Opinion individuelle de M. Parra-Aranguren (traduction)

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094-19980611-JUD-01-04-EN
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094-19980611-JUD-01-00-EN
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OPINION INDIVIDUELLE DE M. PARRA-ARANGUREN

[Traduction]

La quatrième exceptionpréliminairedu Nigéria - La déterminationdes
Etats «affectés»par ladécisionde la Courest une question quirelèvedufond
- Elle ne peut êtrelaisséeaux Parties; c'esà la Courd'endécider - La déci-
sion, à laphase dela compétence,selon laquelle lesintérêtd su Tchad ne sont
pas affectésexclut la possibilitéde son éventuelle interventionultérieureen
vertu de l'article62 du Statut de laCour - L'exception n'apas, dansles cir-
constancesde l'espèce,un caractèreexclusivementpréliminaire.

1. J'ai voté contrel'alinéa1 d) du dispositif de l'arrêt rejetantla qua-
trième exception préliminairesoulevéepar leNigériapour les raisons sui-
vantes.
2. Dans sa quatrième exception préliminaire, le Nigéria dit que la

Cour ne devrait pas détermineren l'espècel'emplacement de la frontière
dans le lac Tchad, dans la mesure où cette frontière constitue le tripoint
Nigéria-Cameroun-Tchaddans lelacTchad ou est constituéepar celui-ci,
parce que sa localisation affecte un Etat tiers, la République du Tchad.
Le Nigéria déclare aussique la question soulevéepar son exception ne
change rien à la situation que cet aspect

((relèvede la compétencede la Cour (par analogie avec le principe
énoncé dans l'affaire de l'Or monétairepris à Rome en 1943, arrêt,
C.I.J Recueil 1954, p. 32, tel que la Cour l'a appliquétout récem-
ment dans l'affairedu Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt,

C.I.J Recueil 1995, p. 90) ou [que] la requête[soit] recevable (par
analogie avec l'affaire du Cameroun septentrional, C.1.J Recueil
1963, p. 32)))(exceptions préliminaires dela Républiquefédérale du
Nigéria,p. 84, par. 4.1 1).

3. La question des Etats tiers «affectés»par la décisionsur le fond a
été examinépear la Cour dans l'arrêtqu'ellea rendu le 26novembre 1984
en l'affaire relativeaux Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua
et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amérique), compétence et
recevabilité.A cette occasion, la Cour a dit que:

((c'estlà une question qui touche des points de substance relevant du
fond de l'affaire: de toute évidence,la question de savoir quels Etats
pourraient être «affectés»par la décisionau fond n'est pas en soi

juridictionnelle))(C.I.J. Recueil 1984, p. 425, par. 76).
4. Je souscris aux principes énoncés dansla phrase citée ci-dessus.
J'approuve par conséquentle paragraphe 78 de l'arrêt danslequel il est

dit que les revendicationsque fait valoir le Nigéria surDarak et des îlesenvironnantespourraient mener à une nouvelle déterminationde l'empla-
cement du tripoint Nigéria-Cameroun-Tchaddans le lacTchad et que ces
revendications ne sauraient êtreexaminéesau fond par la Cour au pré-
sent stade de la procédure.
5. Je ne saurais toutefois accepter la déclaration quifiguàela fin du
paragraphe 78, dans laquelle il est conclu que la Cour pourra, le moment
venu, prendre sa décisionsur la nouvelle détermination dutripoint Nigé-
ria-Cameroun-Tchad «sans seprononcer sur lesintérêtd su Tchad, comme
elle va le montrer ci-après)).Cette déclarationva clairement l'encontre
de la jurisprudence de la Cour établie dans l'affaire duNicaragua telle
que citée plushaut et que je considère comme bien fondée.En consé-
quence, à mon avis, il n'est pas possible pour la Cour,à ce stade de la

procédure, dedécidersi une nouvelle déterminationdu tripoint Nigéria-
Cameroun-Tchad dans le lac Tchad peut être ou noneffectuée«sans se
prononcer sur les intérêtdu ch ad».
6. Leparagraphe 79del'arrêt indique une nouvellefoisquela demande
présentéepar le Cameroun tendant à
((préciserdéfinitivementla frontière entre elle [la République du

