Opinion dissidente de M. le juge Yusuf

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143-20120203-JUD-01-05-EN
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OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE YUSUF

[Traduction]

Question essentielle en la présente affaire ayant été de savoir si les tribunaux ita‑

liens avaient violé l’immunité de juridiction de l’Allemagne▯ — Tribunaux italiens
ayant écarté l’immunité de l’Allemagne à l’égard▯ d’actions en réparation liées à des
violations graves du droit humanitaire en l’absence d’autre voie de▯ recours — Cour
n’ayant pas traité comme il convenait cette question essentielle —Cour s’étant atta ‑
chée à la portée de l’immunité en ce qui concerne les actes jure imperii commis par

des forces armées pendant un conflit armé et à l’importance d ▯ es normes de jus
cogens — Cour n’ayant pas, du fait de cette approche, traité comme il se de ▯ vait la
situation vécue par les victimes des atrocités nazies ne disposant d’aucune autre voie
de recours — Immunité ne devant pas être utilisée comme rempart lorsque aucu ▯ ne
autre voie de recours n’est disponible —Saisine des juridictions nationales italiennes

ayant été la dernière tentative des victimes d’obtenir r▯ aration —Immunité n’étant
pas une valeur immuable en droit international — Portée de l’immunité s’étant réduite
au cours du dernier siècle, au fur et à mesure que le droit inter▯ tional passait d’un
système juridique centré sur l’Etat à un système protég▯ eant également les droits des
êtres humains — Immunité de l’Etat faisant penser à un gruyère — Pratique des

Etats révélant des divergences considérables quant à l’ét▯ endue et à la portée de l’im
munité — Incertitudes sur les règles coutumières ne pouvant être levée ▯ s en s’en tenant
à l’examen de décisions judiciaires contradictoires — Droit international coutumier
n’étant pas qu’une question de chiffres —Nécessité d’examiner les circonstances et la
nature de chaque affaire ainsi que les facteurs qui la sous‑tendent — Possibilité de
recourir également aux principes généraux des droits de l’hom ▯ me et du droit humani‑

taire — Equilibre devant être recherché entre la fonction de l’immunité▯ et la réalisa‑
tion des droits fondamentaux de l’homme et du droit humanitaire —Nécessité d’ap‑
précier l’octroi de l’immunité à l’aune des critèr▯ de proportionnalité et de légitimité
lorsque les règles coutumières se révèlent fragmentaires et i▯ ncertainesEvolution du
droit de l’immunité s’étant souvent produite par le biais de▯ décisions isolées, rendues

par des juridictions nationales, qui ont peu à peu été géné▯ alement acceptées —Juri ‑
dictions nationales cristallisant, en se déclarant compétentes, un▯ exception naissante
à l’immunité des Etats — Juridictions nationales ne pouvant écarter l’immunité
chaque fois qu’est présentée une demande de réparation à r ▯ aison de violations du droit
international humanitaire ou des droits de l’homme — Juridictions pouvant, en se

déclarant compétentes dans des circonstances exceptionnelles, lorsq ▯ u’il n’existe
aucune autre voie de recours, contribuer à un meilleur respect du droit international
humanitaire sans porter indûment atteinte à l’immunité.

I. Introduction

1. Je ne peux malheureusement souscrire à la conclusion de la majoritép
selon laquelle

«la République italienne a manqué à son obligation de respecter p
l’immunité reconnue à la République fédérale d’Allepmagne par le

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droit international en permettant que soient intentées à son enconptre

des actions civiles fondées sur des violations du droit internationalp
humanitaire commises par le Reich allemand entre 1943 et 1945 ».

2. Je suis également en désaccord avec le raisonnement et les motifs sur
lesquels cette conclusion repose.
3. Mon désaccord porte en particulier sur le fait que l’arrêt ne traite
qu’incidemment les questions qui étaient au cœur du différend entre les

Parties; sur l’absence d’analyse appropriée de l’obligation de répparation à
raison de violations du droit international humanitaire, obligation qui pest
étroitement liée au refus de reconnaître l’immunité de l’pEtat en la présente
affaire; sur le raisonnement et les conclusions de la majorité concernant lap
portée et l’étendue de l’immunité des Etats en droit inteprnational et les cas

où il peut y être dérogé ; enfin, sur l’approche suivie quant au rôle que
jouent les juridictions nationales dans la détermination et l’épvolution des
normes du droit international coutumier, notamment dans le domaine de
l’immunité de l’Etat.
J’exposerai ci-après mes vues sur ces questions.

II. Les questions essentipelles qui se posaientp à la Cour

4. La question de l’immunité de juridiction des Etats étrangers depvant
les tribunaux nationaux dans des affaires où sont en cause des violpations
graves des droits de l’homme ou du droit humanitaire a fait l’objept de
nombreux débats doctrinaux au cours de ces dernières années, et donné
lieu à des décisions contradictoires de la part de juridictions replevant de

divers ordres. Les questions essentielles qui se posaient à la Cour en la
présente instance avaient toutefois une portée bien plus limitépe. Elles
avaient trait aux décisions prises par certaines juridictions italienpnes
d’écarter l’immunité de l’Allemagne à l’égard d’pactions qui se rapportaient
à des demandes en réparation découlant d’actes commis par le III eReich

entre 1943 et 1945, actes dont l’Allemagne a reconnu qu’ils étaient illicites.
5. Les affaires portées devant les juridictions italiennes concernaienpt cer -
taines catégories de victimes (voir, sur ce point, le paragraphe 52 de l’arrêt)
que l’Allemagne n’aurait pas indemnisées, les privant ainsi de ptoute possibi -

lité d’obtenir réparation du préjudice subi. La Cour devait pdonc déterminer
si le refus, par les juridictions italiennes, d’accorder à l’Alplemagne l’immu -
nité de juridiction à l’égard des actions engagées par des victimes de crimes
nazis cherchant à obtenir réparation et indemnisation constituait,p en l’ab -
sence d’autre voie de recours, un fait internationalement illicite. Eplle y a

répondu par l’affirmative, ce à quoi je ne puis souscrire, d’pautant que je suis
aussi en désaccord avec l’approche qui a été adoptée àp cet égard.
6. La Cour a reconnu qu’elle avait compétence pour déterminer si lpe
fait que l’Allemagne — qui a reconnu que le traitement que leur avpait
infligé le III Reich était illicite — n’ait pas indemnisé ces catégories de

victimes pouvait avoir une incidence sur l’existence et la portée pde l’im -

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munité de juridiction de l’Allemagne devant les tribunaux italiensp, et, dès

lors, si ces derniers étaient juridiquement fondés, dans ces circopnstances
particulières, à dénier l’immunité à l’Allemagne (parrêt, par. 50). Or, dans
son examen au fond, la Cour s’est presque entièrement limitée à la ques -
tion de « savoir si l’immunité est applicable aux actes commis par les
forces armées d’un Etat … dans le cadre d’un conflit armé» (ibid., par. 61).

7. Cette manière d’aborder les questions essentielles posées en l’esppèce
est, selon moi, par trop abstraite et formaliste au regard de la situatipon
vécue par les victimes des atrocités nazies qui, faute d’autresp voies de
recours, ont été contraintes de présenter leurs demandes de répparation
aux tribunaux italiens. Le différend soumis à la Cour ne portait pas, d’une

manière générale, sur l’applicabilité de l’immunitép aux actes illicites com-
mis par les forces armées d’un Etat pendant un conflit armé. pIl s’agit là
d’un sujet très vaste, qu’il est préférable de laisser aupx écrits et débats
doctrinaux. En l’espèce, le différend portait sur la décispion des juridictions
italiennes d’écarter l’immunité de juridiction de l’Allempagne afin de per -

mettre à certaines catégories de victimes italiennes — qui avaient cherehé
en vain à obtenir réparation à raison de crimes commis par le IpII Reich
et reconnus par l’Allemagne — de bénéficier d’une autre voie de recours.
8. L’Italie n’a cessé d’insister sur ce point, tant dans ses épcritures
(contre-mémoire, p. 87-122 ; et duplique, p. 11-26) qu’à l’audience

(CR 2011/18, par. 11 ; CR 2011/21, par. 4-12 ; CR 2011/21, p. 17,
par. 1-37), et l’Allemagne lui a répondu de manière fort approfondipe
(CR 2011/17, par. 14-42 ; CR 2011/20, p. 30, par. 11-36). La Cour aurait
donc dû se prononcer en conséquence.
9. Malheureusement, du fait de son approche susmentionnée, la Cour

a largement négligé, si ce n’est totalement ignoré, le caracptère central
— dans le différend opposant les Parties — du lien entre absence de répa -
ration et refus de reconnaître l’immunité par les juridictions pitaliennes
afin d’offrir aux victimes une voie de recours. Seule une courte psection
(arrêt, par. 98-104), qui traite de l’argument du « dernier recours» avancé

par l’Italie relativement à l’absence d’indemnisation de cerptaines catégo -
ries de victimes, fait exception.
10. Dans cette section, la Cour note que

«l’Allemagne [a] refusé d’accorder réparation à un groupe pde vic -
times au motif que celles-ci auraient eu droit à un statut que, à p
l’époque pertinente, elle a refusé de leur reconnaître, particulièrement
parce que ces victimes se sont vues, de ce fait, privées de la protecption

juridique à laquelle ce statut leur donnait droit » (ibid., par. 99).
Or, au lieu d’examiner les conséquences que ce défaut d’indepmnisation ainsi

que l’absence d’autres voies de recours ont pu avoir sur l’octrpoi ou non de
l’immunité à l’Allemagne devant les juridictions de l’Etapt du for en vertu du
droit international, la Cour s’est contentée de dire « qu’il [était] surpre -
nant — et regrettable — que l’Allemagne ait refusé d’accorder réparation» …
(ibid.). Il convient de rappeler à cet égard que, si les Etats portent lepurs -if

férends devant un organe juridictionnel international, et plus particpulière -

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ment l’organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies, ce

n’est pas pour que celui-ci exprime de la surprise et du regret, maisp pour qu’il
tranche utilement le litige sur le fondement du droit international.
11. Je souscris toutefois au prononcé de la Cour selon lequel « [elle]
n’ignore pas que l’immunité de juridiction reconnue à l’Allemagne confor-
mément au droit international pourrait empêcher les ressortissantsp ita -

liens concernés d’obtenir une réparation judiciaire » (arrêt, par. 104).
Selon moi, la Cour aurait néanmoins dû en tirer certaines conclusions
juridiques, notamment en ce qui concerne la licéité ou l’illicépité des déci -
sions des juridictions italiennes dans ce contexte particulier. Or, ellep a
poursuivi en indiquant que les demandes des internés militaires italipens,

comme celles émanant d’autres ressortissants italiens, « pourraient faire
l’objet de nouvelles négociations impliquant les deux Etats en vuep de par -
venir à une solution » (ibid.), suggérant ainsi que certains aspects essen -
tiels du différend qui lui a été soumis soient réglés ppar voie diplomatique
et non judiciaire.

III. L’obligation de réparaption à raison de violaptions
du droit internationapl humanitaire

12. Compte tenu de l’incidence directe que l’absence de réparation pees
violations du droit international humanitaire commises par le III Reich a
eue sur le refus des juridictions italiennes d’accorder l’immunitép à l’Alle -
magne, je déplore également que la Cour, quoique ayant reconnu ce plien
étroit, n’ait pas jugé nécessaire de se pencher, au moins dep manière générale,

sur l’obligation de réparer pareilles violations en droit internatpional.
13. L’obligation de réparation à raison de dommages subis par suitep de
violations du droit humanitaire est consacrée à l’article 3 de la conven -
tion IV de La Haye de 1907, lequel dispose que

«[l]a partie belligérante qui violerait les dispositions dudit Règlement
sera tenue à indemnité, s’il y a lieu. Elle sera responsable dep tous
actes commis par les personnes faisant partie de sa force armée. »

14. Une clause similaire figure à l’article 91 du protocole additionnel I
de 1977 aux conventions de Genève de 1949 (ci-après le « protocole I »).

Bien qu’elles ne précisent pas si les bénéficiaires en sont les individus ou
les Etats, ces dispositions établissent clairement l’existence, enp droit inter-
national, d’une obligation d’indemnisation et de réparation en pcas de vio-
lations du droit humanitaire.
15. Ce n’est que depuis une vingtaine années que l’on trouve des

exemples de particuliers ayant cherché à obtenir réparation àp raison de
dommages subis par suite de violations du droit humanitaire. Parmi ces
exemples figurent des actions engagées dans les années 1990 devant les
juridictions japonaises au nom des victimes de violations du droit interpna -
tional humanitaire commises pendant la seconde guerre mondiale, notam-

ment les personnes réduites en esclavage, les « femmes de réconfort» et les

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personnes soumises à la torture ; les procédures intentées contre l’Alle -
magne devant les tribunaux américains par l’Holocaust Restitution Move-

ment au nom des personnes astreintes au travail en esclavage pendant la p
guerre (qui ont abouti à un accord de règlement) ; l’affaire Distomo, intro -
duite en 1995 devant les juridictions grecques contre l’Allemagne par les
parents des victimes d’un massacre perpétré par les forces armées nazies ;
ou encore l’affaire Ferrini, introduite contre l’Allemagne devant les juri -

dictions italiennes par M. Luigi Ferrini, ressortissant italien arrêté
en août 1944 et déporté en Allemagne, où il a été détenu et copntraint de
travailler dans une usine de munitions jusqu’à la fin de la guerpre.
16. Historiquement, nombreux sont les exemples qui attestent que les
questions touchant la réparation de telles violations font, de longuep date,
l’objet de règlements entre Etats, que ce soit au moyen de traitéps de paix ou

d’accords de règlement. Plus récemment, il a été recouru à d’autres méca -
nismes, tels que la commission d’indemnisation pour l’Iraq étabplie par le
Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies et la commission
des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie créée pen vertu d’un accord
bilatéral. Cela ne signifie cependant pas que les individus ne sont pas ou

n’étaient pas censés être les bénéficiaires ultimes de ces mécanismes, ou
qu’ils n’auraient pas le droit d’engager des actions en répapration. Cela
signifie simplement que l’Etat dont les victimes sont des nationauxp se voit
verser une somme forfaitaire destinée à leur être redistribuépe. La solution
de tels accords semble avoir été retenue pour des raisons à la pfois politiques

et pratiques, afin d’éviter que ne se multiplient les actions inptentées par des
particuliers, ou que ne soient retardés la conclusion des traités de paix et le
rétablissement de relations normales entre anciens Etats belligérapnts.
17. La question posée en l’espèce était celle de la responsabilipté de
l’Etat. Or, lorsque les agents d’un Etat commettent des crimes au pcours
d’un conflit armé, l’Etat doit en assumer la responsabilitép et accorder

réparation aux victimes. Cette réparation intervient le plus souvepnt par le
biais de mécanismes interétatiques ou de fonds spéciaux étabplis par l’Etat
responsable. Le droit de la responsabilité des Etats n’exclut cependant
pas que les particuliers puissent jouir de certains droits par suite de pla
perpétration d’un acte illicite par un Etat. De fait, le paragraphpe 2 de

l’article 33 des articles de la Commission du droit international (ci-après
la «CDI») sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalemenpt illi -
cite précise que «[l]a présente partie est sans préjudice de tout droit que la
responsabilité internationale de l’Etat peut faire naître direcptement au
profit d’une personne ou d’une entité autre qu’un Etat ».

18. La CDI indique en outre clairement, dans son commentaire, qu’il est
des cas où les individus sont les titulaires des droits découlant pde règles
internationales relatives à la responsabilité des Etats. Il en va painsi, selon
moi, non seulement des règles énoncées dans les traités relaptifs aux droits de
l’homme, mais également de celles qui sont énoncées dans les conventions
relatives au droit humanitaire. L’article 3 de la convention IV de La Haye

et l’article 91 du protocole I l’illustrent fort bien, notamment lorsqu’ils sont
interprétés à la lumière de l’évolution récente du pdroit international dans le

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domaine des droits de l’homme et du droit humanitaire, évolution qpui
semble d’ailleurs être reconnue dans le commentaire du Comité ipnternatio -

nal de la Croix-Rouge relatif à l’article 91 du protocole I:
«Les ayants droit à l’indemnité seront normalement des Parties apu

conflit, ou leurs ressortissants, mais, à titre exceptionnel, peuvepnt être
aussi des pays neutres, en cas de violation des règles de la neutralipté ou de
comportement illicite à l’égard de ressortissants neutres sur lpe territoire
d’une Partie au conflit… Mais on peut relever, depuis 1945, une ptendance
à reconnaître l’exercice de droits individuels.» (Voir le site Internet du

CICR, www.icrc.org/dih.nsf/COM/470-750117, par. 3656 et 3657.)
19. Il est donc permis d’avancer que ni l’article 3 de la convention IV
de La Haye ni, d’ailleurs, l’article 91 du protocole I n’excluent le droit

des particuliers de formuler des demandes d’indemnisation à raison de p
dommages découlant de violations du droit international humanitaire, et
ce, même si la pratique des Etats consiste, depuis fort longtemps, àp établir
des mécanismes bilatéraux par le biais de traités de paix et d’pautres
accords, les questions d’indemnisation étant traitées par l’Etat dont les

nationaux ont subi un dommage du fait de telles violations.
20. La question se pose toutefois de savoir ce qu’il advient lorsque cer -
taines victimes de violations du droit international humanitaire — viola -
tions à l’égard desquelles l’Etat étranger a reconnu sa rpesponsabilité — ne
sont pas couvertes par les régimes établis et sont, partant, privépes de la

possibilité de bénéficier du droit d’être indemniséeps à raison desdites vio -
lations. L’Etat en cause devrait-il être autorisé à se prépvaloir de son
immunité devant les tribunaux nationaux pour se soustraire à son opbliga -
tion de réparation, notamment lorsque leur saisine risque d’être le seul
recours dont disposent les victimes ? Telle est, selon moi, la question fon -
damentale que la Cour aurait dû examiner en la présente affaire.p

IV. Examen de la portée de lp’immunité de l’État
et d’un éventuel conflpit avec les actions enp réparation

21. Mon désaccord avec l’arrêt porte également sur l’approchep et le raison -
nement de la majorité — que je ne trouve pas convaincants — en ce qui
concerne la portée et l’étendue de l’immunité de juridictpion des Etats en droit
international, ainsi que les exceptions et dérogations y relatives. Ipl est vrai que
l’immunité de l’Etat est une règle de droit international coputumier et qu’elle

ne relève pas simplement de la courtoisie, et ce, bien que certains aputeurs ne
la perçoivent que comme une exception au principe de la souverainetép terri -
toriale et de la juridiction des Etats (voir, par exemple, R. Higgins,C «ertain
Unresolved Aspects of the Law of State Immunity», Netherlands Yearbook
of International Law, p. 265-276). Sa portée s’est toutefois réduite au cours du
dernier siècle, au fur et à mesure que le droit international passpait d’un sys -

tème juridique centré sur l’Etat à un système protégeapnt également les droits
des êtres humains vis-à-vis de l’Etat.

