Opinion individuelle de M. Shahabuddeen (traduction)

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086-19910729-ORD-01-03-EN
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OPINION INDIVIDUELLE DE M. SHAHABUDDEEN

[Traduction]

J'ai votéen faveur de l'ordonnance de la Cour, mais j'aimerais expli-
quer ma démarche et mon raisonnement en ce qui concerne la question

juridique de savoir si un Etat qui demande des mesures conservatoires
doit établirprimafLlcie le bien-fondé de sa thèse quant à l'existence du
droit qu'il cherche àsauvegarder par ces mesures.
Les Parties ont engagé la controverse sur cette importante question
(paragraphe 21 de I'ordonnance). Si le Danemark avait raison de pré-
tendreque la Finlande étaittenue d'établir primafaciele bien-fondéde sa
thèse ence qui concerne l'existencedu droit qu'ellecherchait à sauvegar-

derpar lesmesuresconservatoires, mais que la Finlandene l'avaitpas fait,
celasuffisait à écarterla demandede la Finlande. La décisionde la Cour
est exposéeau paragraphe 22 de I'ordonnance. Eu égard aux termes de
cettedécision, j'estimenécessairedeprésentermaposition. Amonsens, la
Finlande était tenue d'établir primafacie le bien-fondéde sa thèse,c'est-
à-dire de démontrer lapossibilitédel'existencedu droit de passagespéci-
fique qu'elle revendique à l'égarddes navires de forage et des plates-

formespétrolières d'ontle tirant d'air dépasse65 mètres.Si la prétention
du Danemark netientpas, c'est,selon moi,parce que la Finlande aeffecti-
vement réussi à démontrer cettepossibilité.
Le problème est le suivant: est-il loisible à la Cour, par des mesures
conservatoires,d'empêcherun Etat de faire ce qu'il prétend avoirle droit
de faire, sans l'avoir entendu défendre ce droit, ou sans avoir exigéde
1'Etatrequérant qu'il démontreau moins la possibilitéde l'existence du

droit pour la sauvegarde duquel les mesures sont demandées? La Cour
ne s'est jamais prononcée sur la question. Quant à la doctrine, elle est
divisée1.Par ailleurs, il ne fait pas de doute qu'ici comme dans tant

-
Voir,par exemple, Giuseppe Tesauro, «Lemisure cautelaridella Corte intemazio-
nale di Giustiziav, Comunicazioniestudi, 1975,vol. 14,p. 897 et sG.vMerrills,
«Interim Measures of Protection and the Substantive Jurisdiction of the International
Court », Cambridgelani Journal,1977,vol.36,p. 100-102;J. B. Elkind, «The Aegean
Sea Case and Article 41 of the Statute of the International Court of Justice », Revue
in the HagueCourt, 1983,p. 97, 123,259 et 260; et compaE.rDumbauld, Interimeasures
Measures of ProtectioniInternational Controvers, 932,p. 160-161; M. H. Mendel-
son, «Interim Measures of Protection in Cases of ContestedJurisdiction »,BritishYear
BookofInternationalLaw, 1972-1973,vol.46, p. 315-316,321; V.S.Mani, «Notesand
Comments on Interim Measures of Protection: ICJ Practice», IndianJournalof lnter-
nationallaw, 1973,vol. 13,p.265et272,et,du mêmeauteur, InternationalAa'judication:
ProceduralAspects,1980,p. 293. PASSAGE PAR LE GRAND-BELT (OP.IND. SHAHABUDDEEN) 29

d'autres domaines il.faut faire preuve d'une grande circonspection avant
d'emprunter au droit interne des idéessur ce chapitre.
Indiquer des mesures conservatoires sans obliger 1'Etat requérant à
démontrer qu'il existe un fondement défendable à l'existence du droit
qu'il cherche àprotéger semblerait difficilà concilier avec le caractère
exceptionnel de cette procédure. C'est là un problème assez délicat,
comptetenu de lanature consensuelle de la compétencede la Cour. Ainsi
que Dumbauld l'afait observer :

((Les mesure:sconservatoires sont toujours une voie de recours
exceptionnelle. Elles constituent en effetune dérogationpar rapport
à la règlehabituelle selon laquelle le plaignant ne peut obtenir ce
qu'ildemande t.antqu'il n'apaspleinementétabli lebien-fondéde sa
thèseet que tous les arguments et toutes les objections de son adver-
saire n'ont pas été entenduset examinés. » (E. Dumbauld, Interim
Measures of Protectionin International Controversies,1932,p. 184.)

Il n'est pas douteux; que c'esà cela que pensait Dumbauld lorsqu'il a
écrit:

«Des mesures conservatoires doivent être indiquées si la Cour
«estime» («considers ») que les circonstances l'exigent. Il semble
donc que la seule chose qui soit exigéesoit de démontrer prima
faciela probabilité d'un droit et d'un préjudice.))(Zbid.,p. 160-161,

par.9.)

Le caractère exc:eptionnel des mesures conservatoires, sur lequel
Dumbauld appelle l'attention, revêtune signification accrue si on
rappelle qu'il n'a pas encore été établisi la jurisprudence de la Cour
permet d'indemniser unepartiedetout préjudice qu'elle aurait subien se
conformant à une mesureconservatoire dans lecas où ilseraitfinalement
jugé que cette mesiire était injustifiée;ce point, qui a étésoulevé en
l'espèce,n'a pas appelédedécisionet n'est pas encore tranché.
Lefacteurpeut-êtreleplus important qui ait contribuéà créerl'impres-
siongénéralequisernblesedégager,etqui estsans doute compréhensible,
à savoir que la Cour ne doit pas sedemander sil'existencedu droit reven-
diquéaété établieprimafacie, estla nécessité d'évitdre paraître enquel-
que manière préjugerdu fond. Ce danger ne saurait êtreoublié;il est à
l'évidenced'une importance particulière dans le domaine délicat des

litiges entre Etats. Toutefois, en contrepoidsde cette considération, il
importe de rappeler que 1'Etatdont on cherche à limiterl'action peut lui-
mêmeavoirintérêt àmontrer que 1'Etatrequérantn'apas réussi à prouver
la possibilitéde l'existence du droit qu'il veut voirprotéger: enl'espèce,
par exemple, c'estle:Danemark, le défendeur, qui soulèvela question de
savoir siledroit revendiquépar laFinlande, ledemandeur, existe.Quant à
1'Etatrequérant, il peut difficilement s'opposeràl'exigence d'établir la
possibilité de l'existence du droit qu'il revendique, au motif que cela
risquerait de préjuger l'affaireau fond; le fait qu'il aurait eu, par-thèse,l'occasionde respectercette exigence suffirait en effeà répondre à
toute objectionainsi motivée.Enoutre, dans l'évaluationdu risque qu'ily
a àpréjugerdu fond, ilfaut serappeler que ceque laCour examine cen'est
pas la question de savoir si le droit qu'on cherche à sauvegarder existe
effectivement,mais si1'Etatrequéranta démontréune quelconque possi-
bilitédeson existence.L'expériencejudiciairegénéraleenseigneque cette
distinction n'est pas artificielle, mais bien réelle.en pas douter, une
décision constatant qu'une telle possibilitéexisteestà l'évidenceloin de

constituer un arrêt provisionnel.
Il est improbable que la Cour soit liéepar la seule affirmation de
certains droits, même s'ilest manifeste que leur existence est juridique-
ment impossible. Si ce fait est admis, comme il l'est par la Finlande, le
point de vue selon lequel la Cour doit se soucier d'obtenir confirmation
effectivede la possibilitéde l'existencedesdroitsrevendiqués s'entrouve
revigoré;la mesure dans laquellecettepreuve doit êtrefaitedépend de la
nature et des circonstances de chaque espèce.J'examinerai la question
en me plaçant dans l'hypothèseoù 1'Etatrequérant se trouve également
êtrele demandeur dans l'affaire principale, comme dans la présente
espèce.
Il semble que la Cour en soit venue à adopter l'usage de vérifier
primafaciesacompétencepour connaître du fondlorsqu'elle décides'ily

a lieu d'indiquer des mesures conservatoires (voir Essais nucléaires
(Australie c.France),mesures conservatoires,C.I.J.Recueil 1973,p. 101,
par. 13,et p. 102, par. 1; Essaisnucléaires (Nouvelle-Zélande cF . rance),
mesuresconservatoiresC , .I.J.Recueil973,p. 137,par. 14,etp. 138,par. 18;
Personneldiplomatiqueet consulairedes Etats-Unis à Téhéran, mesures
conservatoires, C.I.J.Recueil1979,p. 13,par. 15,et p. 14,par. 18et 20;
Sentence arbitraledu 31juillet 1989 (Guinée-Bissauc. Sénégal), mesures
conservatoires,C.I.J.Recueil1990,p. 68-69,par. 20et 22).Il sembleégale-
ment établique le pouvoir de la Cour d'indiquer des mesures conserva-
toires est distinct de sa compétence pour connaître du fond (voir
Dumbauld, op.cit.,p. 165et 186;M. O. Hudson, ThePermanentCourt of
International Justice,1920-1942, NewYork, 1943,p. 425; Anglo-lranian
OilCo.,exceptionpréliminaireC , .I.J.Recueil1952,p. 102et 103;Znterhan-
del,mesuresconservatoiresC , .I.J.Recueil1957,p. 118,opinionindividuelle

de M. Lauterpacht; S.Rosenne, TheLaw andPracticeof theZnternational
Court, 1965,vol. 1,p. 422 et 423; sir Gerald Fitzmaurice, TheLaw and
ProcedureoftheInternationalCourtofJustice, 1986,vol.2,p. 533et suiv.).
Cela étant, lorsqu'elle examine si elle a,prima facie, compétence pour
connaître du fond, la Cour ne se demande pas si elle a le pouvoir d'indi-
quer desmesures con.servatoires(cepouvoir reposant surune autrebase),
mais elle se demande plutôt si l'affaire se prête bien à l'exercice de ce
pouvoir. En d'autres termes, la question de savoir si la compétence au
fond existe primafacie se rapporte aux «circonstances »,au sens de l'ar-
ticle 41 du Statut (voir. O. Hudson, «The Thirtieth Year of the World
Court », AmericanJournalof ZnternationalLaw, 1952,vol. 46, p. 22; et
Plateau continentalde la merEgée, mesures conservatoireC s,.I.J.Recueil1976,p. 15et 16,opinion individuelle de M. Jiménezde Aréchaga,Prési-
dent, et p. 25,opinion individuelle de M. Mosler).
La compétence au fond n'est cependant qu'un élémenq t ue le deman-
deur doit établirpour obtenir gain de cause dans l'instance qu'il a intro-
duite - véritéque rie diminue en rien, à mon sens, l'importance de cet
élémentoulefaitqu'ilpuisseêtredébattu à titre de questionpréliminaire.
Sile demandeur ne peut établir prima faciel'existence de la compétence

