Opinion dissidente de M. Stassinopoulos

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062-19760911-ORD-01-09-EN
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062-19760911-ORD-01-00-EN
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OPINION DISSIDENTE DE M. STASSINOPOULOS

A mon vif regret je ne peux pas m'associer à l'ordonnance. Faisant
donc usage du droit que me confère l'article 57 du Statut, je me permets
d'indiquer les raisons de mon dissentiment.
La demande en indication de mesuresconservatoiresintroduite par la
Grècedoit êtreenvisagée,de prime abord, sous l'angle de deux principes
indiscutablesdu droit international de la mer.
Le premier principe est que 1'Etatriverain exerce sur le plateau con-

tinental des droits souverains d'exploration et d'exploitation des res-
sourcesnaturelles; cesdroitssont exclusifsencesens quenul autre ne peut
exercer une activitéde recherche, d'exploration ou d'exploitation sans
le consentementde cet Etat riverain. Ce principe, cristallisépar l'article 2
de la Convention de Genève de 1958 sur le plateau continental, fut
réaffirméen des termes très clairs par la Cour dans son arrêtrelatif au
Plateau continentalde la mer du Nord(C.I.J. Recueil1969,p. 22).
Le deuxièmeprincipe estque les îlespossèdentleur plateau continental
au sensjuridique de ce terme. Je me permets de rappeler icila disposition
fondamentale de l'article premier de la Convention de Genèvede 1958 :

«Aux fins des présents articles, l'expressionaplateau continentaD
est utiliséepour désigner ...b) le lit de la mer et le sous-sol des
régionssous-marines analogues qui sont adjacentes aux côtes des
îles:»

Le caractère normatif des articles 1 et 2 de cette convention a été à
maintes reprises confirmé par l'arrêt de la Cour susmentionné surle
Plateau continental de la mer du Nord (ibidp .,. 22, 39 et 42).
A mon avis, il faut toujours avoir présentà l'esprit ces deux principes
qui constituent le droit en vigueurpour apprécier la demande visant à
l'indication de mesures conservatoiresdans la présente affaire.
Or, l'exercicepar la Grèce de ses droits souverains exclusifs sur son
plateau continental, tel qu'il estdéterminéparlesdeuxprincipes ci-dessus
mentionnés,a étéimmuable, imperturbable et continu de tout temps, et
depuis l'apparition dans le domaine du droit international de la notion
mêmedu plateau continental. La Turquie n'a jamais protesté contre cet
exercice et n'a jamais revendiqué desdroits quelconques sur le plateau

continental grec. Ce n'est qu'en 1973qu'ellea soudainement publiédans
sa Gazette officielleune carte dans laquelle figurent des zones de la mer
Egéesur lesquelles la Turquie revendique des droits. Presque en même
temps cet Etat a octroyédes permis d'exploration sur ces mêmeszones
et commencédes travaux d'exploration. Cela signifieque la Turquie, au lieu d'attendre que la question soulevéepar elle-mêmesoit régléepar les
voies appropriées, conformément à l'article 33 de la Charte des Nations

Unies, a essayéderéalisersespropres prétentions, par des actes matériels
entrepris sans aucun autre titre que ces prétentions. En droit, cette
manière d'agir constitue un exemple classique de ce qu'on appelle«voie
de fait» et ne suffit certainement pas pour que ces zones, appartenant
depuis toujours et incontestablement àla Grèce, soient qualifiéescomme
des ((zoneslitigieuses» ou acontestéeB.
En 1976, les activités d'exploration entreprises par le navire turc
Sismik I sont fondéessur un programme très large qui s'est même élargi
après quela Coura eu à s'occuper dela situation actuelle.En conséquence
de ces activités,la Grèce etla Turquie se sont trouvées devant une situa-
tion de préparatifs militaires d'envergure et l'aggravation de la situation

pourra amener à une menace réellecontre la paix.
Face à cette situation, qui ne fait que s'aggraver, la Grècea introduit
devant la Cour une requêtevisant à la délimitation du plateau continental
de la mer Egéeet une demande en indication de mesures conservatoires
jusqu'à ce que cette haute juridiction internationale se prononce sur le
fond de l'affaire.
La demande de la Grèceest fondée sur l'article33 de l'Acte général de
1928,ainsi que sur l'article 41 du Statut de la Cour. L'un et l'autre de ces
deux textes confèrent à la Cour le pouvoir d'indiquer des mesures
conservatoires. Mais ils se distinguent, notamment, par la densité des
pouvoirs conférés à cet effetàla Cour.

Le libelléde l'article 33, alinéa1, de l'Acte généralest plus impératif
pour la Cour:
«1. Dans tous les cas où le différendfait l'objet d'une procédure
arbitrale oujudiciaire, notamment si la question au sujet de laquelle
les parties sont diviséesrésulted'actes déjàeffectuésou sur le point
del'être, la Courpermanente deJusticeinternationale, statuant con-

formément à l'article 41 de son Statut, ou le tribunal arbitral,
indiquera, dans leplus bref délai possible, quellesmesuresprovisoires
doivent êtreprises. Les parties en litige seront tenues de s'yconfor-
mer.»

Quant à l'article 41, alinéa1, du Statut, celui-ci dispose que «la Cour
a le pouvoir d'indiquer, si elle estime que les circonstances l'exigent,
quelles mesures conservatoires du droit de chacun doivent êtreprises à
titre provisoire» (les italiques sont de moi). A mon avis, dans la notion
des«circonstances »que la Cour devraprendre enconsidération, s'intègre
tout d'abord la nature des droits qu'ila lieu de protéger.Et sur ce point,
les textes de l'article 33 del'Acte généralet de l'article 41 du Statut
s'identifient.Je veux dire par que, lorsque la Cour setrouve en présence
d'une atteinte aux droits qui relèventde la souveraineté d'un Etat, elle
esttenuedeprendre en considérationau plus haut degrécettecirconstance
pour indiquer les mesures sollicitées. Cela dit, il y a lieu de rappeler que la Cour a indiqué des mesures
conservatoiresdans biendescas oùlesdroits àprotégernerelevaient pas de
la spveraineté de 1'Etat en cause. En revanche, j'ai l'impression que
c'estlapremièrefois,dans la présenteaffaire,quela Cour refused'indiquer
des mesures conservatoires face à un litige impliquant des atteintes aux
droits souverains.

