Opinion dissidente de M. le juge Cançado Trindade

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239

OpINION dISSIdENTE dE m. LE JUgE CANçAdO TRINdAdE

[Traduction]

table des matières

Paragraphes
I. Introduction 1-5

II. Cour permanente de Justpice internationale ept Cour inter-
nationale de Justice: la compétence obligaptoire revisitée 6-36

1. Les travaux du comité consultatif de juristes sur le Statut de
la Cour permanente (1920) 6-13

2. Les débats de l’Assemblée de la Société des Nations et dep ses
organes subsidiaires (1920) 14-26
3. Les débats sur le Statut de la Cour de la Conférence des

Nations Unies sur l’Organisation internationale et ses or-
ganes subsidiaires (1945) 27-36

III. La clause facultativep d’acceptation de la jpuridiction obli-
gatoire: d’un idéal professé àp une pratique dénaturpée 37-44

Iv. Le vieil idéal de l’autpomaticité de la juridpiction obliga -
toire de la Cour de La Haye 45-63

v. Le rapport entre la clause facultative/les clauses
compromissoires et la nature et la teneur des traités
correspondants 64-78

vI. Le principe Ut res magis Valeat QUam Pereat 79-87

v II. La clause compromissopire (art. 22) de la convention desp
Nations Unies sur l’éliminaption de toutes les foprmes de
discrimination racipale (CIEdR): éléments en permettapnt

l’interprétation et pl’application en bonnpe et due forme 88-118
1. Sens ordinaire de l’article 22 de la CIEdR 92-96

2. Travaux préparatoires de l’article 22 de la CIEdR 97-109
3. La décision antérieure de la Cour sur l’article 22 de la
CIEdR : venire contra factum/dictum proprium non valet 110-118

vIII. vers le règlement pacipfique et la réalisatipon de la justic:e

vérification des tenptatives ou efforts prépalables de négo -
ciation 119-135
1. La Cour permanente de Justice internationale 119-124

2. La Cour internationale de Justice 125-135
Ix. vers le règlement pacipfique des différendsp et la réalisation

de la justice sur la bapse de traités relatifps aux droits de
l’homme 136-144

173 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 240

x. Le droit et les souffrpances et besoins de prpotection
de la population : sUmmUm JUs ,sUmma inJUria 145-166

xI. Les traités relatifs paux droits de l’hommep en tant
qu’instruments vivanpts 167-185

xII. Observations finales, pen guise de récapitulpatif 186-196

xIII. Épilogue: un vieux dilemme revipsité, dans le cadre dup JUs

gentiUm des temps modernes 197-214

*

I. Introduction

1. Je regrette de ne pas être en mesure de suivre la majorité des membres
de la Cour au sujet de la décision que celle-ci vient d’adopter dans le pré -
sent arrêt sur les exceptions préliminaires en l’affaire relaptive à l’Applica-

tion de la convention internationale sur l’élimination de toutes l▯es formes de
discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie). mon désaccord
porte sur le raisonnement de la Cour dans son ensemble et sur ses conclu -
sions concernant la deuxième exception préliminaire et la compéptence,

ainsi que sur la manière dont elle a traité les questions de fond et de pro -
cédure soulevées devant elle. dans ces conditions, je tiens à ce que les
motifs de mon opinion dissidente soient consignés, étant donné pl’impor -
tance considérable que j’attache aux questions soulevées tant par la géor-

gie que par la Fédération de Russie dans le cas d’espèce, sapchant que le
règlement du différend en question est inéluctablement liép à l’impératif de
la réalisation de la justice en vertu d’un instrument des Nations Unies
relatif aux droits de l’homme aussi important, historiquement, que lap

convention internationale sur l’élimination de toutes les formes dpe discri -
mination raciale (ci-après dénommée la « CIEdR»).
2. C’est donc avec le plus grand soin que j’expose les fondements de p
mon opinion radicalement dissidente sur l’ensemble de la question exapmi -

née par la Cour dans l’arrêt qu’elle vient de rendre, par repspect et dévoue-
ment envers l’exercice de la fonction judiciaire internationale, guidpé avant
tout par l’objectif ultime, précisément, de la réalisation de la justice. A
cette fin, je m’arrêterai sur tous les aspects du différend pporté devant la

Cour qui forme l’objet de l’arrêt que celle-ci vient d’adopter, dans l’espoir
de contribuer ainsi à la clarification des questions soulevées et pau dévelop -
pement progressif du droit international, tout particulièrement en cep qui
concerne les décisions de la Cour dans les affaires relevant d’ipnstruments

universels relatifs aux droits de l’homme.
3. Je m’arrêterai pour commencer sur la genèse de la compétencep obli -
gatoire de la Cour de La Haye (c’est-à-dire de la Cour actuelle et de sa
devancière), qui ne saurait à mon sens être passée sous silpence lorsqu’on

examine des clauses compromissoires comme celle qui figure à l’artpicle 22
de la CIEdR. J’aborderai ensuite l’histoire et le développement législpatifs

174 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 241

de la clause facultative de compétence obligatoire de la Cour de La Haye.
J’en viendrai alors à l’examen des rapports entre clause facultpative/clauses
compromissoires et la nature et le fond des instruments dans lesquels elles

sont énoncées.
4. Après avoir appelé l’attention sur le principe ut res magis valeat
quam pereat, je m’intéresserai aux éléments permettant d’interprépter et
d’appliquer correctement la clause compromissoire (art. 22) de la CIEdR
(à savoir son sens ordinaire, ses travaux préparatoires et la dépcision pré -

cédente de la Cour elle-même à son sujet). En m’arrêtant ensuite sur les
liens qui existent inévitablement entre règlement pacifique et répalisation
de la justice, singulièrement en vertu d’instruments relatifs aux pdroits de
l’homme, j’insisterai en particulier sur la question de la véripfication des

tentatives ou efforts de négociation antérieurs, à la lumièpre de la jurispru -
dence pertinente de la Cour de La Haye (CpJI et CIJ).
5. Je montrerai ensuite que les souffrances de la population et la pro -
tection dont elle a besoin sont les enjeux du jus gentium contemporain,
question qui, à mon sens, est au cœur de l’examen de la préspente affaire

relative à l’Application de la convention internationale sur l’élimination de
toutes les formes de discrimination raciale. Cela me conduira à une analyse
de la manière dont a évolué l’interprétation des instrumepnts relatifs aux
droits de l’homme, comme la CIEdR — toujours considérés dans la

jurisprudence internationale et la doctrine internationale comme des ins -
truments vivants propres à répondre à de nouveaux besoins de protection
de l’être humain, même dans les circonstances les plus adversesp. J’arrive -
rai ainsi, et ce n’est pas là le moins important, à la présepntation de mes
observations et de ma réflexion finales sur un ancien dilemme qui conti -

nue de se poser à nous, à la lumière du jus gentium contemporain.

II. Cour permanente de Jusptice internationalep

et Cour internationalpe de Justice:
la compétence obligatpoire revisitée

1. Les travaux du comité consultatif de juristes
sur le Statut de la Cour permanente (1920)

6. En juin-juillet 1920, le comité consultatif de juristes chargé par le
Conseil de la Société des Nations d’élaborer le Statut de lap Cour perma -
nente de Justice internationale (« la Cour permanente ») débattit longue -
ment de la possibilité de doter celle-ci d’une compétence obligatoire 1de
manière à faire évoluer le système judiciaire international. Le comité exa -

mina un texte précis pour la clause compromissoire et parvint rapidempent

1 En ce qui concerne la base de discussion proposée, voir Cour permanente de
Justice internationale/comité consultatif de juristes, Procès-verbaux des séances du comité
(16 juin-24 juillet 1920), La Haye, van Langenhuysen Frères, 1920, p. 218. Sur une propo-
sition ultérieure (de lord phillimore) et un amendement (de m. Hagerup), voir annexes 2-3,
p. 252-253.

175 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 2)42

à un consensus sur l’introduction d’une règle selon laquellep la Cour per -

manente serait compétente pour connaître de certains différenpds, indépen-
damment de l’existence d’un accord antérieur (ad hoc ou conventionnel)
entre les parties adverses.
7. Le projet de statut prévoyait que cette compétence obligatoire s’péten -

drait à la totalité des différends de nature « juridique», alors que pour
d’autres types de questions la Cour permanente ne pourrait être sapisie sans
l’assentiment des parties. L’intention des membres du comité sepmblait être
que l’introduction d’un tel système de compétence obligatoirpe pour les dif -

férends de « nature juridique » s’étende aussi à d’autres affaires dans la
mesure où elles relevaient d’accords généraux ou spécifiqpues entre les par -
ties (adverses). depuis la dixième séance du comité, la discussion sur la

question d’une clause juridictionnelle se référait en particuliper à l’article 14
du pacte de la Société des Nations, qui faisait état expressémenpt de diffé -
rends «soumis» par les parties à la Cour permanente . 2
8. Il fut proposé que le Statut (de la Cour permanente) lui-même soit

l’instrument général par lequel les Etats donneraient leur assepntiment à la
compétence; dans un texte de travail proposé par le baron descamps, un
dernier paragraphe fut ajouté, qui précisait ce qui suit : «Tout Etat signa -
taire du présent acte est considéré comme acceptant de résoupdre juridic -
3
tionnellement tout différend [de nature juridique]. » dès la quatorzième
séance du comité (tenue le 2 juillet 1920), la compétence obligatoire avait
été généralement acceptée 4. passant au droit applicable, le comité se pen -
cha alors sur la question des principes généraux à inclure dansp la liste des

sources juridiques applicables par la Cour permanente.
9. Conformément à l’article 34 du projet de Statut, la Cour perma -
nente devait avoir compétence (même sans convention spéciale la lui don-

nant) pour connaître et décider des affaires de «nature juridique» — entre
Etats membres de la Société des Nations — qui avaient pour objet :
a) l’interprétation d’un traité ; b) tout point de droit international ; c) la
réalité de tout fait qui, s’il était établi, constitueraipt la violation d’un enga -

gement international ;d) la nature ou l’étendue de la réparation due pour
la rupture d’un engagement international ; e) l’interprétation d’une sen -
tence rendue par la Cour. Cette dernière devait aussi connaître dep tous
différends, de quelque nature qu’ils fussent, qui lui étaientp soumis en vertu

2 L’article 14 du pacte se lit comme suit :

«Le Conseil est chargé de préparer un projet de Cour permanente de pJustice inter
nationale et de le soumettre aux membres de la Société. Cette Cour connaîtra de tous
différends d’un caractère international que les parties lui spoumettront. Elle donnera
aussi des avis consultatifs sur tout différend ou tout point dont lpa saisira le Conseil
ou l’Assemblée. »
3 Cour permanente de Justice internationale/comité consultatif de jurisptes, Procès-
verbaux des séances du comité, op. cit. supra note 1, annexe 1, p. 272, et voir amendement,

ibi4., annexe 5, p. 277-278.
En dépit de la préoccupation — quant au droit applicable — exprimée par quelques
membres ;voir ibid., p. 308-309 et 311.

176 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 243

d’une convention, soit générale, soit spéciale, entre les paprties. En cas de
contestation sur le point de savoir si un différend rentrait, oui ou non,
dans les catégories ci-dessus visées, la Cour décidait . 5
10. Au cours des débats de fond tenus par le comité consultatif le

2 juillet 1920, l’un de ses membres (E. Root), tentant de modérer le senti -
ment général, fit observer que « le monde [était] préparé à accepter la juri-
diction obligatoire d’une cour qui appliquerait les règles universpellement

reconnues du droit international », mais qu’il ne le croyait pas disposé à
accepter « la juridiction obligatoire d’une cour qui appliquerait des prin -
cipes … compris différemment selon les pays » . A son avis, il fallait

«commencer7modestement », avec une « juridiction relativement res -
treinte » . Le président du comité consultatif (le baron descamps) répon -
dit immédiatement que, lorsque m. Root disait que les « principes de
justice» variaient avec les pays,

«cela [pouvait] être vrai, en partie, lorsqu’il s’agi[ssait] de pcertaines

règles secondaires. mais ce n’[était] plus vrai lorsqu’il s’agi[ssait] de la
loi fondamentale du juste et de l’injuste, profondément gravée pau
cœur de tout être humain et qui rec[evait] son expression la plus phaute

et la plus autorisée dans la conscience juridique des peuples civilisés.
C’[était] là une loi dont le juge ne [pouvait] faire abstractiopn, et dont
en fait, qu’on le veuille ou non, il ne fera[it] jamais abstraction. » 8

11. Le baron descamps ajouta qu’il serait enjoint aux juges de la Cour
permanente «de rechercher si les données de leur conscience se trouvaient

en harmonie avec les diktats mêmes de la conscience juridique des peupples
civilisés »9. Un autre membre du comité (B. C.J. Loder) répondit égale -
ment à m. Root, faisant valoir qu’il y avait «confusion» avec l’«arbitrage

obligatoire», qui n’était pas « de la compétence du comité », lequel se
préoccupait des normes matérielles à appliquer par la Cour » (la Cour
permanente s’entend) ; B. C.J. Loder répéta qu’il fallait éviter « toute

confusion entre la question 10 l’arbitrage obligatoire et celle des npormes à
appliquer par la Cour » .
12. Le comité consultatif se prononça finalement pour la juridiction
obligatoire de la Cour de La Haye (Cour permanente). voici ce qu’il

disait dans son rapport final :

«il ne saurait entrer dans la pensée du comité de donner à une ppartie
le droit d’éluder la juridiction de [la] Cour en alléguant que ptoute espé -
rance de règlement par la voie diplomatique n’est pas encore perdupe.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . . . . . . . . . . . . . .
5
voir op. cit. supra note 1, p. 729, le rapport final par lequel le comité a mis la dernière
main au projet d’articles et y a joint un commentaire ;et la version préliminaire, ibid.,
p. 566.
6 Ibid., p. 308.
7 Ibid., p. 309.
8 Ibid., p. 310-311.
9 Ibid., p. 311.
10 Ibid., p. 311.

177 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 244

Après s’être assurée que le litige a été l’objet d’pune tentative de
règlement par la voie diplomatique, la Cour, cette vérification fapite
in limine litis, statue, sous un certain nombre de conditions. L’ar -
ticle 34 déclare en conséquence que, entre Etats membres de la

Société des Nations, la Cour statue sans convention spéciale supr les
différends d’ordre juridique… » 11

13. Commentant cette disposition du projet de texte, le comité consul -
tatif lui-même constatait ce qui suit :

«de l’avis de la majorité du comité, une telle attribution de copmpé -

tence, bien qu’elle ne soit peut-être pas rigoureusement conforme aux
termes du pacte, est dans un tel accord avec son esprit qu’on ne com -
prendrait pas qu’au moment d’organiser définitivement la Cour on
n’achevât pas, par ce dernier trait, le progrès qu’elle appoprte.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . . . . . . . . . . . . . .
La majorité [du comité] a reconnu que les Etats qui forment la

Société des Nations doivent, en constituant la Cour, lui donner copm -
pétence dans le cas de litiges d’ordre juridique, sans autre convepntion
que le Statut qui organise la Cour. » 12

Telle était la position du comité consultatif de juristes auquel lpe Conseil
de la Société des Nations avait confié la tâche historique dp’élaborer le

Statut de la Cour de La Haye en 1920. Cependant, le Conseil lui-même
allait adopter une position différente et s’opposer à l’atptribution d’une
compétence obligatoire à la Cour. La question fut alors renvoyépe devant

l’Assemblée de la Société des Nations.

2. Les débats de l’Assemblée de la Société des Nations

et de ses organes subsidiaires (1920)

14. A la première Assemblée, en 1920, la question de la compétence obli -
gatoire de la Cour permanente fit l’objet d’un débat approfondip; certains

des membres du comité consultatif de juristes étaient présents en leur qua 13
lité de délégués de leur pays. dans les débats de l’Assemblée qui suivirent ,
le projet de clause de compétence obligatoire ne suscita généraplement pas

11 Op. cit. supra note 1, p. 726-727.
12 voir ibid., p. 727-728. voir aussi le commentaire sur cette disposition de J. Brown Scott
dans The Project of a Permanent Court of International Justice and Resolut▯ of the

Advisory Committee of Jurists — Report and Commentary, Washington, 1920, p. 98 :
«Il semblerait en découler que l’une des parties pourrait, en l’pabsence d’un- conven
tion distincte et spéciale ou d’un assentiment spécial, porter pl’affaire devant la Cour,
qui a compétence pour en connaître, et que la Cour, ayant compéptence, pourrait non
seulement entendre l’affaire mais aussi, à la demande de l’Etpat demandeur, la juger en

l’absence de l’Etat défendeur invité à comparaître devpant elle. »
13 Repris en grande partie dans le document de la Société des Nationsp Documents au sujet
de mesures prises par le Conseil de la Société des Nations ▯ es de l’article 14 du Pacte,
genève, Société des Nations/Cour permanente de Justice internatiponale, 1921, p. 1 et suiv.

178 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 2)45

beaucoup d’enthousiasme de la part d’une grande partie des Etats membres
de la Société, même si certains le soutenaient (voir ci-dessous).
15. On se demandait en particulier s’il n’y avait pas contradiction entre

l’article 34 initialement proposé, devenu l’article 36 dans la numérotation
finale du projet de Statut de la Cour permanente, et le pacte de la Société
des Nations ; une sous-commission fut donc chargée d’examiner la ques -

tion et de déterminer si le Statut pouvait être un instrument par plequel les
Etats exprimeraient leur assentiment à la compétence de la Cour peprma -
nente . La sous-commission prit acte de la controverse sur l’interpréta -

tion du pacte, mais elle décida de ne pas pro15ser d’amendement aux
articles pertinents du projet de Statut .
16. Les négociations sortirent de l’impasse grâce à une propositpion du
délégué du Brésil 16(Raul Fernandes), qui élabora une autre version de la

clause juridictionnelle permettant aux parties au Statut d’adhérerp à l’un
ou l’autre des deux textes 17; il présenta ensuite une proposition revisée
qui visait à laisser aux Etats désireux d’élargir le cadre dpe la compétence

obligatoire la faculté de le faire par une déclaration. Cette propposition qui
énonçait la clause facultative fut alors approuvée par l’Assemblée (hui -
tième séance), ainsi que le projet de Statut dans son ensemble 18.

17. Le délégué de la Norvège (F. Hagerup), qui, comme R. Fernandes,
avait examiné la question au sein du comité consultatif, nota non sans
regret que l’élan donné par les travaux du comité avait épté perdu au cours

des débats de l’Assemblée, tout en se félicitant de l’amepndement du Bré -
sil; il rappela toutefois à l’Assemblée qu’à son sens la comppétence obliga-
toire restait établie, même sans le recours à la déclarationp, du moins pour

«tous les cas spécialement prévus dans les traités et conventionps en 19
vigueur», comme le montrait la clause juridictionnelle modifiée .
18. Les principales questions examinées au cours des débats furent

consignées dans les procès-verbaux de la Troisième Commission de l’As -
semblée, chargée du projet de Statut de la Cour permanente. Au couprs de
la discussion tenue le 24 novembre 1920 sur la question de la compétence
obligatoire, le délégué de l’Argentine (H. pueyrredon) déclara que, « si la

juridiction de la Cour de Justice n’était pas obligatoire, cette Cpour ne
serait qu’un tribunal d’arbitrage » 20. Le délégué du Brésil (R. Fernandes)
critiqua vivement les modifications apportées par le Conseil aux concplu -

sions du comité consultatif de juristes, estimant que, « dans les questions
d’ordre juridique, la juridiction de la Cour s’imposait, puisque lpes déci -
sions de la Cour étaient l’application du droit et créaient le pdroit» . 21

14 Op. cit. supra note 13, p. 91-92.
15 voir ibid., p. 210-211, et aussi p. 107, sur les débats de l’Assemblée à ce sujet.
16
17 voir ibid., annexe 49, p. 222.
18 voir ibid., p. 107, et annexe 11, p. 168.
Ibid., p. 110.
19 Ibid., p. 249-250.
20 Société des Nations, Actes de la première Assemblée — Séances de la Troisième
Commission (Cour permanente de Justice internationale), genève, 1920, p. 285.
21 Ibid., p. 285.

179 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 246

19. de même, pour le délégué du panama (H. Arias), « on pourrait

bien maintenir la juridiction obligatoire », et «oblig[er] les parties à porter
leurs différends devant la Cour, si elles ne s’étaient pas mises d’accord
pour les soumettre à l’arbitrage ou à l’enquête du Conseipl » 22. dans le

même esprit, le délégué du portugal (A. Costa) fit sien le soutien du
comité consultatif à la compétence obligatoire :

«le pacte établit l’obligation d’avoir recours à la Cour, en s’pinspirant
du principe contraire à celui de Bismarck : «le droit prime la force ».

La Société des Nations s’est donné la tâche d’empêcpher la guerre. Le
seul moyen, c’est le recours obligatoire à la Justice. Si l’on pne peut
constituer une cour avec compétence obligatoire, la Société estp
morte… La Société des Nations gagnerait en force si elle admettpait

que le pacte doit s’adapter aux nécessités humaines. du reste, une
Cour permanente sans compétence obligatoire sera non seulement en
contradiction avec les grands traités de paix qui lui confèrent cette

compétence dans des cas spéciaux, mais fera double emploi avec la
Cour d’arbitrage de La Haye. » 23

20. Le délégué de l’Afrique du Sud (lord Robert Cecil) instilla toutefois
le doute dans le débat en faisant valoir que la volonté ou l’aspsentiment des

parties devait l’emporter (sur la compétence obligatoire), étpant donné
que «les sanctions (de la Cour) ne seraient pas appliquées », si le dif-
férend « mettait en jeu des intérêts vitaux » 24. Le délégué de la Norvège

(F. Hagerup) marqua son vif désaccord avec lord Robert Cecil au sujet de
la «réserve pour les intérêts vitaux », et « regrett[a] que le Conseil n’ait pu
s’associer à la manière de voir du comité de juristes » 25. Le délégué des
pays-Bas (B. C.J. Loder) regretta lui aussi « le malentendu » entre le

comité de juristes et le Conseil, estimant que « l’établissement de la com -
pétence obligatoire était justement le pas en avant à faire, etp le pas désiré
par le pacte » 26; pourtant, aller plus loin risquerait à son avis « de faire

naître un d27accord entre diverses puissances et de n’aboutir àp aucun
résultat » .
21. pendant la suite des débats, le 26 novembre 1920, ce fut au tour du
délégué de la Belgique (H. Lafontaine) de se livrer à une critique sévère.

Selon lui, à l’époque (en 1920), le principe de la juridiction obligatoire
était considéré

«comme le seul moyen de sortir de la situation créée par la guerre.p
L’opposition à la réalisation de ce principe [était] due àp un double

22Op. cit. supra note 20, p. 286.
23Ibid., p. 287-288.
24Ibid., p. 287.
25Ibid., p. 289.
26Ibid., p. 288.
27
Ibid., p. 288.

180 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 247

fétichisme: celui de l’unanimité et celui de la souveraineté… La seulep
souveraineté admissible [était] celle de la justice… Le pacte [pportait]
l’empreinte du double fétichisme qui avait inspiré ses auteurs,p celui

des intérêts vitaux et celui de l’honneur. Ces deux expressionsp ne se
[trouvaient] pas, il est vrai, dans le pacte, ce qui [était] déjà un pro -
grès ».28

22. Allant encore plus loin dans la critique, le délégué de la Belgpique

(H. Lafontaine) voyait « une contradiction dans l’article 14 du pacte »,
qui « constituait une cour de justice véritable, mais les parties n’y
[auraient] cependant recours que si elles [étaient] d’accord pour le faire» 2.
Cependant, le délégué de l’Empire britannique (sir Cecil Hurst) ne croyait

pas pour sa part que l’intention des rédacteurs du pacte eût été de
créer une cour ayant compétence obligatoire ; à son sens, la « vraie
solution» si l’arbitrage échouait était « d’inciter les Etats à conclure
30
entre eux des traités mutuels » prévoyant le recours à une cour .
C’était à son avis le seul moyen de surmonter « les hésitations de quel-
ques Etats à accepter l’arbitrage obligatoire universel » 31. C’est pourquoi

H. Lafontaine exprima le scepticisme que lui inspirait la proposition de
sir Cecil Hurst 32.
23. Au cours des derniers débats sur la question, les 1 eret 13 décembre

1920, le délégué de la grèce (N. politis) releva que, puisqu’il semblait
«impossible d’accepter l’idée d’obligation » qui ne pourrait être « impo -
sé[e] à des esprits qui ne l’auraient pas spontanément accepptée », la solu-

tion semblait être « d’établir tout un système de conventions séparées qui
étendraient la juridiction de la Cour » 33. pour sa part, le délégué de la
Suisse (max Huber) proposa l’adoption d’une convention établissant l’arp -
34
bitrage obligatoire . Le délégué de la Colombie (F. J. Urrutia) déclara ce
qui suit :

«Le principe de l’arbitrage obligatoire n’est pas seulement un prinp -
cipe de justice internationale, mais aussi un principe démocratique,
étant donné qu’il découle de l’égalité juridique des Etats. Il a de pro -

fondes racines dans l’histoire, dans les traditions et dans les institu -
tions des peuples américains. » 35

24. dans le même esprit, le délégué du pérou (m. H. Cornejo) déclara
que le pérou [avait] toujours défendu l’arbitrage obligatoire », et releva

28 Op. cit. supra note 20, p. 292.
29 Ibid., p. 293.
30 Ibid., p. 293-294.
31 Ibid., p. 294.
32
33 Ibid., p. 294.
Documents au sujet de mesures prises par le Conseil de la Société ▯des Nations aux
termes de l’article 14 du Pacte et de l’adoption par l’Assemblée du Statut de la Cour▯ perma -
nente, genève, Société des Nations/Cour permanente de Justice internatiponale, 1920,
p. 142.
34 Ibid., p. 142.
35 Ibid., p. 241-242.

181 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 248

que « l’Amérique latine, à une très grande majorité, à l’punanimité
36
peut-être, [voulait] la justice obligatoire et le règne de la paix » . de
même, le délégué de Cuba (m. de Aguero) indiqua ce qui suit :

«bien que le principe de la compétence obligatoire ne soit pas inscrit
dans la résolution de la Troisième Commission, nous voterons ses
conclusions; nous comprenons la phrase du philosophe latin natura

non fecit saltus ; on ne saurait passer de ce qui n’existe pas encore
à une œuvre parfaite. En toute chose, interviennent les lois de l’épvo -
lution. Il faut commencer par élever une petite chapelle et, avec le p

temps, la Société des Nations sera en mesure de construire une
cathédrale.» 37

Toujours dans cet esprit, le délégué de la Suisse (m. motta) ajouta que la
création d’un tribunal doté d’une compétence obligatoire p«eût été l’idéal,
mais la situation actuelle de la société humaine s’oppos[ait] encore à sa

réalisation … L’article 36, si imparfait [fût]-il, sera[it] le point de départ
du grand mouvement libérateur d’où sortira[it] la juridiction obligatoire
universelle. » 38

25. pour sa part, le délégué de la Bolivie (m. Tamayo) exprima son
appui aux « idées de justice, de bonté et de vérité que représent[aitp] l’arbi -
trage obligatoire»; toute compétence facultative, ajouta-t-il, reviendrait à
«une promesse de justice et non pas à la justice elle-même » 3. Le délégué

du portugal (A. Costa) souligna qu’à son avis les articles 12 à 15 du pacte
«entraîn[aient] pour la Cour internationale de Justice le principe de pla
compétence obligatoire», ajoutant, de façon prémonitoire :

«Quand on constatera la nécessité d’être fidèle aux décplarations du
préambule et de se prononcer sur la compétence obligatoire, on serpa

forcé de la reconnaître. Ainsi, le tribunal que nous allons fonderp sera
doté de la compétence obligatoire et elle sera admise par tous lesp
membres de la Société des Nations. Tel est le vœu que j’exprpime.

J’accepte l’institution de la Cour permanente de Justice internatipo -
nale parce que j’ai confiance en l’avenir. Si nous ne devions pas p
aboutir comme je l’ai dit, nous nous duperions nous-mêmes. Le tri -
bunal disparaîtrait et, avec lui, la Société des Nations si, popur régler

leurs différends, les membres de la Société pouvaient encore recourir
à la guerre. » 40

26. La clause facultative proposée par le délégué du Brésil (Raul Fer -
nandes) représentait donc la solution de compromis, comme le releva le

rapporteur de la Troisième Commission (F. Hagerup) dans son rapport
sur les débats de celle-ci au sujet de ce qui allait devenir l’article 36 du

36Op. cit. supra note 33, p. 244.
37Ibid., p. 246-247.
38Ibid., p. 249.
39Ibid., p. 248.
40
Ibid., p. 246.

182 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 249

Statut de la Cour permanente . Concluant les débats le 13décembre 1920,
le délégué de la Norvège (F. Hagerup) tint à ajouter ce qui suit :

«Il existe déjà un grand nombre de conventions établissant la jupri-
diction obligatoire. Je suis heureux de reconnaître ici la grande parpt

que les Etats d’Amérique du Sud ont prise à ce mouvement. C’est à
eux que revient le grand mérite de l’extension de cette idée…p [L]es
Etats d’Europe ne sont pas restés en arrière non plus. plusieurs
d’entre eux, même de grandes puissances, ont conclu un certain

nombre de traités établissant la juridiction obligatoire… Je tipens pré -
cisément à souligner ici combien il sera hautement désirable qupe tous
les Etats liés par des traités prévoyant la juridiction obligatpoire en
général les modifient dans un sens tel que cette juridiction soit pdésor -
mais dévolue à la Cour que nous allons établir. Cette orientatipon

étendra dans une large mesure la compétence de la Cour. J’ai dépjà
signalé dans mon premier discours l’importance de la proposition dpe
la délégation brésilienne, … suivant laquelle il est laissé aux Etats
désireux d’élargir le cadre de la juridiction obligatoire la fapculté de le

faire par une simple déclaration… [J]’ai été dès le dépbut partisan du
principe de la juridiction obligatoire. C’est ce qui me permet d’apdop -
ter de grand cœur le projet présenté actuellement. » 42

3. Les débats sur le Statut de la Cour de la Conférence des Nations Unies
sur l’Organisation internationale et ses organes subsidiaires (1945)▯

27. La fondation de l’Organisation des Nations Unies inaugura une
nouvelle ère. A l’occasion de la Conférence des Nations Unies sur l’Orga -
nisation internationale, un comité de juristes fut nommé en 1945 et chargé

d’analyser le Statut de la Cour permanente en vue de l’adoption dup Statut
de la nouvelle Cour internationale de Justice (ci-après « la Cour »). Ce
comité confia à un sous-comité le soin d’élaborer, entre autres, le texte de
l’article 36 (sur la compétence obligatoire). Le 14 avril 1945, ce sous-
comité fit rapport comme suit :

«Le sous-comité, ayant examiné attentivement les diverses propo -

sitions qui avaient été présentées ainsi que les vues prépcédemment
exprimées par les différents délégués devant le comitép de juristes, est
convenu à l’unanimité de ce qui suit :

«La Cour, en sa qualité d’organe judiciaire principal des Nations
Unies, devrait être dotée d’une compétence bien définie, psinon dans
tous les cas, du moins dans ceux qui se prêtent particulièrement àp
un règlement judiciaire, à savoir les différends de nature juridique.
On se souviendra que dès 1920 le comité de juristes qui a éla -

boré le Statut existant avait proposé le principe de la compétepnce

41voir op. cit. supra note 33, p. 222.
42Ibid., p. 250.

183 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 250

obligatoire. Les gouvernements n’étant pas prêts à l’éppoque à
accepter cette proposition, la clause dite facultative a été adoptpée.

L’exercice de la compétence obligatoire par la Cour favorisera

le respect du droit entre les nations. L’opinion publique dans le
monde entier soutient sans réserve le principe de la compétence
obligatoire de la Cour. » » 43

28. de plus, le sous-comité rappela que le consensus s’était fait entre
les juristes au moins depuis les négociations de 1920, et que quarante-cinq
des cinquante et un Etats avaient déjà accepté la clause facultative. peu
après, le 19 avril 1945, le sous-comité fit de nouveau rapport sur la ques -

tion :
«La question de la juridiction obligatoire a été débattue dèsp la pré -

paration initiale du Statut de la Cour. Admise par le comité consul -
tatif de juristes en 1920, la juridiction obligatoire a été écartée au
cours de l’examen du projet de Statut par la Société des Nationps
pour faire place, sur l’initiative fructueuse d’un jurisconsulte bprési -
lien, à une clause facultative permettant aux Etats d’accepter parp

avance la juridiction obligatoire de la Cour dans un domaine déli -
mité par l’article 36. Ce débat a été repris et de très nombreuses délé -
gations ont fait connaître leur désir de voir consacrer la juridicption
obligatoire de la Cour par une clause insérée dans le Statut revispé en

sorte que, celui-ci devant devenir partie intégrante de la Charte des
Nations Unies, la juridiction obligatoire de la Cour serait un élément
de l’organisation internationale qu’on se propose d’instituer àp la
conférence de San Francisco. A s’en tenir aux préférences ainsi
marquées, il ne paraît pas douteux que la majorité de la Commisp-

sion était en faveur de la juridiction obligatoire. mais il a été relevé
que, malgré ce sentiment prédominant, il ne paraissait pas certainp, ni
même probable, que toutes les Nations dont la participation à l’orga -
nisation internationale projetée apparaît comme nécessaire fusspent
dès maintenant en situation d’accepter la règle de la juridictipon obli -

gatoire et que le projet de dumbarton Oaks ne paraissait pas la
consacrer; certains, tout en conservant leurs préférences à cet égardp,
ont estimé que la prudence conseillait de ne pas dépasser le procédé
de la clause facultative insérée dans l’article 36 et qui a ouvert la voie
à l’adoption progressive, en moins de dix ans, de la juridiction obli -

gatoire par de nombreux Etats qui, en 1920, se refusaient à y sous -
crire. placé sur ce terrain, le problème s’est trouvé revêtir un pcaractère
politique et la Commission a estimé qu’elle devait le déférer à la
conférence de San Francisco.

43Nations Unies, Documents de la Conférence des Nations Unies sur l’Organisation
internationale (CNUOI), San Francisco, 1945, vol. xIv (comité de juristes), doc. Jurist-43,
g/33, du 14 avril 1945, p. 286-287.

184 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 251

La suggestion a été faite par la délégation égyptienne dep chercher
une solution transactionnelle dans un système qui, posant la règlep de
la juridiction obligatoire, permettrait à chaque Etat de l’écarter par
une réserve. plutôt que d’entrer dans cette voie, la Commission a

préféré faciliter l’examen de la question en présentant dpeux textes
pour mémoires plutôt qu’à titre de propositions.
L’un est présenté pour le cas où la Conférence n’entenpdrait pas consa -
crer dans le Statut la compétence obligatoire de la Cour mais seulemepnt
ouvrir la voie à celle-ci en offrant aux Etats d’accepter, s’ils le jugent à

propos, une clause facultative à ce sujet. Ce texte reproduit l’arpticle 36
du Statut avec une addition pour le cas où la Charte des Nations Unies
viendrait à faire quelque place à la juridiction obligatoire.
Le second texte, s’inspirant aussi de l’article 36 du Statut, établit
directement la juridiction obligatoire sans passer par la voie d’une p

option que chaque Etat serait libre de faire ou de ne pas faire. Aussi
est-il plus simple que le précédent. On a même relevé qu’il sperait trop
simple. La Commission a cependant pensé que le moment n’était ppas
encore venu de l’élaborer davantage et de rechercher si la juridicption
obligatoire ainsi établie devrait s’accompagner de quelques résperves,

telles que celle des différends appartenant au passé, celle des pcontes -
tations nées au cours de la présente guerre, ou celles autorisépes par
l’Acte général d’arbitrage de 1928. Si le principe qu’énonce ce second
texte était admis, celui-ci pourrait servir de base pour élaborer telles

dispositions mettant en application le principe qu’il énonce avec ples
aménagements qui pourraient être jugés opportuns.
Certaines délégations avaient le désir de voir insérer dans pl’ar -
ticle 36, paragraphe 1, la précision que la compétence de la Cour
s’étend aux affaires « justiciables», ou « d’ordre juridique », que les

parties lui soumettront. des objections ont été faites à l’insertion
d’une telle précision dans une disposition visant le cas où la psaisine
de la Cour dépend de l’accord des parties. Certains se sont refuséps à
restreindre ainsi la compétence de la Cour. des craintes se sont aussi
élevées au sujet des difficultés d’interprétation que feprait naître une

telle disposition alors que la pratique n’a pas révélé de séprieuses diffi -
cultés pour l’application de l’article 36, paragraphe 1. Aussi n’a-t-il
pas été modifié dans le sens indiqué. » 44

29. A la lumière de ce qui précède, le sous-comité proposa une revision
de l’article 36 susmentionné, pour qu’il se lise comme suit :

«1. La compétence de la Cour s’étend à toutes les affaires quep les
parties lui soumettront, ainsi qu’à tous les cas spécialement pprévus dans
la Charte des Nations Unies et dans les traités et conventions en

vigueur.

44CNUOI, vol. xIv (comité de juristes), doc.Jurist-61 rev., du 19 avril 1945, p. 667-668.

185 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 252

2. Les membres des Nations Unies et Etats parties au Statut recon -
naissent comme obligatoire entre eux, de plein droit et sans conven -
tion spéciale, la compétence de la Cour sur toutes ou quelques-unes
des catégories de différends d’ordre juridique ayant pour objpet:

a) l’interprétation d’un traité ;
b) tout point de droit international ;

c) la réalité de tout fait qui, s’il était établi, constitueprait la violation
d’un engagement international ;
d) la nature ou l’étendue de la réparation due pour la rupture d’pun

engagement international.
3. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est com -
45
pétente, la Cour décide. »

30. Après un nouvel examen, le comité de juristes reconnut que cette
solution risquait d’être mal accueillie par l’Assemblée et lpui présenta donc
deux variantes pour l’article 36 du Statut : l’une énonçait la clause de
compétence obligatoire alors que l’autre conservait le mécanismpe de la
46
clause facultative . Ces deux textes furent présentés à la commission Iv,
qui conclut que le mécanisme de la clause facultative avait plus de cphances
de rallier l’accord général des Etats parties ; elle écarta donc l’autre

variante tout en reconnaissant que le souhait de voir instaurer la compép -
tence obligatoire de la Cour l’emportait au sein du comité de juripstes 47.

31. L’appui exprimé, à diverses occasions — au moment de la création
de la Société des Nations (1920) comme de celle de l’Organisaption des
Nations Unies (1945), ainsi qu’on vient de le voir —, pour la compétence
obligatoire de la Cour de La Haye ne devrait pas passer inaperçu ni être
e
oublié aujourd’hui, au début de la deuxième décennie du xxI siècle. Les
débats du comité de juristes des Nations Unies tenus les 12 et 13 avril 1945
furent particulièrement révélateurs à ce propos. voici comment le délégué

du Brésil (A. Camillo de Oliveira) ouvrit le débat sur le projet d’article 36:
«le moment est bien choisi pour apporter un amendement à cet article
afin que la compétence de la Cour soit obligatoire pour toutes les capté-
48
gories de différends qui y sont énumérées » , avant d’ajouter que, depuis
que la clause facultative avait été insérée en 1920, « l’idée de doter la
Cour d’une compétence obligatoire avait considérablement progressép» 4.

45
CNUOI, vol. xIv (comité de juristes), doc. Jurist-43, g/33, du 14 avril 1945, p. 287.
46
voir CNUOI, « Rapport sur le projet de Statut de la Cour internationale de Justice
visée au chapitre vII des propositions de dumbarton Oaks » (rapporteur, Jules Basde -
vant), vol. xIv, p. 821 et 839-842.
47 voir CNUOI, «Compte rendu du sous-comité Iv/1 sur l’article 36 du Statut de la
Cour internationale de Justice », vol. xIII, p. 562-565.
48 CNUOI, vol. xIv (comité de juristes), doc. Jurist-34, g/25, du 12 avril 1945,
p. 146.
49 Ibid., p. 147.

186 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 253

32. dans le même esprit, le délégué de la Chine (Wang Chung-hui)
jugea « l’exercice d’une compétence obligatoire par la Cour favorable au
respect du droit dans la société internationale » . Le délégué de la
Turquie (C. Bilsel) se rallia ensuite à la thèse des délégués du Brépsil et

de la Chine pour ce qui était de la revision de l’article 36, qu’il consi -
dérait comme « l’un des articles les plus importants du Statut » . Et il
ajouta :

«le moment est venu d’accepter l’idée d’une justice internationale

obligatoire. L’idée de justice internationale … a manifestement pro -
gressé… Le comité de juristes avait proposé l’attributionp d’une com-
pétence obligatoire à la Cour mais … le Conseil de la Société des
Nations n’avait pas souscrit à ce principe et … l’Assemblée avait

trouvé un compromis sous la forme de la clause facultative… L’épta -
blissement de la compétence obligatoire de la Cour serait un progrèps
considérable dans la justice internationale. » 52

33. Le principe de la compétence obligatoire de la Cour fut également p

soutenu par le délégué de l’Uruguay (J. A. mora Otero), qui, après avoir
«entendu avec satisfaction les différents points de vue favorables àp ce
principe», déclara que « la Cour internationale de Justice devait pouvoir

connaître de tout différend intern53ional qui n’avait pas été résolu par
tout autre moyen pacifique » . pourtant, en 1945 comme en 1920 (voir
ci-dessus), le principe de la compétence obligatoire avait ses opposantps.
Le délégué de [ce qui était alors] l’Union Soviétique (URSS, N. v. Novi -

kov) annonça qu’« une telle compétence obligatoire était absolument
inacceptable pour son gouvernement » 54.
34. pour sa part, le délégué des Etats-Unis (g. H. Hackworth), s’expri -

mant en sa qualité de président, indiqua qu’il « regretterait une division
si profonde de ce groupe », mais avertit que, « si la signature du Statut
impliquait ipso facto l’acceptation de la compétence obligatoire de la
55
Cour, il serait difficile à certains Etats de devenir parties au Staptut» . La
commission Iv (organisation judiciaire) de la conférence de San Fran -
cisco de 1945 fut dûment informée de cette « profonde divergence de
vues» entre les Etats participants sur la question de la compétence obpliga -

toire de la Cour, et la commission I décida alors de conserver la clause
facultative par trente et une voix contre quatorze 5.
35. malgré l’appui exprimé en faveur de la compétence obligatoirep,[« l]a

crainte s’est toutefois manifestée qu’en poursuivant la réalpisation de cet

50
51 CNUOI, op. cit supra note 48, p. 147.
Ibid., p. 148.
52 Ibid., p. 149.
53 CNUOI, vol. xIv (comité de juristes), doc. Jurist-66 (34), g/53, du 19 avril 1945
(corrigendum), p. 161.
54 Ibid., doc. Jurist-40, g/30, du 13 avril 1945, p. 166.
55 Ibid., p. 164.
56 CNUOI, vol. xIII (commission Iv, organisation judiciaire), 1945, p. 390-392.

187 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 254

idéal on compromettrait les possibilités de rallier l’accord gépnéral tant au
Statut de la Cour qu’à la Charte elle-même » . En conséquence, comme
indiqué le 31 avril 1945, «le système de juridiction facultative semble actuel -
58
lement plus susceptible de réunir l’adhésion générale » . Il était devenu
clair que, collégialement, les Etats participants n’étaient pasp encore prêts
en 1945, comme un quart de siècle plus tôt (1920), à accepter lep principe de

la compétence obligatoire pour la Cour de La Haye. Une fois de plus, dans
ce cas, l’inertie l’emporta, au détriment de la pleine réalipsation de la justice.
36. peu avant la conférence de San Francisco de 1945, m. O. Hudson

avait rappelé que l’article 36 du Statut de la Cour permanente était,
en 1920, «le résultat du plus grand combat mené lors de la création de la
Cour», étant donné que, du moins au sein du comité de juristes dpe 1920,
le désir dominait, dans les projets préliminaires successifs, d’pattribuer
59
«une large compétence obligatoire » à la Cour permanente . Le compro-
mis trouvé par la suite fut la clause facultative proposée par Raupl Fer -
nandes (Brésil), rédigée ultérieurement 60. Quinze ans après la conférence

de San Francisco de 1945, R. p. Anand fit observer qu’il était clairement
apparu que « la méthode la plus courante d’accepter la compétence obli -
gatoire de la Cour [était] d’accepter les clauses juridictionnelleps des traités
61
multilatéraux ou bilatéraux» . pourtant, «les commentateurs de la Cour
et les experts gouvernementaux» demeuraient «peu enclins à reconnaître»
la pertinence de telles clauses compromissoires comme « bases de la com -
62
pétence obligatoire de la Cour » . L’accent restait mis sur la clause facul-
tative du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut (même dans les Annuaires
de la Cour), bien que « la plus grande partie de la compétence obligatoire
63
de la Cour » découlât des clauses compromissoires elles-mêmes .

III. La clause facultativep d’acceptation de la jpuridiction
obligatoire: d’un idéal professé àp une pratique dénaturpée

37. Les longs débats qui eurent lieu en 1920 aboutirent à l’adoption de

l’ingénieux libellé du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut — de la Cour
permanente, puis de la Cour —, qui permit de surmonter la divergence
entre partisans et détracteurs d’une reconnaissance rapide de la jpuridic -

tion obligatoire de la future Cour permanente, les seconds — à savoir les
représentants des Etats les plus puissants — objectant que cette instance

57 CNUOI, vol. xIII (commission Iv, organisation judiciaire), 1945, doc. 702-Iv/1/55,
du 31 mai 1945, p. 564.
58 Ibid., p. 563.
59
m. O. Hudson,The Permanent Court of International Justice, 1920-1942 – A Treatise,
New60ork, macmillan Co., 1943, p. 190.
Ibid., p. 192-193.
61 R. p. Anand,Compulsory Jurisdiction of the International Court of Justice, New delhi/
Bombay, Asia publishing House, 1961, p. 134.
62 Ibid., p. 139.
63 Ibid., p. 139-140.

188 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade )55

devait gagner progressivement la confiance des Etats avant de se voir

conférer une juridiction obligatoire tout court. Le Statut, approuvép le
13 décembre 1920, entra en vigueur le 1 erseptembre 1921 . 64
38. Cette décision marqua la première étape d’un processus qui, entre 1921

et 1940, allait conduire quarante-cinq Etats à accepter la juridiction obliga -
toire de la Cour permanente par le biais de déclarations faites en veprtu de la
65 66
clause facultative . La formule de Raul Fernandes , fermement soutenue
par les Etats latino-américains 6, avait été incorporée dans le Statut de la Cour
permanente; visant à ouvrir la voie à de nouveaux progrès vers la juridiction

obligatoire, elle remplit son office durant les vingt années qui suivirent.
39. En 1945, à la conférence de San Francisco, il fut envisagé de franchir

une nouvelle étape par une acceptation automatique, à plus ou moinps brève
échéance, de la juridiction obligatoire de la Cour internationale pde Jus-
tice nouvellement créée. Les grandes puissances — et, en particulier,

l’Union soviétique et les Etats-Unis d’Amérique —, opposées à pareille évo -
lution, défendaient cependant l’idée que soit conservée, danps le Statut de la

Cour, la « clause facultative de juridiction obligatoire » qui figurait dans
celui, adopté en 1920, de sa devancière. Ainsi que le précisa le rapporteur de
la commission de juristes de 1945, Jules Basdevant, quoique la majorité des

membres de la commission fussent partisans de l’acceptation automatiqpue
de la juridiction obligatoire, il n’y eut pas, à la conférence p(ni dans les pro -
68
positions de dumbarton Oaks), de volonté politique pour franchir le pas .

64
pour un compte rendu de l’approbation du Statut, voir notamment J. C. Witenberg,
L’organisation judiciaire, la procédure et la sentence internation▯ales. Traité pratique, paris,
pedone, 1937, p. 22-23 ; L. gross, « Compulsory Jurisdiction under the Optional Clause :
History and practice », The International Court of Justice at a Crossroads (dir. publ.,
L. F. damrosch), dobbs Ferry/New york, ASIL/Transnational publs., 1987, p. 20-21.
65
voir le récit d’un juge de la Cour permanente, m. O. HudsoI, ternational Tribunals —
Past and Future, Washington, Carnegie Endowment for International peace/Brookings
Institution, 1944, p. 76-78. Ces quarante-cinq Etats représentaient en réalité à l’époque une
grande majorité d’Etats, puisque, à la fin des années 1930, la Société des Nations (dont la
Cour permanente ne faisait pas partie, à la différence de la Coupr, qui est l’organe judiciaire

principal de l’Organisation des Nations Unies et dont le Statut forme un tout organique avec
la Charte des Nations Unies elle-même) comptait cinquante-deux membres.
66 dans ses mémoires publiés en 1967, Raul Fernandes révéla que le comité de juristes
de 1920 s’était trouvé confronté à l’épineux problèpme consistant à établir les bases de la
juridiction de la Cour permanente tout en garantissant et en réaffirpmant le principe de
l’égalité juridique des Etats ; voir R. Fernandes, Nonagésimo Aniversário — Conferências e

Tra67lhos Esparsos, vol. I, Rio de Janeiro, m.R.E., 1967, p. 174-175.
J.-m. yepes, « La contribution de l’Amérique latine au développement du droit p
international public et privé », Recueil des cours de l´Académie de droit international de
La Haye, vol. 32 (1930), p. 712 ; F.-J. Urrutia, « La codification du droit international
en Amérique », Recueil des cours de l´Académie de droit international de La Haye,vol. 22
(1928), p. 148-149 ; et, plus récemment, S. A. Alexandrov, Reservations in Unilateral

Declarations Accepting the Compulsory Jurisdiction of the International ▯Court of Justice,
dordrecht, Nijhoff, 1995, p. 7-8.
68 voir le récit de R. p. Anand, Compulsory Jurisdiction…, op. cit. supra note 61,
p. 38-46 ;voir également, sur cette question, S. Rosenne, The Law and Practice of the Inter-
national Court, vol. I, Leyde, Sijthoff, 1965, p. 32-36 ; Ian Brownlie, Principles of Public
International Law, 6 éd., Oxford University press, 2003, p. 677-678 ; O. J. Lissitzyn, The

189 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 2)56

40. C’est donc la formule de 1920, qui correspondait à une conception
du droit international remontant au début du xx esiècle, qui fut reprise
dans le Statut de la présente Cour. Une occasion unique de dépassepr l’ab -

sence d’automaticité du recours à cette instance internationalep par une
étape décisive vers la juridiction obligatoire avait ainsi étép manquée, en
raison de la position intransigeante des Etats les plus puissants. Il copnvient

de préciser que tous ces débats se déroulèrent au niveau purpement inter-
étatique. La formule actuelle de la clause facultative de juridiction obliga -
toire (de la Cour) n’est donc rien de plus qu’un mécanisme repmontant aux
69
années 1920, figé dans le temps , et qui, en toute rigueur, ne correspond
plus aux besoins du contentieux international, y compris sur le plan stric -
tement interétatique . 70

41. Et nombre d’Etats qui ont fait usage de cette clause l’ont fait dep
manière abusive, la dénaturant en l’assortissant de restrictions qui vont à
l’encontre de sa propre logique et la privent de toute efficacitép. de fait, près

des deux tiers des déclarations d’acceptation de la juridiction obpligatoire de
la Cour ont été assorties de réserves et autres limites, qui les ont rendues
« pratiquement inopérantes » 71. Aussi est-il permis de se demander si la

clause facultative continue de jouer le rôle qui lui avait été passigné à l’époque
de la Cour permanente. Chose curieuse à cet égard, ce n’est quep très récem -
ment que les clauses compromissoires prévoyant la juridiction obligatoire

de la Cour ont commencé à susciter davantage d’intérêt dapns la doctrine.
42. La part des Etats ayant accepté la juridiction de la Cour internatio -
nale de Justice en application de la clause facultative est inférieurpe à ce

qu’elle était à l’époque de sa devancière, la Cour perpmanente de Justice
internationale. de surcroît, la possibilité d’accepter la juridiction obliga -
toire de la Cour offerte par cette clause a, au fil des ans, donné plieu à des

abus de la part de certains Etats, qui ne l’ont acceptée qu’àp leurs propres
conditions, en l’assortissant de restrictions de toute nature 72. Il n’est donc

International Court of Justice, New york, Carnegie Endowment for International peace,
1951, p. 61-64.
69 A la fin des années 1970, J. g. merrills a exprimé des vues pessimistes concernant
la pratique des Etats en application de cette clause facultative dans « The Optional Clause
Today »,British Yearbook of International Law, vol. 50 (1979), p. 90-91, 108, 113 et 116.
70 voir R. y. Jennings, «The International Court of Justice after Fifty yea, merican

Journal of International Law, vol. 89 (1995), p. 504, qui, en tant qu’ancien président de la
Cour, déplore le fait que cette position dépassée a isolé ceplle-ci de l’important corpus du
droit international contemporain.
71 g. Weissberg, «The Role of the International Court of Justice in the United Nations
System : The First Quarter Century », The Future of the International Court of Justice (dir.
publ., L. gross), vol. I, dobbs Ferry New york, Oceana publs., 1976, p. 163 ;au sujet des
désillusions que ce phénomène a entraînées, voir en outrep ibid., p. 186-190. voir également
Report on the Connally Amendment — Views of Law School Deans, Law School Profes -
sors, International Law Professors (rapport publié sous les auspices du comité pour une

utilisation effective de la Cour internationale par la suppression du psystème des réserves
discrétionnaires), New york, [1961], p. 1-154.
72 Certains d’entre eux ont ainsi donné l’impression qu’ils n’pacceptaient cette clause
facultative que dans le but d’attraire d’autres Etats devant la Copur tout en s’efforçant de
ne pas l’être eux-mêmes ; J. Soubeyrol, « validité dans le temps de la déclaration d’accep -

190 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 257

guère surprenant que, dès le milieu des années 1950, on ait commencé à
73
parler ouvertement d’un déclin de la clause facultative .
43. dans les études classiques qu’ils ont consacrées aux fondements pde
la juridiction internationale, C. W. Jenks et C. H. m. Waldock ont, dès

les années 1950 et 1960, appelé l’attention sur le grave problème que
constitue l’insertion, par les Etats, de réserves et de limites dep toute nature
dans leurs instruments d’acceptation de la juridiction obligatoire (pde la
Cour) 74. Bien que le libellé de la clause facultative ne prévoie pas la ppos -

sibilité de formuler pareilles limites, les Etats ont, face à ce vpide juridique,
jugé qu’ils étaient « libres» de le faire. Contraire au système de la juridic -
tion obligatoire sur plan international, cette pratique abusive en a épbranlé

le fondement même.
44. Si ces abus se sont produits, c’est précisément parce qu’il pn’avait pas
été tenu compte, dans l’élaboration du Statut de la Cour noupvellement
créée, de l’évolution de la communauté internationale. Lep fondement

même de la juridiction obligatoire de la Cour a ainsi été perdup de vue au
profit d’une conception volontariste dépassée du droit internatpional qui
avait prévalu au début du siècle dernier et ce, alors même que plusieurs

générations de juristes avisés avaient mis en garde contre les pconséquences
dommageables de cette conception pour la conduite des relations inter-
nationales. Il est vrai que, dans le même temps, d’autres juristesp, fort nom -
breux, continuaient de mettre l’accent sur l’importance que revêpt, en règle

générale, le consentement des Etats, plaçant celui-ci bien au-dessus des
impératifs de réalisation de la justice au niveau international.

Iv. Le vieil idéal de l’autpomaticité de la juridpiction obligatoire
de la Cour de La Haye

45. Ainsi que cela a été fort bien exposé dans une étude classiqpue sur le
sujet, les instruments d’acceptation de la compétence contentieusep d’une
juridiction internationale devraient satisfaire « à des conditions garantis -

tation de la juridiction obligatoire », Annuaire français de droit international, vol. 5 (1959),
p. 232-257 et, en particulier, p. 233.
73C. H. m. Waldock, « decline of the Optional Clause », British Yearbook of Interna-

tional Law, vol. 32 (1955-1956), p. 244-287. En ce qui concerne les origines de ce déclin,
voir également l’opinion dissidente du juge guerrero dans l’affaire relative à Certains
emp74nts norvégiens (arrêt du 6 juillet 1957), C.I.J. Recueil 1957, p. 69-70.
parmi ces abus, on peut citer les exceptions fondées sur la compétepnce nationale
exclusive des Etats et le fait de prévoir la possibilité de retirepr à tout moment l’acceptation
faite en vertu de la clause facultative, la possibilité de modifier upltérieurement les termes de
cette acceptation ou encore la possibilité d’insérer de nouvellpes réserves dans le futur ;voir
C. W. Jenks, The Prospects of International Adjudication, Londres, Stevens, 1964, p. 108,
et p. 113, 118 et 760-761 ; C. H. m. Waldock, « decline of the Optional Clause », op. cit.
supra note 73, p. 270 ; pour une critique de ces abus, voir A. A. Cançado Trindade, « The
domestic Jurisdiction of States in the practice of the United Nations and Regional Orga -
nisations »,International and Comparative Law Quarterly, vol. 25 (1976), p. 744-751.

191 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 258

sant un degré de75tabilité raisonnable dans la reconnaissance de [pcette
compétence] » , c’est-à-dire aux conditions expressément énoncées par
les traités correspondants eux-mêmes, en gardant nécessairement à l’es -
prit la nature et la teneur de ces instruments. Ainsi que C. W. Jenks l’a

précisé il y a près de cinquante ans, la juridiction obligatoire repose, en
dernière analyse, sur la confiance dans la primauté du droit à pl’échelle
internationale 7. Tant que cette confiance ne sera pas totale, on ne saurait

s’attendre à ce que de réels progrès soient réalisés epn la matière. Au cours
de ces quatre-vingt-dix dernières années, on aurait pu assister à des avan -
cées bien plus importantes si la pratique des Etats n’avait pas mips à mal le

but qui a présidé à la création des mécanismes d’accepptation de la juridic -
tion obligatoire de la Cour permanente puis de la Cour (clause facultatpive
et clauses compromissoires) et, partant, progresser dans la voie de la sou -
mission au droit des intérêts stratégiques des Etats qui sous-tendent les

différends internationaux et de la réalisation de la justice surp le plan inter -
national.
46. Après tant d’années de fonctionnement de la Cour de La Haye,

le moment est venu de dépasser définitivement la regrettable absence
d’automaticité de la juridiction internationale. Compte tenu des erre -
ments de la pratique des Etats en la matière, ceux-ci se trouvent en effet

aujourd’hui face à un dilemme qui aurait dû être résolu dpepuis longtemp:s
soit ils en reviennent à la conception volontariste du droit internatpional,
renonçant une fois pour toutes à l’espoir de la primauté du pdroit sur ce
qu’ils considèrent comme leurs intérêts stratégiques 77, soit ils poursuivent

de nouveau avec détermination l’idéal d’édification d’unep communauté
internationale caractérisée par une cohésion et une institutionpnalisation
plus importantes, reposant sur le droit et guidée par la quête de pla

justice.
47. Au cours de ces quatre-vingt-dix dernières années, c’est-à-dire
depuis l’adoption du Statut de la Cour permanente, certains auteurs n’ont

pas manqué d’appeler à l’instauration de la juridiction oblipgatoire. Ainsi,

75 C. W. Jenks, The Prospects of International Adjudication, op. citsupra note 74,
p. 760-761.
76 Ibid., p. 101, 117, 757, 762 et 770.
77 voir la mise en garde de Ch. de visscher dans Aspects récents du droit procédural de
la Cour internationale de Justice, paris, pedone, 1966, p.204 ;voir également L. delbez, Les
principes généraux du contentieux international, paris, LgdJ, 1962, p. 68, 74 et 76-77. pour
des critiques ultérieures de l’utilisation insatisfaisante et abuspive par les Etats-du méca

nisme de la clause facultative (de juridiction obligatoire de la Cour)p énoncée dans le Statut
— critiques formulées par deux anciens présidents de la Cour —, voir R. y. Jennings, «The
International Court of Justice… »,op. cit. supra note 70, p. 495 ;et E. Jiménez de Aréchaga,
«International Law in the past Third of Century »,Recueil des cours de l’Académie de droit
international de La Haye, vol. 159 (1978), p. 154-155. d’autres critiques ont été exprimées
par H. W. Briggs, « Reservations to the Acceptance of Compulsory Jurisdiction of the
International Court of Justice », Recueil des cours de l’Académie de droit international de
La Haye, vol. 93 (1958), p. 273. voir également, d’une manière générale, J. Sicauldu «
caractère obligatoire des engagements unilatéraux en droit internaptional public », Revue
générale de droit international public, vol. 83 (1979), p. 633-688.

192 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 2)59

peu après l’achèvement, en 1920, des travaux du comité consultatif de
juristes de la Société des Nations, B. C. J. Loder publiait un article dans

lequel il indiquait ce qui suit :

«Le monde aspirait à la réalisation de la justice, et c’est pourquoi
cet organe [la Cour permanente] a été créé. Ses membres sontp des
juges, et non de simples conciliateurs. L’expression « juridiction obli -
gatoire» signifie que le requérant peut attraire le défendeur en justipce

sans qu’il y ait entre eux d’accord préalable, et ce, même contre la
volonté de ce dernier ; la Cour a donc compétence pour statuer — et
elle est même tenue de le faire —, que la partie contrevenante com -
paraisse ou non.

La réponse à cette question réside dans le nom « Cour de Justice »
lui-même. En effet, ce qui caractérise une cour de justice, par opposi -
tion à un tribunal d’arbitrage, c’est que la compétence des pjuges ne
découle pas de l’accord volontaire des parties au différend, mais

d’une autre source … [C]’est de la natur78même de la Cour que
découle la juridiction obligatoire. »

48. B. C. J. Loder, qui allait bientôt — à la mi-février 1922 — devenir
le premier président de la Cour permanente, poursuivait comme suit :

«même si, d’un côté, il apparaissait que l’opposition du Copnseil à
la proposition formulée par le comité de juristes devait être pprise en

compte, il était, d’un autre côté, exclu de méconnaîtrpe les souhaits de
la grande majorité des Etats, qui considéraient la juridiction oblpiga -
toire comme la seule garantie que la justice serait mise en œuvre.
Aussi convenait-il, pour parvenir à une solution satisfaisante, de

trouver un compromis entre ces deux positions.
C’est au délégué du Brésil, m. Fernandes — l’un des dix juristes —,
homme aussi sage qu’énergique, que revient l’honneur d’êtpre parvenu
à trouver ce compromis ; c’est à la sous-commission de la Troi -

sième Commission qu’il incomba d’énoncer cette solution sous une
forme acceptable aux yeux de tous.
Le nouvel article 36 en est l’aboutissement. » 79

49. peu de temps après, dans une monographie publiée en 1924, Nico -
las politis, rappelant la transformation historique de la justice privée epn

justice publique, plaida en faveur du passage, sur80e plan internationalp, de
la justice facultative à la justice obligatoire . vingt ans plus tard, dans
une nouvelle monographie, il soutint de nouveau que les « règles du droit
des gens p[ouvaient], moyennant certaines conditions, faire l’objet dp’un

78
B. C. J. Loder, « The permanent Court of International Justice and Compulsory
Jur79diction »,British Yearbook of International Law, vol. 2 (1921-1922), p. 11-12.
80Ibid., p. 24.
voir N. politis, La justice internationale, paris, Librairie Hachette, 1924, p. 7-255 et,
plus particulièrement, p. 193-194 et 249-250.

193 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 260

81
contrôle juridictionnel » . Au moment de l’adoption du Statut de la
Cour, en 1945 — comme lors de l’adoption de celui de sa devancière,
en 1920 —, la question de la juridiction obligatoire occupait une place

centrale. A cette fin, un large éventail de possibilités se prépsentait à ces
deux instances, qui choisirent de fonder la juridiction obligatoire sur pla
clause facultative et les clauses compromissoires.

50. peu après l’adoption du Statut de la Cour, E. Hambro indiqua
que, selon lui, les clauses compromissoires énoncées dans des traiptés mul -
tilatéraux et bilatéraux constituaient « probablement» le « moyen le plus
82
courant» d’acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour . Quelques
années plus tard, au début des années 1950, fut avancée l’idée que cette
juridiction obligatoire pouvait être considérée comme ayant épté acceptée

«volontairement», dès lors que le Statut de la Cour lui-même avait été
«volontairement accepté »; c’est à ce moment-là que les Etats avaient
exprimé leur consentement, la Cour conservant la faculté et le devpoir

d’examiner motu proprio la question de sa compétence. Encore ce point
demandait-il à être éclairci par la construction jurisprudentielle de la p
Cour 83.

51. dans les années 1950, la question de la juridiction obligatoire
de la Cour fut examinée par l’Institut de droit international pendant
cinq ans (1954-1959). Au cours des sessions d’Aix-en-provence (1954)

et de grenade (1956), les discussions (rapporteur, p. guggenheim)
fur-ent essentiellement consacrées à l’élaboration d’une clause mpodèle
de compétence obligatoire de la Cour 84. A la fin de cet exercice, en

1956, l’Institut adopta une résolution recommandant aux Etats et
aux organisations internationales d’insérer, lors de l’élaboratipon de
conventions internationales, multilatérales ou bilatérales, une clause

conférant compétence obligatoire (selon le modèle indiqué)p à la Cour
dans tout différend relatif à l’interprétation ou à l’papplication de ces
conventions 85.

52. durant les sessions d’Amsterdam (1957) et de Neuchâtel (1959), les
débats de l’Institut (rapporteur, C. W. Jenks) furent consacrés au sujet
plus général de la compétence obligatoire des cours et tribunaupx inter-
86
nationaux (ce qui englobait les instances judiciaires et arbitrales) . A la fin

81
N. politis, La morale internationale, New york, Brentano’s, 1944, p. 67. Et N. politis
d’ajouter : « A la différence des profits de l´injustice et de l’illégalpité, qui, s’ils peuvent être
rapides, ne sont pas assurés de durer, ceux de la justice et de la lépgalité, sans doute plus
lents, sont certainement plus durables » ;ibid., p. 161-162.
82E. Hambro, « Some Observations on the Compulsory Jurisdiction of the Inter-
national Court of Justice », British Yearbook of International Law, vol. 25 (1948), p. 153.
83 R. C. Lawson, « The problem of the Compulsory Jurisdiction of the World Court »,
American Journal of International Law, vol. 46 (1952), p. 234 et 238; voir également p. 219,
224 et 227.
84
voir les rapports et les débats auxquels ceux-ci ont donné lieu dans Annuaire de l’Ins-
titut de droit international, vol. 45 (1954)-I, p. 310-406 ; et ibid., vol. 46 (1956), p. 178-264.
85 voir ibid., vol. 46 (1956), p. 360-361.
86 voir les rapports et les observations et débats auxquels ceux-ci ont donné lieu dans
ibid., vol. 47 (1957)-I, p. 34-322 ; et ibid., vol. 48 (1959)-II, p. 55-177.

194 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 2)61

de ce nouvel exercice, en 1959, l’Institut adopta une résolution soutenant
la compétence obligatoire des cours et tribunaux internationaux. dans le

préambule de ce texte, constatant avec inquiétude que le développpement
de cette compétence était déjà gravement en retard sur les bpesoins de la
justice internationale, il précisait que le « respect du droit », par l’accepta -
tion de la compétence obligatoire, était « un complément essentiel à la
87
renonciation au recours à la force dans les relations internationalesp» .
53. Afin de remédier à cette situation insatisfaisante, la résolutipon pré -
conisait notamment de développer la pratique consistant à insérper dans
les conventions générales une clause, obligatoire pour toutes les pparties,

qui permette de soumettre les différends relatifs à l’interprétation ou à
l’application de ces conventions à des cours et tribunaux internationaux,
favorisant ainsi une acceptation plus large de la juridiction obligatoirpe et
notamment de celle de la Cour 88. Ainsi, dans son dispositif, la résolution

de 1959 prévoyait ce qui suit :

«Afin d’assurer l’application effective et l’unité d’intperprétation
des conventions générales, il importe de maintenir et de développper
la pratique consistant à insérer dans ces conventions une clause, pobli -
gatoire pour toutes les parties, qui permette de saisir la Cour interna-

tionale de Justice par voie de requête unilatérale ou de soumettrep à
une autre instance judiciaire ou arbitrale les différends relatifs à l’in -
terprétation ou à l’application de la convention … » 89

54. Cette résolution de l’Institut de droit international était touprnée
vers l’avenir, au regard — avant tout — des impératifs de la justice inter -
nationale. dans les années qui suivirent, l’objectif ainsi énoncé demeurpa

au centre des préoccupations des auteurs qui se consacraient à cesp ques -
tions. Ainsi, dans une monographie publiée l’année suivante (1960),
B.v. A. Röling indiqua que « [l]es juridictions internationales parache -

vaient l’incorporation du critère de civilisation dans le droit inpternational
en considérant que l’inobservation de ce critère mettait en caupse la res -
ponsabilité internationale des Etats » . 90
55. par la suite, à la fin des années 1960 — soit dix ans après l’adoption

(en 1959) par l’Institut de droit international de la résolutionp susmention -
née —, et en dépit du prétendu « déclin» de la clause facultative contenue
dans le Statut de la Cour (voir ci-dessus), C. W. Jenks fit observer ce qui
suit :

«La question de la juridiction obligatoire … reste l’un des pro -
blèmes essentiels de l’organisation du monde … Une juridiction obli-

87
Annuaire de l’Institut de droit international, vol. 48 (1959)-II, p. 358.
88
89 voir ibid., p. 358-359.
paragraphe 4 de la résolution susmentionnée ; cit. dans ibid., p. 360-361.
90
B. v. A. Röling, International Law in an Expanded World, Amsterdam, djam-
batan N.v., 1960, p. 39.

195 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 262

gatoire plus étendue demeure l’un des facteurs essentiels du progrpès
de la primauté du droit sur le plan international … Le développe -
ment de la juridiction obligatoire suppose un développement paral -
lèle des règles de droit, qui doivent s’adapter aux nouvelles apttentes
91
d’une société en mutation. »

56. Ainsi que Kéba mbaye le précisa à juste titre à la fin des années 1980,
le droit international contemporain repose sur des conventions multilatép -
rales qui permettent de préserver les «intérêts vitaux» non des Etats, mais

de l’humanité; dès lors, et compte tenu de l’importance de ces intérêts,

«il est parfaitement justifié qu’il soit permis aux Etats membres dp’une
collectivité déterminée, et auxquels les prescriptions de laditpe conven -
tion sont applicables, d’agir dans le but d’une sorte de contrôple
objectif ayant pour finalité de sauvegarder les intérêts en quepstion » 9.

L’«intérêt pour agir » évoluerait alors au rythme des mutations de la

société internationale elle-même, laquelle, en tant qu’ensemble organisé, a
des intérêts généraux propres qui créent pour les Etats dpes devoirs envers
elle93. Cela conduirait — lorsque sont en jeu des droits de l’homme fon -

damentaux, qui intéressent la communauté internationale dans son
ensemble — à dépasser le consentement individuel des Etats.
57. Les clauses compromissoires (qui existent depuis fort longtemps,
puisqu’elles remontent à l’ère de la Cour permanente) 94, insérées dans de

nombreux traités, ont, en conférant compétence à des juridicptions inter -
nationales telles que la Cour de La Haye pour régler les différends relatifs
à l’interprétation et à l’application de ces instruments,p contribué (lors -

qu’elles ont été convenablement interprétées et appliquépes) à une accepta -
tion plus large de la juridiction obligatoire. dès le départ, ces clauses
furent considérées comme un moyen d’atteindre cet objectif.

58. Etant donné qu’elles furent notamment insérées, dès la pépriode de
l’entre-deux-guerres, dans les traités relatifs aux minorités et aux mandapts
— aux fins de l’interprétation et de l’application de ces instrumpents —, la

Cour permanente, qui avait opté pour une approche téléologique, ne
tarda pas à être amenée à se prononcer sur ces clauses (voipr ci-dessous).
La présente Cour n’en fit pas non plus une interprétation stricpte pour
parvenir à un règlement pacifique des différends qui lui éptaient soumis 9.

91 C. W. Jenks, The World beyond the Charter, Londres, g. Allen and Unwin, 1969,
p. 166.
92
Kéba mbaye, «L’intérêt pour agir devant la Cour internationale de Justice »,Recueil
des cours de l’Académie de droit international de La Haye, vol. 209 (1988), p. 271.
93
Ibid., p. 340-341.
94 Au sujet de ces clauses compromissoires, voir notamment H. m. Cory, Compul-
sory Arbitration of International Disputes, Newyork, Columbia University press, 1932
(rééd. 1972), chap. vI, p. 160-191.
95 L. B. Sohn, « Settlement of disputes Relating to the Interpretation and Applic-
tion of Treaties », Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye,
vol. 150 (1976), p. 245-249 et 256. parmi les plus de 4800 instruments enregistrés auprès de

196 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 2)63

de fait, bien que le consentement pût être exprimé de diverses mpanières

(ante hoc, ad hoc ou post hoc), les Etats en vinrent à conclure des traités
contenant des clauses compromissoires dans l’espoir de pouvoir s’en
remettre à la juridiction obligatoire 96, faisant ainsi progresser la primauté
du droit également sur le plan international.

59. En dépit de ces importantes attentes initiales, la pratique des Etatsp
allait toutefois aussi révéler certaines incongruités et, parfois, certaines hési -
tations à accepter une juridiction obligatoire inconditionnelle à pl’égard des
différends interétatiques, et ce, alors même que les Etats papraissaient de plus

en plus conscients de la nécessité de recourir au règlement pacpifique de ces
différends 97. L’inclusion plus systématique de pareilles clauses juridiction -
nelles dans les traités et leur invocation contribueraient pourtant tprès larg -e
98
ment à étendre le champ de la juridiction obligatoire à traversp le monde , à
condition que lesdites clauses soient convenablement interprétées pet appli -
quées. Une telle évolution se produira nécessairement si les Etpats s’aper -
çoivent qu’il est, en définitive, dans leur propre intérêt — aussi bien que dans

l’intérêt commun ou général — que le règlement de leurs différends soit,
généralement, assuré par des moyens judiciaires. Il s’agit en effet —compte
tenu de tous les avantages qu’elle présente : règles préexistantes, rigueur et
sécurité judiciaire — de la forme la plus aboutie de règlement pacifique.

60. En dernière analyse, la juridiction obligatoire est l’expression dpe la
primauté du droit au niveau international ; elle favorise l’émergence d’un
ordre juridique international plus cohérent, inspiré et guidé ppar l’impéra -
tif de réalisation de la justice. En dépit de toute l’attentionp que cette ques-

tion a retenue de la part de plusieurs générations de juristes, etp malgré les
progrès, il semble toutefois que beaucoup reste à faire pour atteipndre
l’idéal de l’automaticité de la juridiction obligatoire dans le contentieux

interétatique, au moins lorsque sont en cause des droits de l’hommpe fon -
damentaux. Les tenants d’une souveraineté étatique immuable seraient
cependant mal avisés de dédaigner ou de minimiser ce vieil idéal ; rien
n’est plus fort qu’un idéal qui n’a pas été réalisé, se transmet de généra -

tion en génération et reste toujours présent à l’esprit dpes juristes lucides
— même s’ils sont minoritaires —, jusqu’à ce que tous les éléments soient
réunis pour qu’il puisse l’être. La juridiction obligatoire pn’est d’ailleurs
plus un rêve théorique ; elle est déjà devenue réalité dans certains régimes

juridiques.

la Société des Nations (entre 1920 et 1946) et les 12 500 traités enregistrés auprès de l’Orga-
nisation des Nations Unies au cours de ses trente premières années d’existence (entre 1946
et 1976), quelque 4000 contenaient des clauses compromissoires de sorte à npe pas devoir
parvenir à un accord spécial (compromis) après qu’un diffpérend s’est fait jour; ibid., p. 259
et 268.
96R. Szafarz, The Compulsory Jurisdiction of the International Court of Justice,
dordrecht, Nijhoff, 1993, p. 4, 31-32, 83 et 86 ; voir également p. 25 et 94.
97 voir R. p. Anand, « Enhancing the Acceptability of Compulsory procedures of

International dispute Settlement », Max Planck Yearbook of United Nations Law, vol. 5
(2098), p. 5-7, 11, 15 et 19.
C. W. Jenks,The Prospects…,op. cit.supra note 74, p.761 ;voir également p. 109 et 111.

197 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 2)64

61. La juridiction internationale s’impose aujourd’hui comme un im -
pératif de l’ordre juridique international lui-même ; quant à son caractère
obligatoire, il répond à un besoin de la communauté internationale.

Quoique cette juridiction obligatoire n’ait pas encore été compplètement
réalisée, certaines avancées ont été accomplies au cours de ces dernières
décennies 9. A cet égard, la Cour de justice des Communautés euro -

péennes constitue un exemple de juridiction obligatoire supranationalpe,
bien que limitée au droit communautaire et au droit de l’intégrpation.
depuis l’entrée en vigueur, le 1 ernovembre 1998, du protocole n o 11, la

convention européenne des droits de l’homme représente un autrep exemple
notable de juridiction obligatoire automatique. La Cour pénale inter-
nationale en est l’exemple le plus récent ; même si d’autres moyens

ont été envisagés tout au long des travaux préparatoires du pstatut de
Rome de 1998 (tels que le système malcommode des formules d’« ac-
ceptation expresse » et d’« exclusion expresse »), la juridiction obliga-

toire a fini par l’emporter, sans qu’il soit nécessaire que les Etatsp
parties au traité de Rome expriment de nouveau leur consentement.
Il s’agit d’une décision importante, qui a fait progresser la jpuridiction

internationale.
62. Le système mis en place par la convention des Nations Unies sur le
droit de la mer de 1982 va, à sa manière, au-delà du régime classique de la

clause facultative contenue dans le Statut de la Cour. Il permet aux Etapts
parties à la convention de choisir entre le recours au Tribunal interpnatio -
nal du droit de la mer, à la Cour ou à l’arbitrage (art. 287). Bien que cer -

taines questions soient exclues de ce système, la convention a permisp de
mettre en place une procédure obligatoire assortie d’élémentps coercitif;sle
choix proposé entre ces différents recours assure au moins un rèpglement

des différends dans le respect des règles énoncées par la pconvention des
Nations Unies sur le droit de la mer 100. Outre les progrès ainsi réalisés, on
pourrait aussi signaler d’autres initiatives allant dans le même spens 101.

99H. Steiger, « plaidoyer pour une juridiction internationale obligatoire », dans
Theory of International Law at the Threshold of the 21st Centur— Essays in Honour of
K. Skubiszewski (dir. publ., J. makarczyk), La Haye, Kluwer, 1996, p. 818, 821-822 et 832.
voir également R. St. John macdonald, « The New Canadian declaration of Acceptance

of the Compulsory Jurisdiction of the International Court of Justice », Canadian Yearbook
of International Law, vol. 8 (1970), p. 21, 33 et 37. A l’appui de la nécessité d’« un système
de procédures générales obligatoires et contraignantes de rèpglement des différends », voir
également m. m. T. A. Brus, Third Party Dispute Settlement in an Interdependent World,
dordrecht, Nijhoff, 1995, p. 182.
100L. Caflisch, « Cent ans de règlement pacifique des différends interétatiques »,
Recueil des cours de l´Académie de droit international de La Haye, vol. 288 (2001),
p. 365-366 et 448-449 ; J. Allain, « The Future of International dispute Resolution —
The Continued Evolution of International Adjudication », dans Looking Ahead : Inter-
e
national Law in the 21st Century (Actes de la 29 conférence annuelle du Conseil cana -
dien de droit international, Ottawa, octobre 2000), La Haye, Kluwer, 2002, p. 61-62.

101 A titre d’exemple, on mentionnera les propositions en vue de l’éplaboration d’un
projet de protocole à la convention américaine des droits de l’homme, que j’ai formulées en

198 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 265

63. Ces exemples suffisent à montrer que la juridiction obligatoire est p
d’ores et déjà une réalité — du moins dans certains domaines particuliers
du droit international, qui ont été rappelés ci-dessus. du point de vue

juridique, la juridiction internationale obligatoire constitue donc, de p
toute évidence, une possibilité. Si elle n’a pas encore été insptaurée à
l’échelle mondiale dans le domaine du contentieux interétatiquep, ce n’est
donc nullement dû au fait qu’elle ne serait pas juridiquement viable,
mais à des erreurs d’interprétation quant à son rôle ou, ptout simplement,

à une prise de conscience insuffisante de la nécessité d’éptendre son
champ d’application. La juridiction obligatoire traduit la reconnais -
sance du caractère nécessaire, et non simplement volontaire, du droit
international.

v. Le rapport entre la clapuse facultative/les cplauses
compromissoires et lpa nature
et la teneur des traiptés correspondants

64. Ni la clause facultative ni les clauses compromissoires ne peuvent
être dûment examinées en dehors du cadre de la juridiction oblipgatoire.
Celle-ci constitue en effet l’objectif à atteindre. C’est pourquoi pj’y consacre

une aussi grande attention dans la présente opinion dissidente en l’paffaire
relative à l’Application de la convention internationale sur l’élimination de
toutes les formes de discrimination raciale. de plus, les clauses compromis -
soires doivent être également examinées, selon leur sens ordinapire, en
fonction de leur rapport avec la nature et la teneur des traités correspon -

dants dans lesquels elles sont énoncées. La reconnaissance de la nature
particulière des traités relatifs aux droits de l’homme a grandpement
contribué à cet exercice d’interprétation. A cet égard, cpertaines avancées
ont, pour le plus grand bénéfice des êtres humains, été rpéalisées grâce à

l’influence qu’exerce le droit international des droits de l’phomme sur le
droit international public.
65. En dépit des avancées incontestables qu’a connues — ou permis de
réaliser — l’idéal de la juridiction obligatoire dans le domaine du droipt
international des droits de l’homme, il n’en va pas tout à faitp de même

dans le champ des relations purement interétatiques, où force est pen effet
de constater que la juridiction obligatoire n’a guère progressép au cours de
ces dernières décennies. Le droit international contemporain lui-même a
suivi une évolution lente mais progressive, ce qui a au moins permis p

qualité de rapporteur de la Cour interaméricaine des droits de l’phomme et dans lesquelles il
est notamment préconisé de modifier l’article 62 dudit instrument afin de rendre la compé -
tence contentieuse de la Cour interaméricaine des droits de l’hommpe automatiquement
obligatoire dès ratification de la convention. voir A. A. Cançado Trindade, Informe :Bases
para un Proyecto de Protocolo a la Convención Americana sobre Derecho▯s Humanos, para
Fortalecer su Mecanismo de Protección, vol. II, 2 éd., San José, Costa Rica, Cour inter-
américaine des droits de l’homme, 2003, p. 1-64.

199 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 266

de fixer des limites aux manifestations du volontaris102des Etats, lequel
s’est révélé appartenir à une période révolue . Cela doit être relevé ici,
puisque la présente affaire relative à l’Application de la convention
internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimin▯ation

raciale, qui oppose la géorgie à la Fédération de Russie, a trait à la
clause compromissoire contenue dans un traité relatif aux droits de
l’homme.

66. La méthode d’interprétation des traités relatifs aux droits pde
l’homme 10, qui sera examinée dans les paragraphes ci-après, a pour fil
conducteur les règles en matière d’interprétation des traitéps énoncées aux

articles 31 à 33 des deux conventions de vienne sur le droit des traités
(de 1969 et de 1986). La règle générale (le paragraphe 1 de l’article 31)
comprend la bonne foi, le libellé, le contexte ainsi que l’objet ept le but
du traité en cause. Lorsque l’interprétation faite en vertu de l’particle 31

aboutit à un résultat manifestement déraisonnable, laissant le psens
ambigu ou obscur, l’article 32 prévoit qu’il peut être fait appel à des
moyens complémentaires d’interprétation, et notamment le recours aux
104
travaux préparatoires .
67. dans le cadre de l’examen de la question de l’interprétation desp
traités relatifs aux droits de l’homme auquel je me suis livré pdans mon

opinion individuelle jointe à l’arrêt (du 31 janvier 2006) de la Cour
interaméricaine des droits de l’homme en l’affaire du Massacre de Pue -
blo Bello, qui concernait la Colombie, j’ai jugé utile de préciser ce qui
suit :

«Les organes de surveillance en matière de droits de l’homme ont,

sans s’écarter des grands principes régissant l’interprétpation des trai -
tés (paragraphe 1 de l’article 31 des deux conventions de vienne sur
le droit des traités de 1969 et de 1986), élaboré une interprétation

téléologique mettant l’accent sur la réalisation de l’objet et du but
des traités relatifs aux droits de l’homme comme moyen le plus
approprié de garantir la protection effective de ces droits. C’est qu’en

effet, en dernière analyse, le principe, largement étayé par la jurispru -

102dans un ouvrage de référence publié en 1934 dans lequel il critiquait cette doctrine
— à l’époque encore relativement dominante —, georges Scelle estimait que le fait que
les détenteurs du pouvoir s’attribuaient à eux-mêmes une compétence discrétionnaire et
qu’ils exerçaient leurs fonctions selon des critères établisp par eux-mêmes était caractéris -
tique d’une société internationale peu évoluée, imparfaitpe et encore quasiment anarchique ;

g. Scelle, Précis de droit des gens — Principes et systématique, partie II, paris, Rec. Sirey,
1934 (rééd. 1984), p. 547-548 ; voir également, dans le même sens, l’ouvrage plus ancien de
L. duguit, L’Etat, le droit objectif et la loi positive,vol. I (dir. publ., A. Fontemoing), paris,
1901, p. 122-131 et 614.
103Telle que découlant de l’abondante jurisprudence internationale en la matière, qui
fait l’objet d’une analyse approfondie dans : A. A. Cançado Trindade, El Derecho Interna-
cional de los Derechos Humanos en el Siglo XXI, 2 éd. rév., Santiago/mexico/Buenos Aires/
Barcelone, Editorial Jurídica de Chile, 2006, p. 17-60.
104L’article 33 y ajoute les règles concernant l’interprétation des traitésp conclus en deux
ou plusieurs langues.

200 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 2)67

dence, selon lequel il convient de s’assurer que les dispositions

conventionnelles produisent les effets appropriés (ce qu’on apppelle
l’effet utile) est sous-jacent à la règle générale d’pinterprétation sus -
mentionnée, telle qu’énoncée dans les deux conventions de vienne
(au paragraphe 1 de l’article 31). Ce principe — ut res magis valeat

quam pereat — selon lequel un traité doit être interprété de telle soprte
qu’il produise les effets appropriés s’est vu conférer, dapns le domaine
des droits de l’homme, une importance particulière aux fins de dépter -
miner la portée étendue des obligations conventionnelles visant àp la
105
protection de ces droits .
de fait, cette interprétation est celle qui reflète le plus fidèplement la
nature spéciale des traités relatifs aux droits de l’homme, la pdimen -

sion objective des obligations qu’ils énoncent et le caractère pauto -
nome des notions qui y sont consacrées (à la différence des pnotions
correspondantes dans le cadre des systèmes juridiques nationaux).
dès lors que les traités relatifs aux droits de l’homme contiennpent des

notions qui ont un caractère autonome, lequel découle de l’épvolution
jurisprudentielle, et que l’objet et le but de ces traités sont dipfférents
de ceux des traités classiques (puisqu’ils ont trait aux rapports entre
l’Etat et les personnes qui relèvent de sa juridiction), les prinpcipes

généraux classiques en matière d’interprétation des traitpés s’adaptent
à cette réalité nouvelle. » 106(par. 50-51.)

68. En conséquence, dans le cadre de l’interprétation des traitéps relatifs
aux droits de l’homme — qui privilégient l’intérêt des victimes —, il est en
général accordé, selon moi à juste titre, une importance toupte particulière

à la réalisation de l’objet et du but de ces instruments, afin pd’assurer la
protection des êtres humains (voir ci-dessous), c’est-à-dire, de toute évi -
dence, la partie la plus faible. Chose importante, et dans le même orpdre
d’idées, la méthode d’interprétation des traités relatpifs aux droits de

l’homme englobe, à mon sens, toutes les dispositions contenues danps ces
instruments, considérés comme un ensemble, et s’étend non seulement
aux dispositions de fond (relatives aux droits protégés) mais aussi aux dis -

positions d’ordre procédural, à savoir celles qui régissent les mécanismes de
protection internationale, y compris — dans une perspective historique —
les clauses compromissoires conférant compétence aux juridictions pinter -
nationales relatives aux droits de l’homme.

105A. A. Cançado Trindade, Tratado de Direito Internacional dos Direitos Humanos,
vol. II, porto Alegre/Brésil, S.A. Fabris Ed., 1999, p. 32-33 et 192.
106Ibid., p. 32-34 ; voir également R. Bernhardt, « Thoughts on the Interpretation of
Human Rights Treaties », dans Protecting Human Rights : The European Dimension —
Studies in Honour of G. J. Wiarda (dir. publ., F. matscher et H. petzold), Cologne,
C. Heymanns, 1988, p. 66-67 et 70-71 ; Erik Suy, «droit des traités et droits de l’homme »,
Völkerrecht als Rechtsordnung Internationale Gerichtsbarkeit Menschen▯rechte — Festschrift

für H. Mosler (dir. publ., R. Bernhardt et al.), Berlin, Springer-verlag, 1983, p. 935-947;
J. velu et R. Ergec, La convention européenne des droits de l’homme, Bruxelles, Bruylant,
1990, p. 51.

201 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 268

69. Ainsi, pour mentionner des exemples bien connus, les clauses facul-
tatives initiales d’acceptation de la juridiction contentieuse de la pCour
européenne des droits de l’homme (avant l’adoption du protocolpe n o 11 à
107
cette convention) et de la Cour interaméricaine des droits de l’homme
étaient inspirées de l’ancienne clause facultative de juridictipon obligatoire
contenue dans le Statut de la Cour de La Haye (paragraphe 2 de l’ar -

ticle 36 du Statut de la Cour permanente et de la présente Cour). En dépit
de cette origine commune, la logique qui sous-tend l’application de la
clause facultative a, aux fins de réaliser l’idéal de justice ipnternationale,

fait l’objet d’une interprétation différente en ce qui conpcerne le conten -
tieux interétatique et en ce qui concerne le contentieux des droits dpe
l’homme au niveau intra-étatique.
70. dans le premier cas, certaines considérations relatives à l’équilibre

contractuel entre les parties, à la réciprocité et à l’épquilibre procédural
découlant de l’égalité juridique des Etats souverains ont, jpusqu’à présent,
prévalu; dans le second, ce sont des considérations ayant trait à l’orpdre

public, à la garantie collective exercée par l’ensemble des Etapts parties et
à la réalisation d’un objectif commun, supérieur aux intéprêts particuliers
des parties contractantes 108, qui l’ont emporté. Aussi est-il difficile de

faire abstraction de la nature et de la teneur d’un traité lorsqu’pon
examine la clause facultative ou les clauses compromissoires qui y sont
insérées.

71. La présente espèce porte sur l’Application de la convention interna -
tionale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination r▯aciale, l’un
des instruments généraux relatifs aux droits de l’homme qui a opuvert la

voie à l’action des Nations Unies en la matière, puisqu’il est même anté -
rieur aux deux pactes de 1966. Adoptée le 21 décembre 1965 et ouverte à
la signature le 7 mars 1966, la CIEdR est entrée en vigueur dès le 4 jan -

vier 1969. A ce stade de la présente espèce, le punctum pruriens judicii est
de bien comprendre la clause compromissoire (énoncée à l’arpticle 22) de
cette convention. A cet égard, je rappellerai que, dans l’exposép de mon
opinion individuelle joint à l’arrêt récemment rendu en l’affaire Ahmadou

107 o
Le proercole n 11 à la convention européenne des droits de l’homme est entrép en
vigueur le 1 novembre 1998. Au sujet de la clause facultative initiale (art. 46) de cette
convention, voir Conseil de l’Europe, Recueil des travaux préparatoires de la convention
européenne des droits de l’homme, vol. Iv, La Haye, Nijhoff, 1977, p. 266-267 ; et vol. v,
La Haye, Nijhoff, 1979, p. 58-59.

