous le titre Maintain Life on Earth! 1987,
p. 154.
29Singh et McWhinney, op. cit., p. 123.the environment. Such ionization causes ce11damage and the changes

that occur may destroy the ce11or diminish its capacity to function30.

After a nuclear attack the victim population suffers from heat, blast
and radiation, and separate studies of the effects of radiation are com-
plicated by injuries from blast and heat. Chernobyl has however given an
opportunity for study of the effects of radiation alone, for:

"Chernobyl represents the largest experience in recorded time of

the effects of whole body radiation on human subjects, uncompli-
cated by blast andlor b~rn."~l

Apart from the long-term effects such as keloids and cancers, these
effects include in the short-term anorexia, diarrhoea, cessation of produc-
tion of new blood cells, haemorrhage, bone marrow damage, damage to
the central nervous system, convulsions, vascular damage, and cardio-
vascular collapse 32.

Chernobyl, involving radiation damage alone, in a comparatively
lightly populated area, strained the medical resources of a powerful
nation and necessitated the pouring in of medical personnel, supplies and
equipment from across the Soviet Union - 5,000 trucks, 800 buses,
240ambulances,helicopters and specialtrains33.Yet the Chernobyl explo-
sion was thought to be approximately that of a half-kiloton -

about one twenty-fifth of the comparatively "small" Hiroshima bomb,
which was only one seventieth the size of a one-megaton bomb. As
observed already, the nuclear arsenals contain multi-megaton bombs
today.

The effects of radiation arenot only agonizing, but are spread out over
an entire lifetime. Deaths after a long life of suffering have occurred in
Hiroshima and Nagasaki, decades after the nuclear weapon hit those
cities. The Mayor of Hiroshima has given the Court some glimpses of the

lingeringagonies of the survivors - al1of which is amply documented in
a vast literature that has grown up around the subject. Indonesia made
reference to Antonio Cassese's Violence and Law in the Modern Age
(1988),which draws attention to the fact that "the quality of human suf-

30Herbert Abrams, "Chernobyl and the Short-Term Medical Effects of Nuclear War",
in Proceedings of the IPPNW Congress,.cit .,122.
31Ibid ...120.
32~bid .p;.122-125.
33Ibid ..,121.
34Ibid ..,127.Les rayonnements ionisants ont sur les cellulesdes conséquencesqui peu-
vent aboutir à leur destruction ou diminuer leur capacité de fonctionne-

ment 30.
La population victime d'une attaque nucléaire est exposée à un triple
danger - du fait de l'effetthermique, du souffle et des rayonnements -
et il est difficiled'isoler les conséquences desrayonnements de celles du
souffle et de l'effet thermique. Tchernobyl a toutefois permis d'étudier
isolémentles conséquences desrayonnements :

((Tchernobyl est le plus vaste champ d'expériencedont la science

aitjamais disposépour étudierleseffetsde l'irradiation totale d'êtres
humains, sans que sa tâche se trouve compliquéepar des blessures
imputables au souffle etlou aux brûlures. )31

Ces effets peuvent être à long terme (cancers, chéloïdes)ou à court
terme (anorexie, diarrhée,interruption de la production de cellules san-
guines, hémorragie,lésionsde moelle osseuse, lésionsdu système nerveux
central, convulsions,troubles vasculaires etcollapsuscardio-vasculaire) 32.

Tchernobyl, qui n'a provoqué que des dommages consécutifs à l'irra-
diation et ce dans une zone relativement peu peuplée,a exigéla mobilisa-
tion de toutes les ressources médicalesdont disposait une nation puis-
sante et a obligé à faire venir massivement de tous les coins de l'Union
soviétiquedu personnel, des fournitures et des équipementsmédicaux -

cinq mille camions, huit cents autobus, deux cent quarante ambulances,
hélicoptèreset trains spéciaux33.Or, l'explosion de Tchernobyl corres-
pondait approximativement à celle d'une bombe d'une puissance d'une
demi-kilotonne34 équivalant à un vingt-cinquième de la puissance de
la bombe relativement modeste d'Hiroshima, qui ne. représentait elle-
mêmeque un soixante-dixièmede la puissance d'une bombe d'une méga-

tonne. Comme il a étéindiqué précédemmentd ,es bombes de plusieurs
dizaines de mégatonnessont aujourd'hui stockéesdans les arsenaux nu-
cléaires.
L'irradiation provoque des souffrances qui ne sont pas seulement
atroces mais peuvent durer toute une vie. Des personnes sont décédées
à Hiroshima et à Nagasaki à l'issue d'un martyr qui a durédes dizaines

d'annéesaprès que la bombe nucléaireeut été largués eur ces deux villes.
Le maire d'Hiroshima a décrit àla Cour la lente agonie des survivants -
dont il a étélargement rendu compte dans les nombreuses publications
parues sur cette question. L'Indonésie acitél'ouvrage d'Antonio Cassese,
Violence and Law in the Modevn Age (1988), qui appelle l'attention

30Herbert Abrams, ((Chernobyl and the Short-Term Medical Effects ofNuclear Warn,
actes du congrèsde ~'IPPNW,op.cit., p. 122.
31Ibid.p. 120.
3Vbid.,p. 122-125
33Ibid., p. 121.
34Ibid., p. 127.fering .. .does not emerge from the figures and statistics only . . .but

from the account of survivors". These records of harrowing suffering are
numerous and well kn~wn~~.

Reference should also be made to the many documents received by the
Registry in this regard, including materials from the International Sym-
posium: Fijty Years since the Atomic Bombing of Hiroshima and Naga-
saki. It is not possible in this opinion even to attempt the briefest sum-

mary of the details of these sufferings.

The death toll from lingering death by radiation is still adding to the
numbers. Over 320,000people who survived but were affected by radia-
tion suffer from various malignant tumours caused by radiation, includ-
ing leukaemia, thyroid cancer, breast cancer, lung cancer, gastric cancer,
cataracts and a variety of other after-effects more than half a century

later, according to statistics given to the Court by the representative of
Japan. With nuclear weapons presently in the world's arsenals of several
multiples of the power of those explosions, the scale of damage expands
exponentially.

As stated by WHO (CR95122, pp. 23-24), overexposure to radiation
suppresses the body's immune systemsand increases victims'vulnerabil-

ity to infection and cancers.
Apart from an increase in genetic effects and the disfiguring keloid
tumours already referred to, radiation injuries have also given rise to
psychological traumas which continue to be noted among the survivors
of Hiroshima and Nagasaki. Radiation injuries result from direct expo-
sure, from radiation emitted from the ground, from buildings charged

with radioactivity, and from radioactive fallout back to the ground
several months later from soot or dust which had been whirled up into
the stratosphere by the force of the explosion36.
In addition to these factors, there is an immense volume of specific
material relating to the medical effects of nuclear war. A fuller account of
this medical material appears in my dissenting opinion on the WHO
request (I.C.J. Reports 1996, pp. 115-127).That medical material should

also be considered as incorporated in this account of the unique effects of
the nuclear weapon.

35Among the internationally known contemporary accounts areJohn Hersey, Hiro-
shima (to which The New Yorker devoted its whole issue of 31 August 1946,and which
has since appeared as a Penguin Classic, 1946); Hiroshima DTheyJournal of a Japa-
NorthPCarolina Press, 1955;and TheDay Man Lost: Hiroshima,6aAugust,1945,Kodan- of
sha, 1972.They are al1part of a voluminous documentation.

36Over the effects of radiation, see, generally, Nuclear Radiation in Warfare, 1981,by
Professor Joseph Rotblat, the Nobel Laureate. sur le fait que «pour avoir une idée dessouffrances humaines ..il faut se
référernon seulement aux chiffres et aux statistiques ...mais aussi au

témoignage dessurvivants». Ces témoignagesrelatant des souffrances
intolérablessont multiples et bien connus35.
Il convient aussi de se reworter aux nombreux documents recus à ce
sujet par le Greffe et notamment aux travaux rassembléssous' letitre
International Symposium: Fifty Years since the Atomic Bombing oj
Hiroshima and Nagasaki. On ne peut s'aventurer, dans le cadre de la pré-
sente opinion, à dresser un inventaire, si succinct soit-il, des souffrances

décrites.
Le bilan s'alourdit encore si 1'011 y ajoute les lentes agonies consécu-
tivesà l'irradiation. D'aprèsdesstatistiquesfournies à la Courpar lerepré-
sentant du Japon, on compte, à cinquante ans de distance, plus de trois
cent vingt mille survivants irradiés qui souffrent de séquelles diverses
et notamment d'affections malignes attribuables à l'irradiation (leucé-
mie, cancer de la thyroïde, cancer du sein, cancer du poumon, cancer

de l'estomac, cataracte). Comme les armes nucléaires stockéesdans les
arsenaux de la planète ont une puissance plusieurs fois supérieure à celle
des armes dont nous parlons ici, on peut en attendre des ravages multi-
pliésà l'infini.
Comme l'indique l'organisation mondiale de la Santé (CR95/22,p. 23-
24), la surexposition aux radiations détruit les systèmesimmunitaires et
accroît la vulnérabilitédes victimes aux infections et aux cancers.

Outre un accroissement des malformations génétiqueset des tumeurs
chéloïdesdéfigurantes déjà mentionnées, l'irradiation a égalemenptro-
voqué des traumatismes psychologiques, que l'on continue d'observer
chezlessurvivants d'Hiroshima et de Nagasaki.Leslésionssont dues à l'ir-
radiation directe et aux rayonnements émispar le sol, par les immeubles
chargés de radioactivitéet par les particules de suie et les poussières
radioactives qui retombent sur le sol plusieurs mois après avoir étépro-
jetéesdans la stratosphère par la force de l'expl~sion~~.

Il existe en tout état de cause une abondante documentation médicale
portant spécialementsur leseffetsdela guerre nucléaire,quej'ai analysée
plus en détaildans mon opinion dissidente relative à la demande d'avis
consultatif de l'Organisation mondiale de la Santé(C.I.J. Recueil 1996,
p. 115-127).Ces donnéesmédicalesont été prises en compte dans le pré-
sent exposé des effets spécifiqued se l'arme nucléaire.

35 AUnombre des descriptions publiàel'époquequi sont mondialement connues, on
peut citerHiroshima par John Hersey, ouvrage auquel le New Yorker a consacré
l'intégralité denumérodu 31 août 1946et qui a ultérieurementparu dans la collection
Penguin Classic, également en 1946;Hiroshima Diary: The Journal of a Japanese Physi-
cian August 6-September 301945,par Michihiko Hachiya, M.D., University of North
Carolina Press, 1955,ete Day Man Lost: Hiroshima, 6 Augus1945,Kodansha, 1972.
Ces ouvrages font partie d'une volumineuse bibliographie.
36 Concernant les effets de l'irradiation, voir, généralement,Nuclear Radiation in War-
fare, 1981,par le professeur Joseph Rotblat, lauréatdu prix Nobel.(g) Heat and blast

Nuclear weapons cause damage in three ways - through heat, blast
and radiation. As stated by the WHO representative, while the first two
differ quantitatively from those resulting from the explosion of conven-
tional bombs, the third is peculiar to nuclear weapons. In addition to

instantaneous radiation, there is also radioactive fallout.

The distinctiveness of the nuclear weapon can also be seen from sta-
tistics of the magnitude of the heat and blast it produces. The representa-

tive of Japan drew our attention to estimates that the bomb blasts in
Hiroshima and Nagasaki produced temperatures of several million
degrees centigrade and pressures of several hundred thousand atmo-
spheres. In the bright fireball of the nuclear explosion, the temperature
and pressure are said indeed to be the same as those at the centre of the
sun3'. Whirlwinds and firestorms were created approximately 30 minutes

after the explosion. From these causes 70,147 houses in Hiroshima and
18,400in Nagasaki were destroyed. The blastwind set up by the initial
shockwave had a speed of nearly 1,000 miles per hour, according to
figures given to the Court by the Mayor of Hiroshima. The blast

"turns people and debris into projectiles that hurl into stationary
objects and into each other. Multiple fractures, puncture wounds
and the smashing of skulls, limbs and interna1 organs makes the list
of possible injuries endless." 38

(h) Congenital defovmities

The intergenerational effects of nuclear weapons mark them out from
other classes ofweapons. As the delegation of the Solomon Islands put it,
the adverse effects of the bomb are

"virtually permanent - reaching into the distant future of the
human race - if it willhave a future, which a nuclear conflictwould

put in doubt" (CR95/32,p. 36).

Apart from damage to the environment which successivegenerations will

inherit far into the future, radiation also causes genetic damage and will

--
Bates, op. cit., p. 722. Cf. the reference in The Bhagvadgita, "brighter than a thou-
sand suns", which was widely used by nuclear scient-stas in Robert Jungk, Bvighter
than a Thousand Suns: A Personal Histovy of the Atomic Scientist, Penguin, 1982, and
Op38Zbid.,p. 723.ous quote from the same source.g) Effet thermique et souffle

Les dommages causéspar les armes nucléairessont attribuables à trois
causes: l'effet thermique, le souffle et les rayonnements. Comme l'a
indiquéle représentant del'organisation mondiale de la Santé,les consé-
quences qu'entraînent les deux premières causes sont quantitativement
différentes decellesqui résultent de l'explosion de bombes classiquestan-
dis que les conséquencesqui découlent dela troisième causesont propres
aux armes nucléaires - lesquelles provoquent, outre une irradiation ins-
tantanée, des retombées radioactives.

La spécificitéde l'arme nucléaire ressortdes statistiques concernant
l'effet thermique et le souffle qu'elle génère.Le représentant du Japon a
appelénotre attention sur des estimations selon lesquelles les explosions
d'Hiroshima et de Nagasaki ont produit des températures de plusieurs
millions de degrés centigrades et des pressions de plusieurs centaines de
milliers d'atmosphères. Ona calculéque, dans la boule de feu résultant
de l'explosion nucléaire, latempérature et la pression étaient les mêmes

qu'au centre du soleil3'. Il s'est produit, environ trente minutes après
l'explosion, des tourbillons et des tempêtes thermiquesqui ont détruit
soixante-dix mille cent quarante-sept maisons à Hiroshima et dix-huit
mille quatre cents à Nagasaki. Selon les chiffres fournis par le maire
d'Hiroshima, le souffleaccompagnant l'onde de choc initiale a atteint une
vitesse d'environ 1600kilomètres à l'heure. Le souffle

((transforme les êtres humains etles débrisen projectiles qui entrent
violemment en collision avec les objets fixeset lesuns avec les autres.
Fractures multiples, blessures, crânes, membres et organes internes
broyés,telles sont quelques-unes des innombrables conséquencesqui
en résultent.»38

h) Malformations congénitales

Les effets intergénérations des armes nucléaires en font une catégorie
d'armes à part. Comme le souligne la délégationdes Iles Salomon, les
effets négatifsde la bombe sont

((virtuellement permanents - l'humanité est destinée à en ressentir
le contrecoup jusque dans un avenir très éloigné - si avenir il y a,
et rien n'est moins sûr dans l'hypothèse d'un conflit nucléaire))
(CR 95/32, p. 36).

Outre des dommages à l'environnement dont les générationsfutures
auront à souffrir pendant très longtemps, les rayonnements causent des

37Bates, op. cit., p. 772. LeBhagavad-Gita dit: «plus brillant qu'un millier de soleils»,
expression largement utiliséepar les savants nucléaires,par exempleRobert Jungk, auteur
de Brighter than a Thousand Suns: A Personal History of the Atomic Scientist, 1982,et
par Oppenheimer dans sa célèbrecitation de la mêmesource.
38Zbid.,p. 723.result in a crop of deformed and defective offspring, as proved in Hiro-
shima and Nagasaki (where those who were in the vicinity of the explo-
sion - the hibakusha - have complained for years of social discrimina-
tion against them on this account), and in the Marshall Islands and
elsewhere in the Pacific. According to the Mayor of Nagasaki:

"the descendants of the atomic bomb survivors willhave to be moni-
tored for several generations to clarify the genetic impact, which
means that the descendants will be forced to live in anxiety for gen-
erations to come" (CR95127, p. 43).

The Mayor of Hiroshima told the Court that children "exposed in

their mothers' womb were often born with microcephalia, a syndrome
involving mental retardation and incomplete growth" (ibid., p. 29). In
the Mayor's words:

"For these children, no hope remains of becoming normal indi-
viduals. Nothing can be done for them medically. The atomic bomb
stamped its indelible mark on the lives of these utterly innocent
unborn babies." (Ibid., p. 30.)

In Japan the socialproblem of hibakusha covers not only persons with
hideous keloid growths, but also deformed children and those exposed to
the nuclear explosions, who are thought to have defective genes which
transmit deformities to their children. This is a considerable human rights
problem, appearing long after the bomb and destined to span the
generations.

Mrs. Lijon Eknilang, from the Marshall Islands, told the Court of
genetic abnormalities never before seen on that island until the atmo-

spheric testing of nuclear weapons. She gave the Court a moving descrip-
tion of the various birth abnormalities seen on that island after the expo-
sure of its population to radiation. She said that Marshallese women

"give birth, not to children as we like to think of them, but to things
we could only describe as 'octopuses', 'apples', 'turtles',and other
things in Our experience. We do not have Marshallese words for
these kinds of babies because they were never born before the radia-
tion came.

Women on Rongelap, Likiep, Ailuk and other atolls in the Mar-
shall Islands have given birth to these 'monster babies'. . . .One
woman on Likiep gave birth to a child with two heads. . . There isravages génétiqueset aboutissent à des tares et malformations congéni-
tales comme on l'a constatéà Hiroshima et àNagasaki (où tous ceux qui
se trouvaient au voisinage de l'explosion - les hibakusha - se sont
plaints pendant des années d'être pour cette raison victimes d'une discri-
mination sociale) ainsi qu'auxIles Marshall et en d'autres zones du Paci-

fique. Selon le maire de Nagasaki:
«les descendants des survivants des explosions atomiques devront

êtresuivis pendant plusieurs générationspour décelerl'impact géné-
tique, ce qui signifieque des générationsde personnes vivront dans
l'angoisse))(CR 95/27,p. 43).

Le maire d'Hiroshima a indiqué à la Cour que les enfants qui avaient
été «exposéa sux radiations dans le sein de leur mère révélaient souvent
au moment de la naissance une microcéphalie, syndrome combinant
arriération mentale et développementincomplet)) (ibid., p. 29). Il s'est
exprimédans les termes suivants :

«Il n'y a aucun espoir que ces enfants deviennent des individus
normaux. On ne peut rien faire pour eux sur le plan médical. La
bombe atomique a marqué d'un stigmate indélébile lavie d'êtres
totalement innocents qui n'avaient mêmepas encore vu le jour.))
(Ibid., p. 30.)

Au Japon, le problème social des hibakusha concerne non seulement
les personnes hideusement défiguréespar des tumeurs chéloïdes mais
aussi des enfants présentant des malformations et ceux qui, ayant été

exposésaux explosions nucléaires, risquent d'avoir été génétiquement
atteints et de donner le jour à des enfants anormaux. Il y a là un pro-
blème de droits de l'homme très sérieux,qui a surgi longtemps après
l'explosion de la bombe et qui se posera nécessairement pendant des
générations.
Madame Lijon Eknilang, des Iles Marshall, a signalé à la Cour des
anomalies génétiquesqu'on n'avait jamais observéessur le territoire insu-
laire jusqu'aux campagnes d'essais nucléairesdans l'atmosphère. Elle a
fait une émouvante description des anomalies congénitales qui ont été
constatéesaprès que la population locale eut été exposéa eux radiations.
Elle a dit qu'aux Iles Marshall, des femmes

«donnent naissance non à des enfants comme nous aimons les ima-
giner mais àdes choses que, nous inspirant de la réalité quotidienne,

nous dénommons «poulpes», «pommes» ou «tortues». Nous
n'avons pas de mot dans notre langue pour décrirece genre de créa-
ture parce qu'il n'enétaitjamais venu au monde avant que nous ne
soyons exposésaux radiations.
Des femmes de Rongelap, de Likiep, d'Ailuk et d'autres atolls des
Iles Marshall ont aussi donné naissance à des monstres ...Une
femme de Likiep a accouché d'un enfant bicéphale ...Il y a a young girl on Ailuk today with no knees, three toes on each foot
and a missing arm . . .
The most common birth defects on Rongelap and nearby islands
have been 'jellyfish'babies. These babies are born with no bones in
their bodies and with transparent skin. We can see their brains and

hearts beating. . . .Many women die from abnormal pregnancies
and those who survive give birth to what looks like purple grapes
which we quickly hide away and bury. . . .

My purpose for travelling such a great distance to appear before
the Court today, is to plead with you to do what you can not to
allow the suffering that we Marshallese have experienced to be
repeated in any other community in the world." (CR95132, pp. 30-
31.)

From another country which has had experience of deformed births,
Vanuatu, there was a similar moving reference before the World Health
Assembly, when that body was debating a reference to this Court on
nuclear weapons. The Vanuatu delegate spoke of the birth, after nine
months, of "a substance that breathes but does not have a face, legs or

arms" 39.

(i) Transnational damage

Once a nuclear explosion takes place, the fallout from even a single
local detonation cannot be confined within national boundaries40.
According to WHO studies, it would extend hundreds of kilometres
downwind and the gamma ray exposure from the fallout could reach the
human body, even outside national boundaries, through radioactivity
deposited in the ground, through inhalation from the air, through con-
sumption of contaminated food, and through inhalation of suspended

radioactivity. The diagram appended to this opinion, extracted from the
WHO Study, comparing the areas affected by conventional bombs and
nuclear weapons, demonstrates this convincingly. Such is the danger to
which neutral populations would be exposed.

Al1 nations, including those carrying out underground tests, are in
agreement that extremely elaborate protections are necessary in the case
of underground nuclear explosions in order to prevent contamination of
the environment. Such precautions are manifestly quite impossible in the

39Record of the 13th Plenary Meeting, Forty-Sixth World Health Assembly, 14May
1993,doc. A46NRJ13, p. 11,furnished to the Court by WHO.

40Seediagram appended from Effects of Nuclear War on Health and Health Services,
World Health Organization, 2nd ed., 1987,p. 16. aujourd'hui à Ailuk une fillette privéede genoux, et qui n'a que trois

doigts à chaque pied et un seul bras.
A Rongelap et dans les îlesvoisines, l'anomalie la plus fréquente à
la naissance est celle de I'«ectoplasmie». Les enfants sont dépour-
vus de charpente osseuse et leur peau est transparente. On peut voir
battre leur cerveau et leur cŒur. Les grossesses anormales font de
nombreuses victimes ...et lesfemmesqui survivent accouchent d'une
sorte de grappe de raisins noirs que nous nous hâtons de faire dis-

paraître et d'enterrer...
Sij'ai entrepris ce long voyage pour me présenterdevant la Cour
aujourd'hui, c'estpour vous demander de faire tout en votre pouvoir
pour que la souffrance qui a éténotre lot à nous, citoyens des Iles
Marshall, soit épargnéeau reste du monde. » (CR 95/32, p. 30-31 .)

Un autre pays où ont été enregistrées des naissances d'enfants anor-
maux, Vanuatu, a fait une déclaration non moins émouvante devant
l'Assembléemondiale de laSantélors de l'examen, dans cette enceinte,de
la possibilité desoumettre à la Cour la question des armes nucléaires.Le
représentant de Vanuatu a signalé la naissance au bout de neuf mois

d'une substance qui respire mais qui n'a ni visage, ni bras, ni jambes39.

i) Dommages transnationaux

En cas d'explosion nucléaire,les retombées,mêmesi elles proviennent
d'une seule détonation locale, sont impossibles à contenir dans les limites
d'un territoire nationa140.Selon des études de l'Organisation mondialede
la Santé,elless'étendraientsur des centaines de kilomètres sousle vent et
l'effet des rayons gamma résultant des retombéespourrait êtreressenti

par le corps humain, mêmeau-delà des frontières, de diverses manières:
contact avec le sol devenu radioactif, inhalation de l'air, absorption de
denrées contaminéeset inhalation de radioactivité en suspension. A cet
égard,la comparaison entre les superficies touchéespar les bombes du
type classique et les armes nucléaires, présentée dans le diagramme joint
en appendice à la présenteopinion, qui a été publié dans une étude de
l'Organisation mondiale de la Santé esttrèsinstructive. On peut donc se

faire une idéedu danger auquel seraient exposéeslespopulations neutres.
Toutes les nations, y compris celles qui procèdent à des essais souter-
rains, conviennent que de très grandes précautions doivent êtreprises
pour éviter qu'une explosion nucléairesouterraine ne contamine l'envi-
ronnement. Il sera manifestement impossible de prendre de telles précau-

39Compte rendu de la treizième séance plée,uarante-sixièmeAssembléemondiale
de la Santé,4mai 1993,doc. A46NRl13, p. 11,communiqué à la Cour par l'organisa-
tion mondiale de la Santé.
40Voir le diagramme joint en anneàela présenteopinion, qui est tirédu document
intituléffets de la guerre nucléairesur la santé et les services de santé, Organisation
mondiale de la santé, éd., 1987,p. 16.case of the use of nuclear weapons in war - when they willnecessarily be
exploded in the atmosphere or on the ground. The explosion of nuclear
weapons in the atmosphere creates such acknowledgedly deleterious
effects that it has already been banned by the Partial Nuclear Test Ban
Treaty, and considerable progress has already been made towards a

Total Test Ban Treaty. If the nuclear powers now accept that explosions
below ground, in the carefully controlled conditions of a test, are so
deleterious to health and the environment that they should be banned,
this il1accords with the position that above ground explosions in uncon-
trolled conditions are acceptable.

The transboundary effects of radiation are illustrated by the nuclear
meltdown in Chernobyl which had devastating effects over a vast area, as
the by-products of that nuclear reaction could not be contained. Human
health, agricultural and dairy produce and the demography of thousands

of square miles were affected in a manner never known before. On
30 November 1995, the United Nation's Under-Secretary-General for
Humanitarian Affairs announced that thyroid cancers, many of them
being diagnosed in children, are 285 times more prevalent in Belarus than
before the accident, that about 375,000 people in Belarus, Russia and
Ukraine remain displaced and often homeless - equivalent to numbers
displaced in Rwanda by the fighting there - and that about 9 million
people have been affected in some way4'. Ten years after Chernobyl, the
tragedy still reverberates over large areas of territory, not merely in

Russia alone, but also in other countries such as Sweden. Such results,
stemming from a mere accident rather than a deliberate attempt to
cause damage by nuclear weapons, followed without the heat or the blast
injuries attendant on a nuclear weapon. They represented radiation
damage alone - only one of the three lethal aspects of nuclear weapons.
They stemmed from an event considerably smaller in size than the explo-
sions of Hiroshima and Nagasaki.

6) Potential to destvoy al1civilization
Nuclear war has the potential to destroy al1civilization. Such a result

could be achieved through the use of a minute fraction of the weapons
already in existence in the arsenals of the nuclear powers.

As Former Secretary of State, Dr. Henry Kissinger, once observed, in
relation to strategic assurances in Europe :

41New York Times Service, reported in InternationalHerald Tribune, 30 November
1995.

242 tions en cas d'emploi d'armes nucléairesdans le contexte d'un conflit
armé puisque les-explosions auront nécessairement lieudans l'atmo-
sphèreou sur terre. Les explosions nucléairesdans l'atmosphère ont des
effets délétères si notoires qu'elles ont déjà étéinterdites par le traité
d'interdiction partielle des essais nucléaires etque l'on se rapproche de

dus en DIUS d'un traitéd'interdiction des essais dans tous les milieux. Si
les puissances dotées d'armesnucléairesconviennent aujourd'hui que les
explosions souterraines soumises aux contrôles rigoureux d'une cam-
pagne d'essais ont des effets si néfastessur la santé et l'environnement
qu'ilfaut lesinterdire, comment considérer comme acceptablesdes explo-
sions à l'air libre échappant à tout contrôle?
Les effets transfrontières des radiations sont mis en évidencepar la
catastrophe de Tchernobyl qui a eu des effets dévastateurs surune vaste
superficiedu fait qu'il étaitimpossible d'arrêterle déplacement des sous-

produits de la réaction nucléaireL. a santé,la production agricole et laitière
et la démographieont été compromises à un degré sans précéden stur des
superficiess'étendant surdes milliersde kilomètres carrés. Le 30novembre
1995,le Secrétaire généraaldjoint aux affaires humanitaires des Nations
Unies a annoncé queles cancers de la thyroïde, dont beaucoup diagnosti-
quéschezdesenfants, étaient devenus deux cent quatre-vingt-cinq fois plus
fréquents qu'avantl'accident au Belarus, que le nombre de personnes ori-
ginairesdu Belarus. de la Russie et de l'Ukraine aui continuaient de vivre
u
loin de chez elleset étaientsouvent sans abri avoisinait trois cent soixante-
quinze mille - chiffre comparable à celui despersonnes déplacéed su fait
des combats au Rwanda - et qu'environ neuf millions de personnes
avaient été atteintesd'une manière ou d'uneautre4'. Dix ans après Tcher-
nobyl, leseffetsdela tragédiesefont encore sentir sur de vastes superficies,
non seulement en Russie mais aussi dans d'autres pays comme la Suède.
Pourtant, ils ont eu pour origine un simple accident,non une volontédéli-
béréede causer des dommages par l'emploi d'armes nucléairesi;ls ne se

sont pas accompagnés des ravagesattribuables à l'effet thermique ou à
l'effet de souffle que provoquent les armes nucléaires;ils ont été causés
exclusivementpar l'irradiation - l'une seulementdes trois manièresdont
les armes nucléairestuent; et ils ont fait suiàeun accident deproportions
nettement plus modestes que les explosions d'Hiroshima et de Nagasaki.

j) Anéantissementpossible de l'ensemblede la civilisation

La guerre nucléaire a la capacitéd'anéantirl'ensemble de la civilisa-
tion. 11suffirait pour obtenir ce résultat d'utiliser une infime partie des
réservesd'armes nucléaires stockéesdans les arsenaux des puissances
nucléaires.
Un ancien secrétaire d'Etat des Etats-Unis d'Amérique,Henry Kissin-

ger, a un jour déclaré, à propos des assurances stratégiquesen Europe:

41New York Times Service, citédans le numérodu 30novembre 1995de l'International
Herald Tribune.

242 "The European allies should not keep asking us to multiply stra-

tegic assurances that we cannot possibly mean, or if we do mean, we
should not want to execute because if we execute, we risk the
destruction of civilizati~n."~~

So, also, Robert McNamara, United States Secretary of Defense from
1961to 1968,has written:
"1sit realistic to expect that a nuclear war could be limited to the

detonation of tens or evenhundreds of nuclear weapons, eventhough
each side would have tens of thousands of weapons remaining avail-
able for use? The answer is clearly no."43

Stocks of weapons may be on the decline, but one scarcely needs to
think in terms of thousands or even hundreds of weapons. Tens of weap-
ons are enough to wreak al1the destructions that have been outlined at
the commencement of this opinion.

Such is the risk attendant on the use of nuclear weapons - a risk
which no single nation is entitled to take, whatever the dangers to itself.
An individual's right to defend his own interests is a right he enjoys
against his opponents. In exercising that right, he cannot be considered
entitled to destroy the village in which he lives.

(i) Social institutions

Al1the institutions of ordered society - judiciaries, legislatures, police,
medical services, education, transport, communications, postal and tele-
phone services, and newspapers - would disappear together in the
immediate aftermath of a nuclear attack.The country's command centres
and higher echelons of administrative serviceswould be paralysed. There
would be "social chaos on a scale unprecedented in human hi~tory"~~.

(ii) Economic structures

Economically, society would need to regress even beyond that of the
Middle Ages to the levels of man's most primitive past. One of the best
known studies examining this scenario summarizes the situation in this
way :

42Henry A. Kissinger, "NATO Defense and the Soviet Threat", Survival, November-
December 1979,p. 266 (address in Brussels),cited by Robert S. McNamara in "The Mili-
tary Role of Nuclear Weapons: Perceptions and Misperceptions", Foreign Affairs, 1983-
1984,No. 62, Vol. 1, p. 59; emphasis added.
43Robert S. McNamara, op. cit., p. 71.
44Bates, op. cit., p. 726. MENACE OUEMPLOI D'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW. EERAMANTRY) 465

«Nos alliéseuropéensne devraient pas nous inviter constamment

à multiplier des assurances stratégiques que nous ne sommes pas
prêts,ou, si nous le sommes, ne devrions pas être prêts à mettre en
application car, en le faisant, nous risquons d'anéantirla civilisa-
tion.»42

De même,Robert McNamara, secrétaired'Etat àla défense desEtats-
Unis de 1961 à 1968,a écrit:
«Peut-on raisonnablement croire que ne seraient employées,dans
le cadre d'une guerrenucléaire,que quelques dizaines ou même quel-

ques centaines d'armes nucléairesalors mêmeque les deux parties
auraient encore des dizaines de milliers d'armes à leur disposition?
La réponsene peut être que négative.»43
Les stocks d'armes sont peut-êtreen voie de réduction maisce n'est pas

à l'échellede milliers ou mêmede centainesd'armes nucléairesque le pro-
blèmesepose. Il suffirait de quelques dizaines d'armes pour causer toutes
les destructions dont un aperçu a étédonné au début de la présente
opinion.
Tel est le risque que comporte l'emploi des armes nucléaires - un
risque qu'aucune nation n'est en droit de prendre, quels que soient les
dangers auxquels elle se trouve exposée. Ledroit d'un individu de dé-

fendre ses propres intérêtsest un droit qu'il possède à l'encontre de ses
adversaires. Il ne peut pas légitimement, en l'exerçant,anéantirle village
où il habite.

i) Institutions sociales

Toutes les institutions d'une société organisé e les instances judi-
ciaires et législatives,la police, les servicesde santé, d'éducation,des trans-
ports, des communications et des postes et téléphones,ainsi que la presse
- disparaîtraient totalement juste après une attaque nucléaire. Les
centres de commandementet les serviceslesplus importants de l'adminis-

tration du pays seraient paralysés.Il en résulteraitun «chaos social àune
échellesans précédentdans l'histoire de l'humanité»44.

ii) Structures économiques

Economiquement, la sociétéreviendrait non pas à son niveau du
Moyen Age mais aux temps les plus reculésde l'histoire de l'humanité.
Une des étudesles plus connues qui évoquentce scénariorésumela situa-
tion dans les termes suivants:

42Henry A. Kissinger, ((NATO Defense and the Soviet Threat)), Survivul, novembre-
décembre1979,p. 266(conférencea Bruxelles),citépar Robert S. McNamara dans «The
Military Role of Nuclear Weapons: Perceptions and Misperceptions)), Foreign Affirs,
1983-1984,vol. 1, p. 59; les italiques sont de moi.
43Robert S. McNamara, op. cit., p. 71.
Bates, op. cit., p. 726. "The task . . .would be not to restore the old economy but to
invent a new one. on a far more ~rimitivelevel. ... The economv of
the Middle ~~es,'for example, was far lessproductive than OurAn,
but it was exceedingly complex, and it would not be within the
capacity of people in Ourtime suddenly to establish a medieval eco-
nomic system in the ruins of their twentieth-century one. .. .Sitting

among the debris of the Space Age, they would find that the pieces
of a shatteredmodern economy around them - here an automobile,
there a washing machine - were mismatched to their elemental
needs. .. .[Tlheywould not be worrying about rebuilding the auto-
mobile industry or the electronics industry: they would be worrying
about how to find nonradioactive berries in the woods, or how to
tell which trees had edible bark."45

(iii) Cultural treasures

Another casualty to be mentioned in this regard is the destruction of
the cultural treasures representing the progress of civilization through the
ages. The importance of the protection of this aspect of civilization was
recognized by the Hague Convention of 14May 1954,for the protection
of cultural property in the case of armed conflict, which decreed that cul-
tural property is entitled to special protection. Historical monuments,
works of art or places of worship which constitute the cultural or spirit-
ual heritage of peoples must not be the objects of any acts of hostility.
Additional Protocol II provides that cultural property and places of
worship which constitute the cultural and spiritual heritage of peoples

must not be attacked. Such attacks are grave breaches of humanitarian
law under the Conventions and the Protocol. The protection of culture in
wartime is considered so important by the world community that Unesco
has devised a special Programme for the Protection of Culture in War-
time. Whenever any cultural monuments were destroyed, there has been
a public outcry and an accusation that the laws of war had been violated.

Yet it ismanifest that the nuclear bomb isno respecter of such cultural
trea~ures~~.It will incinerate and flatten every object within its radius of
destruction, cultural monument or otherwise.
Despite the blitz on many great cities during World War II, many a

cultural monument in those cities stood through the war. That willnot be
the case after nuclear war.

p. 727.athan Schell, The Fate of the Earth, 1982, pp. 69-70, cited in Bates, op. ut.,
46On State responsibility to protect the cultural heritage, see Article 5 of the World
Heritage Convention, 1972(The Convention for the Protection of the World Cultural and
Natural Heritage). ((11faudrait ...non pas reconstruire l'économie préexistante mais
en inventer une nouvelle, à un niveau beaucoup plus primitif ...
L'économiedu Moyen Age, par exemple, étaitloin d'avoir la capa-
citéde production de la nôtre mais elle étaitextrêmement complexe
et nos contemporains ne seraient pas capables de bâtir instantané-
ment un système économique médiévas lur les ruines de celui du
XX" siècle ...Au milieu des restes de l'ère spatiale,ils seraient inca-
pables de trouver, parmi les débrisd'une économie moderne répan-
dus autour d'eux - iciune automobile, là une machine à laver - les

moyens de satisfaire leurs besoins les plus élémentaires... [Ills ne se
soucieraient pas de reconstruire l'industrie automobile ou l'industrie
électronique: ils se soucieraient de savoir comment trouver dans
les bois des baies non radioactives et comment identifier les arbres à
écorce comestible.» 45

iii) Trésors culturels

Il convient également deprendre en compte la destruction des trésors
culturels, témoinsdu progrèsde la civilisation à travers les âges. L'impor-
tance de la protection de cet aspect de la civilisation a été reconnuepar la
convention de La Haye du 14 mai 1954 concernant la protection des
biens culturels en cas de conflit armé, quiproclame que le patrimoine cul-
turel a droit à une protection spéciale.Les monuments historiques, les
Œuvresd'art et les lieux de culte qui constituent le patrimoine culturel ou
spirituel des peuples ne doivent servir de cible à aucun acte d'hostilité.

Le protocole additionnel II dispose que les biens culturels et les lieux
de culte qui constituent le patrimoine culturel et spirituel des peuples ne
doivent pas faire l'objet d'attaques. Semblables attaques constituent des
violations graves du droit humanitaire tel qu'il découle des conventions
et du protocole. La protection du patrimoine culturel en temps de guerre
est considérée commesi importante par la communauté mondiale que
l'Unesco a élaboréun ((Programme spécialpour la protection de la cul-
ture en temps de guerre)).Chaque destruction d'unbien culturel a entraîné

une réaction d'indignation de l'opinion publique et desprotestations en
raison des violations du droit de la guerre.
Or, il est manifeste que la bombe nucléaire n'épargnepas les trésors
culturels46.Elle réduiten cendres et anéantit tout ce qui se trouve dans
son rayon de destruction, les biens culturels comme le reste.
Malgréle «blitz» subi par de nombreuses grandes agglomérations pen-
dant la seconde guerre mondiale, bien des monuments culturels ont été
épargnés.Tel ne sera pas le cas si une guerre nucléaire éclate.

45Jonathan Schell, The Fate of the Eavth, 1982, p. 69-70, citédans Bates, op. cit.,
p. 727.
46Concernant le devoir des Etats de protégerlepatrimoine culturel, voir l'article5de la
convention de 1972concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel. That this is a feature of considerable importance in al1countries can be

illustrated from the statistics in regard to one. The number of listed
monuments in the Federal Republic of Germany alone, in 1986, was
around 1million, of which Cologne alone had around 9,000 listed build-
ing~~~. A nuclear attack on a city such as Cologne would thus deprive
Germany, in particular, and the world community in general, of a con-
siderable segment of their cultural inheritance, for a single bomb would
easily dispose of al19,000 monuments, leaving none standing - a result
which no wartime bombing in World War II could achieve.

Together with al1other structures, they will be part of the desert of
radioactive rubble left in the aftermath of the nuclear bomb. If the pres-
ervation of humanity's cultural inheritance is of any value to civilization,
it is important to note that it will bean inevitable casualty of the nuclear
weapon.

(k) The electromagneticpulse

Another feature distinctive to nuclear weapons is the electromagnetic
pulse. The literature indicates that this has the effect of displacing elec-
trons out of air molecules in the upper atmosphere and these electrons
are then displaced by the earth's magnetic field. As they spin down and
around the lines of magnetic force, they transmit a very sudden and
intensive burst of energy - the electromagneticpulse - which throws al1
electronic devicesout of action. As these systemsgo haywire, al1commu-
nication lines are cut, health services(among other essential services)dis-
rupted and organized modern life collapses. Even the command and con-

trol systems geared for responses to nuclear attack can be thrown out
of gear, thus creating a fresh danger of unintended release of nuclear
weapons.

A standard scientificdictionary, Dictionnaire encyclopédique d'électro-
nique, describes the effects of the electromagnetic pulse in the following
terms :

"Electromagnetic pulse, nuclear pulse; strong pulse of electro-
magnetic energy radiated by a nuclear explosion in the atmosphere;
caused by collisions between the gamma rays emitted during the first
nanoseconds of the explosion and the electrons in the molecules in

the atmosphere; the electromagnetic pulse produced by a nuclear
explosion of an average force at around 400km altitude can instantly
put out of servicethe greater part of semiconductor electronic equip-
ment in a large country, such as the United States, as well as a large

47SeeHiltrud Kier, "UNESCO Programme for the Protection of Culture in Wartime",
in Documents of the Sixth World Congress of IPPNW, op. cip. 199. L'importance considérable que revêlte patrimoine culturel dans tous

les pays ressort clairement des statistiques relativesàun seul d'entre eux.
Ily avait en 1986dans la seule République fédérale d'Allemagne environ
un million de monuments classésdont neuf mille dans la seule ville de
C~logne~~.Une attaque nucléairesur une ville comme Cologne priverait
l'Allemagne et l'ensemble de la communauté mondiale d'une fraction
appréciable de leur patrimoine culturelcar une bombe unique anéantirait
aisémentles neuf mille monuments, n'en laissant pas un seul debout -
résultat auquel n'est parvenu aucun des bombardements de la seconde

guerre mondiale.
De cesmonuments, comme de n'importe quelautre bâtiment, la bombe
nucléaire ne laissera subsister que des décombres radioactifs. Si l'on
considèreque la préservationdu patrimoine culturel de l'humanitérevêt
une importance cruciale pour la civilisation, il faut se rendre compte que
la bombe nucléaireen causera inévitablement sadestruction.

k) L'impulsion électromagnétique

L'explosion d'une bombe nucléaire s'accompagned'un autre phéno-
mènecaractéristique,celuide l'impulsion électromagnétique qui, selon les
spécialistes,a pour effet de chasser les électrons des molécules d'air
situéesdans les couches supérieures de l'atmosphère, électronsqui sont
alors attiréspar le champ magnétiquede la Terre. Leur descente le long
des lignes de force magnétique engendre une très forte et très soudaine
poussée d'énergie - l'impulsion électromagnétique - qui met hors ser-
vicetous les systèmesélectroniques.Quand tous ces systèmesne fonction-

nent plus, les lignes de communication sont coupées,les servicesde santé
(y compris les services essentiels) sont gravement perturbés et la vie
moderne organisée s'arrête. Mêm es dispositifs de commandement et
de contrôle dont dépendentles réactions àune attaque nucléaire risquent
de tomber en panne, ce qui entraîne le danger supplémentaire que des
bombes nucléairesne soient involontairement activées.
Un dictionnaire scientifique classique, le Dictionnaire encyclopédique
d'électronique, décritles effets de l'impulsion électromagnétiquedans les

termes suivants :
((Impulsion électromagnétique, impulsion nucléair eforte impul-
sion d'énergie électromagnétique rayonnéepar une explosion
nucléairedans l'atmosphère; est due aux collisions entre les rayons

gammas émispendant les premières nano-secondes de l'explosion et
les électronsdes molécules del'atmosphère; l'impulsion électroma-
gnétiqueproduite par une explosion nucléaire de puissance moyenne
à environ 400 kilomètres d'altitude peut mettre hors service instan-
tanément la majeure partie des appareils électroniques à semi-con-

47Voir Hiltrud Kier, ((UNESCO Programme for the Protection of Culture in War-
tirne» insérédans les actes du sixièmecongrès mondial de I'IPPNW, op.199.., p. part of its energy distribution networks, without other effects being
felt on the ground, with military consequences easy to imagine."48

An important aspect of the electromagnetic pulse is that it travels at
immense speeds, so that the disruption of communication systems caused
by the radioactive contamination immediately can spread beyond national
boundaries and disrupt communication lines and essential services in
neutral countries as well. Having regard to the dominance of electronic

communication in the functioning of modern society at every level, this
would be an unwarranted interference with such neutral States.

Another important effect of the electromagnetic pulse is the damage to
electrical power and control systems from nuclear weapons - indeed
electromagnetic pulse could lead to a core melt accident in the event of
nuclear power facilities being in the affected area49.

(1) Damage to nuclear reactors

The enormous area of devastation and the enormous heat released

would endanger al1nuclear power stations within the area, releasing dan-
gerous levels of radioactivity apart from that released by the bomb itself.
Europe alone has over 200 atomic power stations dotted across the con-
tinent, some of them close to populated areas. In addition, there are 150
devices for uranium enrichment 50.A damaged nuclear reactor could give
rise to:

"lethal doses of radiation to exposed persons 150 miles downwind
and would produce significant levelsof radioactive contamination of

the environment more than 600 miles awayn5I.

The nuclear weapon used upon any country in which the world's current
total of 450 nuclear reactors is situated could leave in its wake a series of
Chernobyls.

48Michel Fleutry, Dictionnaire encyclopédique d'électro(anglais-français), 1995,
p. 250. [Translation by the Registry.]
49Gordon Thompson, "Nuclear Power and the Threat of Nuclear War", in Documents
of theSixth World Congress of IPPNW, op. cit., p. 240.
50William E. Butler (ed.), Control over Cornpliancewith International Law, 1991,p. 24.

51Bates, op. cit., p. 720. MENACEOU EMPLOID'ARMES NUCLÉAIRES (OP.DISSW . EERAMANTRY) 468

ducteursd'un pays grand comme les Etats-Unis et une grande partie

de ses réseaux de distribution d'énergiesans que d'autres effets
soient ressentis au sol, avec des conséquences militaires facilesma-
giner.»48

L'impulsion électromagnétique a, entre autres caractéristiques, celle,
importante, de se déplacer à des vitessesphénoménales de telle sorte que le
dérèglement dessystèmesde communication causépar la contamination
radioactive peut s'étendreinstantanément au-delàdes frontièresnationales
et perturber les lignesde communication et les services essentielsdes pays
neutres. Etant donnélerôle capital que jouent lescommunications électro-
niques dans lefonctionnementde la sociétémoderne àtous lesniveaux, on
serait en présence d'uneatteinte injustifiéeaux pays en question.

Un autre effet important de l'impulsion électromagnétique rayonnée
par les armes nucléaires estque les installations de production et de dis-
tribution d'énergie,y compris les systèmesde contrôle, risquent de se
dérégler,ce qui pourrait, dans l'hypothèse où une centrale nucléaire se
trouverait dans la zone affectée,provoquer la fusion accidentelle du cŒur
du réacteur4g.

1) Dommages aux réacteurs nucléaires

Etant donné l'ampleur des dévastations et l'intensitéde la chaleur
dégagée,toutes les centrales nucléairesde la région seraient touchées,
avec pour conséquence l'élévation àun niveau dangereux de la radioac-
tivitéprovenant de cette source, sans parler de la radioactivitéattribuable
à la bombe elle-mêmeL . 'Europe compte à elle seule deux cents centrales

nucléaires dispersées sur le continent, dont certaines sont situéeàproxi-
mité d'agglomérations. Il y a de surcroît cent cinquante installations
d'enrichissementde l'uranium50.Un réacteurnucléaireendommagépour-
rait émettre:

«des doses létalesde radiations sur une distance de 240 kilomètres
sous le vent et générer destaux notables de contamination radioac-
tive de l'environnement dont l'effet pourrait êtreressenti à près de
1000kilomètres»

L'arme nucléaire,si elle étaitutiliséecontre l'un quelconque des pays où
sont situés lesquelque quatre cent cinquante réacteurs nucléairesactuel-
lement en servicedans le monde, pourrait provoquer dans son sillageune
sériede «Tchernobyls ».

48Michel Fleutry, Dictionnaire encyclopédique d'électroniqu(eanglais-français), 1995,
p. 250.
49Gordon Thompson, ((Nuclear Power and the Threat of Nuclear War)), dans les
Actes du sixièmecongrèsmondial deIPPNW, op. cit., p. 240.
50William E. Butler (dir. publ.), Control over Compliance with International Law,
1991,p. 24.
51Bates, op. cit., p. 720. The effects of such radiation could include anorexia, cessation of pro-

duction of new blood cells, diarrhoea, haemorrhage, damage to the bone
marrow, convulsions, vascular damage and cardiovascular collap~e~~.

(m) Damage tofood productivity

Unlike other weapons,whosedirect impact is the most devastatingpart of
the damage they cause, nuclear weapons can cause far greater damage by
their delayed after-effectsthan by their direct effects.The detailed technical

study, Environmental ConsequencesoN fuclear War,whilereferringto some
uncertainties regarding the indirect effectsof nuclear war, States:
"What can be said with assurance, however, is that the Earth's

human population has a much greater vulnerability to the indirect
effects of nuclear war, especially mediated through impacts on food
productivity and food availability, than to the direct effectsof nuclear
war itself." 53

The nuclear winter, should it occur in consequence of multiple nuclear
exchanges, could disrupt al1global food supplies.

After the United States tests in the Pacific in 1954,fish caught in vari-
ous parts of the Pacific, as long as eight months after the explosions, were
contaminated and unfit for human consumption, while crops in various
parts of Japan were affected by radioactive rain. These were among the

findings of an international Commission of medical specialists appointed
by the Japanese Association of Doctors against A- and H-bombsS4.
Further :

"The use of nuclear weapons contaminates water and food, as
well as the soi1and the plants that may grow on it. This is not only
in the area covered by immediate nuclear radiation, but also a much
larger unpredictable zone which is affected by the radio-active fall-
out.''55

(n) Multiple nuclear explosions resultingfrom self-defence

If the weapon is used in self-defence after an initial nuclear attack, the
ecosystem, which had already sustained the impact of the first nuclear
attack, would have to absorb on top of this the effect of the retaliatory

52See Herbert Abrams, op. cit., pp. 122-125.
53SCOPE publication 28, released at the Royal Society, London, on 6 January 1986,
Vol. 1.o. 481.
54~sreferred to in Singh and McWhinney, op. cit., p. 124.
55Ibid., p. 122. MENACEOU EMPLOI D'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW. EERAMANTR4Y 6)9

L'irradiation ainsi provoquée aurait des conséquencesdiverses: ano-

rexie, arrêtde la production de cellules sanguines, diarrhée, hémorragie,
lésionde la moelle osseuse, convulsions, troubles vasculaires et collapsus
cardio-vasculaires 52.

m) Dommages a laproductivité alimentaire

Contrairement aux autres armes,dont l'impactdirect est le plus dévasta-
teur, les armes nucléaires peuventcauser des dommages bien plus grands

ultérieurement que dans l'immédiat. L'étude techniqd ue tailléeintitulée
Environmentnl Consequences of NuclearWar, après avoirsignalécertaines
incertitudesquant aux effetsindirectsde la guerrenucléaire, affirme que:

«Ce qu'on peut néanmoins dire sans risquer de se tromper, c'est
que la population humaine est beaucoup plus vulnérableaux effets
indirects de la guerre nucléaire,notamment à sesrépercussionssur la
productivité et l'approvisionnement alimentaires, qu'aux effets
directs de la guerre elle-même. »53

L'hiver nucléaire,s'il survenaità la suite d'échangesde tirs nucléaires
multiples, pourrait perturber le systèmed'approvisionnement alimentaire
de l'ensemblede la planète.
Après la campagne d'essais nucléaires menée en 195p 4ar les Etats-
Unis dans le Pacifique, on pêchait encoredans diverses zones du Paci-

fique, huit mois aprèsles explosions, du poisson contaminéet impropre à
la consommation humaine. En outre, lesrécoltesdans diverses régionsdu
Japon ont étécontaminées par des pluies radioactives. Telles sont les
constatations qui ont été faitespar une Commission internationale
d'experts médicaux nommés par l'Association japonaise des médecins
contre la bombe A et à la bombe HS4.Au surplus:

((L'emploidesarmes nucléairesentraîne unecontamination de l'eau
et desaliments, ainsique du sol et desvégétaux qui peuveny t pousser,
et cenon seulementdans la zone immédiatement touchép ear lesradia-
tions nucléaires mais aussidans toute la zone, beaucoup plus étendue

et sans limitesdéfinissables,ffectéepar lesretombées radioactives. »55

n) Explosions nucléairesmultiples résultantde rispostes en étatde légi-
time défense

En cas d'emploi de l'arme en étatde légitimedéfense à la suite d'une
attaque nucléaire initiale, l'écosystème q,ui aura déjàsubi l'impact de la
premièreattaque nucléaire,devra supporter en plus les conséquencesde

53SCOPE publication 28, paràeLa Royal Society,Londres, le 6janvier 1986,vol. 1,
p. 481.
54Mentionnéesdans Singh et McWhinney, op. cit., p. 124.
55Ibid., p. 122.attack, which may or may not consist of a singleweapon, for the stricken
nation will beso ravaged that it will not be able to make fine evaluations
of the exact amount of retaliatory force required. In such event, the ten-
dency to release as strong a retaliation as is available must enter into any
realisticevaluation of the situation. The ecosystem would in that event be
placed under the pressure of multiple nuclear explosions, which it would
not be able to absorb without permanent and irreversible damage.
Capital cities with densely packed populations could be targeted. The
fabric of civilization could be destroyed.
Itis said of some of the most ruthless conquerors of the past that, after
they dealt with a rebellious town, they ensured that it was razed to the
ground with no sound or sign of life left in it - not even the bark of a
dog or the purr of a kitten. If any student of international law were asked
whether such conduct was contrary to the laws of war, the answer would

surely be "Of course!" There would indeed be some surprise that the
question even needed to be asked. In this age of higher development, the
nuclear weapon goes much further, leaving behind it nothing but a total
devastation, wrapped in eerie silence.

(O) "The shadow of the mushvoom cloud"

As pointed out in the Australian submissions (CR9.5122,p. 49), the
entire post-war generation lies under a cloud of fear - sometimes
described as the "shadow of the mushroom cloud", which pervades al1
thoughts about the human future. This fear, which has hung like a blan-
ket of doom over the thoughts of children in particular, is an evil initself
and will last so long as nuclear weapons remain. The younger generation

needs to grow up in a climate of hope, not one of despair that at some
point in their life,there is a possibility of their lifebeing snuffed out in an
instant, or their health destroyed, along with al1they cherish, in a war to
which their nation may not even be a party.

This body of information shows that, even among weapons of mass
destruction, many of which are already banned under international law,
the nuclear weapon stands alone, unmatched for its potential to damage
al1that humanity has built over the centuries and al1that humanity relies
upon for its continued existence.
1close this section by citing the statement placed before the Court by
Professor Joseph Rotblat, a member of the British team on the Manhat-

tan Project in Los Alamos, a Rapporteur for the 1983WHO investiga-
tion into the Effects of Nuclear War on Health and Health Services,and
a Nobel Laureate. Professor Rotblat was a member of one of the delega-
tions, but was prevented by il1health from attending the Court. MENACE OU EMPLOI D'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW. EERAMANTR4Y 7)0

la riposte, laquelle ne se limitera pas nécessairementau lancement d'une
seule bombe car le pays attaqué sera si dévastéqu'il ne sera pas en
mesure de calculer avec précision l'intensité de la riposte nécessaire. En
pareil cas, la tendance riposter aussi énergiquement qu'il est possible est
un élément à prendre en compte dans toute analyse réaliste de la situa-
tion. L'écosystèmesubirait donc l'impact d'explosions nucléaires mul-
tiples, qu'il ne pourrait pas supporter sans dommages permanents et irré-
versibles. Des capitalesà forte densité depopulation risqueraient d'être
viséeset la civilisation d'être totalementdétruite.
L'histoirerapporte que certains desconquérantslesplus implacables des

sièclespassés,une fois maîtres d'une villerebelle, la faisait raser complète-
ment, n'ylaissant subsisteraucun signe devie,pas mêmel'aboiement d'un
chien ou le miaulement d'un chat. Interrogésur la compatibilité d'untel
comportement avec le droit de la guerre, n'importe quel étudianten droit
international répondrait sans aucun doute par la négative.Il s'étonnerait
mêmequ'on lui pose une telle question. A notre époquede développement
plus avancé, l'armenucléaireva beaucoup plus loin, ne laissant rien après
elle que la dévastationla plus complèteau milieu d'un silencede mort.

O) ((L'ombredu champignon nucléair» e

Comme il est indiquédans les exposésaustraliens (CR95122, p. 49),
toute la génération d'après-guerrea vécu àl'ombre de la peur - l'ombre
du champignon nucléaire, dit-on parfois -, une peur qui domine l'en-
semble de la réflexionsur l'avenir de l'humanité.Cette peur, qui pèse
comme une malédictionsur l'esprit desenfants en particulier, est en elle-
mêmeune calamitéet elle durera aussi longtemps qu'il y aura des armes
nucléaires.Lesjeunes ont besoin de grandir dans un climat d'espoir, sans
avoir àredouter qu'à un moment quelconque de leur existence la vieou la
santéne leur soit arrachée, enmêmetemps que tous ceux qu'ils aiment, à
cause d'une guerre à laquelle leur pays ne sera peut-êtremêmepas partie.

Tout ce qui précèdemontre que, mêmeparmi les armes de destruction
massive dont beaucoup sont déjà interdites par le droit international,
l'arme nucléaire occupe une place unique parce qu'ellea la capacité elle
seule de détruiretout ce que l'humanitéa construit au fil des siècleset
tout ce dont l'humanitéa besoin pour survivre.
Je conclurai cette partie de mon opinion en citant la déclaration sou-
mise à la Cour par M. Joseph Rotblat, membre de l'équipebritannique
qui a participé au projet Manhattan à Los Alamos, rapporteur de
l'enquêteconduite en 1983 par l'Organisation mondiale de la Santéau
sujet des effets de la guerre nucléairesur la santéet les servicesde santé,

et lauréatdu prix Nobel. Le professeur Rotblat faisait partie de l'une des
délégations mais n'apas pu se présenterdevant la Cour pour des raisons
de santé. Here is a passage from his statement to the Court:
"1have read the written pleadings prepared by the United King-
dom and the United States. Their view of the legality of the use of

nuclear weapons is premised on three assumptions: (a) that they
would not necessarily cause unnecessary suffering; (b) that they
would not necessarily have indiscriminate effects on civilians;
(c) that they would not necessarily have effects on territories of
third States. It is my professional opinion - set out above and
in the WHO reports referred to - that on any reasonable set of
assumptions their argument is unsustainable on al1 three points."
(CR95132, Annex, p. 2.)

