Opinion individuelle de M. le juge Cançado Trindade

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103-20101130-JUD-01-05-EN
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OPINION INDIVIDUELLE
DE M. LE JUGE CANÇADO TRINDADE

[Traduction]

TABLE DES MATIÈRES

Paragraphes

I. PROLÉGOMÈNES :LE SUJET DES DROITS ET L’OBJET DE LA DEMANDE 4-10

II. RÉFLEXIONS SUR LE DROIT APPLICABLE EN L ESPÈCE 11-32
1. Invocation et incidence du Pacte international relatif aux

droits civils et politiques des Nations Unies de 1966 11-23
2. Invocation et incidence de la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples de 1981 24-28
3. Invocation et incidence de la convention de Vienne sur les
relations consulaires de 1963 29-32

III. LA SAGA DU SUJET DES DROITS:CONSIDÉRATIONS SUR LA DÉFENSE DES
DROITS PROTÉGÉS 33-81

1. Le droit à la liberté et à la sécurité de la personne 35-55
a) Les arrestations et la détention de 1988-1989 35-49
b) Les arrestations et la détention de 1995-1996 50-55

2. Le droit de ne pas être expulsé d’un Etat sans base juridique 56-64

3. Le droit de ne pas être soumis à de mauvais traitements 65-74
4. Le droit à l’information sur l’assistance consulaire dans le
cadre des garanties d’une procédure régulière 75-81

IV. L’ HERMÉNEUTIQUE DES TRAITÉS RELATIFS AUX DROITS DE L HOMME 82-92

V. L E PRINCIPE DHUMANITÉ AU SENS LARGE 93-106

VI. L’ INTERDICTION DE L ARBITRAIRE DANS LE DROIT INTERNATIONAL
DES DROITS DE L HOMME 107-142

1. La notion d’arbitraire 108-111
2. La position du Comité des droits de l’homme des Nations
Unies 112-116
3. La position de la Commission africaine des droits de
l’homme et des peuples 117-122
4. La jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de
l’homme 123-130

5. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l’homme 131-139
6. Appréciation générale 140-142

VII. L E CONTENU MATÉRIEL DES DROITS PROTÉGÉS 143-157

94 1. Le droit à la liberté et à la sécurité de la personne 145-147
2. Le droit de ne pas être expulsé d’un Etat sans base juri-

dique 148-152
3. La relation entre les droits protégés 153-157

VIII. D ÉVELOPPEMENT DE LA JURISPRUDENCE RELATIVE AU DROIT À ’NFOR -
MATION SUR L’ASSISTANCE CONSULAIRE DANS L ’UNIVERS CONCEPTUEL
DES DROITS DE L’HOMME 158-188

1. Le droit individuel par-delà la dimension interétatique 158-162
2. L’humanisation du droit consulaire 163-166
3. Le caractère irréversible du progrès de l’humanisation 167-188

a) Le texte de la convention de Vienne de 1963 173-174
b) L’objet et le but de la convention de Vienne de 1963 175

c) Les travaux préparatoires de la convention de Vienne de

1963 176-181
d) Appréciation générale 182-188

IX. L A NOTION DE «SITUATION CONTINUE »: LA PROJECTION DES VIOLA -
TIONS DES DROITS DE L’HOMME DANS LE TEMPS 189-199

X. L’ INDIVIDU EN TANT QUE VICTIME : RÉFLEXIONS SUR LE DROIT À
RÉPARATION 200-212

XI. P AR-DELÀ LA DIMENSION INTERÉTATIQUE :LE DROIT INTERNATIONAL

POUR LA PERSONNE HUMAINE 213-221

XII. O BSERVATIONS FINALES 222-231

XIII. V ERS UNE NOUVELLE ÈRE DE JUSTICE INTERNATIONALE EN MATIÈRE
DE DROITS DE L’HOMMEÀLA CIJ 232-245

*

1. C’est, à ma connaissance, la première fois au cours de son histoire
que la Cour internationale de Justice établit qu’il y a eu violation des

deux traités des droits de l’homme en cause, à savoir, au plan universel, le
Pacte relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies de 1966 et,
au plan régional, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples
de 1981, tous deux dans le cadre de l’universalité des droits de l’homme.

Je souscris tout à fait à la décision de la Cour à cet égard, de même qu’à
l’égard de la violation qu’elle a établie de la convention de Vienne sur les
relations consulaires de 1963 (article 36, paragraphe 1, alinéa b)), déci-

sion énoncée aux points 2, 3 et 4 du dispositif du présent arrêt.
2. Pourtant, s’appuyant sur un raisonnement distinct, la majorité de la
Cour est parvenue à une conclusion entièrement différente sur d’autres

aspects de l’affaire (points 1, 5 et 6 du dispositif). S’agissant de ces autres
aspects, je regrette de ne pouvoir donner mon accord sur les conclusions
de la majorité de la Cour. A cet égard, la déclaration commune de cinq

95membres de la Cour 1 annexée à l’arrêt fait déjà état d’une position

concernant le droit à la liberté et à la sécurité de la personne (qui s’ajoute
au droit de ne pas être expulsé d’un Etat sans base juridique).
3. En sus de cette position et s’agissant d’autres questions examinées
dans l’arrêt de la Cour, j’estime donc de mon devoir de présenter dans la

présente opinion individuelle les raisons sur lesquelles se fonde ma posi-
tion personnelle sur ces questions. Avant d’entamer mon exposé, je tiens
d’abord à appeler brièvement l’attention sur un aspect important — selon

moi — de l’affaire Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. Répu-
blique démocratique du Congo) , tel qu’il a été présenté à la Cour par les
Parties au litige elles-mêmes, concernant le sujet des droits et l’objet de la
demande.

I. P ROLÉGOMÈNES :

LE SUJET DES DROITS ET L ’OBJET DE LA DEMANDE

4. La présente affaire Ahmadou Sadio Diallo, qui oppose la Républi-
que de Guinée à la République démocratique du Congo, concerne en réa-

lité les droits individuels de M. A. S. Diallo, tels qu’ils sont définis dans le
Pacte relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies de 1966 et la
Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981, à savoir,
principalement, le droit à la liberté et à la sécurité de la personne et le
2
droit de ne pas être expulsé d’un Etat sans base juridique . Cette affaire
concerne en outre le droit individuel à l’information sur l’assistance
consulaire dans le cadre des garanties d’une procédure régulière, consacré

par la convention de Vienne sur les relations consulaires de 1963. Les
droits dont la violation a été alléguée sont ceux qui sont énoncés à l’ar-
ticle 9, paragraphes 1 à 4, et à l’article 13 du Pacte, à l’article 6 et à
l’article 12, paragraphe 4, de la Charte africaine, ainsi qu’à l’article 36,

paragraphe 1, alinéa b), de la convention de Vienne de 1963.
5. Les deux Etats en litige sont parties aux traités susmentionnés: la
Guinée est partie au Pacte sur les droits civils et politiques depuis le

24 janvier 1978 et à la Charte africainerdepuis le 16 février 1982, et la
RDC est partie au Pacte depuis le 1 novembre 1976 et à la Charte afri-
caine depuis le 20 juillet 1987. Les deux Etats sont également parties à la
convention de Vienne de 1963: la Guinée depuis le 30 juin 1988 et la

RDC depuis le 15 juillet 1976. La présente affaire est donc — et cela est
important — une affaire contentieuse interétatique soumise à la Cour
internationale de Justice , concernant entièrement les droits de l’individu

concerné (M. A. S. Diallo) et les conséquences juridiques des violations
alléguées de ces droits, au titre d’un traité des Nations Unies relatif

1 Voir la déclaration commune des juges Al-Khasawneh, Simma, Bennouna, Cançado
Trindade et Yusuf.
2 Les plaintes découlent des arrestations et mises en détention répétées de M. A. S. Diallo
en RDC en 1988-1989 et en 1995-1996, ainsi que de son expulsion de la RDC en 1996.

96aux droits de l’homme, d’un traité régional relatif aux droits de l’homme
et d’une convention de codification des Nations Unies. C’est là un

aspect important de la présente affaire, qui est unique dans l’histoire de la
Cour.
6. Après avoir identifié le sujet des droits et l’objet de la demande en
l’espèce, je me propose d’examiner dans les paragraphes qui suivent,
selon un enchaînement logique, certains points liés entre eux. En premier

lieu, je m’arrêterai à l’identification du droit applicable en l’espèce, en
axant particulièrement mon attention sur l’invocation et l’incidence des
dispositions pertinentes du Pacte relatif aux droits politiques et civils des
Nations Unies de 1966 et de la Charte africaine des droits de l’homme et

des peuples de 1981, en plus de la disposition pertinente de la convention
de Vienne sur les relations consulaires de 1963.
7. En deuxième lieu, je m’intéresserai à la saga du sujet des droits en l’ins-
tance (M. A. S. Diallo), en particulier à la défense de ses droits protégés
par les trois traités, à savoir le droit à la liberté et à la sécurité de sa per-

sonne, le droit de ne pas être expulsé d’un Etat sans base juridique, le
droit de ne pas être soumis à de mauvais traitements et le droit à l’infor-
mation sur l’assistance consulaire dans le cadre des garanties d’une pro-
cédure régulière.
8. En troisième lieu, j’examinerai l’herméneutique des traités des droits

de l’homme (dans la mesure où elle a une incidence sur le règlement du
différend) et, en quatrième lieu, j’axerai mon attention sur le principe
d’humanité, tel que je l’interprète, au sens large. En cinquième lieu, mes
réflexions porteront sur la question essentielle de l’interdiction de l’arbi-
traire dans le droit international des droits de l’homme, à propos de

laquelle j’examinerai et apprécierai les positions du Comité des droits de
l’homme des Nations Unies et de la Commission africaine des droits de
l’homme et des peuples, ainsi que l’édifice jurisprudentiel des Cours inter-
américaine et européenne des droits de l’homme.
9. En sixième lieu, j’examinerai tour à tour le contenu matériel des

droits protégés dans le présent arrêt (droit à la liberté et à la sécurité de la
personne et droit de ne pas être expulsé d’un Etat sans base juridique),
ainsi que la jurisprudence relative au droit à l’information sur l’assistance
consulaire dans l’univers conceptuel des droits de l’homme. A ce sujet, je
m’attarderai plus longuement sur le droit individuel à l’information sur

l’assistance consulaire par-delà la dimension interétatique et j’examinerai
et apprécierai le processus d’humanisation du droit consulaire à cet égard
(tel que je le perçois) et ce que je considère comme le caractère irréversible
de cette humanisation.
10. En septième lieu, je traiterai la notion de «situation continue» à la

lumière de la projection des violations des droits de l’homme dans le
temps. Cet examen sera suivi, en huitième lieu, de réflexions sur l’individu
en tant que victime et titulaire du droit à la réparation et, en neuvième
lieu, d’un exposé succinct de mon point de vue sur le droit international

pour la personne humaine , par-delà la dimension interétatique. J’aurai
ainsi préparé la voie à l’exposé de mes observations finales et à un bref

97épilogue sur l’évolution vers une nouvelle ère de justice internationale en
matière de droits de l’homme à la CIJ.

II. R ÉFLEXIONS SUR LE DROIT APPLICABLE EN L ’ESPÈCE

1. Invocation et incidence du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques des Nations Unies de 1966

11. Pendant toute la présente affaire Ahmadou Sadio Diallo, les dispo-
sitions pertinentes du Pacte relatif aux droits civils et politiques des
Nations Unies de 1966 ont été fort présentes, au cours tant de la procé-

dure écrite que de la procédure orale, et ont fait l’objet de conclusions des
Parties. L’importance de cet aspect frappant de l’affaire dont vient de
connaître la Cour internationale de Justice ne saurait être sous-estimée.
Dès sa requête introductive d’instance (du 28 décembre 1998), l’Etat

requérant a soutenu que, en vertu du Pacte international relatif aux
droits civils et politiques et de la Déclaration universelle des droits de
l’homme de 1948, «personne ne peut être arrêté ou détenu s’il n’a été
déclaré coupable selon la loi par un tribunal impartial agissant dans le
respect de la présomption d’innocence et des droits de la défense» (p. 29

in fine).
12. Dans son mémoire (en date du 23 mars 2001), la Guinée a invoqué
les «principes pertinents» applicables en cas d’«arrestation arbitraire et
de détention et expulsion», qui sont énoncés au paragraphe 1 de l’arti-

cle 9 et à l’article 13 du Pacte international relatif aux droits civils et poli-
tiques (par. 3.6 et 3.33). Pour sa part, l’Etat défendeur, la RDC, a, dans
son contre-mémoire (en date du 27 mars 2008), répondu à cette question
(par. 1.03) en contestant les allégations de violation des articles 9 et 13 du
Pacte (par. 1.24-1.31). Peu après, dans sa réplique (en date du 19 novem-

bre 2008), la Guinée a longuement examiné cette question, en dévelop-
pant ses arguments sur les violations des paragraphes 1 à 4 de l’article 9
du Pacte qu’aurait commises la RDC.
13. Selon la Guinée, ces violations avaient été commises lors des arres-

tations et mises en détention de M. A. S. Diallo en 1988-1989 et en 1995-
1996, expressément mentionnées (par. 1.17-1.48), que la Guinée jugeait
arbitraires au motif que la victime n’aurait pas été informée des raisons
de son arrestation et de sa détention ni des accusations portées contre elle
et n’aurait pas été traduite devant un juge ou un tribunal chargé de

connaître de la légalité de ces actes dans un délai raisonnable. En outre,
la Guinée soutenait que l’expulsion du plaignant de la RDC en 1996
n’était pas conforme au paragraphe 4 de l’article 12 du Pacte internatio-
nal relatif aux droits civils et politiques, ni au paragraphe 2 de l’article 12

de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (par. 1.60-
1.90).
14. La RDC, quant à elle, se référant expressément aux arrestations et
aux détentions de M. A. S. Diallo en 1988-1989 et en 1995-1996 (par. 1.07-
1.49), a contesté dans sa duplique (en date du 5 juin 2009) la thèse du

98requérant selon laquelle elle aurait violé les paragraphes 1 à 4 de l’arti-

cle 9 du Pacte (par. 1.18-1.35 et 1.39). Les deux Parties ont développé
leurs thèses devant la Cour pendant la procédure orale. Ainsi, dans sa
plaidoirie du 19 avril 2010, la Guinée a évoqué à nouveau les articles 9
et 13 du Pacte, en plus de l’article 6 de la Charte africaine et de l’arti-

cle 36, paragraphe 1, alinéa b), de la convention de Vienne sur les rela-
tions consulaires de 1963 (voir infra) . 3
15. La Guinée a particulièrement insisté sur les paragraphes 1 à 5 de
4
l’article 9 du Pacte . Pour sa part, la RDC, dans sa plaidoirie du
26 avril 2010, a soutenu qu’elle ne s’était rendue coupable d’aucune viola-
tion des articles 9 et 13 du Pacte (lors de l’expulsion de M. A. S. Diallo le
31 janvier 1996) . La controverse entre la Guinée et la RDC s’est donc

poursuivie pendant toute la procédure, tant écrite qu’orale.

16. Le point qu’il importe de retenir et de mettre en exergue ici est, à

mon avis, le fait que, dans la présente affaire, les deux Parties en présence
se sont appuyées principalement, en ce qui concerne le droit applicable,
sur le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et sur la
Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Il est tout à fait

significatif — et peut-être doit-on voir là un signe des temps nouveaux —
que la CIJ ait été invitée par les Parties elles-mêmes à déterminer s’il y
avait eu violation par l’Etat défendeur des dispositions pertinentes du

Pacte et de la Charte africaine, en plus de la disposition pertinente de la
convention de Vienne de 1963.
17. Il est fort possible que la présente affaire se soit jusqu’à un certain
point métamorphosée entre ses débuts, à savoir le dépôt de la requête

introductive d’instance (datée du 28 décembre 1998) et l’arrêt de la Cour
sur les exceptions préliminaires (du 24 mai 2007), et la procédure puis
l’arrêt au fond (daté du 30 novembre 2010) qui ont suivi. A l’origine, il

était beaucoup question de droit de propriété et de protection diploma-
tique, mais les tenants de ces deux questions traditionnelles (encore épris
ou nostalgiques de l’affaire de la Barcelona Traction et de la fiction vat-
télienne de l’affaire Mavrommatis) ont paru graduellement perdre, au

moins en partie, leur enthousiasme, car la dynamique de l’affaire a fort
heureusement pris une tournure tout à fait nouvelle au cours des phases
écrite et orale au stade du fond (et de la réparation).

18. A la vérité, selon moi, au cours de la procédure sur le fond (tant
écrite qu’orale), la présente affaire s’est transformée — comme bien elle le
devait — en affaire non équivoque de protection des droits de l’homme .
Après tout, depuis l’époque d’Ulpiano (dans les années 170-228 de notre

ère), la priorité est accordée à l’honeste vivere.L e vivere l’emporte sur
l’habere et le dignitatem vivere a certainement préséance sur le droit de

3 CR 2010/1 du 19 avril 2010, p. 34, par. 24, p. 50, par. 39, et p. 54, par. 52-55.
4 Ibid., p. 36-39, par. 31-37; et voir CR 2010/5 du 28 avril 2010, p. 18-19, par. 23-24.
5 CR 2010/3 du 26 avril 2010, p. 32-36, par. 58, 62-63, 66 et 70.

99propriété. Bien au-delà de la protection diplomatique discrétionnaire,
cette affaire est devenue une affaire de protection des droits de l’homme,

qui présente beaucoup plus d’intérêt, à mon avis, pour le droit des gens
de notre époque. Chaque affaire a sa dynamique propre et cette évolution
du cas d’espèce ne doit pas passer inaperçue.
19. Il est en effet tout à fait remarquable qu’une cour comme la CIJ,
qui a vocation à régler les différends entre Etats, soit enfin priée, dans

l’exercice de ses fonctions en matière contentieuse, de régler un différend
sur la base de deux traités des droits de l’homme (l’un des plus impor-
tants traités des droits de l’homme des Nations Unies, le Pacte interna-
tional de 1966 relatif aux droits civils et politiques, et la Charte africaine

des droits de l’homme et des peuples), en plus de la disposition pertinente
de la convention de Vienne sur les relations consulaires de 1963. Les
Parties estant devant la Cour ont fondé leurs thèses sur ces trois traités,
qu’elles ont identifiés comme constituant le droit applicable en l’espèce.
20. Au moins un enseignement fondamental peut être tiré de ce fait.

Cet enseignement est beaucoup plus important que l’impact, déjà reconnu,
du droit international des droits de l’homme sur un mécanisme interéta-
tique volontariste comme la protection diplomatique. Au-delà des limites
étroites de la protection diplomatique discrétionnaire, nous pouvons
aujourd’hui dire que nous nous trouvons essentiellement devant une

affaire relative aux droits de l’homme, concernant la protection inter-
nationale des droits de l’homme. La Cour a été saisie de cette affaire dans
le cadre d’un mécanisme interétatique, celui-là même qu’avait envisagé le
Comité de juristes qui a rédigé à l’origine le Statut de la CPJI en 1920,
lequel est devenu, mutatis mutandis, le Statut de la CIJ en 1945.

21. Le fait que le mécanisme demeure un mécanisme strictement inter-
étatique, ce qui est assez anachronique, comme pour défier le passage
inéluctable du temps, ne signifie pas que la CIJ doive continuer
aujourd’hui à raisonner dans une perspective strictement interétatique,
qui ne fasse place qu’aux Etats (voir par. 203-205 infra). Nous sommes en

présence d’une affaire relative aux droits de l’homme, qui concerne les
droits de M. A. S. Diallo au titre du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques des Nations Unies et de la Charte africaine des droits
de l’homme et des peuples (en plus de la convention de Vienne de 1963),
à raison des arrestations et des mises en détention qu’il a subies en 1988-

1989 et en 1995-1996, avant d’être expulsé en 1996 du pays dont il était
résident depuis des années. Malgré la procédure interétatique, la Cour est
appelée à se prononcer sur les droits d’une personne humaine, en dehors
du carcan interétatique.
22. L’époque actuelle voit l’émergence d’un nouveau droit des gens,

qui met l’accent sur les droits individuels ou collectifs de la personne
humaine, ce que les «droit-d’étatistes» de la profession juridique refusent
de reconnaître, ou plutôt refusent ou sont incapables de comprendre,
volontairement ou non. Grâce à la Guinée et à la RDC, à qui il faut en

savoir gré, la CIJ a été appelée à régler un différend qui lui a été soumis,
dans le cadre de la procédure sur le fond, sur la base de deux traités des

100droits de l’homme (le Pacte international relatif aux droits civils et poli-

tiques de 1966 et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples
de 1981) qui occupent une place éminente dans le corpus juris contempo-
rain du droit international des droits de l’homme, en plus de la conven-
tion de Vienne sur les relations consulaires de 1963.
23. En ce qui concerne le fond (et la réparation), il s’agit effectivement

et clairement d’une affaire qui touche la protection des droits de l’homme
et non la protection diplomatique. Cette dernière a été le moyen (ou l’ins-
trument) par lequel la plainte a été soumise à la Cour, après que la cause
de M. A. S. Diallo eut été épousée par son Etat d’origine ou de nationa-

lité. Mais la protection diplomatique, qui est par nature inévitablement
discrétionnaire, a déjà joué son rôle instrumental, et l’affaire dont vient
de connaître la Cour est, en substance, une affaire qui concerne la protec-
tion des droits de l’homme.

2. Invocation et incidence de la Charte africaine des droits

de l’homme et des peuples de 1981

24. La RDC et la Guinée ont toutes deux mis l’accent, dans leurs plai-
doiries — que j’ai tenu à examiner dans la présente opinion indivi-
duelle — sur le Pacte international relatif aux droits civils et politiques

des Nations Unies, dans la mesure où le sort de M. A. S. Diallo en tant
qu’individu est concerné; pourtant, comme il a déjà été indiqué, deux
autres traités ont également été invoqués, à savoir la Charte africaine des
droits de l’homme et des peuples de 1981 et la convention de Vienne sur

les relations consulaires de 1963, également à propos du sort de
M. A. S. Diallo en tant qu’individu. J’examinerai les plaidoiries des deux
Parties concernant ces trois traités.
25. S’agissant de la Charte africaine, elle n’a été invoquée dans l’ins-

tance qu’à une étape tardive de la procédure écrite. Ce n’est que dans sa
réplique (datée du 10 novembre 2008) que la Guinée a invoqué le para-
graphe 4 de l’article 12 de la Charte africaine, en parallèle avec l’article 13
correspondant du Pacte international relatif aux droits civils et politiques
des Nations Unies et ce, dans son argumentation sur les limites imposées

par le droit international à l’expulsion des étrangers (par. 1.60-1.71).
Dans sa duplique (datée du 5 juin 2009), la RDC a passé ce point sous
silence, se concentrant à ce stade sur les allégations d’illégalité des arres-
tations et mises en détention de M. Diallo en 1988-1989 et en 1995-1996,

et non sur son expulsion.
26. Dans ses plaidoiries, à propos des arrestations et mises en déten-
tion de M. A. S. Diallo, la Guinée a soutenu qu’avait été violé «l’arti-
cle 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966,

auquel on pourrait ajouter l’art6cle 6 de la Charte africaine des droits
de l’homme et des peuples» . Ni la Guinée ni la RDC n’ont insisté

6CR 2010/1 du 19 avril 2010, par. 24; et voir par. 26.

101davantage sur la Charte africaine au cours de la procédure, mais cela

n’a pas empêché la Cour, à juste titre d’ailleurs, d’élaborer son propre
raisonnement pour établir si des dispositions pertinentes de ces deux
traités des droits de l’homme avaient été violées.
27. Dans les circonstances de l’affaire, la Cour était, à mon avis, tout

à fait en droit de le faire, même motu proprio, en ce qui concerne la
Charte africaine (combinée au Pacte). J’ajouterai que l’article 60, qui
concerne les «principes applicables», de la Charte africaine ouvre un
large horizon à l’exercice de l’herméneutique, puisqu’il y est précisé que

l’application de la Charte (par la Commission africaine — et de nos jours
également la Cour africaine — des droits de l’homme et des peuples)
consiste à:

«s’inspir[er] du droit international relatif aux droits de l’homme et
des peuples, notamment des dispositions des divers instruments afri-

cains relatifs aux droits de l’homme et des peuples, des dispositions
de la Charte des Nations Unies, de la Charte de l’Organisation de
l’unité africaine, de la Déclaration universelle des droits de l’homme,
des dispositions des autres instruments adoptés par les Nations

Unies et par les pays africains dans le domaine des droits de l’homme
et des peuples ainsi que des dispositions de divers instruments adop-
tés au sein d’institutions spécialisées des Nations Unies dont sont
membres les parties à la présente Charte» . 7

28. La CIJ, en tant qu’«organe judiciaire principal des Nations Unies»

(article 92 de la Charte des Nations Unies), pouvait parfaitement, en
l’espèce, effectuer sponte sua la construction juridique à laquelle elle a
procédé pour déterminer s’il y avait eu violation de l’article 6 de la Charte
africaine et du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte international relatif

aux droits civils et politiques des Nations Unies (par. 74-79). La Cour a,
de plus, évoqué la relation entre l’article 5 de la Charte africaine et
l’article 7 du Pacte susmentionné à propos de la disposition de la Charte
africaine portant sur «le droit au respect de la dignité inhérente à l’être

humain» (citée au paragraphe 87).

3. Invocation et incidence de la convention de Vienne

sur les relations consulaires de 1963

29. Outre les dispositions pertinentes du Pacte et de la Charte africaine

7 En outre, l’article 61 de la Charte africaine précise que la Commission africaine
doit

«prend[re] aussi en considération, comme moyens auxiliaires de détermination des
règles de droit, les autres conventions internationales, soit générales, soit spéciales,
établissant des règles expressément reconnues par les Etats membres de l’Organi-
sation de l’Unité africaine, les pratiques africaines conformes aux normes interna-
tionales relatives aux droits de l’homme et des peuples, les coutumes généralement
acceptées comme étant le droit, les principes généraux de droit reconnus par les
nations africaines ainsi que la jurisprudence et la doctrine».

102(supra), les Parties au litige ont également invoqué, tout au long de la

procédure devant la Cour, la convention de Vienne sur les relations
consulaires de 1963, et en particulier l’article 36, paragraphe 1, alinéa b),
de cet instrument. La Guinée et la RDC reconnaissaient ainsi que les dis-
positions mentionnées de ces trois traités représentaient le droit applica-
ble en l’espèce. En ce qui concerne l’article 36, paragraphe 1, alinéa b),de

la convention de Vienne de 1963, c’est la Guinée qui l’a invoqué la pre-
mière, y consacrant un exposé assez long dans son mémoire (daté du
23 mars 2001).
30. Se fondant sur la jurisprudence de la CIJ en la matière, la Guinée

a identifié, dans son mémoire, le droit de l’individu garanti par cette dis-
position de la convention de Vienne de 1963 (droit de l’intéressé d’être
informé de l’assistance consulaire et de s’en prévaloir s’il le souhaite) et
les obligations correspondantes des Etats parties (de veiller à ce qu’une

assistance consulaire soit offerte) aux termes de cette convention — dis-
positions dont aucune n’avait, selon la Guinée, été respectée dans la pré-
sente affaire (par. 3.11-3.12, 3.30.2, 4.4 et 5.1.1). Dans son contre-
mémoire (daté du 27 mars 2008), la RDC a contesté la thèse de la Guinée

relative à une violation de l’article 36, paragraphe 1, alinéa b), de cette
convention, en soutenant que «l’ambassadeur guinéen à Kinshasa était
au courant de l’arrestation et de la détention de M. Diallo avant son
expulsion à Conakry» (par. 1.20 et par. 1.18-1.19 et 1.21-1.23).

31. Dans sa réplique (datée du 19 novembre 2008), la Guinée a sou-
tenu que «les faits constitutifs de la violation de la Convention de Vienne
de 1963», ne faisaient, à son avis, «aucun doute» (par. 1.7). Réitérant sa
position (par. 3.3.1 et 4.1.1), la Guinée a déclaré:

«A aucun moment, ni en 1988-1989, ni en 1995-1996, M. Diallo,
ressortissant guinéen, n’a été informé des droits qui lui sont recon-
nus par l’article 36, par. 1 b), de la convention de Vienne sur les rela-
tions consulaires ... [L]a RDC aurait dû lire l’article 36, par. 1 b),de
la Convention de 1963 dans les trois phrases qui le composent. Selon

sa troisième phrase, les autorités compétentes de l’Etat de résidence
«doivent sans retard informer l’intéressé de ses droits aux termes du
présent alinéa». Ce troisième élément ne saurait être négligé ... En
l’espèce pesait donc sur le Zaïre en vertu de la Convention de 1963

une obligation «d’informer sans retard ... l’intéressé de ses droits»,
aussi bien d’ailleurs lors de son arrestation de 1988 que lors de celles
de 1995 et de 1996. Cela ne fut jamais fait, ce qui constitue une nou-
velle violation des droits de M. Diallo.» (Par. 1.49 et 1.51-1.53.)

32. Dans ses plaidoiries du 19 avril 2010 devant la Cour, la Guinée a
invoqué à plusieurs reprises, pour étayer sa thèse, l’article 36, paragra-
phe 1, alinéa b), de la convention de Vienne sur les relations consulaires . 8

8CR 2010/1 du 19 avril 2010, p. 27, 31 et 34-36, par. 3 v), 18, 24 et 28-29; CR 2010/2
du 19 avril 2010, p. 37, par. 7.

103De son côté, la RDC a soutenu, lors de l’audience du 26 avril 2010,

qu’elle n’avait pas violé cette disposition de la convention de Vienne
de 1963. Dans son argumentation, la RDC a examiné cette question dans
une perspective strictement interétatique, en rappelant les contacts (et
une lettre) échangés entre l’ambassadeur de Guinée à Kinshasa et les
9
autorités du Gouvernement congolais . Les débats entre les deux Parties
ne se sont nullement arrêtés à l’aspect général des trois traités invoqués
devant la Cour. Ces débats devaient se poursuivre à propos des droits en
cause garantis par ces traités — question sur laquelle je m’arrêterai main-

tenant.

III. L A SAGA DU SUJET DES DROITS :
CONSIDÉRATIONS SUR LA DÉFENSE DES DROITS PROTÉGÉS

33. Les droits individuels défendus dans la présente affaire avaient été
prétendument violés dans le cadre de l’arrestation, de la détention et de
l’expulsion de M. A. S. Diallo au cours de la période allant de 1988 à
1996. Ces droits comprennent le droit à la liberté et à la sécurité de sa

personne (paragraphes 1 à 4 de l’article 9 du Pacte international relatif
aux droits civils et politiques des Nations Unies), le droit de n’être
expulsé d’un Etat qu’en exécution d’une décision prise conformément à la
loi (article 13 du Pacte), le droit de ne pas être soumis à de mauvais trai-

tements (articles 7 et 10 du Pacte), s’ajoutant au droit d’être informé sur
l’assistance consulaire dans le cadre des garanties d’une procédure régu-
lière (alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention sur les

relations consulaires de 1963).
34. Il est permis de se demander pourquoi ce dernier droit figure au
nombre des droits individuels garantis par une convention portant sur les
relations consulaires et saluée en 1963 dans une perspective avant tout

interétatique. J’aborderai cette question dans une section ultérieure de la
présente opinion individuelle (VIII, infra), où je démontrerai que le droit
à l’information sur l’assistance consulaire est un droit individuel au sein
de l’univers conceptuel des droits de l’homme, afin de préciser ce point et

de dissiper tout doute qui pourrait subsister sur la nature du droit à
l’information sur l’assistance consulaire. Mais, avant de donner ces pré-
cisions, j’examinerai d’abord les droits susmentionnés, un à un, dans les
paragraphes qui suivent.

1. Le droit à la liberté et à la sécurité de la personne

a) Les arrestations et la détention de 1988-1989

35. Le premier droit invoqué dans la présente affaire est le droit de

M. A. S. Diallo à la liberté et à la sécurité de sa personne, garanti par les

9CR 2010/3 du 26 avril 2010, p. 26-31, par. 48-49 et 54; voir aussi ibid., p. 18 et 26-30,
par. 15, 42-47 et 50-53.

104paragraphes 1 à 4 de l’article 9 du Pacte. Ce droit est affirmé à propos des

arrestations et de la détention de M. Diallo en RDC en 1988-1989 et
en 1995. Les Parties n’ont pas contesté le fait que M. A. S. Diallo ait été

arrêté le 25 janvier 1988, ni qu’il avait été placé en détention le 27 jan-
vier 1988 dans la prison de Makala et libéré un an plus tard, le 3 jan-
vier 1989, à la faveur d’un pardon présidentiel accordé par suite d’une
10
intervention de l’ambassadeur de Guinée .
36. La Guinée a soutenu que l’arrestation et la détention de

M. A. S. Diallo en 1988-1989 étaient arbitraires, étant donné que le seul
motif de son incarcération en janvier 1988 était le fait que l’Etat zaïrois
avait des dettes considérables envers son entreprise, Africom-Zaïre .De 11

l’avis de la Guinée, la RDC violait ainsi ses obligations au titre de l’arti-
cle 9 du Pacte . Pour sa part, la RDC a soutenu que «M. Diallo avait

été emprisonné en 1988 à la suite d’une enquête judiciaire ouverte par les
agents de la loi du bureau du procureur de Kinshasa sur des actes de
fraude dont il avait été, à tort ou à raison, accusé» . La RDC n’a pas

contesté les allégations de fait de la Guinée concernant l’arrestation et la
détention de M. Diallo en 1988-1989, qu’elle considérait plutôt comme
14
une nouvelle prétention .
37. Les dispositions du Pacte pertinentes sous l’angle qui nous inté-
resse maintenant sont celles de l’article 9 (relatif au droit à la liberté et à

la sécurité de la personne), qui est ainsi libellé:

«1. Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne.
Nul ne peut faire l’objet d’une arrestation ou d’une déten-

tion arbitraire. Nul ne peut être privé de sa liberté, si ce n’est
pour des motifs, et conformément à la procédure prévus par la
loi.

2. Tout individu arrêté sera informé, au moment de son arresta-

10 Observations de la République de Guinée sur les exceptions préliminaires de la
République démocratique du Congo (ci-après «observations de la Guinée»), par. 1.41;

procédure orale, CR 2006/51, par. 18; réplique de la République de Guinée (ci-après
«réplique de la Guinée»), par. 1.13-1.16. Après le pardon, le procureur général de Kin-
shasa a clos l’affaire le 28 janvier 1989, pour inopportunité de poursuites; observations de
la Guinée, op. cit. supra, par. 1.43.
11 Réplique de la Guinée, par. 1.9.
12 La Guinée s’est reportée à une lettre en date du 4 juillet 1988 signée par M. S. Pida
Nbagui, premier commissaire d’Etat, et adressée au président du conseil judiciaire de la
République du Zaïre; réplique de la Guinée, par. 1. 14; observations de la Guinée, op. cit.

supra note 10, annexe 15. Cette lettre indiquait, a ajouté la Guinée, que le chef de
l’exécutif de la RDC avait seul donné l’ordre de l’arrestation et de l’incarcération de
M. A. S. Diallo, ce qui est un exemple de «la plus parfaite confusion des pouvoirs»; répli-
que de la Guinée, par. 1. 15.
13 Duplique de la RDC, par. 1.16. Il s’agissait donc, d’après la RDC, d’une détention
temporaire pour des raisons d’enquête judiciaire. La RDC a reproduit la version des faits
telle qu’exposée par l’ambassade de la Guinée à Kinshasa dans une lettre au ministre
guinéen des affaires étrangères à Conakry en date du 3 février 1988; duplique de la RDC,
par. 1. 14.
14
Ibid., par. 1.11 et 1.13.

105 tion, des raisons de cette arrestation et recevra notification, dans

le plus court délai, de toute accusation portée contre lui.
3. Tout individu arrêté ou détenu du chef d’une infraction pénale
sera traduit dans le plus court délai devant un juge ou une autre
autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires, et

devra être jugé dans un délai raisonnable ou libéré. La détention
de personnes qui attendent de passer en jugement ne doit pas
être de règle, mais la mise en liberté peut être subordonnée à des

garanties assurant la comparution de l’intéressé à l’audience, à
tous les autres actes de la procédure et, le cas échéant, pour
l’exécution du jugement.
4. Quiconque se trouve privé de sa liberté par arrestation ou déten-

tion a le droit d’introduire un recours devant un tribunal afin
que celui-ci statue sans délai sur la légalité de sa détention et
ordonne sa libération si la détention est illégale.

5. Tout individu victime d’arrestation ou de détention illégale a
droit à réparation.»

38. S’agissant du premier point à examiner, à savoir s’il y a eu viola-
tion par la RDC des conditions d’admissibilité de la privation de liberté
(principe de légalité, interdiction de l’arbitraire — paragraphe 1 de l’arti-
cle 9 du Pacte), il ressort des éléments de preuve produits en l’affaire que

les autorités judiciaires zaïroises n’ont délivré en 1988 aucun mandat
d’arrêt. Ce fait peut certainement être considéré, à la lumière des dispo-
sitions pertinentes du Pacte international relatif aux droits civils et poli-

tiques, comme une indication d’arrestation arbitraire. Cette interpréta-
tion est en effet conforme à la notion d’arbitraire inscrite dans le Pacte,
que j’examinerai ultérieurement dans cette opinion individuelle (sect. VI,
infra). De plus, les autorités compétentes n’ont pris aucune décision en ce

qui concerne la prolongation de la détention de M. A. S. Diallo avant son
procès (détention préventive). Il demeure que M. A. S. Diallo a été
détenu pendant un an sans faire l’objet d’aucune procédure judiciaire ten-

dant à l’inculper d’une infraction.
39. La RDC n’a fourni aucun élément de preuve indiquant que
M. A. S. Diallo aurait été arrêté et incarcéré, ainsi qu’elle le prétendait, dans
le cadre d’une véritable enquête judiciaire ouverte à son encontre pour de

prétendus actes de fraude. A cet égard, le Comité des droits de l’homme a
déclaré que l’arrestation et la détention sans accusation constituaient une
violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte. Rien n’indique que

M. Diallo ait été accusé d’une infraction à quelque moment que ce soit. En
l’absence de toute information pertinente provenant de l’Etat partie, il peut

15Nations Unies, Comité des droits de l’homme (CDH), Titiahonjo c. Cameroun, 2007,
no 1186/2003, par. 6.5; Monja Jaona c. Madagascar , 1985, n 132/1982, par. 14; Mpan-
danjila c. République démocratique du Congo , 1986, n/1983, par. 10.

106être conclu — ce que la Cour a d’ailleurs fait (par. 79) à bon droit — que la

privation de liberté de M. A. S. Diallo étaia trbitraire et violait le paragra-
phe 1 de l’article 9 du Pacte.

40. S’agissant maintenant du droit (de la personne arrêtée ou détenue)
d’être informée des raisons de son arrestation ou de sa détention et des
accusations portées contre elle (paragraphe 2 de l’article 9 du Pacte), la

Guinée a prétendu que M. A. S. Diallo n’avait jamais été informé de
façon précise de la nature de l’infraction alléguée ni des dispositions en
16
vertu desquelles il était accusé . Selon la Guinée, la seule information
fournie à M. A. S. Diallo par l’autorité judiciaire devant laquelle il avait
été amené au cours de sa détention était que son arrestation était «liée au
17
communiqué du premier ministre» . En conséquence, outre le commu-
niqué du premier ministre, l’autorité judiciaire n’avait produit aucun dos-

sier ni aucune accusation pour indiquer à M. A. S. Diallo ce qui autori-
sait son arrestation et son incarcération.
41. La RDC, pour sa part, a reconnu que M. A. S. Diallo avait été

traduit devant l’inspecteur judiciaire, qui lui avait dit que son arresta-
tion était liée au communiqué de presse du premier ministre (selon
18
lequel il était accusé de fraude) . Il semble donc établi qu’un commu-
niqué de presse du premier ministre accusait M. A. S. Diallo de
fraude 19 et que cette accusation avait été rendue publique à la radio et
20
à la télévision le 20 janvier 1988, de même que dans la presse .
Rien n’indique en revanche que, au moment de l’arrestation de

M. A. S. Diallo, les autorités congolaises aient informé celui-ci des rai-
sons de son arrestation ou des accusations portées contre lui.
42. Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a, pour sa

part, déclaré que l’obligation résultant du Pacte n’était pas de pure
forme. Non seulement l’intéressé doit-il être informé au moment de son
arrestation, mais l’information qui lui est fournie doit être suffisamment
21
précise pour qu’il connaisse exactement la raison de son arrestation. En
effet, le Comité a déclaré que,

16 La Guinée a présenté la preuve documentaire d’une déposition de M. A. S. Diallo,
établie le 29 octobre 2008 par deux huissiers des cours et tribunaux de Conakry, où
M. Diallo déclarait: «[I]ls ne m’ont montré aucun document autorisant mon arrestation et ne
m’ont pas expliqué pourquoi j’étais arrêté»; réplique de la Guinée, annexe 1, réponse à la
question 3.
17 Ibid., vol. II, p. 6.
18
19 Duplique de la RDC, par. 1.22.
20 Ibid., par. 1.22, et CR 2010/1 du 19 avril 2010, p. 28.
Lettre adressée au ministre guinéen des affaires étrangères à Conakry, en date du 3 fé-
vrier 1988. La RDC s’est référée à une lettre en date du 3 février 1988 de M. Lounceny
Kouyate (CR 2010/3 du 26 avril 2010, p. 16-17), conseil à l’ambassade guinéenne à
Conakry, pour étayer sa prétention selon laquelle M. A. S. Diallo et la Guinée elle-même
connaissaient les accusations portées contre M. Diallo; observations de la Guinée,op. cit.
supra note 10, p. 17-18.
21 CDH, Adolfo Drescher Caldas c. Uruguay , 21 juillet 1983, n 43/1979, par. 13.2 et

14.

107 «en vertu du paragraphe 2 de l’article 9 du Pacte, toute personne

arrêtée doit être informée dans une mesure suffisante des raisons
de son arrestation afin de pouvoir prendre immédiatement des
dispositions pour obtenir sa libération si elle considère que les

raisons avancées sont nulles et non avenues ou mal fondées. De
l’avis du Comité, il ne suffisait pas d’informer simplement Adolfo
Drescher Caldas qu’il était arrêté en vertu des mesures urgentes de
sécurité sans préciser en rien ce qui lui était reproché quant au

fond.»

Dans la présente affaire Ahmadou Sadio Diallo, en l’absence d’infor-
mations pertinentes et précises émanant de la RDC, l’arrestation et la
détention de M. A. S. Diallo en 1988 constituaient une violation du para-

graphe 2 de l’article 9 du Pacte.
43. S’agissant du point suivant, à savoir les droits des personnes pla-
cées en détention et en détention préventive, il convient de rappeler que le
paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte — déjà cité — stipule que «[t]out

individu arrêté ou détenu du chef d’une infraction pénale sera traduit
dans le plus court délai devant un juge ou une autre autorité habilitée par
la loi à exercer des fonctions judiciaires, et devra être jugé dans un délai

raisonnable ou libéré»; il est également indiqué dans cet article que «[l]a
détention de personnes qui attendent de passer en jugement ne doit pas
être de règle, mais la mise en liberté peut être subordonnée à des garanties

assurant la comparution de l’intéressé à l’audience ... et, le cas échéant,
pour l’exécution du jugement».
44. Que signifient les mots «dans le plus court délai» utilisés dans cette
disposition? Le sens de cette expression n’est pas précisé dans le Pacte, ni

d’ailleurs dans les dispositions correspondantes de la convention euro-
péenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales
(paragraphe 3 de l’article 5) ou dans la convention américaine des droits

de l’homme (paragraphe 5 de l’article 7), ce qui a donné lieu à une juris-
prudence considérable. Cependant, le Comité des droits de l’homme,
dans son observation générale n 8 (de 1982) sur l’article 9, a souligné que
22
ce délai ne pouvait en aucun cas dépasser «quelques jours» (par. 2) .En
ce qui concerne la manière d’interpréter la prescription selon laquelle
l’intéressé doit être traduit devant un juge ou un autre responsable de la

loi «autorisé par la loi à exercer le pouvoir judiciaire», on se rappellera
les critères élaborés par la Cour européenne des droits de l’homme en
l’affaire Schiesser c. Suisse (1979, en vertu du paragraphe 3 de l’article 5
de la convention (européenne) de sauvegarde des droits de l’homme et

des libertés fondamentales) pour l’interprétation de cette disposition
(par. 30). Les conditions à remplir sont les suivantes:

22Voir Fillastre et Bizouarn c. Bolivie ,336/1988, et aussi, dans le même sens,
McLawrence c. Jamaïque,n o 702/1996, et Kurbanov c. Tadjikistan1096/2002.

108 «La première d’entre elles réside dans l’indépendance à l’égard de

l’exécutif ... A cela s’ajoutent ... l’obligation d’entendre personnel-
lement l’individu traduit devant lui [et] d’examiner les circonstances
qui militent pour ou contre la détention, de se prononcer ... sur l’exis-

tence de raisons la justifiant et, en leur absence, d’ordonner l’élargis-
sement.»

45. Cette jurisprudence a été confirmée par le Comité des droits de

l’homme en l’affaire Kulomin c. Hongrie (1996), à l’occasion de laquelle
le Comité a offert les réflexions suivantes:

«[U]n élément inhérent au bon exercice du pouvoir judiciaire est
qu’il doit être assuré par une autorité indépendante, objective et
23
impartiale par rapport aux questions à traiter.»

Dans les circonstances de l’affaire Kulomin c. Hongrie, le Comité n’était
pas convaincu que le procureur puisse être réputé avoir l’objectivité et
l’impartialité institutionnelles nécessaires pour être considéré comme un

responsable autorisé à exercer le pouvoir judiciaire au sens du paragra-
phe 3 de l’article 9 du Pacte. Selon cette disposition, en effet, la détention
préventive ne peut devenir la règle générale, doit être limitée à des raisons
24
essentielles et doit de toute manière être aussi courte que possible.
46. Il convient également de rappeler que selon le Pacte — ce qui n’est
guère étonnant — la détention préventive est considérée comme une

mesure d’exception. En l’espèce, il n’est pas contesté que M. A. S. Diallo
a été traduit le 25 janvier 1988, jour de son arrestation, devant l’inspec-
teur judiciaire, qui l’a informé que son arrestation était liée au commu-

niqué de presse du premier commissaire d’Etat. Cependant, la Guinée a
considéré que l’inspecteur judiciaire assigné au bureau du procureur,
devant lequel M. A. S. Diallo a été traduit, ne pouvait être considéré

comme un responsable autorisé par la loi à exercer des fonctions judiciai-
res, au sens du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte . La Guinée a ajouté

que l’inspecteur judiciaire en 26estion obéissait directement à un ordre du
premier commissaire d’Etat .
47. La RDC a affirmé que le Pacte ne précisait pas que l’autorité

devant laquelle la personne en détention devait être déférée devait être
indépendante de l’exécutif . Cependant, la RDC n’a fourni aucun élé-
ment de preuve d’un mandat d’arrêt écrit ni d’un procès-verbal du pre-

mier interrogatoire. M. A. S. Diallo n’a pas non plus été traduit devant
un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions
judiciaires, conformément à l’obligation prescrite au paragraphe 3 de

l’article 9 du Pacte, qui stipule que tout individu arrêté ou détenu du chef

23CDH, n 521/1992.
24Comme le danger de suppression de preuves, de répétition d’infraction ou de fuite.

25CR 2010/1 du 19 avril 2010, par. 16-17; réplique de la Guinée, p. 13, par. 1.24.
26Réplique de la Guinée, par. 1.24.
27Duplique de la RDC, par. 1.26.

109d’une infraction pénale doit être traduit dans le plus court délai devant

un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions
judiciaires. Pendant tout son séjour à la prison de Makala (du 27 jan-
28
vier 1988 au 3 janvier 1989), M. A. S. Diallo n’a vu aucun juge . Par
conséquent, il semble que la RDC ait violé le paragraphe 3 de l’article 9
du Pacte.

48. Il y a lieu de se demander ensuite si la RDC a violé le droit (d’un
individu arrêté ou détenu) à l’habeas corpus (paragraphe 4 de l’article 9
du Pacte) . Ce droit à l’examen sans délai de la légalité de la détention

existe indépendamment de la légalité de la privation de liberté. Le Comité
des droits de l’homme a déclaré que tout individu privé de liberté devait
30
avoir accès à un avocat . Dans le cas présent, aucun mandat d’arrêt n’a
été présenté à M. A. S. Diallo lorsqu’il a été placé en détention et il n’a
donc pas eu la possibilité d’obtenir une décision sur la légalité de sa

détention. Par conséquent, la RDC a, apparemment, violé également le
paragraphe 4 de l’article 9 du Pacte.
49. Ainsi qu’on peut le voir d’après l’exposé qui précède, les Parties au

litige — à la différence de la Cour — ont pris en compte l’article 9 du
Pacte dans son ensemble, comme il se doit. J’ai moi aussi pris en compte

l’article 9 du Pacte dans son ensemble, comme il se doit dans les circons-
tances de la présente affaire. Cependant, la Cour n’a pris en compte que
les paragraphes 1 et 2 de l’article 9, étant donné que les arguments

concernant les paragraphes 3 et 4 de l’article 9 concernaient les arresta-
tions et la détention de M. A. S. Diallo en 1988-1989, que la Cour a

exclues de son examen en l’espèce. Etant donné que j’ai exprimé ma dis-
sension sur cette partie de la décision de la Cour (qui correspond au
point 1 du dispositif), je considère de mon devoir d’exposer ma position

sur la violation de l’article 9 du Pacte dans son ensemble.

b) Les arrestations et la détention de 1995-1996

50. Les Parties sont convenues que M. A. S. Diallo a été arrêté et détenu
plus d’une fois à la fin de 1995 et au début de 1996, mais leur accord s’est
31
arrêté là . Elles étaient en désaccord sur la durée des périodes de détention
(voirinfra) . Selon la Guinée, M. A. S. Diallo avait été placé en détention le
5 novembre 1995 et était demeuré emprisonné d’abord pendant deux mois,

28
CR 2010/1 du 19 avril 2010, par. 17.
29 Selon la Guinée, M. A. S. Diallo n’a pas eu la possibilité d’engager une procédure
pour obtenir une décision sur la légalité de sa détention; réplique de la Guinée, p. 14.
Selon la RDC, la Guinée n’a produit aucun élément de preuve indiquant que
M. A. S. Diallo ait été empêché par la RDC d’engager une telle procédure; duplique de la
RDC, par. 1.34.
30 CDH, Berry c. Jamaïque, 1994, n 330/1988, par. 11.1.
31
Réplique de la Guinée, par. 1.29; contre-mémoire de la RDC, p. 11-12, par. 1.09-
1.32; CR 2006/50 du 27 novembre 2006, p. 39-40, par. 89-92.
L’ordonnance-loi congolaise du 12 septembre 1983 prévoit une limite statutaire de
huit jours de détention.

