Opinion individuelle de M. Guillaume

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095-19960708-ADV-01-06-EN
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095-19960708-ADV-01-00-EN
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OPINION INDIVIDUELLE DE M. GUILLAUME

1. L'avis consultatif donné par la Cour dans la présente affairea fait
l'objet de sérieusesréservesde la part de nombre de mes collègueset sera
probablement accueilli par un concert de critiques. Je partage certaines
de ces réserves,mais ne me joindrai pas àce concert.
Certes l'avis souffre de nombreuses imperfections. Il traite de manière

trop rapide dequestions complexesqui auraient dû fairel'objet dedévelop-
pements plus complets et plus équilibrés, ence qui concerne par exemple
le droit de l'environnement, le droit des représailles,le droit humanitaire
ou celui de la neutralité. Dans ces divers domaines, la Cour, en recher-
chant quelle était lacoutume en vigueur, n'a, quoi qu'elle en dise, guère
tenu compte de la pratique et de l'opiniouvis des Etats et s'esttrop sou-
vent laisséguider par des considérations qui relèvent plus du droit na-
turel que du droit positif, de la lexvenda que de la lex lata. Elle a en
outre accordé une portéeexcessiveaux résolutions del'Assemblée géné-
rale des Nations Unies. Cette confusion, aggravéepar le paragraphe 104
de l'avis, n'apas étésans conséquencesur les formulations retenues dans
le dispositif. Bien plus, ce dernier, tout en statuantvapetita en ce qui
concerne le désarmement nucléaire, nerépond surcertains points que de
manière implicite à la question posée.Il serait aiséen pareilles circons-

tances d'accabler la Cour. Je ne le ferai pas, car cette situation peu satis-
faisante trouve son origine profonde moins dans les errements du juge
que dans le droit applicable.
2. La Cour aurait pu songer dans ces conditions à ne pas donner suite
à la demande d'avis dont elle était saisie. Cette solution aurait trouvé
quelquejustification dans les circonstances mêmesde la saisine. En effet,
l'avis sollicitépar l'Assembléegénérale desNations Unies (comme
d'ailleurs celui demandépar l'Assembléemondiale de la Santé)a trouvé
son origine dans l'action menéepar une association dénommée((Inter-
national Association of LawyersAgainst Nuclear Arms» (IALANA) qui,
de concert avec divers autres groupements, a lancéen 1992un projet inti-
tulé«World Court Project» afin de faire proclamer par la Cour l'illicéité
de la menace ou de l'emploi des armes nucléaires.Ces associations ont

fait preuve d'une intense activité envue de faire voter les résolutions sai-
sissant la Cour et de provoquer l'intervention devant cette dernière
d'Etats hostiles aux armes nucléaires.Bien plus, la Cour et lesjuges ont
reçu des milliers de lettres inspiréespar ces groupements et faisant appel
tant à leur consciencequ'à la consciencepublique.
Je suis certain que les pressions ainsi exercéesont ésans influence sur
les délibérations de laCour, mais je me suis interrogésur la question de
savoir si, dans ces conditions, on pouvait encore regarder les demandesd'avis comme émanant des assembléesqui les avaient adoptées, ou si,
appliquant la théorie de l'apparence, la Cour ne devait pas les écarter
comme irrecevables.J'ose cependant espérer que les gouvernements et les
institutions intergouvernementales conservent encore une autonomie de
décision suffisantepar rapport aux puissants groupes de pression qui les
investissent aujourd'hui avec le concours des moyens de communication
de masse. Je constate en outre qu'aucun des Etats qui se sont présentés
devant la Cour n'a soulevéune telle exception. Dans ces conditions, je
n'ai pas cru devoir la retenir d'office.
3. Au fond, je partage l'opinion de la Cour telle qu'expriméeau para-
graphe 2 Bdu dispositif, selon laquelle il n'existe ni en droit coutumier, ni
en droit conventionnel, d'interdiction complète et universelle de recours
aux armes nucléaires en tant que telles. Par contre, je comprends mal

qu'au paragraphe 2 A du mêmedispositif la Cour ait cru nécessairede
préciserque «ni le droit international coutumier ni le droit international
conventionnel n'autorisent spécifiquementla menace ou l'emploi d'armes
nucléaires)).Cette constatation n'est pas en soi inexacte, mais elle ne pré-
sente aucun intérêp tour l'AssembléegénéraledesNations Unies puisqu'il
résulte del'avis mêmede la Cour que ttl'illicéité de l'emploi de certaines
armes en tant que telles ne résultepas d'une absence d'autorisation, mais
se trouve au contraire formuléeen termes de prohibition)) (par. 52).
4. En revanche, je souscris entièrement au paragraphe 2 C du disposi-
tif, car les Etats ne peuvent à l'évidencerecourir aux armes nucléaires,
comme d'ailleurs à toute arme, que dans les conditions fixéespar la
Charte des Nations Unies et en particulier par son article 51 relatif au
droit de légitimedéfenseindividuel ou collectif.Ilssont en outre tenus de
respecter les normes conventionnelles régissant spécifiquementle recours

aux armes nucléairestelles qu'elles sont résuméesaux paragraphes 58 et
59 de l'avis.

5. L'application du droit coutumier humanitaire aux armes nucléaires
soulevait des questions beaucoup plus délicates.
Comme la Cour l'a précisé,le droit coutumier concernant la conduite
des opérations militaires résultepour l'essentiel de l'annexeà la conven-
tion IV de La Haye du 18octobre 1907concernant lesloiset coutumes de
la guerre sur terre. Compte tenu de la nature et de l'anciennetéde ces
dispositions, on pouvait se demander si celles-ci étaient applicables à
l'emploi et surtout à la menace d'emploi des armes nucléaires. Les plus

grands doutes me paraissaient permis sur ce dernier point. Mais aucun
Etat doté d'armes nucléaires n'a contesté devant laCour qu'il en était
ainsi et l'immense majorité, sinon l'unanimité,des autres Etats en a été
d'accord. La Cour n'a pu que prendre acte de ce consensus au para-
graphe 22 de son avis.
Ces normes coutumières ont été résuméespar la Cour en trois formules
au paragraphe 78de l'avis :les Etats n'ont pas un choix illimitéquant auxarmes qu'ils emploient; ils ne peuvent utiliser des armes qui sont dans
l'incapacitéde distinguer entre cibles civileset cibles militaires; il leur est
interdit d'user d'armes propres à causer des maux superflus aux combat-
tants.
J'adhère entièrement à cette analyse, mais estime que celle-ciaurait dû
êtrecomplétéepar le rappel des règlesconcernant les dommages collaté-
raux que l'attaque d'objectifs militaires légitimespeut causer aux popu-
lations civiles.Ces règlestrouvent leur origine dans les articles 23 g), 25
et 27 de l'annexe àla convention IV de La Haye. Ellesfirent l'objet defor-
mulations nouvelles dans leprojet de convention sur la réglementation de
la guerre aérienne de 1923et dans la résolutionadoptéepar l'Assemblée
de la Société desNations le 30 septembre 1938. Elles furent explicitées
par le Tribunal militaire américain deNuremberg dans l'affaire no 47.