4. The Uniquenessof Nuclear Weapons

After this factual review, legal argument becomes almost superfluous,
for itcan scarcely be contended that any legal system can contain within
itself a principle which permits the entire society which it serves to be

thus decimated and destroyed - along with the natural environment
which has sustained it from time immern~rial~~.The dangers are so com-
pelling that a range of legal principles surges through to meet them.

It sufficesat the present stage of this opinion to outline the reasons for
considering the nuclear weapon unique, even among weapons of mass
destruction. Nuclear weapons

(1) cause death and destruction;
(2) induce cancers, leukaemia, keloids and related afflictions;

(3) cause gastro-intestinal, cardiovascular and related afflictions;

(4) continue for decades after their use to induce the health-related
problems mentioned above;
(5) damage the environmental rights of future generations;

(6) cause congenital deformities, mental retardation and genetic dam-
age ;
(7) carry the potential to cause a nuclear winter;
(8) contaminate and destroy the food chain;
(9) imperil the ecosystem;
(10) produce lethal levels of heat and blast;
(11) produce radiation and radioactive fallout ;
(12) produce a disruptive electromagnetic pulse;

(13) produce social disintegration ;

(14) imperil al1civilization;

56See further, on this aspect, Section V.l below.

249 MENACEOU EMPLOID'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW. EERAMANTRY) 471

Voici un extrait de sa déclaration à la Cour:

«J'ai lu les exposés écrits présenté psar le Royaume-Uni et les
Etats-Unis.Leur position surla licéité de l'emploidel'arme nucléaire
repose sur trois prémisses:a) que les armes ne causeraient pas néces-
sairement de maux superflus; b) qu'elles nefrapperaient pas néces-
sairement sans distinction les populations civiles; et c) qu'elles
n'auraient pas nécessairement d'effetssur le territoire d7Etats tiers.
Parlant à titre professionnel, j'exprime l'opinion - exposée plus
haut et dans les rapports de l'OMS quej'ai mentionnés - qu'à quel-
que cas de figure qu'on puisse raisonnablement se référer leur posi-

tion est indéfendablesur les trois points.» (CR 95132,annexe, p. 2.)

4. La spécificité dea svmes nucléaives

Après cet exposé des élémentdse fait, il est presque superflu de déve-
lopper des arguments juridiques car peut-on concevoir qu'un système
juridique puisse renfermer un principe permettant que la société qu'il
régit soit ainsi décimée e dtétruit- comme d'ailleurs l'environnement
naturel qui assure l'existencede cette sociétédepuis des temps immémo-
ri au^?^^Les risques sont si impressionnants que toute une sériede prin-
cipesjuridiques se présentent à l'esprit pour les éviter.
Je me bornerai, a ce stade de la présente opinion, à récapitulerles rai-
sons pour lesquelles l'arme nucléaire occupe, mêmp earmi les armes de
destruction massive, une place à part. Les armes nucléaires:

1) sèmentla mort et la destruction;
2) provoquent des cancers, leucémies,tumeurs chéloïdeset d'autres
affections du mêmetype;
3) sont la cause de troubles gastro-intestinaux et cardio-vasculaires et
d'autres affections du mêmetype;

4) continuent, des dizaines d'annéesaprèsavoir été utilisées, à avoir les
effets sur la santé évoqués plushaut;
5) portent atteinte aux droits des générationsfutures concernant l'envi-
ronnement;
6) sont la cause de malformations congénitales,d'arriérationmentale et
de dommages génétiques;
7) risquent de provoquer un hiver nucléaire;
8) contaminent et détruisentla chaîne alimentaire;
9) mettent en danger l'écosystème;

10) ont des effets de chaleur et de souffle de niveaux létaux;
II) génèrentdes rayonnements et des retombées radioactives;
12) produisent une impulsion électromagnétiqueentraînant de graves
perturbations ;
13) provoquent la désintégration dela société;
14) mettent la civilisation en danger;

56Ce point est développé ci-aàrla section V, paragraphe 1.(15) threaten human survival;
(16) wreak cultural devastation;
(17) span a time range of thousands of years;
(18) threaten al1life on the planet;
(19) irreversibly damage the rights of future generations;

(20) exterminate civilian populations;
(21) damage neighbouring States;
(22) produce psychological stress and fear syndromes

as no other weapons do.
Any one of these would cause concern serious enough to place these
weapons in a category of their own, attracting with special intensity the
principles of humanitarian law. In combination they make the case for
their application irrefutable. This list is by nomeans complete. However,

to quote the words of a recent study:
"Once it becomes clear that al1hope for twentieth century man is
lost if a nuclear war is started, it hardly adds any meaningful know-
Iedge to learn of additional effe~ts."~'

The words of the General Assembly, in its "Declaration on the Preven-
tion of Nuclear Catastrophe" (1981),aptly summarize the entirety of the
foregoing facts :

"al1the horrors of past wars and other calamities that have befallen
people would pale in comparison with what is inherent in the use of
nuclear weapons, capable of destroying civilization on earthMS8.

Here then is the background to the consideration of the legal question
with which the Court is faced. Apart from this background of hard and
sordid fact, the legal question cannot be meaningfully addressed. Juxta-
pose against these consequences - so massively destructive of al1 the
principles of humanity - the accepted principles of humanitarian law,
and the result can scarcely be in doubt. As the ensuing discussion will
point out, humanitarian principles are grotesquely violated by the conse-
quences of nuclear weapons. This discussion will show that these effects
of the nuclear weapon and the humanitarian principles of the laws of war

are a contradiction in terms.

5. The Differences in Scient$c Knowledge between the Present Time
and 1945

On 17 July 1945, United States Secretary of War, Stimson, informed
Prime Minister Churchill of the successfuldetonation of the experimental

57Bates, op. cit., p. 721.
58Resolution 36/100 of 9 December 1981. MENACEOU EMPLOID'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW . EERAMANTR4 Y7)2

15) menacent la survie de l'humanité;
16) dévastentle patrimoine culturel;

17) produisent des effets qui se font sentir pendant des milliers d'années;
18) menacent toutes les formes de vie sur la planète;
19) causent des dommages irréversibles aux droits des générations fu-
tures;
20) exterminent les populations civiles;
21) causent des dommages dans les Etats voisins;
22) provoquent des tensions psychologiques et des syndromes de peur,

comme ne lefait aucun autre type d'uvmes.

Chacun de ces élémentsest en lui-mêmeassez préoccupant pour justi-
fier le classement des armes en question dans une catégorie à part rele-
vant spécialementdes principes du droit humanitaire. Pris conjointement,
ils rendent irréfutable la thèse exigeant l'application de ces principes. La
liste est loin d'être complète. Maispour citer une étude récente:

«Une fois établi que tout espoir est interdit à l'homme du
XXe siècle si une guerre nucléaire éclate,il n'est guère utile de
chercher à déterminer quelssont ses autres effets.»57

L'Assemblée générala e, dans sa ((Déclaration sur la prévention d'une
catastrophe nucléaire)) de 1981, résuméles faits qui précèdentdans les
termes appropriés suivants :
((toutes les horreurs des guerres du passé et toutes les autres cala-
mités que l'humanitéa connues paraîtraient moindres au regard de

ce qu'implique l'emploi des armes nucléaires qui peuvent détruirela
civilisation sur la Terre58.
Tel est donc le contexte dans lequel s'inscrit l'examen de la question
juridique dont la Cour est saisie. Détachée de son pénible et sinistre

contexte factuel, cette question ne peut pas être abordéesérieusement.Si
l'on met en revanche les effets de l'arme- si totalement contraires à tous
les principes d'humanité - en regard des principes acceptés du droit
humanitaire, on ne peut aboutir qu'à une seule conclusion. L'analyse qui
va suivre soulignera que les principes humanitaires sont manifestement
violéspar les conséquences des armes nucléaires.Elle montrera que les
effets de l'arme nucléaire et les principes humanitaires du droit de la
guerre sont complètement antinomiques.

5. Les différences entre le niveau actueldes connaissancesscientzjiques
et celui de 1945

Le 17juillet 1945,M. Stimson, secrétaired'Etat à la guerre des Etats-
Unis d'Amérique,voulant informer le premier ministre de l'époque, Chur-

57Bates, op. cip. 721.
58Résolution361100du 9 décembre1981.nuclear bonlb in the New Mexican desert, with the cryptic message
"Babies satisfactorily b~rn."~~A universe of knowledge has grown up
regarding the effects of the bomb since that fateful day when the advent
of this unknown weapon could, even cryptically, be so described.

True, much knowledge regarding the power of the bomb was available
then, but the volume of knowledge now available on the effects of
nuclear weapons is exponentially greater. In addition to numerous mili-
tary studies, there have been detailed studies by WHO and other con-
cerned organizations such as International Physicians for the Prevention
of Nuclear War (IPPNW); the TTAPS studies on the nuclear winter; the
studies of the Scientific Committee on Problems of the Environment
(SCOPE); the International Council of Scientific Unions (ICSU); the
United Nations Institute of Disarmament Research (UNIDIR); and

literally hundreds of others. Much of this material has been placed
before the Court or deposited in the library by WHO and various States
that have appeared before the Court in this matter.

Questions of knowledge, morality and legality in the use of nuclear
weapons, considered in the context of 1995,are thus vastly different from
those questions considered in the context of 1945,and need a totally fresh
approach in the light of this immense quantity of information.This addi-

tional information has a deep impact upon the question of the legality
now before the Court.
Action with full knowledge of the consequences of one'sact is totally
different in law from the same action taken in ignorance of its conse-
quences. Any nation using the nuclear weapon today cannot be heard to
Saythat it does not know its consequences. It is only in the context of this
knowledge that the question of legality of the use of nuclear weapons can
be considered in 1996.

6. Do Hiroshima and Nagasaki Show that Nuclear War Is Survivable ?

Over and above al1 these specific aspects of the rules of humani-
tarian law, and in a sense welding them together in one overall consid-
eration, is the question of survivability of the target population -

indeed, of the human race. Survivability is the limit situation of each
individual danger underlying each particular principle of humanitarian
law. The extreme situation that is reached if each danger is pressed to
the limit of its potential is the situation of non-survivability. We reach
that situation with nuclear war. In the fact that nuclear war could spell

59Winston Churchill, The Second World War, Vol. 6, "Triumph and Tragedy", 1953,
p.63. MENACE OU EMPLOI D'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW. EERAMANTR4 Y7)3

chill, que son pays avait fait exploser avec succèsune bombe nucléaire
expérimentaledans le désertdu Nouveau-Mexique, lui a envoyéle mes-
sage codésuivant: ((Nouveau-nésbien arrivés. »59 Depuis le jour, lourd
de conséquences,où l'avènement d'une bombe inconnue a pu, même
dans un message codé, être saluée ences termes, on a énormémentappris
sur les effets de cette nouvelle arme.
Sans doute en savait-on déjà beaucoup, à l'époque,sur la puissance de
la bombe mais des connaissances infiniment plus étenduesont mainte-

nant été acquisessur les effets des bombes nucléaires.Outre les nom-
breuses étudesmilitaires, il faut citer, parmi des centaines d'autres, les
études détailléedse l'Organisation mondiale de la Santéet d'autres orga-
nisations spécialiséescomme l'Association internationale des médecins
pour la prévention dela guerre nucléaire(IPPNW); les étudesTTAPS
sur l'hivernucléaire;les études dela Commission scientifiquesur les pro-
blèmesde l'environnement (SCOPE); cellesdu Conseil international des
unions scientifiques(CIUS); et cellesde l'Institut des Nations Unies pour
la recherche sur le désarmement (UNIDIR). Une bonne partie de cette

documentation a étécommuniquée à la Cour ou déposée à la biblio-
thèque de la Cour par l'organisation mondiale de la Santéet plusieurs
des Etats qui se sont présentésdevant la Cour dans la présente affaire.
Sous l'angle de l'étatdes connaissances, de l'acceptabilitémorale et de
la licéitél,a question de l'utilisation des armes nucléairesse pose donc
aujourd'hui en termes trèsdifférents deceux de 1945et doit êtreanalysée
dans une perspective tout à fait nouvelle en tenant compte de l'énorme
masse de donnéesaccumulées. Ces nouvellesdonnéesont une trèsgrande
importance s'agissant de la question de la licéité soumise la Cour.
Un mêmeacte s'apprécie en droit de manièretotalement différenteselon

que son auteur a agi enayant pleinement consciencedesconséquences qui en
découlentou lorsqu'il les ignorait totalement. Un pays qui utilise l'arme
nucléaireaujourd'hui ne saurait prétendrequ'il n'est pas au courant des
effetsàattendre deson acte. C'esten fonctiondesconnaissancesde 1996que
la question de la licéité dsrmes nucléairesdoit êtreexaminée.

6. Les bombes d'Hiroshimaet de Nagasakipermettent-ellesde conclure
qu'ilestpossible de survivrà laguerrenucléaire ?

Une question dépassetous les aspects particuliers des règlesdu droit
humanitaire et en un sens les regroupe tous en une seule, la population
cible- en fait la race humaine - a-t-elle une chance de survivre? Cette
possibilitéde survie marque le point critique de chacun des dangers aux-
quels répondent les divers principes du droit humanitaire. Le point

extrêmequi est atteint lorsqu'un danger particulier parvientàson poten-
tiel maximum est le point où il n'y a pas de survie possible. C'est à ce
point que conduit la guerre nucléaire.Le fait qu'une telle guerre peut

Winston Churchill, The Second World War, vol. 6, Triumph and Tragedy, 1953,
p. 63.the end of the human race and of al1civilization, al1these principles thus
coalesce.
A fact that obscures perception of the danger that nuclear war may
well be unsurvivable is the experience of Hiroshima and Nagasaki. The
fact that nuclear weapons were used in Japan and that that nation
emerged from the war resilient and resurgent may lu11the observer into a
sense of false security that nuclear war is indeed survivable. International
law itself has registered this complacency, for there is what may be
described as an underlying subliminal assumption that nuclear war has
been proved to be survivable.

It is necessary therefore to examine briefly some clear differences
between that elementary scenario of a nuclear attack half a century ago
and the likely characteristics of a nuclear war today. The following dif-
ferences may be noted:
1. The bombs used in Hiroshima and Nagasaki were of not more than
15kilotons explosivepower. The bombs available for a future nuclear

war will bemany multiples of this explosive power.

2. Hiroshima and Nagasaki ended the war. The limit of that nuclear war
was the use of two "small" nuclear weapons. The next nuclear war,
should it come, cannot be assumed to be so restricted, for multiple
exchanges must be visualized.
3. The target country in Hiroshima and Nagasaki was not a nuclear
power. Nor were there any other nuclear powers to come to its assis-
tance. A future nuclear war, if it occurs, will be in a world bristling
with nuclear weapons which exist, not for display, but for a purpose.
The possibility of even a minute fraction of those weapons being
called into service is therefore an ever present danger to be reckoned

with in a future nuclear war.

4. Hiroshima and Nagasaki, important though they were, were not the
nerve centres of Japanese government and administration. Major
cities and capitals of the warring States are likely to be targeted in a
future nuclear war.

5. Major environmental consequences such as the nuclear winter -
which could result from a multiple exchange of nuclear weapons -
could not result from the "small" bombs used in Hiroshima and
Nagasaki.

Hiroshima and Nagasaki thus do not prove the survivability of nuclear
war. They are, rather, a forewarning on a minuscule scale of the dangers
to be expected in a future nuclear war. They remove any doubt that
might have existed, had the question of the legality of nuclear weapons
been argued on the basis of scientific data alone, without a practical
demonstration of their effect on human populations.anéantirla race humaine et toute la civilisation a doncpour conséquence
que tous les principes du droit humanitaire doivent être appliqués.
Silerisquequ'iln'yait, encasdeguerre nucléaire, aucunechancede survie
n'estpas toujours clairementperçu,c'esten raison de cequi s'est paaprès
Hiroshima et Nagasaki. Le fait que des armesnucléairesont étutiliséesau
Japon et que ce pays a résisté la guerre et en est sorti plus dynamiqueet
plusfort peut donnerà l'observateurl'illusionrassurante qu'ilestpossiblede
survivreà la guerre nucléair. ettevisioncomplaisantes'estinsinuéejusque
dans ledroit international caril existeun vaguesentimentque la preuvea été
faite qu'ilest possiblede survivrea guerre nucléaire.

Il fautdonc passer brièvement en revuequelques-uns des points sur les-
quels le scénariominimaliste d'une attaque nucléaire remontant à un
demi-sièclediffère manifestementde ce que serait vraisemblablement une
guerre nucléaireaujourd'hui. Les différencessuivantes sont ànoter:
1) Les bombes employées à Hiroshima et à Nagasaki avaient une puis-

sance qui ne dépassaientpas 15kilotonnes. Les bombes susceptibles
d'êtreutiliséesdans le cadre d'une guerre nucléaireauront une puis-
sance infiniment supérieure.
2) Hiroshima et Nagasaki ont mis fin àla guerre. Cette guerre nucléaire
étantlimitée à l'utilisation de deux bombes nucléairesde petite taille.
Rien ne permet de supposer que la prochaine guerre nucléaire,si elle
a lieu, sera aussi limitéecar des échanges multiplessontàprévoir.
3) Le pays cible, dans le cas d'Hiroshima et de Nagasaki, n'étaitpas une
puissance dotées d'armesnucléaires.Et il n'y avait pas d'autre puis-
sance dotéed'armes nucléairesqui étaitprête àlui venir en aide. La
guerre nucléairede demain, si ellea lieu, aura pour théâtre un monde

où il existe une multiplicitéd'armes nucléaires,qui ne sont pas la sans
raison. La possibilitéqu'une fraction de cet arsenal, si petite soit-elle,
entre en action créedonc un risque permanent dont il faut tenir
compte dans le contexte d'une éventuelleguerre nucléaire.
4) Les villes d'Hiroshima et de Nagasaki, si importantes fussent-elles,
n'étaientpas les centres nerveux du gouvernement et de l'administra-
tion du Japon. Ce sont probablement les grandes villeset les capitales
des pays belligérantsqui seront viséesdans le contexte d'une éven-
tuelle guerre nucléaire.
5) Les dommages catastrophiques à l'environnement comme l'hiver
nucléaireque pourrait causer un échangemultiple de bombes n'étaient

pas à craindre dans le cas des bombes de petite taille utilisées à
Hiroshima et à Nagasaki.
Hiroshima et Nagasaki ne prouvent donc pas qu'il soit possible de sur-
vivre à la guerre nucléaire. Elles préfigurentplutôt,à une échelletrès
réduite, les dangers inhérents à une éventuelleguerre nucléaire. Elles

fournissent la réponseà des questions qui auraient pu susciter des doutes
s'ilavait fallu examiner leproblème dela licéité desarmes nucléairessur
la base des seules donnéesscientifiques sans pouvoir s'appuyer sur une
démonstration pratique de leurs effets sur la population. Every one of the evils which the rules of humanitarian law are designed
to prevent thus comes together in the questions of survival attendant on
the future use of nuclear weapons in war.

7. A Perspectivefvom the Past

This section of the present opinion has surveyed in the broadest outline
the effects of the bomb in the light of the known results of its use and in
the light of scientificinformation available today. The non-conformity of
the bomb with the norms of humanitarian law and, indeed, with the basic
principles of international law seems upon this evidence to be self-
evident, as more fully discussed later in this opinion.

It adds a sense of perspective to this discussion to note that even before
the evidence of actual use, and even before the wealth of scientific
material now available, a percipient observer was able, whilethe invention
of the nuclear bomb still lay far in the distance, to detect the antithesis
between the nuclear bomb and every form of social order - which would
of course include international law. H. G. Wells, in The WovldSet Fvee,
visualized the creation of the bomb on the basis of information already
known in 1913resulting from the work of Einstein and others on the cor-
relation of matter and energy. Projecting his mind into the future with
remarkable prescience, he wrote in 1913 :

"The atomic bombs had dwarfed the international issues to
complete insignificance . . .we speculated upon the possibility of
stopping the use of these frightful explosives before the world was
utterly destroyed. For to us it seemed quite plain these bombs, and
the still greater power of destruction of which they were the pre-
cursors, might quite easily shatter every relationship and institution
of mankind." 60

The power that would be unleashed by the atom was known theoreti-
cally in 1913.That theoretical knowledge was enough, even without prac-
tical confirmation, to foresee that the bomb could shatter every human
relationship and institution. International law is one of the most delicate
of those relationships and institutions.

It seems remarkable that the pennissibility of the weapon under inter-
national law is still the subject ofserious discussion, considering that the
power of the bomb was awesomely demonstrated 40 years after its con-
sequences were thus seen as "quite plain", and that the world has had a
further 50 years of time for reflection after that event.

60H. G. Wells, The First Men in the Moon and The World Set Free, Literary Press,
London, undated reprint of 1913 ed., p. 237. See, also, the reference to Wells in
Lifton and Richard Falk, ZndefensibleWeapons, 1982,p. 59. MENACE OU EMPLOI D'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW. EERAMANTR4 7)5

Ainsi donc, tous les maux que les règlesdu droit humanitaire visent à
prévenirsont à prendre en considérationdans l'examen desquestions de
survie que soulèvel'utilisation éventuelle desarmes nucléairesdans une
situation de guerre.

7. Une vision venant du passé

J'arrive ainsi au terme de la section de la présente opinionoù j'ai ana-
lyséleplus largement possible les effetsde la bombe sur la base des résul-
tats connus de son emploi et des donnéesscientifiques disponibles. La
non-conformité dela bombe avec les normes du droit humanitaire et, de
fait, avec les principes fondamentaux du droit international semble donc
tout à fait évidente- et je reviendrai plus loin sur ce point.
Pour situer le problème dans une perspective plus vaste, ilconvient de
rappeler que, bien que n'ayant pas ététémoin de l'utilisationeffectivede
l'arme nucléaire et bienaue n'avant Das accès à la masse de données

scientifiques aujourd'hui disponibles, un observateur perspicace a su,
longtemps avant l'invention de la bombe, en percevoir l'incompatibilité
avec toute forme d'ordre social, notion qui englobe bien sûr ledroit inter-
national. Dans The Wovld Set Fvee, H. G. Wells, partant de ce que l'on
savait déjàen 1913grâce aux travaux d'Einstein et d'autres savantssur la
corrélation entre lamatièreet l'énergie,a eu la prémonition dela création
de la bombe. Se projetant dans l'avenir avecune remarquable prescience,
il écrivait en1913:

«Les bombes atomiques avaient réduit les problèmes internatio-
naux à l'insignifiance total...nous avons réfléchi à la possibilité
d'empêcherl'utilisation deceseffroyables enginsavant que lemonde
ne soit entièrement détruit.Car il nous paraît touà fait évidentque
ces bombes, et le pouvoir destructeur encore plus grand auquel elles
ouvrent la voie, pourraient très facilement saper tout le systèmede

relations et d'institutions de l'humanit))60
Dès 1913,la puissance que recelait l'atome était théoriquement connue.
Sur cette base et en l'absencede toute confirmation pratique, on a pu pré-
voir que la bombe était capable de saper tout le systèmede relations et
d'institutions de l'humanité.Le droit international est l'un des éléments

les plus fragiles de ce système.
11est remarquable que la question de savoir si l'arme est permise au
regard du droit international continue d'être sérieusemen dtébattuealors
mêmeque la preuve de sa puissance a été,quarante ans après que les
conséquences à en attendre auront été qualifiéed se «tout à fait évi-
dentes)), administrée de façon terrifiante et alors mêmeque le monde a
disposé,depuis, d'un nouveau délai deréflexionde cinquante ans.

60H. G. Wells, The First Men in the Moon et The World Set Fïee, Literary Press,
Londres, réimpressionnon datéede l'édition de1913,p. 237. Voir aussi l'allusion
dansR. J. Lifton et Richard Falk, Indefensible Weapons, 1982,p. 59. III. HUMANITARIL AANW

It could indeed be said that the principal question before the Court is
whether the nuclear weapon can in any way be reconciled with the basic
principles of humanitarian law.
The governance of nuclear weapons by the principles of humanitarian
law has not been in doubt at any stage of these proceedings, and has now
been endorsed by the unanimous opinion of the Court (para. 105(2) D).
Indeed, most of the States contending that the use of nuclear weapons is
lawful have acknowledged that their use is subject to international

humanitarian law.
Thus the Russian Federation has stated:
"Naturally, al1that has been said above does not mean that the
use of nuclear weapons is not limited at all. Even if the use of
nuclear weapons is in principle justifia-le in individual or collec-
tive self-defence- that use shall be made within the framework of
limitations imposed by humanitarian law with respect to means and

methods of conducting military activities. It is important to note
that with respect to nuclear weapons those limitations are limita-
tions under customary rather than treaty law." (Written Statement,
p. 18.)
The United States States:

"The United States has long taken the position that various prin-
ciples of the international law of armed conflict would apply to the
use of nuclear weapons as well as to other means and methods of
warfare. This in no way means, however, that the use of nuclear
weapons is precluded by the law of war. As the following will
demonstrate, the issue of the legality depends on the precise
circumstances involved in any particular use of a nuclear weapon."
(Written Statement, p. 21 .)

So, also, the United Kingdom:

"It follows that the law of armed conflict by which the legality of
any given use of nuclear weapons falls to be judged includes al1the
provisions of customary international law (including those which
have been codified in Additional Protocol 1)and, where appropriate,
of conventional law but excludes those provisions of Protocol
1 which introduced new rules into the law." (Written Statement,
p.46, para. 3.55.)

The subordination of nuclear weapons to the rules of humanitarian
law has thus been universally recognized, and now stands judicially con-
firmed as an incontrovertible principle of international law.
It remains then to juxtapose the leading principles of humanitarian law
against the known results of nuclear weapons, as already outlined. When III. DROIT HUMANITAIRE

On peut dire que la principale question dont la Cour est saisie est de
savoir si les armes nucléairessont, à un degré quelconque,compatibles

avec les ~rinci~esfondamentaux du droit humanitaire.
L'application aux armes nucléaires des principesdu droit humanitaire
n'a été contestée à aucun stade de la ~rocédure et a maintenant été
confirméepar l'avis unanime de la Cour (alinéaD du paragraphe 2 du
dispositif). La plupart des Etats qui soutiennent que l'emploi desarmes
nucléaires est liciteont d'ailleurs reconnu que leur utilisation est soumise
aux règlesdu droit international humanitaire.
Ainsi la Fédération deRussie a déclaré:

«Bien entendu, les développementsqui précèdentne signifientpas
que l'emploi des armes nucléaires n'est assujetti aucune limitation.
Mêmesi leur emploi est en principe justifiable - en état delégitime
défense individuelleou collective- il doit s'insérerdans le cadre des
restrictions imposéespar le droit humanitaire en ce qui concerne les
moyens et méthodes de conduite des activités militaires.Il est impor-

tant de noter que, s'agissant des armes nucléaires,ces restrictions
découlentdu droit coutumier plutôt que du droit conventionnel. »
(Exposé écrit,p. 18.)
Les Etats-Unis d'Amériquese sont exprimésdans les termes suivants:

«La position des Etats-Unis, qui n'est pas nouvelle, est que les
divers principes du droit international des conflits armés s'appli-
quent à l'emploi des armes nucléaires comme ils s'appliquent à
l'ensemble des autres méthodes et movens de guerre. Mais cela ne
signifiepas que l'emploi desarmes nucléairessoit interdit par le droit

de la guerre. Comme le démontre la suite du présent exposé,la
réponse à la question de la licéité dépend des circonstances précises
qui entourent un cas déterminé d'emploid'une arme nucléaire.))
(Exposé écrit,p. 21 .)

Et le Royaume-Uni le fit ainsi:
((11s'ensuitde là que le droit des conflits arméspar rapport auquel
la licéitéd'un emploi déterminé debombes nucléairesdoit s'appré-
cier englobe toutes les dispositions du droit international coutumier

(y compris cellesqui ont étécodifiéesdans le protocole additionnel 1)
et, le cas échéant,du droit conventionnel, àl'exclusion toutefois des
dispositions du protocole 1qui ont introduit de nouvelles règlesdans
ledroit.)) (Exposé écrit,p. 46, par. 3.55.)

La subordination des armes nucléairesaux règlesdu droit humanitaire
est donc universellement reconnue et a maintenant étéconfirméesur le
plan judiciaire en tant que principe indiscutable du droit international.
Il faut donc maintenant mettre en regard les grands principes du droit
humanitaire et les effets avérés des bombes nucléaireq sui ont été décritsthe principles and the facts are lined up alongside each other, the total
incompatibility of the principles with the facts leads inescapably to but
one conclusion - that nuclear weapons are inconsistent with humanitar-
ian law. Since they are unquestionably governed by humanitarian law,
they are unquestionably illegal.

Among the prohibitions of international humanitarian law relevant to
this case are the prohibitions against weapons which cause superfluous
injury, weapons which do not differentiate between combatants and civil-
ians, and weapons which do not respect the rights of neutral States.

A more detailed consideration follows.

1. "Elementary Considerations of Humanity"

This phrase givesexpressionto a core concept of humanitarian law.1sthe
conduct of a State in any givensituation contrary to the elementary consid-
erations of humanity ?One need gono further than to formulate this phrase,
and then recount the known results of the bomb as outlined above. The
resultingcontrast betweenlight and darkness is so dramatic asto occasiona
measure of surprise that their total incompatibility has even beenin doubt.
One wonders whether, in the light of common sense, it can be doubted
that to exterminate vast numbers of the enemy population, to poison
their atmosphere, to induce in them cancers, keloids and leukaemias, to
cause congenital defects and mental retardation in large numbers of

unborn children, to devastate their territory and render their food supply
unfit for human consumption - whether acts such these can conceivably
be compatible with "elementary considerations of humanity". Unless one
can in al1conscience answer such questions in the affirmative, the argu-
ment is at an end as to whether nuclear weapons violate humanitarian
law, and therefore violate international law.

President Woodrow Wilson, in an address delivered to a joint session
of Congress on 2 April 1917, gave elegant expression to this concept

when he observed :
"By painful stage after stage has that law been built up, with
meager enough results, indeed, . .. but always with a clear view, at
least, of what the heart and conscience of mankind demanded."'jl

In relation to nuclear weapons, there can be no doubt as to "what the
heart and conscience of mankind" demand. As was observed by another

61Address of the President ofthe United States at a Joint Session of the Two Houses
of Congress, 2 April 1917, reprinted in American Journal of International Law, 1917,
Vol. 11, Supp., p. 144. The President was speaking in the context of the indiscriminate
German submarine attacks on shipping which he described as "a warfare against
kind". MENACEOU EMPLOI D'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW. EERAMANTRY) 477

plus haut. Une fois rapprochés les principes et les faits, leur incompati-
bilitétotale ne peut aboutir qu'à une seule conclusion - que les armes
nucléairessont incompatibles avec le droit humanitaire. Puisqu'elles sont
sans conteste régiespar le droit humanitaire, elles sont sans conteste illi-
cites.
Parmi les interdictions du droit international humanitaire qui sont per-
tinentes dans la présente affairefigurent l'interdiction des armes causant
des maux superflus, des armes qui ne font pas de distinction entre la
population civileet lescombattants et des armes qui ne permettent pas de

respecter les droits des Etats neutres.
Je vais maintenant analyser plus en détailsces considérations.

1. Les «considérations élémentaires d'humani» té

Cette formule est la traduction d'une notion clédu droit humanitaire.
La conduite d'un Etat dans une situation donnée est-elle contraire aux

considérationsélémentairesd'humanité? 11suffit d'évoquer cette formule
et de rappeler les résultatsavérésde la bombe décrits plushaut pour que
la contradiction éclateau grand jour. L'opposition est si radicale qu'on
peut s'étonnerqu'elle ait mêmepu êtremise en doute.
Peut-on soutenir, en toute logique, qu'exterminer massivement les
habitants du pays ennemi, empoisonner l'air qu'ilsrespirent, provoquer
chez eux des cancers, des tumeurs chéloïdeset des leucémies,exposer un
grand nombre de leurs descendants à des risques de malformations
congénitales etd'arriération mentale, dévaster leur territoire et rendre

leurs produits alimentaires impropres à la consommation, peut-on soute-
nir que des actes de ce genre sont compatibles avec les ((considérations
élémentaires d'humanité))?A moins d'êtreprêt à répondreen conscience
à ces questions par l'affirmative, on doit reconnaître qu'il n'ya plus place
pour aucune discussion sur le point de savoir si les armes nucléaires vio-
lent le droit humanitaire, et donc le droit international.
Le présidentWoodrow Wilson, dans un discours prononcé lors d'une
séanceconjointe du Congrèsle 2 avril 1917,a trèsbien formulé cetteidée

lorsqu'il a di:
((Progressivementet laborieusement, l'effort de développementde
ce droit s'est poursuivi, avec des résultats certes bien modestes ...
mais toujours, du moins, en pleine connaissance de ce que le cŒur et

la conscience de l'humanitéexigeaient. »61
S'agissant desarmes nucléaires,il ne peut pas y avoir le moindre doute
sur ce que «le cŒur et la conscience de l'humanité))exigent. Un autre

61Discours prononcéle 2 avril 1917par le président desEtats-Unis d'Aàuneque
séance conjointe des deuxchambres du Congrès, réimprimédanserican Journal of
InternationLaw, 1917,vol. 11,suppl., p. 144. Lesparoles du présidentétaientinspirées
par les attaques des sous-marins allemands contre les navires de guerre et les navires
marchands indistinctement; il a parlédans ce contexte dee contre l'humanité)).American President, President Reagan, "1 pray for the day when nuclear
weapons will no longer exist anywhere on earth."62 That sentiment,

shared by citizensacross the world - as set out elsewherein this opinion
- provides the background to modern humanitarian law, which has pro-
gressed from the time when President Wilson described its results as
"meager . . indeed".

The ensuing portions of this opinion are devoted to an examination of

the present state of development of the principles of humanitarian law.

2. Multicultural Background to the Humanitarian Laws of War

It greatly strengthens the concept of humanitarian laws of war to note

that this is not a recent invention, nor the product of any one culture.
The concept is of ancient origin, with a lineage stretching back at least
three millennia. As already observed, it is deep-rooted in many cultures
- Hindu, Buddhist, Chinese, Christian, Islamic and traditional African.
These cultures have al1given expression to a variety of limitations on the
extent to which any means can be used for the purposes of fighting one's

enemy. The problem under consideration is a universal problem, and this
Court is a universal Court, whose composition is required by its Statute
to reflect the world's principal cultural tradition^^^.The multicultural
traditions that exist on this important matter cannot be ignored in the
Court's consideration of this question, for to do so would be to deprive

its conclusions of that plenitude of universal authority which is available
to give it added strength - the strength resulting from the depth of the
tradition's historical roots and the width of its geographical ~pread~~.

Of special relevancein connection with nuclear weapons is the ancient
South Asian tradition regarding the prohibition on the use of hyper-

destructive weapons. This is referred to in the two celebrated Indian epics,
the Rarnayana and the Mahabhavatha, which are known and regularly
re-enacted through the length and breadth of South and South-East Asia,
as part of the living cultural tradition of the region. The references in
these two epics are as specificas can be on this principle, and they relate

to a historical period around three thousand years ago.

62 Speech of 16 June 1983,referred to by Robert S. McNamara, op.cit.p. 60.
63 1 note in this context the sad demise of our deeply respected Latin American col-
league, Judge AndrésAguilar-Mawdsley, six days before the hearings of the case com-
menced, thus reducing the Court to fourteen, and depriving its composition of a Latin
American component.
64AS observed in a contemporary study of the development of international humani-
tarian law, there is evidence "of efforts made by every people in every age to reduce the
devastation of war" (Herczegh,op. citp. 14).président desEtats-Unis, le président Reagan, a déclaré:((J'appelle de
tous mes vŒuxlejour où il ne restera plus d'armes nucléaires nullepart
sur la terre.»62Cette attitude, qui est aussi - comme le souligne la pré-

sente opinion en divers endroits - celle de simples citoyens dans le
monde entier, inspire le droit humanitaire moderne, qui a fait desprogrès
depuis le temps où le président Wilson en qualifiaitles résultatsde «bien
modestes».
La suite de la présente opinion sera consacrée à un examen de l'état
actuel de développement des principesdu droit humanitaire.

2. L'origine multicuturelle du droit humanitaire de la guerre

Le droit humanitaire de la guerre tire une autoritéaccrue du fait que,
loin d'être une invention récente ou l'émanationd'une culture détermi-
née,il remonte à des temps anciens et repose sur une tradition trois fois
millénaireet que, comme on l'a déjà soulignéi,l a de profondes racines

dans de nombreuses cultures - hindoue, bouddhiste, chinoise, chré-
tienne, islamique et africaine. Toutes ces cultures ont dégagé une sériede
restrictions à la possibilité d'employertel ou tel moyen pour combattre
l'ennemi. Le problème à l'examen est universel et la Cour est elle-même
une instance universelle dont la composition doit statutairement refléter
les principales formes de culture du monde'j3.La Cour ne saurait ne tenir

aucun compte en l'espècedes traditions multiculturelles qui existent sur
cette importante question; il lui faut au contraire invoquer dans toute sa
plénitudel'autoritéuniverselle dont elle peut se prévaloirpour donner à
ses conclusions un poids supplémentaire - le poids que confèrent aux
traditions considérées laprofondeur de leurs racines historiques et
l'ampleur de leur champ gé~graphique~~.

S'agissant des armes nucléaires, latradition ancestrale de l'Asiedu Sud
touchant l'interdiction d'employer des armes hyperdestructives est parti-
culièrement pertinente. Cette tradition se reflètedans deux célèbresépo-
péesindiennes, le Ramayana et le Malzabharatha, qui sont connues et
régulièrement représentéed sans toute l'Asie du Sud et du Sud-Est où
elles font partie du patrimoine culturel vivant des pays de la région.Ces

deux épopées nepourraient pas êtreplus précisesdans leurs références à
l'interdiction en question et ellesportent sur une histoire vieillede près de
trois mille ans.

62Discours du 16juin 1983,mentionnépar Robert McNamara, op. cit., p. 60.
63Je note à ce propos que notre éminent collègue,le juge latino-américain Andrés
Aguilar-Mawdsley, est malheureusement décédésixjours avant que ne commencent les
audiences dans la présente affaire,ce qui a réduitle nombre desjugesrze et privé
la Cour de sa composante latino-américaine.
64Comme le souligne une étude contemporaine du développementdu droit interna-
tional humanitaire, apparaît que «des efforts ont étéfaits par tous leà toutess
les époquespour limiter les ravages de la guerre)) (Herczegh, op. cit., p. 14). The Ram~yana~~tells the epic story of a war between Rama, prince of
Ayodhya in India, and Ravana, ruler of Sri Lanka. In the course of this
epic struggle, described in this classic in the minutest detail, a weapon of

war became available to Rama's half-brother, Lakshmana, which could
"destroy the entire race of the enemy, including those who could not bear
arms".
Rama advised Lakshmana that the weapon could not be used in the
war

"because such destruction en masse was forbidden by the ancient
laws of war, even though Ravana was fighting an unjust war with an
unrighteous objective" 66.

These laws of war which Rama followed were themselves ancient in his

time. The laws of Manu forbade stratagems of deceit, al1 attacks on
unarmed adversaries and non-combatants, irrespective of whether the
war being fought was a just war or n~t~~.The Greek historian
Megasthenes@ makes reference to the practice in India that warring
armies left farmers tilling the land unmolested, even though the battle
raged close to them. He likewise records that the land of the enemy was

not destroyed with fire nor his trees cut d~wn~~.

The Mahabharatha relates the story of an epic struggle between the
Kauravas and the Pandavas. It refers likewiseto the principle forbidding
hyperdestructive weapons when it records that :

"Arjuna, observing the laws of war, refrained from using the
pasupathastra', a hyper-destructive weapon, because when the fight

was restricted to ordinary conventional weapons, the use of extra-
ordinary or unconventional types was not even moral, let alone in
conformity with religion or the recognized laws of ~arfare."~~

Weapons causing unnecessary suffering were also banned by the Laws
of Manu as, for example, arrows with hooked spikes which, after enter-

65The Ramayana, Romesh Chunder Dutt (tram.).

SeeNagendra Singh, "The Distinguishable Characteristics of the Concept of the Law
as It Developed in AncientIndia", in Liber Amicorum for the Right Honourable Lord
Wilberforce, 1987, p. 93. The relevant passage of The Ramayana is Yuddha Kanda
(Sloka),VIII.39.
67Manusmrti, vii, 91, 92.
68C.350 BC-C.290 BC - ancient Greek historian and diplomat sent on embassies by
Seleucus1to Chandragupta Maurya, who wrote the most complete account of India then
known to the Greek world.
69Megasthenes, Fragments, cited in N. Singh, Juristic Concepts of Ancient ZndianPol-
ity, 1980,pp. 162-163.
70Mahabharatha,UdyogParva, 194.12,cited in Nagendra Singh, "The Distinguishable
Characteristics of the Concept of Law as It Developed in Ancienta", op. cit., p. 93. MENACE OU EMPLOID'ARMES NUCLÉAIRES (OP.DISSW. EERAMANTRY) 479

Le Rarn~yana~~raconte l'histoire héroïqued'une guerre entre Rama,
prince d'Ayodhya en Inde, et Ravana, souverain du Sri Lanka. Au cours
de cette lutte épique,que ce classique décrit dans le moindre détail, le
demi-frère deRama, Lakshmana, vint à acquérir un engin de guerrequi
pouvait ((détruiretoute la race de l'ennemi, y compris ceux qui ne pou-
vaient porter les armes)).

Rama fit valoir à Lakshmana que l'enginne pouvait êtreutilisédans le
combat

((parce que ce type de destruction massive étaitinterdit par les lois
de la guerre héritéesdu passé mêms ei Ravana cherchait à atteindre,
par une guerre injuste, un objectif contraire au droit»66.

Les lois de la guerre auxquelles Rama se conformait étaient, déjà à son
époque,des lois traditionnelles. Les lois de Manu interdisaient le recours
aux stratagèmes et à la ruse ainsi que toute attaque contre des adversaires
sans armes et des non-combattants et, ce, que la guerre soit juste ou
injuste67.L'historien grec Megasthene~~~rapporte qu'il étaitd'usage en

Inde que les arméesen lutte épargnent les paysans travaillant dans leurs
champs, même sila bataille faisait rage tout près d'eux. Il signale en outre
que la terre de l'adversaire n'était pasdétruite par le feu ni ses arbres
abattus69.
Le Mahabharatha est le récit d'unelutte épiqueentre les Kauravas et
lesPandavas qui évoque, lui aussi,leprincipe interdisant les armes hyper-

destructives lorsqu'il signale que:
((Arjuna, se conformant aux lois de la guerre, s'abstint d'utiliser le
«pasupathastva»,une arme hyperdestructive, au motif que, dès lors

que le combat ne faisait appel qu'aux armes classiques ordinaires,
l'emploi d'armes extraordinaires ou non classiques eût éténon seu-
lement contraire à la religion ou aux lois de la guerre reconnues,
mais immoral.» 70

Les armes causant des maux superflus ont également été bannies par
les lois de Manu qui mentionnent par exemple les flèchesavec pointe à

The Ramayana, traduction française baséesur la traduction de Romesh Chunder
Dutt.
66Voir Nagendra Singh, «The Distinguishable Characteristics of the Concept of Law
as It Developed in Ancientdia)), dans Liber Amicorum fou the Right Honourable Lord
Wilberforce, 1987, p. 93. Le passage pertinent du Ramayana se trouve dans Yuddah
Kanda (Sloka). VIII.39.
67~inusmiti, vii, 91, 92.
68Auvrox. 350 av. J.-C.-290 av. J.-C. Historien et divlomate de la Grèce ancienne.
envoy$en ambassade par Seleucos1à Chandragupta ~aurya, il est l'auteur du compté
rendu le plus complet sur l'Inde que connût alors le monde grec.
Polity, 1980,p. 162-163.ts, citédans N. Singh, Juristic Concepts of Ancient Indian
70Mahabharatha,Udyog Parva, 194.12, citédans Nagendra Singh, ((The Distinguish-
able Characteristics of the Concept of Law as It Developed inAncient India)), op. cit.,
p. 93.ing the body would be difficult to take out, or arrows with heated or

poisoned tips 71.
The environmental wisdom of ancient Judaictradition is also reflected
in the following passage from Deuteronomy (20 :19):

"When you are trying to capture a city, do not cut down its fruit
trees, eventhough the siegelasts a long time. Eat the fruit but do not
destroy the trees. The trees are not your enernies."(Emphasisadded.)

Recent studies of warfare among African peoples likewise reveal the
existence of humanitarian traditions during armed conflicts, with
moderation and clemencyshown to enemie~~~F .or example, in some cases
of traditional African warfare, there were rules forbidding the use of
particular weapons and certain areas had highly developed systems of

etiquette, conventions, and rules, both before hostilities commenced,
during hostilities, and after the cessation of hostilities - including a
system of c~mpensation~~.
In the Christian tradition, the Second Lateran Council of 1139 offers
an interesting illustration of the prohibition of weapons which were too

cruel to be used in warfare - the crossbow and the siegemachine, which
were condemned as "deadly and odious to Cod" 74.Nussbaum, in citing
this provision, observes that, it "certainly appears curious in the era of
the atomic bomb". There was a very early recognition here of the dangers
that new techniques were introducing into the field of battle. Likewise, in
other fields of the law of war, there were endeavours to bring it within

some forms of control as, for example, by the proclamation of "Truces of
God" - days during which feuds were not permitted which were
expanded in some church jurisdictions to periods from sunset on Wednes-
day to sunrise on Monday 75.
Gratian's Decretum in the twelfth century was one of the first Christian
works dealing with these principles, and the ban imposed by the Second

Lateran Council was an indication of the growing interest in the subject.
However, in Christian philosophy, while early writers such as St. Augus-
tine examined the concept of the just war (jus ad bellurn) in great detail,
the jus in bello was not the subject of detailed study for some centuries.

Vitoria gathered together various traditions upon the subject, includ-

ing traditions of knightly warfare from the age of chivalry; Aquinas

71Manusmrti, VII.90, cited in N. Singh, India and International Law, 1973,p. 72.
72See Y. Diallo, Traditions africaines et droit humanitaire,8, p. 16; E. Bello,
African Customary Humanitavian Law, ICRC, 1980, both referred to in Herczegh,
oA73~elfo, op. cit., pp. 20-21.
74Resolutions of the Second Lateran Council, Canon XXIX, cited by Nussbaum,
A Concise History of the Law of Nations, 1947,p. 25.
75Ibid., p. 26. MENACEOU EMPLOID'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW. EERAMANTRY) 480

barbillons qui, une fois entréesdans le corps, seraient difficilesà extirper
ou les flèchesaux pointes rougies au feu ou empoisonnées71.
La sagesse de la tradition judaïque ancienne se reflète,pour ce qui est

de l'environnement, dans le passage ci-aprèsdu Deutéronome (20 :19):

((Lorsque tu tentes de capturer une ville, n'abats pas ses arbres
fruitiers mêmesi le siègedure longtemps. Mange les fruits mais ne
détruispas les arbres. Les arbres ne sont pas tes ennemis. » (Les ita-
liques sont de moi.)

Des étudesrécentessur la conduite de la guerre chez les peuples afri-
cains révèlentde même l'existencede traditions humanitaires dans le

cadre des conflits armés,les adversaires étanttraitésavec modération et
clémence7*.Par exemple, il y avait en Afrique un art de la guerre tradi-
tionnel qui prévoyaitdans certains cas l'interdiction d'armes déterminées
et certaines régionsappliquaient, la veille, au cours et au lendemain des
hostilités,un cérémonial,des conventions et des règlestrès complexq -
un systèmed'indemnisation étantmême
Dans la tradition chrétienne,le deuxième concilede Latran tenu en
1139 mérite une mention spécialepour avoir interdit les armes trop

cruelles pour êtreutiliséesau combat, l'arbalèteet les machines de siège,
condamnées comme ((meurtrièreset odieuses au Seigneur »74.Nussbaum,
citant cette clause, observe qu'elle((paraît certainement curieuse à l'èrede
la bombe atomique)). Elle montre qu'on s'est très tôt rendu compte des
dangers que comportait l'introduction de techniques nouvelles sur le
champ de bataille. Dans d'autres domaines du droit de la guerre, des
efforts ont été faitspour imposer certains contrôles, par exemple, par la

proclamation de ((trêvesde Dieu» qui interdisaient les combats certains
jours de la semaine et qui pouvaient se prolonger, selon les diocèses,du
mercredi au coucher du soleil jusqu'au lundi à l'aube75.
Le décretde Gratien, au XIIe siècle,a été l'un des premiers écricts hré-
tiens à traiter de ces principes et l'interdiction de certaines armes imposée
par le deuxième concilede Latran témoignede l'intérêt croissans tuscité
par la question. S'agissant de la philosophie chrétienne,on notera que si

la notion de guerre juste (jus ad bellum) a ététrèstôt examinée très en
détailpar des penseurs comme saint Augustin, il a fallu attendre plusieurs
sièclespour que lejus in bello fasse l'objet d'étudesapprofondies.
Vitoria a recueilli des traditions de diverses origines sur le sujet et, en
particulier, les traditions guerrières de l'époque dela chevalerie; saint

71Manusmrti, VII.90, citédans N. Singh, Zndiaand International Law, 1973,p. 72.
72Voir Y. Diallo, Traditions africaines et droit humanitaire, 1978,p. 16; E. Bello,Afri-
can Customary Hurnanitarian Law, CICR, 1980, l'un et l'autre mentionnésdans Herc-
zegh, op. cit., p. 14.
73Bello, op. cit., p. 20-21.
74Résolutions du deuxième concilede Latran. canon XXIX, cit.oar Nussbaum. A
Concise History of the Law of Nations, 1947,p. 25.
75Zbid.,p. 26.worked out a well-developed doctrine relating to the protection of non-
combatants; and other writers fed the growing stream of thought upon
the subject.
In the Islamic tradition, the laws of war forbade the use of poisoned
arrows or the application of poison on weapons such as swords or

spears 76.Unnecessarily cruel ways ofkillingand mutilation wereexpressly
forbidden. Non-combatants, women and children, monks and places of
worship were expressly protected. Crops and livestock were not to be
de~troyed~~by anyone holding authority over territory. Prisoners were to
be treated mercifully in accordance with such Qur'anic passages as "Feed

for the love of Allah, the indigent, the orphan and the captive." 78 SOwell
developed was Islamic law in regard to conduct during hostilities that it
ordained not merely that prisoners were to be well treated, but that if
they made a last will during captivity, the will was to be transmitted to
the enemy through some appropriate ~hannel~~.

The Buddhist tradition went further still, for it was totally pacifist, and
would not countenancethe taking of life, the infliction of pain, the taking
of captives or the appropriation of another's property or territory in any
circumstances whatsoever. Sinceit outlaws war altogether, it could under

no circumstances lend its sanction to weapons of destruction - least of
al1to a weapon such as the nuclear bomb.

"According to Buddhism there is nothing that can be called a 'just
war' - which is only a false term coined and put into circulation to
justify and excuse hatred, cruelty, violence and massacre. Who
decides what is just and unjust? The mighty and the victorious are
'just',and the weak and the defeated are 'unjust'. Our war is always

'just'and your war is always 'unjust'.Buddhism does not accept this
position." 80

In rendering an advisory opinion on a matter of humanitarian law con-
cerning the permissibility of the use of force to a degree capable of
destroying al1 of humanity, it would be a grave omission indeed to
neglect the humanitarian perspectives available from this major segment
of the world's cultural traditions8'.

76See N. Singh, Zndiaand International Law, op. cit., p. 216.
j7 Qur'an,11.205.
j9S. R. Hassan, The Reconstruction of Legal Thought in Islam, 1974,p. 177.See, gen-
erally, Majid Khadduri, War and Peace in the Law ofZslam, 1955.For a brief summary
of the Islamic law relating to war, see C. G. Weeramantry, Islamic Jurisprudence: Some
International Perspectives, 1988,pp. 134-138.
soWalpola Rahula, What the Buddha Taught, 1959,p. 84.
On Buddhism and international law, see,generally, N. Jayetilleke, "The Principles
of International Law in Buddhist Doctrine",Recueil des coursde l'Académie dedroit
international dea Haye, Vol. 120(1967-1),pp. 441-567. MENACEOU EMPLOI D'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW. EERAMANTRY) 481

Thomas d'Aquin a élaboréune doctrine très détailléesur la protection
des non-combattants; et d'autres auteurs ont alimenté le courant de
penséede plus en plus développé engendrépar la question.
Dans la tradition islamique, lesloisdela guerre interdisaient d'employer
les flèchesempoisonnées ainsi que d'enduire de poison les armes telles

que lances ou épées76I.l étaitformellement prohibé d'utiliser pour tuer
des procédés inutilement cruelset de pratiquer des mutilations. Les non-
combattants, les femmes et les enfants, les moines et les lieux de culte
étaient expressémentprotégésL .es récoltes etle bétail devaientêtre épar-
gnésÏÏ par quiconque avait le contrôle d'un territoire. Les prisonniers
devaient êtretraités avecclémence coilformément à des préceptes cora-
niques tels que: «Nourris, pour l'amour d'Allah, l'indigent, l'orphelin et

le captif.»78Le droit islamique était si développéen ce qui concerne la
conduite à observer pendant les hostilitésqu'il ordonnait non seulement
que les prisonniers soient bien traités mais aussi que, s'ils exprimaient
leurs dernières volontéspendant leur captivité,celles-ci soient communi-
quées à l'ennemi par la voie appr~priée~~.
La tradition bouddhiste allait encore plus loin car elle étaittotalement

pacifiste et interdisait de tuer, d'infliger dessouffrances, de faire des pri-
sonniers ou de s'emparer des biens ou du territoire d'autrui, en toutes cir-
constances. Puisqu'elle bannit totalement la guerre, elle ne pourrait en
aucun cas donner son aval aux armes de destruction - surtout à une
arme telle que la bombe nucléaire:

«Pour le bouddhisme, il n'y a pas de «guerre juste», notion falla-
cieuse imaginée et propagée pour justifier et excuser la haine, la

cruauté,la violence et l'extermination. Qui déterminece qui estjuste
et injuste? Les puissants et les vainqueurs sont «justes» et les faibles
et les vaincus sont «injustes». Notre guerre est toujours «juste>)et
votre guerre toujours «injuste». Le bouddhisme n'accepte pas ce
point de vue. » s0

Dans un avis consultatif sur une question de droit humanitaire touchant
la licéitéde l'emploi de la force au point de menacer l'humanité tout
entière de destruction, ce serait une grave erreur de passer sous silence

les conceptions humanitaires qui nous viennent de l'une des plus impor-
tantes traditions culturelles du monde8'.

76Voir N. Singh, India and International Law, op. cit., p. 216.
77Qur'an,11.205.
78Ibid., LXXVII.8; les italiques sont de moi.
79S. R. Hassan, The Reconstruction of Legal Thought in Islam, 1974, p. 177. Voir,
d'une manière générale, Majdhadduri,War and Peacein the Law of Islam, 1955.Pour
un aperçu du droit islamique concernant la guerre, voir C.eeramantry, Islamic
Jurisprudence: Some International Perspectives,1988,p. 134-138.
*OConcernant le bouddhisme et le droit international, voir, d'une manière générale,
K. N. Jayetilleke, «The Principles of International Law in Buddhist Doctrine)), Recueil
des cours de l'Académiede droit internationalde La Haye, t. 120 (1967),p. 441-567. Examples of the adoption of humanitarian principles in more recent
history are numerous. For example, in the Crimean War in 1855,the use
of sulphur was proposed at the Siege of Sebastopol, but would not be
permitted by the British Government, just as during the American Civil
War the use of chlorine in artillery shells by the Union forces was pro-

posed in 1862,but rejected by the Governments2.

It is against such a varied cultural background that these questions
must be considered and not merely as though they are a new sentiment
invented in the nineteenth century and so slenderly rooted in universal
tradition that they may be lightly overridden.
Grotius' concern with the cruelties of war is reflectedin hislament that :

"when arms were once taken up, al1reverence for divine and human
law was thrown away,just as if men were thenceforth authorized to
commit al1crimes without restraint" 83.

The foundations laid by Grotius were broad-based and emphasized the
absolute binding nature of the restrictions on conduct in war. In building
that foundation, Grotius drew upon the collective experience of human-
ity in a vast range of civilizations and cultures.

Grotius' encyclopedic study of literature, from which he drew his prin-
ciples, did not of course cover the vast mass of Hindu, Buddhist and
Islamic literature having a bearing on these matters, and he did not have

the benefit of this considerable supplementary source, demonstrating the
universality and the extreme antiquity of the branch of law we cal1thejus
in bello.

3. Outline of Humanitarian Law

Humanitarian principleshave long been part of the basic stock of con-
cepts embedded in the corpus of international law. Modern international
law is the inheritor of a more than hundred-year heritage of active
humanitarian concern with the sufferings of war. This concern has aimed

at placing checks upon the tendency, so often prevalent in war, to break
every precept of human compassion. It has succeeded in doing so in
several specific areas, but animating and underlying al1 those specific
instances are general principles of prevention of human suffering that
goes beyond the purposes and needs of war.

82See L. S. Wolfe, "Chemical and Biological Warfare: Effects and Consequences",
McGill Law Journal, 1983,Vol. 28, p. 735. See,also, "ChemicalWarfare" inEncyclopaedia
Britannica,959, Vol. 5,pp. 353-358.
83Grotius, Prolegomena, para. 28, trans. Whewell. Dans l'histoire plus récente,les exemples d'adhésion aux principes
humanitaires sont très nombreux. C'est ainsi que pendant la guerre de
Crimée,en 1855,il a étéproposélors du siègede Sébastopoll'emploi du

soufre, mais le Gouvernement britannique s'y était opposé. De même,
pendant la guerre civileaméricaine,il a été proposéen 1862de placer du
chlore dans les obus utiliséspar les forces del'Union, mais le gouverne-
ment a rejeté cetteprop~sition~~.
C'est dans ce riche contexte culturel qu'il faut replacer les questioàs
l'étudeen se rendant bien compte qu'ellesn'ont pas leur origine dans un
sentiment nouveau néau siècledernier et si éloigné dela tradition uni-
verselle pour qu'on puisse s'enécarter à la légère.
Face aux cruautés de la guerre, Grotius notait, en le déplorant, que:

((lorsque les armes commencent à parler, tout respect pour les lois
divines et humaines est balayé, commesi les hommes avaient, à par-
tir de là, toute libertépour commettre tous les crimes»83.

Les thèses de Grotius avaient une large assise et insistaient sur le carac-
tèreabsolument contraignant des restrictions applicables à la conduite de
la guerre. En élaborant ces thèses,Grotius s'est appuyé sur l'expérience
collective de l'humanitépuiséedans une large gamme de civilisations et
de cultures.
Dans son étudeencyclopédique des sources écrites d'oùses principes
découlent,Grotius n'a naturellement pas eu accèsaux témoignagesfour-

nis par les traditionsindoue, bouddhiste et islamique sur les questions à
l'étudeet a dû travailler sans le bénéficede cet appoint documentaire
considérabled'où il ressort que la branche du droit que nous désignons
sous lenom dejus inbel10est universelledans sesorigineset remonte à la
plus haute Antiquité.