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6 CIJ1031.indb 399 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. yusuf) 297

22. Si les juridictions nationales ont été le fer de lance de la répduction

de la portée de l’immunité, cette évolution est aussi, dans pune large
mesure, due à la reconnaissance croissante des droits des particulierps
engagés dans des transactions commerciales avec des Etats ou des entiptés
contrôlées par ceux-ci. De fait, c’est afin de protéger leps droits des per -
sonnes privées ou morales vis-à-vis des Etats que les juridictions natio -
e
nales ont adopté, dès le XIX siècle, une conception restrictive des
immunités. Il en va de même de l’exception territoriale, conçue pour pro -
téger les droits des individus contre les Etats.
23. Bien qu’elle joue un rôle important dans la conduite de relations
harmonieuses et amicales entre les Etats, l’immunité n’est doncp pas une

règle juridique dont la portée est clairement définie en toutpes circons -
tances ou dont la cohérence et la stabilité sont absolues. Des différences
considérables existent en effet dans la manière dont sa portépe et son éten -
due sont interprétées et appliquées par les Etats, notamment papr les juri-
dictions nationales. Aussi n’y a-t-il pas grand sens à considérer que

certaines exceptions font partie du droit international coutumier alors p
que leur application continue de donner lieu à des décisions judicpiaires
nationales divergentes, et à considérer que d’autres, fondées sur des déci -
sions tout aussi contradictoires, étayent l’inexistence de normes coutu -
mières. Pareille approche peut donner l’impression que les décipsions

retenues, en particulier lorsqu’elles sont relativement peu nombreuseps de
part et d’autre de la balance, l’ont été par opportunité.p
24. L’on peut ainsi se demander si les décisions rendues par une poi -
gnée de juridictions nationales (voir paragraphes 73-74 de l’arrêt) peuvent
être considérées comme une pratique étatique étayant l’pexistence d’une

règle de droit international coutumier selon laquelle
«un Etat continue de jouir, dans le cadre d’instances civiles, de l’pim -

munité à raison d’actes jure imperii lorsque sont en cause des actes
ayant entraîné la mort, un préjudice corporel ou un préjudicpe maté -
riel commis par ses forces armées et autres organes dans le cadre
d’un conflit armé, même lorsque les actes en question ont eu plieu sur
le territoire de l’Etat du for » (arrêt, par. 77).

L’on peut également se demander pourquoi il conviendrait d’accoprder,
aux fins d’établir l’existence de normes de droit coutumier, pdavantage

d’importance à ces décisions qu’à celles des juridictions supérieures
d’Italie et de Grèce (ibid., par. 27-36). Le droit international coutumier
n’est-il qu’une question de chiffres ?
N’aurait-il pas été plus juste de reconnaître, au vu de dépcisions judiciaires
contradictoires et de pratiques étatiques divergentes, que le droit ipnternatio -

nal coutumier demeure, dans ce domaine, fragmentaire et incertain?
25. Il convient de rappeler que même la distinction classique entre
actes jure gestionis et actes jure imperii, souvent utilisée pour des raisons
pratiques afin de regrouper certaines exceptions en fonction de la nature
des actes en cause, est loin d’être appliquée universellement ept de manière

uniforme, la qualification de certains actes demeurant controverséep parmi

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6 CIJ1031.indb 401 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. yusuf) 298

les Etats et les juridictions nationales. De surcroît, la définiption de la

notion fondamentale qui sous-tend cette distinction, à savoir les trapnsac-
tions commerciales, reste floue. Dans le même temps, les exceptionsp et
dérogations à l’immunité de l’Etat ne cessent de se dépvelopper.
26. L’immunité de l’Etat fait, en réalité, penser à un grupyère. Aussi, pour
autant que la pratique et l’opinio juris des Etats révèlent l’existence de normes

coutumières de droit international, il apparaît clairement que la pportée et
l’étendue de l’immunité de l’Etat, en particulier dans lep domaine des violations
des droits de l’homme et du droit humanitaire — qui se caractérise aujourd’hui
par des décisions judiciaires nationales contradictoires du point de pvue de son
interprétation et de son application —, restent un pan de la coutume inter-

nationale incertain et changeant, dont les contours sont mal définips.
27. Ces incertitudes ne peuvent, selon moi, être adéquatement levéeps en
s’en tenant à l’examen de décisions judiciaires contradictoipres rendues par
des juridictions nationales — qui sont d’ailleurs peu nombreuses en ce qui
concerne les violations des droits de l’homme et du droit humanitaire

dans le cadre d’un conflit armé (ou l’absence de réparatipon à raison de
telles violations) —, pour ensuite recenser celles qui sont favorables à
l’application de l’immunité et celles qui ne le sont pas. Je dopute que cette
méthode permette d’obtenir des résultats véritablement utileps ou contri -
bue à la clarification du droit dans ce domaine. En outre, l’immpunité de

juridiction des Etats ne peut être interprétée dans l’abstrapit ou appliquée
hors de tout contexte ; les caractéristiques des différentes affaires, les cir -
constances dans lesquelles celles-ci s’inscrivent, ainsi que les factpeurs qui
les sous-tendent, doivent être pleinement pris en compte. En l’esppèce
étaient en cause des demandes de réparation découlant d’acteps illicites

admis par l’Etat responsable, pour lesquelles aucune autre voie de recours
ne semblait disponible. C’est ce qui rendait l’affaire assez inhpabituelle,
ainsi que cela a d’ailleurs été reconnu dans l’arrêt (papr. 60).
28. Lorsque les immunités juridictionnelles entrent en conflit avec cerp -
tains droits fondamentaux consacrés par les droits de l’homme ou le droit

humanitaire, que l’Etat du for a pour obligation de garantir et d’pappli -
quer sur son territoire et dont la réalisation reflète des valeuprs fondamen-
tales de la communauté internationale, il est bien plus approprié pde
s’interroger sur la manière dont, en droit international contemporain, « il
faut … réaliser un équilibre entre deux séries de fonctions qui sont tpoutes

deux précieuses pour la communauté internationale » (voir Mandat d’ar ‑
rêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique),
arrêt, C.I.J. Recueil 2002, opinion individuelle commune de M me Higgins,
M. Kooijmans et M. Buergenthal, p. 85, par. 75). Dans le monde actuel,
utiliser l’immunité de l’Etat pour faire obstacle au droit d’paccès à la jus -

tice et au droit à un recours effectif peut être considérép comme abusif.
29. L’équilibre susmentionné doit être recherché entre les fonctions et
l’objet intrinsèques de l’immunité, d’une part, la protecption et la réalisa -
tion des droits fondamentaux de l’homme et des principes du droit humpa -
nitaire, d’autre part. Dans les affaires Waite et Kennedy c. Allemagne et

Beer et Regan c. Allemagne, la Cour européenne des droits de l’homme

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6 CIJ1031.indb 403 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. yusuf) 299

(ci-après la « CEDH») a ainsi reconnu la nécessité de mettre en balance

l’octroi de l’immunité (dans le cas d’organisations internaptionales) avec le
droit d’accès à la justice et le droit à un recours effectpif. Elle a souligné
que,

«pour déterminer si l’immunité de l’ASE [l’Agence spatialep euro -
péenne] devant les juridictions allemandes est admissible au regard
de la Convention, il import[ait], selon la Cour, d’examiner si les
requérants disposaient d’autres voies raisonnables pour protégepr

leurs droits garantis par oa Convention » (CEDH, Waite et Kennedy
c. Allemagne (requête n 26083/94, arrêt du 18 février 1999, par. 68 ;
et affaire Beer et Regan c. Allemagne (requête n o28934/95, arrêt du
18 février 1999, par. 58).

30. L’examen de la question de savoir si, en la présente affaire, le droit
international prescrivait aux juridictions italiennes d’accorder l’pimmunité

à l’Allemagne ou s’il les autorisait à ne pas le faire ne peput, à mon sens,
exclure l’application des principes généraux qui sous-tendent lpes droits de
l’homme et le droit humanitaire, et consacrent certains droits fondampen -
taux tels que le droit à un recours effectif, le droit à répapration à raison de
dommages subis du fait de violations du droit humanitaire et le droit àp la

protection contre les dénis de justice, autant de droits pertinents cpompte
tenu des circonstances dans lesquelles s’inscrivaient les actions en pcause.
Le droit de l’immunité des Etats, tel qu’invoqué dans les affpaires soumises
aux juridictions italiennes, ne peut pas non plus être interprétép d’une façon
qui contrarierait la réalisation de ces droits au regard du droit internatio -

nal contemporain. Plus important encore, lorsque les règles régissant l’im-
munité de l’Etat ou les exceptions à celle-ci se révèlentp fragmentaires ou
incertaines — comme dans le cas de violations des droits de l’homme ou
du droit humanitaire n’ayant pas donné lieu à une réparation appro -
priée —, il conviendrait de prendre en considération les principes susmepn -

tionnés et d’apprécier l’octroi de l’immunité à l’paune des critères de
proportionnalité et de légitimité.
31. Parmi ces principes figurent ceux que l’Assemblée généralep des
Nations Unies a proclamés au titre des « [p]rincipes fondamentaux
et directives concernant le droit à un recours et à réparation desp victimes

de violations flagrantes du droit international des droits de l’hompme et
de violations graves du droit international humanitaire », dans sa résolu -
tion 60/147 du 16 décembre 2005. Aux termes de cette résolution,

«11. Les recours contre les violations flagrantes du droit interna -
tional des droits de l’homme et les violations graves du droit internpa-
tional humanitaire comprennent le droit de la victime aux garanties

suivantes, prévues par le droit international :
a) Accès effectif à la justice, dans des conditions d’égalitép;
b) Réparation adéquate, effective et rapide du préjudice subi ;
c) Accès aux informations utiles concernant les violations et les

mécanismes de réparation. »

204

6 CIJ1031.indb 405 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. yusuf) 300

Il est ensuite précisé que

«12. [l]es victimes d’une violation flagrante du droit international …
humanitaire auront, dans des conditions d’égalité, accès àp un recours
judiciaire utile, conformément au droit international. »

32. Lorsqu’il a présenté les dispositions de cette résolution dep l’Assem-
blée générale, le rapporteur spécial de l’Organisation deps Nations Unies,

Theo van Boven, a relevé ce qui suit :
««Les principes et directives » ont, dès le départ, été fondés sur le

droit de la responsabilité de l’Etat… Certains gouvernements onpt
toutefois soutenu que les articles sur la responsabilité de l’Etatp
avaient été conçus pour régir les relations interétatiqueps et qu’ils ne
devaient pas, per se, s’appliquer aux relations entre les Etats et les
individus. Cet argument a été contesté en ce qu’il ne tenait pas
compte de l’évolution intervenue depuis la seconde guerre mondiale

dans le domaine des droits de l’homme, lesquels constituent désor -
mais une partie intégrante et dynamique du droit international, ce
qu’attestent les très nombreux traités internationaux, largemenpt rati -
fiés, qui ont été conclus dans ce domaine. Il a également pété avancé
que cet argument ne tenait pas compte du fait que l’obligation d’ac -

corder réparation à raison d’une faute de l’Etat était sip largement
reconnue que le droit à un recours effectif à raison de violatiopns des
droits de l’homme et, a fortiori, de violations graves des droits de
l’homme pouvait être considéré comme faisant partie du droitp inter -
national coutumier. » (Theo van Boven, The United Nations Basic

Principles and Guidelines on the Right to a Remedy and Reparation for
Victims of Gross Violations of International Human Rights Law and
Serious Violations of International Humanitarian Law, Bibliothèque
audiovisuelle sur le droit international de l’Organisation des
Nations Unies, p. 1-2.)

33. De même, dans le rapport de la commission des Nations Unies sur
le Darfour, il est précisé que,

«à l’heure actuelle, … en cas de violation grave des droits de l’homme
constituant un crime de droit international, le droit international cou -
tumier non seulement reconnaît la responsabilité pénale des autpeurs

de la violation, mais aussi impose à l’Etat ou aux États dont ipls sont
ressortissants ou dont ils sont, en droit ou en fait, les agents l’obliga -
tion de réparer (y compris par une indemnisation) le préjudice cpaus» é
(Rapport de la commission internationale d’enquête sur le Darfour,
25 janvier 2005, par. 598-599).

34. Parmi les trois catégories de victimes italiennes d’actes illiciteps com -
mis par le régime nazi qui sont mentionnées au paragraphe 52 de l’arrêt,
la Cour insiste plus particulièrement sur le sort des internés milpitaires ita -

liens, auxquels l’Allemagne a refusé d’accorder réparation apu motif que
les prisonniers de guerre n’avaient pas droit à réparation pourp travail

205

6 CIJ1031.indb 407 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. yusuf) 301

forcé, et ce, alors même que les intéressés s’étaient vu, dans les faits, refu -

ser le statut de prisonnier de guerre par les autorités nazies. Ayantp établi
que cette catégorie de victimes au moins n’avait pas la possibilité d’obte -
nir réparation de l’Allemagne par le biais d’autres mécanismpes, tels que
des accords interétatiques ou la législation nationale de ce pays,p la Cour
aurait dû, selon moi, se demander si l’octroi de l’immunité pà l’Allemagne

par les juridictions italiennes aurait porté atteinte au droit à rpéparation
des internés militaires, à leur droit d’accès à la justicpe ou à leur droit à un
recours effectif à raison des dommages subis.
35. L’immunité n’est pas une valeur immuable du droit internationalp.

Son adaptabilité à l’évolution de la société internatiponale, ainsi que sa sou -
plesse, sont attestées par le nombre d’exceptions qui se sont progressivement
fait jour au cours du dernier siècle, la plupart reflétant le popids normatif
croissant attaché à la protection des droits des particuliers vis-à-vis de l’Etat,
que ce soit lorsque ceux-ci participent à titre privé à des transactions com-

merciales avec lui ou lorsqu’ils sont victimes d’actes dommageableps commis
par ses représentants. Cela ne signifie pas que l’importance du prôle que joue
l’immunité aux fins de la stabilité des relations interétaptiques ou d’une attr-
bution et d’un exercice rationnels de la compétence dans les affaires impli-
quant des Etats ait été affaiblie. En dépit du nombre croissant d’exceptions,

l’immunité continue en effet de remplir ces fonctions.
36. Lorsque le droit de l’immunité de l’Etat et les exceptions y replatives
demeurent incertains et changeants, l’octroi ou non de l’immunitép par les
juridictions nationales dans des affaires se rapportant à des demanpdes

découlant de crimes internationaux nécessite un examen contextuel non
seulement pour que soit donnée la qualification juridique appropriépe aux
demandes en cause, mais également pour que puisse être appréciépe l’inci-
dence que cela pourrait avoir sur d’autres valeurs normatives auxquelples
la communauté internationale attache une importance similaire. De faipt,

il est largement admis dans la jurisprudence nationale que, avant de se p
prononcer sur l’existence de l’immunité en tant que droit de l’pEtat étran-
ger, le tribunal saisi doit examiner les éléments sous-tendant l’paffaire afin
de déterminer si une exception s’applique ou non (voir, par exemple,
Conrades c. Royaume‑Uni (1981), ILR, vol. 65, p. 205 (tribunal des

prud’hommes de Hanovre) ; Farouk Abdul Aziz c. Yémen (2005), [2005]
EWCA, civ 745, par. 61-62 (cour d’appel d’Angleterre, chambre civile) ;
Kuwait Airways Corp. c. Irak, 2010 CSC 40, [2010] 2 RCS 571, par. 33
(Cour suprême du Canada)). A cet égard, la Cour de cassation frpançaise

a déclaré ce qui suit en l’affaire Bucheron :
«attendu que l’immunité de juridiction des Etats étrangers, bienp

qu’étant de principe, n’est que relative et connaît des excepptions ;
qu’il en résulte que la juridiction devant laquelle elle est invoqpuée est
dans la nécessité d’en apprécier le bien-fondé au regard du fond du
litige pour décider s’il y a lieu d’accueillir ou non cette fin de non-
recevoir d’une nature particulière » (n° 02-45961, 16 décembre 2003,
o
Bull. civ., 2003, n 258, p. 206).

206

6 CIJ1031.indb 409 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. yusuf) 302

37. Le caractère préliminaire de la question de l’immunité de jupridic -
tion n’empêche donc pas les tribunaux nationaux — en l’espèce, ita -

liens — d’examiner le contexte par rapport auquel la réclamation a épté
formulée afin de donner une qualification juridique appropriée aux actes
à l’égard desquels l’immunité est revendiquée, et, lorsque cela est néces -
saire, de mettre en balance les différents éléments sous-tendpant l’affaire en
vue de déterminer s’ils sont ou non compétents.

38. En la présente espèce, les arguments de l’Allemagne s’articuplaient
autour de l’idée selon laquelle aucune limitation à l’immunipté dont jouit un
Etat en ce qui concerne les actes jure imperii n’était applicable, en ce sens que

«il n’existe pas de pratique générale, soutenue par l’opinio juris, élar -
gissant la dérogation au principe de l’immunité des Etats aux cas de
violations du droit humanitaire commises par des forces armées pen -
dant un conflit armé » (mémoire de l’Allemagne, par. 55).

Toujours selon l’Allemagne,

«[l]a pratique relative au règlement des réclamations nées d’pun conflit
armé est parfaitement constante. Les traités internationaux régpissant
les relations entre les Etats intéressés contiennent généralpement des
dispositions relatives au règlement de ces demandes d’indemnisation.
Les réclamations résultant de la seconde guerre mondiale, en partipcu -

lier, ont toutes été réglées par cette voie traditionnelle. » (Ibid.)
39. L’Italie a, quant à elle, soutenu ce qui suit :

«Le refus d’une réparation appropriée et effective que l’Alplemagne
continue d’opposer à un grand nombre de victimes italiennes de viop-
lations graves du droit international humanitaire commises par les
autorités allemandes au cours de la dernière période de la secopnde

guerre mondiale, qui ont été reconnues et confirmées par l’pAllemagne
moyennant les accords de 1961 et des mesures unilatérales prises par
la suite, devait être examiné.» (Contre-mémoire de l’Italie, par. 6.15.)

Et l’Italie d’ajouter :
«Face à un refus de réparation aussi flagrant et prolongé en vpiola-

tion de toutes les règles pertinentes du droit international, les jugpes
italiens ne pouvaient simplement rejeter les actions des victimes en
reconnaissant le principe de l’immunité des Etats. Il est clair qupe, au
vu de la gravité des crimes qui n’avaient pas encore donné lieup à une
réparation, les juges avaient le sentiment qu’en appliquant un pripn -

cipe de nature purement procédurale ils feraient naître une situatpion
classique de déni de justice. Si les juridictions italiennes avaient p
accordé l’immunité, elles auraient mis un point final à l’pensemble de
la question de la réparation pour des milliers de victimes. Elles
auraient en effet exclu toute possibilité que ces actions aboutissepnt à
un quelconque résultat. En revanche, elles avaient des justificatiopns

très sérieuses pour écarter l’immunité de l’Allemagne pet vérifier si les
demandes étaient justifiées au fond. » (Ibid., par. 6.16.)