110avant d’être libéré le 10 janvier 1996 «par suite d’une intervention du pré-

sident [zaïrois] lui-même» . M. A. S. Diallo avait alors, selon la Guinée, été
arrêté de nouveau et emprisonné pendant deux semaines encore avant
34
d’être expulsé . M. A. S. Diallo aurait donc été maintenu en détention pen-
dant 75 jours au total . 35

51. Rejetant ces allégations de la Guinée, la RDC a soutenu que la
durée et les conditions de la détention de M. A. S. Diallo au cours de la

procédure d’expulsion étaient conformes au droit zaïrois; en particulier,
elle a soutenu que la durée maximale statutaire de détention de huit jours

n’avait pas été dépassée. Selon la RDC, M. A. S. Diallo a été arrêté le
5 novembre 1995 et libéré deux jours plus tard . A une date non précisée

par la RDC (mais, selon les allégations, dans les huit jours précédant le
10 janvier 1996), M. A. S. Diallo a été arrêté à nouveau en vue d’être
expulsé, puis libéré le 10 janvier 1996, le gouvernement n’ayant pu trou-

ver un avion en partance de Conakry dans le délai légal de huit jours sui-
vant sa mise en détention . La RDC a soutenu enfin que M. A. S. Diallo

était en état d’arrestation à Kinshasa le 25 janvier 1996 (six jours au
moins avant d’être expulsé), mais elle n’a pas précisé depuis combien de
38
temps .
52. Il apparaît donc que l’Etat défendeur n’a pas fourni d’éléments de

preuve de toutes ses assertions. A cet égard, les seuls faits prouvés, et non
contestés par les Parties, sont le fait que M. A. S. Diallo a été arrêté le
39 40
5 novembre 1995 et libéré le 10 janvier 1996 . Cependant, la RDC n’a
pas prouvé son assertion selon laquelle M. Diallo avait été libéré entre ces
deux dates; elle n’a pas non plus spécifié exactement quand M. Diallo
41
avait été incarcéré après le 10 janvier 1996, avant d’être expulsé .
53. L’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politi-

33 Mémoire de la République de Guinée (ci-après «mémoire de la Guinée»), par.
2.63.
34 Réplique de la Guinée, par. 1.40.
35
Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II) , p. 591, par. 17; mémoire de la
Guinée, par. 2.64. La Guinée s’est appuyée sur la preuve documentaire de l’organisme
Avocats sans frontières (communiqué de presse) et sur un article du Business and News de
Kinshasa. Un article paru dans le quotidien guinéen Horoya (édition du 6 août 1996)
— faisant écho à l’hebdomadaire zaïrois L’Ouragan (édition du 31 janvier 1996) — a

également été cité par la Guinée. Voir mémoire de la Guinée, annexes 190, 193 et 206
respectivement.
36 Contre-mémoire de la RDC, par. 1.10 et annexe 7.
37 Ibid., par. 1.11.
38 Ibid., par. 1.21.
39 Ibid., par. 1.10 et annexe 7: billet d’écrou; on peut lire dans ce billet d’écrou ce qui

suit: «Sieur Diallo est détenu à la permanence jusqu’à son expulsion du Zaïre.»

40 Réplique de la Guinée, par. 1.32; mémoire de la Guinée, annexe 194.
41 L’Etat défendeur a simplement donné deux indices: le premier est la mention de
«quelques jours» après le 10 janvier 1996, et le second est sa propre déclaration selon
laquelle, le 25 janvier 1996, M. A. S. Diallo était «toujours détenu à Kinshasa six jours

avant d’être expulsé»; contre-mémoire de la RDC, p. 12, par. 1.11, et p. 16, par. 1.21.

111ques parle, de façon générale, de tout type de privation de liberté , 42

qu’elle soit la conséquence d’une enquête judiciaire ou d’une décision
administrative. L’article 9 du Pacte s’applique donc aux arrestations et

aux détentions de M. A. S. Diallo en 1995-1996. Le paragraphe 1 de
l’article 9 du Pacte stipule que nul ne peut être privé de sa liberté, si ce
n’est conformément à la procédure prévue par la loi. Dans la présente

affaire, la RDC n’a présenté aucune preuve que M. Diallo pouvait se
soustraire aux décisions des autorités zaïroises et s’enfuir. Elle n’a pas

non plus produit de preuve que M. A. S. Diallo avait été libéré entre le
5 novembre 1995 et le 10 janvier 1996. Elle n’a pas davantage présenté de
décision de prorogation de la détention au-delà des 48 premières heu-
43
res . Quoi qu’il en soit, les périodes d’arrestation, prises ensemble, ont
dépassé la période statutaire de huit jours . 44

54. En outre, la RDC n’a pas expliqué pourquoi ni s’il était «absolu-
ment nécessaire» d’incarcérer de nouveau M. A. S. Diallo le 17 jan-
vier 1996 ; elle n’a jamais démontré non plus qu’il était absolument

nécessaire de prolonger la détention de M. A. S. Diallo. En conclusion,
l’arrestation et la détention de M. A. S. Diallo en 1995-1996 semblent, à

la lumière des faits susmentionnés, arbitraires et illégales, et donc contrai-
res au paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques, comme la Cour l’a d’ailleurs justement conclu (arrêt,

par. 79).
55. Par ailleurs, en ce qui concerne le paragraphe 2 de l’article 9 du

Pacte, M. A. S. Diallo n’a été ni informé des raisons de son arrestation ni
informé dans le plus court délai des accusations portées contre lui. Il n’a
même pas été informé de l’adoption du décret du 31 octobre 1995 .La 46

RDC reconnaît elle-même qu’entre le 31 octobre 1995, date d’adoption
du décret d’expulsion, et le 31 janvier 1996, date de l’expulsion effective
de M. Diallo, celui-ci ignorait qu’un décret d’expulsion avait déjà été pris
47
contre lui . Ainsi, en n’informant pas M. A. S. Diallo des raisons de son
arrestation et de sa détention en 1995-1996, la RDC a violé le paragra-

phe 2 de l’article 9 du Pacte, ce que la Cour a établi, à juste titre (arrêt,
par. 82).

42 Voir le texte reproduit au paragraphe 35 supra.
43 Réplique de la Guinée, par. 1.46. Si M. Diallo avait été libéré le 10 janvier 1996, il
aurait été arrêté le 2 janvier 1996, mais il n’y a aucune preuve qu’il ait été libéré avant le
2 janvier 1996.
44
L’argumentation de la RDC est quelque peu contradictoire: elle a déclaré qu’il avait
été libéré le 10 janvier 1996 parce que le gouvernement avait été incapable de trouver un
avion en partance pour Conakry dans la période statutaire maximale de huit jours de
détention; contre-mémoire de la RDC, par. 1.11. Cependant, le seul document produit,
daté du 10 janvier 1996, indique que M. A. S. Diallo avait été libéré «pour raisons
d’enquête»; mémoire de la Guinée, annexe 194. Des inexactitudes de cette nature font
paraître l’argumentation de l’Etat défendeur vague et sans fondement.
45 Réplique de la Guinée, par. 1.40 et annexe 1, réponse à la question 22.
46 Ibid., par. 1.48 et annexe 1, réponses aux questions 15, 20 et 26.
47
CR 2006/52 du 29 novembre 2006, p. 19-20, par. 10.

112 2. Le droit de ne pas être expulsé d’un Etat sans base juridique

56. Un autre droit défendu dans le cadre de cette affaire est le droit de
n’être expulsé d’un Etat qu’en exécution d’une décision prise conformé-
ment à la loi, droit énoncé à l’article 13 du Pacte, ainsi libellé:

«Un étranger qui se trouve légalement sur le territoire d’un Etat
partie au présent Pacte ne peut en être expulsé qu’en exécution d’une
décision prise conformément à la loi et, à moins que des raisons
impérieuses de sécurité nationale ne s’y opposent, il doit avoir la

possibilité de faire valoir les raisons qui militent contre son expulsion
et de faire examiner son cas par l’autorité compétente, ou par une ou
plusieurs personnes spécialement désignées par ladite autorité, en se

faisant représenter à cette fin.»

57. Dans la présente affaire, il n’a pas été contesté que, le 31 octo-
bre 1995, le premier ministre du Zaïre a pris un décret d’expulsion contre
M. A. S. Diallo , dont la motivation était ainsi libellée: «la présence et

la conduite [de M. Diallo] ont compromis et continuent à compromettre
l’ordre public zaïrois, spécialement en matière économique, financière et
monétaire» . Les Parties étaient également convenues que, le 5 novem-
bre 1995, M. A. S. Diallo avait été placé en état d’arrestation en vue

d’être expulsé. Cependant, les Parties ont contesté leurs arguments res-
pectifs en ce qui concerne la durée et les conditions des périodes de déten-
tion 50(voir supra), ainsi qu’en ce qui concerne les faits liés aux circons-

tances particulières de l’arrestation, de la détention et de l’expulsion de
M. A. S. Diallo (voir supra).
58. La Guinée a prétendu que l’expulsion de M. A. S. Diallo était

contraire à certaines règles internationales et internes encadrant le pou-
voir d’expulsion, à savoir: a) l’Etat défendeur n’a pas respecté l’obliga-
tion de fournir les motifs de l’expulsion; b) les règles juridictionnelles,
formelles et procédurales ont été délibérément méconnues; c) la procé-

dure de refoulement a été intentionnellement et arbitrairement utilisée à
mauvais escient pour effectuer une expulsion; et enfin, d) M. A. S. Diallo
n’a jamais eu la possibilité de faire valoir les raisons qui militaient contre

son expulsion et de faire examiner son cas par l’autorité compétente.
Tous ces éléments indiquent que la mesure prise à l’encontre de M. Diallo
était tout à fait arbitraire.

59. L’expulsion de M. A. S. Diallo s’est donc déroulée en deux étapes:
premièrement, le décret d’expulsion du 31 octobre 1995; deuxièmement,
l’avis de refoulement du 31 janvier 1996. Quant aux motifs de l’expulsion,
du fait qu’ils n’ont pas été spécifiés (au sens juridique du terme), le décret

48Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II) , p. 590-591, par. 15-16.
49Contre-mémoire de la RDC, annexe 5 (décret n 0043 du 31 octobre 1995 portant
expulsion de M. A. S. Diallo).
50Réplique de la Guinée, par. 1.31.

113d’expulsion est demeuré vague. A cet égard, la Commission africaine des

droits de l’homme et des peuples a fait, en l’affaire Amnesty International
et autres c. Soudan (1999), les constatations suivantes:

«Il ne suffit pas qu’une arrestation soit effectuée en vertu d’une

disposition de la loi pour satisfaire aux exigences de l’article 6: la loi
doit respecter les normes acceptées. Ainsi, un décret permettant
l’arrestation pour des raisons vagues ou sur des soupçons plutôt que

sur des faits avérés n’était pas conforme à la Charte africaine [des
droits de l’homme et des peuples].» 51

60. Comme il a déjà été indiqué, M. A. S. Diallo n’a été informé ni des

raisons de son arrestation ni des accusations portées contre lui dans le
plus court délai; il n’a même pas été informé de l’adoption, le 31 octo-
52
bre 1995, d’un53écret d’expulsion le concernant . Ce fait a été reconnu
par la RDC . Pour cette raison, M. A. S. Diallo n’a pu ni opposer des
raisons à son expulsion ni demander l’examen de son cas par l’autorité

compétente, ainsi qu’il est prévu à l’article 13 du Pacte. Le décret d’expul-
sion n’était donc pas conforme à cet article.
61. De plus, les Parties au litige étaient en désaccord sur la forme d’ex-

pulsion appliquée à M. A. S. Diallo. La RDC a reconnu que M. Diallo
avait effectivement été expulsé et que l’avis signé par l’agent de l’immi-

gration faisait «par inadvertance» état de «refoulement» (plutôt que
d’«expulsion»). Pour sa part, la Guinée a soutenu que M. A. S. Diallo
avait été victime de «refoulement» . Il convient peut-être ici de rappeler

que le Comité des droits de l’homme des Nations Unies, dans son obser-
vation générale n 15 de 1986 sur La situation des étrangers au regard du
Pacte international relatif aux droits civils et politiques, indiquait claire-

ment que la garantie de l’article 13 du Pacte concernait toutes les formes
de «départ obligatoire» d’étrangers, quel que soit le terme utilisé pour
55
décrire cette situation dans le droit interne (voir infra). En conséquence,
même si l’article 13 utilise le terme «expulsion», il s’applique également
au refoulement de M. A. S. Diallo.

62. L’article 13 du Pacte stipule que la personne victime d’expulsion
doit être «autorisée à opposer des raisons à son expulsion». En outre, la

51 Voir Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (ci-après CADHP),

co52unications 48/90, 50/91, 52/91 et 89/93, par. 59.
53 Réplique de la Guinée, par. 1.48 et annexe 1, réponses aux questions 15, 20 et 26.
CR 2006/52 du 29 novembre 2006, p. 19-20, par. 10.
54 La Cour a appelé l’attention sur ce fait dans son arrêt sur les exceptions prélimi-
naires, où elle a dit que M. Diallo «était autorisé à tirer les conséquences de la quali-
fication juridique ainsi donnée par les autorités zaïroises»; Ahmadou Sadio Diallo
(République de Guinée c. République démocratique du Congo), exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II) , p. 601, par. 46.
55 Sur ce point, voir aussi: CEDH, arrêt du 5 octobre 2006, Bolat c. Russie (requête

14139/03), par. 79; CEDH, arrêt du 12 février 2009, Nolan et K. c. Russie (requête 2512/
04), par. 112. Et aussi Commission du droit international (CDI), Expulsion des étrangers
— Etude du Secrétariat, doc. A/CN.4/565 du 10 juillet 2006, p. 58, par. 67.

114possibilité doit lui être offerte de «plaider sa cause devant les tribunaux

nationaux compétents», selon la Commission africaine des droits de
l’homme et des peuples . Cependant, M. A. S. Diallo n’a pas été informé
dans les délais de la décision de l’expulser avant que celle-ci ne soit mise
57
à exécution et n’a donc pu opposer aucune raison à cette expulsion .
M. A. S. Diallo aurait dû avoir la possibilité de faire examiner son cas
par l’autorité compétente.
58
63. Dans l’importante affaire Hammel c. Madagascar (1987) ,el
Comité des droits de l’homme des Nations Unies a débouté l’Etat défen-

deur parce que la personne expulsée n’avait été ni «accusée ni produite
devant un magistrat» et parce qu’«elle n’avait pas eu la possibilité de
contester le décret d’expulsion avant son expulsion» (par. 18.2). Le

Comité a ajouté que la victime «n’avait pas obtenu de recours utile pour
contester son expulsion» et que l’Etat concerné n’avait pas démontré
qu’il existait «des raisons impérieuses de sécurité nationale» pour lui

refuser ce recours (par. 19.2).
64. Dans ses constatations sur l’affaire Hammel c. Madagascar (1987),
le Comité des droits de l’homme a également pris en compte son observa-
o
tion générale n 15 (27) sur la situation des étrangers au regard du Pacte,
et a signalé en particulier ce qui suit:

«L’étranger doit recevoir tous les moyens d’exercer son recours
contre l’expulsion, de manière à être en toutes circonstances à même

d’exercer effectivement son droit.» (Par. 19.2.)

Dans la présente affaire Ahmadou Sadio Diallo, la victime n’a pas non
plus bénéficié du droit d’accès à la justice (y compris à l’assistance juri-
dique) au titre de l’article 13 du Pacte. La Cour a jugé à juste titre que

l’article 13 du Pacte avait été enfreint à raison des circonstances qui
avaient entouré l’expulsion de M. A. S. Diallo (par. 74).

3. Le droit de ne pas être soumis à de mauvais traitements

65. Deux autres dispositions du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques des Nations Unies sont pertinentes pour l’examen de la
présente affaire; il s’agit des articles 7 et 10 du Pacte. L’article 7 se lit

comme suit:

«Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants. En particulier, il est interdit de
soumettre une personne sans son libre consentement à une expé-

rience médicale ou scientifique.»

56Voir CADHP, Union interafricaine des droits de l’homme et autres c. Angola ,
no 159/96, 11 novembre 1997, par. 20.
57Voir aussi, à ce sujet, CADHP, Amnesty International c. Zambie ,212/98, 5 mai
1999, fin du paragraphe 41.
58Communication n o 155/83, constatations du Comité des droits de l’homme,
3 avril 1987, doc. CCPR/C/29/D/155/1983, p. 1-9.

115De plus, le paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte dispose ce qui suit:

«Toute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et
avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine.»

66. A cet égard, le Comité des droits de l’homme a souligné en 2001,
o
dans son observation générale n 29 (sur Les dérogations au Pacte en
période d’état d’urgence ), que l’article 10 du Pacte

«exprime ici une norme du droit international général, ne souffrant
aucune dérogation, opinion étayée par la mention de la dignité inhé-
rente à l’être humain faite dans le préambule du Pacte et par le lien
59
étroit entre l’article 7 et l’article 10 » (par. 13, al. a)).

67. Dans son mémoire 60, la Guinée a prétendu que M. A. S. Diallo

avait été victime de mauvais traitements au cours de son incarcération et
de son expulsion. A ce sujet, la Guinée a affirmé que, en mettant à exécu-
tion le décret d’expulsion, les autorités d’application de la loi avaient, le

5 novembre 1995, emmené M. A. S. Diallo et l’avaient secrètement placé
en détention dans une cellule du service d’immigration, sans aucune

forme de processus judiciaire ni même d’examen, et qu’il était demeuré
incarcéré à cet endroit sans recevoir aucune visite de ses avocats ou de
fonctionnaires de l’ambassade de la Guinée jusqu’au 10 janvier 1996,

c’est-à-dire pendant 65 jours.
68. D’après les allégations, M. Diallo aurait été incarcéré dans des
conditions très dures et n’aurait pas été nourri par les autorités congo-

laises. En particulier, la Guinée a soutenu que, «[p]endant les quatre pre-
miers jours de [sa] détention, [il était] gardé au secret dans une cellule
infestée de moustiques, en permanence sous une lumière très vive,
61
et ... privé de nourriture» . La détention dans une cellule, dans de telles
conditions, est tout à fait incompatible avec l’article 10 du Pacte, aux

termes duquel «[t]oute personne privée de sa liberté est traitée avec
humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne
humaine» . 62

69. La Guinée a affirmé en outre que les arrestations et l’expulsion de
M. A. S. Diallo étaient contraires aux normes minimales de protection
qui doivent être respectées à l’égard des étrangers . De plus, la Guinée a

prétendu qu’un tel traitement violait ces normes minimales et, en parti-

59Dans la même observation générale n 29, le Comité ajoute que les Etats ne pou-

vaient «en aucune circonstance» invoquer l’article 4 (à l’égard de dérogations) «pour
justifier des actes attentatoires au droit humanitaire ou aux normes impératives du
droit international»; par. 11.
60Mémoire de la Guinée, p. 30-31 et 51 et suiv.
61Réplique de la Guinée, annexe 1, p. 6-7.
62CR 2010/5 du 28 avril 2010, par. 23.
63Réplique de la Guinée, par. 1.55.

116culier, les règles minima pour le traitement des détenus adoptées par
64
l’ECOSOC en 1955 , dont la valeur a été réaffirmée par l’Assemblée
générale de l’Organisation des Nations Unies en 1990 . 65
70. La RDC, rejetant ces prétentions, a affirmé que M. Diallo avait été

gardé dans des locaux bien aménagés par lesquels passaient tous les
étrangers frappés d’expulsion et qu’aucun élément de preuve du contraire
n’avait été produit . Elle a ajouté que l’ambassadeur guinéen à Kin-
shasa, qui suivait de très près l’affaire concernant M. Diallo, ne s’était

jamais plaint que le ressortissant de son pays avait été soumis à des
conditions inhumaines.
71. Selon la RDC, à supposer même que la Guinée ait présenté à la

Cour des éléments de preuve attestant que M. A. S. Diallo avait été gardé
au secret dans une cellule infestée de moustiques éclairée en permanence
par une ampoule très brillante et qu’il avait été privé de nourriture — ce

que la Guinée n’a pas fait —, un tel traitement ne serait pas automati-
quement assimilable à une violation de l’article 10 du Pacte. La RDC a
conclu que la Guinée n’avait pas prouvé les conséquences du traitement
prétendument inhumain (effets physiques ou mentaux des conditions

d’incarcération de M. Diallo) et qu’il n’y avait donc pas eu violation du
paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.
72. Dans son arrêt, la Cour estime «qu’il n’a pas été démontré que

M. Diallo ait été soumis à des traitements prohibés par l’article 10, para-
graphe 1, du Pacte» (par. 89). La majorité de la Cour a donc rejeté les
conclusions de la Guinée à cet égard (point 5 du dispositif). A la diffé-

rence des conclusions précédentes de la Cour concernant les dispositions
du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (supra),e j
regrette de ne pouvoir suivre la majorité de la Cour sur ce point.

73. Il n’en demeure pas moins qu’il n’a pas été démontré que le para-
graphe 1 de l’article 10 ait été respecté non plus. La majorité de la Cour
semble avoir pris une décision quelque peu hâtive sur ce point, en accor-

dant une présomption favorable à l’Etat défendeur. Dans les affaires de
ce genre relatives aux droits de l’homme, la présomption est accordée à la
partie manifestement la plus faible, l’individu, la victime alléguée. Dans

les circonstances de la présente affaire, la charge de la preuve ne saurait
être imposée à l’Etat demandeur; c’est l’Etat défendeur qui connaît — ou
est censé connaître — les conditions de détention, et c’est donc sur lui que
repose la charge de la preuve.

74. Après tout, c’est l’Etat d’accueil (de résidence) plutôt que l’Etat

64Voir Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus , adopté par le premier
Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants,
tenu à Genève en 1955 et approuvé par l’ECOSOC dans ses résolutions 663 C (XXIV) du
31 juillet 1957 et 2076 (LXII) du 13 mai 1977, en particulier les principes 20, 22-26 et 87.
65Nations Unies, résolution 45/111 de l’Assemblée générale du 14 décembre 1990,
Principes fondamentaux relatifs au traitement des détenus .
66Contre-mémoire de la RDC, par. 1.12-1.13 et 1.32-1.33.

117d’envoi (de nationalité) qui est censé savoir ce qui se passe dans ses pro-

pres prisons, et comment les détenus sous sa charge y sont traités. Les
conditions de vie, ou de survie, dans les prisons du monde — sur tous les
continents, sous toutes les latitudes — sont une source de préoccupation
qui transcende depuis fort longtemps la pensée juridique. Dès la seconde
e
moitié du XIX siècle, un écrivain universel, F. M. Dostoïevski, faisait
observer à juste titre, dans ses Souvenirs de la maison des morts (1862),
écrits d’après son expérience personnelle, que l’on ne connaissait le degré de
civilisation d’une société humaine qu’en visitant ses prisons. Cette phrase

demeure vraie encore aujourd’hui, partout dans le monde.

4. Le droit à l’information sur l’assistance consulaire

dans le cadre des garanties d’une procédure régulière

75. Un autre droit défendu et protégé dans le cadre de la présente
affaire Ahmadou Sadio Diallo est le droit de l’individu d’être informé sur

l’assistance consulaire, énoncé à l’article 36, paragraphe 1, alinéa b),dela
convention de Vienne sur les relations consulaires, ainsi libellé:

«Si l’intéressé en fait la demande, les autorités compétentes de l’Etat
de résidence doivent avertir sans retard le poste consulaire de l’Etat
d’envoi lorsque, dans sa circonscription consulaire, un ressortissant de
cet Etat est arrêté, incarcéré ou mis en état de détention préventive ou

toute autre forme de détention. Toute communication adressée au
poste consulaire par la personne arrêtée, incarcérée ou mise en état de
détention préventive ou toute autre forme de détention doit également
être transmise sans retard par lesdites autorités. Celles-ci doivent sans

retard informer l’intéressé de ses droits aux termes du présent alinéa.»

76. La Guinée a prétendu que M. A. S. Diallo n’avait pas été informé
de son droit au titre de l’article 36, paragraphe 1, alinéa b), de la conven-
tion de Vienne, que ce soit en 1988 ou en 1995-1996. La RDC s’est bor-
née à affirmer que différents documents prouvaient que le cas de

M. A. S. Diallo «était connu non seulement du consulat guinéen à Kin-
shasa, mais également du président de la République et du ministre des
affaires étrangères de la Guinée» . La Cour a dit à plusieurs reprises que
l’article 36, paragraphe 1, alinéa b), de la convention de Vienne de 1963

exigeait que les autorités compétentes d’un Etat partie informent sans
délai un ressortissant d’un autre Etat partie arrêté ou détenu par ses auto-
rités de son droit à l’assistance consulaire garanti par cet article (les trois
affaires Breard, LaGrand et Avena).

77. A cet égard, pour préciser la nature juridique et le contenu du droit
en question, j’ai jugé bon, à la fin de l’audience de la Cour du 26 avril 2010,
de poser aux deux Parties au litige la question suivante : 68

67
68Contre-mémoire de la RDC, p. 16, par. 1.22.
A laquelle la Cour fait référence au paragraphe 11 de son présent arrêt.

118 «A votre avis, est-ce que les dispositions de l’article 36, paragra-

phe 1, alinéa b), de la convention de Vienne sur les relations consu-
laires de 1963 s’épuisent dans les relations entre l’Etat d’envoi ou de
nationalité et l’Etat de résidence? Est-ce que M. Diallo lui-même a
été informé, aussitôt après sa détention, sur l’assistance consulaire?

Qui est le sujet du droit à l’information sur l’assistance 69nsulaire?
L’Etat d’envoi ou bien de nationalité ou l’individu?»

78. Dans sa réponse écrite à ma question, remise au greffe de la Cour le
27 avril 2010, l’Etat défendeur a soutenu ce qui suia t:) l’article 36, paragra-
phe 1, alinéab), de la convention de Vienne de 1963 crée un «droit indivi-

duel» (arrêt de la Cour en l’affaire LaGrand, C.I.J. Recueil 2001 , p. 494,
par. 77) qui est cependant inextricablement lié au droit de l’Etat d’envoi de
communiquer avec ses nationaux par l’intermédiaire de ses agents consulai-

res; b) bien qu’il s’agisse d’un droit individuel, ce droit demeure étroitement
lié aux droits de l’Etat lui-mêmec ;) il s’agit de droits interdépendants (arrêt
de la Cour en l’affaireAvena, C.I.J. Recueil 2004 (I) , p. 35-36, par. 40), tou-
chant la relation entre l’individu et les Etats d’envoi et de résidencde); la

Guinée connaissait la situation de M. Diallo et le but du droit à l’informa-
tion sur l’assistance consulaire a donc été atteinte;) si ce droit n’a pas été
violé à l’égard de l’Etat d’envoi, il ne peut l’avoir été à l’égard de son natio-
nal; f) M. Diallo avait été informé «verbalement» par la RDC, peu après sa

mise en détention, de la «possibilité de demander l’assistance consulaire de
son Etat»; etg) l’individu et son Etat d’envoi (ou de nationalité) sont titu-
laires du droit à l’information d’une manière interdépendante 70.

79. Quoi qu’il en soit, la RDC n’a produit aucun élément de preuve
pour étayer son assertion selon laquelle M. A. S. Diallo avait rapidement
été informé «verbalement», peu après sa mise en détention, de la possi-
bilité qui lui était offerte de compter sur l’assistance consulaire de la Gui-

née. La RDC n’a pas effectivement prouvé qu’elle avait dûment informé
M. A. S. Diallo lui-même, sans retard, de son droit aux termes de l’arti-
cle 36, paragraphe 1, alinéa b), de la convention de Vienne de 1963, ce
qui engageait sa responsabilité internationale à cet égard.

80. De son côté, la Guinée, dans sa réponse à ma question, a déclaré,
au cours de sa plaidoirie du 28 avril 2010, ce qui suit: a) l’Etat de rési-
dence a le devoir d’informer l’individu concerné de son droit à l’assis-
tance consulaire; b) le droit à l’information appartient à l’individu, ainsi

qu’il est indiqué dans la dernière partie de l’article 36, paragraphe 1, ali-
néa b), de la convention de Vienne sur les relations consulaires de 1963;
c) il existe une certaine interdépendance entre le droit individuel et les
droits de l’Etat (arrêt de la Cour en l’affaire Avena, 2004, par. 40), mais,

aux termes de l’article 36, paragraphe 1, alinéa b), les derniers sont
subordonnés au premier; d) il n’est pas suffisant qu’un Etat informe

69CR 2010/3 du 26 avril 2010, p. 37, par. 73.
70CR 2010/5 du 28 avril 2010, p. 1-2.

119l’autre et, en l’espèce, M. Diallo n’a pas été informé (par l’Etat de rési-

dence) sur l’assistance consulaire, ni peu après sa mise en détention ni
plus tard; e) l’assertion de la RDC à cet égard n’a été accompagnée
d’aucune preuve et le fait est que M. Diallo n’a pas été informé de ses
droits; et f) même si l’Etat d’envoi (de nationalité) prend connaissance de

la situation par d’autres moyens, un fait internationalement illicite est
commis par l’Etat de résidence . 71
81. Il y a lieu de rappeler à cet égard que, même avant les obiter dicta
susmentionnés de la Cour dans les affaires LaGrand (2001) et Avena

(2004), c’est la Cour interaméricaine des droits de l’homme qui a été la
première à préciser le droit de l’individu à l’information sur l’assistance
consulaire, dans son avis consultatif novateur n 16 du 1 eroctobre 1999,

intitulé Le droit à l’information sur l’assistance consulaire dans le cadre
des garanties d’une procédure régulière . Ce droit a été expressément
invoqué par les parties au litige et utilisé comme base principalement
par les Etats plaignants dans les affaires LaGrand (Allemagne c. Etats-

Unis) et Avena (Mexique c. Etats-Unis) dont la Cour a connu, comme
nous le verrons plus loin (sect. VIII, infra) dans la présente opinion indi-
viduelle.

IV. L’ HERMÉNEUTIQUE DES TRAITÉS RELATIFS AUX DROITS DE L ’HOMME

82. L’invocation, par les parties s’opposant devant la CIJ, de traités
relatifs aux droits de l’homme comme le Pacte international des Nations
Unies relatif aux droits civils et politiques de 1996 et la Charte africaine
des droits de l’homme et des peuples de 1981 et la défense de certains

droits protégés par ces instruments — outre les droits protégés par l’arti-
cle 36, paragraphe 1, alinéa b), de la convention de Vienne sur les rela-
tions consulaires de 1963 dans l’univers conceptuel des droits de
l’homme — mettent en lumière la question de l’interprétation appropriée

des traités relatifs aux droits de l’homme. Ces traités débordent le domaine
des relations purement interétatiques. En matière d’interprétation des
traités, on est enclin à recourir en premier lieu aux dispositions générales

des articles 31 à 33 des deux conventions de Vienne sur le droit des traités
(1969 et 1986 respectivement) et en particulier aux éléments de l’article 31
concernant le sens ordinaire des termes, le contexte et l’objet et le but des
traités visés.

83. Ce faisant, l’on ne tarde pas à constater que dans la pratique, alors
que le droit international traditionnel tend de façon marquée vers une
interprétation assez restrictive qui vise à préciser le plus possible les obli-
gations des Etats parties, le droit international des droits de l’homme, en

revanche, met nettement l’accent sur l’objet et le but du traité pour
garantir une protection effective (effet utile) des droits garantis, sans
pour autant s’écarter de la règle générale énoncée à l’article 31 des deux

71
CR 2010/5 du 28 avril 2010, p. 9-13.

120conventions de Vienne sur le droit des traités. En réalité, bien qu’en droit

international général les éléments d’interprétation des traités aient été
principalement élaborés en vue de servir d’orientations pour l’interprétation
des traités par les Etats parties, les dispositions des traités relatifs aux
droits de l’homme exigent une interprétation essentiellement objective des

obligations souscrites par les Etats parties: ces obligations ont pour but
de protéger les droits de l’homme et non d’établir les droits subjectifs et
réciproques des Etats parties.

84. C’est ce qui explique l’accent particulier qui a été mis sur l’objet et
le but des traités relatifs aux droits de l’homme, dont la jurisprudence
constante des Cours européenne et interaméricaine des droits de l’homme
a donné un témoignage éloquent au cours des deux dernières décennies.

L’interprétation et l’application des traités relatifs aux droits de l’homme
ont été effectivement guidées par des considérations liées à l’intérêt géné-
ral supérieur ou à l’ordre public, qui transcendent les intérêts individuels
des Etats contractants. Comme l’indique la jurisprudence constante des

deux tribunaux internationaux des droits de l’homme déjà mentionnés,
ces traités se distinguent des traités du type classique qui intègrent des
concessions et des compromis restrictifs réciproques; les traités des droits
de l’homme prescrivent au contraire des obligations d’un caractère essen-

tiellement objectif, mises en Œuvre collectivement, et sont dotés de méca-
nismes de suivi propres. La riche jurisprudence relative aux méthodes
d’interprétation des traités relatifs aux droits de l’homme a renforcé la
protection de la personne humaine au plan international et enrichi le

droit international sous l’influence du droit international des droits de
l’homme.
85. La jurisprudence convergente dans ce domaine a fait naître, dans
les systèmes régionaux de protection des droits de l’homme, l’idée com-

mune que les traités relatifs aux droits de l’homme sont empreints d’un
caractère spécial (par comparaison avec les traités multilatéraux du type
traditionnel); ces traités sont de caractère normatif et leurs termes doivent
être interprétés de façon autonome; leur application doit viser à ce que

soient effectivement protégés(effet utile) les droits garantis; et les restric-
tions permissibles (limitations et dérogations) de l’exercice des droits
garantis doivent être interprétées de façon restrictive. Le travail des Cours
européenne et interaméricaine des droits de l’homme (auxquelles s’est

jointe récemment la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples)
a effectivement contribué à la création d’un ordre public international
fondé sur le respect des droits de l’homme en toutes circonstances ;ila72
établi des limites au volontarisme excessif des Etats et nourri la vision des

72A. A. Cançado Trindade, «Le développement du droit international des droits de
l’homme à travers l’activité et la jurisprudence des Cours européenne et interaméricaine
des droits de l’homme» (discours du président de la Cour interaméricaine des droits de
l’homme), dans Cour européenne des droits de l’homme — Rapport annuel 2003 , Stras-
bourg, CEDH, 2004, p. 41-50.

121relations entre les pouvoirs publics et la personne humaine selon laquelle

l’Etat existe pour la personne humaine et non l’inverse.
86. De plus, les travaux de ces cours ont fait avancer l’interprétation
autonome des dispositions des traités relatifs aux droits de l’homme par

rapport aux systèmes juridiques internes des Etats. Cette signification
autonome des termes des traités relatifs aux droits de l’homme (distincte

de leur sens, par exemple dans le droit interne) a aussi été affirmée par
le Comité des droits de l’homme, par exemple au titre du Pacte inter-
national relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies dans ses

constatations en l’affaire Van Duzen c. Canada (en 1982). En outre, les
Cours européenne 73 et interaméricaine 74 ont adopté une interprétation
dynamique ou évolutive de leurs conventions relatives aux droits de

l’homme (la dimension temporelle) pour faire face aux besoins chan-
geants en matière de protection de la personne humaine.
87. Ainsi, dans son avis consultatif novateur n o 16 sur Le droit à

l’information sur l’assistance consulaire dans le cadre des garanties d’une
procédure régulière (1999), qui a inspiré la jurisprudence internationale in

statu nascendi sur la question, la Cour interaméricaine a précisé que,
dans son interprétation des normes de la convention américaine des
droits de l’homme, elle devait élargir la protection à de nouvelles situa-

tions (comme celle concernant l’observation du droit à l’information sur
l’assistance consulaire) sur la base des droits préexistants. La Cour a réaf-
firmé ce point de vue dans son visionnaire avis consultatif n 18 sur La

situation juridique et les droits des migrants sans papiers (2003).

88. La Cour européenne des droits de l’homme, elle aussi, s’est pro-
75
noncée à de nombreuses occasions en ce sens ; en l’affaire Loizidou c.
Turquie (exceptions préliminaires, 1995), par exemple, la Cour euro-

péenne a expressément écarté les restrictions indues qui non seulement
«affaibliraient sérieusement» l’exercice de ses fonctions, mais «dimi-
nueraient également l’efficacité de la convention en tant qu’instrument

73
Voir par exemple Tyrer c. Royaume-Uni (1978), Airey c. Irlande (1979), Marckx c.
Belgique (1979), Dudgeon c. Royaume-Uni (1981), entre autres.
74Voir en ce sens les obiter dicta dans: CIDH, avis consultatif OC-16/99, Right to
Information on Consular Assistance in the Framework of the Guarantees of the Due Pro-
cess of Law (Droit à l’information sur l’assistance consulaire dans le cadre des garanties
d’une procédure régulière) du 1octobre 1999, par. 114-115, et l’opinion concordante du
juge A. A. Cançado Trindade, par. 9-11; CIDH, «Street Children» (Villagrán Morales et
autres c. Guatemala), arrêt du 19 novembre 1999 (fond), par. 193-194; CIDH, Cantoral
Benavides c. Pérou, arrêt du 18 août 2000 (fond), par. 99 et 102-103; CIDH, Bámaca
Velásquez c. Guatemala, arrêt du 25 novembre 2000 (fond), opinion individuelle du juge

A. A. Cançado Trindade, par. 34-38; CIDH, Communauté Mayagna (Sumo) Awas
Tingni c. Nicaragua, arrêt du 31 août 2001 (fond et réparations), par. 148-149; CIDH,
Bámaca Velásquez c. Guatemala , arrêt du 22 février 2002 (réparations), opinion indivi-
duelle du juge A. A. Cançado Trindade, par. 3.
75Par exemple, dans ses arrêts Wemhoff c. République fédérale d’Allemagne (1968),
Belgian Linguistic (1968), Golder c. Royaume-Uni (1975), Irlande c. Royaume-Uni (1978)
et Soering c. Royaume-Uni (1989), entre autres.

122constitutionnel de l’ordre public européen» . Il existe donc une jurispru-

dence convergente des Cours interaméricaine et européenne des droits de
l’homme — et d’ailleurs d’autres organes internationaux de surveillance
des droits de l’homme — sur la question fondamentale de la bonne inter-

prétation des traités relatifs aux droits de l’homme, qui découle naturel-
lement de l’identité déterminante de l’objet et du but de ces traités.

89. Le droit international général lui-même témoigne du principe (sub-
sumé dans la règle générale d’interprétation de l’article 31 des deux
conventions de Vienne sur le droit des traités) selon lequel l’interprétation

vise à donner à un traité les effets appropriés. Dans le domaine de protec-
tion qui nous occupe, le droit international a été utilisé pour améliorer et
renforcer — et jamais pour affaiblir ou miner — les garanties des droits
77
de l’homme reconnues (selon le principe pro persona humana, pro vic-
tima). La spécificité du droit international des droits de l’homme trouve
son expression non seulement dans l’interprétation des traités relatifs aux

droits de l’homme en général, mais également dans l’interprétation de
dispositions spécifiques de ces traités . 78

90. Tant la Cour européenne que la Cour interaméricaine des droits de
l’homme ont, à juste titre, établi des limites au volontarisme des Etats,
préservé l’intégrité des conventions relatives aux droits de l’homme rele-

vant de leurs domaines respectifs et la primauté des considérations d’ordre
public sur la «volonté» des Etats, fixé des normes supérieures de com-
portement des Etats, freiné dans une certaine mesure l’imposition de res-

trictions indues par les Etats et renforcé de façon rassurante la situation
de l’individu en tant que sujet du droit international des droits de
l’homme, doté de la pleine capacité procédurale. En ce qui concerne la

base de leur juridiction en matière contentieuse, on peut trouver des illus-

76 CEDH, Loizidou c. Turquie, arrêt du 23 mars 1995 (exceptions préliminaires),
par. 75.
77 A. A. Cançado Trindade, «Co-existence and Co-ordination of Mechanisms of Inter-
national Protection of Human Rights (at Global and Regional Levels)» (Coexistence et

coordination des mécanismes internationaux de protection des droits de l’homme (aux
plans mondial et régional)), Recueil des cours de l’Académie de droit international de
La Haye, vol. 202 (1987), p. 401.
78 Des illustrations pertinentes peuvent être trouvées par exemple dans les dispositions
contenant des renvois au droit international général. Tel est le cas, par exemple, de la
nécessité d’épuiser les recours internes comme condition d’admissibilité des plaintes ou des
communications présentées au titre des traités relatifs aux droits de l’homme; la règle des
recours internes témoigne de l’interaction entre le droit international et le droit interne
dans le présent domaine de protection, qui est fondamentalement orienté vers la victime,
axé sur les droits de l’être humain plutôt que des Etats . Les principes ou les règles de droit
international généralement reconnus — auxquels fait référence la formulation de la règle

des recours internes figurant dans les traités relatifs aux droits de l’homme —, outre qu’ils
suivent une évolution propre dans le contexte distinct où ils s’appliquent, subissent néces-
sairement, lorsqu’ils sont insérés dans des traités relatifs aux droits de l’homme, certains
ajustements ou adaptations, dictés par le caractère spécial de l’objet et du but de ces
traités et par la spécificité largement reconnue du droit international des droits de
l’homme. Voir A. A. Cançado Trindade, The Application of the Rule of Exhaustion of
Local Remedies in International Law , Cambridge University Press, 1983, p. 1-443.

123trations éloquentes de leurs prises de position fermes en faveur de l’inté-
79
grité des mécanismes de protection des deux conventions régionales .
91. Les deux tribunaux internationaux des droits de l’homme, en résol-
vant correctement les questions de procédure fondamentales soulevées
dans les cas susmentionnés, ont utilisé à bon escient les techniques du

droit international public pour renforcer leurs juridictions respectives en
matière de protection de la personne humaine. Ils ont préservé de façon
décisive l’intégrité des mécanismes de protection inscrits dans les conven-
tions américaine et européenne des droits de l’homme, porteuses de l’éman-

cipation juridique de la personne humaine vis-à-vis de son propre Etat.
Ces tribunaux ont, en outre, bâti une jurisprudence remarquable sur le
droit d’accès à la justice (et le droit à réparation) au niveau international.

92. En ce qui concerne le droit positif, la contribution des cours inter-
nationales des droits de l’homme est illustrée par de nombreux exemples
de leurs jurisprudences respectives concernant les droits protégés au titre
des deux conventions régionales. La Cour européenne a, par exemple, une

jurisprudence vaste et remarquable sur le droit à la protection de la liberté
et à la sécurité de la personne (article 5 de la convention européenne) et
sur le droit à un procès équitable (article 6). La Cour interaméricaine a
pour sa part une jurisprudence importante sur le droit fondamental à la

vie, qui comprend également les conditions de vie, par exemple sa décision
en l’affaire paradigmatique de ce que l’on a appelé les«Enfants des rues»
(Villagrán Morales et autres c. Guatemala, fond, 1999); cette Cour a éga-
lement une riche jurisprudence sur les différentes formes de réparation.

V. L E PRINCIPE D ’HUMANITÉ AU SENS LARGE

93. Les considérations qui précèdent sur l’herméneutique des traités
des droits de l’homme m’amènent maintenant à examiner le principe
d’humanité au sens large. Quand on parle du principe d’humanité, on a
tendance à l’examiner dans le cadre du droit international humanitaire.

Ainsi, par exemple, il ne fait pas de doute que, dans ce cadre, les civils et
les personnes hors de combat doivent être traités avec humanité. Le prin-
cipe du traitement humain des civils et des personnes hors de combat est
énoncé dans les conventions de Genève de 1949 sur le droit international

humanitaire (article commun 3 et articles 12 1), 13 5) et 27 1)) et leurs
protocoles additionnels I (article 75 1)) et II (article 4 1)). De plus, ce
principe est généralement considéré comme un principe du droit interna-
tional humanitaire coutumier.

79
Par exemple, les décisions de la Cour européenne Belilos c. Suisse (1988), Loizidou c.
Turquie (exceptions préliminaires, 1995) et I. Ilascu, A. Lesco, A. Ivantoc et T. Petrov-
Popa c. Moldova et Fédération de Russie (2001), ainsi que les décisions de la Cour inter-
américaine dans les affaires Constitutional Tribunal et Ivcher Bronstein c. Pérou (com-
pétence, 1999), Hilaire, Constantine et Benjamin et autres c. Trinité-et-Tobago (exception
préliminaire, 2001) et Barrios Altos c. Pérou (fond, 2001).

124 94. Selon moi, le principe d’humanité revêt une dimension encore plus
large: il s’applique dans les circonstances les plus différentes, tant en

temps de conflit armé qu’en temps de paix, dans les relations entre les
pouvoirs publics et toutes les personnes relevant de la juridiction de l’Etat
concerné. Ce principe a une incidence notoire lorsque ces personnes
se trouvent dans une situation de vulnérabilité, ou même sans défense,
ainsi qu’on le voit dans les dispositions pertinentes des traités intégrant le

droit international des droits de l’homme. Par exemple, au niveau des
Nations Unies, l’article 17, paragraphe 1, de la convention internationale
sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des mem-
bres de leur famille de 1990 stipule ce qui suit:

«Les travailleurs migrants et les membres de leur famille qui sont
privés de leur liberté sont traités avec humanité et avec le respect

de la dignité inhérente à la personne humaine et de leur identité
culturelle.»

95. De même, l’alinéa c) de l’article 37 de la convention des Nations
Unies sur les droits de l’enfant de 1989 précise que les Etats parties doi-
vent veiller à ce que «[t]out enfant privé de liberté soit traité avec huma-
nité et avec le respect dû à la dignité de la personne humaine, et d’une
manière tenant compte des besoins des personnes de son âge». On trouve

des dispositions semblables dans les traités régionaux relatifs aux droits
de l’homme.
96. Pour ne citer que quelques exemples, la convention américaine des
droits de l’homme de 1969, dans son article 5 traitant du droit à un trai-
tement humain, prescrit notamment que «toute personne privée de liberté

doit être traitée avec respect en raison de la dignité inhérente à la per-
sonne humaine» (par. 2). De même, la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples de 1981 dispose entre autres que «[t]out individu
a droit au respect de la dignité inhérente à la personne humaine et à la
reconnaissance de sa personnalité juridique» (art. 5).

97. Le paragraphe 2 de l’article II de la convention de 1969 de l’OUA
régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique dis-
pose pour sa part que «[l]’octroi du droit d’asile aux réfugiés constitue un
acte pacifique et humanitaire». Et les exemples pourraient être multipliés.
Le point que je tiens à souligner ici est que le principe d’humanité imprè-

gne tout le corpus juris de la protection internationale des droits de la
personne humaine (qui englobe le droit international humanitaire, le
droit international des droits de l’homme et le droit international sur les
réfugiés), aux plans mondial (Nations Unies) et régional.
98. S’agissant de la présente affaire Ahmadou Sadio Diallo en particu-

lier, il convient de noter que le principe d’humanité sous-tend l’article 7
du Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations
Unies, qui protège l’intégrité de la personne contre les mauvais traite-
ments, ainsi que l’article 10 du Pacte (concernant les personnes détenues),

qui commence par une déclaration selon laquelle «Toute personne privée
de sa liberté est traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhé-

125rente à la personne humaine.» (Par. 1.) Le Pacte énonce non seulement

une obligation négative de ne pas soumettre l’individu à de mauvais trai-
tements (art. 7), mais aussi l’obligation positive de garantir que la per-
sonne détenue sous la garde de l’Etat est traitée avec humanité et avec le
respect qui lui est dû en raison de la dignité inhérente à la personne

humaine.
99. Le principe d’humanité est en réalité celui qui sous-tend les deux
observations générales, n 9 (1982, par. 3) et n 21 (1992, par. 4), sur
l’article 10 du Pacte (traitement humain des personnes privées de liberté).

Le principe d’humanité, habituellement invoqué dans le domaine du
droit international humanitaire, s’étend donc également au droit inter-
national des droits de l’homme. Et, comme le Comité l’a correcte-
o
ment déclaré dans son observation générale n 31 (2004), «les deux
domaines du droit sont complémentaires et ne s’excluent pas l’un l’autre»
(par. 11).
100. Le principe d’humanité a été reconnu par les tribunaux. Je n’ai

pas l’intention ici, dans le cadre d’une opinion individuelle en l’affaire
Ahmadou Sadio Diallo, de passer en revue la jurisprudence internationale
à cet effet, l’ayant déjà fait ailleurs . Qu’il suffise de rappeler une seule
illustration tirée de ma propre expérience. La jurisprudence constante de

la Cour interaméricaine des droits de l’homme signale à juste titre que le
principe d’humanité, qui est à l’origine du droit d’être traité avec huma-
nité (article 5 de la convention américaine des droits de l’homme), s’appli-
que avec encore plus de force lorsqu’une personne est détenue illégale-

ment et maintenue dans une «situation exacerbée de vulnérabilité» (arrêts
Maritza Urrutia c. Guatemala , du 27 novembre 2003, par. 87; Juan
Humberto Sánchez c. Honduras , du 7 juin 2003, par. 96; Cantoral Bena-

vides c. Pérou, du 18 août 2000, par. 90; et Bámaca Velásquez c. Guate-
mala, du 25 novembre 2000, par. 150).
101. Dans mon opinion individuelle figurant dans l’arrêt sur l’affaire
relative au Massacre de Plan de Sánchez (du 29 avril 2004) concernant le

Guatemala, j’ai consacré une section entière de mon exposé (III, par. 9-
23) à la reconnaissance judiciaire du principe d’humanité dans la juris-
prudence récente de cette cour et dans celle du Tribunal pénal internatio-
nal ad hoc pour l’ex-Yougoslavie. De plus, j’ai exprimé dans cette opinion

l’idée que le principe d’humanité, qui sert d’orientation au traitement
accordé à l’autre (el trato humano), «englobe toutes les formes de com-
portement humain et la totalité de la condition vulnérable de l’existence

humaine» (par. 9).
102. Le droit international est loin d’être insensible à ces considéra-
tions et le principe en cause s’applique en toutes circonstances dans le but
de proscrire les traitements inhumains pour l’ensemble de l’humanité, de

80
Voir A. A. Cançado Trindade, «Le déracinement et la protection des migrants dans
le droit international des droits de l’homme», Revue trimestrielle des droits de l’homme ,
Bruxelles, vol. 19 (2008), p. 289-328, en particulier p. 295 et 308-316.

126garantir la protection de tous, y compris ceux qui sont en situation de

grande vulnérabilité (par. 17-20). L’humanité doit imprégner le compor-
tement humain en toutes circonstances, en temps de paix comme en
temps de troubles et de conflit armé.
103. Le principe d’humanité imprègne tout le corpus juris de protec-

tion de la personne humaine, ce qui illustre la proximité ou la conver-
gence entre ses différentes branches distinctes et complémentaires (droit
international humanitaire, droit international des droits de l’homme et
droit international sur les réfugiés), au plan herméneutique, et il est éga-

lement manifeste au niveau normatif et opérationnel. Par fidélité à ma
propre conception, j’ai également jugé utile de développer, au sein de la
présente Cour, quelques réflexions sur la base du principe d’humanité
81
lato sensu dans mon opinion dissidente en l’affaire relative à des Ques-
tions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c.
Sénégal) (mesures conservatoires, ordonnance du 28 mai 2009, C.I.J.
Recueil 2009, p. 165), ainsi que dans mon opinion dissidente 82 en l’affaire

des Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie) (demande
reconventionnelle, ordonnance du 6 juillet 2010, C.I.J. Recueil 2010 (I) ,
p. 329).
104. De même, dans l’avis consultatif récemment rendu par la Cour

sur la Conformité au droit international de la déclaration unilatérale
d’indépendance relative au Kosovo (C.I.J. Recueil 2010 (II) , p. 403),
j’ai consacré expressément toute une section (XIII, 4)) de mon opi-
nion individuelle au «principe fondamental d’humanité» (par. 196-
83
211) dans le cadre du droit des nations lui-même. J’ai jugé bon de
rappeler que les «pères fondateurs» du droit international (F. de
Vitoria, A. Gentili, F. Suárez, H. Grotius, S. Pufendorf, C. Wolff)

préconisaient un jus gentium inspiré du principe d’humanité au sens large
(par. 73-74).
105. Il convient peut-être de noter ici que le principe d’humanité
concorde avec la réflexion sur le droit naturel. Il sous-tend la réflexion

classique sur le traitement humain et le maintien de relations sociales, y
compris au plan international. L’humanité est devenue encore plus pré-
éminente en ce qui concerne le traitement des personnes vulnérables, ou
même sans défense, comme celles qui sont privées de liberté pour quelque

raison que ce soit.
106. Le jus gentium, lorsqu’il a commencé à correspondre au droit des
nations, en est venu à être conçu par ses «pères fondateurs» comme

régissant la communauté internationale constituée par les êtres humains
organisés socialement dans les Etats (qui émergeaient alors) et recouvrant
l’ensemble de l’humanité, devenant ainsi le droit nécessaire de la societas
gentium. Ce droit avait préséance sur la volonté des Etats individuels,

81
82Par. 24-25 et 61.
83Par. 116, 118, 125, 136-139 et 179.
Voir également par. 66-67, 74-76, 96, 176, 185 et 239-240.

