Opinion individuelle de M. le juge Abraham

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118-20081118-JUD-01-06-EN
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524

OPINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGE ABRAHAM

Accord avec le dispositif de l’arrêt — Désaccord avec les motifs par lesquels
l’arrêt rejette l’argument selon lequel la Serbie n’a pas qualité pour participer à
la procédure — Question du champ d’application de l’article 35 du Sta-
tut — Deux interprétations possibles: conditions applicables aux deux parties,
ou seulement à la partie demanderesse — Arguments plus solides et plus nom-
breux en faveur de la seconde interprétation — Arguments de texte — Examen
des travaux préparatoires — Examen de la pratique judiciaire et de la jurispru-
dence antérieure de la Cour — Logique et finalité du texte — Principe de l’éga-
lité entre les Etats parties à un traité comportant une clause compromis-
soire — Conclusion: inutilité des développements de l’arrêt tendant à démontrer

que le défendeur avait, aux fins de l’instance, accès à la Cour sur la base de
l’article 35, paragraphe 1, du Statut — Date à laquelle la réalisation des condi-
tions de la compétence de la Cour doit être appréciée — Principe: conditions
devant être satisfaites à la date de l’introduction de l’instance — Exception
résultant de la jurisprudence Mavrommatis — Application erronée de cette
jurisprudence faite en l’espèce par la Cour — Nécessité de statuer sur l’appli-
cabilité à la date présente de l’article IX de la convention sur le génocide dans
les rapports entre les deux Parties — Absence d’effet juridique de la réserve
assortissant la prétendue «adhésion» à la Convention par la Serbie en 2001.

1. Afin de convaincre la Cour de décliner sa compétence pour connaître
de la requête de la Croatie, la Serbie a invoqué deux arguments dont cha-

cun suffirait, selon elle, à justifier une décision d’incompétence totale.
D’une part, a-t-elle soutenu, la Cour ne lui était pas «ouverte», au sens
de l’article 35, paragraphe 1, du Statut, à la date d’introduction de la
requête (le 2 juillet 1999), de telle sorte qu’elle ne pouvait pas y être
attraite, puisqu’elle ne pouvait pas y comparaître même en qualité de

défenderesse. D’autre part, elle n’était pas partie, à la même date, à la
convention sur le génocide, et n’était donc pas liée par la clause compro-
missoire de son article IX, invoquée par la Croatie comme base de com-
pétence — clause par laquelle, au surplus, elle n’a jamais été liée, ayant
pris soin de formuler une réserve visant à l’exclure lorsqu’elle a adhéré à
la Convention en 2001.

2. La Cour a rejeté l’ensemble de ces arguments et s’est déclarée com-
pétente pour connaître de l’affaire, sur la base de la clause compromis-
soire invoquée par la demanderesse.
J’approuve entièrement le dispositif de l’arrêt. Je n’en approuve cepen-
dant que partiellement les motifs.

Si, dans l’ensemble, j’adhère aux motifs par lesquels la Cour a écarté la
seconde branche de l’exception d’incompétence — celle relative à la pré-
tendue absence de qualité de partie de la Serbie à la convention sur le
génocide, y compris son article IX, en 1999 —, en revanche les motifs que

116525 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .ABRAHAM )

donne l’arrêt pour justifier le rejet de la première branche de l’exception
me laissent très insatisfait, car, selon moi, ils ne reposent pas sur une ana-

lyse correcte du droit applicable.
3. Il s’agissait pour la Cour de répondre à l’objection, présentée par le
défendeur comme dirimante, tirée de ce que, n’étant pas partie au Statut
de la Cour en 1999 — et ne l’étant devenue que le 1 er novembre 2000 —,

la Serbie n’avait pas qualité pour se présenter valablement devant la
Cour puisque celle-ci ne lui était pas «ouverte» au sens de l’article 35 du
Statut.
Face à une telle objection, la Cour ne se trouvait pas en terrain

inconnu. Nul n’a oublié que, en 2004, c’est prerisément parce que la
Serbie-et-Monténégro n’était pas, jusqu’au 1 novembre 2000, membre des
Nations Unies ni, par suite, partie au Statut de la Cour que huit requêtes
introduites en 1999 par cet Etat contre des Etats membres de l’OTAN ont

été rejetées en raison de l’incompétence qui en résultait (voir les arrêts
rendus le 15 décembre 2004 dans les affaires relatives à la Licéité de
l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. divers Etats membres de
l’OTAN), C.I.J. Recueil 2004 (I, II, III) , p. 279-1450).

4. Mais, dans la présente affaire, la Serbie ne se présente pas devant la
Cour en qualité de demanderesse, comme dans les affaires précitées. Elle
comparaît comme défenderesse, et c’est elle-même qui excipe de son
absence de qualité de partie au Statut de la Cour pour se soustraire à la
juridiction de celle-ci. De ce que la Cour ne lui serait pas «ouverte» en

vertu de l’article 35 du Statut, elle entend tirer ici une conséquence qui lui
serait favorable — elle serait à l’abri de la juridiction obligatoire — alors
qu’en 2004 il en a été tiré à son égard un effet défavorable — elle n’a pas
été admise à utiliser la Cour pour faire valoir ses prétentions.

Et cependant, l’arrêt ne semble pas avoir égard à cette différence de
situation. La Cour examine la question de savoir si le défendeur remplit
les conditions auxquelles l’article 35 du Statut subordonne l’«accès» à
son prétoire, comme si ces conditions étaient uniformément applicables à

une partie demanderesse et à une partie défenderesse. Au terme d’un rai-
sonnement sur lequel je reviendrai plus loin, car il ne me semble pas d’une
rigueur irréprochable, la Cour répond par l’affirmative, sans pour autant
contredire ses arrêts de 2004: la Serbie remplit bien les conditions pour

avoir accès à la Cour, pour les besoins de la erésente instance, parce
qu’elle a été admise aux Nations Unies le 1 novembre 2000 et qu’elle est
devenue à cette date partie au Statut.
5. Je pense que les développements longs et complexes que la Cour

consacre à la question de l’«accès à la Cour» de la Serbie, à la lumière de
l’article 35 du Statut (aux paragraphes 57 à 92 de l’arrêt), étaient en réa-
lité inutiles. La raison en est que, selon moi, les conditions de l’article 35
du Statut ne s’appliquent pas à une partie défenderesse à l’instance, mais
seulement à celle qui saisit la Cour . Il est vrai que la Croatie elle-même,

qui y aurait eu pourtant intérêt, n’a pas plaidé en faveur de cette inter-
prétation, ce qui ne pouvait guère inciter la Cour à suivre une telle orien-
tation. Mais, s’agissant d’une question d’interprétation de son Statut, il

117526 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. ABRAHAM )

appartenait à la Cour de dire le droit d’office, sans être liée par les argu-
ments des parties dans une instance déterminée. Au surplus, la Cour avait
expressément réservé cette question dans son arrêt au fond en l’affaire

de l’Application de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro) (C.I.J.
Recueil 2007 (I)), en indiquant à bon droit (paragraphe 141 de l’arrêt)
que, «[s]’agissant d’une question d’interprétation du Statut, c’est à la
Cour qu’il appartiendrait d’y répondre».

Je vais exposer les raisons pour lesquelles je suis parvenu, pour ma
part, à la conclusion susmentionnée quant à l’interprétation de l’ar-
ticle 35 du Statut. Il me faut, pour cela, partir des dispositions pertinentes,
dont je m’efforcerai de dégager la logique intrinsèque.

6. Si l’on prend l’expression dans un sens large, la capacité de (ou la
qualité pour) participer à une procédure devant la Cour est subordonnée
à des conditions qui sont définies aux articles 34 et 35 du Statut.
L’article 34 réserve en principe aux Etats la faculté de se présenter

devant la Cour, tout en permettant, sous certaines conditions, aux orga-
nisations internationales publiques de présenter des observations dans
certaines affaires.
L’article 35 réserve en outre l’accès à la Cour aux Etats qui:

— soit sont parties au Statut (ce qui est le cas de tous les Etats Membres
des Nations Unies et des Etats non membres qui ont décidé d’y deve-
nir parties dans les conditions visées à l’article 93, paragraphe 2, de la

Charte) — c’est ce que dit le paragraphe 1 de l’article 35;

— soit, à défaut d’être parties au Statut, se sont conformés aux condi-
tions prévues par une résolution adoptée par le Conseil de sécurité,
et ce «sous réserve des dispositions particulières des traités en

vigueur» — c’est ce que dit le paragraphe 2. La résolution en question
(9 (1946) du 15 octobre 1946) prévoit que la Cour est ouverte à tout
Etat non partie au Statut qui aura déposé une déclaration par
laquelle il s’engage à accepter la juridiction de la Cour et l’autorité

de ses décisions, soit en général, soit pour une affaire particulière.
7. Il est certain que la condition mise par l’article 34 pour qu’une

entité juridique puisse participer à une procédure devant la Cour (à
savoir que cette entité soit un Etat au sens du droit international) s’appli-
que aussi bien à la partie demanderesse qu’à la partie défenderesse (et aux
deux parties lorsque la Cour est saisie conjointement sur la base d’un
compromis).

8. En revanche, le champ d’application de l’article 35 peut prêter à
controverse. S’il ressort clairement de ses termes mêmes que le para-
graphe 3 de l’article 35 — qui donne à la Cour le pouvoir de fixer la contri-
bution aux frais de la procédure que doit supporter un Etat non membre
des Nations Unies qui est partie à une instance — s’applique à tout Etat

qui se trouve dans la situation ainsi définie, qu’il soit demandeur ou

118527 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. ABRAHAM )

défendeur, la seule lecture des paragraphes 1 et 2 du même article 35 ne
permet pas de parvenir facilement à une conclusion aussi certaine.
9. Deux interprétations sont, à cet égard, défendables (et ont, d’ailleurs,

été défendues tant en doctrine que dans la pratique de la Cour antérieure
au présent arrêt).
Selon une première interprétation, les paragraphes 1 et 2 auraient le
même champ d’application que le paragraphe 3: il en résulterait que les
conditions posées par ces deux paragraphes s’appliqueraient aussi bien à

l’Etat demandeur qu’à l’Etat défendeur, la Cour ne pouvant exercer sa
compétence que si l’un et l’autre satisfont, d’une manière ou d’une autre,
auxdites conditions. Ainsi, par exemple, même si l’Etat requérant est
Membre des Nations Unies, la Cour ne pourrait pas exercer sa compé-
tence si l’Etat défendeur n’est pas partie au Statut et n’a pas non plus

déposé la déclaration d’acceptation prévue par la résolution du Conseil
de sécurité du 15 octobre 1946 (à moins qu’il n’existe entre les deux
Etats en cause un «traité en vigueur» au sens du paragraphe 2 de l’ar-
ticle 35, c’est-à-dire un traité qui était déjà en vigueur à la date de

l’entrée en vigueur du Statut, comme l’a précisé la Cour dans ses arrêts
du 15 décembre 2004 dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi
de la force).
Mais une seconde interprétation est possible, selon laquelle la Cour
devrait seulement vérifier, afin de s’assurer qu’elle est à même d’exercer sa

compétence, que l’Etat requérant, et lui seul, remplit les condi-
tions — alternatives — mentionnées aux paragraphes 1 et 2 de l’ar-
ticle 35.
10. Il faut préciser d’emblée que si, comme je le crois, l’on devait rete-
nir la seconde interprétation, cela ne signifierait évidemment pas que la

Cour serait fondée à exercer sa compétence à l’égard d’un Etat défendeur
qui n’aurait pas consenti, d’une manière ou d’une autre, à sa juridiction.
Quelle que soit l’interprétation retenue de l’article 35, le consentement à
la juridiction de la Cour doit être vérifié tant à l’égard de l’Etat deman-
deur qu’à l’égard de l’Etat défendeur. La conséquence de la seconde

interprétation est seulement que, en ce qui concerne l’Etat défendeur, il
suffirait de vérifier qu’il est lié vis-à-vis de l’Etat demandeur par un traité
comportant une clause d’attribution de compétence à la Cour, laquelle
clause établirait son consentement à la juridiction (ou tout autre titre

de compétence), sans qu’il soit besoin de se demander en outre s’il est
Membre des Nations Unies ou partie au Statut de la Cour, ou encore, à
défaut, s’il a souscrit la déclaration prévue par la résolution de 1946 — ces
dernières conditions n’étant pertinentes, et ne devant être vérifiées, qu’à
l’égard de l’Etat demandeur.

11. On voit immédiatement que le choix entre les deux interprétations
ci-dessus exposées ne présente pas un intérêt purement académique. Il
peut avoir des conséquences décisives quant à la possibilité pour la Cour
d’exercer sa compétence dans le cas de figure suivant: les deux Etats
qu’oppose le différend sont liés par un traité comportant une clause com-

promissoire attribuant compétence à la Cour pour trancher un tel diffé-

119528 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. ABRAHAM )

rend, mais qui n’est pas un «traité en vigueur» au sens du paragraphe 2,
parce qu’il est postérieur au Statut; la Cour est saisie par voie de requête
unilatérale; l’Etat requérant est Membre des Nations Unies (ou, à défaut,

il est partie au Statut de la Cour, ou encore il a déposé la déclaration
prévue par la résolution de 1946); l’Etat défendeur, en revanche, n’est pas
membre des Nations Unies, n’est pas partie au Statut, et n’a pas souscrit
— et ne souhaite pas souscrire — la déclaration susvisée.
Dans une telle configuration, le choix de la première interprétation de

l’article 35 fait obstacle à ce que la Cour exerce sa compétence, nonobstant
la clause compromissoire qui oblige les deux Etats. Le choix de la seconde
interprétation, au contraire, permet à la Cour d’exercer sa compétence.
12. Sans doute un tel cas de figure n’est-il pas destiné à se présenter
fréquemment devant la Cour.

Il se trouve cependant qu’il correspond aux affairesBosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro et Croatie c. Serbie, si du moins l’on estime que la
Serbie (alors RFY), d’une part, et les deux Etats requérants, d’autre part,
étaient liés, aux dates d’introduction des requêtes, par la convention

sur le génocide et son article IX, et si l’on s’en tient, en ce qui concerne
les conditions de l’article 35, à la situation existant à ces mêmes dates,
auxquelles le défendeur ne remplissait aucune desdites conditions, selon
ce que la Cour a jugé dans ses arrêts précités de 2004.

13. Il n’est pas douteux qu’il existe quelques solides arguments en
faveur de chacune des deux interprétations susmentionnées. A la réflexion,
même si la doctrine dominante paraît être plutôt en sens contraire, je suis
parvenu à la conclusion que les arguments les plus nombreux et les plus
solides militaient dans le sens de l’interprétation selon laquelle les condi-

tions mentionnées aux paragraphes 1 et 2 de l’article 35 ne sont exigées
que de l’Etat requérant, lorsque la Cour est saisie par voie de requête uni-
latérale sur la base d’une clause compromissoire applicable dans les rela-
tions entre le demandeur et le défendeur.
Je vais m’efforcer de résumer ci-après les raisons qui me conduisent à

cette conclusion, et qui sont tirées:
a) du texte même du Statut;
b) des travaux préparatoires;

c) de la pratique et de la jurisprudence;
d) enfin, de la logique même des dispositions soumises à interprétation.

A) A RGUMENTS DE TEXTE

14. Le paragraphe 1 de l’article 35 utilise la formule «La Cour est
ouverte». La même formule est reprise au paragraphe 2: «Les conditions
auxquelles elle est ouverte aux autres Etats ... sont réglées par...»

Par elle-même, l’expression, que l’on a traduite dans le langage juridique

courant par celle d’«accès à la Cour», qui en est l’équivalent exact du

120529 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. ABRAHAM )

point de vue, inversé, de l’Etat, suggère assez nettement que ce dont il
s’agit ici, c’est de définir les conditions auxquelles une partie à un diffé-
rend peut saisir la Cour, s’adresser à elle pour faire valoir ce qu’elle

estime être ses droits.
Le «sens ordinaire» des termes employés, pour reprendre la formule de
l’article 31.1 de la convention de Vienne, n’oriente pas, à première vue,
vers une interprétation «symétrique» du texte, en vertu de laquelle on
exigerait que les conditions énoncées soient également remplies de la part

du défendeur. Ce dernier, en effet, ne cherche pas à accéder à la Cour,
puisque aussi bien dans de nombreuses affaires il cherche au contraire à
se soustraire à sa juridiction en contestant — à tort ou à raison — sa
compétence. N’étant pas celui qui pousse la porte de la Cour, on ne voit
pas bien pourquoi c’est à lui (ou à lui également) qu’on imposerait des

conditions d’entrée.
Dans le domaine, il est vrai partiellement spécifique, du droit interna-
tional des droits de l’homme, le «droit d’accès au tribunal» (national),
défini comme une composante fondamentale du droit à un «procès équi-

table» garanti par l’article 14 du pacte international sur les droits civils et
politiques et l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme,
a toujours été entendu comme le droit pour une personne de saisir un
juge en vue de lui soumettre ses prétentions, donc un droit du requérant
et non du défendeur. Naturellement, cela n’empêche pas qu’une fois le

procès engagé les exigences du «procès équitable» (impartialité et indé-
pendance du tribunal, etc.) valent aussi bien pour le demandeur que pour
le défendeur, et que les deux parties doivent être traitées sur un pied
d’égalité dans le déroulement de l’instance.
Tel est le «sens ordinaire» des mots.

15. Cette première impression est renforcée par la comparaison termi-
nologique entre les paragraphes 1 et 2 de l’article 35, d’une part, et,
d’autre part, l’article 34 et le paragraphe 3 de l’article 35.
Ces deux dernières dispositions montrent que, lorsque les rédacteurs
du Statut ont voulu poser une règle applicable aux deux parties à l’ins-

tance, ils ont su l’indiquer par une formulation sans équivoque. C’est
ainsi que l’article 34 dispose que «[s]euls les Etats ont qualité pour se pré-
senter devant la Cour» et le paragraphe 3 de l’article 35 vise un Etat qui
«est partie en cause». Par contraste, la terminologie employée aux para-

graphes 1 et 2 de l’article 35 («La Cour est ouverte») paraît bien suggérer
qu’il s’agit ici d’autre chose: de la partie, et seulement celle-là, qui prend
l’initiative de porter une affaire devant la Cour — les deux parties en cas
de saisine conjointe; mais l’une d’entre elles en cas de requête unilatérale.

B) E XAMEN DES TRAVAUX PRÉPARATOIRES

16. Comme la Cour l’a fait dans ses arrêts du 15 décembre 2004 (voir,

par exemple, les paragraphes 103 à 108 de l’arrêt en l’affaire de la Licéité
de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Belgique), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004 (I) , p. 319-321), il convient de se

121530 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .ABRAHAM )

reporter aux travaux préparatoires de l’article 35 du Statut de la Cour
permanente de Justice internationale, qui comportait des dispositions
identiques, en substance, à celles de l’article 35 du présent Statut.

17. On ne trouve, semble-t-il, qu’une seule indication relative à la por-
tée des termes «La Cour est ouverte...»; mais cette indication est parti-
culièrement claire.
18. La première rédaction de la disposition qui allait devenir l’ar-
ticle 35 (qui portait alors le numéro 32) est issue des travaux du comité de

juristes de 1920. Cette disposition comportait un premier alinéa ainsi
rédigé: «La Cour est ouverte aux Etats mentionnés à l’annexe au Pacte et
à ceux qui seront ultérieurement entrés dans la Société des Nations.»

Lors de l’examen de l’avant-projet par la sous-commission de la Troi-

sième Commission de la première Assemblée de la Société des Nations,
l’un des membres de la sous-commission, sir Cecil Hurst, fit observer
qu’«aux termes des traités de paix les puissances centrales seront souvent
parties en cause devant la Cour» et que «le texte actuel ne tient pas

suffisamment compte de ce fait». Il craignait, autrement dit, que l’exi-
gence, pour l’accès d’un Etat à la Cour, que cet Etat ait participé à la
création de la Société des Nations ou en soit ultérieurement devenu
membre n’empêche de soumettre à la Cour des différends mettant en
cause les puissances centrales, qui ne répondaient pas à ces conditions.