Dans sajurisprudence, la Cour a préciséles conditions qui lui parais-
sent nécessairespour l'indication de mesures conservatoires. Elles sont
ancréesautour des concepts: sauvegarde des droits des parties, préjudice
irréparable et aggravation et extension du différend.

Le concept de sauvegarde des droits des parties figure toujours dans
les ordonnances rendues par la Cour, que ces ordonnances indiquent ou
n'indiquent pas de mesures conservatoires. En revanche, le concept de
préjudice irréparable n'est pas toujours expressémentmentionné dans
les considérants de la Cour. Il en est ainsi, par exemple, dans l'affairede
lYAnglo-IranianOil Co. (qui indiqua des mesures conservatoires) et dans
l'affaire de lYInterhandel(qui n'indiqua pas de mesures conservatoires).
J'ajoute que le conceptde p~éjudiceirréparablen'est pas pris par la Cour
dans un senslittéral.Le préjudice est considéré en fonction de la situation
dans laquelle il seproduit.
Dans la présente affaire, il y a atteinte grave et irréparable aux droits
souverainsen tant quetels; l'on sait, en effet,que 1'Etatriverain possède,
selon la Cour, ces droits sur le plateau continental ipsofacto et ab initio;
que l'article 2 de la Convention de Genève lorsqu'il parle d'exclusivité
consacre un droit absolu et que par conséquent toute atteinte à ce droit
absolu constitue un préjudiceirréparable. Je considère égalementirré-

parable le préjudice causé par le recueil des renseignements sur les
ressources du plateau grec et la possibilitéde les divulguer, ce qui ferait
un obstacle insurmontable à leur exploitation par la Grèce.

Par ailleurs, le fait matériel de l'exploration du plateau continental
par des explosions constitue une circonstance aggravante si l'on s'en
tientà l'évolutiondu droit international en la matière.
En effet, la troisième partie du «texte unique de négociation revisé*
de la troisième conférence desNations Unies sur le droit de la mer
(A/CONF.62WP.8/Rev. l/Part III (6mai 1976)),qui, d'après l'indication
du président dela Troisième Commission,a tenu compte «de toutes les
négociationsprécédentes,de toutes les propositions et de tous les amen-
dements qui avaient étésoumis ainsi que des résultats obtenus au cours
de la préseptesession de la Conférence», contient dans son article 60,
paragraphe 2, alinéa b), une interdiction très nette de recherches et
d'explorations sur le plateau continental par l'utilisation d'explosifs.
Cette interdiction fait état d'un préjudiceirréparable pour les res-

sources naturelles du plateau continental.
Mais elle concerne les cas où la recherche est effectuéeavec l'autorisa-tioa de 1'Etatcôtier. Comment pourrait-on préserver le plateau continen-
tal de toute altérationdans le cas d'une exploration illicite, comme dans
le cas en cause, constituant une véritable voie de fait? Et les actes visant
à la réalisation de lapart de la Turquie de ses propres revendications sur
le plateau grec ne sont autre chose, comme je l'ai dit plus haut, que des
«voies de fait ».Et je reviens instamment sur cette conception.

Je suis d'autre part en désaccordavec la partie de l'ordonnance qui a
traità la résolution395 (1976)du Conseil de sécurité.
La Cour est l'organe judiciaire principal des Nations Unies, l'un des

cinq organes principaux de l'organisation. Elle concourt, avec les
moyens mis à sa disposition par la Charte et par son Statut, au règlement
des différendsjuridiques entre Etats.
Dans l'affaire actuelle, nous sommes en présenced'un différendjuri-
dique (délimitation du plateau continental) dont l'issue permettra aux
parties-d'améliorer leurs relations.
L'aspect politique de l'affairea étéportédevant le Conseil de sécurité.
Cet organe a élaboré,en fonction d'éléments à sa disposition, une résolu-
tion.
De son côté, laCour a étésaisie d'un autre aspect fondamental de la
mêmequestion. Devant l'urgence de la situation et son aggravation, la
Cour aurait dû exercer la plénitudede ses pouvoirs. Il n'est point néces-
saire de mentionner ici la différencequi existe entre un différendou une
situation porté à la fois devant le Conseil de sécurité etl'Assemblée

généraleet entre deux recours, l'un porté devant les organes politiques
des Nations Unies, l'autre portédevant l'organe judiciaire de l'organisa-
tion. Dans le premier cas, l'article 12de la Charte interdit en principe
l'Assemblée générad lee faire une recommandation, tant que le Conseil de
sécuritéremplit à l'égarddu différend oude la situation les fonctions qui
lui sont conféréespar la Charte. Mais rien, absolument rien n'empêche,
ni dans la Charte, ni dans le Statut, la Cour de statuer dans le domaine
qui lui est propre, au cas où un autre organe des Nations Unies s'occupe
des aspects politiques d'une affaire.
Face à une situation qui s'aggravait de jour en jour, l'indication aux
deux parties qu'elles doivent évitertout acte qui pourrait aggraver et
étendre ledifférendaurait étéjustifiéedans le cadre des pouvoirs conférés
à la Cour par l'article.33de l'Actegénéraletpar l'article 41de son Statut.

