Opinion individuelle de M. le juge Cançado Trindade

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172

OPINION INDIVIDUELLE
DE M. LE JUGE CANÇADO TRINDADE

[Traduction]

table des matières
Paragraphes

I. Introduction 1-3

II. Quelques précisions sur les pouvoirs « implicites» et

«inhérents » 4-6

III. La compétence de la cofmpétence (K ompetenz K ompe -
tenz ) est inhérente à l’exfercice de la fonctionf judiciaire
internationale 7-9

IV. La bonne administratifon de la justice et lesf jonctions
ordonnées avant la lefttre 10-12

V. La justice en tant qu’elfle doit présider à laf bonne adminis

tration de la justice 13-18

VI. La bonne administratifon de la justice et l’éfgalité procé -
durale entre les partfies 19-23

VII. Épilogue: considérations finafles 24-27

*

I. Introduction

1. J’ai voté en faveur de l’adoption de l’ordonnance par laquelfle la
Cour internationale de Justice a décidé ce jour, 17 avril 2013, de joindre
l’instance dans la présente affaire relative à Certaines activités menées par

le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) à l’ins -
tance en l’affaire relative à la Construction d’une route au Costa Rica le
long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica). La ratio decidendi de

la présente décision de la Cour est claire (par. 19-23); toutefois, cette déci
sion touche certaines questions fondamentales que la Cour n’a pas exafm-i
nées ou développées, et auxquelles j’attache une importance considérable.
J’estime donc devoir faire état des réflexions qui sous-tendefnt ma position

personnelle à cet égard.
2. J’examinerai, premièrement, la question des pouvoirs « implicites»
et « inhérents» afin d’apporter certaines précisions sur l’exercice de lfa

fonction judiciaire internationale. Deuxièmement, je m’arrêterafi sur la

10

4 CIJ1043.indb 57 11/04/14 10:58 certaines activitésf (op. ind. cançado trindfade) 173

question de la compétence de la compétence (Kompetenz Kompetenz), qui
est inhérente à l’exercice de la fonction judiciaire internatiofnale. Troisiè -
mement, j’examinerai celle de la bonne administration de la justice efn
m’intéressant particulièrement aux jonctions d’instances ordfonnées par la
Cour et par sa devancière avant la lettre. Quatrièmement, j’exposerai ma

conception de l’idée de justice en tant qu’elle doit présider à la bonne
administration de la justice et, cinquièmement, j’examinerai cettef notion
sous l’angle de l’égalité procédurale entre les parties. J’en arriverai ainsi,
pour conclure, à un bref exposé de mes réflexions finales.

3. Je ne prétends pas être exhaustif dans mon analyse de ces questionfs;
je ne le pourrais guère, ayant été inutilement mais impitoyablefment pressé
par le temps en rédigeant la présente opinion individuelle. Je l’fai rédigée,
au prix d’une rude course contre la montre, mû par un sens du devofir, et

pour tâcher d’exposer les motifs que je ne trouve guère dans laf présente
ordonnance à l’appui de la décision prise. La ratio decidendi, elle, y est
exposée, mais les obiter dicta sont introuvables. Ayant souscrit à la déci -
sion rendue par la Cour dans la présente ordonnance, je me sens tenu
d’examiner le fond de la question tel que je le perçois et le conçfois.

II. Quelques précisions sufr les pouvoirs

« implicites » et « inhérents »

4. Je commencerai par faire une brève incursion, pour une raison pré -
cise, dans le droit des organisations internationales, qui (soit dit enf passant)
manifeste subtilement sa présence dans la présente ordonnance (pafr. 1, 2

et 5). C’est en effet dans le contexte de l’avènement des organfisations inter -
nationales que les notions de pouvoirs « inhérents» et « implicites» ont vu
le jour, aidées en cela par la jurisprudence de la Cour. C’est ainsi que, un an
après son avis consultatif (du20 juillet 1962) relatif àCertaines dépenses des
Nations Unies (article 17, paragraphe 2, de la Charte), apparaissait dans la
1
doctrine la formule de F. Seyersted (en 1963) , qui invoquait les «pouvoirs
inhérents» de l’Organisation des Nations Unies et tentait d’en démontrer
l’existence au moyen d’une analogie contestable — et rapidement criti -
quée — avec le statut juridique des Etats.

5. Après tout, la Cour elle-même avait précisé par un célèbre obiter dic ‑
tum, dans son avis consultatif (du 11 avril 1949) sur la Réparation des dom‑
mages subis au service des Nations Unies, que, si les Etats étaient investis de
tous les droits et devoirs reconnus par le droit international, les droifts et
devoirs d’une entité telle que l’Organisation des Nations Unies étaient en

revanche fonction des buts et attributions établis dans son instrumenft

1F. Seyersted, Objective International Personality of Intergovernmental Organizations,

Copenhague, 1963, p. 28-29, 35-36, 40, 45-46.

11

4 CIJ1043.indb 59 11/04/14 10:58 certaines activitésf (op. ind. cançado trindfade) 174

constitutif, de manière expresse ou implicite, et de leur évolutiofn dans la
pratique . La Cour avait ainsi fait sienne la doctrine des « pouvoirs impli-
cites » , évidemment distincte de celle des « pouvoirs inhérents », qui est

inspirée d’une analogie avec le droit constitutionnel comparé.
6. Si la notion de «pouvoirs implicites» a été introduite dans la doctrine
pour poser des limites aux pouvoirs transcendant la lettre des instrumenfts

constitutifs — limites tenant aux buts et fonctions de l’organisation interna -
tionale concernée —, la notion de « pouvoirs inhérents» l’a été dans un
tout autre but, à savoir établir les pouvoirs de la personne juridfique concer -

née pour lui permettre d’atteindre ses objectifs, tels qu’énfoncés dans son
instrument constitutif. Ce que je tiens à souligner par là, c’est que cette
expression même de «pouvoirs inhérents» a parfois été appliquée au fonc -

tionnement des entités judiciaires internationales; or, si l’expression est la
même, sa raison d’être et sa connotation sont différentes florsqu’il s’agit de
juridictions internationales. Une autre précision s’impose ici, pofur bien

comprendre le fonctionnement de celles-ci. Comprendre et agir sont commef
l’avers et le revers d’une même médaille: ad intelligendum et ad agendum.

III. La compétence de la cfompétence
(K ompetenz K ompetenz ) est inhérente à l’exfercice

de la fonction judiciafire internationale

7. Pour commencer, les juridictions internationales ont compétence

pour trancher tout différend concernant leur propre compétence : il s’agit
là d’un principe fondamental du droit international procédural 5. Maî -
tresses de leur propre compétence, elles ont la compétence de la cfompé -

tence (Kompetenz Kompetenz). Ce pouvoir d’appréciation, qui est
inhérent à toute juridiction internationale moderne, répond àf un impéra -
tif de sécurité juridique : il va sans dire qu’il appartient à chaque juridic -

tion internationale de déterminer l’étendue de sa propre compéftence, cette
appréciation ne pouvant être laissée au soin des parties en litfige, et à leur
entière discrétion. En toutes circonstances, la juridiction internfationale
6
est maîtresse de sa propre compétence .
8. Les juridictions internationales, en tant que cours de justice, en tant
qu’entités judiciaires, ont, quant à l’appréciation de lefur compétence, les

2 C.I.J. Recueil 1949, p. 180.
3 Voir également son avis consultatif ultérieur du 13 juillet 1954 sur l’Effet de jugements
du Tribunal administratif des Nations Unies accordant indemnité, dans lequel la Cour s’ar -
rêta une nouvelle fois sur la doctrine des « pouvoirs implicites ».
4 Cette organisation n’avait donc pas carte blanche ; voir Rahmatullah Khan, Implied

Pow5rs of the United Nations, Delhi/Bombay/Bangalore, Vikas Publishing, 1970, p. 1-222.
Cour interaméricaine des droits de l’homme, Hilaire, ernjamin et Constantine et
autres c. Trinité‑et‑Tobago (exceptions préliminaires, arrêt du 1mbre 2001), opinion
individuelle de M. le juge. Cançado Trindade, par. 2 et 15.
6 Cour interaméricaine des droits de l’homme, Barrios Altos c. Pérou (arrêt du 14 mars
2001), opinion concordante de M. le juge Cançado Trindade, par. 2.

12

4 CIJ1043.indb 61 11/04/14 10:58 certaines activitésf (op. ind. cançado trindfade) 175

mains plus libres que les juridictions arbitrales. Elles sont gardiennesf et maî -

tresses de leur propre juridiction (juridictionvenant de jus dicere, la préro-
gative ou le pouvoir de dire le droit). Elles peuvent ainsi écarter fles pratiques
permissives (réminiscences des arbitrages internationaux du passéf) et préser -

ver l’intégrité de leur propre compétence. Les parties en liftige, de leur côté,
sont tenues de se conformer à leurs obligations conventionnelles (def nature
substantielle ou procédurale) afin d’assurer le plein effet dfes dispositions

conventionnelles pertinentes dans leur ordre juridique interne. Il s’fagit là
encore d’un principe général de droit— ut res magis valeat quam pereat—,
généralement connu comme le principe de l’effet utile 7.
9. La compétence de la compétence (Kompetenz Kompetenz) permet

également aux juridictions internationales d’interpréter les difspositions de
l’instrument qui leur confère compétence, de déterminer la nfature du dif -
férend en cause et d’en définir le contexte factuel ; ce pouvoir d’apprécier

leur propre compétence leur appartient en outre dès le moment où elles
sont saisies du différend 8. La Cour elle-même déclara il y a soixante ans,
dans son arrêt (du 18 novembre 1953) en l’affaire Nottebohm, que la com -

pétence de la compétence

«pren[ait] une force particulière quand le juge international n’[était]
plus un tribunal arbitral constitué par l’accord spécial des pafrties en
vue de statuer sur un différend particulier, mais une institution pfréé -
tablie par un acte international qui en défini[ssait] la compétefnce et

en r[églait] le fonctionnement et … l’organe judiciaire principal des
Nations Unies» (Nottebohm (Liechtenstein c. Guatemala), exception
préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1953, p. 119).

IV. La bonne administratifon de la justice

et les jonctions ordofnnées avant la lettref

10. Ces précisions à l’esprit, je rappellerai brièvement que la Cour a
développé sa pratique de la jonction d’instances bien avant d’fétablir for -
9
mellement ce mécanisme dans son Règlement en 1978 (article 47) . Elle

7Pour des exemples de juridictions internationales modernes préservantf l’intégrité de
leur propre compétence, voir A. A. Cançado Trindade, El Ejercicio de la Función Judicial
Internacional — Memorias de la Corte Interamericana de Derechos Humanos, 2 eéd., Belo
Horizonte/Brésil, Edit. Del Rey, 2013, p. 5-10, 29-52, 145-149 et 215.
8I. F. I. Shihata, The Power of the International Court to Determine Its Own Jurisdic ‑
tion, La Haye, Martinus Nijhoff, 1965, p. 1-304.
9Selon l’article 47 du Règlement :

«La Cour peut à tout moment ordonner que les instances dans deux ou plfusieurs
affaires soient jointes. Elle peut ordonner aussi que les procédurefs écrites ou orales,
y compris la présentation de témoins, aient un caractère communf ; ou elle peut,
sans opérer de jonction formelle, ordonner une action commune au regafrd d’un ou
plusieurs éléments de ces procédures. »

13

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ne pouvait alors s’appuyer que sur une disposition très généfrale de son

Statut, qui l’habilitait à rendre les ordonnances nécessaires à la conduite
d’une affaire (article 48). C’est ainsi qu’elle ordonna la jonction d’ins -
tances dans les affaires du Sud‑Ouest africain (1961) et dans celles du Pla ‑
10
teau continental de la mer du Nord (1968) . Allant au-delà du texte de son
instrument constitutif, la Cour s’est fondée sur son sens de la bofnne
administration de la justice.

