Déclaration de Mme la juge Donoghue

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118-20150203-JUD-01-07-EN
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118-20150203-JUD-01-00-EN
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390

me
DÉCLARATION DE M LA JUGE DONOGHUE

[Traduction]

1. J’ai voté pour tous les points du dispositif de l’arrêt et jhe souscris à

la plupart des éléments du raisonnement suivi par la Cour. Dans la pré -
sente déclaration, j’entends néanmoins formuler quelques observations
sur les parties de l’arrêt qui traitent de l’élément matéhriel (actus reus) du
génocide en réponse tant à la demande de la Croatie qu’à hla demande
reconventionnelle de la Serbie.

2. J’examinerai d’abord les déclarations écrites de témoins hproduites par
la Croatie et leur appréciation par la Cour. Ainsi qu’il est dit dhans l’arrêt, ces
déclarations sont déficientes à bien des égards. Cela éhtant, même si la Cour
avait écarté chacune de ces déclarations de témoins, ses conhclusions concer -
nant la demande principale seraient restées les mêmes. Les constathations

factuelles du Tribunal pénal international pour l’exYougoslavie (« le TPIY»)
et les faits admis par la Serbie établissent amplement que les Croatehs ont été
victimes de meurtres et d’atteintes graves à leur intégrité hphysique ou men -
tale. La Serbie a reconnu que les éléments de preuve établissaihent l’existence
de l’élément matériel du génocide, tant de façon géhnérale (CR 2014/15, p.13,

par. 10 (Schabas)) que, comme il est exposé en détail dans l’arrêt, relative-
ment à un grand nombre de localités précises. La portée géhographique des
constatations du TPIY et des faits admis par la Serbie établissent éhgalement
de façon convaincante l’existence d’une ligne de conduite suivihe par l’armée
populaire yougoslave (Jugoslovenska narodna armija (« la JNA »)) et les

forces serbes. La Cour a rejeté la demande de la Croatie non pas en rhaison
des déficiences des déclarations de témoins, mais parce que lh’intention géno-
cidaire n’était pas la seule conclusion que l’on puisse raisonnhablement tirer
de ladite ligne de conduite. Toutefois, les déclarations de témoins et l’analyse
qu’en a fait la Cour méritent qu’on s’y arrête brièvemhent.
3. La Cour a fourni lors d’affaires précédentes des indications surh les

critères qu’elle applique pour apprécier les déclarations deh témoins. Elle
examine si le témoin est désintéressé et elle accorde plus dhe poids au témoi-
gnage de quelqu’un qui n’a rien à perdre ni à gagner, ou s’exprime au mépris
de ses intérêts (Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre
celui‑ci (Nicaragua c.Etats‑Unis d’Amérique),fond, arrêt, C.I.J.Recueil1986,

p. 42-43, par. 69). Elle opère aussi une distinction entre les faits dont le
témoin a une connaissance personnelle, d’une part, et les spécuhlations ou le
relais d’informations obtenues d’autrui (« ouï-dire»), d’autre part ( ibid.,
p. 42, par. 68). La Cour accorde un poids particulier aux déclarations
contemporaines des faits (Différend territorial et maritime entre le Nicara ‑

gua et le Honduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Honduras), arrêt,
C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 731, par. 244). Ces critères d’appréciation ont
été réaffirmés aujourd’hui par la Cour (arrêt, par. 196-197).

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7 CIJ1077.indb 779 18/04/16 08:54 application de convehntion génocide (décl. dhonoghue) 391

4. La Cour ne peut appliquer ces critères que si une déclaration ren -
ferme suffisamment d’informations pour en permettre l’analyse. Quels
sont donc les éléments qui doivent figurer dans une déclaratihon écrite de

témoin ? Le Statut et le Règlement de la Cour donnent peu d’indications
sur la forme ou la teneur de ces déclarations. En ce qui concerne les
témoins qui déposent devant la Cour, cependant, le Règlement (hart. 57
et 64) prévoit que soient fournies certaines informations de base, donth le
nom, la nationalité et le domicile du témoin, et que celui -ci fasse une

déclaration par laquelle il s’engage à dire la vérité. Cehs indications sont
nécessaires également pour déterminer la valeur probante d’uhne déclara -
tion écrite. A cet égard, j’appelle l’attention sur le paraghraphe 5 de l’ar -
ticle4 des règles sur l’administration de la preuve dans l’arbitrageh
international publiées le 29 mai 2010 par l’International Bar Association

