Déclaration de M. Mbaye, juge ad hoc

Document Number
094-19960315-ORD-01-06-EN
Parent Document Number
094-19960315-ORD-01-00-EN
Document File
Bilingual Document File

DÉCLARATION DE M. MBAYE

Deux affaires sont rarement identiques. Toutefois, l'affaire du Diffé-
rendfrontalier (Burkina Faso/Républiquedu Mali), mesures conserva-
toires(C.I.J. Recueil 1986, p. 3 et suiv.) et la présenteprocédureprésen-
tent des similitudes frappantes. En effet, dans les deux cas, un différend
oppose deux Etats africains voisins.11est relatifà la délimitationde leur
frontière et se trouve portédevant la Cour. A la suite d'actions armées,il

est demandé à la Cour d'indiquer des mesures conservatoires.

Certes, dans l'affaire duDifférendfrontalier, les deux Parties, cosigna-
taires d'un compromis portant leur différend devant la Cour, avaient
chacune finalement demandédes mesures conservatoires sur la base des
articles 41 du Statut et3du Règlementde la Cour; dans la présentepro-
cédure,le Nigériapour qui «la Cour n'est pas, même prima facie, com-
pétentepour connaître des questions de fond)), a plaidéet conclu que la
Cour devait s'abstenir d'indiquer les mesures demandéespar le Came-
roun, ajoutant que celles-cine sont ni recevables ni appropriées. Il faut
d'ailleurs rappelerque leNigéria,sur le fond de l'affaire, a fait valoir huit
objections préliminairestendant àce que la Cour se déclare incompétente
ou rejette la requête commeétantirrecevable. Mais cela n'enlèverien à la
similitude des deux cas.

Parmi lesmesures conservatoires demandéespar le Cameroun, on note
que la Cour est priée,«sans préjudicedu fond du différend », d'indiquer
que: ((1) les forces armées des Parties se retireront à l'emplacement
qu'elles occupaient avant l'attaque arméenigérianedu 3 février1996)).

Dans l'affaire du Différendfrontalier,la Chambre avait estiméque son
((pouvoir et [son] devoir ...d'indiquer ...des mesures conservatoires
contribuant à assurer la bonne administration de la justice ne sauraient
faire dedoute)) (C.I.J. Recueil 1986, p. 9, par. 19)lorsque des incidents
«susceptibles d'étendre ou d'aggraver le différend ...comportent un
recours a la force inconciliable avec leprincipe du règlement pacifique des

différendsinternationaux)) (ibid.). En conséquence,la Chambre avait
non seulement invitéle Burkina Faso et le Mali à veiller«à évitertout
acte qui risquerait d'aggraver ou d'étendrele différend ...ou de por-
ter atteinte au droit de l'autre Partià obtenir l'exécutionde tout arrêt
que la Chambre pourrait rendre dans l'affaire)) (C.I.J. Recueil 1986,
p. 11-12,par. 32, al. 1, point A) mais la Chambre avait aussi demandé
aux deux gouvernements de retirer leurs forces arméessur des positions33 FRONTIÈRE TERRESTRE ET MARITIME (DÉCL. MBAYE)

à l'intérieur des lignesqui devaient êtredéterminéesdans les vingt jours
par accord et, a défaut, par elle. Plus précisément,elle avait indiqué
que :

«Les deux gouvernements retirent leurs forces armées sur des posi-
tions ou à l'intérieur des lignesqui seront, dans les vingt jours sui-
vant le prononcé de laprésenteordonnance, déterminéespar accord
entre lesdits gouvernements, étant entendu que les modalités du
retrait des troupes seront fixéespar ledit accord et que,éfautd'un
tel accord, la Chambre indiquera elle-mêmeces modalitéspar voie
d'ordonnance.)) (C.Z.J. Recueil 1986,p. 12,par. 32, al. 1,point D).)

Certes, dans ses motifs, la Chambre avait spécifié que

«le choix de telles positions requerrait une connaissance du cadre
géographiqueet stratégiquedu conflit que la Chambre ne possède
pas, et dont en toute probabilité elle ne pourrait disposer sans pro-
céder à une expertise)) (ibid., p. 11, par. 27).
Mais elle avait déclaréau préalable,et à juste titre, que les mesures dont

elle envisageait l'indicationen vue d'éliminerle risque de toute action
future tendant à aggraver ou àétendrele différend, devraient nécessaire-
ment inclure le retrait des troupes)) (ibid., p.ar. 27; les italiques sont
de moi). Cela avait ainsi amenéla Chambre tout naturellement àtrouver
la solution que voilà.
La mêmeobligation pesait sur la Cour dans la présente procédure. Il
lui fallait donc, comme la Chambre en 1986, trouver, compte tenu des
circonstances, une façon d'appliquer le principe que la Chambre avait
dégagéet selon lequel, quand une affaire étantpendante devant le Cour
un conflit armééclateentre les parties, les mesures qu'elle est appeléea
indiquer doivent nécessairementcomporter le retrait des troupes.

