Opinion individuelle de M. le juge Al-Khasawneh, vice-président

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118-20081118-JUD-01-01-EN
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118-20081118-JUD-01-00-EN
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468

OPINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGE AL-KHASAWNEH,
VICE-PRÉSIDENT

[Traduction]

Accord avec le résultat — Désaccord quant au raisonnement — Erreur du
raisonnement par lequel la Cour conclut au défaut d’accès de la RFY — Ce
raisonnement trouve son origine dans les arrêts de 2004 — Source de confu-
sion — Les contradictions avec l’arrêt de 2007 n’ont guère été dissi-
pées — Elles ont simplement été masquées par le recours au principe de
l’autorité de la chose jugée — La majorité s’est vue contrainte de recourir
à une interprétation inédite dMavrommatis — Le nouveau raisonnement
ne mène nulle part — Un aspect fondamental de Mavrommatis fait défaut —

Le vice de procédure ne peut plus être corrigé en raison de la perte de la
compétence ratione materiae.

Je pense comme la majorité de la Cour que celle-ci est compétente pour
se prononcer sur le fond de l’affaire. Je regrette néanmoins de ne pouvoir
souscrire à certains points du raisonnement de la Cour. Jugeant ces dif-
férences suffisamment importantes pour qu’une explication soit justifiée,

je joins la présente opinion individuelle.
L’arrêt est fondé sur deux prémisses, dont aucune ne me semble convain-
cante: premièrement, la République fédérale de Yougoslavie (RFY)
n’aurait pas eu «accès» à la Cour entre le moment de sa création, le
27 avril 1992, et celui de son admission en tant que nouveau Membre de
er
l’Organisation des Nations Unies, le 1 novembre 2000; deuxièmement,
il pourrait néanmoins être remédié à ce défaut — fondamental aux yeux
de certains — moyennant une interprétation quelque peu originale du
principe dit Mavrommatis. Le premier de ces éléments du raisonne-
ment de la Cour n’est pas nouveau. Il provient des arrêts rendus en

2004 dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force,
où, s’éloignant de la jurisprudence précédemment établie dans des af-
faires connexes (Application de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie),
mesures conservatoires, ordonnance du 13 septembre 1993, C.I.J.
Recueil 1993; Application de la convention pour la prévention et la

répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II); Demande
en revision de l’arrêt du 11 juillet 1996 en l’affaire relative à l’ Application
de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires (Yougo-

slavie c. Bosnie-Herzégovine), arrêt, C.I.J. Recueil 2003) , la Cour
avait conclu, à la lumière de l’admission de la RFY en tant que «nou-
veau Membre» de l’ONU en 2000, que ce fait clarifiait rétroactivement
le statut jusque-là indéterminé de ce pays à l’égard de l’Organisation

60 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP.IND .AL -KHASAWNEH )469

des Nations Unies, révélant qu’il n’en avait pas été un membre dans la
période comprise entre 1992 et 2000 et n’avait donc pas qualité pour

ester devant la Cour («accéder à la Cour»).
J’ai déjà eu la possibilité de m’étendre assez longuement sur ces ques-
tions juridictionnelles (voir opinion dissidente du vice-président Al-
Khasawneh, notamment les paragraphes 11 à 16, dans l’affaire rela-
tive à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du

crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt,
C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 246-249). Il serait donc inutile de répéter ici
les arguments que j’ai fait valoir à cette occasion. Je me contenterai
de dire que, à mon humble avis, le raisonnement erroné suivi dans les

arrêts de 2004 est à l’origine de la grande confusion et des nombreuses
contradictions qui existent dans les arrêts de la Cour traitant des
conséquences de la désintégration de l’ex-République fédérative socia-
liste de Yougoslavie (la RFSY).
Dans l’arrêt de 2007 relatif à l’application de la convention sur le géno-