207

6 CIJ1031.indb 411 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. yusuf) 303

40. La question du conflit pouvant exister entre l’immunité de l’pEtat et

les réparations dues à raison de violations du droit humanitaire ap récem-
ment fait l’objet d’un rapport et d’une résolution de l’Institut de droit
international. Lorsqu’elle a présenté ce rapport, intitulé «pLes droits fon -
damentaux de la personne face aux immunités de juridiction du droit
international», à la session de Naples de l’Institut en 2009, lady Fox a

déclaré ce qui suit :
«une difficulté supplémentaire s’est fait jour en ce qui concerpne l’im -

munité de l’Etat : était-il illogique, voire injustifiable d’un point de
vue moral, qu’un représentant de l’Etat puisse aujourd’hui fpaire l’ob -
jet de poursuites pénales devant les juridictions nationales tandis qpue
l’Etat ayant ordonné les actes en cause pourrait, lui, s’abriter derrière
son immunité de juridiction civile pour ce qui est des réparationsp

dues à raison de tels crimes ?» (Annuaire de l’Institut de droit interna ‑
tional, session de Naples, vol. 73, p. 110).

41. Dans la résolution qu’il a adoptée sur la base du rapport prépsenté
par lady Fox, l’Institut s’est notamment intéressé au « conflit latent entre
les immunités de juridiction des Etats et de leurs agents, d’une ppart, et les
réclamations liées à des crimes internationaux, d’autre partp », et a formulé
deux observations pertinentes en ce qui concerne les questions dont la

Cour a eu à connaître en l’espèce. Premièrement, il a recponnu, dans un
alinéa du préambule, que « la levée de l’immunité lors de procédures
engagées devant des juridictions nationales [était] un des moyens pd’as-
surer aux victimes de crimes internationaux une réparation effectivpe ».
Deuxièmement, il a indiqué, au paragraphe 2 de l’article II, consacré

aux principes, que « [l]es immunités ne devraient pas faire obstacle à la
réparation adéquate [à laquelle] ont droit les victimes des cripmes visés
par la présente résolution » (ibid., p. 228-230).
42. Ces observations reflètent selon moi l’état actuel du droit ipnterna -
tional en ce qui concerne le lien entre immunité de l’Etat et demapndes de

réparation découlant d’actes illicites commis au cours d’un conflit armé,
en particulier dans des circonstances aussi exceptionnelles que celles aux -
quelles ont été confrontées les victimes italiennes d’atrociptés commises par
le IIIeReich pendant la seconde guerre mondiale, qui ne semblaient dis -
poser d’aucune autre voie de recours. Elles ne sauraient toutefois êptre

interprétées comme signifiant que l’immunité doit être pécartée chaque fois
que des demandes de réparation à raison de crimes commis par les apgents
d’un Etat étranger sont présentées à des juridictions natpionales. Ces
observations visent plutôt à souligner la nécessité d’accporder une répara -
tion appropriée et effective aux victimes, l’immunité ne devapnt pas y faire

obstacle lorsque, à titre exceptionnel, aucune autre voie de recours pn’est
disponible. Il s’agit là d’une exception à l’immunité fort limitée, circons -
crite par les circonstances spéciales liées à l’absence d’autres voies de
recours. La manière dont il aurait pu être tenu compte de ces conspidé-
rations en la présente affaire est examinée aux paragraphes 49 à 54 ci-

dessous.

208

6 CIJ1031.indb 413 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. yusuf) 304

V. Juridictions nationaples, immunité de l’Étapt et droit
à réparation à raisonp de violations du droitp international

humanitaire commiseps dans l’État du for

43. Le droit relatif à l’immunité de l’Etat a évolué au fipl des années du
fait des décisions rendues par les juridictions nationales. Ce sont cpes tri -
bunaux qui, le plus souvent, ont déterminé et précisé la nature et la portée

de l’immunité de l’Etat. C’est à eux que nous devons la dpistinction entre
actes jure gestionis et actes jure imperii, ainsi que d’autres dérogations et
exceptions à l’immunité de l’Etat. Etant donné la diversipté de ces juridic -
tions, certaines divergences et certains conflits quant à l’inteprprétation et
à l’application de ce droit à des circonstances spécifiques existent néces -
sairement. Aussi n’est-il pas surprenant que de nombreux aspects de cpes

exceptions et dérogations demeurent incertains.
44. Les décisions des tribunaux italiens tout comme l’arrêt Distomo
rendu en Grèce peuvent être considérés comme s’inscrivantp dans un pro -
cessus d’évolution plus général, où les décisions des pjuridictions natio -
nales ont donné naissance à un certain nombre d’exceptions àp l’immunité

de juridiction des Etats, telles que l’exception territoriale, l’epxception en
matière d’emploi et l’exception en matière de propriétép intellectuelle. On
peut bien sûr se demander si, compte tenu du caractère incertain dpe
la portée et de l’étendue de l’immunité de l’Etat en droipt international
coutumier à l’époque où les décisions pertinentes ont épté rendues, ces

exceptions auraient dues être considérées comme contraires au dproit
international lorsqu’elles ont été énoncées pour la première fois par une
ou deux juridictions nationales.
45. A cet égard, il est particulièrement intéressant que la Cour repnvoie,
en y souscrivant, à l’arrêt rendu en 1961 par la Cour suprême d’Autriche
en l’affaire Holubek c. Gouvernement des Etats‑Unis d’Amérique (ILR,

vol. 40, 1962, p. 73), lequel est sans doute l’un des premiers à avoir
reconnu la notion d’exception territoriale à l’immunité de l’Etat. Quel
aurait été le sort de cette importante exception — qui est aujourd’hui lar -
gement appliquée et a été codifiée dans toutes les conventpions existantes
sur l’immunité de l’Etat — si l’arrêt de la Cour suprême d’Autriche avait

été jugé contraire au droit de l’immunité de l’Etat papr un organe judiciaire
international au milieu des années 1960 ? Une norme naissante, qui reflète
aujourd’hui une opinio juris et une pratique étatique largement répandues,
aurait alors assurément été tuée dans l’œuf.
46. Ainsi que lord Denning l’a fait observer en ce qui concerne l’excep -

tion relative aux actes jure gestionis, « [c]haque fois qu’un changement
intervient, c’est parce que quelqu’un a fait, à un moment donnép, le premier
pas. Un pays peut enclencher seul le processus, et être ensuite suivip par
d’autres. Les petits ruisseaux font les grandes rivières». (Cité dansBrohmer,
State Immunity and the Violation of Human Rights, 1997, p. 20, note 85.)
47. Certaines règles du droit international peuvent demeurer incer -

taines et voir leur existence faire l’objet de débats dans la doctprine, jusqu’à
ce qu’une juridiction — nationale, dans le cas des immunités de l’Etat —

209

6 CIJ1031.indb 415 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. yusuf) 305

clarifie leur statut et établisse leur nature juridique. Cela s’pest produit à de
nombreuses reprises pour les exceptions et dérogations à l’immupnité de

l’Etat. En effet, ce n’est pas au travers d’échanges diplopmatiques ou par la
conclusion de conventions, ni même par des décisions internationalpes ou
sentences arbitrales, qu’elles se sont développées. Leur évolution a le plus
souvent résulté d’un très petit nombre de décisions, voirpe de décisions
isolées, rendues par des juridictions nationales, qui ont peu à pepu été

généralement acceptées.
48. Il n’est dès lors pas à exclure que, dans le domaine de l’impmunité de
l’Etat, les juridictions nationales puissent participer au développpement du
droit, et ce, même lorsque leurs conclusions ne sont pas partagéesp par d’autres
tribunaux ou sont perçues, prima facie, comme n’étant pas conformes à ce

qui était jusqu’alors considéré comme étant la pratique éptatique. En se réfé -
rant à des décisions judiciaires dans lesquelles certaines déropgations et ex-cep
tions à l’immunité de l’Etat ont été formulées pour la première fois, la Cour
semble elle-même reconnaître que les tribunaux nationaux peuvent jpouer un
rôle dans le développement futur de cette branche du droit.

49. Dans le rapport qu’il a présenté à l’Institut de droit inpternational
intitulé « L’activité du juge interne et les relations internationales de
l’Etat», le professeur Benedetto Conforti a déclaré ce qui suit :

«Aux articles 4 à 7 du projet de résolution, l’indépendance des
juridictions nationales … est examinée au regard des différentes
sources du droit international. Pour ce qui est tout d’abord du droitp
coutumier, il n’y a jamais eu de doute, semble-t-il, que les tribunaupx

nationaux, lorsqu’ils sont appelés à appliquer une règle couptumière,
jouissent d’une liberté d’appréciation totale. A cet égarpd, deux
aspects au moins posent toutefois problème : le premier a trait à la
participation de ces juridictions à la formation et à l’évolpution du
droit coutumier…

S’agissant du premier aspect, nous pouvons considérer, en nous en p
tenant à la tendance dominante dans la jurisprudence nationale, que
les juridictions peuvent examiner la question de savoir si une règle p
coutumière répond aux exigences d’équité et de justice etp, si tel n’est
pas le cas, refuser de l’appliquer, à condition toutefois que ce cphoix

soit étayé par la pratique étatique, quand bien même celle-ci serait
encore fragmentaire et en cours de formation. »

Et M. Conforti d’ajouter :
«Pour conclure sur ce point, nous pouvons dire que le juge est

fondé à refuser d’appliquer une norme coutumière internationale ou
à estimer qu’elle est totalement ou partiellement modifiée s’pil constate
l’existence d’une opinio necessitates en ce sens, et si l’extinction de
cette norme ou l’émergence d’une norme nouvelle trouve son origine
dans une pratique internationale et/ou nationale, même fragmen -

taire.» (Rapport provisoire, deuxième partie, L’activité du juge
interne et les relations internationales de l’Etat, p. 386-387.)

210

6 CIJ1031.indb 417 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. yusuf) 306

50. Tant les règles régissant l’immunité de l’Etat que le dropit individuel
à réparation à raison de crimes internationaux commis par des apgents de

l’Etat sont en pleine évolution. L’Institut de droit international l’a
reconnu dans la résolution de Naples susmentionnée, dans laquelle pil a
fait référence au « conflit latent entre les immunités de juridiction des
Etats et de leurs agents, d’une part, et les réclamations liéesp à des crimes
internationaux, d’autre part ». Ce conflit n’existait pas par le passé, mais

s’est fait jour récemment. Il est né de l’opinion largement prépandue dans
la communauté internationale (manière d’opinio juris necessitates) selon
laquelle l’immunité de l’Etat ne devrait pas être utilisépe comme un rem -
part contre les réparations auxquelles ont droit les victimes de telsp crimes.
Telle est, selon moi, la situation à laquelle s’est trouvée conpfrontée la
«Corte di Cassazione » dans l’affaire Ferrini et les affaires qui ont suivi.

51. Qu’une juridiction nationale se déclare compétente en raison d’pun
défaut de réparation de violations graves du droit des conflits parmés
reconnues par l’Etat responsable, en particulier lorsqu’il n’expiste aucune
autre voie de recours, ne saurait, selon moi, porter atteinte à l’pindépen -
dance ou à la souveraineté des Etats. Cela contribue simplement àp la cris-

tallisation d’une exception à l’immunité de l’Etat en devpenir, exception
fondée sur les principes qui sous-tendent les droits de l’homme etp le droit
humanitaire ainsi que sur l’opinio juris largement répandue selon laquelle
il convient de veiller à la réalisation de ces droits, y compris lpe droit à un
recours effectif, lorsque les victimes ne bénéficient d’aucpune autre voie de

recours.
52. Reconnaître qu’un défaut de réparation à raison de crimesp de
guerre ou de crimes contre l’humanité peut conduire à priver un Etat de
son immunité devant les juridictions nationales, notamment lorsqu’pil
n’existe aucune autre voie de recours, ne revient pas à limiter dapvantage
la portée de l’immunité de l’Etat ; cela permet de la faire concorder avec

l’importance normative croissante que la communauté internationalep
attache à la protection des droits de l’homme et du droit humanitapire,
ainsi qu’avec la réalisation du droit à un recours effectif ppour tout être
humain. Cela pourrait également dissuader les Etats de ne pas respectper le
droit humanitaire.

53. Compte tenu des circonstances exceptionnelles dans lesquelles
s’inscrivaient les demandes de réparation des victimes italiennes, je ne suis
pas convaincu qu’il suffise de dire que « le fait que l’immunité puisse faire
obstacle à l’exercice de la compétence judiciaire dans une affaire donnée
est sans incidence sur l’applicabilité des règles matérielleps du droit inter -

national» (arrêt, par. 100). L’une des questions qui peut se poser à cet
égard est celle de savoir si, dans l’hypothèse où l’immunpité serait accordée
dans une affaire de cette nature, l’Etat défendeur serait tenu dp’offrir aux
victimes des violations qu’il a reconnues une autre voie de recours. pIl
s’agit là d’une question importante, à laquelle une réponpse aurait dû être
apportée en cours d’instance ou dans l’arrêt. De plus, je dopute qu’une

mise en cause de la responsabilité n’offrant ni voie de recours pni système
de réparation serait réellement utile aux victimes.

211

6 CIJ1031.indb 419 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. yusuf) 307

54. Ces observations ne doivent pas être interprétées comme signifipant
que les juridictions de l’Etat dans lequel les violations en cause ont été

commises ont le droit d’écarter l’immunité de l’Etat respponsable chaque
fois que leur est présentée une demande de réparation à raispon de crimes
au regard du droit international ou des droits de l’homme. Cela risquperait
en effet non seulement de donner lieu à d’innombrables procèsp et d’en-
gorger le système judiciaire de l’Etat dans lequel ces actions serpaient

engagées, mais aussi de gripper la machine gouvernementale de l’Etat
responsable. De surcroît, outre les mécanismes interétatiques opu d’indem -
nisation traditionnellement utilisés, et rappelés ci-dessus, de nopuvelles
pratiques se sont développées sur le plan international ces dernièpres
années — telles que la Commission d’indemnisation des Nations Unies
pour l’Iraq, instituée par la résolution 687 (1991) du Conseil de sécurité,

et la Commission des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie, créée en
vertu de l’accord du 12 décembre 2000 — afin de permettre aux victimes
de violations du droit international d’obtenir réparation.
55. Bien que ce soit aux Etats qu’il incombe de présenter les demandesp
des particuliers devant ces commissions, l’important est qu’il exipste un

mécanisme de réparation devant lequel celles-ci peuvent être poprtées,
mécanisme offrant une voie de recours effective. Ce n’est que plorsque l’in -
demnisation de certaines catégories de victimes, comme dans les affpaires
italiennes, n’est prévue par aucun régime interétatique d’pindemnisation,
par aucun autre mécanisme international ni par la législation de lp’Etat res -

ponsable, et lorsque les victimes concernées ont, pour ainsi dire, fapit les
frais d’une faille du système, que les juridictions de l’Etat dpu for sont, selon
moi, fondées à offrir une voie de recours autre et « ultime», ainsi qu’un
recours effectif, aux victimes de violations graves du droit humanitaipre, et
ce, afin d’éviter un déni de justice. Le « conflit latent» auquel il était fait
référence dans la résolution de Naples de l’Institut de droipt international

devrait, dans des circonstances aussi exceptionnelles, être tranchép en faveur
des victimes de violations graves du droit international humanitaire.

VI. Observations finalesp

56. La question essentielle qui se posait en l’espèce n’était paps de savoir si,
chaque fois qu’une affaire se rapporte à des violations allégpuées des droits de
l’homme ou du droit humanitaire, il devrait être dérogé àp l’immunité ou s’il
existerait, d’une manière générale, une exception à l’pimmunité de juridiction

en matière de droits de l’homme ou de droit humanitaire. La questipon essen -
tielle était de savoir si, dans des circonstances exceptionnelles, loprsque l’m-
munité risque de priver les victimes de crimes internationaux d’unp recours
effectif ou lorsqu’il n’existe aucune autre voie de recours, l’pimmunité devrait
être accordée ou écartée par les juridictions nationales. Auptrement dit,
lorsque la réparation n’a pas été prévue par le biais d’un mécanisme spéci -

fique, l’immunité devrait-elle être utilisée, devant les jpuridictions nationales,
comme un rempart contre l’obligation d’accorder réparation aux pvictim?es

212

6 CIJ1031.indb 421 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. yusuf) 308

57. Il me semble que, dans ce cas, le fait d’écarter l’immunité de la

manière fort restrictive préconisée ci-dessus (par. 49-54 supra) renforce -
rait l’exécution du droit humanitaire et la protection des valeursp fondées
sur les droits de l’homme, qui sont celles de la communauté internpationale
dans son ensemble.
58. En tant qu’organe judiciaire principal de l’Organisation des

Nations Unies, la Cour a un rôle d’orientation important à jouer en ce p
qui concerne les règles du droit international et leur clarification, en par -
ticulier lorsqu’elles sont incertaines et changeantes. Elle avait en pl’espèce
une occasion unique de le faire. Elle aurait pu clarifier le droit en pallant
dans le sens dans lequel il évolue d’ores et déjà, celui d’pune exception

limitée et réaliste à l’immunité de juridiction dans le cpas où les victimes ne
disposent d’aucune autre voie de recours. Pareille exception ferait cponcor -
der le droit de l’immunité avec l’importance normative croissanpte que la
communauté internationale attache à la protection des droits de l’phomme
et du droit humanitaire ainsi qu’avec la réalisation du droit àp un recours

effectif pour les victimes de crimes internationaux, et ce, sans portepr indû -
ment atteinte à l’immunité de juridiction des Etats.
59. Le fait que des juridictions nationales se déclarent compétentes
dans des circonstances aussi exceptionnelles, lorsqu’il n’y a pas peu répara -
tion et que l’Etat responsable a reconnu avoir commis des violations p

graves du droit humanitaire sans avoir mis en place de mécanisme spépci -
fique d’indemnisation, ne perturbe pas, selon moi, les relations haprmo -
nieuses entre les Etats, mais contribue à un meilleur respect du droipt
international des droits de l’homme et du droit humanitaire.

(Signé) Abdulqawi A. Yusuf.

213

6 CIJ1031.indb 423 22/11/13 12:25

Bilingual Content

291

DISSENTING OPINION OF JUDGE YUSUF

The key question in these proceedings was whether Italian courts violate▯d the
jurisdictional immunity of Germany — The Italian courts set aside the immunity

of Germany with respect to claims for reparation of serious humanitarian▯ law vio ‑
lations in the absence of other remedial avenues — The Court failed to adequately
address this core issue — The Court instead focused on the extent of immunity for
acts jure imperii when committed by armed forces during armed conflict and the
strength of jus cogens norms — The Court’s analysis does not adequately address

the real‑life situation of the victims of Nazi atrocities without other means of ▯
redress — Immunity should not be used as a screen where no other remedial ave ‑
nues are available — The victims’ petition to Italian domestic courts was a last
attempt to obtain reparation — Immunity is not an immutable value in interna ‑
tional law — The scope of immunity has been contracting over the past century as
the international legal system shifted from a State‑centred model to one that also

protects the rights of human beings — It is as full of holes as Swiss cheese —
There is considerable divergence in the extent and scope of immunity in ▯State prac ‑
tice — Uncertainties on customary rules cannot be resolved by a formalistic exer ‑
cise of surveying divergent judicial decisions — Customary international law is not
a question of relative numbers — Consideration must be given to the circumstances

and nature of each case and the factors underlying it — Resort may also be had to
the general principles underlying human rights and humanitarian law — A balance
must be sought between the function of immunity and the realization of fundamen ‑
tal human rights and humanitarian law — There should be a proportionality and
legitimacy assessment with respect to granting immunity when the customa▯ry rules
are found to be fragmentary or unsettled — The evolution of the law on immunity

has often occurred through isolated domestic court decisions that gradua▯lly become
mainstream — Assertion of jurisdiction by domestic courts crystallizes an emerg ‑
ing exception to State immunity — Domestic courts cannot set aside immunity
every time there is a claim for reparation for violations of international humanitar ‑
ian law or human rights — In exceptional circumstances, assertion of jurisdiction

where there is no other remedial avenue contributes to a better observan▯ce of inter ‑
national humanitarian law without unjustifiably indenting immunity.

