Opinion individuelle de M. Ajibola (traduction)

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094-19960315-ORD-01-07-EN
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OPINION INDIVIDUELLE DE M. AJIBOLA

[Traduction]

Pages

1. INTRODUCTION 36
II. LESFAITS EN LITIGE 37
III. LESCONDITIONS ET LES MOYENS JURIDIQUES DE L'INDICATION DE MESURES
CONSERVATOIRES 43

A. Compétenceprima facie 43
B. Urgence 46
IV. LES MESURES DEMANDÉES PAR LE CAMEROU NT LE FONDEMENT JURl-
DIQUE DE L'INDICATION DE MESURES CONSERVATOIRES 47

i) Le pouvoir discrétionnaire de la Cour 48
ii) Préjugerde la question 48
iii) Sauvegarder les droits respectifs desparties en attendant le juge-
ment définitif enl'espèce 49
iv) Sauvegarde des droits et non-aggravation des différends 50

v) Dommage ou préjudiceirréparable 53
vi) Préservation des élémense preuve 54
V. VEXERCIC PAR LA COUR DE SES POUVOIRS EN VERTU DE L'ARTIC75
DU RÈGLEMENT 55

VI. CONCLUSION 56 FRONTIÈRE TERRESTRE ET MARITIME (OP.IND.AJIBOLA) 36

Aprèsun examen attentif de la situation actuelle dans la presqu'île de
Bakassi, qui fait partie de la zone en litige entre le Cameroun et le Nigé-
ria, j'accepte de voter pour le premier alinéadu dispositif de l'ordon-
nance de la Cour indiquant des mesures conservatoires en l'espèce.Je suis
convaincu que c'est cequ'il faut faire en la circonstance, conformément
aux articles pertinents du Statut et du Règlement de la Cour et selon sa

jurisprudence. La présenteordonnance est rendue indépendamment de la
demande du Cameroun, la Cour, dans sa sagesse, s'étantfondéesur le
paragraphe 2 de l'article 75 de son Règlement pour indiquer cette pre-
mière mesure.
Cela étant,je suis au regret de dire que je neeux pas approuver les
quatre autres mesures indiquéespar la Cour ni leur apporter mon suf-
frage, etje tiens dire pourquoi dans la présenteopinion. Le recours aux
forces arméesdans la presqu'îlede Bakassi a créé unesituation de fait. Le
Cameroun dit que le Nigériaa attaqué; le Nigériadit que c'est le Came-
roun qui est l'agresseur; le Cameroun donne des détails;le Nigéria aussi.
Dans ces conditions et à ce stade, la Cour n'est pas en mesure de déter-
miner de manière concluante qui est responsable, mais elle a le devoir

essentiel de préserver la paix.Les Parties reconnaissent toutefois l'une et
l'autre que des incidents armésse sont produits le 3 février ainsique les
16et 17février1996.Il semble donc que la Cour se doive, conformément
au droit international, d'exprimer sa préoccupationau regard de la situa-
tion en attendant que l'affaire soit tranchée,et d'ordonner que les deux
Parties
((veillent évitertout acte, et en particulier tout acte de leurs forces

armées, ...qui risquerait d'aggraver ou d'étendrele différendporté
devant [la Cour]».
J'ai voté enrevanche contre les quatre autres alinéasdu dispositif de
l'ordonnance, pour les motifs suivants:

1. A mon sens, toutes ces autres mesures ont trait d'une façon ou
d'une autre a une partie des faits sur lesquelsla Cour n'estpàsmêmede
se prononcer pour le moment; établirl'existencede ces faits est une opé-
ration qui s'avère incertaineparce que les élémentsde preuve produits
par chacune des Parties sont insuffisants et contradictoires.
2. Un certain nombre de ces autres mesures ont été suffisamment
motivéesdans les paragraphes précédantle dispositif de l'ordonnance
pour qu'il n'yait donc pas lieu de les répéterdans celui-ci.
3. Certes, l'article3 de la Charte des Nations Unies prévoit divers

mécanismes en vuedu règlement pacifique des différends, mais, à mon
humble avis, la Cour doit uniquement s'attacher à rendre une ordon-
nance qui soit exclusivement «juridique» et s'abstenir de prononcer des
mesures ayant une teneur diplomatique ou politique, ou touchant des
sujets relevant de la médiation ou de la négociation, puisqueces ques-
tions semblent, àstrictement parler, étrangèresà la mission juridique de FRONTIÈRE TERRESTRE ET MARITIME (OP. IND.AJIBOLA) 37

la Cour. Il est vrai que la Cour est l'un des organes principaux de I'Orga-
nisation des Nations Unies et qu'elle en est mêmel'organejudiciaire prin-
cipal, mais c'est au Conseil de sécurité, à l'Assemblée généraleet au
Secrétairegénérad le l'organisation desNations Unies qu'il revientplutôt
de traiter les questions appelant des décisionsd'ordre politique et diplo-
matique. La Cour doit se consacrer aux questionsjuridiques etjudiciaires

à l'exclusionde toutes autres questions. Cela dit, je comprends etj'admets
que, dèslors que la paix et la sécuritésont en jeu, tous ces organes sont
nécessairementcomplémentaireset que l'intervention de la Cour n'exclut
pas celled'autres organes. J'estime néanmoinsqu'en la présente affairela
Cour doit se borner à appliquer le droit en vertu de l'article 41 de son
Statut et des articles 73, 74 et 75 de son Règlement.
4. En fait, à mon avis, non seulement certaines de ces mesures sont
inutiles, leur objet étantsuffisamment remplipar la premièred'entre elles,
mais ellesrisquent, contrairement aux intentions de la Cour,de faire plus
de mal ou de tort que de bien. Par exemple, la troisièmemesure est mau-
vaise par sa nature et mêmepar ses effets. Je crains qu'elle ne risque de
créer plusde problèmesqu'elle n'est censée en résoudre.Pour l'instant, ni

les forces armées niles gouvernements des deux Parties ne sont d'accord
sur les ((positions où [lesdites forces armées]se trouvaient avant le
3 février1996)).
5. Surtout, je suis fermement convaincu que la Cour ne doit pas se
livrer à un exercice vain, c'est-à-dire rendre une ordonnance difficile,
voire impossible à appliquer.
Je vais donner à présentmon point de vue sur la demande du Came-
roun, et formuler quelques observations sur les questions importantes
que celle-ci soulève, enexposant certains élémentsdu raisonnement qui
motive ma décisionde suivre la Cour quant au premier alinéadu dispo-
sitif de l'ordonnance.

II. LES FAITS EN LITIGE

Se fondant sur sa requêteinitiale, enregistréeau Greffe de la Cour le
29 mars 1994et complétée par une requête additionnelleen date du 6juin

1994,la Républiquedu Cameroun a ensuite déposé unedemande en indi-
cation de mesures conservatoires en vertu de l'article 41 du Statut de la
Cour. Ladite demande est datée du 10février1996,soit sept jours après
les incidents qui se seraient déroulésdans la presqu'île de Bakassi le
3 février1996et que le Cameroun décrit comme«les graves incidents qui
opposent les forces camerounaises aux forces d'agression nigérianesdans
la péninsulede Bakassi)).
En conséquence,le Cameroun prie la Cour de bien vouloir indiquer les
mesures conservatoires suivantes :

((1)les forces armées des Parties se retireront à l'emplacement
qu'elles occupaientavant l'attaque arméenigérianedu 3 février
1996; FRONTIÈRE TERRESTRE ET MARITIME (OP.IND.AJIBOLA) 38

2) les Parties s'abstiendront de toute activité militaire lelong de la
frontièrejusqu'à l'interventionde l'arrêt dela Cour;
3) les Parties s'abstiendront de tout acte ou action qui pourrait
entraver la réunion deséléments de preuve dans la présente ins-
tance» (les italiques sont de moi).

A l'appui de sa demande, le Cameroun présenteles documents sui-
vants :

a) Le compte rendu des démarchesdiplomatiques du Cameroun et des
tentatives de médiationdu présidentEyadema du Togo auxquelles
ont participéles ministres des affairesétrangèresdes deux Parties, et
le texte du communiquéfinal publiépar les ministres des affaires
étrangèresdu Nigéria etdu Cameroun.
Des documents concernant l'intervention de l'organisation des
Nations Unies, notamment le texte des appels lancéspar M. Boutros
Boutros-Ghali, Secrétaire générad le l'organisation, en vue d'un
retrait des troupes et d'un recours aux mécanismesde règlement paci-
fique desdifférends;le texte de la déclarationdu Secrétaire généradle

l'organisation des Nations Unies concernant le messagedu président
Biya du Cameroun et le texte de la déclarationpubliée àl'issuede la
visite queM. Gambari, ambassadeur du Nigéria,a rendue au Secré-
taire généradle l'organisation des Nations Unies; la copie de la lettre
du ministre des affairesétrangèresdu Nigériaénonçant laposition de
son pays.
b) Le texte de l'appel lancéaux deux Parties par M. Salim Ahmed
Salim, Secrétaire généradle l'Organisation de l'unité africaine,les
invitantà rechercher un règlement pacifiquede leur conflit, et le texte
des déclarationsdes ambassadeurs de l'Union européenneappelant
les deux Partiesà s'abstenir de toutes activités militaires eta revenir
sur lespositions qu'elles occupaient respectivementavant que l'affaire

ne soit soumise à la Cour.
c) Une documentation attestant la tenue d'élections locales organisée s
l'initiative du Cameroun dans la presqu'île de Bakassi en 1996.
d) Des documents faisant état denouvelles activités militairesdans la
presqu'îlede Bakassi aprèsle communiqué dePiya, le 17février1996.
el Des lettres émanantnotamment du ministèrede la défenseet du chef
d'état-majordu Cameroun, donnant une premièreévaluationdesdom-
mages provoqués par l'offensive qu'aurait lancéele Nigéria.Dans
sa lettre du 26 février,le ministre de la défenseindiquait que deux
personnes avaient été tuéess,ixblesséeset une bonne centaine avaient
disparu (probablement tuéesou retenues prisonnières). Il était en
outre alléguéque le Nigéria avait occupé Idabato 1, Idabato II,

Komma a Janea, Uzama et Guidi Guidi. Ce bilan divergeait quelque
peu de celui du chef d'état-majordu Cameroun, qui faisait étatde
trois morts, six blesséset cent vingt-trois disparus, ainsi que de
l'occupation d'Idabato 1,d'Idabato II, de Kombo a Janea, d'Uzama
et de Kombo a Wase. FRONTIÈRE TERRESTRE ET MARITIME (OP.IND.AJIBOLA) 39

Le Nigériaa, de son côté,présenté lui ausstiout un dossier de docu-
ments en réponse à la demande en indication de mesures conservatoires
du Cameroun. Nombre de ces documents reviennent à contredire les
affirmations et allégationsque contiennent les documents camerounais. Il
sembletoutefois que certains élémentsn ,otamment ceux qui ont trait aux
procéduresportant le différenddevant plusieurs organismes internatio-
naux, comme l'organisation de l'unité africaine,le Conseil de sécuritet
l'Union européenne,ne soient pas contestés. LeCameroun a présenté par
la suite, quoique tardivement, un autre dossier de documents dont le

contenu n'a, pour l'essentiel, pasétévoquélors des audiences, mais qui
comportaient des cartes plus détailléede la zone en litige. Le Nigériaa
également présentél,e 7 mars 1996,un additif à son premier document
qui reproduit le texte de télégrammes relatifs à l'incident du 3 février
1996.
La question qui se pose alors est de savoir si lesfaits qui ont étépré-
sentéspar écrit etoralement à la Cour, avec les répliquesque leur a
opposéesle Nigéria, suffisenta justifier l'énoncépar la Cour des trois
mesures conservatoires demandéespar le Cameroun. A cette question,
malheureusement, je réponds par la négative. Auvu des élémentsde
preuve présentés à la Cour, il est incontestable que certains incidents se

sont produits récemmentdans la presqu'île de Bakassi - c'est-à-dire la
zone que se disputent le Cameroun et le Nigéria.Le Cameroun, d'après
tous les documents qu'ilsoumet àla Cour dans son mémoireet à l'appui
de sa demande en indication de mesures conservatoires, soutient sans la
moindre équivoqueque la presqu'île de Bakassi fait partie intégrante de
son territoire. Le Nigéria, commeil ressort toutà la fois des documents
qu'il présentepour sa défensecontre cette demande et de sesplaidoiries,
prétend lui aussique la presqu'îlede Bakassi fait partie de son territoire.
La question est celle-ci: qui faut-il croire? Or, comme je l'ai déjàdit, il
m'est impossible d'examiner cettequestion de manière exhaustive à ce
stade de la procédure.Elle ne sera tranchéedans un sens ou dans l'autre
que si la Cour peut un jour juger l'affaire au fond (puisque le Nigériaa
déposéle 18 décembre1995 des exceptions préliminairescontestant la

compétencede la Cour ainsi que la recevabilitéde la requêtedu Came-
roun). Il n'a été présenéla Cour, à mon avis, aucune preuve concluante
ni convaincantepermettant de détermineraveccertitude quelle était, àtel
moment, la position des Parties.Il estàl'évidencedifficilede statuer sur
ce pointà ce stade de la procédure.La Cour n'est saisieque de demandes
et de contre-demandes, d'allégations etde démentisqui émanentdes deux
Parties. Le Cameroun présente le Nigéria sous les traits d'un voisin bel-
liqueux, porté à recourir systématiquement à la force pour étendre son
territoire, qui aurait lancé plusieurs reprises, ces derniers temps, des
attaaues sur le territoire camerounais. Le Cameroun cherche aussi à
conGaincrela Cour de voir dans leNigériala partie qui ne veut pas hono-

rer les accords et traités bilatérauxconcernant le différend relatif la
frontière entrelesdeux pays. Le Nigéria,quant à lui, accusele Cameroun
d'êtrele fauteur de guerre et d'avoir tenté,dans un passé récen,echas- FRONTIÈRE TERRESTRE ET MARITIME (OP.IND.AJIBOLA) 40

ser le Nigériadu territoire qui est le sien dans la presqu'îlede Bakassi. Le
Nigériaaffirme que celle-ciest peuplée à quatre-vingt-dix pour cent de
Nigérians. Il affirme aussi que la plupart des civils tuéslors des récents
incidents étaientdes Nigérianset non des Camerounais. Le Nigéria est
allé jusqu'amontrer concrètement, à l'aide de cartes (CR9614,p. 82-90),
comment, tactiquement, il a étéattaqué le 3 février 1996 et les 16 et
17février1996 à partir des criques de la presqu'îlede Bakassi. Le Came-
roun affirme de son côté quele Nigéria occupe àprésent unepartie de la
presqu'îlede Bakassi par la force des armes, après avoirchasséles forces

camerounaises de cette zone qu'il n'occupeque depuis la périodeallant
de 1994 à 1996.LeCameroun soutient aussi que le Nigéria n'avait jamais
revendiquéla presqu'île de Bakassi avant 1993.
Le Nigéria affirme en revancheque, jusqu'à aujourd'hui, le Cameroun
n'avaitjamais cantonnéni déployé de forcesdans la presqu'îlede Bakassi.
A titre d'exemple,le Nigériafait remarquer avec insistance

((queleCameroun n'a aucune position militairefixedans la presqu'île
de Bakassi,à la différencedu Nigéria,qui y possèdeun certain nombre
d'installations militaires. C'est de l'extérieurde la presqu'île que [le
Cameroun] a lancé sonattaque sur la presqu'île.))(CR9613, p. 13.)

Le Nigéria soulignele fait: «Je répète,M. le Président, qu'avant le
3février[1996],leCameroun n'avait aucuneposition militaire à Bakassi.»
(CR9613,p. 66.) Or, le Cameroun n'apporte sur ce point aucun élément
de réponse précisalors même qu'il prétend disposer d'unaedministra-
tion en de nombreux endroits de Bakassi,notamment à Idabato 1età Ida-
bat0 II. Nombre de cartes présentéespar le Cameroun n'indiquent même
que lespositions militaires du Nigéria depuisle février1996et les 16et
17 février1996,sans fournir la moindre indication quant aux positions
militaires camerounaises (carte A du dossier du Cameroun). Au sujet des
élections, le Nigéria accuslee Cameroun d'avoir organisé récemment des
élections enterritoire nigérian.En réplique, leCameroun présente des
documents visant à prouver que le scrutin a été organissur son propre
territoire (la date du scrutin n'étantmalheureusement pas indiquée sur le

document) (pièce H du dossier du Cameroun).
A mon avis, la première question qui vient a l'esprit face à une
demande de cette nature est de savoir sur quels élémentsde fait et de
preuve la Cour peut se fonder si elleentend exercer le pouvoir discrétion-
naire que lui confère, titre de compétence incidente, l'article41 du Sta-
tut. Mais avant d'examiner cettequestion, il y a lieu de prêter attention
un autre problème: a quelles conditions le requérantest-iljuridiquement
tenu de satisfaire avant de présenter unedemande de ce type? Le para-
graphe 2 de l'article73du Règlement prévoitque le demandeur doit indi-
quer «les motifs sur lesquels [la demande] se fonde, les conséquences
éventuellesde son rejet et les mesures sollicitées».En l'espèce,'appui

de sa demande en indication de mesures conservatoires. le demandeur a
également présenté un dossiedrocumentaire. La question est donc de
savoir si l'ensemble de cette documentation déposéepar le demandeursuffità justifier l'exercicepar la Cour de son pouvoir discrétionnaire au

regard des faits visés.Il convient d'ajouter ici que le Nigéria,pour ré-
pondre au demandeur et étayersa propre argumentation, à savoir que la
Cour ne doit pas faire droità la demande camerounaise en indication de
mesures conservatoires, a lui aussi présenté sonpropre lot de documents.
Quelle doit êtrel'attitude de la Cour envers tous les documents dont
elle est désormais saisie dans l'exercice de cette compétence incidente?
Peut-elle se fonder sur ces documents pour faire droit a la demande
camerounaise? Le Cameroun s'est-il acquitté de l'obligation qui lui
incombe d'indiquer des «motifs» suffisants pour qu'il soitfait droit a sa
demande? Le dossier présentépar le Cameroun à l'appui de sa demande
contient les piècessuivantes:

i) Un croquis des incidents, indiquant la partie du territoire prétendu-
ment camerounais qui serait occupépar le Nigériadepuis le 3 février
1996 et la zone qui est occupéepar le Nigéria depuisle 18 février

1996.
ii) Des rapports des autoritéscamerounaises sur les affrontements qui
auraient eu lieu le 3 février1996, rapports qui contiennent notam-
ment des messages radio, des télégrammes et des télexc;es docu-
ments dressent l'inventaire des attaques que les forces nigérianes
auraient lancées, desemplacements qu'elles auraient conquis et rela-
tent l'intensité desattaques qui se seraient produites.
iii) Des dépêched se l'Agence France-Presse des 5 et 6 février1996.

Au vu des piècesque les deux Parties ont présentées à la Cour, il appa-
raît que certains faits ne sont pas contestéset qu'entre les versions qu'en
ont donnéesles Parties au cours de cette ~rocédureil existe concrètement
un dénominateur commun. Ces faits présentent un caractère éminem-
ment provisoire et ne permettent d'en déduire aucune conclusiondéfini-

tive quant àl'ensemble des élémentq sue met enjeu la présenteaffaire; ils
n'engagent pas non plus la décision finaleque prendra ultérieurementla
Cour sur le fond du différend.Ces faits relèventde deux catégories:la
première a trait aux principaux incidents, la seconde aux efforts de
médiationet de négociationqu'a suscitésle différend.
S'agissant de la premièrecatégorie de faits,les deux Parties, comme on
peut s'enrendre compte au vu des documents qu'ellesont présentés et des
élémentsde preuve qu'elles ont produits au cours des plaidoiries, sont
d'accord sur ceci:il y a eu le 3 février1996un incident qui a entraînédes
pertes en vies humaines, tant civilesque militaires. De même,ily a eu les
16 et 17 février1996 des incidents qui ont provoqué des pertes en vies
humaines des deux côtés. Les deux fois, lesincidents se sont produits
dans la presqu'île de Bakassi. Ils ont été qualifiéds'«escarmouches» dans
le communiauéen date du 17 février 1996.

La docunkntation fournie par les deux Parties fait étatdes efforts de
médiation du président Eyadema du Togo; ces efforts ont abouti à la
signature d'un communiqué,le 17 février1996,par les ministres des af- FRONTIÈRE TERRESTRE ET MARITIME (OP.IND.AJIBOLA) 42

faires étrangèresdu Nigériaet du Cameroun. Ce communiqué,qui recon-
naît que les «escarmouches» ayant opposéle 3 février1996 «les forces
nigérianes etles forces camerounaises stationnées dans la presqu'île de
Bakassi avaient fait plusieurs victimesdes deuxôtés))(pièceE du dossier
du Cameroun), contient un certain nombre d'indications importantes,
notamment dans le passage ci-après :

«A la suite du regrettable incident, qui s'est produit après plu-
sieurs mois d'une paix relativedans la presqu'île, le présidents-
singhe Eyadema de la République duTogo a exhortéleschefs d'Etat
des deux pays frèresà lui faire confiance dans son rôle de médiateur

en cette affaire,mettre un terme aux hostilitésetà recourir au dia-
logue età la négociationpour résoudrele différend.))(PièceE du
dossier du Cameroun.) [Traduction du Greffe.]