Ellesle furent ànouveau par l'Assemblée desNations Unies dans sa réso-
lution 2444 (XXIII) du 19 décembre 1968 concernant le respect des
droits de l'homme dans les conflits armés,adoptée à l'unanimité,selon
laquelle:
«il est interdit de lancer des attaques contre lespopulations civilesen
tant que telles;...il faut en tout temps faire la distinction entre les

personnes qui prennent part aux hostilités et les membres de la
population civile,afin que ces derniers soient épargnésdans toute la
mesure possible)).
Elle fut enfin développée par l'article1 du protocole additionnel no 1de
1977 aux conventions de Genève qui condamne les attaques contre les
objectifs militaires dont on peut attendre qu'ellescauseront incidemment
des dommages ((excessifs» à la population civile.

Ainsi le droit coutumier humanitaire comporte une seule interdiction
absolue: celle des armes dites ((aveugles))qui sont dans l'incapacitéde
distinguer entre cibles civiles et cibles militaires. Maisà l'évidenceles
armes nucléairesn'entrent pas nécessairementdans cette catégorie.
Pour le surplus, ce droit suppose des comparaisons. Les dommages
collatéraux causésaux populations civilesne doivent pas être«excessifs»
par rapport à 1'«avantage militaire attendu)). Les souffrances causéesaux
combattants ne doivent pas être«superflues», c'est-à-dire, pour repren-
dre l'expression même de la Cour, ((supérieuresaux maux inévitablesque
suppose la réalisationd'objectifs militaires légitimes)()par. 78).
Dèslors l'arme nucléairene saurait êtreregardéecomme illicitedu seul
fait des souffrances qu'elle est susceptiblede causer. Encore faut-il com-
parer ces souffrances aux ((avantages militaires attendus)) ou aux (objec-
tifs militaires)) poursuivis.

S'agissant des armes nucléaires de destruction massive, il est clair
cependant que les dommages qu'ellessont susceptibles de causer sont tels
que leur utilisation ne saurait êtreenvisagéeque dans des cas extrêmes.
6. Le mêmeraisonnement vaut en ce aui concerne le droit de la neu-
tralité car,en de nombreuses occasions, il a étésoutenu ou reconnu que
la licéitd'actions menéespar des belligérants enterritoire neutre dépen-dait des ((nécessitésmilitaires)), ainsique le regretté juge Ago le consta-

tait au vu d'une abondante pratique rapportée dans l'additif à son hui-
tièmerapport à la Commission du droit international sur la responsabilité
des Etats (par. 50 et note 101).
7. Au total, la Cour aurait donc,à mon sentiment, dû répondre sur ce
point à la question posée enprécisant que la menace ou l'emploi d'armes
nucléaires n'est compatible avecle droit applicable dans les conflitsarmés
que dans certains cas extrêmes.La Cour a préféréa,u paragraphe 2 E du
dispositif, user d'une formule négative en précisantque cette menace ou
cet emploi était ((généralementinterdit)). Cette formulation manque de
précision, mais elle n'en implique pas moins que la menace ou l'emploi
d'armes nucléaires nesont pas interdits en ((toute circonstance» par le
droit applicable dans les conflits armés, ainsi que la Cour l'a d'ailleurs
relevéau paragraphe 95 de l'avis.

8. La Cour a ajouté au paragraphe 2 E que:
«Au vu de l'état actueldu droit international, ainsi que des élé-
ments de fait dont elle dispose, la Cour ne peut cependant pas
conclure de façon définitive que la menace ou l'emploi d'armes
nucléaires serait licite ou illicite dans une circonstance extrême de
légitime défensedans laquelle la survie mêmed'un Etat serait en
»
cause.
Cette formulation n'est, là encore, pas complètement satisfaisante et je
pense par suite nécessairede l'éclairer quelque peu.
Aucun des Etats qui se sont présentés devant laCour ne s'estinterrogé
sur les rapports entre le droit de légitimedéfensereconnu par l'article 51
de la Charte et les principes et règlesdu droit applicable dans les conflits
armés.Tous ont raisonné commesi ces deux types de prescription étaient

indépendants, en d'autres termes, comme si le jus ad bellum et lejus in
bel10 constituaient deux entités n'entretenant aucun rapport l'un avec
l'autre. La Cour, dans certaines parties de son avis, a mêmepu paraître
tentéepar une telle construction. Or, on peut se demander s'ilen est bien
ainsi ou si, au contraire, les règles duus ad bellum ne permettent pas
d'éclairercelles dujus in bello.
Le droit de légitimedéfenseproclamépar la Charte des Nations Unies
est qualifiépar celle-ci de droit naturel. L'article 51 de la Charte ajoute
qu'aucune disposition de la Charte ne porte atteinte à ce droit. Il en est
de même à fortiori du droit coutumier ou du droit conventionnel. Cette
solution s'explique aisément,car tout systèmede droit, quel qu'il soit, ne
saurait priver l'un de ses sujets du droit de défendre sa propre existence
en assurant la sauvegarde de ses intérêts vitaux. Dès lorsl,e droit inter-
national ne peut priver un Etat du droit de recourirà l'arme nucléairesi

ce recours constitue l'ultime moyen par lequel il peut assurer sa survie.
En pareille hypothèse, cet Etat bénéficied'une sorte d'«excuse absolu-
toire)) analogue à celle qui existe dans tous les systèmesde droit pénal.
La Cour a bien identifiéce problème lorsqu'au paragraphe 96 de l'avis
elle a précisé qu'ellne saurait:291 MENACE OU EMPLOI D'ARMESNUCLÉAIRES (OP.IND.GUILLAUME)

«perdre de vue le droit fondamental qu'a tout Etat à la survie, et
donc le droit qu'il a de recourirla légitime défensec,onformément
à l'article 51 de la Charte, lorsque cette survie est en cause)).
Dans cette perspective, elle a rappelédans ce mêmeparagraphe qu'une
((partie appréciable de la communauté internationale a adhéré pendant
des années» à «la pratique dénommée((politique de dissuasion)). Elle a
soulignépar ailleurs que les Etats qui ont adhéré à cette doctrine età

cette pratique
«se sont toujours réservé,de concert avec certains autres Etats, le
droit d'utiliser ces armes dans l'exercicedu droit de légitimedéfense
contre une agression armée mettant en danger leurs intérêts vitaux
en matière de sécurité))(par. 66).

