Opinion individuelle de M. Lauterpacht, juge ad hoc (traduction)

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091-19930913-ORD-01-05-EN
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OPINION INDIVIDUELLE DE M. LAUTERPACHT

[Traduction]

Paragraphes
1-13
1.La dimensionhumaine sansprécédentde l'affaire
2
2. La préoccupation de la Cour concernant la gravité et
l'urgencede l'affaire 3
3. Laposition dujuge adhoc 4-6
4. La nature des demandes en indication de mesures conserva-
toires 7-13
II.COMPÉTENCE 14-37

1. Laconvention sur legénocide 17
2. Lalettre du 8juin 1992 18
3. Le renvoi aux droits coutumier et conventionnel de la guerre,
etc.
4. Letraitéde 1919sur les((minorité))

5. Leforumprorogatum
III. LEFOND DE LA DEMANDE 38-70

1. La nature des moyens de preuve qui doivent êtrepris en
considérationdans lecontextedes demandes en indication de
mesuresconservatoires 38-46
2. L'importance d'énoncer lesfaits,mêmedefaçon sommaire 47-49

3. Quelquesdonnéesutiles 50-66
4. Laparticipation du défendeur 67
5. Un génocidea-t-ilétécommis? 68-70

IV. EXAME DNES MESURESSOLLICITÉESDANS LA PRÉSENTEDEMANDE 71 121

1. Lapremièredemande
2. La deuxièmedemande
3. Latroisièmedemande
4. La quatrièmedemande
A. L'effetde larésolution du Conseilde sécurité
B. La question deprocédure

5. Lacinquièmedemande
6. La sixièmedemande
7. Lesseptième,huitièmeetneuvièmedemandes
8. Ladixièmedemande APPLICATION DE CONVENTION G~NOCIDE (OP.IND.LAUTERPACHT) 408

1. Même sij'eusse préféré àcertains égards(ainsique la suite de mon
propos l'illustrera) que la Cour se livrâtun examen plus approfondi

qu'elle ne l'afait,je mesuisnéanmoinssentienmesuredevoterenfaveur
du dispositif de l'ordonnance de la Cour. La présenteopinion conver-
geantpour l'essentielavecleraisonnement dela Cour, plutôt qu'ellene le
contredit, il convient de la considérer commeune opinion individuelle
plutôt que dissidente.

1. La dimensionhumainesans précédendte l'affre

2. Dans laprésenteinstance,laCour setrouveface à une affairedontla
dimension humaine atteint une ampleur sans précédent. On ne saurait
comparer cette affaireà des différends ayant traià des questions mari-
times ou territoriales, ou àla responsabilitéd'un Etat en matièrede déni

de justice, d'expropriation abusive ou de destruction d'aéronef.Même
desaffairescomme cellesdu Sud-Ouest africainet desActivités militaiest
paramilitairesauNicaraguaet contre celui-cibien que relativesaux droits
fondamentaux delapersonnehumaine et àlasécuritéd'un grandnombre
d'individus, sont sans commune mesure avec les assassinats et sévices
délibéré estlesterriblessouffrancespersonnellesqui ont marquéetconti-
nuent de marquer l'actuel confliten Bosnie-Herzégovine.

2. Lapréoccupation dela Courconcernant la gravit&et l'urgence
de l'affaire

3. Qualifierlaprésente affairedegraveetd'urgente ne signifiepasque
la Cour doive,enl'abordant, sedépartirdeson impartialité traditionnelle
et de son fermeattachement aux normesjuridiques. En mêmetemps, les
circonstances exigent que l'on aborde la situation avec beaucoup de
compréhensionet de sensibilité etque l'on examine les problèmes en
évitanttoute attitude étroiteouexcessivementformaliste. Silesexigences
des principes juridiques ne sauraient êtrenégligées, ilfaut cependant
rappeler que l'application rigide des principes n'est pas une fin en
soi, mais seulement un élément - de toute importance, certes- dans
l'élaboration constructived'une réponsejuridiqueaux besoins desbéné-

ficiaires ultimes du droit, c'est-à-dire les individus non moins que les
structurespolitiques au sein desquelles ils sesont organisés.

3. Lapositiondujuge ad hoc

4. Unjuge adhocestsoumisaux mêmes principes queceuxquis'impo-
sentà la Cour dans son ensemble. Le fait qu'ilsoitnommépar l'une des 409
APPLICATION DECONVENTIONGÉNOCIDE(OP. IND. LAUTERPACHT)

parties à l'instance n'entame en rien la force contraignante de l'engage-
mentsolennel qu'ilapris envertu del'article 20du Statut,dans lesmêmes
termesque lesjuges titulaires, d'exercer ses attributions en pleine impar-
tialitéet entoute conscience.
5. Toutefois, on ne sauraitignorerquel'institution dujuge adhoca été
créée dans le but dedonner à une partie, ne comptant pas sur le siègeun
juge de sa nationalité, la possibilitéde participer auxtravaux de cetribu-
nal. A cet égard, l'intention de ceux qui ont participéà la rédactiondu
Statut initial de la Cour permanente de Justice internationale ne fait

aucun doute. C'est ce qui a conduit bon nombre à supposerque le juge
ad hoc devait être considéré comme un représentant de 1'Etat qui le
nomme et,par conséquent,comme étantnécessairementacquis à la cause
de cet Etat.
6. A mon avis, on ne saurait accueillir ce point de vue, contraire aux
principes. Néanmoins, tout en étanttenupar son devoird'impartialité,le
juge adhocjoue un rôle particulier. Selonmoi, ilest spécialementtenu de
veillerà ce que, dans toute la mesure possible, chacun des arguments
pertinents de lapartie qui l'adésignéaitétépleinemen ptris enconsidéra-
tion au cours de l'examen collégial etsoit, en fin de compte, reflété à
défaut d'être accepté - dans sa propre opinion individuelle ou dissi-

dente. C'est dans cet esprit, et en ayant conscience que la tragédie qui
sous-tendlaprésente instancefaitpeser sur moi une responsabilitéparti-
culièrementlourde, queje me proposede remplirma mission.

4. La naturedesdemandesenindicationde mesuresconservatoires

7. S'adressant à la Cour lors des audiences relatives à la première
demande, le conseil de la Yougoslavie a qualifiéles procédures d'ainci-
dentes », ajoutant qu'elles étaient également ((sommaires» et «impéra-
tives». Il semblait en déduire que la Cour devait dans toute la mesure

possiblelimitersonexamen aufondde l'affaireetquetout ce quela Cour
pourrait dire ou ordonner n'aurait guèred'effetjuridique, ou en tout cas
aucun effetjuridique durable. Dans lemêmeordre d'idée, le conseilde la
Yougoslavie a également prétendu que la Bosnie-Herzégovinerecher-
chait en fait, sous couvert d'une demande en indication de mesures
conservatoires, un ((jugementprovisionnel sur le fond de l'affaire », ce
qu'il semblaitconsidérercommeinadmissible.Par conséquent,quelques
mots s'imposent sur le caractèredesdemandes et ordonnances enindica-
tion de mesures conservatoires.
8. Ni le Statutni le Règlementde la Cour ne qualifientspécifiquement
d'«incidentes »lesdemandes enindication demesures conservatoires. Ce

terme n'estutiliséquedans letitre delasection Dde latroisièmepartiedu
Règlement, Procédures incidentes», qui recouvre non seulement les
mesures conservatoires,mais également les exceptionspréliminaires, les
demandes reconventionnelles, les requêtes à fin d'intervention, le renvoi
spécial devant la Cour et le désistement.Oril est clair que des questionstelles que les exceptionspréliminaires,les demandes reconventionnelles
et les requêtesàfin d'intervention n'ont rien,par leur nature, d'immaté-
riel, de sommaire ou de superficiel. Elles portent sur d'insignes points

concrets, auxquels la Cour accorde, en temps voulu, sa pleine et entière
attention. Les ordonnances de la Cour y relatives ont force obligatoire.
Rien,dans leurnature, nedifférenciecesquestionsdesdemandes enindi-
cation demesuresconservatoires,si cen'estlenécessairedegré de qualité
de ces dernières, l'urgence quiles caractérise, comme le reconnaît l'ar-
ticle74 du Règlement, et,éventuellement, laportéecontraignante des
mesuresindiquées.
9. Concrètement, bien sûr, en raison de l'urgence qui s'attache aux
demandes en indication de mesuresconservatoires,il n'estgénéralement
paspossibledetraiterlesquestionsrelatives àlacompétenceetaufond de
manière aussiexhaustiveque lors desautresprocédures incidentes. Il est
probable, notamment, que nombre des élémentsde preuve produits
devantlaCour seront exparteet queledéfendeurneserapas enmesurede
lesréfuteren détail. Maisrien,dans le Statut ou dans le Règlementde la

Cour, ne s'oppose à ce que celle-ciapprofondisse autant qu'elle lesou-
haite les demandes en indication de mesures conservatoires.Cela n'est
en rien remis en cause par la formule fréquemment employée,et reprise
au paragraphe 60 de l'ordonnance prononcée aujourd'huipar la Cour,
selonlaquelle la décisionrenduesur la demande «ne préjugeenrien »les
questions decompétence,derecevabilité, etdefond, cequisignifieque la
Cour réserveaux parties le droit de revenir sur ces questions lors de la
phase d'examenaufond del'affaire,demême qu'elleseréserveledroit de
modifier sesconstatations de fait et sesconclusions de droit la lumière
d'un tel examen ultérieur. Mais celane signifiepasque la Cour soit em-
pêchée, lorsqu'elle connaît d'une demande en indication de mesures
conservatoires,deparvenir àdesconstatationsfactuelles ou àdesconclu-
sions juridiquement pertinentes, qui resteront valides et effectivestant

qu'ellesn'auront pas,lecaséchéanté , tmodifiéespar la suite.C'estdans
ce sens qu'il faut lire l'affirmation contenue au paragraphe 48 de la
présente ordonnance, selon laquelle la Cour «n'est pas habilitée à
concluredéfinitivementsur lesfaits ou leur imputabilité»et que :
«sa décision doit laisser intact le droit de chacune des Parties de
contester lesfaitsalléguéscontreelle,ainsi que la responsabilitéqui

lui est imputéequant à ces faits et de faire valoir ses moyens sur le
fond B.
En d'autrestermes,lesréservesoulimitesquientourentlesconclusions de
la Cour lors de la phase relative aux demandes conservatoirestouchent
davantage à la procédure qu'au fond.Bien que de telles conclusions
soientsusceptiblesd'être modifiées e,llesnesontpas, dans l'entre-temps,

inefficaces,pas plus qu'ellesne doivent êtrenégligées.
10. Cette analyse est, dans une certaine mesure, préfigurée et étayée
par certaines observations de M. Jiménezde Aréchagadans sa déclara-
tion relativeà l'affaire des Essais nucléaires.Bien que ses remarquesn'aient trait qu'à la questionde la compétence,ellesn'en sont pas moins

applicables àd'autres points de droit et de fait susceptibles de surgir au
cours d'une procédure relativeà une demandeen indication de mesures
conservatoires
étantdonnél'urgencedeladécisionsurlesmesuresconservatoires,
il est évidentque laCour ne peut pas subordonner sa réponsà une
déterminationcollective préalable,par voie d'arrêt, desa compé-

tence au fond.
Dans ces conditions, il incombe à chaque membre de la Cour
d'apprécierau stade actuel si, vu les motifs invoquéset les autres
éléments dont il dispose, la Cour possède la compétencenécessaire
pour connaître du fond du différend. D'unpoint de vue subjectif,
cette appréciatioou estimationnepeut êtreconsidéré àeproprement
oarlercommeunsimoleexamenoréliminairo eumêmesommaird ee la
questionjuridictionnelle: aucontraire,ilfaut earvenu à la convic-
tion quecettequestionfondamentaledelacompétencd eelaCourareçu
toute l'attentionqu'ilest possible de lui accorderdans les limitesde
temps et avec les moyens d'informationdisponibles.(C.I.J.Recueil
1973,p. 107;lesitaliques sont de moi.)

11. La libertéde la Cour de parvenirà des conclusions de fait ou de
droitlorsqu'elleconnaîtdedemandes enindication demesuresconserva-
toires n'est pas affectéepar l'argument avancépar le défendeurselon
lequel,en l'occurrence, lademande esten fait une demande dejugement
provisionnel.A cet égard, ledéfendeura invoquéle refus opposé parla
Cour permanente de Justiceinternationale àune demande présentée par
l'Allemagnetendant à obtenir un versement provisoire d'un montant de
30millionsde marks,dans l'affairede 1'Usinede Chorzhw(C.P.J.I.sérieA

no12, p. IO),relativeà l'expropriation d'une entreprise industrielle en
violationd'uritraité,au motif que la demande «visaitàobtenir un juge-
ment provisionnel sur le fond». Toutefois, dans l'affaire des otages
(Personneldiplomatique et consulairedes Etats-Unis à TéhéranC , .I.J.
Recueil 1979,p.7), la Cour s'estécartée decette solution. En présentant
leurrequêteinitialel,esEtats-Unisrecherchaientàlafoisla libérationdes
otagesetune réparationpour leurdétention.Quant à lademande enindi-
cation de mesures conservatoires, elle visait la libération immédiate des
otages. Dans son ordonnance, la Cour a indiquéles mesures sollicitées,
nonobstant lefaitqu'elleprescrivaitparàmême une mesurequi,ensubs-
tance, devançait leremède recherchéau principal.
12. Le défendeur a également objecté que «le demandeur semblait
chercher à rouvrir des questions ayant déjà fait l'objet d'unedécision».

Certes, les mesures que sollicitait le demandeur par sa demande du
20 mars 1993,et qu'il a en partie obtenues, coïncident assez largement
avec cellesque vise sa demande du 27juillet 1993.Mais quel que puisse
êtrele degréde chevauchement - et il n'estpas to-alla question n'est
pas fondamentalement celle de savoir si l'objet de la premièredemande
peut faire l'objet d'un nouvel examen.l s'agitplutôt de savoir s'ilpeut être réexaminé à la lumière d'élémentd se preuve établissant clairement
que le défendeur a continuéd'agirde la façon que la Cour a interdite et a
donc agienviolation de la première ordonnance.
13. Cette situation relèvedu paragraphe 3de l'article75du Règlement
de la Cour, qui permet au demandeur de présenter en lamêmeaffaire
une nouvelledemande fondéesurdesfaitsnouveaux ».LaCour,au para-
graphe 22de la présenteordonnance, aestiméque tel étaitle cas.Si,dans
l'affaire des Activités militaireset paramilitaires au Nicaragua et contre
celui-civoir C.I.J.Recueil1986,p. 143-144,par. 286-289),le Présidentde
la Cour avaitrejetéla secondedemandeen indication de mesuresconser-

vatoiresprésentéepar le Nicaragua, il convient de souligner qu'ils'agis-
sait là d'un cas différent,du fait des circonstanc:l'ampleur, l'urgence
et le risque de pertes en vies humaines étaienten effet moindres qu'en
la présente affaire.

II. COMPÉTENCE

14. En raison descirconstancesparticulières qui entourent la présente
affaire, quelques mots d'explication s'imposent sur la base généralede
compétencedela Cour. La Cour nepeut connaître d'une affaireque siles
parties, tant le demandeurque lerépondeur, luiont conféré cettecompé-
tence en exprimant volontairement leur consentement d'une façon ou

d'une autre. Ce consentementpeut prendre différentesformes:un enga-
gementconventionnel àcet effet,l'acceptationde la ((clausefacultative»
de juridiction obligatoire de la Cour (article 36, paragraphe 2, de son
Statut),ou l'acceptation de la compétencede la Courpar le défendeur, à
traverslecomportement qu'iladopte commesuite àune requêteintroduc-
tive d'instance présentéepar le demandeur - méthode connue sousle
nom de forum prorogatum. Quelle que soit la forme sous laquelle le
consentement s'exprime, la Cour n'est habilitée à connaître que des
matièrescouvertespar ce consentement. Ainsi,la compétenceconférée à
la Courpar la convention sur le génocidene s'étend qu'aux affairesrela-
tivesà l'interprétation, l'application oul'exécutionde ladite convention.
Quand bien mêmeelle aurait traià d'épouvantables atrocitéséquivalant,
par exemple, à desviolationsdesconventions de Genèvesurlaprotection

desvictimesde la guerre,des diversesconventions relativesaux droits de
l'homme, voire des principes du droit international coutumier, une
demande nepourra êtreintroduite devantla Coursur la base de la dispo-
sition de la convention sur le génociderelativeàla compétencesiellene
fait égalementétat d'actes couvertpsar lestermes de cetteconvention.
15. Force est de constater que la Cour ne peut examineret statuer sur
un certainnombre - hélas,un trèsgrandnombre - dedroitssubstantiels
protégéspar le droit international,à défaut d'une base qui établisse sa
compétence.Onnesauraitlui enfairegrief.Cettesituationreflètesimple-
mentl'état actuellementpeu satisfaisantdu systèmejuridique internatio-
nal, c'est-à-dire, selon une opinion répandue, l'absence d'une volonté APPLICATION DECONVENTION GBNOCID (EP.IND.LAUTERPACH4 T1)3

politique appropriéedelapart desEtats,etnon une quelconquelacune de
la Cour. La Cour exerce sa compétence dès lorsqu'elle lui est conférée.
Tel est en effet son rôle.
16. Dans la présente affaire, le demandeur a invoqué à différentes
reprises plusieurs bases possibles de compétence:1)dans sa demande
initiale, il s'est référé'article IX de la convention sur le génocide;
2) dans le mêmedocument, il s'estfondéégalementsur une lettre en date
du 8juin 1992adresséepar lesprésidents des Républiquesdu Monténé-
gro et de Serbie au président de la commissiond'arbitrage de la confé-
renceinternationale pour la paixenYougoslavie; 3)dans lecontexte dela
présente demande, le demandeura ajouté que :

«la compétence ..est aussi fondée sur le droit international de la
guerre coutumier et conventionnel et sur le droit humanitaire inter-

national, y compris,mais sans que cetteénumération soitlimitative,
lesquatre conventions de Genèvede 1949,lepremierprotocole addi-
tionnel de 1977àces conventions, le règlementannexé à la conven-
tion de La Haye de 1907concenant les lois et coutumes de la guerre
surterre [et]le statut du Tribunal de Nuremberg

et4)ils'estégalementréféré a, cours delaprésenteprocédure,aux traités
de Saint-Germain-en-Laye de 1919portant surlaprotection desminorités
dans le Royaumedes Serbes, Croates et Slovènes.Outre les quatre bases
de compétenceci-dessusmentionnées,il ya également5)l'éventuellemise
en Œuvredu forum prorogatum,telle que mentionnée dans la question
posée aux deux Parties au cours des audiences le 26 août 1993.Je me
propose d'examiner successivementces cinq éléments.

1. La conventionsurlegénocide

17. Au paragraphe 26 de son ordonnance du 8 avril 1993,la Cour a
estiméque l'articleIX de la convention sur le génocide semblait consti-
tuer une base sur laquelle elle pouvait fonder sa compétence,tout en
précisantqu'ilenétaitainsi«pour autant quel'objet du différendatraià
({l'interprétation, l'application ou l'exécution» de la convention, y
compris lesdifférends«relatifsàlaresponsabilitéd'un Etatenmatièrede
génocideoude l'un quelconquedesautresactesénumérés àl'article III»

de la convention». L'ordonnance rendue aujourd'hui par la Cour
confirmecettedécision, àlaquelleje souscris, touten souhaitant yajouter
un commentaire. S'agissant de déterminer si des actes ou omissions
donnés consistent en un ((génocideou ...l'un quelconque des autres
actes énumérés à l'article III» de la convention [sur le génocide]», il
convient d'avoirà l'esprit que des comportements qui, de prime abord,
ne semblent pas relever de l'une de ces catégories pourraient bien,
en fait, en faire partie s'il est possible d'établir qu'ils conduisent ou
contribuent de façon suffisamment directeà un génocideou à des actes
de génocide. 2. La lettredu8juin 1992

18. Cette lettre a été examinear la Cour auxparagraphes 27 à 32de
sonordonnancedu 8avril 1993. La Cour a concluqu'elle n'était«pas en
mesure de considérerla lettredu 8juin 1992commeune base de compé-

tence prima faciedans la présenteaffaire», ce qui n'a pas empêché le
demandeur d'invoquer de nouveau cette lettre au cours de la présente
procédure. Toutefois,les arguments qu'il a avancésà cet égardne sem-
blent pas justifier que la Cour modifie son raisonnement ou la conclu-
sion àlaquelle elle estparvenue dans sonordonnance du 8avril 1993.Tel
est le point de vue exprimépar la Cour au paragraphe 32 de la présente
ordonnance, etje suisd'accord.

3. Le renvoiaudroitdela guerrecoutumier

et conventionnel,etc.
19. Lorsqu'ilinvoque le droit international coutumier, lestraités rela-

tifs au droitde la guerre, etc.,commebase de compétence,le demandeur
sembleseméprendre. Sansaucun doute pertinents dans une situation de
conflit international en tant que sources de règlesde droit positif appli-
cables au comportement des parties belligérantes,le droit international
coutumier et lestraités invoquépar ledemandeur ne peuvent servirqu'à
cetteseulefin. Lasimpleexistencederèglesdedroitpositifpertinentes ne
suffit pasàconférer,relativementaux matièresqu'ellesgouvernent, une
quelconque compétence à quelquejuridiction internationale que ce soit.
Commeje l'aidéjàdit,nombreusessontlesrèglesde droit pour lamiseen
Œuvredesquelles aucune disposition ne confère de compétence à une
quelconque juridiction internationale. Les dispositions citéespar le
demandeur relèventde cette catégorie.C'estce que la Cour a estiméau
paragraphe 33 de la présenteordonnance et je la rejoins sur ce point.

Parmilestextesmentionnéspar le demandeur, seul le statut du Tribunal
de Nuremberg contenait des dispositions relativesà la compétence. Ce
document établissaitla compétence d'untribunal militaire international
pour juger les grands criminels de guerre après la seconde guerre mon-
diale.Il a menésamission à son terme voilàprès d'undemi-siècle et il ne
sauraitjouer aucun rôle dans le présent différend.

4. Le traitéde 1919surles((minorités))

20. Enfin, dans un amendement à sa seconde demande déposéle
6 août 1993,le demandeur a invoquécomme base de compétenceen la
présente affairele ((traitéentre les Puissances alliéeset associées etle

royaume des Serbes, Croates et Slovènes(protection des minorités)))
signé àSaint-Germain-en-Layele 10septembre 1919.Ce texte tendait à
assurer la protection des minorités enYougoslavieet prévoyaitun règle-
ment obligatoiredes différendspar la Cour permanente de Justiceinter-
nationale. 21. Le recours à ce traitéen la présente affairen'est pas sans poser
plusieursdifficultés.LaCour enévoquecertainesauxparagraphes29à3 1
de l'ordonnance de ce jour. Il suffira ici d'en mentionner deux. La
premièreestd'ordrematériel.L'obligationspécifiquedécoulantdu traité
invoquépar le demandeur esténoncée àl'article2:
«L'Etat serbe-croate-slovènes'engage àaccorder à tous leshabi-

tants pleine et entière protection de leur vie et de leur liberté sans
distinction de naissance, de nationalité,de langage, de race ou de
religionn
L'exécutiondecetteobligation estlimitéeterritorialement aux «habitants
du royaume ». Bien que d'autres dispositions du traité, éventuellement

pertinentes, ne soient pas rédigéeà l'adresse de «tous les habitants du
royaume », elles ne s'en réfèrent pasmoins aux «ressortissants serbes-
croates-slovènes».Or,il estclairque lepeuple de Bosnie-Herzégovine,et
principalementlesMusulmansbosniaques dont lesdroitssontau cŒurde
la présente procédure,ne sont ni «habitants du royaume »,ni «ressortis-
sants serbes-croates-slovènes.
22. La seconde difficulté, bien que d'ordre procédural,n'en est pas
moins formidable. L'article 11de cetraité confèrecompétence àla Cour
permanente de Justice internationale pour ce qui est des divergences
d'«opinions, sur des questions de droit ou de fait concernant ces ar-
ticles»,qui incluent ceux qui ont traàla protection desminorités.Tou-
tefois, le droit d'introduire une instance en vertu de ces articles est en
mêmetemps réservé à «l'une quelconque des Principales Puissances
alliées etassociéesou toute autre Puissance, membre du Conseil de la

Sociétédes Nations ». Or il est clair que le demandeàrla présente ins-
tance n'appartientà aucune de ces catégories.
23. Le demandeur a tentéde surmonter cet obstacleprocédural en se
fondant sur l'article 16de cetraité, auxtermesduquel:
«Tous les droits et privilègesaccordéspar les articles précédents
aux Puissancesalliéeset associéessont égalementacquis àtous les

Etats membresde la Sociétédes Nations. D
Le demandeur soutient que le fait que cet article apparaissà la fin du
chapitre II du traité relatif aux affairescommercialeset affaires diverses
ne signifie pas que sa mise en Œuvresoit limitée cesmatières,d'autant
plus que cet article contient des dispositions relativesaux langues et
ratification, de toute évidenceapplicables l'ensembledu traité.A mon

sens, si lesrédacteurs avaient entendu conféreràtous les membres de la
Société des Nationsles mêmesdroits procéduraux que ceux que l'ar-
ticle 11accorde aux principales Puissances alliéeset associéeseu égard
aux dispositions du chapitre1relatif aux minorités,ils l'auraient, selon
toute vraisemblance,précisé à l'article 11lui-même, et noà l'article 16.
Quand bien mêmeconcéderait-onl'applicabilitéde l'article 16,le deman-
deurn'enseraitpas plus avancédans la mesure oùil demeurequ'iln'apas
étémembre de la Sociétdes Nations. APPLICATIONDE CONVENTIONGÉNOCIDE (OP.IND.LAUTERPACHT) 416

5. Le forumprorogatum

24. Concernant la compétence,reste àexaminer la question du forum
prorogatum. Si un Etat, 1'EtatA, introduit une instance contre un autre
Etat, 1'EtatB,surune base de compétenceinexistante ou défectueuse,le
forum prorogatum consiste en la possibilitépour 1'EtatBd'yremédier en

adoptant un comportement valant acceptation de la compétence de la
Cour. La principale illustration de ce mécanisme estfournie par l'affaire
du Détroitde Corfou (exceptionpréliminaire,C. I.J. Recueil 1947-1948,
p. 27-28),dans laquelle le Royaume-Uni avait unilatéralement introduit
une instance contre l'Albanie sur la base d'une recommandation du
Conseil de sécurité.L'Albaniet,out ensoulevant une exception quant à la
compétencedelaCour au motif quel'affaire auraitdû êtreportéedevant
elleau moyen d'un compromis, a néanmoins affirmédans lemêmedocu-
ment qu'elle acceptait la compétencede la Cour dans cette affaire. La
Cour a estiméqu'une telle déclaration étaiteffective et constituaitune
acceptation volontaire, indiscutable, de la juridiction de la Cour» et a
égalementfaitobserverque «ni le Statutni le Règlementn'exigentque ce
consentements'exprime sous une forme déterminée »(ibid.,p. 27).
25. C'esten raison de la lettre du'avril 1993,adresséeau Greffier de

la Courpar M.VladislavJovanovic,ministredesaffairesétrangères de la
Républiquefédérative deYougoslavie,que laquestion sepose de savoirsi
leforum prorogatum fournit une base permettant d'élargir la compétence
de la Cour dans la présente affaire. Le paragraphe 4 en est ainsi libellé:

«Le Gouvernement yougoslave se félicitede ce que la Cour inter-
nationale de Justice soit prête examiner s'il est nécessaire d'indi-
querdes mesures conservatoires afin de mettre un terme aux conflits
armésinterethniques etinterreligieuxayantlieu àl'intérieurdu terri-
toire dela«Républiquede Bosnie-Herzégovine»et,dans cecontexte,
recommande à la Cour d'indiquer, conformément à l'article 41 de
son Statut etàl'article 73 de son Règlement,des mesures conserva-
toires, et en particulier

[il de donner des instructions aux autorités sous le contrôle de
M. A. Izetbegovic pour qu'elles se conforment strictement au
dernier accord sur le cessez-le-feu dans la ((République de
Bosnie-Herzégovine »qui estentréenvigueur le28mars 1993 ;
[ii] d'exiger que les autorités sous le contrôle de M. A. Izetbegovic
respectent lesconventions de Genèvede 1949pour laprotection
des victimesde laguerre etlesprotocolesadditionnels de 1977 à
ces conventions, étant donné quele génocide des Serbes qui
viventdans la «Républiquede Bosnie-Herzégovine»estentrain
de se réaliserpar la commission de crimes de guerretrès graves
qui enfreignentl'obligation de ne pas violerlesdroits essentiels

delapersonnehumaine ;
[iii] dedonner des instructions aux autorités loyalàsM. A. Izetbe-
govic afin qu'elles ferment et démantèlent immédiatement toutes lesprisons ettous lescamps de détentionsetrouvant dans

la ({Républiquede Bosnie-Herzégovine » et où les Serbes sont
détenus en raisonde leur origineethnique et font l'objet d'actes
detorture, cequimetensérieuxdangerleurvieetleursanté ;
[iv] d'ordonner aux autorités sous le contrôle de M. A. Izetbegovic
de permettresans tarder auxhabitants serbesde quitterdans des
conditions de sécuritéTuzla,Zenica,Sarajevoetlesautresloca-
litésde la «République de Bosnie-Herzégovine» où ils ont fait
l'objet de harcèlements et de mauvais traitements physiques et
mentaux, entenant compte de cequ'ilsrisquent desubirlemême
sort que les Serbes en Bosnie orientale, qui a étéle théâtre de
meurtres etdemassacres de quelques milliersdecivilsserbes;
[VIde donner desinstructions aux autorités loyales àM. A.Izetbe-
govic pour qu'elles mettent immédiatement fin à la destruction
des égliseset lieux de culte orthodoxes et d'autres élémentsdu
patrimoine culturelserbe, et pour qu'elleslibèrentet cessent de

maltraitertous les prêtresorthodoxesdétenus ;
[vil d'ordonner aux autorités sous le contrôle de M. A. Izetbegovic
de mettre un terme à tous les actes de discriminationbasés sur la
nationalité oulareligionainsiqu'aux pratiques de«purification
ethnique», y compris la discrimination exercée en ce qui
concernel'acheminement de l'aide humanitaire, àl'encontre de
la population serbe dans la «République de Bosnie-Herzégo-
vine.»

26. Il apparaît que certainesdespropositions énuméréesdanscepara-
graphe onttrait àdesactesquine peuventêtrequalifiésd'aactes degéno-
cide», d'actes liésau génocide ou d'actes entretenant avec le génocide
d'inévitablesliensde causalité.Il enestainsipour lespoints énumérésaux
alinéas[il,[iii],[iv]et [v].Concernant lepoint [ii],l'exigencedu respectdes

conventions de Genève, bien qu'elle recouvre l'obligation de ne pas
commettre de génocide,va plus loinque cettedernière. Il en est de même
pour ce qui est de la discrimination évoquéeau point [vil.
27. La Cour ne peut manquer de se demander sur quellebasejuridic-
tionnelle elle pourrait examiner les propositions du défendeur.Dans sa
lettre du le' avril 1993,celui-ci n'a nullement abordéla question de la
compétence.Cependant, si ses propositions ont étéavancéespour être
prises au sérieux,ellesnepeuvent l'avoirétéqu'en sefondant surune base
supposée de compétence. Il ne se présente alors que deux possibilités.
L'une est la convention sur le génocideelle-même,auquel cas le défen-
deur interprétait très largementla définitiondu génocideet la portée de
l'article IX de cette convention. L'autre consiste à considérer que les
propositions ont été faites en réponse à certaines demandes présentées
par le demandeur sortant du champ de la convention. D'une façon ou

d'une autre, toutefois, le comportement du demandeur sembleélargir la
compétencede la Cour au-delà des questions strictement couvertes par
une lecture objective de l'article IX de la convention sur le génocide.Lecomportement convergentdes deux Parties - le demandeur cherchant,
par lanature desesdemandes, àétendrelacompétencedela Courau-delà
des questions strictementtraitéespar la convention sur le génocide,et le
défendeur agissantde même - équivaut à une acceptation de la compé-
tence de laCour dans lamesure où lesdeuxdemandes coïncident pour ce
qui estdelaportéedel'objetdu litige.Celarevient àdireque l'étenduede
la compétenceest déterminée par la plus restreintedes deux prétentions,
en l'occurrencecelledu défendeur.
28. Aucune des Parties n'ayant spécifiquementabordécet aspect de
l'affaire,'ai considéré souhaitablede m'enquérirde leurs points de vue
en leur posant lesquestions suivantes:

«A) Toutes les demandes contenues dans la lettre [du le' avril
19931entrent-elles dans le cadre de la préventiondu ((génocide»,
telle que définià l'article II de la convention sur legénocide?
B) Si la réponse à la première question est négative,quelles
demandes sont considérées commen'entrant pasdans cette défini-
tion?
C) Si une réponse négativeest apportée pour l'une quelconque
des demandes, sur quelle base la Cour aurait-elle compétencepour
en connaître et, en particulier, le concept deum prorogatum est-il
pertinent en l'occurrence?»

29. Le demandeur a répondu que le ((défendeurélargit en faitla
compétenceau-delàde l'objet des articlesII et IXde la convention sur le
génocide »et a soutenu que :

((l'acceptation de ce cadre juridictionnel de la part du défendeur
pour la première sériede mesures conservatoires ..s'étend logique-
ment àtoutes mesuresconservatoiresultérieures demandéesdans le
cadre de l'instance instituéepar la requêtedu 20mars 1993 ».

Il en concluait que:

D'après la jurisprudence bien arrêtéd ee cette Cour, il est clair
que cette déclaration établitla compétencede la Cour en ce qui
concerne tous les aspects de la situation régnant en Républiquede
Bosnie-Herzégovinedans le contextedes conflitsarmés concernant
leterritoire de la Républiquede Bosnie-Herzégovine. »

30. Bienqueledéfendeurait affirméque :«Laréponse[était] contenue
dans les observationsécritesde la République fédérativd ee Yougoslavie
datéesdu 23août 1993,aux paragraphes 2 à 24», il apparaît, après étude
attentive,quelespassagesenquestionnecontiennent aucune réponseaux
premièreet deuxièmequestionsposées aux Parties.Quant à la troisième
question,lesparagraphes 21et23n'yapportent qu'une réponseindirecte.
En effet,au paragraphe 21,le défendeur a déclaré que :

«Il va de soi qu'en demandant des mesures conservatoires le
le'avril 1993laRépubliquefédérativd eeYougoslavien'entendait en aucunemanièreaccepterlacompétence dela Cour sicen'estdans les
limites de ce qui est strictement stipulé dans la convention sur le

génocide. L'argument selon lequel la République fédérative de
Yougoslavie se trouve dans l'impossibilitéde soulever une quel-
conque question concernant la compétence de la Cour est évidem-
ment dénuédetoutfondement. »

Ledéfendeur citaitensuite, auparagraphe 22,un passage de l'arrêt rendu
dans l'affaire de l'dnglo-Iranian Oil Co., exceptionpréliminaire,dans
laquellela Cour avait rejetéla thèsedu Gouvernement du Royaume-Uni
selonlaquelle :
«17. Le Gouvernement de l'Iran, ayant dans ses conclusions

soumis à la décisionde la Cour plusieurs questions qui ne sont pas
des exceptions àla compétencede la Cour et qui ne pourraient être
tranchées que si la Cour était compétente, a ce faisant conféré
compétence à la Cour sur labase du principe du forumprorogatum. »
(C.I.J. Recueil1952,p. 101.)

31. Le passage citépar le défendeurest extrait d'un paragraphe plus
long dont la suite est ainsilibellée
Aprèsavoirdéposé une exceptionpréliminaireaux fins d'incom-
pétence,il a maintenu cette exception pendant toute la duréede la
procédure.Il estvrai qu'ilaprésenté d'autres objectionssansrapport

direct avec la question de compétence. Mais ellesétaientclairement
indiquéescommedesmoyensdedéfensequiauraient à êtretraitésseule-
ment si l'exception d'incompétencede l'Iran était rejetée.Aucun
élémend t e consentement ne saurait êtredéduitdel'attitude adoptée
par l'Iran. En conséquence, la conclusion du Royaume-Uni sur
ce point ne saurait être admise.» (Zbid.,p. 114; les italiques sont
de moi.)

32. La teneur de la phrase reproduite ci-dessus en italiques permet de
toute évidence de différencier l'affaire de'dnglo-Iranian Oil Co. de la
présente. Les «objections» sur lesquelles le Royaume-Uni fondait sa
prétentiondeforumprorogatum étaient «clairementindiquéescommedes
moyens de défense)),dont l'examen dépendait du rejet de l'exception
d'incompétence soulevée parl'Iran. En revanche, dans laprésenteaffaire,
les arguments soulevésdans les mesures conservatoiresproposées par le
défendeur dans salettre dule'avril 1993n'étaient soumisàaucune condi-
tion; il s'agissaitde demandes impératives.Leurdesseinn'étaitpas néga-
tif en ce sens qu'ils ne visaient pasissuader la Cour de faire quelque
chose. Au contraire, ilsavaient un objetpositif,en cesens qu'ilstendaient
à convaincrela Cour deprendre desmesuresspécifiques.Or, cesmesures,

comme je viens de l'exposer, n'entraient pas de prime abord dans le
champ de la convention sur le génocide.Aussi faut-il trouver quelque
élémens tur labase duquel leurintroduction dans la procédurepuisseêtre
justifiée. 33. Le défendeur a rappelé à la Cour l'affirmation faite en l'affaire de

l'dnglo-Iranian OilCo. :
«Pourpouvoir s'appliquer en l'espèce, leprincipe duforumproro-
gatumdevraitêtrefondésurquelqueacteou déclaration du Gouver-
nement del'Iran impliquant un élémend teconsentement àl'égardde
la compétencede la Cour. Mais ce gouvernement n'a pas cesséde
contesterla compétence de la Cour. »(C.I.J. Recueil1952,p. 114.)

Le défendeur a poursuivi en affirmant que :

«La République fédérativede Yougoslavie n'accepte pas la
compétencede la Cour en vertu du droit international de la guerre
coutumier et conventionnel et du droit humanitaire international, y
compris lesquatre conventions de Genèvede 1949, lepremierproto-
coleadditionnel de 1977 à ces conventions,le règlementannexé à la
convention de La Haye de 1907concernantleslois et coutumes de la
guerre sur terre et les principes établispar le statut du Tribunal de
Nurembergainsi quepar lejugement qu'il a rendu. D

34. Enconséquence,laquestionqui sepose estcelledesavoir silerefus
du défendeur d'admettre la compétencede la Cour sur toute autre base
quel'article IXde la convention sur le génocideprévautsur son compor-
tement,qui,lui,semble supposer l'existenced'une compétencedelaCour
sur une base autre que la convention sur le génocide.En particulier, la
phrasecitéeci-dessusconstitue-t-elle un dénisuffisant lacompétencede
la Courpour priver d'effet lesdemandesformuléespar le défendeur dans
sa lettre du le' avril 1993 qui paraissent, pour reprendre les mots de

l'ordonnance de la Cour du 22 juillet 1952,impliquer «un élémentde
consentement à l'égardde la compétence de la Cour»? A mon sens,
l'insistance avec laquelle le défendeur soutient que l'article IX de la
convention sur le génocideest l'unique source de la compétence de la
Cour n'est pas convaincante. Si cette thèse était valable, comment le
défendeur pourrait-il justifier ses demandes, qui tendent clairement à
obtenir des mesures qui setrouvent hors du champ de la convention? Or,
cesdemandes n'étaient nibrèves,ni accidentelles :le défendeurlesa déli-
bérémentprésentées à la Courafinque celle-ciyfassedroit. Ledéfendeur
ne saurait souffler le chaud et le froid. Il ne peut pas demanàla Cour
d'aller au-delà des limites de la convention sur le génocide, tout en lui
demandant d'ylimiter sa compétence.
35. LaCour estainsiamenéesoit à tenter de concilier cesdeuxattitudes
contradictoires,soità choisir entre elles.A mon avis, s'agissant de déter-

miner lesrapports entre leparticulier et legénéra, n ne sauraitadmettre
que le général l'emporte entièrementsur le particulier (si tant est qu'il
doiveprévaloir).En conséquence,la solution consiste à limiterla portée
de lathèsedu défendeur selonlaquellelacompétencede la Cour sefonde
uniquement surl'articleIX delaconvention surlegénocide,enconstatant
que ledéfendeur aétendulacompétencedelaCour dans lamesureoù sesdemandes spécifiquescoïncident,par leurnature, avec cellesdu deman-
deur. En effet, en sollicitantdes mesures qui dépassaient leslimitesde la
conventionsurlegénocide,ledemandeura offert audéfendeurd'étendre
la compétencede la Cour aux sujets ainsi englobés. En proposant des

contre-mesuresqui, à certains égards, s'apparentaientaux propositions
du demandeur, ledéfendeura,dans ceslimites,acceptél'offredu deman-
deur d'élargir ainsila compétencede la Cour.

36. La conclusion à laquelle la Cour estparvenue auparagraphe 34de
l'ordonnance de cejour, selonlaquellelacommunication delaYougosla-
vie du le'avril 1993«ne peut être regardéem , êmeprima facie,comme
une manifestation non équivoque »de la volontéde cet Etat d'accepter
de manière ((volontaire,indiscutable» la compétencede la Cour» est à
l'évidenceinfluencéepar le fait, également mentionné,((que la mesure
conservatoiresollicitéepar la Yougoslaviedansune demande ultérieure,
datéedu 9août 1993 ...tendait seulementà la protection de droitsreven-
diquéssur labase dela convention».Laréférenceainsfiaite à ceque l'on
peut considérer commeun retrait par le défendeurde sa demande de

mesures allant au-delà du champ de la convention sur le génocidelaisse
apparaître que la divergenceentre l'avisde la Cour etl'opinion ici expri-
méerésideprincipalementdans la portéequ'ilconvient de reconnaître à
la demande du 9août 1993.J'estime eneffetque cettecommunicationne
suffit pasà priver d'effet la communication du défendeurdu le' avril
1993.C'estdonc avecregretqueje nepuis merallier àl'avisdela Coursur
cepoint particulier.
37. L'existence d'une compétencepar le jeu du forum prorogatum
n'affecte en rien les conclusions auxquelles je parviens quant aux
dix mesures spécifiques sollicitéespar le demandeur dans sa deuxième
demande. C'esttoutefois sur cettebase que j'énonce,au paragraphe 124
ci-dessous,lesautresmesuresque laCour aurait dûindiquer propriomotu
envertu despouvoirsqueluiconfèreleparagraphe 1del'article75deson
Règlement.Ces mesures, indiquées à l'adresse des deux Parties, sont

exprimées en destermes qui reflètentpour une bonne part les mesures
sollicitéesparla Yougoslaviedans sa lettreadresséeàla Cour le le'avril
1993.