11. Ces deux décisions de la Cour faisaient suite à trois décisionsf de sa
devancière, la Cour permanente de Justice internationale, dans les afffaires
relatives à Certains intérêts allemands en Haute‑Silésie polonaise (1926), au
Statut juridique du territoire du sud‑est du Groënland (1932) et à des Appels

contre certains jugements du tribunal arbitral mixte hungaro‑tchécoslovaque
(1933). Ainsi, tant la Cour que sa devancière ont ordonné la jonfction
d’instances avant la lettre, c’est-à-dire alors même que leufr instrument

constitutif ne contenait aucune disposition expresse à cet égard. fElles l’ont
ordonnée comme une mesure d’administratif judiciaire, afin d’fassurer la
bonne administration de la justice, bien avant que la jonction ne soit fifna -

lement établie, et trouve sa place, dans le Règlement de 1978.
12. En cours d’instance, la Cour peut devoir faire face à une situatiofn
qui, même si elle n’entre pas exactement dans les prévisions def son instru -

ment constitutif, exige une décision de sa part (sur le plan procéfdural).
Tel a souvent été le cas dans la pratique — les décisions susmentionnées
n’en sont que quelques exemples. Dès 1937, G. Morelli eut la sagacité
d’écrire que «[r]ésoudre un différend juridique signifi[ait] substituer la cfer -
11
titude à l’incertitude sur la situation juridique existante » . Et, critiquant
vivement le volontarisme des Etats, il ajouta que la production d’efffets
juridiques ne pouvait se rattacher exclusivement à la « volonté» des Etats,

ou à des accords entre eux ; les effets juridiques du corpus juris internatio -
nal étaient « au-dessus de la volonté des Etats » . 12

V. La justice en tant qu’elfle doit présider
à la bonne administraftion de la justice

13. Plus récemment, la question de savoir si la bonne administration de
la justice constitue une maxime ou un principe, ou si une telle distinctfion
n’a guère d’importance, a été beaucoup débattue 13. En tout état de cause,

10
Dans les affaires de la Compétence en matière de pêcheries (1972) et dans celles des
Ess11s nucléaires (1973), en revanche, la Cour décida de ne pas joindre les instancefs.
G. Morelli, « La théorie générale du procès international »,Recueil des cours de
l´Académie de droit international de La Haye, vol. 61 (1937), p. 260.
12Ibid., p. 263.
13Voir notamment R. Kolb, « Les maximes juridiques en droit international public :
questions historiques et théoriques », Revue belge de droit internationvol. 32 (1999),
p. 407-434; A. Lelarge, « L’émergence d’un principe de bonne administration de la justicef
internationale dans la jurisprudence internationale antérieure à 1f945 », L’observateur des
Nations Unies, vol. 27 (2009), p. 23-51.

14

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s’il s’agissait au départ d’une maxime, cette maxime a clairement donné
lieu à un principe. Le bon exercice de la fonction judiciaire internaftionale
exige ce mélange de sagesse et d’expérience qui est si profondément ancré
dans la pensée juridique (en droit interne comparé et en droit infternatio -

nal). C’est précisément cette alliance qui préside à la fbonne administra -
tion de la justice, une notion que les positivistes, notoirement incapabfles
d’expliquer quoi que ce soit qui déborde le cadre des textes réfglemen -
taires, s’évertuent en vain à rattacher à l’instrument cofnstitutif de la juri-

diction internationale concernée.
14. J’ai déjà évoqué les jonctions que la Cour a ordonnéesf avant la
lettre, en dépit de l’absence de toute disposition expresse à cfet égard, et
avant que la jonction ne soit formellement établie dans son Règlement
(voir supra). A mon sens, la Cour a, ce faisant, agi non pas en vertu d’un

«pouvoir implicite» découlant des textes réglementaires, mais bien plutôt
en vertu d’un « pouvoir inhérent » propre à l’exercice de la fonction judi -
ciaire internationale. Une juridiction internationale a le « pouvoir inhé-
rent» d’assurer l’efficacité de la procédure, afin que jusftice soit rendue

et manifestement rendue. Une juridiction internationale telle que la Cour
a le « pouvoir inhérent » de faire en sorte que la procédure se déroule
de manière équilibrée, en assurant l’égalité procédurafle et les garanties
d’une procédure régulière, de façon à préserver l’fintégrité de sa fonction

judiciaire.
15. La bonne administration de la justice suppose que les juridictions
internationales puissent régler des questions de procédure mêmef si ces
dernières échappent aux prévisions de leur instrument constitutfif. Ainsi
s’exprime à mon sens l’idée d’une justice objective ; c’est précisément cette

idée de justice objective qui, en définitive, doit, conformémfent à la pensée
jusnaturaliste, présider à la bonne administration de la justice. fIl ne peut
y avoir de véritable quête de justice sans respect des principes gfénéraux du
droit. La façon dont le règlement judiciaire a, au cours de ces defrnières

décennies, évolué et gagné en importance (ce dont il y a tofut lieu de se
féliciter) est allée de pair avec une attention accrue accordéfe au principe
cardinal de la bonne administration de la justice, ce qui n’a rien d’éton -
nant, celui-ci n’étant que le reflet d’un principe généfral de droit, appré -
14
hendé par la conscience humaine .
16. Ecrivant à l’époque où le règlement judiciaire des diffférends inter -
nationaux, jeune encore, était en voie de consolidation, M. Bourquin fit
observer que nombre de controverses internationales tenaient à un défsac -
cord non pas sur l’interprétation ou l’application du droit posfitif (jus

positum), mais sur la valeur de ce droit. Aussi bien, l’exercice de la fonc -
tion judiciaire internationale ne consiste pas simplement à appliquer le
droit positif au cas d’espèce, et ne peut se limiter à cela ; il comporte

14 S’agissant de la conscience humaine (la conscience juridique universfelle) en tant que
source matérielle ultime du droit international, voir A. A. Cançado Trindade, International
Law for Humankind — Towards a New Jus Gentium, 1 réd., Leyde/La Haye, Martinus
Nijhoff/Académie de droit international de La Haye, 2010, chap. VI, p. 139-161.

15

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nécessairement une certaine part de créativité, et doit toujourfs tenir
compte des « principes supérieurs de justice » . 15
17. Savoir veiller au bon déroulement de la procédure internationale

revêt donc une importance particulière. Il s’agit après toutf d’une question
de sens commun, encore que le sens commun semble souvent être le moinfs
commun de tous. S’agissant de cette question du bon déroulement def la

procédure internationale en vue de la réalisation de la justice, Mf. Bour -
quin estima nécessaire d’émettre cette mise en garde :

«La qualité des procédures constitue certainement un facteur dont ifl
faut tenir compte. Une bonne procédure facilite la solution des diffifcul -
tés. Une mauvaise procédure fait, en revanche, plus de mal que de bien.

Mais ce n’est pas un mécanisme, même admirablement agencé, qfui
pourrait régler à lui seul une pareille matière. Ce qu’il fafut ici, par-
dessus tout, c’est un certain état d’esprit, dont nous paraissons malheu -

reusement assez éloignés. Ce qu’il faut, c’est le calme de lfa raiso;nc’est
cette chose si simple et pourtant si rare qu’on appelle le bon sens.» 16

18. Une juridiction internationale telle que la Cour a le « pouvoir inhé-
rent» de prendre de son propre chef les mesures nécessaires pour assurfer la

bonne administration de la justice. Ce faisant, la Cour exerce ex officio sa
compétence de la compétence, une prérogative qui est « essentiellement
inhérente à sa fonction judiciaire» 1. La procédure judiciaire internationale

présente certaines spécificités et obéit à sa propre dyfnamique, et les prin -
cipes généraux du droit qui s’appliquent dans ce contexte ne safuraient être
assimilés, dans leur mode de fonctionnement, à ceux qui se sont façonnés
18
dans les systèmes juridiques internes . Or, les positivistes ne sont guère à
l’aise avec les principes généraux du droit ; aussi tentent-ils sans cesse, de
manière vaine et obstinée, d’en amoindrir la présence et l’fimportance.

VI. La bonne administratifon de la justice
et l’égalité procédurfale entre les partiesf

19. La bonne administration de la justice n’est pas un cas unique en
son genre — d’autres exemples illustrent l’incidence et l’importance df’un

principe général. Je songe notamment à la maxime audiatur et altera pars

15 M. Bourquin, «Stabilité et mouvement dans l’ordre juridique international »,Recueil
des cours de l’Académie de droit international de La Haye, vol. 64 (1938), p. 371, 408 et 422.
16 Ibid., p. 472.
17
M. Kawano, « The Administration of Justice by the International Court of
Justice and the Parties », Multiculturalism and International Law — Essays in Honour of
Edward McWhinney (Sienho Yee et J.-Y. Morin, dir. publ.), Leyde, Martinus Nijhoff,
2009, p. 298-299; voir également p. 286 et 293-294.
18 Quant aux dangers d’une telle analogie, voir par exemple H. von Mangoldt, « La
comparaison des systèmes de droit comme moyen d’élaboration de la procédure des tribu -
naux internationaux », Zeitschrift für ausländisches öffentliches Recht und Völkerr▯echt,
vol. 40 (1980), p. 554-572.

16

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(ou audi alteram partem), qui exprime le principe général de droit pré -
voyant l’égalité procédurale entre les parties en litige au cours de la procé-
dure judiciaire . Le principe jura novit curia valant en droit international
procédural constitue un autre exemple : selon ce principe né en droit

romain (eteplus précisément, en matière de procédure civilef,
au XVII siècle), le juge est libre et autonome dans sa recherche et sa
détermination du droit applicable à un différend donné ; il n’a donc pas à
s’en tenir aux arguments des parties. Les exemples sont légion.

20. A mon sens, une bonne administration de la justice ne peut que se
fonder sur la présence, immanente, de l’idée de justice. Il n’fest pas rare
que le texte de l’instrument constitutif d’une juridiction ne suffifse pas à
guider son action ; pour rendre la justice en pareilles circonstances, une

juridiction internationale telle que la Cour doit se référer aux prima prin ‑
cipia. Tenter d’offrir une définition de la bonne administration de la jus -
tice qui envisage toutes les situations possibles serait à la fois vafin et
présomptueux. Des situations d’une infinie diversité peuvent fse présenter

à la Cour, et la conduire — dans sa quête de la réalisation de la justice —
à se référer au principe de la bonne administration de la justifce ; car c’est
en effet un principe général qui, en somme, trouve à s’appliquer dans les
circonstances les plus variées.