I. Introduction

1. I am regrettably unable to concur with the Court’s majority in findp -
ing that :

“[t]he Italian Republic has violated its obligation to respect the impmu -
nity which the Federal Republic of Germany enjoys under interna -

196

6 CIJ1031.indb 388 22/11/13 12:25 291

OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE YUSUF

[Traduction]

Question essentielle en la présente affaire ayant été de savoir si les tribunaux ita‑

liens avaient violé l’immunité de juridiction de l’Allemagne▯ — Tribunaux italiens
ayant écarté l’immunité de l’Allemagne à l’égard▯ d’actions en réparation liées à des
violations graves du droit humanitaire en l’absence d’autre voie de▯ recours — Cour
n’ayant pas traité comme il convenait cette question essentielle —Cour s’étant atta ‑
chée à la portée de l’immunité en ce qui concerne les actes jure imperii commis par

des forces armées pendant un conflit armé et à l’importance d ▯ es normes de jus
cogens — Cour n’ayant pas, du fait de cette approche, traité comme il se de ▯ vait la
situation vécue par les victimes des atrocités nazies ne disposant d’aucune autre voie
de recours — Immunité ne devant pas être utilisée comme rempart lorsque aucu ▯ ne
autre voie de recours n’est disponible —Saisine des juridictions nationales italiennes

ayant été la dernière tentative des victimes d’obtenir r▯ aration —Immunité n’étant
pas une valeur immuable en droit international — Portée de l’immunité s’étant réduite
au cours du dernier siècle, au fur et à mesure que le droit inter▯ tional passait d’un
système juridique centré sur l’Etat à un système protég▯ eant également les droits des
êtres humains — Immunité de l’Etat faisant penser à un gruyère — Pratique des

Etats révélant des divergences considérables quant à l’ét▯ endue et à la portée de l’im
munité — Incertitudes sur les règles coutumières ne pouvant être levée ▯ s en s’en tenant
à l’examen de décisions judiciaires contradictoires — Droit international coutumier
n’étant pas qu’une question de chiffres —Nécessité d’examiner les circonstances et la
nature de chaque affaire ainsi que les facteurs qui la sous‑tendent — Possibilité de
recourir également aux principes généraux des droits de l’hom ▯ me et du droit humani‑

taire — Equilibre devant être recherché entre la fonction de l’immunité▯ et la réalisa‑
tion des droits fondamentaux de l’homme et du droit humanitaire —Nécessité d’ap‑
précier l’octroi de l’immunité à l’aune des critèr▯ de proportionnalité et de légitimité
lorsque les règles coutumières se révèlent fragmentaires et i▯ ncertainesEvolution du
droit de l’immunité s’étant souvent produite par le biais de▯ décisions isolées, rendues

par des juridictions nationales, qui ont peu à peu été géné▯ alement acceptées —Juri ‑
dictions nationales cristallisant, en se déclarant compétentes, un▯ exception naissante
à l’immunité des Etats — Juridictions nationales ne pouvant écarter l’immunité
chaque fois qu’est présentée une demande de réparation à r ▯ aison de violations du droit
international humanitaire ou des droits de l’homme — Juridictions pouvant, en se

déclarant compétentes dans des circonstances exceptionnelles, lorsq ▯ u’il n’existe
aucune autre voie de recours, contribuer à un meilleur respect du droit international
humanitaire sans porter indûment atteinte à l’immunité.

I. Introduction

1. Je ne peux malheureusement souscrire à la conclusion de la majoritép
selon laquelle

«la République italienne a manqué à son obligation de respecter p
l’immunité reconnue à la République fédérale d’Allepmagne par le

196

6 CIJ1031.indb 389 22/11/13 12:25 292 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. yusuf)

tional law by allowing civil claims to be brought against it based on
violations of international humanitarian law committed by the Ger -

man Reich between 1943 and 1945”.
2. I am also in disagreement with the reasoning and consideration on

which this finding is based.
3. My disagreements relate in particular to the marginal way in which
the core issues in dispute between the Parties have been dealt with in tphe
Judgment; the lack of an adequate analysis of the obligation to make
reparations for violations of international humanitarian law (herein-

after IHL), which is intimately linked to the denial of State immunity in thep
dispute before the Court ; the reasoning and conclusions of the majority
on the scope and extent of State immunity in international law and the
derogations that may be made from it ; and the approach adopted in the
Judgment towards the role of domestic courts in the identification andp

evolution of international customary norms, particularly in the area of p
State immunity.
I will elaborate my views on these matters below.

II. The Core Issues before tphe Court

4. The jurisdictional immunity of foreign States before national courts
in cases concerning serious violations of human rights or humanitarian
law has been extensively debated in recent years in scholarly literaturep

and has given rise to conflicting judicial decisions by courts of varipous
jurisdictions. The core issues before the Court in these proceedings are
however of a much more limited and narrower scope. They concern deci -
sions by Italian courts to set aside Germany’s immunity in proceedingps
regarding claims for reparation arising out of acts committed by the

Third Reich in the period 1943-1945 whose illegality has been admitted
by Germany.

5. The claims before the Italian courts concerned certain categories of
victims (for a description of these categories, see paragraph 52 of the Judg -

ment) to whom Germany allegedly failed to pay compensation, thus leaving
them without other means of redress for the harm suffered. The Court had
therefore to determine whether the refusal of Italian courts to grant juprisdic
tional immunity to Germany with respect to claims of victims of Nazi cripmes
in search of redress and reparation constitutes an internationally wrongpful

act, in the absence of other remedial avenues. The Court’s answer to pthis
question is positive, and I disagree with it. But my disagreement concerpns
also the approach adopted by the Court to reach this conclusion.
6. The Court recognizes that it has jurisdiction to determine whether Ger -
many’s failure to pay compensation to those categories of victims, whpose

illegal treatment by the Third Reich has been admitted by Germany, is cappa -
ble of having an effect on the existence and scope of Germany’s jurpisdictional

197

6 CIJ1031.indb 390 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. yusuf) 292

droit international en permettant que soient intentées à son enconptre

des actions civiles fondées sur des violations du droit internationalp
humanitaire commises par le Reich allemand entre 1943 et 1945 ».

2. Je suis également en désaccord avec le raisonnement et les motifs sur
lesquels cette conclusion repose.
3. Mon désaccord porte en particulier sur le fait que l’arrêt ne traite
qu’incidemment les questions qui étaient au cœur du différend entre les

Parties; sur l’absence d’analyse appropriée de l’obligation de répparation à
raison de violations du droit international humanitaire, obligation qui pest
étroitement liée au refus de reconnaître l’immunité de l’pEtat en la présente
affaire; sur le raisonnement et les conclusions de la majorité concernant lap
portée et l’étendue de l’immunité des Etats en droit inteprnational et les cas

où il peut y être dérogé ; enfin, sur l’approche suivie quant au rôle que
jouent les juridictions nationales dans la détermination et l’épvolution des
normes du droit international coutumier, notamment dans le domaine de
l’immunité de l’Etat.
J’exposerai ci-après mes vues sur ces questions.

II. Les questions essentipelles qui se posaientp à la Cour

4. La question de l’immunité de juridiction des Etats étrangers depvant
les tribunaux nationaux dans des affaires où sont en cause des violpations
graves des droits de l’homme ou du droit humanitaire a fait l’objept de
nombreux débats doctrinaux au cours de ces dernières années, et donné
lieu à des décisions contradictoires de la part de juridictions replevant de

divers ordres. Les questions essentielles qui se posaient à la Cour en la
présente instance avaient toutefois une portée bien plus limitépe. Elles
avaient trait aux décisions prises par certaines juridictions italienpnes
d’écarter l’immunité de l’Allemagne à l’égard d’pactions qui se rapportaient
à des demandes en réparation découlant d’actes commis par le III eReich

entre 1943 et 1945, actes dont l’Allemagne a reconnu qu’ils étaient illicites.
5. Les affaires portées devant les juridictions italiennes concernaienpt cer -
taines catégories de victimes (voir, sur ce point, le paragraphe 52 de l’arrêt)
que l’Allemagne n’aurait pas indemnisées, les privant ainsi de ptoute possibi -

lité d’obtenir réparation du préjudice subi. La Cour devait pdonc déterminer
si le refus, par les juridictions italiennes, d’accorder à l’Alplemagne l’immu -
nité de juridiction à l’égard des actions engagées par des victimes de crimes
nazis cherchant à obtenir réparation et indemnisation constituait,p en l’ab -
sence d’autre voie de recours, un fait internationalement illicite. Eplle y a

répondu par l’affirmative, ce à quoi je ne puis souscrire, d’pautant que je suis
aussi en désaccord avec l’approche qui a été adoptée àp cet égard.
6. La Cour a reconnu qu’elle avait compétence pour déterminer si lpe
fait que l’Allemagne — qui a reconnu que le traitement que leur avpait
infligé le III Reich était illicite — n’ait pas indemnisé ces catégories de

victimes pouvait avoir une incidence sur l’existence et la portée pde l’im -

197

6 CIJ1031.indb 391 22/11/13 12:25 293 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. yusuf)

immunity before Italian courts, and consequently whether the Italian courts
were legally justified, under these specific circumstances, to deny pimmunity

to Germany (Judgment, para. 50). The Court, however, in its consideration
of the merits, limits its examination, almost entirely, to the issue of
“whether . . . immunity is applicable to acts committed by the armed forces
of a State . . . in the course of conducting an armed conflict” (ibid., para. 61).
7. This formulation of the core issues is, in my view, too abstract and

formalistic as compared to the real life situation of the victims of Nazpi
atrocities who, for the lack of any alternative means of redress, had to
submit their claims for reparation to Italian courts. The dispute before
the Court is not about the general applicability of immunity to unlawfulp
acts committed by the armed forces of a State in a situation of armed
conflict. This is a very broad subject which is best left for academicp

papers and scholarly discussions. The dispute in this case is about the
decisions of Italian courts to set aside the jurisdictional immunity of pGer-
many to allow certain categories of Italian victims, who were unable to p
obtain effective reparations for crimes committed by the Third Reich and
admitted by Germany, to have an alternative means of redress.

8. Italy has repeatedly emphasized this point both in its written submis-
sions (Counter-Memorial of Italy, pp. 87-122 ; and Rejoinder of Italy,
pp. 11-26) and during the oral proceedings (CR 2011/18, para. 11 ;
CR 2011/21, paras.4-12; CR 2011/21, p.17, paras.1-37). Germany has also

abundantly responded to it (CR 2011/17, paras. 14-42; CR 2011/20, p. 30,
paras. 11-36). The Court should have therefore adequately addressed it.
9. Unfortunately, as a result of the above-mentioned approach by the
Court, the centrality to the dispute between the Parties of the link betpween
the lack of reparations and the denial of immunity by the Italian courtsp in
order to provide an alternative means of redress to the victims, has beepn

substantially overlooked, if not completely sidelined, in the Judgment. p
The only exception is a short section (Judgment, paras. 98-104), which
deals with the “last resort” argument put forward by Italy with repgard to
the lack of reparations for certain categories of victims.
10. In that section, the Court notes that

“Germany decided to deny compensation to a group of victims on
the ground that they had been entitled to a status which, at the rele -

vant time, Germany had refused to recognize, particularly since those
victims had thereby been denied the legal protection to which that
status entitled them” (ibid., para. 99).

However, instead of assessing the impact that this failure to make reparpa-
tions — and the absence of alternative means of redress — could hapve on
the granting or denial of State immunity to Germany in the courts of thep
forum State under international law, the Court limits itself to state thpat
“the Court considers that it is a matter of surprise — and regret — that

Germany decided to deny compensation .. .” (ibid.). It bears to be recalled
in this connection that disputes between States are not submitted to an

198

6 CIJ1031.indb 392 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. yusuf) 293

munité de juridiction de l’Allemagne devant les tribunaux italiensp, et, dès

lors, si ces derniers étaient juridiquement fondés, dans ces circopnstances
particulières, à dénier l’immunité à l’Allemagne (parrêt, par. 50). Or, dans
son examen au fond, la Cour s’est presque entièrement limitée à la ques -
tion de « savoir si l’immunité est applicable aux actes commis par les
forces armées d’un Etat … dans le cadre d’un conflit armé» (ibid., par. 61).

7. Cette manière d’aborder les questions essentielles posées en l’esppèce
est, selon moi, par trop abstraite et formaliste au regard de la situatipon
vécue par les victimes des atrocités nazies qui, faute d’autresp voies de
recours, ont été contraintes de présenter leurs demandes de répparation
aux tribunaux italiens. Le différend soumis à la Cour ne portait pas, d’une

manière générale, sur l’applicabilité de l’immunitép aux actes illicites com-
mis par les forces armées d’un Etat pendant un conflit armé. pIl s’agit là
d’un sujet très vaste, qu’il est préférable de laisser aupx écrits et débats
doctrinaux. En l’espèce, le différend portait sur la décispion des juridictions
italiennes d’écarter l’immunité de juridiction de l’Allempagne afin de per -

mettre à certaines catégories de victimes italiennes — qui avaient cherehé
en vain à obtenir réparation à raison de crimes commis par le IpII Reich
et reconnus par l’Allemagne — de bénéficier d’une autre voie de recours.
8. L’Italie n’a cessé d’insister sur ce point, tant dans ses épcritures
(contre-mémoire, p. 87-122 ; et duplique, p. 11-26) qu’à l’audience

(CR 2011/18, par. 11 ; CR 2011/21, par. 4-12 ; CR 2011/21, p. 17,
par. 1-37), et l’Allemagne lui a répondu de manière fort approfondipe
(CR 2011/17, par. 14-42 ; CR 2011/20, p. 30, par. 11-36). La Cour aurait
donc dû se prononcer en conséquence.
9. Malheureusement, du fait de son approche susmentionnée, la Cour

a largement négligé, si ce n’est totalement ignoré, le caracptère central
— dans le différend opposant les Parties — du lien entre absence de répa -
ration et refus de reconnaître l’immunité par les juridictions pitaliennes
afin d’offrir aux victimes une voie de recours. Seule une courte psection
(arrêt, par. 98-104), qui traite de l’argument du « dernier recours» avancé

par l’Italie relativement à l’absence d’indemnisation de cerptaines catégo -
ries de victimes, fait exception.
10. Dans cette section, la Cour note que

«l’Allemagne [a] refusé d’accorder réparation à un groupe pde vic -
times au motif que celles-ci auraient eu droit à un statut que, à p
l’époque pertinente, elle a refusé de leur reconnaître, particulièrement
parce que ces victimes se sont vues, de ce fait, privées de la protecption

juridique à laquelle ce statut leur donnait droit » (ibid., par. 99).
Or, au lieu d’examiner les conséquences que ce défaut d’indepmnisation ainsi

que l’absence d’autres voies de recours ont pu avoir sur l’octrpoi ou non de
l’immunité à l’Allemagne devant les juridictions de l’Etapt du for en vertu du
droit international, la Cour s’est contentée de dire « qu’il [était] surpre -
nant — et regrettable — que l’Allemagne ait refusé d’accorder réparation» …
(ibid.). Il convient de rappeler à cet égard que, si les Etats portent lepurs -if

férends devant un organe juridictionnel international, et plus particpulière -

198

6 CIJ1031.indb 393 22/11/13 12:25 294 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. yusuf)

international adjudicatory body, and particularly to the principal judicpial
organ of the UnitedNations, for expressions of surprise and regret, but for

their appropriate settlement on the basis of international law.
11. On the other hand, I agree with the Court’s statement that : “the
Court is not unaware that the immunity from jurisdiction of Germany in
accordance with international law may preclude judicial redress for the p
Italian nationals concerned” (Judgment, para. 104). Nevertheless, the

Court should have, in my view, drawn some legal conclusions from this
statement, particularly with respect to the legality or illegality of thpe deci
sions of the Italian courts in this specific context. Instead, the Couprt goes
on to state that the claims of the Italian military internees (IMIs), ptogether
with other claims of Italian nationals, “could be the subject of further
negotiation involving the two States concerned, with a view to resolvingp

the issue” (ibid.) ; thus, suggesting a diplomatic approach, rather than a
legal determination by the Court itself, to some of the core issues of tphe
dispute submitted to it for adjudication.

III. The Obligation to Make Repparations
for Violations of IHL

12. In view of the direct bearing that the lack of reparations for IHL
violations by the Third Reich had on the refusal by Italian courts to grant

immunity to Germany, I find it also regrettable that the Court, despite
recognizing this close relationship, has not considered it necessary to p
examine, at least in a general manner, the obligation to make reparationps
for violations of IHL in international law.
13. The obligation to make reparations for damages suffered as a result
of breaches of humanitarian law is enshrined in Article 3 of the 1907

Hague Convention IV which provides that :
“[a] belligerent party which violates the provisions of the said Regu -

lations shall, if the case demands, be liable to pay compensation. It
shall be responsible for all acts forming part of its armed forces.”

14. A similar provision is to be found in Article 91 of the Additional Pro -
tocol I of 1977 to the Geneva Conventions of 1949 (hereinafter “Protpo -
col I”). These provisions do not indicate whether the beneficiaries ofp such
compensation are individuals or States. It can, however, be said that thpey
clearly establish the existence of an obligation under international law to

pay compensation and make reparations for violations of humanitarian law.
15. It is only in the past two decades or so that one may find examples
of individual claimants seeking compensation for damages suffered as ap
result of violations of humanitarian law. Such examples include the claipms
brought before Japanese courts in the 1990s on behalf of the victims of
IHL violations during the Second World War including slave labourers,

comfort women, and torture victims ; or the legal suits brought before
United States courts by the Holocaust Restitution Movement against Ger -

199

6 CIJ1031.indb 394 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. yusuf) 294

ment l’organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies, ce

n’est pas pour que celui-ci exprime de la surprise et du regret, maisp pour qu’il
tranche utilement le litige sur le fondement du droit international.
11. Je souscris toutefois au prononcé de la Cour selon lequel « [elle]
n’ignore pas que l’immunité de juridiction reconnue à l’Allemagne confor-
mément au droit international pourrait empêcher les ressortissantsp ita -

liens concernés d’obtenir une réparation judiciaire » (arrêt, par. 104).
Selon moi, la Cour aurait néanmoins dû en tirer certaines conclusions
juridiques, notamment en ce qui concerne la licéité ou l’illicépité des déci -
sions des juridictions italiennes dans ce contexte particulier. Or, ellep a
poursuivi en indiquant que les demandes des internés militaires italipens,

comme celles émanant d’autres ressortissants italiens, « pourraient faire
l’objet de nouvelles négociations impliquant les deux Etats en vuep de par -
venir à une solution » (ibid.), suggérant ainsi que certains aspects essen -
tiels du différend qui lui a été soumis soient réglés ppar voie diplomatique
et non judiciaire.