III. LEFOND DE LA DEMANDE

1. Lanaturedesmoyensdepreuve
quidoivent êtrepriesnconsidératiodanslecontextedesdemandes
enindicationde mesuresconservatoires

38. LaCour a rendu son ordonnance du 8 avril 1993sans engager sa
position quant auxfaits, secontentant de déclarerqu'il ((exiun risque
grave que des actes de génocide soient commis» (par. 45). Dans la

présente ordonnance, laCour estalléeun peu plusloin, comptetenudel'évolutiondelasituation en Bosnie-Herzégovinedans lesderniersmois»
(par. 22),faisant observerque «de trèsvivessouffrances ont étendurées

et de lourdes pertes en vieshumaines ont étésubies par la population de
la Bosnie-Herzégovinedans des circonstances qui bouleversent la cons-
ciencehumaine etsont àl'évidenceincompatiblesaveclaloimoraleainsi
qu'avec l'espritet lesfins des Nations Unies(par. 52),d'autant que «le
risque grave» redoutépar la Cour dans son ordonnance du 8 avril 1993
«que soient prises des mesures de nature à aggraver ou étendrele dif-
férend existantsur la préventionet la répressiondu crime de génocide,
ou à enrendre lasolutionplusdifficile,aétérenforcéparla persistancede
conflitssurleterritoire delaBosnie-Herzégovineetlacommissiond'actes
odieux au cours de ces conflits» (par. 53).La Cour a déclaré nepas être
«convaincue que tout ce qui pouvait être fait a été faitour prévenirla
commissionde crimesde génocidesurleterritoire de la Bosnie-Herzégo-
vineetpour veillerà cequ'aucune mesurenesoitprise quisoit denature à

aggraverou àétendreleconflitexistantouenrendre lasolutionplusdiffi-
cile»(par. 57).
39. Amon sens, sila Cour estimaitque lesélémentp sortés àsonatten-
tionluipermettaient detirerdesconclusionsgénérales surlesfaitscomme
celles exposéesci-dessus,elle avait égalementdevantelle suffisamment
d'informationspour énoncerdefaçonplusdétaillée lesréalitésbrutaleet
effroyablesde la situationqui, seules,expliquentpourquoi le demandeur
est revenu devant la Cour pour lui soumettre une seconde demande en
indication de mesures conservatoires. Il sera déjà clair qu'à monavis
l'accumulation depreuvessupplémentaires depuisla date de la première
ordonnance et lecontenu généralementuniforme desrapports, de même
que leur caractère indéniable, requièrentun exposé plusapprofondi des
faits. Cependant, il conviendra préalablement d'étudier la nature des
moyens de preuve que la Cour est habilitéeà prendre en considération à

ce stade de la procédure.
40. Dans la plupart des précédentes demandesen indication de
mesures conservatoires,les faits n'avaient guère été contestés; la princi-
pale questionqui seposait (mise àpart cellede la compétence)étaitcelle
de savoir si, sur la base des faits connus, des mesures conservatoires
s'imposaient. En conséquence,les questions de preuve ne se trouvaient
pas au cŒurdu débat.Dans la présente affaire,la Bosnie-Herzégovinea
administrédenombreusespreuves quant auxévénementsqu'elle allègue :
toutes sont écritesetla plupart sontdespreuvesindirectes. La Yougosla-
vien'aproduit aucun élémend te preuve pour lesréfuter.
41. Laquestion sepose du casqu'ilfautfaire de cesmoyensdepreuve.
Aucune différencejuridique fondamentale ne distingue les règles de
preuve applicables àl'examenau fond d'une affairede cellesapplicables

àune procédure enindicationde mesuresconservatoires.Il existecepen-
dant une différence pratiqueen ce sens que, dans le cadre de ce dernier
type deprocédure,ledemandeur disposerasansdoute demoinsdetemps
que lors de la phase plus étenduede l'examenau fond pour assemblerles
éléments de preuve sousla formela plus concluante, etle défendeuret la Cour pour lessoumettre àun examenattentif.Maisles moyensdepreuve
produits lors de la phase desmesuresconservatoires ne doivent paspour
autant êtreà priori considérés comme moins pertinentsou admissibles
que ceuxadministréslorsdelaphase del'examenau fond, pas plusqu'on
nedoit lesestimerimpropres à étayerdesconclusionsdefaitdépassantde
simplesdéclarations générales.
42. En l'espèce, lesmoyens de preuve écritsproduits par la Bosnie-
Herzégovine relèventdes catégories suivantes : preuves écrites directes
- comme les déclarations directement imputablesaux autorités yougo-
slaves,lesdéclarations des représentants des NationsUnies, du HCR ou
de la Communauté européenne s'étant rendus en personne sur les lieux,

ou les rapports de journalistes ayant étélestémoins oculairesdesévéne-
ments - etpreuves écritesindirectes - telles que les déclarationsquant
aux faits adoptéespar des organes del'organisation des Nations Unies,
par exempledans desalinéasdu préambulederésolutionsdel'Assemblée
généraleou duConseil de sécurité. Il n'ya aucune raison que la Cour ne
puisse pas prendre en compte ces différentes catégoriesde moyens de
preuve,enleuraccordantplus oumoins depoids, selonlescirconstances.
Nombreux sont les systèmesjuridiques qui connaissent l'institution du
constatjudiciaire. Lesjuridictions ne peuvent refuser, ni ne refusent, de
voirlesfaitsqui s'imposent àelles.Dans l'affaire desActivités militairst
paramilitairesau Nicaraguaet contre celui-ci, la Cour a rappeléqu'elle
s'était fondéed,ans l'affaire relative auersonneldiplomatiqueet consu-
lairedesEtats-Unis à Téhéran s,r des faitsqui sont pour la plupart de

«notoriétépublique et ont étélargement évoquésdans la presse
mondialeainsi quedans desémissionsderadiodiffusion et detélévi-
sion de l'Iran et d'ailleurs (C.I.J. Recueil 1980, p. 9, par. 12)~.
(C.I.J.Recueil1986,p. 40,par. 63)

Précédemment, dans l'affaire des Pêcheriesl,a Cour, sans parler de
«constatjudiciaire »,avaitcependant fait appelau concept de «notoriété
desfaits »(C.I.J.Recueil1951,p. 138-139).
43. C'estla concordance générale desmoyens de preuve qui importe
aux fins de la présente affaire.C'est égalementce qu'avait considéré la
Cour dans sesdécisionsde 1980et 1986 :

« Surlabase decesinformations,ycompris cesarticlesetcesémis-
sions,qui étaient«d'une cohérenceet d'une concordance totales en
ce qui concerne lesprincipaux faits et circonstances de l'affaire»,la
Cour a pu se dire convaincue que les allégationsde fait étaient
fondées.»(C.I.J.Recueil1986,p.41,par. 63,citant C.I.J.Recueil1980,
p. 10,par. 13.)

En l'occurrence, tous les moyens de preuve convergent nettement. En
outre,ledéfendeurn'apas cherchédevantlaCour à nierlesatrocitésdont
la nature et l'ampleur avaient étédécrites.
44. Deux considérations supplémentaires sontici de mise. Première-
ment,la présente procéduren'apas trait àla miseen accusation d'indivi- APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP.IND. LAUTERPACH4 T2)4

dus nommément désignés sur lesquels pèsent des chefs d'accusation et
dont la culpabilité doit être prouvée au-delàe tout doute raisonnable.
45. La seconde considération se rattache tout particulièrement àla
question de la complicitédont le défendeurse serait rendu coupable en
prêtant assistance aux forces serbesen Bosnie-Herzégovine.Dans la
mesureoù l'essentieldesagissementscomplicesen question ont nécessai-
rement eu leur origine sur le territoire du défendeur,il est évidentque le

demandeur n'estpas en mesure d'en obtenir des preuves absolues. Cela
étant, la situation s'apparente celle de l'affaire du Détroitde Cor~6ou
(fond,C.I.J.Recueil1949,p.4),danslaquelle,àlapage 18,laCouradébattu
des conséquencesqui découlaientde l'incapacité d'unepartie d'obtenir
des moyens de preuve dans deszones échappant à son contrôle:

«le contrôle territorial exclusif exercépar 1'Etatdans les limites de
ses frontières n'est pas sans influence sur le choix des modes de
preuvepropres àdémontrer cetteconnaissance.Dufait dececontrôle
exclusif;'Etatvictimed'uneviolationdu droit internationalse trouve
souventdans l'impossibilitéde faire la preuve directe desfaits d'où
découlerailtaresponsabilité.doitluiêtrepermidserecourirpluslarge-
mentauxprésomptions defait, aux indicesoupreuvescirconstancielles
(circumstancial evidence). Ces moyens de preuve indirecte sont
admisdans tous lessystèmesdedroit etleurusage estsanctionnépar
lajurisprudence internationale. On doit lesconsidérercommeparti-
culièrementprobants quand ils s'appuient surune sériede faits qui

s'enchaînent et conduisent logiquement à une mêmeconclusion. B
(Lesitaliquessont de moi.)
46. En conséquence,la présente opiniontiendra compte des éléments
mis en avant dans l'exposé des faitsdu demandeur, corroboréspar des
moyensde preuve appropriés.Lesaffirmations de la Yougoslavieseront

envisagéessous le mêmeangle. Si elles sont étayéespar des preuves
adéquates,ellesseront admises. En cas de conflit de preuves, il serabien
évidemment nécessaired'opérer unchoix, en se basant sur des critères
clairementénoncés et appliquésen toute objectivité.

2. L'importance d'énoncerlfeasits essentiels,
même defaçon sommaire

47. S'abstenirdefaireface àlaréalitésimplementparcequelaprésente
procédure concerne desmesures conservatoiresserait faire preuve d'un
degrédeformalismeincompatibleavecl'un desrôlesdelajusticeinterna-

tionale dans descirconstancesaussiinhabituelles que cellesdelaprésente
affaire.Lesfaitsensontd'une tellenotoriété publique etleexigencesqui
en découlentsontsipressantes qu'il nesaurait en aucune façon êtreques-
tion dedistinguerclairementl'octroidemesuresconservatoiresdel'octroi
de la réparation recherchéeau principal. Dans la pratique, refuser
d'accorder desmesures conservatoiressuffisantes peut fort bien équiva-
loir,eneffet, unenégationdesdroitsalléguéasuprincipal. Si,commeila étédit,l'octroidemesuresconservatoiresnedoit pas préjugerlerésultatde
l'examen aufond, il faut admettre que le refusde mesuresconservatoires
ne doit pas davantage le préjuger. Il est donc nécessaire d'examiner les
faitsauxquels serapportent les mesures indiquéesparla Cour.

48. Ilya aussiune raison de principe quiplaide en faveur d'un examen
des faits, raison que le principal organejudiciaire de l'organisation des
Nations Uniespeut valablementprendre encompte.Commechacun sait,
les procès relatifs aux crimes de guerre tenus après la seconde guerre
mondiale ne trouvaient pas leur seulejustification dans la nécessitéde
traduire enjustice lesauteurs de cescrimesodieux. Il a égalementsemblé
nécessairede consigner dans lesannales del'histoirelanature etl'étendue
de cescrimes de façonqu'ils ne soientjamais oubliés etque lesouvenir du

sacrificedes victimesne s'estompepas avecletemps. Lacréation et, faut-
il espérer,l'actiond'un tribunal des Nations Unies pour juger les crimes
deguerre commisdans l'ex-Yougoslavieserontpeut-êtreunjour appelées
à remplir un rôle similaire dans le contexte des événements qui se sont
déroulésdans ce qui fut le territoire de cet Etat. Mais cettepossibilité,
mon sens, ne dispense pas la Cour d'exposer, même dansle cadre d'une
demande en indication de mesures conservatoires,certaines des caracté-
ristiques fondamentales de la situation. On peut, bien sûr, arguer de ce
qu'un tel compte rendu apparaîtra dans l'examen au fond auquel se
livrera la Cour.Toutefois,ainsi que l'asoulignélaBosnie-Herzégovine,il
esttout àfaitpossible que la procédure n'atteignejamaisle stade de l'exa-
men au fond. Comment, d'ici a quelques années, ceux qui ne sont pas
suffisamment informés sur notre histoire contemporaine pourront-ils

saisir la portéeet la signification réellesde l'ordonnance de la Cour s'ils
n'ytrouvent pasune relation descirconstancessous-jacentes?
49. Pour important que soit ce compte rendu, il faut néanmoins
comprendreque desimpératifsdetemps,d'espace etdepertinence immé-
diate s'opposent à une narration complète,ou mêmecirconstanciée,des
événements.Les développements qui suivent sont donc nécessairement
étroitement axés surles données pertinentes eu égard à l'instance intro-
duite par le demandeur et seront brefs, au risque mêmed'êtretrop sché-
matiques.

3. Quelquesdonnées utiles

50. Avant 1990,la Yougoslavie, ou la République fédérativesocialiste

de Yougoslavie comme elle s'appelait alors (dénomination a laquelle
s'en tient le défendeur), comprenait six républiques constitutives - la
Serbie,le Monténégrol,a Slovénie,la Croatie, la Bosnie-Herzégovineet la
Macédoine - de mêmeque deux provinces autonomes. Sur une po-
pulation totale de 23 millions d'habitants, les Serbes étaient le groupe
le plus nombreux, comptant 8 millions de personnes, dont les trois
quarts vivaient en Serbie; 1900000 Musulmans, 1300000 Serbes et
750000Croates vivaient en Bosnie-Herzégovine. APPLICATION DE CONVENTIONGÉNOCIDE (OP.IND.LAUTERPACH4 2)6

51. A l'automne 1990,le pouvoir des autorités centralesen Yougosla-

vie a commencé à se désintégrer sous la poussée des tendancessépara-
tistesen Slovénie,Croatie, Bosnie-HerzégovineetMacédoine.Le 25juin
1991,la SlovénieetlaCroatie ontproclaméleurindépendance.Peuaprès,
les autorités fédéraleosnt eu recoursa la force arméepour réprimer la
sécessionen Slovénieet des combats ont éclaté en Croatie, particulière-
ment dans leszones où les Serbesétaient majoritaires.
52. L'actuel Gouvernement de la Yougoslavie estfondamentalement
uneautoritéserbe,étroitementliée au Gouvernement de Serbie.L'armée
populaire yougoslaveestaujourd'hui une arméeserbesouslecontrôledes
autorités serbesde l'actuel gouvernement de la Yougoslavie et elle est
entièrementau servicedesobjectifsserbes.
53. Cette identité généralede la position des autorités fédérales
yougoslaves etde celle des Serbesressort d'une déclaration faite devant
l'assembléede la République fédérative socialiste de Yougoslavie le
19 mars 1992par M. B. Jovic, ancien membre serbe de la présidence
yougoslave :

«Le peuple serbe ..a exigéle respect et la protection de ses légi-
times droits nationaux et civils.Lorsquela Croatie a décidéde faire
sécessionde la Yougoslavie et de former un Etat indépendant,les
Serbesregroupésethniquementsur certainsterritoires de cetterépu-
blique ont décidéde sedétacherdela Croatie etde demeurer au sein
de la Yougoslavie...
Face au gravedanger d'un élargissementdu conflit,la présidence
de la République socialiste fédérativede Yougoslavie a donné
l'ordreàl'arméepopulaire yougoslavedeprévenirdetelleshostilités

en agissant comme une force neutre entre les parties au conflit.
Toutefois, les autoritéscroates, au lieu d'accepter cette mission de
l'arméepopulaire yougoslave, ont ouvertement attaquénon seule-
mentlepeuple serbe,qu'ellesont accuséd'êtru enebandede hors-la-
loi, mais également ...l'armée populaireyougoslave, qu'elles ont
qualifiée d'armée d'occupationC . 'estainsi que la guerre a éclené
Yougoslavie.Dans une telle situation, il étaitessentielde protégerle
peuple serbe de l'exterminationD

Il apparaîtque cesdéclarationsrelativesauxliensentre leGouvernement
yougoslave et les Serbes en Croatie sont tout aussi vraies concernant la
Bosnie-Herzégovine.
54. Au niveau international, la conscience de cesliens est illustréepar
lesparagraphes 3et4delarésolution752(1992)du Conseildesécurité en
date du 15 mai 1992,dans laquelle le Conseil a exigé«que toutes les
formes d'ingérence extérieureen Bosnie-Herzégovine,y compris de la
part d'unitésde l'arméepopulaire yougoslave,de mêmeque d'éléments
de l'armée croate,cessent immédiatement ..» et «que ces unités de
l'arméepopulaire yougoslave et leséléments de l'armée croate actuelle-
ment en Bosnie-Herzégovinesoient ..retirés».
55. Depuis pratiquement dix-huit mois, c'est-à-dire de février1992 APPLICATIONDECONVENTIONGÉNOCIDE (OP.IND. LAUTERPACHT) 427

jusqu7à ce jour, les combats se sont poursuivis en Bosnie-Herzégovine
entre,d'unepart, lesSerbesbosniaques,soutenus par lesSerbesdeSerbie,
leGouvernement dela Républiquesocialistefédérativd eeYougoslavieet
l'arméenationale yougoslave et, d'autre part, le Gouvernement bos-
niaque et sespartisans, essentiellementdes Musulmans.Au coursde cette
période, les Musulmans se trouvant: en Bosnie-Herzégovineont été
victimes de massacres, mutilations, viols et tortures, ont été affamst
expulséspar la force et leurs foyersont étdétruits,letoutàune échelle
effrayante,du seulfait qu'ilssont Musulmans.L'unaprèsl'autre, lesvilles
et villages dont la population étaitexclusivement ou à prédominance
musulmaneont été attaquésetlesMusulmansqui s'ytrouvaientont été ou
tués ou expulséspar les Serbes: Goradze, Srebrenica, Bihac, Olovo,

Kladanj, Tuzla, Banja Luka, Zepa, Sandzak, Mostar, Sarajevo, Maglaj,
Konijc, Shippergai, Brcko - pour ne nommer que les localitésdont les
médiasont leplus parlé.
56. La participation du Gouvernement de la Yougoslavie (Serbie et
Monténégro)oude la République fédérativesocialistd ee Yougoslavie à
toutes ces activitésne saurait être niée eitl en a pris acte au niveau
international. Dans le préambulede la résolution47/121 adoptée par
l'Assembléegénéralele 18décembre1992,on trouve l'appréciationci-
aprèsdu rôledu Gouvernement yougoslave,appréciation quiaeul'appui
de cent deux Etats Membres del'organisation des Nations Unies et qui,
malgrél'abstention de cinquante-sept Etats, n'a donnélieuà aucun vote
contre :

«CondamnanténergiquemelnatSerbieetleMonténégro,ainsique
leurs agentsen Bosnie-Herzégovine,pour leur refus constant de res-
pecterlesdiversesrésolutionsdel'OrganisationdesNationsUnies,

Regrettantprofondémenq tuelessanctionsimposéespar leConseil
de sécurité n'aientas eu l'effetdésiré,savoirmettre un terme aux
actes agressifs des forces irrégulièresserbes et monténégrines ainsi
qu'àl'appuidirectetindirectdeIArméepopulairyeougoslave àcesactes
agressifsdanslaRépublique de Bosnie-Herzégovine.» (Lesitaliques
sont de moi.)

57. De même, lesdocuments fournis par la Bosnie-Herzégovine à
l'appui de sa seconde demande en indication de mesures conservatoires
donnent quelque seizeexemples de participation yougoslave à des acti-
vitésserbes en Bosnie-Herzégovine,leplus marquant étant la reconnais-
sancepar la Yougoslavie elle-même defaitsqui corroborent cettepartici-
pation. Mais voyonsd'abord lespremiersexemples :

- Le 16avril 1993,des opérationsde radio sur ondes courtes à Srebre-
nica signalent que desunitésde l'ex-arméeyougoslaveont traverséla
Drina quiséparela Bosniedela Serbieetontlancéleurpropreattaque
contreSrebrenica.
- Le 18avril 1993, Mme Madeleine Albright, représentante des Etats-
Unis auprèsde l'ONU, déclareque lessanctionsimposéespar l'ONU contrela Yougoslavievisent à fairecomprendre aux Serbes de Bosnie
et àleursalliésenSerbieetauMon.énégrlo e prix qu'ilsaurontà payer
pour leurs actesdegénocide.
Le 19avril 1993,lord Owen, médiateur nommépar la Communauté
européenne,confirmeque les Serbesbosniaques reçoiventdes appro-
visionnements par l'intermédiairede Belgrade et suggèrede procéder
àdesbombardements sélectifspour empêcherBelgradedefournir un
appui logistiqueaux Serbesbosniaques.
Le 20 avril 1993, le sénateur Biden, parlant à la commission des

affaires étrangèresdu Sénat des Etats-Unis,fait étatde rapports des
services de renseignements selon lesquels l'armée nationale yougo-
slave en Serbieétait directementresponsable en partie au moins du
bombardement deSrebrenica ».
Le 27 avril, lord Owen aurait déclaré: «Si la Yougoslavie appliquait
les résolutions de l'ONU et coupait les Serbes bosniaques de leurs
sourcesd'approvisionnement,cettemesurepourrait conduire à la paix
assezrapidement. »(Lesitaliquessont demoi.)

58. Le8mai 1993ouauxenvirons de cettedate, le Gouvernement de la
République de Serbie et le Gouvernement de la Yougoslavie (Serbie et
Monténégro)ont chacun publiéun communiqué contenant des affirma-
tions directes et concrètesconcernant leslivraisonsd'armes et dematériel
aux Serbesbosniaques par cesdeuxautorités,pratiquement impossibles à

distinguerl'une de l'autre.
59. Le communiqué du Gouvernement de la République de Serbie
disait,notamment :

Fermement convaincue qu'un juste combat pour la liberté et
l'égalitdu peuple serbe est actuellementmené dans la République
serbe[c'est-à-direla prétendue Républiquede Srpska ))proclamée
par les Serbesbosniaques en Bosnie-Herzégovine],la Républiquede
Serbieavait aidégénéreusementetsans réserveslaRépubliqueserbe,
malgréles problèmes énormes auxquels elle a eu à faire face en
raison des sanctions décrétées contreelle par le Conseil de sécurité
de l'ONU.

Etant donnéqueles conditionsterritoriales [oude la paix?] ont été
satisfaites, le gouvernement est aussi convenu que tout appauvrisse-
ment économiqueultérieurdelaRépubliquede Serbieestmaintenant
injustifiéet injustifiable, et que l'aide futurea République serbe
devraitselimiter auxdenréesalimentaireset auxmédicamentsendes

quantitésquedéterminerontlesministèrescompétents.LeGouverne-
ment de la Républiquede Serbieaaussila convictionque, puisque les
conditions de l'établissementde la paix ont été réaliséeto,ute aide
ultérieure en fonds, carburants et combustibles, matières premières,
etc.,fourniejusqu'à présentau prix de grandssacrifices par la Répu-
blique de Serbieelle-mêmen'estplusjustifiée. » APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP.IND. LAUTERPACHT) 429

60. Lecommuniquédu gouvernementfédéral disaitnotamment:

((Considérant les effets défavorables immédiats de la résolu-
tion 820du Conseil de sécuritédel'ONU sur lepouvoir économique
de la RFY et la situation sociale de la majorité de ses citoyens,le
gouvernementfédéralestobligéd'ajustertoute aide future à laRépu-
blique de Srpska à ses possibilités économiquesobjectives et de la
limiter exclusivement àdes livraisons de denrées alimentaires et de
médicaments. »

61. La teneur de ces deux communiqués constitue des élémentsde
preuve, rentrant dans la catégoriede ceux ((qui vont à l'encontre))des

(([propres] intérêts)) deleurs auteurs et qui ont une force probante
spéciale(voir Activitésmilitaires etparamilitaires au Nicaragua et contre
celui-ci(Nicaragua c. Etats-Unis dgmérique), C.I.J. Recueil 1986,p. 42,
par. 69)à l'effetquela Républiquefédérative etla Républiquede Serbie,
en tout cas jusqu'à la datea laquelle ces communiquésont étépubliés,
avaient fourni une assistance aux Serbes bosniaques en violation de
l'embargo décrété par le Conseil de sécurité.
62. Les prétentions selon lesquelles une telle assistance aurait cessé
après cette date ne semblent pas cadrer avec les informations dont on
dispose au sujet du comportement ultérieur des Serbes :

- Le 13mai 1993,un correspondant du WashingtonPost rapporte que
pendant cinqheures, le 12mai, aumoinsune demi-douzaine degrands

camions-citernes etune vingtained'autres camionsouplus ont été vus
alors qu'ils traversaient la Serbie pour se rendre dans l'enclave serbe
bosniaque de Bijeljina,qui a servidebase et de tremplin pour les atta-
ques serbes contre la Bosnie. Et il ajoute que cela a été confirmépar
«de nombreuxobservateurs B.
- Le 18mai 1993,CNN diffuse un bulletinselonlequel «desdiplomates
ontindiquéquedesapprovisionnements militairescontinuaientd'être
acheminésdecequireste delaYougoslavieauxSerbesbosniaques ».
- Le 19mai 1993,un article du quotidien TheIndependentrapporte que

le président serbe,Milosevic, a refuséd'autoriser les observateurs de
l'ONU à patrouiller sur la Drina parce que l'opération aurait mis en
évidenceque Belgrade n'applique pas le blocus proclamé contre les
Serbes bosniaques. Une semaineplus tard, le NewYorkTimespublie
un articleanalogue.
- Le23mai 1993,leSunday Timesécritque ((lelongdesroutesétroiteset
sinueuses de Bosanska Raca, on a observéune forte circulation de
véhiculesde ravitaillementallant de ce qui reste de la Yougoslavie à
destinationdesSerbesbosniaques.
- Enfin, le 24 juin 1993, on lit dans The Independent que selon

M.James Gow, spécialistemilitaireau King'sCollege del'université
de Londres, lesSerbesbosniaquesontenvironsoixante millehommes,
renforcés par quelque vingt mille soldats de l'armée yougoslave
(Serbie et Monténégro),que les Serbesbosniaques reçoivent un appui crucial des milices irrégulièresbaséesen Serbie et que les Serbes
bosniaques sont assistéspar desmissionsd'hélicoptères exécutépesr
l'armée yougoslave(SerbieetMonténégro).
63. Depuis lemoisdemai 1993,on avulesCroatesenBosnie-Herzégo-
vine, qui jusqu'alors combattaient aux côtés des Musulmans contre les
Serbes,sejoindre eux-mêmesaux attaques contreles Musulmans, appa-

remmentdans lecadred'unaccordquiauraitétéconcluentrelesSerbeset
lesCroates pour diviserla Bosnie-Herzégovineentre euxaux dépens des
Musulmans. Toutefois,cela ne contribue pas àréduirela responsabilité
des Serbes,ou des autoritésyougoslavesqui les appuient, pour ce qu'ils
ont fait et continuent de faire. Cela créeseulement une situation qui
permet de mettreen causelaresponsabilitéde ceuxquiprêtent assistance
auxCroates bosniaques.
64. Comme le montre immédiatementune comparaison de ce qui est
dit aux paragraphes 57 à 62 ci-dessus et de la teneur de la seconde
demandeen indication de mesuresconservatoires de la Bosnie-Herzégo-
vine, les paragraphes en question ont été reprisde cette demande avec
seulement de très légèresmodifications rédactionnelles. En effet, ces
informations sont lesseulesconcernant cet aspect du différend qui aient
été présentées à la Cour (à la différence des accusations de génocide
lancéespar les Serbescontre les Bosniaques) et n'ont pas étéréfutéde
fagon circonstanciéepar le défendeur. Certes,on peutdireque plusieurs
desélémentsexposéis cineconstituentquedes rapports desecondemain,
provenant de sources insuffisamment identifiées. En revanche,il en est

certains, etplusparticulièrement ceuxquisontattribuésàlord Owen,qui
ne souffrent pas cette critique. Et les communiquésdu 8 mai 1993du
Gouvernementserbe etdu Gouvernement yougoslavesemblentaussiêtre
authentiques.
65. Ce qui compte, c'estl'impact globaldes articles et récitspris dans
leur ensemble. Il faut se poser la question suivante: les rapports de
seconde main sont-ils vraisemblablement inexacts ou falsifiés? Quel
intérêltesjournaux réputésdans lesquelscesarticlesontparu auraient-ils
àinventerdes nouvelles de cegenre? Et pourquoi cesjournaux seraient-
ils sinombreux àinventerlesmêmesnouvellese ,npointant lemême doigt
accusateur verslesmêmes parties?
66. Cela étant,mêmesice que disentcesarticlesestvrai,établissent-ils
vraiment la participation du défendeur aux agissements des Serbes
bosniaques? Et même sicesarticles établissentcetteparticipation, est-ce
une participationà un génocide ou àdes actes de génocide?

4. La participationdudéfendeur

67. S'agissantde la première question,il sembleimpossible de ne pas
conclure que 17Etatdéfendeur a participé auxactesdes SerbesenBosnie-
Herzégovine.Indépendamment du caractère positif des élémentsde
preuveencesens,forceestdesedemander commentlesSerbesenBosnie- Herzégovinepourraient avoir menéune campagne si intense et silongue
s'ilsn'avaient reçuune aide extérieure?Et d'oùune telle aide aurait-elle

pu venirou serait-elleeffectivementvenue sicen'estde 1'Etatdéfendeur?
Lesélémentsprobantsont àtout lemoinspour effetde renversercomplè-
tement le fardeau de la preuve, qui incombe ainsi au défendeur. Ce
derniern'amême pastenté des'endéchargerenadministrantcettepreuve,
mêmedans la mesure limitéedans laquelle il lui aurait été loisible de le
faire dans le cadre d'une procédure relativàune demande de mesures
conservatoires.

5. Ungénocide a-t-ilétcommis?

68. Pour déterminer, mêmeprovisoirement, si un génocide a été
commis,ilfaut bienentendu prendre commepoint de départladéfinition
du génocidedonnéeàl'articleII de la convention sur legénocide :
«Dans la présente Convention le génocide s'entendde l'un quel-
conque des actes ci-après,commis dans l'intention de détruire,en

tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux,
commetel :
a) meurtre demembresdugroupe;
b) atteinte graveà l'intégrité physiquou mentale de membres du
groupe ;
c) soumissionintentionnelle dugroupe à desconditions d'existence
devantentraîner sadestructionphysiquetotale ou partielle;
d) mesuresvisant àentraverlesnaissancesauseindu groupe ;

e) transfert forcéd'enfants dugroupe àunautre groupe.»
69. Dans sa première demande en indication de mesures conserva-
toires, en mars 1993,le demandeur allègueque la conduite yougoslave a
consistéen

«activitésmilitairesetparamilitaires,ycomprislebombardement et
le pilonnage de villes et de villages,la destruction de maisons et le
déplacementforcé de civils,etdes actesdeviolence,ycompris l'exé-
cution,le meurtre, la torture et leviol

A la lumière des informations dont la Cour disposait en avril 1993et de
cellesqui sesontaccumuléesdepuis lors,il estimpossible de nier que ces
crimessesontproduits ni qu'ilsont étécommis à une échellemassive.Les
éléments de preuve font aussi clairement ressortir que, notamment, les
déplacementsforcés de civils,pluscourammentdésignés par l'expression
de «purification ethnique »,font envéritépartie d'une campagnedélibé-

réede la part des Serbespour éliminerle contrôle, voire la présence, des
Musulmans dans de vastesrégionsde la Bosnie-Herzégovine.Leschoses
étantainsi,ilestdifficiledenepasvoirdans lesagissementsdes Serbesdes
actes de génocide,dans la mesureoùilsrentrent nettement dans lescaté-
gories a),b)et c)de la définitiondu génocidecitéeci-dessus; ces agisse- APPLICATIONDE CONVENTION GÉNOCIDE (OP.IND.LAUTERPACH4 T)2

ments sont a l'évidencedirigéscontreun groupe ethniqueou religieux en
tant quetel etvisent àdétruirecegroupe, sicen'estentotalité,assurément
enpartie, etsuffisamment pour garantir que cegroupe n'occupera plus les
régionsde la Bosnie-Herzégovineque les Serbes convoitent. Le défen-
deur, étant derrière les Serbes bosniaques, doit par conséquent être
regardécommeun complice - àdéfautd'êtreun véritableparticipant -
dans cettepolitique de génocide.
70. Sid'aucuns étaienttentésde considérerla((purification ethnique»
commerien de plusqu'un desaspectsd'un conflit territorial particulière-
mentbrutal entre SerbesetMusulmans et,par conséquent,commen'étant
pas commise«dans l'intention de détruire,entoutouen partie, un groupe

...ethnique ..ou religieux, commetel »,il faudrait rappeler que le défen-
deur lui-mêmea aussiqualifiéla((purification ethnique ouune conduite
comparable» comme étantun génocide.Dans sa demande du le' avril
1993(examinéeauxparagraphes 24 à37ci-dessus àpropos de la question
du forum prorogatum), le défendeur a adopté une position qui prend le
génocideau sens large en évoquant(dans sa deuxième proposition) «le
génocidedesSerbes»comme étantlaconséquencede «la commission de
crimes de guerretrès graves».De plus, et plus spécifiquement, le défen-
deur a demandédans sa sixièmeproposition, tandis qu'il affirmait que la
compétencede la Cour étaitlimitéeaux différendsrelevantde la conven-
tion sur le génocide,que la Cour ordonne au demandeur de ({mettreun

terme ..auxpratiques de ((purification ethnique ».Tout récemment,dans
les conclusions formelles qu'il a présentéesà la fin des audiences, le
26août 1993,le défendeurademandé àla Cour d'ordonner au gouverne-
ment demandeur,

conformément àl'obligation qui estlasienne envertu de laconven-
tion sur[legénocide]..[de]prendre toutes lesmesuresquisontenson
pouvoir pour prévenirla commission du crime de génocidecontrele
groupe ethnique serbe».

Comme lesinformations dont la Cour disposeactuellement au sujetd'un
tel «génocide contre le groupe ethnique serbe»sont de nature limitée et
comme l'expulsion des Serbesbosniaques par lesMusulmansbosniaques
deszones dans lesquelles ils vivaient est loin d'atteindre l'ordre de gran-
deur desexpulsionsdesMusulmansbosniaques par lesSerbes,ilsemble à
fortiorique le défendeurconsidèreaussila ({purificationethnique »,telle
qu'elle estpratiquée dansle présent conflit,commeune violation de l'ar-

ticleII de la convention sur le génocide.

IV. EXAMEN DES MESURES SOLLICITÉES
DANS LA PRÉSENTE DEMANDE

71. J'enviens maintenant àl'examen des mesures conservatoiressolli-
citéesdans la présente demande. 1. Lapremière mesure sollicitée

72. La premièremesureselit commesuit :

«La Yougoslavie (Serbie et Monténégro) doit immédiatement
mettre fin et renoncer à toute aide, directe ou indirecte..à toute
nation ou tout groupe [etc.]en Bosnie-Herzégovinepour quelque
motif oubut que cesoit. D

73. La mesuresollicitéeesttrop vastepour que l'onpuisse yfairedroit
intégralement.La compétencede la Cour a étéinvoquée en vertd ue l'ar-
ticle IX de la convention sur le génocide, dont la portéeest limitéeaux
différends relatifsà l'interprétation, l'applicationou l'exécutionde la
convention, y compris les différendsrelatifsàla responsabilité d'un Etat

en matièrede génocideou del'un quelconque des actes énumérés àl'ar-
ticleIII, c'est-à-dire l'ententeen vuede commettrelegénocide,l'incitation
directe etpublique à commettrelegénocide,latentativede génocideet la
complicité dansle génocide - actes qui sont tous directement liésau
génocide.Dans lamesureoù nulle autrebase,plusgénéraled , ela compé-
tence de la Cour ne peut valablement être établie, desagissements sans
rapport aveclegénociden'entrent pas àproprement parler dans lechamp
de la requête. Comme cettedemande sollicite l'indication de mesures
interdisant une certaineconduitequiensoi n'apaslecaractèred'un géno-
cide, comme l'expliquent les mots ((pour quelque motif ou but que ce
soit»,il estévidentqu'elle vaau-delà des limitesd'un comportement qui
viseà commettreun génocideettout cequi s'yrapporte. Comptetenu de
ce qui précède, j'accorderais la première mesure conservatoire deman-
dée,maisenlalimitantauxactivitésliées àungénocide.Commentidenti-
fier cesactivités,c'estcequej'exposeenexaminant lesautresdemandeset

on lira mes conclusions auparagraphe 122ci-après.

2. La deuxièmemesuresollicitée

74. La deuxièmemesureest ainsi rédigée :

«La Yougoslavie(Serbieet Monténégroe )ttous sesreprésentants
officiels..doivent immédiatement mettre fin et renoncer à tous
efforts...en vue de partager, démembrer, annexer ou absorber le
territoire souverain de la Bosnie-Herzégovine.

75. Pour pouvoir indiquer lestermes de la convention sur legénocide,
ledemandeur doitétablirquelaconduite qu'ildemande àlaCourde faire
cesseretd'interdiresecaractérisepar desactesvisant à: i)détruire,entout
ouen partie, un groupenational, ethnique,racial ou religieux;ii)commis
dans l'intention de détruireen tout ou en partie un tel groupe; iii)par le

meurtre de membres du groupe, par des atteintes graves à l'intégrité
physique ou mentaledesmembres du groupe, etc.,commeil estdit àl'ar-
ticle II de la convention. 76. Ilyalieu de releverque lesactesque la deuxièmemesuresollicitée
viseàempêchersont tous limitéspar les motsqui décriventleur objectif:

«partager, démembrer,annexerou absorber le territoire souverain de la
Bosnie-Herzégovine ».
77. Des quatre catégoriesde groupes expressémentprotégép sar l'ar-
ticle II de la convention (groupes nationaux, ethniques, raciaux ou reli-
gieux), il est clair que le seul qui pourrait être menacépar les mesures
décrites dans la demande par les mots «le territoire souverain)) de
Bosnie-Herzégovineest un groupe «national ». La question qui se pose
estdonc desavoirquelgroupenational estmenacépar lesactesqui ontété
décritsetsicesactessont commisdans l'intentiondedétruirelegroupe en
question.
78. Dèsqu'on évoqueun groupe«national »,définipar référenceaux
habitants du territoire de la Bosnie-Herzégovine,on est immédiatement
amené à excluretout groupe ((national»susceptibled'être décrit exclusi-
vementpar référence àun groupe ethnique,racial ou religieuxunique. La

population de la Bosnie-Herzégovinecomprend non seulement des
Musulmans,maisaussidesSerbes,desCroates et d'autres minoritésreli-
gieuses ou groupes ethniques. Puisque les actes qui font l'objet des
élémentsde preuve produits par la Partie demanderesse visent non
l'ensembledu peuple de la Bosnie-Herzégovine,maisprincipalement sa
population musulmane, on ne peut pas dire qu'ils visentla «nation »,qui
est l'ensembledespeuples vivant sur leterritoire de ce pays.
79. S'iln'estpassouhaitable d'adopteruneinterprétation restrictivedu
concept degénocideenvisagéedans laconvention,ilfautaussiveiller àce
qu'un traité visant prévenir et réprimerun mal relativementspécifique
nesoitpastransforméenun instrumentpermettant decontesterdesmodi-
fications territoriales, mêmelorsque celles-cirésultentd'un conflit. Le
droitinternational,danslamesureoù ilpeutêtreefficace dans cedomaine

difficileentretous,disposedéjàdesnormesjuridiques nécessaires,essen-
tiellement sous la forme des règlesqui refusent tout effetjuridiques
modifications territoriales réaliséespar une agression. Pour atteindre ce
but,point n'estbesoind'invoquer nidetrop solliciterletextedelaconven-
tion sur legénocide.C'estpourquoi je refuseraisd'accorder la deuxième
mesure.

3. La troisièmemesuresollicitée

80. Latroisièmemesureselitcommesuit:

«L'annexion ou l'absorption de tout territoire souverain de la
Républiquede Bosnie-Herzégovinepar la Yougoslavie (Serbie et
Monténégro)par quelque moyen oupour quelque motif que ce soit
sera réputéeillicite,nulle et non avenue d'emblée.»

81. Il estindubitable qu'un territoire nepeut êtrelicitementacquispar
lerecours agressifàla force et qu'unetelle acquisition estthéoriquement
nulle etnon avenue à moins d'être ratifiéear un consentement de 17Etatdont le territoire est ainsi diminué. C'est ce qu'ont déclaré à maintes
reprises l'Assembléegénéraleet le Conseil de sécuritéde l'Organisation
des Nations Unies, en particulier au sujet du conflit en Bosnie-Herzégo-
vine, et il n'ya aucune raison pour laquelle la Cour ne devraitpas, fût-ce
par un obiterdictum,réaffirmeret confirmer cette règlefondamentale du

droit international.
82. Mais il ne découlepas nécessairementde ce qui précède que cette
opinion aillejusqu'à ((l'annexion ou l'absorption de tout territoire.par
quelque moyen oupour quelque motif que ce soit». Si 1'011définitl'aan-
nexion» comme étantle fait de «s'emparer d'un territoire par la force
suivi de l'affirmation unilatérale d'un titrealors, bien entendu, elle re-
lève de l'interdiction d'employer la force pour acquérir un territoire.
Mais si le mot ((annexion » est pris dans un sens plus familier qui veut
direfairevaloir un titre sur un territoirea suited'un règlementnégocié,
mêmesi celui-ci fait suiteà une agression età des hostilités,alors il n'est
pas possible de dire que la conduite, à l'origine illicite, de 1'Etat qui
acquiert ce territoire de façon permanente vicie ce transfert de titre rati-
fié ouapprouvépar la suite par 1'Etatinitialement souverain.A fortiori,

il enva de mêmepour lemot ((absorption »,qui, dans lelangagecourant,
est un terme neutre n'indiquant pas nécessairement l'emploi préalable
de la force par1'Etatqui acquiert le territoire en question.
83. Au paragraphe 81ci-dessus, j'ai dit fût-ce par un obiter dictum»
parce que la mesure sollicitée a en fait un caractère hypothétique et
n'appelle doncpas de réponse.Bien que la partie de la Bosnie-Herzégo-
vine initialement occupée par sa population musulmane ait maintenant
étéconsidérablement réduitepar les attaques et l'occupation serbes, le
demandeur n'a produit aucune preuve que «la Yougoslavie (Serbie et
Monténégro) »,qui estl'entité nommée dans la demande, est - ousera -
une puissance procédant à une annexion ou une absorption. D'ailleurs,
les faits qui sont de notoriété publique ou quela Cour peut constater
donnent actuellement à penser que la Républiquede Bosnie-Herzégovine

demeureravraisemblablement un Etat à l'intérieurde sonterritoire origi-
nel etquelasolution du présent conflitprendra laformed'une redistribu-
tion de territoire entre les populations musulmane, serbe et croate à
l'intérieurdudit territoire.

4. La quatrièmemesuresollicitée

84. La quatrième mesure est la suivante:

«Le Gouvernement de Bosnie-Herzégovinedoit avoir les moyens
de ((prévenir»la commissiond'actes de génocidecontre sonpropre
peuple comme le requiert l'article premier de la convention sur le
génocide. »

85. Il est utile d'examiner cette demande en analysant quelque peu les
droits et obligations que créel'article premier de la convention sur le
génocide.Parcette disposition, les contractantes aconfirment que legénocide,qu'ilsoit commisentemps de paix ou
entemps deguerre,estun crimedu droitdesgens,qu'elles s'engagent
àpréveniret à punir ».