21. Pour en venir du général au particulier, notons que l’incidence ou
l’application de ce principe général a permis à des juridictfions internatio -
nales d’assurer l’égalité procédurale entre les parties en litige. La Cour a,
à plusieurs reprises, manifesté le souci d’assurer cette égaflité procédurale.
Ainsi, dans son dernier avis consultatif, qu’elle a rendu le 1 erfévrier 2012
o
au sujet du Jugement n 2867 du Tribunal administratif de l’Organisation
internationale du Travail sur requête contre le Fonds international d▯e déve ‑
loppement agricole, la Cour a mis l’accent sur « le droit à l’égalité … dans
la procédure» (C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 24, par. 30), sur « le principe de

l’égalité devant [elle] » en tant qu’« élément primordial de la bonne admi -
nistration de la justice » (ibid., p. 25 et 29, par. 35 et 44), sur « l’égalité
d’accès» à la justice (ibid., p. 26-27, 29 et 31, par. 37, 39, 43 et 48), sur « la
notion d’égalité devant les cours et tribunaux » (ibid., p. 26-27, par. 38

et 40), sur la nécessité de garantir « l’égalité d’accès et l’égalité des armes »
(ibid., p. 27, par. 39), et sur le respect du « principe de l’égalité devant elle
dans la procédure, ainsi que l’exigent sa qualité d’organe jfudiciaire et la
bonne administration de la justice » (ibid., p. 30, par. 47).

22. Dans l’opinion individuelle (ibid., p. 81-93, par. 82-118) que j’ai
jointe à ce récent avis consultatif de 2012, j’ai amplement examiné l’impé -
ratif d’assurer l’égalité entre les parties dans le cadre defs procédures judi-
ciaires internationales. Quelques années auparavant, la Cour avait elfle-

même rattaché le « principe du contradictoire » à la « bonne administra-

19 Bin Cheng, General Principles of Law as Applied by International Courts and Tribu ‑
nals, Londres, Stevens, 1953, p. 291.

17

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tion de la justice » (affaire relative à la Licéité de l’emploi de la force

(Serbie‑et‑Monténégro c. Belgique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.
Recueil 2004 (I), p. 325, par. 116). Près de vingt ans plus tôt, elle avait
déclaré que « le principe de l’égalité des parties au différend rest[aitf] pour
elle fondamental » (affaire des Activités militaires et paramilitaires au
Nicaragua et contre celui‑ci (Nicaragua c. Etats‑Unis d’Amérique), fond,

arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 26, par. 31). La Cour souligna également
l’importance du « principe d’égalité entre les parties » dans son avis
consultatif du 20 juillet 1982 relatif à une Demande de réformation du
jugement n o 273 du Tribunal administratif des Nations Unies (C.I.J. Recueil

1982, p. 338-340 et 365-366, par. 29-32 et 79).
23. Trente ans plus tôt encore, la Cour s’était déjà réféfrée à ce principe
dans son avis consultatif du 23 octobre 1956 relatif à des Jugements du
Tribunal administratif de l’OIT sur requêtes contre l’Unesco (C.I.J. Recueil
1956, p. 85-86) ; elle avait alors déclaré, de façon quelque peu impropre,

que le « principe de l’égalité entre les parties découl[ait] des exigfences
d’une bonne administration de la justice» (ibid., p. 86). Selon moi, il serait
plus approprié de dire que ce sont les exigences d’une bonne adminfistra -
tion de la justice qui découlent du principe de l’égalité enftre les parties.
Les principes (prima principia) priment sur les règles et autres critères,

lesquels doivent leur obéir.

VII. Épilogue: considérations finafles

24. Dans son ordonnance portant jonction de l’instance en la présente
affaire relative à Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région
frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) à l’instance en l’affaire relative à la
Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicara ‑

gua c. Costa Rica), la Cour a dûment tenu compte des éléments suivants :
«Les deux affaires dont il s’agit ici opposent les mêmes Parties fet

portent sur la zone où la frontière commune entre celles-ci suit lfa rive
droite du fleuve San Juan.
Elles sont l’une et l’autre fondées sur des faits en rapport avfec des
travaux exécutés sur le San Juan, le long de ce fleuve ou à proximité

immédiate de celui-ci, le Nicaragua se livrant à des activités fde dragage
du fleuve et le Costa Rica ayant entrepris de construire une route le long
de sa rive droite. Les deux instances ont pour objet les conséquencesf de
ces travaux pour la liberté de navigation sur le San Juan et leur incidence
sur l’environnement local et l’accès au fleuve. A cet égarfd, les Parties

font l’une et l’autre état d’un risque de sédimentation dfu San Juan.
Dans la présente affaire comme dans l’affaire Nicaragua c. Costa Rica,
les Parties mettent par ailleurs en avant les conséquences néfastefs qu’au-
raient les travaux menés sur le San Juan ou le long de sa rive pour l’éc -o
système fragile du fleuve (qui comprend des réserves naturellesf protégées).

18

4 CIJ1043.indb 73 11/04/14 10:58 certaines activitésf (op. ind. cançado trindfade) 181

Dans les deux affaires, les Parties font état de violations du traifté
de limites de 1858, de la sentence Cleveland, des sentences Alexander

et de la convention de Ramsar.
Une décision de joindre ces instances permettrait à la Cour d’exa -
miner simultanément la totalité des différents points en litifge entre les
Parties, qui sont liés les uns aux autres… » (Par. 19-23.)

25. Telle est la ratio decidendi de la présente décision de la Cour. Les
fondements de cette décision résident dans le domaine des principefs,

comme j’ai tâché de le démontrer dans la présente opinionf individuelle.
La compétence de la compétence (Kompetenz Kompetenz) d’une juridic -
tion internationale telle que la Cour est inhérente à l’exercicfe de sa fonc -
tion judiciaire internationale. La Cour et sa devancière, la Cour per -

manente, ont l’une et l’autre ordonné des jonctions avant la lefttre, même
en l’absence (avant 1978) d’une disposition en ce sens dans leur instru -
ment constitutif. L’idée de justice préside à la bonne adminfistration de la

justice, comme en témoignent par exemple les décisions prises en vfue d’as -
surer l’égalité procédurale entre les parties en litige.
26. Les principes généraux du droit manifestent invariablement leur
présence dans la réalisation de la justice. De mon point de vue, ifls com -

prennent non seule20nt les principes reconnus dans les systèmes juri -
diques internes , mais aussi les principes généraux du droit international.
Ils ont été réaffirmés maintes et maintes fois et, même fs’ils sont malheu -
reusement négligés dans certains pans de la doctrine juridique conftempo-

raine, ils demeurent pleinement d’actualité. La Cour elle-même fn’a pas
laissé de s’y référer dans une jurisprudence constante à fcet égard. Les
partisans du positivisme juridique ont beau, fidèles à eux-mêfmes, s’effor -
cer d’en amoindrir le rôle, le fait est que nul système juridiqfue ne peut

exister sans principes, que ce soit au niveau national ou à l’éfchelle inter -
nationale.
27. Les principes généraux du droit inspirent et façonnent les normfes
et les règles des systèmes juridiques. Ces principes, qui se sont fétablis au

fil des ans, forment selon moi le substrat de tout ordre juridique, naftional
ou international ; indispensables (en tant que jus necessarium, allant bien
au-delà du simple jus voluntarium), ils expriment l’idée d’une justice objec ‑
tive (propre à la pensée jusnaturaliste), de caractère universel. fEnfin, et ce

n’est pas le moins important, ce sont les principes généraux duf droit qui
inspirent non seulement l’interprétation et l’application des normes juri -
diques, mais aussi leur élaboration même 21. Dans la présente affaire rela -

tive à Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région fron▯talière

20
Voir H. Mosler, « To What Extent Does the Variety of Legal Systems of the
World Influence the Application of the General Principles of Law withifn the Meaning of
Article 38 (1) (c) of the Statute of the International Court of Justice », International Law
and the Grotian Heritage (colloque de La Haye de 1983), La Haye, T. M. C. Asser Inst-
tuut, 1985, p. 173-185.
21 A. A. Cançado Trindade, International Law for Humankind — Towards a New Jus
Gentium, op. cit. supra note 14, chap. III, p. 85-121, et en particulier p. 90-92.

19

4 CIJ1043.indb 75 11/04/14 10:58 certaines activitésf (op. ind. cançado trindfade) 182

(Costa Rica c. Nicaragua), la Cour s’est prévalue de la disposition rela -
tive à la jonction qui figure à l’article 47 de son Règlement et, de manière
significative, elle a reconnu que la jonction ainsi décidée éftait conforme
22
au principe de la bonne administration de la justice .

(Signé) Antônio Augusto Cançado Trindade.

22 Par. 18 et 24.

20

4 CIJ1043.indb 77 11/04/14 10:58

Bilingual Content

172

SEPARATE OPINION
OF JUDGE CANÇADO TRINDADE

table of contents

Paragraphs

I. Introduction 1-3

II. “Implied” and “Inherefnt Powers” Revisited : Some Preci -

sions 4-6

III. Kompetenz K ompetenz /La CompétenCe de La C ompé -
tenCe , Inherent to the Exercifse of the Internationafl
Judicial Function 7-9

IV. The Sound Administratiofn of Justice, and Joinderfs avant

La Lettre 10-12

V. The Idea of Justice Guidinfg the Sound Administratfion
of Justice 13-18

VI. The Sound Administratiofn of Justice and the Procfedural

Equality of the Parties 19-23

VII. Epilogue: Final Considerationsf 24-27

*

I. Introduction

1. I have concurred with my vote to the adoption by the International
Court of Justice (ICJ) of its Order of today, 17 April 2013, whereby it
decides to join the proceedings in the present case concerning Certain

Activities Carried Out by Nicaragua in the Border Area (Costa Rica v.
Nicaragua) with the proceedings in the case concerning Construction of a
Road in Costa Rica along the San Juan River (Nicaragua v. Costa Rica).