D'autre part, puisque la Cour a donné les solutions adoptées aux
paragraphes 34-41 de l'ordonnance, en concluant au paragraphe 42:

«qu'il n'estpas nécessairepour la Cour de statuer sur la question de
savoir si l'article 41 du Statut lui confèrele pouvoir d'indiquer des
mesures conservatoiresdans le seul desseinde prévenir l'aggravation
ou l'extension d'un différend»,il fallaità mon avis, étendre cette solutionégalementàl'autre chef de la
demande, c'est-à-dire à la question du préjudice irréparable invoquépar
la demande, et ne pas se saisir quant à ce dernier. Au lieu de cela, la
Cour a dit qu'il n'y pas lieu d'indiquer les mesures sollicitéessur le motif
qu'il n'existepas un préjudiceirréparable (par. 33). Pourtant, on ne doit
pas perdre de vue que l'activitédu Sismik I et le préjudice irréparable
causépar elle setrouvent au cŒurde l'affaire,et sont étroitementliés avec
la création dela situation qui aggrave et étend le différend.1va de soi
que cesdeux élémentsé , troitementliéscommeje l'aidit, ont étéprésentés
ensemble devant le Conseil de sécurité, puisqueles explorations du
Sismik I étaientla cause de l'aggravation de la situation.

Or, àmon avis, la Cour devait déciderde mêmepour les deux chefs de
la demande en indication de mesures conservatoires et ne pas examiner
séparémentla question du préjudiceirréparable, commeellel'a fait, pour
aboutir à la conclusion contenue au paragraphe 33. Si.la Cour avait
suivi ce procédé,la solution serait identique pour les deux chefs de la
demande, ce qui, àmon avis, correspondrait à la situation réelle etserait
une solutionjuste et calmante pour les deux parties.

En ce qui concerne la compétence,je crois que, avant de procéder à
l'examen de la demande de mesures conservatoires, ainsi que de toute

demande, la Cour doit s'assurer, par un examen extrêmement sommaire,
de sa compétenceprima facie, pour connaître du fond de l'affaire. Cette
règle ne se dégagepas seulement de la jurisprudence de la Cour; elle
constitue un principe généralqui régittoutes les institutions analogues.
Je me rapporteà cet égardà la pratique desjuridictions administratives
internes. Le recours pour excèsde pouvoirs devant une juridiction ad-
ministrative n'a pas d'effet suspensif pour l'acte attaqué; cela signifie
que l'exécutionde l'acte attaqué n'est pas empêchée du seul fait qu'un
recours ait été formé contre lui.Et c'est naturel, parce que le contraire
pourrait aboutir ànuire sérieusementau fonctionnement de l'administra-
tion et à paralyser son activité.Cependant, toujours dans les systèmes
juridiques internes, le législateura prévule cas extraordinaire où l'exécu-
tion de l'acte attaqué, qui aurait lieu en attendant que la juridiction
compétente se prononce sur sa validité, pourrait causer un préjudice

irréparableau requérant. Dans ce cas, le sursisàl'exécution del'acte est
autorisé.L'on n'a jamais refuséce sursisparce qu'il avait des doutes sur
la compétenceau fond.
La requêtegrecque est fondée sur l'article17de l'Acte général de1928
et sur le communiqué conjoint gréco-turc du31 mars 1975.
Pour ce qui est de'Actegénéralb , ien que la Cour, dans lesaffairesdes
Essais nucléaires,ne se soit pas directement prononcée sur la thèse
française d'après laquellecet acte étaitdevenu caduc, elle a, néanmoins,considérél'Acte généralprima facie en vigueur pour les besoins de'la
phase des mesures conservatoires. D'ailleurs l'activité récentdu Secré-
taire généraldes Nations Unies, dépositaire de l'Acte général,prouve
qu'il esttoujours en vigueur.
D'autre part, la Grècefondela compétencede la Cour sur le commu-
niquédu 31mai 1975. Il s'agit là d'un engagement de la part des deux
parties. C'est un élémentqui suffit également pour constater que la
compétencede la Cour existe au moins primafacie.
Enfin, la réserveb), mentionnée dans l'instrument d'adhésionde la
Grèce àl'Acte général (voirpar. 19de l'ordonnance), ne constitue point
un obstacle àla vigueur del'Actegénéralp ,our lestrois raisons suivante:

a) comme il résultede la lettre de M. Politis, verséeau dossier, le but de
cette réserveétait de tenir en dehors de l'application deActe général
les différendsqui pourraient être soulevés à propos des aspirations
éventuellesd'un autre Etat à une zone libre oujouissant d'un régime
spécialdans le territoire de 1'Etatgrec;
b) à l'époque'où cette réserve a étéformulée, la notion du plateau

continental n'existait pas encore dans le domaine du droit internatio-
nal ;
c) la lettre mêmedu terme «statut territorial» exclut, à mon avis,
l'interprétationselonlaquelle cetermepourrait comprendre leplateau
continental.

Pour cesraisons, je suisd'avisquela compétencede la Courpour juger
le fond de l'affaireexiste au moinsrimafacie.

(Signé) Michel STASSINOPOULOS.