La Cour, soucieuse de contribuer «à la réalisation d'une des obliga-
tions principales des Nations Unies ..en matière de maintien de la paix))
(voir la déclaration de M. Ranjeva) a indiqué que «les deux Parties
veillentà ce que la présencede toutes forces arméesdans la presqu'île de
Bakassi ne s'étendepas au-delà des positions où elles se trouvaient avant
le 3 février1996))(formule appropriée, compte tenu des circonstances,
pour indiquer le retrait des troupes) en tenant dûment compte des cir-
constances de la cause.
Je m'en félicitecar j'estime que trois des mesures que la Chambre avait
indiquées dans l'affaire du Différendfrontalier (voir paragraphe 32,

alinéa1,points A, Bet D, du dispositif de son ordonnance) àsavoir: arrêt
de tout acte risquant d'aggraver ou d'étendrele différend,abstention de
tout acte pouvant entraver la réunion des élémentd se preuve et retrait
des troupes, forment un ensemble indispensable dans chaque cas de
conflit de la nature de celui qui a opposéle Cameroun et le Nigéria,alors
que leur différend estpendant devant la Cour. Ces trois mesures doivent
dans un tel cas êtreprescrites pour que soit maintenue la paix nécessaire34 FRONTIÈRE TERRESTRE ET MARITIME (DÉCL. MBAYE)

aux négociationsque lesParties ont entaméesou pourraient entreprendre
età l'exécutionde l'arrêt quela Cour pourrait rendre dans l'affaire. La
Cour a consolidésa jurisprudence.

(SignéK )ébaMBAYE.

Bilingual Content

DÉCLARATION DE M. MBAYE

Deux affaires sont rarement identiques. Toutefois, l'affaire du Diffé-
rendfrontalier (Burkina Faso/Républiquedu Mali), mesures conserva-
toires(C.I.J. Recueil 1986, p. 3 et suiv.) et la présenteprocédureprésen-
tent des similitudes frappantes. En effet, dans les deux cas, un différend
oppose deux Etats africains voisins.11est relatifà la délimitationde leur
frontière et se trouve portédevant la Cour. A la suite d'actions armées,il

est demandé à la Cour d'indiquer des mesures conservatoires.

Certes, dans l'affaire duDifférendfrontalier, les deux Parties, cosigna-
taires d'un compromis portant leur différend devant la Cour, avaient
chacune finalement demandédes mesures conservatoires sur la base des
articles 41 du Statut et3du Règlementde la Cour; dans la présentepro-
cédure,le Nigériapour qui «la Cour n'est pas, même prima facie, com-
pétentepour connaître des questions de fond)), a plaidéet conclu que la
Cour devait s'abstenir d'indiquer les mesures demandéespar le Came-
roun, ajoutant que celles-cine sont ni recevables ni appropriées. Il faut
d'ailleurs rappelerque leNigéria,sur le fond de l'affaire, a fait valoir huit
objections préliminairestendant àce que la Cour se déclare incompétente
ou rejette la requête commeétantirrecevable. Mais cela n'enlèverien à la
similitude des deux cas.

Parmi lesmesures conservatoires demandéespar le Cameroun, on note
que la Cour est priée,«sans préjudicedu fond du différend », d'indiquer
que: ((1) les forces armées des Parties se retireront à l'emplacement
qu'elles occupaient avant l'attaque arméenigérianedu 3 février1996)).

Dans l'affaire du Différendfrontalier,la Chambre avait estiméque son
((pouvoir et [son] devoir ...d'indiquer ...des mesures conservatoires
contribuant à assurer la bonne administration de la justice ne sauraient
faire dedoute)) (C.I.J. Recueil 1986, p. 9, par. 19)lorsque des incidents
«susceptibles d'étendre ou d'aggraver le différend ...comportent un
recours a la force inconciliable avec leprincipe du règlement pacifique des

différendsinternationaux)) (ibid.). En conséquence,la Chambre avait
non seulement invitéle Burkina Faso et le Mali à veiller«à évitertout
acte qui risquerait d'aggraver ou d'étendrele différend ...ou de por-
ter atteinte au droit de l'autre Partià obtenir l'exécutionde tout arrêt
que la Chambre pourrait rendre dans l'affaire)) (C.I.J. Recueil 1986,
p. 11-12,par. 32, al. 1, point A) mais la Chambre avait aussi demandé
aux deux gouvernements de retirer leurs forces arméessur des positions DECLARATION OF JUDGE MBAYE