127tenus de respecter la personne humaine dans l’intérêt du bien commun . 84

Le précieux legs du droit naturel, qui évoque un droit fondé dans la rai-
son humaine juste (recta ratio), ne s’est jamais évanoui, et il convient de
le souligner sans cesse, particulièrement face à l’indifférence et au prag-
matisme des droit-d’étatistes «stratégiques», si nombreux dans la profes-

sion juridique de nos jours.

VI. L’ INTERDICTION DE L ’ARBITRAIRE

DANS LE DROIT INTERNATIONAL DES DROITS DE L HOMME

107. Dans l’examen de la présente affaire Ahmadou Sadio Diallo,ilest
d’une importance cruciale de bien comprendre l’interdiction de l’arbi-

traire dans le cadre du droit international des droits de l’homme. A cette
fin, j’examinerai maintenant la notion d’arbitraire, la position du Comité
des droits de l’homme des Nations Unies et de la Commission africaine
des droits de l’homme et des peuples, ainsi que la jurisprudence des Cours

interaméricaine et européenne des droits de l’homme sur cette question.
Je présenterai enfin mon appréciation générale de cette question centrale.

1. La notion d’arbitraire

108. L’adjectif «arbitraire», qui vient du latin arbitrarius, signifiait à
l’origine ce qui dépend de l’autorité ou de la volonté de l’arbitre, d’une
autorité légalement reconnue. Avec le temps, cependant, ce terme a gra-
e
duellement acquis une connotation différente; dès le milieu du XVII siè-
cle, il désignait ce qui était en apparence incontrôlé (arbitraire) dans
l’exercice de la volonté, et était assimilé au caprice ou au despotisme.

C’est ainsi que le qualificatif «arbitraire» en est venu à qualifier les déci-
sions fondées sur la simple préférence ou le préjugé, réfractaires à tout
critère de prévisibilité et découlant du pur libre arbitre de l’autorité, plu-
tôt que d’être fondées sur la raison, sur la notion de règle de droit dans

les sociétés démocratiques, sur le critère de raisonnabilité, sur les impé-
ratifs de la justice et sur le principe fondamental d’égalité et de non-
discrimination.
109. Etant donné que les traités et les instruments relatifs aux droits de

l’homme constituent un droit de protection dont le but est de protéger la
partie manifestement la plus faible, la victime, il n’est pas du tout éton-
nant que l’interdiction de l’arbitraire (au sens moderne et contemporain)
englobe l’arrestation et la détention ainsi que les autres actes des pouvoirs

publics comme l’expulsion. Compte tenu de l’herméneutique des traités
des droits de l’homme exposée plus haut, il serait tout à fait injustifié
d’interpréter ces dispositions des traités de manière purement exégétique

ou littérale (voir infra).

84
A. A. Cançado Trindade, A Humanização de Direito Internacional , Belo Horizonte
(Brésil), éd. Del Rey, 2006, p. 9-14, 172, 318-319, 393 et 408.

128 110. C’est ainsi d’ailleurs que les organes internationaux de super-

vision de la protection des droits de l’homme ont interprété la situation,
comme nous le verrons maintenant. J’utiliserai comme exemples les posi-

tions de deux organes de supervision (le Comité des droits de l’homme
des Nations Unies et la Commission africaine des droits de l’homme et
des peuples) ainsi que la jurisprudence de deux tribunaux internationaux

des droits de l’homme (les Cours interaméricaine et européenne des droits
de l’homme).

111. A titre préliminaire, s’agissant de la détermination de la violation
du droit de ne pas être privé arbitrairement de sa liberté (principe de léga-
lité, interdiction de l’arbitraire — paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte

international relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies), je
rappellerai que le groupe de travail des Nations Unies sur la détention
85
arbitraire a exprimé l’avis que la privation de liberté devait être consi-
dérée comme arbitraire «[l]orsqu’il est manifestement impossible d’invo-
quer une base légale quelconque qui la justifie» (par exemple le maintien
86
en détention d’une personne au-delà de l’exécution de la peine) .L e
Comité des droits de l’homme des Nations Unies — l’organe de sur-

veillance du Pacte international relatif aux droits civils et politiques — a
également examiné la question en détail.

2. La position du Comité des droits de l’homme des Nations Unies

112. Pour commencer, les décisions du Comité des droits de l’homme

révèlent sa position sur cette question. Par exemple, en l’affaire Mukong
c. Cameroun (1994), le Comité a interprété le terme «arbitraire» dans un

sens large, comme signifiant inadmissible, injuste, imprévisible et incom-
patible avec la légalité . De façon plus générale, dans une affaire ulté-
rieure, Jalloh c. Pays-Bas (2002), le Comité a exprimé l’avis que le terme

«arbitraire» devait être compris comme signifiant «une action qui n’est
pas raisonnable» ; quoi qu’il en soit, toute action doit être jugée appro-
89
priée et proportionnelle dans les circonstances de l’affaire en cause .

85 Institué par l’ancienne Commission des droits de l’homme des Nations Unies dans sa

ré86lution 1991/42.
Nations Unies, Assemblée générale du 16 janvier 2008, document A/HRC/7/4/Add.1,
p. 3; réplique de la Guinée, par. 1.19. o
87 CDH, Mukong c. Cameroun, 21 juillet 1994, n 458/1991, par. 9.8.
88 CDH, Jalloh c. Pays-Bas, 26 mars 2002, n o 794/1998, A/57/40, vol. II, p. 132,
par. 8.2.
89 De plus, l’article 5 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits de l’homme des
personnes qui ne possèdent pas la nationalité du pays dans lequel elles vivent (du 13 dé-
cembre 1985) dispose ce qui suit:

«Les étrangers jouissent, conformément au droit interne et sous réserve des obli-
gations internationales pertinentes de l’Etat dans lequel ils se trouvent, en particulier
des droits suivants: a) le droit à la vie, à la sûreté de leur personne; nul étranger ne
peut être arbitrairement arrêté ou détenu; nul étranger ne peut être privé de sa li-

berté, si ce n’est pour des motifs et conformément à la procédure prévue par la loi;

129 113. Dans l’affaire Mukong c. Cameroun déjà mentionnée, le Comité a

fait l’observation suivante:

«L’historique de la rédaction du paragraphe 1 de l’article 9 confirme

que la notion d’«arbitraire» ne doit pas être confondue avec celle de
«contre la loi», mais être interprétée d’une manière plus large pour
inclure des éléments inappropriés, injustes, imprévisibles et contraires

à la légalité ... [C]ela signifie que la détention provisoire consécutive à
une arrestation légale doit être, non seulement légale, mais aussi rai-
sonnable dans toutes les circonstances. La détention provisoire doit
de plus être nécessaire dans toutes les circonstances.» (Par. 9.8.)

114. Dans ses constatations sur des communications, le Comité a
développé son interprétation du Pacte à propos de questions cruciales
90
comme celle des droits intangibles et des états d’exception . Il a dit de
façon tout à fait claire, en ce qui concerne la question de l’arbitraire des
autorités publiques, qu’il fallait éviter de n’assimiler l’arbitraire qu’à

l’expression «illégal». Ainsi, dans l’affaire Rafael Marques de Morais
c. Angola (2005), il a notamment donné au terme arbitraire une interpré-
tation plus large où entraient des éléments d’injustice, d’absence de pro-
cédure régulière, d’inadmissibilité et d’imprévisibilité.

115. Selon le même raisonnement, le Comité avait déjà, dans les affai-
res R. Mojica c. République dominicaine (1994) et Tshishimbi c. Zaïre
(1996), affirmé qu’une interprétation qui permettrait aux Etats parties «de

tolérer, d’accepter ou de passer sous silence» les menaces à la liberté et à
la sécurité personnelle proférées par les autorités publiques à l’égard
d’individus non détenus relevant de la juridiction des Etats parties concer-
nés «rendrait ineffectives les garanties du Pacte» . De même, en l’affaire

L. Rajapakse c. Sri Lanka (2006), le Comité a à nouveau exprimé l’avis
que la sécurité personnelle devait être garantie dans différentes circonstan-
ces, y compris en dehors du contexte de la privation formelle de liberté

(par. 9.7).
116. Le souci du Comité des droits de l’homme de garantir la protec-
tion des individus contre l’arbitraire des autorités publiques ne se limite
pas au droit à la liberté personnelle, mais s’étend à d’autres droits pro-

tégés par le Pacte. Ce souci s’exprime également dans certaines de ses
constatations sur des communications concernant l’expulsion, présentées
au titre de l’article 13 du Pacte (portant sur le droit des étrangers de ne

pas être expulsés arbitrairement). Le critère de bonne foi ou d’interdiction

b) le droit à la protection contre toute ingérence arbitraire ou illégale dans leur vie
privée et familiale, leur domicile ou leur correspondance ...»
90Voir, par exemple, (différents auteurs), Droits intangibles et états d’exception
(D. Prémont et al., dir. publ.), Bruxelles, Bruylant, 1996, p. 1 et suiv.
91Par. 5.4, dans les deux affaires. Dans L. Rajapakse c. Sri Lanka (2006), le Comité a
également estimé que la sécurité de la personne devait être protégée dans différentes cir-
constances, au-delà du cas de privation formelle de liberté.

130de l’abus de pouvoir de la part des autorités a été appliqué par le Comité

des droits de l’homme en l’affaire A. Maroufidou c. Suède (1981); et, en
l’affaire E. Hammel c. Madagascar (1987), le Comité a soutenu le droit à
un recours effectif (interne) dans des cas d’expulsion de ce genre.

3. La position de la Commission africaine
des droits de l’homme et des peuples

117. La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples
(CADHP) a, dans plusieurs de ses décisions, établi qu’il y avait eu viola-

tion de l’article 6 de la Charte africaine des droits de l’homme et des
peuples , qui interdit l’arrestation et la détention arbitraires. Dans l’une
de ces affaires, L. Zegveld et M. Ephrem c. Erythrée (2003), la Commis-
sion a dit très clairement que, dans son article 6:

«[l]a Charte africaine interdit spécifiquement les arrestations et la
détention arbitraires.
La Commission africaine dispose des preuves qui montrent que les
11 personnes ont été gardées au secret et sans inculpation depuis leur

arrestation en septembre 2001 ... La Commission africaine note qu’à
ce jour, elle n’a reçu aucune information ou aucune preuve de la part
de l’Etat défendeur indiquant que les 11 personnes étaient détenues

dans des endroits de détention appropriés et qu’elles avaient com-
paru devant un tribunal.
La détention au secret constitue une grave violation des droits de
l’homme ... La Commission africaine est de l’avis que toutes les

détentions doivent respecter les principes fondamentaux des droits
de l’homme ... En outre, toute personne détenue doit avoir rapide-
ment accès à un avocat et aux membres de sa famille et son droit

relatif à la santé physique et mentale doit être protégé 93nsi que les
droits relatifs aux bonnes conditions de détention.»

118. Soulignant, dans sa décision prononcée dans cette même affaire,
l’interdiction de l’arrestation et de la détention arbitraires inscrite dans la
Charte africaine (art. 6), la CADHP a déclaré que l’arbitraire menaçait le
droit d’accès à la justice lui-même. La Commission s’est exprimée comme

suit:

«la légalité et la nécessité de détenir quelqu’un doivent être détermi-
nées par une cour ou par une autre autorité judiciaire compétente.
La décision de garder une personne en détention devrait être ouverte

92Voir à cet effet, par exemple, Media Rights Agenda c. Nigéria (2000), par. 41-44
et 70-75; J. D. Ouko c. Kenya (2000), par. 21 et 31; K. Aminu c. Nigéria (2000), par. 21
et 26; D. K. Jawara c. Gambie (2000), par. 57-59 et 74; Constitutional Rights Project
c. Nigéria (1999), par. 12-16; Law Office of Ghazi Suleiman c. Soudan (2003), par. 48-50
et 67; K. Achuthan et Ammesty International (au nom de A. Banda, et O. et V. Chirwa)
c. Malawi (1994), par. 8-9 et 12.
93Par. 52-55.

131 à une révision régulière ... les personnes soupçonnées de crime doi-

vent être promptement inculpées et l’Etat devrait initier la procédure
judiciaire en conformité avec les normes d’un procès équitable, telles
que stipulées par la Commission africaine dans sa Résolution [de

1992] sur la procédure relative au droit de recours et à un procès
équitable et tel qu’élaboré dans ses Lignes directrices [de 2003] sur
le droit à un procès équitable et l’assistance judiciaire en Afrique .» 94

119. La pratique de la Commission africaine en ce qui concerne l’inter-
diction de l’arbitraire ne se limite pas à l’article 6 interdisant l’arrestation
et la détention arbitraires. Cette pratique s’étend naturellement à d’autres

droits protégés par la Charte africaine, comme le droit de ne pas être
expulsé arbitrairement d’un pays, prévu au paragraphe 4 de l’article 12 de
la Charte: «L’étranger légalement admis sur le territoire d’un Etat partie

à la présente Charte ne pourra en être expulsé qu’en vertu d’une décision
conforme à la loi.» A cet égard, en l’affaire Organisation mondiale contre
la torture, Association internationale des juristes démocrates, Commis-

sion internationale des juristes et Union interafricaine des droits de
l’homme c. Rwanda (1996) , la Commission africaine a précisé ce qui
suit:

«Cette disposition devrait être interprétée comme prévoyant une
protection générale pour tous ceux qui sont persécutés afin qu’ils
puissent demander asile dans un autre pays. L’article 12 4) interdit

que ces personnes soient arbitrairement expulsées vers leur pays
d’origine ...» (Par. 30.) 96

120. Dans une affaire dont a connu la Commission à la demande de

l’Union interafricaine des droits de l’homme, la Fédération internationale
des ligues des droits de l’homme, la Rencontre africaine des droits de
l’homme et l’Organisation nationale des droits de l’homme au Sénégal , 97

au nom de certains nationaux ouest-africains expulsés de l’Angola
en 1996, la CADHP, accueillant les demandes des plaignants le 11 novem-
bre 1997, a déclaré, après avoir invoqué le paragraphe 4 de l’article 12 de

la Charte (par. 14):

«les Etats africains en général et la République d’Angola en parti-
culier sont confrontés à de nombreux défis, notamment économi-

ques. Face à ces difficultés, les Etats prennent souvent des mesures
radicales visant à protéger leurs ressortissants et leurs économies des
étrangers. Quelles que soient les circonstances cependant, ces me-

sures ne devraient être prises au détriment de la jouissance des droits

94Par. 56.
95Communications n os27/89, 46/91, 49/91 et 99/93, jointes.
96Texte reproduit dans Institute for Human Rights and Development, Compilation des
décisions sur les communications de la Commission africaine des droits de l’homme et des
peuples (1994-2001), p. 324.
97Communication n 159/96.

132 de l’homme ... En déportant les victimes, séparant ainsi certaines de

leurs familles98l’Etat défendeur a violé et viole la lettre de ce texte.»
(Par. 16-17.)

121. La Commission africaine a incorporé des mises en garde analo-
gues dans ses décisions dans les affaires Modise c. Botswana (2000,
par. 83-84), Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme

c. Zambie (1997, par. 30-31), K. Good c. République du Botswana (2010,
par. 206-208), Institute for Human Rights and Development in Africa c.
Angola (2008, par. 65 et 69-70). Dans l’affaire susmentionnée introduite
par la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme, la Commis-

sion a jugé que les expulsions en cause violaient les articles 2, 7 et 12 de
la Charte africaine, après avoir déclaré qu’«aucune des victimes n’a[vait]
eu la possibilité de saisir les juridictions zambiennes contre sa détention
99
et subséquemment sa déportation» . Dans l’affaire Modise, la Commis-
sion a déclaré que la décision relative à l’autorisation de rester dans un
pays «devrait toujours être prise conformément à une procédure juridique
précise et juste» (par. 83). En d’autres termes, il ne suffit pas que les

autorités de l’Etat se conforment à la loi, mais celle-ci doit être conforme
à la Charte africaine et refléter les exigences fondamentales de la justice.
122. En l’affaire Amnesty International, Comité Loosli Bachelard,

Lawyers Committee for Human Rights et Association of Members of the
Episcopal Conference of East Africa c. Soudan (1999), concernant la
situation prévalant au Soudan entre 1989 et 1993, la CADHP a fait
observer que l’article 6 devait être interprété de manière à ce que toute

arrestation ne puisse avoir lieu «que dans l’exercice des pouvoirs norma-
lement accordés aux forces de sécurité dans une société démocratique». A
son avis, le libellé du décret en cause permettait d’arrêter des individus

pour «des motifs vagues, sur la foi de soupçons, et non en raison d’actes
prouvés» et cela n’était «pas conforme à l’esprit de la Charte africaine»;
la Commission a jugé qu’il y avait eu «de sérieuses et constantes viola-
tions de l’article 6», entre autres dispositions de la Charte 100. Pour résu-

mer, la position adoptée par la CADHP dans sa pratique est que l’inter-
diction de l’arbitraire vise non seulement le droit à la liberté personnelle,
mais aussi d’autres droits protégés par la Charte africaine, comme, par

exemple, le droit de ne pas être expulsé arbitrairement d’un pays.

4. La jurisprudence de la Cour interaméricaine
des droits de l’homme

123. Pour passer maintenant à la jurisprudence de la Cour interamé-
ricaine des droits de l’homme (CIDH) sur la question qui nous intéresse,
en l’affaire paradigmatique des «Enfants des rues» (Villagrán Morales et

98La Commission a déclaré que la déportation des victimes constituait une violation
des articles 2, 7 1) a), 12 4) et 5), 14 et 18 de la Charte africaine.
99Par. 29-30 et dispositif de la décision de la Commission.
100Par. 59-60 et dispositif de la décision de la Commission.

133autres c. Guatemala, fond, arrêt du 19 novembre 1999), la CIDH a jugé,

à propos de l’interdiction de l’arrestation illégale ou arbitraire (paragra-
phes 2 et 3 de l’article 7 de la convention américaine des droits de
l’homme), que nul ne pouvait être arrêté ou incarcéré si cette arrestation
ou cette incarcération, «bien que qualifiée de légale», pouvait être consi-

dérée comme incompatible avec les droits de l’homme fondamentaux, au
motif qu’elle était, notamment, «déraisonnable, imprévisible ou dispro-
portionnée» (par. 131). Cette déclaration est devenue jurisprudence cons-
tante de la CIDH 101.

124. La CIDH devait bientôt réitérer sa position sur cette question
dans l’affaire Bámaca Velásquez c. Guatemala (arrêt du 25 novem-
bre 2000, par. 139). Plus tard, appliquant le même critère dans l’affaire
Maritza Urrutia c. Guatemala (arrêt du 27 novembre 2003, par. 65), la

CIDH a jugé que la détention dans le cas d’espèce avait été effectuée dans
le cadre d’un comportement arbitraire systématique de la part des agents
de l’Etat (par. 69-70). De même, dans l’affaire Juan Humberto Sánchez
c. Honduras (arrêt du 7 juin 2003), la CIDH, après avoir répété (par. 78)

son obiter dictum, a déclaré les mises en détention arbitraires parce
qu’elles avaient eu lieu dans le cadre d’un abus de pouvoir de la part des
agents de l’Etat (par. 80).
125. En l’affaire Frères Gómez Paquiyauri c. Pérou (arrêt du 8 juil-

let 2004), la CIDH a établi le caractère arbitraire de la détention, qui
avait été effectuée dans le cadre de violations systématiques des droits de
l’homme, accompagnées de circonstances aggravantes (par. 88-89). Dans
l’affaire du Massacre de Mapiripán, concernant la Colombie (arrêt du

15 septembre 2005), la CIDH a jugé que la privation de liberté s’était
faite selon un modus operandi marqué par l’arbitraire et par d’autres gra-
ves violations des droits de l’homme (par. 136 et 138).
126. Dans la tragique affaire Bulacio concernant l’Argentine (arrêt du

18 septembre 2003), la Cour a rappelé qu’il existe «des exigences impor-
tantes et formelles» (causes, cas ou circonstances, procédure prévue par
la loi) qui doivent être observées (au titre de l’article 7 de la convention
américaine) en cas de sanction comportant l’incarcération. Les détenus

ont droit à «un traitement humain» et le droit de vivre dans «des condi-
tions de détention compatibles avec la dignité de la personne» (par. 125-
126). L’Etat, qui est responsable des centres de détention, est «le garant
des droits des détenus» (par. 126).

127. De plus, dans la même affaire Bulacio, la CIDH a jugé bon de
dire:

«Les autorités de l’Etat exercent un contrôle total sur les person-

101Voir les décisions antérieures de la CIDH allant dans le même sens: Gangaram Pan-
day c. Suriname, arrêt du 21 janvier 1994, par. 47; Suárez Rosero c. Equateur , arrêt
du 12 novembre 1997, par. 43. Voir aussi, ultérieurement: Acosta Calderón c. Equateur ,
arrêt du 24 juin 2005, par. 57; Palamara-Iribarne c. Chili, arrêt du 22 novembre 2005,
par. 215.

134 nes qui sont sous leur garde. Les conditions de traitement des déte-
nus doivent faire l’objet de la plus étroite supervision, compte tenu

de la vulnérabilité spéciale du détenu ... La vulnérabilité du détenu
est d’autant plus grande lorsque la détention est illégale ou arbi-
traire. La personne est alors entièrement sans défense, ce qui entraîne
un risque certain d’affaiblissement des autres droits, comme celui à
un traitement humain et décent ... La Cour a souligné que la mise au

secret du détenu devait être une mesure exceptionnelle, car elle
entraîne des souffrances morales et des perturbations psychologi-
ques et place le détenu dans une situation de vulnérabilité particu-
lière et accroît le risque d’agression et d’arbitraire en milieu carcéral,

en plus de compromettre l’observation stricte de la procédure régu-
lière.» (Par. 126-127.)

128. Enfin, la Cour a ajouté, toujours dans l’affaire Bulacio, que les
détenus avaient également le droit d’être informés des causes et des rai-
sons de leur détention «au moment où elle se produisait», afin de préve-
nir et d’éviter l’arbitraire (par. 128). Dans ce même but, les détenus ont le
droit de compter sur un «contrôle judiciaire immédiat» de leur détention

(par. 129). Ils ont le droit d’informer une tierce partie qu’ils sont sous la
«garde de l’Etat» (par. 130) et de compter sur des soins médicaux appro-
priés (par. 131). Bref, les centres de détention «doivent respecter certaines
normes minimales» de nature à garantir le respect des droits susmention-
nés (par. 132), afin de prévenir et d’éviter l’arbitraire.

129. Dans l’affaire Tibi c. Equateur (arrêt du 7 septembre 2004), la
CIDH a jugé que la détention préventive en cause était arbitraire, au
motif qu’il n’y avait pas suffisamment d’indices pour présumer que
M. D. D. Tibi était l’auteur ou le complice d’une quelconque infraction,
pas plus qu’il n’avait été établi qu’une telle détention était nécessaire

(par. 107). La CIDH a jugé «indispensable» de souligner que l’applica-
tion de la détention préventive, étant une mesure très sévère,

«d[eva]it être exceptionnelle, étant donné qu’elle est limitée par les
principes de légalité, de présomption d’innocence, de nécessité et de
proportionnalité, indispensables dans une société démocratique»
(par. 106).

130. Lors de l’examen par la CIDH de l’affaire Tibi c. Equateur, j’ai
trouvé assez d’énergie pour inclure dans mon opinion individuelle une
section complète (I) sur «l’incidence de la détention arbitraire et des

conditions d’incarcération sur la conscience humaine», dans laquelle j’ai
présenté les réflexions suivantes:

«D. D. Tibi, comme Joseph K., a été détenu sans savoir pourquoi.
«On avait sûrement calomnié Joseph K.» — écrit Franz Kafka
dans les premières phrases du Procès (1925) — «car, sans avoir rien
fait de mal, il fut arrêté un matin» (chap. I). D. D. Tibi a été plus

heureux que le banquier Joseph K., mais tous deux ont été victimes
de quelque chose d’incompréhensible, voire d’absurde. Joseph K.,

135 réduit à attendre son exécution sommaire, se fit, avant d’être exé-

cuté, les réflexions suivantes: «Où était le juge qu’il n’avait jamais
vu? Où était la haute cour à laquelle il n’était jamais parvenu?»
(chap. X). Du début à la fin, ses efforts sont futiles face à l’arbitraire
d’une «justice» cruellement virtuelle et désespérante.

D. D. Tibi a été moins malheureux que le personnage de Kafka,
parce qu’il a recouvré la liberté mais aussi parce qu’il vit à une épo-
que où, en plus des tribunaux nationaux (ayant chacun leur mode de
fonctionnement), il existe des tribunaux internationaux des droits de

l’homme. Le présent arrêt de la Cour interaméricaine peut contri-
buer à lui faire retrouver foi dans la justice humaine. Dans son cas,
le portrait de la vie quotidienne dans les prisons d’Amérique latine,

mais aussi du monde entier, témoigne de façon éloquente de l’insen-
sibilité, de l’indifférence et de l’irrationalité du monde qui est le
nôtre.
Il existe peu de témoignages aussi éloquents des souffrances cau-

sées par la détention arbitraire que les célèbres Lettres de prison
d’Antonio Gramsci (1926-1936). Dans une forme littéraire marquée
au coin de l’équanimité, il écrit que dès le début de sa détention le
temps lui avait paru plus dense, et l’espace inexistant ... Un voyage

en train après dix années de détention ... lui laissa une «impression
terrible», parce qu’il vit que «pendant tout ce temps le vaste monde
avait continué à exister, avec ses champs, ses forêts, les gens de la
rue, les groupes d’enfants, certains arbres» ...; l’impression fut par-

ticulièrement terrible lorsqu’il vit son visage dans un miroir après
une si longue période 102.
Trois décennies avant Gramsci, à la fin du XIX siècle, Oscar

Wilde donnait à l’histoire de la pensée universelle, dans son célèbre
De profundis (1897), un témoignage personnel sur la souffrance cau-
sée par l’emprisonnement. De la prison de Reading, il écrivit que,
pour ceux qui sont injustement détenus, «il n’est qu’une seule sai-

son: la saison de la douleur ... Et dans le domaine de la pensée, non
moins que dans celui du temps, le mouvement n’existe plus.» 103
Il est possible que l’étranger D. D. Tibi ait ressenti, comme lé ’tran-
ger Meursault, que tout ce qui concernait sa détention et son procès se

déroulait «sans [son] intervention», ce qui reflétait la «tendre indiffé-
rence» du monde extérieur (chap. IV-V). Comme pour Gramsci, tout
ce qui restait à l’étranger de Camus ( L’étranger, 1949) était le passage

du temps; au fil de «l’alternance de la lumière et de l’ombre», c’était
«sans cesse le même jour qui déferlait dans [sa] cellule» et l’heure la
plus terrible était celle où «les bruits du soir montaient de tous les éta-
ges de la prison dans un cortège de silence» (chap. II). Meursault aussi

102
A. Gramsci, Lettres de prison, http://classiques.uqac.ca/classiques/gramsci_antonio/
le103es_de_prison/lettres_de_prison.html.
Oscar Wilde, De profundis, Le livre de poche classique, Paris, 2000, p. 110.

136 n’avait que les souvenirs d’une vie qui ne lui appartenait plus (chap. IV).

Pour lui, tous les jours passaient «à regarder, sur le visage [du ciel], le
déclin des couleurs qui conduit le jour à la nuit», la nuit qui était
«comme une trêve mélancolique» (chap. V).

.............................
A propos de ses conditions de détention et de ses efforts pour fuir

la souffrance et la dégradation de l’esprit, Oscar Wilde parle du
«Zeitgeist d’une époque sans âme» et écrit que le temps et l’espace ne
sont que «des conditions accidentelles de la pensée» et qu’en prison
il n’a plus devant lui que son passé 104... C’est un mal qui ne connaît

pas de frontières et qui reflète le monde indifférent et de plus en plus
brutal qui nous entoure. Aujourd’hui, les personnages de Kafka et
de Camus sont dispersés et oubliés dans les prisons de tous les conti-

nents. Un grand nombre de ces détenus sont innocents et ceux qui ne
le sont pas, d’agresseurs qu’ils étaient, sont devenus victimes. Leur
survie n’a plus de dimension spatiale et la dimension temporelle est
peut-être la seule qu’ils puissent sonder dans les profondeurs cachées

de leur vie intérieure. Quoi qu’il en soit, leur vie avec les autres ne
leur appartient plus et ils survivent en intimité de plus en plus étroite
avec le mal et avec la brutalité écrasante qui pèse sur eux. Le droit ne

saurait demeurer indifférent à tout cela, à cette indifférence du
monde, en particulier dans les sociétés qui se désignent pathétique-
ment elles-mêmes comme «post-modernes».
En réalité, les détentions injustes et les abus contre les détenus ne

sont pas un phénomène récent. Dans son Œuvre classique sur le
crime et le châtiment (1764), Cesare Beccaria dit que le châtiment
dépasse souvent le crime et que les peines infamantes conçues par

l’intelligence humaine semblent avoir été inventées par la tyrannie
plutôt que par la justice 105. Avec le temps, la nécessité du contrôle
administratif et législatif aussi bien que judiciaire (particulièrement
important) et de la supervision des conditions de détention a été

reconnue — contrôle qui a été transposé du domaine du droit
interne à celui du droit international au milieu du XX siècle.

.............................
Ainsi que le révèle l’arrêt de la Cour interaméricaine dans la pré-

sente affaire Tibi c. Equateur, le droit protège maintenant aussi ceux
qui sont oubliés en prison, dans la «maison des morts» dénoncée
avec tant de lucidité au XIX siècle par Dostoïevski. La réaction du

droit évoquée plus haut, tant ratione personae que ratione materiae,
indique que la conscience humaine s’est éveillée à la nécessité pres-
sante et à l’objectif de mettre résolument fin au fléau de la détention

104De profundis, op. cit. supra note 103, p. 188, 205-206.
105Cesare Beccaria, Traité des délits et des peines , http://classiques.uqac.ca/classiques/
beccaria/traite_delits_et_peines/traite_delits_et_peines.html.

137 arbitraire ... Les principes généraux du droit jouent ici un rôle

majeur. Grâce à eux, nous pouvons nourrir l’espoir que les D. D. Tibi,
Joseph K. et Meursault diminueront peu à peu en nombre, jusqu’à
ce qu’aucun ne souffre plus dans les prisons d’un monde «post-
moderne» insensible, indifférent et brutal.» 106

5. La jurisprudence de la Cour européenne

des droits de l’homme

131. Pour sa part, s’agissant de la question que nous examinons, la
Cour européenne des droits de l’homme, lorsqu’elle a jugé (par. 54) qu’il
y avait eu violation du paragraphe 1 de l’article 5 de la convention euro-

péenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamen-
tales, par exemple dans son arrêt (du 25 juin 1996) en l’affaire Amuur
c. France, a déclaré que cette disposition concernant le droit à la liberté
visait à garantir que nul ne puisse être dépouillé de ce droit arbitraire-
ment (par. 42). Selon la Cour européenne:

«la Convention exige ... la conformité de toute privation de liberté

au but de l’article 5 (art. 5): protéger l’individu contre l’arbitraire ...
Pareille qualité implique qu’une loi nationale autorisant une pri-
vation de liberté — surtout lorsqu’il s’agit d’un demandeur
d’asile — soit suffisamment accessible et précise afin d’éviter tout

danger d’arbitraire. Ces caractéristiques revêtent une importance
fondamentale dans le domaine des demandeurs d’asile dans les aéro-
ports, compte tenu notamment de la nécessité de concilier la protec-
tion des droits fondamentaux et les impératifs de la politique de

l’immigration des Etats.» (Par. 50.)
132. Dix-sept ans auparavant, dans l’affaire Winterwerp c. Pays-Bas

(arrêt du 24 octobre 1979), la Cour européenne a jugé que le paragra-
phe 1 de l’article 5 de la convention n’avait pas été violé (par. 52), étant
donné que le retard en cause n’avait pas entraîné une privation arbitraire
de la liberté et que la détention avait, selon elle, «eu lieu «selon les voies

légales»» (par. 49-50). La Cour européenne n’en a pas moins jugé utile
d’exprimer le point de vue suivant:

«les mots «selon les voies légales» se réfèrent pour l’essentiel à la
législation nationale ... Toutefois, il faut que le droit interne se
conforme lui-même à la Convention ... [T]oute mesure privative de

liberté doit émaner d’une autorité qualifiée, être exécutée par une
telle autorité et ne pas revêtir un caractère arbitraire.» (Par. 45.)

106CIDH, Tibi c. Equateur, arrêt du 7 septembre 2004, opinion individuelle du juge
A. A. Cançado Trindade, par. 2-6, 9, 12-13 et 36.

138 133. Dans l’affaire Saadi c. Royaume-Uni, la chambre de la Cour
européenne a examiné (arrêt du 11 juillet 2006) le grief d’arbitraire du

requérant et a jugé en particulier que «pareille détention doit satisfaire à
un critère de «nécessité»» (par. 46); la détention «doit être compatible
avec l’objet global de l’article 5, qui est de protéger l’individu contre
l’arbitraire» (par. 40). L’affaire a été déférée devant la Grande chambre
de la Cour européenne des droits de l’homme, qui, tout en faisant sienne

la conclusion selon laquelle il n’y avait pas eu violation du paragraphe 1
de l’article 5 dans l’affaire (mais plutôt violation du paragraphe 2 de cet
article — arrêt du 29 janvier 2008), a développé sa pensée sur la notion
d’arbitraire.

134. Dans ce nouvel arrêt, de 2008, sur l’affaire Saadi, la Grande
chambre de la Cour européenne des droits de l’homme, en plus d’invo-
quer le principe de bonne foi (de la part des autorités nationales — par. 74
et 77), a indiqué que le seul respect du droit interne n’était «pas suffi-
sant», étant donné que:

«[L]a notion d’«arbitraire» que contient l’article 5, paragraphe 1,
va au-delà du défaut de conformité avec le droit national, de sorte

qu’une privation de liberté peut être régulière selon la législation
interne tout en étant arbitraire et donc contraire à la Conven-
tion ... la notion d’arbitraire dans le contexte de l’article 5 varie dans
une certaine mesure suivant le type de détention en cause.

.............................
D’après l’un des principes généraux consacrés par la jurispru-
dence, une détention est «arbitraire» lorsque, même si elle est par-

faitement conforme à la législation nationale, il y a eu un élément de
mauvaise foi ou de tromperie de la part des autorités ... La condition
d’absence d’arbitraire exige par ailleurs que non seulement l’ordre
de placement en détention mais aussi l’exécution de cette décision
cadrent véritablement avec le but des restrictions autorisées par l’ali-

néa pertinent de l’article 5, paragraphe 1.
.............................

La notion d’arbitraire ... implique également que l’on recherche si
la détention était nécessaire pour atteindre le but déclaré. La priva-
tion de liberté est une mesure si grave qu’elle ne se justifie qu’en der-
nier recours, lorsque d’autres mesures, moins sévères, ont été consi-
dérées et jugées insuffisantes pour sauvegarder l’intérêt personnel ou

public exigeant la détention ... En outre, le principe de proportion-
nalité veut que, lorsque la détention vise à garantir l’exécution d’une
obligation prévue par la loi, un équilibre soit ménagé entre la néces-
sité dans une société démocratique de garantir l’exécution immédiate

de l’obligation dont il s’agit et l’importance du droit à la liberté ...»
(Par. 67-70.)

135. Dans une affaire antérieure, l’affaire Baranowski c. Pologne (arrêt

139du 28 mars 2000), jugeant que les paragraphes 1 et 4 de l’article 5 de la
convention européenne des droits de l’homme (par. 58, 77 et 86) avaient

été violés, la Cour européenne a rappelé l’obligation d’observer dans le
droit interne les normes de fond comme de procédure (paragraphe 1 de
l’article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales — par. 50). En outre, la Cour a
constaté l’absence, dans le droit interne concerné, «de toute disposition

précise» indiquant si «la détention ordonnée pour une période limitée au
stade de l’enquête pouvait être régulièrement prolongée au stade de la
procédure judiciaire»; de l’avis de la Cour, pareille absence ne satisfaisait
pas au critère de «prévisibilité» (par. 55). La Cour a ensuite souligné:

«qu’aux fins de l’article 5, paragraphe 1, de la Convention, la déten-
tion qui s’étend sur une période de plusieurs mois et qui n’a pas été

ordonnée par un tribunal ou par un juge ou par toute autre personne
«habilitée ... à exercer des fonctions judiciaires» ne saurait être
considérée comme «régulière» au sens de cette disposition» (par. 57).

136. L’interdiction de l’arbitraire a été confirmée par la Cour euro-
péenne des droits de l’homme non seulement en ce qui concerne le droit
à la liberté de la personne (art. 5), mais également à l’égard d’autres
droits protégés par la convention européenne. Ainsi, dans les trois affaires

Boultif c. Suisse (arrêt de la chambre du 2 août 2001, par. 46), Uner c.
Pays-Bas (arrêt de la Grande chambre du 18 octobre 2006, par. 57) et
Maslov c. Autriche (arrêt de la Grande chambre du 23 juin 2008, par. 69),
la Cour européenne des droits de l’homme a pris la peine de développer
sa réflexion et d’établir les critères à appliquer pour évaluer si une mesure

d’expulsion était «nécessaire» (un «besoin social pressant») dans une
société démocratique, et proportionnée au «but légitime poursuivi», afin
d’éviter et d’écarter tout arbitraire.
137. Dans les trois affaires Al-Nashif (arrêt de la chambre du 20 juin
2002, par. 119 et 121), Musa et autres (arrêt de la chambre du 11 janvier

2007) et Bashir et autres (arrêt de la chambre du 14 juin 2007, par. 41),
concernant toutes trois la Bulgarie, les chambres respectives de la Cour
européenne, ayant à l’esprit l’article 8 de la convention européenne
(droit au respect de la vie privée et de la vie familiale), ont déclaré que,
lorsqu’il s’agissait de questions touchant aux droits fondamentaux, le

droit interne irait à l’encontre de la prééminence du droit si le pouvoir
d’appréciation accordé à l’exécutif ne connaissait pas de limites; en
conséquence, le droit interne devait fournir des garanties suffisantes
contre l’arbitraire. Dans l’affaire Al-Nashif, la chambre a ajouté que les
mots «prévue par la loi» signifiaient que la base juridique devait être

«accessible» et «prévisible» et qu’«il devait exister une protection juridi-
que contre l’intervention arbitraire des autorités publiques à l’égard des
droits garantis par la convention» (par. 119), même lorsque l’interpréta-
tion des «mesures de sécurité nationale» se révélait «illégale, ou contraire

au sens commun et arbitraire» (par. 123-124).
138. La Cour européenne des droits de l’homme a réitéré sa mise en

140garde contre une telle interprétation des mesures de «sécurité nationale»
dans l’affaire C. G. et autres c. Bulgarie (arrêt de la chambre du 24 avril

2008). Dans l’affaire Musa et autres déjà mentionnée, la Cour euro-
péenne a mis en garde contre «un acte administratif non motivé,
délivré en dehors de toute procédure contradictoire et non susceptible de
recours» (par. 60). La Cour a également exprimé sa préoccupation à
l’égard des politiques intérieures en matière d’immigration et de résidence

(comme par exemple dans l’affaire Berrehab c. Pays-Bas, arrêt du
21 juin 1988, par. 28-29).
139. Selon le même raisonnement, dans l’affaire Lupsa c. Roumanie
(arrêt de la chambre du 8 juin 2006), la Cour européenne des droits de

l’homme a rappelé sa jurisprudence constante sur cette question:

«les mots «prévues par la loi» veulent d’abord que la mesure incri-

minée ait une base en droit interne, mais ils ont trait aussi à la qua-
lité de la loi en question: ils exigent l’accessibilité de celle-ci aux
personnes concernées et une formulation assez précise pour leur per-
mettre, en s’entourant, au besoin, de conseils éclairés, de prévoir, à
un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les consé-

quences pouvant résulter d’un acte déterminé.
Certes, dans le contexte particulier des mesures touchant à la sécu-
rité nationale, l’exigence de prévisibilité ne saurait être la même
qu’en maints autres domaines ... Néanmoins, le droit interne doit
offrir une protection contre des atteintes arbitraires de la puissance

publique aux droits garantis par la Convention. Lorsqu’il s’agit de
questions touchant aux droits fondamentaux, la loi irait à l’encontre
de la prééminence du droit, l’un des principes fondamentaux d’une
société démocratique consacrés par la Convention, si le pouvoir

d’appréciation accordé à l’exécutif ne connaissait pas de limites ...
En effet, l’existence de garanties adéquates et suffisantes contre les
abus, dont notamment celle de procédures de contrôle efficace par le
pouvoir judiciaire, est d’autant plus nécessaire que, sous le couvert
de défendre la démocratie, de telles mesures risquent de la saper,

voire de la détruire...» (Par. 32-34.)

6. Appréciation générale

140. L’interprétation du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques des Nations Unies par le Comité des droits de l’homme et de la
Charte africaine des droits de l’homme et des peuples par la Commission
africaine des droits de l’homme et des peuples, ainsi que la jurisprudence éta-

blie par les Cours interaméricaine et européenne des droits de l’homme,
convergent vers une interdiction de l’arbitraire dans différentes circons-
tances. Cette interdiction ne se limite pas du tout au droit à la liberté de
la personne, mais s’étend également à d’autres droits protégés par les trai-

tés et conventions relatifs aux droits de l’homme.
141. Cette interdiction de l’arbitraire concerne également, bien entendu,

141le droit de ne pas être expulsé arbitrairement d’un pays, le droit à un pro-
cès équitable, le droit au respect de la vie privée et de la vie familiale, le

droit à un recours effectif ou tout autre droit protégé. Du point de vue
épistémologique, c’est la position appropriée à cet égard, étant donné les
liens qui existent entre tous les droits de l’homme et leur caractère indivi-
sible. Tenter d’avancer un point de vue restrictif sur l’interdiction de l’arbi-
traire, ou une approche fragmentaire, serait tout à fait injustifié et irait à

l’encontre de la perspective qui a été adoptée à juste titre par les organes
internationaux de surveillance des droits de l’homme comme le Comité des
droits de l’homme des Nations Unies et la Commission africaine des droits
de l’homme et des peuples, et par les tribunaux internationaux des droits

de l’homme comme les Cours interaméricaine et européenne.
142. La nature humaine étant ce qu’elle est, tous ont besoin de préser-
ver la protection contre l’arbitraire des autorités de l’Etat. Dans une pers-
pective plus large, les êtres humains ont besoin d’être protégés en défini-
tive contre eux-mêmes, dans leurs relations les uns avec les autres. Nul

n’est besoin d’exiger l’adoption d’une disposition expresse pour interdire
l’arbitraire à l’égard de certains droits, ou de demander que soit inséré
l’adjectif «arbitraire» dans certaines dispositions pour permettre l’exer-
cice de la protection contre l’arbitraire en toutes circonstances, en vertu
des traités des droits de l’homme. La lettre comme l’esprit de ces dispo-

sitions des traités relatifs aux droits de l’homme pointent dans la même
direction: l’interdiction absolue de l’arbitraire, au titre du droit inter-
national des droits de l’homme dans son ensemble. Toute cette question
repose sur l’impératif d’accès à la justice au sens large, du droit au droit,
du droit à la réalisation de la justice dans une société démocratique.

VII. L E CONTENU MATÉRIEL DES DROITS PROTÉGÉS

143. Il convient de rappeler ici les éléments pertinents de la pratique

du Comité des droits de l’homme des Nations Unies (ses observations
générales, ainsi que ses constatations ou décisions sur des communica-
tions ou des requêtes), pour déterminer le contenu matériel des droits
défendus et protégés par le Pacte international relatif aux droits civils et
politiques dans la présente affaire Ahmadou Sadio Diallo, à savoir le

droit à la liberté et à la sécurité de la personne, le droit de ne pas être
expulsé d’un Etat sans base juridique et le droit de ne pas être soumis à de
mauvais traitements. Dans une section ultérieure (VIII, infra), j’examine-
rai la construction jurisprudentielle du droit à l’information sur l’assis-
tance consulaire dans l’univers conceptuel des droits de l’homme.

144. Je rappellerai d’abord ici que, dans l’examen que j’ai fait de la
défense des droits protégés en l’espèce (sect. III, supra), j’ai fait référence
à quelques constatations ou décisions du Comité des droits de l’homme
sur des communications ou requêtes. Il est maintenant opportun de reve-

nir à ce point à propos du contenu matériel de ces droits, soit pour sou-
ligner la pertinence de ces constatations ou décisions pour le cas d’espèce,

142soit pour mettre en exergue d’autres constatations ou décisions du
Comité non encore citées, qui peuvent être pertinentes aux fins qui nous

occupent.

1. Le droit à la liberté et à la sécurité de la personne

145. Dans l’examen qui a été fait précédemment de la présente affaire,

il a été fait référence à quelques vues ou décisions du Comité des droits de
l’homme sur des communications ou requêtes. Je voudrais maintenant y
revenir, soit pour souligner la pertinence, pour le cas d’espèce, des déci-
sions déjà mentionnées, soit pour présenter d’autres décisions du Comité

pertinentes aux fins qui nous occupent.

146. En ce qui concerne l’article 9 du Pacte (droit à la liberté et à la
sécurité de la personne), deux affaires importantes peuvent être citées, à
savoir l’affaire Adolfo Drescher Caldas c. Uruguay (1983) et l’affaire

Mukong c. Cameroun (1994). Dans la première, le requérant avait été
détenu au secret pendant six semaines, sans avoir la possibilité d’invo-
quer l’habeas corpus, et avait ensuite été traduit et inculpé devant un juge
militaire. Le Comité a jugé que le paragraphe 4 de l’article 9 du Pacte

avait été violé en raison du défaut de recours à l’habeas corpus, selon le
raisonnement suivant:

«[E]n vertu du paragraphe 2 de l’article 9 du Pacte, toute personne
arrêtée doit être informée dans une mesure suffisante des raisons de
son arrestation afin de pouvoir prendre immédiatement des disposi-
tions pour obtenir sa libération si elle considère que les raisons avan-
cées sont nulles et non avenues ou mal fondées. De l’avis du Comité

il ne suffisait pas d’informer simplement Adolfo Drescher Caldas
qu’il était arrêté en vertu des mesures urgentes de sécurité sans pré-
ciser en rien ce qui lui était reproché quant au fond.» (Par. 13.2.)

147. Dans l’affaire Mukong c. Cameroun (1994), le Comité a jugé que
l’Etat défendeur avait privé le requérant de sa liberté de façon arbitraire,
ce qui était notamment contraire au paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte

international relatif aux droits civils et politiques; le Comité a noté que le
simple fait qu’un Etat partie ait respecté son droit interne ne signifiait pas
que l’arrestation et la détention d’un individu n’étaient pas arbitraires
(par. 9.8). De plus, dans son observation générale n 8 de 1982 sur Le
droit à la liberté et à la sécurité de la personne (article 9 du Pacte), le

Comité des droits de l’homme a dit que l’article 9:
«fait souvent l’objet d’une interprétation assez étroite dans les rap-

ports des Etats parties, qui, de ce fait, fournissent des informations
incomplètes. Le Comité fait observer que le paragraphe 1 s’applique
à tous les cas de privation de liberté, qu’il s’agisse d’infractions pé-
nales ou d’autres cas ... [E]n particulier l’importante garantie énoncée
au paragraphe 4, c’est-à-dire le droit de demander à un tribunal de

143 statuer sur la légalité de la détention, s’appliqu[e] à toutes les per-
sonnes qui se trouvent privées de leur liberté par arrestation ou

détention. En outre, les Etats parties doivent également, conformé-
ment au paragraphe 3 de l’article 2, veiller à ce que des voies de
recours utiles soient prévues dans les autres cas où un individu se
plaint d’être privé de sa liberté en violation du Pacte.

.............................
Même si l’on a recours à l’internement dit de sûreté, pour des rai-

sons tenant à la sécurité publique, cet internement ... ne doit pas être
arbitraire, [et] doit être fondé sur des motifs et conforme à des pro-
cédures prévues par la loi (par. 1), ... l’intéressé doit être informé des
raisons de l’arrestation (par. 2) et ... un tribunal doit pouvoir statuer

sur la légalité de la détention (par. 4) et ... il doit être possible d’obte-
nir réparation en cas de manquement (par. 5). Et si, en outre, il s’agit
d’une inculpation pénale, il faut également accorder une protection
totale en vertu des paragraphes 2 et 3 de l’article 9 ainsi que de l’ar-
ticle 14.» (Par. 1 et 4.)

2. Le droit de ne pas être expulsé d’un Etat sans base juridique

148. Quatre ans plus tard, le Comité des droits de l’homme a publié
o
son observation générale n 15 de 1986 sur La situation des étrangers (qui
comprennent non seulement les ressortissants étrangers, mais également
les réfugiés et les apatrides) au regard du Pacte (art. 13). Le Comité des
droits de l’homme a fait les observations suivantes:

«les droits énoncés dans le Pacte s’appliquent à toute personne, sans
considération de réciprocité, quelle que soit sa nationalité ou même

si elle est apatride.
Ainsi, la règle générale est que chacun des droits énoncés dans le
Pacte doit être garanti, sans discrimination entre les citoyens et les
étrangers.

.............................
L’article 13 ... est applicable à toutes les procédures tendant à

contraindre un étranger à quitter un pays, que la législation natio-
nale qualifie ce départ d’expulsion ou qu’elle emploie un autre terme.
Si la procédure comporte l’arrestation, les garanties prévues par le
Pacte en cas de privation de liberté (art. 9 et 10) peuvent aussi être

applicables ... [S]i la légalité de l’entrée ou du séjour d’un étranger
fait l’objet d’un litige, toute décision pouvant entraîner l’expulsion
de l’étranger doit être prise dans le respect de l’article 13. Il appar-
tient aux autorités compétentes de l’Etat partie d’appliquer et d’inter-
préter le droit national de bonne foi, dans l’exercice de leurs pou-

voirs, tout en respectant les obligations prévues par le Pacte, et
notamment le principe de l’égalité devant la loi (art. 26).
.............................

144 Son objectif évident [de l’article 13] est d’éviter les expulsions
arbitraires ... L’étranger doit recevoir tous les moyens d’exercer son

recours contre l’expulsion, de manière à être en toutes circonstances
à même d’exercer effectivement son droit ... Aucune discrimination
ne peut être opérée entre différentes catégories d’étrangers dans
l’application de l’article 13.» (Par. 1-2 et 9-10.)