La réponse du président de la sous-commission fut d’une parfaite net-
teté: «L’article vise seulement les parties demanderesses.» (Voir Société
des Nations, Cour permanente de Justice internationale, Documents au
sujet de mesures prises par le Conseil de la Société des Nations aux
termes de l’article 14 du Pacte et de l’adoption par l’Assemblée du Statut

de la Cour permanente, p. 141.)
Il ne semble pas que l’on trouve dans la suite des travaux préparatoires
du Statut de la Cour permanente quelque autre indication, sur la ques-
tion considérée, qui viendrait infirmer ou contredire celle qui vient d’être
mentionnée.

Quant aux travaux préparatoires du Statut de la Cour internationale
de Justice, on n’y trouve, semble-t-il, aucune indication complémentaire.

C) E XAMEN DE LA PRATIQUE JUDICIAIRE ET DE LA JURISPRUDENCE

19. La pratique de la Cour permanente semble avoir été quelque peu
incertaine.
A l’occasion de la première affaire dans laquelle la question de l’inter-

prétation de l’article 35 se soit posée, il apparaît que la Cour s’est confor-
mée, dans sa pratique, à l’interprétation selon laquelle les conditions de
l’accès à la Cour ne s’appliquent qu’à la partie demanderesse.
Si l’on en croit le commentaire, généralement très bien informé, du Sta-

tut et du Règlement de la Cour permanente de Justice internationale, paru
à Berlin en 1934 sous l’égide de l’Institut pour le droit international
public:

122531 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .ABRAHAM )

«Dans l’affaire du Wimbledon, portée devant la Cour en vertu de
l’article 386 du traité de Versailles, l’Allemagne, qui à cette époque

n’était pas encore membre de la Société, était Partie défenderesse.
Une déclaration n’était pas considérée comme nécessaire, d’une part
en raison de la réserve spéciale insérée dans l’alinéa 2 de l’article 35
du Statut et qui vise en particulier — ainsi qu’il ressort de l’histo-
rique de l’article — certaines dispositions des traités de paix, et

d’autre part parce que, en l’espèce, l’Allemagne était défenderesse, et
que l’article — comme il semble également ressortir de son histo-
rique — vise seulement les parties demanderesses.» (B. Schenk von
Stauffenberg, Statut et Règlement de la Cour permanente de Justice

internationale: éléments d’interprétation , Carl Heymanns Verlag,
Berlin, 1934, p. 234; les italiques sont de moi.)

20. Quelques années plus tard, la question s’est posée à nouveau à
l’occasion de la revision du Règlement de 1926. Il fut décidé alors d’intro-
duire une disposition prévoyant l’obligation, pour un Etat non membre
de la Société des Nations, de déposer au Greffe de la Cour la déclaration

prévue par la résolution du Conseil de la Société du 17 mai 1922. Au
cours de la séance du 25 juin 1926, le greffier rappela à ce propos «la
décision prise par la Cour dans l’affaire du Wimbledon. A ce moment, il
a été décidé que l’obligation dont il s’agit ne pouvait être imposée qu’à la

Partie demanderesse, et non à la Partie défenderesse.» (Publications de la
Cour permanente de Justice internationale, Série D, Actes et documents
relatifs à l’organisation de la Cour, Addendum au n o 2, Revision du Règle-
ment de la Cour, p. 75.)
21. Toutefois, à l’occasion de la séance du 21 juillet 1926, au cours de

laquelle la même disposition du Règlement révisé était soumise à examen,
le président s’est ainsi exprimé:

«Il est tout naturel que les Etats qui veulent profiter d’une institu-
tion établie par la Société des Nations doivent accepter les condi-
tions fixées par le Pacte, et que les Etats qui, pour une raison ou
pour une autre, ne l’ont pas encore fait les acceptent par cette décla-
ration — que ce soit en qualité de demandeur ou de défendeur qu’ils

paraissent devant la Cour.» (Ibid., p. 106.)
22. Finalement, la Cour a adopté une formulation neutre, dans les

termes suivants (art. 35):
«2 o La déclaration, prévue par la résolution du Conseil de la

Société des Nations en date du 17 mai 1922 (annexe), dans les cas
où elle est requise conformément à l’article 35 du Statut, sera dépo-
sée au Greffe, au plus tard, avec la première pièce de procédure.»
(Op. cit., von Stauffenberg, p. 235; les italiques sont dans l’original.)

Ainsi que le remarque le commentaire précité du Statut et du Règle-
ment de la Cour permanente:

123532 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .ABRAHAM )

«Le texte adopté laisse intacte la question de savoir dans quels cas
la déclaration est nécessaire, et réserve la liberté de la Cour de sta-
tuer dans chaque cas d’espèce sur la nécessité de la déclaration;

.............................
La disposition adoptée par la Cour ne trancha pas non plus la ques-
tion de savoir si l’obligation de faire la déclaration incombait aussi aux

Etats qui se présentaient devant la Cour en qualité de défendeurs. »
(Op. cit., von Stauffenberg, p. 235-236; les italiques sont de moi.)

23. La pratique de la Cour internationale de Justice, sur la question
considérée, offre peu d’éléments éclairants. On retrouve, semble-t-il, les
mêmes incertitudes qu’auparavant.
En faveur de l’une des deux interprétations (que j’ai appelée plus haut
«symétrique»), il convient de mentionner l’affaire du Détroit de Corfou.

Dans son ordonnance du 31 juillet 1947 prise à l’effet de fixer les délais de
dépôt des deux premières pièces de procédure, le président a estimé que
«la note ... du Gouvernement d’Albanie peut être considérée comme
constituant l’acte mentionné à l’article 36 du Règlement de la Cour»
(C.I.J. Recueil 1947-1948 , p. 5). L’article 36 du Règlement visait préci-

sément le cas d’un Etat non partie au Statut, mais ayant accès à la Cour
en application de la résolution 9 (1946) du Conseil de sécurité, laquelle
exige à cet effet, comme on l’a dit, le dépôt d’une déclaration. Or, l’Alba-
nie était, dans l’instance, Partie défenderesse: on peut en déduire que, aux

yeux du président, le défendeur comme le demandeur étaient soumis aux
conditions d’«accès à la Cour» prévues par l’article 35 du Statut.

24. Mais, en sens inverse, on doit relever que le Règlement de la Cour,
après avoir dans un premier temps maintenu, sur le point considéré, une

formulation neutre — c’est-à-dire ne permettant pas de trancher entre les
deux interprétations de l’article 35 du Statut — dans la continuité du
Règlement de l’ancienne Cour permanente, s’en est écarté à partir du
Règlement révisé de 1978. En effet, les Règlements de 1946 et de 1972
comportaient, respectivement à l’article 36 et à l’article 39, une disposi-

tion (identique) dont la lettre même n’indiquait pas si la déclaration pré-
vue par la résolution 9 (1946) du Conseil de sécurité était exigée seule-
ment de l’Etat requérant ou de chacun des deux Etats parties à l’instance,
lorsque l’un ou l’autre — ou bien les deux — n’étaient pas parties au
Statut. En revanche, le Règlement en vigueur depuis 1978 comporte un

article 41 ainsi rédigé:
«L’introduction d’une instance par un Etat qui n’est pas partie au

Statut mais qui a accepté la juridiction de la Cour en vertu de l’ar-
ticle 35, paragraphe 2, du Statut, par une déclaration faite aux termes
d’une résolution adoptée par le Conseil de sécurité conformément à
cet article, doit être accompagnée du dépôt de ladite déclaration, à
moins qu’elle n’ait été préalablement déposée au Greffe...» (Les ita-

liques sont de moi.)

124533 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND .ABRAHAM )

Comme le relève Shabtai Rosenne, qui paraît très hésitant sur la ques-
tion considérée, «The Rules contain no parallel provision regarding the
filing of a declaration by a respondent which is not a party to the Sta-

tete.» (The Law and Practice of the International Court, 1920-2005 ,
4 édition, vol. II, Jurisdiction, p. 619.)
Le silence du Règlement sur le cas de l’Etat défendeur non partie au
Statut, alors qu’une disposition expresse soumet l’Etat requérant se trou-
vant dans une telle situation à l’obligation de justifier qu’il remplit les

conditions d’«accès à la Cour» prévues au paragraphe 2 de l’article 35,
constitue un indice assez net en faveur de l’interprétation qui restreint le
champ de cet article à la partie demanderesse.
25. Les considérations qui précèdent sont relatives à ce que j’ai appelé
la «pratique judiciaire» de l’ancienne et de l’actuelle Cour: on voit que

cette pratique n’a pas été univoque.
Une autre question est de savoir si le point en discussion trouve une
réponse dans la jurisprudence proprement dite, c’est-à-dire dans l’analyse
des décisions judiciaires rendues par la Cour elle-même antérieurement

au présent arrêt. Tel ne paraît pas être le cas.
26. Il faut admettre que l’ordonnance du 8 avril 1993 rendue sur la
demande de mesures conservatoires dans l’affaire relative à l’Application
de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie) s’inspire assez nettement, quoique

implicitement, de l’interprétation «symétrique» de l’article 35. En effet,
après avoir fait état de ses doutes sur la question de savoir si la Yougo-
slavie était alors Membre des Nations Unies et, à ce titre, partie au Statut
de la Cour (C.I.J. Recueil 1993, p. 14, par. 18), et avoir cité le para-
graphe 2 de l’article 35 du Statut, la Cour a poursuivi en affirmant que

«en conséquence ... une instance peut être valablement introduite
par un Etat contre un autre Etat qui, sans être partie au Statut, est

partie à une telle disposition particulière d’un traité en vigueur, et ce
indépendamment des conditions réglées par le Conseil de sécurité
dans sa résolution 9 (1946)» (ibid., par. 19),

avant de conclure que l’article IX de la convention sur le génocide pou-
vait être considéré prima facie comme une disposition de cette nature et
fournir ainsi une base de compétence suffisante en l’espèce (ibid.). Le rai-

sonnement ainsi déployé suppose comme prémisse, au moins tacite, que
les conditions d’«accès à la Cour» de l’article 35 sont applicables égale-
ment au défendeur: sinon, puisqu’en l’espèce la qualité de partie au Sta-
tut n’était douteuse que pour le défendeur mais non pour le demandeur,
la Cour n’aurait pas eu besoin d’avoir recours à la notion de «traité en

vigueur» au sens du paragraphe 2 et de constater qu’un tel traité liait les
deux Parties à l’instance.
Mais l’ordonnance de 1993 n’a certainement pas entendu trancher défi-
nitivement la question, elle ne s’est prononcée que prima facie,e tl
passage précité a d’ailleurs été déjà partiellement contredit par la Cour,

après plus ample examen du sens des termes «traités en vigueur», dans

125534 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .ABRAHAM )

ses arrêts du 15 décembre 2004 sur les affaires relatives à la Licéité de
l’emploi de la force.
27. L’arrêt du 11 juillet 1996 rendu sur les exceptions préliminaires

dans la même affaire n’apporte aucun élément utile sur le point en discus-
sion. La RFY n’ayant pas argué, pour contester la compétence de la
Cour, de son défaut de qualité de partie au Statut, la Cour n’a pas eu à se
pencher sur la question, ni, en conséquence, sur la question — préa-
lable — de savoir si les conditions d’accès à la Cour de l’article 35 sont

applicables aussi à un Etat défendeur. Et, si l’on doit considérer que, en
affirmant sa compétence pour connaître du différend sur le fondement de
l’article IX de la convention sur le génocide, la Cour doit être réputée,
par construction, avoir estimé que toutes les conditions d’«accès à la
Cour» mentionnées aux articles 34 et 35 du Statut étaient satisfaites, il est

cependant impossible d’en déduire logiquement qu’elle l’ait fait sur la
base de l’une ou de l’autre des deux interprétations possibles du champ
d’application de l’article 35.
28. Enfin, les arrêts du 15 décembre 2004 ne fournissent pas davantage

d’enseignement décisif: la Cour, certes, s’y déclare incompétente pour
connaître des requêtes de la Serbie-et-Monténégro au motif que cet Etat
ne remplissait pas les conditions de l’article 35, mais c’était l’Etat requé-
rant. Aucune des formulations retenues par la Cour dans les arrêts en
cause n’indique clairement ni que les conditions de l’article 35 ne sont

applicables qu’à l’Etat demandeur, et que la Cour ne les examine en
l’espèce que parce que c’est ce dernier dont il est allégué qu’il ne les
remplit pas, ni au contraire que ces conditions sont applicables aux
défendeurs aussi bien qu’au demandeur, les premiers les remplissant
indiscutablement en leur qualité de Membres des Nations Unies.

En somme, la Cour n’avait pas besoin de trancher la question de savoir
si un défendeur doit remplir les «conditions d’accès»; elle ne l’a pas fait.
Comme je l’ai dit plus haut, elle a même expressément réservé la ques-
tion dans son arrêt de 2007 rendu en l’affaire relative à l’Application de
la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide

(Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro) .

D) L A LOGIQUE ET LA FINALITÉ DU TEXTE À INTERPRÉTER

29. Plus que les arguments précédents, ce sont des arguments tirés de
la logique du texte à interpréter et de la finalité qu’il poursuit, ou qu’il
doit être supposé poursuivre, qui me paraissent orienter de façon décisive
vers l’une des deux interprétations.

30. Il ne faut pas perdre de vue quelle est la situation pratique dans
laquelle est susceptible de se poser la difficulté d’interprétation qu’on
cherche à résoudre.
Cette situation suppose la réunion de deux éléments.

Il faut, en premier lieu, qu’un différend surgisse entre deux Etats entre
lesquels est en vigueur une clause compromissoire attribuant compétence
à la Cour: si tel n’est pas le cas, et puisque par ailleurs l’un de ces deux

126535 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. ABRAHAM )

Etats au moins n’est pas, par hypothèse, partie au Statut, la Cour ne sau-
rait avoir compétence et aucune autre question ne se pose.
Il faut, en second lieu, que l’un au moins des deux Etats concernés ne

remplisse pas les conditions d’«accès à la Cour» de l’article 35 du Sta-
tut: cet Etat n’est pas partie au Statut, et il n’a pas souscrit la déclaration
exigée par la résolution 9 (15 octobre 1946) du Conseil de sécurité. Il est
clair, en effet, que si les deux Etats en litige remplissent les conditions
d’accès à la Cour, soit au titre du paragraphe 1, soit au titre du paragra-

phe 2 de l’article 35, la question de savoir si ces conditions s’appliquent
seulement à un Etat demandeur ou aux deux Etats parties à l’instance est
sans pertinence, et la Cour, en pareil cas, pourra être saisie, indifférem-
ment, conjointement par voie de compromis ou par requête unilatérale de
l’un quelconque des deux Etats en cause.

31. Supposons donc réunies les deux conditions précédentes: c’est
alors que se pose la question du choix entre les deux interprétations pos-
sibles de l’article 35 quant à son champ d’application. Il faut considérer
les avantages et inconvénients de chacune d’elles, notamment quant aux

conséquences qu’elles produisent.
32. La principale objection qui vient à l’esprit quand on envisage
l’interprétation selon laquelle les conditions d’accès ne valent que pour le
demandeur et peuvent ne pas être remplies par le défendeur, sans que la
Cour soit empêchée pour autant d’exercer sa compétence, est celle de la

dissymétrie, du déséquilibre, voire de l’inégalité qu’elle paraît introduire
entre les deux Etats en présence.
33. On peut certes rappeler, en réponse à cette objection, que, quelle
que soit la solution retenue, une fois l’instance engagée, les deux parties
pourront et devront être traitées procéduralement sur un strict pied

d’égalité par la Cour. Cela est vrai, mais cela ne répond pas entièrement
à l’objection.
34. La conséquence d’une interprétation «asymétrique» de l’article 35
paraît être, en effet, que, entre deux Etats liés par une clause compromis-
soire mais dont l’un remplit les conditions d’accès et l’autre non, le pre-

mier pourra prendre l’initiative d’attraire le second devant la Cour
(puisqu’il a qualité pour saisir celle-ci), tandis que la réciproque ne sera
pas vraie: n’est-ce pas une atteinte aux principes fondamentaux de l’éga-
lité, mais aussi de la réciprocité des droits des Etats, principes qui doivent

s’appliquer tout autant en matière de saisine de la Cour que dans le
déroulement même de l’instance?
35. Pourtant, à bien y réfléchir, l’objection n’est aucunement convain-
cante, car l’inégalité qu’elle dénonce est purement apparente. Rien
n’empêche, en effet, un Etat qui est partie à un traité comportant une

clause compromissoire et qui souhaite la mettre en œuvre pour le règle-
ment d’un différend déterminé de se placer lui-même en situation d’avoir
accès à la Cour en remplissant les conditions prévues par le paragraphe 2
de l’article 35 et par la résolution du Conseil de sécurité à laquelle renvoie
ce paragraphe.

Il suffit pour cela que cet Etat — dont on suppose qu’il n’est pas partie

127536 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. ABRAHAM )

au Statut — dépose au Greffe de la Cour une déclaration par laquelle il
accepte la juridiction de la Cour et s’engage à exécuter sa sentence (para-
graphe 1 de la résolution 9 (1946)). Cette déclaration peut être souscrite

pour les besoins du règlement d’un différend spécifique, déjà né (par. 2).
Elle peut être déposée à tout moment, et prend effet immédiatement.

36. Ainsi, dans l’interprétation «asymétrique» de l’article 35, il n’y a
aucune inégalité réelle entre les deux Etats liés entre eux par une clause

compromissoire: celui des deux qui ne remplit pas par avance les condi-
tions d’«accès à la Cour» mais qui souhaite porter un différend devant
cette dernière peut, et cela ne dépend que de lui, se placer en situation de
le faire.
37. Réfléchissons maintenant aux inconvénients que comporterait, en

sens inverse, l’interprétation «symétrique» de l’article 35, celle qui em-
pêche la Cour d’exercer sa compétence pour la seule raison que le défen-
deur ne remplit pas les conditions d’accès à la Cour.
38. Deux Etats sont liés par une clause compromissoire; supposons

que l’un d’eux remplisse les conditions d’accès à la Cour (par exemple
parce qu’il est Membre des Nations Unies et, par suite, partie au Statut
de la Cour), et l’autre non.
Le second Etat pourrait, à tout moment, mettre en œuvre la clause
compromissoire contre le premier, en déposant, pour les besoins de la

cause, la déclaration prévue par la résolution 9 (1946). Mais le premier ne
pourrait pas, par sa seule volonté, attraire le second devant la Cour:
il suffirait que le défendeur, s’il ne souhaite pas le procès, excipe de ce
qu’il ne remplit pas les conditions d’accès à la Cour pour se mettre à
l’abri de la juridiction obligatoire de celle-ci, nonobstant la clause

compromissoire.
39. Il en résulterait deux conséquences hautement dommageables.
40. En premier lieu, l’interprétation dite «symétrique» de l’article 35,
qui paraît séduire une grande partie de la doctrine — et peut-être la Cour
elle-même — en raison même de son caractère symétrique, introduit en

fait une inégalité réelle entre les Etats .
Elle n’est symétrique qu’en apparence: elle produit en réalité — ou
peut produire — des conséquences dissymétriques.
41. En second lieu, elle permet à un Etat non partie au Statut mais qui

serait néanmoins lié par un traité comportant une clause compromissoire
attribuant, en cas de différend, compétence à la Cour (il n’y a aucune
contradiction ni impossibilité juridique dans une telle situation) de ne pas
respecter ladite clause compromissoire chaque fois qu’il ne le souhaite
pas, en s’abstenant de remplir les conditions d’accès à la Cour. En

d’autres termes, cette interprétation de l’article 35 permet à un Etat de
respecter ou non, à sa guise, une clause conventionnelle dont le respect
constitue pourtant pour lui une obligation juridique internationale.
Peut-on raisonnablement supposer que les auteurs de l’article 35 du
Statut ont voulu parvenir à un tel résultat ou même simplement le rendre

possible?

128537 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. ABRAHAM )

Peut-on retenir une interprétation d’une disposition conventionnelle
(l’article 35 du Statut) qui aboutit à vider de toute portée effective
d’autres dispositions conventionnelles (les clauses compromissoires des

traités auxquels sont parties des Etats non parties au Statut de la Cour)?
Peut-on, en somme, retenir une interprétation du droit qui permet à un
Etat de ne pas honorer une obligation juridique?
Ce serait, me semble-t-il, gravement incohérent. C’est pourtant ce que
suggère, entre les lignes, l’arrêt que la Cour vient de rendre.