Le communiqué mentionne aussi les efforts qui avaient été tentés anté-
rieurement en vue de maintenir la paix entre les deux Parties, rappelaàt
ce propos le communiquéde Tunis du 13juin 1994et la réuniontenue à
Kara du 4 au 6juillet de la mêmeannée.
Le 5 février1996, le Secrétaire général deN s ations Unies publie un
communiqué depresse dans lequel il exprime sa profonde préoccupation
après l'«accrochage frontalier)) qui a mis les Parties aux prises et a fait
plusieurs victimes; il exhorte les deux Parties(fairepreuve de retenue))
età retirer leurs troupes de la zone frontalière afin de créerles conditions
d'un règlement pacifiquede leur différend,mais le plus important est que
le Secrétaire général appelleles deux Parties à ((attendre que la Cour
internationale de Justice, qui est actuellement saisie de l'affaire, ait déli-

béré))(dossier du Cameroun; les italiques sont de moi).
En réponse à des lettres que lui ont adresséesles représentants perma-
nents du Cameroun et du Nigéria (SI19941228,SI19941258,SI19941351et
S119941472),le Président du Conseil de sécurité adresse à chacune des
Parties, le 29 février1994, une mêmelettre qui porte sur le ((différend
frontalier entre le Cameroun et le Nigéria relatif à la presqu'île de
Bakassi)). Il importe de citer intégralement cette décisiondu Conseil de
sécuritéque le Présidenténoncedans sa lettre en ces termes:

«Les membres du Conseil ont pris note du communiqué publié
par l'Organe central du Mécanismede l'organisation de l'unitéafri-
caine (OUA) pour la prévention, la gestion et le règlement des
conflits(Sl19941351,annexe). Ils se félicitent enoutre de ce que le
différenda étéportédevant la Cour internationale de Justice.
Les membres du Conseil accueillent avec satisfaction l'initiative
prise par le Président de l'Organisation de l'unité africaine etles

autres efforts demédiation tendantà aider lespartieà parvenir àun
règlement politique. Ilsdemandent instamment aux parties de faire
preuve de retenue et de faire le nécessairepour rétablir laconfiance
entre elles,notamment en poursuivant le dialogue et en prenant des
mesures de nature à instaurer la confiance. FRONTIÈRE TERRESTRE ET MARITIME (OP.IND.AJIBOLA) 43

Les membres du Conseil encouragent les parties à continuer à
s'efforcerde parvenir àun règlement pacifiquedu différend, confor-
mément auxprincipes de la Charte des Nations Unies et de la Charte
de l'organisation de l'unité africaine.
Les membres du Conseil demandent au Secrétaire général, agis-
sant en consultation avec le Secrétairegénéralde l'organisation de

l'unité africaine,de suivre la situation et d'offrir ses bons offices
pour contribuer à promouvoir le dialogue qui s'est engagéen vue de
résoudrepar des moyens pacifiques le différendentre les deux pays
au sujet de la presqu'île et de tenir les membres du Conseil au cou-
rant, selon qu'il conviendra. (SI19941519 ;dossier du Cameroun.)

D'autres démarches diplomatiques ont été effectuéep sar M. Salim
Ahmed Salim, Secrétairegénéralde l'organisation de l'unitéafricaine,
qui a instamment prié lesParties de résoudre pacifiquement le différend
qui les oppose, et par les ambassadeurs de l'Union européenne,qui ont
aussi appeléles deux Parties às'abstenir detoute intervention militaire et
à sereplier surlespositions qui étaientlesleurs avant la saisinede la Cour.

III. LES CONDITIONS ET LES MOYENS JURIDIQUES DE L'INDICATION
DE MESURES CONSERVATOIRES

A. La compétenceprima facie

Chaque fois que la Cour est amenée àexercer son pouvoir d'indiquer

des mesures conservatoires, elle doit s'assurer, et cela fait partie des «cir-
constances))mentionnéesdans son Statut, qu'elle estprima facie compé-
tente. On a toujours clairement distinguéla compétence dela Cour pour
ce qui est de statuer sur le fond (laquelle n'entre pas en ligne de compte
ce stade de la procédure)et sa compétencepour ce qui est d'indiquer des
mesures conservatoires. Néanmoins, ces deux formes de compétencene
sont pas sans rapport puisqu'elles reposent l'une et l'autre sur le consen-
tement de 1'Etatdéfendeur.Il est clairement établi une distinction entre
l'«adhésionau Statut)) et le ((consentement au règlementd'une affaire)).
Y a-t-il doute sur la compétenceprima facie de la Cour en l'espèce?Il

convient d'examiner cette question très attentivement avant de se pro-
noncer dans un sens ou dans l'autre. Le Nigériaa acceptéla juridiction
obligatoire de la Cour lorsque, le 3 septembre 1965,il a fait sa déclara-
tion au titre du paragraphe2 de l'article36 du Statut, sous la seulecondi-
tion de réciprocité. e Cameroun a fait sa déclaration d'acceptation dela
juridiction obligatoire de la Cour le 3 mars 1994. Les déclarations des
deux Etats sont exemptes de toute réserve.On pourrait penser que ce fait
suffità donner à la Cour l'assurance qu'elle estcompétentepri~nafacie.
Malheureusement, un élémendte doute - qui suffià inciteràfaire preuve

de prudence judiciaire sur ce point - a étéintroduit par le défendeur
lorsqu'il a fait valoir que, du côtédu Cameroun, tant la condition subs-tantielle de réciprocitéque la bonne foi faisaient défaut(CR9613, p. 40-
45). Le Nigériadit en effet:

«si 1'011part de l'hypothèse ...que, de par sa déclaration, le Came-
roun a acquis le droit d'introduire une instance contre le Nigéria,
alors la manière subrepticepar laquelle le Cameroun a entrepris de
faire sa déclaration puis de l'invoquer contre le Nigériaconstitu[e]
un exercice abusif de ce droit» (CR9613, p. 45).

Sur le manque de bonne foi du Cameroun, le Nigériaajoute qu'«un Etat
qui fait preuve du degrédebonne foi que leNigéria est en droitd'escomp-
ter ne saurait se conduire de la sorte» (CR 9613,p. 44). Et le Nigériade
conclure que :

((C'estle caractère manifeste de ces faits qui justifie la conclusion
du Nigéria selon laquellenon seulement la Cour n'est pas compé-
tente pour juger dela requêtedu Cameroun, mais aussi que leCame-
roun ne peut mêmepas établir que la Cour est compétente prima
facie. >)(CR 9613,p. 43.)

L'exception soulevéepar le Nigéria sur ce terrain comprend aussi
l'affirmation que la requêtecamerounaise est irrecevable.
Le Cameroun, se fondant sur la décision en l'affairedu Droit de pas-
sage sur territoire indien (exceptions préliminaires, C.1.J. Recueil 1957,
p. 125),fait valoir que la thèsedu Nigéria nesaurait avoir de valeur juri-
dique. Sans procéder à un examen détailléde la décision invoquée,je
voudrais toutefois faire remarquer que cette affaire portait sur la ques-
tion substantielle de la compétencede la Cour quant au fond du diffé-
rend, et non pas sur sa compétenceprimafacie pour indiquer des mesures
conservatoires; la plupart des exceptions soulevées enl'espèceen ce qui
concerne lesdéclarationsfaites tant par l'Inde que par le Portugal au titre
du paragraphe 2 de l'article 36 du Statut portaient sur la compétence
ratione temporis de la Cour et ne reposaient pas sur la question de savoir

si l'élémend te bonne foi faisait défaut etsi la requêteétaitrecevable.
Je crois devoir rappeler ici l'observation faite par M. C. Chagla dans
son opinion dissidente en l'affaire du Droit de passage sur territoire
indien :
((J'aimerais faire une observation d'ordre général relative à la

question de lajuridiction de la Cour. Il a étésoutenu qu'un bon juge
élargit sa compétence.Cette affirmation peut êtrevraie lorsqu'il
s'agitd'unjuge dans un tribunal régipar le droit interne; elle ne l'est
certainement pas de la Cour internationale. La base mêmede lajuri-
diction de cette dernière est lavolonté del'Etat, et cette volontédoit
clairement démontrerque celui-ci a acceptéla juridiction de la Cour
à l'égardde tout différendou de toute catégoriede différends.Pour
cette raison, tandis qu'un tribunal de droit interne peut interpréter
libéralementles dispositions juridiques lui conférantcompétence,la
Cour internationale, au contraire, doit interpréter strictement lesdis- FRONTIERE TERRESTRE ET MARITIME (OP. IND.AJIBOLA) 45

positions du Statut et du Règlement etles instruments signéspar les
Etats, afin de déterminer si1'Etat qui a soulevé une exception à sa

compétence l'a, en fait, accepté))(C.I.J. Recueil 1957, p. 180.)
11est peut-êtreprématuré àce stade d'entrer par trop dans le détailde

ce problème de compétenceet il faut se contenter d'examiner l'exception
soulevéepar le Nigéria, lequelsoutient que la Cour n'aurait mêmepas la
compétence prima facie lui permettant d'indiquer des mesures conserva-
toires. Je serais assez enclànadopter une attitude de prudence judiciaire
et à m'abstenir d'indiquer les mesures conservatoires demandéespar le
Cameroun à cause de la sérieusemise en question par le Nigériade la
compétence prima facie de la Cour et àcause de sa thèse,qui est que tant
la condition substantielle de réciprocitéque l'élémente la bonne foi font
défaut chez le Cameroun, points qu'il faudra peut-êtredévelopper et

expliquer plus avant dans la prochaine phase de l'affaire. D'aucuns parmi
nous ont peut-êtreprésent à l'esprit le dilemme qu'implique un tel parti;
j'y reviendrai plus tard. Ce dilemme a étéfort bien traduit par sir Hersch
Lauterpacht dans les termes suivants :

((Toutefois,lorsque 1'Etatdéfendeur estime qu'il lui est impossible
de reconnaître la compétencede la Cour au motif que le différend
n'entre pas dans le cadre définipar les termes de son acceptation de
laditecomdtence. on se trouve face à un dilemme dont il n'est. à
premièrev'ue,pas'facile de sortir. Du point de vue de 17Etatdéfgn-
deur, l'indication de mesures conservatoires par la Cour peut pa-
raître malvenue tant qu'elle ne s'est pas assuréede sa compétence.

En effet, en se conformant à l'ordonnance, 1'Etatdéfendeurpeut se
trouver empêché - éventuellementpendant une longue période -
d'exercerses droits légitimesdans une affaireà propos de laquelle la
Cour risque de conclure au bout du compte qu'elle n'apas compé-
tence. Du point de vue de 1'Etat demandeur, en revanche, une
ordonnance (tindiquant » des mesures conservatoires peut revêtirun
caractère d'urgence tel qu'attendre que la Cour finisse par statuer,
après une procédurequi peut être fortlongue, sur la question de sa
compétencequant au fond peut trèsbien rendre illusoire la répara-

tion ordonnée du fait de la destruction de l'objet du différendou
pour d'autres raisons.)) (Sir Hersch Lauterpacht, The Development
of International Law by the International Court, p. 110-111.)

Mais il n'est peut-êtrepas déplacéde tenir compte des négociationsque
poursuivent sur un plan bilatéralles Parties, et ce afin de s'assurer que
rien n'est fait qui puisse compromettre le règlementamiable d'un conflit
frontalier entre deux pays voisins, membres l'un et l'autre de l'Organisa-
tion de l'unité africaine. C'estlà l'une des raisons qui m'a conduit à
approuver lepremier alinéadu dispositif de l'ordonnance. Il n'est dèslors
peut-êtrepas inutile de relever le point de vue qu'exprime de nouveau

dans son opinion individuelle sir Hersch Lauterpacht en l'affaire de
l'lnterhandel: ((Toutefois, c'est une chose de dire que les mesures prises par la
Cour en vertu de l'article1 du Statut ne préjugent en rienla ques-
tion de sa compétence au fond et que la Cour n'a pas, au stade
actuel,à s'assurer qu'ellea compétencesur le fond ou que sa com-
pétence estprobable, et c'est une autre chose que d'affirmer que la
Cour peut agir en vertu de l'article1, sans tenir compte des possi-
bilitésde sa compétenceau fond, et que cette dernière question ne se
pose aucunement à propos d'une demande en indication de mesures
conservatoires. Les gouvernements parties au Statut, ou qui ont pris,

sous une forme ou sous une autre, des engagements se rapportant à
la compétenceobligatoire de la Cour, ont le droit d'escompter que
celle-cin'agira pas en vertu de l'article 41 lorsque l'absence de com-
pétenceau fond est manifeste. Il convient de ne pas découragerles
gouvernements d'accepter ou de continuer d'accepter les obligations
du règlement judiciaire, en raison de la crainte justifiéequ'en les
acceptant ils risqueraient de s'exposerla gêne, aux vexations etaux
pertes pouvant résulterde mesures conservatoires dans le cas où il
n'existe aucune possibilitéraisonnable de compétenceau fond véri-
fiéepar la Courprirnafizcie. Par conséquent, laCour ne peut, àpro-
pos d'une demande en indication de mesures conservatoires, négliger
complètementla question de sa compétenceau fond. »(C.I.J. Recueil
1957, p. 118.)

B. L'urgence

L'élément d'urgence esitmmanquablement l'une des «circonstances»
qui peuvent amener une partie à demander à la Cour d'indiquer des
mesures conservatoires. L'article4 du Règlementde la Cour dispose que
cette demande a priorité sur toutes autres affaires; le paragraphe 2 dudit
article prévoit aussique:

«Si la Cour ne siègepas au moment de la présentation de la
demande, elle est immédiatementconvoquéepour statuer d'urgence
sur cette demande.»
La Cour a donné une définition clairede l'urgence dans l'affaire du
Passagepar le Grand-Belt, quand elle dit:

((Considérantque les mesures conservatoires visées à l'article 41
du Statut sont indiquées «en attendant l'arrêtdéfinitif))de la Cour
au fond et ne sont par conséquentjustifiéesque s'il y a urgence,
c'est-à-dire s'ilest probable qu'une action préjudiciable auxdroitsde
l'une ou de l'autre Partie sera commise avant qu'un tel arrêtdéfinitif
ne soit rendu» (C.I.J. Recueil 1991, p. 17,par. 23).

Dans sa demande, le Cameroun soutient qu'il y a urgence en l'espèce.
Le Nigéria nie qu'il en soit ainsi.A l'appui de sa thèse,le Cameroun fait
mention de tous les incidents qui se sontproduits depuis peu, notamment
avant et après le dépôt de sa requêteau Greffe de la Cour, le 29 mars FRONTIÈRE TERRESTRE ET MARITIME (OP.IND.AJIBOLA) 47

1994.Tout en signalant toutes les tentatives de règlementdiplomatique
du différendqui se sont avéréesinfructueuses, il vise plus particulière-
ment les incidents du3 févrieret des 16et 17février 1996.De son côté,le
Nigéria considère que la demande mêmedu Cameroun est désormais
«sans objet»car ellene répond àaucune nécessité: les hostilitsnt cesse
et les démarchesengagéespour réglerle différendmarquent actuellement

des progrès et vont à terme faire appelà l'intervention des chefs d7Etat
des deux pays dans un cadre bilatéral.
Pourtant, quand on considèrel'ensemble des incidentsqui se sont pro-
duits par intermittence, ces derniers temps, sous la forme d'accrochages
sporadiques et ont dégénéré ee nscarmouches sérieuses,de nature à
exploser peut-êtreen véritable guerre,peut-on nier que cette demande en
indication de mesuresconservatoires soit placéesous lesignede l'urgence?
J'estimeque l'on est en l'occurrence faceune situation sérieusequi exige
d'agir très rapidement et doit retenir sans délai l'attention de la Cour.

Celle-cia fait preuve récemment de diligence dans l'affaire relative à
l'Application de la convention pour lapréventionet la répressiondu crime
de génocideen rendant sans tarder son ordonnance du 8 avril 1993
(C.1.J. Recueil 1993,p. 3).Il m'est donc difficilede me rangàrl'avisdu
Nigériaquand ce dernier prétend qu'il n'y a rien d'urgent en l'espèce.
Selon moi, il y a urgence.

IV. LES MESURES DEMANDÉES PAR LE CAMEROUN
ET LE FONDEMENT JURIDIQUE
DE L'INDICATION DE MESURES CONSERVATOIRES

Peut-êtreconvient-il d'examiner à présentles trois mesures conserva-
toires demandéespar le Cameroun au regard des versions contradictoires

qui ont été donnéed ses faits; un problème de ce type a étéévoquédans
l'affaire relativel'Application de la conventionpour laprévention etla
répressiondu crime de génocide dans les termes suivants:

((Considérant que la Cour, dans le contexte de la présentepro-
cédureconcernant une demande en indication de mesures conser-
vatoires, doit, conformément à l'article 41 du Statut, examiner les
circonstances portéesà sen attention [au motif qu'elles exigent l'in-
dication de mesures conservatoires,mais] qu'ellen'est pas habilitée
àconclure définitivementsur les faits ou leur imputabilitéet que sa
décisiondoit laisserintact le droit de chacune des Parties de contester
les faits alléguéscontre elle, ainsi que la responsabilitéqui lui est
imputéequant à ces faits et de faire valoir ses moyens sur le fond))

(C.I.J. Recueil 1993, p. 347, par. 48; les italiques sont de moi).
Là encore, la Cour, avant de se pencher sur les trois mesures qu'a
demandéesle Cameroun, était tenue d'examiner les éléments ou facteurs

essentiels qui constituent le fondement juridique de l'indication de me-
sures conservatoires conformément à l'article 41 du Statut: FRONTIÈRE TERRESTRE ET MARITIME (OP. IND. AJIBOLA) 48

i) Le pouvoir discrétionnaire de la Cour

L'indication de mesures conservatoires relèveexclusivement du pou-
voir discrétionnairede la Cour; celle-ci a toute libertépour l'exercerou
non, en fonction des circonstances de chaque cas d'espèce.En droit inter-
national, certaines écolesde penséeconsidèrent que ce pouvoir discré-
tionnaire fait partie des compétences inhérentes àtoute juridiction inter-
nationale. Quoi qu'il ensoit, la Cour est habilitéepar l'article0 de son
Statut à établir son propre Règlement, et l'article75 dudit Règlement
prévoit qu'elle peut exercerd'office ce pouvoir discrétionnaire qui ne

connaît pas de limites.Je reviendrai plus tard sur l'importance de ce pou-
voir discrétionnaire.

ii)Préjuger de laquestion

La Cour doit aussi éviterde préjugerdu fond de l'affaire. Là résideun
dilemme auquel la Cour a, me semble-t-il, étéconfrontéelorsqu'il lui a
été demandé d'indiquerdes mesures conservatoires dans l'affaire de
1'Anglo-IranianOil Co. La Cour, en l'occurrence, a fait observer:

«que l'indication de...mesures [conservatoires]ne préjuge en rien la
compétencede la Cour pour connaître au fond de l'affaire et laisse
intact le droit du défendeur de fairevaloir ses moyens à l'effetde la
contester» (C.I.J. Recueil 1951, p. 93),
mais elle s'estfinalement déclarée incompétente.

Si l'on s'arrêteun instant pour examiner l'une des mesures sollicitées
par le Cameroun sous l'anglede cet élémeno t u objectif essentiel, il appa-
raît sansconteste que la Cour préjugeraitdu fond de l'affaire siellefaisait
droit à ladite demande. Celle-ci, la première mesure sollicitéepar le
Cameroun, est que «les forces armées desParties se retirerontà l'empla-
cement qu'elles occupaient avant l'uttaque arméenigérianedu 3 février
1996))(les italiques sont de moi). Il faut donc établiroù se trouvaient les
forces armées des Parties avant le 3 février1996. L'emplacement précis
qu'occupaient les forces du Cameroun n'a pas étéindiqué,mêmesi cet
Etat n'a pas voulu en convenir (CR 9614,p. 67). L'une descartes présen-
téespar le Cameroun indiquait l'emplacement des forces arméesnigé-

rianes depuis le 3 février1996 et depuis les 16 et 17 février1996, sans
indiquer la position des forces camerounaises. Or, le Nigéria affirmeque
sesforcesont toujours étécantonnées à l'endroit où ellesétaientdéployées.
Si l'on suppose, pour les besoins de la démonstration, qu'il s'agissait des
positions occupéespar les forces armées nigérianesavant le 3 février
1996,inviter le Nigéria,par l'indication d'une mesureconservatoire, à se
retirer de positions qui, selon lui, se situent sur son territoire reviendrait
manifestement à préjugerdu fond de l'affaire. Le Nigériaa constamment
soutenu que

«la péninsulede Bakassi fait depuis des temps immémoriaux partie
du Nigériaet a étéadministrée à ce titre. Dans ce cadre, les forces arméesdu Nigériadéploient,en tant que de besoin, des unitésen
divers points de la région, où elles ont de même effectué des
patrouilles. Rien n'a changé à cet égard depuisle 3 février1996.))
(CR 9614,p. 109.)

A ce stade de l'instance, j'aurais quelque difficulté approuver une
décisionde la Cour invitant le Nigéria à se retirer «de son territoire)).
Abstraction faite de la question controversée du caractère contraignant
ou non de l'indication de mesures conservatoires, la Cour devraità mon
humble avis, faire preuve de prudence et s'abstenir de rendre une ordon-
nance à laquelle il est impossible de se conformer. La Cour ne doit rien
faire inutilement. Judicium non debet esse illusorium; suum effectum
habere debet.

iii) Sauvegarder lesdroits respectifs des parties en attendant que la Cour
rende sonjugement définitifen 1'espèce

Il s'agit là d'un facteur important que la Cour doit prendre en consi-
dérationdans une affaire de ce genre. Sir Gerald Fitzmaurice a expliqué
cela de la sorte:
((outrel'objectif généraclonsistaàtsauvegarder lesdroits desparties
tels que les définira la décision définitiee la Cour, l'idéeest de
veillerà ce que cet objectif soit réalidans l'intérêét galdes deux

parties; et aussi laprincipale finalitédupouvoir d'agird'officeest de
faire en sorte que la Cour puisse toujours agir en ce sens sans être
tenue d'uttendre qu'une des parties le lui demande)) (Fitzmaurice,
The Law and Procedureof the International Courtof Justice, vol. II,
p. 544; les italiqueà,la fin de l'extrait, sont de moi).
Là réside la difficulflagrante que soulèvela deuxième mesure solli-

citéepar le Cameroun qui tend à ce que la Cour invite ((les Parties [a
sabstenir] de toute activité militairele long de lafrontièrejusqu a l'inter-
vention de l'arrêtde la Cour» (les italiques sont de moi). On est en pré-
sence de quatre problèmes évidents,qui font que la Cour ne saurait
indiquer la mesure demandée :

a) Cexclusivement la zone de la presqu'île de Bakassi et la Cour ne dis-

pose pas d'éléments ayant traità d'autres parties de la frontière; ou
bien les éléments ensa possession sont trèslacunaires et la Cour ne
peut pas se fier eux.
b) Par ailleurs, les élémentsde preuve disponibles n'intéressent, sans
beaucoup de précisions,qu'un petit nombre d'activités militairesdans
la zone de la presqu'île de Bakassi, et non dans la région du lac
Tchad.
c) La Cour est-elle à mêmed'interdire au Cameroun ou au Nigériade
mener des activitésmilitairesl'intérieurde leurs frontières respectives?
d) Quels sont les éléments de preuve indiquant clairement le tracé dela FRONTIÈRE TERRESTRE ET MARITIME (OP.IND.AJIBOLA) 50

frontière qui permettent àla Cour d'ordonner aux Parties de s'abste-
nir de toute activitémilitaire? Existe-t-il une ligne de cessez-le-feu?
Ily a donctout lieu d'être sceptiquequant à la possibilitépour la Cour

d'indiquer des mesures conservatoires allant dans le sens de la deuxième
des mesures sollicitéespar le Cameroun. C'est la raison pour laquelle la
demande devrait aussi êtrerejetéesur ce point-là.

iv) Sauvegarde des droits et non-aggravationdes différends

La nécessitéde sauvegarder lesdroits en litigeconstitue la basejuridique
qui permet àla Cour d'indiquer des mesuresen vertu de l'article41 de son
Statut, c'est-à-dire des mesures«conservatoires du droit de chacun)).Dans
le passé,cette disposition a fait l'objet d'une interprétationstricte. Certes,
quelques autres conventions, par exemple la convention de Washington
de 1907 relativeà l'établissement de laCour de justice centraméricaine,
désignent la«non-aggravation du différend)) commeétantle fondement
juridique du prononcé demesuresconservatoires, mais,jusqu'àtout récem-
ment, la Cour a fait preuve de beaucoup de réticence lorsqu'ils'est agi

d'introduire dans sa jurisprudence cette idéede non-aggravation ou de
non-élargissementdu différendou du conflit. D'ailleurs,il étaitdifficilede
définir ce quoi pouvait en fait correspondre la protection des droits. On
peut avoir une idéede cette difficulté ense référanà l'ordonnance de la
Cour permanente de Justice internationale en l'affairedu Statut juridique
du territoiredu sud-est du Groënland;a Cour permanente a fait observer:

((Considérantqu'eu égardau caractèredes droits éventuelsdont il
s'agit, envisagpar rapport aux conditions naturelles du territoire en
cause, même«des mesures de nature à modifier le statut juridique du
territoire)) ne sauraient,d'après les renseignements dont la Cour dis-
pose actuellement, affecter la valeur de ces droits éventuels une fois
que, dans son arrêt surle fond, la Cour les aurait reconnus à l'une
ou à l'autre des Parties...» (C.P.J.I. sérieA/B nu48, p. 288).