Cameroun] et la Républiquefédéraledu Nigériadu lac Tchad à la
mer» (requête additionnelle,par. 17f)) est susceptible d'affecter le
tripoint, c'est-à-dire le point où les frontières du Cameroun, du
Nigéria etdu Tchad se rejoignent));
et, pour démontrer pourquoi les intérêtsjuridiquesde la République du
Tchad ne sont pas affectésla Cour déclare:

((Toutefois, la demande tendant àce que soit préciséela frontière
entre leCameroun et leNigériadu lacTchad à la mer n'impliquepas
que letripoint pourrait s'écarter dela ligne constituant la frontière
entre le Cameroun et le Tchad. Ni le Cameroun ni le Nigériane
contestent le tracé actuelde cette frontière au centre du lac, tel que
décrit dans le ((document technique de la démarcation des fron-
tières» mentionnéau paragraphe 65 ci-dessus....Procéder à une

nouvelle détermination du point où la frontière entre le Cameroun et
le Nigériarejoint celle entre le Tchad et le Cameroun ne pourrait
conduire en l'espècequ'au déplacementdu tripoint lelong de la ligne
de la frontière, dans le lac, entre le Tchad et le Cameroun. Ainsi, les
intérêtsjuridiques du Tchad,en tant quYEtattiers non partieà l'ins-
tance, ne constituent pas l'objet de la décisionndre sur le fond de
la requêtedu Cameroun; dès lors, l'absence du Tchad n'empêche
nullement la Cour de seprononcer sur le tracé de la frontière entrele
Cameroun et le Nigéria dansle lac.»

7. Ainsi que la Cour l'a dit dans l'arrêtqu'ellea rendu le 26 novembre
1984 en l'affaire du Nicaragua, «[il1est certain que la détermination
des Etats «affectés» nepeut êtrelaisséeaux parties; c'est la Cour d'en
décider» (Activitésmilitaires et paramilitaires au Nicaraguaet contre
celui-ci(Nicaragua c.Etats-Unis d'Amérique),compétenceet recevabilité,arrêt,C.I.J Recueil 1984, p. 425, par. 75). Par conséquent,à mon avis,

ce n'est pas au Cameroun et au Nigériaqu'il appartient de décidersi les
intérêts dela Républiquedu Tchad sont ou non affectés, commeon le
suggèreau paragraphe 79 de l'arrêt.
8. Je suis d'accord avec la déclaration qui figure au paragraphe 79
selon laquelle«les intérêtsjuridiques du Tchad,en tant qu7Etattiers non
partieà l'instance,ne constituent pas l'objet de la décisàorendre sur le
fond de la requêtedu Cameroun)); mais je ne saurais accepter que, à ce
stade de la procédure, la Cour puisse se prononcer sur la question de
savoir si les intérêtde la République du Tchad sont «affectés»par la
détermination du tripoint Nigéria-Cameroun-Tchaddans le lacTchad et,
dans l'affirmative, dans quelle mesure. Une telle détermination est une
question qui relèvedu fond, comme la Cour l'a décidé en l'affairedu
Nicaragua, parce que «ce n'est qu'à partir du moment où les grandes