42. On pourra m’objecter que le respect par les Etats parties à un traité
de la clause compromissoire figurant dans celui-ci est une chose, et
l’application par la Cour des conditions de compétence découlant de son
Statut en est une autre; et que, par conséquent, pour regrettable que soit

le comportement d’un défendeur qui n’accepte pas la compétence de la
Cour alors qu’il est lié vis-à-vis du demandeur par une clause compro-
missoire, cela n’autorise pas la Cour, néanmoins, à retenir sa compétence
si le défendeur n’est pas partie à son Statut et n’a pas souscrit la déclara-

tion prévue par la résolution 9 (1946), et que ledit Statut subordonne la
compétence de la Cour à ce que l’une ou l’autre de ces conditions soit
remplie.
Je serais prêt à accueillir l’argument, en dépit de son caractère éminem-
ment abstrait et formaliste, et du caractère fâcheux des conséquences qui

en découlent, si l’article 35 du Statut était tellement clair et catégorique
qu’il ne laisse raisonnablement place à aucune interprétation autre que
celle qui impose, pour que la Cour puisse exercer sa compétence, que les
deux parties remplissent les conditions qui y sont stipulées. Mais, préci-
sément, je crois avoir démontré plus haut que tel n’est certainement pas le

cas: et la lettre du texte et les travaux préparatoires vont plutôt dans le
sens de l’interprétation contraire.
43. Poursuivons plus loin le raisonnement. Si l’on admet, pour un ins-
tant, l’interprétation de l’article 35 contraire à celle que je préconise, il en
résulte que le comportement du défendeur non partie au Statut de la

Cour et qui s’abstient de déposer la déclaration prévue par la résolu-
tion 9 (1946) — ce qu’il a toujours la possibilité de faire — alors qu’il
est lié par une clause compromissoire attribuant compétence à la Cour
constitue une violation, par ce défendeur, de la clause compromissoire,

puisqu’il tend à faire échec à la compétence de la Cour que le défendeur
a pourtant acceptée comme une obligation en devenant partie au traité.
En présence d’une telle situation, la Cour devrait-elle accepter, en se
déclarant incompétente, de faire produire à un comportement illicite le
résultat même que l’auteur de ce comportement — notre défendeur hypo-

thétique, mais pas tant que ça d’ailleurs — vise à atteindre? Je me per-
mets de suggérer que ce serait pousser un peu loin le goût naturel des
juristes pour les raisonnements abstraits, dussent-ils aboutir à des consé-
quences contraires aux exigences élémentaires du droit et du bon sens
conjugués.

44. Aussi suis-je conduit aux conclusions suivantes:

129538 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. ABRAHAM )

La règle fondamentale posée par l’article 34 du Statut s’applique évi-
demment tant à la partie demanderesse qu’à la partie défenderesse: pour
apparaître devant la Cour comme partie à une instance, en quelque qua-

lité que ce soit, il faut être un Etat.
En revanche, les «conditions d’accès» définies aux paragraphes 1 et 2
de l’article 35 s’appliquent:

— aux deux Etats parties au différend, si la Cour est saisie par eux
conjointement;
— à l’Etat demandeur seulement, si la Cour est saisie par voie de requête
unilatérale.

*
* *

45. La Cour aurait pu, dans le présent arrêt, choisir de suivre la voie
ainsi tracée. Il en serait résulté deux conséquences à mes yeux positives.
En premier lieu, la Cour n’aurait pas eu besoin d’entrer dans la question
particulièrement complexe de savoir si et pour quelles raisons la réalisa-

tion des conditions d’«accès à la Cour» — que le défendeur ne remplis-
sait pas, l’arrêt le constate, à la date d’introduction de la requête — pou-
vait être appréciée en l’espèce en se plaçant à une date postérieure, alors
qu’en règle générale la jurisprudence exige que les conditions qui com-
mandent la compétence de la Cour soient satisfaites au moment où la

procédure est engagée. En second lieu, la solution que nous suggérons
aurait permis de faire apparaître que, contrairement à ce qu’ont pensé et
écrit nombre de commentateurs, il n’y avait nulle contradiction entre la
position adoptée par la Cour dans son arrêt de 1996 sur les exceptions
préliminaires en l’affaire Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro

(alors dénommée RFY) et la position adoptée dans les arrêts de 2004, sur
les exceptions préliminaires également, dans les affaires opposant la
Serbie-et-Monténégro à divers Etats membres de l’OTAN. Si la Cour s’est
déclarée compétente dans le premier cas et incompétente dans le second,
on ne saurait lui faire grief de s’être contredite si l’on considère que la

condition qui faisait défaut à la Serbie, Etat requérant, dans les affaires
examinées en 2004, n’était tout simplement pas applicable au même Etat,
en position de défendeur, dans l’affaire au sujet de laquelle la Cour a sta-
tué en 1996. Au contraire, la motivation retenue par la Cour dans le pré-

sent arrêt fait inévitablement ressortir que l’arrêt rendu en 1996 sur sa
compétence en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie) (exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II) ,
p. 595) était erroné. Si en effet la condition de l’«accès à la Cour» au sens

de l’article 35 du Statut est applicable aussi bien au défendeur qu’au
demandeur — ce que le présent arrêt laisse assez nettement entendre sans
le dire expressément — , alors la Cour aurait dû se déclarer incompétente
en 1996, puisque: 1) la RFY n’était pas à cette date partie au Statut, et ne
remplissait aucune des conditions d’accès à la Cour; 2) la question étant

d’ordre public, la Cour aurait dû la soulever d’office, comme cela ressort

130539 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .ABRAHAM )

des motifs de l’arrêt de 2007 rendu au fond dans la même affaire, rappe-
lés au paragraphe 68 du présent arrêt; et 3) le défaut d’«accès à la Cour»
de la part d’une partie à laquelle cette exigence est applicable fait obstacle

à ce que la Cour soit compétente.

46. On pourra dire, il est vrai, que, si la Cour s’est trompée en 1996,
c’est qu’elle avait à l’époque quelques raisons de ne pas y voir clair dans
le statut de la RFY, la moindre d’entre elles n’étant pas que le défen-

deur lui-même se prévalait alors d’un statut qui n’était pas le sien, ou
plutôt qui s’est révélé par la suite — mais rétrospectivement — ne pas
être le sien.
Je regrette néanmoins que la Cour se soit abstenue d’adopter dans la
présente affaire une solution qui, outre qu’elle repose sur les solides argu-

ments juridiques ci-dessus exposés, aurait évité de faire passer pour
erroné l’un de ses arrêts antérieurs, et non des moindres, puisque c’est sur
la base de l’autorité de chose jugée dont il était revêtu que s’est ensuite
appuyée la Cour pour statuer au fond et retenir, pour la première fois, la

responsabilité internationale d’un Etat pour violation de la convention
sur le génocide.
47. Cependant, la voie qu’a décidé d’emprunter la Cour pour justifier
sa compétence en la présente affaire, à partir de la prémisse implicite (et,
on l’aura compris, à mes yeux erronée) que le défendeur aussi doit satis-

faire aux conditions d’«accès à la Cour», ne me paraît pas en soi criti-
quable. J’estime toutefois que la Cour s’est arrêtée en chemin dans son
raisonnement, et que, ce faisant, elle a ouvert dangereusement la porte à
la remise en cause d’un des principes les mieux établis de sa jurisprudence
en matière de compétence. Je m’explique.

48. Le défendeur n’avait pas «accès à la Cour» à la date d’introduc-
tion de l’instance, le 2 juillet 1999, n’étant pas à cette date partie au Statut
de la Cour, ni en qualité de membre des Nations Unies — il ne l’était pas
encore — ni à un autre titre. Tel est le point de départ du raisonnement,
conforme aux arrêts rendus en 2004 dans les affaires opposant la Serbie-

et-Monténégro à huit Etats membres de l’OTAN. Quelles que soient les
critiques que l’on ait pu adresser à l’époque à ces arrêts — et l’on sait que
certaines de ces critiques se sont élevées du sein même de la Cour — , il
est légitime que la Cour, à présent, ne souhaite pas remettre en cause une

solution mûrement délibérée et aussi récemment adoptée. Je ne peux
qu’approuver le souci de continuité de la jurisprudence, qui ne doit céder
qu’en présence de raisons particulièrement fortes, que la Cour n’a pas
aperçues ici, et je partage ce point de vue.

49. Mais alors, la Cour s’est trouvée confrontée à un principe impor-
tant, celui selon lequel les conditions de sa compétence doivent être réu-
nies à la date de l’introduction de l’instance. Il suffit qu’elles le soient à
cette date — peu importe qu’elles, ou certaines d’entre elles, viennent à
disparaître par la suite; mais il faut qu’elles le soient à cette date —, il

n’est pas suffisant, en règle générale, qu’elles soient satisfaites postérieu-

131540 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. ABRAHAM )

rement, c’est-à-dire en cours d’instance. C’est ce qu’expliquent fort clai-
rement les paragraphes 79 et 80 de l’arrêt. A s’en tenir à ce principe, la

Cour aurait dû décliner sa compétence, car le défendeur n’a acquis la
capacité de participer à une procédure (l’«accès à la Cour») que le
1er novembre 2000, soit après l’introduction de l’instance.

50. Toutefois, la Cour se réfère à un courant jurisprudentiel issu de
l’arrêt rendu le 30 août 1924 par la Cour permanente de Justice interna-
tionale dans l’affaire des Concessions Mavrommatis en Palestine (arrêt
n 2, 1924, C.P.J.I. série A n 2), qui permet d’assouplir l’application du

principe précité dans un souci de réalisme et de bonne administration de
la justice. Cette jurisprudence est bien analysée aux paragraphes 82 à 87
de l’arrêt. En résumé, elle consiste en ce que, lorsque les conditions qui
commandent la compétence de la Cour ne sont pas, ou pas toutes, rem-

plies à la date d’introduction de l’instance, mais qu’elles le sont plus tard,
et avant que la Cour ne statue sur sa compétence, la Cour ne retient pas
l’exception d’incompétence et ne rejette pas la requête, dans un souci
d’«économie de procédure» — en vue d’«éviter la multiplication inutile

des procédures» (comme le dit le paragraphe 89 de l’arrêt). En effet, reje-
ter la requête dans une telle hypothèse aboutirait à obliger le demandeur
à introduire une nouvelle requête qui ne se heurterait à aucune objection
puisque, à la date de son introduction, les conditions de compétence qui
faisaient initialement défaut seraient satisfaites. Ce serait une perte de

temps inutile: en fin de compte, la Cour serait bien obligée d’examiner
l’affaire au fond — il est alors de bonne administration de la justice
qu’elle accepte de le faire sans attendre.
51. C’est de cette jurisprudence que la Cour a entendu s’inspirer en

l’espèce, l’arrêt l’indique explicitement. Mais, à mon avis, elle n’est pas
allée jusqu’au bout de son raisonnement.
En effet, pour pouvoir appliquer la doctrine Mavrommatis, la Cour
aurait dû établir qu’aujourd’hui la Croatie pourrait si elle le souhaitait

introduire contre la Serbie une nouvelle requête identique en substance à
la précédente, et qui ne se heurterait à aucune objection quant à la com-
pétence de la Cour. C’est en effet cette éventualité, et elle seule, qui jus-
tifie la dérogation au principe fondamental selon lequel la compétence

s’apprécie à la date de l’introduction de l’instance — puisque cette déro-
gation vise à faire l’économie d’une nouvelle procédure qui allongerait,
sans utilité réelle, la durée du contentieux.
Pour cela, il aurait fallu que la Cour constate que, à l’heure actuelle,

non seulement la Croatie et la Serbie sont toutes deux parties au Statut
de la Cour — cela est aussi indiscutable qu’indiscuté — mais aussi que
toutes deux sont liées par l’article IX de la convention sur le génocide
— ce que la Serbie conteste fortement.
52. Mais, pour des raisons qui me demeurent inexplicables, la Cour

n’a pas estimé devoir se prononcer sur ce dernier point, ce qui eût néces-
sité de prendre parti sur les effets juridiques de l’acte d’«adhésion» à la
Convention accompli par la RFY le 6 mars 2001, assorti d’une réserve

132541 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. ABRAHAM )

visant à exclure, à l’égard de ce pays, l’article IX. L’arrêt indique expres-
sément, au contraire, mais sans bien expliquer pourquoi, qu’«[i]l n’y a

donc pas lieu pour la Cour de statuer sur un éventuel effet juridique de la
notification d’adhésion à la Convention par la Serbie, en date du
6 mars 2001» (arrêt, par. 96).
53. Au lieu de cela, l’arrêt se borne à constater que la Serbie est deve-
nue partie au statut de la Cour le 1 ernovembre 2000 — c’est incontes-

table — et que, à la même date, elle était liée par l’article IX de la
convention sur le génocide — puisque, selon l’analyse de la Cour,
la RFY est devenue partie à la Convention sans réserve, par voie de
succession, en 1992. A la date du 1 er novembre 2000, donc, toutes les

conditions de la compétence de la Cour étaient réunies, et, selon l’arrêt,
elles l’étaient de façon irrévocable: point n’est besoin de se demander
si elles continuent à l’être aujourd’hui.
54. Un tel raisonnement comporte deux défauts majeurs.
D’abord, il n’est pas fidèle à la jurisprudence Mavrommatis, puisque

celle-ci ne se justifie que par le souci d’éviter l’engagement inutile d’une
nouvelle procédure qui ne pourrait se heurter à aucune objection, les
conditions de la compétence de la Cour étant désormais satisfaites. Autre-
ment dit, tout en prétendant s’appuyer sur le courant jurisprudentiel issu

de Mavrommatis, la Cour en fait une application erronée et lui donne une
portée tout à fait nouvelle.
Mais il y a plus grave: avec le raisonnement retenu ici par la Cour, il ne
reste plus rien du principe — auquel pourtant l’arrêt rend un hommage
appuyé aux paragraphes 79 et 80 — selon lequel la compétence s’apprécie

normalement à la date d’introduction de l’instance. Il ressort en effet de
la motivation retenue que, pour que la Cour se déclare compétente, il
faut et il suffit que les conditions de sa compétence aient été réunies àun
moment quelconque depuis l’introduction de l’instance . Tant mieux si elles

l’étaient à cette dernière date; mais sinon, il suffit qu’elles l’aient été par
la suite, en cours d’instance, même un temps éphémère. Autrement dit,
les conditions de la compétence peuvent ne pas avoir été déjà remplies au
commencement de la procédure; elles peuvent ne plus l’être à la date où

la Cour statue sur sa compétence; on se satisfera qu’elles l’aient été à un
quelconque moment entre ces deux dates. C’est exactement ce dont la
Cour se satisfait ici: l’arrêt fait apparaître que les conditions n’étaient pas
remplies à la date d’introduction de l’instance; elles pourraient ne pas
l’être non plus à la date actuelle, puisque la Cour n’exclut pas que la

réserve de la Serbie à l’article IX aierpu produire effet à partir de 2001;
mais il suffit qu’elles l’aient été le 1 novembre 2000, quand bien même
elles auraient cessé de l’être le lendemain (ou quelques mois plus tard).

On n’est plus ici en présence d’une exception raisonnable à la règle
selon laquelle la compétence s’apprécie à la date d’introduction de l’ins-
tance. On est en présence d’une nouvelle règle: l’ancienne est anéantie. Il
ne sert à rien de chercher (ou de prétendre chercher) dans la jurispru-
dence Mavrommatis une dérogation possible à un principe maintenu. Le

133542 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. ABRAHAM )

principe étant supprimé, la dérogation devient inutile, même si la Cour
persiste à affirmer, mais à tort, qu’elle s’inscrit dans la continuité de sa

jurisprudence.
55. Je pense que la Cour aurait pu facilement parvenir au même résul-
tat, tout en respectant la logique qui inspire la doctrine Mavrommatis.Il
lui aurait suffi de constater que, puisque la Serbie a été liée dès 1992, et
sans réserve, par la convention sur le génocide (et ce par voie de suc-

cession, voir le paragraphe 111 de l’arrêt), elle ne pouvait prétendre
«adhérer» à ce traité le 12 mars 2001, nul Etat ne pouvant adhérer à
un traité auquel il est déjà partie, et que, en conséquence, cette prétendue
adhésion était privée d’effet, de même que la réserve à l’article IX dont

elle était assortie. A supposer même que ladite réserve pût être regardée,
à la rigueur, comme une «réserve tardive» à un traité par lequel le
réservataire était déjà lié depuis longtemps, elle ne pouvait produire
aucun effet, au moins dans les relations entre la Serbie et la Croatie,
cette dernière ayant objecté.

Il en résulte qu’aujourd’hui la Croatie pourrait, si elle le souhaitait,
introduire une nouvelle requête, identique en substance à la précédente,
contre la Serbie, et cela justifie que la Cour, par application de la juris-
prudence Mavrommatis, accepte de passer outre au fait que les condi-

tions de sa compétence n’étaient pas remplies à la date où la procédure a
été engagée.
56. Bien entendu, je ne livre les réflexions qui précèdent qu’à titre
purement subsidiaire, puisque j’estime que la Cour aurait mieux fait
d’écarter l’objection de la Serbie, tirée de ce qu’elle n’avait pas «accès à la

Cour» en juillet 1999, pour la seule raison que les conditions stipulées à
l’article 35 du Statut ne sont pas applicables à une partie défenderesse.
C’est pourquoi j’ai voté sans hésitation en faveur du dispositif de
l’arrêt.

(Signé) Ronny A BRAHAM .

134

Bilingual Content

524

OPINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGE ABRAHAM

Accord avec le dispositif de l’arrêt — Désaccord avec les motifs par lesquels
l’arrêt rejette l’argument selon lequel la Serbie n’a pas qualité pour participer à
la procédure — Question du champ d’application de l’article 35 du Sta-
tut — Deux interprétations possibles: conditions applicables aux deux parties,
ou seulement à la partie demanderesse — Arguments plus solides et plus nom-
breux en faveur de la seconde interprétation — Arguments de texte — Examen
des travaux préparatoires — Examen de la pratique judiciaire et de la jurispru-
dence antérieure de la Cour — Logique et finalité du texte — Principe de l’éga-
lité entre les Etats parties à un traité comportant une clause compromis-
soire — Conclusion: inutilité des développements de l’arrêt tendant à démontrer

que le défendeur avait, aux fins de l’instance, accès à la Cour sur la base de
l’article 35, paragraphe 1, du Statut — Date à laquelle la réalisation des condi-
tions de la compétence de la Cour doit être appréciée — Principe: conditions
devant être satisfaites à la date de l’introduction de l’instance — Exception
résultant de la jurisprudence Mavrommatis — Application erronée de cette
jurisprudence faite en l’espèce par la Cour — Nécessité de statuer sur l’appli-
cabilité à la date présente de l’article IX de la convention sur le génocide dans
les rapports entre les deux Parties — Absence d’effet juridique de la réserve
assortissant la prétendue «adhésion» à la Convention par la Serbie en 2001.

1. Afin de convaincre la Cour de décliner sa compétence pour connaître
de la requête de la Croatie, la Serbie a invoqué deux arguments dont cha-

cun suffirait, selon elle, à justifier une décision d’incompétence totale.
D’une part, a-t-elle soutenu, la Cour ne lui était pas «ouverte», au sens
de l’article 35, paragraphe 1, du Statut, à la date d’introduction de la
requête (le 2 juillet 1999), de telle sorte qu’elle ne pouvait pas y être
attraite, puisqu’elle ne pouvait pas y comparaître même en qualité de

défenderesse. D’autre part, elle n’était pas partie, à la même date, à la
convention sur le génocide, et n’était donc pas liée par la clause compro-
missoire de son article IX, invoquée par la Croatie comme base de com-
pétence — clause par laquelle, au surplus, elle n’a jamais été liée, ayant
pris soin de formuler une réserve visant à l’exclure lorsqu’elle a adhéré à
la Convention en 2001.

2. La Cour a rejeté l’ensemble de ces arguments et s’est déclarée com-
pétente pour connaître de l’affaire, sur la base de la clause compromis-
soire invoquée par la demanderesse.
J’approuve entièrement le dispositif de l’arrêt. Je n’en approuve cepen-
dant que partiellement les motifs.