The ratio decidendi in the present decision of the Court (paras. 19-23) is
clear; yet, it touches on foundations which have not been examined or
developed by the Court in the present Order, and to which I attach greatf

importance. I feel thus obliged to leave on the records my reflectionsf
thereon, in support of my personal position on the matter.
2. I shall, first, address the issue of “implied” and “inherent fpowers”,

so as to provide some precisions in respect of the exercise of the interfna
tional judicial function. Secondly, I shall dwell upon the issue of the f

10

4 CIJ1043.indb 56 11/04/14 10:58 172

OPINION INDIVIDUELLE
DE M. LE JUGE CANÇADO TRINDADE

[Traduction]

table des matières
Paragraphes

I. Introduction 1-3

II. Quelques précisions sur les pouvoirs « implicites» et

«inhérents » 4-6

III. La compétence de la cofmpétence (K ompetenz K ompe -
tenz ) est inhérente à l’exfercice de la fonctionf judiciaire
internationale 7-9

IV. La bonne administratifon de la justice et lesf jonctions
ordonnées avant la lefttre 10-12

V. La justice en tant qu’elfle doit présider à laf bonne adminis

tration de la justice 13-18

VI. La bonne administratifon de la justice et l’éfgalité procé -
durale entre les partfies 19-23

VII. Épilogue: considérations finafles 24-27

*

I. Introduction

1. J’ai voté en faveur de l’adoption de l’ordonnance par laquelfle la
Cour internationale de Justice a décidé ce jour, 17 avril 2013, de joindre
l’instance dans la présente affaire relative à Certaines activités menées par

le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) à l’ins -
tance en l’affaire relative à la Construction d’une route au Costa Rica le
long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica). La ratio decidendi de

la présente décision de la Cour est claire (par. 19-23); toutefois, cette déci
sion touche certaines questions fondamentales que la Cour n’a pas exafm-i
nées ou développées, et auxquelles j’attache une importance considérable.
J’estime donc devoir faire état des réflexions qui sous-tendefnt ma position

personnelle à cet égard.
2. J’examinerai, premièrement, la question des pouvoirs « implicites»
et « inhérents» afin d’apporter certaines précisions sur l’exercice de lfa

fonction judiciaire internationale. Deuxièmement, je m’arrêterafi sur la

10

4 CIJ1043.indb 57 11/04/14 10:58 173 certain activities (fsep. op. cançado trindafde)

Kompetenz Kompetenz/la compétence de la compétence, inherent to the
exercise of the international judicial function. Thirdly, I shall reviewf the
sound administration of justice, and focus attention on joinders effecfted
by the Hague Court (PCIJ and ICJ) avant la lettre. Fourthly, I shall
consider what I perceive as the idea of justice guiding the sound adminifs-

tration of justice (la bonne administration de la justice). And fifthly, I
shall examine the sound administration of justice (la bonne administration
de la justice) and the procedural equality of the parties. The way will
then be paved for the presentation, in the epilogue, of my brief final
considerations.

3. It is not my intention, in the following consideration of these issues, f
to be exhaustive ; I could hardly be so, writing this separate opinion, as I
have been, under the merciless and unnecessary pressure of time. I do sof,
struggling stubbornly against time, moved by a sense of duty, and endeavf -

ouring to provide the reasoning which I can hardly find in the presentf
Order in support of the decision taken. The ratio decidendi, yes, it is in the
Order, but I cannot behold therein the obiter dicta supporting it. As I
have concurred with the Court’s decision in the present Order, I feelf
bound to take the care to elaborate on the foundations of the matter deaflt

with, the way I perceive and conceive them.

II. “Implied” and “Inherefnt Powers” Revisited:

Some Precisions

4. May I begin by making a brief incursion, for a specific purpose, into f
the law of international organizations, which — may I observe in pas ‑
sim — marks its discreet presence in the present Order (paras. 1-2 and 5).

With the rise of international organizations, the conceptions of “inherent
powers” as well as “implied powers” took shape in that context,f with the
contribution of the case law of the ICJ. One year after the Advisory
Opinion of the ICJ in respect of Certain Expenses of the United Nations
(Article 17, paragraph 2, of the Charter) (of 20 July 1962), the doctrinal
1
formulation of F. Seyersted (1963) found the light of the day , invoking
the “inherent powers” of the UN, and seeking to demonstrate them, fby
means of an arguable analogy — which promptly attracted criticisms —
with the legal position of States.

5. After all, the ICJ itself had clarified, in its celebrated obiter dictum in
the Advisory Opinion on Reparations for Injuries Suffered in the Service
of the United Nations (of 11 April 1949), that while the State is endowed
with the totality of rights and duties recognized by international law, fthe
rights and duties of an entity such as the UN ought to depend on the

purposes and functions, specified or implicit in their constitutive dofcu -

1F. Seyersted, Objective International Personality of Intergovernmental Organizations,

Copenhagen, 1963, pp. 28-29, 35-36, 40, 45-46.

11

4 CIJ1043.indb 58 11/04/14 10:58 certaines activitésf (op. ind. cançado trindfade) 173

question de la compétence de la compétence (Kompetenz Kompetenz), qui
est inhérente à l’exercice de la fonction judiciaire internatiofnale. Troisiè -
mement, j’examinerai celle de la bonne administration de la justice efn
m’intéressant particulièrement aux jonctions d’instances ordfonnées par la
Cour et par sa devancière avant la lettre. Quatrièmement, j’exposerai ma

conception de l’idée de justice en tant qu’elle doit présider à la bonne
administration de la justice et, cinquièmement, j’examinerai cettef notion
sous l’angle de l’égalité procédurale entre les parties. J’en arriverai ainsi,
pour conclure, à un bref exposé de mes réflexions finales.

3. Je ne prétends pas être exhaustif dans mon analyse de ces questionfs;
je ne le pourrais guère, ayant été inutilement mais impitoyablefment pressé
par le temps en rédigeant la présente opinion individuelle. Je l’fai rédigée,
au prix d’une rude course contre la montre, mû par un sens du devofir, et

pour tâcher d’exposer les motifs que je ne trouve guère dans laf présente
ordonnance à l’appui de la décision prise. La ratio decidendi, elle, y est
exposée, mais les obiter dicta sont introuvables. Ayant souscrit à la déci -
sion rendue par la Cour dans la présente ordonnance, je me sens tenu
d’examiner le fond de la question tel que je le perçois et le conçfois.

II. Quelques précisions sufr les pouvoirs

« implicites » et « inhérents »

4. Je commencerai par faire une brève incursion, pour une raison pré -
cise, dans le droit des organisations internationales, qui (soit dit enf passant)
manifeste subtilement sa présence dans la présente ordonnance (pafr. 1, 2

et 5). C’est en effet dans le contexte de l’avènement des organfisations inter -
nationales que les notions de pouvoirs « inhérents» et « implicites» ont vu
le jour, aidées en cela par la jurisprudence de la Cour. C’est ainsi que, un an
après son avis consultatif (du20 juillet 1962) relatif àCertaines dépenses des
Nations Unies (article 17, paragraphe 2, de la Charte), apparaissait dans la
1
doctrine la formule de F. Seyersted (en 1963) , qui invoquait les «pouvoirs
inhérents» de l’Organisation des Nations Unies et tentait d’en démontrer
l’existence au moyen d’une analogie contestable — et rapidement criti -
quée — avec le statut juridique des Etats.

5. Après tout, la Cour elle-même avait précisé par un célèbre obiter dic ‑
tum, dans son avis consultatif (du 11 avril 1949) sur la Réparation des dom‑
mages subis au service des Nations Unies, que, si les Etats étaient investis de
tous les droits et devoirs reconnus par le droit international, les droifts et
devoirs d’une entité telle que l’Organisation des Nations Unies étaient en

revanche fonction des buts et attributions établis dans son instrumenft

1F. Seyersted, Objective International Personality of Intergovernmental Organizations,

Copenhague, 1963, p. 28-29, 35-36, 40, 45-46.

11

4 CIJ1043.indb 59 11/04/14 10:58 174 certain activities (fsep. op. cançado trindafde)

2
ments and developed in practice . The ICJ thus espoused to the doctrine
of “implied powers” , surely distinct from that of “inherent powers”,
inspired in an analogy with comparative constitutional law.

6. While the doctrinal construction of “implied powers” was intended
to set up limits to powers transcending the letter of constitutive chartfers —

limits found in the purposes and functions of the international organizaf -
tion at issue 4 — the doctrinal construction of “inherent powers”, quite
distinctly, was intended to assert the powers of the juridical person atf issue

for the accomplishment of its goals, as provided for in its constitutivef
charter. The point I wish here to make is that the same expression —
“inherent powers” — has at times been invoked in respect of the operation

of international judicial entities; yet, though the expression is the same, its
rationale and connotation are different, when it comes to be employed fby
reference to international tribunals. Another precision is here called ffor,

for a proper understanding of the operation of these latter. Understandifng
and operation go hand in hand : ad intelligendum et ad agendum.

III. K ompetenz K ompetenz L a C ompétenCe
de La C ompétenCe , Inherent to the Exercifse

of the International Jufdicial Function

7. International tribunals, to start with, are endowed with competence

to resolve any controversy raised with regard to their own jurisdictionsf :
this amounts to a basic principle of international procedural law 5. As
master of its own jurisdiction, the international tribunal concerned hasf

the compétence de la compétence (Kompetenz Kompetenz). Such power of
determination is inherent to every contemporary international tribunal, f
responding to an imperative of juridical security : it goes without saying

that the determination of the scope of its own jurisdiction belongs to tfhe
international tribunal concerned, as it cannot be left in the hands, andf at
the mercy, of the contending parties. In any circumstances, the interna -
6
tional tribunal concerned is master of its own jurisdiction .
8. International tribunals, as courts of law, judicial entities, stand on af
firmer ground than arbitral tribunals, in so far as the determination fof

2 I.C.J. Reports 1949, p. 180.
3 Cf. also, subsequently, its Advisory Opinion of 13 July 1954, on the Effect of Awards
of Compensation Made by the United Nations Administrative Tribunal, wherein the ICJ
again dwelt on the doctrine of “implied powers”.
4 Thereby not attributing carte blanche to this latter ; cf. Rahmatullah Khan, Implied

Pow5rs of the United Nations, Delhi/Bombay/Bangalore, Vikas Publishing, 1970, pp. 1-222.
IACtHR, case of Hilaire, Benjamin and Constantine and Others v. Trinidad and
Tobago (preliminary objections, judgment of 1 September 2001), separate opinion of Judge
A. A. Cançado Trindade, paras. 2 and 15.
6 IACtHR, case of Barrios Altos v. Peru (judgment of 14 March 2001), concurring
opinion of Judge A. A. Cançado Trindade, para. 2.

12

4 CIJ1043.indb 60 11/04/14 10:58 certaines activitésf (op. ind. cançado trindfade) 174

constitutif, de manière expresse ou implicite, et de leur évolutiofn dans la
pratique . La Cour avait ainsi fait sienne la doctrine des « pouvoirs impli-
cites » , évidemment distincte de celle des « pouvoirs inhérents », qui est

inspirée d’une analogie avec le droit constitutionnel comparé.
6. Si la notion de «pouvoirs implicites» a été introduite dans la doctrine
pour poser des limites aux pouvoirs transcendant la lettre des instrumenfts

constitutifs — limites tenant aux buts et fonctions de l’organisation interna -
tionale concernée —, la notion de « pouvoirs inhérents» l’a été dans un
tout autre but, à savoir établir les pouvoirs de la personne juridfique concer -

née pour lui permettre d’atteindre ses objectifs, tels qu’énfoncés dans son
instrument constitutif. Ce que je tiens à souligner par là, c’est que cette
expression même de «pouvoirs inhérents» a parfois été appliquée au fonc -

tionnement des entités judiciaires internationales; or, si l’expression est la
même, sa raison d’être et sa connotation sont différentes florsqu’il s’agit de
juridictions internationales. Une autre précision s’impose ici, pofur bien

comprendre le fonctionnement de celles-ci. Comprendre et agir sont commef
l’avers et le revers d’une même médaille: ad intelligendum et ad agendum.