86. L'obligationde«prévenir»legénocideestun devoirquis'imposeà
toutes les parties, elle est une obligation que chacune des parties a
contractée envers toutes les autres. Cette série d'obligations a pour
pendant une sériede droits qui en sont la contrepartie et qu'iln'est pas
nécessairepour le moment d'analyser en détail. Maisdans la présente
affairel'analyse permet d'identifier trois élémentsdistincts.
87. Premièrement,il y a l'obligation pour le défendeurà la fois de
prévenirun génocideet de s'abstenirde tout comportement qui compro-
mettelacapacitédudemandeurde prévenirun génocideou d'yrésister. Il
ne peut y avoir de doute que la Cour peut prescrire au défendeur, d'une
façon générale,de ne pas commettre un génocide et de prendre des
mesures en vue de prévenirla commission d'un génocide, quece soit

directementlui-mêmeou indirectement par des individus qui pourraient
releverde son autorité,setrouver sousson contrôle ou bénéficier deson
appui. C'estbien cequela Cour aindiquédans son ordonnancedu 8avril
1993et dans celle qu'elle vientde rendre aujourd'hui. C'estle minimum
quela Courpuissefaire.On pourrait toutefoissoutenirqu'à lalumièredes
faits dont elle a connaissance la Cour devrait se montrer plus spécifique
en ordonnant aussi au défendeur de s'abstenir de commettre certains
types d'actes,ettout particulièrementdenouveauxmassacres de civils,la
poursuite du processus de purification ethnique et les déplacements
forcésde la population musulmane.
88. En second lieu, le demandeur a une obligation que l'on trouve
conçue et expriméedans les mêmestermes que ceux qui viennent d'être
employéspour décrirecelle du défendeur.En principe, les obligations

des deux Parties sont identiques. Mais lorsque les preuves démontrent
(commec'estle cas)quel'étendue desatrocitéc sommisescontre la popu-
lation musulmane de Bosniedépasse àtel point celle des torts causésau
groupe ethnique serbe en Bosnie-Herzégovine qu'il estimpossible de
conclurequelesSerbessontvictimesd'ungénocide,iln'estpas nécessaire
d'indiquer des mesures conservatoiresplus spécifiques en faveur de la
Yougoslavie que celles qui figurent dans l'ordonnance que la Cour a
rendue le8avril 1993 ;ettel est lepoint devue que laCour a adoptédans
son ordonnance d'aujourd'hui.
89. Troisièmement,il y a la question de l'accèsdu demandeur aux
moyensde prévenir la commission d'actesde génocide.Le demandeur
a évidemment à l'esprit une certaine forme d'examen par la Cour de
l'effet etde l'avenirde l'embargoque le Conseil de sécurité a impospar

sa résolution713 (1991) du 25 septembre 1991en ce qui concerne la
fourniture d'armement et d'équipementmilitaires aux deux parties au
conflit.
90. Dans cette résolution, le Conseilde sécurité, agissant en vertudu
chapitre VI1de la Charte des Nations Unies,a entre autres décidé: APPLICATIONDE CONVENTION GÉNOCIDE (OP.IND.LAUTERPACHT) 437

«que tous les Etats mettront immédiatementen Œuvre,aux fins de
l'établissementde la paix et de la stabilité en Yougoslavie, un

embargo généralet complet sur toutes les livraisons d'armement et
d'équipement militairesà la Yougoslavie, et ce, jusqu'à ce que le
Conseil de sécurité en décide autrement, aprèq sue le Secrétaire
généralaura eu des consultations avec le Gouvernement yougo-
slave»(résolution713(199l), par. 6).

Quatre aspects de cetterésolution appellent desremarques.
91. Premièrement,l'embargo aété demandépar la Yougoslavie elle-
même,et trois membres du Conseil de sécurité, la Chine,l'Inde etle
Zimbabwe, ont déclaréqu'ils considéraient comme essentiel que la
Yougoslavie donne son accord exprès àl'embargo.Toutefois, il ne faut

pas voir là une exigencejuridique en ce sens. Comme explication, il est
plusprobable qu'ils'estagide quelquehésitationpolitiquede la part des
Etatsqui ont invoquécetteconsidération,hésitationsquo int étésurmon-
téesparceque la Yougoslaviedonnait son accord.
92. Deuxièmement,cette résolution aété adoptée à un moment où le
statutinternational etlacapacitédecequiétait l'origine1'Etatfédérale
Yougoslavien'avaientpas été mis en question. Un mois plus tard, pour-
tant, l'autoritédu gouvernementde Belgradepour représenterl'ensemble
du territoire naguère comprisdans lesfrontièresde la Yougoslaviea com-
mencé à êtremise en doute. Le 25octobre 1991,M. Cyrus Vance, en sa
qualitéde représentantdu Secrétairegénéradle l'ONU, a fait savoirque
les déclarationsde pleine indépendance que la Slovénieet la Croatie

avaient faites depuis lors avaient portégravementatteinte àl'autoritéde
facto du gouvernement central en Yougoslavie.Le 7 décembre1991,la
commission d'arbitragecréée par la Communauté européenne a conclu,
entre autres, que la République socialistefédératde Yougoslavieétait
envoiede dissolution. Le 19septembre 1992,le Conseilde sécuritéapris
acte, dans le préambulede sa résolution777(1992),du fait que «l'Etat
antérieurement connu comme la République fédérative socialistd ee
Yougoslaviea cesséd'exister)).Le6mars 1992,la Bosnie-Herzégovinea
proclaméson indépendance; le 6 avril 1992,elle a été reconnuepar la
Communauté européenne et,le 22 mai 1992,elle a étéadmise comme
Membre de l'organisation des Nations Unies. Les incidences de cette

considération sont étroitementliéescequi suit.
93. Troisièmement,la régiondans laquelle la résolution a interdit la
livraison d'armes s'appelait «Yougoslavie». Pour décrireun territoire
identifiable etbien défini,ce nom a cesséd'être valaau moment de la
dissolution de l'ex-République fédérativesocialistdee Yougoslavie etde
son remplacement,sur une grandepartie de son territoire, par plusieurs
républiques indépendantesdont les frontièresles unes par rapport aux
autres ont étéjugéesle 11janvier 1992par la commission d'arbitrage
comme ayant acquis «le caractère de frontières protégéepar le droit
international.
94. Surlabase decesdeuxconsidérations,ledemandeur asoutenu que APPLICATION DECONVENTIONGÉNOCIDE (OP.IND.LAUTERPACHT) 438

larésolutionn'étaiptas applicable auterritoire delanouvelleRépublique

de Bosnie-Herzégovine. Bien que cet argument ne soit nullement
dépourvudelogiqueet de force,la difficultéqu'ilprésente résidedans ce
que le Conseil de sécuritéàplusieurs reprises, a confirmé l'embargo,en
dépitdu fait que le Conseil devait évidemmentavoir connaissancede la
naissance delanouvellerépubliqueetvoulaitévidemmentquel'embargo
s'appliqueà cettedernière.L'idée consistant ((interpréter»larésolution
commene s'appliquant pas au demandeur n'estguèrecompatibleavecce
que le Conseil de sécurité a apparemmenten vue. La preuve la plus sûre
delafaçondevoirdu Conseilsurcepoint estleprocès-verbaldu débatqui
a eu lieu au Conseil le29juin 1993,lorsque sixde sesmembres ont tenté,
sans succès,de lepersuader de leverexpressémentl'embargo à l'égardde
la Bosnie-Herzégovine.Les résultatsdu scrutin ont étéde 6 voix contre
zéro,avec9 abstentions.
95. La quatrième remarque, juridiquement la plus pertinente, qu'ily

ait lieu de faiàepropos de cette résolutionest que l'embargo opèrede
façon inégale entreles deux parties principalement impliquées dans le
conflit.LesSerbesbosniaques ont eu(etont encore)l'appui desSerbesde
Serbie, ces derniers ayant l'avantage de pouvoir accéderaux grandes
quantités d'armes accumuléespar l'arméenationale yougoslave, ainsi
qu'à la production des usines d'armements en Serbie; ils peuvent aussi
importer, en violation de l'embargo, des armes et des équipementsmi-
litaires par le Danube et par d'autres itinéraires.Les Musulmans bos-
niaques n'ont pas eu (et n'onttoujours pas) cesavantages.
96. Cetteinégalitéa étélargementreconnue et,enparticulier,a étérele-
véepar l'ex-premier ministre de Pologne, M. Tadeusz Mazowiecki,
rapporteur spécialde la Commission des droits de l'homme, dans son
rapport distribuéàl'Organisation desNations Uniesle 17novembre 1992

(A/47/666 -S/24809). Au paragraphe 14de ce rapport, il déclarece qui
suit
«Un autre facteur contribuant à l'intensitédu ((nettoyage eth-
nique» dans les zones sous domination serbe était le net déséqui-
libreentrelesarmes dont disposaientla population serbeetla popu-

lation musulmane de Bosnie-Herzégovine. »
Au paragraphe 6du mêmerapport, lerapporteur spécialindique que

«la teneur du rapport est fondée essentiellementsur des informa-
tionsreçuespar lerapporteur spécialetsadélégationdirectemend t e
témoinsdignes de foi et de sourcesimpartiales et fiables
Parla suite,l'Assembléegénéralea pris note de la déclarationdu rappor-

teur spécialcitée ci-dessus et l'aincorporéemoàmot dans lepréambule
de sa résolution47/121, en date du 18décembre1992.Cette déclaration
est d'autant plus importante qu'elle démontrele lien direct qui existe
entre le maintien de l'embargosur les armes et le fait que la population
musulmane de Bosnie est exposée à des actes de génocidede la part
des Serbes. 97. La mesure demandée par le requérant soulève deux questions:
l'une estde savoir si une mise en cause quelconque de la résolutiondu
Conseil de sécuritéest possible dans le présent contexte et l'autre
comment, d'un point de vue formel, la Cour pourrait donner effet àses
vues dans le cadre procédural d'une action bilatérale entre les deux
Parties actuelles. Bien que la Cour ait estimépouvoir rendre une ordon-
nance adéquatesansentrer dans cesquestions,j'estimequ'il yaurait lieu
d'yréfléchirquelquepeu.

A. L'effetde larésolutiodu Conseildesécurité
98. Apremièrevue,la résolution713(1991)du Conseil de sécurité est

une interdiction valable de fournir des armes et des équipementsmili-
tairesàceuxquisontimpliquésdans leconflityougoslaveetelles'impose
à tous lesMembresdel'organisation desNations Unies. Elleseprête aux
commentaires que j'ai faits aux paragraphes 91 à 96, mais on ne peut
soutenir avec certitude qu'en eux-mêmes cescommentaires font que la
résolution cesserait d'être valableL. e fait que certains membres du
Conseil de sécuritéont fait savoir qu'ils n'auraient pas votépour cette
résolutionsi la Yougoslavie n'y avait consenti, à l'égarddu territoire
auquel l'embargodevait s'appliquer,ne pourrait être pertinent que parce
que le Conseil de sécuritén'avait pas décidéque la situation relevait du
chapitre VI1de la Charte.A partir du momentoù le Conseil de sécuritéa
déclaré qu'ilagissaiten vertu du chapitre VI1»,iln'était désormaisplus
tenu d'obtenir qu'un Etat, quel qu'il fût, donnât son consentement aux
mesures que lescirconstancesexigeaient à son avis.

99. Ce n'estpas à dire que le Conseil de sécurité peut aàisa guise,
libredetoute contraintelégale,maisseulementquelepouvoird'apprécia-
tionjudiciaire delaCourestlimité.Onnesauraitguèremettreendouteque
laCourauntelpouvoirmais,demêmei,ln'estpasdouteuxnonplusque ce
pouvoir ne comporte pas le droit pour la Cour de substituerson pouvoir
discrétionnaireàceluidu Conseil de sécuritépour déterminerl'existence
d'unemenace àla paix, d'une rupturede la paix ou d'un acted'agression
ou lesmesurespolitiques àprendre à lasuited'unetelle décision. Mais, n
tant qu'organejudiciaireprincipal del'organisation desNations Unies,la
Couraledroit etestmême tenuedegarantirlaprimautédu droit auseindu
systèmedes Nations Unies et,dans le cadre desaffairesdont elleestrégu-
lièrementsaisie, d'insisterpour que tous les organes des Nations Unies
obéissentaux règlesqui régissentleur fonctionnement. Dans l'affaire de
Lockerbie,la Couradéjàdonnéuneinterprétationextensivedespouvoirs

du Conseil de sécuritélorsqu'il agiten vertu du chapitre VII, enjugeant
qu'une décisionpriseparleConseilpouvait,envertu desarticles 25et 103
dela Charte,prévaloirsurlesobligationsdesparties envertu detout autre
accord international (voiruestionsd'interprétationet d'applicationde la
conventionde Montréalde 1971résultand t e l'incidentaériende Lockerbie
(Jamahiriyaarabelibyennec.Royaume-Uni),mesuresconservatoires,ordon-
nancedu 14avril1993,C.I.J.Recueil1992,p. 15,par. 39). 100. Mais la présente affaire n'entre pasdans le cadre de la doctrine
queje viens d'énoncer. Cela parce qu'àla différencede la convention de
Montréaldans l'affaire de Lockerbie, à laquelle les dispositions de l'ar-
ticle 103de la Charte pouvaient directement s'appliquer, il estgénérale-
mentadmis quel'interdictiondu génociden'estpasune règleordinaire du
droit international maisfait partie dujus cogens.En fait,l'interdiction du
génocideestdepuislongtempsconsidérée commel'un desraresexemples
indiscutésdujus cogens.Mêmeen 1951,dans l'avisconsultatif qu'ellea

rendu en l'affaire des Réserves à la conventionpour la préventionet la
répressiondu crimede génocide,la Cour a affirméque le génocide «est
contraireà la foisà la loi morale et à l'esprit etaux fins des Nations
Unies»(avisque la Cour réaffirmeauparagraphe 51de l'ordonnance de
cejour) et que

«les principes quisont àla base de la convention sont desprincipes
reconnus par les nations civiliséescommeobligeant les Etats même
en dehors de tout lien conventionnel» (C.I.J. Recueil1951,p. 23).
Ontrouveaussi une mentionexpressedelaspécificité del'interdictiondu
génocide dans les travaux de la Commission du droit international

lorsqu'elle a élaborél'articl50du projet d'articles surle droit destraités
(Annuairedela Commissiondudroitinternational,1966,vol.II,p.269-27 l),
disposition qui est finalement devenue l'article 53 de la convention de
Vienne sur le droit des traités, ainsi que dans le commentaire de la
Commission sur l'article 19 (crimes et délits internationaux) du projet
d'articles sur la responsabilité des Etats(Annuairede la Commissiondu
droit international,1976, vol.II, deuxièmepartie, p. 95-96).Dans lejus
cogens,la norme impérativerelèved'une catégoriequi l'emporte à la fois
sur ledroitinternational coutumier etsur ledroit conventionnel. La solu-
tion que l'article 103de la Charte offre au Conseil de sécurité en casde
conflit entre une de ses décisionset une obligation conventionnelle en
vigueur - du point devue de la simplehiérarchie desnormes - ne peut

allerjusqu'au point où une résolutiondu Conseil de sécurité entreraiten
conflit avec lejus cogens.D'ailleurs, il suffit de formuler la proposition
inverseen disant qu'une résolutiondu Conseil de sécuritépourraitmême
exiger une participation à un génocide - pour voir clairement qu'une
telleproposition seraitinacceptable.
101. Il ne faut pas non plus négligerl'importance de la disposition
contenue au paragraphe 2 de l'article24de laCharte selonlaquelle, dans
l'accomplissementde ses devoirs de maintien de la paix et de la sécurité
internationales,le Conseilde sécuritédoitagir conformémentaux buts et
principes des Nations Unies. Entre autres buts énoncésau paragraphe 3

del'article 1delaCharte figureceluideréaliserlacoopérationintematio-
nale «en encourageant le respect des droits de l'homme et des libertés
fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe,de langue ou
de religionB.
102. Il n'ya pas lieu d'envisagerque le Conseil de sécuritése trouve
jamais adopter délibérementune résolutionqui ferait ouvertement etdirectementfi d'unerègledujus cogensouquiprescriraitune violationdes
droitsdel'homme.Maisonnesauraitexclurelapossibilité que,parinadver-
tanceoudefaçonimprévisiblel,eConseildesécuritéadopte unerésolution
quiaboutiraità unetellesituation.Età ce qu'ilmesemble,c'estcequis'est
passédanslecasprésent.Surcettebase,silaBosnie-Herzégovin n'eapasles
moyensde sedéfendreavec assezdeforce contrelesSerbesni d'empêcher
de façon efficace la mise en Œuvrede la politique serbede purification
ethnique, cela est, au moins en partie, directementimputable au fait que
l'embargo a gravement limitéla possibilitépour la Bosnie-Herzégovine
d'avoiraccèsà desarmeset à deséquipementsmilitairesV. uesouscetangle,
la résolutiondu Conseilde sécuritépeutêtre considérée comm aeant en
faitappelélesMembresdel'organisationdesNationsUnies,fût-cemême à

leur insu et assurémentmalgré eux,àdevenirjusqu'à un certain point des
soutiens des actesdegénocide desSerbeset,de cettemanièreet dans cette
mesure, àagircontrairementàune règledujus cogens.
103. Quelles conséquencesjuridiques peuvent découlerde cette ana-
lyse? L'unedes possibilitésest que, d'unpoint de vuestrictement logique,
lorsque la mise en Œuvredu paragraphe 6 de la résolution713(1991)du
Conseil de sécurité a commencé à rendre les Membres de l'organisa-
tion des Nations Unies complices d'un génocide, la résolution acessé
d'être valable et obligatoire dans son applicatiànla Bosnie-Herzégo-
vine, et qu'il estalors devenu loisible aux Membres de l'ONU de la
méconnaître.Mêmedans ces conditions, il serait difficile de dire que
l'obligation s'est alorspositivementimposéà euxdefournir desarmeset
du matérielmilitaireau demandeur.
104. Mais il estuneautre possibilitéquis'accorde peut-ête ieuxaux
réalitésde la situation. faut bien reconnaître que toutes leshypothèses

qui s'enchaînent dans l'analyse qui précède font intervenirun certain
nombre de maillonsquipeuvent êtrediscutés - éléments de fait,comme
celui que l'embargo sur les armes a conduità un déséquilibreentre les
deuxcampspour cequiestdesarmesenleurpossession etquecedéséqui-
libre a contribuéun degré plusou moins élevé à des actes de génocide
tels que la purification ethnique, et élémentsde droit, comme la règle
selonlaquellel'interdiction du génocidefaitpartiedujus cogensetqu'une
résolutionqui violerait ces cogensseraitnécessairementnulleetjuridi-
quement de nul effet.Point n'estbesoin pour la Courdeprendre position
sur cette question au stade actuel. Il devrait plutôt suffire que la perti-
nence du jus cogensenl'occurrence soitportéeàl'attention du Conseil de
sécurité,comme ce sera le cas quand l'ordonnance de la Cour lui sera
communiquée, ainsiqu'il estprescrit, pour que le Conseil de sécurité
puisse y attribuer l'importance voulue lorsqu'il réexaminerade nouveau

la question de l'embargo.
B. Laquestiondeprocédure

105. C'est alors que se présente la deuxième question. Comment,du
strict point de vue de la procédure, laCour peut-elleprendre en considé-
ration la question que je viens d'examinerdans le cadre de l'instancequioppose actuellement le demandeur et le défendeur et à laquelle aucun
autre Etat n'estpartie? Certes, la situation aurait été quelque peu diffé-
rente si, invoquant l'obligation qui incombe à toutes les parties à la
conventionsur legénocidedeprévenircecrime,ledemandeur avaitintro-
duit des instances contre une ou plusieurs partiesà la convention, en
soutenant que celles-cin'avaient pas remplileurs obligations. Sila Cour
avaitalorsretenu cetteinterprétationdelaportéedel'article premier,elle
aurait pu seprononcer par une déclaration interpartesdans le sensindi-
quéci-dessus. Mais, quelle qu'en soit la raison, le demandeur n'a pas
choisid'adopter cettevoie et il faut en conséquenceposerla question de
savoir si la Cour, que ce soit àla demande d'une partie ou d'office, peut
légitimementtrouverlapossibilité,danslecadre de laprésenteaffaire,de
prendre en considération cettefaçonde voir.

106. Bien entendu, une décision selon laquelle leparagraphe 6 de la
résolution713 (1991)du Conseil de sécuritépourrait être en conflitavec
une norme de jus cogensintéresserait essentiellementles Etats tiers qui
pourraient vouloir fournir des armesà la Bosnie-Herzégovine,mais cela
ne veutpasdire qu'une décisionen cesensn'aurait pas saplace dansune
ordonnancequi s'appliquerait àla Bosnie-Herzégovineetàla Yougosla-
viedanslaprésenteinstance. Ilsepourrait fortbien qu'ilsoitdansl'intérêt
dela Bosnie-Herzégovine(et cen'estpas à laCour d'enjuger)depouvoir
dire quelaCour adéceléun motif dedouterde lavaliditéde la résolution
sur l'embargo,constatation qui, sans avoirpar elle-mêmeun effet direct,
nécessiteraitque le Conseil de sécurité examine la question plus avant.
107. Ainsi,dans la mesureoù cettequatrième mesureest liéeà lalevée
de l'embargo sur les armes àl'égardde la Bosnie-Herzégovinej,e serais
disposé à dire que le demandeur pourrait peut-être obtenir l'indication

d'une mesure conservatoireformulée commesuit: en ce qui concerne le
demandeur et le défendeur,l'idéeque l'embargocontinue d'être valable
dans seseffetsà l'égarddu demandeur suscitemaintenant desdoutes qui
nécessitentquele Conseil de sécurité réexaminlea question.

5. La cinquième mesuresollicitée

108. La cinquièmemesureestformuléecommesuit:

((Toutesles parties contractantes àla convention sur le génocide
sonttenues par l'article premierdecelle-cide ((prévenircommis-
sion d'actes de génocide contrele peuple et'Etatde Bosnie-Herzé-
govine.»

109. Comme on levoitdans letextemêmedela convention,la plupart
desesdispositionssontconsacrées à différentsaspectsdelapréventionet
de la répressiondu génocidedans l'ordre juridique national, c'est-à-dire
aux cas de violation de la convention par des individus. C'est ainsi que
l'articleIII prévoit quelegénocideet lesactesqui s'yapparentent seront
((punis»,ce qui àl'évidencevaut davantage pour desindividus quepour
des Etats.L'articleIVprescrit que ales personnes ayant commislegéno-cide ..seront punies B.A l'articleV,les parties contractantes s'engagent
«à prendre ..les mesures législativesnécessairespour assurer I'applica-
tiondesdispositions »delaconvention,cequimontreencore une foisque

la convention envisage les contrevenants comme étant des individus.
Cettelecture estrenforcéepar lestermes de l'articleVI qui prévoientque
lespersonnes accuséesde génocideseront traduites devant lestribunaux
compétentsde 1'Etatsur leterritoire duquel l'acte a étécommisoudevant
la cour criminelleinternationale qui seracompétente.Asontour, letexte
del'articleVI1disposeque, pour cequi estdel'extradition, legénocidene
serapas considérécomme un crimepolitique.Tout cela, par conséquent,
donne fortement àpenser quela conventionnefaitrien deplusqu'établir,
pour les Etats contractants, des obligations qu'ilss'engagentmettre en
Œuvrepar les mesures qu'ilsprendront eux-mêmes dans le cadre de leur
ordrejuridique interne.
110. Cependant, il faut rejeter une thèse aussi étroite.Les termes de
l'engagement pris par les parties contractantes à l'article premier de
«prévenir» et de «punir » le génocideen font un engagement absolu et
sans restriction. Cet engagement créedeux obligations distinctes:l'obli-
gation de ((prévenir»et l'obligationde «punir ».Donc, une violation de
cesobligationspeut découler soituniquementdu fait que lecrimen'apas

étéprévenu, soit uniquement du fait qu'il n'a pas étépuni; il n'est pas
nécessairequ'ily aità la fois carence a prévenir àtpunir. La confirma-
tion, dans cettemêmedisposition, que legénocide «estun crime du droit
desgens »nemodifie pas la situation etne restreintpasl'idéedegénocide
comme s'appliquant exclusivement à la responsabilité pénale indivi-
duelle. L'objetde cettedernière dispositionest de permettre aux parties,
dans le cadre de la législationinternequ'ellesadoptent, d'êtreinvesties
d'une compétence universelleen ce qui concerne le crime de génocide,
c'est-à-diremême lorsque lesactesvisésont étécommisen dehorsdeleur
propre territoire par desindividus qui ne sont pas leursressortissants.
111. La convention a ainsi pour effet d'imposer aux Etats, au plan
interétatique,l'obligationdeprévenir etcellede punir legénocide.C'estle
sens parfaitement clair du libelléde l'articlepremier, confirmé dans une
certainemesure àl'articleVI11etdefaçon plusclaireencore àl'article IX.
Ce dernier contient les dispositions de la convention relatives au règle-
ment de différends :

«LesdifférendsentrelesPartiescontractantesrelatifs à l'interpré-
tation, l'application ou l'exécutionde la présente Convention, y
comprisceuxrelatifsà la responsabilitd'unEtat enmatièredegéno-
cideou de l'un quelconque des autres actes énuméréà s l'article III,
seront soumis àla Cour internationale de Justiceà la requête d'une
Partie au différend.(Lesitaliquessont de moi.)

Ce sont lesmots en italiques,«y compris ceuxrelatifs àla responsabilité
d'un Etaten matièrede génocide »,et tout particulièrement «en matière
de génocide », qui énoncent clairementque la convention envisage la
possibilité qu'un Etat puisse commettreun génocideet, par conséquent,quel'obligation«deprévenir»legénocideenglobeaussicelledeprévenir
qu'un Etat commettececrime. Sila convention selimitait àcréerpour les
Etats une obligation de prévenir etde punir dans leur ordre juridique
interne un génocide commispar définitionpar des personnes ne possé-
dantpas le statutd'Etat, commentpourrait-il êtrepossibleque 1'Etatlui-
mêmesoit responsable d'un génocide alorsque cette possibilitéest à
l'évidenceprévue àl'articleIX?
112. L'interprétation ci-dessus,on le remarquera,se fonde exclusive-
ment sur le sens ordinaire des mots effectivement em~lovésdans la
& <
convention. Il n'ya ni doute ni ambiguïtédans cetexte etl'examen préa-
lable des travaux préparatoiresne fournit rien qui suggère qu'ilfaudrait
s'écarterde cesensordinaire.
113. Ainsi,iln'ya aucune difficultàdéclarerquetoutes lesparties àla
convention sur le génocide ont l'obligationde prévenirle génocide.Il
suffit simplement de lire l'article premierde la convention et il ne serait
pas non plus déplacéque la Cour fasse une telle déclaration dans la
présente affaire,dans le cadre demesuresconservatoiresqu'elleindique-
raità l'adressedu défendeur. Ce quiestplus discutable, c'estde savoir si
cetteobligation, au-delà du devoir qui incombeàchacune des parties de
prévenirle génocide àl'intérieurde son propre territoire, vajusqu'à leur
faireobligation deprévenirlegénocidepartout oùilpourrait être commis.

114. Certes,concevoirl'obligation deprévenirlegénocidecommeune
obligation strictement territoriale n'aurait pas de sens parce que cela
voudrait direqu'une partie, bien qu'étantdans l'obligationde prévenirle
génocide à l'intérieurde son propre territoire, ne serait pas obligéede
l'empêcher sur leterritoire qu'elle-mêmeenvahitet occupe.Ce qui serait
absurde. Desorte qu'entout étatdecausel'obligation existe,pourun Etat
impliquédans un conflit, de se préoccuperde prévenirle génocideen
dehors de son propre territoire.
115. Maiscetteobligation deprévenirquiincombe à unepartiepour ce
qui est desapropreconduite, ou celle des personnes qui relèventde son
autorité oude son contrôle à l'extérieurde son territoire, veut-elle aussi

direque chaquepartie al'obligation d'intervenirindividuellementetacti-
vement pour prévenirle génocide en dehorsde son territoire lorsque ce
génocideestcommispar uneautrepartie ousoussonautorité?Commeje
l'aidéjàdit, l'engagementcontenu àl'article premierde la convention de
((prévenir»legénociden'estpas limitéparune référence àdespersonnes
ou à deslieuxdesorte que,telle qu'elle seprésente,onpourrait direquela
convention exigeque chaquepartie prévienne positivementle génocide
en quelque lieu qu'il seproduise. Acestade,toutefois, ilfaut examinerla
pratique des Etats. Depuis la secondeguerremondiale, ily a malheureu-
sementeuplusieurscas de génocide.Comme M. B.Whitaker,rapporteur
spécialdela Sous-Commissiondela luttecontres lesmesuresdiscrimina-
Versionreviséeet
toires et de la protection des minorités,l'aécritdans la
mise àjour de l'étudsurla questionde laprévention et de la répressidu
génocide (E/CN.4/Sub.2/1985/6, du 2 juillet 1985)demandée par le
Conseiléconomiqueet social,lesexemplesqui peuvent êtrecitéssont «le massacredesHutus par lesTutsisau Burundi en 1965eten 1972,
le massacre au Paraguay des Indiens Achéavant 1974,le massacre
auquel les Khmers rouges se sont livrésau Kampuchea entre 1975
et 1978,et actuellement le massacre des Baha'is par les Iraniens))
(p.12-13,par. 24).

La réaction limitéedesparties àla convention surle génocide face à ces
épisodespeut représenterune pratique donnant àpenser que la passivité
est permise. A la différencede la position que j'ai prise sur d'autres
aspectsdiscutables de cetteaffaireque les Partiesn'ont pas plaidés,je ne
me senspas en mesure, vu que la question n'a pas été pleinement traitée

par les deux Parties, d'exprimer un avis à ce sujet au stade actuel
- quelles que soient mes sympathies de principe pour l'idéed'une
responsabilité individuelleet collectivedes Etats en ce qui concerne la
préventiondu génocideen quelque lieu qu'il puisse êtrecommis. C'est
pourquoi je ne pense pas pouvoir accéder àla cinquièmedemande.

6. La sixièmemesuresollicitée

116. La sixièmemesure est ainsiformulée :
«Le Gouvernement de la Bosnie-Herzégovinedoit avoir les
moyensdedéfendrelepeuple et 1'EtatdeBosnie-Herzégovinecontre

les actes de génocide, etla partition et le démembrementpar le
moyen du génocide. »
117. En vérité, la premièrepartie de cette mesure fait double emploi

avecla quatrième, quej'ai déjàexaminée,mais la deuxièmepartie intro-
duit un élémentsupplémentaire, à savoirque le demandeur devraitavoir
les moyensde sedéfendre etde défendre son peuple contre «la partition
etle démembrementpar lemoyen du génocide ».
118. J'ai déjà exprimé , propos de la quatrièmemesure, l'avisque le
demandeur doit avoirlesmoyensdeprévenirla commissiondu génocide
contre lui-même, et il estonc inutile que je développeles conséquences
du génocidecontrelesquellesil a ledroit de seprotéger.Leproblème qui
sepose estessentiellementun problèmedecausalité.Est-ceque laparti-
tion et le démembrement»de la Bosnie-Herzégovinesonten train d'être

réalisésa par le moyen du génocide )? Répondrenon - et c'estce qu'il
faut répondre - n'équivautpas à nier qu'un génocide a eulieu en Bos-
nie-Herzégovineet sembleactuellementcontinuer. Plutôt, cela revient à
dire que l'objet du génocideest la population musulmane de la Bosnie
et non lepeuple et 1'Etatde la Bosnie-Herzégovin )dans son ensemble.
En effet, cette dernière notion doit nécessairementcomprendretous les
élémentsde la population de Bosnie-Herzégovine,dont la population
musulmane ne représente pas plus de quarante pour cent. Ainsi, bien
que le Gouvernement de la Bosnie-Herzégovineait le droit d'avoir les

moyens de protégerdu génocide sa population ou une partie de sa
population, ce droit ne va pas jusqu'au droit pour 1'Etatd'être protégé APPLICATIONDE CONVENTION GÉNOCIDE (OP.IND.LAUTERPACH 4T)6

contre un démembrementlorsqu'ilest clairque la population de cet Etat
est divisée etqu'on ne peut pas dire qu'ellecompose un ((groupe natio-
nal» au sens où cette expression est employéeà l'article premier de la
convention. La Cour esttout autant tenue de prendre actejudiciairement
de l'évolution politique actuelleen Bosnie-Herzégovinequ'elle doit le
faire pour les événementsantérieurs qui affectent la population musul-
mane de cet Etat et qui clairement constituent un génocide. L'évolution
récenteexcluttoute idéeque la division,par lavoied'un accord, duterri-
toire de la Bosnie-Herzégovineentre les Musulmans, les Serbes et les

Croates du payspuisseêtre considéréceommeun génocide.

7. Lesseptième, huitième et neuvièmemesuressollicitées

119. La teneur de ces mesures ressembletellemenà celledes sixième,
quatrième et cinquièmemesures, respectivement, qu'il n'estpas néces-
saire d'y répondre séparément.Autant qup eossible, ellessont couvertes
par les mesuresindiquéesci-après.

8. La dixièmemesuresollicitée

120. La dixièmemesure est que
«Les forces de maintien de la paix des Nations Unies en Bosnie-
Herzégovine (c'est-à-direla FORPRONU) doivent faire tout ce qui
est enleur pouvoir pour assurerl'acheminement continu desfourni-
tures d'assistance humanitaire au peuple bosniaque par la ville

bosniaque de Tuzla.»
121. Commeiln'aétéprésentà élaCour aucunélémentétablissan qtue
lesforces de maintien de la paix de l'ONU en Bosniefassent quoi que ce
soit d'autre quetout ce qui est en leur pouvoir pour remplir leurs obliga-
tionshumanitaires,cette demande estsansfondement etiln'yapaslieude

l'examiner.

122. En exprimant mesconclusionssurla secondedemandeen indica-
tion de mesures conservatoires présentéepar le demandeur, je tiens
d'abord àrépéterqueje souscris au dispostifde l'ordonnance dela Cour.
Mais, commeje l'ai déjà dit,j'aurais préférue la Cour traitât de façon
plus détaillée certains aspectsde l'affaire et qu'elle allât au-delà d'une
réaffirmationdesmesuresindiquéesdans sonordonnance du 8avril 1993.

Je développerai donc,au paragraphe 123ci-après,un certain nombre de
mesures conservatoires qui,à mon avis, rentrent dans Ie champ de la
convention sur legénocideetdans celuidu dispositifde l'ordonnance de
la Cour etquej'aurais souhaitévoirexpressémentinclusesdans cedispo-
sitif.Auparagraphe 124,j'exposeraicertainesmesuresadditionnellesqui,bien quesortantdu champd'application delaconventionsurlegénocide,
relèventàmonavisdel'étendue delacompétencedelaCour fondéesurle
forumprorogatum.
123. Dans l'exercice de la compétence qui luiest conféréepar l'ar-
ticleIX de la convention sur legénocide :

A. La Couraurait dû ordonner àla Yougoslavie(Serbieet Monténégro)
età toutesautoritésoupersonnes, militairesou civiles,setrouvant sousson
contrôle,sonautoritéousoninfluence,de cesserimmédiatementde com-
mettretout acteéquivalantaugénocideenBosnie-Herzégovineoucontri-
buant ou constituantun appui à cegénocideet de s'enabstenir à l'avenir.
Les actes de génocide, ou ceux qui sont assimilésau génocide, qui
auraient dû êtrecouvertspar l'ordonnance sontlesactesénumérés à i'ar-
ticle II de la convention sur legénocide.
L'interdiction auraitdû s'étendreaumoinsauxactessuivants,sans que
cetteénumération soitlimitative :

i) lefait defournir oudepermettre lafourniture d'armes,demunitions et
de matérielsmilitaires, ainsi que d'une aide financière, commerciale
ou autre,sauflorsquecetteaide revêutn caractèrestrictementhumani-
taire,à desforces, autoritésouindividuss'étantlivrésou selivranten
Bosnie-Herzégovine à des hostilitésouàdes actions arméescontre le
Gouvernement de la Républiquede Bosnie-Herzégovineou contre
toutes personnes, a l'intérieur deslimites territoriales de cette Répu-
blique,telles qu'établiele 6 mars 1992,qui reconnaissentson autorité
ouinvoquentsaprotection, et
ii) la ((purification ethnique »outoute conduitey contribuant, commele
fait d'attaquer desnon-combattants etde lestuer en ouvrant lefeu sur

eux, notamment au moyen de tireurs embusqués,ou de procéderau
bombardement et au blocus de zones occupéespar des civilset toute
autreconduiteayant pour effetdeterroriserlescivilspour lesamener à
abandonner leursfoyers.
B. La Cour aurait aussi dû déclarer qu'entre ledemandeur et le dé-
fendeur le déséquilibre en matièrede fourniture d'armes résultantde
l'embargo établipar la résolution713 (1991)du Conseil de sécuritée ,tla

situation gravement désavantagéedans laquellele demandeur a ainsi été
placé,a un lien de causalité suffisantavecla persistance du génocide en
Bosnie-Herzégovinepour s'interrogersurlacompatibilitéde cetembargo
aveclejus cogensetpour mettreainsiendoutesavaliditécontinue,detelle
sorte quelaquestiondoit-êtreexaminéeplusavanp tar leConseildesécu-
rité.

124. En outre,dans l'exercicede la compétenceconférée àla Cour par
la demande en indication de mesures conservatoires présentéepar le
demandeur et par l'actede forumprorogatum constituépar la lettre que le
défendeuraadressée auGreffier lele'avril 1993,laCour auraitdûordon-
ner aux deux Parties et aux personnes soumises à leur autoritéou à leur
contrôle : i) de respecterstrictement tout accord ou tous accords de cessez-le-feu
auxquelsellesseraientoupourraient devenirparties ;
ii) derespecterlesconventionsdeGenèvede 1949pour laprotectiondes
victimes de la guerre ainsi que les protocoles additionnels à ces
conventionsde 1977 ;
iii) de libérerimmédiatemend t etoutes lesprisons et camps de détention
tous les Musulmans, Serbesou autres personnes qui y sont détenues
en raison de leur origine ethnique, et de mettre fin immédiatement
auxtortures etauxmauvaistraitements infligés à cespersonnes ;
iv) de permettre sans tarder le libre déplacementde tous ceux qui, en
raison du conflitetde l'insécuriten Bosnie-Herzégovine,souhaitent
volontairementquitterleursfoyers ets'établirailleur;
v) de s'abstenir de toute nouvelle destruction de mosquées,églises,

autreslieux de culte,écoles,bibliothèques,musées etautres établisse-
ments ou institutions ayant un lien avec l'identité ethnique oureli-
gieusedetout groupeenBosnie-Herzégovine;
vi) de mettre immédiatementfin,surtout territoire setrouvant sousleur
contrôle,à tout acte de discrimination qui seraitbasésur la nationa-
lité,la religion ou l'identité ethnique,y compris toute discrimination
ayant traità la fourniture d'une aide humanitaire et,à cette fin, de
coopérer avec la FORPRONU, le HCR et les autres institutions,
qu'elles soient intergouvernementales ou non gouvernementales, et
de leur prêtertoute aide et assistance en leur pouvoir dans le but
d'aménageret de protéger des zonesde sécurité et autres localités
pouvant servir d'abris habitablespour les civilset d'yacheminer les
fournitures non militairesnécessaires.

(Signé E)lihu LAUTERPACHT.

Bilingual Content

SEPARATEOPINIONOFJUDGELAUTERPACHT

OUTLINE

Paragraphs
1. INTRODUCTION 1-13

1. Theunprecedented human dimension ofthiscase 2
2. TheCourt's concernwith the gravityand urgency ofthe case 3

3. Theposition ofthe ad hocjudge
4. The nature of requests for provisionalmeasures

II. JURISDICTION 14-37

1. TheGenocide Convention 17
2. The letter of 8June 1992 18
3. The reference tothe customary and conventional laws of war,
etc. 19
4. The"Minorities" Treaty, 1919 20-23
5. Forumprorogatum 24-37

111.THESUBSTANC OETHE REQUEST 38-70
1. The nature of the evidence to been into consideration in
relation to requests for provisionalmeasures of protection8-46

2. The importance of stating essential facts, albeit in summay
form
3. Somepertinent background
4. Theinvolvement ofthe Respondent
5. Hasgenocidebeen committed?
IV. CONSIDERATIO ON THE MEASURES SOUGHT IN THE CURRENT

REQUEST
1. Thefirst request
2. Thesecondrequest
3. The third request
4. The fourth request

A. The effectofthe SecurityCouncilresolution
B. Theprocedural question
5. Thefifth request
6. The sixth request
7. Theseventh,eighth and ninth requests

8. The tenth request OPINION INDIVIDUELLE DE M. LAUTERPACHT

[Traduction]

Paragraphes
1-13
1.La dimensionhumaine sansprécédentde l'affaire
2
2. La préoccupation de la Cour concernant la gravité et
l'urgencede l'affaire 3
3. Laposition dujuge adhoc 4-6
4. La nature des demandes en indication de mesures conserva-
toires 7-13
II.COMPÉTENCE 14-37

1. Laconvention sur legénocide 17
2. Lalettre du 8juin 1992 18
3. Le renvoi aux droits coutumier et conventionnel de la guerre,
etc.
4. Letraitéde 1919sur les((minorité))

5. Leforumprorogatum
III. LEFOND DE LA DEMANDE 38-70

1. La nature des moyens de preuve qui doivent êtrepris en
considérationdans lecontextedes demandes en indication de
mesuresconservatoires 38-46
2. L'importance d'énoncer lesfaits,mêmedefaçon sommaire 47-49

3. Quelquesdonnéesutiles 50-66
4. Laparticipation du défendeur 67
5. Un génocidea-t-ilétécommis? 68-70

IV. EXAME DNES MESURESSOLLICITÉESDANS LA PRÉSENTEDEMANDE 71 121

1. Lapremièredemande
2. La deuxièmedemande
3. Latroisièmedemande
4. La quatrièmedemande
A. L'effetde larésolution du Conseilde sécurité
B. La question deprocédure

5. Lacinquièmedemande
6. La sixièmedemande
7. Lesseptième,huitièmeetneuvièmedemandes
8. Ladixièmedemande 1. Although 1would in some respects (as will appear later) have pre-
ferredthe Court to have gone into greater detail than it has, 1have none-
theless felt able to vote in favour of the operative parts of the Court's
Order. Asthe overallbalance ofthepresentopinion isessentiallysuppor-
tive,rather than contradictory, ofthe reasoning ofthe Court, it maymore
appropriately be called a separate than a dissentingopinion.

1. TheUnprecedented HumanDimension ofThisCase

2. In the presentproceedingsthe Court is confronted by a case with a
human dimension of a magnitude without precedent in its history. This
caseisnottobe compared withlitigationrelatingto maritimeorterritorial
limits, nor with assertions of State responsibility for denials of justice,

wrongful expropriation or the destruction of an aircraft. Evensuch cases
as those relating to South WestAfricaand to Military and Paramilitary
Activities in and against Nicaragua, though involving the fundamental
human rightsand securityofmanyindividuals,cannot be likenedin scale
to the deliberateinfliction of death,njury and dreadful persona1suffer-
ingthat has marked and continuesto markthepresent conflictin Bosnia-
Herzegovina.

2. TheCourt'sConcemwiththeGravityandUrgencyof theCase

3. Soto describe the character ofthe present caseis not to Saythat the
Court should approach it with anything other than itstraditional impar-
tiality and firm adherence to legal standards. At the same time, the cir-
cumstances cal1for a high degree of understanding of, and sensitivityto,
thesituation and mustexcludeanynarrow oroverlytechnicalapproachto
the problems involved. While the demands of legal principle cannot be

ignored, it has to be recalled that the rigid maintenance of principle is
not an end in itself but only an element - albeit one of the greatest
importance - in the constructive application of law to the needs of the
ultimate beneficiaries of the legal system, individuals no less than the
politicalstructures in which they are organized.

3. ThePositionoftheAd Hoc Judge

4. What istrueforthe Court asa wholeis everybit ascompellingfor an
adhocjudge. Thefact that heisappointed byaparty to the caseinno way APPLICATION DE CONVENTION G~NOCIDE (OP.IND.LAUTERPACHT) 408

1. Même sij'eusse préféré àcertains égards(ainsique la suite de mon
propos l'illustrera) que la Cour se livrâtun examen plus approfondi

qu'elle ne l'afait,je mesuisnéanmoinssentienmesuredevoterenfaveur
du dispositif de l'ordonnance de la Cour. La présenteopinion conver-
geantpour l'essentielavecleraisonnement dela Cour, plutôt qu'ellene le
contredit, il convient de la considérer commeune opinion individuelle
plutôt que dissidente.