149. Toujours à propos de l’article 13 du Pacte, on peut citer trois
autres affaires dont a connu le Comité des droits de l’homme, à savoir les
affaires Hammel c. Madagascar (1987), Cañon García c. Equateur (1991)
et Mansour Ahani c. Canada (2004). Dans la première de ces affaires,

Hammel c. Madagascar, le Comité a jugé qu’il y avait eu violation du
paragraphe 4 de l’article 9 et de l’article 13 du Pacte pour les raisons sui-
vantes: a) le requérant n’avait pu se pourvoir devant un tribunal pour
que celui-ci détermine la légalité de son arrestation; et b) «pour des rai-

sons qui n’étaient pas des raisons impérieuses de sécurité nationale, il n’a
pas été en mesure de faire valoir des motifs contre son expulsion et de
faire examiner son cas par une autorité compétente dans un délai raison-
nable» (par. 20).
150. La pertinence de l’affaire Hammel c. Madagascar pour celle dont

connaît maintenant la Cour est évidente: le Comité des droits de l’homme
a non seulement précisé que, pour refuser à un individu le droit de
contester son expulsion, l’Etat partie devait démontrer qu’il existait des
«raisons impérieuses de sécurité nationale», mais il a également conclu

que, en l’espèce, les raisons invoquées par Madagascar n’étaient pas des
raisons de «sécurité nationale». Cette affirmation paraît contredire le
point de vue avancé devant la Cour en l’espèce par la RDC, qui a sou-
tenu que l’Etat concerné était le seul et dernier juge des actes qui mena-
cent sa sécurité nationale.

151. Dans la deuxième affaire susmentionnée — l’affaire Cañon Gar-
cía c. Equateur —, le Comité des droits de l’homme, notant que l’Etat
défendeur n’avait pas tenté de réfuter les allégations du requérant concer-
nant les articles 7, 9 et 13 du Pacte, a jugé que l’Etat défendeur avait

effectivement violé ces dispositions (par. 5, al. 2), et 6, al. 1)). Dans la
troisième affaire, Mansour Ahani c. Canada, le Comité des droits de
l’homme a conclu à une violation de l’article 13 du Pacte, violation qui
concernait non seulement le certificat énonçant les motifs d’expulsion,
mais également «la décision prise par le ministre sur le risque de préju-

dice» avant l’expulsion du requérant vers le pays d’où il cherchait à trou-
ver refuge. Le Comité n’a pas accepté qu’«il existait des raisons impé-
rieuses de sécurité nationale qui exemptaient l’Etat partie de l’obligation
que lui faisait cet article d’accorder les protections procédurales en ques-

tion» et a jugé que le requérant devait bénéficier de ces protections
(par. 10.8, et voir par. 10.9 et 12).
152. Dans son observation générale n 31 (2004) sur La nature de l’obli-
gation juridique générale incombant aux Etats parties au Pacte , le Comité
des droits de l’homme a précisé encore sa position sur le contenu matériel

145du droit de ne pas être expulsé d’un Etat sans base juridique. Le Comité
a ajouté que les Etats parties avaient:

«l’obligation de ne pas extrader, déplacer, expulser quelqu’un ou le
transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs

sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable dans
le pays vers lequel doit être effectué le renvoi ou dans tout pays vers
lequel la personne concernée peut être renvoyée par la suite, tel le
préjudice envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte» (par. 12).

Ce point de vue a une incidence sur la relation qui existe entre les droits
protégés par le Pacte, question que j’examinerai maintenant.

3. La relation entre les droits protégés

153. J’ai déjà mentionné la défense, dans le cadre de la présente
affaire, du droit de ne pas être soumis à de mauvais traitements, stricto

sensu, consacré aux articles 7 et 10, paragraphe 1, du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques (supra). Le Comité des droits de
l’homme a une vaste pratique de ces dispositions; au plan régional, ce
droit a fait l’objet d’une importante jurisprudence des Cours européenne
et interaméricaine des droits de l’homme ainsi que de la Commission afri-

caine des droits de l’homme et des peuples. L’examen approfondi de cette
question dépasse les limites de la présente opinion individuelle. J’ajoute-
rai seulement que la notion de mauvais traitements lato sensu peut être
déduite également d’une combinaison des articles du Pacte dont les dis-
positions portent sur d’autres droits protégés.

154. Par exemple, dans l’affaire Hammel c. Madagascar déjà mention-
née, le Comité des droits de l’homme a établi un lien entre le para-
graphe 4 de l’article 9 et l’article 13 du Pacte, et il a jugé que les deux
dispositions avaient été violées: le paragraphe 4 de l’article 9 parce que, la
victime n’ayant pu contester son arrestation (pendant la détention qui a

précédé son expulsion), elle n’a pas pu engager de procédure devant un
tribunal pour lui demander de statuer sur la légalité de son arrestation; et
l’article 13 parce que, pour des raisons «qui n’étaient pas des raisons
impérieuses de sécurité nationale», le requérant n’avait pu «faire valoir
des motifs contre son expulsion» et «faire examiner son cas par une auto-

rité compétente dans un délai raisonnable» (par. 19, al. 4), et 20).
155. De même, l’article 13 du Pacte semble être lié, notamment, à
l’article 12 (sur le droit à la liberté de circulation). Ces deux articles, lus
conjointement, garantissent un ensemble de droits individuels liés essen-
tiellement à la liberté de circulation. Le paragraphe 1 de l’article 12 dit

que «[q]uiconque se trouve légalement sur le territoire d’un Etat a le droit
d’y circuler librement et d’y choisir librement sa résidence». Quant au
paragraphe 4 de cet article, il précise que «[n]ul ne peut être arbitraire-
ment privé du droit d’entrer dans son propre pays».

156. On ne saurait passer sous silence le fait que, dans les circonstan-
ces de la présente affaire, le paragraphe 4 de l’article 12 du Pacte garantit

146une protection illimitée contre l’expulsion aux étrangers qui, comme

M. A. S. Diallo, ont établi avec le temps une relation tellement étroite
avec l’Etat de résidence que ce dernier est pratiquement devenu leur
«patrie»: dans le cas d’espèce, M. A. S. Diallo est arrivé dans l’Etat de
107
résidence à l’âge de 17 ans et y a résidé pendant trente ans . De même,
dans l’affaire Hammel c. Madagascar (1987), M. E. Hammel avait pra-
tiqué le droit à Madagascar pendant dix-neuf ans avant d’en être expulsé

le 11 février 1982 sans être inculpé ni traduit devant un magistrat pour
répondre de quelque chef d’accusation que ce soit (par. 18.2).

157. L’adoption d’une vue holistique des droits protégés par le Pacte
semble avoir aidé le Comité des droits de l’homme à préciser certains
aspects des affaires qui lui ont été soumises. Par exemple, s’agissant d’une

violation éventuelle d’autres droits de l’homme garantis par le Pacte, le
Comité a jugé qu’il pouvait y avoir violation du droit à la vie de famille
d’une personne (art. 17) lorsque son expulsion entraînait sa séparation de

sa famille. Bien que le simple fait que l’un des membres d’une famille ait
le droit de rester sur le territoire d’un Etat partie ne fasse pas forcément
de l’éviction d’autres membres de la même famille une immixtion du
108
même ordre , le Comité a cru bon de préciser:

«Les critères pertinents pour déterminer si une immixtion dans la
vie de famille peut être objectivement justifiée doivent être examinés
à la lumière, d’une part, de l’importance des raisons qui poussent

un Etat à expulser l’intéressé et, d’autre part, de la gravité des diffi-
cultés que connaîtraient la famille et ses membres par suite de cette
expulsion.» 109

VIII. D ÉVELOPPEMENT DE LA JURISPRUDENCE RELATIVE
AU DROIT À L ’INFORMATION SUR L ’ASSISTANCE CONSULAIRE

DANS L UNIVERS CONCEPTUEL DES DROITS DE L HOMME

1. Le droit individuel par-delà la dimension interétatique

158. Dans son solide et novateur avis consultatif n 16 du 1o erocto-

bre 1999 relatif au droit à l’information sur l’assistance consulaire dans le
cadre d’une procédure régulière, la Cour interaméricaine des droits de

l’homme (CIDH), après avoir passé en revue l’histoire législative et l’évo-
lution de l’application de l’article 36, paragraphe 1, alinéa b),d eal
convention de Vienne sur les relations consulaires de 1963, a exprimé

l’avis que le titulaire des droits mentionné dans cette disposition:
«[était] l’individu. En fait, le libellé de cet article ne laisse aucun

doute sur le fait que les droits à l’information consulaire et à la noti-

107Réplique de la Guinée, par. 1.122.
108Winata c. Australie, 21 juillet 2001, CCPR/C/72/D/930/2000, par. 7.1.
109Madafferi c. Australie, 26 juillet 2004, CCPR/C/81/D/1011/2001, par. 9.8; voir aussi
Byahuranga c. Danemark,1 ernovembre 2004, communication n 1222/2003, par. 11.9.

147 fication sont «accordés» à la personne. A cet égard, l’article 36 est

une exception notable par rapport aux droits et obligations essen-
tiellement étatiques prévus dans les autres dispositions de la conven-
tion de Vienne sur les relations consulaires. Interprété dans le sens
que lui donne la Cour dans le présent avis consultatif, l’article 36

constitue un progrès notable par rapport aux conceptions tradition-
nelles du droit international en la matière.
Les droits accordés à l’individu à l’alinéa b) du paragraphe 1 de
l’article 36, cité plus haut, concordent avec les termes de l’alinéa [c)]

qui le suit ... L’exercice du droit mentionné n’est limité que par le
choix de l’individu.

.............................
La Cour conclut donc que l’article 36 de la convention de Vienne

sur les relations consulaires confère à l’étranger détenu des droits
individuels qui sont la contrepartie des droits correspondants
de l’Etat hôte. Cette interprétation est étayée par l’histoire législative
de cet article. Bien que certains Etats aient estimé peu approprié

en principe d’inclure dans le traité des clauses concernant les droits
des nationaux de l’Etat d’envoi, il a été jugé en définitive que rien
n’empêchait que cet instrument confère des droits aux individus.»
(Par. 82-84.)

159. La CIDH a ajouté que la communication consulaire mentionnée

à l’article 36 de la convention de Vienne de 1963

«concerne effectivement la protection des droits du national de
l’Etat d’envoi et peut lui être utile. C’est ainsi qu’il convient d’inter-
préter la fonction de «protection des intérêts» du national et la

possibilité de lui fournir «aide et assistance», particulièrement en
prenant des dispositions pour qu’il soit adéquatement «représenté
devant les tribunaux».» (Par. 87.)

Pour résumer, dans son avis consultatif n 16 de 1999, la CIDH a jugé
que l’article 36 de la convention de Vienne de 1963 reconnaissait à

l’étranger détenu des droits individuels — notamment le droit à l’infor-
mation sur l’assistance consulaire — auxquels correspondent des obliga-
tions pour l’Etat de résidence (par. 84 et 140).

160. La CIDH a fait observer que l’interprétation évolutive et l’appli-
cation du corpus juris du droit international des droits de l’homme 110
avaient eu «un impact positif sur le droit international en affirmant et en
développant la capacité de ce dernier de régir les relations entre les

110
La Cour a déclaré que «les traités relatifs aux droits de l’homme sont des instru-
ments vivants, dont l’interprétation doit suivre l’évolution des temps et les conditions de
vie actuelles» (par. 114). La Cour a bien dit que, dans son interprétation des normes de la
convention américaine des droits de l’homme, elle devait viser à élargir la protection à de
nouvelles situations sur la base des droits préexistants.

148Etats et les personnes relevant de leur juridiction respective» (par. 115).

La CIDH a donc adopté «l’approche appropriée» lorsqu’elle a examiné
la question qui lui avait été soumise dans le cadre de «l’évolution des
droits fondamentaux de la personne humaine dans le droit international

contemporain» (par. 114-115).
161. La CIDH a été d’avis que, pour préserver la procédure régulière,
«un défendeur doit être en mesure d’exercer ses droits et de défendre ses

intérêts de façon effective et en pleine égalité procédurale avec les autres
défendeurs» (par. 117). Pour atteindre ses objectifs, «le processus judi-

ciaire doit reconnaître et corriger les facteurs d’inégalité réelle» entre les
justiciables (par. 119); ainsi, informer les personnes privées de leur liberté à
l’étranger de leur droit de communiquer avec leur consul contribue à

garantir leur défense et le respect de leurs droits procéduraux (par. 121-
122). Le droit de l’individu à l’information au titre de l’article 36, paragra-
phe 1, alinéa b), de la convention de Vienne sur les relations consulaires
111
rend donc effectif le droit à une procédure régulière (par. 124) .

162. La CIDH a ainsi lié le droit en question à l’évolution des garanties
o
d’une procédure régulière. Cet avis consultatif n 16 de la CIDH, qui est
vraiment novateur, a servi d’inspiration à la jurisprudence internationale in
statu nascendi sur la question 112et a une incidence sensible sur la pratique

des Etats de la région dans ce domaine. En outre, cet avis consultatif his-
torique révèle l’impact du droit international des droits de l’homme sur
l’évolution du droit international public lui-même, parce que la CIDH a

été le premier tribunal international à préciser que le non-respect de l’arti-
cle 36, paragraphe 1, alinéab), de la convention de Vienne sur les relations
consulaires de 1963 entraîne des conséquences néfastes non seulement pour
113
l’Etat partie mais également pour les personnes concernées .

2. L’humanisation du droit consulaire

163. Cet avis consultatif a été suivi quatre ans plus tard, dans le même
esprit, de l’avis consultatif n 18 de la CIDH, en date du 17 septem-

bre 2003, sur La situation juridique et les droits des migrants sans papiers .
Ce dernier avis consultatif a ouvert de nouvelles perspectives à la protec-

111La non-observation ou le fait de faire obstacle à l’exercice de ce droit a une inci-
dence sur les garanties judiciaires (par. 129).
112
Comme l’a vite reconnu la doctrine; voir, par exemple, G. Cohen-Jonathan, «Cour
européenne des droits de l’homme et droit international général (2000)», Annuaire français
de droit international, vol. 46 (2000), p. 642; M. Mennecke, «Towards the Humanization
of the Vienna Convention of Consular Rights — The LaGrand Case before the Interna-
tional Court of Justice», German Yearbook of International Law/Jarbuch für internatio-
nales Recht, vol. 44 (2001), p. 430-432, 453-455, 459-460 et 467-468; Ph. Weckel,
M. S. E. Helali et M. Sastre, «Chronique de jurisprudence internationale», Revue géné-
rale de droit international public , vol. 104 (2000), p. 794 et 791; Ph. Weckel, «Chronique
de jurisprudence internationale», Revue générale de droit international public , vol. 105
(2001), p. 764-765 et 770.
113Ainsi que la CIJ l’a également reconnu, dans l’affaire LaGrand.

149tion des migrants, en reconnaissant la prééminence de leurs droits inhé-

rents en tant que personnes humaines, en dépit de leur statut de
migrants 11. La Cour a dit clairement que les Etats doivent respecter les

droits de l’homme et veiller à leur respect à la lumière du principe général
et fondamental d’égalité et de non-discrimination, et que tout traitement

discriminatoire en ce qui concerne la protection et l’exercice des droits de
l’homme engage la responsabilité internationale des Etats. De l’avis de la
CIDH, le principe fondamental d’égalité et de non-discrimination est

entré dans le domaine du jus cogens.
164. La CIDH a ajouté que les Etats ne peuvent exercer de discrimina-

tion ou tolérer de situations discriminatoires au détriment des migrants et
doivent garantir une procédure régulière à toute personne, indépendam-

ment de son statut en tant que migrant. Ce statut ne saurait justifier que
l’on prive une personne de la jouissance et de l’exercice de ses droits de
l’homme, y compris les droits du travail. Les travailleurs migrants sans

papiers ont les mêmes droits du travail que les autres travailleurs de
l’Etat d’emploi, et ce dernier doit veiller au respect de ces droits dans la

pratique. Les Etats ne peuvent subordonner l’observation du principe
d’égalité devant la loi et de non-discrimination aux objectifs de leurs poli-
115
tiques de migration ou autres . o
165. Dans son avis consultatif n 18, la CIDH a adopté la même inter-
prétation dynamique ou évolutive du droit international des droits de

l’homme qu’elle l’avait fait en 1999, quatre ans plus tôt, dans son avis
consultatif n 16 116. En 2003, la CIDH a réitéré et développé sa vision

114 o
Ce récent avis consultatif n 18 a également un impact sur la théorie et la pratique
du droit international dans le domaine de la protection des droits de l’homme des migrants
qui nous intéresse ici — ainsi que cela a été rapidement reconnu dans la doctrine; voir, par
exemple, L. Hennebel, «L’humanisation du droit international des droits de l’homme
— Commentaire sur l’avis consultatif no 18 de la Cour interaméricaine relatif aux droits
des travailleurs migrants»,Revue trimestrielle des droits de l’homme, vol. 15 (2004), n
p. 747-756; S. H. Cleveland, «Legal Status and Rights of Undocumented Migrants

— Advisory Opinion OC-18/03 [of the] Inter-American Court of Human Rights»,Ameri-
can Journal of International Law, vol. 99 (2005), p. 460-465; C. Laly-Chevalier, F. da
Poïan et H. Tigroudja, «Chronique de la jurisprudence de la Cour interaméricaine des
droits de l’homme» (2002-2004),Revue trimestrielle des droits de l’homme, vol. 16 (2005),
no 62, p. 459-498.
115 De plus, les quatre opinions individuelles présentées allaient toutes dans le même
sens, ce qui est significatif. Dans ma propre opinion concordante, assez exhaustive, en tant
que président de la Cour à l’époque, j’ai traité neuf points, à savoir: a) la civitas maxima

gentium et l’universalité de la famille humaine; b) les disparités du monde contemporain
et la vulnérabilité des migrants; c) la réaction de la conscience juridique universelle; d) la
construction du droit d’asile individuel subjectif; e) la position et le rôle des principes
généraux du droit; f) les principes fondamentaux comme substrat de l’ordre juridique lui-
même; g) le principe d’égalité et de non-discrimination dans le droit international des
droits de l’homme; h) l’émergence, le contenu et la portée du jus cogens ; i) l’émergence
et la portée des obligations erga omnes de protection (leurs dimensions horizontale et

ve116cale).
Dans ce seizième avis consultatif très important et novateur, la Cour interaméricaine
a précisé que, dans son interprétation des normes de la convention américaine, elle se
devait d’élargir la protection à de nouvelles situations (comme celle concernant l’observa-

150dans son avis consultatif n 18 sur La situation juridique et les droits des

migrants sans papiers, fondée sur les concepts émergents du jus cogens et
des obligations de protection erga omnes (dans leurs dimensions horizon-
tale et verticale). L’orientation de cet édifice jurisprudentiel est claire:

l’assistance et la protection consulaires se sont rapprochées considérable-
ment de la protection des droits de l’homme.
166. L’assistance et la protection consulaires se sont en effet sensible-

ment juridictionnalisées en intégrant, dans la perspective avancée par la
Cour interaméricaine, une conception élargie de la procédure régulière,

propre à notre temps. Cette évolution imprègne peu à peu la doctrine
contemporaine, qui reconnaît maintenant à juste titre que, si la protec-
tion diplomatique demeure inévitablement discrétionnaire et conserve

une dimension interétatique, si peu satisfaisante soit-elle, l’assistance et la
protection consulaires sont maintenant liées aux garanties obligatoires de
la procédure régulière dans le cadre du droit international des droits de
117
l’homme . Les bénéficiaires de cette évolution sont, en définitive, les
individus en difficulté, en particulier ceux qui sont privés de leur liberté
personnelle à l’étranger.

3. Le caractère irréversible du progrès de l’humanisation

167. L’avis consultatif n 16 (du 1 eroctobre 1999) de la CIDH sur Le
droit à l’information sur l’assistance consulaire dans le cadre des garan-

ties d’une procédure régulière a été souvent évoqué par les parties (dans la
procédure tant écrite qu’orale) qui se sont opposées devant la CIJ dans
les affaires LaGrand et Avena. Dans l’affaire LaGrand, cet avis consulta-

tif a été invoqué par l’Allemagne dans son mémoire (du 16 septem-
bre 1999, par. 4.13) et par les Etats-Unis dans leur contre-mémoire (du
27 mars 2000, par. 102, note 110); l’Allemagne 118 et les Etats-Unis 119 y

sont tous deux revenus dans leurs plaidoiries.
168. De même, dans l’affaire Avena, cet avis consultatif de la CIDH a

été invoqué au cours de la procédure écrite, d’abord par le Mexique dans
sa requête (par. 65, 77 et 271) puis dans son mémoire (du 20 juin 2003,
par. 157-158, 194, 332, 336 et 344), et ensuite par les Etats-Unis dans leur

contre-mémoire (par. 6.84). Le Mexique l’a cité de nouveau dans ses plai-
doiries devant la Cour 120. Celle-ci était évidemment tout à fait consciente
du contenu inspirant de l’avis consultatif n 16 de la CIDH sur Le droit

tion du droit à l’information sur l’assistance consulaire) sur la base des droits préexistants
(s117a).
Voir E. Decaux, «La protection consulaire et les droits de l’homme», dans Société
française pour le droit international (SFDI), La protection consulaire (Journée d’études de
Lyon de 2005), Paris, Pedone, 2006, p. 56-57, 64 et 69-72.
118CR 2000/26 du 13 novembre 2000, par. 10-14; CR 2000/27 du 13 novembre 2000,
par. 21, 23 et 29; CR 2000/30 du 16 novembre 2000, par. 4-5 et 10-11.
119CR 2000/29 du 14 novembre 2000, par. 6.23 ; CR 2000/31 du 17 novembre 2000,
par. 4.7.
120CR 2003/24 du 15 décembre 2003, par. 34-36 et 39; CR 2003/25 du 15 décembre
2003, par. 451.

151à l’information sur l’assistance consulaire dans le cadre des garanties

d’une procédure régulière (1999) lorsqu’elle a rendu ses arrêts dans les
affaires LaGrand (2001) et Avena (2004), bien qu’elle n’ait pas jugé bon
de mentionner ce précédent judiciaire pertinent, comme elle aurait dû le
faire les deux fois.
169. Dans le même esprit que l’avis consultatif novateur n 16 de la

CIDH, la CIJ a aussi identifié, en l’affaire LaGrand (arrêt du 27 juin 2001),
les «droits individuels» garantis par le paragraphe 1 de l’article 36 de la
convention de Vienne de 1963 (C.I.J. Recueil 2001, p. 494, par. 77). Mais
la Cour s’est arrêtée à mi-chemin dans son raisonnement, sans aller

jusqu’à intégrer ces droits individuels dans l’univers conceptuel des droits
de l’homme. Plus tard, en l’affaire Avena (arrêt du 31 mars 2004), la Cour
a lié les droits individuels garantis dans cette disposition aux obligations
correspondantes de l’Etat concerné (C.I.J. Recueil 2004 (I),p .,

par. 76).
170. Dans cette même affaire Avena, la Cour a dû répondre à la thèse
défendue par le Mexique — et tout à fait conforme à l’avis consultatif
n 16 de 1999 de la CIDH (supra) — selon laquelle:

«le droit de notification et de communication consulaires prévu par
la convention de Vienne est un droit de l’homme fondamental

faisant partie des droits de la défense (due process) en procédure
pénale et devant être garanti sur le territoire de chacune des parties
contractantes de la convention de Vienne; selon le Mexique, ce
droit, en tant que tel, est si fondamental que sa violation a ipso facto

pour effet de vicier l’ensemble de la procédure pénale conduite en
contravention dudit droit.» (Ibid., p. 60-61, par. 124.)

171. Après avoir résumé l’argument du Mexique fondé sur l’avis
consultatif n 16 de la CIDH, la Cour a reculé d’un pas lorsqu’elle a sou-
dainement ajouté, sur un ton assez dogmatique et autoritaire:

«Sans qu’il lui soit nécessaire de se prononcer sur la question de

savoir si le droit en cause est ou non un droit de l’homme, la Cour
fera observer que ni le texte ni l’objet et le but de la convention, ni
aucune indication qui figurerait dans les travaux préparatoires, ne
permettent d’arriver à la conclusion que le Mexique tire de cet argu-

ment.» (Ibid., p. 61, par. 124.)

La Cour a rapidement conclu, ex cathedra, que la conclusion du Mexique
ne pouvait en conséquence être accueillie (ibid., p. 61, par. 125).
172. Pourtant, si la Cour n’était pas prête à accueillir la thèse du Mexi-
que et estimait — pour des raisons qui m’échappent — qu’elle n’avait pas
besoin de se prononcer sur cette question, elle n’aurait pas dû s’exprimer

ainsi sans indiquer sur quelle base elle se fondait. L’autorité d’un argu-
ment est toujours plus persuasive que l’argument d’autorité. Le fait est
que l’affirmation de la Cour est, data venia, sans fondement. Elle ne

152résiste pas à un examen attentif, ni au regard du texte de l’article 36,
paragraphe 1, alinéa b), de la convention de Vienne de 1963, ni au regard

de son objet et de son but, ou de ses travaux préparatoires.

a) Le texte de la convention de Vienne de 1963

173. Selon le texte, il a déjà été indiqué que c’est l’individu qui est titu-
laire du droit à l’information sur l’assistance consulaire, comme il est pré-

cisé dans la dernière partie de l’article 36, paragraphe 1, alinéa b),dela
convention de Vienne de 1963 (supra). Le dernier membre de phrase de
cet alinéa ne laisse en effet aucun doute sur le fait que c’est l’individu, et
non l’Etat, qui est le titulaire du droit d’être informé sur l’assistance
consulaire. Quels que soient les liens qui existent entre cette disposition

et les obligations des Etats parties, il s’agit de toute évidence d’un droit
individuel. Toute violation de ce droit individuel met inévitablement en
danger la garantie d’une procédure régulière.
174. Comme l’a dit fort à propos la Cour interaméricaine dans son
o
avis consultatif n 16 de 1999,
«[l]e Pacte international relatif aux droits civils et politiques reconnaît
le droit à une procédure régulière (article 14), droit qui «découle de la

dignité inhérente à la personne humaine». Cet article énumère un cer-
tain nombre de garanties qui s’appliquent à «toute personne qui est
accusée d’une infraction pénale» et, à cet égard, il est conforme aux
principaux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme.

De l’avis de la Cour, pour qu’il y ait «procédure régulière», le
défendeur doit être en mesure d’exercer ses droits et de défendre ses
intérêts de façon effective et en pleine égalité procédurale avec les
autres défendeurs. Il est important de rappeler que le processus judi-
ciaire vise à assurer, autant que possible, le règlement équitable d’un

différend. L’ensemble des procédures de nature diverse que l’on
regroupe généralement sous l’appellation de procédure régulière a
pour unique but d’atteindre cet objectif. Pour protéger l’individu et
garantir la justice, de nouveaux droits procéduraux se sont graduel-

lement ajoutés au cours du développement historique du processus
judiciaire. Parmi ces nouveaux droits, on compte celui de ne pas
s’incriminer soi-même et de ne parler qu’en présence d’un avocat.
Ces deux droits sont déjà intégrés à la législation et à la jurispru-
dence des systèmes juridiques les plus avancés. Aussi l’ensemble de

garanties judiciaires prévues à l’article 14 du Pacte international rela-
tif aux droits civils et politiques a-t-il évolué peu à peu. C’est un
ensemble de garanties judiciaires auxquelles d’autres droits ou garan-
ties de même nature, inscrits dans différents instruments de droit

international, peuvent et doivent s’ajouter.
A cet égard, la Cour a jugé que les exigences procédurales qui doi-
vent être respectées pour que les garanties judiciaires soient effectives
et appropriées «visent à protéger, à garantir ou à affirmer un droit
ou son exercice» et sont «les conditions préalables nécessaires pour

153garantir la protection adéquate des personnes dont les droits ou les
obligations sont en instance devant les tribunaux».

Si l’on veut qu’il atteigne ses objectifs, le processus judiciaire doit
reconnaître et corriger les facteurs d’inégalité réelle entre les justicia-
bles, et reconnaître ainsi le principe d’égalité devant la loi et la justice et
le principe de non-discrimination qui en découle. L’existence de désa-
vantages réels appelle des mesures de compensation, qui aident à

réduire ou à éliminer les obstacles et les lacunes qui entravent ou rédui-
sent la possibilité de défendre effectivement ses intérêts. Sans de telles
mesures, largement reconnues aux différentes étapes de la procédure,
l’on pourrait difficilement dire que les personnes désavantagées ont

vraiment la possibilité d’obtenir justice et de bénéficier de la procédure
régulière sur un pied d’égalité avec les personnes qui ne le sont pas.
C’est la raison pour laquelle un interprète est présent lorsque l’ac-
cusé ne parle pas la langue de la Cour, et c’est pourquoi l’on accorde
au détenu étranger le droit d’être informé qu’il peut faire appel à

l’assistance de son consulat. Ces mesures permettent à l’accusé d’exer-
cer pleinement d’autres droits qui sont offerts à tous en vertu de la
loi. Tous ces droits sont inextricablement liés et forment l’ensemble
des garanties d’une procédure régulière.
Dans le cas sur lequel porte le présent avis consultatif, la situation

réelle des ressortissants étrangers qui font face à une procédure
pénale doit être prise en considération. Leurs droits les plus précieux
au regard de la loi, peut-être même leur vie, sont en jeu. En pareilles
circonstances, il est évident qu’être informé de son droit de contacter
un agent consulaire de son pays améliore considérablement les chan-

ces de l’accusé de se défendre, et la procédure, y compris l’enquête
policière, a plus de chances de se dérouler conformément à la loi et
dans le respect de la dignité de la personne humaine.
La Cour estime donc que le droit individuel analysé dans le pré-
sent avis consultatif doit être reconnu et doit compter parmi les

garanties minimales essentielles pour offrir aux ressortissants étran-
gers la possibilité de préparer adéquatement leur défense et de béné-
ficier d’un procès équitable.
L’insertion de ce droit dans la convention de Vienne sur les rela-
tions consulaires — et les discussions qui ont entouré la rédaction de

cette convention — témoignent du fait que, selon les rédacteurs de la
convention, le droit à l’information sur l’assistance consulaire est un
moyen de défense de l’accusé qui a des répercussions — parfois déci-
sives — sur l’exercice des autres droits procéduraux de l’accusé.
En d’autres termes, grâce au droit à l’information que l’individu

tient de l’article 36, paragraphe 1, alinéa b), de la convention de
Vienne sur les relations consulaires, le droit à une procédure régulière
garanti par l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils
et politiques peut avoir des effets pratiques dans des affaires concrè-

tes; les garanties minimales énoncées à l’article 14 du Pacte peuvent
être amplifiées à la lumière d’autres instruments internationaux

154 comme la convention de Vienne sur les relations consulaires, qui élar-

git la portée de la protection garantie aux accusés.» (Par. 116-124.)

b) L’objet et le but de la convention de Vienne de 1963

175. Quant à l’objet et au but de la convention de Vienne sur les rela-
tions consulaires, ils sont touchés, voire compromis, en cas de violation
du droit individuel à l’information sur l’assistance consulaire (alinéa b)

du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention). En effet, l’objet et le but
de la convention de Vienne de 1963 résident dans les intérêts communs de
tous les Etats parties, au sens où cette convention vise à garantir le res-

pect par les Etats parties de toutes les obligations qui y sont énoncées, y
compris celle de respecter le droit individuel en cause. En conséquence,
s’agissant de l’assistance consulaire, la préservation et le respect du droit

individuel à l’information sur cette assistance (alinéa b) du paragraphe 1
de l’article 36) sont essentiels si l’on doit réaliser l’objet et le but de la
convention de Vienne sur les relations consulaires.

c) Les travaux préparatoires de la convention de Vienne de 1963

176. Les travaux préparatoires de cette disposition de la convention de
Vienne de 1963 fournissent des indications précieuses à ce sujet. S’ils ont
été quelque peu négligés par la doctrine, ces travaux préparatoires ont été
o
étudiés de près dans le cadre de l’avis consultatif n 16 de 1999 de la Cour
interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) sur Le droit à l’informa-
tion sur l’assistance consulaire dans le cadre des garanties d’une procé-

dure régulière. Les conclusions formulées par la CIDH sur cette question
sont fondées sur une analyse approfondie des travaux préparatoires de la
convention de Vienne de 1963.

177. Outre les élémenos de ces travaux dont fait mention la CIDH dans
son avis consultatif n 16 de 1999 121(et également évoqués devant elle au
cours de la procédure 122), je crois bon d’ajouter, dans mon opinion indi-

viduelle en cette récente affaire Ahmadou Sadio Diallo dont la Cour vient
de connaître, les éléments ci-après, qui me paraissent pertinents pour la
compréhension de la question. Au cours des débats de la Conférence des

Nations Unies sur les relations consulaires tenue à Vienne en 1963, le
délégué de la Grèce (M. Spyridakis), par exemple, a déclaré que l’arti-
cle 36, paragraphe 1, alinéa b), de [ce qui était alors] le projet de conven-

tion avait pour but «d’établir une garantie additionnelle des droits de
l’individu et de renforcer l’idéal de l’humanisme» 12.

121Par. 90, notes 71-73.
122Voir, par exemple, CIDH, avis consultatif n 16, sur Le droit à l’information sur
l’assistance consulaire dans le cadre des garanties d’une procédure régulière (1999), série B
(Mémoires, plaidoiries et documents), 2000, p. 39, 66-67, 74, 88, 90-91, 93-94, 117, 129,
131, 146, 167 et 206-207.
123
Conférence des Nations Unies sur les relations consulaires (Vienne, 4 mars-22 avril
1963), vol. I — Nations Unies, Documents officiels, New York, 1963, p. 39.

155Soulignant la pertinence de cette disposition, il a ajouté que ce travail de

codification du droit international sur les relations consulaires avait pris
en compte la promotion et la protection des droits de l’homme et que
124
«les générations futures seraient reconnaissantes» à cet égard .
178. Le délégué australien (M. Woodberry), abondant dans ce sens, a

souligné pour sa part qu’il importait, dans le contexte de l’assistance
consulaire, d’assurer le respect des droits fondamentaux de l’individu, qui

découlaient d’un «principe sur lequel les Nations Unies étaient fon-
dées» 125. Le délégué de la Corée (M. Chin) a jugé pertinent de signaler
que le devoir de l’Etat de résidence au titre de l’article 36, paragraphe 1,

alinéa b), était «extrêmement important, puisqu’il était lié à l’un des
droits fondamentaux et indispensables de l’individu» 126.

179. Dans la même ligne de pensée, le délégué de la Tunisie (M. Bou-
ziri) a aussi relevé l’importance considérable de l’assistance consulaire, la

détention étant «une grave atteinte à la liberté et à la dignité de l’indi-
vidu»; les mesures prévues à l’article 36, paragraphe 1, alinéa b), du pro-

jet de convention étaient donc «nécessaires pour protéger les droits des
étrangers» 127. Le même argument a été avancé par les délégués du
Royaume-Uni (M. Evans) 128 et du Koweït (M. S. M. Hosni) 129. Le délé-

gué de la France (M. de Menthon) a souligné la nécessité de faire respec-
ter l’un des droits fondamentaux de l’individu et donc de renforcer
130
l’information sur l’assistance consulaire .
180. Le délégué de l’Espagne (M. Pérez Hernandez) considérait le droit

de recevoir de l’information sur l’assistance consulaire et de bénéficier, s’ils
le souhaitaient, d’une telle assistance comme «l’un des droits les plus sacrés
131
des résidents étrangers d’un pays» . Le délégué du Vietnam (M. Vu-Van-
Mau) a signalé que, en tant que titulaire du droit à l’information sur
l’assistance consulaire, c’était l’individu lui-même qui devait décider s’il

souhaitait ou non avoir recours à l’assistance de son consul: il s’agissait ici
des «droits de la personne détenue» . De même, le délégué de l’Inde

(M. Krishna Rao) a déclaré qu’il appartenait à l’individu concerné de déci-
der s’il souhaitait ou non se prévaloir de l’assistance consulaire . 133

181. Sur ce dernier point, les délégués de l’Equateur (M. Alva-
rado Garaicoa) 134 et de l’Ukraine (M. Zabigailo) 135 ont évoqué la Décla-

124 Conférence des Nations Unies sur les relations consulaires, op. cit. suprnote 123,
p. 339.
125 Ibid., p. 331-332.
126 Ibid., p. 338.
127
128 Ibid., p. 339.
Ibid., p. 339.
129 Ibid., p. 332.
130 Ibid., p. 38, 332 et 344.
131 Ibid., p. 332, et voir aussi p. 335 et 344.
132 Ibid., p. 37.
133 Ibid., p. 339, et voir p. 333.
134
135 Ibid., p. 333.
Ibid., p. 46.

156ration universelle des droits de l’homme de 1948. Le délégué de la Suisse

(M. Serra) s’est référé pour sa part, à propos de l’assistance consulaire, à
«la liberté de la personne humaine» et à «l’expression de la volonté de
l’individu», qu’il considérait comme les «principes fondamentaux» pris

en compte dans les «instruments conclus sous les auspices des Nations
Unies» 136. Il a insisté sur le fait que:

«[l]a délégation suisse était prête à accepter toute proposition qui
ferait mention du souhait librement exprimé de la personne intéres-
sée. Tel était l’objet de son amendement visant à ajouter un nouveau

paragraphe ... L’important était que le principe essentiel ... énoncé
dans un certain nombre de conventions bilatérales soit exprimé dans
le texte que la conférence était en train de rédiger. [La Suisse] ne

pourrait accepter une formulation qui ne mentionne pas la volonté
des personnes intéressées.» 137

d) Appréciation générale

182. Toutes les interventions évoquées plus haut, qui ont été faites à
une étape avancée des travaux préparatoires de la convention de Vienne

sur les relations consulaires de 1963 — qui, historiquement, ont précédé
de trois ans l’adoption des deux pactes des Nations Unies relatifs aux
droits de l’homme (le Pacte international relatif aux droits civils et poli-

tiques et le Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels) —,
indiquent que, dès cette époque, les délégations participantes étaient
conscientes de la nécessité d’inclure le droit à l’information sur l’assis-

tance consulaire dans l’univers conceptuel des droits de l’homme. Pas
moins de dix-neuf interventions ont été faites en ce sens au cours de la
conférence de Vienne de 1963.

183. En plus de ces interventions, le Haut Commissariat des Nations
Unies pour les réfugiés a présenté à la conférence un mémorandum dans
lequel il précisait que le projet d’article 36 du projet de convention était

l’une des deux dispositions du texte qui avaient une incidence directe sur
son activité, sous l’angle de la protection des droits des nationaux de
l’Etat d’envoi dans l’Etat de résidence 13. L’impératif de protection des

droits de l’homme était donc bien présent dans les esprits, même avant
l’adoption de la convention sur l’élimination de toutes les formes de dis-
crimination raciale en 1965 et des deux pactes des Nations Unies relatifs

136Conférence des Nations Unies sur les relations consulaires, op. cit.note 123,
p. 335.
137
Ibid., p. 335. Sur l’amendement suisse, voir Conférence des Nations Unies sur les
relations consulaires (Vienne, 4 mars-22 avril 1963), vol. II — Nations Unies, Documents
officiels, New York, 1963, p. 83. Dans le commentaire sur le projet d’article 36 du projet
de convention, on lit que, «[s]i les droits prévus au présent article doivent s’exercer
conformément aux lois et règlements de l’Etat de résidence, cela ne veut pas dire que ces
lois et règlements pourraient mettre à néant les droits dont il s’agit»; ibid., p. 25.
138Voir Nations Unies, doc. A/CONF.25/L.6, reproduit dans Conférence des Nations
Unies sur les relations consulaires, op. cit. supra note 137, p. 53.

157aux droits de l’homme en 1966 , dès le début de la phase législative qui

a vu la rédaction des traités des Nations Unies relatifs aux droits de
l’homme.
184. Cet impératif, de même que les conséquences juridiques de l’exa-
men de cette question dans le cadre de l’univers conceptuel des droits de

l’homme, étaient aussi présents, plus de trois décennies plus tard, dans
l’esprit de la CIDH, laquelle leur a donné la forme voulue dans son avis
consultatif n 16 sur Le droit à l’information sur l’assistance consulaire
dans le cadre des garanties d’une procédure régulière (1999) — renforcé
o
ensuite par son avis consultatif n 18 sur La situation juridique et les
droits des migrants sans papiers (2003) — qui a contribué de façon déci-
sive au processus d’humanisation du droit consulaire 139, bien au-delà de

sa dimension interétatique. o
185. L’avis consultatif n 16 de 1999 a été porté à l’attention de la CIJ
à l’occasion d’affaires dont elle a connu et a ouvert la voie au raisonne-
ment de la Cour dans les trois affaires Breard, LaGrand et Avena.C e

progrès dans l’humanisation du droit consulaire est sans nul doute irré-
versible. La conscience humaine, la conscience juridique universelle (en
tant que source matérielle ultime du droit international) ont vite été
éveillées à la nécessité de répondre à ce besoin pressant. La conscience

humaine est vite devenue attentive au besoin de protéger la personne
humaine dans toutes les circonstances, y compris lorsqu’elle est privée de
sa liberté personnelle à l’étranger. Ce caractère irréversible de l’humanisa-
tion du domaine de droit international qui nous intéresse, entre autres,

est rassurant.
186. Ce mouvement ne laisse place ni au recul ni à l’hésitation. L’exa-
men qui précède montre clairement que, contrairement à ce que la Cour

internationale de Justice a dit au paragraphe 124 (cit. supra, par. 171) de
son arrêt de 2004 en l’affaire Avena (dans lequel elle rejetait une conclu-
sion du Mexique), la question en cause — qui touche une disposition
d’une convention des Nations Unies de portée universelle comme la

convention de Vienne sur les relations consulaires de 1963 — est une
question que la Cour, en tant qu’organe judiciaire principal des Nations
Unies, doit effectivement juger ou trancher.
187. La Cour aurait pu le faire dans la présente affaire Ahmadou Sadio

Diallo — car la question a été soulevée devant elle au cours de la phase
orale de la procédure — mais elle a préféré traiter de façon assez som-
maire l’article 36, paragraphe 1, alinéa b), de la convention de Vienne

de 1963. D’autant plus — et encore une fois contrairement à ce que la
Cour a affirmé en 2004 dans l’affaire Avena — que le texte, aussi bien que
l’objet et le but de la convention de 1963, ainsi que plusieurs indications
des travaux préparatoires (supra), étayent à l’évidence le point de vue

139
Voir A. A. Cançado Trindade, «The Humanization of Consular Law: The Impact
of Advisory Opinion No. 16 (1999) of the Inter-American Court of Human Rights on
International Case Law and Practice», Chinese Journal of International Law , vol. 6
(2007), p. 1-16.

158(alors avancé par le Mexique sur la base de l’avis consultatif n 16 de

1999 de la CIDH) selon lequel le droit à l’information sur l’assistance
consulaire appartient à l’univers conceptuel des droits de l’homme et le
méconnaître revient inéluctablement à saper les garanties judiciaires et à
compromettre la régularité de la procédure.

188. Il ne convient pas que la Cour internationale de Justice continue
à cultiver, dans ses obiter dicta, l’atermoiement ou l’ambiguïté, comme
elle l’a fait au paragraphe 124 de son arrêt Avena de 2004. Bien plus, à
l’ère de la transparence et de l’Internet, tenter capricieusement de passer

sous silence ou de négliger la contribution d’autres tribunaux internatio-
naux contemporains au développement progressif du droit international
— au sens du progrès irréversible de son humanisation — revient à se

couvrir les yeux d’un fragile bandeau pour occulter la lumière pénétrante
du soleil.

IX. L A NOTION DE «SITUATION CONTINUE »:
LA PROJECTION DES VIOLATIONS DES DROITS DE HOMME DANS LE TEMPS

189. Après avoir examiné le contenu matériel des droits de l’homme

protégés dans le cas d’espèce, ainsi que la jurisprudence relative au droit
à l’information sur l’assistance consulaire dans l’univers conceptuel des
droits de l’homme, je peux maintenant examiner le point suivant, avant

de passer à la question du droit à réparation en l’affaire Ahmadou Sadio
Diallo. Je me permets maintenant d’aborder la notion de «situation
continue» dans le cadre de la projection des violations des droits de
l’homme dans le temps. Cette question n’a jusqu’à présent pas été résolue

de façon satisfaisante dans la doctrine et le droit international contem-
porains et exige en conséquence un examen attentif.
190. Nous avons déjà vu que la CADHP, en l’affaire Amnesty Inter-
national, Comité Loosli Bachelard, Lawyers Committee for Human Rights

et Association of Members of the Episcopal Conference of East Africa c.
Soudan (1999), a établi qu’il y avait eu «de sérieuses et constantes viola-
tions de l’article 6»140de la Charte africaine (par. 122, supra). Ce n’est

pas la seule apparition de la notion de «situation continue» dans la pra-
tique de la Commission.
191. Pour ne citer qu’un autre exemple, dans sa décision en l’affaire
L. Zegveld et M. Ephrem c. Erythrée (2003), la CADHP, après avoir jugé

que onze personnes avaient, depuis septembre 2001, été gardées en déten-
tion «au secret, sans aucun accès aux tribunaux, à des avocats ou à leurs
familles», a ajouté:

«Malheureusement, les droits de ces personnes continuent d’être

violés jusqu’à présent, comme elles sont encore gardées au secret, en

140
Les italiques sont de moi.

159 violation flagrante de leurs droits à la liberté et au recours à un pro-
141
cès équitable.»

192. De même, dans sa pratique, le Comité des droits de l’homme des
Nations Unies a reconnu l’existence de violations «continues» ou «per-
sistantes» des droits de l’homme au regard du Pacte international relatif

aux droits civils et politiques. Le Comité a également parlé d’«effets
continus» ou «persistants» de certaines violations des droits de l’homme
commises au regard du Pacte, à propos des difficultés qu’il avait parfois

rencontrées po142examiner ratione temporis certaines communications à
lui soumises . En fait, dans sa pratique, le Comité s’est montré très
conscient du facteur temps dans le règlement des affaires soulevant des

questions de compétence ratione temporis.
193. A cet égard, il peut également être fait mention de l’observation
générale n 26 (de 1997) du Comité, portant sur La continuité des obliga-
tions et l’incidence de cet aspect dans le droit des traités (par. 3). On peut
o
également mentionner l’observation générale n 31 (de 2004), dans la-
quelle le Comité s’est dit d’avis que le droit de l’individu à un recours utile

«p[ouvai]t dans certaines circonstances obliger l’Etat partie à prévoir
et à appliquer des mesures provisoires ou conservatoires pour éviter

la poursuite des violations et tenter de réparer au plus vite tout pré-
judice susceptible d’avoir été causé par de telles violations» 143.

194. Bref, lorsqu’il a, dans l’exercice de ses fonctions, interprété le

Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Comité a selon
moi bien identifié les dimensions temporelle et spatiale de la question et
toutes leurs conséquences. S’agissant du temps, le Comité a, par exemple,

fait siennes les notions de situation continue et d’effets persistants dans
son traitement des communications, et, dans certaines circonstances, la
notion de victime potentielle. S’agissant de l’espace, le Comité a approuvé

l’application extraterritoriale des droits protégés. L’examen de ce dernier
aspect dépasse cependant la portée de la présente opinion individuelle.
195. J’ai consacré une attention considérable à la notion de «situation
continue» dans ma récente opinion dissidente en l’affaire des Immunités

juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie) (demande reconvention-
nelle, ordonnance du 6 juillet 2010, C.I.J. Recueil 2010 (I) , p. 329), ques-
tion à laquelle j’ai consacré quatre sections (VII-X) de mon opinion,

notamment sur les aspects suivants: a) les origines de ce concept dans la
doctrine internationale (par. 60-64); b) sa configuration dans les affaires
litigieuses et la jurisprudence internationales, dans le droit international

141
142Par. 57; les italiques sont de moi.
Pour une évaluation récente, voir L. Hennebel, La jurisprudence du Comité des
droits de l’homme des Nations Unies — Le Pacte international relatif aux droits civils et
politiques et son mécanisme de protection individuelle , Bruxelles, Bruylant/Nemesis, 2007,
p. 374-381.
143Par. 19; les italiques sont de moi.

160public ainsi que dans le droit international des droits de l’homme (par. 65-

83); c) sa configuration dans les concepts juridiques internationaux
adoptés au plan normatif; et d) sa présence en l’instance. Je ne repren-
drai pas ici l’analyse déjà développée.
196. Je rappellerai seulement les considérations que j’ai présentées sur
la construction jurisprudentielle de la notion de «situation continue» par

les Cours européenne et interaméricaine des droits de l’homme (par. 73-
83). Les trois arrêts de la Cour interaméricaine dans l’importante affaire
Blake c. Guatemala (exceptions préliminaires, 2 juillet 1996; fond, 24 jan-
vier 1998; et réparations, 22 janvier 1999) et le récent arrêt de la

Grande chambre de la Cour européenne en l’affaire Varnava et autres
c. Turquie (18 septembre 2009) sont particulièrement instructifs à cet
égard. Il n’est pas du tout étonnant que la notion de «situation continue»
se soit développée particulièrement dans le domaine de la protection

internationale des droits de l’homme. Cette évolution importante de la
jurisprudence ne saurait aujourd’hui passer inaperçue à la CIJ.
197. Dans la présente affaire Ahmadou Sadio Diallo, la question qui
nous intéresse est abordée dans la déclaration commune de cinq membres
144
de la Cour annexée à l’arrêt. Je me sens obligé d’ajouter encore à ce
sujet une autre remarque, qui va dans le sens des observations déjà pré-
sentées dans cette section (IX) de mon opinion individuelle. Les préju-
dices subis par M. A. S. Diallo dans la présente affaire révèlent un nŒud

factuel, des éléments de fait indissociables, dans les arrestations et place-
ments en détention de 1988-1989 et de 1995-1996, avant l’expulsion de
M. Diallo de son pays de résidence en 1996. Ces préjudices, qui se sont
prolongés dans le temps, étaient contraires au droit applicable en l’espèce
(articles 9 et 13 du Pacte international relatif aux droits civils et politi-

ques, article 6 et paragraphe 4 de l’article 12 de la Charte africaine des
droits de l’homme et des peuples, alinéa b) du paragraphe 1 de l’arti-
cle 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires), interprété
conformément à l’herméneutique des traités des droits de l’homme.

198. Lorsqu’il a été arrêté et placé en détention, M. A. S. Diallo n’a
pas été informé des accusations portées contre lui et n’a pu se prévaloir
sans délai de son droit à l’information sur l’assistance consulaire. Les pré-
judices qu’il a subis ont été accompagnés d’arbitraire de la part des auto-

rités étatiques. De plus, il existait une chaîne de causalité, un nŒud causal,
dans cette séquence continue d’événements, dont il doit être tenu compte
(ce qui aura une incidence directe sur la réparation due à M. Diallo), élé-
ment que la majorité de la Cour n’a, malheureusement, pas pris en consi-

dération. La projection des droits de l’homme dans le temps soulève
également la question du déni prolongé d’accès à la justice.
199. Ce nŒud causal aurait pu au moins être considéré comme un élé-
ment de preuve présenté devant la Cour, mais la majorité de la Cour l’a

144Voir déclaration commune de MM. les juges Al-Khasawneh, Simma, Bennouna,
Cançado Trindade et Yusuf.

161tout simplement écarté 145. La Cour aurait pu — aurait dû à mon avis —

au moins prendre en considération les circonstances de l’arrestation et de
la détention de M. Diallo en 1988-1989 lorsqu’elle a examiné son arresta-
tion et sa détention en 1995-1996, avant qu’il ne soit expulsé de la RDC

en 1996. Si l’on garde à l’esprit les nŒuds factuel et causal susmentionnés,
il est difficile de nier qu’il y a eu une situation continue de violation des
droits individuels de M. A. S. Diallo (spécifiés supra) pendant la période

allant de 1988 à 1996.