3. Aperçu de l'évolution dudroit humanitaire

Les principes humanitaires font depuis longtemps partie de la gamme
d'idées-forcesqui constituent le corpus du droit international. Le droit
international moderne est le produit de cent ans d'efforts humanitaires

inspiréspar les souffrances de la guerre. Ces efforts ont eu pour but de
juguler la tendance, si souvent observéeen périodede conflit,à enfreindre
tous les préceptes dictéspar la compassion humaine. Ils ont étécou-
ronnés desuccèsdans plusieurs domaines bien précis, maissi cesrésultats
concrets ont pu être obtenusc'est parce qu'il y avait à la base, et pour
donner l'impulsion nécessaire, desprincipes généraux exigeantque soit
évitéetoute souffrance humaine excessive par rapport aux buts et aux
nécessitésde la guerre.

82Voir L. S. Wolfe,Chernical and Biological Warfare: Effects and Consequences»
McGill Law Journal, 1983, vol. 28, p. 735. Voir également«Chernical Warfare)), Ency-
clopaediaBvitannica, 1959,vol. 5, p. 353-358.
83Grotius, Prolégomènes,par. 28. The credit goes to the United States of America for one of the earliest
initiatives in reducing humanitarian law to written form for the guidance
of its armies. During the War of Secession, President Lincoln directed
Professor Lieber to prepare instructions for the armies of General Grant
- regulations which Mr. Martens, the delegate of Czar Nicholas II, ref-

erred to at the 1899Peace Conference as having resulted in great benefit,
not only to the United States troops but also to those of the Southern
Confederacy. Paying tribute to this initiative, Martens described it as
an example, of which the Brussels Conference of 1874 convoked by
Emperor Alexander II, was "the logical and natural development". This
conference in turn led to the Peace Conference of 1899,and in its turn to

the Hague Conventions which assume so much importance in this cases4.

The St. Petersburg Declaration of 1868provided that "the only legiti-
mate object which States should endeavour to accomplish during war is
to weaken the military forces of the enemy" - and many subsequent dec-

larations have adopted and reinforced this principle 85.It givesexpression
to a very ancient rule of war accepted by many civilizationsx6.
The Martens Clause, deriving its name from Mr. Martens, was, by
unanimous vote, inserted into the preamble to the Hague Convention II
of 1899,and Convention IV of 1907,withrespect to the Laws and Customs
of War on Land. It provided that:

"Until a more complete code of the laws of war has been issued,

the High Contracting Parties deem it expedient to declare that, in
cases not included in the Regulations adopted by them, the inhabi-
tants and the belligerents remain under the protection and the rule
of the principles of the law of nations, as they result from the usages
established among civilizedpeoples, from the laws of humanity, and
the dictates of the public conscience." (Emphasis added.)

Although the Martens Clause was devised to cope with disagreements
among the parties to the Hague Peace Conferences regarding the status
of resistance movements in occupied territory, it is today considered
applicable to the whole of humanitarian laws7.It appears in one form or

84For Martens's speech,see The Proceedings of the Hague PeaceConferences,op. cit.,
pp. 505-506.
85The Hague Regulations of 1899and 1907,Art. 25; the Hague Convention (IX) of
1907, Art. 1; League of Nations Assembly resolution of 30 September 1928; United
Nations General Assembly resolutions 2444 (XXIII) of 19 December 1968 and 2675
IXXV) of 9 December 1970: Additional Protocol 1 to the 1949 Geneva Conventions,
Àr86See Section V.2. below on "The Aims of War"
87See D. Fleck (ed.), The Handbook of Humanitarian Law in Armed Confiicts, 1995,
p. 29. C'est aux Etats-Unis d'Amérique que revientle mérite d'une des pre-
mièresinitiatives prises pour établir sous uneforme écriteles règlesdu
droit humanitaire devant guider la conduite des armées. Pendant la
guerre de sécession,le président Lincoln a chargéle professeur Lieber
d'élaborer, à l'intention des arméesdu généralGrant, des instructions

dont M. de Martens, délégué du tsar Nicolas II à la conférence de la
paix de 1899,a dit qu'elles avaient beaucoup amélioréle sort non seule-
ment des troupes des Etats-Unis mais aussi de celles de la confédé-
ration sudiste. Rendant hommage à cette initiative, M. de Martens l'a
décrite comme unexemple dont la conférencede Bruxelles de 1874con-
voquéepar l'empereur Alexandre II «a étéle développement logique et
naturel)). Cette conférence est à l'origine de la conférence dela paix de

1899,et des conventions de La Haye qui revêtenttant d'importance en
l'espècex4.
La déclaration de Saint-Pétersbourg de 1868 stipule que «le seul but
légitime)) de la guerre est «l'affaiblissement des forces militaires de
l'ennemi))et de nombreuses déclarations ultérieuresont repris ceprincipe
en lerenforçant s5.Il est l'expressiond'une règletrès anciennede la guerre
acceptéepar de nombreuses civilisationsx6.

La clause de Martens. du nom de son auteur. a étéinsérée. à la suite
d'un vote unanime, dans'le préambulede la con"ention II de ~a Haye de
1899(et de la convention IV de 1907)concernant les lois et coutumes de
la guerre sur terre. Cette clause se lit comme suit:

((En attendant qu'un code plus complet deslois de la guerre puisse
êtreédicté,les Hautes Parties contractantes jugent approprié de
déclarer que, dans les cas qui ne sont pas couverts par des Règle-

ments spéczjîquesadoptéspar elles, les populations des territoires
occupéset les belligérants restent sousla sauvegarde et sous l'empire
des principes du droit des gens, telsqu'ils résultent des usages établis
entre nations civilisées,des lois de l'humanité et desexigences de la
consciencepublique. » (Les italiques sont de moi.)

Bien que la clause de Martens tire son origine de dissensions sur le sta-
tut des mouvements de résistanceen territoire occupéapparues entre les

participants aux conférences de la paix deLa Haye, elle est aujourd'hui
considérée comme applicable à l'ensemble du droit humanitaires7. Elle

84Pour le discours de de Martens, voir Conférence internationalede lapaix, La Haye,
18mai-29 juillet 1899,. cit., p. 114.
85Règlements de La Haye de 1899et de 1907,art. 25; convention de La Haye (IX) de
1907, article premier; résolution du 30 septembre 1928de l'Assemblée de la Société des
Nations; résolutions2444 (XXIII) du 19 décembre1968 et 2675 (XXV) du 9 décembre
1970de l'Assembléegénérale desNations Unies; protocole additionnel 1aux conventions
de Genève de 1949,art. 48 et 51.
86Voir, ci-après,la section V, paragraphe 2, sur «Les buts de la guerre)).
87Voir D. Fleck (dir. publ.), The Handbook of Humanitarian Law in Armed Conjicts,
1995,p. 29.another in several major treaties on humanitarian lawx8.The Martens
Clause clearly indicates that, behind such specific rules as had already
been formulated, there lay a body of general principles sufficient to be
applied to such situations as had not already been dealt with by a specific
rule 89.

To be read in association with this is Article 22 of the 1907 Hague
Regulations which provides that, "The right of belligerents to adopt
means of injuring the enemy is not unlimited."
These were indications also that international law, far from being
insensitive to such far-reaching issues of human welfare, has long recog-

nized the pre-eminent importance of considerations of humanity in fash-
ioning its attitudes and responses to situations involving their violation,
however they may occur. These declarations were made, it is to be noted,
at a time when the development of modern weaponry was fast accelerat-
ing under the impact of technology. It was visualized that more sophis-

ticated and deadly weaponry was on the drawing boards of military
establishments throughout the world and would continue to be so for the
foreseeable future. These principles were thus meant to apply to weapons
existing then as well as to weapons to be created in the future, weapons
already known and weapons as yet unvisualized. They were general prin-
ciples meant to be applied to new weapons as well as old.

The parties to the Geneva Conventions of 1949 expressly recognized
the Martens Clause as a living part of international law - a proposition
which no international jurist could seriously deny.

As McDougal and Feliciano have observed:

"To accept as lawful the deliberate terrorization of the enemy
community by the infliction of large-scale destruction comes too
close to rendering pointless al1legal limitations on the exercise of

violence." 90

First Geneva Convention 1949, Art. 63, para. 4; Second Geneva Convention,
Art. 62, para. 4; Third Geneva Convention, Art. 142,para. 4; Fourth Geneva Conven-
tion, Art. 158,para. 4;nhumane Weapons Convention, 1980,Preamble, para. 5.

tember 1907, Mr. Martens summarized its achievements in terms that,rence, on 26 Sep-

"If from the days of antiquity tour own time people have been repeating the
Roman adage 'Interarma silent leges',we have loudly proclaimed, 'Interarma vivant
sities of war." (J. B. Scott, "The Conference of 1907", The Proceedingsof the Hagues-
Peace Conferences,1921, Vol. III, p. 914.)

90M. S. McDougal and F. P. Feliciano, Law and Minimum WouldPublic Order: The
Legal Regulation of International Coercion, 1961,p. 657. MENACEOU EMPLOI D'ARMES NUCLÉAIRES (OP.DISS.WEERAMANTRY) 484

apparaît sous une forme ou sous une autre dans plusieurs grands traités
de droit humanitaire 88.Elle indique clairement qu'au-delà des règlespré-
cises qui ont déjàpu êtreélaborées,il existe un ensemble de principes
généraux suffisammentbien établispour êtresusceptibles d'application

dans les situations qui ne sont pas encore régiespar une règleparticu-
lière89.
Il convient égalementde mentionner à cet égard,l'article 22 du règle-
ment de La Haye de 1907qui dispose que «les belligérantsn'ont pas un
droit illimitéquant au choix des moyens de nuire à l'ennemi)).

Il y a là autant de preuves que le droit international, loin d'être insen-
sible à des problèmes qui ont un tel retentissement sur le bien-être de
l'humanité,a depuis longtemps reconnu l'importance capitale des consi-
dérations d'humanité dans le choix de ses attitudes et de ses réactions
face au non-respect, dans quelque contexte que ce soit, de ces mêmes
considérations.Les déclarationsévoquées plushaut ont été faites,il faut

le rappeler, à une époqueoù les armements se développaient à un rythme
accéléré sous l'impulsion du progrès technique. On présumaitqu'un peu
partout dans le monde la hiérarchie militaireavait en chantier des armes
plus perfectionnéeset plus dévastatrices et qu'il en serait ainsipendant
des années.Les principes qui s'élaboraientétaientdonc destinés à s'appli-

auer aux armes existantes comme aux armes à venir. aux armes connues
comme aux armes à naître. Il s'agissait de principes généraux conçusen
pensant aux armes nouvelles tout autant qu'à celles d'hier.
- Les parties aux conventions de ~enève de 1949 ont expressément
reconnu que la clause de Martens faisait partie du droit international
existant - idée qu'aucun juriste international ne peut sérieusement

contester.
Comme l'ont soulignéMcDougal et Feliciano :

«On ne peut guèreadmettre la licéité d'actions visant à terroriser
délibérémenlta population de l'adversaire en lui faisant subir des
destructions massives sans rendre vaines et sans objet toutes les res-
trictions juridiques à l'emploi de la violence.

Première convention de Genève de1949, art. 63, par. 4; deuxième convention de
Genève,art. 62, par. 4; troisièmeconvention de Genève,art. 142,par. 4; quatrième con-
vention de Genève, art. 158,par. convention sur les armes inhumaines, 1980,prèam-
bule, cinquième alinéa.
89A la dernière séance de laquatrième commission de la conférence de la paix tenue
le 26 septembre 1907, M. de Martens a résuméle résultat destravaux dans les termes
suivants
«Si, depuis l'Antiquitéjusqu'à nos jours, on répétaitl'adage romain Inter arma
silent leges, nous avons proclaméhautement Inter arma vivant ..C'est le plus
grand triomphe du droit et de la justice sur la force brutale et les nécessitésde la
guerre.(Deuxième conférenceinternationale de la paix, La Haye, 15juin-18 octobre
1907, Actes et documents, ministère des affaires étrangères, La Haye, Imprimerie
nationale, 1907,t.I, p. 924.)
90M. S. McDougal et F. P. Feliciano, Law and Minimum World Public Order: The
Legal Regulation of International Coercion, 1961,p. 657. International law has long distinguished between conventional
weapons and those which are unnecessarily cruel.It has also shown a con-
tinuing interest in this problem. For example, the Convention on Pro-
hibitions or Restrictions on the Use of Certain Conventional Weapons

Which May be Deemed to be Excessively Injurious or to Have Indis-
criminate Effects, 1980, dealt in three separate Protocols with such
weapons as those which injure by fragments, which in the human body
escape detection (Protocol 1); Mines, Booby Traps and Other Devices
(Protocol II); and Incendiary Weapons (Protocol III).

If international law had principles within it strong enough in 1899to
recognizethe extraordinary cruelty of the "dum dum" or exploding bullet
as going beyond the purposes of wargl, and projectiles diffusing asphyxi-
ating or deleterious gases as also being extraordinarily it would

cause some bewilderment to the objective observer to learn that in 1996it
is so weak in principles that, with over a century of humanitarian law
behind it, it is still unable to fashion a response to the cruelties of nuclear
weapons as going beyond the purposes of war. At the least, it would seem
passing strange that the expansion within the body of a single soldier of
a single bullet is an excessive cruelty which international law has been
unable to tolerate since 1899,and that the incineration in one second of
a hundred thousand civilians is not. This astonishment would be com-
pouilded when that weapon has the capability, through multiple use, of

endangering the entire human species and al1civilization with it.

Every branch of knowledge benefits from a process of occasionally
stepping back from itself and scrutinizing itself objectively for anomalies
and absurdities. If a glaring anomaly or absurdity becomes apparent and
remains unquestioned, that discipline is in danger of being seen as floun-
dering in the midst of its own technicalities. International law is happily
not in this position, but if the conclusion that nuclear weapons are illegal

is wrong, it would indeed be.

As will appear from the ensuing discussion, international law is not so
lacking in resources as to be unable to meet this unprecedented challenge.
Humanitarian law is not a monument to uselessness in the face of the
nuclear danger. It contains a plethora of principles wide enough, deep
enough and powerful enough to handle this problem.
Humanitarian law has of course received recognition from the juris-

91International Declaration Respecting Expanding Bullets, signed at The Hague,
29 July 1899.
92InternationaDeclaration Respecting Asphyxiating Gases, signed at Thegue,
29 July 1899. MENACE OU EMPLOID'ARMES NUCLÉAIRES(OP. DISSW. EERAMANTR4 Y8)5

Le droit international établit depuis longtemps une distinction entre les

armes classiques et celles qui causent des maux superflus. L'intérêq tu'il
porte à ce problèmene s'estjamais démenti. C'estainsi que la convention
de 1980sur l'interdiction et la limitation de l'emploi de certaines armes
classiques qui peuvent êtreconsidérées comme produisant des effetstrau-
matiques excessifs ou comme frappant sans discrimination traite dans
trois protocoles séparésdes armes qui produisent des éclatsnon loca-
lisables impossibles à détecterdans le corps humain (protocole 1); des

mines, piègeset autres dispositifs (protocole II) et des armes incendiaires
(protocole III).
Si le droit international était en 1899 assez vugoureux au niveau des
principes pour établirque l'extraordinaire cruauté de la balle dum-dum
ou des projectiles qui explosent dans le corps humain était excessivepar
rapport aux buts de la guerreg1 et que les projectiles diffusant des gaz
asphyxiants ou délétèreé s taient,eux aussi, extraordinairement cruelsg2,
n'est-ilpas surprenant, du point de vue d'un observateur objectif, que ce

mêmedroit international soit, en 1996, si faible au niveau des prin-
cipesqu'avec plusd'un sièclede droit humanitaire à son actif il ne soit tou-
jours pas capable de parvenir à la conclusion que la cruautédes armes nu-
cléaires estexcessivepar rapport aux buts de la guerre. On peut en tout
cas s'étonner,et lemot est faible, que l'emploicontre un seul soldat d'une
seule balle dum-dum soit un acte de cruautéexcessiveque le droit inter-
national ne tolère plus depuis 1899alors que ne l'estpas le fait de réduire

en cendres, en une seconde, cent mille civils. Et l'étonnement grandit
encore si l'on sait que l'arme en question est capable, en cas d'utilisations
multiples, de mettre en danger l'espècehumaine tout entièreet toutes les
formes de civilisation.
Chaque branche du savoir a intérêt à prendre de temps à autre un peu
de recul età se mettre sans comwlaisance àla recherche des anomalies ou
absurditésqu'elle peut recéler. Siune anomalie ou une absurditémani-
feste se révèleet n'est pas contestée,la discipline en question risque fort

d'êtreperçue comme prise au piège de ses propres subtilités.Le droit
international n'est heureusement pas dans cette situation, mais il y serait
si la conclusion que les armes nucléairessont illicites devait êtrejugée
erronée.
Comme le montrera l'analyse qui va suivre, le droit international n'est
pas si démuni qu'il ne puisse relever ce défisans précédent.Le droit
humanitaire n'est pas une construction inutile face au péril nucléaire. 11
offre une multitude de principes assez amples, assez profonds et assez

vigoureux pour permettre de résoudre le problème.
Le droit humanitaire a bien sûr reçu la sanction de la jurisprudence de

91Déclaration internationale interdisant l'emploi de balles qui s'épanouissentou
s'aplatissent facilementdans le corps humain, signéee le 29juillet 1899.
92Déclaration internationale prohibant l'emploi de projectiles qui ont pour but unique
de répandredes gaz asphyxiants ou délétères,àLa Haye le 29juillet 1899.prudence of this Court (for example, Corfu Channel,I.C.J. Reports 1949,
p. 22; Border and TransborderArmed Actions (Nicaragua v. Honduras),
1.C.J. Reports 1988, p. 114), but this Court has not so far had occasion
to examine it in any depth. This case offers it the opportunity par excel-
lence for so doing.

4. Acceptance by States of the Martens Clause
The Martens Clause has commanded general international acceptance.

It has been incorporated into a series of treaties, as mentioned elsewhere
in this opinion, has been applied by international judicial tribunals, has
been incorporated into military manualsg3, and has been generally
accepted in international legal literature as indeed encapsulating in its
short phraseology the entire philosophy of the law of war.

At the Krupp Trial (1948), it was described as

"a general clause, making the usages established among civilised
nations, the laws of humanity and the dictates of the public con-
scienceinto the legal yardstick to be applied if and when the specific
provisions of the Convention and the Regulations annexed to it do
not cover specificcases occurring in warfare, or concomitant to war-
fare" 94.

The Clause has been described by Lord Wright as furnishing the key-
note to the Hague Regulations which particularize a great many war
crimes,

"leaving the remainder to the governing effect of that sovereign
clause which does really in a few words state the whole animating
and motivating principle of the law of war, and indeed of al1law,
because the object of al1law is to secure as far as possible in the
mutual relations of the human beings concerned the rule of law and
of justice and of h~manity"~~.

The Martens Clause has thus become an established and integral part
of the corpus of current customary international law. International law
has long passed the stage when it could be debated whether such prin-
ciples had crystallized into customary international law. No State would
today repudiate any one of these principles.
A generally accepted test of recognition of rules of customary interna-
tional law is that the rule should be "so widely and generally accepted,

93See Section 111.10(a) below.
94Law Reports of Trialsof War Criminals,Vol. 10, p. 133.
95Foreword by Lord Wright to the last volume of the Law Reports of Trials of Wav
Criminals,Vol. 15,p. xiii. See, further, the discussion of the Martens Clause in Singh and
McWhinney, op. cit., pp. 46 et seq., referring, inter alia, to the two passages cited above.la Cour internationale de Justice (voir par exemple Détroit de Corfou,
C.I.J. Recueil 1949, p. 22; Actions armées frontalières ettransfronta-

lières (Nicaragua c. Honduras), C.I.J. Recueil 1988, p. 114), mais la
Cour n'a pasjusqu'à présent été amenée à l'examiner en profondeur. La
présente affaire lui offreune occasion idéalede le faire.

4. L'acceptation par les Etats de la clause deMartens

La clause de Martens a recueilli l'assentiment généralde la commu-
nautéinternationale. Elle a, ainsi qu'il est rappelédansd'autres parties de
la présente opinion, été incorporéd eans une sériede traités, elle a été
appliquéepar des instances judiciaires internationales, elle a été incor-
poréedans lesmanuels militaires93et ellea étégénéralementacceptéepar
la doctrine internationale comme résumant en quelques lignes toute la

philosophie du droit de la guerre.
Au procèsKrupp (1948), elle a étédécritecomme:
«une clause générale,qui fait des usages établisentre nations civi-
lisées,des lois de l'humanitéet des exigences de la conscience pu-
blique le critèreà appliquer au cas où les dispositions de la conven-

tion et du règlementqui y est annexéne couvriraient pas telle ou telle
situation survenant au combat ou en marge du combat»94.

Pour lord Wright, elleexprime la philosophie générale du règlementde
La Haye qui identifie un trèsgrand nombre de crimes de guerre

«et abandonne le reste à l'autoritéde cette clause souveraine où se
trouvent effectivement définis enquelques mots tout l'esprit ettout
le but du droit de la guerre et d'ailleurs de l'ensembledu droit parce
que l'objet du droit sous toutes ses formes est de faire prévaloir

autant que possible dans les relations mutuelles des êtres humains
intéressés les principesdu droit et de la justice, ainsi que de'huma-
nité»95.
La clausede Martensest donc une composantebienétabliedu droit inter-

national coutumier actuel.Ledroit international a depuislongtempsdépassé
le stade où l'onpouvait débattredu point de savoirsilesprincipes en cause
étaient devenus partie intégrante du droit international coutumier. Aucun
Etat ne serait prêt aujourd'huià renier l'un quelconquede cesprincipes.
Pour qu'une règle puisseêtreconsidéréecomme faisant partie du droit
international coutumier, il faut, selon un critère admis par beaucoup,

93Voir ci-aprèsla section III, paragraphe 10,lettre a).
94Law Reports of Trials of War Criminals, vol. 10,p. 133.
95Préface delord Wright au dernier volume des Law Reports of Trials of War Crimi-
nuls, vol. 15,p. xiii. Voir également l'analyse de la clause deMartens figurant dans Singh
etMcWhinney, op. cit., p. 46 et suiv., qui se réfèrenotamment aux deux passages cités
ci-dessus.that it can hardly be supposed that any civilized State would repudiate
itng6.While no State today would repudiate any one of these principles,
what seems to be in dispute is the application of those principles to the
specific case of nuclear weapons which, for some unarticulated reason,
seem to be placed above and beyond the rules applicable to other

weapons. If humanitarian law regulates the lesser weapons for fear that
they may cause the excessiveharm which those principles seek to prevent,
it must a fortiori regulate the greater. The attempt to place nuclear
weapons beyond the reach of these principles lacks the support not only
of the considerations of humanity, but also of the considerations of logic.

These considerations are also pertinent to the argument that custom-

ary law cannot be created over the objection of the nuclear weapon States
(United States Written Statement, p. 9)". The general principles of cus-
tomary law applicable to the matter commanded the allegiance of the
nuclear-weapon States long before nuclear weapons were invented. It is
on those general principles that the illegality of nuclear weapons rests.

It seems clear that if the principles are accepted and remain undis-
puted, the applicability of those principles to the specificcase of nuclear
weapons cannot reasonably be in doubt.

5. "The Dictates of Public Conscience"
This phraseology, stemming from the Martens Clause, lies at the heart

of humanitarian law. The Martens Clause and many subsequent formu-
lations of humanitarian principles recognize the need that strongly held
public sentiments in relation to humanitarian conduct be reflected in the
law.
The phrase is, of course, sufficiently general to pose difficulties in cer-
tain cases in determining whether a particular sentiment is shared widely
enough to come within this formulation.
However, in regard to the use or threat of use of nuclear weapons,
there is no such uncertainty, for on this issue the conscience of the global

community has spoken, and spoken often, in the most unmistakable
terms. Resolutions of the General Assembly over the years are not the
only evidence of this. Vast numbers of the general public in practically
every country, organized professional bodies of a multinational charac-
terg8,and many other groupings across the world have proclaimed time
and again their conviction that the public conscience dictates the non-use
of nuclear weapons. Across the world, presidents and prime ministers,

96West Rand Central Gold MNzing Co., Ltd. v. R (1905),2 KB, p. 407.
97On this aspect, see further Section VI.6 below.
98See, on these organizations, Section VI.3 below. MENACE OU EMPLOID'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW. EERAMANTRY) 487

qu'elle soit«si largement et si généralementacceptée qu'il soit impossible
au'un Etat civiliséla renie»96. Aucun Etat ne renierait auiourd'hui l'un
quelconque des principes considérés;ce qui semble donner lieu à contes-
tation, c'est l'application de ces principes au cas particulier des armes
nucléairesqui, pour une raison obscure, semblent être placées,pour ce

qui est de leur régimejuridique, au-dessus des autres armes. Si le droit
humanitaire établit une réglementationpour les armes de moindre puis-
sance par crainte qu'elles ne causent les maux excessifsque ses principes
ont pour objet de prévenir, il doit à fortiori établir une réglementation
pour les armes plus puissantes. Essayer de soustraire les armes nucléaires
à l'application des principes du droit humanitaire est indéfendable non
seulement sur le plan des considérations d'humanité mais aussi sur le
plan de la logique.
Ce raisonnement vaut aussi pour l'argument selon lequel il ne peut pas

se créerde règlesde droit coutumier en présenced'objections de la part
des Etats dotésd'armes nucléaires (exposéécritdes Etats-Unis d7Amé-
rique, p. 9)97.Les principes générauxdu droit coutumier applicables en la
matière ont étéacceptéspar ces Etats longtemps avant l'invention des
armes nucléaires.Or, c'estde cesprincipes généraux quedécoule l'illicéité
des armes en auestion.
Il paraît clair que si ces principes sont acceptéset demeurent incontes-
tés,leur applicabilité au cas particulier des armes nucléairesne saurait
être raisonnablementmise en doute.

5. Les ((exigences de la conscience publique»
Cette formule, extraite de la clause de Martens, résume l'essencedu

droit humanitaire. La clause de Martens et bon nombre des formulations
de principes humanitaires qui l'ont suivie reconnaissaient que les convic-
tions collectives en matière de comportement humanitaire doivent impé-
rativement trouver leur expression dans le droit.
La formule est, bien sûr, si générale qu'il n'esptas toujours facile de
déterminersi une conviction sur un point particulier est assez largement
partagéepour entrer dans son champ d'application.
Mais, en ce qui concerne l'emploi ou la menace d'emploi des armes
nucléaires,le problème ne se pose pas car, sur cette question, la cons-

ciencede la communauté mondiale s'est exprimée,et ce àmaintes reprises
et dans les termes les plus catégoriques, comme en témoignentnon seu-
lement les résolutions adoptées par l'Assemblée générala eu fil des ans,
mais le fait que des multitudes de personnes dans pratiquement tous les
pays, des organismes professionnels à caractère multinationalg8 et bien
d'autres groupements à travers le monde proclament sans relâche leur
conviction que la conscience publique exige que les armes nucléaires ne

96West Rand Central Gold Mining Co., Ltd. v. R. (1905), 2 KB, p. 407.
97A ce sujet, voir aussi ci-après la sectionVI, paragraphe 6.
98Concernant ces organisations, voir ci-après la sectionVI, paragraphe 3.priests and prelates, workers and students, and women and children have
continued to express themselves strongly against the bomb and its
dangers. Indeed, this conviction underlies the conduct of the entire world
community of nations when, for example, in the NPT, it accepts that al1
nuclear weapons must eventually be got rid of.The recent Non-Prolifera-

tion Review Conference of 1995 reconfirmed this objective. The work
currently in progress towards a total test ban treaty reconfirms this
again.

Reference is made in the next section (Section VI.6) to the heightening
of public sensitivity towards humanitarian issues, resulting from the vast
strides made by human rights law ever since the United Nations Charter
in 1945.
General Assembly resolutions on the matter are nu mer ou^^^ To cite
just one of them, resolution 1653(XVI) of 1961declared that:

"The use of nuclear and thermo-nuclear weapons is contrary to
the spirit, letter and aims of the United Nations and, as such, a
direct violation of the Charter of the United Nations"

and asserted. with more suecificreference to international law. that such

use was "contrary to the rules of international law and to the laws of
humanity". In addition, the "threat" to use nuclear weapons, and not
merely their actual use, has been referred to by the General Assembly as
urohibited 'Oo.
Nuclear weapons have been outlawed by treaty in numerous areas of

planetary space - the sea-bed, Antarctica, Latin America and the
Caribbean, the Pacific, and Africa, not to speak of outer space. Such
universal activity and cornmitment would be altogether inconsistent

99Resolution 1653(XVI) of 24November 1961("Declaration on the Prohibition of the
Use of Nuclear and Thermo-nuclear Weapons");resolution 2936 (XXVII) of 29 Novem-
ber 1972 ("Non-Use of Force in International Relations and Permanent Prohibition of
the Use of Nuclear Weapons"); resolution 33/71 of 14December 1978 ("Non-Use of
Nuclear Weapons and Prevention of Nuclear War"); resolution 34/83of 11December
1979 ("Non-Use of Nuclear Weapons and Prevention of Nuclear War"); resolution
361921 of 9 December 1981("Non-Use of Nuclear Weapons and Prevention of Nuclear
War"); resolution 441117C of 15December 1989("Convention on the Prohibition of the
Use of Nuclear Weapons"); resolution 45159of 4 December 1990("Convention on the
Prohibition of the Use of Nuclear Weapons"); resolution 46137D of 6 December 1991
("Convention on the Prohibition of the Use of Nuclear Weapons").also, cg., resolu-
trophe"), para. 1"States and statesmen that resort first to the use of nuclear weapons will
be committing the gravest crime against humanity".

IO0Resolution 2936 (XXVII) of 29 November 1972 ("Non-Use of Force in Interna-
tional Relations and Permanent Prohibition of the Use of Nuclear Weapons"),eam-
bular paragraph 10. soient pas utilisées.Partout dans lemonde, des présidentset des premiers
ministres, des prêtreset des prélats,des travailleurs et des étudiants,des
femmeset desenfants manifestent inlassablementleur opposition à l'égard

de la bombe et de ses dangers. C'est d'ailleursle mêmesentiment qui
anime l'ensemble de la communauté des nations lorsque, par exemple,
elle convient dans le traité sur la non-prolifération que l'objectif est, en
dernière analyse, l'élimination de toutes les armes nucléaires. Un tel
objectif a été confirmé par la conférencede 1995 chargée d'examinerle

traité surla non-prolifération et réaffirméau cours des travaux en cours
concernant l'élaborationd'un traitéd'interdiction totale des essais.
La section suivante de la présente opinion(sect. VI, par. 6) traitera de
la sensibilisation de l'opinion publique aux questions humanitaires, que
l'on doit aux immenses progrès faits par le droit relatif aux droits de

l'homme depuis la signature de la Charte des Nations Unies en 1945.
Les résolutions del'Assembléegénéralesur la question sont trèsnom-
breuse~~~P . our n'en citerqu'une, rappelons que la résolution1653(XVI)
de 1961déclareque :

((L'emploides armes nucléaireset thermonucléairesest contraire à
l'esprit,à la lettre et aux buts de la Charte des Nations Unies et
constitue, en tant que tel, une violation directe de la Charte)),

et ajoute, en se référantplus particulièrement au droit international,

qu'un tel emploi «est contraire au droit international et aux lois de l'hu-
manité)).De surcroît, selon l'Assemblée généraln e, n seulement l'utilisa-
tion des armes nucléaires,mais aussi «la menace)) d'utiEsation de telles
armes sont interdites 'O0.
Les armes nucléairesont étébannies par traité dans de nombreuses

zones de l'espace planétaire - les fonds marins, l'Antarctique, 1'Amé-
rique latine et les Caraïbes, le Pacifique et l'Afrique, sans parler de l'es-
pace extra-atmosphérique. Une telle convergence dans l'action et dans les

99 Résolution 1653 (XVI) du 24 novembre 1961 (((Déclaration sur I'interdiction de
l'emploi des armes nucléaires et thermonucléaires»); résolution 2936 (XXVII) du
29 novembre 1972(«Non-recours àla force dans les relations internationale; et interdic-
tion permanente de l'utilisation des armes nucléaires)));résolution 33/71u 14 dé-
cembre 1978 («Non-recours aux armes nucléaires et préventionde la guerre nucléaire»);
résolution34183G du 11décembre1979(((Interdiction de l'emploi des armes nucléaireset
préventionde la guerre nucléaire; résolution36/921du 9 décembre1981(«Non-recours
aux armes nucléaires et prévention dela guerre nucléaire))); résolution 441117C du
15décembre1989 (aConvention sur I'interdiction de l'utilisation des armes nucs);ire»
résolution 45159B du 4 décembre 1990 (((Convention sur l'interdiction de l'utilisation
des armes nucléaires))); résolution46/37u 6 décembre1991(«Convention sur l'inter-
diction de l'utilisation des armes nucléaires))). Voir également,par exemple, la réso-
lution 361100du 9 décembre1981(((Déclarationsur la préventiond'une catastrophe nu-
cléaire))),par. lLes Etats et hommes d'Etat qui emploient les premiers des armes nu-
cléairescommettent le crime le plus grave contre l'humanité.
'O0Résolution2936 (XXVII) du 29 novembre 1972(«Non-recours àla force dans les
relations internationales et interdiction permanente de l'utilisation des armes nucléaires))),
dixième alinéadu préambule.with a global acceptance of the compatibility of these weapons with
the general principles of humanity. They point rather to a universal reali-
zation that there is in them an element which deeply disturbs the public
conscience of this age.

As has been well observed in this regard

"in this burgeoning human rights era especially, respecting an issue
that involves potentially the fate of human civilization itself,it is not
only appropriate but mandated that the legal expectations of al1
members of human society, officia1and non-official, be duly taken
into account" 'O1.

It is a truism that there is no such thing as a unanimous opinion held
by the entire world community on any principle, however lofty. Yet it
would be hard to find a proposition so widely and universally accepted as

that nuclear weapons should not be used. The various expressions of
opinion on this matter "are expressive of a far-flung community consen-
sus that nuclear weapons and warfare do not escape thejudgment of the
humanitarian rules of armed conflict" 'O2.
The incompatibility between "the dictates of public conscience" and
the weapon appears starkly, if one formulates the issues in the form of
questions that may be addressed to the public conscience of the world, as
typified by the average citizen in any country.
Here are a few questions, from an extensive list that could be com-

piled :

1s it lawful for the purposes of war to induce cancers, keloid growths
or leukaemias in large numbers of the enemy population?

1sit lawful for the purposes of war to inflictcongenital deformities and
mental retardation on unborn children of the enemy population?

1sit lawful for the purposes of war to poison the food supplies of the
enemy population?
1sit lawful for the purposes of war to inflict any of the above types of

damage on the population of countries that have nothing to do with the
quarrel leading to the nuclear war?

Many more such questions could be asked.
If itis conceivable that any of these questions can be answered in the
affirmative by the public conscience of the world, there may be a case for

Io'Burns H. Weston, "Nuclear Weapons and International Law: Prolegomenon to
General Illegality", York Law School Jouvnal of lntevnational and Comparative Laiv,
1982-1983,Vol. 4, p. 252, and authorities therein cited.
IO2Ibid.p. 242.engagements ne s'accorderait pas avec l'idéeque ces armes puissent être
mondialement reconnues comme compatibles avec les principes généraux
d'humanité.Elle traduit plutôt un sentiment universel qu'ellesportent en
elles un élémentqui perturbe profondément la conscience publique de

notre temps.
Comme on l'ajustement observé:

«En cette époque où la protection des droits de l'homme pro-
gresse, plus peut-être qu'en aucuneautre, il est non seulement sou-
haitable mais impératif,s'agissant d'une question qui n'intéresse rien
de moins que le sort de la civilisation humaine, de prendre dûment
consciencede ceque tous lesmembres de la société humaine, au plan
officielcomme au plan non officiel,attendent du droit. »'O1

Sans doute aucun principe, si élevé soit-il, ne peut-il faire l'unanimité
absolue de la communauté mondiale. Pourtant, il serait difficilede trou-
ver une idée aussilargement et universellement partagée que celle de
l'inadmissibilitéde l'emploi desarmes nucléaires. Les diversespositions

prises sur cette question ((traduisentun vaste consensus collectifsur l'idée
que les armes et les moyens de combat nucléaires nesauraient êtresous-
traits aux règleshumanitaires applicables dans les conflits armés)) 'O2.
L'incompatibilitéentre les ((exigencesde la conscience publique»et les
caractéristiques de l'armeapparaît trèsclairement sil'on présentelespro-
blèmessous forme de questions qui pourraient êtreposées à la conscience
publique du monde, incarnéedans chaque pays par un simple citoyen.
Voici quelques exemples, parmi bien d'autres:

Est-il licite,pour atteindre les buts de la guerre, de provoquer l'appari-
tion à grande échelledans la population ennemie de cancers, tumeurs
chéloïdes et leucémies?
Est-il licite, pour atteindre les buts de la guerre, d'exposer lesenfants
naître de la population ennemie au risque de malformations congénitales
et d'arriération mentale?
Est-il licite, pour atteindre les buts de la guerre,mpoisonner.les res-
sources alimentaires de la population ennemie?

Est-il licite, pour atteindre les buts de la guerre, d'infliger l'un quel-
conque de ces types de dommages àla population de pays n'ayant rien à
voir avec le conflit qui a conduità la guerre nucléaire?

La liste est longue des questions de ce genre qui pourraient êtreposées.
S'il est concevable que l'une quelconque de ces interrogations reçoive
une réponseaffirmative de la part de la consciencepublique du monde, la

'O1Burns H. Weston, «Nuclear Weapons and International Law: Prolegomenon to
General Illenality», New York Law School Journal of International and Conznarative
Law, 1982-1$83,~vol.4, p. 252, ainsi que lesqdoy sont citées.
'O2Ibid., p. 242the legality of nuclear weapons. If it is not, the case against nuclear
weapons seems unanswerable.

6. Impact of the United Nations Charter and Human Rights
on "Considerations of Humanity "
and "Dictates of Public Conscience" 'O3

The enormous developments in the field of human rights in the post-
war years, commencing with the Universal Declaration of Human Rights
in 1948, must necessarily make their impact on assessments of such
concepts as "considerations of humanity" and "dictates of public con-
science". This development in human rights concepts, both in their for-

mulation and in their universal acceptance, is more substantial than the
developments in this field for centuries before. The public conscience of
the global community has thus been greatly strengthened and sensitized
to "considerations of humanity" and "dictates of public conscience7'.
Since the vast structure of internationally accepted human rights norms
and standards has become part of common global consciousness today in
a manner unknown before World War II, its principles tend to be
invoked immediately and automatically whenever a question arises of
humanitarian standards.

This progressive development must shape contemporary conceptions
of humanity and humanitarian standards, thus elevating the levelof basic
expectation well above what it was when the Martens Clause was formu-
lated.
In assessingthe magnitude of this change, it is helpful to recall that the
first movement towards modern humanitarian law was achieved in a cen-
tury (the nineteenth century) which is often described as the "Clause-
witzean century" for the reason that, in that century, war was widely
regarded as a natural means for the resolution of disputes, and a natural

extension of diplomacy. Global sentiment has moved an infinite distance
from that stance, for today the United Nations Charter outlaws al1resort
to force by States (Art. 2 (4)), except in the case of self-defence(Art. 51).
The Court's Opinion highlights the importance of these articles, with far-
reaching implications which this opinion has addressed at the every out-
set (see "Preliminary Observations"). There is a firm commitment in
Article 2 (3) that al1members shall settle their international disputes by
peaceful means, in such manner that international peace and security,
andjustice, are not endangered. This totally altered stance regarding the
normalcy and legitimacy of war has undoubtedly heightened the "dic-

tates of public conscience" in our time.

'O3See, also, Section 11(g)0below.thèsede la licéité desarmes nucléaires estpeut-être défendable. Sinon,la
thèsede I'illicéitsemble irréfutable.

6. Les répercussions de laCharte des Nations Unies
et des droits de I'hommesur les considérations d'humanité
et les exigences de la conscience publique'O3

Les changements considérables qui se sont produits après la guerre
dans le domaine des droits de l'homme, depuis l'adoption en 1948de la
Déclaration universelle des droits de l'homme, ont nécessairement eu des
répercussionssur ce que recouvrent la notion de «considérations d'huma-
nité»et celled'«exigences de la conscience publique ».L'évolutionqu'ont

connue les notions relatives aux droits de l'homme, tant dans leur for-
mulation qu'en accédant à l'universalité,dépasseen importance celle de
bien des sièclesantérieurs. La conscience publique de la communauté
mondiale a donc acquis une grande force et une grande sensibilitéaux
«considérations d'humanité))et à ses ((exigences)).Comme le vaste sys-
tème de règles et normes internationalement acceptées en matière de
droits de l'homme s'est intégré à la conscience collective de la population
du globe - ce qui n'étaitpas le cas avant la seconde guerre mondiale -
les principes qui lui servent de fondement tendent à être invoquésspon-

tanément et automatiquement chaque fois que se pose un problème de
normes humanitaires.
Cette évolution progressive a nécessairement une incidence sur la
conception qu'on se fait, à l'époquecontemporaine, de l'humanitéet des
normes d'humanité, le niveau de l'attente se situant bien au-dessus de ce
qu'il étaità l'époqueoù la clause de Martens a été formulée.
Pour bien mesurer l'ampleur de ce changement, il faut se rappeler que
la première pierre du droit humanitaire moderne a été posée dans un
siècle(le XIXe siècle)qui est souvent décritcomme «le sièclede Clau-
sewitz)), au motif qu'à l'époque la guerre était largement considérée

comme un mode naturel de règlement des différends etun prolongement
naturel de la diplomatie. La situation a, depuis lors, énormémentévolué
puisque la Charte des Nations Unies interdit aujourd'hui tout recours àla
force par les Etats (art., par. 4) sauf en cas de légitime défense(art. 51).
L'avis de la Cour met en lumière l'importance de ces articles, et la pré-
sente opinion a, dèsle départ, souligné qu'il en résulte des conséquences
très étendues (voir «Observations préliminaires))). L'article 2, para-
graphe 3, prévoitexpressémentque tous les Membres règlentleurs diffé-
rends internationaux par des moyens pacifiques de manière que la paix et

la sécuritéinternationales,ainsi que lajustice, ne soient pas mises en dan-
ger. Cette vision radicalement différentede la normalitéet de la légitimité
de la guerre a indubitablement rehaussé le niveau des ((exigences de la
conscience publique)) de notre temps.

'O3Voir aussi ci-aprèsla section III, paragraphe 10,lettre g) Charter provisions bearing on human rights, such as Articles 1, 55, 62
and 76, coupled with the Universal Declaration of 1948, the twin Cov-
enants on Civil and Political Rights and Economic, Social and Cultural
Rights of 1966,and thenumerous specificconventions formulating human
rights standards, such as the Convention against Torture - al1of these,
now part of the public conscience of the global community, make the vio-
lation of humanitarian standards a far more developed and definite con-

cept than in the days when the Martens Clause emerged. Indeed, so well
are human rights norms and standards ingrained today in global con-
sciousness, that they flood through into every corner of humanitarian
law.

Submissions on these lines were made to the Court (for example, by

Australia, CR 95122,p. 25) in presentations which drew attention further
to the fact that the General Assemblv has noted the linkaue between
human rights and nuclear weapons when it condemned nuclear war "as a
violation of the foremost human right - the right to life" 'O4.

Parallel to the developments in human rights, there has been another

vast area of development - environmental law, which has likewise
heightened the sensitivity of the public conscience to environmentally
related matters which affect human rights. As observed by the Interna-
tional Law Commission in its consideration of State responsibility, con-
duct gravely endangering the preservation of the human environment
violates principles "which are now so deeply rooted in the conscience of

mankind that they have become particularly essential rules of general
international law" IO5.

7. The Avgument that "CollatevalDamage" Is Unintended

It is not to the point that such results arenot directly intended, but are
"by-products" or "collateral damage" caused by nuclear weapons. Such
results are known to be the necessary consequences of the use of the
weapon. The author of the act causing these consequences cannot in any
coherent legal systernavoid legal responsibility for causing them, any less

than a man careering in a motor vehicle at 150 kilometres per hour
through a crowded market Street can avoid responsibility for the result-
ing deaths on the ground that he did not intend to kill the particular per-
sons who died.

IO4General Assembly resolution 38/75of 15December 1983("Condemnation of Nuclear
War"), operative paragraph1.
'O5Report of the International Law Commission on the work of its twenty-eighth ses-
sion, Yeavboolcof the International Law Commission, 1976, Vol. II, Part II, p. 109,
para. 33. MENACEOU EMPLOI D'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW . EERAMANTRY) 491

Les dispositionsde la Charte concernant lesdroits de l'homme, commeles
articles 1, 55, 62 et 76, la Déclarationuniverselle desdroits de l'hommede
1948,les deux pactes de 1966relatifs aux droits de l'homme (droitscivilset
politiquesd'unepart et droits économiques,sociaux etculturelsd'autre part)
et les nombreuses conventions sur des sujets particuliers qui formulent des
normes enmatièrede droits de l'homme,telle laconvention sur l'interdiction
de latorture - autant d'instruments qui font maintenant partie intégrantede

la consciencepublique de la communauté internationale - ont beaucoup
enrichi etprécisé lnaotion de violation desnormes humanitaires par rapport
à l'époque oùla clausede Martens a vu lejour. Lesrègleset normes relatives
aux droits del'hommeimprègnentaujourd'huisiprofondémentla conscience
collective qu'elles s'infiltrent un ppartout dans le droit humanitaire.
Des commentaires allant dans le même sensont été présenté(spar

exemple, par l'Australie (CR 95122,p. 25)) dans des exposésqui appellent
en outre l'attention sur le fait que l'Assemblée généralaesoulignéle lien
entre droits de l'homme et armes nucléaires lorsqu'ellea condamné la
guerre nucléaireen tant qu'«atteinte au droit primordial de l'homme -
le droit à la vie»IO4.
Parallèlement à l'évolution qui s'est produite dans le domaine des
droits de l'homme, le développementd'un autre vaste domaine du droit

- le droit de l'environnement - a égalementcontribué à sensibiliser la
conscience publique aux problèmes d'environnement qui influent sur les
droits de l'homme. Comme l'a soulignéla Commission du droit interna-
tional dans le cadre de ses travaux sur la responsabilité des Etats, une
conduite qui met gravement en danger la préservation de l'environne-
ment contrevient à des principes ((aujourd'hui si profondément ancrés

dans la conscience universelle qu'ils sont devenus des règlesparticulière-
ment essentielles du droit international général» 'O5.

7. L'argumentdu caractèrenon intentionnel des((dommagescollatévaux»

Il importe peu que les effets des armes nucléairesne soient pas direc-

tement voulus mais soient des «sous-produits» ou des «dommages col-
latéraux)).Le fait est que ces effets résultent inévitablement del'emploi
de l'arme. Il n'est pas concevable, dans un systèmejuridique cohérent,
que l'auteur d'un acte qui engendre de telles conséquencessoit dégagéde
toute responsabilité juridique pour les avoir causés,pas plus qu'il n'est
concevable qu'un automobiliste lancé à 150kilomètres à l'heure dans une
rue commerçante bondée se trouve dégagéde toute responsabilité juri-

dique pour la mort de ses victimes au motif qu'il n'avait pas l'intention
de les tuer.

'O4Résolution38/75de l'Assemblée générale ednate du 15décembre1983(((Condam-
nation de la guerrecléairen),paragraphe 1 du dispositif.
'O5Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa vingt-hui-
tième session,Annuaire de la Commission du droit international, 1976, vol. II, deuxième
partie, p. 101,par. 33. The plethora of literature on the consequences of the nuclear weapon
is somuch part of common universal knowledge today that no disclaimer
of such knowledge would be credible.

8. ZllegalityExists Zndependentlyof Specific Prohibitions

Much of the argument of States opposing illegality was based on the
proposition that what is not expressly prohibited to a State is permitted.
Somepractical illustrations would be of assistance in testing this proposi-
tion :

(a) If tomorrow a ray were invented which would immediately inciner-
ate al1living things within a radius of 100miles, does one need to
wait for an international treaty specifically banning it to declare
that it offends the basicprinciples of thejus inbelloand cannot there-
fore be legitimately used in war? It would seem rather ridiculous to
have to await the convening of an international conference, the
drafting of a treaty, and al1the delays associated with the process of

ratification, before the law can treat such a weapon as illegal.

(b) The fallacy of the argument that what is not expressly prohibited is
permitted appears further from an illustration used earlier in this
opinion. The argument advanced would presuppose that, immedi-
ately prior to the treaties outlawing bacteriological weapons, it was
legal to use warheads packed with the most deadly germs where-
with to cause lethal epidemics among the enemy population. This
conclusion strains credibility and is tenable only if one totally dis-
counts the pre-existing principles of humanitarian law.

The fact that no treaty or declaration expressly condemns the weapon
as illegaldoes not meet the point that illegality is based upon principles
of customary international law which run far deeper than any particular
weapon or any particular declaration. Every weapon proscribed by inter-
national law for its cruelty or brutality does not need to be specified any
more than every implement of torture needs to be specified in a general
prohibition against torture. It is the principle that is the subject of cus-
tomary international law. The particular weapon or implement of torture
becomes relevant only as an application of undisputed principles - prin-
ciples which have been more than once described as being such that no

civilized nation would deny them.

It will always be the case that weapons technologists will from time to
time invent weapons based on new applications of technology, which are
different from any weapons known before. One does not need to wait
until some treaty specificallycondemns that weapon before declaring that
its useis contrary to the principles of international law. MENACE OU EMPLOID'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW. EERAMANTR4 Y9)2

La masse de connaissances dont on dispose sur les conséquencesde
l'arme nucléairefait àce point partie du domaine public universel que nul
ne peut plaider l'ignorance avec quelque chance d'êtrecru.

8. L'illicéitéexiste indépendamment d'interdictionsspéci$ques

La thèse des Etats opposés à l'illicéité repose engrande partie sur
l'argument selon lequel ce qui n'est pas expressémentinterdit à un Etat
est permis. Pour déterminer la valeur de cet argument, j'utiliserai quel-
ques exemples concrets :

a) si demain étaitinventéun rayon capable d'incinérerinstantanément
tout organisme vivant dans un rayon de 150 kilomètres, devrait-on
attendre qu'un traité international l'interdise expressémentpour le
déclarerincompatible avec les principes fondamentaux du jus in bel10
et non susceptible par conséquent d'êtrelégitimement utilisé à la
guerre? Il serait, semble-t-il, ridicule de devoir attendre la convoca-
tion d'une conférence internationale, l'élaboration d'un traité et le
laborieux processus de ratification avant que le droit ne reconnaîsse
que l'arme en question est illicite;
b) le caractèrespécieuxde l'argument selon lequelce qui n'estpas expres-
sémentinterdit est autorisé ressortégalementd'un autre exemple cité
dans une partie antérieurede laprésente opinion. Cet argument condui-

raità la conclusionqu'immédiatement avantl'adoption des traités inter-
disant les armes bactériologiquesil étaitlicite d'utiliser des ogivespor-
teusesdesubstancesbactériologiqueslesplusmeurtrièrespour provoquer
desépidémiec satastrophiques dans la population ennemie.Cetteconclu-
sion n'estguèrecrédibleetn'estdéfendablequ'à condition de faire tota-
lement abstraction des principes préexistants dudroit humanitaire.

Le fait qu'il n'existepas de traité ou de déclaration qualifiant expres-
sémentl'arme d'illicite est sans pertinence dèslors que l'illicéité découle
de principes de droit international coutumier, qui sont bien plus impor-
tants que telle ou telle arme ou telle ou telle déclaration. Il n'est pas
nécessaire d'identifierchaque arme interdite par le droit international en
raison de sa cruauté ou de sa brutalité, pas plus qu'il n'est nécessaire
d'énumérertous les instruments de torture dans un énoncé del'interdic-
tion généralede la torture. C'est au principe que le droit international
coutumier s'intéresse.Tel instrument de torture ou telle arme n'est à
prendre en considération qu'aux fins de l'application de principes incon-
testés- principes qui ont souvent été décrits commeétantd'une nature

telle qu'aucune nation civiliséene serait prêteàles renier.
Tout au long de l'histoire, les spécialistes desarmements ont inventé à
maintes reprises, en faisant appelà des applications nouvelles de la tech-
nologie, des armes sans équivalent dans l'arsenal existant. Il n'est pas
nécessaired'attendre qu'un traité condamne expressémentune arme nou-
velle pour déclarer que son emploi est contraire aux principes du droit
international. If, as is indisputably the case, the Martens Clause represents a univer-

sally accepted principle of international law, it means that beyond the
domain of express prohibitions there lies the domain of the general prin-
ciples of humanitarian law. It follows that "If an act of war is not
expressly prohibited by international agreements or customary law, this
does not necessarily mean that it is actually permissible." 'O6

It is self-evident that no system of law can depend for its operation or

development on specific prohibitions ipsissimis verbis. Any developed
system of law has, in addition to its specificcommands and prohibitions,
an array of general principles which from time to time are applied to
specificitems of conduct or events which have not been the subject of an
express ruling before. The general principle is then applied to the specific
situation and out of that particular application a rule of greater specifi-
city emerges.
A legal system based on the theory that what is not expressly prohib-

ited is permitted would be a primitive system indeed, and international
law has progressed far beyond this stage. Even if domestic systems could
function on that basis, - which indeed is doubtful - international law,
born of generations of philosophical thinking, cannot. Modern legal
philosophy in many jurisdictions has exposed the untenability of this view
in regard to domestic systems and, afortiori, the same applies to inter-
national law. As a well-known text on jurisprudence observes:

"The rules of every legal order have an enveloping blanket of prin-

ciples and doctrines as the earth is surrounded by air, and these not
only influence the operation of rules but sometimes condition their
very existence." lo7

More to the point than the question whether any treaty speaks of the
illegality of nuclear weapons is whether any singleprovision of any treaty
or declaration speaks of the legality of nuclear weapons. The fact is that,
though there is a profusion of international documents dealing with
many aspects of nuclear weapons, not one of these contains the shred of

a suggestion that the use or threat of use of nuclear weapons is legal. By
way of contrast, the number of international declarations which expressly
pronounce against the legality or the use of nuclear weapons is legion.
These are referred to elsewhere in this opinion.

The general principles provide both nourishment for the development
of the law and an anchorage to the mores of the community. If they are
to be discarded in the manner contended for, international law would be

cast adrift from its conceptual moorings. "The general principles of law

'O6D. Fleck, op. cit., p. 28, basing this principleon the Martens Clause.
'O7Dias,Jurisprudence,4th ed., 1976p.287.

271 Si- et tel est incontestablement le cas- la clause de Martens énonce
un principe de droit international universellement accepté, il en découle

qu'au-delà du domaine des interdictions expresses existe le domaine des
principes générauxdu droit humanitaire. En fin de compte, «un acte de
guerre qui n'est pas expressément interdit par des accords internationaux
ou par le droit coutumier n'est pas nécessairement, ipso facto, auto-
risé))'O6.
A l'évidence,aucun système de droit ne peut fonctionner ou se déve-
lopper par le seul moyen d'interdictions formulées en termes explicites.

Dans tout systèmede droit on trouve, outre un ensemblede prescriptions
et d'interdictions, toute une gamme de principes généraux quisont appli-
qués, de temps à autre, à des comportements et situations n'ayant pas
encore fait l'objet de règles expresses.Le principe général est appliqué à
la situation considérée et unerègle plus spécifiquese dégagede cette
application particulière.
Un systèmejuridique fondé surl'idéeque ce qui n'est pas expressément

interdit est autoriséserait un systèmetout à fait primitif et le droit inter-
national a largement dépasséce stade. En admettant mêmeque les sys-
tèmes internes puissent fonctionner sur cette base, ce qui est bien loin
d'êtresûr, le droit international, néde sièclesde réflexionphilosophique,
ne peut fonctionner ainsi. Dans beaucoup de pays, la philosophie juri-
dique moderne a démontré quela thèseen question étaitinsoutenable en
droit interne et, partant,à fortiori en droit international. Comme le sou-
ligne un ouvrage bien connu sur la théoriedu droit:

«De mêmeque la terre est entouréepar l'atmosphère, les règlesde

tout ordre juridique sont entouréesd'un ensemble de principes et de
doctrines qui non seulement influencent la mise en Œuvre des règles
mais en conditionnent parfois l'existence même. » 'O7

Le point de savoir s'il est fait mention dans le droit conventionnel de
l'illicéitdes armes nucléairesest plus pertinent que la question de savoir
si l'on trouve dans une convention ou une déclaration quelconque une
référence à la licéitédes armes. Le fait est que bien que les documents
internationaux traitant des armes nucléaires sous de maints aspects soient
fort nombreux, on n'y trouve pas l'ombre d'une indication que lémploi

ou la menace d'emploi des armes nucléaires est licite. En revanche, il
existe de nombreuses déclarations internationales qui prennent expressé-
ment position contre la licéitéde l'emploi des armes nucléaires.Elles sont
mentionnéesdans d'autres parties de la présente opinion.
Les principes générauxsont tout à la fois une source pour le dévelop-
pement du droit et un repère sur l'état d'espritde la société. Refuser d'en
tenir compte comme certains le préconisent c'est condamner le droit

international à dériver sansses repères conceptuels. «Les principes géné-

'06D. Fleck, op. cit., p. 28, qui fait reposer ce principe sur la clause de Martens
'O7Dias, Jurisprudenc4"éd., 1976,p. 287.recognized by civilizednations" remains law, even though indiscriminate
mass slaughter thvough the nuclear weapon,irreversible damage to future
generations thvough the nucleav weapon, environmental devastation
thvough the nuclear weapon, and irreparable damage to neutral States
thvough the nucleav weapon are not expressly prohibited in international
treaties. If the italicized words are deleted from the previous sentence, no
one could deny that the acts mentioned therein are prohibited by inter-
national law. It seems specious to argue that the principle of prohibition
is defeated by the absence of particularization of the weapon.

The doctrine that the sovereign is free to do whatever statute does not
expressly prohibit is a long-exploded doctrine. Such extremepositivism in
legal doctrinehas led humanity to some of its worst excesses.History has

demonstrated that power, unrestrained by principle, becomes power
abused. Black-letter formulations have their value, but by no stretch of
the imagination can they represent the totality of the law.

With specificreference to the laws of war, it would also set at nought
the words of the Martens Clause, whose express terms are that, "Until a
more complete code of the laws of war has been issued, the High Con-
tracting Parties . . declare that, in cases not included in the Regulations
adopted by them . .." (emphasis added), the humanitarian principles it
sets out would apply.

Thus, by express agreement, if that indeed were necessary, the wide
range of principles of humanitarian law contained within customary
international law would be applicable to govern this matter, for which no
specificprovision has yet been made by treaty.

9. The "Lotus7'Decision

Much of the argument based on the absence of specific illegality was
anchored to the "Lotus" decision. In that case, the Permanent Court
addressed its enquiry to the question :

"whether or not under international law there is a principle which
would have prohibited Turkey, in the circumstances of the case
before the Court, from prosecuting Lieutenant Demons" (P.C.I.J.,
Series A, No. IO, p. 21).