au fond, cette circonstance montre qu'il n'a aucune chance de succès.
Pourquoi limiter le demandeur à devoir faire la preuve prima facied'un
seul des élémentsqu'il devra établir pour obtenir gain de cause? On
comprend aisément que la preuve de I'existence effectivedu droit reven-
diqué ne peut faire partie des «circonstances » au sens de I'article 41 du
Statut,mais relève plutôt du fond. Il est moinsfaciled'admettre la même
affirmation en ce qui concerne l'établissementde la possibilitéde l'exis-
tence du droit.Il n'est pas donné àentendre ici que I'Etat requérant doit
prévoirchacune desquestionsquipeuventsurgirlors de l'examendufond
et y répondre. La mesure dans laquelle il doit le faire dans chaque cas
dépend dela nature et descirconstances de l'affaire. Cequiimporte, c'est
qu'ilprésente desélémentssuffisantspour prouverlapossibilitéde l'exis-
tence du droit qu'il chercheà voir sauvegarder.Je ne suis pas certain que
ce point de vue soit riécessairementdifférentde la position adoptéedans

ladéclaration commimede M.Ammoun, Vice-Président,et de MM. Fors-
ter et Jiménezde Aré:chagadans les affaires sur la Compétence enmatière
de pêcheries(C.Z.J..Recueil 1972,p. 18 et 36). S'ill'est, je me permets
respectueusement de différerd'opinion.
Bien que la Cour ri'aitapparemment pas jusqu'à présent eul'occasion
derépondrede façondéfinitive à laquestionexaminéeici,ilpeut êtreutile
de voir la manièredont cettequestion a été traitée, l'occasion, devantla
Cour et,parfois, par :laCour elle-même.Pour résumer,bien queje recon-
naisse que d'autres interprétations des textes ne soient pas exclues, il
semble que dans certaines affaires I'argumentation ait été objectivement
façonnéede manière à prouver ou à réfuterlapossibilitéde I'existencedu
droit revendiqué, mêmelorsque cet objectif n'étaitpas explicitement
déclaré.
Dans l'affaire du Statutjuridiquedu territoiredusud-estdu Groënland,

M. Adatci, Président, avait effectivement indiqué aux conseils qu'il ne
fallait pas empiéter sur le fond dans I'argumentation sur les mesures
conservatoires (C.P.J.Z.série Cno69, p. 16, 32 et 48). Néanmoins, dans
l'ordonnance qu'elle renditultérieurement,la Cour eutl'occasion defaire
remarquer ce qui suit :

«aux termes de l'exposéde M. Steglich-Petersen [conseil du Dane-
mark], «la demande norvégienne qui a pour objet l'indication de
mesures consenlatoires ne trouve pas d'appui dans l'article 41 du
Statut et I'articledu Règlement» - lesquelsne traitent que de la
préservation des droits del'une ou de l'autre Partie-, étant donné
que, selonlui, la Norvège n'estbénéficiaire,dans leterritoire dont il s'agit, d'aucun droit susceptible de fairel'objet d'une mesureconser-
vatoire»(C.P.J.I.sérieA/B no48,p. 282).
On aura constatéque, comme dans la présente espèce,c'est 1'Etatdont on
cherchait àlimiterl'action(àl'époque, commeaujourd'hui, le Danemark)

qui affirmait effectivement que1'Etatquidemandait des mesures conser-
vatoires n'avait pas réussiprouver l'existence de droits quelconques qui
fussent susceptibles d'être protégépsar de telles mesures. La décision fut
fondéesur d'autres considérations, mais cela n'enlèverien à l'argument
développéici en ce qui concerne la manière dont le conseil du défendeur
avait compris les exigences de I'affaire.
Ilsemblejustifiédepenser que certains aspects de la question juridique
de fond ont été examinéd se façon provisoire par la Cour dans l'affaire
de I'Anglo-Iranianloi1Co., mesures conservatoires(C.I.J. Recueil 1951,
p. 92 et 93) et dans llesaffaires de la Compétencen matièredepêcheries,
mesures conservatoires (C.I.J.Recueil1972,p. 15et p. 33) (voirà ce sujet
M. H. Mendelson, «Interim Measures of Protection in Cases of Con-
tested Jurisdiction», BritishYearBook of International Law, 1972-1973,

vol. 46, p.316).
Dans l'affaire des Essais nucléaires (Australie c.France),bien qu'elle
n'aitpas comparu,la France avait contestéla position de l'Australiesur le
fond (C.I.J.Recueil1973,p. 104et 105,par. 28).Relevant legant, M. Elli-
cott, Q.C., Solicitor-Generald'Australie, fit ce qu'il décrivit lui-même
comme un «bref exposé générad l u droit applicable, sur le fond,à la
demande de 1'Austrillie»,aprèsquoi ilajouta :

«Cet exposé devrait suffire, selon moi, à montrer le sérieux et le
bien-fondé des arguments invoqués par l'Australie à l'appui de sa
thèse, selon laquelle la poursuite, par la France, d'essais nucléaires
dans lePacifique Sud n'estpascompatibleavec lesrèglesapplicables
du droit international.» (C.I.J. Mémoires, Essaisnucléairesv ,ol. 1,
p. 189.)

Leconseil de l'Australie s'efforçaitde combattre la position françaisejus-
qu'à démontrer que l'Australie avait bel et bien une position défendable
sur le fond. Certes, il estvrai que la Cour sebornadire ce qui sui:

«aux fins de la présente procédure,il suffit de noter que les rensei-
gnementssoumis à laCour,y compris lesrapports du Comitéscienti-
fique des Nations Unies pour l'étude des effetsdes rayonnements
ionisants présentésentre 1958 et 1972,n'excluent pas qu'on puisse
démontrer que: le dépôt en territoire australien de substances
radioactives provenant de cesessaiscauseun préjudice irréparable à
l'Australie» (C.I.J. Recueil 1973, p. 105, par. 29; voir aussi ibid.,
p. 141,par. 30).

La Cour n'a donc pas dit que ce préjudice possible qui serait causé à
l'Australie pouvait violer un droit possible de celle-ci; je ne sous-estime
pas lavaleur de cefait pour mescontradicteurs éventuels.Ilsemble cepen-dant quelque peu improbable que la Cour aitpu reconnaître que 1'Austra-
lie «puisse »démontrer qu'un préjudice irréparable lui était causépar le
dépôt sur son territoire de substances radioactives provenant des essais
nucléairesfrançaissansen mêmetempssupposer que l'Australiepourrait
également démontrerqu'il existait au moins une possibilité qu'un tel
préjudiceviole quelque droit australien.Il est difficiled'imaginer que les
arguments présentés à cet effet par le conseil n'aient pas été présenàs
l'esprit de la Cour lorsqu'elle adopta la déclaration citéeplushaut etindi-
qua desmesuresconservatoiresqui touchaient un important programme
de la France.
Dans l'affaire du Plateau continentalde la mer Egée,le professeur
O'Connell, parlant au nom de la Grèce, formulait ainsi sa position:
«Nous sommes seulementtenus de démontrerque primafaciela Grècea
des droits qui sont menacés » (C.I.J.Mémoires, Plateau continenta dle la
mer Egée, p. 89). Il réitéra cette iàédeux autres reprises (ibid.,p. 97
et 115).

On peut égalementse référer à C.I.J.MémoiresP , ersonneldiplomatique
etconsulairedesEtats-Unis à Téhéra(np.21et suiv.et 25etsuiv.)pourune
longue argumentation à l'appui du fond de la demande des Etats-Unis.
Rejetant un argument de l'Iran selonlequel la demande formuléepar les
Etats-Unis impliquait «que la Cour ait jugé de la substance mêmede
l'affaire qui lui [étsoumise »,la Cour a déclaréque

«unedemande(enindicationde mesures conservatoiresa nécessaire-
ment,par sa naluremêmeu ,nlienaveclasubstancede l'affairepuis-
que, comme 1'a.rticle41 l'indique expressément, son objet est de
protégerle droit de chacun ..» (Personneldiplomatique etconsulaire
des Etats-Unisà Téhéran,mesuresconservatoirC es.,I.J.Recueil1979,
p. 16,par. 28;les italiques sontde moi).

Bien qu'il n'y eût pas lieu d'en conclure qu'elle rendait une quelconque
décisiondéfinitive,laCour sesouciaitmanifestementd'obtenir confirma-

tion effectivede cequ'elleétaitfondée àconsidérerque lesdroits que l'on
cherchait à faire protégerpar des mesures conservatoiresexistaient bien
au regard dudroit international etqu'ilsétaienteffectivementviolés(ibid.,
p. 17-20,par. 34-43). Lescirconstances particulières de l'affaire peuvent
expliquerpourquoi liiCour aété siloin dans l'examendufond, maislefait
mêmequ'elle ait examinéle fond sembletenir à des considérations plus
générales, impliquant qu'elle reconnaissait qu'un Etat qui lui demande
d'indiquer desmesuresconservatoiresdoitconvaincrela Cour qu'ilaune
position défendable pour étayerl'existence des droits qu'il cherche à
protéger enattendantun arrêt définitif.
En l'affaire des Alctivitémilitaireset paramilitairesau Nicaragua et
contre celui-ci(Nicaragua c. Etats-Unis dlmérique), mesures conserva-
toires,a Cour a soigneusement exposédans son ordonnance les circons-
tances pertinentes,en seréférant aux élémend tse preuve présentéspar le
Nicaragua, et adécla.ré: PASSAGE PAR LE GRAND-BELT (OP.IND.SHAHABUDDEEN) 34

((Considérantque la Cour dispose de nombreuses informations
sur les faits de la présente espèce,y compris des déclarations offi-
cielles des autoritésdes Etats-Unis; que la Cour,dans le contexte de
la présente procédure, doit, conformément à l'article 41 du Statut,
examiner silescirconstancesportées à sonattention exigent I'indica-
tion de mesure:sconservatoires, mais n'est pas habilitéeà conclure
définitivement sur les faits, et que sa décision doit laisser intact le
droit du défendeurde contester lesfaitsalléguéset de fairevaloirses
moyens sur le fond» (C.I.J. Recueil1984,p. 182,par. 31 ;voir aussi
ibid.,p. 181-182,par.29-30).