108Les deux juridictions internationales relatives aux droits de l’hommep susmention -
nées ont jugé qu’il leur incombait de préserver l’intépgrité de leurs systèmes conventionnels
régionaux respectifs de protection des droits de l’homme dans leurp ensemble. Selon elles,

il serait inadmissible d’assortir l’application des mécanismes pconventionnels de protection
en question de restrictions qui ne seraient pas expressément autorisépes par les conventions
européenne et américaine ou formulées par les Etats parties danps leurs instruments d-accep
tation de la juridiction obligatoire des deux cours (article 62 de la convention américaine et
article 46 de la convention européenne avant l’adoption du protocole n). Non seulement
cela nuirait directement à l’efficacité de ces mécanismes cponventionnels de protection, mais
cela entraverait immanquablement les progrès futurs dans l’applicaption de ces mécanismes.

202 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 2)69

Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo)
(fond, arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 729), j’ai eu l’occasion d’examiner
en détail la question de l’interprétation des traités relatipfs aux droits de
l’homme (par. 82-92), étant donné que les parties à cette affaire avaient
invoqué deux autres instruments de cette nature, à savoir le pacte des
Nations Unies relatif aux droits civils et politiques de 1966 et la Charte

africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981.
72. Les réflexions que j’ai exposées dans cette opinion sont épgalement
pertinentes aux fins de l’examen de cette question en la présente pespèce.
En l’affaire Ahmadou Sadio Diallo, j’ai ainsi indiqué que, selon moi, le
respect des traités relatifs aux droits de l’homme

«déborde le domaine des relations purement interétatiques. En
matière d’interprétation des traités, on est enclin à recpourir en premier
lieu aux dispositions générales des articles 31 à 33 des deux conven -

tions de vienne sur le droit des traités (1969 et 1986 respectivement)
et en particulier aux éléments de l’article 31 concernant le sens ordi -
naire des termes, le contexte et l’objet et le but des traités vispés.

Ce faisant, l’on ne tarde pas à constater que dans la pratique, alpors
que le droit international traditionnel tend de façon marquée vers

une interprétation assez restrictive qui vise à préciser le plups possible
les obligations des Etats parties, le droit international des droits de p
l’homme, en revanche, met nettement l’accent sur l’objet et le pbut du
traité pour garantir une protection effective (effet utile) des droits
garantis, sans pour autant s’écarter de la règle généralep énoncée à
l’article 31 des deux conventions de vienne sur le droit des traités. En

réalité, bien qu’en droit international général les élpéments d’interpré -
tation des traités aient été principalement élaborés en vpue de servir
d’orientations pour l’interprétation des traités par les Etats parties,
les dispositions des traités relatifs aux droits de l’homme exigenpt une
interprétation essentiellement objective des obligations souscrites par

les Etats parties : ces obligations ont pour but de protéger les droits
de l’homme et non d’établir les droits subjectifs et récipropques des
Etats parties.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . . . . . . . . . . . . . .

L’interprétation et l’application des traités relatifs aux dproits de
l’homme ont été effectivement guidées par des considéraptions liées à
l’intérêt général supérieur au à l’ordre public,p qui transcendent les
intérêts individuels des Etats contractants… [C]es traités spe dis -
tinguent des traités du type classique qui intègrent des concessions et

des compromis restrictifs réciproques ; les traités des droits de
l’homme prescrivent au contraire des obligations d’un caractère
essentiellement objectif, mises en œuvre collectivement, et sont dotéps
de mécanismes de suivi propres.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . . . . . . . . . . . . . .

203convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade )70

La jurisprudence convergente [de la Cour européenne des droits de
l’homme et de la Cour interaméricaine des droits de l’homme] dapns
ce domaine a fait naître … l’idée commune que les traitésp relatifs aux
droits de l’homme sont empreints d’un caractère spécial (papr compa-
raison avec les traités multilatéraux du type traditionnel) ; ces traités
sont de caractère normatif et leurs termes doivent être interprétés de

façon autonome; leur application doit viser à ce que soient effective -
ment protégés (effet utile) les droits garantis ; et les restrictions per -
missibles (limitations et dérogations) de l’exercice des droits pgarantis
doivent être interprétées de façon restrictive.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . . . . . . . . . . . . . .

de plus, [elle a] fait avancer l’interprétation autonome des dispospi -
tions des traités relatifs aux droits de l’homme par rapport aux spys -
tèmes juridiques internes des Etats… En outre, les Cours europépenne

et interaméricaine ont adopté une interprétation dynamique ou épvo-
lutive de leurs conventions relatives aux droits de l’homme (la dimepn -
sion temporelle) pour faire face aux besoins changeants en matière
de protection de la personne humaine.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . . . . . . . . . . . . . .

Il existe … une jurisprudence convergente des Cours interaméri -
caine et européenne des droits de l’homme — et d’ailleurs d’autres
organes internationaux de surveillance des droits de l’homme — sur
la question fondamentale de la bonne interprétation des traités rela -

tifs aux droits de l’homme, qui découle naturellement de l’idenptité
déterminante de l’objet et du but de ces traités.
Le droit international général lui-même témoigne du principe (sub-
sumé dans la règle générale d’interprétation de l’aprticle 31 des deux
conventions de vienne sur le droit des traités) selon lequel l’interpréta -
tion vise à donner à un traité les effets appropriés. dans le domaine de

protection qui nous occupe, le droit international a été utilisép pour
améliorer et renforcer — et jamais pour affaiblir ou miner — les garan -
ties des droits de l’homme reconnues (selon le principe pro persona
humana, pro victima). La spécificité du droit international des droits de
l’homme trouve son expression non seulement dans l’interprétatipon

des traités relatifs aux droits de l’homme en général, mais pégalement
dans l’interprétation de dispositions spécifiques de ces traitéps.
Tant la Cour européenne que la Cour interaméricaine des droits
de l’homme ont, à juste titre, établi des limites au volontarispme des
Etats, préservé l’intégrité des conventions relatives auxp droits de
l’homme relevant de leurs domaines respectifs et la primauté des

considérations d’ordre public sur la « volonté» des Etats, fixé des
normes supérieures de comportement des Etats, freiné dans une cer -
taine mesure l’imposition de restrictions indues par les Etats et renp -
forcé de façon rassurante la situation de l’individu en tant qupe sujet
du droit international des droits de l’homme, doté de la pleine cappa-

cité procédurale. En ce qui concerne la base de leur juridiction en

204 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 271

matière contentieuse, on peut trouver des illustrations éloquentesp de
leurs prises de position fermes en faveur de l’intégrité des mépca-
nismes de protection des deux conventions régionales. » (C.I.J.
Recueil 2010 (II), p. 755-759, par. 82-86 et 88-90.)

73. Le rapport entre la nature des traités relatifs aux droits de l’homme
tels que la CIEdR et l’interprétation et l’application des clauses compro -

missoires correspondantes (telles que celle qui est énoncée à pl’article 22 de
la CIEdR) a été examiné en cours d’instance en la présente affpaire rela -
tive à l’Application de la convention internationale sur l’élimination de
toutes les formes de discrimination raciale, opposant la géorgie à la Rus -
sie. Ainsi, à la fin de l’audience publique tenue le 17 septembre 2010, j’ai

jugé utile de poser aux deux parties la question suivante :

«A votre avis, la nature des traités relatifs aux droits de l’hommep
tels que la CIEdR (régissant des relations au niveau intra-étatique)
a-t-elle des conséquences ou une incidence sur l’interprétation et pl’ap -
plication des clauses compromissoires qu’ils contiennent ?
pour préserver l’équilibre linguistique de la Cour, je pose ma qpues -

tion aux deux parties aussi en anglais, l’autre langue officielle de la
Cour :
In your understanding, does the nature of human rights treaties
such as the CERd Convention (regulating relations at intra-State

level) have a bearing or incidence on the interpretation a109applica -
tion of a compromissory clause contained therein ? »

74. dans un louable esprit de coopération procédurale, les parties ont
rapidement répondu à ma question. Ainsi, le demandeur — la géorgie —
a présenté à la Cour la réponse écrite suivante :

«La géorgie reconnaît que, comme de nombreux autres instru -
ments internationaux relatifs aux droits de l’homme, la CIERd régit
les relations entre l’Etat et le citoyen au niveau intra-étatique,

c’est-à-dire les relations entre l’Etat et ses propres nationaux, comme
dans le cas de l’apartheid. (Elle régit aussi les mesures prises ppar un
Etat vis-à-vis de ceux de ses nationaux qui se trouvent dans d’autres
Etats.) A cet égard, depuis la déclaration universelle des droits de
l’homme, le mouvement international en faveur des droits de l’hommpe

traduit une évolution réellement nouvelle en droit international, pune
évolution qui a depuis lors pris racine. Le but des traités multilpatéraux
de ce type était, sur la base des déclarations antérieures, de prendre
l’examen de la situation des droits de l’homme et la mise en œupvre des
prescriptions en la matière plus efficaces au niveau international, py

compris au moyen de mécanismes de règlement des différends.
Comme la Cour l’a reconnu, cette évolution nouvelle pouvait affepc -

109CR 2010/11, du 17 septembre 2010, p. 35-36.

205convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 272

ter l’interprétation d’une clause compromissoire. dans son arrêt de
1996 sur les exceptions préliminaires en l’affaire du Génocide en Bos -
nie, la Cour a mentionné pas moins de trois fois le caractère particu -
lier de la convention sur le génocide en tant qu’instrument univerpsel

relatif aux droits de l’homme pour fonder sa compétence ratione per -
sonae, ratione materiae et ratione temporis au regard de l’article Ix de
la Convention. plus récemment, en relation avec d’autres affaires, on
a relevé que la Cour avait « regardé au-delà de la dimension stricte -
ment interétatique», pour indiquer — à juste titre selon la géorgie —

une conception large des questions juridictionnelles afin de préservepr
les valeurs sur lesquelles repose le traité en cause. Ainsi, parce que les
traités relatifs aux droits de l’homme régissent les relations pentre
l’Etat et ses propres nationaux, une clause compromissoire ne doit
pas être limitée aux questions envisagées par le droit internatpional tra -

ditionnel, par exemple dans le domaine de la protection diplomatique.
Il serait de même incorrect de traiter l’interprétation et l’application
d’un traité relatif aux droits de l’homme comme une question expclusi -
vement limitée à la fonction consultative de l’organe de supervpision en
question — ainsi que la Cour l’a indiqué s’agissant du mandat et du

rôle de la commission permanente des mandats dans l’affaire du
Sud-Ouest africain, deuxième phase. de manière similaire, des protec -
tions du type droits de l’homme peuvent survivre à un changement dpe
souveraineté ou un changement de régime de supervision qui peut

être fatal à des relations interétatiques uniquement bilatérpales.
L’approche géorgienne de l’interprétation de l’article 22 est encore
renforcée par la jurisprudence établie de la Cour en ce qui concerpne
les droits et obligations erga omnes dans l’affaire de la Barcelona
Traction. Il est remarquable que la Cour ait cité comme exemple de

normes erga omnes les droits fondamentaux de la personne humaine,
y compris, expressément, la protection contre la discrimination
raciale, de même que contre la pratique de l’esclavage et le gépnocide.
Les conséquences juridiques des manquements à des obligations erga
omnes ont depuis lors été encore explicitées par la Cour, et incorpop -

rées par la Commission du droit international dans ses articles sur la
responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite, enp parti -
culier les articles 48 et 54, reconnaissant que tous les membres de la
communauté internationale ont un intérêt à invoquer la respopnsabi -
lité de l’Etat pour manquement à des normes erga omnes.

En raison de la nature des traités relatifs aux droits de l’homme,p en
particulier leur caractère non synallagmatique, il convient d’inteprpré -
ter les clauses compromissoires largement, et non de manière étroipte
ou restrictive. dans la présente affaire, c’est là une raison supplémen -
taire de rejeter l’opinion de la Fédération de Russie selon laquelle
110
l’article 22 est subordonné à l’article 11. »

110document gR 2010/19, du 24 septembre 2010, p. 3-4.

206 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 2)73

75. Le défendeur — la Fédération de Russie — a, quant à lui, présenté
la réponse écrite suivante :

«En tant qu’Etat multiethnique, la Fédération de Russie a
conscience du caractère spécifique de la CIEdR au sens où il s’agit
d’un traité qui impose aux Etats membres des obligations qui doivepnt
avant tout être appliquées au niveau intra-étatique, et elle y attache
une grande importance.

Cette spécificité trouve, à bien des égards, son expression pdans le
mécanisme de mise en œuvre et d’exécution tout à fait parpticulier auquel
l’article 22 fait expressément référence. dans le cadre de ce mécanisme,
les Etats parties sont tenus de présenter des rapports, ce qui permetp au
Comité de superviser les pratiques internes des parties contractantesp.

Ce mécanisme instaure également, par la procédure interétatipque
de plainte et de conciliation sous les auspices du Comité prévue apux
articles 11 à 13, une forme de garantie collective du respect de la
Convention par les Etats parties. Cette procédure ne doit faire l’objet

d’aucune acceptation spéciale ; la ratification de la Convention par
un Etat la rend automatiquement applicable, et elle s’impose à toupt
Etat défendeur. Les parties contractantes deviennent ainsi, aux côptés
du Comité, garants de l’exécution de la Convention.

Quant à la procédure de plainte individuelle énoncée à l’particleer4
de la CIEdR (que la Fédération de Russie a acceptée le 1 oc-
tobre 1991), on notera qu’elle souligne le caractère intra-étatique
de la Convention en ce qu’elle permet à des personnes d’agir ellesp-
mêmes contre des parties contractantes lorsqu’elles considèrentp qu’il

y a eu violation de certains droits protégés par la Convention.
L’importance particulière que revêtent les droits individuels
intra-étatiques garantis par la CIEdR se reflète également dans la
pratique du Comité pour l’élimination de la discrimination racipale,
qui a mis en place une procédure d’urgence visant à assurer la ppro -

tection de ces droits lorsqu’ils sont particulièrement menacés.p
La Convention contient par ailleurs un mécanisme de mise en œuvre
plus classique (au regard du droit international général) sous lpa forme
d’un règlement des différends interétatiques devant la Coupr internatio -
nale de Justice en vertu de l’article 22, qu’il faut nécessairement inter-

préter et appliquer en tenant compte des autres procédures de misep en
œuvre qu’elle établit. par conséquent, et ainsi que cela ressort égale -
ment des termes exprès employés dans cette disposition, les droitsp visés
à l’article 22 n’entrent en jeu que lorsqu’une question qui s’est fait jourp
en vertu de la CIEdR s’est cristallisée en un différend interétatique et

lorsque, de surcroît, les parties à ce différend n’ont pasp été en mesure
de le régler par des négociations interétatiques et par les procédures
énoncées aux articles 11 à 13 de la Convention.
En outre, ainsi que cela résulte conjointement de l’objet de la
CIEdR et de ses dimensions intra- et interétatique, les obligations

207 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 2)74

qu’elle établit ont un caractère erga omnes. Cela a également une
incidence sur l’interprétation et l’application de l’articlep 22 et des

procédures expressément prévues dans la Convention auxquelles cet
article fait référence. Ainsi que la Fédération de Russie l’a indiqué
dans ses exceptions préliminaires, «[l]e caractère erga omnes des obli -
gations y énoncées [dans la CIEdR] ressort des procédures prévues
dans la Convention pour régler les litiges entre Etats, qui impliquenpt

les autres parties contractantes ».
Cette interprétation de l’article 22 de la CIEdR tient pleinement
compte du caractère intra-étatique qui fait la spécificité de cette conven -
tion en ce qu’elle vise à protéger les droits de l’homme indpividuel» s.11

76. Ces réponses ont été suivies par un tour d’observations écrites des

deux parties. Ainsi, dans ses observations sur la réponse écrite de la Fpédé -
ration de Russie à ma question, la géorgie a indiqué ce qui suit :

«Lagéorgie relève que dans sa réponse écrite la Russie ne répond pas
directement à la question posée par m. le juge Cançado Trindade. Elle
fait observer qu’il n’y a rien dans la réponse de la Russie quip contredise
ou affaiblisse sa propre réponse à la question, à savoir que, [«e]n raison

de la nature des traités relatifs aux droits de l’homme, en particpulier leur
caractère non synallagmatique, il convient d’interpréter les clpauses com -
promissoires largement, et non de manière étroite ou restrictiv» e.
La Russie reconnaît au contraire dans sa réponse que les obliga -
tions imposées par la Convention ne doivent pas être exécutépes exclu -

sivement au niveau intra-étatique, que la Convention adopte « une
forme de garantie collective du respect » de ses dispositions et que
«les obligations qu’elle établit ont un caractère erga omnes ».
Ce faisant, la Russie reconnaît que la Convention a été conçue p

comme un instrument efficace pour éliminer le fléau de la discrpimina -
tion raciale (y compris ethnique) sous toutes ses formes. A cet égaprd,
elle étaye la position de la géorgie en ce qui concerne l’interprétation
de l’article 22. La saisine de la Cour en vertu de cet article est un des

principaux moyens pour les Etats de donner effet aux dispositions de
la Convention contre d’autres Etats, et de rendre ainsi la Conventionp
plus efficace. Lire, dans les dispositions de l’article 22, des conditions
préalables à la saisine de la Cour, à l’encontre du sens ordinaire du

texte, comme le propose la Russie, serait contraire à l’objet et apu but
de la Convention: cela reviendrait à rendre l’accès à la Cour, à toutes
fins utiles, impossible, et réduirait le rôle assigné à la Cpour, à savoir
celui d’un moyen de faire exécuter en temps voulu les obligations
112
erga omnes énoncées dans la Convention. »
77. La Fédération de Russie a, pour sa part, présenté les observpations

suivantes sur la réponse écrite de la géorgie à ma question :

111gR 2010/20, du 24 septembre 2010, p. 4-5.
112gR 2010/21, du 1eroctobre 2010, p. 2-3.

208convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade )75

«Ainsi qu’exposé plus avant dans sa propre réponse à la questpion
posée par le juge Cançado Trindade, la Fédération de Russie recon -
naît pleinement le caractère erga omnes des droits protégés par les
traités relatifs aux droits de l’homme, dont la CIEdR fait partie.
S’agissant de l’interprétation des clauses compromissoires contpenues
dans ces traités, la Fédération de Russie reconnaît de mêpme que celles-ci

revêtent un caractère spécial, en ce sens que n’importe quelp Etat partie
peut traduire un autre Etat partie devant la Cour pour violation des
obligations énoncées dans un tel instrument. Cela ne signifie pas ppour
autant que les conditions préalables à la compétence qui sont spécifique -
ment établies dans la clause compromissoire concernée puissent êptre
contournées ou que, pour interpréter cette clause, il faille l’isoler com -

plètement du contexte pertinent, qui peut (comme ici) lui associer certains
mécanismes de règlement des différends prévus au sein du traité lui-même.
Comme la Cour a déjà eu l’occasion de le souligner :

« « l’opposabilitéerga omnes d’une norme et la règle du consente -
ment à la juridiction sont deux choses différentes » (Timor oriental
(Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 102, par. 29),
et … le seul fait que des droits et obligations erga omnes seraient

en cause dans un différend ne saurait donner compétence à la p
Cour pour connaître de ce différend.
Il en va de même quant aux rapports entre les normes impéra -
tives du droit international général (jus cogens) et l’établissement
de la compétence de la Cour : le fait qu’un différend porte sur le
respect d’une norme possédant un tel caractère, ce qui est assupré -

ment le cas de l’interdiction du génocide, ne saurait en lui-même
fonder la compétence de la Cour pour en connaître. En vertu du
Statut de la Cour, cette compétence est toujours fondée sur le
consentement des parties.
Comme elle l’a rappelé dans son ordonnance du 10 juillet 2002, la
Cour n’a de juridiction à l’égard des Etats que dans la mesupre où

ceux-ci y ont consenti (Activités armées sur le territoire du Congo (nou
velle requête :2002) (République démocratique du Congo c. Rwanda),
mesures conservatoires, ordonnance du 10 juillet 2002, C.I.J. Recueil
2002, p. 241, par. 57). Lorsque sa compétence est prévue dans une
clause compromissoire contenue dans un traité, cette compétence

n’existe qu’à l’égard des parties au traité qui sont lpiées par ladite
clause, dans les limites stipulées par celle-ci (ibi, . 245, par. 71). »
Cela vaut également dans le cas de la CIEdR. violer ce principe

fondamental ne servirait ni la sauvegarde des droits protégés par la
CIEdR ni, plus généralement, les intérêts de la justice internatpionale.

dans la présente affaire, l’article 22 de la CIEdR assure le juste
équilibre recherché entre la compétence (obligatoire) de la Cpour
d’une part et, de l’autre, le mécanisme (préliminaire) de pconciliation

obligatoire entre Etats, via le Comité pour l’élimination de lap discri -

209 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 276

mination raciale créé par la Convention. Cela reflète aussi l’équilibre
à atteindre entre le grand nombre d’Etats susceptibles de saisir lpa
Cour en vertu de l’article 22 (étant donné le caractère erga omnes des

obligations prévues dans la Convention) et l’intérêt des Etpats défen -
deurs à n’ester devant elle qu’une fois que le différend sp’est cristallisé
et que les tentatives de règlement requises ont échoué.
C’est au Comité pour l’élimination de la discrimination racipale
qu’il incombe au premier chef de mettre en œuvre les dispositions de

la CIEdR et d’en surveiller l’exécution, notamment en réglant les
différends éventuels entre les Etats parties. Le fait que la Conpvention
ménage une possibilité de saisir la Cour ne doit pas être interprété
d’une manière portant atteinte aux fonctions essentielles du Comitpé.

Réduire le rôle du Comité pour l’élimination de la discripmination
raciale ne serait certainement pas conforme aux intentions des rédac -
teurs de la CIEdR, et ne contribuerait pas davantage à préserver la
spécificité des traités relatifs aux droits de l’homme en gépnéral et de
la CIEdR en particulier. » 113

78. Il ressort de ce qui précède que les parties à la présente affaire relative

à l’Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les
formes de discrimination raciale ont elles-mêmes dûment pris en compte la
nature du traité relatif aux droits de l’homme en cause, à savopir la CIEdR,
tirant cependant des conséquences différentes de leurs argumentaptions res -
pectives. Il est en effet tout simplement impossible de faire abstractpion de la

nature et de la teneur d’un traité relatif aux droits de l’hommpe lorsqu’on
examine la clause compromissoire qui y est énoncée. La règle gépnérale d’in -
terprétation des traités (l’article 31 des deux conventions de vienne sur le
droit des traités de 1969 et de 1986) contient les éléments que la Cour doit

prendre en compte (voir ci-dessous), l’un d’entre eux — l’objet et le but du
traité — devant se voir accorder suffisamment de poids pour garantir que lep
traité en question produira ses effets appropriés, c’est-à-dire rendre cet ins -
trument réellement effectif (voir ci-dessous) en gardant à l’esprit que des
valeurs supérieures et les droits de l’homme fondamentaux sont en pjeu.

vI. Le principe Ut res magis Valeat QUam Pereat

79. La règle générale d’interprétation susmentionnée (voipr par. 66,
ci-dessus), contenue dans le paragraphe 1 de l’article 31 des deux conven -
tions de vienne sur le droit des traités (de 1969 et 1986), repose sur le
principe ut res magis valeat quam pereat, qui correspond au principe dit
de l’effet utile. En vertu de ce principe, largement étayé papr la jurispru -

dence, les Etats parties à des instruments relatifs aux droits de l’phomme
doivent veiller à ce que les dispositions conventionnelles aient les effets
voulus sur leurs ordres juridiques internes respectifs. Ce principe, comme

113document gR 2010/22, du 1 eroctobre 2010, p. 3-4.

210 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 2)77

je l’ai déjà relevé (par. 68, ci-dessus), s’applique non seulement aux normes

de fond des instruments relatifs aux droits de l’homme (autrement dit à p
celles qui concernent les droits protégés), mais aussi aux normesp de procé-
dure, en particulier celles ayant trait au droit de recours individuel et àp

l’acceptation de la compétence obligatoire des organes judiciairesp inter-
nationaux de protection dans les affaires contentieuses. Ces normes
conventionnelles, qui sont essentielles pour assurer l’efficacitép du système
de protection international, devraient être interprétées et appliquées de p

sorte à donner une utilité pratique réelle aux garanties qu’pelles énoncent,
compte tenu du caractère ou de la nature particulière des instrumepnts
relatifs aux droits de l’homme et de leur application collective. Telple a été,

comme je l’ai déjà dit (par. 72, ci-dessus), la démarche suivie par la Cour
européenne des droits de l’homme et la Cour interaméricaine desp droits
de l’homme.
80. permettez-moi à ce stade de rappeler quelques exemples d’affaires

concrètes dans lesquelles et la Cour européenne des droits de l’phomme
(CEdH) et la Cour interaméricaine des droits de l’homme (CIdH) ont eu
l’occasion de se prononcer en ce sens. dans son arrêt sur les exceptions pré -

liminaires (du 23 mars 1995) en l’affaire Loizidou c. Turquie, par exemple, la
Cour européenne des droits de l’homme fait observer que la lettre et l’esprit
de la convention européenne ne permettent pas de conclure à l’epxistence de
restrictions à la clause facultative relative à la reconnaissance pde la juridic -
114
tion contentieuse de la Cour . dans le domaine de la protection internati-o
nale des droits de l’homme, il n’existe pas de limitations « implicites» à
l’exercice des droits protégés; et les limites énoncées dans les traités de pro -

tection devraient être interprétées de manière restrictive. pLa clause facult-a
tive de compétence obligatoire des cours internationales des droits dpe
l’homme n’admet pas de limitations autres que celles qui sont exprpessément
énoncées dans les instruments considérés. Et, comme l’a épgalement relevé la

CIdH, elle ne saurait être à la merci de limites qui n’y sont pas prévues
et que les Etats parties invoquent en raison de problèmes d’ordre intperne 115.
81. La clause relative à la compétence obligatoire des cours internatio -

nales des droits de l’homme est, à mon avis, un élément fondamental(cláu-
sula pétrea) de la protection internationale de l’être humain, qui n’admet
d’autres restrictions que celles expressément prévues dans les instruments

114 er
Article 46 de la convention européenne, avant l’entrée en vigueur, le 1 no-
vembre 1998, du protocole 11 y relatif. de plus, la Cour a relevé le contexte fonda-
mentalement différent dans lequel les cours internationales opèrpent, la Cour internationale
de Justice étant « une cour internationale séparée, sans lien avec un instrument normatif
comme la convention » ; voir Cour européenne des droits de l’homme, affaire Loizidou
c. Turquie (exceptions préliminaires), Strasbourg, C.E., arrêt du 23 mars 1995, p. 25,
par. 82, et p. 22, par. 68. Sur le caractère généralisé des obligations conventionneplles des
Etats parties, voir aussi les obiter dicta de la Cour dans sa décision antérieure, en l’affaire
Belilos c. Suisse (1988).
115voir CIdH, affaire Castillo Petruzzi et autres c. Pérou (exceptions préliminaires),
arrêt du 4 septembre 1998, série C n1, opinion individuelle du juge A. A. Cançado Trin-

dade, par. 36 et 38.

211 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade )78

de protection des droits de l’homme considérés. La Cour interamépricaine

des droits de l’homme l’a établi dans ses arrêts (compétpence) sur la Cour
constitutionnelle et Ivcher Bronstein c. Pérou (du 24 septembre 1999) 11.
Le laisser-faire que représente l’insertion de limitations, qui ne sont pas

prévues dans les instruments relatifs aux droits de l’homme, dans pun
instrument d’acceptation d’une clause facultative de compétencep obliga -
117
toire représente une distorsion historique regrettable de la concep-
tion originale de pareille clause, qui est à mon sens inacceptable dans le
domaine de la protection internationale des droits de l’être humaipn.

82. Toute autre interprétation ne permettrait pas de garantir que l’inps -
trument de protection des droits de l’homme en question a l’effept utile

voulu dans le droit interne de chaque Etat partie. La décision de la pCIdH
en l’affaire Hilaire c. Trinité-et-Tobago (exceptions préliminaires, arrêt du
1er septembre 2001) était claire : les modalités d’acceptation, par un Etat

partie à la convention américaine relative aux droits de l’hommpe, de la
juridiction contentieuse de la Cour sont expressément énoncées paux para -
118
graphes 1 et 2 de l’article 62 ; elles ne sont pas données à titre purement
indicatif, mais sont au contraire très précises 119, et elles n’autorisent les
Etats parties à ajouter aucune autre condition ou restriction (numerus

clausus).

116 CIdH, affaire de la Cour constitutionnelle (compétence), arrêt du 24 septembre 1999,
o
série C n 55, p. 44, par. 35o; CIdH, affaire Ivcher Bronstein (compétence), arrêt du
24 septembre 1999, série C n 54, p. 39, par. 36.
117 par exemple, la pratique des Etats en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut
de la Cour internationale de Justice (ci-dessus).
118 Aux termes des paragraphes 1 et 2 de l’article 62 de la convention américaine rela -
tive aux droits de l’homme :

«Tout Etat partie peut, au moment du dépôt de son instrument de ratpification ou
d’adhésion à la présente convention, ou à tout autre momepnt ultérieur, déclarer qu’il

reconnaît comme obligatoire, de plein droit et sans convention spépciale, la compétence
de la Cour pour connaître de toutes les espèces relatives à l’pinterprétation ou à l-appli
cation de la convention.
La déclaration peut être faite inconditionnellement, ou sous condiption de récipro -
cité, ou pour une durée déterminée, ou à l’occasion d’espèces données. Elle devra être
présentée au secrétaire général de l’Organisation, leqpuel en donnera copie aux autres

Etats membres de l’Organisation et au greffier de la Cour. »
Ainsi, en vertu du paragraphe 2 de l’article 62 de la convention, un Etat partie peut

accepter la juridiction contentieuse de la CIdH selon quatre modalités, à savoir : a) incon-
ditionnellement ; b) sous condition de réciprocité ; c) pour une durée déterminée ; d) à
l’occasion d’espèces données. Telles sont les seules modalités d’acceptation de la juridi-
tion contentieuse de la Cour prévues et autorisées par le paragrapphe 2 de l’article 62 de la
convention.
119 En vertu du paragraphe 2 de l’article 62 de la convention, un Etat partie peut

accepter la juridiction contentieuse de la Cour selon quatre modalitéps, à savoir :a) incon-
ditionnellement ; b) sous condition de réciprocité ; c) pour une durée déterminée ; d) à
l’occasion d’espèces données. Telles sont les seules modalitpés d’acceptation de la juridic -
tion contentieuse de la Cour prévues et autorisées par le paragrapphe 2 de l’article 62 de la
convention, qui ne permet pas aux Etats parties d’ajouter toute autre condition ou restric
tion (numerus clausus).

212 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 279

83. dans mon opinion individuelle en l’affaire susmentionnée Hilaire

c. Trinité-et-Tobago, j’ai jugé bon de relever ce qui suit :
«A ce sujet, on ne peut faire valoir que ce qui n’est pas prohibé epst

autorisé. Ce serait le laisser-faire, laisser-passer, attitude tradition -
nelle et dépassée caractéristique d’un ordre juridique interpnational
fragmenté par le subjectivisme volontariste des Etats qui, dans l’phis -

toire du droit, a inévitablement favorisé ees plus puissants. Ubi socie -
tas, ibi jus… En ce début du xxI siècle, dans un ordre juridique
international où l’on s’efforce d’affirmer des valeurs communes supé -
rieures, au milieu de considérations d’ordre public international,p

comme dans le domaine du droit international des droits de l’homme,
c’est précisément la logique opposée qui devrait s’appliqpuer : ce qui
n’est pas autorisé est prohibé.
Si nous voulons véritablement tirer les leçons du droit internatiop -
e
nal pendant cette période turbulente que fut le xx siècle … nous ne
pouvons accepter une pratique internationale soumise au volonta -
risme des Etats, qui a trahi l’esprit et le but de la clause facultatpive
de compétence obligatoire, au point de la dénaturer entièrement

— et qui a perpétué la fragmentation du monde en unités étatiqpues
qui se considèrent comme les arbitres finals de la portée des oblipga -
tions internationales contractées tout en ne semblant pas croire

véritablement en ce qu’elles ont accepté : la justice internationale. »
(par. 24-25.)

84. pour tenir compte des trois éléments composant la règle générale
d’interprétation de bonne foi des traités — texte pris dans son sens ordi -
naire, dans son contexte et à la lumière de son objet et de son bupt — éno- n

cés au paragraphe 1 de l’article 31 des deux conventions de vienne sur
le droit des traités (de 1969 et 1986), il faut aussi tenir compte de la nature
du traité dans lequel figure cette clause (facultative ou compromisspoire) de
compétence obligatoire. Cela correspond au « contexte», à savoir au

deuxième élément de la règle générale d’interprétation des traités énoncé
à l’article 31 des deux conventions de vienne sur le droit des traités 120.

120En l’affaire Hilaire c. Trinité-et-Tobago (ci-dessus), la CIdH en avait dûment
tenu compte, en soulignant le caractère particulier des instruments rpelatifs aux droits de
l’homme (par. 94-97). de même, elle a toujours gardé à l’esprit le troisième élément de
cette règle générale d’interprétation, à savoir « l’objet et le but » du traité en question, la
convention américaine relative aux droits de l’homme (par. 82-83 et 88). Comme j’ai jugé

bon de le relever à ce propos dans mon opinion individuelle en l’apffaire Blake c. Guatemala
(réparations, 1999) portée devant la CIdH :
«dans la mesure où des instruments relatifs aux droits de l’homme sopnt concernés,
il faut toujours avoir présent à l’esprit le caractère objecptif des obligations qui y sont
énoncées, le sens autonome (par rapport au droit interne des Etatps) des termes de
ces instruments, la garantie collective qui les sous-tend, la large portée des o-liga
tions de protection et l’interprétation restrictive des limitationps possibles. Ensemble,

ces éléments maintiennent l’intégrité des instruments relpatifs aux droits de l’homme,
en visant la réalisation de leur objet et de leur but et, en consépquence, en mettant des
limites au volontarisme des Etats. » (par. 32-33.)

213 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade )80

85. La CIdH, par ses arrêts sur les exceptions préliminaires dans les
affaires Hilaire, Benjamin et Constantine, ainsi que ses arrêts antérieurs
sur la compétence dans les affaires de la Cour constitutionnelle et Ivcher

Bronstein, a sauvegardé l’intégrité de la convention américaine relative
aux droits de l’homme, est restée maîtresse de sa propre juridipction et a
agi conformément aux hautes responsabilités que lui confère cetpte conven -
121
tion . La CEdH a fait de même par son arrêt susmentionné sur les
objections préliminaires en l’affaire Loizidou c. Turquie, dans la mesure
où la convention européenne des droits de l’homme est concernépe. dans

leurs jurisprudences convergentes sur la question à l’examen, ces deux
cours ont donc apporté une précieuse contribution au renforcement pde la
juridiction internationale et à la réalisation du vieil idéal dpe justice inter -
122
nationale . Elles ont en outre contribué à la création d’un ordre publpic
international fondé sur le respect des droits de l’homme en toutes circons -
tances.

86. En résolvant avec discernement des questions juridictionnelles fon -
damentales soulevées dans les affaires susmentionnées, la CEdH et la
CIdH ont fait bon usage des techniques du droit international public

pour renforcer leurs compétences respectives en matière de protection des
droits de la personne humaine. Elles ont sauvegardé de manière décisive
l’intégrité des mécanismes de protection des conventions amépricaine et

européenne des droits de l’homme. Elles ont contribué à développer et à
établir l’aptitude du droit international à réglementer effipcacement des

121dans son arrêt en l’affaire Hilaire c. Trinité-et-Tobago, la CIdH a fait observer à
juste titre que, si les restrictions apportées à l’instrument dp’acceptation de sa juridiction
contentieuse étaient acceptées, dans les termes proposés par l’pEtat défendeur dans le cas
d’espèce, restrictions qui ne sont pas expressément prévues pà l’article 62 de la convention

américaine, il en résulterait une situation dans laquelle « le premier paramètre de référence
serait la Constitution de l’Etat et, subsidiairement seulement, la convention américaine »,
ce qui conduirait à « une fragmentation de l’ordre juridique international dans le domaine p
de la protection des droits de l’homme et rendrait illusoires l’obpjet et le but de la conven -
tion » (par. 93).
Comme je l’ai conclu dans ma propre opinion individuelle en l’affpaire Hilaire c. Trinité-
et-Tobago,

«Le moment est venu d’envisager, en particulier dans un futur protocolpe portant
modification des dispositions procédurales de la convention américpaine relative aux
droits de l’homme en vue d’en renforcer le mécanisme de protectpion, la possibilité d’un
amendement à l’article 62 visant à rendre cette clause également obligatoire, confor -
mément à son caractère de clause fondamentale (cláusula pétrea), établissant ainsi

l’automatisme de la juridiction de la Cour interaméricaine des droits de l’hommpe. Il est
urgent que le vieil idéal de compétence internationale obligatoirep permanente devienne
réalité sur le continent américain aussi, dans ce domaine de prpotection, avec les ajus-
tements nécessaires pour tenir compte de la réalité des droits pde l’homme dans cette
région et répondre à la nécessité croissante d’assurerp une protection efficace à l’être
humain. » (par. 39.)

122A. A. Cançado Trindade, Tratado de Direito Internacional dos Direitos Humanos,
vol. III, porto Alegre/Brésil, S.A. Fabris Ed., 2003, chap. xv-xvI, p. 60-83 et 147-168.

214 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 281

relations qui ont leur propre spécificité — au niveau intra-étatique plutôt
qu’interétatique. L’unité et l’efficacité du droit pupblic international peuvent

se mesurer précisément à son aptitude à réglementer les rpelations juri -
diques avec la même justesse dans des contextes différents.
87. Lorsqu’il s’agit des instruments relatifs aux droits de l’hommep, la
nécessité de porter attention au respect du principe ut res magis valeat
quam pereat semble particulièrement impérieuse pour assurer la protec -

tion efficace des droits garantis dans l’instrument considéré.p Cela vaut
pour la CIEdR, comme dans le cas d’espèce dont la Cour est saisie, de
même que pour tous les autres traités relatifs aux droits de l’phomme.
Sinon, leur objet et leur but ne seraient pas réalisés, ce qui aurpait des

conséquences néfastes pour la protection de la personne humaine,
domaine dans lequel des considérations d’ordre supérieur (ordrpe public
international) priment le volontarisme des Etats. Lorsque nous abordonsp
la terra nova du règlement des différends relatifs aux droits de l’homme

dans le cadre des contentieux classiques entre Etats, nous ne pouvons
perdre de vue que, ce faisant, nous passons résolument du jus dispositivum
au jus cogens 12.

vII. La clause compromisspoire (art.22) de la convention
des Nations Unies sur l’éliminatipon de toutes les formpes
de discrimination rapciale (CIEdR): éléments en permettapnt
l’interprétation et pl’application en bonnpe et due forme

88. A la lumière de ce qui précède, je m’intéresserai maintenpant à la
clause compromissoire de la CIEdR. Aux termes de l’article 22 de la
Convention :

«Tout différend entre deux ou plusieurs Etats parties touchant
l’interprétation ou l’application de la présente Convention qui n’aura

pas été réglé par voie de négociation ou au moyen des propcédures
expressément prévues par ladite Convention sera porté, à la prequête
de toute partie au différend, devant la Cour internationale de Justpice
pour qu’elle statue à son sujet, à moins que les parties au diffpérend ne
conviennent d’un autre mode de règlement. »

89. dans le présent arrêt (par. 140), la majorité des membres de la

Cour donne une interprétation particulièrement stricte et rigide dpe la
clause compromissoire : l’article 22 de la Convention subordonnerait la
compétence de la Cour aux procédures énoncées dans la Convenption
elle-même (partie II, art. 11-12), ainsi qu’à la tenue de négociations préa -

123
voir à ce propos mon intervention, le 12 mars 1986, dans le débat de la co-fé
rence de vienne sur le droit des traités entre Etats et organisations internatiponales ou entre
organisations internationales : Nations Unies, Conférence des Nations Unies sur le droit
des traités entre Etats et organisations internationales ou entre org▯anisations internationales
(Vienne, 1986), documents officiels, vol. I, New york, Nations Unies, 1995, p. 187-188 du
texte anglais (intervention de A. A. Cançado Trindade).

215 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 2)82

lables, comme « conditions préalables » devant être remplies par un Etat
partie avant toute saisine. Cette interprétation vise à établirp des « condi-
tions préalables » rigides rendant l’accès à la Cour particulièrement diffip-

cile. Contrairement à ce que la majorité des membres de la Cour tepnte de
faire valoir, elle n’est à mon avis aucunement étayée, ni par la jurispru -
dence constante de la Cour elle-même, ni par la genèse de la CIEdR, et
elle est contradictoire avec la décision récente de la Cour elle-même dans
son ordonnance du 15 octobre 2008 en la présente affaire, concernant

l’Application de la convention internationale sur l’élimination de t▯outes les
formes de discrimination raciale (voir ci-dessous).
90. Il y a soixante ans, dans son avis consultatif sur la Compétence de
l’Assemblée générale pour l’admission d’un Etat aux Na▯tions Unies (du

3 mars 1950), la présente Cour a jugé nécessaire de rappeler que :
«le premier devoir d’un tribunal, appelé à interpréter et àp appliquer

les dispositions d’un traité, est de s’efforcer de donner effet, selon
leurs sens naturel et ordinaire, à ces dispositions prises dans leur
contexte » 12.

Si les mots, lorsqu’on leur attribuait leur signification naturelle ept ordi-
naire, étaient équivoques ou conduisaient à des résultats dépraisonnables
— ajoutait la Cour —, c’était alors, et alors seulement, que la Cour devait

rechercher « par d’autres méthodes d’interprétation ce que les parties
avaient en réalité dans l’esprit quand elles se sont servies deps mots dont il
s’agissait »125.
91. A mon avis, les circonstances de la présente affaire n’exigent ppas
pareille procédure, mais, étant donné l’importance du princippe ut res

magis valeat quam pereat (section vI, ci-dessus) et les rapports de la clause
compromissoire énoncée à l’article 22 avec la nature et le fond de la
CIEdR (section v, ci-dessus), j’en userai quand même afin d’asseoir plus
solidement mon opinion dissidente, car, à mon avis, ni le sens ordinapire

de l’article 22 ni ses travaux préparatoires n’étayent les vues de la majo -
rité des membres de la Cour dans le présent arrêt.

1. Sens ordinaire de l’article 22 de la CIEDR

92. La position majoritaire quant au sens ordinaire de l’article 22 de la
CIEdR, exprimée dans l’ordonnance du 15 novembre 2008 en la présente
affaire, et qui reposait sur la règle générale d’interpréptation énoncée au
paragraphe 1 de l’article 31 de la convention de vienne de 1969 sur le

droit des traités, était très claire. voici ce que disait la Cour :
«la formule « [t]out différend … qui n’aura pas été réglé par voie de

négociation ou au moyen des procédures expressément prévues » par

124C.I.J. Recueil 1950, p. 8 (les italiques sont de moi).
125Ibid., p. 8.

216 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 283

la Convention, prise dans son sens naturel, ne donne pas à penser
que la tenue de négociations formelles au titre de la Convention ou
le recours aux procédures visées à l’article 22 constituent des condi -
tions préalables auxquelles il doit être satisfait avant toute saipsine de
la Cour» (C.I.J. Recueil 2008, p. 388, par. 114).

Le sens naturel du texte de l’article 22 de la Convention, comme la Cour
le reconnaît elle-même, est encore confirmé par le contexte, ainsi que par

l’objet et le but de la CIEdR. Il est en outre en harmonie avec la jurispru -
dence constante de la Cour sur la question. pour des raisons qui échappent
à mon entendement, la majorité de la Cour est revenue sur sa positpion
dans le présent arrêt et en a adopté une autre qui lui est diampétralement
opposée (voir point 3 ci-dessous, par. 110-118).

93. En effet, l’article 22 se trouve dans la partie III de la Convention,
qui traite du règlement des différends touchant l’interpréptation et l’appli -
cation de la Convention dans son ensemble. L’article 11, qui se trouve
dans la partie II, établit une procédure de plainte spéciale qui n’est pas
obligatoire. Si l’article 22 figure dans une partie de la Convention dis -
tincte de celle qui régit le fonctionnement du Comité (partie II), ce n’est

donc pas le fait du hasard et ne devrait pas passer inaperçu. Une brèpve
analyse de la procédure de plainte spéciale énoncée à l’particle 11 de la
CIEdR montre que l’article 22 ne doit pas être interprété comme exi -
geant l’« épuisement» préalable des procédures prévues aux articles 11
et 12 de la Convention, en tant que « condition préalable » à la compé -

tence de la Cour.
94. On se souvient peut-être que le paragraphe 1 de l’article 11 de la
CIEdR établit une procédure distincte permettant à un Etat partie d’ap -
peler l’attention du Comité pour l’élimination de la discrimpination raciale
sur les actes ou omissions d’un autre Etat partie. Il est dit dans cept article
qu’un Etat partie « peut» appeler l’attention du Comité (et non qu’il

appelle l’attention du Comité) s’il le souhaite ; cela montre bien que l’Etat
partie n’est pas dans l’obligation d’avoir recours à cette pprocédure à des
fins ultérieures. Le texte n’a rien d’impératif, et ce n’pest pas là la seule
indication dans ce sens.
95. de plus, il est intéressant de noter que, en son paragraphe 2, l’ar

ticle 11 de la Convention, qui traite du droit de soumettre à nouveau la
question au Comité « si [elle] n’est pas réglée », énonce deux conditions de
procédure, à savoir : a) ce droit doit être exercé dans un délai de six mois
à compter de la date de réception de la communication originale dup
Comité par l’Etat destinataire ; et b) le Comité doit avoir déterminé que
la question n’est pas réglée à la satisfaction des deux Etatps, par voie de

négociations bilatérales ou par toute autre procédure qui seraipt à leur dis -
position. Si ces deux conditions n’ont pas été réunies, l’pEtat concerné ne
peut saisir à nouveau le Comité de la question.
96. Cela confirme que, lorsque les rédacteurs de la CIEdR ont jugé
nécessaire d’élaborer une condition de procédure, ils l’opnt manifestement

fait sans laisser la moindre place à une autre interprétation ou apu doute.

217 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 284

puisqu’une condition de cette nature n’a pas été clairement épnoncée, elle
ne saurait résulter d’une déduction, étant donné qu’elple ne serait pas

conforme à la nature et au fond de la Convention, instrument des droipts
de l’homme orienté vers les victimes, et qu’elle empêcheraitp manifeste -
ment la réalisation de son objet et de son but. Cela montre bien le spens

ordinaire de l’article 22 de la CIEdR.

2. Travaux préparatoires de l’article 22 de la CIEDR

97. La CIEdR a été rédigée en relativement peu de temps (1964-1965),
grâce à la collaboration de l’ex-sous-commission de la lutte contre les

mesures discriminatoires et de la protection des minorités, l’ex-Commis -
sion des droits de l’homme et la Troisième Commission de l’Assemblée

générale. dès le début des débats à la sous-commission, la principale
mesure envisagée par les rédacteurs dans le domaine essentiel de lpa mise
en œuvre fut une disposition prévoyant l’établissement de rappports.

Le projet de convention offrait un choix supplémentaire aux Etats partpies,
à savoir la création d’un comité d’enquête et de concipliation chargé d’aider
les Etats parties intéressés à régler à l’amiable les différends tou-
126
chant l’interprétation ou l’application de la Convention . Ces moyens
de règlement à l’amiable mis à la disposition des Etats parties étaient
d’autres mesures d’application qui «renforceraient l’efficacité du projet de
127
convention » .

98. La Commission des droits de l’homme n’a pas débattu des mesuresp
d’application 128. des débats ont alors eu lieu à la Troisième Commission
de l’Assemblée générale, qui portaient essentiellement sur dpes mesures

d’application novatrices, et plus particulièrement sur le droit dep recours
individuel, l’une des questions les plus discutées dans tout l’pexamen

126 Cette proposition venait du représentant des philippines (m. Inglés), à la 427 séance
de la sous-commission. Considérant que le règlement des différends relatpifs aux droits de
l’homme ne se prêtait pas toujours à une procédure strictemepnt judiciaire (mécanisme de

rapports), et pour faciliter l’application de la Convention, celui-ci a proposé la pos-ibi
lité d’un règlement à l’amiable des différends (compité de conciliation) comme autre moyen
d’application ; voir Nations Unies, doc. E/CN.4/Sub.2/SR.427, p. 12-14 ; Nations Unies,
Conseil économique et social, Projet de convention internationale sur l’élimination de toutes
les formes de discrimination raciale — Mesures proposées de mise e▯n œuvre (m. Inglés),
Nations Unies, doc. E/CN.4/Sub.2/L.321 du 17 janvier 1964, p. 1.
127 Nations Unies, Commission des droits de l’homme, Rapport sur les travaux de

la vingtième session (17 février-18 mars 1964), Conseiloéconomique et social, Docu -
ments officiels — trente-septième session, supplément n 8, doc. E/3873, p. 10 (du texte
anglais), par. 18 ; Nations Unies, sous-commission de la lutte contre les mesures discri
minatoires et de la protection des minorités, Rapport sur les travaux de la seizième session
(13-31 janvier 1964), Nations Unies, doc. E/CN.4/873, p. 51-57 (du texte anglais).
128 voir Nations Unies, Commission des droits de l’homme, Rapport sur les travaux
de la vingtième session (17 février-18 mars 1964), Conseil économique et social, Docu-
o
ments officiels — trente-septième session, supplément n8, doc. E/3873, p. 66-67 (du texte
anglais).

218 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade )85

de la Convention. Les comptes rendus de la Troisième Commission ne

contiennent aucune référence aux conditions dans lesquelles la Coupr
devrait exercer sa compétence ou à leurs rapports avec les procépdures spé -
ciales énoncées dans la CIEdR. La seule question examinée a été celle de

savoir si les Etats pouvaient adhérer unilatéralement à la Cour (proposi -
tion des philippines 129et interventions des représentants du Canada 130,
131 132
de l’Italie et de la Belgique ), ou si le consentement commun des
Etats concernés était nécessaire pour saisir la Cour de difféprends touchant
à la Convention (proposition du ghana 133et amendement de la pologne 134
135 136 137
appuyé par l’Ukraine , l’URSS et la Tanzanie ).
99. Le bureau de la Troisième Commission présenta un projet de

clause vIII sur le règlement des différends (parmi les clauses finales pdu
projet de convention) le 15 octobre 1965 138et, finalement, la Troisième
Commission examina aussi un « amendement des trois puissances » pré -

senté par le ghana, la mauritanie et les philippines, concernant les procé-
dures énoncées dans le projet de convention 139 (tel que présenté par le
140
ghana) . Les délégués et les rédacteurs du texte semblaient se prépoccu-
per surtout des mesures d’application déjà prévues dans le pprojet de
convention, et non du rôle de la Cour et des conditions de sa saisinep. Ces

dernières propositions furent adoptées sans qu’il y ait eu de dpiscussion
approfondie à leur sujet.

100. Les Etats n’ont pas consacré toute l’attention voulue à ces der -
nières propositions (pour ce qui concerne la question de la saisine de la
Cour), avant qu’elles deviennent l’article 22 de la CIEdR sous sa forme

actuelle. La majorité de la Cour elle-même concède dans le présent arrêt
(par. 142), relatif à l’Application de la convention internationale sur l’élimi -

nation de toutes les formes de discrimination raciale, que la discussion

129
Assemblée générale des Nations Unies, Proposition des Philippines : projet d’ar -
ticles concernant les mesures de mise en œuvre, Nations Unies, doc. A/C.3/L.1221 du
11 octobre 1965, p. 1 et suiv.
130 Assemblée générale des Nations Unies, Troisième Commission, Compte rendu
e
ana131ique de la 1367 séance, Nations Unies, doc. A/C.3/SR.1367, p. 485, par. 25.
Ibid., p. 486, par. 39.
132 Ibid., p. 487, par. 40.
133 Assemblée générale des Nations Unies, Proposition du Ghana : amendements révisés
au document A/C.3/L.1221, du 12 novembre 1965, p. 1 et suiv.
134 Assemblée générale des Nations Unies, Pologne : amendements aux suggestions rela-

tives aux clauses finales présentées par le bureau de la Troisiè▯me Commission, Nations Unies,
doc. A/C.3/L.1237 du 15 octobre 1965, p. 1 et suiv.
135 Op. cit. supra note 130, p. 485, par. 27.
136 Ibid., p. 486, par. 33.
137 Ibid., p. 486, par. 36.
138 Assemblée générale des Nations Unies, Suggestions relatives aux clauses finales

présentées par les membres du bureau de la Troisième Commission▯, Nations Unies,
doc. A/C.3/L.1237 du 15 octobre 1965, p. 1 et suiv.
139 Nations Unies, doc. A/C.3/L.1313, dans Assemblée générale des Nations Unies,
Documents officiels — vingtième session, annexes : Rapport de la Troisième Commission,
Nations Unies, doc. A/6181 du 18 décembre 1965, p. 1 et suiv.
140 Op. cit. supra note 130, p. 485, par. 29.

219 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 286

sur ce qui devait devenir l’article 22 de la Convention fut brève et peu
satisfaisante. L’histoire législative de la CIEdR ne contient aucune
indication demens legis tendant à subordonner la compétence de la Cour

internationale à la satisfaction de « conditions préalables » à caractère
obligatoire.
101. Il me paraît surprenant, pour ne pas dire extraordinaire, que la
majorité de la Cour, en connaissance de cause, parvienne ensuite à la
«conclusion» (par. 142) — relevant du prêt-à-porter — que l’article 22 de

la CIEdR «impose des conditions préalables » qui doivent être satisfaites
(par. 148) avant qu’un Etat puisse saisir la Cour d’un différend. Le fait
est qu’il n’y a ni indication probante à cet effet dans les travapux prépara -
toires de la Convention, ni la moindre déclaration quant à l’expistence

d’une obligation catégorique incombant à tous les Etats partiesp de faire
tout ce qui est en leur pouvoir pour régler leurs différends parp voie de
négociation, avant même de saisir la Cour. Le recours à la népgociation
n’était généralement évoqué que d’une manière factuelle, commep
un effort ou une tentative par exemple, et non comme une obligation

catégorique.
102. Le fait même que la Cour a été saisie milite fortement contre lp’hy -
pothèse ou la conclusion selon laquelle le différend aurait pu être réglé
par voie de négociations préalables entre les parties. dans les débats sus -

mentionnés de la Troisième Commission sur les dernières proposiptions
relatives au projet de clause finale vIII du projet de Convention (qui a
conduit à l’article 22 de la CIEdR), le représentant du Canada (R. St. John
macdonald), par exemple, déclara ce qui suit :

«Toute partie à un différend touchant l’interprétation ou lp’applica -
tion de la Convention devrait pouvoir porter l’affaire devant la Copur,

car la Convention a été préparée sous les auspices des Natiopns Unies
et la Cour est l’organe judiciaire principal des Nations Unies. d’ail -
leurs, la clause vIII laisse une grande latitude aux parties à un
différend.» 141

Appelant l’attention sur «la flexibilité des termes de l’article», le représen-
tant du Canada ajouta que sa délégation « espérait» qu’«il serait possible
de conférer à l’avance à la Cour une certaine juridiction enp ce qui concerne
142
les questions relatives à la Convention » .
103. A son tour, le représentant de l’Italie (F. Capotorti) commença
par relever qu’en vertu du droit international un différend pouvait être
soumis à la Cour avec le consentement soit « de l’une des parties, soit de

toutes», et soit « au moment de la ratification de la Convention », soit
«lorsque le différend survient ». Il fit observer qu’« il sera[it] beaucoup
plus difficile d’obtenir le consentement des Etats lorsqu’un diffpérend
exist[erait] qu’au moment où la Convention [serait] ouverte à lpa signa -
ture». A son avis :

141Op. cit. supra note 130, p. 485, par. 25.
142Ibid., p. 485, par. 25 et 28.

220 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 287

«[L]a Commission devrait adopter une attitude pratique et décider

quelle méthode [serait] la plus conforme à l’esprit de la Convepntion
et assurera[it] le mieux le règlement des différends auxquels [lpa
Convention] pourrait donner lieu. » 143

104. En bref, le représentant de l’Italie était d’avis que la question du
consentement des Etats pouvait être soulevée au moment approprié, à

savoir au moment de la ratification de la Convention et non pas ultérpieure -
ment, lorsqu’un différend particulier surgissait. Au cours du même débat, le
représentant de la Trinité-et-Tobago (m. Ince) fit observer au sujet du pro -
jet de clause finale vIII « qu’un esprit de bonne volonté » présidait à l’éla-

boration144 projet de CIEdR et qu’il fallait donc « faciliter le renvoi à la
Cour » . de même, pour le délégué de la Belgique (m. Cochaux):

«La Cour [était] un organe international important dont le rôle
dans le règlement des différends se rapportant au présent projet de
Convention — un instrument créé par l’Organisation des Natiopns
145
Unies — ne [devait] pas être amoindri. »
105. Le projet (modifié) de clause finale vIII, qui devait devenir l’ar -

ticle 22 de la Convention, fut ensuite adopté dans son ensemble par la
Troisième Commission, par soixante-dix voix contre neuf, avec huit abs -
tentions 146. Les déclarations de certains représentants au cours du débat p

qui précéda le vote n’impliquent en rien ni ne donnent à penpser que la
saisine de la Cour était considérée comme dépendant des autrpes procé -
dures de règlement prévues dans la Convention ou de toute « condition
préalable». peu après le vote, le représentant du ghana (m. Lamptey),

qui avait déjà fait une déclaration (que la majorité de la pCour a jugé bon
de mettre en évidence dans le présent arrêt, par. 142), ajouta une déclara -
tion interprétative selon laquelle sa délégation « accept[ait] la juridiction
obligatoire de la Cour dans le cas de certaines conventions » et attachait
147
une «grande importance» à la CIEdR .
106. dans le présent arrêt en l’affaire de l’Application de la convention
internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimin▯ation

raciale, je ne vois donc pas sur quelle base la majorité de la Cour est arri -
vée à sa décision au sujet du sens ordinaire et de la portéep de l’article 22
de la Convention. Son avis selon lequel les travaux préparatoires de pla
Convention « ne suggèrent … pas une conclusion différente de celle à

laquelle [la Cour] est parvenue par la méthode principale de l’intperpréta -
tion selon le sens ordinaire » (fin du paragraphe 147) élude tout simple -
ment la question et ne résiste pas à un examen plus poussé.
107. de plus, comme nous venons de le voir, certains rédacteurs de la

Convention souhaitaient manifestement que le texte tienne compte des

143Op. cit. supra note 130, p. 486, par. 39.
144Ibid., p. 487, par. 41.
145
146Ibid., p. 487, par. 40.
147Ibid., p. 487, par. 41.
Ibid., p. 487, par. 42.

221 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 288

relations sociales et étaient favorables à la possibilité de sapisir la Cour 148
sans «condition préalable». Je suis d’avis que, dans le présent arrêt sur les

exceptions préliminaires, l’interprétation que la majorité dpes membres de
la Cour donne de l’article 22 de la CIEdR ne tient pas.

108. La « conclusion» à laquelle est parvenue la majorité de la Cour

n’est pas, à mon sens, appuyée ou « confirmée» par une analyse attentive
des travaux préparatoires de la Convention. Les « conditions préalables»
énoncées à l’article 22 et qui devraient être remplies avant la saisine de
la Cour ne sont à mon avis que des obstacles nouvellement proposés

— voire imposés — à la réalisation de l’objet et du but de la Convention
qui, de plus, ne tiennent pas compte de la nature et du fond de la
CIEdR, instrument fondamental de défense des droits de l’homme qui
revêt une importance considérable dans l’histoire des Nations Unies

elles-mêmes. En bref, ce sont à mon avis des obstacles injustifiés àp l’accès
à la justice au niveau international.
109. Rien dans la structure du présent arrêt de la Cour relatif à lap
deuxième exception préliminaire ne semble reposer sur un raisonnempent

solide et ne paraît fondé. L’article 22 ne contient pas de conditionnel
(«si»). Il se borne à indiquer que tout différend qui n’aura ppas été réglé
par voie de négociation ou au moyen des procédures expressémentp pré -
vues par la Convention sera porté devant la Cour pour qu’elle statue à

son sujet. Ces termes expriment simplement des faits et il n’est quesption
nulle part, pas même implicitement, d’une « condition préalable» dans la
lettre et à plus forte raison dans l’esprit de la Convention.

3. La décision antérieure de la Cour sur l’article 22 de la CIEDR :
venire contra factum/dictum proprium non valet

110. Nous avons vu que l’article 22 de la CIEdR dispose qu’un Etat

partie peut unilatéralement porter devant la Cour un différend qui «n’aura
pas été réglé par voie de négociation », ce qui n’établit pas une obligation
expresse, sous la forme d’une « condition préalable » d’engager de telles
négociations. Comme l’a déjà noté la Cour elle-même, dans sa récente

ordonnance en indication de mesures conservatoires (du 15 octobre 2008),
ces mots traduisent un état de fait, de sorte que le rôle de la Copur se limite
à déterminer si le différend est ou non réglé. dans le paragraphe où cette

148Il suffit de rappeler ici la position de deux juristes éminents, Ronpald St. John mac -
donald et Francesco Capotorti (voir ci-dessus). des années plus tard, le premier a appelé
l’attention sur l’évolution de l’interprétation télépologique de la Charte des Nations Unies

elle-même, tandis que le second voyait dans le règlement judiciaire (yp compris la saisine de
la Cour) le meilleur moyen de régler les différends touchant àp la protection des droits de
l’homme. voir, respectivement : R. St. John macdonald, « A Short Note on the Interpre -
tation of the Charter of the United Nations by the International Court of Justice », dans
Liber Amicorum Judge S. Oda (dir. publ., N. Ando et al.), La Haye, Kluwer, 2002, p. 182 ;
F. Capotorti, « Cours général de droit international public », Recueil des cours de l’Aca -
démie de droit international de La Haye, vol. 248 (1994), p. 107.

222 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 2)89

dernière indique qu’il n’y a pas de condition préalable àp satisfaire, elle
ajoute «l’article 22 donne en revanche à penser que la partie demanderesse

doit avoir tenté d’engager, avec la partie défenderesse, des discussions sur
des questions pouvant relever de la CIEdR » (C.I.J. Recueil 2008, p. 388,
par. 114).
111. Toutefois, ces négociations ne constituent pas une obligation for -

melle avant toute saisine de la Cour. C’est aussi ce qui ressort de lpa pratique
traditionnelle de la Cour, et rien ne justifie qu’elle s’en écaprte car il en résul -
terait une incertitude juridique dans l’esprit des Etats quant aux circons -
tances dans lesquelles la Cour exerce sa compétence. L’arrêt dep la Cour en

l’affaire Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci
(Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique) (compétence et recevabilité, arrêt,
C.I.J. Recueil 1984) revêt une importance particulière: la Cour y a conclu
que, aucun règlement de différend n’étant effectivement pintervenu entre les

parties, les conditions posées dans la clause compromissoire (articlpe xxIv,
paragraphe 2, du traité d’amitié, de commerce et de navigation de 1956)
étaient remplies puisqu’il était clair que ce différend ne pourrait être réglé
d’une manière satisfaisante par la voie diplomatique (voir ci-dessous).

112. En bref, et comme la Cour l’a décidé dans son ordonnance en
indication de mesures conservatoires du 15 octobre 2008 en la présente
affaire relative à l’Application de la convention internationale sur l’élimina -
tion de toutes les formes de discrimination raciale, l’article 22 de la CIEdR,

pris dans son sens naturel, ne donne pas à penser que la tenue de népgocia -
tions formelles au titre de la CIEdR ou le recours aux procédures visées
à l’article 22 constituent « des conditions préalables » auxquelles il doit
être satisfait avant toute saisine de la Cour (C.I.J. Recueil 2008, p. 388,

par. 114). Telle était la clarification que la Cour a faite fort à proppos dans
son ordonnance du 15 octobre 2008 et qu’elle rend aujourd’hui lettre
morte dans le présent arrêt, ce qui est incompréhensible, va àp l’encontre

de sa propre res interpretata et la réduit à néant (arrêt, par. 129).
113. Chacun sait que, dans la procédure internationale, lorsque l’une
des parties en présence a fait connaître sa position sur une question don -
née devant une cour internationale, elle ne peut plus tenter d’en pfaire

valoir une autre qui va dans le sens 149osé (comme l’indique la jpurispru -
dence internationale elle-même ) : allegans contraria non audiendus est.
Ce principe fondamental du droit procédural vaut pour les pays de trapdi -
tion civiliste (en vertu de la théorie qui remonte au droit romain cplassique,

venire contra factum proprium non valet, élaborée sur la base de considé -
rations d’équité, aequitas) comme pour les pays de common law (en vertu
de l’institution de l’estoppel 15, propre à la tradition juridique anglo-

149
voir, par exemple, Ch. de visscher, De l’équité dans le règlement arbitral ou -udi
cia150 des litiges de droit international public, paris, pedone, 1972, p. 49-52.
voir entre autres, par exemple, Ian Sinclair,Estoppel and Acquiescence », dans
Fifty Years of the International Court of Justice — Essays in Honour ▯of R. T. Jennings
(dir. publ., v. Lowe et m. Fitzmaurice), Cambridge University press, 1996, p. 104-12;
Ch. vallée, « Quelques observations sur l’estoppel en droit des gensRevue générale de
droit international public, vol. 77 (1973), p. 949-999.

223 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 2)90

saxonne). Quoi qu’il en soit, il ne pourrait en être autrement si l’on veut
préserver la confiance et le principe de bona fides qui devrait toujours
l’emporter dans la procédure internationale.
114. Le même raisonnement s’appliquerait à fortiori aux décisions déjà

adoptées par une cour internationale quant au droit — question très diffé -
rente de celle de ses conclusions prima facie quant aux faits. La Cour ne peut
tout simplement pas modifier à son gré des décisions qu’ellep a prises quant
au droit et adopter peu de temps après une position diamétralement oppo -
sée! Il en résulterait un sentiment d’insécurité juridique qui ne pourrait que

nuire à la crédibilité du travail d’une cour internationale,p encore plus lorsque
sa compétence s’exerce sur la base d’un instrument relatif aux pdroits de
l’homme. Venire contra factum proprium non valet et, peut-être encore
davantage,venire contra dictum proprium non valet. A mon sens, les considé -
rations de la Cour énoncées au paragraphe 129 du présent arrêt ne tiennent

absolument pas: elles sont contraires à un principe fondamental du droit
procédural international, profondément enraciné dans la pensépe juridique.
115. Rien n’impose que les négociations entre la géorgie et la Fédéra -
tion de Russie incluent une référence expresse à la CIEdR. Il suffit que la
question du différend ait été débattue entre les parties, portée à leur atten -

tion. A la lumière des éléments de preuve présentés à pla Cour, la géorgie
a cherché à discuter avec la Russie de questions relevant de la Copnvention
dans le cadre des conflits qui causaient un préjudice aux géorgiens de
souche en Ossétie du Sud et en Abkhazie.

116. Enfin, s’agissant de la question de savoir si l’ouverture préalable
de négociations et le recours aux procédures expressément prépvues par la
Convention (évoquées à l’article 22) sont cumulatives ou alternatives, la
conjonction « ou» indique que les rédacteurs de la CIEdR considéraient
manifestement « la négociation » ou « les procédures expressément pré -

vues par la Convention » comme alternatives. La Cour pouvait — et
aurait dû — dissiper tout doute pouvant subsister sur ce point ; au lieu de
quoi elle a délibérément choisi de s’abstenir de se prononcepr (par. 183) sur
cet aspect de la controverse. Elle n’a pas jugé nécessaire d’péclaircir ce
point, de dire ce qu’est le droit (juris dictio).

117. Les instruments multilatéraux de défense des droits de l’homme p
comme la CIEdR ont pour objectif de rendre la surveillance des droits de
l’homme et leur application efficaces au niveau international, y comppris
par le règlement des différends. dans sa jurisprudence constante, par
exemple, la Cour européenne des droits de l’homme a souligné qupe l’objet

et le but des instruments relatifs aux droits de l’homme (comme la cponven -
tion européenne) exigent que leurs dispositions soient interprétépes et
appliquées de manière à rendre les garanties qui y sont énonpcées « pra-
tiques et efficaces »15. Il en est de même de la CIEdR, instrument essen -
tiel de défense des droits de l’homme des Nations Unies.

151voir à ce propos, par exemple, CEdH, affaire Artico c. Italie, arrêt du 13 mai 1980,
par. 33 ; CEdH, affaire Soering c. Royaume-Uni, arrêt du 7 juillet 1989, CEdH,87 ;
affaire Rantsev c. Chypre et Russie, arrêt du 7 janvier 2010, par. 275.

224 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 2)91

118. dans la présente affaire, il aurait fallu accorder l’importance vpou-
lue au préambule de la Convention (par. 1), qui dispose que tous les Etats
membres se sont engagés à agir, en coopération avec l’Organisation, en

vue d’atteindre l’un des buts des Nations Unies, à savoir « développer et
encourager le respect universel et effectif des droits de l’homme » pour
tous, sans distinction d’aucune sorte, en ayant à l’esprit que,p en son
article premier, la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948
proclame que tous les êtres humains naissent libres et égaux en dipgnité et

en droits.

vIII. vers le règlement pacipfique et la réalisatipon de la justice :
vérification des tenptatives

ou efforts préalablesp de négociation

1. La Cour permanente de Justice internationale

119. La Cour permanente de Justice internationale (ci-après la « Cour
permanente»), dans sa jurisprudence constante, a appréhendé les tenta -

tives ou les efforts préalables de négociation comme une donnépe factuelle
à prendre en considération dans le cadre du processus de règlempent judi -
ciaire des différends portés devant elle. Elle n’en a jamais pfait une «condi-
tion préalable» devant être pleinement remplie pour qu’elle puisse exercer
sa compétence. Ainsi, dans un célèbre passage de son arrêt (pdu

30 août 1924) en l’affaire des Concessions Mavrommatis en Palestine (arrêt
no 2), la Cour permanente a déclaré :

«Une négociation ne suppose pas toujours et nécessairement une
série plus ou moins longue de notes et de dépêches ; ce peut être assez
qu’une conversation ait été entamée; cette conversation a pu être très
courte: tel est le cas si elle a rencontré un point mort, si elle s’est p

heurtée finalement à un non possumus ou à un non volumus péremp -
toire de l’une des parties et qu’ainsi il est apparu avec évidepnce que le
différend n’est pas susceptible d’être réglé par une n▯égociation diploma -
tique. »152

120. La Cour permanente a ajouté, toujours dans l’affaire des Conces -
sions Mavrommatis en Palestine (1924), qu’« il serait peu compatible avec

la souplesse qui doit caractériser les relations internationales d’pobliger ces
gouvernements à renouveler une discussion qui a déjà eu lieu enp fait »
(C.P.J.I. série A n o2, p. 15). En cas d’exception d’incompétence présentée
in limine litis, indiqua-t-elle aussi, elle « [était] libre d’adopter la règle
qu’elle consid[érait] comme la plus appropriée à la bonne adpministration

de la justice, à la procédure devant un tribunal international, etp la plus
conforme aux principes fondamentaux du droit international » (ibid.,
p. 16).
121. peu après, dans son arrêt (du 25 août 1925) en l’affaire relative à

152C.P.J.I. série A n 2, p. 13 ; les italiques sont de moi.

225 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 292

Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise (arrêt n 6), la Cour

permanente a une nouvelle fois rejeté toute approche formaliste, en
faisant observer qu’« [elle] ne pourrait s’arrêter à un défaut de forme
qu’il dépendrait de la seule partie intéressée de faire disparaître » (C.P.J.I.
série A n o 6, p. 14).

Et d’ajouter, dans la même affaire, que « [s]a compétence … ne saurait
dépendre seulement de la manière dont la requête est formulé »e(ibid., p. 15).
122. dans le même ordre d’idées, la Cour permanente, dans son arrêt
(du 26 juillet 1927) en l’affaire relative à l’Usine de Chorzów (compétence,
o
arrêt n 8), a une fois encore refusé de s’enferrer dans une vision restripc -
tive de la clause compromissoire, ce qui en aurait indûment réduitp la por-
tée. Elle a formulé la mise en garde suivante :

«dire que la clause compromissoire … doit maintenant recevoir
une interprétation restrictive … serait se mettre en contradiction avec

les conceptions fondamentales qui ont caractérisé le mouvement en p
faveur de l’arbitrage général. » (C.P.J.I. série A n o 8, p. 22.)

La Cour permanente a refusé d’inférer une « intention contraire » des
parties qui aurait eu pour effet de limiter sa compétence ; faire ainsi fond
sur « une divergence » entre les parties quant à « l’interprétation ou l’ap -

plication de la convention » — conclut-elle —, « au lieu de vider définiti -
vement un différend, laisserait la porte ouverte à de nouveaux lpitiges »
(ibid., p. 25).
123. Cette position adoptée par la Cour permanente, à savoir que le

recours à des négociations n’avait jamais constitué une «p condition préa -
lable» à sa saisine, fit rapidement des émules dans les cercles juripdiques de
l’époque. peu après les décisions susmentionnées, même ceux qui demeu -

raient partisans des négociations préalables et qui voyaient le rèpglement
judiciaire comme un ultime recours en vinrent à admettre que, par le p
terme «négociations», il convenait plus précisément d’entendre des « ten -
tatives» de règlement amiable au moyen de négociations diplomatiques , 153
154
pour des raisons de courtoisie internationale . Il ne devait en aucun cas
s’agir d’une « condition préalable »; il suffisait qu’une partie ait tenté
— en vain — de négocier. Les intéressés finirent par concéder que lpa Cour
permanente était maîtresse de sa propre compétence, et qu’elple était fon -

dée à statuer en ce sens (au-delà des thèses avancées par les parties en
litige), en « annula[n]t» cette « condition préalable », en dépit du fait que
la compétence internationale revêtait un caractère « subsidiaire» 15.

124. Aux nostalgiques, qui continuaient de privilégier les négociations

153« [U]ne tentative de solution amiable par la voie diplomatique » ; ou «les moyens de
règlement amiables ont été tentés » ; ou encore « un moyen préalable qui doit être tenté » ;
N. Kaasik, op. cit. infra note 154, p. 67 et 69 (les italiques sont de moi).

154N. Kaasik, « La clause de négociations diplomatiques dans le droit international

positif et dans la jurisprudence de la Cour permanente de Justice internpati, evue de
dro155international et de législation comparée, vol. 14 (1933), p. 94.
voir op. cit. supra note 154, p. 90-92 et 94-95.

226 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 293

diplomatiques et résistaient à l’essor du règlement judiciaire, maurice
Bourquin rétorqua avec perspicacité que l’article 36 du Statut de la Cour
de La Haye n’avait jamais subordonné l’institution d’une action enp justice

à une tentative préalable de règlement diplomatique. Comment prpouver
que les négociations avaient été « suffisamment utilisées »? Il s’agissait
là d’une notion imprécise et relative, et toute formule rigide serait « inac-
ceptable», chaque affaire ayant ses circonstances propres. Si les négocipa-
tions diplomatiques pouvaient se révéler utiles, selon m. Bourquin, il était

toutefois plus sage d’adopter une approche « nuancée» à leur égard ;
l’«attitude négative » de l’une des parties suffirait à permettre à l’autre
de porter une affaire devant la Cour de La Haye, même si l’écphange de
vues n’avait que très peu duré. Il arrivait d’ailleurs, ajoupta m. Bourquin,

que «des controverses diplomatiques se situent en dehors du droit ; … les
prétentions qui s’y font jour s’inspirent uniquement de considéprations
d’opportunité » 15.

2. La Cour internationale de Justice

125. pour sa part, dans son arrêt (du 21 décembre 1962) sur les excep -
tions préliminaires dans les affaires du Sud-Ouest africain (Ethiopie et
Libéria c. Afrique du Sud), la Cour internationale de Justice (« la Cour»),
en rejetant la troisième exception préliminaire, a appelé l’pattention

sur l’importance du « bien-être et [du] développement des habitants du
territoire sous mandat » (C.I.J. Recueil 1962, p. 344), et rejeté l’argument
selon lequel « toute interprétation large de la juridiction obligatoire en
question serait incompatible avec l’article 22 du pacte » (ibid., p. 343).

La Cour a ajouté :
«Il est sans pertinence et inutile de rechercher quelles thèses diffpé -

rentes et opposées ont conduit les négociations des Nations Unies
dans une impasse, étant donné qu’au stade actuel il ne s’agit que de
trancher la question de compétence. Le fait que dans le passé les
négociations collectives aient abouti à une impasse et le fait quep les
écritures et les plaidoiries des parties dans la présente procédure aient

clairement confirmé que cette impasse demeure obligent à conclure
qu’il n’est pas raisonnablement permis d’espérer que de nouvpelles
négociations puissent aboutir à un règlement.» (Ibid., p. 345.)

126. Ayant invoqué l’obiter dictum de sa devancière dans l’affaire des
Concessions Mavrommatis en Palestine (ci-dessus), la Cour a elle aussi
conclu, sur cette question particulière, qu’il « n’y a aucune raison » que

chacune des parties « se conforme au formalisme et aux faux-semblants
d’une négociation directe avec l’Etat auquel [elle] s’oppos[pe] s[i elle a] déjà

156m. Bourquin, « dans quelle mesure le recours à des négociations diplomatiques
est-il nécessaire avant qu´un différend puisse être soumisp à la juridiction internationale ? »,
Hommage d´une génération de juristes au président Basdevant, paris, pedone, 1960, p. 52, et
voir p. 45, 47-48, 52 et 54-55.

227 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 294

pleinement participé aux négociations collectives avec cet Etat adpverse »
(C.I.J. Recueil 1962, p. 346). de l’avis de la Cour :
«ce qui importe en la matière ce n’est pas tant la forme des négocia -

tions que l’attitude et les thèses des parties sur les aspects fondamen -
taux de la question en litige. Tant que l’on demeure inébranlable pde
part et d’autre … il n’y a aucune raison qui permette de penser que
le différend soit susceptible d’être réglé par de nouveplles négociations
entre les parties. » (Ibid.)

127. dix ans plus tard, dans l’affaire de l’Appel concernant la compé -
tence du Conseil de l’OACI (Inde c. Pakistan), la Cour, face à la question

d’une action licite mais « préjudiciable», qui causait « une injustice ou un
préjudice» à la partie adverse dans le cadre des traités en cause (arrêt,
C.I.J. Recueil 1972, p. 58, par. 20), a conclu que les différentes exceptions
opposées à sa propre compétence ne pouvaient être accueillieps (ibid.,
p. 60-61, par. 25-26). par la suite, dans l’affaire de la Compétence en

matière de pêcheries (République fédérale d’Allemagne▯ c. Islande) (compé-
tence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 1973), la Cour a estimé que :

«en l’espèce l’objet et le but de l’échange de notes de 19p61, et par suite
les circonstances qui constituaient une base essentielle du consentementp
des parties à être liées par l’accord qu’il contenait, avaient une portée
beaucoup plus large. Il s’agissait non seulement de trancher la prépten -
tion du gouvernement islandais d’étendre sa compétence en matière de
pêcheries à une distance de 12milles mais encore de fournir un moyen

permettant aux parties de régler entre elles la question de la validipté de
toute prétention ultérieure.» (C.I.J. Recueil 1973, p. 61-62, par. 32.)

128. La Cour a ensuite conclu que l’obligation juridictionnelle imposée
dans l’échange de notes de 1961 demeurait applicable, et que :

«La clause compromissoire autorisait l’une ou l’autre partie à ppor -
ter devant [elle] tout différend qui surviendrait entre elles au sujet
d’un élargissement de la juridiction de l’Islande sur les pêcheries dans
les eaux recouvrant le plateau continental au-delà de la limite de
12 milles. Le différend actuel est exactement du genre de ceux que la p

clause compromissoire de l’échange de notes envisageait. Non seulep-
ment l’obligation juridictionnelle ne s’est pas radicalement transpfor-
mée dans sa portée mais encore elle est restée précisémenpt ce qu’elle
était en 1961. » (Ibid., p. 65, par. 43.)

129. plus de dix ans après, dans l’affaire relative au Personnel diplo-
matique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran (Etats-Unis d’Amérique
c. Iran) (arrêt, C.I.J. Recueil 1980), la Cour a indiqué que :

«lorsque les Etats-Unis [avaient] déposé leur requête du 29 novembre
1979, leurs tentatives de négociations avec l’Iran au sujet de l’pinva -
sion de leur ambassade et de la détention de leurs ressortissants

en otages avaient abouti à une impasse, le gouvernement de l’Iran

228 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 295

ayant refusé toute discussion. Il existait donc à cette date non speule-
ment un différend mais, sans aucun doute, « un différend … qui ne
[pouvait] pas être réglé d’une manière satisfaisante par pla voie diplo -

matique» au sens de l’article xxI, paragraphe 2, du traité de 1955 ;
et ce différend portait notamment sur les matières faisant l’pobjet des
demandes présentées par les Etats-Unis en vertu de ce traité. » (C.I.J.
Recueil 1980, p. 27, par. 51.)

130. peu après, dans son arrêt sur la compétence et la recevabilitép en
l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contcreelui-ci

(Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), la Cour a confirmé que, « parce
qu’un Etat ne s’est pas expressément référé, dans des pnégociations avec un
autre Etat, à un traité particulier qui aurait été violé ppar la conduite de
celui-ci, il n’en découle pas nécessairement que le premier ne seraitp pas
admis à invoquer la clause compromissoire dudit traité », à savoir le traité

d’amitié, de commerce et de navigation conclu en 1956 par le Nicarpagua
et les Etats-Unis (C.I.J. Recueil 1984, p. 428, par. 83). Après avoir invo -
qué l’obiter dictum de la Cour permanente en l’affaire de Certains intérêts
allemands en Haute-Silésie polonaise, la Cour a exposé la conclusion

ci-après sur cette question particulière :
«En conséquence la Cour conclut que, dans la mesure où les

demandes formulées dans la requête du Nicaragua révèlent l’pexis -
tence d’un différend sur l’interprétation ou l’applicatpion des articles
du traité de 1956 …, [elle] a compétence pour en connaître en vertu
de ce traité. » (Ibid., p. 429, par. 83.)

131. dans le même arrêt de 1984 en l’affaire Nicaragua c. Etats-Unis
d’Amérique, la Cour, en affirmant sa propre compétence, a écarté toute ppré -

tention d’ériger une «règle» exigeant «l’épuisement préalable des voies de
recours disponibles sur le plan international » (sous la forme de négocia -
tions régionales), par le jeu d’une analogie inappropriée et infondée avec la
règle de l’épuisement des voies de recours locales ou internes 15. Je cite:

«la Cour n’est en mesure d’admettre, ni qu’il existe une obligation
quelconque d’épuisement des procédures régionales de négopciation
préalable à sa saisine, ni que l’existence du processus de Contpadora

empêche la Cour en l’espèce d’examiner la requête nicaragpuayenne et
de se prononcer le moment venu sur les conclusions présentées par p
les parties en l’espèce. La Cour ne peut donc déclarer la requêtep irre -
cevable, comme le demandent les Etats-Unis, pour l’un quelconque

des motifs avancés par eux comme imposant une telle décision. »
(Ibid., p. 440-441, par. 108.)

157pour une analyse critique de cette prétendue analogie, qui n’est enp fait pas justifiée,
voir, à l’appui de la décision de la Cour sur la compétence et la recevabilité en l’affaire,p
A. A. Cançado Trindade, « Nicarágua v. Estados Unidos (1984) : Os Limites da Jurisdição
«Obrigatória » da Corte Internacional de Justiça e as perspectivas de Solução Judicial de
Controvérsias Internacionais », Boletim da Sociedade Brasileira de Direito Internacional,
vol. 37-38 (1983-1986), p. 71-96.

229 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 296

132. Constatant ainsi qu’un différend existait entre le Nicaragua et ples
Etats-Unis quant à l’interprétation et l’application de certains aprticles du
traité de 1956, et qu’elle avait compétence pour connaître dpu différend en
question sur la base du paragraphe 2 de l’article xxIv du traité, la Cour a
tenu compte du fait que les clauses compromissoires étaient monnaie cou -
rante dans les traités bilatéraux de cette nature, et que ces claupses visaient à

permettre aux parties de la saisir unilatéralement si elles ne parvenaient pas
à s’accorder sur un autre mode de règlement pacifique. deux ans plus tard,
dans l’arrêt qu’elle rendit (le 27 juin 1986) dans la même affaire Nicaragua
c. Etats-Unis d’Amérique, mais sur le fond, la Cour, réaffirmant sa position,
ajouta qu’«il serait donc excessivement formaliste d’exiger du Nicaragua
qu’il épuise la procédure prévue à l’article xxIv, paragraphe 1, avant de la

saisir de la question» (C.I.J. Recueil 1986, p. 137, par. 274).
133. plus de dix ans après, dans son arrêt (du 11 juin 1998) sur les
exceptions préliminaires en l’affaire de la Frontière terrestre et maritime
entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), la Cour a déclaré
de manière catégorique :

«Il n’existe ni dans la Charte [des Nations Unies], ni ailleurs en
droit international, de règle générale selon laquelle l’épuisement des
négociations diplomatiques serait un préalable à la saisine de pla

Cour. Un tel préalable n’avait pas été incorporé dans le pStatut de la
Cour permanente de Justice internationale … Il ne figure pas davan -
tage à l’article 36 du Statut de la présente Cour. » (C.I.J. Recueil
1998, p. 303, par. 56.)

134. plus récemment, la question est à nouveau passée au premier planp
dans l’affaire des Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran
c. Etats-Unis d’Amérique) (arrêt, C.I.J. Recueil 2003). La Cour a conclu
qu’elle devait

«prendre acte que le différend n’a pas été réglé d’pune manière satis -
faisante par la voie diplomatique. peu importe aux fins de la présente

question que l’absence de négociations diplomatiques soit attribuapble
au comportement de l’une ou de l’autre partie, ou que ce soit le
demandeur ou le défendeur qui a pour ce motif opposé une fin de
non-recevoir. Comme dans de précédentes affaires qui mettaient en
cause des dispositions conventionnelles pratiquement identiques
(voir Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran,

C.I.J. Recueil 1980, p. 26-28 ; Activités militaires et paramilitaires au
Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
C.I.J. Recueil 1984, p. 427-429), il suffit à la Cour de constater que le
différend n’a pas été réglé d’une manière satipsfaisante par la voie
diplomatique avant de lui être soumis. » (C.I.J. Recueil 2003, p. 210-
211, par. 107.)

135. Rien, dans l’analyse qui précède, ne permet d’inférer unep propen -
sion, que ce soit de la part de la Cour ou de sa devancière, à faipre des

négociations préalables une condition excessive à l’exercicep de la compé -

230 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 297

tence. Bien au contraire, tant la Cour permanente que la Cour actuelle

ont indiqué très clairement qu’une tentative de négociation suffisait, étant
entendu que la tenue de négociations effectives ne constituait nullement
une «condition préalable» à ce que l’une ou l’autre puisse exercer sa com -
pétence dans l’affaire portée devant elle. La Cour de La Haye s’est en

effet, tout au long de son histoire, gardée d’imposer toute condpition exces -
sive quant à la tenue de négociations préalables entre les partpies en litige.

Ix. vers le règlement pacipfique des différendsp et la réalisation

de la justice sur la bapse de traités relatifps aux droits de l’hompme

136. dans la présente affaire de l’Application de la convention interna -

tionale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination r▯aciale, la
majorité de la Cour semble ne faire aucun cas de la jurisprudence
constante de la Cour elle-même lorsqu’elle établit qu’une « condition
préalable» stricte de négociation (par. 157-159), assortie d’un seuil très

élevé, doit être remplie avant qu’elle ne puisse exercer sa pcompétence sur
la base de ce traité consacré aux droits de l’homme, à savoir la CIEdR.
Tentant d’étayer sa position, la majorité de la Cour rappelle upn obiter
dictum (p. 116) de sa devancière dans l’avis consultatif sur le Trafic fer-

roviaire entre la Lithuanie et la Pologne (1931). pourtant, a contrario,
dans sa jurisprudence constante en la matière, la Cour de La Haye s’est
bornée à noter que les parties n’étaient pas parvenues à ptrouver un ter-
rain d’entente avant le dépôt de la requête devant elle.

137. Tout au long des dernières décennies, les études réalisées sur la
position de la Cour de La Haye (la Cour actuelle et sa devancière) quant
à l’examen des tentatives ou des efforts de négociation prépalables à la

saisine de la Cour elle-même ont donné lieu à la conclusion que la juris -
prudence constante de celle-ci n’étayait nullement le point de vue selon
lequel ces tentatives ou efforts de négociation constituaient une «p condi -
tion préalable » incontournable pour que la Cour puisse exercer sa com -
158
pétence . Bien au contraire, les clauses compromissoires se sont révélépes
être une source de compétence importante 15, à fortiori lorsqu’elles s’ins -
crivaient dans le cadre de certains traités relatifs aux droits de l’homme
(voir ci-dessous), le but ultime étant la réalisation de la justice.

158voir, par exemple, g. Abi-Saab, Les exceptions préliminaires dans la procédure de
la Cour internationale, paris, pedone, 1967, p. 124-125 ; J. I. Charney, « Compromissory
Clauses and the Jurisdiction of the International Court of Justice American Journal
of International Law, vol. 81 (1987), p. 870-883, et voir p. 859-864 ; S. Torres Bernárdez,
«Are prior Negotiations a general Condition for Judicial Settlement by the International
Court of Justice ? », dans Liber Amicorum in Memoriam of Judge J. M. Ruda (dir. publ.,
C. A. Armas Barea, J. A. Barderis et al.), La Haye, Kluwer, 2000, p. 507-525.
159voir, par exemple, C. J. Tams, « The Continued Relevance of Compromissory
Clauses as a Source of ICJ Jurisdiction », dans A Wiser Century ? Judicial Dispute Settle-

ment, Disarmament and the Laws of War 100 Years after the II Hague Peace Conference
(dir. publ., Th. giegerich et U. E. Heinz), Berlin, duncker & Humblot, 2009, p. 471, 476,
480-481, 487-489 et 492.

231 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 298

138. A rebours de cette jurisprudence constante de la Cour (ci-dessus), la
majorité a malheureusement assorti l’obligation de négociation préalable

d’un seuil très élevé dans la présente affaire. A mon spens, la position adop -
tée par la Cour tout au long de son histoire, sur cette question partpiculière,
consistait à privilégier l’accès à la justice au sens larpg(ey compris la réalisa -
tion de la justice); le revirement effectué par la majorité de la Cour dans la
présente affaire opposant la géorgie et la Fédération de Russie non seule -

ment va dans le sens contraire, mais risque en outre d’engendrer un spenti-
ment d’insécurité judiciaire et de compromettre à l’avenipr l’acceptation de
la juridiction obligatoire de la Cour dans les traités internationauxp.
139. Cette situation est encore plus fâcheuse lorsqu’on songe à la nature

du traité en cause, à savoir la CIEdR, qui est l’une des conventions fonda -
mentales des Nations Unies sur les droits de l’homme. Il ne faut pas oublier
les droits et les valeurs qui sont en jeu. Le recours à des formules pconvention -
nelles, l’attachement aux i«ntérêts» ou aux intentions de l’Etat, à sa v«lonté»,

à d’autres notions du même ordre, ou encore à la stratégipe adoptée par l’Etat
à l’égard des négociations, ne doivent pas occulter le fait pque ceux qui récla -
ment justice, et ceux qui en bénéficient, sont en définitive deps êtres humains 160
— comme en témoigne la présente affaire portée devant la Cour.