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OPINION DISSIDENTE DE M. STASSINOPOULOS

A mon vif regret je ne peux pas m'associer à l'ordonnance. Faisant
donc usage du droit que me confère l'article 57 du Statut, je me permets
d'indiquer les raisons de mon dissentiment.
La demande en indication de mesuresconservatoiresintroduite par la
Grècedoit êtreenvisagée,de prime abord, sous l'angle de deux principes
indiscutablesdu droit international de la mer.
Le premier principe est que 1'Etatriverain exerce sur le plateau con-

tinental des droits souverains d'exploration et d'exploitation des res-
sourcesnaturelles; cesdroitssont exclusifsencesens quenul autre ne peut
exercer une activitéde recherche, d'exploration ou d'exploitation sans
le consentementde cet Etat riverain. Ce principe, cristallisépar l'article 2
de la Convention de Genève de 1958 sur le plateau continental, fut
réaffirméen des termes très clairs par la Cour dans son arrêtrelatif au
Plateau continentalde la mer du Nord(C.I.J. Recueil1969,p. 22).
Le deuxièmeprincipe estque les îlespossèdentleur plateau continental
au sensjuridique de ce terme. Je me permets de rappeler icila disposition
fondamentale de l'article premier de la Convention de Genèvede 1958 :

«Aux fins des présents articles, l'expressionaplateau continentaD
est utiliséepour désigner ...b) le lit de la mer et le sous-sol des
régionssous-marines analogues qui sont adjacentes aux côtes des
îles:»

Le caractère normatif des articles 1 et 2 de cette convention a été à
maintes reprises confirmé par l'arrêt de la Cour susmentionné surle
Plateau continental de la mer du Nord (ibidp .,. 22, 39 et 42).
A mon avis, il faut toujours avoir présentà l'esprit ces deux principes
qui constituent le droit en vigueurpour apprécier la demande visant à
l'indication de mesures conservatoiresdans la présente affaire.
Or, l'exercicepar la Grèce de ses droits souverains exclusifs sur son
plateau continental, tel qu'il estdéterminéparlesdeuxprincipes ci-dessus
mentionnés,a étéimmuable, imperturbable et continu de tout temps, et
depuis l'apparition dans le domaine du droit international de la notion
mêmedu plateau continental. La Turquie n'a jamais protesté contre cet
exercice et n'a jamais revendiqué desdroits quelconques sur le plateau

continental grec. Ce n'est qu'en 1973qu'ellea soudainement publiédans
sa Gazette officielleune carte dans laquelle figurent des zones de la mer
Egéesur lesquelles la Turquie revendique des droits. Presque en même
temps cet Etat a octroyédes permis d'exploration sur ces mêmeszones
et commencédes travaux d'exploration. Cela signifieque la Turquie, au DISSENTING OPINION OF JUDGE STASSINOPOULOS

[Translation]

To my great regret, 1 am unable to associate myself with the Order.
Exercising therefore the right conferred upon me by Article 57 of the
Statute, 1venture to indicate the reasons for my dissent.
The request by Greecefor the indication of interim measures of protec-
tion must be viewed, first of all, from the angle of two indisputable
principles of the internationallaw of the sea.

The firstprinciple is that the coastal State exercises overthe continental
shelf sovereign rights of exploration and exploitation of the natural
resources; those rights are exclusivein the sense that none may carry on
any research, exploration or exploitation activitieswithout the consent of
that coastal State. This principle, crystallized by Article 2 of the 1958
Geneva Convention on the Continental Shelf, was reaffirmed in very
clear terms by the Court in its North Sea Continental SheIf Judgment
(I.C.J. Reports 1969, p. 22).
The second principle is thatislands possess their own continental shelf
in the legalsenseof that term. Here 1venture to recall the basic provision
of Article 1 of the 1958Geneva Convention:

"For the purpose of these articles, the term 'continental shelf' is
used as referring ... (b) to the seabed and subsoil ~>fsimilar sub-
marine areas adjacent to the coasts of islands."

Thenorm-creatingcharacter of Articles 1and 2 of this Convention was
repeatedly confirmed by the Court's above-mentioned Judgment on the

North Sea Continental SheIf(ibid., pp. 22, 39and 42).
In my viewit is necessary alwaysto bear in mind these two principles,
which constitute the lawinforce, in assessingthe merits of the request for
the indication of interim measures of protection in the present case.
Now the exercise by Greece of its exclusive sovereign rights over its
continental shelf, as determined by thc two above-mentioned principles,
has been immutable, imperturbable and continuous from al1time, and
ever since the appearance of the very concept of the continental shelf in
the domain of international law. Turkey never protested against that
exerciseand never claimedany rights whatever overthe Greekcontinental
shelf. It was only in 1973that it suddenly published in its Officia1Gazette
a map showing areas ofthe Aegean Seain respect ofwhichTurkey claimed
rights. At practically thesame time Turkey granted exploration licences
in respect of those same areas and began exploration work. That means
that Turkey, instead of waiting for the question which it had itself lieu d'attendre que la question soulevéepar elle-mêmesoit régléepar les
voies appropriées, conformément à l'article 33 de la Charte des Nations

Unies, a essayéderéalisersespropres prétentions, par des actes matériels
entrepris sans aucun autre titre que ces prétentions. En droit, cette
manière d'agir constitue un exemple classique de ce qu'on appelle«voie
de fait» et ne suffit certainement pas pour que ces zones, appartenant
depuis toujours et incontestablement àla Grèce, soient qualifiéescomme
des ((zoneslitigieuses» ou acontestéeB.
En 1976, les activités d'exploration entreprises par le navire turc
Sismik I sont fondéessur un programme très large qui s'est même élargi
après quela Coura eu à s'occuper dela situation actuelle.En conséquence
de ces activités,la Grèce etla Turquie se sont trouvées devant une situa-
tion de préparatifs militaires d'envergure et l'aggravation de la situation

pourra amener à une menace réellecontre la paix.
Face à cette situation, qui ne fait que s'aggraver, la Grècea introduit
devant la Cour une requêtevisant à la délimitation du plateau continental
de la mer Egéeet une demande en indication de mesures conservatoires
jusqu'à ce que cette haute juridiction internationale se prononce sur le
fond de l'affaire.
La demande de la Grèceest fondée sur l'article33 de l'Acte général de
1928,ainsi que sur l'article 41 du Statut de la Cour. L'un et l'autre de ces
deux textes confèrent à la Cour le pouvoir d'indiquer des mesures
conservatoires. Mais ils se distinguent, notamment, par la densité des
pouvoirs conférés à cet effetàla Cour.