Evidemment la Corn ne pouvait pas ((conclure définitivement sur les
faits» à ce stade; cependant, il est improbable qu'elle n'ait pas pris
conscience de ce que les ((nombreuses informations sur les faits» dont
elle était saisiesuffisaieàtrévélerque le Nicaragua avait au moins une
position défendable pour étayerle fond de sa demande.
On ne saurait imputer automatiquement à la Cour les positions prises
ou adoptéespar desconseils, surtout lorsquela Cour ne s'estpas pronon-
cée.Mais on aurait également tort de vouloir comprendre les positions
prises par la Couren faisant abstraction du contexte de l'argumentation.
Il est bien connu qu'il faut fréquemment se reporter aux arguments des
conseils pour comprendre ce qu'a faitréellementun tribunal.
Je nedispasquetoutes cesaffaires - etellesne sont pas nombreuses -

vont systématiquenient dans le sens de l'interprétation proposée,ni
qu'elles sont touteskgalement parlantes; et l'on aurait certainement tort
d'exagérer lavaleur éventuellede l'une quelconqued'entre elles à l'appui
de cette interprétation. Mais si l'on considère l'effet cumulatif de ces
affaires, le schémagénérad le l'argumentation des conseils,commeaussi
la réactionde laC0u.r àcertainesoccasions, par exemple dans l'affaire du
Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran,semble
concorder objectivement avec l'interprétation du droit qu'énonçait
M. Anzilotti dans son opinion dissidenteenl'affaire de la Réformeagraire
polonaiseet minoritéallemande,lorsqu'il déclarait:

«Si la summaria cognitio,qui est le propre de ce genre de procé-
dure, permettait de retenir la possibilitédu droit revendiquépar le
Gouvernement allemand et la possibilitédu danger auquel ce droit
serait exposé,il me serait difficiled'imaginer une demande en indi-
cation de mesures conservatoires plus juste, plus opportune, plus

appropriée que celle dont il s'agit.(C.P.J.I. sérieA/B nO58,p. 181,
les mots sont eriitaliques dans l'original.)

Cette déclaration a été invoquée par des conseils dans deux affaires
ultérieures(voir C.I.J. Mémoires,Anglo-ZranianOil Co.(mesuresconser-
vatoires), p. 415-416,sir Frank Soskice, Q.C., et C.Z.J.Mémoires,Compé- PASSAGE PAR LE GRAND-BELT (OP. IND.SHAHABUDDEEN) 35

tenceenmatièredepêcheries(mesuresconservatoires),vol. 1,p. 99-100,sir
Peter Rawlinson, Q.C.). Dans la dernière affaire, le conseilobservait:
«M.Anzilotti, àla suited'un examenpréliminaire de cetteaffaire,
et tenant compte seulement de la possibilité d'un danger possible
pour un droit possible du demandeur, était disposé a ordonner au

défendeur de suspendre un vaste programme de réforme agraire
entrepris sursalnpropre territoire. »(Zbid.,p. 100.)
M. Anzilotti y était:effectivement disposé, mais seulement, comme le
reconnaissait le coriseil, s'il était convaincu de la «possibilité du droit
revendiquépar le Gouvernement allemand et [de]lapossibilitédu danger

auquel ce droit serait exposé».Sans ce minimum d'assurance, il n'aurait
guère pu aller jusqu'a être disposé à ((ordonner au défendeur de sus-
pendre un vaste programme de réforme agraire entrepris sur son propre
territoire.
On conçoit mal comment il pourrait en aller autrement s'agissant du
vaste programme de:construction entrepris sur le territoire du défendeur
en l'espèce.La Cour aurait-ellevraiment pu arrêter la construction d'un
projet de plusieursmilliards de dollars,entrepris par ledéfendeursur son
propre territoire, sans s'assurer d'abord que1'Etatrequérant pouvait au
moins démontrer la.possibilitéde l'existence du droit qu'il cherchait à
faireprotéger? Ilme:semble que seulel'autorité juridique laplus claire et
la plusconvaincante pouvaitobligerla Cour à admettre qu'elle pouvait le
fairelégitimement.Or, àmon avis,iln'existedans la doctrine publiée à ce

sujet aucune autorité ayant pareille force. Je ne vois certainement rien
dans les circonstarices »de l'affaire qui aurait pu amener la Courà agir
de cettefaçon. Quant a l'urgence, elle peut justifier que I'on appliquede
façon sommaire ce qui me sembleêtreuneexigence ancréedans un prin-
cipe fondamental -- maisnon qu'on y passeoutre.
Lefait que la Cour sesoit réservé droit, envertu de l'article 75de son
Règlement, d'exercer le pouvoir que lui donne le Statut d'indiquer
d'office des mesures conservatoires, ne semblepas suffisant pour laisser
entendreque la Cour peut exercer cepouvoirsansd'abord examiner s'ily
a une quelconque possibilité que le droit que I'on cherche à protéger
existe.
Je puisajouterquetout enappréciant savaleur, je nesuispas convaincu
par l'argument selon lequel demander une preuveprima facie de I'exis-

tence possible du droit que l'on cherche a protéger ferait double emploi
avec l'examen du fond. Cela pourrait êtrele cas si 1'Etatrequérant était
tenu de répondre à chaquequestionsusceptible de seposer dans l'examen
du fond. Or, nous l'avons vu, il n'en est pas ainsi, puisqu'il suffit de
présenterassez d'élémentspour montrer la possibilitéde l'existence du
droitque I'onfaitvaloir. Enl'espèce,par exemple, ilsuffit,mon avis,que
le Danemark admette que la Finlande a un droit de passage par leGrand-
Belt;que le Danemark aiteu connaissance de ceque, de 1972 a cejour, la
Finlande a fait passer en tant que de besoin par le Grand-Belt plusieurs
navires de forage et plates-formespétrolières d'un tirant d'air dépassant65mètres;etque,enpleineconnaissance decefait, leDanemark ne sesoit
jamais opposé à leur passage et ne s'yoppose toujours pas, comme d'ail-
leurs il l'a affirméAl'audience. La possibilité,ainsi indiquée,de l'exis-
tence du droit revendiqué peut éventuellementêtre infirmée par d'autres
circonstances; maiscela relèvedu fond.
La formule de M. Anzilotti, évoquée ci-dessus,semble moins suscep-
tible de créerun risquede préjugerdu fond que lavérification primafacie
telle qu'elle est couramment comprise; et je la préfère.Je crois cepen-

dant qu'il n'est pas nécessairede s'attarder aux distinctions subtiles que
connaît le droit interne dans ce domaine; et que par conséquent,pour les
besoins des litiges iriternationaux, cela revient en substance au mêmede
parler de vérifierle fondement primafacie, ou de vérifiersi la question à
juger estsérieuse' 01.encore de vérifiers'ilexiste un dangerpossible pour
un droit possible.
Ma conclusion estqu'un Etatqui demandedes mesures conservatoires,
comme la Finlande, est tenu d'établirl'existencepossible des droits qu'il
cherche à faire protégerau sens où M. Anzilotti disait que la Cour tenait
compte, par summaria cognitio,de «la possibilitédu droit revendiqué ...et
[de]la possibilitédu danger auquel ce droit seraitexposé» ; mon avis,on
ne peut pas sérieuse:mentarguer du contraire aprèsl'affaire du Personnel

diplomatique et con,sulairedes Etats-Unis a TéhéranQ . uoi qu'il en soit,
pour lesraisons indiquéesci-dessus,je croisque la Finlande a établicette
possibilité.C'est pour d'autres motifs que sa demande n'est pas accep-
table.

(Signé)Mohamed SHAHABUDDEEN.

' Unejuridiction nationale aadoptéun moyen revisépour déterminersilaquestaon
juger est sérieuse;ce moyen ne semble pas avoir entièrement remplacéla vérification
sont très différents (voir The Supreme Court Practice, 1991, Londres, 1990, vol. 1,nus
première partie, ordonnance 29/1/2, p. 498; American Cyanamid Co.v. Ethicon Ltd.
[1975]AC 396HL; FellowesandSonv. Fisher[1976]1QB 122CA; N.W.L. Ltd.v. Woods
[1979]3 Ail ER 614 HL.;Duport Steels Ltd. v. Sirs [1980]1Ail ER 529 HL; et Caynev.
GlobalNaruralResourcasLtd. [1984]1AilER 225CA).

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SEPARATE OPINION OF JUDGE SHAHABUDDEEN

1have voted for the Order of the Court but would like to explain my
approach and reasoning with respect to the point of law whether a State

requesting interim measures must establish a prima facie case as to the
existence of the right sought to be preserved by the requested measures.

Issue wasjoined by the Parties on this important question (para. 21 of
the Order). If Denmark was right in its submission that Finland was
required to show a prima faciecase as to the existence ofthe right sought
to be presewed by the requested interim measuresbut that Finland had
not done so,thissufficed to dispose of Finland's request.Themling ofthe

Court issetoutin paragraph 22ofthe Order. Having regardtotheterms of
themling, 1 consider itnecessary to state myposition.In myview,Finland
was obliged to show a prima facie case in the sense of demonstrating a
possibility of existence of the specificright of passageclaimedin respect
of drill ships and oil rigs in excess of a clearance height of 65 metres.
Where Denmark's submission fails is on the ground, as 1hold, that Fin-
land did in fact succeedin demonstrating that possibility.