Si, dans l’ensemble, j’adhère aux motifs par lesquels la Cour a écarté la
seconde branche de l’exception d’incompétence — celle relative à la pré-
tendue absence de qualité de partie de la Serbie à la convention sur le
génocide, y compris son article IX, en 1999 —, en revanche les motifs que

116 524

SEPARATE OPINION OF JUDGE ABRAHAM

[Translation]

Agreement with the operative clause of the Judgment — Disagreement with
reasoning by means of which the Judgment dismisses the argument that Serbia
does not have standing to take part in the proceedings — Question of the scope
of Article 35 of the Statute — Two possible interpretations: conditions appli-
cable to both Parties, or only to the Applicant — Better founded and more
numerous arguments in favour of the second interpretation — Textual argu-
ments — Analysis of the travaux préparatoires — Analysis of the judicial prac-
tice and prior jurisprudence of the Court — Rationale and purpose of the
text — Principle of the equality of the States parties to a treaty containing a
compromissory clause — Conclusion: invalidity of arguments in the Judgment

seeking to demonstrate that the Respondent had access to the Court for the pur-
pose of the proceedings, on the basis of Article 35, paragraph 1, of the Stat-
ute — Date when fulfilment of conditions for the Court’s jurisdiction must be
assessed — Principle: conditions which must be fulfilled on the date when pro-
ceedings are instituted — Exception arising from the decision in the Mavrom-
matis case — Incorrect application by the Court of that decision in the case —
Need to rule on the applicability on the present date of Article IX of the Geno-
cide Convention in relations between the Parties — Reservation accompanying
Serbia’s alleged “accession” to the Convention in 2001 devoid of legal effect.

1. To convince the Court to declare that it lacked jurisdiction to hear
Croatia’s Application, Serbia relied on two arguments, each of which

would, in its opinion, be sufficient to justify a ruling on a complete lack
of jurisdiction. First, it contended, the Court was not “open” to Croatia
within the meaning of Article 35, paragraph 1, of the Statute on the date
when the Application was filed (2 July 1999), thus no proceedings could
be brought before it since it could not appear before the Court even as a

respondent. Second, it was not a party, on that date, to the Genocide
Convention, and was not thus bound by the compromissory clause in its
Article IX relied upon by Croatia as the basis for jurisdiction — a clause
by which, moreover, it has never been bound, having been careful on its
accession to the Convention in 2001 to make a reservation to exclude it.

2. The Court has dismissed all those arguments and found that it has
jurisdiction to hear the case on the basis of the compromissory clause
invoked by the Applicant.
I wholly approve of the operative clause of the Judgment. However, I
only approve the reasoning in part.

While, overall, I agree with the reasons for which the Court has dis-
missed the second limb of the objection to jurisdiction — the one con-
cerning the fact that Serbia was allegedly not a party to the Genocide
Convention, including its Article IX, in 1999 — on the other hand, the

116525 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .ABRAHAM )

donne l’arrêt pour justifier le rejet de la première branche de l’exception
me laissent très insatisfait, car, selon moi, ils ne reposent pas sur une ana-

lyse correcte du droit applicable.
3. Il s’agissait pour la Cour de répondre à l’objection, présentée par le
défendeur comme dirimante, tirée de ce que, n’étant pas partie au Statut
de la Cour en 1999 — et ne l’étant devenue que le 1 er novembre 2000 —,

la Serbie n’avait pas qualité pour se présenter valablement devant la
Cour puisque celle-ci ne lui était pas «ouverte» au sens de l’article 35 du
Statut.
Face à une telle objection, la Cour ne se trouvait pas en terrain

inconnu. Nul n’a oublié que, en 2004, c’est prerisément parce que la
Serbie-et-Monténégro n’était pas, jusqu’au 1 novembre 2000, membre des
Nations Unies ni, par suite, partie au Statut de la Cour que huit requêtes
introduites en 1999 par cet Etat contre des Etats membres de l’OTAN ont

été rejetées en raison de l’incompétence qui en résultait (voir les arrêts
rendus le 15 décembre 2004 dans les affaires relatives à la Licéité de
l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. divers Etats membres de
l’OTAN), C.I.J. Recueil 2004 (I, II, III) , p. 279-1450).

4. Mais, dans la présente affaire, la Serbie ne se présente pas devant la
Cour en qualité de demanderesse, comme dans les affaires précitées. Elle
comparaît comme défenderesse, et c’est elle-même qui excipe de son
absence de qualité de partie au Statut de la Cour pour se soustraire à la
juridiction de celle-ci. De ce que la Cour ne lui serait pas «ouverte» en

vertu de l’article 35 du Statut, elle entend tirer ici une conséquence qui lui
serait favorable — elle serait à l’abri de la juridiction obligatoire — alors
qu’en 2004 il en a été tiré à son égard un effet défavorable — elle n’a pas
été admise à utiliser la Cour pour faire valoir ses prétentions.

Et cependant, l’arrêt ne semble pas avoir égard à cette différence de
situation. La Cour examine la question de savoir si le défendeur remplit
les conditions auxquelles l’article 35 du Statut subordonne l’«accès» à
son prétoire, comme si ces conditions étaient uniformément applicables à

une partie demanderesse et à une partie défenderesse. Au terme d’un rai-
sonnement sur lequel je reviendrai plus loin, car il ne me semble pas d’une
rigueur irréprochable, la Cour répond par l’affirmative, sans pour autant
contredire ses arrêts de 2004: la Serbie remplit bien les conditions pour

avoir accès à la Cour, pour les besoins de la erésente instance, parce
qu’elle a été admise aux Nations Unies le 1 novembre 2000 et qu’elle est
devenue à cette date partie au Statut.
5. Je pense que les développements longs et complexes que la Cour

consacre à la question de l’«accès à la Cour» de la Serbie, à la lumière de
l’article 35 du Statut (aux paragraphes 57 à 92 de l’arrêt), étaient en réa-
lité inutiles. La raison en est que, selon moi, les conditions de l’article 35
du Statut ne s’appliquent pas à une partie défenderesse à l’instance, mais
seulement à celle qui saisit la Cour . Il est vrai que la Croatie elle-même,

qui y aurait eu pourtant intérêt, n’a pas plaidé en faveur de cette inter-
prétation, ce qui ne pouvait guère inciter la Cour à suivre une telle orien-
tation. Mais, s’agissant d’une question d’interprétation de son Statut, il

117 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP.OP. ABRAHAM ) 525

reasons given in the Judgment to justify the dismissal of the first part of
the objection do not satisfy me at all, since, in my opinion, they are not
supported by a correct analysis of the applicable law.

3. The Court’s task was to answer the objection, portrayed by the
Respondent as absolute, deriving from the fact that, not being a party to
the Statute of the Court in 1999 — and not becoming one until 1 Novem-
ber 2000 — that Serbia did not have standing to validly appear before the
Court, the latter not being “open” to it within the meaning of Article 35

of the Statute.
Such an objection was not unfamiliar ground for the Court. No one
has forgotten that in 2004 it was precisely because Serbia and Montene-
gro was not a Member of the United Nations, nor therefore a party to
the Statute of the Court, until 1 November 2000, that eight Applications

filed by that country in 1999 against eight NATO Member States were
dismissed due to the resulting lack of jurisdiction (see the Judgments
delivered on 15 December 2004 in the cases concerning Legality of Use of
Force (Serbia and Montenegro v. various NATO member States), I.C.J.

Reports 2004 (I, II, III) , pp. 279-1450).
4. In the present proceedings, however, Serbia has not come before the
Court as an Applicant, as in the aforementioned cases. It appears as a
Respondent and itself pleads its lack of standing as a party to the Statute
of the Court in order to avoid its jurisdiction. From the fact that the

Court was not “open” to it under Article 35 of the Statute it seeks here to
draw the, for it, favourable conclusion — that it would be safe from the
compulsory jurisdiction of the Court — whereas in 2004 an unfavourable
conclusion was drawn against it: it was not allowed to use the Court to
set out its claims.

Nevertheless, the Judgment does not appear to take account of this dif-
ference in situation. The Court examines the issue of whether the
Respondent fulfils the conditions to which Article 35 of the Statute
makes “access” to the Court subject, as if those conditions were uni-
formly applicable to an applicant and to a respondent. At the end of its

reasoning, to which I will return below, as it does not seem to be entirely
rigorous, the Court answers in the affirmative, without however contra-
dicting its 2004 Judgments: Serbia does indeed fulfil the conditions for
access to the Court, for the purposes of the present proceedings, because

it was accepted as a Member of the United Nations on 1 November 2000
and became a party to the Statute on that date.
5. I consider that the long and complex arguments which the Court
devotes to the question of Serbia’s “access to the Court”, in the light of
Article 35 of the Statute (in paragraphs 57 to 92 of the Judgment), were

in fact pointless. The reason is that, in my opinion, the conditions in Arti-
cle 35 of the Statute do not apply to the respondent in proceedings, but
only to the party which brings the case to the Court . It is true that Croatia
itself, which might nevertheless have derived benefit from it, did not
argue in favour of such an interpretation, which was hardly likely to

encourage the Court to adopt such an approach. But, as it was a matter

117526 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. ABRAHAM )

appartenait à la Cour de dire le droit d’office, sans être liée par les argu-
ments des parties dans une instance déterminée. Au surplus, la Cour avait
expressément réservé cette question dans son arrêt au fond en l’affaire

de l’Application de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro) (C.I.J.
Recueil 2007 (I)), en indiquant à bon droit (paragraphe 141 de l’arrêt)
que, «[s]’agissant d’une question d’interprétation du Statut, c’est à la
Cour qu’il appartiendrait d’y répondre».

Je vais exposer les raisons pour lesquelles je suis parvenu, pour ma
part, à la conclusion susmentionnée quant à l’interprétation de l’ar-
ticle 35 du Statut. Il me faut, pour cela, partir des dispositions pertinentes,
dont je m’efforcerai de dégager la logique intrinsèque.

6. Si l’on prend l’expression dans un sens large, la capacité de (ou la
qualité pour) participer à une procédure devant la Cour est subordonnée
à des conditions qui sont définies aux articles 34 et 35 du Statut.
L’article 34 réserve en principe aux Etats la faculté de se présenter

devant la Cour, tout en permettant, sous certaines conditions, aux orga-
nisations internationales publiques de présenter des observations dans
certaines affaires.
L’article 35 réserve en outre l’accès à la Cour aux Etats qui:

— soit sont parties au Statut (ce qui est le cas de tous les Etats Membres
des Nations Unies et des Etats non membres qui ont décidé d’y deve-
nir parties dans les conditions visées à l’article 93, paragraphe 2, de la

Charte) — c’est ce que dit le paragraphe 1 de l’article 35;

— soit, à défaut d’être parties au Statut, se sont conformés aux condi-
tions prévues par une résolution adoptée par le Conseil de sécurité,
et ce «sous réserve des dispositions particulières des traités en

vigueur» — c’est ce que dit le paragraphe 2. La résolution en question
(9 (1946) du 15 octobre 1946) prévoit que la Cour est ouverte à tout
Etat non partie au Statut qui aura déposé une déclaration par
laquelle il s’engage à accepter la juridiction de la Cour et l’autorité

de ses décisions, soit en général, soit pour une affaire particulière.
7. Il est certain que la condition mise par l’article 34 pour qu’une

entité juridique puisse participer à une procédure devant la Cour (à
savoir que cette entité soit un Etat au sens du droit international) s’appli-
que aussi bien à la partie demanderesse qu’à la partie défenderesse (et aux
deux parties lorsque la Cour est saisie conjointement sur la base d’un
compromis).

8. En revanche, le champ d’application de l’article 35 peut prêter à
controverse. S’il ressort clairement de ses termes mêmes que le para-
graphe 3 de l’article 35 — qui donne à la Cour le pouvoir de fixer la contri-
bution aux frais de la procédure que doit supporter un Etat non membre
des Nations Unies qui est partie à une instance — s’applique à tout Etat

qui se trouve dans la situation ainsi définie, qu’il soit demandeur ou

118 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP.OP .ABRAHAM ) 526

of interpreting its Statute, it was for the Court to rule ex officio, without
being bound by the arguments of the parties in a given case. In addition,
the Court had explicitly reserved this question in its Judgment on the

merits in the Application of the Convention on the Prevention and Pun-
ishment of the Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Serbia and
Montenegro) case (I.C.J. Reports 2007 (I), p. 102, para. 141), rightly
indicating (paragraph 141 of the Judgment) that “[t]his matter, being one
of interpretation of the Statute, would be one for the Court to deter-

mine”.
I will now set out the reasons why I at least have come to the above
conclusion regarding the interpretation of Article 35 of the Statute. To
do so I must begin with the relevant provisions, whose intrinsic logic I
shall endeavour to reveal.

6. Taking the expression in the broad sense, the capacity (or standing)
to take part in proceedings before the Court is subject to conditions
which are defined in Articles 34 and 35 of the Statute.
Article 34 in principle reserves the right to appear before the Court to

States, while in certain conditions authorizing public international organi-
zations to submit observations in certain cases.

Article 35 further reserves access to the Court to States which:

— either are parties to the Statute (which is the case of all United
Nations Member States and non-Member States which have decided
to become parties to it under the conditions laid down in Article 93,

paragraph 2, of the Charter) — which is what is stated in Article 35,
paragraph 1;
— or, though not parties to the Statute, have complied to the conditions
laid down in a Security Council resolution, “subject to the special
provisions contained in treaties in force” — which is what is stated in

paragraph 2. The resolution in question (S/RES/9 (1946) of 15 Octo-
ber 1946) provides that the Court shall be open to any State which is
not a party to the Statute having deposited a declaration by which it
undertakes to accept the jurisdiction of the Court and the authority

of its decisions, either in general or in a particular case.
7. It is certain that the condition laid down by Article 34 for a legal

entity to be able to take part in proceedings before the Court (namely
that that entity must be a State under international law) applies equally
to the applicant and the respondent (and to both if the case has been
brought before the Court jointly by a special agreement).

8. The scope of application of Article 35, however, is debatable. While
it is clearly apparent from the wording itself that paragraph 3 of Arti-
cle 35 — which gives the Court the power to fix the amount to be con-
tributed to the cost of proceedings by a State which is not a Member of
the United Nations — applies to any State in the situations so defined, be

it an applicant or a respondent, a simple reading of paragraphs 1 and 2 of

118527 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. ABRAHAM )

défendeur, la seule lecture des paragraphes 1 et 2 du même article 35 ne
permet pas de parvenir facilement à une conclusion aussi certaine.
9. Deux interprétations sont, à cet égard, défendables (et ont, d’ailleurs,

été défendues tant en doctrine que dans la pratique de la Cour antérieure
au présent arrêt).
Selon une première interprétation, les paragraphes 1 et 2 auraient le
même champ d’application que le paragraphe 3: il en résulterait que les
conditions posées par ces deux paragraphes s’appliqueraient aussi bien à

l’Etat demandeur qu’à l’Etat défendeur, la Cour ne pouvant exercer sa
compétence que si l’un et l’autre satisfont, d’une manière ou d’une autre,
auxdites conditions. Ainsi, par exemple, même si l’Etat requérant est
Membre des Nations Unies, la Cour ne pourrait pas exercer sa compé-
tence si l’Etat défendeur n’est pas partie au Statut et n’a pas non plus

déposé la déclaration d’acceptation prévue par la résolution du Conseil
de sécurité du 15 octobre 1946 (à moins qu’il n’existe entre les deux
Etats en cause un «traité en vigueur» au sens du paragraphe 2 de l’ar-
ticle 35, c’est-à-dire un traité qui était déjà en vigueur à la date de

l’entrée en vigueur du Statut, comme l’a précisé la Cour dans ses arrêts
du 15 décembre 2004 dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi
de la force).
Mais une seconde interprétation est possible, selon laquelle la Cour
devrait seulement vérifier, afin de s’assurer qu’elle est à même d’exercer sa

compétence, que l’Etat requérant, et lui seul, remplit les condi-
tions — alternatives — mentionnées aux paragraphes 1 et 2 de l’ar-
ticle 35.
10. Il faut préciser d’emblée que si, comme je le crois, l’on devait rete-
nir la seconde interprétation, cela ne signifierait évidemment pas que la

Cour serait fondée à exercer sa compétence à l’égard d’un Etat défendeur
qui n’aurait pas consenti, d’une manière ou d’une autre, à sa juridiction.
Quelle que soit l’interprétation retenue de l’article 35, le consentement à
la juridiction de la Cour doit être vérifié tant à l’égard de l’Etat deman-
deur qu’à l’égard de l’Etat défendeur. La conséquence de la seconde

interprétation est seulement que, en ce qui concerne l’Etat défendeur, il
suffirait de vérifier qu’il est lié vis-à-vis de l’Etat demandeur par un traité
comportant une clause d’attribution de compétence à la Cour, laquelle
clause établirait son consentement à la juridiction (ou tout autre titre

de compétence), sans qu’il soit besoin de se demander en outre s’il est
Membre des Nations Unies ou partie au Statut de la Cour, ou encore, à
défaut, s’il a souscrit la déclaration prévue par la résolution de 1946 — ces
dernières conditions n’étant pertinentes, et ne devant être vérifiées, qu’à
l’égard de l’Etat demandeur.

11. On voit immédiatement que le choix entre les deux interprétations
ci-dessus exposées ne présente pas un intérêt purement académique. Il
peut avoir des conséquences décisives quant à la possibilité pour la Cour
d’exercer sa compétence dans le cas de figure suivant: les deux Etats
qu’oppose le différend sont liés par un traité comportant une clause com-

promissoire attribuant compétence à la Cour pour trancher un tel diffé-

119 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. ABRAHAM ) 527

that same Article 35 does not make it easy to reach such a certain conclu-
sion.
9. In this connection, two interpretations may be defended (and have

moreover been so defended both in scholarly works and in the practice of
the Court prior to the present Judgment).
According to one interpretation, paragraphs 1 and 2 have the same
scope of application as paragraph 3, the result being that the conditions
established by these two paragraphs would apply equally to the applicant

State and the respondent State, the Court being unable to exercise its
jurisdiction unless both of them, in one way or another, fulfil those con-
ditions. Thus, for example, even if the applicant State is a Member of the
United Nations, the Court would also not be able to exercise its jurisdic-
tion if the respondent State were not a party to the Statute and had also

not deposited the declaration of acceptance provided for by the Security
Council resolution of 15 October 1946 (unless between the two States
concerned, there was a “treaty in force” within the meaning of Article 35,
paragraph 2, that is to say a treaty which was already in force on the date

when the Statute came into force, as the Court pointed out in its Judg-
ments of 15 December 2004 in the cases concerning Legality of Use of
Force).
But a second interpretation is possible whereby, in order to ensure that
it is in a position to exercise its jurisdiction, the Court merely has to

verify that the applicant State, and it alone, fulfils the conditions — the
alternative ones — mentioned in Article 35, paragraphs 1 and 2.

10. It should be noted here and now that if, as I believe it should, the
second interpretation were to be upheld, that would clearly not mean

that the Court would be justified in exercising its jurisdiction with respect
to a respondent State which had not, one way or another, consented to
its jurisdiction. Irrespective of the interpretation of Article 35 adopted,
consent to the jurisdiction of the Court must be verified, both with
respect to the applicant State and to the respondent State. The conse-

quence of the second interpretation is only that, where the respondent
State is concerned, it would be sufficient to verify that it is bound vis-à-
vis the applicant State by a treaty containing a clause attributing jurisdic-
tion to the Court, which clause would establish its consent to jurisdiction

(or any other form of jurisdiction), without there being any need also to
wonder whether it is a Member of the United Nations or party to the
Statute of the Court or, failing that, whether it has made the declaration
laid down by the 1946 resolution — the latter conditions only being rele-
vant, and only requiring verification, with respect to the applicant State.