In the absence of such a principle or of a specific rule to which it had
expressly consented, it was held that the authority of a State could not be
limited.
Indeed, even within the terms of the "Lotus" case, these principles
become applicable, for, in relation to the laws of war, there is the express MENACE OU EMPLOI D'ARMES NUCLÉAIRES (OP.DISS.WEERAMANTRY) 494

raux de droit reconnus par les nations civilisées»ne cessent pas d'êtredu
droit simplementparce qu'il n'existe pas de traité international qui inter-
dise expressément de massacrer aveuglémentles populations au moyen
d'armes nucléaires,de provoquer des dommages irréversibles au détri-
ment des générationsfutures au moyen d'armes nucléaires,de détruire
l'environnement au moyen dhrmes nucléaires,et de causer desdommages
irréparables aux Etats neutres au moyen d'armes nucléaires.Si l'on sup-

prime de la phrase qui précèdeles mots en italiques, on ne peut que cons-
tater qu'elle ne vise que des actes qui sont interdits par le droit interna-
tional. Il semble spécieuxde soutenir que le principe de l'interdiction ne
peut pas êtreinvoquédu fait du défautd'identification de l'arme.
La doctrine qui veut que le souverain ait toute latitude pour faire tout
ce qu'une loi n'interdit pas expressémentest une doctrine qui a fait long
feu. Lorsque le positivisme a été poussé à ce point extrêmedans la doc-
trine juridique, la société humainea étéconduite à quelques-uns de ses
pires excès.L'histoire montre que le pouvoir sans le garde-fou des prin-
cipes devient abus de pouvoir. Il n'est pas inutile d'écrireles choses noir
sur blanc mais le droit ne se réduit pas, tant s'en faut,à ce qui est écrit
noir sur blanc.

S'agissant plus spécialementdu droit de la guerre, la doctrine en ques-
tion viderait de sens la clause de Martens qui dispose expressément
qu'«en attendant qu'un code plus complet deslois de la guerre puisse être
édictél,es Hautes Parties contractantes ...déclare[nt]que, dans les cas qui
ne sontpas couvertspar des règlementsspécifiquesadoptéspar elles))(les
italiques sont de moi), les principes humanitaires qu'elle énonce s'appli-
queront.
En vertu donc d'un accord exprès (si tant est que cette condition soit
nécessaire),la vaste gamme des principes du droit humanitaire contenus
dans le droit international coutumier est applicable à la question, qui n'a
pas encore fait l'objet de dispositions conventionnelles.

9. L'arrêtrendu dans l'affaire du Lotus

Une bonne partie de l'argumentation qui se fonde sur l'absence de
texte énonçant expressémentl'illicéité prend pour point de départ l'arrêt
rendu dans l'affaire du Lotus. Dans cette affaire, la Cour permanente a
recherché :

«si oui ou non le droit international comporte un principe en vertu
duquel il aurait étéinterdità la Turquie d'exercer, dans les circons-
tances de cecas, despoursuites pénalescontre le lieutenant Demons ))
(C.P.J.I. sérieA no 10, p. 21).

Il a étéjugéque, en l'absence d'un tel principe ou d'une règleprécise à
laquelle il aurait expressémentconsenti, un Etat ne pouvait voir son pou-
voir limité.
En fait, mêmesur la base de l'arrêtdu Lotus, les principes considérés
sont applicables car, s'agissant du droit de la guerre, lespuissancesdotéesacceptance by the nuclear powers that the humanitarian principles of the
laws of war should applyl Apart from the nuclear powers, some other
powers who have opposed a finding of illegalitybefore this Court (or not
adopted a clear-cut position in regard to the present request), were also

parties to the Hague Convention, for example, Germany, Netherlands,
Italy and Japan.

The "Lotus" case was decided in the context of a collision on the high
seas, in time of peace, between the Lotus, flying the French flag and a
vesse1flyingthe Turkish flag. EightTurkish sailorsand passengersdiedand
the French officer responsible was sought to be tried for manslaughter
in the Turkish courts. This was a situation far removed from that to
which the humanitarian laws of war apply. Such humanitarian law was
already a well-established concept at the time of the "Lotus" decision,

but was not relevant to it. It would have been furthest from the mind of
the Court deciding that case that its dictum, given in such entirely differ-
ent circumstances, would be used in an attempt to negative al1that the
humanitarian laws of war had built up until that time - for the inter-
pretation now sought to be given to the "Lotus" case is nothing less than
that it overrides even such well-entrenched principles as the Martens
Clause, which expressly provides that its humanitarian principles would
apply "in cases not included in the Regulations adopted by them".

Moreover, at that time, international law was generally treated in two
separate categories - the laws of peace and the laws of war - a distinc-
tion well recognized in the structure of the legal texts of that time. The
principle the "Lotus" court was enunciating was formulated entirely
within the context of the laws of peace.
Ttis implicit in "Lotus" that the sovereignty of other States should be
respected. One of the characteristics of nuclear weapons is that they vio-
late the sovereignty of other countries who have in no way consented to
the intrusion upon their fundamental sovereign rights, which is implicit in
the use of the nuclear weapon. It would be an interpretation totally out

of context that the "Lotus" decision formulated a theory, equally appli-
cable in peace and war, to the effect that a State could do whatever it
pleased so long as it had not bound itself to the contrary. Such an inter-
pretation of "Lotus" would cast a baneful spell on the progressive devel-
opment of international law.

It is to be noted also that just four years earlier, the Permanent Court,
in dealing with the question of State sovereignty, had observed in Nation-
ality DecveesIssued in Tunis and Movocco that the sovereignty of States
would be proportionately diminished and restricted as international Law

developed (Advisovy Opinion, 1923, P.C.I.J., Series B, No. 4, pp. 121-
125, 127,130).In the half century that has elapsed sincethe "Lotus"case,
it is quite evident that international law - and the law relating to MENACEOU EMPLOID'ARMES NUCLÉAIRES (OP.DISSWEERAMANTRY) 495

d'armes nucléairesont expressément accepté queles principes humani-
taires du droit de la guerre s'appliquent. Mises à part ces puissances,
certaines autres puissances qui se sont déclarédevant la Cour opposées
à une conclusion d'illicéité(ou qui n'ont pas adopté une position tran-
chée à l'égardde la demande d'avis consultatifàl'examen)sont aussi par-
tiesà la convention de La Haye, dont l'Allemagne,lesPays-Bas, l'Italie et
le Japon.

L'arrêtdans l'affaire du Lotus a été rendu à propos d'une collision en
haute mer, en temps de paix, entre leLotus, navire battant pavillon fran-
çais, et un navire battant pavillon turc. Huit marins et passagers turcs
ayant trouvéla mort, la question se posait de la comparution devant les
tribunaux turcs, pour meurtre, de l'officierfrançais responsable. La situa-
tion n'avait donc rienà voir avec celles dans lesquelles le droit humani-
taire de la guerre s'applique. Le concept de droit humanitaire était déjà
bien établià l'époquede l'arrêtdans l'affaire du Lotus mais il n'étaitpas
pertinent en l'espèce.La Cour n'aurait jamais imaginé, lorsqu'elle a
tranchécette affaire, que sa décision, rendue dans un contexte si totale-
ment différent, puisse être invoquépeour réduire ànéanttout ce que le

droit humanitaire de la guerre avait déjàédifié car l'interprétation que
l'on cherchemaintenant à donner de l'affaire du Lotus n'aboutià rien de
moins qu'à une mise à l'écart de principes humanitaires aussi solidement
établis queceux de la clause de Martens qui, selon ses termes exprès,
doivent s'appliquer «dans les cas qui ne sont pas couverts par des règle-
ments spécifiquesadoptéspar [lesHautes Parties contractantes])).
Au surplus, le droit international était à cette époque généralement
divisé endeux catégories - le droit de la paix et le droit de la gu-,re
distinction que respectaient les textes juridiques d'alors. Le principe que
la Cour vermanente a énoncédans l'arrêtdu Lotus se situait entièrement
dans le Lontexte du droit de la paix.
Il ressort implicitement de cet arrêtque la souveraineté desautres Etats

doit êtrerespectée.L'une des caractéristiques des armes nucléaires est
qu'elle violela souverainetéd'autres pays qui n'ont en aucune manière
consenti aux atteintesà leurs droits souverains fondamentaux que com-
porte implicitementl'emploi de l'arme nucléaire. Onne saurait, sans faire
totalement abstraction du contexte. intervréter l'arrêtdans l'affaire du
Lotus comme énonçant une théorie, applicable aussi bien en temps de
paix qu'en temps de guerre, selon laquelle un Etat serait libre d'agàsa
guise pourvu qu'il n'ait pas pris d'engagement contraire. Une telle inter-
prétationde l'arrêtvouerait àun sort funeste le développement progressif
du droit international.
Il est à noter qu'exactement quatre ans auparavant, à propos de la

question de la souverainetédes Etats, la Cour permanente a remarqué,
dans son avis consultatif concernant lesécretsde nationalitépvomulgués
en Tunisie et au Maroc, que la souverainetédes Etats aurait un champ de
plus en plus réduitet de plus en plus restreint au fur etsure du déve-
loppement du droit international (avis consultatiJ;1923, C.P.J.I. sévieB
no 4, p. 121-125, 127, 130). Au cours du demi-sièclequi s'est écouléhumanitarian conduct in war - have developed considerably, imposing
additional restrictions on State sovereignty over and above those that
existed at the time of the "Lotus" case. This Court's ownjurisprudence in
the Corfu Channel case sees customary international law as imposing a
duty on al1States so to conduct their affairs as not to injure others, even
though there was no prohibition @sissimis verbis of the particular act

which constituted a violation of the complaining nation's rights. This
Court cannot in 1996 construe "Lotus" so narrowly as to take the law
backward in time even beyond the Martens Clause.

10. Speclfic Rules of the Humanitarian Law of Wav

There are several interlacing principles which together constitute the
fabric of international humanitarian law. Humanitarian law reveals not a
paucity, but rather an abundance of rules which both individually and
cumulatively render the use or threat of use of nuclear weapons illegal.

The rules of the humanitarian law of war have clearly acquired the

status of jus cogens, for they are fundamental rules of a humanitarian
character, from which no derogation is possible without negating the
basic considerations of humanity which they are intended to protect. In
the words of Roberto Ago, the rules ofjus cogens include:
"the fundamental rules concerning the safeguarding of peace, and
notably those which forbid recourse to force or threat of force; fun-

damental rules of a humanitarian nature (prohibition of genocide,
slavery and racial discrimination, protection of essential rights of the
human pevson in time of peace and wu); the rules prohibiting any
infringement of the independence and sovereign equality of States;
the rules which ensure to al1members of the international commu-
nity the enjoyment of certain common resources (high seas, outer
space, etc.)"los.

The question under consideration is not whether there is a prohibition
in peremptory terms of nuclear weapons specifically so mentioned, but
whether there are basic principles of a jus cogens nature which are vio-
lated by nuclear weapons. If there are such principles which are of ajus
cogens nature, then it would follow that the weapon itself would be pro-
hibited under the jus cogens concept.

'O8Recueil des coursde l'Académiede droit international deLa Haye, Vol. 134(1971),
p. 324, footnote 37; emphasis added. See, also, the detailed study of various peremp-
tory norms in the international law of armed conflict. in Lauri Hannikainen, Peremptory
Norms (Jus Cogens) inInternational Law, 1988,pp. 596-715,where the author finds that
many of the principles of the humanitarian law of war aregens.depuis l'affaire du Lotus, le droit international et le droit relatif au com-
portement humanitaire en temps de guerre se sont, à l'évidence,considé-
rablement développés, en ajoutant de nouvelles restrictionsà la souverai-
netédes Etats qui existaient à l'époque de l'affaireen question. La Cour
elle-même a établi,dans l'affaire duDétroitde Corfou, que le droit inter-
national coutumier imposait aux Etats le devoir de conduire leurs affaires

de manière à ne pas causer de tort aux autres, alors mêmeque l'acte por-
tant atteinte aux droits de 1'Etatplaignant ne faisait pas l'objet d'unepro-
hibition formulée ipsissimus verbis. La Cour ne peut pas en 1996 faire
sienne une interprétation de l'arrêtdu Lotus tellement étroite qu'elle
ramènerait le droit au stade où il se trouvait avant la clause de Martens.

10. Règlesparticulières du droit humanitaire de la guerre

Le droit international humanitaire comporte plusieurs principes qui
s'entrelacent pour en constituer la trame. II se caractérise non par un
manque mais par une abondance de règlesqui, séparémentou conjoin-
tement, frappent d'illicéité l'emploi ou la menace d'emploi des armes
nucléaires.

Les règlesdu droit international humanitaire ont manifestement acquis
le statut de règlesdu jus cogens car ce sont des règlesfondamentales de
caractère humanitaire auxquelles il ne peut êtredérogésans renier les
considérations élémentaired s'humanitédont ellesvisent à assurer le res-
pect. Les règlesdu jus cogens incluent, comme l'écritRoberto Ago:

((les règles fondamentales concernant la sauvegarde de la paix et
notamment celles qui interdisent le recours à la force ou la menace
de la force. Les règlesfondamentales de caractère humanitaire (inter-
diction du génocide, del'esclavage et de la discrimination raciale,
protection des droits essentiels de la personne humaine en temps de
paix et en temps de guerre); les règlesqui interdisent les atteintes
à l'indépendanceet à l'égalitésouveraine des Etats; les règlesqui
assurent à tous les membres de la communauté internationale la
jouissance de certains biens communs (haute mer, espace extra-

atmosphérique, etc.).» 'O8
La question a l'examen n'estpas de savoir s'ilexiste une règleimpéra-
tive qui interdit expressémentles armes nucléaires mais de déterminers'il
y a des principes de base ressortissant au jus cogens auxquels les armes
nucléairesportent atteinte. Dans l'hypothèseoù de tels principes ressor-

tissant aujus cogens pourraient êtreidentifiés,il s'ensuivrait que l'arme
elle-mêmeest interdite sur la base du jus cogens.

'O8Recueil des coursde l'Académiede droit international de La Haye, t. 134 (1971),
p. 324, note 37 (les italiques sont de moi). On trouvera également uneétudedétaillée des
Peremptory Norms (Jus Cogens) in InternationalLaw, 1988,p. 596-715,où l'auteur con-
clut que bon nombre des principes du droit humanitaire de la guerre relèventdu
cogens. As noted at the commencement of Part III, most of the States which
support the view that the use of nuclear weapons is lawful acknowledge
that international humanitarian law applies to their use, and that such
use must conform to its principles. Among the more important of the
relevant principles of international law are:

(a) the prohibition against causing unnecessary suffering;
(b) the principle of proportionality ;
(c) the principle of discrimination between combatants and non-
combatants ;
(d) the obligation to respect the territorial sovereignty of non-belliger-
ent States;

(e) the prohibition against genocide and crimes against humanity;
(f) the prohibition against causing lasting and severe damage to the
environment ;
(g) human rights law.

(a) The prohibition against causing unnecessary suffering

The Martens Clause, to which reference has already been made, gave
classic formulation to this principle in modern law, when it spelt out the
impermissibility of weapons incompatible with "the laws of humanity

and the dictates of public conscience".
The prohibition against cruel and unnecessary suffering, long a part of
the general principles of humanitarian law, has been embodied in such a
large number of codes, declarations, and treaties as to constitute a firm
and substantial body of law, each document applying the general prin-
ciples to a specificsituation or situations10g.They illustrate the existence
of overarching general principles transcending the specificinstances dealt
with.

The principle against unnecessary suffering has moreover been incor-
porated into standard military manuals. Thus the British Manual of Mili-
tary Law, issued by the War Office in 1916, and used in World War 1,
reads :
"IV. The Menns of Carrying on War

39. The first principle of war is that the enemy's powers of resis-
tance must be weakened and destroyed. The means that may be
employed to inflict injury on him are not however unlimited [foot-
note cites Hague Rules 22, 'Belligerentshave not an unlimited right

'O9Examples are the Lieber Code of 1863(adopted by the United States for the Gov-
ernment of Armies in the Field); the Declaration of St. Petersburg of 1868;the Hague
Conventions of 1899and 1907; the Protocol for the Prohibition of the Use in War of
Asphyxiating, Poisonous or Other Gases, and of Bacteriological Methods of Warfare of
1925; the Hague Rules of Air Warfare of 1923; the Nuremberg Charter of 1945; and the
four Geneva Conventions of 1949. MENACEOU EMPLOID'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISS.WEERAMANTRY) 497

Comme je l'ai soulignéau débutde la section III, la plupart des Etats
qui appuient la thèsede la licéité de l'emploi desarmes nucléairesrecon-
naissent que le droit international humanitaire en régit l'utilisation,

laquelle doit se conformer aux principes de ce droit. Les plus importants
de ces principes sont, notamment, les suivants:
a) l'interdiction de causer des maux superflus;
b) le principe de proportionnalité;

c) le principe de distinction entre combattants et non-combattants;

d) l'obligation derespecter la souverainetéterritoriale des Etats non bel-
ligérants;
e) l'interdiction du génocide et des crimescontre l'humanité;
f) l'interdiction de causer des dommages durables et graves à l'environ-
nement;

g) le droit relatif aux droits de l'homme.

a) L'interdiction de causer desmaux superflus

La clause de Martens déjà évoquép elus haut a donné à ce principe sa
formulation classique en droit moderne en déclarant quene sont pas per-
mises lesarmes incompatibles avec «les lois de l'humanitéet les exigences
de la conscience publique)).
L'interdiction de causer des souffrances cruelles et superflues, qui fait

depuis longtemps partie des principes générauxdu droit humanitaire, a
étéconsacréedans une multitude de codes, de déclarationset de traités
qui constituent un corpus juridique solide et étofféc,haque document fai-
sant application des principes généraux à une ou plusieurs situationspar-
ticulière~'~~T.ous ces documents attestent l'existencede principes géné-
raux supérieurs qui transcendent les réalitésparticulières viséesdans
chacun d'eux.
Le principe interdisant de causer des maux superflus a étéincorporé
dans les manuels militaires courants. Ainsi le Manual of Military Law

britannique, publiépar le War Officeen 1916et en usage pendant la pre-
mièreguerre mondiale, contient les dispositions suivantes:
«IV. Moyens utilisés dansla conduite de la guerre

39. Le premier principe de laguerre est la nécessitéd'affaiblir et de
détruirela capacitéde résistancede l'ennemi. Toutefois les moyens
qui peuvent êtreemployéspour lui nuire ne sont pas illimités [une
note de bas de page cite l'article22 du règlementde La Haye: «Les

'O9On peut mentionner, par exemple, le code Lieber de 1863(adoptépar les Etats-Unis
d'Amérique entant que règlement decampagne des armées);la déclarationde Saint-Pé-
tersbourg de 1868; les conventions de La Haye-de 1899et de 1907; le protocole de 1925
concernant la prohibition d'emploi guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires
et de moyens bactériologiques;le règlement deLa Haye de 1923sur la guerre aérienne;le
statut de Nuremberg de 1945et les quatre conventions de Genèvede 1949. as to the choice of means of injuring the enemy']. They are in prac-
tice definitely restricted by international conventions and declara-
tions, and also by the customary rules of warfare. And, moreover,
there are the dictates of morality, civilization and chivalry, which
ought to be obeyed.

42. It isexpresslyforbidden to employarms, projectilesor material
calculated to cause unnecessary suffering [Hague Rules 23 (e)].
Under this heading might be included such weapons as lances with a
barbed head, irregularly shaped bullets, projectiles filledwith broken
glass and the like; also the scoring of the surface of bullets, the filing
off the end of their hard case, and smearing on them any substance
likelyto inflame or wound. The prohibition isnot, however,intended

to apply to the use of explosives contained in mines, aerial tor-
pedoes, or hand-grenades." (Pp. 242-243.)

Such was the Manual the British forces used in World War 1, long
before the principles of humanitarian warfare were as well entrenched as
they now arellO.

As early as 1862,Franz Lieber accepted the position that even military
necessity is subject to the law and usages of war, and this was incorpo-
rated in the instructions for the army"'. Modern United States War
Department Field Manuals are in strict conformity with the Hague
Regulations and expressly subject military necessity to "the customary
and conventional laws of war" Il2.

The facts set out in Part II of this opinion are more than sufficient to
establish that the nuclear weapon causes unnecessary suffering going far
beyond the purposes of war.
An argument that has been advanced in regard to the principle regard-
ing "unnecessary suffering" is that, under Article 23 (e) of the 1907
Hague Regulations, it is forbidden, "To employ arms, projectiles, or
material calculated to cause unnecessary suffering" (emphasis added).
The nuclear weapon, it is said, is not calculated to cause suffering, but
suffering is rather a part of the "incidental side effects" of nuclear weap-
ons explosions. This argument is met by the well-known legal principle
that the doer of an act must be taken to have intended its natural and

foreseeable consequences (see Section 111.7above). It is, moreover, a lit-

"O On the importance of validity of military manuals, see Singh and McWhinney,
op. cit., pp. 52-53.
"' General Orders 100, Instructions for the Government of the Armies of the United
States in the Field, S. 14.
Il2Singh and McWhinney, op. cit., p. 59. MENACEOU EMPLOI D'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISS.WEERAMANTRY) 498

belligérantsn'ont pas un droit illimitéquant au choix des moyens de
nuire à l'ennemi.))]. Ilsfont en pratique l'objet de restrictions pré-
cises découlant de conventions et de déclarations internationales

ainsi que desrèglescoutumièresdela guerre. A cela s'ajoutent lesexi-
gences de la morale, de la civilisation et de l'honneur, qui doivent
êtrerespectées.

42. Il est expressémentinterdit d'employer desarmes, projectiles
ou matières conçuspour causer des maux superflus [article23 e) du

règlement de La Haye]. Sont ici visés,entre autres, les lances à
pointe barbelée,les balles de forme irrégulière, les projectiles remplis
de verre briséet autres matières du mêmegenre; de mêmeque la
pratique consistant à faire des entaillesà la surface des balles, de
limer l'extrémitéde leur enveloppe et de les enduire d'une substance
susceptible de s'enflammer ou de blesser. Cette interdiction ne s'ap-
plique toutefois pas à l'utilisation des explosifscontenus dans les
mines, torpilles aériennesou grenades à main.» (P. 242-243.)

Voilà ce que disait le manuel des forces arméesbritanniques en usage
pendant la premièreguerre mondiale, longtemps avant que les principes
de la conduite humanitaire de la guerre n'aient acquis le solide statut

qu'ils ont aujourd'h~i''~.
Dès 1862, Franz Lieber a admis que mêmela nécessité militaire est
soumise aux lois et usages de la guerre, principe qui a étéincorporédans
les instructions adressées à l'arméeH1.Les manuels de campagne mo-
dernes publiéspar le ministère de la guerre des Etats-Unis d'Amérique
sont strictementconformes au règlementde La Haye et soumettent expres-
sémentla nécessité militaireaux ((loiscoutumièreset conventionnelles de
la guerre))'12.
Les faits décritsdans la section II de la présenteopinion sont plus que
suffisants pour établir que l'arme nucléaire cause desmaux superflus

excédant de beaucoup ce qu'exigent les buts de la guerre.
On a tiréargument, en ce qui concerne le principe relatif aux maux
superflus, du fait que, aux termes de l'article 23e) du règlement de La
Haye de 1907, il est interdit ((d'employer des armes, projectilesou ma-
tièresconçuspour causer des maux superflus))(lesitaliques sont de moi).
L'arme nucléaire,a-t-on dit, n'est pas conçue pour causer des maux, les
maux qu'elle cause relèvent plutôt des ((effets secondaires)) des explo-
sions. On peut répondre à cet argument en s'appuyant sur le principe
juridique bien connu que l'auteur d'un acte doit êtreprésuméen avoir
voulu toutes les conséquencesnaturelles et prévisibles (voir ci-dessusla

"O Concernant la validité des manuels militaires et son importance, voir Singh et
McWhinney, op. cit., p. 52-53.
Règle générale100, Instructions for the Government of the Armies of the United
States in the Field, s. 14.
Singh et McWhinney, op. cit., p. 59.eral interpretation which does not take into account the spirit and under-
lying rationale of the provision - a method of interpretation particularly
inappropriate to the construction of a humanitarian instrument. It may
also be said that nuclear weapons are indeed deployed "in part with a
view to utilising the destructive effects of radiation and fall-out" Il3.

(b) Theprinciple of proportionality

See discussion in Part IV below, pages 514-516.

(c) The principle of discrimination

The principle of discrimination originated in the concern that weapons
of war should not be used indiscriminately against military targets and
civiliansalike. Non-combatants needed the protection of the laws of war.
However, the nuclear weapon is such that non-discrimination is built into

its very nature. A weapon that can flatten a city and achieve by itself the
destruction caused by thousands of individual bombs is not a weapon
that discriminates. The radiation it releases over immense areas does not
discriminate between combatant and non-combatant, or indeed between
combatant and neutral States.

Article 48 of the Additional Protocol 1to the Geneva Conventions of
1949 repeats as a "Basic Rule" the well-accepted rule of humanitarian
law :

"In order to ensure respect for and protection of the civilian popu-
lation and civilian objects, the Parties to the conflictshallt al1times
distinguish between the civilian population and combatants and
between civilian objects and military objectives and accordingly shall
direct their operations only against military objectives." (Emphasis

added.)
The rule of discrimination between civilian populations and military
personnel is, like some of the other rules ofjus in bello, of ancient vintage
and shared by many cultures. We have referred already to the ancient
Indian practice that Indian peasants would pursue their work in the

fields, in the face of invading armies, confident of the protection afforded
them by the tradition that war was a matter for the combatants'14. This
scenario, idyllic though it may seem, and so out of tune with the brutali-
ties of war, is a useful reminder that basic humanitarian principles such
as discrimination do not aim at fresh standards unknown before.

Il3Ian Brownlie, "Some Legal Aspects ofthe Use of Nuclear Weapons", International
and Comparative Law Quarterly, 1965, Vol. 14,p. 445.
Nagendra Singh, op. cit., footnote 69 above.

277 MENACEOU EMPLOID'ARMES NUCLÉAIRES (OP.DISSW . EERAMANTRY) 499

section III, paragraphe 7). Il repose en outre sur une interprétation litté-
rale qui ne tient pas compte de l'esprit de la disposition ni des préoccu-
pations dont elle s'inspire - méthode d'interprétation particulièrement
contestable dans le cas d'un instrument humanitaire. On peut aussi faire

valoir que les armes nucléairessont en fait utilisées «en partie pour tirer
avantage des effets destructeurs des rayonnements et des retombées»113.

b) Le principe deproportionnalité

Voir le développementde ce point ci-après, section IV, p. 514-516.

c) Le principe dedistinction

Le principe de distinction répond au souci d'éviterque les armes de
guerre ne soient utilisées aveuglémentcontre des objectifs militaires et
contre la population civile. Les non-combattants doivent êtreprotégés

par le droit de la guerre. Mais l'absence de distinction est l'essence même
de l'arme nucléaire.Une arme qui peut raser une ville et provoquer à elle
seule autant de destructions aue des milliers de bombes n'est Das une
arme qui établit une distinction quant à ses effets. Les rayonnements
qu'elle émetdans d'immenses territoires ne font pas de distinction entre
combattants et non-combattants ni, d'ailleurs, entre Etats belligérantset
Etats neutres.
L'article 48 du protocole additionnel 1 de 1977 aux conventions de
Genève de 1949 réitère entant que «règle fondamentale))la règle bien
établiedu droit humanitaire suivante:

«En vue d'assurer le respect et la protection de la population civile
et des biens de caractère civil, les parties au conflit doiventen tout
temps faire la distinction entrela population civileet lescombattants
ainsi qu'entre les biens de caractère civil et les objectifs militaires et,
par conséquent, ne diriger leurs opérations que contre des objectifs

militaires. (Les italiques sont de moi.)
La règlede la distinction entre population civile et personnel militaire
est, comme certaines autres règlesdu jus in bello, le fruit d'une longue
tradition et l'apanage de nombreuses cultures. Nous avons déjà rappelé

que, dans l'Inde d'autrefois, il était d'usage queles paysans continuent à
travailler dans les champs, au voisinage de l'armée de l'envahisseur,
confiants dans la protection que leur assurait la tradition qui faisait de la
guerre une affaire de combattantsn4. Cette évocation, si idyllique qu'elle
soit et si éloignée desatrocités dela guerre, nous rappelle utilement que
des principes humanitaires fondamentaux comme le principe de distinc-
tion ne sont pas des normes récentesinconnues des époques antérieures.

Il3Ian Brownlie, «Some Legal Aspects of the Use of Nuclear Weapons)), International
and Compavative Law Quarterly, 1965,vol. 14,p. 445.
"4 Nagendra Singh, op. cit. ci-dessus note 69. The protection of the civilian population in times ofarmed conflict has
for long been a well-established rule of international humanitarian law.
Additional Protocol 1 to the Geneva Conventions (1949) provides by
Article 51 (5) (b)) that the "indiscriminate attacks" which it prohibits

include :

"an attack which may be expected to cause incidental loss of civilian
life, injury to civilians, damage to civilian objects, or a combination
thereof, which would be excessive in relation to the concrete and
direct military advantage anticipated".

So, also, Article 57 (2) (b) prohibits attacks when:

"the attack may be expected to cause incidental loss of civilian life,

injury to civilians, damage to civilian objects, or a combination
thereof, which would be excessivein relation to the concrete and
direct military advantage anticipated".

The many facets of this rule were addressed in the resolution of the
International Law Institute, passed at its Edinburgh Conference in
1969115,which referred to them as prohibited by existing law as at that
date. The acts described as prohibited by existing law included the fol-

lowing :

"al1attacks for whatsoever motive or by whatsoever means for the
annihilation of any group, region or urban centre with no possible
distinction between armed forces and civilianpopulations or between
military objectives and non-military objects" Il6;

"any action whatsoever designed to terrorize the civilian popula-
tion" 117>

"the use of al1 weapons which, by their nature, affect indiscrimi-
nately both military objectives and non-military objects, or both
armed forces and civilian populations. In particular, it prohibits the
use of weapons the destructive effect of which is so great that it
cannot be limited to specific military objectives or is otherwise
uncontrollable . ..,as well as of 'blind' weapons."

"5 On the eminent juristic support for this proposition, see Section 111.11 below.

Il6Annuaire de l'Institut de droit international, 1969,No. 53, Vol. II, p. 377, para. 8;
Iran, CR 95126,p. 47, footnote 45.
lL7Annuaire de l'Institut de droit international, 1969,No. 53, Vol. II, p. 377, para. 6.
Ibid., para. 7. MENACEOU EMPLOI D'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW. EERAMANTRY) 500

Le principe de la protection de la population civileen période deconflit
arméest depuis longtemps une règlebien établiedu droit international
humanitaire. Le protocole additionnel 1 aux conventions de Genève de
1949dispose au paragraphe 5, lettre b), de son article 51 que les ((atta-
ques effectuéessans discrimination)) qu'il interdit comprennent:

«les attaques dont on peut attendre qu'elles causent incidemment
des pertes en vies humaines dans la population civile, des blessures

aux personnes civiles, des dommages aux biens de caractère civil, ou
une combinaison de ces pertes et dommages, qui seraient excessifs
par rapport à l'avantage militaire concret et direct attendu)).

De même,aux termes du paragraphe 2, lettre b), de l'article 57, une at-
taque est interdite lorsqu'il apparaît:

«que l'on peut attendre qu'elle cause incidemment des pertes en vies
humaines dans la population civile, des blessures aux personnes

civiles,des dommages aux biens de caractère civil, ou une combinai-
son de ces pertes et dommages, qui seraient excessifspar rapport à
l'avantage militaire concret et direct attendu)).

Les nombreux comportements relevant de cette règleont été analysés
dans la résolutionadoptée par l'Institut dedroit international à la confé-
rence d'Edimbourg en 1969 Il5,qui les a déclarés interditspar le droit en
vigueur à l'époque.Au nombre des actes décrits commeinterdits par le

droit en vigueur figurent:

((toutes les attaques menées à quelque titre que ce soit et par
n'importe quel moyen et destinées à l'anéantissementd'un groupe,
d'une région ou d'un centre urbain sans distinction possible entre
forces arméeset populations civiles ou entre objectifs militaires et
objets non militaires)) l16;

((toutes les actions qui, à quelque titre que ce soit, sont destinées à
semer la terreur dans la population civile)) "';

((l'emploi detoutes les armes qui, par leur nature, frappent sans dis-
tinction objectifs militaires et objets non militaires, forces armées et
populations civiles.Est interdit notamment l'emploi des armes dont
l'effet destructeur est trop grand pour pouvoir être limité à des

objectifs militaires déterminésou dont l'effet est incontrôlable ...
ainsi que des armes aveugles.»lls

Au sujet de l'appui qu'a reçu ce texte de la part des auteurs les plus éminents, voir
ci-aprèsla sectionI, paragraphe 11.
Annuaire de l'Institut de droit international. 1969. n, A.vo,. II. ,. 360. oar. 8: Iran.
CR 95/26, p. 47, note 45.
"s7Ibid., par. 7.Institut de droit international, 1969,no 53, vol. II, p. 377, par. 6. (d) Respectfor non-belligerent States

When nuclear weapons are used their natural and foreseeable conse-
quence of irreparable damage to non-belligerent third parties is a neces-
sary consideration to be taken into reckoning in deciding the permissi-
bility of the weapon. It is not merely a single non-belligerent State that
might be irretrievably damaged, but the entire global community of
States. The uncontainability of radiation extends it globally. The
enormous area of damage caused by nuclear weapons, as compared with
the most powerful conventional weapons, appears from the diagram

appended to this opinion, which is taken from WHO studies. When wind
currents scatter these effects further, it is well established by the TTAPS
and other studies that explosions in one hemisphere can spread their
deleterious effects even to the other hemisphere. No portion of the globe
- and therefore no country - could be free of these effects.

The argument of lack of intention has been addressed in this context as
well. In terms of this argument, an action directed at an enemy State is
not intended to cause damage to a third party, and if such damage in fact
ensues, it is not culpable. This argument has already been dealt with in an
earlier section of this opinion, when it was pointed outthat such an argu-

ment is untenable (see Section 111.7).The launching of a nuclear weapon
is a deliberate act. Damage to neutrals is a natural, foreseeable and,
indeed, inevitable consequence. International law cannot contain a rule
of non-responsibility which is so opposed to the basic principles of uni-
versa1jurisprudence.

(e) The prohibition against genocide 'l9

The Court's treatment of the relevance of genocide to the nuclear
weapon is, in my view, inadequate (paragraph 26 of the Opinion).
Nuclear weapons used in response to a nuclear attack, especially in the
event of an all-out nuclear response, would be likely to cause genocide by
triggering off an all-out nuclear exchange, as visualized in Section IV
below. Even a single "small" nuclear weapon, such as those used in

Japan, could be instruments of genocide, judging from the number of
deaths they are known to have caused. If cities are targeted, a single
bomb could cause a death toll exceeding a million. If the retaliatory
weapons are more numerous, on WHO'S estimates of the effects of
nuclear war, even a billion people, both of the attacking State and of
others, could be killed. This is plainly genocide and, whatever the cir-
cumstances, cannot be within the law.

H9 See, further, Section 111.10(g) below on human rights law.

279d) Respect des Etats non belligérants

Le dommage irréparable auxtierces parties non belligérantes, quiest la
conséquence naturelle et prévisible de l'emplodies armes nucléaires, est un
facteur àprendre en considérationpour décidersi de tellesarmes sont per-
misesou non. Ce n'estpas un seul Etat non belligérant mais l'ensemble de
la communautédes Etats qui risque de subir des dommages irrémédiables.
Comme lesrayonnements sont impossibles àarrêter,ils sepropagent dans
lemonde entier. L'étendue démesuré des dommagesque causent lesarmes
nucléairespar rapport aux plus puissantes des armes classiquesestmise en
évidencepar le diagramme joint en annexe à la présente opinion,qui est

repris des études del'organisation mondiale de la Santé.Diverses études,
dont l'étudeTTAPS, établissent de façonconcluante que, lorsque lesvents
accentuent la dispersion des retombées,les effets délétèredses explosions
dans un hémisphère peuventse propager à l'autre hémisphère. Aucune
partie du globe - et donc aucun pays - n'està l'abri de ces effets.
J'ai examinédans le mêmecontexte l'argument du défautd'intention
selon lequel une action dirigéecontre un Etat ennemi n'est pas caracté-
riséepar une intention de causer des dommages à une tierce partie; si de
tels dommages sont causés,elle n'engage pas la responsabilité de son
auteur. Cet argument a déjàétéanalyséplus haut et j'ai souligné qu'il
était indéfendable(sect. III, par. 7). Le lancement d'une arme nucléaire
est un acte délibéréL .es dommages aux pays neutres en sont la consé-

quence naturelle, prévisibleet même inévitable. Ld eroit international ne
peut pas faire place à une règle de non-responsabilité si radicalement
opposéeaux principes fondamentaux de la doctrine juridique universelle.

e) L'interdiction dugénociden9

J'estime que ce que dit la Cour sur les rapports entre l'arme nucléaire
et le génocide estinadéquat (paragraphe 26 de l'avis).
L'emploi d'armes nucléaired sans le cadre d'une riposte a une attaque
nucléaire,surtout dans l'hypothèse d'une ripostgénéraliséc e,userait vrai-
semblablementun génocideen déclenchanutn échange nucléaire généralisé
du type envisagéà la sectionIV(ci-après).Même une bombe nucléaire«mo-
deste», du genre de cellesqui ont étéutiliséesau Japon, pourrait êtreun
instrument de génocidesi 1'01considèrele nombre de personnes qui ont été

tuéesdans ce pays à la suite de ces explosions. Lancée sur uneville, une
seule bombe pourrait faire plus d'un million demorts. Si un nombre plus
élevéde bombes devait être utilisé enriposte, lenombre desmorts pourrait,
selonlesestimations del'organisation mondiale de la Santé surleseffetsde
la guerre nucléaire, atteindre,dans le pays auteur de l'attaque et les autres
pays, le total de un milliard.Un tel résultat constituebien un génocideet ne
peut, quellesque soient les circonstances, être tolééar le droit.

Il9Voir aussi, sur ce point, ci-aprèsla section III, paragraphe 10,lettre g), concernant
le droit relatif aux droits de l'homme. When a nuclear weapon is used, those using it must know that it will
have the effect of causing deaths on a scale so massive as to wipe out
entire populations. Genocide, as defined in the Genocide Convention
(Art. II),eans any act committed with intent to destroy, in whole or in
part, a national, ethnical, racial or religious group, as such. Acts included
in the definition are killing members of the group, causing serious bodily

or mental harm to members of the group, and deliberately inflicting on
the group conditions of lifecalculated to bring about its physical destruc-
tion in whole or in part.

In discussions on the definition of genocide in the Genocide Conven-
tion, much play ismade upon the words "as such". The argument offered
is that there must be an intention to target a particular national, ethnical,
racial or religious group qua such group, and not incidentally to some
other act. However, having regard to the ability of nuclear weapons to

wipe out blocks of population ranging from hundreds of thousands to
millions, there can be no doubt that the weapon targets, in whole or in
part, the national group of the State at which it is directed.

Nuremberg held that the extermination of the civilian population in
whole or in part is a crime against humanity. This is precisely what a
nuclear weapon achieves.

(0 Theprohibition against environmentaldamage

The environment, the common habitat of al1 Member States of the
United Nations, cannot be damaged by any one or more members to the
detriment of al1others. Reference has already been made, in the context
of dictates of public conscience (Section 111.6above), to the fact that the
principles of environmental protection have become "so deeply rooted in
the conscience of mankind that they have become particularly essential
rules of general international law" 120.The International Law Commis-
sion has indeed classified massive pollution of the atmosphere or of the

seas as an international crime121.These aspects have been referred to
earlier.
Environmental law incorporates a number of principles which are vio-
lated by nuclear weapons. The principle of intergenerational equity and
the common heritage principle have already been discussed. Other prin-
ciples of environmental law, which this request enables the Court to
recognize and use in reaching its conclusions, are the precautionary prin-
ciple, the principle of trusteeship of earth resources, the principle that the

lZ0Report of the International Law Commission on the work of its twenty-eighth ses-
sion,Yearbook of the International Law Commission, 1976, Vol. II, Part II, p. 109,
para.33.
lZ1Draft Article 19 (3) (d) on "State Responsibility" of the International Law Com-
mission,ibid, p. 96. Quiconque emploie une bombe nucléaire sait nécessairementqu'elle
aura pour effet de tuer un si grand nombre de personnes que des popu-
lations entièresdisparaîtront. Le génocide,selonla définitionqu'endonne

la convention sur le génocide(art. II), s'entend detout acte commis dans
l'intention de détruire,en tout ou en partie, un groupe national, ethnique,
racial ou religieux, comme tel. Les actes inclus dans la définitionsont
notamment les suivants: meurtre de membres du groupe, atteinte grave à
l'intégrité physiqueou mentale de membres du groupe et soumission
intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa
destruction physique totale ou partielle.
Il existeune tendance, dans lesdiscussions sur la définitiondu génocide
dans la convention, à mettre trop l'accent sur les mots «comme tel».

L'argument qu'on en tire est que l'atteinte a un groupe national, eth-
nique, racial ou religieux en tant que tel doit êtreun résultat intention-
nel et non pas un effet secondaire d'un autre acte. Mais puisque les
bombes nucléairesont la capacitéd'anéantirmassivement la population,
les chiffres s'échelonnant entre plusieurs centaines de milliers et plu-
sieurs millions de personnes, il ne fait pas de doute que l'arme vise, en
tout ou en partie, le groupe national de1'Etatcontre lequel elleest dirigée.
Le Tribunal de Nuremberg ajugéque l'extermination de la population

civile en tout ou en partie est un crime contre l'humanité. C'estprécisé-
ment le résultat auquelaboutit une arme nucléaire.

f) L'interdiction des dommages a l'environnement

L'environnement, l'habitat commun de tous les Etats Membres des
Nations Unies, ne peut êtreendommagépar un ou plusieurs Membres au
détrimentdes autres. J'ai déjà rappelé, à propos des exigencesde la cons-

ciencepublique (ci-dessussect. III, par. 6), que les principes de la protec-
tion de l'environnement sont aujourd'hui «si profondément ancrésdans
la conscience de l'humanitéqu'ils sont devenus des règlesparticulière-
ment essentielles du droit international général»120L .a Commission du
droit international a mêmequalifié de crimeinternational la pollution
massive de l'atmosphère ou des mers l2I.Ces aspects ont été évoqués plus
haut.
Le droit de l'environnement comporte un certain nombre de principes
auxquels les armes nucléaires portent atteinte. Le principe de l'équité

intergénérations etle principe du patrimoine commun ont déjà été men-
tionnés.Parmi les autres principes du droit de l'environnement suscep-
tibles d'être reconnuspar la Cour à la faveur de la présente demande
d'avis consultatif et d'êtreutilisésdans la formulation de ses conclusions

lZ0Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa vingt-hui-
tième session.Annuaire de la Commission du droit international. 1976.vol. II. deuxième
partie, p.1:par. 33.
lZ1Paragraphe 3d) de l'article 19 du projet de la Commission du droit international
sur la responsabilité desEtats,, p. 89. burden of proving safety lies upon the author of the act complainedof,
and the "polluter pays principle", placing on the author of environmental
damage the burden of making adequate reparation to those affe~ted'~~.
There have been juristic efforts in recent times to formulate what have

been described as "principles of ecological security" - a process of norm
creation and codification of environmental law which has developed
under the stress of the need to protect human civilization from the threat
of self-destruction.

One writer 123,in listing eleven such principles, includes among them
the "Prohibition of Ecological Aggression", deriving this principle inter
alia from such documents as the 1977Convention on the Prohibition of
Military or Any Other Hostile Use of Environmental Modification Tech-

niques which entered into force on 5 October 1978(1108 UNTS, p. 151),
and the United Nations General Assembly resolution "Historical respon-
sibilityof States for the preservation of nature for present and future gen-
erations" (General Assembly resolution 3518of 30 October 1980).

The same writer points out that,
"Under Soviet [now Russian] legal doctrine, the deliberate and

hostile modification of the environment - ecocide - is unlawful
and considered an international crime." 124

Another writer, drawing attention to the need for a CO-ordinated,
collective response to the global environmental crisis and the difficulty
of envisioning such a response, observes :

"But circumstances are forcing just such a response; if we cannot
embrace the preservation of the earth as our new organizing prin-
ciple, the very survival of Ourcivilization will be in doubt." 125

Here, forcefully stated, is the driving force behind today's environmen-
ta1 law - the "new organizing principle" of preservation of the earth,

without which al1civilization is injeopardy.
A means already at work for achieving such a CO-ordinatedcollective
response is international environmental law, and it is not to be wondered

lZ2See the references to these principles in my dissenting opinion in Request for an
Examination of the Situation in Accordance with Paragraph63 of the Court'sJudgment of
20 December 1974 in the Nuclear Tests (New Zealand v. France) Case, I. C.J. Reports
1995, pp. 339-347.
lZ3A. Timoshenko, "Ecological Security: Global Change Paradigm", Columbia Jour-
nal of International Environmental Law and Policy, 1990,Vol. 1, p. 127.
124Timoshenko, op. cit.
'25A. Gore, Earth in the Balance: Ecology and theHuman Spirit, 1992,p. 295,cited in
Guruswamy, Palmer and Weston, International Environmental Law and World Order.,
1994,p. 264.figurent le principe de précaution, le principe de la tutelle sur les res-
sources de la terre, le principe suivant lequel la charge de la preuve que
les mesures de sécuritéont été prisesincombe à l'auteur de l'acte mis en
cause et le principe ((pollueur-payeur» qui impose à l'auteur d'un dom-
mage à l'environnement l'obligation d'indemniser les victimescomme il

convient 12'.Des efforts ont été faits récemmentsur leplanjuridique pour
formuler ce qu'on a appeléles ((principesde la sécurité écologique))dans
le cadre d'un processus de développementnormatif et de codification du
droit de l'environnement motivépar la nécessitéde protégerla civilisa-
tion humaine contre la menace de son autodestruction.

Un auteur'23 qui énumèreonze principes de cette nature inclut parmi
eux la ((prohibition de l'agression écologique»en se fondant notamment
sur la convention de 1977 sur l'interdiction d'utiliser destechniques de
modification de l'environnement à des fins militaires ou toutes autres fins
hostiles, qui est entrée en vigueur le 5 octobre 1978 (Nations Unies,
Recueil des traités, vol. 1108, p. 151), ainsi que sur la résolution de

l'Assemblée générale de Nsations Unies intitulée ((Responsabilité histo-
rique des Etats concernant la préservationde la nature pour les généra-
tions présenteset futures)) (résolution 3518en date du 30 octobre 1980).
Le mêmeauteur souligne que:

((Dansladoctrine juridique soviétique[aujourd'hui russe],lamodi-
fication délibérée, à des fins hostiles, de l'environnement - l'écocide
- est illicite et considérécomme un crime international. )) 124

Un autre auteur, après avoir appelé l'attention sur la nécessitéde
concevoir une réaction collective coordonnée à la crise mondiale de

l'environnement et sur la difficulté d'yparvenir, fait observer:
((Mais lescirconstances exigent impérieusementune telle réaction ;

si nous ne sommes pas capables de faire de la préservation dela pla-
nètenotre nouveau principe d'organisation, c'est la survie même de
notre civilisation qui sera compromise. » '2s

Voilà une définition vigoureusede ce qui inspire le droit de I'environ-
nement de notre temps, la préservation dela planète en tant que «nou-
veau principe d'organisation ))sans lequel toute civilisation est en danger.
Un moyen, d'ores et déjàmis en Œuvre, de parvenir a la réaction
collective organisée évoquée pluhsaut est de s'appuyer sur le droit inter-

122Voir les référencàcesprincipes dans mon opinion dissidente relaàl'affaire de
laDemande d'examen de la situation au titre du paragraplze 63 de l'arrêtvendu par la
Cour le 20 dicembre 1974 dans l'affaire des Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande
c.Iz3A. Timoschenko, «Ecological Securi:Global Change Paradigm?)) Columbia Jour-
nal of IrzternationalEnvironmental Law and Policy, 1990, vol. 1, p. 127.
n4 Timoschenko, op. cit.
"5 A. Gore, Earth in tlze Balance: Ecology and the Human Spirit, 1992, p. 295, cité
dans Guruswamy, Palmer et Weston,International Environmental Law and World Order,
1994,p. 264.at that these basic principles ensuring the survival of civilization, and

indeed of the human species, are already an integral part of that law.

The same matter is put in another perspective in an outstanding study,
already referred to :

"The self-extinction of our species is not an act that anyone
describes as sane or sensible; nevertheless, it is an act that, without
quite admitting it to ourselves, we plan in certain circumstances to
commit. Being impossible as a fully intentional act, unless the per-
petrator has lost his mind, it can come about only through a kind of

inadvertence - as a 'side effect' of some action that we do intend,
such as the defense of Our nation, or the defense of liberty, or the
defense of socialism, or the defense of whatever else we happen to
believe in. To that extent, Ourfailure to acknowledge the magnitude
and significance of the peril is a necessary condition for doing the
deed. We can do it only if wedon't quite know what we're doing. If
we did acknowledge the full dimensions of the peril, admitting

clearly and without reservation that any use of nuclear arms is likely
to touch off a holocaust in which the continuance of al1human life
would be put at risk, extinction would at that moment become not
only 'unthinkable' but also undoable." lZ6

These principles of environmental law thus do not depend for their
validity on treaty provisions. They are part of customary international
law. They are part of the sine qua non for human survival.
Practical recognitions of the principle that they are an integral part of
customary international law are not difficult to find in the international

arena. Thus, for example, the Security Council, in resolution 687 of 1991,
referred to Iraq's liability"under international law ... for environmental
damage" resulting from the unlawful invasion of Kuwait. This was not a
liability arisingunder treaty, for Iraq was not a party to either the 1977
ENMOD Convention, nor the 1977 Protocols, nor any other specific
treaty dealing expresslywith the matter. Iraq's liability to which the Secu-
rity Council referred in such unequivocal terms was clearly a liability

arising under customary international law lZ7.

Nor are these principles confined to either peace or war, but cover both
situations, for they proceed from general duties, applicable alike in peace
and war lZ8.

126Jonathan Schell, The Fate of the Earth, 1982,p. 186.
Iz7A submission to this effect was made by the Solomon Islands in the hearings before
the Court(CR 95/32, Sands, p. 71).
lZ8See,for example, the phraseology of Principle 21 of the Stockholm Declaration and
Principle 2 of the Rio Declaration, referring to the duties of States to prevent damage to
the environment of other States.national de l'environnement et il n'est pas étonnant que les principes de

base axéssurla survie de la civilisation, voire de l'espèrehumaine, fassent
déjàpartie intégrante dece droit.
La mêmequestion est abordéesous un angle différentdans une étude
remarquable où il est dit ce qui suit:

((L'auto-annihilation de notre espècen'est pas un acte qu'on puisse
qualifierderationnel ou de raisonnable; pourtant c'estun acte que, sans
tout à fait nous l'avouerànous-mêmesn ,ous sommesprêts à commettre
dans certainescirconstances.Ne pouvant êtreun acte entièrementinten-
tionnel à moins que son auteur n'ait perdu l'esprit,il ne peut survenir
qu'à la suite de quelque inadvertance, dans le sillaged'une activité qui,

elle, est intentionnelle, par exemple la défense de notre patrie, ou la
défense de laliberté,ou la défensedu socialisme ou la défensede
n'importe quelle cause dans laquelle nous croyons. Ce n'est donc que
parce que nous ne mesurons pas l'ampleur et la gravitédu périlque
nous nous comportons comme nous le faisons. Nous ne pouvons agir
ainsi que sinous ne voyonspas bien où nous conduisent nos actions. Si
nous prenions consciencede l'ampleur du dangeret reconnaissionssans

détouret sansréserve quetout emploidel'armenucléairerisque depro-
voquer un holocauste dont l'issuepourrait être la disparition de toute
vie humaine, nous verrions alors l'annihilation comme une chose non
seulement impensable maisinfaisable. » 126

Les principes du droit de l'environnement ne tirent pas leur validitéde
dispositions conventionnelles. Ils relèvent du droit international coutu-
mier. Ils sont l'une des conditions sinequa non de la survie de l'humanité.
Qu'ils fassentpartie intégrante du droit international coutumier, I'acti-
vitéinternationale en apporte la preuve concrète dans divers contextes.

C'est ainsi que, dans sa résolution 687 de 1991,le Conseil de sécuritéa
déclaréque l'Iraq était ((responsable en vertu du droit international ...
[des] atteintes à l'environnement» résultant de son invasion illicite du
Koweït. Cette responsabiliténe découlaitpas d'un traité car l'Iraq n'était
partie ni à la convention de 1977sur la modification de l'environnement
ni aux protocoles additionnels de 1977 ni à aucun instrument traitant
expressémentde la question. La responsabilité de l'Iraq, affirméepar le

Conseil de sécuritéen termes si dépourvus d'ambiguïté, étaitmanifeste-
ment une responsabilité fondéesur le droit international coutumier 127.
Les principes en question s'appliquent aussi bien en temps de guerre
qu'en temps de paix car ils procèdent d'obligations générales applicables
dans les deux situations 128.

Jonathan Schell, The Fate of the Earth, 1982,p. 186.
12'Une conclusion en ce sens a étéformuléepar les Iles Salomon au cours des au-
diences(CR 95/32, Sands, p. 71).
Iz8Voir, par exemple, la manière dont sont rédigésle principe 21 de la déclaration de
Stockholm et le principede la déclaration deRio relatifs aux devoirs des Etats en ma-
tièrede préventiondes dommagesà l'environnement d'autres Etats. The basic principle in this regardis speltout by Article 35 (3)of the 1977
Additional Protocol 1to the Geneva Convention in terms prohibiting

"methods or means of warfare which are intended, or may be
expected, to cause widespread, long-term and severe damage to the
natural environment".

Article 55 prohibits

"the use of methods or means of warfare which are intended or may
be expected to cause such damage to the natural environment and
thereby to prejudice the health or survival of the population".

The question is not whether nuclear weapons were or werenot intended
to be covered by these formulations. It is sufficient to read them as
statingundisputed principles ofcustomary international law. To consider
that these general principles are not explicit enough to cover nuclear

weapons, or that nuclear weapons were designedly left unmeiltioned and
are therefore not covered, or even that there was a clear understanding
that these provisions were not intended to cover nuclear weapons, is to
emphasize the incongruity of prohibiting lesser weapons of environmen-
ta1 damage, while leaving intact the infinitely greater agency of causing
the very damage which it was the rationale of the treaty to prevent.

If there are general duties arisingder customary international law, it
clearly matters not that the various environmental agreements do not
specifically refer to damage by nuclear weapons. The same principles
apply whether we deal with belching furnaces, leaking reactors or explo-
sive weapons. The mere circumstance that coal furnaces or reactors are
not specificallymentioned in environmental treaties cannot lead to the
conclusion that they are exempt from the incontrovertible and well-
established standards and principles laid down therein.

Another approach to the applicability of environmental law to the
matter before the Court is through the principle of good neighbourliness,
which is both impliedly and expressly written into the United Nations

Charter. This principle is one of the bases of modern international law,
which has seen the demise of the principle that sovereign States could
pursue their own interests in splendid isolation from each other. A world
order in which every sovereign State depends on the same global envi-
ronment generates a mutual interdependence which can only be imple-
mented by CO-operationand good neighbourliness.
The United Nations Charter spellsthis out as "the general principle of
good-neighbourliness, due account being taken of the interests and well-
being of the rest of the world, in social, economic, and commercial mat-
ters" (Art. 74). A course of action that can destroy the global environ-
ment willtake to its destruction not only the environment, but the social, Le principe de base en la matière est énoncéau paragraphe 3 de l'ar-
ticle 35 du protocole additionnel 1 de 1977 aux conventions de Genève
qui interdit:
((d'utiliser desméthodesou moyens de guerre qui sont conçus pour

causer, ou dont on peut attendre qu'ils causeront, des dommages
étendus,durables et graves à l'environnement naturel)).
L'article 55, quantà lui, interdit:

((d'utiliserdes méthodesou des moyens de guerre conçus pour cau-
ser ou dont peut attendre qu'ils causent de tels dommages à I'envi-
ronnement naturel, compromettant de ce fait la santéou la survie de
la population ».

La question n'estpas de savoir si l'on a voulu ou non viser les armes
nucléaires.Il suffit de voir dans ces dispositions des énoncés de principes
incontestésdu droit international coutumier. Soutenir que les principes
généraux ainsi énoncé nessont pas assezexplicitespour pouvoir êtreconsi-
dérés comme applicablea sux armes nucléairesou que les armes nucléaires
ont été délibérémp eatséessous silenceet ne sont donc pas couvertes ou
mêmequ'ilétaitclairemententendu que lesarmes nucléairesn'entraient pas
dans le champ des dispositions en cause, c'estmettre en reliefl'incongruité
d'une thèsequi reconnaît comme interdites les armes présentantune noci-
vitémoindre pour l'environnement maislaisse intact un moyen infiniment
plus puissant de causerles dommages que le traité apour but de prévenir.
Dèslors qu'existent desobligations généraled sécoulantdu droit interna-

tional coutumier, il importe peu que lesdivers accordssur l'environnement
contiennent ou non une mention expresse des dommages causés par les
armes nucléaires.Les mêmesprincipes s'appliquent que l'on soit en pré-
sencede hauts fourneaux qui émettentdes fumées, de réacteurp srésentant
des fuites ou d'engins explosifs.On ne saurait déduiredu fait que leshauts
fourneaux et lesréacteursne sont pas expressément désigné dsns lestraités
sur l'environnement qu'ilssont soustraits au champ d'application des
normes et principes indiscutableset bien établis énoncé dsans ces traités.
La question de l'applicabilitédu droit de l'environnement dans le pré-
sent contexte peut aussi êtreabordéesous l'angledu principe du bon voi-
sinage qui est à la fois implicitement et expressémentconsacrédans la
Charte des Nations Unies. Ce principe est l'une des bases du droit inter-
national moderne, qui a vu l'échecd'un systèmeoù chaque Etat souverain
pouvait s'employer à défendresesintérêtd sansun splendideisolementpar

rapport aux autres Etats. Un ordre mondial dans lequel tous les Etats
souverains sont tributaires du mêmeenvironnement a pour corollaire une
interdépendance mutuelle quiexige coopérationet bon voisinage.
La Charte des Nations Unies fait mention du ((principegénérad l u bon
voisinage dans le domaine social, économique et commercial, compte
tenu des intérêtset de la prospéritédu reste du monde» (art. 74). Un
choix qui peut conduire à la destruction de l'environnement planétaire
sera fatal non seulement àl'environnement mais aussiaux intérêtd sans leeconomic and commercial interests that cannot exist apart from that
environment. The Charter's express recognition of such a general duty of
good neighbourliness makes this an essential part of international law.

This Court, from the very commencement of its jurisprudence, has
supported this principle by spelling out the duty of every State not to
"allow knowingly its territory to be used for acts contrary to the rights of
other States" (Corfu Channel,I.C.J. Reports 1949, p. 22).
The question of State responsibility in regard to the environment is
dealt with more specificallyin my dissenting opinion on the WHO request

(I.C.J. Reports 1996, pp. 139-143),and that discussion must be regarded
as supplementary to the discussion of environmental considerations in
this opinion. As therein pointed out, damage to the environment caused
by nuclear weapons is a breach of State obligation, and this adds another
dimension to the illegality of the use or threat of use of nuclear weapons.