The problem presented is this: is it open to the Court by provisional
measures to restrain a Statefromdoing what it claimsithas alegalright to
do without having heard it in defence of that right, or without having
required the requestingState to show that there is at least a possibility of
the existence of the right for the preservation of which the measures are
sought? The Court has never pronounced on the question. Scholarly

opinion is divided on it'. And, no doubt, as in so many other areas, there

' See, for example, Giuseppe Tesauro, "Le misure cautelari della Corte intemazio-
rills, "Interim Measures of Protection and the Substantive Jurisdiction of the Intema-
tional Court", CambridgLaw Journal,1977,Vol.36,p. 86,at pp. 100-102;B.Elkind,
"The Aegean SeaCase and Article 41 of the Statute of the Intemational Court of Jus-
tice",Revue helléniquede droit international,1979, Vol. 32, p. 285, at p. 333; and
Jerzy Sztucki, InterimMeasuresinthe HagueCourt,1983,pp. 97,123,259, and 260; and
compare Dr. E. Dumbauld, InterimMeasures of Protectionin InternationalControver-
sies,1932,pp. 160-161; Dr. M.H. Mendelson, "Interim Measures of ProteinCases
of Contested Jurisdiction", BritishYearBook of InternatLaw,l1972-1973,Vol.46,
p. 259,at pp. 315-316,321; V.S. Mani, "Notes and Comments on Interim Measures of
pp. 265, 272: and, also by him, InternationalAdjudication:Procedural Aspects,1980,
p. 293. OPINION INDIVIDUELLE DE M. SHAHABUDDEEN

[Traduction]

J'ai votéen faveur de l'ordonnance de la Cour, mais j'aimerais expli-
quer ma démarche et mon raisonnement en ce qui concerne la question

juridique de savoir si un Etat qui demande des mesures conservatoires
doit établirprimafLlcie le bien-fondé de sa thèse quant à l'existence du
droit qu'il cherche àsauvegarder par ces mesures.
Les Parties ont engagé la controverse sur cette importante question
(paragraphe 21 de I'ordonnance). Si le Danemark avait raison de pré-
tendreque la Finlande étaittenue d'établir primafaciele bien-fondéde sa
thèse ence qui concerne l'existencedu droit qu'ellecherchait à sauvegar-

derpar lesmesuresconservatoires, mais que la Finlandene l'avaitpas fait,
celasuffisait à écarterla demandede la Finlande. La décisionde la Cour
est exposéeau paragraphe 22 de I'ordonnance. Eu égard aux termes de
cettedécision, j'estimenécessairedeprésentermaposition. Amonsens, la
Finlande était tenue d'établir primafacie le bien-fondéde sa thèse,c'est-
à-dire de démontrer lapossibilitédel'existencedu droit de passagespéci-
fique qu'elle revendique à l'égarddes navires de forage et des plates-

formespétrolières d'ontle tirant d'air dépasse65 mètres.Si la prétention
du Danemark netientpas, c'est,selon moi,parce que la Finlande aeffecti-
vement réussi à démontrer cettepossibilité.
Le problème est le suivant: est-il loisible à la Cour, par des mesures
conservatoires,d'empêcherun Etat de faire ce qu'il prétend avoirle droit
de faire, sans l'avoir entendu défendre ce droit, ou sans avoir exigéde
1'Etatrequérant qu'il démontreau moins la possibilitéde l'existence du

droit pour la sauvegarde duquel les mesures sont demandées? La Cour
ne s'est jamais prononcée sur la question. Quant à la doctrine, elle est
divisée1.Par ailleurs, il ne fait pas de doute qu'ici comme dans tant

-
Voir,par exemple, Giuseppe Tesauro, «Lemisure cautelaridella Corte intemazio-
nale di Giustiziav, Comunicazioniestudi, 1975,vol. 14,p. 897 et sG.vMerrills,
«Interim Measures of Protection and the Substantive Jurisdiction of the International
Court », Cambridgelani Journal,1977,vol.36,p. 100-102;J. B. Elkind, «The Aegean
Sea Case and Article 41 of the Statute of the International Court of Justice », Revue
in the HagueCourt, 1983,p. 97, 123,259 et 260; et compaE.rDumbauld, Interimeasures
Measures of ProtectioniInternational Controvers, 932,p. 160-161; M. H. Mendel-
son, «Interim Measures of Protection in Cases of ContestedJurisdiction »,BritishYear
BookofInternationalLaw, 1972-1973,vol.46, p. 315-316,321; V.S.Mani, «Notesand
Comments on Interim Measures of Protection: ICJ Practice», IndianJournalof lnter-
nationallaw, 1973,vol. 13,p.265et272,et,du mêmeauteur, InternationalAa'judication:
ProceduralAspects,1980,p. 293.is need for caution in having recourse to municipal law ideas on the
subject.
To indicate interim measureswithout requiring the requestingState to
demonstrate some arguable basis for the existence of the right which is
sought to be protected would seemto present a problem of reconciliation
withthe exceptionalcharacter ofthe procedure - aproblemofsome deli-
cacy, regard being had to the consensual nature of the Court's jurisdic-
tion. As obsewed by Dumbauld :

"Interim measures alwaysconstitute an exceptional remedy. They
derogatefrom the usual rule thata plaintiff can not obtain reliefuntil
he hasthoroughlyproved his case,and al1defenses and objections of
his adversary have been heard and considered." (Dr. E. Dumbauld,
Interim Measures of Protection in International Controversies,1932,
p. 184.)

No doubt, Dumbauld had that consideration in mind when stating:

"Indication ofinterimmeasures isto be made ifthe 'Court consid-
ers' ('estime')that circumstances so require. It thus appears that a
prima facieshowing of probable right and probable injury is al1that
isrequired." (Zbid.,pp. 160-161,para. 9.)

The exceptional character of interim measures, to which Dumbauld
drewattention,assumes added significance when it isrecalled that it isnot
settledwhether thejurisprudence oftheCourt allows for compensating a

party forany injury sufferedincomplying withan interimmeasureshould
the latterbe eventually found to have been unjustified; that point, raised
in this case,did not fa11for decision and remainsundecided.

Possibly the most influential factor contributing to a discernible and
perhaps understandable general impression that the Court should not
consider whetherthere isaprima facie caseasto the existence oftheright
claimed isthe needto avoidany appearance ofprejudgment. That danger
mustnot be overlooked; it isclearly of specialimportance in the sensitive
field oflitigationbetweenStates. However,that considerationneeds to be
balanced against the reflection that the State which is sought to be con-
strained may itself have an interest in showing that the requesting state
has failed to demonstrate a possibility ofthe existence of the rightsought
to be protected :inthis case,for example, it is Denmark, the Respondent,
which is raising the question whether the right claimed by Finland, the

Applicant, exists. As for the requesting State, any opposition by it to a
requirement to establish the possible existence of the right claimed can
hardly rest on grounds of prejudgment; for any complaint on such
grounds ismet bythe circumstance that it would exhypothesihave had an PASSAGE PAR LE GRAND-BELT (OP.IND. SHAHABUDDEEN) 29

d'autres domaines il.faut faire preuve d'une grande circonspection avant
d'emprunter au droit interne des idéessur ce chapitre.
Indiquer des mesures conservatoires sans obliger 1'Etat requérant à
démontrer qu'il existe un fondement défendable à l'existence du droit
qu'il cherche àprotéger semblerait difficilà concilier avec le caractère
exceptionnel de cette procédure. C'est là un problème assez délicat,
comptetenu de lanature consensuelle de la compétencede la Cour. Ainsi
que Dumbauld l'afait observer :

((Les mesure:sconservatoires sont toujours une voie de recours
exceptionnelle. Elles constituent en effetune dérogationpar rapport
à la règlehabituelle selon laquelle le plaignant ne peut obtenir ce
qu'ildemande t.antqu'il n'apaspleinementétabli lebien-fondéde sa
thèseet que tous les arguments et toutes les objections de son adver-
saire n'ont pas été entenduset examinés. » (E. Dumbauld, Interim
Measures of Protectionin International Controversies,1932,p. 184.)

Il n'est pas douteux; que c'esà cela que pensait Dumbauld lorsqu'il a
écrit:

«Des mesures conservatoires doivent être indiquées si la Cour
«estime» («considers ») que les circonstances l'exigent. Il semble
donc que la seule chose qui soit exigéesoit de démontrer prima
faciela probabilité d'un droit et d'un préjudice.))(Zbid.,p. 160-161,

par.9.)

Le caractère exc:eptionnel des mesures conservatoires, sur lequel
Dumbauld appelle l'attention, revêtune signification accrue si on
rappelle qu'il n'a pas encore été établisi la jurisprudence de la Cour
permet d'indemniser unepartiedetout préjudice qu'elle aurait subien se
conformant à une mesureconservatoire dans lecas où ilseraitfinalement
jugé que cette mesiire était injustifiée;ce point, qui a étésoulevé en
l'espèce,n'a pas appelédedécisionet n'est pas encore tranché.
Lefacteurpeut-êtreleplus important qui ait contribuéà créerl'impres-
siongénéralequisernblesedégager,etqui estsans doute compréhensible,
à savoir que la Cour ne doit pas sedemander sil'existencedu droit reven-
diquéaété établieprimafacie, estla nécessité d'évitdre paraître enquel-
que manière préjugerdu fond. Ce danger ne saurait êtreoublié;il est à
l'évidenced'une importance particulière dans le domaine délicat des

litiges entre Etats. Toutefois, en contrepoidsde cette considération, il
importe de rappeler que 1'Etatdont on cherche à limiterl'action peut lui-
mêmeavoirintérêt àmontrer que 1'Etatrequérantn'apas réussi à prouver
la possibilitéde l'existence du droit qu'il veut voirprotéger: enl'espèce,
par exemple, c'estle:Danemark, le défendeur, qui soulèvela question de
savoir siledroit revendiquépar laFinlande, ledemandeur, existe.Quant à
1'Etatrequérant, il peut difficilement s'opposeràl'exigence d'établir la
possibilité de l'existence du droit qu'il revendique, au motif que cela
risquerait de préjuger l'affaireau fond; le fait qu'il aurait eu, par-opportunity to meet the requirement. Also, in measuring the danger of
prejudgment,ithastobeborne inmind that what the Court isconsidering
is not whether the right sought to be preserved definitively exists, but

whether the requestingStatehasshownanypossibility ofitsexistence.As
general judicial experience shows, that distinction is not artificial;it is
real. Certainly, a finding that such a possibility existsclearly fallsshort of
constituting an interimjudgment.