(IBA) (qui porte sur les déclarations écrites de témoins). hCette disposition
exige que soient fournis des renseignements de base semblables à ceuxh
prévus aux articles 57 et 64 du Règlement de la Cour (nom, adresse, affir -
mation de véracité, signature, date et lieu de signature).
5. Pour apprécier la valeur probante d’une déclaration, il est biehn entendu

nécessaire, par-delà les questions de forme, d’en examiner au plus près la
teneur. Les règles de l’IBA sont, là encore, instructives. Ellehs prévoient que
soient fournis des renseignements sur les liens éventuels du témoihn avec les
parties, ce qui peut éclairer sur son désintéressement, et stiphulent que la
déclaration doit comprendre un exposé complet et détaillé dehs faits et préci -

ser la source des informations fournies par le témoin. La cour ou le htribunal
peut ainsi évaluer la fiabilité des éléments de preuve (phar exemple, juger si le
témoin était à même de voir ou d’entendre clairement ce qhui se passait lors
des faits) et déterminer si le témoin a eu directement connaissanhce des faits
dont il témoigne (et n’en a pas simplement entendu parler).

6. Les critères d’appréciation décrits dans les paragraphes quih précèdent
ne sont pas nouveaux ni particuliers à la Cour. Une énumérationh des condi -
tions minimales de forme et de contenu auxquelles doivent satisfaire lesh
déclarations écrites de témoins (analogues à ce qu’on trhouve aux articles 57
et 64 du Règlement de la Cour ou à l’article 4 des règles de l’IBA) pourrait
certainement fournir aux parties des indications plus précises. Mêhme en

l’absence d’une telle énumération, cependant, il n’y a rihen d’étonnant à ce
qu’une déclaration de témoin ne contenant pas les renseignemenths dont la
Cour a besoin pour appliquer les critères d’appréciation étahblis soit jugée
par elle inopérante lorsqu’il s’agit de prouver les allégatihons d’une partie.
7. Ces considérations m’amènent à faire une observation sur la hmanière

dont la Cour a apprécié les déclarations de témoins produitehs par la
Croatie pour décider si les éléments de preuve établissaienth l’existence de
l’élément matériel du génocide dans certaines localitéhs. Selon moi, les
localités analysées par la Cour peuvent être rangées en deuxh catégories,
selon la nature des éléments de preuve dont disposait la Cour àh leur sujet.

8. La première catégorie comprend les localités au sujet desquellehs le
dossier contient des constatations factuelles du TPIY et expose des faits
reconnus par la Serbie, ainsi que, dans certains cas, des déclarationhs de

392

7 CIJ1077.indb 781 18/04/16 08:54 application de convehntion génocide (décl. dhonoghue) 392

témoins. Pour chacune de ces localités, la Cour a conclu que les éhléments
de preuve établissaient l’élément matériel du génocideh. Ces conclusions
reposent sur une assise solide. La Croatie a dûment assumé la charhge de

la preuve qui lui incombait relativement à ces éléments, et ceuhx -ci satis-
font aux critères rigoureux d’établissement de la preuve retenuh en l’es -
pèce; ils « avèrent clairement » l’existence de l’élément matériel du
génocide et sont « pleinement convaincants » (arrêt, par. 178), que les
déclarations de témoins soient ou non prises en considération.

9. La seconde catégorie comprend les localités au sujet desquelles leh
dossier ne contient pas de constatations factuelles du TPIY et n’expohse pas
des faits admis par la Serbie. Pour ces localités, la Croatie s’esht largement
appuyée sur des déclarations de témoins. Elle s’est principahlement attachée
à déterminer si ces déclarations étaient signées et si lehs témoins avaient eu

connaissance directement des éléments de preuve y figurant (et hnon par
ouï-dire). Dans quelques cas, des déficiences dans les déclarations de
témoins (par exemple, le défaut de signature ou le ouï-dire) ont conduit la
Cour à conclure que l’élément matériel du génocide n’hétait pas avéré. Pour
la plupart des localités de cette seconde catégorie, cependant, lah Cour a