140. Il semble généralement acquis de nos jours que l’expansion de
la juridiction internationale — illustrée entre autres par l’action menée,
aux côtés de la Cour, par les tribunaux internationaux chargés pde défen-
dre les droits de l’homme — répond et correspond à un besoin actuel de

la communauté internationale, qui déborde le cadre des méthodesp de
règlement pacifique des différends internationaux (utiliséesp dans les diffé -
rends entre Etats) et qui traduit l’idée d’une prééminenpce du droit interna -
tional 161. La Cour doit rester attentive à cela, et elle ne peut perdre de
vue la raison d’être des traités relatifs aux droits de l’homme. Une recher-

che mécanique et systématique du consentement de l’Etat, qui papsserait
avant les valeurs fondamentales sous-tendant ces traités, ne la conduira
nulle part.
141. La Cour a, de temps à autre, reconnu expressément que l’idéep

d’un état de droit international avait bel et bien gagné du terrain ces der -
nières années. Il suffit ici d’évoquer, par exemple, la contribution appor -
tée par ses avis consultatifs sur la Namibie (21 juin 1971, voir ci-dessous)
et sur l’Applicabilité de l’obligation d’arbitrage en vertu de la sectio▯n 21 de

l’accord du 26 juin 1947 relatif au siège de l’Organisation des Nations Unies
(26 avril 1988). Cette idée-force a favorisé la quête de justice dans le cadre
de l’état de droit au niveau international, et la Cour doit la garder à l’es -
prit dès lors qu’elle est priée de trancher une affaire sur lpa base d’un traité

relatif aux droits de l’homme.

160voir notamment, à cet effet, Julius Stone, Approaches to the Notion of International
Justice, princeton University press, 1970, p. 55.
161J.-y. morin, « L’état de droit : émergence d’un principe du droit international »,
Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Hvol. 254 (1995), p. 199,
451 et 462.

232 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 2)99

142. Qu’il me soit permis de rappeler que, à la fin des années 1980

(1988-1989), notamment, l’Union soviétique de l’époque (à laquelle la Fédé -
ration de Russie a succédé) et certains autres Etats d’Europe porientale ont
retiré leurs déclarations antérieures par lesquelles ils avaient exclu le règle -

ment obligatoire des différends dans certaines conventions relativeps aux droits
de l’homme conclues pendant la guerre froide. Il s’agissait là d’une initiative
rassurante tendant à favoriser la juridiction obligatoire de la Cour pà l’égard
de six traités fondamentaux en matière de droits de l’homme (apu nombre

desquels figurait la CIEdR). dans son discours du 7 décembre 1988 devant
l’Assemblée générale des Nations Unies, le président de ce qui était alors le
présidium du Soviet suprême de l’URSS (m. mikhaïl gorbatchev), après

avoir invoqué «la primauté des valeurs humaines universelle» s, déclara:
«Nous pensons que la compétence de la Cour internationale de

Justice de La Haye en ce qui concerne l’interprétation et la mise en
œuvre des accords sur les droits de l’homme doit être acceptépe par
tous les Etats. » 162

143. Quelques semaines plus tard, le 10 février 1989, le présidium du
Soviet suprême prit, sur proposition du Conseil des ministres de l’URSS,
un décret ayant pour effet de retirer les réserves que l’Uniopn soviétique

avait précédemment formulées dans les dispositions pertinentes pde six
traités relatifs aux droits de l’homme, à savoir : l’article 22 de la CIEdR
(qui revêt une importance centrale dans la présente affaire), ple para -
graphe 1 de l’article 29 de la convention de 1979 sur l’élimination de

toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, le papragraphe 1
de l’article 30 de la convention des Nations Unies contre la torture
de 1984, l’article Ix de la convention sur le génocide de 1948, l’article Ix

de la convention sur les droits politiques de la femme de 1953, et l’ar -
ticle 22 de la convention de 1950 pour la répression de la traite des êtres
humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui 163.
144. En outre, justice pourra difficilement être rendue en vertu de trai -

tés relatifs aux droits de l’homme (tels que la CIEdR) si la Cour évalue
les éléments de preuve produits devant elle d’un point de vue sptrictement

162Nations Unies, doc. A/43/pv.72 du 8 décembre 1988, p.26 ;voir également p. 8. peu
après, un mémorandum de l’URSS du 29 septembre 1989 sur le « renforcement du rôle du
droit international », distribué à l’Assemblée générale des Nations Unies le 2 octobre 1989

(dans le cadre de la décennie des Nations Unies pour le droit international), faisai- réfé
rence au renforcement du rôle de la Cour en tant qu’organe judiciapire principal de l’Or -
ganisation ; voir Nations Unies, doc. A/44/585 du 2 octobre 1989, p. 5. S’agissant de cette
nouvelle vision de la primauté de l’état de droit dans les relaptions internationales, voir
les observations formulées dans, notamment, A. gorin et p. mishchenko, « New political
Thinking as a philosophy and a Tool of Soviet Foreign policy »,Journal of Legislation,
vol. 17 (1990), p. 17-18. Quant à la « priorité des valeurs humaines universelles » professée
dans le cadre de cette nouvelle vision, voir les observations formulépes dans, notamment,
v. S. vereshchetin et R. A. mullerson, « International Law in an Interdependent World »,
Columbia Journal of Transnational Law, vol. 28 (1990), p. 292-293 et 300.
163voir les observations formulées dans, notamment, T. Schweisfurth, «The Accep-
tance by the Soviet Union of the Compulsory Jurisdiction of the ICJ for Six Human Rights

Conventions »,European Journal of International Law, vol. 2 (1990), p. 110-117.

233 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 300

interétatique, en identifiant la stratégie choisie par les parties en litige
dans le cadre de leur procédure internationale, sans tenir compte de pla

raison d’être fondamentale de ces instruments de défense des droits de la
personne humaine. Au regard de ces instruments, le règlement pacifiqupe
va de pair avec la réalisation de la justice, et cette dernière ne peut guère
être rendue dans une affaire comme celle-ci si l’attention ne se porte pas

sur les souffrances de la population et son besoin de protection.

x. Le droit et les souffrpances et besoins de prpotection
de la population : sUmmUm JUs ,sUmma inJUria

145. Ce n’est malheureusement pas ce que la Cour a fait en l’espèce.p
Elle pouvait, et elle devait, être particulièrement attentive aux psouffrances
de la population et à la nécessité de la protéger sur la foi de tous les élé -

ments de preuve présentés par les parties en présence elles-mêmes. Ainsi,
lorsqu’elle a examiné les première et deuxième exceptions prpéliminaires en
la présente affaire, la Cour s’est référée à plusieuprs des très nombreux
documents que la Fédération de Russie et la géorgie avaient portés à sa

connaissance. Et pourtant, son raisonnement s’est situé dans une pperspec -
tive essentiellement interétatique et essentiellement bilatérale, centrée sur
les relations (diplomatiques) entre les deux Etats en cause.
146. Le raisonnement de la majorité des membres de la Cour ne repose

donc pas sur un examen approfondi de la documentation susmentionnée,
qui révèle une réalité à laquelle j’attache la plus grpande importance : la
vulnérabilité, pour ne pas dire l’impuissance, des populations popprimées,
qui étaient les victimes directes d’un différend de longue dapte entre la
164
géorgie et la Fédération de Russie , lequel a pris les dimensions d’un
conflit armé au début d’août 2008. Le présent arrêt ne mentionne qu’en
passant les souffrances endurées par la population opprimée, parp exemple

à propos d’un accord conclu entre la géorgie et la Fédération de Russie
dès le 24 juin 1992, dans le préambule duquel les parties déclaraient s’effor -
cer de parvenir à « la cessation immédiate de l’effusion de sang » (par. 40).
147. Il n’entre pas dans mon propos de procéder à une analyse appro -

fondie de ces nombreux documents. Je me contenterai de mentionner
ceux d’entre eux que la Fédération de Russie ou la géorgie ont portés à
la connaissance de la Cour, et il faut les en féliciter, et qui illusptrent clai -
rement la question qui retient mon attention ici, à savoir celle de la dou -

leur et des souffrances des victimes silencieuses du différend et du conflit

164Comme le montrent, par exemple, les résolutions du parlement géorgien du
20 mars 2002 (concernant la situation en Abkhazie) et du 11 octobre 2005 (concernant le

«nettoyage ethnique auquel se livreraient des tierces parties » en Abkhazie et en Ossétie
du Sud), la lettre de la géorgie adressée le 27 octobre 2005 au Conseil de sécurité des
Nations Unies (Nations Unies, doc. S/2005/678) et celle du 10 novembre 2005 adressée au
Secrétaire général de l’ONU (Nations Unies, doc. A/60/552-S/2005/718), la déclaration de
la géorgie devant le Conseil de sécurité des Nations Unies le 26 janvier 2006 et le discours
prononcé devant l’Assemblée générale des Nations Unies le 23 septembre 2006, ainsi que
d’autres déclarations de même nature effectuées entre septpembre-novembre 2006 et août 2008.

234 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 301

armé entre la géorgie et la Fédération de Russie, ainsi que de la protec -
tion à leur assurer d’urgence. Ce que je tiens à dire, c’estp que cet aspect de
la présente affaire pouvait d’autant moins être passé sousp silence que la
Cour avait à connaître d’un différend relatif à un instprument de défense

des droits de l’homme de l’importance de la CIEdR.
148. La documentation que la Fédération de Russie a présentée àp la
Cour, en annexe de ses exceptions préliminaires du 1 erdécembre 2009 165,

contient les observations finales du Comité pour l’élimination pde la discri -
mination raciale au sujet des rapports soumis par la Fédération dep Russie
et la géorgie en application de la CIEdR. dans ses observations finales

du 22 mars 2001 sur le rapport initial présenté par la géorgie, le Comité
relevait déjà ce qui suit :

«La géorgie a été confrontée, depuis l’indépendance, à dpes conflits
ethniques et politiques en Abkhazie et en Ossétie du Sud. … Les
[conflits] en Ossétie du Sud et en Abkhazie ont entraîné une pdiscrimi -

nation à l’encontre de personnes d’origines ethniques différentes,
notamment d’un grand nombre de personnes déplacées à l’inptérieur
de leur propre pays et de réfugiés. » 166

149. Le Comité est revenu sur la question dans ses observations finales

du 15 août16705 sur les deuxième et troisième rapports périodiques de la
géorgie et, dans ses observations finales les plus récentes, le 13 août
2008, concernant les dix-huitième et dix-neuvième rapports périodiques
de la Fédération de Russie, il a notamment recommandé :

«à l’Etat partie d’enquêter de manière approfondie, par l’pintermé -
diaire d’un organe indépendant, sur tous les agissements illicitesp de
membres des forces de l’ordre qui auraient visé des ressortissantsp

géorgiens et des géorgiens de souche en 2006, et de prendre des
mesures pour éviter que de tels actes ne se reproduisent » 168.

150. La documentation présentée par la géorgie à la Cour, en annexe
de son mémoire du 2 septembre 2009 et de ses observations écrites sur
les exceptions préliminaires du 1 eravril 2010, contient plusieurs rap-

ports d’organisations internationales (Nations Unies, Conseil de l’Eu -
rope, Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE),
Union européenne) 169, ainsi que d’organisations non gouvernementales
170
(Human Rights Watch, Amnesty International) . Ces dernières relatent
des cas, pendant le conflit armé qui a éclaté le 7 août 2008, d’emploi aveugle

165
166Annexes 50, 63 et 70.
Nations Unies, doc. CERd/C/304/Add.120 du 27 avril 2001, par. 3-4. Le Comité
ajoutait : « A maintes reprises, l’attention a été appelée sur le fait qupe les autorités abkhazes
font obstruction au retour librement consenti des populations déplacépes. » (Ibid.,par. 4.)
167voir Nations Unies, doc. CERd/C/gEO/CO/3 du 27 mars 2007, par. 4-5.
168Nations Unies, doc. CERd/C/RUS/CO/19 du 20 août 2008, par. 13.
169Annexes (au mémoire) 56, 59, 60, 62, 71.
170Annexes (au mémoire) 150, 152, 156, 158.

235 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 302

de la force et de la violence contre des civils, d’attaque ethnique, pd’incendie
volontaire de maisons et de villages, de déplacement forcé de personnes et
autres violations des droits de l’homme et du droit humanitaire. mais ce
sont les premières, en particulier la commission de suivi 171de l’Assemblée

parlementaire du Conseil de l’Europe dans ses rapports successifs, qui
brossent un tableau d’ensemble des violences systématiques à l’porigine des
souffrances de la population des régions touchées par le conflpit armé et de

la protection à assurer d’urgence aux nombreuses victimes.
151. même si cet aspect particulier du cas d’espèce n’entre pas dapns le
cadre des relations interétatiques bilatérales (diplomatiques), pla Cour ne

pouvait, à mon avis, en faire abstraction au stade de l’examen desp exceptions
préliminaires — d’autant qu’elle venait d’ordonner des mesures provisoires
de protection (ordonnance du 15 octobre 2008) en la présente affaire, ayant
jugé qu’elle avait compétence prima facie en l’espèce (C.I.J. Recueil 2008,

p. 388, par. 117). mais, surtout, elle devait aller au-delà d’une vision stricte -
ment interétatique (diplomatique) du droit international traditionnel car,
chacun en convient, le jus gentium contemporain est loin d’être indifférent au

sort des populations.
152. Il ne faut donc pas oublier que, dans les rapports susmentionnés,
la commission de suivi de l’Assemblée parlementaire du Conseil de pl’Eu -

rope a pris soin d’appeler l’attention sur les conditions de vie dpe la popu-
lation victime du conflit. voici ce qu’elle écrivait dans l’un d’entre eux,
datant de la fin du mois d’avril 2009 :

«Les principes du droit international coutumier, à savoir que les
conditions de vie dans les zones occupées doivent constituer une des

préoccupations premières des parties à un conflit … [L]es conditions
de vie dans les zones occupées doivent constituer une des préoccuppa -
tions premières des parties à un conflit… » 172

La mission ajoutait que ces principes étaient d’une grande importapnce à

la lumière des allégations de «violations des droits de l’homme173 du droit
international humanitaire» pendant et après le conflit .
153. dans un rapport précédent publié à la fin janvier 2009, la com -
mission de suivi avait déjà donné l’alarme (par. 1, 46, 49 et 50), le nombre

de personnes déplacées à l’intérieur de la géorgie initialement enregistrées
par le HCR 174s’élevant à 133 000 17. Si l’on tient compte aussi du conflit

171C’est-à-dire la Commission pour le respect des obligations et des engagements deps

Eta172membres du Conseil de l’Europe (commission de suivi).
Conseil de l’Europe, Assemblée parlementaire, Suites données par la Géorgie et la
Rus173 à la résolution 1647 (2009), doc. 11.876 du 28 avril 2009, p. 6, par. 29-30.
Ibid., p. 5, par. 23.
174C’est-à-dire le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Outre le
HCR, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a reçu desp demandes émanant
des familles de personnes déplacées ou portées disparues.
175Conseil de l’Europe, Assemblée parlementaire, La mise en œuvre de la résolu -
tion 1633 (2008) sur les conséquences de la guerre entre la Géorgie et la ▯Russie, doc. 11.800
du 26 janvier 2009, p. 15, par. 58, et voir p. 2, 13, 14 et 21, par. 1, 46, 49-50 et 104.

236 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 303

de 1992 qui a également entraîné des déplacements forcés, le nombre total
de personnes déplacées dans la région au cours des années 1990 passe à
222 000, comme l’indique un autre rapport de la commission publié au

début du mois d’octobre 2008; selon ses auteurs, plus de 30 000 personnes
déplacées à la suite de la guerre d’août 2008, dont 25 000 originaires d’Os -
sétie du Sud et 6000 d’Abkhazie, « seront dans l’impossibilité de regagner
176
leur lieu de résidence d’origine, et ce, « à titre permanent »» .
154. La commission y déplore «les souffrances humaines» causées par la
guerre entre la géorgie et la Russie, et qui résultent en particulier nedte«yages
177
ethniques systématique» s en Ossétie du Sud et d’autres «violations des droits
de l’homme et du droit humanitaire commises par les deux parties dansp le
contexte de la guerre, telles que les meurtres ou blessures intentionnels ou
évitables de civils, ainsi que la destruction de bien »s17. pendant l’année 2009,

deux commissions de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Epurope ont
établi des rapports qui portaient aussi sur les souffrances de la ppopulation en
raison des conséquences humanitaires de la guerre entre la Russie et la géorgie.

155. dans un nouveau rapport publié à la mi-septembre 2009, la comm-is
sion de suivi a regretté que «peu de progrès tangibles» aient été enregistrés
pour remédier aux conséquences de cette «guerre tragique»: il n’y avait eu

aucune enquête sérieuse sur les allégations de « nettoyage ethnique à l’en -
contre de géorgiens de souche» et les responsables n’avaient pas été traduits
en justice 179. Les tensions ne s’étaient pas apaisées dans la région, ce pqui

nuisait à sa stabilité et à «la sécurité de tous les habitants»; il restait urgent
de protéger «les droits de l’homme et [d’]assurer la sécurité humanitair» ep18.
156. pour sa part, la commission des migrations, des réfugiés et de la

population de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, dans un
rapport publié au début du mois d’avril 2009, s’est également penchée sur
les problèmes qui continuaient de causer des souffrances à la population

«dont la peur persistait quant à une reprise des hostilités » (par. 95), à
savoir : a) les personnes détenues ou disparues (par. 39-46) ; b) les dépla -
cements forcés (par. 2) ; c) la réunification des familles (par. 25 et 45) ; et
d) la destruction de biens et le pillage (par. 30) 181.

176
Conseil de l’Europe, Assembléerparlementaire, Les conséquences de la guerre entre la
Géorgie et la Russie,doc. 11.724 du 1 octobre 2008, p. 3, par. 15 ;voir aussi p. 14, par. 36.
177 Ibid., p. 1 (résumé) et p. 15-16, par. 42 et 54. A ce propos, le rapport de la commis -
sion de suivi fait état « d’allégations plausibles d’actes de nettoyage ethnique commis dpans
des villages géorgiens en Ossétie du Sud et dans la « zone tampon » par des milices irrégu
lières et des gangs que les troupes russes n’ont pas arrêtésp » ;ibid., p. 1 (résumé).
178 Ibid., p. 3, par. 11 ; voir aussi p. 17, par. 60.
179 Conseil de l’Europe, Assemblée parlementaire, La guerre entre la Géorgie et la
Russie : un an après, doc. 12.010 du 14 septembre 2009, p. 3 et 7, par. 1 et 9-10 ; voir aussi

p. 180par. 6.
Ibid., p. 9 et 12, par. 27 et 49. Les auteurs du rapport ajoutaientqu’un nouvel
exode de ces populations des districts de gali et d’Akhalgori [était] malheureusement à
craindre » ;ibid., p. 14, par. 64.
181 Conseil de l’Europe, Assemblée parlementaire, Conséquences humanitaires de la
guerre entre la Géorgie et la Russie : suites données à la résolution 1648 (2009), doc. 11.859
du 9 avril 2009, p. 2, 8-11 et 16, par. 2, 25, 30, 39-46 et 95.

237 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 304

157. Ces rapports étaient accompagnés de résolutions (relatives au ptra-
vail d’enquête de la commission de suivi) de l’Assemblée paprlementaire du
182
Conseil de l’Europe qui mentionnaient aussi les souffrances de la popu-
lation opprimée. L’une de ces résolutions, à savoir la répsolution 1683
(2009) du 29 septembre 2009, après avoir évoqué cette « guerre tragique»
(par. 1), se référait au rapport de la «mission d’enquête internationale
indépendante sur les origines et le déroulement du conflit » créée par

l’Union européenne (par. 2).

158. Ce rapport figurait également dans la documentation que la géor-
gie a présentée à la Cour pendant l’examen des exceptions prpéliminaires
183
soulevées par la Fédération de Russie . La mission d’enquête commen -
çait par souligner que, à la suite d’une décision prise par ple Conseil de
l’Union européenne, c’était la première fois dans son histoire que
l’Union européenne décidait d’intervenir activement dans un conflit aprmé

grave et de créer une mission d’enquête à la suite du conflpit (p. 2). Elle
ajoutait :

«La plupart des personnes directement impliquées dans le conflit
se souviennent d’abord et surtout du sort et des souffrances des vipc -
times. Le conflit armé de 2008 a malheureusement été marqué par de
nombreux crimes commis en violation du droit international huma -

nitaire et du droit des droits de l’homme…
pour ce qui était du conflit en Ossétie du Sud et dans les régpions
adjacentes du territoire de la géorgie, la mission a établi que toutes
les parties au conflit — forces géorgiennes, forces russes et forces

d’Ossétie du Sud — avaient commis des violations du droit interna -
tional humanitaire et du droit des droits de l’homme…» (par. 25-26.)

159. La mission avait constaté des «déplacements forcés systématiques
de géorgiens de souche qui étaient restés chez eux après le dépclenchement
des hostilités» (par. 27). Les violations des droits de la personne prenaient
essentiellement la forme d’attaques menées sans discrimination et pde mau -

vais traitements, de déplacements forcés et de destruction de bienps:

«Le nombre de personnes déplacées et de réfugiés était conpsidé -
rable, ce qui aggravait encore la situation. Quelque 135 000 per-
sonnes auraient fui leur foyer, la plupart d’entre elles venant de
régions d’Ossétie du Sud ou des environs. Si la majorité s’pest réfugiée

dans d’autres régions de la géorgie, un nombre non négligeable a
cherché refuge en Russie. La plupart fuyaient les dangers et l’inspécu -
rité liés au conflit. mais on a également constaté de nombreux cas de

182par exemple, résolution 1647 du 28 janvier 2009 ; résolution 1633 du 2 octobre 2008
(déplacements forcés, par. 15 et 24, al. 3) ; résolution 1683 du 29 septembre 2009 (alléga -
tions de «nettoyage ethnique », par. 9).
183voir annexes 120 et 121 aux observations écrites de la géorgie sur les exceptions
préliminaires du 1 avril 2010.

238 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 3)05

déplacements forcés en violation du droit international humanitairpe
et des droits de l’homme. » (par. 28.)

160. Comme nous l’avons vu, dans les rapports d’enquête examinés
ci-dessus, le conflit armé russo-géorgien de 2008 a été qualifié de « guerre
tragique», tous ceux qui s’en souviennent étant restés marqués papr le s «ort

et [l]es souffrances des victimes » (voir ci-dessus). même des événements
plus anciens, bien antérieurs au conflit armé de 2008, ont été qualifiés de
«tragiques». Cette qualification des faits par la géorgie est brièvement évo -
quée dans le présent arrêt, au paragraphe 55 (les « événements tragiques»

de 1993), au paragraphe 61 (les « événements tragiques» de 1998) et au
paragraphe 71 (les « conséquences tragiques» des événements de 2001).
pourtant, cette dimension — le facteur humain — ne se retrouve pas du
tout dans l’analyse des faits que la Cour a elle-même réalisée, dans son
arrêt, pour statuer sur les exceptions préliminaires soulevées pdevant elle.

161. En ce qui concerne la première de ces exceptions, par exemple, il
a fallu quatre-vingt-douze paragraphes à la Cour pour reconnaître que,
selon elle, un différend juridique s’était finalement cristallisé le 10 août
2008 (par. 93), seulement après l’éclatement d’une guerre ouverte et décla -

rée entre la géorgie et la Russie ! Je trouve cela vraiment extraordinaire :
voici un différend juridique qui ne s’est fait jour qu’après le déclenche -
ment d’une vague de violence et d’une guerre généralisée ! Existe-t-il des
différends foncièrement et ontologiquement juridiques coupés de toutes
ramifications ou considérations politiques ? Je ne pense pas. Ce même rai -

sonnement formaliste conduit la Cour, au bout de soixante-dix para -
graphes, à retenir la deuxième exception préliminaire, sur la bpase de
prétendues «conditions préalables» (non remplies) de son invention — en
s’écartant à mon sens de sa propre jurisprudence constante et dpe la doc -

trine juridique internationale, plus éclairée.
162. Selon les traités relatifs aux droits de l’homme, les personnes
concernées, qui se trouvent en situation de grande vulnérabilitép ou de
grande détresse, doivent bénéficier d’un degré de protectpion plus élevé; or
la Cour, dans cette affaire portée devant elle sur la base de la CIpEdR, a

jugé au contraire qu’un degré de consentement des Etats plus éplevé était
requis pour qu’elle puisse exercer sa compétence. Ce faisant, ellep a ren -
voyé le présent différend devant les parties en litige. Les cpris de souffrance
des victimes (des deux camps) du conflit russo-géorgien d’août 1998

semblent avoir été entendus au palais des droits de l’homme à Strasbourg, 184
dans la décision rendue sur la recevabilité de l’affaire Géorgie c. Russie ,
mais être restés sans écho au palais de la paix, ici à La Haye.
163. Cela justifie d’autant plus, à mes yeux, de considérer la prépsente
affaire comme une véritable tragédie, surtout du point de vue des familles

et des personnes qui en ont été les victimes. La tragédie va dep pair avec

184voir Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), affaire Géorgie
c. Russie (requête n 13255/07, décision du 30 juin 2009, par. 1-51) : la Cour, à la majorité,
a déclaré la requête recevable (sans préjuger le fond de l’paffaire) et a joint au-fond les excep
tions préliminaires (tout à fait distinctes) soulevées devantp elle.

239 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 306

l’existence humaine ; nul ne peut être certain d’y échapper avant d’avoir
franchi le seuil de sa propre existence sans avoir connu ni la souffrapnce
ni l’injustice, pour reprendre la mise en garde formulée par Sophocle
(497-405 av. J.-C.) dans l’une de ses pièces. Il n’est guère surprenant pque
les chefs-d’œuvre de cet auteur, comme ceux d’Eschyle (525-456 av. J.-C.)

peu avant lui et ceux de son contemporain Euripide (484-406 av. J.-C.),
n’aient pas cessé d’être représentés à travers les psiècles, encore et encore,
depuis le v e siècle avant J.-C. jusqu’à notre époque, dans différentes par -
ties du monde, et dans différentes langues. Leur message est empreipnt de
modernité — ce qu’ont parfaitement compris les générations successives

du monde entier au fil des siècles — en tant qu’il touche au malheur et
aux souffrances propres à la condition humaine.
164. Sur ce fond de violence dépeint dans les représentations des tragép -
dies grecques intemporelles du v siècle avant J.-C. ressortait une mise en
garde fort à propos quant au destin (comme dans l’Œdipe roi de Sophocle,

ou dans son Ajax) et au caractère aléatoire de l’existence humaine, jusqu’àp
son terme. Les tenants du rationalisme et d’un prétendu « réalisme» ont
tenté de mettre un terme à la tragédie, et ont totalement écphoué puisque,
depuis des temps immémoriaux, l’existence humaine rime avec irratipona -
lité et brutalité. Il n’est pas étonnant que les tragédieps de la grèce antique
aient aussi fait apparaître une soif et une quête de justice (parp exemple

dans l’Hécube d’Euripide, ou dans la trilogie eschyléenne de L’Orestie,
en particulier dans Les Euménides) qui demeurent intactes aujourd’hui.
depuis cette époque, les impératifs de la conscience humaine ont épté pris
en considération, même lorsqu’ils entraient en conflit avec lpes règles du
droit de la polis (je songe par exemple à l’Antigone de Sophocle); ce conflit

a donné lieu, pour reprendre les termes qui se sont progressivement cpris -
tallisés au long des siècles suivants, à l’opposition du dropit naturel — ém-a
nation de la recta ratio — et du droit positif (jus positum), dans le cadre
de cette quête de justice.
165. Le besoin de justice invoqué découle, entre autres, des rituels

effectués en hommage aux défunts et aux victimes. La tragédiep renvoie en
outre au processus d’apprentissage par la souffrance (comme, làp encore,
dans la trilogie eschyléenne de L’Orestie, en particulier dans Agamem -
non). La tragédie a survécu au rationalisme, au prétendu « réalisme», et
elle reste manifestement d’actualité, en tant qu’elle condamne les traite -

ments cruels, inhumains et dégradants (inutiles et abominables en toputes
circonstances) — qui n’ont malheureusement toujours pas disparu à notre
époque. Les victimes de la « guerre tragique» de 2008 entre la géorgie et
la Fédération de Russie, celles qui ont perdu la vie et leurs proches qui
ont survécu, et celles qui ont été déplacées par la forcep de leurs foyers et
ne sont pas en mesure d’y retourner librement depuis, n’ont pas enpcore

obtenu justice… En tant que membre de la Cour internationale de Justice
(saisie de l’affaire qui les touche), je ne puis que le regretterp vivement.
Summum jus, summa injuria.
166. A cet égard, qu’il me soit permis de rappeler enfin, toujours dansp
une perspective temporelle, que, dans la période tragique de l’entpre-deux-

240 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 307

guerres qui a marqué la première moitié du xx siècle, l’un des pionniers
de la protection internationale des droits de l’homme (presque oublipé à
notre époque mouvementée), le juriste russe André Nicolaïevitch man -

delstam, s’affligeait de ce que l’ordre juridique international de son temps
accordait «une complète impunité à l’Etat violant les droits les plus spacrés
de l’individu », et aspirait à un nouvel ordre juridique qui « obligerait
l’Etat à reconnaître » à chaque être humain un certain « minimum de
droits». dans son ouvrage de 1931, qui sonne quelque peu comme une

mise en garde prémonitoire, il ajoutait :

«L’horrible expérience de notre temps a démontré que les abusp
éventuels, qui pourraient naître de cette imprécision et de l’pabsence
de sanctions, sont beaucoup moins à redouter que ceux qui résultenpt
de la reconnaissance à l’Etat d’un pouvoir illimité sur la vie et la
liberté de ses sujets. »85

xI. Les traités relatifs paux droits de l’hommep
en tant qu’instrumenpts vivants

167. dans le présent arrêt sur les exceptions préliminaires, la Cour p
retient la deuxième exception sur la foi de son propre raisonnement,
strictement fondé sur une analyse textuelle ou grammaticale de la clause
compromissoire (art. 22) de la CIEdR (par. 135). Elle ne dit rien sur le
contexte, pas plus qu’elle ne tente, au minimum, de relier ladite clapuse

compromissoire à l’objet et au but de la CIEdR, eu égard à la teneur et
à la nature de la Convention dans son ensemble. La Cour passe totalement
sous silence l’importance historique de cette convention en tant que ptraité
pionnier dans le domaine des droits de l’homme, ainsi que l’actualpité de

cet instrument pour répondre aux nouveaux défis — et préoccupations
légitimes — de l’humanité, aux fins d’interpréter la clause comprompissoire
contenue dans cet instrument.
168. de plus, le raisonnement de la Cour me paraît statique, tentant de
transposer à notre époque les intentions qui — dans l’esprit de la majo -

rité — animaient les rédacteurs de la Convention (ou certains d’entre eux)
il y a près d’un demi-siècle, sur la base d’un argument d’ordre textuel ou
grammatical. La Cour note que, « à l’époque» où la CIEdR « a été rédi -
gée, l’idée de consentir au règlement obligatoire des diffpérends par [elle]

n’était pas facilement acceptable pour nombre d’Etats » (par. 147). La
Cour tâche ensuite d’en tirer les conséquences, au point d’apvancer
aujourd’hui, en 2011, un raisonnement qui a pour effet de geler ou de
paralyser le droit international dans le domaine qui nous occupe ici, àp
savoir celui de la protection de la personne humaine, d’empêcher spon

développement progressif et — chose incompréhensible — de limiter sa
propre compétence !

185A. N. mandelstam, Les droits internationaux de l’homme, paris, Editions internatio-
nales, 1931, p. 138.

241 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 3)08

169. La Cour ne fait référence nulle part dans son arrêt à la manpière
dont la CIEdR a été réellement appliquée dans la pratique, tout au long p
des dernières décennies, afin de servir son objet et son but au bénéfice de
millions d’êtres humains. Elle ne reconnaît nulle part que la CpIEdR
— comme les autres instruments de défense des droits de l’homme — est
un traité vivant, qui a acquis une existence propre, indépendamment des

«intentions» supposées de ses auteurs il y a près d’un demi-siècle. même
si l’on adopte la perspective statique dans laquelle se place la Cour, il
reste que le règlement obligatoire des différends par celle-ci comptait déjà
des adeptes au moment de l’élaboration de la CIEdR — ainsi qu’exposé
plus haut — et qu’il rallie encore davantage de suffrages aujourd’hui, p
en 2011, pour ce qui est des obligations prévues dans cette convention ept

dans d’autres traités relatifs aux droits de l’homme.
170. Je rappellerai ici que, une quinzaine d’années avant l’adoptionp de
la CIEdR, dans son opinion dissidente en l’affaire de l’Anglo-Iranian Oil
Co. (Royaume-Uni c. Iran) portée devant la Cour, le juge Alejandro
Alvarez avait critiqué les méthodes traditionnelles d’interpréptation

consistant à s’en tenir strictement à la lettre des traités p(auxquels était
prêté un « caractère de pérennité et de fixité ») et à faire trop grand cas de
l’aspect « grammatical» sans envisager « l’ensemble» de la convention
(exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1952, p. 125). de son point de
vue :

«on ne doit pas s’attacher strictement à la teneur littérale desp textes
légaux ou conventionnels … Ce qui s’impose … est de prendre en
considération surtout l’esprit de ces textes, la volonté des parties s’il
s’agit d’une convention, en les dégageant de l’ensemble de lp’institu -

tion ou de la convention, voire même des nouvelles exigences de la
vie internationale … [U]ne convention, une fois établie, acquiert une
vie propre et évolue conformément, non pas aux idées ou à la volonté
de ceux qui ont rédigé ses dispositions, mais aux conditions chan -
geantes de la vie des peuples. » (Ibid., p. 126.)

171. Le juge Alvarez rappelait en outre ce qui suit :

«il faut recourir à l’esprit de la Charte des Nations Unies dont le
Statut de la Cour fait partie intégrante…, ainsi qu’aux principes géné-
raux du droit des gens…
[L]a Cour actuelle est, d’après son Statut, une Cour de Justice et,

de ce fait, ainsi que du dynamisme de la vie internationale, elle a
aujourd’hui une double mission : dire le droit et développer le droit. »
(Ibid., p. 131-132.)

172. Ces considérations s’appliquent avec encore plus de force dans le pcas
des traités relatifs aux droits de l’homme, qui sont des instruments vivants,
et qui accompagnent l’évolution des temps et du milieu social au spein duquel
sont exercés les droits protégés, afin de répondre aux nouvepaux besoins de
protection de la personne humaine. Leur interprétation dynamique ou épvo -

lutive se retrouve dans la jurisprudence internationale. Un locus classicus à

242 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 309

ce sujet figure dans l’avis consultatif rendu par la Cour en l’affaireNamibie
(1971), dans lequel celle-ci a indiqué que le système des mandats (territoires
sous mandat), et en particulier les notions consacrées à l’artpicle 22 du pacte
de la Société des Nations «n’étaient pas statiques mais par définition évolu -
ti[fs]». Et la Cour d’ajouter une précision importante:

«son interprétation ne peut manquer de tenir compte de l’évolutipon
que le droit a ultérieurement connue grâce à la Charte des

Nations Unies et à la coutume. de plus, tout instrument internatio -
nal doit être interprété et appliqué dans le cadre de l’ensemble du
système juridique en vigueur au moment où l’interprétation ap lieu …
dans ce domaine comme dans les autres, le corpus juris gentium s’est
beaucoup enrichi et, pour pouvoir s’acquitter fidèlement de ses fonc -

tions, la Cour ne peut l’ignorer. » (Conséquences juridiques pour les
Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud▯-
Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de
sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 31-32, par. 53.)

173. dans le même ordre d’idées, sur le chapitre de la protection intper -
nationale des droits de l’homme, la Cour européenne des droits de
l’homme a fait valoir dans l’affaire Tyrer c. Royaume-Uni (arrêt du
25 avril 1978) que la convention européenne des droits de l’homme étaitp

«un instrument vivant » à interpréter à la lumière des conditions d’exis -
tence actuelles (par. 31). Elle est restée fidèle à ce point de vue dans
d’autres arrêts rendus dans des affaires de premier plan, tellesp que l’affaire
Airey c. Irlande (du 9 octobre 1979), Marckx c. Belgique (du 13 juin 1979)
ou Dudgeon c. Royaume-Uni (du 22 octobre 1981).

174. La Cour européenne des droits de l’homme s’en tient toujours à
cette position à l’heure actuelle. Cette interprétation évolputive témoigne
de l’incidence de la dimension temporelle en matière d’interprétation juri -
dique. dans son arrêt du 28 juillet 1999 en l’affaire Selmouni c. France
— pour citer un autre exemple —, après avoir répété que la Convention

était «un instrument vivant », qui devait être interprété « à la lumière des
conditions de vie actuelles », la Cour européenne a ajouté que :

«le niveau d’exigence croissant en matière de protection des droitsp de
l’homme et des libertés fondamentales implique, parallèlement ept iné -
luctablement, une plus grande fermeté dans l’appréciation des aptteintes
aux valeurs fondamentales des sociétés démocratiques» (par. 101).

175. plus récemment, dans le même sens, la Cour européenne des
droits de l’homme a confirmé sa position, ipsis literis, dans son arrêt du
7 janvier 2010 en l’affaire Rantsev c. Chypre et Russie (par. 277). des
années auparavant déjà, elle avait dûment précisé que pson interprétation

évolutive n’était pas limitée aux normes de fond de la Convention, mais
s’appliquait également à des clauses d’exécution comme leps clauses facul -
tatives (telles qu’elles existaient avant l’entrée en vigueur pdu protocole
no 11 de la Convention, le 1 er novembre 1998).
176. Ainsi, dans la célèbre affaire Loizidou c. Turquie (exceptions préli -

243 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 310

minaires, 1995), la Cour européenne des droits de l’homme a une npouvelle
fois indiqué que la convention européenne, en tant «qu’instrument consti-

tutionnel de l’ordre public européen » (par. 75), était « un instrument
vivant» à interpréter à travers le prisme des conditions de vie dup moment.
Elle a ajouté que même les clauses facultatives (de l’époqupe) — sur l’ac -
ceptation du droit de recours individuel (art. 25) et la juridiction obliga -
toire de la Cour (art. 46) — ne pouvaient être interprétées uniquement à

travers le prisme des intentions qui avaient pu animer leurs rédacteurs
plus de quarante ans auparavant 186.
177. La même conception a également été avancée, de l’autrep côté de
l’Atlantique, par la Cour interaméricaine des droits de l’hommep, qui, elle

aussi, a adhéré à cette interprétation évolutive pour ce pqui est de la conven -
tion américaine relative aux droits de l’homme, notamment dans son arrêt
(du 18 août 2000) en l’affaire Cantoral Benavides c. Pérou (par. 99). Qui
plus est, dans son avis consultatif n o 16 précurseur (du 1 eroctobre 1999)

sur The Right to Information on Consular Assistance in the Framework of
the Guarantees of the Due Process of Law, la Cour interaméricaine, après
avoir renvoyé (par. 113) à l’avis consultatif de la Cour internationale de
Justice sur la Namibiede 1971, ainsi qu’à la jurisprudence de la Cour euro -

péenne des droits de l’homme en la matière, a déclaré quep:
«les traités relatifs aux droits de l’homme sont des instruments dypna -

miques dont l’interprétation doit suivre l’évolution des tempps et les
conditions de vie du moment.
Le corpus juris du droit international consacré aux droits de l’homme
comprend un ensemble d’instruments internationaux au contenu et

aux effets juridiques variés (traités, conventions, résolutipons et déclara -
tions). Son évolution dynamique a eu une influence positive sur le
droit international, en ce sens qu’elle a confirmé et développép la capa -
cité de ce dernier de réglementer les relations entre les Etats etp les êtres

humains dans leurs sphères de compétence respectives. dès lors, la
Cour doit suivre une démarche appropriée pour répondre à la pques -
tion en cours d’examen dans le cadre de l’évolution des droits pfonda-
mentaux de la personne humaine en droit international moderne. »
(The Right to Information on Consular Assistance in the Framework of

the Guarantees of the Due Process of Law, par. 114-115.)
o
178. plusieurs années auparavant, dans son avis consultatif n 10 (du
14 juillet 1989), la Cour interaméricaine des droits de l’homme avait indi -
qué qu’elle interpréterait la déclaration américaine des pdroits et devoirs de
l’homme de 1948 non pas à la lumière de la façon dont elle était perçpue

en 1948, à l’époque de son adoption, mais « par rapport au moment pré -
186
La Cour européenne des droits de l’homme a estimé que, même si les rédacteurs
avaient été favorables à des restrictions (autres que ratione temporis) dans le cadre de ces
clauses facultatives — ce qui n’était pas démontré en l’espèce —, cet élément n’aurait pas
revêtu une importance décisive (par. 71)au contraire, la pratique suivie par les Etats
parties au fil des ans milite en faveur d’une acceptation inconditionpnelle desdites clauses
facultatives de la Convention.

244 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 311

sent, face au système interaméricain actuel » de protection, compte tenu
de l’« évolution intervenue depuis son adoption » (par. 37). partant, les
Cours européenne et interaméricaine des droits de l’homme ont ipnterprété

les traités en question non pas de manière statique, en ne retenanpt que le
consentement exprimé par l’Etat à l’époque de leur adoptipon, mais dans
une perspective évolutive, en tenant compte des progrès accomplis pau fil

des ans dans le corpus de la société humaine sur le chapitre de la protec -
tion des droits de l’homme.
179. La présente affaire concerne l’Application de la convention inter-

nationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination▯ raciale. La
CIEdR est, elle aussi, un instrument évolutif. Il s’agit d’un traitpé réellement
novateur dans le domaine des droits de l’homme, puisqu’elle a épté conclue
avant les deux pactes des Nations Unies de 1966 sur les droits de l’homme.

des études historiques font état de l’«enthousiasme» et des attentes consi -
dérables sur le fond desquels la naissance de la CIEdR «fut accueillie» 18.
Ses rédacteurs avaient à l’esprit, notamment, les dispositions pinédites de la

déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, tant et si bpien qu’ils
les reprirent au sein même du régime juridique constitué par lap CIEdR,
concevant ainsi un traité «maximaliste» en matière de droits de l’homme 18.
189
La CIEdR, instrument universel s’il en est , occupa vite une place de
premier plan dans le droit des Nations Unies lui-même.
180. depuis son adoption, la CIEdR offre un rempart contre une

grave violation d’une norme de jus cogens (l’interdiction absolue de la
discrimination raciale) — norme dont découlent des obligations erga
omnes —, et elle a influé sur les instruments universels adoptés papr la suite
190
au niveau international (Nations Unies) . Au fil des ans, l’organe inter -
national chargé de surveiller sa mise en œuvre, le Comité pour pl’élimina -
tion de la discrimination raciale, a enrichi le corpus juris gentium moderne
191
sur l’égalité et la non-discrimination . Le principe fondamental de l’égalité
et de la non-discrimination fut consacré, dans l’un des rares moments ou
éclairs de lucidité du xx e siècle, par la déclaration universelle des droits
de l’homme de 1948, et fut repris aux quatre coins du monde :

«Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et epn

droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir lesp
uns envers les autres dans un esprit de fraternité. » (Art. premier.)

187Egon Schwelb, « The International Convention on the Elimination of All Forms
of Racial discrimination », International and Comparative Law Quarterly, vol. 15 (1966),
p. 997.
188Ibid., p. 1024 et 1057, et voir p. 998, 1003, 1025-1026 et 1028.
189N. Lerner, The UN Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimina-

tio190Alphen aan den Rijn, Sijthoff & Noordhoff, 1980, p. Ix et 11. e
voir N. Lerner, Group Rights and Discrimination in International Law, 2 éd.,
La Haye, Nijhoff, 2003, p. 59, 71 et 177.
191voir notamment W. vandenhole, Non-Discrimination and Equality in the View of
the UN Human Rights Treaty Bodies, Anvers, Intersentia, 2005, p. 1-293 ; et, au niveau
normatif, voir par exemple J. Symonides (dir. publ.), The Struggle against Discrimination,
paris, Unesco, 1996, p. 3-313.

245 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 312

Ce principe est à la base — que dis-je, il constitue l’un des piliers — non

seulement de la CIEdR, mais aussi du droit international relatif aux
droits de l’homme dans son ensemble 192; il relève, à mes yeux, du domaine
du jus cogens international 193.

181. du fait de son propre arrêt en l’affaire relative à l’Application de
la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discri -
mination raciale, dans lequel elle a retenu la deuxième exception prélimi -
naire, la Cour s’est privée de la possibilité de déterminer psi le présent

différend — qui a fait tant de victimes — relevait ou non de la CIEdR. Je
suis fermement opposé à l’ensemble de son raisonnement, ainsi qpu’à ses
conclusions au sujet de la deuxième exception préliminaire et de spa com -

pétence, pour les arguments et motifs exposés dans la présente popinion
dissidente. L’issue fâcheuse de la présente affaire révèple que, en dépit de
tous les progrès accomplis pour la dignité humaine en vertu de la pCIEdR,
beaucoup reste encore à faire : la lutte pour imposer le respect des droits

de l’homme est sans fin, comme dans le mythe de Sisyphe.
182. La CIEdR, instrument évolutif adopté il y a quarante-cinq ans, se
révèle ainsi être d’une modernité à toute épreuve. pdepuis son adoption le

21 décembre 1965, et son ouverture à signature le 7 mars 1966, deux confé -
rences mondiales contre le racisme et la discrimination raciale ont eu lpieu
à genève, en 1978 et 1983. dix ans plus tard, les documents finaux de la
deuxième conférence mondiale sur les droits de l’homme (1993)p — bap-

tisés la déclaration et le programme d’action de vienne — indiquaient
que :

«Eliminer rapidement et intégralement toutes les formes de racisme
et de discrimination raciale, ainsi que de xénophobie, et l’intoléprance
dont elles s’accompagnent, est pour la communauté internationale

une tâche prioritaire … [La conférence mondiale] souligne la néces -
sité d’accorder une attention particulière, en faisant notammenpt
appel au concours d’organisations intergouvernementales et humani -

taires, aux problèmes des personnes déplacées à l’intéprieur de leur
propre pays et d’y apporter des solutions durables, notamment en
favorisant le retour volontaire dans la sécurité et la réinsertpion … La
conférence mondiale sur les droits de l’homme engage tous les Etatps

à prendre sur-le-champ, individuellement et collectivement, des
mesures pour combattre le nettoyage ethnique afin d’y mettre rapide -
ment un terme. Les victimes de cette pratique odieuse ont droit à desp
194
recours appropriés et efficaces. »

192voir à cet effet, notamment, T. Opsahl, Law and Equality, Oslo, Ad Notam
gyldendal, 1996, p. 167-176.
193Cour interaméricaine des droits de l’homme, avis consultatif no18 (du 17 sep-
tembre 2003), Juridical Condition and Rights of Undocumented Migrants (Sort juridique
et droits des migrants sans papiers), par. 97-1voir également opinion individuelle de
m. le juge A. A. Cançado Trindade, par. 65-89.
194par. I.15, I.23 et II.24, respectivement ; voir également par. I.28 (la partie I corres -

pond à la déclaration de vienne, la partie II au programme d’action).

246 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 313

183. La CIEdR semble même gagner du terrain puisqu’elle s’applique

à différentes sortes de relations, c’est-à-dire non pas uniquement à celles
des personnes avec l’Etat en tant que puissance publique, mais aussi paux
relations entre individus ou entre groupes. Un autre fait important est

qu’elle porte sur des situations touchant des individus ou des groupeps
vivant — ou survivant — dans un état de vulnérabilité ou de détresse
considérable. En tout état de cause, les relations qu’elle visep à réglementer
dépassent largement la dimension strictement interétatique — ce que la

Cour semble avoir beaucoup de peine à saisir. La Cour doit suivre l’pévo -
lution du droit international dans ce domaine de la protection lorsqu’pelle
est priée, comme ici, de trancher une affaire sur la base d’un tpraité relatif

aux droits de l’homme.
184. Huit ans après l’adoption de la Convention et du programme
d’action de vienne de 1993 par la deuxième conférence mondiale des
Nations Unies sur les droits de l’homme (si présente dans ma mémoire),

la conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, pla
xénophobie et l’intolérance qui y est associée (durban, 2001) exhorta à
son tour les Etats, dans la déclaration adoptée à l’issue de la rencontre, à

adhérer à la CIEdR sans at195dre « en vue de sa ratification universelle
d’ici à 2005 » (par. 75) . Cet appel eut rapidement des répercussions au
sein de l’Assemblée générale des Nations Unies elle-même 19, et sur les
travaux du Comité pour l’élimination de la discrimination raciaple 197.

185. dans la déclaration et le programme d’action de durban, l’accent
était mis sur la nécessité urgente de « s’attaquer aux causes profondes des
déplacements de population » et de trouver des solutions durables à ce

problème (par. 54), et un appel était lancé pour que les « victimes de dis -
crimination» et les « groupes les plus vulnérables » puissent avoir accès à
la justice — égalité oblige (par. 42 et 164, al. f)). Etaient également évo -
quées à plusieurs reprises les « tragédies du passé » qui avaient frappé

l’être humain (par. 98-101 et 106), et certaines « tragédies effroyables dans
l’histoire de l’humanité » (par. 13), dont les enseignements devaient être
tirés afin « d’éviter à l’avenir de nouvelles tragédies » (par. 57). La confé -

rence mondiale des Nations Unies de 2001 semble avoir mené ses travaux
sous le spectre et dans la crainte de l’éternelle tragédie humapine, qui est
intimement liée à la condition même de l’homme.

195
Rappelons que la Fédération de Russie (alors l’URSS) est devepnue partie à la
CIEdR le 4 février 1969, tandis que la géorgie l’a fait trente ans plus tard, le 2 juin 1999.

196voir, par exemple, les résolutions de l’Assemblée générale 61/149 (du 19 dé -
cembre 2006) et 62/220 (du 22 décembre 2007), sur la mise en œuvre globale et sur le suivi
de la déclaration et du programme d’action de durban, dans le cadre de l’action menée
pour l’élimination de toutes les formes (même nouvelles) de discrimination raciale et de l’in-
tolérance qui lui est associée, y compris la ségrégation de facto.
197dans sa « recommandation générale » n xxvIII du 19 mars 2002, par exemple, le
Comité pour l’élimination de la discrimination raciale a souligpné que la déclaration et le
programme d’action de durban confirmaient les «valeurs … fondamentales » sous-tendant

la CIEdR, et étaient directement liés à la mise en œuvre de celle-ci.

247 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 314

xII. Observations finales, pen guise de récapitulpatif

186. de toutes les considérations qui précèdent, il ressort de manière évi -
dente que ma propre position, à l’égard de l’ensemble des popints qui font
l’objet du présent arrêt en l’affaire relative à l’Application de la convention
internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimina▯ tion raciale,

est clairement à l’opposé du point de vue adopté par la majorité de la Cour.
Elle n’entre pas non plus exactement dans le cadre conceptuel de l’popinion
dissidente commune, mais le dépasse. ma position dissidente est en effet
fondée non seulement sur l’appréciation des éléments de ppreuve qui ont été
présentés à la Cour — aspect certes important — mais, avant tout, sur des
questions de principe auxquelles j’attache une importance plus grande

encore. Je me suis donc senti tenu, pour servir la justice internationalpe comme
il se doit, d’exposer dans la présente opinion dissidente les fondpements de
mon désaccord en l’instance. Il me semble indiqué, à ce stade, de récapituler
tous les aspects de ma position dissidente que j’ai exposés jusqu’pici, par souci
de clarté et pour bien montrer qu’ils sont liés les uns aux autpres.

187. Primus: L’examen des clauses compromissoires, telles que celle
contenue à l’article 22 de la CIEdR, ne peut être dissocié du cadre plus
général de la juridiction obligatoire de la Cour de La Haye (Cour perma -
nente et Cour actuelle). Secundus : S’agissant de la genèse de la question,
le comité consultatif de juristes de 1920 était clairement favorabple à la
juridiction obligatoire, qui se heurta aux vues divergentes des organes p

politiques de la Société des Nations, d’où la modification de la clause de
juridiction et la coexistence ultérieure de la clause facultative avepc les
différents types de clause compromissoire — autant de bases fondant la
Cour de La Haye à exercer sa juridiction obligatoire.
188. Tertius: La conférence de San Francisco de 1945 maintint cette
coexistence des clauses compromissoires avec le mécanisme de la clauspe

facultative, non sans prendre acte de la préférence de la commissipon de
juristes de 1945 pour l’établissement de la juridiction obligatoire de la
Cour; la force d’inertie l’emporta alors. Quartus: La pratique ultérieure des
Etats montre que la doctrine juridique internationale déplorait la prpopen -
sion des Etats à n’adhérer à la clause facultative qu’àp leurs propres cond- i
tions, et que l’on misait davantage sur les clauses compromissoires ppour

contribuer plus efficacement à la réalisation de la justice interpnationale.
189. Quintus: La doctrine juridique internationale des années 1950 aux
années 1980 révèle une volonté de dépasser les vicissitudes de la «v polonté»
des Etats et de faire accepter davantage la juridiction obligatoire de lpa
Cour, par le jeu des clauses compromissoires. Sextus : par la suite (à par -

tir de la fin des années 1980) est apparue dans la doctrine juridiqupe inter-
nationale une tendance plus pragmatique, toujours en quête de cet ancpien
idéal, mais consistant à rattacher les clauses compromissoires en question
à la nature et au fond des traités correspondants ; ce courant de pensée
juridique s’est développé à la faveur de l’expérience paccumulée au fil des
ans dans le domaine de l’interprétation et de l’application desp traités rela -

tifs aux droits de l’homme, tels que la CIEdR dans la présente affaire.

248 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 315

190. Septimus: L’essor des traités relatifs aux droits de l’homme a
contribué à enrichir le jus gentium moderne, dont il a accru la capacité de
réglementer les relations non seulement entre les Etats, mais aussi à l’inté -
rieur de l’Etat, comme les parties en litige (la géorgie et la Fédération de
Russie) l’ont elles-mêmes reconnu en l’instance, dans leurs répponses à la
question que j’avais jugé utile de poser à l’une et à l’pautre au terme de

l’audience publique du 17 septembre 2010. Octavus : En l’espèce, les par -
ties en litige elles-mêmes ont ainsi dûment tenu compte de la nature du
traité relatif aux droits de l’homme qui était en cause, à spavoir la CIEdR;
la Cour est la seule à ne pas l’avoir fait.
191. Nonus: L’herméneutique des traités relatifs aux droits de l’homme, p
fidèle à la règle générale de la bonne foi dans l’inteprprétation des traités

(paragraphe 1 de l’article 31 des deux conventions de vienne sur le droit
des traités, datées de 1969 et de 1986 respectivement), tient compte des
trois éléments constitutifs du texte, à savoir le sens ordinairpe de ses termes,
son contexte, et l’objet et le but du traité en question, auxquels s’ajoute la
nature du traité dans lequel figure la clause (facultative ou compromis -

soire) prévoyant la compétence obligatoire. Decimus : La règle générale
d’interprétation des traités repose sur le principe ut res magis valeat quam
pereat (dit de l’« effet utile »), à savoir que les Etats parties à des traités
relatifs aux droits de l’homme doivent veiller à ce que les dispospitions de
ceux-ci produisent les effets voulus dans leur droit interne ; ce principe
s’applique à l’égard non seulement des normes de fond de ces traités, mais

aussi des normes procédurales, telles que celle qui concerne l’acceptation
de la juridiction obligatoire, en matière contentieuse, des organes jpudi -
ciaires de protection existant à l’échelle internationale.
192. Undecimus: dans la jurisprudence internationale consacrée aux
droits de l’homme, l’accent a toujours été mis sur le fait qpue les prescrip -
tions des traités conclus en la matière devaient être interpréptées de manière

à rendre effective la sauvegarde de ces droits; à cet égard, l’article 22 de la
CIEdR n’impose aucune « condition préalable» à la saisine de la Cour.
Duodecimus: Le fait de poser de telles « conditions préalables» — alors
qu’elles n’existent pas — revient à faire obstacle, de manière indue et infon -
dée, à l’accès à la justice prévu par un traité relpatif aux droits de l’homme.
Tertius decimus: dans sa propre jurisprudence constante, la Cour (tant

l’actuelle que sa devancière) a précisé que les négociatpions préalables
n’étaient pas une condition impérative pour qu’elle exerce spa compétence.
193. Quartus decimus: dans la présente affaire, la Cour s’est écartée de
sa propre jurisprudence constante en instaurant une telle condition prépa -
lable, limitant ainsi indûment sa propre compétence. Quintus decimus : En

outre, dans son ordonnance antérieure du 15 octobre 2008 sur les mesures
conservatoires en l’instance, la Cour avait réaffirmé le pointp de vue qui
avait été le sien jusque-là, à savoir que les négociationps préalables ne
constituaient pas une condition impérative pour qu’elle exerce sa pcompé -
tence; elle ne peut donc revenir à présent de cette façon sur l’ipntégralité de
sa propre res interpretata (étant donné le principe venire contra factum/

dictum proprium non valet).

249 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 3)16

194. Sextus decimus: La Cour ne doit pas perdre de vue la raison d’être
fondamentaledes traités relatifs aux droits de l’homme, car elle fera fausse
route si elle érige le consentement de l’Etat au-dessus des valeurps cardinales

exprimées par ces traités. Septimus decimu:sdans une affaire comme celle-ci,
on ne peut rendre la justice sur la base d’un traité relatif aux dproits de l’homme
qu’en tenant dûment compte et en prenant la mesure des souffrancpes de la
population et de ses besoins en matière de protection. Duodevicesimus: Le
consentement de l’Etat joue son rôle quand un Etat devient partie pà un tr;aité

cependant, ce n’est pas un élément d’interprétation des tpraités.
195. Undevicesimus: Les traités relatifs aux droits de l’homme sont des
instruments vivants à interpréter à la lumière des conditions de vie du
moment, afin de répondre aux nouveaux besoins de protection des êtpres

humains. Vicesimus: Cela vaut d’autant plus dans le cas d’un traité tel que
la CIEdR, centré sur le principe fondamental de l’égalité et de la non-discri -
mination, qui relève selon moi du domaine du jus cogens internationaV l.ice-
simus primus: Les conditions de vie de la population sont devenues un sujet
de préoccupation légitime pour la communauté internationale toupt entière,

ce qui se retrouve dans le jus gentium moderne, lequel n’est pas indifférent
aux souffrances de la population. Vicesimus secundus: Etant donné les pré -
judices réellement irréparables qui ont été infligés àp des êtres humains à
cause de ces violations graves des droits de l’homme et du droit inteprnatio -

nal humanitaire, il est impératif, pour que justice soit faite, de repconnaître
ces victimes en tant que telles, afin au moins d’atténuerleurs souffrances.
196. L’affaire ne s’arrête pas là. Tout cela fait remonter àp la surface un
ancien dilemme, qui a une incidence directe sur la justice internationalpe
actuelle et future. Ce vieux dilemme ne peut être réexaminé icip à l’aune de

dogmes d’un autre âge, qui ont été bâtis en des temps répvolus, sur la base des
notions de «volonté», d’«intérêts» ou encore d’intentions des Etats. En s’obs -
tinant à rester fidèle à ces dogmes, on ne poserait aucun dilemme, puisque
cela entraînerait l’immobilisme ou la paralysie du droit internatiponal. Or, rien

n’est plus étranger ou contraire à la protection des droits de pl’homme que les
dogmes en question. Le dilemme qui se pose toujours à nous aujourd’phui ne
peut être réexaminé, à mes yeux, que dans le cadre du jus gentium moderne.

xIII. Épilogue: un vieux dilemme revipsité,
dans le cadre du JUs gentiU m des temps modernes

197. En conséquence de son présent arrêt sur les exceptions prélipmi -

naires, la Cour renvoie finalement le différend en cause devant lesp parties
en litige, pour que celles-ci le règlent par tout autre moyen (politique ou
non) de leur choix. La Cour s’est ainsi privée, notamment 19, de la possi-
bilité de se prononcer, lors d’une phase ultérieure au fond, supr la question

198La Cour s’est également privée, par sa décision en l’espèpce, de toute possibilité
d’examiner la question pertinente, également soulevée devant elple (dans le cadre d’une
autre exception préliminaire), de l’application extraterritorialep des traités relatifs aux droits

250 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 317

de savoir si les faits mentionnés dans la requête qui lui a étép présentée, et
qui ont fait tant de victimes, relèvent ou non des dispositions pertipnentes
de la CIEdR. Le présent arrêt empêche la CIEdR de produire les effets

voulus (y compris ceux de sa clause compromissoire énoncée à l’ar -
ticle 22), et la Cour elle-même d’exercer sa juridiction obligatoire prévue
dans cet instrument.
198. La Cour ne peut demeurer l’otage du consentement des Etats. Elle
ne peut continuer de rechercher instinctivement ce consentement — comme

elle l’a manifestement fait, par exemple, dans son arrêt du 30 juin 1995 en
l’affaire du Timor oriental (Portugal c. Australie) et dans son arrêt du
3 février 2006 en l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo
(nouvelle requête: 2002) (République démocratique du Congo c. Rwanda) —,

au point de perdre de vue l’impérieuse nécessité de rendre lpa justice.
Le consentement d’un Etat se manifeste au moment où celui-ci décide de
devenir partie à un traité — comme l’instrument de défense des droits
de l’homme en question dans la présente affaire, la CIEdR. L’interpré-
tation et la bonne application de cet instrument ne peuvent être systpémati -

quement assujetties à une recherche continuelle du consentement de l’pEtat.
Cela rendrait injustement le traité lettre morte ; or, les instruments de
défense des droits de l’homme, et a fortiori l’esprit qui les anime, sont cen -
sés être vivants.

199. Il est de notoriété publique que les « pères fondateurs » du droit
des gens n’ont jamais vu dans le consentement individuel des nouveauxp
Etats la source suprême de leurs obligations juridiques. James L. Brierly,
entre autres, cerna fort bien ce point dans son cours thématique de 1928
à l’Académie de droit international de La Haye. Critiquant vivement les

dogmes positivistes, il rappela qu’Hugo grotius, par exemple, avait
reconnu que le consentement ne pourrait jamais constituer à lui seul pla
source suprême d’obligations juridiques ; un contrat ou un traité (à
l’échelle interne ou internationale) lie les parties en vertu de pla règle juri -
199
dique générale de base dite pacta sunt servanda .
200. Trente ans plus tard, son cours fut republié dans le cadre d’un
ouvrage, inspiré des Collected Papers, dans lequel son point de vue appa -
raissait de nouveau. J. L. Brierly revenait tout d’abord sur ce qui, dans les
différentes théories de certains de ses principaux prédécepsseurs et contem -

porains, constituait la base des obligations en droit international (voir,
par exemple, la notion de solidarité chez L. duguit, le sens inné du droit
chez H. Krabbe, la norme fondamentale (hypothétique) chez H. Kelsen et
la notion de justice objective chez A. verdross), avant d’exposer son

propre point de vue. pour J. L. Brierly, les divergences entre droit et
éthique n’importent pas tant que leurs points de convergenc :ed’unemanière

de l’homme, sur laquelle il existe déjà une jurisprudence interpnationale croissante et impo-r
tante, propre à notre époque, laissant présager l’essor du npouveau jus gentium, centré sur la
protection de la personne humaine.
199J. L. Brierly, « Le fondement du caractère obligatoire du droit international »,
Recueil des cours de l´Académie de droit international de La Haye,vol. 23 (1928), p. 478-479.

251 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 318

générale, l’obligation appartient au domaine de l’éthiquep, elle s’inscrit
dans le cadre d’un ordre juridique objectif, et c’est dans la sphèpre métaju-

ridique qu’il faut en rechercher les bases. Il conclut en indiquant qpue,
selon lui, la «résurgence» de la pensée fondée sur le droit naturel « semble
porteuse de grands espoirs pour la science juridique » 20.
201. James Brierly et ses prédécesseurs et contemporains (tels que
L. duguit, H. Krabbe, H. Kelsen, A. verdross, pour ne nommer qu’eux)

vivaient à une époque où une partie non négligeable de la dopctrine juridique
internationale traitait toujours de la question des fondementsde notre disci -
pline et de la validité des obligations juridiques internationales. Les spécia-
listes du droit international de l’époque avaient davantage de tempps pour

étancher leur soif de connaissance; leur énergie n’était pas encore détournée
ou consumée par les distractions de l’ère de la télévisiopn et de l’Internet. La
modernité et la postmodernité, marquées par le triomphe du pragmatisme,
semblent avoir occulté le besoin d’étancher cette soif et accapparer aujourd’hui

beaucoup trop la majorité des gens en permanence, sans jamais lui laipsser le
temps d’aller au fond des choses, et certainement pas de réflépchir.
202. La décision de la Cour dans la présente affaire, qui concerne
l’Application de la convention internationale sur l’élimination de t▯outes

les formes de discrimination raciale, découle inéluctablement d’une pro -
pension indue et fautive à faire la part belle au consentement de l’pEtat, en
le plaçant même au-dessus des valeurs fondamentales qui sont en jepu et
qui sous-tendent la CIEdR, le but ultime étant que justice soit faite. En

fait, nombreux sont ceux qui, tout au long de l’histoire de la Cour, pont
réaffirmé leur foi dans la justice internationale. pour conclure la présente
opinion dissidente, je me permettrai de rappeler à cet égard certapines
déclarations, faites au sein de la Cour de La Haye, à trois occasions his -
toriques. Lors de la séance inaugurale de la Cour permanente de Justipce

internationale, le 15 février 1922, le juge B. C. J. Loder, alors président de
la Cour, déclara que l’institution ainsi établie :

«occup[ait] dans la Société des Nations une place analogue à celple du
pouvoir judiciaire dans beaucoup d’Etats…
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . . . . . . . . . . . . . .

La création de la Cour permanente marque, en effet, l’avènement
d’une ère nouvelle dans la civilisation mondiale. Il est de première
importance de se rendre parfaitement compte de la valeur de ce fait…
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . . . . . . . . . . . . . .

L’égalité des Etats devant le droit et la justice est maintenanpt
reconnue et franchement enregistrée dans le pacte de la Société des
Nations… Le premier acte de cette Société a été de créper une Cour de
201
Justice, une Cour appelée à faire droit, droit entre des Etats. »

200J. L. Brierly, The Basis of Obligation in International Law and Other Papers, Oxford,
Clarendon press, 1958, p. 67, et voir p. 10, 16, 18 et 64.
201discours prononcé à l’occasion de la séance inaugurale de la pCour perma -
nente de Justice internationale par le président de celle-ci, B. C. J.à La Haye, le
15 février 1922 p.

252 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 319

203. Une bonne vingtaine d’années plus tard, à la séance inauguraple de
la Cour actuelle, le 18 avril 1946, le juge J. g. guerrero, alors président,
rappelant l’époque de la seconde guerre mondiale, déclara :

«Je n’oublierai jamais ce jour du 16 juillet 1940, quand, au début
d’une matinée couverte d’un voile de tristesse et de douleur, npous

quittâmes lentement la gare de cette ville martyre, les larmes aux
yeux, le cœur rempli d’angoisse.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . . . . . . . . . . . . . .

Cette Cour permanente de Justice internationale qui a quitté
La Haye en l’année 1940, elle est maintenant remplacée par la Cour
internationale de Justice. mais, entre l’ancienne et la nouvelle Cour,
les liens sont demeurés si étroits que l’on aurait de la peine pà croire
qu’il y ait véritablement un remplacement.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . . . . . . . . . . . . . .
C’est pourquoi la Cour internationale de Justice, tout en étant l’pun
des principaux organes de l’Organisation des Nations Unies, voit son

Statut établi sur la base du Statut de la Cour permanente de Justice p
internationale… Nous assurerons sa continuité… L’activitép de la
Cour … se trouvera subordonnée à la volonté des gouvernements de p
déférer à la justice internationale les litiges susceptibles d’pune solu -
tion judiciaire. »202

204. A l’occasion du cinquantième anniversaire de l’inauguration du p
système judiciaire international, plus de vingt-cinq ans après, le juge

m. Zafrulla Khan, président de la Cour, fit observer lors d’une séance
spéciale le 27 avril 1972 que la clause facultative portant acceptation de la
juridiction obligatoire avait

«concili[é] les aspirations de ceux qui cherchaient à établir unp sys -
tème complet de juridiction internationale obligatoire et les scrupules
et réticences de ceux qui craignaient que la soumission obligatoire àp

la juridiction du tribunal ne portât atteinte à la souverainetép de l’Etat
ou ne nuisît à ses intérêts vitaux.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . . . . . . . . . . . . . .
[L]es conditions mêmes de la vie internationale contemporaine

rendent indispensable, pour le maintien de la paix, l’existence de cep
fonctionnement d’un ou plusieurs tribunaux internationaux.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . . . . . . . . . . . . . .

Tenue d’appliquer le droit, [la Cour] ne saurait le modifier mais, enp
l’appliquant, elle doit l’interpréter et tenir compte des modifipcations et
adjonctions dont il fait l’objet. Il y a là un puissant facteur dep progrès.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . . . . . . . . . . . . . .

202discours prononcé à l’occasion de la séance inaugurale de la pCour internationale
de Justice par le président de celle-ci, J. g. gueà La Haye, le 18 avril 1946, C.I.J.
Annuaire 1946-1947, p. 31-32.

253 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 320

Cinquante années d’expérience du système judiciaire internatpional
enseignent que, dans l’état actuel de la communauté internationpale, il
est essentiel de soumettre les différends internationaux à des tpribu -

naux… La Cour internationale de Justice ne prétend à aucun monop-
pole en matière de règlement judiciaire international. L’articlpe 95 de
la Charte des Nations Unies réserve expressément le droit des
Etats membres de confier à d’autres instances le règlement de leurs
différends.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . . . . . . . . . . . . . .
La Cour n’est le juge des Etats souverains que dans la mesure où
ils y consentent, mais les Etats qui se dérobent à sa juridiction ps’ex -

posent à un jugement auquel aucun d203ous n’échappe, je veux papr-
ler du jugement de l’histoire. »

205. Il est grand temps que la Cour — compte tenu de ces proclama -
tions de sa foi dans la réalisation de la justice internationale — exprime
concrètement sa volonté de remplir sa mission, telle que je la conpçois,
lorsque, comme dans cette affaire consacrée à l’Application de la conven -

tion internationale sur l’élimination de toutes les formes de disc▯rimination
raciale, elle exerce sa compétence sur la base d’instruments de défenspe des
droits de l’homme, c’est-à-dire qu’elle tienne compte de la raison d’être,
de la nature et du fond de ces instruments, avec toutes les conséquences
juridiques qui en découlent. La Cour ne peut continuer de toujours prpivi -

légier le consentement des Etats par rapport à toute autre considépration,
même lorsque ce consentement a déjà été donné par les pEtats au moment
de la ratification des instruments en question.
206. La Cour ne peut continuer de se livrer à une interprétation littép -

rale, ou grammaticale et statique, des termes des clauses compromissoireps
comprises dans ces traités, pour en tirer des « conditions préalables » à
l’exercice de sa juridiction, dans un souci de suivre la pratique trapdition -
nelle en matière d’arbitrage international. Lorsque des instruments de
défense des droits de l’homme sont en jeu, il faut, à mon avis,p vaincre la

force d’inertie pour affirmer et développer la juridiction obligaptoire de la
Cour sur la base des clauses compromissoires que ces traités renfermepnt.
207. Après tout, ce sont des êtres humains que ces instruments pro -
tègent en dernière analyse, et les clauses compromissoires doiventp être

rattachées à la nature et au fond des traités en question dans leur intégra -
lité, auxquels elles sont inéluctablement liées. du point de vue des justi -
ciables, des titulaires des droits protégés, les clauses compromissoires p
telles que celle qui figure à l’article 22 de la CIEdR sont directement liées
à leur accès à la justice, même si ce sont les Etats parties à ces instruments

qui saisissent la Cour.

203discours prononcé par le président de la Cour internationale de Jusptice, le juge
m. Zafrulla Khan, à la séance spéciale tenue le 27 avril 1972 à La Haye pour célébrer le
cinquantenaire de l’institution du système judiciaire international, Revue de droit interna
tional, de sciences diplomatiques et politiques, n 1, janvier-mars 1972, p. 74, 75, 78, 80 et 81.

254 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 3)21

208. Les justiciables sont, en fin de compte, les êtres humains concer -
nés. dans cette optique humaniste, en parfaite harmonie avec l’esprit qui
a présidé à la création même de la Cour de La Haye (la Cour actuelle et
sa devancière), subordonner la saisine à une « condition préalable » obli -
gatoire, à savoir des négociations préalables, revient selon mopi à élever un
obstacle à la justice injustifié et extrêmement regrettable. J’pai déjà souli -

gné, au sujet des victimes de la « guerre tragique» de 2008 entre la géor -
gie et la Fédération de Russie — aussi bien celles qui ont péri et leurs
proches que celles qui ont été déplacées par la force de chepz elles sans
pouvoir y retourner librement et en toute sécurité —, que la tragédie a
traversé les siècles sans rien perdre de sa modernité (par. 160-162).
209. malgré les progrès extraordinaires de la connaissance scientifique,

aucun remède n’a encore pu être trouvé pour protéger l’phomme contre
lui-même, contre sa capacité sans bornes d’infliger l’injustice et la souf -
france à ses semblables. La Cour ne peut rester indifférente àp une telle inj-us
tice et au « sort» des êtres humains, ainsi qu’à leurs souffrances. Elle nep
peut continuer de fermer les yeux face à la tragédie. Cette dernièpre étant

toujours d’actualité, puisque indissolublement liée à la condition humaine,
semble-t-il, il demeure également nécessaire d’atténuer les souffrances
humaines, en faisant en sorte quejustice soit faite. Il s’agit là d’une exigence
que la Cour ne doit jamais perdre de vue. Cet objectif — la réalisation de
la justice — peut difficilement être atteint si l’on part d’une perspepctive
volontariste strictement centrée sur les Etats en recherchant constampment

leur consentement. La Cour ne peut, à mon sens, continuer de sacrifiepr à ce
qu’elle estime être les «intentions» ou la «volonté» des Etats.
210. La position et la thèse que j’avance dans la présente opinion dpissi -
dente sont que, lorsque la Cour est priée de régler un différpend entre Etats
sur la base d’un traité relatif aux droits de l’homme, elle estp tenue de veiller
à ce que ce traité soit bien interprété et appliqué, comppte tenu de sa nature

spéciale et de sa substance, dans son ensemble, et de sa vocation à protéger
les droits de la personne humaine à l’intérieur même de l’Etat. Cette néces -
sité de bien interpréter les traités relatifs aux droits de l’phomme (à l’aune des
canons d’interprétation énoncés aux articles 31-33 des deux conventions de
vienne sur le droit des traités, datées de 1969 et de 1986) vaut à mon sens
aussi bien pour leurs dispositions de fond que pour leurs dispositions procédu -

rales, et donc pour une disposition telle que la clause compromissoire con- te
nue à l’article 22 de la CIEdR. Elle est dans l’intérêt suprême des êtres
humains que les Etats ont voulu protéger en promouvant et en adoptantp ces
traités. La raison d’humanité l’emporte sur la traditionnellpe raison d’Etat.
211. dans le présent arrêt, la Cour est complètement passée à côté de

l’essentiel. Au lieu de cela, elle a choisi d’exalter comme d’hpabitude le
consentement des Etats, qualifié (au paragraphe 110) « de principe fonda -
mental du consentement ». Je n’adhère pas du tout à ce point de vue car,
à mes yeux, le consentement n’est pas « fondamental», et n’est même pas
un « principe». Ce qui est « fondamental», autrement dit ce qui forme le
fondement de la Cour depuis sa création, c’est l’impératif de la réalisation

de la justice au moyen de la juridiction obligatoire. Le consentement des

255 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 322

Etats n’est qu’une règle à respecter dans l’exercice de lpa juridiction obliga -
toire en vue de la réalisation de la justice. C’est un moyen et nopn une fin,
c’est une exigence procédurale et non un élément d’interpprétation des trai -

tés. Ce n’est en aucun cas l’un des prima principia. voilà ce que j’ai tâché
de démontrer dans la présente opinion dissidente.
212. Les principes fondamentaux sont ceux dits pacta sunt servanda, de
l’égalité et de la non-discrimination (dans le droit matériel), de l’égalité
des armes (dans le droit procédural), de l’humanité (qui impprègne l’en -

semble du corpus juris du droit international des droits de l’homme, du
droit international humanitaire et du droit international des réfugiéps) et
de la dignité de la personne humaine (qui est l’un des fondements du droit
international des droits de l’homme). Les règles énoncées àp l’article 2 de

la Charte des Nations Unies constit204t également des principes fonda -
mentaux du droit international .
213. voilà quelques-uns des véritables prima principia qui confèrent à
l’ordre juridique international sa dimension axiologique inévitablpe. voilà
quelques-uns des véritables prima principia qui révèlent les valeurs dont

s’inspire le corpus juris de l’ordre juridique international et qui, en fin de
compte, en sont le fondement. Les prima principia sous-tendent l’ordre
juridique international en exprimant l’idée d’une justice objective (propre
au droit naturel). Au contraire, le consentement des Etats ne fait pas ppar -

tie des prima principia ; c’est une concession du jus gentium aux Etats.
C’est une règle à observer (nul ne le nierait) pour rendre popssible le règle -
ment judiciaire des différends internationaux.
214. Cette règle, ou cette exigence procédurale, sera ramenée à spes justes
dimensions le jour où l’on comprendra que la conscience l’emporte sur la

volonté. voilà qui résume un vieux dilemme (auquel font face la Cour et lesp
Etats qui la saisissent), revisité dans la présente opinion dissipdente, dans le
cadre du jus gentium contemporain. pour la Cour, conçue comme une
Cour internationale de Justice, la réalisation de la justice demeure un idéal

qui n’a pas encore été atteint dans le règlement des affaipres portées à sa
connaissance en matière de droits de l’homme — ce dont le présent arrêt
constitue la triste illustration. Le formalisme et les rituels des procépdures
interétatiques (qui, en 2011, semblent toujours fasciner les professionnels
du droit) devraient assurément céder la préséance à l’impérieuse nécessité

de rendre la justice au niveau international. Après tout, rien n’est plus
invincible qu’un idéal — comme la réalisation de la justice — qui n’a pas
encore été atteint: il taraude inlassablement la conscience humaine jusqu’à
ce qu’il parvienne à éclore et à exister au grand jour.

(Signé) Antônio Augusto Cançado Trindade.

204principes réitérés dans la résolution 2625 (xxv), du 24 octobre 1970, de l’-ssem
blée générale des Nations Unies, dans laquelle figure la déclaration des Nations Unies rela-
tive aux principes du droit international touchant les relations amicaleps et la coopération
entre les Etats conformément à la Charte.

256

Bilingual Content

239

dISSENTINg OpINION OF JUdgE CANçAdO TRINdAdE

table of contents

Paragraphs

I. P rolegomena 1-5

II. permanent Court of Inteprnational Justice andp Internat -ion
al Court of Justice: Compulsory Jurisdictipon Revisited 6-36

1. The work on the pCIJ Statute of the Advisory Committee
of Jurists (1920) 6-13
2. The debates of the Assembly of the League of Nations

and subsidiary organs (1920) 14-26
3. The debates on the ICJ Statute of the United Nations

Conference on International Organization and subsidiary
organs (1945) 27-36

III. The Optional Clause of Copmpulsory Jurisdictiopn: From
the professed Ideal to a distorted practice 37-44

Iv. The Old Ideal of Automatpism of Compulsory Jurispdiction of
the Hague Court 45-63

v. The Relationship of thep Optional Clause/Comprompissory
Clauses with the Naturpe and Substance of the Corres-

ponding Treaties 64-78
vI. The principleU t res m agis V aleat Q Uam Pereat 79-87

vII. The Compromissory Clauspe (Art. 22) of the UNConvention
on the Elimination of All Forms of Racial discrimination

(CERd): Elements for Its proper Interpretation apnd
Application 88-118

1. Ordinary meaning of Article 22 of the CERd Convention 92-96
2.Travaux préparatoires of Article 22 of the CERd Convention97-109
3. The previous pronouncement by the Court on Article 22 of

the CERd Convention : Venire contra factum/Dictum pro -
prium non valet 110-118

vIII. Towards peaceful Settlement anpd Realization of Justipc:e
verification of prior Attempts or Effortps of Negotiation 119-135

1. permanent Court of International Justice 119-124
2. International Court of Justice 125-135

Ix. Towards peaceful Settlement wipth the Realization ofp
Justice underHuman Rights Treaties 136-144

173 239

OpINION dISSIdENTE dE m. LE JUgE CANçAdO TRINdAdE

[Traduction]

table des matières

Paragraphes
I. Introduction 1-5

II. Cour permanente de Justpice internationale ept Cour inter-
nationale de Justice: la compétence obligaptoire revisitée 6-36

1. Les travaux du comité consultatif de juristes sur le Statut de
la Cour permanente (1920) 6-13

2. Les débats de l’Assemblée de la Société des Nations et dep ses
organes subsidiaires (1920) 14-26
3. Les débats sur le Statut de la Cour de la Conférence des

Nations Unies sur l’Organisation internationale et ses or-
ganes subsidiaires (1945) 27-36

III. La clause facultativep d’acceptation de la jpuridiction obli-
gatoire: d’un idéal professé àp une pratique dénaturpée 37-44

Iv. Le vieil idéal de l’autpomaticité de la juridpiction obliga -
toire de la Cour de La Haye 45-63

v. Le rapport entre la clause facultative/les clauses
compromissoires et la nature et la teneur des traités
correspondants 64-78

vI. Le principe Ut res magis Valeat QUam Pereat 79-87

v II. La clause compromissopire (art. 22) de la convention desp
Nations Unies sur l’éliminaption de toutes les foprmes de
discrimination racipale (CIEdR): éléments en permettapnt

l’interprétation et pl’application en bonnpe et due forme 88-118
1. Sens ordinaire de l’article 22 de la CIEdR 92-96

2. Travaux préparatoires de l’article 22 de la CIEdR 97-109
3. La décision antérieure de la Cour sur l’article 22 de la
CIEdR : venire contra factum/dictum proprium non valet 110-118

vIII. vers le règlement pacipfique et la réalisatipon de la justic:e

vérification des tenptatives ou efforts prépalables de négo -
ciation 119-135
1. La Cour permanente de Justice internationale 119-124

2. La Cour internationale de Justice 125-135
Ix. vers le règlement pacipfique des différendsp et la réalisation

de la justice sur la bapse de traités relatifps aux droits de
l’homme 136-144

173240 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

x . The Law and the Sufferings and Needs of protection of
the population :s Umm Um JUs, sUmma inJUria 145-166

xI. Human Rights Treaties aps Living Instruments 167-185

xII. A Recapitulation: Concluding Observatiopns 186-196

xIII. Epilogue: An Old dilemma Revisited, in thpe Framework
of Contemporary J Us gentiUm 197-214

*

I. P rolegomena

1. I regret not to be able to follow the Court’s majority in the decisiopn

which the Court has just adopted in the present Judgment on preliminary p
objections in the case concerning the Application of the International Con -
vention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination (Georgia
v. Russian Federation). my dissenting position encompasses the whole of

the Court’s reasoning, and its conclusions on the second preliminary p
objection and on jurisdiction, as well as its treatment of issues of subp -
stance and procedure raised before the Court. This being so, I care to
leave on the records the foundations of my dissenting position, given thpe

considerable importance that I attach to the issues raised by both georgia
and the Russian Federation in the cas d’espèce, bearing in mind the settle -
ment of the dispute at issue ineluctably linked to the imperative of thep

realization of justice under a United Nations human rights treaty of the
historical importance of the International Convention on the Elimination
of All Forms of Racial discrimination (hereinafter the CERd Conven -
tion).

2. I thus present with all care the foundations of my entirely dissenting
position on the whole matter dealt with by the Court in the Judgment
which it has just adopted, out of respect for, and zeal in, the exercisep of

the international judicial function, guided above all by the ultimate goal
precisely of the realization of justice. To that effect, I shall dwell upon all
the aspects concerning the dispute brought before the Court which forms p
the object of the present Judgment of the Court, in the hope of thus conp -

tributing to the clarification of the issues raised and to the progressipve
development of international law, in particular in the international adjpu -
dication by this Court of cases on the basis of universal human rights

treaties.
3. my first line of considerations concerns the genesis of the compul -
sory jurisdiction of the Hague Court (pCIJ and ICJ), which in my view
cannot pass unnoticed in the consideration of compromissory clauses

such as the one of the CERd Convention (Art. 22). I shall next turn to
the legislative history and development of the optional clause of compulp -

174 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 240

x. Le droit et les souffrpances et besoins de prpotection
de la population : sUmmUm JUs ,sUmma inJUria 145-166

xI. Les traités relatifs paux droits de l’hommep en tant
qu’instruments vivanpts 167-185

xII. Observations finales, pen guise de récapitulpatif 186-196

xIII. Épilogue: un vieux dilemme revipsité, dans le cadre dup JUs

gentiUm des temps modernes 197-214

*

I. Introduction

1. Je regrette de ne pas être en mesure de suivre la majorité des membres
de la Cour au sujet de la décision que celle-ci vient d’adopter dans le pré -
sent arrêt sur les exceptions préliminaires en l’affaire relaptive à l’Applica-

tion de la convention internationale sur l’élimination de toutes l▯es formes de
discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie). mon désaccord
porte sur le raisonnement de la Cour dans son ensemble et sur ses conclu -
sions concernant la deuxième exception préliminaire et la compéptence,

ainsi que sur la manière dont elle a traité les questions de fond et de pro -
cédure soulevées devant elle. dans ces conditions, je tiens à ce que les
motifs de mon opinion dissidente soient consignés, étant donné pl’impor -
tance considérable que j’attache aux questions soulevées tant par la géor-

gie que par la Fédération de Russie dans le cas d’espèce, sapchant que le
règlement du différend en question est inéluctablement liép à l’impératif de
la réalisation de la justice en vertu d’un instrument des Nations Unies
relatif aux droits de l’homme aussi important, historiquement, que lap

convention internationale sur l’élimination de toutes les formes dpe discri -
mination raciale (ci-après dénommée la « CIEdR»).
2. C’est donc avec le plus grand soin que j’expose les fondements de p
mon opinion radicalement dissidente sur l’ensemble de la question exapmi -

née par la Cour dans l’arrêt qu’elle vient de rendre, par repspect et dévoue-
ment envers l’exercice de la fonction judiciaire internationale, guidpé avant
tout par l’objectif ultime, précisément, de la réalisation de la justice. A
cette fin, je m’arrêterai sur tous les aspects du différend pporté devant la

Cour qui forme l’objet de l’arrêt que celle-ci vient d’adopter, dans l’espoir
de contribuer ainsi à la clarification des questions soulevées et pau dévelop -
pement progressif du droit international, tout particulièrement en cep qui
concerne les décisions de la Cour dans les affaires relevant d’ipnstruments

universels relatifs aux droits de l’homme.
3. Je m’arrêterai pour commencer sur la genèse de la compétencep obli -
gatoire de la Cour de La Haye (c’est-à-dire de la Cour actuelle et de sa
devancière), qui ne saurait à mon sens être passée sous silpence lorsqu’on

examine des clauses compromissoires comme celle qui figure à l’artpicle 22
de la CIEdR. J’aborderai ensuite l’histoire et le développement législpatifs

174241 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

sory jurisdiction of the Hague Court (pCIJ and ICJ). This will lead me
into the consideration of the relationship between the optional clause/
compromissory clauses and the nature and substance of the correspond -

ing treaties wherein they are enshrined.
4. Attention will thus be drawn to the principle ut res magis valeat
quam pereat, before I turn to the elements for the proper interpretation
and application of the compromissory clause (Art. 22) of the CERd Con -
vention (encompassing its ordinary meaning, its travaux préparatoires,

and the previous pronouncement of the Court itself on it). In consideripng,
next, the ineluctable relationship between peaceful settlement and the
realization of justice, particularly under human rights treaties, I shall
dwell in particular, upon the question of the verification of prior attempts

or efforts of negotiation, in the light of the relevant case law of thpe Hague
Court (pCIJ and ICJ).
5. In sequence, I shall single out the concern of contemporary jus gen -
tium with the sufferings and needs of protection of the population, an
issue which, in my view, assumes a central position in the considerationp of

the present case concerning the Application of the International Conven -
tion on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination. This will
lead me to a review of the evolutive interpretation of human rights
treaties, such as the CERd Convention, regarded constantly in inter-

national case law and international legal doctrine as living instruments, so
as to respond to new needs of protection of the human person, even in thpe
most adverse circumstances. The path will then be paved for, last but nopt
least, the presentation of my concluding observations, and my final reflpec -
tions on an old dilemma that we keep on facing nowadays, in the light ofp

contemporary jus gentium.

II. permanent Court of Inteprnational Justice

and International Couprt of Justice:
Compulsory Jurisdictipon Revisited

1. The Work on the PCIJ Statute
of the Advisory Committee of Jurists (1920)

6. In June-July 1920, the Advisory Committee of Jurists appointed by
the Council of the League of Nations to draft the Statute of the perma -
nent Court of International Justice (pCIJ) discussed at length the possi -
bility of providing the pCIJ with compulsory jurisdiction , so as to bring
about a development in the system of international adjudication. The

Committee considered a precise text on the compromissory clause, and

1Cf., on the proposed basis for discussion, CpJI/Comité consultatif de juristes,
Procès-verbaux des séances du comité (16 June-24 July 1920), The Hague, van Lan-en
huysen Brothers, 1920, p. 218. On a subsequent proposal (by Lord phillimore) and amend-
ment (by mr. Hagerup), Annexes 2-3, pp. 252-253.

175 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 241

de la clause facultative de compétence obligatoire de la Cour de La Haye.
J’en viendrai alors à l’examen des rapports entre clause facultpative/clauses
compromissoires et la nature et le fond des instruments dans lesquels elles

sont énoncées.
4. Après avoir appelé l’attention sur le principe ut res magis valeat
quam pereat, je m’intéresserai aux éléments permettant d’interprépter et
d’appliquer correctement la clause compromissoire (art. 22) de la CIEdR
(à savoir son sens ordinaire, ses travaux préparatoires et la dépcision pré -

cédente de la Cour elle-même à son sujet). En m’arrêtant ensuite sur les
liens qui existent inévitablement entre règlement pacifique et répalisation
de la justice, singulièrement en vertu d’instruments relatifs aux pdroits de
l’homme, j’insisterai en particulier sur la question de la véripfication des

tentatives ou efforts de négociation antérieurs, à la lumièpre de la jurispru -
dence pertinente de la Cour de La Haye (CpJI et CIJ).
5. Je montrerai ensuite que les souffrances de la population et la pro -
tection dont elle a besoin sont les enjeux du jus gentium contemporain,
question qui, à mon sens, est au cœur de l’examen de la préspente affaire

relative à l’Application de la convention internationale sur l’élimination de
toutes les formes de discrimination raciale. Cela me conduira à une analyse
de la manière dont a évolué l’interprétation des instrumepnts relatifs aux
droits de l’homme, comme la CIEdR — toujours considérés dans la

jurisprudence internationale et la doctrine internationale comme des ins -
truments vivants propres à répondre à de nouveaux besoins de protection
de l’être humain, même dans les circonstances les plus adversesp. J’arrive -
rai ainsi, et ce n’est pas là le moins important, à la présepntation de mes
observations et de ma réflexion finales sur un ancien dilemme qui conti -

nue de se poser à nous, à la lumière du jus gentium contemporain.

II. Cour permanente de Jusptice internationalep

et Cour internationalpe de Justice:
la compétence obligatpoire revisitée

1. Les travaux du comité consultatif de juristes
sur le Statut de la Cour permanente (1920)

6. En juin-juillet 1920, le comité consultatif de juristes chargé par le
Conseil de la Société des Nations d’élaborer le Statut de lap Cour perma -
nente de Justice internationale (« la Cour permanente ») débattit longue -
ment de la possibilité de doter celle-ci d’une compétence obligatoire 1de
manière à faire évoluer le système judiciaire international. Le comité exa -

mina un texte précis pour la clause compromissoire et parvint rapidempent

1 En ce qui concerne la base de discussion proposée, voir Cour permanente de
Justice internationale/comité consultatif de juristes, Procès-verbaux des séances du comité
(16 juin-24 juillet 1920), La Haye, van Langenhuysen Frères, 1920, p. 218. Sur une propo-
sition ultérieure (de lord phillimore) et un amendement (de m. Hagerup), voir annexes 2-3,
p. 252-253.