lignes de son arrêtse dessineraient qu'elle [la Cour] pourrait déterminer
quels Etats seraient «affectés»(C.I.J Recueil 1984, p. 425, par. 75).
9. Je souscris au paragraphe 81 de l'arrêt, qui indique que[l]a ques-
tion de savoir s'il faudra effectivement déplacer l'emplacementdu tri-
point dans le lac Tchad par rapport à la position où il se situe actuelle-
ment sera résoluelorsque la Cour aura rendu son arrêtsur le fond)).
Partant, il m'esttrès difficilede comprendre comment la Cour,à ce stade
de l'instance, peut aussi dire dans ce mêmeparagraphe qu'un déplace-
ment éventuelet indéterminédu tripoint Nigéria-Cameroun-Tchad dans
le lac Tchad «serait sans conséquencepour le Tchad)).
10. Conformément à l'article 62 du Statut, «[l]orsqu'un Etat estime
que, dans un différend,un intérêt d'ordre juridiquest pour lui en cause,
il peut adresserà la Cour une requête, à fin d'intervention)). En consé-
quence, en déclarant queles intérêtsde la Républiquedu Tchad ne sont

pas affectéspar la détermination du tripoint Nigéria-Cameroun-Tchad
dans le lac Tchad, comme elle le fait aux paragraphes 78, 79 et 81 de
l'arrêt, la Courexclut en mêmetemps toute intervention éventuelle dela
République du Tchad àun stade ultérieur dela présenteaffaire opposant
le Cameroun et le Nigéria. A mon avis, c'est là une décisiontout à fait
surprenante, en particulier parce que la Cour n'a pas la moindre idéede
ce que peut êtrele point de vue de la Républiquedu Tchad sur la ques-
tion.
11. Dans l'arrêtdu 26novembre 1984rendu en l'affaire du Nicaragua,
citéplus haut, la Cour a examiné enparticulier la réservefaite par les
Etats-Unis lorsque ceux-ci ont déposé leurdéclaration en vertu de la
clause facultative, dans laquelle ils ont dit que la déclaration ne s'ap-
plique pas aux différendsrésultant d'un traité multilatéral moins que

toutes les parties au traité que la décisionconcerne soient également
partiesà l'affaire soumiseà la Cour; et elle a dit:

((puisqu'iln'est plus possibled'ordonner la jonction des exceptions
préliminairesau fond depuis la revision du Règlement de 1972,la
Cour n'a d'autre choix que d'appliquer l'article 79, paragraphe 7, de son Règlement actuel, et de déclarer que l'objection tiréede la
réserverelative aux traités multilatérauxfigurantdans la déclaration
d'acceptation des Etats-Unis n'a pas, dans les circonstances de
l'espèce, uncaractère exclusivement préliminaire et qu'en consé-
quence rien ne s'oppose à ce que la Cour connaisse de l'instance
introduite par le Nicaragua dans sa requête du 9 avril984~(Acti-
vités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci
(Nicaragua c. Etats-Unis d'Amérique), compétenceet recevabilité,
arrêt, C.1J. Recueil 1984, p. 425-426,par. 76).

12. Les motifs énoncéspar la Cour à l'occasion de cette affaire sont
applicablesà la quatrième exception préliminaire présentéepar le Nigé-
ria, qui soutient que la Cour ne devrait pas déterminer en l'espèce
l'emplacement de la frontière dans le lac Tchad dans la mesure où cette
frontièreconstitue leripoint Nigéria-Cameroun-Tchaddans lelac Tchad
ou est constituéeparcelui-ci,parce quesa localisation affectedirectement
uii Etat tiers, la République du Tchad. En conséquence,à mon avis, la
Cour aurait dû dire que l'exception n'a pas, dans les circonstances de
l'espèce,un caractère exclusivementpréliminaire.

(Signé) Gonzalo PARRA-ARANGUREN.