It is improbable that the Court is bound by a mere assertion of rights
evenwhere these are manifestly incapable ofexisting in law. Ifthis iscon-
ceded, as it is by Finland, some colour is lent to the view that the Court
must be concemed with satisfying itself affirmatively ofthe possible exis-
tence of the rightsclaimed, the required degree of proof being dependent
on thecharacter and circumstances oftheparticular case. 1shall approach
the matter on the basis of the requesting State happening to be also the
applicant in the main proceedings,as inthis case.

It seems that the Court has corne to adopt a prima facie test of juris-

diction over the merits when deciding whether to indicate interim
measures (see Nuclear Tests (Australiav. France),Interim Protection,
I.C.J.Reports 1973,p. 99,at p. 101,para. 13,and p. 102,para. 17 ;Nuclear
Tests (New Zealand v. France),Interim Protection,I.C.J. Reports1973,
p. 135,at p. 137,para. 14,and p. 138,para. 18; UnitedStates Diplomatic
and ConsularStaff in Tehran, ProvisionaM l easures, I.C.J. Reports1979,
p. 7, at p. 13,para. 15,and p. 14,paras. 18and 20; and ArbitralAwardof
31July1989(Guinea-Bissau v.Senegal),ProvisionaMl easures,I.C.J.Reports
1990,p. 64, at pp. 68-69,paras. 20 and 22). It appears to be also settled
that the power of the Courtto indicate interirnmeasures is distinct from
its jurisdiction over the merits (see Dumbauld, op. ci?.,pp. 165, 186;
M. O. Hudson, ThePermanentCourt of InternationaJ l ustice,1920-1942,
New York, 1943,p. 425; Anglo-Iranian OilCo., PreliminaryObjection,
I.C.J.Reports 1952,p. 93, at pp. 102-103; Interhandel,Interim Protection,
I.C.J.Reports 1957,p. 105,at p. 118,perJudge Lauterpacht; S. Rosenne,
TheLawandPracticeoftheInternationalCourt,1965,Vol.1,pp. 422-423 ;

and Sir Gerald Fitzmaurice, TheLaw and Procedureof theInternational
Court ofJustice, 1986,Vol. 2, pp. 533 ff.). This being so, in considering
whether it has prima faciejurisdiction over the merits, the Court is not
considering whether it has power to indicate interim measures (for this
rests on another basis), but is rather considering whether the case is a
fit and proper one for exercising that power. In other words, the
question whether substantivejurisdiction prima facie exists isgermane
to the "circumstances" within the meaning of Article 41 of the Statute
(see M. O. Hudson, "The Thirtieth Year of the World Court", American
Journalof International law, 1952,Vol. 46, p.1,at p. 22; and Aegean Sea
Continental Shelfj Interim Protection, I.C.J. Reports 1976, p. 3, atthèse,l'occasionde respectercette exigence suffirait en effeà répondre à
toute objectionainsi motivée.Enoutre, dans l'évaluationdu risque qu'ily
a àpréjugerdu fond, ilfaut serappeler que ceque laCour examine cen'est
pas la question de savoir si le droit qu'on cherche à sauvegarder existe
effectivement,mais si1'Etatrequéranta démontréune quelconque possi-
bilitédeson existence.L'expériencejudiciairegénéraleenseigneque cette
distinction n'est pas artificielle, mais bien réelle.en pas douter, une
décision constatant qu'une telle possibilitéexisteestà l'évidenceloin de

constituer un arrêt provisionnel.
Il est improbable que la Cour soit liéepar la seule affirmation de
certains droits, même s'ilest manifeste que leur existence est juridique-
ment impossible. Si ce fait est admis, comme il l'est par la Finlande, le
point de vue selon lequel la Cour doit se soucier d'obtenir confirmation
effectivede la possibilitéde l'existencedesdroitsrevendiqués s'entrouve
revigoré;la mesure dans laquellecettepreuve doit êtrefaitedépend de la
nature et des circonstances de chaque espèce.J'examinerai la question
en me plaçant dans l'hypothèseoù 1'Etatrequérant se trouve également
êtrele demandeur dans l'affaire principale, comme dans la présente
espèce.
Il semble que la Cour en soit venue à adopter l'usage de vérifier
primafaciesacompétencepour connaître du fondlorsqu'elle décides'ily

a lieu d'indiquer des mesures conservatoires (voir Essais nucléaires
(Australie c.France),mesures conservatoires,C.I.J.Recueil 1973,p. 101,
par. 13,et p. 102, par. 1; Essaisnucléaires (Nouvelle-Zélande cF . rance),
mesuresconservatoiresC , .I.J.Recueil973,p. 137,par. 14,etp. 138,par. 18;
Personneldiplomatiqueet consulairedes Etats-Unis à Téhéran, mesures
conservatoires, C.I.J.Recueil1979,p. 13,par. 15,et p. 14,par. 18et 20;
Sentence arbitraledu 31juillet 1989 (Guinée-Bissauc. Sénégal), mesures
conservatoires,C.I.J.Recueil1990,p. 68-69,par. 20et 22).Il sembleégale-
ment établique le pouvoir de la Cour d'indiquer des mesures conserva-
toires est distinct de sa compétence pour connaître du fond (voir
Dumbauld, op.cit.,p. 165et 186;M. O. Hudson, ThePermanentCourt of
International Justice,1920-1942, NewYork, 1943,p. 425; Anglo-lranian
OilCo.,exceptionpréliminaireC , .I.J.Recueil1952,p. 102et 103;Znterhan-
del,mesuresconservatoiresC , .I.J.Recueil1957,p. 118,opinionindividuelle

de M. Lauterpacht; S.Rosenne, TheLaw andPracticeof theZnternational
Court, 1965,vol. 1,p. 422 et 423; sir Gerald Fitzmaurice, TheLaw and
ProcedureoftheInternationalCourtofJustice, 1986,vol.2,p. 533et suiv.).
Cela étant, lorsqu'elle examine si elle a,prima facie, compétence pour
connaître du fond, la Cour ne se demande pas si elle a le pouvoir d'indi-
quer desmesures con.servatoires(cepouvoir reposant surune autrebase),
mais elle se demande plutôt si l'affaire se prête bien à l'exercice de ce
pouvoir. En d'autres termes, la question de savoir si la compétence au
fond existe primafacie se rapporte aux «circonstances »,au sens de l'ar-
ticle 41 du Statut (voir. O. Hudson, «The Thirtieth Year of the World
Court », AmericanJournalof ZnternationalLaw, 1952,vol. 46, p. 22; et
Plateau continentalde la merEgée, mesures conservatoireC s,.I.J.Recueil31 PASSAGETHROUGH THE GREAT BELT (SEP.OP. SHAHABUDDEEN)

pp. 15-16,per President Jiménezde Aréchaga; cf. Judge Mosler, ibid.,
at p. 25).
Butjurisdiction over the merits ismerely one element which the appli-
cant mustestablishin order to succeedin the substantivecase whichit has
brought - a truth undiminished, in my view, by the importance of that
element or by the fact that it may be argued as a preliminary issue. If the

applicantcannot make out a prima faciecase of substantivejurisdiction,
this circumstance shows that it has no possibility of succeeding. Why
should the applicant be limited to being required to show a prima facie
caseinrespect of onlyone ofthe elementswhichitmust establish ifitisto
succeed? It is easy to appreciate thatproof of the definitive existence of
the right claimed cannot be part of the "circumstances" within the mean-
ingofArticle 41ofthe Statute,but israther amatter forthe merits.It isless
easyto accept that this applies to the establishment of a possibility of the
existence of the right. It is not suggested that the requestingStateshould
anticipate and meet each and every issue which could arise at the merits.
How far it should do so in any particular case will depend on the nature

and circumstances of the case. What isimportant isthat enough material
shouldbepresentedtodemonstrate the possibility ofexistenceofthe right
sought to be protected. 1 am not certain that this view is necessarily at
variance with the position taken in the joint declaration of Vice-Presi-
dent Arnmoun and JudgesForster and Jiménezde Aréchagainthe Fisher-
iesJurisdictioncases(Z.C.J.Reports 1972,p. 12,at p. 18,and p. 30,at p. 36).
If it is,ould respectfullydiffer.

Although the Court, it would seem, has not so far had occasion to
respond definitively to the question under examination, it may be useful
to consider the wayin which the matter hasfrom timeto timebeentreated

at thebar ofthe Court,and sometimes bytheCourt itself. In brief, while 1
recognize that other interpretations of the material are not excluded, it
would appear that in some cases the shape of the arguments was objec-
tively designed to prove, or to disprove, the possibility of the existence of
the right claimed, even where this purpose was not explicitly declared.