X. L’ INDIVIDU EN TANT QUE VICTIME :
RÉFLEXIONS SUR LE DROIT À RÉPARATION

200. J’en viens maintenant à la question du droit à réparation dans la
présente affaire. En ce qui concerne les points 7 et 8 (obligation de four-
nir une réparation appropriée) du dispositif de l’arrêt de la Cour dans

cette affaire Ahmadou Sadio Diallo, sur lesquels j’ai donné mon accord,
je me sens obligé d’exprimer en outre ma préoccupation face au fait que
la réparation adéquate doit encore attendre la décision ultérieure de la

Cour à ce sujet (aux termes du point 7 du dispositif), au cas où les Parties
ne pourraient se mettre d’accord sur cette question dans les six mois sui-
vant l’arrêt. A mon avis, cette décision a les apparences d’une procédure
arbitrale, plutôt que vraiment judiciaire, ce qui me semble un peu préoc-

cupant.
201. Cette décision est particulièrement préoccupante si l’on tient
compte du temps qu’il a fallu à la Cour pour examiner cette affaire.

Depuis la requête introduite par la Guinée en 1998 jusqu’à la décision de
la Cour en 2007 sur les exceptions préliminaires, près d’une décennie s’est
écoulée 146. Par la suite, entre le dépôt du contre-mémoire de la RDC en

2008 jusqu’à la fin de la procédure orale en 2010, trois autres années ont
passé 147. Enfin, la Cour vient de rendre aujourd’hui, le 30 novembre
2010, son arrêt au fond.

202. La Cour a donc été saisie de la demande principale en l’affaire
Ahmadou Sadio Diallo pendant près de douze ans, de la fin de décembre
1998 à la fin de novembre 2010. On ne saurait guère nier que la procédure

a été lourde et prolongée, qu’elle a été spécialement exigeante du point de
vue du temps, pour des raisons que l’on ne peut attribuer à la Cour elle-
même, si l’on exclut le fait que la Cour semble avoir envisagé cette pro-

145Malgré ce qu’elle a partiellement reconnu au paragraphe 82 du présent arrêt.
146
La requête introductive d’instance de la Guinée a été déposée auprès de la Cour le
28 décembre 1998 et son mémoire, le 23 mars 2001. La RDC a élevé, le 3 octobre 2002,
des exceptions préliminaires auxquelles la Guinée a opposé sa déclaration écrite du 7 juil-
let 2003. Quatre ans plus tard, le 24 mai 2007, la Cour a rendu son arrêt sur les exceptions
pr147minaires.
Le contre-mémoire de la RDC est daté du 27 mars 2008, la réplique de la Guinée a
été déposée le 19 novembre 2008, et la duplique de la RDC le 5 juin 2009; les Parties ont
présenté leurs plaidoiries devant la Cour entre le 19 et le 29 avril 2010.

162cédure plutôt à la manière d’un tribunal arbitral — ce qu’il convient à

mon avis d’éviter, particulièrement lorsqu’il s’agit de réparation à raison
de violations des droits de l’homme . La Cour est maîtresse de sa compé-
tence et de sa procédure, et une prolongation déraisonnable des délais
doit être évitée.

203. En raison de la décision prise par la Cour au titre du point 8 du
dispositif de l’arrêt, la détermination de la réparation est reportée initia-

lement d’une période maximale de six mois. Cela ne me paraît pas rai-
sonnable, étant donné que le titulaire des droits violés en l’espèce n’est
pas l’Etat requérant, mais l’individu concerné, M. A. S. Diallo, qui est
également, en définitive, le bénéficiaire de la réparation. Il n’est donc que

normal de garder à l’esprit le droit à réparation de l’individu à la lumière
du droit applicable en l’espèce — à savoir le droit international des droits
de l’homme, plus particulièrement le Pacte international relatif aux droits

civils et politiques et la Charte africaine des droits de l’homme et des
peuples (en plus de la convention de Vienne sur les relations consulaires).

204. Cette question dépasse le domaine du droit procédural interna-

tional, et nous fait entrer dans le domaine de l’épistémologie juridique,
qui comprend notre propre conception du droit international à notre
époque. Ici, l’Etat requérant est le demandeur, mais la victime est l’indi-

vidu. L’Etat requérant demande réparation, mais le titulaire du droit à
réparation est l’individu dont les droits ont été violés. L’Etat requérant
n’a souffert aucun préjudice, mais plutôt des coûts et des dépens, lorsqu’il
a fait sienne la cause de son ressortissant à l’étranger. Le préjudice a été

subi par l’individu lui-même (qui a subi des arrestations et une détention
arbitraires ainsi que l’expulsion de l’Etat de résidence), et non par son
Etat de nationalité.

205. L’individu concerné est le début et la fin de la présente procédure
et sa saga n’a pas encore pris fin, en raison notamment de la prolongation
déraisonnable de la procédure devant la Cour. Ainsi qu’en témoigne mon
vote sur les différents points du dispositif, ces derniers m’ont inspiré des

sentiments mitigés, en raison du manque de cohérence du raisonnement
de la Cour sur les points successifs de sa décision. Il est temps que la
Cour surmonte les acrobaties intellectuelles découlant d’une confiance

indue dans la vieille fiction vattélienne, ranimée par la Cour 148manente
de Justice internationale dans la fiction Mavrommatis (qui n’est en
effet pas un principe, mais simplement une fiction largement dépassée).

148
Eo l’affaire des Concessioos Mavrommatis en Palestine (Grèce c. Royaume–Uni),
arrêt n 2, 1924, C.P.J.I. série A2, la Cour permanente de Justice internationale s’est
exprimée comme suit:
«C’est un principe élémentaire du droit international que celui qui autorise l’Etat à
protéger ses nationaux lésés par des actes contraires au droit international commis
par un autre Etat, dont ils n’ont pu obtenir satisfaction par les voies ordinaires. En
prenant fait et cause pour l’un des siens, en mettant en mouvement, en sa faveur,

163 206. La Cour ne peut continuer à raisonner dans les paramètres her-

métiques de la dimension exclusivement interétatique. La reconnaissance
du préjudice subi par l’individu (paragraphe 98 de l’arrêt) rend indéfen-
dable la vieille théorie de l’affirmation par l’Etat de ses «droits propres»,
avec l’approche volontariste qui la sous-tend. Le titulaire du droit à répa-

ration est l’individu qui a subi le préjudice et l’action de l’Etat dans le
cadre de la protection diplomatique vise à obtenir la réparation due à
l’individu concerné 149. L’action entreprise dans le cadre de la protection

diplomatique a pour but d’obtenir la réparation d’un préjudice, habituel-
lement déjà consommé, au détriment de l’individu; l’assistance et la pro-
tection consulaires, qui se rapprochent de nos jours beaucoup plus de la
protection des droits de l’homme, s’exercent d’une manière plutôt préven-

tive afin d’empêcher un préjudice probable ou nouveau pour l’individu
concerné. Cette affinité entre l’assistance et la protection consulaires
contemporaines et la protection des droits de l’homme est en grande par-

tie attribuable au sauvetage historique de l’individu, de la personne
humaine, en tant que sujet du droit international.
207. Si la Cour avait adhéré tout au long de son arrêt à l’herméneu-
tique des traités des droits de l’homme invoqués par les Etats en présence

tout au long de la procédure (supra), son arrêt aurait été beaucoup plus
cohérent et satisfaisant. En particulier, l’allongement déraisonnable de la
présentation de cette affaire devant la Cour et de son examen, s’ajoutant

maintenant à la prolongation du règlement de la réparation due à l’indi-
vidu concerné, met en lumière une préoccupation que j’ai soulevée plus
d’une fois devant la Cour: comme j’ai essayé de le démontrer, sous forme
de mise en garde, dans mon opinion dissidente (par. 46-64) en l’affaire

relative à des Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extra-
der (Belgique c. Sénégal) (mesures conservatoires, ordonnance du
28 mai 2009, C.I.J. Recueil 2009 , p. 139), ainsi que dans mon opinion

dissidente (par. 118) en l’affaire des Immunités juridictionnelles de l’Etat
(Allemagne c. Italie) (demande reconventionnelle, ordonnance du 6 juillet
2010, C.I.J. Recueil 2010 (1) , p. 329), le temps de la justice humaine
n’est pas du tout celui des êtres humains.

l’action diplomatique ou l’action judiciaire internationale, cet Etat fait, à vrai dire,
valoir son droit propre, le droit qu’il a de faire respecter en la personne de ses res-
sortissants le droit international.
Il n’y a donc pas lieu, à ce point de vue, de se demander si, à l’origine du litige, on
trouve une atteinte à un intérêt privé, ce qui d’ailleurs arrive dans un grand nombre
de différends entre Etats. Du moment que l’Etat prend fait et cause pour un de ses
nationaux devant une juridiction internationale, cette juridiction ne connaît comme
plaideur que le seul Etat.» (P. 12.)
149Voir S. Touzé, La protection des droits humains des nationaux à l’étranger — Recher-
ches sur la protection diplomatique , Paris, Pedone, 2007, p. 23, 228-229, 255-257, 319, 322-
324 et 453-456 ; et C. Santuli, «Entre protection diplomatique et action directe: la
représentation — Eléments épars du statut international des sujets internes», dans Société
française pour le droit international (SFDI), Le sujet en droit international (colloque du
Mans, 2004), Paris, Pedone, 2005, p. 93-95.

164 208. Dans la présente affaire Ahmadou Sadio Diallo, les critères adop-
tés par le Comité des droits de l’homme sur la question à l’examen peu-

vent fournir une indication à la Cour pour déterminer une réparation
appropriée pour les violations des droits garantis par le Pacte (supra)
subies par la victime. Cela peut prendre en définitive la forme d’un
dédommagement approprié (la restitutio in integrum étant peu probable)

— parmi d’autres formes de réparation (satisfaction, excuses publiques,
réhabilitation de la victime, garanties de non-répétition des actes préju-
diciels, entre autres) — pour les violations des droits visés, c’est-à-dire
dommages matériels et moraux, fixés dans une certaine mesure sur la
base de considérations d’équité.

209. Dans les affaires de cette nature, cette réparation doit être accor-
dée du point de vue de la victime , la personne humaine (ses demandes ori-
ginales, ses besoins et ses aspirations). Les réparations appropriées lors-
que les droits de l’homme sont en cause sont à examiner dans une

perspective plus large. La jurisprudence internationale la plus avancée en
ce qui concerne ces formes de réparation dans les affaires concernant les
violations des droits de l’homme (individuels et collectifs) est à l’heure
actuelle celle de la Cour interaméricaine des droits de l’homme (infra).
Puisqu’il s’agit ici du Pacte international relatif aux droits civils et poli-

tiques des Nations Unies, il suffira de rappeler pour l’instant que, adop-
tant un raisonnement analogue, le Comité des droits de l’homme, dans
son observation générale n 31 (2004) sur La nature de l’obligation juri-
dique générale (au titre de l’article 2) incombant aux Etats parties au

Pacte, a rappelé que le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte prévoyait le
versement de réparations aux individus dont les droits aux termes du
Pacte ont été violés, et il a noté à cet égard que les réparations pouvaient
prendre la forme de:

«restitution, réhabilitation, mesures pouvant donner satisfaction (ex-

cuses publiques, témoignages officiels), garanties de non-répétition
et modification des lois et pratiques en cause aussi bien que la tra-
duction en justice des auteurs de violations de droits de l’homme»
(par. 16).

210. Le paragraphe 5 de l’article 9 du Pacte international relatif aux
droits civils et politiques, déjà cité, stipule que «[t]out individu victime

d’arrestation ou de détention illégale a droit à réparation». J’ai déjà
insisté sur la nécessité de considérer l’article 9 du Pacte comme un tout
(par. 35-49, supra), notamment son paragraphe 5. Dans sa pratique,
lorsqu’il a constaté des violations de l’article 9 (et d’autres dispositions du

Pacte, comme par exemple l’article 13), le Comité des droits de l’homme
a accordé des dédommagements (une forme de réparation) selon la for-
mule générale suivante:

«En vertu de l’article 2 du Pacte, l’Etat partie est tenu de prendre
des mesures pour octroyer [au requérant] une réparation pour les
violations qu’il a subies.»

165 211. L’article 2 du Pacte énonce une obligation générale des Etats
parties 150, qui s’ajoute aux obligations spécifiques concernant chacun des

droits garantis par le Pacte. La formule générale citée plus haut permet
une certaine latitude dans la définition des mesures de dédommagement
ou d’autres formes de réparation accordées aux victimes. Le but final est

naturellement, lorsque cela est possible, la restitutio in integrum, mais,
lorsque cette dernière n’est pas possible, on doit avoir recours à d’autres

formes adéquates de réparation, comme je l’ai déjà indiqué.
212. En tout état de cause, et quelles que soient les circonstances, il

convient de rappeler que le devoir de réparation reflète un principe fon-
damental du droit international général, que la Cour permanente de

Justice internationale a rapidement saisi dès sa toute première jurispru-
dence, et que la CIJ a repris à son compte dans la sienne 151 . Cette obli-

gation de réparation est régie par le droit international sous tous ses
aspects (par exemple la portée, les formes et les caractéristiques de la

réparation, et ses bénéficiaires). En conséquence, le respect de cette
obligation ne peut faire l’objet de modification ou de suspension, en

quelque circonstance que ce soit, par les Etats défendeurs, sous prétexte
que leur droit interne l’interdit ou y fait obstacle 152 .

150
L’article 2 du Pacte relatif aux droits civils et politiques est ainsi libellé:
«1. Les Etats parties au présent Pacte s’engagent à respecter et à garantir à tous les

individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence les droits
reconnus dans le présent Pacte, sans distinction aucune, notamment de race, de
couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre
opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute
autre situation.

2. Les Etats parties au présent Pacte s’engagent à prendre, en accord avec leurs
procédures constitutionnelles et avec les dispositions du présent Pacte, les
arrangements devant permettre l’adoption de telles mesures d’ordre législatif ou
autre, propres à donner effet aux droits reconnus dans le présent Pacte qui ne
seraient pas déjà en vigueur.

3. Les Etats parties au présent Pacte s’engagent à:
a) Garantir que toute personne dont les droits et libertés reconnus dans le
présent Pacte auront été violés disposera d’un recours utile, alors même que

la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de
leurs fonctions officielles;
b) Garantir que l’autorité compétente, judiciaire, administrative ou législative,
ou toute autre autorité compétente selon la législation de l’Etat, statuera sur
les droits de la personne qui forme le recours et développer les possibilités de
recours juridictionnel;

c) Garantir la bonne suite donnée par les autorités compétentes à tout recours
qui aura été reconnu justifié.»
151 o o
Voir Usine de Chorzów, comoétence, arrêt n 8, 1927,oC.P.J.I. série A n 9,p.21;
Usine de Chorzów, fond, arrêt n 13, 1928, C.P.J.I. série A n 17,p.29; Interprétation des
traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, deuxième phase, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 1950 , p. 228, entre autres.
152 Voir Compétence des tribunaux de Dantzig, avis consultatif, 1928, C.P.J.I. série B
o
no 15, p. 26-27; «Communautés» gréco-bulgares, avis consultatif, 1930, C.P.J.I. série B
n 17,p.32et35; Zones franches de la Haute-Savoie et du Pays de Gex, ordonnance du
6 décembre 1930, C.P.J.I. série A n o 24, p. 12, et arrêt, 1932, C.P.J.I. série A/B no 46,

166 XI. P AR -DELÀ LA DIMENSION INTERÉTATIQUE :

LE DROIT INTERNATIONAL POUR LA PERSONNE HUMAINE

213. Dans la présente affaire Ahmadou Sadio Diallo, la protection

diplomatique a été invoquée à l’origine, compte tenu des droits de pro-
priété ou des investissements, mais la dynamique de l’affaire, au stade du
fond, a connu une transformation et l’affaire est finalement devenue — ce

qui est rassurant — une affaire de protection des droits de l’homme, des
droits inhérents à la personne humaine, concernant sa liberté et sa sécu-
rité juridique. Il est rassurant de constater que même un outil conçu dans

l’optique interétatique comme la protection diplomatique peut finalement
servir à garantir les droits de l’homme.
214. Il est difficile de dire si l’issue de la présente affaire correspond

aux motivations originales qui ont été à sa source. Le traitement de cha-
que affaire par la justice internationale a sa propre dynamique. Pourtant,
l’issue de la présente instance est effectivement de nature à rassurer, du
point de vue des droits protégés, et elle contient quelques enseignements

qui ne doivent pas être passés sous silence. Qu’il me soit permis de les
examiner brièvement dans ma propre perspective.
215. Pour commencer, l’on ne devrait pas tenter de raviver la protec-

tion diplomatique traditionnelle, qui est par nature inévitablement discré-
tionnaire, en sous-estimant la protection des droits de l’homme — ainsi
qu’il a été suggéré à la Commission du droit international (CDI)
153
en 2000 . A mon sens, le legs le plus précieux de la pensée juridique
internationale du XX siècle à celle du nouveau siècle est le sauvetage his-
torique de la personne humaine comme sujet de droits émanant directe-

ment du droit des gens, en tant que véritable sujet (et non seulement
«acteur») du droit international contemporain. L’émergence du droit
international des droits de l’homme a considérablement enrichi le droit

international contemporain, tant du point de vue du fond que du point
de vue de la procédure.
216. En deuxième lieu, une fois entrés dans l’univers conceptuel beau-

coup plus large (et plus satisfaisant et gratifiant) du droit international
des droits de l’homme, nous devons nous garder de toute perspective par-

p. 167; Traitement des nationaux polonais et des autres personnes d’origine ou de langue
polonaise dans le territoire de Dantzig, avis consultatif, 1932, C.P.J.I. série A/B n
p. 24.
153Cette suggestion visait à implanter l’idée que les recours offerts par les traités et les
instruments des droits de l’homme sont «faibles», alors que la protection diplomatique
offre un «recours plus effectif», étant donné que «la plupart des Etats» la traiteront
«plus sérieusement» qu’une plainte contre leur conduite introduite devant «un organe de
surveillance des droits de l’homme»; CDI, «Premier rapport sur la protection diploma-
tique» (rapporteur J. R. Dugard), Nations Unies, doc. A/CN.4/506 du 7 mars 2000,
par. 31. Cette suggestion élude simplement la question et fait fi des réalisations consi-
dérables accomplies au cours des dernières décennies dans le cadre du droit international
des droits de l’homme (notamment les changements remarquables apportés aux législa-

tions nationales et aux pratiques administratives de nombreux pays), réalisations qui
n’auraient jamais été possibles en vertu de la protection diplomatique discrétionnaire.

167tielle ou fragmentaire 154, comme celle qui a été proposée à la CDI il y a

une décennie, et selon laquelle,

«bien que la convention européenne de sauvegarde des droits de

l’homme et des libertés fondamentales puisse offrir de véritables
recours à des millions d’Européens, il est difficile de soutenir que la
convention américaine des droits de l’homme ou la Charte africaine

des droits de l’homme et des peuples aient atteint le même degré de
succès» 155.

217. Cette affirmation n’est tout simplement pas exacte. Si l’on peut
être facilement amené, sur la foi de données statistiques, à cette «conclu-
sion» hâtive, il convient selon moi de regarder les statistiques avec beau-

coup de prudence, voire d’esprit critique, car elles cachent au moins
autant qu’elles ne révèlent. Tous les progrès dans le domaine de la pro-
tection des droits de l’homme ne peuvent être quantifiés. Pour moi, la

qualité l’emporte sur la quantité. Personne ne souhaite contester les réa-
lisations considérables du système européen de protection des droits de

l’homme, dont témoigne sa vaste et remarquable jurisprudence, par
exemple sur le droit à la liberté et à la sécurité de la personne et le droit
à un procès équitable 156.

218. Rien ne justifie pourtant que l’on sous-estime ou minimise les
remarquables réalisations des systèmes interaméricain et africain de pro-
tection des droits de l’homme. Il est généralement reconnu aujourd’hui

que la jurisprudence la plus avancée en matière de réparations (sous dif-
férentes formes, y compris dans les affaires collectives) et en matière de

mesures conservatoires de protection (embrassant les membres de plu-
sieurs collectivités humaines) est celle de la Cour interaméricaine des
droits de l’homme 157. De même, la Commission africaine des droits de

154
Si l’on se laisse emprisonner dans le monde vattélien onirique des relations étatiques
exclusives, on est facilement amené à penser que, «tant que l’Etat demeure l’acteur domi-
nant des relations internationales», la protection diplomatique «reste le recours le plus
efficace pour promouvoir les droits de l’homme» (Nations Unies, doc. A/CN.4/506,
par. 32) — vision qui ne tient simplement pas la route. En effet, elle ne tient pas compte
des réalisations considérables auxquelles on a assisté dans le monde, ces dernières décen-
nies, au titre du droit international des droits de l’homme, réévalué par l’Organisation des
Nations Unies lors de sa deuxième Conférence mondiale sur les droits de l’homme

(V155ne, 1993).
156Voir ibid., par. 25.
Articles 5 et 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et
des libertés fondamentales.
157Soigneusement constituée, en particulier, pendant la période 1998-2006. Sur les
formes de réparation dans les affaires concernant des individus ou des victimes consi-
dérées en tant qu’individus (par opposition aux affaires concernant des membres de com-
munautés entières), voir les arrêts de la CIDH dans les affaires Loayza Tamayo c. Pérou
(27 novembre 1998), Suárez Rosero c. Equateur (20 janvier 1999), «Street Children» (Vil-

lagrán Morales et autres c. Guatemala) (26 mai 2001), Cantoral Benavides c. Pérou
(3 décembre 2001), Bámaca Velásquez c. Guatemala (22 février 2002), Hilaire, Benjamin
et Constantine et autres c. Trinité-et-Tobago (21 juin 2002), Myrna Mack Chang c. Gua-
temala (25 novembre 2003), Maritza Urrutia c. Guatemala (27 novembre 2003). Sur les

168l’homme et des peuples a connu d’affaires particulièrement graves (concer-
158
nant le droit fondamental à la vie lui-même et d’autres droits protégés)
dont on trouve peu de parallèles au sein des Nations Unies ou dans
d’autres régions.

219. Il faut donc éviter d’adopter la perspective euro-centrique tradi-
tionnelle si répandue dans l’étude du droit des gens du passé et si typique

de la vision statique des pseudo-«réalistes», et adopter plutôt une pers-
pective universaliste respectueuse non seulement de la procédure des
Nations Unies, mais également des systèmes régionaux de protection des

droits de l’homme, car ces derniers fonctionnent également dans le cadre
de l’universalité des droits de l’homme. La présente affaire Ahmadou
Sadio Diallo étaye cette position, car elle a été résolue par la Cour mon-

diale sur la base des dispositions pertinentes d’un instrument universel (le
Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations
Unies) et d’un instrument régional (la Charte africaine des droits de

l’homme et des peuples) et d’une convention de codification des Nations
Unies (la convention de Vienne sur les relations consulaires).

220. En troisième lieu, pour accorder une réparation adéquate aux vic-
times de violations des droits, nous devons entrer dans le domaine du
droit international des droits de l’homme, car nous ne pouvons demeurer

dans les confins stricts et à courte vue de la protection diplomatique, par
suite non seulement de sa nature inévitablement discrétionnaire, mais
également de sa dimension interétatique statique. Les réparations, en

l’espèce, exigent une interprétation de la conception du droit des gens
axée sur la personne humaine (pro persona humana) . Ce sont en effet les
personnes humaines, et non les Etats, qui sont en définitive les bénéficiai-

res des réparations pour les violations des droits de l’homme commises à
leurs dépens.

221. La fiction vattélienne de 1758 (exprimée dans la formule «Qui-
conque maltraite un citoyen offense indirectement l’Etat, qui doit proté-

formes de réparation dans les affaires concernant plusieurs victimes ou membres de com-
munautés entières, voir Aloeboetoe et autres c. Seriname (10 mars 1993), Commu-
nauté Mayagna (Sumo) Awas Tingni c. Nicaragua (1 février 2000), Massacre de Plan de
Sánchez c. Guatemala (19 novembre 2004), Communauté indigène Yakye Axa c. Para-
guay (17 juin 2005), Massacre de Mapiripán c. Colombie (15 septembre 2005), Massacre
de Pueblo Bello c. Colombie (31 janvier 2006), Communauté Moiwana c. Suriname
(8 février 2006), Communauté indigène Sawhoyamaxa c. Paraguay (20 mars 2006), Massa-
cres d’Ituango c. Colombie (1juillet 2006).
158Voir République démocratique du Congo c. Burundi, Rwanda et Ouganda (commu-
nication n 227/99). La Commission africaine fut à cette occasion saisie d’une communi-
cation interétatique dans une affaire concernant l’utilisation de la force armée par les

Etats défendeurs. Dans sa décision de mai 2003, elle a jugé les Etats défendeurs coupables
de violations des articles 2, 4, 5, 12 1) et 2), 14, 16, 17, 18 1) et 3), 19, 20, 21, 22 et 23 de
la Charte africaine. La Commission africaine a dit que «les meurtres, massacres, viols,
mutilations et autres graves abus des droits de l’homme commis alors que les forces
armées des Etats défendeurs occupaient toujours effectivement les provinces orientales de
l’Etat requérant» étaient également incompatibles avec le droit international humanitaire
(par. 79).

169ger ce citoyen» 15) a déjà joué son rôle dans l’histoire et l’évolution du

droit international. Le défi que doit aujourd’hui relever la Cour mondiale
est d’une nature différente et dépasse de loin cette dimension interéta-
tique. Pour le relever, la Cour doit être prête à explorer les moyens d’in-
corporer dans son modus operandi — à commencer par son propre
raisonnement — la reconnaissance de la consolidation de la person-

nalité juridique internationale de l’individu et l’affirmation graduelle de
sa capacité juridique internationale — de défendre les droits qui sont les
siens et non ceux de l’Etat — en tant que sujet de droit et porteur d’obli-
gations émanant directement du droit international, bref, en tant que

véritable sujet du droit international.

XII. O BSERVATIONS FINALES

222. Dans cette perspective et pour commencer à avancer en ce sens, la

Cour a eu raison, dans son arrêt en l’affaire Ahmadou Sadio Diallo,de
concentrer son attention plus particulièrement sur les violations des arti-
cles 9 et 13 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques des
Nations Unies et des articles 6 et 12, paragraphe 4), de la Charte africaine
des droits de l’homme et des peuples, aussi bien que de l’article 36, para-

graphe 1, alinéa b), de la convention de Vienne sur les relations consu-
laires. Ces violations concernent les droits de M. A. S. Diallo en tant
qu’individu et que personne humaine. Ses droits individuels en tant
qu’associé des deux entreprises ont été examinés par voie de conséquence,

parce qu’ils ont été également violés.
223. Le sujet des droits que la Cour a estimé violés par l’Etat défen-
deur en l’espèce n’est pas l’Etat requérant: le sujet de ces droits est
M. A. S. Diallo, un individu. Le moyen de défense initialement utilisé

(par l’Etat requérant) est la protection diplomatique, mais le droit subs-
tantiel applicable en l’espèce — tel qu’il a été précisé après l’adoption de
l’arrêt de 2007 de la Cour sur les exceptions préliminaires, au cours de la
procédure (écrite et orale) sur le fond — est le droit international des

droits de l’homme.

224. Chaque fois que la Cour s’est écartée, dans certains passages de
son arrêt, de l’herméneutique appropriée des traités des droits de l’homme,

elle s’est engagée dans des contradictions (par exemple dans les points 1,
5 et 6 du dispositif). Ces écarts ont révélé un raisonnement quelque peu
tortueux, qui aurait pu et aurait dû être évité. Une fois que le droit appli-
cable est identifié et correspond, comme en l’espèce, aux traités des droits
de l’homme, la Cour doit interpréter et appliquer ces derniers conformé-

ment à la règle générale d’interprétation des traités (article 31 des deux
conventions de Vienne sur le droit des traités de 1969 et 1986) compte
tenu de leur nature particulière.

159E. Vattel, Le droit des gens (1758), livre II, par. 71.

170 225. Après tout, les traités des droits de l’homme s’appliquent effecti-
vement dans le cadre des relations intra-étatiques (par exemple, en

l’espèce, les relations entre la RDC et M. A. S. Diallo). En interprétant et
en appliquant ces traités de façon appropriée, la Cour apporte sa pierre à
la capacité du droit international de réglementer les relations au niveau
tant intra- qu’interétatique. En l’instance, dans le cadre du droit interna-
tional des droits de l’homme, les Parties ont appuyé leur argumentation

sur les dispositions pertinentes de deux traités des droits de l’homme — le
Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies
et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples — de même
que sur la disposition de la convention de Vienne sur les relations consu-

laires (alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36) concernant un droit indi-
viduel interprété dans le cadre conceptuel des droits de l’homme.
226. La présente affaire concerne donc les droits de l’homme (droit à
la liberté et à la sécurité de sa personne; droit de ne pas être expulsé d’un
Etat sans base juridique; droit de ne pas être soumis à de mauvais trai-

tements; droit à l’information sur l’assistance consulaire dans le cadre des
garanties d’une procédure régulière), dont le titulaire est M. A. S. Diallo.
Si la Cour avait adopté l’herméneutique appropriée des traités des droits
de l’homme dans l’ensemble de son arrêt, elle serait fort probablement
parvenue à une conclusion distincte de celle qui figure aux points 1, 5 et

6 du dispositif et je n’aurais pas eu besoin de voter contre ces points.
227. Le fait que la procédure contentieuse devant la Cour continue
d’opposer exclusivement des Etats — non par nécessité intrinsèque, ni du
fait d’une impossibilité juridique d’adopter une autre forme — ne signifie
pas que le raisonnement de la Cour doive se développer dans une optique

essentiellement et exclusivement interétatique, surtout lorsque la Cour est
appelée à se prononcer, pour régler pacifiquement les différends, sur des
questions qui dépassent les intérêts des Etats en cause et qui concernent
les droits fondamentaux de la personne humaine, et même la commu-
nauté internationale dans son ensemble.

228. Les relations régies par le droit international contemporain, dans
différents domaines, transcendent dans une grande mesure la dimension
purement interétatique (par exemple la protection internationale des
droits de l’homme, l’environnement, le droit international humanitaire, le
droit international des réfugiés, le droit des institutions internationales,

entre autres) et la CIJ, qui est appelée à se prononcer sur ces relations,
n’est pas tenue de se limiter à une perspective interétatique anachronique.
Le caractère anachronique de son mode de fonctionnement ne doit pas,
et ne peut pas, conditionner son raisonnement si elle veut exercer fidèle-
ment et pleinement ses fonctions d’organe judiciaire principal des Nations

Unies.
229. Quoi qu’il en soit, le présent arrêt, en ce qui concerne du moins
les points 2, 3, 4 et 7 de son dispositif, avec lesquels je suis d’accord, cons-
titue une contribution valable de la jurisprudence de la Cour au règle-

ment de différends trouvant leur source au niveau intra-étatique, lorsque
les droits de l’homme sont en cause. C’est bien sur une affaire relative aux

171droits de l’homme que la CIJ a rendu son arrêt aujourd’hui, 30 novem-

bre 2010, en dépit de la procédure interétatique stricte et anachronique
qui a été suivie. Le fait que la CIJ ait enfin jugé une affaire relative aux
droits de l’homme est en soi particulièrement significatif à mes yeux.
230. La réalité dépasse en effet parfois les attentes. L’esprit humain ne
se laisse pas enfermer dans un carcan. Il ne faut pas perdre foi dans le

développement progressif du droit international malgré la tendance majo-
ritaire du monde juridique. Le fait que la CIJ ait connu d’une affaire rela-
tive aux droits de l’homme montre en outre que le droit international
contemporain s’est sensiblement développé, à telle enseigne que les Etats

eux-mêmes jugent bon d’utiliser une procédure contentieuse de cette
nature, initialement conçue en 1920 et confirmée en 1945 pour leur usage
propre et exclusif, afin d’obtenir de la Cour une décision sur les droits de
l’homme, sur des droits inhérents à la personne humaine, ontologique-

ment antérieure et supérieure à l’Etat.
231. Il s’agit en outre d’une reconnaissance claire et rassurante de
l’existence de valeurs communes et supérieures, que les Etats eux-mêmes
n’hésitent plus à reconnaître. Dans la présente affaire en tout cas, il est

tout à fait à l’honneur de la Guinée et de la RDC, deux Etats africains,
d’avoir montré l’exemple à suivre sous d’autres latitudes et sur d’autres
continents. Leur attitude est conforme à l’évolution du droit internatio-
nal pour la personne humaine (pro persona humana) du nouveau jus gen-
e
tium de ce début du XXI siècle.

XIII. V ERS UNE NOUVELLE ÈRE DE JUSTICE INTERNATIONALE
EN MATIÈRE DE DROITS DE L HOMME À LA CIJ

232. M’étant efforcé d’identifier les enseignements à tirer de la pré-
sente affaire Ahmadou Sadio Diallo (supra) , je ne peux conclure cette
opinion individuelle sans m’arrêter, dans un bref épilogue, sur sa trans-

cendance historique. L’affaire réglée aujourd’hui par la CIJ avait comme
demandeur un Etat et comme victime — et bénéficiaire de la répara-
tion — un individu. Ainsi que je l’ai dit au début de cette opinion indi-
viduelle, c’est la première fois dans son histoire que la Cour mondiale a

connu d’une affaire dans laquelle le droit applicable était constitué par
deux traités des droits de l’homme, l’un universel (le Pacte international
relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies) et l’autre régional
(la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples), en plus de la

disposition pertinente (alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36) de la
convention de Vienne sur les relations consulaires, qui appartient égale-
ment au domaine de la protection internationale des droits de l’homme.
233. Il est rassurant de constater que la cause de M. A. S. Diallo ait été
portée devant la Cour, à l’origine, au titre de l’exercice de la protection

diplomatique. La protection diplomatique, instrument traditionnel, n’a
servi qu’à cela, ce qui était tout à fait normal. La protection diplomatique
ne peut donner que ce qu’elle a. Elle est, après tout, aussi traditionnelle

172que la raison d’être de la procédure introduite devant la Cour. L’individu

continue de souffrir une capitis diminutio, puisqu’il doit continuer de
s’appuyer sur cet instrument traditionnel pour arriver jusqu’à la Cour,
alors qu’il a déjà locus standi in judicio et même jus standi devant d’autres
tribunaux internationaux contemporains. Il n’existe donc, du point de

vue épistémologique, aucun obstacle à la qualité d’agir ou au droit d’agir
des individus devant la Cour mondiale également; le seul élément man-
quant est le désir de faire en sorte que cela soit possible, étant donné
l’inertie qui continue de prévaloir dans les mentalités.

234. Néanmoins, l’affaire Ahmadou Sadio Diallo dont la Cour vient de
connaître apporte des éléments nouveaux qui sont de nature à rassurer: à
partir de la phase du fond (procédures écrite et orale), l’affaire Ahmadou
Sadio Diallo a été dans une grande mesure défendue et jugée dans le

cadre conceptuel du droit international des droits de l’homme. C’est ce
dernier, et non la protection diplomatique, qui est de nature à garantir les
droits des personnes en difficulté, socialement marginalisées ou exclues
ou extrêmement vulnérables.

235. La protection diplomatique a été exercée à l’origine, en l’espèce,
par la Guinée pour protéger un homme d’affaires prospère, qui avait pen-
dant de nombreuses années travaillé à s’enrichir et qui est tombé en dis-
grâce à l’étranger, dans le pays de résidence qu’il avait choisi, la RDC. La

protection diplomatique demeure essentiellement discrétionnaire et donc
limitée dans sa portée et ses possibilités. Qu’a fait la protection diploma-
tique pour protéger les droits de l’homme de millions de migrants avec et
sans papiers, qui s’efforcent de survivre par leur propre travail et qui sont

quotidiennement humiliés dans le monde entier? Pratiquement ri160
236. La seule protection que les «damnés de la Terre» ont trouvée
est celle que leur fournissent certains instruments et traités internationaux
relatifs aux droits de l’homme. Il faut donc cesser d’axer notre attention

sur les moyens inégaux dont disposent les Etats pour protéger leurs res-
sortissants à l’étranger, et essayer plutôt de satisfaire les besoins fonda-
mentaux de protection des oubliés de ce monde, les pauvres et les oppri-
més, qui ont déjà perdu toute foi dans la justice humaine. C’est là un

grand défi pour la justice internationale aujourd’hui, un défi qui ne peut
être efficacement relevé que dans le domaine du droit international des
droits de l’homme, par-delà la dimension purement interétatique.
237. De plus, c’est la première fois dans son histoire que la Cour mon-

diale a expressément pris en compte la contribution de la jurisprudence
de deux tribunaux internationaux des droits de l’homme, les Cours euro-
péenne et interaméricaine, à la lutte perpétuelle de l’être humain contre
l’arbitraire. La CIJ — et c’est tout à son honneur — l’a fait au paragra-

phe 68 du présent arrêt, concernant l’interprétation donnée par les Cours
européenne et interaméricaine respectivement de l’article 1 du protocole

160Pour paraphraser un humaniste du XX siècle, Frantz O. Fanon, Les damnés de la
terre, 1961.

173n 7 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et

des libertés fondamentales et de l’article 22, paragraphe 6, de la conven-
tion américaine des droits de l’homme, qu’elle a jugée compatible avec la
teneur du paragraphe 65 de son arrêt 161. Le paragraphe 65 concerne la

protection de la personne humaine c162re l’arbitraire, y compris l’inter-
diction de l’expulsion arbitraire .
238. La Cour a ainsi fait preuve d’un esprit nouveau à l’égard d’une
autre question pertinente. La coexistence de nombreux tribunaux inter-

nationaux, qui ouvre l’accès à la justice internationale à un nombre
croissant de justiciables dans le monde entier dans différents domaines
d’activité humaine, témoigne de la manière dont le droit international

contemporain s’est développé dans la recherche, déjà ancienne, de la
réalisation de la justice internationale. Les tribunaux internationaux
contemporains ont beaucoup à apprendre les uns des autres.

239. L’article 92 de la Charte des Nations Unies affirme que la CIJ
constitue «l’organe judiciaire principal des Nations Unies». De plus, l’arti-
cle 95 de la Charte permet aux Etats membres de confier la solution de
leurs différends «à d’autres tribunaux en vertu d’accords déjà existants ou

qui pourront être conclus à l’avenir». Nous vivons à l’ère des tribunaux
internationaux, phénomène extrêmement positif, car ce qui compte en défi-
nitive est d’élargir ou de faciliter l’accès à la justice au sens large, c’est-à-

dire notamment à la réalisation de la justice.
240. Des expressions trompeuses et délétères comme «prolifération
des tribunaux internationaux», «recherche du tribunal le plus favorable»

et «fragmentation du droit international» doivent être définitivement
rejetées, non seulement parce qu’elles sont superficielles (malgré la fasci-
nation regrettable qu’elles semblent exercer sur une partie nombreuse et
agitée de la profession juridique), mais également parce qu’elles n’appar-

tiennent pas du tout au vocabulaire du droit international. De plus, ces
expressions occultent l’enjeu véritable — à savoir les impératifs préémi-
nents de la justice. Les tribunaux internationaux contemporains doivent

accomplir leur mission commune — la réalisation de la justice interna-
tionale — en travaillant de concert, sans antagonisme, autosuffisance ni
recherche de la gloriole.

241. C’est un autre enseignement que l’on peut tirer du jugement
rendu dans la présente affaire Ahmadou Sadio Diallo. Il est de fait ras-
surant que la CIJ ait manifesté une nouvelle vision de cette question,
pour ce qui a trait aux tribunaux internationaux des droits de l’homme.

161Par référence aux dispositions correspondantes du Pacte relatif aux droits civils et
politiques et de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.
162D’une pertinence particulière pour une étude du droit à la liberté de circulation et de
résidence consacré à l’article 22 de la convention américaine des droits de l’homme sont
l’arrêt de la Cour interaméricaine du 15 juin 2005 en l’affaire Communauté Moiwana
c. Suriname (par. 107-121) et son ordonnance (sur des mesures conservatoires de protec-
tion) du 18 août 2000 en l’affaire Haïtiens et Dominicains d’origine haïtienne en Répu-
blique dominicaine (par. 9-11) et l’opinion concordante du juge A. A. Cançado Trindade
(par. 2-25).

174Cela est particulièrement important à une époque où les Etats s’appuient,

dans les conclusions qu’ils soumettent à la Cour, sur des dispositions per-
tinentes de conventions relatives aux droits de l’homme, comme l’ont fait
en l’espèce la Guinée et la RDC lorsqu’elles ont invoqué dans leur argu-

mentation le Pacte international relatif aux droits civils et politiques des
Nations Unies et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples
(en plus de la disposition pertinente de la convention de Vienne sur les

relations consulaires dans le cadre de la protection internationale des
droits de l’homme).
242. Cet exemple n’est pas le seul. Le 29 mai 2009, la CIJ a rendu son

ordonnance (sur des mesures conservatoires) en l’affaire relative à des
Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader , dans
laquelle la Belgique et le Sénégal ont présenté des conclusions fondées sur
l’interprétation et l’application des dispositions pertinentes de la conven-

tion des Nations Unies contre la torture de 1984. Il y a quelques jours à
peine, au cours des audiences tenues devant la Cour du 13 au 17 septem-
bre 2010, la Géorgie et la Fédération de Russie ont présenté leurs plai-

doiries en l’affaire concernant l’Application de la convention internatio-
nale sur l’élimination de toute forme de discrimination raciale , un autre
traité des Nations Unies relatif aux droits de l’homme. Il est bon que les

Etats commencent à invoquer devant la Cour des traités relatifs aux
droits de l’homme, ce qui annonce une nouvelle ère où la CIJ elle-même
pourrait connaître d’affaires relatives aux droits de l’homme. La cons-

cience juridique internationale s’est enfin éveillée à ce besoin.
243. Dans l’exercice de ses fonctions en matière contentieuse aussi bien
que consultative ces dernières années, la CIJ s’est reportée à des disposi-

tions pertinentes d’un traité relatif aux droits de l’homme comme le Pacte
international relatif aux droits civils et politiques ou aux travaux de son
organe de surveillance, le Comité des droits de l’homme 163. Ce fait ne

163Ainsi, en matière contentieuse, dans son arrêt en l’affaire des Activités armées sur le
territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda) (C.I.J. Recueil 2005,
p. 168), la Cour a dit que les dispositions du Pacte étaient applicables en l’instance. Peu
après, dans son arrêt en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la préven-
tion et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro)
(C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 43), la Cour a rappelé le libellé des articles 2 et 3 du Pacte
pour étayer son interprétation du sens du mot «s’engagent» figurant dans la convention
contre le génocide (article premier). En matière consultative, la CIJ a jugé, dans son avis
consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire pa-
lestinien occupé (C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 136), que le Pacte n’était pas suspendu de
façon inconditionnelle en période de conflit (par. 106) et s’appliquait en dehors du terri-
toire des Etats parties lorsque ceux-ci y exerçaient leur compétence, comme en témoignent

l’histoire législative du Pacte ainsi que la pratique constante du Comité des droits de
l’homme (par. 107-111 et 134). Antérieurement, dans son avis consultatif sur la Licéité de
la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires (C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 226), la CIJ avait
renvoyé à l’article 6 (relatif au droit à la vie) du Pacte. Très récemment, dans mon opinion
individuelle relative à l’avis consultatif de la Cour sur la Conformité au droit international
de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo (C.I.J. Recueil 2010 (II) ,
p. 403), j’ai jugé bon de rappeler l’article premier des deux pactes des Nations Unies rela-
tifs aux droits de l’homme ainsi que la position du Comité des droits de l’homme sur la

175saurait être oublié, au moment de saluer le point tournant que constitue

la présente affaire Ahmadou Sadio Diallo : la Cour, dans l’arrêt qu’elle
rend aujourd’hui, 30 novembre 2010, est allée bien plus loin, au-delà du
système des Nations Unies, lorsqu’elle a reconnu la contribution de la
jurisprudence de deux autres tribunaux internationaux, les Cours intera-

méricaine et européenne des droits de l’homme. La Cour a également
tenu compte de la contribution d’un organe international de supervision
des droits de l’homme, la Commission africaine des droits de l’homme et

des peuples. Ces trois systèmes régionaux fonctionnent dans le cadre de
l’universalité des droits de l’homme.
244. Les tribunaux internationaux contemporains doivent remplir leur
mission commune — qui est de réaliser la justice internationale — dans

un esprit de dialogue respectueux, en apprenant les uns des autres et en
gardant à l’esprit l’enseignement durable de Socrate, que Karl Popper a
compris de façon si perspicace au XX siècle:

«Toute solution d’un problème donne naissance à de nouveaux

problèmes qui exigent à leur tour solution ... Plus nous apprenons
sur le monde, et plus ce savoir s’approfondit, plus la connaissance de
ce que nous ne savons pas, la connaissance de notre ignorance prend
forme et gagne en spécificité comme en précision. Là réside en effet

la source majeure de notre ignorance: le fait que notre connaissance
ne peut être que finie, tandis que notre ignorance est nécessairement
infinie.» 164

245. En cultivant ce dialogue, attentifs les uns aux autres dans la réa-
lisation d’une mission commune, les tribunaux internationaux contem-

porains donneront non seulement aux Etats, mais également aux êtres
humains du monde entier, dans différents domaines du droit internatio-
nal, des raisons de reprendre confiance dans la justice humaine. Ce fai-

sant, ces tribunaux élargiront et renforceront la capacité du droit inter-
national contemporain de résoudre les différends survenant non seulement
au niveau interétatique, mais également au niveau intra-étatique. Ils aide-
ront ainsi les Etats et les êtres humains à atteindre l’objectif recherché par

tous: la réalisation de la justice.

(Signé) Antônio Augusto C ANÇADO T RINDADE .

succession automatique des Etats à l’égard des traités des droits de l’homme et sur
l’application extraterritoriale des droits de l’homme (p. 583, par. 154, et p. 599, par. 191).
164Karl Popper, Des sources de la connaissance et de l’ignorance , Paris, Payot et
Rivages, 1998, p. 150-151.

176

Bilingual Content

SEPARATE OPINION

OF JUDGE CANÇADO TRINDADE

TABLE OF CONTENTS

Paragraphs

I. PROLEGOMENA: THE SUBJECT OF THRIGHTS AND THEO BJECT OF
THE CLAIM 4-10

II. REFLECTIONS ON THAPPLICABLELAW IN THECAS D’ESPÈCE 11-32
1. Invocation and incidence of the 1966 UN Covenant on Civil

and Political Rights 11-23
2. Invocation and incidence of the 1981 African Charter on
Human and Peoples’ Rights 24-28
3. Invocation and incidence of the 1963 Vienna Convention on
Consular Relations 29-32

III. THE SAGA OF THESUBJECT OF THERIGHTS:C ONSIDERATIONS ON

THE VINDICATION OF THPROTECTEDR IGHTS 33-81
1. The right to liberty and security of person 35-55

(a) The arrests and detention of 1988-1989 35-49
(b) The arrests and detention of 1995-1996 50-55
2. The right not to be expelled from a State without a legal

basis 56-64
3. The right not to be subjected to mistreatment 65-74
4. The right to information on consular assistance in the frame-
work of the guarantees of the due process of law 75-81

IV. THEH ERMENEUTICS OFHUMAN R IGHTSTREATIES 82-92

V. T HEP RINCIPLE OHUMANITY INITSW IDED IMENSION 93-106

VI. THE PROHIBITION OARBITRARINESS IN THNTERNATIONAL LAW
OF H UMAN RIGHTS 107-142

1. The notion of arbitrariness 108-111
2. The position of the UN Human Rights Committee 112-116

3. The position of the African Commission on Human and

Peoples’ Rights 117-122
4. The jurisprudential construction of the Inter-American Court
of Human Rights 123-130
5. The jurisprudential construction of the European Court of
Human Rights 131-139

6. General assessment 140-142

VII. THEM ATERIALC ONTENT OF THP ROTECTEDRIGHTS 143-157

94 OPINION INDIVIDUELLE
DE M. LE JUGE CANÇADO TRINDADE

[Traduction]

TABLE DES MATIÈRES

Paragraphes

I. PROLÉGOMÈNES :LE SUJET DES DROITS ET L’OBJET DE LA DEMANDE 4-10

II. RÉFLEXIONS SUR LE DROIT APPLICABLE EN L ESPÈCE 11-32
1. Invocation et incidence du Pacte international relatif aux

droits civils et politiques des Nations Unies de 1966 11-23
2. Invocation et incidence de la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples de 1981 24-28
3. Invocation et incidence de la convention de Vienne sur les
relations consulaires de 1963 29-32

III. LA SAGA DU SUJET DES DROITS:CONSIDÉRATIONS SUR LA DÉFENSE DES
DROITS PROTÉGÉS 33-81

1. Le droit à la liberté et à la sécurité de la personne 35-55
a) Les arrestations et la détention de 1988-1989 35-49
b) Les arrestations et la détention de 1995-1996 50-55

2. Le droit de ne pas être expulsé d’un Etat sans base juridique 56-64

3. Le droit de ne pas être soumis à de mauvais traitements 65-74
4. Le droit à l’information sur l’assistance consulaire dans le
cadre des garanties d’une procédure régulière 75-81

IV. L’ HERMÉNEUTIQUE DES TRAITÉS RELATIFS AUX DROITS DE L HOMME 82-92

V. L E PRINCIPE DHUMANITÉ AU SENS LARGE 93-106

VI. L’ INTERDICTION DE L ARBITRAIRE DANS LE DROIT INTERNATIONAL
DES DROITS DE L HOMME 107-142

1. La notion d’arbitraire 108-111
2. La position du Comité des droits de l’homme des Nations
Unies 112-116
3. La position de la Commission africaine des droits de
l’homme et des peuples 117-122
4. La jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de
l’homme 123-130

5. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l’homme 131-139
6. Appréciation générale 140-142

VII. L E CONTENU MATÉRIEL DES DROITS PROTÉGÉS 143-157

94 1. The right to liberty and security of person 145-147
2. The right not to be expelled from a State without a legal

basis 148-152
3. The interrelationship between the protected rights 153-157

VIII. THE URISPRUDENTIALC ONSTRUCTION OF THR IGHT TONFORMA -
TION ONCONSULAR A SSISTANCE IN TCEONCEPTUALU NIVERSE OF
HUMAN RIGHTS 158-188

1. The individual right beyond the Inter-State dimensio158-162
2. The humanization of consular law 163-166

3. The irreversibility of the advance of humanization 167-188
(a) The text of the 1963 Vienna Convention 173-174
(b) The object and purpose of the 1963 Vienna Conven-

tion 175
(c) The travaux préparatoires of the 1963 Vienna Conven-
tion 176-181
(d) General assessment 182-188

IX. THE N OTION OF“CONTINUING SITUATIO”: THE P ROJECTION OF

HUMAN RIGHTSV IOLATIONS ITIME 189-199

X. T HE NDIVIDUAL ASVICTIM:REFLECTIONS ON THR IGHT TOREPA-
RATION 200-212

XI. BEYOND THE INTER-TATE D IMENSIO:INTERNATIONAL LAW FOR
THEH UMAN PERSON 213-221

XII. CONCLUDING OBSERVATIONS 222-231

XIII. EPILOGUE:TOWARDS A NEW E RA OF NTERNATIONAL A DJUDIC-
TION OFHUMAN R IGHTSC ASES BY THICJ 232-245

*

1. This is the first time in its history, to the best of my knowledge, that
the International Court of Justice has established violations of the two

human rights treaties at issue, together, namely, at universal level, the
1966 UN Covenant on Civil and Political Rights and, at regional level,
the 1981 African Charter on Human and Peoples’ Rights both in the

framework of the universality of human rights: I fully concur with the
Court’s decision in this respect, as well as in respect of the established
breach of the 1963 Vienna Convention on Consular Relations (Arti-

cle 36 (1) (b)), as set forth in the resolutory points 2, 3 and 4 of the dis-
positif of the present Judgment.
2. Yet, pursuing a distinct rationale, the Court’s majority came to an

entirely different conclusion in other aspects of the present case (reso-
lutory points 1, 5 and 6 of the dispositif). In relation to these other
aspects, I regret not to be able to concur with the conclusions of the

Court’s majority. In this connection, a point has already been made in a

95 1. Le droit à la liberté et à la sécurité de la personne 145-147
2. Le droit de ne pas être expulsé d’un Etat sans base juri-

dique 148-152
3. La relation entre les droits protégés 153-157

VIII. D ÉVELOPPEMENT DE LA JURISPRUDENCE RELATIVE AU DROIT À ’NFOR -
MATION SUR L’ASSISTANCE CONSULAIRE DANS L ’UNIVERS CONCEPTUEL
DES DROITS DE L’HOMME 158-188

1. Le droit individuel par-delà la dimension interétatique 158-162
2. L’humanisation du droit consulaire 163-166
3. Le caractère irréversible du progrès de l’humanisation 167-188

a) Le texte de la convention de Vienne de 1963 173-174
b) L’objet et le but de la convention de Vienne de 1963 175

c) Les travaux préparatoires de la convention de Vienne de

1963 176-181
d) Appréciation générale 182-188

IX. L A NOTION DE «SITUATION CONTINUE »: LA PROJECTION DES VIOLA -
TIONS DES DROITS DE L’HOMME DANS LE TEMPS 189-199

X. L’ INDIVIDU EN TANT QUE VICTIME : RÉFLEXIONS SUR LE DROIT À
RÉPARATION 200-212

XI. P AR-DELÀ LA DIMENSION INTERÉTATIQUE :LE DROIT INTERNATIONAL

POUR LA PERSONNE HUMAINE 213-221

XII. O BSERVATIONS FINALES 222-231

XIII. V ERS UNE NOUVELLE ÈRE DE JUSTICE INTERNATIONALE EN MATIÈRE
DE DROITS DE L’HOMMEÀLA CIJ 232-245

*

1. C’est, à ma connaissance, la première fois au cours de son histoire
que la Cour internationale de Justice établit qu’il y a eu violation des

deux traités des droits de l’homme en cause, à savoir, au plan universel, le
Pacte relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies de 1966 et,
au plan régional, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples
de 1981, tous deux dans le cadre de l’universalité des droits de l’homme.

