Opinion individuelle de M. Schwebel, président (traduction)

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104-19990303-ORD-01-02-EN
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104-19990303-ORD-01-00-EN
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OPINION INDIVIDUELLE DE M. SCHWEBEL, PRESIDENT

[Traduction]

L'ordonnance portant indication de mesures conservatoires, rendue ce
jour, est sans précédent.Il està espérer qu'elle nefera pas jurisprudence,
car elle dérogedans une mesure décisive a une règlefondamentale de la
procédurejudiciaire. Elle a étérendue sur la base des vues d'une Partie
sans que l'autre ait été entendue. Sans précédente ,lle l'est un autre

égard, puisque c'est la première affaire en laquelle la Cour rend une
ordonnance d'office, enapplication du paragraphe 1de l'article 75de son
Règlement, qui dispose que:
((1. La Cour peut à tout moment déciderd'examiner d'office si

les circonstances de l'affaire exigent l'indication de mesures conser-
vatoires que les parties ou l'une d'elles devraient prendre ou exé-
cuter.»
II resteà savoir si la Cour a appliqué correctement ces dispositions.

Celles-civeulent que la Cour puisse agir d'officelorsqu'une partie n'a pas
présentédedemande en indication de mesures conservatoires. En I'espèce,
toutefois, la Cour n'examine l'affaire qu'enraison de la requêteintroduc-
tive d'instance de l'Allemagne et de sa demande en indication de mesures
conservatoires. Aux termes de l'article 74 du Règlement, lorsqu'une par-
tie présente une telledemande, la Cour ouvre une ((procédureorale de
manière à donner aux parties la possibilité de s'y faire représenter».
Aucune procédure orale de la sorte n'a été engagéeo ,rganiséeou envi-
sagée en la présenteinstance.
En vertu du paragraphe 1 de I'article 75, la Cour peut rendre une

ordonnance indiquant des mesures conservatoires sans donner aux parties
la possibilitéde se faire entendre. C'est làun pouvoir extraordinaire dont
il convient d'user avec la plusgrande circonspection. Peut-êtrey aurait-il
lieu de se demander si, pendente lite ,es limites doivent êtreapportées
par la Cour à la liberté d'agir d7Etats souverains, sans que leur soit
donnéela possibilitéd'êtreentendus. Mais si de telles limites doivent être
apportées dans des circonstances extrêmes,la Cour doit alors agir en
stricte conformité avec son Règlement.Ce Règlement n'envisagepas que
la Cour agisse ainsi, lorsqu'une partie l'Allemagneen I'espèce - a pré-
sentéune demande en indication de mesures conservatoires.

De plus, la Cour s'estfondée uniquementsur la requêtede l'Allemagne.
Elle ne dispose d'aucune autre pièce,d'aucune autre base pour I'indica-
tion de mesures conservatoires. Une telle façon d'agir est-elle conforme
aux règlesfondamentales de l'égalité des parties en matière procédurale?
Mes doutes se trouvent confirméspar la lecture de l'ouvrage quicons-
titue la principale autorité dans ce domaine: lnterim Measur.es in theHague Court (1983).dont l'auteur est Jerzy Sztucki. Le professeur Sztucki
conclut que la Cour «en l'absence de toute demande d'indication de
mesures conservatoires))peut indiquer d'officede telles mesures.l ajoute
que seule une hypothèse de ce type ((correspond à la notion d'action
d'officeau sens du paragraphe 1de l'article 75du Règlementen vigueur))
et il arrive cette conclusion au terme d'un examen minutieux des ver-
sions précédentesdu Règlement de la Cour et des travaux préparatoires
pertinents de toutes les versions (p. 158). Or, en l'espèce, laCour a été
saisie d'une telle demande, et c'est sur la base des termes de la requête

introductive d'instance présentéesimultanément par l'Allemagne que la
Cour a agi - sans avoir accordé aux Etats-Unis la possibilité d'être
entendus ou de présenter desobservations écrites.
L'Allemagne aurait pu présenter sarequêtedes années,des mois, des
semaines, voire quelques jours plus tôt. L'eût-elle fait, la Cour eut pu
procéder comme elle le fait depuis 1922 et tenir des audiences sur la
demande en indication de mesures conservatoires. Mais l'Allemagne a
attendu la veille de l'exécutionpour présenter sa requêteet sa demande
en indication de mesures conservatoires, en faisant valoir par la même
occasion que la Cour n'avait plus le temps d'entendre les Etats-Unis et
devrait agir d'office.
Je ne m'oppose pas A l'ordonnance de la Cour sur le fond, et je n'ai
donc pas votécontre elle. J'émetstoutefois de profondes réservesquant à
la manière de procédertant de la Partie requérante que de la Cour.