11. It is immediately clear that the choice between the above two inter-
pretations is not purely academic. It can have decisive consequences
regarding the possibility for the Court to exercise its jurisdiction in the
following situation: the two States in dispute are bound by a treaty con-
taining a compromissory clause attributing jurisdiction to the Court to

settle such a dispute, but it is not a “treaty in force” within the meaning

119528 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. ABRAHAM )

rend, mais qui n’est pas un «traité en vigueur» au sens du paragraphe 2,
parce qu’il est postérieur au Statut; la Cour est saisie par voie de requête
unilatérale; l’Etat requérant est Membre des Nations Unies (ou, à défaut,

il est partie au Statut de la Cour, ou encore il a déposé la déclaration
prévue par la résolution de 1946); l’Etat défendeur, en revanche, n’est pas
membre des Nations Unies, n’est pas partie au Statut, et n’a pas souscrit
— et ne souhaite pas souscrire — la déclaration susvisée.
Dans une telle configuration, le choix de la première interprétation de

l’article 35 fait obstacle à ce que la Cour exerce sa compétence, nonobstant
la clause compromissoire qui oblige les deux Etats. Le choix de la seconde
interprétation, au contraire, permet à la Cour d’exercer sa compétence.
12. Sans doute un tel cas de figure n’est-il pas destiné à se présenter
fréquemment devant la Cour.

Il se trouve cependant qu’il correspond aux affairesBosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro et Croatie c. Serbie, si du moins l’on estime que la
Serbie (alors RFY), d’une part, et les deux Etats requérants, d’autre part,
étaient liés, aux dates d’introduction des requêtes, par la convention

sur le génocide et son article IX, et si l’on s’en tient, en ce qui concerne
les conditions de l’article 35, à la situation existant à ces mêmes dates,
auxquelles le défendeur ne remplissait aucune desdites conditions, selon
ce que la Cour a jugé dans ses arrêts précités de 2004.

13. Il n’est pas douteux qu’il existe quelques solides arguments en
faveur de chacune des deux interprétations susmentionnées. A la réflexion,
même si la doctrine dominante paraît être plutôt en sens contraire, je suis
parvenu à la conclusion que les arguments les plus nombreux et les plus
solides militaient dans le sens de l’interprétation selon laquelle les condi-

tions mentionnées aux paragraphes 1 et 2 de l’article 35 ne sont exigées
que de l’Etat requérant, lorsque la Cour est saisie par voie de requête uni-
latérale sur la base d’une clause compromissoire applicable dans les rela-
tions entre le demandeur et le défendeur.
Je vais m’efforcer de résumer ci-après les raisons qui me conduisent à

cette conclusion, et qui sont tirées:
a) du texte même du Statut;
b) des travaux préparatoires;

c) de la pratique et de la jurisprudence;
d) enfin, de la logique même des dispositions soumises à interprétation.

A) A RGUMENTS DE TEXTE

14. Le paragraphe 1 de l’article 35 utilise la formule «La Cour est
ouverte». La même formule est reprise au paragraphe 2: «Les conditions
auxquelles elle est ouverte aux autres Etats ... sont réglées par...»

Par elle-même, l’expression, que l’on a traduite dans le langage juridique

courant par celle d’«accès à la Cour», qui en est l’équivalent exact du

120 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP.ABRAHAM ) 528

of paragraph 2, because it post-dates the Statute; seisin of the Court is
made by way of a unilateral application; the applicant State is a Member

of the United Nations (or, failing that, it is party to the Statute of the
Court, or has filed the declaration laid down by the 1946 resolution); the
respondent State, by contrast, is not a Member of the United Nations, is
not a party to the Statute of the Court, and has not signed — and does
not wish to sign — the above declaration.

In that case, the choice of the first interpretation of Article 35 prevents
the Court from exercising its jurisdiction, notwithstanding the comprom-
issory clause binding the two States. The choice of the second interpreta-
tion on the other hand enables the Court to exercise its jurisdiction.

12. Such a situation is unlikely to arise often before the Court.

It does, however, happen to correspond to the Bosnia and Herze-
govina v. Serbia and Montenegro and the Croatia v. Serbia cases, at least
providing Serbia (then the FRY) on the one hand, and the two applicant

States on the other, are regarded as being bound, on the dates when the
Applications were filed, by the Genocide Convention and its Article IX,
and providing we confine ourselves, where the conditions of Article 35
are concerned, to the situation prevailing on those dates, when the

Respondent did not fulfil any of the said conditions, according to what
the Court ruled in its 2004 Judgments cited above.
13. There is no doubt that there are sound arguments in favour of
each of the two above interpretations. On reflection, even though the pre-
vailing academic view appears to indicate the contrary if anything, I have

come to the conclusion that the most numerous and sounder arguments
weigh in favour of the interpretation whereby the conditions mentioned
in Article 35, paragraphs 1 and 2, are required of the applicant State
alone when a unilateral application is brought before the Court on the

basis of a compromissory clause applicable to relations between the
applicant and the respondent.
I will endeavour to summarize below the reasons which lead me to this
conclusion, and which are based upon:

(a) the actual text of the Statute;
(b) the travaux préparatoires ;
(c) practice and jurisprudence; and lastly

(d) the rationale of the provisions being interpreted.

(A) T EXTUAL ARGUMENTS

14. Paragraph 1 of Article 35 contains the phrase: “The Court shall be

open.” The same phrase is repeated in paragraph 2: “The conditions
under which the Court shall be open to other States shall . . . be laid
down by . . .”
In itself, the expression which has passed into current legal usage as
“access to the Court”, which is its exact equivalent from the opposite per-

120529 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. ABRAHAM )

point de vue, inversé, de l’Etat, suggère assez nettement que ce dont il
s’agit ici, c’est de définir les conditions auxquelles une partie à un diffé-
rend peut saisir la Cour, s’adresser à elle pour faire valoir ce qu’elle

estime être ses droits.
Le «sens ordinaire» des termes employés, pour reprendre la formule de
l’article 31.1 de la convention de Vienne, n’oriente pas, à première vue,
vers une interprétation «symétrique» du texte, en vertu de laquelle on
exigerait que les conditions énoncées soient également remplies de la part

du défendeur. Ce dernier, en effet, ne cherche pas à accéder à la Cour,
puisque aussi bien dans de nombreuses affaires il cherche au contraire à
se soustraire à sa juridiction en contestant — à tort ou à raison — sa
compétence. N’étant pas celui qui pousse la porte de la Cour, on ne voit
pas bien pourquoi c’est à lui (ou à lui également) qu’on imposerait des

conditions d’entrée.
Dans le domaine, il est vrai partiellement spécifique, du droit interna-
tional des droits de l’homme, le «droit d’accès au tribunal» (national),
défini comme une composante fondamentale du droit à un «procès équi-

table» garanti par l’article 14 du pacte international sur les droits civils et
politiques et l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme,
a toujours été entendu comme le droit pour une personne de saisir un
juge en vue de lui soumettre ses prétentions, donc un droit du requérant
et non du défendeur. Naturellement, cela n’empêche pas qu’une fois le

procès engagé les exigences du «procès équitable» (impartialité et indé-
pendance du tribunal, etc.) valent aussi bien pour le demandeur que pour
le défendeur, et que les deux parties doivent être traitées sur un pied
d’égalité dans le déroulement de l’instance.
Tel est le «sens ordinaire» des mots.

15. Cette première impression est renforcée par la comparaison termi-
nologique entre les paragraphes 1 et 2 de l’article 35, d’une part, et,
d’autre part, l’article 34 et le paragraphe 3 de l’article 35.
Ces deux dernières dispositions montrent que, lorsque les rédacteurs
du Statut ont voulu poser une règle applicable aux deux parties à l’ins-

tance, ils ont su l’indiquer par une formulation sans équivoque. C’est
ainsi que l’article 34 dispose que «[s]euls les Etats ont qualité pour se pré-
senter devant la Cour» et le paragraphe 3 de l’article 35 vise un Etat qui
«est partie en cause». Par contraste, la terminologie employée aux para-

graphes 1 et 2 de l’article 35 («La Cour est ouverte») paraît bien suggérer
qu’il s’agit ici d’autre chose: de la partie, et seulement celle-là, qui prend
l’initiative de porter une affaire devant la Cour — les deux parties en cas
de saisine conjointe; mais l’une d’entre elles en cas de requête unilatérale.

B) E XAMEN DES TRAVAUX PRÉPARATOIRES

16. Comme la Cour l’a fait dans ses arrêts du 15 décembre 2004 (voir,

par exemple, les paragraphes 103 à 108 de l’arrêt en l’affaire de la Licéité
de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Belgique), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004 (I) , p. 319-321), il convient de se

121 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP.OP. ABRAHAM ) 529

spective, that of the State, quite clearly suggests that what is at issue here
is defining the conditions under which a party to a dispute can bring it

before the Court and address it in order to uphold what it considers to be
its rights.
The “ordinary meaning” of the terms used, to borrow the expression in
Article 31, paragraph 1, of the Vienna Convention, does not at first sight
point towards a “symmetrical” interpretation of the text, according to

which the conditions laid down would also have to be fulfilled by the
respondent. Yet the respondent is not seeking access to the Court, since
in any number of cases, it seeks, on the contrary, to evade its jurisdiction
by, rightly or wrongly, challenging it. As it is not the one trying to push

open the door of the Court, it is hard to see why conditions of entrance
should be imposed on it (or on it as well).

In the admittedly to some extent specific field of international human
rights law, the “right of access to a court” (a national one) defined as a

fundamental component of the right to a “fair trial”, guaranteed by Arti-
cle 14 of the International Covenant on Civil and Political Rights and
Article 6 of the European Convention on Human Rights, has always
been understood as a person’s right to seise a court in order to put his or

her claims to it, thus a right as applicant and not as respondent. Nat-
urally, that does not mean that, once the proceedings have commenced,
the requirements of a “fair trial” (impartiality and independence of the
Court, etc.) will not apply just as much for the applicant as for the
respondent , and the two parties must be treated equally in the proceed-

ings.
This is the “ordinary meaning” of the words.
15. This first impression is supported by a comparison of the terms
contained in paragraphs 1 and 2 of Article 35 with those in Article 34 and

Article 35, paragraph 3.
The latter two provisions show that when the authors of the Statute
wished to establish a rule applicable to both parties to proceedings, they
carefully indicated it by unequivocal wording. Hence, Article 34 provides

that “[o]nly States may be parties in cases before the Court” and Arti-
cle 35, paragraph 3, refers to a State which “is a party to a case”. In con-
trast, the terminology used in paragraphs 1 and 2 of Article 35 (“The
Court shall be open”) does indeed seem to suggest that it is referring to
something else: the party, and only that party, which takes the initiative

of bringing a case before the Court — both parties in the event of joint
seisin; but only one of them in the event of a unilateral application.

(B) A NALYSIS OF THE T RAVAUX P RÉPARATOIRES

16. Reference should be made, as the Court did in its Judgments of
15 December 2004 (see, for example, paragraphs 103 to 108 of the Judg-

ment in the Legality of Use of Force (Serbia and Montenegro v. Bel-
gium) case (Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2004 (I) ,

121530 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .ABRAHAM )

reporter aux travaux préparatoires de l’article 35 du Statut de la Cour
permanente de Justice internationale, qui comportait des dispositions
identiques, en substance, à celles de l’article 35 du présent Statut.

17. On ne trouve, semble-t-il, qu’une seule indication relative à la por-
tée des termes «La Cour est ouverte...»; mais cette indication est parti-
culièrement claire.
18. La première rédaction de la disposition qui allait devenir l’ar-
ticle 35 (qui portait alors le numéro 32) est issue des travaux du comité de

juristes de 1920. Cette disposition comportait un premier alinéa ainsi
rédigé: «La Cour est ouverte aux Etats mentionnés à l’annexe au Pacte et
à ceux qui seront ultérieurement entrés dans la Société des Nations.»

Lors de l’examen de l’avant-projet par la sous-commission de la Troi-

sième Commission de la première Assemblée de la Société des Nations,
l’un des membres de la sous-commission, sir Cecil Hurst, fit observer
qu’«aux termes des traités de paix les puissances centrales seront souvent
parties en cause devant la Cour» et que «le texte actuel ne tient pas

suffisamment compte de ce fait». Il craignait, autrement dit, que l’exi-
gence, pour l’accès d’un Etat à la Cour, que cet Etat ait participé à la
création de la Société des Nations ou en soit ultérieurement devenu
membre n’empêche de soumettre à la Cour des différends mettant en
cause les puissances centrales, qui ne répondaient pas à ces conditions.

La réponse du président de la sous-commission fut d’une parfaite net-
teté: «L’article vise seulement les parties demanderesses.» (Voir Société
des Nations, Cour permanente de Justice internationale, Documents au
sujet de mesures prises par le Conseil de la Société des Nations aux
termes de l’article 14 du Pacte et de l’adoption par l’Assemblée du Statut

de la Cour permanente, p. 141.)
Il ne semble pas que l’on trouve dans la suite des travaux préparatoires
du Statut de la Cour permanente quelque autre indication, sur la ques-
tion considérée, qui viendrait infirmer ou contredire celle qui vient d’être
mentionnée.

Quant aux travaux préparatoires du Statut de la Cour internationale
de Justice, on n’y trouve, semble-t-il, aucune indication complémentaire.

C) E XAMEN DE LA PRATIQUE JUDICIAIRE ET DE LA JURISPRUDENCE

19. La pratique de la Cour permanente semble avoir été quelque peu
incertaine.
A l’occasion de la première affaire dans laquelle la question de l’inter-

prétation de l’article 35 se soit posée, il apparaît que la Cour s’est confor-
mée, dans sa pratique, à l’interprétation selon laquelle les conditions de
l’accès à la Cour ne s’appliquent qu’à la partie demanderesse.
Si l’on en croit le commentaire, généralement très bien informé, du Sta-

tut et du Règlement de la Cour permanente de Justice internationale, paru
à Berlin en 1934 sous l’égide de l’Institut pour le droit international
public:

122 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP.OP .ABRAHAM ) 530

pp. 319-321), to the travaux préparatoires of Article 35 of the Statute of
the Permanent Court of International Justice, which contained provi-

sions in substance identical to those in Article 35 of the present Statute.
17. There is, so it seems, only one indication concerning the scope of
the terms “The Court shall be open . . .”; but it is a particularly clear one.

18. The first draft of the provision which was to become Article 35
(then number 32) was the fruit of the work of the Advisory Committee of
Jurists in 1920. That provision contained a first subparagraph drafted as
follows: “The Court shall be open of right to the States mentioned in the

Annex to the Covenant, and to such others as shall subsequently enter
the League of Nations.”
When the preliminary draft was considered by the sub-committee of
the Third Committee of the first Assembly of the League of Nations, one

of the members of the sub-committee, Sir Cecil Hurst, pointed out that
“under the Treaties of Peace the Central Powers would often be Parties
before the Court” and that “[t]he text of the draft does not take sufficient
account of this fact”. In other words, he feared that the requirement, for

access to the Court by a State that had taken part in the creation of the
League of Nations or subsequently become a Member of it, might pre-
vent disputes implicating the Central Powers, who did not meet those
requirements, from being submitted to the Court.
The answer given by the Chairman of the subcommittee was perfectly

clear: “the Article applie[s] only to the plaintiff Parties” (see League of
Nations, Permanent Court of International Justice, Documents concern-
ing the action taken by the Council of the League of Nations under Arti-
cle 14 of the Covenant and the adoption by the Assembly of the Statute of

the Permanent Court, p. 141).
In the rest of the travaux préparatoires of the Statute of the Permanent
Court, there does not appear to be any other comment on this question
to invalidate or contradict the one just mentioned.

As for the travaux préparatoires of the Statute of the International
Court of Justice, they would seem to contain no further comment.

(C) A NALYSIS OF JUDICIAL PRACTICE AND JURISPRUDENCE

19. The practice of the Permanent Court appears to have been a little

unclear.
In the first case in which the question of the interpretation of Article 35
arose, the Court appears, in its practice, to have abided by the interpreta-
tion according to which the conditions of access to the Court apply to the

Applicant alone.
If we are to give credence to the generally well informed commentary
on the Statute and the Rules of the Permanent Court of International
Justice published in Berlin in 1934 under the aegis of the Institute for

Public International Law:

122531 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .ABRAHAM )

«Dans l’affaire du Wimbledon, portée devant la Cour en vertu de
l’article 386 du traité de Versailles, l’Allemagne, qui à cette époque

n’était pas encore membre de la Société, était Partie défenderesse.
Une déclaration n’était pas considérée comme nécessaire, d’une part
en raison de la réserve spéciale insérée dans l’alinéa 2 de l’article 35
du Statut et qui vise en particulier — ainsi qu’il ressort de l’histo-
rique de l’article — certaines dispositions des traités de paix, et

d’autre part parce que, en l’espèce, l’Allemagne était défenderesse, et
que l’article — comme il semble également ressortir de son histo-
rique — vise seulement les parties demanderesses.» (B. Schenk von
Stauffenberg, Statut et Règlement de la Cour permanente de Justice

internationale: éléments d’interprétation , Carl Heymanns Verlag,
Berlin, 1934, p. 234; les italiques sont de moi.)

20. Quelques années plus tard, la question s’est posée à nouveau à
l’occasion de la revision du Règlement de 1926. Il fut décidé alors d’intro-
duire une disposition prévoyant l’obligation, pour un Etat non membre
de la Société des Nations, de déposer au Greffe de la Cour la déclaration

prévue par la résolution du Conseil de la Société du 17 mai 1922. Au
cours de la séance du 25 juin 1926, le greffier rappela à ce propos «la
décision prise par la Cour dans l’affaire du Wimbledon. A ce moment, il
a été décidé que l’obligation dont il s’agit ne pouvait être imposée qu’à la

Partie demanderesse, et non à la Partie défenderesse.» (Publications de la
Cour permanente de Justice internationale, Série D, Actes et documents
relatifs à l’organisation de la Cour, Addendum au n o 2, Revision du Règle-
ment de la Cour, p. 75.)
21. Toutefois, à l’occasion de la séance du 21 juillet 1926, au cours de

laquelle la même disposition du Règlement révisé était soumise à examen,
le président s’est ainsi exprimé:

«Il est tout naturel que les Etats qui veulent profiter d’une institu-
tion établie par la Société des Nations doivent accepter les condi-
tions fixées par le Pacte, et que les Etats qui, pour une raison ou
pour une autre, ne l’ont pas encore fait les acceptent par cette décla-
ration — que ce soit en qualité de demandeur ou de défendeur qu’ils

paraissent devant la Cour.» (Ibid., p. 106.)
22. Finalement, la Cour a adopté une formulation neutre, dans les

termes suivants (art. 35):
«2 o La déclaration, prévue par la résolution du Conseil de la

Société des Nations en date du 17 mai 1922 (annexe), dans les cas
où elle est requise conformément à l’article 35 du Statut, sera dépo-
sée au Greffe, au plus tard, avec la première pièce de procédure.»
(Op. cit., von Stauffenberg, p. 235; les italiques sont dans l’original.)

Ainsi que le remarque le commentaire précité du Statut et du Règle-
ment de la Cour permanente:

123 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP.OP. ABRAHAM ) 531

“In the S.S. ‘Wimbledon’ case, brought before the Court under
Article 386 of the Treaty of Versailles, Germany, which at that point
had yet to become a Member of the League, was the Respondent. A
declaration was not considered as necessary, on the one hand, in

light of the reservation contained in Article 35, paragraph 2, of the
Statute which concerns in particular — as is apparent from the
drafting history of the article — certain provisions of the Peace
Treaties, and on the other hand, in those proceedings Germany was
the Respondent and the article — as also seems apparent from its

drafting history — only concerns the applicant parties .” [Translation
by the Registry.] (B. Schenk von Stauffenberg, Statut et Règlement
de la Cour permanente de justice internationale: éléments
d’interprétation, Carl Heymanns Verlag, Berlin, 1934, p. 234; empha-
sis added.)

20. A few years later the question arose again when the Rules of Court
were revised in 1926. It was then decided to add a provision making it an
obligation for a State not a Member of the League of Nations to deposit

the declaration provided for by the resolution of the League Council of
17 May 1922 with the Registry of the Court. During the meeting on
25 June 1926, the Registrar recalled in that connection “the decision
taken by the Court in the Wimbledon case. At that time, it had been
decided that the obligation in question could only be imposed on the

applicant Party, and not on the respondent.” (Publications of the Perma-
nent Court of International Justice, Series D, Acts and Documents con-
cerning the Organization of the Court, Addendum to No. 2, Revision of
the Rules of Court, p. 75.)
21. However, at the meeting on 21 July 1926, during which that provi-

sion of the revised Rules was considered, the President said that:

“It [is] quite natural that States that wish . . . to profit by the insti-

tution established by the League of Nations . . . have to accept the
conditions fixed by the Covenant, and that States which, for one rea-
son or another, [have] not yet done so should accept them by means
of this declaration, whether they appear . . . before the Court as
Applicant or Respondent.” (Ibid., p. 106.)