L'article 41 du Statut a donc été,dans le passé,interprétéde manière
très restrictive et certains positivistes continuent de considérerqu'il faut
qu'il en soitainsi. A titre d'exemple, sur les six demandes dont la Cour
permanente a été saisie,deux seulement ont abouti à l'indication de
mesures conservatoires. Dans l'affaire de la Dénonciationdu traitésino-
belge du 2 novembre 1865, de 1926, le Président Huber a rendu une
ordonnance indiquant des mesures conservatoires en attendant la déci-
sion de la Cour, et cette dernière a finalement conclu qu'elle n'était pas
compétentepour statuer sur le fond de l'affaire. C'estde leur propre chef
que les Parties ont ensuite convenu d'adopter une mesure conservatoire.

Dans l'affaire de l'Usinede Chorzbw de 1927comme dans celledu Statut
juridique du territoire du sud-est du Groënland de 1932et dans celle de
la Réformeagraire polonaise et minorité allemandede 1933, la Cour a
écarté toutesles demandes en indication de mesures conservatoires. Dans
l'affaire de l'Administration duprince von Pless, c'est lePrésidentAdatci FRONTIÈRE TERRESTRE ET MARITIME (OP. IND.AJIBOLA) 51

qui a demandé instamment au ministre polonais des affaires étrangères
de faire preuve d'une certaine réserve enattendant que la Cour puisse se
réunir.Le Gouvernement polonais a par la suite redresséce qu'il a estimé
être uneerreur, à la satisfaction du Gouvernement allemand, et la Cour a
rendu une ordonnance prenant acte des déclarations faites par les deux

gouvernements.
La Cour internationale de Justice a été saisie de dix-huit demandes en
indication de mesures conservatoires'. Sur ce total, une demande a fait
l'objet d'un désistement(affaire du Procès deprisonniers de guerre pakis-
tanais), une autre a étéretirée(affaire des Actions arméesfiontalières et
transfrontalières (Nicaragua c. Honduras)); la Cour a indiquédes me-

sures conservatoires dans neuf cas et a estimé qu'il luiétaitimpossible
de le faire dans les sept autres. Dernièrement encore, la Cour étaitassez
portée à indiquer des mesures conservatoires en cas de conflit armé ou
d'incident violent. Les affaires de l'Application de la convention pour la
préventionet la répressiondu crime de génocide,du Différendfrontalier

et des Activitésmilitaires etparamilitaires au Nicaragua et contrecelui-ci
peuvent êtrecitées en exemple à cet égard.
Les décisions récentesde la Cour et de ses chambres dénotent une
interprétation plus libéralede la notion de droits à protéger.Mais il faut
d'abord relever qu'en 1939,dans l'affaire de la Compagniedëlectricité de

Sofia et de Bulgarie, la Cour permanente de Justice internationale a
rendu une ordonnance indiquant des mesures conservatoires et a déclaré
que tant que la Cour n'aurait pas rendu sa décision

«l'Etat bulgare veille[ra] à cequ'ilnesoit procédé à aucun acte, de quel-
que nature qu'il soit, susceptible de préjuger des droits réclaméspar
le Gouvernement belgeou d'aggraver ou d'étendrele différend soumis
à la Cour» (C.P.J.I. sérieA/B no79,p. 199 ;lesitaliques sont de moi).

On peut voir là l'un des premiers signesd'une conception plus large de la
notion des droits des parties qui vise à prendre en compte la nécessité
d'éviter desincidents; une telle évolution semble néanmoins avoir été

' Ces demandes ont étéformuléesdans les dix-sept affaires suivantes: Anglo-Iranian Oil
Co. (Royaume-Uni c. Iran) ;InterIlandel (Suisse c. Etats-Unis d'Anzér;qCompétence
en nzatière de pêclieries(Royaume-Uni c. Islande) (Républiquefédéraled'Allemagne
c. Islande;Essais nucléaires(Australie c. Francej (Nouvelle-Zélandec. Fran;Procès
deprisonniers deguerrepakistanais (Pakistan c. In;Plateau continental dela nzerEgée
(Grècec. Turquie) : Personnel diplomatiqueet consulaire desEtats-ànTéhéran(Etars-
Unis d'Amériquec. Iran) ; Activités rnilitaires et paramilitaires au Nicaragua et contre
celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amériqu;Différendfrontalier (Burkina Faso/Répu-
et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras) (en cette affaire, la demande a étéretirée);s
Sentence arbitrale du 31 juillet 1989 (Guinée-Bissauc. Séné;aPassage par le Grand-
Belt (Finlande c. Darzemark;Questions d'interprétationet d'applicationde la corzventiorz
de Montréalde 1971résultant de l'incident aérien dLeockerbie (Jarnaliiriyaarabe libyenne
c. Royaurne-Uni) (Jamahiriya arabe libyenne c. Etats-Unis d2Arnériq) Application de
la conventionpour lapréventionet la répressiondu crime de génocide(Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie(Serbie et Monténégro))(dans cette affaire, deux demandes ont étéprésen-
téespar la Bosnie-Herzégovine etune autre par la Yougoslavie (Serbie et Monténégro).cependant rejetéedans l'affairedu Statut juridique du territoire dusud-est
du Groënland (encore que cette dernière décisionait donné lieu à une
autre explication, selon laquelle la situation des Parties ne pouvait plus
être affectépear une prise de position juridique, dans quelque sens que ce
soit).
Dans l'affaire duPlateau continental de lamer Egéede 1976,la Cour
a refuséde trancher cette question de la protection des droits:

((Considérant,en conséquence, qu'il n'est pas nécessairp eour la
Cour de statuer sur la question de savoir si l'article 41 du Statut lui
confèrele pouvoir d'indiquer des mesures conservatoires dans le seul
dessein de prévenir l'aggravation ou l'extension d'un différend))
(C.Z.J. Recueil 1976, p. 13, par. 42).

En 1984, dans l'affaire des Activités militaires etparamilitaires au
Nicaragua et contre celui-ci,la Cour,à l'unanimité,a indiquéune mesure
conservatoire prévoyantque :
«les Gouvernements des Etats-Unis d'Amérique et de la Répu-
blique du Nicaragua veillent l'un et l'autreà ce qu'aucune mesure
d'aucune sorte ne soit prise qui puisse aggraver ou étendrele diffé-
rend soumis à la Cour» (C.I.J. Recueil 1984, p. 187, par. 41, B 3).

On peut donc raisonnablement supposer que l'évolutiondu droit inter-
national et de la jurisprudence de la Cour s'est poursuivie dans cette
direction. Dans toutes les affaires où il étaituestion d'un conflit armé
ayant entraînédes pertes en vies humaines et des dommages matériels,la
protection des droits respectifs des parties comprend la nécessitépour
celles-cid'évitertoute aggravation ou extension du différend, commede
prévenirtout affrontement.
En fait, en 1986,dans l'affaire duDifférendfrontalier entre le Burkina

Faso et la Républiquedu Mali, la Chambre constituéepar la Cour a fait
preuve d'une audace certaine sur ce point précisen faisant remarquer ce
qui suit:
((Considérant que, indépendammentdes demandes présentées par
les Parties en indication de mesures conservatoires, la Cour ou, par
conséquent,la Chambre disposeen vertu de l'article41 du Statut du
pouvoir d'indiquer des mesures conservatoires en vue d'empêcher

l'aggravation ou l'extension du diffërend quand elle estime que les
circonstances l'exigent)) (C.I.J. Recueil 1986, p. 9, par. 18; les ita-
liques sont de moi).
Ce «pouvoir» dont la Cour, ou la Chambre constituéepar elle, pou-
vait désormais,raisonnablement à mon avis, prétendre«disposer» vient
d'êtreconfirmédans l'affaire relative à l'Application de la convention
pour lapréventionet la répressiondu crime de génocide.Dans son ordon-
nance du 8 avril 1993,la Cour a enjoint aux deux Parties de

«ne prendre aucune mesure et [de]veiller àce qu'iln'en soit prise au-
cune, qui soit de nature aggraver ou étendrele différend existant sur FRONTIÈRE TERRESTRE ET MARITIME (OP.IND. AJIBOLA) 53

la préventionet la répressiondu crime de génocide,ou à en rendre
la solution plus difficile))(C.I.J. Recueil 1993, p. 24, par. 52 B).

Compte tenu de ce que je viens de dire, la finalité etla teneur de l'ar-
ticle 41 du Statut ne se limitent pas, et ne sauraient se limiter,auve-
garde des droits éventuels desParties dans une affaire comme celle dont
la Cour est saisie. La situation exige que la Cour statue d'office envertu
de l'article 75 du Règlement; c'est la raison pour laquelle j'ai suivila
majorité de la Cour et voté pour le premier alinéa du dispositif de.
l'ordonnance. Fondamentalement, la question de la non-aggravation et

de la non-extension du différend n'estpas seulement liéeà la protection
des droits éventuels desparties au litige; ellefait partie intégrante de cette
protection et constitue la base sur laquelle la Cour peut s'appuyer pour
indiquer des mesures conservatoires.

v) Dommage ou préjudiceirrépavable

Il y a un autre élément prendre en considérationpour déciders'ily a
lieu d'indiquer des mesures conservatoires: c'est le point de savoir si,
dans le cadre du différend,quand celui-ci ne peut êtreévitéi,l ne risque
pas de se produire un dommage ou préjudiceirréparable. Ce point n'est
pas sans rapport avec la nécessitéde sauvegarder les droits des parties,
parce que le dommage ou le préjudice irréparable subi par l'une ou
l'autre équivautgénéralement à une privation de droits. Mais l'indication
à cette fin de mesures conservatoires, si elle permet d'éviterla répétition

du mêmetype d'événement, ne permep tas d'effacer les conséquencesde
la plupart des incidents qui se sont déjàproduits. Dans l'affaire de la
Compétenceen matière depêcheries,la Cour a relevéque, selon le Gou-
vernement islandais,«la cristallisation de la situation dangereuse actuelle
pourrait causer un préjudiceirréparable aux intérêtsde la nation islan-
daise))(Compétenceen matières de pêcheries(Royaume-Uni c. Islande),
ordonnancedu 12juillet 1973,C.I.J. Recueil 1973,p. 303).Le droitàla vie
a été considéré comme l'un d deoits exposésàun préjudice((irréparable))
dans l'affaire relativeau Personnel diplomatiqueet consulaire desEtats-
Unisà Téhérano ,ù les Etats-Unis demandaient àce que soient protégés:

«les droits de leurs ressortissaàtla vieà la libertà,la protection
età la sécurité;les droiàsl'inviolabilitàl'immunitéet àla protec-
tion de leurs fonctionnaires diplomatiques et consulaires; les droits
l'inviolabilité àt la protection de leurs locaux diplomatiques et
consulaires» (C.I.J. Recueil 1979, p. 19,par. 37).

A l'évidence, l'indicationde mesures conservatoires dans les cas évoqués,
qu'elleait simplement pour objet de sauvegarder des droits ou bien d'évi-
ter une aggravation ou une extension du différend ou encore un acte de
nature à causer un dommage ou préjudiceirréparable aux parties, a tou-

jours visénotamment à protéger des vies humaines ou à préserver des
biens ou les deux à la fois. Dans l'affaire du Personnel diplomatique et
consulaive desEtats-Unis à Téhéranl,a Cour a fait observer que «la persistance de la situation qui fait l'objet de la requête exposeles
êtres humainsconcernésa desprivations, a un sort pénibleet angois-
sant et même a des dangerspour leur vie et leur santé etpar consé-
quent a une possibilité sérieuse de préjudicie rréparable»(C.I.J.

Recueil 1979, p. 20, par. 42; les italiques sont de moi).
De même,dans la présente affaire,les faits indiscutables qui ont été
présentésmontrent qu'il y a eu des souffrances humaines, des morts, des
blesséset même quelquesdisparus dans les deux camps. Il apparaît tout
aussi clairement que la majoritédes habitants de cette partie de la pres-
qu'île de Bakassi sont des pêcheurs qu'il nefaudrait pas priver de leurs
moyens d'existence. Le seul fait pour la Cour d'indiquer d'office aux
Parties qu'elles doivent s'abstenir de tous actes d'agression et de toute

extension du différenddevrait, en soi,à n'en pas douter, apaiser les souf-
frances et mettre fin aux pertes en vies humaines et aux dommages maté-
riels infligéàla population de la presqu'île de Bakassi.

vi) Préservation desélémentsde preuve
La Cour a rarement indiqué des mesures conservatoires visant à pré-
server des élémentsde preuve. Cet aspect de la question a bien étéévo-

quédans l'affaire relativeà la Dénonciation du traitésino-belge du 2 no-
vembre 1865, de 1926,mais la Cour, dans l'ordonnance du 11septembre
1976qu'ellea rendue dans l'affairedu Plateau continental dela mer Egée,
a estimé qu'il luiétaitimpossible d'indiquer des mesures conservatoiresà
cet effet. Dans une affaire où il a été faitdroàune telle demande, celle
du Différendfrontalier, entre le Burkina Faso et la Républiquedu Mali,
il y avait eu accord entre les Parties qui s'étaiententendues au préalable
sur une ligne de cessez-le-feuclairement définie.
Eu égard à sa jurisprudence età sa position faceàla demande en indi-
cation de mesures conservatoires du Cameroun, la Cour peut difficile-
ment exercer son pouvoir discrétionnairepour faire droità cette demande
en ce qui concerne la troisième mesure sollicitée,qui est que ((lesParties
s'abstiendront de tout acte ou action quipourrait entraver la réuniondes

élémentsde preuve dans laprésenteinstance)) (les italiques sont de moi)
- alors que la Cour ne saurait, à mon avis, indiquer pareille mesure
pour les raisons suivantes:
a) Comme je l'aidit, nul n'a montréclairement où se trouvent actuelle-
ment stationnéesles forces armées camerounaiseset nigérianes.Les
éléments de preuve produits par les deux Parties sont contradictoires
et il n'existeaucun accord entre ellesce sujet. Les cartes ne sont pas

d'un grand secours non plus.
b) La Cour n'a pas précisé la nature des élémentsde preuve à réunir.Il
a étéproduit des preuves montrant que le préfetcamerounais avait
quittéprécipitammentIdabato sans rassembler les documents dont il
disposait la-bas. Mais le Nigéria a présentédes faits et des docu-
ments, y compris des photographies, tendant à montrer qu'Idabato
ou Achibong fait partie de la province nigérianede Cross River.c) Il n'y a entre le Nigériaet le Cameroun aucun accord sur la ligne de
cessez-le-feuqui aurait pu faciliter l'indication d'une mesure conser-
vatoire àcet égard,contrairement à ce qui s'est passédans l'affaire du
Diffërend frontalier, où un tel accord a été conclu.
d) L'argumentation du Nigériaconsiste notamment a dire que, leCame-
roun ayant déjàdéposé sonmémoire, tous les élémentsde preuve
nécessaires (qui,àmon avis, sont essentiellementconstitués de traités,
d'accords et de conventions), ont déjà été déposésau Greffe de la
Cour.

e) Le Nigéria neformule aucune demande dans le même senset le droit
commande de respecter le principe de l'égalité ded seux Parties. En
d'autres termes, la demande dit expressémentque «les Parties» s'abs-
tiendront de tout acte qui pourrait entraver la réuniondes éléments
de preuve dans la présente instance, maisla mesure ne peut s'adresser
qu'au Cameroun.
Toutes ces raisons m'amènent à conclure que la Cour ne saurait faire

droit a cet élémentde la demande du Cameroun. Il s'ensuit que la Cour
ne saurait indiquer aucune des trois mesures que contient la demande du
Cameroun du 10 février 1996.

Pour bon nombre de raisons, la Cour ne devrait indiquer que la mesure
conservatoire pour laquelle j'ai voté, celle qui est énoncéeau premier
alinéadu dispositif.

1.A l'évidence,la Cour n'est pas en mesure de vérifiertoutes les ver-
sions contradictoires des faits qui lui ont présentées ente saurait donc
s'yfier, mais il demeure que certains faits sont, comme je l'ai dit, incon-
testés. Cesfaits constituent autant de raisons décisivespour que la Cour
ne reste pas indifférente à la situation apparemment explosive dans la
presqu'île de Bakassi et qu'elleindique des mesures conservatoires.
2. L'intervention judiciaire de la Cour en l'espèce n'apas un caractère
exclusif; elle s'ajoutel'ensemble desdémarchesengagéespar le Conseil
de sécurité,le Secrétaire généradle l'Organisation des Nations Unies, le
président Eyadema du Togo et l'Organisation de l'unitéafricaine, par

l'entremisede son secrétaire général,M. Salim A. Salim; mais la Cour ne
doit s'attacher qu'à l'accomplissement de sa mission juridique et judi-
ciaire età rien d'autre.
3. Les deux Parties reconnaissent le caractère intrinsèquement dange-
reux de la situation qui règneactuellement dans la presqu'île de Bakassi
et elles préféreraientun règlement pacifiquedu différend.On en voit la
preuve, du côténigérian,dans la lettre de l'agent du Nigériadatée du
16février 1996.En outre, s'adressant à la Cour le 6 mars 1996,leNigéria
a dit ceci: FRONTIÈRE TERRESTRE ET MARITIME (OP. IND. AJIBOLA) 56

«Le Nigéria n'a nullement l'intention d'utiliserla force militaire
pour - et je cite les mots de la demande camerounaise - ((pour-
suivre la conquête dela péninsulede Bakassi)).La position du Nigé-
ria est, comme elle l'a toujours été,de résoudre la question de

Bakassi par desmoyenspacijques» (CR 9613,p. 16;lesitaliques sont
de moi).
4. Les deux Parties ont pris part à diverses tentatives de règlement
pacifique et amiable du différend, commeil ressort des communiqués
publiés à Tunis et au Togo.

5. La Cour a récemmentindiquédes mesures conservatoires dans des
affaires de cette nature. Elle l'a fait dans les affaires suivantes:vités
militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua
c. Etats-Unis d'Amérique) (C.I.J. Recueil 1984,p. 167) ;Différendfron-
talier (Burkina Faso/Républiquedu Mali) (C.I.J. Recueil 1986, p. 3),
affaire portée devant une chambre de la Cour; Application de la conven-
tion pour la préventionet la répressiondu crime de génocide(Bosnie-
Herzégovine c. Yougoslavie (Serbie et Monténégro)) (C.I.J. Recueil
1993, p. 3). Il n'y a donc aucune raison qu'elle n'indique pasde mesures
conservatoires dans des circonstances analogues, lorsque des incidents

donnant lieu à des hostilités arméessont allégués et reconnus.
6. De surcroît, la Cour, sur un plan juridique plus large, est tenue de
veillerà ce qu'il soit rappelé et prescrità tous les Etats Membres de
l'organisation des Nations Unies, dont font partie le Cameroun et le
Nigéria,de s'acquitter du devoir sacréque leur impose expressémentla
Charte des Nations Unies, laquelle dispose que:

((3. Les Membres de l'organisation règlent leurs différendsinter-
nationaux par des moyens pacifiques, de telle manièreque la paix et
la sécuritéinternationales ainsi que la justice ne soient pas mises en
danger.
4. Les Membres de l'organisation s'abstiennent, dans leurs rela-
tions internationales, de recourirà la menace ou à l'emploi de la
force, soit contre l'intégritéterritoriale ou l'indépendance politique
de tout Etat, soit de toute autre manièreincompatible avec les buts

des Nations Unies. ))(Art. 2.)

VI. CONCLUSION

C'est pour toutes les raisons exposées ci-dessusque j'ai étéamené à
voter pour le premier alinéadu dispositif de l'ordonnance mais que j'ai
estimé qu'il m'était impossibld ee voter pour les quatre autres mesures
conservatoires indiquéespar la Cour.

(Signé) Bola A. AJIBOLA.