(Signé) Stephen M. SCHWEBEL.

Bilingual Content

SEPARATE OPINION OF PRESIDENT SCHWEBEL

The issuance of today's Order indicating provisional measures is un-
precedented. It is to be hoped that it will not form a precedent, for it
departs in critical measure from a basic rule of the judicial process. The
Order has been issued on the basis of one party's views, without hearing
the other. It is unprecedented in a further respect asell, for it is the first
case in which the Court has issued an Order on its own motion, pursuant
to Article 75, paragraph 1, of the Rules of Court providing that:

"1. The Court may at any time decide to examine proprio motu
whether the circumstances of the case require the indication of pro-
visional measures which ought to be taken or complied with by any
or al1of the parties."
Whether the Court has acted in correct application of that Rule is open

to question. The Rule assumes that the Court may act on its own motion
where a party has not made a request for the indication of provisional
measures. But the Court's consideration of the matter in this case has
only been provoked by Germany's Application and its request for provi-
sional measures. Article 74 of the Rules provides that, where a party
makes such a request, the Court shall arrange "a hearing which will
afford the parties an opportunity of being represented at it". No such
hearings have been held, arranged or contemplated in the current case.

Under Article 75, paragraph 1,the Court may issue an order of provi-
sional measures without giving the parties the opportunity to be heard.
That is an extraordinary power, to be exercised with the utmost caution.
There may be room to question whether sovereign States should be sub-

jected to the Court's restraints pendente lite without giving them the
opportunity to be heard. But if in extreme circumstances they are to be so
subject, then the Court should act in meticulous conformity with its
Rules. Its Rules do not contemplate it so acting where a party has - as
Germany here - made a request for the indication of provisional
measures.

Moreover, the Court has done so on the basis only of Germany's
Application. It has no other pleading, no other basis for the indication of
provisional measures, before it. 1sproceeding in this way consistent with
fundamental rules of the procedural equality of the parties?
My doubts are confirmed by a reading of the most authoritative work
in the field.Jerzy Sztucki'sIntrrim Measures in The Hague Court (1983). OPINION INDIVIDUELLE DE M. SCHWEBEL, PRESIDENT

[Traduction]

L'ordonnance portant indication de mesures conservatoires, rendue ce
jour, est sans précédent.Il està espérer qu'elle nefera pas jurisprudence,
car elle dérogedans une mesure décisive a une règlefondamentale de la
procédurejudiciaire. Elle a étérendue sur la base des vues d'une Partie
sans que l'autre ait été entendue. Sans précédente ,lle l'est un autre

égard, puisque c'est la première affaire en laquelle la Cour rend une
ordonnance d'office, enapplication du paragraphe 1de l'article 75de son
Règlement, qui dispose que:
((1. La Cour peut à tout moment déciderd'examiner d'office si

les circonstances de l'affaire exigent l'indication de mesures conser-
vatoires que les parties ou l'une d'elles devraient prendre ou exé-
cuter.»
II resteà savoir si la Cour a appliqué correctement ces dispositions.

Celles-civeulent que la Cour puisse agir d'officelorsqu'une partie n'a pas
présentédedemande en indication de mesures conservatoires. En I'espèce,
toutefois, la Cour n'examine l'affaire qu'enraison de la requêteintroduc-
tive d'instance de l'Allemagne et de sa demande en indication de mesures
conservatoires. Aux termes de l'article 74 du Règlement, lorsqu'une par-
tie présente une telledemande, la Cour ouvre une ((procédureorale de
manière à donner aux parties la possibilité de s'y faire représenter».
Aucune procédure orale de la sorte n'a été engagéeo ,rganiséeou envi-
sagée en la présenteinstance.
En vertu du paragraphe 1 de I'article 75, la Cour peut rendre une