175242 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

soon reached consensus on the introduction of a rule whereby the pCIJ

would be competent to hear certain disputes without the need of a previ-
ous (ad hoc or conventional) agreement between the contending parties.

7. Under the draft Statute, such compulsory jurisdiction virtually
extended over all disputes of a “legal” nature, whereas consent wopuld
have still been required to bring other kinds of matters before the pCIJ.
It was seemingly intended that the introduction of such system of com -

pulsory jurisdiction in disputes of a “legal nature” would also exptend to
other cases in so far as they were covered by general or specific convenp -
tions between the (contending) parties. The discussion of drafts of a pjuris-

dictional clause, since the 10th meeting of the Committee, kept in mind
particularly Article 14 of Covenant of the League of Nations, which
expressly referred to disputes “submitted” by the parties to the pCIJ 2.

8. A proposal was advanced to the effect that the (pCIJ) Statute itself
was to be used as a general instrument whereby States would provide
their consent to jurisdiction ; in a working draft proposed by Baron des -

camps, a last paragraph was added to the effect that : “Any State sub -
scribing to the present Act is considered as having agreed to settle by plegal
means all disputes [of a legal nature].” 3Already at the 14th meeting of the
Committee (held on 2 July 1920), compulsory jurisdiction had been gen -
4
erally accepted . moving on to the applicable law, the Committee then
considered the inclusion of general principles in the list of legal sourpces
applicable by the pCIJ.

9. pursuant to Article 34 of the draft Statute, the pCIJ was to have
jurisdiction (even without any special convention conferring it upon the
Court) to hear and determine cases of a “legal nature” between mepmber
States of the League of Nations concerning : (a) the interpretation of a

treaty ; (b) any question of international law ; (c) the existence of any
fact which, if established, would constitute a breach of an internationapl
obligation ; (d) the nature or extent of reparation to be made for the

breach of an international obligation ; (e) the interpretation of a sentence
passed by the Court. This latter was also to take cognizance of all dis -
putes of any kind which may be submitted to it on the basis of a generalp

2
Article 14 of the Covenant reads :
“The Council shall formulate and submit to the members of the League for adoption
plans for the establishment of a permanent Court of International Justice. The Court
shall be competent to hear and determine any dispute of an international character

which the parties thereto submit to it. The Court may also give an advispory opinion
upon any dispute or question referred to it by the Council or by the Asspembly.”
3 CpJI/Comité consultatif de juristes, Procès-verbaux des séances du comitop. cit.
supra note 1, Annex 1, p. 272, and cf. amendment, in ibid., Annex 5, pp. 277-278.

4 despite the concern — as to the applicable law — expressed by a coupple of members;

cf. ibid., pp. 308-309 and 311.

176 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 2)42

à un consensus sur l’introduction d’une règle selon laquellep la Cour per -

manente serait compétente pour connaître de certains différenpds, indépen-
damment de l’existence d’un accord antérieur (ad hoc ou conventionnel)
entre les parties adverses.
7. Le projet de statut prévoyait que cette compétence obligatoire s’péten -

drait à la totalité des différends de nature « juridique», alors que pour
d’autres types de questions la Cour permanente ne pourrait être sapisie sans
l’assentiment des parties. L’intention des membres du comité sepmblait être
que l’introduction d’un tel système de compétence obligatoirpe pour les dif -

férends de « nature juridique » s’étende aussi à d’autres affaires dans la
mesure où elles relevaient d’accords généraux ou spécifiqpues entre les par -
ties (adverses). depuis la dixième séance du comité, la discussion sur la

question d’une clause juridictionnelle se référait en particuliper à l’article 14
du pacte de la Société des Nations, qui faisait état expressémenpt de diffé -
rends «soumis» par les parties à la Cour permanente . 2
8. Il fut proposé que le Statut (de la Cour permanente) lui-même soit

l’instrument général par lequel les Etats donneraient leur assepntiment à la
compétence; dans un texte de travail proposé par le baron descamps, un
dernier paragraphe fut ajouté, qui précisait ce qui suit : «Tout Etat signa -
taire du présent acte est considéré comme acceptant de résoupdre juridic -
3
tionnellement tout différend [de nature juridique]. » dès la quatorzième
séance du comité (tenue le 2 juillet 1920), la compétence obligatoire avait
été généralement acceptée 4. passant au droit applicable, le comité se pen -
cha alors sur la question des principes généraux à inclure dansp la liste des

sources juridiques applicables par la Cour permanente.
9. Conformément à l’article 34 du projet de Statut, la Cour perma -
nente devait avoir compétence (même sans convention spéciale la lui don-

nant) pour connaître et décider des affaires de «nature juridique» — entre
Etats membres de la Société des Nations — qui avaient pour objet :
a) l’interprétation d’un traité ; b) tout point de droit international ; c) la
réalité de tout fait qui, s’il était établi, constitueraipt la violation d’un enga -

gement international ;d) la nature ou l’étendue de la réparation due pour
la rupture d’un engagement international ; e) l’interprétation d’une sen -
tence rendue par la Cour. Cette dernière devait aussi connaître dep tous
différends, de quelque nature qu’ils fussent, qui lui étaientp soumis en vertu

2 L’article 14 du pacte se lit comme suit :

«Le Conseil est chargé de préparer un projet de Cour permanente de pJustice inter
nationale et de le soumettre aux membres de la Société. Cette Cour connaîtra de tous
différends d’un caractère international que les parties lui spoumettront. Elle donnera
aussi des avis consultatifs sur tout différend ou tout point dont lpa saisira le Conseil
ou l’Assemblée. »
3 Cour permanente de Justice internationale/comité consultatif de jurisptes, Procès-
verbaux des séances du comité, op. cit. supra note 1, annexe 1, p. 272, et voir amendement,

ibi4., annexe 5, p. 277-278.
En dépit de la préoccupation — quant au droit applicable — exprimée par quelques
membres ;voir ibid., p. 308-309 et 311.

176243 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

or particular convention between the parties. And, in the event of a dis -
pute as to whether a certain case came within any of the aforementioned p
categories, the matter was to be settled by the decision of the Court .
10. In the substantial debates of the Advisory Committee, of 2 July

1920, one of its members (E. Root), trying to restrain the prevailing p
view, stated that “the world was prepared to accept the compulsory juris -
diction of a Court which applied the universally recognized rules of

international law” ; however, he did not think that it was disposed to
accept “the compulsory jurisdiction of a Court which would apply prinp -
ciples, differently understood in different countries” . Accordingly, in his

view, “the7beginning must be modest”, with a “relatively limitepd juris-
diction” . The president of the Advisory Committee (Baron descamps)
promptly retorted that mr. Root’s statement that “principles of justice”
allegedly varied from country to country

“might be partly true as to certain rules of secondary importance. Bupt

it is no longer true when it concerns the fundamental law of justice
and injustice deeply engraved on the heart of every human being and
which is given its highest and most authoritative expression in the

legal conscience of civilized nations. That was the law which could
not be disregarded by a judge, a law which in practice, whether it is
wished to or not, a judge never would disregard.” 8

11. Baron descamps added that it would be incumbent upon the
Judges of the pCIJ “to consider whether the dictates of their conscience
9
were in agreement with the conception of justice of civilized nations”p .
Another member of the Committee (B. C.J. Loder) also retorted to
mr. Root’s view, arguing that it had incurred into a “confusion” wipth

“compulsory arbitration”, that “did not come within the competepnce of
the Committee”, which was “concerned with the rules to be applied pby
the Court” (the pCIJ); B.C.J. Loder repeated that “all possible confusion

between the question of compulsory arbitration an10that of the rules to p
be applied by the Court must be avoided” .
12. The Advisory Committee ended up by propounding the com-
pulsory jurisdiction of the Hague Court (pCIJ). Its final Report stated

that :

“the Committee did not intend to enable a party to avoid the juris -
diction of the Court by alleging that there was still some hope of
settlement by diplomatic means.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . . . . . . . . . . . . . .
5
Cf. op. cit. supra note 1, p. 729, the final Report, whereby the Committee finalized the
draft Articles and appended a commentary thereto ; and the preliminary version, in ibid.,
p. 566.
6 Ibid., p. 308.
7 Ibid., p. 309.
8 Ibid., pp. 310-311.
9 Ibid., p. 311.
10 Ibid., p. 311.

177 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 243

d’une convention, soit générale, soit spéciale, entre les paprties. En cas de
contestation sur le point de savoir si un différend rentrait, oui ou non,
dans les catégories ci-dessus visées, la Cour décidait . 5
10. Au cours des débats de fond tenus par le comité consultatif le

2 juillet 1920, l’un de ses membres (E. Root), tentant de modérer le senti -
ment général, fit observer que « le monde [était] préparé à accepter la juri-
diction obligatoire d’une cour qui appliquerait les règles universpellement

reconnues du droit international », mais qu’il ne le croyait pas disposé à
accepter « la juridiction obligatoire d’une cour qui appliquerait des prin -
cipes … compris différemment selon les pays » . A son avis, il fallait

«commencer7modestement », avec une « juridiction relativement res -
treinte » . Le président du comité consultatif (le baron descamps) répon -
dit immédiatement que, lorsque m. Root disait que les « principes de
justice» variaient avec les pays,

«cela [pouvait] être vrai, en partie, lorsqu’il s’agi[ssait] de pcertaines

règles secondaires. mais ce n’[était] plus vrai lorsqu’il s’agi[ssait] de la
loi fondamentale du juste et de l’injuste, profondément gravée pau
cœur de tout être humain et qui rec[evait] son expression la plus phaute

et la plus autorisée dans la conscience juridique des peuples civilisés.
C’[était] là une loi dont le juge ne [pouvait] faire abstractiopn, et dont
en fait, qu’on le veuille ou non, il ne fera[it] jamais abstraction. » 8

11. Le baron descamps ajouta qu’il serait enjoint aux juges de la Cour
permanente «de rechercher si les données de leur conscience se trouvaient

en harmonie avec les diktats mêmes de la conscience juridique des peupples
civilisés »9. Un autre membre du comité (B. C.J. Loder) répondit égale -
ment à m. Root, faisant valoir qu’il y avait «confusion» avec l’«arbitrage

obligatoire», qui n’était pas « de la compétence du comité », lequel se
préoccupait des normes matérielles à appliquer par la Cour » (la Cour
permanente s’entend) ; B. C.J. Loder répéta qu’il fallait éviter « toute

confusion entre la question 10 l’arbitrage obligatoire et celle des npormes à
appliquer par la Cour » .
12. Le comité consultatif se prononça finalement pour la juridiction
obligatoire de la Cour de La Haye (Cour permanente). voici ce qu’il

disait dans son rapport final :

«il ne saurait entrer dans la pensée du comité de donner à une ppartie
le droit d’éluder la juridiction de [la] Cour en alléguant que ptoute espé -
rance de règlement par la voie diplomatique n’est pas encore perdupe.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . . . . . . . . . . . . . .
5
voir op. cit. supra note 1, p. 729, le rapport final par lequel le comité a mis la dernière
main au projet d’articles et y a joint un commentaire ;et la version préliminaire, ibid.,
p. 566.
6 Ibid., p. 308.
7 Ibid., p. 309.
8 Ibid., p. 310-311.
9 Ibid., p. 311.
10 Ibid., p. 311.

177244 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

The Court, after satisfying itself in limine litis that an attempt has
been made to settle the case by diplomatic means, (. . .) shall deliver
judgment under certain conditions. Article 34 consequently lays down
that the Court may hear and determine, without any special conven -

tion, disputes between States which are members of the League of
Nations if such disputes are of a legal nature (. . .).” 11

13. The Advisory Committee itself, commenting on this provision of
the draft, noted that :

“in the opinion of the majority of the Committee, the grant of such

powers, though perhaps not strictly in accordance with the letter of
the Covenant, follows its spirit so exactly that it would seem a great
pity, now that the Court is being definitely organized, not to complete p
the progress made by this last provision.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . . . . . . . . . . . . . .
[T]he majority [of the Committee] recognized that the States form -

ing the League of Nations, in constituting the Court, must give it a
competence in cases of a legal nature, without any convention other
than the constituent Statute of the Court.” 12

Such was the position espoused by the Advisory Committee of Jurists,
entrusted [by the Council of the League of Nations] with the historical p

task of drafting the Statute of the Hague Court in 1920. The Council
itself, however, was to take a different position, opposed to the proposed
compulsory jurisdiction of the pCIJ. The matter was then referred to the

Assembly of the League of Nations.

2. The Debates of the Assembly of the League of Nations

and Subsidiary Organs (1920)

14. At the I Assembly, in 1920, the question of the compulsory juris -
diction of the pCIJ was object of a careful debate ; some of the members

of the Advisory Committee of Jurists were present therein, in their capapci-
ties of delegates of their countries. By and large, in the Assembly debaptes
that followed 13, the proposed clause of compulsory jurisdiction of the

11Op. cit. supra note 1, pp. 726-727.
12Cf. ibid., pp. 727-728. Cf. also the commentary, on this provision, by J. Brown Scott,
in The Project of a Permanent Court of International Justice and Resolutio▯ns of the Advisory

Committee of Jurists — Report and Commentary, Washington, 1920, p. 98 :
“It would seem to follow that one of the parties could, in the absencpe of a separate
and special convention or of special consent, lay the case before the Copurt, which is
competent to receive it, and that the Court, being competent, could not ponly entertain
the case, but could, at the request of the complaining State, proceed top decide it in the

absence of the defendant State invited to appear before the Court.”
13Extensively reported in the League of Nations’ document : pCIJ, Documents Con-
cerning the Action Taken by the Council of the League of Nations undArticle 14 of the
Covenant, geneva, pCIJ, 1921, pp. 1 et seq.

178 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 244

Après s’être assurée que le litige a été l’objet d’pune tentative de
règlement par la voie diplomatique, la Cour, cette vérification fapite
in limine litis, statue, sous un certain nombre de conditions. L’ar -
ticle 34 déclare en conséquence que, entre Etats membres de la

Société des Nations, la Cour statue sans convention spéciale supr les
différends d’ordre juridique… » 11

13. Commentant cette disposition du projet de texte, le comité consul -
tatif lui-même constatait ce qui suit :

«de l’avis de la majorité du comité, une telle attribution de copmpé -

tence, bien qu’elle ne soit peut-être pas rigoureusement conforme aux
termes du pacte, est dans un tel accord avec son esprit qu’on ne com -
prendrait pas qu’au moment d’organiser définitivement la Cour on
n’achevât pas, par ce dernier trait, le progrès qu’elle appoprte.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . . . . . . . . . . . . . .
La majorité [du comité] a reconnu que les Etats qui forment la

Société des Nations doivent, en constituant la Cour, lui donner copm -
pétence dans le cas de litiges d’ordre juridique, sans autre convepntion
que le Statut qui organise la Cour. » 12

Telle était la position du comité consultatif de juristes auquel lpe Conseil
de la Société des Nations avait confié la tâche historique dp’élaborer le

Statut de la Cour de La Haye en 1920. Cependant, le Conseil lui-même
allait adopter une position différente et s’opposer à l’atptribution d’une
compétence obligatoire à la Cour. La question fut alors renvoyépe devant

l’Assemblée de la Société des Nations.

2. Les débats de l’Assemblée de la Société des Nations

et de ses organes subsidiaires (1920)

14. A la première Assemblée, en 1920, la question de la compétence obli -
gatoire de la Cour permanente fit l’objet d’un débat approfondip; certains

des membres du comité consultatif de juristes étaient présents en leur qua 13
lité de délégués de leur pays. dans les débats de l’Assemblée qui suivirent ,
le projet de clause de compétence obligatoire ne suscita généraplement pas

11 Op. cit. supra note 1, p. 726-727.
12 voir ibid., p. 727-728. voir aussi le commentaire sur cette disposition de J. Brown Scott
dans The Project of a Permanent Court of International Justice and Resolut▯ of the

Advisory Committee of Jurists — Report and Commentary, Washington, 1920, p. 98 :
«Il semblerait en découler que l’une des parties pourrait, en l’pabsence d’un- conven
tion distincte et spéciale ou d’un assentiment spécial, porter pl’affaire devant la Cour,
qui a compétence pour en connaître, et que la Cour, ayant compéptence, pourrait non
seulement entendre l’affaire mais aussi, à la demande de l’Etpat demandeur, la juger en

l’absence de l’Etat défendeur invité à comparaître devpant elle. »
13 Repris en grande partie dans le document de la Société des Nationsp Documents au sujet
de mesures prises par le Conseil de la Société des Nations ▯ es de l’article 14 du Pacte,
genève, Société des Nations/Cour permanente de Justice internatiponale, 1921, p. 1 et suiv.

178245 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

pCIJ did not meet much enthusiasm on the part of most member States
of the League, although some States endorsed it (cf. infra).
15. In particular, the originally proposed Article 34, then Article 36 in

the final numbering of the draft Statute of the pCIJ, was doubted to be in
conflict with the Covenant of the League ; hence a Sub-Committee was
established to study the issue, and to consider whether the Statute coulpd

serve as an instrument whereby States could express their consent to thep
pCIJ’s jurisdiction 14. The Sub-Committee acknowledged the controversy
on the interpretation of the Covenant, but decided not to propose any
15
amendment of the relevant Articles of the draft Statute .

16. The negotiation deadlock was overcome thanks to a proposal by
16
the Brazilian delegate (Raul Fernandes), who devised an alternate ver -
sion of the jurisdictional clause, whereby parties to the Statute were fpree
to adhere or not 17; he then submitted a revised proposal focused on the

possibility that States, which desired to extend the scope of compulsoryp
jurisdiction of the Court, were permitted to do so by means of a declara -
tion. This proposal setting forth the optional clause was then approved pin
18
the Assembly (8th meeting), together with the whole draft Statute .
17. The Norwegian delegate (F. Hagerup), who — like R. Fernandes
— had worked on the topic in the Advisory Committee, though noting

with some regret that the momentum built by the Committee had been lost,
in the debates of the Assembly welcomed the Brazilian amendment ; he
reminded the Assembly, however, that compulsory jurisdiction was in his

view still in force even without recourse to the optional clause declaraption,
at least for “all matters specifically provided for in treaties and cponven -
tions in force”, as acknowledged by the amended jurisdictional clausep . 19

18. The main points made during the debates were reported in the
minutes(procès-verbaux) of the Assembly’s III Committee, in charge of
the draft Statute of the pCIJ. In the debates of 24 November 1920 on

compulsory jurisdiction, the delegate of Argentina (H. pueyrredon) stated
that if the pCIJ’s “jurisdiction was not obligatory, the Court of Justice
would (. . .) be merely an arbitration tribunal” 2. The delegate of Brazil

(R. Fernandes) strongly criticized the modifications made by the League’ps
Council of the conclusions of the Advisory Committee of Jurists, and
held that “[f]or legal questions the Court should have jurisdiction bpecause
21
the decisions of the Court are the application of law, and make law” .

14 Op. cit. supra note 13, pp. 91-92.
15 Cf. ibid., pp. 210-211, and cf. also p. 107, on relevant discussion in the Assembly.
16 Cf. ibid., Annex 49, at p. 222.
17 Cf. ibid., p. 107, and Annex 11, p. 168.
18
19 Ibid., p. 110.
Ibid., pp. 249-250.
20 League of Nations, Records of the I Assembly —Meetings of the III Committee (pCIJ/
CpJI), geneva, 1920, p. 285.
21 Ibid., p. 285.

179 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 2)45

beaucoup d’enthousiasme de la part d’une grande partie des Etats membres
de la Société, même si certains le soutenaient (voir ci-dessous).
15. On se demandait en particulier s’il n’y avait pas contradiction entre

l’article 34 initialement proposé, devenu l’article 36 dans la numérotation
finale du projet de Statut de la Cour permanente, et le pacte de la Société
des Nations ; une sous-commission fut donc chargée d’examiner la ques -

tion et de déterminer si le Statut pouvait être un instrument par plequel les
Etats exprimeraient leur assentiment à la compétence de la Cour peprma -
nente . La sous-commission prit acte de la controverse sur l’interpréta -

tion du pacte, mais elle décida de ne pas pro15ser d’amendement aux
articles pertinents du projet de Statut .
16. Les négociations sortirent de l’impasse grâce à une propositpion du
délégué du Brésil 16(Raul Fernandes), qui élabora une autre version de la

clause juridictionnelle permettant aux parties au Statut d’adhérerp à l’un
ou l’autre des deux textes 17; il présenta ensuite une proposition revisée
qui visait à laisser aux Etats désireux d’élargir le cadre dpe la compétence

obligatoire la faculté de le faire par une déclaration. Cette propposition qui
énonçait la clause facultative fut alors approuvée par l’Assemblée (hui -
tième séance), ainsi que le projet de Statut dans son ensemble 18.

17. Le délégué de la Norvège (F. Hagerup), qui, comme R. Fernandes,
avait examiné la question au sein du comité consultatif, nota non sans
regret que l’élan donné par les travaux du comité avait épté perdu au cours

des débats de l’Assemblée, tout en se félicitant de l’amepndement du Bré -
sil; il rappela toutefois à l’Assemblée qu’à son sens la comppétence obliga-
toire restait établie, même sans le recours à la déclarationp, du moins pour

«tous les cas spécialement prévus dans les traités et conventionps en 19
vigueur», comme le montrait la clause juridictionnelle modifiée .
18. Les principales questions examinées au cours des débats furent

consignées dans les procès-verbaux de la Troisième Commission de l’As -
semblée, chargée du projet de Statut de la Cour permanente. Au couprs de
la discussion tenue le 24 novembre 1920 sur la question de la compétence
obligatoire, le délégué de l’Argentine (H. pueyrredon) déclara que, « si la

juridiction de la Cour de Justice n’était pas obligatoire, cette Cpour ne
serait qu’un tribunal d’arbitrage » 20. Le délégué du Brésil (R. Fernandes)
critiqua vivement les modifications apportées par le Conseil aux concplu -

sions du comité consultatif de juristes, estimant que, « dans les questions
d’ordre juridique, la juridiction de la Cour s’imposait, puisque lpes déci -
sions de la Cour étaient l’application du droit et créaient le pdroit» . 21

14 Op. cit. supra note 13, p. 91-92.
15 voir ibid., p. 210-211, et aussi p. 107, sur les débats de l’Assemblée à ce sujet.
16
17 voir ibid., annexe 49, p. 222.
18 voir ibid., p. 107, et annexe 11, p. 168.
Ibid., p. 110.
19 Ibid., p. 249-250.
20 Société des Nations, Actes de la première Assemblée — Séances de la Troisième
Commission (Cour permanente de Justice internationale), genève, 1920, p. 285.
21 Ibid., p. 285.

179246 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

19. Likewise, the delegate of panama (H. Arias) thought that “the

compulsory jurisdiction could well be maintained”, and “the partieps
should be obliged to bring the case before the Court if they had not
agreed to submit it to arbitration or to enquiry by the Council” 22. In the

same line of thinking, the delegate of portugal (A. Costa) endorsed the
Advisory Committee’s support of compulsory jurisdiction ; he argued
that :

“the Covenant imposed recourse to the Court as an obligation, being
inspired by the principle, contrary to that held by Bismarck, that

‘right goes before might’. The League of Nations had undertaken thpe
task of preventing war. The only means of effecting this was obliga -
tory recourse to justice. If a Court with obligatory jurisdiction could p
not be established, the League was dead. (. . .) The League of Nations

would gain strength by admitting the principle of the adaptation of
the Covenant to the needs of humanity. moreover, a permanent
Court without compulsory jurisdiction would not only contradict the

great treaties of peace which conferred this jurisdiction upon it in
special cases; it would also constitute a mere repetition of the Hague
Court of Arbitration.” 23

20. The delegate of South Africa (Lord Robert Cecil), however, intro -
duced doubts into that debate, by arguing that the will or consent of thpe

parties should prevail (rather than compulsory jurisdiction), as the Court’s
judgments “would not be enforced” if they “concerned vital inteprests” of
the States 24. The Norwegian delegate (F. Hagerup) sharply disagreed with

Lord Robert Cecil’s “reservation of vital interests”, and “rpegretted that the
Council had not been able to adopt the point of view of the Jurists’
Committee” 25. The delegate of the Netherlands (B.C.J. Loder) also regret-
ted the “misunderstanding between the Jurist’s Committee and the Cpoun -

cil”, and held that “the establishment of compulsory jurisdiction pwas
exactly the step forward which should be made, and the step desired by the
Covenant” 26; yet, to keep on insisting to take this step further would run

“the risk of bringing about disagreement between27ifferent powers and
thus of failing to achieve any result” at all .
21. In the continuing debates, of 26 November 1920, the strong criti -
cism came this time from the delegate of Belgium (H. Lafontaine), to

whom the principle of compulsory jurisdiction was, by then (in 1920),

“considered as the only means of emerging from the situation created p
by the war. The resistance to the application of the principle was due

22Op. cit. supra note 20, p. 286.
23Ibid., pp. 287-288.
24Ibid., p. 287.
25Ibid., p. 289.
26Ibid., p. 288.
27
Ibid., p. 288.

180 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 246

19. de même, pour le délégué du panama (H. Arias), « on pourrait

bien maintenir la juridiction obligatoire », et «oblig[er] les parties à porter
leurs différends devant la Cour, si elles ne s’étaient pas mises d’accord
pour les soumettre à l’arbitrage ou à l’enquête du Conseipl » 22. dans le

même esprit, le délégué du portugal (A. Costa) fit sien le soutien du
comité consultatif à la compétence obligatoire :

«le pacte établit l’obligation d’avoir recours à la Cour, en s’pinspirant
du principe contraire à celui de Bismarck : «le droit prime la force ».

La Société des Nations s’est donné la tâche d’empêcpher la guerre. Le
seul moyen, c’est le recours obligatoire à la Justice. Si l’on pne peut
constituer une cour avec compétence obligatoire, la Société estp
morte… La Société des Nations gagnerait en force si elle admettpait

que le pacte doit s’adapter aux nécessités humaines. du reste, une
Cour permanente sans compétence obligatoire sera non seulement en
contradiction avec les grands traités de paix qui lui confèrent cette

compétence dans des cas spéciaux, mais fera double emploi avec la
Cour d’arbitrage de La Haye. » 23

20. Le délégué de l’Afrique du Sud (lord Robert Cecil) instilla toutefois
le doute dans le débat en faisant valoir que la volonté ou l’aspsentiment des

parties devait l’emporter (sur la compétence obligatoire), étpant donné
que «les sanctions (de la Cour) ne seraient pas appliquées », si le dif-
férend « mettait en jeu des intérêts vitaux » 24. Le délégué de la Norvège

(F. Hagerup) marqua son vif désaccord avec lord Robert Cecil au sujet de
la «réserve pour les intérêts vitaux », et « regrett[a] que le Conseil n’ait pu
s’associer à la manière de voir du comité de juristes » 25. Le délégué des
pays-Bas (B. C.J. Loder) regretta lui aussi « le malentendu » entre le

comité de juristes et le Conseil, estimant que « l’établissement de la com -
pétence obligatoire était justement le pas en avant à faire, etp le pas désiré
par le pacte » 26; pourtant, aller plus loin risquerait à son avis « de faire

naître un d27accord entre diverses puissances et de n’aboutir àp aucun
résultat » .
21. pendant la suite des débats, le 26 novembre 1920, ce fut au tour du
délégué de la Belgique (H. Lafontaine) de se livrer à une critique sévère.

Selon lui, à l’époque (en 1920), le principe de la juridiction obligatoire
était considéré

«comme le seul moyen de sortir de la situation créée par la guerre.p
L’opposition à la réalisation de ce principe [était] due àp un double

22Op. cit. supra note 20, p. 286.
23Ibid., p. 287-288.
24Ibid., p. 287.
25Ibid., p. 289.
26Ibid., p. 288.
27
Ibid., p. 288.

180247 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

to the two fetishes of unanimity and sovereignty. (. . .) The only
admissible sovereignty was that of justice. (. . .) The Covenant bore

the imprint of the fact that its authors were inspired by the fetishes
of vital interests and honour, but at least these two expressions were
not to be found in the Covenant, and this in itself constituted an
28
element of progress.”

22. Insisting on his criticism, the delegate of Belgium (H. Lafontaine)
saw “a contradiction in Article 14 of the Covenant, in that it provided for
a real Court of Justice to which, however, the parties would have recourpse
29
only if they both agreed to do so” . The delegate of the British Empire
(Sir Cecil Hurst), however, did not think that the draftsmen of the Cove -
nant had the intention to establish a Court with compulsory jurisdictionp;

he beheld as the “true solution”, if arbitration did not succeed, “to induce
States to conclude mutual treaties” foreseeing recourse to a Court 30. This
was the way, in his view, to overcome “the hesitation of some States pto
31
accept universal compulsory jurisdiction” . H. Lafontaine expressed
some skepticism, in reply to the proposal of Sir Cecil Hurst 3.

23. In the remaining debates on the matter, of 1 and 13 december 1920,

the delegate of greece (N. politis) remarked that, since it seemed “impos -
sible to accept the idea of compulsion”, which “could not be imposped
upon minds which had not spontaneously accepted it”, the solution

appeared to be “to establish a network of separate conventions extendping
the jurisdiction of the Court” 33. For his part, the delegate of Switzerland
(max Huber) suggested the possibility of adoption of a convention for
34
compulsory arbitration . The delegate of Colombia (F. J. Urrutia) stated
that :

“The principle of compulsory arbitration is not only a principle of
international justice; it is a democratic principle, since it is the logical

result of the legal equality of States. It is deeply rooted in the histopry,
traditions and institutions of the American peoples.” 35

24. In the same line of thinking, the peruvian delegate (m. H. Cornejo)

stated that “peru has always defended compulsory arbitration”, and

28
29 Op. cit. supra note 20, p. 292.
Ibid., p. 293.
30 Ibid., pp. 293-294.
31 Ibid., p. 294.
32 Ibid., p. 294.
33 Société des Nations/CpJI, Documents au sujet de mesures prises par le Conseil de la
Société des Nations aux termes de l’article 14 du Pacte et de l’adoption par l’Assemblée du

Statut de la Cour permanente, geneva, SdN/CpJI, 1920, p. 142.
34
Ibid., p. 142.
35 Ibid., pp. 241-242.

181 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 247

fétichisme: celui de l’unanimité et celui de la souveraineté… La seulep
souveraineté admissible [était] celle de la justice… Le pacte [pportait]
l’empreinte du double fétichisme qui avait inspiré ses auteurs,p celui

des intérêts vitaux et celui de l’honneur. Ces deux expressionsp ne se
[trouvaient] pas, il est vrai, dans le pacte, ce qui [était] déjà un pro -
grès ».28

22. Allant encore plus loin dans la critique, le délégué de la Belgpique

(H. Lafontaine) voyait « une contradiction dans l’article 14 du pacte »,
qui « constituait une cour de justice véritable, mais les parties n’y
[auraient] cependant recours que si elles [étaient] d’accord pour le faire» 2.
Cependant, le délégué de l’Empire britannique (sir Cecil Hurst) ne croyait

pas pour sa part que l’intention des rédacteurs du pacte eût été de
créer une cour ayant compétence obligatoire ; à son sens, la « vraie
solution» si l’arbitrage échouait était « d’inciter les Etats à conclure
30
entre eux des traités mutuels » prévoyant le recours à une cour .
C’était à son avis le seul moyen de surmonter « les hésitations de quel-
ques Etats à accepter l’arbitrage obligatoire universel » 31. C’est pourquoi

H. Lafontaine exprima le scepticisme que lui inspirait la proposition de
sir Cecil Hurst 32.
23. Au cours des derniers débats sur la question, les 1 eret 13 décembre

1920, le délégué de la grèce (N. politis) releva que, puisqu’il semblait
«impossible d’accepter l’idée d’obligation » qui ne pourrait être « impo -
sé[e] à des esprits qui ne l’auraient pas spontanément accepptée », la solu-

tion semblait être « d’établir tout un système de conventions séparées qui
étendraient la juridiction de la Cour » 33. pour sa part, le délégué de la
Suisse (max Huber) proposa l’adoption d’une convention établissant l’arp -
34
bitrage obligatoire . Le délégué de la Colombie (F. J. Urrutia) déclara ce
qui suit :

«Le principe de l’arbitrage obligatoire n’est pas seulement un prinp -
cipe de justice internationale, mais aussi un principe démocratique,
étant donné qu’il découle de l’égalité juridique des Etats. Il a de pro -

fondes racines dans l’histoire, dans les traditions et dans les institu -
tions des peuples américains. » 35

24. dans le même esprit, le délégué du pérou (m. H. Cornejo) déclara
que le pérou [avait] toujours défendu l’arbitrage obligatoire », et releva

28 Op. cit. supra note 20, p. 292.
29 Ibid., p. 293.
30 Ibid., p. 293-294.
31 Ibid., p. 294.
32
33 Ibid., p. 294.
Documents au sujet de mesures prises par le Conseil de la Société ▯des Nations aux
termes de l’article 14 du Pacte et de l’adoption par l’Assemblée du Statut de la Cour▯ perma -
nente, genève, Société des Nations/Cour permanente de Justice internatiponale, 1920,
p. 142.
34 Ibid., p. 142.
35 Ibid., p. 241-242.

181248 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

remarked that “Latin America, by a very great majority, perhaps unanip -
36
mously, desires compulsory jurisdiction and the reign of peace” . Like-
wise, the delegate of Cuba (mr. de Aguero) observed that :

“although the principle of compulsory jurisdiction is not included inp
the resolution of the III Committee, we will vote for that resolution.
We understand the saying of the Latin philosopher : natura non fecit

saltus. perfection cannot be attained in a moment from that which
does not as yet exist. The laws of evolution govern all things. We must p
begin by building a little chapel, and in the course of time the League p
37
of Nations will be able to build a cathedral.”

To the same effect, the delegate of Switzerland (mr. motta) added that
the setting up of a tribunal with compulsory jurisdiction “would havep
been the ideal, but the present state of human society is still unfavourpable

to its realization. (. . .) Article 36, however imperfect it may be, will be the
starting-point of a great movement towards freedom, out of which will
arise universal compulsory jurisdiction” 3.

25. For his part, the delegate of Bolivia (mr. Tamayo) expressed sup -
port for “the just, humane and truthful principle of compulsory arbitpra -
tion”; anything short of that, he added, amounted to “promising us
justice for tomorrow”, and “not giving it us today” 39. And the delegate of

portugal (A. Costa) insisted on his view that Articles 12-15 of the Cove -
nant “implied the principle of compulsory jurisdiction for the Internpa -
tional Court of Justice”, and he added, with a premonitory tone :

“When we realize the necessity of remaining faithful to the decla -
rations of the preamble to the Covenant and of declaring ourselves

on the question of compulsory jurisdiction, we shall be forced to
accept compulsion. The tribunal we are going to found will then be
provided with compulsory jurisdiction, which will be admitted by all

the members of the League of Nations. Such is my wish. I accept the
institution of a permanent Court of International Justice because I
have confidence in the future. If we are not to reach the end of which
I have spoken, we are deceiving ourselves. The tribunal will disappear, p

and with it the League of Nations, if, to settle their disputes, the
members of the League are still at liberty to resort to war.” 40

26. The compromise solution was the optional clause, proposed by the
Brazilian delegate (Raul Fernandes), as pointed out by the rapporteur of

the III Committee (F. Hagerup), in his Report on the discussions of the
Committee, in respect of what was to become Article 36 the Statute of the

36Op. cit. supra note 33, p. 244.
37Ibid., pp. 246-247.
38Ibid., p. 249.
39Ibid., p. 248.
40
Ibid., p. 246.

182 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 248

que « l’Amérique latine, à une très grande majorité, à l’punanimité
36
peut-être, [voulait] la justice obligatoire et le règne de la paix » . de
même, le délégué de Cuba (m. de Aguero) indiqua ce qui suit :

«bien que le principe de la compétence obligatoire ne soit pas inscrit
dans la résolution de la Troisième Commission, nous voterons ses
conclusions; nous comprenons la phrase du philosophe latin natura

non fecit saltus ; on ne saurait passer de ce qui n’existe pas encore
à une œuvre parfaite. En toute chose, interviennent les lois de l’épvo -
lution. Il faut commencer par élever une petite chapelle et, avec le p

temps, la Société des Nations sera en mesure de construire une
cathédrale.» 37

Toujours dans cet esprit, le délégué de la Suisse (m. motta) ajouta que la
création d’un tribunal doté d’une compétence obligatoire p«eût été l’idéal,
mais la situation actuelle de la société humaine s’oppos[ait] encore à sa

réalisation … L’article 36, si imparfait [fût]-il, sera[it] le point de départ
du grand mouvement libérateur d’où sortira[it] la juridiction obligatoire
universelle. » 38

25. pour sa part, le délégué de la Bolivie (m. Tamayo) exprima son
appui aux « idées de justice, de bonté et de vérité que représent[aitp] l’arbi -
trage obligatoire»; toute compétence facultative, ajouta-t-il, reviendrait à
«une promesse de justice et non pas à la justice elle-même » 3. Le délégué

du portugal (A. Costa) souligna qu’à son avis les articles 12 à 15 du pacte
«entraîn[aient] pour la Cour internationale de Justice le principe de pla
compétence obligatoire», ajoutant, de façon prémonitoire :

«Quand on constatera la nécessité d’être fidèle aux décplarations du
préambule et de se prononcer sur la compétence obligatoire, on serpa

forcé de la reconnaître. Ainsi, le tribunal que nous allons fonderp sera
doté de la compétence obligatoire et elle sera admise par tous lesp
membres de la Société des Nations. Tel est le vœu que j’exprpime.

J’accepte l’institution de la Cour permanente de Justice internatipo -
nale parce que j’ai confiance en l’avenir. Si nous ne devions pas p
aboutir comme je l’ai dit, nous nous duperions nous-mêmes. Le tri -
bunal disparaîtrait et, avec lui, la Société des Nations si, popur régler

leurs différends, les membres de la Société pouvaient encore recourir
à la guerre. » 40

26. La clause facultative proposée par le délégué du Brésil (Raul Fer -
nandes) représentait donc la solution de compromis, comme le releva le

rapporteur de la Troisième Commission (F. Hagerup) dans son rapport
sur les débats de celle-ci au sujet de ce qui allait devenir l’article 36 du

36Op. cit. supra note 33, p. 244.
37Ibid., p. 246-247.
38Ibid., p. 249.
39Ibid., p. 248.
40
Ibid., p. 246.

182249 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

pCIJ . Furthermore, the Norwegian delegate (F. Hagerup), in the con -
cluding discussions of 13 december 1920, deemed it fit to state, in sup -
port of compulsory jurisdiction, that :

“There are already in existence a large number of conventions
which provide for compulsory jurisdiction. I am happy to pay tribute

here to the important part played by the States of South America in
this movement. They deserve a large share of the credit for the exten -
sion of the idea. (. . .) [T]he States of Europe have also not been
behindhand. Several of them, including some great powers, have con -

cluded a number of treaties which set up compulsory jurisdiction.
(. . .) I wish to emphasize here how highly desirable it would be for
all States, which are bound by treaties providing for compulsory juris -
diction in a general way, to modify them so that this jurisdiction shallp
henceforth devolve upon the Court which we are about to set up. Such

an attitude will greatly help to extend the Court’s jurisdiction. I hpave
already in my first speech pointed out the importance of the motion
of the Brazilian delegation, (. . .) according to which States which
desire to extend the scope of compulsory jurisdiction are permitted to

do so by means of a simple declaration. (. . .) I have been, from the
outset, a champion of the principle of compulsory jurisdiction. I can
accept wholeheartedly the proposal now presented.” 42

3. The Debates on the ICJ Statute of the United Nations Conference
on International Organization and Subsidiary Organs (1945)

27. In the new era inaugurated with the creation of the United Nations,
on the occasion of the UN Conference on International Organization, a
Committee of Jurists was appointed in 1945 to review the pCIJ Statute in

view of the adoption of the Statute of the new International Court of
Justice (ICJ). The Committee of Jurists entrusted a Subcommittee to
draft the text of, in particular, Article 36 (on compulsory jurisdiction). On
14 April 1945 the Subcommittee reported :

“The Subcommittee, having given careful consideration to the

various proposals that had been presented as well as to the views
previously expressed by the different delegates before the Commit-
tee of Jurists, unanimously agreed upon the following :

‘The Court, being the principal judicial organ of the United
Nations, should possess definite jurisdiction, if not in all cases,
at least in those cases which are peculiarly susceptible of judicial
settlement, namely, legal disputes.
It may be recalled that as far back as 1920 compulsory

jurisdiction was proposed by the Committee of Jurists which

41Cf. op. cit. supra note 33, p. 222.
42Ibid., p. 250.

183 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 249

Statut de la Cour permanente . Concluant les débats le 13décembre 1920,
le délégué de la Norvège (F. Hagerup) tint à ajouter ce qui suit :

«Il existe déjà un grand nombre de conventions établissant la jupri-
diction obligatoire. Je suis heureux de reconnaître ici la grande parpt

que les Etats d’Amérique du Sud ont prise à ce mouvement. C’est à
eux que revient le grand mérite de l’extension de cette idée…p [L]es
Etats d’Europe ne sont pas restés en arrière non plus. plusieurs
d’entre eux, même de grandes puissances, ont conclu un certain

nombre de traités établissant la juridiction obligatoire… Je tipens pré -
cisément à souligner ici combien il sera hautement désirable qupe tous
les Etats liés par des traités prévoyant la juridiction obligatpoire en
général les modifient dans un sens tel que cette juridiction soit pdésor -
mais dévolue à la Cour que nous allons établir. Cette orientatipon

étendra dans une large mesure la compétence de la Cour. J’ai dépjà
signalé dans mon premier discours l’importance de la proposition dpe
la délégation brésilienne, … suivant laquelle il est laissé aux Etats
désireux d’élargir le cadre de la juridiction obligatoire la fapculté de le

faire par une simple déclaration… [J]’ai été dès le dépbut partisan du
principe de la juridiction obligatoire. C’est ce qui me permet d’apdop -
ter de grand cœur le projet présenté actuellement. » 42

3. Les débats sur le Statut de la Cour de la Conférence des Nations Unies
sur l’Organisation internationale et ses organes subsidiaires (1945)▯

27. La fondation de l’Organisation des Nations Unies inaugura une
nouvelle ère. A l’occasion de la Conférence des Nations Unies sur l’Orga -
nisation internationale, un comité de juristes fut nommé en 1945 et chargé

d’analyser le Statut de la Cour permanente en vue de l’adoption dup Statut
de la nouvelle Cour internationale de Justice (ci-après « la Cour »). Ce
comité confia à un sous-comité le soin d’élaborer, entre autres, le texte de
l’article 36 (sur la compétence obligatoire). Le 14 avril 1945, ce sous-
comité fit rapport comme suit :

«Le sous-comité, ayant examiné attentivement les diverses propo -

sitions qui avaient été présentées ainsi que les vues prépcédemment
exprimées par les différents délégués devant le comitép de juristes, est
convenu à l’unanimité de ce qui suit :

«La Cour, en sa qualité d’organe judiciaire principal des Nations
Unies, devrait être dotée d’une compétence bien définie, psinon dans
tous les cas, du moins dans ceux qui se prêtent particulièrement àp
un règlement judiciaire, à savoir les différends de nature juridique.
On se souviendra que dès 1920 le comité de juristes qui a éla -

boré le Statut existant avait proposé le principe de la compétepnce

41voir op. cit. supra note 33, p. 222.
42Ibid., p. 250.

183250 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

drafted the existing Statute. The governments were not prepared
at that time to accept the proposal and the result was the adoption
of what is known as the optional clause.
The exercise of compulsory jurisdiction by the Court will promote

the rule of law among nations. public opinion throughout the
world is strongly in favour of conferring on the Court compulsory
jurisdiction.’” 43

28. moreover, the Subcommittee recalled that consensus among jurists
was in place at least since the 1920 negotiations, and that 45 out of
51 States had already accepted the optional clause. Shortly afterwards, on
19 April 1945, the Subcommittee further reported on the matter that :

“The question of compulsory jurisdiction was debated at the time

of the initial preparation of the Statute of the Court. Admitted by the p
Advisory Committee of Jurists, in 1920, compulsory jurisdiction was
rejected in the course of the examination of the draft Statute by the
League of Nations to yield place, on the successful initiative of a
Brazilian jurist, to an optional clause permitting the States to accept p

in advance the compulsory jurisdiction of the Court in a domain
delimited by Article 36. This debate has been resumed and very many
delegations have made known their desire to see the compulsory juris -
diction of the Court affirmed by a clause inserted in the revised Stat -

ute so that, as the latter is to become an integral part of the United
Nations Charter, the compulsory jurisdiction of the Court would be
an element of the International Organization which it is proposed to
institute at the San Francisco Conference. Judging from the prefer -
ences thus indicated, it does not seem doubtful that the majority of

the Committee was in favour of compulsory jurisdiction, but it has
been noted that, in spite of this predominant sentiment, it did not
seem certain, nor even probable, that all the nations whose participa -
tion in the proposed International Organization appears as necessary,
were now in a position to accept the rule of compulsory jurisdiction,

and that the dumbarton Oaks proposals did not seem to affirm it ;
some, while retaining their preferences in this respect, thought that
the counsel of prudence was not to go beyond the procedure of the
optional clause inserted in Article 36, which has opened the way to
the progressive adoption, in less than 10 years, of compulsory juris -

diction by many States which in 1920 refused to subscribe to it. placed
on this basis, the problem was found to assume a political character,
and the Committee thought that it should defer it to the San Fran -
cisco Conference.

43UN, Documents of the United Nations Conference on International Organization
(UNCIO), vol. xIv (UN Committee of Jurists), San Francisco, 1945, doc. Jurist-43,
g/33, of 14 April 1945, pp. 286-287.

184 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 250

obligatoire. Les gouvernements n’étant pas prêts à l’éppoque à
accepter cette proposition, la clause dite facultative a été adoptpée.

L’exercice de la compétence obligatoire par la Cour favorisera

le respect du droit entre les nations. L’opinion publique dans le
monde entier soutient sans réserve le principe de la compétence
obligatoire de la Cour. » » 43

28. de plus, le sous-comité rappela que le consensus s’était fait entre
les juristes au moins depuis les négociations de 1920, et que quarante-cinq
des cinquante et un Etats avaient déjà accepté la clause facultative. peu
après, le 19 avril 1945, le sous-comité fit de nouveau rapport sur la ques -

tion :
«La question de la juridiction obligatoire a été débattue dèsp la pré -

paration initiale du Statut de la Cour. Admise par le comité consul -
tatif de juristes en 1920, la juridiction obligatoire a été écartée au
cours de l’examen du projet de Statut par la Société des Nationps
pour faire place, sur l’initiative fructueuse d’un jurisconsulte bprési -
lien, à une clause facultative permettant aux Etats d’accepter parp

avance la juridiction obligatoire de la Cour dans un domaine déli -
mité par l’article 36. Ce débat a été repris et de très nombreuses délé -
gations ont fait connaître leur désir de voir consacrer la juridicption
obligatoire de la Cour par une clause insérée dans le Statut revispé en

sorte que, celui-ci devant devenir partie intégrante de la Charte des
Nations Unies, la juridiction obligatoire de la Cour serait un élément
de l’organisation internationale qu’on se propose d’instituer àp la
conférence de San Francisco. A s’en tenir aux préférences ainsi
marquées, il ne paraît pas douteux que la majorité de la Commisp-

sion était en faveur de la juridiction obligatoire. mais il a été relevé
que, malgré ce sentiment prédominant, il ne paraissait pas certainp, ni
même probable, que toutes les Nations dont la participation à l’orga -
nisation internationale projetée apparaît comme nécessaire fusspent
dès maintenant en situation d’accepter la règle de la juridictipon obli -

gatoire et que le projet de dumbarton Oaks ne paraissait pas la
consacrer; certains, tout en conservant leurs préférences à cet égardp,
ont estimé que la prudence conseillait de ne pas dépasser le procédé
de la clause facultative insérée dans l’article 36 et qui a ouvert la voie
à l’adoption progressive, en moins de dix ans, de la juridiction obli -

gatoire par de nombreux Etats qui, en 1920, se refusaient à y sous -
crire. placé sur ce terrain, le problème s’est trouvé revêtir un pcaractère
politique et la Commission a estimé qu’elle devait le déférer à la
conférence de San Francisco.

43Nations Unies, Documents de la Conférence des Nations Unies sur l’Organisation
internationale (CNUOI), San Francisco, 1945, vol. xIv (comité de juristes), doc. Jurist-43,
g/33, du 14 avril 1945, p. 286-287.

184251 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

The suggestion was made by the Egyptian delegation to seek a
provisional solution in a system which, while adopting compulsory
jurisdiction as the compulsory rule, would permit each State to escape
it by a reservation. Rather than accept this view, the Committee has

preferred to facilitate the consideration of the question by submitting p
two texts as suggestions rather than as a recommendation.
One is submitted in case the Conference should not intend to affirm
in the Statute the compulsory jurisdiction of the Court, but only to opepn
the way for it by offering the States, if they did not think it apropops,

acceptance of an optional clause on this subject. This text reproduces
Article 36 of the Statute with an addition in case the United Nations
Charter should make some provision for compulsory jurisdiction.
The second text, also based on Article 36 of the Statute, establishes
compulsory jurisdiction directly without passing through the channel

of an option which each State would be free to take or not take. Thus
it is simpler than the preceding one. It has even been pointed out that
it would be too simple. The Committee, however, thought that the
moment has not yet come to elaborate it further and see whether the
compulsory jurisdiction thus established should be accompanied by

some reservations, such as one concerning differences belonging to thep
past, one concerning disputes which have arisen in the present war, or
those authorized by the general Arbitration Act of 1928. If the prin -
ciple enunciated by this second text were accepted, it could serve as a

basis for working out such provisions applying the principle which it
enunciates with such modifications as might be deemed opportune.
Some delegations desired to see inserted in Article 36 (1) the spe -
cific statement that the jurisdiction of the Court extends to ‘justi-
ciable’ matters or those ‘of a legal nature’ which the parties might

submit to it. Objections were made to the insertion of such a specific
statement in a provision covering the case in which the jurisdiction
of the Court depends on the agreement of the parties. Some refused
to restrict in this way the jurisdiction of the Court. Fears were also
expressed regarding difficulties in interpretation which such a provi -

sion might cause, whereas practice has not shown any serious diffi -
culties in the application of Article 36 (1). So it was not changed as
indicated.” 44

29. In the light of the aforementioned, the Subcommittee proposed, on
the occasion, a revision of the aforementioned Article 36, to be read as
follows :

“1. The jurisdiction of the Court comprises all cases which the par -
ties refer to it and all matters especially provided for in the Charter p
of the United Nations and in treaties and conventions in force.

44UNCIO, vol. xIv (UN Committee of Jurists), doc. Jurist-61 (rev.), of 19 April 1945,
pp. 667-668.

185 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 251

La suggestion a été faite par la délégation égyptienne dep chercher
une solution transactionnelle dans un système qui, posant la règlep de
la juridiction obligatoire, permettrait à chaque Etat de l’écarter par
une réserve. plutôt que d’entrer dans cette voie, la Commission a

préféré faciliter l’examen de la question en présentant dpeux textes
pour mémoires plutôt qu’à titre de propositions.
L’un est présenté pour le cas où la Conférence n’entenpdrait pas consa -
crer dans le Statut la compétence obligatoire de la Cour mais seulemepnt
ouvrir la voie à celle-ci en offrant aux Etats d’accepter, s’ils le jugent à

propos, une clause facultative à ce sujet. Ce texte reproduit l’arpticle 36
du Statut avec une addition pour le cas où la Charte des Nations Unies
viendrait à faire quelque place à la juridiction obligatoire.
Le second texte, s’inspirant aussi de l’article 36 du Statut, établit
directement la juridiction obligatoire sans passer par la voie d’une p

option que chaque Etat serait libre de faire ou de ne pas faire. Aussi
est-il plus simple que le précédent. On a même relevé qu’il sperait trop
simple. La Commission a cependant pensé que le moment n’était ppas
encore venu de l’élaborer davantage et de rechercher si la juridicption
obligatoire ainsi établie devrait s’accompagner de quelques résperves,

telles que celle des différends appartenant au passé, celle des pcontes -
tations nées au cours de la présente guerre, ou celles autorisépes par
l’Acte général d’arbitrage de 1928. Si le principe qu’énonce ce second
texte était admis, celui-ci pourrait servir de base pour élaborer telles

dispositions mettant en application le principe qu’il énonce avec ples
aménagements qui pourraient être jugés opportuns.
Certaines délégations avaient le désir de voir insérer dans pl’ar -
ticle 36, paragraphe 1, la précision que la compétence de la Cour
s’étend aux affaires « justiciables», ou « d’ordre juridique », que les

parties lui soumettront. des objections ont été faites à l’insertion
d’une telle précision dans une disposition visant le cas où la psaisine
de la Cour dépend de l’accord des parties. Certains se sont refuséps à
restreindre ainsi la compétence de la Cour. des craintes se sont aussi
élevées au sujet des difficultés d’interprétation que feprait naître une

telle disposition alors que la pratique n’a pas révélé de séprieuses diffi -
cultés pour l’application de l’article 36, paragraphe 1. Aussi n’a-t-il
pas été modifié dans le sens indiqué. » 44

29. A la lumière de ce qui précède, le sous-comité proposa une revision
de l’article 36 susmentionné, pour qu’il se lise comme suit :

«1. La compétence de la Cour s’étend à toutes les affaires quep les
parties lui soumettront, ainsi qu’à tous les cas spécialement pprévus dans
la Charte des Nations Unies et dans les traités et conventions en

vigueur.

44CNUOI, vol. xIv (comité de juristes), doc.Jurist-61 rev., du 19 avril 1945, p. 667-668.

185252 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

2. The members of the United Nations and States parties to the
Statute recognize as among themselves the jurisdiction of the Court
as compulsory ipso facto and without special agreement in all or any
of the classes of legal disputes concerning :

(a) the interpretation of a treaty ;
(b) any question of international law ;

(c) the existence of any fact which, if established, would constitute a
breach of an international obligation ;
(d) the nature or extent of the reparation to be made for the breach

of an international obligation.
3. In the event of a dispute as to whether the Court has jurisdiction,
45
the matter is settled by decision of the Court.”

30. After further consideration, the Committee of Jurists acknow-
ledged that this solution could prove unpalatable in the Assembly, and
then provided this latter with two alternative texts for Article 36 of the
Statute: one set forth the clause on compulsory jurisdiction, whereas the
46
other retained the mechanism of the optional clause . The two alterna -
tive texts were submitted to the Iv Committee, which came to the conclu -
sion that the mechanism of the optional clause declaration was more likelp y

to meet the general agreement of the States parties ; it discarded the alter -
nate text, though acknowledging that the willingness to establish the ICpJ’s
compulsory jurisdiction had prevailed within the Committee of Jurists 47.

31. The support expressed, on distinct occasions, at the beginning of
the eras of both the League of Nations (1920) and of the United Nationps
(1945), just reviewed, for the compulsory jurisdiction of the Hague Copurt,
should not pass unnoticed, or be forgotten, in our days, at this beginnipng

of the second decade of the twenty-first century. In this respect, the
debates of the UN Committee of Jurists, of 12-13 April 1945, were par -
ticularly illuminating. On the occasion, the delegate of Brazil (A. Camillo

de Oliveira) began the discussions on draft Article 36 by stating that: “the
time is right to make an amendment to this Article so that the jurisdictpion
of the Court be obligatory for all categories of disputes enumerated in pthe
48
Article” . He added that, since 1920, when the optional clause was
inserted, “the idea of making the Court’s jurisdiction obligatory phad
greatly advanced” 49.

45
UNCIO, vol. xIv (Committee of Jurists), doc. Jurist-43, g/33, of 14 April 1945,
p. 467.
Cf. UNCIO, « Report on draft of Statute of an International Court of Justice
Referred to in Chapter vII of the dumbarton Oaks proposals » (rapporteur, Jules Basde-
vant), vol. xIv, 1945, pp. 821 and 839-842.
47Cf. UNCIO, « Compte-rendu du sous-comité Iv/1 sur l’article 36 du Statut de la
Cour internationale de Justice », vol. xIII, 1945, pp. 562-565.
48UNCIO, 1945, vol. xIv (Committee of Jurists), doc. Jurist-34, g/25, of 12 April
1945, p. 146.
49Ibid., p. 147.

186 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 252

2. Les membres des Nations Unies et Etats parties au Statut recon -
naissent comme obligatoire entre eux, de plein droit et sans conven -
tion spéciale, la compétence de la Cour sur toutes ou quelques-unes
des catégories de différends d’ordre juridique ayant pour objpet:

a) l’interprétation d’un traité ;
b) tout point de droit international ;

c) la réalité de tout fait qui, s’il était établi, constitueprait la violation
d’un engagement international ;
d) la nature ou l’étendue de la réparation due pour la rupture d’pun

engagement international.
3. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est com -
45
pétente, la Cour décide. »

30. Après un nouvel examen, le comité de juristes reconnut que cette
solution risquait d’être mal accueillie par l’Assemblée et lpui présenta donc
deux variantes pour l’article 36 du Statut : l’une énonçait la clause de
compétence obligatoire alors que l’autre conservait le mécanismpe de la
46
clause facultative . Ces deux textes furent présentés à la commission Iv,
qui conclut que le mécanisme de la clause facultative avait plus de cphances
de rallier l’accord général des Etats parties ; elle écarta donc l’autre

variante tout en reconnaissant que le souhait de voir instaurer la compép -
tence obligatoire de la Cour l’emportait au sein du comité de juripstes 47.

31. L’appui exprimé, à diverses occasions — au moment de la création
de la Société des Nations (1920) comme de celle de l’Organisaption des
Nations Unies (1945), ainsi qu’on vient de le voir —, pour la compétence
obligatoire de la Cour de La Haye ne devrait pas passer inaperçu ni être
e
oublié aujourd’hui, au début de la deuxième décennie du xxI siècle. Les
débats du comité de juristes des Nations Unies tenus les 12 et 13 avril 1945
furent particulièrement révélateurs à ce propos. voici comment le délégué

du Brésil (A. Camillo de Oliveira) ouvrit le débat sur le projet d’article 36:
«le moment est bien choisi pour apporter un amendement à cet article
afin que la compétence de la Cour soit obligatoire pour toutes les capté-
48
gories de différends qui y sont énumérées » , avant d’ajouter que, depuis
que la clause facultative avait été insérée en 1920, « l’idée de doter la
Cour d’une compétence obligatoire avait considérablement progressép» 4.

45
CNUOI, vol. xIv (comité de juristes), doc. Jurist-43, g/33, du 14 avril 1945, p. 287.
46
voir CNUOI, « Rapport sur le projet de Statut de la Cour internationale de Justice
visée au chapitre vII des propositions de dumbarton Oaks » (rapporteur, Jules Basde -
vant), vol. xIv, p. 821 et 839-842.
47 voir CNUOI, «Compte rendu du sous-comité Iv/1 sur l’article 36 du Statut de la
Cour internationale de Justice », vol. xIII, p. 562-565.
48 CNUOI, vol. xIv (comité de juristes), doc. Jurist-34, g/25, du 12 avril 1945,
p. 146.
49 Ibid., p. 147.

186253 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

32. In the same sense, the delegate of China (Wang Chung-hui) stated
that “the exercise of compulsory jurisdiction by the Court would prompote
the rule of law in international society” 5. On his turn, the delegate of

Turkey (C. Bilsel) declared that he “supported the thesis of the Brazilian
and Chinese delegates with regard to the revision of Article 36”, which he
regarded as “one of the most important Articles in the Statute” 51. And

the delegate of Turkey added that :

“the time had come to accept the idea of compulsory international
justice. The idea of international justice (. . .) has clearly progressed
(. . .). The Committee of Jurists had proposed compulsory jurisdiction
of the Court but (. . .) the Council of the League had not agreed, and

(. . .) the Assembly had compromised through the optional clause.
(. . .) The establishment of compulsory jurisdiction of the Court would
represent a great step forward in international justice.” 52

33. Further support to the Court’s compulsory jurisdiction came from
the delegate of Uruguay (J. A. mora Otero), who stated that, having
“heard with satisfaction the different points of view endorsing comppul -

sory jurisdiction”, he thought that “the Court of International Jupstice
should be competent to have jurisdiction in any international dispute thpat
has not been resolved by any other pacific means” 53. yet, like what

had happened in 1920 (cf. supra), also in 1945 compulsory jurisdiction
had its opponents. The delegate of the [then] Soviet Union (USSR,
N. v. Novikov) declared that “such compulsory jurisdiction was abso -
54
lutely unacceptable to his government” .
34. And, for his part, the delegate of the United States (g. H. Hack -
worth) pondered, as Chairman, that he “should not like to see this gproup

so sharply divided” ; he then warned that, “if the signature of the Statute
should involve ipso facto the acceptance of the compulsory jurisdiction of
the Court, some States would find it difficult to become a party to the
Statute” 55. The Iv Commission (Judicial Organization) of the 1945 San

Francisco Conference was duly informed of this “sharp division of opipn -
ion” among participating States on the question of the compulsory jurpis-
diction of the Court, and the I Committee then decided to retain the
56
optional clause by 31 votes to 14 .
35. despite the support expressed for compulsory jurisdiction, “[c]on-
cerns were raised, however, that pursuing the realization of this ideal

50 UNCIO, op. cit supra note 48, p. 147.
51
52 Ibid., p. 148.
53 Ibid., p. 149.
UNCIO, 1945, vol. xIv (Committee of Jurists), doc. Jurist-66 (34), g/53, of 19 April
1945 (corrigendum), p. 161.
54 Ibid., doc. Jurist-40, g/30, of 13 April 1945, p. 166.
55 Ibid., p. 164.
56UNCIO, 1945, vol. xIII (Commission Iv — Judicial Organization), 1945, pp. 390-392.

187 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 253

32. dans le même esprit, le délégué de la Chine (Wang Chung-hui)
jugea « l’exercice d’une compétence obligatoire par la Cour favorable au
respect du droit dans la société internationale » . Le délégué de la
Turquie (C. Bilsel) se rallia ensuite à la thèse des délégués du Brépsil et

de la Chine pour ce qui était de la revision de l’article 36, qu’il consi -
dérait comme « l’un des articles les plus importants du Statut » . Et il
ajouta :

«le moment est venu d’accepter l’idée d’une justice internationale

obligatoire. L’idée de justice internationale … a manifestement pro -
gressé… Le comité de juristes avait proposé l’attributionp d’une com-
pétence obligatoire à la Cour mais … le Conseil de la Société des
Nations n’avait pas souscrit à ce principe et … l’Assemblée avait

trouvé un compromis sous la forme de la clause facultative… L’épta -
blissement de la compétence obligatoire de la Cour serait un progrèps
considérable dans la justice internationale. » 52

33. Le principe de la compétence obligatoire de la Cour fut également p

soutenu par le délégué de l’Uruguay (J. A. mora Otero), qui, après avoir
«entendu avec satisfaction les différents points de vue favorables àp ce
principe», déclara que « la Cour internationale de Justice devait pouvoir

connaître de tout différend intern53ional qui n’avait pas été résolu par
tout autre moyen pacifique » . pourtant, en 1945 comme en 1920 (voir
ci-dessus), le principe de la compétence obligatoire avait ses opposantps.
Le délégué de [ce qui était alors] l’Union Soviétique (URSS, N. v. Novi -

kov) annonça qu’« une telle compétence obligatoire était absolument
inacceptable pour son gouvernement » 54.
34. pour sa part, le délégué des Etats-Unis (g. H. Hackworth), s’expri -

mant en sa qualité de président, indiqua qu’il « regretterait une division
si profonde de ce groupe », mais avertit que, « si la signature du Statut
impliquait ipso facto l’acceptation de la compétence obligatoire de la
55
Cour, il serait difficile à certains Etats de devenir parties au Staptut» . La
commission Iv (organisation judiciaire) de la conférence de San Fran -
cisco de 1945 fut dûment informée de cette « profonde divergence de
vues» entre les Etats participants sur la question de la compétence obpliga -

toire de la Cour, et la commission I décida alors de conserver la clause
facultative par trente et une voix contre quatorze 5.
35. malgré l’appui exprimé en faveur de la compétence obligatoirep,[« l]a

crainte s’est toutefois manifestée qu’en poursuivant la réalpisation de cet

50
51 CNUOI, op. cit supra note 48, p. 147.
Ibid., p. 148.
52 Ibid., p. 149.
53 CNUOI, vol. xIv (comité de juristes), doc. Jurist-66 (34), g/53, du 19 avril 1945
(corrigendum), p. 161.
54 Ibid., doc. Jurist-40, g/30, du 13 avril 1945, p. 166.
55 Ibid., p. 164.
56 CNUOI, vol. xIII (commission Iv, organisation judiciaire), 1945, p. 390-392.

187254 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

would jeopardize the possibility of achieving general agreement on both p
the Statute of the Court and the Charter itself” 5. Accordingly, as
reported on 31 may 1945, “the system of optional jurisdiction seems
58
more likely at the moment to receive general support” . It had become
clear that the collegiality of participating States was not yet preparedp in
1945, like a quarter of a century earlier (1920), to accept compulsoryp

jurisdiction for the Hague Court. Once again, in this particular case, ipner -
tia prevailed, to the detriment of the full realization of justice.
36. Shortly before the 1945 San Francisco Conference, m. O. Hudson

had recalled that Article 36 of the Statute of the pCIJ had, in 1920, been
“the result of the greatest contest waged in the creation of the Courpt”,
given that, at least within the 1920 Committee of Jurists, the view pre -
vailed, in succeeding preliminary projects, to confer on the pCIJ “a broad
59
compulsory jurisdiction” . The compromise subsequently found was the
optional clause proposed by Raul Fernandes (Brazil), drafted later 60.
And, one and a half decade after the 1945 San Francisco Conference,

R. p. Anand pointed out that by then it had become clear that “[t]he most
common method of accepting the compulsory jurisdiction of the Court
[was] through the acceptance of jurisdictional clauses in multilateral opr
61
bilateral treaties” . yet, “commentators on the Court and governmental
experts” remained “reluctant to acknowledge” the relevance of spuch com -
promissory clauses as “a basis for the Court’s compulsory jurisdicption” . 62

The emphasis continued to be laid on the optional clause of Article 36 (2)
of the Statute (even in the Court’s Yearbooks), despite the fact that “the
greater part of the Court’s compulsory jurisdiction” was derived fprom the
63
compromissory clauses themselves .

III. The Optional Clause of Copmpulsory Jurisdictiop:n
From the professed Ideal to a distorted practice

37. As a result of those prolonged debates of 1920, the ingenuous for -

mula of Article 36 (2) of the Statute — of the pCIJ, and, later on, also the
ICJ — was adopted, overcoming the difference between those who sup -
ported the prompt recognition of the compulsory jurisdiction of the

future pCIJ, and those — the representatives of the more powerful States
— who opposed that, objecting that one had gradually to come to trustp

57 UNCIO, 1945, vol. xIII (Commission Iv — Judicial Organization), 1945,
doc. 702-Iv/1/55, of 31 may 1945, p. 564 [translation by the Registry].
58 Ibid., p. 563 [translation by the Registry].
59
m. O. Hudson, The Permanent Court of International Justice, 1920-1942 — A Trea -
tis60 N.y., macmillan Co., 1943, p. 190.
Ibid., pp. 192-193.
61 R. p. Anand, Compulsory Jurisdiction of the International Court of Justice, New
delhi/Bombay, Asia publishing House, 1961, p. 134.
62 Ibid., p. 139.
63 Ibid., pp. 139-140.

188 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 254

idéal on compromettrait les possibilités de rallier l’accord gépnéral tant au
Statut de la Cour qu’à la Charte elle-même » . En conséquence, comme
indiqué le 31 avril 1945, «le système de juridiction facultative semble actuel -
58
lement plus susceptible de réunir l’adhésion générale » . Il était devenu
clair que, collégialement, les Etats participants n’étaient pasp encore prêts
en 1945, comme un quart de siècle plus tôt (1920), à accepter lep principe de

la compétence obligatoire pour la Cour de La Haye. Une fois de plus, dans
ce cas, l’inertie l’emporta, au détriment de la pleine réalipsation de la justice.
36. peu avant la conférence de San Francisco de 1945, m. O. Hudson

avait rappelé que l’article 36 du Statut de la Cour permanente était,
en 1920, «le résultat du plus grand combat mené lors de la création de la
Cour», étant donné que, du moins au sein du comité de juristes dpe 1920,
le désir dominait, dans les projets préliminaires successifs, d’pattribuer
59
«une large compétence obligatoire » à la Cour permanente . Le compro-
mis trouvé par la suite fut la clause facultative proposée par Raupl Fer -
nandes (Brésil), rédigée ultérieurement 60. Quinze ans après la conférence

de San Francisco de 1945, R. p. Anand fit observer qu’il était clairement
apparu que « la méthode la plus courante d’accepter la compétence obli -
gatoire de la Cour [était] d’accepter les clauses juridictionnelleps des traités
61
multilatéraux ou bilatéraux» . pourtant, «les commentateurs de la Cour
et les experts gouvernementaux» demeuraient «peu enclins à reconnaître»
la pertinence de telles clauses compromissoires comme « bases de la com -
62
pétence obligatoire de la Cour » . L’accent restait mis sur la clause facul-
tative du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut (même dans les Annuaires
de la Cour), bien que « la plus grande partie de la compétence obligatoire
63
de la Cour » découlât des clauses compromissoires elles-mêmes .

III. La clause facultativep d’acceptation de la jpuridiction
obligatoire: d’un idéal professé àp une pratique dénaturpée

37. Les longs débats qui eurent lieu en 1920 aboutirent à l’adoption de

l’ingénieux libellé du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut — de la Cour
permanente, puis de la Cour —, qui permit de surmonter la divergence
entre partisans et détracteurs d’une reconnaissance rapide de la jpuridic -

tion obligatoire de la future Cour permanente, les seconds — à savoir les
représentants des Etats les plus puissants — objectant que cette instance

57 CNUOI, vol. xIII (commission Iv, organisation judiciaire), 1945, doc. 702-Iv/1/55,
du 31 mai 1945, p. 564.
58 Ibid., p. 563.
59
m. O. Hudson,The Permanent Court of International Justice, 1920-1942 – A Treatise,
New60ork, macmillan Co., 1943, p. 190.
Ibid., p. 192-193.
61 R. p. Anand,Compulsory Jurisdiction of the International Court of Justice, New delhi/
Bombay, Asia publishing House, 1961, p. 134.
62 Ibid., p. 139.
63 Ibid., p. 139-140.

188255 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

the international tribunal to be created, before conferring upon it com -

pulsory jurisdiction tout court. The Statute, approved on 13 december
1920, entered into force on 1 September 1921 6.
38. At that time, the decision that was taken constituted the initial step

that, during the period of 1921-1940, contributed to attract the acceptapnce
of the compulsory jurisdiction — under the optional clause — of thpe pCIJ
by a total of 45 States 6. The formula of Raul Fernandes , firmly supported
67
by the Latin-American States , was incorporated into the Statute of the
pCIJ; it was intended to pave the way for further development towards

compulsory jurisdiction, and served its purpose in the following two decpades.
39. Subsequently, at the San Francisco Conference of 1945, the possi -
bility was contemplated to take a step forward, with an eventual auto -

matic acceptance of the compulsory jurisdiction of the new ICJ.
Nevertheless, the great powers — in particular the Soviet Union and tphe
United States — were opposed to this evolution, sustaining the retentpion,

in the Statute of the new ICJ, of the same “optional clause of compulpsory
jurisdiction” of the Statute of 1920 of the predecessor pCIJ. The rappor -

teur of the Commission of Jurists of 1945, Jules Basdevant, pointed out
that, although the majority of the members of the Commission favoured
the automatic acceptance of the compulsory jurisdiction, there was no

political will at the Conference (and nor in the dumbarton Oaks pro-
posals) to take this step forward 6.

64 For an account of the approval of the Statute, cf., inter alia, J. C. Witenberg, L’orga-
nisation judiciaire, la procédure et la sentence internationales. Tra▯ité pratique, paris, pedone,

1937, pp. 22-23 ; L. gross, “Compulsory Jurisdiction under the Optional Clause : History
and practice”, The International Court of Justice at a Crossroads (ed. L. F. damrosch),
dobbs Ferry/N.y., ASIL/Transnational publs., 1987, pp. 20-21.
65 Cf. the account of a Judge of the old pCIJ, m. O. Hudson, International Tribunals
— Past and Future, Washington, Carnegie Endowment for International peace/Brookings
Institution, 1944, pp. 76-78. That total of 45 States represented, in reality, a high propor -

tion, at that epoch, considering that, at the end of the 1930s, 52 States were members of the
League of Nations (of which the old pCIJ was not part, distinctly from the ICJ, which is
the main judicial organ of the United Nations, and whose Statute forms an organic whole
with the UN Charter itself).
66 In his book of memories published in 1967, Raul Fernandes revealed that the
Committee of Jurists of 1920 was faced with the challenge of establishing the basis of

the jurisdiction of the pCIJ and, at the same time, of safeguarding and reaffirming the
principle of the juridical equality of the States ; cf. R. Fernandes, Nonagésimo Aniversário
— Conferências e Trabalhos Esparsos, vol. I, Rio de Janeiro, m.R.E., 1967, pp. 174-175.
67 J.-m. yepes, “La contribution de l’Amérique latine au développementp du droit inte-r
national public et privé”, 32 Recueil des cours de l’Académie de droit international de La
Haye (1930), p. 712 ; F.-J. Urrutia, “La codification du droit international en Amérique”,
22 Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye (1928), pp. 148-149 ;

and cf., more recently, S. A. Alexandrov, Reservations in Unilateral Declarations Accepting
the Compulsory Jurisdiction of the International Court of Justice, dordrecht, Nijhoff, 1995,
pp. 7-8.
68 Cf. the account of R. p. Anand, Compulsory Jurisdiction . . ., op. cit. supra note 61,
pp. 38-46; and cf. also, on the issue, S. Rosenne, The Law and Practice of the International
Court, vol. I, Leyden, Sijthoff, 1965, pp. 32-36 ; Ian Brownlie, Principles of Public Inter

national Law, 6th ed., Oxford University press, 2003, pp. 677-678 ; O. J. Lissitzyn, The

189 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade )55

devait gagner progressivement la confiance des Etats avant de se voir

conférer une juridiction obligatoire tout court. Le Statut, approuvép le
13 décembre 1920, entra en vigueur le 1 erseptembre 1921 . 64
38. Cette décision marqua la première étape d’un processus qui, entre 1921

et 1940, allait conduire quarante-cinq Etats à accepter la juridiction obliga -
toire de la Cour permanente par le biais de déclarations faites en veprtu de la
65 66
clause facultative . La formule de Raul Fernandes , fermement soutenue
par les Etats latino-américains 6, avait été incorporée dans le Statut de la Cour
permanente; visant à ouvrir la voie à de nouveaux progrès vers la juridiction

obligatoire, elle remplit son office durant les vingt années qui suivirent.
39. En 1945, à la conférence de San Francisco, il fut envisagé de franchir

une nouvelle étape par une acceptation automatique, à plus ou moinps brève
échéance, de la juridiction obligatoire de la Cour internationale pde Jus-
tice nouvellement créée. Les grandes puissances — et, en particulier,

l’Union soviétique et les Etats-Unis d’Amérique —, opposées à pareille évo -
lution, défendaient cependant l’idée que soit conservée, danps le Statut de la

Cour, la « clause facultative de juridiction obligatoire » qui figurait dans
celui, adopté en 1920, de sa devancière. Ainsi que le précisa le rapporteur de
la commission de juristes de 1945, Jules Basdevant, quoique la majorité des

membres de la commission fussent partisans de l’acceptation automatiqpue
de la juridiction obligatoire, il n’y eut pas, à la conférence p(ni dans les pro -
68
positions de dumbarton Oaks), de volonté politique pour franchir le pas .

64
pour un compte rendu de l’approbation du Statut, voir notamment J. C. Witenberg,
L’organisation judiciaire, la procédure et la sentence internation▯ales. Traité pratique, paris,
pedone, 1937, p. 22-23 ; L. gross, « Compulsory Jurisdiction under the Optional Clause :
History and practice », The International Court of Justice at a Crossroads (dir. publ.,
L. F. damrosch), dobbs Ferry/New york, ASIL/Transnational publs., 1987, p. 20-21.
65
voir le récit d’un juge de la Cour permanente, m. O. HudsoI, ternational Tribunals —
Past and Future, Washington, Carnegie Endowment for International peace/Brookings
Institution, 1944, p. 76-78. Ces quarante-cinq Etats représentaient en réalité à l’époque une
grande majorité d’Etats, puisque, à la fin des années 1930, la Société des Nations (dont la
Cour permanente ne faisait pas partie, à la différence de la Coupr, qui est l’organe judiciaire

principal de l’Organisation des Nations Unies et dont le Statut forme un tout organique avec
la Charte des Nations Unies elle-même) comptait cinquante-deux membres.
66 dans ses mémoires publiés en 1967, Raul Fernandes révéla que le comité de juristes
de 1920 s’était trouvé confronté à l’épineux problèpme consistant à établir les bases de la
juridiction de la Cour permanente tout en garantissant et en réaffirpmant le principe de
l’égalité juridique des Etats ; voir R. Fernandes, Nonagésimo Aniversário — Conferências e

Tra67lhos Esparsos, vol. I, Rio de Janeiro, m.R.E., 1967, p. 174-175.
J.-m. yepes, « La contribution de l’Amérique latine au développement du droit p
international public et privé », Recueil des cours de l´Académie de droit international de
La Haye, vol. 32 (1930), p. 712 ; F.-J. Urrutia, « La codification du droit international
en Amérique », Recueil des cours de l´Académie de droit international de La Haye,vol. 22
(1928), p. 148-149 ; et, plus récemment, S. A. Alexandrov, Reservations in Unilateral

Declarations Accepting the Compulsory Jurisdiction of the International ▯Court of Justice,
dordrecht, Nijhoff, 1995, p. 7-8.
68 voir le récit de R. p. Anand, Compulsory Jurisdiction…, op. cit. supra note 61,
p. 38-46 ;voir également, sur cette question, S. Rosenne, The Law and Practice of the Inter-
national Court, vol. I, Leyde, Sijthoff, 1965, p. 32-36 ; Ian Brownlie, Principles of Public
International Law, 6 éd., Oxford University press, 2003, p. 677-678 ; O. J. Lissitzyn, The

189256 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

40. Consequently, the same formulation of 1920, which corresponded
to a conception of international law of the beginning of the twentieth

century, was maintained in the present Statute of the ICJ. due to the
intransigent position of the more powerful States, a unique opportunity p
was lost to overcome the lack of automatism of the international jurisdipc -

tion and to foster a greater development of the compulsory jurisdiction pof
the international tribunal. It may be singled out that all this took plapce at
the level of purely inter-State relations. The formula of the optional cplause

of compulsory jurisdiction (of the ICJ) which exists today, is nothingp
more than a scheme of the 1920s, stratified in time 6, and which, rigor -
ously speaking, no longer corresponds to the needs of the international p
70
contentieux not even of a purely inter-State dimension .
41. And several of the States which have utilized it, have made a dis -
torted use of it, denaturalizing it, in introducing restrictions which mpili -

tate against its rationale and deprive it of all efficacy. In reality, almost
two-thirds of the declarations of acceptance of the aforementioned clause
have been accompanied by limitations and restrictions which have ren -
71
dered them “practically meaningless” . One may, thus, seriously ques -
tion whether the optional clause keeps on serving the same purpose whichp

inspired it at the epoch of the pCIJ. Curiously enough, not until more
recently did the compromissory clauses, pertaining to the compulsory
jurisdiction of the ICJ, begin to attract greater attention in expert wrpiting.

42. The rate of acceptance of the optional clause in the era of the ICJ
is proportionally inferior to that of the epoch of its predecessor, the ppCIJ.
Furthermore, throughout the years, the possibility opened by the optionapl

clause of acceptance of the jurisdiction of the international tribunal
became, in fact, object of excesses on the part of some States, which onply
accepted the compulsory jurisdiction of the ICJ in their own terms, withp
72
all kinds of limitations . Thus, it is not at all surprising that, already by

International Court of Justice, N.y., Carnegie Endowment for International peace, 1951,

pp.691-64.
For expressions of pessimism as to the practice of States under that optional clause,
at the end of the 1970s, cf. J. g. merrills, “The Optional Clause Today”, 50 British Year-
book of International Law (1979), pp. 90-91, 108, 113 and 116.
70 Regretting (as former president of the ICJ) that this outdated position has insu-
lated the Hague Court from the great corpus of contemporary international law, cf.
R. y. Jennings, “The International Court of Justice after Fifty years”, 89 American
Journal of International Law (1995), p. 504.
71
g. Weissberg, “The Role of the International Court of Justice in the Unipted Nations
System: The First Quarter Century”, The Future of the International Court of Justice (ed.
L. gross), vol. I, dobbs Ferry N.y., Oceana publs., 1976, p. 163 ; and, on the feeling
of frustration that this generated, cf. ibipp. 186-190. Cf. also Report on the Connally
Amendment — Views of Law School Deans, Law School Professors, Interna▯tional Law
Professors (compiled under the auspices of the Committee for Effective Use of tphe Int-rna
tional Court by Repealing the Self-Judging Reservation), New york, [1961], pp. 1-154.

72
Some of them gave the impression that they thus accepted that aforementiponed
optional clause in order to sue other States before the ICJ, trying, howpever, to avoi- them
selves to be sued by other States; J. Soubeyrol, “validité dans le temps de la déclara-

190 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 2)56

40. C’est donc la formule de 1920, qui correspondait à une conception
du droit international remontant au début du xx esiècle, qui fut reprise
dans le Statut de la présente Cour. Une occasion unique de dépassepr l’ab -

sence d’automaticité du recours à cette instance internationalep par une
étape décisive vers la juridiction obligatoire avait ainsi étép manquée, en
raison de la position intransigeante des Etats les plus puissants. Il copnvient

de préciser que tous ces débats se déroulèrent au niveau purpement inter-
étatique. La formule actuelle de la clause facultative de juridiction obliga -
toire (de la Cour) n’est donc rien de plus qu’un mécanisme repmontant aux
69
années 1920, figé dans le temps , et qui, en toute rigueur, ne correspond
plus aux besoins du contentieux international, y compris sur le plan stric -
tement interétatique . 70

41. Et nombre d’Etats qui ont fait usage de cette clause l’ont fait dep
manière abusive, la dénaturant en l’assortissant de restrictions qui vont à
l’encontre de sa propre logique et la privent de toute efficacitép. de fait, près

des deux tiers des déclarations d’acceptation de la juridiction obpligatoire de
la Cour ont été assorties de réserves et autres limites, qui les ont rendues
« pratiquement inopérantes » 71. Aussi est-il permis de se demander si la

clause facultative continue de jouer le rôle qui lui avait été passigné à l’époque
de la Cour permanente. Chose curieuse à cet égard, ce n’est quep très récem -
ment que les clauses compromissoires prévoyant la juridiction obligatoire

de la Cour ont commencé à susciter davantage d’intérêt dapns la doctrine.
42. La part des Etats ayant accepté la juridiction de la Cour internatio -
nale de Justice en application de la clause facultative est inférieurpe à ce

qu’elle était à l’époque de sa devancière, la Cour perpmanente de Justice
internationale. de surcroît, la possibilité d’accepter la juridiction obliga -
toire de la Cour offerte par cette clause a, au fil des ans, donné plieu à des

abus de la part de certains Etats, qui ne l’ont acceptée qu’àp leurs propres
conditions, en l’assortissant de restrictions de toute nature 72. Il n’est donc

International Court of Justice, New york, Carnegie Endowment for International peace,
1951, p. 61-64.
69 A la fin des années 1970, J. g. merrills a exprimé des vues pessimistes concernant
la pratique des Etats en application de cette clause facultative dans « The Optional Clause
Today »,British Yearbook of International Law, vol. 50 (1979), p. 90-91, 108, 113 et 116.
70 voir R. y. Jennings, «The International Court of Justice after Fifty yea, merican

Journal of International Law, vol. 89 (1995), p. 504, qui, en tant qu’ancien président de la
Cour, déplore le fait que cette position dépassée a isolé ceplle-ci de l’important corpus du
droit international contemporain.
71 g. Weissberg, «The Role of the International Court of Justice in the United Nations
System : The First Quarter Century », The Future of the International Court of Justice (dir.
publ., L. gross), vol. I, dobbs Ferry New york, Oceana publs., 1976, p. 163 ;au sujet des
désillusions que ce phénomène a entraînées, voir en outrep ibid., p. 186-190. voir également
Report on the Connally Amendment — Views of Law School Deans, Law School Profes -
sors, International Law Professors (rapport publié sous les auspices du comité pour une

utilisation effective de la Cour internationale par la suppression du psystème des réserves
discrétionnaires), New york, [1961], p. 1-154.
72 Certains d’entre eux ont ainsi donné l’impression qu’ils n’pacceptaient cette clause
facultative que dans le but d’attraire d’autres Etats devant la Copur tout en s’efforçant de
ne pas l’être eux-mêmes ; J. Soubeyrol, « validité dans le temps de la déclaration d’accep -

190257 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

the mid73950s, one began to speak openly of a decline of the optional
clause .
43. In their classic studies on the basis of the international jurisdiction,p
C. W. Jenks and C. H. m. Waldock warned, already in the decades of the

fifties and the sixties, as to the grave problem presented by the insertpion,
by the States, of all kinds of limitations and restrictions in their insptru -
ments of acceptance of the optional clause of compulsory jurisdiction (pof
74
the ICJ) . Although those limitations had never been foreseen in the for -
mulation of the optional clause, States, in the face of such a legal vacpuum,
have felt, nevertheless, “free” to insert them. Such excesses havep under -

mined, in a contradictory way, the basis itself of the system of inter-
national compulsory jurisdiction.
44. Those excesses occurred precisely because, in elaborating the Stat -
ute of the new ICJ, one failed to follow the evolution of the international

community. One abandoned the very basis of the compulsory jurisdiction
of the ICJ to an outdated voluntarist conception of international law,
which had prevailed at the beginning of the last century, despite the waprn -

ings of lucid jurists of succeeding generations as to its harmful conse -
quences to the conduction of international relations. yet, a considerable
part of the legal profession continued to stress the overall importance pof

individual State consent, regrettably putting it well above the imperatives
of the realization of justice at international level.

Iv. The Old Ideal of Automatpism of Compulsory Jurispdiction

of the Hague Court

45. As well pointed out in a classic study on the matter, the instru -

ments of acceptance of the contentious jurisdiction of an international p
tribunal should be undertaken “on terms which ensure a reasonable meas-

tion d’acceptation de la juridiction obligatoire”, 5 Annuaire français de droit international
(1959), pp. 232-257, esp. p. 233.
73 C. H. m. Waldock, “decline of the Optional Clause”, 32 British Yearbook of Inter-
national Law (1955-1956),pp. 244-287. And, on the origins of this decline, cf. the dissenting
opinion of Judge guerrero in the Norwegian Loans case (Judgment of 6 July 1857),
I.C.J. Reports 1957, pp. 69-70.
74
Examples of such excesses have been the objections of domestic jurisdiction (domestic
jurisdiction/compétence nationale exclusive) of States, the foreseeing of withdrawal at any
moment of the acceptance of the optional clause, the foreseeing of subsepquent modification
of the terms of acceptance of the clause, and the foreseeing of insertiopn of new re-erva
tions in the future ; cf. C. W. Jenks, The Prospects of International Adjudication, London,
Stevens, 1964, p. 108, and cf. pp. 113, 118 and 760-761 ; C. H. m. Waldock, “decline of
the Optional Clause”, op. cit. supra note 73, p. 2; and for criticisms of those excesses,
cf. A. A. Cançado Trindade, “The domestic Jurisdiction of States in the practice of the
United Nations and Regional Organisations”, 25 International and Comparative Law
Quarterly (1976), pp. 744-751.

191 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 257

guère surprenant que, dès le milieu des années 1950, on ait commencé à
73
parler ouvertement d’un déclin de la clause facultative .
43. dans les études classiques qu’ils ont consacrées aux fondements pde
la juridiction internationale, C. W. Jenks et C. H. m. Waldock ont, dès

les années 1950 et 1960, appelé l’attention sur le grave problème que
constitue l’insertion, par les Etats, de réserves et de limites dep toute nature
dans leurs instruments d’acceptation de la juridiction obligatoire (pde la
Cour) 74. Bien que le libellé de la clause facultative ne prévoie pas la ppos -

sibilité de formuler pareilles limites, les Etats ont, face à ce vpide juridique,
jugé qu’ils étaient « libres» de le faire. Contraire au système de la juridic -
tion obligatoire sur plan international, cette pratique abusive en a épbranlé

le fondement même.
44. Si ces abus se sont produits, c’est précisément parce qu’il pn’avait pas
été tenu compte, dans l’élaboration du Statut de la Cour noupvellement
créée, de l’évolution de la communauté internationale. Lep fondement

même de la juridiction obligatoire de la Cour a ainsi été perdup de vue au
profit d’une conception volontariste dépassée du droit internatpional qui
avait prévalu au début du siècle dernier et ce, alors même que plusieurs

générations de juristes avisés avaient mis en garde contre les pconséquences
dommageables de cette conception pour la conduite des relations inter-
nationales. Il est vrai que, dans le même temps, d’autres juristesp, fort nom -
breux, continuaient de mettre l’accent sur l’importance que revêpt, en règle

générale, le consentement des Etats, plaçant celui-ci bien au-dessus des
impératifs de réalisation de la justice au niveau international.

Iv. Le vieil idéal de l’autpomaticité de la juridpiction obligatoire
de la Cour de La Haye

45. Ainsi que cela a été fort bien exposé dans une étude classiqpue sur le
sujet, les instruments d’acceptation de la compétence contentieusep d’une
juridiction internationale devraient satisfaire « à des conditions garantis -

tation de la juridiction obligatoire », Annuaire français de droit international, vol. 5 (1959),
p. 232-257 et, en particulier, p. 233.
73C. H. m. Waldock, « decline of the Optional Clause », British Yearbook of Interna-

tional Law, vol. 32 (1955-1956), p. 244-287. En ce qui concerne les origines de ce déclin,
voir également l’opinion dissidente du juge guerrero dans l’affaire relative à Certains
emp74nts norvégiens (arrêt du 6 juillet 1957), C.I.J. Recueil 1957, p. 69-70.
parmi ces abus, on peut citer les exceptions fondées sur la compétepnce nationale
exclusive des Etats et le fait de prévoir la possibilité de retirepr à tout moment l’acceptation
faite en vertu de la clause facultative, la possibilité de modifier upltérieurement les termes de
cette acceptation ou encore la possibilité d’insérer de nouvellpes réserves dans le futur ;voir
C. W. Jenks, The Prospects of International Adjudication, Londres, Stevens, 1964, p. 108,
et p. 113, 118 et 760-761 ; C. H. m. Waldock, « decline of the Optional Clause », op. cit.
supra note 73, p. 270 ; pour une critique de ces abus, voir A. A. Cançado Trindade, « The
domestic Jurisdiction of States in the practice of the United Nations and Regional Orga -
nisations »,International and Comparative Law Quarterly, vol. 25 (1976), p. 744-751.

191258 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

75
ure of stability in the acceptance of the jurisdiction of the Court” , that
is, in the terms expressly provided for in the corresponding treaties thpem -
selves, necessarily bearing in mind their nature and substance. As pointped

out by C. W. Jenks almost half a century ago, the foundation of compul -
sory jurisdiction is, ultimately, the confidence in the rule of law at ipnter -
national level . While full confidence is still lacking, not much progress

is bound to be achieved in the present domain of international jurisdic -
tion. In the last 90 years, the advances in this particular domain could
have been much greater if State practice would not have undermined the

purpose which inspired the creation of mechanisms of compulsory juris -
diction (optional clause and compromissory clauses) for the pCIJ and the
ICJ, so as to achieve the submission to law of State strategic interests
underlying international disputes, and so as to secure the development ipn

the realization of justice at international level.