Le libelléde l'article 33, alinéa1, de l'Acte généralest plus impératif
pour la Cour:
«1. Dans tous les cas où le différendfait l'objet d'une procédure
arbitrale oujudiciaire, notamment si la question au sujet de laquelle
les parties sont diviséesrésulted'actes déjàeffectuésou sur le point
del'être, la Courpermanente deJusticeinternationale, statuant con-

formément à l'article 41 de son Statut, ou le tribunal arbitral,
indiquera, dans leplus bref délai possible, quellesmesuresprovisoires
doivent êtreprises. Les parties en litige seront tenues de s'yconfor-
mer.»

Quant à l'article 41, alinéa1, du Statut, celui-ci dispose que «la Cour
a le pouvoir d'indiquer, si elle estime que les circonstances l'exigent,
quelles mesures conservatoires du droit de chacun doivent êtreprises à
titre provisoire» (les italiques sont de moi). A mon avis, dans la notion
des«circonstances »que la Cour devraprendre enconsidération, s'intègre
tout d'abord la nature des droits qu'ila lieu de protéger.Et sur ce point,
les textes de l'article 33 del'Acte généralet de l'article 41 du Statut
s'identifient.Je veux dire par que, lorsque la Cour setrouve en présence
d'une atteinte aux droits qui relèventde la souveraineté d'un Etat, elle
esttenuedeprendre en considérationau plus haut degrécettecirconstance
pour indiquer les mesures sollicitées.raised to be settled bythe appropriate means, in accordance with Article
33 ofthe Charter ofthe United Nations, attempted to make good its own
claimsby material acts undertaken with no other title than those claims
themselves. This manner of proceeding provides a classic example of
taking the law into one's ownhands ("voie defait") and is certainly not
sufficientin law to justify describinghese areas, which alwaysincontest-
ably belongedto Greece,as "areas in dispute" or "contested".

In 1976, the exploration activities carried on by the Turkish vesse1
SismikI arepart ofalarge-scaleprogrammewhichhas evenbeenextended
sincethe Court has had to concern itself with the present situation. As a
result of those activities, Greece and Turkey have found themselves
engagedin militarypreparations on a considerablescale,andthe aggrava-
tion of the situation could lead to a very real threat to peace.
Faced with that situation, which has been steadily deteriorating,
Greece has filedin the Court an Application with a viewto the delimita-

tion of the continental shelf of the Aegean Sea and a request for the
indication of interim measures of protection pending the pronouncement
ofthis eminentinternational tribunal on the merits of the case.
Greece'srequest is founded on Article 33 of the General Act of 1928
and on Article41of the Statuteof theCourt. Boththesetextsconferonthe
Court the power to indicate interim measures of protection. But they
differ,in particular, in the weight and scope of the powers conferred on
the Court for that purpose.
The wording of Article 33, paragraph 1, of the General Act is more
imperativefrom the Court's standpoint:

"1. In al1cases wherea dispute forms the object of arbitration or
judicial proceedings, and particularly if the question on which the
parties differ arisesout of actsalready committed or on the point of
being committed, the Permanent Court of International Justice,
acting in accordance with Article 41 of its Statute, or the Arbitral
Tribunal, shall lay down within the shortest possible time the pro-
visional measures to be adopted. The parties to the dispute shall be
bound to accept such rneasures."

Asfor Article41,paragraph 1, ofthe Statute, it providesthat the Court
"shall have the power to indicate, if it considers that circumstancesso
require,any provisional measures which ought to be taken to preserve
the respectiverights of eitherparty" (emphasis added). In my view, the
notion ofthe "circumstances" whichthe Court has to takeinto considera-
tion comprisesin the first instance the nature of the rights whoseprotec-
tion is in contemplation. And on that point the texts of Article 33 of the
General Act and Article 41 of the Statute are identical. By this 1 mean
that, when the Court finds itself faced with an infringement of rights
appertaicng to the sovereigntyof a State,it is bound to givethis circum-
stancethe highest degreeof consideration in relation to the indication of
the measures requested. Cela dit, il y a lieu de rappeler que la Cour a indiqué des mesures
conservatoiresdans biendescas oùlesdroits àprotégernerelevaient pas de
la spveraineté de 1'Etat en cause. En revanche, j'ai l'impression que
c'estlapremièrefois,dans la présenteaffaire,quela Cour refused'indiquer
des mesures conservatoires face à un litige impliquant des atteintes aux
droits souverains.

Dans sajurisprudence, la Cour a préciséles conditions qui lui parais-
sent nécessairespour l'indication de mesures conservatoires. Elles sont
ancréesautour des concepts: sauvegarde des droits des parties, préjudice
irréparable et aggravation et extension du différend.

Le concept de sauvegarde des droits des parties figure toujours dans
les ordonnances rendues par la Cour, que ces ordonnances indiquent ou
n'indiquent pas de mesures conservatoires. En revanche, le concept de
préjudice irréparable n'est pas toujours expressémentmentionné dans
les considérants de la Cour. Il en est ainsi, par exemple, dans l'affairede
lYAnglo-IranianOil Co. (qui indiqua des mesures conservatoires) et dans
l'affaire de lYInterhandel(qui n'indiqua pas de mesures conservatoires).
J'ajoute que le conceptde p~éjudiceirréparablen'est pas pris par la Cour
dans un senslittéral.Le préjudice est considéré en fonction de la situation
dans laquelle il seproduit.
Dans la présente affaire, il y a atteinte grave et irréparable aux droits
souverainsen tant quetels; l'on sait, en effet,que 1'Etatriverain possède,
selon la Cour, ces droits sur le plateau continental ipsofacto et ab initio;
que l'article 2 de la Convention de Genève lorsqu'il parle d'exclusivité
consacre un droit absolu et que par conséquent toute atteinte à ce droit
absolu constitue un préjudiceirréparable. Je considère égalementirré-

parable le préjudice causé par le recueil des renseignements sur les
ressources du plateau grec et la possibilitéde les divulguer, ce qui ferait
un obstacle insurmontable à leur exploitation par la Grèce.