1. La dimensionhumainesans précédendte l'affre

2. Dans laprésenteinstance,laCour setrouveface à une affairedontla
dimension humaine atteint une ampleur sans précédent. On ne saurait
comparer cette affaireà des différends ayant traià des questions mari-
times ou territoriales, ou àla responsabilitéd'un Etat en matièrede déni

de justice, d'expropriation abusive ou de destruction d'aéronef.Même
desaffairescomme cellesdu Sud-Ouest africainet desActivités militaiest
paramilitairesauNicaraguaet contre celui-cibien que relativesaux droits
fondamentaux delapersonnehumaine et àlasécuritéd'un grandnombre
d'individus, sont sans commune mesure avec les assassinats et sévices
délibéré estlesterriblessouffrancespersonnellesqui ont marquéetconti-
nuent de marquer l'actuel confliten Bosnie-Herzégovine.

2. Lapréoccupation dela Courconcernant la gravit&et l'urgence
de l'affaire

3. Qualifierlaprésente affairedegraveetd'urgente ne signifiepasque
la Cour doive,enl'abordant, sedépartirdeson impartialité traditionnelle
et de son fermeattachement aux normesjuridiques. En mêmetemps, les
circonstances exigent que l'on aborde la situation avec beaucoup de
compréhensionet de sensibilité etque l'on examine les problèmes en
évitanttoute attitude étroiteouexcessivementformaliste. Silesexigences
des principes juridiques ne sauraient êtrenégligées, ilfaut cependant
rappeler que l'application rigide des principes n'est pas une fin en
soi, mais seulement un élément - de toute importance, certes- dans
l'élaboration constructived'une réponsejuridiqueaux besoins desbéné-

ficiaires ultimes du droit, c'est-à-dire les individus non moins que les
structurespolitiques au sein desquelles ils sesont organisés.

3. Lapositiondujuge ad hoc

4. Unjuge adhocestsoumisaux mêmes principes queceuxquis'impo-
sentà la Cour dans son ensemble. Le fait qu'ilsoitnommépar l'une des409 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP .P. LAUTERPACHT)

reduces the operativeforce of his solemn declaration under Article 20 of
the Statute,made inthe sameformasthat ofthetitularjudges, that he will
exercisehis powersimpartially and conscientiously.

5.At the same time, it cannot be forgotten that the institution of the

ad hocjudge was createdforthe purpose of givinga party, not othenvise
havingupontheCourt ajudge ofitsnationality,anopportunity to join in
the work of this tribunal. The evidence in this regard of the attitude of
thosewhoparticipated inthedrafting ofthe originalStatuteofthe Perma-
nent Court of International Justice can hardly be contradicted. This has
ledmanyto assumethat an ad hocjudgemustberegarded asa representa-
tive of the State that appoints him and, therefore, as necessarily pre-
committedto the position that that State may adopt.
6. That assumption is,in myopinion,contraryto principle and cannot
be accepted. Nonetheless, consistently with the duty of impartiality by
whichthe ad hocjudge isbound, there isstill somethingspecificthat dis-

tinguishes his role. He has, 1believe,the specialobligationto endeavour
to ensurethat, sofaras isreasonable, everyrelevantargument infavour of
the party that has appointed him has been fullyappreciatedinthe course
of collegial consideration and, ultimately, is reflected - though not
necessarily accepted - in any separate or dissenting opinion that he
maywrite.Itisonthat basis, and in awarenessthatthe tragedyunderlying
thepresentproceedings imposeson me anespeciallygraveresponsibility,
that 1approach mytask.

4. TheNature ofRequestsfor ProvisionalMeasures

7. Counsel for Yugoslavia, during his address to the Court in the

course of the hearings on the first request, describedthe proceedings as
"incidental", coupling with that description the adjectives "summary"
and "peremptory", seemingly withthe implication that the Court should
limitas much aspossibleitsconsideration ofthesubstance ofthe caseand
that whateverthe Court might sayor order could have little or no lasting
legal effect. In theame line of thought, counsel for Yugoslavia further
contended that Bosnia-Henegovina was really asking, in the guise of a
requestforprovisional measures, for "an interimjudgment on the merits
ofthe case" - somethingwhichheappeared to consider wasnot permis-
sible.A fewwords are,therefore,needed about the character of requests
and ordersforprovisionalmeasures.

8. Nowhere in the Statute or Rules of Court are requests for provi-
sional measures specifically described as "incidental". The only use of
that word isintheheading ofSection Dof Part III ofthe Rules,"Inciden-
ta1Proceedings".Thiscoversnot onlyinterimprotectionbut alsoprelimi-
nary objections, counter-claims, intervention, special references to the
Courtand discontinuance.About suchmattersaspreliminaryobjections,
counter-claims and intervention there is evidently nothing of an insub- 409
APPLICATION DECONVENTIONGÉNOCIDE(OP. IND. LAUTERPACHT)

parties à l'instance n'entame en rien la force contraignante de l'engage-
mentsolennel qu'ilapris envertu del'article 20du Statut,dans lesmêmes
termesque lesjuges titulaires, d'exercer ses attributions en pleine impar-
tialitéet entoute conscience.
5. Toutefois, on ne sauraitignorerquel'institution dujuge adhoca été
créée dans le but dedonner à une partie, ne comptant pas sur le siègeun
juge de sa nationalité, la possibilitéde participer auxtravaux de cetribu-
nal. A cet égard, l'intention de ceux qui ont participéà la rédactiondu
Statut initial de la Cour permanente de Justice internationale ne fait

aucun doute. C'est ce qui a conduit bon nombre à supposerque le juge
ad hoc devait être considéré comme un représentant de 1'Etat qui le
nomme et,par conséquent,comme étantnécessairementacquis à la cause
de cet Etat.
6. A mon avis, on ne saurait accueillir ce point de vue, contraire aux
principes. Néanmoins, tout en étanttenupar son devoird'impartialité,le
juge adhocjoue un rôle particulier. Selonmoi, ilest spécialementtenu de
veillerà ce que, dans toute la mesure possible, chacun des arguments
pertinents de lapartie qui l'adésignéaitétépleinemen ptris enconsidéra-
tion au cours de l'examen collégial etsoit, en fin de compte, reflété à
défaut d'être accepté - dans sa propre opinion individuelle ou dissi-

dente. C'est dans cet esprit, et en ayant conscience que la tragédie qui
sous-tendlaprésente instancefaitpeser sur moi une responsabilitéparti-
culièrementlourde, queje me proposede remplirma mission.

4. La naturedesdemandesenindicationde mesuresconservatoires

7. S'adressant à la Cour lors des audiences relatives à la première
demande, le conseil de la Yougoslavie a qualifiéles procédures d'ainci-
dentes », ajoutant qu'elles étaient également ((sommaires» et «impéra-
tives». Il semblait en déduire que la Cour devait dans toute la mesure

possiblelimitersonexamen aufondde l'affaireetquetout ce quela Cour
pourrait dire ou ordonner n'aurait guèred'effetjuridique, ou en tout cas
aucun effetjuridique durable. Dans lemêmeordre d'idée, le conseilde la
Yougoslavie a également prétendu que la Bosnie-Herzégovinerecher-
chait en fait, sous couvert d'une demande en indication de mesures
conservatoires, un ((jugementprovisionnel sur le fond de l'affaire », ce
qu'il semblaitconsidérercommeinadmissible.Par conséquent,quelques
mots s'imposent sur le caractèredesdemandes et ordonnances enindica-
tion de mesures conservatoires.
8. Ni le Statutni le Règlementde la Cour ne qualifientspécifiquement
d'«incidentes »lesdemandes enindication demesures conservatoires. Ce

terme n'estutiliséquedans letitre delasection Dde latroisièmepartiedu
Règlement, Procédures incidentes», qui recouvre non seulement les
mesures conservatoires,mais également les exceptionspréliminaires, les
demandes reconventionnelles, les requêtes à fin d'intervention, le renvoi
spécial devant la Cour et le désistement.Oril est clair que des questions410 APPLICATIONOFGENOCIDECONVENTION (SEP .P.LAUTERPACHT)

stantial, summary or superficial nature. They involve material points of
gravityto whichthe Court atthe appropriate time givesfull and detailed
consideration.Orders ofthe Court relatingto them are binding. Between
these items and requests for interim protection there is no differencein
kind except in the necessarily threshold quality of the latter,the urgency
that attaches to them, asisrecognizedin Article74ofthe Rules,and, pos-
sibly,the degreeto whichthe measures indicated are binding.

9. Inpracticaltermsitis,ofcourse,inherent intheurgenttreatment ofa
request for provisional measures that normally it is not possible to treat
thejurisdictional and substantiveissuesasextensivelyasinother inciden-
ta1proceedings. Forone thing,much ofthe evidenceput beforethe Court
islikelyto be exparteandthe Respondent maynot be ableto reactto it in
detail. But there is nothing in the Statute or the Rules that prevents the
Court fromdealingas fullyasitwishes withrequestsforprovisional mea-
sures.Nor isthissituationchanged bytheoft-employedformula,repeated
in paragraph 60 ofthe Court's Order oftoday'sdate, to the effectthat the
decision givenupon the request "in no wayprejudges" issuesofjurisdic-
tion, admissibilityor substance.This meansthat the Court reservesto the
partiesthe right toretum to such issuesat the merits stageofthe caseand
to itselfthe right tomend itsfindings of fact or its holdings of lawin the
light of such later consideration. But it does not mean that the Court is

precluded, indealingwitha requestforprovisional measures,from reach-
ingrelevantfindingsoffactorholdingsoflawwhichwillremainvalid and
effectiveunless and until subsequentlyaltered. It is in thisensethat one
shouldalsoread the statement,in paragraph 48oftoday'sOrder, that the
Court "cannot make definitivefindings of fact or of imputability" and
that:

"the right of each Party to dispute the facts alleged against it, to
challengethe attribution to it of responsibilityforhese facts, and to
submitarguments inrespectofthe merits,mustremainunaffected by
the Court's decision".

In other words, the qualification or limitation upon the effect of the
Court's findings at the interimprotection stageis procedural rather than
substantive. Though such findings may later be changed, they are not in
the interim ineffectivenor should they be disregarded.

10. Thisanalysisisto someextentforeshadowed andsupported bycer-
tain observations of JudgeJiménezde Aréchagain his declarationin the
NuclearTestscase.Thoughaddressed onlytothe question ofjurisdiction,telles que les exceptionspréliminaires,les demandes reconventionnelles
et les requêtesàfin d'intervention n'ont rien,par leur nature, d'immaté-
riel, de sommaire ou de superficiel. Elles portent sur d'insignes points

concrets, auxquels la Cour accorde, en temps voulu, sa pleine et entière
attention. Les ordonnances de la Cour y relatives ont force obligatoire.
Rien,dans leurnature, nedifférenciecesquestionsdesdemandes enindi-
cation demesuresconservatoires,si cen'estlenécessairedegré de qualité
de ces dernières, l'urgence quiles caractérise, comme le reconnaît l'ar-
ticle74 du Règlement, et,éventuellement, laportéecontraignante des
mesuresindiquées.
9. Concrètement, bien sûr, en raison de l'urgence qui s'attache aux
demandes en indication de mesuresconservatoires,il n'estgénéralement
paspossibledetraiterlesquestionsrelatives àlacompétenceetaufond de
manière aussiexhaustiveque lors desautresprocédures incidentes. Il est
probable, notamment, que nombre des élémentsde preuve produits
devantlaCour seront exparteet queledéfendeurneserapas enmesurede
lesréfuteren détail. Maisrien,dans le Statut ou dans le Règlementde la

Cour, ne s'oppose à ce que celle-ciapprofondisse autant qu'elle lesou-
haite les demandes en indication de mesures conservatoires.Cela n'est
en rien remis en cause par la formule fréquemment employée,et reprise
au paragraphe 60 de l'ordonnance prononcée aujourd'huipar la Cour,
selonlaquelle la décisionrenduesur la demande «ne préjugeenrien »les
questions decompétence,derecevabilité, etdefond, cequisignifieque la
Cour réserveaux parties le droit de revenir sur ces questions lors de la
phase d'examenaufond del'affaire,demême qu'elleseréserveledroit de
modifier sesconstatations de fait et sesconclusions de droit la lumière
d'un tel examen ultérieur. Mais celane signifiepasque la Cour soit em-
pêchée, lorsqu'elle connaît d'une demande en indication de mesures
conservatoires,deparvenir àdesconstatationsfactuelles ou àdesconclu-
sions juridiquement pertinentes, qui resteront valides et effectivestant

qu'ellesn'auront pas,lecaséchéanté , tmodifiéespar la suite.C'estdans
ce sens qu'il faut lire l'affirmation contenue au paragraphe 48 de la
présente ordonnance, selon laquelle la Cour «n'est pas habilitée à
concluredéfinitivementsur lesfaits ou leur imputabilité»et que :
«sa décision doit laisser intact le droit de chacune des Parties de
contester lesfaitsalléguéscontreelle,ainsi que la responsabilitéqui

lui est imputéequant à ces faits et de faire valoir ses moyens sur le
fond B.
En d'autrestermes,lesréservesoulimitesquientourentlesconclusions de
la Cour lors de la phase relative aux demandes conservatoirestouchent
davantage à la procédure qu'au fond.Bien que de telles conclusions
soientsusceptiblesd'être modifiées e,llesnesontpas, dans l'entre-temps,

inefficaces,pas plus qu'ellesne doivent êtrenégligées.
10. Cette analyse est, dans une certaine mesure, préfigurée et étayée
par certaines observations de M. Jiménezde Aréchagadans sa déclara-
tion relativeà l'affaire des Essais nucléaires.Bien que ses remarques411 APPLICATIONOFGENOCIDECONVENTION (SEP .P.LAUTERPACHT)

his remarks are no lessapplicable to other questions of law and factthat
may arise in the course of the proceedings on a request for provisional
measures :

"[Iln view ofthe urgent character of the decision on provisional
measures,itisobviousthat the Court cannotmake itsanswer depen-
dent on a previous collectivedetermination by means of ajudgment
ofthe question of itsjurisdiction on the merits.
Thissituationplaces upon each Member of the Court the duty to
make, at this stage,an appreciation of whether - in the light of the
grounds invoked and of the other materialsbefore him - the Court
willpossessjurisdiction to entertainthemerits ofthe dispute. Froma
subjectivepoint of view,suchanappreciationorestimationcannotbe
fairly describedas a merepreliminaryor evencursoryexaminationof

thejurisdictionalissue:onthecontrary,onemustbe satisfiedthat this
basicquestionoftheCourt'sjurisdictionhasreceivedthe fullestpossible
attentionwhichone isabletogive to it within thelimitsof time andof
materials availablefor that purpose."(Z.C.J.Reports 1973,p. 107;
emphasisadded.)

11. Thefreedom ofthe Courtto reach conclusions of fact or lawwhen
considering requestsforprovisional measures isnot affected bythe argu-
ment(aspresented bythe Respondent) that theparticular request isreally
a request for an interimjudgment.TheRespondenthasinthisconnection
invoked the refusa1by the Permanent Court of International Justice of a
request by Germany in the Factoryat Chorzowcase (P.C.Z.J.,SeriesA,
No.12,p. 10)for an interimpayment of 30million marks,in a casearising
out ofthe expropriation ofan industrialundertaking inbreach ofatreaty,
on the ground that the request was "designed to obtain an interim judg-
ment on the merits". However,this casewasdistinguished inthe hostages
case (UnitedStatesDiplomaticand ConsularStaffin Tehran,Z.C.J.Reports
1979, p. 7)in which the United Statessought in its original application

both the release of thehostages and reparation for their detention. In its
requestforprovisional measures the United Statessoughtthe immediate
release ofthe hostages.The Court made the requested Order uninhibited
by the fact that it was thereby ordering something that substantially.pre-
emptedthe remedy soughtin the maiicase.

12. The Respondent has also raised the objection that "the Applicant
seemsto betryingto reopenmattersalready decided". It istrue that there
is a significantmeasure of overlap between what the Applicant sought,
and to some extent obtained, in its request of 20 March 1993and the

request itmade on 27July 1993.Butwhatevermaybe the degreeof over-
lap - and itisnottotal - the question isnot reallysimpliciterwhetherthe
subject-matter of the first request maybe revisited.It is, rather,the ques-
tion of whether that subject-matier may be revisited in the light of clearn'aient trait qu'à la questionde la compétence,ellesn'en sont pas moins

applicables àd'autres points de droit et de fait susceptibles de surgir au
cours d'une procédure relativeà une demandeen indication de mesures
conservatoires
étantdonnél'urgencedeladécisionsurlesmesuresconservatoires,
il est évidentque laCour ne peut pas subordonner sa réponsà une
déterminationcollective préalable,par voie d'arrêt, desa compé-

tence au fond.
Dans ces conditions, il incombe à chaque membre de la Cour
d'apprécierau stade actuel si, vu les motifs invoquéset les autres
éléments dont il dispose, la Cour possède la compétencenécessaire
pour connaître du fond du différend. D'unpoint de vue subjectif,
cette appréciatioou estimationnepeut êtreconsidéré àeproprement
oarlercommeunsimoleexamenoréliminairo eumêmesommaird ee la
questionjuridictionnelle: aucontraire,ilfaut earvenu à la convic-
tion quecettequestionfondamentaledelacompétencd eelaCourareçu
toute l'attentionqu'ilest possible de lui accorderdans les limitesde
temps et avec les moyens d'informationdisponibles.(C.I.J.Recueil
1973,p. 107;lesitaliques sont de moi.)

11. La libertéde la Cour de parvenirà des conclusions de fait ou de
droitlorsqu'elleconnaîtdedemandes enindication demesuresconserva-
toires n'est pas affectéepar l'argument avancépar le défendeurselon
lequel,en l'occurrence, lademande esten fait une demande dejugement
provisionnel.A cet égard, ledéfendeura invoquéle refus opposé parla
Cour permanente de Justiceinternationale àune demande présentée par
l'Allemagnetendant à obtenir un versement provisoire d'un montant de
30millionsde marks,dans l'affairede 1'Usinede Chorzhw(C.P.J.I.sérieA

no12, p. IO),relativeà l'expropriation d'une entreprise industrielle en
violationd'uritraité,au motif que la demande «visaitàobtenir un juge-
ment provisionnel sur le fond». Toutefois, dans l'affaire des otages
(Personneldiplomatique et consulairedes Etats-Unis à TéhéranC , .I.J.
Recueil 1979,p.7), la Cour s'estécartée decette solution. En présentant
leurrequêteinitialel,esEtats-Unisrecherchaientàlafoisla libérationdes
otagesetune réparationpour leurdétention.Quant à lademande enindi-
cation de mesures conservatoires, elle visait la libération immédiate des
otages. Dans son ordonnance, la Cour a indiquéles mesures sollicitées,
nonobstant lefaitqu'elleprescrivaitparàmême une mesurequi,ensubs-
tance, devançait leremède recherchéau principal.
12. Le défendeur a également objecté que «le demandeur semblait
chercher à rouvrir des questions ayant déjà fait l'objet d'unedécision».

Certes, les mesures que sollicitait le demandeur par sa demande du
20 mars 1993,et qu'il a en partie obtenues, coïncident assez largement
avec cellesque vise sa demande du 27juillet 1993.Mais quel que puisse
êtrele degréde chevauchement - et il n'estpas to-alla question n'est
pas fondamentalement celle de savoir si l'objet de la premièredemande
peut faire l'objet d'un nouvel examen.l s'agitplutôt de savoir s'ilpeut evidencethat the Respondenthas continuedthe course of conduct which
the Court has prohibited and has, therefore, acted in breach of the first
Order.
13. Thesituation fallswithinthescope ofArticle75,paragraph 3,ofthe
RulesofCourt, whichpermits the "making [of]afreshrequest inthe same
casebased on newfacts" - and it has been so held by the Court in para-
graph 22oftoday'sOrder.Therejectionbythethen Presidentofthe Court
of the second Nicaraguan request for interim measures in the Militaïy
andParamilitaïyActivities inandagainstNicaragua case(seeI.C.J.Reports

1986,pp. 143-144,paras. 286-289)must be distinguishedinthe lightof al1
the circumstances of that case.Theywere - especiallyin terms of scale,
urgency and threat to human life - markedly less exigent than those in
the present case.

II.JURISDICTION

14. The special circumstances attending this case suggest that some
explanation isrequired ofthe general basis ofthe Court's operation.The

Court can onlyact in a caseifthe parties,both applicant and respondent,
haveconferredjurisdiction upon itbysomevoluntary actofconsent.This
can be givenin various forms : a treaty undertaking to that effect; a con-
trading-into the compulsoryjurisdiction ofthe Court under the so-called
"optional clause" (Article36(2)of its Statute); or an acceptance ofjuris-
diction by a respondent through its conduct following upon a unilateral
commencement of proceedings by an applicant - a method known as
forumprorogatum.Whateverformthe consent maytake,the range ofmat-
tersthat the Court can then deal with is limitedto the matters coveredby
that consent. Thus,jurisdiction conferred on the Court by the Genocide
Convention can extendonlyto casesinvolvingtheinterpretation,applica-

tion or fulfilment of the Convention. Even if the complaints relate to
appalling atrocitiesamounting to violations of, for example,the Geneva
Conventions on the Protection of Victims ofWar, of the various human
rights conventions or even of principles of customaryinternational law,
they cannotbebroughtbeforethe Courton the basis ofthejurisdictional
provisionintheGenocideConvention unlesstheyarealsoacts coveredby
the terms ofthat Convention.

15. The possibility must be recognized and accepted that there are a

number - alas,a verygreatnumber - of substantiverightsprotected by
international law which, for want of a suitable jurisdictional link to the
Court, cannot be made the subject of consideration and decision by it.
This is not the fault of the Court. It is simply a reflection of the present
unsatisfactorystate ofthe international legalsystem - a reflection,many être réexaminé à la lumière d'élémentd se preuve établissant clairement
que le défendeur a continuéd'agirde la façon que la Cour a interdite et a
donc agienviolation de la première ordonnance.
13. Cette situation relèvedu paragraphe 3de l'article75du Règlement
de la Cour, qui permet au demandeur de présenter en lamêmeaffaire
une nouvelledemande fondéesurdesfaitsnouveaux ».LaCour,au para-
graphe 22de la présenteordonnance, aestiméque tel étaitle cas.Si,dans
l'affaire des Activités militaireset paramilitaires au Nicaragua et contre
celui-civoir C.I.J.Recueil1986,p. 143-144,par. 286-289),le Présidentde
la Cour avaitrejetéla secondedemandeen indication de mesuresconser-

vatoiresprésentéepar le Nicaragua, il convient de souligner qu'ils'agis-
sait là d'un cas différent,du fait des circonstanc:l'ampleur, l'urgence
et le risque de pertes en vies humaines étaienten effet moindres qu'en
la présente affaire.

II. COMPÉTENCE

14. En raison descirconstancesparticulières qui entourent la présente
affaire, quelques mots d'explication s'imposent sur la base généralede
compétencedela Cour. La Cour nepeut connaître d'une affaireque siles
parties, tant le demandeurque lerépondeur, luiont conféré cettecompé-
tence en exprimant volontairement leur consentement d'une façon ou

d'une autre. Ce consentementpeut prendre différentesformes:un enga-
gementconventionnel àcet effet,l'acceptationde la ((clausefacultative»
de juridiction obligatoire de la Cour (article 36, paragraphe 2, de son
Statut),ou l'acceptation de la compétencede la Courpar le défendeur, à
traverslecomportement qu'iladopte commesuite àune requêteintroduc-
tive d'instance présentéepar le demandeur - méthode connue sousle
nom de forum prorogatum. Quelle que soit la forme sous laquelle le
consentement s'exprime, la Cour n'est habilitée à connaître que des
matièrescouvertespar ce consentement. Ainsi,la compétenceconférée à
la Courpar la convention sur le génocidene s'étend qu'aux affairesrela-
tivesà l'interprétation, l'application oul'exécutionde ladite convention.
Quand bien mêmeelle aurait traià d'épouvantables atrocitéséquivalant,
par exemple, à desviolationsdesconventions de Genèvesurlaprotection

desvictimesde la guerre,des diversesconventions relativesaux droits de
l'homme, voire des principes du droit international coutumier, une
demande nepourra êtreintroduite devantla Coursur la base de la dispo-
sition de la convention sur le génociderelativeàla compétencesiellene
fait égalementétat d'actes couvertpsar lestermes de cetteconvention.
15. Force est de constater que la Cour ne peut examineret statuer sur
un certainnombre - hélas,un trèsgrandnombre - dedroitssubstantiels
protégéspar le droit international,à défaut d'une base qui établisse sa
compétence.Onnesauraitlui enfairegrief.Cettesituationreflètesimple-
mentl'état actuellementpeu satisfaisantdu systèmejuridique internatio-
nal, c'est-à-dire, selon une opinion répandue, l'absence d'une volontéconsider, ofa lackofappropriate political willonthepart of States,not a
reflectionofanyshortcomingintheCourt.Ifjurisdiction exists,the Court
willexerciseit. That, after all, iswhat the Court is for.
16. In the present case,the Applicant has invoked at different times a
number of different possible sources of jurisdiction: (1) in its original
request,it referred to Article IX of the Genocide Convention; (2)in the
same document it also relied upon a letter dated 8 June 1992from the
Presidentsofthe RepublicofMontenegro and ofthe RepublicofSerbiato
the President ofthe Arbitration Commission ofthe International Confer-
ence for Peace in Yugoslavia; (3)inthe context of its present request the
Applicant added that,

"jurisdiction ...is also grounded in the Customary and Conven-
tional International Laws of War and International Humanitarian
Law, including but not limited to the four Geneva Conventions of
1949,the First Additional Protocol of 1977,the Hague Regulations
on Land Warfare of 1907,andthe Nuremberg Charter";

and (4),alsoin the course ofthe present proceedings,reference wasmade
to the Treatyof Saint-Germain-en-Layeof 1919providing forthe protec-
tion of minorities in the Kingdom of the Serbs, Croats and Slovenes.
Further to the four grounds mentioned above, there is (5) the matter
of the possible operation offorum prorogatum, as raised in the question
put to both Partiesduring the course of the hearings on 26August 1993.
1shall deal with each ofthese itemsin turn.

1. TheGenocideConvention

17. Inparagraph 26ofitsOrder of8April1993theCourt acceptedthat
ArticleIX ofthe GenocideConvention appears to afford abasisonwhich
the jurisdiction of the Court might be founded. At the same time, the
Court madeitclearthat thiswasonly"tothe extentthatthe subject-matter
ofthe dispute relates to 'the interpretation, application or fulfilment"' of
the Convention, including disputes "'relating to the responsibility of a
Statefor genocide or for any of the other acts enumerated in Article III'
ofthe Convention". TheCourt'sOrder oftoday'sdate confirmsthat deci-
sion.1agreewiththis conclusionbut would wishto add a further consid-
eration. In determining whether particular acts or omissions amount to
"'genocide or ...any of the other acts enumerated in Article III' of the
[Genocide]Convention" itmustbeborne inmind that conduct whichmay
prima facie appear not to fa11within those categories may in tmth do
so if such conduct can in fact be shown to cause, or contribute to, with

sufficientdirectness,genocide or genocidal activity. APPLICATION DECONVENTION GBNOCID (EP.IND.LAUTERPACH4 T1)3

politique appropriéedelapart desEtats,etnon une quelconquelacune de
la Cour. La Cour exerce sa compétence dès lorsqu'elle lui est conférée.
Tel est en effet son rôle.
16. Dans la présente affaire, le demandeur a invoqué à différentes
reprises plusieurs bases possibles de compétence:1)dans sa demande
initiale, il s'est référé'article IX de la convention sur le génocide;
2) dans le mêmedocument, il s'estfondéégalementsur une lettre en date
du 8juin 1992adresséepar lesprésidents des Républiquesdu Monténé-
gro et de Serbie au président de la commissiond'arbitrage de la confé-
renceinternationale pour la paixenYougoslavie; 3)dans lecontexte dela
présente demande, le demandeura ajouté que :

«la compétence ..est aussi fondée sur le droit international de la
guerre coutumier et conventionnel et sur le droit humanitaire inter-

national, y compris,mais sans que cetteénumération soitlimitative,
lesquatre conventions de Genèvede 1949,lepremierprotocole addi-
tionnel de 1977àces conventions, le règlementannexé à la conven-
tion de La Haye de 1907concenant les lois et coutumes de la guerre
surterre [et]le statut du Tribunal de Nuremberg

et4)ils'estégalementréféré a, cours delaprésenteprocédure,aux traités
de Saint-Germain-en-Laye de 1919portant surlaprotection desminorités
dans le Royaumedes Serbes, Croates et Slovènes.Outre les quatre bases
de compétenceci-dessusmentionnées,il ya également5)l'éventuellemise
en Œuvredu forum prorogatum,telle que mentionnée dans la question
posée aux deux Parties au cours des audiences le 26 août 1993.Je me
propose d'examiner successivementces cinq éléments.

1. La conventionsurlegénocide

17. Au paragraphe 26 de son ordonnance du 8 avril 1993,la Cour a
estiméque l'articleIX de la convention sur le génocide semblait consti-
tuer une base sur laquelle elle pouvait fonder sa compétence,tout en
précisantqu'ilenétaitainsi«pour autant quel'objet du différendatraià
({l'interprétation, l'application ou l'exécution» de la convention, y
compris lesdifférends«relatifsàlaresponsabilitéd'un Etatenmatièrede
génocideoude l'un quelconquedesautresactesénumérés àl'article III»

de la convention». L'ordonnance rendue aujourd'hui par la Cour
confirmecettedécision, àlaquelleje souscris, touten souhaitant yajouter
un commentaire. S'agissant de déterminer si des actes ou omissions
donnés consistent en un ((génocideou ...l'un quelconque des autres
actes énumérés à l'article III» de la convention [sur le génocide]», il
convient d'avoirà l'esprit que des comportements qui, de prime abord,
ne semblent pas relever de l'une de ces catégories pourraient bien,
en fait, en faire partie s'il est possible d'établir qu'ils conduisent ou
contribuent de façon suffisamment directeà un génocideou à des actes
de génocide. 2. TheLetterof8June1992

18. This letter was considered by the Court in paragraphs 27-32 ofits
Order of 8April1993. The Court concluded that it was "unable to regard
the letter of 8June 1992asconstitutingaprima faciebasis ofjurisdiction
in the present case". Nonetheless, the Applicantagain invokedthis letter
in the present proceedings. The arguments which it has adduced in this
connection do not appearto provide any basis for altering the reasoning
or conclusion ofthe Court in itsOrder of 8April 1993.The Court has so
held in paragraph 32oftoday'sOrder and 1agree.

3. me Referenceto Customaryand Conventional
Lawsof War,etc.

19. Recourse by the Applicantto customary international law and the
treaties on the laws of war, etc., asa ground ofjurisdiction appears tobe
founded on some misconception. The customary international law and
thetreatiesinvokedbytheApplicant,thoughnodoubtpertinent inasitua-
tion of international hostilities as a source of substantiveules of law
applicable to the conduct ofthe warringparties, can serveonlythat pur-
pose. The mere existenceof relevant substantive rules of law does not by
itselfconferin respectofmatters governedbythemanyjurisdiction what-
soeverupon anyinternationaltribunal. As alreadystated,there are many
rules of lawthe operation ofwhich isnot supplemented by anyprovision
conferringjurisdiction upon any international tribunal. The provisions
citedbythe Applicant fa11intothis category.The Court soholds in para-
graph 33 of today's Order and 1 agree. The only text mentioned by the
Applicant which had any jurisdictional function was the Nuremberg

Charter. That document establishedthejurisdiction of the International
Military Tribunal in respect of the trial of major war criminalsafter the
SecondWorldWar.Itsfunctionhas been exhaustedfornearly half a cen-
tury and it can play no role inthe presentdispute.

4. The"Minorities" Treaty,1919

20. Lastly,the Applicant, in an amendment to itssecond request filed
on 6 August 1993,introduced as a ground ofjurisdiction in the present
casethe "Treatybetweenthe Alliedand AssociatedPowersand the King-
dom ofthe Serbs,Croats and Slovenes(Protectionof Minorities)" signed
at Saint-Germain-en-Layeon 10September 1919.This calledforthe pro-
tection of the minorities in Yugoslaviaand provided for the compulsory

settlement of disputes by the Permanent Court of International Justice. 2. La lettredu8juin 1992

18. Cette lettre a été examinear la Cour auxparagraphes 27 à 32de
sonordonnancedu 8avril 1993. La Cour a concluqu'elle n'était«pas en
mesure de considérerla lettredu 8juin 1992commeune base de compé-

tence prima faciedans la présenteaffaire», ce qui n'a pas empêché le
demandeur d'invoquer de nouveau cette lettre au cours de la présente
procédure. Toutefois,les arguments qu'il a avancésà cet égardne sem-
blent pas justifier que la Cour modifie son raisonnement ou la conclu-
sion àlaquelle elle estparvenue dans sonordonnance du 8avril 1993.Tel
est le point de vue exprimépar la Cour au paragraphe 32 de la présente
ordonnance, etje suisd'accord.

3. Le renvoiaudroitdela guerrecoutumier

et conventionnel,etc.
19. Lorsqu'ilinvoque le droit international coutumier, lestraités rela-

tifs au droitde la guerre, etc.,commebase de compétence,le demandeur
sembleseméprendre. Sansaucun doute pertinents dans une situation de
conflit international en tant que sources de règlesde droit positif appli-
cables au comportement des parties belligérantes,le droit international
coutumier et lestraités invoquépar ledemandeur ne peuvent servirqu'à
cetteseulefin. Lasimpleexistencederèglesdedroitpositifpertinentes ne
suffit pasàconférer,relativementaux matièresqu'ellesgouvernent, une
quelconque compétence à quelquejuridiction internationale que ce soit.
Commeje l'aidéjàdit,nombreusessontlesrèglesde droit pour lamiseen
Œuvredesquelles aucune disposition ne confère de compétence à une
quelconque juridiction internationale. Les dispositions citéespar le
demandeur relèventde cette catégorie.C'estce que la Cour a estiméau
paragraphe 33 de la présenteordonnance et je la rejoins sur ce point.

Parmilestextesmentionnéspar le demandeur, seul le statut du Tribunal
de Nuremberg contenait des dispositions relativesà la compétence. Ce
document établissaitla compétence d'untribunal militaire international
pour juger les grands criminels de guerre après la seconde guerre mon-
diale.Il a menésamission à son terme voilàprès d'undemi-siècle et il ne
sauraitjouer aucun rôle dans le présent différend.

4. Le traitéde 1919surles((minorités))

20. Enfin, dans un amendement à sa seconde demande déposéle
6 août 1993,le demandeur a invoquécomme base de compétenceen la
présente affairele ((traitéentre les Puissances alliéeset associées etle

royaume des Serbes, Croates et Slovènes(protection des minorités)))
signé àSaint-Germain-en-Layele 10septembre 1919.Ce texte tendait à
assurer la protection des minorités enYougoslavieet prévoyaitun règle-
ment obligatoiredes différendspar la Cour permanente de Justiceinter-
nationale. 21. There are several difficulties about recourse to this Treaty in the
present case. The Court refers to some of them in paragraphs 29-31 of
today's Order. Here,itissufficienttomention two.Thefirst issubstantive.
The specificobligation under the Treaty mentioned by the Applicant is
contained in Article2 :
"The Serb-Croat-SloveneStateundertakes to assurefull and com-
pleteprotection of lifeand libertyto al1inhabitants ofthe Kingdom

withoutdistinction of birth, nationality, language, race or religion."

The discharge of this obligation is limited territorially to "inhabitants of
the Kingdom". Although there are other possiblypertinent provisions in
theTreatywhicharenot expressedinterms of"al1inhabitants ofthe King-
dom7',they nonetheless refer to "Serb-Croat-Slovene nationals". Clearly
the people of Bosnia-Herzegovina, principally the Bosnian Muslims,
whose rights are the subject of the present proceedings,are not "inhabi-

tants ofthe Kingdom" nor arethey "Serb-Croat-Slovene nationals".

22. The second difficulty,though procedural in character, is no less
formidable. Article 11ofthe Treaty confersjurisdiction upon the Perma-
nent Court ofInternationalJustice inrespectofdisputes "of opinionas to
questionsoflaworfactarisingout of theseArticles".TheArticlesinques-
tion include those relating to the protection of minorities. At the same
time,however,the right to bringproceedings under the Articlesislimited
to "any one of the Principal Allied and Associated Powers or any other
Power,amemberoftheCouncil ofthe LeagueofNations". TheApplicant
in this caseclearlydoes not fa11into either ofthese categories.

23. TheApplicanthas sought to overcomethisprocedural obstacle on
the basis ofthe provision in Article 16ofthe Treaty that

"Al1rightsand privilegesaccordedbythe foregoingArticlestothe
Alliedand Associated Powersshallbe accorded equallyto al1States
Members ofthe League of Nations."

The Applicant argues that the fact that this Article appears at the end of
Chapter II of the Treatydealing with the commercial and other matters
does not mean that its operation is limited to the matters covered in that
Chapter, the more so asthe Article contains provisions on language and
ratification which evidentlyapplytothe Treatyasa whole. In myview,if
the intention had been to confer upon al1Members of the League of
Nationsthe sameprocedural rightsas Article 11confersupon the Princi-
pal Allied and Associated Powersin respect of the minorities provisions
of Chapter 1,the most likely place in which that would have been done
would have been Article 11itself,not Article 16.But even ifthe applica-
bility of Article 16is conceded this does not help the Applicant. It still
remains in the position of not having been a Member of the League of
Nations. 21. Le recours à ce traitéen la présente affairen'est pas sans poser
plusieursdifficultés.LaCour enévoquecertainesauxparagraphes29à3 1
de l'ordonnance de ce jour. Il suffira ici d'en mentionner deux. La
premièreestd'ordrematériel.L'obligationspécifiquedécoulantdu traité
invoquépar le demandeur esténoncée àl'article2:
«L'Etat serbe-croate-slovènes'engage àaccorder à tous leshabi-

tants pleine et entière protection de leur vie et de leur liberté sans
distinction de naissance, de nationalité,de langage, de race ou de
religionn
L'exécutiondecetteobligation estlimitéeterritorialement aux «habitants
du royaume ». Bien que d'autres dispositions du traité, éventuellement

pertinentes, ne soient pas rédigéeà l'adresse de «tous les habitants du
royaume », elles ne s'en réfèrent pasmoins aux «ressortissants serbes-
croates-slovènes».Or,il estclairque lepeuple de Bosnie-Herzégovine,et
principalementlesMusulmansbosniaques dont lesdroitssontau cŒurde
la présente procédure,ne sont ni «habitants du royaume »,ni «ressortis-
sants serbes-croates-slovènes.
22. La seconde difficulté, bien que d'ordre procédural,n'en est pas
moins formidable. L'article 11de cetraité confèrecompétence àla Cour
permanente de Justice internationale pour ce qui est des divergences
d'«opinions, sur des questions de droit ou de fait concernant ces ar-
ticles»,qui incluent ceux qui ont traàla protection desminorités.Tou-
tefois, le droit d'introduire une instance en vertu de ces articles est en
mêmetemps réservé à «l'une quelconque des Principales Puissances
alliées etassociéesou toute autre Puissance, membre du Conseil de la

Sociétédes Nations ». Or il est clair que le demandeàrla présente ins-
tance n'appartientà aucune de ces catégories.
23. Le demandeur a tentéde surmonter cet obstacleprocédural en se
fondant sur l'article 16de cetraité, auxtermesduquel:
«Tous les droits et privilègesaccordéspar les articles précédents
aux Puissancesalliéeset associéessont égalementacquis àtous les

Etats membresde la Sociétédes Nations. D
Le demandeur soutient que le fait que cet article apparaissà la fin du
chapitre II du traité relatif aux affairescommercialeset affaires diverses
ne signifie pas que sa mise en Œuvresoit limitée cesmatières,d'autant
plus que cet article contient des dispositions relativesaux langues et
ratification, de toute évidenceapplicables l'ensembledu traité.A mon

sens, si lesrédacteurs avaient entendu conféreràtous les membres de la
Société des Nationsles mêmesdroits procéduraux que ceux que l'ar-
ticle 11accorde aux principales Puissances alliéeset associéeseu égard
aux dispositions du chapitre1relatif aux minorités,ils l'auraient, selon
toute vraisemblance,précisé à l'article 11lui-même, et noà l'article 16.
Quand bien mêmeconcéderait-onl'applicabilitéde l'article 16,le deman-
deurn'enseraitpas plus avancédans la mesure oùil demeurequ'iln'apas
étémembre de la Sociétdes Nations.416 APPLICATION OFGENOCIDECONVENTION (SEP O.P.LAUTERPACHT)

5. Forum Prorogatum

24. Thereremainsforconsiderationinconnection withjurisdictionthe
question offorumprorogatum.This is the possibility that if StateA com-
mences proceedingsagainst State B on a non-existent or defective juris-
dictionalbasis, StateBcan remedythe situation by conductamounting to
an acceptance of thejurisdiction of the Court. Theprincipal illustration
of that process is the Corjiu Channel case (Preliminary Objection,
I.C.J. Reports 1947-1948,pp. 27-28)in which the United Kingdom uni-
laterallyinstituted proceedingsagainst Albania onthe basis of a recom-
mendation of the SecurityCouncil.Albania,though enteringan objection

to the Court's jurisdictionon the ground that the case should have been
referredtothe Court byspecialagreement,neverthelessstatedinthe same
document that it acceptedthejurisdiction ofthe Court forthat case.The
Court held that that acceptance was effectiveas a "voluntary and indis-
putable acceptance of the Court's jurisdiction" and observed also that
"neither the Statute nor the Rules require that this consent should be
expressed in anyparticular form" (ibid.,p. 27).