22. Eventually, the Court adopted a neutral phrase, worded as follows
(Art. 35):

“(2) The declaration provided for in the Resolution of the Council
of the League of Nations of May 17, 1922 (Annex), shall, when it is
required under Article 35 of the Statute, be deposited with the Reg-

istry not later than the time fixed for the deposit of the first document
of the written procedure.” (Op. cit., von Stauffenberg, p. 235; empha-
sis in original.)

As was observed in the aforementioned commentary on the Statute
and the Rules of the Permanent Court:

123532 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .ABRAHAM )

«Le texte adopté laisse intacte la question de savoir dans quels cas
la déclaration est nécessaire, et réserve la liberté de la Cour de sta-
tuer dans chaque cas d’espèce sur la nécessité de la déclaration;

.............................
La disposition adoptée par la Cour ne trancha pas non plus la ques-
tion de savoir si l’obligation de faire la déclaration incombait aussi aux

Etats qui se présentaient devant la Cour en qualité de défendeurs. »
(Op. cit., von Stauffenberg, p. 235-236; les italiques sont de moi.)

23. La pratique de la Cour internationale de Justice, sur la question
considérée, offre peu d’éléments éclairants. On retrouve, semble-t-il, les
mêmes incertitudes qu’auparavant.
En faveur de l’une des deux interprétations (que j’ai appelée plus haut
«symétrique»), il convient de mentionner l’affaire du Détroit de Corfou.

Dans son ordonnance du 31 juillet 1947 prise à l’effet de fixer les délais de
dépôt des deux premières pièces de procédure, le président a estimé que
«la note ... du Gouvernement d’Albanie peut être considérée comme
constituant l’acte mentionné à l’article 36 du Règlement de la Cour»
(C.I.J. Recueil 1947-1948 , p. 5). L’article 36 du Règlement visait préci-

sément le cas d’un Etat non partie au Statut, mais ayant accès à la Cour
en application de la résolution 9 (1946) du Conseil de sécurité, laquelle
exige à cet effet, comme on l’a dit, le dépôt d’une déclaration. Or, l’Alba-
nie était, dans l’instance, Partie défenderesse: on peut en déduire que, aux

yeux du président, le défendeur comme le demandeur étaient soumis aux
conditions d’«accès à la Cour» prévues par l’article 35 du Statut.

24. Mais, en sens inverse, on doit relever que le Règlement de la Cour,
après avoir dans un premier temps maintenu, sur le point considéré, une

formulation neutre — c’est-à-dire ne permettant pas de trancher entre les
deux interprétations de l’article 35 du Statut — dans la continuité du
Règlement de l’ancienne Cour permanente, s’en est écarté à partir du
Règlement révisé de 1978. En effet, les Règlements de 1946 et de 1972
comportaient, respectivement à l’article 36 et à l’article 39, une disposi-

tion (identique) dont la lettre même n’indiquait pas si la déclaration pré-
vue par la résolution 9 (1946) du Conseil de sécurité était exigée seule-
ment de l’Etat requérant ou de chacun des deux Etats parties à l’instance,
lorsque l’un ou l’autre — ou bien les deux — n’étaient pas parties au
Statut. En revanche, le Règlement en vigueur depuis 1978 comporte un

article 41 ainsi rédigé:
«L’introduction d’une instance par un Etat qui n’est pas partie au

Statut mais qui a accepté la juridiction de la Cour en vertu de l’ar-
ticle 35, paragraphe 2, du Statut, par une déclaration faite aux termes
d’une résolution adoptée par le Conseil de sécurité conformément à
cet article, doit être accompagnée du dépôt de ladite déclaration, à
moins qu’elle n’ait été préalablement déposée au Greffe...» (Les ita-

liques sont de moi.)

124 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP.OP .ABRAHAM ) 532

“The text adopted left the question of the circumstances in which
the declaration is necessary entirely unresolved, and preserved the
freedom of the Court to rule in each individual case on the necessity

of the declaration;
.............................
The provision adopted by the Court did not settle the matter of
whether the obligation to make a declaration also extended to States

appearing before the Court as respondents either .” (Op. cit., von
Stauffenberg, pp. 235-236; emphasis added.)

23. The practice of the International Court of Justice in the matter at
hand provides little in the way of enlightenment. We appear to find the
same uncertainties as before.
In support of one of the two interpretations (the one I referred to as
“symmetrical” above) the Corfu Channel case should be mentioned. In its

Order of 31 July 1947 to fix the time-limits for the submission of the first
two written pleadings, the President held that “the . . . note of the Alba-
nian Government may be regarded as constituting the document men-
tioned in Article 36 of the Rules of Court” (I.C.J. Reports 1947-1948 ,
p. 5). Article 36 of the Rules of Court dealt precisely with the case of

States which were not parties to the Statute, but which had access to the
Court under Security Council resolution 9 of 1946, which for that pur-
pose, as mentioned above, required the filing of a declaration. In those
proceedings, Albania was the Respondent: we may deduce from this

that, in the view of the President, both the respondent and the applicant
were subject to the conditions of “access to the Court” laid down by Arti-
cle 35 of the Statute.
24. But conversely, it must be noted that the Rules of Court, having
initially retained a neutral phrase on the point concerned — that is, one

which did not permit a final decision as between the two possible inter-
pretations of Article 35 of the Statute — following on in this respect from
the Rules of the former Permanent Court, moved away from that posi-
tion as of the Revised Rules of 1978. Indeed, in Article 36 and Article 39
respectively, the 1946 and the 1972 Rules of Court contained an (identi-

cal) provision, the actual wording of which did not indicate whether the
declaration provided for by Security Council resolution 9 of 1946 was
required of the applicant State alone or of each of the two States parties
to the proceedings, when either, or even both, were not parties to the
Statute. On the other hand, the Rules of Court in force since 1978 con-

tain an Article 41 worded as follows:
“The institution of proceedings by a State which is not a party to

the Statute but which, under Article 35, paragraph 2, thereof, has
accepted the jurisdiction of the Court by a declaration made in
accordance with any resolution adopted by the Security Council
under that Article, shall be accompanied by a deposit of the declara-
tion in question, unless the latter has previously been deposited with

the Registrar . . .” (Emphasis added.)

124533 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND .ABRAHAM )

Comme le relève Shabtai Rosenne, qui paraît très hésitant sur la ques-
tion considérée, «The Rules contain no parallel provision regarding the
filing of a declaration by a respondent which is not a party to the Sta-

tete.» (The Law and Practice of the International Court, 1920-2005 ,
4 édition, vol. II, Jurisdiction, p. 619.)
Le silence du Règlement sur le cas de l’Etat défendeur non partie au
Statut, alors qu’une disposition expresse soumet l’Etat requérant se trou-
vant dans une telle situation à l’obligation de justifier qu’il remplit les

conditions d’«accès à la Cour» prévues au paragraphe 2 de l’article 35,
constitue un indice assez net en faveur de l’interprétation qui restreint le
champ de cet article à la partie demanderesse.
25. Les considérations qui précèdent sont relatives à ce que j’ai appelé
la «pratique judiciaire» de l’ancienne et de l’actuelle Cour: on voit que

cette pratique n’a pas été univoque.
Une autre question est de savoir si le point en discussion trouve une
réponse dans la jurisprudence proprement dite, c’est-à-dire dans l’analyse
des décisions judiciaires rendues par la Cour elle-même antérieurement

au présent arrêt. Tel ne paraît pas être le cas.
26. Il faut admettre que l’ordonnance du 8 avril 1993 rendue sur la
demande de mesures conservatoires dans l’affaire relative à l’Application
de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie) s’inspire assez nettement, quoique

implicitement, de l’interprétation «symétrique» de l’article 35. En effet,
après avoir fait état de ses doutes sur la question de savoir si la Yougo-
slavie était alors Membre des Nations Unies et, à ce titre, partie au Statut
de la Cour (C.I.J. Recueil 1993, p. 14, par. 18), et avoir cité le para-
graphe 2 de l’article 35 du Statut, la Cour a poursuivi en affirmant que

«en conséquence ... une instance peut être valablement introduite
par un Etat contre un autre Etat qui, sans être partie au Statut, est

partie à une telle disposition particulière d’un traité en vigueur, et ce
indépendamment des conditions réglées par le Conseil de sécurité
dans sa résolution 9 (1946)» (ibid., par. 19),

avant de conclure que l’article IX de la convention sur le génocide pou-
vait être considéré prima facie comme une disposition de cette nature et
fournir ainsi une base de compétence suffisante en l’espèce (ibid.). Le rai-

sonnement ainsi déployé suppose comme prémisse, au moins tacite, que
les conditions d’«accès à la Cour» de l’article 35 sont applicables égale-
ment au défendeur: sinon, puisqu’en l’espèce la qualité de partie au Sta-
tut n’était douteuse que pour le défendeur mais non pour le demandeur,
la Cour n’aurait pas eu besoin d’avoir recours à la notion de «traité en

vigueur» au sens du paragraphe 2 et de constater qu’un tel traité liait les
deux Parties à l’instance.
Mais l’ordonnance de 1993 n’a certainement pas entendu trancher défi-
nitivement la question, elle ne s’est prononcée que prima facie,e tl
passage précité a d’ailleurs été déjà partiellement contredit par la Cour,

après plus ample examen du sens des termes «traités en vigueur», dans

125 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. ABRAHAM ) 533

As was noted by Shabtai Rosenne, who appears very hesitant on the
point concerned, “The Rules contain no parallel provision regarding the
filing of a declaration by a respondent which is not a party to the Stat-

ute.” (The Law and Practice of the International Court , 1920-2005,
Fourth Edition, Vol. II, Jurisdiction, p. 619.)
The silence of the Rules of Court regarding a respondent State which is
not party to the Statute, when an express provision obliges an applicant
State in such a situation to prove that it meets the conditions of “access

to the Court” laid down in Article 35, paragraph 2, constitutes a fairly
clear indication in favour of the interpretation restricting the scope of
that Article to the applicant.
25. The foregoing considerations concern what I have termed the
“judicial practice” of the former and the existing Courts: we can see that

the practice has varied.
It is another matter to ascertain whether the point under discussion has
been settled by the jurisprudence as such, that is to say by an analysis of
the judicial decisions rendered by the Court itself prior to the present

Judgment. It would not appear so.
26. It must be said that the Order of 8 April 1993 on the Request for
provisional measures in the case concerning Application of the Conven-
tion on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide (Bosnia
and Herzegovina v. Yugoslavia) was fairly clearly, albeit implicitly,

inspired by the “symmetrical” interpretation of Article 35. After express-
ing its doubts on whether Yugoslavia was then a Member of the United
Nations and, as such, a party to the Statute of the Court (I.C.J. Reports
1993, p. 14, para. 18), and citing Article 35, paragraph 2, of the Statute,
the Court went on to assert that

“the Court therefore considers that proceedings may validly be insti-
tuted by a State against a State which is a party to such a special

provision in a treaty in force, but is not a party to the Statute, and
independently of the conditions laid down by the Security Council in
its resolution 9 of 1946” (ibid., para. 19),

before concluding that Article IX of the Genocide Convention could be
regarded prima facie as such a provision and thus provide sufficient basis
for jurisdiction in that case (ibid.). The reasoning thus deployed presup-

poses at least tacitly that the conditions of “access to the Court” in Arti-
cle 35 are equally applicable to the respondent: if not, since in that case
it was only the Respondent’s standing as party to the Statute that was in
doubt, not the Applicant’s, the Court would not have needed to fall back
on the notion of “treaty in force” within the meaning of paragraph 2 and

find that such a treaty was binding on both Parties to the proceedings.

But the Order of 1993 certainly did not aim to settle the issue def-
initively, its conclusions were only prima facie and the passage cited
above was, moreover, partly contradicted by the Court, following more

detailed consideration of the term “treaties in force” in its Judgments

125534 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .ABRAHAM )

ses arrêts du 15 décembre 2004 sur les affaires relatives à la Licéité de
l’emploi de la force.
27. L’arrêt du 11 juillet 1996 rendu sur les exceptions préliminaires

dans la même affaire n’apporte aucun élément utile sur le point en discus-
sion. La RFY n’ayant pas argué, pour contester la compétence de la
Cour, de son défaut de qualité de partie au Statut, la Cour n’a pas eu à se
pencher sur la question, ni, en conséquence, sur la question — préa-
lable — de savoir si les conditions d’accès à la Cour de l’article 35 sont

applicables aussi à un Etat défendeur. Et, si l’on doit considérer que, en
affirmant sa compétence pour connaître du différend sur le fondement de
l’article IX de la convention sur le génocide, la Cour doit être réputée,
par construction, avoir estimé que toutes les conditions d’«accès à la
Cour» mentionnées aux articles 34 et 35 du Statut étaient satisfaites, il est

cependant impossible d’en déduire logiquement qu’elle l’ait fait sur la
base de l’une ou de l’autre des deux interprétations possibles du champ
d’application de l’article 35.
28. Enfin, les arrêts du 15 décembre 2004 ne fournissent pas davantage

d’enseignement décisif: la Cour, certes, s’y déclare incompétente pour
connaître des requêtes de la Serbie-et-Monténégro au motif que cet Etat
ne remplissait pas les conditions de l’article 35, mais c’était l’Etat requé-
rant. Aucune des formulations retenues par la Cour dans les arrêts en
cause n’indique clairement ni que les conditions de l’article 35 ne sont

applicables qu’à l’Etat demandeur, et que la Cour ne les examine en
l’espèce que parce que c’est ce dernier dont il est allégué qu’il ne les
remplit pas, ni au contraire que ces conditions sont applicables aux
défendeurs aussi bien qu’au demandeur, les premiers les remplissant
indiscutablement en leur qualité de Membres des Nations Unies.

En somme, la Cour n’avait pas besoin de trancher la question de savoir
si un défendeur doit remplir les «conditions d’accès»; elle ne l’a pas fait.
Comme je l’ai dit plus haut, elle a même expressément réservé la ques-
tion dans son arrêt de 2007 rendu en l’affaire relative à l’Application de
la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide

(Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro) .

D) L A LOGIQUE ET LA FINALITÉ DU TEXTE À INTERPRÉTER

29. Plus que les arguments précédents, ce sont des arguments tirés de
la logique du texte à interpréter et de la finalité qu’il poursuit, ou qu’il
doit être supposé poursuivre, qui me paraissent orienter de façon décisive
vers l’une des deux interprétations.

30. Il ne faut pas perdre de vue quelle est la situation pratique dans
laquelle est susceptible de se poser la difficulté d’interprétation qu’on
cherche à résoudre.
Cette situation suppose la réunion de deux éléments.

Il faut, en premier lieu, qu’un différend surgisse entre deux Etats entre
lesquels est en vigueur une clause compromissoire attribuant compétence
à la Cour: si tel n’est pas le cas, et puisque par ailleurs l’un de ces deux

126 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP.ABRAHAM ) 534

of 15 December 2004 on the cases concerning Legality of Use of
Force.

27. The Judgment of 11 July 1996 on the preliminary objections in the
same case shed no new light on the point under discussion. As the FRY
argued that it lacked standing as a party to the Statute in order to chal-
lenge the jurisdiction of the Court, the Court did not have to consider the
question, nor therefore the prior question of whether the conditions of

access to the Court in Article 35 are also applicable to a respondent
State. And while it must be borne in mind that, by declaring its jurisdic-
tion to hear the dispute on the basis of Article IX of the Genocide Con-
vention, the Court must be assumed, by deduction, to have considered

that all the conditions of “access to the Court” mentioned in Articles 34
and 35 of the Statute had been met, it is, however, impossible to logically
construe that it did so on the basis of either of the two possible interpre-
tations of the scope of application of Article 35.

28. Finally, the Judgments of 15 December 2004 do not provide any
more decisive indications: true, the Court found that it lacked jurisdic-
tion to hear the Applications by Serbia and Montenegro on the ground
that that State did not meet the conditions of Article 35, but it was the

applicant State. None of the wording used by the Court in its Judgments
in those cases clearly indicates either that the conditions of Article 35
applied to the applicant State alone, and that the Court only considered
them in those cases because it was the Applicant who allegedly did not
fulfil them, or, on the contrary, that those conditions applied to the

Respondents as much as to the Applicant, for as Members of the United
Nations, there is no doubt that the former fulfilled them.
In short, the Court had no need to settle the question of whether a
respondent must fulfil the “conditions of access” and it did not do so.

As I said above, it even expressly reserved the question in its 2007
Judgment delivered in the case concerning Application of the Convention
on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide (Bosnia and
Herzegovina v. Serbia and Montenegro).

(D) R ATIONALE AND P URPOSE OF THE T EXT

29. More than the above arguments, it is the arguments derived from

the rationale of the text to be interpreted and its ultimate purpose, or
what must be supposed to be its ultimate objective, which seem to me to
point in favour of one of the two interpretations.
30. The actual situation in which the difficulty of interpretation we are

seeking to resolve is likely to arise should not be forgotten.

That situation presupposes a combination of two factors.
First, a dispute must arise between two States, between which a com-

promissory clause assigning jurisdiction to the Court is in force: if this is
not so, and because, moreover, at least one of those States is not, let us

126535 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. ABRAHAM )

Etats au moins n’est pas, par hypothèse, partie au Statut, la Cour ne sau-
rait avoir compétence et aucune autre question ne se pose.
Il faut, en second lieu, que l’un au moins des deux Etats concernés ne

remplisse pas les conditions d’«accès à la Cour» de l’article 35 du Sta-
tut: cet Etat n’est pas partie au Statut, et il n’a pas souscrit la déclaration
exigée par la résolution 9 (15 octobre 1946) du Conseil de sécurité. Il est
clair, en effet, que si les deux Etats en litige remplissent les conditions
d’accès à la Cour, soit au titre du paragraphe 1, soit au titre du paragra-

phe 2 de l’article 35, la question de savoir si ces conditions s’appliquent
seulement à un Etat demandeur ou aux deux Etats parties à l’instance est
sans pertinence, et la Cour, en pareil cas, pourra être saisie, indifférem-
ment, conjointement par voie de compromis ou par requête unilatérale de
l’un quelconque des deux Etats en cause.

31. Supposons donc réunies les deux conditions précédentes: c’est
alors que se pose la question du choix entre les deux interprétations pos-
sibles de l’article 35 quant à son champ d’application. Il faut considérer
les avantages et inconvénients de chacune d’elles, notamment quant aux

conséquences qu’elles produisent.
32. La principale objection qui vient à l’esprit quand on envisage
l’interprétation selon laquelle les conditions d’accès ne valent que pour le
demandeur et peuvent ne pas être remplies par le défendeur, sans que la
Cour soit empêchée pour autant d’exercer sa compétence, est celle de la

dissymétrie, du déséquilibre, voire de l’inégalité qu’elle paraît introduire
entre les deux Etats en présence.
33. On peut certes rappeler, en réponse à cette objection, que, quelle
que soit la solution retenue, une fois l’instance engagée, les deux parties
pourront et devront être traitées procéduralement sur un strict pied

d’égalité par la Cour. Cela est vrai, mais cela ne répond pas entièrement
à l’objection.
34. La conséquence d’une interprétation «asymétrique» de l’article 35
paraît être, en effet, que, entre deux Etats liés par une clause compromis-
soire mais dont l’un remplit les conditions d’accès et l’autre non, le pre-

mier pourra prendre l’initiative d’attraire le second devant la Cour
(puisqu’il a qualité pour saisir celle-ci), tandis que la réciproque ne sera
pas vraie: n’est-ce pas une atteinte aux principes fondamentaux de l’éga-
lité, mais aussi de la réciprocité des droits des Etats, principes qui doivent

s’appliquer tout autant en matière de saisine de la Cour que dans le
déroulement même de l’instance?
35. Pourtant, à bien y réfléchir, l’objection n’est aucunement convain-
cante, car l’inégalité qu’elle dénonce est purement apparente. Rien
n’empêche, en effet, un Etat qui est partie à un traité comportant une

clause compromissoire et qui souhaite la mettre en œuvre pour le règle-
ment d’un différend déterminé de se placer lui-même en situation d’avoir
accès à la Cour en remplissant les conditions prévues par le paragraphe 2
de l’article 35 et par la résolution du Conseil de sécurité à laquelle renvoie
ce paragraphe.