Par ailleurs, le fait matériel de l'exploration du plateau continental
par des explosions constitue une circonstance aggravante si l'on s'en
tientà l'évolutiondu droit international en la matière.
En effet, la troisième partie du «texte unique de négociation revisé*
de la troisième conférence desNations Unies sur le droit de la mer
(A/CONF.62WP.8/Rev. l/Part III (6mai 1976)),qui, d'après l'indication
du président dela Troisième Commission,a tenu compte «de toutes les
négociationsprécédentes,de toutes les propositions et de tous les amen-
dements qui avaient étésoumis ainsi que des résultats obtenus au cours
de la préseptesession de la Conférence», contient dans son article 60,
paragraphe 2, alinéa b), une interdiction très nette de recherches et
d'explorations sur le plateau continental par l'utilisation d'explosifs.
Cette interdiction fait état d'un préjudiceirréparable pour les res-

sources naturelles du plateau continental.
Mais elle concerne les cas où la recherche est effectuéeavec l'autorisa- Havingmade that point, 1venture to recallthat the Court has indicated
interim measures of protection in many cases where the rights to be
protected did not appertain to the sovereignty of the State in question.
In the present case, on the other hand, 1have the impression that this is
the first time that the Court has refused to indicate interim measures of
protection when confronted with a dispute involving infringements of
sovereign rights.
In its jurisprudence the Court has defined the conditions which in its
view have to be fulfilled if interim measures are to be indicated. Central

among these conditions are the following concepts: preservation of the
rights of the parties, irreparable prejudice, and aggravation or extension
of the dispute.
The concept of preserving the rights of the parties is always featured
in the Orders made by the Court, whethertheyindicate ordo not indicate
interim measures of protection. On the other hand, the concept of
irreparable prejudice has not always been explicitly mentioned in the
reasoning of the Court. Such was for example the case in Anglo-Iranian
Oil Co. (where interim measures were indicated) and Interhandel (where
they were not). 1 would add that the concept of irreparable prejudice is
not taken by the Court in a literal sense. The prejudice is considered in
relation to the situation in which it takes place.

In the present case,there isgraveand irreparable prejudice to sovereign
rights as such, for we know that, accoding to the Court, the coastal
State possesses such rights over the continental shelf ipsofacto and
ab initio, that Article 2 of the Geneva Convention, when it speaks of
exclusivity,confers an absolute right and that, consequently,any infringe-

ment of that absolute right constitutes an irreparable prejudice. 1 con-
sider equallyirreparable the prejudice caused by the gathering ofinforma-
tion on the resources of the Greek shelf and the possibility of disclosing
them, which would raise an insurmountable obstacle to their exploitation
by Greece.
Furthermore, the material fact of exploring the continental shelf by
means of explosions constitutes an aggravating circumstance if the
evolution of international law in this respect is taken into account.
Indeed Part III of the Revised SingleNegotiating Text of the United
Nations Third Conference on the Law of the Sea (AlCONF.62WP.
8/Rev.l/Part III (6 May 1976)),which according to the Chairman of the
Third Committee has taken account "of al1the proposals and amend-
mentssubmittedand results reached during this sessionofthe conference",
includes, in Article 60, paragraph 2, subparagraph (b), a very clear ban
on carrying out research or exploration of the continental shelf bymeans
of explosives.

This prohibition postulates the risk of irreparable damage to the
natural resources of the continental shelf.
But it concerns caseswherethe research is carried out with the authori-tioa de 1'Etatcôtier. Comment pourrait-on préserver le plateau continen-
tal de toute altérationdans le cas d'une exploration illicite, comme dans
le cas en cause, constituant une véritable voie de fait? Et les actes visant
à la réalisation de lapart de la Turquie de ses propres revendications sur
le plateau grec ne sont autre chose, comme je l'ai dit plus haut, que des
«voies de fait ».Et je reviens instamment sur cette conception.

Je suis d'autre part en désaccordavec la partie de l'ordonnance qui a
traità la résolution395 (1976)du Conseil de sécurité.
La Cour est l'organe judiciaire principal des Nations Unies, l'un des

cinq organes principaux de l'organisation. Elle concourt, avec les
moyens mis à sa disposition par la Charte et par son Statut, au règlement
des différendsjuridiques entre Etats.
Dans l'affaire actuelle, nous sommes en présenced'un différendjuri-
dique (délimitation du plateau continental) dont l'issue permettra aux
parties-d'améliorer leurs relations.
L'aspect politique de l'affairea étéportédevant le Conseil de sécurité.
Cet organe a élaboré,en fonction d'éléments à sa disposition, une résolu-
tion.
De son côté, laCour a étésaisie d'un autre aspect fondamental de la
mêmequestion. Devant l'urgence de la situation et son aggravation, la
Cour aurait dû exercer la plénitudede ses pouvoirs. Il n'est point néces-
saire de mentionner ici la différencequi existe entre un différendou une
situation porté à la fois devant le Conseil de sécurité etl'Assemblée

généraleet entre deux recours, l'un porté devant les organes politiques
des Nations Unies, l'autre portédevant l'organe judiciaire de l'organisa-
tion. Dans le premier cas, l'article 12de la Charte interdit en principe
l'Assemblée générad lee faire une recommandation, tant que le Conseil de
sécuritéremplit à l'égarddu différend oude la situation les fonctions qui
lui sont conféréespar la Charte. Mais rien, absolument rien n'empêche,
ni dans la Charte, ni dans le Statut, la Cour de statuer dans le domaine
qui lui est propre, au cas où un autre organe des Nations Unies s'occupe
des aspects politiques d'une affaire.
Face à une situation qui s'aggravait de jour en jour, l'indication aux
deux parties qu'elles doivent évitertout acte qui pourrait aggraver et
étendre ledifférendaurait étéjustifiéedans le cadre des pouvoirs conférés
à la Cour par l'article.33de l'Actegénéraletpar l'article 41de son Statut.