III. La compétence de la cfompétence
(K ompetenz K ompetenz ) est inhérente à l’exfercice

de la fonction judiciafire internationale

7. Pour commencer, les juridictions internationales ont compétence

pour trancher tout différend concernant leur propre compétence : il s’agit
là d’un principe fondamental du droit international procédural 5. Maî -
tresses de leur propre compétence, elles ont la compétence de la cfompé -

tence (Kompetenz Kompetenz). Ce pouvoir d’appréciation, qui est
inhérent à toute juridiction internationale moderne, répond àf un impéra -
tif de sécurité juridique : il va sans dire qu’il appartient à chaque juridic -

tion internationale de déterminer l’étendue de sa propre compéftence, cette
appréciation ne pouvant être laissée au soin des parties en litfige, et à leur
entière discrétion. En toutes circonstances, la juridiction internfationale
6
est maîtresse de sa propre compétence .
8. Les juridictions internationales, en tant que cours de justice, en tant
qu’entités judiciaires, ont, quant à l’appréciation de lefur compétence, les

2 C.I.J. Recueil 1949, p. 180.
3 Voir également son avis consultatif ultérieur du 13 juillet 1954 sur l’Effet de jugements
du Tribunal administratif des Nations Unies accordant indemnité, dans lequel la Cour s’ar -
rêta une nouvelle fois sur la doctrine des « pouvoirs implicites ».
4 Cette organisation n’avait donc pas carte blanche ; voir Rahmatullah Khan, Implied

Pow5rs of the United Nations, Delhi/Bombay/Bangalore, Vikas Publishing, 1970, p. 1-222.
Cour interaméricaine des droits de l’homme, Hilaire, ernjamin et Constantine et
autres c. Trinité‑et‑Tobago (exceptions préliminaires, arrêt du 1mbre 2001), opinion
individuelle de M. le juge. Cançado Trindade, par. 2 et 15.
6 Cour interaméricaine des droits de l’homme, Barrios Altos c. Pérou (arrêt du 14 mars
2001), opinion concordante de M. le juge Cançado Trindade, par. 2.

12

4 CIJ1043.indb 61 11/04/14 10:58 175 certain activities (fsep. op. cançado trindafde)

their competence is concerned. They are the guardians and masters of

their own respective jurisdiction (jurisdiction, jus dicere, the prerogative or
power to declare the law). In this way, they discard permissive practicfes
(remnant of international arbitrations of the past), and preserve the finteg -

rity of their own jurisdiction. Contending parties, on their turn, are bfound
to comply with their conventional obligations (of a substantive as wellf as
of a procedural nature), so as to secure to the conventional provisionsf at

issue their proper effects in their respective domestic legal orders. fThis
also corresponds to a general principle of law — ut res magis valeat quam
pereat —, widely known as the principle of effectiveness (of effet utile) 7.
9. The compétence de la compétence (Kompetenz Kompetenz) of inter -

national tribunals extends to the interpretation of the provisions of thfeir
respective jurisdictional instruments, as well as to the determination off the
nature of the controversy at issue and the characterization of its factufal

context; moreover, the prerogative of international tribunals to determine
their own jurisdiction starts at the time they are seized of the disputefs at
issue 8. The ICJ itself stated, six decades ago, in its Judgment (of 18 Novem -

ber 1953), in the Nottebohm case, that the compétence de la compétence

“assumes particular force when the international tribunal is no longefr
an arbitral tribunal constituted by virtue of a special agreement
between the parties for the purpose of adjudicating on a particular
dispute, but is an institution which has been pre-established by an

international instrument defining its jurisdiction and regulating its f
operation and is (. . .) the principal judicial organ of the United Nations”
(Nottebohm (Liechtenstein v. Guatemala), Preliminary Objection,

Judgment, I.C.J. Reports 1953, p. 119).

IV. The Sound Administratiofn of Justice,

and Joinders avant La Lettre

10. Thus, keeping these precisions in mind, may I briefly recall that the
ICJ developed its practice on joinder of proceedings well before the insfti -
9
tute of joinder was enshrined, in 1978, into the Rules of Court (Article 47).

7 For examples of the preservation, by contemporary international tribunalfs, of the
integrity of their own jurisdiction, cf. A. A. Cançado Trindade, El Ejercicio de la Función
Judicial Internacional — Memorias de la Corte Interamericana de Derechos Humanos,
2nd ed., Belo Horizonte/Brazil, Edit. Del Rey, 2013, pp. 5-10, 29-52, 145-149 and 215.
8 I. F. I. Shihata, The Power of the International Court to Determine Its Own Jurisdic ‑
tion, The Hague, Martinus Nijhoff, 1965, pp. 1-304.
9 Article 47 of the Rules of Court provides that :

“The Court may at any time direct that the proceedings in two or more cases be
joined. It may also direct that the written or oral proceedings, includifng the calling
of witnesses, be in common ; or the Court may, without effecting any formal joinder,
direct common action in any of these respects.”

13

4 CIJ1043.indb 62 11/04/14 10:58 certaines activitésf (op. ind. cançado trindfade) 175

mains plus libres que les juridictions arbitrales. Elles sont gardiennesf et maî -

tresses de leur propre juridiction (juridictionvenant de jus dicere, la préro-
gative ou le pouvoir de dire le droit). Elles peuvent ainsi écarter fles pratiques
permissives (réminiscences des arbitrages internationaux du passéf) et préser -

ver l’intégrité de leur propre compétence. Les parties en liftige, de leur côté,
sont tenues de se conformer à leurs obligations conventionnelles (def nature
substantielle ou procédurale) afin d’assurer le plein effet dfes dispositions

conventionnelles pertinentes dans leur ordre juridique interne. Il s’fagit là
encore d’un principe général de droit— ut res magis valeat quam pereat—,
généralement connu comme le principe de l’effet utile 7.
9. La compétence de la compétence (Kompetenz Kompetenz) permet

également aux juridictions internationales d’interpréter les difspositions de
l’instrument qui leur confère compétence, de déterminer la nfature du dif -
férend en cause et d’en définir le contexte factuel ; ce pouvoir d’apprécier

leur propre compétence leur appartient en outre dès le moment où elles
sont saisies du différend 8. La Cour elle-même déclara il y a soixante ans,
dans son arrêt (du 18 novembre 1953) en l’affaire Nottebohm, que la com -

pétence de la compétence

«pren[ait] une force particulière quand le juge international n’[était]
plus un tribunal arbitral constitué par l’accord spécial des pafrties en
vue de statuer sur un différend particulier, mais une institution pfréé -
tablie par un acte international qui en défini[ssait] la compétefnce et

en r[églait] le fonctionnement et … l’organe judiciaire principal des
Nations Unies» (Nottebohm (Liechtenstein c. Guatemala), exception
préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1953, p. 119).

IV. La bonne administratifon de la justice

et les jonctions ordofnnées avant la lettref

10. Ces précisions à l’esprit, je rappellerai brièvement que la Cour a
développé sa pratique de la jonction d’instances bien avant d’fétablir for -
9
mellement ce mécanisme dans son Règlement en 1978 (article 47) . Elle

7Pour des exemples de juridictions internationales modernes préservantf l’intégrité de
leur propre compétence, voir A. A. Cançado Trindade, El Ejercicio de la Función Judicial
Internacional — Memorias de la Corte Interamericana de Derechos Humanos, 2 eéd., Belo
Horizonte/Brésil, Edit. Del Rey, 2013, p. 5-10, 29-52, 145-149 et 215.
8I. F. I. Shihata, The Power of the International Court to Determine Its Own Jurisdic ‑
tion, La Haye, Martinus Nijhoff, 1965, p. 1-304.
9Selon l’article 47 du Règlement :

«La Cour peut à tout moment ordonner que les instances dans deux ou plfusieurs
affaires soient jointes. Elle peut ordonner aussi que les procédurefs écrites ou orales,
y compris la présentation de témoins, aient un caractère communf ; ou elle peut,
sans opérer de jonction formelle, ordonner une action commune au regafrd d’un ou
plusieurs éléments de ces procédures. »

13

4 CIJ1043.indb 63 11/04/14 10:58 176 certain activities (fsep. op. cançado trindafde)

By then, the Court counted only on a very general provision of its Statufte,

on its prerogative to deliver Orders for the conduct of the case at issufe
(Article 48). References can be made to its decisions on joinders in the
South West African cases (1961), and the North Sea Continental Shelf cases
10
(1968) . The joinders effected by the ICJ on those occasions transcended
the letter of its interna corporis. The Court was guided by its awareness of
the sound administration of justice.

11. These two decisions of the ICJ were preceded by three other deci -
sions of its predecessor, the PCIJ, in the cases of Certain German Interests
in Polish Upper Silesia (1926), the Legal Status of the South‑Eastern Ter ‑
ritory of Greenland (1932), and the Appeals from Certain Judgments of the

Hungaro‑Czechoslovak Mixed Arbitral Tribunal (1932). Thus, both the
PCIJ and the ICJ ordered the joinder of proceedings avant la lettre,
despite the absence of an express provision on it in their interna corporis.

They ordered the joinder as a measure of judicial administration, so as to
secure the sound administration of justice (la bonne administration de la
justice), well before the institute of joinder was at last inserted, and found

its place, in the 1978 ICJ’s Rules of Court.
12. In the course of the proceedings, the Court may be faced with a
situation which requires from it a decision (at procedural level), evefn if it

does not squarely fit into its interna corporis. This has often happened in
practice — and the aforementioned decisions are not exhaustive. As early
as in 1937, G. Morelli perspicaciously pondered that “[s]ettling a legal
dispute means substituting certainty for uncertainty regarding the existfing
11
legal situation” . And he added, in his sharp criticism of State volun -
tarism, that the generation of legal effects cannot be subsumed under fthe
“will” of States, or under what they agree upon inter se ; legal effects of

the international corpus juris stand “above the will of States” (“au‑dessus
de la volonté des Etats”) 12.

V. The Idea of Justice Guidinfg the Sound Administratfion of
Justice ( La bonne administration de La justiCe )

13. In recent times, much discussion has taken place as to whether the
sound administration of justice (la bonne administration de la justice) is a
maxim or a principle, or whether such a distinction is immaterial 13. Be

10
Yet, in the Fisheries Jurisdiction cases (1972) and the Nuclear Test cases (1973),
how11er, the ICJ decided not to join the proceedings.
G. Morelli, “La théorie générale du procès international”f, 61 Recueil des cours de
l´Académie de droit international de La Haye (1937), p. 260 [translation by the Registry].
12 Ibid., p. 263.
13Cf., inter alia, e.g., R. Kolb, “Les maximes juridiques en droit international
public : questions historiques et théoriques”, 32 Revue belge de droit international (1999),
pp. 407-434; A. Lelarge, “L’émergence d’un principe de bonne administration de la jfustice
internationale dans la jurisprudence internationale antérieure à 1f945”, 27 L’observateur
des Nations Unies (2009), pp. 23-51.

14

4 CIJ1043.indb 64 11/04/14 10:58 certaines activitésf (op. ind. cançado trindfade) 176

ne pouvait alors s’appuyer que sur une disposition très généfrale de son

Statut, qui l’habilitait à rendre les ordonnances nécessaires à la conduite
d’une affaire (article 48). C’est ainsi qu’elle ordonna la jonction d’ins -
tances dans les affaires du Sud‑Ouest africain (1961) et dans celles du Pla ‑
10
teau continental de la mer du Nord (1968) . Allant au-delà du texte de son
instrument constitutif, la Cour s’est fondée sur son sens de la bofnne
administration de la justice.