Elle a, par ailleurs, pris note des
((réservesque certains Etats dotésd'armes nucléairesont apportées
aux engagements qu'ils ont pris, en vertu, notamment, des proto-
coles aux traités de Tlatelolco et de Rarotonga, ainsi que des décla-
rations faites par eux dans le cadre de la prorogation du traité surla

non-prolifération des armes nucléaires, de ne pas recourir à ces
armes» (par. 96).
La Cour a enfin observéque les réservesainsi formulées à ces proto-
coles et celles contenues dans les déclarations n'avaient ((suscitéaucune
objection dela part des parties auxtraités deTlatelolco ou de Rarotonga,
ou de la part du Conseil de sécurité))(par. 62). Bîenplus, elle a relevéque
ce dernier avait pris acte avec satisfaction ou s'était félicité desdéclara-
tions ainsi faites (par. 45).

9. Dans cesconditions, laCourauraitdû, àmon opinion, allerjusqu'au
bout de son raisonnement et reconnaître de manière explicitela licéitéde
la dissuasion pour la défensedes intérêts vitaux desEtats. Elle ne l'a pas
fait explicitementet c'estpourquoi je n'ai pu souscrire au paragraphe 2E
du dispositif. Mais ellel'a fait implicitement et c'estpourquoi j'ai joint au
présent avisune opinion individuelleet non une opinion dissidente.
Au paragraphe 2 E du dispositif, la Cour a en effet décidé qu'ellene
pouvait dans ces circonstances extrêmes conclure de façon définitiveà la
licéitou à l'illicéité dsrmes nucléaires.Elle a estiméen d'autres termes
qu'en pareilles circonstances le droit ne fournissait aucun guide aux
Etats. Mais si ledroit est muet en ce cas, les Etats demeurent libres d'agir
comme ils l'entendent.
10. Le droit international repose en effet sur le principe de la souve-
raineté desEtats et procèdepar suite du consentement de ces derniers. En

d'autres termes, comme l'a dit excellemment la Cour permanente, «le
droit international régitles rapports entre Etats indépendants. Les règles
de droit liant les Etats procèdent donc de la volonté de ceux-ci.(Lotus,
arrêt no 9, 1927, C.P.J.1. sérieA, no 10, p. 18.)
La Cour elle-mêmea eu l'occasion de tirer sous diverses formes les
conséquences de ce principe dans l'affaire opposant le Nicaragua auxEtats-Unis d'Amérique.Elle a rappeléque «le principe de souveraineté
des Etats permet à chacun d'entre eux de se déciderlibrement)) pour ce
qui est «du choix du systèmepolitique, économique, social et culturel et
de la formulation des relations extérieures)) (Activitésmilitaires et para-
militaires au Nicaraguaet contre celui-ci(Nicaragua c.Etats-Unis d'Amé-
rique), fond, C.I.J. Recueil 1986, p. 108). Elle a surtout précisé
«qu'il n'existe pas en droit international de règles,autres que celles

que 1'Etatintéressé peut accepter,par traitéou autrement, imposant
la limitation de niveau d'armement d'un Etat souverain, ce principe
étantvalable pour tous les Etats sans distinction)) (ibid., p. 135).
Il. La pratique constante des Etats est en ce sens pour ce qui est dujus
in bello.Tous les traitésconcernant certains types d'armes procèdent par
voie d'interdiction. Ainsi en est-il, par exemple, du traitévisant l'interdic-
tion des armes nucléaires en Amérique latine de 1967, de la convention

sur l'interdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockage des
armes bactériologiques de 1975,de la convention sur l'interdiction ou la
limitation de l'emploi de certaines armes classiques qui peuvent être
considérées commeproduisant des effets traumatiques excessifsde 1981,
ou de la convention sur l'interdiction de la mise au point, de la fabri-
cation, du stockage et de l'emploi des armes chimiques et sur leur des-
truction de 1993. De mêmele projet de convention annexé aux résolu-
tions de l'Assembléegénérale desNations Unies 45/59et 46/37 a-t-il pour
objet, selon son titre même, ((l'interdiction de l'utilisation des armes
nucléaires».
En outre, on notera que le seuljugement national qui ait eu à se pro-
noncer, à ma connaissance, sur ce point l'a fait dans le mêmesens. En
effet, la cour de district de Tokyo, dans son jugement du 7 décembre
1963, a préciséque: «Bien entendu, il est exact que l'emploi d'une arme
nucléaireest licite aussi longtemps que le droit international ne l'interdit
pas» (Japanese Annual of International Law, 1964,no 8, p. 235).
Bien plus, et comme il a déjà été rappelé, lC aour elle-mêmea, dans le
présent avis,reconnu le caractère coutumier d'un tel principe en précisant

que «l'illicéitde l'emploi de certaines armes en tant que telles ne résulte
pas d'une absence d'autorisation, mais setrouve au contraire formuléeen
termes de prohibition)) (par. 52).
12. Dans ces conditions, il résulte implicitement, mais nécessairement,
du paragraphe 2 E de l'avis de la Cour que les Etats peuvent recourir à
«la menace ou [à]l'emploi des armes nucléaires ...dans une circonstance
extrême delégitime défense dans laquelle la survie mêmed'un Etat
serait-en cause)). Tel a toujours étle fondement des politiques de dissua-
sion dont la licéitéest ainsi reconnue.
13. L'arme nucléaire n'en estpas moins ((potentiellement de nature
catastrophique)) et l'on comprend par suite que la Cour ait éprouvéle
besoin de souligner au paragraphe 99 de son avis toute l'importance de
l'articleI du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires.
J'approuve entièrement cette mention et souhaite ardemment que lesnégociations prévuespar ce texte en ce qui concerne tant le désarmement
nucléaireque le désarmement conventionnel soient couronnées desuccès.
J'aurai préféré toutefois que lCour se borne à traiter de cette question
dans les motifs de son avis. En effet, je crains qu'en adoptant le para-
graphe 2 F du dispositif, dans une formulation qui tente de résumerles
obligations des Etats parties au traité surla non-prolifération des armes
nucléaires,sans d'ailleurs parvenir clairement, la Cour n'ait statuultra
petita.
14. Pour conclure,je souhaiterais réaffirmer solennellementque le rôle
du juge ne consiste pas à se substituer au législateur.Au cours des deux
dernières décennies,lacommunauté internationale a fait des progrès sen-

sibles vers l'interdiction des armes nucléaires. Maisce processus n'est pas
parvenu à son terme et la Cour doit se bornerà constater l'étatdu droit
sans pouvoir substituer son appréciation à la volonté desEtats souve-
rains. C'est la grandeur du juge que de rester dans son rôle en toute
humilité, quelsque soient par ailleurs les débatsintérieursqui peuvent
êtreles siens au plan religieux, philosophique ou moral.

(Signé) Gilbert GUILLAUME.