Bilingual Content

SEPARATE OPINION OF JUDGE AJIBOLA

TABLE OF CONTENTS

Puge
1. INTRODUCTION 36
II.FACTS-IN-ISSUE 37

III. LEGALONDITION ASD GROUND OR THEINDICATIOOFNPROVISIONAL
MEASURES
A. Prima faciejurisdiction

B. Urgency
IV. THEREQUEST OF CAMEROO NND THE LEGALBASIS FOR ANINDI-
CATIONOFPROVISION MAEASURES

(i) The Court's discretion
(ii) Prejudging the issue
(iii) Preservation of the respective rights ofthe parties pending final
judgment in the case
rightslnon-aggravation of disputes
(iv) Preservation of
(v) Irreparable harm or prejudice
(vi) Preservation of evidence
V. THECOURT'S EXERCISEOF ITSPOWER UNDER ARTICLE 75 OF THE

RULES OFCOURT
VI. CONCLUSION OPINION INDIVIDUELLE DE M. AJIBOLA

[Traduction]

Pages

1. INTRODUCTION 36
II. LESFAITS EN LITIGE 37
III. LESCONDITIONS ET LES MOYENS JURIDIQUES DE L'INDICATION DE MESURES
CONSERVATOIRES 43

A. Compétenceprima facie 43
B. Urgence 46
IV. LES MESURES DEMANDÉES PAR LE CAMEROU NT LE FONDEMENT JURl-
DIQUE DE L'INDICATION DE MESURES CONSERVATOIRES 47

i) Le pouvoir discrétionnaire de la Cour 48
ii) Préjugerde la question 48
iii) Sauvegarder les droits respectifs desparties en attendant le juge-
ment définitif enl'espèce 49
iv) Sauvegarde des droits et non-aggravation des différends 50

v) Dommage ou préjudiceirréparable 53
vi) Préservation des élémense preuve 54
V. VEXERCIC PAR LA COUR DE SES POUVOIRS EN VERTU DE L'ARTIC75
DU RÈGLEMENT 55

VI. CONCLUSION 56 After careful consideration of the present situation in the Bakassi
Peninsula which forms part of the area in dispute between Cameroon and
Nigeria, 1agree to vote in favour of the first operative part of the Court's
Order indicating provisional measures in this case. 1am convinced that it
is the proper thing to do in the circumstances, in accordance with the rele-
vant Articles of the Statute and Rules of Court, as well as its jurispru-
dence. This Order is made irrespective of the request of Cameroon, the
Court, in itsjudicial wisdom, having based the indication on Article 75(2)
of its Rules.

However, 1 regret to state tha1 am unable to support or vote with the
Court on the other four operative parts, and 1 wish to Say why in this
opinion. A situation has arisen on the Bakassi Peninsula through the use
of armed force. Cameroon says Nigeria attacked; Nigeria says Cameroon

attacked; Cameroon gives details; Nigeria gives details. In the circum-
stances and at this stage, it is not possible for the Court to determine
definitively who was responsible, but it is the cardinal duty of the Court
to preserve peace. Nonetheless, it is agreed by both Parties that there
were armed incidents on 3 February and 16 and 17 February 1996.The
Court is apparently obliged, therefore, in accordance with international
law, to show its concern until the matter is decided, and order that both
Parties

"should ensure that no action of any kind, and particularly no
action by their armed forces, is taken which might . ..aggravate or
extend the dispute before it".
On the other hand, 1 have voted against the other four operative parts
of the Order for the foIlowing reasons:

1. These other four operative parts, to my mind, one way or the other,
touch on some of the facts about which the Court cannot pronounce at
the moment, and the verification of which is in doubt because of insuffi-
cient and conflicting evidence from each Party.

2. Some of these other operative parts have been adequately dealt with
in the preceding paragraphs of the Order, and therefore need no further
repetition in the operative paragraph.
3. While it is clear that Article 33 of the United Nations Charter pro-

vides for various machinery to effect peaceful resolution of disputes, it is
my humble belief that the Court should concern itself solelywith a purely
"legal" order and refrain from orders with diplomatic or political content
or matters concerning mediation or negotiation, since strictly speaking
these issues are apparently outside the legal assignment of the Court.
While it is true that the Court is one of the main organs of the United
- FRONTIÈRE TERRESTRE ET MARITIME (OP.IND.AJIBOLA) 36

Aprèsun examen attentif de la situation actuelle dans la presqu'île de
Bakassi, qui fait partie de la zone en litige entre le Cameroun et le Nigé-
ria, j'accepte de voter pour le premier alinéadu dispositif de l'ordon-
nance de la Cour indiquant des mesures conservatoires en l'espèce.Je suis
convaincu que c'est cequ'il faut faire en la circonstance, conformément
aux articles pertinents du Statut et du Règlement de la Cour et selon sa

jurisprudence. La présenteordonnance est rendue indépendamment de la
demande du Cameroun, la Cour, dans sa sagesse, s'étantfondéesur le
paragraphe 2 de l'article 75 de son Règlement pour indiquer cette pre-
mière mesure.
Cela étant,je suis au regret de dire que je neeux pas approuver les
quatre autres mesures indiquéespar la Cour ni leur apporter mon suf-
frage, etje tiens dire pourquoi dans la présenteopinion. Le recours aux
forces arméesdans la presqu'îlede Bakassi a créé unesituation de fait. Le
Cameroun dit que le Nigériaa attaqué; le Nigériadit que c'est le Came-
roun qui est l'agresseur; le Cameroun donne des détails;le Nigéria aussi.
Dans ces conditions et à ce stade, la Cour n'est pas en mesure de déter-
miner de manière concluante qui est responsable, mais elle a le devoir

essentiel de préserver la paix.Les Parties reconnaissent toutefois l'une et
l'autre que des incidents armésse sont produits le 3 février ainsique les
16et 17février1996.Il semble donc que la Cour se doive, conformément
au droit international, d'exprimer sa préoccupationau regard de la situa-
tion en attendant que l'affaire soit tranchée,et d'ordonner que les deux
Parties
((veillent évitertout acte, et en particulier tout acte de leurs forces

armées, ...qui risquerait d'aggraver ou d'étendrele différendporté
devant [la Cour]».
J'ai voté enrevanche contre les quatre autres alinéasdu dispositif de
l'ordonnance, pour les motifs suivants:

1. A mon sens, toutes ces autres mesures ont trait d'une façon ou
d'une autre a une partie des faits sur lesquelsla Cour n'estpàsmêmede
se prononcer pour le moment; établirl'existencede ces faits est une opé-
ration qui s'avère incertaineparce que les élémentsde preuve produits
par chacune des Parties sont insuffisants et contradictoires.
2. Un certain nombre de ces autres mesures ont été suffisamment
motivéesdans les paragraphes précédantle dispositif de l'ordonnance
pour qu'il n'yait donc pas lieu de les répéterdans celui-ci.
3. Certes, l'article3 de la Charte des Nations Unies prévoit divers

mécanismes en vuedu règlement pacifique des différends, mais, à mon
humble avis, la Cour doit uniquement s'attacher à rendre une ordon-
nance qui soit exclusivement «juridique» et s'abstenir de prononcer des
mesures ayant une teneur diplomatique ou politique, ou touchant des
sujets relevant de la médiation ou de la négociation, puisqueces ques-
tions semblent, àstrictement parler, étrangèresà la mission juridique deNations and is, in fact, its principal judicial organ, matters involving
political and diplomatic decisions are better left with the Security Coun-
cil, the General Assembly, and the Secretary-General of the United
Nations. The Court should singularly concern itself with legal and judi-
cial matters. This statement is not without my understanding and recog-
nition that in matters of peace and security al1 these organs are not
uncomplementary and that the role of the Court is not mutually exclu-
sive. 1 still hold, however, that in the present case before it, the Court
should restrict itself to the application of the lawnder Article 41 of the
Statute of the Court and Articles 73, 74 and 75 of its Rules.

4. In fact, it appears to me that some of the operative parts are not
only unnecessary, having been adequately covered by the first one, but
that they may, contrary to the intentions of the Court, do more harm or
damage than good. For example, the third operative part is negative in
nature and even in effect. My fear is that it may create more problems
than it intends to resolve. There were no "positions in which they were

situated prior to 3 February 1996" agreed to by the armed forces and
Governments of both Parties at the moment.

5. Above all, 1 strongly believe that the Court should not issue an
order in vain, that is, an order that is difficult or impossible to imple-
ment.
1shall now proceed to express my viewson the request of Cameroon,
and some of my observations on the important issues raised in this
request coupled with some of the reasoning behind my decision to sup-
port the Court regarding the first operative part of the Order indicated in
this matter.

II. FACTS-IN-ISSUE

Based on its original Application filed in the Registry of the Court on
29 March 1994and supplemented by an additional Application of 6 June
1994,the Republic of Cameroon next filed a request for the indication of
provisional measures under Article 41 of the Statute of the Court. The
request is dated 10February 1996,seven days after the alleged incidents
in the Bakassi Peninsula of 3 February 1996,described by Cameroon as
"the grave incidents which have taken place between the Cameroonian
forces and the Nigerian forces of aggression in the Bakassi Peninsula".

Consequently, Cameroon is requesting the Court to indicate the fol-
lowing provisional measures :

"(1) the armed forces of the Parties shall withdruw to the position
they wereoccupyingbefovethe Nigeriun avrnedattack of 3 Feb-
ruary 1996; FRONTIÈRE TERRESTRE ET MARITIME (OP. IND.AJIBOLA) 37

la Cour. Il est vrai que la Cour est l'un des organes principaux de I'Orga-
nisation des Nations Unies et qu'elle en est mêmel'organejudiciaire prin-
cipal, mais c'est au Conseil de sécurité, à l'Assemblée généraleet au
Secrétairegénérad le l'organisation desNations Unies qu'il revientplutôt
de traiter les questions appelant des décisionsd'ordre politique et diplo-
matique. La Cour doit se consacrer aux questionsjuridiques etjudiciaires

à l'exclusionde toutes autres questions. Cela dit, je comprends etj'admets
que, dèslors que la paix et la sécuritésont en jeu, tous ces organes sont
nécessairementcomplémentaireset que l'intervention de la Cour n'exclut
pas celled'autres organes. J'estime néanmoinsqu'en la présente affairela
Cour doit se borner à appliquer le droit en vertu de l'article 41 de son
Statut et des articles 73, 74 et 75 de son Règlement.
4. En fait, à mon avis, non seulement certaines de ces mesures sont
inutiles, leur objet étantsuffisamment remplipar la premièred'entre elles,
mais ellesrisquent, contrairement aux intentions de la Cour,de faire plus
de mal ou de tort que de bien. Par exemple, la troisièmemesure est mau-
vaise par sa nature et mêmepar ses effets. Je crains qu'elle ne risque de
créer plusde problèmesqu'elle n'est censée en résoudre.Pour l'instant, ni

les forces armées niles gouvernements des deux Parties ne sont d'accord
sur les ((positions où [lesdites forces armées]se trouvaient avant le
3 février1996)).
5. Surtout, je suis fermement convaincu que la Cour ne doit pas se
livrer à un exercice vain, c'est-à-dire rendre une ordonnance difficile,
voire impossible à appliquer.
Je vais donner à présentmon point de vue sur la demande du Came-
roun, et formuler quelques observations sur les questions importantes
que celle-ci soulève, enexposant certains élémentsdu raisonnement qui
motive ma décisionde suivre la Cour quant au premier alinéadu dispo-
sitif de l'ordonnance.

II. LES FAITS EN LITIGE

Se fondant sur sa requêteinitiale, enregistréeau Greffe de la Cour le
29 mars 1994et complétée par une requête additionnelleen date du 6juin

1994,la Républiquedu Cameroun a ensuite déposé unedemande en indi-
cation de mesures conservatoires en vertu de l'article 41 du Statut de la
Cour. Ladite demande est datée du 10février1996,soit sept jours après
les incidents qui se seraient déroulésdans la presqu'île de Bakassi le
3 février1996et que le Cameroun décrit comme«les graves incidents qui
opposent les forces camerounaises aux forces d'agression nigérianesdans
la péninsulede Bakassi)).
En conséquence,le Cameroun prie la Cour de bien vouloir indiquer les
mesures conservatoires suivantes :

((1)les forces armées des Parties se retireront à l'emplacement
qu'elles occupaientavant l'attaque arméenigérianedu 3 février
1996; (2) the Parties shall abstain from al1 militavy activity along the

entive boundavy until the judgment of the Court takes place;
(3) the Parties shall abstain from any act or action which might
hampev thegathering of evidencein the present case" (emphasis
added).
In support of its request, Cameroon submitted the following docu-
ments :

(a) Diplomatic initiatives of Cameroon and the mediation efforts of
President Eyadema of Togo which involved the Foreign Ministers
of both Parties and the final communiquéof the Foreign Ministers
of Nigeria and Cameroon.

Documents concerning the intervention of the United Nations
which include the appeals made by the Secretary-General of the
United Nations, Boutros Boutros-Ghali, for withdrawal of troops
and recourse to peaceful settlement of disputes; statements of the
United Nations Secretary-General with regard to the message of

President Biya of Cameroon and made after the visit of Ambassador
Gambari of Nigeria to the United Nations Secretary-General; letter
by the Foreign Minister of Nigeria stating the Nigerian position.

(b) Appeal by SalimAhmed Salim, the Secretary-General of the Organi-
zation of African Unity (OAU), to both Parties to seek a peaceful
settlement of their conflict and statements from ambassadors of the
European Union calling on both Parties to abstain from any mili-
tary activities and to withdraw troops to their respective positions
prior to the time when this matter was filed in this Court.

(c) Documentary evidence on local elections in the Bakassi Peninsula
by Cameroon in 1996.
(d) Documents indicating new military activities in the Bakassi Penin-
sula after the Piya communiqué,that is, 17February 1996.

(e) MCameroon Chief of Staff detailing a preliminary assessment of the

damage done as a result of the alleged offensive action of Nigeria.
The Minister of Defence in his letter of 26 February indicated
therein that 2 people had been killed, 6 wounded, more than 100
had disappeared (probably killed or taken prisoner). It was further
alleged that Nigeria occupied Idabato 1, Idabato II, Komma a
Janea, Uzama and Guidi Guidi. This report was somehow slightly
at variance with the report of the Cameroon Chief of Staff who
claimed that 3 people had been killed, 6 wounded, 123disappeared
and that Idabato 1,Idabato II, Kombo a Janea, Uzama and Kombo
a Wase were occupied. FRONTIÈRE TERRESTRE ET MARITIME (OP.IND.AJIBOLA) 38

2) les Parties s'abstiendront de toute activité militaire lelong de la
frontièrejusqu'à l'interventionde l'arrêt dela Cour;
3) les Parties s'abstiendront de tout acte ou action qui pourrait
entraver la réunion deséléments de preuve dans la présente ins-
tance» (les italiques sont de moi).

A l'appui de sa demande, le Cameroun présenteles documents sui-
vants :

a) Le compte rendu des démarchesdiplomatiques du Cameroun et des
tentatives de médiationdu présidentEyadema du Togo auxquelles
ont participéles ministres des affairesétrangèresdes deux Parties, et
le texte du communiquéfinal publiépar les ministres des affaires
étrangèresdu Nigéria etdu Cameroun.
Des documents concernant l'intervention de l'organisation des
Nations Unies, notamment le texte des appels lancéspar M. Boutros
Boutros-Ghali, Secrétaire générad le l'organisation, en vue d'un
retrait des troupes et d'un recours aux mécanismesde règlement paci-
fique desdifférends;le texte de la déclarationdu Secrétaire généradle

l'organisation des Nations Unies concernant le messagedu président
Biya du Cameroun et le texte de la déclarationpubliée àl'issuede la
visite queM. Gambari, ambassadeur du Nigéria,a rendue au Secré-
taire généradle l'organisation des Nations Unies; la copie de la lettre
du ministre des affairesétrangèresdu Nigériaénonçant laposition de
son pays.
b) Le texte de l'appel lancéaux deux Parties par M. Salim Ahmed
Salim, Secrétaire généradle l'Organisation de l'unité africaine,les
invitantà rechercher un règlement pacifiquede leur conflit, et le texte
des déclarationsdes ambassadeurs de l'Union européenneappelant
les deux Partiesà s'abstenir de toutes activités militaires eta revenir
sur lespositions qu'elles occupaient respectivementavant que l'affaire

ne soit soumise à la Cour.
c) Une documentation attestant la tenue d'élections locales organisée s
l'initiative du Cameroun dans la presqu'île de Bakassi en 1996.
d) Des documents faisant état denouvelles activités militairesdans la
presqu'îlede Bakassi aprèsle communiqué dePiya, le 17février1996.
el Des lettres émanantnotamment du ministèrede la défenseet du chef
d'état-majordu Cameroun, donnant une premièreévaluationdesdom-
mages provoqués par l'offensive qu'aurait lancéele Nigéria.Dans
sa lettre du 26 février,le ministre de la défenseindiquait que deux
personnes avaient été tuéess,ixblesséeset une bonne centaine avaient
disparu (probablement tuéesou retenues prisonnières). Il était en
outre alléguéque le Nigéria avait occupé Idabato 1, Idabato II,

Komma a Janea, Uzama et Guidi Guidi. Ce bilan divergeait quelque
peu de celui du chef d'état-majordu Cameroun, qui faisait étatde
trois morts, six blesséset cent vingt-trois disparus, ainsi que de
l'occupation d'Idabato 1,d'Idabato II, de Kombo a Janea, d'Uzama
et de Kombo a Wase. Similarly, Nigeria also submitted a bundle of documents in support of
its defence to Cameroon's request. In effect many of the documents con-
tained therein negate the documentary assertions and averments con-
tained in the documents of Cameroon. But some facts, like those relating
to the presentation of the dispute before many international organi-
zations like the OAU, the Security Council and the European Union,
seem not to be in dispute. Subsequently Cameroon submitted, though
belatedly, another bundle of documents much of the contents of which
was not referred to in the hearings but which contained more detailed
maps of the area in dispute. Nigeria also submitted on 7 March 1996an
addendum to its original document of telegrams pertaining to the

incident of 3 February 1996.

The relevant question now is whether these facts, documentary and
oral, placed before the Court and as responded to by Nigeria are suffi-
cient for the Court to indicate the requests for the three provisional meas-
ures at the instance of Cameroon. My answer to this question unfortu-
nately is in the negative. From the evidence placed before the Court,
there is no doubt that there were certain incidents recentlv in the Bakassi
Peninsula - the area of dispute between Cameroon and Nigeria. Cam-
eroon, from al1the available documents placed before the Court in its
Memorial and al1the documents presented in support of this request for
an indication of provisional measures, claims unequivocally the Bakassi
Peninsula as forming part of its territory. Nigeria, as can be observed

from al1of its documents in defence of this request coupled with its oral
presentation, also claims that the Bakassi Peninsula forms part of Niger-
ia's territory. The question now is who is to be believed? This question,
as 1have said earlier, cannot be treated fully at this stage of the proceed-
ings. This question, provided the case proceeds eventually to be heard on
the merits (in view of the fact that Nigeria on 18December 1995filedits
preliminar$ objection challenging the Eourt's jurisdiction and admissibil-
ity of Cameroon's Application), may then be settled one way or the
other. No conclusive or convincing evidence was, to my mind, placed
before the Court to determine the issue ofwho was whereand when. There
is no doubt that this is difficult to decide at this stage of the proceed-
ings. What has been presented before the Court are claims and counter-
claims, allegations and counter-allegations, by both Parties. The picture

painted of Nigeria by Cameroon was that of a belligerent neighbour bent
on expanding its territory by sheer force and who therefore attacked
Cameroon in its territory many times in the recent past. Cameroon also
tried to persuade the Court to "view Nigeria as the party unwilling to
honour bilateral agreements and treaties with regard to the dispute con-
cerning the boundary between them". On the other hand Nigeria equally
accused Cameroon as the warmonger who had in the recent past tried to
drive away Nigeria from its land in the Bakassi Peninsula and it claimed
that 90 per cent of al1the people in the Bakassi Peninsula are Nigerians. FRONTIÈRE TERRESTRE ET MARITIME (OP.IND.AJIBOLA) 39

Le Nigériaa, de son côté,présenté lui ausstiout un dossier de docu-
ments en réponse à la demande en indication de mesures conservatoires
du Cameroun. Nombre de ces documents reviennent à contredire les
affirmations et allégationsque contiennent les documents camerounais. Il
sembletoutefois que certains élémentsn ,otamment ceux qui ont trait aux
procéduresportant le différenddevant plusieurs organismes internatio-
naux, comme l'organisation de l'unité africaine,le Conseil de sécuritet
l'Union européenne,ne soient pas contestés. LeCameroun a présenté par
la suite, quoique tardivement, un autre dossier de documents dont le

contenu n'a, pour l'essentiel, pasétévoquélors des audiences, mais qui
comportaient des cartes plus détailléede la zone en litige. Le Nigériaa
également présentél,e 7 mars 1996,un additif à son premier document
qui reproduit le texte de télégrammes relatifs à l'incident du 3 février
1996.
La question qui se pose alors est de savoir si lesfaits qui ont étépré-
sentéspar écrit etoralement à la Cour, avec les répliquesque leur a
opposéesle Nigéria, suffisenta justifier l'énoncépar la Cour des trois
mesures conservatoires demandéespar le Cameroun. A cette question,
malheureusement, je réponds par la négative. Auvu des élémentsde
preuve présentés à la Cour, il est incontestable que certains incidents se

sont produits récemmentdans la presqu'île de Bakassi - c'est-à-dire la
zone que se disputent le Cameroun et le Nigéria.Le Cameroun, d'après
tous les documents qu'ilsoumet àla Cour dans son mémoireet à l'appui
de sa demande en indication de mesures conservatoires, soutient sans la
moindre équivoqueque la presqu'île de Bakassi fait partie intégrante de
son territoire. Le Nigéria, commeil ressort toutà la fois des documents
qu'il présentepour sa défensecontre cette demande et de sesplaidoiries,
prétend lui aussique la presqu'îlede Bakassi fait partie de son territoire.
La question est celle-ci: qui faut-il croire? Or, comme je l'ai déjàdit, il
m'est impossible d'examiner cettequestion de manière exhaustive à ce
stade de la procédure.Elle ne sera tranchéedans un sens ou dans l'autre
que si la Cour peut un jour juger l'affaire au fond (puisque le Nigériaa
déposéle 18 décembre1995 des exceptions préliminairescontestant la

compétencede la Cour ainsi que la recevabilitéde la requêtedu Came-
roun). Il n'a été présenéla Cour, à mon avis, aucune preuve concluante
ni convaincantepermettant de détermineraveccertitude quelle était, àtel
moment, la position des Parties.Il estàl'évidencedifficilede statuer sur
ce pointà ce stade de la procédure.La Cour n'est saisieque de demandes
et de contre-demandes, d'allégations etde démentisqui émanentdes deux
Parties. Le Cameroun présente le Nigéria sous les traits d'un voisin bel-
liqueux, porté à recourir systématiquement à la force pour étendre son
territoire, qui aurait lancé plusieurs reprises, ces derniers temps, des
attaaues sur le territoire camerounais. Le Cameroun cherche aussi à
conGaincrela Cour de voir dans leNigériala partie qui ne veut pas hono-

rer les accords et traités bilatérauxconcernant le différend relatif la
frontière entrelesdeux pays. Le Nigéria,quant à lui, accusele Cameroun
d'êtrele fauteur de guerre et d'avoir tenté,dans un passé récen,echas-It also claimed that most of the civilianskilled during the recent incidents
are Nigerians and not Cameroonians. Nigeria even went to the extent
(CR 9614,pp. 82-90) of giving a graphic description of how Nigeria was
tactically attacked on 3 February 1996and on 16and 17February 1996
through the creeks of the Bakassi Peninsula. Cameroon claimed that
Nigeria now occupies some part of the Bakassi Peninsula by force of
arms while it drove the Cameroonian forces out of the area before it was
occupied mostly between 1994and 1996 and that it has never laid any
claim to the Bakassi Peninsula before 1993.