D'autre part, puisque la Cour a donné les solutions adoptées aux
paragraphes 34-41 de l'ordonnance, en concluant au paragraphe 42:

«qu'il n'estpas nécessairepour la Cour de statuer sur la question de
savoir si l'article 41 du Statut lui confèrele pouvoir d'indiquer des
mesures conservatoiresdans le seul desseinde prévenir l'aggravation
ou l'extension d'un différend»,zation of the coastal State. How could the continental shelf bepreserved
from adverse effectsin the case of unlawful exploration, as in the present
instance, constituting a veritable voiedefait? And the acts intended to
promote Turkey's achievement of its own claims with respect to the
Greek shelf are, as 1 have said above, nothing other than voies defait.
Again 1must emphasizethis view ofthe matter.

1 find myself also in disagreement with that part of the Order which
deals with Security Council resolution 395 (1976).
The Court is the principaljudicial organ of the United Nations, one of
its five principal organs. It contributes, with the means placed at its
disposa1bythe Charter and its Statute, to the settlement of legal disputes
between States.
In the present case, weare confronted with a legaldispute (delimitation
of the continental shelf)the resolution of which will enable the parties to
improve their mutual relations.
Thepoliticalaspect ofthe casehas been referredto the SecurityCouncil.
This organ worked out a resolution in accordance with the elements at
its disposal.
As for the Court, it has been seised of another fundamental aspect of
the same question. Giventhe urgency of the situation and its aggravation,
the Court should have exercisedits powers in full. It is not necessary to
mention here the difference there is between a dispute or a situation
referred at oneand the sametime to the Security Council and the General

Assembly, and two applications of which one is made to the political
organs of the United Nations and the other to its judicial organ. In the
first instance, Article 12 of the Charter prohibits the General Assembly
in principle from making any recommendation for so long as the Security
Council is exercising its functions under the Charter with regard to the
dispute or situation. But there is absolutely nothing, whether in the
Charter or in the Statute, to prevent the Court from making a findingin
its own particular domain in cases where another organ of the United
Nations is concerning itself with the political aspects of a case.
In a daily deteriorating situation, the indication to both parties that
they should avoid any act that might aggravate or extend the dispute
would have been justified within the framework of the powers conferred
on the Court by Article 33 of the General Act and Article 41 of its
Statute. Furthermore, since the Court had decided upon the solutions
adopted in paragraphs 34-41 ofthe Order, whileconcludingin paragraph
42 that-

"... it is not necessary for the Court to decide the question whether
Article 41 of the Statute confers upon it the power to indicateinterim
measures of protection for the sole purpose of preventingthe aggra-
vation or extension of a dispute",il fallaità mon avis, étendre cette solutionégalementàl'autre chef de la
demande, c'est-à-dire à la question du préjudice irréparable invoquépar
la demande, et ne pas se saisir quant à ce dernier. Au lieu de cela, la
Cour a dit qu'il n'y pas lieu d'indiquer les mesures sollicitéessur le motif
qu'il n'existepas un préjudiceirréparable (par. 33). Pourtant, on ne doit
pas perdre de vue que l'activitédu Sismik I et le préjudice irréparable
causépar elle setrouvent au cŒurde l'affaire,et sont étroitementliés avec
la création dela situation qui aggrave et étend le différend.1va de soi
que cesdeux élémentsé , troitementliéscommeje l'aidit, ont étéprésentés
ensemble devant le Conseil de sécurité, puisqueles explorations du
Sismik I étaientla cause de l'aggravation de la situation.

Or, àmon avis, la Cour devait déciderde mêmepour les deux chefs de
la demande en indication de mesures conservatoires et ne pas examiner
séparémentla question du préjudiceirréparable, commeellel'a fait, pour
aboutir à la conclusion contenue au paragraphe 33. Si.la Cour avait
suivi ce procédé,la solution serait identique pour les deux chefs de la
demande, ce qui, àmon avis, correspondrait à la situation réelle etserait
une solutionjuste et calmante pour les deux parties.

En ce qui concerne la compétence,je crois que, avant de procéder à
l'examen de la demande de mesures conservatoires, ainsi que de toute

demande, la Cour doit s'assurer, par un examen extrêmement sommaire,
de sa compétenceprima facie, pour connaître du fond de l'affaire. Cette
règle ne se dégagepas seulement de la jurisprudence de la Cour; elle
constitue un principe généralqui régittoutes les institutions analogues.
Je me rapporteà cet égardà la pratique desjuridictions administratives
internes. Le recours pour excèsde pouvoirs devant une juridiction ad-
ministrative n'a pas d'effet suspensif pour l'acte attaqué; cela signifie
que l'exécutionde l'acte attaqué n'est pas empêchée du seul fait qu'un
recours ait été formé contre lui.Et c'est naturel, parce que le contraire
pourrait aboutir ànuire sérieusementau fonctionnement de l'administra-
tion et à paralyser son activité.Cependant, toujours dans les systèmes
juridiques internes, le législateura prévule cas extraordinaire où l'exécu-
tion de l'acte attaqué, qui aurait lieu en attendant que la juridiction
compétente se prononce sur sa validité, pourrait causer un préjudice