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OPINION INDIVIDUELLE DE M. GUILLAUME

1. L'avis consultatif donné par la Cour dans la présente affairea fait
l'objet de sérieusesréservesde la part de nombre de mes collègueset sera
probablement accueilli par un concert de critiques. Je partage certaines
de ces réserves,mais ne me joindrai pas àce concert.
Certes l'avis souffre de nombreuses imperfections. Il traite de manière

trop rapide dequestions complexesqui auraient dû fairel'objet dedévelop-
pements plus complets et plus équilibrés, ence qui concerne par exemple
le droit de l'environnement, le droit des représailles,le droit humanitaire
ou celui de la neutralité. Dans ces divers domaines, la Cour, en recher-
chant quelle était lacoutume en vigueur, n'a, quoi qu'elle en dise, guère
tenu compte de la pratique et de l'opiniouvis des Etats et s'esttrop sou-
vent laisséguider par des considérations qui relèvent plus du droit na-
turel que du droit positif, de la lexvenda que de la lex lata. Elle a en
outre accordé une portéeexcessiveaux résolutions del'Assemblée géné-
rale des Nations Unies. Cette confusion, aggravéepar le paragraphe 104
de l'avis, n'apas étésans conséquencesur les formulations retenues dans
le dispositif. Bien plus, ce dernier, tout en statuantvapetita en ce qui
concerne le désarmement nucléaire, nerépond surcertains points que de
manière implicite à la question posée.Il serait aiséen pareilles circons-

tances d'accabler la Cour. Je ne le ferai pas, car cette situation peu satis-
faisante trouve son origine profonde moins dans les errements du juge
que dans le droit applicable.
2. La Cour aurait pu songer dans ces conditions à ne pas donner suite
à la demande d'avis dont elle était saisie. Cette solution aurait trouvé
quelquejustification dans les circonstances mêmesde la saisine. En effet,
l'avis sollicitépar l'Assembléegénérale desNations Unies (comme
d'ailleurs celui demandépar l'Assembléemondiale de la Santé)a trouvé
son origine dans l'action menéepar une association dénommée((Inter-
national Association of LawyersAgainst Nuclear Arms» (IALANA) qui,
de concert avec divers autres groupements, a lancéen 1992un projet inti-
tulé«World Court Project» afin de faire proclamer par la Cour l'illicéité
de la menace ou de l'emploi des armes nucléaires.Ces associations ont

fait preuve d'une intense activité envue de faire voter les résolutions sai-
sissant la Cour et de provoquer l'intervention devant cette dernière
d'Etats hostiles aux armes nucléaires.Bien plus, la Cour et lesjuges ont
reçu des milliers de lettres inspiréespar ces groupements et faisant appel
tant à leur consciencequ'à la consciencepublique.
Je suis certain que les pressions ainsi exercéesont ésans influence sur
les délibérations de laCour, mais je me suis interrogésur la question de
savoir si, dans ces conditions, on pouvait encore regarder les demandes SEPARATE OPINION OF JUDGE GUILLAUME

[Translation]

1. The Advisory Opinion given by the Court in the present case was
the subject ofserious reservations by a number of my colleagues and will
probably be received with a chorus of criticism. 1 share some of the
reservations but will not join in the chorus.
Of course the Opinion has many imperfections. It deals too quickly
with complex questions which should have received fuller and more
balanced treatment, for example with respect to environmental law, the
law of reprisals, humanitarian law and the law of neutrality. In these

various areas, the Court, seeking to identify the custom in force, has
taken hardly any account, whatever it may say on the matter, of practice
and of the opinio juris of States, and too often it allowed itself to be
guided by considerations falling more within the sphere of natural law
than of positive law, of lex ferenda rather than of lex lata. It also
accorded excessiveimport to the resolutions of the General Assembly of
the United Nations. This confusion, aggravated by paragraph 104of the
Opinion, was not without consequence for the wording adopted in the
operative part. Indeed, this operative part, while rulingultrapetita with
regard to nuclear disarmament, gives, on certain points, only an implicit
answer to the question posed. In these circumstances it would be easy to
condemn the Court. 1 will not do so, for this unsatisfactory situation
ultimately stems less from the erring ways of the judge than from the
applicable law.
2. This being the case, the Court could have considered declining to
respond to the request for an advisory opinion. This solution would have
found some justification in the very circumstances of the seisin. The
opinion requested by the General Assembly of the United Nations (like
indeed the one requested by the World Health Assembly) originated in a

campaign conducted by an association called International Association
of LawyersAgainst Nuclear Ams (IALANA), which in conjunction with
various other groups launched in 1992a project entitled "World Court
Project" in order to obtain from the Court a proclamation of the illegal-
ity of the threat or use of nuclear weapons. These associations worked
very intensively to secure the adoption of the resolutions referring the
question to the Court and to induce States hostile to nuclear weapons to
appear before the Court. Indeed, the Court and the judges received thou-
sands of letters inspired by these groups, appealing both to the Members'
conscience and to the public conscience.
1 am sure that the pressure brought to bear in this way did not influ-
ence the Court's deliberations, but 1wondered whether, in such circum-
stances, the requests for opinions could still be regarded as coming fromd'avis comme émanant des assembléesqui les avaient adoptées, ou si,
appliquant la théorie de l'apparence, la Cour ne devait pas les écarter
comme irrecevables.J'ose cependant espérer que les gouvernements et les
institutions intergouvernementales conservent encore une autonomie de
décision suffisantepar rapport aux puissants groupes de pression qui les
investissent aujourd'hui avec le concours des moyens de communication
de masse. Je constate en outre qu'aucun des Etats qui se sont présentés
devant la Cour n'a soulevéune telle exception. Dans ces conditions, je
n'ai pas cru devoir la retenir d'office.
3. Au fond, je partage l'opinion de la Cour telle qu'expriméeau para-
graphe 2 Bdu dispositif, selon laquelle il n'existe ni en droit coutumier, ni
en droit conventionnel, d'interdiction complète et universelle de recours
aux armes nucléaires en tant que telles. Par contre, je comprends mal

qu'au paragraphe 2 A du mêmedispositif la Cour ait cru nécessairede
préciserque «ni le droit international coutumier ni le droit international
conventionnel n'autorisent spécifiquementla menace ou l'emploi d'armes
nucléaires)).Cette constatation n'est pas en soi inexacte, mais elle ne pré-
sente aucun intérêp tour l'AssembléegénéraledesNations Unies puisqu'il
résulte del'avis mêmede la Cour que ttl'illicéité de l'emploi de certaines
armes en tant que telles ne résultepas d'une absence d'autorisation, mais
se trouve au contraire formuléeen termes de prohibition)) (par. 52).
4. En revanche, je souscris entièrement au paragraphe 2 C du disposi-
tif, car les Etats ne peuvent à l'évidencerecourir aux armes nucléaires,
comme d'ailleurs à toute arme, que dans les conditions fixéespar la
Charte des Nations Unies et en particulier par son article 51 relatif au
droit de légitimedéfenseindividuel ou collectif.Ilssont en outre tenus de
respecter les normes conventionnelles régissant spécifiquementle recours

aux armes nucléairestelles qu'elles sont résuméesaux paragraphes 58 et
59 de l'avis.