On the other hand, Nigeria claimed that up till the present time Cam-
eroon had never stationed or had any of its forces in the Bakassi Penin-
sula. For example, Nigeria remarked and stressed

"that unlike Nigeria, which has a number of military installations in
Bakassi, Cameroon has no fixedmilitary position there. It launched
its attackoutside the Peninsula" (CR 9613,p. 13).

It again emphasized the same fact :"1repeat, Mr. President, that prior to
3February 1996Cameroon had no military position in Bakassi" (CR 9613,
p. 66). But this point was not specificallyreplied to by Cameroon, even
though it claimed to have an administration set up in many places in
Bakassi, including Idabato 1and Idabato II. Even many of the maps sub-
mitted by Cameroon only indicate the military positions of Nigeria since
3 February 1996 and 16 and 17 February 1996, with nothing shown
about the military positions of Cameroon (Map A, Cameroon dossier).
On the issue of elections, Nigeria accused Cameroon of recently holding
elections within its territory. To counter this claim Cameroon put in
documents to show that the election was held within itsterritory (unfor-
tunately the date of the election was not indicated on this document)
(Exhibit H of Cameroon dossier).

The first question thatcomes to mind, in my opinion, concerning such

a request of this nature is the issue of facts and evidence that the Court
could rely upon in order to exerciseits discretion regarding this incidental
jurisdictionunder Article 41 of the Statute. But before this issue is exam-
ined reference should be made to the question of what is legallyrequired
of the Applicant regarding this kind of request. Article 73 (2)of the Rules
of Court provides that the requesting party must "specify the reasons
therefor, the possible consequences if it is not granted, and the measures
requested". In addition to the request filed, the Applicant has also pre-
sented a dossier of documents in support of the request. The question is
whether al1of the documents presented by the Applicant is sufficient for
the Court to exercise its discretion based on those facts. It should be
added here that Nigeria also presented its own bundle of documents in FRONTIÈRE TERRESTRE ET MARITIME (OP.IND.AJIBOLA) 40

ser le Nigériadu territoire qui est le sien dans la presqu'îlede Bakassi. Le
Nigériaaffirme que celle-ciest peuplée à quatre-vingt-dix pour cent de
Nigérians. Il affirme aussi que la plupart des civils tuéslors des récents
incidents étaientdes Nigérianset non des Camerounais. Le Nigéria est
allé jusqu'amontrer concrètement, à l'aide de cartes (CR9614,p. 82-90),
comment, tactiquement, il a étéattaqué le 3 février 1996 et les 16 et
17février1996 à partir des criques de la presqu'îlede Bakassi. Le Came-
roun affirme de son côté quele Nigéria occupe àprésent unepartie de la
presqu'îlede Bakassi par la force des armes, après avoirchasséles forces

camerounaises de cette zone qu'il n'occupeque depuis la périodeallant
de 1994 à 1996.LeCameroun soutient aussi que le Nigéria n'avait jamais
revendiquéla presqu'île de Bakassi avant 1993.
Le Nigéria affirme en revancheque, jusqu'à aujourd'hui, le Cameroun
n'avaitjamais cantonnéni déployé de forcesdans la presqu'îlede Bakassi.
A titre d'exemple,le Nigériafait remarquer avec insistance

((queleCameroun n'a aucune position militairefixedans la presqu'île
de Bakassi,à la différencedu Nigéria,qui y possèdeun certain nombre
d'installations militaires. C'est de l'extérieurde la presqu'île que [le
Cameroun] a lancé sonattaque sur la presqu'île.))(CR9613, p. 13.)

Le Nigéria soulignele fait: «Je répète,M. le Président, qu'avant le
3février[1996],leCameroun n'avait aucuneposition militaire à Bakassi.»
(CR9613,p. 66.) Or, le Cameroun n'apporte sur ce point aucun élément
de réponse précisalors même qu'il prétend disposer d'unaedministra-
tion en de nombreux endroits de Bakassi,notamment à Idabato 1età Ida-
bat0 II. Nombre de cartes présentéespar le Cameroun n'indiquent même
que lespositions militaires du Nigéria depuisle février1996et les 16et
17 février1996,sans fournir la moindre indication quant aux positions
militaires camerounaises (carte A du dossier du Cameroun). Au sujet des
élections, le Nigéria accuslee Cameroun d'avoir organisé récemment des
élections enterritoire nigérian.En réplique, leCameroun présente des
documents visant à prouver que le scrutin a été organissur son propre
territoire (la date du scrutin n'étantmalheureusement pas indiquée sur le

document) (pièce H du dossier du Cameroun).
A mon avis, la première question qui vient a l'esprit face à une
demande de cette nature est de savoir sur quels élémentsde fait et de
preuve la Cour peut se fonder si elleentend exercer le pouvoir discrétion-
naire que lui confère, titre de compétence incidente, l'article41 du Sta-
tut. Mais avant d'examiner cettequestion, il y a lieu de prêter attention
un autre problème: a quelles conditions le requérantest-iljuridiquement
tenu de satisfaire avant de présenter unedemande de ce type? Le para-
graphe 2 de l'article73du Règlement prévoitque le demandeur doit indi-
quer «les motifs sur lesquels [la demande] se fonde, les conséquences
éventuellesde son rejet et les mesures sollicitées».En l'espèce,'appui

de sa demande en indication de mesures conservatoires. le demandeur a
également présenté un dossiedrocumentaire. La question est donc de
savoir si l'ensemble de cette documentation déposéepar le demandeurreply to that of the Applicant and in support of its own argument that
the Court should not grant the request for an indication of provisional
measures at the instance of Cameroon.

What is the duty of the Court with regard to al1the documents now
presented for this incidental jurisdiction? Can the Court rely on these
documents and thereby grant the request of Cameroon? Has Cameroon
discharged its obligation to give enough "reason" why such request
should be granted? Cameroon's dossier in support of its request contains
the following :

(i) A sketch-map of the incidents showing the alleged territory of Cam-
eroon which had been occupied by Nigeria since 3 February 1996
and the area which had been occupied by Nigeria since 18February
1996.
(ii) Reports by the Cameroon authorities on the alleged clash of 3 Feb-
ruary 1996which include, inter alia, radio messages, telegram and
telex messages; they catalogued alleged attacks by the Nigerian
forces, places captured by them, as well as the intensity of the

alleged attacks.

(iii) Press reports by Agence France-Presse on 5 and 6 February 1996.

However, judging from the material placed by both Parties before the
Court certain facts appear to be undisputed which constitute, in effect,
the common ground in these proceedings. These facts are of a purely pro-
visional nature and do not involve any definitive finding of full facts in
this case and neither do they affect the ultimate decision on the merits in
the future. There are two categories of facts: first, those of the two major
incidents and, second, the international mediation and negotiation efforts
concerning the dispute.

With reference to the first category, both Parties, as can be gleaned
from the material presented in this case and the oral evidencein support,
agreed that there was an incident on 3 February 1996involving loss of
liveson both the military and civilianside. Similarly,there were incidents

on 16and 17February 1996involving loss of liveson both sides. Both of
these incidents occurred in the Bakassi Peninsula. Both incidents were
referred to as "skirmishes" in the communiquéof 17 February 1996.

The material supplied by both Parties refers to the mediation efforts of
President Eyadema of Togo which resulted in the signing of a commu-
niquéby the Foreign Ministers of Nigeria and Cameroon on 17Februarysuffità justifier l'exercicepar la Cour de son pouvoir discrétionnaire au

regard des faits visés.Il convient d'ajouter ici que le Nigéria,pour ré-
pondre au demandeur et étayersa propre argumentation, à savoir que la
Cour ne doit pas faire droità la demande camerounaise en indication de
mesures conservatoires, a lui aussi présenté sonpropre lot de documents.
Quelle doit êtrel'attitude de la Cour envers tous les documents dont
elle est désormais saisie dans l'exercice de cette compétence incidente?
Peut-elle se fonder sur ces documents pour faire droit a la demande
camerounaise? Le Cameroun s'est-il acquitté de l'obligation qui lui
incombe d'indiquer des «motifs» suffisants pour qu'il soitfait droit a sa
demande? Le dossier présentépar le Cameroun à l'appui de sa demande
contient les piècessuivantes:

i) Un croquis des incidents, indiquant la partie du territoire prétendu-
ment camerounais qui serait occupépar le Nigériadepuis le 3 février
1996 et la zone qui est occupéepar le Nigéria depuisle 18 février

1996.
ii) Des rapports des autoritéscamerounaises sur les affrontements qui
auraient eu lieu le 3 février1996, rapports qui contiennent notam-
ment des messages radio, des télégrammes et des télexc;es docu-
ments dressent l'inventaire des attaques que les forces nigérianes
auraient lancées, desemplacements qu'elles auraient conquis et rela-
tent l'intensité desattaques qui se seraient produites.
iii) Des dépêched se l'Agence France-Presse des 5 et 6 février1996.

Au vu des piècesque les deux Parties ont présentées à la Cour, il appa-
raît que certains faits ne sont pas contestéset qu'entre les versions qu'en
ont donnéesles Parties au cours de cette ~rocédureil existe concrètement
un dénominateur commun. Ces faits présentent un caractère éminem-
ment provisoire et ne permettent d'en déduire aucune conclusiondéfini-

tive quant àl'ensemble des élémentq sue met enjeu la présenteaffaire; ils
n'engagent pas non plus la décision finaleque prendra ultérieurementla
Cour sur le fond du différend.Ces faits relèventde deux catégories:la
première a trait aux principaux incidents, la seconde aux efforts de
médiationet de négociationqu'a suscitésle différend.
S'agissant de la premièrecatégorie de faits,les deux Parties, comme on
peut s'enrendre compte au vu des documents qu'ellesont présentés et des
élémentsde preuve qu'elles ont produits au cours des plaidoiries, sont
d'accord sur ceci:il y a eu le 3 février1996un incident qui a entraînédes
pertes en vies humaines, tant civilesque militaires. De même,ily a eu les
16 et 17 février1996 des incidents qui ont provoqué des pertes en vies
humaines des deux côtés. Les deux fois, lesincidents se sont produits
dans la presqu'île de Bakassi. Ils ont été qualifiéds'«escarmouches» dans
le communiauéen date du 17 février 1996.

La docunkntation fournie par les deux Parties fait étatdes efforts de
médiation du président Eyadema du Togo; ces efforts ont abouti à la
signature d'un communiqué,le 17 février1996,par les ministres des af-1996.This communiqué,which recognized the "skirmishes" that erupted
between the Parties on 3 February 1996"between the Nigerian forcesand
Cameroonian forces, stationed on the Bakassi Peninsula, resulted in
several casualties on both sides" (Exhibit E of the Cameroon dossier),
contains some important facts, as follows:

"This unfortunate incident which occurred after severalmonths of
relative peace on the Peninsula, led President Gnassingbe Eyadema
of the Republic of Togo to appeal to the Heads of State of the two
brotherly countries to demonstrate their confidence in hismediatory

role in thisatter, and to stop hostilities and resort to dialogue and
negotiation in solvingthe dispute."(Exhibit E of the Cameroon dos-
sier.)
The communiquéalso referred to the earlier efforts to maintain peace

between both Parties by recalling the Tunis Communiqué of 13 June
1994and the Kara Meeting of 4 to 6 July 1994.

On 5 February 1996, the United Nations Secretary-General issued a
press release in which he expressed deep concern about the "border
clash" between the Parties which resulted in several casualties; he urged
that both Parties should "show restraint and to withdraw their troops
from the border area to create the necessary conditions for the peaceful
settlement of their dispute", but most importantly the Secretary-General
called on both Parties to: "await the deliberation of the International
Court of Justice which is presently seized with the case" (Cameroon
dossier; emphasis added).
In response to letters received bythe President of the Security Council
(SI19941228,SI19941258,SI19941351and Sl19941472)from the Permanent
Representatives of Cameroon and Nigeria, he forwarded on 29 April
1994 identical letters to both Parties concerning the "border dispute
between Cameroon and Nigeria in relation to the Bakassi Peninsula". It

is important to refer comprehensively to the decision of the Security
Council as stated in the President'sletter in the following manner:
"The members of the Council have taken note of the communiqué
issued by the Central Organ of the Mechanism for Conflict Preven-
tion, Management and Resolution of the Organization of African

Unity (OAU) (Sl19941351,annex). The members of the Council
also welcome the fact that the dispute has been referred to the Inter-
national Court of Justice.
The members of the Council commend the initiative taken by the
Chairman of OAU and other mediation efforts aimed at assisting
the parties in reaching a political settlement. They urge the parties to
exercise restraint and to take appropriate steps, including continua-
tion of their dialogue and the development of confidence-building
measures. to restore confidence between them. FRONTIÈRE TERRESTRE ET MARITIME (OP.IND.AJIBOLA) 42

faires étrangèresdu Nigériaet du Cameroun. Ce communiqué,qui recon-
naît que les «escarmouches» ayant opposéle 3 février1996 «les forces
nigérianes etles forces camerounaises stationnées dans la presqu'île de
Bakassi avaient fait plusieurs victimesdes deuxôtés))(pièceE du dossier
du Cameroun), contient un certain nombre d'indications importantes,
notamment dans le passage ci-après :

«A la suite du regrettable incident, qui s'est produit après plu-
sieurs mois d'une paix relativedans la presqu'île, le présidents-
singhe Eyadema de la République duTogo a exhortéleschefs d'Etat
des deux pays frèresà lui faire confiance dans son rôle de médiateur

en cette affaire,mettre un terme aux hostilitésetà recourir au dia-
logue età la négociationpour résoudrele différend.))(PièceE du
dossier du Cameroun.) [Traduction du Greffe.]

Le communiqué mentionne aussi les efforts qui avaient été tentés anté-
rieurement en vue de maintenir la paix entre les deux Parties, rappelaàt
ce propos le communiquéde Tunis du 13juin 1994et la réuniontenue à
Kara du 4 au 6juillet de la mêmeannée.
Le 5 février1996, le Secrétaire général deN s ations Unies publie un
communiqué depresse dans lequel il exprime sa profonde préoccupation
après l'«accrochage frontalier)) qui a mis les Parties aux prises et a fait
plusieurs victimes; il exhorte les deux Parties(fairepreuve de retenue))
età retirer leurs troupes de la zone frontalière afin de créerles conditions
d'un règlement pacifiquede leur différend,mais le plus important est que
le Secrétaire général appelleles deux Parties à ((attendre que la Cour
internationale de Justice, qui est actuellement saisie de l'affaire, ait déli-

béré))(dossier du Cameroun; les italiques sont de moi).
En réponse à des lettres que lui ont adresséesles représentants perma-
nents du Cameroun et du Nigéria (SI19941228,SI19941258,SI19941351et
S119941472),le Président du Conseil de sécurité adresse à chacune des
Parties, le 29 février1994, une mêmelettre qui porte sur le ((différend
frontalier entre le Cameroun et le Nigéria relatif à la presqu'île de
Bakassi)). Il importe de citer intégralement cette décisiondu Conseil de
sécuritéque le Présidenténoncedans sa lettre en ces termes:

«Les membres du Conseil ont pris note du communiqué publié
par l'Organe central du Mécanismede l'organisation de l'unitéafri-
caine (OUA) pour la prévention, la gestion et le règlement des
conflits(Sl19941351,annexe). Ils se félicitent enoutre de ce que le
différenda étéportédevant la Cour internationale de Justice.
Les membres du Conseil accueillent avec satisfaction l'initiative
prise par le Président de l'Organisation de l'unité africaine etles

autres efforts demédiation tendantà aider lespartieà parvenir àun
règlement politique. Ilsdemandent instamment aux parties de faire
preuve de retenue et de faire le nécessairepour rétablir laconfiance
entre elles,notamment en poursuivant le dialogue et en prenant des
mesures de nature à instaurer la confiance. Council members encourage the parties to continue to pursue
their efforts for a peaceful resolution of the dispute in accordance
with the principles of the Charter of the United Nations and the
Charter of the Organization of African Unity.
The members of the Council request the Secretary-General, in
consultation with the Secretary-General of OAU, to follow develop-
ments and to use his good officesto help promote the ongoing dia-

logue aimed at resolving peacefully the dispute between the two
countries over the peninsula, and to keep Council members appro-
priately informed." (Sl19941519.)(Cameroon dossier.)

Other diplomatic appeals were made by the Secretary-General of the
Organization of African Unity, Mr. Salim Ahmed Salim, urging the
peaceful resolution of the dispute and the ambassadors of the European
Union also called on both Parties to abstain from armed conflict and
to withdraw to positions occupied before the Court was seised of the
matter.

III. LEGAL CONDITION AND GROUND SOR THE INDICATIO OF
PROVISIONA MLEASURES

A. Prima Facie Jurisdiction

In al1cases in which the Court is called upon to exercise its power to

indicate provisional measures, it must satisfy itself,as one of them-
stances" referred to in its Statute, that it has prima facie jurisdiction.
However, a clear distinction has always beendrawn between the jurisdic-
tion of the Court to determine the case on its merits (which is not to be
considered at this stage of the proceedings) and itsjurisdiction to indicate
provisional measures. However the two issuesare not unconnected,since
both are based on the consent of the Respondent State. A clear distinc-
tion has been drawn between "consent to Statute" and "consent to case".

1s the prima facie jurisdiction of the Court in doubt in this matter?
This question may need to be examined with great care before any
answer can be given one way or the other. Nigeria accepted the compul-
sory jurisdiction of the Court when, on 3 September 1965, it made its
declaration in accordance with Article 36,paragraph 2, of the Statute, on
the sole condition of reciprocity. Cameroon made its own declaration of
acceptance of the compulsory jurisdiction of the Court on 3 March 1994.
Neither State includes any reservation in its declaration. One would have
presumed that this fact might be sufficienttonable the Court to satisfy

itself that it has prima facie jurisdiction. Unfortunately, an element of
doubt - sufficient to justify judicial caution on this -sswas intro-
duced by the Respondent when Nigeria argued the absence of substantial FRONTIÈRE TERRESTRE ET MARITIME (OP.IND.AJIBOLA) 43

Les membres du Conseil encouragent les parties à continuer à
s'efforcerde parvenir àun règlement pacifiquedu différend, confor-
mément auxprincipes de la Charte des Nations Unies et de la Charte
de l'organisation de l'unité africaine.
Les membres du Conseil demandent au Secrétaire général, agis-
sant en consultation avec le Secrétairegénéralde l'organisation de

l'unité africaine,de suivre la situation et d'offrir ses bons offices
pour contribuer à promouvoir le dialogue qui s'est engagéen vue de
résoudrepar des moyens pacifiques le différendentre les deux pays
au sujet de la presqu'île et de tenir les membres du Conseil au cou-
rant, selon qu'il conviendra. (SI19941519 ;dossier du Cameroun.)

D'autres démarches diplomatiques ont été effectuéep sar M. Salim
Ahmed Salim, Secrétairegénéralde l'organisation de l'unitéafricaine,
qui a instamment prié lesParties de résoudre pacifiquement le différend
qui les oppose, et par les ambassadeurs de l'Union européenne,qui ont
aussi appeléles deux Parties às'abstenir detoute intervention militaire et
à sereplier surlespositions qui étaientlesleurs avant la saisinede la Cour.

III. LES CONDITIONS ET LES MOYENS JURIDIQUES DE L'INDICATION
DE MESURES CONSERVATOIRES

A. La compétenceprima facie

Chaque fois que la Cour est amenée àexercer son pouvoir d'indiquer

des mesures conservatoires, elle doit s'assurer, et cela fait partie des «cir-
constances))mentionnéesdans son Statut, qu'elle estprima facie compé-
tente. On a toujours clairement distinguéla compétence dela Cour pour
ce qui est de statuer sur le fond (laquelle n'entre pas en ligne de compte
ce stade de la procédure)et sa compétencepour ce qui est d'indiquer des
mesures conservatoires. Néanmoins, ces deux formes de compétencene
sont pas sans rapport puisqu'elles reposent l'une et l'autre sur le consen-
tement de 1'Etatdéfendeur.Il est clairement établi une distinction entre
l'«adhésionau Statut)) et le ((consentement au règlementd'une affaire)).
Y a-t-il doute sur la compétenceprima facie de la Cour en l'espèce?Il

convient d'examiner cette question très attentivement avant de se pro-
noncer dans un sens ou dans l'autre. Le Nigériaa acceptéla juridiction
obligatoire de la Cour lorsque, le 3 septembre 1965,il a fait sa déclara-
tion au titre du paragraphe2 de l'article36 du Statut, sous la seulecondi-
tion de réciprocité. e Cameroun a fait sa déclaration d'acceptation dela
juridiction obligatoire de la Cour le 3 mars 1994. Les déclarations des
deux Etats sont exemptes de toute réserve.On pourrait penser que ce fait
suffità donner à la Cour l'assurance qu'elle estcompétentepri~nafacie.
Malheureusement, un élémendte doute - qui suffià inciteràfaire preuve

de prudence judiciaire sur ce point - a étéintroduit par le défendeur
lorsqu'il a fait valoir que, du côtédu Cameroun, tant la condition subs-reciprocity and an absence of good faith on the part of Cameroon
(CR 9613,pp. 40-45). Nigeria contended that

"if we assume ...that by virtue of its declaration Cameroon thereby
acquired a right to institute proceedings against Nigeria, then the
surreptitious way in which Cameroon set about making its declara-
tion and subsequently acting on it against Nigeria amounted to an
abusive exercise of that right" (CR 9613,p. 45).

Nigeria also said, on the issue of lack of good faith by Cameroon, that
"that is not the conduct of a State conducting itself with the degree of
good faith which Nigeria is entitled to expect" (CR 9613,p. 44). On this
argument Nigeria concluded that:

"It is themanifest character of these facts whichjustifies Nigeria's
submission that not only is the Court without substantive jurisdic-
tion over Cameroon's Application, but Camerooncannot even estab-
lish that the Court has a prima facie basis for jurisdiction." (CR 9613,
p. 43.)