irréparableau requérant. Dans ce cas, le sursisàl'exécution del'acte est
autorisé.L'on n'a jamais refuséce sursisparce qu'il avait des doutes sur
la compétenceau fond.
La requêtegrecque est fondée sur l'article17de l'Acte général de1928
et sur le communiqué conjoint gréco-turc du31 mars 1975.
Pour ce qui est de'Actegénéralb , ien que la Cour, dans lesaffairesdes
Essais nucléaires,ne se soit pas directement prononcée sur la thèse
française d'après laquellecet acte étaitdevenu caduc, elle a, néanmoins,it was necessary in my opinion for the Court to extend that solution to
the otherground of the request, that is to say, the question of irreparable
prejudice relied on therein, and not to concern itself with that matter.
Instead of that, the Court has said that it was not requisite to indicate
the measures requested because there was no irreparable prejudice
(para. 33). Yet one should not lose sight of the fact that the activities of
Sismik I and the irreparable prejudice to which they give rise are central
to the case and are closely bound up with the creation of the situation
which is aggravating and extending the dispute. It is not surprising that
these two factors, closely linked as 1 have said, were presented together
before the Security Council, since the explorations of Sismik I were the
cause of the aggravation of the situation.
Now, in my view,the Court ought to have decided in like manner on
each of the two different grounds of the request for the indication of
interim measures of protection and ought not to have considered the

question of irreparable prejudice separately, arriving at the conclusion
embodied in paragraph 33. If the Court had followed that course, the
answer given on both heads would have been identical, which in my
opinion would correspond to the real situation and constitute a fair and
calming solution for both parties.

So far as jurisdiction is concerned 1 think that, before proceeding to
consider the request for interim measures, or any request, the Court
must satisfy itself, by an extremely summary examination, that it has
prima facie jurisdiction to deal with the merits of the case. Not only
does that rule emerge from the Court's jurisprudence, but it also con-
stitutes a general principlegoverning al1analogous institutions.
1 would refer in this connection to the practice of municipal adminis-
trative tribunals. When an appeal is made to an administrative tribunal
on the ground of action ultra vires, that does not have any suspensory
effect on the act complained of; in other words, the mere filing of the

appeal does not prevent that act from being carried out. This is natural,
because otherwisethe functioning ofthe administration could be seriously
harmed and its activities paralysed. However, in municipal systems of
law, there is statutory provision for the unusual event that the perfor-
mance of the act complained of, if it were to take place pending the pro-
nouncement of the competent tribunal on its validity, would be likely to
cause the applicant irreparable prejudice. In such event, it is possible to
obtain a stay of execution. Such stay of execution has never been refused
on account of doubts asto competenceto deal with the substantiveappeal.
The Greek application is founded on Article 17 of the General Act of
1928and on the joint Greco-Turkish communiqué of 31 March 1975.
So far as the General Act is concerned, although the Court, in the
Nuclear Tests cases, did not make any direct pronouncement as to the
French contention that it had fallen into desuetude, it neverthelessconsidérél'Acte généralprima facie en vigueur pour les besoins de'la
phase des mesures conservatoires. D'ailleurs l'activité récentdu Secré-
taire généraldes Nations Unies, dépositaire de l'Acte général,prouve
qu'il esttoujours en vigueur.
D'autre part, la Grècefondela compétencede la Cour sur le commu-
niquédu 31mai 1975. Il s'agit là d'un engagement de la part des deux
parties. C'est un élémentqui suffit également pour constater que la
compétencede la Cour existe au moins primafacie.
Enfin, la réserveb), mentionnée dans l'instrument d'adhésionde la
Grèce àl'Acte général (voirpar. 19de l'ordonnance), ne constitue point
un obstacle àla vigueur del'Actegénéralp ,our lestrois raisons suivante:

a) comme il résultede la lettre de M. Politis, verséeau dossier, le but de
cette réserveétait de tenir en dehors de l'application deActe général
les différendsqui pourraient être soulevés à propos des aspirations
éventuellesd'un autre Etat à une zone libre oujouissant d'un régime
spécialdans le territoire de 1'Etatgrec;
b) à l'époque'où cette réserve a étéformulée, la notion du plateau

continental n'existait pas encore dans le domaine du droit internatio-
nal ;
c) la lettre mêmedu terme «statut territorial» exclut, à mon avis,
l'interprétationselonlaquelle cetermepourrait comprendre leplateau
continental.

Pour cesraisons, je suisd'avisquela compétencede la Courpour juger
le fond de l'affaireexiste au moinsrimafacie.

(Signé) Michel STASSINOPOULOS.consideredthe General Act as prima facie in force for the purposes of the
interim measures phase. Moreover, recent action by the Secretary-
General of the United Nations, the depositary of the General Act, proves
that it is stillin force.
Greece also founds the jurisdiction of the Court on the communiqué
of 31 May 1975. This constituted an undertaking on the part of both
parties. It is a factor which is also sufficientto ascertain that the Court
has at least prima faciejurisdiction.
Finally, reservation (b), mentioned in Greece'sinstrument of accession
to the General Act (seepara. 19of the Order) is no obstacle to the force
of the General Act, for the three following reasons:

(a) as appears from the letter by Mr. Politis, which has been laid before
the Court, the purpose of that reservation was to remove from the
sphere of applicability of the General Act such disputes as might
arise regarding the possible aspirations of another State to have a
free zone, or a zone of special régime,within the territory, of the
Greek State;
(b) at the time when that reservation was formulated, the concept of the
continental shelf did not yet exist in the field ofinternational law;
(c) the literal sense of the term "territorial status" excludes,in my view,
any construction according to which it might comprehend the con-
tinental shelf.

For those reasons, 1am of the opinion that thejurisdiction of the Court
to adjudicate upon the merits of the case does exist, at least prima facie.

(Signed) Michel STASSINOPOULOS.

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Document Long Title

Opinion dissidente de M. Stassinopoulos

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