In the Legal Status of the South-Eastern Territory of Greenland case,
President Adatci did indeed indicate to counsel that the merits should
not be encroached upon in arguments on interim measures (P.C.Z.J.,
Series C,No. 69,pp. 16,32 and 48).That notwithstanding, the Order later
made by the Court had occasion to note that -

"according to the statement by M. Steglich-Petersen [counsel for
Denmark], 'the Nonvegian request for provisional measureshas no
foundation in Article 41 of the Statute and Article 57 ofthe Rules'
- which deal only with the preservation of the rights of one or
other Party - seeingthat, according to him, Norway possesses no
right in the territory in question capable of forming the subject of1976,p. 15et 16,opinion individuelle de M. Jiménezde Aréchaga,Prési-
dent, et p. 25,opinion individuelle de M. Mosler).
La compétence au fond n'est cependant qu'un élémenq t ue le deman-
deur doit établirpour obtenir gain de cause dans l'instance qu'il a intro-
duite - véritéque rie diminue en rien, à mon sens, l'importance de cet
élémentoulefaitqu'ilpuisseêtredébattu à titre de questionpréliminaire.
Sile demandeur ne peut établir prima faciel'existence de la compétence

au fond, cette circonstance montre qu'il n'a aucune chance de succès.
Pourquoi limiter le demandeur à devoir faire la preuve prima facied'un
seul des élémentsqu'il devra établir pour obtenir gain de cause? On
comprend aisément que la preuve de I'existence effectivedu droit reven-
diqué ne peut faire partie des «circonstances » au sens de I'article 41 du
Statut,mais relève plutôt du fond. Il est moinsfaciled'admettre la même
affirmation en ce qui concerne l'établissementde la possibilitéde l'exis-
tence du droit.Il n'est pas donné àentendre ici que I'Etat requérant doit
prévoirchacune desquestionsquipeuventsurgirlors de l'examendufond
et y répondre. La mesure dans laquelle il doit le faire dans chaque cas
dépend dela nature et descirconstances de l'affaire. Cequiimporte, c'est
qu'ilprésente desélémentssuffisantspour prouverlapossibilitéde l'exis-
tence du droit qu'il chercheà voir sauvegarder.Je ne suis pas certain que
ce point de vue soit riécessairementdifférentde la position adoptéedans

ladéclaration commimede M.Ammoun, Vice-Président,et de MM. Fors-
ter et Jiménezde Aré:chagadans les affaires sur la Compétence enmatière
de pêcheries(C.Z.J..Recueil 1972,p. 18 et 36). S'ill'est, je me permets
respectueusement de différerd'opinion.
Bien que la Cour ri'aitapparemment pas jusqu'à présent eul'occasion
derépondrede façondéfinitive à laquestionexaminéeici,ilpeut êtreutile
de voir la manièredont cettequestion a été traitée, l'occasion, devantla
Cour et,parfois, par :laCour elle-même.Pour résumer,bien queje recon-
naisse que d'autres interprétations des textes ne soient pas exclues, il
semble que dans certaines affaires I'argumentation ait été objectivement
façonnéede manière à prouver ou à réfuterlapossibilitéde I'existencedu
droit revendiqué, mêmelorsque cet objectif n'étaitpas explicitement
déclaré.
Dans l'affaire du Statutjuridiquedu territoiredusud-estdu Groënland,

M. Adatci, Président, avait effectivement indiqué aux conseils qu'il ne
fallait pas empiéter sur le fond dans I'argumentation sur les mesures
conservatoires (C.P.J.Z.série Cno69, p. 16, 32 et 48). Néanmoins, dans
l'ordonnance qu'elle renditultérieurement,la Cour eutl'occasion defaire
remarquer ce qui suit :

«aux termes de l'exposéde M. Steglich-Petersen [conseil du Dane-
mark], «la demande norvégienne qui a pour objet l'indication de
mesures consenlatoires ne trouve pas d'appui dans l'article 41 du
Statut et I'articledu Règlement» - lesquelsne traitent que de la
préservation des droits del'une ou de l'autre Partie-, étant donné
que, selonlui, la Norvège n'estbénéficiaire,dans leterritoire dont il32 PASSAGE THROUGH THE GREAT BELT (SEP.OP.SHAHABUDDEEN)

a measure of protection" (P.C.I.J., Series A/B, No. 48, p. 277, at
p. 282).

It willbeseenthat, asin the present case,itwasthe Statewhich wassought
to be constrained (Denmark, then as now) which waseffectivelyasserting
that the State requesting interim measures had failed to prove the exis-
tence of any rights susceptible of being protected by such measures. The
decision turned on other considerations,but this does not affect the point
now beingmade as to the way counselforthe respondent understood the
requirements of the case.

Some basis seems to exist for thinking that certain aspects of the legal

merits wereconsideredinaprovisional waybythe Court inthe caseofthe
Anglo-Iranian Oil Co., Interim Protection (I.C.J. Reports 1951,p. 89, at
pp. 92-93), and in the Fisheries Jurisdiction cases, Znterirn Protection
(I.C.J.Reports 1972,p. 12,at p. 15,and p. 30,at p. 33)(seethe discussionin
Dr. M. H. Mendelson, "Interim Measures of Protectionin Cases of Con-
tested Jurisdiction", British YearBook of International Law, 1972-1973,
Vol. 46,p. 259,at p. 316).
In the Nuclear Testscase (Australia v. France),though not appearing,
France had challenged Australia's position on the merits (I.C.J. Reports
1973,p. 99,at pp. 104-105,para. 28).Responding to the challenge, Solici-
tor-General Ellicott, Q.C., made what he described as an "outline state-
ment ofthe substantive law applicableto the merits of Australia's claim",

and added :
"In my submissionthis outline should suffice to show the serious
and well-founded character of the Australian case in support of its
contention that French conduct of nuclear tests in the South Pacific

Ocean is not consistent with applicable rules of international law."
(I.C.J.Pleadings, NuclearTests, Vol.1,p. 189.)

Counsel for Australia wasendeavouring to combat the Frenchposition to
the point ofshowingthat,in effect,Australiadid have an arguablecaseon

the merits. Now, it is truethat the Court confined itself to saying that
"forthe purpose of the presentproceedings itsuffices toobserve that

the information submitted to the Court, including Reports of the
United Nations ScientificCommittee on the Effectsof Atomic Radi-
ation between 1958and 1972, does not exclude the possibility that
damage to Australia might be shownto be caused by the deposit on
Australian territory of radio-activefall-out resultingfrom such tests
andto be irreparable" (I.C.J. Reports 1973,p. 99,at p. 105,para. 29;
and see, ibid.,p. 135,at p. 141,para. 30).

Thus the Court did not Saythat such possible damage to Australia might
be violative ofsomepossibleright of Australia; and 1do not minimizethe
value of this fact for opposing arguments. It does, however, seem some- s'agit, d'aucun droit susceptible de fairel'objet d'une mesureconser-
vatoire»(C.P.J.I.sérieA/B no48,p. 282).
On aura constatéque, comme dans la présente espèce,c'est 1'Etatdont on
cherchait àlimiterl'action(àl'époque, commeaujourd'hui, le Danemark)

qui affirmait effectivement que1'Etatquidemandait des mesures conser-
vatoires n'avait pas réussiprouver l'existence de droits quelconques qui
fussent susceptibles d'être protégépsar de telles mesures. La décision fut
fondéesur d'autres considérations, mais cela n'enlèverien à l'argument
développéici en ce qui concerne la manière dont le conseil du défendeur
avait compris les exigences de I'affaire.
Ilsemblejustifiédepenser que certains aspects de la question juridique
de fond ont été examinéd se façon provisoire par la Cour dans l'affaire
de I'Anglo-Iranianloi1Co., mesures conservatoires(C.I.J. Recueil 1951,
p. 92 et 93) et dans llesaffaires de la Compétencen matièredepêcheries,
mesures conservatoires (C.I.J.Recueil1972,p. 15et p. 33) (voirà ce sujet
M. H. Mendelson, «Interim Measures of Protection in Cases of Con-
tested Jurisdiction», BritishYearBook of International Law, 1972-1973,

vol. 46, p.316).
Dans l'affaire des Essais nucléaires (Australie c.France),bien qu'elle
n'aitpas comparu,la France avait contestéla position de l'Australiesur le
fond (C.I.J.Recueil1973,p. 104et 105,par. 28).Relevant legant, M. Elli-
cott, Q.C., Solicitor-Generald'Australie, fit ce qu'il décrivit lui-même
comme un «bref exposé générad l u droit applicable, sur le fond,à la
demande de 1'Austrillie»,aprèsquoi ilajouta :

«Cet exposé devrait suffire, selon moi, à montrer le sérieux et le
bien-fondé des arguments invoqués par l'Australie à l'appui de sa
thèse, selon laquelle la poursuite, par la France, d'essais nucléaires
dans lePacifique Sud n'estpascompatibleavec lesrèglesapplicables
du droit international.» (C.I.J. Mémoires, Essaisnucléairesv ,ol. 1,
p. 189.)

Leconseil de l'Australie s'efforçaitde combattre la position françaisejus-
qu'à démontrer que l'Australie avait bel et bien une position défendable
sur le fond. Certes, il estvrai que la Cour sebornadire ce qui sui:

«aux fins de la présente procédure,il suffit de noter que les rensei-
gnementssoumis à laCour,y compris lesrapports du Comitéscienti-
fique des Nations Unies pour l'étude des effetsdes rayonnements
ionisants présentésentre 1958 et 1972,n'excluent pas qu'on puisse
démontrer que: le dépôt en territoire australien de substances
radioactives provenant de cesessaiscauseun préjudice irréparable à
l'Australie» (C.I.J. Recueil 1973, p. 105, par. 29; voir aussi ibid.,
p. 141,par. 30).

La Cour n'a donc pas dit que ce préjudice possible qui serait causé à
l'Australie pouvait violer un droit possible de celle-ci; je ne sous-estime
pas lavaleur de cefait pour mescontradicteurs éventuels.Ilsemble cepen-33 PASSAGE THROUGH THE GREATBELT (SEP.OP. SHAHABUDDEEN)

what improbable that the Court could recognize "the possibility" that
Australia might be able to show irreparable damage from radio-active
fall-out on itsown territory resultingfrom French nuclear testswithout at
the same time assuming that Australia could also show at least a possibil-
itythat such damage was in violation of someAustralian right. The argu-
ment of counsel to this effect could scarcelyhave been absent from the
mind ofthe Court when makingthe statementcited above and proceeding
to indicate provisional measures affecting a major French programme.

In the Aegean Sea ContinentalShelf case, Professor O'Connell, for
Greece, conceived his position thus :"We are required only to show that
prima facie Greece has rights which are threatened" (I.C.J.Pleadings,

Aegean Sea Continental ShelJ;p. 89). He restated the substance of that
understanding on two further occasions (ibid.,at pp. 97and 115).

Reference may also be made to I.C.J. Pleadings, UnitedStates Diplo-
maticandConsularStaffinTehran,at pages 21ff.and 25ff.,for extensive
arguments in support of the substance of the United States claim. Reject-
ing an Iranian argument that the United Statesrequest implied "that the
Court should have passed judgment on the actual substance of the case
submitted to it", the Courtsaid that -

"arequestforprovisionalmeasuresmustby itsverynaturerelateto the
substanceofthecase since, as Article 41expressly States,their object
isto preservethe respectiverights of either Party;..."(UnitedStates
Diplomatic and Consular Staff in Tehran, ProvisionalMeasures,

I.C.J.Reports1979,p.7,at p. 16,para. 28; emphasis added).