Nigeria's objection on this ground also includes an assertion that the
Application of Cameroon is inadmissible.
It was argued by Cameroon that, on the basis of the decision in the case
concerning Right of Passage over Indian Territory (Preliminary Objec-
tions,1.C.J. Reports 1957,p. 125),the contention of Nigeria cannot be a
valid one in law. However, while 1do not wish to go into the details of
that decision,1would point out that that case dealt with the issue of sub-
stantivejurisdiction on the merits and not prima faciejurisdiction for the
purpose of an indication of provisional measures, and that most of the
objections raised in that case with regard to the declarations of both
India and Portugal under Article 36, paragraph 2, of the Statute, dealt
with the issue ofratione temporis and were not based on the issue of lack
of good faith and admissibility.

Perhaps 1 should echo the observation of Judge M. C. Chagla in his
dissenting opinion in the Right of Passage over Indian Territory case:

"1 should like to make one general observation with regard to the
question of the jurisdiction of the Court. It has beenaid that a good

judge extends hisjurisdiction. This dictum may be true of ajudge in
a municipal court; it is certainly not true of the International Court.
The very basis of thejurisdiction of this Courtis the willof the State,
and that will must clearly demonstrate that it has accepted the juris-
diction of the Court with regard to any dispute or category of dis-
putes. Therefore, whereas a municipal court may liberally construe
provisions of the law which confer jurisdiction upon it, the Interna-
tional Court on the other hand must strictly construe the provisions
of the Statute and the Rules and the instruments executed by thetantielle de réciprocitéque la bonne foi faisaient défaut(CR9613, p. 40-
45). Le Nigériadit en effet:

«si 1'011part de l'hypothèse ...que, de par sa déclaration, le Came-
roun a acquis le droit d'introduire une instance contre le Nigéria,
alors la manière subrepticepar laquelle le Cameroun a entrepris de
faire sa déclaration puis de l'invoquer contre le Nigériaconstitu[e]
un exercice abusif de ce droit» (CR9613, p. 45).

Sur le manque de bonne foi du Cameroun, le Nigériaajoute qu'«un Etat
qui fait preuve du degrédebonne foi que leNigéria est en droitd'escomp-
ter ne saurait se conduire de la sorte» (CR 9613,p. 44). Et le Nigériade
conclure que :

((C'estle caractère manifeste de ces faits qui justifie la conclusion
du Nigéria selon laquellenon seulement la Cour n'est pas compé-
tente pour juger dela requêtedu Cameroun, mais aussi que leCame-
roun ne peut mêmepas établir que la Cour est compétente prima
facie. >)(CR 9613,p. 43.)

L'exception soulevéepar le Nigéria sur ce terrain comprend aussi
l'affirmation que la requêtecamerounaise est irrecevable.
Le Cameroun, se fondant sur la décision en l'affairedu Droit de pas-
sage sur territoire indien (exceptions préliminaires, C.1.J. Recueil 1957,
p. 125),fait valoir que la thèsedu Nigéria nesaurait avoir de valeur juri-
dique. Sans procéder à un examen détailléde la décision invoquée,je
voudrais toutefois faire remarquer que cette affaire portait sur la ques-
tion substantielle de la compétencede la Cour quant au fond du diffé-
rend, et non pas sur sa compétenceprimafacie pour indiquer des mesures
conservatoires; la plupart des exceptions soulevées enl'espèceen ce qui
concerne lesdéclarationsfaites tant par l'Inde que par le Portugal au titre
du paragraphe 2 de l'article 36 du Statut portaient sur la compétence
ratione temporis de la Cour et ne reposaient pas sur la question de savoir

si l'élémend te bonne foi faisait défaut etsi la requêteétaitrecevable.
Je crois devoir rappeler ici l'observation faite par M. C. Chagla dans
son opinion dissidente en l'affaire du Droit de passage sur territoire
indien :
((J'aimerais faire une observation d'ordre général relative à la

question de lajuridiction de la Cour. Il a étésoutenu qu'un bon juge
élargit sa compétence.Cette affirmation peut êtrevraie lorsqu'il
s'agitd'unjuge dans un tribunal régipar le droit interne; elle ne l'est
certainement pas de la Cour internationale. La base mêmede lajuri-
diction de cette dernière est lavolonté del'Etat, et cette volontédoit
clairement démontrerque celui-ci a acceptéla juridiction de la Cour
à l'égardde tout différendou de toute catégoriede différends.Pour
cette raison, tandis qu'un tribunal de droit interne peut interpréter
libéralementles dispositions juridiques lui conférantcompétence,la
Cour internationale, au contraire, doit interpréter strictement lesdis- States in order to determine whether the State objecting to its juris-
diction has in fact accepted it." (I.C.J. Reports 1957, p. 180.)

Perhaps it ispremature to go too deeply into the issue ofjurisdiction at
this stage, other than to examine the objection put forward by Nigeria
that there is not even prima faciejurisdiction justifying the Court in the
indication of provisional measures. In view of the serious doubts now
cast on this matter by Nigeria together with its argument of the absence
of substantial reciprocity based on a lack of good faith by Cameroon,
which rnay need to be further developed and explained at the next stage
of this case, 1 would rather be inclined to take an attitude of judicial
caution and decline to indicate provisional measures as requested by

Cameroon. Some of us are perhaps mindful of the dilemma implied
by this view, which 1 shall deal with later. It was well expressed by
Sir Hersch Lauterpacht as follows :

"However, when the defendant State declines to recognise the
competence of the Court on the ground that the dispute is not cov-
ered by the terms of its submission to the Court's jurisdiction, a
dilemma arises which, on the face of it, is not easy of solution. From
the defendant State's point of viewit seemsimproper that the Court
should indicate interim measures of protection so long as it has not
ascertained that it possesses jurisdiction. For compliance with the
Order rnay prevent the defendant State - conceivably for a pro-
longed period - from exercising its legitimate rights in a matter
with regard to which the Court rnay eventually find it has no juris-

diction. On the other hand, from the point of view of the plaintiff
State, an Order 'indicating' interim measuresrnay be of such urgency
that to postpone it until the Court has finally decided, in proceedings
which rnay take a long time, Liponthe question of itsjurisdiction on
the merits rnay well render the remedy illusory as the result of the
destruction of the object of the dispute or for other reasons." (Sir
Hersch Lauterpacht, The Development of International Law by the
International Court, pp. 110-111 .)

However, in view of the fact that negotiations are continuing on a bilat-
eral basis between the Parties, it rnay not be out of place to take this
present situation into account, in order to ensure that nothing is done to
jeopardize such an amicable solution to a border dispute between two
neighbouring countries who are both members of the OAU. This is one

of the reasons why 1 supported the first operative part of the Court's
Order. It rnay not, therefore, be out of place to note again the view of
Sir Hersch Lauterpacht in his separate opinion in the Interhandel case: FRONTIERE TERRESTRE ET MARITIME (OP. IND.AJIBOLA) 45

positions du Statut et du Règlement etles instruments signéspar les
Etats, afin de déterminer si1'Etat qui a soulevé une exception à sa

compétence l'a, en fait, accepté))(C.I.J. Recueil 1957, p. 180.)
11est peut-êtreprématuré àce stade d'entrer par trop dans le détailde

ce problème de compétenceet il faut se contenter d'examiner l'exception
soulevéepar le Nigéria, lequelsoutient que la Cour n'aurait mêmepas la
compétence prima facie lui permettant d'indiquer des mesures conserva-
toires. Je serais assez enclànadopter une attitude de prudence judiciaire
et à m'abstenir d'indiquer les mesures conservatoires demandéespar le
Cameroun à cause de la sérieusemise en question par le Nigériade la
compétence prima facie de la Cour et àcause de sa thèse,qui est que tant
la condition substantielle de réciprocitéque l'élémente la bonne foi font
défaut chez le Cameroun, points qu'il faudra peut-êtredévelopper et

expliquer plus avant dans la prochaine phase de l'affaire. D'aucuns parmi
nous ont peut-êtreprésent à l'esprit le dilemme qu'implique un tel parti;
j'y reviendrai plus tard. Ce dilemme a étéfort bien traduit par sir Hersch
Lauterpacht dans les termes suivants :

((Toutefois,lorsque 1'Etatdéfendeur estime qu'il lui est impossible
de reconnaître la compétencede la Cour au motif que le différend
n'entre pas dans le cadre définipar les termes de son acceptation de
laditecomdtence. on se trouve face à un dilemme dont il n'est. à
premièrev'ue,pas'facile de sortir. Du point de vue de 17Etatdéfgn-
deur, l'indication de mesures conservatoires par la Cour peut pa-
raître malvenue tant qu'elle ne s'est pas assuréede sa compétence.

En effet, en se conformant à l'ordonnance, 1'Etatdéfendeurpeut se
trouver empêché - éventuellementpendant une longue période -
d'exercerses droits légitimesdans une affaireà propos de laquelle la
Cour risque de conclure au bout du compte qu'elle n'apas compé-
tence. Du point de vue de 1'Etat demandeur, en revanche, une
ordonnance (tindiquant » des mesures conservatoires peut revêtirun
caractère d'urgence tel qu'attendre que la Cour finisse par statuer,
après une procédurequi peut être fortlongue, sur la question de sa
compétencequant au fond peut trèsbien rendre illusoire la répara-

tion ordonnée du fait de la destruction de l'objet du différendou
pour d'autres raisons.)) (Sir Hersch Lauterpacht, The Development
of International Law by the International Court, p. 110-111.)

Mais il n'est peut-êtrepas déplacéde tenir compte des négociationsque
poursuivent sur un plan bilatéralles Parties, et ce afin de s'assurer que
rien n'est fait qui puisse compromettre le règlementamiable d'un conflit
frontalier entre deux pays voisins, membres l'un et l'autre de l'Organisa-
tion de l'unité africaine. C'estlà l'une des raisons qui m'a conduit à
approuver lepremier alinéadu dispositif de l'ordonnance. Il n'est dèslors
peut-êtrepas inutile de relever le point de vue qu'exprime de nouveau

dans son opinion individuelle sir Hersch Lauterpacht en l'affaire de
l'lnterhandel:46 LAND AND MARITIME BOUNDARY (SEP. OP.AJIBOLA)

"However, it is one thing to Say that action of the Court under
Article 41 of the Statute does not in any way prejudge the question
of its competence on the merits and that the Court need not at that
stage satisfy itself that it has jurisdiction on the merits or even that
its jurisdiction is probable; it is another thing to affirm that the
Court can act under Article 41 without any regard to the prospects
of itsjurisdiction on the merits and that the latter question does not
arise atal1in connection with a request for interim measures of pro-
tection. Governments which are Parties to the Statute or which have
undertaken in some form or other commitments relating to the
obligatory jurisdiction of the Court have the right to expect that the

Court willnot act under Article 41 in cases in which absence ofjuris-
diction on the merits is manifest. Governments ought not to be dis-
couraged from undertaking, or continuing to undertake, the obliga-
tions of judicial settlement as the result of any justifiable apprehen-
sion that by accepting them they may become exposed to the
embarrassment, vexation and loss, possibly following upon interim
measures, in cases in whichthere is no reasonable possibility,prima
facie ascertained by the Court, ofjurisdiction on the merits. Accord-
ingly, the Court cannot, in relation to a request for indication of
interim measures, disregard altogether the question of its compe-
tence on the merits." (I.C.J. Reports 1957, p. 118.)

B. Urgency

Invariably, an element of urgency is one of the "circumstances" that
may lead a party to ask the Court for the indication of provisional meas-
ures. Article 74 of the Rules of Court, which provides that such request
shall have priority over al1other cases, also Statesin paragraph 2 that:

"The Court, if it is not Sittingwhen the request is made, shall be
convened forthwith for the purpose of proceeding to a decision on

the request as a matter of urgency."
A clear definition of urgency was given in the case concerning Passage
through the Great Belt as follows:

"Whereas provisional measures under Article 41 of the Statute are
indicated 'pending the final decision' of the Court on the merits of
the case, and are therefore only justified if there is urgency in the
sense that action prejudicial to the rights of either party is likely to
be taken before such final decision is given" (I.C.J. Reports 1991,
p. 17,para. 23).

In its request, Cameroon argues that there is urgency in this case.
Nigeria denies it. In support of its argument, Cameroon refers to al1the
incidents that occurred in the recent past, especially before and after the
filing of its Application in the Court on 29 March 1994.It refers in par- ((Toutefois, c'est une chose de dire que les mesures prises par la
Cour en vertu de l'article1 du Statut ne préjugent en rienla ques-
tion de sa compétence au fond et que la Cour n'a pas, au stade
actuel,à s'assurer qu'ellea compétencesur le fond ou que sa com-
pétence estprobable, et c'est une autre chose que d'affirmer que la
Cour peut agir en vertu de l'article1, sans tenir compte des possi-
bilitésde sa compétenceau fond, et que cette dernière question ne se
pose aucunement à propos d'une demande en indication de mesures
conservatoires. Les gouvernements parties au Statut, ou qui ont pris,

sous une forme ou sous une autre, des engagements se rapportant à
la compétenceobligatoire de la Cour, ont le droit d'escompter que
celle-cin'agira pas en vertu de l'article 41 lorsque l'absence de com-
pétenceau fond est manifeste. Il convient de ne pas découragerles
gouvernements d'accepter ou de continuer d'accepter les obligations
du règlement judiciaire, en raison de la crainte justifiéequ'en les
acceptant ils risqueraient de s'exposerla gêne, aux vexations etaux
pertes pouvant résulterde mesures conservatoires dans le cas où il
n'existe aucune possibilitéraisonnable de compétenceau fond véri-
fiéepar la Courprirnafizcie. Par conséquent, laCour ne peut, àpro-
pos d'une demande en indication de mesures conservatoires, négliger
complètementla question de sa compétenceau fond. »(C.I.J. Recueil
1957, p. 118.)

B. L'urgence

L'élément d'urgence esitmmanquablement l'une des «circonstances»
qui peuvent amener une partie à demander à la Cour d'indiquer des
mesures conservatoires. L'article4 du Règlementde la Cour dispose que
cette demande a priorité sur toutes autres affaires; le paragraphe 2 dudit
article prévoit aussique:

«Si la Cour ne siègepas au moment de la présentation de la
demande, elle est immédiatementconvoquéepour statuer d'urgence
sur cette demande.»
La Cour a donné une définition clairede l'urgence dans l'affaire du
Passagepar le Grand-Belt, quand elle dit:

((Considérantque les mesures conservatoires visées à l'article 41
du Statut sont indiquées «en attendant l'arrêtdéfinitif))de la Cour
au fond et ne sont par conséquentjustifiéesque s'il y a urgence,
c'est-à-dire s'ilest probable qu'une action préjudiciable auxdroitsde
l'une ou de l'autre Partie sera commise avant qu'un tel arrêtdéfinitif
ne soit rendu» (C.I.J. Recueil 1991, p. 17,par. 23).

Dans sa demande, le Cameroun soutient qu'il y a urgence en l'espèce.
Le Nigéria nie qu'il en soit ainsi.A l'appui de sa thèse,le Cameroun fait
mention de tous les incidents qui se sontproduits depuis peu, notamment
avant et après le dépôt de sa requêteau Greffe de la Cour, le 29 marsticular to the incidents of 3 February 1996,and 16and 17February 1996,
apart from al1the diplomatic attempts to settle the dispute which proved
futile. Nigeria, for its part, considers thee request of Cameroon to
have become "moot" because there was no need for it, as hostilities have
ceased while moves to settle the dispute are at the moment progressing

and will ultimately involve the Heads of State of both countries on a
bilateral basis.

Considering al1the intermittent incidents in the recent past involving
sporadic clashes that have degenerated intorious skirmishes and which
could possibly explode into a full-scale war, can it be denied that this
request is urgent?1take the view that this is a serious and very urgent
situation which urgently requires attention of the Court. The Court took
such speedy action recently in the case concerning Application of the

Convention on the Prevention andPunishment of the Crime of Genocide,
when an Order was promptly made on 8April 1993(1.C.J. Reports 1993,
p. 3). It is therefore difficult for me to accept Nigeria's view that there is
nothing urgent in this matter. In my view, it is extremely urgent.

IV. THEREQUEST SF CAMEROO ANND THE LEGAL BASISFOR AN
INDICATIO OF PROVISIONM AELASURES

It may now be as well for me to consider the three requests for the

indication of provisional measures as requested by Cameroon against the
background of conflicting accounts of the fac-s a problem referred to
in the case concerningApplication of the Convention on the Prevention
and Punishment of the Crime of Genocidein the following terms:

"Whereas the Court, in the context of the present proceedings on
a request for provisional measures, has in accordance with Article 41
of the Statute to consider the circumstances drawn to its attention
[as requiring the indication of provisional measures, but] cannot
make definitive findings of fact or of imputability, and the right of
each Party to dispute the facts alleged against it, to challenge the
attribution to it of responsibility fore facts, and to submit argu-
ments in respect of the merits, must remain unaffected by the Court's
decision" (I.C.J.Reports 1993, p. 347, para. 48; emphasis added).

Again before considering the three requests of Cameroon the Court

was bound to examine the essential objects or factors that form the legal
bases for the indication of provisional measures, in accordance with
Article 41 of thetatute: FRONTIÈRE TERRESTRE ET MARITIME (OP.IND.AJIBOLA) 47

1994.Tout en signalant toutes les tentatives de règlementdiplomatique
du différendqui se sont avéréesinfructueuses, il vise plus particulière-
ment les incidents du3 févrieret des 16et 17février 1996.De son côté,le
Nigéria considère que la demande mêmedu Cameroun est désormais
«sans objet»car ellene répond àaucune nécessité: les hostilitsnt cesse
et les démarchesengagéespour réglerle différendmarquent actuellement

des progrès et vont à terme faire appelà l'intervention des chefs d7Etat
des deux pays dans un cadre bilatéral.
Pourtant, quand on considèrel'ensemble des incidentsqui se sont pro-
duits par intermittence, ces derniers temps, sous la forme d'accrochages
sporadiques et ont dégénéré ee nscarmouches sérieuses,de nature à
exploser peut-êtreen véritable guerre,peut-on nier que cette demande en
indication de mesuresconservatoires soit placéesous lesignede l'urgence?
J'estimeque l'on est en l'occurrence faceune situation sérieusequi exige
d'agir très rapidement et doit retenir sans délai l'attention de la Cour.

Celle-cia fait preuve récemment de diligence dans l'affaire relative à
l'Application de la convention pour lapréventionet la répressiondu crime
de génocideen rendant sans tarder son ordonnance du 8 avril 1993
(C.1.J. Recueil 1993,p. 3).Il m'est donc difficilede me rangàrl'avisdu
Nigériaquand ce dernier prétend qu'il n'y a rien d'urgent en l'espèce.
Selon moi, il y a urgence.

IV. LES MESURES DEMANDÉES PAR LE CAMEROUN
ET LE FONDEMENT JURIDIQUE
DE L'INDICATION DE MESURES CONSERVATOIRES

Peut-êtreconvient-il d'examiner à présentles trois mesures conserva-
toires demandéespar le Cameroun au regard des versions contradictoires

qui ont été donnéed ses faits; un problème de ce type a étéévoquédans
l'affaire relativel'Application de la conventionpour laprévention etla
répressiondu crime de génocide dans les termes suivants:

((Considérant que la Cour, dans le contexte de la présentepro-
cédureconcernant une demande en indication de mesures conser-
vatoires, doit, conformément à l'article 41 du Statut, examiner les
circonstances portéesà sen attention [au motif qu'elles exigent l'in-
dication de mesures conservatoires,mais] qu'ellen'est pas habilitée
àconclure définitivementsur les faits ou leur imputabilitéet que sa
décisiondoit laisserintact le droit de chacune des Parties de contester
les faits alléguéscontre elle, ainsi que la responsabilitéqui lui est
imputéequant à ces faits et de faire valoir ses moyens sur le fond))

(C.I.J. Recueil 1993, p. 347, par. 48; les italiques sont de moi).
Là encore, la Cour, avant de se pencher sur les trois mesures qu'a
demandéesle Cameroun, était tenue d'examiner les éléments ou facteurs

essentiels qui constituent le fondement juridique de l'indication de me-
sures conservatoires conformément à l'article 41 du Statut:(i) The Court S discretion

The indication of provisional measures by the Court is a matter for the
exclusive discretion of the Court which it may or may not exercise,
depending on the circumstances of any particular case. Some schools of
thought in international law consider this discretionary power to be a
part of the inherent power of international tribunals. However, since the

Court is by Article 30 of the Statute empowered to make its own rules,
provision is made for this unfettered discretion to take action proprio
motu under Article 75 of the Rules. 1shall return again to this important
discretionary power later on.

(ii)Prejudging the issue

The Court should also avoid prejudging the merits of the case. This
seems, in my view, to have been the Court's dilemma when indicating
provisionalmeasures in the Anglo-Iranian Oil Co.case.TheCourt pointed
out that

"the indication of [provisional] measures in no way prejudges the
question of the jurisdiction of the Court to deal with the merits of
the case and leaves unaffected the right of the Respondent to submit
arguments against such jurisdiction" (I.C.J. Reports 1951, p. 93),
but ultimately decided that it had no jurisdiction.
If we stop here for a moment and consider one of the requests of Cam-
eroon with regard to this essential factor or object, there is no doubt that

the Court would be prejudging the issue if it were to grant that request.
The first measure requested by Cameroon is that "the armed forces of the
Parties shall withdraw to the position they were occupying before the
Nigerian armed attack of 3 February 1996" (emphasis added). This must
lead one to wonder where the armed forces of the Parties werepositioned
prior to 3 February 1996? Although this was denied by Cameroon
(CR 9614,p. 67) there was no indication of the specific place that the
Cameroonian armed forces were occupying. An indication was given in
one of Cameroon's maps as to the location of the Nigerian armed forces
since 3 February 1996and since 16 and 17 February 1996,and no loca-
tion of Cameroon's forces was indicated. However Nigeria claimed that
its forces were al1the time positioned at those locations. If, arguendo,
these locations were occupied by the Nigerian armed forces before 3 Feb-
ruary 1996,to indicate a provisional measure that Nigeria should with-
draw from such places which it claims to be its territory would clearlybe
prejudging the issue. Nigeria has persistently claimed that

"the Bakassi Peninsula has been part of Nigeria and from time
immemorial has been administered as such. In this context, the FRONTIÈRE TERRESTRE ET MARITIME (OP. IND. AJIBOLA) 48

i) Le pouvoir discrétionnaire de la Cour

L'indication de mesures conservatoires relèveexclusivement du pou-
voir discrétionnairede la Cour; celle-ci a toute libertépour l'exercerou
non, en fonction des circonstances de chaque cas d'espèce.En droit inter-
national, certaines écolesde penséeconsidèrent que ce pouvoir discré-
tionnaire fait partie des compétences inhérentes àtoute juridiction inter-
nationale. Quoi qu'il ensoit, la Cour est habilitéepar l'article0 de son
Statut à établir son propre Règlement, et l'article75 dudit Règlement
prévoit qu'elle peut exercerd'office ce pouvoir discrétionnaire qui ne

connaît pas de limites.Je reviendrai plus tard sur l'importance de ce pou-
voir discrétionnaire.

ii)Préjuger de laquestion

La Cour doit aussi éviterde préjugerdu fond de l'affaire. Là résideun
dilemme auquel la Cour a, me semble-t-il, étéconfrontéelorsqu'il lui a
été demandé d'indiquerdes mesures conservatoires dans l'affaire de
1'Anglo-IranianOil Co. La Cour, en l'occurrence, a fait observer:

«que l'indication de...mesures [conservatoires]ne préjuge en rien la
compétencede la Cour pour connaître au fond de l'affaire et laisse
intact le droit du défendeur de fairevaloir ses moyens à l'effetde la
contester» (C.I.J. Recueil 1951, p. 93),
mais elle s'estfinalement déclarée incompétente.