25. The episode which givesrise to the question of whetherforumpro-
rogatumprovides anybasis for an extensionofthe Court's jurisdiction in
this case is theletter dated 1 April 1993from Mr. VladislavJovanovic,
Federal Ministerfor ForeignAffairsofYugoslavia,to the Registrarofthe
Court. Paragraph4reads as follows :

"The YugoslavGovernment welcomesthe readiness of the Inter-
national Court ofJustice to discussthe need of ordering provisional

measures to bring to an end inter:ethnic and inter-religiousarmed
conflictswithintheterritory ofthe 'RepublicofBosniaand Herzego-
vina',and in thiscontext, it recommends that the Court, pursuant to
Article41 ofitsStatuteand Article73 ofitsRulesofProcedure, order
the application of provisional measures, in particula:

[il to instructtheauthoritiescontrolled byA.Izetbegovicto comply

strictlywiththe latest agreementon a cease-fireinthe 'Republic
of Bosniaand Herzegovina' which wentinto forceon 28March
1993 ;
[ii] to direct the authorities under the control of A. Izetbegovicto
respectthe GenevaConventionsforthe Protection ofVictimsof
Warof 1949andthe 1977AdditionalProtocolsthereof, sincethe
genocideofSerbslivinginthe 'RepublicofBosniaand Herzego-
vina'isbeing carried out bythe commission of veryserious war
crimes which are in violation of the obligation not to infringe
upon the essentialhuman rights;

[iii] to instructthe authorities loyalto A.Izetbegovicto closeimme-
diately and disband al1 prisons and detention camps in the APPLICATIONDE CONVENTIONGÉNOCIDE (OP.IND.LAUTERPACHT) 416

5. Le forumprorogatum

24. Concernant la compétence,reste àexaminer la question du forum
prorogatum. Si un Etat, 1'EtatA, introduit une instance contre un autre
Etat, 1'EtatB,surune base de compétenceinexistante ou défectueuse,le
forum prorogatum consiste en la possibilitépour 1'EtatBd'yremédier en

adoptant un comportement valant acceptation de la compétence de la
Cour. La principale illustration de ce mécanisme estfournie par l'affaire
du Détroitde Corfou (exceptionpréliminaire,C. I.J. Recueil 1947-1948,
p. 27-28),dans laquelle le Royaume-Uni avait unilatéralement introduit
une instance contre l'Albanie sur la base d'une recommandation du
Conseil de sécurité.L'Albaniet,out ensoulevant une exception quant à la
compétencedelaCour au motif quel'affaire auraitdû êtreportéedevant
elleau moyen d'un compromis, a néanmoins affirmédans lemêmedocu-
ment qu'elle acceptait la compétencede la Cour dans cette affaire. La
Cour a estiméqu'une telle déclaration étaiteffective et constituaitune
acceptation volontaire, indiscutable, de la juridiction de la Cour» et a
égalementfaitobserverque «ni le Statutni le Règlementn'exigentque ce
consentements'exprime sous une forme déterminée »(ibid.,p. 27).
25. C'esten raison de la lettre du'avril 1993,adresséeau Greffier de

la Courpar M.VladislavJovanovic,ministredesaffairesétrangères de la
Républiquefédérative deYougoslavie,que laquestion sepose de savoirsi
leforum prorogatum fournit une base permettant d'élargir la compétence
de la Cour dans la présente affaire. Le paragraphe 4 en est ainsi libellé:

«Le Gouvernement yougoslave se félicitede ce que la Cour inter-
nationale de Justice soit prête examiner s'il est nécessaire d'indi-
querdes mesures conservatoires afin de mettre un terme aux conflits
armésinterethniques etinterreligieuxayantlieu àl'intérieurdu terri-
toire dela«Républiquede Bosnie-Herzégovine»et,dans cecontexte,
recommande à la Cour d'indiquer, conformément à l'article 41 de
son Statut etàl'article 73 de son Règlement,des mesures conserva-
toires, et en particulier

[il de donner des instructions aux autorités sous le contrôle de
M. A. Izetbegovic pour qu'elles se conforment strictement au
dernier accord sur le cessez-le-feu dans la ((République de
Bosnie-Herzégovine »qui estentréenvigueur le28mars 1993 ;
[ii] d'exiger que les autorités sous le contrôle de M. A. Izetbegovic
respectent lesconventions de Genèvede 1949pour laprotection
des victimesde laguerre etlesprotocolesadditionnels de 1977 à
ces conventions, étant donné quele génocide des Serbes qui
viventdans la «Républiquede Bosnie-Herzégovine»estentrain
de se réaliserpar la commission de crimes de guerretrès graves
qui enfreignentl'obligation de ne pas violerlesdroits essentiels

delapersonnehumaine ;
[iii] dedonner des instructions aux autorités loyalàsM. A. Izetbe-
govic afin qu'elles ferment et démantèlent immédiatement 'Republic of Bosnia and Herzegovina',in which the Serbs are
being detained because of their ethnic origin and subjected to
acts of torture,thus presenting a real danger for their life and
health ;
[iv] to direct the authorities controlled by A. Izetbegovic to allow,
without delay, the Serb residents to leave safely Tuzla,Zenica,
Sarajevoand other placesin the 'Republic ofBosniaand Herze-
govina',wherethey have been subjectto harassment and physi-
cal and mental abuse, and having in mind that they may suffer
the samefate asthe Serbsin eastern Bosniawhich wasthe siteof
thekillingandmassacresofafewthousand Serbcivilians;

[v] to instructthe authorities loyal to A.Izetbegovicto ceaseimme-
diatelyany further destruction ofOrthodox churches and places
ofworshipand ofother Serbculturalheritage, andto releaseand
stop further mistreatment of al1 Orthodox priests being in
prison ;
[vil to directtheauthorities underthe controlof A.Izetbegovictoput
an end to al1acts of discrimination based on nationality or reli-
gion and the practice of 'ethnic cleansing',including the discri-
mination related to the deliveryofhumanitarian aid,against the
Serbpopulation inthe 'RepublicofBosniaand Herzegovina'."

26. Ascanbeseen,anumber ofthe proposalsin theparagraph relateto

matters that cannot be described as "genocide", as genocidallyrelated or
as necessarilycausallylinked with genocide.This is true of items [il,[iii],
[iv]and [VIA. sforitem[ii],the requirementofrespect forthe GenevaCon-
ventions, though overlapping with a requirement that genocide should
not be committed, goeswider than genocide ; andthe same is true of the
referenceto discrimination in item [vil.

27. The Court is bound to ask itself, what could be the jurisdictional
basis forsuch proposals by the Respondent?The Respondent did not, in
itsletter of 1April 1993,make any reference to the question of jurisdic-
tion. Yet,if the proposals were seriouslymeant,they can only have been
put forward on the basis ofsomesupposed ground ofjurisdiction. There
are onlytwopossibilities.Oneisthe GenocideConventionitself,inwhich
casethe Respondent wasputting a verybroad construction on the defini-

tion of genocide and onthe scope of Article IX of the Convention. The
other isthatthe proposals maybe seenashavingbeenmadeinresponseto
the presentation bythe Applicant of certain requestswhich went beyond
the scope of the Convention. Either way, though, the conduct of the
Respondent seems to enlarge the jurisdiction of the Court beyond the
range of matters strictlycovered by an objectivereading of Article IX of
the Genocide Convention.The concordant conduct of the two Parties - toutes lesprisons ettous lescamps de détentionsetrouvant dans

la ({Républiquede Bosnie-Herzégovine » et où les Serbes sont
détenus en raisonde leur origineethnique et font l'objet d'actes
detorture, cequimetensérieuxdangerleurvieetleursanté ;
[iv] d'ordonner aux autorités sous le contrôle de M. A. Izetbegovic
de permettresans tarder auxhabitants serbesde quitterdans des
conditions de sécuritéTuzla,Zenica,Sarajevoetlesautresloca-
litésde la «République de Bosnie-Herzégovine» où ils ont fait
l'objet de harcèlements et de mauvais traitements physiques et
mentaux, entenant compte de cequ'ilsrisquent desubirlemême
sort que les Serbes en Bosnie orientale, qui a étéle théâtre de
meurtres etdemassacres de quelques milliersdecivilsserbes;
[VIde donner desinstructions aux autorités loyales àM. A.Izetbe-
govic pour qu'elles mettent immédiatement fin à la destruction
des égliseset lieux de culte orthodoxes et d'autres élémentsdu
patrimoine culturelserbe, et pour qu'elleslibèrentet cessent de

maltraitertous les prêtresorthodoxesdétenus ;
[vil d'ordonner aux autorités sous le contrôle de M. A. Izetbegovic
de mettre un terme à tous les actes de discriminationbasés sur la
nationalité oulareligionainsiqu'aux pratiques de«purification
ethnique», y compris la discrimination exercée en ce qui
concernel'acheminement de l'aide humanitaire, àl'encontre de
la population serbe dans la «République de Bosnie-Herzégo-
vine.»

26. Il apparaît que certainesdespropositions énuméréesdanscepara-
graphe onttrait àdesactesquine peuventêtrequalifiésd'aactes degéno-
cide», d'actes liésau génocide ou d'actes entretenant avec le génocide
d'inévitablesliensde causalité.Il enestainsipour lespoints énumérésaux
alinéas[il,[iii],[iv]et [v].Concernant lepoint [ii],l'exigencedu respectdes

conventions de Genève, bien qu'elle recouvre l'obligation de ne pas
commettre de génocide,va plus loinque cettedernière. Il en est de même
pour ce qui est de la discrimination évoquéeau point [vil.
27. La Cour ne peut manquer de se demander sur quellebasejuridic-
tionnelle elle pourrait examiner les propositions du défendeur.Dans sa
lettre du le' avril 1993,celui-ci n'a nullement abordéla question de la
compétence.Cependant, si ses propositions ont étéavancéespour être
prises au sérieux,ellesnepeuvent l'avoirétéqu'en sefondant surune base
supposée de compétence. Il ne se présente alors que deux possibilités.
L'une est la convention sur le génocideelle-même,auquel cas le défen-
deur interprétait très largementla définitiondu génocideet la portée de
l'article IX de cette convention. L'autre consiste à considérer que les
propositions ont été faites en réponse à certaines demandes présentées
par le demandeur sortant du champ de la convention. D'une façon ou

d'une autre, toutefois, le comportement du demandeur sembleélargir la
compétencede la Cour au-delà des questions strictement couvertes par
une lecture objective de l'article IX de la convention sur le génocide.Le418 APPLICATION OFGENOCIDECONVENTION (SEP.OP. LAUTERPACHT)

that ofthe Applicant in seekingbythe nature ofitsrequests to extend the
jurisdiction ofthe Court beyond mattersstrictlycovered bythe Genocide
Convention and that of the Respondent in doing something similar -
amounts to an acceptance of the Court's jurisdiction by conduct to the
extent that the scope of the subject-matter of the two requests coincide.
That isto Say,the scope ofthejurisdiction is determined by the narrower
ofthe two claims,inthis case,that ofthe Respondent.

28. Becausethisaspect ofthe casehad not beenspecificallyaddressed
by either of the Parties,1considered it desirableto ascertain the viewsof
the Parties and accordinglyput to them the followingquestions :

"(A) Do al1the requestsin theletter[of1April19931fa11withinthe
scopeoftheprevention of 'genocide'asisdefined inArticle II ofthe
Genocide Convention?
(B) Ifthe answerto Question 1isNo, whichrequestsareregarded
asnot fallingwithinthat definition?

(C) If the answerNo is givenin relation to any ofthe requests,on
what basis is the Court said to havejurisdiction in respect of them
and, inparticular, isthe concept offontmprorogatumrelevanthere ?"

29. The Applicant replied that "the Respondent actually broadens
jurisdiction beyond the subject-matter covered by Articles II and IX of

the Genocide Convention" and contended that :
"the Respondent's acceptance of this jurisdictional setting for the
first round of provisional measures ... logically extends to any
following provisional measures which are requested within the
framework of the proceedings instituted by the 20 March 1993
Application".

The Applicant concluded :
"In linewithestablishedjurisprudence ofthis Court, itisclearthat

this statement establishesjurisdiction with respect to al1aspects of
the situation in the Republic of Bosnia and Herzegovinaconnected
with armed conflicts concerning the territory of the Republic of
Bosniaand Herzegovina."

30. The Respondent replied as follows :"The reply iscontained in the
Observations of FR ofYugoslaviadated 23August 1993at pages 13to 16
in paragraphs 20to 24."Closestudy ofthe passagesreferredto revealsno
replyto the first and second ofthe questionsput to the Parties.The third
question is answered only indirectly, in paragraphs 21 and 23. In para-
graph 21the Respondent stated :

"It is obviousthat, by requiring provisional measures on 1April
1993,the intention of the FR of Yugoslavia was not to accept thecomportement convergentdes deux Parties - le demandeur cherchant,
par lanature desesdemandes, àétendrelacompétencedela Courau-delà
des questions strictementtraitéespar la convention sur le génocide,et le
défendeur agissantde même - équivaut à une acceptation de la compé-
tence de laCour dans lamesure où lesdeuxdemandes coïncident pour ce
qui estdelaportéedel'objetdu litige.Celarevient àdireque l'étenduede
la compétenceest déterminée par la plus restreintedes deux prétentions,
en l'occurrencecelledu défendeur.
28. Aucune des Parties n'ayant spécifiquementabordécet aspect de
l'affaire,'ai considéré souhaitablede m'enquérirde leurs points de vue
en leur posant lesquestions suivantes:

«A) Toutes les demandes contenues dans la lettre [du le' avril
19931entrent-elles dans le cadre de la préventiondu ((génocide»,
telle que définià l'article II de la convention sur legénocide?
B) Si la réponse à la première question est négative,quelles
demandes sont considérées commen'entrant pasdans cette défini-
tion?
C) Si une réponse négativeest apportée pour l'une quelconque
des demandes, sur quelle base la Cour aurait-elle compétencepour
en connaître et, en particulier, le concept deum prorogatum est-il
pertinent en l'occurrence?»

29. Le demandeur a répondu que le ((défendeurélargit en faitla
compétenceau-delàde l'objet des articlesII et IXde la convention sur le
génocide »et a soutenu que :

((l'acceptation de ce cadre juridictionnel de la part du défendeur
pour la première sériede mesures conservatoires ..s'étend logique-
ment àtoutes mesuresconservatoiresultérieures demandéesdans le
cadre de l'instance instituéepar la requêtedu 20mars 1993 ».

Il en concluait que:

D'après la jurisprudence bien arrêtéd ee cette Cour, il est clair
que cette déclaration établitla compétencede la Cour en ce qui
concerne tous les aspects de la situation régnant en Républiquede
Bosnie-Herzégovinedans le contextedes conflitsarmés concernant
leterritoire de la Républiquede Bosnie-Herzégovine. »

30. Bienqueledéfendeurait affirméque :«Laréponse[était] contenue
dans les observationsécritesde la République fédérativd ee Yougoslavie
datéesdu 23août 1993,aux paragraphes 2 à 24», il apparaît, après étude
attentive,quelespassagesenquestionnecontiennent aucune réponseaux
premièreet deuxièmequestionsposées aux Parties.Quant à la troisième
question,lesparagraphes 21et23n'yapportent qu'une réponseindirecte.
En effet,au paragraphe 21,le défendeur a déclaré que :

«Il va de soi qu'en demandant des mesures conservatoires le
le'avril 1993laRépubliquefédérativd eeYougoslavien'entendait en419 APPLICATION OFGENOCIDE CONVENTION (SEP .P.LAUTERPACHT)

jurisdiction of theourt.whatsoever, orto an extent beyond what is
strictly stipulated in the Genocide Convention. The argument that
the FR of Yugoslavia is estopped from raising any questions con-
cerning thejurisdiction of the Court is obviouslyabsolutelywithout
foundation."

The Respondent then quoted, in paragraph 22, a passage from the case
concerning the Anglo-Zranian OiC l o.,PreliminaryObjection,in which the
Court had rejected a submissionmade by the United Kingdom Govern-
ment to the effect:

"17. Thatthe Iranian Government,having in its conclusions sub-
mitted to the Court for decision several questions which are not
objections to the jurisdiction of the Court and which could onlybe
decided if the Court had jurisdiction, has by this action conferred
jurisdiction upon the Court on the basis of the principle of forum
prorogatum."(Z.C. J.Reports1952,p. 101.)

31. The passage quoted by the Respondent is part of a longer para-
graph the continuation of whichreads as follows :

"HavingfiledaPreliminaryObjection forthe purpose ofdisputing
the jurisdiction, it [theGovernment of Iran]has throughout the pro-
ceedingsmaintained that Objection. It is true that it has submitted
other Objections which have no direct bearing on the question of
jurisdiction.Buttheyare clearlydesignedasmeasuresofdefencewhich
it wouldbe necessarytoexamine onlyifZran S Objectiontothejurisdic-
tionwererejected.No element of consent can be deduced from such
conduct on the part of the Government of Iran. Consequently, the
Submission of the United Kingdom on this point cannot be
accepted." (Zbid.,p. 114;emphasisadded.)

32. It isthe content of the words emphasized above that distinguishes
the Anglo-Zranian OilCo.casesoplainlyfrom the present one.There, the
"objections" on which the United Kingdom founded its claim offorum
prorogatum were "clearly designed as measures of defence", the exami-
nation ofwhich was seen ascontingent upon the rejection of Iran's objec-

tion to thejurisdiction. Bycontrast,in the present case, the mattersraised
in the provisional measures which the Respondent proposed in its letter
of 1April 1993were not contingent at all, but were assertive requests.
They were not negative in their purpose, i.e., aimed at dissuading the
Court from doing something. Rather, they were positive in their object,
i.e., aimed at persuading the Court to take specific measures. And those
measures, asjust stated, were not ones that on their face fell within the
scope ofthe GenocideConvention. Somebasismust,therefore,be identi-
fied by reference to which their introduction into the proceedings can be
justified. aucunemanièreaccepterlacompétence dela Cour sicen'estdans les
limites de ce qui est strictement stipulé dans la convention sur le

génocide. L'argument selon lequel la République fédérative de
Yougoslavie se trouve dans l'impossibilitéde soulever une quel-
conque question concernant la compétence de la Cour est évidem-
ment dénuédetoutfondement. »

Ledéfendeur citaitensuite, auparagraphe 22,un passage de l'arrêt rendu
dans l'affaire de l'dnglo-Iranian Oil Co., exceptionpréliminaire,dans
laquellela Cour avait rejetéla thèsedu Gouvernement du Royaume-Uni
selonlaquelle :
«17. Le Gouvernement de l'Iran, ayant dans ses conclusions

soumis à la décisionde la Cour plusieurs questions qui ne sont pas
des exceptions àla compétencede la Cour et qui ne pourraient être
tranchées que si la Cour était compétente, a ce faisant conféré
compétence à la Cour sur labase du principe du forumprorogatum. »
(C.I.J. Recueil1952,p. 101.)

31. Le passage citépar le défendeurest extrait d'un paragraphe plus
long dont la suite est ainsilibellée
Aprèsavoirdéposé une exceptionpréliminaireaux fins d'incom-
pétence,il a maintenu cette exception pendant toute la duréede la
procédure.Il estvrai qu'ilaprésenté d'autres objectionssansrapport

direct avec la question de compétence. Mais ellesétaientclairement
indiquéescommedesmoyensdedéfensequiauraient à êtretraitésseule-
ment si l'exception d'incompétencede l'Iran était rejetée.Aucun
élémend t e consentement ne saurait êtredéduitdel'attitude adoptée
par l'Iran. En conséquence, la conclusion du Royaume-Uni sur
ce point ne saurait être admise.» (Zbid.,p. 114; les italiques sont
de moi.)

32. La teneur de la phrase reproduite ci-dessus en italiques permet de
toute évidence de différencier l'affaire de'dnglo-Iranian Oil Co. de la
présente. Les «objections» sur lesquelles le Royaume-Uni fondait sa
prétentiondeforumprorogatum étaient «clairementindiquéescommedes
moyens de défense)),dont l'examen dépendait du rejet de l'exception
d'incompétence soulevée parl'Iran. En revanche, dans laprésenteaffaire,
les arguments soulevésdans les mesures conservatoiresproposées par le
défendeur dans salettre dule'avril 1993n'étaient soumisàaucune condi-
tion; il s'agissaitde demandes impératives.Leurdesseinn'étaitpas néga-
tif en ce sens qu'ils ne visaient pasissuader la Cour de faire quelque
chose. Au contraire, ilsavaient un objetpositif,en cesens qu'ilstendaient
à convaincrela Cour deprendre desmesuresspécifiques.Or, cesmesures,

comme je viens de l'exposer, n'entraient pas de prime abord dans le
champ de la convention sur le génocide.Aussi faut-il trouver quelque
élémens tur labase duquel leurintroduction dans la procédurepuisseêtre
justifiée. 33. The Respondenthas remindedthe Court ofthe statementmade in
the Anglo-ZranianOilCo.case :

"The principle of forumprorogatum,if it could be applied to the
present case, would have to be based on some conduct or statement
of the Government of Iran which involves an element of consent
regarding the jurisdiction of the Court. But that Government has
consistently denied the jurisdiction of the Court." (Z.C.J.Reports
1952,p. 114.)

The Respondent has then gone on to say :

"The FR of Yugoslavia does not accept the jurisdiction of the
Court inrelation to customaryand conventionalinternational lawof
war and international humanitarian law,includingthe four Geneva
Conventions of 1949,their First Additional Protocol of 1977,the
Hague Regulations on Land Warfare of 1907and Principles estab-
lishedby the Nuremberg Charter and Judgment."

34. Thequestion is,therefore,whetherthe denial bythe Respondent of
the jurisdiction of the Court on any basis other than Article IX of the
GenocideConvention issufficientto overrideconduct ofthe Respondent
which appears to be consistent only with the existence of some jurisdic-
tion of the Court ona basisother than that of the Genocide Convention.
In particular, does the above-quoted sentence amount to a sufficient
denial of the jurisdiction of the Court to negative the effect of the
Respondent's requests in its letter of 1April 1993which appear, in the
wordsofthe Court's Order of22July 1952,to involve"an elementofcon-
sentregardingthejurisdiction ofthe Court"? In my view,theinsistenceby
the Respondent that Article IX of the Genocide Convention is the sole
source of the Court's jurisdiction is not persuasive. Were this insistence
valid, it would be impossible for the Respondent to justify its clear
requestsfor measures which fa11outside the coverageof the Convention.
Yet, these requests were neither brief nor accidental. They were deliber-
atelypresented to the Court asrequests to whichthe Respondent wished
the Courtto accede.TheRespondentcannot blowhot and cold.Ttcannot

ask the Court to go beyond the limits of the Genocide Convention and
simultaneously request the Court to limit its jurisdiction to that Con-
vention.
35. Itthusbecomesnecessaryforthe Court eitherto attempt areconcil-
iation ofthe two contradictoryapproaches orto choosebetweenthem. In
my opinion,in deciding upon the relationship betweenthe particular and
the general,the generalcannotbe permitted entirely(ifat all)to override
the particular. The solution lies,therefore, in qualifyingthe insistence of
the Respondent that the Court's jurisdiction is dependent solely upon
Article IX of the Genocide Convention by acknowledging that the
Respondenthas expandedthejurisdiction ofthe Court to the extentthat 33. Le défendeur a rappelé à la Cour l'affirmation faite en l'affaire de

l'dnglo-Iranian OilCo. :
«Pourpouvoir s'appliquer en l'espèce, leprincipe duforumproro-
gatumdevraitêtrefondésurquelqueacteou déclaration du Gouver-
nement del'Iran impliquant un élémend teconsentement àl'égardde
la compétencede la Cour. Mais ce gouvernement n'a pas cesséde
contesterla compétence de la Cour. »(C.I.J. Recueil1952,p. 114.)

Le défendeur a poursuivi en affirmant que :

«La République fédérativede Yougoslavie n'accepte pas la
compétencede la Cour en vertu du droit international de la guerre
coutumier et conventionnel et du droit humanitaire international, y
compris lesquatre conventions de Genèvede 1949, lepremierproto-
coleadditionnel de 1977 à ces conventions,le règlementannexé à la
convention de La Haye de 1907concernantleslois et coutumes de la
guerre sur terre et les principes établispar le statut du Tribunal de
Nurembergainsi quepar lejugement qu'il a rendu. D

34. Enconséquence,laquestionqui sepose estcelledesavoir silerefus
du défendeur d'admettre la compétencede la Cour sur toute autre base
quel'article IXde la convention sur le génocideprévautsur son compor-
tement,qui,lui,semble supposer l'existenced'une compétencedelaCour
sur une base autre que la convention sur le génocide.En particulier, la
phrasecitéeci-dessusconstitue-t-elle un dénisuffisant lacompétencede
la Courpour priver d'effet lesdemandesformuléespar le défendeur dans
sa lettre du le' avril 1993 qui paraissent, pour reprendre les mots de

l'ordonnance de la Cour du 22 juillet 1952,impliquer «un élémentde
consentement à l'égardde la compétence de la Cour»? A mon sens,
l'insistance avec laquelle le défendeur soutient que l'article IX de la
convention sur le génocideest l'unique source de la compétence de la
Cour n'est pas convaincante. Si cette thèse était valable, comment le
défendeur pourrait-il justifier ses demandes, qui tendent clairement à
obtenir des mesures qui setrouvent hors du champ de la convention? Or,
cesdemandes n'étaient nibrèves,ni accidentelles :le défendeurlesa déli-
bérémentprésentées à la Courafinque celle-ciyfassedroit. Ledéfendeur
ne saurait souffler le chaud et le froid. Il ne peut pas demanàla Cour
d'aller au-delà des limites de la convention sur le génocide, tout en lui
demandant d'ylimiter sa compétence.
35. LaCour estainsiamenéesoit à tenter de concilier cesdeuxattitudes
contradictoires,soità choisir entre elles.A mon avis, s'agissant de déter-

miner lesrapports entre leparticulier et legénéra, n ne sauraitadmettre
que le général l'emporte entièrementsur le particulier (si tant est qu'il
doiveprévaloir).En conséquence,la solution consiste à limiterla portée
de lathèsedu défendeur selonlaquellelacompétencede la Cour sefonde
uniquement surl'articleIX delaconvention surlegénocide,enconstatant
que ledéfendeur aétendulacompétencedelaCour dans lamesureoù ses421 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP .P.LAUTERPACHT)

itsspecificrequestsoverlap in kind with those ofthe Applicant. In effect,
the Applicant, in requestingmeasures that pass beyond the limits of the
GenocideConvention,hasmade an offerto the Respondent to extend the
jurisdiction ofthe Court to the category ofbject-matter covered by that
extension. The Respondent, by proposing counter-measures which in
somerespects resemble the proposals of the Applicant, has within those
limitsaccepted the offer of the Applicant soto extend the jurisdiction of
the Court.
36. The Court's conclusion in paragraph 34 of today's Order that the
Yugoslav communication of 1April 1993"cannot, even prima facie, be
interpreted as 'an unequivocal indication' of a 'voluntary andindisput-
able' acceptance ofthe Court'sjurisdiction" isevidentlyinfluenced bythe
consideration there mentioned that "the provisional measure requested

by Yugoslavia in a subsequent request, dated 9 August 1993 ...,was
directed solelyto protection of asserted rightsder the Genocide Con-
vention". Thereference thus madetowhat maybe seenasawithdrawal by
the Respondent of its request for measures going beyond the scope ofthe
Genocide Convention suggeststhat the differencebetweenthe Court and
the opinion here expressed may lie principally in the effect to beattri-
buted to the request of 9 August 1993.1regard that communication as
insufficient to negative the effect of the Respondent's communication of
1 April 1993.To this limited extent, therefore, and to my regret,1find
myself unable to agree with the Court.

37. The existence ofjurisdiction on the basis ofontmprorogatum has
no impact on the conclusions that 1reach in relation to the ten specific

measuressought inthe Applicant's secondrequest.However, it does form
the basis forthe additional measures which, in the exercise of the power
given inArticle 75(1)of the Rules of Court to indicate measures proprio
motu, 1setout inparagraph 124below.These areexpressedinterms which
largelyreflect, inthe form ofan indicationto both Parties,theterms ofthe
measures sought by Yugoslavia in its communication to the Court of
1April 1993.

111.THESUBSTANC OF THE REQUEST

1. TheNatureofthe Evidencetobe Takeninto Considerationin
RelationtoRequestsforProvisionalMeasuresof Protection

38. When the Court made its Order of 8 April 1993it did so without
committing itselfto anyspecificfindings offact,limiting itselfto thete-
ment that "there is a grave risk of acts of genocide being committed"
(para. 45). In theOrder of today's date the Court has gone somewhatdemandes spécifiquescoïncident,par leurnature, avec cellesdu deman-
deur. En effet, en sollicitantdes mesures qui dépassaient leslimitesde la
conventionsurlegénocide,ledemandeura offert audéfendeurd'étendre
la compétencede la Cour aux sujets ainsi englobés. En proposant des

contre-mesuresqui, à certains égards, s'apparentaientaux propositions
du demandeur, ledéfendeura,dans ceslimites,acceptél'offredu deman-
deur d'élargir ainsila compétencede la Cour.

36. La conclusion à laquelle la Cour estparvenue auparagraphe 34de
l'ordonnance de cejour, selonlaquellelacommunication delaYougosla-
vie du le'avril 1993«ne peut être regardéem , êmeprima facie,comme
une manifestation non équivoque »de la volontéde cet Etat d'accepter
de manière ((volontaire,indiscutable» la compétencede la Cour» est à
l'évidenceinfluencéepar le fait, également mentionné,((que la mesure
conservatoiresollicitéepar la Yougoslaviedansune demande ultérieure,
datéedu 9août 1993 ...tendait seulementà la protection de droitsreven-
diquéssur labase dela convention».Laréférenceainsfiaite à ceque l'on
peut considérer commeun retrait par le défendeurde sa demande de

mesures allant au-delà du champ de la convention sur le génocidelaisse
apparaître que la divergenceentre l'avisde la Cour etl'opinion ici expri-
méerésideprincipalementdans la portéequ'ilconvient de reconnaître à
la demande du 9août 1993.J'estime eneffetque cettecommunicationne
suffit pasà priver d'effet la communication du défendeurdu le' avril
1993.C'estdonc avecregretqueje nepuis merallier àl'avisdela Coursur
cepoint particulier.
37. L'existence d'une compétencepar le jeu du forum prorogatum
n'affecte en rien les conclusions auxquelles je parviens quant aux
dix mesures spécifiques sollicitéespar le demandeur dans sa deuxième
demande. C'esttoutefois sur cettebase que j'énonce,au paragraphe 124
ci-dessous,lesautresmesuresque laCour aurait dûindiquer propriomotu
envertu despouvoirsqueluiconfèreleparagraphe 1del'article75deson
Règlement.Ces mesures, indiquées à l'adresse des deux Parties, sont

exprimées en destermes qui reflètentpour une bonne part les mesures
sollicitéesparla Yougoslaviedans sa lettreadresséeàla Cour le le'avril
1993.

III. LEFOND DE LA DEMANDE

1. Lanaturedesmoyensdepreuve
quidoivent êtrepriesnconsidératiodanslecontextedesdemandes
enindicationde mesuresconservatoires

38. LaCour a rendu son ordonnance du 8 avril 1993sans engager sa
position quant auxfaits, secontentant de déclarerqu'il ((exiun risque
grave que des actes de génocide soient commis» (par. 45). Dans la

présente ordonnance, laCour estalléeun peu plusloin, comptetenude422 APPLICATION OFGENOCIDE CONVENTION (SEP . P.LAUTERPACHT)

further by "taking into account the development of the situation in
Bosnia-Herzegovina" (para. 22),obsemingthat "great suffering and loss
of life has been sustained by the population of Bosnia-Henegovina in

circumstances which shock the conscience of mankind and flagrantly
conflict with moral law and the spirit and aims of the United Nations"
(para. 52),noting that "the grave risk" which the Court apprehended in
itsOrder of 8April 1993of "action being taken which may aggravate or
extend the existing dispute ... has been deepened by the persistence of
conflicts on the territory of Bosnia-Herzegovina and the commission of
heinous actsin the course ofthose conflicts" (para. 53)and statingthat it
"is not satisfied thatal1that might have been done has been done to
prevent the commission of the crime of genocide in the territory of
Bosnia-Herzegovina, and to ensure that no action is taken which may
aggravate or extend the existing dispute or render it more difficult of
solution"(para. 57).

39. In my view, ifthe Court consideredthat it had before it sufficient
material onthe basis of which it could make the generalized findings of

fact set out above, it also had before it sufficient material to set out in
greater detailthe grim and gruesomerealitiesofthe situation whichalone
can explain whythe Applicanthas returned to the Court withthissecond
requestforinterim measures. It willalready be apparentthat in myopin-
ion the additional accumulation of evidence since the date of the first
Order and the generally uniform content of the reports as well as their
undeniable character, necessitates a fuller statement of the facts. As a
necessarypreliminary to this,attention must be givento the nature ofthe
evidencewhich the Court may properlytake into account at this stage of
the proceedings.

40. In most ofthepreviousrequestsforprovisionalmeasurestherehas
been relativelylittledisagreementaboutthe facts,the principal issue(the
question ofjurisdiction apart) being whether, on the facts as known, an
indication of such measures was required. Questions of evidence were,
therefore, not in the forefront of the discussion. In the present case,

Bosnia-Henegovina has produced much evidence of the events which
it alleges,l1of it in writing and most of it in secondary form. Yugoslavia
has produced no evidenceto rebut it.

41. Thequestion ishowmuch accountshouldbe taken ofthisevidence.
There is no fundamental legaldifferencein the mles of evidence appli-
cable to the consideration of the merits of a case andhose applicablein
proceedings relatingto provisional measures.There is,however,a practi-
caldifference inthat inthe latterthere maybelesstimeforthe applicant to
prepare itsevidenceinthe mostcogentform,orfor criticalscrutinyofthat
evidence by the respondent and the Court, than there is in the extended
meritsstageofa case.Butit doesnot followthat evidenceproduced atthel'évolutiondelasituation en Bosnie-Herzégovinedans lesderniersmois»
(par. 22),faisant observerque «de trèsvivessouffrances ont étendurées

et de lourdes pertes en vieshumaines ont étésubies par la population de
la Bosnie-Herzégovinedans des circonstances qui bouleversent la cons-
ciencehumaine etsont àl'évidenceincompatiblesaveclaloimoraleainsi
qu'avec l'espritet lesfins des Nations Unies(par. 52),d'autant que «le
risque grave» redoutépar la Cour dans son ordonnance du 8 avril 1993
«que soient prises des mesures de nature à aggraver ou étendrele dif-
férend existantsur la préventionet la répressiondu crime de génocide,
ou à enrendre lasolutionplusdifficile,aétérenforcéparla persistancede
conflitssurleterritoire delaBosnie-Herzégovineetlacommissiond'actes
odieux au cours de ces conflits» (par. 53).La Cour a déclaré nepas être
«convaincue que tout ce qui pouvait être fait a été faitour prévenirla
commissionde crimesde génocidesurleterritoire de la Bosnie-Herzégo-
vineetpour veillerà cequ'aucune mesurenesoitprise quisoit denature à

aggraverou àétendreleconflitexistantouenrendre lasolutionplusdiffi-
cile»(par. 57).
39. Amon sens, sila Cour estimaitque lesélémentp sortés àsonatten-
tionluipermettaient detirerdesconclusionsgénérales surlesfaitscomme
celles exposéesci-dessus,elle avait égalementdevantelle suffisamment
d'informationspour énoncerdefaçonplusdétaillée lesréalitésbrutaleet
effroyablesde la situationqui, seules,expliquentpourquoi le demandeur
est revenu devant la Cour pour lui soumettre une seconde demande en
indication de mesures conservatoires. Il sera déjà clair qu'à monavis
l'accumulation depreuvessupplémentaires depuisla date de la première
ordonnance et lecontenu généralementuniforme desrapports, de même
que leur caractère indéniable, requièrentun exposé plusapprofondi des
faits. Cependant, il conviendra préalablement d'étudier la nature des
moyens de preuve que la Cour est habilitéeà prendre en considération à

ce stade de la procédure.
40. Dans la plupart des précédentes demandesen indication de
mesures conservatoires,les faits n'avaient guère été contestés; la princi-
pale questionqui seposait (mise àpart cellede la compétence)étaitcelle
de savoir si, sur la base des faits connus, des mesures conservatoires
s'imposaient. En conséquence,les questions de preuve ne se trouvaient
pas au cŒurdu débat.Dans la présente affaire,la Bosnie-Herzégovinea
administrédenombreusespreuves quant auxévénementsqu'elle allègue :
toutes sont écritesetla plupart sontdespreuvesindirectes. La Yougosla-
vien'aproduit aucun élémend te preuve pour lesréfuter.
41. Laquestion sepose du casqu'ilfautfaire de cesmoyensdepreuve.
Aucune différencejuridique fondamentale ne distingue les règles de
preuve applicables àl'examenau fond d'une affairede cellesapplicables

àune procédure enindicationde mesuresconservatoires.Il existecepen-
dant une différence pratiqueen ce sens que, dans le cadre de ce dernier
type deprocédure,ledemandeur disposerasansdoute demoinsdetemps
que lors de la phase plus étenduede l'examenau fond pour assemblerles
éléments de preuve sousla formela plus concluante, etle défendeuret la423 APPLICATION OF GENOCIDECONVENTION (SEP . P.LAUTERPACHT)

provisional measures stage is a priorito be treated as less adequate or
less acceptable than evidence produced at the merits stage or that it is
incapable of sustainingmore than the most generalized findings of fact.

42. Inthepresent case,thewritten evidenceadduced by Bosnia-Herze-
govinafallsintothe followingcategories :writtenprimary evidence,such
statements directly attributable to the Yugoslaviaauthorities,statements
byUnitedNations, UNHCR orEC officiaiswhohavethemselvesbeenin

the area, or newspaper reports byjournalists who were eye-witnessesof
events; and written secondary evidence, such as statements of fact
adopted by organs of the United Nations, for example, in the form of
preambular paragraphs to resolutions of the General Assembly or the
SecurityCouncil.There isno reason whythe Court should nottakeboth
suchcategoriesof evidenceinto account,givingmoreor lessweightto par-
ticular items, according to the particular circumstances. The doctrine of
judicial notice isknown in many legal systems.Tribunals may not and
do not closetheir eyesto facts that starethem in the face. In the Military
and Paramilitary Activitiesin and against Nicaragua case the Court
recalled its own reference in the case of thenitedStates Diplomaticand
Consular Staffin Tehranto facts which :

"are, for the most part, matters of public knowledge which have
received extensivecoverageinthe world press and in radio and tele-
visionbroadcastsfrom Iranand othercountries (I.C.J.Reports1980,
p. 9,para. 12)"(I.C.J.Reports1986,pp. 40-41,para. 63).

On an earlier occasion,though not speakingin terms of "judicial notice",
the Court, in the Fisheriescase, had had recourse to the concept of
"notoriety of facts" (I.C.J.Reports1951,pp. 138-139).
43. Whatmattersforpresent purposes isthegeneral concordanceofevi-
dence. This considerationalso weighedwith the Court in its decisions in
1980and 1986 :

"On the basis of information, including press and broadcast
material, which was 'wholly consistent and concordant as to the
main facts and circumstances of the case', the Court was able to
declare that it was satisfied that the allegations of fact were well-
founded." (I.C.J. Reports 1986,p. 41, para. 63, citing I.C.J. Reports
1980,p. 10,para. 13.)

In this case,the evidence al1points conclusivelyin one direction. More-
over,the Respondenthasnotsought inthisCourt todenythat atrocitiesof
the character and on the scaledescribed have occurred.
44. Twoadditionalconsiderationsare relevanthere.Thefirst isthat the
presentproceedings do not relate to the indictment of namedindividuals Cour pour lessoumettre àun examenattentif.Maisles moyensdepreuve
produits lors de la phase desmesuresconservatoires ne doivent paspour
autant êtreà priori considérés comme moins pertinentsou admissibles
que ceuxadministréslorsdelaphase del'examenau fond, pas plusqu'on
nedoit lesestimerimpropres à étayerdesconclusionsdefaitdépassantde
simplesdéclarations générales.
42. En l'espèce, lesmoyens de preuve écritsproduits par la Bosnie-
Herzégovine relèventdes catégories suivantes : preuves écrites directes
- comme les déclarations directement imputablesaux autorités yougo-
slaves,lesdéclarations des représentants des NationsUnies, du HCR ou
de la Communauté européenne s'étant rendus en personne sur les lieux,

ou les rapports de journalistes ayant étélestémoins oculairesdesévéne-
ments - etpreuves écritesindirectes - telles que les déclarationsquant
aux faits adoptéespar des organes del'organisation des Nations Unies,
par exempledans desalinéasdu préambulederésolutionsdel'Assemblée
généraleou duConseil de sécurité. Il n'ya aucune raison que la Cour ne
puisse pas prendre en compte ces différentes catégoriesde moyens de
preuve,enleuraccordantplus oumoins depoids, selonlescirconstances.
Nombreux sont les systèmesjuridiques qui connaissent l'institution du
constatjudiciaire. Lesjuridictions ne peuvent refuser, ni ne refusent, de
voirlesfaitsqui s'imposent àelles.Dans l'affaire desActivités militairst
paramilitairesau Nicaraguaet contre celui-ci, la Cour a rappeléqu'elle
s'était fondéed,ans l'affaire relative auersonneldiplomatiqueet consu-
lairedesEtats-Unis à Téhéran s,r des faitsqui sont pour la plupart de

«notoriétépublique et ont étélargement évoquésdans la presse
mondialeainsi quedans desémissionsderadiodiffusion et detélévi-
sion de l'Iran et d'ailleurs (C.I.J. Recueil 1980, p. 9, par. 12)~.
(C.I.J.Recueil1986,p. 40,par. 63)

Précédemment, dans l'affaire des Pêcheriesl,a Cour, sans parler de
«constatjudiciaire »,avaitcependant fait appelau concept de «notoriété
desfaits »(C.I.J.Recueil1951,p. 138-139).
43. C'estla concordance générale desmoyens de preuve qui importe
aux fins de la présente affaire.C'est égalementce qu'avait considéré la
Cour dans sesdécisionsde 1980et 1986 :

« Surlabase decesinformations,ycompris cesarticlesetcesémis-
sions,qui étaient«d'une cohérenceet d'une concordance totales en
ce qui concerne lesprincipaux faits et circonstances de l'affaire»,la
Cour a pu se dire convaincue que les allégationsde fait étaient
fondées.»(C.I.J.Recueil1986,p.41,par. 63,citant C.I.J.Recueil1980,
p. 10,par. 13.)

En l'occurrence, tous les moyens de preuve convergent nettement. En
outre,ledéfendeurn'apas cherchédevantlaCour à nierlesatrocitésdont
la nature et l'ampleur avaient étédécrites.
44. Deux considérations supplémentaires sontici de mise. Première-
ment,la présente procéduren'apas trait àla miseen accusation d'indivi- upon criminal chargesin relation to whichguilthas to be proved beyond
reasonabledoubt.
45. Thesecondconsiderationhas a particular bearing on the question
ofthe complicityofthe Respondentinrenderingassistance to the Serbian
forces in Bosnia-Herzegovina. As the bulk of the accessory conduct in
question must necessarily have originated within the territory of the
Respondent,it is obvious that it is beyond the power of the Applicantto
obtain absolute proof of it.This being so, the situation resemblesthat in
the CorfuChannelcase (Merits, Z.C.J.Reports 1949, p. 4) in which, at

page 18,the Court discussedthe consequences flowingfromthe inability
of a party tosecureevidencefrom areas outside itscontrol :.

"mhe fact of this exclusiveterritorial control exercisedby a State
withinitsfrontiershasabearingupon the methods of proof available
to establishthe knowledgeofthat Stateas to suchevents.Byreasonof
this exclusivecontrolt,heotherState, thevictimofa breachof intema-
tionallaw,is oftenunabletofumish directproof offacts givingrise to
responsibility.ucha Stateshouldbealloweda moreliberalrecourseto

inferencesoffactandcircumstantialevidence.Thisindirect evidenceis
admitted in al1systemsof law, and its use is recognized by interna-
tional decisions. It must be regarded as of special weight whenit is
based on a series of facts linked together and leading logicallyto a
singleconclusion." (Emphasisadded.)

46. 1will,therefore,inthisopiniontakeintoaccount those ofthe items

presented in the Applicant'snarrative that are supported by appropriate
evidence.Assertionsmade byYugoslaviawillbe approached inthe same
way. Ifsupported by appropriate evidencethey willbe accepted. Where
there isaconflictofevidence then, ofcourse,itwillbenecessaryto makea
choiceby referenceto openlystated and objectivelyapplied criteria.