(g) Human rights law 129

This opinion has dealt in Section 111.3with the ways in which the
development of human rights in the post-war years has made an impact
on "considerations of humanity" and "dictates of public conscience".

Concentrating attention more specificallyon the rights spelt out in the
Universal Declaration of Human Rights, it is possible to identify the
right to dignity (Preamble and Art. l), the right to life, the right to bodily
security (Art. 3), the right to medical care (Art. 25 (l)), the right to mar-
riage and procreation (Art. 16 (l)), the protection of motherhood and

childhood (Art. 25 (2)),and the right to cultural life (Art. 27 (l)), as basic
human rights which are endangered by nuclear weapons.
It is part of established human rights law doctrine that certain rights
are non-derogable in any circumstances. The right to life is one of them.
It is one of the rights which constitute the irreducible core of human
rights.
The preamble to the Declaration speaks of recognition of the inherent
dignity of al1members of the human family as the foundation of free-
dom, justice and peace in the world. Article 1 follows this up with the
specificaverment that "Al1human beings are born free and equal in dig-
nity and rights." Article 6 States that everyone has the right to recogni-
tion everywhere as a person before the law. The International Covenant

on Civil and Political Rights made this right more explicit and imposed
on States the affirmative obligation of protecting it by law. Article 6 (1)

Iz9See, also, Section 111.6below. MENACE OU EMPLOID'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISS.WEERAMANTRY) 506

domaine social, économiqueet commercial qui dépendent étroitement de
cet environnement. En reconnaissant expressément l'existenced'un devoir
généralde bon voisinage, la Charte fait de ce devoir un élément essentiel
du droit international.
La Cour a, dès le début de ses activités,appuyéce principe en affir-
mant le devoir de tout Etat de ne pas ((laisser utiliser son territoire aux
fins d'actes contraires aux droits des autresEtats» (Détroitde Corfou,
C.I.J. Recueil 1949, p. 22).
La question de la responsabilitédes Etatsà l'égardde l'environnement
est analysée plus en détail dans mon opinion dissidente relative à la

demande d'avisconsultatif de l'organisation mondiale de la Santé (C.I.J.
Recueil 1996, p. 139-143)et cette analyse doit êtreconsidéréecomme un
complément à l'examen desproblèmes d'environnement contenu dans la
présenteopinion. Comme je l'ai indiquédans cette opinion dissidente, le
dommage causé à l'environnement par les armes nucléaires estla consé-
quence de la violation d'une obligation incombant àl'Etat, ce qui ajoute
une dimension de plus à la question de l'illicéitde l'emploi ou de la
menace d'emploi desarmes nucléaires.

g) Droit relatif aux droits del'homme'29

Dans la présente opinion, j'ai évoqué à la section III, paragraphe 6,
l'influence qu'a eue le développement des droits de l'homme dans la
période d'après-guerre surles notions de ((considérationsd'humanité))et
d'«exigences de la conscience publique ».
Une analyse plus détaillée du contenu de la Déclarationuniverselle des
droits de l'homme conduit à ranger parmi les droits fondamentaux de
l'homme auxquelsles armes nucléairesportent atteinte le droità la dignité
(préambuleet article premier), le droit la vie, ledroit de l'individà la

sûretéde sa personne (art. 3),le droit aux soins médicaux(art. 25, par.e
droit de semarier et deprocréer(art.6,par. l), la protection de lamaternité
et de l'enfance(art. 25, par. 2) et le droit vie culturelle(art. 27, par. 1).
Selon la doctrine établieen matière de droits de l'homme, il n'est pas
possible de déroger à certains droits en aucune circonstance, notamment
au droit à la vie, qui fait partie du noyau irréductible des droits de
l'homme.
Le préambule de la Déclaration affirme que la reconnaissance de la
dignité inhérente detous les membres de la famille humaine constitue le
fondement de la liberté,de lajustice et de la paix dans le monde. L'article
premier proclame que: «Tous les êtres humainsnaissent libres et égaux

en dignitéet en droits. L'article 6 dispose que chacun a droià la recon-
naissance en tous lieux de sa personnalité juridique. Le pacte internatio-
nal relatif aux droits civilset politiques précisece droit et oblige les Etats
à faire en sorte qu'il soitprotégépar la loi. Le paragraphe 1de l'article 6

Iz9Voir aussi ci-dessus la section III, paragraphe 6states, "Every human being has the inherent right to life. This right shall
be protected by law." States parties to the Covenant expressly assumed
the responsibility to implement the provisions of the Covenant.
The European Convention for the Protection of Human Rights and
Fundamental Freedoms (1950, Art. 2) and the American Convention of
Human Rights (1969,Art. 4) likewiseconfirm the right to life. It is one of
the non-derogable rights and an integral part of the irreducible core of

human rights.
It has been argued that the right to lifeis not an absolute right and that
the taking of lifein armed hostilities is a necessary exception to this prin-
ciple.However, when a weapon has the potential to kill between one mil-
lion and one billion people, as WHO has told the Court, human life
becomes reduced to a levelof worthlessness that totally belies human dig-
nity as understood in any culture. Such a deliberate action by an State is,
in any circumstanceswhatsoever, incompatible with a recognition by it of
that respect for basic human dignity on which world peace depends, and

respect for which is assumed on the part of al1 Member States of the
United Nations.
This is not merely a provision of the Universal Declaration on Human
Rights and other human rights instruments, but is fundamental Charter
law as enshrined in the very preamble to the United Nations Charter, for
one of the ends to which the United Nations is dedicated is "to reaffirm
faith in fundamental human rights, in the dignity and wovthof the human
person" (emphasis added). No weapon ever invented in the long history
of man's inhumanity to man has so negatived the dignity and worth of
the human person as has the nuclear bomb.

Reference should also be made to the General Comment of the United
Nations Human Rights Committee entitled "The Right to Life and
Nuclear Weapons" I3Owhich endorsed the view ofthe General Assembly
that the right to life is especiallypertinent to nucleareaponsI3'. Stating
that nuclear weapons are among the greatest threats to life and the right
to life, it carried its view of the conflict between nuclear weapons and
international law so far as to propose that their use should be recognized
as crimes against humanity.
Al1 of these human rights follow from one central right - a right

described by René Cassin as "the rightof human beings to exist" (CR 951
32,p. 64, including footnote 20).This is the foundation of the elaborate
structure of human rights that has been painstakingly built by the world
cornmunity in the post-war years.
Any endorsement of the legality of the use, in any circumstances what

Gen. C 14123,reproduced in M. Nowak, United Nations Covenant on Civil and
Political Rights, 1983,p. 861.
13'General Assembly resolution 38/75, "Condemnation of Nuclear War", first opera-
tive paragraph.est conçu comme suit: «Le droit à la vie est inhérent à la personne
humaine. Cedroit doit être protégé par la loi.Les Etats parties au pacte
se sont expressément engagés à donner effet aux dispositions du pacte.

La convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des
libertésfondamentales (1950, art. 2) et la convention américaine relative
aux droits de l'homme (1969, art. 4) proclament égalementle droit à la
vie. C'est l'un desdroits auxquels il n'est pas possible de déroger et qui
fait partie intégrantedu noyau irréductibledes droits de l'homme.
On a soutenu que le droit à la vie n'est pas un droit absolu et que la
privation de la vie durant des hostilités estune exception nécessaire ce
principe. Mais lorsqu'une arme peut tuer entre un million et un milliard

de personnes, comme l'Organisation mondiale de la Santél'a indiqué à la
Cour, la vie humaine se trouve dévaloriséeau point qu'il n'ya plus de
dignitéhumaine au sens où on l'entend dans toutes les cultures. Un Etat
qui entreprend délibérémenten quelque circonstance que ce soit une
action aboutissant à ce résultat porte atteinte au respect de la dignité
fondamentale de la personne humaine dont dépendla paix du monde et
auquel sont tenus tous les Etats Membres des Nations Unies.
Je ne me réfèrepas seulement ici à des dispositions de la Déclaration

universelle des droits de l'homme ou d'autres instruments relatifs aux
droits de l'homme, mais à un aspect fondamental du droit de la Charte
dont le préambule indiqueque les peuples des Nations Unies sont notam-
ment résolus à ((proclamer à nouveau [leur]foi dans les droitsfondamen-
taux de l'homme, dans la dignit et la valeurde la personne humaine))
(lesitaliques sont de moi). Jamais au coursd'une longue histoire marquée
par l'inhumanité de l'hommeenvers l'homme n'a été inventéeune arme
qui est si contraire, comme c'est le cas dearne nucléaire,à la dignitéet

à la valeur de la personne humaine.
Il faut aussi mentionner l'observation généraledu Comitédes droits de
l'homme des Nations Unies intitulée «Le droit à la vie et lesarmes
nucléaires))I3O,qui fait sienne l'opinion de l'Assemblée générale selon
laquelle le droità la vie est particulièrement pertinent dans le cas des
armes nucléairesI3l. Considérant que les armes nucléaires constituent
l'une des plus graves menaces à la vie et au droià la vie, le Comité avu
un tel conflit entre les armes nucléaires et ledroit international qu'il a

proposéde qualifier l'emploi de ces armes de crime contre l'humanité.
Tous ces droits de l'homme procèdent d'un droit fondamental -
décritpar RenéCassin comme «le droit des êtres humains à l'existence))
(CR 95132,p. 64,y compris la note 20). C'est sur cette base que le système
des droits de l'homme dans toute sa complexité a été laborieusement
construit par la communautémondiale pendant la périoded'aprèsguerre.
Reconnaître la licéité, enquelque circonstance que ce soit, de l'emploi

130Gen. C 14123reproduit dans M. Nowak, United Nations Covenant on Civil and
Political Riglzts, 1983,p. 861.
I3lRésolution 38/75 de l'Assemblée généntitulée ((Condamnation de la guerre
nucléaire»,paragraphe 1 du dispositif.soever, of a weapon which can snuff out lifeby the million would tear out
the foundations beneath this elaborate structure which represents one of
the greatest juristic achievements of this century. That structure, built
upon one of the noblest and most essential concepts known to the law,
cannot theoretically be maintained if international law allows this right
to any State. It could well be written off the books.

II. Juristic Opinion
It would be correct to Saythat the bulk ofjuristic opinion is of the view

that nuclear weapons offend existing principles of humanitarian law.
Juristic opinion is an important source of international law and there is
no room in this opinion for a citation of al1the authorities. It will suffice,
for present purposes, to refer to a resolution already noted in an earlier part
of this discussion - the resolution adopted by the Institute of Interna-
tional Law in 1969, at its Edinburgh Session, at a time when juristic
writing on nuclear arms had not reached its present level of intensity and
was in fact quite scarce.
The finding of the Institute, already cited (see Section 111.10 (b)
above), that existing international law prohibits, in particular, the use of
weapons whose destructive effect "is so great that it cannot be limited to
specificmilitary objectives or is otherwise uncontrollable .. .,as well as of

'blind' ~eapons"'~~,was adopted by 60 votes, with one against and two
abstentions. Those voting in favour included Charles De Visscher, Lord
McNair, Roberto Ago, Suzanne Bastid, Erik Castrén, Sir Gerald Fitz-
maurice, Wilfred Jenks, Sir Robert Jennings, Charles Rousseau, Grigory
Tunkin, Sir Humphrey Waldock, JoséMaria Ruda, Oscar Schachter and
Kotaro Tanaka, to select a few from an illustrious list of the most emi-
nent international lawyers of the time.

12. The 1925 Geneva Gus Protocol

Quite independently of the various general principles that have been
invoked in the discussion thus far, there is a conventional basis on which
it has been argued that nuclear weapons are illegal. It is for this reason
that 1have voted against paragraph 2B of the dispositifwhich holds that
there is not, in conventional international law, a comprehensive and
universal prohibition of the threat or use of nuclear weapons as such.

1 refer, in particular, to the Protocol for the Prohibition of the Use in
War of Asphyxiating, Poisonous or Other Gases and of Bacteriological
Methods of Warfare, 17June 1925(commonly referred to as the Geneva
Gas Protocol). It is so comprehensive in its prohibition that, in my view,
it clearly covers nuclear weapons, which thus become the subject of con-
ventional prohibition. There is considerable scholarly opinion favouring

132Annuaire de L'Institutde droit international, 1969,No. 53, Vol. II, p. 377, para. 7.

286d'une arme qui peut faucher des vies par millions, ce serait détruire les
bases sur lesquellesrepose un systèmedélicatqui représente l'unedes réa-
lisationsjuridiques les plus remarquables du XXesiècle.Ce système,bâti
sur l'une des valeurs les plus essentielles et les plus dignes de respect que
connaisse le droit, ne peut pas survivre sous une forme théorique - ce
qui serait le cas si ledroit international devait reconnaître une telle licéité.

Autant y renoncer purement et simplement.

II. L'opinio juris

On peut dire que l'opiniojuvis admet pour l'essentiel que les armes
nucléairesportent atteinte aux principes existants du droit humanitaire.
L'opinio juvisest une source importante du droit international et il est
impossible de citer dans le cadre de la présenteopinion toutes les sources
faisant autorité susceptibles d'être mentionnées. Jm ee bornerai àme réfé-
rer a une résolution évoquée pluh saut - la résolutionadoptéepar 1'Ins-
titut de droit international en 1969àsa sessiond'Edimbourg, a une époque
où la doctrine s'intéressaitbeaucoup moins qu'aujourd'hui à la question
des armes nucléaires et s'étaietn fait peu expriméesur la question.

La conclusion de l'Institut (voir ci-dessusla section III, paragraphe 10,
lettre6)) suivant laquelle le droit international existant interdit en parti-
culier l'emploid'armesdont l'effetdestructeur «est trop importantpour pou-
voirêtrelimité àdesobjectifsmilitairesdéterminé osu dont l'effetestincontrô-
lable...ainsi quedesarmes aveugles)) 132a étéadoptéepar60voixcontre une,
avec2abstentions.CharlesDe Visscher,lord McNair, Roberto Ago, Suzanne
Bastid, Erik Castrén,sir Gerald Fitzmaurice, Wilfred Jenks, sir Robert Jen-
nings, Charles Rousseau, Grigory Tunkin, sir Humphrey Waldock, José
Maria Ruda, Oscar Schachteret Kotaro Tanaka, pour ne citer que quelques-

uns des noms figurant dans une liste prestigieusedes plus éminents spécia-
listesdu droit international de l'époque,ont votépour cette conclusion.

12. Le pvotocole deGenève de 1925sur lesgaz

Abstraction faite des divers principes générauxqui ont étéinvoqués à
ce point de la présente analyse, on peut s'appuyer sur une base conven-
tionnelle pour soutenir que les armes nucléairessont illicites- ce qui m'a
amené à voter contre le paragraphe 2 B du dispositif où il est déclaréque
le droit international conventionnel ne comporte pas d'interdiction com-
plète et universelle de la menace ou de l'emploi desarmes nucléairesen
tant que telles. Je pense en particulier au protocole concernantla prohibi-
tion d'emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de

moyens bactériologiques, en date du 17juin 1925(communémentdésigné
sous le nom de protocole de Genève sur les gaz). La prohibition que
contient cet instrument est formuléeen termes si générauxqu'elle s'étend
aux armes nucléaires, qui sont dès lors couvertes par une interdiction

132Annuaire de l'Institut de droit international, 1969,no 53, vol. II, p. 360, par. 7.

286this view 133.Moreover, if radiation is a poison, it is caught up also by the
prohibition on poison weapons contained in Article 23 (a) of the Hague
Regulations. The rule against poisonous weapons has indeed been

described as "The most time-honoured special prohibition on the subject
of weapons and instruments of war." i34It is a rule recognized from the
remotest historical periods and in a wide spread of cultures.

The Geneva Gas Protocol was drafted in very wide terms. It prohibits

"the use in war of asphyxiating, poisonous, or other gases and of al1
analogous liquids, matevials or devices" (emphasis added).

If this Protocol is to be applicableto nuclear weapons, it must be shown:

(1) that radiation ispoisonous; and
(2) that it involves the contact of matevials with the human body.

If both these questions are answered in the affirmative, the damage to
the human body caused by radiation would be covered by the terms of
the Protocol.

(i) Is radiationpoisonous ?
Poison is generally definedas a substance which, of its own force, dam-

ages health on contact with or absorption by the body i35.The discussion
of the effects of radiation in Section 11.3 (f) above can leave one in no
doubt that the effects of radiation arethat it destroys life or damages the
functions of the organs and tissues.

Schwarzenberger points out that if introduced into the body in suffi-

133See Burns H. Weston, op. cit., p. 241; E. Castrén, The Present Law of War and
Neutrality, 1954,p. 207; G. Schwarzenberger, The Legality of Nuclear Weapons, 1958,
pp. 37-38; N. Singh, Nuclear Weapons and International Law, 1959,pp. 162-166;Falk,
Meyrowitz and Sanderson, "Nuclear Weapons and International Law", Indian Journal of
International Law, 1980,Vol. 20, p. 563; Julius Stone, Legal Controls of International
Conjict, 1954,p. 556; Spaight, Air Poiver and War Rights, 3rd ed., 1947,pp. 275-276;
H. Lauterpacht (ed.), in OppenheimS International Law, Vol. 2, 7th ed., 1952, p. 348.
134Singh and McWhinney, op. cit., p. 120.
135The McGraiv-Hill Dictionary of Scientijic and Teclznical Terms defines poison as

"A substance that in relativelyll doses has an action that either destroys lifeor
impairs seriously the functions of organs and tissues" (2nd ed., 1978,p. 1237).
The definition of poison in the Oxford English Dictionary is that poison is:

"Any substance which, when introduced to or absorbed by a living organism,
destroys life or injures health, irrespective of mechanical means or direct thermal
changes. Particularly applied to a substance capable of destroying life by rapid
action, and when taken in a small quantity. Fig. phr. to hate like poison.
But the more scientificuse is recognized in the phrase slow poison, indicating the
accumulative effect of a deleterious drug or agent taken for a length of time."
(Vol. XII, p. 2, 1989ed.)conventionnelle. De nombreux auteurs souscrivent à cette opinion '33.AU
surplus, si lesrayonnements sont toxiques, ils tombent sous le coup de la

règleinterdisant les armes toxiques contenue à l'article 23 a) du règle-
ment deLa Haye, règlequi a été décritceomme énonçant«la prohibition
spécifiquela plus solidement établie quiexiste dans le domaine des armes
et instruments de guerre)) 134et qui est admise depuis des temps immémo-
riaux dans bon nombre de cultures.

Le protocole de Genève sur les gaz est rédigé en termes trèg sénéraux.
Il interdit l'emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires
«ainsi que de tous liquides, matièresouprocédés analogues»(lesitaliques
sont de moi).
Pour queceprotocole soit applicableaux armes nucléaires, il faut établi:

1) que les rayonnements sont toxiques; et
2) qu'ils mettent une matière en contact avec le corps humain.

Si on parvient à établirqu'il faut répondrepar l'affirmative à ces deux
questions, il en découlerait queles effets nocifs des rayonnements sur le
corps humain sont viséspar les termes du protocole.

i) Les rayonnements sont-ils toxiques?

Un produit toxique est généralementdéfini comme une substance
capable, par elle-même,de nuire à la santépar contact avec le corps ou
par absorpti~n'~~.La description des effets des rayonnements figurant
ci-dessus, à la section II, paragraphe 3, lettre f), montre clairement que
les rayonnements ont pour effet de détruirela vie ou de perturber grave-

ment les fonctions des organes et des tissus.
Schwarzenberger souligne qu'à partir d'une certaine dose l'irradiation

133Voir Burns H. Weston, op. cit., p. 241; E. Castrén, The Present Law of War and
Neutrality, 1954, p. 207; G. Schwarzenberger, The Legality of Nuclear Weapons, 1958,
p. 37-38; N. Singh, Nuclear Weapons and International Law, 1959, p. 162-166; Falk,
Meyrowitz et Sanderson,((Nuclear Weapons and International Law», Indian Journal of
International Law, 1980, vol. 20, p. 563; Julius Stone, Legal Controls of International
Conjict, 1954, p. 556; Spaight, Air Power and War Rights, 3e éd., 1947, p. 275-276;
H. Lauterpacht (dir. pub].), dans Oppenheim's International Law, vol. 2, 7' éd., 1952,
p. 348.
134Singh et McWhinney, op. cit., p. 120.
135Le McGraw-Hill Dictionary of ScientiJicand Technical Terms contient la définition
suivante du produit toxique:
«Toute substance capable à doses relativement faibles de détruire la vie ou de
perturber gravement les fonctions des organes et des tissus.))1978,p. 1237.)

La définitiondel'Oxford English Dictionary se lit comme suit:
«Toute substance qui, introduite dans un organisme vivant ou absorbéepar un tel
organisme, détruitla vie ou altèrela santé, indépendammentde moyens mécaniques
ou de modifications thermiques directes. Leterme s'emploienotamment pour désigner
une substance capable de détruirela vie rapidement etibles doses...
Dans l'usage scientifique, toutefois, on parle aussi d'«intoxication lente)) pour
désignerl'effet cumulatif d'une drogue ou d'un agent nuisible absorbé pendant un
certain temps.)(Vol. XII, p. 2, éditionde 1989.)ciently large doses, radiation produces symptoms indistinguishable from
poisoning 136.
Once it is established that radioactive radiation is a poison, it is also
covered by the prohibition on poison weapons contained in the Hague
Regulations already referred to. It poisons, indeed in a more insidious
way than poison gas, for its effects include the transmission of genetic
disorders for generations.

The NATO countries have themselves accepted that poisoning is an
effect of nuclear weapons, for Annex II to the Protocol on Arms Control
of the Paris Agreements of 23 October 1954, on the accession of the
Republic of Germany to the North Atlantic Treaty, defines a nuclear
weapon as any weapon :

"designed to contain or utilise, nuclear fuel or radioactive isotopes
and which, by explosion or other uncontrolled nuclear transforma-
tion . . is capable of mass destruction, mass injury or masspoison-
ing" (emphasis added).

(ii) Does radiation involve contact of the body with "materials"?

The definitions of poison speak of it in terms of its being a "sub-
stance". The Geneva Gas Protocol speaks of "materials" which are
poisonous. It is necessary therefore to know whether radiation is a
"substance" or a "material", or merely a ray such as a light ray which,
when it impinges on any object, does not necessarily bring a substance or

material in contact with that object. If it is the former, it would satisfy
the requirements of the Geneva Gas Protocol.

The definition of "radioactive" in the Shovter Oxford Dictionary is as
follows: "Capable (as radium) of emitting spontaneously rays consisting
of material particles travelling at high velocities." '37

Scientific discussi~ns'~~draw a distinction between the spectrum of
electromagnetic radiations that have zero mass when (theoretically) at
rest, such as radio waves, microwaves, infrared rays, visible light, ultra-
violet rays, x-rays, and gamma rays, and the type of radiation that
includes such particles as electrons, protons and neutrons which have

136The Legality of Nuclear Weapons, 1958,p. 35. He remarks very severelythat they
"inflict death orrious damage to health in, as Gentili would have put it, a manner more
befitting demonsthan civilised human beings". The reference is to Gentili's observation
that, though war is struggle between men, the use ofh means as poison makes it "a
struggle of demons" (De Jure Belli Libri Tres (1612), Book II, Chap. VI, p. 161, trans.
J. C. Rolfe).

13'3rd ed., 1987, Vol. II, p. 1738; emphasis added.
13*SeeEncyclopaedia BritannicaMacropaedia,Vol. 26,pp. 471 et seq. on "Radiation".

288du corps s'accompagne de symptômes en tous points identiques à ceux
que provoquent les produits toxiques I3'j.
Dès lors queles radiations radioactives sont toxiques, elles sont égale-
ment couvertes par l'interdiction des armes toxiques contenue dans le

règlementde La Haye dont il a déjà été questionE . lles agissent en réalité
de manière plus insidieuse que les gaz toxiques car elles provoquent des
troubles génétiquesqui durent pendant des générations.
Lespays membresde l'OTAN ont eux-mêmer seconnu leseffetstoxiques
des armes nucléairespuisque, à l'occasion de l'adhésion de la République
fédérale d'Allemagnaeu traitédel'AtlantiqueNord, ilsont, dans l'annexeII
au protocole sur le contrôle des armes relatif aux accords de Paris du

23 octobre 1954,définiune arme nucléairecomme étant toute arme:
ctconçuepour contenir ou utiliser uncombustible nucléaire oudes iso-
topesradio-actifset qui,par explosionouautre transformation nucléaire

non contrôlée ...est capable de destruction massive,dommages géné-
ralisésou empoisonnementsmassifs» (lesitaliques sont de moi).

ii) Les rayonnements mettent-ils des «matières» en contact avec le corps
humain ?

Les définitionsdéjàcitéesemploient le terme «substance». Le proto-
cole de Genève sur les gaz fait mention de «matières» ayant des pro-

priétéstoxiques. Il faut donc déterminersi une radiation est une «subs-
tance)) ou une «matière» ou simplement un rayon comparable à un
rayon de lumière qui, lorsqu'il touche un objet, ne met pas nécessaire-
ment une substance ou une «matière» en contact avec cet objet. Dans le
premier cas, les conditions requises pour que le protocole de Genève soit
applicable seraient remplies.

La définition que donne le Shorter 0.xford Dictionary du terme
«radioactif» [«radioactives »] est la suivante : «capable (comme le
radium) d'émettrespontanémentdesrayons composésdeparticules maté-
riellesse déplaçant à trèsgrande vitesse»137.
Les scientifiques138 font une distinction entre le spectre des radiations
électromagnétiquesayant une masse zéro à l'étatstationnaire (théorique)

(ondes radioélectriques, micro-ondes, rayons infrarouges, lumière visible,
rayons ultraviolets, rayons X et rayons gamma) et les radiations qui font
intervenir des particules ayant une masse (électrons,protons et neutrons)

136The Legality of Nucleav Weapons, 1958, p. 35. L'auteur fait très pertinemment
observer que les rayonnements(tuent ou nuisent gravemeàtla santé dans des condi-
tions, aurait dit Gentili, plus dignes de démons qued'êtreshumains civilisés». Gentilia
en effet écritque bien que la guerre soit une lutte entre êtres humains, l'emploi de moyens
tels que le poison en fait une lutte de démonsure Belli Libri Tves (1612), livre II,
chap. VI, p. 161,trad. J. C. Rolfe [dont la traduction anglaise a sàrla version
française ci-dessus]).
138Voir Encyclopaedia Britannica Macropaedia, vol. 26, p. 471 et suiv., au mot
((Radiation.mass. When such forms of particulate matter travel at high velocities,
they are regarded as radiation.
The ionizing radiation caused by nuclear weapons is of the latter kind.
It consists inter alia of a stream of par tic le^'^c ^oming into contact with
the human body and causing damage to tissues. In other words, it is a
material substance that causes damage to the body and cannot fa11out-
side the prohibition of poisonous weapons laid down by the Geneva Gas

Protocol.

The question whether radiation is a "material" seems thus beyond
doubt. In the words of Schwarzenberger:

"the words 'al1analogous liquids, materials or devices'are so com-
prehensively phrased as to include any weapons of an analogous
character, irrespective of whether they were known or in use at the

time of the signature of the Protocol. If the radiation and fall-out
effectsof nuclear weapons can be likened to poison, al1the more can
they be likened to poison gas . . .140

Therehas been somediscussion inthe literature of the question whether
the material transmitted should be in gaseous form as the provision in
question deals with materials "analogous" to gases. It is to be noted in
the first place that the wording of the provision itself takes the poisons

out of the category of gases because it speaks also of analogous liquids,
rnaterials, and even devices. However, even in terms of gases, it is clear
that the distinction between solids, liquids and gases has never been
strictly applied in military terminology to the words "gas". As Singh and
McWhinney point out, in strict scientificlanguage, mustard gas is really
a liquid and chlorine is really a gas, but in military terminology both are

categorized as gas 141.
The case that nuclear weapons are covered by the Geneva Gas Proto-
col seemstherefore to be irrefutable. Further, if indeed radioactive radia-
tion constitutes a poison, the prohibition against it would be declaratory
of a universal customary law prohibition which would apply in any event
whether a State is party or not to the Geneva Protocol of 1925 142.
Yet another indication, available in terms of the Geneva Gas Protocol,

is that the word "devices" would presumably cover a nuclear bomb, irre-
spective of the question whether radiation falls within the description of
"analogous materials".

'39The definitions of radiation in the McGraw-Hill Dictionary of Physics and Math-
ematics (1978, p. 800)is "a stream of parti.l. or high energy photons, or a mixture
of these".
140Op. cit., p. 38.
14'Op. cit., p. 126.
142See, to this effect, Schwarzenberger, op. cit., pp. 37-38, in relation to chernical and
bacteriological weapons. MENACEOU EMPLOID'ARMES NUCLÉAIRES (OP.DISSW. EERAMANTR5 Y1)1

et qui naissent du déplacement à très grande vitesse des particules en
question.
Les rayonnements ionisants émis par les armes nucléaires appar-
tiennent au deuxième type. Ils consistent notamment en une émission
d'un flux de particules 139qui entrent en contact avec le corps humain et
altèrent les tissus. En d'autres termes, c'est une substance matériellequi

a des effets dommageables sur le corps et une telle substance entre néces-
sairement dans le champ de l'interdiction desarmes toxiques édictéepar
le protocole de Genèvesur les gaz.
Il est donc indiscutable que les rayonnements sont une matière. Comme
le dit Schwarzenberger :

((La formule «tous liquides, matières ou procédés analogues))est
conçue en termes si larges qu'elle englobe toutes les armes «ana-

logues ))qu'ellesfassent ou non partie de l'arsenal des armes connues
ou utilisées à l'époque dela signature du protocole. Si les rayonne-
ments et les retombées provoquéspar les armes nucléairespeuvent
êtreconsidéréscomme des substances toxiques, ils peuvent êtreassi-
milés à un gaz toxique ..» 140

Les spécialistesse sont demandé si la matière émisedevait être une
matière gazeuse, étant donnéque la disposition considéréevise les «ma-

tières)) analogues aux gaz. On notera à cet égard que le libellén'exige
pas que la toxicitéprovienne d'un gaz puisqu'il englobe les liquide msa-
tières et jusqu'aux procédésanalogues. Mais mêmesi l'on s'en tient
aux gaz, la terminologie militaire n'a, detoute évidence,jamais fait, pour
ce qui est des«gaz», de distinction stricte entre l'étatsolide, l'état liquide
et l'étatgazeux. Comme le soulignent Singh et McWhinney, l'ypérite (gaz
moutarde) est, en fait, d'un point de vue strictement scientifique, un

liquide, alors que le chlore est un gaz, mais dans la terminologie militaire
l'un etl'autre entrent dans la catégoriedes gaz14'.
Il nous paraît donc irréfutable queles armes nucléairessont viséespar
le protocole de Genève sur les gaz .Qui plus est, si les radiations radioac-
tives sont effectivement toxiques, leur prohibition relèverait d'une inter-
diction du droit coutumier universel et s'appliquerait à tout Etat, qu'il

soit ou non partie au protocole de Genève de 1925142.
Un élémens tupplémentairequimilite en faveur de l'applicabilité du pro-
tocolede Genèvesur lesgazest que lemot «procédé» sviseprobablement les
bombes nucléaires,ce qui rend sans pertinence la question de savoir si les
radiations entrent dans la catégoriedes ((matièresanalogues)).

139Le McGraiv-Hill Dictionaïy of Plzysics and Mathematics (1978, p. 800) définitle
rayonnement comme «une émissionde particule..ou de photonsà haute énergieou
d'une combinaison des deux
140Op. cit., p. 38.
14'Op cit., p. 126.
14'Voir, en ce sens, Schwarzenberger,op. cit., pà propos des armes chimiques
et bactériologiques. Nuclear weapons, being unknown at the time of the documents under
consideration, could not be more specifically described, but are covered
by the description and intent of the Protocol and the Hague Regulations.

It has been submitted by the United States that:

"This prohibition was not intended to apply, and has not been
applied, to weapons that are designed to kill or injure by other
means, even though they may create asphyxiating or poisonous
byproducts." (Written Statement, p. 25.)

If, in fact, radiation is a major by-product of a nuclear weapon - as
indeed it is - it is not clear on what jurisprudential principle an exemp-
tion can thus be claimed from the natural and foreseeable effects of the

use of the weapon. Such "by-products" are sometimes described as col-
lateral damage but, collateral or otherwise, they are a major consequence
of the bomb and cannot in law be taken to be unintended, well known as
they are.

Besides, such an argument involves the legally unacceptable contention
that if an actinvolves both legal and illegal consequences, the former jus-
tify or excuse the latter.

13. Avticle 23 (a) of the Hague Regulations

The foregoing discussion demonstrates that radiation is a poison.
Using the same line of reasoning, it follows that there is also a clear con-

travention of Article 23 (a) of the Hague Regulations which frames its
prohibition in unequivocal terms 143.NOextended discussion is called for
in this context, and it is well accepted that the categorical prohibition
against poisoning therein contained is one of the oldest and most widely
recognized laws of war. Since "the universally accepted practice of civi-
lised nations has regarded poison as banned", the prohibition contained
in Article 23 (a) has been considered as binding even on States not

parties to this conventional provision.

"Thus, apart from purely conventional law, the customary posi-
tion based on the general principles of law would also bar the use in
warfare of poisonous substances as not only barbarous, inhuman
and uncivilised, but also treacherous." 144

143See Singh and McWhinney, op. cit.pp. 127and 121.
144Ibid., p. 121.

290 Les armes nucléaires, puisqu'ellesétaient inconnues à l'époqueoù les
documents à l'examen ont étéélaborés,ne pouvaient pas être nommé-
ment désignéesmais elles sont couvertes par la lettre et par l'esprit du

protocole et du règlement de La Haye.
Les Etats-Unis d'Amériqueont fait valoir que:

((Cette interdiction n'était pas censées'appliquer et n'a pas été
appliquée aux armes conçues pour tuer ou blesser par d'autres
moyens, quand bien mêmeelles généreraientdes sous-produits
asphyxiants ou toxiques.)) (Exposéécrit, p.25.)

Si les radiations sont en fait l'un des principaux sous-produits générépsar
une arme nucléaire - et c'esteffectivementce qu'ellessont - il est difficile
de voir sur la base de quel principe doctrinal on peut prétendre qu'elles

ne font pas partie des conséquences naturelleset prévisiblesde l'utilisation
de l'arme. Ces «sous-produits» sont parfois désignés sousle nom de dom-
mages collatéraux,mais de quelque manière qu'on les désigneils consti-
tuent l'une des principales conséquences de la bombe etsont trop bien
connus pour pouvoir êtreconsidérés endroit comme non intentionnels.
Au surplus, la thèse considéréerepose sur l'argument juridiquement
inacceptable selon lequel un actecomporte des conséquences licites et des

conséquences illicites, les premières justifiantou excusant les secondes.

13. L'article 23 a) du règlement de La Haye

L'analyse qui précèdedémontre que les rayonnements sont toxiques.

Poursuivant le raisonnement, on est amené à la conclusion que l'emploi
des armes nucléaires aboutit également à une violation manifeste de
l'article 23a) du règlement de La Haye qui formule sans ambiguïté une
interdi~tion'~~.Ce point n'appelle pas de longs développementscar il est
bien établique l'interdiction catégoriquedes substances toxiques qui y est
contenue est une des lois de la guerre les plus anciennes et les plus large-
ment reconnues. Puisque «la pratique universellement acceptée des
nations civiliséesest de considérer les substances toxiques comme inter-

dites», la prohibition contenue à l'article 23 a) du règlementde La Haye
a été considéré comme ayant force obligatoire mêmepour les Etats qui
ne sont pas parties à cet instrument conventionnel:

«Ainsi donc, abstraction faite du droit purement conventionnel, la
coutume tellequ'ellesereflètedanslesprincipes généraud xu droit inter-
dirait également l'emploiàla guerre de substancestoxiques,parce qu'il
est barbare, inhumain et indigne d'une nation civiliséeet, par surcroît,
empreint de perfidie. 144

'44Zbid .,. cit., p. 121.y, ocit.,. 127et 121. IV. SELF-DEFENCE

Self-defence raises probably the most serious problems in this case.
The second sentence in paragraph 2E of the dispositif states that, in the
current state of international law and of the elements of fact at its dis-
posal, the Court cannot conclude definitivelywhether the threat or use of
nuclear weapons would be lawful or unlawful in an extreme circumstance
of self-defence, in which the very survival of a State would be at stake.
1have voted against this clause as 1am of the view that the threat or use
of nuclear weapons would not be lawful in any circumstances what-
soever, as it offends the fundamental principles of the jus in bello. This
conclusion isclear and follows inexorably from well-established principles

of international law.

If a nation is attacked, it is clearly entitlednder the United Nations
Charter to the right of self-defence. Once a nation thus enters into the
domain of thejus inbellu, the principles of humanitarian law apply to the
conduct of self-defence,just as they apply to the conduct of any other
aspect of military operations. We must hence examine what principles of
the jus in bellu apply to the use of nuclear weapons in self-defence.

The first point to be noted is that the use oforce in self-defence (which
is an undoubted right) is one thing and the use of nuclear weaponsin self-
defence is another. The permission granted by international law for the
firstdoes not embrace the second, which is subject to other governing
principles as well.
Al1 of the seven principles of humanitarian law discussed in this
opinion apply to the use of nuclear weapons in self-defence,just as they
apply to their use in any aspect of war. Principles relating to unnecessary
suffering, proportionality, discrimination, non-belligerent States, geno-

cide, environmental damage and human rights would al1be violated, no
less in self-defence than in an open act of aggression. The jus in bello
covers al1use of force, whatever the reasons for resort to force. There can
be no exceptions, without violating the essence of its principles.

The State subjected to the first attack could be expected to respond in
kind. After the devastation caused by a first attack, especially if it be a
nuclear attack, there will be a tendency to respond with any nuclear fire-
power that is available.
Robert McNamara, in dealing with the response to initial strikes,
states:

"But under such circumstances, leaders on both sides would be
under unimaginable pressure to avenge their losses and secure the
interests being challenged. And each would fear that the opponent
might launch a larger attack at any moment. Moreover, they would
both be operating with only partial information because of the dis- MENACEOU EMPLOID'ARMES NUCLÉAIRES (OP.DISSW. EERAMANTRY) 513

IV. LA LÉGITIME DÉFENSE

C'est probablement la légitimedéfense qui soulève les problèmes les
plus délicats dans la présente affaire. La deuxième phrase du para-
graphe 2 E du dispositif indique qu'au vu de l'état actueldu droit inter-
national, ainsi que des éléments de faitdont elle dispose, la Cour ne peut
conclure de façon définitiveque la menace ou l'emploi d'armes nucléaires
serait licite ou illicite dans une circonstance extrêmede légitimedéfense
dans laquelle la survie mêmed'un Etat serait en cause. J'ai votécontre
cette phrase parce que je ne considère comme licites en aucune circons-
tance la menace d'emploi ou l'emploi d'armes nucléairesqui sont l'un et
l'autre contraires aux principes fondamentaux du jus inbello. Cette

conclusion est claire et découle inéluctablement de principes bien établis
du droit international.
Siune nation est attaquée,elle a sans aucun doute le droit, reconnu par
la Charte des Nations Unies, de se défendre. Elle entre alors dans le
domaine du jus inbello, régipar les principes du droit humanitaire qui
s'appliquent dans le cadre de la légitimedéfense commedans le cadre de
n'importe quelle opération militaire.Il nous faut donc déterminer quels
principes du jus inbello régissent l'emploi des armes nucléairesen étatde
légitimedéfense.
Le premier point àrelever est qu'ily a une différenceentre employer la
fovce en état de légitime défense(ce qui est un droit incontestable) et

employer des armes nucléaivesen étatde légitimedéfense. L'autorisation
donnée par le droit international pour le premier cas ne vaut pas pour le
second, qui est, au demeurant, régipar d'autres principes.
Les sept principes du droit humanitaire examinés dans la présente
opinion s'appliquent à l'emploi des armes nucléaires aussibien en étatde
légitimedéfenseque dans le cadre de n'importe quelle autre opération de
guerre. Les principes touchant les maux superflus, la proportionnalité, la
distinction, les Etats non belligérants,le génocide,les dommagesàl'envi-
ronnement et les droits de l'homme seraient tous violés,que l'hypothèse
soit cellede la légitimedéfenseou celled'une agression pure et simple. Le
jus inbello couvre tous les emplois de la force quels qu'en soient les
motifs. Toute exception serait contraire l'essence même de sesprincipes.

L'Etat initialement attaqué userait vraisemblablement, en riposte, des
mêmesmoyens. En présence des dévastations causéespar la première
attaque, surtout s'il s'agit d'une attaque nucléaire, la tentation sera
grande de recourir à n'importe quel engin nucléaire disponible.
Robert McNamara écritce qui suit à propos de la réactionà une pre-
mièrefrappe :

((Mais en pareilles circonstances, les dirigeants de part et d'autre
seraient irrésistiblement poussés venger leur pays pour les pertes
subies età assurer la préservation des intérêtsen cause. Et chacun
craindrait que l'adversaire ne se préparelancer une attaque de plus
grande envergure àtout moment. Ils seraient de surcroît mal infor- ruption to communications caused by the chaos on the battlefield (to
say nothing of possible strikes against communication facilities).
Under such conditions, it is highly likely that rather than surrender,
each side would launch a larger attack, hoping that this step would
bring the action to a halt by causing the opponent to ~apitulate."'~~

With such a response, the clock would accelerate towards global catas-
trophe, for a counter-response would be invited and, indeed, could be
automatically triggered off.
It is necessary to reiterate here the undoubted right of the State that is
attacked to use al1the weaponry available to it for the purpose of repuls-
ing the aggressor. Yet this principle holds only so long as such weapons

do not violate thefundamental rules of warfare embodied in those rules.
Within these constraints, and for the purpose of repulsing the enemy, the
full military power of the State that is attacked can be unleashed upon
the aggressor. While this is incontrovertible, one has yet to hear an argu-
ment in any forum, or a contention in any academic literature, that a
nation attacked, for example, with chemical or biological weapons is
entitled to use chemical or biological weapons in self-defence, or to anni-
hilate the aggressor's population. It is strange that the most devastating
of al1the weapons of mass destruction can be conceived of as offering a
singular exception to this most obvious conclusion following from the
bedrock principles of humanitarian law.
That said, a short examination follows of the various principles of

humanitarian law which could be violated by self-defence.

1. UnnecessarySuffering

The harrowing sufferingcausedby nuclear weapons, as outlined earlier
in this opinion, is not confined to the aggressive use of such weapons.
The lingering sufferings caused by radiation do not lose their intensity
merely because the weapon is used in self-defence.

The principle of proportionality may on first impressions appear to be
satisfied by a nuclear response to a nuclear attack. Yet, viewed more
carefully, this principle is violated in many ways. As France observed:

"The assessment of the necessity and proportionality of a response
to attack depends on the nature of the attack, its scope, the danger it
poses and the adjustment of the measures of response to the desired
defensive purpose." (CR 95/23, pp. 82-83.)

145McNamara, op.cit., pp. 71-72. més,du fait des perturbations causéesdans les réseauxde commu-
nication par la conflagration (ou mêmepar des frappes directes).
Dèslors, il est infiniment probable que, plutôt que de se rendre, cha-
cun des adversaires intensifierait sa riposte, dans l'espoir d'arrêterle

combat en amenant l'autre a capituler.)) 145
Une telle réaction précipiteraitla catastrophe globale car une contre-
réaction seraità prévoir etpourrait mêmeêtre automatiquementdéclen-
chée.
11faut redire ici qu'un Etat qui est attaqué a indubitablement le droit
d'employer toutes les armes dont il dispose pour repousser un agresseur.

Mais ce principe s'entend sous réserveque les armes en question soient
conformes aux règlesfondamentales de la guerre. C'est seulement dans
ceslimites et dans le but exclusifde repousser l'ennemi que 1'Etatattaqué
peut mettre en Œuvretout son potentiel militaire contre l'agresseur. Il y a
là un point incontestable et nul n'a jamais soutenu,à quelque tribune ou
dans quelque ouvrage de doctrine que ce soit, qu'une nation contre
laquelle seraient utilisées,par exemple, des armes chimiques ou biolo-
giques serait en droit d'utiliser le mêmetype d'armes dans l'exercicedu
droit de légitimedéfenseou d'anéantirla population de l'agresseur. Il est
surprenant que d'aucuns voient dans la plus dévastatrice des armes de
destruction massive la seule exception a apporter à une conclusion dictée
par les principes les plus élémentairesdu droit humanitaire.

Cela dit, je vais passer maintenant brièvementen revue les divers prin-
cipes du droit humanitaire qui pourraient être violéspar un pays en état
de légitimedéfense.

1. Maux superflus

Les atroces souffrances causéespar les armes nucléaires,qui ont été
décrites plushaut dans la présenteopinion, ne résultentpas seulement de
l'emploi de ces armes à des fins agressives. Les séquelles desrayonne-
ments sont tout aussi douloureuses, que l'arme ait été utilisée enétatde
légitimedéfenseou non.

Le principe de proportionnalité peut à première vue paraître respecté
en cas de riposte nucléairea une attaque nucléaire. Mais à y regarder de
plus près,il est, en pareil cas, violéa maints égards. Comme l'a souligné
la France:

((L'évaluationde la nécessitéet de la proportionnalité desmesures
de riposte à l'agression dépend de lanature de l'agression, de son
ampleur, du risque qu'elle fait courir et de l'adaptation de ces me-
sures au but défensifrecherché. » (CR 95/23, p. 82-83.)

145McNamara, op. cit., p. 71-72. For these very reasons, precise assessment of the nature of the appro-
priate and proportionate response by a nation stricken by a nuclear
attack becomes impossible I4'j.If one speaksin terms of a nuclear response
to a nuclear attack, that nuclear response will tend, as already noted, to
be an all-out nuclear response which opens up al1the scenarios of global
armageddon which are so vividly depicted in the literature relating to an
all-out nuclear exchange.

Moreover, one is here speaking in terms of measurement - measure-
ment of the intensity of the attack and theproportionality of the response.
But one can measure only the measurable. With nuclear war, the quality
of measurability ceases. Total devastation admits of no scales of meas-
urement. We are in territory where the principle of proportionality
becomes devoid of meaning.
It is relevant also, in the context of nuclear weapons, not to lose sight
of the possibility of human error. However carefully planned, a nuclear

response to a nuclear attack cannot, in the confusion of the moment, be
finelygraded so as to assess the strength of the weapons of attack, and to
respond in like measure. Even in the comparatively tranquil and leisured
atmosphere of peace, error is possible, even to the extent of unleashing an
unintentional nuclear attack. This has emerged from studies of uninten-
tional nuclear war14'. The response, under the stress of nuclear attack,
would be far more prone to accident.

According to the Bulletin of the Atornic Scientists:

"Top decision-makers as well as their subordinate information
suppliers rely on computers and other equipment which have become
even more complex and therefore more vulnerable to malfunction.
Machine failures or human failures or a combination of the two
could, had they not been discovered within minutes, have caused
unintended nuclear war in a number of reported cases." 148

The result would be all-out nuclear war.

Here again there is confirmation from statesmen, who have had much
experience in matters of foreign and military policy, that all-out nuclear
war is likely to ensue. Robert McNamara observes:

"It is inconceivable to me, as it has been to others who have
studied the matter, that 'limited' nuclearwars would remain limited
- any decision to use nuclear weapons would imply a high proba-

146On this, see further Section 11.3(n) above and Section VII.6 below.

14'For example, Risks of Unintentional Nucleav War, United Nations Institute of Dis-
armament Research (UNIDIR), 1982.
14*June 1982,Vol. 38, p. 68. MENACEOU EMPLOI D'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW . EERAMANTR5 Y1)5

C'estjustement pour cela qu'il est impossiblede détermineravec préci-
sion en quoi consiste une riposte appropriée et proportionnée de la part
d'une nation victime d'une frappe n~cléaire'~~S.'agissant de la riposte
nucléaire à une attaque nucléaire,on peut craindre, comme je l'ai déjà
souligné,qu'une riposte nucléairetotale n'ouvre la voie à tous les scé-
narios apocalyptiques décrits avec tant de force d'évocation dans les
ouvrages consacrés à la question.

De surcroît, un facteur d'appréciationentre en jeu: il faut déterminer
l'intensitéde l'attaque et la proportionnalité de la riposte. Mais on ne
peut mesurer que ce qui est mesurable. Dans le cas de la guerre nucléaire,
rien n'est plusmesurable. Il n'y a pas d'échellepour mesurer la dévasta-
tion totale. Nous entrons dans un domaine où le principe de proportion-
nalitén'a plus de sens.
On ne doit pas non plus méconnaître,dans le cas des armes nucléaires,
le risque d'une erreur humaine. Une riposte nucléaire à une attaque

nucléaire,si bien planifiée soit-elle, nepeut pas, dans la confusion du
moment, être subtilementdosée enfonction de la puissance des armes de
l'attaquant. Mêmedans le climat comparativement plus détendu etplus
serein du temps de paix, l'erreur est possible et peut allerjusqu'à déclen-
cher une attaque nucléaireinvolontaire. C'est ce qui ressort des études
sur la guerre nucléaire in~olontaire'~~.Le risque d'accident serait infini-
ment plus grand dans le contexte stressant d'une riposte à une attaque

nucléaire.
Selon le Bulletin of the Atomic Scientists:

«Les plus hauts échelonsdu pouvoir et leurs sources de renseigne-
ments font appel à des ordinateurs et àd'autres types de matérielqui
sont de plus en plus complexes et, par conséquent, deplus en plus
susceptibles d'erreurs. Un certain nombre de cas ont été signaléosù
le dysfonctionnement de la machine ou de défaillancesde l'esprit
humain ou des deux auraient pu, s'ilsn'avaient été immédiatement
détectés,aboutir à une guerre nucléaire involontaire.» 148

Le résultat serait une guerre nucléaire totale.
Là encore, on peut invoquer le témoignage d'hommes d7Etatayant une

solide expérience enmatière de politique étrangèreet de politique mili-
taire, qui confirment qu'une guerre nucléairetotale est le résultat auquel
on peut s'attendre. Robert McNamara fait observer:

((Commed'autres qui ont étudiéla question, j'ai peine àconcevoir
que les guerres nucléaires«limitées»puissent rester limitées - il est
très probable qu'une décision d'utiliser desarmes nucléairesaurait

14GSur ce point, voir ci-dessus la section II, paragraphe 3, lettre n), et la section VII,
paragraphe6.
14'Par exemple, Risks of Unintentional Nuclear War, Institut des Nations Unies pour
la recherche sur le désarmement(UNIDIR), 1982.
148Juin 1982,vol. 38, p. 68. bility of the same cataclysmic consequences as a total nuclear

exchange." '49
Former Secretary of State, Dr. Kissinger, has also written to the same
effect:

"Limited war is not simply a matter of appropriate military forces
and doctrines. It also places heavy demands on the discipline and
subtlety of the political leadership and on the confidence of the soci-

ety in it. For limited war is psychologically a much more complex
problem than all-out war. ... An all-out war will in al1likelihood be
decided so rapidly - if it is possible to speak of decision in such a
war - and the suffering it entails will be so vast as to obscure dis-
putes over the nuances of policy." 150

He proceeds to observe:

"Limited nuclear war is not only impossible, according to this line
of reasoning, but also undesirable. For one thing, it would cause
devastation in the combat zone approaching that of thermonuclear
war in severity. We would, therefore, be destroying the very people
we were seeking to protect." 15'

It is thus no fanciful speculation that the use of nuclear weapons in
self-defencewould result in a cataclysmic nuclear exchange. That is a risk
which humanitarian law would consider to be totally unacceptable. It is a

risk which no legal system can sanction.

3. Discrimination

As already observed earlier in this opinion, nuclear weapons violate
the principle of discrimination between armed forces and civilians. True,
other weapons also do,but the intensity of heat and blast, not to speak of
radiation, are factors which place the nuclear weapon in a class apart

from the others. When one speaks of weapons that count their victims by
hundreds of thousands, if not millions, principles of discrimination cease
to have any legal relevance.

4. Non-belligerent States

One of the principal objections to the use of nuclear weapons in self-
defence occurs under this head.

Self-defence is a matter of purely interna1 jurisdiction only if such

14'Op. cit., p.72.
151Zbid.,p. 175.r, Nuclear Weaponsand ForeignPolicy, 1957,p. 167. MENACEOU EMPLOID'ARMES NUCLÉAIRES (OP. DISSW. EERAMANTR5 Y1)6

les mêmesconséquences catastrophiques qu'un échange nucléaire
total.»149

L'ancien secrétaired'Etat Henry Kissinger adopte la mêmeposition:

«La guerre limitéene suppose pas seulement des forces militaires
et des doctrines appropriées. Elle exigeen outre, de la part des diri-

geants politiques, beaucoup de discipline et de subtilitéet, de la part
de la sociétéu, ne grande confiancô dans ses dirigeants. Car la guerre
limitée est sur le plan psychologique beaucoup plus complexe à
mener que la guerre totale ...Une guerre totale serait probablement
le résultat d'une décisionsi précipitée - à supposer qu'on puisse
parler de décisiondans ce contexte - et s'accompagnerait de souf-
frances d'une telle ampleur qu'il n'y aura pas place pour des discus-
sions sur les nuances de la politique.»

Plus loin, il écrit:

«La su"rre nucléaire limitéen'est Das seulement. dans cette lo-
gique, impossible, elle est aussi inappropriée. Et d'abord, elle cause-
rait, dans la zone des combats, des dévastations comparables par
leur importance à cellesqu'engendrerait une guerre thermonucléaire.
Nous détruirions donc les populations mêmesque nous cherchions à
protéger.» 151

Ce n'est donc pas de l'extravagance que d'anticiper, en cas d'emploi
d'armes nucléairesen état delégitimedéfense,un échange nucléairetotal.
Il y a là un risque totalement inacceptable au regard du droit humani-
taire, un risque dont aucun ordre juridique ne saurait s'accommoder.

3. Distinction

Comme on l'a déjà soulignédans la présente opinion, les armes nu-
cléairesportent atteinte au principe de distinction entre forces armées et
populations civiles.Sans doute la mêmeremarque vaut-elle pour d'autres
armes mais l'arme nucléaire a, outre son effet radioactif, des effets de
chaleur et de souffle tels qu'elle se place dans une catégorie à part. En
présence d'armes quifont des centaines de milliers, voire des millions de

victimes, le principe de distinction perd toute pertinence juridique.

4. Etats non belligérants

C'est dans cecas qu'apparaît l'une desprincipales objections à l'emploi
des armes nucléairesen étatde légitimedéfense.
La légitimedéfensene peut êtreconsidérée comme relevant exclusive-

149Op. cit., p. 72.
I5OHenry Kissinger, Nuclear Weupons and Foreign Policy, 1957,p. 167.
Ibid., p. 175.defence can be undertaken without clearly causing damage to the rights
of non-belligerent States. The moment a strategy of self-defence implies
damage to a non-belligerent third party, such a matter ceases to be one
of purely interna1 jurisdiction. It may be that the act of self-defence
inadvertently and unintentionally causes damage to a third State. Such a
situation is understandable and sometimes does occur, but that is not
the case here.

5. Genocide

The topic of genocide has already been ~overed'~~.Self-defence, which
will, as shown in the discussion on proportionality, result in al1probabil-
ity in all-out nuclear war, is even more likely to cause genocide than the
act of launching an initial strike. If the killing ofuman beings, in num-
bers ranging from a million to a billion, does not fall within the definition
of genocide, one may well ask what will.
No nation can be seen as entitled to risk the destruction of civilization
for its own national benefit.

6. Environmental Damage

Similar considerations exist here, as in regard to genocide. The wide-
spread contamination of the environment may even lead to a nuclear
winter and to the destruction of the ecosystem. These results will ensue

equally, whether the nuclear weapons causing them are used in aggres-
sion or in self-defence.

International law relating to the environment, in so far as it concerns
nuclear weapons, is dealt with at greater length in my dissenting opinion
on the World Health Organization request (I. C. J. Reports 1996, pp. 139-
143),and the discussion in that opinion should be considered as supple-
mentary to the above discussion.

7. Human Rights

All the items of danger to human rights as recounted earlier in this
opinion would be equally operative whether the weapons are used in
aggression or in self-defence.

The humanitarian principles discussed above have long passed the
stage of being merely philosophical aspirations. They are the living law

and represent the highwatermark of legal achievement in the difficult task

Is2See Section 111.10je) above MENACEOU EMPLOID'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW. EERAMANTR5 Y1)7

ment de la compétence des Etats intéressésque pour autant qu'elle ne
cause pas certainement des dommages aux Etats non belligérants.Si une
stratégie delégitimedéfensea un tel effet sur les Etats neutres non belli-

gérants, la question sort du cadre de la compétenceinterne. Il est conce-
vable qu'un acte de légitimedéfensecause des dommages accidentels et
involontaires à un Etat tiers. Une telle situation peut êtreenvisagée et
peut mêmeeffectivement se produire, mais cette question ne se pose pas
ici.

5. Génocide

Le problème du génocidea déjàété analysé lS2La légitimedéfensequi,
comme on l'a vu à propos de la proportionnalité, aboutira selon toute
probabilité àune guerre nucléairetotale risque, plus encore que la frappe
initiale, de conduire au génocide.Si le fait de tuer entre un million et un

milliard d'individus n'entre pas dans le champ de la définition du géno-
cide, on se demande quel autre acte y entrera.
Aucune nation ne peut se voir reconnaître le droit de détruirela civi-
lisation pour défendreses intérêts nationaux.

6. Dommages à lénvironnement

On peut formuler à ce sujet des considérations analogues à celles qui
ont étéexposées à propos du génocide.La pollution de l'environnement
dans un vaste rayon peut conduire a l'hiver nucléaire eà la destruction
de l'écosystème.Ces effets se produiront que les armes nucléairesqui les

provoquent soient utiliséesdans le cadre d'une agression ou en état de
légitimedéfense.
Le droit international de l'environnement, en ce qui concerne les armes
nucléaires,est analysé plusen détaildans mon opinion dissidente relative
à la demande d'avis consultatif de l'organisation mondiale de la Santé
(C.I.J. Receuil 1996, p. 139-143)et ce qui est dit dans cette opinion doit
êtreconsidérécomme un complémentaux développements qui précèdent.

7. Droits de l'homme

Toutes les atteintes aux droits de l'homme mentionnées plushaut dans
la présente opinion résulteraient aussibien de l'emploi de la bombe en

étatde légitimedéfenseque dans le contexte d'une agression.

Les principes humanitaires que l'on vient d'examiner ont depuis long-
temps dépasséle stade de la simple aspiration philosophique. Intégrésau
droit vivant, ils représentent le couronnement juridique d'une lutte per-

'52Voir ci-dessus la section III, paragraphee)., lettreof imposing some restraints on the brutalities of unbridled war. They
provide the ground-rules for military action today and have been forged
by the community of nations under the impact of the sufferings of untold
millions in two global cataclysms and many smaller wars. As with al1
legal principles, they govern without distinction al1 nations great and
small.

It seems difficult, with any due regard to the consistency that must

underlie any credible legal system, to contemplate that al1these hard-won
principles should bend aside in their course and pass the nuclear weapon
by, leaving that unparalleled agency of destruction free to achieve on
a magnified scale the very evils which these principles were designed to
prevent.