établi que les déclarations pertinentes étaient signées et qhue les témoins
avaient eu connaissance directement des éléments y figurant. A maintes
reprises, la Cour a dit que les déclarations remplissant ces deux conhditions
devaient être considérées comme ayant une « valeur probante». Je conviens
certes que les déclarations signées reposant sur une connaissance hdirecte

des éléments avancés peuvent avoir une valeur probante et venirh en consé -
quence étayer les allégations d’une partie. Ce qui me gêne dhans l’analyse
faite par la Cour, c’est que celle -ci, après avoir recensé les déclarations
auxquelles il convenait d’accorder une « valeur probante », est passée, un
peu hâtivement, à la conclusion que ces déclarations avéraiehnt l’élément

matériel du génocide. A mon sens, il n’était possible de conhclure qu’une
déclaration était pleinement convaincante et avait clairement l’hexistence de
l’élément matériel du génocide, selon le critère d’hétablissement de la preuve
retenu en l’espèce, qu’après avoir pris en considération hdes critères d’ap-
préciation autres que la signature et la connaissance directe (commeh le lieu
où se trouvait letémoin lorsqu’il a eu connaissance des éléments de preuve,

son désintéressement et les circonstances de l’entretien). Il hest regrettable
que l’arrêt présente un manque de cohérence imputable à lh’étendue insuffi -
sante de l’exposé consacré à l’analyse par la Cour des éhléments des décla-
rations de témoins sur lesquels elle s’est fondée pour juger sih l’élément
matériel du génocide existait, et au défaut de citations des pahrties perti -

nentes du dossier. L’obscurité du raisonnement de la Cour amène à se
demander si elle s’est conformée au critère d’établissemehnt de la preuve
qu’elle avait énoncé. De plus, vu que les constatations factuelhles du TPIY
et les faits admis par la Serbie établissent clairement l’existenche aussi bien
de l’élément matériel du génocide que de la ligne de condhuite imputée à la

JNA et aux forces serbes, la Cour aurait pu se dispenser de statuer cas hpar
cas sur l’élément matériel du génocide pour les localitéhs de cette seconde
catégorie.

393

7 CIJ1077.indb 783 18/04/16 08:54 application de convehntion génocide (décl. dhonoghue) 393

10. Au sujet de la demande reconventionnelle de la Serbie, il me paraît
utile de formuler une observation sur l’analyse faite par la Cour de hl’élé -
ment matériel du génocide, plus précisément sur sa conclusiohn selon

laquelle les morts de civils qui ont résulté d’attaques d’artillerie à Knin
n’étaient pas des « meurtre[s]» au sens du litt.a) de l’article II de la
Convention (arrêt, par. 474 -475), terme qui, selon l’interprétation de la
Cour, ne désigne que l’acte de tuer intentionnellement (ibid., par. 156 ;
affaire concernant l’ Application de la convention pour la prévention

et la répression du crime de génocide (Bosnie‑Herzégovine c. Serbie‑et‑
Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 121, par. 186).
11. Je ne conteste pas la conclusion de la Cour selon laquelle elle ne
saurait conclure que les morts parmi les civils de Knin ont résultéh d’at -
taques d’artillerie indiscriminées (arrêt, par. 472). Cependant, je ne suis

pas d’accord avec elle lorsqu’elle laisse entendre ( ibid., par. 474) que la
portée du terme « meurtre», tel qu’il est employé au litt.a) de l’article II
de la Convention, ne s’étend pas à l’acte de tuer dans le cahdre d’attaques
dirigées exclusivement contre des objectifs militaires et ne visant phas déli -
bérément les civils. Il est certainement possible que les pertes chiviles résu-l

tant de telles attaques soient causées intentionnellement, même sih les civils
n’étaient pas visés délibérément. Selon les circonstanhces, ces actes peuvent
être ou non licites au regard du droit des conflits armés, et cehtte distinc -
tion pourrait avoir une incidence sur l’appréciation des éléhments de
preuve avancés pour établir l’intention génocidaire. Cependahnt, lorsqu’il

s’agitpour la Cour de décider si des pertes civiles sont constitutives de
l’élément matériel du génocide, il lui suffit à mon shens de déterminer si ces
pertes ont été causées intentionnellement.
12. Cette observation ne m’empêche nullement de souscrire aux conclu -
sions plus générales de la Cour sur la demande reconventionnelle : les élé-

ments de preuve établissaient l’existence de l’élément mahtériel du génocide,
mais la demande reconventionnelle devait être rejetée parce que l’hinten -
tion génocidaire n’a pas été prouvée.

(Signé) Joan E. Donoghue.

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7 CIJ1077.indb 785 18/04/16 08:54

Bilingual Content

390

DECLARATION OF JUDGE DONOGHUE

1. I have voted in favour of all operative paragraphs of the Judgment

and I agree in most respects with the Court’s reasoning. In this declhara -
tion, I offer observations about the parts of the Judgment that discuss thhe
actus reus of genocide, both with respect to Croatia’s claim and with
respect to Serbia’s counter-claim.