2. TheImportanceofStatingEssential Facts,AlbeitinSummaryForm

47. To refrain from confronting the facts simplybecause the proceed-
ings are ones forprovisional measures would suggesta degree of formal-
isminconsistent withone ofthetasks ofthe internationaljudicial process
in circumstancessounusual as those involvedhere. In thepresent case,so
public arethe facts and sourgent isthe need whichthey occasionthat, to
al1intents and purposes, no clearline can be drawn between the grant of
provisional measures and the grant of the remedy sought in the main
action.A denial ofsufficientprovisionalmeasures nowmaywell,in prac-

tice,betantamount to a negation ofthe rights claimed inthe main action.
If,ashasbeen said,the grantofinterim measuresshouldnotprejudicethe APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP.IND. LAUTERPACH4 T2)4

dus nommément désignés sur lesquels pèsent des chefs d'accusation et
dont la culpabilité doit être prouvée au-delàe tout doute raisonnable.
45. La seconde considération se rattache tout particulièrement àla
question de la complicitédont le défendeurse serait rendu coupable en
prêtant assistance aux forces serbesen Bosnie-Herzégovine.Dans la
mesureoù l'essentieldesagissementscomplicesen question ont nécessai-
rement eu leur origine sur le territoire du défendeur,il est évidentque le

demandeur n'estpas en mesure d'en obtenir des preuves absolues. Cela
étant, la situation s'apparente celle de l'affaire du Détroitde Cor~6ou
(fond,C.I.J.Recueil1949,p.4),danslaquelle,àlapage 18,laCouradébattu
des conséquencesqui découlaientde l'incapacité d'unepartie d'obtenir
des moyens de preuve dans deszones échappant à son contrôle:

«le contrôle territorial exclusif exercépar 1'Etatdans les limites de
ses frontières n'est pas sans influence sur le choix des modes de
preuvepropres àdémontrer cetteconnaissance.Dufait dececontrôle
exclusif;'Etatvictimed'uneviolationdu droit internationalse trouve
souventdans l'impossibilitéde faire la preuve directe desfaits d'où
découlerailtaresponsabilité.doitluiêtrepermidserecourirpluslarge-
mentauxprésomptions defait, aux indicesoupreuvescirconstancielles
(circumstancial evidence). Ces moyens de preuve indirecte sont
admisdans tous lessystèmesdedroit etleurusage estsanctionnépar
lajurisprudence internationale. On doit lesconsidérercommeparti-
culièrementprobants quand ils s'appuient surune sériede faits qui

s'enchaînent et conduisent logiquement à une mêmeconclusion. B
(Lesitaliquessont de moi.)
46. En conséquence,la présente opiniontiendra compte des éléments
mis en avant dans l'exposé des faitsdu demandeur, corroboréspar des
moyensde preuve appropriés.Lesaffirmations de la Yougoslavieseront

envisagéessous le mêmeangle. Si elles sont étayéespar des preuves
adéquates,ellesseront admises. En cas de conflit de preuves, il serabien
évidemment nécessaired'opérer unchoix, en se basant sur des critères
clairementénoncés et appliquésen toute objectivité.

2. L'importance d'énoncerlfeasits essentiels,
même defaçon sommaire

47. S'abstenirdefaireface àlaréalitésimplementparcequelaprésente
procédure concerne desmesures conservatoiresserait faire preuve d'un
degrédeformalismeincompatibleavecl'un desrôlesdelajusticeinterna-

tionale dans descirconstancesaussiinhabituelles que cellesdelaprésente
affaire.Lesfaitsensontd'une tellenotoriété publique etleexigencesqui
en découlentsontsipressantes qu'il nesaurait en aucune façon êtreques-
tion dedistinguerclairementl'octroidemesuresconservatoiresdel'octroi
de la réparation recherchéeau principal. Dans la pratique, refuser
d'accorder desmesures conservatoiressuffisantes peut fort bien équiva-
loir,eneffet, unenégationdesdroitsalléguéasuprincipal. Si,commeilaoutcome of the consideration of the merits, so equally it must be recog-
nized that the denial of interim measures also should not prejudice the
outcome of the consideration of the merits. It is, therefore, a matter of
necessityto examinethe factsto whichthemeasuresordered bythe Court
relate.
48. There is also a reason of policy forlooking at the facts- a policy
which the principal judicial organ of the United Nations can properly
take into account. As is well known, the justification for the war crimes

trials following the Second World War was seen to lie not solely in the
requirement thatthe perpetrators ofheinous crimesshould bebrought to
justice. It lay also in the belief in the necessity oflacing on historical
record the character and extent of those crimesso that they should never
beforgotten and thatthe recollectionofthe sacrificeofthe victimsshould
notbedimmedbytime.Theestablishment and,itmaybehoped, the activ-
ity of a United Nations War CrimesTribunal for former Yugoslaviamay
in due course perform a similar function in relation to the events within
the area previouslycomprised within that State. Butthis possibility does
not, in my view,relievethis Court of the duty of explaining, even in the
context of a request for provisional measures of protection, some of the
basicfeatures ofthe situation. It may,ofcourse,besaidthat sucha record
willappear inthe Court's treatment ofthe case at the merits stage. How-

ever,ashas been pointed out on behalf of Bosnia-Herzegovina,there is a
distinct possibility that the merits stage ofhese proceedings will not be
reached. What will those in later years who are not wellinstructed in Our
contemporaryhistoryunderstand oftherealthrust and significanceofthe
Court's Order if they cannot read therein some narrative of the circum-
stanceswhichhave led to it?

49. Atthe same time, it must be realized that, important though the
record is, limitations of time, space and immediate relevancepreclude a
comprehensive or even extended narrative of events. What follows is
necessarily sharply focused on developments pertinent to the litigation
instituted by the Applicant and is brief even at the risk of some over-
simplification.

3. Some PertinentBackground

50. Before 1990 Yugoslavia, or the Socialist Federal Republic of
Yugoslavia as it wasthen called (and as the Respondent stillcalls itself),
consisted of six constituent republics - Serbia, Montenegro, Slovenia,
Croatia, Bosnia-Herzegovina and Macedonia - together with two
autonomous provinces. Within itspopulation of some23millionpersons,
the Serbs were the largest elementnumbering over 8 million persons, of
whom three-quarters lived in Serbia. In Bosnia-Herzegovinathere lived
some 1.9million Muslims, 1.3million Serbsand 0.75millionCroats. étédit,l'octroidemesuresconservatoiresnedoit pas préjugerlerésultatde
l'examen aufond, il faut admettre que le refusde mesuresconservatoires
ne doit pas davantage le préjuger. Il est donc nécessaire d'examiner les
faitsauxquels serapportent les mesures indiquéesparla Cour.

48. Ilya aussiune raison de principe quiplaide en faveur d'un examen
des faits, raison que le principal organejudiciaire de l'organisation des
Nations Uniespeut valablementprendre encompte.Commechacun sait,
les procès relatifs aux crimes de guerre tenus après la seconde guerre
mondiale ne trouvaient pas leur seulejustification dans la nécessitéde
traduire enjustice lesauteurs de cescrimesodieux. Il a égalementsemblé
nécessairede consigner dans lesannales del'histoirelanature etl'étendue
de cescrimes de façonqu'ils ne soientjamais oubliés etque lesouvenir du

sacrificedes victimesne s'estompepas avecletemps. Lacréation et, faut-
il espérer,l'actiond'un tribunal des Nations Unies pour juger les crimes
deguerre commisdans l'ex-Yougoslavieserontpeut-êtreunjour appelées
à remplir un rôle similaire dans le contexte des événements qui se sont
déroulésdans ce qui fut le territoire de cet Etat. Mais cettepossibilité,
mon sens, ne dispense pas la Cour d'exposer, même dansle cadre d'une
demande en indication de mesures conservatoires,certaines des caracté-
ristiques fondamentales de la situation. On peut, bien sûr, arguer de ce
qu'un tel compte rendu apparaîtra dans l'examen au fond auquel se
livrera la Cour.Toutefois,ainsi que l'asoulignélaBosnie-Herzégovine,il
esttout àfaitpossible que la procédure n'atteignejamaisle stade de l'exa-
men au fond. Comment, d'ici a quelques années, ceux qui ne sont pas
suffisamment informés sur notre histoire contemporaine pourront-ils

saisir la portéeet la signification réellesde l'ordonnance de la Cour s'ils
n'ytrouvent pasune relation descirconstancessous-jacentes?
49. Pour important que soit ce compte rendu, il faut néanmoins
comprendreque desimpératifsdetemps,d'espace etdepertinence immé-
diate s'opposent à une narration complète,ou mêmecirconstanciée,des
événements.Les développements qui suivent sont donc nécessairement
étroitement axés surles données pertinentes eu égard à l'instance intro-
duite par le demandeur et seront brefs, au risque mêmed'êtretrop sché-
matiques.

3. Quelquesdonnées utiles

50. Avant 1990,la Yougoslavie, ou la République fédérativesocialiste

de Yougoslavie comme elle s'appelait alors (dénomination a laquelle
s'en tient le défendeur), comprenait six républiques constitutives - la
Serbie,le Monténégrol,a Slovénie,la Croatie, la Bosnie-Herzégovineet la
Macédoine - de mêmeque deux provinces autonomes. Sur une po-
pulation totale de 23 millions d'habitants, les Serbes étaient le groupe
le plus nombreux, comptant 8 millions de personnes, dont les trois
quarts vivaient en Serbie; 1900000 Musulmans, 1300000 Serbes et
750000Croates vivaient en Bosnie-Herzégovine. 51. In the autumn of 1990the power ofthe centralauthoritiesin Yugo-
slaviabegan todisintegratein the faceof separatisttendenciesin Slovenia,
Croatia, Bosnia-Herzegovinaand Macedonia. On 25June 1991Slovenia
and Croatia declared their independence. Soon aftenvards the federal
authoritiesbegan militaryaction to suppressthe Sloveniansecessionand

fightingbroke outin Croatia, especiallyin areasprincipallyinhabited by
Serbs.
52. The present Government of Yugoslavia is essentially a Serbian
authority closely tied to the Government of Serbia; and the Yugoslav
People's Army (JNA) today is a Serbian army controlled by the
Serbian authorities of the present Government of Yugoslavia and fully
supportive of Serbian aims.
53. Thegeneralidentification oftheposition ofthefederal Yugoslavia
authorities with that ofthe Serbswas demonstrated by a statementmade
in the Assembly of the Socialist Federal Republic of Yugoslavia on
19March 1992byDr. B.Jovic,who had earlierbeenthe Serbian member
ofthe YugoslavPresidency :
"The Serbianpeople. ..demanded respect and protection oftheir
legitimatenational and civilrights. When Croatia decided to secede
from Yugoslavia and form its own independent State, the Serbs
inhabitingtheir ethnicalterritories in this republicdecided to break
awayfromCroatia and remain within Yugoslavia ...

Faced with the serious danger of a more widespread conflict,the
Presidency of the Socialist Federal Republic of Yugoslavia
instructedthe Yugoslav People'sArmyto prevent such conflictsby
standingasa neutralforce betweenthe parties in conflict.However,
the Croatian authorities, instead of acceptinguch a mission of the
Yugoslav People's Army openly attacked not only the Serbian
people, which it branded as a band of outlaws, but also ... the
Yugoslav People's Army which it termed an army of occupation.
Thisis howwar wasthrust upon Yugoslavia.In sucha situationitwas
essentialto protectthe Serbianpeople from extermination."

Whatwasthere said aboutthe connection betweenthe YugoslavGovern-
ment and the Serbs in Croatia appears to be no less true in relation to
Bosnia-Herzegovina.
54. International awareness of this relationship is reflected in the
demand made by the SecurityCouncil in paragraphs 3 and 4 of resolu-
tion 752(1992)on 15May 1992"that al1forms of interferencefrom out-

side Bosnia-Herzegovina, including by units of the Yugoslav People's
Army (JNA), as well as elements of the Croatian Army, cease immedi-
ately..." and "that those units ofthe YugoslavPeople'sArmy(JNA)and
elements of the Croatian Army now in Bosnia-Herzegovinamust ... be
withdrawn".
55. For virtually 18months now, from February 1992to the present APPLICATION DE CONVENTIONGÉNOCIDE (OP.IND.LAUTERPACH4 2)6

51. A l'automne 1990,le pouvoir des autorités centralesen Yougosla-

vie a commencé à se désintégrer sous la poussée des tendancessépara-
tistesen Slovénie,Croatie, Bosnie-HerzégovineetMacédoine.Le 25juin
1991,la SlovénieetlaCroatie ontproclaméleurindépendance.Peuaprès,
les autorités fédéraleosnt eu recoursa la force arméepour réprimer la
sécessionen Slovénieet des combats ont éclaté en Croatie, particulière-
ment dans leszones où les Serbesétaient majoritaires.
52. L'actuel Gouvernement de la Yougoslavie estfondamentalement
uneautoritéserbe,étroitementliée au Gouvernement de Serbie.L'armée
populaire yougoslaveestaujourd'hui une arméeserbesouslecontrôledes
autorités serbesde l'actuel gouvernement de la Yougoslavie et elle est
entièrementau servicedesobjectifsserbes.
53. Cette identité généralede la position des autorités fédérales
yougoslaves etde celle des Serbesressort d'une déclaration faite devant
l'assembléede la République fédérative socialiste de Yougoslavie le
19 mars 1992par M. B. Jovic, ancien membre serbe de la présidence
yougoslave :

«Le peuple serbe ..a exigéle respect et la protection de ses légi-
times droits nationaux et civils.Lorsquela Croatie a décidéde faire
sécessionde la Yougoslavie et de former un Etat indépendant,les
Serbesregroupésethniquementsur certainsterritoires de cetterépu-
blique ont décidéde sedétacherdela Croatie etde demeurer au sein
de la Yougoslavie...
Face au gravedanger d'un élargissementdu conflit,la présidence
de la République socialiste fédérativede Yougoslavie a donné
l'ordreàl'arméepopulaire yougoslavedeprévenirdetelleshostilités

en agissant comme une force neutre entre les parties au conflit.
Toutefois, les autoritéscroates, au lieu d'accepter cette mission de
l'arméepopulaire yougoslave, ont ouvertement attaquénon seule-
mentlepeuple serbe,qu'ellesont accuséd'êtru enebandede hors-la-
loi, mais également ...l'armée populaireyougoslave, qu'elles ont
qualifiée d'armée d'occupationC . 'estainsi que la guerre a éclené
Yougoslavie.Dans une telle situation, il étaitessentielde protégerle
peuple serbe de l'exterminationD

Il apparaîtque cesdéclarationsrelativesauxliensentre leGouvernement
yougoslave et les Serbes en Croatie sont tout aussi vraies concernant la
Bosnie-Herzégovine.
54. Au niveau international, la conscience de cesliens est illustréepar
lesparagraphes 3et4delarésolution752(1992)du Conseildesécurité en
date du 15 mai 1992,dans laquelle le Conseil a exigé«que toutes les
formes d'ingérence extérieureen Bosnie-Herzégovine,y compris de la
part d'unitésde l'arméepopulaire yougoslave,de mêmeque d'éléments
de l'armée croate,cessent immédiatement ..» et «que ces unités de
l'arméepopulaire yougoslave et leséléments de l'armée croate actuelle-
ment en Bosnie-Herzégovinesoient ..retirés».
55. Depuis pratiquement dix-huit mois, c'est-à-dire de février1992427 APPLICATIONOF GENOCIDECONVENTION (SEP . P.LAUTERPACHT)

date, fighting has continued in Bosnia-Herzegovina between the Serbs
there, supported by Serbs in Serbia, by the Government of the Socialist
Federal Republic of Yugoslaviaand by the YugoslavNational Army,on
the one side, and the Bosnian Govemment and its supporters, mainly
Muslims,onthe other. During thisperiod the Muslimsin Bosnia-Herze-
govina have been exposed to slaughter and injury, to rape, torture and
starvation,to forcedexpulsion andto the destruction oftheir homes on an
appalling scale - al1directed against them because they are Muslims.
Town aftertown and villageafter villagewith exclusivelyor dominantly
Muslim populations have been attacked and the Muslim population
eitherkilledor expelledbythe Serbs :Goradze,Srebrenica, Bihac,Olovo,

Kladanj, Tula, Banja Luka, Zepa, Sandzak, Mostar, Sarajevo, Maglaj,
Konijc, Shippergai, Brcko - to name only those that have figured most
prominentIy in the reports.

56. The involvement of the Government of Yugoslavia (Serbia and
Montenegro) or ofthe SocialistFederal Republic of Yugoslaviain al1of
this activitycannot begainsaid and hasbeeninternationallynoted. In the
preamble to General Assemblyresolution 47/121 of 18December 1992
there appears an assessment of the Yugoslav Govemment's role that
receivedthe positivesupport of 102Members ofthe United Nations and
which, though 57 Members abstained in the vote, attracted no negative
votes :

"StrongiycondemningSerbiaand Montenegroand their surrogates
in the Republic of Bosniaand Herzegovinafortheir continued non-
compliance with al1relevantUnited Nations resolutions,

Deeplyregrettingthat the sanctionsimposed bythe SecurityCoun-
cil have not had the desired effect of halting the aggressiveacts by
Serbian and Montenegrinirregularforces and the directandindirect
support ofthe YugoslavPeople's Armyfor the aggressiveacts in the
RepublicofBosnia and Herzegovina ..." (emphasisadded).

57. Similarly, in the material provided by Bosnia-Herzegovina in its
currentrequestforthe indication of provisional measures there are some
16 indications of Yugoslav involvement in Serbian activity in Bosnia-
Herzegovina of which the most important is a clear acknowledgment to
this effectmade by Yugoslaviaitself. But,first,the earlierindications:

- On 16April 1993short-waveradio operators in Srebrenicareported
that formerYugoslavianarmytroops crossedtheDrina River separat-
ingBosniafromSerbiaand mountedtheir ownattack on Srebrenica.

- On 18April 1993the US Ambassador to the UN, Mrs. Madeleine
Albright, was reported as having said that the sanctionsimposed by APPLICATIONDECONVENTIONGÉNOCIDE (OP.IND. LAUTERPACHT) 427

jusqu7à ce jour, les combats se sont poursuivis en Bosnie-Herzégovine
entre,d'unepart, lesSerbesbosniaques,soutenus par lesSerbesdeSerbie,
leGouvernement dela Républiquesocialistefédérativd eeYougoslavieet
l'arméenationale yougoslave et, d'autre part, le Gouvernement bos-
niaque et sespartisans, essentiellementdes Musulmans.Au coursde cette
période, les Musulmans se trouvant: en Bosnie-Herzégovineont été
victimes de massacres, mutilations, viols et tortures, ont été affamst
expulséspar la force et leurs foyersont étdétruits,letoutàune échelle
effrayante,du seulfait qu'ilssont Musulmans.L'unaprèsl'autre, lesvilles
et villages dont la population étaitexclusivement ou à prédominance
musulmaneont été attaquésetlesMusulmansqui s'ytrouvaientont été ou
tués ou expulséspar les Serbes: Goradze, Srebrenica, Bihac, Olovo,

Kladanj, Tuzla, Banja Luka, Zepa, Sandzak, Mostar, Sarajevo, Maglaj,
Konijc, Shippergai, Brcko - pour ne nommer que les localitésdont les
médiasont leplus parlé.
56. La participation du Gouvernement de la Yougoslavie (Serbie et
Monténégro)oude la République fédérativesocialistd ee Yougoslavie à
toutes ces activitésne saurait être niée eitl en a pris acte au niveau
international. Dans le préambulede la résolution47/121 adoptée par
l'Assembléegénéralele 18décembre1992,on trouve l'appréciationci-
aprèsdu rôledu Gouvernement yougoslave,appréciation quiaeul'appui
de cent deux Etats Membres del'organisation des Nations Unies et qui,
malgrél'abstention de cinquante-sept Etats, n'a donnélieuà aucun vote
contre :

«CondamnanténergiquemelnatSerbieetleMonténégro,ainsique
leurs agentsen Bosnie-Herzégovine,pour leur refus constant de res-
pecterlesdiversesrésolutionsdel'OrganisationdesNationsUnies,

Regrettantprofondémenq tuelessanctionsimposéespar leConseil
de sécurité n'aientas eu l'effetdésiré,savoirmettre un terme aux
actes agressifs des forces irrégulièresserbes et monténégrines ainsi
qu'àl'appuidirectetindirectdeIArméepopulairyeougoslave àcesactes
agressifsdanslaRépublique de Bosnie-Herzégovine.» (Lesitaliques
sont de moi.)

57. De même, lesdocuments fournis par la Bosnie-Herzégovine à
l'appui de sa seconde demande en indication de mesures conservatoires
donnent quelque seizeexemples de participation yougoslave à des acti-
vitésserbes en Bosnie-Herzégovine,leplus marquant étant la reconnais-
sancepar la Yougoslavie elle-même defaitsqui corroborent cettepartici-
pation. Mais voyonsd'abord lespremiersexemples :

- Le 16avril 1993,des opérationsde radio sur ondes courtes à Srebre-
nica signalent que desunitésde l'ex-arméeyougoslaveont traverséla
Drina quiséparela Bosniedela Serbieetontlancéleurpropreattaque
contreSrebrenica.
- Le 18avril 1993, Mme Madeleine Albright, représentante des Etats-
Unis auprèsde l'ONU, déclareque lessanctionsimposéespar l'ONU the UN on Yugoslaviawerea means ofbringinghome to the Bosnian
Serbs and their alliesinSerbiaand Montenegrothe price they would
have to pay fortheir genocidal practices.
- On 19April 1993Lord Owen, the Mediator appointed by the Euro-
pean Community, was reported as having confirmed that supplies to
the BosnianSerbswerecomingthrough Belgradeand suggestedselec-
tive bombing strikes to prevent Belgrade from giving the Bosnian
Serbslogisticalsupport.
- On 20 April 1993 Senator Biden, a US Senator, referred in the
US Senate Foreign RelationsCommittee to intelligencereports indi-

cating that the Yugoslav National Army in Serbia was "directly
responsiblefor atleastpart oftheshellingofSrebrenica".

- On 27 April Lord Owen was reported as saying that "If Yugoslavia
applied the UN resolutions andcuttheBosnian Serbsfrom the supply
sourcessuch a step could lead to peace fairly quickly." (Emphasis
added.)

58. On orabout 8May 1993two communiquéswereissuedby, respec-
tively,the Government ofthe Republic of Serbiaand the Government of
Yugoslavia (Serbia and Montenegro) which contained direct and con-
cretestatementsofthe involvementofthose two,well-nighindistinguish-
able, authorities in the provision of arms and equipmenf to the Bosnian
Serbs.
59. The communiquéof the Government of Serbia said, interalia:

"Firmlybelievingthat ajust battleforfreedom and the equality of
the Serbianpeople is being conducted in the SerbRepublic [Le.,the
so-called "Republic of Srpska" proclaimed by the Bosnian Serbs
within Bosnia-Herzegovina], the Republic of Serbia has been

unreservediy and generously helping the Serb Republic, in spite
of the enormous problems it had to face due to the sanctions intro-
duced againstit by the UN SecurityCouncil.

Since the conditions for space [sic.Query, peace] have been met,
the Governmentalsoagreed that any further economicdepletion of
the Republic of Serbia is now unjustified and unsupportable, and
that future aid to the Serb Republic should be limited to food and
medicines in such quantities as the competentministries will deter-
mine. The Government of the Republic of Serbiaalso believesthat,
as the conditions for establishing peace have been reached, any
further aid in funds, fuel, raw materials etc., provided until now
with great sacrifices by the Republic of Serbia itself, is notjustified
any more." contrela Yougoslavievisent à fairecomprendre aux Serbes de Bosnie
et àleursalliésenSerbieetauMon.énégrlo e prix qu'ilsaurontà payer
pour leurs actesdegénocide.
Le 19avril 1993,lord Owen, médiateur nommépar la Communauté
européenne,confirmeque les Serbesbosniaques reçoiventdes appro-
visionnements par l'intermédiairede Belgrade et suggèrede procéder
àdesbombardements sélectifspour empêcherBelgradedefournir un
appui logistiqueaux Serbesbosniaques.
Le 20 avril 1993, le sénateur Biden, parlant à la commission des

affaires étrangèresdu Sénat des Etats-Unis,fait étatde rapports des
services de renseignements selon lesquels l'armée nationale yougo-
slave en Serbieétait directementresponsable en partie au moins du
bombardement deSrebrenica ».
Le 27 avril, lord Owen aurait déclaré: «Si la Yougoslavie appliquait
les résolutions de l'ONU et coupait les Serbes bosniaques de leurs
sourcesd'approvisionnement,cettemesurepourrait conduire à la paix
assezrapidement. »(Lesitaliquessont demoi.)

58. Le8mai 1993ouauxenvirons de cettedate, le Gouvernement de la
République de Serbie et le Gouvernement de la Yougoslavie (Serbie et
Monténégro)ont chacun publiéun communiqué contenant des affirma-
tions directes et concrètesconcernant leslivraisonsd'armes et dematériel
aux Serbesbosniaques par cesdeuxautorités,pratiquement impossibles à

distinguerl'une de l'autre.
59. Le communiqué du Gouvernement de la République de Serbie
disait,notamment :

Fermement convaincue qu'un juste combat pour la liberté et
l'égalitdu peuple serbe est actuellementmené dans la République
serbe[c'est-à-direla prétendue Républiquede Srpska ))proclamée
par les Serbesbosniaques en Bosnie-Herzégovine],la Républiquede
Serbieavait aidégénéreusementetsans réserveslaRépubliqueserbe,
malgréles problèmes énormes auxquels elle a eu à faire face en
raison des sanctions décrétées contreelle par le Conseil de sécurité
de l'ONU.

Etant donnéqueles conditionsterritoriales [oude la paix?] ont été
satisfaites, le gouvernement est aussi convenu que tout appauvrisse-
ment économiqueultérieurdelaRépubliquede Serbieestmaintenant
injustifiéet injustifiable, et que l'aide futurea République serbe
devraitselimiter auxdenréesalimentaireset auxmédicamentsendes

quantitésquedéterminerontlesministèrescompétents.LeGouverne-
ment de la Républiquede Serbieaaussila convictionque, puisque les
conditions de l'établissementde la paix ont été réaliséeto,ute aide
ultérieure en fonds, carburants et combustibles, matières premières,
etc.,fourniejusqu'à présentau prix de grandssacrifices par la Répu-
blique de Serbieelle-mêmen'estplusjustifiée. » 60. The communiquéof the Federal Government said, interalia:
"Bearing in mind the immediate adverse effects of UN Security

Council resolution 820on the economicpower of the FRY and the
socialposition ofthe majority ofitscitizens,theFederal Government
is forced to adjust al1future aid to the Republic of Srpska with its
objectiveeconomicpossibilities andto reduce it exclusivelyto con-
tingents of food and medicaments."

61. Thecontent of these two communiquésisevidence,falling intothe
category of "declarations against interest" which are of special cogency
(see Militaryand ParamilitaryActivitiesinandagainst Nicaragua (Nicara-
gua v. UnitedStatesofAmerica),I.C.J.Reports1986,p. 42,para. 69),that,
at any rate up to the date on which the communiquéswere issued, the
Federal Republic and the Republic of Serbia had been providing assist-
ance to the Serbs in Bosnia in breach of the Security Council embargo.

62. Any claims that after that date such assistance must have ceased
does not seem compatible with evidence of subsequent Serbian
behaviour :

- On 13May 1993the WashingtonPostreported that over a period of
fivehours on 12May at least a half-a-dozenlargetankers and a score
or more of other trucks wereseen crossing Serbiato the Bosnian Serb
enclosure of Bijeljina, used as a base and staging area for Serbian
attacks against Bosnia. And this was said to be confirmed by "many
observers".

- On 18May 1993CNN reported that "diplomats suggested that mili-

tary supplies werestillpassingfrom the 'rump'Yugoslaviato the Bos-
nian Serbs".
- On 19 May 1993 me Independentreported that Serbian President
Milosevicrefused to allow UN observers on the Drina River because
the move would highlight Belgrade's non-enforcement of a pro-
claimed blockade against the Bosnian Serbs. A week later the New
YorkTimes carried asimilarreport.

- On 23 May 1993ne Sunday %es reported that "along the narrow,
windingroads of Bosanska Raca, largenumbers of suppliesfrom the
rump Yugoslaviatothe BosnianSerbswaswitnessed".

- Lastly,on 24June 1993me Independentreported that James Gow, a
military specialist at King's College, University of London, consid-
eredthatthe Bosnian Serbshaveabout 60,000troops,reinforced byup
to 20,000soldiers from the Yugoslav(Serbia and Montenegro) Army,
thatthe BosnianSerbs receivedcrucial support fromirregular militias APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP.IND. LAUTERPACHT) 429

60. Lecommuniquédu gouvernementfédéral disaitnotamment:

((Considérant les effets défavorables immédiats de la résolu-
tion 820du Conseil de sécuritédel'ONU sur lepouvoir économique
de la RFY et la situation sociale de la majorité de ses citoyens,le
gouvernementfédéralestobligéd'ajustertoute aide future à laRépu-
blique de Srpska à ses possibilités économiquesobjectives et de la
limiter exclusivement àdes livraisons de denrées alimentaires et de
médicaments. »

61. La teneur de ces deux communiqués constitue des élémentsde
preuve, rentrant dans la catégoriede ceux ((qui vont à l'encontre))des

(([propres] intérêts)) deleurs auteurs et qui ont une force probante
spéciale(voir Activitésmilitaires etparamilitaires au Nicaragua et contre
celui-ci(Nicaragua c. Etats-Unis dgmérique), C.I.J. Recueil 1986,p. 42,
par. 69)à l'effetquela Républiquefédérative etla Républiquede Serbie,
en tout cas jusqu'à la datea laquelle ces communiquésont étépubliés,
avaient fourni une assistance aux Serbes bosniaques en violation de
l'embargo décrété par le Conseil de sécurité.
62. Les prétentions selon lesquelles une telle assistance aurait cessé
après cette date ne semblent pas cadrer avec les informations dont on
dispose au sujet du comportement ultérieur des Serbes :

- Le 13mai 1993,un correspondant du WashingtonPost rapporte que
pendant cinqheures, le 12mai, aumoinsune demi-douzaine degrands

camions-citernes etune vingtained'autres camionsouplus ont été vus
alors qu'ils traversaient la Serbie pour se rendre dans l'enclave serbe
bosniaque de Bijeljina,qui a servidebase et de tremplin pour les atta-
ques serbes contre la Bosnie. Et il ajoute que cela a été confirmépar
«de nombreuxobservateurs B.
- Le 18mai 1993,CNN diffuse un bulletinselonlequel «desdiplomates
ontindiquéquedesapprovisionnements militairescontinuaientd'être
acheminésdecequireste delaYougoslavieauxSerbesbosniaques ».
- Le 19mai 1993,un article du quotidien TheIndependentrapporte que

le président serbe,Milosevic, a refuséd'autoriser les observateurs de
l'ONU à patrouiller sur la Drina parce que l'opération aurait mis en
évidenceque Belgrade n'applique pas le blocus proclamé contre les
Serbes bosniaques. Une semaineplus tard, le NewYorkTimespublie
un articleanalogue.
- Le23mai 1993,leSunday Timesécritque ((lelongdesroutesétroiteset
sinueuses de Bosanska Raca, on a observéune forte circulation de
véhiculesde ravitaillementallant de ce qui reste de la Yougoslavie à
destinationdesSerbesbosniaques.
- Enfin, le 24 juin 1993, on lit dans The Independent que selon

M.James Gow, spécialistemilitaireau King'sCollege del'université
de Londres, lesSerbesbosniaquesontenvironsoixante millehommes,
renforcés par quelque vingt mille soldats de l'armée yougoslave
(Serbie et Monténégro),que les Serbesbosniaques reçoivent un appui basedin Serbiaandthat the Yugoslav(Serbiaand Montenegro) Army
assistedthe BosnianSerbswithhelicoptermissions.

63. SinceMay 1993therehas been evidencethat the Croatsin Bosnia-
Herzegovina, who had previously been fighting alongside the Muslims
against the Serbs, werethemselvesjoining in the attack upon the Mus-
lims - seemingly in fulfilment of some agreement between Serbs and
Croats to divide Bosnia-Herzegovinabetween themselvesat the expense
ofthe Muslims.This,however,does not serveto reducethe responsibility
ofthe Serbs,oroftheYugoslavauthoritiessupportingthem, forwhatthey
have done and arecontinuingto do. It merelycreatesa situation in which
the liability ofthose who lend assistance to the Bosnian Croats may
become involved.
64. Aswillreadilybe seenupon acomparison ofthe material setout in
paragraphs 57-62above with the content of the Bosnian second request

forprovisional measures,the content of those paragraphs has been taken
from that request with little more than minor verbal changes. This is
because it isthe onlymaterial on thisaspect ofthe dispute (asopposed to
the accusations of genocidemade bythe Serbsagainst the Bosnians)that
has been presented to the Court; and it has not been rebutted in any cir-
cumstantialdetailbythe Respondent.Nodoubt itcanbesaid ofseveralof
the items here set out that they are only secondaryreports derived from
sources that are not sufficientlyidentified. However,some of the items,
notablythose attributed to Lord Owen,arenotopento that criticism.And
the communiquésof 8 May 1993of the Serbian and Yugoslav Govern-
mentalso appearto be authentic.

65. It isthe overallimpact ofthe reports taken asa wholethat matters.
One must ask: are the secondaryreports likelyto be inaccurate or falsi-
fied? What interestwould the reputablenewspapersin whichthe reports
appeared have in inventingnews of this kind? And why should so many
invent the same news, pointing the same accusatoryfingers at the same
parties?

66. Butevenifthe reports are tme, dothey reallyestablishthe involve-
mentofthe Respondent inthe activitiesofthe BosnianSerbs ? And evenif
the reports do establishsuch involvement,wasit an involvementin geno-
cide or genocidal activitie?

4. TheInvolvementof theRespondent

67. As to the first of these questions,it seems impossibleto avoid the
conclusionthat the RespondentState wasinvolvedintheactions taken by
the Serbs in Bosnia-Herzegovina.Apart from the positive nature of the
evidencetothat effect,oneisbound to ask:howcouldthe Serbsin Bosnia- crucial des milices irrégulièresbaséesen Serbie et que les Serbes
bosniaques sont assistéspar desmissionsd'hélicoptères exécutépesr
l'armée yougoslave(SerbieetMonténégro).
63. Depuis lemoisdemai 1993,on avulesCroatesenBosnie-Herzégo-
vine, qui jusqu'alors combattaient aux côtés des Musulmans contre les
Serbes,sejoindre eux-mêmesaux attaques contreles Musulmans, appa-

remmentdans lecadred'unaccordquiauraitétéconcluentrelesSerbeset
lesCroates pour diviserla Bosnie-Herzégovineentre euxaux dépens des
Musulmans. Toutefois,cela ne contribue pas àréduirela responsabilité
des Serbes,ou des autoritésyougoslavesqui les appuient, pour ce qu'ils
ont fait et continuent de faire. Cela créeseulement une situation qui
permet de mettreen causelaresponsabilitéde ceuxquiprêtent assistance
auxCroates bosniaques.
64. Comme le montre immédiatementune comparaison de ce qui est
dit aux paragraphes 57 à 62 ci-dessus et de la teneur de la seconde
demandeen indication de mesuresconservatoires de la Bosnie-Herzégo-
vine, les paragraphes en question ont été reprisde cette demande avec
seulement de très légèresmodifications rédactionnelles. En effet, ces
informations sont lesseulesconcernant cet aspect du différend qui aient
été présentées à la Cour (à la différence des accusations de génocide
lancéespar les Serbescontre les Bosniaques) et n'ont pas étéréfutéde
fagon circonstanciéepar le défendeur. Certes,on peutdireque plusieurs
desélémentsexposéis cineconstituentquedes rapports desecondemain,
provenant de sources insuffisamment identifiées. En revanche,il en est

certains, etplusparticulièrement ceuxquisontattribuésàlord Owen,qui
ne souffrent pas cette critique. Et les communiquésdu 8 mai 1993du
Gouvernementserbe etdu Gouvernement yougoslavesemblentaussiêtre
authentiques.
65. Ce qui compte, c'estl'impact globaldes articles et récitspris dans
leur ensemble. Il faut se poser la question suivante: les rapports de
seconde main sont-ils vraisemblablement inexacts ou falsifiés? Quel
intérêltesjournaux réputésdans lesquelscesarticlesontparu auraient-ils
àinventerdes nouvelles de cegenre? Et pourquoi cesjournaux seraient-
ils sinombreux àinventerlesmêmesnouvellese ,npointant lemême doigt
accusateur verslesmêmes parties?
66. Cela étant,mêmesice que disentcesarticlesestvrai,établissent-ils
vraiment la participation du défendeur aux agissements des Serbes
bosniaques? Et même sicesarticles établissentcetteparticipation, est-ce
une participationà un génocide ou àdes actes de génocide?

4. La participationdudéfendeur

67. S'agissantde la première question,il sembleimpossible de ne pas
conclure que 17Etatdéfendeur a participé auxactesdes SerbesenBosnie-
Herzégovine.Indépendamment du caractère positif des élémentsde
preuveencesens,forceestdesedemander commentlesSerbesenBosnie- 431 APPLICATION OFGENOCIDECONVENTION (SEP .P. LAUTERPACHT)

Herzegovinahavemounted a campaign of such intensity and duration if
they had not receivedexternal aid? And where could, or would, such aid
have comefrom, if not from the Respondent State? At the very least,the
effect of the evidence is to shift the burden of proof completely to the
Respondent. It has made no attempt to meet this burden, even to the
limited extent that would have been open to it within the framework of
the proceedings for interim measures.

5. HusGenocideBeenCommitted?

68. In determining - evenprovisionally - whethergenocidehasbeen
committed,the point ofdeparture is, ofcourse,the definition ofgenocide
in Article II ofthe Genocide Convention :

"In the present Convention,genocide means any ofthe following
actscommitted with intent to destroy,in whole or in part, a national,
ethnical,racial or religiousgroup, as such :

(a) Killingmembers of the group ;
(b) Causingseriousbodilyormentalharm to membersofthegroup ;

(c) Deliberatelyinflicting on the group conditions oflifecalculated
to bring about its physical destruction in whole or in part;
(d) Imposingmeasuresintendedto preventbirths withinthe group ;

(e) Forciblytransferring children of the group to another group."
69. The Yugoslavconduct alleged by the Applicant in its first request
of March 1993consistedof

"military and paramilitary activities, including the bombing and
shelling of towns and villages,the destruction of houses and forced
migration of civilians, and acts of violence, including execution,
murder, torture and rape".

In the light ofthematerial availableto the Court in April 1993and which
has accumulated further since then, it is impossible to deny either the
occurrence or the massive scale of these crimes. The evidencealso indi-
cates plainly that, in particular, the forced migration of civilians, more

commonly known as "ethnic cleansing", is,in truth, part of a deliberate
campaign by the Serbsto eliminate Muslim control of, and presence in,
substantial parts of Bosnia-Henegovina. Such being the case, it is diffi-
cult to regard the Serbian acts as other than acts of genocide in that they
clearly fa11within categories (a),(b)and (c)of the definition of genocide
quoted above, they are clearly directed against an ethnical or religious
group as such,and they areintended to destroythat group, ifnot inwhole Herzégovinepourraient avoir menéune campagne si intense et silongue
s'ilsn'avaient reçuune aide extérieure?Et d'oùune telle aide aurait-elle

pu venirou serait-elleeffectivementvenue sicen'estde 1'Etatdéfendeur?
Lesélémentsprobantsont àtout lemoinspour effetde renversercomplè-
tement le fardeau de la preuve, qui incombe ainsi au défendeur. Ce
derniern'amême pastenté des'endéchargerenadministrantcettepreuve,
mêmedans la mesure limitéedans laquelle il lui aurait été loisible de le
faire dans le cadre d'une procédure relativàune demande de mesures
conservatoires.

5. Ungénocide a-t-ilétcommis?

68. Pour déterminer, mêmeprovisoirement, si un génocide a été
commis,ilfaut bienentendu prendre commepoint de départladéfinition
du génocidedonnéeàl'articleII de la convention sur legénocide :
«Dans la présente Convention le génocide s'entendde l'un quel-
conque des actes ci-après,commis dans l'intention de détruire,en

tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux,
commetel :
a) meurtre demembresdugroupe;
b) atteinte graveà l'intégrité physiquou mentale de membres du
groupe ;
c) soumissionintentionnelle dugroupe à desconditions d'existence
devantentraîner sadestructionphysiquetotale ou partielle;
d) mesuresvisant àentraverlesnaissancesauseindu groupe ;

e) transfert forcéd'enfants dugroupe àunautre groupe.»
69. Dans sa première demande en indication de mesures conserva-
toires, en mars 1993,le demandeur allègueque la conduite yougoslave a
consistéen

«activitésmilitairesetparamilitaires,ycomprislebombardement et
le pilonnage de villes et de villages,la destruction de maisons et le
déplacementforcé de civils,etdes actesdeviolence,ycompris l'exé-
cution,le meurtre, la torture et leviol

A la lumière des informations dont la Cour disposait en avril 1993et de
cellesqui sesontaccumuléesdepuis lors,il estimpossible de nier que ces
crimessesontproduits ni qu'ilsont étécommis à une échellemassive.Les
éléments de preuve font aussi clairement ressortir que, notamment, les
déplacementsforcés de civils,pluscourammentdésignés par l'expression
de «purification ethnique »,font envéritépartie d'une campagnedélibé-

réede la part des Serbespour éliminerle contrôle, voire la présence, des
Musulmans dans de vastesrégionsde la Bosnie-Herzégovine.Leschoses
étantainsi,ilestdifficiledenepasvoirdans lesagissementsdes Serbesdes
actes de génocide,dans la mesureoùilsrentrent nettement dans lescaté-
gories a),b)et c)de la définitiondu génocidecitéeci-dessus; ces agisse-432 APPLICATION OF GENOCIDECONVENTION (SEP .P.LAUTERPACHT)

certainly in part, to the extent necessary to ensure that that group no
longer occupies the parts of Bosnia-Herzegovinacoveted by the Serbs.
The Respondent stands behind the Bosnian Serbsand it must,therefore,
be seenas an accompliceto, ifnot an actual participant in,thisgenocidal
behaviour.

70. Shouldthere be any disposition to regard "ethnic cleansing" as no
more than an aspect of a particularly viciousterritorial conflictbetween
Serbsand Muslimsand,therefore,as not beingcarried out "with intent to
destroy, in whole or in part,[n]... ethnical...or religious group, as
such",itmustberecalledthatthe Respondent has itselfalsocharacterized
"ethnic cleansing or comparable conduct" as genocide. In its request of

1 April 1993(discussed in paragraphs 24-37above in connection with
forumprorogatum)the Respondent adopted a broad viewofgenocide by
speaking(inits secondproposal) of "the genocide ofthe Serbs" as aon-
sequence of "the commission of very serious war crimes". Further, and
morespecifically,in itsixthproposal, the Respondent requested, within
the framework of its assertion that thejurisdiction of the Court was
limitedtodisputesarising under the GenocideConvention, thatthe Court
should direct the Applicant "to put an end to..the practice of 'ethnic
cleansing"'. Mostrecently,intheforma1submissionsmade atthecloseof
the hearings on 26 August 1993,the Respondent asked the Court to
require the Applicant Government

"in pursuance ofits obligation under the [Genocide]Conventio...
[to]take al1measures withinits power to prevent commission of the

crime ofgenocideagainst the Serbethnic group".

Sincethe evidencepresently before the Court of such "genocide against
the Serb ethnic group" is of a limitedd, and in terms of expulsion by
Bosnian Muslims of Bosnian Serbs from the areas in which they were
living does not approach the same order of magnitude as the expulsion
of Bosnian Muslims by the Serbs, it would appear a fortiori that the
Respondent alsoregards the "ethnic cleansing" ascarried outin this-
flict as abreach ofArticle II ofthe Genocide Convention.

IV. CONSIDERAT IF NHE MEASURE SOSUGHT
IN THECURRENR TEQUEST

71. 1 now turn to consider the provisional measures sought in the
current request. APPLICATIONDE CONVENTION GÉNOCIDE (OP.IND.LAUTERPACH4 T)2

ments sont a l'évidencedirigéscontreun groupe ethniqueou religieux en
tant quetel etvisent àdétruirecegroupe, sicen'estentotalité,assurément
enpartie, etsuffisamment pour garantir que cegroupe n'occupera plus les
régionsde la Bosnie-Herzégovineque les Serbes convoitent. Le défen-
deur, étant derrière les Serbes bosniaques, doit par conséquent être
regardécommeun complice - àdéfautd'êtreun véritableparticipant -
dans cettepolitique de génocide.
70. Sid'aucuns étaienttentésde considérerla((purification ethnique»
commerien de plusqu'un desaspectsd'un conflit territorial particulière-
mentbrutal entre SerbesetMusulmans et,par conséquent,commen'étant
pas commise«dans l'intention de détruire,entoutouen partie, un groupe

...ethnique ..ou religieux, commetel »,il faudrait rappeler que le défen-
deur lui-mêmea aussiqualifiéla((purification ethnique ouune conduite
comparable» comme étantun génocide.Dans sa demande du le' avril
1993(examinéeauxparagraphes 24 à37ci-dessus àpropos de la question
du forum prorogatum), le défendeur a adopté une position qui prend le
génocideau sens large en évoquant(dans sa deuxième proposition) «le
génocidedesSerbes»comme étantlaconséquencede «la commission de
crimes de guerretrès graves».De plus, et plus spécifiquement, le défen-
deur a demandédans sa sixièmeproposition, tandis qu'il affirmait que la
compétencede la Cour étaitlimitéeaux différendsrelevantde la conven-
tion sur le génocide,que la Cour ordonne au demandeur de ({mettreun

terme ..auxpratiques de ((purification ethnique ».Tout récemment,dans
les conclusions formelles qu'il a présentéesà la fin des audiences, le
26août 1993,le défendeurademandé àla Cour d'ordonner au gouverne-
ment demandeur,

conformément àl'obligation qui estlasienne envertu de laconven-
tion sur[legénocide]..[de]prendre toutes lesmesuresquisontenson
pouvoir pour prévenirla commission du crime de génocidecontrele
groupe ethnique serbe».