cide (ibid., p. 96-101, par. 129-138), où la Cour s’est déclarée compétente
(pour la deuxième fois, ayant déjà affirmé sa compétence en 1996), les
contradictions avec les arrêts de 2004 n’ont pas été dissipées sur le fond,
mais simplement masquées par le formalisme du principe de l’autorité

de la chose jugée. Dans la présente instance, où la partie demanderesse
n’est pas la même, le spectre des arrêts de 2004, libéré des chaînes du
principe de l’autorité de la chose jugée, est revenu nous hanter et,
au lieu de le taire à jamais, la Cour a décidé cette fois-ci de le ranimer
pour en faire l’une des prémisses de son arrêt. C’est regrettable, car

les implications morales et logiques de l’escamotage collectif de la RFY,
qui a duré huit années complètes alors que certains des crimes les
plus horribles — auxquels les dirigeants de cet Etat étaient mêlés —
étaient commis, ne sauraient représenter un point fort de l’histoire

de la Cour.
Au lieu de cela — et c’est ce qui me conduit à la deuxième prémisse
qui fonde le présent arrêt —, la majorité s’est lancée dans une inter-
prétation inédite du principe dit Mavrommatis (Concessions Mavrom-
o o
matis en Palestine, arrêt n 2, 1924, C.P.J.I. série A n 2, par. 34)
selon laquelle la Cour n’exigerait pas qu’une nouvelle requête soit
déposée s’il existait, à la date de l’introduction de l’instance, un défaut
procédural pouvant être corrigé par une action ultérieure du deman-
deur. Bien entendu, la majorité n’avait pas d’autre possibilité étant

donné, d’une part, l’inapplicabilité du principe de l’autorité de la
chose jugée et, d’autre part, son choix de maintenir la position exposée
dans les arrêts de 2004. Malheureusement, cette voie nouvelle, inspirée
de Mavrommatis, devait se révéler trop escarpée et en fin de compte,

selon moi, ne mener nulle part.
Un bref rappel des faits pertinents est utile. La Croatie a introduit la
présente instance le 2 juillet 1999, autrement dit à une période où la RFY
n’était pas, si l’on s’en tient à la logique des arrêts de 2004 et du présent
arrêt, un membre de l’Organisation des Nations Unies, et n’avait de ce

61 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. AL-KHASAWNEH ) 470

1
fait pas accès à la Cour . En novembre 2000, la RFY fut admise à l’Orga-
nisation des Nations Unies en qualité de Membre, ce qui remédia à ce
défaut d’accès et leva l’obstacle à la compétence ratione personae. Cepen-
dant, quelques mois plus tard, le 6 mars 2001, la RFY accomplit une for-

malité conventionnelle comprenant notamment le dépôt auprès du Secré-
taire général de l’Organisation des Nations Unies d’un «instrument
d’adhésion» à la convention sur le génocide. Depuis lors, la RFY main-
tient, revenant sur son opinion antérieure fondée sur la continuité, qu’elle

est uniquement devenue partie à la Convention par voie d’adhésion
en juin 2001. La Cour aurait perdu ainsi sa compétence ratione materiae
car l’«instrument d’adhésion» déposé par la RFY était assorti d’une
réserve aux termes de laquelle celle-ci «ne se consid[érait] pas liée par

l’article IX de la Convention» (arrêt, par. 94). Ainsi qu’il est rappelé au
paragraphe 94 de l’arrêt, la Croatie fit objection au motif que la RFY
«[était] déjà liée par la Convention depuis qu’elle [était] devenue l’un

des cinq Etats successeurs égaux de l’ex-RFSY». Il va sans dire que,
si la RFY n’était pas un Etat successeur mais un Etat continuateur
de la RFSY, cette «adhésion» ne serait pas plus valable pour autant.
Pour sa part, la Cour, comme elle le rappelle au paragraphe 102 et

comme la Croatie l’a fait observer, a affirmé six fois, en 1993 (deux
fois), 1996, 1999, 2003 et 2007, que la RFY était liée par la convention
sur le génocide.
Quoi qu’il en soit, ce qui nous intéresse directement en l’espèce, c’est

que, à moins que la réserve relative à la compétence ratione materiae de
la Cour ne soit pas valable, il n’est pas possible, même au prix d’un vaste
effort d’imagination, d’invoquer Mavrommatis. Un aspect fondamental
de Mavrommatis et d’autres affaires ultérieures à cette ancienne affaire

(Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume-Uni), exceptions préli-
minaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1963; Activités militaires et paramilitaires
au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),

compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984; Application de
la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1996 (II)) tenait à ce que, si un vice de procédure pouvait

être couvert par une action ultérieure, celle-ci était néanmoins inutile
pour des raisons d’économie judiciaire. La situation est différente en
l’espèce. La réserve à l’article IX formulée par la RFY en 2001 aura pour
conséquence d’empêcher une telle action ultérieure. Sans l’invalidation de

cette réserve, que l’arrêt évite, je ne vois pas comment la compétence
ratione materiae de la Cour peut être retenue sur la base d’un raisonne-
ment inspiré de l’affaire Mavrommatis.

1
L’accès en tant que non-membre prévu à l’alinéa 2) de l’article 35 du Statut a égale-
ment été bloqué en raison de l’interprétation faite en 2004 de l’expression «traités en
vigueur» (voir les paragraphes 99-114 de l’arrêt rendu en l’affaire relative à la Licéité de
l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Belgique), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 318-324).

62 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND. AL-KHASAWNEH ) 471

Je continue de croire que la RFY était un Etat continuateur de la
RFSY jusqu’en 2000 quand, de son propre gré, elle est devenue un

Etat successeur. Je pense aussi que la RFY était liée par la convention
sur le génocide, y compris l’article IX, en vertu de la ratification sans
réserve que la RFSY a donnée à cet instrument le 29 août 1950. Dans

ces conditions, je me suis associé à la majorité pour établir la compé-
tence de la Cour malgré mon désaccord respectueux mais profond avec
son raisonnement.

(Signé) Awn A L-K HASAWNEH .

63

Bilingual Content

468

SEPARATE OPINION OF VICE-PRESIDENT
AL-KHASAWNEH

Concurrence with result — Disagreement with reasoning — FRY lack of
access erroneous reasoning — Traceable to 2004 Judgment — Source of con-
fusion — Contradictions with 2007 not substantively resolved — Merely hidden
by res judicata — Majority forced to rely on novel interpretation of Mavrom-
matis — New reasoning leads nowhere — Crucial element in Mavrommatis
remains missing — Defect is not curable now because of loss of jurisdiction
ratione materiae.

I concur with the majority opinion that the Court possesses jurisdic-
tion to decide the present case on the merits. I regret, however, that there
are elements in the Court’s reasoning with which I cannot agree. Believ-
ing those differences to be important enough to warrant an explanation,

I append this separate opinion.
The Judgment is predicated on two premises neither of which I find
convincing: first, that the Federal Republic of Yugoslavia (FRY) had
no “access” to the Court from its inception on 27 April 1992 until its
admission as a new Member of the United Nations on 1 Novem-

ber 2000; and second, that this defect — fundamental in the eyes of
some — is nevertheless curable by the invocation of a somewhat unor-
thodox interpretation of the so-called Mavrommatis principle. The first
of these elements of the Court’s reasoning is not new. Its genesis is
located in the 2004 case concerning the Legality of Use of Force Judg-

ment(s) where the Court, departing from earlier closely-related juris-
prudence (Application of the Convention on the Prevention and Punish-
ment of the Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Yugoslavia),
Provisional Measures, Order of 13 September 1993, I.C.J. Reports
1993; Application of the Convention on the Prevention and Punishment
of the Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Yugoslavia),

Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1996 (II); Applica-
tion for Revision of the Judgment of 11 July 1996 in the Case concerning
Application of the Convention on the Prevention and Punishment
of the Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Yugoslavia),
Preliminary Objections, (Yugoslavv i. Bosnia and Herzegovin,a)Judgment,