III. L’obligation de réparaption à raison de violaptions
du droit internationapl humanitaire

12. Compte tenu de l’incidence directe que l’absence de réparation pees
violations du droit international humanitaire commises par le III Reich a
eue sur le refus des juridictions italiennes d’accorder l’immunitép à l’Alle -
magne, je déplore également que la Cour, quoique ayant reconnu ce plien
étroit, n’ait pas jugé nécessaire de se pencher, au moins dep manière générale,

sur l’obligation de réparer pareilles violations en droit internatpional.
13. L’obligation de réparation à raison de dommages subis par suitep de
violations du droit humanitaire est consacrée à l’article 3 de la conven -
tion IV de La Haye de 1907, lequel dispose que

«[l]a partie belligérante qui violerait les dispositions dudit Règlement
sera tenue à indemnité, s’il y a lieu. Elle sera responsable dep tous
actes commis par les personnes faisant partie de sa force armée. »

14. Une clause similaire figure à l’article 91 du protocole additionnel I
de 1977 aux conventions de Genève de 1949 (ci-après le « protocole I »).

Bien qu’elles ne précisent pas si les bénéficiaires en sont les individus ou
les Etats, ces dispositions établissent clairement l’existence, enp droit inter-
national, d’une obligation d’indemnisation et de réparation en pcas de vio-
lations du droit humanitaire.
15. Ce n’est que depuis une vingtaine années que l’on trouve des

exemples de particuliers ayant cherché à obtenir réparation àp raison de
dommages subis par suite de violations du droit humanitaire. Parmi ces
exemples figurent des actions engagées dans les années 1990 devant les
juridictions japonaises au nom des victimes de violations du droit interpna -
tional humanitaire commises pendant la seconde guerre mondiale, notam-

ment les personnes réduites en esclavage, les « femmes de réconfort» et les

199

6 CIJ1031.indb 395 22/11/13 12:25 295 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. yusuf)

many on behalf of wartime “labour slaves”, which have now been setptled
by Germany; the Distomo case brought by the relations of the victims of a

massacre by the Nazi armed forces before Greek courts against Germany
in 1995 ; and the Ferrini case brought against Germany before Italian
courts by Mr. Luigi Ferrini, an Italian national who had been arrested in
August 1944, and deported to Germany, where he was detained and forced
to work in a munitions factory until the end of the war.

16. Historically, there is ample evidence that compensation for such
breaches was for a long period of time handled at the inter-State level p
either through peace treaties or through settlement agreements. More

recently, other mechanisms have been used such as the Iraq Compensa -
tion Commission established by the United Nations Security Council and
the Eritrea-Ethiopia Claims Commission created through a bilateral
agreement. This does not however mean that individuals are not or were
not intended to be the ultimate beneficiaries of such mechanisms ; or that

they do not possess the right to make claims for compensation. It only
indicates that the national State of the victims receives a lump sum to pbe
distributed to the victims of such breaches. Such arrangements appear to
have been resorted to for policy or practical reasons aimed at avoiding p
the prospect of innumerable private suits, or a delay in the conclusion pof

peace treaties and the resumption of normal relations between formerly
belligerent States.

17. What is at issue here is the question of State responsibility. If
crimes are committed by the agents of a State during an armed conflictp,
such a State has to assume responsibility for the unlawful acts of its

agents, and to provide reparation to the victims. Such reparation is mospt
often made through inter-State mechanisms, or through special funds set p
up by the State responsible for the violation. But, the law of State respon -
sibility does not rule out the possibility that rights may accrue to indpi -
viduals as a result of a wrongful act committed by a State. As a matter

of fact, it is stated in Article 33, paragraph 2, of the ILC Articles on the
Responsibility of States for internationally wrongful acts, that : “This
Part is without prejudice to any right, arising from the international
responsibility of a State, which may accrue directly to any person or
entity other than the State.”

18. Moreover, the ILC commentary clearly states that there are
cases where individuals are the holders of the rights resulting from inter -
national rules regarding State responsibility. This is the case, in my vpiew,
not only in human rights treaties, but also in humanitarian law conven -
tions. Article 3 of Hague Convention IV and Article 91 of Protocol I
are good examples of such rules, particularly when interpreted in light of

the recent evolution of international law in the area of human rights anpd
humanitarian law. The International Committee of the Red Cross

200

6 CIJ1031.indb 396 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. yusuf) 295

personnes soumises à la torture ; les procédures intentées contre l’Alle -
magne devant les tribunaux américains par l’Holocaust Restitution Move-

ment au nom des personnes astreintes au travail en esclavage pendant la p
guerre (qui ont abouti à un accord de règlement) ; l’affaire Distomo, intro -
duite en 1995 devant les juridictions grecques contre l’Allemagne par les
parents des victimes d’un massacre perpétré par les forces armées nazies ;
ou encore l’affaire Ferrini, introduite contre l’Allemagne devant les juri -

dictions italiennes par M. Luigi Ferrini, ressortissant italien arrêté
en août 1944 et déporté en Allemagne, où il a été détenu et copntraint de
travailler dans une usine de munitions jusqu’à la fin de la guerpre.
16. Historiquement, nombreux sont les exemples qui attestent que les
questions touchant la réparation de telles violations font, de longuep date,
l’objet de règlements entre Etats, que ce soit au moyen de traitéps de paix ou

d’accords de règlement. Plus récemment, il a été recouru à d’autres méca -
nismes, tels que la commission d’indemnisation pour l’Iraq étabplie par le
Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies et la commission
des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie créée pen vertu d’un accord
bilatéral. Cela ne signifie cependant pas que les individus ne sont pas ou

n’étaient pas censés être les bénéficiaires ultimes de ces mécanismes, ou
qu’ils n’auraient pas le droit d’engager des actions en répapration. Cela
signifie simplement que l’Etat dont les victimes sont des nationauxp se voit
verser une somme forfaitaire destinée à leur être redistribuépe. La solution
de tels accords semble avoir été retenue pour des raisons à la pfois politiques

et pratiques, afin d’éviter que ne se multiplient les actions inptentées par des
particuliers, ou que ne soient retardés la conclusion des traités de paix et le
rétablissement de relations normales entre anciens Etats belligérapnts.
17. La question posée en l’espèce était celle de la responsabilipté de
l’Etat. Or, lorsque les agents d’un Etat commettent des crimes au pcours
d’un conflit armé, l’Etat doit en assumer la responsabilitép et accorder

réparation aux victimes. Cette réparation intervient le plus souvepnt par le
biais de mécanismes interétatiques ou de fonds spéciaux étabplis par l’Etat
responsable. Le droit de la responsabilité des Etats n’exclut cependant
pas que les particuliers puissent jouir de certains droits par suite de pla
perpétration d’un acte illicite par un Etat. De fait, le paragraphpe 2 de

l’article 33 des articles de la Commission du droit international (ci-après
la «CDI») sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalemenpt illi -
cite précise que «[l]a présente partie est sans préjudice de tout droit que la
responsabilité internationale de l’Etat peut faire naître direcptement au
profit d’une personne ou d’une entité autre qu’un Etat ».

18. La CDI indique en outre clairement, dans son commentaire, qu’il est
des cas où les individus sont les titulaires des droits découlant pde règles
internationales relatives à la responsabilité des Etats. Il en va painsi, selon
moi, non seulement des règles énoncées dans les traités relaptifs aux droits de
l’homme, mais également de celles qui sont énoncées dans les conventions
relatives au droit humanitaire. L’article 3 de la convention IV de La Haye

et l’article 91 du protocole I l’illustrent fort bien, notamment lorsqu’ils sont
interprétés à la lumière de l’évolution récente du pdroit international dans le

200

6 CIJ1031.indb 397 22/11/13 12:25 296 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. yusuf)

commentary to Article 91, Protocol I, appears to recognize this evolu -
tion :

“Those entitled to compensation will normally be Parties to the

conflict or their nationals, though in exceptional cases they may alsop
be neutral countries, in the case of violation of the rules on neutralitpy
or of unlawful conduct with respect to neutral nationals in the terri -
tory of a Party to the conflict . . . However, since 1945 a tendency has
emerged to recognize the exercise of rights by individuals.” (See

ICRC, www.icrc.org/ihl.nsf/COM/470-750117, paras. 3656 and 3657.)
19. It may therefore be stated that Article 3 of the Hague Conven -
tion IV — or for that matter, Article 91 of Protocol I — does not exclude

the right of individuals to make claims for compensation for damages
arising from breaches of IHL, despite the fact that the practice of Statpes
has been for a very long time to establish bilateral mechanisms through p
peace treaties and other agreements, and to have the issue of compensa -
tion handled by the State whose nationals have suffered damage as a

result of such breaches.
20. The question, however, arises as to what happens in case some of
the victims of IHL violations, for which responsibility has been recog -
nized by the foreign State, are not covered through such schemes, and
consequently are deprived of the possibility of being beneficiaries of the

right to receive compensation for such breaches. Should such a State be p
allowed to use immunity before domestic courts as a screen against the
obligation to make reparations, particularly when resort to such courts p
may be the only means of redress available to the victims ? This is in my
view the fundamental issue that the Court should have examined in this
case.

IV. Assessment of the Scopep of State Immunity
and Its Possible Conflipct with Claims for Reparpations

21. My disagreement with the Court also extends to the approach and
reasoning of the majority, which I find unpersuasive, on the scope andp
extent of the jurisdictional immunity of States under international law, as
well as its exceptions and derogations. It is true that State immunity is a
rule of customary international law, and not merely a matter of comity, p

although some legal scholars consider it only as an exception to the prin -
ciple of territorial sovereignty and jurisdiction of States (see, for epxample,
R. Higgins, “Certain Unresolved Aspects of the Law of State Immunity”p,
29 Netherlands Yearbook of International Law (1982), pp. 265-276). Its
coverage has, however, been contracting over the past century, in light pof
the evolution of international law from a State-centred legal system to p

one which also protects the rights of human beings vis-à-vis the State.

201

6 CIJ1031.indb 398 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. yusuf) 296

domaine des droits de l’homme et du droit humanitaire, évolution qpui
semble d’ailleurs être reconnue dans le commentaire du Comité ipnternatio -

nal de la Croix-Rouge relatif à l’article 91 du protocole I:
«Les ayants droit à l’indemnité seront normalement des Parties apu

conflit, ou leurs ressortissants, mais, à titre exceptionnel, peuvepnt être
aussi des pays neutres, en cas de violation des règles de la neutralipté ou de
comportement illicite à l’égard de ressortissants neutres sur lpe territoire
d’une Partie au conflit… Mais on peut relever, depuis 1945, une ptendance
à reconnaître l’exercice de droits individuels.» (Voir le site Internet du

CICR, www.icrc.org/dih.nsf/COM/470-750117, par. 3656 et 3657.)
19. Il est donc permis d’avancer que ni l’article 3 de la convention IV
de La Haye ni, d’ailleurs, l’article 91 du protocole I n’excluent le droit

des particuliers de formuler des demandes d’indemnisation à raison de p
dommages découlant de violations du droit international humanitaire, et
ce, même si la pratique des Etats consiste, depuis fort longtemps, àp établir
des mécanismes bilatéraux par le biais de traités de paix et d’pautres
accords, les questions d’indemnisation étant traitées par l’Etat dont les

nationaux ont subi un dommage du fait de telles violations.
20. La question se pose toutefois de savoir ce qu’il advient lorsque cer -
taines victimes de violations du droit international humanitaire — viola -
tions à l’égard desquelles l’Etat étranger a reconnu sa rpesponsabilité — ne
sont pas couvertes par les régimes établis et sont, partant, privépes de la

possibilité de bénéficier du droit d’être indemniséeps à raison desdites vio -
lations. L’Etat en cause devrait-il être autorisé à se prépvaloir de son
immunité devant les tribunaux nationaux pour se soustraire à son opbliga -
tion de réparation, notamment lorsque leur saisine risque d’être le seul
recours dont disposent les victimes ? Telle est, selon moi, la question fon -
damentale que la Cour aurait dû examiner en la présente affaire.p

IV. Examen de la portée de lp’immunité de l’État
et d’un éventuel conflpit avec les actions enp réparation

21. Mon désaccord avec l’arrêt porte également sur l’approchep et le raison -
nement de la majorité — que je ne trouve pas convaincants — en ce qui
concerne la portée et l’étendue de l’immunité de juridictpion des Etats en droit
international, ainsi que les exceptions et dérogations y relatives. Ipl est vrai que
l’immunité de l’Etat est une règle de droit international coputumier et qu’elle

ne relève pas simplement de la courtoisie, et ce, bien que certains aputeurs ne
la perçoivent que comme une exception au principe de la souverainetép terri -
toriale et de la juridiction des Etats (voir, par exemple, R. Higgins,C «ertain
Unresolved Aspects of the Law of State Immunity», Netherlands Yearbook
of International Law, p. 265-276). Sa portée s’est toutefois réduite au cours du
dernier siècle, au fur et à mesure que le droit international passpait d’un sys -

tème juridique centré sur l’Etat à un système protégeapnt également les droits
des êtres humains vis-à-vis de l’Etat.

201

6 CIJ1031.indb 399 22/11/13 12:25 297 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. yusuf)

22. The shrinking of immunity coverage has been spearheaded by the
decisions of domestic courts and largely prompted by the growing recog -

nition of the rights of individuals involved in transactions with Statesp or
State-owned entities. It was indeed for the purpose of protecting the
rights of individuals or juridical persons vis-à-vis States that a repstrictive
doctrine of immunities was introduced by national courts as early as thep
nineteenth century. Similarly, the tort exception to immunity has been

conceived for the protection of individual rights against States.

23. Thus, although State immunity is important to the conduct of har -
monious and friendly relations between States, it is not a rule of law
whose coverage is well defined for all circumstances or whose consistepncy
and stability is unimpaired. There is indeed considerable divergence in pthe

manner in which the scope and extent of such immunity is interpreted
and applied in the practice of States, and particularly in the judicial pdeci -
sions of their courts. It is not therefore very persuasive to characteripze
some of the exceptions to immunity as part of customary international
law, despite the continued existence of conflicting domestic judicial pdeci -

sions on their application, while interpreting other exceptions, similarply
based on divergent domestic courts’ decisions, as supporting the non-p
existence of customary norms. This may give the impression of cherry-
picking, particularly where the number of cases invoked is rather limitepd
on both sides of the equation.

24. It may, for example, be asked whether the judicial decisions of a
handful of domestic courts (see paragraphs 73-74 of the Judgment) could
serve to substantiate the existence of customary international law basedp
on State practice which supports the proposition that :

“State immunity for acta jure imperii continues to extend to civil pro -
ceedings for acts occasioning death, personal injury or damage to
property committed by the armed forces and other organs of a State
in the conduct of armed conflict, even if the relevant acts take placep

on the territory of the forum State” (Judgment, para. 77).

It could equally be asked why more weight should be attached, in terms
of the existence of customary law norms, to those decisions as opposed tpo
the Italian and Greek Supreme Courts’ decisions (ibid., paras. 27-36). Is
customary international law a question of relative numbers ?

Would it not have been more appropriate to recognize, in light of con -
flicting judicial decisions and other practices of States, that customary
international law in this area remains fragmentary and unsettled ?
25. It should be recalled that even the traditional distinction between
jure gestionis and jure imperii, which is often used for practical purposes to
group together certain exceptions, depending on the nature of the acts

involved, is far from being universally applied in a uniform manner, sinpce the
categorization of certain acts under one class of acts or the other stilpl remains

202

6 CIJ1031.indb 400 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. yusuf) 297

22. Si les juridictions nationales ont été le fer de lance de la répduction

de la portée de l’immunité, cette évolution est aussi, dans pune large
mesure, due à la reconnaissance croissante des droits des particulierps
engagés dans des transactions commerciales avec des Etats ou des entiptés
contrôlées par ceux-ci. De fait, c’est afin de protéger leps droits des per -
sonnes privées ou morales vis-à-vis des Etats que les juridictions natio -
e
nales ont adopté, dès le XIX siècle, une conception restrictive des
immunités. Il en va de même de l’exception territoriale, conçue pour pro -
téger les droits des individus contre les Etats.
23. Bien qu’elle joue un rôle important dans la conduite de relations
harmonieuses et amicales entre les Etats, l’immunité n’est doncp pas une

règle juridique dont la portée est clairement définie en toutpes circons -
tances ou dont la cohérence et la stabilité sont absolues. Des différences
considérables existent en effet dans la manière dont sa portépe et son éten -
due sont interprétées et appliquées par les Etats, notamment papr les juri-
dictions nationales. Aussi n’y a-t-il pas grand sens à considérer que

certaines exceptions font partie du droit international coutumier alors p
que leur application continue de donner lieu à des décisions judicpiaires
nationales divergentes, et à considérer que d’autres, fondées sur des déci -
sions tout aussi contradictoires, étayent l’inexistence de normes coutu -
mières. Pareille approche peut donner l’impression que les décipsions

retenues, en particulier lorsqu’elles sont relativement peu nombreuseps de
part et d’autre de la balance, l’ont été par opportunité.p
24. L’on peut ainsi se demander si les décisions rendues par une poi -
gnée de juridictions nationales (voir paragraphes 73-74 de l’arrêt) peuvent
être considérées comme une pratique étatique étayant l’pexistence d’une

règle de droit international coutumier selon laquelle
«un Etat continue de jouir, dans le cadre d’instances civiles, de l’pim -

munité à raison d’actes jure imperii lorsque sont en cause des actes
ayant entraîné la mort, un préjudice corporel ou un préjudicpe maté -
riel commis par ses forces armées et autres organes dans le cadre
d’un conflit armé, même lorsque les actes en question ont eu plieu sur
le territoire de l’Etat du for » (arrêt, par. 77).

L’on peut également se demander pourquoi il conviendrait d’accoprder,
aux fins d’établir l’existence de normes de droit coutumier, pdavantage

d’importance à ces décisions qu’à celles des juridictions supérieures
d’Italie et de Grèce (ibid., par. 27-36). Le droit international coutumier
n’est-il qu’une question de chiffres ?
N’aurait-il pas été plus juste de reconnaître, au vu de dépcisions judiciaires
contradictoires et de pratiques étatiques divergentes, que le droit ipnternatio -

nal coutumier demeure, dans ce domaine, fragmentaire et incertain?
25. Il convient de rappeler que même la distinction classique entre
actes jure gestionis et actes jure imperii, souvent utilisée pour des raisons
pratiques afin de regrouper certaines exceptions en fonction de la nature
des actes en cause, est loin d’être appliquée universellement ept de manière

uniforme, la qualification de certains actes demeurant controverséep parmi

202

6 CIJ1031.indb 401 22/11/13 12:25 298 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. yusuf)

a matter of controversy among States and national courts. Moreover, the
definition of the basic concept underlying the distinction, namely compmercial

transactions, remains elusive. In the meantime, the exceptions and derogpa -
tions to which State immunity is subject keep growing all the time.
26. State immunity is, as a matter of fact, as full of holes as Swiss
cheese. Thus, to the extent that customary norms of international law arpe
to be found in the practice and opinio juris of States, such practice clearly

attests to the fact that the scope and extent of State immunity, particup -
larly in the area of violations of human rights and humanitarian law,
which is currently characterized by conflicting decisions of national pcourts
in its interpretation and application, remains an uncertain and unsettlepd
area of international custom, whose contours are ill-defined.
27. These uncertainties cannot adequately be resolved, in my view,

through a formalistic exercise of surveying conflicting judicial decispions of
domestic courts, which remain sparse as regards human rights and
humanitarian law violations arising from armed conflict (or the lack pof
reparations for such violations), and counting those in favour of applyping
immunity and those against it. Such a process is unlikely to yield very p

useful results or to contribute to the clarification of the law in thips field.
Moreover, State immunity from jurisdiction cannot be interpreted in an
abstract manner or applied in a vacuum. The specific features and cir -
cumstances of each case, and the factors underlying it, have to be fullyp
taken into account. In the present case, it is claims for reparations fopr

unlawful acts admitted by the responsible State that are at issue, wherep no
alternative means of redress appear to be available. This is the reason p
why this case is rather unusual, as recognized in the Judgment (para. 60).