5. L'application du droit coutumier humanitaire aux armes nucléaires
soulevait des questions beaucoup plus délicates.
Comme la Cour l'a précisé,le droit coutumier concernant la conduite
des opérations militaires résultepour l'essentiel de l'annexeà la conven-
tion IV de La Haye du 18octobre 1907concernant lesloiset coutumes de
la guerre sur terre. Compte tenu de la nature et de l'anciennetéde ces
dispositions, on pouvait se demander si celles-ci étaient applicables à
l'emploi et surtout à la menace d'emploi des armes nucléaires. Les plus

grands doutes me paraissaient permis sur ce dernier point. Mais aucun
Etat doté d'armes nucléaires n'a contesté devant laCour qu'il en était
ainsi et l'immense majorité, sinon l'unanimité,des autres Etats en a été
d'accord. La Cour n'a pu que prendre acte de ce consensus au para-
graphe 22 de son avis.
Ces normes coutumières ont été résuméespar la Cour en trois formules
au paragraphe 78de l'avis :les Etats n'ont pas un choix illimitéquant auxthe Assemblies whichhad adopted them or whether, piercing the veil, the

Court should not have dismissed them as inadmissible. However, 1dare
to hope that Governments and intergovernmental institutions still retain
sufficientindependence of decision to resist the powerful pressure groups
which besiegethem today with the support of the mass media. 1also note
that none of the States which appeared before the Court raised such an
objection. In the circumstances 1 did not believe that the Court shoulq
uphold it proprio motu.

3. Basically, 1 share the Court's opinion as stated in operative para-
graph 2B, to the effect that there is in neither customary nor conven-
tional international law any comprehensive and universal prohibition of
the recourse to nuclear weapons as such. On the other hand, 1find it hard
to understand why, in operative paragraph 2A, the Court saw fit to state
that "there is in neither customary nor conventional international law
any specificauthorization of the threat or use of nuclear weapons". This
statement is not incorrect in itself, but it is of no interest to the General
Assembly of the United Nations sinceit stems from the viewof the Court

itself that "the illegality of the use of certain weapons assuch does not
result from an absence of authorization but, on the contrary, is formu-
lated in terms of prohibition" (para. 52).
4. In contrast, 1fully endorse operative paragraph 2 C, since States can
obviously have recourse to nuclear weapons, or indeed to any weapons,
only under the conditions established by the Charter of the United
Nations and in particular by its Article 51, concerning the right of indi-
vidual or collective self-defence.States are moreover bound to respect the
conventional rules specifically governing recourse to nuclear weapons
which are summarized in paragraphs 58 and 59 of the Opinion.

5. The application of customary humanitarian law to nuclear weapons
raised much more difficult questions.
As the Court noted, customary law concerning the conduct of military

operations derives mainly from the Annex to the Hague Convention IV
respecting the Laws and Customs of War on Land of 18October 1907.In
view of the nature and age of these provisions, it could be asked whether
they were applicable to the use, and especially to the threat of use, of
nuclear weapons. It seemed legitimate to have the gravest doubts on this
latter point. But no nuclear-weapon State contested before the Court that
this was the case, and the immense majority, if not all, of the other States
was in agreement. The Court could only take note of this consensus in
paragraph 22 of its Opinion.

These customary rules were summarized by the Court in three catego-
ries in paragraph 78 of the Opinion: States do not have unlimited free-armes qu'ils emploient; ils ne peuvent utiliser des armes qui sont dans
l'incapacitéde distinguer entre cibles civileset cibles militaires; il leur est
interdit d'user d'armes propres à causer des maux superflus aux combat-
tants.
J'adhère entièrement à cette analyse, mais estime que celle-ciaurait dû
êtrecomplétéepar le rappel des règlesconcernant les dommages collaté-
raux que l'attaque d'objectifs militaires légitimespeut causer aux popu-
lations civiles.Ces règlestrouvent leur origine dans les articles 23 g), 25
et 27 de l'annexe àla convention IV de La Haye. Ellesfirent l'objet defor-
mulations nouvelles dans leprojet de convention sur la réglementation de
la guerre aérienne de 1923et dans la résolutionadoptéepar l'Assemblée
de la Société desNations le 30 septembre 1938. Elles furent explicitées
par le Tribunal militaire américain deNuremberg dans l'affaire no 47.

Ellesle furent ànouveau par l'Assemblée desNations Unies dans sa réso-
lution 2444 (XXIII) du 19 décembre 1968 concernant le respect des
droits de l'homme dans les conflits armés,adoptée à l'unanimité,selon
laquelle:
«il est interdit de lancer des attaques contre lespopulations civilesen
tant que telles;...il faut en tout temps faire la distinction entre les

personnes qui prennent part aux hostilités et les membres de la
population civile,afin que ces derniers soient épargnésdans toute la
mesure possible)).
Elle fut enfin développée par l'article1 du protocole additionnel no 1de
1977 aux conventions de Genève qui condamne les attaques contre les
objectifs militaires dont on peut attendre qu'ellescauseront incidemment
des dommages ((excessifs» à la population civile.

Ainsi le droit coutumier humanitaire comporte une seule interdiction
absolue: celle des armes dites ((aveugles))qui sont dans l'incapacitéde
distinguer entre cibles civiles et cibles militaires. Maisà l'évidenceles
armes nucléairesn'entrent pas nécessairementdans cette catégorie.
Pour le surplus, ce droit suppose des comparaisons. Les dommages
collatéraux causésaux populations civilesne doivent pas être«excessifs»
par rapport à 1'«avantage militaire attendu)). Les souffrances causéesaux
combattants ne doivent pas être«superflues», c'est-à-dire, pour repren-
dre l'expression même de la Cour, ((supérieuresaux maux inévitablesque
suppose la réalisationd'objectifs militaires légitimes)()par. 78).
Dèslors l'arme nucléairene saurait êtreregardéecomme illicitedu seul
fait des souffrances qu'elle est susceptiblede causer. Encore faut-il com-
parer ces souffrances aux ((avantages militaires attendus)) ou aux (objec-
tifs militaires)) poursuivis.

S'agissant des armes nucléaires de destruction massive, il est clair
cependant que les dommages qu'ellessont susceptibles de causer sont tels
que leur utilisation ne saurait êtreenvisagéeque dans des cas extrêmes.
6. Le mêmeraisonnement vaut en ce aui concerne le droit de la neu-
tralité car,en de nombreuses occasions, il a étésoutenu ou reconnu que
la licéitd'actions menéespar des belligérants enterritoire neutre dépen-dom of choice in the weapons they use; they must never use weapons
which are incapable of distinguishing between civilian and military tar-
gets; and they are prohibited to use weapons likely to cause unnecessary
suffering to combatants.
1 fully subscribe to this analysis but 1 think that it should have been
completed by a reference to the rules concerning the collateral damage
which attacks on legitimatemilitary objectives can cause to civilianpopu-
lations.These rules originated in Articles 23 (g), 25 and 27 of the Annex
to the Hague Convention IV. They were the subject of new formulations
in the draft convention on the rules of aerial warfare of 1923and in the
resolution adopted by the Assembly of the League of Nations on 30 Sep-
tember 1938.They were clarified by the United States Nuremberg Mili-
tary Tribunal in case No. 47. They were further clarified by the General
Assembly of the United Nations in its resolution 2444 (XXIII) of
19 December 1968 concerning respect for human rights in armed con-
flicts, which was adopted unanimously and states :

"it is prohibited to launch attacks against the civilian populations as
such; . . . distinction must be made at al1 times between persons
taking part in the hostilities and members of the civilian population
to the effect that the latter be spared asmuch as possible".