2. I begin by addressing the written witness statements submitted by
Croatia and the Court’s evaluation of them. As the Judgment indicatesh,
there are many deficiencies in those statements. Even if the Court hadh set
aside every witness statement, however, there would be no change in the h
Court’s conclusions as to the principal claim. The factual findingsh of the

International Criminal Tribunal for the former Yugoslavia (“ICTY”h),
taken together with Serbia’s admissions, amply establish that Croats hwere
the victims of intentional killings and of acts causing serious bodily ahnd
mental harm. Serbia has admitted that the evidence establishes the actus
reus of genocide, both generally (CR 2014/15, p. 13, para. 10 (Schabas))

and, as is detailed in the Judgment, in respect of many particular localhi -
ties. The geographic breadth of the ICTY findings and of Serbia’s ahdmis-
sions also convincingly establishes a pattern of conduct by the Yugoslav
National Army (Jugoslovenska narodna armija (“JNA”)) and Serb forces.
Croatia’s claim fails not because of deficiencies in the witness sthatements,

but because genocidal intent is not the only inference that can reasonabhly
be drawn from the pattern of conduct. Nonetheless, the statements and
the Court’s analysis of them merit a brief comment.

3. In past cases, the Court has provided guidance about the criteria that

it uses to evaluate witness statements. It considers whether a witness ihs d-is
interested, giving greater weight to testimony of someone who has nothing
to gain or to lose, as well as to statements against interest (Military and
Paramilitary Activities in and against Nicaragua (Nicaragua v. United States
of America), Merits, Judgment, I.C.J. Reports 1986, pp. 42-43, para. 69).

The Court distinguishes between facts within the witness’s personal khnow -
ledge, on the one hand, and speculation or repetition of information leahrned
from others (sometimes called “hearsay”) on the other hand (ibid., p. 42,
para. 68). The Court gives particular weight to statements that are contem -
poraneous with the events at issue (Territorial and Maritime Dispute

between Nicaragua and Honduras in the Caribbean Sea (Nicaragua v. Hon‑
duras), Judgment, I.C.J. Reports 2007 (II), p. 731, para. 244). These evalu-
ative criteria are reaffirmed today (Judgment, paras. 196-197).

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7 CIJ1077.indb 778 18/04/16 08:54 390

me
DÉCLARATION DE M LA JUGE DONOGHUE

[Traduction]

1. J’ai voté pour tous les points du dispositif de l’arrêt et jhe souscris à

la plupart des éléments du raisonnement suivi par la Cour. Dans la pré -
sente déclaration, j’entends néanmoins formuler quelques observations
sur les parties de l’arrêt qui traitent de l’élément matéhriel (actus reus) du
génocide en réponse tant à la demande de la Croatie qu’à hla demande
reconventionnelle de la Serbie.

2. J’examinerai d’abord les déclarations écrites de témoins hproduites par
la Croatie et leur appréciation par la Cour. Ainsi qu’il est dit dhans l’arrêt, ces
déclarations sont déficientes à bien des égards. Cela éhtant, même si la Cour
avait écarté chacune de ces déclarations de témoins, ses conhclusions concer -
nant la demande principale seraient restées les mêmes. Les constathations

factuelles du Tribunal pénal international pour l’exYougoslavie (« le TPIY»)
et les faits admis par la Serbie établissent amplement que les Croatehs ont été
victimes de meurtres et d’atteintes graves à leur intégrité hphysique ou men -
tale. La Serbie a reconnu que les éléments de preuve établissaihent l’existence
de l’élément matériel du génocide, tant de façon géhnérale (CR 2014/15, p.13,

par. 10 (Schabas)) que, comme il est exposé en détail dans l’arrêt, relative-
ment à un grand nombre de localités précises. La portée géhographique des
constatations du TPIY et des faits admis par la Serbie établissent éhgalement
de façon convaincante l’existence d’une ligne de conduite suivihe par l’armée
populaire yougoslave (Jugoslovenska narodna armija (« la JNA »)) et les

forces serbes. La Cour a rejeté la demande de la Croatie non pas en rhaison
des déficiences des déclarations de témoins, mais parce que lh’intention géno-
cidaire n’était pas la seule conclusion que l’on puisse raisonnhablement tirer
de ladite ligne de conduite. Toutefois, les déclarations de témoins et l’analyse
qu’en a fait la Cour méritent qu’on s’y arrête brièvemhent.
3. La Cour a fourni lors d’affaires précédentes des indications surh les