Bilingual Content

SEPARATE OPINION OF JUDGE PARRA-ARANGUREN

Nigeria'sfourth preliminary objection - The determinationof the States
"affected by the decisionof the Courtbelongsto the merits - It cannotbe left
to the Parties butmust be made by the Court - The decision,ut thejurisdic-
tionalstage, that the interests ofChadarenot affected,precludesthepossibility
of its eventualsubsequentinterventionaccordingto Article 62 of the Statute of
the Court - The objectiondoes not have,in the circumstancesof the case,an
exclusivelypreliminarycharacter.
1. 1have voted against subparagraph 1 (d) of the operativepart of the

Judgment rejecting the fourth preliminaryobjection raised by Nigeria for
the following reasons :
2. Nigeria's fourth preliminary objection requests the Court not to
determine in these proceedings the boundary in Lake Chad to the extent
that that boundary constitutes or is determined by the tripoint Nigeria-
Cameroon-Chad in Lake Chad, because its location affects a third State,
the Republic of Chad. Nigeria also stated that the matter raised by its
objection is not affected whether it

"is considered as one going to the Court's jurisdiction (on the ana-
logy of the principle in the case concerning Monetary Gold Removed
from Rome in 1943, Judgment, I.C. J.Reports 1954, p. 32, as applied

by the Court, most recently, in the case concerning East Timor
(Portugal v. Australia), Judgment, I.C.J. Reports 1995, p. 90) or as
to the admissibility of the proceedings (on the analogy of cases such
as the case concerning Northern Cameroons, I.C.J. Reports 1963,
p. 32)" (PreliminaryObjections of the Federal Republic of Nigeria,
p. 84, para. 4.11).

3. The question of third States "affected" by the decision on the merits
was examined by the Court in its Judgment of 26 November 1984 in
the case concerning Military and Paramilitary Activities in and against
Nicaragua (Nicaragua v. United States of America) ,Jurisdiction and
Admissibility. On that occasion it was stated that:

"this is a question concerning matters of substance relating to the
merits of the case: obviously the question of what States may be
'affected'by the decision on the merits is not in itself ajurisdictional
problem" (1.C.J. Reports 1984, p. 425, para. 76).

4. 1am in agreement with the principle embodied in the above quota-
tion. 1 therefore support paragraph 78 of the Judgment, in which it is
maintained that Nigeria's claims to Darak and adjacent islands could OPINION INDIVIDUELLE DE M. PARRA-ARANGUREN

[Traduction]

La quatrième exceptionpréliminairedu Nigéria - La déterminationdes
Etats «affectés»par ladécisionde la Courest une question quirelèvedufond
- Elle ne peut êtrelaisséeaux Parties; c'esà la Courd'endécider - La déci-
sion, à laphase dela compétence,selon laquelle lesintérêtd su Tchad ne sont
pas affectésexclut la possibilitéde son éventuelle interventionultérieureen
vertu de l'article62 du Statut de laCour - L'exception n'apas, dansles cir-
constancesde l'espèce,un caractèreexclusivementpréliminaire.

1. J'ai voté contrel'alinéa1 d) du dispositif de l'arrêt rejetantla qua-
trième exception préliminairesoulevéepar leNigériapour les raisons sui-
vantes.
2. Dans sa quatrième exception préliminaire, le Nigéria dit que la

Cour ne devrait pas détermineren l'espècel'emplacement de la frontière
dans le lac Tchad, dans la mesure où cette frontière constitue le tripoint
Nigéria-Cameroun-Tchaddans lelacTchad ou est constituéepar celui-ci,
parce que sa localisation affecte un Etat tiers, la République du Tchad.
Le Nigéria déclare aussique la question soulevéepar son exception ne
change rien à la situation que cet aspect

((relèvede la compétencede la Cour (par analogie avec le principe
énoncé dans l'affaire de l'Or monétairepris à Rome en 1943, arrêt,
C.I.J Recueil 1954, p. 32, tel que la Cour l'a appliquétout récem-
ment dans l'affairedu Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt,

C.I.J Recueil 1995, p. 90) ou [que] la requête[soit] recevable (par
analogie avec l'affaire du Cameroun septentrional, C.1.J Recueil
1963, p. 32)))(exceptions préliminaires dela Républiquefédérale du
Nigéria,p. 84, par. 4.1 1).