I.C.J. Reports 2003), drew, from the fact of the 2000 admission
of the FRY to the United Nations as a “new Member”, the inference
that that fact clarified retroactively the hitherto amorphous status of
FRY membership in the United Nations, revealing that it had not been

60 468

OPINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGE AL-KHASAWNEH,
VICE-PRÉSIDENT

[Traduction]

Accord avec le résultat — Désaccord quant au raisonnement — Erreur du
raisonnement par lequel la Cour conclut au défaut d’accès de la RFY — Ce
raisonnement trouve son origine dans les arrêts de 2004 — Source de confu-
sion — Les contradictions avec l’arrêt de 2007 n’ont guère été dissi-
pées — Elles ont simplement été masquées par le recours au principe de
l’autorité de la chose jugée — La majorité s’est vue contrainte de recourir
à une interprétation inédite dMavrommatis — Le nouveau raisonnement
ne mène nulle part — Un aspect fondamental de Mavrommatis fait défaut —

Le vice de procédure ne peut plus être corrigé en raison de la perte de la
compétence ratione materiae.

Je pense comme la majorité de la Cour que celle-ci est compétente pour
se prononcer sur le fond de l’affaire. Je regrette néanmoins de ne pouvoir
souscrire à certains points du raisonnement de la Cour. Jugeant ces dif-
férences suffisamment importantes pour qu’une explication soit justifiée,

je joins la présente opinion individuelle.
L’arrêt est fondé sur deux prémisses, dont aucune ne me semble convain-
cante: premièrement, la République fédérale de Yougoslavie (RFY)
n’aurait pas eu «accès» à la Cour entre le moment de sa création, le
27 avril 1992, et celui de son admission en tant que nouveau Membre de
er
l’Organisation des Nations Unies, le 1 novembre 2000; deuxièmement,
il pourrait néanmoins être remédié à ce défaut — fondamental aux yeux
de certains — moyennant une interprétation quelque peu originale du
principe dit Mavrommatis. Le premier de ces éléments du raisonne-
ment de la Cour n’est pas nouveau. Il provient des arrêts rendus en

2004 dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force,
où, s’éloignant de la jurisprudence précédemment établie dans des af-
faires connexes (Application de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie),
mesures conservatoires, ordonnance du 13 septembre 1993, C.I.J.
Recueil 1993; Application de la convention pour la prévention et la

répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II); Demande
en revision de l’arrêt du 11 juillet 1996 en l’affaire relative à l’ Application
de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires (Yougo-

slavie c. Bosnie-Herzégovine), arrêt, C.I.J. Recueil 2003) , la Cour
avait conclu, à la lumière de l’admission de la RFY en tant que «nou-
veau Membre» de l’ONU en 2000, que ce fait clarifiait rétroactivement
le statut jusque-là indéterminé de ce pays à l’égard de l’Organisation

60469 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION SEP. OP. AL-KHASAWNEH )

a United Nations Member in the period 1992-2000 and thus lacked the
capacity (access) to appear before the Court.

I have already had occasion to discuss these jurisdictional issues in a
somewhat lengthy and detailed manner (see dissenting opinion of
Judge Al-Khasawneh (especially paras. 11-16) in the case concerning the
Application of the Convention on the Prevention and Punishment of the
Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Serbia and Montenegro),

Judgment, I.C.J. Reports 2007 (I) , pp. 246-249), and no purpose would
be served by repeating those arguments. Suffice it to say that in my
respectful opinion the erroneous reasoning in the 2004 Judgment has
been the source of much confusion and contradictions in the Court’s
judgments dealing with the aftermath of the disintegration of the former

Socialist Republic of Yugoslavia (the SFRY).