11. Ces deux décisions de la Cour faisaient suite à trois décisionsf de sa
devancière, la Cour permanente de Justice internationale, dans les afffaires
relatives à Certains intérêts allemands en Haute‑Silésie polonaise (1926), au
Statut juridique du territoire du sud‑est du Groënland (1932) et à des Appels

contre certains jugements du tribunal arbitral mixte hungaro‑tchécoslovaque
(1933). Ainsi, tant la Cour que sa devancière ont ordonné la jonfction
d’instances avant la lettre, c’est-à-dire alors même que leufr instrument

constitutif ne contenait aucune disposition expresse à cet égard. fElles l’ont
ordonnée comme une mesure d’administratif judiciaire, afin d’fassurer la
bonne administration de la justice, bien avant que la jonction ne soit fifna -

lement établie, et trouve sa place, dans le Règlement de 1978.
12. En cours d’instance, la Cour peut devoir faire face à une situatiofn
qui, même si elle n’entre pas exactement dans les prévisions def son instru -

ment constitutif, exige une décision de sa part (sur le plan procéfdural).
Tel a souvent été le cas dans la pratique — les décisions susmentionnées
n’en sont que quelques exemples. Dès 1937, G. Morelli eut la sagacité
d’écrire que «[r]ésoudre un différend juridique signifi[ait] substituer la cfer -
11
titude à l’incertitude sur la situation juridique existante » . Et, critiquant
vivement le volontarisme des Etats, il ajouta que la production d’efffets
juridiques ne pouvait se rattacher exclusivement à la « volonté» des Etats,

ou à des accords entre eux ; les effets juridiques du corpus juris internatio -
nal étaient « au-dessus de la volonté des Etats » . 12

V. La justice en tant qu’elfle doit présider
à la bonne administraftion de la justice

13. Plus récemment, la question de savoir si la bonne administration de
la justice constitue une maxime ou un principe, ou si une telle distinctfion
n’a guère d’importance, a été beaucoup débattue 13. En tout état de cause,

10
Dans les affaires de la Compétence en matière de pêcheries (1972) et dans celles des
Ess11s nucléaires (1973), en revanche, la Cour décida de ne pas joindre les instancefs.
G. Morelli, « La théorie générale du procès international »,Recueil des cours de
l´Académie de droit international de La Haye, vol. 61 (1937), p. 260.
12Ibid., p. 263.
13Voir notamment R. Kolb, « Les maximes juridiques en droit international public :
questions historiques et théoriques », Revue belge de droit internationvol. 32 (1999),
p. 407-434; A. Lelarge, « L’émergence d’un principe de bonne administration de la justicef
internationale dans la jurisprudence internationale antérieure à 1f945 », L’observateur des
Nations Unies, vol. 27 (2009), p. 23-51.

14

4 CIJ1043.indb 65 11/04/14 10:58 177 certain activities (fsep. op. cançado trindafde)

that as it may, if it flourished as a maxim, this latter clearly gave fexpres -
sion to a principle. The proper exercise of the international judicial ffunc-
tion requires the blend of logic and experience (la sagesse et l’expérience),
deeply-rooted in legal thinking (of comparative domestic law and of

international law). Such blend of logic and experience seeks to secure fthe
sound administration of justice. Positivists try in vain to subsume thisf lat -
ter under the interna corporis of the international tribunal at issue, in their
well-known incapacity to explain anything that transcends the regulatory

texts.
14. I have already referred to joinders effected by the ICJ avant la
lettre, despite the absence of an express provision regulating the matter,
and before the institute of joinder was inserted into the Rules of Courtf
(cf. supra). In my understanding, the Court did not do so pursuant to an

“implied power” ensuing from the regulatory texts, but rather, andf more
precisely, pursuant to an “inherent power”, proper to the exercisef of the
international judicial function. It is an “inherent power” of the finterna -
tional tribunal concerned to see to it that the procedure functions propf -

erly, so that justice is done and is seen to be done. It is an “inherent
power” of an international tribunal such as the ICJ to see to it thatf the
procedure operates in a balanced way, ensuring procedural equality and
the guarantees of due process, so as to preserve the integrity of its jufdicial

function.
15. The sound administration of justice enables the international tribu -
nal at issue to tackle questions of procedure even if these latter have f
“escaped” the regulations of its interna corporis. It is, in my perception,
the idea of an objective justice that, ultimately, guides the sound admifnis -

tration of justice (la bonne administration de la justice), in the line of jus -
naturalist thinking. The proper pursuit of justice is in conformity withf the
general principles of law. With the reassuring evolution and expansion off
judicial settlement in recent decades, there has been, not surprisingly,f an

increasing recourse to the maxim la bonne administration de la justice —
which gives expression to a general principle of law, captured by human
conscience 14.

16. Writing at the time of the emergence and consolidation of judicial
settlement of international disputes, M. Bourquin pondered that many
international controversies pertained to a disagreement, not as to the
interpretation or application of positive law (jus positum), but rather as

to the value of that law. Accordingly, the exercise of the internationalf
judicial function is not — cannot be — limited to a simple application of
positive law in the cas d’espèce ; there is a certain element of creativity

14On human conscience — the universal juridical conscience— as the ultimate
material source of international law, cf. A. A. Cançado Trindade, International Law for
Humankind — Towards a New Jus Gentium, 1st ed., Leiden/The Hague, Martinus Nijhoff/
The Hague Academy of International Law, 2010, Chap. VI, pp. 139-161.

15

4 CIJ1043.indb 66 11/04/14 10:58 certaines activitésf (op. ind. cançado trindfade) 177

s’il s’agissait au départ d’une maxime, cette maxime a clairement donné
lieu à un principe. Le bon exercice de la fonction judiciaire internaftionale
exige ce mélange de sagesse et d’expérience qui est si profondément ancré
dans la pensée juridique (en droit interne comparé et en droit infternatio -

nal). C’est précisément cette alliance qui préside à la fbonne administra -
tion de la justice, une notion que les positivistes, notoirement incapabfles
d’expliquer quoi que ce soit qui déborde le cadre des textes réfglemen -
taires, s’évertuent en vain à rattacher à l’instrument cofnstitutif de la juri-

diction internationale concernée.
14. J’ai déjà évoqué les jonctions que la Cour a ordonnéesf avant la
lettre, en dépit de l’absence de toute disposition expresse à cfet égard, et
avant que la jonction ne soit formellement établie dans son Règlement
(voir supra). A mon sens, la Cour a, ce faisant, agi non pas en vertu d’un

«pouvoir implicite» découlant des textes réglementaires, mais bien plutôt
en vertu d’un « pouvoir inhérent » propre à l’exercice de la fonction judi -
ciaire internationale. Une juridiction internationale a le « pouvoir inhé-
rent» d’assurer l’efficacité de la procédure, afin que jusftice soit rendue

et manifestement rendue. Une juridiction internationale telle que la Cour
a le « pouvoir inhérent » de faire en sorte que la procédure se déroule
de manière équilibrée, en assurant l’égalité procédurafle et les garanties
d’une procédure régulière, de façon à préserver l’fintégrité de sa fonction

judiciaire.
15. La bonne administration de la justice suppose que les juridictions
internationales puissent régler des questions de procédure mêmef si ces
dernières échappent aux prévisions de leur instrument constitutfif. Ainsi
s’exprime à mon sens l’idée d’une justice objective ; c’est précisément cette

idée de justice objective qui, en définitive, doit, conformémfent à la pensée
jusnaturaliste, présider à la bonne administration de la justice. fIl ne peut
y avoir de véritable quête de justice sans respect des principes gfénéraux du
droit. La façon dont le règlement judiciaire a, au cours de ces defrnières

décennies, évolué et gagné en importance (ce dont il y a tofut lieu de se
féliciter) est allée de pair avec une attention accrue accordéfe au principe
cardinal de la bonne administration de la justice, ce qui n’a rien d’éton -
nant, celui-ci n’étant que le reflet d’un principe généfral de droit, appré -
14
hendé par la conscience humaine .
16. Ecrivant à l’époque où le règlement judiciaire des diffférends inter -
nationaux, jeune encore, était en voie de consolidation, M. Bourquin fit
observer que nombre de controverses internationales tenaient à un défsac -
cord non pas sur l’interprétation ou l’application du droit posfitif (jus

positum), mais sur la valeur de ce droit. Aussi bien, l’exercice de la fonc -
tion judiciaire internationale ne consiste pas simplement à appliquer le
droit positif au cas d’espèce, et ne peut se limiter à cela ; il comporte

14 S’agissant de la conscience humaine (la conscience juridique universfelle) en tant que
source matérielle ultime du droit international, voir A. A. Cançado Trindade, International
Law for Humankind — Towards a New Jus Gentium, 1 réd., Leyde/La Haye, Martinus
Nijhoff/Académie de droit international de La Haye, 2010, chap. VI, p. 139-161.

15

4 CIJ1043.indb 67 11/04/14 10:58 178 certain activities (fsep. op. cançado trindafde)

inherent to it, and there are always “superior principles of justice”f to be
kept in mind . 15
17. The proper handling of international procedure is thus endowed

with particular relevance. After all, we are here confronted with common
sense, which often appears to be the least common of all senses. As to
such proper handling of international procedure, for the sake of the reafl -

ization of justice, M. Bourquin deemed it fit to warn that

“The quality of procedures is undoubtedly a factor which must be
taken into account. The right procedure helps resolve any difficulties.f
The wrong procedure, on the other hand, does more harm than good.

However, a mechanism, even one that is exceptionally well designed,
cannot of itself suffice to resolve such an issue. What is required abofve
all here is a certain mindset, one from which we seem, unfortunately,

to be far removed. What is required is calm reason ; in other words,
that simple yet rare thing called common sense.” 16

18. An international tribunal such as the ICJ has the “inherent power”f
to take motu propio the measures necessary to secure the sound adminis -

tration of justice. In doing so, ex officio, the Court is exercising its compé‑
tence de la compétence, a prerogative which is “essentially inherent in its
judicial function” 17. International legal procedure has a specificity and a

dynamics of its own, and general principles of law applicable therein arfe
not to be assumed to be identical, in operation, to those sedimented in f
national legal systems 1. Positivists, anyway, do not feel at ease with gen -

eral principles of law ; they thus keep on trying, repetitiously and in vain,
to minimize their presence and relevance.

VI. The Sound Administratiofn of Justice
and the Procedural Equaflity of the Parties

19. The sound administration of justice (la bonne administration de la
justice) is not an isolated illustration of the kind — of the incidence and

relevance of a general principle. Other such examples could be recalled,

15 M. Bourquin, “Stabilité et mouvement dans l’ordre juridique internfational”, 64 Recueil
des cours de l’Académie de droit international de La Haye (1938), pp. 371, 408 and 422.
16 Ibid., p. 472.
17
M. Kawano, “The Administration of Justice by the International Court of f
Justice and the Parties”, Multiculturalism and International Law — Essays in Honour of
Edward McWhinney (eds. Sienho Yee and J.-Y. Morin), Leiden, Martinus Nijhoff, 2009,
pp. 298-299, and cf. pp. 286 and 293-294.
18 A word of caution has been uttered as to such an analogy ;cf., e.g., H. von Mangoldt,
“La comparaison des systèmes de droit comme moyen d’élaboratfion de la procédure des
tribunaux internationaux”, 40 Zeitschrift für ausländisches öffentliches Recht und Völker ‑
recht (1980), pp. 554-572.