28. When jurisdictional immunities come into conflict with fundamen -
tal rights consecrated under human rights or humanitarian law, for whichp
a forum State has an obligation to secure and enforce in its territory, pand
whose realization reflects basic values of the international community, it
is much more appropriate to have regard to the manner in which, under

contemporary international law, “[a] balance . . . must be struck between
two sets of functions which are both valued by the international commu -
nity” (see Arrest Warrant of 11 April 2000 (Democratic Republic of the
Congo v. Belgium), Judgment, I.C.J. Reports 2002, joint separate opinion
of Judges Higgins, Kooijmans, and Buergenthal, p. 85, para. 75). In

today’s world, the use of State immunity to obstruct the right of access to
justice and the right to an effective remedy may be seen as a misuse opf
such immunity.
29. Such a balance has to be sought between the intrinsic functions
and purposes of immunity, and the protection and realization of funda -
mental human rights and humanitarian law principles. The European

Court of Human Rights (ECHR) recognized the necessity of balancing
the granting of immunity (in the case of international organizations) pwith

203

6 CIJ1031.indb 402 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. yusuf) 298

les Etats et les juridictions nationales. De surcroît, la définiption de la

notion fondamentale qui sous-tend cette distinction, à savoir les trapnsac-
tions commerciales, reste floue. Dans le même temps, les exceptionsp et
dérogations à l’immunité de l’Etat ne cessent de se dépvelopper.
26. L’immunité de l’Etat fait, en réalité, penser à un grupyère. Aussi, pour
autant que la pratique et l’opinio juris des Etats révèlent l’existence de normes

coutumières de droit international, il apparaît clairement que la pportée et
l’étendue de l’immunité de l’Etat, en particulier dans lep domaine des violations
des droits de l’homme et du droit humanitaire — qui se caractérise aujourd’hui
par des décisions judiciaires nationales contradictoires du point de pvue de son
interprétation et de son application —, restent un pan de la coutume inter-

nationale incertain et changeant, dont les contours sont mal définips.
27. Ces incertitudes ne peuvent, selon moi, être adéquatement levéeps en
s’en tenant à l’examen de décisions judiciaires contradictoipres rendues par
des juridictions nationales — qui sont d’ailleurs peu nombreuses en ce qui
concerne les violations des droits de l’homme et du droit humanitaire

dans le cadre d’un conflit armé (ou l’absence de réparatipon à raison de
telles violations) —, pour ensuite recenser celles qui sont favorables à
l’application de l’immunité et celles qui ne le sont pas. Je dopute que cette
méthode permette d’obtenir des résultats véritablement utileps ou contri -
bue à la clarification du droit dans ce domaine. En outre, l’immpunité de

juridiction des Etats ne peut être interprétée dans l’abstrapit ou appliquée
hors de tout contexte ; les caractéristiques des différentes affaires, les cir -
constances dans lesquelles celles-ci s’inscrivent, ainsi que les factpeurs qui
les sous-tendent, doivent être pleinement pris en compte. En l’esppèce
étaient en cause des demandes de réparation découlant d’acteps illicites

admis par l’Etat responsable, pour lesquelles aucune autre voie de recours
ne semblait disponible. C’est ce qui rendait l’affaire assez inhpabituelle,
ainsi que cela a d’ailleurs été reconnu dans l’arrêt (papr. 60).
28. Lorsque les immunités juridictionnelles entrent en conflit avec cerp -
tains droits fondamentaux consacrés par les droits de l’homme ou le droit

humanitaire, que l’Etat du for a pour obligation de garantir et d’pappli -
quer sur son territoire et dont la réalisation reflète des valeuprs fondamen-
tales de la communauté internationale, il est bien plus approprié pde
s’interroger sur la manière dont, en droit international contemporain, « il
faut … réaliser un équilibre entre deux séries de fonctions qui sont tpoutes

deux précieuses pour la communauté internationale » (voir Mandat d’ar ‑
rêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique),
arrêt, C.I.J. Recueil 2002, opinion individuelle commune de M me Higgins,
M. Kooijmans et M. Buergenthal, p. 85, par. 75). Dans le monde actuel,
utiliser l’immunité de l’Etat pour faire obstacle au droit d’paccès à la jus -

tice et au droit à un recours effectif peut être considérép comme abusif.
29. L’équilibre susmentionné doit être recherché entre les fonctions et
l’objet intrinsèques de l’immunité, d’une part, la protecption et la réalisa -
tion des droits fondamentaux de l’homme et des principes du droit humpa -
nitaire, d’autre part. Dans les affaires Waite et Kennedy c. Allemagne et

Beer et Regan c. Allemagne, la Cour européenne des droits de l’homme

203

6 CIJ1031.indb 403 22/11/13 12:25 299 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. yusuf)

the right of access to courts and the right to an effective remedy in Waite
and Kennedy v. Germany and Beer and Regan v. Germany by underlining

that :

“For the Court, a material factor in determining whether granting
ESA (the European Space Agency) immunity from German jurisdic -
tion is permissible under the Convention is whether the applicants
had available to them reasonable alternative means to protect effec -
tively their rights under the Convention.” (ECHR, Waite and

Kennedy v. Germany (application No. 26083/94, judgment of
18 February 1999, para. 68); and ECHR, Beer and Regan v. Germany
(application No. 28934/95, judgment of 18 February 1999, para. 58).)

30. The assessment of whether, in the present case, immunity should
have been granted or could have been denied under international law by
the Italian courts cannot exclude, in my view, the application of the gepn -
eral principles underlying human rights and humanitarian law and

embodying basic rights such as the right to an effective remedy, the rpight
to compensation for damages suffered as a result of breaches of humanip -
tarian law, and the right to protection from denial of justice, which arpe
directly relevant to the particular circumstances of the claims submittepd
to those courts. Nor can the law of State immunity, as raised by the caspes
before the Italian courts, be interpreted in a way which conflicts witph the

realization of those rights in the context of contemporary international
law. Even more importantly, recourse should be had to those principles,
and to an assessment of the proportionality and legitimacy of purpose ofp
granting immunity, when the rules on State immunity or the exceptions top
it are either fragmentary or unsettled, such as in the case of human rigphts

or humanitarian law violations for which appropriate reparations have
not been made.

31. Such principles include those proclaimed by the United Nations

General Assembly as “Basic Principles and Guidelines on the Right to pa
Remedy and Reparation for Victims of Gross Violations of International
Human Rights Law and Serious Violations of International Humanitar -
ian Law” (resolution 60/147 of 16 December 2005) according to which :

“11. Remedies for gross violations of international human rights
law and serious violations of international humanitarian law include

the victim’s right to the following as provided for under international
law :
(a) Equal and effective access to justice ;
(b) Adequate, effective and prompt reparation for harm suffered ;

(c) Access to relevant information concerning violations and repara -
tion mechanisms.”

204

6 CIJ1031.indb 404 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. yusuf) 299

(ci-après la « CEDH») a ainsi reconnu la nécessité de mettre en balance

l’octroi de l’immunité (dans le cas d’organisations internaptionales) avec le
droit d’accès à la justice et le droit à un recours effectpif. Elle a souligné
que,

«pour déterminer si l’immunité de l’ASE [l’Agence spatialep euro -
péenne] devant les juridictions allemandes est admissible au regard
de la Convention, il import[ait], selon la Cour, d’examiner si les
requérants disposaient d’autres voies raisonnables pour protégepr

leurs droits garantis par oa Convention » (CEDH, Waite et Kennedy
c. Allemagne (requête n 26083/94, arrêt du 18 février 1999, par. 68 ;
et affaire Beer et Regan c. Allemagne (requête n o28934/95, arrêt du
18 février 1999, par. 58).

30. L’examen de la question de savoir si, en la présente affaire, le droit
international prescrivait aux juridictions italiennes d’accorder l’pimmunité

à l’Allemagne ou s’il les autorisait à ne pas le faire ne peput, à mon sens,
exclure l’application des principes généraux qui sous-tendent lpes droits de
l’homme et le droit humanitaire, et consacrent certains droits fondampen -
taux tels que le droit à un recours effectif, le droit à répapration à raison de
dommages subis du fait de violations du droit humanitaire et le droit àp la

protection contre les dénis de justice, autant de droits pertinents cpompte
tenu des circonstances dans lesquelles s’inscrivaient les actions en pcause.
Le droit de l’immunité des Etats, tel qu’invoqué dans les affpaires soumises
aux juridictions italiennes, ne peut pas non plus être interprétép d’une façon
qui contrarierait la réalisation de ces droits au regard du droit internatio -

nal contemporain. Plus important encore, lorsque les règles régissant l’im-
munité de l’Etat ou les exceptions à celle-ci se révèlentp fragmentaires ou
incertaines — comme dans le cas de violations des droits de l’homme ou
du droit humanitaire n’ayant pas donné lieu à une réparation appro -
priée —, il conviendrait de prendre en considération les principes susmepn -

tionnés et d’apprécier l’octroi de l’immunité à l’paune des critères de
proportionnalité et de légitimité.
31. Parmi ces principes figurent ceux que l’Assemblée généralep des
Nations Unies a proclamés au titre des « [p]rincipes fondamentaux
et directives concernant le droit à un recours et à réparation desp victimes

de violations flagrantes du droit international des droits de l’hompme et
de violations graves du droit international humanitaire », dans sa résolu -
tion 60/147 du 16 décembre 2005. Aux termes de cette résolution,

«11. Les recours contre les violations flagrantes du droit interna -
tional des droits de l’homme et les violations graves du droit internpa-
tional humanitaire comprennent le droit de la victime aux garanties

suivantes, prévues par le droit international :
a) Accès effectif à la justice, dans des conditions d’égalitép;
b) Réparation adéquate, effective et rapide du préjudice subi ;
c) Accès aux informations utiles concernant les violations et les

mécanismes de réparation. »

204

6 CIJ1031.indb 405 22/11/13 12:25 300 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. yusuf)

The UN basic principles further provide that :

“12. A victim of a gross violation of international humanitarian
law . . . shall have equal access to an effective judicial remedy as pro -
vided for under international law.”

32. In explaining the provisions of the General Assembly resolution,
the United Nations Special Rapporteur Theo van Boven noted that :

“From the outset the Principles and Guidelines were based on the

law of State responsibility . . . It was argued, however, by some Gov -
ernments that the Articles on State responsibility were drawn up with
inter-State relations in mind and would not per se apply to relations
between States and individuals. This argument was countered in that
it ignored the historic evolution since the Second World War of
human rights having become an integral and dynamic part of inter -

national law as endorsed by numerous widely ratified international
human rights treaties. It was also said to ignore that the duty of
affording remedies for governmental misconduct was so widely
acknowledged that the right to an effective remedy for violations of
human rights and a fortiori of gross human rights violations, may be

regarded as forming part of customary international law.” (Theo van
Boven, The United Nations Basic Principles and Guidelines on the
Right to a Remedy and Reparation for Victims of Gross Violations of
International Human Rights Law and Serious Violations of Interna ‑
tional Humanitarian Law, United Nations Audiovisual Library of

International Law, pp. 1-2.)

33. Similarly, the Report of the United Nations Commission on Dar -
fur states that :

“at present, whenever a gross breach of human rights is committed
which also amounts to an international crime, customary interna -
tional law not only provides for the criminal liability of the individu -

als who have committed that breach, but also imposes an obligation
on the States of which the perpetrators are nationals, or for which
they acted as de jure or de facto organs, to make reparations (includ -
ing compensation) for the damage done” (Report of the International
Commission of Enquiry on Darfur, 25 January 2005, paras. 598-599).

34. Among the three categories of Italian victims of unlawful acts com -
mitted by the Nazi régime mentioned in paragraph 52 of the Judgment, p
the Court highlights in particular the plight of the Italian military inptern -

ees (IMIs) who were excluded by Germany from eligibility for reparatiopns
on the ground that prisoners of war were not entitled to compensation fopr

205

6 CIJ1031.indb 406 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. yusuf) 300

Il est ensuite précisé que

«12. [l]es victimes d’une violation flagrante du droit international …
humanitaire auront, dans des conditions d’égalité, accès àp un recours
judiciaire utile, conformément au droit international. »

32. Lorsqu’il a présenté les dispositions de cette résolution dep l’Assem-
blée générale, le rapporteur spécial de l’Organisation deps Nations Unies,

Theo van Boven, a relevé ce qui suit :
««Les principes et directives » ont, dès le départ, été fondés sur le

droit de la responsabilité de l’Etat… Certains gouvernements onpt
toutefois soutenu que les articles sur la responsabilité de l’Etatp
avaient été conçus pour régir les relations interétatiqueps et qu’ils ne
devaient pas, per se, s’appliquer aux relations entre les Etats et les
individus. Cet argument a été contesté en ce qu’il ne tenait pas
compte de l’évolution intervenue depuis la seconde guerre mondiale

dans le domaine des droits de l’homme, lesquels constituent désor -
mais une partie intégrante et dynamique du droit international, ce
qu’attestent les très nombreux traités internationaux, largemenpt rati -
fiés, qui ont été conclus dans ce domaine. Il a également pété avancé
que cet argument ne tenait pas compte du fait que l’obligation d’ac -

corder réparation à raison d’une faute de l’Etat était sip largement
reconnue que le droit à un recours effectif à raison de violatiopns des
droits de l’homme et, a fortiori, de violations graves des droits de
l’homme pouvait être considéré comme faisant partie du droitp inter -
national coutumier. » (Theo van Boven, The United Nations Basic

Principles and Guidelines on the Right to a Remedy and Reparation for
Victims of Gross Violations of International Human Rights Law and
Serious Violations of International Humanitarian Law, Bibliothèque
audiovisuelle sur le droit international de l’Organisation des
Nations Unies, p. 1-2.)

33. De même, dans le rapport de la commission des Nations Unies sur
le Darfour, il est précisé que,

«à l’heure actuelle, … en cas de violation grave des droits de l’homme
constituant un crime de droit international, le droit international cou -
tumier non seulement reconnaît la responsabilité pénale des autpeurs

de la violation, mais aussi impose à l’Etat ou aux États dont ipls sont
ressortissants ou dont ils sont, en droit ou en fait, les agents l’obliga -
tion de réparer (y compris par une indemnisation) le préjudice cpaus» é
(Rapport de la commission internationale d’enquête sur le Darfour,
25 janvier 2005, par. 598-599).

34. Parmi les trois catégories de victimes italiennes d’actes illiciteps com -
mis par le régime nazi qui sont mentionnées au paragraphe 52 de l’arrêt,
la Cour insiste plus particulièrement sur le sort des internés milpitaires ita -

liens, auxquels l’Allemagne a refusé d’accorder réparation apu motif que
les prisonniers de guerre n’avaient pas droit à réparation pourp travail

205

6 CIJ1031.indb 407 22/11/13 12:25 301 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. yusuf)

forced labour, although they were, as a matter fact, denied treatment asp
prisoners of war by the Nazi authorities. Having determined that at least

this category of victims had no possibility of receiving compensation frpom
Germany through other mechanisms such as inter-State agreements or
the national legislation of Germany, the Court, should have, in my view,p
conducted an assessment of whether by granting immunity to Germany
the Italian courts would have impaired the IMIs’ right to reparation,p or

their access to justice, or their right to an effective remedy for thep dam -
ages suffered.
35. Immunity is not an immutable value in international law. Its
adjustability to the evolution of the international society, and its flpexibil-
ity, are evidenced by the number of exceptions built gradually into it opver

the past century, most of which reflect the growing normative weight
attached to the protection of the rights of the individual against the Sptate,
be that as a private party to commercial transactions with the State or as
a victim of tortious acts by State officials. This is not to say that tphe
importance of immunity to the stability of relations among States or to p

the orderly allocation and exercise of jurisdiction in proceedings conceprn-
ing States has been weakened. Immunity continues to perform those
functions, despite the growing number of exceptions.

36. The granting or denial of immunity by domestic courts, in cases

involving claims arising from international crimes where the law of Statpe
immunity, and exceptions thereto, is still uncertain or unsettled, requipres
a contextual assessment not only to ensure the proper characterization opf
the nature of the claims involved, but also to review the effect that psuch a
decision may have on other normative values to which the international

community attaches similar importance. It is indeed widely recognized inp
the jurisprudence of domestic courts that, before ruling on the existencpe
of immunity as a right of the foreign State, a review of the underlying p
factors of the case has to be conducted to determine whether or not an
exception applies (see, for example, Conrades v. United Kingdom (1981),

65 ILR 205 (Hanover Labour Court); Farouk Abdul Aziz v. Yemen (2005)
the Court of Appeal (Civil Division) of England, [2005] EWCA civ 745, p
paras. 61-62 ; Supreme Court of Canada, Kuwait Airways Corp. v. Iraq,
2010 SCC 40, [2010] 2 SCR 571, para. 33). In this context, the Cour de
cassation in France declared, in the Bucheron case, that :

“whereas the jurisdictional immunity of foreign States, while auto -
matic, is only relative and admits some exceptions ; whereas, there -
fore, the court before which it is invoked must assess its validity in
the light of the merits of the case, in order to determine whether or
not there is cause to uphold the special motion to dismiss”

(No. 02-45961, 16 December 2003, Bull. civ., 2003, No. 258, p. 206).
[Translation by the Registry.]

206

6 CIJ1031.indb 408 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. yusuf) 301

forcé, et ce, alors même que les intéressés s’étaient vu, dans les faits, refu -

ser le statut de prisonnier de guerre par les autorités nazies. Ayantp établi
que cette catégorie de victimes au moins n’avait pas la possibilité d’obte -
nir réparation de l’Allemagne par le biais d’autres mécanismpes, tels que
des accords interétatiques ou la législation nationale de ce pays,p la Cour
aurait dû, selon moi, se demander si l’octroi de l’immunité pà l’Allemagne

par les juridictions italiennes aurait porté atteinte au droit à rpéparation
des internés militaires, à leur droit d’accès à la justicpe ou à leur droit à un
recours effectif à raison des dommages subis.
35. L’immunité n’est pas une valeur immuable du droit internationalp.