Three other aspects of the argument before the Court cal1 for brief
mention in the context of self-defence.
The United Kingdom relied (Written Statement, para. 3.40) on a view
expressed by Judge Ago in his addendum to the Eighth Report on State
Responsibility, to the effect that:

"The action needed to halt and reaulse the attack mav well have
to assume dimensions disproportioiate to those of the attack suf-
fered. What matters in this respect is the result to be achieved by the
'defensive'action, and not the forms, substance and strength of the
action itself."lS3

Ago is here stressing that the defensive action must always be related
to itspurpose, that of halting and repelling the attack. As he observes, in
the same paragraph:

"The requirement of the pvopovtionality of the action taken in
self-defence ... concerns the relationship between that action and its
purpose, namely . . that of halting and repelling the attack."

That purpose is to halt and repulse the attack, not to exterminate the

aggressor, or to commit genocide of its population. His reference to
forms, substance and strength is expressly set out by him, within the con-
text of this purpose, and cannot be read as setting at nought al1the other
requirements of humanitarian law such as those relating to damage to
neutral States, unnecessary suffering, or the principle of discrimination.
The statement of so eminent a jurist cannot be read in the sense of
neutralizing the classic and irreducible requirements of the jus in bel10-
requirements which, moreover, had received massive endorsement from

153Yearbook of the International Law Commission, 1980, Vol. II, Part 1, p. 69,
para. 121.

296sévérantepour contenir dans certaines limites la brutalité de la guerre à
outrance. Ils énoncent les règlesde base du comportement militaire de
l'époque actuelleet ont été forgép sar la communauté des nations en
réponseaux souffrances infligées àdesdizainesdemillionsd'êtres humains
au cours de deux cataclysmes planétaires et de nombreuses guerres de

moindre ampleur. Comme tous les principesjuridiques, ils s'appliquent à
l'ensembledes nations, grandes et petites.
Il semble difficile,compte tenu de l'impératif de cohérence auquel doit
satisfaire tout systèmejuridique pour êtrecrédible,d'envisagerque l'arme
nucléairepuisse êtreécartéedu champ de cet ensemble de principes chè-
rement acquis et qu'on puisse ainsi laisser librement un agent de destruc-
tion sans équivalent causer à une échellebien plus grande les maux que
les principes en question avaient mission de prévenir.

Trois autres aspects de l'argumentation présentée à la Cour à propos

de la légitimedéfenseseront maintenant brièvement évoqués.
Le Royaume-Uni (exposéécrit,par. 3.40)a tiréargumentd'une opinion
expriméepar M. Ago dans l'additif à son huitièmerapport sur la respon-
sabilitédes Etats, suivant laquelle:
«Il se peut très bien que l'action requise pour stopper et rejeter

l'agression doive prendre des proportions qui ne correspondent pas
à cellesde l'agression subie.Ce qui compte à ce sujet est le résultàt
atteindre par l'action «défensive»,non pas les formes, la substance
et l'intensité de l'actionelle-même»153
M. Ago souligne ici que l'action défensivedoit êtreen rapport avec son

objet qui est d'arrêteret de repousser l'agression. Comme il l'écritdans le
mêmeparagraphe :
((L'exigencedite de laproportionnalitéde l'action commiseen état
de légitimedéfensea trait ..au rapport entre cette action et le but
qu'elle se propose d'atteindre, à savoir ...d'arrêter et repousser

l'agression.»
Le but est d'arrêteret de repousser l'agression, non d'exterminer
l'agresseur ou de faire subir un génocide sa population. La référenceaux
formes, à la substance età l'intensité de l'actionest expressémentliéepar

l'auteur au résultatà atteindre et ne peut êtreinterprétée commefaisant
table rase de toutes les autres prescriptions humanitaires, par exemple,
cellesqui ont trait aux dommages aux Etats neutres, aux maux superflus
ou au principe de distinction. Un juriste aussi éminentne saurait se voir
attribuer l'intention de récuserles exigences classiques et irréductibles
du jus in bello- exigences au demeurant approuvées à la quasi-unani-

lS3Annuaire de la Commission du droit international, 1980,vol. II, première partie,
p.67, par. 121.

296the Institute of International Law over which he was later to preside with
such distinction. The Edinburgh Session of 1969 adopted by a majority
of 60 to 1, with 2 abstentions, the re~olution'~~prohibiting weapons
affecting indiscriminately both military and non-military objects, both
armed forces and civilian populations, and weapons designed to terrorize
the civilian population. Ago himself was a member of that majority.

The second submission calling for attention is the suggestion that Secu-
rity Council resolution 984 (1995) (United Kingdom Written Statement,
para. 3.42 and Annex D) in some way endorses the view that the use of
nuclear weapons, in response to an armed attack, should not be regarded

as necessarily unlawful.
A careful perusal of the resolution shows that it reassures the non-
nuclear-weapon States that the Security Council and the nuclear-weapon
States will act immediately in the event that such States are victims of
nuclear aggression. It avoids any mention whatsoever of the measures to
be adopted to protect the victim. Had such been the intention, and had
such use of nuclear weapons been legal, this was the occasion par excel-
lence for the Security Council to have said so.

For the sake of completeness, it should here be pointed out that, even
if the Security Council had expressly endorsed the use of such weapons, it
is this Court which is the ultimate authority on questions of legality, and

that such an observation, even if made, would not prevent the Court
from making its independent pronouncement on this matter.
The third factor calling for mention is that much of the argument of
those opposing illegality seems to blur the distinction between thejus ad
bellum and thejus inbello. Whatever be the merits or otherwise of resort-
ing to the use of force (the province of thejus ad bellum), when once the
domain of force is entered, the governing law in that domain is thejus in
bello. The humanitarian laws of war take over and govern al1who par-
ticipate, assailant and victim alike. The argument before the Court has
proceeded as though, once the self-defence exception to the prohibition
of the use of force comes into operation, the applicability of the jus in
bello falls away. This supposition is juristically wrong and logically un-
tenable. The reality is, of course, that while thejus ad bellum only opens
the door to the use of force (in self-defence or by the Security Council),

whoever enters that door must function subject to the jus in bello. The
contention that the legality of the use of force justifies a breach of
humanitarian law is thus a total non-sequitur.

154Already noted in Section 111.11above.mitépar l'Institut de droit international qu'il devait présidersi brillam-
ment par la suite. C'estpar 60 voix contre une, avec 2 abstentions, que la
session d'Edimbourg de 1969 a adopté la résol~tion'~~i;nterdisant les
armes qui frappent sans distinction objectifs militaires et objets non mili-
taires, forces armées etpopulations civiles,ainsi que les armes destinées
semer la terreur dans la population civile. M. Ago lui-mêmea votédans

le sens de la majorité.
Le deuxièmepoint qui appelle un commentaire est l'argument suivant
lequel la résolution 984 (1995) du Conseil de sécurité (exposé écrditu
Royaume-Uni, par. 3.42 et annexe D) conforte en quelque sorte l'idée
que l'emploi des armes nucléaires enriposte à une agression arméene
doit pas nécessairementêtre considéré commie llicite.
Si on lit attentivement la résolution en question, on constate qu'elle
donne aux Etats non dotés d'armesnucléairesl'assurance que le Conseil
de sécurité et lesEtats dotésd'armes nucléairesprendraient immédiate-
ment des mesures au cas où un Etat non doté d'armes nucléairesserait
victime d'un acte d'agression impliquant l'emploi d'armes nucléaires.La

résolution ne dit absolument rien sur le type de mesures à prendre pour
protégerla victime. S'il avait voulu traiter de cette question et déclarer
licite l'emploi desarmes nucléairesdans les circonstances indiquées,le
Conseil de sécuritéavait là une occasion idéalede le faire.
Pour achever l'analysede cette question, il convient de souligner que la
Cour est l'autoritésuprêmesur les problèmes delicéité eq t ue, mêmesi le
Conseil de sécuritéavait expressément approuvé l'emploi des armes
nucléaires,il ne serait pas pour autant interdità la Cour de formuler ses
propres conclusions sur la question.
Le troisièmepoint à signaler est que l'argumentation des adversairesde
l'illicéitend largement àestomper la distinction entre lejus adbellurnet
lejus in bello. Le recoursà la force peut êtrelégitimeou illégitime (ques-

tion qui relèvedu jus ad bellum) mais, une fois qu'il y a emploi de la
force, le droit qui s'applique estles in bello. Le droit humanitaire de la
guerreprend lerelais et régit lesactions de tous lesparticipants au conflit,
aussi bien l'agresseurque la victime. La thèse présentéeà la Cour semble
procéder del'idéeque, lorsqu'on est dans le cadre de l'exception au non-
recours à la force que constitue la légitime défensei,l n'y a pas place pour
l'application dujus in bello. Cette idée estjuridiquement erronéeet logi-
quement indéfendable.La véritéest, bien entendu, que lejus ad bellum
ne fait qu'ouvrir la porteàl'emploide la force (en cas de légitime défense
ou par décisiondu Conseil de sécurité)et que quiconque franchit cette
porte doit se conformer au jus in bello. Prétendre quela licéitéde l'em-

ploi de la force justifie la violation du droit humanitaire est totalement
aberrant.

154Déjàmentionnée ci-dessàsla section III, paragraphe 11 Upon a review therefore, no exception can be made to the illegality of
the use of nuclear weapons merely because the weapons are used in self-
defence.
Collective self-defence,where another country has been attacked, raises

the same issues as are discussed above.
Anticipatory self-defence - the pre-emptive strike before the enemy
has actually attacked - cannot legally be effected by a nuclear strike, for
a first strike with nuclear weapons would axiomatically be prohibited by
the basic principles already referred to. In the context of non-nuclear
weaponry, al1the sophistication of modern technology and the precise
targeting systemsnow developed would presumably be available for this
purpose.

1. Two Philosophical Perspectives

This opinion has set out a multitude of reasons for the conclusion that
the resort to nuclear weapons for any purpose entails the risk of the
destruction of human society, if not of humanity itself. It has also
pointed out that any rule permitting such use is inconsistent with inter-
national law itself.
Two philosophical insights will be referred to in this section - one
based on rationality, and the other on fairness.
In relation to the first,al1the postulates of law presuppose that they
contribute to and function within the premise of the continued existence
of the community served by that law. Without the assumption of that

continued existence, no rule of law and no legal system can have any
claim to validity, however attractive the juristic reasoning on which it is
based. That taint of invalidity affects not merely the particular rule. The
legal system, which accommodates that rule, itself collapses upon its
foundations, for legal systems are postulated upon the continued exis-
tence of society. Being part of society, they must themselves collapsewith
the greater entity of which they are a part. This assumption, lying at the
very heart of the concept of law, often recedes from view in the midst of
the nuclear discussion.

Without delving in any depth into philosophical discussions of the
nature of law, it will suffice for present purposes to refer briefly to two
tests proposed by two pre-eminent thinkers about justice of the present
era - H. L. A. Hart and John Rawls.
Hart, a leading jurist of the positivistic school, has, in a celebrated
exposition of the minimum content of natural law, formulated this prin-
ciple pithily in the following sentence :

"We are committed to it as something presupposed by the terms En résumé,il n'y a donc pas d'exception, à l'illicéide l'emploi des
armes nucléairesqui autoriserait le recoursàcesarmes en étatdelégitime
défense.
La légitime défense collective soulève des problème asnalogues à ceux
qui viennent d'êtreexaminés.

La légitime défense préventive - c'est-à-dire le recourà une attaque
préemptive,avant que l'adversaire n'ait effectivement attaqué - ne peut
pas, sur le plan juridique, prendre la forme d'une frappe nucléaire
puisqu'une première frappe nucléaire serait à l'évidenceinterdite par les
principes de base déjà mentionnés.Les armes non nucléairespourraient
sans doute êtreutiliséesdans ce contexte du fait des progrès de la tech-
nique moderne et des systèmesde ciblage perfectionnésqui ont mainte-
nant étémis au point.

1. Deux visions philosophiques

Dans la présente opinion,j'ai exposéune multitude de raisons à l'appui
de la conclusion selon laquellele recours aux armes nucléairesà quelque
fin que ce soit pourrait conduireà la destruction de la sociétéhumaine,
sinon de l'humanitéelle-même. Il a étéfait ainsi observer que toute règle

autorisant un tel emploi est contraire au droit international lui-même.
Deux visions philosophiques seront analyséesdans la présentesection,
fondées,l'une, sur la raison, l'autre, sur l'équité.
Selon la première, tous les postulats du droit présupposent, tant pour
ce qui est de la contribution qu'ils peuvent apporter que du cadre dans
lequel ils s'appliquent, quela société qu'snt mission de servir a un ave-
nir. Une règlededroit ou un systèmejuridique qui ne repose pas sur cette
prémisse nepeut prétendre à aucune légitimité,si séduisant quepuisse
êtrele raisonnement juridique qui l'étaie. Ce n'estpas seulement telle ou
telle règleparticulière qui est affectéepar le défautde légitimité, c'eslte
systèmejuridique tout entier qui est ébranlédans ses bases car les sys-
tèmesjuridiques sont faits pour une sociétéqui dure. Etant une éma-

nation de la sociétéi,ls s'effondrent avec la sociqui leur sert de cadre.
Cette idée,qui est au cŒur même de la notion de droit, est parfois perdue
de vue dans les débats surl'arme nucléaire.
Sans vouloir aller au fond des doctrines philosophiques sur la na-
ture du droit, j'évoquerai brièvementa,ux fins-de laprésenteanalyse, les
thèses avancéesau sujet de la justice à l'époque contemporaine par
deux éminents penseurs,H. L. A. Hart et John Rawls.
Hart, l'un desprincipaux représentants del'école positivistea, dans un
célèbre exposé du contenu minimum du droit naturel, donnédu principe
viséci-dessus la formulation lapidaire que voici:

«Nous l'acceptons comme un présupposé requispar la nature de of the discussion; for Our concern is with social arrangements for

continued existence, not with those of a suicide club." lS5
His reasoning is that:

"there are certain rules of conduct which any social organization
must contain if it is to be viable. Such rules do in fact constitute
a common element in the law and conventional morality of al1

societies which have progressed to the point where these are distin-
guished as different forms of social control." lS6

International law is surely such a social form of control devised and
accepted by the constituent members of that international society - the
nation States.
Hart goes on to note that:

"Such universally recognized principles of conduct which have a
basis in elementary truths concerning human beings, their natural
environment, and aims, may be considered the minimum content of
Natural Law, in contrast with the more grandiose and more chal-
lengeable constructions which have often been proffered under that
name." lS7

Here is a recognized minimum accepted by positivistic jurisprudence
which questions some of the more literal assumptions of other schools.
We are down to the common denominator to which al1 legal systems

must conform.
To approach the matter from another standpoint, the members of the
international community have for the past three centuries been engaged
in the task of formulating a set of rules and principles for the conduct of
that society - the rules and principles we cal1international law. In so
doing, they must ask themselves whether there is a place in that set of
rules for a rule under which it would be legal, for whatever reason, to
eliminate members of that community or, indeed, the entire community

itself. Can the international community, which is governed by that rule,
be considered to have given its acceptance to that rule, whatever be the
approach of that community - positivist, natural law, or any other? 1s
the community of nations, to use Hart's expression a "suicide club"?

This aspect has likewise been stressed by perceptive jurists from the
non-nuclear countries who are alive to the possibilities facing their coun-

tries in conflicts between other States in which, though they are not
parties, they can be at the receiving end of the resulting nuclear devasta-
tion. Can international law, which purports to be a legal system for the

155H.L.A. Hart, The Concept of Law, 1961,p. 188; emphasis added.
156Ibid.
ls7Ibid., p. 189; emphasis added. la discussion; ce qui nous intéresse, c'estun ordonnancement social
projetédans la durée, pascelui d'un club du suicide.»15j

Il explique que:

«il y a des règles de comportement auxquelles toute organisation
sociale doit faire place pour êtreviable. Ces règlesconstituent en fait
le dénominateur commun du droit et de la morale conventionnelle
de toutes les sociétésqui ont atteint un point assez avancépour éta-
blir une distinction entre ces deux formes différentes de contrôle

social.»'j6
Le droit international est indubitablement une forme de contrôle social
mis en place et acceptépar lesmembres de la société internationale - les

Etats nations.
Hart poursuit :
«Les principes de conduite universellement reconnus qui trouvent

leur fondement dans des vérités élémentairecsoncernant les êtres
humains, leur environnement et leurs buts peuvent êtreconsidérés
comme définissantle contenu minimum du droit naturel, par opposi-
tion aux définitions plus ambitieuseset plus hasardeuses que l'on a
souvent voulu donner de la notion. » 15'

Ainsi se trouve définiun minimum acceptépar l'écolepositiviste, qui
met en cause certaines des approches plus littérales d'autresécoles.On en
revient au dénominateur commun auquel tous les systèmesjuridiques
doivent se conformer.
Pour aborder la question sous un autre angle, on peut dire que les

membres de la sociétéinternationale se sont, au cours des trois derniers
siècles,attachés a formuler un ensemble de règleset de principes destinés
a régircette société - ce que nous désignonssous le nom de droit inter-
national. Il leur faut maintenant se demander s'il y a place dans ce
contexte pour une règleen vertu de laquelle il serait licite, pour une rai-
son ou une autre, d'éliminer desmembres de la sociétéou, d'ailleurs, la
société elle-mêmL e.a sociétéinternationale, censéeêtrerégiepar une telle

règle,pourrait-elle être réputée y avoir souscrit - qu'elle se réclamedu
positivisme, du droit naturel ou de n'importe quelle autre philosophie?
La société internationale est-elle, pour reprendre l'expression de Hart, un
((club du suicide))?
Ce problèmen'a pas échappé à la sagacitédejuristes de pays non dotés
d'armes nucléairesqui sont conscients qu'en cas de conflit entre d'autres
Etats leur pays pourrait, bien que non belligérant, subir la dévastation

nucléaire résultant du conflit. Est-il possible que le droit international,
qui est censéêtreun systèmejuridique applicable à l'ensemble de la

lS5H.L.A. Hart, The Concept ofLaw, 1961,p. 188 (les italiques sont de moi).
156Zbid.
Is7Zbid .,189(les italiques sont de moi).entire global community, accommodate any principles which make pos-
sible the destruction of their communities?

"No legal system can confer on any of its members the right to
annihilate the community which engenders it and whose activities it
seeks to regulate. In other words, there cannot be a legal rule, which
pevmits the threat or use of nuclear weapons. In sum, nuclear
weapons are an unprecedented event which calls for rethinking the
self-understanding of traditional international law. Such rethinking

would reveal that the question is not whether one interpretation of
existing laws of war prohibits the threat or use of nuclear weapons
and another permits it. Rather, the issue is whether the debate can
take place at al1in the world of law. The question is in fact one
which cannot be legitimately addressed by law at al1since it cannot
tolerate an interpretation which negates its very essence.The end of

law is a rational order of things, with survival as its core, whereas
nuclear weapons eliminate al1hopes of realising it. In this sense,
nuclear weapons are unlawful by definition." 158

The aspect stressed by Hart that the proper end of human activity
is survival is reflected also in the words of Nagendra Singh, a former
President of this Court, who stated, in his pioneering study of nuclear
weapons, that :

"It would indeed be arrogant for any singlenation to argue that to
Save humanity from bondage it was thought necessary to destroy

humanity itself . . .No nation acting on its own has a right to
destroy its kind, or even to destroy thousands of miles of land and
its inhabitants in the vain hope that a crippled and suffering human-
ity - a certain result of nuclear warfare - was a more laudable
objective than the loss of human dignity - an uncertain result which
may or may not follow from the non-use of nuclear weapon~."'~~

Nagendra Singh expressed the view, in the same work, that "resort to
such weapons is not only incompatible with the laws of war, but irrecon-
cilable with international law itself' 160.

Another philosophical approach to the matter is along the lines of the
"Veilof ignorance" posited by John Rawls in his celebrated study ofjus-
tice as fairness 16'.
If one is to devise a legal system under which one is prepared to live,
this exposition posits as a test of fairness of that system that its members

B. S. Chimni, "Nuclear Weapons and International Law: Some Reflections", in
International Law in Transition: Essays in Memory of Judge Nagendra Singh, 1992,
p. 142; emphasis added.
159Nagendra Singh, Nuclear Weapons and International Law, 1959,pp. 242-243.
160Ibid., p. 17.
16LJohn Rawls, A Theory of Justice, 1972. MENACE OU EMPLOID'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW. EERAMANTRY) 522

société internationale, donne droit de cité à des principes qui permettent

la destruction de membres de cette société?
«Aucun systèmejuridique nepeut conférer à l'un quelconque deses

membresledroit d'anéantirla société dont il est l'émanationet dont il
vise à réglementerle fonctionnement. En d'autres termes, il ne peut
pas y avoir de règlesjuridiques qui autorisent la menace d'emploiou
l'emploi d'armes nucléaires. En fin de compte, les armes nucléaires
sont une réalité sans précédent qeuxiigeun effort de réflexionsur la
finalitédu droit international traditionnel. Un tel effort de réflexion

révéleraiq tue la question n'est pas de savoirs'ily a une interprétation
du droit de la guerre en vigueur qui interdit la menace d'emploi ou
l'emploi des armes nucléaires et uneautre qui le permet. Elle est de
savoir s'ily a place pour une telle interrogation dans le monde juri-
dique. Le droit ne peut simplement pas se saisir du problème parce
qu'il nesaurait tolérer uneinterprétation quinie son existencemême.

Le but du droit est d'instituer un ordre rationnel axésur la survie
alors quelesarmes nucléairesinterdisenttout espoir d'atteindrecebut.
En ce sens, les armes nucléairessont illicites par définition. » lS8

L'idée avancép ear Hart que l'activitéhumaine est avant tout axéesur
la survie se retrouve chez un ancien Président de la Cour, Nagendra
Singh, qui écritdans une étudesur les armes nucléairesqui a ouvert la
voie à beaucoup d'autres :

«Ce serait de l'impudence, de la partd'unenation isolée,de soutenir
que, pour sauver l'humanité del'esclavage,il a paru nécessairede la

détruire ...Aucune nation n'est investiedu droit d'anéantirune autre
nation ou mêmede détruiredes terres et leurs habitants sur des mil-
liers de kilomètres dans le vain espoir qu'une humanité affaiblie et
déchirée - résultatinévitablede la guerre nucléaire - serait préfé-
rable au sacrificede la dignitéhumaine - résultat hypothétiquedu
non-emploi des armes nucléaires. ))lS9

Nagendra Singh a dans lemêmeouvrage exprimé l'avisque «le recours
à de tellesarmes est incompatible non seulement avecle droit de la guerre

mais avec le droit international lui-même)) 160.
Une autre thèsephilosophique repose sur l'idéedu ((voiled'ignorance))
avancéepar John Rawls dans sa célèbreétude dela justice considérée
dans ses rapports avec l'équité 161.
Aux fins de la mise en place d'un système juridique «vivable», l'auteur
propose que, pour déterminersi un système estéquitable,on se demande

158B. S. Chimni, ((Nuclear Weapons and International Law: Some Reflections)), dans
p. 142 (les italiques sont de moi).says in Memory of Judge Nagendra Singh, 1992,
159Nagendra Singh, Nuclear Weapons and International Law, 1959,p. 242-243.
I6OIbid., p. 17.
16'John Rawls, A Tlzeoryof Justice, 1972.would be prepared to accept it if the decision had to be taken behind a
veil ofignorance as to the future place of each constituent member within
that legal system.
A nation considering its allegiance to such a system of international
law, and not knowing whether it would faIl within the group of nuclear
nations or not, could scarcely be expected to subscribe to it if it contained
a rule by which legality would be accorded to the use of a weapon by
others which could annihilate it. Even lesswould it consent if it is denied
even the right to possess such a weapon and, least of al1if it could be
annihilated or irreparably damaged in the quarrels of others to which it is
not in any way a Party.
One would indeed be in a desirable position in the event that it was
one's lot to become a member of the nuclear group but, if there was a
chance of being cast into the non-nuclear group, would one accept such a
legal system behind a veil of ignorance as to one's position? Would it
make any difference if the members of the nuclear group gave an assur-
ance, which no one could police, that they would use the weapon only in
extreme emergencies? The answers to such questions cannot be in doubt.

By this test of fairness and legitimacy, such a legal system would surely
fail.
Such philosophical insights are of cardinal value in deciding upon the
question whether the illegality of use would constitute a minimum com-
ponent of a system of international law based on rationality or fairness.
By either test, widely accepted in the literature of modern jurisprudence,
the rule of international law applicable to nuclear weapons would be that
their use would be impermissible.

Fundamental considerations such as these tend to be overlooked in
discussions relating to the legality of nuclear weapons. On matter so
intrinsic to the validity of thetire system of international law, such per-
spectives cannot be ignored.

2. The Aims of War

War is never an end in itself. It is only a means to an end. This was
recognized in the St. Petersburg Declaration of 1868, already noted (in
Section 111.3on humanitarian law), which stipulated that the weakening

of the military forces of the enemy was the only legitimate object of war.
Consistently with this principle, humanitarian law has worked out the
rule, already referred to, that "The right of belligerents to adopt means of
injuring the enemy is not unlimited" (Article 22 of the Hague Rules,
1907).
Al1study of the laws of war becomes meaninglessunless it is anchored
to the ends of war, for thus alone can the limitations of war be seen in
their proper context. This necessitates a brief excursus into the philo-
sophy of the aims of war. Literature upon the subject has existed for
upwards of twenty centuries. si ceux auxquels il est destiné seraient prêàl'accepter en ignorant tota-
lement quelle sera leur place dans le système.

Une nation ayant à choisir un système de droit international et ne
sachant pas si elle sera intégréeou non au groupe des nations dotées
d'armes nucléaires neserait guère encline à se rallierà un système qui

comporterait une règledéclarantlicite l'emploi par d'autres nations d'une
arme capable de l'anéantir,surtout si le droit de posséderl'arme en ques-
tion lui étaitrefuséet plus encore si elle risquait d'êtreanéantieou irré-
médiablement endommagée à la suite de conflits opposant d'autres
nations avec lesquels elle n'aurait rienà voir.
Le système serait, certes, attrayant pour quiconque serait assuré de
devenir membre du club nucléaire mais, dèslors qu'il y aurait un risque
d'êtreintégréau groupe des pays non dotés d'armes nucléaires, qui
accepterait un tel système enignorant totalement quel sera son sort? Et
cela changerait-il quelque chose si les membres du club nucléaire pre-
naient l'engagement - qu'il n'y aurait personne pour faire respecter-

de n'utiliser l'armequ'en cas d'extrême urgence?La réponse à ces ques-
tions ne fait pas le moindre doute. Sur la base des critèresde la légitimité
et de l'équitéu, n tel systèmejuridique serait sûrement voué à l'échec.
Ces analyses philosophiques sont d'une importance capitale lorsqu'il
s'agit de savoir si l'illicéitéde l'emploi des armes considérées estune
norme minimum de tout systèmede droit international fondé soit sur la
raison soit sur l'équité.Que l'on applique l'un ou l'autre de ces critères,
tous deux largement admis par la doctrine juridique moderne, le droit
international ne saurait énoncer,en ce qui concerne les armes nucléaires,
qu'une règle enprohibant l'emploi.
On tend parfois à perdre de vue des considérations essentiellescomme

cellesqui précèdentdans le débatsur la licéité desarmes nucléaires. Elles
sont pourtant décisivess'agissantd'une question qui met enjeu la validité
du droit international tout entier.

2. Les buts de la guerre

La guerre n'est jamais une fin en soi. Elle est un moyen au service
d'une fin. C'est ce qu'a reconnu la déclaration de Saint-Pétersbourg de
1868,évoquée ci-dessus àla section III, paragraphe 3, sur le droit huma-
nitaire, lorsqu'elle a affirméque l'affaiblissement des forces militaires de
l'ennemi estle seul but légitimede la guerre. Sur la base de ce principe, le

droit humanitaire a dégagé une règle,déjàmentionnée,selon laquelle «les
belligérants n'ont pas un droit illimitéquant au choix des moyens de
nuire à l'ennemi)) (article 22 du règlement de La Haye de 1907).
Une étudedu droit de la guerre n'a desens que si elle s'ordonne autour
des buts de la guerre; c'est le seulmoyen de situer dans leur vrai contexte
les restrictions auxquelles la guerre est subordonnée. Onest donc amené à
examiner brièvement la philosophie relative aux buts de la guerre. Il y a
plus de vingt sièclesque la doctrine s'intéressecette question. Reference has already been made, in the context of hyperdestructive
weapons, to the classical Indian tradition reflected in India's greatest
epics, theRamayana and the Mahabhavatha. The reason behind the pro-
hibition was that the weapon went beyond the purposes of war.

This was precisely what Aristotle taught when, in Book VI1of Politics,

he wrote that, "War must be looked upon simply as a means to peace." '62
It will be remembered that Aristotle was drawing a distinction between
actions that are no more than necessary or useful, and actions which are
good in themselves. Peace was good in itself, and war only a means to
this end. Without the desired end, namely peace, war would therefore be
meaningless and useless. Applying this to the nuclear scenario, a war
which destroys the other party is totally lacking in meaning and utility,
and hence totally lacksjustification. Aristotle's view of war was that it is
a temporary interruption of normalcy, with a new equilibrium resulting
from it when that war inevitably comes to an end.

The philosophy of the balance of power which dominated European
diplomacy since the Peace of Utrecht in 1713presupposed not the elimi-
nation of one's adversary, but the achievement of a workable balance of
power in which the vanquished had a distinct place. Even the extreme
philosophy that war is a continuation of the processes of diplomacy,
which Clausewitz espoused, presupposed the continuing existence, as a
viable unit, of the vanquished nation.
The United Nations Charter itself is framed on the basic principle that
the use of force is outlawed (except for the strictly limited exception of
self-defence), and that the purpose of the Charter is to free humanity
from the scourge of war. Peace between the parties is the outcome the
Charter envisages and not the total devastation of any party to the con-

flict.
Nuclear weapons render these philosophies unworkable. The nuclear
exchanges of the future, should they ever take place, will occur in a world
in which there is no monopoly of nuclear weapons. A nuclear war will
not end with the use of a nuclear weapon by a single power, as happened
in the case of Japan. There will inevitably be a nuclear exchange, espe-
cially in a world in which nuclear weapons are triggered for instant and
automatic reprisa1 in the event of a nuclear attack.

Such a war is not one in which a nation, as we know it, can survive as
a viable entity. The spirit that walks the nuclear wasteland will be a spirit
of totaldespair, haunting victors (if there are any) and vanquished alike.

We have a case here of methodology of warfare which goes beyond the
purposes of war.

162Aristotle, Politta,s. John Warrington, Heron Books, 1934,p. 212

302 MENACEOU EMPLOI D'ARMES NUCLÉAIRES (OP.DISS.WEERAMANTRY) 524

J'ai déjàévoqué, à propos des armes hyperdestructrices, la tradition
indienne classique telle qu'elle est expriméedans les deux plus grandes
épopées de l'Inde, le Ramayana et le Mahabharatha. Dans cette tradition,
les armes en question étaient interdites parce que leurs effets dépassaient

les buts de la guerre.
C'est le mêmeesprit qui inspirait Aristote lorsqu'il écrivaitdans le
livreVI1 de la Politique: «La guerre ne doit êtreenvisagéeque comme
un moyen de parvenir à la paix.»'62 On se rappellera qu'Aristote distin-
guait entre les actions qui sont simplement nécessairesou utiles et celles
qui sont bonnes en elles-mêmesL . a paix est bonne et la guerre n'est qu'un
moyen d'y parvenir. Privéede son but - la paix- la guerre serait vide
de sens et inutile. Si l'on applique ce raisonnement dans le contexte
nucléaire,une guerre qui détruit l'autre partie est totalement dépourvue
de sens et d'utilitéet n'a donc aucune justification. Aristote voyait dans

la guerre une suspension temporaire de la normalité faisant place, une
fois la guerre inéluctablement parvenue à son terme, à un nouvel équi-
libre.
La philosophie de l'équilibre despouvoirs qui a dominéla diplomatie
européenne à compter de la paix d'Utrecht en 1713 reposait sur l'idée
non de l'éliminationde l'adversaire, mais de l'instauration d'un équilibre
des pouvoirs viable où le vaincu avait sa place. Mêmela théorieextrême,
défenduepar Clausewitz, selon laquelle la guerre est le prolongement de
la diplomatie présupposait que la nation vaincue continuait d'exister en
tant qu'entitéviable.

La Charte des Nations Unies elle-même reposesur le principe de base
que l'emploi de la force est interdit (sauf dans l'hypothèse, strictement
circonscrite, de la légitime défense)et que le but de la Charte est de pré-
server l'humanitédu fléaude la guerre. La paix entre les adversaires, non
la dévastation totale de l'un d'entre eux, est l'issue que la Charte envi-
sage.
Les armes nucléaires vident cesphilosophies de tout sens. Les échanges
nucléairesde demain, s'ils ont lieu, auront pour théâtre un monde où
aucune nation n'aura le monopole des armes nucléaires. Une guerre

nucléaire ne se réduira pas, comme dans le cas du Japon, au largage
d'une bombe par une seulepuissance. Un échange nucléairesera d'autant
plus inévitableque nous vivons à une époqueoù les armes nucléairessont
programmées pour une riposte instantanée et automatique en cas d'at-
taque nucléaire.
Les nations telles que nous les connaissons ne peuvent pas survivre en
tant qu'entitésviables à une guerre nucléaire.Dans le désert nucléaire,le
spectre qui hantera les vainqueurs (s'il y en a) comme les vaincus sera
celui du désespoir absolu. Nous avons là une méthode de guerre qui

conduit à des résultatsexcessifspar rapport aux buts de la guerre.

162Aristote, Politiversion française baséesur la traduction de John Warrington,
Heron Books, 1934,p. 212.

302 3. The Concept of a "Threat of Force" undev the
United Nations Charter

The question asked by the General Assembly relates to the use of force
and the threat of force. Theoretically, the use of force, even with the sim-
plest weapon, is unlawful under the United Nations Charter. There is no
purpose therefore in examining whether the use of force with a nuclear
weapon is contrary to international law. When even the use of a single
rifle is banned, it makes littleense to enquire whether a nuclear weapon
is banned.
The question of a threat of force, within the meaning of the Charter,
needs some attention. To determine this question, an examination of the
concept of threat of force in the Charter becomes necessary.

Article 2 (4) of the United Nations Charter outlaws threats against the
territorial integrity or political independence of any State. As reaffirmed
in the Declaration on Principles of International Law Concerning
Friendly Relations 1970 :
"Such a threat or use of force constitutes a violation of interna-

tional law and the Charter of the United Nations and shall never be
employed as a means of settling international issues." (General
Assembly resolution 2625 (XXV).)
Other documents confirming the international community's understand-
ing that threats are outside the pale of international law include the 1965
Declaration on the Inadmissibility ofIntervention in the Domestic Affairs

of States and the Protection of Their Independence and Sovereignty
(General Assembly resolution 2131 (XX)), and the 1987 Declaration
on the Enhancement of the Principle of Non-Use of Force (General
Assembly resolution 42122,para. 2).

It is to be observed that the United Nations Charter draws no distinc-
tion between the use of force and the threat of force. Both equally lie
outside the pale of action within the law.
Numerous international documents confirm the prohibition on the
threat of force without qualification. Among these are the 1949Declara-
tion on Essentials of Peace (General Assembly resolution 290 (IV)); the
1970Declaration on the Strengthening of International Security (General
Assembly resolution 2734 (XXV)); and the 1988Declaration on the Pre-
vention and Removal of Disputes and Situations Which May Threaten

International Peace and Security and on the Role of the United Nations
in This Field (General Assembly resolution 43/51). The Helsinki Final
Act (1975)requires participating States to refrain from the threat or use
of force. The Pact of Bogota (the American Treaty on Pacific Settlement)
is even more specific, requiring the contracting parties to "refrain from
the threat or the use of force, or from any othermeans of coercion for the
settlement of their controversies . ..". MENACEOU EMPLOI D'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW. EERAMANTRY) 525

3. Le concept de((menacede laforce)) dans la Charte
des Nations Unies

La question poséepar l'Assemblée généralceoncerne l'emploi de la
force et la menace de la force. En principe, I'emploide la force, mêmeau
moyen de l'arme la plus simple, est illicite en vertu de la Charte des
Nations Unies. Il n'y a donc pasà se demander si l'emploi de la force au
moyen d'une arme nucléaire est contraire au droit international. Si
l'emploi d'un simple fusil est prohibé,la question de savoir si une arme

nucléaire estinterdite n'a guère de sens.
La question de la menace de la force au sens de la Charte appelle quel-
ques commentaires. Elle exige un examen de la notion mêmede menace
de la force, telle qu'elle figuredans la Charte.
L'article 2, paragraphe 4, de la Charte interdit les menacàsl'intégrité
territoriale et l'indépendance politique detout Etat. Ainsi qu'il estréaf-
firmédans la déclaration sur les principes du droit international concer-
nant les relations amicales de 1970:

«Pareil recoursà la menace ou à l'emploide la force constitue une
violation du droit internationalet de la Charte desNations Unies etne
doitjamais êtreutilisé comme moyen de règlementdesproblèmesinter-
nationaux.»(Résolution2625(XXV)de l'Assemblée générale.)

Parmi les autres documents qui confirment qu'aux yeux de la commu-
nauté internationale la menace est interdite par le droit international, on
peut citer la déclaration de1965sur l'inadmissibilitéde l'intervention dans
lesaffaires intérieures desEtats et la protection de leur indépendanceet de
leur souveraineté(résolution 2131 (XX) de l'Assemblée générale) e lt
déclarationde 1987sur le renforcement del'efficacitédu principe de l'abs-
tention du recours àla menace ou à I'emploide la force dans les relations
internationales (résolution42/22 de l'Assemblée généralp e,r. 2).
Il està noter que la Charte des Nations Unies ne fait pas de distinction
entre l'emploi de la force et la menace de la force. L'un et l'autre sont
exclus du champ des comportements licites.
De nombreux documentsinternationaux confirment que la menace de
la force est totalement interdite. citera, parmi d'autres, la déclaration
de 1949 sur les éléments essentielsde la paix (résolution 290 (IV) de

l'Assembléegénérale);la déclaration de 1970 sur le renforcement de la
sécuritéinternationale (résolution2734 (XXV) de l'Assembléegénérale);
et la déclaration de1988sur la préventionet l'élimination des différends
et des situations qui peuvent menacer la paix et la sécuriinternationales
et le rôle des Nations Unies dans ce domaine (résolution 43/51 de
l'Assembléegénérale).L'acte final d'Helsinki (1975) enjoint aux Etats
participant de s'abstenir dela menace ou de I'emploide la force. Le pacte
de Bogota (le traitéaméricain surle règlement pacifique des différends)
est plus précisencore puisqu'il exigedes parties contractantes qu'elles
s'abstiennent «de la menace, de I'emploide la force ou de n'importe quel
autre moyen de coercition pour réglerleurs différends ..» The principle of non-use of threats is thus as firmly grounded as the
principle of non-use of force and, in its many formulations, it has not
been made subject to any exceptions. If therefore deterrence is a form of
threat, it must come within the prohibitions of the use of threats.

A more detailed discussion follows in Section VII.2 of the concept of
deterrence.

4. Equality in the Texture of the Laws of War

There are some structural inequalities built into the current interna-
tional legal system, but the substance of international law - itscorpus of

norms and principles - applies equally to all. Such equality of al1those
who are subject to a legal system iscentral to its integrity and legitimacy.
So it is with the body of principles constituting the corpus of interna-
tional law. Least of al1can there be one law for the powerful and another
law for the rest. No domestic system would accept such a principle, nor
can any international system which is premised on a concept of equality.

In the celebrated words of the United States Chief Justice John Mar-
shall in 1825,

"No principle of general law is more universally acknowledged
than the perfect equality of nations. Russia and Geneva have equal
rights." 163

As with al1 sections of the international legal system, the concept of
equality is built into the texture of the laws of war.
Another anomaly is that if, under customary international law, the use
of the weapon is legal, this is inconsistent with the denial, to 180 of the

185 Members of the United Nations, of even the right to possession of
this weapon. Customary international law cannot operate so unequally,
especially if,as is contended by the nuclear powers, the use of the weapon
is essential to their self-defence. Self-defenceis one of the most treasured
rights of States and is recognized by Article 51 of the United Nations
Charter as the inherent right of every Member State of the United
Nations. It is a wholly unacceptable proposition that this right is granted

in different degrees to different Members of the United Nations family of
nations.

163The Antelope case, [1825] 10 Wheaton, p. 122. Cf. Vattel, "A dwarf is as much a
man as a giant is;a small republic is no less a sovereign state than the most powerful
Kingdom." (Droit des gens, Fenwick trans. in Classicsoflnternational Law, S. 18.) Le principe du non-recours à la menace de la force est donc aussi fer-

mement établi quele principe du non-recours à la force et, dans aucune de
ses nombreuses formulations, il n'a fait l'objet d'exceptions.Si donc la
dissuasion est une forme de menace, elle est nécessairementcouverte par
l'interdiction de la menace de la force.
Une analyse plus détailléede la notion de dissuasion figure à la sec-
tion VII, paragraphe 2.

4. L'égalité dansle contexte du droit de la guerre

Il y a, dans l'ordre juridique international actuel, des inégalitésstruc-
turelles mais le fond du droit international - le corpus de normes et de
principes en quoi il consiste - s'applique également à tous. L'égalitéde
l'ensemble des sujetsdedroit dans le cadre d'un mêmeordre juridique est
une condition essentiellede l'intégrité et de la légitimitde cet ordre juri-

dique. La règlevaut pour le groupe de principes qui constituent le corpus
du droit international. Il ne saurait encore y avoir un droit pour les puis-
sants et un droit pour les autres. Une telle formule ne serait acceptable
dans aucun ordre interne; elle ne l'est pas davantage dans l'ordre inter-
national, qui repose sur la notion d'égalité.
Comme l'a dit en 1825lejuge américainJohn Marshall dans une for-
mule célèbre :

«Aucun principe du droit général n'est plus universellement
reconnu que leprincipe de la complèteégalité des nations. La Russie

et Genèveont des droits égaux. » 163

La notion d'égalité fait partie intégrantedu droit de la guerre comme de
toutes les autres composantes de l'ordre juridique international.
Il convient de relever un autre anomalie: si, en vertu du droit interna-
tional coutumier, l'emploide la bombe est licite,il est illogiquede refuser a
cent quatre-vingtsdescentquatre-vingt-cinq Membresdel'organisation des
Nations Unies le droit de simplementpossédercette arme. Le droit in-
ternational coutumiernepeut pas s'appliquerde façon aussiinégale,surtout
étantdonné la positiondes puissances dotées d'armesnucléairesqui pré-

tendent qu'ellesdoivent pouvoir employer la bombe à des finsde légitime
défense.Le droit de légitime défense es l'tun deceuxauxquelslesEtats sont
le plus attachés et l'article1 de la Charte des Nations Unies le reconnaît
comme un droit naturel de tous les Etats Membres des Nations Unies. Il
est impensable que ce droit soit accordé à des degrésvariables aux divers
membresde la famille desnations que représentel'OrganisationdesNations
Unies.

163Affaire de I'Antelope, [1825] Wheaton, p. 122. Voir Vattel: (<Unnain est un être
humain au mêmetitre qu'un géant;une petite république estun Etat souverain au même
titre que le royaume le plus puissant.it des gens, version française baséesur la tra-
duction de Fenwick dans Classics of International Law, S. 18.)

304 Defacto inequalities always exist and will continue to exist so long as
the world community is made up of sovereign States, which are necessar-
ily unequal in size,strength, wealth and influence. But a great conceptual
leap is involved in translating defacto inequality into inequality dejure.
It is preciselysuch a leap that is made by those arguing, for example, that
when the Protocols to the Geneva Conventions did not pronounce on the
prohibition of the use of nuclear weapons, there was an implicit recogni-
tion of the legality of their use by the nuclear powers. Such silencemeant
an agreement not to deal with the question, not a consent to legality of
use. The "understandings" stipulated by the United States and the United
Kingdom that the rules established or newly introduced by the 1977
Additional Protocol to the four 1949 Geneva Conventions would not
regulate or prohibit the use of nuclear weapons do not undermine the
basic principles which antedated these forma1 agreements and received

expression in them. They rest upon no conceptual or juristic reason that
can make inroads upon those principles. It is conceptually impossible to
treat the silence of these treaty provisions as overruling or overriding
these principles.

Similar considerations apply to the argument that treaties imposing
partial bans on nuclear weapons must be interpreted as a current accep-
tance, by implication, of their legality.

This argument is not well founded. Making working arrangements
within the context of a situation one is powerless to avoid is neither a
consent to that situation, nor a recognition of its legality. It cannot con-
fer upon that situation a status of recognition of its validity. Malaysia
offered in this context the analogy of needle exchange programmes to
minimize the spread of disease among drug users. Such programmes can-

not be interpreted as rendering drug abuse legal (Written Comments,
p. 14).What is important is that, amidst the plethora of resolutions and
declarations dealing with nuclear weapons, there is not one which sanc-
tions the use of such weapons for any purpose whatsoever.

A legal rule would be inconceivable that some nations alone have the
right to use chemicalor bacteriological weapons in self-defence,and others
do not. The principle involved, in the claim of some nations to be able to
use nuclear weapons in self-defence,rests on no different juristic basis.

Another feature to be considered in this context is that the community
of nations is by very definition a voluntarist community. No elementin it
imposes constraints upon any other element from above. Such a structure
is altogether impossible except on the basic premise of equality. Else "the Il existe des inégalitésde fait et il continuera d'en exister aussi long-
temps que la communauté internationale sera composée d7Etats souve-
rains qui sont nécessairementinégauxpar leur taille, leur puissance, leur
richesse et leur influence. Mais, au plan conceptuel, il y a une grande dif-
férenceentre la constatation d'une inégalitéde fait et sa transposition en
une inégalitéde droit. C'est précisémencte pas que franchissent ceux, par
exemple, pour qui le silence des protocoles additionnels aux conventions
de Genèvesur l'interdiction de l'emploi desarmes nucléaireséquivaut à
une reconnaissance implicite de la licéitde l'emploi de ces armes par les
puissances dotées d'armesnucléaires. En réalitéc,e que traduit le silence
des protocoles c'est un accord pour ne pas traiter de la question, non un
accord pour reconnaître la licéitéde l'emploi des armes nucléaires. Les

«déclarations» des Etats-Unis et du Royaume-Uni selon lesquelles les
règlesétabliesou lesrèglesnouvelles énoncéed sans le protocole addition-
nel de 1977aux quatre conventions de Genève de 1949ne sont censéesni
régirni interdire l'emploi desarmes nucléaires nemettent pas en question
les principes de base qui existaient avant que ces instruments formels
ne soient adoptés et ne les formule noir sur blanc. Elles ne reposent
sur aucun argument philosophique ou juridique qui ait la moindre prise
sur les principes en question.l est absurde d'attribuer au silence des dis-
positions conventionnelles considéréesune valeur juridique supérieure
à celle des principes en cause.
On peut répondre de la mêmemanière à l'argument suivant lequel les
traitésimposant des interdictions partielles touchant les armes nucléaires
doivent être interprétés comme reconnaissantimplicitement, pour le

moment, la licéité de ces armes.
Cet argument est mal fondé. Trouver des accommodements dans le
cadre d'une situation dont on n'est pas maître n'équivaut ni à accepter
cette situation nià en reconnaître la licéité.De tels accommodements
n'emportent en aucune manière reconnaissance de la légitimitéde la
situation. La Malaisie a fait dans ce contexte une comparaison avec les
programmes d'échangede seringues visant à freiner la propagation des
maladies parmi les toxicomanes. De tels programmes ne peuvent pas être
interprétés commelégalisantl'abus des stupéfiants (observations écrites,
p. 14). Ce qui compte, c'est que, dans la multitude de résolutions et de
déclarations où il est question des armes nucléaires,on n'en trouve pas
une qui autorise l'emploi de ces armes à quelque fin que ce soit.
On ne saurait guère concevoir une règlejuridique qui permettrait à
quelques nations d'employer des armes chimiques et bactériologiques en

étatde légitime défense mais ne conféreraitpas le mêmedroit àd'autres.
Pourtant, c'estde cette logique juridique que procèdela position des pays
qui prétendent avoirle droit d'utiliser les armes nucléaires enétatde légi-
time défense.
Il faut en outre rappeler ici que la sociétéinternationale est par défini-
tion une sociétévolontariste. Il n'est loisiblà aucun de ses éléments
d'imposer aux autres à partir d'une position de force des limitesà leur
libertéd'action. Une telle structure ne peut fonctionner que sur la base de danger is very real that the law will become little more than the expres-
sion of the will of the strongest" "j4.
If the corpus of international law is to retain the authority it needs to
discharge its manifold and beneficent functions in the international com-
munity, every element in its composition should be capable of being
tested at the anvil of equality. Some structural inequalities have indeed

been built into the international constitutional system, but that is a very
different proposition from introducing inequalities into the corpus of
substantive law by which al1nations alike are governed.
It scarcely needs mention that whatever is stated in this section is
stated in the context of the total illegality of the use of nuclear weapons
by any powers whatsoever, in any circumstances whatsoever. That is the
only sensein which the principle of equality which underlies international
law can be applied to the important international problem of nuclear
weapons.

5. The Logical Contradiction of a Dual Régime
in the Laws of War

If humanitarian law is inapplicable to nuclear weapons, we face the
logical contradiction that the laws of war are applicable to some kinds of
weapons and not others, while both sets of weapons can be simultan-
eously used. One set of principles would apply to al1other weapons and
another set to nuclear weapons. When both classes of weapons are used
in the same war, the laws of armed conflict would be in confusion and
disarray.

Japan is a nation against which both sets of weapons were used, and it
is not a matter for surprise that this aspect seems first to have caught the

attention of Japanese scholars. Professor Fajita, in an article to which we
were referred, observed :
"this separation of fields of regulation between conventional and
nuclear warfare will produce an odd result not easily imaginable,
because conventional weapons and nuclear weapons will be eventu-

ally used at the same time, and in the same circumstances in a future
armed conflict" '65.
Such a dual régime is inconsistent with al1 legal principle, and no
reasons of principle have ever been suggested for the exemption of
nuclear weapons from the usual régimeof law applicable to al1weapons.
The reasons that have been suggested are only reasons of politics or

of expediency, and neither a court of law nor any body of consistent
juristic science can accept such a dichotomy.
It is ofinterest to note in this context that even nations denying the

164Weston. op. cit., p. 254.
165Kansai University Review of Law and Political Science, 1982,Vol. 3, p. 77l'égalité,faute de quoi «il y a tout lieu de craindre que le droit ne se
réduise à l'expression de la volontédes plus forts»"j4.
Si l'on veut que le droit international conserve l'autorité qu'il doit
avoir pour remplir les multiples fonctions bénéfiquesqui sont les siennes
dans la sociétéinternationale, il faut que chacune de ses composantes
satisfasse au critère de l'égalité.Sans doute certaines inégalitésstructu-
relles ont-elles étéintroduites dans l'ordre constitutionnel international
mais introduire des inégalitésdans le droit substantif, qui régittoutes les

nations sans distinction, est une tout autre question.
Il est a peine besoin de souligner que tout ce qui est dit dans la présente
section repose sur l'idéeque l'emploi des armes nucléairespar quelque
puissance que ce soit et dans quelque circonstance que ce soit est totale-
ment illicite. C'estlà la seule manière dont le principe d'égalité,fonde-
ment du droit international, puisse êtreappliqués'agissant de l'important
problème international que posent les armes nucléaires.

5. Caractèreillogiqued'un régimedualiste en matière

de droit de la guerre
Si l'on admettait que le droit humanitaire ne s'applique pas aux armes
nucléaires,on aboutirait à cette contradiction que le droit de la guerre

s'applique a certaines armes mais non à d'autres, mêmesi les deux caté-
gories d'armes pourraient êtreutiliséessimultanément. Un ensemble de
principes s'appliquerait aux armes nucléaires et un autre au reste des
armes. Si les deux catégories d'armes devaient êtreemployéesdans le
cadre d'une même guerre,le droit des conflits armésne serait plus que
confusion et anarchie.
Le Japon est une nation contre laquelle lesdeux catégories d'armes ont
été employées eitl n'est donc pas étonnant que la doctrine japonaise ait,
semble-t-il, étéla première à soulever ce problème. Le professeur Fajita,
dans un article qui a étéporté à notre attention, a déclaréce qui suit:

((cette scission entre les règlesde la guerre classique et celles de la
guerre nucléairedonnera de curieux résultats que l'on a peine à se
représenter parce que les armes classiques et les armes nucléaires
seront en fin de compte utiliséessimultanément et dans les mêmes
circonstances dans le cadre d'un éventuel conflitarmé» 165.

Un tel systèmedualiste est contraire à tout principejuridique et il n'a
étéavancé aucune raison de fond qui justifierait que les armes nucléaires
soient soustraites au régimejuridique normalement applicable à toutes
les armes. Seules ont été invoquées dersaisons d'opportunité ou des rai-
sons politiques et il n'est pas d'organe judiciaire ou de systèmejuridique

cohérent quipuisse accepter une dichotomie de ce genre.
Il est intéressant de noter à cet égardque même lesnations qui con-

L64Weston, op. cit., p. 254.
'65Kansai University Revieiv of Law and Political Science, 1982,vol. 3, p. 77.

306illegality of nuclear weapons per se instruct their armed forces in their
military manuals that nuclear weapons are to bejudged according to the
same standards that apply to other weapons in armed ~onflict'~~.

6. Nucleur Decision-Muking

A factor to be taken into account in determining the legality of the use

of nuclear weapons, having regard to their enormous potential for global
devastation, is the process of decision-making in regard to the use of
nuclear weapons.
A decision to use nuclear weapons would tend to be taken, if taken at
all, in circumstances which do not admit of fine legal evaluations. It will
in al1probability be taken at a time when passions run high, time is short
and the facts are unclear. It will not be a carefully measured decision,
taken after a detailed and detached evaluation of al1 relevant circum-

stances of fact. It would be taken under extreme pressure and stress.
Legal matters requiring considered evaluation may have to be determined
within minutes, perhaps even by military rather than legally trained per-
sonnel, when they are in fact so complex as to have engaged this Court's
attention for months. The fate of humanity cannot fairly be made to
depend on such a decision.

Studies have indeed been made of the process of nuclear decision-
making and they identify four characteristics of a nuclear crisis 167.These
characteristics are :

(1) the shortage of time for making crucial decisions. This is the funda-
mental aspect of al1crises;
(2) the high stakes involved and, in particular, the expectation of severe
loss to the national interest;
(3) the high uncertainty resulting from the inadequacy of clear informa-
tion, for example, what is going on?, what is the intent of the
enemy?; and

(4) the leaders are often constrained by political considerations, restrict-
ing their options.
Ifsuch is the atmosphere in which leaders are constrained to act, and if
they must weigh the difficult question whether it is legal or not in the
absence of guidelines, the risk of illegality in the use of the weapon is

great.

16'SeeConn Nugent, "How a Nuclear War Might Begin", in Proceedings of the Sixth
World Congress of the International Physicians for the Prevention of Nuclear War,
op.cit.p. 117. MENACE OU EMPLOI D'ARMES NUCLÉAIRES (OP.DISSW . EERAMANTRY) 529

testent l'illicéité dearmes nucléaires entant que telles avertissent leurs
forces arméesdans leurs manuels militaires que les armes nucléairessont
soumises aux normes qui s'appliquent aux autres armes en période de
conflit armé '(j6.

6. Le processus d'élaborationdes décisions
en matière nucléaire

Dans une réflexionsur la licéitéde l'emploi des armes nucléaires, il
faut, étant donnéleur énormepotentiel de destruction a l'échelleplané-
taire, s'interroger sur le processus d'élaboration des décisions relatives a

leur emploi.
La décision d'utiliser lesarmes nucléaires - si décisionil y a - sera
vraisemblablement prise dans des conditions peu propices à des appré-
ciationsjuridiques nuancées puisque, selon toute probabilité, les passions
seront exacerbées,le temps fera défautet les faits seront mal connus. Ce
ne sera doncpas une décisionmûrement pesée,adoptéeaprès une analyse
détailléeet objective de tous les élémentsde fait à prendre en considéra-

tion mais une décision dictéepar l'appréhensionet la pression des événe-
ments. Des questions juridiques exigeant une réflexion approfondie
devront être tranchéesen quelques minutes, peut-êtremêmepar des mili-
taires et non par des juristes alors même qu'ellessont assez complexes
pour avoir retenu l'attention de la Cour pendant des mois. Le sort de
l'humanité ne peut pas raisonnablement dépendre d'une décision prise
dans de telles conditions.
Selon les étudesqui ont été faitessur le processus d'élaboration des

décisionsen matière nucléaire167u, ne crise nucléaire présenteles quatre
particularités suivantes :
1) la nécessitéde prendre des décisions crucialesen très peu de temps;

c'est la une caractéristique essentielle de toutes les situations de crise;
2) l'importance des enjeux et, en particulier, la gravitédu périlencouru
par l'intérêntational;
3) l'extrêmeincertitude engendréepar l'absence de renseignements précis
sur le déroulement des événements,les intentions de l'ennemi, etc.

4) l'intervention de considérations politiques limitant la liberté d'action

des autorités.
Si telles sont les conditions dans lesquelles les dirigeants doivent agir et
s'illeur faut apprécierla licéitéde tel ou tel comportement sans le secours
de directives, le risque d'une utilisation illicite de l'arme est considérable.

16'Voir Conn Nugent, «How a Nuclear War Might Begin)), dans les actes du sixième
congrès mondial de l'Association internationale des médecinspour la préventionde la
guerre nucléaire(IPPNW),op.cit.p. 117. The weapon should in my view bedeclared illegalin al1circumstances.
If it is legal in some circumstances, however improbable, those circum-
stances need to be specified (or else a confused situation is made more
confused still).

VI. THEATTITUD EF THE INTERNATION COLMMUNITY
TOWARDS NUCLEAR WEAPONS

Quite apart from the importance of such considerations as the con-
science of humanity and the general principles of law recognized by civi-
lized nations, this section becomes relevant also because the law of the
United Nations proceeds from the will of the peoples of the United
Nations; and ever since the commencement of the United Nations, there
has not been an issue which has attracted such sustained and widespread
attention from its community of members. Apartheid was one of the
great international issues which attracted concentrated attentionuntil
recently, but there has probably been a deeper current of continuous-
Cern with nuclear weapons, and a universally shared revulsion at their
possible consequences. The floodtide of global disapproval attending the
nuclear weapon has never receded and no doubt will remain unabated so

long as those weapons remain in the world's arsenals.

1. The Universality of the Ultimate Goal
of Complete Elimination

The international community's attitude towards nuclear weapons has
been unequivocal - they are a danger to civilization and must be elimi-
nated. The need for their complete elimination has been the subject of
several categorical resolutions of the General Assembly, which are
referred to elsewhere in this opinion.

The most recent declaration of the international community on this
matter was at the 1995 Non-Proliferation Treaty Review Conference
which, in its "Principles and Objectives for Nuclear Non-Proliferation
and Disarmament", stressed "the ultimate goals of the completelimina-
tion of nuclear weapons and a treaty on general and complete disarma-
ment". This was a unanimous sentiment expressed by the global commu-
nity and a clear commitment by every nation to do al1that it could to
achieve the complete elimination ofthese weapons.