3. La question des Etats tiers «affectés»par la décisionsur le fond a
été examinépear la Cour dans l'arrêtqu'ellea rendu le 26novembre 1984
en l'affaire relativeaux Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua
et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amérique), compétence et
recevabilité.A cette occasion, la Cour a dit que:

((c'estlà une question qui touche des points de substance relevant du
fond de l'affaire: de toute évidence,la question de savoir quels Etats
pourraient être «affectés»par la décisionau fond n'est pas en soi

juridictionnelle))(C.I.J. Recueil 1984, p. 425, par. 76).
4. Je souscris aux principes énoncés dansla phrase citée ci-dessus.
J'approuve par conséquentle paragraphe 78 de l'arrêt danslequel il est

dit que les revendicationsque fait valoir le Nigéria surDarak et des îlesbring about a redetermination of the situation of the tripoint Nigeria-
Cameroon-Chad in Lake Chad, and that these claims cannot be consid-
ered by the Court at this stage of the proceedings.

5. 1cannot accept, however, the statement at the end of paragraph 78,
in which it is concluded that the Court, in due course, will be in a posi-
tion to take its decision regarding the redetermination of the tripoint
Nigeria-Cameroon-Chad "without pronouncing on interests that Chad
may have, as the Court will demonstrate hereafter". This statement
clearly runs counter to the jurisprudence of the Court in the Nicaragua
case, as quoted above, which 1 consider correct. Accordingly, in my
opinion it is not possible for the Court, at this stage of the proceedings,
to decide whether or not the redetermination of the tripoint Nigeria-

Cameroon-Chad in Lake Chad may be made "without pronouncing on
interests that Chad may have".
6. Paragraph 79 of the Judgment repeats that the request made by
Cameroon to
"'specify definitivelythe frontier between Cameroon and the Federal
Republic of Nigeria from Lake Chad to the sea'(para. 17 (f)) of the

Additional Application), may affect the tripoint, i.e., the point where
the frontiers of Cameroon, Chad and Nigeria meet";

and in order to demonstrate why the legal interests of the Republic of
Chad are not affected the Court States:

"However, the request to specify the frontier between Cameroon
and Nigeria from Lake Chad to the sea does not imply that the
tripoint could be moved away from the line constituting the Cam-
eroon-Chad boundary. Neither Cameroon nor Nigeria contests the
current course of that boundary in the centre of Lake Chad as it is
described in the 'technical document of the demarcation of the . . .
boundaries' mentioned in paragraph 65 above . . Any redefinition
of the point where the frontier between Cameroon and Nigeria
meets the Chad-Cameroon frontier could in the circumstances only

lead to a moving of the tripoint along the line of the frontier in the
Lake between Chad and Cameroon. Thus, the legal interests of
Chad as a third Statenot party to the case do not constitute the very
subject-matter of thejudgment to be rendered on the merits of Cam-
eroon's Application; and therefore, the absence of Chad does not
prevent the Court from proceeding to a specification of the border
between Cameroon and Nigeria in the Lake."

7. As stated by the Court in its Judgrnent of 26 November 1984,ren-
dered in the Nicaragua case, "[clertainly the determination of the States
'affected'could not be left to the parties but must be made by the Court"
(Military and Paramilitary Activities in and againstNicaragua (Nicara-
gua v. United States of America), Jurisdiction and Admissibility, I.C.J.environnantespourraient mener à une nouvelle déterminationde l'empla-
cement du tripoint Nigéria-Cameroun-Tchaddans le lacTchad et que ces
revendications ne sauraient êtreexaminéesau fond par la Cour au pré-
sent stade de la procédure.
5. Je ne saurais toutefois accepter la déclaration quifiguàela fin du
paragraphe 78, dans laquelle il est conclu que la Cour pourra, le moment
venu, prendre sa décisionsur la nouvelle détermination dutripoint Nigé-
ria-Cameroun-Tchad «sans seprononcer sur lesintérêtd su Tchad, comme
elle va le montrer ci-après)).Cette déclarationva clairement l'encontre
de la jurisprudence de la Cour établie dans l'affaire duNicaragua telle
que citée plushaut et que je considère comme bien fondée.En consé-
quence, à mon avis, il n'est pas possible pour la Cour,à ce stade de la