Je souscris tout à fait à la décision de la Cour à cet égard, de même qu’à
l’égard de la violation qu’elle a établie de la convention de Vienne sur les
relations consulaires de 1963 (article 36, paragraphe 1, alinéa b)), déci-

sion énoncée aux points 2, 3 et 4 du dispositif du présent arrêt.
2. Pourtant, s’appuyant sur un raisonnement distinct, la majorité de la
Cour est parvenue à une conclusion entièrement différente sur d’autres

aspects de l’affaire (points 1, 5 et 6 du dispositif). S’agissant de ces autres
aspects, je regrette de ne pouvoir donner mon accord sur les conclusions
de la majorité de la Cour. A cet égard, la déclaration commune de cinq

95joint declaration of five Members of the Court , appended to the present

Judgment, as to the right to liberty and to security of person (added to
the right not to be expelled from a State without a legal basis).
3. In addition thereto, and in relation to other matters dealt with in

the present Judgment of the Court in the Ahmadou Sadio Diallo case
(Republic of Guinea v. Democratic Republic of the Congo) , I thus feel it
my duty to present, in this separate opinion, the foundations of my own
personal position on them. Before embarking on this presentation, I shall

preliminarily draw attention briefly to one significant feature — as I per-
ceive it — of the cas d’espèce, as presented to the Court by the contend-
ing Parties themselves, in relation to the subject of the rights and the

object of the claim in the cas d’espèce.

I. PROLEGOMENA :

T HE SUBJECT OF THE R IGHTS AND THE O BJECT OF THE C LAIM

4. The present case, opposing the Republic of Guinea to the Demo-

cratic Republic of the Congo, concerns, in reality, the individual rights of
Mr. A. S. Diallo, as set forth in the 1966 UN Covenant on Civil and
Political Rights and in the 1981 African Charter on Human and Peoples’

Rights, namely, and mainly, the right to liberty and security of pers2n,
and the right not to be expelled from a State without a legal basis .I t
further concerns his individual right to information on consular assist-
ance in the framework of the guarantees of the due process of law, as

enshrined into the 1963 Vienna Convention on Consular Relations. The
violations complained of are those of the rights set forth in Articles 9,
paragraphs (1) to (4), and 13, of the Covenant, and in Articles 6 and

12 (4) of the African Charter, and in Article 36 (1) (b) of the 1963 Vienna
Convention.

5. The two contending States are both parties to the aforementioned
treaties: Guinea is party to the Covenant on Civil and Political Rights
since 24 January 1978, and to the African Charter since 16 February
1982, and the DRC is party to the Covenant since 1 November 1976, and

to the African Charter since 20 July 1987. They are both, likewise, parties
to the 1963 Vienna Convention: Guinea is party to it since 30 June 1988,
and the DRC since 15 July 1976. The present case is, thus, significantly,

an inter-State contentious case before the International Court of Justice ,
pertaining entirely to the rights of the individual concerned (Mr. A. S.
Diallo), and the legal consequences of their alleged violation, under a UN

human rights treaty, a regional human rights treaty, and a UN codifica-

1Cf., joint declaration of Judges Al-Khasawneh, Simma, Bennouna, Cançado Trin-
dade and Yusuf.
2The complaints arise out of the successive arrests and detentions of Mr. A. S. Diallo
in DRC in 1988-1989 and in 1995-1996, as well as his expulsion from the DRC in 1996.

96membres de la Cour 1 annexée à l’arrêt fait déjà état d’une position

concernant le droit à la liberté et à la sécurité de la personne (qui s’ajoute
au droit de ne pas être expulsé d’un Etat sans base juridique).
3. En sus de cette position et s’agissant d’autres questions examinées
dans l’arrêt de la Cour, j’estime donc de mon devoir de présenter dans la

présente opinion individuelle les raisons sur lesquelles se fonde ma posi-
tion personnelle sur ces questions. Avant d’entamer mon exposé, je tiens
d’abord à appeler brièvement l’attention sur un aspect important — selon

moi — de l’affaire Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. Répu-
blique démocratique du Congo) , tel qu’il a été présenté à la Cour par les
Parties au litige elles-mêmes, concernant le sujet des droits et l’objet de la
demande.

I. P ROLÉGOMÈNES :

LE SUJET DES DROITS ET L ’OBJET DE LA DEMANDE

4. La présente affaire Ahmadou Sadio Diallo, qui oppose la Républi-
que de Guinée à la République démocratique du Congo, concerne en réa-

lité les droits individuels de M. A. S. Diallo, tels qu’ils sont définis dans le
Pacte relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies de 1966 et la
Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981, à savoir,
principalement, le droit à la liberté et à la sécurité de la personne et le
2
droit de ne pas être expulsé d’un Etat sans base juridique . Cette affaire
concerne en outre le droit individuel à l’information sur l’assistance
consulaire dans le cadre des garanties d’une procédure régulière, consacré

par la convention de Vienne sur les relations consulaires de 1963. Les
droits dont la violation a été alléguée sont ceux qui sont énoncés à l’ar-
ticle 9, paragraphes 1 à 4, et à l’article 13 du Pacte, à l’article 6 et à
l’article 12, paragraphe 4, de la Charte africaine, ainsi qu’à l’article 36,

paragraphe 1, alinéa b), de la convention de Vienne de 1963.
5. Les deux Etats en litige sont parties aux traités susmentionnés: la
Guinée est partie au Pacte sur les droits civils et politiques depuis le

24 janvier 1978 et à la Charte africainerdepuis le 16 février 1982, et la
RDC est partie au Pacte depuis le 1 novembre 1976 et à la Charte afri-
caine depuis le 20 juillet 1987. Les deux Etats sont également parties à la
convention de Vienne de 1963: la Guinée depuis le 30 juin 1988 et la

RDC depuis le 15 juillet 1976. La présente affaire est donc — et cela est
important — une affaire contentieuse interétatique soumise à la Cour
internationale de Justice , concernant entièrement les droits de l’individu

concerné (M. A. S. Diallo) et les conséquences juridiques des violations
alléguées de ces droits, au titre d’un traité des Nations Unies relatif

1 Voir la déclaration commune des juges Al-Khasawneh, Simma, Bennouna, Cançado
Trindade et Yusuf.
2 Les plaintes découlent des arrestations et mises en détention répétées de M. A. S. Diallo
en RDC en 1988-1989 et en 1995-1996, ainsi que de son expulsion de la RDC en 1996.

96tion Convention. This is a significant feature of the present case, unique
in the history of the ICJ.

6. Once identified the subject of the rights and the object of the claim
in the cas d’espèce, I purport, in the paragraphs that follow, to address,
in logical sequence, some interrelated points. First, I shall focus on the

identification of the applicable law in the cas d’espèce, with particular
attention to the invocation and the incidence of the relevant provisions of
the 1966 UN Covenant on Civil and Political Rights and of the 1981
African Charter on Human and Peoples’ Rights, in addition to the rele-

vant provision of the 1963 Vienna Convention on Consular Relations.

7. Secondly, I shall turn attention to the saga of the subject of rights
(Mr. A. S. Diallo) in the cas d’espèce. I shall concentrate my considera-
tions on the vindication of the protected rights under those three treaties,

namely, the right to the liberty and security of person, the right not to be
expelled from a State without a legal basis, the right not to be subjected
to mistreatment, and the right to information on consular assistance in
the framework of the guarantees of the due process of law.
8. Thirdly, I shall dwell upon the hermeneutics of human rights trea-

ties (in so far as it has a bearing on the resolution of the cas d’espèce),
and, fourthly, I shall then concentrate my attention on the principle of
humanity, as I understand it, in its wide dimension. Fifthly, my next set
of considerations will focus on the key issue of the prohibition of arbi-
trariness in the international law of human rights, wherein I shall review

and assess the position of the UN Human Rights Committee and of the
African Commission on Human and Peoples’ Rights, and the jurispru-
dential construction of the Inter-American and the European Courts of
Human Rights.
9. Sixthly, in sequence, I shall examine the material content of the pro-

tected rights under the present Judgment (right to liberty and security of
person, and right not to be expelled from a State without a legal basis), as
well as the jurisprudential construction of the right to information on
consular assistance in the conceptual universe of human rights. In respect
of this latter, I shall dwell upon the individual right to information on

consular assistance beyond the inter-State dimension, and examine and
assess the process of humanization of consular law in this connection (as
I perceive it), and what I consider the irreversibility of such advance of
humanization.
10. Seventhly, I shall examine the notion of “continuing situation”, in

the light of the projection of human rights violations in time. This will be
followed, eighthly, by my reflections on the individual as victim and titu-
laire of the right to reparation, and, ninthly, by a brief presentation of
my outlook of international law for the human person, beyond the inter-

State dimension. The path will then have been paved for the presentation
of my concluding observations, and a brief epilogue on the move — as I

97aux droits de l’homme, d’un traité régional relatif aux droits de l’homme
et d’une convention de codification des Nations Unies. C’est là un

aspect important de la présente affaire, qui est unique dans l’histoire de la
Cour.
6. Après avoir identifié le sujet des droits et l’objet de la demande en
l’espèce, je me propose d’examiner dans les paragraphes qui suivent,
selon un enchaînement logique, certains points liés entre eux. En premier

lieu, je m’arrêterai à l’identification du droit applicable en l’espèce, en
axant particulièrement mon attention sur l’invocation et l’incidence des
dispositions pertinentes du Pacte relatif aux droits politiques et civils des
Nations Unies de 1966 et de la Charte africaine des droits de l’homme et

des peuples de 1981, en plus de la disposition pertinente de la convention
de Vienne sur les relations consulaires de 1963.
7. En deuxième lieu, je m’intéresserai à la saga du sujet des droits en l’ins-
tance (M. A. S. Diallo), en particulier à la défense de ses droits protégés
par les trois traités, à savoir le droit à la liberté et à la sécurité de sa per-

sonne, le droit de ne pas être expulsé d’un Etat sans base juridique, le
droit de ne pas être soumis à de mauvais traitements et le droit à l’infor-
mation sur l’assistance consulaire dans le cadre des garanties d’une pro-
cédure régulière.
8. En troisième lieu, j’examinerai l’herméneutique des traités des droits

de l’homme (dans la mesure où elle a une incidence sur le règlement du
différend) et, en quatrième lieu, j’axerai mon attention sur le principe
d’humanité, tel que je l’interprète, au sens large. En cinquième lieu, mes
réflexions porteront sur la question essentielle de l’interdiction de l’arbi-
traire dans le droit international des droits de l’homme, à propos de

laquelle j’examinerai et apprécierai les positions du Comité des droits de
l’homme des Nations Unies et de la Commission africaine des droits de
l’homme et des peuples, ainsi que l’édifice jurisprudentiel des Cours inter-
américaine et européenne des droits de l’homme.
9. En sixième lieu, j’examinerai tour à tour le contenu matériel des

droits protégés dans le présent arrêt (droit à la liberté et à la sécurité de la
personne et droit de ne pas être expulsé d’un Etat sans base juridique),
ainsi que la jurisprudence relative au droit à l’information sur l’assistance
consulaire dans l’univers conceptuel des droits de l’homme. A ce sujet, je
m’attarderai plus longuement sur le droit individuel à l’information sur

l’assistance consulaire par-delà la dimension interétatique et j’examinerai
et apprécierai le processus d’humanisation du droit consulaire à cet égard
(tel que je le perçois) et ce que je considère comme le caractère irréversible
de cette humanisation.
10. En septième lieu, je traiterai la notion de «situation continue» à la

lumière de la projection des violations des droits de l’homme dans le
temps. Cet examen sera suivi, en huitième lieu, de réflexions sur l’individu
en tant que victime et titulaire du droit à la réparation et, en neuvième
lieu, d’un exposé succinct de mon point de vue sur le droit international

pour la personne humaine , par-delà la dimension interétatique. J’aurai
ainsi préparé la voie à l’exposé de mes observations finales et à un bref

97perceive it — towards a new era of international adjudication of human

rights cases by the ICJ.

II. REFLECTIONS ON THE A PPLICABLE L AW IN THE CAS D ’ESPÈCE

1. Invocation and Incidence of the 1966 UN Covenant on
Civil and Political Rights

11. Throughout the whole proceedings of the Diallo case, the relevant
provisions of the 1966 UN Covenant on Civil and Political Rights

marked presence, at the written and oral phases, and formed object of the
submissions of the contending Parties. This remarkable feature of the cas
d’espèce before the International Court of Justice is not to be underesti-
mated. Already in its Application instituting proceedings of 28 December

1998, the Applicant State contended that under the Covenant on Civil
and Political Rights, together with the 1948 Universal Declaration of
Human Rights, “no one may be arrested or detained unless proved guilty
according to law by an impartial tribunal acting with regard for the pre-

sumption of innocence and the rights of the defence” (p. 29 in fine).

12. In its Memorial (of 23 March 2001), Guinea invoked the “relevant

principles” applicable in case of “arbitrary arrest and detention and
expulsion”, as enshrined in Articles 9 (1) and 13 of the Covenant on Civil
and Political Rights (paras. 3.6 and 3.33). On its part, the Respondent
State, the DRC, in its Counter-Memorial (of 27 March 2008), addressed
the point at issue (para. 1.03), challenging the alleged breaches of Articles 9

and 13 of the Covenant (paras. 1.24-1.31). Shortly afterwards, in its
Reply (of 19 November 2008), Guinea dwelt upon the point at issue, at
greater length, elaborating further on its submissions of violations — on
the part of the DRC — of Articles 9 (1) to (4) of the Covenant.

13. This occurred, in Guinea’s view, on account of the arrests and
detentions of Mr. A. S. Diallo in 1988-1989 and in 1995-1996, expressly
referred to (paras. 1.17-1.48), which Guinea regarded as arbitrary, as the

alleged victim was not informed of the reasons for his arrests and deten-
tions and the charges against him, nor brought before a judge or a court
to decide on their lawfulness within a reasonable time. Furthermore,
Guinea sustained that the expulsion of the original complainant from the

DRC in 1996 was effected not in conformity with the Covenant on Civil
and Political Rights (Article 12 (4)), nor with the African Charter on
Human and Peoples’ Rights (Article 12 (2)) (paras. 1.60-1.90).

14. On its part, in its Rejoinder (of 5 June 2009), the DRC contro-
verted the Applicant State’s submission that it had breached Article 9 (1)
to (4) of the Covenant (paras. 1.18-1.35 and 1.39), also expressly referring

98épilogue sur l’évolution vers une nouvelle ère de justice internationale en
matière de droits de l’homme à la CIJ.

II. R ÉFLEXIONS SUR LE DROIT APPLICABLE EN L ’ESPÈCE

1. Invocation et incidence du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques des Nations Unies de 1966

11. Pendant toute la présente affaire Ahmadou Sadio Diallo, les dispo-
sitions pertinentes du Pacte relatif aux droits civils et politiques des
Nations Unies de 1966 ont été fort présentes, au cours tant de la procé-

dure écrite que de la procédure orale, et ont fait l’objet de conclusions des
Parties. L’importance de cet aspect frappant de l’affaire dont vient de
connaître la Cour internationale de Justice ne saurait être sous-estimée.
Dès sa requête introductive d’instance (du 28 décembre 1998), l’Etat

requérant a soutenu que, en vertu du Pacte international relatif aux
droits civils et politiques et de la Déclaration universelle des droits de
l’homme de 1948, «personne ne peut être arrêté ou détenu s’il n’a été
déclaré coupable selon la loi par un tribunal impartial agissant dans le
respect de la présomption d’innocence et des droits de la défense» (p. 29

in fine).
12. Dans son mémoire (en date du 23 mars 2001), la Guinée a invoqué
les «principes pertinents» applicables en cas d’«arrestation arbitraire et
de détention et expulsion», qui sont énoncés au paragraphe 1 de l’arti-

cle 9 et à l’article 13 du Pacte international relatif aux droits civils et poli-
tiques (par. 3.6 et 3.33). Pour sa part, l’Etat défendeur, la RDC, a, dans
son contre-mémoire (en date du 27 mars 2008), répondu à cette question
(par. 1.03) en contestant les allégations de violation des articles 9 et 13 du
Pacte (par. 1.24-1.31). Peu après, dans sa réplique (en date du 19 novem-

bre 2008), la Guinée a longuement examiné cette question, en dévelop-
pant ses arguments sur les violations des paragraphes 1 à 4 de l’article 9
du Pacte qu’aurait commises la RDC.
13. Selon la Guinée, ces violations avaient été commises lors des arres-

tations et mises en détention de M. A. S. Diallo en 1988-1989 et en 1995-
1996, expressément mentionnées (par. 1.17-1.48), que la Guinée jugeait
arbitraires au motif que la victime n’aurait pas été informée des raisons
de son arrestation et de sa détention ni des accusations portées contre elle
et n’aurait pas été traduite devant un juge ou un tribunal chargé de

connaître de la légalité de ces actes dans un délai raisonnable. En outre,
la Guinée soutenait que l’expulsion du plaignant de la RDC en 1996
n’était pas conforme au paragraphe 4 de l’article 12 du Pacte internatio-
nal relatif aux droits civils et politiques, ni au paragraphe 2 de l’article 12

de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (par. 1.60-
1.90).
14. La RDC, quant à elle, se référant expressément aux arrestations et
aux détentions de M. A. S. Diallo en 1988-1989 et en 1995-1996 (par. 1.07-
1.49), a contesté dans sa duplique (en date du 5 juin 2009) la thèse du

98to Mr. A. S. Diallo’s arrests and detentions of 1988-1989 as well as of

1995-1996 (paras. 1.07-1.49). The two contending Parties dwelt further
upon their points in the course of the oral phase of the proceedings
before the Court. Thus, in its pleadings of 19 April 2010, Guinea again
invoked Articles 9 and 13 of the Covenant, in combination with Article 6

of the African Charter, and Article 36 (1) (b) of the 1963 Vienna Con-
vention on Consular Relations (cf. infra) . 3
15. Guinea concentrated attention particularly on Article 9 (1) to (5)
4
of the Covenant . For its part, the DRC, in its pleadings of 26 April
2010, argued that there had been no breach, on its part, of Articles 9 and
13 of the Covenant (on account of Mr. A. S. Diallo’s expulsion of
31 January 1996) . The controversies between Guinea and the DRC

were, thus, sustained by them throughout the whole proceedings of the
present case before the Court, in their written and oral phases.
16. The important point here to be retained and singled out, in my

perception, is precisely that, in the present Diallo case, the two contend-
ing Parties clearly relied on, as the applicable law in the cas d’espèce,
mainly the UN Covenant on Civil and Political Rights, and also the Afri-
can Charter on Human and Peoples’ Rights. It is highly significant —

perhaps a sign of the new times — that the ICJ is here called upon, by the
contending Parties themselves, to determine whether there has been a
breach, or some breaches, by the Respondent State, of the relevant

provisions of the Covenant and the African Charter, in addition to the
relevant provision of the 1963 Vienna Convention.
17. It may well be that the present case has undergone a certain meta-
morphosis, since the early days of the Application instituting proceedings

of 28 December 1998 and the Court’s Judgment on preliminary objec-
tions (of 24 May 2007), followed by the subsequent proceedings till the
present Judgment on the Merits (of 30 November 2010). Earlier on,

much emphasis was placed on property rights and diplomatic protection,
but enthusiasts of those two traditional issues seemed gradually to lose
some or much of their interest (still dreaming of, or longing for, Barce-
lona Traction added to the Mavrommatis fiction remindful of Vattel), as

the dynamics of the present case has fortunately taken a new course, in
the written and oral phases concerning the merits (and reparation).

18. To my mind, the truth is that, during the proceedings on the merits
(written and oral phases), the present case has taken the form — as it
should — of a clear case of human rights protection . After all, since the
days of Ulpiano (circa 170-228 of our era), honeste vivere comes first.

Vivere itself comes before habere, and dignitatem vivere surely stands
above property rights. Well above discretionary diplomatic protection, this

3CR 2010/1 of 19 April 2010, p. 34, para. 24, p. 50, para. 39, and p. 54, paras. 52-55.
4Ibid., pp. 36-39, paras. 31-37; and cf. CR 2010/5 of 28 April 2010, pp. 18-19, paras. 23-24.
5CR 2010/3 of 26 April 2010, pp. 32-36, paras. 58, 62-63, 66 and 70.

99requérant selon laquelle elle aurait violé les paragraphes 1 à 4 de l’arti-

cle 9 du Pacte (par. 1.18-1.35 et 1.39). Les deux Parties ont développé
leurs thèses devant la Cour pendant la procédure orale. Ainsi, dans sa
plaidoirie du 19 avril 2010, la Guinée a évoqué à nouveau les articles 9
et 13 du Pacte, en plus de l’article 6 de la Charte africaine et de l’arti-

cle 36, paragraphe 1, alinéa b), de la convention de Vienne sur les rela-
tions consulaires de 1963 (voir infra) . 3
15. La Guinée a particulièrement insisté sur les paragraphes 1 à 5 de
4
l’article 9 du Pacte . Pour sa part, la RDC, dans sa plaidoirie du
26 avril 2010, a soutenu qu’elle ne s’était rendue coupable d’aucune viola-
tion des articles 9 et 13 du Pacte (lors de l’expulsion de M. A. S. Diallo le
31 janvier 1996) . La controverse entre la Guinée et la RDC s’est donc

poursuivie pendant toute la procédure, tant écrite qu’orale.

16. Le point qu’il importe de retenir et de mettre en exergue ici est, à

mon avis, le fait que, dans la présente affaire, les deux Parties en présence
se sont appuyées principalement, en ce qui concerne le droit applicable,
sur le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et sur la
Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Il est tout à fait

significatif — et peut-être doit-on voir là un signe des temps nouveaux —
que la CIJ ait été invitée par les Parties elles-mêmes à déterminer s’il y
avait eu violation par l’Etat défendeur des dispositions pertinentes du

Pacte et de la Charte africaine, en plus de la disposition pertinente de la
convention de Vienne de 1963.
17. Il est fort possible que la présente affaire se soit jusqu’à un certain
point métamorphosée entre ses débuts, à savoir le dépôt de la requête

introductive d’instance (datée du 28 décembre 1998) et l’arrêt de la Cour
sur les exceptions préliminaires (du 24 mai 2007), et la procédure puis
l’arrêt au fond (daté du 30 novembre 2010) qui ont suivi. A l’origine, il

était beaucoup question de droit de propriété et de protection diploma-
tique, mais les tenants de ces deux questions traditionnelles (encore épris
ou nostalgiques de l’affaire de la Barcelona Traction et de la fiction vat-
télienne de l’affaire Mavrommatis) ont paru graduellement perdre, au

moins en partie, leur enthousiasme, car la dynamique de l’affaire a fort
heureusement pris une tournure tout à fait nouvelle au cours des phases
écrite et orale au stade du fond (et de la réparation).

18. A la vérité, selon moi, au cours de la procédure sur le fond (tant
écrite qu’orale), la présente affaire s’est transformée — comme bien elle le
devait — en affaire non équivoque de protection des droits de l’homme .
Après tout, depuis l’époque d’Ulpiano (dans les années 170-228 de notre

ère), la priorité est accordée à l’honeste vivere.L e vivere l’emporte sur
l’habere et le dignitatem vivere a certainement préséance sur le droit de

3 CR 2010/1 du 19 avril 2010, p. 34, par. 24, p. 50, par. 39, et p. 54, par. 52-55.
4 Ibid., p. 36-39, par. 31-37; et voir CR 2010/5 du 28 avril 2010, p. 18-19, par. 23-24.
5 CR 2010/3 du 26 avril 2010, p. 32-36, par. 58, 62-63, 66 et 70.

99has become a case of human rights protection, and one with far greater
interest, in my view, for the jus gentium of our times. Each case has

a dynamic of its own, and this development in thecas d’espèce should not
pass unnoticed.

19. It is indeed remarkable that a Court, such as the ICJ, which is
entrusted with the settlement of inter-State disputes, is at last requested,

in the exercise of its function in contentious matters, to settle a dispute on
the basis of two human rights treaties (one of the most important UN
human rights treaties, the 1966 Covenant on Civil and Political Rights,
and the African Charter on Human and Peoples’ Rights), in addition to

the relevant provision of the 1963 Vienna Convention on Consular Rela-
tions. The submissions of the contending Parties before the Court have
been based on those three treaties, which the two contending States
themselves came to identify as the applicable law in the cas d’espèce.
20. At least one basic lesson can be extracted there from. This lesson is

far more important than the already acknowledged impact of interna-
tional human rights law even upon a voluntarist, inter-State mechanism,
such as diplomatic protection. Beyond the restricted confines of discre-
tionary diplomatic protection, we can nowadays reckon that we have
before us as essentially a human rights case, a case pertaining to the inter-

national protection of human rights. It is lodged with this Court within
the confines of an inter-State mechanism, the one envisaged by the Com-
mittee of Jurists which originally devised the PCIJ Statute in 1920, which
became, mutatis mutandis, the ICJ Statute in 1945.

21. The fact that the mechanism remains a strictly inter-State one,
rather anachronistically, as if attempting to defy the ineluctable passing
of time, does not mean that the reasoning of the ICJ should nowadays
remain also one developed on a strictly inter-State perspective, a reason-
ing which can only behold States (cf. paras. 203-205, infra). We have

before us a human rights case, a case concerning the rights of Mr. A. S.
Diallo under the UN Covenant on Civil and Political Rights and the
African Charter on Human and Peoples’ Rights (in addition to the 1963
Vienna Convention), in respect of the arrests and detentions he was sub-
jected to in 1988-1989 and 1995-1996, prior to his expulsion from the

country of his long-time residence in 1996. Despite its inter-State proce-
dure, the Court is called upon to pronounce on the rights of a human
person, beyond the inter-State straightjacket.

22. Ours are the times of a new jus gentium, focused on the rights of

the human person, individually or collectively, which the “droit d’état-
istes” of the legal profession insist on refusing to reckon, or rather on
refusing or failing to understand, willingly or not. Much to the credit of
both Guinea and the DRC, the ICJ is now called upon to settle a dis-

pute brought into its cognizance, in the course of the proceedings on the
merits, on the basis of two human rights treaties (the 1966 Covenant on

100propriété. Bien au-delà de la protection diplomatique discrétionnaire,
cette affaire est devenue une affaire de protection des droits de l’homme,

qui présente beaucoup plus d’intérêt, à mon avis, pour le droit des gens
de notre époque. Chaque affaire a sa dynamique propre et cette évolution
du cas d’espèce ne doit pas passer inaperçue.
19. Il est en effet tout à fait remarquable qu’une cour comme la CIJ,
qui a vocation à régler les différends entre Etats, soit enfin priée, dans

l’exercice de ses fonctions en matière contentieuse, de régler un différend
sur la base de deux traités des droits de l’homme (l’un des plus impor-
tants traités des droits de l’homme des Nations Unies, le Pacte interna-
tional de 1966 relatif aux droits civils et politiques, et la Charte africaine

des droits de l’homme et des peuples), en plus de la disposition pertinente
de la convention de Vienne sur les relations consulaires de 1963. Les
Parties estant devant la Cour ont fondé leurs thèses sur ces trois traités,
qu’elles ont identifiés comme constituant le droit applicable en l’espèce.
20. Au moins un enseignement fondamental peut être tiré de ce fait.

Cet enseignement est beaucoup plus important que l’impact, déjà reconnu,
du droit international des droits de l’homme sur un mécanisme interéta-
tique volontariste comme la protection diplomatique. Au-delà des limites
étroites de la protection diplomatique discrétionnaire, nous pouvons
aujourd’hui dire que nous nous trouvons essentiellement devant une

affaire relative aux droits de l’homme, concernant la protection inter-
nationale des droits de l’homme. La Cour a été saisie de cette affaire dans
le cadre d’un mécanisme interétatique, celui-là même qu’avait envisagé le
Comité de juristes qui a rédigé à l’origine le Statut de la CPJI en 1920,
lequel est devenu, mutatis mutandis, le Statut de la CIJ en 1945.

21. Le fait que le mécanisme demeure un mécanisme strictement inter-
étatique, ce qui est assez anachronique, comme pour défier le passage
inéluctable du temps, ne signifie pas que la CIJ doive continuer
aujourd’hui à raisonner dans une perspective strictement interétatique,
qui ne fasse place qu’aux Etats (voir par. 203-205 infra). Nous sommes en

présence d’une affaire relative aux droits de l’homme, qui concerne les
droits de M. A. S. Diallo au titre du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques des Nations Unies et de la Charte africaine des droits
de l’homme et des peuples (en plus de la convention de Vienne de 1963),
à raison des arrestations et des mises en détention qu’il a subies en 1988-

1989 et en 1995-1996, avant d’être expulsé en 1996 du pays dont il était
résident depuis des années. Malgré la procédure interétatique, la Cour est
appelée à se prononcer sur les droits d’une personne humaine, en dehors
du carcan interétatique.
22. L’époque actuelle voit l’émergence d’un nouveau droit des gens,

qui met l’accent sur les droits individuels ou collectifs de la personne
humaine, ce que les «droit-d’étatistes» de la profession juridique refusent
de reconnaître, ou plutôt refusent ou sont incapables de comprendre,
volontairement ou non. Grâce à la Guinée et à la RDC, à qui il faut en

savoir gré, la CIJ a été appelée à régler un différend qui lui a été soumis,
dans le cadre de la procédure sur le fond, sur la base de deux traités des

100Civil and Political Rights and the 1981 African Charter on Human and

Peoples’ Rights) which have a prominent place in the contemporary cor-
pus juris of the international law of human rights, in addition to the 1963
Vienna Convention on Consular Relations.

23. In respect of the merits (and reparation), this is indeed and clearly

a case pertaining to human rights protection, rather than to diplomatic pro-
tection. This latter was the means (or the tool) whereby the complaint
was lodged with the Court, once the cause of Mr. A. S. Diallo was
espoused by his State of origin or nationality. But diplomatic protection,

ineluctably discretionary in character, has already played its instrumental
role, and the case now before the Court is substantively one pertaining to
human rights protection.

2. Invocation and Incidence of the 1981 African Charter

on Human and Peoples’ Rights

24. Both the DRC and Guinea focused their pleadings — which I
have taken the care to review in the present separate opinion — on the
UN Covenant on Civil and Political Rights, in so far as the fate of

Mr. A. S. Diallo as an individual is concerned; yet, as already indicated,
two other treaties were referred to, namely, the 1981 African Charter on
Human and Peoples’ Rights, and the 1963 Vienna Convention on Con-
sular Relations, also in respect of Mr. A. S. Diallo’s fate as an indi-

vidual. I shall likewise review their pleadings in relation to these three
treaties.

25. In so far as the African Charter on Human and Peoples’ Rights is

concerned, in the consideration of the presentDiallo case, it was brought
into the picture only at a late stage of the written phase of the proceedings
before the Court. It was not until its Reply (of 10 November 2008) that
Guinea invoked Article 12 (4) of the African Charter, in connection with
the corresponding Article 13 of the UN Covenant on Civil and Political

Rights, in its argument on the limits imposed by international law on the
expulsion of aliens (paras. 1.60-1.71). The Rejoinder (of 5 June 2009) of
the DRC did not touch on this point, and concentrated its views, at that
stage, only on the alleged unlawfulness of the arrests and detentions of

Mr. Diallo in 1988-1989 and 1995-1996, not on his expulsion.
26. In its oral arguments, in addressing the arrests and detentions of
Mr. A. S. Diallo, Guinea sustained breaches of “Article 9 of the 1966
Covenant on Civil and Political Rights, to which might be added Arti-
6
cle 6 of the African Charter on Human and Peoples’ Rights” . Neither
Guinea nor the DRC dwelt much further upon the African Charter in the

6CR 2010/1 of 19 April 2010, para. 24, and cf. para. 26.

101droits de l’homme (le Pacte international relatif aux droits civils et poli-

tiques de 1966 et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples
de 1981) qui occupent une place éminente dans le corpus juris contempo-
rain du droit international des droits de l’homme, en plus de la conven-
tion de Vienne sur les relations consulaires de 1963.
23. En ce qui concerne le fond (et la réparation), il s’agit effectivement

et clairement d’une affaire qui touche la protection des droits de l’homme
et non la protection diplomatique. Cette dernière a été le moyen (ou l’ins-
trument) par lequel la plainte a été soumise à la Cour, après que la cause
de M. A. S. Diallo eut été épousée par son Etat d’origine ou de nationa-

lité. Mais la protection diplomatique, qui est par nature inévitablement
discrétionnaire, a déjà joué son rôle instrumental, et l’affaire dont vient
de connaître la Cour est, en substance, une affaire qui concerne la protec-
tion des droits de l’homme.

2. Invocation et incidence de la Charte africaine des droits

de l’homme et des peuples de 1981

24. La RDC et la Guinée ont toutes deux mis l’accent, dans leurs plai-
doiries — que j’ai tenu à examiner dans la présente opinion indivi-
duelle — sur le Pacte international relatif aux droits civils et politiques

des Nations Unies, dans la mesure où le sort de M. A. S. Diallo en tant
qu’individu est concerné; pourtant, comme il a déjà été indiqué, deux
autres traités ont également été invoqués, à savoir la Charte africaine des
droits de l’homme et des peuples de 1981 et la convention de Vienne sur

les relations consulaires de 1963, également à propos du sort de
M. A. S. Diallo en tant qu’individu. J’examinerai les plaidoiries des deux
Parties concernant ces trois traités.
25. S’agissant de la Charte africaine, elle n’a été invoquée dans l’ins-

tance qu’à une étape tardive de la procédure écrite. Ce n’est que dans sa
réplique (datée du 10 novembre 2008) que la Guinée a invoqué le para-
graphe 4 de l’article 12 de la Charte africaine, en parallèle avec l’article 13
correspondant du Pacte international relatif aux droits civils et politiques
des Nations Unies et ce, dans son argumentation sur les limites imposées

par le droit international à l’expulsion des étrangers (par. 1.60-1.71).
Dans sa duplique (datée du 5 juin 2009), la RDC a passé ce point sous
silence, se concentrant à ce stade sur les allégations d’illégalité des arres-
tations et mises en détention de M. Diallo en 1988-1989 et en 1995-1996,

et non sur son expulsion.
26. Dans ses plaidoiries, à propos des arrestations et mises en déten-
tion de M. A. S. Diallo, la Guinée a soutenu qu’avait été violé «l’arti-
cle 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966,

auquel on pourrait ajouter l’art6cle 6 de la Charte africaine des droits
de l’homme et des peuples» . Ni la Guinée ni la RDC n’ont insisté

6CR 2010/1 du 19 avril 2010, par. 24; et voir par. 26.

101course of the proceedings, but this did not impede the Court to develop,

as it rightly did, its own reasoning to determine the breaches of the rele-
vant provisions of both human rights treaties.

27. In the circumstances of the case, the ICJ was, in my view, perfectly

entitled to do so, even motu proprio, in so far as the African Charter (in
combination with the aforementioned Covenant) is concerned. It may be
added that, in Article 60, on “Applicable Principles”, the African Charter

discloses a wide horizon for the exercise of its hermeneutics, in providing
that its application (by the African Commission — and nowadays also
the African Court — on Human and Peoples’ Rights) is to:

“draw inspiration from international law on human and peoples’

rights, particularly from the provisions of various African instru-
ments on human and peoples’ rights, the Charter of the United
Nations, the Charter of the [then] Organization of African Unity,
the Universal Declaration of Human Rights, other instruments

adopted by the United Nations and by African countries in the field
of human and peoples’ rights as well as from the provisions of vari-
ous instruments adopted within the specialized agencies of the United
7
Nations of which the parties to the present Charter are members” .

28. The ICJ, as “the principal judicial organ of the United Nations”
(Article 92 of the UN Charter), was perfectly entitled, in the cas d’espèce
to proceed, sponte sua, to the legal construction it undertook to deter-

mine the breach of Article 6 of the African Charter together with Arti-
cle 9 (1) of the UN Covenant on Civil and Political Rights (paras. 74-
79). The Court further referred to the relationship between Article 5 of
the African Charter and Article 7 of the aforementioned Covenant, in respect

of the African Charter’s provision on “the right to the respect of the dignity
inherent in a human being” (cited in para. 87).

3. Invocation and Incidence of the 1963 Vienna Convention
on Consular Relations

29. Besides the relevant provisions of the Covenant and of the African

7
And, further to this provision, Article 61 of the African Charter adds that the African
Commission is also to
“take into consideration, as subsidiary measures to determine the principles of law,
other general or special international conventions laying down rules expressly recog-
nized by member States of the [then] Organization of African Unity, African prac-
tices consistent with international norms on human and peoples rights, customs
generally accepted as law, general principles of law recognized by African States as
well as legal precedents and doctrine”.

102davantage sur la Charte africaine au cours de la procédure, mais cela

n’a pas empêché la Cour, à juste titre d’ailleurs, d’élaborer son propre
raisonnement pour établir si des dispositions pertinentes de ces deux
traités des droits de l’homme avaient été violées.
27. Dans les circonstances de l’affaire, la Cour était, à mon avis, tout

à fait en droit de le faire, même motu proprio, en ce qui concerne la
Charte africaine (combinée au Pacte). J’ajouterai que l’article 60, qui
concerne les «principes applicables», de la Charte africaine ouvre un
large horizon à l’exercice de l’herméneutique, puisqu’il y est précisé que

l’application de la Charte (par la Commission africaine — et de nos jours
également la Cour africaine — des droits de l’homme et des peuples)
consiste à:

«s’inspir[er] du droit international relatif aux droits de l’homme et
des peuples, notamment des dispositions des divers instruments afri-

cains relatifs aux droits de l’homme et des peuples, des dispositions
de la Charte des Nations Unies, de la Charte de l’Organisation de
l’unité africaine, de la Déclaration universelle des droits de l’homme,
des dispositions des autres instruments adoptés par les Nations

Unies et par les pays africains dans le domaine des droits de l’homme
et des peuples ainsi que des dispositions de divers instruments adop-
tés au sein d’institutions spécialisées des Nations Unies dont sont
membres les parties à la présente Charte» . 7

28. La CIJ, en tant qu’«organe judiciaire principal des Nations Unies»

(article 92 de la Charte des Nations Unies), pouvait parfaitement, en
l’espèce, effectuer sponte sua la construction juridique à laquelle elle a
procédé pour déterminer s’il y avait eu violation de l’article 6 de la Charte
africaine et du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte international relatif

aux droits civils et politiques des Nations Unies (par. 74-79). La Cour a,
de plus, évoqué la relation entre l’article 5 de la Charte africaine et
l’article 7 du Pacte susmentionné à propos de la disposition de la Charte
africaine portant sur «le droit au respect de la dignité inhérente à l’être

humain» (citée au paragraphe 87).

3. Invocation et incidence de la convention de Vienne

sur les relations consulaires de 1963

29. Outre les dispositions pertinentes du Pacte et de la Charte africaine

7 En outre, l’article 61 de la Charte africaine précise que la Commission africaine
doit

«prend[re] aussi en considération, comme moyens auxiliaires de détermination des
règles de droit, les autres conventions internationales, soit générales, soit spéciales,
établissant des règles expressément reconnues par les Etats membres de l’Organi-
sation de l’Unité africaine, les pratiques africaines conformes aux normes interna-
tionales relatives aux droits de l’homme et des peuples, les coutumes généralement
acceptées comme étant le droit, les principes généraux de droit reconnus par les
nations africaines ainsi que la jurisprudence et la doctrine».

102Charter (supra), the contending Parties also invoked, throughout the

whole proceedings of the present case before the Court, the 1963 Vienna
Convention on Consular Relations, and in particular its Article 36 (1) (b).
Guinea and the DRC thus acknowledged such provisions of those three
treaties as conforming the applicable law in the cas d’espèce. As for Arti-
cle 36 (1) (b) of the 1963 Vienna Convention, it was Guinea which first

invoked and dwelt upon it, at some length, in its Memorial (of 23 March
2001).

30. On the basis of the case law of the ICJ on the matter, Guinea iden-

tified, in its Memorial, the right of the individual under that provision of
the 1963 Vienna Convention (to be informed of consular assistance and
to avail himself of it if he so wished), and the corresponding obligations
of the States parties (to secure that consular assistance be provided)

under that Convention — none of which had in its view been complied
with in the present case (paras. 3.11-3.12, 3.30.2, 4.4 and 5.1.1). In its
Counter-Memorial (of 27 March 2008), the DRC challenged the submis-
sion of Guinea of a breach of Article 36 (1) (b) of that Convention, by

arguing that “Guinea’s Ambassador in Kinshasa was aware of Mr. Dial-
lo’s arrest and detention in anticipation of his deportation to Conakry”
(para. 1.20, and paras. 1.18-1.19 and 1.21-1.23).

31. In its Reply (of 19 November 2008), Guinea contended that “the
facts establishing the elements of the violation of the 1963 Vienna Con-
vention” were, in its view, “unquestionable” (para. 1.7). In reiterating,
and insisting on, its position (paras. 3.3.1 and 4.1.1), Guinea stated:

“At no time in either 1988-1989 or 1995-1996 was Mr. Diallo, a
Guinean national, informed of his rights under Article 36, para-
graph 1 (b), of the Vienna Convention on Consular Relations. (. . .)
The DRC should have read all three sentences in Article 36, para-
graph 1 (b), of the 1963 Convention. As stated in the third sentence,

the competent authorities of the receiving State ‘shall inform the per-
son concerned without delay of his rights under this subparagraph’.
This third element cannot be ignored. (. . .) In the present case Zaire
therefore bore an obligation under the 1963 Convention to ‘inform

the person concerned without delay of his rights’ at the time of
his arrest in 1988, and his arrests in 1995 and 1966. This was not
done, and it constitutes a further violation of Mr. Diallo’s rights.”
(Paras. 1.49 and 1.51-1.53.)

32. In the course of the oral arguments of 19 April 2010 before the
Court, Guinea reiteratedly invoked Article 36 (1) (b) of the Vienna Con-
vention on Consular Relations in support of its views . In its turn, the

8CR 2010/1 of 19 April 2010, pp. 27, 31 and 34-36, paras. 3 (v), 18, 24 and 28-29;
CR 2010/2 of 19 April 2010, p. 37, para. 7.

103(supra), les Parties au litige ont également invoqué, tout au long de la

procédure devant la Cour, la convention de Vienne sur les relations
consulaires de 1963, et en particulier l’article 36, paragraphe 1, alinéa b),
de cet instrument. La Guinée et la RDC reconnaissaient ainsi que les dis-
positions mentionnées de ces trois traités représentaient le droit applica-
ble en l’espèce. En ce qui concerne l’article 36, paragraphe 1, alinéa b),de

la convention de Vienne de 1963, c’est la Guinée qui l’a invoqué la pre-
mière, y consacrant un exposé assez long dans son mémoire (daté du
23 mars 2001).
30. Se fondant sur la jurisprudence de la CIJ en la matière, la Guinée

a identifié, dans son mémoire, le droit de l’individu garanti par cette dis-
position de la convention de Vienne de 1963 (droit de l’intéressé d’être
informé de l’assistance consulaire et de s’en prévaloir s’il le souhaite) et
les obligations correspondantes des Etats parties (de veiller à ce qu’une

assistance consulaire soit offerte) aux termes de cette convention — dis-
positions dont aucune n’avait, selon la Guinée, été respectée dans la pré-
sente affaire (par. 3.11-3.12, 3.30.2, 4.4 et 5.1.1). Dans son contre-
mémoire (daté du 27 mars 2008), la RDC a contesté la thèse de la Guinée

relative à une violation de l’article 36, paragraphe 1, alinéa b), de cette
convention, en soutenant que «l’ambassadeur guinéen à Kinshasa était
au courant de l’arrestation et de la détention de M. Diallo avant son
expulsion à Conakry» (par. 1.20 et par. 1.18-1.19 et 1.21-1.23).

31. Dans sa réplique (datée du 19 novembre 2008), la Guinée a sou-
tenu que «les faits constitutifs de la violation de la Convention de Vienne
de 1963», ne faisaient, à son avis, «aucun doute» (par. 1.7). Réitérant sa
position (par. 3.3.1 et 4.1.1), la Guinée a déclaré:

«A aucun moment, ni en 1988-1989, ni en 1995-1996, M. Diallo,
ressortissant guinéen, n’a été informé des droits qui lui sont recon-
nus par l’article 36, par. 1 b), de la convention de Vienne sur les rela-
tions consulaires ... [L]a RDC aurait dû lire l’article 36, par. 1 b),de
la Convention de 1963 dans les trois phrases qui le composent. Selon

sa troisième phrase, les autorités compétentes de l’Etat de résidence
«doivent sans retard informer l’intéressé de ses droits aux termes du
présent alinéa». Ce troisième élément ne saurait être négligé ... En
l’espèce pesait donc sur le Zaïre en vertu de la Convention de 1963

une obligation «d’informer sans retard ... l’intéressé de ses droits»,
aussi bien d’ailleurs lors de son arrestation de 1988 que lors de celles
de 1995 et de 1996. Cela ne fut jamais fait, ce qui constitue une nou-
velle violation des droits de M. Diallo.» (Par. 1.49 et 1.51-1.53.)

32. Dans ses plaidoiries du 19 avril 2010 devant la Cour, la Guinée a
invoqué à plusieurs reprises, pour étayer sa thèse, l’article 36, paragra-
phe 1, alinéa b), de la convention de Vienne sur les relations consulaires . 8

8CR 2010/1 du 19 avril 2010, p. 27, 31 et 34-36, par. 3 v), 18, 24 et 28-29; CR 2010/2
du 19 avril 2010, p. 37, par. 7.

103DRC argued, in the public sitting of 26 April 2010, that there had been

no breach on its part of that provision of the 1963 Vienna Convention. In
its argument, the DRC pursued the matter from a strict inter-State out-
look, referring to the contacts (and a letter) between the Ambassador of
Guinea in Kinshasa and the authorities of the Congolese Government . 9

The debates between the two contending Parties, by no means ended in
respect of the three treaties invoked in general before the Court: they
were to continue in relation to the specific rights thereunder that were at

stake — which I shall now turn my attention to.

III. THE S AGA OF THE SUBJECT OF THE R IGHTS :C ONSIDERATIONS ON THE
V INDICATION OF THE PROTECTED RIGHTS

33. The individual rights vindicated in the present case were alleged to

have been breached in the factual context to the arrests, detentions and
expulsion to which Mr. A. S. Diallo was subjected, in the period ranging
from 1988 to 1996. Such rights comprised the right to liberty and to

security of person (Articles 9 (1) to (4) of the UN Covenant on Civil
and Political Rights), the right not to be expelled from a State without a
legal basis (Article 13 of the Covenant), the right not to be subjected to
mistreatment (Articles 7 and 10 of the Covenant), added to the right to

information on consular assistance in the framework of the guarantees
of the due process of law (Article 36 (1) (b)) of the 1963 Convention on
Consular Relations.

34. The question may be asked why this latter is listed herein, as an
individual right, provided for in a Convention having in mind consular
relations, and celebrated in 1963 in pursuance of a predominantly

inter-State optic. I shall address this question, characterizing the right to
information on consular assistance as an individual right, within the
conceptual universe of human rights, in a subsequent section (VIII, infra)

of the present separate opinion, so as to clarify the point and discard
any doubts that might still subsist as to the characterization of the right
to information on consular assistance. Before embarking on such clarifi-
cation, may I proceed to examine the aforementioned rights, one by one,

in the subsequent paragraphs.

1. The Right to Liberty and Security of Person

(a) The arrests and detention of 1988-1989

35. The first right invoked in the present case was Mr. A. S. Diallo’s
right to liberty and security of person, under Article 9 (1) to (4) of the

9CR 2010/3 of 26 April 2010, pp. 26-31, paras. 48-49 and 5bid., pp. 18 and
26-30, paras. 15, 42-47 and 50-53.

104De son côté, la RDC a soutenu, lors de l’audience du 26 avril 2010,

qu’elle n’avait pas violé cette disposition de la convention de Vienne
de 1963. Dans son argumentation, la RDC a examiné cette question dans
une perspective strictement interétatique, en rappelant les contacts (et
une lettre) échangés entre l’ambassadeur de Guinée à Kinshasa et les
9
autorités du Gouvernement congolais . Les débats entre les deux Parties
ne se sont nullement arrêtés à l’aspect général des trois traités invoqués
devant la Cour. Ces débats devaient se poursuivre à propos des droits en
cause garantis par ces traités — question sur laquelle je m’arrêterai main-

tenant.