In the 2007 Genocide Judgment (ibid., pp. 96-101, paras. 129-138),
where the Court upheld its jurisdiction (for the second time, the first

being in 1996), the contradictions with the 2004 Judgment were not sub-
stantively resolved but merely obscured by the formalism of res judicata.
In the present judgment, in which the Applicant is different, the ghost of
the 2004 Judgment, freed from the shackles of res judicata, is back to
haunt us, and rather than putting it this time to rest beyond revivication,

the Court chose in fact to revive it, making it one of the premises on
which the present Judgment is constructed. This is regrettable as the
moral and logical implications of the collective disappearing act of the
FRY for eight full years, while some of the most horrible crimes occurred,
and in which its leaders were implicated, cannot represent a high point in

the history of this Court.

Instead — and this leads me to the second premise on which this Judg-
ment is predicated — the majority embarked on a novel interpretation of

the so-called Mavrommatis principle (Mavrommatis Palestine Conces-
sions, Judgment No. 2, 1924, P.C.I.J., Series A, No. 2 , para. 34) accord-
ing to which the Court would not insist on a new application if, at the
time of institution of proceedings, a procedural defect curable by a sub-

sequent action of the applicant existed. Of course, no other option was
open to the majority given the inapplicability of res judicata and the
choice they made with regard to maintaining the 2004 Judgment. Unfor-
tunately, this new line of reasoning, based on Mavrommatis, was to
prove exceedingly arduous and ultimately, in my respectful opinion, to

lead nowhere.

A brief recollection of pertinent developments is useful: Croatia insti-
tuted proceedings on 2 July 1999, i.e., in the period during which the
FRY was not, according to the logic of the 2004 Judgment and

the present one, a United Nations Member, and hence lacked access to

61 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP.IND .AL -KHASAWNEH )469

des Nations Unies, révélant qu’il n’en avait pas été un membre dans la
période comprise entre 1992 et 2000 et n’avait donc pas qualité pour

ester devant la Cour («accéder à la Cour»).
J’ai déjà eu la possibilité de m’étendre assez longuement sur ces ques-
tions juridictionnelles (voir opinion dissidente du vice-président Al-
Khasawneh, notamment les paragraphes 11 à 16, dans l’affaire rela-
tive à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du

crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt,
C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 246-249). Il serait donc inutile de répéter ici
les arguments que j’ai fait valoir à cette occasion. Je me contenterai
de dire que, à mon humble avis, le raisonnement erroné suivi dans les

arrêts de 2004 est à l’origine de la grande confusion et des nombreuses
contradictions qui existent dans les arrêts de la Cour traitant des
conséquences de la désintégration de l’ex-République fédérative socia-
liste de Yougoslavie (la RFSY).
Dans l’arrêt de 2007 relatif à l’application de la convention sur le géno-

cide (ibid., p. 96-101, par. 129-138), où la Cour s’est déclarée compétente
(pour la deuxième fois, ayant déjà affirmé sa compétence en 1996), les
contradictions avec les arrêts de 2004 n’ont pas été dissipées sur le fond,
mais simplement masquées par le formalisme du principe de l’autorité

de la chose jugée. Dans la présente instance, où la partie demanderesse
n’est pas la même, le spectre des arrêts de 2004, libéré des chaînes du
principe de l’autorité de la chose jugée, est revenu nous hanter et,
au lieu de le taire à jamais, la Cour a décidé cette fois-ci de le ranimer
pour en faire l’une des prémisses de son arrêt. C’est regrettable, car

les implications morales et logiques de l’escamotage collectif de la RFY,
qui a duré huit années complètes alors que certains des crimes les
plus horribles — auxquels les dirigeants de cet Etat étaient mêlés —
étaient commis, ne sauraient représenter un point fort de l’histoire

de la Cour.
Au lieu de cela — et c’est ce qui me conduit à la deuxième prémisse
qui fonde le présent arrêt —, la majorité s’est lancée dans une inter-
prétation inédite du principe dit Mavrommatis (Concessions Mavrom-
o o
matis en Palestine, arrêt n 2, 1924, C.P.J.I. série A n 2, par. 34)
selon laquelle la Cour n’exigerait pas qu’une nouvelle requête soit
déposée s’il existait, à la date de l’introduction de l’instance, un défaut
procédural pouvant être corrigé par une action ultérieure du deman-
deur. Bien entendu, la majorité n’avait pas d’autre possibilité étant