[Translation]

It rarely happens that two cases are exactly alike. However, the case
concerning the Frontier Dispute (Burkina Faso/Republic of Mali), Pro-
visional Measures (1.C.J. Reports 1986, pp. 3 et seq.) and the present
proceedings do display some striking similarities.In both cases,there is a
dispute between two neighbouring African States. It relates to the delimi-
tation of their boundary and has been referred to the Court. Further to

certain armed actions, the Court has been asked to indicate provisional
measures.
To be sure, in the case concerning the Frontier Dispute, the two
Parties, who had both signeda specialagreement to refer their case to the
Court, had both ultimately requested the indication of provisional meas-
ures on the basis of Articles 41 of the Statute and 73 of the Rules of
Court, whereas in the present proceedings, Nigeria - which asserts that
the Court does nothave even "prima faciejurisdiction over the substan-
tive issues", has argued and submitted that the Court should refrain from
indicating the measures requested by Cameroon, further contending that
those measures were neither admissible nor appropriate. One should
moreover bear in mind that Nigeria, with regard to the merits of the case,
has raised eight preliminary objections with a view to having the Court
find that it lacks jurisdiction or, having it, dismiss the Application as
inadmissible. However, that in no way detracts from the similarity
between the two cases.
Among the provisional measures requested by Cameroon, it will be
noted that the Court is asked "without prejudice to the merits of the dis-
pute", to indicate that: "(1) the armed forces of the Parties shall with-

draw to the position they were occupying before the Nigerian armed
attack of 3 February 1996".
In the Frontier Dispute case, the Chamber took the view that its
"power and duty to indicate . .. such provisional measures as may con-
duce to the due administration of justice" were not in doubt (I.C.J.
Reports 1986,p. 9, para. 19)when it was confronted by incidents "which
not merely are likely to extend or aggravate the dispute but comprise a
resort to force which is irreconcilable with the principle of the peaceful
settlement of international disputes" (ibid.).Consequently, the Chamber
not only asked Burkina Faso and Mali to "ensure that no action of any
kind is taken which might aggravate or extend the dispute .. .or preju-
dice the right of the other Party to compliance with whatever judgrnent
the Chamber may render in the case" (I.C.J. Reports 1986, pp. 11-12,
para. 32 (1) (A)) but also requested the two Governments to withdraw
their armed forces to positions behind lines which were to be determined33 FRONTIÈRE TERRESTRE ET MARITIME (DÉCL. MBAYE)

à l'intérieur des lignesqui devaient êtredéterminéesdans les vingt jours
par accord et, a défaut, par elle. Plus précisément,elle avait indiqué
que :

«Les deux gouvernements retirent leurs forces armées sur des posi-
tions ou à l'intérieur des lignesqui seront, dans les vingt jours sui-
vant le prononcé de laprésenteordonnance, déterminéespar accord
entre lesdits gouvernements, étant entendu que les modalités du
retrait des troupes seront fixéespar ledit accord et que,éfautd'un
tel accord, la Chambre indiquera elle-mêmeces modalitéspar voie
d'ordonnance.)) (C.Z.J. Recueil 1986,p. 12,par. 32, al. 1,point D).)

Certes, dans ses motifs, la Chambre avait spécifié que

«le choix de telles positions requerrait une connaissance du cadre
géographiqueet stratégiquedu conflit que la Chambre ne possède
pas, et dont en toute probabilité elle ne pourrait disposer sans pro-
céder à une expertise)) (ibid., p. 11, par. 27).
Mais elle avait déclaréau préalable,et à juste titre, que les mesures dont

elle envisageait l'indicationen vue d'éliminerle risque de toute action
future tendant à aggraver ou àétendrele différend, devraient nécessaire-
ment inclure le retrait des troupes)) (ibid., p.ar. 27; les italiques sont
de moi). Cela avait ainsi amenéla Chambre tout naturellement àtrouver
la solution que voilà.
La mêmeobligation pesait sur la Cour dans la présente procédure. Il
lui fallait donc, comme la Chambre en 1986, trouver, compte tenu des
circonstances, une façon d'appliquer le principe que la Chambre avait
dégagéet selon lequel, quand une affaire étantpendante devant le Cour
un conflit armééclateentre les parties, les mesures qu'elle est appeléea
indiquer doivent nécessairementcomporter le retrait des troupes.