ordonnance indiquant des mesures conservatoires sans donner aux parties
la possibilitéde se faire entendre. C'est làun pouvoir extraordinaire dont
il convient d'user avec la plusgrande circonspection. Peut-êtrey aurait-il
lieu de se demander si, pendente lite ,es limites doivent êtreapportées
par la Cour à la liberté d'agir d7Etats souverains, sans que leur soit
donnéela possibilitéd'êtreentendus. Mais si de telles limites doivent être
apportées dans des circonstances extrêmes,la Cour doit alors agir en
stricte conformité avec son Règlement.Ce Règlement n'envisagepas que
la Cour agisse ainsi, lorsqu'une partie l'Allemagneen I'espèce - a pré-
sentéune demande en indication de mesures conservatoires.

De plus, la Cour s'estfondée uniquementsur la requêtede l'Allemagne.
Elle ne dispose d'aucune autre pièce,d'aucune autre base pour I'indica-
tion de mesures conservatoires. Une telle façon d'agir est-elle conforme
aux règlesfondamentales de l'égalité des parties en matière procédurale?
Mes doutes se trouvent confirméspar la lecture de l'ouvrage quicons-
titue la principale autorité dans ce domaine: lnterim Measur.es in theProfessor Sztucki concludes that the Court may indicate provisional
measures proprio motu "without any request for interim measures". He
adds that only such a case "qualifies as an action proprio motu in the
meaning of Article 75 (1) of the present Rules", and he reaches that con-
clusion after a careful examination of prior versions of the Rules of
Court and the pertinent travaux préparatoires of al1 versions (at
page 158.)But in this case, the Court has had such a request, and it is on

the basis of the contents of Germany's accompanying Application that
the Court has acted - al1without affording the United States a hearing
or the opportunity to present written observations.

Germany could have brought its Application years ago, months ago,
weeks ago, or days ago. Had it done so, the Court could have proceeded
as it has proceeded since 1922and held hearings on the request for pro-
visional measures. But Germany waited until the eve of execution and
then brought its Application and request for provisional measures, at the
same time arguing that no time remained to hear the United States and
that the Court should act proprio motu.

1do not oppose the substance of the Court's Order, and accordingly

have not voted against it. 1 have profound reservations about the pro-
cedures followed both by the Applicant and the Court.

(Signed) Stephen M. SCHWEBEL.Hague Court (1983).dont l'auteur est Jerzy Sztucki. Le professeur Sztucki
conclut que la Cour «en l'absence de toute demande d'indication de
mesures conservatoires))peut indiquer d'officede telles mesures.l ajoute
que seule une hypothèse de ce type ((correspond à la notion d'action
d'officeau sens du paragraphe 1de l'article 75du Règlementen vigueur))
et il arrive cette conclusion au terme d'un examen minutieux des ver-
sions précédentesdu Règlement de la Cour et des travaux préparatoires
pertinents de toutes les versions (p. 158). Or, en l'espèce, laCour a été
saisie d'une telle demande, et c'est sur la base des termes de la requête

introductive d'instance présentéesimultanément par l'Allemagne que la
Cour a agi - sans avoir accordé aux Etats-Unis la possibilité d'être
entendus ou de présenter desobservations écrites.
L'Allemagne aurait pu présenter sarequêtedes années,des mois, des
semaines, voire quelques jours plus tôt. L'eût-elle fait, la Cour eut pu
procéder comme elle le fait depuis 1922 et tenir des audiences sur la
demande en indication de mesures conservatoires. Mais l'Allemagne a
attendu la veille de l'exécutionpour présenter sa requêteet sa demande
en indication de mesures conservatoires, en faisant valoir par la même
occasion que la Cour n'avait plus le temps d'entendre les Etats-Unis et
devrait agir d'office.
Je ne m'oppose pas A l'ordonnance de la Cour sur le fond, et je n'ai
donc pas votécontre elle. J'émetstoutefois de profondes réservesquant à
la manière de procédertant de la Partie requérante que de la Cour.

(Signé) Stephen M. SCHWEBEL.

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Opinion individuelle de M. Schwebel, président (traduction)

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