16

4 CIJ1043.indb 68 11/04/14 10:58 certaines activitésf (op. ind. cançado trindfade) 178

nécessairement une certaine part de créativité, et doit toujourfs tenir
compte des « principes supérieurs de justice » . 15
17. Savoir veiller au bon déroulement de la procédure internationale

revêt donc une importance particulière. Il s’agit après toutf d’une question
de sens commun, encore que le sens commun semble souvent être le moinfs
commun de tous. S’agissant de cette question du bon déroulement def la

procédure internationale en vue de la réalisation de la justice, Mf. Bour -
quin estima nécessaire d’émettre cette mise en garde :

«La qualité des procédures constitue certainement un facteur dont ifl
faut tenir compte. Une bonne procédure facilite la solution des diffifcul -
tés. Une mauvaise procédure fait, en revanche, plus de mal que de bien.

Mais ce n’est pas un mécanisme, même admirablement agencé, qfui
pourrait régler à lui seul une pareille matière. Ce qu’il fafut ici, par-
dessus tout, c’est un certain état d’esprit, dont nous paraissons malheu -

reusement assez éloignés. Ce qu’il faut, c’est le calme de lfa raiso;nc’est
cette chose si simple et pourtant si rare qu’on appelle le bon sens.» 16

18. Une juridiction internationale telle que la Cour a le « pouvoir inhé-
rent» de prendre de son propre chef les mesures nécessaires pour assurfer la

bonne administration de la justice. Ce faisant, la Cour exerce ex officio sa
compétence de la compétence, une prérogative qui est « essentiellement
inhérente à sa fonction judiciaire» 1. La procédure judiciaire internationale

présente certaines spécificités et obéit à sa propre dyfnamique, et les prin -
cipes généraux du droit qui s’appliquent dans ce contexte ne safuraient être
assimilés, dans leur mode de fonctionnement, à ceux qui se sont façonnés
18
dans les systèmes juridiques internes . Or, les positivistes ne sont guère à
l’aise avec les principes généraux du droit ; aussi tentent-ils sans cesse, de
manière vaine et obstinée, d’en amoindrir la présence et l’fimportance.

VI. La bonne administratifon de la justice
et l’égalité procédurfale entre les partiesf

19. La bonne administration de la justice n’est pas un cas unique en
son genre — d’autres exemples illustrent l’incidence et l’importance df’un

principe général. Je songe notamment à la maxime audiatur et altera pars

15 M. Bourquin, «Stabilité et mouvement dans l’ordre juridique international »,Recueil
des cours de l’Académie de droit international de La Haye, vol. 64 (1938), p. 371, 408 et 422.
16 Ibid., p. 472.
17
M. Kawano, « The Administration of Justice by the International Court of
Justice and the Parties », Multiculturalism and International Law — Essays in Honour of
Edward McWhinney (Sienho Yee et J.-Y. Morin, dir. publ.), Leyde, Martinus Nijhoff,
2009, p. 298-299; voir également p. 286 et 293-294.
18 Quant aux dangers d’une telle analogie, voir par exemple H. von Mangoldt, « La
comparaison des systèmes de droit comme moyen d’élaboration de la procédure des tribu -
naux internationaux », Zeitschrift für ausländisches öffentliches Recht und Völkerr▯echt,
vol. 40 (1980), p. 554-572.

16

4 CIJ1043.indb 69 11/04/14 10:58 179 certain activities (fsep. op. cançado trindafde)

such as, inter alia, that of the maxim audiatur et altera pars (or audi
alteram partem), which gave expression to the general principle of law
providing for procedural equality between the contending parties in the
course of judicial proceedings 1. Another principle, of international pro -
cedural law, is that of jura novit curia : originated in Roman law (civil

procedure, as from the seventeenth century), it acknowledges the freedom
and autonomy of the judge in searching for and determining the law
applicable to a given dispute, without being restrained by the arguments
of the parties. The examples abound.
20. In my perception, the presence of the idea of justice, guiding the

sound administration of justice, is ineluctable. Not seldom the text of fthe
Court’s interna corporis does not suffice ; in order to impart justice, in
circumstances of this kind, an international tribunal such as the ICJ is
guided by the prima principia. To attempt to offer a definition of the

sound administration of justice that would encompass all possible situa -
tions that could arise would be far too pretentious, and fruitless. An efnd-
less diversity of situations may be faced by the ICJ, leading it — in its
pursuit of the realization of justice — to deem it fit to have recourse to the
principle of the sound administration of justice (la bonne administration

de la justice) ; this general principle, in sum, finds application in the most
diverse circumstances.
21. Moving from the general to the particular, the incidence or appli -
cation of this general principle has enabled international tribunals to f

secure the procedural equality of the contending parties. The ICJ has, on
successive occasions, expressed its concern as to the need to secure such
procedural equality. Thus, in its most recent Advisory Opinion, of 1 Feb -
ruary 2012, on the Judgment No. 2867 of the Administrative Tribunal of
the International Labour Organization upon a Complaint Filed against the

International Fund for Agricultural Development, the ICJ insisted on “the
right to equality in the proceedings” (I.C.J. Reports 2012 (I), p. 24,
para. 30), on “the principle of equality before the Court” as “a central
aspect of the good administration of justice” (ibid., pp. 25 and 29,
paras. 35 and 44), on “equality of access” to justice (ibid., pp. 26-27, 29

and 31, paras. 37, 39, 43 and 48), on “the concept of equality before
courts and tribunals” (ibid., pp. 26-27, paras. 38 and 40), on the guaran -
tee of “equal access and equality of arms” (ibid., p. 27, para. 39), on “the
principle of equality in the proceedings before the Court, required by its

inherent judicial character and by the good administration of justice”
(ibid., p. 30, para. 47).
22. In my separate opinion (ibid., pp. 81-93, paras. 82-118) appended
to this recent Advisory Opinion of the ICJ of 2012, I have dwelt in deptfh
upon the imperative of securing the equality of the parties in the interfna -

tional legal process. Earlier on, the Court itself related the “princfiple of
procedural fairness” to the “sound administration of justice” (fcase con -

19Bin Cheng, General Principles of Law as Applied by International Courts and Tribu ‑

nals, London, Stevens, 1953, p. 291.

17

4 CIJ1043.indb 70 11/04/14 10:58 certaines activitésf (op. ind. cançado trindfade) 179

(ou audi alteram partem), qui exprime le principe général de droit pré -
voyant l’égalité procédurale entre les parties en litige au cours de la procé-
dure judiciaire . Le principe jura novit curia valant en droit international
procédural constitue un autre exemple : selon ce principe né en droit

romain (eteplus précisément, en matière de procédure civilef,
au XVII siècle), le juge est libre et autonome dans sa recherche et sa
détermination du droit applicable à un différend donné ; il n’a donc pas à
s’en tenir aux arguments des parties. Les exemples sont légion.

20. A mon sens, une bonne administration de la justice ne peut que se
fonder sur la présence, immanente, de l’idée de justice. Il n’fest pas rare
que le texte de l’instrument constitutif d’une juridiction ne suffifse pas à
guider son action ; pour rendre la justice en pareilles circonstances, une

juridiction internationale telle que la Cour doit se référer aux prima prin ‑
cipia. Tenter d’offrir une définition de la bonne administration de la jus -
tice qui envisage toutes les situations possibles serait à la fois vafin et
présomptueux. Des situations d’une infinie diversité peuvent fse présenter

à la Cour, et la conduire — dans sa quête de la réalisation de la justice —
à se référer au principe de la bonne administration de la justifce ; car c’est
en effet un principe général qui, en somme, trouve à s’appliquer dans les
circonstances les plus variées.

21. Pour en venir du général au particulier, notons que l’incidence ou
l’application de ce principe général a permis à des juridictfions internatio -
nales d’assurer l’égalité procédurale entre les parties en litige. La Cour a,
à plusieurs reprises, manifesté le souci d’assurer cette égaflité procédurale.
Ainsi, dans son dernier avis consultatif, qu’elle a rendu le 1 erfévrier 2012
o
au sujet du Jugement n 2867 du Tribunal administratif de l’Organisation
internationale du Travail sur requête contre le Fonds international d▯e déve ‑
loppement agricole, la Cour a mis l’accent sur « le droit à l’égalité … dans
la procédure» (C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 24, par. 30), sur « le principe de

l’égalité devant [elle] » en tant qu’« élément primordial de la bonne admi -
nistration de la justice » (ibid., p. 25 et 29, par. 35 et 44), sur « l’égalité
d’accès» à la justice (ibid., p. 26-27, 29 et 31, par. 37, 39, 43 et 48), sur « la
notion d’égalité devant les cours et tribunaux » (ibid., p. 26-27, par. 38

et 40), sur la nécessité de garantir « l’égalité d’accès et l’égalité des armes »
(ibid., p. 27, par. 39), et sur le respect du « principe de l’égalité devant elle
dans la procédure, ainsi que l’exigent sa qualité d’organe jfudiciaire et la
bonne administration de la justice » (ibid., p. 30, par. 47).

22. Dans l’opinion individuelle (ibid., p. 81-93, par. 82-118) que j’ai
jointe à ce récent avis consultatif de 2012, j’ai amplement examiné l’impé -
ratif d’assurer l’égalité entre les parties dans le cadre defs procédures judi-
ciaires internationales. Quelques années auparavant, la Cour avait elfle-

même rattaché le « principe du contradictoire » à la « bonne administra-

19 Bin Cheng, General Principles of Law as Applied by International Courts and Tribu ‑
nals, Londres, Stevens, 1953, p. 291.

17

4 CIJ1043.indb 71 11/04/14 10:58 180 certain activities (fsep. op. cançado trindafde)

cerning the Legality of Use of Force (Serbia and Montenegro v. Belgium),
Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2004 (I), p. 325,

para. 116). Almost two decades earlier, the ICJ stated that “the equality
of the parties to the dispute must remain the basic principle for the Cofurt”
(Military and Paramilitary Activities in and against Nicaragua (Nicaragu▯a
v. United States of America), Merits, Judgment, I.C.J. Reports 1986,
p. 26, para. 31). The ICJ again stressed the relevance of “the principle of

equality of the parties” in its Advisory Opinion of 20 July 1982, regarding
an Application for Review of Judgement No. 273 of the United Nations
Administrative Tribunal (I.C.J. Reports 1982, pp. 338-340 and 365-366,
paras. 29-32 and 79).
23. Three decades earlier, the ICJ had again relied upon that principle

in its Advisory Opinion of 23 October 1956 on Judgments of the Adminis ‑
trative Tribunal of the ILO upon Complaints Made against Unesco (I.C.J.
Reports 1956, pp. 85-86) ; on that occasion, the Court stated, in a rather
clumsy way, that the “principle of equality of the parties follows frfom the
requirements of good administration of justice” (ibid., p. 86). The Court,

in my understanding, would have been more precise had it stated that thef
principle of equality of the parties orients or guides the requirements of
good administration of justice. Principles (prima principia) stand higher
than rules or requirements, and orient them.