critères qu’elle applique pour apprécier les déclarations deh témoins. Elle
examine si le témoin est désintéressé et elle accorde plus dhe poids au témoi-
gnage de quelqu’un qui n’a rien à perdre ni à gagner, ou s’exprime au mépris
de ses intérêts (Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre
celui‑ci (Nicaragua c.Etats‑Unis d’Amérique),fond, arrêt, C.I.J.Recueil1986,

p. 42-43, par. 69). Elle opère aussi une distinction entre les faits dont le
témoin a une connaissance personnelle, d’une part, et les spécuhlations ou le
relais d’informations obtenues d’autrui (« ouï-dire»), d’autre part ( ibid.,
p. 42, par. 68). La Cour accorde un poids particulier aux déclarations
contemporaines des faits (Différend territorial et maritime entre le Nicara ‑

gua et le Honduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Honduras), arrêt,
C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 731, par. 244). Ces critères d’appréciation ont
été réaffirmés aujourd’hui par la Cour (arrêt, par. 196-197).

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7 CIJ1077.indb 779 18/04/16 08:54 391 application of genochide convention (decl. dhonoghue)

4. The Court can apply these criteria only if a statement includes suf -
ficient information to permit analysis. What, then, are the elements thhat
should be included in a written witness statement ? The Statute and Rules

of Court provide little guidance about the form or content of such state -
ments. As to a witness who will appear in Court, however, the Rules
require certain basic information, including the name, nationality and
residence of the witness, and a declaration that the testimony is the trhuth
(Articles 57 and 64 of the Rules of Court). This information is also neces -

sary for the evaluation of the probative value of a written statement. Ihn
this regard, I draw attention to Article 4, subparagraph 5, of the Interna-
tional Bar Association (IBA) Rules on the Taking of Evidence in Interna-
tional Arbitration of 29 May 2010 (which addresses written witness
statements). That provision calls for basic information similar to thath

required by Articles 57 and 64 of the Rules of Court (including name,
residence, affirmation of truth, signature, and date and place of the shigna -
ture).

5. Of course, to evaluate the probative value of a particular statement,

it is necessary to look beyond these matters of form and to scrutinize thhe
content of each statement. The IBA Rules are again instructive. They call
for information about the relationship between the witness and the partihes,
which can shed light on whether the witness is disinterested, and they
require that a statement contain a full and detailed description of the hfacts

and of the source of the witness’s information. Such a description pehrmits
a court or tribunal to evaluate the reliability of the evidence (for exhample,
whether the witness was in a position to see or hear events clearly) anhd
whether the witness had direct knowledge of events that are the subject hof
the testimony (as opposed to having heard of events from others).

6. The evaluative criteria described in the preceding paragraphs are not
new and are not peculiar to this Court. An enumeration of minimum
requirements for the form and content of written witness statements
(along the lines of Articles 57 and 64 of the Rules of Court or of Article 4
of the IBA Rules) certainly could provide more precise guidance to par -
ties. Even without such an enumeration, however, it should come as no

surprise that a witness statement that lacks the information that the Cohurt
needs in order to apply established evaluative criteria will not be effechtive
in proving a party’s allegations.

7. This leads me to an observation about the way the Court evaluates

the witness statements submitted by Croatia in the course of deciding
whether the evidence establishes the actus reus of genocide in particular
localities. As I see it, the localities analysed by the Court can be grohuped
into two categories, in light of the kind of evidence available to the Chourt.

8. The first category comprises those localities as to which the case file
includes ICTY factual findings and Serbia’s admissions, as well as,h in
some instances, witness statements. For each of these localities, the Cohurt

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7 CIJ1077.indb 780 18/04/16 08:54 application de convehntion génocide (décl. dhonoghue) 391

4. La Cour ne peut appliquer ces critères que si une déclaration ren -
ferme suffisamment d’informations pour en permettre l’analyse. Quels
sont donc les éléments qui doivent figurer dans une déclaratihon écrite de

témoin ? Le Statut et le Règlement de la Cour donnent peu d’indications
sur la forme ou la teneur de ces déclarations. En ce qui concerne les
témoins qui déposent devant la Cour, cependant, le Règlement (hart. 57
et 64) prévoit que soient fournies certaines informations de base, donth le
nom, la nationalité et le domicile du témoin, et que celui -ci fasse une

déclaration par laquelle il s’engage à dire la vérité. Cehs indications sont
nécessaires également pour déterminer la valeur probante d’uhne déclara -
tion écrite. A cet égard, j’appelle l’attention sur le paraghraphe 5 de l’ar -
ticle4 des règles sur l’administration de la preuve dans l’arbitrageh
international publiées le 29 mai 2010 par l’International Bar Association