46. The time has come to overcome definitively the regrettable lack of
automatism of the international jurisdiction, after decades of operationp of
the Hague Court. With the distortions of State practice on the matter,

States face today a dilemma which should have been overcome a long
time ago: either they return to the voluntarist conception of international
law, abandoning for good the hope in the primacy of law over what they
77
regard as their own strategic interests , or else they retake and achieve
with determination the ideal of construction of an international commu -
nity with greater cohesion and institutionalization in the light of law pand

in search of justice.

47. The plea for compulsory jurisdiction has been duly expressed in
expert writing over the last nine decades, since the adoption of the pCIJ
Statute. Shortly after the completion in 1920 of the work of the League’ps

75
C. W. Jenks, The Prospects of International Adjudication, op. cit. supra note 74,
pp.7660-761.
Ibid., pp. 101, 117, 757, 762 and 770.
77 Cf. a warning of Ch. de visscher, Aspects récents du droit procédural de la Cour
internationale de Justice, paris, pedone, 1966, p. 204 ; and cf. also L. delbez, Les principes
généraux du contentieux international, paris, LgdJ, 1962, pp. 68, 74 and 76-77. For subse
quent criticisms by two former presidents of the ICJ of the unsatisfactory and bad use
made by the States of the mechanism of the optional clause (of the comppulsory jurisdiction
of the ICJ) of the Statute of the Court, cf. R. yJennings, “The International Court of
Justice . . .”, op. cit. supra note 70, p. 495; and E. Jiménez de Aréchaga, “International Law

in the past Third of a Century”, 159 Recueil des cours de l’Académie de droit international
de La Haye (1978), pp. 154-155, And cf. further criticisms by H. W. Briggs, “Reservations
to the Acceptance of Compulsory Jurisdiction of the International Court pof Justice”, 93
Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye (1958), p. 273. And cf., in
general, J. Sicault, “du caractère obligatoire des engagements unilatéraux en droit in-erpna
tional public”, 83 Revue générale de droit international public (1979), pp. 633-688.

192 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 258

sant un degré de75tabilité raisonnable dans la reconnaissance de [pcette
compétence] » , c’est-à-dire aux conditions expressément énoncées par
les traités correspondants eux-mêmes, en gardant nécessairement à l’es -
prit la nature et la teneur de ces instruments. Ainsi que C. W. Jenks l’a

précisé il y a près de cinquante ans, la juridiction obligatoire repose, en
dernière analyse, sur la confiance dans la primauté du droit à pl’échelle
internationale 7. Tant que cette confiance ne sera pas totale, on ne saurait

s’attendre à ce que de réels progrès soient réalisés epn la matière. Au cours
de ces quatre-vingt-dix dernières années, on aurait pu assister à des avan -
cées bien plus importantes si la pratique des Etats n’avait pas mips à mal le

but qui a présidé à la création des mécanismes d’accepptation de la juridic -
tion obligatoire de la Cour permanente puis de la Cour (clause facultatpive
et clauses compromissoires) et, partant, progresser dans la voie de la sou -
mission au droit des intérêts stratégiques des Etats qui sous-tendent les

différends internationaux et de la réalisation de la justice surp le plan inter -
national.
46. Après tant d’années de fonctionnement de la Cour de La Haye,

le moment est venu de dépasser définitivement la regrettable absence
d’automaticité de la juridiction internationale. Compte tenu des erre -
ments de la pratique des Etats en la matière, ceux-ci se trouvent en effet

aujourd’hui face à un dilemme qui aurait dû être résolu dpepuis longtemp:s
soit ils en reviennent à la conception volontariste du droit internatpional,
renonçant une fois pour toutes à l’espoir de la primauté du pdroit sur ce
qu’ils considèrent comme leurs intérêts stratégiques 77, soit ils poursuivent

de nouveau avec détermination l’idéal d’édification d’unep communauté
internationale caractérisée par une cohésion et une institutionpnalisation
plus importantes, reposant sur le droit et guidée par la quête de pla

justice.
47. Au cours de ces quatre-vingt-dix dernières années, c’est-à-dire
depuis l’adoption du Statut de la Cour permanente, certains auteurs n’ont

pas manqué d’appeler à l’instauration de la juridiction oblipgatoire. Ainsi,

75 C. W. Jenks, The Prospects of International Adjudication, op. citsupra note 74,
p. 760-761.
76 Ibid., p. 101, 117, 757, 762 et 770.
77 voir la mise en garde de Ch. de visscher dans Aspects récents du droit procédural de
la Cour internationale de Justice, paris, pedone, 1966, p.204 ;voir également L. delbez, Les
principes généraux du contentieux international, paris, LgdJ, 1962, p. 68, 74 et 76-77. pour
des critiques ultérieures de l’utilisation insatisfaisante et abuspive par les Etats-du méca

nisme de la clause facultative (de juridiction obligatoire de la Cour)p énoncée dans le Statut
— critiques formulées par deux anciens présidents de la Cour —, voir R. y. Jennings, «The
International Court of Justice… »,op. cit. supra note 70, p. 495 ;et E. Jiménez de Aréchaga,
«International Law in the past Third of Century »,Recueil des cours de l’Académie de droit
international de La Haye, vol. 159 (1978), p. 154-155. d’autres critiques ont été exprimées
par H. W. Briggs, « Reservations to the Acceptance of Compulsory Jurisdiction of the
International Court of Justice », Recueil des cours de l’Académie de droit international de
La Haye, vol. 93 (1958), p. 273. voir également, d’une manière générale, J. Sicauldu «
caractère obligatoire des engagements unilatéraux en droit internaptional public », Revue
générale de droit international public, vol. 83 (1979), p. 633-688.

192259 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

Advisory Committee of Jurists, B. C. J. Loder published an essay in

which he commented that :

“There was a desire in the world that justice should be obtainable,
and for that reason the organ [the pCIJ] was created. Its members are
judges, not amiable compositeurs. The words ‘compulsory jurisdic -

tion’ mean that the plaintiff can summon the defending party withoupt
previous agreement between the two, even againstthe latter’s will, and
the Court is, therefore, competent and even bound to adjudicate,
whether the offending party puts in an appearance or not.

The answer to that question is given in the very name ‘Court of
Justice’. The peculiar characteristic of a Court of Justice, in contrpast
with one of arbitration, is that the competency of the judges is not

derived from the voluntary agreement of the disputing parties, but
from elsewhere. (. . .) [I]t is from the very nature of the Court itself
that the compulsory jurisdiction is derived.” 78

48. B. C. J. Loder, who was promptly to become — by mid-February
1922 — the first president of the pCIJ, expanded on the point he made in

his account :

“Although on the one hand it was perceived that the opposition of
the Council to the proposal of the Committee of Jurists should be
respected, on the other hand it would not do to overlook the wishes
of the great majority, for they saw in compulsory jurisdiction the only p

guarantee of enforcing justice. The condition for a satisfactory solu -
tion was to find a compromise between these two views.

The honour of having found this is due to the delegate from Brazil,

Senhor Fernandes, one of the ten jurists, a man as sagacious as he is
energetic. To cast this solution into a form acceptable to everybody
was the task of the Sub-Commission of the III Committee.

79
Everything is now embodied in a new Article 36.”

49. Shortly afterwards, in a monograph published in 1924, Nico -
las politis, in recalling the historical development from private justice to p
public justice, advocated the evolution, at international level, from
80
optional justice to compulsory justice . Two decades later, in another
monograph, N. politis again pondered that the “règles du droit des gens
peuvent, moyennant certaines conditions, faire l’objet d’un contrôle

78B. C. J. Loder, “The permanent Court of International Justice and Compulsory
Jurisdiction”, 2 British Yearbook of International Law (1921-1922), pp. 11-12.
79
80Ibid., p. 24.
Cf. N. politis, La justice internationale, paris, Librairie Hachette, 1924, pp. 7-255,
esp. pp. 193-194 and 249-250.

193 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 2)59

peu après l’achèvement, en 1920, des travaux du comité consultatif de
juristes de la Société des Nations, B. C. J. Loder publiait un article dans

lequel il indiquait ce qui suit :

«Le monde aspirait à la réalisation de la justice, et c’est pourquoi
cet organe [la Cour permanente] a été créé. Ses membres sontp des
juges, et non de simples conciliateurs. L’expression « juridiction obli -
gatoire» signifie que le requérant peut attraire le défendeur en justipce

sans qu’il y ait entre eux d’accord préalable, et ce, même contre la
volonté de ce dernier ; la Cour a donc compétence pour statuer — et
elle est même tenue de le faire —, que la partie contrevenante com -
paraisse ou non.

La réponse à cette question réside dans le nom « Cour de Justice »
lui-même. En effet, ce qui caractérise une cour de justice, par opposi -
tion à un tribunal d’arbitrage, c’est que la compétence des pjuges ne
découle pas de l’accord volontaire des parties au différend, mais

d’une autre source … [C]’est de la natur78même de la Cour que
découle la juridiction obligatoire. »

48. B. C. J. Loder, qui allait bientôt — à la mi-février 1922 — devenir
le premier président de la Cour permanente, poursuivait comme suit :

«même si, d’un côté, il apparaissait que l’opposition du Copnseil à
la proposition formulée par le comité de juristes devait être pprise en

compte, il était, d’un autre côté, exclu de méconnaîtrpe les souhaits de
la grande majorité des Etats, qui considéraient la juridiction oblpiga -
toire comme la seule garantie que la justice serait mise en œuvre.
Aussi convenait-il, pour parvenir à une solution satisfaisante, de

trouver un compromis entre ces deux positions.
C’est au délégué du Brésil, m. Fernandes — l’un des dix juristes —,
homme aussi sage qu’énergique, que revient l’honneur d’êtpre parvenu
à trouver ce compromis ; c’est à la sous-commission de la Troi -

sième Commission qu’il incomba d’énoncer cette solution sous une
forme acceptable aux yeux de tous.
Le nouvel article 36 en est l’aboutissement. » 79

49. peu de temps après, dans une monographie publiée en 1924, Nico -
las politis, rappelant la transformation historique de la justice privée epn

justice publique, plaida en faveur du passage, sur80e plan internationalp, de
la justice facultative à la justice obligatoire . vingt ans plus tard, dans
une nouvelle monographie, il soutint de nouveau que les « règles du droit
des gens p[ouvaient], moyennant certaines conditions, faire l’objet dp’un

78
B. C. J. Loder, « The permanent Court of International Justice and Compulsory
Jur79diction »,British Yearbook of International Law, vol. 2 (1921-1922), p. 11-12.
80Ibid., p. 24.
voir N. politis, La justice internationale, paris, Librairie Hachette, 1924, p. 7-255 et,
plus particulièrement, p. 193-194 et 249-250.

193260 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

81
juridictionnel” . At the time of the adoption of the ICJ Statute in 1945
— like at that of the adoption of the Statute of its predecessor the ppCIJ
in 1920 — a key issue remained that of compulsory jurisdiction. To thpat

end, both Courts, the pCIJ and the ICJ, had a wide horizon before them -
selves, and beheld the optional clause as well as compromissory clauses pas
basis for compulsory jurisdiction.

50. Shortly after the adoption of the ICJ Statute, E. Hambro suggested
that compromissory clauses in multilateral and bilateral treaties were
“probably” the “most common way” for acceptance of the compuplsory
82
jurisdiction of the ICJ . A couple of years later, in the early 1950s, the
point was made that one could envisage a “voluntary” acceptance ofp such
compulsory jurisdiction in so far as the ICJ Statute itself had been “pvol -

untarily accepted” ; that was the moment of expression of consent, and
the Court retained the power and duty to address motu proprio the issue
of jurisdiction, and interpretation ought to await the jurisprudential cpon -
83
struction of the Court .

51. Throughout the 1950s, for half a decade (1954-1959), the issue of
the compulsory jurisdiction of the ICJ was examined by the Institut de
droit international. In its Aix-en-provence (1954) and granada (1956)

sessions, the discussions (rapporteur, p. guggenheim) centred on the elab -
oration of a model clause of compulsory jurisdiction of the ICJ 8. At the
end of that exercise, in 1956, the Institut adopted a recommendation to p

States and international organizations to adopt, in the elaboration of
multilateral or bilateral treaties, a clause conferring jurisdiction (aplong
the lines it indicated) upon the ICJ in any dispute relating to the intper-
85
pretation or application of those treaties .

52. In its Amsterdam (1957) and Neuchâtel (1959) sessions, the debateps
at the Institut (rapporteur, C. W. Jenks) focused attention on the larger
topic of compulsory jurisdiction of international courts and tribunals
86
(encompassing judicial and arbitral instances) . At the end of that new

81
N. politis, La morale internationale, N.y., Brentano’s, 1944, p. 67. And he added :
“A la différence des profits de l’injustice et de l’illépgalité, qui, s’ils peuvent être rapides, ne
sont pas assurés de durer, ceux de la justice et de la légalitép, sans doute plus lents, sont
certainement plus durables” ; ibid., pp. 161-162.
82 E. Hambro, “Some Observations on the Compulsory Jurisdiction of the Intepr-
national Court of Justice”, 25 British Yearbook of International Law (1948), p. 153.
83 R. C. Lawson, “The problem of the Compulsory Jurisdiction of the World Court”,
46 American Journal of International Law (1952), pp. 234 and 238, and cf. pp. 219, 224
and 227.
84
Cf. reports and following debates in : 45 Annuaire de l’Institut de droit international
(1954)-I, pp. 310-406 ; andibid., vol. 46 (1956), pp. 178-264.
85 Cf. ibid., vol. 46 (1956), pp. 360-361.
86 Cf. reports and following observations and debates in : ibid., vol. 47 (1957)-I,
pp. 34-322 ; and ibid., vol. 48 (1959)-II, pp. 55-177.

194 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 260

81
contrôle juridictionnel » . Au moment de l’adoption du Statut de la
Cour, en 1945 — comme lors de l’adoption de celui de sa devancière,
en 1920 —, la question de la juridiction obligatoire occupait une place

centrale. A cette fin, un large éventail de possibilités se prépsentait à ces
deux instances, qui choisirent de fonder la juridiction obligatoire sur pla
clause facultative et les clauses compromissoires.

50. peu après l’adoption du Statut de la Cour, E. Hambro indiqua
que, selon lui, les clauses compromissoires énoncées dans des traiptés mul -
tilatéraux et bilatéraux constituaient « probablement» le « moyen le plus
82
courant» d’acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour . Quelques
années plus tard, au début des années 1950, fut avancée l’idée que cette
juridiction obligatoire pouvait être considérée comme ayant épté acceptée

«volontairement», dès lors que le Statut de la Cour lui-même avait été
«volontairement accepté »; c’est à ce moment-là que les Etats avaient
exprimé leur consentement, la Cour conservant la faculté et le devpoir

d’examiner motu proprio la question de sa compétence. Encore ce point
demandait-il à être éclairci par la construction jurisprudentielle de la p
Cour 83.

51. dans les années 1950, la question de la juridiction obligatoire
de la Cour fut examinée par l’Institut de droit international pendant
cinq ans (1954-1959). Au cours des sessions d’Aix-en-provence (1954)

et de grenade (1956), les discussions (rapporteur, p. guggenheim)
fur-ent essentiellement consacrées à l’élaboration d’une clause mpodèle
de compétence obligatoire de la Cour 84. A la fin de cet exercice, en

1956, l’Institut adopta une résolution recommandant aux Etats et
aux organisations internationales d’insérer, lors de l’élaboratipon de
conventions internationales, multilatérales ou bilatérales, une clause

conférant compétence obligatoire (selon le modèle indiqué)p à la Cour
dans tout différend relatif à l’interprétation ou à l’papplication de ces
conventions 85.

52. durant les sessions d’Amsterdam (1957) et de Neuchâtel (1959), les
débats de l’Institut (rapporteur, C. W. Jenks) furent consacrés au sujet
plus général de la compétence obligatoire des cours et tribunaupx inter-
86
nationaux (ce qui englobait les instances judiciaires et arbitrales) . A la fin

81
N. politis, La morale internationale, New york, Brentano’s, 1944, p. 67. Et N. politis
d’ajouter : « A la différence des profits de l´injustice et de l’illégalpité, qui, s’ils peuvent être
rapides, ne sont pas assurés de durer, ceux de la justice et de la lépgalité, sans doute plus
lents, sont certainement plus durables » ;ibid., p. 161-162.
82E. Hambro, « Some Observations on the Compulsory Jurisdiction of the Inter-
national Court of Justice », British Yearbook of International Law, vol. 25 (1948), p. 153.
83 R. C. Lawson, « The problem of the Compulsory Jurisdiction of the World Court »,
American Journal of International Law, vol. 46 (1952), p. 234 et 238; voir également p. 219,
224 et 227.
84
voir les rapports et les débats auxquels ceux-ci ont donné lieu dans Annuaire de l’Ins-
titut de droit international, vol. 45 (1954)-I, p. 310-406 ; et ibid., vol. 46 (1956), p. 178-264.
85 voir ibid., vol. 46 (1956), p. 360-361.
86 voir les rapports et les observations et débats auxquels ceux-ci ont donné lieu dans
ibid., vol. 47 (1957)-I, p. 34-322 ; et ibid., vol. 48 (1959)-II, p. 55-177.

194261 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

exercise, in 1959 the Institut adopted a resolution in support of the copm-

pulsory jurisdiction of international courts and tribunals. In its preampble,
noting with concern that the evolution of compulsory jurisdiction was
already lagging behind the needs of international justice, the resolutiopn
pondered that “submission to law” (“respect du droit”) through accep -

tance of compulsory jurisdiction was “an essential complement to the p
renunciation of recourse to force in international relations” 87.
53. In order to overcome such an unsatisfactory situation, the resolution
inter alia called for the development of the practice of insertion into gen -

eral treaties or conventions of a clause, binding on all States parties,p of
submission of disputes relating to the interpretation or application of p
such treaties or conventions to international courts and tribunals, thusp

fostering88reater acceptance of compulsory jurisdiction, in particular of
the ICJ . In its operative part, the 1959 resolution of the Institut pro -
vided that :

“With a view to ensuring the effective application and the uniform p
interpretation of general conventions, it is important to maintain and
develop the practice of inserting in such conventions a clause, binding p

on all the parties, which makes it possible to submit disputes relating p
to the interpretation or application of the convention either to the
International Court of Justice by unilateral application or to another
89
international court or arbitral tribunal.”
54. The Institut’s resolution was thinking of the future, in the light —p

above all — of the imperatives of international justice. This remainepd a
concern, in the years to follow, of those devoted to the study of the mat -
ter at issue. Thus in an monograph published the following year (1960)p,

for example, B.v. A. Röling observed that “[i]nternational courts and tri -
bunals consummated the incorporation of the standard of civilization in p
international law by holding that non-compliance with it involved inter -
national responsibility” . 90

55. Subsequently, by the end of the sixties, despite the alleged “declinep”
of the optional clause of the ICJ Statute (cf. supra), one decade after
the adoption by the Institut de droit international (in 1959) of the aforep -

mentioned resolution, C. W. Jenks wrote that :

“The problem of compulsory jurisdiction (. . .) remains one of
the central problems of world organization. (. . .) A larger measure

87 “[U]n complément essentiel à la renonciation au recours à lap force dans les relations
internationales” ;cited in : 48 Annuaire de l’Institut de droit international (1959)-II, p. 358.
88 Cf. ibid., pp. 358-359.
89 paragraph 4 of the aforementioned resolution ; cited in : ibid., pp. 360-361 [transla-

tio90by the Registry].
B. v. A. Röling, International Law in an Expanded World, Amsterdam, djambatan
N.v., 1960, p. 39.

195 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 2)61

de ce nouvel exercice, en 1959, l’Institut adopta une résolution soutenant
la compétence obligatoire des cours et tribunaux internationaux. dans le

préambule de ce texte, constatant avec inquiétude que le développpement
de cette compétence était déjà gravement en retard sur les bpesoins de la
justice internationale, il précisait que le « respect du droit », par l’accepta -
tion de la compétence obligatoire, était « un complément essentiel à la
87
renonciation au recours à la force dans les relations internationalesp» .
53. Afin de remédier à cette situation insatisfaisante, la résolutipon pré -
conisait notamment de développer la pratique consistant à insérper dans
les conventions générales une clause, obligatoire pour toutes les pparties,

qui permette de soumettre les différends relatifs à l’interprétation ou à
l’application de ces conventions à des cours et tribunaux internationaux,
favorisant ainsi une acceptation plus large de la juridiction obligatoirpe et
notamment de celle de la Cour 88. Ainsi, dans son dispositif, la résolution

de 1959 prévoyait ce qui suit :

«Afin d’assurer l’application effective et l’unité d’intperprétation
des conventions générales, il importe de maintenir et de développper
la pratique consistant à insérer dans ces conventions une clause, pobli -
gatoire pour toutes les parties, qui permette de saisir la Cour interna-

tionale de Justice par voie de requête unilatérale ou de soumettrep à
une autre instance judiciaire ou arbitrale les différends relatifs à l’in -
terprétation ou à l’application de la convention … » 89

54. Cette résolution de l’Institut de droit international était touprnée
vers l’avenir, au regard — avant tout — des impératifs de la justice inter -
nationale. dans les années qui suivirent, l’objectif ainsi énoncé demeurpa

au centre des préoccupations des auteurs qui se consacraient à cesp ques -
tions. Ainsi, dans une monographie publiée l’année suivante (1960),
B.v. A. Röling indiqua que « [l]es juridictions internationales parache -

vaient l’incorporation du critère de civilisation dans le droit inpternational
en considérant que l’inobservation de ce critère mettait en caupse la res -
ponsabilité internationale des Etats » . 90
55. par la suite, à la fin des années 1960 — soit dix ans après l’adoption

(en 1959) par l’Institut de droit international de la résolutionp susmention -
née —, et en dépit du prétendu « déclin» de la clause facultative contenue
dans le Statut de la Cour (voir ci-dessus), C. W. Jenks fit observer ce qui
suit :

«La question de la juridiction obligatoire … reste l’un des pro -
blèmes essentiels de l’organisation du monde … Une juridiction obli-

87
Annuaire de l’Institut de droit international, vol. 48 (1959)-II, p. 358.
88
89 voir ibid., p. 358-359.
paragraphe 4 de la résolution susmentionnée ; cit. dans ibid., p. 360-361.
90
B. v. A. Röling, International Law in an Expanded World, Amsterdam, djam-
batan N.v., 1960, p. 39.

195262 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

of compulsory jurisdiction remains a fundamental element in the pro-
gress of the rule of law among nations. (. . .) The progress of compul-
sory jurisdiction presupposes a parallel progress of the substantive
91
law in adjusting itself to the changing needs of a changing society.”p

56. Contemporary international law counts on multilateral conven -
tions — as aptly pointed out by Kéba mbaye in the late eighties — that

safeguard the “vital interests” not of States, but of humankind ; this being
so, and given their importance,

“it is perfectly justified that the States which are members of a givpen
community, and to which the provisions of the said convention are
applicable, be allowed to take action in order to conduct a sort of
92
objective monitoring aimed at safeguarding the interests in question”p .

The “intérêt pour agir” would then develop in the rhythm of pevolution of
the organized international society itself, which has general interests pof its
own, generating duties on the part of States vis-à-vis itself 93. This would

amount to going beyond individual State consent, when fundamental
human rights — of concern to the international community as a whole
— are at stake.

57. Compromissory clauses (existing for many years, in both the pCIJ
and ICJ eras) 9, inserted into numerous treaties, by conferring jurisdic -
tion on international tribunals such as the Hague Court to settle disputpes

concerning their interpretation and application, have contributed (whenp -
ever properly interpreted and applied) to a broader acceptance of com -
pulsory jurisdiction. From the start, compromissory clauses were in factp

regarded as a means towards attaining compulsory jurisdiction.

58. As they were inserted, e.g., already in the inter-war period in the
first half of the twentieth century, in the minorities and the mandates p

treaties for their interpretation and application, the pCIJ soon had the
occasion to pronounce upon them (cf. infra), having pursued a teleo-
logical approach. The ICJ, likewise, has not interpreted compromissory

clauses strictly, so as to achieve the peaceful settlement of the disputpes at
issue 95. The fact is that, although consent could be expressed in distinct

91 C. W. Jenks, The World beyond the Charter, London, g. Allen and Unwin, 1969,
p. 166.
92 Kéba mbaye, “L’intérêt pour agir devant la Cour internationale de pJustice”, 209
Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye (1988), p. 271 [translation
by the Registry].
93
94 Ibid., pp. 340-341.
Cf., on such compromissory clauses, e.g., H. m. Cory, Compulsory Arbitration of
International Disputes, N.y., Columbia University press, 1932 [reprint 1972], Chap. vI,
pp. 160-191.
95 L. B. Sohn, “Settlement of disputes relating to the Interpretation and Applica-
tion of Treaties”, 150 Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye
(1976), pp. 234, 245-249 and 256. Of more than 4,800 treaties registered with the Leapgue

196 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 262

gatoire plus étendue demeure l’un des facteurs essentiels du progrpès
de la primauté du droit sur le plan international … Le développe -
ment de la juridiction obligatoire suppose un développement paral -
lèle des règles de droit, qui doivent s’adapter aux nouvelles apttentes
91
d’une société en mutation. »

56. Ainsi que Kéba mbaye le précisa à juste titre à la fin des années 1980,
le droit international contemporain repose sur des conventions multilatép -
rales qui permettent de préserver les «intérêts vitaux» non des Etats, mais

de l’humanité; dès lors, et compte tenu de l’importance de ces intérêts,

«il est parfaitement justifié qu’il soit permis aux Etats membres dp’une
collectivité déterminée, et auxquels les prescriptions de laditpe conven -
tion sont applicables, d’agir dans le but d’une sorte de contrôple
objectif ayant pour finalité de sauvegarder les intérêts en quepstion » 9.

L’«intérêt pour agir » évoluerait alors au rythme des mutations de la

société internationale elle-même, laquelle, en tant qu’ensemble organisé, a
des intérêts généraux propres qui créent pour les Etats dpes devoirs envers
elle93. Cela conduirait — lorsque sont en jeu des droits de l’homme fon -

damentaux, qui intéressent la communauté internationale dans son
ensemble — à dépasser le consentement individuel des Etats.
57. Les clauses compromissoires (qui existent depuis fort longtemps,
puisqu’elles remontent à l’ère de la Cour permanente) 94, insérées dans de

nombreux traités, ont, en conférant compétence à des juridicptions inter -
nationales telles que la Cour de La Haye pour régler les différends relatifs
à l’interprétation et à l’application de ces instruments,p contribué (lors -

qu’elles ont été convenablement interprétées et appliquépes) à une accepta -
tion plus large de la juridiction obligatoire. dès le départ, ces clauses
furent considérées comme un moyen d’atteindre cet objectif.

58. Etant donné qu’elles furent notamment insérées, dès la pépriode de
l’entre-deux-guerres, dans les traités relatifs aux minorités et aux mandapts
— aux fins de l’interprétation et de l’application de ces instrumpents —, la

Cour permanente, qui avait opté pour une approche téléologique, ne
tarda pas à être amenée à se prononcer sur ces clauses (voipr ci-dessous).
La présente Cour n’en fit pas non plus une interprétation stricpte pour
parvenir à un règlement pacifique des différends qui lui éptaient soumis 9.

91 C. W. Jenks, The World beyond the Charter, Londres, g. Allen and Unwin, 1969,
p. 166.
92
Kéba mbaye, «L’intérêt pour agir devant la Cour internationale de Justice »,Recueil
des cours de l’Académie de droit international de La Haye, vol. 209 (1988), p. 271.
93
Ibid., p. 340-341.
94 Au sujet de ces clauses compromissoires, voir notamment H. m. Cory, Compul-
sory Arbitration of International Disputes, Newyork, Columbia University press, 1932
(rééd. 1972), chap. vI, p. 160-191.
95 L. B. Sohn, « Settlement of disputes Relating to the Interpretation and Applic-
tion of Treaties », Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye,
vol. 150 (1976), p. 245-249 et 256. parmi les plus de 4800 instruments enregistrés auprès de

196263 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

ways (ante hoc, ad hoc, or post hoc), States came to accept treaties

containing compromissory clauses, with the underlying hope to count
on compulsory jurisdiction , thus enhancing the rule of law also at inter-
national level.

59. despite the initial high expectations, State practice was to disclose
incongruities as well, and hesitations at times to accept unqualified copm -
pulsory jurisdiction in inter-State disputes, though there seems to be apn

increasing awareness of the need to have recourse to judicial settlementp of
disputes 9. A more systematic inclusion in treaties and invocation of such
jurisdictional clauses would contribute much further to widen the scope p
98
of compulsory jurisdiction, on a world-wide basis , providing that such
clauses are appropriately interpreted and applied. Such expansion is
bound to occur to the extent that States realize that it is ultimately ipn
their own interest, and in the common or general interest, to have theirp

disputes normally settled by judicial means. This latter is the most perp -
fected way of peaceful settlement, for all that it affords : preexisting rules,
rigour and juridical security.

60. Compulsory jurisdiction is, ultimately, an expression of the rule of
law at international level, conducive to a more cohesive international

legal order inspired and guided by the imperative of the realization of p
justice. despite all the attention that the matter at issue attracted from
jurists of succeeding generations, and all the advances achieved, it seepms,

however, that there is still a long way to go to attain the ideal of autpoma -
tism of compulsory jurisdiction in the inter-State contentieux, at least
when fundamental human rights are at stake. This old ideal should not bep
despised or minimized by the static partisans of State sovereignty : there

is nothing more invincible than an ideal that has not been attained, it p
passes from one generation to another, it is always present in the mindsp
of lucid jurists, even if forming a minority, waiting for the conjunctiopn of

stars for it to be attained. Compulsory jurisdiction is, in fact, no lonpger an
academic dream, it has already become a reality in a few legal regimes.

of Nations (period 1920-1946) and 12,500 treaties registered with the pUnited Nations in
its first three decades (period 1946-1976), some 4,000 included compropmissory clauses, so
as to avoid the need to resort to and reach a special compromis after a dispute had arisen ;
ibid., pp. 259 and 268.

96R. Szafarz, The Compulsory Jurisdiction of the International Court of Justice,
dordrecht, Nijhoff, 1993, pp. 4, 31-32, 83 and 86, and cf. pp. 25 and 94.
97Cf. R. p. Anand, “Enhancing the Acceptability of Compulsory procedures of Inter -
national dispute Settlement”, 5 Max Planck Yearbook of United Nations Law (2001),
pp. 5-7, 11, 15 and 19.
98
C. W. Jenks, The Prospects . . ., op. cit. supra note 74, p. 761, and cf. pp. 109 and 111.

197 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 2)63

de fait, bien que le consentement pût être exprimé de diverses mpanières

(ante hoc, ad hoc ou post hoc), les Etats en vinrent à conclure des traités
contenant des clauses compromissoires dans l’espoir de pouvoir s’en
remettre à la juridiction obligatoire 96, faisant ainsi progresser la primauté
du droit également sur le plan international.

59. En dépit de ces importantes attentes initiales, la pratique des Etatsp
allait toutefois aussi révéler certaines incongruités et, parfois, certaines hési -
tations à accepter une juridiction obligatoire inconditionnelle à pl’égard des
différends interétatiques, et ce, alors même que les Etats papraissaient de plus

en plus conscients de la nécessité de recourir au règlement pacpifique de ces
différends 97. L’inclusion plus systématique de pareilles clauses juridiction -
nelles dans les traités et leur invocation contribueraient pourtant tprès larg -e
98
ment à étendre le champ de la juridiction obligatoire à traversp le monde , à
condition que lesdites clauses soient convenablement interprétées pet appli -
quées. Une telle évolution se produira nécessairement si les Etpats s’aper -
çoivent qu’il est, en définitive, dans leur propre intérêt — aussi bien que dans

l’intérêt commun ou général — que le règlement de leurs différends soit,
généralement, assuré par des moyens judiciaires. Il s’agit en effet —compte
tenu de tous les avantages qu’elle présente : règles préexistantes, rigueur et
sécurité judiciaire — de la forme la plus aboutie de règlement pacifique.

60. En dernière analyse, la juridiction obligatoire est l’expression dpe la
primauté du droit au niveau international ; elle favorise l’émergence d’un
ordre juridique international plus cohérent, inspiré et guidé ppar l’impéra -
tif de réalisation de la justice. En dépit de toute l’attentionp que cette ques-

tion a retenue de la part de plusieurs générations de juristes, etp malgré les
progrès, il semble toutefois que beaucoup reste à faire pour atteipndre
l’idéal de l’automaticité de la juridiction obligatoire dans le contentieux

interétatique, au moins lorsque sont en cause des droits de l’hommpe fon -
damentaux. Les tenants d’une souveraineté étatique immuable seraient
cependant mal avisés de dédaigner ou de minimiser ce vieil idéal ; rien
n’est plus fort qu’un idéal qui n’a pas été réalisé, se transmet de généra -

tion en génération et reste toujours présent à l’esprit dpes juristes lucides
— même s’ils sont minoritaires —, jusqu’à ce que tous les éléments soient
réunis pour qu’il puisse l’être. La juridiction obligatoire pn’est d’ailleurs
plus un rêve théorique ; elle est déjà devenue réalité dans certains régimes

juridiques.

la Société des Nations (entre 1920 et 1946) et les 12 500 traités enregistrés auprès de l’Orga-
nisation des Nations Unies au cours de ses trente premières années d’existence (entre 1946
et 1976), quelque 4000 contenaient des clauses compromissoires de sorte à npe pas devoir
parvenir à un accord spécial (compromis) après qu’un diffpérend s’est fait jour; ibid., p. 259
et 268.
96R. Szafarz, The Compulsory Jurisdiction of the International Court of Justice,
dordrecht, Nijhoff, 1993, p. 4, 31-32, 83 et 86 ; voir également p. 25 et 94.
97 voir R. p. Anand, « Enhancing the Acceptability of Compulsory procedures of

International dispute Settlement », Max Planck Yearbook of United Nations Law, vol. 5
(2098), p. 5-7, 11, 15 et 19.
C. W. Jenks,The Prospects…,op. cit.supra note 74, p.761 ;voir également p. 109 et 111.

197264 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

61. International jurisdiction is becoming, in our days, an imperative
of the contemporary international legal order itself, and compulsory
jurisdiction responds to a need of the international community in our

days; although this latter has not yet been fully achieved, some advances
have been made in the last decades 9. The Court of Justice of the Euro -
pean Communities provides one example of supranational compulsory

jurisdiction, though limited to community law or the law of integration.p
The European Convention on Human Rights, after the entry into force
of protocol No. 11 on 1 November 1998, affords another conspicuous

example of automatic compulsory jurisdiction. The International Criminal
Court is the most recent example in this regard ; although other means
were contemplated throughout the travaux préparatoires of the 1998

Rome Statute (such as cumbersome “opting in” and “opting out” prpoce -
dures), in the end, compulsory jurisdiction prevailed, with no need forp
further expression of consent on the part of States parties to the Rome

Statute. This was a significant decision, enhancing international jurisdpic -
tion.

62. The system of the 1982 UN Convention on the Law of the Sea, in
its own way, moves beyond the traditional regime of the optional clause p

of the ICJ Statute. It allows States parties to the Convention the option
between the International Tribunal for the Law of the Sea, or the ICJ, opr
else arbitration (Art. 287); despite the exclusion of certain matters, the

Convention succeeds in establishing a compulsory procedure containing
coercitive elements ; the specified choice of procedures at least secures
law-abiding settlement of disputes under the UN Law of the Sea Conven -
100
tion . In addition to the advances already achieved to this effect, refer -
ence could also be made to recent endeavours in the same sense 101.

99 H. Steiger, “plaidoyer pour une juridiction internationale obligatoire”,Theory
of International Law at the Threshold of the 21st Century — Essays in▯ Honour of
K. Skubiszewski (ed. J. makarczyk), The Hague, Kluwer, 1996, pp. 818, 821-822 and 832.
And cf. R. St. John macdonald, “The New Canadian declaration of Acceptance of the

Compulsory Jurisdiction of the International Court of Justice”, 8 Canadian Yearbook of
International Law (1970), pp. 21, 33 and 37. In support of the need for “a system of general
compulsory and binding dispute settlement procedures”, cf. further m. m. T. A. Brus,
Third Party Dispute Settlement in an Interdependent World, dordrecht, Nijhoff, 1995,
p. 182.
100L. Caflisch, “Cent ans de règlement pacifique des différends ipnterétatiques”,
288 Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye (2001), pp. 365-366
and 448-449 ; J. Allain, “The Future of International dispute Resolution — The Conti-
nued Evolution of International Adjudication”, in Looking Ahead : International Law

in the 21st Century (proceedings of the 29th Annual Conference of the Canadian
Council of International Law, Ottawa, October 2000), The Hague, Kluwer, 2002, pp. 61-
62.
101One such example is found in the proposals for a draft protocol to the Apmerican
Convention on Human Rights, which I prepared as rapporteur of the IACtHR, which inter

198 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 2)64

61. La juridiction internationale s’impose aujourd’hui comme un im -
pératif de l’ordre juridique international lui-même ; quant à son caractère
obligatoire, il répond à un besoin de la communauté internationale.

Quoique cette juridiction obligatoire n’ait pas encore été compplètement
réalisée, certaines avancées ont été accomplies au cours de ces dernières
décennies 9. A cet égard, la Cour de justice des Communautés euro -

péennes constitue un exemple de juridiction obligatoire supranationalpe,
bien que limitée au droit communautaire et au droit de l’intégrpation.
depuis l’entrée en vigueur, le 1 ernovembre 1998, du protocole n o 11, la

convention européenne des droits de l’homme représente un autrep exemple
notable de juridiction obligatoire automatique. La Cour pénale inter-
nationale en est l’exemple le plus récent ; même si d’autres moyens

ont été envisagés tout au long des travaux préparatoires du pstatut de
Rome de 1998 (tels que le système malcommode des formules d’« ac-
ceptation expresse » et d’« exclusion expresse »), la juridiction obliga-

toire a fini par l’emporter, sans qu’il soit nécessaire que les Etatsp
parties au traité de Rome expriment de nouveau leur consentement.
Il s’agit d’une décision importante, qui a fait progresser la jpuridiction

internationale.
62. Le système mis en place par la convention des Nations Unies sur le
droit de la mer de 1982 va, à sa manière, au-delà du régime classique de la

clause facultative contenue dans le Statut de la Cour. Il permet aux Etapts
parties à la convention de choisir entre le recours au Tribunal interpnatio -
nal du droit de la mer, à la Cour ou à l’arbitrage (art. 287). Bien que cer -

taines questions soient exclues de ce système, la convention a permisp de
mettre en place une procédure obligatoire assortie d’élémentps coercitif;sle
choix proposé entre ces différents recours assure au moins un rèpglement

des différends dans le respect des règles énoncées par la pconvention des
Nations Unies sur le droit de la mer 100. Outre les progrès ainsi réalisés, on
pourrait aussi signaler d’autres initiatives allant dans le même spens 101.

99H. Steiger, « plaidoyer pour une juridiction internationale obligatoire », dans
Theory of International Law at the Threshold of the 21st Centur— Essays in Honour of
K. Skubiszewski (dir. publ., J. makarczyk), La Haye, Kluwer, 1996, p. 818, 821-822 et 832.
voir également R. St. John macdonald, « The New Canadian declaration of Acceptance

of the Compulsory Jurisdiction of the International Court of Justice », Canadian Yearbook
of International Law, vol. 8 (1970), p. 21, 33 et 37. A l’appui de la nécessité d’« un système
de procédures générales obligatoires et contraignantes de rèpglement des différends », voir
également m. m. T. A. Brus, Third Party Dispute Settlement in an Interdependent World,
dordrecht, Nijhoff, 1995, p. 182.
100L. Caflisch, « Cent ans de règlement pacifique des différends interétatiques »,
Recueil des cours de l´Académie de droit international de La Haye, vol. 288 (2001),
p. 365-366 et 448-449 ; J. Allain, « The Future of International dispute Resolution —
The Continued Evolution of International Adjudication », dans Looking Ahead : Inter-
e
national Law in the 21st Century (Actes de la 29 conférence annuelle du Conseil cana -
dien de droit international, Ottawa, octobre 2000), La Haye, Kluwer, 2002, p. 61-62.

101 A titre d’exemple, on mentionnera les propositions en vue de l’éplaboration d’un
projet de protocole à la convention américaine des droits de l’homme, que j’ai formulées en

198265 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

63. These illustrations suffice to disclose that compulsory jurisdiction isp
already a reality, at least in some circumscribed domains of internationpal
law, as indicated above. International compulsory jurisdiction is, by alpl

means, a juridical possibility. If it has not yet been attained on a worpld-
wide level, in the inter-State contentieux, this cannot be attributed to an
absence of juridical viability, but rather to misperceptions of its role, or
simply to a lack of conscience as to the need to widen its scope. Compulp -
sory jurisdiction is a manifestation of the recognition that internationpal

law, more than voluntary, is indeed necessary.

v. The Relationship of thep Optional Clause/Comprompissory
Clauses with the Naturpe and Substance
of the Corresponding Trpeaties

64. Neither the optional clause, nor compromissory clauses, can be
properly considered outside the framework of compulsory jurisdiction.
This latter is what is aimed at. Hence the attention that I devote to the

matter in this dissenting opinion, in the present case concerning the Appli -
cation of the International Convention on the Elimination of All Forms o▯f
Racial Discrimination. moreover, compromissory clauses are to be fur -
ther considered, in their ordinary meaning, also in their relationship with
the nature and substance of the corresponding treaties wherein they are

enshrined. The acknowledgement of the special nature of human rights
treaties has much contributed to this hermeneutic exercise. Advances,
to the benefit of human beings, have here been achieved due to the impact
of the international law of human rights upon public international law.

65. despite the undeniable advances experienced or attained by the
ideal of compulsory jurisdiction in the domain of the international law of
human rights, the picture appears somewhat distinct in the sphere of

purely inter-State relations : it is hard to escape the assessment that,
herein, compulsory jurisdiction has made a rather modest progress in
recent decades. Contemporary international law itself has slowly, but
gradually evolved, at least putting limits to the manifestations of a Stpate

alia advocates an amendment to Article 62 of the American Convention so as to render the
jurisdiction of the IACtHR in contentious matters automatically compulsory upon ratifi -
cation of the Convention. Cf. A. A. Cançado Trindade, Informe : Bases para un Proyecto
de Protocolo a la Convención Americana sobre Derechos Humanos, para F▯ortalecer Su
Mecanismo de Protección, vol. II, 2nd ed., San José, Costa Rica, Inter-American Court of
Human Rights, 2003, pp. 1-64.

199 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 265

63. Ces exemples suffisent à montrer que la juridiction obligatoire est p
d’ores et déjà une réalité — du moins dans certains domaines particuliers
du droit international, qui ont été rappelés ci-dessus. du point de vue

juridique, la juridiction internationale obligatoire constitue donc, de p
toute évidence, une possibilité. Si elle n’a pas encore été insptaurée à
l’échelle mondiale dans le domaine du contentieux interétatiquep, ce n’est
donc nullement dû au fait qu’elle ne serait pas juridiquement viable,
mais à des erreurs d’interprétation quant à son rôle ou, ptout simplement,

à une prise de conscience insuffisante de la nécessité d’éptendre son
champ d’application. La juridiction obligatoire traduit la reconnais -
sance du caractère nécessaire, et non simplement volontaire, du droit
international.

v. Le rapport entre la clapuse facultative/les cplauses
compromissoires et lpa nature
et la teneur des traiptés correspondants

64. Ni la clause facultative ni les clauses compromissoires ne peuvent
être dûment examinées en dehors du cadre de la juridiction oblipgatoire.
Celle-ci constitue en effet l’objectif à atteindre. C’est pourquoi pj’y consacre

une aussi grande attention dans la présente opinion dissidente en l’paffaire
relative à l’Application de la convention internationale sur l’élimination de
toutes les formes de discrimination raciale. de plus, les clauses compromis -
soires doivent être également examinées, selon leur sens ordinapire, en
fonction de leur rapport avec la nature et la teneur des traités correspon -

dants dans lesquels elles sont énoncées. La reconnaissance de la nature
particulière des traités relatifs aux droits de l’homme a grandpement
contribué à cet exercice d’interprétation. A cet égard, cpertaines avancées
ont, pour le plus grand bénéfice des êtres humains, été rpéalisées grâce à

l’influence qu’exerce le droit international des droits de l’phomme sur le
droit international public.
65. En dépit des avancées incontestables qu’a connues — ou permis de
réaliser — l’idéal de la juridiction obligatoire dans le domaine du droipt
international des droits de l’homme, il n’en va pas tout à faitp de même

dans le champ des relations purement interétatiques, où force est pen effet
de constater que la juridiction obligatoire n’a guère progressép au cours de
ces dernières décennies. Le droit international contemporain lui-même a
suivi une évolution lente mais progressive, ce qui a au moins permis p

qualité de rapporteur de la Cour interaméricaine des droits de l’phomme et dans lesquelles il
est notamment préconisé de modifier l’article 62 dudit instrument afin de rendre la compé -
tence contentieuse de la Cour interaméricaine des droits de l’hommpe automatiquement
obligatoire dès ratification de la convention. voir A. A. Cançado Trindade, Informe :Bases
para un Proyecto de Protocolo a la Convención Americana sobre Derecho▯s Humanos, para
Fortalecer su Mecanismo de Protección, vol. II, 2 éd., San José, Costa Rica, Cour inter-
américaine des droits de l’homme, 2003, p. 1-64.

199266 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

102
voluntarism, which revealed itself as belonging to another era . The
point cannot pass unnoticed here, as the present case concerning the
Application of the International Convention on the Elimination of All Fo▯rms
of Racial Discrimination, opposing georgia to the Russian Federation

before this Court, concerns the compromissory clause enshrined in a
human rights treaty.

103
66. The methodology of interpretation of human rights treaties ,
which will be addressed in the following paragraphs, bears in mind, and p
is guided by, the rules of treaty interpretation enunciated in Articles 31-33

of the two vienna Conventions on the Law of Treaties (of 1969 and
1986). The general rule of treaty interpretation (Article 31 (1)) comprises
the elements of good faith, the text, the context, and the object and pur -
pose of the treaty at issue. Whenever the interpretation — pursuant tpo

Article 31 — leads to a manifestly unreasonable result, leaving the mean -
ing ambiguous or obscure, Article 32 provides that resort can be made to
supplementary means of interpretation, such as recourse to the travaux
104
préparatoires .
67. In addressing the interpretation of human rights treaties, in my
separate opinion in the Judgment (of 31 January 2006) of the Inter-

American Court of Human Rights (IACtHR) in the case of the Massacre
of Pueblo Bello, concerning Colombia, I deemed it fit to ponder that :

“The organs of international supervision of human rights, without

departing from the canons of the general rule of interpretation of
treaties (Article 31 (1) of the two vienna Conventions on the Law of
Treaties, 1969 and 1986), have developed a teleological interpretation,

with emphasis on the fulfilment of the object and purpose of human
rights treaties, as the most appropriate to secure an effective protecp -
tion of those rights. Ultimately, underlying the aforementioned gen -

eral rule of interpretation set forth in the two vienna Conventions

102When this outlook still prevailed to some extent, in a classic book publpished in
1934, georges Scelle, questioning it, pointed out that the self-attribution of pdiscretionary
competence to the rulers, and the exercise of functions according to the criteria of the
power-holders themselves, were characteristics of a not much evolved, imperfect, and still
almost anarchical international society ; g. Scelle, Précis de droit des gens — Principes et

systématique, part II, paris, Rec. Sirey, 1934 (reed. 1984), pp. 547-548. And cf., earlier
on, to the same effect, L. duguit, L’Etat, le droit objectif et la loi positive, vol. I, paris,
A. Fontemoing Ed., 1901, pp. 122-131 and 614.

103As can be inferred from the vast international case law in this respect,p analysed in
detail in: A. A. Cançado Trindade, El Derecho Internacional de los Derechos Humanos en
el Siglo XXI, 2nd rev. ed., Santiago/mexico/Buenos Aires/Barcelona, Editorial Jurídica de
Chile, 2006, pp. 17-60.
104Article 33 adds directives as to the interpretation of treaties concluded in two por
more languages.

200 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 266

de fixer des limites aux manifestations du volontaris102des Etats, lequel
s’est révélé appartenir à une période révolue . Cela doit être relevé ici,
puisque la présente affaire relative à l’Application de la convention
internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimin▯ation

raciale, qui oppose la géorgie à la Fédération de Russie, a trait à la
clause compromissoire contenue dans un traité relatif aux droits de
l’homme.

66. La méthode d’interprétation des traités relatifs aux droits pde
l’homme 10, qui sera examinée dans les paragraphes ci-après, a pour fil
conducteur les règles en matière d’interprétation des traitéps énoncées aux

articles 31 à 33 des deux conventions de vienne sur le droit des traités
(de 1969 et de 1986). La règle générale (le paragraphe 1 de l’article 31)
comprend la bonne foi, le libellé, le contexte ainsi que l’objet ept le but
du traité en cause. Lorsque l’interprétation faite en vertu de l’particle 31

aboutit à un résultat manifestement déraisonnable, laissant le psens
ambigu ou obscur, l’article 32 prévoit qu’il peut être fait appel à des
moyens complémentaires d’interprétation, et notamment le recours aux
104
travaux préparatoires .
67. dans le cadre de l’examen de la question de l’interprétation desp
traités relatifs aux droits de l’homme auquel je me suis livré pdans mon

opinion individuelle jointe à l’arrêt (du 31 janvier 2006) de la Cour
interaméricaine des droits de l’homme en l’affaire du Massacre de Pue -
blo Bello, qui concernait la Colombie, j’ai jugé utile de préciser ce qui
suit :

«Les organes de surveillance en matière de droits de l’homme ont,

sans s’écarter des grands principes régissant l’interprétpation des trai -
tés (paragraphe 1 de l’article 31 des deux conventions de vienne sur
le droit des traités de 1969 et de 1986), élaboré une interprétation

téléologique mettant l’accent sur la réalisation de l’objet et du but
des traités relatifs aux droits de l’homme comme moyen le plus
approprié de garantir la protection effective de ces droits. C’est qu’en

effet, en dernière analyse, le principe, largement étayé par la jurispru -

102dans un ouvrage de référence publié en 1934 dans lequel il critiquait cette doctrine
— à l’époque encore relativement dominante —, georges Scelle estimait que le fait que
les détenteurs du pouvoir s’attribuaient à eux-mêmes une compétence discrétionnaire et
qu’ils exerçaient leurs fonctions selon des critères établisp par eux-mêmes était caractéris -
tique d’une société internationale peu évoluée, imparfaitpe et encore quasiment anarchique ;

g. Scelle, Précis de droit des gens — Principes et systématique, partie II, paris, Rec. Sirey,
1934 (rééd. 1984), p. 547-548 ; voir également, dans le même sens, l’ouvrage plus ancien de
L. duguit, L’Etat, le droit objectif et la loi positive,vol. I (dir. publ., A. Fontemoing), paris,
1901, p. 122-131 et 614.
103Telle que découlant de l’abondante jurisprudence internationale en la matière, qui
fait l’objet d’une analyse approfondie dans : A. A. Cançado Trindade, El Derecho Interna-
cional de los Derechos Humanos en el Siglo XXI, 2 éd. rév., Santiago/mexico/Buenos Aires/
Barcelone, Editorial Jurídica de Chile, 2006, p. 17-60.
104L’article 33 y ajoute les règles concernant l’interprétation des traitésp conclus en deux
ou plusieurs langues.

200267 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

(Article 31 (1)) is the principle, which counts on wide jurisprudential

support, whereby one ought to secure to the conventional provisions
their appropriate effects (the so-called effet utile). This principle — ut
res magis valeat quam pereat —, whereby the interpretation is to

secure appropriate effects to a treaty, has, in the domain of human
rights, assumed particular importance in the determination of the
wide scope of the conventional obligations of protection 105.

Such interpretation is, in effect, that which most faithfully reflecpts

the special nature of human rights treaties, the objective character of
the obligations which they stipulate, and the autonomous meaning of
the concepts enshrined therein (distinct from the corresponding con -
cepts in the framework of the national legal systems). As human rights p

treaties incorporate concepts with an autonomous meaning, ensuing
from jurisprudential evolution, and as the object and purpose of
human rights treaties are distinct from the classic treaties (as they

pertain to the relations between the State and the persons under its
jurisdiction), the classic postulates of interpretation of treaties in pgen -
eral adjust themselves to this new reality.” 106 (paras. 50-51.)

68. Accordingly, the interpretation of human rights treaties — victim-

oriented as such treaties are — tends, quite understandably and correctly
in my perception, to place greater weight on the realization of their obpject
and purpose, so as to secure protection to human beings (cf. infra), the
ostensibly weaker party. Significantly, and in the same line of reasoninpg,

the methodology of interpretation of human rights treaties encompasses, p
in my understanding, all the provisions of those treaties, taken as a whpole,
comprising not only the substantive ones (on the protected rights) but

also the procedural ones, those that regulate the mechanisms of interna -
tional protection, including — in historical perspective — the com-
promissory clauses conferring jurisdiction upon international human
rights tribunals.

105
A. A. Cançado Trindade, Tratado de Direito Internacional dos Direitos Humanos,
vol. II, porto Alegre/Brazil, S.A. Fabris Ed., 1999, pp. 32-33 and 192.
106Ibid., pp. 32-34 ; and cf. also R. Bernhardt, “Thoughts on the Interpretation of
Human Rights Treaties”, in Protecting Human Rights: The European Dimension — Studies
in Honour of G. J. Wiarda (eds. F. matscher and H. petzold), Cologne, C. Heymanns,
1988, pp. 66-67 and 70-71 ; Erik Suy, “droit des traités et droits de l’homme”, in Völker -
recht als Rechtsordnung Internationale Gerichtsbarkeit Menschenrechte —▯ Festschrift für
H. Mosler (eds. R. Bernhardt et alii), Berlin, Springer-verlag, 1983, pp. 935J. velu
and R. Ergec, La Convention européenne des droits de l’homme, Brussels, Bruylant, 1990,

p. 51.

201 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 2)67

dence, selon lequel il convient de s’assurer que les dispositions

conventionnelles produisent les effets appropriés (ce qu’on apppelle
l’effet utile) est sous-jacent à la règle générale d’pinterprétation sus -
mentionnée, telle qu’énoncée dans les deux conventions de vienne
(au paragraphe 1 de l’article 31). Ce principe — ut res magis valeat

quam pereat — selon lequel un traité doit être interprété de telle soprte
qu’il produise les effets appropriés s’est vu conférer, dapns le domaine
des droits de l’homme, une importance particulière aux fins de dépter -
miner la portée étendue des obligations conventionnelles visant àp la
105
protection de ces droits .
de fait, cette interprétation est celle qui reflète le plus fidèplement la
nature spéciale des traités relatifs aux droits de l’homme, la pdimen -

sion objective des obligations qu’ils énoncent et le caractère pauto -
nome des notions qui y sont consacrées (à la différence des pnotions
correspondantes dans le cadre des systèmes juridiques nationaux).
dès lors que les traités relatifs aux droits de l’homme contiennpent des

notions qui ont un caractère autonome, lequel découle de l’épvolution
jurisprudentielle, et que l’objet et le but de ces traités sont dipfférents
de ceux des traités classiques (puisqu’ils ont trait aux rapports entre
l’Etat et les personnes qui relèvent de sa juridiction), les prinpcipes

généraux classiques en matière d’interprétation des traitpés s’adaptent
à cette réalité nouvelle. » 106(par. 50-51.)

68. En conséquence, dans le cadre de l’interprétation des traitéps relatifs
aux droits de l’homme — qui privilégient l’intérêt des victimes —, il est en
général accordé, selon moi à juste titre, une importance toupte particulière

à la réalisation de l’objet et du but de ces instruments, afin pd’assurer la
protection des êtres humains (voir ci-dessous), c’est-à-dire, de toute évi -
dence, la partie la plus faible. Chose importante, et dans le même orpdre
d’idées, la méthode d’interprétation des traités relatpifs aux droits de

l’homme englobe, à mon sens, toutes les dispositions contenues danps ces
instruments, considérés comme un ensemble, et s’étend non seulement
aux dispositions de fond (relatives aux droits protégés) mais aussi aux dis -

positions d’ordre procédural, à savoir celles qui régissent les mécanismes de
protection internationale, y compris — dans une perspective historique —
les clauses compromissoires conférant compétence aux juridictions pinter -
nationales relatives aux droits de l’homme.

105A. A. Cançado Trindade, Tratado de Direito Internacional dos Direitos Humanos,
vol. II, porto Alegre/Brésil, S.A. Fabris Ed., 1999, p. 32-33 et 192.
106Ibid., p. 32-34 ; voir également R. Bernhardt, « Thoughts on the Interpretation of
Human Rights Treaties », dans Protecting Human Rights : The European Dimension —
Studies in Honour of G. J. Wiarda (dir. publ., F. matscher et H. petzold), Cologne,
C. Heymanns, 1988, p. 66-67 et 70-71 ; Erik Suy, «droit des traités et droits de l’homme »,
Völkerrecht als Rechtsordnung Internationale Gerichtsbarkeit Menschen▯rechte — Festschrift

für H. Mosler (dir. publ., R. Bernhardt et al.), Berlin, Springer-verlag, 1983, p. 935-947;
J. velu et R. Ergec, La convention européenne des droits de l’homme, Bruxelles, Bruylant,
1990, p. 51.

201268 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

69. Thus, to refer to notorious examples, the original optional clauses
of acceptance of the contentious jurisdiction of both the European Courtp
of Human Rights (prior to protocol No. 11 of the European Convention) 107
and the Inter-American Court of Human Rights in contentious matters

found inspiration initially in the model of the old optional clause of cpom -
pulsory jurisdiction of the Statute of the Hague Court (pCIJ and ICJ,
Article 36 (2)). despite the common origin, in search of the realization of

the ideal of international justice, the rationale of the application of the
optional clause has been interpreted in distinct ways, on the one hand ipn
inter-State litigation, and on the other hand in that of human rights, apt

intra-State level.

70. In the former, considerations of contractual equilibrium between
the parties, of reciprocity, of procedural balance in the light of the jpuridi -

cal equality of the sovereign States have prevailed to date ; in the latter,
there has been a primacy of considerations of ordre public, of the collec -
tive guarantee exercised by all the States parties, of the accomplishmenpt

of a common goal, superior to the individual interests of each Contract -
ing party 10. One can hardly make abstraction of the nature and sub -
stance of a treaty when considering the optional clause, or else the

compromissory clause, enshrined therein.

71. The present case before this Court concerns the Application of the
International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Dis -

crimination, one of the pioneering general human rights treaties of the
United Nations era, which preceded in time even the two UN Covenants
on Human Rights of 1966. Adopted on 21 december 1965 and opened

for signature on 7 march 1966, the CERd Convention promptly entered
into force on 4 January 1969. The punctum pruriens judicii, at this stage of
the present case, is the proper understanding of the compromissory clauspe

(Article 22) of the CERd Convention. I thus deem it fit to recall that, in
my separate opinion in the recent Ahmadou Sadio Diallo case (Guinea v.

107protocol No. 11 to the European Convention on Human Rights entered into force
on 1 November 1998. On the original optional clause (Art. 46) of the European Conven -
tion, cf. Council of Europe/Conseil de l’Europe, Collected Edition of the ‘Travaux p-épa
ratoires’ of the European Convention on Human Rights/Recueil des trav▯aux préparatoires
de la Convention européenne des droits de l’homme, vol. Iv, The Hague, Nijhoff, 1977,
pp. 200-201 and 266-267 ; and vol. v, The Hague, Nijhoff, 1979, pp. 58-59.
108
The two aforementioned international human rights tribunals have found tphemselves
under the duty to preserve the integrity of the regional conventional sypstems of pr-tec
tion of human rights as a whole. In their common understanding, it wouldp be inadmissible
to subordinate the operation of the respective conventional mechanisms opf protection to
restrictions not expressly authorized by the European and American Convepntions, inter
posed by the States parties in their instruments of acceptance of the opptional clauses of
compulsory jurisdiction of the two Courts (Article 62 of the American Convention, and
Article 46 of the European Convention before protocol No. 11). This would not only imme
diately affect the efficacy of the operation of the conventional mechpanism of protection at
issue, but, furthermore, it would fatally impede its possibilities of fupture development.

202 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 268

69. Ainsi, pour mentionner des exemples bien connus, les clauses facul-
tatives initiales d’acceptation de la juridiction contentieuse de la pCour
européenne des droits de l’homme (avant l’adoption du protocolpe n o 11 à
107
cette convention) et de la Cour interaméricaine des droits de l’homme
étaient inspirées de l’ancienne clause facultative de juridictipon obligatoire
contenue dans le Statut de la Cour de La Haye (paragraphe 2 de l’ar -

ticle 36 du Statut de la Cour permanente et de la présente Cour). En dépit
de cette origine commune, la logique qui sous-tend l’application de la
clause facultative a, aux fins de réaliser l’idéal de justice ipnternationale,

fait l’objet d’une interprétation différente en ce qui conpcerne le conten -
tieux interétatique et en ce qui concerne le contentieux des droits dpe
l’homme au niveau intra-étatique.
70. dans le premier cas, certaines considérations relatives à l’équilibre

contractuel entre les parties, à la réciprocité et à l’épquilibre procédural
découlant de l’égalité juridique des Etats souverains ont, jpusqu’à présent,
prévalu; dans le second, ce sont des considérations ayant trait à l’orpdre

public, à la garantie collective exercée par l’ensemble des Etapts parties et
à la réalisation d’un objectif commun, supérieur aux intéprêts particuliers
des parties contractantes 108, qui l’ont emporté. Aussi est-il difficile de

faire abstraction de la nature et de la teneur d’un traité lorsqu’pon
examine la clause facultative ou les clauses compromissoires qui y sont
insérées.

71. La présente espèce porte sur l’Application de la convention interna -
tionale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination r▯aciale, l’un
des instruments généraux relatifs aux droits de l’homme qui a opuvert la

voie à l’action des Nations Unies en la matière, puisqu’il est même anté -
rieur aux deux pactes de 1966. Adoptée le 21 décembre 1965 et ouverte à
la signature le 7 mars 1966, la CIEdR est entrée en vigueur dès le 4 jan -

vier 1969. A ce stade de la présente espèce, le punctum pruriens judicii est
de bien comprendre la clause compromissoire (énoncée à l’arpticle 22) de
cette convention. A cet égard, je rappellerai que, dans l’exposép de mon
opinion individuelle joint à l’arrêt récemment rendu en l’affaire Ahmadou

107 o
Le proercole n 11 à la convention européenne des droits de l’homme est entrép en
vigueur le 1 novembre 1998. Au sujet de la clause facultative initiale (art. 46) de cette
convention, voir Conseil de l’Europe, Recueil des travaux préparatoires de la convention
européenne des droits de l’homme, vol. Iv, La Haye, Nijhoff, 1977, p. 266-267 ; et vol. v,
La Haye, Nijhoff, 1979, p. 58-59.

108Les deux juridictions internationales relatives aux droits de l’hommep susmention -
nées ont jugé qu’il leur incombait de préserver l’intépgrité de leurs systèmes conventionnels
régionaux respectifs de protection des droits de l’homme dans leurp ensemble. Selon elles,

il serait inadmissible d’assortir l’application des mécanismes pconventionnels de protection
en question de restrictions qui ne seraient pas expressément autorisépes par les conventions
européenne et américaine ou formulées par les Etats parties danps leurs instruments d-accep
tation de la juridiction obligatoire des deux cours (article 62 de la convention américaine et
article 46 de la convention européenne avant l’adoption du protocole n). Non seulement
cela nuirait directement à l’efficacité de ces mécanismes cponventionnels de protection, mais
cela entraverait immanquablement les progrès futurs dans l’applicaption de ces mécanismes.

202269 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

Democratic Republic of the Congo) (Merits, Judgment, I.C.J. Reports
2010 (II), p. 729), I had the occasion to dwell upon the hermeneutics of
human rights treaties (paras. 82-92), given that the parties had invoked
two other treaties of the kind, namely, the 1996 UN Covenant on Civil
and political Rights and the 1981 African Charter on Human and peo -
ples’ Rights.

72. my reflections developed therein are likewise pertinent for the con -
sideration of the point at issue in the present case. In my separate opipnion
in the Ahmadou Sadio Diallo case, I pondered in that respect that human
rights treaties :

“go beyond the realm of purely inter-State relations. When one comes p
to the interpretation of treaties, one is inclined to resort, at first, to
the general provisions enshrined in Articles 31-33 of the two vienna

Conventions on the Law of Treaties (of 1969 and 1986, respectively),
and in particular to the combination under Article 31 of the elements
of the ordinary meaning of the terms, the context, and the object and
purpose of the treaties at issue.
One then promptly finds that, in practice, while in traditional inter-
national law there has been a marked tendency to pursue a rather

restrictive interpretation which gives as much precision as possible to p
the obligations of States parties, in the international law of human
rights, somewhat distinctly, there has been a clear and special empha-
sis on the element of the object and purpose of the treaty, so as to
ensure an effective protection (effet utile) of the guaranteed rights,
without detracting from the general rule of Article 31 of the two

vienna Conventions on the Law of Treaties. In effect, whilst in gen -
eral international law the elements for the interpretation of treaties
evolved primarily as guidelines for the process of interpretation by
States parties themselves, human rights treaties, in their turn, have
called for an interpretation of their provisions bearing in mind the

essentially objective character of the obligations entered into by States
parties: such obligations aim at the protection of human rights and
not at the establishment of subjective and reciprocal rights for the
States parties.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . . . . . . . . . . . . . .

The interpretation and application of human rights treaties have
indeed been guided by considerations of a superior general interest or
ordre public which transcend the individual interests of contracting
parties. (. . .) [T]hose treaties are distinct from treaties of the classic
type which incorporate restrictively reciprocal concessions and com -

promises; human rights treaties, in turn, prescribe obligations of an
essentially objective character, implemented collectively, and are
endowed with mechanisms of supervision of their own.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . . . . . . . . . . . . . .

203 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 2)69

Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo)
(fond, arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 729), j’ai eu l’occasion d’examiner
en détail la question de l’interprétation des traités relatipfs aux droits de
l’homme (par. 82-92), étant donné que les parties à cette affaire avaient
invoqué deux autres instruments de cette nature, à savoir le pacte des
Nations Unies relatif aux droits civils et politiques de 1966 et la Charte

africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981.
72. Les réflexions que j’ai exposées dans cette opinion sont épgalement
pertinentes aux fins de l’examen de cette question en la présente pespèce.
En l’affaire Ahmadou Sadio Diallo, j’ai ainsi indiqué que, selon moi, le
respect des traités relatifs aux droits de l’homme

«déborde le domaine des relations purement interétatiques. En
matière d’interprétation des traités, on est enclin à recpourir en premier
lieu aux dispositions générales des articles 31 à 33 des deux conven -

tions de vienne sur le droit des traités (1969 et 1986 respectivement)
et en particulier aux éléments de l’article 31 concernant le sens ordi -
naire des termes, le contexte et l’objet et le but des traités vispés.

Ce faisant, l’on ne tarde pas à constater que dans la pratique, alpors
que le droit international traditionnel tend de façon marquée vers

une interprétation assez restrictive qui vise à préciser le plups possible
les obligations des Etats parties, le droit international des droits de p
l’homme, en revanche, met nettement l’accent sur l’objet et le pbut du
traité pour garantir une protection effective (effet utile) des droits
garantis, sans pour autant s’écarter de la règle généralep énoncée à
l’article 31 des deux conventions de vienne sur le droit des traités. En

réalité, bien qu’en droit international général les élpéments d’interpré -
tation des traités aient été principalement élaborés en vpue de servir
d’orientations pour l’interprétation des traités par les Etats parties,
les dispositions des traités relatifs aux droits de l’homme exigenpt une
interprétation essentiellement objective des obligations souscrites par

les Etats parties : ces obligations ont pour but de protéger les droits
de l’homme et non d’établir les droits subjectifs et récipropques des
Etats parties.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . . . . . . . . . . . . . .

L’interprétation et l’application des traités relatifs aux dproits de
l’homme ont été effectivement guidées par des considéraptions liées à
l’intérêt général supérieur au à l’ordre public,p qui transcendent les
intérêts individuels des Etats contractants… [C]es traités spe dis -
tinguent des traités du type classique qui intègrent des concessions et

des compromis restrictifs réciproques ; les traités des droits de
l’homme prescrivent au contraire des obligations d’un caractère
essentiellement objectif, mises en œuvre collectivement, et sont dotéps
de mécanismes de suivi propres.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . . . . . . . . . . . . . .

203270 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

The converging case law [of the ECHR and the IACtHR] to this
effect has generated the common understanding (. . .) that human
rights treaties, moreover, are endowed with a special nature (as dis -
tinguished from multilateral treaties of the traditional type) ; that
human rights treaties have a normative character and that their terms
are to be autonomously interpreted ; that in their application one

ought to ensure an effective protection (effet utile) of the guaranteed
rights; and that permissible restrictions (limitations and derogations)
to the exercise of guaranteed rights are to be restrictively interpretedp.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . . . . . . . . . . . . . .

Furthermore, [it has] propounded the autonomous interpretation of
provisions of human rights treaties, by reference to the respective
domestic legal systems. (.. .) moreover, the dynamic or evolutive inter-

pretation of the respective human rights Conventions (the temporal
dimension) has been followed by both the European and the
Inter-American Courts, so as to fulfill the evolving needs of protection
of the human being.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . . . . . . . . . . . . . .

There is (. . .) a converging case law of the Inter-American and
European Courts of Human Rights — and indeed of other human
rights international supervisory organs — on the fundamental issue
of the proper interpretation of human rights treaties, naturally ensu -

ing from the overriding identity of the object and purpose of those
treaties.
general international law itself bears witness of the principle (sub -
sumed under the general rule of interpretation of Article 31 of the two
vienna Conventions on the Law of Treaties) whereby the interpreta -
tion is to enable a treaty to have appropriate effects. In the presentp

domain of protection, international law has been made use of in order
to improve and strengthen — and never to weaken or undermine —
the safeguard of recognized human rights (in pursuance of the
principle pro persona humana, pro victima). The specificity of the
international law of human rights finds expression not only in the

interpretation of human rights treaties in general but also in the inter-
pretation of specific provisions of those treaties.
Both the European and the Inter-American Courts of Human
Rights have rightly set limits to State voluntarism, have safeguarded
the integrity of the respective human rights conventions and the pri -

macy of considerations of ordre public over the ‘will’ of individual
States, have set higher standards of State behaviour and established
some degree of control over the interposition of undue restrictions by
States, and have reassuringly enhanced the position of individuals as
subjects of the international law of human rights, with full procedural p
capacity. In so far as the basis of their jurisdiction in contentious

matters is concerned, eloquent illustrations can be found of their firm p

204convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade )70

La jurisprudence convergente [de la Cour européenne des droits de
l’homme et de la Cour interaméricaine des droits de l’homme] dapns
ce domaine a fait naître … l’idée commune que les traitésp relatifs aux
droits de l’homme sont empreints d’un caractère spécial (papr compa-
raison avec les traités multilatéraux du type traditionnel) ; ces traités
sont de caractère normatif et leurs termes doivent être interprétés de

façon autonome; leur application doit viser à ce que soient effective -
ment protégés (effet utile) les droits garantis ; et les restrictions per -
missibles (limitations et dérogations) de l’exercice des droits pgarantis
doivent être interprétées de façon restrictive.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . . . . . . . . . . . . . .

de plus, [elle a] fait avancer l’interprétation autonome des dispospi -
tions des traités relatifs aux droits de l’homme par rapport aux spys -
tèmes juridiques internes des Etats… En outre, les Cours europépenne

et interaméricaine ont adopté une interprétation dynamique ou épvo-
lutive de leurs conventions relatives aux droits de l’homme (la dimepn -
sion temporelle) pour faire face aux besoins changeants en matière
de protection de la personne humaine.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . . . . . . . . . . . . . .

Il existe … une jurisprudence convergente des Cours interaméri -
caine et européenne des droits de l’homme — et d’ailleurs d’autres
organes internationaux de surveillance des droits de l’homme — sur
la question fondamentale de la bonne interprétation des traités rela -

tifs aux droits de l’homme, qui découle naturellement de l’idenptité
déterminante de l’objet et du but de ces traités.
Le droit international général lui-même témoigne du principe (sub-
sumé dans la règle générale d’interprétation de l’aprticle 31 des deux
conventions de vienne sur le droit des traités) selon lequel l’interpréta -
tion vise à donner à un traité les effets appropriés. dans le domaine de

protection qui nous occupe, le droit international a été utilisép pour
améliorer et renforcer — et jamais pour affaiblir ou miner — les garan -
ties des droits de l’homme reconnues (selon le principe pro persona
humana, pro victima). La spécificité du droit international des droits de
l’homme trouve son expression non seulement dans l’interprétatipon

des traités relatifs aux droits de l’homme en général, mais pégalement
dans l’interprétation de dispositions spécifiques de ces traitéps.
Tant la Cour européenne que la Cour interaméricaine des droits
de l’homme ont, à juste titre, établi des limites au volontarispme des
Etats, préservé l’intégrité des conventions relatives auxp droits de
l’homme relevant de leurs domaines respectifs et la primauté des

considérations d’ordre public sur la « volonté» des Etats, fixé des
normes supérieures de comportement des Etats, freiné dans une cer -
taine mesure l’imposition de restrictions indues par les Etats et renp -
forcé de façon rassurante la situation de l’individu en tant qupe sujet
du droit international des droits de l’homme, doté de la pleine cappa-

cité procédurale. En ce qui concerne la base de leur juridiction en

204271 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

stand in support of the integrity of the mechanisms of protection of
the two respective regional Conventions.” (I.C.J. Reports 2010 (II),
pp. 755-759, paras. 82-86 and 88-90.)

73. The relationship between the nature of human rights treaties such
as the CERd Convention and the interpretation and application of cor -

responding compromissory clauses (such as that of Article 22 of the
CERd Convention) were object of attention in the course of the proceed -
ings in the present case concerning the Application of the International
Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination,
opposing georgia to Russia before this Court. Thus, at the end of the

public sitting held on 17 September 2010, I deemed it fit to put to the two
contending parties the following question :

“A votre avis, la nature des traités relatifs aux droits de l’hpomme tels
que la Convention CERd (régissant des relations au niveau intra-
étatique) a-t-elle des conséquences ou une incidence sur l’intperprétation
et l’application des clauses compromissoires qu’ils contiennent?
pour préserver l’équilibre linguistique de la Cour, je pose ma qpues -

tion aux deux parties aussi en anglais, l’autre langue officielle de la
Cour.
In your understanding, does the nature of human rights treaties
such as the CERd Convention (regulating relations at intra-State

level) have a bearing or incidence on the interpretation109d applica -
tion of a compromissory clause contained therein?”

74. The contending parties, in a commendable spirit of procedural co-
operation, promptly provided the Court with their respective answers to p
my question. The claimant State, georgia, presented the following writ -
ten response to my question :

“georgia recognizes that — like many international human rights
instruments — the CERd Convention regulates relations between the
State and the citizen at the intra-State level, i.e., the relations betwpeen

a State and its own citizens, as with apartheid. (It also regulates
actions taken by a State with respect to those located in other States.)p
In this respect, the international human rights movement from the
Universal declaration on Human Rights onwards reflected a genu -
inely new development in international law, and one that has since

taken root. The purpose of multilateral treaties of this kind, of which p
the CERd was the first, was to build upon earlier declarations
and make human rights scrutiny and enforcement effective at the inte-r
national level, including by means of dispute settlement.

As the Court has recognized, this new development was capable of

109CR 2010/11, of 17 September 2010, pp. 35-36.

205 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 271

matière contentieuse, on peut trouver des illustrations éloquentesp de
leurs prises de position fermes en faveur de l’intégrité des mépca-
nismes de protection des deux conventions régionales. » (C.I.J.
Recueil 2010 (II), p. 755-759, par. 82-86 et 88-90.)

73. Le rapport entre la nature des traités relatifs aux droits de l’homme
tels que la CIEdR et l’interprétation et l’application des clauses compro -

missoires correspondantes (telles que celle qui est énoncée à pl’article 22 de
la CIEdR) a été examiné en cours d’instance en la présente affpaire rela -
tive à l’Application de la convention internationale sur l’élimination de
toutes les formes de discrimination raciale, opposant la géorgie à la Rus -
sie. Ainsi, à la fin de l’audience publique tenue le 17 septembre 2010, j’ai

jugé utile de poser aux deux parties la question suivante :

«A votre avis, la nature des traités relatifs aux droits de l’hommep
tels que la CIEdR (régissant des relations au niveau intra-étatique)
a-t-elle des conséquences ou une incidence sur l’interprétation et pl’ap -
plication des clauses compromissoires qu’ils contiennent ?
pour préserver l’équilibre linguistique de la Cour, je pose ma qpues -

tion aux deux parties aussi en anglais, l’autre langue officielle de la
Cour :
In your understanding, does the nature of human rights treaties
such as the CERd Convention (regulating relations at intra-State

level) have a bearing or incidence on the interpretation a109applica -
tion of a compromissory clause contained therein ? »

74. dans un louable esprit de coopération procédurale, les parties ont
rapidement répondu à ma question. Ainsi, le demandeur — la géorgie —
a présenté à la Cour la réponse écrite suivante :

«La géorgie reconnaît que, comme de nombreux autres instru -
ments internationaux relatifs aux droits de l’homme, la CIERd régit
les relations entre l’Etat et le citoyen au niveau intra-étatique,

c’est-à-dire les relations entre l’Etat et ses propres nationaux, comme
dans le cas de l’apartheid. (Elle régit aussi les mesures prises ppar un
Etat vis-à-vis de ceux de ses nationaux qui se trouvent dans d’autres
Etats.) A cet égard, depuis la déclaration universelle des droits de
l’homme, le mouvement international en faveur des droits de l’hommpe

traduit une évolution réellement nouvelle en droit international, pune
évolution qui a depuis lors pris racine. Le but des traités multilpatéraux
de ce type était, sur la base des déclarations antérieures, de prendre
l’examen de la situation des droits de l’homme et la mise en œupvre des
prescriptions en la matière plus efficaces au niveau international, py

compris au moyen de mécanismes de règlement des différends.
Comme la Cour l’a reconnu, cette évolution nouvelle pouvait affepc -

109CR 2010/11, du 17 septembre 2010, p. 35-36.

205272 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

affecting the interpretation of a compromissory clause. In its 1996
judgment on preliminary objections in the Bosnia Genocide case the
Court referred no less than three times to the special nature of the
genocide Convention as a universal human rights instrument in order

to found its jurisdiction ratione personae, ratione materiae, ratione
temporis under Article Ix of that Convention. more recently, in rela -
tion to other cases, it has been noted that the Court has ‘looked
beyond the strictly inter-State dimension’, indicating — correctlyp in
georgia’s view — an expansive approach to jurisdictional matters inp

order to safeguard the underlying values of the treaty at issue. Thus,
because human rights treaties regulate the relations between the State
and its own citizens, a compromissory clause should not be limited to
matters covered by traditional international law, e.g., in the field of p
diplomatic protection. It would likewise be incorrect to treat the interp

pretation and application of a human rights treaty as a matter con -
fined exclusively to the advisory function of the supervisory body in
question — as the Court in South West Africa, Second Phase, made
clear in relation to the mandate and the role of the permanent man -
dates Commission. Relatedly, human rights-type protections may

survive change of sovereignty or change of supervisory regime which
merely bilateral interstate provisions may not survive.

georgia’s approach to the interpretation of Article 22 is further
reinforced by the Court’s established jurisprudence on erga omnes
rights and obligations, in the Barcelona Traction case. It is noteworthy
that the Court gave as an example of erga omnes norms the basic

rights of the human person, including explicitly the protection against p
racial discrimination, along with the prohibition of slavery and
genocide. The legal consequences of breaches of erga omnes norms
has since been further clarified by the Court and incorporated by the
International Law Commission in its Articles on the Responsibility

of States for Internationally Wrongful Acts, particularly in Articles 48
and 54, acknowledging the standing of all members of the inter-
national community to invoke the responsibility of the State for breach
of erga omnes norms.

The character of human rights treaties — in particular their
non-synallagmatic character — provides a reason for the broad inter -
pretation of compromissory clauses, and not for their narrow or
restrictive interpretation. In the present case this provides a further p
reason for rejecting the Russian Federation’s view that Article 22 is
110
subordinated to Article 11.”

110gR 2010/19, of 24 September 2010, pp. 3-4.

206convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 272

ter l’interprétation d’une clause compromissoire. dans son arrêt de
1996 sur les exceptions préliminaires en l’affaire du Génocide en Bos -
nie, la Cour a mentionné pas moins de trois fois le caractère particu -
lier de la convention sur le génocide en tant qu’instrument univerpsel

relatif aux droits de l’homme pour fonder sa compétence ratione per -
sonae, ratione materiae et ratione temporis au regard de l’article Ix de
la Convention. plus récemment, en relation avec d’autres affaires, on
a relevé que la Cour avait « regardé au-delà de la dimension stricte -
ment interétatique», pour indiquer — à juste titre selon la géorgie —

une conception large des questions juridictionnelles afin de préservepr
les valeurs sur lesquelles repose le traité en cause. Ainsi, parce que les
traités relatifs aux droits de l’homme régissent les relations pentre
l’Etat et ses propres nationaux, une clause compromissoire ne doit
pas être limitée aux questions envisagées par le droit internatpional tra -

ditionnel, par exemple dans le domaine de la protection diplomatique.
Il serait de même incorrect de traiter l’interprétation et l’application
d’un traité relatif aux droits de l’homme comme une question expclusi -
vement limitée à la fonction consultative de l’organe de supervpision en
question — ainsi que la Cour l’a indiqué s’agissant du mandat et du

rôle de la commission permanente des mandats dans l’affaire du
Sud-Ouest africain, deuxième phase. de manière similaire, des protec -
tions du type droits de l’homme peuvent survivre à un changement dpe
souveraineté ou un changement de régime de supervision qui peut

être fatal à des relations interétatiques uniquement bilatérpales.
L’approche géorgienne de l’interprétation de l’article 22 est encore
renforcée par la jurisprudence établie de la Cour en ce qui concerpne
les droits et obligations erga omnes dans l’affaire de la Barcelona
Traction. Il est remarquable que la Cour ait cité comme exemple de

normes erga omnes les droits fondamentaux de la personne humaine,
y compris, expressément, la protection contre la discrimination
raciale, de même que contre la pratique de l’esclavage et le gépnocide.
Les conséquences juridiques des manquements à des obligations erga
omnes ont depuis lors été encore explicitées par la Cour, et incorpop -

rées par la Commission du droit international dans ses articles sur la
responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite, enp parti -
culier les articles 48 et 54, reconnaissant que tous les membres de la
communauté internationale ont un intérêt à invoquer la respopnsabi -
lité de l’Etat pour manquement à des normes erga omnes.

En raison de la nature des traités relatifs aux droits de l’homme,p en
particulier leur caractère non synallagmatique, il convient d’inteprpré -
ter les clauses compromissoires largement, et non de manière étroipte
ou restrictive. dans la présente affaire, c’est là une raison supplémen -
taire de rejeter l’opinion de la Fédération de Russie selon laquelle
110
l’article 22 est subordonné à l’article 11. »

110document gR 2010/19, du 24 septembre 2010, p. 3-4.

206273 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

75. For its part, the respondent State, the Russian Federation, pre -
sented the following written response to my question :
“As a multi-ethnic State, the Russian Federation acknowledges and

values the specific character of the CERd Convention as a treaty
imposing upon member States obligations primarily to be performed
at the intra-State level.

This specific character is, in many respects, reflected in the CERd’s

unique implementation and enforcement mechanism to which Article 22
specifically makes reference. This mechanism provides for reporting
obligations on the part of the States parties, which allows the Commit-
tee to supervise the domestic practices of the contracting parties.
It equally establishes, through the Articles 11 to 13 procedure, a

form of collective guarantee of respect for the Convention by the
States parties, to be ensured by an inter-State complaint and concili -
ation procedure under the auspices of the Committee. No special
acceptance of this procedure is needed ; the ratification by a State of
the Convention makes this procedure automatically applicable, and

the procedure is mandatory so far as concerns any respondent State.
Thus the contracting parties, alongside the Committee, become guar-
antors of the enforcement of the Convention.
most notably, the Individual Complaint procedure of Article 14 of
CERd (which the Russian Federation has accepted since 1 October
1991) underlines the intra-State character of the CERd Convention

in that it enables individuals themselves to take action vis-à-vis copn-
tracting parties when the individual believes that there has been a
violation of rights protected by CERd.
The specific importance of individual intra-State rights guaranteed
by CERd is also reflected in the practice of the CERd Committee,

i.e., in its development of an urgent procedure to provide for the
protection of individual rights guaranteed by CERd when these are
most endangered.
The Convention also contains implementation procedures of a
more traditional character (when compared with general inter-

national law) in the form of inter-State dispute settlement before the
International Court of Justice under Article 22 CERd, which neces -
sarily falls to be interpreted and applied in the context of CERd’s
other implementation procedures. Hence, and as also follows from
the express language used in the provision, the rights under Article 22
only come into play once a matter arising under CERd has crystal -

lized into an inter-State dispute and when, moreover, the disputant
parties have not been able to settle the dispute by inter-State nego-
tiations and by the procedures provided for in Articles 11-13 CERd.

Further, as follows from the combination of the subject-matter, as

well as the intra- and inter-State features of CERd, the obligations

207 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 2)73

75. Le défendeur — la Fédération de Russie — a, quant à lui, présenté
la réponse écrite suivante :

«En tant qu’Etat multiethnique, la Fédération de Russie a
conscience du caractère spécifique de la CIEdR au sens où il s’agit
d’un traité qui impose aux Etats membres des obligations qui doivepnt
avant tout être appliquées au niveau intra-étatique, et elle y attache
une grande importance.

Cette spécificité trouve, à bien des égards, son expression pdans le
mécanisme de mise en œuvre et d’exécution tout à fait parpticulier auquel
l’article 22 fait expressément référence. dans le cadre de ce mécanisme,
les Etats parties sont tenus de présenter des rapports, ce qui permetp au
Comité de superviser les pratiques internes des parties contractantesp.

Ce mécanisme instaure également, par la procédure interétatipque
de plainte et de conciliation sous les auspices du Comité prévue apux
articles 11 à 13, une forme de garantie collective du respect de la
Convention par les Etats parties. Cette procédure ne doit faire l’objet

d’aucune acceptation spéciale ; la ratification de la Convention par
un Etat la rend automatiquement applicable, et elle s’impose à toupt
Etat défendeur. Les parties contractantes deviennent ainsi, aux côptés
du Comité, garants de l’exécution de la Convention.

Quant à la procédure de plainte individuelle énoncée à l’particleer4
de la CIEdR (que la Fédération de Russie a acceptée le 1 oc-
tobre 1991), on notera qu’elle souligne le caractère intra-étatique
de la Convention en ce qu’elle permet à des personnes d’agir ellesp-
mêmes contre des parties contractantes lorsqu’elles considèrentp qu’il

y a eu violation de certains droits protégés par la Convention.
L’importance particulière que revêtent les droits individuels
intra-étatiques garantis par la CIEdR se reflète également dans la
pratique du Comité pour l’élimination de la discrimination racipale,
qui a mis en place une procédure d’urgence visant à assurer la ppro -

tection de ces droits lorsqu’ils sont particulièrement menacés.p
La Convention contient par ailleurs un mécanisme de mise en œuvre
plus classique (au regard du droit international général) sous lpa forme
d’un règlement des différends interétatiques devant la Coupr internatio -
nale de Justice en vertu de l’article 22, qu’il faut nécessairement inter-

préter et appliquer en tenant compte des autres procédures de misep en
œuvre qu’elle établit. par conséquent, et ainsi que cela ressort égale -
ment des termes exprès employés dans cette disposition, les droitsp visés
à l’article 22 n’entrent en jeu que lorsqu’une question qui s’est fait jourp
en vertu de la CIEdR s’est cristallisée en un différend interétatique et

lorsque, de surcroît, les parties à ce différend n’ont pasp été en mesure
de le régler par des négociations interétatiques et par les procédures
énoncées aux articles 11 à 13 de la Convention.
En outre, ainsi que cela résulte conjointement de l’objet de la
CIEdR et de ses dimensions intra- et interétatique, les obligations

207274 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

under the Convention are of an erga omnes nature. This also has a
bearing on the interpretation and application of Article 22 of the
Convention and of the procedures expressly provided for in this Con-

vention to which Article 22 refers. As the Russian Federation stated
in its preliminary Objections, ‘[t]he erga omnes character of the obli -
gations instituted therein [in CERd] is reflected in the procedures
established by the Convention to deal with the inter-State complaints,
which involve the other parties to the Convention’.

This interpretation of Article 22 CERd takes full account of the
specific intra-State character of the CERd convention aimed at pro -
tecting human rights of individuals.” 111

76. These responses were followed by another round of written com -
ments by the two contending parties. Thus, in its comments on the Rus -
sian Federation’s written response to my question, georgia stated :

“georgia notes that Russia’s written response does not directly
address the question raised by Judge Cançado Trindade. georgia

observes that there is nothing in Russia’s response to contradict or
undermine georgia’s response to the question put, namely, that ‘[t]he
character of human rights treaties — in particular their non-synallagp -
matic character — provides a reason for the broad interpretation of c-pom

promissory clauses, and not for their narrow or restrictive interpretatipon’.
To the contrary, Russia’s response recognizes that the obligations
under the Convention are not to be performed exclusively at the intra-
State level; that the Convention adopts ‘a form of collective guaran -
tee of respect’ for its provisions ; and that ‘the obligations under the

Convention are of an erga omnes nature’.
These statements by Russia acknowledge that the Convention was
intended to serve as an effective instrument for eliminating the scourpge
of racial (including ethnic) discrimination in all its forms. In that p

regard, they support georgia’s position on the interpretation of Arti -
cle 22. Recourse to the Court under that Article is a principle means
by which States may enforce the Convention’s provisions against
other States, and thereby make the Convention more effective. To
read preconditions on the seisin of the Court into Article 22, in a man -

ner that contradicts the plain meaning of the text, as Russia proposes, p
would frustrate the object and purpose of the Convention : it would
render access to the Court impossible for all practical purposes, and
diminish the Court’s role as a means for timely enforcement of the
112
Convention’s erga omnes obligations.”

77. For its part, the Russian Federation presented the following com -
ment on georgia’s written response to my question :

111gR 2010/20, of 24 September 2010, pp. 4-5.
112gR 2010/21, of 1 October 2010, pp. 2-3.

208 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 2)74

qu’elle établit ont un caractère erga omnes. Cela a également une
incidence sur l’interprétation et l’application de l’articlep 22 et des

procédures expressément prévues dans la Convention auxquelles cet
article fait référence. Ainsi que la Fédération de Russie l’a indiqué
dans ses exceptions préliminaires, «[l]e caractère erga omnes des obli -
gations y énoncées [dans la CIEdR] ressort des procédures prévues
dans la Convention pour régler les litiges entre Etats, qui impliquenpt

les autres parties contractantes ».
Cette interprétation de l’article 22 de la CIEdR tient pleinement
compte du caractère intra-étatique qui fait la spécificité de cette conven -
tion en ce qu’elle vise à protéger les droits de l’homme indpividuel» s.11

76. Ces réponses ont été suivies par un tour d’observations écrites des

deux parties. Ainsi, dans ses observations sur la réponse écrite de la Fpédé -
ration de Russie à ma question, la géorgie a indiqué ce qui suit :

«Lagéorgie relève que dans sa réponse écrite la Russie ne répond pas
directement à la question posée par m. le juge Cançado Trindade. Elle
fait observer qu’il n’y a rien dans la réponse de la Russie quip contredise
ou affaiblisse sa propre réponse à la question, à savoir que, [«e]n raison

de la nature des traités relatifs aux droits de l’homme, en particpulier leur
caractère non synallagmatique, il convient d’interpréter les clpauses com -
promissoires largement, et non de manière étroite ou restrictiv» e.
La Russie reconnaît au contraire dans sa réponse que les obliga -
tions imposées par la Convention ne doivent pas être exécutépes exclu -

sivement au niveau intra-étatique, que la Convention adopte « une
forme de garantie collective du respect » de ses dispositions et que
«les obligations qu’elle établit ont un caractère erga omnes ».
Ce faisant, la Russie reconnaît que la Convention a été conçue p

comme un instrument efficace pour éliminer le fléau de la discrpimina -
tion raciale (y compris ethnique) sous toutes ses formes. A cet égaprd,
elle étaye la position de la géorgie en ce qui concerne l’interprétation
de l’article 22. La saisine de la Cour en vertu de cet article est un des

principaux moyens pour les Etats de donner effet aux dispositions de
la Convention contre d’autres Etats, et de rendre ainsi la Conventionp
plus efficace. Lire, dans les dispositions de l’article 22, des conditions
préalables à la saisine de la Cour, à l’encontre du sens ordinaire du

texte, comme le propose la Russie, serait contraire à l’objet et apu but
de la Convention: cela reviendrait à rendre l’accès à la Cour, à toutes
fins utiles, impossible, et réduirait le rôle assigné à la Cpour, à savoir
celui d’un moyen de faire exécuter en temps voulu les obligations
112
erga omnes énoncées dans la Convention. »
77. La Fédération de Russie a, pour sa part, présenté les observpations

suivantes sur la réponse écrite de la géorgie à ma question :

111gR 2010/20, du 24 septembre 2010, p. 4-5.
112gR 2010/21, du 1eroctobre 2010, p. 2-3.