The NPT, far from legitimizingthe possession of nuclear weapons, was
a treaty for their liquidation and eventual elimination. Its preamble

equivocally called for the liquidation of al1existing stockpiles and their
elimination from national arsenals.ch continued possession as it envis- L'arme nucléairedoit àmon avis êtredéclarée illiciteen toutes circons-
tances. Si certaines circonstances en rendent l'emploi licite - ce qui
paraît bien improbable - il faut les préciserpour éviterd'ajouter à la
confusion.

VI. L'ATTITUD EE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE
VIS-À-VI DES ARMES NUCLÉAIRES

S'il paraît utile de consacrer une section a cette question, c'est parce
que, indépendamment du rôle important que jouent des facteurs tels que
la consciencede l'humanitéet lesprincipes généraux de droit reconnus par
les nations civilisées,c'est de la volontédes peuples des Nations Unies
que procèdeledroit desNations Unies; or, aucune question depuis lacréa-
tion de l'organisation n'a suscitédans la communauté de ses membres

un intérêtaussi soutenu et aussi universel. Sans doute l'apartheid
a-t-il étéj,usqu'à une date récente, l'un desgrands problèmesinternatio-
naux sur lesquels se concentrait l'attention, mais il semble bien que
l'inquiétudecauséepar les armes nucléairesait étéplus constante et plus
profonde et l'horreur inspirée par leurs conséquences pluslargement
partagée. La tempête deprotestations provoquée par les armes nu-
cléairesn'a jamais connu de répitet continuera sans doute de faire rage
aussi longtemps que ces armes seront stockéesdans les arsenaux de la
planète.

1. Universalité del'adhésion au butultime
de 1'élimination complète

Les armes nucléairesont suscitédans la société internationale une réac-
tion sans équivoque - ellesconstituent un danger pour la civilisation et
doivent êtreéliminées.La nécessitéde les éliminercomplètement a été
soulignéepar plusieurs résolutions catégoriques del'Assemblée générale,
qui sont mentionnéesdans d'autres parties de la présenteopinion.
La déclarationla plus récente dela communauté internationale surcette

question a eu pour cadre la conférence chargée d'examinelre traitésur la
non-prolifération, tenue en 1995, laquelle a, sous le titre ((Principes et
objectifsdelanon-proliférationet du désarmement nucléaires))misl'accent
sur «les objectifs finals de l'élimination complète des armes nucléaires et
la conclusion d'un traité surle désarmement général ectomplet)). Cette
formule traduit le sentiment unanime de la communauté mondiale et
la volonté clairement exprimée de l'ensembledes nations de faire tout ce
qui est en leur pouvoir pour parvenir a l'élimination complète deces
armes.

Le traité sur la non-prolifération, loin de légitimerla possession des
armes nucléaires, visaità en assurer la liquidation et, en dernière analyse,
l'élimination. Son préambule prescrirait clairemen lt liquidation de tous
les stocks existants et l'éliminationdes armes en cause des arsenauxatio-aged was not absolute but subject to an overriding condition - the pur-
suit in good faith of negotiations on effective measures relating to the
cessation of the nuclear arms race at an early date. Inherent in this condi-
tion and in the entire treaty was not the acceptance of nuclear weapons,

but their condemnation and repudiation. So it was when the NPT entered
into force on 5 March 1970 and so it was when the NPT Review and
Extension Conference took place in 1995'68.

The NPT Review Conference of 1995was not new in the universality it
embodied or in the strength of the commitment it expressed, but merely
a reiteration of the views expressed in the very first resolution of the

United Nations in 1945. From the formation of the United Nations to
the present day, it would thus be correct to say that there has been a uni-
versa1commitment to the elimination of nuclear weapons - a commit-
ment which was only a natural consequence of the universal abhorrence
of these weapons and their devastating consequences.

2. OverwhelmingMajorities
in Support of Total Abolition

This view, which cannot be more clearly expressed than it has been in
numerous pronouncements of the General Assembly, provides a back-
drop to the consideration of the applicable law, which follows.

Itis beyond dispute that the preponderant majority of States oppose
nuclear weapons and seek their total abandonment.
The veryfirst resolution of the General Assembly, adopted at its Seven-
teenth Plenary Meeting on 24 January 1946, appointed a Commission

whose terms of reference were, inter alia, to make specificproposals "for
the elimination from national armaments of atomic weapons and of al1
other major weapons adaptable to mass destruction".

In 1961,at Belgrade, the Non-aligned Heads of Statemade a clear pro-
nouncement on the need for a global agreement prohibiting al1nuclear
tests. The non-aligned movement, covering 11 3 countries from Asia,

Article 4 of Decision No. 2 on the Principles and Objectives for Nuclear Non-Pro-
liferation and Disarmament, adopted by that Conference, stipulated as an obligation of
States parties, which was inextricably linked to the extension of the treaty, the following
goal,interalia:
"The determined pursuit by the nuclear-weapon States of systematic and progres-
siveefforts to reduce nuclear weapons globally, with the ultimate goals ofg
those weapons." (Para. 4 (c).)
Also the Conference on Disarmament was to complete the negotiations for a Compre-
hensive Nuclear-Test-Ban Treaty no later than 1996(para. 4 (a)).naux. La faculté decontinuer à posséder des armes nucléairesp ,our autant

qu'ellefût reconnue par le traité, n'étaitpas absolue mais subordonnée à
la condition que soient poursuivies de bonne foi les négociations sur
des mesures efficacesconcernant la cessation au plus tôt de la course aux
armements nucléaires.Cette condition et le traitétout entier traduisaient
l'intention non d'accepter les armes nucléaires mais de les condamner
et de les rejeter. Cela étaitvrai lorsque le traité sur la non-prolifération
est entréen vigueur le 5 mars 1970et l'étaitencore lorsque s'est tenue en

1995la conférence chargée d'examinerle traitéet la question de sa pro-
r~gation'~~.
La conférencede 1995chargéed'examiner letraité sur la non-prolifé-
ration n'a rien révélé de nouveau sur l'universalitéet la force des enga-
gements qui existent en la matière; elle a simplement confirmé des posi-
tions qui ont été exprimées dè ls première résolutiondes Nations Unies
en 1945. On peut donc dire que, depuis la naissance des Nations Unies

et jusqu'à cejour, il existe une volonté unanime d'éliminer lesarmes nu-
cléaires - volontéqui est la conséquencenaturelle de l'horreur que ces
armes et leurs effets destructeurs inspirent à l'humanitétout entière.

2. Rappel des écvasantesmajoritésfavovables

à l'abolition totale

La volonté évoquée ci-dessus, qui ne pourrait s'exprimer plus claire-
ment qu'elle nele fait dans de nombreuses résolutions et déclarationsde
l'Assemblée générale, définit la perspectid vaens laquelle se situe l'examen
de la question du droit applicable.
Il n'est pas contestable que l'immense majorité des Etats est opposée
aux armes nucléaireset cherche à les faire totalement disparaître.
La toute première résolution de l'Assemblée générala edoptée à la

dix-septième séance plénièrel,e 24 janvier 1946, a constitué une com-
mission qui était notamment chargée de présenterdes propositions dé-
terminées en vue((d'éliminer,des armements nationaux, les armes ato-
miques et toutes autres armes importantes permettant des destructions
massives ».
En 1961, à Belgrade, les chefs d'Etat et de gouvernement des pays non
alignésont clairement reconnu la nécessitéd'élaborerun accord global

interdisant tous les essais nucléaires. Lemouvement des pays non alignés,

Au nombre des buts définispar le paragraphe 4 de la décisionno2 sur les ((Principes
férence figurele but suivant présenté comme une obligation desEtats parties intrinsèque-
ment liée la prorogation du traité:

«La volonté desEtats dotés d'armes nucléaires d'aller systématiquement eptro-
gressivement de l'avant afin de réduireles armes nucléairesdans leur ensemble, puis
de les éliminer.Par. 4 c).)
En outre, la conférence du désarmementa étéinvàtconclure les négociationssur un
traitéd'interdiction totale des essais nucléairesau plus tard en 1996(par. 4 a)).Africa, Latin America and Europe, comprises within its territories not
only the vast bulk of the world's population, but also the bulk of the
planet's natural resources and the bulk of its bio-diversity. It has pursued
the aim of the abolition of nuclear weapons and consistently supported a
stream of resolutions 169in the General Assembly and other international
forums pursuing this objective. The massive majorities of States calling
for the Non-Use of Nuclear Weapons can leave little doubt of the overall
sentiment of the world community in this regard.

States appearing before the Court have provided the Court with a list
of United Nations resolutions and declarations indicating the attitude
towards these weapons of the overwhelming majority of that member-
ship. Several of those resolutions do not merely describe the use of
nuclear weapons as a violation of international law, but also assert that
they are a crime against humanity.
Among these latter are the resolutions on Non-Use of Nuclear Weap-
ons and Prevention of Nuclear War, passed by the General Assembly to
this effect in 1978, 1979, 1980and 1981,were passed with 103, 112, 113
and 121votes respectively in favour, with 18, 16, 19and 19 respectively

opposing them, and 18, 14, 14 and 6 abstentions respectively. These can
fairly be described as massive majorities (see Appendix IV of Malaysian
Written Comments).
Resolutions setting the elimination of nuclear weapons as a goal are
legion. One State (Malaysia) has, in its Written Comments, listed no less
than 49 such resolutions, several of them passed with similar majorities
and some with no votes in opposition and only 3 or 4 abstentions. For
example, the resolutions on conclusion of effectiveinternational arrange-
ments to assure non-nuclear weapon States against the use or threat of
use of nuclear weapons of 1986and 1987 were passed with 149 and 151
votes in favour, none opposed and 4 and 3abstentions respectively. Such
resolutions, adopting a goal of complete elimination, are indicative of a

global sentiment that nuclear weapons are inimical to the general inter-
ests of the community of nations.

The declarations of the world community's principal representative
organ, the General Assembly, may not themselves make law, but when
repeated in a stream of resolutions, as often and as definitely as they have
been, provide important reinforcement to the view ofthe impermissibility
of the threat or use of such weapons under customary international law.
Taken in combination with al1 the other manifestations of global
disapproval of threat or use, the confirmation of the position is streng-

thened even further. Whether or not some of the General Assembly reso-
lutions are themselves "law making" resolutions is a matter for serious

169See footnote 99, above.qui regroupe cent treize pays d'Asie, d'Afrique, d'Amérique latineet
d'Europe comptant sur leurs territoires non seulement la majeure partie
de la population mondiale mais aussi l'essentiel des ressourcesnaturelles
de la planèteet de sa biodiversité,a Œuvré enfaveur de l'élimination des
armes nucléaireset systématiquementappuyé toute une sériede résolu-

tions169tant au sein de l'Assemblée généraq leue dans d'autres instances
recherchant le même objectif. Lenombre considérabled'Etats qui prô-
nent le non-recours aux armes nucléairestémoigne éloquemmentdu sen-
timent unanime de la communauté mondiale à cet égard.
Les Etats qui se sont présentésdevant la Cour lui ont fait tenir une liste
de résolutions et de déclarations des Nations Unies où est exprimée la
position de l'écrasante majoritédes Etats Membres à l'égard desarmes
en question. Plusieurs de ces résolutionsqualifient I'emploi desarmes nu-
cléairesnon seulement de violation du droit international, mais aussi de
crime contre l'humanité.
Des résolutions sur le non-recours aux armes nucléaires etla pré-
vention de la guerre nucléaireont notamment étéadoptées en 1978par

103voix contre 18, avec 18 abstentions, en 1979par 112voix contre 16,
avec 14abstentions, en 1980par 113voix contre 19,avec 14abstentions
et en 1981par 121voix contre 19, avec 6 abstentions. On peut vraiment
qualifier ces majorités d'écrasantes(voir l'appendiceV aux observations
écritesde la Malaisie).
Lesrésolutions quiprésententl'élimination des armes nucléairescomme
le butà atteindre sont trèsnombreuses. Un Etat (la Malaisie) en a, dans
ses observations écrites,dénombréquarante-neuf, dont plusieurs ont été
adoptées à des majorités comparables et certaines sans aucune opposi-
tion, avec seulement trois ou quatre abstentions. C'est ainsique les réso-
lutions de 1986et de 1987 sur la conclusion d'arrangements internatio-

naux efficacespour garantir les Etatsnon dotésd'armesnucléairescontre
l'emploi ou la menace d'armes nucléairesont étéadoptées,la première
par 149voix contre zéro,avec 4 abstentions, et la deuxièmepar 151voix
contre zéro,avec 3 abstentions. Ces résolutionsoù l'éliminationcomplète
des armes nucléaires est présentéc eomme le but à atteindre témoignent
d'un sentiment unanime qui voit dans les armes nucléairesun danger
pour les intérêts générau dxe la communauté des nations.
Les déclarations del'Assemblée générale o,rgane représentatif princi-
pal de la communautéinternationale, n'ont peut-être pas,en elles-mêmes,
valeur de norme de droit mais lorsque, comme c'est lecas en l'espèce,
elles sont réitéréesi souvent et en termes catégoriqueselles confortent

sensiblement la thèsede l'illicéitde la menace d'emploi ou l'emploi des
armes nucléaires au regard du droit international coutumier. Si l'on
prend en outre en compte d'autres manifestations d'hostilité à l'emploi
ou à la menace d'emploi de ces armes, la thèse gagneencore en autorité.
Quant à savoir si certaines des résolutionsde l'Assemblée généraloent,

'69Voir ci-dessus la note 99. consideration, with not inconsiderable scholarly support for such a
view ''O.

Although the prime thrust for these resolutions came from the non-
aligned group, there has been supportive opinion for the view ofillegality
from States outside this group. Among such States contending for ille-
gality before this Court are Sweden, San Marino, Australia and New

Zealand. Moreover, evenin countries not asserting the illegalityof nuclear
weapons, opinion is strongly divided. For example, we were referred to a
resolution passed by the Italian Senate, on 13 July 1995,recommending
to the Italian Government that they assume a position favouring a judg-
ment by this Court condemning the use of nuclear weapons.
It is to be remembered also that, of the 185 Member States of the
United Nations, only five have nuclear weapons and have announced
policies based upon them. From the standpoint of the creation of inter-
national custom, the practice and policies of five States out of 185 seem
to be an insufficient basis on which to assert the creation of custom,
whatever be the global influence of those five.As was stated by Malaysia :

"If the laws of humanity and the dictates of the public conscience
demand the prohibition of such weapons, the five nuclear-weapon
States, however powerful, cannot stand against them." (CR95127,
p. 56.)

In the face of such a preponderant majority of States' opinions, it is
difficult to say there is no opiniojuvis against the use or threat of use of
nuclear weapons. Certainly it is impossible to contend that there is an
opiniojuvis in favour of the legality of such use or threat.

3. Wovld Public Opinion
Added to al1these officia1views, there is also a vast preponderance of

public opinion across the globe. Strong protests against nuclear weapons
have come from learned societies, professional groups, religious denomi-
nations, women's organizations, political parties, student federations,
trade unions, NGOs and practically every group in which public opinion
is expressed. Hundreds of such groups exist across the world. The names
that follow are merely illustrative of the broad spread of such organiza-
tions: International Physicians for the Prevention of Nuclear War
(IPPNW); Medical Campaign Against Nuclear Weapons; Scientists
Against Nuclear Arms; People for Nuclear Disarmament; International
Association of Lawyers against Nuclear Arms (IALANA); Performers

''OFor example, Brownlie, Pvinciples of Public International Law, 4th ed., 1990,p. 14,
re resolution 1653(XVI) of 1961,which described the use of nuclear and thermonuclear
weapons assuch a "law-making resolution". MENACE OU EMPLOID'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISS.WEERAMANTRY) 533

en elles-mêmesv ,aleur de norme de droit, c'estune question qu'il convient
d'examiner avec attention, sans oublier qu'une partie non négligeablede
la doctrine y répond affirmativement I7O.
Bien que ces résolutions aient été principalement parrainéespar le

groupe des pays non alignés,la thèse del'illicéita égalementreçul'appui
de pays extérieurs a ce groupe. Elle a notamment été défendue devant la
Cour par la Suède, Saint-Marin, l'Australie et la Nouvelle-Zélande.
Mêmeau sein des pays qui n'y souscrivent pas, l'opinion est profondé-
ment divisée.Notre attention a par exemple été appelée sur une résolu-
tion du Sénat italien en date du 13juillet 1995 recommandant au gou-
vernement de seprononcer en faveur d'une condamnation par la Cour de
l'emploi des armes nucléaires.
Il convient de rappeler que sur les cent quatre-vingt-cinq Etats
Membres des Nations Unies, il n'y en a que cinq qui disposent d'armes
nucléaireset ont définides politiques où ces armes jouent un rôle. Du

point de vue de la créationde la coutume internationale, la pratique et la
politique de cinq Etats sur cent quatre-vingt-cinq ne semblent pas cons-
tituer une base suffisante pour la naissance d'une coutume, quelle que
puisse êtrel'influence exercéedans le monde par ces cinq Etats. Comme
l'a souligné la Malaisie:
«Si les lois de l'humanité et les exigences de la conscience pu-

blique requièrent l'interdiction de ces armes, les cinq Etats dotés
d'armes nucléaires,si puissants soient-ils,ne peuvent que s'incliner.
(CR 95/27, p. 56.)
Devant une telle convergence d'opinions au niveau étatique, il est dif-
ficile de nier i'existence d'unepiniojuvis contre l'emploi ou la menace
d'emploi des armes nucléaireset il est toutà fait impossible de conclureà

l'existence d'une opiniojuvis en faveur de la licéitéde tel comportement.

3. L'opinion publique mondiale

A côtédes positions officielles,il faut mentionner une opinion publique
mondiale massivement orientée dans le même sens.Des protestations
énergiques contre les armes nucléaires ont étéémisespar des sociétés
savantes, des associations de spécialistes etde membres des professions
libérales,des confessionsreligieuses, des organisations féminines,despar-
tis politiques, des fédérationsd'étudiants,des syndicats, des organisations
non gouvernementales et la quasi-totalité des groupements au sein des-
quels s'exprime une opinion collective.Des centaines de groupements de
ce type existentà travers le monde. Je ne citerai que quelques-uns d'entre
eux pour donner une idéede leur diversité: Association internationale

des médecinspour la prévention de la guerre nucléaire (IPPNW); Cam-

Par exemple Brownlie, Principlesof Public InternationalLaw, 4e éd.,1990,p. 14,
qui décritla résolution 1653(XVI) de 1961sur les armes nucléaireset thermonucléaires
comme une «résolution normative)). and Artists for Nuclear Disarmament International; Social Scientists
Against Nuclear War; Society for a Nuclear Free Future; European Fed-
eration against Nuclear Arms; The Nuclear Age Peace Foundation;
Campaign for Nuclear Disarmament; Children's Campaign for Nuclear
Disarmament. They come from al1countries, cover al1walks of life, and
straddle the globe.

The millions of signatures received in this Court have been referred to
at the very commencement of this opinion.

4. Current Prohibitions

A major area of space on the surface of the planet and the totality of
the space above that surface, and of the space below the ocean surface,
has been brought into the domain of legal prohibition of the very pres-
ence of nuclear weapons. Among treaties accomplishing this result are
the 1959 Antarctic Treaty, the 1967 Treaty of Tlatelolco in respect of

Latin America and the Caribbean, the 1985 Treaty of Rarotonga in
regard to the South Pacific, and the 1996 Treaty of Cairo in regard to
Africa. In addition, thereis the Treaty prohibiting nuclear weapons in the
atmosphere and outer space, and the 1971Treaty on the Prohibition of
the Emplacement of Nuclear Weapons and Other Weapons of Mass
Destruction on the Seabed and the Ocean Floor and in the Subsoil
Thereof (see CR 95/22, p. 50). The major portion of the total area of the
space afforded for human activity by the planet is thus declared free of
nuclear weapons - a result which would not have been achieved but for
universal agreement on the uncontrollable danger of these weapons and
the need to eliminate them totally.

5. Partial Bans

The notion of partial bans and reductions in the levels of nuclear arms
could not, likewise, have achieved their current results but for the exist-
ence of such a globally shared sentiment. Important among these meas-
ures are the Partial Test Ban Treaty of 1963 prohibiting the testing of
nuclear weapons in the atmosphere, and the Nuclear Non-Proliferation
Treaty of 1968. These treaties not only prohibited even the testing of
nuclear weapons in certain circumstances, but also provided against the
horizontal proliferation of nuclear weapons by imposing certain legal
duties upon both nuclear and non-nuclear States. The Comprehensive
Test Ban Treaty, now in the course of negotiation, aims at the elimina-pagne médicale contre les armes nucléaires; Association de savants
opposésaux armes nucléaires;Partisans du désarmement nucléaire; Asso-
ciation internationale des juristes opposés aux armes nucléaires
(IALANA); Association internationale des artistes et interprètes fa-
vorables au désarmement nucléaire; Association des spécialistes des
sciences socialesopposés à la guerre nucléaire; Sociétédep sartisans d'un
avenir exempt d'armes nucléaires;Fédérationeuropéenne desopposants

aux armes nucléaires; Fondation pour la paix à l'èrenucléaire; Cam-
pagne en faveur du désarmement nucléaire;Campagne de l'enfancepour
le désarmement nucléaire.On trouve de tels groupements dans tous les
pays et dans tous les secteurs d'activitéet leurs ramifications s'étendent
au monde entier.
J'ai déjàmentionné, au début de la présenteopinion, les millions de
signatures qui sont parvenues à la Cour.

4. Interdictions existantes

Une grande partie de la surface de la Terre ainsi que la totalité de
l'espace situé au-dessus de l'écorce terrestre et au-dessousde la surface

des mers et des océanssont désormais soumises à un régimejuridique qui
interdit jusqu'à la présence d'armes nucléairesP. armi les traités qui ont
conduit à ce résultat figurentle traitéde 1959sur l'Antarctique, le traité
de Tlatelolco de 1967 concernant l'Amériquelatine et les Caraïbes, le
traitéde Rarotonga de 1985relatif au Pacifique Sud et le traitédu Caire
de 1996concernant l'Afrique. A ces instruments s'ajoutent le traité inter-
disant les armes nucléairesdans l'atmosphère etl'espaceextra-atmosphé-
rique et le traité de 1971 interdisant de placer des armes nucléaires et
d'autres armes de destruction massive sur le fond des mers et des océans
ainsi que dans leur sous-sol (voirCR95122, p. 50). La majeure partie de
l'espace où l'activité humainepeut se déployer àla surface de la planète
est donc proclamée zone dénucléarisée - résultat qui n'aurait pu être

atteint s'il n'y avait pas un accord universel sur le danger résultant des
effets incontrôlables de ces armes et sur la nécessitde les éliminertota-
lement.

5. Interdictions partielles

C'est le mêmeaccord universel qui explique les résultats obtenus en
matière d'interdictions partielles et de réduction du niveau des arme-
ments nucléaires. Letraitéd'interdiction partielle des essais nucléaires de
1963qui a interdit les essais nucléairesdans l'atmosphère etle traité sur
la non-prolifération nucléaire de1968 sont particulièrement importants

dans ce domaine. Ces traitésinterdisent non seulement les essaisd'armes
nucléairesdans certaines circonstances, mais contiennent aussi des dis-
positions visant à empêcher la prolifération horizontaledes armes nu-
cléaires enimposant certaines obligations juridiques tant aux Etats dotés
d'armes nucléairesqu'aux Etats non dotésd'armes nucléaires.Le traitétion of al1testing. The START agreements (START 1 and START II)
aim at considerable reductions in the nuclear arsenals of the United
States and the Russian Federation reducing their individual stockpiles by
around 2,000 weapons annually.

6. Who Are the States Most Specially Concerned?

If the nuclear States are the Statesmost affected, their contrary view is
an important factor to be taken into account, even though numerically

they constitute a small proportion (around 2.7 per cent) of the United
Nations membership of 185States.
This aspect of their being the Statesmost particularly affected has been
stressed by the nuclear powers.
One should not however rush to the assumption that in regard to
nuclear weapons the nuclear States are necessarily the States most con-
cerned. The nuclear States possess the weapons, but it would be unreal-
istic to omit a consideration of those who would be affected once nuclear
weapons are used. They would also be among the Statesmost concerned,
for their territories and populations would be exposed to the risk of harm
from nuclear weapons no less than those of the nuclear powers, if ever
nuclear weapons were used. This point was indeed made by Egypt in its
presentation (CR 95/23, p. 40).
For probing the validity of the proposition that the nuclear States are

the States most ~articularlv affected. it would be useful to take the case
of nuclear testing. Suppose a metropolitan power were to conduct a
nuclear test in a distant colony, but with controls so unsatisfactory that
there was admittedly a leakage of radioactive material. If the countries
affected were to protest, on the basis of the illegality of such testing, it
would be strange indeed if the metropolitan power attempted to argue
that because it was the owner of the weapon, it was the State most
affected. Manifestly, the States at the receiving end were those most
affected. The position can scarcely be different in actual warfare, seeing
that the radiationfrom a weapon exploding above ground cannot be con-
tained within the target State. It would be quite legitimate for the neigh-
bouring States to argue that they, rather than the owner of the bomb, are
the States most affected.

This contention would stand, quite independently of the protests of the
State upon whose territory the weapon is actually exploded. The rele-
vance of this latter point ismanifest when one considers that of the dozens
of wars that have occurred since 1945, scarcely any have been fought on
the soi1of any of the nuclear powers. This is a relevant circumstance to
be considered when the question of States most concerned is examined.

A balanced view of the matter is that no one group of nations -
nuclear or non-nuclear - can Say that its interests are most speciallygénérald'interdiction des essais qui est en cours de négociations tend à
éliminertous les essais. Les accords START (START 1 et START II)
visent à procéder à des réductionsconsidérables - portant sur environ
deux mille engins par an - dans les arsenaux nucléaires desEtats-Unis
d'Amériqueet de la Fédération deRussie.

6. Quels sont les Etats spécialement concernés?

Sice sont les Etats dotésd'armes nucléairesqui sont lesplus concernés,
leur position hostileà l'illicéirevêt uneimportance particulière, même
s'ils ne représentent qu'une petite fraction (2,7 % environ) du nombre
total (cent quatre-vingt-cinq) des Etats Membres des Nations Unies.
De fait, les Etats dotésd'armes nucléairesont prétendu êtreles Etats
plus spécialement concernés.
S'agissant desarmes nucléaires toutefois,il faut se garder de conclure

hâtivement que ces Etats sont les plus concernés.Sans doute les Etats
dotés d'armesnucléaires possèdent-ilsles armes mais il faut, pour être
réaliste,prendre enconsidérationlespays qui seraient touchéspar l'emploi
de ces armes. Eux aussi doivent êtrerangésau nombre des Etats les plus
concernéscar, en cas d'emploides armes nucléaires,leur territoire et leurs
habitants seraient tout aussi exposésau risque de dommages nucléaires
que ceux des pays dotés d'armesnucléaires.Ce point a d'ailleurs étésou-
lignépar 17Egyptedans son exposé(CR95123, p. 40).
Pour apprécierla valeur de l'argument suivant lequel les Etats dotés
d'armes nucléairessont les Etats les plus spécialement concernési,l serait

utile d'examiner laquestion des essais nucléaires.Supposons qu'une puis-
sance métropolitaine procède à des essais nucléairesdans une colonie
lointaine, mais en s'entourant de précautions si insuffisantes que des
fuites de matières radioactives se produisent. Si les pays victimes de ces
fuites élevaientune protestation fondée sur l'illicéitdes essais, la puis-
sance métropolitaineserait malvenue àprétendrequ'étantpropriétaire de
l'arme elle est 1'Etatle plus concerné.Les Etats victimes seraient de toute
évidenceles Etats les plus touchés. Il en serait de mêmedans le contexte
d'une guerre puisque les rayonnements émispar une bombe explosant
dans l'atmosphèrene pourraient être contenusdans les limites de 1'Etat

visé.Les Etats voisins pourraient très légitimement,et plus légitime-
ment que 1'Etatpropriétaire dela bombe, prétendre être les Etats les plus
concernés.
Et il faudrait aussi compter avec les protestations de 1'Etat sur le ter-
ritoire duquel l'explosion aurait eu lieu. Ce point mérite d'être souligné
étant donnéque, sur les dizaines de guerres que le monde a connues
depuis 1945, pratiquement aucune ne s'est dérouléesur le sol de l'une
quelconque des puissances dotées d'armesnucléaires. C'est là un fait à
garder en mémoirelorsqu'on cherche à déterminer quelssont les Etats les

plus concernés.
Il serait plus juste de dire qu'aucun groupe de nations - qu'il soitou
non dotéd'armes nucléaires - ne peut soutenir que ce sont ses intérêtsaffected. Every nation in the world is specially affected by nuclear
weapons, for when matters of survival are involved, this is a matter of
universal concern.

7. Have States, by Participating in Regional Treaties, Recognized
Nucleav Weapons as Lawful ?

The United States, the United Kingdom and France have in their writ-
ten statements taken up the position that by signing a regional treaty
such as the Treaty of Tlatelolco prohibiting the use of nuclear weaponsin
Latin America and the Caribbean, the signatories indicated by implica-
tion that there is no general prohibition on the use of nuclear weapons.
The signatories to such treaties are attempting to establish and
strengthen a non-proliferation régime intheir regions, not because they
themselves do not accept the general illegality of nuclear weapons, but

because the pro-nuclear States do not.
The position of the regional States is made quite clear by the stance
they have adopted in the numerous General Assembly resolutions wherein
several of them, for example, Costa Rica, have voted on the basis that the
use of nuclear weapons is a crime against humanity, a violation of the
United Nations Charter andior a violation of international law.

Indeed, the language of the Treaty itself givesa clear indication of the
attitude of its subscribing parties to the weapon, for it describes it as con-
stituting "an attack on the integrity of the human species", and states
that it "ultimately may even render the whole earth uninhabitable".

VII. SOMESPECIAL ASPECTS

1. The Non-Proliferation Treaty

An argument has been made that the NPT, by implication, recognizes
the legality of nuclear weapons, forl1participating States accept without
objection the possession of nuclear weapons by the nuclear powers. This
argument raises numerous questions, among which are the following:

(i) As already observed, the NPT has no bearing on the question of use
or threat of use of nuclear weapons. Nowhere is the power given to
use weapons, or to threaten their use.

(ii) The Treaty was dealing with what may be described as a "winding-
down situation7'.The reality was being faced by the world commu-
nity that a vast number of nuclear weapons were in existence and
that they might proliferate. The immediate object of the world com-
munity was to wind down this stockpile of weapons. MENACE OU EMPLOID'ARMES NUCLÉAIRES (OP.DISSWEERAMANTR5 Y3)6

qui sont le plus spécialementen cause. Toutes les nations du monde sont
spécialement concernéespar les armes nucléairescar ce sont des pro-
blèmesde survie qui sont en jeu et la survie est une préoccupation uni-
verselle.

7. Les Etats ont-ils, en devenantpartiesà des traitésrégionaux,
reconnu la licéité deasrmes nucléaires?

LesEtats-Unis d'Amérique,leRoyaume-Uni etla France ont, dans leurs
exposésécrits, soutenu qu'en signantun traitérégional commele traitéde
Tlatelolco quia interdit l'emploidesarmes nucléairesen Amérique latine et
dans les Caraïbes, les Etats signataires ont implicitement reconnu qu'iln'y
a pas d'interdiction généralee l'emploides armes nucléaires.
Si les Etats signataires d'un tel traités'emploieàétabliret à conso-
lider un régimede non-prolifération dans leurs régions respectives,ce
n'est pas parce qu'ils ne reconnaissent pas l'illicéité générale daersmes
nucléaires,mais parce que les Etats pronucléairesne l'admettent pas.
La position des Etats de la régionressort très clairement du vote qu'ils
ont émislors de l'adoption de nombreuses résolutions de l'Assemblée
générale, plusieursd'entre eux, par exemple le Costa Rica, appuyant des

textes qui qualifient l'emploi desarmes nucléairesde crime contre l'huma-
nité,de violation de la Charte des Nations Unies etiou de violation du
droit international.
Le traitélui-même esttrès révélateur de l'attitude des Etats parties vis-
à-vis de l'arme puisqu'il y voit «une atteinte à l'intégritéde l'espèce
humaine »et lui reconnaît lepouvoir «de rendre finalement toute la Terre
inhabitable ».

VII. QUELQUE ASPECTS PARTICULIERS

1. Le traitésur la non-prolifération

On a soutenu que le traité sur lanon-proliférationadmet implicitement
la licéité desarmes nucléairespuisque tous les Etats parties acceptent
sans objection que les puissances dotées d'armes nucléaires puissent

posséder de telles armes. Comme on va le voir, cet argument est très
contestable:
i) Ainsi qu'il a déjà étésouligné,le traité sur la non-prolifération ne
porte pas sur la question de l'emploi ou de la menace d'emploi des
armes nucléaires.Aucune de ses dispositions ne reconnaît un droit

d'utiliser ces armes ou de menacer d'y avoir recours.
ii) Le traitéa été concludans le contexte de ce qu'on pourrait appeler
une ((situation de liquidation)). La communauté mondiale devait
compter avec l'existenced'une multiplicitéd'armes nucléaireset avec
le risque de proliférationde ces armes. Son objectif immédiat était de
liquider les stocks existants. As was stressed to the Court by some States in their submissions,
the Treaty was worked out against the background of the reality
that, whether or not the world community approved of this situa-
tion, there were a small number of nuclear States and a vast number
of non-nuclear States. The realities were that the nuclear States
would not give up their weapons, that proliferation was a grave
danger and that everything possible should be done to prevent pro-
liferation, recognizing at the same time the common ultimate goal
of the elimination of nuclear weapons.

(iii) As already observed, an acceptance of the inevitability of a situation
is not a consent to that situation, for accepting the existence of an
undesirable situation one is powerless to prevent is very different to

consenting to that situation.
(iv) In this winding-down situation, there can be no hint that the right to
possess meant also the right of use or threat of use. If there was a
right of possession, it was a temporary and qualified right until such
time as the stockpile could be wound down.

(v) The preamble to the Treaty makes it patently clear that its object is:

"the cessation of the manufacture of nuclear weapons, the liqui-
dation of al1 existing . .. stockpiles, and the elimination from
national arsenals of nuclear weapons and the means of their
delivery".

That Preamble, which, it should be noted, represents the unanimous
view of al1parties, nuclear as well as non-nuclear, describes the use
of nuclear weapons in war as a "the devastation that would be
visited upon al1mankind".

These are clear indications that, far from acknowledging the
legitimacy of nuclear weapons, the Treaty was in fact a concentrated
attempt by the world community to whittle down such possessions
as there already were, with a view to their complete elimination.
Such a unanimous recognition of and concerted action towards the
elimination of a weapon is quite inconsistent with a belief on the
part of the world community of the legitimacy ofthe continued pres-

ence of the weapon in the arsenals of the nuclear powers.
(vi) Even if possession be legitimized by the Treaty, that legitimation is
temporary and goes no further than possession. The scope and the
language of the Treatymake it plain that it was a temporary state of
possession simpliciter and nothing more to which they, the signato-
ries, gave their assent- an assent given in exchange for the promise
that the nuclear powers would make their utmost efforts to elimi-
nate those weapons which al1signatories considered so objection- Comme certains Etats l'ont fait valoir devant la Cour dans leurs
exposés,il est de fait qu'au moment où le traitéa étéélaboréla com-
munautémondiale - qu'elle soit ou non favorable à une telle situa-
tion - comptait un petit nombre d'Etats dotésd'armes nucléaireset
un grand nombre d'Etats non dotés d'armesnucléaires.La réalité
était queles Etats dotésd'armes nucléairesn'étaientpas disposés à
renoncer aux armes en question, que la prolifération était sérieuse-

ment à redouter et que tout devait être faitpour l'enrayer sans pour
autant perdre de vue que le but ultime était d'éliminer lesarmes
nucléaires.
iii) Comme on l'a déjàsouligné, s'inclinerdevant une réalitéinéluctable
n'équivaut pas à l'accepter, pas plus qu'accepter une situation
fâcheuse dont on n'est pas maître n'équivaut ày consentir.

iv) Dans la situation de liquidation évoquée plus haut, rien ne permet de
penser que, dans l'intention des rédacteurs du traité, le droit de
posséderl'arme étaitcenséenglober celui de l'utiliser ou de menacer
de l'utiliser. Le droiàla possession de l'arme, à supposer qu'il avait

alors existé,était un droit temporaire et conditionnel destiné dispa-
raître une fois les stocks complètement éliminés.
v) Dans son préambule,le traitéindique clairement qu'il a pour objec-
tif:
«la cessation de la fabrication d'armes nucléaires,la liquidation de

tous les stocks existantsdesdites armes, et l'élimination desarmes
nucléaires etde leurs vecteurs des arsenaux nationaux ..»

Ce préambule qui,il convient de le noter, constitue l'expression de
l'opinion unanime de tous les Etats parties, dotés ou non dotés

d'armes nucléaires,décrit l'utilisatioà la guerre des armes nucléaires
comme étantde nature à faire subir des dévastations«à l'humanité
entière».
Tout cela indique bien que, loin de reconnaître la licéité dearmes
nucléaires,le traité traduisait en fait un effort concerté dela commu-
nauté internationale pour réduire progressivement les stocks exis-
tants et parvenir finalement à leur élimination complète.Une telle
unanimité quant à la nécessité d'éliminer leasrmes nucléaireset de
conjuguer les effortsà cette fin contredit l'idéed'une reconnaissance,
par la communautémondiale, de la licéité du maintien de l'arme dans
les arsenaux des puissances dotéesd'armes nucléaires.

vi) En admettant mêmeque la possession de l'arme soit légitimée par le
traité, il ne peut s'agir de rien d'autre que de la possession et, par
surcroît, d'une légitimation temporaire. C'està cela tout au plus, vu
l'objet et les termes du traité, que les signataires ont consen-i et,
ce, en échangede la promesse que les puissances dotées d'armes
nucléairesne ménageraient aucun effort pour éliminer cesarmes,
dont tous les signataires ont reconnu qu'ellesétaientsi inacceptables able that they must be eliminated. There was here no recognition of
a right, but only of afact. The legality of that fact was not conceded,
for else there was no need to demand a quid pro quofor it - the
bona fide attempt by al1 nuclear powers to make every effort to

eliminate these weapons, whose objectionability was the basic
premise on which the entire Treaty proceeded.

2. Deterrence

Deterrence has been touched upon in this opinion in the context of the
NPT. Yet, other aspects also merit attention, as deterrence bears upon
the threat of use, which is one of the matters on which the Court's
opinion is sought.

(i) Meaning of deterrence

Deterrence means in essence that the party resorting to deterrence is
intimating to the rest of the world that it means to use nuclear power
against any State in the event of the first State being attacked. The con-
cept calls for some further examination.

(ii)Deterrence - from what ?

Deterrence as used in the context of nuclear weapons is deterrence
from an act of war - not deterrence from actions which oneopposes 171.

One of the dangers of the possession of nuclear weapons for purposes
of deterrence is the blurring of this distinction and the use of the power
the nuclear weapon givesfor purposes of deterring unwelcomeactions on
the part of another State. The argument of course applies to al1kinds of
armaments, but afortiori to nuclear weapons. As Polanyi observes, the
aspect of deterrence that is most feared is the temptation to extend it
beyond the restricted aim of deterring war to deterring unwelcome
actions 172.

It has been suggested, for example, that deterrence can be used for the
protection of a nation's "vital interests". What are vital interests, and
who defines them? Could they be merely commercial interests? Could
they be commercial interests situated in another country, or a different
area of the globe?
Another phrase used in this context is the defence of "strategic inter-
ests". Some submissions adverted to the so-called "sub-strategic deter-

rence", effected through the use of a low-yield "warning shot" when a
nation's vital interests are threatened (see, for example, Malaysia's sub-

171John Polanyi, Lawyevs and the Nuclear Debate, op. cit., p. 19.
172Zbid,

316 qu'ellesdevaient êtreéliminéesI.l n'ya pas eu là reconnaissance d'un
droit mais reconnaissance d'unfait dont la licéité n'a pas été admise
car, si elle l'avait été,n n'aurait pas exigéde toutes les puissances
dotées d'armes nucléairesqu'elles s'emploient de bonne foi par tous

les moyens à éliminerces armes, dont le caractère inacceptable est le
principe de base qui a inspiréle traitétout entier.

2. Dissuasion

J'ai évoqué brièvement la question de la dissuasion à propos du traité
sur la non-prolifération. Mais il y a lieu de l'aborder sous d'autres aspects
car la dissuasion touche à la menace d'emploi des armes nucléaires -
l'un des points sur lesquels l'avis de la Cour a été sollicité.

i) Qu'entend-onpar dissuasion ?

On peut dire, essentiellement, que 17Etatqui recourt à la dissuasion
avertit le reste du monde de son intention d'utiliser l'arme nucléaire
contre n'importe quel Etat dans l'hypothèse où il ferait l'objet d'une
agression. Le concept doit êtreexaminé plusen détail.

ii)La dissuasion - contre quel acte est-elle dirigée?

Il y a dissuasion, au sens que revêtce terme dans le contexte des armes
nucléaires, lorsqu'unEtat cherche à en dissuader un autre de commettre

un acte de guerre - non d'adopter un comportement qu'il réprouve171.
Ce qui està craindre, dès lorsqu'un Etat possèdedes armes nucléaires
à des fins de dissuasion, c'est que cette distinction soit perdue de vue et
que la puissance que confère l'arme nucléaire soitutiliséepour découra-
ger un autre Etat d'adopter un comportement jugé indésirable.L'argu-
ment vaut naturellement pour tous les types d'armement, mais s'applique
à fortiori aux armes nucléaires. Commele soulignePolanyi, la dissuasion
a cette caractéristique particulièrement inquiétante qu'on peut,au lieu de

la cantonner à son objectif propre - prévenirlerecours à la guerre -, en
faire un moyen d'empêcherlescomportements auxquels on est opposé '72.
L'idéea été émise,par exemple, que la dissuasion peut servir à protéger
les ((intérêtsvitaux».En quoi consistent les intérêts vitaux et qulies défi-
nit? Peut-il s'agir d'intérêts strictement commerciaux?Et ces intérêts
commerciaux peuvent-ils se situer dans un Etat voisin ou sur un autre
continent?
On évoque égalementdans ce contexte la défensedes ((intérêtsstraté-

giques». Certains exposésse réfèrent aussi à la dissuasion dite ((infrastra-
tégique))consistant pour une nation à donner un ((coup de semonce»
de faible puissance lorsque ses intérêts vitauxsont menacés (voir par

IÏ1John Polanyi, Lawyers and the Nuclear Debate, op. cit., p. 19.
IÏ2Ibid.mission in CR 95/27, p. 53). This opinion willnot deal with such types of
deterrence, but rather with deterrence in the sense of self-defenceagainst
an act of war.

(iii) The degrees of deterrence

Deterrence can be of various degrees, ranging from the concept
of maximum deterrence, to what is described as a minimum or near-
minimum deterrent strategy 173.Minimum nuclear deterrence has been
described as :

"nuclear strategy in which a nation (or nations) maintains the mini-
mum number of nuclear weapons necessary to inflict unacceptable
damage on its adversary even after it has suffered a nuclear
attack" 174.

The deterrence principle rests on the threat of massive retaliation, and as
Professor Brownlie has observed :

"If put into practice this principle would lead to a lack of propor-
tion between the actual threat and the reaction to it. Such dispro-
portionate reaction does not constitute self-defenceas permitted by

Article 51 of the United Nations Charter." 175
In the words of the same author, "the prime object of deterrent nuclear
weapons is ruthless and unpleasant retaliation - they are instruments of

terror rather than weapons of war" 176.
Since the question posed is whether the use of nuclear weapons is
legitimatein any circumstances,minimum deterrence must be considered.

(iv) Minimum deterrence

One of the problems with deterrence, even of a minimal character, is
that actions perceived by one side as defensive cal1al1too easily be per-
ceived by the other side as threatening. Such a situation is the classic
backdrop to the traditional arms race, whatever be the type of weapons
involved. With nuclear arms it triggers off a nuclear arms race, thus rais-

ing a variety of legal concerns. Even minimum deterrence thus leads to
counter-deterrence, and to an ever ascending spiral of nuclear armament
testing and tension. If, therefore, there are legal objections to deterrence,
those objections are not removed by that deterrence being minimal.

173R. C. Karp (ed.), Security Without Nuclear Weapons? Dgferent Perspectives on
Non-Nuclear Security, 1992,p. 251.
174Ibid., p. 250, citing Hollins, Powersand Sommer, The Conquest of War: Alternative
Strategies for Global Security, 1989,pp. 54-55.
175"Some Legal Aspects of the Use of Nuclear Weapons", op. cit.pp. 446-447.
176Ibid., p. 445. MENACE OU EMPLOI D'ARMES NUCLÉAIRES (OP.DISSW . EERAMANTRY) 539

exemple l'exposéde la Malaisie, CR95127, p. 53). La présente opinion
n'aborde pascesformes de dissuasion et netraite que de la dissuasion uti-

liséeà des fins de légitime défense enriposteà un acte de guerre.

iii) Les degrés dela dissuasion

La dissuasion peut se situer à divers niveaux allant de la dissuasion
maximale à une stratégie dedissuasion minimale ou quasi minimale173.
La dissuasion nucléaire minimalea étédécrite commeétant:

«une stratégie nucléaire consistantpour une ou plusieurs nations à
maintenir le nombre minimum d'armes nucléaires nécessairepour
faire subirà l'adversaire desdommages inacceptables dans la phase
postérieure à celle d'une attaque nucléaire»174.

Le principe de dissuasion repose sur la menace de représaillesmassives et,
comme l'a dit le professeur Brownlie:

«La mise en Œuvrede ce principe conduirait àune disproportion
entre la menace effectiveet la riposte. Une réactiondisproportionnée
ne répond pas àla définitionde la légitimedéfenseautoriséepar l'Ar-
ticle 51 de la Charte des Nations Unies.»175

Pour citer le mêmeauteur «les armes nucléaires dissuasivesont la détes-
table fonction d'infliger des représaillesimplacable- ce sont des instru-
ments de terreur plutôt que des armes de guerre»176.
Pour déterminer, commela question posée invite à le faire, si l'utilisa-
tion des armes nucléaires est liciteen toute circonstance, on doit s'inter-
roger sur la dissuasion minimale.

iv) La dissuasionminimale

La dissuasion, même minimale,a ceci d'inquiétant qu'un acte consi-
dérécomme défensifpar l'une desparties peut fort bien être perçupar
l'autre comme une menace. Telle est l'explication classiquede la course
aux armements telle que nous la connaissons et elle vaut pour tous les
types d'armes. Dans le cas des armes nucléaires, c'estune course aux
armements nucléairesqui est déclenchées,uscitant toute une sériede pro-

blèmesjuridiques. Par conséquent,même à son niveau minimal, la dis-
suasion entraîne une contre-dissuasion et amorce une spirale sans fin
d'essais nucléaireset de tensions, la conclusion étant que les objections
juridiques à la dissuasion s'appliquent aussià la dissuasion minimale.

'73R. C. Karp (dir. publ.), Security Without Nuclear Weapons? Different Perspectives
on Non-Nuclear Security, 1992,p. 251.
174Zbid., p. 250. L'auteur cite Hollins, Powers and Sommer, The Conquest of War:
Alternative Strategies for Global Security, 1989,p. 54-55.
175«Some Legal Aspects of the Use of Nuclear Weapons)), op. cit., p. 446-447.
176Zbid.,p. 445.(v) The problem of cvedibility

Deterrence needs to carry the conviction to other parties that there is a
real intention to use those weapons in the event of an attack by that other
Party. A game of bluff does not convey that intention, for it is difficult to
persuade another of one's intention unless one really has that intention.
Deterrence thus consists in a real intentionlÏ7 to use such weapons. If
deterrence is to operate, it leaves the world of make-believe and enters
the field of seriously intended military threats.

Deterrence therefore raises the question not merely whether the threat
of use of such weapons is legal, but also whether use is legal. Since what
is necessary for deterrence is assured destruction of the enemy, deterrence

thus comes within the ambit of that which goes beyond the purposes of
war. Moreover, in the split second response to an armed attack, the finely
graded use of appropriate strategic nuclear missiles or "clean" weapons
which cause minimal damage does not seem a credible possibility.

(vi) Deterrence distinguishedfrom possession

The concept of deterrence goes a step further than mere possession.
Deterrence is more than the mere accumulation of weapons in a store-
house. It means the possession of weapons in a state of readiness for
actual use. This means the linkage of weapons ready for immediate take-
off, with a command and control system geared for immediate action. It
means that weapons are attached to delivery vehicles.It means that per-

sonnel are ready night and day to render them operational at a moment's
notice. There is clearly a vast difference between weapons stocked in a
warehouse and weapons so readied for immediate action. Mere posses-
sion and deterrence are thus concepts which are clearly distinguishable
from each other.

(vii) The legalproblem of intention

For reasons already outlined, deterrence becomes not the storage of
weapons with intent to terrify, but a stockpiling with intent to use. If one
intends to use them, al1the consequences arise which attach to intention
in law, whether domestic or international. One intends to cause the dam-
age or devastation that will result. The intention to cause damage or
devastation which results in total destruction of one's enemy or which
might indeed wipe it out completely clearly goes beyond the purposes of

17'For further discussion of the concept of intention in this context, seeJust War,Non-
violence andNuclear Deterrence, D. L. Cady and R. Werner (eds.), 1991,pp. 193-205.

318v) Le problème dela crédibilité

La dissuasion n'est efficaceque si les autres parties sont convaincues
qu'il existe une réelleintention d'utiliser lesarmes contre elles au cas où
elles lanceraient une attaque. Une telle intention ne se communique pas
par un simple bluff car il est difficilede faire admettre la réalitéd'inten-
tions qui ne le sont pas. La dissuasion requiert donc une authentique
intention1''; d'utiliser lesarmes considérées. Ellen'atteint son but que si
ellequitte le monde des faux-semblants pour entrer dans le domaine de la

menace militaire sérieuse.
La dissuasion soulèvedonc la question de savoir non seulement si la
menace d'emoloi des armes en auestion est licite mais aussi celle de sa-
voir si leuremploi est licite. Comme elle a pour prémissela destruction
assuréede l'ennemi, elle va au-delà de ce qui est requis pour atteindre
les objectifs de la guerre. Au surplus, on ne peut guère s'attendre qu'il
y ait place, dans le cadre d'une riposte quasi instantanée à une attaque
armée,pour des choix subtils privilégiant lesmissiles nucléairesstraté-
giques appropriés et les armes ((propres)) qui causent un minimum de
dommages.

vi) La dqférenceentre dissuasion et possession

La dissuasion va plus loin que la possession. Elle ne se réduit pas au
simple stockage d'armes dans un arsenal. Elle signifieque les armes sont
prêtes à êtreeffectivement utilisées, qu'ellessont assemblées en vued'un
emploi immédiat, queles systèmesde commandement et de contrôle sont
programmés en conséquence,que les armes sont fixéessur les vecteurs,
que le personnel est prêt nuitet jour à entrer en action quasi instantané-
ment. Il y a manifestement une très grande différenceentre des armes
stockéesdans un entrepôt et des armes prêtes à servir. La simple posses-
sion et la dissuasion se différencientdonc nettement l'une de l'autre.

vii)Le problème juridique del'intention

Pour les raisons déjàesquissées,le recours à la dissuasion ne consiste
pas à stocker des armes pour susciter la terreur mais à stocker des armes
avec l'intention de les utiliser. Si cette intention existe, elleemporte toutes
les conséquences que le droit, tant interne qu'international, attache à
l'intention. Il y a intention de causer des dommages ou des ravages cor-
rélatifs.L'intention de causer les dommages ou des dévastations qui lais-
sent l'ennemi totalement anéantiou le raye purement et simplement de la

177Pour une analyse plus approfondie de la notion d'intention dans ce contexte, voir
Just War, Nonviolence and Nuclear Deterrence, D. L. Cady et R. Werner (dir. publ.),
1991,p. 193-205.war'78. Such intention provides the mental element implicit in the con-
cept of a threat.
However, a secretly harboured intention to commit a wrongful or
criminal act does not attract legal consequences, unless and until that
intention is followed through by corresponding conduct. Hence such a
secretly harboured intention may not be an offence. If, however, the

intention is announced, whether directly or by implication, it then
becomes the criminal act of threatening to commit the illegal act in ques-
tion.
Deterrence is by definition the very opposite of a secretly harboured
intention to use nuclear weapons. Deterrence is not deterrence if there is
no communication, whether by words or implication, of the serious

intention to use nuclear weapons. It is therefore nothing short of a thveat
to use. If an act is wrongful, the threat to commit it and, more particu-
larly, a publicly announced threat, must also be wrongful.

(viii) The temptation to use the weaponsmaintainedfor detevvence

Another aspect of deterrence is the temptation to use the weapons
maintained for this purpose. The Court has been referred to numerous
instances of the possible use ofnuclear weapons of which the Cuban Mis-
sileCrisis is probably the best known. A study based on Pentagon docu-
ments, to which we were referred, lists numerous such instances involving
the possibility of nuclear use from 1946to 1980179.

(ix) Detevvenceand soveveignequality

This has already been dealt with. Either al1nations have the right to
self-defencewith any particular weapon or none of them can have it - if

the principle of equality in the right of self-defence is to be recognized.
The first alternative is clearly impossible and the second alternativemust
then become, necessarily, the only option available.
The comparison already made with chemical or bacteriological
weapons highlights this anomaly, for the rules of international law must

17*For the philosophical implications of deterrence, considered from the point of view
of natural law, see Cady and Werner,p. cit., pp. 207-219. See,also, John Finnis, Joseph
Boyle and Germain Grisez, Nuclear Deterrence, Morality and Realism, 1987. Other
works which present substantially theme argument are Anthony Kenny, The Logic of
Deterrence, 1985, and The Ivory Tower, 1985; Roger Ruston, Nuclear Deterrence -
Right or Wrong?, 1981,and "Nuclear Deterrence and the Use of the Just War Doctrine",
in Blake and Pole (eds.),jections to Nuclear Defense, 1984.
179Michio Kaku and Daniel Axelrod, To Win a Nuclear War, 1987, p. 5; CR 95/27,
p. 48.carte va manifestement au-delà des buts de la guerre'7x. C'est elle qui
fournit l'élément psychologique implicite dans la notion de menace.
Toutefois, une intention secrète de commettre un acte dommageable
ou criminel n'emporte pas de conséquencesjuridiques tant qu'elle ne se
traduit pas par des actes. Une intention n'est donc pas illicite si elle reste
inavouée mais,dèslors qu'elleest expriméesoit ouvertement soit indirec-
tement, elle devient une infraction pénalequi consiste dans la menace de

commettre tel ou tel acte illicite.

La dissuasion est par définitionle contraire d'une intention secrète
d'utiliser les armes nucléaires. Elle suppose nécessairement qu'explici-
tement ou implicitement l'intention effective d'employer les armes nu-
cléaires estcommuniquée au monde extérieur. Elle n'est donc rien de
moins qu'une menace d'utilisation de ces armes. Si un acte est illicite, la

menace de commettre cet acte l'est aussi, surtout si elle est publiquement
exprimée.

viii) La tentation d'utiliser les armes tenuesen réserve à des$ns de dis-
suasion

On doit aussi compter, dans le présent contexte, avecla tentation d'uti-

liser les armes tenues en réserve à des fins de dissuasion. L'attention de la
Cour a été appelés eur les nombreux cas où est apparu un risque d'une
utilisation des armes nucléaires,dont la crise des missiles à Cuba offre
probablement l'exemple le plus célèbre.On nous a signalé une étude
baséesur les archives du Pentagone qui mentionne de nombreux cas sur-
venus entre 1946et 1980où la possibilité d'utiliser des armes nucléairesa
étéenvisagée 179.

ix) La dissuasion et l'égalité souveraine

Ce point a déjà été évoqué Si. l'on veut que la légitimedéfense soit
régiepar le principe de l'égalitéi,l faut que le droit d'user d'une arme
particulièreen étatde légitimedéfenseappartienne à toutes lesnations ou
n'appartienne à aucune. La première option n'est pas concevable et la

deuxième estdonc la seule possible.
Le parallèle, fait plus haut, avec les armes chimiques et bactériolo-
giques permet de mesurer combien toute autre solution serait anormale

17*Pour lesconnotations philosophiques de la dissuasion, edu point de vue du
droit naturel, voir Cady et Werner, op. cit., p. 207-219.Voir aussi John Finnis, Joseph
Boyle et Germain Grisez, Nuclear Deterrence, Mornlity and Realism, 1987. Parmi les
auteurs qui défendent essentiellementla même t,n peut citer Anthony Kenny, The
Logic of Detevrence,85,et The Ivory Tower, 1985; Roger Ruston, Nuclear Deterrence
trine~, dans Blake et Pole (dir. publ.), Objections to Nuclear Defense, 1984.c-
179Michio Kaku et Daniel Axelrod, To Win a Nucleav War, 1987, p. 5; CR95127,
p. 48. operate uniformly across the entire spectrum of the international com-
munity. No explanation has been offered as to why nuclear weapons
should be subject to a different régime.

(x) Conjîict with the St. Petersburg principle

As already observed, the Declaration of St. Petersburg, followed and
endorsed by numerous other documents (seeSection111.3above) declared
that weakening the military forces of the enemy is the only legitimate
object which States should endeavour to accomplish during war (on this

aspect, see Section V.2 above). Deterrence doctrine aims at far more - it
aims at the destruction of major urban areas and centres of population
and even goes so far as "mutually assured destruction". Especially during
the Cold War, missiles were, under this doctrine, kept at the ready, tar-
geting many of the major cities of the contending powers. Such policies
are a far cry from the principles solemnly accepted at St. Petersburg and
repeatedly endorsed by the world community.

The Court has not in its Opinion expressed a view in regard to the
acceptance of the principle of reprisals in the corpus of modern interna-
tional law. 1regret that the Court did not avail itself of this opportunity
to confirm the unavailabilitv of re~risals under international law at the
present time, whether in time of peace or in war.
1wish to make it clear that 1do not accept the lawfulness of the right

to reprisals as a doctrine recognized by contemporary international
law.
Does the concept of reprisals open up a possible exception to the rule
that action in response to an attack is, like al1other military action, sub-
ject to the laws of war?
The Declaration concerning Principles of Friendly Relations and Co-
operation among States (resolution 2625 (XXV) of 1970)categorically
asserted that "States have a duty to refrain from acts of reprisa1involving
the use of force".
Professor Bowett puts the proposition very strongly in the following
passage :

"Few propositions about international law have enjoyed more
support than the proposition that, under the Charter of the United
Nations, the use of force by way of reprisals is illegal. Although,
indeed, the words 'reprisals' and 'retaliation' are not to be found in
the Charter, this proposition was generally regarded by writers and
by the Security Council as the logical and necessary consequence of MENACEOU EMPLOID'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW. EERAMANTRY) 542

étant donné que les règles du droit international doivent s'appliquer
uniformément à l'ensemble de la communauté internationale. Il n'a pas
été expliqué pourquoi les armes nucléaires seraient soumisesà un régime
particulier.

x) Incompatibilité de la dissuasion avec les principes énoncés dans la
déclarationde Saint-Pétersbourg
Comme on l'a déjà souligné, ladéclarationde Saint-Pétersbourg,qui a

été entériné par de nombreux autres documents ultérieurs (voir ci-dessus
la section III, paragraphe 3), a indiqué que l'affaiblissementdes forces
militaires de l'adversaire est le seul but légitimeque les Etats doivent
chercher à atteindre durant une guerre (sur ce point, voir ci-dessusla sec-
tion V, paragraphe 2). La doctrine de la dissuasion a des objectifs qui
vont beaucoup plus loin - destruction des principales zones urbaines
et agglomérations et même((destruction mutuelle assurée)). Pendant
la guerre froide, notamment, des missiles étaient, en application de
cette doctrine, constamment en état d'alerte et pointés sur de nom-
breuses grandes villesdes puissances adverses. De telles actions sont bien
éloignées desprincipes solennellement acceptés à Saint-Pétersbourg et
maintes fois confirméspar la communauté internationale.