Although it was not to be understood as making any definitive decisions,
the Court was clearly concerned to satisfy itself affirmatively that there
wasa casefor holding that the rightssought tobe protected byprovisional
measures did exist in international law and were in fact being violated
(ibid.,pp. 17-20,paras. 34-43).The particular circumstances of the case
may explain the lengths to which the Court went into the merits,but that
the Court did at al1go into the merits would seem to rest on more general
considerations suggestive of recognition that a State requesting interim
measures must satisfythe Court that it has an arguable case in favour of
the existence ofthe rightssought to be preserved pendingafinal decision.

In the case of the Military and Paramilitary Activitiesin and against
Nicaragua (Nicaragua v. UnitedStates ofAmerica),ProvisionalMeasures,
the Order of the Court carefully set out the relevant circumstances,
together with a reference to supporting evidence from Nicaragua, and
stated:dant quelque peu improbable que la Cour aitpu reconnaître que 1'Austra-
lie «puisse »démontrer qu'un préjudice irréparable lui était causépar le
dépôt sur son territoire de substances radioactives provenant des essais
nucléairesfrançaissansen mêmetempssupposer que l'Australiepourrait
également démontrerqu'il existait au moins une possibilité qu'un tel
préjudiceviole quelque droit australien.Il est difficiled'imaginer que les
arguments présentés à cet effet par le conseil n'aient pas été présenàs
l'esprit de la Cour lorsqu'elle adopta la déclaration citéeplushaut etindi-
qua desmesuresconservatoiresqui touchaient un important programme
de la France.
Dans l'affaire du Plateau continentalde la mer Egée,le professeur
O'Connell, parlant au nom de la Grèce, formulait ainsi sa position:
«Nous sommes seulementtenus de démontrerque primafaciela Grècea
des droits qui sont menacés » (C.I.J.Mémoires, Plateau continenta dle la
mer Egée, p. 89). Il réitéra cette iàédeux autres reprises (ibid.,p. 97
et 115).

On peut égalementse référer à C.I.J.MémoiresP , ersonneldiplomatique
etconsulairedesEtats-Unis à Téhéra(np.21et suiv.et 25etsuiv.)pourune
longue argumentation à l'appui du fond de la demande des Etats-Unis.
Rejetant un argument de l'Iran selonlequel la demande formuléepar les
Etats-Unis impliquait «que la Cour ait jugé de la substance mêmede
l'affaire qui lui [étsoumise »,la Cour a déclaréque

«unedemande(enindicationde mesures conservatoiresa nécessaire-
ment,par sa naluremêmeu ,nlienaveclasubstancede l'affairepuis-
que, comme 1'a.rticle41 l'indique expressément, son objet est de
protégerle droit de chacun ..» (Personneldiplomatique etconsulaire
des Etats-Unisà Téhéran,mesuresconservatoirC es.,I.J.Recueil1979,
p. 16,par. 28;les italiques sontde moi).

Bien qu'il n'y eût pas lieu d'en conclure qu'elle rendait une quelconque
décisiondéfinitive,laCour sesouciaitmanifestementd'obtenir confirma-

tion effectivede cequ'elleétaitfondée àconsidérerque lesdroits que l'on
cherchait à faire protégerpar des mesures conservatoiresexistaient bien
au regard dudroit international etqu'ilsétaienteffectivementviolés(ibid.,
p. 17-20,par. 34-43). Lescirconstances particulières de l'affaire peuvent
expliquerpourquoi liiCour aété siloin dans l'examendufond, maislefait
mêmequ'elle ait examinéle fond sembletenir à des considérations plus
générales, impliquant qu'elle reconnaissait qu'un Etat qui lui demande
d'indiquer desmesuresconservatoiresdoitconvaincrela Cour qu'ilaune
position défendable pour étayerl'existence des droits qu'il cherche à
protéger enattendantun arrêt définitif.
En l'affaire des Alctivitémilitaireset paramilitairesau Nicaragua et
contre celui-ci(Nicaragua c. Etats-Unis dlmérique), mesures conserva-
toires,a Cour a soigneusement exposédans son ordonnance les circons-
tances pertinentes,en seréférant aux élémend tse preuve présentéspar le
Nicaragua, et adécla.ré: "Whereas the Court has available to it considerable information
concerningthefacts ofthe present case,including officia1statements
of UnitedStates authorities; whereas,the Court, inthe context ofthe
present proceedings on a request for provisional measures, has in
accordance with Article 41 of the Statute to consider the circum-
stances drawn to its attention as requiring the indication of provi-
sional measures,but cannot make definitivefindings of fact, andthe
right of the respondent Stateto dispute the factsalleged and to sub-
mit arguments in respect ofthe merits must remainunaffected bythe
Court's decision"(I.C.J. Reports 1984,p. 169,at p. 182,para. 31 ;and
see, ibid.,pp. 181-182,paras. 29-30).

Of course the Court could not "make definitive findings of fact" at that
stage; but it is at theame time improbable that it had not developed an
awareness that the "considerable information concerning the facts",
which wasbefore it,was sufficientto disclose that Nicaragua did at least

have an arguable case on the substance of its claim.
It isnot proper mechanically to imputetothe Court the positions taken
or assumed by counsel,particularly where the Court has not spoken. On
the other hand, it is equally not right to seekto appreciate the positions
taken by the Court abstracted from their forensic context. As is well
known, itisfrequently the casethat recourseto the arguments ofcounsel is
necessary for an understanding of what in fact a court was doing.
I do not Saythat al1of the cases - and they are not many - speak
consistently for the interpretation proposed, or that each of them is
equallyilluminating; and itwouldcertainly bewrongto overstatethepos-
sible supportive value of any of them for that interpretation. But, taking
them cimulatively, the general pattern ofadvocacyemployed bycounsel,
and also the reaction of the Court on some occasions, as in the United
States Diplomaticand Consular Staff in Tehrancase, would appear to be
objectively consistent with Judge Anzilotti's understanding of the law as
expressed in his dissenting opinion in the case of the Polish Agrarian
Reformand German Minority,when he said :

"If the summaria cognitio,whichis characteristic ofaprocedure of
this kind, enabled us to take into account the possibilityofthe right
claimed bytheGerman Government, and thepossibilityof the danger
to which that right was exposed, I should find it difficult to imagine
any request for the indication of interim measures more just, more
opportune or more appropriate than the one which we are consider-
ing." (P.C.I.J.,SeriesA/B, No. 58,p. 175,at p. 181 ; emphasis asinthe
original.)

This dictum was referred to by counsel in two later cases (see
I.C.J. Pleadings,Anglo-Iranian OilCo.(Interim Measures), at pp. 415-416,
per Sir Frank Soskice, Q.C., and I.C.J. Pleadings, FisheriesJurisdiction PASSAGE PAR LE GRAND-BELT (OP.IND.SHAHABUDDEEN) 34

((Considérantque la Cour dispose de nombreuses informations
sur les faits de la présente espèce,y compris des déclarations offi-
cielles des autoritésdes Etats-Unis; que la Cour,dans le contexte de
la présente procédure, doit, conformément à l'article 41 du Statut,
examiner silescirconstancesportées à sonattention exigent I'indica-
tion de mesure:sconservatoires, mais n'est pas habilitéeà conclure
définitivement sur les faits, et que sa décision doit laisser intact le
droit du défendeurde contester lesfaitsalléguéset de fairevaloirses
moyens sur le fond» (C.I.J. Recueil1984,p. 182,par. 31 ;voir aussi
ibid.,p. 181-182,par.29-30).

Evidemment la Corn ne pouvait pas ((conclure définitivement sur les
faits» à ce stade; cependant, il est improbable qu'elle n'ait pas pris
conscience de ce que les ((nombreuses informations sur les faits» dont
elle était saisiesuffisaieàtrévélerque le Nicaragua avait au moins une
position défendable pour étayerle fond de sa demande.
On ne saurait imputer automatiquement à la Cour les positions prises
ou adoptéespar desconseils, surtout lorsquela Cour ne s'estpas pronon-
cée.Mais on aurait également tort de vouloir comprendre les positions
prises par la Couren faisant abstraction du contexte de l'argumentation.
Il est bien connu qu'il faut fréquemment se reporter aux arguments des
conseils pour comprendre ce qu'a faitréellementun tribunal.
Je nedispasquetoutes cesaffaires - etellesne sont pas nombreuses -

vont systématiquenient dans le sens de l'interprétation proposée,ni
qu'elles sont touteskgalement parlantes; et l'on aurait certainement tort
d'exagérer lavaleur éventuellede l'une quelconqued'entre elles à l'appui
de cette interprétation. Mais si l'on considère l'effet cumulatif de ces
affaires, le schémagénérad le l'argumentation des conseils,commeaussi
la réactionde laC0u.r àcertainesoccasions, par exemple dans l'affaire du
Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran,semble
concorder objectivement avec l'interprétation du droit qu'énonçait
M. Anzilotti dans son opinion dissidenteenl'affaire de la Réformeagraire
polonaiseet minoritéallemande,lorsqu'il déclarait:

«Si la summaria cognitio,qui est le propre de ce genre de procé-
dure, permettait de retenir la possibilitédu droit revendiquépar le
Gouvernement allemand et la possibilitédu danger auquel ce droit
serait exposé,il me serait difficiled'imaginer une demande en indi-
cation de mesures conservatoires plus juste, plus opportune, plus

appropriée que celle dont il s'agit.(C.P.J.I. sérieA/B nO58,p. 181,
les mots sont eriitaliques dans l'original.)

Cette déclaration a été invoquée par des conseils dans deux affaires
ultérieures(voir C.I.J. Mémoires,Anglo-ZranianOil Co.(mesuresconser-
vatoires), p. 415-416,sir Frank Soskice, Q.C., et C.Z.J.Mémoires,Compé-(Interim Measures), Vol. 1,at pp. 99-100,per Sir Peter Rawlinson, Q.C.).
In the latter case,counselremarked :
"Judge Anzilotti on apreliminary viewinthat case,and taking into
account merelya possibledanger to apossibleright ofthe Applicant,
was prepared to order the Respondent to suspend a major pro-
gramme of agrarian reform taking place in its own territory." (Zbid.,
p. 100.)