Lastly, they werefurther developed by Article 51 of Additional ProtocolI
of 1977to the Geneva Conventions, which condemns attacks on military
objectives whichmay be expected to cause "excessive" incidental damage
to the civilian population.
Customary humanitarian law thus contains only one absolute prohibi-
tion: the prohibition of so-called "blind" weapons which are incapable of
distinguishing between civilian targets and military targets. But nuclear
weapons obviously do not necessarily fa11into this category.
Furthermore, this law implies comparisons. The collateral damage
caused to civilian populations must not be "excessive" in relation to "the
military advantage anticipated". The suffering caused to combatants
must not be "unnecessary", i.e. it must not cause, in the words of the
Court itself, "a harm greater than that unavoidable to achievelegitimate
military objectives" (para. 78).

Hence nuclear weapons could not be regarded as illegal by the sole
reason of the suffering which they are likely to cause. Such suffering
must still be compared with the "military advantage anticipated" or with
the "military objectives" pursued.
With regard to nuclear weapons of mass destruction, it is clear how-
ever that the damage which they are likely to cause is such that their use
could not be envisaged except in extreme cases.
6. The same reasoning holds good with respect to the law of neutrality
since, on many occasions, it has been maintained or recognized that the
legality of actions carried out by belligerentsin neutral territory dependsdait des ((nécessitésmilitaires)), ainsique le regretté juge Ago le consta-

tait au vu d'une abondante pratique rapportée dans l'additif à son hui-
tièmerapport à la Commission du droit international sur la responsabilité
des Etats (par. 50 et note 101).
7. Au total, la Cour aurait donc,à mon sentiment, dû répondre sur ce
point à la question posée enprécisant que la menace ou l'emploi d'armes
nucléaires n'est compatible avecle droit applicable dans les conflitsarmés
que dans certains cas extrêmes.La Cour a préféréa,u paragraphe 2 E du
dispositif, user d'une formule négative en précisantque cette menace ou
cet emploi était ((généralementinterdit)). Cette formulation manque de
précision, mais elle n'en implique pas moins que la menace ou l'emploi
d'armes nucléaires nesont pas interdits en ((toute circonstance» par le
droit applicable dans les conflits armés, ainsi que la Cour l'a d'ailleurs
relevéau paragraphe 95 de l'avis.

8. La Cour a ajouté au paragraphe 2 E que:
«Au vu de l'état actueldu droit international, ainsi que des élé-
ments de fait dont elle dispose, la Cour ne peut cependant pas
conclure de façon définitive que la menace ou l'emploi d'armes
nucléaires serait licite ou illicite dans une circonstance extrême de
légitime défensedans laquelle la survie mêmed'un Etat serait en
»
cause.
Cette formulation n'est, là encore, pas complètement satisfaisante et je
pense par suite nécessairede l'éclairer quelque peu.
Aucun des Etats qui se sont présentés devant laCour ne s'estinterrogé
sur les rapports entre le droit de légitimedéfensereconnu par l'article 51
de la Charte et les principes et règlesdu droit applicable dans les conflits
armés.Tous ont raisonné commesi ces deux types de prescription étaient

indépendants, en d'autres termes, comme si le jus ad bellum et lejus in
bel10 constituaient deux entités n'entretenant aucun rapport l'un avec
l'autre. La Cour, dans certaines parties de son avis, a mêmepu paraître
tentéepar une telle construction. Or, on peut se demander s'ilen est bien
ainsi ou si, au contraire, les règles duus ad bellum ne permettent pas
d'éclairercelles dujus in bello.
Le droit de légitimedéfenseproclamépar la Charte des Nations Unies
est qualifiépar celle-ci de droit naturel. L'article 51 de la Charte ajoute
qu'aucune disposition de la Charte ne porte atteinte à ce droit. Il en est
de même à fortiori du droit coutumier ou du droit conventionnel. Cette
solution s'explique aisément,car tout systèmede droit, quel qu'il soit, ne
saurait priver l'un de ses sujets du droit de défendre sa propre existence
en assurant la sauvegarde de ses intérêts vitaux. Dès lorsl,e droit inter-
national ne peut priver un Etat du droit de recourirà l'arme nucléairesi

ce recours constitue l'ultime moyen par lequel il peut assurer sa survie.
En pareille hypothèse, cet Etat bénéficied'une sorte d'«excuse absolu-
toire)) analogue à celle qui existe dans tous les systèmesde droit pénal.
La Cour a bien identifiéce problème lorsqu'au paragraphe 96 de l'avis
elle a précisé qu'ellne saurait:on the "military necessities", asthe late Judge Ago noted in the light of a
widespread practice described in the addendum to his Eighth Report to
the International Law Commission on the Responsibility of States
(para. 50 and note 101).
7. In short, the Court should therefore, in my view, have replied on
this point to the question put by stating that the threat or use of nuclear
weapons is compatible with the law applicable in armed conflict only in
certain extreme cases. The Court preferred, in operative paragraph 2E,
to use a negative formula when it stated that such threat or use were
"generally prohibited". This wording is vague but it nevertheless implies
that the threat or use of nuclear weapons are not prohibited "in any cir-
cumstance" by the law applicable in armed conflict, as indeed the Court
pointed out in paragraph 95 of the Opinion.

8. The Court added in operative paragraph 2E

"However, in view of the current state of international law, and of
the elements of fact at its disposal, the Court cannotconclude defini-
tively whether the threat or use of nuclear weapons would be lawful
or unlawful in an extreme circumstance of self-defence,in which the
very survival of a State would be at stake."

Once again, this wording is not entirely satisfactory, and 1 therefore
believe that it needs some clarification.
None of the States which appeared before the Court raised the ques-
tion of the relations between the right of self-defencerecognized by Ar-
ticle 51 of the Charter and the principles and rules of the law applicable
in armed conflict. Al1of them argued as if these two types of prescription
were independent, in other words as if the jus ad bellum and the jus in
bello constituted two entities having no relation with each other. In some
parts of its Opinion the Court even seemedto be tempted by such a con-
struction. It may be wondered whether that is indeed the case or whether,
on the contrary, the rules of the jus ad bellum may not provide some
clarification of the rules of the jus inbello.
The right of self-defence proclaimed by the Charter of the United