Il suffit pour cela que cet Etat — dont on suppose qu’il n’est pas partie

127 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. ABRAHAM ) 535

suppose, a party to the Statute, the Court cannot have jurisdiction and
no other question arises.
Second, at least one of the two States concerned must not fulfil the

conditions of “access to the Court” in Article 35 of the Statute: that State
is not a party to the Statute, and it has not signed the declaration
required by Security Council resolution 9 of 15 October 1946. Indeed, it
is obvious that if the two States in dispute satisfy the conditions of access
to the Court, either under paragraph 1 or under paragraph 2 of Arti-

cle 35, the question of whether these conditions apply only to the appli-
cant State or to both States parties to the case is irrelevant, and, in that
event, the case could equally well be brought before the Court jointly by
way of a special agreement or by a unilateral application by either one of
the two States concerned.

31. Let us suppose then that the two above conditions are both met: it
is then that the question of choosing one of the two possible interpreta-
tions of Article 35 regarding its scope of application arises. The advan-
tages and disadvantages of each of them must be considered, in particu-

lar with regard to their consequences.
32. The principal objection which comes to mind when considering the
interpretation whereby the conditions of access apply only to the appli-
cant and do not have to be fulfilled by the respondent, without this mean-
ing that the Court is prevented from exercising its jurisdiction, is that of

the dissymmetry, imbalance, or even inequality it appears to create
between the two opposing States.
33. One can indeed recall, in response to this objection, that whatever
the solution chosen, once proceedings have begun, in procedural terms,
the two parties will and must be treated with strict equality by the Court.

While this is true, it does not wholly answer the objection.

34. The consequence of an “asymmetrical” interpretation of Article 35
appears to be that, for two States bound by a compromissory clause,
where one of them fulfils the conditions of access but the other not, the

former could take the initiative to bring the latter before the Court (since
it has standing to do so), while the converse will not apply: is that not a
breach of the fundamental principles of the equality but also as the reci-
procity of the rights of States, principles which must be applied as much

in bringing a case before the Court as in the course of the proceedings?

35. However, on further reflection, that objection is not convincing at
all, since the inequality which it exposes is merely apparent. Indeed, there
is nothing to stop a State which is a party to a treaty containing a com-

promissory clause and which seeks to apply it in order to resolve a given
dispute from positioning itself so as to have access to the Court by ful-
filling the conditions laid down by Article 35, paragraph 2, and the Secu-
rity Council resolution to which that paragraph refers.

To do so, that State, which we are assuming is not a party to the Stat-

127536 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. ABRAHAM )

au Statut — dépose au Greffe de la Cour une déclaration par laquelle il
accepte la juridiction de la Cour et s’engage à exécuter sa sentence (para-
graphe 1 de la résolution 9 (1946)). Cette déclaration peut être souscrite

pour les besoins du règlement d’un différend spécifique, déjà né (par. 2).
Elle peut être déposée à tout moment, et prend effet immédiatement.

36. Ainsi, dans l’interprétation «asymétrique» de l’article 35, il n’y a
aucune inégalité réelle entre les deux Etats liés entre eux par une clause

compromissoire: celui des deux qui ne remplit pas par avance les condi-
tions d’«accès à la Cour» mais qui souhaite porter un différend devant
cette dernière peut, et cela ne dépend que de lui, se placer en situation de
le faire.
37. Réfléchissons maintenant aux inconvénients que comporterait, en

sens inverse, l’interprétation «symétrique» de l’article 35, celle qui em-
pêche la Cour d’exercer sa compétence pour la seule raison que le défen-
deur ne remplit pas les conditions d’accès à la Cour.
38. Deux Etats sont liés par une clause compromissoire; supposons

que l’un d’eux remplisse les conditions d’accès à la Cour (par exemple
parce qu’il est Membre des Nations Unies et, par suite, partie au Statut
de la Cour), et l’autre non.
Le second Etat pourrait, à tout moment, mettre en œuvre la clause
compromissoire contre le premier, en déposant, pour les besoins de la

cause, la déclaration prévue par la résolution 9 (1946). Mais le premier ne
pourrait pas, par sa seule volonté, attraire le second devant la Cour:
il suffirait que le défendeur, s’il ne souhaite pas le procès, excipe de ce
qu’il ne remplit pas les conditions d’accès à la Cour pour se mettre à
l’abri de la juridiction obligatoire de celle-ci, nonobstant la clause

compromissoire.
39. Il en résulterait deux conséquences hautement dommageables.
40. En premier lieu, l’interprétation dite «symétrique» de l’article 35,
qui paraît séduire une grande partie de la doctrine — et peut-être la Cour
elle-même — en raison même de son caractère symétrique, introduit en

fait une inégalité réelle entre les Etats .
Elle n’est symétrique qu’en apparence: elle produit en réalité — ou
peut produire — des conséquences dissymétriques.
41. En second lieu, elle permet à un Etat non partie au Statut mais qui

serait néanmoins lié par un traité comportant une clause compromissoire
attribuant, en cas de différend, compétence à la Cour (il n’y a aucune
contradiction ni impossibilité juridique dans une telle situation) de ne pas
respecter ladite clause compromissoire chaque fois qu’il ne le souhaite
pas, en s’abstenant de remplir les conditions d’accès à la Cour. En

d’autres termes, cette interprétation de l’article 35 permet à un Etat de
respecter ou non, à sa guise, une clause conventionnelle dont le respect
constitue pourtant pour lui une obligation juridique internationale.
Peut-on raisonnablement supposer que les auteurs de l’article 35 du
Statut ont voulu parvenir à un tel résultat ou même simplement le rendre

possible?

128 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. ABRAHAM ) 536

ute, merely has to file with the Registry of the Court a declaration by
which it accepts the jurisdiction of the Court and undertakes to comply
with its decision (resolution 9, para. 1). Such a declaration may be signed

for the purposes of resolving a particular dispute which has already
arisen (ibid., para. 2). It can be submitted at any time and takes immedi-
ate effect.
36. Thus, in the “asymmetrical” interpretation of Article 35, there is
no real inequality between the two States bound by a compromissory

clause: the one which does not already fulfil the conditions of “access to
the Court” but which seeks to bring a dispute before it can — and it
alone can decide this — enable itself to do so.

37. Let us now consider the disadvantages which, conversely, the

“symmetrical” interpretation of Article 35 would entail, the one which
prevents the Court from exercising its jurisdiction solely because the
respondent does not fulfil the conditions of access to the Court.
38. Two States are bound by a compromissory clause; let us suppose

that one of them fulfils the conditions of access to the Court (because, for
example, it is a Member of the United Nations, and therefore a party to
the Statute of the Court), while the other does not.
The second State could, at any point, implement the compromissory
clause against the first by, for the purposes of the case, filing the declara-

tion laid down by resolution 9 of 1946. But the first State could not solely
of its own volition bring the second before the Court: all the respondent
would need to do, if it did not want such proceedings, would be to plead
that it did not fulfil the conditions of access to the Court in order to put
itself beyond its compulsory jurisdiction, notwithstanding the comprom-

issory clause.
39. Two highly prejudicial consequences would flow from this.
40. First, what we have termed the “symmetrical” interpretation of
Article 35, which a large section of scholarly opinion (and possibly the
Court itself) appears to favour, owing to its symmetrical nature, actually

creates real inequality between the States .
It is symmetrical in appearance only: in reality it leads (or can lead) to
dissymmetrical consequences.
41. Second, it enables a State which is not a party to the Statute, but

which is nonetheless bound by a treaty containing a compromissory
clause attributing jurisdiction to the Court in the event of a dispute (there
is no contradiction or legal impossibility in such a situation), not to com-
ply with that compromissory clause every time that it chooses not to, by
refraining from satisfying the conditions of access to the Court. In other

words, this interpretation of Article 35 enables a State to comply or not
to comply, as it sees fit, with a treaty clause, compliance with which none-
theless constitutes an international legal obligation .
Can we reasonably suppose that those who drafted Article 35 of the
Statute sought to achieve such a result or simply to make it possible?

128537 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. ABRAHAM )

Peut-on retenir une interprétation d’une disposition conventionnelle
(l’article 35 du Statut) qui aboutit à vider de toute portée effective
d’autres dispositions conventionnelles (les clauses compromissoires des

traités auxquels sont parties des Etats non parties au Statut de la Cour)?
Peut-on, en somme, retenir une interprétation du droit qui permet à un
Etat de ne pas honorer une obligation juridique?
Ce serait, me semble-t-il, gravement incohérent. C’est pourtant ce que
suggère, entre les lignes, l’arrêt que la Cour vient de rendre.

42. On pourra m’objecter que le respect par les Etats parties à un traité
de la clause compromissoire figurant dans celui-ci est une chose, et
l’application par la Cour des conditions de compétence découlant de son
Statut en est une autre; et que, par conséquent, pour regrettable que soit

le comportement d’un défendeur qui n’accepte pas la compétence de la
Cour alors qu’il est lié vis-à-vis du demandeur par une clause compro-
missoire, cela n’autorise pas la Cour, néanmoins, à retenir sa compétence
si le défendeur n’est pas partie à son Statut et n’a pas souscrit la déclara-

tion prévue par la résolution 9 (1946), et que ledit Statut subordonne la
compétence de la Cour à ce que l’une ou l’autre de ces conditions soit
remplie.
Je serais prêt à accueillir l’argument, en dépit de son caractère éminem-
ment abstrait et formaliste, et du caractère fâcheux des conséquences qui

en découlent, si l’article 35 du Statut était tellement clair et catégorique
qu’il ne laisse raisonnablement place à aucune interprétation autre que
celle qui impose, pour que la Cour puisse exercer sa compétence, que les
deux parties remplissent les conditions qui y sont stipulées. Mais, préci-
sément, je crois avoir démontré plus haut que tel n’est certainement pas le

cas: et la lettre du texte et les travaux préparatoires vont plutôt dans le
sens de l’interprétation contraire.
43. Poursuivons plus loin le raisonnement. Si l’on admet, pour un ins-
tant, l’interprétation de l’article 35 contraire à celle que je préconise, il en
résulte que le comportement du défendeur non partie au Statut de la

Cour et qui s’abstient de déposer la déclaration prévue par la résolu-
tion 9 (1946) — ce qu’il a toujours la possibilité de faire — alors qu’il
est lié par une clause compromissoire attribuant compétence à la Cour
constitue une violation, par ce défendeur, de la clause compromissoire,

puisqu’il tend à faire échec à la compétence de la Cour que le défendeur
a pourtant acceptée comme une obligation en devenant partie au traité.
En présence d’une telle situation, la Cour devrait-elle accepter, en se
déclarant incompétente, de faire produire à un comportement illicite le
résultat même que l’auteur de ce comportement — notre défendeur hypo-

thétique, mais pas tant que ça d’ailleurs — vise à atteindre? Je me per-
mets de suggérer que ce serait pousser un peu loin le goût naturel des
juristes pour les raisonnements abstraits, dussent-ils aboutir à des consé-
quences contraires aux exigences élémentaires du droit et du bon sens
conjugués.

44. Aussi suis-je conduit aux conclusions suivantes:

129 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP.OP .ABRAHAM ) 537

Can we accept an interpretation of a treaty provision (Article 35 of the
Statute) which ultimately means stripping other treaty provisions (the
compromissory clauses of treaties to which States not parties to the Stat-

ute of the Court are parties) of any actual meaning?
In short, can we accept an interpretation of the law which enables a
State not to honour a legal obligation?
That would, as I see it, be seriously illogical. Yet it is what is suggested,
reading between the lines, by the Judgment which the Court has just

delivered.
42. It might be objected that compliance with a compromissory clause
by States which are parties to the treaty in which it is contained is one
thing, while the application by the Court of the conditions of jurisdiction
arising from its Statute is another; and that, consequently, regrettable

though the conduct of a respondent which does not accept the jurisdic-
tion of the Court though bound vis-à-vis the applicant by a compromis-
sory clause may be, nonetheless that does not authorize the Court to
uphold its jurisdiction if the respondent is not a party to the Statute and

has not signed the declaration provided for by resolution 9 of 1946 and
that the said Statute makes the jurisdiction of the Court subject to the
fulfilment of one or other of those conditions.
I would be willing to accept such an argument, despite its highly
abstract and formalistic character and the regrettable nature of the con-

sequences stemming from it, if Article 35 of the Statute was sufficiently
clear and categorical as to leave no reasonable room for any interpreta-
tion other than the one which requires both parties to fulfil the conditions
laid down in it for the Court to be able to exercise its jurisdiction. But,
precisely, I believe I have shown above that this is certainly not the case:

both the actual text and the travaux préparatoires tend, if anything, to
support the opposite interpretation.
43. Let us pursue this line of reasoning. If we accept, for the time
being, the opposite interpretation of Article 35 to the one I propose, it
follows that the conduct of the respondent which is not a party to the

Statute of the Court and which refrains from filing the declaration laid
down by resolution 9 of 1946 (which it is always free to do), when it is
bound by a compromissory clause attributing jurisdiction to the Court,
constitutes a violation, by that respondent, of the compromissory clause,

as it seeks to foil the jurisdiction of the Court which the respondent never-
theless accepted as an obligation on becoming a party to the treaty.
Faced with such a situation, should the Court, by declaring that it lacks
jurisdiction, agree to allow this unlawful conduct to produce the very
outcome which the perpetrator of that conduct (our hypothetical, or per-

haps not so hypothetical, respondent) seeks to attain? I venture to sug-
gest that would be allowing a little too much rein to jurists’ natural
propensity for abstract reasoning, were that to lead to consequences at
variance with the elementary requirements of the law and common sense
combined.

44. I thus come to the following conclusions:

129538 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. ABRAHAM )

La règle fondamentale posée par l’article 34 du Statut s’applique évi-
demment tant à la partie demanderesse qu’à la partie défenderesse: pour
apparaître devant la Cour comme partie à une instance, en quelque qua-

lité que ce soit, il faut être un Etat.
En revanche, les «conditions d’accès» définies aux paragraphes 1 et 2
de l’article 35 s’appliquent:

— aux deux Etats parties au différend, si la Cour est saisie par eux
conjointement;
— à l’Etat demandeur seulement, si la Cour est saisie par voie de requête
unilatérale.

*
* *

45. La Cour aurait pu, dans le présent arrêt, choisir de suivre la voie
ainsi tracée. Il en serait résulté deux conséquences à mes yeux positives.
En premier lieu, la Cour n’aurait pas eu besoin d’entrer dans la question
particulièrement complexe de savoir si et pour quelles raisons la réalisa-

tion des conditions d’«accès à la Cour» — que le défendeur ne remplis-
sait pas, l’arrêt le constate, à la date d’introduction de la requête — pou-
vait être appréciée en l’espèce en se plaçant à une date postérieure, alors
qu’en règle générale la jurisprudence exige que les conditions qui com-
mandent la compétence de la Cour soient satisfaites au moment où la

procédure est engagée. En second lieu, la solution que nous suggérons
aurait permis de faire apparaître que, contrairement à ce qu’ont pensé et
écrit nombre de commentateurs, il n’y avait nulle contradiction entre la
position adoptée par la Cour dans son arrêt de 1996 sur les exceptions
préliminaires en l’affaire Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro

(alors dénommée RFY) et la position adoptée dans les arrêts de 2004, sur
les exceptions préliminaires également, dans les affaires opposant la
Serbie-et-Monténégro à divers Etats membres de l’OTAN. Si la Cour s’est
déclarée compétente dans le premier cas et incompétente dans le second,
on ne saurait lui faire grief de s’être contredite si l’on considère que la

condition qui faisait défaut à la Serbie, Etat requérant, dans les affaires
examinées en 2004, n’était tout simplement pas applicable au même Etat,
en position de défendeur, dans l’affaire au sujet de laquelle la Cour a sta-
tué en 1996. Au contraire, la motivation retenue par la Cour dans le pré-

sent arrêt fait inévitablement ressortir que l’arrêt rendu en 1996 sur sa
compétence en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie) (exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II) ,
p. 595) était erroné. Si en effet la condition de l’«accès à la Cour» au sens

de l’article 35 du Statut est applicable aussi bien au défendeur qu’au
demandeur — ce que le présent arrêt laisse assez nettement entendre sans
le dire expressément — , alors la Cour aurait dû se déclarer incompétente
en 1996, puisque: 1) la RFY n’était pas à cette date partie au Statut, et ne
remplissait aucune des conditions d’accès à la Cour; 2) la question étant

d’ordre public, la Cour aurait dû la soulever d’office, comme cela ressort

130 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. ABRAHAM ) 538

The fundamental rule laid down by Article 34 of the Statute obviously
applies to both the applicant and the respondent: in order to appear
before the Court as a party to proceedings in any capacity whatever, a

party must be a State.
However, the “conditions of access” defined by Article 35, paragraphs 1
and 2, apply to:

— both parties to the dispute, if the case is brought before the Court
jointly by them;
— to the respondent alone, if the case is brought before the Court by a
unilateral application.

*
* *

45. In the present Judgment, the Court could have chosen to follow
the path I have outlined. Two, in my view, positive consequences would
have followed. In the first place, the Court would not have needed to
enter into the particularly complex question of whether and for what rea-

sons the fulfilment of the conditions of “access to the Court” (which, as
the Judgment notes, the Respondent did not meet on the date when the
Application was filed) could be evaluated in the present case by viewing
them from the perspective of a later date, when, as a general rule, juris-
prudence requires that the conditions governing the jurisdiction of the

Court must be fulfilled at the time when proceedings are initiated. Sec-
ond, the solution we suggest would have made it possible to demonstrate
that, contrary to the thoughts and writings of numerous commentators,
there was no contradiction between the position adopted by the Court in
its 1996 Judgment on the preliminary objections in the Bosnia and Herze-

govina v. Serbia and Montenegro (then known as the FRY) case and the
position adopted in the 2004 Judgments, also on preliminary objections,
in the cases between Serbia and Montenegro and various NATO Mem-
ber States. If the Court had found that it had jurisdiction in the first case
and not in the second raft of cases, it could not be criticized for contra-

dicting itself, bearing in mind that the condition which was not met by
Serbia, the applicant State in the cases examined in 2004, was simply not
applicable to that State, in its capacity as the Respondent, in the case on
which the Court ruled in 1996. On the contrary, the reasoning adopted

by the Court in the present Judgment inevitably reveals the erroneous-
ness of the Judgment delivered in 1996 on its jurisdiction in the case con-
cerning Application of the Convention on the Prevention and Punishment
of the Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Yugoslavia, Pre-
liminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1996 (II) , p. 595). Indeed

if the condition of “access to the Court’ within the meaning of Article 35
of the Statute is as applicable to the respondent as it is to the applicant,
which is what the present Judgment quite clearly suggests, without
expressly saying so, the Court should have ruled that it lacked jurisdic-
tion in 1996, as (1) the FRY was not on that date a party to the Statute,

and did not fulfil any of the conditions of access to the Court; (2) as the

130539 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .ABRAHAM )

des motifs de l’arrêt de 2007 rendu au fond dans la même affaire, rappe-
lés au paragraphe 68 du présent arrêt; et 3) le défaut d’«accès à la Cour»
de la part d’une partie à laquelle cette exigence est applicable fait obstacle

à ce que la Cour soit compétente.

46. On pourra dire, il est vrai, que, si la Cour s’est trompée en 1996,
c’est qu’elle avait à l’époque quelques raisons de ne pas y voir clair dans
le statut de la RFY, la moindre d’entre elles n’étant pas que le défen-

deur lui-même se prévalait alors d’un statut qui n’était pas le sien, ou
plutôt qui s’est révélé par la suite — mais rétrospectivement — ne pas
être le sien.
Je regrette néanmoins que la Cour se soit abstenue d’adopter dans la
présente affaire une solution qui, outre qu’elle repose sur les solides argu-

ments juridiques ci-dessus exposés, aurait évité de faire passer pour
erroné l’un de ses arrêts antérieurs, et non des moindres, puisque c’est sur
la base de l’autorité de chose jugée dont il était revêtu que s’est ensuite
appuyée la Cour pour statuer au fond et retenir, pour la première fois, la

responsabilité internationale d’un Etat pour violation de la convention
sur le génocide.
47. Cependant, la voie qu’a décidé d’emprunter la Cour pour justifier
sa compétence en la présente affaire, à partir de la prémisse implicite (et,
on l’aura compris, à mes yeux erronée) que le défendeur aussi doit satis-

faire aux conditions d’«accès à la Cour», ne me paraît pas en soi criti-
quable. J’estime toutefois que la Cour s’est arrêtée en chemin dans son
raisonnement, et que, ce faisant, elle a ouvert dangereusement la porte à
la remise en cause d’un des principes les mieux établis de sa jurisprudence
en matière de compétence. Je m’explique.