Judge Anzilotti was indeed prepared to do so,but only, as counsel recog-
nized, ifhe wassatisfied of "the possibilityoftherightclaimed bythe Ger-
man Government, and the possibilityofthe danger to which that right was
exposed". Saveonthebasis ofthis minimum assurance, he could scarcely
have gone as far astobe prepared to "order the Respondent to suspend a
major programme of agrarian reform taking place in its own territory".

It is difficult toonceive how it could be otherwise in respect of the
major programme of construction taking place in the territory of the

Respondent in the present case.Could the Court really have stoppedthe
construction ofa multi-billion dollar project bythe Respondentinits own
territory without first satisfying itself that the requesting State could at
leastshow a possibility ofthe existence oftheright which itwasseekingto
have protected? It seemsto methat onlythe clearest and most compelling
legal authority could oblige the Court to accept that it could properly do
so. No authority of that level of cogency isto my mind presented in such
literature as there is on the subject. 1certainly do not seehow anythingin
the "circumstances" ofthe casecould possibly have led the Court to actin
that way. Urgency mayjustify summaryapplication of,not dispensation
with, what appears to me to be a requirement rooted in deep principle.

Thefact that the Court has reservedto itselftheright under Article75of
the Rules of Court to exercise its power under the Statute to indicate
interim measures proprio motu would not seem sufficient to suggest that
the Court may exercisethat power withoutfirstconsideringwhetherthere
is anypossibility of the existence of the right soughtto be protected.

1may add that,though 1appreciate it, 1amnot persuaded by argument
that a requirement for prima facie proof of the possible existence of the
rightsoughtto beprotectedwould involveaduplication ofthe substantive
hearing. This might be so if the requesting State was required to meet
everyissuecapable of arising at the merits. However, as suggested above,
that is not the position, it beingsufficient if enough material ispresented
to disclosethe possibility ofthe existence ofthe rightclaimed.Inthis case,
for example, itis,inmyopinion, sufficient that Denmark accepts that Fin-
land has aright ofpassagethrough theGreat Belt; that Denmark hasbeen
aware of the fact that since 1972to the present Finland has from time to
timepassedthrough theGreat Belt severaldrillships and oilrigsin excess
ofa clearanceheight of 65metres; andthat, infull knowledge ofthis, Den- PASSAGE PAR LE GRAND-BELT (OP. IND.SHAHABUDDEEN) 35

tenceenmatièredepêcheries(mesuresconservatoires),vol. 1,p. 99-100,sir
Peter Rawlinson, Q.C.). Dans la dernière affaire, le conseilobservait:
«M.Anzilotti, àla suited'un examenpréliminaire de cetteaffaire,
et tenant compte seulement de la possibilité d'un danger possible
pour un droit possible du demandeur, était disposé a ordonner au

défendeur de suspendre un vaste programme de réforme agraire
entrepris sursalnpropre territoire. »(Zbid.,p. 100.)
M. Anzilotti y était:effectivement disposé, mais seulement, comme le
reconnaissait le coriseil, s'il était convaincu de la «possibilité du droit
revendiquépar le Gouvernement allemand et [de]lapossibilitédu danger

auquel ce droit serait exposé».Sans ce minimum d'assurance, il n'aurait
guère pu aller jusqu'a être disposé à ((ordonner au défendeur de sus-
pendre un vaste programme de réforme agraire entrepris sur son propre
territoire.
On conçoit mal comment il pourrait en aller autrement s'agissant du
vaste programme de:construction entrepris sur le territoire du défendeur
en l'espèce.La Cour aurait-ellevraiment pu arrêter la construction d'un
projet de plusieursmilliards de dollars,entrepris par ledéfendeursur son
propre territoire, sans s'assurer d'abord que1'Etatrequérant pouvait au
moins démontrer la.possibilitéde l'existence du droit qu'il cherchait à
faireprotéger? Ilme:semble que seulel'autorité juridique laplus claire et
la plusconvaincante pouvaitobligerla Cour à admettre qu'elle pouvait le
fairelégitimement.Or, àmon avis,iln'existedans la doctrine publiée à ce

sujet aucune autorité ayant pareille force. Je ne vois certainement rien
dans les circonstarices »de l'affaire qui aurait pu amener la Courà agir
de cettefaçon. Quant a l'urgence, elle peut justifier que I'on appliquede
façon sommaire ce qui me sembleêtreuneexigence ancréedans un prin-
cipe fondamental -- maisnon qu'on y passeoutre.
Lefait que la Cour sesoit réservé droit, envertu de l'article 75de son
Règlement, d'exercer le pouvoir que lui donne le Statut d'indiquer
d'office des mesures conservatoires, ne semblepas suffisant pour laisser
entendreque la Cour peut exercer cepouvoirsansd'abord examiner s'ily
a une quelconque possibilité que le droit que I'on cherche à protéger
existe.
Je puisajouterquetout enappréciant savaleur, je nesuispas convaincu
par l'argument selon lequel demander une preuveprima facie de I'exis-

tence possible du droit que l'on cherche a protéger ferait double emploi
avec l'examen du fond. Cela pourrait êtrele cas si 1'Etatrequérant était
tenu de répondre à chaquequestionsusceptible de seposer dans l'examen
du fond. Or, nous l'avons vu, il n'en est pas ainsi, puisqu'il suffit de
présenterassez d'élémentspour montrer la possibilitéde l'existence du
droitque I'onfaitvaloir. Enl'espèce,par exemple, ilsuffit,mon avis,que
le Danemark admette que la Finlande a un droit de passage par leGrand-
Belt;que le Danemark aiteu connaissance de ceque, de 1972 a cejour, la
Finlande a fait passer en tant que de besoin par le Grand-Belt plusieurs
navires de forage et plates-formespétrolières d'un tirant d'air dépassantmarkhas never objected totheir passage and stilldoes not,asindeed ithas
affirmed at the hearing. The possibility,thus signified, ofthe existence of
the right claimed may conceivably be negatived by other circumstances;
but these matters arefor the merits.

Judge Anzilotti's formula, referred to above, appears to be potentially
less productive of any risk of prejudgment than the prima facie test, as

commonly understood; and 1prefer it. But 1think that the fine distinc-
tions known to municipal law in this field need not detain enquiry; and
that accordingly, for purposes of international litigation, the substance is
largelythe same whether one speaks of aprima facietest, or of atest as to
whether there isa serious issue to be triedl, or of a testas to whetherthere
ispossible dangerto a possible right.

My conclusion isthat a Staterequestinginterim measures, such as Fin-
land, is required to establish the possible existence ofthe rights sought to

be protected in thesenseinwhich Judge Anzilotti spoke ofthe Court, bya
summaria cognitio, taking "into account the possibility of the right
claimed .. . and the possibility of the danger to which that right was
exposed". In myopinion,theoppositecannot crediblybe argued after the
UnitedStates Diplomaticand ConsularStaffin Tehrancase. However, for
the reasons given above, 1 think Finland has met that test. It is on other
groundsthat itsrequest fails.

(Signed) Mohamed SHAHABUDDEEN.

Inone nationaljurisdictionarevisedtestastowhetherthereis aseriousissuetobe
tried has seemingly notholly displaced the prima facie test, and doubt has been
expressed as to whetherit greatly affects the results reached by the latter(see The
SupremeCourtPractice,1991,London,1990,Vol. 1,Part1,Order29/1/2, p.498;Ameri-
can CyanamidCo.v. EthiconLtd. [1975]AC 396 HL; Fellowesand Sonv. Fisher[1976]
1QB 122CA; N.W.L.Ltd.v. Woods[1979]3 Al1ER614 HL; DuportSteelsLtd.v. Sirs
[1980]1Al1ER 529 HL; and Caynev. Global Natural ResourcesLtd. [1984]1Al1ER
225 CA).65mètres;etque,enpleineconnaissance decefait, leDanemark ne sesoit
jamais opposé à leur passage et ne s'yoppose toujours pas, comme d'ail-
leurs il l'a affirméAl'audience. La possibilité,ainsi indiquée,de l'exis-
tence du droit revendiqué peut éventuellementêtre infirmée par d'autres
circonstances; maiscela relèvedu fond.
La formule de M. Anzilotti, évoquée ci-dessus,semble moins suscep-
tible de créerun risquede préjugerdu fond que lavérification primafacie
telle qu'elle est couramment comprise; et je la préfère.Je crois cepen-

dant qu'il n'est pas nécessairede s'attarder aux distinctions subtiles que
connaît le droit interne dans ce domaine; et que par conséquent,pour les
besoins des litiges iriternationaux, cela revient en substance au mêmede
parler de vérifierle fondement primafacie, ou de vérifiersi la question à
juger estsérieuse' 01.encore de vérifiers'ilexiste un dangerpossible pour
un droit possible.
Ma conclusion estqu'un Etatqui demandedes mesures conservatoires,
comme la Finlande, est tenu d'établirl'existencepossible des droits qu'il
cherche à faire protégerau sens où M. Anzilotti disait que la Cour tenait
compte, par summaria cognitio,de «la possibilitédu droit revendiqué ...et
[de]la possibilitédu danger auquel ce droit seraitexposé» ; mon avis,on
ne peut pas sérieuse:mentarguer du contraire aprèsl'affaire du Personnel

diplomatique et con,sulairedes Etats-Unis a TéhéranQ . uoi qu'il en soit,
pour lesraisons indiquéesci-dessus,je croisque la Finlande a établicette
possibilité.C'est pour d'autres motifs que sa demande n'est pas accep-
table.

(Signé)Mohamed SHAHABUDDEEN.

' Unejuridiction nationale aadoptéun moyen revisépour déterminersilaquestaon
juger est sérieuse;ce moyen ne semble pas avoir entièrement remplacéla vérification
sont très différents (voir The Supreme Court Practice, 1991, Londres, 1990, vol. 1,nus
première partie, ordonnance 29/1/2, p. 498; American Cyanamid Co.v. Ethicon Ltd.
[1975]AC 396HL; FellowesandSonv. Fisher[1976]1QB 122CA; N.W.L. Ltd.v. Woods
[1979]3 Ail ER 614 HL.;Duport Steels Ltd. v. Sirs [1980]1Ail ER 529 HL; et Caynev.
GlobalNaruralResourcasLtd. [1984]1AilER 225CA).

Document file FR
Document Long Title

Opinion individuelle de M. Shahabuddeen (traduction)

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