Son adaptabilité à l’évolution de la société internatiponale, ainsi que sa sou -
plesse, sont attestées par le nombre d’exceptions qui se sont progressivement
fait jour au cours du dernier siècle, la plupart reflétant le popids normatif
croissant attaché à la protection des droits des particuliers vis-à-vis de l’Etat,
que ce soit lorsque ceux-ci participent à titre privé à des transactions com-

merciales avec lui ou lorsqu’ils sont victimes d’actes dommageableps commis
par ses représentants. Cela ne signifie pas que l’importance du prôle que joue
l’immunité aux fins de la stabilité des relations interétaptiques ou d’une attr-
bution et d’un exercice rationnels de la compétence dans les affaires impli-
quant des Etats ait été affaiblie. En dépit du nombre croissant d’exceptions,

l’immunité continue en effet de remplir ces fonctions.
36. Lorsque le droit de l’immunité de l’Etat et les exceptions y replatives
demeurent incertains et changeants, l’octroi ou non de l’immunitép par les
juridictions nationales dans des affaires se rapportant à des demanpdes

découlant de crimes internationaux nécessite un examen contextuel non
seulement pour que soit donnée la qualification juridique appropriépe aux
demandes en cause, mais également pour que puisse être appréciépe l’inci-
dence que cela pourrait avoir sur d’autres valeurs normatives auxquelples
la communauté internationale attache une importance similaire. De faipt,

il est largement admis dans la jurisprudence nationale que, avant de se p
prononcer sur l’existence de l’immunité en tant que droit de l’pEtat étran-
ger, le tribunal saisi doit examiner les éléments sous-tendant l’paffaire afin
de déterminer si une exception s’applique ou non (voir, par exemple,
Conrades c. Royaume‑Uni (1981), ILR, vol. 65, p. 205 (tribunal des

prud’hommes de Hanovre) ; Farouk Abdul Aziz c. Yémen (2005), [2005]
EWCA, civ 745, par. 61-62 (cour d’appel d’Angleterre, chambre civile) ;
Kuwait Airways Corp. c. Irak, 2010 CSC 40, [2010] 2 RCS 571, par. 33
(Cour suprême du Canada)). A cet égard, la Cour de cassation frpançaise

a déclaré ce qui suit en l’affaire Bucheron :
«attendu que l’immunité de juridiction des Etats étrangers, bienp

qu’étant de principe, n’est que relative et connaît des excepptions ;
qu’il en résulte que la juridiction devant laquelle elle est invoqpuée est
dans la nécessité d’en apprécier le bien-fondé au regard du fond du
litige pour décider s’il y a lieu d’accueillir ou non cette fin de non-
recevoir d’une nature particulière » (n° 02-45961, 16 décembre 2003,
o
Bull. civ., 2003, n 258, p. 206).

206

6 CIJ1031.indb 409 22/11/13 12:25 302 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. yusuf)

37. Thus, the preliminary nature of immunity from jurisdiction does

not preclude national courts, in this case the Italian courts, from assepssing
the context in which the claim has been made to ensure a proper legal
characterization of the acts for which immunity is claimed, and where
necessary, to balance the different factors underlying the case to deter -
mine whether the court has jurisdiction.

38. In the present case, Germany’s arguments revolved around the idea
that there is no relevant limitation on the immunity to which a State isp
entitled in respect of acta jure imperii in the sense that :

“[n]o general practice, supported by opinio juris, exists as to any
enlargement of the derogation from the principle of State immunity
in respect of violations of humanitarian law committed by military

forces during an armed conflict” (Memorial of Germany, para. 55).
According to Germany,

“[t]he practice regarding the settlement of war claims is very consispt-
ent. Such claims are generally settled under international treaties in
the relationship between the States concerned. Specifically with regard

to all the claims resulting from World War II, this traditional course
was followed.” (Ibid.)

39. Italy, on the other hand, maintained that :
“The ongoing German denial of appropriate and effective repara -

tion to a large number of Italian victims of IHL committed by Ger -
man authorities during the final part of the Second World War, as
recognized and renewed by Germany through the 1961 Agreements
as well as subsequent unilateral measures, needed to be addressed.”
(Counter-Memorial of Italy, para. 6.15.)

In the view of the Italian side :

“Italian judges, facing such a blatant and long-lasting denial of
reparation in violation of all relevant rules of international law, coulpd
not simply turn down victims’ claims by recognizing the principle of p

State immunity. Clearly, the judges had the feeling that by applying
a purely procedural principle in the face of the gravity of crimes for
which no reparation has yet been made, they would create a typical
situation of denial of justice. Had Italian courts granted immunity
they would have put a full stop to the entire question of reparation

to thousands of victims. They would have effectively denied any pos -
sibility for these claims to achieve any objective. On the contrary, thepy
had very serious justifications for setting aside the immunity of Ger -
many and verifying whether the claims were substantiated on the
merits.” (Ibid., para. 6.16.)

207

6 CIJ1031.indb 410 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. yusuf) 302

37. Le caractère préliminaire de la question de l’immunité de jupridic -
tion n’empêche donc pas les tribunaux nationaux — en l’espèce, ita -

liens — d’examiner le contexte par rapport auquel la réclamation a épté
formulée afin de donner une qualification juridique appropriée aux actes
à l’égard desquels l’immunité est revendiquée, et, lorsque cela est néces -
saire, de mettre en balance les différents éléments sous-tendpant l’affaire en
vue de déterminer s’ils sont ou non compétents.

38. En la présente espèce, les arguments de l’Allemagne s’articuplaient
autour de l’idée selon laquelle aucune limitation à l’immunipté dont jouit un
Etat en ce qui concerne les actes jure imperii n’était applicable, en ce sens que

«il n’existe pas de pratique générale, soutenue par l’opinio juris, élar -
gissant la dérogation au principe de l’immunité des Etats aux cas de
violations du droit humanitaire commises par des forces armées pen -
dant un conflit armé » (mémoire de l’Allemagne, par. 55).

Toujours selon l’Allemagne,

«[l]a pratique relative au règlement des réclamations nées d’pun conflit
armé est parfaitement constante. Les traités internationaux régpissant
les relations entre les Etats intéressés contiennent généralpement des
dispositions relatives au règlement de ces demandes d’indemnisation.
Les réclamations résultant de la seconde guerre mondiale, en partipcu -

lier, ont toutes été réglées par cette voie traditionnelle. » (Ibid.)
39. L’Italie a, quant à elle, soutenu ce qui suit :

«Le refus d’une réparation appropriée et effective que l’Alplemagne
continue d’opposer à un grand nombre de victimes italiennes de viop-
lations graves du droit international humanitaire commises par les
autorités allemandes au cours de la dernière période de la secopnde

guerre mondiale, qui ont été reconnues et confirmées par l’pAllemagne
moyennant les accords de 1961 et des mesures unilatérales prises par
la suite, devait être examiné.» (Contre-mémoire de l’Italie, par. 6.15.)

Et l’Italie d’ajouter :
«Face à un refus de réparation aussi flagrant et prolongé en vpiola-

tion de toutes les règles pertinentes du droit international, les jugpes
italiens ne pouvaient simplement rejeter les actions des victimes en
reconnaissant le principe de l’immunité des Etats. Il est clair qupe, au
vu de la gravité des crimes qui n’avaient pas encore donné lieup à une
réparation, les juges avaient le sentiment qu’en appliquant un pripn -

cipe de nature purement procédurale ils feraient naître une situatpion
classique de déni de justice. Si les juridictions italiennes avaient p
accordé l’immunité, elles auraient mis un point final à l’pensemble de
la question de la réparation pour des milliers de victimes. Elles
auraient en effet exclu toute possibilité que ces actions aboutissepnt à
un quelconque résultat. En revanche, elles avaient des justificatiopns

très sérieuses pour écarter l’immunité de l’Allemagne pet vérifier si les
demandes étaient justifiées au fond. » (Ibid., par. 6.16.)

207

6 CIJ1031.indb 411 22/11/13 12:25 303 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. yusuf)

40. The issue of the possible conflict between State immunity and repa-
rations arising from violations of humanitarian law has recently been

dealt with in a report and a resolution of the Institut de droit internap -
tional. In introducing the report, which was titled “The Fundamental p
Rights of the Person and the Immunity from Jurisdiction of States” top the
Naples Session of the Institut in 2009, Lady Fox stated that

“a further difficulty arose as regards State immunity, namely whethepr
it was illogical and possibly morally unjustifiable that an individualp

official might currently be subject to criminal persecution in nationalp
courts but that the State which ordered the acts might be sheltered
by immunity from civil proceedings for reparation for the conse -
quences of such crimes” (Annuaire de l’Institut de droit international,
session de Naples, Vol. 73, p. 110).

41. In its resolution on the report presented by Lady Fox, the Institut
considered among other things, “the underlying conflict between

immunity from jurisdiction of States and their agents, and claims arising
from international crimes” and made two statements which are relevantp to
the issues in dispute before the Court. First, it is recognized, in a prpeambu-
lar paragraph, that “the removal of immunity from proceedings in
national courts is one way by which effective reparation for the commis -

sion of international crimes may be achieved”. Secondly, it is statedp in para-
graph 2, of Article II, on Principles that : “Immunities should not
constitute an obstacle to the appropriate reparation to which victims of
crimes addressed by this resolution are entitled.” (Ibid., pp. 228-230.)

42. I believe that these statements reflect the current state of interna -
tional law as regards the relationship between State immunity and claimsp
for reparations arising from unlawful acts committed in the course of anp
armed conflict, particularly in exceptional circumstances such as thospe
faced by the Italian victims of atrocities committed by the Third Reich p

during the Second World War where no other means of redress appear to
be available. The statements cannot be taken to mean, in my view, that
immunity should be set aside whenever claims for reparation of crimes
committed by the agents of a foreign State are submitted to domestic
courts. They rather indicate the necessity of appropriate and effectivpe

reparations to victims of crimes, and that immunity should not be an
obstacle to such reparation in those exceptional circumstances where no p
other means of redress is available. This is a very limited exception top
immunity bounded by the special circumstances arising from the lack of
other remedial avenues for the victims. The manner in which these con -
siderations could be applied to the present case is discussed in para -

graphs 49-54 below.

208

6 CIJ1031.indb 412 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. yusuf) 303

40. La question du conflit pouvant exister entre l’immunité de l’pEtat et

les réparations dues à raison de violations du droit humanitaire ap récem-
ment fait l’objet d’un rapport et d’une résolution de l’Institut de droit
international. Lorsqu’elle a présenté ce rapport, intitulé «pLes droits fon -
damentaux de la personne face aux immunités de juridiction du droit
international», à la session de Naples de l’Institut en 2009, lady Fox a

déclaré ce qui suit :
«une difficulté supplémentaire s’est fait jour en ce qui concerpne l’im -

munité de l’Etat : était-il illogique, voire injustifiable d’un point de
vue moral, qu’un représentant de l’Etat puisse aujourd’hui fpaire l’ob -
jet de poursuites pénales devant les juridictions nationales tandis qpue
l’Etat ayant ordonné les actes en cause pourrait, lui, s’abriter derrière
son immunité de juridiction civile pour ce qui est des réparationsp

dues à raison de tels crimes ?» (Annuaire de l’Institut de droit interna ‑
tional, session de Naples, vol. 73, p. 110).

41. Dans la résolution qu’il a adoptée sur la base du rapport prépsenté
par lady Fox, l’Institut s’est notamment intéressé au « conflit latent entre
les immunités de juridiction des Etats et de leurs agents, d’une ppart, et les
réclamations liées à des crimes internationaux, d’autre partp », et a formulé
deux observations pertinentes en ce qui concerne les questions dont la

Cour a eu à connaître en l’espèce. Premièrement, il a recponnu, dans un
alinéa du préambule, que « la levée de l’immunité lors de procédures
engagées devant des juridictions nationales [était] un des moyens pd’as-
surer aux victimes de crimes internationaux une réparation effectivpe ».
Deuxièmement, il a indiqué, au paragraphe 2 de l’article II, consacré

aux principes, que « [l]es immunités ne devraient pas faire obstacle à la
réparation adéquate [à laquelle] ont droit les victimes des cripmes visés
par la présente résolution » (ibid., p. 228-230).
42. Ces observations reflètent selon moi l’état actuel du droit ipnterna -
tional en ce qui concerne le lien entre immunité de l’Etat et demapndes de

réparation découlant d’actes illicites commis au cours d’un conflit armé,
en particulier dans des circonstances aussi exceptionnelles que celles aux -
quelles ont été confrontées les victimes italiennes d’atrociptés commises par
le IIIeReich pendant la seconde guerre mondiale, qui ne semblaient dis -
poser d’aucune autre voie de recours. Elles ne sauraient toutefois êptre

interprétées comme signifiant que l’immunité doit être pécartée chaque fois
que des demandes de réparation à raison de crimes commis par les apgents
d’un Etat étranger sont présentées à des juridictions natpionales. Ces
observations visent plutôt à souligner la nécessité d’accporder une répara -
tion appropriée et effective aux victimes, l’immunité ne devapnt pas y faire

obstacle lorsque, à titre exceptionnel, aucune autre voie de recours pn’est
disponible. Il s’agit là d’une exception à l’immunité fort limitée, circons -
crite par les circonstances spéciales liées à l’absence d’autres voies de
recours. La manière dont il aurait pu être tenu compte de ces conspidé-
rations en la présente affaire est examinée aux paragraphes 49 à 54 ci-

dessous.

208

6 CIJ1031.indb 413 22/11/13 12:25 304 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. yusuf)

V. Domestic Courts, State Ipmmunity and the Right
to Reparation for Violaptions of Internationapl Humanitarian

Law Committed in the Forum pState

43. The law relating to State immunity has historically evolved through
the decisions of domestic courts. It is in such domestic courts that thep
nature and scope of State immunity has most often been determined and

developed over the ages. It is to them that we owe the distinction betwepen
jure gestionis and jure imperii as well as other derogations and exceptions
to State immunity. Divergences and conflicts in the interpretation andp
application of the law to specific circumstances are bound to arise inp such
a diversified setting. It is not therefore surprising that many aspectps of
these exceptions and derogations remain unsettled.

44. The decisions of the Italian courts, as well as the Distomo decision
in Greece, may be viewed as part of a broader evolutionary process, in
the context of judicial decisions by domestic courts, which has given ripse
to a number of exceptions to the jurisdictional immunity of States, suchp

as the tort exception, the employment exception and the intellectual propp -
erty exception. The question of course may be asked whether any of thesep
exceptions should have been considered as violations of international lapw
when they were first established by one or two national courts, given pthe
unsettled nature of the scope and extent of State immunity in customary

international law at the time of the decision.

45. In this connection, it is of particular interest that the Court refers
approvingly to the 1961 judgment of the Supreme Court of Austria in
Holubek v. Government of the United States of America (ILR, Vol.40, 1962,

p. 73), which may have been one of the first decisions to recognize the p
notion of tort exception to State immunity. One could perhaps try to
imagine the fate of this important exception, which is now widely appliepd
and has been codified into all the existing conventions on State immunity,
had the Austrian judgment been found to be in violation of the law of

State immunity by an international judicial body in the mid-sixties. A
nascent norm, which has come to reflect a widely held opinio juris and
State practice, would have been undoubtedly nipped in the bud.

46. As Lord Denning commented with respect to the exception of

acta jure gestionis : “Whenever a change is made, someone some time has
to make the first move. One country alone may start the process. Others
may follow. At first a trickle, then a stream, last a flood.” (Qpuoted in
Brohmer, State Immunity and the Violation of Human Rights, 1997, p. 20,
note 85.)
47. Certain rules of international law may remain in a grey zone, and

their existence may be debated in legal scholarship, until such time as pa
court of law — in the case of State immunities, a domestic court of law —

209

6 CIJ1031.indb 414 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. yusuf) 304

V. Juridictions nationaples, immunité de l’Étapt et droit
à réparation à raisonp de violations du droitp international

humanitaire commiseps dans l’État du for

43. Le droit relatif à l’immunité de l’Etat a évolué au fipl des années du
fait des décisions rendues par les juridictions nationales. Ce sont cpes tri -
bunaux qui, le plus souvent, ont déterminé et précisé la nature et la portée

de l’immunité de l’Etat. C’est à eux que nous devons la dpistinction entre
actes jure gestionis et actes jure imperii, ainsi que d’autres dérogations et
exceptions à l’immunité de l’Etat. Etant donné la diversipté de ces juridic -
tions, certaines divergences et certains conflits quant à l’inteprprétation et
à l’application de ce droit à des circonstances spécifiques existent néces -
sairement. Aussi n’est-il pas surprenant que de nombreux aspects de cpes

exceptions et dérogations demeurent incertains.
44. Les décisions des tribunaux italiens tout comme l’arrêt Distomo
rendu en Grèce peuvent être considérés comme s’inscrivantp dans un pro -
cessus d’évolution plus général, où les décisions des pjuridictions natio -
nales ont donné naissance à un certain nombre d’exceptions àp l’immunité

de juridiction des Etats, telles que l’exception territoriale, l’epxception en
matière d’emploi et l’exception en matière de propriétép intellectuelle. On
peut bien sûr se demander si, compte tenu du caractère incertain dpe
la portée et de l’étendue de l’immunité de l’Etat en droipt international
coutumier à l’époque où les décisions pertinentes ont épté rendues, ces

exceptions auraient dues être considérées comme contraires au dproit
international lorsqu’elles ont été énoncées pour la première fois par une
ou deux juridictions nationales.
45. A cet égard, il est particulièrement intéressant que la Cour repnvoie,
en y souscrivant, à l’arrêt rendu en 1961 par la Cour suprême d’Autriche
en l’affaire Holubek c. Gouvernement des Etats‑Unis d’Amérique (ILR,

vol. 40, 1962, p. 73), lequel est sans doute l’un des premiers à avoir
reconnu la notion d’exception territoriale à l’immunité de l’Etat. Quel
aurait été le sort de cette importante exception — qui est aujourd’hui lar -
gement appliquée et a été codifiée dans toutes les conventpions existantes
sur l’immunité de l’Etat — si l’arrêt de la Cour suprême d’Autriche avait

été jugé contraire au droit de l’immunité de l’Etat papr un organe judiciaire
international au milieu des années 1960 ? Une norme naissante, qui reflète
aujourd’hui une opinio juris et une pratique étatique largement répandues,
aurait alors assurément été tuée dans l’œuf.
46. Ainsi que lord Denning l’a fait observer en ce qui concerne l’excep -

tion relative aux actes jure gestionis, « [c]haque fois qu’un changement
intervient, c’est parce que quelqu’un a fait, à un moment donnép, le premier
pas. Un pays peut enclencher seul le processus, et être ensuite suivip par
d’autres. Les petits ruisseaux font les grandes rivières». (Cité dansBrohmer,
State Immunity and the Violation of Human Rights, 1997, p. 20, note 85.)
47. Certaines règles du droit international peuvent demeurer incer -

taines et voir leur existence faire l’objet de débats dans la doctprine, jusqu’à
ce qu’une juridiction — nationale, dans le cas des immunités de l’Etat —

209

6 CIJ1031.indb 415 22/11/13 12:25 305 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. yusuf)

clarifies their status and establishes their legal quality. This has hpappened
many times with respect to the exceptions and derogations to State immu-

nity. It is not indeed through diplomatic exchanges, or through the
conclusion of conventions, or even through the pronouncements of inter -
national judicial or arbitral bodies that the exceptions and derogationsp to
State immunity have developed. It has most often occurred through sin -
gle, and sometimes isolated, domestic court decisions, which gradually

turned mainstream.
48. Thus, in the area of State immunity it is not to be excluded that
such domestic courts may be performing a law-development function,
even when their decisions are not yet shared by other jurisdictions or apre
considered, at first sight, not to conform to what may have hitherto bpeen

viewed as State practice. The Court itself appears to recognize the poten -
tial of domestic courts for further development of the law of immunity
through its references to certain judicial decisions which were the fiprst to
formulate some of the derogations and exceptions to State immunity.