procédure, dedécidersi une nouvelle déterminationdu tripoint Nigéria-
Cameroun-Tchad dans le lac Tchad peut être ou noneffectuée«sans se
prononcer sur les intérêtdu ch ad».
6. Leparagraphe 79del'arrêt indique une nouvellefoisquela demande
présentéepar le Cameroun tendant à
((préciserdéfinitivementla frontière entre elle [la République du

Cameroun] et la Républiquefédéraledu Nigériadu lac Tchad à la
mer» (requête additionnelle,par. 17f)) est susceptible d'affecter le
tripoint, c'est-à-dire le point où les frontières du Cameroun, du
Nigéria etdu Tchad se rejoignent));
et, pour démontrer pourquoi les intérêtsjuridiquesde la République du
Tchad ne sont pas affectésla Cour déclare:

((Toutefois, la demande tendant àce que soit préciséela frontière
entre leCameroun et leNigériadu lacTchad à la mer n'impliquepas
que letripoint pourrait s'écarter dela ligne constituant la frontière
entre le Cameroun et le Tchad. Ni le Cameroun ni le Nigériane
contestent le tracé actuelde cette frontière au centre du lac, tel que
décrit dans le ((document technique de la démarcation des fron-
tières» mentionnéau paragraphe 65 ci-dessus....Procéder à une

nouvelle détermination du point où la frontière entre le Cameroun et
le Nigériarejoint celle entre le Tchad et le Cameroun ne pourrait
conduire en l'espècequ'au déplacementdu tripoint lelong de la ligne
de la frontière, dans le lac, entre le Tchad et le Cameroun. Ainsi, les
intérêtsjuridiques du Tchad,en tant quYEtattiers non partieà l'ins-
tance, ne constituent pas l'objet de la décisionndre sur le fond de
la requêtedu Cameroun; dès lors, l'absence du Tchad n'empêche
nullement la Cour de seprononcer sur le tracé de la frontière entrele
Cameroun et le Nigéria dansle lac.»

7. Ainsi que la Cour l'a dit dans l'arrêtqu'ellea rendu le 26 novembre
1984 en l'affaire du Nicaragua, «[il1est certain que la détermination
des Etats «affectés» nepeut êtrelaisséeaux parties; c'est la Cour d'en
décider» (Activitésmilitaires et paramilitaires au Nicaraguaet contre
celui-ci(Nicaragua c.Etats-Unis d'Amérique),compétenceet recevabilité,Reports 1984, p. 425,para. 75).Consequently,in my opinion, it isnot for
Cameroon and Nigeria to decide whether the interests of the Republic of
Chad are affected or not, as suggestedin paragraph 79 of the Judgment.

8. 1 agree with the statement in paragraph 79 that "the legal interests
of Chad as a third Statenot party to the case do not constitute the very
subject-matter of the judgment to be rendered on the merits of Cam-
eroon's Application"; but 1 cannot accept that, at this stage of the pro-
ceedings, the Court can decide whether the interests of the Republic
of Chad are "affected" by the determination of the tripoint Nigeria-
Cameroon-Chad in Lake Chad, and in the affirmative, to what extent.
Such a determination is a matter for the merits, as decided by the Court
in the Nicaragua case, because "it is only when the general lines of the

judgment to be given become clear that the States 'affected' could be
identified"(iC..J. Reports 1984, p. 425, para. 75).