Si l'on s'arrêteun instant pour examiner l'une des mesures sollicitées
par le Cameroun sous l'anglede cet élémeno t u objectif essentiel, il appa-
raît sansconteste que la Cour préjugeraitdu fond de l'affaire siellefaisait
droit à ladite demande. Celle-ci, la première mesure sollicitéepar le
Cameroun, est que «les forces armées desParties se retirerontà l'empla-
cement qu'elles occupaient avant l'uttaque arméenigérianedu 3 février
1996))(les italiques sont de moi). Il faut donc établiroù se trouvaient les
forces armées des Parties avant le 3 février1996. L'emplacement précis
qu'occupaient les forces du Cameroun n'a pas étéindiqué,mêmesi cet
Etat n'a pas voulu en convenir (CR 9614,p. 67). L'une descartes présen-
téespar le Cameroun indiquait l'emplacement des forces arméesnigé-

rianes depuis le 3 février1996 et depuis les 16 et 17 février1996, sans
indiquer la position des forces camerounaises. Or, le Nigéria affirmeque
sesforcesont toujours étécantonnées à l'endroit où ellesétaientdéployées.
Si l'on suppose, pour les besoins de la démonstration, qu'il s'agissait des
positions occupéespar les forces armées nigérianesavant le 3 février
1996,inviter le Nigéria,par l'indication d'une mesureconservatoire, à se
retirer de positions qui, selon lui, se situent sur son territoire reviendrait
manifestement à préjugerdu fond de l'affaire. Le Nigériaa constamment
soutenu que

«la péninsulede Bakassi fait depuis des temps immémoriaux partie
du Nigériaet a étéadministrée à ce titre. Dans ce cadre, les forces armed forces of Nigeria as and when required maintain units sta-
tioned at various points within the region, and have likewisepatrolled
the region. There has been no change in this respect since3 February
1996." (CR 9614,p. 109.)
At this stage of the proceedings, 1 would find it difficult, therefore, to
support the decision of the Court that Nigeria should withdraw "from its
territory". Apart from the controversial aspect of the binding or non-
binding nature of the indication of provisional measures, it is my humble
view that the Court should be cautious and refrain from making an

Order which is impossible to comply with. The Court does not do any-
thing in vain, judicium non debet esseillusorium; suum effectum habere
debet.

(iii) Preservation of the respective rights of the parties pending final
judgment in the case

This is a very important factor to be considered by the Court in a
matter of this kind. Sir Gerald Fitzmaurice explained it by saying that

"apart from the general object of preserving the parties' rights as
finally determined by the Court, the object is to do so in the interests
of both parties equally; and further that the main purpose of the
power to act proprio motu is to ensure that the Court can always do
this, and is not confined to doing so only if one of the parties so
requests" (Fitzmaurice, The Law and Procedureof the International
Court of Justice, Vol. II, p. 544; second emphasis added).

This can be seen as the glaring difficulty in the second request of Cam-
eroon when the Court is asked to request that "the parties shall abstain
from al1military activity along the entire boundary until thejudgment of
the Court takes place" (emphasis added). There are four obvious diffi-
culties here, which constitute reasons why the Court cannot possibly
grant this request :

(a) The request of Cameroon as presented to the Court virtually deals
with the area of the Bakassi Peninsula and any material with regard
to other parts of the boundary is either absent, or very scanty and
not such as to be relied upon.

(b) Secondly, evidence was only givenabout some rather vague military
activities in the Bakassi Peninsula area, not in the region of Lake
Chad.

(c) How could the Court possibly stop either Cameroon or Nigeria from
carrying on military activities within their respective boundaries?
(d) Where is the evidence clearly indicating the boundary between the arméesdu Nigériadéploient,en tant que de besoin, des unitésen
divers points de la région, où elles ont de même effectué des
patrouilles. Rien n'a changé à cet égard depuisle 3 février1996.))
(CR 9614,p. 109.)

A ce stade de l'instance, j'aurais quelque difficulté approuver une
décisionde la Cour invitant le Nigéria à se retirer «de son territoire)).
Abstraction faite de la question controversée du caractère contraignant
ou non de l'indication de mesures conservatoires, la Cour devraità mon
humble avis, faire preuve de prudence et s'abstenir de rendre une ordon-
nance à laquelle il est impossible de se conformer. La Cour ne doit rien
faire inutilement. Judicium non debet esse illusorium; suum effectum
habere debet.

iii) Sauvegarder lesdroits respectifs des parties en attendant que la Cour
rende sonjugement définitifen 1'espèce

Il s'agit là d'un facteur important que la Cour doit prendre en consi-
dérationdans une affaire de ce genre. Sir Gerald Fitzmaurice a expliqué
cela de la sorte:
((outrel'objectif généraclonsistaàtsauvegarder lesdroits desparties
tels que les définira la décision définitiee la Cour, l'idéeest de
veillerà ce que cet objectif soit réalidans l'intérêét galdes deux

parties; et aussi laprincipale finalitédupouvoir d'agird'officeest de
faire en sorte que la Cour puisse toujours agir en ce sens sans être
tenue d'uttendre qu'une des parties le lui demande)) (Fitzmaurice,
The Law and Procedureof the International Courtof Justice, vol. II,
p. 544; les italiqueà,la fin de l'extrait, sont de moi).
Là réside la difficulflagrante que soulèvela deuxième mesure solli-

citéepar le Cameroun qui tend à ce que la Cour invite ((les Parties [a
sabstenir] de toute activité militairele long de lafrontièrejusqu a l'inter-
vention de l'arrêtde la Cour» (les italiques sont de moi). On est en pré-
sence de quatre problèmes évidents,qui font que la Cour ne saurait
indiquer la mesure demandée :

a) Cexclusivement la zone de la presqu'île de Bakassi et la Cour ne dis-

pose pas d'éléments ayant traità d'autres parties de la frontière; ou
bien les éléments ensa possession sont trèslacunaires et la Cour ne
peut pas se fier eux.
b) Par ailleurs, les élémentsde preuve disponibles n'intéressent, sans
beaucoup de précisions,qu'un petit nombre d'activités militairesdans
la zone de la presqu'île de Bakassi, et non dans la région du lac
Tchad.
c) La Cour est-elle à mêmed'interdire au Cameroun ou au Nigériade
mener des activitésmilitairesl'intérieurde leurs frontières respectives?
d) Quels sont les éléments de preuve indiquant clairement le tracé dela two disputants along which the Court could order abstention from
military activities?1sthere any cease-fireline?

Consequently, it is very doubtful whether the Court can indicate pro-
visional measures along the lines suggested by Cameroon in its second
request, and this should also be rejected.

(iv) Preservation of rightslnon-aggravationof disputes

The need for the preservation of rights is the legal basis that entitles the
Court to indicate provisional measures under Article 41 of the Statute,
that is, in order "to preserve the respective rights of either party". In the
past this provision was interpreted strictly. Although some other conven-
tions such as the 1907Washington Convention for the Central American
Court give the "non-aggravation of the dispute" as the legal basis for
granting such provisional measures, the Court has until recently been
most reluctant to import this idea of non-aggravation or expansion of the
dispute or conflict into itsjurisprudence. In fact it was difficult toefine

what would amount to a preservation of rights. This difficulty can be
appreciated if one refers to the Order of the Permanent Court of
International Justice in the case concerning the Legal Status of the
South-Eastern Territory of Greenland, where the Court remarked:

"Whereas, having regard to the character of the alleged rights in
question, consideredin relation to the natural characteristicsof ther-
ritory in issue, even 'measures calculated to change the legal status

of the territory' could not, according to the information now at the
Court's disposal, affect the valueofsuchallegedrights, once theCourt
in itsjudgment on the merits had recognized them as appertaining to
one or other of the Parties. .."(P.C.I.J., Series A/B, No. 48, p. 288).
Thus, in the past, Article 41 of the Statute was very strictly interpreted
and some positivists are still of the view that this should be so. For
example, of the six applications that came before the Permanent Court,
only two led to the indication of interim measures. In the case concerning
the Denunciation of the Treaty of 2 November 1865 between China and

Belgium of 1926,President Huber issued an Order indicating provisional
measures pending the decision of the Court which eventually decidedthat
it had no jurisdiction to deal with the merits of the case. Subsequently the
Parties agreed on a provisional measure of their own. In the Factory at
Chorzowcase of 1927,the Legal Status of the South-Eastern Territory of
Greenland case of 1932, and the Polish Agrarian Reform and German
Minority case of 1933,the Court declined al1the requests for the indica-
tion of provisional measures of protection. In the case concerning the
Prince von PlessAdministration it was President Adatci who urged the
Polish Minister of Foreign Affairs to exercise some measure of restraint FRONTIÈRE TERRESTRE ET MARITIME (OP.IND.AJIBOLA) 50

frontière qui permettent àla Cour d'ordonner aux Parties de s'abste-
nir de toute activitémilitaire? Existe-t-il une ligne de cessez-le-feu?
Ily a donctout lieu d'être sceptiquequant à la possibilitépour la Cour

d'indiquer des mesures conservatoires allant dans le sens de la deuxième
des mesures sollicitéespar le Cameroun. C'est la raison pour laquelle la
demande devrait aussi êtrerejetéesur ce point-là.

iv) Sauvegarde des droits et non-aggravationdes différends

La nécessitéde sauvegarder lesdroits en litigeconstitue la basejuridique
qui permet àla Cour d'indiquer des mesuresen vertu de l'article41 de son
Statut, c'est-à-dire des mesures«conservatoires du droit de chacun)).Dans
le passé,cette disposition a fait l'objet d'une interprétationstricte. Certes,
quelques autres conventions, par exemple la convention de Washington
de 1907 relativeà l'établissement de laCour de justice centraméricaine,
désignent la«non-aggravation du différend)) commeétantle fondement
juridique du prononcé demesuresconservatoires, mais,jusqu'àtout récem-
ment, la Cour a fait preuve de beaucoup de réticence lorsqu'ils'est agi

d'introduire dans sa jurisprudence cette idéede non-aggravation ou de
non-élargissementdu différendou du conflit. D'ailleurs,il étaitdifficilede
définir ce quoi pouvait en fait correspondre la protection des droits. On
peut avoir une idéede cette difficulté ense référanà l'ordonnance de la
Cour permanente de Justice internationale en l'affairedu Statut juridique
du territoiredu sud-est du Groënland;a Cour permanente a fait observer:

((Considérantqu'eu égardau caractèredes droits éventuelsdont il
s'agit, envisagpar rapport aux conditions naturelles du territoire en
cause, même«des mesures de nature à modifier le statut juridique du
territoire)) ne sauraient,d'après les renseignements dont la Cour dis-
pose actuellement, affecter la valeur de ces droits éventuels une fois
que, dans son arrêt surle fond, la Cour les aurait reconnus à l'une
ou à l'autre des Parties...» (C.P.J.I. sérieA/B nu48, p. 288).

L'article 41 du Statut a donc été,dans le passé,interprétéde manière
très restrictive et certains positivistes continuent de considérerqu'il faut
qu'il en soitainsi. A titre d'exemple, sur les six demandes dont la Cour
permanente a été saisie,deux seulement ont abouti à l'indication de
mesures conservatoires. Dans l'affaire de la Dénonciationdu traitésino-
belge du 2 novembre 1865, de 1926, le Président Huber a rendu une
ordonnance indiquant des mesures conservatoires en attendant la déci-
sion de la Cour, et cette dernière a finalement conclu qu'elle n'était pas
compétentepour statuer sur le fond de l'affaire. C'estde leur propre chef
que les Parties ont ensuite convenu d'adopter une mesure conservatoire.

Dans l'affaire de l'Usinede Chorzbw de 1927comme dans celledu Statut
juridique du territoire du sud-est du Groënland de 1932et dans celle de
la Réformeagraire polonaise et minorité allemandede 1933, la Cour a
écarté toutesles demandes en indication de mesures conservatoires. Dans
l'affaire de l'Administration duprince von Pless, c'est lePrésidentAdatciuntil the Court could meet. Subsequently the Government of Poland rec-
tified what it deemed to be an error, to the satisfaction of the German
Government, and the Court made an Order taking note of the declara-
tions made by the two Governments.

The present Court has dealt with 18requests for the indication of pro-
visional measures'. Of these requests, one was discontinued (Trial of
Pakistani Prisoners of War case), one was withdrawn (Borderand Trans-

border Armed Actions (Nicaragua v. Honduras) case), the Court indi-
cated provisional measures in nine instances and declined to do so in
seven. Again in the recent past the Court has been more inclined to indi-
cate provisional measures in matters involving armed conflicts or violent
incidents. The examples are the case concerning Application of the Con-

vention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide,the
Frontier Dispute case and the case concerning Military and para milita^
Activities in and against Nicaragua.

Recent decisions of the Court and its Chambers have given a more
liberal interpretation to this issue of the preservation of rights. Howeverit
must first be noted that in 1939in the Electricity Company of Sofia and
Bulgaria case the Permanent Court of International Justice issued an
Order indicating provisional measures and stated that during the period

in which the case was pending
"Bulgaria should ensure that no step of any kind is taken capable of

prejudicing the rights claimed by the Belgian Government or of
aggravating or extending the dispute submitted to the Court"
(P.C.Z.J., Series A/B, No. 79, p. 199 ;emphasis added).

This was an early indication of extending the concept of the rights of the
parties to include the avoidance of incidents, which was apparently
rejected in the South-Eastern Territory of Greenlandcase (although this

'Such provisional measures have been requested in the following 17 cases: Anglo-
Iranian Oil Co. (United Kingdom v. Iran) ;Interhandel (S1vitzerland v. United States of
Aniericaj ;Fisheries Jurisdiction (United Kingdom v. Iceland) (Federal Republic of Ger-
many v. Icelandj ; Nuclear Tests (Australia v. France) (New Zealand v. France) ; Trial
of Pakistani Prisoners of War (Pakistan v. India; Aegean Sea Continent~ilSlzelf (Greece
v. Turkeyj; United States Diplonîatic and Consular Staff in Tehran (United States of
America v. Iran) ; Military and Paramilitary Activities in and against Nicaragua (Nica-
ragua v. United States of America) ; Frontier Dispute (Burkina Faso/Republic of Mali)
(case referred to a Chamber); Border and TransborderArmed Actions (Nicaragua v. Hon-
duras) (in this case the request was withdrawn); Arbitral Aivard of31 July 1989 (Guinea-
Bissau v. Senegalj; Passage through the Great Belt (Finland v. Denmarkj ;Questions of
Interpretation and Application of the 1971 Montreal Convention arisingfrom the Aerial
I!zcident ai Lockerbie (Libyan Arab Jarnahiriya v. United Kingdonzj (Libyan Arab
and Punishment of the Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Yugoslavia (Serbiaion
and Montenegro) j (in this case two requests were made by Bosnia and Herzegovina and
one by Yugoslavia (Serbia and Montenegro). FRONTIÈRE TERRESTRE ET MARITIME (OP. IND.AJIBOLA) 51

qui a demandé instamment au ministre polonais des affaires étrangères
de faire preuve d'une certaine réserve enattendant que la Cour puisse se
réunir.Le Gouvernement polonais a par la suite redresséce qu'il a estimé
être uneerreur, à la satisfaction du Gouvernement allemand, et la Cour a
rendu une ordonnance prenant acte des déclarations faites par les deux

gouvernements.
La Cour internationale de Justice a été saisie de dix-huit demandes en
indication de mesures conservatoires'. Sur ce total, une demande a fait
l'objet d'un désistement(affaire du Procès deprisonniers de guerre pakis-
tanais), une autre a étéretirée(affaire des Actions arméesfiontalières et
transfrontalières (Nicaragua c. Honduras)); la Cour a indiquédes me-

sures conservatoires dans neuf cas et a estimé qu'il luiétaitimpossible
de le faire dans les sept autres. Dernièrement encore, la Cour étaitassez
portée à indiquer des mesures conservatoires en cas de conflit armé ou
d'incident violent. Les affaires de l'Application de la convention pour la
préventionet la répressiondu crime de génocide,du Différendfrontalier

et des Activitésmilitaires etparamilitaires au Nicaragua et contrecelui-ci
peuvent êtrecitées en exemple à cet égard.
Les décisions récentesde la Cour et de ses chambres dénotent une
interprétation plus libéralede la notion de droits à protéger.Mais il faut
d'abord relever qu'en 1939,dans l'affaire de la Compagniedëlectricité de

Sofia et de Bulgarie, la Cour permanente de Justice internationale a
rendu une ordonnance indiquant des mesures conservatoires et a déclaré
que tant que la Cour n'aurait pas rendu sa décision

«l'Etat bulgare veille[ra] à cequ'ilnesoit procédé à aucun acte, de quel-
que nature qu'il soit, susceptible de préjuger des droits réclaméspar
le Gouvernement belgeou d'aggraver ou d'étendrele différend soumis
à la Cour» (C.P.J.I. sérieA/B no79,p. 199 ;lesitaliques sont de moi).

On peut voir là l'un des premiers signesd'une conception plus large de la
notion des droits des parties qui vise à prendre en compte la nécessité
d'éviter desincidents; une telle évolution semble néanmoins avoir été

' Ces demandes ont étéformuléesdans les dix-sept affaires suivantes: Anglo-Iranian Oil
Co. (Royaume-Uni c. Iran) ;InterIlandel (Suisse c. Etats-Unis d'Anzér;qCompétence
en nzatière de pêclieries(Royaume-Uni c. Islande) (Républiquefédéraled'Allemagne
c. Islande;Essais nucléaires(Australie c. Francej (Nouvelle-Zélandec. Fran;Procès
deprisonniers deguerrepakistanais (Pakistan c. In;Plateau continental dela nzerEgée
(Grècec. Turquie) : Personnel diplomatiqueet consulaire desEtats-ànTéhéran(Etars-
Unis d'Amériquec. Iran) ; Activités rnilitaires et paramilitaires au Nicaragua et contre
celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amériqu;Différendfrontalier (Burkina Faso/Répu-
et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras) (en cette affaire, la demande a étéretirée);s
Sentence arbitrale du 31 juillet 1989 (Guinée-Bissauc. Séné;aPassage par le Grand-
Belt (Finlande c. Darzemark;Questions d'interprétationet d'applicationde la corzventiorz
de Montréalde 1971résultant de l'incident aérien dLeockerbie (Jarnaliiriyaarabe libyenne
c. Royaurne-Uni) (Jamahiriya arabe libyenne c. Etats-Unis d2Arnériq) Application de
la conventionpour lapréventionet la répressiondu crime de génocide(Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie(Serbie et Monténégro))(dans cette affaire, deux demandes ont étéprésen-
téespar la Bosnie-Herzégovine etune autre par la Yougoslavie (Serbie et Monténégro).decision was explained in other terms, that is, by saying that the Parties
could no longer be affected by the legal positions one way or the other).

In theAegean Sea Continental Shelfcase of 1976the Court refused to
decide this issue of the protection of rights:
"Whereas, accordingly, it is not necessary for the Court to decide
the question whether Article 41 of the Statute confers upon it the
power to indicate interim measures of protection for the sole pur-
pose of preventing the aggravation or extension of dispute" (I.C.J.
Reports 1976, p. 13, para. 42).

In 1984,in the case concerning Military and Paramilitary Activities in
and against Nicaragua, the Court unanimously indicated a provisional
measure providing that

"[tlhe Governments of the United States of America and the Repub-
lic of Nicaragua should each of them ensure that no action of any
kind istaken which might aggravate or extend the dispute submitted
to the Court" (I.C.J. Reports 1984, p. 187,para. 41 B (3)).
One may therefore reasonably assume that international law and the
jurisprudence of the Court have been further developed along this line. In
al1cases involving questions of armed conflicts involving the loss of lives
and properties, the protection of the respective rights of the parties

includes the need for the avoidance, by the parties, of any aggravation or
extension of the dispute or hostile incidents.

In fact the Chamber of the Court boldly pronounced on this particular
issue in 1986in the Frontier Dispute case between Burkina Faso and the
Republic of Mali. There the Chamber observed as follows:

"Considering that, independently of the requests submitted by the
Parties for the indication of provisional measures, the Court or,

accordingly, the chamber possesses by virtue of Article 41 of the
Statute thepower to indicateprovisional rneasureswith a viewtopre-
venting the aggravation or extension of the dispute whenever it con-
siders that circumstances so require" (I.C.J. Reports 1986, p. 9,
para. 18 ;emphasis added).
This "power" which the Court or the Chamber of the Court now jus-
tifiably, as 1believe, claimed to "possess" was recently confirmed inthe
case concerning Application of the Convention on the Prevention and
Punishment of the Crime of Genocide. In the Order of the Court of
8 April 1993,both Parties were directed

"not [to] take any action and [to] ensure that no action is taken
which may aggravate or extend the existing dispute over the preven-cependant rejetéedans l'affairedu Statut juridique du territoire dusud-est
du Groënland (encore que cette dernière décisionait donné lieu à une
autre explication, selon laquelle la situation des Parties ne pouvait plus
être affectépear une prise de position juridique, dans quelque sens que ce
soit).
Dans l'affaire duPlateau continental de lamer Egéede 1976,la Cour
a refuséde trancher cette question de la protection des droits:

((Considérant,en conséquence, qu'il n'est pas nécessairp eour la
Cour de statuer sur la question de savoir si l'article 41 du Statut lui
confèrele pouvoir d'indiquer des mesures conservatoires dans le seul
dessein de prévenir l'aggravation ou l'extension d'un différend))
(C.Z.J. Recueil 1976, p. 13, par. 42).