49. In his report to the Institut de droit international on “The Activi -
ties of National Judges and the International Relations of Their State”p,
Professor Benedetto Conforti stated the following :

“In Articles 4-7 of the draft resolution, the independence of natio -
nal courts . . . is considered in relation to the various sources of inter-
national law. Beginning with customary law, it does not seem that
there has ever been any doubt that national courts, when they are

called upon to apply a customary rule, are fully independent with
respect to its ascertainment. There are, however, at least two aspects
of such ascertainment which have a rather problematic nature : one
concerns the court’s participation in the formation and modification
of customary law . . .

As far as the first aspect is concerned, we can say, in keeping with
the main trend in domestic case law, that the courts are able to review p
whether a customary rule corresponds to the exigencies of equity and
justice, and if it does not, to refuse to apply it, provided that such
course of action has a basis in State practice, even if it is still fragp-

mentary and at a formative stage.”

He then added :
“To conclude on this point, we can say that the judge may refuse

to apply an international customary norm or consider it wholly or in
part modified if he ascertains the existence of an opinio necessitates in
this sense, and if the extinction of the norm or the formation of a
new norm has its basis in an international and/or domestic practice,
even if such practice is fragmentary.” (Provisional Report, Part 2 —

Judicial Independence and the Sources of International Law, pp. 386-
387.)

210

6 CIJ1031.indb 416 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. yusuf) 305

clarifie leur statut et établisse leur nature juridique. Cela s’pest produit à de
nombreuses reprises pour les exceptions et dérogations à l’immupnité de

l’Etat. En effet, ce n’est pas au travers d’échanges diplopmatiques ou par la
conclusion de conventions, ni même par des décisions internationalpes ou
sentences arbitrales, qu’elles se sont développées. Leur évolution a le plus
souvent résulté d’un très petit nombre de décisions, voirpe de décisions
isolées, rendues par des juridictions nationales, qui ont peu à pepu été

généralement acceptées.
48. Il n’est dès lors pas à exclure que, dans le domaine de l’impmunité de
l’Etat, les juridictions nationales puissent participer au développpement du
droit, et ce, même lorsque leurs conclusions ne sont pas partagéesp par d’autres
tribunaux ou sont perçues, prima facie, comme n’étant pas conformes à ce

qui était jusqu’alors considéré comme étant la pratique éptatique. En se réfé -
rant à des décisions judiciaires dans lesquelles certaines déropgations et ex-cep
tions à l’immunité de l’Etat ont été formulées pour la première fois, la Cour
semble elle-même reconnaître que les tribunaux nationaux peuvent jpouer un
rôle dans le développement futur de cette branche du droit.

49. Dans le rapport qu’il a présenté à l’Institut de droit inpternational
intitulé « L’activité du juge interne et les relations internationales de
l’Etat», le professeur Benedetto Conforti a déclaré ce qui suit :

«Aux articles 4 à 7 du projet de résolution, l’indépendance des
juridictions nationales … est examinée au regard des différentes
sources du droit international. Pour ce qui est tout d’abord du droitp
coutumier, il n’y a jamais eu de doute, semble-t-il, que les tribunaupx

nationaux, lorsqu’ils sont appelés à appliquer une règle couptumière,
jouissent d’une liberté d’appréciation totale. A cet égarpd, deux
aspects au moins posent toutefois problème : le premier a trait à la
participation de ces juridictions à la formation et à l’évolpution du
droit coutumier…

S’agissant du premier aspect, nous pouvons considérer, en nous en p
tenant à la tendance dominante dans la jurisprudence nationale, que
les juridictions peuvent examiner la question de savoir si une règle p
coutumière répond aux exigences d’équité et de justice etp, si tel n’est
pas le cas, refuser de l’appliquer, à condition toutefois que ce cphoix

soit étayé par la pratique étatique, quand bien même celle-ci serait
encore fragmentaire et en cours de formation. »

Et M. Conforti d’ajouter :
«Pour conclure sur ce point, nous pouvons dire que le juge est

fondé à refuser d’appliquer une norme coutumière internationale ou
à estimer qu’elle est totalement ou partiellement modifiée s’pil constate
l’existence d’une opinio necessitates en ce sens, et si l’extinction de
cette norme ou l’émergence d’une norme nouvelle trouve son origine
dans une pratique internationale et/ou nationale, même fragmen -

taire.» (Rapport provisoire, deuxième partie, L’activité du juge
interne et les relations internationales de l’Etat, p. 386-387.)

210

6 CIJ1031.indb 417 22/11/13 12:25 306 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. yusuf)

50. Both the rules on State immunity and the entitlement of individu -
als to reparations following the commission by State agents of interna -

tional crimes are undergoing transformation. The Institut de droit
international recognized as much in its above-mentioned Naples resolu -
tion in which reference was made to “the underlying conflict between
immunity from jurisdiction of States and their agents and claims arisingp
from international crimes”. Such conflict did not exist in the pastp. It is of

recent origin. It has arisen as a result of a widely held view in the interna -
tional community (some sort of an opinio juris necessitates) according to
which State immunity should not be used as a screen to avoid reparationsp
to which victims of crimes are entitled. This is the situation in my viepw
with which the Italian “Corte di Cassazione” was faced in the Ferrini case
and in subsequent cases.

51. The assertion of jurisdiction by domestic courts for a failure to
make reparations for serious breaches of the law of armed conflict admpit -
ted by the responsible State, particularly where no other means of redrepss
is available, could not, in my view, harm the independence or the sover -
eignty of another State. It simply contributes to the crystallization ofp an

emerging exception to State immunity, which is based on the principles
underlying human rights and humanitarian law and on the widely-held
opinio juris of ensuring the realization of those rights, including the right
to an effective remedy, in those circumstances where the victims wouldp
have no other means of redress.

52. Recognizing that a failure to make reparations for war crimes or
crimes against humanity may result in non-immunity before domestic
courts, particularly when no other means of redress is available, is not so
much about further narrowing the scope of State immunity, but about
bringing it in line with the growing normative weight attached by the

international community to the protection of human rights and humani -
tarian law, and the realization of the right to effective remedy for hpuman
beings. It could also have a deterrent effect on the non-observance ofp
humanitarian law by States.

53. I am not sure that it is sufficient to state, in the context of the
exceptional circumstances surrounding the claims of the Italian victims
for reparations, that : “the fact that immunity may bar the exercise of
jurisdiction in a particular case does not alter the applicability of thpe sub -
stantive rules of international law” (Judgment, para. 100). A question

that may arise, in this context, is whether, if immunity were granted inp
such a case, the defendant State would be under an obligation to afford
an alternative remedy to the victims of the breaches to which it has admpit -
ted? This is an important question to which an answer should have been
provided in the proceedings or in the Judgment. Moreover, it is doubtfulp
whether a responsibility that does not afford a means of redress or a p

remedial context within which the claims may be settled can be of much
use to such victims.

211

6 CIJ1031.indb 418 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. yusuf) 306

50. Tant les règles régissant l’immunité de l’Etat que le dropit individuel
à réparation à raison de crimes internationaux commis par des apgents de

l’Etat sont en pleine évolution. L’Institut de droit international l’a
reconnu dans la résolution de Naples susmentionnée, dans laquelle pil a
fait référence au « conflit latent entre les immunités de juridiction des
Etats et de leurs agents, d’une part, et les réclamations liéesp à des crimes
internationaux, d’autre part ». Ce conflit n’existait pas par le passé, mais

s’est fait jour récemment. Il est né de l’opinion largement prépandue dans
la communauté internationale (manière d’opinio juris necessitates) selon
laquelle l’immunité de l’Etat ne devrait pas être utilisépe comme un rem -
part contre les réparations auxquelles ont droit les victimes de telsp crimes.
Telle est, selon moi, la situation à laquelle s’est trouvée conpfrontée la
«Corte di Cassazione » dans l’affaire Ferrini et les affaires qui ont suivi.

51. Qu’une juridiction nationale se déclare compétente en raison d’pun
défaut de réparation de violations graves du droit des conflits parmés
reconnues par l’Etat responsable, en particulier lorsqu’il n’expiste aucune
autre voie de recours, ne saurait, selon moi, porter atteinte à l’pindépen -
dance ou à la souveraineté des Etats. Cela contribue simplement àp la cris-

tallisation d’une exception à l’immunité de l’Etat en devpenir, exception
fondée sur les principes qui sous-tendent les droits de l’homme etp le droit
humanitaire ainsi que sur l’opinio juris largement répandue selon laquelle
il convient de veiller à la réalisation de ces droits, y compris lpe droit à un
recours effectif, lorsque les victimes ne bénéficient d’aucpune autre voie de

recours.
52. Reconnaître qu’un défaut de réparation à raison de crimesp de
guerre ou de crimes contre l’humanité peut conduire à priver un Etat de
son immunité devant les juridictions nationales, notamment lorsqu’pil
n’existe aucune autre voie de recours, ne revient pas à limiter dapvantage
la portée de l’immunité de l’Etat ; cela permet de la faire concorder avec

l’importance normative croissante que la communauté internationalep
attache à la protection des droits de l’homme et du droit humanitapire,
ainsi qu’avec la réalisation du droit à un recours effectif ppour tout être
humain. Cela pourrait également dissuader les Etats de ne pas respectper le
droit humanitaire.

53. Compte tenu des circonstances exceptionnelles dans lesquelles
s’inscrivaient les demandes de réparation des victimes italiennes, je ne suis
pas convaincu qu’il suffise de dire que « le fait que l’immunité puisse faire
obstacle à l’exercice de la compétence judiciaire dans une affaire donnée
est sans incidence sur l’applicabilité des règles matérielleps du droit inter -

national» (arrêt, par. 100). L’une des questions qui peut se poser à cet
égard est celle de savoir si, dans l’hypothèse où l’immunpité serait accordée
dans une affaire de cette nature, l’Etat défendeur serait tenu dp’offrir aux
victimes des violations qu’il a reconnues une autre voie de recours. pIl
s’agit là d’une question importante, à laquelle une réponpse aurait dû être
apportée en cours d’instance ou dans l’arrêt. De plus, je dopute qu’une

mise en cause de la responsabilité n’offrant ni voie de recours pni système
de réparation serait réellement utile aux victimes.

211

6 CIJ1031.indb 419 22/11/13 12:25 307 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. yusuf)

54. The above arguments do not imply that each time there is a claim
for reparation of breaches of international humanitarian law or human

rights, the domestic courts of the State where the breaches had been comp-
mitted, are entitled to set aside the immunity of the State responsible for
such breaches. This may result in countless lawsuits that may overwhelm
both the judicial system of the State where the claims are made and the p
governmental machinery of the responsible State. Moreover, in addition

to the traditional inter-State or compensation mechanisms of the past
mentioned above, new practices have been developed at the international p
level in recent years, such as the United Nations Compensation Commis -
sion for Iraq, instituted by the Security Council by resolution 687 (1991),
and the Claims Commission instituted by the Agreement of 12 Decem -
ber 2000 between Ethiopia and Eritrea, to offer the possibility of compen-

sation to victims of breaches of international law.

55. Although the claims of individuals before such commissions must
be put forward by States, what matters most is the availability of a remp-

edial context to which such claims for reparations are assigned, and whepre
an effective means of redress can be obtained. It is only where reparaptions
for certain categories of victims, as in the Italian cases, are not covepred by
inter-State compensation schemes, by other international mechanisms, or p
by the legislation of the responsible State, and the victims concerned

have, so to say, fallen through the cracks of the system, that the courtps of
the forum are, in my view, entitled to offer an alternative and “ulptimate”
means of redress, and an effective remedy to the victims of grave breapches
of humanitarian law, to avoid a denial of justice. The “underlying copn -
flict” to which reference was made in the Naples resolution of the pInstitut
de droit international should, in such exceptional circumstances, be

resolved in favour of the victims of grave breaches of international
humanitarian law.

VI. Final Observations

56. The core issue in this dispute was not that in each and every case of
an alleged violation of human rights or humanitarian law, immunity
should be derogated from, or that there is, generally speaking, a
human rights or humanitarian law exception to jurisdictional immunity.

The core issue was whether, in those exceptional circumstances where
immunity may prevent the victims of international crimes from obtaining p
an effective remedy or where no other means of redress is available, spuch
immunity should be granted or set aside by domestic courts. In other
words, where reparation has not been assigned to another contextual
remedy, should immunity be used as a screen to ward off the obligationp

to make reparations to the victims before domestic courts ?

212

6 CIJ1031.indb 420 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. yusuf) 307

54. Ces observations ne doivent pas être interprétées comme signifipant
que les juridictions de l’Etat dans lequel les violations en cause ont été

commises ont le droit d’écarter l’immunité de l’Etat respponsable chaque
fois que leur est présentée une demande de réparation à raispon de crimes
au regard du droit international ou des droits de l’homme. Cela risquperait
en effet non seulement de donner lieu à d’innombrables procèsp et d’en-
gorger le système judiciaire de l’Etat dans lequel ces actions serpaient

engagées, mais aussi de gripper la machine gouvernementale de l’Etat
responsable. De surcroît, outre les mécanismes interétatiques opu d’indem -
nisation traditionnellement utilisés, et rappelés ci-dessus, de nopuvelles
pratiques se sont développées sur le plan international ces dernièpres
années — telles que la Commission d’indemnisation des Nations Unies
pour l’Iraq, instituée par la résolution 687 (1991) du Conseil de sécurité,

et la Commission des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie, créée en
vertu de l’accord du 12 décembre 2000 — afin de permettre aux victimes
de violations du droit international d’obtenir réparation.
55. Bien que ce soit aux Etats qu’il incombe de présenter les demandesp
des particuliers devant ces commissions, l’important est qu’il exipste un

mécanisme de réparation devant lequel celles-ci peuvent être poprtées,
mécanisme offrant une voie de recours effective. Ce n’est que plorsque l’in -
demnisation de certaines catégories de victimes, comme dans les affpaires
italiennes, n’est prévue par aucun régime interétatique d’pindemnisation,
par aucun autre mécanisme international ni par la législation de lp’Etat res -

ponsable, et lorsque les victimes concernées ont, pour ainsi dire, fapit les
frais d’une faille du système, que les juridictions de l’Etat dpu for sont, selon
moi, fondées à offrir une voie de recours autre et « ultime», ainsi qu’un
recours effectif, aux victimes de violations graves du droit humanitaipre, et
ce, afin d’éviter un déni de justice. Le « conflit latent» auquel il était fait
référence dans la résolution de Naples de l’Institut de droipt international

devrait, dans des circonstances aussi exceptionnelles, être tranchép en faveur
des victimes de violations graves du droit international humanitaire.

VI. Observations finalesp

56. La question essentielle qui se posait en l’espèce n’était paps de savoir si,
chaque fois qu’une affaire se rapporte à des violations allégpuées des droits de
l’homme ou du droit humanitaire, il devrait être dérogé àp l’immunité ou s’il
existerait, d’une manière générale, une exception à l’pimmunité de juridiction

en matière de droits de l’homme ou de droit humanitaire. La questipon essen -
tielle était de savoir si, dans des circonstances exceptionnelles, loprsque l’m-
munité risque de priver les victimes de crimes internationaux d’unp recours
effectif ou lorsqu’il n’existe aucune autre voie de recours, l’pimmunité devrait
être accordée ou écartée par les juridictions nationales. Auptrement dit,
lorsque la réparation n’a pas été prévue par le biais d’un mécanisme spéci -

fique, l’immunité devrait-elle être utilisée, devant les jpuridictions nationales,
comme un rempart contre l’obligation d’accorder réparation aux pvictim?es

212

6 CIJ1031.indb 421 22/11/13 12:25 308 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. yusuf)

57. I believe that, in such a case, by lifting the bar of immunity in the

very limited way suggested above (paras. 49-54 supra), humanitarian law
would be better enforced and the human rights-based values of the inter -
national community as a whole would be better protected.

58. As the principal judicial organ of the United Nations, the Court

has an important role to play to provide guidance on rules of interna -
tional law and to clarify them, particularly where the law is uncertain por
unsettled. It had a unique opportunity to do so in this case. It could hpave
clarified the law in the sense in which it is already evolving of a limited
and workable exception to jurisdictional immunity in those circumstancesp

where the victims have no other means of redress. Such an exception
would bring immunity in line with the growing normative weight attached p
by the international community to the protection of human rights and
humanitarian law, and the realization of the right to effective remedyp for
victims of international crimes, without unjustifiably indenting the jpuris -

dictional immunity of States.

59. The assertion of jurisdiction by domestic courts in those excep -
tional circumstances where there is a failure to make reparations, and
where the responsible State has admitted to the commission of serious

violations of humanitarian law, without providing a contextual remedy
for the victims, does not, in my view, upset the harmonious relations
between States, but contributes to a better observance of international
human rights and humanitarian law.

(Signed) Abdulqawi A. Yusuf.

213

6 CIJ1031.indb 422 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. yusuf) 308

57. Il me semble que, dans ce cas, le fait d’écarter l’immunité de la

manière fort restrictive préconisée ci-dessus (par. 49-54 supra) renforce -
rait l’exécution du droit humanitaire et la protection des valeursp fondées
sur les droits de l’homme, qui sont celles de la communauté internpationale
dans son ensemble.
58. En tant qu’organe judiciaire principal de l’Organisation des

Nations Unies, la Cour a un rôle d’orientation important à jouer en ce p
qui concerne les règles du droit international et leur clarification, en par -
ticulier lorsqu’elles sont incertaines et changeantes. Elle avait en pl’espèce
une occasion unique de le faire. Elle aurait pu clarifier le droit en pallant
dans le sens dans lequel il évolue d’ores et déjà, celui d’pune exception

limitée et réaliste à l’immunité de juridiction dans le cpas où les victimes ne
disposent d’aucune autre voie de recours. Pareille exception ferait cponcor -
der le droit de l’immunité avec l’importance normative croissanpte que la
communauté internationale attache à la protection des droits de l’phomme
et du droit humanitaire ainsi qu’avec la réalisation du droit àp un recours

effectif pour les victimes de crimes internationaux, et ce, sans portepr indû -
ment atteinte à l’immunité de juridiction des Etats.
59. Le fait que des juridictions nationales se déclarent compétentes
dans des circonstances aussi exceptionnelles, lorsqu’il n’y a pas peu répara -
tion et que l’Etat responsable a reconnu avoir commis des violations p

graves du droit humanitaire sans avoir mis en place de mécanisme spépci -
fique d’indemnisation, ne perturbe pas, selon moi, les relations haprmo -
nieuses entre les Etats, mais contribue à un meilleur respect du droipt
international des droits de l’homme et du droit humanitaire.

(Signé) Abdulqawi A. Yusuf.

213

6 CIJ1031.indb 423 22/11/13 12:25

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Document Long Title

Opinion dissidente de M. le juge Yusuf

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