Comme lesinformations dont la Cour disposeactuellement au sujetd'un
tel «génocide contre le groupe ethnique serbe»sont de nature limitée et
comme l'expulsion des Serbesbosniaques par lesMusulmansbosniaques
deszones dans lesquelles ils vivaient est loin d'atteindre l'ordre de gran-
deur desexpulsionsdesMusulmansbosniaques par lesSerbes,ilsemble à
fortiorique le défendeurconsidèreaussila ({purificationethnique »,telle
qu'elle estpratiquée dansle présent conflit,commeune violation de l'ar-

ticleII de la convention sur le génocide.

IV. EXAMEN DES MESURES SOLLICITÉES
DANS LA PRÉSENTE DEMANDE

71. J'enviens maintenant àl'examen des mesures conservatoiressolli-
citéesdans la présente demande.433 APPLICATION OFGENOCIDECONVENTION (SEP .P.LAUTERPACHT)

1. fie FirstRequest

72. Thefirst request is:

"That Yugoslavia (Serbia and Montenegro) must immediately
cease and desist from providing, directly or indirectly, any type of
support. ..to anynation, group [etc.]in Bosniaand Henegovina for
anyreason or purpose whatsoever."

73. This request is too broad to be granted intoto.Thejurisdiction of
the Court has been invoked under Article IX of the Genocide Conven-
tion,thescopeofwhichislimitedtodisputesrelatingto theinterpretation,
application or fulfilment of the Convention, including those relating to
the responsibility of a Statefor genocide or for any ofthe other acts enu-
merated in Article III, namely,conspiracy,incitement,attempt and com-
plicity - al1directly related to genocide. In so far as no other, more
generalground oftheCourt's jurisdiction canbevalidlyestablished,con-

duct unrelated to genocide does not properly fa11within the scope of the
Application. Sincethisrequestcallsfor anindication ofmeasuresprohib-
iting certain conduct not in itself of a genocidal character,.e., "for any
reason orpurpose whatsoever", itself-evidentlygoesbeyond the limitsof
conduct directed towards the commission of genocide and related mat-
ters. In viewofthis, 1would restrict the grant ofthe first requestto geno-
cide-related activity. The identification of such activity is dealt with in
connection with the requests that follow and my conclusions appear in
paragraph 122below.

2. ne Second Request

74. The second request is :

"That Yugoslavia (Serbia and Montenegro) and al1of its public
officials.. .must immediately cease and desist from any and al1
efforts... to partition, dismember,annex or incorporate the sover-
eignterritory of Bosniaand Henegovina."

75. In order to fa11within the terms of the Genocide Convention, the
Applicant must showthatthe conduct which it asksthe Courtto bring to
an end and prohibit (i)isaimed atthe destruction,in wholeorinpart, ofa
national, ethnical,racial orreligiousgroup; (ii)withtheintentto destroyit
as such in whole or in part; (iii)by killing membersofthe group, causing
them serious bodily or mental harm, etc., as set out in Article II of the
Convention. 1. Lapremière mesure sollicitée

72. La premièremesureselit commesuit :

«La Yougoslavie (Serbie et Monténégro) doit immédiatement
mettre fin et renoncer à toute aide, directe ou indirecte..à toute
nation ou tout groupe [etc.]en Bosnie-Herzégovinepour quelque
motif oubut que cesoit. D

73. La mesuresollicitéeesttrop vastepour que l'onpuisse yfairedroit
intégralement.La compétencede la Cour a étéinvoquée en vertd ue l'ar-
ticle IX de la convention sur le génocide, dont la portéeest limitéeaux
différends relatifsà l'interprétation, l'applicationou l'exécutionde la
convention, y compris les différendsrelatifsàla responsabilité d'un Etat

en matièrede génocideou del'un quelconque des actes énumérés àl'ar-
ticleIII, c'est-à-dire l'ententeen vuede commettrelegénocide,l'incitation
directe etpublique à commettrelegénocide,latentativede génocideet la
complicité dansle génocide - actes qui sont tous directement liésau
génocide.Dans lamesureoù nulle autrebase,plusgénéraled , ela compé-
tence de la Cour ne peut valablement être établie, desagissements sans
rapport aveclegénociden'entrent pas àproprement parler dans lechamp
de la requête. Comme cettedemande sollicite l'indication de mesures
interdisant une certaineconduitequiensoi n'apaslecaractèred'un géno-
cide, comme l'expliquent les mots ((pour quelque motif ou but que ce
soit»,il estévidentqu'elle vaau-delà des limitesd'un comportement qui
viseà commettreun génocideettout cequi s'yrapporte. Comptetenu de
ce qui précède, j'accorderais la première mesure conservatoire deman-
dée,maisenlalimitantauxactivitésliées àungénocide.Commentidenti-
fier cesactivités,c'estcequej'exposeenexaminant lesautresdemandeset

on lira mes conclusions auparagraphe 122ci-après.

2. La deuxièmemesuresollicitée

74. La deuxièmemesureest ainsi rédigée :

«La Yougoslavie(Serbieet Monténégroe )ttous sesreprésentants
officiels..doivent immédiatement mettre fin et renoncer à tous
efforts...en vue de partager, démembrer, annexer ou absorber le
territoire souverain de la Bosnie-Herzégovine.

75. Pour pouvoir indiquer lestermes de la convention sur legénocide,
ledemandeur doitétablirquelaconduite qu'ildemande àlaCourde faire
cesseretd'interdiresecaractérisepar desactesvisant à: i)détruire,entout
ouen partie, un groupenational, ethnique,racial ou religieux;ii)commis
dans l'intention de détruireen tout ou en partie un tel groupe; iii)par le

meurtre de membres du groupe, par des atteintes graves à l'intégrité
physique ou mentaledesmembres du groupe, etc.,commeil estdit àl'ar-
ticle II de la convention.434 APPLICATION OF GENOCIDECONVENTION (SEP .P.LAUTERPACHT)

76. It isto be noted that the actions which the second request seeks to
prevent are al1limited by the words that describe their objective, i.e., "to
partition, dismember, annex or incorporate the sovereign territory of
Bosnia and Herzegovina".
77. Of thefour kinds of groups expressly protected by Article II ofthe
Convention - national, ethnical,racial or religious- evidently the only
one that couldbethreatened by measures which arerequestedinterms of
protecting the integrity of "the sovereign territory" of Bosnia and Herze-
govina is a "national" group. The question is, therefore, what national

group isthreatened bythe conduct described and whetherthis conduct is
beingcarried out with intent to destroy that group.

78. Onceone speaks of a "national" group defined by reference to the
people resident within the territory of Bosnia-Herzegovina, one immedi-
ately excludes any "national" group that may be described by reference
exclusivelyto asingleethnical,racial orreligiousqualification.The popu-
lation of Bosnia-Herzegovinaincludes not only Muslim elements, but
also Serbs,Croats and other minority religious or ethnical groups. Since
the conduct which is the subject of the evidenceproduced by the Appli-
cant isaimednot at al1thepeople of Bosnia-Herzegovina,but principally
at the Muslim population, it cannot be said to be aimed at the "nation",

i.e.,the totality of the people, that livesin the territory of that country.

79. Whileitwould beundesirable to adopta restrictive viewofthe con-
cept of genocide as covered by the Convention, care mustbe taken that a
treaty aimed at preventing and punishing a relatively specific evil is not
converted into a device for challenging territorial change even though
brought about by conflict. International law, to the extent that it can be
effective in this most difficult of areas, already has available to it the
necessary legal rules, in the shape principally of those that deny legal
effecttoterritorial changebrought about byaggression.It isnot necessary

for thispurpose to invoke and overstretch the Genocide Convention. 1
would,therefore, deny the secondrequest.

3. TheThirdRequest

80. The third request is:

"That the annexation orincorporation ofany sovereignterritory of
the Republic of Bosnia and Herzegovina by Yugoslavia (Serbia and
Montenegro) by any means orforanyreasonshallbe deemed illegal,
null, and void abinitio."

81. It is beyond question that territory cannot lawfully be acquired by
the aggressiveuse of force and that such acquisition is in theory null and
void unless and until ratified by consent on the part of the State whose 76. Ilyalieu de releverque lesactesque la deuxièmemesuresollicitée
viseàempêchersont tous limitéspar les motsqui décriventleur objectif:

«partager, démembrer,annexerou absorber le territoire souverain de la
Bosnie-Herzégovine ».
77. Des quatre catégoriesde groupes expressémentprotégép sar l'ar-
ticle II de la convention (groupes nationaux, ethniques, raciaux ou reli-
gieux), il est clair que le seul qui pourrait être menacépar les mesures
décrites dans la demande par les mots «le territoire souverain)) de
Bosnie-Herzégovineest un groupe «national ». La question qui se pose
estdonc desavoirquelgroupenational estmenacépar lesactesqui ontété
décritsetsicesactessont commisdans l'intentiondedétruirelegroupe en
question.
78. Dèsqu'on évoqueun groupe«national »,définipar référenceaux
habitants du territoire de la Bosnie-Herzégovine,on est immédiatement
amené à excluretout groupe ((national»susceptibled'être décrit exclusi-
vementpar référence àun groupe ethnique,racial ou religieuxunique. La

population de la Bosnie-Herzégovinecomprend non seulement des
Musulmans,maisaussidesSerbes,desCroates et d'autres minoritésreli-
gieuses ou groupes ethniques. Puisque les actes qui font l'objet des
élémentsde preuve produits par la Partie demanderesse visent non
l'ensembledu peuple de la Bosnie-Herzégovine,maisprincipalement sa
population musulmane, on ne peut pas dire qu'ils visentla «nation »,qui
est l'ensembledespeuples vivant sur leterritoire de ce pays.
79. S'iln'estpassouhaitable d'adopteruneinterprétation restrictivedu
concept degénocideenvisagéedans laconvention,ilfautaussiveiller àce
qu'un traité visant prévenir et réprimerun mal relativementspécifique
nesoitpastransforméenun instrumentpermettant decontesterdesmodi-
fications territoriales, mêmelorsque celles-cirésultentd'un conflit. Le
droitinternational,danslamesureoù ilpeutêtreefficace dans cedomaine

difficileentretous,disposedéjàdesnormesjuridiques nécessaires,essen-
tiellement sous la forme des règlesqui refusent tout effetjuridiques
modifications territoriales réaliséespar une agression. Pour atteindre ce
but,point n'estbesoind'invoquer nidetrop solliciterletextedelaconven-
tion sur legénocide.C'estpourquoi je refuseraisd'accorder la deuxième
mesure.

3. La troisièmemesuresollicitée

80. Latroisièmemesureselitcommesuit:

«L'annexion ou l'absorption de tout territoire souverain de la
Républiquede Bosnie-Herzégovinepar la Yougoslavie (Serbie et
Monténégro)par quelque moyen oupour quelque motif que ce soit
sera réputéeillicite,nulle et non avenue d'emblée.»

81. Il estindubitable qu'un territoire nepeut êtrelicitementacquispar
lerecours agressifàla force et qu'unetelle acquisition estthéoriquement
nulle etnon avenue à moins d'être ratifiéear un consentement de 17Etat435 APPLICATION OFGENOCIDECONVENTION (SEP .P.LAUTERPACHT)

territory is thereby attenuated. This has been repeatedly stated by the
General Assembly and the Security Council of the United Nations,
including on occasion specific reference to the conflict in Bosnia and
Herzegovina, and there is no reason why the Court should not, albeit
obiter,restate and confirmthis fundamental rule of international law.

82. Butthat opinion does not necessarily extend to cover "annexation
or incorporation of. . .territory... by any means orfor any reason". If
"annexation" is defined as "forcible seizurefollowed by unilateral asser-
tion oftitle"then, of course,the request fallswithinthe prohibition ofthe
useofforcefor the acquisition ofterritory.Onthe other hand, if"annexa-
tion" isusedin a morecolloquial senseasmeaningthe assumption oftitle
over territory as a result of a negotiated settlement, even one following
aggression and hostilities, then it is not possible to Saythat the original

illegalconduct of the Stateacquiringthe territorytaints permanentlythe
transfer subsequentlyapproved by the original sovereign. Afortiori, the
sameistrue oftheexpression"incorporation" which,innormal usage,isa
neutral expressionnot necessarily implying prior forcible action on the
part ofthe acquiringState.

83. 1 have said "albeit obiter" in paragraph 81 above because the
request is really a hypothetical one and, therefore, does not cal1for a
response. Although the area of Bosnia-Herzegovinaoriginallyoccupied
by its Muslimpopulation has now been significantlyreduced by Serbian
attacks and occupation, the Applicant has produced no evidence that
"Yugoslavia(Serbiaand Montenegro)",the entitynamed intherequest,is

- or will be - an annexing or incorporating power. Indeed, such evi-
dence as falls within the sphere of public knowledge or judicial notice
indicates at the presenttime that the Republic of Bosnia-Herzegovinais
likelyto remainas a Statewithin itsoriginalterritory andthat the resolu-
tion ofthepresent conflictwilltakethe formofaredistribution ofterritory
between the Muslim, Serband Croat populations within that territory.

4. TheFourthRequest

84. The fourth request is:

"That the Government of Bosnia and Herzegovina must have the
means 'to prevent'the commissionofactsofgenocideagainstits own
People asrequired by Article 1ofthe Genocide Convention."

85. It is convenient to approach thisrequest with some analysis of the
dutiesand rightscreated byArticle1ofthe GenocideConvention wherein
the ContractingParties :dont le territoire est ainsi diminué. C'est ce qu'ont déclaré à maintes
reprises l'Assembléegénéraleet le Conseil de sécuritéde l'Organisation
des Nations Unies, en particulier au sujet du conflit en Bosnie-Herzégo-
vine, et il n'ya aucune raison pour laquelle la Cour ne devraitpas, fût-ce
par un obiterdictum,réaffirmeret confirmer cette règlefondamentale du

droit international.
82. Mais il ne découlepas nécessairementde ce qui précède que cette
opinion aillejusqu'à ((l'annexion ou l'absorption de tout territoire.par
quelque moyen oupour quelque motif que ce soit». Si 1'011définitl'aan-
nexion» comme étantle fait de «s'emparer d'un territoire par la force
suivi de l'affirmation unilatérale d'un titrealors, bien entendu, elle re-
lève de l'interdiction d'employer la force pour acquérir un territoire.
Mais si le mot ((annexion » est pris dans un sens plus familier qui veut
direfairevaloir un titre sur un territoirea suited'un règlementnégocié,
mêmesi celui-ci fait suiteà une agression età des hostilités,alors il n'est
pas possible de dire que la conduite, à l'origine illicite, de 1'Etat qui
acquiert ce territoire de façon permanente vicie ce transfert de titre rati-
fié ouapprouvépar la suite par 1'Etatinitialement souverain.A fortiori,

il enva de mêmepour lemot ((absorption »,qui, dans lelangagecourant,
est un terme neutre n'indiquant pas nécessairement l'emploi préalable
de la force par1'Etatqui acquiert le territoire en question.
83. Au paragraphe 81ci-dessus, j'ai dit fût-ce par un obiter dictum»
parce que la mesure sollicitée a en fait un caractère hypothétique et
n'appelle doncpas de réponse.Bien que la partie de la Bosnie-Herzégo-
vine initialement occupée par sa population musulmane ait maintenant
étéconsidérablement réduitepar les attaques et l'occupation serbes, le
demandeur n'a produit aucune preuve que «la Yougoslavie (Serbie et
Monténégro) »,qui estl'entité nommée dans la demande, est - ousera -
une puissance procédant à une annexion ou une absorption. D'ailleurs,
les faits qui sont de notoriété publique ou quela Cour peut constater
donnent actuellement à penser que la Républiquede Bosnie-Herzégovine

demeureravraisemblablement un Etat à l'intérieurde sonterritoire origi-
nel etquelasolution du présent conflitprendra laformed'une redistribu-
tion de territoire entre les populations musulmane, serbe et croate à
l'intérieurdudit territoire.

4. La quatrièmemesuresollicitée

84. La quatrième mesure est la suivante:

«Le Gouvernement de Bosnie-Herzégovinedoit avoir les moyens
de ((prévenir»la commissiond'actes de génocidecontre sonpropre
peuple comme le requiert l'article premier de la convention sur le
génocide. »

85. Il est utile d'examiner cette demande en analysant quelque peu les
droits et obligations que créel'article premier de la convention sur le
génocide.Parcette disposition, les contractantes "confirm that genocide,whether committed in time of peace or in
time ofwar,isa crime under international lawwhichtheyundertake
to prevent and to punish.

86. Theduty to "prevent" genocide is a duty that restsupon al1parties
and isa duty owedby eachparty to everyother. Thisnetwork of duties is
matchedbyanetworkofcorrelativerights whichitisnot necessarynowto
analysein full detail. But in considering the present case,three separate
elementsmaybe distinguished.

87. First,there isthe duty ofthe Respondentboth to preventgenocide
andto refrainfromconduct that inhibitsthe abilityofthe Applicant itself
to prevent genocide or to resist it. Therean be no doubt that the Court
mayrequirethe Respondent in generalterms not to commitgenocideand
to takemeasures to preventthe commissionofgenocide,whether directly
by itself or indirectly by others who may be directed, controlled orsup-
ported by it.Thisiswhat the Court has done in itsOrders of 8April1993
and of today's date. It is the least that the Court can do. There is a case,
however,for sayingthat, inthe lightoffactsofwhichitisaware,the Court
shouldbe more specificin directingthe Respondent to refrain alsofrom
particular kindsofacts,especiallyfurther murder ofciviliansandthe con-

tinuance oftheprocessofethniccleansingand the forceddisplacement of
the Muslimpopulation.

88. Second,there isthe duty ofthe Applicant conceivedand expressed
in the same terms as those just used in regard to the duty of the Respon-
dent. In principle,the duties ofthetwo Partiesareidentical. Butwhenthe
evidenceindicates(as it does)that the extent of the atrocitiescommitted
against the Muslim population of Bosnia is of an order which so far
exceedsthe extentofanywrongsdone to the Serbethnicgroup in Bosnia-
Herzegovina as to exclude any conclusion that the latter are suffer-
ing genocide, there is no need for a more specific indication of interim
measures in favour of Yugoslavia than appeared in the Court's Order
of 8April 1993;andthat isthe viewthat the Court has taken in its Order
oftoday'sdate.

89. Third,there isthe question of accessbythe Applicanttothe means

to preventthe commission of acts of genocide. The Applicant obviously
has herein mind someconsideration bythe Court ofthe effectand future
of the embargo placed by Security Council resolution 713 (1991) of
25 September 1991upon the provision ofarms and militaryequipmentto
both sidesin the conflict.

90. In the resolution in questionthe SecurityCouncil decided, acting
under Chapter VI1ofthe Charter, interalia: aconfirment que legénocide,qu'ilsoit commisentemps de paix ou
entemps deguerre,estun crimedu droitdesgens,qu'elles s'engagent
àpréveniret à punir ».

86. L'obligationde«prévenir»legénocideestun devoirquis'imposeà
toutes les parties, elle est une obligation que chacune des parties a
contractée envers toutes les autres. Cette série d'obligations a pour
pendant une sériede droits qui en sont la contrepartie et qu'iln'est pas
nécessairepour le moment d'analyser en détail. Maisdans la présente
affairel'analyse permet d'identifier trois élémentsdistincts.
87. Premièrement,il y a l'obligation pour le défendeurà la fois de
prévenirun génocideet de s'abstenirde tout comportement qui compro-
mettelacapacitédudemandeurde prévenirun génocideou d'yrésister. Il
ne peut y avoir de doute que la Cour peut prescrire au défendeur, d'une
façon générale,de ne pas commettre un génocide et de prendre des
mesures en vue de prévenirla commission d'un génocide, quece soit

directementlui-mêmeou indirectement par des individus qui pourraient
releverde son autorité,setrouver sousson contrôle ou bénéficier deson
appui. C'estbien cequela Cour aindiquédans son ordonnancedu 8avril
1993et dans celle qu'elle vientde rendre aujourd'hui. C'estle minimum
quela Courpuissefaire.On pourrait toutefoissoutenirqu'à lalumièredes
faits dont elle a connaissance la Cour devrait se montrer plus spécifique
en ordonnant aussi au défendeur de s'abstenir de commettre certains
types d'actes,ettout particulièrementdenouveauxmassacres de civils,la
poursuite du processus de purification ethnique et les déplacements
forcésde la population musulmane.
88. En second lieu, le demandeur a une obligation que l'on trouve
conçue et expriméedans les mêmestermes que ceux qui viennent d'être
employéspour décrirecelle du défendeur.En principe, les obligations

des deux Parties sont identiques. Mais lorsque les preuves démontrent
(commec'estle cas)quel'étendue desatrocitéc sommisescontre la popu-
lation musulmane de Bosniedépasse àtel point celle des torts causésau
groupe ethnique serbe en Bosnie-Herzégovine qu'il estimpossible de
conclurequelesSerbessontvictimesd'ungénocide,iln'estpas nécessaire
d'indiquer des mesures conservatoiresplus spécifiques en faveur de la
Yougoslavie que celles qui figurent dans l'ordonnance que la Cour a
rendue le8avril 1993 ;ettel est lepoint devue que laCour a adoptédans
son ordonnance d'aujourd'hui.
89. Troisièmement,il y a la question de l'accèsdu demandeur aux
moyensde prévenir la commission d'actesde génocide.Le demandeur
a évidemment à l'esprit une certaine forme d'examen par la Cour de
l'effet etde l'avenirde l'embargoque le Conseil de sécurité a impospar

sa résolution713 (1991) du 25 septembre 1991en ce qui concerne la
fourniture d'armement et d'équipementmilitaires aux deux parties au
conflit.
90. Dans cette résolution, le Conseilde sécurité, agissant en vertudu
chapitre VI1de la Charte des Nations Unies,a entre autres décidé:437 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP .P.LAUTERPACHT)

"thatal1Statesshall,forthe purpose ofestablishingpeace and stabil-
ity in Yugoslavia, immediately implement a general and complete
embargo on al1deliveries of weapons and military equipment to
Yugoslavia until the Security Council decides otherwise following
consultationbetween the Secretary-Generaland the Government of
Yugoslavia" (resolution713(199l), para. 6).

Four aspects ofthis resolution cal1for comment.
91. Thefirst isthatthe embargowasrequestedbyYugoslaviaitselfand
three members of the Security Council, China, India and Zimbabwe,
stated that theyregarded Yugoslavia'sexpressagreement to the embargo
as essential.This, however, cannot be seen as reflecting a legal require-

ment to this effect. Rather, the likely explanation is that some political
hesitation on the part ofthose Statesmentioningthis consideration was
overcomebythe fact of Yugoslavia'sagreement.

92. The second comment is that the resolution was adopted at a time
whenthe international status and capacity ofthe original federal State of
Yugoslaviahad not beenbrought into question. Within onemonth, how-
ever,theauthority ofthegovernmentin Belgradeto representthe wholeof
the territory formerly comprised within the borders of Yugoslavia had
becomea matter ofdoubt. On25October 1991Mr.CyrusVance,actingas
representative ofthe United Nations Secretary-General,reported thatthe
subsequent declarations of full independence made by Slovenia and
Croatia had seriouslyimpaired the defacto authority of the central gov-
ernmentin Yugoslavia.On7December 1991the Arbitration Commission

establishedbythe European Communityfound (intera1ia)thatthe Social-
ist Federal Republic of Yugoslaviawas in the process of dissolution. By
19September 1992the SecurityCouncilrecordedin the preamble to reso-
lution 777(1992)that "the Stateformerlyknown as the Socialist Federal
Republic of Yugoslavia has ceased to exist". On 6 March 1992Bosnia-
Herzegovinadeclaredits independence; on6April1992itwasrecognized
bytheEuropean Communityandon 22May 1992itwasadmittedto mem-
bership ofthe United Nations. Theimplications ofthis consideration are
closelyconnected with the one that follows.

93. The third point is that the area to which the resolution prohibited
the deliveryof weapons was described as "Yugoslavia". Asa description
of an identifiable territory thise ceasedto be valid upon the dissolu-
tion of the former Socialist Federal Republic of Yugoslavia and its

replacement in a large part of that territory by a number of independent
republics, the boundaries of which with each other were found by the
ArbitralCommission on 11January 1992to have acquired "the character
of borders protected by international law".

94. On the basis ofthese two considerations the Applicant has argued APPLICATIONDE CONVENTION GÉNOCIDE (OP.IND.LAUTERPACHT) 437

«que tous les Etats mettront immédiatementen Œuvre,aux fins de
l'établissementde la paix et de la stabilité en Yougoslavie, un

embargo généralet complet sur toutes les livraisons d'armement et
d'équipement militairesà la Yougoslavie, et ce, jusqu'à ce que le
Conseil de sécurité en décide autrement, aprèq sue le Secrétaire
généralaura eu des consultations avec le Gouvernement yougo-
slave»(résolution713(199l), par. 6).

Quatre aspects de cetterésolution appellent desremarques.
91. Premièrement,l'embargo aété demandépar la Yougoslavie elle-
même,et trois membres du Conseil de sécurité, la Chine,l'Inde etle
Zimbabwe, ont déclaréqu'ils considéraient comme essentiel que la
Yougoslavie donne son accord exprès àl'embargo.Toutefois, il ne faut

pas voir là une exigencejuridique en ce sens. Comme explication, il est
plusprobable qu'ils'estagide quelquehésitationpolitiquede la part des
Etatsqui ont invoquécetteconsidération,hésitationsquo int étésurmon-
téesparceque la Yougoslaviedonnait son accord.
92. Deuxièmement,cette résolution aété adoptée à un moment où le
statutinternational etlacapacitédecequiétait l'origine1'Etatfédérale
Yougoslavien'avaientpas été mis en question. Un mois plus tard, pour-
tant, l'autoritédu gouvernementde Belgradepour représenterl'ensemble
du territoire naguère comprisdans lesfrontièresde la Yougoslaviea com-
mencé à êtremise en doute. Le 25octobre 1991,M. Cyrus Vance, en sa
qualitéde représentantdu Secrétairegénéradle l'ONU, a fait savoirque
les déclarationsde pleine indépendance que la Slovénieet la Croatie

avaient faites depuis lors avaient portégravementatteinte àl'autoritéde
facto du gouvernement central en Yougoslavie.Le 7 décembre1991,la
commission d'arbitragecréée par la Communauté européenne a conclu,
entre autres, que la République socialistefédératde Yougoslavieétait
envoiede dissolution. Le 19septembre 1992,le Conseilde sécuritéapris
acte, dans le préambulede sa résolution777(1992),du fait que «l'Etat
antérieurement connu comme la République fédérative socialistd ee
Yougoslaviea cesséd'exister)).Le6mars 1992,la Bosnie-Herzégovinea
proclaméson indépendance; le 6 avril 1992,elle a été reconnuepar la
Communauté européenne et,le 22 mai 1992,elle a étéadmise comme
Membre de l'organisation des Nations Unies. Les incidences de cette

considération sont étroitementliéescequi suit.
93. Troisièmement,la régiondans laquelle la résolution a interdit la
livraison d'armes s'appelait «Yougoslavie». Pour décrireun territoire
identifiable etbien défini,ce nom a cesséd'être valaau moment de la
dissolution de l'ex-République fédérativesocialistdee Yougoslavie etde
son remplacement,sur une grandepartie de son territoire, par plusieurs
républiques indépendantesdont les frontièresles unes par rapport aux
autres ont étéjugéesle 11janvier 1992par la commission d'arbitrage
comme ayant acquis «le caractère de frontières protégéepar le droit
international.
94. Surlabase decesdeuxconsidérations,ledemandeur asoutenu quethatthe resolution isnot applicableto the territory ofthe new Republicof
Bosniaand Herzegovina.Thoughthisargument isbyno means devoid of

logicalforce,the difficultywith itliesinthe factthatthe SecurityCouncil
has on a number of occasions reaffirmed the embargo, notwithstanding
the fact that the SecurityCouncil clearly must have known of the emer-
genceofthenewRepublicand evidentlyintended the embargotoapplyto
it.Theidea of"interpreting" the resolutionsoasnotto applyto the Appli-
cant does not seemconsistent with whatthe SecurityCouncil has appar-
entlyhad inmind.The mostcompellingevidenceofthe Council'sviewin
thisregard isthe record ofthe debate held on29June 1993whensixmem-
bers sought, without success,to persuade the Council expresslyto raise
the embargoinrelation to Bosnia-Herzegovina.Thevote was6in favour,
none against,with 9 abstentions.

95. The fourth and legally most relevantcomment to be made on the
resolution is that the embargo operates unequally between the two sides
principally engagedinthe conflict.TheSerbiansin Bosniahad (andhave)
the support of the Serbians in Serbia and the latter have the benefit of
accessto the stocksof arms of the YugoslavNational Army,the produc-

tion ofarmsfactoriesin Serbia and the import, inbreach ofthe embargo,
of arms and military equipment via the Danube and other routes. The
Bosnian Muslimsdid not (and do not) have these advantages.

96. Thisinequalityhas been widely recognizedand,in particular, was
pointed out bythe former Prime Minister of Poland, Mr.Tadeusz Mazo-
wiecki,Special Rapporteur of the Commission on Human Rights,in his
report circulatedin the United Nations on 17November 1992(A/47/666 -
S/24809). He said, in paragraph 14 :

"Another factor which has contributed to the intensity of ethnic
cleansing in areas under Serbian control is the marked imbalance
between the weaponry in the hands of the Serbian and the Muslim
population of Bosniaand Herzegovina."
In an earlierparagraph 6,the SpecialRapporteurhad indicated that

"the content ofthereport isbasedmainlyoninformation receivedby
the Special Rapporteur and his delegation directly from credible
witnessesor fromreliable and impartial sources".

Subsequently,theGeneral Assemblytooknote ofthe above-quoted state-
ment of the Special Rapporteur and incorporated it verbatim in the
preamble of General Assemblyresolution 47/ 121of 18December 1992.
This statement is the more important because of the direct link which it
demonstrates between the continuance of the arms embargo and the
exposure ofthe Muslimpopulation of Bosniato genocidal activityat the
hands ofthe Serbs. APPLICATION DECONVENTIONGÉNOCIDE (OP.IND.LAUTERPACHT) 438

larésolutionn'étaiptas applicable auterritoire delanouvelleRépublique

de Bosnie-Herzégovine. Bien que cet argument ne soit nullement
dépourvudelogiqueet de force,la difficultéqu'ilprésente résidedans ce
que le Conseil de sécuritéàplusieurs reprises, a confirmé l'embargo,en
dépitdu fait que le Conseil devait évidemmentavoir connaissancede la
naissance delanouvellerépubliqueetvoulaitévidemmentquel'embargo
s'appliqueà cettedernière.L'idée consistant ((interpréter»larésolution
commene s'appliquant pas au demandeur n'estguèrecompatibleavecce
que le Conseil de sécurité a apparemmenten vue. La preuve la plus sûre
delafaçondevoirdu Conseilsurcepoint estleprocès-verbaldu débatqui
a eu lieu au Conseil le29juin 1993,lorsque sixde sesmembres ont tenté,
sans succès,de lepersuader de leverexpressémentl'embargo à l'égardde
la Bosnie-Herzégovine.Les résultatsdu scrutin ont étéde 6 voix contre
zéro,avec9 abstentions.
95. La quatrième remarque, juridiquement la plus pertinente, qu'ily

ait lieu de faiàepropos de cette résolutionest que l'embargo opèrede
façon inégale entreles deux parties principalement impliquées dans le
conflit.LesSerbesbosniaques ont eu(etont encore)l'appui desSerbesde
Serbie, ces derniers ayant l'avantage de pouvoir accéderaux grandes
quantités d'armes accumuléespar l'arméenationale yougoslave, ainsi
qu'à la production des usines d'armements en Serbie; ils peuvent aussi
importer, en violation de l'embargo, des armes et des équipementsmi-
litaires par le Danube et par d'autres itinéraires.Les Musulmans bos-
niaques n'ont pas eu (et n'onttoujours pas) cesavantages.
96. Cetteinégalitéa étélargementreconnue et,enparticulier,a étérele-
véepar l'ex-premier ministre de Pologne, M. Tadeusz Mazowiecki,
rapporteur spécialde la Commission des droits de l'homme, dans son
rapport distribuéàl'Organisation desNations Uniesle 17novembre 1992

(A/47/666 -S/24809). Au paragraphe 14de ce rapport, il déclarece qui
suit
«Un autre facteur contribuant à l'intensitédu ((nettoyage eth-
nique» dans les zones sous domination serbe était le net déséqui-
libreentrelesarmes dont disposaientla population serbeetla popu-

lation musulmane de Bosnie-Herzégovine. »
Au paragraphe 6du mêmerapport, lerapporteur spécialindique que

«la teneur du rapport est fondée essentiellementsur des informa-
tionsreçuespar lerapporteur spécialetsadélégationdirectemend t e
témoinsdignes de foi et de sourcesimpartiales et fiables
Parla suite,l'Assembléegénéralea pris note de la déclarationdu rappor-

teur spécialcitée ci-dessus et l'aincorporéemoàmot dans lepréambule
de sa résolution47/121, en date du 18décembre1992.Cette déclaration
est d'autant plus importante qu'elle démontrele lien direct qui existe
entre le maintien de l'embargosur les armes et le fait que la population
musulmane de Bosnie est exposée à des actes de génocidede la part
des Serbes. 97. The Applicant'srequest givesriseto two questions : one iswhether
any challengeto the SecurityCouncilresolution ispossible in thepresent
context;the other is how,asa matter ofform,the Court could giveopera-
tive effectto itsviewson this matter within the procedural framework of
bilateral litigation between the present two Parties. Althoughthe Court
has taken the position that it can make a suitable order without entering
into these questions, 1believethat someconsiderationshouldbe givento
them.

A. ne effectoftheSecurityCouncilresolution

98. On the face of it, SecurityCouncilresolution 713(1991)is a valid
prohibition of the supply of arms and military equipment to those
involved in the Yugoslav conflict and is binding on al1Members of the
United Nations. Although the resolution is open to the comments
expressedabovein paragraphs 91-96,it cannotbe said with certaintythat
inthemselves these commentsaffectthe continuing validityofthe resolu-

tion.Thefact that someofthe members ofthe SecurityCouncilindicated
that they would not have supported the resolution in the absence of the
consent of Yugoslavia, in relation to whose territory the embargo was
adopted, could only be relevant in the absence of a determination by the
SecurityCouncil that the situationfellwithinChapter VI1ofthe Charter.
Once the Security Council indicated that it was acting "under Chap-
ter VII", it was no longer constrained by the necessity of obtaining the
consent of any Stateto the measures that it considered the circumstances
to require.
99. This is not to Saythat the SecurityCouncil can act free of al1legal
controlsbut onlythat the Court's power ofjudicial review islimited. That
the Court has some power of this kind can hardly be doubted, though
there can be no lessdoubt that it does not embraceanyright ofthe Court
to substitute itsdiscretionfor that ofthe SecurityCouncil in determining
the existence of a threat to the peace, a breach of the peace or an act of
aggression,or the politicalstepsto be taken followingsuch a determina-
tion. Butthe Court, asthe principaljudicial organ ofthe United Nations,

is entitled, indeed bound, to ensure the rule of law within the United
Nations systemand,in casesproperlybroughtbeforeit, to insiston adher-
enceby al1United Nations organs to the rules governingtheir operation.
The Court has already, in the Lockerbie case, given an extensive inter-
pretation of the powersof the SecurityCouncilwhen actingunder Chap-
terVII,inholdingthat a decision ofthe Council is,byvirtue ofArticles25
and 103of the Charter, able to prevail overthe obligations ofthe parties
under any other international agreement (see Questions ofZnterpretation
and Applicationof the 1971MontrealConventionarisingfromthe Aerial
Incident ut Lockerbie(LibyanArabJamahiriyav. UnitedKingdom),Provi-
sional Measures, Order of 14 April 1992, Z.C.J.Reports 1992, p. 15,
para. 39). 97. La mesure demandée par le requérant soulève deux questions:
l'une estde savoir si une mise en cause quelconque de la résolutiondu
Conseil de sécuritéest possible dans le présent contexte et l'autre
comment, d'un point de vue formel, la Cour pourrait donner effet àses
vues dans le cadre procédural d'une action bilatérale entre les deux
Parties actuelles. Bien que la Cour ait estimépouvoir rendre une ordon-
nance adéquatesansentrer dans cesquestions,j'estimequ'il yaurait lieu
d'yréfléchirquelquepeu.

A. L'effetde larésolutiodu Conseildesécurité
98. Apremièrevue,la résolution713(1991)du Conseil de sécurité est

une interdiction valable de fournir des armes et des équipementsmili-
tairesàceuxquisontimpliquésdans leconflityougoslaveetelles'impose
à tous lesMembresdel'organisation desNations Unies. Elleseprête aux
commentaires que j'ai faits aux paragraphes 91 à 96, mais on ne peut
soutenir avec certitude qu'en eux-mêmes cescommentaires font que la
résolution cesserait d'être valableL. e fait que certains membres du
Conseil de sécuritéont fait savoir qu'ils n'auraient pas votépour cette
résolutionsi la Yougoslavie n'y avait consenti, à l'égarddu territoire
auquel l'embargodevait s'appliquer,ne pourrait être pertinent que parce
que le Conseil de sécuritén'avait pas décidéque la situation relevait du
chapitre VI1de la Charte.A partir du momentoù le Conseil de sécuritéa
déclaré qu'ilagissaiten vertu du chapitre VI1»,iln'était désormaisplus
tenu d'obtenir qu'un Etat, quel qu'il fût, donnât son consentement aux
mesures que lescirconstancesexigeaient à son avis.

99. Ce n'estpas à dire que le Conseil de sécurité peut aàisa guise,
libredetoute contraintelégale,maisseulementquelepouvoird'apprécia-
tionjudiciaire delaCourestlimité.Onnesauraitguèremettreendouteque
laCourauntelpouvoirmais,demêmei,ln'estpasdouteuxnonplusque ce
pouvoir ne comporte pas le droit pour la Cour de substituerson pouvoir
discrétionnaireàceluidu Conseil de sécuritépour déterminerl'existence
d'unemenace àla paix, d'une rupturede la paix ou d'un acted'agression
ou lesmesurespolitiques àprendre à lasuited'unetelle décision. Mais, n
tant qu'organejudiciaireprincipal del'organisation desNations Unies,la
Couraledroit etestmême tenuedegarantirlaprimautédu droit auseindu
systèmedes Nations Unies et,dans le cadre desaffairesdont elleestrégu-
lièrementsaisie, d'insisterpour que tous les organes des Nations Unies
obéissentaux règlesqui régissentleur fonctionnement. Dans l'affaire de
Lockerbie,la Couradéjàdonnéuneinterprétationextensivedespouvoirs

du Conseil de sécuritélorsqu'il agiten vertu du chapitre VII, enjugeant
qu'une décisionpriseparleConseilpouvait,envertu desarticles 25et 103
dela Charte,prévaloirsurlesobligationsdesparties envertu detout autre
accord international (voiruestionsd'interprétationet d'applicationde la
conventionde Montréalde 1971résultand t e l'incidentaériende Lockerbie
(Jamahiriyaarabelibyennec.Royaume-Uni),mesuresconservatoires,ordon-
nancedu 14avril1993,C.I.J.Recueil1992,p. 15,par. 39).440 APPLICATIONOFGENOCIDE CONVENTION (SEP .P.LAUTERPACHT)

100. Thepresent case,however,cannot fa11withinthe scopeofthe doc-
trinejust enunciated. This is because the prohibition of genocide,unlike
the matters coveredbythe Montreal Conventionin the Lockerbiecaseto
which the terms of Article 103could be directly applied, has generally
beenacceptedas havingthe statusnot ofan ordinary rule ofinternational
law but ofjus cogens.Indeed, the prohibition of genocidehas longbeen
regarded as one of the few undoubted examples ofjus cogens.Even in
1951,initsAdvisoryOpinion on ReservationstotheConventiononthePre-
ventionand Punishmentof theCrimeofGenocide,the Court affirmedthat

genocide was "contrary to moral law and to the spirit and aims of the
UnitedNations" (a viewrepeated bythe Court inparagraph 5 1oftoday's
Order) andthat

"the principlesunderlyingthe Conventionare provisions which are
recognizedbycivilizednationsasbinding on Statesevenwithoutany
conventionalobligation" (I.C.J.Reports1951,p. 22).

Anexpressreferencetothe specialquality ofthe prohibition ofgenocide
mayalsobe seeninthe work ofthe International LawCommissioninthe
preparation ofArticle50ofthe draftarticles onthe Law ofTreaties (Year-
book of the International Law Commission,1966,Vol. II, pp. 248-249)
which eventually materialized in Article 53 of the Vienna Convention
on the Law of Treaties and in the same Commission's commentary on

Article 19(international crimes and delicts)of the draft articles on State
Responsibility (Yearbook of the International Law Commission, 1976,
Vol. II,Pt.2, p. 103).The concept ofjus cogensoperates as a concept
superior to both customaryinternational law and treaty. The relief which
Article 103 of the Charter may give the Security Council in case of
conflict between one of its decisions and an operative treaty obligation
cannot - as a matter ofsimplehierarchy ofnoms - extend to a conflict
between a SecurityCouncil resolution andjus cogens.Indeed, one only
has to statethe oppositeproposition thus - that a SecurityCouncil reso-
lution may even require participation in genocide - for its unaccepta-
bilityto be apparent.

101. Nor should one overlook the significance of the provision in
Article 24 (2) of the Charter that, in discharging its duties tointain
international peace and security,the SecurityCouncilshall act in accor-
dance with the Purposes and Principles of the United Nations. Amongst
the Purposes set out in Article 1(3) of the Charter is that of achieving
international CO-operation"in promoting and encouraging respect for
human rights and forfundamentalfreedomsfor al1withoutdistinction as
to race, sex,language or religion".