Nations is characterized by the Charter as natural law. But Article 51
adds that nothing in the Charter shall impair this right. The same applies
a fortiori to customary law or treaty law. This conclusion is easily
explained, for no system of law, whatever it may be, could deprive one of
its subjects of the right toefend its own existenceand safeguard its vital
interests. Accordingly, international law cannot deprive a State of the
right to resort to nuclear weapons if such action constitutes the ultimate
means by which it can guarantee its survival. In such a case the State
enjoys a kind of "absolute defence" ("excuse absolutoire") similar to the
one which exists in al1systems of criminal law.
The Court did indeed identify this problem when, in paragraph 96 of
the Opinion, it stated that it cannot291 MENACE OU EMPLOI D'ARMESNUCLÉAIRES (OP.IND.GUILLAUME)

«perdre de vue le droit fondamental qu'a tout Etat à la survie, et
donc le droit qu'il a de recourirla légitime défensec,onformément
à l'article 51 de la Charte, lorsque cette survie est en cause)).
Dans cette perspective, elle a rappelédans ce mêmeparagraphe qu'une
((partie appréciable de la communauté internationale a adhéré pendant
des années» à «la pratique dénommée((politique de dissuasion)). Elle a
soulignépar ailleurs que les Etats qui ont adhéré à cette doctrine età

cette pratique
«se sont toujours réservé,de concert avec certains autres Etats, le
droit d'utiliser ces armes dans l'exercicedu droit de légitimedéfense
contre une agression armée mettant en danger leurs intérêts vitaux
en matière de sécurité))(par. 66).

Elle a, par ailleurs, pris note des
((réservesque certains Etats dotésd'armes nucléairesont apportées
aux engagements qu'ils ont pris, en vertu, notamment, des proto-
coles aux traités de Tlatelolco et de Rarotonga, ainsi que des décla-
rations faites par eux dans le cadre de la prorogation du traité surla

non-prolifération des armes nucléaires, de ne pas recourir à ces
armes» (par. 96).
La Cour a enfin observéque les réservesainsi formulées à ces proto-
coles et celles contenues dans les déclarations n'avaient ((suscitéaucune
objection dela part des parties auxtraités deTlatelolco ou de Rarotonga,
ou de la part du Conseil de sécurité))(par. 62). Bîenplus, elle a relevéque
ce dernier avait pris acte avec satisfaction ou s'était félicité desdéclara-
tions ainsi faites (par. 45).

9. Dans cesconditions, laCourauraitdû, àmon opinion, allerjusqu'au
bout de son raisonnement et reconnaître de manière explicitela licéitéde
la dissuasion pour la défensedes intérêts vitaux desEtats. Elle ne l'a pas
fait explicitementet c'estpourquoi je n'ai pu souscrire au paragraphe 2E
du dispositif. Mais ellel'a fait implicitement et c'estpourquoi j'ai joint au
présent avisune opinion individuelleet non une opinion dissidente.
Au paragraphe 2 E du dispositif, la Cour a en effet décidé qu'ellene
pouvait dans ces circonstances extrêmes conclure de façon définitiveà la
licéitou à l'illicéité dsrmes nucléaires.Elle a estiméen d'autres termes
qu'en pareilles circonstances le droit ne fournissait aucun guide aux
Etats. Mais si ledroit est muet en ce cas, les Etats demeurent libres d'agir
comme ils l'entendent.
10. Le droit international repose en effet sur le principe de la souve-
raineté desEtats et procèdepar suite du consentement de ces derniers. En

d'autres termes, comme l'a dit excellemment la Cour permanente, «le
droit international régitles rapports entre Etats indépendants. Les règles
de droit liant les Etats procèdent donc de la volonté de ceux-ci.(Lotus,
arrêt no 9, 1927, C.P.J.1. sérieA, no 10, p. 18.)
La Cour elle-mêmea eu l'occasion de tirer sous diverses formes les
conséquences de ce principe dans l'affaire opposant le Nicaragua aux "lose sight of the fundamental right of every State to survival, and
thus its right to resort to self-defence,in accordance with Article 51
of the Charter, when its survival is at stake".
With this in mind, it pointed out in the same paragraph that "an
appreciable section of the international community adhered for many
years" to "the practice referred to as 'policy of deterrence"'. It also
stressed that States which adhered to this doctrine and this practice

"have always, in concert with certain other States, reserved the right
to use those weapons in the exercise of the right to self-defence
against an armed attack threatening their vital security interests"
(para. 66).

It also noted
"the reservations which certain nuclear-weapon States have
appended to the undertakings they have given, notably under the
Protocols to the Treaties of Tlatelolco and Rarotonga, and also
under the declarations made by them in connection with the exten-
sion of the Treaty on the Non-Proliferation of Nuclear Weapons,
not to resort to such weapons" (para. 96).

Lastly, the Court observed that the reservations tothese Protocols and
the ones contained in the declarations had "met with no objection from
the parties to the Tlatelolco or Rarotonga Treaties or from the Security
Council" (para. 62). Indeed, it pointed out that the Security Council had
noted with appreciation or welcomed the statementsmade in this connec-
tion (para. 45).
9. In these circumstances, the Court, in my view, ought to have carried
its reasoning to its conclusion and explicitly recognized the legality of
deterrence for defence of the vital interests of States. It did not do so
explicitly, and that is why 1 was unable to support operative para-
graph 2E. But it did so implicitly, and that is why 1 appended to the
Advisory Opinion a separate opinion and not a dissenting one.
In operative paragraph 2E the Court decided in fact that it could not

in those extreme circumstances conclude definitively whether the threat
or use of nuclear weapons would be lawful or unlawful. In other words,
it concluded that in such circumstances the law provided no guide for
States. But if the law isilent in this case, States remain free to act as they
intend.
10. International law rests on the principle of the sovereignty of States
and thus originates from their consent. In other words, in the excellent
language of the Permanent Court, "international law governs relations
between independent States. The rules of law binding upon States there-
fore emanate from their own free will." ("Lotus", Judgment No. 9, 1927,
P.C.I.J., SeviesA, No. 10, p. 18.)
The Court itself had occasion to draw the consequences of this prin-
ciple in various forms in the case between Nicaragua and the UnitedEtats-Unis d'Amérique.Elle a rappeléque «le principe de souveraineté
des Etats permet à chacun d'entre eux de se déciderlibrement)) pour ce
qui est «du choix du systèmepolitique, économique, social et culturel et
de la formulation des relations extérieures)) (Activitésmilitaires et para-
militaires au Nicaraguaet contre celui-ci(Nicaragua c.Etats-Unis d'Amé-
rique), fond, C.I.J. Recueil 1986, p. 108). Elle a surtout précisé
«qu'il n'existe pas en droit international de règles,autres que celles

que 1'Etatintéressé peut accepter,par traitéou autrement, imposant
la limitation de niveau d'armement d'un Etat souverain, ce principe
étantvalable pour tous les Etats sans distinction)) (ibid., p. 135).
Il. La pratique constante des Etats est en ce sens pour ce qui est dujus
in bello.Tous les traitésconcernant certains types d'armes procèdent par
voie d'interdiction. Ainsi en est-il, par exemple, du traitévisant l'interdic-
tion des armes nucléaires en Amérique latine de 1967, de la convention