48. Le défendeur n’avait pas «accès à la Cour» à la date d’introduc-
tion de l’instance, le 2 juillet 1999, n’étant pas à cette date partie au Statut
de la Cour, ni en qualité de membre des Nations Unies — il ne l’était pas
encore — ni à un autre titre. Tel est le point de départ du raisonnement,
conforme aux arrêts rendus en 2004 dans les affaires opposant la Serbie-

et-Monténégro à huit Etats membres de l’OTAN. Quelles que soient les
critiques que l’on ait pu adresser à l’époque à ces arrêts — et l’on sait que
certaines de ces critiques se sont élevées du sein même de la Cour — , il
est légitime que la Cour, à présent, ne souhaite pas remettre en cause une

solution mûrement délibérée et aussi récemment adoptée. Je ne peux
qu’approuver le souci de continuité de la jurisprudence, qui ne doit céder
qu’en présence de raisons particulièrement fortes, que la Cour n’a pas
aperçues ici, et je partage ce point de vue.

49. Mais alors, la Cour s’est trouvée confrontée à un principe impor-
tant, celui selon lequel les conditions de sa compétence doivent être réu-
nies à la date de l’introduction de l’instance. Il suffit qu’elles le soient à
cette date — peu importe qu’elles, ou certaines d’entre elles, viennent à
disparaître par la suite; mais il faut qu’elles le soient à cette date —, il

n’est pas suffisant, en règle générale, qu’elles soient satisfaites postérieu-

131 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP.OP .ABRAHAM ) 539

question was one of ordre public, the Court should have raised it ex offi-
cio, as is apparent from the reasoning of the 2007 Judgment on the merits
in the same case, as recalled in paragraph 68 of the present Judgment;

and (3) the lack of “access to the Court” for a party to which that
requirement applies prevents the Court from having jurisdiction.
46. We could of course say that if the Court was mistaken in 1996, it
was because there were certain reasons at that time for not clearly appre-
ciating the status of the FRY, not the least of which was the fact that the

Respondent itself at that point claimed a status which it did not possess,
or rather one that it was subsequently (but retrospectively) revealed not
to possess.
Nonetheless, I regret that the Court refrained in the present case from
adopting a solution which, besides being supported by the sound legal

arguments set out above, would have enabled it to avoid depicting as
erroneous one of its prior, and not least significant judgments, as it was
on the res judicata of that decision that the Court subsequently based
itself to rule on the merits and, for the first time, find that a State bore

international responsibility for violating the Genocide Convention.

47. However, the path which the Court has decided to follow to justify
its jurisdiction in the present case, based on the implicit (and, as will be
apparent, in my view mistaken) premise that the respondent must also

fulfil the conditions of “access to the Court”, does not seem to me open
to criticism as such. However, I consider that the Court did not follow its
reasoning through to the end, and has thus opened the door to the danger
of a challenge to one of the best-established principles of its jurispru-
dence with respect to jurisdiction. Let me explain.

48. The Respondent did not have “access to the Court” on the date
when the proceedings were instituted, on 2 July 1999, as it was not on
that date a party to the Statute of the Court, either as a Member of the
United Nations (which it had yet to become), or in any other capacity.
That is the starting-point of the reasoning, in accordance with the Judg-

ments delivered in 2004 in the case between Serbia and Montenegro and
eight NATO Members. Whatever criticisms might have been levelled at
those Judgments at the time (and we know that some of those criticisms
came from within the Court itself), it is legitimate for the Court, at

present, not to wish to call into question a solution that was carefully
considered and so recently adopted. I can only approve of the desire for
continuity in the jurisprudence, which should only yield in the face of
particularly cogent reasons, which the Court did not find here, rightly so
in my view.

49. But the Court was then confronted with an important principle,
namely that the conditions for its jurisdiction must be met on the date
when the proceedings are instituted. They only need to exist on that date
(no matter if all or some of them subsequently evaporate); they must,
however, do so on that date — as a general rule, it is not enough for them

to be satisfied at a later point, namely during the course of the proceed-

131540 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. ABRAHAM )

rement, c’est-à-dire en cours d’instance. C’est ce qu’expliquent fort clai-
rement les paragraphes 79 et 80 de l’arrêt. A s’en tenir à ce principe, la

Cour aurait dû décliner sa compétence, car le défendeur n’a acquis la
capacité de participer à une procédure (l’«accès à la Cour») que le
1er novembre 2000, soit après l’introduction de l’instance.

50. Toutefois, la Cour se réfère à un courant jurisprudentiel issu de
l’arrêt rendu le 30 août 1924 par la Cour permanente de Justice interna-
tionale dans l’affaire des Concessions Mavrommatis en Palestine (arrêt
n 2, 1924, C.P.J.I. série A n 2), qui permet d’assouplir l’application du

principe précité dans un souci de réalisme et de bonne administration de
la justice. Cette jurisprudence est bien analysée aux paragraphes 82 à 87
de l’arrêt. En résumé, elle consiste en ce que, lorsque les conditions qui
commandent la compétence de la Cour ne sont pas, ou pas toutes, rem-

plies à la date d’introduction de l’instance, mais qu’elles le sont plus tard,
et avant que la Cour ne statue sur sa compétence, la Cour ne retient pas
l’exception d’incompétence et ne rejette pas la requête, dans un souci
d’«économie de procédure» — en vue d’«éviter la multiplication inutile

des procédures» (comme le dit le paragraphe 89 de l’arrêt). En effet, reje-
ter la requête dans une telle hypothèse aboutirait à obliger le demandeur
à introduire une nouvelle requête qui ne se heurterait à aucune objection
puisque, à la date de son introduction, les conditions de compétence qui
faisaient initialement défaut seraient satisfaites. Ce serait une perte de

temps inutile: en fin de compte, la Cour serait bien obligée d’examiner
l’affaire au fond — il est alors de bonne administration de la justice
qu’elle accepte de le faire sans attendre.
51. C’est de cette jurisprudence que la Cour a entendu s’inspirer en

l’espèce, l’arrêt l’indique explicitement. Mais, à mon avis, elle n’est pas
allée jusqu’au bout de son raisonnement.
En effet, pour pouvoir appliquer la doctrine Mavrommatis, la Cour
aurait dû établir qu’aujourd’hui la Croatie pourrait si elle le souhaitait

introduire contre la Serbie une nouvelle requête identique en substance à
la précédente, et qui ne se heurterait à aucune objection quant à la com-
pétence de la Cour. C’est en effet cette éventualité, et elle seule, qui jus-
tifie la dérogation au principe fondamental selon lequel la compétence

s’apprécie à la date de l’introduction de l’instance — puisque cette déro-
gation vise à faire l’économie d’une nouvelle procédure qui allongerait,
sans utilité réelle, la durée du contentieux.
Pour cela, il aurait fallu que la Cour constate que, à l’heure actuelle,

non seulement la Croatie et la Serbie sont toutes deux parties au Statut
de la Cour — cela est aussi indiscutable qu’indiscuté — mais aussi que
toutes deux sont liées par l’article IX de la convention sur le génocide
— ce que la Serbie conteste fortement.
52. Mais, pour des raisons qui me demeurent inexplicables, la Cour

n’a pas estimé devoir se prononcer sur ce dernier point, ce qui eût néces-
sité de prendre parti sur les effets juridiques de l’acte d’«adhésion» à la
Convention accompli par la RFY le 6 mars 2001, assorti d’une réserve

132 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP.OP .ABRAHAM ) 540

ings. This is what is very clearly explained by paragraphs 79 and 80 of the
Judgment. To abide by that principle, the Court would have had to
declare that it lacked jurisdiction, as the Respondent did not acquire

standing to take part in proceedings (“access to the Court”) until
1 November 2000, that is, after the date when proceedings were insti-
tuted.
50. However, the Court refers to a strand of its case law originating in
the Judgment delivered on 30 August 1924 by the Permanent Court of

International Justice in the Mavrommatis Palestine Concessions (Judg-
ment No. 2, 1924, P.C.I.J., Series A, No. 2) case, which allows for
greater flexibility in the application of the aforementioned principle, in
the interests of realism and the sound administration of justice. This deci-
sion is thoroughly analysed in paragraphs 82 to 87 of the Judgment. In

short, when the conditions governing the jurisdiction of the Court are not
met, or not met in full, on the date when proceedings are instituted, but
are met later, before the Court has ruled on its jurisdiction, the Court
does not uphold the objection to its jurisdiction and does not dismiss the

application, out of a concern for “judicial economy” — with a view to
preventing “the needless proliferation of proceedings” (as indicated in
paragraph 89 of the Judgment). For, dismissing an application in such
circumstances would result in obliging the applicant to file a new applica-
tion, to which no objection could be made as, on the date of its filing, the

conditions of jurisdiction initially lacking would be met. It would be a
pointless waste of time: ultimately, the Court would be obliged to hear
the case on the merits anyway —the sound administration of justice dic-
tates that it should agree to do so forthwith.
51. It is from this decision that the Court has sought inspiration in the

present case, the Judgment says so explicitly. But in my opinion it did not
follow its reasoning through to the end.
To be able to apply the “Mavrommatis doctrine”, the Court should
have established that Croatia could now, if it so wished, submit a fresh
application against Serbia, identical in substance to the previous one, and

which would not meet with any objection concerning the jurisdiction of
the Court. It is in fact that possibility, and that possibility alone, which
justifies the derogation from the fundamental principle, whereby jurisdic-
tion is assessed on the date when the proceedings are instituted, since that

derogation is aimed at dispensing with fresh proceedings, which would
prolong the duration of the dispute to no real purpose.
For that, the Court would have had to conclude that, at present, not
only are Croatia and Serbia both parties to the Statute of the Court — a
fact as undeniable as it is undiscussed — but also that they are both

bound by Article IX of the Genocide Convention, which Serbia strongly
disputes.
52. But for reasons which for me remain inexplicable, the Court did
not consider that it had to rule on this last point, which would have
required it to take a position on the legal effects of the act of “accession”

to the Convention by the FRY on 6 March 2001, accompanied by a res-

132541 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. ABRAHAM )

visant à exclure, à l’égard de ce pays, l’article IX. L’arrêt indique expres-
sément, au contraire, mais sans bien expliquer pourquoi, qu’«[i]l n’y a

donc pas lieu pour la Cour de statuer sur un éventuel effet juridique de la
notification d’adhésion à la Convention par la Serbie, en date du
6 mars 2001» (arrêt, par. 96).
53. Au lieu de cela, l’arrêt se borne à constater que la Serbie est deve-
nue partie au statut de la Cour le 1 ernovembre 2000 — c’est incontes-

table — et que, à la même date, elle était liée par l’article IX de la
convention sur le génocide — puisque, selon l’analyse de la Cour,
la RFY est devenue partie à la Convention sans réserve, par voie de
succession, en 1992. A la date du 1 er novembre 2000, donc, toutes les

conditions de la compétence de la Cour étaient réunies, et, selon l’arrêt,
elles l’étaient de façon irrévocable: point n’est besoin de se demander
si elles continuent à l’être aujourd’hui.
54. Un tel raisonnement comporte deux défauts majeurs.
D’abord, il n’est pas fidèle à la jurisprudence Mavrommatis, puisque

celle-ci ne se justifie que par le souci d’éviter l’engagement inutile d’une
nouvelle procédure qui ne pourrait se heurter à aucune objection, les
conditions de la compétence de la Cour étant désormais satisfaites. Autre-
ment dit, tout en prétendant s’appuyer sur le courant jurisprudentiel issu

de Mavrommatis, la Cour en fait une application erronée et lui donne une
portée tout à fait nouvelle.
Mais il y a plus grave: avec le raisonnement retenu ici par la Cour, il ne
reste plus rien du principe — auquel pourtant l’arrêt rend un hommage
appuyé aux paragraphes 79 et 80 — selon lequel la compétence s’apprécie

normalement à la date d’introduction de l’instance. Il ressort en effet de
la motivation retenue que, pour que la Cour se déclare compétente, il
faut et il suffit que les conditions de sa compétence aient été réunies àun
moment quelconque depuis l’introduction de l’instance . Tant mieux si elles

l’étaient à cette dernière date; mais sinon, il suffit qu’elles l’aient été par
la suite, en cours d’instance, même un temps éphémère. Autrement dit,
les conditions de la compétence peuvent ne pas avoir été déjà remplies au
commencement de la procédure; elles peuvent ne plus l’être à la date où

la Cour statue sur sa compétence; on se satisfera qu’elles l’aient été à un
quelconque moment entre ces deux dates. C’est exactement ce dont la
Cour se satisfait ici: l’arrêt fait apparaître que les conditions n’étaient pas
remplies à la date d’introduction de l’instance; elles pourraient ne pas
l’être non plus à la date actuelle, puisque la Cour n’exclut pas que la

réserve de la Serbie à l’article IX aierpu produire effet à partir de 2001;
mais il suffit qu’elles l’aient été le 1 novembre 2000, quand bien même
elles auraient cessé de l’être le lendemain (ou quelques mois plus tard).

On n’est plus ici en présence d’une exception raisonnable à la règle
selon laquelle la compétence s’apprécie à la date d’introduction de l’ins-
tance. On est en présence d’une nouvelle règle: l’ancienne est anéantie. Il
ne sert à rien de chercher (ou de prétendre chercher) dans la jurispru-
dence Mavrommatis une dérogation possible à un principe maintenu. Le

133 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP.OP .ABRAHAM ) 541

ervation designed to deny Article IX any effect with respect to that coun-
try. On the contrary, the Judgment expressly states, without, however,
clearly explaining why, that “[i]t is thus not necessary for the Court to

make a finding as to any legal effect of the notification of accession to the
Convention by Serbia dated 6 March 2001” (Judgment, para. 96).
53. Instead of that, the Judgment confines itself to noting that Serbia
became a party to the Statute of the Court on 1 November 2000, which is
indisputable, and that on the same date, it was bound by Article IX of

the Genocide Convention, since, according to the analysis of the Court,
the FRY became a party to the Convention without reservations through
succession in 1992. On 1 November 2000, then, all the conditions for the
jurisdiction of the Court were met, and, according to the Judgment, were
so irrevocably: there is no need to wonder whether they continue to do so

at present.
54. This reasoning has two major shortcomings.
First, it is not consistent with the decision in the Mavrommatis case,
which is only justified by a concern to avoid the fruitless institution of

new proceedings which would not give rise to any objection, the condi-
tions for the jurisdiction of the Court now being fulfilled. In other words,
while claiming to base itself on the strand of case law deriving from the
Mavrommatis Judgment, the Court erroneously applies it and gives it
completely new scope.

What is more serious, however, is that with the reasoning adopted by
the Court in this case, nothing remains of the principle — to which, how-
ever, the Judgment pays strong tribute in paragraphs 79 and 80 —
according to which jurisdiction is normally assessed on the date when the
proceedings are instituted. And it follows from the reasoning adopted

that, for the Court to declare that it has jurisdiction, the conditions for its
jurisdiction must and need only have been met at some point following
the institution of proceedings . So much the better if they were met on the
latter date; but if not, they need only have been met subsequently, in the
course of proceedings, even if only briefly. In other words, the conditions

for jurisdiction may not have been met at the start of the proceedings;
they may no longer exist on the date when the Court rules on its juris-
diction; it will suffice that they were met at some point between those two
dates. That is exactly what the Court contents itself with here: the Judg-

ment shows that the conditions were not met on the date when the pro-
ceedings were instituted; they may no longer be met now, since the Court
does not rule out the possibility that Serbia’s reservation to Article IX
may have had legal effect from 2001; but it is sufficient that they were
met on 1 November 2000, even if they ceased to be so the following day

(or a few months later).
What we have here is no longer a reasonable exception to the rule
whereby jurisdiction is assessed on the date when the proceedings are
instituted. It is a new rule: the previous one has been abolished. There is
no point in seeking (or claiming to seek) a possible derogation from an

established principle in the Mavrommatis decision. Having abolished the

133542 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. ABRAHAM )

principe étant supprimé, la dérogation devient inutile, même si la Cour
persiste à affirmer, mais à tort, qu’elle s’inscrit dans la continuité de sa

jurisprudence.
55. Je pense que la Cour aurait pu facilement parvenir au même résul-
tat, tout en respectant la logique qui inspire la doctrine Mavrommatis.Il
lui aurait suffi de constater que, puisque la Serbie a été liée dès 1992, et
sans réserve, par la convention sur le génocide (et ce par voie de suc-

cession, voir le paragraphe 111 de l’arrêt), elle ne pouvait prétendre
«adhérer» à ce traité le 12 mars 2001, nul Etat ne pouvant adhérer à
un traité auquel il est déjà partie, et que, en conséquence, cette prétendue
adhésion était privée d’effet, de même que la réserve à l’article IX dont

elle était assortie. A supposer même que ladite réserve pût être regardée,
à la rigueur, comme une «réserve tardive» à un traité par lequel le
réservataire était déjà lié depuis longtemps, elle ne pouvait produire
aucun effet, au moins dans les relations entre la Serbie et la Croatie,
cette dernière ayant objecté.

Il en résulte qu’aujourd’hui la Croatie pourrait, si elle le souhaitait,
introduire une nouvelle requête, identique en substance à la précédente,
contre la Serbie, et cela justifie que la Cour, par application de la juris-
prudence Mavrommatis, accepte de passer outre au fait que les condi-

tions de sa compétence n’étaient pas remplies à la date où la procédure a
été engagée.
56. Bien entendu, je ne livre les réflexions qui précèdent qu’à titre
purement subsidiaire, puisque j’estime que la Cour aurait mieux fait
d’écarter l’objection de la Serbie, tirée de ce qu’elle n’avait pas «accès à la

Cour» en juillet 1999, pour la seule raison que les conditions stipulées à
l’article 35 du Statut ne sont pas applicables à une partie défenderesse.
C’est pourquoi j’ai voté sans hésitation en faveur du dispositif de
l’arrêt.

(Signé) Ronny A BRAHAM .

134 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. ABRAHAM ) 542

principle, the derogation becomes pointless, even if the Court persists in
asserting, mistakenly, that it falls within the continuity of its jurispru-

dence.
55. I think that the Court could easily have reached the same result,
while following the rationale on which the “Mavrommatis doctrine” is
based. The Court could simply have concluded that, as Serbia had been
bound by the Genocide Convention from 1992 without reservations (by

succession: see Judgment, paragraph 111), it could not claim to “accede”
to that treaty by its notification of 12 March 2001, as no State can accede
to a treaty to which it is already a party, and consequently the alleged
accession was ineffective, as was the reservation to Article IX which

accompanied it. Even supposing that that reservation could be regarded,
at the outside, as a “belated reservation” to a treaty by which the State
making the reservation had already long been bound, it could not pro-
duce any legal effect, at least in relations between Serbia and Croatia, the
latter having objected to it.

It follows thus that today Croatia could, if it wished, file a fresh appli-
cation against Serbia, identical in substance to the previous one, and this
justifies the willingness of the Court, in application of the jurisprudence
of the Mavrommatis decision, to overlook the fact that the conditions for

its jurisdiction were not fulfilled on the date when the proceedings were
instituted.
56. Of course, the above thoughts are offered only as obiter dicta, for
I believe the Court would have been better advised to set aside Serbia’s
objection derived from its lack of “access to the Court” in July 1999 on

the sole ground that the conditions laid down in Article 35 of the Statute
are not applicable to a respondent.
That is why I had no hesitation in voting in favour of the operative
clause of the Judgment.

(Signed) Ronny A BRAHAM .

134

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Document Long Title

Opinion individuelle de M. le juge Abraham

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