3. Représailles

La Cour n'a pas dit dans son avis si le principe des représailles est
acceptépar le droit international moderne. Je regrette qu'elle n'ait pas
saisicetteoccasion pour confirmer que ledroitinternationald'aujourd'hui
n'admet les représaillesni en temps de paix ni en temps de guerre.

Je tiens, pour ma part, à souligner que la licéitdu recours aux repré-
saillesne me paraît pas êtreune doctrine admise par ledroit international
contemporain.
La notion de représaillesfournit-elle la based'une exception possibleà
la règle selonlaquelle la riposte à une attaque est, comme toute autre
action militaire, soumise au droit de la guerre?
La déclaration relativeaux principes du droit international touchant

les relations amicales et la coopération entre les Etats (résolution2625
(XXV) de 1970)affirmecatégoriquement que:«Les Etats ont le devoir de
s'abstenir d'actes de représailles impliquant l'emploi de la force.
Le professeur Bowett énonce ce principe avec beaucoup de fermeté,
lorsqu'il déclare
«Rares sont les arguments concernant le droit international qui

bénéficientd'un appui aussi vigoureux que celui selon lequel, en
vertu de la Charte des Nations Unies, l'emploi de la forceà titre de
représailles est illicite. Certes, la Charte ne fait pas mention de
«représailles» ni de «rétorsion», mais cette thèse est généralement
considéréepar la doctrine et par le Conseil de sécurité comme un the prohibition of force in Article 2 (4), the injunction to settle dis-
putes peacefully in Article 2 (3) and the limiting of permissible force

by states to self-defense." lpO

While this is an unexceptionable view, it is to be borne in mind,
further, that nuclear weapons raise special problems owing to the mag-
nitude of the destruction that is certain to accompany them. In any event,
a doctrine evolved for an altogether different scenario of warfare can
scarcely be applied to nuclear weapons without some re-examination.

Professor Brownlie addresses this aspect in the following terms:
"In the first place, it is hardly legitimate to extend a doctrine

related to the minutiae of the conventional theatre of war to an
exchange of power which, in the case of the strategic and deterrent
uses of nuclear weapons, is equivalent to the total of war effort and
is the essence of the war aim~."'~'

These strong legal objections to the existence of a right of reprisal are
reinforced also by two other factors - the conduct of the party indulging
in the reprisals and the conduct of the party against whom the reprisals
are directed.
The action of the party indulging in the reprisals needs to be a meas-

ured one, for its only legitimate object is as stated above. Whatever ten-
dency there may be to unleash al1its nuclear power in anger or revenge
needs to be held strictly in check. It is useful to note in this connection
the observation of Oppenheim who, after reviewing a variety of historical
examples, concludes that :

"reprisals instead of being a means of securing legitimate warfare
may become an effectiveinstrument of its wholesale and cynical vio-
lation in matters constituting the very basis of the law of war" lx*.

The historical examples referred to relate, inter alia, to the extreme

atrocities sought to be justified under the principle of retaliation in the
Franco-German War, the Boer War, World War 1and World War II Is3.
They al1attest to the brutality, cynicism and lack of restraint in the use of
power which it is the object of the laws of war to prevent. Such shreds of

IgOD. Bowett, "Reprisals Involving Recourse to Armed Force", Arnerican Journal of
International Law, 1972,Vol. 66, p. 1, quoted in Weston, Falk and D'Amato, Interna-
tional Law and World Order, 1980,p. 910.
"Some Legal Aspects of the Useof Nuclear Weapons", op. cit., p. 445.
lg2Op. cit., Vol. II, p. 565.
lg3Ibid, pp. 563-565. corollaire logique et nécessairede l'interdiction du recours à la force
énoncéeau paragraphe 4 de l'article 2, de l'obligation de réglerles

différendspar des moyens pacifiques prévueau paragraphe 3 de
l'article 2 et de la restriction au seul cas de la légitime défensedu
droit de recourir à la force.»180

Cettte position est inattaquable, mais il faut en outre rappeler que les
armes nucléairesposent des problèmes particuliers en raison de l'ampleur
des destructions qui en sont nécessairementla conséquence. De toute
manière, une doctrine élaboréepour des scénariosde guerre entièrement
différentsne saurait être appliquée aux armes nucléairessans que certains
de ses aspects ne soient réexaminés.
Le professeur Brownlie évoque cette questiondans les termes suivants:

«Il ne serait guèrelégitimed'étendreune doctrine conçue en fonc-
tion des caractéristiques particulièresdu théâtre d'opérationsde la
guerre traditionnelle à un échangede potentiel militaire qui, dans le
cas des emplois stratégiqueset dissuasifs des armes nucléaires,équi-
vaut à tout l'effort de guerre et au but essentiel de la guerre.>P1

Ces solides objections juridiques à la reconnaissance d'un droit de
représaillesacquièrent plus de force encore si l'on tient compte de deux
autres facteurs: le comportement de 1'Etatauteur des représailles et celui

de 1'Etatcontre lequel de telles représaillessont exercées.
L'Etat auteur des représaillesdoit faire preuve de mesure car il ne peut
légitimement chercher à atteindre un autre objectif que celui qui a été
rappeléplus haut. Si tentéqu'il soit, sous l'effet de la colèreou pour se
venger, de déchaînertoute la puissance nucléairedont il dispose, il doit
strictement contrôler sa réaction. A cet égard, il convient de rappeler
l'observation d'oppenheim qui, après avoir passé en revuetoute une série
d'exempleshistoriques, conclut:

«les représailles,au lieu d'êtreun moyen de faire respecter les règles
du combat, peuvent aisémentfournir l'occasion de commettre cyni-
quement des violations systématiques de ces règlesqui constituent
l'essence même du droit de la guerre»'82.

Les exemples historiques que cite Oppenheim se rapportent notam-
ment aux indicibles atrocités, prétendumentjustifiables sur la base de la
théoriedes représailles,qui ont étécommises pendant la guerre franco-
allemande, la guerre des Boers, la première etla seconde guerre mon-

dialelX3.Ces exemples révèlentla cruauté, le cynisme et l'outrance dans

International Law, 1972,vol. 66, p. 1, citédans Weston, Falk, D'Amato, International
Law and World Order, 1980,p. 910.
lS1«Some Legal Aspects of the Use of Nuclear Weapons)), op. cit., p. 445.
'" Op. cit., vol. II, p. 565.
l" Ibid., p. 563-565.the right to retaliation as might have survived the development of the
laws of war are al1rooted out by the nature of the nuclear weapon, as
discussed in this opinion.

If history is any guide, the party indulging in reprisals will in practice
use such "right of reprisal" - if indeed there is such a right - in total

disregard of the purpose and limits of retaliation - namely, the limited
purpose of ensuring compliance with the laws of war.
Turning next to the conduct of the party against whom the right is
exercised - a party who already has disregarded the laws of war - that
party would only be stimulated to release al1the nuclear power at its dis-
posa1 in response to that retaliation - unless, of course, it has been
totallv destroved.
In these ci;curnstances, any invitation to this Court to enthrone the
legitimacy of nuclear reprisa1 for a nuclear attack is an invitation to
enthrone a principle that opens the door to arbitrariness and lack of
restraint in the use of nuclear weapons.
The solejustification, if any, for the doctrine of reprisals is that it is a

means of securing legitimate warfare. With the manifest impossibility of
that objective in relation to nuclear weapons, the sole reason for this
alleged exception vanishes. Cessante ratione legis, cessat @salex.

4. Interna1 Wars

The question asked of the Court relates to the use of nuclear weapons
in any circumstance. The Court has observed that it is making no
observation on this point. It is my view that the use of the weapon is

prohibited in al1circumstances.
The rules of humanity which prohibit the use of the weapon in external
wars do not begin to take effect only when national boundaries are
crossed. They must apply internally as well.
Article 3 which is common to the four Geneva Conventions applies to
al1armed conflicts of a non-international character and occurring in the
territory of one of the Powers parties to the Convention. Protocol II of
1977concerning internal wars is couched in terms similar to the Martens
Clause, and refers to "the principles of humanity and to the dictates of
public conscience".
Thus international law makes no difference in principle between inter-
na1and external populations.

Moreover, if nuclear weapons are used internally by a State, it is clear
from the foregoing analysis of the effects of nuclear weapons that the
effects of such internal use cannot be confined internally. It will produce
widespread external effects, as Chernobyl has demonstrated. MENACE OU EMPLOI D'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW. EERAMANTRY) 544

l'emploi de la force que le droit de la guerre a précisémentpour but
d'empêcher.Les séquellesdu droit de représailles qui pourraient avoir
survécuau développementdu droit de la guerre disparaissent avec l'arme
nucléaireen raison de sa nature même, telle qu'elle esd técritedans la pré-

sente opinion.
L'histoire nous enseigne que 1'Etatauteur des représaillesusera dans la
pratique de son ((droit de représailles)- si tant est qu'il exis-e en ne
tenant absolument aucun compte de l'objet et des limites de ce droit, qui
ne devrait êtreexercéque pour assurer le respect du droit de la guerre.
Quant à 1'Etatvictime des représailles- qui a initialement enfreint le
droit de la guerre - il ne sera que plus tentéde déchaînertoute la puis-
sance de l'arsenal nucléairedont il dispose pour riposter aux représailles
- ;imoins bien sûr d'être déjà totalementhors de combat.

Dans ces conditions, inviter la Cour à sanctionner la légitimitédu
recours a des représaillesnucléairesen cas d'attaque nucléaire reviendrait
à l'inviterà sanctionner un principe qui ouvre la voie à l'arbitraire età
l'outrance dans l'utilisation des armes nucléaires.
Si tant est que la doctrine des représaillespuisse sejustifier, ce ne peut
être quecomme un moyen de faire respecter le droit de la guerre. Comme
les représaillesne peuvent manifestement pas atteindre ce but dans le cas

des armes nucléaires,le seul motif qui justifierait une telle exception dis-
paraît. Cessante ratione legis, cessat @salex.

4. Conflits internes

La question posée à la Cour concerne l'emploi des armes nucléairesen
toute circonstance. La Cour a préciséqu'elle ne formulait aucune
observation sur ce point. Je suis d'avis que l'emploi de cette arme est

interdit en toutes circonstances.
Les règles d'humanité qui interdisent l'emploi de l'arme en question
dans les guerres à l'extérieur ne commencent pas à s'appliquer une fois les
frontières nationales franchies. Elles s'appliquent aussi sur le plan interne.
L'article3 commun aux quatre conventions de Genève s'applique à
tous les conflits armésde caractère non international qui ont pour cadre
le territoire d'une partiea la convention. Le protocole additionnel II de
1977concernant les conflits internes s'inspire de la clause de Martens et

se réfèreaux ((principes d'humanité et aux exigences de la conscience
publique ».
Le droit international ne fait donc pas de différence,en principe, entre
les populations à l'intérieuret à l'extérieurdes frontières.
Au surplus, si des armes nucléaires sont utiliséespar un Etat sur son
territoire,.leurs effets ne pourront, comme le prouve clairement l'analyse
qui précède, être cantonnés au territoire national.Ils se feront sentir bien
à l'extérieurdu territoire d'un Etat, comme en témoigne la catastrophe de

Tchernobyl. 5. The Doctrine of Necessity

Does the doctrine of necessity offer a principle under which the use of
nuclear weapons might be permissible inretaliation for an illegitimate act
of warfare?
There is some support for the principle of necessity among the older

writers, especially those of the German ~chool'~~w , ho expressed this doc-
trine in terms of the German proverb "Kriegsraeson geht vor Kriegs-
manier " ("necessity in war overrules the manner of warfare"). However,
some German writers did not support this view and in general it did not
have the support of English, French, Italian and American publicists lS5.

According to this doctrine, the laws of war lose their binding force
when no other means, short of the violation of the laws of war, will offer
an escape from the extreme danger caused by the original unlawful act.
However, the origins of this principle, such as it is, go back to the days
when there were no laws of war, but rather usages of war, which had
not yet firmed into laws accepted by the international community as

binding.
The advance achieved in recognition of these principles as binding
laws, ever since the Geneva Convention of 1864, renders untenable the
position that they can be ignored at the will, and in the sole unilateral
judgment, of one Party. Even well before World War 1, authoritative
writers such as Westlake strenuously denied such a doctrine lS6 and, with

the new and extensive means of destruction - particularly submarine
and aerial - which emerged in World War 1, the doctrine became
increasingly dangerous and inapplicable. With the massive means of
destruction available in World War II, the desuetude of the doctrine was
even further established.

Decisions of war crimes tribunals of that era attest to the collapse of
that doctrine, if indeed it had ever existed. The case of the Peleusls7 relat-
ing to submarine warfare, decided by a British military court; the Milch
caselSg,decided by the United States Military Tribunal at Nuremberg;
and the Krupp case lS9,where the tribunal addressed the question of grave
economic necessity, are al1instances of a judicial rejection of that doc-

trine in no uncertain terms lgO.

Ig4See the list of German authors cited by Oppenheim, op. cit., Vol. II, p. 231, foot-
note 6.
lg5Zbid.,p. 232.
lS6Westlake, ZnternationalLaw,2nd ed., 1910-1913,pp. 126-1;The Collected Papers
of John Westlake on Public Znternational Law, ed. L. Oppenheim, 1914,p. 243.
lS7 War Crimes Reports, 1946,i, pp. 1-16.
IS9Zbid., 1949, 10,p. 138.8,7, pp. 44, 65.
190See, on these cases, Oppenheim, op. cit., pp. 232-233. 5. La doctrine de la nécessité

La doctrine de la nécessité renferme-t-elleun principe qui pourrait
autoriser l'emploi desarmes nucléaires enriposte à un acte de guerre illé-
gitime?
Le principe de nécessitéa quelques partisans dans la doctrine relati-

vement ancienne et notamment dans l'écoleallemande lx4,qui l'a résu-
méedans l'adage allemand «Kriegsraeson geht vor Kriegsmanier» (cles
nécessitésde la guerre l'emportent sur la manière de faire la guerre»).
Mais certains auteurs allemands n'y souscrivent pas et, d'une manière
généralel,es auteurs anglais, français, italiens et américainsne la soutien-
nent pas IsS.

Selon cette doctrine, le droit de la guerre cessed'avoir force obligatoire
lorsque cen'estqu'en ycontrevenant qu'il est possiblede parer à l'extrême
danger résultant de l'acte illégitimeinitial.
Mais la naissance de ce principe remonte à une époque où il y avait
non pas de droit de la guerre, mais plutôt des usages de la guerre qui
n'avaient pas encore été consacrésdans des règlesjuridiques acceptées

par la communauté internationale comme ayant force obligatoire.
Les progrès accomplis dans la reconnaissance de la force obligatoire de
ces principes depuis la convention de Genève de 1864ne permet plus de
soutenir que leur applicabilité dépenddu bon vouloir et de l'appréciation
unilatéraledesparties. Dès avant la premièreguerremondiale, des auteurs
faisant autorité, comme Westlake, ont vigoureusement contesté la doc-

trine de la nécessitélS6 qui, avec la mise au point, durant la première
guerre mondiale, de nouveaux moyens de destruction àgrand rayon d'ac-
tion - en particulier les sous-marins et les aéronefs -, s'est révélédee
plus en plus dangereuse et inapplicable. En raison de l'apparition, pen-
dant la seconde guerre mondiale, des moyens de destruction massive,
cette doctrine est encore plus tombée en désuétude.

Les décisions destribunaux qui ont eu à connaître de crimes de guerre
durant cette période témoignent de l'effondrement de cette doctrine - à
supposer qu'elleait jamais étéadmise. L'affaire du Peleus lS7,relative àla
guerre sous-marine, jugéepar un tribunal militaire britannique; l'affaire
MilchlSX,jugée par le Tribunal militaire des Etats-Unis d'Amérique à
Nuremberg; et l'affaire KrupplS9,où le tribunal a examinéla question de

la nécessité économique grave, sont autant d'affaires où la doctrine de la
nécessitéa étécatégoriquement rejetéepar les tribunaux lgO.

Voir la liste des auteurs allemands citéspar Oppenheim, op. cit., vol. II, p. 231,
note 6.
Is5Zbid.,p. 232.
Is6Westlake, International La2'éd.,1910-1913,p. 126-128; The Collected Papers of
John Westlake on Public International Law, éd.L. Oppenheim, 1914,p. 243.
lS8War Crimes Trials, 1948,7, p. 44, 65.
lS9Zbid., 1949, 10,p. 138.
I9OVoir, sur ces affaires, Oppenheim, op. cit., p. 232-233. The doctrine of necessity opens the door to revenge, massive devasta-
tion and, in the context of nuclear weapons, even to genocide. To the
extent that it seeks to override the principles of the laws of war, it has no
place in modern international law.
In the words of a United States scholar:

"where is the military necessity in incinerating entire urban popu-
lations, defiling the territory of neighboring and distant neutral
countries, and ravaging the natural environment for generations to
come . ..? . . If so, then we are witness to the demise of Nurem-
berg, the triumpl-i of Kriegsraison, the virtual repudiation of the
humanitarian rules of armed conflict . . .The very meaning of
'proportionality' becomes lost, and we come dangerously close
to condoning the crime of genocide, that is, a military campaign

directed more towards the extinction of the enemy than towards the
winning of a battle or conflict." lgl

6. Limited or Tactical or BattleJield
Nuclear Weapons

Reference has already been made to the contention, by those asserting
legality of use, that the inherent dangers of nuclear weapons can be mini-
mized by resort to "small" or "clean" or "low yield" or "tactical" nuclear
weapons. This factor has an important bearing upon the legal question
before the Court, and it is necessary therefore to examine in some detail
the acceptability of the contention that limited weapons remove the
objections based upon the destructiveness of nuclear weapons.

The following are some factors to be taken into account in considering
this question:

(i) No material has been placed before the Court demonstrating that
there is in existence a nuclear weapon which does not emit radia-
tion, does not have a deleterious effect upon the environment, and
does not have adverse health effects upon this and succeeding gen-
erations. If there were indeed a weapon which does not have any of
the singular qualities outlined earlier in this opinion, it has not
been explained why a conventional weapon would not be adequate
for the purpose for which such a weapon is used. We can only deal
with nuclear weapons as we know them.

I9lBurns H. Weston, "Nuclear Weapons versus International Law: A Contextual
Reassessment",McGill Law Journal, 1983,Vol. 28, p. 578.

324 MENACEOU EMPLOI D'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW. EERAMANTR5 4)6

Cette doctrine débouchesur la revanche, la dévastation à outrance et
même,dans le contexte des armes nucléaires,le génocide.Dans la mesure

où elletend à supplanter lesprincipes du droit de la guerre, ellen'a pas sa
place dans le droit international moderne.
Comme l'écrit unauteur américain :

«y a-t-il une nécessitémilitaire qui obligeà réduire en cendres la
population de villes entièresà dévasterle territoire de pays neutres
proches et lointains età ravager le milieu naturel pour des généra-
tions ...? .Dans l'affirmative, nous assistonsà la fin des principes

de Nuremberg, au triomphe de la Kriegsraison, au rejet virtuel
de toutes les règles humanitaires des conflits armés ...La notion
mêmede «proportionnalité» disparaît et nous ne sommes pas loin
d'absoudre le crime de génocide perpétrésous la forme d'une
campagne militaire faite plus pour exterminer l'ennemi que pour
gagner une bataille ou une guerre.»lgl

6. Armes nucléaires à effets limitésou tactiques
ou du champ de bataille

On a déjà évoqué l'argument des tenants de la licéitéde l'emploi
des armes nucléaires selon lequelil est possible de minimiser les dangers
inhérents à ces armes en recourant à des armes «de faible puissance)),
«propres »,«à effetsréduits»ou ((tactiques».Ce point a desconséquences
importantes en ce qui concerne la question juridique soumiseà la Cour et

il faut donc étudieren détail l'argument selonlequel les armes à effets
limités priveraient de fondement les objections reposant sur le caractère
destructeur des armes nucléaires.
On examinera ci-après quelques-uns des facteurs à prendre en considé-
ration à cet égard:

i) Rien dans les éléments quiont été soumis àla Cour ne prouve qu'il
existe une arme nucléairequi n'émettepas de rayonnements, n'ait

pas d'effets délétères sur l'environnemene tt ne comporte pas de
conséquences nuisibles à la santé de la génération actuelle etde
cellesqui la suivront. S'ilexiste une arme nucléairequi ne présente
pas les caractéristiques très particulières évoquéespluhsaut dans la
présente opinion,on peut se demander pourquoi une arme classique
ne serait pas utiliséepour atteindre les buts recherchéspar l'emploi
des armes nucléaires.Nous ne pouvons raisonner que sur la base de
ce que nous savons des armes nucléaires.

I9lBurns H. Weston, ((Nuclear Weapons versus International Law: A Contextual
Reassessment)), McGLaw Journal, 1983,vol. 28, p. 578. (ii) The practicality of small nuclear weapons has been contested by

high military 192 and scientific '93 authority.

(iii) Reference has been made (see Section IV above), in the context of
self-defence,to the political difficulties, stated by former American
Secretaries of State, Robert McNamara and Dr. Kissinger, of
keeping a response within the ambit of what has been described as
a limited or minimal response. The assumption of escalation con-
trol seems unrealistic in the context of nuclear attack.

(iv) With the use of even "small" or "tactical" or "battlefield" nuclear
weapons, one crosses the nuclear threshold. The State at the receiv-
ing end of such a nuclear response would not know that the
response is a limited or tactical one involving a small weapon and
it is not credible to posit that it will also be careful to respond in
kind, that is, with a small weapon. The door would be opened and

the threshold crossed for an all-out nuclear war.

The scenariohere under consideration is that of a limited nuclear
response to a nuclear attack. Since, as stated above,

(a) the "controlled response" is unrealistic; and
(b) a "controlled response" by the nuclear power making the first
attack to the "controlled response" to its first strike is even
more unrealistic,

the scenario we are considering is one of all-out nuclear war, thus
rendering the use of the controlled weapon illegitimate.

The assumption of a voluntary "brake" on the recipient's full-
scale use of nuclear weapons is, as observed earlier in this opinion,
highly fanciful and speculative. Such fanciful speculations provide
a very unsafe assumption on which to base the future of humanity.

(v) As was pointed out by one of the States appearing before the
Court :

"it would be academic and unreal for any analysis to seek to
demonstrate that the use of a singlenuclear weapon in particular

19'General Colin Powell, A Soldier's Way, 1995,p. 324:

"No matter how small these nuclear payloads were, we would be crossing
decisionssince Hiroshima.a. ..i1 began rethinking the practicality of those smallitary
nuclear weapons."

lg3See Bulletin of the Atomic Scientists, May 1985, p. 35, at p. 37, referred to in
Malaysian Written Comments, p. 20. MENACEOU EMPLOI D'ARMESNUCLÉAIRES (OP.DISSW . EERAMANTR5 Y4)7

ii) L'utilité pratique des armes nucléaires de faible puissance a été
contestée par les plus hautes autorités du monde militaire192et
scientifique193.
iii) On a souligné à propos de la légitimedéfense (voir ci-dessusla sec-
tionIV) combien il est difficile sur le plan politique, ainsi que l'ont
reconnu deux anciens secrétaires d'Etat des Etats-Unis d'Amérique,
Robert McNamara et Henry Kissinger, de maintenir la contre-

attaque dans les limites de ce qu'on a appeléune riposte restreinte
ou minimale. L'idéequ'on pourrait arrêterl'escalade ne paraît pas
réalistedans le contexte d'une attaque nucléaire.
iv) Mêmeen employant des armes nucléaires «de faible puissance)),
((tactiques)) ou «de combat)), on franchit le seuil nucléaire.L'Etat
qui serait la cible d'une telle riposte nucléaire ne saurait pas qu'il
est en présenced'une riposte restreinte ou tactique faisant appel à

une arme de faible puissance et on ne peut pas raisonnablement s'at-
tendre que sa contre-riposte soit de mêmenature, c'est-à-dire qu'il
utilise aussi une arme de faible puissance. La voie serait ainsi
ouverte et le seuil serait franchi pour une guerre nucléairetotale.
L'hypothèse que nous envisageons ici est celle d'une attaque
nucléaire suivie d'une riposte nucléaire restreinte. Comme on l'a
déjàvu :

a) compter sur une ((ripostecontrôlée)) n'est guèreréaliste;
b) attendre de la puissance nucléaire auteur de l'attaque initiale
une ((contre-riposte contrôlée)) à la ((riposte contrôlée)) est

encore moins réaliste.
Dans ces conditions, l'hypothèse considérée estcelle d'une guerre
nucléairetotale, d'où il résulteque l'utilisation d'armes nucléaires

dans le cadre d'une riposte contrôléeest illicite.
L'idéeque 1'Etat cible renoncerait volontairement à utiliser tout
son potentiel nucléaire est, comme je l'ai soulignéci-dessus, dans
la présenteopinion, à la fois fantaisiste et spéculative. Faire reposer
l'avenir de l'humanité sur une telle spéculation paraît bien hasar-
deux.
v) Comme l'a souligné l'undes Etats qui se sont présentés devantla
Cour :

((Essayerde démontrerquel'emploi d'uneseulearme nucléaire
n'estpas nécessairementincompatible aveclesprincipes d'huma-

'92GénéralColin Powell, A Soldier's Way, 1995,p. 324:

((Siminimesque soientces chargesnucléaires,nous franchirionsun seuil.Utiliserles
armes nucléairesdans la conjoncture actuelle serait l'une des initiatives militairesles
plus lourdes de conséquencesprisesdepuisHiroshimaaicommencé àm'interroger
sur l'utilitépratique de ces armes nucléaires de faible puissance.
193Voir Bulletin of the Atomic Scientists, mai 1985,p. 37,dont il est fait mention dans
les observations écrites de la Malaisie, p.20. circumstances could be consistent with principles of humanity.
The reality is that if nuclear weapons ever were used, this would
be overwhelmingly likely to trigger a nuclear war." (Australia,

Gareth Evans, CR 95/22, pp. 49-50.)
(vi) In the event of some power readying a nuclear weapon for a strike,
it may be argued that a pre-emptive strike is necessary for self-

defence. However, if such a pre-emptive strike is to be made with
a "small" nuclear weapon which by definition has no greater blast,
heat or radiation than a conventional weapon, the question would
again arise why a nuclear weapon should be used when a conven-
tional weapon would serve the same purpose.
(vii) The factor of accident must always be considered. Nuclear weap-
ons have never been tried out on the battlefield. Their potential for
limiting damage is untested and is as yet the subject of theoretical

assurances of limitation. Having regard to the possibility of human
error in highly scientific operations - even to the extent of the
accidental explosion of a space rocket with al1its passengers aboard
- one can never be sure that some error or accident in construc-
tion may deprive the weapon of its so-called "limited" quality.
Indeed, apart from fine gradations regarding the size of the weapon
to be used, the very use of any nuclear weapons under the stress of
urgency is an area fraught with much potential for accident '94.The

UNIDIR study, just mentioned, emphasizes the "very high risks of
escalation once a confrontation starts" 195.

(viii) There is some doubt regarding the "smallness" of tactical nuclear
weapons, and no precise details regarding these have been placed
before the Court by any of the nuclear powers. Malaysia, on the
other hand, has referred the Court to a United States law forbid-
ding "research and development which could lead to the produc-

tion . . . of a low-yield nuclear weapon" (Written Comments,
p. 20), which is defined as having a yield of less than 5 kilotons
(Hiroshima and Nagasaki were 15and 12kilotons, respectively) '96.
Weapons of this firepower may, in the absence of evidence to the
contrary, be presumed to be fraught with al1the dangers attendant
on nuclear weapons, as outlined earlier in this opinion.

(ix) It is claimed a weapon could be used which could be precisely

aimed at a specifictarget. However, recent experience in the Gulf
War has shown that even the most sophisticated or "small"
weapons do not always strike their intended target with precision.

194See the UNIDIR Study, Risks of UnintentionalNuclear War, supra.
195Ibid., p. 11.
'96National Defense Authorization Act for Fiscal Year (FY) 1944,Public Law, 103-
160,30 November 1993. nitérelèvede la théorieet de l'utopie. Dans la réalité, l'emploi

des armes nucléairesconduirait presque immanquablement au
déclenchement d'une guerre nucléaire. » (Australie, Gareth
Evans, CR 95/22, p. 49-50.)
vi) On pourrait soutenir qu'en présencede préparatifs visant à rendre

une arme nucléaire opérationnelleu , ne frappe préemptive estnéces-
saire à des fins de légitime défense. ais s'ilest fait usage, pour une
telle frappe, d'une arme nucléaire de ((faiblepuissance»comparable
par définition à une arme classique du point de vue de l'effet de
souffle,de l'effetthermique et desrayonnements,pourquoi utiliserune
arme nucléairequand une arme classique aurait les mêmes effets?
vii) Le risque d'accident doit aussi toujours être prisen compte. Les
armes nucléairesn'ontjamais été essayée dsans aucun théâtre d'opé-
rations. La possibilitéde limiter leur capacitéde destruction n'a pas
été établieet tout repose encore dans ce domaine sur des assurances
théoriques.Etant donnéque l'erreur humaine n'estjamais àexclure

dans une activitéhautement scientifique - comme l'explosion acci-
dentelle d'une navette spatiale avec tous sespassagers àbord - une
arme prétendument dotée d'un potentiel de destruction «limitée»
peut fort bien ne pas avoir de tels effetsà la suite d'une erreur ou
d'un défautde construction. On peut dire qu'abstraction faite du
problèmedes dimensions précisesde la bombe à utiliser, l'emploide
n'importe quel type d'armes nucléairessous la pression de l'urgence
est une démarche qui comporte des risques élevés d'a~cident'~~.
L'étude deI'UNIDIR que j'ai mentionnéeinsiste sur «la trèshaute
probabilité d'escalade une fois la confrontation amorcée»Ig5.

viii) Ce qu'il faut entendre par arme nucléairetactique «de faible puis-
sance» n'est pas clair et aucune des puissances dotéesd'armes nu-
cléaires n'afourni d'indication précise à la Cour sur ce point. La
Malaisie a en revanche appelél'attention de la Cour sur une loi des
Etats-Unis qui a interdit«la recherche-développementpouvant con-
duire à la ~roduction ...d'une armenucléaire à effetsréduits))(obser-
vations écrites,p.20),qui est définicomme ayant une puissance infé-
rieure à 5 kilotonnes (lesbombes d'Hiroshima etde Nagasaki étaient
dotées d'unepuissance de 15et 12kilotonnes respe~tivement)'~~D . es
armes de cette puissance peuvent, sauf preuve contraire, être présu-

méesengendrer tous les dangers inhérentsaux armes nucléaires, tels
qu'ils ont été décrits pluhsaut dans la présenteopinion.
ix) D'aucuns soutiennent qu'ilpourrait être faitusage d'une arme capa-
ble d'êtredirigéede manière précisesur une cible bien déterminée.
Mais l'expériencetoute récentede la guerre du Golfe a montréque
les armes, si perfectionnéesou ((miniaturisées))soient-elles,n'attei-

'94Voir ci-dessusl'étudede VUNIDIR, Risks of Unintentional Nuclear War.
lg5Zbid., p. 11.
196National Defense Authorization Act for Fiscal Year (FY) 1944,Public Law, 103-
160, 30 novembre 1993. If there should be such error in the case of nuclear weaponry, the
consequence would be of the gravest order.

(x) Having regard to WHO estimates of deaths ranging from one mil-
lion to one billion in the event of a nuclear war which could well be
triggered off by the use of the smallest nuclear weapon, one can
only endorse the sentiment which Egypt placed before us when it
observed that, having regard to such a level of casualties: "even

with the greatest miniaturization, such speculative margins of risk
are totally abhorrent to the general principles of humanitarian
law" (CR95123, p. 43).
(xi) Taking the analogy of chemical or bacteriological weapons, no one
would argue that because a small amount of such weapons will
cause a comparatively small amount of harm, therefore chemical or
bacteriological weapons arenot illegal, seeingthat they can be used
in controllable quantities. If, likewise, nuclear weapons are gener-
ally illegal, there could not be an exception for "small weapons".
If nuclear weapons are intrinsically unlawful, they cannot be ren-
dered lawful by being used in small quantities or in smaller ver-
sions. Likewise, if a State should be attacked with chemical or
bacteriological weapons, it seems absurd to argue that it has the

right to respond with small quantities of such weapons. The fun-
damental reason that al1such weapons are not permissible, even in
self-defence, for the simple reason that their effects go beyond the
needs of war, is common to al1these weapons.

(xii) Even if - and it has not been so submitted by any State appearing
before the Court - there is a nuclear weapon which totally elimi-
nates the dissemination of radiation, and which is not a weapon of
mass destruction, it would be quite impossible for the Court to
define those nuclear weapons which are lawful and those which are
unlawful, as this involves technical data well beyond the compe-
tence of the Court. The Court must therefore spèak of legality in

general terms.

The Court's authoritative pronouncement that al1nuclear weap-
ons are not illegal (i.e., that every nuclear weapon is not illegal)
would then open the door to those desiring to use, or threaten to
use, nuclear weapons to argue that any particular weapon they use
or propose to use is within the rationale of the Court's decision. No
one could police this. The door would be open to the use of what-
ever nuclear weapon a State may choose to use.

It is totally unrealistic to assume, however clearly the Court
stated its reasons, that a power desiring to use the weapon gnent pas toujours précisément leur cible.Dans le cas des armes
nucléaires, pareilleerreur de tir aurait des conséquences extrême-
ment graves.
x) Etant donné qu'une guerre nucléaire,que la plus petite des armes

nucléaires suffiraità déclencher, ferait, selon les estimations de
l'organisation mondiale de la Santé, entreun million et un milliard
de morts, on ne peut que partager le sentiment exprimépar 1'Egypte
lorsque,à propos de ces pertes considérables,elle a déclaré:((même
dans l'hypothèse d'une extrêmm einiaturisation, pareils chiffresesti-
matifs sont toutà fait intolérablesau regard des principes généraux
du droit humanitaire» (CR95123, p. 43).
xi) Sion établitune comparaison avec les armes chimiques et bactério-
logiques, nul ne pourrait soutenir que, du fait que ces armes
employéesen petitequantiténe causeraient que des dommages com-
parativement réduits,les armes en question sont licites puisqu'il est
possible de les utiliser sans dépasser certaines limites.Si, de la même

manière, les armes nucléairessont de façon généraleillicites, celles
qui sont de ((faible puissance)) ne peuvent faire exception.
Dèslors que les armes nucléairessont intrinsèquement illicites, il
ne suffit pas de les utiliser en petites quantités ou d'employer des
catégories d'armes de faible puissancepour les rendre licites. De
même,on ne peut raisonnablement soutenir qu'un Etat attaqué au
moyen d'armes chimiques ou bactériologiques serait en droit de
riposter avec un nombre limitéd'armes de mêmenature. S'il n'est
pas permis d'utiliser ces diverses catégories d'armesmême enétat de
légitimedéfense, c'estessentiellement parce que leurs effets dépas-
sent les nécessitésde la guerre - une caractéristique qui leur est
commune à toutes.

xii) Mêmesi - et aucun des Etats qui se sont présentés devant laCour
n'a avancé untel argument - il existait une bombe nucléaire ne
comportant absolument aucun risque de propagation des rayonne-
ments et ne relevant pas de la catégorie des armes de destruction
massive, il serait toutà fait impossible à la Cour d'identifier les
armes nucléaireslicites et les armes nucléairesillicites car il lui fau-
draità cette fin procédeà des analyses techniques qui n'entreraient
pas dails sa compétence. La Cour doit donc se prononcer sur la
licéiten général.
En déclarant,avec l'autoritéqui s'attache à ses conclusions, que
toutes les armes nucléairesne sont pas illicites (c'est-à-dire que cer-
taines ne sont pas illicites), la Cour donneraàtquiconque se pro-

pose d'employer ou de menacer d'employer des armes nucléaires la
possibilité desoutenir que l'arme particulièreutiliséeou envisagée
est viséepar la déclaration en question. Aucune vérification ne
serait possible. On a ainsi ouvert la voie à la possibilitépour les
Etats d'employer n'importe quelle arme nucléaire à leur gré.
Si détaillées que puissentêtreles conclusions de la Cour, on ne
peut pas raisonnablement s'attendre qu'une puissance désireuse would carefully choose those which are within the Court's stated
reasoning.

VIII. SOME ARGUMENTS AGAINST THE GRANT
OF AN ADVISORO YPINION

1. The Advisory Opinion Would be Devoid of Practical Effects

It has been argued that, whatever may be the law, the question of the
use of nuclear weapons is a political question, politically loaded, and
politically determined. This may be, but it must be observed that, how-
ever political be the question, there is always value in the clarification of
the law. It is not ineffective,pointless and inconsequential.

It is important that the Court should assert the law as it As.decision
, soundly based on law will carry respect with it by virtue of its own inher-
ent authority. It will assist in building up a climate of opinion in which
law is respected. It will enhance the authority of the Court in that it will

be seen to be discharging its duty of clarifying and developing the law,
regardless of political considerations.

The Court's decision on the illegality of the apartheid régimehad little
prospect of compliance by the offending Government, but helped to cre-
ate the climate of opinion which dismantled the structure of apartheid.
Had the Court thought in terms of the futility of its decree, the end of
apartheidmay wellhave been long delayed, if it could have been achieved
at all. The clarification of the law is an end in itself, and not merely a

means to an end. When the law is clear, there is a greater chance of com-
pliance than when it is shrouded in obscurity.
The view has indeed been expressed that, in matters involving "high
policy", the influence of international law is minimal. However, as Pro-
fessor Brownlie has observed in dealing with this argument, it would be
"better to uphold a prohibition which may be avoided in a crisis than to
do away with standards altogether" '97.
1 would also refer, in this context, to the perceptive observations of
Albert Schweitzer, cited at the very commencement of this opinion,
on the value of a greater public awareness of the illegality of nuclear

weapons.
The Court needs to discharge itsjudicial role, declaring and clarifying
the law as it is empowered and charged to do, undeterred by considera-
tions that pertain to the political realm, which are not its concern.

19"Some Legal Aspects of the Use of Nuclear Weapons", op. cit., p. 438, emphasis
added.

328 MENACE OU EMPLOID'ARMES NUCLÉAIRES (OP.DISSWEERAMANTRY) 550

d'utiliser des armes nucléairesveillà en choisir cellesqui répondent
aux critères définisdans ces conclusions.

VIII. QUELQUES ARGUMENTS AVANCÉS POUR SOUTENIR
QUE LA COUR NE DEVRAIT PAS DONNER L'AVIS CONSULTATIF SOLLICITÉ

1. Un tel avis consultatif serait dépourvud'effets pratiques

On a fait valoir que, quel que puisse êtrel'étatdu droit, la question de
l'emploi des armes nucléaires est une question politique qui met en jeu
des considérations politiques et qui relèved'une décision politique. C'est
peut-êtrele cas, mais il faut se rappeler que, si politique que puisse être
une question, un effort de clarification du droit, loin d'être inutile, vain
ou stérile, présentetoujours des avantages.

11est important que la Cour dise le droit tel qu'il est. Une décision
fondéesur une analyse correcte du droit inspirera le respect en vertu de
son autorité intrinsèque. Elle contribuera à l'instauration d'un climat
favorable au respect du droit. Elle renforcera l'autoritéde la Cour en la
faisant apparaître comme une institution qui s'acquitte de sa mission de
clarification et de développement du droit, indépendamment de toute
considération politique.
La décision de la Cour sur l'illicéitédu système d'apartheid n'avait
guère de chancesd'être appliquép ear le gouvernement mis en cause, mais

elle a contribuéà créer uncourant d'opinion qui a démanteléce système.
Sila Cour s'étaitlaisséearrêterpar l'inutilité deses décisions,l'apartheid
aurait peut-être prisfin beaucoup plus tard ou mêmesurvécu.La clarifi-
cation du droit est une fin en soi et pas seulement un moyen au service
d'une fin. Lorsque le droit est clair, il a plus de chances d'êtrerespecté
que s'il est enveloppé d'obscurité.
On a fait valoir que, dans les domaines relevant de la ((haute poli-
tique)), l'influence du droit international est minime. Mais, comme l'a

soulignéle professeur Brownlie en réponse à cet argument, mieux vaut
((proclamer une interdiction qui risque d'être transgresséeen périodede
crise que de renoncer à tout effort normatif»197.
Je tiens aussià rappeler dans ce contexte les observations très perspi-
caces d'Albert Schweitzer, citéesau début de la présente opinion, sur
l'utilitéd'une sensibilisation accrue de l'opinion publique au problème de
l'illicéides armes nucléaires.
La Cour doit s'acquitter de son rôle judiciaire, dire le droit et en pré-
ciser le contenu, comme elle a le pouvoir et la responsabilité de le faire,

sans se laisser arrêterpar des considérations politiques qui ne sont pas de
son ressort.

19' Some Legal Aspects of the Use of Nuclear Weapons »,p. 438 (lesitaliques
sont de moi).

328 2. Nuclear WeaponsHave Preserved World Peace

It was argued by some Statescontending for legality that such weapons
have played a vital role in support of international security over the last
fifty years, and have helped to preserve global peace.

Even if this contention were correct, it makes little impact upon the
legal considerations before the Court. The threat of use of a weapon
which contravenes the humanitarian laws of war does not cease to con-
travene those laws of war merely because the overwhelming terror it
inspires has the psychological effectof deterring opponents. This Court
cannot endorse a pattern of security that rests upon terror. In the dra-

matic language of Winston Churchill, speaking to the House of Com-
mons in 1955,we would then have a situation where, "Safety will be the
sturdy child of terror and survival the twin brother of annihilation." A
global régime whichmakes safety the result of terror and can speak of
survival and annihilation as twin alternatives makes peace and the human
future dependent on terror. This is not a basis for world order which this
Court can endorse. This Court is committed to uphold the rule of law,
not the rule of force or terror, and the humanitarian principles of the
laws of war are a vital part of the international rule of law which this
Court is charged to administer.

A world order dependent upon terror would take us back to the state
of nature described by Hobbes in The Leviathan, with sovereigns "in the
posture of Gladiators; having their weapons pointing and their eyesfixed
on one another . . which is a ~osture of Warre" lg8.
As international law stands it the threshold of another century, with
over three centuries of development behind it, including over one century
of development of humanitarian law, it has the ability to do better than
merely re-endorse the dependence of international law on terror, thus set-
ting the clock back to the state of nature as described by Hobbes, rather
than the international rule of law as visualized by Grotius. As between
the widely divergent world views of those near contemporaries, interna-

tional law has clearly a commitment to the Grotian vision; and this case
has ~rovided the Court with what future historians mav well describe as
a "~rotian moment" in the history of international la; 1regret that the
Court has not availed itself of this opportunity. The failure to note the
contradictions between deterrence and international law may also help to
prolong the "posture of Warre" described byHobbes, which is implicit in
the doctrine of deterrence.

However, conclusive though these considerations be, the weakness of
the argument that deterrence is valuable in that it has preserved world

198Thomas Hobbes, TheLeviathan, ed. James B. Randall, Washington Square Press,
1970,p. 86.

329 2. Les armes nucléairesont préservé lp aaix mondiale

Certains Etats partisans de la thèse de la licéitéont soutenu que les
armes nucléairesont servi de manière décisivela cause de la sécurité
internationalependant les cinquante dernièresannéeset ont contribuéau
maintien de la paix mondiale.
Mêmeen admettant que cet argument soit exact, il n'a guèrede perti-
nence au regard de la question juridique dont la Cour est saisie. La
menace d'emploi d'une arme en violation du droit humanitaire de la
guerre ne cessepas d'être une violation dece droit simplement parce que
la terreur insurmontable que l'arme inspire a l'effet psychologique de

paralyser la partie adverse. La Cour ne peut souscrire à un systèmede
sécuritéreposant sur la terreur. Pour reprendre la saisissante formule
employéepar Winston Churchill devant la Chambre des communes en
1955, «la sécuritésera l'enfant vigoureux de la terreur et la survie la sŒur
jumelle de l'extermination)). Un ordre mondial qui fait de la sécuritéla
conséquencede la terreur et voit dans la survie et l'extermination des
choix interdépendants subordonnant la paix et l'avenir de l'homme à la
terreur. Ce n'est pas un ordre mondial que la Cour peut sanctionner. La
Cour doit faire prévaloir non le règne de la force et de la terreur mais
l'état dedroit, ainsi que les principes humanitaires du droit de la guerre
qui sont un élément essentielde l'ordre juridique international que la
Cour a mission de faire respecter.

Un ordre mondial fondé sur la terreur nous ramènerait à l'état de
nature décritpar Hobbes dans le Leviathan où les souverains «adoptent
la posture de gladiateurs, tenant leurs armes à bout de bras et s'affron-
tant du regard ..c'est-à-dire une posture belliqueuse»198.
Le droit international, arrivantàl'aube d'un nouveau siècleet comp-
tant plus de trois sièclesde développement,dont plus d'un sièclede déve-
loppement du droit humanitaire, peut faire mieux que de réaffirmerla
sujétiondu droit international à la terreur, ce qui marquerait un retourà
l'état denature décritpar Hobbes et non la reconnaissance de la pri-
mauté du droit international prônéepar Grotius. En présencede deux
visions du monde aussi dissemblables bien qu'émanantde deux auteurs

quasi contemporains, le droit international doit manifestement opter
pour celle de Grotius et la présente affaire afournià la Cour l'occasion
d'écrirece que les historiens de demain appelleront peut-être une «page
de Grotius)) dans l'histoire du droit international.Je regrette que la Cour
n'ait pas saisi cette occasion. Le silence qu'ellea gardé surles contradic-
tions entre la dissuasion et le droit international risque en outre de per-
pétuerla ((posture belliqueuse)), évoquéepar Hobbes, qui est implicite
dans la doctrine de la dissuasion.
Si décisivesque soient les considérations qui précèdentpour réfuter
l'argument selon lequel la dissuasion a eu le méritede préserverla paix

198Thomas Hobbes, The Leviathan, éd.James B. Randall, Washington Square Press,
1970,p. 86.peace does not end here. It is belied by the facts of history. It is welldocu-

mented that the use of nuclear weapons has been contemplated more
than once during the past 50 years. Two of the best-known examples
are the Cuban Missile Crisis (1962)and the Berlin Crisis (1961).To these,
many more could be added from well-researched studies upon the
subject 199.The world has on such occasions been hovering on the brink
of nuclear catastrophe and has, so to speak, held its breath. In these con-
frontations, often a test of nerves between those who control the nuclear

button, anything could have happened, and it is humanity's good fortune
that a nuclear exchange has not resulted. Moreover, it is incorrect to
speak of the nuclear weapon as having saved the world from wars, when
well over 100 wars, resulting in 20 million deaths, have occurred since
1945200.Some studies have shown that since the termination of World
War II, there have been armed conflicts around the globe every year, with
the possible exception of 1968201,while more detailed estimates show
that in the 2,340 weeks between 1945 and 1990, the world enjoyed a

grand total of only three that were truly war-free202.

It is true there has been no global conflagration, but the nuclear
weapon has not saved humanity from a war-torn world, in which there
exist a multitude of flashpoints with the potential of triggering the use of
nuclear weapons if the conflict escalates and the weapons are available.

Should that happen, it would bring "untold sorrow to mankind" which it
was the primary objective of the United Nations Charter to prevent.

IX. CONCLUSION

1. The Task befove the Court

~eference has been made (in Section VI.3 of this opinion) to the wide
variety of groups that have exerted themselves in the anti-nuclear cause
- environmentalists, professional groups of doctors, lawyers, scientists,
performers and artists, parliamentarians, women's organizations, peace
groups, students' federations. They are too numerous to mention. They
come from every region and every country.

199For example, The Nuclear Predicament: A Sourcebook, D. U Gregory (ed.), 1982.

Ruth Sivard, in World Military and Social Expenditures, World Priorities, 1993,
p. 20, counts 149wars and 23 million deaths during this period.
201See Charles Allen, The Savage Wars of Peace: Soldiers' Voices 1945-1989,1989.
202Alvin and Heidi Toffler, War and Anti- War: Survival at the Dawn of the 21st Cen-
tury, 1993,p. 14.mondiale, il y a plus encore. L'argument est infirmépar l'histoire. Il est

établi quele recours aux armes nucléairesa été envisagé plud s'une fois
au cours des cinquante dernières années.Parmi les exemples les plus
connus figure la crise des missiles de Cuba (1962) et la crise de Berlin
(1961). A ces deux exemples on pourrait en ajouter beaucoup d'autres,
puisésdans des étudesbien documentéessur le sujet 199.Le monde a, en
chacune de ces occasions, friséla catastrophe nucléaire et,pour ainsi dire,
retenu son souffle. Tout aurait pu arriver lors de ces confrontations où

ceux qui contrôlent le bouton nucléairese sont souvent trouvés engagés
dans une guerre des nerfs et l'humanité a eula chance d'échapper à des
échanges nucléaires. C'estde surcroît une erreur de dire que l'arme
nucléaire a sauvé le monde de la guerre puisqu'on dénombre, depuis
1945,plus d'une centaine deguerres qui ont fait vingt millions de morts200.
Certaines étudesdémontrent que, depuis la fin de la secondeguerre mon-
diale, il n'y a pas eu une seule année, sauf peut-être1968, qui n'ait été

marquée par des conflits armésen divers points du globe201et des en-
quêtesplus détaillées révèlen qtue sur les deux mille trois cent quarante
semaines qui se sont écouléesentre 1945et 1990,il n'y ena eu que trois
où le monde a vraiment été exemptde tout conflit202.
Sans doute n'y a-t-il pas eu de conflagration mondiale, mais l'arme
nucléairen'a pas marquéla fin d'un monde déchirépar la guerre et semé
de foyers de tension susceptibles de conduire, en cas d'intensification

du conflit et si les moyens sont disponibles, à l'emploi des armes nu-
cléaires. Ainsiseraient infligéesà l'humanité«les indicibles souffrances»
que la Charte des Nations Unies avait pour but principal de lui épar-
gner.

IX. CONCLUSION

1. La tâche de la Cour

On a rappelé (à la section VI, paragraphe 3, de la présente opinion)
que le mouvement antinucléaire a mobilisélesefforts de groupements très
divers - associations d'écologistes,de médecins,de juristes, de savants,
d'artistes-interprètes, de parlementaires ou de pacifistes, organisations
féminines,fédérationsd'étudiants - trop nombreux pour qu'on puisse
les mentionner. Il sont présents dans tous les pays et dans toutes les

régions.

I9Var exemple, The Nuclear Predicament: A Sourcebook, D. U. Gregory (dir. publ.),
1982.
200Ruth Sivard, dans World Military and Social Expenditures, World Priorities, 1993,
p. 20, dénombrecent quarante-neuf guerres et vingt-trois millionsde morts.
201Voir Charles Allen, The Savage Wars of Peace: Soldiers' Voices 1945-1989, 1989.
202Alvin et Heidi Toffler, War and Anti- War: Survival at the Dawn of the 21st Cen-
tury, 1993,p. 14. There are others who have maintained the contrary for a variety of
reasons.
Since no authoritative statement of the law has been available on the
matter thus far, an appeal has now been made to this Court for an
opinion. That appeal comes from the world's highest representative
organization on the basis that a statement by the world's highestjudicial
organization would be of assistance to al1the world in this all-important
matter.

This request thus gives the International Court of Justice a unique
opportunity to make a unique contribution to this unique question. The
Opinion rendered by the Court has judicially established certain impor-
tant principles governing the matter for the first time. Yet it does not go
to the full extent which 1 think it should have.

In this opinion 1 have set down my conclusions as to the law. While
conscious of the magnitude of the issues, 1have focused my attention on
the law as it is- on the numerous principles worked out by customary
international law, and humanitarian law in particular, which cover the
particular instances of the damage caused by nuclear weapons. As stated

at the outset, my considered opinion on this matter is that the use or
threat of use of nuclear weapons is incompatible with international law
and with the very foundations on which that system rests. 1have sought
in this opinion to set out my reasons in some detail and to state why the
use or threat of use of nuclear weapons is absolutely prohibited by exist-
ing law - in al1circumstances and without reservation.

It comforts me that these legal conclusions accord also with what 1per-
ceive to be the moralities of the matter and the interests of humanity.

2. The Alternatives before Humanity

To conclude this opinion, 1refer briefly to the Russell-Einstein Mani-
festo, issued on 9 July 1955.Two of the most outstanding intellects of
this century, Bertrand Russell and Albert Einstein, each of them specially
qualified to speak with authority of the power locked in the atom, joined
a number of the world's most distinguished scientists in issuing a
poignant appeal to al1of humanity in connection with nuclear weapons.
That appeal was based on considerations of rationality, humanity and
concern for the human future. Rationality, humanity and concern for the
human future are built into the structure of international law.

International law contains within itself a section which particularly
concerns itself with the humanitarian laws of war. It is in the context of
that particular section of that particular discipline that this caseis set. It
is an area in which the concerns voiced in the Russell-Einstein Manifesto
resonate with exceptional clarity. D'autres milieux ont adopté une opinion contraire pour des raisons
diverses.
Comme aucune voix autorisée ne s'estjusqu'à présent prononcéesur
l'étatdu droit dans ce domaine, la Cour a étéinvitée à donner un avis
consultatif. Cette invitation lui a été adressée par l'institution la plus

représentative du monde, motivéepar la conviction que l'instance judi-
ciaire suprême dela planète pouvait, en se prononçant sur cette question
capitale, êtred'un grand secours à l'humanité.
La demande qui a été soumise à la Cour lui a donné l'occasion
d'apporter une contribution exceptionnelle au sujet d'une question excep-
tionnelle. L'avis donnépar la Cour a permis de définirsur le plan judi-
ciaire certains principes importants applicables à la question pour la pre-
mièrefois. Pourtant, la Cour n'est pas, selon moi, allée aussi loin qu'elle
l'aurait dû.
Dans la présente opinion dissidente, j'ai exposé mesconclusions tou-

chant l'étatdu droit. Bien que conscient de l'ampleur des problèmes en
jeu, je m'en suis tenu au droit tel qu'il est - aux nombreux prin-
cipes dégagéspar le droit international coutumier et, plus spécialement,
au droit humanitaire qui couvre les diverses formes de dommages causés
par les armes nucléaires.Comme je l'ai dit au début,je considère, après
avoir mûrement réfléchi,que l'emploi et la menace d'emploi des armes
nucléaires sont incompatibles avec le droit international et avec les
fondements sur lesquels il repose. J'ai voulu dans la présente opinion ex-
poser mes raisons de manière assez détailléeet préciserpourquoi l'uti-

lisation ou la menace d'utilisation des armes nucléairessont totalement
interdites - sans réserveet en toutes circonstances - par le droit exis-
tant.
Il m'est réconfortant de voir que cesconclusionsjuridiques s'accordent
avec ce que je crois êtreles exigences de la morale et les intérêts de
l'humanité.

2. Les options qui s'offrent a l'humanité

En conclusion, je voudrais évoquer brièvement le manifeste Russell-

Einstein, publiéle 9juillet 1955.Deux des plus grands intellectuels de ce
siècle,Bertrand Russell et Albert Einstein, l'un et l'autre particulièrement
qualifiéspour parler d'une voix autorisée de la puissance que recèle
l'atome ont, avec quelques-uns des plus éminents savants du monde,
lancéun appel poignant au monde entier au sujet des armes nucléaires.
Cet appel étaitdictépar la raison, par l'humanitéet par le souci du sort
de l'espèce humaine. Raison, humanité et souci du sort de l'espèce
humaine font partie intégrantedu droit international.
Le droit international comporte une branche qui s'intéresse spéciale-

ment au droit humanitaire de la guerre. C'est dans la perspective de cette
branche du droit que se situe la présente affaire - une perspective dans
laquelle les préoccupations reflétéesdans le manifeste Russell-Einstein
prennent un relief particulier. Here are extracts from that appeal:
"No one knows how widely such lethal radioactive particles may
be diffused, but the best authorities are unanimous in saying that a
war with H-bombs might possibly put an end to the human race .. .

.. .We appeal, as human beings, to human beings: Remember
your humanity, and forget the rest. If you can do so, the way lies
open to a new Paradise; if you cannot, there lies before you the risk
of universal death."

Equipped with the necessary array of principles with which to respond,

international law could contribute significantly towards rolling back the
shadow of the mushroom cloud, and heralding the sunshine of the
nuclear-free age.
No issue could be fraught with deeper implications for the human
future, and the pulse of the future beats strong in the body of interna-
tional law. This issue has not thus far entered the precincts of interna-
tional tribunals. Now that it has done so for the first time, it should be
answered - convincingly,clearly and categorically.

(Signed) Christopher Gregory WEERAMANTRY. Voici des extraits de cet appel:
«Nul ne sait dans quel rayon se diffuseraient ces particules radio-
actives létalesmais les autorités les plus dignes de foi conviennent
unanimement qu'une guerre faisant intervenir des bombes H pour-
rait mettre fin la race humaine...
...Nous lançons, en tant qu'êtres humains,un appel aux êtres
humains : rappelez-vous votre condition d'êtrehumain et oubliez le

reste. Si vous y parvenez, vous verrez s'ouvrir devant vous la voie
d'un nouvel éden;sinon, vous devrez affronter le risque d'un anéan-
tissement universel.))
Muni de l'arsenal de principes nécessaires,le droit international pour-
rait puissamment contribuer à dissiper l'ombre du champignon nucléaire
et àfaire lever l'aube éclatante d'uneère dénucléarisée.

Il n'estpas de question qui soit plus lourde de conséquencespour l'ave-
nir de l'humanitéet les contours de cet avenir transparaissent clairement

dans la trame du droit international. Cette question n'avait pas jusqu'à
présent été inscritaeu rôle d'un tribunal international.Maintenant qu'elle
l'a étée,t pour la première fois,il faut y répondrefermement, clairement
et catégoriquement.

(SignéC )hristopher Gregory WEERAMANTRY. Appendix
(Demonstrating danger to neutral States)

A - Lethal area from the blast wave of the blockbusters used in the Second
World War.

B - Lethal area from the blast wave of the Hiroshima bomb.
C - Lethal area from the blast wave of a 1-Mt bomb.
D - Lethal area for fallout radiation from a 1-Mt bomb. Appendice

(Le risque encouru par les Etats neutres)

A - Zone mortelle pour l'onde de choc des bombes géantes(blockbusters)
utiliséespendant la seconde guerre mondiale.

B - Zone mortelle pour l'onde de choc de la bombe d'Hiroshima.
C - Zone mortelle pour l'onde dechoc d'une bombe de 1 Mt.

D - Zone rendue mortelle par les retombées radioactives d'une bombe de
1 Mt.

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Document Long Title

Opinion dissidente de M. Weeramantry (traduction)

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