III. L A SAGA DU SUJET DES DROITS :
CONSIDÉRATIONS SUR LA DÉFENSE DES DROITS PROTÉGÉS

33. Les droits individuels défendus dans la présente affaire avaient été
prétendument violés dans le cadre de l’arrestation, de la détention et de
l’expulsion de M. A. S. Diallo au cours de la période allant de 1988 à
1996. Ces droits comprennent le droit à la liberté et à la sécurité de sa

personne (paragraphes 1 à 4 de l’article 9 du Pacte international relatif
aux droits civils et politiques des Nations Unies), le droit de n’être
expulsé d’un Etat qu’en exécution d’une décision prise conformément à la
loi (article 13 du Pacte), le droit de ne pas être soumis à de mauvais trai-

tements (articles 7 et 10 du Pacte), s’ajoutant au droit d’être informé sur
l’assistance consulaire dans le cadre des garanties d’une procédure régu-
lière (alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention sur les

relations consulaires de 1963).
34. Il est permis de se demander pourquoi ce dernier droit figure au
nombre des droits individuels garantis par une convention portant sur les
relations consulaires et saluée en 1963 dans une perspective avant tout

interétatique. J’aborderai cette question dans une section ultérieure de la
présente opinion individuelle (VIII, infra), où je démontrerai que le droit
à l’information sur l’assistance consulaire est un droit individuel au sein
de l’univers conceptuel des droits de l’homme, afin de préciser ce point et

de dissiper tout doute qui pourrait subsister sur la nature du droit à
l’information sur l’assistance consulaire. Mais, avant de donner ces pré-
cisions, j’examinerai d’abord les droits susmentionnés, un à un, dans les
paragraphes qui suivent.

1. Le droit à la liberté et à la sécurité de la personne

a) Les arrestations et la détention de 1988-1989

35. Le premier droit invoqué dans la présente affaire est le droit de

M. A. S. Diallo à la liberté et à la sécurité de sa personne, garanti par les

9CR 2010/3 du 26 avril 2010, p. 26-31, par. 48-49 et 54; voir aussi ibid., p. 18 et 26-30,
par. 15, 42-47 et 50-53.

104Covenant. The right is asserted in relation to his arrests and detention in

the DRC in 1988-1989 and in 1995. The contending Parties did not dis-
pute the fact that Mr. A. S. Diallo was arrested on 25 January 1988, nor

did they disagree that he was placed in detention on 27 January 1988, in
the Makala prison, and one year later released, on 3 January 1989, due to

a Presidential 10rdon granted to him, after intervention by Guinea’s
Ambassador .
36. Guinea argued that Mr. A. S. Diallo’s arrest and detention in

1988-1989 were arbitrary, as the sole reason for his imprisonment in Janu-
ary 1988 lay in the fact that the Zairean State was greatly in debt to his
11
company Africom-Zaire . That was in breach, in the view of Guinea, of
the DRC’s obligations arising under Article 9 of the Covenant . For its 12
part, the DRC argued that “Mr. Diallo had been imprisoned in 1988 pur-

suant to a judicial investigation opened by law officers in the Prosecutor’s
Office of Kinshasa into acts of fraud of which he had, rightly or wrongly,
13
been accused” . The DRC did not challenge Guinea’s factual allegations
with regard to Mr. A. S. Diallo’s arrest and detention in 1988-1989, but
considered it to be a new claim . 14

37. The relevant provisions of the Covenant to the present line of con-

sideration of the cas d’espèce, are those enshrined into Article 9 (on the
right to liberty and security of person), which states:

“1. Everyone has the right to liberty and security of person. No one

shall be subjected to arbitrary arrest or detention. No one shall
be deprived of his liberty except on such grounds and in accord-
ance with such procedure as established by law.

2. Anyone who is arrested shall be informed, at the time of arrest,

10 Observations of the Republic of Guinea to the Preliminary Objections of the Demo-
cratic Republic of the Congo (hereinafter “Observations of Guinea”), para. 1.41; CR 2006/
51, para. 18, Reply of the Republic of Guinea (hereinafter “Reply of Guinea”), para. 1.13-
1.16. Following this pardon, the Procureur Général at the Prosecutor’s Office in Kinshasa
closed the case on 28 January 1989 for inexpediency of prosecution; Observations of

Gu11ea op. cit. supra, para. 1.43.
12 Reply of Guinea, para. 1.9.
Guinea referred to a letter dated 4 July 1988 signed by Mr. S. Pida Nbagui, Zaire’s
First State Commissioner, and sent to the President of the Judicial Council of the Repub-
lic of Zaire; Reply of Guinea, para. 1.14; Observations of Guinea, Annex 15, op. cit.
supra, note 10. That letter indicated, added Guinea, that the head of the DRC’s Executive
Branch alone gave the order for Mr. A. S. Diallo’s arrests and incarcerations, in an exam-
ple of “the most complete commingling of powers”; Reply of Guinea, para. 1.15.

13
Rejoinder of the Democratic Republic of the Congo (hereinafter “Rejoinder of the
DRC”), para. 1.16. It was therefore — the DRC added — a temporary detention for rea-
sons of judicial investigation. The DRC reproduced the version of the facts set out by the
Guinean Embassy in Kinshasa, in a letter to the Guinean Minister of Foreign Affairs in
Conakry, dated 3 February 1988; Rejoinder of the DRC, para. 1.14.
14 Ibid., paras. 1.11 and 1.13.

105paragraphes 1 à 4 de l’article 9 du Pacte. Ce droit est affirmé à propos des

arrestations et de la détention de M. Diallo en RDC en 1988-1989 et
en 1995. Les Parties n’ont pas contesté le fait que M. A. S. Diallo ait été

arrêté le 25 janvier 1988, ni qu’il avait été placé en détention le 27 jan-
vier 1988 dans la prison de Makala et libéré un an plus tard, le 3 jan-
vier 1989, à la faveur d’un pardon présidentiel accordé par suite d’une
10
intervention de l’ambassadeur de Guinée .
36. La Guinée a soutenu que l’arrestation et la détention de

M. A. S. Diallo en 1988-1989 étaient arbitraires, étant donné que le seul
motif de son incarcération en janvier 1988 était le fait que l’Etat zaïrois
avait des dettes considérables envers son entreprise, Africom-Zaïre .De 11

l’avis de la Guinée, la RDC violait ainsi ses obligations au titre de l’arti-
cle 9 du Pacte . Pour sa part, la RDC a soutenu que «M. Diallo avait

été emprisonné en 1988 à la suite d’une enquête judiciaire ouverte par les
agents de la loi du bureau du procureur de Kinshasa sur des actes de
fraude dont il avait été, à tort ou à raison, accusé» . La RDC n’a pas

contesté les allégations de fait de la Guinée concernant l’arrestation et la
détention de M. Diallo en 1988-1989, qu’elle considérait plutôt comme
14
une nouvelle prétention .
37. Les dispositions du Pacte pertinentes sous l’angle qui nous inté-
resse maintenant sont celles de l’article 9 (relatif au droit à la liberté et à

la sécurité de la personne), qui est ainsi libellé:

«1. Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne.
Nul ne peut faire l’objet d’une arrestation ou d’une déten-

tion arbitraire. Nul ne peut être privé de sa liberté, si ce n’est
pour des motifs, et conformément à la procédure prévus par la
loi.

2. Tout individu arrêté sera informé, au moment de son arresta-

10 Observations de la République de Guinée sur les exceptions préliminaires de la
République démocratique du Congo (ci-après «observations de la Guinée»), par. 1.41;

procédure orale, CR 2006/51, par. 18; réplique de la République de Guinée (ci-après
«réplique de la Guinée»), par. 1.13-1.16. Après le pardon, le procureur général de Kin-
shasa a clos l’affaire le 28 janvier 1989, pour inopportunité de poursuites; observations de
la Guinée, op. cit. supra, par. 1.43.
11 Réplique de la Guinée, par. 1.9.
12 La Guinée s’est reportée à une lettre en date du 4 juillet 1988 signée par M. S. Pida
Nbagui, premier commissaire d’Etat, et adressée au président du conseil judiciaire de la
République du Zaïre; réplique de la Guinée, par. 1. 14; observations de la Guinée, op. cit.

supra note 10, annexe 15. Cette lettre indiquait, a ajouté la Guinée, que le chef de
l’exécutif de la RDC avait seul donné l’ordre de l’arrestation et de l’incarcération de
M. A. S. Diallo, ce qui est un exemple de «la plus parfaite confusion des pouvoirs»; répli-
que de la Guinée, par. 1. 15.
13 Duplique de la RDC, par. 1.16. Il s’agissait donc, d’après la RDC, d’une détention
temporaire pour des raisons d’enquête judiciaire. La RDC a reproduit la version des faits
telle qu’exposée par l’ambassade de la Guinée à Kinshasa dans une lettre au ministre
guinéen des affaires étrangères à Conakry en date du 3 février 1988; duplique de la RDC,
par. 1. 14.
14
Ibid., par. 1.11 et 1.13.

105 of the reasons for his arrest and shall be promptly informed of

any charges against him.
3. Anyone arrested or detained on a criminal charge shall be
brought promptly before a judge or other officer authorized by
law to exercise judicial power and shall be entitled to trial within

a reasonable time or to release. It shall not be the general rule
that persons awaiting trial shall be detained in custody, but
release may be subject to guarantees to appear for trial, at any
other stage of the judicial proceedings, and, should occasion

arise, for execution of the judgement.

4. Anyone who is deprived of his liberty by arrest or detention
shall be entitled to take proceedings before a court, in order

that that court may decide without delay on the lawfulness of
his detention and order his release if the detention is not law-
ful.
5. Anyone who has been the victim of unlawful arrest or detention

shall have an enforceable right to compensation.”

38. As to the first point to be herein considered, as to whether there
has been a violation by the DRC of the conditions for permissive depri-
vation of liberty (principle of legality, prohibition of arbitrariness —

Article 9 (1) of the Covenant), it ensues, from the evidence produced in
the present case, that the Zairean judicial authorities did not issue any
arrest warrant in 1988. This can surely be regarded, under the relevant

provisions of the Covenant on Civil and Political Rights, as an indication
of an arbitrary arrest. This is in line with the notion of arbitrariness
under the Covenant, which I subsequently review in this separate opinion
(section VI, infra). Moreover, there was no decision by the competent

authorities as to the extension of Mr. A. S. Diallo’s detention awaiting
trial (détention preventive) . The fact remains that Mr. A. S. Diallo
remained one year in detention without any further judicial proceedings
or investigation, charging him of any criminal offense.

39. The DRC did not provide any evidence that Mr. A. S. Diallo was
arrested and imprisoned, as alleged, in the context of a true judicial
investigation opened against him for alleged acts of fraud. In this

regard, the Human Rights Committee has stated that arrests and deten-
tions effected without charges constitute a violation of Article 9 (1) of
the Covenant 15. There is no indication that he was charged with a
criminal offense at any time. In the absence of any relevant State party

information, it can be concluded — as the Court correctly did (para. 79)

15UN/Human Rights Committee (HRC), caseTitiahonjo v. Cameroun, 2007, No. 1186/
2003, para. 6.5; HRC, case Monja Jaona v. Madagascar, 1985, No. 132/1982, para. 14;
HRC, case Mpandanjila v. The Democratic Republic of the Congo , 1986, No. 138/1983,
para. 10.

106 tion, des raisons de cette arrestation et recevra notification, dans

le plus court délai, de toute accusation portée contre lui.
3. Tout individu arrêté ou détenu du chef d’une infraction pénale
sera traduit dans le plus court délai devant un juge ou une autre
autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires, et

devra être jugé dans un délai raisonnable ou libéré. La détention
de personnes qui attendent de passer en jugement ne doit pas
être de règle, mais la mise en liberté peut être subordonnée à des

garanties assurant la comparution de l’intéressé à l’audience, à
tous les autres actes de la procédure et, le cas échéant, pour
l’exécution du jugement.
4. Quiconque se trouve privé de sa liberté par arrestation ou déten-

tion a le droit d’introduire un recours devant un tribunal afin
que celui-ci statue sans délai sur la légalité de sa détention et
ordonne sa libération si la détention est illégale.

5. Tout individu victime d’arrestation ou de détention illégale a
droit à réparation.»

38. S’agissant du premier point à examiner, à savoir s’il y a eu viola-
tion par la RDC des conditions d’admissibilité de la privation de liberté
(principe de légalité, interdiction de l’arbitraire — paragraphe 1 de l’arti-
cle 9 du Pacte), il ressort des éléments de preuve produits en l’affaire que

les autorités judiciaires zaïroises n’ont délivré en 1988 aucun mandat
d’arrêt. Ce fait peut certainement être considéré, à la lumière des dispo-
sitions pertinentes du Pacte international relatif aux droits civils et poli-

tiques, comme une indication d’arrestation arbitraire. Cette interpréta-
tion est en effet conforme à la notion d’arbitraire inscrite dans le Pacte,
que j’examinerai ultérieurement dans cette opinion individuelle (sect. VI,
infra). De plus, les autorités compétentes n’ont pris aucune décision en ce

qui concerne la prolongation de la détention de M. A. S. Diallo avant son
procès (détention préventive). Il demeure que M. A. S. Diallo a été
détenu pendant un an sans faire l’objet d’aucune procédure judiciaire ten-

dant à l’inculper d’une infraction.
39. La RDC n’a fourni aucun élément de preuve indiquant que
M. A. S. Diallo aurait été arrêté et incarcéré, ainsi qu’elle le prétendait, dans
le cadre d’une véritable enquête judiciaire ouverte à son encontre pour de

prétendus actes de fraude. A cet égard, le Comité des droits de l’homme a
déclaré que l’arrestation et la détention sans accusation constituaient une
violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte. Rien n’indique que

M. Diallo ait été accusé d’une infraction à quelque moment que ce soit. En
l’absence de toute information pertinente provenant de l’Etat partie, il peut

15Nations Unies, Comité des droits de l’homme (CDH), Titiahonjo c. Cameroun, 2007,
no 1186/2003, par. 6.5; Monja Jaona c. Madagascar , 1985, n 132/1982, par. 14; Mpan-
danjila c. République démocratique du Congo , 1986, n/1983, par. 10.

106— that Mr. A. S. Diallo’s deprivation of liberty was arbitrary and

in violation of Article 9 (1) of the Covenant.

40. Moving on to the right (of the arrested or detained person) to be
informed of the reasons for the arrest or detention and the corresponding

charges (Article 9 (2) of the Covenant), Guinea claimed that Mr. A. S.
Diallo was never specifically informed, either of the purported acts
constituting the alleged offence, or of the provisions under which the
16
accusation was brought against him . According to Guinea, the only
information given to Mr. A. S. Diallo by the judicial authority before

which he was brought during his detention was that his arrest was “rel-
ated to the Prime Minister’s communiqué” . The judicial authority there-
fore had no file, no indictment, nothing to show to Mr. A. S. Diallo

authorizing his arrest and imprisonment, other than the Prime Minister’s
communiqué.

41. The DRC, on its part, acknowledged that Mr. A. S. Diallo was
brought to the office of the Judicial Inspector, who told him that his
arrest was related to the Prime Minister’s press release (about his being
18
accused of fraud) . It thus appears established that a press release of
the Prime Minister accused Mr. A. S. Diallo of fraud, and that this accusa-

tion was made public on radio and television channels on 20 January
1988, as well as by the press . There is no evidence that, at the moment
of Mr. A. S. Diallo’s arrest, Congolese authorities informed him of the

reasons for his arrest, nor is there any evidence that they informed him of
the charges against him.

42. The UN Human Rights Committee, on its turn, has stated that the
resulting obligation is not merely one of form. Not only must the indi-

vidual concerned be informed at the time of21rrest, but the information
given must also be sufficiently specific , so that he knows exactly the rea-
son of the arrest. In the Committee’s own words,

16 Guinea provided documentary evidence of a transcript by Mr. A. S. Diallo, drawn

up on 29 October 2008 by two process servers for the courts and tribunals of Conakry,
where Mr. A. S. Diallo stated: “[T]hey did not show me a document of any kind author-
izing my arrest, nor did they explain why I was being arrested”, Reply of Guinea, Annex 1,
answer to question 3.
17 Ibid., Vol. II, p. 6.
18 Rejoinder of the DRC, para. 1.22.
19 Ibid., para. 1.22; CR 2010/1 of 19 April 2010, p. 28.
20 Letter sent to the Guinean Minister for Foreign Affairs in Conakry, dated 3 Febru-

ary 1988. The DRC referred to a letter dated 3 February 1988 from Mr. Lounceny Kouy-
ate (CR 2010/3 of 26 April 2010, pp. 16-17), Counsel at the Guinean Embassy in
Conakry, in support of its contention that Mr. A. S. Diallo and Guinea itself were aware
of the accusations against Mr. A. S. Diallo; Observations of Guinea, cf. note 10 supra,
pp. 17-18.
21 HRC, Adolfo Drescher Caldas v. Uruguay, case No. 43/1979, 21 July 1983, paras. 13.2
and 14.

107être conclu — ce que la Cour a d’ailleurs fait (par. 79) à bon droit — que la

privation de liberté de M. A. S. Diallo étaia trbitraire et violait le paragra-
phe 1 de l’article 9 du Pacte.

40. S’agissant maintenant du droit (de la personne arrêtée ou détenue)
d’être informée des raisons de son arrestation ou de sa détention et des
accusations portées contre elle (paragraphe 2 de l’article 9 du Pacte), la

Guinée a prétendu que M. A. S. Diallo n’avait jamais été informé de
façon précise de la nature de l’infraction alléguée ni des dispositions en
16
vertu desquelles il était accusé . Selon la Guinée, la seule information
fournie à M. A. S. Diallo par l’autorité judiciaire devant laquelle il avait
été amené au cours de sa détention était que son arrestation était «liée au
17
communiqué du premier ministre» . En conséquence, outre le commu-
niqué du premier ministre, l’autorité judiciaire n’avait produit aucun dos-

sier ni aucune accusation pour indiquer à M. A. S. Diallo ce qui autori-
sait son arrestation et son incarcération.
41. La RDC, pour sa part, a reconnu que M. A. S. Diallo avait été

traduit devant l’inspecteur judiciaire, qui lui avait dit que son arresta-
tion était liée au communiqué de presse du premier ministre (selon
18
lequel il était accusé de fraude) . Il semble donc établi qu’un commu-
niqué de presse du premier ministre accusait M. A. S. Diallo de
fraude 19 et que cette accusation avait été rendue publique à la radio et
20
à la télévision le 20 janvier 1988, de même que dans la presse .
Rien n’indique en revanche que, au moment de l’arrestation de

M. A. S. Diallo, les autorités congolaises aient informé celui-ci des rai-
sons de son arrestation ou des accusations portées contre lui.
42. Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a, pour sa

part, déclaré que l’obligation résultant du Pacte n’était pas de pure
forme. Non seulement l’intéressé doit-il être informé au moment de son
arrestation, mais l’information qui lui est fournie doit être suffisamment
21
précise pour qu’il connaisse exactement la raison de son arrestation. En
effet, le Comité a déclaré que,

16 La Guinée a présenté la preuve documentaire d’une déposition de M. A. S. Diallo,
établie le 29 octobre 2008 par deux huissiers des cours et tribunaux de Conakry, où
M. Diallo déclarait: «[I]ls ne m’ont montré aucun document autorisant mon arrestation et ne
m’ont pas expliqué pourquoi j’étais arrêté»; réplique de la Guinée, annexe 1, réponse à la
question 3.
17 Ibid., vol. II, p. 6.
18
19 Duplique de la RDC, par. 1.22.
20 Ibid., par. 1.22, et CR 2010/1 du 19 avril 2010, p. 28.
Lettre adressée au ministre guinéen des affaires étrangères à Conakry, en date du 3 fé-
vrier 1988. La RDC s’est référée à une lettre en date du 3 février 1988 de M. Lounceny
Kouyate (CR 2010/3 du 26 avril 2010, p. 16-17), conseil à l’ambassade guinéenne à
Conakry, pour étayer sa prétention selon laquelle M. A. S. Diallo et la Guinée elle-même
connaissaient les accusations portées contre M. Diallo; observations de la Guinée,op. cit.
supra note 10, p. 17-18.
21 CDH, Adolfo Drescher Caldas c. Uruguay , 21 juillet 1983, n 43/1979, par. 13.2 et

14.

107 “[T]he Committee is of the opinion that Article 9 (2) of the Cov-

enant requires that anyone who is arrested shall be informed suffi-
ciently of the reasons for his arrest to enable him to take immediate
steps to secure his release if he believes that the reasons given are
invalid or unfounded. It is the view of the Committee that it was not

sufficient simply to inform Adolfo Drescher Caldas that he was
being arrested under the prompt security measures without any indi-
cation of the substance of the complaint against him.”

In the present Diallo case, in the absence of relevant and precise informa-
tion from the DRC, Mr. A. S. Diallo’s arrest and detention in 1988 have

amounted to a violation of Article 9 (2) of the Covenant.

43. Turning now to the next point, as to rights of persons in custody
and pre-trial detention, it may be recalled that Article 9 (3) of the Cov-

enant — already quoted — stipulates that “anyone arrested or detained
on a criminal charge “shall be brought promptly before a judge” or other
judicial officer and “shall be entitled to trial within a reasonable time or
to release”; it adds that it “shall not be the general rule that persons

awaiting trial shall be detained in custody”, but release may be subject to
“guarantees to appear for trial” and, should occasion arise, “for execu-
tion of the judgment”.

44. In this provision, what does “promptly” (“dans le plus court
délai”) mean exactly? The Covenant itself has left it open, and so have

the corresponding provisions of the European Convention of Human
Rights (Article 5 (3)) and the American Convention on Human Rights
(Article 7 (5)), which have given rise to a considerable case law. However,
the Human Rights Committee, in its General Comment No. 8 (of 1982),

on Article 9, has empha22zed that, in no event, this may last longer than
“a few days” (para. 2) . In interpreting the requirement that a person be
brought before a judge or another legal officer “authorized by law to
exercise judicial power”, one may recall the criteria developed by the

European Court of Human Rights in the Schiesser v. Switzerland case
(1979, under Article 5 (3) of the European Convention of Human Rights)
for the interpretation of that provision (para. 30), to the effect that:

22Cf. case Fillastre and Bizouarn v. Bolivia, No. 336/1988; and cf. also, in the same
sense, case McLawrence v. Jamaica, No. 702/1996, and case Kurbanov v. Tajikistan,
No. 1096/2002.

108 «en vertu du paragraphe 2 de l’article 9 du Pacte, toute personne

arrêtée doit être informée dans une mesure suffisante des raisons
de son arrestation afin de pouvoir prendre immédiatement des
dispositions pour obtenir sa libération si elle considère que les

raisons avancées sont nulles et non avenues ou mal fondées. De
l’avis du Comité, il ne suffisait pas d’informer simplement Adolfo
Drescher Caldas qu’il était arrêté en vertu des mesures urgentes de
sécurité sans préciser en rien ce qui lui était reproché quant au

fond.»

Dans la présente affaire Ahmadou Sadio Diallo, en l’absence d’infor-
mations pertinentes et précises émanant de la RDC, l’arrestation et la
détention de M. A. S. Diallo en 1988 constituaient une violation du para-

graphe 2 de l’article 9 du Pacte.
43. S’agissant du point suivant, à savoir les droits des personnes pla-
cées en détention et en détention préventive, il convient de rappeler que le
paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte — déjà cité — stipule que «[t]out

individu arrêté ou détenu du chef d’une infraction pénale sera traduit
dans le plus court délai devant un juge ou une autre autorité habilitée par
la loi à exercer des fonctions judiciaires, et devra être jugé dans un délai

raisonnable ou libéré»; il est également indiqué dans cet article que «[l]a
détention de personnes qui attendent de passer en jugement ne doit pas
être de règle, mais la mise en liberté peut être subordonnée à des garanties

assurant la comparution de l’intéressé à l’audience ... et, le cas échéant,
pour l’exécution du jugement».
44. Que signifient les mots «dans le plus court délai» utilisés dans cette
disposition? Le sens de cette expression n’est pas précisé dans le Pacte, ni

d’ailleurs dans les dispositions correspondantes de la convention euro-
péenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales
(paragraphe 3 de l’article 5) ou dans la convention américaine des droits

de l’homme (paragraphe 5 de l’article 7), ce qui a donné lieu à une juris-
prudence considérable. Cependant, le Comité des droits de l’homme,
dans son observation générale n 8 (de 1982) sur l’article 9, a souligné que
22
ce délai ne pouvait en aucun cas dépasser «quelques jours» (par. 2) .En
ce qui concerne la manière d’interpréter la prescription selon laquelle
l’intéressé doit être traduit devant un juge ou un autre responsable de la

loi «autorisé par la loi à exercer le pouvoir judiciaire», on se rappellera
les critères élaborés par la Cour européenne des droits de l’homme en
l’affaire Schiesser c. Suisse (1979, en vertu du paragraphe 3 de l’article 5
de la convention (européenne) de sauvegarde des droits de l’homme et

des libertés fondamentales) pour l’interprétation de cette disposition
(par. 30). Les conditions à remplir sont les suivantes:

22Voir Fillastre et Bizouarn c. Bolivie ,336/1988, et aussi, dans le même sens,
McLawrence c. Jamaïque,n o 702/1996, et Kurbanov c. Tadjikistan1096/2002.

108 “Such a judicial officer must be independent of the executive, per-

sonally hear the person concerned and be empowered to direct pre-
trial detention or to release the person arrested.”

45. This case law has been confirmed by the Human Rights Commit-

tee in the case Kulomin v. Hungary (1996), wherein the Committee pon-
dered that:

“It is inherent to the proper exercise of judicial power that it be
exercised by an authority which is independent, objective and impar-
23
tial in relation to the issues dealt with.”

In the circumstances of the Kulomin v. Hungary case, the Committee was
not satisfied that the public prosecutor could be regarded as having the
institutional objectivity and impartiality necessary to be considered an

officer authorized to exercise judicial power within the meaning of Arti-
cle 9 (3) of the Covenant. This provision enshrines the principle that pre-
trial detention cannot become the general rule, and is thus to be limited
24
to essential reasons , and should anyway be as short as possible.
46. It should not pass unnoticed that the Covenant regards pre-trial
detention, not surprisingly, as an exceptional measure. In the cas d’espèce,

it is not disputed that Mr. A. S. Diallo was taken on 25 January 1988, the
day of his arrest, to the office of the Judicial Inspector, where he was told
by the Inspector that his arrest was related to the First State Commis-

sioner’s press release. However, Guinea considered that the Judicial
Inspector assigned to the Prosecutor’s Office, before which Mr. A. S. Dia-
llo was brought, could not be characterized as an officer authorized by
25
law within the meaning of Article 9 (3) of the Covenant . Guinea
added that the aforementioned judicial inspector was obeying the direct
26
orders of the First State Commissioner .

47. The DRC asserted that the Covenant does not state that the
27
authority referred to must be independent of the Executive . However,
the DRC has not provided any evidence of a written arrest warrant or a
minute of the first interrogation. Neither was Mr. A. S. Diallo brought

before a judge or other officer authorized by law to exercise judicial
power, according to the obligation set out in Article 9 (3) of the Cov-
enant, under which anyone arrested or detained on a criminal charge must

be brought promptly before a judge or another officer authorized by law

23HRC No. 521/1992.
24Such as danger of suppression of evidence, of repetition of the offence, or of
absconding.
25CR 2010/1 of 19 April 2010, paras. 16-17; Reply of Guinea, p. 13, para. 1.24.
26Reply of Guinea, para. 1.24.
27Rejoinder of the DRC, para. 1.26.

109 «La première d’entre elles réside dans l’indépendance à l’égard de

l’exécutif ... A cela s’ajoutent ... l’obligation d’entendre personnel-
lement l’individu traduit devant lui [et] d’examiner les circonstances
qui militent pour ou contre la détention, de se prononcer ... sur l’exis-

tence de raisons la justifiant et, en leur absence, d’ordonner l’élargis-
sement.»

45. Cette jurisprudence a été confirmée par le Comité des droits de

l’homme en l’affaire Kulomin c. Hongrie (1996), à l’occasion de laquelle
le Comité a offert les réflexions suivantes:

«[U]n élément inhérent au bon exercice du pouvoir judiciaire est
qu’il doit être assuré par une autorité indépendante, objective et
23
impartiale par rapport aux questions à traiter.»

Dans les circonstances de l’affaire Kulomin c. Hongrie, le Comité n’était
pas convaincu que le procureur puisse être réputé avoir l’objectivité et
l’impartialité institutionnelles nécessaires pour être considéré comme un

responsable autorisé à exercer le pouvoir judiciaire au sens du paragra-
phe 3 de l’article 9 du Pacte. Selon cette disposition, en effet, la détention
préventive ne peut devenir la règle générale, doit être limitée à des raisons
24
essentielles et doit de toute manière être aussi courte que possible.
46. Il convient également de rappeler que selon le Pacte — ce qui n’est
guère étonnant — la détention préventive est considérée comme une

mesure d’exception. En l’espèce, il n’est pas contesté que M. A. S. Diallo
a été traduit le 25 janvier 1988, jour de son arrestation, devant l’inspec-
teur judiciaire, qui l’a informé que son arrestation était liée au commu-

niqué de presse du premier commissaire d’Etat. Cependant, la Guinée a
considéré que l’inspecteur judiciaire assigné au bureau du procureur,
devant lequel M. A. S. Diallo a été traduit, ne pouvait être considéré

comme un responsable autorisé par la loi à exercer des fonctions judiciai-
res, au sens du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte . La Guinée a ajouté

que l’inspecteur judiciaire en 26estion obéissait directement à un ordre du
premier commissaire d’Etat .
47. La RDC a affirmé que le Pacte ne précisait pas que l’autorité

devant laquelle la personne en détention devait être déférée devait être
indépendante de l’exécutif . Cependant, la RDC n’a fourni aucun élé-
ment de preuve d’un mandat d’arrêt écrit ni d’un procès-verbal du pre-

mier interrogatoire. M. A. S. Diallo n’a pas non plus été traduit devant
un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions
judiciaires, conformément à l’obligation prescrite au paragraphe 3 de

l’article 9 du Pacte, qui stipule que tout individu arrêté ou détenu du chef

23CDH, n 521/1992.
24Comme le danger de suppression de preuves, de répétition d’infraction ou de fuite.

25CR 2010/1 du 19 avril 2010, par. 16-17; réplique de la Guinée, p. 13, par. 1.24.
26Réplique de la Guinée, par. 1.24.
27Duplique de la RDC, par. 1.26.

109to exercise judicial power. During his entire stay in the prison of Makala

(from 27 January 1988 to 3 January 1989), Mr. A. S. Diallo did not see
any judge . Therefore, it so appears that the DRC has incurred into a
breach of Article 9 (3) of the Covenant.

48. Next, the question may be asked whether the DRC has breached
the right (of an arrested or detained person) to habeas corpus (Article
9 (4) of the Covenant) . This right, to have the detention reviewed in

court without delay, exists irrespective of whether deprivation of liberty
is unlawful. The Human Rights Committee has stated that the person
deprived of liberty must have access to a lawyer . In the present case,

Mr. A. S. Diallo has not been presented any arrest warrant when he was
detained, and thus did not have the opportunity to obtain a ruling on the
lawfulness or otherwise of his detention. It thus appears that the DRC

has incurred into a breach also of Article 9 (4) of the Covenant.
49. As can be seen from the preceding paragraphs, the contending Par-

ties — unlike the Court — have taken into account Article 9 of the Cov-
enant as a whole, as they should. I have also taken into account Article 9
of the Covenant as a whole, comme il faut, in the circumstances of the

present case. The Court, however, took into account only paragraphs (1)
and (2) of Article 9, as the arguments on paragraphs (3) and (4) of Arti-
cle 9 pertained to the arrests and detention of Mr. A. S. Diallo of 1988-

1989, which the Court excluded from the scope of its considerations in
the present case. As I have dissented from that part of the Court’s deci-
sion (corresponding to resolutory point No. 1 of the dispositif), I feel it

my duty to pronounce on the breach of Article 9 of the Covenant as a
whole.

(b) The arrests and detention of 1995-1996

50. The contending Parties agreed that Mr. A. S. Diallo was arrested

and detained more than once in late 1995 and early 1996, but that was as
far as they did agree . They disagreed on the duration of the periods in
detention (cf. infra) . Guinea maintained that Mr. A. S. Diallo was

placed in detention on 5 November 1995 and that he remained impris-

28CR 2010/1 of 19 April 2010, para. 17.
29According to Guinea, Mr. A. S. Diallo was not given the opportunity to take any
proceedings to obtain a ruling on the lawfulness of his detention; Reply of Guinea, p. 14.
In turn, the DRC stated that Guinea has not produced any evidence to show that

Mr. A. S. Diallo was prevented by the DRC from taking such proceedings; Rejoinder of
th30DRC, para. 1.34.
HRC, Berry v. Jamaica case, 1994, No. 330/1988, para. 11.1.
31Reply of Guinea, para. 1.29; Counter-Memorial of the DRC, pp. 11-12, paras. 1.09-
1.11; CR 2006/50 of 27 November 2006, pp. 39-40, paras. 89-92.
32The Congolese legislative order of 12 September 1983 provided for an eight-day
statutory limit on detention.

110d’une infraction pénale doit être traduit dans le plus court délai devant

un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions
judiciaires. Pendant tout son séjour à la prison de Makala (du 27 jan-
28
vier 1988 au 3 janvier 1989), M. A. S. Diallo n’a vu aucun juge . Par
conséquent, il semble que la RDC ait violé le paragraphe 3 de l’article 9
du Pacte.

48. Il y a lieu de se demander ensuite si la RDC a violé le droit (d’un
individu arrêté ou détenu) à l’habeas corpus (paragraphe 4 de l’article 9
du Pacte) . Ce droit à l’examen sans délai de la légalité de la détention

existe indépendamment de la légalité de la privation de liberté. Le Comité
des droits de l’homme a déclaré que tout individu privé de liberté devait
30
avoir accès à un avocat . Dans le cas présent, aucun mandat d’arrêt n’a
été présenté à M. A. S. Diallo lorsqu’il a été placé en détention et il n’a
donc pas eu la possibilité d’obtenir une décision sur la légalité de sa

détention. Par conséquent, la RDC a, apparemment, violé également le
paragraphe 4 de l’article 9 du Pacte.
49. Ainsi qu’on peut le voir d’après l’exposé qui précède, les Parties au

litige — à la différence de la Cour — ont pris en compte l’article 9 du
Pacte dans son ensemble, comme il se doit. J’ai moi aussi pris en compte

l’article 9 du Pacte dans son ensemble, comme il se doit dans les circons-
tances de la présente affaire. Cependant, la Cour n’a pris en compte que
les paragraphes 1 et 2 de l’article 9, étant donné que les arguments

concernant les paragraphes 3 et 4 de l’article 9 concernaient les arresta-
tions et la détention de M. A. S. Diallo en 1988-1989, que la Cour a

exclues de son examen en l’espèce. Etant donné que j’ai exprimé ma dis-
sension sur cette partie de la décision de la Cour (qui correspond au
point 1 du dispositif), je considère de mon devoir d’exposer ma position

sur la violation de l’article 9 du Pacte dans son ensemble.

b) Les arrestations et la détention de 1995-1996

50. Les Parties sont convenues que M. A. S. Diallo a été arrêté et détenu
plus d’une fois à la fin de 1995 et au début de 1996, mais leur accord s’est
31
arrêté là . Elles étaient en désaccord sur la durée des périodes de détention
(voirinfra) . Selon la Guinée, M. A. S. Diallo avait été placé en détention le
5 novembre 1995 et était demeuré emprisonné d’abord pendant deux mois,

28
CR 2010/1 du 19 avril 2010, par. 17.
29 Selon la Guinée, M. A. S. Diallo n’a pas eu la possibilité d’engager une procédure
pour obtenir une décision sur la légalité de sa détention; réplique de la Guinée, p. 14.
Selon la RDC, la Guinée n’a produit aucun élément de preuve indiquant que
M. A. S. Diallo ait été empêché par la RDC d’engager une telle procédure; duplique de la
RDC, par. 1.34.
30 CDH, Berry c. Jamaïque, 1994, n 330/1988, par. 11.1.
31
Réplique de la Guinée, par. 1.29; contre-mémoire de la RDC, p. 11-12, par. 1.09-
1.32; CR 2006/50 du 27 novembre 2006, p. 39-40, par. 89-92.
L’ordonnance-loi congolaise du 12 septembre 1983 prévoit une limite statutaire de
huit jours de détention.

110oned first for two months, before being released on 10 January 1996,

“further to intervention by the [Zairean] President himself” 33. Mr. A. S. Dia-
llo was, according to Guinea, then rearrested and imprisoned for two more
34
weeks before being expelled. Mr. A. S. Diallo is thus said to have been
detained for 75 days in all . 35

51. The DRC, in dismissing these allegations by Guinea, argued that
the duration and conditions of Mr. A. S. Diallo’s detention during the

expulsion process were in conformity with Zairean law; in particular, it
contended that the statutory maximum of eight days’ detention was not

exceeded. According to the DRC, Mr. A. S. Diallo was arrested on 5 Nov-
ember 1995 and then released two days later . At a date not provided

by the DRC (but allegedly within eight days before 10 January 1996),
Mr. A. S. Diallo was rearrested with a view to expulsion, and then he was
released on 10 January 1996 because the Government had been unable

to find an aircraft leaving for Conakry within the statutory period of no
more than eight days of detention . The DRC claimed at last that

Mr. A. S. Diallo was under arrest in Kinshasa on 25 January 1996 (six
days at least before being expelled), but it did not say since when . 38

52. It so appears that the Respondent State did not provide evidence

for all its assertions. In this regard, the only proven facts, not contested
by the contending Parties, are the fact that Mr. A. S. Diallo was arrested
39 40
on 5 November 1995 , as well as his release on 10 January 1996 . How-
ever, the DRC did not prove its assertion that he was released in between
those dates; nor did it specify exactly when was Mr. A. S. Diallo incar-
41
cerated after 10 January 1996, before he was deported .
53. Article 9 of the Covenant on Civil and Political Rights refers, in

33 Memorial of the Republic of Guinea (hereinafter Memorial of Guinea), para. 2.63.

34 Reply of Guinea, para. 1.40.
35
Ahmadou Sadio Diallo (Republic of Guinea v. Democratic Republic of the Congo),
Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2007 (II) , p. 591, para. 17; Memorial
of Guinea, para. 2.64. Guinea relied on the documentary evidence of Avocats sans Fron-
tières (press release) and an article from the Kinshasa Business and News. An article in the
Guinean daily newspaper Horoya (edition of 6 August 1996) which echoed the Zairean
weekly L’Ouragan (edition of 31 January 1996) was also cited by Guinea. Cf. Memorial of

Guinea, Annexes 190, 193 and 206, respectively.

36 Counter-Memorial of the DRC, para. 1.10, and Annex 7.
37 Ibid., para. 1.11.
38 Ibid., para. 1.21.
39 Ibid., para. 1.10, and Annex 7: committal note (billet d’écrou) ; in such handwritten

committal note it can be read that it was said:“Sieur Diallo est détenu à la permanence jus-
qu’à son expulsion du Zaire.”
40 Reply of Guinea, para. 1.32; Memorial of Guinea, Annex 194.
41 The Respondent State simply gave two clues: the first was the reference to “several
days” after 10 January 1996, and the second was its own statement that on 25 January 1996
Mr. A. S. Diallo was “still in detention in Kinshasa six days before being expelled”;

cf. Counter-Memorial of the DRC, p. 12, para. 1.11, and p. 16, para. 1.21.

111avant d’être libéré le 10 janvier 1996 «par suite d’une intervention du pré-

sident [zaïrois] lui-même» . M. A. S. Diallo avait alors, selon la Guinée, été
arrêté de nouveau et emprisonné pendant deux semaines encore avant
34
d’être expulsé . M. A. S. Diallo aurait donc été maintenu en détention pen-
dant 75 jours au total . 35

51. Rejetant ces allégations de la Guinée, la RDC a soutenu que la
durée et les conditions de la détention de M. A. S. Diallo au cours de la

procédure d’expulsion étaient conformes au droit zaïrois; en particulier,
elle a soutenu que la durée maximale statutaire de détention de huit jours

n’avait pas été dépassée. Selon la RDC, M. A. S. Diallo a été arrêté le
5 novembre 1995 et libéré deux jours plus tard . A une date non précisée

par la RDC (mais, selon les allégations, dans les huit jours précédant le
10 janvier 1996), M. A. S. Diallo a été arrêté à nouveau en vue d’être
expulsé, puis libéré le 10 janvier 1996, le gouvernement n’ayant pu trou-

ver un avion en partance de Conakry dans le délai légal de huit jours sui-
vant sa mise en détention . La RDC a soutenu enfin que M. A. S. Diallo

était en état d’arrestation à Kinshasa le 25 janvier 1996 (six jours au
moins avant d’être expulsé), mais elle n’a pas précisé depuis combien de
38
temps .
52. Il apparaît donc que l’Etat défendeur n’a pas fourni d’éléments de

preuve de toutes ses assertions. A cet égard, les seuls faits prouvés, et non
contestés par les Parties, sont le fait que M. A. S. Diallo a été arrêté le
39 40
5 novembre 1995 et libéré le 10 janvier 1996 . Cependant, la RDC n’a
pas prouvé son assertion selon laquelle M. Diallo avait été libéré entre ces
deux dates; elle n’a pas non plus spécifié exactement quand M. Diallo
41
avait été incarcéré après le 10 janvier 1996, avant d’être expulsé .
53. L’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politi-

33 Mémoire de la République de Guinée (ci-après «mémoire de la Guinée»), par.
2.63.
34 Réplique de la Guinée, par. 1.40.
35
Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II) , p. 591, par. 17; mémoire de la
Guinée, par. 2.64. La Guinée s’est appuyée sur la preuve documentaire de l’organisme
Avocats sans frontières (communiqué de presse) et sur un article du Business and News de
Kinshasa. Un article paru dans le quotidien guinéen Horoya (édition du 6 août 1996)
— faisant écho à l’hebdomadaire zaïrois L’Ouragan (édition du 31 janvier 1996) — a

également été cité par la Guinée. Voir mémoire de la Guinée, annexes 190, 193 et 206
respectivement.
36 Contre-mémoire de la RDC, par. 1.10 et annexe 7.
37 Ibid., par. 1.11.
38 Ibid., par. 1.21.
39 Ibid., par. 1.10 et annexe 7: billet d’écrou; on peut lire dans ce billet d’écrou ce qui

suit: «Sieur Diallo est détenu à la permanence jusqu’à son expulsion du Zaïre.»

40 Réplique de la Guinée, par. 1.32; mémoire de la Guinée, annexe 194.
41 L’Etat défendeur a simplement donné deux indices: le premier est la mention de
«quelques jours» après le 10 janvier 1996, et le second est sa propre déclaration selon
laquelle, le 25 janvier 1996, M. A. S. Diallo était «toujours détenu à Kinshasa six jours

avant d’être expulsé»; contre-mémoire de la RDC, p. 12, par. 1.11, et p. 16, par. 1.21.

111general terms, toevery type of deprivation of liberty , whether pursuant to

a judicial investigation, or following an administrative decision. Article 9
of the Covenant thus applies to the arrests and detentions of Mr. A. S. Dia-

llo in 1995-1996. Article 9 (1) of the Covenant provides that any depri-
vation of liberty can only be effected in accordance with a procedure
established by law. In the present case, the DRC did not produce any

evidence that Mr. Diallo was likely to evade decisions taken by Zairean
authorities and flee away. Nor did it produce any evidence that Mr. A. S. Dia-

llo was released between 5 November 1995 and 10 January 1996. Nor
did it provide the decisions extending the detention beyond the first 48
hours . In any event, the periods of arrests altogether exceeded the
44
statutory period of eight days .

54. Moreover, the DRC did not explain why, or whether, it was
“absolutely necessary” to incarcerate again Mr. A. S. Diallo on 17 Janu-
ary 1996 ; nor did it ever demonstrate that it was absolutely necessary

to extend Mr. A. S. Diallo’s detention. In conclusion, Mr. A. S. Diallo’s
arrest and detention in 1995-1996 appears, in the light of the aforemen-

tioned, arbitrary and unlawful, and thus in breach of Article 9 (1) of the
CCPR, as the Court rightly concluded (Judgment, para. 79).

55. Next, as to Article 9 (2) of the Covenant, in the present case

Mr. A. S. Diallo was neither informed of the reasons for the arrests nor
promptly informed of the charges against him. He was not even informed
of the adoption of the decree of 31 October 1995 . The DRC itself

admits that, between 31 October 1995, when the expulsion decree was
adopted, and 31 January 1996, when Mr. A. S. Diallo was actually
deported, he did not know that there was already an expulsion order
47
against him . It thus appears that, by not informing Mr. A. S. Diallo of
the reasons for his arrests and detentions in 1995-1996, the DRC incurred

in breach of Article 9 (2) of the Covenant, as the Court rightly deter-
mined (Judgment, para. 82).

42 Cf. text reproduced in para. 35, supra.
43 Reply of Guinea, para. 1.46. If Mr. Diallo was released on 10 January 1996, he
would have been arrested on 2 January 1996, but there was no proof that he was freed
before 2 January 1996.
44
There is some contradiction in the arguments of the DRC: it stated that he was released
on 10 January 1996 because the Government had been unable to find an aircraft leaving for
Conakry, within the statutory period of no more than eight days of detention, pending
expulsion from the Congo; Counter-Memorial of the DRC, para. 1.11. However, the only
document produced, dated 10 January 1996, stated that Mr. A. S. Diallo had been released
“for inquiries”; Memorial of Guinea, Annex 194. Inaccuracies of the kind make the Respon-
dent State’s argument appear vague and without foundation.
45 Reply of Guinea, para. 1.40; and Annex 1, answers to question 22.
46 Ibid., para. 1.48; and Annex 1, answers to questions 15, 20 and 26.
47
CR 2006/52 of 29 November 2006, pp. 19-20, para. 10.

112ques parle, de façon générale, de tout type de privation de liberté , 42

qu’elle soit la conséquence d’une enquête judiciaire ou d’une décision
administrative. L’article 9 du Pacte s’applique donc aux arrestations et

aux détentions de M. A. S. Diallo en 1995-1996. Le paragraphe 1 de
l’article 9 du Pacte stipule que nul ne peut être privé de sa liberté, si ce
n’est conformément à la procédure prévue par la loi. Dans la présente

affaire, la RDC n’a présenté aucune preuve que M. Diallo pouvait se
soustraire aux décisions des autorités zaïroises et s’enfuir. Elle n’a pas

non plus produit de preuve que M. A. S. Diallo avait été libéré entre le
5 novembre 1995 et le 10 janvier 1996. Elle n’a pas davantage présenté de
décision de prorogation de la détention au-delà des 48 premières heu-
43
res . Quoi qu’il en soit, les périodes d’arrestation, prises ensemble, ont
dépassé la période statutaire de huit jours . 44

54. En outre, la RDC n’a pas expliqué pourquoi ni s’il était «absolu-
ment nécessaire» d’incarcérer de nouveau M. A. S. Diallo le 17 jan-
vier 1996 ; elle n’a jamais démontré non plus qu’il était absolument

nécessaire de prolonger la détention de M. A. S. Diallo. En conclusion,
l’arrestation et la détention de M. A. S. Diallo en 1995-1996 semblent, à

la lumière des faits susmentionnés, arbitraires et illégales, et donc contrai-
res au paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques, comme la Cour l’a d’ailleurs justement conclu (arrêt,

par. 79).
55. Par ailleurs, en ce qui concerne le paragraphe 2 de l’article 9 du

Pacte, M. A. S. Diallo n’a été ni informé des raisons de son arrestation ni
informé dans le plus court délai des accusations portées contre lui. Il n’a
même pas été informé de l’adoption du décret du 31 octobre 1995 .La 46

RDC reconnaît elle-même qu’entre le 31 octobre 1995, date d’adoption
du décret d’expulsion, et le 31 janvier 1996, date de l’expulsion effective
de M. Diallo, celui-ci ignorait qu’un décret d’expulsion avait déjà été pris
47
contre lui . Ainsi, en n’informant pas M. A. S. Diallo des raisons de son
arrestation et de sa détention en 1995-1996, la RDC a violé le paragra-

phe 2 de l’article 9 du Pacte, ce que la Cour a établi, à juste titre (arrêt,
par. 82).

42 Voir le texte reproduit au paragraphe 35 supra.
43 Réplique de la Guinée, par. 1.46. Si M. Diallo avait été libéré le 10 janvier 1996, il
aurait été arrêté le 2 janvier 1996, mais il n’y a aucune preuve qu’il ait été libéré avant le
2 janvier 1996.
44
L’argumentation de la RDC est quelque peu contradictoire: elle a déclaré qu’il avait
été libéré le 10 janvier 1996 parce que le gouvernement avait été incapable de trouver un
avion en partance pour Conakry dans la période statutaire maximale de huit jours de
détention; contre-mémoire de la RDC, par. 1.11. Cependant, le seul document produit,
daté du 10 janvier 1996, indique que M. A. S. Diallo avait été libéré «pour raisons
d’enquête»; mémoire de la Guinée, annexe 194. Des inexactitudes de cette nature font
paraître l’argumentation de l’Etat défendeur vague et sans fondement.
45 Réplique de la Guinée, par. 1.40 et annexe 1, réponse à la question 22.
46 Ibid., par. 1.48 et annexe 1, réponses aux questions 15, 20 et 26.
47
CR 2006/52 du 29 novembre 2006, p. 19-20, par. 10.

112 2. The Right Not to Be Expelled from a State without a Legal Basis

56. Another right vindicated in the framework of the cas d’espèce, was
the right not to be expelled from a State without a legal basis, set forth in
Article 13 of the Covenant, which states:

“An alien lawfully in the territory of a State party to the present
Covenant may be expelled therefrom only in pursuance of a decision
reached in accordance with law and shall, except where compelling
reasons of national security otherwise require, be allowed to submit

the reasons against his expulsion and to have his case reviewed by,
and be represented for the purpose before, the competent authority
or a person or persons especially designated by the competent author-

ity.”

57. In the present case, the fact was not disputed that, on 31 October
1995, the Prime Minister of Zaire issued an expulsion order against
Mr. A. S. Diallo , with the following reason: Mr. A. S. Diallo’s “pres-

ence and conduct have breached public order in Zaire, especially in th49
economic, financial and monetary areas, and continue to do so” .Itwas
also common ground between the contending Parties that, on 5 Novem-
ber 1995, Mr. A. S. Diallo was placed under arrest with a view to his

deportation. However, the Parties contested each other’s arguments as
regards the duration and conditions of the periods of arrest 50 (cf. supra),
as well as in respect of the facts related to the specific circumstances of

Mr. A. S. Diallo’s arrest, detention and expulsion (cf. supra).

58. Guinea claimed that Mr. A. S. Diallo’s expulsion contravened

some international and domestic rules framing the power to expel,
namely: (a) the Respondent State did not fulfill the obligation to state
reasons for the expulsion; (b) the jurisdictional, formal and procedural
rules were deliberately evaded; (c) the refusal-of-entry procedure was

intentionally and arbitrarily misused to effect an expulsion; and, at last,
(d) Mr. A. S. Diallo was at no time afforded the opportunity to submit
the reasons against his expulsion and to have his case reviewed by the

competent authority. All these elements show that the measure taken
against Mr. Diallo was wholly arbitrary.

59. There are two different phases in the expulsion of Mr. A. S. Dia-
llo: first, the expulsion decree of 31 October 1995; and secondly, the
notice of refusal of entry of 31 January 1996. As for the grounds for
expulsion, the lack of statement of reasons (in the legal sense of the term)

48Ahmadou Sadio Diallo (Republic of Guinea v. Democratic Republic of the Congo),
Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2007 (II) , pp. 590-591, paras. 15-16.
49Counter-Memorial of the DRC, Annex 5 (Decree No. 0043 of 31 October 1995, on
deportation of Mr. A. S. Diallo).
50Reply of Guinea, para. 1.31.