(IBA) (qui porte sur les déclarations écrites de témoins). hCette disposition
exige que soient fournis des renseignements de base semblables à ceuxh
prévus aux articles 57 et 64 du Règlement de la Cour (nom, adresse, affir -
mation de véracité, signature, date et lieu de signature).
5. Pour apprécier la valeur probante d’une déclaration, il est biehn entendu

nécessaire, par-delà les questions de forme, d’en examiner au plus près la
teneur. Les règles de l’IBA sont, là encore, instructives. Ellehs prévoient que
soient fournis des renseignements sur les liens éventuels du témoihn avec les
parties, ce qui peut éclairer sur son désintéressement, et stiphulent que la
déclaration doit comprendre un exposé complet et détaillé dehs faits et préci -

ser la source des informations fournies par le témoin. La cour ou le htribunal
peut ainsi évaluer la fiabilité des éléments de preuve (phar exemple, juger si le
témoin était à même de voir ou d’entendre clairement ce qhui se passait lors
des faits) et déterminer si le témoin a eu directement connaissanhce des faits
dont il témoigne (et n’en a pas simplement entendu parler).

6. Les critères d’appréciation décrits dans les paragraphes quih précèdent
ne sont pas nouveaux ni particuliers à la Cour. Une énumérationh des condi -
tions minimales de forme et de contenu auxquelles doivent satisfaire lesh
déclarations écrites de témoins (analogues à ce qu’on trhouve aux articles 57
et 64 du Règlement de la Cour ou à l’article 4 des règles de l’IBA) pourrait
certainement fournir aux parties des indications plus précises. Mêhme en

l’absence d’une telle énumération, cependant, il n’y a rihen d’étonnant à ce
qu’une déclaration de témoin ne contenant pas les renseignemenths dont la
Cour a besoin pour appliquer les critères d’appréciation étahblis soit jugée
par elle inopérante lorsqu’il s’agit de prouver les allégatihons d’une partie.
7. Ces considérations m’amènent à faire une observation sur la hmanière

dont la Cour a apprécié les déclarations de témoins produitehs par la
Croatie pour décider si les éléments de preuve établissaienth l’existence de
l’élément matériel du génocide dans certaines localitéhs. Selon moi, les
localités analysées par la Cour peuvent être rangées en deuxh catégories,
selon la nature des éléments de preuve dont disposait la Cour àh leur sujet.

8. La première catégorie comprend les localités au sujet desquellehs le
dossier contient des constatations factuelles du TPIY et expose des faits
reconnus par la Serbie, ainsi que, dans certains cas, des déclarationhs de

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7 CIJ1077.indb 781 18/04/16 08:54 392 application of genochide convention (decl. dhonoghue)

finds that the evidence establishes the actus reus of genocide. These con -
clusions stand on solid ground. The evidence meets Croatia’s burden ohf
proof and satisfies the high standard of proof that governs this case ; it

“clearly establishes” the actus reus of genocide and is “fully convincing”
(Judgment, para. 178), whether or not witness statements are taken into
account.

9. The second category comprises those localities as to which the case
file does not include ICTY factual findings or Serbia’s admissionhs. For
these localities, Croatia relies heavily on witness statements. The Courht’s
central inquiry in respect to these statements is whether they are signehd
and whether the evidence contained therein is based on a witness’s

first-hand knowledge (as opposed to hearsay). In a few instances, defi -
ciencies in the relevant witness statements (for example, lack of signahture
or hearsay) lead to the conclusion that the actus reus of genocide is not
established. For most localities in this second category, however, the
Court concludes that the relevant statements are signed and are based onh

the witness’s first -hand knowledge. Repeatedly, the Court indicates that
statements that meet these two conditions are to be accorded “evidenthial
weight” (“valeur probante”). I agree that signed statements thhat are based
on firsthand knowledge can have probative value, and thus can support
a party’s allegations. I am troubled, however, that the Court’s analysis