donné, d’une part, l’inapplicabilité du principe de l’autorité de la
chose jugée et, d’autre part, son choix de maintenir la position exposée
dans les arrêts de 2004. Malheureusement, cette voie nouvelle, inspirée
de Mavrommatis, devait se révéler trop escarpée et en fin de compte,

selon moi, ne mener nulle part.
Un bref rappel des faits pertinents est utile. La Croatie a introduit la
présente instance le 2 juillet 1999, autrement dit à une période où la RFY
n’était pas, si l’on s’en tient à la logique des arrêts de 2004 et du présent
arrêt, un membre de l’Organisation des Nations Unies, et n’avait de ce

61470 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP.OP .AL KHASAWNEH )

the Court ; in November 2000 the FRY was admitted as a new Member

to the United Nations thereby curing this lack of access and removing the
obstacle to jurisdiction ratione personae ; however a few months later, on
6 March 2001, the FRY undertook treaty action which included the
depositing with the Secretary-General of the United Nations of an “instru-

ment of accession” to the Genocide Convention. It has since maintained,
in a reversal of its earlier position based on continuity, that it only
became a party to that Convention by accession in June 2001. Jurisdic-
tion ratione materiae was now lost because the FRY “instrument of

accession” contained a reservation to the effect that the FRY “does not
consider itself bound by Article IX of the Convention” (Judgment,
para. 94). As the Judgment recalls in paragraph 94, Croatia objected on
the ground that the FRY “‘is already bound by the Convention since its

emergence as one of the five equal successor States’ of the former SFRY”.
It goes without saying that if the FRY was not a successor but a con-
tinuator of the SFRY the “accession” would be equally invalid. For its
part the Court, as recalled in paragraph 102 and as submitted by Croatia,

affirmed on six occasions that the FRY was bound by the Genocide Con-
vention in 1993 (twice), 1996, 1999, 2003, and 2007.

Be that as it may, what is of direct interest now is that unless the res-
ervation pertaining ratione materiae to the Court’s jurisdiction is invalid,
it would not be possible by any stretch of the legal imagination to invoke

Mavrommatis. A crucial element in Mavrommatis, and in other cases
which follow that old case (Northern Cameroons (Cameroon v. United
Kingdom), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1963;
Military and Paramilitary Activities in and against Nicaragua (Nicara-

gua v. United States of America), Jurisdiction and Admissibility, Judg-
ment, I.C.J. Reports 1984; Application of the Convention on the Preven-
tion and Punishment of the Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina
v. Yugoslavia), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports

1996 (II)), is that a procedural defect is curable by subsequent action
which is nevertheless deemed unnecessary in view of considerations of
judicial economy. The situation in the present case is different. The res-
ervation to Article IX introduced by the FRY in 2001 will act to bar such

a subsequent action. Without the invalidation of the reservation to Arti-
cle IX which the Judgment avoids, I cannot see how the ratione materiae
element of the Court’s jurisdiction can be upheld on the basis of reason-
ing based on Mavrommatis.

1Access as a non-Member under Article 35 (2) was also blocked by the interpretation
given in 2004 to the phrase “treaties in force” (see pp. 318-324, paragraphs 99-114 of the
case concerning Legality of Use of Force (Serbia and Montenegro v. Belgium), Prelimi-
nary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2004 (I) ).