VII. Epilogue: Final Considerationsf

24. In its Order of joinder of the proceedings in the present case con -
cerning Certain Activities Carried Out by Nicaragua in the Border Area

(Costa Rica v. Nicaragua) with those in the case concerning Construction
of a Road in Costa Rica along the San Juan River (Nicaragua v.
Costa Rica), the ICJ has taken into due account that

“The two cases here concerned involve the same Parties and relate
to the area where the common border between them runs along the
right bank of the San Juan River.
Both cases are based on facts relating to works being carried out in,

along, or in close proximity to the San Juan River, namely the dredg -
ing of the river by Nicaragua and the construction of a road along its
right bank by Costa Rica. Both sets of proceedings are about the effect
of the aforementioned works on the local environment and on the free
navigation on, and access to, the San Juan River. In this regard, both

Parties refer to the risk of sedimentation of the San Juan River.

In the present case and in the Nicaragua v. Costa Rica case, the
Parties make reference, in addition, to the harmful environmental
effect of the works in and along the San Juan River on the fragile

fluvial ecosystem (including protected nature preserves in and along f
the river).

18

4 CIJ1043.indb 72 11/04/14 10:58 certaines activitésf (op. ind. cançado trindfade) 180

tion de la justice » (affaire relative à la Licéité de l’emploi de la force

(Serbie‑et‑Monténégro c. Belgique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.
Recueil 2004 (I), p. 325, par. 116). Près de vingt ans plus tôt, elle avait
déclaré que « le principe de l’égalité des parties au différend rest[aitf] pour
elle fondamental » (affaire des Activités militaires et paramilitaires au
Nicaragua et contre celui‑ci (Nicaragua c. Etats‑Unis d’Amérique), fond,

arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 26, par. 31). La Cour souligna également
l’importance du « principe d’égalité entre les parties » dans son avis
consultatif du 20 juillet 1982 relatif à une Demande de réformation du
jugement n o 273 du Tribunal administratif des Nations Unies (C.I.J. Recueil

1982, p. 338-340 et 365-366, par. 29-32 et 79).
23. Trente ans plus tôt encore, la Cour s’était déjà réféfrée à ce principe
dans son avis consultatif du 23 octobre 1956 relatif à des Jugements du
Tribunal administratif de l’OIT sur requêtes contre l’Unesco (C.I.J. Recueil
1956, p. 85-86) ; elle avait alors déclaré, de façon quelque peu impropre,

que le « principe de l’égalité entre les parties découl[ait] des exigfences
d’une bonne administration de la justice» (ibid., p. 86). Selon moi, il serait
plus approprié de dire que ce sont les exigences d’une bonne adminfistra -
tion de la justice qui découlent du principe de l’égalité enftre les parties.
Les principes (prima principia) priment sur les règles et autres critères,

lesquels doivent leur obéir.

VII. Épilogue: considérations finafles

24. Dans son ordonnance portant jonction de l’instance en la présente
affaire relative à Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région
frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) à l’instance en l’affaire relative à la
Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicara ‑

gua c. Costa Rica), la Cour a dûment tenu compte des éléments suivants :
«Les deux affaires dont il s’agit ici opposent les mêmes Parties fet

portent sur la zone où la frontière commune entre celles-ci suit lfa rive
droite du fleuve San Juan.
Elles sont l’une et l’autre fondées sur des faits en rapport avfec des
travaux exécutés sur le San Juan, le long de ce fleuve ou à proximité

immédiate de celui-ci, le Nicaragua se livrant à des activités fde dragage
du fleuve et le Costa Rica ayant entrepris de construire une route le long
de sa rive droite. Les deux instances ont pour objet les conséquencesf de
ces travaux pour la liberté de navigation sur le San Juan et leur incidence
sur l’environnement local et l’accès au fleuve. A cet égarfd, les Parties

font l’une et l’autre état d’un risque de sédimentation dfu San Juan.
Dans la présente affaire comme dans l’affaire Nicaragua c. Costa Rica,
les Parties mettent par ailleurs en avant les conséquences néfastefs qu’au-
raient les travaux menés sur le San Juan ou le long de sa rive pour l’éc -o
système fragile du fleuve (qui comprend des réserves naturellesf protégées).

18

4 CIJ1043.indb 73 11/04/14 10:58 181 certain activities (fsep. op. cançado trindafde)

In both cases, the Parties refer to violations of the 1858 Treaty of
Limits, the Cleveland Award, the Alexander Awards and the

Ramsar Convention.
A decision to join the proceedings will allow the Court to address
simultaneously the totality of the various interrelated and contested
issues raised by the Parties. (. . .)” (Paras. 19-23.)

25. Such is the ratio decidendi of the present decision of the Court. Its
foundations lie in the realm of principles, as I have endeavoured to demf -

onstrate in the present separate opinion. The Kompetenz Kompetenz/la
compétence de la compétence of an international tribunal such as the ICJ
is inherent to its exercise of the international judicial function. The fICJ
and its predecessor, the PCIJ, have both effected joinders avant la lettre,

even in the absence (before 1978) of a provision to that effect in their
interna corporis. The idea of justice guides the sound administration of
justice, as manifested, e.g., in decisions aiming at securing the procedural

equality of the contending parties.

26. General principles of law have always marked presence in the pur -
suit of the realization of justice. In my understanding, they comprise nfot
20
only those principles acknowledged in national legal systems , but like-
wise the general principles of international law. They have been repeat -
edly reaffirmed, time and time again, and — even if regrettably neglected
by segments of contemporary legal doctrine — they retain their full valid -

ity in our days. An international tribunal like the ICJ has consistentlyf had
recourse to them in its jurisprudence constante. Despite the characteristic
attitude of legal positivism to attempt, in vain, to minimize their rolef, the
truth remains that, without principles, there is no legal system at all,f at

either national or international level.

27. General principles of law inform and conform the norms and rules
of legal systems. In my understanding, sedimented along the years, gen -

eral principles of law form the substratum of the national and interna -
tional legal orders, they are indispensable (forming the jus necessarium,
going well beyond the mere jus voluntarium), and they give expression to
the idea of an objective justice (proper of jusnaturalist thinking), of uni -

versal scope. Last but not least, it is the general principles of law thfat
inspire the interpretation and application of legal norms, and also the f
law-making process itself 21. In the present case concerning Certain Activ ‑

ities Carried Out by Nicaragua in the Border Area (Costa Rica v. Nicara‑

20
Cf. H. Mosler, “To What Extent Does the Variety of Legal Systems of the World
Influence the Application of the General Principles of Law within the fMeaning of
Article 38 (1) (c) of the Statute of the International Court of JusInternational Law
and the Grotian Heritage (Hague Colloquium of 1983), The Hague, T. M. C. Asser Insti -
tuut, 1985, pp. 173-185.
21A. A. Cançado Trindade, International Law for Humankind : Towards a New Jus
Gentium, op. cit. supra note 14, Chap. III, pp. 85-121, esp. pp. 90-92.

19

4 CIJ1043.indb 74 11/04/14 10:58 certaines activitésf (op. ind. cançado trindfade) 181

Dans les deux affaires, les Parties font état de violations du traifté
de limites de 1858, de la sentence Cleveland, des sentences Alexander

et de la convention de Ramsar.
Une décision de joindre ces instances permettrait à la Cour d’exa -
miner simultanément la totalité des différents points en litifge entre les
Parties, qui sont liés les uns aux autres… » (Par. 19-23.)

25. Telle est la ratio decidendi de la présente décision de la Cour. Les
fondements de cette décision résident dans le domaine des principefs,

comme j’ai tâché de le démontrer dans la présente opinionf individuelle.
La compétence de la compétence (Kompetenz Kompetenz) d’une juridic -
tion internationale telle que la Cour est inhérente à l’exercicfe de sa fonc -
tion judiciaire internationale. La Cour et sa devancière, la Cour per -

manente, ont l’une et l’autre ordonné des jonctions avant la lefttre, même
en l’absence (avant 1978) d’une disposition en ce sens dans leur instru -
ment constitutif. L’idée de justice préside à la bonne adminfistration de la

justice, comme en témoignent par exemple les décisions prises en vfue d’as -
surer l’égalité procédurale entre les parties en litige.
26. Les principes généraux du droit manifestent invariablement leur
présence dans la réalisation de la justice. De mon point de vue, ifls com -

prennent non seule20nt les principes reconnus dans les systèmes juri -
diques internes , mais aussi les principes généraux du droit international.
Ils ont été réaffirmés maintes et maintes fois et, même fs’ils sont malheu -
reusement négligés dans certains pans de la doctrine juridique conftempo-

raine, ils demeurent pleinement d’actualité. La Cour elle-même fn’a pas
laissé de s’y référer dans une jurisprudence constante à fcet égard. Les
partisans du positivisme juridique ont beau, fidèles à eux-mêfmes, s’effor -
cer d’en amoindrir le rôle, le fait est que nul système juridiqfue ne peut

exister sans principes, que ce soit au niveau national ou à l’éfchelle inter -
nationale.
27. Les principes généraux du droit inspirent et façonnent les normfes
et les règles des systèmes juridiques. Ces principes, qui se sont fétablis au

fil des ans, forment selon moi le substrat de tout ordre juridique, naftional
ou international ; indispensables (en tant que jus necessarium, allant bien
au-delà du simple jus voluntarium), ils expriment l’idée d’une justice objec ‑
tive (propre à la pensée jusnaturaliste), de caractère universel. fEnfin, et ce

n’est pas le moins important, ce sont les principes généraux duf droit qui
inspirent non seulement l’interprétation et l’application des normes juri -
diques, mais aussi leur élaboration même 21. Dans la présente affaire rela -

tive à Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région fron▯talière

20
Voir H. Mosler, « To What Extent Does the Variety of Legal Systems of the
World Influence the Application of the General Principles of Law withifn the Meaning of
Article 38 (1) (c) of the Statute of the International Court of Justice », International Law
and the Grotian Heritage (colloque de La Haye de 1983), La Haye, T. M. C. Asser Inst-
tuut, 1985, p. 173-185.
21 A. A. Cançado Trindade, International Law for Humankind — Towards a New Jus
Gentium, op. cit. supra note 14, chap. III, p. 85-121, et en particulier p. 90-92.

19

4 CIJ1043.indb 75 11/04/14 10:58 182 certain activities (fsep. op. cançado trindafde)

gua), the ICJ has relied on the provision on joinder of Article 47 of the
Rules of Court, and has significantly acknowledged that the joinder it has
effected was in accordance with the principle of the sound administratfion
22
of justice (la bonne administration de la justice) .

(Signed) Antônio Augusto Cançado Trindade.

22Paras. 18 and 24.

20

4 CIJ1043.indb 76 11/04/14 10:58 certaines activitésf (op. ind. cançado trindfade) 182

(Costa Rica c. Nicaragua), la Cour s’est prévalue de la disposition rela -
tive à la jonction qui figure à l’article 47 de son Règlement et, de manière
significative, elle a reconnu que la jonction ainsi décidée éftait conforme
22
au principe de la bonne administration de la justice .

(Signé) Antônio Augusto Cançado Trindade.

22 Par. 18 et 24.

20

4 CIJ1043.indb 77 11/04/14 10:58

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Opinion individuelle de M. le juge Cançado Trindade

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