seems to leap from the refrain that a statement deserves “evidential h
weight” to a finding that the actus reus of genocide is established. Only
after taking into account evaluative criteria additional to signature anhd
firsthand knowledge (such as the location of the witness in relation to the
events in question, whether the witness is disinterested, and the circumh -

stances of an interview) is it possible to conclude that statements areh fully
convincing and that they clearly establish the actus reus of genocide, as
required by the governing standard of proof. It is therefore unfortunateh
that the Judgment is inconsistent in the extent to which it sets out theh
Court’s analysis of the elements of particular witness statements thaht are
the basis for the conclusion that the actus reus of genocide is established

or not, and that it omits citations to the relevant parts of the case file. The
obscurity of the Court’s reasoning invites questions about whether thhe
Court is faithful to its stated standard of proof. Moreover, because ICTY
factual findings and Serbia’s admissions clearly establish both theh
actus reus of genocide and the alleged pattern of conduct by the JNA and

Serb forces, the Court could have avoided locality-by-locality pronounce-
ments as to the actus reus of genocide in respect to localities in this second
category.

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7 CIJ1077.indb 782 18/04/16 08:54 application de convehntion génocide (décl. dhonoghue) 392

témoins. Pour chacune de ces localités, la Cour a conclu que les éhléments
de preuve établissaient l’élément matériel du génocideh. Ces conclusions
reposent sur une assise solide. La Croatie a dûment assumé la charhge de

la preuve qui lui incombait relativement à ces éléments, et ceuhx -ci satis-
font aux critères rigoureux d’établissement de la preuve retenuh en l’es -
pèce; ils « avèrent clairement » l’existence de l’élément matériel du
génocide et sont « pleinement convaincants » (arrêt, par. 178), que les
déclarations de témoins soient ou non prises en considération.

9. La seconde catégorie comprend les localités au sujet desquelles leh
dossier ne contient pas de constatations factuelles du TPIY et n’expohse pas
des faits admis par la Serbie. Pour ces localités, la Croatie s’esht largement
appuyée sur des déclarations de témoins. Elle s’est principahlement attachée
à déterminer si ces déclarations étaient signées et si lehs témoins avaient eu

connaissance directement des éléments de preuve y figurant (et hnon par
ouï-dire). Dans quelques cas, des déficiences dans les déclarations de
témoins (par exemple, le défaut de signature ou le ouï-dire) ont conduit la
Cour à conclure que l’élément matériel du génocide n’hétait pas avéré. Pour
la plupart des localités de cette seconde catégorie, cependant, lah Cour a

établi que les déclarations pertinentes étaient signées et qhue les témoins
avaient eu connaissance directement des éléments y figurant. A maintes
reprises, la Cour a dit que les déclarations remplissant ces deux conhditions
devaient être considérées comme ayant une « valeur probante». Je conviens
certes que les déclarations signées reposant sur une connaissance hdirecte

des éléments avancés peuvent avoir une valeur probante et venirh en consé -
quence étayer les allégations d’une partie. Ce qui me gêne dhans l’analyse
faite par la Cour, c’est que celle -ci, après avoir recensé les déclarations
auxquelles il convenait d’accorder une « valeur probante », est passée, un
peu hâtivement, à la conclusion que ces déclarations avéraiehnt l’élément

matériel du génocide. A mon sens, il n’était possible de conhclure qu’une
déclaration était pleinement convaincante et avait clairement l’hexistence de
l’élément matériel du génocide, selon le critère d’hétablissement de la preuve
retenu en l’espèce, qu’après avoir pris en considération hdes critères d’ap-
préciation autres que la signature et la connaissance directe (commeh le lieu
où se trouvait letémoin lorsqu’il a eu connaissance des éléments de preuve,

son désintéressement et les circonstances de l’entretien). Il hest regrettable
que l’arrêt présente un manque de cohérence imputable à lh’étendue insuffi -
sante de l’exposé consacré à l’analyse par la Cour des éhléments des décla-
rations de témoins sur lesquels elle s’est fondée pour juger sih l’élément
matériel du génocide existait, et au défaut de citations des pahrties perti -

nentes du dossier. L’obscurité du raisonnement de la Cour amène à se
demander si elle s’est conformée au critère d’établissemehnt de la preuve
qu’elle avait énoncé. De plus, vu que les constatations factuelhles du TPIY
et les faits admis par la Serbie établissent clairement l’existenche aussi bien
de l’élément matériel du génocide que de la ligne de condhuite imputée à la

JNA et aux forces serbes, la Cour aurait pu se dispenser de statuer cas hpar
cas sur l’élément matériel du génocide pour les localitéhs de cette seconde
catégorie.