62 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. AL-KHASAWNEH ) 470

1
fait pas accès à la Cour . En novembre 2000, la RFY fut admise à l’Orga-
nisation des Nations Unies en qualité de Membre, ce qui remédia à ce
défaut d’accès et leva l’obstacle à la compétence ratione personae. Cepen-
dant, quelques mois plus tard, le 6 mars 2001, la RFY accomplit une for-

malité conventionnelle comprenant notamment le dépôt auprès du Secré-
taire général de l’Organisation des Nations Unies d’un «instrument
d’adhésion» à la convention sur le génocide. Depuis lors, la RFY main-
tient, revenant sur son opinion antérieure fondée sur la continuité, qu’elle

est uniquement devenue partie à la Convention par voie d’adhésion
en juin 2001. La Cour aurait perdu ainsi sa compétence ratione materiae
car l’«instrument d’adhésion» déposé par la RFY était assorti d’une
réserve aux termes de laquelle celle-ci «ne se consid[érait] pas liée par

l’article IX de la Convention» (arrêt, par. 94). Ainsi qu’il est rappelé au
paragraphe 94 de l’arrêt, la Croatie fit objection au motif que la RFY
«[était] déjà liée par la Convention depuis qu’elle [était] devenue l’un

des cinq Etats successeurs égaux de l’ex-RFSY». Il va sans dire que,
si la RFY n’était pas un Etat successeur mais un Etat continuateur
de la RFSY, cette «adhésion» ne serait pas plus valable pour autant.
Pour sa part, la Cour, comme elle le rappelle au paragraphe 102 et

comme la Croatie l’a fait observer, a affirmé six fois, en 1993 (deux
fois), 1996, 1999, 2003 et 2007, que la RFY était liée par la convention
sur le génocide.
Quoi qu’il en soit, ce qui nous intéresse directement en l’espèce, c’est

que, à moins que la réserve relative à la compétence ratione materiae de
la Cour ne soit pas valable, il n’est pas possible, même au prix d’un vaste
effort d’imagination, d’invoquer Mavrommatis. Un aspect fondamental
de Mavrommatis et d’autres affaires ultérieures à cette ancienne affaire

(Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume-Uni), exceptions préli-
minaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1963; Activités militaires et paramilitaires
au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),

compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984; Application de
la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1996 (II)) tenait à ce que, si un vice de procédure pouvait

être couvert par une action ultérieure, celle-ci était néanmoins inutile
pour des raisons d’économie judiciaire. La situation est différente en
l’espèce. La réserve à l’article IX formulée par la RFY en 2001 aura pour
conséquence d’empêcher une telle action ultérieure. Sans l’invalidation de

cette réserve, que l’arrêt évite, je ne vois pas comment la compétence
ratione materiae de la Cour peut être retenue sur la base d’un raisonne-
ment inspiré de l’affaire Mavrommatis.

1
L’accès en tant que non-membre prévu à l’alinéa 2) de l’article 35 du Statut a égale-
ment été bloqué en raison de l’interprétation faite en 2004 de l’expression «traités en
vigueur» (voir les paragraphes 99-114 de l’arrêt rendu en l’affaire relative à la Licéité de
l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Belgique), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 318-324).

62471 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP.AL -KHASAWNEH )

I continue to believe that the FRY was a continuator of the SFRY
until 2000 when, of its own volition, it became a successor State. I am

also of the opinion that the FRY was bound by the Genocide Conven-
tion, including Article IX, by virtue of the ratification by the SFRY of
the Convention, without reservation, on 29 August 1950. It is on these

bases that I joined the majority in upholding the Court’s jurisdiction
notwithstanding my respectful, but profound, disagreement with their
reasoning.

(Signed) Awn A L-K HASAWNEH .

63 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND. AL-KHASAWNEH ) 471

Je continue de croire que la RFY était un Etat continuateur de la
RFSY jusqu’en 2000 quand, de son propre gré, elle est devenue un

Etat successeur. Je pense aussi que la RFY était liée par la convention
sur le génocide, y compris l’article IX, en vertu de la ratification sans
réserve que la RFSY a donnée à cet instrument le 29 août 1950. Dans

ces conditions, je me suis associé à la majorité pour établir la compé-
tence de la Cour malgré mon désaccord respectueux mais profond avec
son raisonnement.

(Signé) Awn A L-K HASAWNEH .

63

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Opinion individuelle de M. le juge Al-Khasawneh, vice-président

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