208275 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

“As sat out in further detail in its own answer to the question askedp
by Judge Cançado Trindade, the Russian Federation fully accepts the
erga omnes nature of the rights protected by human rights treaties,
including CERd.
With respect to the interpretation of compromissory clauses con -
tained in such treaties, the Russian Federation likewise accepts that

these are special in nature in that any State party thereto may bring
a dispute concerning a breach of those obligations by another State
party before the Court. However, that does not mean that the specific
pre-conditions to jurisdiction in the given compromissory clause may
be bypassed, or that the compromissory clause should be interpreted
entirely in isolation from the relevant context, which may (and, in

this case, does) comprise inter-related dispute settlement mechanisms
within the treaty itself.
As the Court has already had occasion to emphasize,

“‘the erga omnes character of a norm and the rule of consent to
jurisdiction are two different things’ (East Timor (Portugal v.
Australia), Judgment, I.C.J. Reports 1995, p. 102, para. 29), and
(. . .) the mere fact that rights and obligations erga omnes may be at

issue in a dispute would not give the Court jurisdiction to entertain
that dispute.
The same applies to the relationship between peremptory norms
of general international law (jus cogens) and the establishment of
the Court’s jurisdiction: the fact that a dispute relates to compliance
with a norm having such a character, which is assuredly the case

with regard to the prohibition of genocide, cannot of itself provide
a basis for the jurisdiction of the Court to entertain that dispute.
Under the Court’s Statute that jurisdiction is always based on the
consent of the parties.
As it recalled in its Order of0uly2002, the Court has jurisdiction

in respect of States only to the extent that they have consented
thereto (Armed Activities on the Territory of the Congo (New
Application: 2002) (Democratic Republic of the Congo v. Rwanda),
Provisional Measures, Order of 10 July 2002, I.C.J. Reports 2002,
p. 241, para. 57). When a compromissory clause in a treaty provides
for the Court’s jurisdiction, that jurisdiction exists only in respecpt of

the parties to the treaty who are bound by that clause and within the
limits set out therein (ibid.,p. 245, para. 71).”
This is also true in respect of CERd. And neither the interest in

the protection of the rights protected by CERd nor, more generally,
the interests of international justice would be served by violation of
this fundamental principle.
In the present case, Article 22 of CERd strikes a deliberate and
fair balance between the (compulsory) jurisdiction of the Court on
the one hand and the (preliminary) mandatory inter-State conciliation

by the CERd Committee deliberately instituted by the Convention

209convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade )75

«Ainsi qu’exposé plus avant dans sa propre réponse à la questpion
posée par le juge Cançado Trindade, la Fédération de Russie recon -
naît pleinement le caractère erga omnes des droits protégés par les
traités relatifs aux droits de l’homme, dont la CIEdR fait partie.
S’agissant de l’interprétation des clauses compromissoires contpenues
dans ces traités, la Fédération de Russie reconnaît de mêpme que celles-ci

revêtent un caractère spécial, en ce sens que n’importe quelp Etat partie
peut traduire un autre Etat partie devant la Cour pour violation des
obligations énoncées dans un tel instrument. Cela ne signifie pas ppour
autant que les conditions préalables à la compétence qui sont spécifique -
ment établies dans la clause compromissoire concernée puissent êptre
contournées ou que, pour interpréter cette clause, il faille l’isoler com -

plètement du contexte pertinent, qui peut (comme ici) lui associer certains
mécanismes de règlement des différends prévus au sein du traité lui-même.
Comme la Cour a déjà eu l’occasion de le souligner :

« « l’opposabilitéerga omnes d’une norme et la règle du consente -
ment à la juridiction sont deux choses différentes » (Timor oriental
(Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 102, par. 29),
et … le seul fait que des droits et obligations erga omnes seraient

en cause dans un différend ne saurait donner compétence à la p
Cour pour connaître de ce différend.
Il en va de même quant aux rapports entre les normes impéra -
tives du droit international général (jus cogens) et l’établissement
de la compétence de la Cour : le fait qu’un différend porte sur le
respect d’une norme possédant un tel caractère, ce qui est assupré -

ment le cas de l’interdiction du génocide, ne saurait en lui-même
fonder la compétence de la Cour pour en connaître. En vertu du
Statut de la Cour, cette compétence est toujours fondée sur le
consentement des parties.
Comme elle l’a rappelé dans son ordonnance du 10 juillet 2002, la
Cour n’a de juridiction à l’égard des Etats que dans la mesupre où

ceux-ci y ont consenti (Activités armées sur le territoire du Congo (nou
velle requête :2002) (République démocratique du Congo c. Rwanda),
mesures conservatoires, ordonnance du 10 juillet 2002, C.I.J. Recueil
2002, p. 241, par. 57). Lorsque sa compétence est prévue dans une
clause compromissoire contenue dans un traité, cette compétence

n’existe qu’à l’égard des parties au traité qui sont lpiées par ladite
clause, dans les limites stipulées par celle-ci (ibi, . 245, par. 71). »
Cela vaut également dans le cas de la CIEdR. violer ce principe

fondamental ne servirait ni la sauvegarde des droits protégés par la
CIEdR ni, plus généralement, les intérêts de la justice internatpionale.

dans la présente affaire, l’article 22 de la CIEdR assure le juste
équilibre recherché entre la compétence (obligatoire) de la Cpour
d’une part et, de l’autre, le mécanisme (préliminaire) de pconciliation

obligatoire entre Etats, via le Comité pour l’élimination de lap discri -

209276 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

on the other. This in turn reflects the balance to be achieved betweenp
the breadth of the category of potential claimant States under Arti -

cle 22 (given the erga omnes nature of obligations under CERd) and
the interests of respondent States in only appearing before the Court
once disputes have been crystallised and the requisite attempts at set
tlement have failed.
The CERd Committee has the primary role as to the implementa -

tion and supervision of CERd including through the settlement of
eventual disputes between States parties. The fact that the Convention
provides for a possibility of seizing the Court should not be inter -
preted to the detriment of the Committee’s vital functions.

Lessening the role of the CERd Committee would certainly neither
be in line with the intentions of the drafters of CERd, nor would it
contribute to preserving the special nature of human rights treaties in
113
general, nor that of CERd in particular.”

78. As can be seen from the above, in the present case concerning the
Application of the International Convention on the Elimination of All Forms
of Racial Discrimination, the contending parties themselves have duly
taken into account the nature of the human rights treaty at issue, the

CERd Convention, though deriving distinct consequences from their
respective arguments. One can simply not make abstraction of the nature p
and substance of a human rights treaty in addressing a compromissory
clause contained therein. The general rule of interpretation of treatiesp

(Article 31 of the two vienna Conventions on the Law of Treaties, of
1969 and 1986) contains elements that are to be taken into account by tphe
Court (cf. infra), giving proper weight to the one — that of the object and
purpose of the treaty — which will secure the proper effects to the treaty

at issue, i.e., that will render it truly effective (cf. infra), keeping in mind
that superior values and fundamental human rights are at stake.

vI. The principle Ut r es m agis Valeat Q Uam Pereat

79. Underlying the aforementioned general rule of treaty interpreta -
tion (cf. para. 66, supra), contained in Article 31 (1) of the two vienna

Conventions on the Law of Treaties (of 1969 and 1986), is the principlpe ut
res magis valeat quam pereat, which corresponds to the so-called effet utile
(sometimes called the principle of effectiveness). By virtue of thisp princi
ple, widely supported by case law, States parties to human rights treatipes

ought to secure to the conventional provisions the appropriate effects at
the level of their respective domestic legal orders. Such principle, as pI

11gR 2010/22, of 1 October 2010, pp. 3-4.

210 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 276

mination raciale créé par la Convention. Cela reflète aussi l’équilibre
à atteindre entre le grand nombre d’Etats susceptibles de saisir lpa
Cour en vertu de l’article 22 (étant donné le caractère erga omnes des

obligations prévues dans la Convention) et l’intérêt des Etpats défen -
deurs à n’ester devant elle qu’une fois que le différend sp’est cristallisé
et que les tentatives de règlement requises ont échoué.
C’est au Comité pour l’élimination de la discrimination racipale
qu’il incombe au premier chef de mettre en œuvre les dispositions de

la CIEdR et d’en surveiller l’exécution, notamment en réglant les
différends éventuels entre les Etats parties. Le fait que la Conpvention
ménage une possibilité de saisir la Cour ne doit pas être interprété
d’une manière portant atteinte aux fonctions essentielles du Comitpé.

Réduire le rôle du Comité pour l’élimination de la discripmination
raciale ne serait certainement pas conforme aux intentions des rédac -
teurs de la CIEdR, et ne contribuerait pas davantage à préserver la
spécificité des traités relatifs aux droits de l’homme en gépnéral et de
la CIEdR en particulier. » 113

78. Il ressort de ce qui précède que les parties à la présente affaire relative

à l’Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les
formes de discrimination raciale ont elles-mêmes dûment pris en compte la
nature du traité relatif aux droits de l’homme en cause, à savopir la CIEdR,
tirant cependant des conséquences différentes de leurs argumentaptions res -
pectives. Il est en effet tout simplement impossible de faire abstractpion de la

nature et de la teneur d’un traité relatif aux droits de l’hommpe lorsqu’on
examine la clause compromissoire qui y est énoncée. La règle gépnérale d’in -
terprétation des traités (l’article 31 des deux conventions de vienne sur le
droit des traités de 1969 et de 1986) contient les éléments que la Cour doit

prendre en compte (voir ci-dessous), l’un d’entre eux — l’objet et le but du
traité — devant se voir accorder suffisamment de poids pour garantir que lep
traité en question produira ses effets appropriés, c’est-à-dire rendre cet ins -
trument réellement effectif (voir ci-dessous) en gardant à l’esprit que des
valeurs supérieures et les droits de l’homme fondamentaux sont en pjeu.

vI. Le principe Ut res magis Valeat QUam Pereat

79. La règle générale d’interprétation susmentionnée (voipr par. 66,
ci-dessus), contenue dans le paragraphe 1 de l’article 31 des deux conven -
tions de vienne sur le droit des traités (de 1969 et 1986), repose sur le
principe ut res magis valeat quam pereat, qui correspond au principe dit
de l’effet utile. En vertu de ce principe, largement étayé papr la jurispru -

dence, les Etats parties à des instruments relatifs aux droits de l’phomme
doivent veiller à ce que les dispositions conventionnelles aient les effets
voulus sur leurs ordres juridiques internes respectifs. Ce principe, comme

113document gR 2010/22, du 1 eroctobre 2010, p. 3-4.

210277 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

have already pointed out (para. 68, supra), applies not only in relation to

substantive norms of human rights treaties (that is, those which provide
for the protected rights), but also in relation to procedural norms, in par -
ticular those relating to the right of individual petition and to the accep -

tance of the compulsory jurisdiction in contentious matters of the
international judicial organs of protection. Such conventional norms,
essential to the efficacy of the system of international protection, ought to
be interpreted and applied in such a way as to render their safeguards

truly practical and effective, bearing in mind the special character opr
nature of the human rights treaties and their collective implementation.p
Such has been, as I have already indicated (para. 72, supra), the approach

pursued in practice by the ECHR and the IACtHR.

80. may I, at this stage, recall a couple of examples of concrete cases

wherein both the ECHR and the IACtHR had the occasion to pronounce
themselves to this effect. In its judgment on preliminary objections (of
23 march 1995) in the case of Loizidou v. Turkey, for example, the ECHR

warned that, in the light of the letter and the spirit of the European Cpon -
vention, the possibility cannot be inferred of restrictions to the optiopnal
clause relating to the recognition of the contentious jurisdiction of thpe
ECHR 114. In the domain of the international protection of human rights,

there are no “implicit” limitations to the exercise of the protectped rights ;
and the limitations set forth in the treaties of protection ought to be p
restrictively interpreted. The optional clause of compulsory jurisdictiopn of

the international tribunals of human rights does not admit limitations
other than those expressly contained in the human rights treaties at isspue.
And, as the IACtHR has also stated, it could not be at the mercy of limi -
tations not foreseen therein and invoked by the States parties for reasopns
115
or vicissitudes of domestic order .

81. The clause pertaining to the compulsory jurisdiction of interna -

tional human rights tribunals constitutes, in my view, a fundamental
clause (cláusula pétrea) of the international protection of the human
being, which does not admit any restrictions other than those expressly p

114
Article 46 of the European Convention, prior to the entry into force, on 1November
1998, of protocol No. 11 to the European Convention. moreover, the ECHR referred to
the fundamentally distinct context in which international tribunals operpate, the ICJ being
“a free-standing international tribunal which has no links to a standpard-setting treaty such
as the Convention” ; cf. European Court of Human Rights (ECHR), case of Loizidou v.
Turkey (preliminary objections), Strasbourg, C.E., Judgment of 23 march 1995, p. 25,
para. 82, and cf. p. 22, para. 68. On the prevalence of the conventional obligations of
the States parties, cf. also the Court’s obiter dicta in its previous decision, in the Belilos v.
Switzerland case (1988).
115Cf. IACtHR, case of Castillo Petruzzi and Others v. Peru (preliminary objec -
tions), judgment of 4 September 1998, Series C, No. 41, concurring opinion of Judge

A. A. Cançado Trindade, paras. 36 and 38.

211 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 2)77

je l’ai déjà relevé (par. 68, ci-dessus), s’applique non seulement aux normes

de fond des instruments relatifs aux droits de l’homme (autrement dit à p
celles qui concernent les droits protégés), mais aussi aux normesp de procé-
dure, en particulier celles ayant trait au droit de recours individuel et àp

l’acceptation de la compétence obligatoire des organes judiciairesp inter-
nationaux de protection dans les affaires contentieuses. Ces normes
conventionnelles, qui sont essentielles pour assurer l’efficacitép du système
de protection international, devraient être interprétées et appliquées de p

sorte à donner une utilité pratique réelle aux garanties qu’pelles énoncent,
compte tenu du caractère ou de la nature particulière des instrumepnts
relatifs aux droits de l’homme et de leur application collective. Telple a été,

comme je l’ai déjà dit (par. 72, ci-dessus), la démarche suivie par la Cour
européenne des droits de l’homme et la Cour interaméricaine desp droits
de l’homme.
80. permettez-moi à ce stade de rappeler quelques exemples d’affaires

concrètes dans lesquelles et la Cour européenne des droits de l’phomme
(CEdH) et la Cour interaméricaine des droits de l’homme (CIdH) ont eu
l’occasion de se prononcer en ce sens. dans son arrêt sur les exceptions pré -

liminaires (du 23 mars 1995) en l’affaire Loizidou c. Turquie, par exemple, la
Cour européenne des droits de l’homme fait observer que la lettre et l’esprit
de la convention européenne ne permettent pas de conclure à l’epxistence de
restrictions à la clause facultative relative à la reconnaissance pde la juridic -
114
tion contentieuse de la Cour . dans le domaine de la protection internati-o
nale des droits de l’homme, il n’existe pas de limitations « implicites» à
l’exercice des droits protégés; et les limites énoncées dans les traités de pro -

tection devraient être interprétées de manière restrictive. pLa clause facult-a
tive de compétence obligatoire des cours internationales des droits dpe
l’homme n’admet pas de limitations autres que celles qui sont exprpessément
énoncées dans les instruments considérés. Et, comme l’a épgalement relevé la

CIdH, elle ne saurait être à la merci de limites qui n’y sont pas prévues
et que les Etats parties invoquent en raison de problèmes d’ordre intperne 115.
81. La clause relative à la compétence obligatoire des cours internatio -

nales des droits de l’homme est, à mon avis, un élément fondamental(cláu-
sula pétrea) de la protection internationale de l’être humain, qui n’admet
d’autres restrictions que celles expressément prévues dans les instruments

114 er
Article 46 de la convention européenne, avant l’entrée en vigueur, le 1 no-
vembre 1998, du protocole 11 y relatif. de plus, la Cour a relevé le contexte fonda-
mentalement différent dans lequel les cours internationales opèrpent, la Cour internationale
de Justice étant « une cour internationale séparée, sans lien avec un instrument normatif
comme la convention » ; voir Cour européenne des droits de l’homme, affaire Loizidou
c. Turquie (exceptions préliminaires), Strasbourg, C.E., arrêt du 23 mars 1995, p. 25,
par. 82, et p. 22, par. 68. Sur le caractère généralisé des obligations conventionneplles des
Etats parties, voir aussi les obiter dicta de la Cour dans sa décision antérieure, en l’affaire
Belilos c. Suisse (1988).
115voir CIdH, affaire Castillo Petruzzi et autres c. Pérou (exceptions préliminaires),
arrêt du 4 septembre 1998, série C n1, opinion individuelle du juge A. A. Cançado Trin-

dade, par. 36 et 38.

211278 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

provided for in the human rights treaties at issue. This has been so estpab-
lished by the IACtHR in its judgments on competence in the cases of the

Constitutional Tribunal and Ivcher Bronstein v. Peru (of 24 September
1999) 116. The permissiveness of the insertion of limitations, not foreseen
in the human rights treaties, in an instrument of acceptance of an optiopnal
117
clause of compulsory jurisdiction , represents a regrettable historical
distortion of the original conception of such clause, in my view unacceppt -

able in the field of the international protection of the rights of the hpuman
person.
82. Any understanding to the contrary would fail to ensure that the

human rights treaty at issue has the appropiate effects (effet utile) in the
domestic law of each State party. The IACtHR’s decision in the case opf
Hilaire v. Trinidad and Tobago (preliminary objections, judgment of 1 Sep -

tember 2001) was clear : the modalities of acceptance, by a State party to
the American Convention on Human Rights, of the contentious jurisdic -
tion of the IACtHR, are expressly stipulated in Article 62 (1) and (2) 11,
119
and are not simply illustrative, but quite precise , not authorizing
States parties to interpose any other conditions or restrictions (numerus

clausus).

116
IACtHR, case of the Constitutional Tribunal (competence), judgment of
24 September 1999, Series C, No. 55, p. 44, para. 35 ; IACtHR, case of Ivcher Bronstein
(competence), judgment of 24 September 1999, Series C, No. 54, p. 39, para. 36.
117 Exemplified by State practice under Article 36 (2) of the ICJ Statute (supra).

118 Article 62 (1) and (2) of the American Convention on Human Rights provides thatp:

“A State party may, upon depositing its instrument of ratification orp adherence to
this Convention, or at any subsequent time, declare that it recognizes aps binding, ipso
facto, and not requiring special agreement, the jurisdiction of the Court on all matters

relating to the interpretation or application of this Convention.

Such declaration may be made unconditionally, on the condition of reciprocity, for
a specified period, or for specific cases. It shall be presented to the pSecretary-general
of the Organization, who shall transmit copies thereof to the other membper States of
the Organization and to the Secretary of the Court.”

Thus, according toArticle62 (2) of the Convention, the acceptance, by a State party, of the
contentious jurisdiction of the IACtHR, can be made in four modalities, pnameya) uncon-
ditionally ;(b) on the condition of reciprocity; (c) for a specified period; and (d) for specific
cases. Those, and only those, are the modalities of acceptance of the copntentious jurisdiction

of the IACtHR foreseen and authorized by Article 62 (2) of the Convention.

119 According to Article 62 (2) of the Convention, the acceptance, by a State party, of
the contentious jurisdiction of the IACtHR, can be made in four modalities, namely : (a)
unconditionally ;(b) on the condition of reciprocity; (c) for a specified period; and (d) for
specific cases. Those, and only those, are the modalities of acceptance pof the contentious
jurisdiction of the IACtHR foreseen and authorized by Article 62 (2) of the Convention,

which does not authorize the States parties to interpose any other condiptions or restrictions
(numerus clausus).

212 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade )78

de protection des droits de l’homme considérés. La Cour interamépricaine

des droits de l’homme l’a établi dans ses arrêts (compétpence) sur la Cour
constitutionnelle et Ivcher Bronstein c. Pérou (du 24 septembre 1999) 11.
Le laisser-faire que représente l’insertion de limitations, qui ne sont pas

prévues dans les instruments relatifs aux droits de l’homme, dans pun
instrument d’acceptation d’une clause facultative de compétencep obliga -
117
toire représente une distorsion historique regrettable de la concep-
tion originale de pareille clause, qui est à mon sens inacceptable dans le
domaine de la protection internationale des droits de l’être humaipn.

82. Toute autre interprétation ne permettrait pas de garantir que l’inps -
trument de protection des droits de l’homme en question a l’effept utile

voulu dans le droit interne de chaque Etat partie. La décision de la pCIdH
en l’affaire Hilaire c. Trinité-et-Tobago (exceptions préliminaires, arrêt du
1er septembre 2001) était claire : les modalités d’acceptation, par un Etat

partie à la convention américaine relative aux droits de l’hommpe, de la
juridiction contentieuse de la Cour sont expressément énoncées paux para -
118
graphes 1 et 2 de l’article 62 ; elles ne sont pas données à titre purement
indicatif, mais sont au contraire très précises 119, et elles n’autorisent les
Etats parties à ajouter aucune autre condition ou restriction (numerus

clausus).

116 CIdH, affaire de la Cour constitutionnelle (compétence), arrêt du 24 septembre 1999,
o
série C n 55, p. 44, par. 35o; CIdH, affaire Ivcher Bronstein (compétence), arrêt du
24 septembre 1999, série C n 54, p. 39, par. 36.
117 par exemple, la pratique des Etats en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut
de la Cour internationale de Justice (ci-dessus).
118 Aux termes des paragraphes 1 et 2 de l’article 62 de la convention américaine rela -
tive aux droits de l’homme :

«Tout Etat partie peut, au moment du dépôt de son instrument de ratpification ou
d’adhésion à la présente convention, ou à tout autre momepnt ultérieur, déclarer qu’il

reconnaît comme obligatoire, de plein droit et sans convention spépciale, la compétence
de la Cour pour connaître de toutes les espèces relatives à l’pinterprétation ou à l-appli
cation de la convention.
La déclaration peut être faite inconditionnellement, ou sous condiption de récipro -
cité, ou pour une durée déterminée, ou à l’occasion d’espèces données. Elle devra être
présentée au secrétaire général de l’Organisation, leqpuel en donnera copie aux autres

Etats membres de l’Organisation et au greffier de la Cour. »
Ainsi, en vertu du paragraphe 2 de l’article 62 de la convention, un Etat partie peut

accepter la juridiction contentieuse de la CIdH selon quatre modalités, à savoir : a) incon-
ditionnellement ; b) sous condition de réciprocité ; c) pour une durée déterminée ; d) à
l’occasion d’espèces données. Telles sont les seules modalités d’acceptation de la juridi-
tion contentieuse de la Cour prévues et autorisées par le paragrapphe 2 de l’article 62 de la
convention.
119 En vertu du paragraphe 2 de l’article 62 de la convention, un Etat partie peut

accepter la juridiction contentieuse de la Cour selon quatre modalitéps, à savoir :a) incon-
ditionnellement ; b) sous condition de réciprocité ; c) pour une durée déterminée ; d) à
l’occasion d’espèces données. Telles sont les seules modalitpés d’acceptation de la juridic -
tion contentieuse de la Cour prévues et autorisées par le paragrapphe 2 de l’article 62 de la
convention, qui ne permet pas aux Etats parties d’ajouter toute autre condition ou restric
tion (numerus clausus).

212279 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

83. In my concurring opinion in the aforementioned Hilaire v. Trini-

dad and Tobago case, I saw it fit to ponder that :
“In this matter, it cannot be sustained that what is not prohibited,

is permitted. This posture would amount to the traditional — and
surpassed — attitude of the laisser-faire, laisser-passer, proper to an
international legal order fragmented by the voluntarist State subjec -

tivism, which in the history of law has ineluctably favoured the more
powerful ones. Ubi societas, ibi jus . . . At this beginning of the
twenty-first century, in an international legal order wherein one seeks p
to affirm superior common values, among considerations of interna -

tional ordre public, as in the domain of the international law of human
rights, it is precisely the opposite logic which ought to apply : what is
not permitted, is prohibited.
If we are really prepared to extract the lessons of the evolution of

international law in a turbulent world throughout the twentieth cen -
tury, (. . .) we cannot abide by an international practice which has
been subservient to State voluntarism, which has betrayed the spirit
and purpose of the optional clause of compulsory jurisdiction, to the

point of entirely denaturalizing it, and which has led to the perpetu -
ation of a world fragmented into State units which regard themselves
as final arbiters of the extent of the contracted international obliga -

tions, at the same time that they do not seem truly to believe in what
they have accepted : the international justice.” (paras. 24-25.)

84. To bear in mind the three component elements of the general rule
of interpretation bona fides of treaties — text in the current meaning,
context, and object and purpose of the treaty — set forth in Article 31 (1)

of the two vienna Conventions on the Law of Treaties (of 1969 and
1986), requires also to keep in mind the nature of the treaty wherein that
clause (optional or compromissory) for compulsory jurisdiction appearsp.
This corresponds to the “context”, precisely the second component pele-

ment of the general rule of interpretation of treaties set forth in Artipcle 31
of the two vienna Conventions on the Law of Treaties 120.

120In the Hilaire v. Trinidad and Tobago case (supra), the IACtHR had duly done so,
in stressing the special character of the human rights treaties (paras.p 94-97). Likewise, the
IACtHR has kept constantly in mind the third component element of that gpeneral rule
of interpretation, namely, the “object and purpose” of the treaty pat issue, the American
Convention on Human Rights (paras. 82-83 and 88). As I saw it fit to point out, in this

respect, in my separate opinion in the case Blake v. Guatemala (reparations, 1999) before
the IACtHR :
“In so far as human rights treaties are concerned, one is to bear alwpays in mind
the objective character of the obligations enshrined therein, the autonopmous meaning
(in relation to the domestic law of the States) of the terms of such tpreaties, the collec
tive guarantee underlying them, the wide scope of the obligations of proptection and
the restrictive interpretation of permissible restrictions. These elements converge in

sustaining the integrity of human rights treaties, in seeking the fulfilpment of their
object and purpose, and, accordingly, in establishing limits to State vopluntarism.”
(paras. 32-33.)

213 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 279

83. dans mon opinion individuelle en l’affaire susmentionnée Hilaire

c. Trinité-et-Tobago, j’ai jugé bon de relever ce qui suit :
«A ce sujet, on ne peut faire valoir que ce qui n’est pas prohibé epst

autorisé. Ce serait le laisser-faire, laisser-passer, attitude tradition -
nelle et dépassée caractéristique d’un ordre juridique interpnational
fragmenté par le subjectivisme volontariste des Etats qui, dans l’phis -

toire du droit, a inévitablement favorisé ees plus puissants. Ubi socie -
tas, ibi jus… En ce début du xxI siècle, dans un ordre juridique
international où l’on s’efforce d’affirmer des valeurs communes supé -
rieures, au milieu de considérations d’ordre public international,p

comme dans le domaine du droit international des droits de l’homme,
c’est précisément la logique opposée qui devrait s’appliqpuer : ce qui
n’est pas autorisé est prohibé.
Si nous voulons véritablement tirer les leçons du droit internatiop -
e
nal pendant cette période turbulente que fut le xx siècle … nous ne
pouvons accepter une pratique internationale soumise au volonta -
risme des Etats, qui a trahi l’esprit et le but de la clause facultatpive
de compétence obligatoire, au point de la dénaturer entièrement

— et qui a perpétué la fragmentation du monde en unités étatiqpues
qui se considèrent comme les arbitres finals de la portée des oblipga -
tions internationales contractées tout en ne semblant pas croire

véritablement en ce qu’elles ont accepté : la justice internationale. »
(par. 24-25.)

84. pour tenir compte des trois éléments composant la règle générale
d’interprétation de bonne foi des traités — texte pris dans son sens ordi -
naire, dans son contexte et à la lumière de son objet et de son bupt — éno- n

cés au paragraphe 1 de l’article 31 des deux conventions de vienne sur
le droit des traités (de 1969 et 1986), il faut aussi tenir compte de la nature
du traité dans lequel figure cette clause (facultative ou compromisspoire) de
compétence obligatoire. Cela correspond au « contexte», à savoir au

deuxième élément de la règle générale d’interprétation des traités énoncé
à l’article 31 des deux conventions de vienne sur le droit des traités 120.

120En l’affaire Hilaire c. Trinité-et-Tobago (ci-dessus), la CIdH en avait dûment
tenu compte, en soulignant le caractère particulier des instruments rpelatifs aux droits de
l’homme (par. 94-97). de même, elle a toujours gardé à l’esprit le troisième élément de
cette règle générale d’interprétation, à savoir « l’objet et le but » du traité en question, la
convention américaine relative aux droits de l’homme (par. 82-83 et 88). Comme j’ai jugé

bon de le relever à ce propos dans mon opinion individuelle en l’apffaire Blake c. Guatemala
(réparations, 1999) portée devant la CIdH :
«dans la mesure où des instruments relatifs aux droits de l’homme sopnt concernés,
il faut toujours avoir présent à l’esprit le caractère objecptif des obligations qui y sont
énoncées, le sens autonome (par rapport au droit interne des Etatps) des termes de
ces instruments, la garantie collective qui les sous-tend, la large portée des o-liga
tions de protection et l’interprétation restrictive des limitationps possibles. Ensemble,

ces éléments maintiennent l’intégrité des instruments relpatifs aux droits de l’homme,
en visant la réalisation de leur objet et de leur but et, en consépquence, en mettant des
limites au volontarisme des Etats. » (par. 32-33.)

213280 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

85. The IACtHR, by means of the judgments on preliminary objec -
tions in the cases of Hilaire, Benjamin, and Constantine, as well as its
earlier judgments on competence in the cases of the Constitutional Tribu -

nal and Ivcher Bronstein, safeguarded the integrity of the American Con -
vention on Human Rights, remained master of its own jurisdiction and
acted in accordance with the high responsibilities accorded to it by thep
121
American Convention on Human Rights . The same can be said of the
ECHR, by means of its aforementioned judgment on preliminary objec -
tions in the case Loizidou v. Turkey, in so far as the European Conven -

tion on Human Rights is concerned. Thus, those two tribunals, in their
converging case law on the question at issue, have given a worthy contrip -
bution to the strengthening of the international jurisdiction and to thep
122
realization of the old ideal of international justice . moreover, they
have contributed to the creation of an international ordre public based
upon the respect for human rights in all circumstances.

86. The two aforementioned international human rights tribunals, by
correctly resolving basic jurisdictional issues raised in the cases referred to
above, have aptly made use of the techniques of public international lawp

in order to strengthen their respective jurisdictions of protection of the
rights of the human person. They have decisively safeguarded the integ -
rity of the mechanisms of protection of the American and European Con-

ventions on Human Rights. The two tribunals at issue have helped to
develop and achieve the aptitude of international law to regulate effi -

121In its judgment in the case of Hilaire v. Trinidad and Tobago, the IACtHR rightly
observed that, if restrictions interposed in the instrument of acceptancpe of its contentious
jurisdiction were accepted, in the terms proposed by the respondent Statpe in the cas
d’espèce, not expressly foreseen in Article 62 of the American Convention, this would lead

to a situation in which it would have “as first parameter of reference tphe Constitution of the
State and only subsidiarily the American Convention”, a situation whipch would “bring
about a fragmentation of the international legal order of protection of phuman rights and
would render illusory the object and purpose of the American Convention”p (para. 93).

And as I concluded in my own concurring opinion in Hilaire v. Trinidad and Tobago
before the IACtHR,

“The time has come to consider, in particular, in a future protocol opf amend -
ments to the procedural part of the American Convention on Human Rights,p aiming
at strengthening its mechanism of protection, the possibility of an amendment to
Article 62 of the American Convention, in order to render such clause also manda -
tory, in conformity with its character of fundamental clause (cláusula pétrea), thus

establishing the automatism of the jurisdiction of the Inter-American Court of Human
Rights. There is pressing need for the old ideal of the permanent international compul
sory jurisdiction to become reality also in the American continent, in tphe present
domain of protection, with the necessary adjustments in order to face itps reality of
human rights and to fulfil the growing needs of effective protection opf the human
being.” (para. 39.)

122A. A. Cançado Trindade, Tratado de Direito Internacional dos Direitos Humanos,
vol. III, porto Alegre/Brazil, S.A. Fabris Ed., 2003, Chaps. xv-xvI, pp. 60-83 and
147-168.

214 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade )80

85. La CIdH, par ses arrêts sur les exceptions préliminaires dans les
affaires Hilaire, Benjamin et Constantine, ainsi que ses arrêts antérieurs
sur la compétence dans les affaires de la Cour constitutionnelle et Ivcher

Bronstein, a sauvegardé l’intégrité de la convention américaine relative
aux droits de l’homme, est restée maîtresse de sa propre juridipction et a
agi conformément aux hautes responsabilités que lui confère cetpte conven -
121
tion . La CEdH a fait de même par son arrêt susmentionné sur les
objections préliminaires en l’affaire Loizidou c. Turquie, dans la mesure
où la convention européenne des droits de l’homme est concernépe. dans

leurs jurisprudences convergentes sur la question à l’examen, ces deux
cours ont donc apporté une précieuse contribution au renforcement pde la
juridiction internationale et à la réalisation du vieil idéal dpe justice inter -
122
nationale . Elles ont en outre contribué à la création d’un ordre publpic
international fondé sur le respect des droits de l’homme en toutes circons -
tances.

86. En résolvant avec discernement des questions juridictionnelles fon -
damentales soulevées dans les affaires susmentionnées, la CEdH et la
CIdH ont fait bon usage des techniques du droit international public

pour renforcer leurs compétences respectives en matière de protection des
droits de la personne humaine. Elles ont sauvegardé de manière décisive
l’intégrité des mécanismes de protection des conventions amépricaine et

européenne des droits de l’homme. Elles ont contribué à développer et à
établir l’aptitude du droit international à réglementer effipcacement des

121dans son arrêt en l’affaire Hilaire c. Trinité-et-Tobago, la CIdH a fait observer à
juste titre que, si les restrictions apportées à l’instrument dp’acceptation de sa juridiction
contentieuse étaient acceptées, dans les termes proposés par l’pEtat défendeur dans le cas
d’espèce, restrictions qui ne sont pas expressément prévues pà l’article 62 de la convention

américaine, il en résulterait une situation dans laquelle « le premier paramètre de référence
serait la Constitution de l’Etat et, subsidiairement seulement, la convention américaine »,
ce qui conduirait à « une fragmentation de l’ordre juridique international dans le domaine p
de la protection des droits de l’homme et rendrait illusoires l’obpjet et le but de la conven -
tion » (par. 93).
Comme je l’ai conclu dans ma propre opinion individuelle en l’affpaire Hilaire c. Trinité-
et-Tobago,

«Le moment est venu d’envisager, en particulier dans un futur protocolpe portant
modification des dispositions procédurales de la convention américpaine relative aux
droits de l’homme en vue d’en renforcer le mécanisme de protectpion, la possibilité d’un
amendement à l’article 62 visant à rendre cette clause également obligatoire, confor -
mément à son caractère de clause fondamentale (cláusula pétrea), établissant ainsi

l’automatisme de la juridiction de la Cour interaméricaine des droits de l’hommpe. Il est
urgent que le vieil idéal de compétence internationale obligatoirep permanente devienne
réalité sur le continent américain aussi, dans ce domaine de prpotection, avec les ajus-
tements nécessaires pour tenir compte de la réalité des droits pde l’homme dans cette
région et répondre à la nécessité croissante d’assurerp une protection efficace à l’être
humain. » (par. 39.)

122A. A. Cançado Trindade, Tratado de Direito Internacional dos Direitos Humanos,
vol. III, porto Alegre/Brésil, S.A. Fabris Ed., 2003, chap. xv-xvI, p. 60-83 et 147-168.

214281 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

ciently relations which have specificity of their own — at intra-State,
rather than inter-State, level. The unity and effectiveness of public inter -

national law itself can be measured precisely by its aptitude to regulatpe
legal relations in distinct contexts with equal adequacy.
87. When one comes to human rights treaties, the required attention to
the observance of the principle ut res magis valeat quam pereat appears
particularly compelling, so as to secure the effective protection of tphe

guaranteed rights enshrined in the treaty at issue. This applies to the p
CERd Convention, as in the cas d’espèce before the ICJ, and to all other
human rights treaties. If it were not so, their object and purpose would
not be fulfilled, with harmful consequences in the present domain of prop -

tection of the human person, where considerations of a superior order
(international ordre public) have primacy over State voluntarism. When
we enter into the terra nova of the settlement of human rights disputes in
the framework of the classic inter-State contentieux, we cannot lose sight

of the fact th123we are here also moving resolutely from jus dispositivum
to jus cogens .

vII. The Compromissory Clauspe (Art.22)
of the UN Convention on the Elimipnation of All Forms
of Racial discrimination (CERd) :
Elements for Its proper Interpretation apnd Application

88. Keeping the above considerations in mind, the way is paved for
turning attention now to the compromissory clause of the CERd Con -
vention. Article 22 of that Convention provides that :

“Any dispute between two or more States parties with respect to
the interpretation or application of this Convention, which is not set -

tled by negotiation or by the procedures expressly provided for in this p
Convention, shall, at the request of any of the parties to the dispute, p
be referred to the International Court of Justice for decision, unless
the disputants agree to another mode of settlement.”

89. The view advanced by the Court’s majority in the present Judg -

ment (para. 140), whereby Article 22 of the CERd Convention would
subordinate the jurisdiction of this Court to the procedures set out in pthe
CERd Convention itself (part II, Arts. 11-12), in addition to engagement
in prior negotiations, as “preconditions” to be fulfilled by a Stapte party

123
Cf., to this effect, my intervention in the debates of 12 march 1986 of the vienna
Conference on the Law of Treaties between States and International Organpizations or
between International Organizations: UN, United Nations Conference on the Law of Trea-
ties between States and International Organizations or between Internati▯onal Organizations
(Vienna, 1986) — Official Records, vol. I, N.y., UN, 1995, pp. 187-188 (intervention by
A. A. Cançado Trindade).

215 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 281

relations qui ont leur propre spécificité — au niveau intra-étatique plutôt
qu’interétatique. L’unité et l’efficacité du droit pupblic international peuvent

se mesurer précisément à son aptitude à réglementer les rpelations juri -
diques avec la même justesse dans des contextes différents.
87. Lorsqu’il s’agit des instruments relatifs aux droits de l’hommep, la
nécessité de porter attention au respect du principe ut res magis valeat
quam pereat semble particulièrement impérieuse pour assurer la protec -

tion efficace des droits garantis dans l’instrument considéré.p Cela vaut
pour la CIEdR, comme dans le cas d’espèce dont la Cour est saisie, de
même que pour tous les autres traités relatifs aux droits de l’phomme.
Sinon, leur objet et leur but ne seraient pas réalisés, ce qui aurpait des

conséquences néfastes pour la protection de la personne humaine,
domaine dans lequel des considérations d’ordre supérieur (ordrpe public
international) priment le volontarisme des Etats. Lorsque nous abordonsp
la terra nova du règlement des différends relatifs aux droits de l’homme

dans le cadre des contentieux classiques entre Etats, nous ne pouvons
perdre de vue que, ce faisant, nous passons résolument du jus dispositivum
au jus cogens 12.

vII. La clause compromisspoire (art.22) de la convention
des Nations Unies sur l’éliminatipon de toutes les formpes
de discrimination rapciale (CIEdR): éléments en permettapnt
l’interprétation et pl’application en bonnpe et due forme

88. A la lumière de ce qui précède, je m’intéresserai maintenpant à la
clause compromissoire de la CIEdR. Aux termes de l’article 22 de la
Convention :

«Tout différend entre deux ou plusieurs Etats parties touchant
l’interprétation ou l’application de la présente Convention qui n’aura

pas été réglé par voie de négociation ou au moyen des propcédures
expressément prévues par ladite Convention sera porté, à la prequête
de toute partie au différend, devant la Cour internationale de Justpice
pour qu’elle statue à son sujet, à moins que les parties au diffpérend ne
conviennent d’un autre mode de règlement. »

89. dans le présent arrêt (par. 140), la majorité des membres de la

Cour donne une interprétation particulièrement stricte et rigide dpe la
clause compromissoire : l’article 22 de la Convention subordonnerait la
compétence de la Cour aux procédures énoncées dans la Convenption
elle-même (partie II, art. 11-12), ainsi qu’à la tenue de négociations préa -

123
voir à ce propos mon intervention, le 12 mars 1986, dans le débat de la co-fé
rence de vienne sur le droit des traités entre Etats et organisations internatiponales ou entre
organisations internationales : Nations Unies, Conférence des Nations Unies sur le droit
des traités entre Etats et organisations internationales ou entre org▯anisations internationales
(Vienne, 1986), documents officiels, vol. I, New york, Nations Unies, 1995, p. 187-188 du
texte anglais (intervention de A. A. Cançado Trindade).

215282 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

before it may have recourse to this Court, is a particularly strict and p
rigorous one. It purports to establish rigid “preconditions”, rendering
access to this Court particularly difficult. This view, contrary to what the

Court’s majority tries to argue, in my understanding finds no supportp in
the Court’s own jurisprudence constante, nor in the legislative history of
the CERd Convention, and is in conflict with the approach recently
espoused by the Court itself in its Order of 15 October 2008 in the present
case concerning the Application of the International Convention on the

Elimination of All Forms of Racial Discrimination (cf. infra).

90. Six decades ago, in its Advisory Opinion on the Competence of the
General Assembly for the Admission of a State to the United Nations (of

3 march 1950), this Court deemed it necessary to recall that :
“the first duty of a tribunal which is called upon to interpret and apply

the provisions of a treaty, isto endeavour to give effect to them in thei124
natural and ordinary meaning in the context in which they occur” .

Only when the words, in their natural and ordinary meaning, were
“ambiguous” or were to “lead to an unreasonable result” — the ICJ
added — only then the Court was to resort to “other methods of interpre -

tation”, seeking to ascert125ing “what the parties really did meanp when
they used these words” .

91. Although the circumstances of the present case do not in my view
require such an exercise, given the importance of the principle ut res magis

valeat quam pereat (Section vI, supra) as well as the relationship of the
compromissory clause of Article 22 with the nature and substance of the
CERd Convention (Section v, supra), I shall in any case undertake it, in
order to substantiate further my dissenting position, as, in my under -

standing, neither the ordinary meaning of Article 22 nor its travaux
préparatoires support the Court’s majority position in the present Judg -
ment.

1. Ordinary Meaning of Article 22 of the CERD Convention

92. The Court’s majority position as to the ordinary meaning of Arti -
cle 22 of the CERd Convention, advanced in the earlier Order of 15 Octo-
ber 2008 in the present case, and relied upon in this respect on the genperal
rule of interpretation of Article 31 (1) of the 1969 vienna Convention on

the Law of the Treaties, was quite clear. The Court then stated that :
“the phrase ‘any dispute (. . .) which is not settled by negotiation or

by the procedure expressly provided for in this Convention’ does

124I.C.J. Reports 1950, p. 8 (emphasis added).
125Ibid., p. 8.

216 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 2)82

lables, comme « conditions préalables » devant être remplies par un Etat
partie avant toute saisine. Cette interprétation vise à établirp des « condi-
tions préalables » rigides rendant l’accès à la Cour particulièrement diffip-

cile. Contrairement à ce que la majorité des membres de la Cour tepnte de
faire valoir, elle n’est à mon avis aucunement étayée, ni par la jurispru -
dence constante de la Cour elle-même, ni par la genèse de la CIEdR, et
elle est contradictoire avec la décision récente de la Cour elle-même dans
son ordonnance du 15 octobre 2008 en la présente affaire, concernant

l’Application de la convention internationale sur l’élimination de t▯outes les
formes de discrimination raciale (voir ci-dessous).
90. Il y a soixante ans, dans son avis consultatif sur la Compétence de
l’Assemblée générale pour l’admission d’un Etat aux Na▯tions Unies (du

3 mars 1950), la présente Cour a jugé nécessaire de rappeler que :
«le premier devoir d’un tribunal, appelé à interpréter et àp appliquer

les dispositions d’un traité, est de s’efforcer de donner effet, selon
leurs sens naturel et ordinaire, à ces dispositions prises dans leur
contexte » 12.

Si les mots, lorsqu’on leur attribuait leur signification naturelle ept ordi-
naire, étaient équivoques ou conduisaient à des résultats dépraisonnables
— ajoutait la Cour —, c’était alors, et alors seulement, que la Cour devait

rechercher « par d’autres méthodes d’interprétation ce que les parties
avaient en réalité dans l’esprit quand elles se sont servies deps mots dont il
s’agissait »125.
91. A mon avis, les circonstances de la présente affaire n’exigent ppas
pareille procédure, mais, étant donné l’importance du princippe ut res

magis valeat quam pereat (section vI, ci-dessus) et les rapports de la clause
compromissoire énoncée à l’article 22 avec la nature et le fond de la
CIEdR (section v, ci-dessus), j’en userai quand même afin d’asseoir plus
solidement mon opinion dissidente, car, à mon avis, ni le sens ordinapire

de l’article 22 ni ses travaux préparatoires n’étayent les vues de la majo -
rité des membres de la Cour dans le présent arrêt.

1. Sens ordinaire de l’article 22 de la CIEDR

92. La position majoritaire quant au sens ordinaire de l’article 22 de la
CIEdR, exprimée dans l’ordonnance du 15 novembre 2008 en la présente
affaire, et qui reposait sur la règle générale d’interpréptation énoncée au
paragraphe 1 de l’article 31 de la convention de vienne de 1969 sur le

droit des traités, était très claire. voici ce que disait la Cour :
«la formule « [t]out différend … qui n’aura pas été réglé par voie de

négociation ou au moyen des procédures expressément prévues » par

124C.I.J. Recueil 1950, p. 8 (les italiques sont de moi).
125Ibid., p. 8.

216283 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

not, on its plain meaning, suggest that formal negotiations in the
framework of the Convention or recourse to the procedure referred
to in Article 22 thereof constitute preconditions to be fulfilled before
the seisin of the Court” (I.C.J. Reports 2008, p. 388, para. 114).

Such plain meaning of the text of Article 22 of the CERd Convention, as
acknowledged by the Court itself, is further confirmed by the context, aps

well as the object and purpose of the CERd Convention. It is, further -
more, in harmony with the Court’s jurisprudence constante on the matter.
For reasons which escape my comprehension, the Court’s majority
reverted its position in the present Judgment, into a diametrically oppopsed
one (cf. item 3 infra, paras. 110-118).

93. In effect, Article 22 is located in part III of the CERd Convention,
dealing with the settlement of disputes concerning the interpretation anpd
application of the Convention as a whole. Article 11, located in part II of
the CERd Convention, establishes a special complaints procedure, which
is not mandatory. The location of Article 22 in a part of the Convention
distinct from that which governs the functioning of the Committee

(part II) is thus not without relevance, and should not pass unnoticed. A
brief analysis of the special complaints procedure contained in Article 11
of the CERd Convention indicates that Article 22 of the CERd Conven -
tion is not to be read as requiring prior “exhaustion” of the procedures
set forth in Articles 11 and 12 of the CERd Convention, as an alleged

“precondition” to the Court’s jurisdiction.
94. It may be recalled that Article 11 (1) of the CERd Convention
establishes a distinct procedure that allows a State party to bring to tphe
attention of the CERd Committee its concerns as to acts or omissions of
another State party. The language provides that a State party “may”p (not
“shall”) invoke this procedure if it wishes to do so ; this makes it clear

that it is not required to refer to this procedure for any further purpopse.
The language is clearly not mandatory, and this is not the only indication
to this effect.

95. It is noteworthy, moreover, that Article 11 (2) of the CERd Con -

vention, which deals with the right to return to the CERd Committee “if
the matter is not adjusted”, is subject to two procedural conditions,p
namely :(a) the right must be exercised within six months from the receipt
by the receiving State of the initial communication to the Committee; and
(b) the Committee must have determined that the matter has not been
adjusted to the satisfaction of both parties, either by bilateral negotia -

tions or by any other procedure open to them. In case these two condi -
tions were not met, the State concerned could not go back to the
CERd Committee.
96. This confirms that, when the draftsmen of the CERd Convention
considered it necessary to establish a procedural condition, they clearlpy

did so, leaving no margin or room for further interpretation or doubts. pIf

217 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 283

la Convention, prise dans son sens naturel, ne donne pas à penser
que la tenue de négociations formelles au titre de la Convention ou
le recours aux procédures visées à l’article 22 constituent des condi -
tions préalables auxquelles il doit être satisfait avant toute saipsine de
la Cour» (C.I.J. Recueil 2008, p. 388, par. 114).

Le sens naturel du texte de l’article 22 de la Convention, comme la Cour
le reconnaît elle-même, est encore confirmé par le contexte, ainsi que par

l’objet et le but de la CIEdR. Il est en outre en harmonie avec la jurispru -
dence constante de la Cour sur la question. pour des raisons qui échappent
à mon entendement, la majorité de la Cour est revenue sur sa positpion
dans le présent arrêt et en a adopté une autre qui lui est diampétralement
opposée (voir point 3 ci-dessous, par. 110-118).

93. En effet, l’article 22 se trouve dans la partie III de la Convention,
qui traite du règlement des différends touchant l’interpréptation et l’appli -
cation de la Convention dans son ensemble. L’article 11, qui se trouve
dans la partie II, établit une procédure de plainte spéciale qui n’est pas
obligatoire. Si l’article 22 figure dans une partie de la Convention dis -
tincte de celle qui régit le fonctionnement du Comité (partie II), ce n’est

donc pas le fait du hasard et ne devrait pas passer inaperçu. Une brèpve
analyse de la procédure de plainte spéciale énoncée à l’particle 11 de la
CIEdR montre que l’article 22 ne doit pas être interprété comme exi -
geant l’« épuisement» préalable des procédures prévues aux articles 11
et 12 de la Convention, en tant que « condition préalable » à la compé -

tence de la Cour.
94. On se souvient peut-être que le paragraphe 1 de l’article 11 de la
CIEdR établit une procédure distincte permettant à un Etat partie d’ap -
peler l’attention du Comité pour l’élimination de la discrimpination raciale
sur les actes ou omissions d’un autre Etat partie. Il est dit dans cept article
qu’un Etat partie « peut» appeler l’attention du Comité (et non qu’il

appelle l’attention du Comité) s’il le souhaite ; cela montre bien que l’Etat
partie n’est pas dans l’obligation d’avoir recours à cette pprocédure à des
fins ultérieures. Le texte n’a rien d’impératif, et ce n’pest pas là la seule
indication dans ce sens.
95. de plus, il est intéressant de noter que, en son paragraphe 2, l’ar

ticle 11 de la Convention, qui traite du droit de soumettre à nouveau la
question au Comité « si [elle] n’est pas réglée », énonce deux conditions de
procédure, à savoir : a) ce droit doit être exercé dans un délai de six mois
à compter de la date de réception de la communication originale dup
Comité par l’Etat destinataire ; et b) le Comité doit avoir déterminé que
la question n’est pas réglée à la satisfaction des deux Etatps, par voie de

négociations bilatérales ou par toute autre procédure qui seraipt à leur dis -
position. Si ces deux conditions n’ont pas été réunies, l’pEtat concerné ne
peut saisir à nouveau le Comité de la question.
96. Cela confirme que, lorsque les rédacteurs de la CIEdR ont jugé
nécessaire d’élaborer une condition de procédure, ils l’opnt manifestement

fait sans laisser la moindre place à une autre interprétation ou apu doute.

217284 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

no such condition was clearly set forth, it could not at all be simply
inferred, as that would not be in conformity with the nature and sub -
stance of the CERd Convention, a victim-oriented human rights treaty,

and would clearly militate against the fulfilment of its object and purppose.
This discloses the ordinary meaning of Article 22 of the CERd Conven -
tion.

2. Travaux préparatoires of Article 22 of the CERD Convention

97. The drafting of the CERd Convention was accomplished, in a

relatively short time (1964-1965), as a result of the collaboration beptween
the [former] Sub-Commission on prevention of discrimination and pro -
tection of minorities, the [former] Commission on Human Rights, and

the III Committee of the general Assembly. At an early stage of the
debates in the Sub-Commission, the key issue of implementation was the
provision for a reporting mechanism by the draft Convention, as the

main measure envisaged by the draftsmen. As a supplementary choice for
States parties, the draft Convention contemplated the establishment of ap
Fact-Finding and Conciliation Committee to assist interested States

parties in seeking friendly settlement of disp126s concerning the interppre -
tation or application of the Convention . These other means for States
parties to reach friendly settlement were additional measures of
implementation which would help to render the draft Convention “more p
127
effective” .
98. No discussion took place on measures of implementation at the
Commission on Human Rights 12. In turn, discussions were held at the

III Committee of the general Assembly, focusing on the innovative meas-
ures of implementation, and more particularly on the right of individualp
petition, one of the most debated issues of the entire CERd Convention.

126This resulted from the proposal of the delegate of the philippines (mr. Inglés), at
the 427th meeting of the Sub-Commission. He considered that the settlemepnt of disputes

involving human rights did not always lend itself to strictly judicial pprocedure (reporting
mechanism), and, aiming at the facilitation of the implementation of thpe Convention, the
possibility of friendly settlement of disputes was proposed (Conciliatipon Committee), as
an alternative means of implementation ; cf. UN doc. E/CN.4/Sub.2/SR.427, pp. 11-17 ;
UN Economic and Social Council [ECOSOC], Draft International Convention on the Elimi-
nation of All Forms of Racial Discrimination — Proposed Measures of I▯mplementation
(mr. Inglés), UN doc. E/CN.4/Sub.2/L.321 of 17 January 1964, p. 1.
127UN/Commission on Human Rights, Report on the 20th session (17 February-
18 march1964), ECOSOC Official Records — 37th session, Supplement No.8, doc.E/3873,
p. 10, para. 18 ; UN/Sub-Commission on prevention of discrimination and protection

of minorities, Report of the 16th Session (13-31 January 1964), UN doc. E/CN.4/873,
pp. 51-57.

128Cf. UN/Commission on Human Rights, Report on the 20th session, (17 February-
18 march 1964), ECOSOC Official Records — 37th Session, Supplement No. 8,
doc. E/3873, pp. 66-67.

218 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 284

puisqu’une condition de cette nature n’a pas été clairement épnoncée, elle
ne saurait résulter d’une déduction, étant donné qu’elple ne serait pas

conforme à la nature et au fond de la Convention, instrument des droipts
de l’homme orienté vers les victimes, et qu’elle empêcheraitp manifeste -
ment la réalisation de son objet et de son but. Cela montre bien le spens

ordinaire de l’article 22 de la CIEdR.

2. Travaux préparatoires de l’article 22 de la CIEDR

97. La CIEdR a été rédigée en relativement peu de temps (1964-1965),
grâce à la collaboration de l’ex-sous-commission de la lutte contre les

mesures discriminatoires et de la protection des minorités, l’ex-Commis -
sion des droits de l’homme et la Troisième Commission de l’Assemblée

générale. dès le début des débats à la sous-commission, la principale
mesure envisagée par les rédacteurs dans le domaine essentiel de lpa mise
en œuvre fut une disposition prévoyant l’établissement de rappports.

Le projet de convention offrait un choix supplémentaire aux Etats partpies,
à savoir la création d’un comité d’enquête et de concipliation chargé d’aider
les Etats parties intéressés à régler à l’amiable les différends tou-
126
chant l’interprétation ou l’application de la Convention . Ces moyens
de règlement à l’amiable mis à la disposition des Etats parties étaient
d’autres mesures d’application qui «renforceraient l’efficacité du projet de
127
convention » .

98. La Commission des droits de l’homme n’a pas débattu des mesuresp
d’application 128. des débats ont alors eu lieu à la Troisième Commission
de l’Assemblée générale, qui portaient essentiellement sur dpes mesures

d’application novatrices, et plus particulièrement sur le droit dep recours
individuel, l’une des questions les plus discutées dans tout l’pexamen

126 Cette proposition venait du représentant des philippines (m. Inglés), à la 427 séance
de la sous-commission. Considérant que le règlement des différends relatpifs aux droits de
l’homme ne se prêtait pas toujours à une procédure strictemepnt judiciaire (mécanisme de

rapports), et pour faciliter l’application de la Convention, celui-ci a proposé la pos-ibi
lité d’un règlement à l’amiable des différends (compité de conciliation) comme autre moyen
d’application ; voir Nations Unies, doc. E/CN.4/Sub.2/SR.427, p. 12-14 ; Nations Unies,
Conseil économique et social, Projet de convention internationale sur l’élimination de toutes
les formes de discrimination raciale — Mesures proposées de mise e▯n œuvre (m. Inglés),
Nations Unies, doc. E/CN.4/Sub.2/L.321 du 17 janvier 1964, p. 1.
127 Nations Unies, Commission des droits de l’homme, Rapport sur les travaux de

la vingtième session (17 février-18 mars 1964), Conseiloéconomique et social, Docu -
ments officiels — trente-septième session, supplément n 8, doc. E/3873, p. 10 (du texte
anglais), par. 18 ; Nations Unies, sous-commission de la lutte contre les mesures discri
minatoires et de la protection des minorités, Rapport sur les travaux de la seizième session
(13-31 janvier 1964), Nations Unies, doc. E/CN.4/873, p. 51-57 (du texte anglais).
128 voir Nations Unies, Commission des droits de l’homme, Rapport sur les travaux
de la vingtième session (17 février-18 mars 1964), Conseil économique et social, Docu-
o
ments officiels — trente-septième session, supplément n8, doc. E/3873, p. 66-67 (du texte
anglais).

218285 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

No reference to the conditions of exercise of jurisdiction by the ICJ orp the

eventual relationship between the latter and the CERd Convention’s spe-
cial procedures can be inferred from the records of the III Committee.
Solely the question of whether States could access unilaterally to the IpCJ
129 130
(philippine proposal , as well as interventions by the Canadian , Ital-
ian 131and Belgian 132 delegates) or whether common consent of the rele -

vant States was needed to bring disputes arising out of the CERd
Convention (ghana’s proposal 13, and polish amendment 134 supported
by Ukrania 135, USSR 136and Tanzania 137) was discussed.

99. The Officers of the III Committee submitted a draft clause vIII on

settlement of disputes (among the final clauses of the draft Conventionp)
on 15 October 1965 138, and, at last, the III Committee also considered a
“Three-power amendment” submitted by ghana, mauritania and the

philippines, pertaining to the procedures referred to in the draft Convenp -
tion 139(as presented by ghana 14). The focus of the delegates and drafts -

men seemed to be on the implementation measures already contained in
the draft Convention, rather than on the role of the ICJ and the circum -
stances of its seizure. Those last proposals were adopted without in-deppth

discussions on this subject.

100. States did not devote to these last proposals the attention they
required (in so far as the issue of the seizure of the ICJ is concernedp),
before they became Article 22 of the CERd Convention, as it stands

now. The Court’s majority itself concedes, in the present Judgment
(para. 142) in the case concerning the Application of the International

Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination, that

129
UN/g.A., Proposal by the Philippines : Proposed Articles relating to Measures of
Implementation, UN doc. A/C.3/L.1221, of 11 October 1965, pp. 1ss.

130UN/g.A. III Committee, Summary Record of the 1367th Meeting, UN doc. A/C.3/

SR.1317, p. 453, para. 25.
Ibid., p. 454, para. 39.
132Ibid., p. 454, para. 40.
133UN/g.A., Proposal by Ghana : Revised Amendments to document A/C.3/L.1221, of
12 November 1965, pp. 1ss.
134UN/g.A., Poland: Amendments to the Suggestions for Final Clauses Submitted by

the Officers of the III Committee, UN doc. A/C.3/L.1237, of 15 October 1965, pp. 1ss.

135Op. cit. supra note 130, p. 453, para. 27.
136Ibid., p. 454, para. 33.
137Ibid., p. 454, para. 36.
138UN/g.A., Suggestions for Final Clauses Submitted by the Officers of the

III Committee, UN doc. A/C.3/L.1237, of 15 October 1965, pp. 1ss.

139UN doc A/C.3/L.1313, in UN/g.A., XXth Session — Official Records, Annexes :
Report of the III Committee, UN doc. A/6181, of 18 december 1965, pp. 1ss.

140Op. cit. supra note 130, p. 453, para. 29.

219 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade )85

de la Convention. Les comptes rendus de la Troisième Commission ne

contiennent aucune référence aux conditions dans lesquelles la Coupr
devrait exercer sa compétence ou à leurs rapports avec les procépdures spé -
ciales énoncées dans la CIEdR. La seule question examinée a été celle de

savoir si les Etats pouvaient adhérer unilatéralement à la Cour (proposi -
tion des philippines 129et interventions des représentants du Canada 130,
131 132
de l’Italie et de la Belgique ), ou si le consentement commun des
Etats concernés était nécessaire pour saisir la Cour de difféprends touchant
à la Convention (proposition du ghana 133et amendement de la pologne 134
135 136 137
appuyé par l’Ukraine , l’URSS et la Tanzanie ).
99. Le bureau de la Troisième Commission présenta un projet de

clause vIII sur le règlement des différends (parmi les clauses finales pdu
projet de convention) le 15 octobre 1965 138et, finalement, la Troisième
Commission examina aussi un « amendement des trois puissances » pré -

senté par le ghana, la mauritanie et les philippines, concernant les procé-
dures énoncées dans le projet de convention 139 (tel que présenté par le
140
ghana) . Les délégués et les rédacteurs du texte semblaient se prépoccu-
per surtout des mesures d’application déjà prévues dans le pprojet de
convention, et non du rôle de la Cour et des conditions de sa saisinep. Ces

dernières propositions furent adoptées sans qu’il y ait eu de dpiscussion
approfondie à leur sujet.

100. Les Etats n’ont pas consacré toute l’attention voulue à ces der -
nières propositions (pour ce qui concerne la question de la saisine de la
Cour), avant qu’elles deviennent l’article 22 de la CIEdR sous sa forme

actuelle. La majorité de la Cour elle-même concède dans le présent arrêt
(par. 142), relatif à l’Application de la convention internationale sur l’élimi -

nation de toutes les formes de discrimination raciale, que la discussion

129
Assemblée générale des Nations Unies, Proposition des Philippines : projet d’ar -
ticles concernant les mesures de mise en œuvre, Nations Unies, doc. A/C.3/L.1221 du
11 octobre 1965, p. 1 et suiv.
130 Assemblée générale des Nations Unies, Troisième Commission, Compte rendu
e
ana131ique de la 1367 séance, Nations Unies, doc. A/C.3/SR.1367, p. 485, par. 25.
Ibid., p. 486, par. 39.
132 Ibid., p. 487, par. 40.
133 Assemblée générale des Nations Unies, Proposition du Ghana : amendements révisés
au document A/C.3/L.1221, du 12 novembre 1965, p. 1 et suiv.
134 Assemblée générale des Nations Unies, Pologne : amendements aux suggestions rela-

tives aux clauses finales présentées par le bureau de la Troisiè▯me Commission, Nations Unies,
doc. A/C.3/L.1237 du 15 octobre 1965, p. 1 et suiv.
135 Op. cit. supra note 130, p. 485, par. 27.
136 Ibid., p. 486, par. 33.
137 Ibid., p. 486, par. 36.
138 Assemblée générale des Nations Unies, Suggestions relatives aux clauses finales

présentées par les membres du bureau de la Troisième Commission▯, Nations Unies,
doc. A/C.3/L.1237 du 15 octobre 1965, p. 1 et suiv.
139 Nations Unies, doc. A/C.3/L.1313, dans Assemblée générale des Nations Unies,
Documents officiels — vingtième session, annexes : Rapport de la Troisième Commission,
Nations Unies, doc. A/6181 du 18 décembre 1965, p. 1 et suiv.
140 Op. cit. supra note 130, p. 485, par. 29.

219286 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

there was very little and unsatisfactory discussion of what was to becompe
Article 22 of the CERd Convention. Its recorded legislative history con -
tains no indication of a mens legis to the effect of subordinating the ICJ

jurisdiction to the satisfaction of mandatory “preconditions”.

101. I find it surprising, if not extraordinary, that the Court’s majorityp,
having admitted this, then moved on to its “conclusion” (para. 142),
looking rather like a prêt-à-porter, that Article 22 of the CERd Conven -

tion “imposes preconditions” to be complied with (para. 148), before a
State could refer a dispute to the ICJ thereunder. The fact is that therpe is
no conclusive indication to that effect in the travaux préparatoires of the
CERd Convention, nor is there any statement as to the existence of a

resolutory obligation incumbent upon States parties, to do all they can pto
settle their disputes previously by negotiation, before they can seize the
ICJ. Resort to negotiation was generally referred to as a factual effort or
attempt only, rather than as a resolutory obligation.

102. The very fact that proceedings were instituted before the ICJ
militates strongly against the assumption or conclusion that the disputep
could have been resolved by prior negotiations between the contending

parties. In the aforementioned discussions of the III Committee on the
last proposals for the draft final clause vIII of the draft Convention
(which led to Article 22 of CERd Convention), the delegate of Canada
(R. St. John macdonald), for example, stated that :

“Any party to a dispute over the interpretation or application of
the Convention should be able to bring the matter before the Court,

for the Convention was being prepared under United Nations aus -
pices and the Court was the Organization’s principal juridical organ.
moreover, clause vIII allowed parties to a dispute considerable lati -
tude.” 141

drawing attention to “the flexibility of the Article’s terms”,p he added that
his delegation “hoped” that : “it would be possible to confer in advance
on the Court a measure of jurisdiction in regard to matters connected
142
with the Convention” .
103. On his turn, the Representative of Italy (F. Capotorti) began by
observing that international law allowed for consent to be given for subp -
mission of a dispute to the Court either “by any or by all the partieps”, and

either “upon ratification of the Convention” or “when a particuplar dis -
pute arose”. He warned that “[c]onsent of States would be much morpe
difficult to obtain when a dispute already existed than when the Convenp -
tion was opened for signature”. His position was, thus, that :

141Op. cit. supra note 130, p. 453, para. 25.
142Ibid., p. 453, paras. 25 and 28.

220 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 286

sur ce qui devait devenir l’article 22 de la Convention fut brève et peu
satisfaisante. L’histoire législative de la CIEdR ne contient aucune
indication demens legis tendant à subordonner la compétence de la Cour

internationale à la satisfaction de « conditions préalables » à caractère
obligatoire.
101. Il me paraît surprenant, pour ne pas dire extraordinaire, que la
majorité de la Cour, en connaissance de cause, parvienne ensuite à la
«conclusion» (par. 142) — relevant du prêt-à-porter — que l’article 22 de

la CIEdR «impose des conditions préalables » qui doivent être satisfaites
(par. 148) avant qu’un Etat puisse saisir la Cour d’un différend. Le fait
est qu’il n’y a ni indication probante à cet effet dans les travapux prépara -
toires de la Convention, ni la moindre déclaration quant à l’expistence

d’une obligation catégorique incombant à tous les Etats partiesp de faire
tout ce qui est en leur pouvoir pour régler leurs différends parp voie de
négociation, avant même de saisir la Cour. Le recours à la népgociation
n’était généralement évoqué que d’une manière factuelle, commep
un effort ou une tentative par exemple, et non comme une obligation

catégorique.
102. Le fait même que la Cour a été saisie milite fortement contre lp’hy -
pothèse ou la conclusion selon laquelle le différend aurait pu être réglé
par voie de négociations préalables entre les parties. dans les débats sus -

mentionnés de la Troisième Commission sur les dernières proposiptions
relatives au projet de clause finale vIII du projet de Convention (qui a
conduit à l’article 22 de la CIEdR), le représentant du Canada (R. St. John
macdonald), par exemple, déclara ce qui suit :

«Toute partie à un différend touchant l’interprétation ou lp’applica -
tion de la Convention devrait pouvoir porter l’affaire devant la Copur,

car la Convention a été préparée sous les auspices des Natiopns Unies
et la Cour est l’organe judiciaire principal des Nations Unies. d’ail -
leurs, la clause vIII laisse une grande latitude aux parties à un
différend.» 141

Appelant l’attention sur «la flexibilité des termes de l’article», le représen-
tant du Canada ajouta que sa délégation « espérait» qu’«il serait possible
de conférer à l’avance à la Cour une certaine juridiction enp ce qui concerne
142
les questions relatives à la Convention » .
103. A son tour, le représentant de l’Italie (F. Capotorti) commença
par relever qu’en vertu du droit international un différend pouvait être
soumis à la Cour avec le consentement soit « de l’une des parties, soit de

toutes», et soit « au moment de la ratification de la Convention », soit
«lorsque le différend survient ». Il fit observer qu’« il sera[it] beaucoup
plus difficile d’obtenir le consentement des Etats lorsqu’un diffpérend
exist[erait] qu’au moment où la Convention [serait] ouverte à lpa signa -
ture». A son avis :

141Op. cit. supra note 130, p. 485, par. 25.
142Ibid., p. 485, par. 25 et 28.

220287 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

“The Committee should adopt a practical approach and decide

which method was more in accord with the spirit of the Convention
and would ensure the most satisfactory settlement of disputes relating
to the Convention.” 143

104. The issue of State consent, in sum, could be raised, in his view, at
the appropriate moment, namely, upon ratification of the Convention,

and not subsequently, when a particular dispute arose. In the same dis -
cussions, the delegate of Trinidad and Tobago (mr. Ince) remarked, in
respect of the draft final clause vIII, that the draft CERd Convention
was “being drawn in a spirit of goodwill”, and one should thus “pfacilitate
144
reference of cases to the Court” . To the same effect, the delegate of
Belgium (mr. Cochaux) stated that :

“The Court was an important international organ whose role in
settling disputes connected with the present draft Convention — an
instrument created by the United Nations — should not be belit -
145
tled” .
105. The (amended) draft final clause vIII, which was to become Arti-

cle 22 of the CERd Convention, was then adopted, as a whole, by the
III Committee, by 70 votes to 9, with 8 abstentions 14. The language used
by some delegates, in the debates preceding its adoption, does not at alpl

imply or suggest that recourse to this Court was regarded as subordinated
to the other settlement procedures of the CERd Convention, or to any
“preconditions”. Shortly after that voting took place, the delegatpe of
ghana (mr. Lamptey), further to his previous statement (which the

Court’s majority saw it fit to single out in the present Judgment,
para. 142), added an interpretative declaration as to his position, to the
effect that his delegation had “accepted the compulsory jurisdiction of the
Court in the case of certain specific Conventions”, and that it attacphed
147
“much importance” to the CERd Convention .
106. I cannot thus detect on what basis did the Court’s majority, in the
present Judgment in the case concerning the Application of the Inter-

national Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimina▯ -
tion, reach its decision as to the ordinary meaning and scope of
Article 22 of the CERd Convention. The view of the Court’s majority
that the travaux préparatoires of the CERd Convention “do not suggest

a different conclusion from that at which the Court has already arrivepd
through the main method of ordinary meaning interpretation” (para. 147,
in fine) simply begs the question, and does not resist closer examination.
107. moreover, as we have just seen, there were clearly those, in the

drafting history of the CERd Convention, who were sensitive to the

143Op. cit. supra note 140, p. 454, para. 39.
144Ibid., pp. 454-455, para. 41.
145
146Ibid., p. 454, para. 40.
147Ibid., p. 455, para. 41.
Ibid., p. 455, para. 42.

221 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 287

«[L]a Commission devrait adopter une attitude pratique et décider

quelle méthode [serait] la plus conforme à l’esprit de la Convepntion
et assurera[it] le mieux le règlement des différends auxquels [lpa
Convention] pourrait donner lieu. » 143

104. En bref, le représentant de l’Italie était d’avis que la question du
consentement des Etats pouvait être soulevée au moment approprié, à

savoir au moment de la ratification de la Convention et non pas ultérpieure -
ment, lorsqu’un différend particulier surgissait. Au cours du même débat, le
représentant de la Trinité-et-Tobago (m. Ince) fit observer au sujet du pro -
jet de clause finale vIII « qu’un esprit de bonne volonté » présidait à l’éla-

boration144 projet de CIEdR et qu’il fallait donc « faciliter le renvoi à la
Cour » . de même, pour le délégué de la Belgique (m. Cochaux):

«La Cour [était] un organe international important dont le rôle
dans le règlement des différends se rapportant au présent projet de
Convention — un instrument créé par l’Organisation des Natiopns
145
Unies — ne [devait] pas être amoindri. »
105. Le projet (modifié) de clause finale vIII, qui devait devenir l’ar -

ticle 22 de la Convention, fut ensuite adopté dans son ensemble par la
Troisième Commission, par soixante-dix voix contre neuf, avec huit abs -
tentions 146. Les déclarations de certains représentants au cours du débat p

qui précéda le vote n’impliquent en rien ni ne donnent à penpser que la
saisine de la Cour était considérée comme dépendant des autrpes procé -
dures de règlement prévues dans la Convention ou de toute « condition
préalable». peu après le vote, le représentant du ghana (m. Lamptey),

qui avait déjà fait une déclaration (que la majorité de la pCour a jugé bon
de mettre en évidence dans le présent arrêt, par. 142), ajouta une déclara -
tion interprétative selon laquelle sa délégation « accept[ait] la juridiction
obligatoire de la Cour dans le cas de certaines conventions » et attachait
147
une «grande importance» à la CIEdR .
106. dans le présent arrêt en l’affaire de l’Application de la convention
internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimin▯ation

raciale, je ne vois donc pas sur quelle base la majorité de la Cour est arri -
vée à sa décision au sujet du sens ordinaire et de la portéep de l’article 22
de la Convention. Son avis selon lequel les travaux préparatoires de pla
Convention « ne suggèrent … pas une conclusion différente de celle à

laquelle [la Cour] est parvenue par la méthode principale de l’intperpréta -
tion selon le sens ordinaire » (fin du paragraphe 147) élude tout simple -
ment la question et ne résiste pas à un examen plus poussé.
107. de plus, comme nous venons de le voir, certains rédacteurs de la

Convention souhaitaient manifestement que le texte tienne compte des

143Op. cit. supra note 130, p. 486, par. 39.
144Ibid., p. 487, par. 41.
145
146Ibid., p. 487, par. 40.
147Ibid., p. 487, par. 41.
Ibid., p. 487, par. 42.

221288 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

regulation of social relations under the CERd Convention, and who
favoured possible recourse to the ICJ 148without “preconditions”. In my

perception, in the present Judgment on preliminary objections, the posi -
tion of the Court’s majority as to Article 22 of the CERd Convention
does not stand.
108. The “conclusion” drawn by the Court’s majority is not, in my
perception, supported or “confirmed” by an attentive analysis of tphe

travaux préparatoires of the CERd Convention. The so-called “precondi -
tions” in Article 22, allegedly to be fulfilled prior to the recourse to the
ICJ, are rather, in my perception, newly-proposed — if not imposed —p
obstacles to the fulfilment of the object and purpose of the CERd Con -

vention, which, furthermore, fail to take in due account the nature and p
substance of the CERd Convention, a core human rights treaty of con -
siderable importance in the history of the United Nations itself. In my p
understanding they are, in sum, unwarranted obstacles to access to justipce

at international level.
109. The whole construction of the present Judgment of the Court in
respect of the second preliminary objection does not seem to rest on a
sound reasoning, and appears to me without foundation. Article 22 does

not use any conditional language (“if”) in its wording. It limitps itself to
stating that a dispute which is not settled by negotiation or by the prop-
cedures expressly provided for in CERd, shall be referred to the ICJ
for decision. It is a statement of pure verification of facts, and nowhere ips

there a “precondition” implied or suggested in its wording, and ceprtainly
not in its spirit.

3. The Previous Pronouncement by the Court on Article 22 of the CERD

Convention : venire Contra Factum/dictum proprium Non valet

110. We have seen that Article 22 of the CERd Convention stipulates
that a State party may unilaterally refer a dispute to the Court if thatp
dispute “is not settled by negotiation”, but this does not establipsh any
express obligation, in the form of a “precondition”, to engage in psuch

negotiation. As already noted by the ICJ itself, in its recent Order on
provisional measures (of 15 October 2008), these words describe a state
of fact, so that the function of the Court is limited to determining whepther
the dispute is not settled. In the same paragraph where the Court statedp

148
Suffice it to recall here the positions taken by two learned jurists, Rponald St. John
macdonald and Francesco Capotorti (cf. supra). years later, the former drew attention to
the evolving teleological interpretation of the UN Charter itself, whilst the latter singled
out judicial settlement (including recourse to the ICJ) as the best mepans to resolve disputes
pertaining to the safeguard of human rights. Cf., respectively : R. St. John macdonald, “A
Short Note on the Interpretation of the Charter of the United Nations byp the International
Court of Justice”, in Liber Amicorum Judge S. Oda (eds. N. Ando et alii), The Hague,
Kluwer, 2002, p. 182 ; F. Capotorti, “Cours général de droit international public”, 24p8
Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye (1994), p. 107.

222 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 288

relations sociales et étaient favorables à la possibilité de sapisir la Cour 148
sans «condition préalable». Je suis d’avis que, dans le présent arrêt sur les

exceptions préliminaires, l’interprétation que la majorité dpes membres de
la Cour donne de l’article 22 de la CIEdR ne tient pas.

108. La « conclusion» à laquelle est parvenue la majorité de la Cour

n’est pas, à mon sens, appuyée ou « confirmée» par une analyse attentive
des travaux préparatoires de la Convention. Les « conditions préalables»
énoncées à l’article 22 et qui devraient être remplies avant la saisine de
la Cour ne sont à mon avis que des obstacles nouvellement proposés

— voire imposés — à la réalisation de l’objet et du but de la Convention
qui, de plus, ne tiennent pas compte de la nature et du fond de la
CIEdR, instrument fondamental de défense des droits de l’homme qui
revêt une importance considérable dans l’histoire des Nations Unies

elles-mêmes. En bref, ce sont à mon avis des obstacles injustifiés àp l’accès
à la justice au niveau international.
109. Rien dans la structure du présent arrêt de la Cour relatif à lap
deuxième exception préliminaire ne semble reposer sur un raisonnempent

solide et ne paraît fondé. L’article 22 ne contient pas de conditionnel
(«si»). Il se borne à indiquer que tout différend qui n’aura ppas été réglé
par voie de négociation ou au moyen des procédures expressémentp pré -
vues par la Convention sera porté devant la Cour pour qu’elle statue à

son sujet. Ces termes expriment simplement des faits et il n’est quesption
nulle part, pas même implicitement, d’une « condition préalable» dans la
lettre et à plus forte raison dans l’esprit de la Convention.

3. La décision antérieure de la Cour sur l’article 22 de la CIEDR :
venire contra factum/dictum proprium non valet

110. Nous avons vu que l’article 22 de la CIEdR dispose qu’un Etat

partie peut unilatéralement porter devant la Cour un différend qui «n’aura
pas été réglé par voie de négociation », ce qui n’établit pas une obligation
expresse, sous la forme d’une « condition préalable » d’engager de telles
négociations. Comme l’a déjà noté la Cour elle-même, dans sa récente

ordonnance en indication de mesures conservatoires (du 15 octobre 2008),
ces mots traduisent un état de fait, de sorte que le rôle de la Copur se limite
à déterminer si le différend est ou non réglé. dans le paragraphe où cette

148Il suffit de rappeler ici la position de deux juristes éminents, Ronpald St. John mac -
donald et Francesco Capotorti (voir ci-dessus). des années plus tard, le premier a appelé
l’attention sur l’évolution de l’interprétation télépologique de la Charte des Nations Unies

elle-même, tandis que le second voyait dans le règlement judiciaire (yp compris la saisine de
la Cour) le meilleur moyen de régler les différends touchant àp la protection des droits de
l’homme. voir, respectivement : R. St. John macdonald, « A Short Note on the Interpre -
tation of the Charter of the United Nations by the International Court of Justice », dans
Liber Amicorum Judge S. Oda (dir. publ., N. Ando et al.), La Haye, Kluwer, 2002, p. 182 ;
F. Capotorti, « Cours général de droit international public », Recueil des cours de l’Aca -
démie de droit international de La Haye, vol. 248 (1994), p. 107.

222289 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

that no precondition was needed, the Court added that “Article 22 does
suggest that some attempt should have been made by the Claimant party

to initiate, with the Respondent party, discussions on issues that would
fall under CERd” (I.C.J. Reports 2008, p. 388, para. 114).

111. However, these negotiations do not constitute a formal requirement

for the Court to exercise its jurisdiction. This approach can also be inpferred
from the Court’s longstanding practice, and there is no reason to depart
from it, as that would create juridical uncertainty, in the understandinpg of
States, as to the circumstances in which the Court would exercise its jupris -

diction. Of particular importance is the Court’s judgment in the case of
Military and Paramilitary Activities in and against Nicaragua(Nicaraguav.
United States) (Jurisdiction and Admissibility, Judgment, I.C.J. Reports
1984), where the Court ruled that, since there had in fact been no settlement

of the dispute between the parties, the requirements of the compromissorpy
clause (Article xxxIv (2) of the 1956 Treaty of Friendship, Commerce
and Navigation) were satisfied, since the dispute was clearly one whichp was
not satisfactorily adjusted by diplomatic means (cf. infra).

112. In sum, and as the Court held in its Order on provisional mea -
sures of 15 October 2008 in the present case concerning the Application of
the International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Dis -
crimination, Article 22 of the CERd Convention does not, on its plain

meaning, suggest that formal negotiations in the framework of the CERd
Convention or recourse to the procedure referred to in Article 22 thereof
constitute “preconditions” to be fulfilled before the seisin of thpe Court
(I.C.J. Reports 2008, p. 388, para. 114). This was the timely clarification

made by the Court in its Order of 15 October 2008, which now, in the
present Judgment, was incomprehensibly made dead letter by the Court
itself (Judgment, para. 129), which thus ran against and deconstructed its

own res interpretata.
113. It is widely known that, in international legal procedure, once a
contending party has asserted a position as to a given issue before an
international tribunal, it can no longer attempt to avail itself of an oprien -
149
tation to the opposite sense (as warned by international case law itself ) :
allegans contraria non audiendus est. This basic principle of procedural
law is valid for countries of droit civil (by virtue of the doctrine going
back to classic Roman law, venire contra factum proprium non valet,

developed on the basis of considerations of equity, aequitas) as well as for 150
countries of common law (by virtue of the institution of estoppel ,
proper of the Anglo-Saxon juridical tradition). In any case, it could npot

149
Cf., e.g., Ch. de visscher, De l’équité dans le règlement arbitral ou judiciaire des
lit150s de droit international public, paris, pedone, 1972, pp. 49-52.
Cf., inter alia, e.g., Ian Sinclair, “Estoppel and Acquiescence”, in Fifty Years of the
International Court of Justice — Essays in Honour of R. T. Jennings (eds. v. Lowe and
m. Fitzmaurice), Cambridge University press, 1996, pp. 104-120 ; Ch. vallée, “Quelques
observations sur l’estoppel en droit des gens”, Revue générale de droit international
public (1973), pp. 949-999.

223 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 2)89

dernière indique qu’il n’y a pas de condition préalable àp satisfaire, elle
ajoute «l’article 22 donne en revanche à penser que la partie demanderesse

doit avoir tenté d’engager, avec la partie défenderesse, des discussions sur
des questions pouvant relever de la CIEdR » (C.I.J. Recueil 2008, p. 388,
par. 114).
111. Toutefois, ces négociations ne constituent pas une obligation for -

melle avant toute saisine de la Cour. C’est aussi ce qui ressort de lpa pratique
traditionnelle de la Cour, et rien ne justifie qu’elle s’en écaprte car il en résul -
terait une incertitude juridique dans l’esprit des Etats quant aux circons -
tances dans lesquelles la Cour exerce sa compétence. L’arrêt dep la Cour en

l’affaire Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci
(Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique) (compétence et recevabilité, arrêt,
C.I.J. Recueil 1984) revêt une importance particulière: la Cour y a conclu
que, aucun règlement de différend n’étant effectivement pintervenu entre les

parties, les conditions posées dans la clause compromissoire (articlpe xxIv,
paragraphe 2, du traité d’amitié, de commerce et de navigation de 1956)
étaient remplies puisqu’il était clair que ce différend ne pourrait être réglé
d’une manière satisfaisante par la voie diplomatique (voir ci-dessous).

112. En bref, et comme la Cour l’a décidé dans son ordonnance en
indication de mesures conservatoires du 15 octobre 2008 en la présente
affaire relative à l’Application de la convention internationale sur l’élimina -
tion de toutes les formes de discrimination raciale, l’article 22 de la CIEdR,

pris dans son sens naturel, ne donne pas à penser que la tenue de népgocia -
tions formelles au titre de la CIEdR ou le recours aux procédures visées
à l’article 22 constituent « des conditions préalables » auxquelles il doit
être satisfait avant toute saisine de la Cour (C.I.J. Recueil 2008, p. 388,

par. 114). Telle était la clarification que la Cour a faite fort à proppos dans
son ordonnance du 15 octobre 2008 et qu’elle rend aujourd’hui lettre
morte dans le présent arrêt, ce qui est incompréhensible, va àp l’encontre

de sa propre res interpretata et la réduit à néant (arrêt, par. 129).
113. Chacun sait que, dans la procédure internationale, lorsque l’une
des parties en présence a fait connaître sa position sur une question don -
née devant une cour internationale, elle ne peut plus tenter d’en pfaire

valoir une autre qui va dans le sens 149osé (comme l’indique la jpurispru -
dence internationale elle-même ) : allegans contraria non audiendus est.
Ce principe fondamental du droit procédural vaut pour les pays de trapdi -
tion civiliste (en vertu de la théorie qui remonte au droit romain cplassique,

venire contra factum proprium non valet, élaborée sur la base de considé -
rations d’équité, aequitas) comme pour les pays de common law (en vertu
de l’institution de l’estoppel 15, propre à la tradition juridique anglo-

149
voir, par exemple, Ch. de visscher, De l’équité dans le règlement arbitral ou -udi
cia150 des litiges de droit international public, paris, pedone, 1972, p. 49-52.
voir entre autres, par exemple, Ian Sinclair,Estoppel and Acquiescence », dans
Fifty Years of the International Court of Justice — Essays in Honour ▯of R. T. Jennings
(dir. publ., v. Lowe et m. Fitzmaurice), Cambridge University press, 1996, p. 104-12;
Ch. vallée, « Quelques observations sur l’estoppel en droit des gensRevue générale de
droit international public, vol. 77 (1973), p. 949-999.

223290 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

be otherwise, so as to preserve the confidence and the principle of bona
fides which ought always to prevail in the international legal procedure.

114. With all the more reason, the same reasoning would apply as to
positions already taken by an international tribunal as to the law, quite a
distinct issue from its prima facie findings as to the facts. positions as to
the law cannot be simply changed at the tribunal’s free will, shortly after -
wards, to the diametrically opposite direction! This would generate a

sense of juridical insecurity, that would surely undermine the credibilipty
of the work of an international tribunal, and even more so when its jurips -
diction is exercised on the basis of a human rights treaty. Venire contra
factum proprium non valet, and, perhaps even more forcefully, venire con -

tra dictum proprium non valet. In my perception, the Court’s consider -
ations in paragraph 129 of the present Judgment do not at all stand : they
clash with a basic principle of international procedural law, deeply rooted
in legal thinking.
115. There is no requirement that the negotiations between georgia

and the Russian Federation include an express reference to the CERd
Convention. It is sufficient for the subject-matter of the dispute at ipssue to
have been discussed, brought to the attention of each other. In light of
the evidence put to the Court, georgia has sought to discuss with Russia

matters falling within the scope of the CERd Convention, in the conflicts
affecting ethnic georgians in South Ossetia and Abkhazia.
116. Finally, with regard to the question whether the previous engage -
ment in negotiations and recourse to the procedures expressly provided for
in the CERd Convention (referred to in Article22) are cumulative or alter -

native, the conjunction “or” indicates that the draftsmen of the CpERd C-on
vention clearly considered “negotiation” or “the procedures exppressly
provided for in this Convention” as alternatives. The Court could well —
and should — have discarded any doubts that could persist on this poipnt;

instead, it deliberately preferred to abstain from pronouncing (para. 183) on
this aspect of the controversy raised before it. Instead of clarifying tphe point,
of saying what the law is (juris dictio), it felt there was “no need” to do so.
117. The purpose of multilateral treaties like the CERd Convention,
of human rights treaties, is to render human rights scrutiny and enforcep -

ment effective at the international level, including by means of dispupte
settlement. In its jurisprudence constante, for example, the ECHR has
stressed that the object and purpose of human rights treaties (such as the
European Convention) requires that their provisions be interpreted and p
151
applied so as to make their safeguards “practical and effective”p . The
same applies to the CERd Convention, as a core human rights treaty of
the United Nations.

151Cf., to this effect, e.g., ECHR, case Artv. Italy, judgment of 13 may 1980,
para. 33 ; ECHR, case Soeringv. United Kingdom, judgment of 7 July 1989, para. 8;
ECHR, case Rantsev v. Cyprus and Russia, judgment of 7 January 2010, para. 275.

224 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 2)90

saxonne). Quoi qu’il en soit, il ne pourrait en être autrement si l’on veut
préserver la confiance et le principe de bona fides qui devrait toujours
l’emporter dans la procédure internationale.
114. Le même raisonnement s’appliquerait à fortiori aux décisions déjà

adoptées par une cour internationale quant au droit — question très diffé -
rente de celle de ses conclusions prima facie quant aux faits. La Cour ne peut
tout simplement pas modifier à son gré des décisions qu’ellep a prises quant
au droit et adopter peu de temps après une position diamétralement oppo -
sée! Il en résulterait un sentiment d’insécurité juridique qui ne pourrait que

nuire à la crédibilité du travail d’une cour internationale,p encore plus lorsque
sa compétence s’exerce sur la base d’un instrument relatif aux pdroits de
l’homme. Venire contra factum proprium non valet et, peut-être encore
davantage,venire contra dictum proprium non valet. A mon sens, les considé -
rations de la Cour énoncées au paragraphe 129 du présent arrêt ne tiennent

absolument pas: elles sont contraires à un principe fondamental du droit
procédural international, profondément enraciné dans la pensépe juridique.
115. Rien n’impose que les négociations entre la géorgie et la Fédéra -
tion de Russie incluent une référence expresse à la CIEdR. Il suffit que la
question du différend ait été débattue entre les parties, portée à leur atten -

tion. A la lumière des éléments de preuve présentés à pla Cour, la géorgie
a cherché à discuter avec la Russie de questions relevant de la Copnvention
dans le cadre des conflits qui causaient un préjudice aux géorgiens de
souche en Ossétie du Sud et en Abkhazie.