102. Now,itisnot to be contemplated thatthe SecurityCouncil would
everdeliberatelyadopt aresolution clearlyand deliberatelyfloutinga rule 100. Mais la présente affaire n'entre pasdans le cadre de la doctrine
queje viens d'énoncer. Cela parce qu'àla différencede la convention de
Montréaldans l'affaire de Lockerbie, à laquelle les dispositions de l'ar-
ticle 103de la Charte pouvaient directement s'appliquer, il estgénérale-
mentadmis quel'interdictiondu génociden'estpasune règleordinaire du
droit international maisfait partie dujus cogens.En fait,l'interdiction du
génocideestdepuislongtempsconsidérée commel'un desraresexemples
indiscutésdujus cogens.Mêmeen 1951,dans l'avisconsultatif qu'ellea

rendu en l'affaire des Réserves à la conventionpour la préventionet la
répressiondu crimede génocide,la Cour a affirméque le génocide «est
contraireà la foisà la loi morale et à l'esprit etaux fins des Nations
Unies»(avisque la Cour réaffirmeauparagraphe 51de l'ordonnance de
cejour) et que

«les principes quisont àla base de la convention sont desprincipes
reconnus par les nations civiliséescommeobligeant les Etats même
en dehors de tout lien conventionnel» (C.I.J. Recueil1951,p. 23).
Ontrouveaussi une mentionexpressedelaspécificité del'interdictiondu
génocide dans les travaux de la Commission du droit international

lorsqu'elle a élaborél'articl50du projet d'articles surle droit destraités
(Annuairedela Commissiondudroitinternational,1966,vol.II,p.269-27 l),
disposition qui est finalement devenue l'article 53 de la convention de
Vienne sur le droit des traités, ainsi que dans le commentaire de la
Commission sur l'article 19 (crimes et délits internationaux) du projet
d'articles sur la responsabilité des Etats(Annuairede la Commissiondu
droit international,1976, vol.II, deuxièmepartie, p. 95-96).Dans lejus
cogens,la norme impérativerelèved'une catégoriequi l'emporte à la fois
sur ledroitinternational coutumier etsur ledroit conventionnel. La solu-
tion que l'article 103de la Charte offre au Conseil de sécurité en casde
conflit entre une de ses décisionset une obligation conventionnelle en
vigueur - du point devue de la simplehiérarchie desnormes - ne peut

allerjusqu'au point où une résolutiondu Conseil de sécurité entreraiten
conflit avec lejus cogens.D'ailleurs, il suffit de formuler la proposition
inverseen disant qu'une résolutiondu Conseil de sécuritépourraitmême
exiger une participation à un génocide - pour voir clairement qu'une
telleproposition seraitinacceptable.
101. Il ne faut pas non plus négligerl'importance de la disposition
contenue au paragraphe 2 de l'article24de laCharte selonlaquelle, dans
l'accomplissementde ses devoirs de maintien de la paix et de la sécurité
internationales,le Conseilde sécuritédoitagir conformémentaux buts et
principes des Nations Unies. Entre autres buts énoncésau paragraphe 3

del'article 1delaCharte figureceluideréaliserlacoopérationintematio-
nale «en encourageant le respect des droits de l'homme et des libertés
fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe,de langue ou
de religionB.
102. Il n'ya pas lieu d'envisagerque le Conseil de sécuritése trouve
jamais adopter délibérementune résolutionqui ferait ouvertement etofjus cogensor requiringa violation of human rights. Butthe possibility
that aSecurityCouncilresolution mightinadvertently orinanunforeseen
manner lead to such a situationcannotbe excluded. And that, it appears,
iswhathashappened here.Onthisbasis,theinabilityof Bosnia-Herzego-
vina sufficientlystronglyto fight back againstthe Serbsand effectivelyto
preventthe implementation ofthe Serbianpolicy of ethnic cleansingisat
least in part directly attributable to the fact that Bosnia-Herzegovina's
access to weapons and equipment has been severely limited by the
embargo.Viewedinthis light,the SecurityCouncilresolution canbe seen
as having in effect called on Members of the United Nations, albeit
unknowingly and assuredly unwillingly,to become in some degree sup-
porters ofthe genocidalactivityofthe Serbsand inthismanner and tothat
extent to act contraryto a rule ofjus cogens.

103. What legal consequences may flow from this analysis?One pos-
sibilityisthat, in strict logic, whenthe operation ofparagraph 6 of Secu-
rity Councilresolution 713(1991)began to make Members ofthe United
Nations accessories to genocide,it ceased to be valid and binding in its
operation against Bosnia-Herzegovina; and that Members of the United
Nations then became freeto disregard it. Evenso,itwould be difficult to
Saythat theythen becamepositivelyobligedto providetheApplicant with
weapons and militaryequipment.

104. There is, however, another possibility that is, perhaps, more in
accord with the realities of the situation. It must be recognized that the
chain of hypotheses in the analysis just made involves some debatable
links - elements of fact, such as that the arms embargo has led to the
imbalance in the possession of armsbythe two sidesandthatthat imbal-

ance has contributed ingreater or lesserdegreeto genocidal activitysuch
as ethnic cleansing; and elements of law, such as that genocide is jus
cogens and that a resolution which becomes violative of jus cogens
must then become void and legallyineffective.It is not necessaryfor the
Courtto take a positioninthisregard at this time. Instead, it would seem
sufficient that the relevance here ofjus cogensshould be drawn to the
attention ofthe SecurityCouncil,as itwillbebytherequiredcommunica-
tion to it of the Court'srder, sothat the SecurityCouncil may givedue
weightto it in futurereconsideration of the embargo.

B. Theproceduralquestion
105. The second question now presents itself. In forma1procedural
terms, how can the Court, within the framework of proceedings between

the Applicant and the Respondent to which no other State is a Party,directementfi d'unerègledujus cogensouquiprescriraitune violationdes
droitsdel'homme.Maisonnesauraitexclurelapossibilité que,parinadver-
tanceoudefaçonimprévisiblel,eConseildesécuritéadopte unerésolution
quiaboutiraità unetellesituation.Età ce qu'ilmesemble,c'estcequis'est
passédanslecasprésent.Surcettebase,silaBosnie-Herzégovin n'eapasles
moyensde sedéfendreavec assezdeforce contrelesSerbesni d'empêcher
de façon efficace la mise en Œuvrede la politique serbede purification
ethnique, cela est, au moins en partie, directementimputable au fait que
l'embargo a gravement limitéla possibilitépour la Bosnie-Herzégovine
d'avoiraccèsà desarmeset à deséquipementsmilitairesV. uesouscetangle,
la résolutiondu Conseilde sécuritépeutêtre considérée comm aeant en
faitappelélesMembresdel'organisationdesNationsUnies,fût-cemême à

leur insu et assurémentmalgré eux,àdevenirjusqu'à un certain point des
soutiens des actesdegénocide desSerbeset,de cettemanièreet dans cette
mesure, àagircontrairementàune règledujus cogens.
103. Quelles conséquencesjuridiques peuvent découlerde cette ana-
lyse? L'unedes possibilitésest que, d'unpoint de vuestrictement logique,
lorsque la mise en Œuvredu paragraphe 6 de la résolution713(1991)du
Conseil de sécurité a commencé à rendre les Membres de l'organisa-
tion des Nations Unies complices d'un génocide, la résolution acessé
d'être valable et obligatoire dans son applicatiànla Bosnie-Herzégo-
vine, et qu'il estalors devenu loisible aux Membres de l'ONU de la
méconnaître.Mêmedans ces conditions, il serait difficile de dire que
l'obligation s'est alorspositivementimposéà euxdefournir desarmeset
du matérielmilitaireau demandeur.
104. Mais il estuneautre possibilitéquis'accorde peut-ête ieuxaux
réalitésde la situation. faut bien reconnaître que toutes leshypothèses

qui s'enchaînent dans l'analyse qui précède font intervenirun certain
nombre de maillonsquipeuvent êtrediscutés - éléments de fait,comme
celui que l'embargo sur les armes a conduità un déséquilibreentre les
deuxcampspour cequiestdesarmesenleurpossession etquecedéséqui-
libre a contribuéun degré plusou moins élevé à des actes de génocide
tels que la purification ethnique, et élémentsde droit, comme la règle
selonlaquellel'interdiction du génocidefaitpartiedujus cogensetqu'une
résolutionqui violerait ces cogensseraitnécessairementnulleetjuridi-
quement de nul effet.Point n'estbesoin pour la Courdeprendre position
sur cette question au stade actuel. Il devrait plutôt suffire que la perti-
nence du jus cogensenl'occurrence soitportéeàl'attention du Conseil de
sécurité,comme ce sera le cas quand l'ordonnance de la Cour lui sera
communiquée, ainsiqu'il estprescrit, pour que le Conseil de sécurité
puisse y attribuer l'importance voulue lorsqu'il réexaminerade nouveau

la question de l'embargo.
B. Laquestiondeprocédure

105. C'est alors que se présente la deuxième question. Comment,du
strict point de vue de la procédure, laCour peut-elleprendre en considé-
ration la question que je viens d'examinerdans le cadre de l'instancequi442 APPLICATIONOF GENOCIDECONVENTION (SEPO . P.LAUTERPACHT)

reflect the views set out above? The position would, of course, have
been somewhat different if, invoking the obligation resting upon al1
parties to the Genocide Convention to prevent genocide, the Applicant
had startedproceedingsagainstoneor moreofotherpartiesto the Conven-
tion challenging their failure to meet this commitment. Then, if the
Court had shared the view here expressed of the scope of Article 1,it
could have made a declaration inter partes along the lines indicated
above. But,for whateverreason, that coursewasnot chosenbythe Appli-
cant and, in consequence,the question must be askedwhetherthe Court,
either at the request of a party or proprio motu,can properly find room
withinthe framework of the present caseforthis kind of approach.

106. While,ofcourse,theprincipal thrust ofafindingthat paragraph 6

of Security Council resolution 713 (1991) mayconflict withjus cogens
must lie in the direction of third States which may be willingto supply
arms to Bosnia-Herzegovina,that does not mean that such a conclusion
could have no place in an order operative between Bosnia-Herzegovina
and Yugoslaviainthe present proceedings. There maywellbe advantage
for Bosnia-Herzegovina (it is not for the Court to determine) in being
able to Saythat the Court has identified a source of doubt regardingthe
validity of the embargoresolution which, though not directly operative
by itself, requires that the SecurityCouncil givethe matter further con-
sideration.
107. So far,then, asthis fourth request is related to the elimination of
the arms embargo vis-à-visBosnia-Herzegovina, 1would be prepared to
Saythat the Applicant mayhave an indication ofaprovisionalmeasure in
the following terms :that as between the Applicant and the Respondent
the continuing validityofthe embargoin itsbearing on the Applicant has
become a matter ofdoubt requiring further consideration bythe Security

Council.

5. TheFgth Request

108. Thefifth request is:
"That al1 Contracting Parties to the Genocide Convention are
obliged by Article 1thereof 'to prevent' the commission of acts of
genocideagainstthe People and State of Bosniaand Herzegovina."

109. As is apparent on the face of the Convention, most of its provi-
sionsare taken up withaspectsoftheprevention and punishment ofgeno-
cide within the national legal sphere, that is to say, with breaches of the
Convention by individuals. Thus Article III describes genocide and
relatedactsas being"punishable" - aprocessmoreobviouslyapplicable
to individualsthan to States.Article IVprescribes that "persons commit-
ting genocide . ..shallbe punished". Article Vrequires the Contractingoppose actuellement le demandeur et le défendeur et à laquelle aucun
autre Etat n'estpartie? Certes, la situation aurait été quelque peu diffé-
rente si, invoquant l'obligation qui incombe à toutes les parties à la
conventionsur legénocidedeprévenircecrime,ledemandeur avaitintro-
duit des instances contre une ou plusieurs partiesà la convention, en
soutenant que celles-cin'avaient pas remplileurs obligations. Sila Cour
avaitalorsretenu cetteinterprétationdelaportéedel'article premier,elle
aurait pu seprononcer par une déclaration interpartesdans le sensindi-
quéci-dessus. Mais, quelle qu'en soit la raison, le demandeur n'a pas
choisid'adopter cettevoie et il faut en conséquenceposerla question de
savoir si la Cour, que ce soit àla demande d'une partie ou d'office, peut
légitimementtrouverlapossibilité,danslecadre de laprésenteaffaire,de
prendre en considération cettefaçonde voir.

106. Bien entendu, une décision selon laquelle leparagraphe 6 de la
résolution713 (1991)du Conseil de sécuritépourrait être en conflitavec
une norme de jus cogensintéresserait essentiellementles Etats tiers qui
pourraient vouloir fournir des armesà la Bosnie-Herzégovine,mais cela
ne veutpasdire qu'une décisionen cesensn'aurait pas saplace dansune
ordonnancequi s'appliquerait àla Bosnie-Herzégovineetàla Yougosla-
viedanslaprésenteinstance. Ilsepourrait fortbien qu'ilsoitdansl'intérêt
dela Bosnie-Herzégovine(et cen'estpas à laCour d'enjuger)depouvoir
dire quelaCour adéceléun motif dedouterde lavaliditéde la résolution
sur l'embargo,constatation qui, sans avoirpar elle-mêmeun effet direct,
nécessiteraitque le Conseil de sécurité examine la question plus avant.
107. Ainsi,dans la mesureoù cettequatrième mesureest liéeà lalevée
de l'embargo sur les armes àl'égardde la Bosnie-Herzégovinej,e serais
disposé à dire que le demandeur pourrait peut-être obtenir l'indication

d'une mesure conservatoireformulée commesuit: en ce qui concerne le
demandeur et le défendeur,l'idéeque l'embargocontinue d'être valable
dans seseffetsà l'égarddu demandeur suscitemaintenant desdoutes qui
nécessitentquele Conseil de sécurité réexaminlea question.

5. La cinquième mesuresollicitée

108. La cinquièmemesureestformuléecommesuit:

((Toutesles parties contractantes àla convention sur le génocide
sonttenues par l'article premierdecelle-cide ((prévenircommis-
sion d'actes de génocide contrele peuple et'Etatde Bosnie-Herzé-
govine.»

109. Comme on levoitdans letextemêmedela convention,la plupart
desesdispositionssontconsacrées à différentsaspectsdelapréventionet
de la répressiondu génocidedans l'ordre juridique national, c'est-à-dire
aux cas de violation de la convention par des individus. C'est ainsi que
l'articleIII prévoit quelegénocideet lesactesqui s'yapparentent seront
((punis»,ce qui àl'évidencevaut davantage pour desindividus quepour
des Etats.L'articleIVprescrit que ales personnes ayant commislegéno- 443 APPLICATIONOF GENOCIDE CONVENTION (SEP .P. LAUTERPACHT)

Parties "to enactlegislationto giveeffectto theprovisions ofthe Conven-
tion" - again reflectingthe concern of the Convention with the individ-
ual violator. This is reinforced by ArticleI which provides that persons
charged with genocideshallbetried by a competent tribunal ofthe State
intheterritory ofwhichthe act wascommittedorbyan appropriate inter-
national penal tribunal. Yet again, Article VI1provides that, for the pur-
pose of extradition,genocideshallnot be considered as apoliticalcrime.
Al1this, therefore, strongly suggeststhat the Convention does no more

than establishfortheContractingStatesduties that areto beimplemented
by legislativeaction within their domesticlegalspheres.

110. Anysuch narrow viewmust, however,be rejected. Thestatement
inArticle 1that theContractingPartiesundertake "to prevent and to pun-
ish" genocide is comprehensive and unqualified.Theundertaking estab-
lishestwo distinct duties :the duty "to prevent" and the duty "to punish".

Thus, a breach of duty can arise solely from failure to prevent or solely
fromfailure to punish, and does not depend onthere being a failureboth
to prevent andto punish.Theconfirmationinthe sameArticlethat geno-
cide "is a crime under international law" does not changethe position or
restrictthe application ofthe concept of genocide exclusivelyto individ-
ual criminal liability.Thepurpose ofthislatter provision isto permitpar-
ties, within thedomestic legislationthat they adopt, to assume universal
jurisdiction overthecrime ofgenocide - that isto Say,evenwhenthe acts
have been committed outside their respectiveterritories by persons who
are nottheir nationals.

111. Thus the effect of the Convention is also to place upon States
duties to prevent and to punish genocide on the inter-State level.This is
the plain meaning of the words of Article 1and it is confirmed to some
extent by Article VI11 and most clearly by Article IX. The latter
Article contains the disputessettlement provision ofthe Convention :

"Disputes betweentheContractingPartiesrelating tothe interpre-
tation,application orfulfilment ofthepresentConvention, including
thoserelatingto the responsibilityof aStatefor genocideor for any of
the other acts enumerated in article III, shall be submitted to the
International Court of Justice at the request of any of the parties to
the dispute." (Emphasisadded.)

Itisthe italicizedwords,"includingthose relatingtothe responsibilityofa
Statefor genocide", and especiallythe words "for genocide", that makeit
clear that the Convention contemplatesthe possibility that a State may
commitgenocideand,therefore, thatthe obligation"to prevent" genocidecide ..seront punies B.A l'articleV,les parties contractantes s'engagent
«à prendre ..les mesures législativesnécessairespour assurer I'applica-
tiondesdispositions »delaconvention,cequimontreencore une foisque

la convention envisage les contrevenants comme étant des individus.
Cettelecture estrenforcéepar lestermes de l'articleVI qui prévoientque
lespersonnes accuséesde génocideseront traduites devant lestribunaux
compétentsde 1'Etatsur leterritoire duquel l'acte a étécommisoudevant
la cour criminelleinternationale qui seracompétente.Asontour, letexte
del'articleVI1disposeque, pour cequi estdel'extradition, legénocidene
serapas considérécomme un crimepolitique.Tout cela, par conséquent,
donne fortement àpenser quela conventionnefaitrien deplusqu'établir,
pour les Etats contractants, des obligations qu'ilss'engagentmettre en
Œuvrepar les mesures qu'ilsprendront eux-mêmes dans le cadre de leur
ordrejuridique interne.
110. Cependant, il faut rejeter une thèse aussi étroite.Les termes de
l'engagement pris par les parties contractantes à l'article premier de
«prévenir» et de «punir » le génocideen font un engagement absolu et
sans restriction. Cet engagement créedeux obligations distinctes:l'obli-
gation de ((prévenir»et l'obligationde «punir ».Donc, une violation de
cesobligationspeut découler soituniquementdu fait que lecrimen'apas

étéprévenu, soit uniquement du fait qu'il n'a pas étépuni; il n'est pas
nécessairequ'ily aità la fois carence a prévenir àtpunir. La confirma-
tion, dans cettemêmedisposition, que legénocide «estun crime du droit
desgens »nemodifie pas la situation etne restreintpasl'idéedegénocide
comme s'appliquant exclusivement à la responsabilité pénale indivi-
duelle. L'objetde cettedernière dispositionest de permettre aux parties,
dans le cadre de la législationinternequ'ellesadoptent, d'êtreinvesties
d'une compétence universelleen ce qui concerne le crime de génocide,
c'est-à-diremême lorsque lesactesvisésont étécommisen dehorsdeleur
propre territoire par desindividus qui ne sont pas leursressortissants.
111. La convention a ainsi pour effet d'imposer aux Etats, au plan
interétatique,l'obligationdeprévenir etcellede punir legénocide.C'estle
sens parfaitement clair du libelléde l'articlepremier, confirmé dans une
certainemesure àl'articleVI11etdefaçon plusclaireencore àl'article IX.
Ce dernier contient les dispositions de la convention relatives au règle-
ment de différends :

«LesdifférendsentrelesPartiescontractantesrelatifs à l'interpré-
tation, l'application ou l'exécutionde la présente Convention, y
comprisceuxrelatifsà la responsabilitd'unEtat enmatièredegéno-
cideou de l'un quelconque des autres actes énuméréà s l'article III,
seront soumis àla Cour internationale de Justiceà la requête d'une
Partie au différend.(Lesitaliquessont de moi.)

Ce sont lesmots en italiques,«y compris ceuxrelatifs àla responsabilité
d'un Etaten matièrede génocide »,et tout particulièrement «en matière
de génocide », qui énoncent clairementque la convention envisage la
possibilité qu'un Etat puisse commettreun génocideet, par conséquent,444 APPLICATIONOF GENOCIDECONVENTION (SEPO . P.LAUTERPACHT)

extends also to the obligation to prevent a Statefrom committing geno-
cide. Ifthe Convention werelimitedtothe creation of a duty upon States
to prevent andto punishgenocide withintheirnational legalsystemsand,
by definition, committed by persons not possessing the quality of state-
hood, how couldtherebe any possibility ofthe State itselfbeing respon-
sibleforgenocide,a possibility evidentlyanticipatedin Article IX?

112. The above interpretation, it should be said, is based exclusively
upon the plain meaning of the words actuallyused in the Convention.
There is no doubt or ambiguity on the face of the text and preliminary
scrutiny of the travaux préparatoires does not suggest anything that

requiresdeparture fromthisplain meaning.
113. There is,thus, no difficulty in declaring that al1the parties to the
Genocide Convention are under a duty to prevent genocide. This is
merelyamatter ofreadingthe wordsofArticle1ofthe Convention. Nor is
it out ofplaceforthe Courtto makesuch adeclarationinthe present case
as part of the indication of provisional measures of protection directed
towardsthe Respondent. What is more controversialis whetherthis duty
extendsbeyondthe duty of eachparty to prevent genocide within itsown
territory tothat of preventinggenocide whereverit may occur.

114. Obviously, an absolutely territorial view of the duty to prevent
genocide would not make sense since this would mean that a party,
though obligedto preventgenocidewithinits ownterritory, isnot obliged
to prevent it in territory which itnvades and occupies. That would be

nonsense. So there is an obligation, at any rate for a State involved in
a conflict, to concern itself with the prevention of genocide outside its
territory.

115. But does the duty of prevention that restsupon a party in respect
of itsownconduct, or that of persons subject to its authority or control,
outsideitsterritoryalso meanthat everyparty isunder an obligationindi-
viduallyand activelyto interveneto preventgenocide outside itsterritory
when committed by or under the authority of some other party? As
alreadystated, theundertaking in ArticleIofthe Convention"to prevent"
genocideisnot limitedby referenceto person or placeso that,on itsface,
it could be said to require every party positively to prevent genocide
wherever it occurs. At this point, however, it becomes necessary to look

at Statepractice.Sincethe SecondWorldWar,there haveregrettablybeen
a number of cases of genocide. AsMr. B.Whitaker, the SpecialRappor-
teur of the United Nations Sub-Commissionon Prevention of Discrimi-
nation and Protectionof Minorities,has statedinthe Revisedand Updated
Report on the Question ofthe Preventionand Punishmentof Genocide
(E/CN.4/Sub.2/1985/6, 2 July 1985)requested by the Economic and
SocialCouncil,the exampleswhich maybe citedarequel'obligation«deprévenir»legénocideenglobeaussicelledeprévenir
qu'un Etat commettececrime. Sila convention selimitait àcréerpour les
Etats une obligation de prévenir etde punir dans leur ordre juridique
interne un génocide commispar définitionpar des personnes ne possé-
dantpas le statutd'Etat, commentpourrait-il êtrepossibleque 1'Etatlui-
mêmesoit responsable d'un génocide alorsque cette possibilitéest à
l'évidenceprévue àl'articleIX?
112. L'interprétation ci-dessus,on le remarquera,se fonde exclusive-
ment sur le sens ordinaire des mots effectivement em~lovésdans la
& <
convention. Il n'ya ni doute ni ambiguïtédans cetexte etl'examen préa-
lable des travaux préparatoiresne fournit rien qui suggère qu'ilfaudrait
s'écarterde cesensordinaire.
113. Ainsi,iln'ya aucune difficultàdéclarerquetoutes lesparties àla
convention sur le génocide ont l'obligationde prévenirle génocide.Il
suffit simplement de lire l'article premierde la convention et il ne serait
pas non plus déplacéque la Cour fasse une telle déclaration dans la
présente affaire,dans le cadre demesuresconservatoiresqu'elleindique-
raità l'adressedu défendeur. Ce quiestplus discutable, c'estde savoir si
cetteobligation, au-delà du devoir qui incombeàchacune des parties de
prévenirle génocide àl'intérieurde son propre territoire, vajusqu'à leur
faireobligation deprévenirlegénocidepartout oùilpourrait être commis.

114. Certes,concevoirl'obligation deprévenirlegénocidecommeune
obligation strictement territoriale n'aurait pas de sens parce que cela
voudrait direqu'une partie, bien qu'étantdans l'obligationde prévenirle
génocide à l'intérieurde son propre territoire, ne serait pas obligéede
l'empêcher sur leterritoire qu'elle-mêmeenvahitet occupe.Ce qui serait
absurde. Desorte qu'entout étatdecausel'obligation existe,pourun Etat
impliquédans un conflit, de se préoccuperde prévenirle génocideen
dehors de son propre territoire.
115. Maiscetteobligation deprévenirquiincombe à unepartiepour ce
qui est desapropreconduite, ou celle des personnes qui relèventde son
autorité oude son contrôle à l'extérieurde son territoire, veut-elle aussi

direque chaquepartie al'obligation d'intervenirindividuellementetacti-
vement pour prévenirle génocide en dehorsde son territoire lorsque ce
génocideestcommispar uneautrepartie ousoussonautorité?Commeje
l'aidéjàdit, l'engagementcontenu àl'article premierde la convention de
((prévenir»legénociden'estpas limitéparune référence àdespersonnes
ou à deslieuxdesorte que,telle qu'elle seprésente,onpourrait direquela
convention exigeque chaquepartie prévienne positivementle génocide
en quelque lieu qu'il seproduise. Acestade,toutefois, ilfaut examinerla
pratique des Etats. Depuis la secondeguerremondiale, ily a malheureu-
sementeuplusieurscas de génocide.Comme M. B.Whitaker,rapporteur
spécialdela Sous-Commissiondela luttecontres lesmesuresdiscrimina-
Versionreviséeet
toires et de la protection des minorités,l'aécritdans la
mise àjour de l'étudsurla questionde laprévention et de la répressidu
génocide (E/CN.4/Sub.2/1985/6, du 2 juillet 1985)demandée par le
Conseiléconomiqueet social,lesexemplesqui peuvent êtrecitéssont "the Tutsi massacre of Hutu in Burundi in 1965and 1972,the Para-
guayan massacre of AchéIndians prior to 1974,the Khmer Rouge
massacre in Kampuchea between 1975and 1978and the contem-
porary Iranian killingsof Bahai's"(pp. 9-10,para. 24).

Thelimitedreaction ofthe parties to the GenocideConvention in relation
to these episodesmayrepresentapractice suggestingthepermissibilityof
inactivity.In contrast with the position that 1have taken on other debat-
ableaspectsofthiscasethat havenotbeenfullyargued bythe Parties,1do
not feelable,inthe absenceofafulltreatment ofthissubjectbyboth sides
to expressaviewonitatthisstage - sympatheticthough 1aminprinciple
to the idea of an individual and collectiveresponsibility of States forthe
prevention of genocide wherever it may occur. 1,therefore, find myself
unable to accedeto thefifth request.

6. TheSixthRequest

116. The sixth request i:
"That the Government of Bosnia and Herzegovina must havethe
means to defend the People and State of Bosnia and Herzegovina
fromactsofgenocideand partition and dismembermentby meansof
genocide."

117. The first part of this request essentially duplicates the fourth
request,alreadyconsidered,but the secondpart introduces an additional
element, namely,that the Applicant should have the means to defend its
people and itselffrom "partition and dismembermentby means of geno-
cide".
118. Asthe viewhasalreadybeenexpressedin the answerto the fourth
requestthat the Applicantmusthave themeanstopreventthe commission
ofgenocideagainstitself,the elaboration ofthe consequencesofgenocide
againstwhich it isentitled to protect itselfisunnecessary.Theproblem is

largelyone ofcausation. 1sthe "partition and dismemberment" ofBosnia
and Herzegovinabeingachieved "by means ofgenocide" ?To answerNo
- asmustbethe answer - isnot to denythat genocidehas taken place in
Bosniaand Herzegovinaand that atthe present time it appears to be con-
tinuing. Rather it is to Saythat the object of the genocide is the Muslim
population of Bosnianot "the People and State of Bosnia-Herzegovina"
asawhole.Thelatterconcept mustcomprise al1the elementsofthepopu-
lation ofBosniaand Herzegovina,ofwhichthe Muslimpopulation forms
no more than 40 per cent. So, though the Government of Bosnia and
Herzegovinaisentitledto themeanstoprotect itspopulation, orpart ofits
population, fromgenocide, that entitlementdoesnot extendtotheprotec-
tionofthe Statefromdismembermentwhere thepopulation ofthe Stateis
evidentlydivided within itselfand cannot be saidto composea "national «le massacredesHutus par lesTutsisau Burundi en 1965eten 1972,
le massacre au Paraguay des Indiens Achéavant 1974,le massacre
auquel les Khmers rouges se sont livrésau Kampuchea entre 1975
et 1978,et actuellement le massacre des Baha'is par les Iraniens))
(p.12-13,par. 24).

La réaction limitéedesparties àla convention surle génocide face à ces
épisodespeut représenterune pratique donnant àpenser que la passivité
est permise. A la différencede la position que j'ai prise sur d'autres
aspectsdiscutables de cetteaffaireque les Partiesn'ont pas plaidés,je ne
me senspas en mesure, vu que la question n'a pas été pleinement traitée

par les deux Parties, d'exprimer un avis à ce sujet au stade actuel
- quelles que soient mes sympathies de principe pour l'idéed'une
responsabilité individuelleet collectivedes Etats en ce qui concerne la
préventiondu génocideen quelque lieu qu'il puisse êtrecommis. C'est
pourquoi je ne pense pas pouvoir accéder àla cinquièmedemande.

6. La sixièmemesuresollicitée

116. La sixièmemesure est ainsiformulée :
«Le Gouvernement de la Bosnie-Herzégovinedoit avoir les
moyensdedéfendrelepeuple et 1'EtatdeBosnie-Herzégovinecontre

les actes de génocide, etla partition et le démembrementpar le
moyen du génocide. »
117. En vérité, la premièrepartie de cette mesure fait double emploi

avecla quatrième, quej'ai déjàexaminée,mais la deuxièmepartie intro-
duit un élémentsupplémentaire, à savoirque le demandeur devraitavoir
les moyensde sedéfendre etde défendre son peuple contre «la partition
etle démembrementpar lemoyen du génocide ».
118. J'ai déjà exprimé , propos de la quatrièmemesure, l'avisque le
demandeur doit avoirlesmoyensdeprévenirla commissiondu génocide
contre lui-même, et il estonc inutile que je développeles conséquences
du génocidecontrelesquellesil a ledroit de seprotéger.Leproblème qui
sepose estessentiellementun problèmedecausalité.Est-ceque laparti-
tion et le démembrement»de la Bosnie-Herzégovinesonten train d'être

réalisésa par le moyen du génocide )? Répondrenon - et c'estce qu'il
faut répondre - n'équivautpas à nier qu'un génocide a eulieu en Bos-
nie-Herzégovineet sembleactuellementcontinuer. Plutôt, cela revient à
dire que l'objet du génocideest la population musulmane de la Bosnie
et non lepeuple et 1'Etatde la Bosnie-Herzégovin )dans son ensemble.
En effet, cette dernière notion doit nécessairementcomprendretous les
élémentsde la population de Bosnie-Herzégovine,dont la population
musulmane ne représente pas plus de quarante pour cent. Ainsi, bien
que le Gouvernement de la Bosnie-Herzégovineait le droit d'avoir les

moyens de protégerdu génocide sa population ou une partie de sa
population, ce droit ne va pas jusqu'au droit pour 1'Etatd'être protégé446 APPLICATIONOFGENOCIDECONVENTION (SEP .P.LAUTERPACHT)

group" within the meaning of that expressionas used in Article 1of the
Convention.The Court isas muchbound totakejudicial notice ofcurrent
political developments in Bosnia and Henegovina as it is of the earlier
eventsaffectingits Muslimpopulation and clearlyconstitutinggenocide.
These current developments exclude any notion that the division by
agreement of the territory of Bosnia and Henegovina between the Mus-
lims, Serbsand Croats ofthe country can be regardedas genocide.

7. TheSeventh,EighthandNinthRequests

119. The content of these requests is so similar to that of the sixth,
fourth and fifth requests respectivelyas not to require separate answers.
Theyare covered,to the extentthat itispossibletodo so,bythe measures
indicated below.

8. TheTenthRequest

120. Thetenth requestis

"That United Nations Peace-keepingForcesin Bosniaand Herze-
govina (i.e., UNPROFOR) must do al1in their power to ensure the
flow of humanitarian relief suppliesto the Bosnian Peoplethrough
the Bosnian cityof Tuzla."

121. As no evidence has been produced to the Court that the
United Nations Peace-keepingForcesin Bosniaaredoinganythingother
than al1in their power to perform their humanitarian duties,there is no
basis for dealing with this request.

122. In expressing my conclusions on the Applicant's secondrequest
for an indication of interim measures,1begin by repeating my concur-
rence with the operative paragraphs of the Court's Order. As already

stated, however,1would have preferredthe Courtto have dealt with cer-
tain aspects of the casein greateretail and to have gone beyond the re-
affirmation ofthe measures indicated in itsrder of 8April 1993.1shall,
therefore, elaborate in paragraph 123 a number of interim measures
which 1believe fa11within the scope of the Genocide Convention and of
the operative part ofthe Court'srder and which1would havewishedto
have seen expresslyincluded in it. In paragraph 1241shall set out some
additional measures which, though outside the scope of the Genocide APPLICATIONDE CONVENTION GÉNOCIDE (OP.IND.LAUTERPACH 4T)6

contre un démembrementlorsqu'ilest clairque la population de cet Etat
est divisée etqu'on ne peut pas dire qu'ellecompose un ((groupe natio-
nal» au sens où cette expression est employéeà l'article premier de la
convention. La Cour esttout autant tenue de prendre actejudiciairement
de l'évolution politique actuelleen Bosnie-Herzégovinequ'elle doit le
faire pour les événementsantérieurs qui affectent la population musul-
mane de cet Etat et qui clairement constituent un génocide. L'évolution
récenteexcluttoute idéeque la division,par lavoied'un accord, duterri-
toire de la Bosnie-Herzégovineentre les Musulmans, les Serbes et les

Croates du payspuisseêtre considéréceommeun génocide.

7. Lesseptième, huitième et neuvièmemesuressollicitées

119. La teneur de ces mesures ressembletellemenà celledes sixième,
quatrième et cinquièmemesures, respectivement, qu'il n'estpas néces-
saire d'y répondre séparément.Autant qup eossible, ellessont couvertes
par les mesuresindiquéesci-après.

8. La dixièmemesuresollicitée

120. La dixièmemesure est que
«Les forces de maintien de la paix des Nations Unies en Bosnie-
Herzégovine (c'est-à-direla FORPRONU) doivent faire tout ce qui
est enleur pouvoir pour assurerl'acheminement continu desfourni-
tures d'assistance humanitaire au peuple bosniaque par la ville

bosniaque de Tuzla.»
121. Commeiln'aétéprésentà élaCour aucunélémentétablissan qtue
lesforces de maintien de la paix de l'ONU en Bosniefassent quoi que ce
soit d'autre quetout ce qui est en leur pouvoir pour remplir leurs obliga-
tionshumanitaires,cette demande estsansfondement etiln'yapaslieude

l'examiner.

122. En exprimant mesconclusionssurla secondedemandeen indica-
tion de mesures conservatoires présentéepar le demandeur, je tiens
d'abord àrépéterqueje souscris au dispostifde l'ordonnance dela Cour.
Mais, commeje l'ai déjà dit,j'aurais préférue la Cour traitât de façon
plus détaillée certains aspectsde l'affaire et qu'elle allât au-delà d'une
réaffirmationdesmesuresindiquéesdans sonordonnance du 8avril 1993.

Je développerai donc,au paragraphe 123ci-après,un certain nombre de
mesures conservatoires qui,à mon avis, rentrent dans Ie champ de la
convention sur legénocideetdans celuidu dispositifde l'ordonnance de
la Cour etquej'aurais souhaitévoirexpressémentinclusesdans cedispo-
sitif.Auparagraphe 124,j'exposeraicertainesmesuresadditionnellesqui,447 APPLICATIONOFGENOCIDE CONVENTION (SEP .P.LAUTERPACHT)

Convention, lie, in my view,within the scope of the Court's jurisdiction
based on forumprorogatum.

123. Inthe exerciseofthe jurisdiction conferred upon itby Article IX
ofthe GenocideConvention :

A. The Court should have ordered Yugoslavia (Serbia and Monte-
negro)and anyauthorities orpersons,whethermilitary or civil,subjectto
itscontrol,direction orinfluence,immediatelyto cease,and subsequently
to refrain from, any act amounting to, contributing to, or supportive of
genocide in Bosnia-Herzegovina.
The acts of, or associated with, genocide which should have been
covered by the Order are those acts listed in Article II of the Genocide
Convention.
Theprohibition should have extended,but not been limited,to :

(i) providing or permittingthe provision ofweapons,ammunition, mili-
tary supplies and financial, commercial or any other aid, except of a
strictlyhumanitarian character, to anyforces,authorities orindividu-
alsengagedorengagingin Bosnia-Herzegovinainhostilitiesorarmed
actionsagainstthe Government of the Republic of Bosnia-Herzego-
vina or againstanypersonswithinthe territorial limitsof that Repub-
lic as established at 6 March 1992who acknowledge its authority or

claimits protection, and

(ii) "ethnic cleansing" or conduct contributing thereto such as attacks
and firing upon, sniping at and killingof non-combatants, and bom-
bardment and blockade ofareasofcivilianoccupation and other con-
duct havingasitseffectthe terrorization ofciviliansinsuch amanner
asto leadthemtoabandon theirhomes.

B. The Court should further have declared that,as between the Appli-
cant and the Respondent,the imbalancein the supply of weaponry as a
result of the embargo established by Security Council resolution 713
(1991)and the grave disadvantage under which the Applicant has thus
been placed has a sufficient causal connection with the continuance of
genocide in Bosnia-Herzegovinato raise the question of itscompatibility
with jus cogensand thus place indoubt itscontinuingvalidityinamanner
callingfor further consideration by the SecurityCouncil.

124. In addition, in the exerciseof thejurisdiction conferredupon the
Court by the request of the Applicantfor interim measures contained in
the act offorumprorogatumconstituted bythe letter of 1April 1993from
the Respondent to the Registrar of the Court, the Court should have
ordered both Parties and those subjectto their authority or contro:bien quesortantdu champd'application delaconventionsurlegénocide,
relèventàmonavisdel'étendue delacompétencedelaCour fondéesurle
forumprorogatum.
123. Dans l'exercice de la compétence qui luiest conféréepar l'ar-
ticleIX de la convention sur legénocide :

A. La Couraurait dû ordonner àla Yougoslavie(Serbieet Monténégro)
età toutesautoritésoupersonnes, militairesou civiles,setrouvant sousson
contrôle,sonautoritéousoninfluence,de cesserimmédiatementde com-
mettretout acteéquivalantaugénocideenBosnie-Herzégovineoucontri-
buant ou constituantun appui à cegénocideet de s'enabstenir à l'avenir.
Les actes de génocide, ou ceux qui sont assimilésau génocide, qui
auraient dû êtrecouvertspar l'ordonnance sontlesactesénumérés à i'ar-
ticle II de la convention sur legénocide.
L'interdiction auraitdû s'étendreaumoinsauxactessuivants,sans que
cetteénumération soitlimitative :

i) lefait defournir oudepermettre lafourniture d'armes,demunitions et
de matérielsmilitaires, ainsi que d'une aide financière, commerciale
ou autre,sauflorsquecetteaide revêutn caractèrestrictementhumani-
taire,à desforces, autoritésouindividuss'étantlivrésou selivranten
Bosnie-Herzégovine à des hostilitésouàdes actions arméescontre le
Gouvernement de la Républiquede Bosnie-Herzégovineou contre
toutes personnes, a l'intérieur deslimites territoriales de cette Répu-
blique,telles qu'établiele 6 mars 1992,qui reconnaissentson autorité
ouinvoquentsaprotection, et
ii) la ((purification ethnique »outoute conduitey contribuant, commele
fait d'attaquer desnon-combattants etde lestuer en ouvrant lefeu sur

eux, notamment au moyen de tireurs embusqués,ou de procéderau
bombardement et au blocus de zones occupéespar des civilset toute
autreconduiteayant pour effetdeterroriserlescivilspour lesamener à
abandonner leursfoyers.
B. La Cour aurait aussi dû déclarer qu'entre ledemandeur et le dé-
fendeur le déséquilibre en matièrede fourniture d'armes résultantde
l'embargo établipar la résolution713 (1991)du Conseil de sécuritée ,tla

situation gravement désavantagéedans laquellele demandeur a ainsi été
placé,a un lien de causalité suffisantavecla persistance du génocide en
Bosnie-Herzégovinepour s'interrogersurlacompatibilitéde cetembargo
aveclejus cogensetpour mettreainsiendoutesavaliditécontinue,detelle
sorte quelaquestiondoit-êtreexaminéeplusavanp tar leConseildesécu-
rité.

124. En outre,dans l'exercicede la compétenceconférée àla Cour par
la demande en indication de mesures conservatoires présentéepar le
demandeur et par l'actede forumprorogatum constituépar la lettre que le
défendeuraadressée auGreffier lele'avril 1993,laCour auraitdûordon-
ner aux deux Parties et aux personnes soumises à leur autoritéou à leur
contrôle :448 APPLICATIONOFGENOCIDE CONVENTION (SEP . P.LAUTERPACHT)

(i) to comply strictlywith any agreement or agreementsfor a cease-fire
to which they may be, or may become, parties;
(ii) to respect the Geneva Conventionsfor the Protection of Victims of
War of 1949and the 1977Additional Protocols thereof;

(iii) to release immediately from al1prisons and detention camps al1
Muslims, Serbs or other persons who are being detained because
of their ethnic origin, and to terminate forthwith the torture and
maltreatment of such persons ;

(iv) to allow, without delay, the free movement of al1those who, by
reason of the conflict and insecurity in Bosnia-Herzegovina wish
voluntarily to leavetheir homes and move elsewhere;
(v) to refrain from any further destruction of mosques, churches,other
places of worship, schools,libraries, museums and any other estab-
lishments or institutions associated with the ethnical or religious
identity of any group in Bosnia-Herzegovina; and
(vi) to end immediately al1acts of discriminationin any territory under
their control based on nationality, religionor ethnicidentity, includ-
ing any discrimination relating to the delivery of humanitarian aid
and, tothat end,to CO-operatewith and render al1aid and assistance
within their power to UNPROFOR, UNHCR and other agencies,
whether intergovernmental or non-governmental, in providing and
protectingsafe havensand otherlocalitiesofsheltered civilianabode
and in carrying necessary non-military supplies to such places.

(Signed) Elihu LAUTERPACHT. i) de respecterstrictement tout accord ou tous accords de cessez-le-feu
auxquelsellesseraientoupourraient devenirparties ;
ii) derespecterlesconventionsdeGenèvede 1949pour laprotectiondes
victimes de la guerre ainsi que les protocoles additionnels à ces
conventionsde 1977 ;
iii) de libérerimmédiatemend t etoutes lesprisons et camps de détention
tous les Musulmans, Serbesou autres personnes qui y sont détenues
en raison de leur origine ethnique, et de mettre fin immédiatement
auxtortures etauxmauvaistraitements infligés à cespersonnes ;
iv) de permettre sans tarder le libre déplacementde tous ceux qui, en
raison du conflitetde l'insécuriten Bosnie-Herzégovine,souhaitent
volontairementquitterleursfoyers ets'établirailleur;
v) de s'abstenir de toute nouvelle destruction de mosquées,églises,

autreslieux de culte,écoles,bibliothèques,musées etautres établisse-
ments ou institutions ayant un lien avec l'identité ethnique oureli-
gieusedetout groupeenBosnie-Herzégovine;
vi) de mettre immédiatementfin,surtout territoire setrouvant sousleur
contrôle,à tout acte de discrimination qui seraitbasésur la nationa-
lité,la religion ou l'identité ethnique,y compris toute discrimination
ayant traità la fourniture d'une aide humanitaire et,à cette fin, de
coopérer avec la FORPRONU, le HCR et les autres institutions,
qu'elles soient intergouvernementales ou non gouvernementales, et
de leur prêtertoute aide et assistance en leur pouvoir dans le but
d'aménageret de protéger des zonesde sécurité et autres localités
pouvant servir d'abris habitablespour les civilset d'yacheminer les
fournitures non militairesnécessaires.

(Signé E)lihu LAUTERPACHT.

Document file FR
Document Long Title

Opinion individuelle de M. Lauterpacht, juge ad hoc (traduction)

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