La Cour, soucieuse de contribuer «à la réalisation d'une des obliga-
tions principales des Nations Unies ..en matière de maintien de la paix))
(voir la déclaration de M. Ranjeva) a indiqué que «les deux Parties
veillentà ce que la présencede toutes forces arméesdans la presqu'île de
Bakassi ne s'étendepas au-delà des positions où elles se trouvaient avant
le 3 février1996))(formule appropriée, compte tenu des circonstances,
pour indiquer le retrait des troupes) en tenant dûment compte des cir-
constances de la cause.
Je m'en félicitecar j'estime que trois des mesures que la Chambre avait
indiquées dans l'affaire du Différendfrontalier (voir paragraphe 32,

alinéa1,points A, Bet D, du dispositif de son ordonnance) àsavoir: arrêt
de tout acte risquant d'aggraver ou d'étendrele différend,abstention de
tout acte pouvant entraver la réunion des élémentd se preuve et retrait
des troupes, forment un ensemble indispensable dans chaque cas de
conflit de la nature de celui qui a opposéle Cameroun et le Nigéria,alors
que leur différend estpendant devant la Cour. Ces trois mesures doivent
dans un tel cas êtreprescrites pour que soit maintenue la paix nécessairewithin 20 days by agreement and, failing that, by itself. More precisely, it
indicated that :

"Both Governments should withdraw their armed forces to such
positions, or behind such lines, as may, within twenty days of the
date of the present Order, be determined by an agreement between
those Governments, it being understood that the terms of the troop
withdrawal will be laid down by the agreement in question and that,
failing such agreement, the Chamber will itself indicate them by

means of an Order." (I.C.J. Reports 1986, p. 12, para. 32 (1) (D).)
It is true that, in its statement of reasoning,the Chamber had specifiedthat

"the selection of these positions would require a knowledge of the
geographical and strategic context of the conflict which the Chamber
does not possess, and which in al1probability it could not obtain
without undertaking an expert survey" (ibid., p. 11,para. 27).
However it had previously declared, and quite rightly, that the measures
whose indication it was contemplating "for the purpose of eliminating

the risk of any future action likely to aggravate or extend the dispute,
must necessarily include the withdrawal of. .. troops" (ibid., pp. 10-11,
para. 27; emphasis added). That had quite naturally led the Chamber to
adopt the solution 1 have mentioned.
The Court was under the same obligation in the present proceedings.
Just like the Chamber in 1986it had to find, in the light of the circum-
stances, a way of applying the principle that had been highlighted by the
Chamber and according to which, when a case is pending before the
Court and an armed conflictbreaks out between the parties, the measures
that the Court is required to indicate must necessarily include the with-
drawal of troops.
The Court, concerned to contribute "to the attainment of one of the
principal obligations of the United Nations . .. in relation to the main-
tenance of . . .peace" (see the declaration of Judge Ranjeva) has indi-
cated that "both Parties should ensure that the presence of any armed
forces in the Bakassi Peninsula does not extend beyond the positions in
which they were situated prior to 3 February 1996"(an appropriate form
of words, under the circumstances, to indicate the withdrawal of troops),
taking due account of the circumstances of the case.

1 am delighted by this, as 1 consider that three of the measures indi-
cated by the Chamber in the case concerning the Frontier Dispute (see
paragraph 32 (1) (A), (B) and (D) of the operative part of its Order),
namely the halting of any action which might aggravate or extend the
dispute, abstention from any act likely to impede the gathering of evi-
dence and the withdrawal of troops, form an aggregate that is indispen-
sable in each instance of a conflict of the kind that has occurred between
Cameroon and Nigeria, at a time when their dispute is pending before the
Court. These three measures should, in such a case, be indicated so as to34 FRONTIÈRE TERRESTRE ET MARITIME (DÉCL. MBAYE)

aux négociationsque lesParties ont entaméesou pourraient entreprendre
età l'exécutionde l'arrêt quela Cour pourrait rendre dans l'affaire. La
Cour a consolidésa jurisprudence.

(SignéK )ébaMBAYE.maintain the peace that is necessary to such negotiations as the Parties
have contemplated or might be contemplating, and the execution of the
judgment that the Court might hand down in the case. The Court has
consolidated itsjurisprudence.

(Signed) KébaMBAYE.

Document file FR
Document Long Title

Déclaration de M. Mbaye, juge ad hoc

Links