116. Enfin, s’agissant de la question de savoir si l’ouverture préalable
de négociations et le recours aux procédures expressément prépvues par la
Convention (évoquées à l’article 22) sont cumulatives ou alternatives, la
conjonction « ou» indique que les rédacteurs de la CIEdR considéraient
manifestement « la négociation » ou « les procédures expressément pré -

vues par la Convention » comme alternatives. La Cour pouvait — et
aurait dû — dissiper tout doute pouvant subsister sur ce point ; au lieu de
quoi elle a délibérément choisi de s’abstenir de se prononcepr (par. 183) sur
cet aspect de la controverse. Elle n’a pas jugé nécessaire d’péclaircir ce
point, de dire ce qu’est le droit (juris dictio).

117. Les instruments multilatéraux de défense des droits de l’homme p
comme la CIEdR ont pour objectif de rendre la surveillance des droits de
l’homme et leur application efficaces au niveau international, y comppris
par le règlement des différends. dans sa jurisprudence constante, par
exemple, la Cour européenne des droits de l’homme a souligné qupe l’objet

et le but des instruments relatifs aux droits de l’homme (comme la cponven -
tion européenne) exigent que leurs dispositions soient interprétépes et
appliquées de manière à rendre les garanties qui y sont énonpcées « pra-
tiques et efficaces »15. Il en est de même de la CIEdR, instrument essen -
tiel de défense des droits de l’homme des Nations Unies.

151voir à ce propos, par exemple, CEdH, affaire Artico c. Italie, arrêt du 13 mai 1980,
par. 33 ; CEdH, affaire Soering c. Royaume-Uni, arrêt du 7 juillet 1989, CEdH,87 ;
affaire Rantsev c. Chypre et Russie, arrêt du 7 janvier 2010, par. 275.

224291 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

118. In the present case, due weight should have been given to the con-
sideration, in the preamble of the CERd Convention (para. 1), that all
member States of the United Nations have pledged themselves to take
action, in co-operation with the Organization, for the achievement of onpe

of the purposes of the United Nations, which is “to promote and encoupr -
age universal respect for and observance of human rights” for all, wipthout
distinction of any kind, keeping in mind the proclamation, by the 1948
Universal declaration of Human Rights, that all human beings are born
free and equal in dignity and rights (Art. 1).

vIII. Towards peaceful Settlement anpd Realization of Justipc:e
verification of prior Attempts
or Efforts of Negotiatpion

1. Permanent Court of International Justice

119. The permanent Court of International Justice (pCIJ), in its juris -
prudence constante, approached prior attempts or efforts of negotiation as
a factual element to be taken into account in the process of judicial settle -
ment of disputes submitted to its cognizance. It has never ascribed to tphis

factual element the character of a “precondition” that would have pto be
fully satisfied, for the exercise of its jurisdiction. Thus, in a celebrpated pas
sage of its Judgment (of 30 August 1924), in the case of the Mavrommatis
Palestine Concessions case (Judgment No. 2), the pCIJ stated that :

“Negotiations do not of necessity always presuppose a more or less
lengthy series of notes and dispatches; it may suffice that a discussion

should have been commenced, and this discussion may have been very
short; this will be the case if a deadlock is reached, or if finally a point p
is reached at which one of the parties definitely declares himself
unable, or refuses, to give way, and there can therefore be no doubt
that the dispute cannot be settled by diplomatic negotiation.” 152

120. The pCIJ added, in the same Mavrommatis Palestine Concessions

case (1924), that “it would be incompatible with the flexibility pwhich
should characterize international relations to require the two govern -
ments to reopen a discussion which has in fact already taken place”
(P.C.I.J., Series A, No. 2, p. 15). In case of an eventual objection in limine

litis to its jurisdiction, the pCIJ further stated that the Court: “is at liberty
to adopt the principle which it considers best calculated to ensure the
administration of justice, most suited to procedure before an internatiopnal
tribunal and most in conformity with the fundamental principles of inter -
national law” (ibid., p. 16).

121. Shortly afterwards, in its Judgment (of 25 August 1925), in the

152P.C.I.J., Series A, No. 2, p. 13 ; emphasis added.

225 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 2)91

118. dans la présente affaire, il aurait fallu accorder l’importance vpou-
lue au préambule de la Convention (par. 1), qui dispose que tous les Etats
membres se sont engagés à agir, en coopération avec l’Organisation, en

vue d’atteindre l’un des buts des Nations Unies, à savoir « développer et
encourager le respect universel et effectif des droits de l’homme » pour
tous, sans distinction d’aucune sorte, en ayant à l’esprit que,p en son
article premier, la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948
proclame que tous les êtres humains naissent libres et égaux en dipgnité et

en droits.

vIII. vers le règlement pacipfique et la réalisatipon de la justice :
vérification des tenptatives

ou efforts préalablesp de négociation

1. La Cour permanente de Justice internationale

119. La Cour permanente de Justice internationale (ci-après la « Cour
permanente»), dans sa jurisprudence constante, a appréhendé les tenta -

tives ou les efforts préalables de négociation comme une donnépe factuelle
à prendre en considération dans le cadre du processus de règlempent judi -
ciaire des différends portés devant elle. Elle n’en a jamais pfait une «condi-
tion préalable» devant être pleinement remplie pour qu’elle puisse exercer
sa compétence. Ainsi, dans un célèbre passage de son arrêt (pdu

30 août 1924) en l’affaire des Concessions Mavrommatis en Palestine (arrêt
no 2), la Cour permanente a déclaré :

«Une négociation ne suppose pas toujours et nécessairement une
série plus ou moins longue de notes et de dépêches ; ce peut être assez
qu’une conversation ait été entamée; cette conversation a pu être très
courte: tel est le cas si elle a rencontré un point mort, si elle s’est p

heurtée finalement à un non possumus ou à un non volumus péremp -
toire de l’une des parties et qu’ainsi il est apparu avec évidepnce que le
différend n’est pas susceptible d’être réglé par une n▯égociation diploma -
tique. »152

120. La Cour permanente a ajouté, toujours dans l’affaire des Conces -
sions Mavrommatis en Palestine (1924), qu’« il serait peu compatible avec

la souplesse qui doit caractériser les relations internationales d’pobliger ces
gouvernements à renouveler une discussion qui a déjà eu lieu enp fait »
(C.P.J.I. série A n o2, p. 15). En cas d’exception d’incompétence présentée
in limine litis, indiqua-t-elle aussi, elle « [était] libre d’adopter la règle
qu’elle consid[érait] comme la plus appropriée à la bonne adpministration

de la justice, à la procédure devant un tribunal international, etp la plus
conforme aux principes fondamentaux du droit international » (ibid.,
p. 16).
121. peu après, dans son arrêt (du 25 août 1925) en l’affaire relative à

152C.P.J.I. série A n 2, p. 13 ; les italiques sont de moi.

225292 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

case concerning Certain German Interests in Polish Upper Silesia (Judg-

ment No. 6), the pCIJ again rejected any formalistic approach, in point -
ing out that : “the Court cannot allow itself to be hampered by a mere
defect of form, the removal of which depends solely on the party con -
cerned” (P.C.I.J., Series A, No. 6, p. 14).

The pCIJ added, in the same case, that “the Court’s jurisdiction cannot
depend solely on the wording of the Application” (ibid., p. 15).
122. In the same line of thinking, in its Judgment (of 26 July 1927), in
the Factory at Chorzów case (Jurisdiction, Judgment No. 8), the pCIJ

again dismissed a self-restrained outlook of the compromissory clause,
which would unduly reduce its scope. The pCIJ warned :

“To say (. . .) that the clause compromissoire (. . .) must now be
restrictively interpreted (. . .), would be contrary to the fundamental

conceptions by which the movement in favour of general arbitration
has been characterized.” (P.C.I.J., Series A, No. 8, p. 22.)

The pCIJ refused to infer “a contrary intention” of the parties limitinpg
its jurisdiction ; such a reliance on “a difference of opinion” between the
parties as to “the interpretation or application of a Convention, it con -

cluded, “instead of settling a dispute once and for all, would leave open
the possibility of further disputes” (ibid., p. 25).

123. The position taken by the pCIJ, to the effect that recourse to

negotiations has never been a “precondition” to seize it, had promppt
repercussions in the juridical circles of those days. Shortly after the pafore -
mentioned decisions of the pCIJ, even those who kept on favouring prior

negotiations and beholding judicial settlement as an ultimum remedium,
were led to agree that by “negotiations” one had in mind, more spepcifi -
cally, “attempts” of friendly settlement by diplomatic negotiationps 153 as a
matter of courtoisie internationale 154. By no means was it meant to be a

“precondition”; it sufficed that one party had attempted — unsuccess -
fully — to negotiate. They were led to concede that the pCIJ was master
of its own jurisdiction, and was entitled to decide the way it did (abopve
the thesis sustained by the contending parties), “nullifying” thapt “precon -
155
dition”, despite the fact that international jurisdiction was “subsidiary” .

124. To the nostalgics of the past, who kept on privileging diplomatic

153“[A]n attempt at amicable settlement by diplomatic means”; or else “amicable means
of settlement were attempted”; and still, “a precondition which must be attempted . . .”;
cited in N. Kaasik, op. cit. infra note 154, pp. 67 and 69 (emphasis added). [Translation
by the Registry.]
154N. Kaasik, “La clause de négociations diplomatiques dans le droit international

positif et dans la jurisprudence de la Cour permanente de Justice internationale”, 14 Revue
de 155it international et de législation comparée (1933), p. 94.
Cf. op. cit. supra note 154, pp. 90-92 and 94-95.

226 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 292

Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise (arrêt n 6), la Cour

permanente a une nouvelle fois rejeté toute approche formaliste, en
faisant observer qu’« [elle] ne pourrait s’arrêter à un défaut de forme
qu’il dépendrait de la seule partie intéressée de faire disparaître » (C.P.J.I.
série A n o 6, p. 14).

Et d’ajouter, dans la même affaire, que « [s]a compétence … ne saurait
dépendre seulement de la manière dont la requête est formulé »e(ibid., p. 15).
122. dans le même ordre d’idées, la Cour permanente, dans son arrêt
(du 26 juillet 1927) en l’affaire relative à l’Usine de Chorzów (compétence,
o
arrêt n 8), a une fois encore refusé de s’enferrer dans une vision restripc -
tive de la clause compromissoire, ce qui en aurait indûment réduitp la por-
tée. Elle a formulé la mise en garde suivante :

«dire que la clause compromissoire … doit maintenant recevoir
une interprétation restrictive … serait se mettre en contradiction avec

les conceptions fondamentales qui ont caractérisé le mouvement en p
faveur de l’arbitrage général. » (C.P.J.I. série A n o 8, p. 22.)

La Cour permanente a refusé d’inférer une « intention contraire » des
parties qui aurait eu pour effet de limiter sa compétence ; faire ainsi fond
sur « une divergence » entre les parties quant à « l’interprétation ou l’ap -

plication de la convention » — conclut-elle —, « au lieu de vider définiti -
vement un différend, laisserait la porte ouverte à de nouveaux lpitiges »
(ibid., p. 25).
123. Cette position adoptée par la Cour permanente, à savoir que le

recours à des négociations n’avait jamais constitué une «p condition préa -
lable» à sa saisine, fit rapidement des émules dans les cercles juripdiques de
l’époque. peu après les décisions susmentionnées, même ceux qui demeu -

raient partisans des négociations préalables et qui voyaient le rèpglement
judiciaire comme un ultime recours en vinrent à admettre que, par le p
terme «négociations», il convenait plus précisément d’entendre des « ten -
tatives» de règlement amiable au moyen de négociations diplomatiques , 153
154
pour des raisons de courtoisie internationale . Il ne devait en aucun cas
s’agir d’une « condition préalable »; il suffisait qu’une partie ait tenté
— en vain — de négocier. Les intéressés finirent par concéder que lpa Cour
permanente était maîtresse de sa propre compétence, et qu’elple était fon -

dée à statuer en ce sens (au-delà des thèses avancées par les parties en
litige), en « annula[n]t» cette « condition préalable », en dépit du fait que
la compétence internationale revêtait un caractère « subsidiaire» 15.

124. Aux nostalgiques, qui continuaient de privilégier les négociations

153« [U]ne tentative de solution amiable par la voie diplomatique » ; ou «les moyens de
règlement amiables ont été tentés » ; ou encore « un moyen préalable qui doit être tenté » ;
N. Kaasik, op. cit. infra note 154, p. 67 et 69 (les italiques sont de moi).

154N. Kaasik, « La clause de négociations diplomatiques dans le droit international

positif et dans la jurisprudence de la Cour permanente de Justice internpati, evue de
dro155international et de législation comparée, vol. 14 (1933), p. 94.
voir op. cit. supra note 154, p. 90-92 et 94-95.

226293 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

negotiations and resisted the advent of judicialization, maurice Bourquin
lucidly retorted that Article 36 of the Hague Court’s Statute has never
subordinated a legal action to a prior attempt of diplomatic settlement.p

How to prove that negotiations were “sufficiently utilized”? Thisp notion
was imprecise and relative, and any rigid formula would be “unaccept -
able”, as each case had its own circumstances. In his view, diplomatipc
negotiations may be useful, but it is wiser to have a “nuancée”p approach
to them ; the “negative attitude” of one of the parties would suffice to p

allow the other to lodge the case with the Hague Court, even if the
exchange of views had a very short duration. It so happened, pondered
m. Bourquin, that: “diplomatic discussions are outside the context of the
law: (. . .) the claims which arise there are inspired solely by consider -
156
ations of expediency” .

2. International Court of Justice

125. For its part, the International Court of Justice (ICJ), in its Judg -
ment on preliminary objections (of 21 december 1962) in the South West
Africa cases (Ethiopia and Liberia v. South Africa), in dismissing the
[third] preliminary objection, drew attention to the importance of “tphe

well-being and development of the inhabitants of the mandated territory”p
(I.C.J. Reports 1962, p. 344), and dismissed the argument that “any broad
interpretation of the compulsory jurisdiction in question would be incomp -
patible with Article 22 of the Covenant” (ibid., p. 343). The ICJ added

that :
“It is immaterial and unnecessary to enquire what the different andp

opposing views were which brought about the deadlock in the past nego -
tiations in the United Nations, since the present phase calls for determ - pi
nation of only the question of jurisdiction. The fact that a deadlock waps
reached in the collective negotiations in the past and the further fact pthat
both the written pleadings and oral arguments of the parties in the pr-es

ent proceedings have clearly confirmed the continuance of this deadlock,p
compel a conclusion that no reasonable probability exists that further
negotiations would lead to a settlement.” (Ibid., p. 345.)

126. And the ICJ, having invoked the obiter dictum of the pCIJ in the
Mavrommatis Palestine Concessions case (supra), concluded likewise, on
this particular issue, that “there is no reason” why each of the pparties

“should go through the formality and pretence of direct negotiation with
the common adversary State after they have already fully participated inp

156m. Bourquin, “dans quelle mesure le recours à des négociations diplomatiques
est-il nécessaire avant qu’un différend puísse être soumis à la juridiction internationaple?”,
in Hommage d’une génération de juristes au Président Basdevant▯, paris, pedone, 1960, p. 52,
and cf. pp. 45, 47-48, 52 and 54-55. [Translation by the Registry.]

227 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 293

diplomatiques et résistaient à l’essor du règlement judiciaire, maurice
Bourquin rétorqua avec perspicacité que l’article 36 du Statut de la Cour
de La Haye n’avait jamais subordonné l’institution d’une action enp justice

à une tentative préalable de règlement diplomatique. Comment prpouver
que les négociations avaient été « suffisamment utilisées »? Il s’agissait
là d’une notion imprécise et relative, et toute formule rigide serait « inac-
ceptable», chaque affaire ayant ses circonstances propres. Si les négocipa-
tions diplomatiques pouvaient se révéler utiles, selon m. Bourquin, il était

toutefois plus sage d’adopter une approche « nuancée» à leur égard ;
l’«attitude négative » de l’une des parties suffirait à permettre à l’autre
de porter une affaire devant la Cour de La Haye, même si l’écphange de
vues n’avait que très peu duré. Il arrivait d’ailleurs, ajoupta m. Bourquin,

que «des controverses diplomatiques se situent en dehors du droit ; … les
prétentions qui s’y font jour s’inspirent uniquement de considéprations
d’opportunité » 15.

2. La Cour internationale de Justice

125. pour sa part, dans son arrêt (du 21 décembre 1962) sur les excep -
tions préliminaires dans les affaires du Sud-Ouest africain (Ethiopie et
Libéria c. Afrique du Sud), la Cour internationale de Justice (« la Cour»),
en rejetant la troisième exception préliminaire, a appelé l’pattention

sur l’importance du « bien-être et [du] développement des habitants du
territoire sous mandat » (C.I.J. Recueil 1962, p. 344), et rejeté l’argument
selon lequel « toute interprétation large de la juridiction obligatoire en
question serait incompatible avec l’article 22 du pacte » (ibid., p. 343).

La Cour a ajouté :
«Il est sans pertinence et inutile de rechercher quelles thèses diffpé -

rentes et opposées ont conduit les négociations des Nations Unies
dans une impasse, étant donné qu’au stade actuel il ne s’agit que de
trancher la question de compétence. Le fait que dans le passé les
négociations collectives aient abouti à une impasse et le fait quep les
écritures et les plaidoiries des parties dans la présente procédure aient

clairement confirmé que cette impasse demeure obligent à conclure
qu’il n’est pas raisonnablement permis d’espérer que de nouvpelles
négociations puissent aboutir à un règlement.» (Ibid., p. 345.)

126. Ayant invoqué l’obiter dictum de sa devancière dans l’affaire des
Concessions Mavrommatis en Palestine (ci-dessus), la Cour a elle aussi
conclu, sur cette question particulière, qu’il « n’y a aucune raison » que

chacune des parties « se conforme au formalisme et aux faux-semblants
d’une négociation directe avec l’Etat auquel [elle] s’oppos[pe] s[i elle a] déjà

156m. Bourquin, « dans quelle mesure le recours à des négociations diplomatiques
est-il nécessaire avant qu´un différend puisse être soumisp à la juridiction internationale ? »,
Hommage d´une génération de juristes au président Basdevant, paris, pedone, 1960, p. 52, et
voir p. 45, 47-48, 52 et 54-55.

227294 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

the collective negotiations with the same State in opposition” (I.C.J.
Reports 1962, p. 346). In the Court’s view,
“it is not so much the form of negotiation that matters as the attitupde

and views of the parties on the substantive issues of the question
involved. So long as both sides remain adamant, (. . .) there is no
reason to think that the dispute can be settled by further negotiations p
between the parties.” (Ibid.)

127. One decade later, in the case of the Appeal Relating to the Juris -
diction of the ICAO Council (India v. Pakistan), the ICJ faced with the

question of lawful action, yet “prejudicial”, causing “injusticpe or hard -
ship” to another party under the treaties at issue (Judgment, I.C.J.Reports
1972, p. 58, para. 20), found that the various objections raised to its own
competence could not be sustained (ibid., pp. 60-61, paras. 25-26). Subse -
quently, in the Fisheries Jurisdiction case (Federal Republic of Germany v.

Iceland) (Jurisdiction of the Court, Judgment, I.C.J. Reports 1973), the
ICJ pondered that :

“in the present case, the object and purpose of the 1961 Exchange of p
Notes, and therefore the circumstances which constituted an essential
basis of the consent of both parties to be bound by the agreement
embodied therein, had a much wider scope. That object and purpose
was not merely to decide upon the Icelandic claim to fisheries juris -
diction up to 12 miles, but also to provide a means whereby the par -

ties might resolve the question of the validity of any further claims.”p
(I.C.J. Reports 1973, pp. 61-62, para. 32.)

128. The ICJ then found that the jurisdictional obligation imposed in
the 1961 Exchange of Notes remained applicable, and concluded that :

“The compromissory clause enabled either of the parties to submit
to the Court any dispute between them relating to an extension of
Icelandic fisheries jurisdiction in the waters above its continental sheplf
beyond the 12-mile limit. The present dispute is exactly of the char -
acter anticipated in the compromissory clause of the Exchange of

Notes. Not only has the jurisdictional obligation not been radically
transformed in its extent ; it has remained precisely what it was in
1961.” (Ibid., p. 65, para. 43.)

129. Over a decade later, in the case of the United States Diplomatic
and Consular Staff in Tehran (United States of America v. Iran) (Judg-
ment, I.C.J. Reports 1980), the ICJ pointed out that :

“when the United States filed its Application on 29 November 1979,
its attempts to negotiate with Iran in regard to the overrunning of its p
Embassy and detention of its nationals as hostages had reached a

deadlock, owing to the refusal of the Iranian government to enter

228 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 294

pleinement participé aux négociations collectives avec cet Etat adpverse »
(C.I.J. Recueil 1962, p. 346). de l’avis de la Cour :
«ce qui importe en la matière ce n’est pas tant la forme des négocia -

tions que l’attitude et les thèses des parties sur les aspects fondamen -
taux de la question en litige. Tant que l’on demeure inébranlable pde
part et d’autre … il n’y a aucune raison qui permette de penser que
le différend soit susceptible d’être réglé par de nouveplles négociations
entre les parties. » (Ibid.)

127. dix ans plus tard, dans l’affaire de l’Appel concernant la compé -
tence du Conseil de l’OACI (Inde c. Pakistan), la Cour, face à la question

d’une action licite mais « préjudiciable», qui causait « une injustice ou un
préjudice» à la partie adverse dans le cadre des traités en cause (arrêt,
C.I.J. Recueil 1972, p. 58, par. 20), a conclu que les différentes exceptions
opposées à sa propre compétence ne pouvaient être accueillieps (ibid.,
p. 60-61, par. 25-26). par la suite, dans l’affaire de la Compétence en

matière de pêcheries (République fédérale d’Allemagne▯ c. Islande) (compé-
tence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 1973), la Cour a estimé que :

«en l’espèce l’objet et le but de l’échange de notes de 19p61, et par suite
les circonstances qui constituaient une base essentielle du consentementp
des parties à être liées par l’accord qu’il contenait, avaient une portée
beaucoup plus large. Il s’agissait non seulement de trancher la prépten -
tion du gouvernement islandais d’étendre sa compétence en matière de
pêcheries à une distance de 12milles mais encore de fournir un moyen

permettant aux parties de régler entre elles la question de la validipté de
toute prétention ultérieure.» (C.I.J. Recueil 1973, p. 61-62, par. 32.)

128. La Cour a ensuite conclu que l’obligation juridictionnelle imposée
dans l’échange de notes de 1961 demeurait applicable, et que :

«La clause compromissoire autorisait l’une ou l’autre partie à ppor -
ter devant [elle] tout différend qui surviendrait entre elles au sujet
d’un élargissement de la juridiction de l’Islande sur les pêcheries dans
les eaux recouvrant le plateau continental au-delà de la limite de
12 milles. Le différend actuel est exactement du genre de ceux que la p

clause compromissoire de l’échange de notes envisageait. Non seulep-
ment l’obligation juridictionnelle ne s’est pas radicalement transpfor-
mée dans sa portée mais encore elle est restée précisémenpt ce qu’elle
était en 1961. » (Ibid., p. 65, par. 43.)

129. plus de dix ans après, dans l’affaire relative au Personnel diplo-
matique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran (Etats-Unis d’Amérique
c. Iran) (arrêt, C.I.J. Recueil 1980), la Cour a indiqué que :

«lorsque les Etats-Unis [avaient] déposé leur requête du 29 novembre
1979, leurs tentatives de négociations avec l’Iran au sujet de l’pinva -
sion de leur ambassade et de la détention de leurs ressortissants

en otages avaient abouti à une impasse, le gouvernement de l’Iran

228295 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

into any discussion of the matter. In consequence, there existed at that
date not only a dispute but, beyond any doubt, a ‘dispute (. . .) not

satisfactorily adjusted by diplomacy’ within the meaning of Arti -
cle xxI, paragraph 2, of the 1955 Treaty; and this dispute comprised,
inter alia, the matters that are the subject of the United States’ claims
under that Treaty.” (I.C.J. Reports 1980, p. 27, para. 51.)

130. Shortly afterwards, in its judgment on jurisdiction and admissibil-

ity in the case of Military and Paramilitary Activities in and against Nica -
ragua (Nicaragua v. United States), the ICJ upheld the view that it did
“not necessarily follow that, because a State has not expressly referred in
negotiations with another State to a particular treaty as having been vipo -

lated by conduct of that other State, it is debarred from invoking a comp-
promissory clause in that treaty”, namely, the 1956 Treaty of Friendsphip,
Commerce and Navigation between Nicaragua and the United States
(I.C.J. Reports 1984, p. 428, para. 83). Having invoked the aforemen -
tioned obiter dictum of the pCIJ in the case of Certain German Interests in

Polish Upper Silesia, the ICJ concluded on this particular issue that :

“Accordingly, the Court finds that, to the extent that the claims in
Nicaragua’s Application constitute a dispute as to the interpretationp
or the application of the Articles of the Treaty of 1956 (. . .), the
Court has jurisdiction under that Treaty to entertain such claims.”

(Ibid., p. 429, para. 83.)

131. In the same 1984 Judgment in the Nicaragua v. United States case,
the ICJ, in asserting its own jurisdiction, discarded any pretence of erect -
ing a “rule” of “prior exhaustion of international remedies” (in the form
of regional negotiations), by an inadequate and groundless analogy withp
157
the rule of exhaustion of local or domestic remedies . In the Court’s
words,

“the Court is unable to accept either that there is any requirement opf
prior exhaustion of regional negotiating processes as a precondition
to seizing the Court ; or that the existence of the Contadora process
constitutes in this case an obstacle to the examination by the Court

of the Nicaraguan Application and judicial determination in due
course of the submissions of the parties in the case. The Court is
therefore unable to declare the Application inadmissible, as requested
by the United States, on any of the grounds it has advanced as requir -

ing such a finding.” (Ibid., pp. 440-441, para. 108.)
157
For a criticism of that pretence of unwarranted analogy, in support of the Court’s
decision on jurisdiction and admissibility in that case, cf. A. A. Cançado Trindade,
“Nicarágua v. Estados Unidos (1984) : Os Limites da Jurisdição ‘Obrigatória’ da Corte
Internacional de Justiça e as perspectivas de Solução Judicial de Controvérsias I-ter
nacionais”, 37-38 Boletim da Sociedade Brasileira de Direito Internacional (1983-1986),
pp. 71-96.

229 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 295

ayant refusé toute discussion. Il existait donc à cette date non speule-
ment un différend mais, sans aucun doute, « un différend … qui ne
[pouvait] pas être réglé d’une manière satisfaisante par pla voie diplo -

matique» au sens de l’article xxI, paragraphe 2, du traité de 1955 ;
et ce différend portait notamment sur les matières faisant l’pobjet des
demandes présentées par les Etats-Unis en vertu de ce traité. » (C.I.J.
Recueil 1980, p. 27, par. 51.)

130. peu après, dans son arrêt sur la compétence et la recevabilitép en
l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contcreelui-ci

(Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), la Cour a confirmé que, « parce
qu’un Etat ne s’est pas expressément référé, dans des pnégociations avec un
autre Etat, à un traité particulier qui aurait été violé ppar la conduite de
celui-ci, il n’en découle pas nécessairement que le premier ne seraitp pas
admis à invoquer la clause compromissoire dudit traité », à savoir le traité

d’amitié, de commerce et de navigation conclu en 1956 par le Nicarpagua
et les Etats-Unis (C.I.J. Recueil 1984, p. 428, par. 83). Après avoir invo -
qué l’obiter dictum de la Cour permanente en l’affaire de Certains intérêts
allemands en Haute-Silésie polonaise, la Cour a exposé la conclusion

ci-après sur cette question particulière :
«En conséquence la Cour conclut que, dans la mesure où les

demandes formulées dans la requête du Nicaragua révèlent l’pexis -
tence d’un différend sur l’interprétation ou l’applicatpion des articles
du traité de 1956 …, [elle] a compétence pour en connaître en vertu
de ce traité. » (Ibid., p. 429, par. 83.)

131. dans le même arrêt de 1984 en l’affaire Nicaragua c. Etats-Unis
d’Amérique, la Cour, en affirmant sa propre compétence, a écarté toute ppré -

tention d’ériger une «règle» exigeant «l’épuisement préalable des voies de
recours disponibles sur le plan international » (sous la forme de négocia -
tions régionales), par le jeu d’une analogie inappropriée et infondée avec la
règle de l’épuisement des voies de recours locales ou internes 15. Je cite:

«la Cour n’est en mesure d’admettre, ni qu’il existe une obligation
quelconque d’épuisement des procédures régionales de négopciation
préalable à sa saisine, ni que l’existence du processus de Contpadora

empêche la Cour en l’espèce d’examiner la requête nicaragpuayenne et
de se prononcer le moment venu sur les conclusions présentées par p
les parties en l’espèce. La Cour ne peut donc déclarer la requêtep irre -
cevable, comme le demandent les Etats-Unis, pour l’un quelconque

des motifs avancés par eux comme imposant une telle décision. »
(Ibid., p. 440-441, par. 108.)

157pour une analyse critique de cette prétendue analogie, qui n’est enp fait pas justifiée,
voir, à l’appui de la décision de la Cour sur la compétence et la recevabilité en l’affaire,p
A. A. Cançado Trindade, « Nicarágua v. Estados Unidos (1984) : Os Limites da Jurisdição
«Obrigatória » da Corte Internacional de Justiça e as perspectivas de Solução Judicial de
Controvérsias Internacionais », Boletim da Sociedade Brasileira de Direito Internacional,
vol. 37-38 (1983-1986), p. 71-96.

229296 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

132. In thus determining the existence of a dispute between Nicaragua
and the United States as to the interpretation and application of specifipc
Articles of the 1956 Treaty, and that it had jurisdiction to entertain tphe
dispute at issue under Article xxIv, paragraph 2, of the Treaty, the
Court kept in mind the frequency of compromissory clauses in bilateral
treaties of the kind, and the fact that those clauses were intended to

enable the parties to resort unilaterally to the Court if they failed top agree
on another peaceful means of settlement. Two years later, in its Judgment
as to the merits (of 27 June 1986) in the same Nicaragua v. United States
case, the ICJ, reiterating its position, added that “it would therefopre be
excessively formalistic to require Nicaragua first to exhaust the procedpure
of Article xxIv, paragraph 1, before bringing the matter to the Court”

(I.C.J. Reports 1986, p. 137, para. 274).
133. Over a decade later, in its judgment on preliminary objections (of
11 June 1998) in the case concerning the Land and Maritime Boundary
between Cameroon and Nigeria (Cameroon v. Nigeria), the ICJ categori -
cally stated that :

“Neither in the Charter [of the United Nations] nor otherwise in
international law is any general rule to be found to the effect that tphe
exhaustion of diplomatic negotiations constitutes a precondition for

a matter to be referred to the Court. No such precondition was
embodied in the Statute of the permanent Court of International Jus -
tice (. . .). Nor is it to be found in Article 36 of the Statute of this
Court.” (I.C.J. Reports 1998, p. 303, para. 56.)

134. more recently, the point at issue again came to the fore in the Oil
Platforms case (Islamic Republic of Iran v. United States of America)
(Judgment, I.C.J. Reports 2003). The Court held that it had

“to take note that the dispute has not been satisfactorily adjusted bpy
diplomacy. Whether the fact that diplomatic negotiations have not

been pursued is to be regarded as attributable to the conduct of the
one party or the other is irrelevant for present purposes, as is the
question whether it is the Applicant or the Respondent that has
asserted a fin de non-recevoir on this ground. As in previous cases
involving virtually identical treaty provisions (see United States
Diplomatic and Consular Staff in Tehran (United States v. Iran),

I.C.J. Reports 1980, pp. 26-28; Military and Paramilitary Activities in
and against Nicaragua (Nicaragua v. United States of America),
I.C.J. Reports 1984, pp. 427-429), it is sufficient for the Court to
satisfy itself that the dispute was not satisfactorily adjusted by diplop-
macy before being submitted to the Court.” (I.C.J. Reports 2003,
pp. 210-211, para. 107.)

135. Nowhere, from the survey above, can an inclination be inferred,
on the part either of the pCIJ or the ICJ, to set up an excessive prerequi -

site of prior negotiations for the exercise of jurisdiction. Quite on thpe con-

230 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 296

132. Constatant ainsi qu’un différend existait entre le Nicaragua et ples
Etats-Unis quant à l’interprétation et l’application de certains aprticles du
traité de 1956, et qu’elle avait compétence pour connaître dpu différend en
question sur la base du paragraphe 2 de l’article xxIv du traité, la Cour a
tenu compte du fait que les clauses compromissoires étaient monnaie cou -
rante dans les traités bilatéraux de cette nature, et que ces claupses visaient à

permettre aux parties de la saisir unilatéralement si elles ne parvenaient pas
à s’accorder sur un autre mode de règlement pacifique. deux ans plus tard,
dans l’arrêt qu’elle rendit (le 27 juin 1986) dans la même affaire Nicaragua
c. Etats-Unis d’Amérique, mais sur le fond, la Cour, réaffirmant sa position,
ajouta qu’«il serait donc excessivement formaliste d’exiger du Nicaragua
qu’il épuise la procédure prévue à l’article xxIv, paragraphe 1, avant de la

saisir de la question» (C.I.J. Recueil 1986, p. 137, par. 274).
133. plus de dix ans après, dans son arrêt (du 11 juin 1998) sur les
exceptions préliminaires en l’affaire de la Frontière terrestre et maritime
entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), la Cour a déclaré
de manière catégorique :

«Il n’existe ni dans la Charte [des Nations Unies], ni ailleurs en
droit international, de règle générale selon laquelle l’épuisement des
négociations diplomatiques serait un préalable à la saisine de pla

Cour. Un tel préalable n’avait pas été incorporé dans le pStatut de la
Cour permanente de Justice internationale … Il ne figure pas davan -
tage à l’article 36 du Statut de la présente Cour. » (C.I.J. Recueil
1998, p. 303, par. 56.)

134. plus récemment, la question est à nouveau passée au premier planp
dans l’affaire des Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran
c. Etats-Unis d’Amérique) (arrêt, C.I.J. Recueil 2003). La Cour a conclu
qu’elle devait

«prendre acte que le différend n’a pas été réglé d’pune manière satis -
faisante par la voie diplomatique. peu importe aux fins de la présente

question que l’absence de négociations diplomatiques soit attribuapble
au comportement de l’une ou de l’autre partie, ou que ce soit le
demandeur ou le défendeur qui a pour ce motif opposé une fin de
non-recevoir. Comme dans de précédentes affaires qui mettaient en
cause des dispositions conventionnelles pratiquement identiques
(voir Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran,

C.I.J. Recueil 1980, p. 26-28 ; Activités militaires et paramilitaires au
Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
C.I.J. Recueil 1984, p. 427-429), il suffit à la Cour de constater que le
différend n’a pas été réglé d’une manière satipsfaisante par la voie
diplomatique avant de lui être soumis. » (C.I.J. Recueil 2003, p. 210-
211, par. 107.)

135. Rien, dans l’analyse qui précède, ne permet d’inférer unep propen -
sion, que ce soit de la part de la Cour ou de sa devancière, à faipre des

négociations préalables une condition excessive à l’exercicep de la compé -

230297 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

trary, both the pCIJ and the ICJ have been quite clear in holding that an

attempt of negotiation is sufficient, there being no mandatory “precondi -
tion” at all of resolutory negotiations for either of them to exercise juris -
diction in a case they had been seized of. The Hague Court has, in effpect,

throughout its history, refrained from any excessive requirement as to
prior negotiations between the contending parties.

Ix. Towards peaceful Settlement wipth the Realization
of Justice under Humanp Rights Treaties

136. In the present case of the Application of the International Conven -
tion on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination, the Court’s
majority seems to overlook this jurisprudence constante of the Court itself,
in order to set up a strict “precondition” of prior negotiation (pparas. 157-

159), with a very high threshold, for the exercise of jurisdiction on tphe
basis of that human rights treaty, the CERd Convention. In trying to
find support for its position, the Court’s majority recalls an obiter dictum

(p. 116) of the pCIJ in the Advisory Opinion on the Railway Traffic
between Lithuania and Poland (1931). But, a contrario sensu, the jurispru -
dence constante of the Hague Court, on the point at issue, contented itself
with noting that the parties had been unable to find common ground

before the application was filed with it.

137. Throughout the last decades, studies undertaken on the position

of the Hague Court (pCIJ and ICJ), on the verification of attempts or
efforts of negotiation prior to recourse to the Court itself, have compe to
the conclusion that the established case law (jurisprudence constante)
of the Court does not at all lend support to the view that those prior

attempts or efforts of negotiation amount to a mandatory “preconditpion”
to the exercise of the Court’s jurisdiction 158. Quite on the contrary,
compromissory clauses have been a relevant source of the Court’s
159
jurisdiction , and even more cogently so under some human rights
treaties containing them (cf. infra), and pointing towards the goal of
the realization of justice.

158
Cf., e.g., g. Abi-Saab, Les exceptions préliminaires dans la procédure de la Cour
internationale, paris, pedone, 1967, pp. 124-125 ; J. I. Charney, “Compromissory Clauses
and the Jurisdiction of the International Court of Justice”, 81 American Journal of Inter -
national Law (1987), pp. 870-883, and cf. pp. 859-; S. Torres Bernárdez, “Are prior
Negotiations a general Condition for Judicial Settlement by the International Court of
Justice?”, in Liber Amicorum in Memoriam of Judge J. M. Ruda (eds. C. A. Armas Barea,
J. A. Barderis et alii), The Hague, Kluwer, 2000, pp. 507-525.
159Cf., e.g., C. J. Tams, “The Continued Relevance of Compromissory Clauses as a
Source of ICJ Jurisdiction”, in A Wiser Century? Judicial Dispute Settlement, Disarmament
and the Laws of War 100 Years after the II Hague Peace Conference (eds. Th. giegerich and
U. E. Heinz), Berlin, duncker & Humblot, 2009, pp. 471, 476, 480-481, 487-489 and 492.

231 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 297

tence. Bien au contraire, tant la Cour permanente que la Cour actuelle

ont indiqué très clairement qu’une tentative de négociation suffisait, étant
entendu que la tenue de négociations effectives ne constituait nullement
une «condition préalable» à ce que l’une ou l’autre puisse exercer sa com -
pétence dans l’affaire portée devant elle. La Cour de La Haye s’est en

effet, tout au long de son histoire, gardée d’imposer toute condpition exces -
sive quant à la tenue de négociations préalables entre les partpies en litige.

Ix. vers le règlement pacipfique des différendsp et la réalisation

de la justice sur la bapse de traités relatifps aux droits de l’hompme

136. dans la présente affaire de l’Application de la convention interna -

tionale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination r▯aciale, la
majorité de la Cour semble ne faire aucun cas de la jurisprudence
constante de la Cour elle-même lorsqu’elle établit qu’une « condition
préalable» stricte de négociation (par. 157-159), assortie d’un seuil très

élevé, doit être remplie avant qu’elle ne puisse exercer sa pcompétence sur
la base de ce traité consacré aux droits de l’homme, à savoir la CIEdR.
Tentant d’étayer sa position, la majorité de la Cour rappelle upn obiter
dictum (p. 116) de sa devancière dans l’avis consultatif sur le Trafic fer-

roviaire entre la Lithuanie et la Pologne (1931). pourtant, a contrario,
dans sa jurisprudence constante en la matière, la Cour de La Haye s’est
bornée à noter que les parties n’étaient pas parvenues à ptrouver un ter-
rain d’entente avant le dépôt de la requête devant elle.

137. Tout au long des dernières décennies, les études réalisées sur la
position de la Cour de La Haye (la Cour actuelle et sa devancière) quant
à l’examen des tentatives ou des efforts de négociation prépalables à la

saisine de la Cour elle-même ont donné lieu à la conclusion que la juris -
prudence constante de celle-ci n’étayait nullement le point de vue selon
lequel ces tentatives ou efforts de négociation constituaient une «p condi -
tion préalable » incontournable pour que la Cour puisse exercer sa com -
158
pétence . Bien au contraire, les clauses compromissoires se sont révélépes
être une source de compétence importante 15, à fortiori lorsqu’elles s’ins -
crivaient dans le cadre de certains traités relatifs aux droits de l’homme
(voir ci-dessous), le but ultime étant la réalisation de la justice.

158voir, par exemple, g. Abi-Saab, Les exceptions préliminaires dans la procédure de
la Cour internationale, paris, pedone, 1967, p. 124-125 ; J. I. Charney, « Compromissory
Clauses and the Jurisdiction of the International Court of Justice American Journal
of International Law, vol. 81 (1987), p. 870-883, et voir p. 859-864 ; S. Torres Bernárdez,
«Are prior Negotiations a general Condition for Judicial Settlement by the International
Court of Justice ? », dans Liber Amicorum in Memoriam of Judge J. M. Ruda (dir. publ.,
C. A. Armas Barea, J. A. Barderis et al.), La Haye, Kluwer, 2000, p. 507-525.
159voir, par exemple, C. J. Tams, « The Continued Relevance of Compromissory
Clauses as a Source of ICJ Jurisdiction », dans A Wiser Century ? Judicial Dispute Settle-

ment, Disarmament and the Laws of War 100 Years after the II Hague Peace Conference
(dir. publ., Th. giegerich et U. E. Heinz), Berlin, duncker & Humblot, 2009, p. 471, 476,
480-481, 487-489 et 492.

231298 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

138. Notwithstanding the Court’s jurisprudence constante (supra), the
Court’s majority regrettably set a very high threshold in the present case

as to the requirement of prior negotiations. In my perception, the posi -
tion of this Court along its history, on this particular issue, has favopured
the access to justice lato sensu (i.e., including the realization of justice) ;
the change of approach of the Court’s majority in the present case opppos -
ing georgia to the Russian Federation not only operates to the contrary,

but, furthermore, can generate a sense of judicial insecurity and can hapve
an adverse impact on the future acceptance of the Court’s compulsory p
jurisdiction under international treaties.
139. This is even more regrettable bearing in mind the nature of the

treaty at issue, one of the core UN Conventions on human rights, the
CERd Convention. One cannot lose sight of the rights and values that
are at stake. Reliance on formalistic formulas, focus on State “interests”
or intentions, or its “will”, or other related notions, or State sptrategies of

negotiations, should not make one lose sight of the fact that claimant160of
justice, and their beneficiaries, are, ultimately, human beings , as dis -
closed by the present case brought to the cognizance of the Court.

140. There seems to be general awareness at present that the expansion
of international jurisdiction, illustrated, e.g., by the concomitant opepra -
tion, with this Court, of international human rights tribunals, respondsp
and corresponds to a need of the international community nowadays,

going beyond the framework of methods of peaceful settlement of inter -
national disputes (used in inter-State disputes), and giving expressiopn
to the idea of a prééminence of international law 16. This Court has to
remain attentive to that ; it cannot overlook the rationale of human rights
treaties. A mechanical and reiterated search for State consent, placed

above the fundamental values underlying those treaties, will lead it
nowhere.

141. This Court has, on occasions, expressly acknowledged that the

idea of an international rule of law has indeed gained ground in
recent years. Suffice it here to evoke, for example, the contribution of its
Advisory Opinions on Namibia (of 21 June 1971, cf. infra), and on the
Obligation to Arbitrate by Virtue of Section 21 of the 1947 UN Headquar -

ters Agreement (of 26 April 1988). This idée-force has fostered the search
for the realization of justice under the rule of law at international level,
and is to be kept in mind whenever this Court is called upon to adjudicapte
a case on the basis of a human rights treaty.

160Cf., to this effect, e.g., Julius Stone, Approaches to the Notion of International Justice,
princeton University press, 1970, p. 55.
161J.-y. morin, “L’état de droit : émergence d’un principe du droit international”, 254
Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye (1995), pp. 199, 451 and
462.

232 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 298

138. A rebours de cette jurisprudence constante de la Cour (ci-dessus), la
majorité a malheureusement assorti l’obligation de négociation préalable

d’un seuil très élevé dans la présente affaire. A mon spens, la position adop -
tée par la Cour tout au long de son histoire, sur cette question partpiculière,
consistait à privilégier l’accès à la justice au sens larpg(ey compris la réalisa -
tion de la justice); le revirement effectué par la majorité de la Cour dans la
présente affaire opposant la géorgie et la Fédération de Russie non seule -

ment va dans le sens contraire, mais risque en outre d’engendrer un spenti-
ment d’insécurité judiciaire et de compromettre à l’avenipr l’acceptation de
la juridiction obligatoire de la Cour dans les traités internationauxp.
139. Cette situation est encore plus fâcheuse lorsqu’on songe à la nature

du traité en cause, à savoir la CIEdR, qui est l’une des conventions fonda -
mentales des Nations Unies sur les droits de l’homme. Il ne faut pas oublier
les droits et les valeurs qui sont en jeu. Le recours à des formules pconvention -
nelles, l’attachement aux i«ntérêts» ou aux intentions de l’Etat, à sa v«lonté»,

à d’autres notions du même ordre, ou encore à la stratégipe adoptée par l’Etat
à l’égard des négociations, ne doivent pas occulter le fait pque ceux qui récla -
ment justice, et ceux qui en bénéficient, sont en définitive deps êtres humains 160
— comme en témoigne la présente affaire portée devant la Cour.

140. Il semble généralement acquis de nos jours que l’expansion de
la juridiction internationale — illustrée entre autres par l’action menée,
aux côtés de la Cour, par les tribunaux internationaux chargés pde défen-
dre les droits de l’homme — répond et correspond à un besoin actuel de

la communauté internationale, qui déborde le cadre des méthodesp de
règlement pacifique des différends internationaux (utiliséesp dans les diffé -
rends entre Etats) et qui traduit l’idée d’une prééminenpce du droit interna -
tional 161. La Cour doit rester attentive à cela, et elle ne peut perdre de
vue la raison d’être des traités relatifs aux droits de l’homme. Une recher-

che mécanique et systématique du consentement de l’Etat, qui papsserait
avant les valeurs fondamentales sous-tendant ces traités, ne la conduira
nulle part.
141. La Cour a, de temps à autre, reconnu expressément que l’idéep

d’un état de droit international avait bel et bien gagné du terrain ces der -
nières années. Il suffit ici d’évoquer, par exemple, la contribution appor -
tée par ses avis consultatifs sur la Namibie (21 juin 1971, voir ci-dessous)
et sur l’Applicabilité de l’obligation d’arbitrage en vertu de la sectio▯n 21 de

l’accord du 26 juin 1947 relatif au siège de l’Organisation des Nations Unies
(26 avril 1988). Cette idée-force a favorisé la quête de justice dans le cadre
de l’état de droit au niveau international, et la Cour doit la garder à l’es -
prit dès lors qu’elle est priée de trancher une affaire sur lpa base d’un traité

relatif aux droits de l’homme.

160voir notamment, à cet effet, Julius Stone, Approaches to the Notion of International
Justice, princeton University press, 1970, p. 55.
161J.-y. morin, « L’état de droit : émergence d’un principe du droit international »,
Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Hvol. 254 (1995), p. 199,
451 et 462.

232299 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

142. may it be recalled that, in the late eighties (1988-1989), e.g., the

then Soviet Union (succeeded by the Russian Federation), and some
other Eastern European States, withdrew declarations they had previ -
ously made to exclude compulsory settlement of disputes in some human

rights conventions celebrated during the cold-war period. This was a
reassuring initiative to foster the compulsory jurisdiction of the ICJ ipn
respect of six core human rights treaties (including the CERd Conven -
tion). In his address to the UN general Assembly, of 7 december 1988,

the president of the (then) presidium of the Supreme Soviet of the
USSR (mr. mikhail gorbachev), after invoking “the primacy of univer -
sal human values”, stated :

“We believe that the jurisdiction of the International Court of Jus-

tice at The Hague as regards the interpretation and implementation 162
of agreements on human rights should be binding on all States.”

143. Shortly afterwards, on 10 February 1989, the (then) presidium of
the Supreme Soviet of the USSR adopted, upon the suggestion of the
Council of ministers of the USSR, a decree (ukaz), whereby it withdrew

the reservations the USSR had previously made in relevant provisions of
six human rights treaties, namely : Article 22 of the CERd Convention
(of central importance in the present case), Article 29 (1) of the 1979 Con -
vention on the Elimination of All Forms of discrimination against

Women (the CEdAW Convention), Article 30 (1) of the 1984 UN Con -
vention against Torture (the CAT Convention), Article Ix of the 1948
Convention against genocide, Article Ix of the 1953 Convention on the

political Rights of Women, and Article 22 of the 1950 Convention for the
Suppression of the Traffic in persons and of the Exploitation of the pros -
titution of Others 163.
144. moreover, the realization of justice under human rights treaties

(such as the CERd Convention) can hardly be attained by a valuation of
the evidence produced before the Court pursuant to a strictly inter-Statpe

162UN doc. A/43/pv.72, of 8 december 1988, p. 26, and cf. p. 8. Shortly afterwards,
a USSR memorandum, of 29 September 1989, on “Enhancing the Role of International
Law”, circulated in the UN general Assembly on 2 October 1989 (in the framework of the

United Nations decade of International Law), referred to the strengthening of the role pof
the ICJ as the principal judicial organ of the United Nations. Cf. UN doc. A/44/585, of
2 October 1989, p. 5. On this new outlook of the primacy of the rule of law in international
relations, cf. comments in, e.g., A. gorin and p. mishchenko, “New political Thinking
as a philosophy and a Tool of Soviet Foreign policy”, 17 Journal of Legislation (1990),
pp. 17-18. On the professed “priority of universal human values” in thips new outlook,
cf. comments in, e.g., v. S. vereshchetin and R. A. mullerson, “International Law in an
Interdependent World”, 28 Columbia Journal of Transnational Law (1990), pp. 292-293
and 300.

163Cf. comments in, e.g., T. Schweisfurth, “The Acceptance by the Soviet Union of
the Compulsory Jurisdiction of the ICJ for Six Human Rights Conventions”, European

Journal of International Law (1990), pp. 110-117.

233 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 2)99

142. Qu’il me soit permis de rappeler que, à la fin des années 1980

(1988-1989), notamment, l’Union soviétique de l’époque (à laquelle la Fédé -
ration de Russie a succédé) et certains autres Etats d’Europe porientale ont
retiré leurs déclarations antérieures par lesquelles ils avaient exclu le règle -

ment obligatoire des différends dans certaines conventions relativeps aux droits
de l’homme conclues pendant la guerre froide. Il s’agissait là d’une initiative
rassurante tendant à favoriser la juridiction obligatoire de la Cour pà l’égard
de six traités fondamentaux en matière de droits de l’homme (apu nombre

desquels figurait la CIEdR). dans son discours du 7 décembre 1988 devant
l’Assemblée générale des Nations Unies, le président de ce qui était alors le
présidium du Soviet suprême de l’URSS (m. mikhaïl gorbatchev), après

avoir invoqué «la primauté des valeurs humaines universelle» s, déclara:
«Nous pensons que la compétence de la Cour internationale de

Justice de La Haye en ce qui concerne l’interprétation et la mise en
œuvre des accords sur les droits de l’homme doit être acceptépe par
tous les Etats. » 162

143. Quelques semaines plus tard, le 10 février 1989, le présidium du
Soviet suprême prit, sur proposition du Conseil des ministres de l’URSS,
un décret ayant pour effet de retirer les réserves que l’Uniopn soviétique

avait précédemment formulées dans les dispositions pertinentes pde six
traités relatifs aux droits de l’homme, à savoir : l’article 22 de la CIEdR
(qui revêt une importance centrale dans la présente affaire), ple para -
graphe 1 de l’article 29 de la convention de 1979 sur l’élimination de

toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, le papragraphe 1
de l’article 30 de la convention des Nations Unies contre la torture
de 1984, l’article Ix de la convention sur le génocide de 1948, l’article Ix

de la convention sur les droits politiques de la femme de 1953, et l’ar -
ticle 22 de la convention de 1950 pour la répression de la traite des êtres
humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui 163.
144. En outre, justice pourra difficilement être rendue en vertu de trai -

tés relatifs aux droits de l’homme (tels que la CIEdR) si la Cour évalue
les éléments de preuve produits devant elle d’un point de vue sptrictement

162Nations Unies, doc. A/43/pv.72 du 8 décembre 1988, p.26 ;voir également p. 8. peu
après, un mémorandum de l’URSS du 29 septembre 1989 sur le « renforcement du rôle du
droit international », distribué à l’Assemblée générale des Nations Unies le 2 octobre 1989

(dans le cadre de la décennie des Nations Unies pour le droit international), faisai- réfé
rence au renforcement du rôle de la Cour en tant qu’organe judiciapire principal de l’Or -
ganisation ; voir Nations Unies, doc. A/44/585 du 2 octobre 1989, p. 5. S’agissant de cette
nouvelle vision de la primauté de l’état de droit dans les relaptions internationales, voir
les observations formulées dans, notamment, A. gorin et p. mishchenko, « New political
Thinking as a philosophy and a Tool of Soviet Foreign policy »,Journal of Legislation,
vol. 17 (1990), p. 17-18. Quant à la « priorité des valeurs humaines universelles » professée
dans le cadre de cette nouvelle vision, voir les observations formulépes dans, notamment,
v. S. vereshchetin et R. A. mullerson, « International Law in an Interdependent World »,
Columbia Journal of Transnational Law, vol. 28 (1990), p. 292-293 et 300.
163voir les observations formulées dans, notamment, T. Schweisfurth, «The Accep-
tance by the Soviet Union of the Compulsory Jurisdiction of the ICJ for Six Human Rights

Conventions »,European Journal of International Law, vol. 2 (1990), p. 110-117.

233300 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

outlook, singling out the strategies of international litigation of the pcon -
tending parties, and overlooking the basic rationale of those treaties of

protection of the rights of the human person. Under those treaties, peace -
ful settlement is coupled with the realization of justice, and this lattper can
hardly be achieved in a case, such as the present one, without turning
attention to the sufferings and needs of protection of the population.p

x. The Law and the Sufferinpgs and Needs of protection
of the population : s UmmUm JUs , sUmma inJUria

145. Regrettably, this was not done by the Court in the present case.
The Court could, and should, have been particularly attentive to the sufp -
ferings and needs of protection of the population, on the basis of an

assessment of the whole evidence produced before it by the contending
parties themselves. Thus, in its consideration of the first and second ppre -
liminary objections in the present Judgment, the Court referred to severpal
pieces of the vast documentation submitted to its cognizance by the Rus -

sian Federation and georgia. yet, it did so in the course of a reasoning
which pursued an essentially inter-State, and mostly bilateral, outlook,p
centred on the (diplomatic) relations between the two States concernedp.
146. Accordingly, one does not find, in the reasoning of the Court’s

majority, an in-depth examination of the pieces of the aforementioned
documentation which disclose an aspect of the utmost importance to me :
that of the vulnerability, if not defencelessness, of the victimized poppula -
tion, directly affected by the long-standing dispute 16, aggravated into an

armed conflict in early August 2008, between georgia and the Russian
Federation. The present Judgment contains only in passim references to
the sufferings endured by the victimized population, such as the reference

to an agreement concluded by georgia and the Russian Federation, as
early as on 24 June 1992, which stated in the preamble that the parties
were striving for “the immediate cessation of the bloodshed” (parpa. 40).
147. It is beyond the purpose of my dissenting opinion to embark on

an exhaustive analysis of that extensive documentation, as a whole, pro -
duced before the Court. Suffice it here to refer to those documents, supb -
mitted to this Court, in a commendable way, either by the Russian
Federation or by georgia, which are clearly illustrative of the aspect I

single out herein, namely, that of the pain and sufferings, and the prpessing

164As it ensues from, e.g., the resolutions of the georgianparliament of 20 march 2002
(concerning the situation in Abkhazia), and of 11 October 2005 (concerning alleged

“ethnic cleansing by third parties” in Abkhazia and South Ossetia)p ; georgia’s letters of
27 October 2005 to the UN Security Council (UN doc. S/2005/678), and of 10 November
2005 to the UN Secretary-general (UN doc. A/60/552-S/2005/718) ; georgia’s state -
ment at the UN Security Council of 26 January 2006, and address at the UN general
Assembly of 23 September 2006, followed by other manifestations of the kind, ranging
from September-November 2006 to August 2008.

234 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 300

interétatique, en identifiant la stratégie choisie par les parties en litige
dans le cadre de leur procédure internationale, sans tenir compte de pla

raison d’être fondamentale de ces instruments de défense des droits de la
personne humaine. Au regard de ces instruments, le règlement pacifiqupe
va de pair avec la réalisation de la justice, et cette dernière ne peut guère
être rendue dans une affaire comme celle-ci si l’attention ne se porte pas

sur les souffrances de la population et son besoin de protection.

x. Le droit et les souffrpances et besoins de prpotection
de la population : sUmmUm JUs ,sUmma inJUria

145. Ce n’est malheureusement pas ce que la Cour a fait en l’espèce.p
Elle pouvait, et elle devait, être particulièrement attentive aux psouffrances
de la population et à la nécessité de la protéger sur la foi de tous les élé -

ments de preuve présentés par les parties en présence elles-mêmes. Ainsi,
lorsqu’elle a examiné les première et deuxième exceptions prpéliminaires en
la présente affaire, la Cour s’est référée à plusieuprs des très nombreux
documents que la Fédération de Russie et la géorgie avaient portés à sa

connaissance. Et pourtant, son raisonnement s’est situé dans une pperspec -
tive essentiellement interétatique et essentiellement bilatérale, centrée sur
les relations (diplomatiques) entre les deux Etats en cause.
146. Le raisonnement de la majorité des membres de la Cour ne repose

donc pas sur un examen approfondi de la documentation susmentionnée,
qui révèle une réalité à laquelle j’attache la plus grpande importance : la
vulnérabilité, pour ne pas dire l’impuissance, des populations popprimées,
qui étaient les victimes directes d’un différend de longue dapte entre la
164
géorgie et la Fédération de Russie , lequel a pris les dimensions d’un
conflit armé au début d’août 2008. Le présent arrêt ne mentionne qu’en
passant les souffrances endurées par la population opprimée, parp exemple

à propos d’un accord conclu entre la géorgie et la Fédération de Russie
dès le 24 juin 1992, dans le préambule duquel les parties déclaraient s’effor -
cer de parvenir à « la cessation immédiate de l’effusion de sang » (par. 40).
147. Il n’entre pas dans mon propos de procéder à une analyse appro -

fondie de ces nombreux documents. Je me contenterai de mentionner
ceux d’entre eux que la Fédération de Russie ou la géorgie ont portés à
la connaissance de la Cour, et il faut les en féliciter, et qui illusptrent clai -
rement la question qui retient mon attention ici, à savoir celle de la dou -

leur et des souffrances des victimes silencieuses du différend et du conflit

164Comme le montrent, par exemple, les résolutions du parlement géorgien du
20 mars 2002 (concernant la situation en Abkhazie) et du 11 octobre 2005 (concernant le

«nettoyage ethnique auquel se livreraient des tierces parties » en Abkhazie et en Ossétie
du Sud), la lettre de la géorgie adressée le 27 octobre 2005 au Conseil de sécurité des
Nations Unies (Nations Unies, doc. S/2005/678) et celle du 10 novembre 2005 adressée au
Secrétaire général de l’ONU (Nations Unies, doc. A/60/552-S/2005/718), la déclaration de
la géorgie devant le Conseil de sécurité des Nations Unies le 26 janvier 2006 et le discours
prononcé devant l’Assemblée générale des Nations Unies le 23 septembre 2006, ainsi que
d’autres déclarations de même nature effectuées entre septpembre-novembre 2006 et août 2008.

234301 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

needs of protection, of the silent victims of the dispute and armed conflict
between georgia and the Russian Federation. The point I here wish to
make is that this aspect of the present case could not have been over -
looked, especially in a case lodging with this Court on the basis of a

human rights treaty like the CERd Convention.
148. In the documentation presented to the Court by the Russian
Federation, appended to its preliminary objections of 1 december 2009 165,

are the concluding observations of the CERd Committee in respect of
reports lodged with it by Russia as well as by georgia. Thus, already in
its concluding observations, of 22 march 2001, on the initial report of

georgia under the CERd Convention, the Committee inter alia found
that :

“georgia has been confronted with ethnic and political conflicts in
Abkhazia and South Ossetia since independence. (. . .) [T]he conflicts
in South Ossetia and Abkhazia have resulted in discrimination against

people of different ethnic origins, including a large number of inter -
nally displaced persons and refugees.” 166

149. The point was reiterated by the CERd Committee in its conclu -

ding observations, of 15 August 2005, on the second to thir167eriodic
reports of georgia under the CERd Convention . And, in its more
recent concluding observations, of 13 August 2008, on the 18th and
19th periodic reports of the Russian Federation, the Committee recom -

mended inter alia that :

“the State party undertake a thorough investigation, through an inde-
pendent body, into all allegations of unlawful police conduct against
georgian nationals and ethnic georgians in 2006 and adopt measures
168
to prevent the recurrence of such acts in the future” .

150. In the documentation presented by georgia to the Court, appended
to its memorial of 2 September 2009, and to its written statement (on pre -
liminary objections) of 1 April 2010, there are several reports of inter-

national organizations (United Nations, Council of Europe, Organizationp
for Security and Co-operation in Europe [OSCE], European Union) 169, as
well as non-governmental organizations (Human Rights Watch, Amnesty
170
International) . The latter provide accounts of the occurrence, in the
armed conflict that broke out on 7 August 2008, of deliberate and indis -

165
166Annexes 50, 63 and 70.
UN doc. CERd/C/304/Add.120, of 27 April 2001, paras. 3-4. It added that, “[o]n
repeated occasions, attention has been drawn to the obstruction by the Abkhaz authorities
of the voluntary return of displaced populations” (ibid., para. 4).
167Cf. UN doc. CERd/C/gEO/CO/3, of 27 march 2007, paras. 4-5.
168UN doc. CERd/C/RUS/CO/19, of 20 August 2008, para. 13.
169Annexes (to the memorial) 56, 59, 60, 62, 71.
170Annexes (to the memorial) 150, 152, 156, 158.

235 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 301

armé entre la géorgie et la Fédération de Russie, ainsi que de la protec -
tion à leur assurer d’urgence. Ce que je tiens à dire, c’estp que cet aspect de
la présente affaire pouvait d’autant moins être passé sousp silence que la
Cour avait à connaître d’un différend relatif à un instprument de défense

des droits de l’homme de l’importance de la CIEdR.
148. La documentation que la Fédération de Russie a présentée àp la
Cour, en annexe de ses exceptions préliminaires du 1 erdécembre 2009 165,

contient les observations finales du Comité pour l’élimination pde la discri -
mination raciale au sujet des rapports soumis par la Fédération dep Russie
et la géorgie en application de la CIEdR. dans ses observations finales

du 22 mars 2001 sur le rapport initial présenté par la géorgie, le Comité
relevait déjà ce qui suit :

«La géorgie a été confrontée, depuis l’indépendance, à dpes conflits
ethniques et politiques en Abkhazie et en Ossétie du Sud. … Les
[conflits] en Ossétie du Sud et en Abkhazie ont entraîné une pdiscrimi -

nation à l’encontre de personnes d’origines ethniques différentes,
notamment d’un grand nombre de personnes déplacées à l’inptérieur
de leur propre pays et de réfugiés. » 166

149. Le Comité est revenu sur la question dans ses observations finales

du 15 août16705 sur les deuxième et troisième rapports périodiques de la
géorgie et, dans ses observations finales les plus récentes, le 13 août
2008, concernant les dix-huitième et dix-neuvième rapports périodiques
de la Fédération de Russie, il a notamment recommandé :

«à l’Etat partie d’enquêter de manière approfondie, par l’pintermé -
diaire d’un organe indépendant, sur tous les agissements illicitesp de
membres des forces de l’ordre qui auraient visé des ressortissantsp

géorgiens et des géorgiens de souche en 2006, et de prendre des
mesures pour éviter que de tels actes ne se reproduisent » 168.

150. La documentation présentée par la géorgie à la Cour, en annexe
de son mémoire du 2 septembre 2009 et de ses observations écrites sur
les exceptions préliminaires du 1 eravril 2010, contient plusieurs rap-

ports d’organisations internationales (Nations Unies, Conseil de l’Eu -
rope, Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE),
Union européenne) 169, ainsi que d’organisations non gouvernementales
170
(Human Rights Watch, Amnesty International) . Ces dernières relatent
des cas, pendant le conflit armé qui a éclaté le 7 août 2008, d’emploi aveugle

165
166Annexes 50, 63 et 70.
Nations Unies, doc. CERd/C/304/Add.120 du 27 avril 2001, par. 3-4. Le Comité
ajoutait : « A maintes reprises, l’attention a été appelée sur le fait qupe les autorités abkhazes
font obstruction au retour librement consenti des populations déplacépes. » (Ibid.,par. 4.)
167voir Nations Unies, doc. CERd/C/gEO/CO/3 du 27 mars 2007, par. 4-5.
168Nations Unies, doc. CERd/C/RUS/CO/19 du 20 août 2008, par. 13.
169Annexes (au mémoire) 56, 59, 60, 62, 71.
170Annexes (au mémoire) 150, 152, 156, 158.

235302 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

criminate use of force and violence against civilians, ethnic attacks, ipnten-
tional burning of homes and villages, forced displacement of persons, anpd
other human rights and humanitarian law violations. But it is the formerp,
particularly the successive reports of themonitoring Commission 171of the

parliamentary Assembly of the Council of Europe, that provide an over-
all account of the features and the pattern of violence that generated tphe
sufferings of the population in the regions affected by the armed copnflict,

and the pressing needs of protection of the numerous victims.
151. Even if this particular aspect of the cas d’espèce goes beyond the
framework of bilateral (diplomatic) inter-State relations, this Court,p in my

view, could not have overlooked it, at the present stage of preliminary objec -
tions, even more so after its recent decision to indicate provisional mepasures
of protection (Order of 15 October 2008) in the present case, having found
that it had jurisdiction prima facie over the dispute at issue (I.C.J. Reports

2008, p. 388, para. 117). And, above all, one has to go beyond the strict
inter-State (diplomatic) outlook of traditional international law, forp it is
generally recognized that contemporary jus gentium is not at all insensitive

to the fate of the populations.
152. Thus, it should not pass unnoticed that the aforementioned
reports of the monitoring Commission of the parliamentary Assembly of

the Council of Europe took the care to draw attention to the living condpi -
tions of the population affected. One of them, of late April 2009, asserted:

“The rule of customary international law that the well-being of
the population in occupied areas has to be a basic concern for

those involved in a conflict. (. . .) [T]he well-being of the population
in occupied areas has to be a basic concern for those involved in a
conflict (. . .).”172

This was of great importance, the report added, in the light of the claims

of “violations of human rights and international human173rian law”p in
the course of the war and during its aftermath .
153. In a previous report, of late January 2009, the monitoring Com -
mission reiterated this warning (paras. 1, 46, 49, 50), in face of the origi -
174
nally recorded — by the UNHCR — 133,000 internally displaced
persons in georgia 175. Looking back in time, to the early 1990s (the con -

171I.e., the Committee on the Honouring of Obligations and Commitments by member

Sta172 of the Council of Europe (C.E.).
C.E./parliamentary Assembly, Follow-up Given by Georgia and Russia to Resolution
1641732009), doc. 11.876, of 28 April 2009, p. 7, paras. 29-30.
Ibid., p. 6, para. 23.
174That is, the United Nations High Commissioner for Refugees. In addition pto the
UNHCR, also the International Committee of the Red Cross (ICRC) receivped requests
from members of families of those displaced or missing.
175C.E./parliamentary Assembly, Implementation of Resolution 1633 (2008) on the
Consequences of the War between Georgia and Russia, doc. 11.800, of 26 January 2009,
p. 15, para. 58, and cf. pp. 2, 14-15 and 22, paras. 1, 46, 49-50 and 104.

236 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 302

de la force et de la violence contre des civils, d’attaque ethnique, pd’incendie
volontaire de maisons et de villages, de déplacement forcé de personnes et
autres violations des droits de l’homme et du droit humanitaire. mais ce
sont les premières, en particulier la commission de suivi 171de l’Assemblée

parlementaire du Conseil de l’Europe dans ses rapports successifs, qui
brossent un tableau d’ensemble des violences systématiques à l’porigine des
souffrances de la population des régions touchées par le conflpit armé et de

la protection à assurer d’urgence aux nombreuses victimes.
151. même si cet aspect particulier du cas d’espèce n’entre pas dapns le
cadre des relations interétatiques bilatérales (diplomatiques), pla Cour ne

pouvait, à mon avis, en faire abstraction au stade de l’examen desp exceptions
préliminaires — d’autant qu’elle venait d’ordonner des mesures provisoires
de protection (ordonnance du 15 octobre 2008) en la présente affaire, ayant
jugé qu’elle avait compétence prima facie en l’espèce (C.I.J. Recueil 2008,

p. 388, par. 117). mais, surtout, elle devait aller au-delà d’une vision stricte -
ment interétatique (diplomatique) du droit international traditionnel car,
chacun en convient, le jus gentium contemporain est loin d’être indifférent au

sort des populations.
152. Il ne faut donc pas oublier que, dans les rapports susmentionnés,
la commission de suivi de l’Assemblée parlementaire du Conseil de pl’Eu -

rope a pris soin d’appeler l’attention sur les conditions de vie dpe la popu-
lation victime du conflit. voici ce qu’elle écrivait dans l’un d’entre eux,
datant de la fin du mois d’avril 2009 :

«Les principes du droit international coutumier, à savoir que les
conditions de vie dans les zones occupées doivent constituer une des

préoccupations premières des parties à un conflit … [L]es conditions
de vie dans les zones occupées doivent constituer une des préoccuppa -
tions premières des parties à un conflit… » 172

La mission ajoutait que ces principes étaient d’une grande importapnce à

la lumière des allégations de «violations des droits de l’homme173 du droit
international humanitaire» pendant et après le conflit .
153. dans un rapport précédent publié à la fin janvier 2009, la com -
mission de suivi avait déjà donné l’alarme (par. 1, 46, 49 et 50), le nombre

de personnes déplacées à l’intérieur de la géorgie initialement enregistrées
par le HCR 174s’élevant à 133 000 17. Si l’on tient compte aussi du conflit

171C’est-à-dire la Commission pour le respect des obligations et des engagements deps

Eta172membres du Conseil de l’Europe (commission de suivi).
Conseil de l’Europe, Assemblée parlementaire, Suites données par la Géorgie et la
Rus173 à la résolution 1647 (2009), doc. 11.876 du 28 avril 2009, p. 6, par. 29-30.
Ibid., p. 5, par. 23.
174C’est-à-dire le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Outre le
HCR, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a reçu desp demandes émanant
des familles de personnes déplacées ou portées disparues.
175Conseil de l’Europe, Assemblée parlementaire, La mise en œuvre de la résolu -
tion 1633 (2008) sur les conséquences de la guerre entre la Géorgie et la ▯Russie, doc. 11.800
du 26 janvier 2009, p. 15, par. 58, et voir p. 2, 13, 14 et 21, par. 1, 46, 49-50 et 104.

236303 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

flict of 1992, which also generated forced displacement), the estimatped
total of displaced persons in the area, throughout the 1990s, rises to
222,000 persons, according to another report, of early October 2008, of

the monitoring Committee ; this report estimates that, out of the war of
August 2008 in particular, of the more than 30,000 displaced persons,
25,000 from South Ossetia and 6,000 from Abkhazia “are considered to p
176
be ‘permanently’ unable to return to their original place of residpence” .
154. This report deplores “the human suffering” caused by the war
between georgia and Russia, and resulting from alleged “patterns of eth -
177
nic cleansing” in South Ossetia , and other “human rights and humani -
tarian law violations committed by both sides in the context of the war,p
such as the intentional or avoidable killing or wounding of civilians, aps
178
well as destruction of property” . In the course of 2009, two Commit -
tees of the parliamentary Assembly of the Council of Europe issued
reports, also focusing on the suffering of the population, ensuing fropm the

humanitarian consequences of the war between Russia and georgia.
155. The monitoring Committee, in a new report, of mid-September
2009, regretted that “little tangible progress” had been achieved to address

the consequences of that “tragic war” : there had not been a serious inves -
tigation of the alleged “ethnic cleansing of ethnic georgians” and perpe -
trators had not been brought to justice 179. The tensions in the whole

region had not been reduced, the report added, negatively affecting itps
stability and “the security of all its inhabitants”; a pressing need remained
of “urgent protection of human rights and humanitarian security” 180.

156. For its part, the Committee on migration, Refugees and popula -
tion, of the parliamentary Assembly of the Council of Europe, in its
report of early April 2009, also addressed the continuation of problems

that kept on inflicting suffering on the population concerned, and ipts
“ongoing fear” of a “renewal of hostilities” (para. 95), namely :
(a) detained and missing persons (paras. 39-46) ; (b) forced displacement

(para. 2) ;(c) family reunification (paras. 25 and 45) ; and (d) destruction
of property and looting (para. 30) 181.

176C.E./parliamentary Assembly, The Consequences of the War between Georgia and
Russia, doc. 11.724, of 1 October 2008, p. 3, para. 15, and cf. also p. 13, para. 36.
177
Ibid., pp. 1 (summary) and 14-15, para. 42 and 54. In this respect, the monitoring
Committee’s report refers to “credible reports of acts of ethnic cpleansing committed in
georgian villages in South Ossetia and the ‘buffer zone’ by irregpular militia and gangs
which the Russian troops failed to stop” ; ibid., p. 1 (summary).
178Ibid., p. 3, para. 11, and cf. also p. 16, para. 60.
179C.E./parliamentary Assembly, The War between Georgia and Russia : One Year
After, doc. 12.010, of 14 September 2009, pp. 3 and 5, paras. 1 and 9-10, and cf. also p. 2,
para. 6.
180Ibid., pp. 9 and 12, paras. 27 and 49. The report added that there was “a serious risk

of a new exodus of ethnic georgians from the gali and Akhalgori districts” ; ibid., p. 14,
para. 64.
181C.E./parliamentary Assembly, Humanitarian Consequences of the War between
Georgia and Russia : Follow-Up Given to Resolution 1648 (2009), doc. 11.859, of 9 April
2009, pp. 2, 8-11 and 16, paras. 2, 25, 30, 39-46 and 95.

237 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 303

de 1992 qui a également entraîné des déplacements forcés, le nombre total
de personnes déplacées dans la région au cours des années 1990 passe à
222 000, comme l’indique un autre rapport de la commission publié au

début du mois d’octobre 2008; selon ses auteurs, plus de 30 000 personnes
déplacées à la suite de la guerre d’août 2008, dont 25 000 originaires d’Os -
sétie du Sud et 6000 d’Abkhazie, « seront dans l’impossibilité de regagner
176
leur lieu de résidence d’origine, et ce, « à titre permanent »» .
154. La commission y déplore «les souffrances humaines» causées par la
guerre entre la géorgie et la Russie, et qui résultent en particulier nedte«yages
177
ethniques systématique» s en Ossétie du Sud et d’autres «violations des droits
de l’homme et du droit humanitaire commises par les deux parties dansp le
contexte de la guerre, telles que les meurtres ou blessures intentionnels ou
évitables de civils, ainsi que la destruction de bien »s17. pendant l’année 2009,

deux commissions de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Epurope ont
établi des rapports qui portaient aussi sur les souffrances de la ppopulation en
raison des conséquences humanitaires de la guerre entre la Russie et la géorgie.

155. dans un nouveau rapport publié à la mi-septembre 2009, la comm-is
sion de suivi a regretté que «peu de progrès tangibles» aient été enregistrés
pour remédier aux conséquences de cette «guerre tragique»: il n’y avait eu

aucune enquête sérieuse sur les allégations de « nettoyage ethnique à l’en -
contre de géorgiens de souche» et les responsables n’avaient pas été traduits
en justice 179. Les tensions ne s’étaient pas apaisées dans la région, ce pqui

nuisait à sa stabilité et à «la sécurité de tous les habitants»; il restait urgent
de protéger «les droits de l’homme et [d’]assurer la sécurité humanitair» ep18.
156. pour sa part, la commission des migrations, des réfugiés et de la

population de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, dans un
rapport publié au début du mois d’avril 2009, s’est également penchée sur
les problèmes qui continuaient de causer des souffrances à la population

«dont la peur persistait quant à une reprise des hostilités » (par. 95), à
savoir : a) les personnes détenues ou disparues (par. 39-46) ; b) les dépla -
cements forcés (par. 2) ; c) la réunification des familles (par. 25 et 45) ; et
d) la destruction de biens et le pillage (par. 30) 181.

176
Conseil de l’Europe, Assembléerparlementaire, Les conséquences de la guerre entre la
Géorgie et la Russie,doc. 11.724 du 1 octobre 2008, p. 3, par. 15 ;voir aussi p. 14, par. 36.
177 Ibid., p. 1 (résumé) et p. 15-16, par. 42 et 54. A ce propos, le rapport de la commis -
sion de suivi fait état « d’allégations plausibles d’actes de nettoyage ethnique commis dpans
des villages géorgiens en Ossétie du Sud et dans la « zone tampon » par des milices irrégu
lières et des gangs que les troupes russes n’ont pas arrêtésp » ;ibid., p. 1 (résumé).
178 Ibid., p. 3, par. 11 ; voir aussi p. 17, par. 60.
179 Conseil de l’Europe, Assemblée parlementaire, La guerre entre la Géorgie et la
Russie : un an après, doc. 12.010 du 14 septembre 2009, p. 3 et 7, par. 1 et 9-10 ; voir aussi

p. 180par. 6.
Ibid., p. 9 et 12, par. 27 et 49. Les auteurs du rapport ajoutaientqu’un nouvel
exode de ces populations des districts de gali et d’Akhalgori [était] malheureusement à
craindre » ;ibid., p. 14, par. 64.
181 Conseil de l’Europe, Assemblée parlementaire, Conséquences humanitaires de la
guerre entre la Géorgie et la Russie : suites données à la résolution 1648 (2009), doc. 11.859
du 9 avril 2009, p. 2, 8-11 et 16, par. 2, 25, 30, 39-46 et 95.

237304 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

157. These reports were accompanied by resolutions (related to the
fact-finding work of the monitoring Committee) of the parliamentary
182
Assembly of the Council of Europe , which also referred to the suffer -
ings of the victimized population. One of those resolutions (namely, reso -
lution 1683 (2009), of 29 September 2009), after referring to the “tragic
war” at issue (para. 1), made a cross-reference to the Report of the “Inde -
pendent International Fact-Finding mission on the Conflict in georgia”

(of September 2009), established by the European Union, into the origins
and course of the conflict at issue (para. 2).
158. The aforementioned Report was also included in the documenta -
tion which georgia presented to this Court in the course of the proceed -

ings on the consideration of the preliminary objections interposed by thpe
Russian Federation 18. The Report began by stressing that, as a result of
a decision taken by the Council of the European Union, this was “the p
first time in its history that the European Union has decided to intervepne

actively in a serious armed conflict”, setting up a Fact-Finding mission as
a follow-up to the conflict (p. 2). And it went on :

“[m]ost people directly involved in the conflict remember human
fates and human suffering first and foremost. The August 2008 armed
conflict unfortunately saw many crimes committed in violation of
international humanitarian law and human rights law. (. . .)

As for the conflict in South Ossetia and adjacent parts of the terri -
tory of georgia, the mission established that all sides to the conflict
— georgian forces, Russian forces and South Ossetian forces — com -

mitted violations of international humanitarian law and human rights
law. (. . .)” (paras. 25-26.)

159. The Report added that the mission had found “patterns of forced
displacements of ethnic georgians who had remained in their homes after
the onset of hostilities” (para. 27). The violations of the rights of the
human person mainly concerned “indiscriminate attacks” and “illp-

treatment of persons”, forced displacement and destruction of propertpy.
As a result,

“Adding to the severity of the situation, there was a considerable
flow of internally displaced persons (Idps) and refugees. Reportedly
about 135,000 persons fled their homes, most of them from regions
in and near South Ossetia. While most persons fled to other parts of

georgia, a significant number also sought refuge in Russia. The
majority fled because of the dangers and the insecurity connected to
the conflict situation. But also numerous cases of forced displace -

182E.g., resolution 1647 of 28 January 2009 ; resolution 1633 of 2 October 2008 (forced
displacement, paras. 15 and 24 (3)) ; resolution 1683 of 29 September 2009 (alleged “ethnic
cleansing”, para. 9).
183Cf. Annexes (to georgia’s written statement on preliminary objections, of 1 April
2010) 120 and 121.

238 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 304

157. Ces rapports étaient accompagnés de résolutions (relatives au ptra-
vail d’enquête de la commission de suivi) de l’Assemblée paprlementaire du
182
Conseil de l’Europe qui mentionnaient aussi les souffrances de la popu-
lation opprimée. L’une de ces résolutions, à savoir la répsolution 1683
(2009) du 29 septembre 2009, après avoir évoqué cette « guerre tragique»
(par. 1), se référait au rapport de la «mission d’enquête internationale
indépendante sur les origines et le déroulement du conflit » créée par

l’Union européenne (par. 2).

158. Ce rapport figurait également dans la documentation que la géor-
gie a présentée à la Cour pendant l’examen des exceptions prpéliminaires
183
soulevées par la Fédération de Russie . La mission d’enquête commen -
çait par souligner que, à la suite d’une décision prise par ple Conseil de
l’Union européenne, c’était la première fois dans son histoire que
l’Union européenne décidait d’intervenir activement dans un conflit aprmé

grave et de créer une mission d’enquête à la suite du conflpit (p. 2). Elle
ajoutait :

«La plupart des personnes directement impliquées dans le conflit
se souviennent d’abord et surtout du sort et des souffrances des vipc -
times. Le conflit armé de 2008 a malheureusement été marqué par de
nombreux crimes commis en violation du droit international huma -

nitaire et du droit des droits de l’homme…
pour ce qui était du conflit en Ossétie du Sud et dans les régpions
adjacentes du territoire de la géorgie, la mission a établi que toutes
les parties au conflit — forces géorgiennes, forces russes et forces

d’Ossétie du Sud — avaient commis des violations du droit interna -
tional humanitaire et du droit des droits de l’homme…» (par. 25-26.)

159. La mission avait constaté des «déplacements forcés systématiques
de géorgiens de souche qui étaient restés chez eux après le dépclenchement
des hostilités» (par. 27). Les violations des droits de la personne prenaient
essentiellement la forme d’attaques menées sans discrimination et pde mau -

vais traitements, de déplacements forcés et de destruction de bienps:

«Le nombre de personnes déplacées et de réfugiés était conpsidé -
rable, ce qui aggravait encore la situation. Quelque 135 000 per-
sonnes auraient fui leur foyer, la plupart d’entre elles venant de
régions d’Ossétie du Sud ou des environs. Si la majorité s’pest réfugiée

dans d’autres régions de la géorgie, un nombre non négligeable a
cherché refuge en Russie. La plupart fuyaient les dangers et l’inspécu -
rité liés au conflit. mais on a également constaté de nombreux cas de

182par exemple, résolution 1647 du 28 janvier 2009 ; résolution 1633 du 2 octobre 2008
(déplacements forcés, par. 15 et 24, al. 3) ; résolution 1683 du 29 septembre 2009 (alléga -
tions de «nettoyage ethnique », par. 9).
183voir annexes 120 et 121 aux observations écrites de la géorgie sur les exceptions
préliminaires du 1 avril 2010.

238305 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

ments in violation of international humanitarian law and human
rights law were noted.” (para. 28.)

160. As we have seen, the fact-finding reports reviewed above charac -
terized the armed conflict of 2008 between georgia and Russia as a “tragic
war”, marked, by all those who can remember it, by “human fates and

human suffering” (cf. supra). Even earlier occurrences, well before the
2008 armed conflict, have been characterized as “tragic”. very brief refer -
ences to such characterization, by georgia, can be found in the present
Judgment, in paragraph 55 (“tragic events” of 1993), paragraph 61 (“tragic

events” of 1998), and paragraph 71 (“tragic results” of occurrences of
2001). yet, this dimension — the human factor — is not at all reflected pin
the present Judgment of the Court, in its own assessment of the facts fopr
the consideration of the preliminary objections raised before it.

161. As to the first preliminary objection, for example, the Court spent
92 paragraphs to concede that, in its view, a legal dispute at last crysptal -
lized, on 10 August 2008 (para. 93), only after the outbreak of an open
and declared war between georgia and Russia! I find that truly extraor -

dinary: the emergence of a legal dispute only after the outbreak of wide -
spread violence and war! Are there disputes which are quintessentially
and ontologically legal, devoid of any political ingredients or consider -
ations? I do not think so. The same formalistic reasoning leads the Courpt,
in 70 paragraphs, to uphold the second preliminary objection, on the

basis of alleged (unfulfilled) “preconditions” of its own constrpuction, in
my view at variance with its own jurisprudence constante and with the
more lucid international legal doctrine.

162. Under human rights treaties, the individuals concerned, in situa -
tions of great vulnerability or adversity, need a higher standard of proptec -
tion; the ICJ, in the cas d’espèce, lodged with it on the basis of the CERd
Convention, applied, contrariwise, a higher standard of State consent fopr

the exercise of its jurisdiction. The result was the remittance by the Cpourt
of the present dispute back to the contending parties. The cries of suffer -
ing of the victims (from all sides) of the conflict between the Russpian
Federation and georgia of August 2008 seemed to have echoed in the

Palais des droits de l’homme in Strasbourg, on the occas184 of the decision
on the admissibility of the case Georgia v. Russia , not so in the peace
palace here at The Hague.
163. This point can be added, in my perception, to the characterization
of the present case as indeed a tragic one, above all from the perspectipve

of the victimized families and individuals. Tragedy accompanies human

184Cf. ECHR (Fifth Section), case Georgia v. Russia (application No. 13255/07, deci -
sion of 30 June 2009, paras. 1-5: the ECHR, by a majority, declared the application
admissible (without prejudging the merits of the case), and joined to pthe merits the [quite
distinct] preliminary objections raised before it.

239 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 3)05

déplacements forcés en violation du droit international humanitairpe
et des droits de l’homme. » (par. 28.)

160. Comme nous l’avons vu, dans les rapports d’enquête examinés
ci-dessus, le conflit armé russo-géorgien de 2008 a été qualifié de « guerre
tragique», tous ceux qui s’en souviennent étant restés marqués papr le s «ort

et [l]es souffrances des victimes » (voir ci-dessus). même des événements
plus anciens, bien antérieurs au conflit armé de 2008, ont été qualifiés de
«tragiques». Cette qualification des faits par la géorgie est brièvement évo -
quée dans le présent arrêt, au paragraphe 55 (les « événements tragiques»

de 1993), au paragraphe 61 (les « événements tragiques» de 1998) et au
paragraphe 71 (les « conséquences tragiques» des événements de 2001).
pourtant, cette dimension — le facteur humain — ne se retrouve pas du
tout dans l’analyse des faits que la Cour a elle-même réalisée, dans son
arrêt, pour statuer sur les exceptions préliminaires soulevées pdevant elle.

161. En ce qui concerne la première de ces exceptions, par exemple, il
a fallu quatre-vingt-douze paragraphes à la Cour pour reconnaître que,
selon elle, un différend juridique s’était finalement cristallisé le 10 août
2008 (par. 93), seulement après l’éclatement d’une guerre ouverte et décla -

rée entre la géorgie et la Russie ! Je trouve cela vraiment extraordinaire :
voici un différend juridique qui ne s’est fait jour qu’après le déclenche -
ment d’une vague de violence et d’une guerre généralisée ! Existe-t-il des
différends foncièrement et ontologiquement juridiques coupés de toutes
ramifications ou considérations politiques ? Je ne pense pas. Ce même rai -

sonnement formaliste conduit la Cour, au bout de soixante-dix para -
graphes, à retenir la deuxième exception préliminaire, sur la bpase de
prétendues «conditions préalables» (non remplies) de son invention — en
s’écartant à mon sens de sa propre jurisprudence constante et dpe la doc -

trine juridique internationale, plus éclairée.
162. Selon les traités relatifs aux droits de l’homme, les personnes
concernées, qui se trouvent en situation de grande vulnérabilitép ou de
grande détresse, doivent bénéficier d’un degré de protectpion plus élevé; or
la Cour, dans cette affaire portée devant elle sur la base de la CIpEdR, a

jugé au contraire qu’un degré de consentement des Etats plus éplevé était
requis pour qu’elle puisse exercer sa compétence. Ce faisant, ellep a ren -
voyé le présent différend devant les parties en litige. Les cpris de souffrance
des victimes (des deux camps) du conflit russo-géorgien d’août 1998

semblent avoir été entendus au palais des droits de l’homme à Strasbourg, 184
dans la décision rendue sur la recevabilité de l’affaire Géorgie c. Russie ,
mais être restés sans écho au palais de la paix, ici à La Haye.
163. Cela justifie d’autant plus, à mes yeux, de considérer la prépsente
affaire comme une véritable tragédie, surtout du point de vue des familles

et des personnes qui en ont été les victimes. La tragédie va dep pair avec

184voir Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), affaire Géorgie
c. Russie (requête n 13255/07, décision du 30 juin 2009, par. 1-51) : la Cour, à la majorité,
a déclaré la requête recevable (sans préjuger le fond de l’paffaire) et a joint au-fond les excep
tions préliminaires (tout à fait distinctes) soulevées devantp elle.

239306 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

existence; no one can be sure to be free from it, till passing the final
threshold of his or her own life secure from pain and injustice, as Sophpo-
cles (497-405 bc) warned in one of his plays. It is not at all surprising that
his masterpieces, like those of Aeschylus (525-456 bc) shortly before him,
and of his contemporary Euripides (484-406 bc), keep on being repre -
sented throughout the centuries, time and time again, from the fifth cenp -

tury bc until our days, in distinct parts of the world, and in several
languages. Their messages are endowed with contemporaneity, duly
grasped by succeeding generations along the centuries everywhere, as thepy
touch on the unhappiness and sufferings proper of the human condition.p

164. Amidst the violence portrayed in the representations of the peren-
nial greek tragedies of the fifth century bc, there emerged a timely warn -
ing as to destiny (as in Sophocles’ Oedipus Rex, or in his Ajax), as to the
unforeseeable along human existence, up to its end. Rationalism and so-
called “realism” attempted to put an end to tragedy, and did not spucceed

at all, as human existence has been accompanied, since time immemorial, p
by irrationality and brutality. It is not surprising to find that, from the
tragedies of ancient greece, there also emerged a yearning and search for
justice (as in Euripides’ Hecuba, or in Aeschylus’ Oresteian Trilogy, par -
ticularly The Eumenides), never abandoned until our days. Ever since,
attention has been turned to the dictates of human conscience, even whenp

they clashed with the rules of the law of the polis (as in Sophocles’ Anti -
gone); this tension led, in a language gradually crystallized throughout
the subsequent centuries, to the opposition of natural law — emanating
from the recta ratio — to positive law (jus positum), in the longing for
justice.

165. The reckoned need for justice emanates, e.g., from the rituals of
tribute to the dead and the victimized. Tragedy has, furthermore, evokedp
the process of learning through suffering (as, once again, in Aeschylpus’
Oresteian Trilogy, particularly Agamemnon). Tragedy has survived ratio -
nalism and so-called “realism”, and, in regretting cruel, inhuman pand

degrading treatment (by all means unnecessary and abominable), unfor -
tunately inflicted until our days, remains endowed with manifest contepm-
poraneity. The victims of the “tragic war” of 2008 opposing georgia to
the Russian Federation, the fatal ones and their surviving relatives, anpd
those forcefully displaced from their homes and incapable to return freeply

thereto ever since, have not yet found justice . . . As a member of the
International Court of Justice (seized of the case of their concern), I can -
not but deeply regret this. Summum jus, summa injuria.