En 1984, dans l'affaire des Activités militaires etparamilitaires au
Nicaragua et contre celui-ci,la Cour,à l'unanimité,a indiquéune mesure
conservatoire prévoyantque :
«les Gouvernements des Etats-Unis d'Amérique et de la Répu-
blique du Nicaragua veillent l'un et l'autreà ce qu'aucune mesure
d'aucune sorte ne soit prise qui puisse aggraver ou étendrele diffé-
rend soumis à la Cour» (C.I.J. Recueil 1984, p. 187, par. 41, B 3).

On peut donc raisonnablement supposer que l'évolutiondu droit inter-
national et de la jurisprudence de la Cour s'est poursuivie dans cette
direction. Dans toutes les affaires où il étaituestion d'un conflit armé
ayant entraînédes pertes en vies humaines et des dommages matériels,la
protection des droits respectifs des parties comprend la nécessitépour
celles-cid'évitertoute aggravation ou extension du différend, commede
prévenirtout affrontement.
En fait, en 1986,dans l'affaire duDifférendfrontalier entre le Burkina

Faso et la Républiquedu Mali, la Chambre constituéepar la Cour a fait
preuve d'une audace certaine sur ce point précisen faisant remarquer ce
qui suit:
((Considérant que, indépendammentdes demandes présentées par
les Parties en indication de mesures conservatoires, la Cour ou, par
conséquent,la Chambre disposeen vertu de l'article41 du Statut du
pouvoir d'indiquer des mesures conservatoires en vue d'empêcher

l'aggravation ou l'extension du diffërend quand elle estime que les
circonstances l'exigent)) (C.I.J. Recueil 1986, p. 9, par. 18; les ita-
liques sont de moi).
Ce «pouvoir» dont la Cour, ou la Chambre constituéepar elle, pou-
vait désormais,raisonnablement à mon avis, prétendre«disposer» vient
d'êtreconfirmédans l'affaire relative à l'Application de la convention
pour lapréventionet la répressiondu crime de génocide.Dans son ordon-
nance du 8 avril 1993,la Cour a enjoint aux deux Parties de

«ne prendre aucune mesure et [de]veiller àce qu'iln'en soit prise au-
cune, qui soit de nature aggraver ou étendrele différend existant sur tion or punishment of the crime of genocide, or render it more
difficult of solution" (1.C.J. Reports 1993, p. 24, para. 52 B).

In view of what 1 have said above, the purpose and content of Ar-
ticle 41 of theStatute is not and cannot be restricted only to the preserva-
tion of the prospective rights of the parties in a matter like the one before
the Court. The situation calls for an order proprio motu under Article 75
of the Rules of Court, hence my reason for voting with the majority of
the Court on the first operative part of the Order. Inherently, the issue of
non-aggravation and non-extension is not only linked with the protection
of the prospective rights of litigants, but it is anntegral part of that pro-

tection, and provides a basis upon which an indication can be given.

(v) Irreparable harm orprejudice
Another object of consideration for the indication of provisional meas-
ures is whether irreparable harm or prejudice might occur within the
framework of a dispute if that dispute is not prevented. This factor is not

unconnected with the need to preserve the rights of the parties because
irreparable harm or prejudice to any of the parties would in most cases
amount to a deprivation of rights. Although an indication of provisional
measures to this end may prevent future occurrences of the same kind of
threat, most past incidents cannot now be remedied. In the Fisheries
Jurisdiction case the Court noted that, according to the Government of
Iceland, to "freeze the present dangerous situation might cause irrepar-
able harm to the interests of the Icelandic nation" (FisheriesJurisdiction
(United Kingdom v. Iceland), Order of 12 July 1973, 1.C.J. Reports
1973,p. 303). The human life element was considered as "irreparable" in
the case concerning the United States Diplomatic and Consular Staff in
Tehran where the United States sought to protect

"the rights of its nationals to life, liberty, protection and security;
the rights of inviolability, immunity and protection for its diplomatic
and consular officials; and the rights of inviolability and protection
for its diplomatic and consular premises" (I.C.J. Reports 1979,
p. 19,para. 37).

Evidently those indications of provisional measures whether simply for
the preservation of rights, the avoidance of an aggravation or extension
of the dispute or an act such as might cause irreparable harm or prejudice
to the parties have always had an element of protection and preservation
of human life andlor property. In the United States Diplomatic and Con-
sular Staff in Tehran case the Court remarked that a FRONTIÈRE TERRESTRE ET MARITIME (OP.IND. AJIBOLA) 53

la préventionet la répressiondu crime de génocide,ou à en rendre
la solution plus difficile))(C.I.J. Recueil 1993, p. 24, par. 52 B).

Compte tenu de ce que je viens de dire, la finalité etla teneur de l'ar-
ticle 41 du Statut ne se limitent pas, et ne sauraient se limiter,auve-
garde des droits éventuels desParties dans une affaire comme celle dont
la Cour est saisie. La situation exige que la Cour statue d'office envertu
de l'article 75 du Règlement; c'est la raison pour laquelle j'ai suivila
majorité de la Cour et voté pour le premier alinéa du dispositif de.
l'ordonnance. Fondamentalement, la question de la non-aggravation et

de la non-extension du différend n'estpas seulement liéeà la protection
des droits éventuels desparties au litige; ellefait partie intégrante de cette
protection et constitue la base sur laquelle la Cour peut s'appuyer pour
indiquer des mesures conservatoires.

v) Dommage ou préjudiceirrépavable

Il y a un autre élément prendre en considérationpour déciders'ily a
lieu d'indiquer des mesures conservatoires: c'est le point de savoir si,
dans le cadre du différend,quand celui-ci ne peut êtreévitéi,l ne risque
pas de se produire un dommage ou préjudiceirréparable. Ce point n'est
pas sans rapport avec la nécessitéde sauvegarder les droits des parties,
parce que le dommage ou le préjudice irréparable subi par l'une ou
l'autre équivautgénéralement à une privation de droits. Mais l'indication
à cette fin de mesures conservatoires, si elle permet d'éviterla répétition

du mêmetype d'événement, ne permep tas d'effacer les conséquencesde
la plupart des incidents qui se sont déjàproduits. Dans l'affaire de la
Compétenceen matière depêcheries,la Cour a relevéque, selon le Gou-
vernement islandais,«la cristallisation de la situation dangereuse actuelle
pourrait causer un préjudiceirréparable aux intérêtsde la nation islan-
daise))(Compétenceen matières de pêcheries(Royaume-Uni c. Islande),
ordonnancedu 12juillet 1973,C.I.J. Recueil 1973,p. 303).Le droitàla vie
a été considéré comme l'un d deoits exposésàun préjudice((irréparable))
dans l'affaire relativeau Personnel diplomatiqueet consulaire desEtats-
Unisà Téhérano ,ù les Etats-Unis demandaient àce que soient protégés:

«les droits de leurs ressortissaàtla vieà la libertà,la protection
età la sécurité;les droiàsl'inviolabilitàl'immunitéet àla protec-
tion de leurs fonctionnaires diplomatiques et consulaires; les droits
l'inviolabilité àt la protection de leurs locaux diplomatiques et
consulaires» (C.I.J. Recueil 1979, p. 19,par. 37).

A l'évidence, l'indicationde mesures conservatoires dans les cas évoqués,
qu'elleait simplement pour objet de sauvegarder des droits ou bien d'évi-
ter une aggravation ou une extension du différend ou encore un acte de
nature à causer un dommage ou préjudiceirréparable aux parties, a tou-

jours visénotamment à protéger des vies humaines ou à préserver des
biens ou les deux à la fois. Dans l'affaire du Personnel diplomatique et
consulaive desEtats-Unis à Téhéranl,a Cour a fait observer que "continuance of the situation the subject of the present request
exposes the human beings concernedto privation, hardship, anguish
and even dangerto life and health and thus to a seriouspossibility of
irreparable harm" (I.C.J. Reports 1979, p. 20, para. 42; emphasis
added).

Similarly, in the matter before this Court, indisputable facts have been
adduced to show that there has been human suffering, death, injury and
even some people missing on both sides. It is also clear that the majority
of the inhabitants of this area of the Bakassi Peninsula are fishermenwho
ought not to be deprived of their livelihood. On its own the indication
"rovrio motu bv the Court that the Parties should cease from acts of
aggression and from any extension of the dispute should definitely alle-
viate the sufferings and loss of life and property caused to the people
living in the Bakassi Peninsula.

(vi) Preservation of evidence

TheCourt has seldom indicated provisional measures for the preserva-
tion of evidence. Although this aspect was mentioned in the case con-
cerning the Denunciation of the Treaty of 2 November 1865 between
China and Belgium of 1926, the Court declined to indicate provisional
measures to this effect in the Aegean Sea Continental Shelf case in its

Order of 11 September 1976. In one case where such a request was
granted there was agreement between the Parties, that is, in the case con-
cerning the Frontier Dispute between Burkina Faso and the Republic of
Mali where a clear cease-fire line had previously been definedby agree-
ment.
Having regard to the jurisprudence and the position of the Court with
regard to Cameroon's request for an indication of provisional measures,
it is difficult for the Court to exercise its discretion to grant the third
request of Cameroon. The third request of Cameroon is that "the Parties
shall abstainfrom any act or action whichmight hamper the gathering of
evidence in the present case" (emphasis added) - although no such
measure can, in my view, be indicated by the Court for the following

reasons :
(a) As mentioned earlier, it has not been shown clearly where the armed
forces of Cameroon and Nigeria are stationed at the moment. The
evidence put in by the two Parties is conflicting and there is no
agreement between them. The maps are not of much help either.

(6) Tto the Court. Evidence was adduced that the Cameroonian Prefectr

hurriedly left Idabato without collecting his documents there, but
Nigeria presented facts and documents including pictures to show
that Idabato or Achibong is a part of Nigeria in Cross River State. «la persistance de la situation qui fait l'objet de la requête exposeles
êtres humainsconcernésa desprivations, a un sort pénibleet angois-
sant et même a des dangerspour leur vie et leur santé etpar consé-
quent a une possibilité sérieuse de préjudicie rréparable»(C.I.J.

Recueil 1979, p. 20, par. 42; les italiques sont de moi).
De même,dans la présente affaire,les faits indiscutables qui ont été
présentésmontrent qu'il y a eu des souffrances humaines, des morts, des
blesséset même quelquesdisparus dans les deux camps. Il apparaît tout
aussi clairement que la majoritédes habitants de cette partie de la pres-
qu'île de Bakassi sont des pêcheurs qu'il nefaudrait pas priver de leurs
moyens d'existence. Le seul fait pour la Cour d'indiquer d'office aux
Parties qu'elles doivent s'abstenir de tous actes d'agression et de toute

extension du différenddevrait, en soi,à n'en pas douter, apaiser les souf-
frances et mettre fin aux pertes en vies humaines et aux dommages maté-
riels infligéàla population de la presqu'île de Bakassi.

vi) Préservation desélémentsde preuve
La Cour a rarement indiqué des mesures conservatoires visant à pré-
server des élémentsde preuve. Cet aspect de la question a bien étéévo-

quédans l'affaire relativeà la Dénonciation du traitésino-belge du 2 no-
vembre 1865, de 1926,mais la Cour, dans l'ordonnance du 11septembre
1976qu'ellea rendue dans l'affairedu Plateau continental dela mer Egée,
a estimé qu'il luiétaitimpossible d'indiquer des mesures conservatoiresà
cet effet. Dans une affaire où il a été faitdroàune telle demande, celle
du Différendfrontalier, entre le Burkina Faso et la Républiquedu Mali,
il y avait eu accord entre les Parties qui s'étaiententendues au préalable
sur une ligne de cessez-le-feuclairement définie.
Eu égard à sa jurisprudence età sa position faceàla demande en indi-
cation de mesures conservatoires du Cameroun, la Cour peut difficile-
ment exercer son pouvoir discrétionnairepour faire droità cette demande
en ce qui concerne la troisième mesure sollicitée,qui est que ((lesParties
s'abstiendront de tout acte ou action quipourrait entraver la réuniondes

élémentsde preuve dans laprésenteinstance)) (les italiques sont de moi)
- alors que la Cour ne saurait, à mon avis, indiquer pareille mesure
pour les raisons suivantes:
a) Comme je l'aidit, nul n'a montréclairement où se trouvent actuelle-
ment stationnéesles forces armées camerounaiseset nigérianes.Les
éléments de preuve produits par les deux Parties sont contradictoires
et il n'existeaucun accord entre ellesce sujet. Les cartes ne sont pas

d'un grand secours non plus.
b) La Cour n'a pas précisé la nature des élémentsde preuve à réunir.Il
a étéproduit des preuves montrant que le préfetcamerounais avait
quittéprécipitammentIdabato sans rassembler les documents dont il
disposait la-bas. Mais le Nigéria a présentédes faits et des docu-
ments, y compris des photographies, tendant à montrer qu'Idabato
ou Achibong fait partie de la province nigérianede Cross River.(c) There was no agreement between Nigeria and Cameroon about the
cease-fire line which might have made it easier to indicate a provi-
sional measure in this regard, unlike the case concerning the Fron-
tiev Dispute where such an agreement was reached.
(d) Part of Nigeria's case is that since Cameroon has already filed its
Memorial, al1the required evidence (which, 1think, mostly consists
of treaties, agreements and conventions) has already been filed in
the Court.

(e) Nigeria is not making any request of this kind and the position of
the law is that both Parties should be treated equally. In other
words, though the content of the request is that "the Parties" should

abstain from acts which might hamper the gathering of evidence in
this case, this can only refer to Cameroon.

It is for al1these reasons that 1 have come to the conclusion that this
request made by Cameroon cannot be granted by the Court. It follows
that the three measures requested by Cameroon on 10 February 1996
cannot be indicated.

There are many reasons why the Court should indicate only the pro-
visional measure which 1have voted for in paragraph 1 of the dispositif.

1. Admittedly, the Court is not in a position to verify and therefore
rely upon al1 the conflicting facts placed before it, although there are
some that are uncontroverted as 1 have stated above. They provide com-
pelling reasons why the Court cannot ignore this apparently explosive
situation in the Bakassi Peninsula and fail to indicate provisional meas-
ures.
2. The judicial intervention of the Court in this matter is not exclusive
of but rather complementary to the other efforts of the Security Council,
the Secretary-General of the United Nations, President Eyadema of
Togo, and the Organization of African Unity through its Secretary-
General, Mr. Salim A. Salim, but the Court should concern itself only
with its legal and judicial assignment and nothing more.

3. Both Parties recognize the inherent danger threatening the Bakassi
Peninsula at this time and would prefer a peaceful resolution of the dis-
pute. Evidence of this from the Nigerian side is provided by the letter of
the Agent of Nigeria dated 16 February 1996. In a statement made on
6 March 1996before the Court, Nigeria said:c) Il n'y a entre le Nigériaet le Cameroun aucun accord sur la ligne de
cessez-le-feuqui aurait pu faciliter l'indication d'une mesure conser-
vatoire àcet égard,contrairement à ce qui s'est passédans l'affaire du
Diffërend frontalier, où un tel accord a été conclu.
d) L'argumentation du Nigériaconsiste notamment a dire que, leCame-
roun ayant déjàdéposé sonmémoire, tous les élémentsde preuve
nécessaires (qui,àmon avis, sont essentiellementconstitués de traités,
d'accords et de conventions), ont déjà été déposésau Greffe de la
Cour.

e) Le Nigéria neformule aucune demande dans le même senset le droit
commande de respecter le principe de l'égalité ded seux Parties. En
d'autres termes, la demande dit expressémentque «les Parties» s'abs-
tiendront de tout acte qui pourrait entraver la réuniondes éléments
de preuve dans la présente instance, maisla mesure ne peut s'adresser
qu'au Cameroun.
Toutes ces raisons m'amènent à conclure que la Cour ne saurait faire

droit a cet élémentde la demande du Cameroun. Il s'ensuit que la Cour
ne saurait indiquer aucune des trois mesures que contient la demande du
Cameroun du 10 février 1996.

Pour bon nombre de raisons, la Cour ne devrait indiquer que la mesure
conservatoire pour laquelle j'ai voté, celle qui est énoncéeau premier
alinéadu dispositif.

1.A l'évidence,la Cour n'est pas en mesure de vérifiertoutes les ver-
sions contradictoires des faits qui lui ont présentées ente saurait donc
s'yfier, mais il demeure que certains faits sont, comme je l'ai dit, incon-
testés. Cesfaits constituent autant de raisons décisivespour que la Cour
ne reste pas indifférente à la situation apparemment explosive dans la
presqu'île de Bakassi et qu'elleindique des mesures conservatoires.
2. L'intervention judiciaire de la Cour en l'espèce n'apas un caractère
exclusif; elle s'ajoutel'ensemble desdémarchesengagéespar le Conseil
de sécurité,le Secrétaire généradle l'Organisation des Nations Unies, le
président Eyadema du Togo et l'Organisation de l'unitéafricaine, par

l'entremisede son secrétaire général,M. Salim A. Salim; mais la Cour ne
doit s'attacher qu'à l'accomplissement de sa mission juridique et judi-
ciaire età rien d'autre.
3. Les deux Parties reconnaissent le caractère intrinsèquement dange-
reux de la situation qui règneactuellement dans la presqu'île de Bakassi
et elles préféreraientun règlement pacifiquedu différend.On en voit la
preuve, du côténigérian,dans la lettre de l'agent du Nigériadatée du
16février 1996.En outre, s'adressant à la Cour le 6 mars 1996,leNigéria
a dit ceci: "Nigeria has no intention of using military force to, and 1 quote
from the Cameroonian request, 'continue the conquest ofthe Bakassi
Peninsula'. Nigeria's position is, as it has always been, to resolve the
Bakassi issueby peaceful means" (CR 9613,p. 16; emphasis added).

4. Both Parties have been involved in various attempts to resolve the
dispute peacefully and amicably. These are reflected in the communiqués

issued in Tunis and in Togo.
5. In the recent past, the Court has indicated provisional measures in
matters of this nature. It did so in the case concerningilitary and Para-
military Activities in and against Nicaragua (Nicaragua v. United States
of America) (1.C.J. Reports 1984, p. 167),the Chamber's case concern-
ing the Frontier Dispute (Burkina Faso/Republicof Mali) (I.C.J. Reports
1986, p. 3) and the case concerning Application of the Convention on
the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide (Bosnia and
Herzegovina v. Yugoslavia (Serbia and Montenegro)) (1.C.J. Reports
1993, p. 3) and there is therefore no reason why it should not indicate
provisional measures in similar circumstances, when incidents of armed
hostilities are being alleged and recognized.
6. Furthermore, the Court, on a wider legal basis, is obliged to ensure
that al1Member States of the United Nations (which include Cameroon
and Nigeria) are reminded and enjoined to carry out their avowed and
sacred duty under the Charter of the United Nations, which provides
that :

"3. Al1Members shall settle their international disputes by peace-
ful means in such a manner that international peace and security,
and justice, are not endangered.

4. A11Members shall refrain in their international relations from
the threat or use of force against the territorial integrity or political
independence of any State, or in any other manner inconsistent with
the Purposes of the United Nations." (Art. 2.)

VI. CONCLUSION

It is foral1the aforementioned reasons that 1have been prompted to
vote in favour of the first operative part of the Order but to decline to
vote for the indication of the remaining four provisional measures by the
Court.

(Signed) Bola A. AJIBOLA. FRONTIÈRE TERRESTRE ET MARITIME (OP. IND. AJIBOLA) 56

«Le Nigéria n'a nullement l'intention d'utiliserla force militaire
pour - et je cite les mots de la demande camerounaise - ((pour-
suivre la conquête dela péninsulede Bakassi)).La position du Nigé-
ria est, comme elle l'a toujours été,de résoudre la question de

Bakassi par desmoyenspacijques» (CR 9613,p. 16;lesitaliques sont
de moi).
4. Les deux Parties ont pris part à diverses tentatives de règlement
pacifique et amiable du différend, commeil ressort des communiqués
publiés à Tunis et au Togo.

5. La Cour a récemmentindiquédes mesures conservatoires dans des
affaires de cette nature. Elle l'a fait dans les affaires suivantes:vités
militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua
c. Etats-Unis d'Amérique) (C.I.J. Recueil 1984,p. 167) ;Différendfron-
talier (Burkina Faso/Républiquedu Mali) (C.I.J. Recueil 1986, p. 3),
affaire portée devant une chambre de la Cour; Application de la conven-
tion pour la préventionet la répressiondu crime de génocide(Bosnie-
Herzégovine c. Yougoslavie (Serbie et Monténégro)) (C.I.J. Recueil
1993, p. 3). Il n'y a donc aucune raison qu'elle n'indique pasde mesures
conservatoires dans des circonstances analogues, lorsque des incidents

donnant lieu à des hostilités arméessont allégués et reconnus.
6. De surcroît, la Cour, sur un plan juridique plus large, est tenue de
veillerà ce qu'il soit rappelé et prescrità tous les Etats Membres de
l'organisation des Nations Unies, dont font partie le Cameroun et le
Nigéria,de s'acquitter du devoir sacréque leur impose expressémentla
Charte des Nations Unies, laquelle dispose que:

((3. Les Membres de l'organisation règlent leurs différendsinter-
nationaux par des moyens pacifiques, de telle manièreque la paix et
la sécuritéinternationales ainsi que la justice ne soient pas mises en
danger.
4. Les Membres de l'organisation s'abstiennent, dans leurs rela-
tions internationales, de recourirà la menace ou à l'emploi de la
force, soit contre l'intégritéterritoriale ou l'indépendance politique
de tout Etat, soit de toute autre manièreincompatible avec les buts

des Nations Unies. ))(Art. 2.)

VI. CONCLUSION

C'est pour toutes les raisons exposées ci-dessusque j'ai étéamené à
voter pour le premier alinéadu dispositif de l'ordonnance mais que j'ai
estimé qu'il m'était impossibld ee voter pour les quatre autres mesures
conservatoires indiquéespar la Cour.

(Signé) Bola A. AJIBOLA.

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Opinion individuelle de M. Ajibola (traduction)

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