9.1 am in agreement with paragraph 81 of the Judgment, when it
states that "Whether the location of the tripoint in Lake Chad has actu-
ally to be changed from its present position will follow from the judg-
ment on the merits of Cameroon's Application." Therefore, it is very
difficult for me to understand how the Court, at this stage of the pro-
ceedings, may also decide in the same paragraph that an eventual and
unknown change of the tripoint Nigeria-Cameroon-Chad in Lake Chad
"would have no consequence for Chad".
10. According to Article 62 of the Statute, "[s]hould a State consider
that it has an interest of a legal nature which may be affected by the deci-
sion in the case, it may submit a request to the Court to be permitted to
intervenez. Consequently, in stating that the interest of the Republic

of Chad is not affected by the determination of the tripoint Nigeria-
Cameroon-Chad in Lake Chad, as it does in paragraphs 78, 79 and 81
of the Judgment, the Court is, at the same time, precluding any possible
intervention by the Republic of Chad at a later stage of the present
case between Cameroon and Nigeria. In my opinion, this is a quite
astonishing decision, in particular because the Court does not have the
slightest idea as to what is the viewpoint of the Republic ofhad on the
matter.
11. In the above-mentioned Judgment of 26November 1984,rendered
in the Nicaragua case, the Court examined in particular the reservation
made by the United States, when depositingits Optional Clause declara-
tion, to exclude disputes arising under multilateral treaties unless al1
parties to the treaty affected by the decisionwere also parties to the case;
and it stated:

"since the procedural techniqueformerlyavailable ofjoinder of pre-
liminary objections to the merits has been done away with since the
1972 revision of the Rules of Court, the Court has no choice but toarrêt,C.I.J Recueil 1984, p. 425, par. 75). Par conséquent,à mon avis,

ce n'est pas au Cameroun et au Nigériaqu'il appartient de décidersi les
intérêts dela Républiquedu Tchad sont ou non affectés, commeon le
suggèreau paragraphe 79 de l'arrêt.
8. Je suis d'accord avec la déclaration qui figure au paragraphe 79
selon laquelle«les intérêtsjuridiques du Tchad,en tant qu7Etattiers non
partieà l'instance,ne constituent pas l'objet de la décisàorendre sur le
fond de la requêtedu Cameroun)); mais je ne saurais accepter que, à ce
stade de la procédure, la Cour puisse se prononcer sur la question de
savoir si les intérêtde la République du Tchad sont «affectés»par la
détermination du tripoint Nigéria-Cameroun-Tchaddans le lacTchad et,
dans l'affirmative, dans quelle mesure. Une telle détermination est une
question qui relèvedu fond, comme la Cour l'a décidé en l'affairedu
Nicaragua, parce que «ce n'est qu'à partir du moment où les grandes

lignes de son arrêtse dessineraient qu'elle [la Cour] pourrait déterminer
quels Etats seraient «affectés»(C.I.J Recueil 1984, p. 425, par. 75).
9. Je souscris au paragraphe 81 de l'arrêt, qui indique que[l]a ques-
tion de savoir s'il faudra effectivement déplacer l'emplacementdu tri-
point dans le lac Tchad par rapport à la position où il se situe actuelle-
ment sera résoluelorsque la Cour aura rendu son arrêtsur le fond)).
Partant, il m'esttrès difficilede comprendre comment la Cour,à ce stade
de l'instance, peut aussi dire dans ce mêmeparagraphe qu'un déplace-
ment éventuelet indéterminédu tripoint Nigéria-Cameroun-Tchad dans
le lac Tchad «serait sans conséquencepour le Tchad)).
10. Conformément à l'article 62 du Statut, «[l]orsqu'un Etat estime
que, dans un différend,un intérêt d'ordre juridiquest pour lui en cause,
il peut adresserà la Cour une requête, à fin d'intervention)). En consé-
quence, en déclarant queles intérêtsde la Républiquedu Tchad ne sont