166. In this connection, may I further recall, also in temporal perspec -

tive, that, in the tragic inter-war period of the first half of the twenptieth

240 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 306

l’existence humaine ; nul ne peut être certain d’y échapper avant d’avoir
franchi le seuil de sa propre existence sans avoir connu ni la souffrapnce
ni l’injustice, pour reprendre la mise en garde formulée par Sophocle
(497-405 av. J.-C.) dans l’une de ses pièces. Il n’est guère surprenant pque
les chefs-d’œuvre de cet auteur, comme ceux d’Eschyle (525-456 av. J.-C.)

peu avant lui et ceux de son contemporain Euripide (484-406 av. J.-C.),
n’aient pas cessé d’être représentés à travers les psiècles, encore et encore,
depuis le v e siècle avant J.-C. jusqu’à notre époque, dans différentes par -
ties du monde, et dans différentes langues. Leur message est empreipnt de
modernité — ce qu’ont parfaitement compris les générations successives

du monde entier au fil des siècles — en tant qu’il touche au malheur et
aux souffrances propres à la condition humaine.
164. Sur ce fond de violence dépeint dans les représentations des tragép -
dies grecques intemporelles du v siècle avant J.-C. ressortait une mise en
garde fort à propos quant au destin (comme dans l’Œdipe roi de Sophocle,

ou dans son Ajax) et au caractère aléatoire de l’existence humaine, jusqu’àp
son terme. Les tenants du rationalisme et d’un prétendu « réalisme» ont
tenté de mettre un terme à la tragédie, et ont totalement écphoué puisque,
depuis des temps immémoriaux, l’existence humaine rime avec irratipona -
lité et brutalité. Il n’est pas étonnant que les tragédieps de la grèce antique
aient aussi fait apparaître une soif et une quête de justice (parp exemple

dans l’Hécube d’Euripide, ou dans la trilogie eschyléenne de L’Orestie,
en particulier dans Les Euménides) qui demeurent intactes aujourd’hui.
depuis cette époque, les impératifs de la conscience humaine ont épté pris
en considération, même lorsqu’ils entraient en conflit avec lpes règles du
droit de la polis (je songe par exemple à l’Antigone de Sophocle); ce conflit

a donné lieu, pour reprendre les termes qui se sont progressivement cpris -
tallisés au long des siècles suivants, à l’opposition du dropit naturel — ém-a
nation de la recta ratio — et du droit positif (jus positum), dans le cadre
de cette quête de justice.
165. Le besoin de justice invoqué découle, entre autres, des rituels

effectués en hommage aux défunts et aux victimes. La tragédiep renvoie en
outre au processus d’apprentissage par la souffrance (comme, làp encore,
dans la trilogie eschyléenne de L’Orestie, en particulier dans Agamem -
non). La tragédie a survécu au rationalisme, au prétendu « réalisme», et
elle reste manifestement d’actualité, en tant qu’elle condamne les traite -

ments cruels, inhumains et dégradants (inutiles et abominables en toputes
circonstances) — qui n’ont malheureusement toujours pas disparu à notre
époque. Les victimes de la « guerre tragique» de 2008 entre la géorgie et
la Fédération de Russie, celles qui ont perdu la vie et leurs proches qui
ont survécu, et celles qui ont été déplacées par la forcep de leurs foyers et
ne sont pas en mesure d’y retourner librement depuis, n’ont pas enpcore

obtenu justice… En tant que membre de la Cour internationale de Justice
(saisie de l’affaire qui les touche), je ne puis que le regretterp vivement.
Summum jus, summa injuria.
166. A cet égard, qu’il me soit permis de rappeler enfin, toujours dansp
une perspective temporelle, que, dans la période tragique de l’entpre-deux-

240307 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

century, one of the forerunners of the international protection of humanp
rights (almost forgotten in our hectic days), the Russian jurist Andrép
Nicolayévitch mandelstam, deeply regretted that the international legal
order of his time accorded “complete impunity to the State violating pthe

most sacred rights of the individual”, and longed for a new legal ordper
which “would oblige the State to accord” to each human being a cerptain
“minimum of rights”. In his somehow premonitory warning of 1931, he
further stated :

“The horrible experience of our time has demonstrated that there
is far less reason to fear the potential abuses that might arise from

this imprecision and from the absence of sanctions than there is to
fear those which result from according a State an unlimited power
over the life and freedom of its subjects.” 185

xI. Human Rights Treaties

as Living Instruments

167. In the present Judgment on preliminary objections, the Court
upholds the second preliminary objection relying upon its own strictly

textual or grammatical reasoning relating to the compromissory clause
(Art. 22) of the CERd Convention (para. 135). Nowhere does one find
considerations of a contextual nature, or else a reasoning that at leastp
attempts to link such compromissory clause to the object and purpose of p
the CERd Convention, taking into account the substance and nature of

the Convention as a whole. Nowhere does the Court consider the histori -
cal importance of the CERd Convention as a pioneering human rights
treaty, and its continuing contemporaneity for responding to new chal -
lenges that are of legitimate concern to humankind, for the purpose of
interpreting the compromissory clause contained therein.

168. moreover, the reasoning of the Court appears to me as a static
one, attempting to project into our days what the Court’s majority
imagines were the intentions of the draftsmen of the Convention (or of
some of them) almost half a century ago, on the basis of a textual or
grammatical argument. The Court notes that, “at the time” when thep

CERd Convention “was being elaborated, the idea of submitting to the
compulsory settlement of disputes by the Court was not readily accept -
able to a number of States” (para. 147). The Court then attempts to
extract consequences therefrom, so as to advance today, in 2011, a rea -
soning that freezes or ossifies international law in the present domain pof

protection of the human person, that hinders its progressive developmentp,
and, understandably, that limits its own jurisdiction!

185A. N. mandelstam, Les droits internationaux de l’homme, paris, Editions internatio-
nales, 1931, p. 138. [Translation by the Registry.]

241 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 307

guerres qui a marqué la première moitié du xx siècle, l’un des pionniers
de la protection internationale des droits de l’homme (presque oublipé à
notre époque mouvementée), le juriste russe André Nicolaïevitch man -

delstam, s’affligeait de ce que l’ordre juridique international de son temps
accordait «une complète impunité à l’Etat violant les droits les plus spacrés
de l’individu », et aspirait à un nouvel ordre juridique qui « obligerait
l’Etat à reconnaître » à chaque être humain un certain « minimum de
droits». dans son ouvrage de 1931, qui sonne quelque peu comme une

mise en garde prémonitoire, il ajoutait :

«L’horrible expérience de notre temps a démontré que les abusp
éventuels, qui pourraient naître de cette imprécision et de l’pabsence
de sanctions, sont beaucoup moins à redouter que ceux qui résultenpt
de la reconnaissance à l’Etat d’un pouvoir illimité sur la vie et la
liberté de ses sujets. »85

xI. Les traités relatifs paux droits de l’hommep
en tant qu’instrumenpts vivants

167. dans le présent arrêt sur les exceptions préliminaires, la Cour p
retient la deuxième exception sur la foi de son propre raisonnement,
strictement fondé sur une analyse textuelle ou grammaticale de la clause
compromissoire (art. 22) de la CIEdR (par. 135). Elle ne dit rien sur le
contexte, pas plus qu’elle ne tente, au minimum, de relier ladite clapuse

compromissoire à l’objet et au but de la CIEdR, eu égard à la teneur et
à la nature de la Convention dans son ensemble. La Cour passe totalement
sous silence l’importance historique de cette convention en tant que ptraité
pionnier dans le domaine des droits de l’homme, ainsi que l’actualpité de

cet instrument pour répondre aux nouveaux défis — et préoccupations
légitimes — de l’humanité, aux fins d’interpréter la clause comprompissoire
contenue dans cet instrument.
168. de plus, le raisonnement de la Cour me paraît statique, tentant de
transposer à notre époque les intentions qui — dans l’esprit de la majo -

rité — animaient les rédacteurs de la Convention (ou certains d’entre eux)
il y a près d’un demi-siècle, sur la base d’un argument d’ordre textuel ou
grammatical. La Cour note que, « à l’époque» où la CIEdR « a été rédi -
gée, l’idée de consentir au règlement obligatoire des diffpérends par [elle]

n’était pas facilement acceptable pour nombre d’Etats » (par. 147). La
Cour tâche ensuite d’en tirer les conséquences, au point d’apvancer
aujourd’hui, en 2011, un raisonnement qui a pour effet de geler ou de
paralyser le droit international dans le domaine qui nous occupe ici, àp
savoir celui de la protection de la personne humaine, d’empêcher spon

développement progressif et — chose incompréhensible — de limiter sa
propre compétence !

185A. N. mandelstam, Les droits internationaux de l’homme, paris, Editions internatio-
nales, 1931, p. 138.

241308 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

169. Nowhere does the Court refer to the actual application that the
CERd Convention has had in practice, throughout the last decades, so as
to fulfill its object and purpose to the benefit of millions of human bepings.
Nowhere does the Court recognize that the CERd Convention, like other
human rights treaties, is a living instrument, which has acquired a life of
its own, independently from the assumed “intentions” of its draftspmen

almost half a century ago. Even within the static outlook of the Court,
already at the time the CERd Convention was being elaborated, there
were those — as I have already indicated (cf. supra) — who supported the
compulsory settlement of disputes by this Court, and even more so today,p
in 2011, in respect of obligations under the CERd Convention, and other
human rights treaties.

170. may I here recall that, one and a half decades before the adoption
of the CERd Convention, in his dissenting opinion in the Anglo-Iranian
Oil Co. (United Kingdom v. Iran) case before the ICJ, Judge Alejandro
Alvarez criticized traditional methods of treaty interpretation based onp

strict adherence to the letter of treaties (seen with an assumed “evperlasting
and fixed character”) and too much reliance on “rules of grammar”p with-
out regard to the convention “as a whole” (Preliminary Objection, Judg -
ment, I.C.J. Reports 1952, p.125). In his view,

“it is necessary to avoid slavish adherence to the literal meaning ofp
legal or conventional texts (. . .). The important point is (. . .) to have
regard above all to the spirit of such documents, to the intention of
the parties in the case of a treaty, as they emerge from the institutionp

or convention as a whole, and indeed from the new requirements of
international life. (. . .) [A] convention, once established, acquires a
life of its own and evolves not in accordance with the ideas or the willp
of those who drafted its provisions, but in accordance with the chang-
ing conditions of the life of peoples.” (Ibid., p. 126.)

171. In addition, Judge A. Alvarez warned that, in his view, it was also:

“necessary to have recourse to the spirit of the Charter of the United
Nations, of which the Statute of the Court forms an integral part
(. . .), and to the general principles of the law of nations. (. . .)
[T]he present Court is, according to its Statute, a Court of justice

and, as such, and by virtue of the dynamism of international life, it
has a double task : to declare the law and to develop the law.” (Ibid.,
pp. 131-132.)

172. This applies even more forcefully in respect of human rights trea -
ties, which are living instruments, and accompany the evolution of timesp
and of the social milieu wherein are exercised the protected rights, so as to
respond to new needs of protection of the human person. Their dynamic orp
evolutive interpretation finds expression in international case law. A locus

classicus in this respect can be found in the Advisory Opinion of the ICJ

242 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 3)08

169. La Cour ne fait référence nulle part dans son arrêt à la manpière
dont la CIEdR a été réellement appliquée dans la pratique, tout au long p
des dernières décennies, afin de servir son objet et son but au bénéfice de
millions d’êtres humains. Elle ne reconnaît nulle part que la CpIEdR
— comme les autres instruments de défense des droits de l’homme — est
un traité vivant, qui a acquis une existence propre, indépendamment des

«intentions» supposées de ses auteurs il y a près d’un demi-siècle. même
si l’on adopte la perspective statique dans laquelle se place la Cour, il
reste que le règlement obligatoire des différends par celle-ci comptait déjà
des adeptes au moment de l’élaboration de la CIEdR — ainsi qu’exposé
plus haut — et qu’il rallie encore davantage de suffrages aujourd’hui, p
en 2011, pour ce qui est des obligations prévues dans cette convention ept

dans d’autres traités relatifs aux droits de l’homme.
170. Je rappellerai ici que, une quinzaine d’années avant l’adoptionp de
la CIEdR, dans son opinion dissidente en l’affaire de l’Anglo-Iranian Oil
Co. (Royaume-Uni c. Iran) portée devant la Cour, le juge Alejandro
Alvarez avait critiqué les méthodes traditionnelles d’interpréptation

consistant à s’en tenir strictement à la lettre des traités p(auxquels était
prêté un « caractère de pérennité et de fixité ») et à faire trop grand cas de
l’aspect « grammatical» sans envisager « l’ensemble» de la convention
(exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1952, p. 125). de son point de
vue :

«on ne doit pas s’attacher strictement à la teneur littérale desp textes
légaux ou conventionnels … Ce qui s’impose … est de prendre en
considération surtout l’esprit de ces textes, la volonté des parties s’il
s’agit d’une convention, en les dégageant de l’ensemble de lp’institu -

tion ou de la convention, voire même des nouvelles exigences de la
vie internationale … [U]ne convention, une fois établie, acquiert une
vie propre et évolue conformément, non pas aux idées ou à la volonté
de ceux qui ont rédigé ses dispositions, mais aux conditions chan -
geantes de la vie des peuples. » (Ibid., p. 126.)

171. Le juge Alvarez rappelait en outre ce qui suit :

«il faut recourir à l’esprit de la Charte des Nations Unies dont le
Statut de la Cour fait partie intégrante…, ainsi qu’aux principes géné-
raux du droit des gens…
[L]a Cour actuelle est, d’après son Statut, une Cour de Justice et,

de ce fait, ainsi que du dynamisme de la vie internationale, elle a
aujourd’hui une double mission : dire le droit et développer le droit. »
(Ibid., p. 131-132.)

172. Ces considérations s’appliquent avec encore plus de force dans le pcas
des traités relatifs aux droits de l’homme, qui sont des instruments vivants,
et qui accompagnent l’évolution des temps et du milieu social au spein duquel
sont exercés les droits protégés, afin de répondre aux nouvepaux besoins de
protection de la personne humaine. Leur interprétation dynamique ou épvo -

lutive se retrouve dans la jurisprudence internationale. Un locus classicus à

242309 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

on Namibia (1971), wherein it is asserted that the mandates system
(territories under mandate), and in particular the concepts incorporated
into Article 22 of the Covenant of the League of Nations, “were not
static, but were by definition evolutionary”. And the ICJ significantply
added that :

“its interpretation cannot remain unaffected by the subsequent devepl -
opment of the law, through the Charter of the United Nations and
by way of customary law. moreover, an international instrument has

to be interpreted and applied within the framework of the entire legal
system prevailing at the time of the interpretation. (. . .) In this
domain, as elsewhere, the corpus juris gentium has been considerably
enriched, and this the Court, if it is faithfully to discharge its func -
tions, may not ignore.” (Legal Consequences for States of the Con-
tinued Presence of South Africa in Namibia (South West Africa)

notwithstanding Security Council Resolution 276 (1970), Advisory
Opinion, I.C.J. Reports 1971, pp. 31-32, para. 53.)
173. In the same line of reasoning, in the domain of the international

protection of human rights, in the case Tyrer v. United Kingdom (judg -
ment of 25 April 1978), the ECHR asserted that the European Conven -
tion on Human Rights is “a living instrument” to be interpreted inp the
light of current living conditions (para. 31). The ECHR pursued the same
approach in other judgments in leading cases, such as those of Airey v.

Ireland (of 9 October 1979), of Marckx v. Belgium (of 13 June 1979) and
of Dudgeon v. United Kingdom (of 22 October 1981).

174. The ECHR has been pursuing this approach until the present
time. Such evolutive interpretation bears witness of the incidence of thpe
temporal dimension in the work of legal interpretation. In its judgment of

28 July 1999, in the Selmouni v. France case, to evoke another example,
after reiterating that the Convention is “a living instrument” thapt ought
to be interpreted “in the light of present-day conditions”, the Eupropean
Court added that :

“the increasingly high standard being required in the area of the prop -
tection of human rights and fundamental liberties correspondingly
and inevitably requires greater firmness in assessing breaches of the
fundamental values of democratic societies” (para. 101).

175. more recently, to the same effect, the ECHR has reiterated its
approach, ipsis literis, in its judgment of 7 January 2010 in the case of

Rantsev v. Cyprus and Russia (para. 277). Already years earlier, the
ECHR duly clarified that its evolutive interpretation is not limited to pthe
substantive norms of the Convention, but that it extends likewise to opepr -
ational provisions such as the optional clauses (as existing prior to tphe
entry into force of protocol No. 11 to the Convention, on 1 November
1998).

176. Thus, in the case célèbre of Loizidou v. Turkey (preliminary objec -

243 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 309

ce sujet figure dans l’avis consultatif rendu par la Cour en l’affaireNamibie
(1971), dans lequel celle-ci a indiqué que le système des mandats (territoires
sous mandat), et en particulier les notions consacrées à l’artpicle 22 du pacte
de la Société des Nations «n’étaient pas statiques mais par définition évolu -
ti[fs]». Et la Cour d’ajouter une précision importante:

«son interprétation ne peut manquer de tenir compte de l’évolutipon
que le droit a ultérieurement connue grâce à la Charte des

Nations Unies et à la coutume. de plus, tout instrument internatio -
nal doit être interprété et appliqué dans le cadre de l’ensemble du
système juridique en vigueur au moment où l’interprétation ap lieu …
dans ce domaine comme dans les autres, le corpus juris gentium s’est
beaucoup enrichi et, pour pouvoir s’acquitter fidèlement de ses fonc -

tions, la Cour ne peut l’ignorer. » (Conséquences juridiques pour les
Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud▯-
Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de
sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 31-32, par. 53.)

173. dans le même ordre d’idées, sur le chapitre de la protection intper -
nationale des droits de l’homme, la Cour européenne des droits de
l’homme a fait valoir dans l’affaire Tyrer c. Royaume-Uni (arrêt du
25 avril 1978) que la convention européenne des droits de l’homme étaitp

«un instrument vivant » à interpréter à la lumière des conditions d’exis -
tence actuelles (par. 31). Elle est restée fidèle à ce point de vue dans
d’autres arrêts rendus dans des affaires de premier plan, tellesp que l’affaire
Airey c. Irlande (du 9 octobre 1979), Marckx c. Belgique (du 13 juin 1979)
ou Dudgeon c. Royaume-Uni (du 22 octobre 1981).

174. La Cour européenne des droits de l’homme s’en tient toujours à
cette position à l’heure actuelle. Cette interprétation évolputive témoigne
de l’incidence de la dimension temporelle en matière d’interprétation juri -
dique. dans son arrêt du 28 juillet 1999 en l’affaire Selmouni c. France
— pour citer un autre exemple —, après avoir répété que la Convention

était «un instrument vivant », qui devait être interprété « à la lumière des
conditions de vie actuelles », la Cour européenne a ajouté que :

«le niveau d’exigence croissant en matière de protection des droitsp de
l’homme et des libertés fondamentales implique, parallèlement ept iné -
luctablement, une plus grande fermeté dans l’appréciation des aptteintes
aux valeurs fondamentales des sociétés démocratiques» (par. 101).

175. plus récemment, dans le même sens, la Cour européenne des
droits de l’homme a confirmé sa position, ipsis literis, dans son arrêt du
7 janvier 2010 en l’affaire Rantsev c. Chypre et Russie (par. 277). des
années auparavant déjà, elle avait dûment précisé que pson interprétation

évolutive n’était pas limitée aux normes de fond de la Convention, mais
s’appliquait également à des clauses d’exécution comme leps clauses facul -
tatives (telles qu’elles existaient avant l’entrée en vigueur pdu protocole
no 11 de la Convention, le 1 er novembre 1998).
176. Ainsi, dans la célèbre affaire Loizidou c. Turquie (exceptions préli -

243310 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

tions, 1995), the ECHR again pointed out that the European Convention,
as “a constitutional instrument of European public order” (para. 75), is
“a living instrument” to be interpreted in the light of contemporapry con-

ditions. It added that not even the (then) optional clauses — on thpe
acceptance of the right of individual petition (Art. 25) and the Court’s
compulsory jurisdiction (Art. 46) — could be interpreted only in the light
of what could have been the intentions of their draftsmen more than
forty years earlier 186.

177. The same understanding has been advanced, in the American
continent, by the IACtHR, which espoused, likewise, this evolutive interp -
pretation, of the American Convention on Human Rights, in, e.g., its

judgment (of 18 August 2000) in the case of Cantoral Benavides v. Peru
(para. 99). And, in its pioneering advisory opinion No. 16, on The Right
to Information on Consular Assistance in the Framework of the Guarantees▯
of the Due Process of Law (of 1 October 1999), after evoking (para. 113)
the Advisory Opinion of the ICJ on Namibia of 1971, as well as the rele -

vant case law of the ECHR, the IACtHR stated that :

“human rights treaties are living instruments whose interpretation
ought to accompany the evolution of times and the current living
conditions.

The corpus juris of international human rights law comprises a set
of international instruments of varied contents and juridical effects p
(treaties, conventions, resolutions and declarations). Its dynamic evop -
lution has exercised a positive impact on international law, in the

sense of affirming and developing the aptitude of this latter to regulapte
the relations between States and the human beings under their respec -
tive jurisdictions. Accordingly, this Court ought to adopt an adequate
approach to consider the question under examination in the frame -
work of the evolution of the fundamental rights of the human person

in contemporary international law.” (The Right to Information on
Consular Assistance in the Framework of the Guarantees of the Due
Process of Law, paras. 114-115.)

178. Earlier on, in its Advisory Opinion No. 10 (of 14 July 1989), the
IACtHR pointed out that it would proceed to interpret the 1948 Ameri -
can declaration on the Rights and duties of man not in the light of what

was thought of it in 1948, at the time of its adoption, but “in the ppresent
moment, in face of what is today the inter-American system” of protecp -

186 The ECHR pondered that even if their intentions had been in the sense ofp permit-
ting restrictions (other than those ratione temporis) under those optional clauses — what in
the case was not demonstrated — this element would not have been decipsive (para. 71); on
the contrary, the practice of the States parties along the years pointed in the sense of the
acceptance without restrictions of the aforementioned optional clauses opf the Convention.

244 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 310

minaires, 1995), la Cour européenne des droits de l’homme a une npouvelle
fois indiqué que la convention européenne, en tant «qu’instrument consti-

tutionnel de l’ordre public européen » (par. 75), était « un instrument
vivant» à interpréter à travers le prisme des conditions de vie dup moment.
Elle a ajouté que même les clauses facultatives (de l’époqupe) — sur l’ac -
ceptation du droit de recours individuel (art. 25) et la juridiction obliga -
toire de la Cour (art. 46) — ne pouvaient être interprétées uniquement à

travers le prisme des intentions qui avaient pu animer leurs rédacteurs
plus de quarante ans auparavant 186.
177. La même conception a également été avancée, de l’autrep côté de
l’Atlantique, par la Cour interaméricaine des droits de l’hommep, qui, elle

aussi, a adhéré à cette interprétation évolutive pour ce pqui est de la conven -
tion américaine relative aux droits de l’homme, notamment dans son arrêt
(du 18 août 2000) en l’affaire Cantoral Benavides c. Pérou (par. 99). Qui
plus est, dans son avis consultatif n o 16 précurseur (du 1 eroctobre 1999)

sur The Right to Information on Consular Assistance in the Framework of
the Guarantees of the Due Process of Law, la Cour interaméricaine, après
avoir renvoyé (par. 113) à l’avis consultatif de la Cour internationale de
Justice sur la Namibiede 1971, ainsi qu’à la jurisprudence de la Cour euro -

péenne des droits de l’homme en la matière, a déclaré quep:
«les traités relatifs aux droits de l’homme sont des instruments dypna -

miques dont l’interprétation doit suivre l’évolution des tempps et les
conditions de vie du moment.
Le corpus juris du droit international consacré aux droits de l’homme
comprend un ensemble d’instruments internationaux au contenu et

aux effets juridiques variés (traités, conventions, résolutipons et déclara -
tions). Son évolution dynamique a eu une influence positive sur le
droit international, en ce sens qu’elle a confirmé et développép la capa -
cité de ce dernier de réglementer les relations entre les Etats etp les êtres

humains dans leurs sphères de compétence respectives. dès lors, la
Cour doit suivre une démarche appropriée pour répondre à la pques -
tion en cours d’examen dans le cadre de l’évolution des droits pfonda-
mentaux de la personne humaine en droit international moderne. »
(The Right to Information on Consular Assistance in the Framework of

the Guarantees of the Due Process of Law, par. 114-115.)
o
178. plusieurs années auparavant, dans son avis consultatif n 10 (du
14 juillet 1989), la Cour interaméricaine des droits de l’homme avait indi -
qué qu’elle interpréterait la déclaration américaine des pdroits et devoirs de
l’homme de 1948 non pas à la lumière de la façon dont elle était perçpue

en 1948, à l’époque de son adoption, mais « par rapport au moment pré -
186
La Cour européenne des droits de l’homme a estimé que, même si les rédacteurs
avaient été favorables à des restrictions (autres que ratione temporis) dans le cadre de ces
clauses facultatives — ce qui n’était pas démontré en l’espèce —, cet élément n’aurait pas
revêtu une importance décisive (par. 71)au contraire, la pratique suivie par les Etats
parties au fil des ans milite en faveur d’une acceptation inconditionpnelle desdites clauses
facultatives de la Convention.

244311 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

tion, taking into account the “evolution experienced since the adoption of
the declaration” (para. 37). Thus, the interpretation pursued by the
ECHR and the IACtHR of the respective human rights treaties is not a
static one, clinging to State consent expressed at the time of their adopp -

tion, but rather evolutive, taking into consideration the advances achiepved
in the corpus of human society in the protection of human rights through -
out the years.

179. The present case before the ICJ concerns the Application of the
International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Dis -

crimination. The CERd Convention is, likewise, a living instrument. It is
a truly pioneering human rights treaty, having preceded in time the two p
1966 UN Covenants on Human Rights. Historical accounts give notice of
the “enthusiasm” and high expectations with which the CERd Conven -
187
tion’s coming into being “was greeted” . Its draftsmen kept in mind,
inter alia, the ground-breaking provisions of the 1948 Universal declara -
tion of Human Rights, to the point of making them part of the law of the

CERd Convention itself, thus conceived as a “maximalist” human rights p
treaty 188. The CERd Convention, endowed with universality 18, was soon
to occupy a prominent place in the law of the United Nations itself.

180. Ever since its adoption, the CERd Convention faced and opposed
a grave violation of an obligation of jus cogens (the absolute prohibition
of racial discrimination), generating obligations erga omnes, and it exerted

influence on subsequent international instruments at universal (UN) p
level 19. Throughout the years, its international supervisory organ, the
CERd Committee, has given its contribution to the contemporary corpus
191
juris gentium on equality and non-discrimination . The fundamental
principle of equality and non-discrimination was propounded, in one of
the rare moments or glimpses of lucidity of the twentieth century, by thpe

1948 Universal declaration of Human Rights, and echoed in all quarters
of the world :

“All human beings are born free and equal in dignity and rights.
They are endowed with reason and conscience and should act towards
one another in a spirit of brotherhood.” (Art. 1.)

187Egon Schwelb, “The International Convention on the Elimination of Allp Forms of
Racial discrimination”, 15 International and Comparative Law Quarterly (1966), p. 997.

188
189Ibid., pp. 1024 and 1057, and cf. pp. 998, 1003, 1025-1026 and 1028.
N. Lerner, The UN Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimina-
tion, Alphen aan den Rijn, Sijthoff & Noordhoff, 1980, pp. Ix and 11.
190Cf. N. Lerner, Group Rights and Discrimination in International Law, 2nd ed.,
The Hague, Nijhoff, 2003, pp. 59, 71 and 177.
191Cf., inter alia, e.g., W. vandenhole, Non-Discrimination and Equality in the View of
the UN Human Rights Treaty Bodies, Antwerpen, Intersentia, 2005, pp. 1-293 ; and, as to
the normative level, cf., e.g., J. Symonides (ed.), The Struggle against Discrimination, paris,
UNESCO, 1996, pp. 3-313.

245 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 311

sent, face au système interaméricain actuel » de protection, compte tenu
de l’« évolution intervenue depuis son adoption » (par. 37). partant, les
Cours européenne et interaméricaine des droits de l’homme ont ipnterprété

les traités en question non pas de manière statique, en ne retenanpt que le
consentement exprimé par l’Etat à l’époque de leur adoptipon, mais dans
une perspective évolutive, en tenant compte des progrès accomplis pau fil

des ans dans le corpus de la société humaine sur le chapitre de la protec -
tion des droits de l’homme.
179. La présente affaire concerne l’Application de la convention inter-

nationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination▯ raciale. La
CIEdR est, elle aussi, un instrument évolutif. Il s’agit d’un traitpé réellement
novateur dans le domaine des droits de l’homme, puisqu’elle a épté conclue
avant les deux pactes des Nations Unies de 1966 sur les droits de l’homme.

des études historiques font état de l’«enthousiasme» et des attentes consi -
dérables sur le fond desquels la naissance de la CIEdR «fut accueillie» 18.
Ses rédacteurs avaient à l’esprit, notamment, les dispositions pinédites de la

déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, tant et si bpien qu’ils
les reprirent au sein même du régime juridique constitué par lap CIEdR,
concevant ainsi un traité «maximaliste» en matière de droits de l’homme 18.
189
La CIEdR, instrument universel s’il en est , occupa vite une place de
premier plan dans le droit des Nations Unies lui-même.
180. depuis son adoption, la CIEdR offre un rempart contre une

grave violation d’une norme de jus cogens (l’interdiction absolue de la
discrimination raciale) — norme dont découlent des obligations erga
omnes —, et elle a influé sur les instruments universels adoptés papr la suite
190
au niveau international (Nations Unies) . Au fil des ans, l’organe inter -
national chargé de surveiller sa mise en œuvre, le Comité pour pl’élimina -
tion de la discrimination raciale, a enrichi le corpus juris gentium moderne
191
sur l’égalité et la non-discrimination . Le principe fondamental de l’égalité
et de la non-discrimination fut consacré, dans l’un des rares moments ou
éclairs de lucidité du xx e siècle, par la déclaration universelle des droits
de l’homme de 1948, et fut repris aux quatre coins du monde :

«Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et epn

droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir lesp
uns envers les autres dans un esprit de fraternité. » (Art. premier.)

187Egon Schwelb, « The International Convention on the Elimination of All Forms
of Racial discrimination », International and Comparative Law Quarterly, vol. 15 (1966),
p. 997.
188Ibid., p. 1024 et 1057, et voir p. 998, 1003, 1025-1026 et 1028.
189N. Lerner, The UN Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimina-

tio190Alphen aan den Rijn, Sijthoff & Noordhoff, 1980, p. Ix et 11. e
voir N. Lerner, Group Rights and Discrimination in International Law, 2 éd.,
La Haye, Nijhoff, 2003, p. 59, 71 et 177.
191voir notamment W. vandenhole, Non-Discrimination and Equality in the View of
the UN Human Rights Treaty Bodies, Anvers, Intersentia, 2005, p. 1-293 ; et, au niveau
normatif, voir par exemple J. Symonides (dir. publ.), The Struggle against Discrimination,
paris, Unesco, 1996, p. 3-313.

245312 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

This principle lies in the foundations, is one of the pillars, not only of the
192
CERd Convention, but of the whole international law of human rights193 ;
it belongs, in my view, to the realm of international jus cogens .

181. As a result of the present Judgment of the Court in the case con -

cerning the Application of the International Convention on the Elimination of
All Forms of Racial Discrimination, wherein it upheld the second prelimi -
nary objection, the Court deprived itself of the determination whether tphe
present dispute, which has victimized so many people, falls or not underp

the CERd Convention. I firmly disagree with the whole reasoning of the
Court, and its conclusions as to the second preliminary objection, and aps to
its jurisdiction, on the basis of the arguments and elements set forth in the

present dissenting opinion. The unfortunate outcome of the present case
discloses that, despite all the advances achieved for human dignity under
the CERd Convention, there is still a long way to go : the struggle for the
prevalence of human rights is never-ending, like in the myth of Sisyphusp.

182. This, in turn, endows the CERd Convention, as a living instru -
ment, adopted four and a half decades ago, with an all-enduring con-
temporaneity. Ever since the adoption of the CERd Convention on
21 december 1965, and its opening to signature on 7 march 1966, two

world conferences to combat racism and racial discrimination were held, p
in geneva, in 1978 and 1983. One decade later, the final documents of the
II World Conference on Human Rights (1993), the vienna declaration
and programme of Action, stated that :

“The speedy and comprehensive elimination of all forms of racism

and racial discrimination, xenophobia and related intolerance is
a priority task for the international community. (. . .) The World
Conference on Human Rights emphasizes the importance of giving
special attention, including through intergovernmental and humani-

tarian organizations, and finding lasting solutions, to questions
related to internally displaced persons including their voluntary and
safe return and rehabilitation. (. . .) The World Conference

on Human Rights calls on all States to take immediate measures,
individually and collectively, to combat the practice of ethnic
cleansing to bring it quickly to an end. victims of the abhorrent prac-
tice of ethnic cleansing are entitled to appropriate and effective remp-
194
edies.”

192Cf., to this effect, inter alia, T. Opsahl, Law and Equality, Oslo, Ad Notam
gyldendal, 1996, pp. 167-176.
193IACtHR, Advisory Opinion No. 18 (of 17 September 2003), on the Juridical Condi-
tion and Rights of Undocumented Migrants, paras.97-101, and concurring opinion of Judge
A. A. Cançado Trindade, paras. 65-89.

194
paras. I.15, I.23 and II.24, respectively, and cf. also para. I.28 (part I corresponds to
the vienna declaration, and part II to the programme of Action).

246 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 312

Ce principe est à la base — que dis-je, il constitue l’un des piliers — non

seulement de la CIEdR, mais aussi du droit international relatif aux
droits de l’homme dans son ensemble 192; il relève, à mes yeux, du domaine
du jus cogens international 193.

181. du fait de son propre arrêt en l’affaire relative à l’Application de
la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discri -
mination raciale, dans lequel elle a retenu la deuxième exception prélimi -
naire, la Cour s’est privée de la possibilité de déterminer psi le présent

différend — qui a fait tant de victimes — relevait ou non de la CIEdR. Je
suis fermement opposé à l’ensemble de son raisonnement, ainsi qpu’à ses
conclusions au sujet de la deuxième exception préliminaire et de spa com -

pétence, pour les arguments et motifs exposés dans la présente popinion
dissidente. L’issue fâcheuse de la présente affaire révèple que, en dépit de
tous les progrès accomplis pour la dignité humaine en vertu de la pCIEdR,
beaucoup reste encore à faire : la lutte pour imposer le respect des droits

de l’homme est sans fin, comme dans le mythe de Sisyphe.
182. La CIEdR, instrument évolutif adopté il y a quarante-cinq ans, se
révèle ainsi être d’une modernité à toute épreuve. pdepuis son adoption le

21 décembre 1965, et son ouverture à signature le 7 mars 1966, deux confé -
rences mondiales contre le racisme et la discrimination raciale ont eu lpieu
à genève, en 1978 et 1983. dix ans plus tard, les documents finaux de la
deuxième conférence mondiale sur les droits de l’homme (1993)p — bap-

tisés la déclaration et le programme d’action de vienne — indiquaient
que :

«Eliminer rapidement et intégralement toutes les formes de racisme
et de discrimination raciale, ainsi que de xénophobie, et l’intoléprance
dont elles s’accompagnent, est pour la communauté internationale

une tâche prioritaire … [La conférence mondiale] souligne la néces -
sité d’accorder une attention particulière, en faisant notammenpt
appel au concours d’organisations intergouvernementales et humani -

taires, aux problèmes des personnes déplacées à l’intéprieur de leur
propre pays et d’y apporter des solutions durables, notamment en
favorisant le retour volontaire dans la sécurité et la réinsertpion … La
conférence mondiale sur les droits de l’homme engage tous les Etatps

à prendre sur-le-champ, individuellement et collectivement, des
mesures pour combattre le nettoyage ethnique afin d’y mettre rapide -
ment un terme. Les victimes de cette pratique odieuse ont droit à desp
194
recours appropriés et efficaces. »

192voir à cet effet, notamment, T. Opsahl, Law and Equality, Oslo, Ad Notam
gyldendal, 1996, p. 167-176.
193Cour interaméricaine des droits de l’homme, avis consultatif no18 (du 17 sep-
tembre 2003), Juridical Condition and Rights of Undocumented Migrants (Sort juridique
et droits des migrants sans papiers), par. 97-1voir également opinion individuelle de
m. le juge A. A. Cançado Trindade, par. 65-89.
194par. I.15, I.23 et II.24, respectivement ; voir également par. I.28 (la partie I corres -

pond à la déclaration de vienne, la partie II au programme d’action).

246313 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

183. The CERd Convention seems to grow in importance if we con -

sider that it applies to distinct kinds of relations, not only to those pof
individuals vis-à-vis the public power of the State, but also to intepr-
individual or inter-group relations. Also significant is the fact that ipt

addresses situations affecting individuals or groups living — or suprviving —
in considerable vulnerability or adversity. In any case, the relations ipt pur-
ports to regulate go well beyond the strictly inter-State dimension, a ppoint
which this Court appears to experience much difficulty to grasp. This

Court has to accompany the evolving international law in this domain of p
protection, when called upon to adjudicate cases under human rights
treaties, like the present one.

184. Eight years after the adoption of the 1993 vienna declaration and
programme of Action by the II UN World Conference on Human Rights
(so present in my personal memories), it was then the turn of the 2001p

World Conference against Racism, Racial discrimination, xenophobia
and Related Intolerance (durban, 2001) to urge States, in its adopted
declaration, to accede to the CERd Convention “as a matter of urgency,
195
with a view to universal ratification by the year 2005” (para. 75) 196 . This
call promptly repercuted in the UN general Assembly itself , and in the
work of the CERd Committee 197.

185. The durban declaration and programme of Action underlined
the urgency of “addressing the root causes of displacement” and ofp find -
ing durable solutions to it (para. 54), and called for access to justice — on

a basis of equality — for “victims of discrimination” and “the most vul -
nerable groups” (paras. 42 and 164 (f)). Furthermore, it reiteratedly
evoked the human “tragedies of the past” (paras. 98-101 and 106), and
some “appalling tragedies in the history of humanity” (para. 13), so as to

extract lessons therefrom in order “to avert future tragedies” (ppara. 57).
The work of the 2001 UN World Conference seems to have been under -
taken under the shadows and fears of the everlasting human tragedy,

proper of the human condition itself.

195
may it be recalled that the Russian Federation [then the USSR] became parpty to
the CERd Convention on 4 February 1969, whilst georgia did so three decades later, on
2 June 1999.
196Cf., e.g., general Assembly resolutions 61/149, of 19 december 2006, and 62/220,
of 22 december 2007, on the comprehensive implementation of, and follow-up to, the
durban declaration and programme of Action, in the endeavours towards the elimination
of all (including new) forms of racial discrimination and related intoplerance, including de
facto segregation.
197The CERd Committee’s “general recommendation” xxvIII, of 19 march 2002, for
example, pointed out that the durban declaration and programme of Action reaffirmed
the “fundamental values” underlying the CERd Convention, and was directly related to

the implementation of this latter.

247 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 313

183. La CIEdR semble même gagner du terrain puisqu’elle s’applique

à différentes sortes de relations, c’est-à-dire non pas uniquement à celles
des personnes avec l’Etat en tant que puissance publique, mais aussi paux
relations entre individus ou entre groupes. Un autre fait important est

qu’elle porte sur des situations touchant des individus ou des groupeps
vivant — ou survivant — dans un état de vulnérabilité ou de détresse
considérable. En tout état de cause, les relations qu’elle visep à réglementer
dépassent largement la dimension strictement interétatique — ce que la

Cour semble avoir beaucoup de peine à saisir. La Cour doit suivre l’pévo -
lution du droit international dans ce domaine de la protection lorsqu’pelle
est priée, comme ici, de trancher une affaire sur la base d’un tpraité relatif

aux droits de l’homme.
184. Huit ans après l’adoption de la Convention et du programme
d’action de vienne de 1993 par la deuxième conférence mondiale des
Nations Unies sur les droits de l’homme (si présente dans ma mémoire),

la conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, pla
xénophobie et l’intolérance qui y est associée (durban, 2001) exhorta à
son tour les Etats, dans la déclaration adoptée à l’issue de la rencontre, à

adhérer à la CIEdR sans at195dre « en vue de sa ratification universelle
d’ici à 2005 » (par. 75) . Cet appel eut rapidement des répercussions au
sein de l’Assemblée générale des Nations Unies elle-même 19, et sur les
travaux du Comité pour l’élimination de la discrimination raciaple 197.

185. dans la déclaration et le programme d’action de durban, l’accent
était mis sur la nécessité urgente de « s’attaquer aux causes profondes des
déplacements de population » et de trouver des solutions durables à ce

problème (par. 54), et un appel était lancé pour que les « victimes de dis -
crimination» et les « groupes les plus vulnérables » puissent avoir accès à
la justice — égalité oblige (par. 42 et 164, al. f)). Etaient également évo -
quées à plusieurs reprises les « tragédies du passé » qui avaient frappé

l’être humain (par. 98-101 et 106), et certaines « tragédies effroyables dans
l’histoire de l’humanité » (par. 13), dont les enseignements devaient être
tirés afin « d’éviter à l’avenir de nouvelles tragédies » (par. 57). La confé -

rence mondiale des Nations Unies de 2001 semble avoir mené ses travaux
sous le spectre et dans la crainte de l’éternelle tragédie humapine, qui est
intimement liée à la condition même de l’homme.

195
Rappelons que la Fédération de Russie (alors l’URSS) est devepnue partie à la
CIEdR le 4 février 1969, tandis que la géorgie l’a fait trente ans plus tard, le 2 juin 1999.

196voir, par exemple, les résolutions de l’Assemblée générale 61/149 (du 19 dé -
cembre 2006) et 62/220 (du 22 décembre 2007), sur la mise en œuvre globale et sur le suivi
de la déclaration et du programme d’action de durban, dans le cadre de l’action menée
pour l’élimination de toutes les formes (même nouvelles) de discrimination raciale et de l’in-
tolérance qui lui est associée, y compris la ségrégation de facto.
197dans sa « recommandation générale » n xxvIII du 19 mars 2002, par exemple, le
Comité pour l’élimination de la discrimination raciale a souligpné que la déclaration et le
programme d’action de durban confirmaient les «valeurs … fondamentales » sous-tendant

la CIEdR, et étaient directement liés à la mise en œuvre de celle-ci.

247314 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

xII. A Recapitulation: Concluding Observatiopns

186. From all the preceding considerations, it is crystal clear that my
own position, in respect of all the points which form the object of the p
present Judgment on the case concerning the Application of the Interna -
tional Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimina -

tion, stands in clear opposition to the view espoused by the Court’s
majority. And it does not squarely fit into the conceptual framework of
the dissenting minority group either, it goes beyond it. my dissenting
position is grounded not only on the assessment of the evidence producedp
before the Court, to which I of course attribute importance, but above apll
on issues of principle, to which I attach even greater importance. I havpe

thus felt obliged, in the faithful exercise of the international judiciapl func-
tion, to lay the foundations of my dissenting position in the cas d’espèce
in the present dissenting opinion. I deem it fit, at this stage, to recappitu -
late all the points of my dissenting position, expressed herein, for thep sake
of clarity, and in order to stress their interrelatedness.

187. Primus: Consideration of compromissory clauses, such as the one
of Article 22 of the CERd Convention, cannot be dissociated from the
larger framework of the compulsory jurisdiction of the Hague Court
(pCIJ and ICJ). Secundus: As to the genesis of the matter, the 1920 Advi -
sory Committee of Jurists was clearly in favour of compulsory jurisdic -
tion, which found an obstacle in the distinct position taken by the political

organs of the League of Nations: hence the amended jurisdictional clause,
and the following co-existence of the optional clause and the compromis -
sory clauses of various kinds as basis for the exercise of compulsory jupris-
diction by the Hague Court.
188. Tertius: Such co-existence of compromissory clauses with the
mechanism of the optional clause was maintained by the 1945 San Fran -

cisco Conference, despite the acknowledgement of the 1945 Commission of
Jurists preference for the establishment of the ICJ’s compulsory jurisdic -
tion; the force of inertia then prevailed. Quartus : The ensuing State prac-
tice disclosed the dissatisfaction of international legal doctrine with pthe
States’ reliance on their own terms of consent in approaching the optpional
clause, accompanied by greater hope that compromissory clauses would

contribute more effectively to the realization of international justicpe.
189. Quintus: From the 1950s to the 1980s, international legal doctrine
endeavoured to overcome the vicissitudes of the “will” of States apnd to
secure broader acceptance of the World Court’s compulsory jurisdiction,
on the basis of compromissory clauses. Sextus : Subsequently (from the

late 1980s onwards), a more lucid trend of international legal doctrinep
continued to pursue the same old ideal, relating the compromissory
clauses at issue to the nature and substance of the corresponding treaties ;
such legal thinking benefitted from the gradual accumulation of experi -
ence in the interpretation and application of human rights treaties, sucph
as the CERd Convention in the present case.

248 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 314

xII. Observations finales, pen guise de récapitulpatif

186. de toutes les considérations qui précèdent, il ressort de manière évi -
dente que ma propre position, à l’égard de l’ensemble des popints qui font
l’objet du présent arrêt en l’affaire relative à l’Application de la convention
internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimina▯ tion raciale,

est clairement à l’opposé du point de vue adopté par la majorité de la Cour.
Elle n’entre pas non plus exactement dans le cadre conceptuel de l’popinion
dissidente commune, mais le dépasse. ma position dissidente est en effet
fondée non seulement sur l’appréciation des éléments de ppreuve qui ont été
présentés à la Cour — aspect certes important — mais, avant tout, sur des
questions de principe auxquelles j’attache une importance plus grande

encore. Je me suis donc senti tenu, pour servir la justice internationalpe comme
il se doit, d’exposer dans la présente opinion dissidente les fondpements de
mon désaccord en l’instance. Il me semble indiqué, à ce stade, de récapituler
tous les aspects de ma position dissidente que j’ai exposés jusqu’pici, par souci
de clarté et pour bien montrer qu’ils sont liés les uns aux autpres.

187. Primus: L’examen des clauses compromissoires, telles que celle
contenue à l’article 22 de la CIEdR, ne peut être dissocié du cadre plus
général de la juridiction obligatoire de la Cour de La Haye (Cour perma -
nente et Cour actuelle). Secundus : S’agissant de la genèse de la question,
le comité consultatif de juristes de 1920 était clairement favorabple à la
juridiction obligatoire, qui se heurta aux vues divergentes des organes p

politiques de la Société des Nations, d’où la modification de la clause de
juridiction et la coexistence ultérieure de la clause facultative avepc les
différents types de clause compromissoire — autant de bases fondant la
Cour de La Haye à exercer sa juridiction obligatoire.
188. Tertius: La conférence de San Francisco de 1945 maintint cette
coexistence des clauses compromissoires avec le mécanisme de la clauspe

facultative, non sans prendre acte de la préférence de la commissipon de
juristes de 1945 pour l’établissement de la juridiction obligatoire de la
Cour; la force d’inertie l’emporta alors. Quartus: La pratique ultérieure des
Etats montre que la doctrine juridique internationale déplorait la prpopen -
sion des Etats à n’adhérer à la clause facultative qu’àp leurs propres cond- i
tions, et que l’on misait davantage sur les clauses compromissoires ppour

contribuer plus efficacement à la réalisation de la justice interpnationale.
189. Quintus: La doctrine juridique internationale des années 1950 aux
années 1980 révèle une volonté de dépasser les vicissitudes de la «v polonté»
des Etats et de faire accepter davantage la juridiction obligatoire de lpa
Cour, par le jeu des clauses compromissoires. Sextus : par la suite (à par -

tir de la fin des années 1980) est apparue dans la doctrine juridiqupe inter-
nationale une tendance plus pragmatique, toujours en quête de cet ancpien
idéal, mais consistant à rattacher les clauses compromissoires en question
à la nature et au fond des traités correspondants ; ce courant de pensée
juridique s’est développé à la faveur de l’expérience paccumulée au fil des
ans dans le domaine de l’interprétation et de l’application desp traités rela -

tifs aux droits de l’homme, tels que la CIEdR dans la présente affaire.

248315 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

190. Septimus: The advent of human rights treaties contributed to
enrich the contemporary jus gentium, in enlarging its aptitude to regulate
relations not only at inter-State level, but also at intra-State level, as
acknowledged in the present case by the contending parties themselves
(georgia and the Russian Federation), in the responses they provided to
a question I deemed it fit to put to both of them at the end of the publpic

sitting before this Court of 17 September 2010. Octavus : In the present
case, the contending parties themselves have thus duly taken into account
the nature of the human rights treaty at issue, the CERd Convention ;
only the Court has not.
191. Nonus: The hermeneutics of human rights treaties, faithful to the
general rule of interpretation bona fides of treaties (Article 31 (1) of the

two vienna Conventions on the Law of Treaties, of 1969 and 1986), bears
in mind the three component elements of the text in the current meaning,p
the context, and the object and purpose of the treaty at issue, as well as
the nature of the treaty wherein that clause (optional or compromissory)
for compulsory jurisdiction appears. Decimus : Underlying the general

rule of treaty interpretation is the principle ut res magis valeat quam pereat
(the so-called effet utile) whereby States parties to human rights treaties
ought to secure to the conventional provisions the appropriate effects at
domestic law level ; this principle applies not only in relation to substan -
tive norms of those treaties, but also in relation to procedural norms, such
as the one pertaining to the acceptance of the compulsory jurisdiction ipn

contentious matters of the international judicial organs of protection.

192. Undecimus: International human rights case law has constantly
stressed that provisions of human rights treaties be interpreted in a wapy
to render the safeguard of those rights effective ; in this connection, Arti -

cle 22 of the CERd Convention does not set forth any mandatory “pre -
conditions” for recourse to the ICJ. Duodecimus : To set forth such
“preconditions” where they do not exist, amounts to erecting an undue
and groundless obstacle to access to justice under a human rights treaty.
Tertius decimus: In its own jurisprudence constante (of both the pCIJ and
the ICJ), the Court has clarified that prior negotiations are not a manda -

tory precondition for the exercise of its jurisdiction.

193. Quartus decimus : In the present case, the Court diverted from its
own jurisprudence constante, in erecting a precondition of the kind, unduly
limiting its own jurisdiction. Quintus decimus : moreover, in the present

case, in its earlier Order on provisional measures of 15 October 2008, the
ICJ had reiterated its prior understanding to the effect that previousp
negotiations did not amount to a mandatory precondition for the exercisep
of its jurisdiction ; it could not thus proceed now to review entirely its
own res interpretata (keeping in mind the principle venire contra factum/
dictum proprium non valet).

249 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 315

190. Septimus: L’essor des traités relatifs aux droits de l’homme a
contribué à enrichir le jus gentium moderne, dont il a accru la capacité de
réglementer les relations non seulement entre les Etats, mais aussi à l’inté -
rieur de l’Etat, comme les parties en litige (la géorgie et la Fédération de
Russie) l’ont elles-mêmes reconnu en l’instance, dans leurs répponses à la
question que j’avais jugé utile de poser à l’une et à l’pautre au terme de

l’audience publique du 17 septembre 2010. Octavus : En l’espèce, les par -
ties en litige elles-mêmes ont ainsi dûment tenu compte de la nature du
traité relatif aux droits de l’homme qui était en cause, à spavoir la CIEdR;
la Cour est la seule à ne pas l’avoir fait.
191. Nonus: L’herméneutique des traités relatifs aux droits de l’homme, p
fidèle à la règle générale de la bonne foi dans l’inteprprétation des traités

(paragraphe 1 de l’article 31 des deux conventions de vienne sur le droit
des traités, datées de 1969 et de 1986 respectivement), tient compte des
trois éléments constitutifs du texte, à savoir le sens ordinairpe de ses termes,
son contexte, et l’objet et le but du traité en question, auxquels s’ajoute la
nature du traité dans lequel figure la clause (facultative ou compromis -

soire) prévoyant la compétence obligatoire. Decimus : La règle générale
d’interprétation des traités repose sur le principe ut res magis valeat quam
pereat (dit de l’« effet utile »), à savoir que les Etats parties à des traités
relatifs aux droits de l’homme doivent veiller à ce que les dispospitions de
ceux-ci produisent les effets voulus dans leur droit interne ; ce principe
s’applique à l’égard non seulement des normes de fond de ces traités, mais

aussi des normes procédurales, telles que celle qui concerne l’acceptation
de la juridiction obligatoire, en matière contentieuse, des organes jpudi -
ciaires de protection existant à l’échelle internationale.
192. Undecimus: dans la jurisprudence internationale consacrée aux
droits de l’homme, l’accent a toujours été mis sur le fait qpue les prescrip -
tions des traités conclus en la matière devaient être interpréptées de manière

à rendre effective la sauvegarde de ces droits; à cet égard, l’article 22 de la
CIEdR n’impose aucune « condition préalable» à la saisine de la Cour.
Duodecimus: Le fait de poser de telles « conditions préalables» — alors
qu’elles n’existent pas — revient à faire obstacle, de manière indue et infon -
dée, à l’accès à la justice prévu par un traité relpatif aux droits de l’homme.
Tertius decimus: dans sa propre jurisprudence constante, la Cour (tant

l’actuelle que sa devancière) a précisé que les négociatpions préalables
n’étaient pas une condition impérative pour qu’elle exerce spa compétence.
193. Quartus decimus: dans la présente affaire, la Cour s’est écartée de
sa propre jurisprudence constante en instaurant une telle condition prépa -
lable, limitant ainsi indûment sa propre compétence. Quintus decimus : En

outre, dans son ordonnance antérieure du 15 octobre 2008 sur les mesures
conservatoires en l’instance, la Cour avait réaffirmé le pointp de vue qui
avait été le sien jusque-là, à savoir que les négociationps préalables ne
constituaient pas une condition impérative pour qu’elle exerce sa pcompé -
tence; elle ne peut donc revenir à présent de cette façon sur l’ipntégralité de
sa propre res interpretata (étant donné le principe venire contra factum/

dictum proprium non valet).

249316 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

194. Sextus decimus : The Court has to remain attentive to the basic
rationale of human rights treaties, since to place State consent above the
fundamental values those treaties embody will lead it nowhere. Septimus

decimus: The realization of justice under a human rights treaty, in a case
like the present one, can only be achieved taking due account and valuinpg
the sufferings and needs of protection of the population. Duodevicesimus:
State consent plays its role when a State becomes a party to a treaty ; it is
not, however, an element of treaty interpretation.

195. Undevicesimus: Human rights treaties are living instruments to be
interpreted in the light of current living conditions, so as to respond pto
new needs of protection of human beings. Vicesimus : This applies even

more forcefully in respect of a treaty like the CERd Convention, cen -
tered on the fundamental principle of equality and non-discrimination,
which belongs, in my view, to the realm of international jus cogens.
Vicesimus primus : In contemporary jus gentium, the conditions of living
of the population has become a matter of legitimate concern of the inter -

national community as a whole, and contemporary jus gentium is not
indifferent to the sufferings of the population. Vicesimus secundus : given
the truly irreparable damages inflicted upon human beings by means of p
grave violations of human rights and of international humanitarian law, p

judicial recognition of their victimization is an imperative of justice,p
which comes at least to alleviate their sufferings.
196. This is not the end of the matter. All this brings to the fore an old
dilemma, with a direct bearing on the present and future of internationapl
justice. This old dilemma cannot here be revisited on the basis of old

dogmas, erected in times past which no longer exist, on the basis of
notions of the “will” of the State, or its “interests” or inptentions. To insist
on such dogmas would present no dilemma, as it would lead to the freez -
ing or ossification of international law. There is nothing more alien or anti-

thetical to human rights protection than such dogmas. The dilemma we
still face today can only be revisited, in my perception, in the framewoprk
of contemporary jus gentium.

xIII. Epilogue: An Old dilemma Revisited, in thpe Framework
of Contemporary JUs g entiUm

197. As a result of the present Judgment on preliminary Objections in the

cas d’espèce, the Court ends up by remitting the present dispute back to the
contending parties, for its settlement by whatever other means, political or
otherwise, they may wish to take or use. The Court has thereby deprived
itself, inter alia8, of the determination, at a possible subsequent merits

198The Court further deprived itself, as a result of its decision in the cas d’espèce, of
addressing the relevant question, also raised before it (in another prepliminary objection),
of the extra-territorial application of human rights treaties, on which pthere is already a

250 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 3)16

194. Sextus decimus: La Cour ne doit pas perdre de vue la raison d’être
fondamentaledes traités relatifs aux droits de l’homme, car elle fera fausse
route si elle érige le consentement de l’Etat au-dessus des valeurps cardinales

exprimées par ces traités. Septimus decimu:sdans une affaire comme celle-ci,
on ne peut rendre la justice sur la base d’un traité relatif aux dproits de l’homme
qu’en tenant dûment compte et en prenant la mesure des souffrancpes de la
population et de ses besoins en matière de protection. Duodevicesimus: Le
consentement de l’Etat joue son rôle quand un Etat devient partie pà un tr;aité

cependant, ce n’est pas un élément d’interprétation des tpraités.
195. Undevicesimus: Les traités relatifs aux droits de l’homme sont des
instruments vivants à interpréter à la lumière des conditions de vie du
moment, afin de répondre aux nouveaux besoins de protection des êtpres

humains. Vicesimus: Cela vaut d’autant plus dans le cas d’un traité tel que
la CIEdR, centré sur le principe fondamental de l’égalité et de la non-discri -
mination, qui relève selon moi du domaine du jus cogens internationaV l.ice-
simus primus: Les conditions de vie de la population sont devenues un sujet
de préoccupation légitime pour la communauté internationale toupt entière,

ce qui se retrouve dans le jus gentium moderne, lequel n’est pas indifférent
aux souffrances de la population. Vicesimus secundus: Etant donné les pré -
judices réellement irréparables qui ont été infligés àp des êtres humains à
cause de ces violations graves des droits de l’homme et du droit inteprnatio -

nal humanitaire, il est impératif, pour que justice soit faite, de repconnaître
ces victimes en tant que telles, afin au moins d’atténuerleurs souffrances.
196. L’affaire ne s’arrête pas là. Tout cela fait remonter àp la surface un
ancien dilemme, qui a une incidence directe sur la justice internationalpe
actuelle et future. Ce vieux dilemme ne peut être réexaminé icip à l’aune de

dogmes d’un autre âge, qui ont été bâtis en des temps répvolus, sur la base des
notions de «volonté», d’«intérêts» ou encore d’intentions des Etats. En s’obs -
tinant à rester fidèle à ces dogmes, on ne poserait aucun dilemme, puisque
cela entraînerait l’immobilisme ou la paralysie du droit internatiponal. Or, rien

n’est plus étranger ou contraire à la protection des droits de pl’homme que les
dogmes en question. Le dilemme qui se pose toujours à nous aujourd’phui ne
peut être réexaminé, à mes yeux, que dans le cadre du jus gentium moderne.

xIII. Épilogue: un vieux dilemme revipsité,
dans le cadre du JUs gentiU m des temps modernes

197. En conséquence de son présent arrêt sur les exceptions prélipmi -

naires, la Cour renvoie finalement le différend en cause devant lesp parties
en litige, pour que celles-ci le règlent par tout autre moyen (politique ou
non) de leur choix. La Cour s’est ainsi privée, notamment 19, de la possi-
bilité de se prononcer, lors d’une phase ultérieure au fond, supr la question

198La Cour s’est également privée, par sa décision en l’espèpce, de toute possibilité
d’examiner la question pertinente, également soulevée devant elple (dans le cadre d’une
autre exception préliminaire), de l’application extraterritorialep des traités relatifs aux droits

250317 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

stage, of whether or not the occurrences referred to in the complaint lopdged
with it, which caused so many victims, fall or not under the provisions pof the
relevant provisions of the CERd Convention. The present decision under-

mines the appropriate effects of the CERd Convention (including its com-
promissory clause in Article 22) and the compulsory jurisdiction of the
Court itself thereunder.
198. The Court cannot remain hostage of State consent. It cannot keep
displaying an instinctive and continuing search for State consent, as itp so

ostensibly did in its decisions, e.g., in the East Timor case (Portugal v.
Australia) (Judgment of 30 June 1995), and in the case of Armed Activi -
ties on the Territory of the Congo (New Application : 2002) (Democratic
Republic of Congo v. Rwanda) (Judgment of 3 February 2006), to the

point of losing sight of the imperative of realization of justice. The
moment State consent is manifested is when the State concerned decides
to become a party to a treaty, such as the human rights treaty in the prpes -
ent case, the CERd Convention. The hermeneutics and proper applica -
tion of that treaty cannot be continuously subjected to a recurring searpch

for State consent. This would unduly render the letter of the treaty deapd,
and human rights treaties are meant to be living instruments, let alone p
their spirit.

199. It is widely known that the founding fathers of the law of nations
(the droit des gens) never visualized the individual consent of the emerging
States as the ultimate source of their legal obligations. This point was
aptly grasped, e.g., by James L. Brierly, in his thematic course delivered
at the Hague Academy of International Law in 1928. He recalled, in his

sharp criticism of positivist dogmas, that Hugo grotius, for example,
acknowledged that mere consent could never be the ultimate source of
legal obligations; a contract or a treaty (at domestic or international law
levels) had binding effects on the parties by virtue of the underlyinpg gen -
199
eral rule of law of pacta sunt servanda .
200. Three decades later, his course was republished, in book form, of
the kind of “collected papers”, wherein J. L. Brierly’s view appeared
reiterated. He first reviewed the understanding of the basis of obligatipon
in international law in the distinct theories of some of his main predecpes -

sors and contemporaries (e.g., L. duguit’s notion of solidarity, H. Krabbe’s
sense of right, H. Kelsen’s (hypothetical) fundamental norm, A. verdross’s
idea of objective justice), before expounding his own. To J. L. Brierly,
more fundamental than the distinction between law and ethics is their

interrelationship: obligation in general belongs to the realm of ethics, it
has to do with an objective legal order, and the search for its basis tapkes us

growing and significant international case law, proper of our times, herpalding the advent
of the new jus gentium, centered on the protection of the human person.

199J. L. Brierly, “Le fondement du caractère obligatoire du droit internatiponal”,
23 Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye (1928), pp. 478-479.

251 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 317

de savoir si les faits mentionnés dans la requête qui lui a étép présentée, et
qui ont fait tant de victimes, relèvent ou non des dispositions pertipnentes
de la CIEdR. Le présent arrêt empêche la CIEdR de produire les effets

voulus (y compris ceux de sa clause compromissoire énoncée à l’ar -
ticle 22), et la Cour elle-même d’exercer sa juridiction obligatoire prévue
dans cet instrument.
198. La Cour ne peut demeurer l’otage du consentement des Etats. Elle
ne peut continuer de rechercher instinctivement ce consentement — comme

elle l’a manifestement fait, par exemple, dans son arrêt du 30 juin 1995 en
l’affaire du Timor oriental (Portugal c. Australie) et dans son arrêt du
3 février 2006 en l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo
(nouvelle requête: 2002) (République démocratique du Congo c. Rwanda) —,

au point de perdre de vue l’impérieuse nécessité de rendre lpa justice.
Le consentement d’un Etat se manifeste au moment où celui-ci décide de
devenir partie à un traité — comme l’instrument de défense des droits
de l’homme en question dans la présente affaire, la CIEdR. L’interpré-
tation et la bonne application de cet instrument ne peuvent être systpémati -

quement assujetties à une recherche continuelle du consentement de l’pEtat.
Cela rendrait injustement le traité lettre morte ; or, les instruments de
défense des droits de l’homme, et a fortiori l’esprit qui les anime, sont cen -
sés être vivants.

199. Il est de notoriété publique que les « pères fondateurs » du droit
des gens n’ont jamais vu dans le consentement individuel des nouveauxp
Etats la source suprême de leurs obligations juridiques. James L. Brierly,
entre autres, cerna fort bien ce point dans son cours thématique de 1928
à l’Académie de droit international de La Haye. Critiquant vivement les

dogmes positivistes, il rappela qu’Hugo grotius, par exemple, avait
reconnu que le consentement ne pourrait jamais constituer à lui seul pla
source suprême d’obligations juridiques ; un contrat ou un traité (à
l’échelle interne ou internationale) lie les parties en vertu de pla règle juri -
199
dique générale de base dite pacta sunt servanda .
200. Trente ans plus tard, son cours fut republié dans le cadre d’un
ouvrage, inspiré des Collected Papers, dans lequel son point de vue appa -
raissait de nouveau. J. L. Brierly revenait tout d’abord sur ce qui, dans les
différentes théories de certains de ses principaux prédécepsseurs et contem -

porains, constituait la base des obligations en droit international (voir,
par exemple, la notion de solidarité chez L. duguit, le sens inné du droit
chez H. Krabbe, la norme fondamentale (hypothétique) chez H. Kelsen et
la notion de justice objective chez A. verdross), avant d’exposer son

propre point de vue. pour J. L. Brierly, les divergences entre droit et
éthique n’importent pas tant que leurs points de convergenc :ed’unemanière

de l’homme, sur laquelle il existe déjà une jurisprudence interpnationale croissante et impo-r
tante, propre à notre époque, laissant présager l’essor du npouveau jus gentium, centré sur la
protection de la personne humaine.
199J. L. Brierly, « Le fondement du caractère obligatoire du droit international »,
Recueil des cours de l´Académie de droit international de La Haye,vol. 23 (1928), p. 478-479.

251318 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

onto a metajuridical plane. He ended up by expressing his belief that thpe
“resurgence” of natural law thinking “seems to open a vista fulpl of hope
200
for legal science” .

201. J. L. Brierly and his predecessors and contemporaries (such as
L. duguit, H. Krabbe, H. Kelsen, A. verdross, among others) lived in a

time when a respectful segment of international legal doctrine was still
attentive to the issue of the foundations of our discipline and the validity
of international legal obligations. International legal scholars in thospe
days had more time to devote themselves to the fulfilment of the needs opf

the spirit ; their energies were not yet diverted to, or consumed by, the
distractions of the ages of television and internet. modernity and post-
modernity, with their characteristic pragmatism, seem to have obscured
the goal of fulfilment of those needs, and to have left most people today

apparently looking far too busy all the time, doing nothing substantial,
certainly not thinking.
202. The outcome of the present case before the ICJ, concerning the
Application of the International Convention on the Elimination of All Fo▯rms

of Racial Discrimination, is the ineluctable consequence of inaptly and
wrongfully giving pride of place to State consent, even above the funda -
mental values at stake, underlying the CERd Convention, which call for
the realization of justice. In effect, the faith in the realization ofp inter-

national justice has been restated time and time again, over the historyp of
this Court. In concluding this dissenting opinion, I allow myself to recpall,
in this connection, statements made, in the Hague Court, on three his -
torical occasions. At the inaugural sitting of the pCIJ, on 15 February
1922, the Court’s president, Judge B. C. J. Loder, declared that the Hague

Court just established :

“occupies within the League of Nations a place similar to that of thep
Judicature in many States (. . .).
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . . . . . . . . . . . . . .

The establishment of thepermanent Court marks in fact the arrival
of a new era in the civilisation of the world. It is of the greatest imppor -
tance that the true value of this fact should . . . be noted (. . .).
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . . . . . . . . . . . . . .

The equality of States in law and in justice is now recognised and
plainly established by the Covenant of the League of Nations (. . .).
The first act of this League was the creation of a Court of Justice, a
201
Court which should administer justice between States.”

200J. L. Brierly, The Basis of Obligation in International Law and Other Papers, Oxford,
Clarendon press, 1958, p. 67, and cf. pp. 10, 16, 18, and 64.
201discours présidentiel prononcé à l’occasion de l’ouverturep solennelle de la Cour
permanente de Justice internationale par m. le dr. B. C. J. Loder, président de la CpJI,
The Hague, 15 February 1922.

252 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 318

générale, l’obligation appartient au domaine de l’éthiquep, elle s’inscrit
dans le cadre d’un ordre juridique objectif, et c’est dans la sphèpre métaju-

ridique qu’il faut en rechercher les bases. Il conclut en indiquant qpue,
selon lui, la «résurgence» de la pensée fondée sur le droit naturel « semble
porteuse de grands espoirs pour la science juridique » 20.
201. James Brierly et ses prédécesseurs et contemporains (tels que
L. duguit, H. Krabbe, H. Kelsen, A. verdross, pour ne nommer qu’eux)

vivaient à une époque où une partie non négligeable de la dopctrine juridique
internationale traitait toujours de la question des fondementsde notre disci -
pline et de la validité des obligations juridiques internationales. Les spécia-
listes du droit international de l’époque avaient davantage de tempps pour

étancher leur soif de connaissance; leur énergie n’était pas encore détournée
ou consumée par les distractions de l’ère de la télévisiopn et de l’Internet. La
modernité et la postmodernité, marquées par le triomphe du pragmatisme,
semblent avoir occulté le besoin d’étancher cette soif et accapparer aujourd’hui

beaucoup trop la majorité des gens en permanence, sans jamais lui laipsser le
temps d’aller au fond des choses, et certainement pas de réflépchir.
202. La décision de la Cour dans la présente affaire, qui concerne
l’Application de la convention internationale sur l’élimination de t▯outes

les formes de discrimination raciale, découle inéluctablement d’une pro -
pension indue et fautive à faire la part belle au consentement de l’pEtat, en
le plaçant même au-dessus des valeurs fondamentales qui sont en jepu et
qui sous-tendent la CIEdR, le but ultime étant que justice soit faite. En

fait, nombreux sont ceux qui, tout au long de l’histoire de la Cour, pont
réaffirmé leur foi dans la justice internationale. pour conclure la présente
opinion dissidente, je me permettrai de rappeler à cet égard certapines
déclarations, faites au sein de la Cour de La Haye, à trois occasions his -
toriques. Lors de la séance inaugurale de la Cour permanente de Justipce

internationale, le 15 février 1922, le juge B. C. J. Loder, alors président de
la Cour, déclara que l’institution ainsi établie :

«occup[ait] dans la Société des Nations une place analogue à celple du
pouvoir judiciaire dans beaucoup d’Etats…
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . . . . . . . . . . . . . .

La création de la Cour permanente marque, en effet, l’avènement
d’une ère nouvelle dans la civilisation mondiale. Il est de première
importance de se rendre parfaitement compte de la valeur de ce fait…
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . . . . . . . . . . . . . .

L’égalité des Etats devant le droit et la justice est maintenanpt
reconnue et franchement enregistrée dans le pacte de la Société des
Nations… Le premier acte de cette Société a été de créper une Cour de
201
Justice, une Cour appelée à faire droit, droit entre des Etats. »

200J. L. Brierly, The Basis of Obligation in International Law and Other Papers, Oxford,
Clarendon press, 1958, p. 67, et voir p. 10, 16, 18 et 64.
201discours prononcé à l’occasion de la séance inaugurale de la pCour perma -
nente de Justice internationale par le président de celle-ci, B. C. J.à La Haye, le
15 février 1922 p.

252319 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

203. Over two decades later, at the inaugural sitting of the ICJ, on
18 April 1946, the Court’s president, Judge J. g. guerrero, recalling the
period of the Second World War, declared :

“I shall never forget that day — July 16th, 1940 — when, in the
early hours of a morning veiled with a mist of sadness and grief, we

slowly left the station of this martyred city, with tears in our eyes anpd
our hearts full of anguish.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . . . . . . . . . . . . . .

The place of this permanent Court of International Justice, which
left The Hague in 1940, is now taken by the International Court of
Justice. But between the old and the new Courts the bonds have
remained so close that it is hard to believe that there has really been p
a change.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . . . . . . . . . . . . . .
For this reason, though the International Court of Justice is one of thep
principal organs of the United Nations Organization, its Statute is

based on that of the permanent Court of International Justice. (. . .)
We shall preserve its continuity (. . .). The activities of the Court (. . .)
will be dependent on the readiness of governments to refer to the inter -
national jurisdiction disputes capable of judicial settlement. (. . .)” 202

204. On the occasion of the 50th anniversary of the inauguration of the
international judicial system, over two and a half decades later, at a sppe -

cial sitting of the ICJ, on 27 April 1972, the Court’s president, Judge
m. Zafrulla Khan, observed that the optional clause of acceptance of
compulsory jurisdiction had

“achieved a reconciliation between the desires of those who sought top
achieve a full system of compulsory jurisdiction at the international
level, and the scruples and hesitations of those who were afraid that

compulsory submission to the Tribunal might involve infringement
of sovereignty or injury to the vital interests of a State.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . . . . . . . . . . . . . .
[T]he conditions of international life today render indispensable the

existence and operation of an international tribunal or tribunals for
the maintenance of peace.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . . . . . . . . . . . . . .

The Court must apply the law and cannot change it; but in applying
the law the Court must interpret it and also take note of changes and
developments in the law. This process is a powerful factor of progress.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . . . . . . . . . . . . . .

202Inaugural Sitting of the International Court of Justice (Speech by H.E.p m-uer. g. g
rero, president of the Court), The Hague, 18 April 1946, pp. 16-17 (from the ICJ archives).

253 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 319

203. Une bonne vingtaine d’années plus tard, à la séance inauguraple de
la Cour actuelle, le 18 avril 1946, le juge J. g. guerrero, alors président,
rappelant l’époque de la seconde guerre mondiale, déclara :

«Je n’oublierai jamais ce jour du 16 juillet 1940, quand, au début
d’une matinée couverte d’un voile de tristesse et de douleur, npous

quittâmes lentement la gare de cette ville martyre, les larmes aux
yeux, le cœur rempli d’angoisse.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . . . . . . . . . . . . . .

Cette Cour permanente de Justice internationale qui a quitté
La Haye en l’année 1940, elle est maintenant remplacée par la Cour
internationale de Justice. mais, entre l’ancienne et la nouvelle Cour,
les liens sont demeurés si étroits que l’on aurait de la peine pà croire
qu’il y ait véritablement un remplacement.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . . . . . . . . . . . . . .
C’est pourquoi la Cour internationale de Justice, tout en étant l’pun
des principaux organes de l’Organisation des Nations Unies, voit son

Statut établi sur la base du Statut de la Cour permanente de Justice p
internationale… Nous assurerons sa continuité… L’activitép de la
Cour … se trouvera subordonnée à la volonté des gouvernements de p
déférer à la justice internationale les litiges susceptibles d’pune solu -
tion judiciaire. »202

204. A l’occasion du cinquantième anniversaire de l’inauguration du p
système judiciaire international, plus de vingt-cinq ans après, le juge

m. Zafrulla Khan, président de la Cour, fit observer lors d’une séance
spéciale le 27 avril 1972 que la clause facultative portant acceptation de la
juridiction obligatoire avait

«concili[é] les aspirations de ceux qui cherchaient à établir unp sys -
tème complet de juridiction internationale obligatoire et les scrupules
et réticences de ceux qui craignaient que la soumission obligatoire àp

la juridiction du tribunal ne portât atteinte à la souverainetép de l’Etat
ou ne nuisît à ses intérêts vitaux.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . . . . . . . . . . . . . .
[L]es conditions mêmes de la vie internationale contemporaine

rendent indispensable, pour le maintien de la paix, l’existence de cep
fonctionnement d’un ou plusieurs tribunaux internationaux.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . . . . . . . . . . . . . .

Tenue d’appliquer le droit, [la Cour] ne saurait le modifier mais, enp
l’appliquant, elle doit l’interpréter et tenir compte des modifipcations et
adjonctions dont il fait l’objet. Il y a là un puissant facteur dep progrès.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . . . . . . . . . . . . . .

202discours prononcé à l’occasion de la séance inaugurale de la pCour internationale
de Justice par le président de celle-ci, J. g. gueà La Haye, le 18 avril 1946, C.I.J.
Annuaire 1946-1947, p. 31-32.

253320 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

The lesson to be drawn from 50 years experience of the inter-
national judicial system is that at the present stage of development of p
the international community, recourse to a tribunal for the settlement

of international disputes is essential (. . .). The International Court of
Justice lays no claim to a monopoly of international judicial settle -
ment; Article 95 of the United Nations Charter expressly preserves
the right of members of the United Nations to entrust a solution of
their differences to other tribunals.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . . . . . . . . . . . . . .
The Court is the judge for and over sovereign States only in so far
as they choose; but States which choose not to submit to its jurisdic -

tion must 203e the judgment none of us can avoid : the judgment of
history.”

205. It is high time for the World Court to give concrete expression,
keeping in mind those statements of faith in the realization of internatpional
justice, of commitment to its mission, as I perceive it, when resolving p
cases, like the present one concerning the Application of the Inter-

national Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimina -
tion, in the exercise of its jurisdiction on the basis of human rights trea -
ties, bearing in mind the rationale, the nature and substance of those trea-
ties, with all the juridical consequences that ensue therefrom. This Couprt
cannot keep on privileging State consent above everything, time and timep

again, even after such consent has already been given by States at the
time of ratification of those treaties.

206. The Court cannot keep on embarking on a literal or grammatical

and static interpretation of the terms of compromissory clauses enshrined
in those treaties, drawing “preconditions” therefrom for the exercpise of its
jurisdiction, in an attitude remindful of traditional international arbiptral
practice. When human rights treaties are at stake, there is need, in my p
perception, to overcome the force of inertia, and to assert and develop pthe

compulsory jurisdiction of the ICJ on the basis of the compromissory
clauses contained in those treaties.
207. After all, it is human beings who are ultimately being protected
thereunder, and such compromissory clauses are to be approached in

their ineluctable relationship with the nature and substance of the human
rights treaties at issue, in their entirety. From the standpoint of the pjusti -
ciables, the subjects (titulaires) of the protected rights, compromissory
clauses such as that of Article 22 of the CERd Convention are directly
related to their access to justice, even if the complaints thereunder are

lodged with the ICJ by States parties to those human rights treaties.

203Address by the president of the International Court of Justice [Judge m. Zafrulla
Khan] at a Special Sitting of the Court to mark the 50th Anniversary of the Inauguration
of the International Judicial System, The Hague, 27 April 1972, pp. 5, 7, 10 and 12-13
(from the ICJ archives).

254 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 320

Cinquante années d’expérience du système judiciaire internatpional
enseignent que, dans l’état actuel de la communauté internationpale, il
est essentiel de soumettre les différends internationaux à des tpribu -

naux… La Cour internationale de Justice ne prétend à aucun monop-
pole en matière de règlement judiciaire international. L’articlpe 95 de
la Charte des Nations Unies réserve expressément le droit des
Etats membres de confier à d’autres instances le règlement de leurs
différends.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . . . . . . . . . . . . . .
La Cour n’est le juge des Etats souverains que dans la mesure où
ils y consentent, mais les Etats qui se dérobent à sa juridiction ps’ex -

posent à un jugement auquel aucun d203ous n’échappe, je veux papr-
ler du jugement de l’histoire. »

205. Il est grand temps que la Cour — compte tenu de ces proclama -
tions de sa foi dans la réalisation de la justice internationale — exprime
concrètement sa volonté de remplir sa mission, telle que je la conpçois,
lorsque, comme dans cette affaire consacrée à l’Application de la conven -

tion internationale sur l’élimination de toutes les formes de disc▯rimination
raciale, elle exerce sa compétence sur la base d’instruments de défenspe des
droits de l’homme, c’est-à-dire qu’elle tienne compte de la raison d’être,
de la nature et du fond de ces instruments, avec toutes les conséquences
juridiques qui en découlent. La Cour ne peut continuer de toujours prpivi -

légier le consentement des Etats par rapport à toute autre considépration,
même lorsque ce consentement a déjà été donné par les pEtats au moment
de la ratification des instruments en question.
206. La Cour ne peut continuer de se livrer à une interprétation littép -

rale, ou grammaticale et statique, des termes des clauses compromissoireps
comprises dans ces traités, pour en tirer des « conditions préalables » à
l’exercice de sa juridiction, dans un souci de suivre la pratique trapdition -
nelle en matière d’arbitrage international. Lorsque des instruments de
défense des droits de l’homme sont en jeu, il faut, à mon avis,p vaincre la

force d’inertie pour affirmer et développer la juridiction obligaptoire de la
Cour sur la base des clauses compromissoires que ces traités renfermepnt.
207. Après tout, ce sont des êtres humains que ces instruments pro -
tègent en dernière analyse, et les clauses compromissoires doiventp être

rattachées à la nature et au fond des traités en question dans leur intégra -
lité, auxquels elles sont inéluctablement liées. du point de vue des justi -
ciables, des titulaires des droits protégés, les clauses compromissoires p
telles que celle qui figure à l’article 22 de la CIEdR sont directement liées
à leur accès à la justice, même si ce sont les Etats parties à ces instruments

qui saisissent la Cour.

203discours prononcé par le président de la Cour internationale de Jusptice, le juge
m. Zafrulla Khan, à la séance spéciale tenue le 27 avril 1972 à La Haye pour célébrer le
cinquantenaire de l’institution du système judiciaire international, Revue de droit interna
tional, de sciences diplomatiques et politiques, n 1, janvier-mars 1972, p. 74, 75, 78, 80 et 81.

254321 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

208. The justiciables are, ultimately, the human beings concerned. From
this humanist optics, which is well in keeping with the creation itself pof the
Hague Court (pCIJ and ICJ), to erect a mandatory “precondition” of
prior negotiations for the exercise of the Court’s jurisdiction amounpts to
erecting, in my view, a groundless and most regrettable obstacle to justpice.
I have already pointed out, in respect of the victims of the “tragic pwar” of

2008 opposing georgia to the Russian Federation — the fatal victims and
their close relatives as well as those forcefully displaced from their hpomes
and incapable of freely and safely returning thereto — that tragedy hpas
kept its contemporaneity throughout the centuries (paras. 160-162).

209. despite the extraordinary advances in scientific knowledge, no

antidote has yet been discovered to protect man against himself, againstp
his limitless capacity to inflict injustice and suffering upon his fellow
human beings. The ICJ cannot remain indifferent to such injustice of
“human fates”, and to human suffering. It cannot keep on overloopking
tragedy. As this latter persists, being seemingly proper to the human copn -

dition, the need also persists to alleviate human suffering, by means of the
realization of justice. This latter is an imperative which the World Court
is to keep in mind. This goal — the realization of justice — can hpardly be
attained from a strict State-centered voluntarist perspective, and a recpur -
ring search for State consent. This Court cannot, in my view, keep on
paying lip service to what it assumes as representing the State’s “pinten -

tions” or “will”.

210. The position and the thesis I sustain in the present dissenting
opinion is that, when the ICJ is called upon to settle an inter-State dipspute
on the basis of a human rights treaty, it is bound to secure a proper inpter -
pretation and application of that treaty, bearing in mind its special napture

and its substance, in its entirety, and the fact that it is intended to pprotect
rights of the human person at intra-State level. The proper interpretation
of human rights treaties (in the light of the canons of treaty interpreptation
of Articles 31-33 of the two vienna Conventions on the Law of Treaties,
of 1969 and 1986) covers, in my understanding, their substantive as well as
procedural provisions, thus including a provision of the kind of the com -

promissory clause set forth in Article 22 of the CERd Convention. This
is to the ultimate benefit of human beings, for whose protection human
rights treaties have been celebrated, and adopted, by States. The raison
d’humanité prevails over the old raison d’Etat.
211. In the present Judgment, the Court entirely missed this point : it

rather embarked on the usual exaltation of State consent, labelled, in
paragraph 110, as “the fundamental principle of consent”. I do not at all
subscribe to its view, as, in my understanding, consent is not “fundapmen -
tal”, it is not even a “principle”. What is “fundamental”, i.e., what lays in
the foundations of this Court, since its creation, is the imperative of the
realization of justice, by means of compulsory jurisdiction. State consent

is but a rule to be observed in the exercise of compulsory jurisdiction pfor

255 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 3)21

208. Les justiciables sont, en fin de compte, les êtres humains concer -
nés. dans cette optique humaniste, en parfaite harmonie avec l’esprit qui
a présidé à la création même de la Cour de La Haye (la Cour actuelle et
sa devancière), subordonner la saisine à une « condition préalable » obli -
gatoire, à savoir des négociations préalables, revient selon mopi à élever un
obstacle à la justice injustifié et extrêmement regrettable. J’pai déjà souli -

gné, au sujet des victimes de la « guerre tragique» de 2008 entre la géor -
gie et la Fédération de Russie — aussi bien celles qui ont péri et leurs
proches que celles qui ont été déplacées par la force de chepz elles sans
pouvoir y retourner librement et en toute sécurité —, que la tragédie a
traversé les siècles sans rien perdre de sa modernité (par. 160-162).
209. malgré les progrès extraordinaires de la connaissance scientifique,

aucun remède n’a encore pu être trouvé pour protéger l’phomme contre
lui-même, contre sa capacité sans bornes d’infliger l’injustice et la souf -
france à ses semblables. La Cour ne peut rester indifférente àp une telle inj-us
tice et au « sort» des êtres humains, ainsi qu’à leurs souffrances. Elle nep
peut continuer de fermer les yeux face à la tragédie. Cette dernièpre étant

toujours d’actualité, puisque indissolublement liée à la condition humaine,
semble-t-il, il demeure également nécessaire d’atténuer les souffrances
humaines, en faisant en sorte quejustice soit faite. Il s’agit là d’une exigence
que la Cour ne doit jamais perdre de vue. Cet objectif — la réalisation de
la justice — peut difficilement être atteint si l’on part d’une perspepctive
volontariste strictement centrée sur les Etats en recherchant constampment

leur consentement. La Cour ne peut, à mon sens, continuer de sacrifiepr à ce
qu’elle estime être les «intentions» ou la «volonté» des Etats.
210. La position et la thèse que j’avance dans la présente opinion dpissi -
dente sont que, lorsque la Cour est priée de régler un différpend entre Etats
sur la base d’un traité relatif aux droits de l’homme, elle estp tenue de veiller
à ce que ce traité soit bien interprété et appliqué, comppte tenu de sa nature

spéciale et de sa substance, dans son ensemble, et de sa vocation à protéger
les droits de la personne humaine à l’intérieur même de l’Etat. Cette néces -
sité de bien interpréter les traités relatifs aux droits de l’phomme (à l’aune des
canons d’interprétation énoncés aux articles 31-33 des deux conventions de
vienne sur le droit des traités, datées de 1969 et de 1986) vaut à mon sens
aussi bien pour leurs dispositions de fond que pour leurs dispositions procédu -

rales, et donc pour une disposition telle que la clause compromissoire con- te
nue à l’article 22 de la CIEdR. Elle est dans l’intérêt suprême des êtres
humains que les Etats ont voulu protéger en promouvant et en adoptantp ces
traités. La raison d’humanité l’emporte sur la traditionnellpe raison d’Etat.
211. dans le présent arrêt, la Cour est complètement passée à côté de

l’essentiel. Au lieu de cela, elle a choisi d’exalter comme d’hpabitude le
consentement des Etats, qualifié (au paragraphe 110) « de principe fonda -
mental du consentement ». Je n’adhère pas du tout à ce point de vue car,
à mes yeux, le consentement n’est pas « fondamental», et n’est même pas
un « principe». Ce qui est « fondamental», autrement dit ce qui forme le
fondement de la Cour depuis sa création, c’est l’impératif de la réalisation

de la justice au moyen de la juridiction obligatoire. Le consentement des

255322 convention on racialp discrimination (disps. op. cançado trindadep)

the realization of justice. It is a means, not an end, it is a procedurapl
requirement, not an element of treaty interpretation ; it surely does not
belong to the domain of the prima principia. This is what I have been

endeavouring to demonstrate in the present dissenting opinion.

212. Fundamental principles are those of pacta sunt servanda, of equal-
ity and non-discrimination (at substantive law level), of equality of parms
(égalité des armes — at procedural law level). Fundamental principle is,

furthermore, that of humanity (permeating the whole corpus juris of inter -
national human rights law, international humanitarian law, and interna -
tional refugee law). Fundamental principle is, moreover, that of the dipgnity
of the human person (laying a foundation of international human rights

law). Fundamental principles of international law are, in addition204hopse
laid down in Article 2 in the Charter of the United Nations .
213. These are some of the true prima principia, which confer to the
international legal order its ineluctable axiological dimension. These apre
some of the true prima principia, which reveal the values which inspire the

corpus juris of the international legal order, and which, ultimately, pro -
vide its foundations themselves. Prima principia conforms the substratum
of the international legal order, conveying the idea of an objective justice
(proper of natural law). In turn, State consent does not belong to the

realm of the prima principia ; recourse to it is a concession of the jus gen -
tium to States, is a rule to be observed (no one would deny it) so as to
render judicial settlement of international disputes viable.
214. Such rule or procedural requirement will be reduced to its proper
dimension the day one realizes that conscience stands above the will. This

sums up an old dilemma (faced by the Court as well as by States appear -
ing before it), revisited herein, in the framework of contemporary jus gen -
tium. To this Court, conceived as an International Court of Justice, the
realization of justice remains an ideal which, in the adjudication of human

rights cases brought into its cognizance, has not yet been achieved, as p
sadly disclosed by the present Judgment. The formalism and rituals of
inter-State litigation (which in 2011 seem to keep on fascinating the lpegal
profession) should definitively yield to the ascertainment of the imperpa -
tive of the realization of justice at international level. After all, there is

nothing so invincible as an ideal — such as that of the realization of jus -
tice — which has not yet been realized : it keeps on banging human con -
science until it blossoms and sees the light of the day.

(Signed) Antônio Augusto Cançado Trindade.

204Restated in the UN general Assembly resolution 2625 (xxv) of 24 October 1970,
containing the UN declaration on principles of International Law concerning Friendly
Relations and Co-operation among States in Accordance with the Charter of the United
Nations.

256 convention sur la dispcrimination racialep (op. diss. cançado trinpdade 322

Etats n’est qu’une règle à respecter dans l’exercice de lpa juridiction obliga -
toire en vue de la réalisation de la justice. C’est un moyen et nopn une fin,
c’est une exigence procédurale et non un élément d’interpprétation des trai -

tés. Ce n’est en aucun cas l’un des prima principia. voilà ce que j’ai tâché
de démontrer dans la présente opinion dissidente.
212. Les principes fondamentaux sont ceux dits pacta sunt servanda, de
l’égalité et de la non-discrimination (dans le droit matériel), de l’égalité
des armes (dans le droit procédural), de l’humanité (qui impprègne l’en -

semble du corpus juris du droit international des droits de l’homme, du
droit international humanitaire et du droit international des réfugiéps) et
de la dignité de la personne humaine (qui est l’un des fondements du droit
international des droits de l’homme). Les règles énoncées àp l’article 2 de

la Charte des Nations Unies constit204t également des principes fonda -
mentaux du droit international .
213. voilà quelques-uns des véritables prima principia qui confèrent à
l’ordre juridique international sa dimension axiologique inévitablpe. voilà
quelques-uns des véritables prima principia qui révèlent les valeurs dont

s’inspire le corpus juris de l’ordre juridique international et qui, en fin de
compte, en sont le fondement. Les prima principia sous-tendent l’ordre
juridique international en exprimant l’idée d’une justice objective (propre
au droit naturel). Au contraire, le consentement des Etats ne fait pas ppar -

tie des prima principia ; c’est une concession du jus gentium aux Etats.
C’est une règle à observer (nul ne le nierait) pour rendre popssible le règle -
ment judiciaire des différends internationaux.
214. Cette règle, ou cette exigence procédurale, sera ramenée à spes justes
dimensions le jour où l’on comprendra que la conscience l’emporte sur la

volonté. voilà qui résume un vieux dilemme (auquel font face la Cour et lesp
Etats qui la saisissent), revisité dans la présente opinion dissipdente, dans le
cadre du jus gentium contemporain. pour la Cour, conçue comme une
Cour internationale de Justice, la réalisation de la justice demeure un idéal

qui n’a pas encore été atteint dans le règlement des affaipres portées à sa
connaissance en matière de droits de l’homme — ce dont le présent arrêt
constitue la triste illustration. Le formalisme et les rituels des procépdures
interétatiques (qui, en 2011, semblent toujours fasciner les professionnels
du droit) devraient assurément céder la préséance à l’impérieuse nécessité

de rendre la justice au niveau international. Après tout, rien n’est plus
invincible qu’un idéal — comme la réalisation de la justice — qui n’a pas
encore été atteint: il taraude inlassablement la conscience humaine jusqu’à
ce qu’il parvienne à éclore et à exister au grand jour.

(Signé) Antônio Augusto Cançado Trindade.

204principes réitérés dans la résolution 2625 (xxv), du 24 octobre 1970, de l’-ssem
blée générale des Nations Unies, dans laquelle figure la déclaration des Nations Unies rela-
tive aux principes du droit international touchant les relations amicaleps et la coopération
entre les Etats conformément à la Charte.

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Opinion dissidente de M. le juge Cançado Trindade

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