393

7 CIJ1077.indb 783 18/04/16 08:54 393 application of genochide convention (decl. dhonoghue)

10. As regards the counter-claim, I offer one comment on the Court’s
analysis regarding the actus reus of genocide. I address here the Court’s
conclusion that civilian deaths resulting from the shelling of Knin are hnot

“killing[s]” within the meaning of subparagraph (a) of Article II of the
Convention (Judgment, paras. 474-475), which the Court has interpreted
to extend only to intentional killings (ibid., para. 156; case concerning the
Application of the Convention on the Prevention and Punishment of the
Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Serbia and Montenegro),

Judgment, I.C.J. Reports 2007 (I), p. 121, para. 186).

11. I have no quarrel with the Court’s conclusion that it is unable to
find that the civilian deaths in Knin were the result of indiscriminathe
shelling (Judgment, para. 472). However, I disagree with the suggestion

(ibid., para. 474) that the term “killing”, as used in subparagraph (a) of
Article II, does not extend to deaths resulting from attacks that are
directed exclusively at military targets and that do not deliberately tahrget
civilians. It is certainly possible for the deaths resulting from such ahttacks
to be intentional killings, even if the attack did not deliberately targhet

civilians. Depending on the particulars, such killings may or may not be
lawful under the law of armed conflict and that distinction could bearh on
the evaluation of evidence as to genocidal intent. At the stage of examihn -
ing whether deaths comprise the actus reus of genocide, however, I con -
sider it sufficient for the Court to decide whether the killings were

intentional.

12. This observation does not affect my agreement with the Court’s
more general conclusions as to the counter-claim : the evidence proves the

actus reus of genocide but the counter-claim fails because genocidal intent
has not been proven.

(Signed) Joan E. Donoghue.

394

7 CIJ1077.indb 784 18/04/16 08:54 application de convehntion génocide (décl. dhonoghue) 393

10. Au sujet de la demande reconventionnelle de la Serbie, il me paraît
utile de formuler une observation sur l’analyse faite par la Cour de hl’élé -
ment matériel du génocide, plus précisément sur sa conclusiohn selon

laquelle les morts de civils qui ont résulté d’attaques d’artillerie à Knin
n’étaient pas des « meurtre[s]» au sens du litt.a) de l’article II de la
Convention (arrêt, par. 474 -475), terme qui, selon l’interprétation de la
Cour, ne désigne que l’acte de tuer intentionnellement (ibid., par. 156 ;
affaire concernant l’ Application de la convention pour la prévention

et la répression du crime de génocide (Bosnie‑Herzégovine c. Serbie‑et‑
Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 121, par. 186).
11. Je ne conteste pas la conclusion de la Cour selon laquelle elle ne
saurait conclure que les morts parmi les civils de Knin ont résultéh d’at -
taques d’artillerie indiscriminées (arrêt, par. 472). Cependant, je ne suis

pas d’accord avec elle lorsqu’elle laisse entendre ( ibid., par. 474) que la
portée du terme « meurtre», tel qu’il est employé au litt.a) de l’article II
de la Convention, ne s’étend pas à l’acte de tuer dans le cahdre d’attaques
dirigées exclusivement contre des objectifs militaires et ne visant phas déli -
bérément les civils. Il est certainement possible que les pertes chiviles résu-l

tant de telles attaques soient causées intentionnellement, même sih les civils
n’étaient pas visés délibérément. Selon les circonstanhces, ces actes peuvent
être ou non licites au regard du droit des conflits armés, et cehtte distinc -
tion pourrait avoir une incidence sur l’appréciation des éléhments de
preuve avancés pour établir l’intention génocidaire. Cependahnt, lorsqu’il

s’agitpour la Cour de décider si des pertes civiles sont constitutives de
l’élément matériel du génocide, il lui suffit à mon shens de déterminer si ces
pertes ont été causées intentionnellement.
12. Cette observation ne m’empêche nullement de souscrire aux conclu -
sions plus générales de la Cour sur la demande reconventionnelle : les élé-

ments de preuve établissaient l’existence de l’élément mahtériel du génocide,
mais la demande reconventionnelle devait être rejetée parce que l’hinten -
tion génocidaire n’a pas été prouvée.

(Signé) Joan E. Donoghue.

394

7 CIJ1077.indb 785 18/04/16 08:54

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Déclaration de Mme la juge Donoghue

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