pas affectéspar la détermination du tripoint Nigéria-Cameroun-Tchad
dans le lac Tchad, comme elle le fait aux paragraphes 78, 79 et 81 de
l'arrêt, la Courexclut en mêmetemps toute intervention éventuelle dela
République du Tchad àun stade ultérieur dela présenteaffaire opposant
le Cameroun et le Nigéria. A mon avis, c'est là une décisiontout à fait
surprenante, en particulier parce que la Cour n'a pas la moindre idéede
ce que peut êtrele point de vue de la Républiquedu Tchad sur la ques-
tion.
11. Dans l'arrêtdu 26novembre 1984rendu en l'affaire du Nicaragua,
citéplus haut, la Cour a examiné enparticulier la réservefaite par les
Etats-Unis lorsque ceux-ci ont déposé leurdéclaration en vertu de la
clause facultative, dans laquelle ils ont dit que la déclaration ne s'ap-
plique pas aux différendsrésultant d'un traité multilatéral moins que

toutes les parties au traité que la décisionconcerne soient également
partiesà l'affaire soumiseà la Cour; et elle a dit:

((puisqu'iln'est plus possibled'ordonner la jonction des exceptions
préliminairesau fond depuis la revision du Règlement de 1972,la
Cour n'a d'autre choix que d'appliquer l'article 79, paragraphe 7, de avail itself of Article 79, paragraph 7, of the present Rules of Court,

and declare that the objection based on the multilateral treaty reser-
vation of the United StatesDeclaration of Acceptance does not pos-
sess, in the circumstances of the case, an exclusively preliminary
character, and that consequently it does not constitute an obstacle
for the Court to entertain the proceedings instituted by Nicaragua
under the Application of 9 April 1984" (Military and Paramilitary
Activities in and against Nicaragua (Nicaragua v. United States
of America), Jurisdiction and Admissibility, 1.C.J. Reports 1984,
pp. 425-426,para. 76).

12. The reasons stated by the Court on that occasion are applicable to
the fourth preliminary objection raised by Nigeria requesting the Court
not to determine in these proceedings the boundary in Lake Chad to the
extent that that boundary constitutes or is determined by the tripoint
Nigeria-Cameroon-Chad in Lake Chad, because its location directly
affects a third State, the Republic ofChad. Accordingly, in my opinion,
the Court should have declared that the objection does not have, in the
circumstances of the case, an exclusivelypreliminary character.

(Signed) Gonzalo PARRA-ARANGUREN. son Règlement actuel, et de déclarer que l'objection tiréede la
réserverelative aux traités multilatérauxfigurantdans la déclaration
d'acceptation des Etats-Unis n'a pas, dans les circonstances de
l'espèce, uncaractère exclusivement préliminaire et qu'en consé-
quence rien ne s'oppose à ce que la Cour connaisse de l'instance
introduite par le Nicaragua dans sa requête du 9 avril984~(Acti-
vités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci
(Nicaragua c. Etats-Unis d'Amérique), compétenceet recevabilité,
arrêt, C.1J. Recueil 1984, p. 425-426,par. 76).

12. Les motifs énoncéspar la Cour à l'occasion de cette affaire sont
applicablesà la quatrième exception préliminaire présentéepar le Nigé-
ria, qui soutient que la Cour ne devrait pas déterminer en l'espèce
l'emplacement de la frontière dans le lac Tchad dans la mesure où cette
frontièreconstitue leripoint Nigéria-Cameroun-Tchaddans lelac Tchad
ou est constituéeparcelui-ci,parce quesa localisation affectedirectement
uii Etat tiers, la République du Tchad. En conséquence,à mon avis, la
Cour aurait dû dire que l'exception n'a pas, dans les circonstances de
l'espèce,un caractère exclusivementpréliminaire.

(Signé) Gonzalo PARRA-ARANGUREN.

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Opinion individuelle de M. Parra-Aranguren (traduction)

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