sur l'interdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockage des
armes bactériologiques de 1975,de la convention sur l'interdiction ou la
limitation de l'emploi de certaines armes classiques qui peuvent être
considérées commeproduisant des effets traumatiques excessifsde 1981,
ou de la convention sur l'interdiction de la mise au point, de la fabri-
cation, du stockage et de l'emploi des armes chimiques et sur leur des-
truction de 1993. De mêmele projet de convention annexé aux résolu-
tions de l'Assembléegénérale desNations Unies 45/59et 46/37 a-t-il pour
objet, selon son titre même, ((l'interdiction de l'utilisation des armes
nucléaires».
En outre, on notera que le seuljugement national qui ait eu à se pro-
noncer, à ma connaissance, sur ce point l'a fait dans le mêmesens. En
effet, la cour de district de Tokyo, dans son jugement du 7 décembre
1963, a préciséque: «Bien entendu, il est exact que l'emploi d'une arme
nucléaireest licite aussi longtemps que le droit international ne l'interdit
pas» (Japanese Annual of International Law, 1964,no 8, p. 235).
Bien plus, et comme il a déjà été rappelé, lC aour elle-mêmea, dans le
présent avis,reconnu le caractère coutumier d'un tel principe en précisant

que «l'illicéitde l'emploi de certaines armes en tant que telles ne résulte
pas d'une absence d'autorisation, mais setrouve au contraire formuléeen
termes de prohibition)) (par. 52).
12. Dans ces conditions, il résulte implicitement, mais nécessairement,
du paragraphe 2 E de l'avis de la Cour que les Etats peuvent recourir à
«la menace ou [à]l'emploi des armes nucléaires ...dans une circonstance
extrême delégitime défense dans laquelle la survie mêmed'un Etat
serait-en cause)). Tel a toujours étle fondement des politiques de dissua-
sion dont la licéitéest ainsi reconnue.
13. L'arme nucléaire n'en estpas moins ((potentiellement de nature
catastrophique)) et l'on comprend par suite que la Cour ait éprouvéle
besoin de souligner au paragraphe 99 de son avis toute l'importance de
l'articleI du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires.
J'approuve entièrement cette mention et souhaite ardemment que lesStates of America. It pointed out that the principle of the sovereignty of
States permits al1States to decide freely on "the choice of a political, eco-
nomic, social and cultural system, and the formulation of foreign policy"
(Military and PararnilitaryActivities in and againstNicaragua (Nicara-
gua v. UnitedStates of Arnerica) ,Merits, I.C.J. Reports 1986,p. 108).It
stated in particular that

"in international law there are no rules, other than such rules as may
be accepted by the State concerned, by treaty or otherwise, whereby
the level of armaments of a sovereign State can be limited, and this
principle isvalid for al1States without exception" (ibid., p. 135).
11. The constant practice of States is along these lines as far as thejus
irzbello is concerned. Al1the treaties concerning certain types of weapons
are formulated in terms of prohibition. This is true, for example, of the
1967Treaty for the Prohibition of Nuclear Weapons in Latin America,
the 1975Convention on the Prohibition of the Development, Production

and Stockpiling of Bacteriological Weapons, the 1981 Convention on
Prohibitions or Restrictions on the Use of Certain Conventional Weap-
ons which may be Deemed to be ExcessivelyInjurious, or the 1993Con-
vention on the Prohibition of the Development, Production, Stockpiling
and Use of Chemical Weapons and their Destruction. Similarly, the
draft convention annexed to resolutions 45159and 46137of the General
Assembly of the United Nations is designed to achieve according to its
own title "the prohibition of the use of nuclear weapons".

It willalso be noted that the only national judgment, to my knowledge,
to have pronounced on this point did so along the same lines. The Tokyo
District Court stated in its judgment of 7 December 1963: "Of course,
it is right that the use of a new weapon is legal as long as international
law does not prohibit it." (Japanese Annual of International Law, 1964,
No. 8, p. 235.)
Indeed, and as already pointed out, the Court itself recognized in this
Opinion the customary nature of such a principle when it stated that "the
illegality of the use of certain weapons as such does not result from an
absence of authorization but, on the contrary, is formulated in terms of

prohibition" (para. 52).
12. In these circumstances it follows implicitly but necessarily from
operative paragraph 2 E of the Court's Opinion that States can resort to
"the threat or use of nuclear weapons . . .in an extreme circumstance of
self-defence, in which the very survival of a State would be at stake".
This has always been the foundation of the policies of deterrence whose
legality isthus recognized.
13. Nuclear weapons are nevertheless "potentially catastrophic", and
it is therefore understandable that the Court should have felt a need to
stress in paragraph 99 of its Opinion the great importance of Article VI
of the Treaty oii the Non-Proliferation of Nuclear Weapons.
1 fully approve of this reference and earnestly hope that the negotia-négociations prévuespar ce texte en ce qui concerne tant le désarmement
nucléaireque le désarmement conventionnel soient couronnées desuccès.
J'aurai préféré toutefois que lCour se borne à traiter de cette question
dans les motifs de son avis. En effet, je crains qu'en adoptant le para-
graphe 2 F du dispositif, dans une formulation qui tente de résumerles
obligations des Etats parties au traité surla non-prolifération des armes
nucléaires,sans d'ailleurs parvenir clairement, la Cour n'ait statuultra
petita.
14. Pour conclure,je souhaiterais réaffirmer solennellementque le rôle
du juge ne consiste pas à se substituer au législateur.Au cours des deux
dernières décennies,lacommunauté internationale a fait des progrès sen-

sibles vers l'interdiction des armes nucléaires. Maisce processus n'est pas
parvenu à son terme et la Cour doit se bornerà constater l'étatdu droit
sans pouvoir substituer son appréciation à la volonté desEtats souve-
rains. C'est la grandeur du juge que de rester dans son rôle en toute
humilité, quelsque soient par ailleurs les débatsintérieursqui peuvent
êtreles siens au plan religieux, philosophique ou moral.

(Signé) Gilbert GUILLAUME.tions provided for by this text with regard both to nuclear disarmament
and to conventional disarmament will be crowned with success. How-
ever, 1would have preferred the Court to limit itself to dealing with this
question in the reasons for its Opinion. For 1 fear that by adopting
operative paragraph 2F, in a formulation which attempts to summarize
the obligations of Statesparties to the Treaty on the Non-Proliferation of
Nuclear Weapons, without however doing so clearly, the Court may have
ruled ultvapetita.
14. 1 should like solemnly to reaffirm in conclusion that it is not the
role of the judge to take the place of the legislator. During the last two
decades the international community has made considerable progress
towards the prohibition of nuclear weapons. But this process has not
been completed, and the Court must limit itself to recording the state of
the law without being able to substitute its assessment for the will of sov-

ereign States. It is the mark of the greatness of a judge to remain within
his role in al1humility, whatever religious,philosophical or moral debates
he may conduct with himself.

(Signed) Gilbert GUILLAUME.

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Document Long Title

Opinion individuelle de M. Guillaume

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