113 2. Le droit de ne pas être expulsé d’un Etat sans base juridique

56. Un autre droit défendu dans le cadre de cette affaire est le droit de
n’être expulsé d’un Etat qu’en exécution d’une décision prise conformé-
ment à la loi, droit énoncé à l’article 13 du Pacte, ainsi libellé:

«Un étranger qui se trouve légalement sur le territoire d’un Etat
partie au présent Pacte ne peut en être expulsé qu’en exécution d’une
décision prise conformément à la loi et, à moins que des raisons
impérieuses de sécurité nationale ne s’y opposent, il doit avoir la

possibilité de faire valoir les raisons qui militent contre son expulsion
et de faire examiner son cas par l’autorité compétente, ou par une ou
plusieurs personnes spécialement désignées par ladite autorité, en se

faisant représenter à cette fin.»

57. Dans la présente affaire, il n’a pas été contesté que, le 31 octo-
bre 1995, le premier ministre du Zaïre a pris un décret d’expulsion contre
M. A. S. Diallo , dont la motivation était ainsi libellée: «la présence et

la conduite [de M. Diallo] ont compromis et continuent à compromettre
l’ordre public zaïrois, spécialement en matière économique, financière et
monétaire» . Les Parties étaient également convenues que, le 5 novem-
bre 1995, M. A. S. Diallo avait été placé en état d’arrestation en vue

d’être expulsé. Cependant, les Parties ont contesté leurs arguments res-
pectifs en ce qui concerne la durée et les conditions des périodes de déten-
tion 50(voir supra), ainsi qu’en ce qui concerne les faits liés aux circons-

tances particulières de l’arrestation, de la détention et de l’expulsion de
M. A. S. Diallo (voir supra).
58. La Guinée a prétendu que l’expulsion de M. A. S. Diallo était

contraire à certaines règles internationales et internes encadrant le pou-
voir d’expulsion, à savoir: a) l’Etat défendeur n’a pas respecté l’obliga-
tion de fournir les motifs de l’expulsion; b) les règles juridictionnelles,
formelles et procédurales ont été délibérément méconnues; c) la procé-

dure de refoulement a été intentionnellement et arbitrairement utilisée à
mauvais escient pour effectuer une expulsion; et enfin, d) M. A. S. Diallo
n’a jamais eu la possibilité de faire valoir les raisons qui militaient contre

son expulsion et de faire examiner son cas par l’autorité compétente.
Tous ces éléments indiquent que la mesure prise à l’encontre de M. Diallo
était tout à fait arbitraire.

59. L’expulsion de M. A. S. Diallo s’est donc déroulée en deux étapes:
premièrement, le décret d’expulsion du 31 octobre 1995; deuxièmement,
l’avis de refoulement du 31 janvier 1996. Quant aux motifs de l’expulsion,
du fait qu’ils n’ont pas été spécifiés (au sens juridique du terme), le décret

48Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II) , p. 590-591, par. 15-16.
49Contre-mémoire de la RDC, annexe 5 (décret n 0043 du 31 octobre 1995 portant
expulsion de M. A. S. Diallo).
50Réplique de la Guinée, par. 1.31.

113makes the decree of expulsion vague. In this respect, the African Com-

mission on Human and Peoples’ Rights found, in the case of Amnesty
International and Others v. Sudan (1999), that:

“It is not enough for an arrest to be carried out under a legal pro-

vision to satisfy the requirements of Article 6: the law must comply
with accepted standards. Thus a decree allowing for arrests for
vague reasons, and upon suspicion rather than proven acts, was not

in conformity with the African Charter [on Human and Peoples’
Rights].” 51

60. As already pointed out, Mr. A. S. Diallo was neither informed of

the reasons for the arrests nor promptly informed of the charges against
him; he was not even informed of the adoption of the 31 October 1995
decree for his deportation . This fact has been admitted by the DRC . 53

For that reason, Mr. A. S. Diallo could not submit any reason against
the expulsion, nor could he have had his case reviewed by the competent
authority, as provided for by Article 13 of the Covenant. The decree of

expulsion was thus not in conformity with Article 13 of the Covenant.
61. There is, furthermore, a disagreement between the contending
Parties as to the form of expulsion of Mr. A. S. Diallo. The DRC

acknowledged that Mr. A. S. Diallo was indeed expelled, and that the
notice signed by the immigration officer “inadvertently” referred to

“refusal of entry” (refoulement), instead of “expulsion”. Guinea sus-
tained, on its part, that Mr. A. S. Diallo was subjected to a “refusal of
entry” . It may here be pointed out that the UN Human Rights Com-

mittee, in its General Comment No. 15, of 1986, on the Position of Aliens
under the Covenant [on Civil and Political Rights], made it clear that the
guarantee of Article 13 of the Covenant relates to any form of “obliga-

tory departure” of aliens, irrespective of how this was described under
domestic law 55 (cf. infra). Accordingly, although Article 13 refers to
expulsion, it applied likewise to the refusal of entry of Mr. A. S. Diallo.

62. Article 13 of the Covenant states that the individual subject to

expulsion must be “allowed to submit the reasons against his expulsion”.

51Cf. African Commission on Human and Peoples’ Rights, communications 48/90,
50/91, 52/91 and 89/93, para. 59.
52Reply of Guinea, para. 1.48 and Annex 1, answers to questions 15, 20 and 26.
53CR 2006/52 of 29 November 2006, pp. 19-20, para. 10.
54The Court drew attention to this, in its Judgment on preliminary objections, stating
that Mr. Diallo “was justified in relying on the consequences of the legal characterization
thus given by the Zairean authorities”; Ahmadou Sadio Diallo (Republic of Guinea v.

Democratic Republic of the Congo), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports
2055 (II), p. 601, para. 46.
On this point, cf. also: European Court of Human Rights (ECHR), judgment of
5 October 2006, case Bolat v. Russia (Application 14139/03), para. 79; ECHR, judgment
of 12 February 2009, case Nolan and K. v. Russia (Application 2512/04), para. 112. And
cf. also UN/International Law Commission (ILC), Memorandum Prepared by the Secre-
tariat — Expulsion of Aliens , doc. A/CN.4/565, of 10 July 2006, p. 58, para. 67.

114d’expulsion est demeuré vague. A cet égard, la Commission africaine des

droits de l’homme et des peuples a fait, en l’affaire Amnesty International
et autres c. Soudan (1999), les constatations suivantes:

«Il ne suffit pas qu’une arrestation soit effectuée en vertu d’une

disposition de la loi pour satisfaire aux exigences de l’article 6: la loi
doit respecter les normes acceptées. Ainsi, un décret permettant
l’arrestation pour des raisons vagues ou sur des soupçons plutôt que

sur des faits avérés n’était pas conforme à la Charte africaine [des
droits de l’homme et des peuples].» 51

60. Comme il a déjà été indiqué, M. A. S. Diallo n’a été informé ni des

raisons de son arrestation ni des accusations portées contre lui dans le
plus court délai; il n’a même pas été informé de l’adoption, le 31 octo-
52
bre 1995, d’un53écret d’expulsion le concernant . Ce fait a été reconnu
par la RDC . Pour cette raison, M. A. S. Diallo n’a pu ni opposer des
raisons à son expulsion ni demander l’examen de son cas par l’autorité

compétente, ainsi qu’il est prévu à l’article 13 du Pacte. Le décret d’expul-
sion n’était donc pas conforme à cet article.
61. De plus, les Parties au litige étaient en désaccord sur la forme d’ex-

pulsion appliquée à M. A. S. Diallo. La RDC a reconnu que M. Diallo
avait effectivement été expulsé et que l’avis signé par l’agent de l’immi-

gration faisait «par inadvertance» état de «refoulement» (plutôt que
d’«expulsion»). Pour sa part, la Guinée a soutenu que M. A. S. Diallo
avait été victime de «refoulement» . Il convient peut-être ici de rappeler

que le Comité des droits de l’homme des Nations Unies, dans son obser-
vation générale n 15 de 1986 sur La situation des étrangers au regard du
Pacte international relatif aux droits civils et politiques, indiquait claire-

ment que la garantie de l’article 13 du Pacte concernait toutes les formes
de «départ obligatoire» d’étrangers, quel que soit le terme utilisé pour
55
décrire cette situation dans le droit interne (voir infra). En conséquence,
même si l’article 13 utilise le terme «expulsion», il s’applique également
au refoulement de M. A. S. Diallo.

62. L’article 13 du Pacte stipule que la personne victime d’expulsion
doit être «autorisée à opposer des raisons à son expulsion». En outre, la

51 Voir Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (ci-après CADHP),

co52unications 48/90, 50/91, 52/91 et 89/93, par. 59.
53 Réplique de la Guinée, par. 1.48 et annexe 1, réponses aux questions 15, 20 et 26.
CR 2006/52 du 29 novembre 2006, p. 19-20, par. 10.
54 La Cour a appelé l’attention sur ce fait dans son arrêt sur les exceptions prélimi-
naires, où elle a dit que M. Diallo «était autorisé à tirer les conséquences de la quali-
fication juridique ainsi donnée par les autorités zaïroises»; Ahmadou Sadio Diallo
(République de Guinée c. République démocratique du Congo), exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II) , p. 601, par. 46.
55 Sur ce point, voir aussi: CEDH, arrêt du 5 octobre 2006, Bolat c. Russie (requête

14139/03), par. 79; CEDH, arrêt du 12 février 2009, Nolan et K. c. Russie (requête 2512/
04), par. 112. Et aussi Commission du droit international (CDI), Expulsion des étrangers
— Etude du Secrétariat, doc. A/CN.4/565 du 10 juillet 2006, p. 58, par. 67.

114Furthermore, the possibility must be afforded “to plead [his] case before

the competent national courts”, according to the African Commission on
Human and Peoples’ Rights . However, Mr. A. S. Diallo was not given
due notice of the decision to expel him before it was carried out, and was
57
not able therefore to oppose any reason against it . Mr. A. S. Diallo
should have been enabled to have had his case reviewed by the competent
authority.
63. In the leading case of Hammel v. Madagascar (1987) , the UN 58

Human Rights Committee decided against the Respondent State because
the expellee had not been “indicted nor brought before a magistrate
on any charge”, and because “he was not afforded an opportunity to

challenge the expulsion order prior to his expulsion” (para. 18.2). The
Committee added that the victim “was not given an effective remedy to
challenge his expulsion”, and that the State concerned did not show

that there were “compelling reasons of national security” to deprive him
of that remedy (para. 19.2).
64. In formulating its views on the Hammel v. Madagascar case (1987),
the Human Rights Committee also took into account its General Com-

ment No. 15 (27), on the position of aliens under the Covenant, and
pointed out in particular that:

“an alien must be given full facilities for pursuing his remedy against
expulsion so that this right will in all the circumstances of his case be

an effective one” (para. 19.2).

In the present Diallo case, the victim did not enjoy either, the right of
access to justice (comprising legal assistance) in the context of Article 13
of the Covenant. This Court rightly determined a breach of Article 13 of
the Covenant in respect of the circumstances surrounding the expulsion

of Mr. A. S. Diallo (para. 74).

3. The Right Not to Be Subjected to Mistreatment

65. There are two other provisions of the UN Covenant on Civil and
Political Rights which are pertinent to the consideration of the present

case, namely, Articles 7 and 10 of the Covenant. Article 7 stipulates that:

“No one shall be subjected to torture or to cruel, inhuman or
degrading treatment or punishment. In particular, no one shall be
subjected without his free consent to medical or scientific experimen-

tation.”

56Cf. African Commission on Human and Peoples’ Rights, Union interafricaine des
droits de l’homme and Others v. Angola, No. 159/96, 11 November 1997, para. 20.
57Cf. also, on this point, African Commission on Human and Peoples’ Rights,
Amnesty International v. Zambia, No. 212/98, 5 May 1999, para. 41 in fine.
58Communication No. 155/83, Human Rights Committee’s views of 3 April 1987,
doc. CCPR/C/29/D/155/1983, pp. 1-9.

115possibilité doit lui être offerte de «plaider sa cause devant les tribunaux

nationaux compétents», selon la Commission africaine des droits de
l’homme et des peuples . Cependant, M. A. S. Diallo n’a pas été informé
dans les délais de la décision de l’expulser avant que celle-ci ne soit mise
57
à exécution et n’a donc pu opposer aucune raison à cette expulsion .
M. A. S. Diallo aurait dû avoir la possibilité de faire examiner son cas
par l’autorité compétente.
58
63. Dans l’importante affaire Hammel c. Madagascar (1987) ,el
Comité des droits de l’homme des Nations Unies a débouté l’Etat défen-

deur parce que la personne expulsée n’avait été ni «accusée ni produite
devant un magistrat» et parce qu’«elle n’avait pas eu la possibilité de
contester le décret d’expulsion avant son expulsion» (par. 18.2). Le

Comité a ajouté que la victime «n’avait pas obtenu de recours utile pour
contester son expulsion» et que l’Etat concerné n’avait pas démontré
qu’il existait «des raisons impérieuses de sécurité nationale» pour lui

refuser ce recours (par. 19.2).
64. Dans ses constatations sur l’affaire Hammel c. Madagascar (1987),
le Comité des droits de l’homme a également pris en compte son observa-
o
tion générale n 15 (27) sur la situation des étrangers au regard du Pacte,
et a signalé en particulier ce qui suit:

«L’étranger doit recevoir tous les moyens d’exercer son recours
contre l’expulsion, de manière à être en toutes circonstances à même

d’exercer effectivement son droit.» (Par. 19.2.)

Dans la présente affaire Ahmadou Sadio Diallo, la victime n’a pas non
plus bénéficié du droit d’accès à la justice (y compris à l’assistance juri-
dique) au titre de l’article 13 du Pacte. La Cour a jugé à juste titre que

l’article 13 du Pacte avait été enfreint à raison des circonstances qui
avaient entouré l’expulsion de M. A. S. Diallo (par. 74).

3. Le droit de ne pas être soumis à de mauvais traitements

65. Deux autres dispositions du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques des Nations Unies sont pertinentes pour l’examen de la
présente affaire; il s’agit des articles 7 et 10 du Pacte. L’article 7 se lit

comme suit:

«Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants. En particulier, il est interdit de
soumettre une personne sans son libre consentement à une expé-

rience médicale ou scientifique.»

56Voir CADHP, Union interafricaine des droits de l’homme et autres c. Angola ,
no 159/96, 11 novembre 1997, par. 20.
57Voir aussi, à ce sujet, CADHP, Amnesty International c. Zambie ,212/98, 5 mai
1999, fin du paragraphe 41.
58Communication n o 155/83, constatations du Comité des droits de l’homme,
3 avril 1987, doc. CCPR/C/29/D/155/1983, p. 1-9.

115And, in addition, Article 10 (1) of the Covenant provides that:

“All persons deprived of their liberty shall be treated with human-
ity and with respect for the inherent dignity of the human person.”

66. In this connection, the Human Rights Committee has stressed, in
its General Comment No. 29 (on Derogations during a State of Emergency ),

of 2001, that Article 10 of the Covenant:

“expresses a norm of general international law not subject to dero-

gation. This is supported by the reference to the inherent dignity of
the human person in the preamble to the Covenant and by the close
connection between Articles 7 and 10” 59(para. 13 (a)).

67. In its Memorial 60, Guinea claimed that Mr. A. S. Diallo was mis-

treated during his imprisonment and expulsion. Guinea asserted, on this
point, that, in carrying out the deportation order, the law enforcement
authorities took Mr. A. S. Diallo away, on 5 November 1995, and

secretly placed him in detention in an Immigration Service lock-up, with-
out any form of judicial process or even examination, and that he
remained imprisoned there without receiving any visit from his lawyers

or officials from the Guinean Embassy until 10 January 1996, i.e., for
65 days.

68. He is alleged to have been incarcerated under dire conditions and
to have received no food from the Congolese authorities. In particular,
Guinea argued that during “the first four days of [his] detention [he] was

kept secretly in a mosquito-infested cell that was permanently illuminated
by a very bright light and (. . .) was deprived of food” . Being kept in a
cell under those conditions is completely incompatible with Article 10 of

the Covenant, according to which “[a]ll persons deprived of their liberty
shall be treated with humanity and with respect for the inherent dignity
of the human person” . 62

69. Guinea further asserted that Mr. A. S. Diallo’s arrests and expul-
sion were in violation of the minimum standard of protection owed to
63
aliens . Moreover, Guinea claimed that this treatment was in breach of
such minimum standard and, specifically, of the minimum rules for the

59The same General Comment No. 29 adds that “in no circumstances” may States
parties invoke Article 4 (in relation to derogations) “as justification for acting in violation
of humanitarian law or peremptory norms of international law”; para. 11.

60Memorial of Guinea, pp. 30-31 and 51 et seq.
61Reply of Guinea, Annex 1, pp. 6-7.
62CR 2010/5 of 28 April 2010 (translation), para. 23.
63Reply of Guinea, para. 1.55.

116De plus, le paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte dispose ce qui suit:

«Toute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et
avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine.»

66. A cet égard, le Comité des droits de l’homme a souligné en 2001,
o
dans son observation générale n 29 (sur Les dérogations au Pacte en
période d’état d’urgence ), que l’article 10 du Pacte

«exprime ici une norme du droit international général, ne souffrant
aucune dérogation, opinion étayée par la mention de la dignité inhé-
rente à l’être humain faite dans le préambule du Pacte et par le lien
59
étroit entre l’article 7 et l’article 10 » (par. 13, al. a)).

67. Dans son mémoire 60, la Guinée a prétendu que M. A. S. Diallo

avait été victime de mauvais traitements au cours de son incarcération et
de son expulsion. A ce sujet, la Guinée a affirmé que, en mettant à exécu-
tion le décret d’expulsion, les autorités d’application de la loi avaient, le

5 novembre 1995, emmené M. A. S. Diallo et l’avaient secrètement placé
en détention dans une cellule du service d’immigration, sans aucune

forme de processus judiciaire ni même d’examen, et qu’il était demeuré
incarcéré à cet endroit sans recevoir aucune visite de ses avocats ou de
fonctionnaires de l’ambassade de la Guinée jusqu’au 10 janvier 1996,

c’est-à-dire pendant 65 jours.
68. D’après les allégations, M. Diallo aurait été incarcéré dans des
conditions très dures et n’aurait pas été nourri par les autorités congo-

laises. En particulier, la Guinée a soutenu que, «[p]endant les quatre pre-
miers jours de [sa] détention, [il était] gardé au secret dans une cellule
infestée de moustiques, en permanence sous une lumière très vive,
61
et ... privé de nourriture» . La détention dans une cellule, dans de telles
conditions, est tout à fait incompatible avec l’article 10 du Pacte, aux

termes duquel «[t]oute personne privée de sa liberté est traitée avec
humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne
humaine» . 62

69. La Guinée a affirmé en outre que les arrestations et l’expulsion de
M. A. S. Diallo étaient contraires aux normes minimales de protection
qui doivent être respectées à l’égard des étrangers . De plus, la Guinée a

prétendu qu’un tel traitement violait ces normes minimales et, en parti-

59Dans la même observation générale n 29, le Comité ajoute que les Etats ne pou-

vaient «en aucune circonstance» invoquer l’article 4 (à l’égard de dérogations) «pour
justifier des actes attentatoires au droit humanitaire ou aux normes impératives du
droit international»; par. 11.
60Mémoire de la Guinée, p. 30-31 et 51 et suiv.
61Réplique de la Guinée, annexe 1, p. 6-7.
62CR 2010/5 du 28 avril 2010, par. 23.
63Réplique de la Guinée, par. 1.55.

116treatment of prisoners adopted by ECOSOC in 1955 , whose value was
65
reaffirmed by the UN General Assembly in 1990 .

70. The DRC dismissed these claims and asserted that Mr. Diallo was

held in a well-appointed facility through which passed all aliens under-
going deportation, there has been no production of evidence to the con-
trary . It added that at no time did Guinea’s Ambassador in Kinshasa,
who followed Mr. A. S. Diallo’s case very closely, complain that their

national was subjected to inhuman conditions.

71. In the view of the DRC, had Guinea presented the Court with evi-

dence that Mr. A. S. Diallo was kept secretly in a mosquito-infested cell
that was permanently illuminated by a very bright light and that he was
deprived of food — which it did not — such treatment would not

amount automatically to a breach of Article 10 of the Covenant. The
DRC concluded that Guinea had not proved the consequence of the
alleged inhuman treatment (physical or mental effects of the circum-
stances of Mr. Diallo’s incarceration), and there had thus been no breach

of Article 10 (1) of the Covenant.

72. In its present Judgment, the Court has found that “it has not been

demonstrated that Mr. Diallo was subjected to treatment prohibited by
Article 10, paragraph 1, of the Covenant” (para. 89). And the Court’s
majority then rejected Guinea’s submissions in this respect (resolutory

point 5 of the dispositif). Unlike in relation to the previous findings of the
Court concerning provisions of the Covenant on Civil and Political
Rights (supra), on this particular point I regret not to be able to follow
the Court’s majority.

73. The fact remains that it has not been demonstrated that Arti-
cle 10 (1) has been complied with either. The Court’s majority seems to
have taken a somewhat hurried decision on this particular point, apply-

ing the presumption in favour of the Respondent State. In human rights
cases of the kind, presumptions apply in favour of the ostensibly weaker
party, the individual, the alleged victim. In the circumstances of the

present case, the burden of proof cannot fall upon the Applicant State; it
is the Respondent State that knows — or is supposed to know — the
conditions of detention, and it is, accordingly, upon it that the burden of
proof lies.

74. After all, it is the receiving State (of residence), rather than the

64Cf. the Standard Minimum Rules for the Treatment of Prisoners , adopted by the
First UN Congress on the Prevention of Crime and the Treatment of Offenders, held at
Geneva in 1955, and approved by ECOSOC resolutions 663 C (XXIV) of 31 July 1957
and 2076 (LXII) of 13 May 1977, in particular Principles 20, 22-26 and 87.
65UN General Assembly resolution 45/111 of 14 December 1990, Basic Principles for
the Treatment of Prisoners .
66Counter-Memorial of the DRC, paras. 1.12-1.13, and cf. paras. 1.32-1.33.

117culier, les règles minima pour le traitement des détenus adoptées par
64
l’ECOSOC en 1955 , dont la valeur a été réaffirmée par l’Assemblée
générale de l’Organisation des Nations Unies en 1990 . 65
70. La RDC, rejetant ces prétentions, a affirmé que M. Diallo avait été

gardé dans des locaux bien aménagés par lesquels passaient tous les
étrangers frappés d’expulsion et qu’aucun élément de preuve du contraire
n’avait été produit . Elle a ajouté que l’ambassadeur guinéen à Kin-
shasa, qui suivait de très près l’affaire concernant M. Diallo, ne s’était

jamais plaint que le ressortissant de son pays avait été soumis à des
conditions inhumaines.
71. Selon la RDC, à supposer même que la Guinée ait présenté à la

Cour des éléments de preuve attestant que M. A. S. Diallo avait été gardé
au secret dans une cellule infestée de moustiques éclairée en permanence
par une ampoule très brillante et qu’il avait été privé de nourriture — ce

que la Guinée n’a pas fait —, un tel traitement ne serait pas automati-
quement assimilable à une violation de l’article 10 du Pacte. La RDC a
conclu que la Guinée n’avait pas prouvé les conséquences du traitement
prétendument inhumain (effets physiques ou mentaux des conditions

d’incarcération de M. Diallo) et qu’il n’y avait donc pas eu violation du
paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.
72. Dans son arrêt, la Cour estime «qu’il n’a pas été démontré que

M. Diallo ait été soumis à des traitements prohibés par l’article 10, para-
graphe 1, du Pacte» (par. 89). La majorité de la Cour a donc rejeté les
conclusions de la Guinée à cet égard (point 5 du dispositif). A la diffé-

rence des conclusions précédentes de la Cour concernant les dispositions
du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (supra),e j
regrette de ne pouvoir suivre la majorité de la Cour sur ce point.

73. Il n’en demeure pas moins qu’il n’a pas été démontré que le para-
graphe 1 de l’article 10 ait été respecté non plus. La majorité de la Cour
semble avoir pris une décision quelque peu hâtive sur ce point, en accor-

dant une présomption favorable à l’Etat défendeur. Dans les affaires de
ce genre relatives aux droits de l’homme, la présomption est accordée à la
partie manifestement la plus faible, l’individu, la victime alléguée. Dans

les circonstances de la présente affaire, la charge de la preuve ne saurait
être imposée à l’Etat demandeur; c’est l’Etat défendeur qui connaît — ou
est censé connaître — les conditions de détention, et c’est donc sur lui que
repose la charge de la preuve.

74. Après tout, c’est l’Etat d’accueil (de résidence) plutôt que l’Etat

64Voir Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus , adopté par le premier
Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants,
tenu à Genève en 1955 et approuvé par l’ECOSOC dans ses résolutions 663 C (XXIV) du
31 juillet 1957 et 2076 (LXII) du 13 mai 1977, en particulier les principes 20, 22-26 et 87.
65Nations Unies, résolution 45/111 de l’Assemblée générale du 14 décembre 1990,
Principes fondamentaux relatifs au traitement des détenus .
66Contre-mémoire de la RDC, par. 1.12-1.13 et 1.32-1.33.

117sending State (of nationality), that is supposed to know what is going on

in its own prisons, how detainees under its custody are being treated. The
conditions of living, or of surviving, in the prisons of the world — in all
continents, anywhere in the world — have been a matter of concern
which has, for a long time, transcended legal thinking. Already in the second

half of the nineteenth century, a universal writer, F. M. Dostoyevsky,
aptly pondered, in his Souvenirs de la maison des morts (1862), on
the basis of his own personal experience, that the degree of civilization
attained by any human society could be assessed by visiting its prisons.

This remains so nowadays, anywhere in the world.

4. The Right to Information on Consular Assistance in the Framework

of the Guarantees of the Due Process of Law

75. Another right vindicated and protected in the framework of the
present Diallo case is the individual right to information on consular

assistance, set forth in Article 36 (1) (b) of the Vienna Convention on
Consular Relations, which significantly provides that:

“If the [national of the sending State] so requests, the competent
authorities of the receiving State shall, without delay, inform the
consular post of the sending State if, within its consular district, a
national of that State is arrested or committed to prison or to cus-

tody pending trial or is detained in any other manner. Any commu-
nication addressed to the consular post by the person arrested, in
prison, custody or detention shall be forwarded by the said authori-
ties without delay. The said authorities shall inform the person con-

cerned without delay of his rights under this subparagraph.”

76. Guinea claimed that Mr. A. S. Diallo was not informed of his right
under Article 36 (1) (b) of the Vienna Convention, — neither in 1988 nor
in 1995-1996. The DRC limited itself to asserting that various documents
demonstrated that Mr. A. S. Diallo’s case “was known not only to the

Guinean consulate in Kinshasa but also to the Presid67t of the Republic
and the Minister for Foreign Affairs of Guinea” . This Court has held,
on previous occasions, that Article 36 (1) (b) of the 1963 Vienna Con-
vention requires the competent authorities of a State party to advise,

without delay, a national of another State party whom such authorities
arrest or detain, of his right to the consular assistance guaranteed by that
Article (the triad of the Breard, LaGrand, and Avena cases).

77. In this respect, in order to clarify the legal nature and content of
the right at issue, I deemed it fit, at the end of the public sitting of the
Court held on 26 April 2010, to put to the two contending Parties the
68
following question :

67
68Counter-Memorial of the DRC, p. 16, para. 1.22.
Referred to in paragraph 11 of the present Judgment of the Court.

118d’envoi (de nationalité) qui est censé savoir ce qui se passe dans ses pro-

pres prisons, et comment les détenus sous sa charge y sont traités. Les
conditions de vie, ou de survie, dans les prisons du monde — sur tous les
continents, sous toutes les latitudes — sont une source de préoccupation
qui transcende depuis fort longtemps la pensée juridique. Dès la seconde
e
moitié du XIX siècle, un écrivain universel, F. M. Dostoïevski, faisait
observer à juste titre, dans ses Souvenirs de la maison des morts (1862),
écrits d’après son expérience personnelle, que l’on ne connaissait le degré de
civilisation d’une société humaine qu’en visitant ses prisons. Cette phrase

demeure vraie encore aujourd’hui, partout dans le monde.

4. Le droit à l’information sur l’assistance consulaire

dans le cadre des garanties d’une procédure régulière

75. Un autre droit défendu et protégé dans le cadre de la présente
affaire Ahmadou Sadio Diallo est le droit de l’individu d’être informé sur

l’assistance consulaire, énoncé à l’article 36, paragraphe 1, alinéa b),dela
convention de Vienne sur les relations consulaires, ainsi libellé:

«Si l’intéressé en fait la demande, les autorités compétentes de l’Etat
de résidence doivent avertir sans retard le poste consulaire de l’Etat
d’envoi lorsque, dans sa circonscription consulaire, un ressortissant de
cet Etat est arrêté, incarcéré ou mis en état de détention préventive ou

toute autre forme de détention. Toute communication adressée au
poste consulaire par la personne arrêtée, incarcérée ou mise en état de
détention préventive ou toute autre forme de détention doit également
être transmise sans retard par lesdites autorités. Celles-ci doivent sans

retard informer l’intéressé de ses droits aux termes du présent alinéa.»

76. La Guinée a prétendu que M. A. S. Diallo n’avait pas été informé
de son droit au titre de l’article 36, paragraphe 1, alinéa b), de la conven-
tion de Vienne, que ce soit en 1988 ou en 1995-1996. La RDC s’est bor-
née à affirmer que différents documents prouvaient que le cas de

M. A. S. Diallo «était connu non seulement du consulat guinéen à Kin-
shasa, mais également du président de la République et du ministre des
affaires étrangères de la Guinée» . La Cour a dit à plusieurs reprises que
l’article 36, paragraphe 1, alinéa b), de la convention de Vienne de 1963

exigeait que les autorités compétentes d’un Etat partie informent sans
délai un ressortissant d’un autre Etat partie arrêté ou détenu par ses auto-
rités de son droit à l’assistance consulaire garanti par cet article (les trois
affaires Breard, LaGrand et Avena).

77. A cet égard, pour préciser la nature juridique et le contenu du droit
en question, j’ai jugé bon, à la fin de l’audience de la Cour du 26 avril 2010,
de poser aux deux Parties au litige la question suivante : 68

67
68Contre-mémoire de la RDC, p. 16, par. 1.22.
A laquelle la Cour fait référence au paragraphe 11 de son présent arrêt.

118 “In your opinion, do the provisions of Article 36, paragraph 1(b),

of the 1963 Vienna Convention on Consular Relations apply
solely to relations between the sending State or State of nationality
and the receiving State? Was Mr. Diallo himself informed about
consular assistance immediately after his detention? Who is the

holder of the right to information regarding consular assista69e: the
sending State or State of nationality, or the individual?”

78. In its written answer to my question, handed to the Court’s Regi-
stry on 27 April 2010, the Respondent State contended that:(a)
Article 36 (1) (b) of the 1963 Vienna Convention creates an “individual

right” (Court’s Judgment in theLaGrand case, I.C.J. Reports 2001, p. 494,
para. 77), which is, however, inextricably linked to the sending State’s right
to communicate with its nationals through consular officer( s; ) although it

is an individual right, it remains closely linked to the rights of the State itself;
(c) they are interdependent rights (Court’s Judgment in the Avena case,
I.C.J. Reports 2004 (I), pp. 35-36, para. 40), involving relation between
the individual and the sending and the receiving States; (d) Guinea was

aware of Mr. Diallo’s situation, and the purpose of the right to informa-
tion on consular assistance was thus achieved; (e) if that right had not
been violated in respect of the sending State, it could not have been so in
respect of its national; (f) Mr. Diallo had “verbally” been informed by

the DRC, shortly after his detention, of the “possibility of seeking con-
sular assistance from his State”; and (g) the individual and his sending
State (or State of nationality) hold the right to information in an inter-
dependent way . 70

79. Nevertheless, the DRC did not produce any evidence in support of
its assertion that Mr. A. S. Diallo had been “verbally” informed promptly,
shortly after his detention, of the possibility to count on consular assist-
ance from Guinea. The DRC did not actually prove that it had duly

informed Mr. A. S. Diallo himself, without any delay, of his right under
Article 36 (1) (b) of the 1963 Vienna Convention, having thus had its
international responsibility engaged in that respect.

80. On its part, Guinea, in its reply to my question, stated, in its oral
arguments of 28 April 2010, that: (a) the State of residence has a duty to
inform the individual concerned of his right to consular assistance;
(b) it is the individual who has the right to information, as indicated in

Article 36 (1) (b) in fine of the 1963 Vienna Convention on Consular
Relations; (c) there is a certain interdependence between the individual
right and the rights of the State (Court’s Judgment in the Avena case,
para. 40), but under Article 36 (1) (b) these latter are subordinated to the

former; (d) the information by one State to another is not sufficient,
and, in the present case, Mr. Diallo was not informed (by the State of

69CR 2010/3 of 26 April 2010, p. 37, para. 73.
70CR 2010/5 of 28 April 2010, pp. 1-2.

119 «A votre avis, est-ce que les dispositions de l’article 36, paragra-

phe 1, alinéa b), de la convention de Vienne sur les relations consu-
laires de 1963 s’épuisent dans les relations entre l’Etat d’envoi ou de
nationalité et l’Etat de résidence? Est-ce que M. Diallo lui-même a
été informé, aussitôt après sa détention, sur l’assistance consulaire?

Qui est le sujet du droit à l’information sur l’assistance 69nsulaire?
L’Etat d’envoi ou bien de nationalité ou l’individu?»

78. Dans sa réponse écrite à ma question, remise au greffe de la Cour le
27 avril 2010, l’Etat défendeur a soutenu ce qui suia t:) l’article 36, paragra-
phe 1, alinéab), de la convention de Vienne de 1963 crée un «droit indivi-

duel» (arrêt de la Cour en l’affaire LaGrand, C.I.J. Recueil 2001 , p. 494,
par. 77) qui est cependant inextricablement lié au droit de l’Etat d’envoi de
communiquer avec ses nationaux par l’intermédiaire de ses agents consulai-

res; b) bien qu’il s’agisse d’un droit individuel, ce droit demeure étroitement
lié aux droits de l’Etat lui-mêmec ;) il s’agit de droits interdépendants (arrêt
de la Cour en l’affaireAvena, C.I.J. Recueil 2004 (I) , p. 35-36, par. 40), tou-
chant la relation entre l’individu et les Etats d’envoi et de résidencde); la

Guinée connaissait la situation de M. Diallo et le but du droit à l’informa-
tion sur l’assistance consulaire a donc été atteinte;) si ce droit n’a pas été
violé à l’égard de l’Etat d’envoi, il ne peut l’avoir été à l’égard de son natio-
nal; f) M. Diallo avait été informé «verbalement» par la RDC, peu après sa

mise en détention, de la «possibilité de demander l’assistance consulaire de
son Etat»; etg) l’individu et son Etat d’envoi (ou de nationalité) sont titu-
laires du droit à l’information d’une manière interdépendante 70.

79. Quoi qu’il en soit, la RDC n’a produit aucun élément de preuve
pour étayer son assertion selon laquelle M. A. S. Diallo avait rapidement
été informé «verbalement», peu après sa mise en détention, de la possi-
bilité qui lui était offerte de compter sur l’assistance consulaire de la Gui-

née. La RDC n’a pas effectivement prouvé qu’elle avait dûment informé
M. A. S. Diallo lui-même, sans retard, de son droit aux termes de l’arti-
cle 36, paragraphe 1, alinéa b), de la convention de Vienne de 1963, ce
qui engageait sa responsabilité internationale à cet égard.

80. De son côté, la Guinée, dans sa réponse à ma question, a déclaré,
au cours de sa plaidoirie du 28 avril 2010, ce qui suit: a) l’Etat de rési-
dence a le devoir d’informer l’individu concerné de son droit à l’assis-
tance consulaire; b) le droit à l’information appartient à l’individu, ainsi

qu’il est indiqué dans la dernière partie de l’article 36, paragraphe 1, ali-
néa b), de la convention de Vienne sur les relations consulaires de 1963;
c) il existe une certaine interdépendance entre le droit individuel et les
droits de l’Etat (arrêt de la Cour en l’affaire Avena, 2004, par. 40), mais,

aux termes de l’article 36, paragraphe 1, alinéa b), les derniers sont
subordonnés au premier; d) il n’est pas suffisant qu’un Etat informe

69CR 2010/3 du 26 avril 2010, p. 37, par. 73.
70CR 2010/5 du 28 avril 2010, p. 1-2.

119residence) about consular assistance, neither shortly after his detention

nor later on; (e) the assertion by the DRC in this regard was not accom-
panied by any proof, and the fact is that Mr. Diallo was not informed of
his rights; and (f) even if the sending State (of nationality) takes cogni-
zance of the situation by other means, there is an international illicit fact
71
on the part of the State of residence .

81. It should not pass unnoticed, in this connection, that, even before
the aforementioned obiter dicta of this Court in the LaGrand (2001) and

the Avena (2004) cases, the first and pioneering articulation of the indi-
vidual’s right to information on consular assistance was the one devel-
oped by the Inter-American Court of Human Rights in its Advisory
Opinion No. 16, of 1 October 1999, on the Right to Information on Con-

sular Assistance in the Framework of the Guarantees of the Due Process
of Law. It was expressly invoked by the contending Parties, and relied
upon mainly by the complaining States, in the LaGrand (Germany v.
United States) and the Avena (Mexico v. United States) cases before

this Court, as we shall see subsequently (Section VIII, infra)n ie
present separate opinion.

IV. T HE H ERMENEUTICS OF H UMAN RIGHTS T REATIES

82. The invocation, by the contending Parties before the ICJ, of such
human rights treaties as the 1996 UN Covenant on Civil and Political

Rights and the 1981 African Charter on Human and Peoples’ Rights, and
the vindication of some rights protected there under — in addition to
Article 36 (1) (b) of the 1963 Vienna Convention on Consular Relations

in the conceptual universe of human rights — brings to the fore the issue
of the proper interpretation of human rights treaties. These latter go
beyond the realm of purely inter-State relations. When one comes to the
interpretation of treaties, one is inclined to resort, at first, to the general

provisions enshrined in Articles 31-33 of the two Vienna Conventions on
the Law of Treaties (of 1969 and 1986, respectively), and in particular to
the combination under Article 31 of the elements of the ordinary mean-
ing of the terms, the context, and the object and purpose of the treaties at

issue.

83. One then promptly finds that, in practice, while in traditional
international law there has been a marked tendency to pursue a rather

restrictive interpretation which gives as much precision as possible to the
obligations of States parties, in the international law of human rights,
somewhat distinctly, there has been a clear and special emphasis on the
element of the object and purpose of the treaty, so as to ensure an effec-

tive protection (effet utile) of the guaranteed rights, without detracting

71CR 2010/5 of 28 April 2010, pp. 9-13.

120l’autre et, en l’espèce, M. Diallo n’a pas été informé (par l’Etat de rési-

dence) sur l’assistance consulaire, ni peu après sa mise en détention ni
plus tard; e) l’assertion de la RDC à cet égard n’a été accompagnée
d’aucune preuve et le fait est que M. Diallo n’a pas été informé de ses
droits; et f) même si l’Etat d’envoi (de nationalité) prend connaissance de

la situation par d’autres moyens, un fait internationalement illicite est
commis par l’Etat de résidence . 71
81. Il y a lieu de rappeler à cet égard que, même avant les obiter dicta
susmentionnés de la Cour dans les affaires LaGrand (2001) et Avena

(2004), c’est la Cour interaméricaine des droits de l’homme qui a été la
première à préciser le droit de l’individu à l’information sur l’assistance
consulaire, dans son avis consultatif novateur n 16 du 1 eroctobre 1999,

intitulé Le droit à l’information sur l’assistance consulaire dans le cadre
des garanties d’une procédure régulière . Ce droit a été expressément
invoqué par les parties au litige et utilisé comme base principalement
par les Etats plaignants dans les affaires LaGrand (Allemagne c. Etats-

Unis) et Avena (Mexique c. Etats-Unis) dont la Cour a connu, comme
nous le verrons plus loin (sect. VIII, infra) dans la présente opinion indi-
viduelle.

IV. L’ HERMÉNEUTIQUE DES TRAITÉS RELATIFS AUX DROITS DE L ’HOMME

82. L’invocation, par les parties s’opposant devant la CIJ, de traités
relatifs aux droits de l’homme comme le Pacte international des Nations
Unies relatif aux droits civils et politiques de 1996 et la Charte africaine
des droits de l’homme et des peuples de 1981 et la défense de certains

droits protégés par ces instruments — outre les droits protégés par l’arti-
cle 36, paragraphe 1, alinéa b), de la convention de Vienne sur les rela-
tions consulaires de 1963 dans l’univers conceptuel des droits de
l’homme — mettent en lumière la question de l’interprétation appropriée

des traités relatifs aux droits de l’homme. Ces traités débordent le domaine
des relations purement interétatiques. En matière d’interprétation des
traités, on est enclin à recourir en premier lieu aux dispositions générales

des articles 31 à 33 des deux conventions de Vienne sur le droit des traités
(1969 et 1986 respectivement) et en particulier aux éléments de l’article 31
concernant le sens ordinaire des termes, le contexte et l’objet et le but des
traités visés.

83. Ce faisant, l’on ne tarde pas à constater que dans la pratique, alors
que le droit international traditionnel tend de façon marquée vers une
interprétation assez restrictive qui vise à préciser le plus possible les obli-
gations des Etats parties, le droit international des droits de l’homme, en

revanche, met nettement l’accent sur l’objet et le but du traité pour
garantir une protection effective (effet utile) des droits garantis, sans
pour autant s’écarter de la règle générale énoncée à l’article 31 des deux

71
CR 2010/5 du 28 avril 2010, p. 9-13.

120from the general rule of Article 31 of the two Vienna Conventions on the

Law of Treaties. In effect, whilst in general international law the elements
for the interpretation of treaties evolved primarily as guidelines for the
process of interpretation by States parties themselves, human rights trea-
ties, in their turn, have called for an interpretation of their provisions

bearing in mind the essentially objective character of the obligations
entered into by States parties: such obligations aim at the protection of
human rights and not at the establishment of subjective and reciprocal
rights for the States parties.

84. Hence the special emphasis on the element of the object and pur-
pose of human rights treaties, of which the jurisprudence constante of the
European and Inter-American Courts of Human Rights has given elo-
quent testimony in the last couple of decades. The interpretation and

application of human rights treaties have indeed been guided by consid-
erations of a superior general interest or ordre public which transcend the
individual interests of Contracting Parties. As indicated by the jurispru-
dence constante of the two aforementioned international human rights

tribunals, those treaties are distinct from treaties of the classic type which
incorporate restrictively reciprocal concessions and compromises; human
rights treaties, in turn, prescribe obligations of an essentially objective
character, implemented collectively, and are endowed with mechanisms

of supervision of their own. The rich case law on methods of interpreta-
tion of human rights treaties has enhanced the protection of the human
person at international level and has enriched international law under the
impact of the international law of human rights.

85. The converging case law to this effect has generated the common
understanding, in the regional systems of human rights protection, that

human rights treaties, moreover, are endowed with a special nature (as
distinguished from multilateral treaties of the traditional type); that
human rights treaties have a normative character and that their terms are
to be autonomously interpreted; that in their application one ought to

ensure an effective protection (effet utile) of the guaranteed rights; and
that permissible restrictions (limitations and derogations) to the exercise
of guaranteed rights are to be restrictively interpreted. The work of the
European and Inter-American Courts of Human Rights (more recently

joined by the African Court on Human and Peoples’ Rights) has indeed
contributed to the creation of an international ordre public based upon
the respect for human rights in all circumstances 72; it has established lim-
its to excessive State voluntarism, and fostered the vision of the relations

72A. A. Cançado Trindade, “Le développement du droit international des droits de
l’homme à travers l’activité et la jurisprudence des Cours européenne et interaméricaine
des droits de l’homme” (discours du président de la Cour interaméricaine des droits de
l’homme) in Cour européenne des droits de l’homme — Rapport annuel 2003 , Strasbourg,
CEDH, 2004, pp. 41-50.

121conventions de Vienne sur le droit des traités. En réalité, bien qu’en droit

international général les éléments d’interprétation des traités aient été
principalement élaborés en vue de servir d’orientations pour l’interprétation
des traités par les Etats parties, les dispositions des traités relatifs aux
droits de l’homme exigent une interprétation essentiellement objective des

obligations souscrites par les Etats parties: ces obligations ont pour but
de protéger les droits de l’homme et non d’établir les droits subjectifs et
réciproques des Etats parties.

84. C’est ce qui explique l’accent particulier qui a été mis sur l’objet et
le but des traités relatifs aux droits de l’homme, dont la jurisprudence
constante des Cours européenne et interaméricaine des droits de l’homme
a donné un témoignage éloquent au cours des deux dernières décennies.

L’interprétation et l’application des traités relatifs aux droits de l’homme
ont été effectivement guidées par des considérations liées à l’intérêt géné-
ral supérieur ou à l’ordre public, qui transcendent les intérêts individuels
des Etats contractants. Comme l’indique la jurisprudence constante des

deux tribunaux internationaux des droits de l’homme déjà mentionnés,
ces traités se distinguent des traités du type classique qui intègrent des
concessions et des compromis restrictifs réciproques; les traités des droits
de l’homme prescrivent au contraire des obligations d’un caractère essen-

tiellement objectif, mises en Œuvre collectivement, et sont dotés de méca-
nismes de suivi propres. La riche jurisprudence relative aux méthodes
d’interprétation des traités relatifs aux droits de l’homme a renforcé la
protection de la personne humaine au plan international et enrichi le

droit international sous l’influence du droit international des droits de
l’homme.
85. La jurisprudence convergente dans ce domaine a fait naître, dans
les systèmes régionaux de protection des droits de l’homme, l’idée com-

mune que les traités relatifs aux droits de l’homme sont empreints d’un
caractère spécial (par comparaison avec les traités multilatéraux du type
traditionnel); ces traités sont de caractère normatif et leurs termes doivent
être interprétés de façon autonome; leur application doit viser à ce que

soient effectivement protégés(effet utile) les droits garantis; et les restric-
tions permissibles (limitations et dérogations) de l’exercice des droits
garantis doivent être interprétées de façon restrictive. Le travail des Cours
européenne et interaméricaine des droits de l’homme (auxquelles s’est

jointe récemment la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples)
a effectivement contribué à la création d’un ordre public international
fondé sur le respect des droits de l’homme en toutes circonstances ;ila72
établi des limites au volontarisme excessif des Etats et nourri la vision des

72A. A. Cançado Trindade, «Le développement du droit international des droits de
l’homme à travers l’activité et la jurisprudence des Cours européenne et interaméricaine
des droits de l’homme» (discours du président de la Cour interaméricaine des droits de
l’homme), dans Cour européenne des droits de l’homme — Rapport annuel 2003 , Stras-
bourg, CEDH, 2004, p. 41-50.

121between public power and the human being whereby the State exists for

the human being, and not vice-versa.
86. Furthermore, they have propounded the autonomous interpreta-
tion of provisions of human rights treaties, by reference to the respective

domestic legal systems. Such autonomous meaning of the terms of human
rights treaties (as distinct from their meaning, e.g., in domestic law) has
been also endorsed, e.g., by the Human Rights Committee, under the UN

Covenant on Civil and Political Rights, for example, in the adoption of
its views in the Van Duzen v. Canada case (in 1982). Moreover, the

dynamic or evolutive interpretation of the respective human rights Con-
ventions (the temporal dimension) has been followed by both the Euro-
pean 73 and the Inter-American 74Courts, so as to fulfill the evolving needs

of protection of the human being.

87. Thus, in its pioneering Advisory Opinion No. 16, on The Right to

Information on Consular Assistance in the Framework of the Guarantees
of the Due Process of Law (1999), which has inspired the international
case law in statu nascendi on the matter, the Inter-American Court clari-

fied that, in its interpretation of the norms of the American Convention
on Human Rights, it should extend protection in new situations (such as
that concerning the observance of the right to information on consular

assistance) on the basis of preexisting rights. The same vision has been
propounded by that Court in its subsequent and forward-looking Advi-
sory Opinion No. 18, on the Juridical Condition and Rights of Undocu-

mented Migrants (2003).
88. The European Court of Human Rights has likewise reiteratedly
pronounced to that effect ;inthe Loizidou v. Turkey case (preliminary

objections, 1995), for example, the European Court of Human Rights
expressly discarded undue restrictions which would not only “seriously
weaken” its role in the discharge of its functions but “would also dimin-

ish the effectiveness of the Convention as a constitutional instrument of

73E.g., cases Tyrer v. United Kingdom (1978), Airey v. Ireland (1979), Marckx v. Bel-
gium (1979), Dudgeon v. United Kingdom (1981), among others.
74Cf., in this sense, the obiter dicta in: IACtHR, advisory opinion OC-16/99, on the
Right to Information on Consular Assistance in the Framework of the Guarantees of the
Due Process of Law, of 1 October 1999, paras. 114-115, and concurring opinion of Judge
A. A. Cançado Trindade, paras. 9-11; IACtHR, case of the “Street Children” (Villagrán

Morales and Others v. Guatemala), judgment of 19 November 1999 (merits), paras. 193-
194; IACtHR, case Cantoral Benavides v. Peru, judgment of 18 August 2000 (merits),
paras. 99 and 102-103; IACtHR, case Bámaca Velásquez v. Guatemala, judgment of
25 November 2000 (merits), separate opinion of Judge A. A. Cançado Trindade, paras. 34-
38; IACtHR, case of the Mayagna (Sumo) Awas Tingni Community v. Nicaragua,
judgment of 31 August 2001 (merits and reparations), paras. 148-149; IACtHR, case
Bámaca Velásquez v. Guatemala, judgment of 22 February 2002 (reparations), separate
opinion of Judge A. A. Cançado Trindade, para. 3.
75For example, in its judgments in the cases of Wemhoff v. The Federal Republic of
Germany (1968), Belgian Linguistic (1968), Golder v. United Kingdom (1975), Ireland v.
United Kingdom (1978) and Soering v. United Kingdom (1989), among others.

122relations entre les pouvoirs publics et la personne humaine selon laquelle

l’Etat existe pour la personne humaine et non l’inverse.
86. De plus, les travaux de ces cours ont fait avancer l’interprétation
autonome des dispositions des traités relatifs aux droits de l’homme par

rapport aux systèmes juridiques internes des Etats. Cette signification
autonome des termes des traités relatifs aux droits de l’homme (distincte

de leur sens, par exemple dans le droit interne) a aussi été affirmée par
le Comité des droits de l’homme, par exemple au titre du Pacte inter-
national relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies dans ses

constatations en l’affaire Van Duzen c. Canada (en 1982). En outre, les
Cours européenne 73 et interaméricaine 74 ont adopté une interprétation
dynamique ou évolutive de leurs conventions relatives aux droits de

l’homme (la dimension temporelle) pour faire face aux besoins chan-
geants en matière de protection de la personne humaine.
87. Ainsi, dans son avis consultatif novateur n o 16 sur Le droit à

l’information sur l’assistance consulaire dans le cadre des garanties d’une
procédure régulière (1999), qui a inspiré la jurisprudence internationale in

statu nascendi sur la question, la Cour interaméricaine a précisé que,
dans son interprétation des normes de la convention américaine des
droits de l’homme, elle devait élargir la protection à de nouvelles situa-

tions (comme celle concernant l’observation du droit à l’information sur
l’assistance consulaire) sur la base des droits préexistants. La Cour a réaf-
firmé ce point de vue dans son visionnaire avis consultatif n 18 sur La

situation juridique et les droits des migrants sans papiers (2003).

88. La Cour européenne des droits de l’homme, elle aussi, s’est pro-
75
noncée à de nombreuses occasions en ce sens ; en l’affaire Loizidou c.
Turquie (exceptions préliminaires, 1995), par exemple, la Cour euro-

péenne a expressément écarté les restrictions indues qui non seulement
«affaibliraient sérieusement» l’exercice de ses fonctions, mais «dimi-
nueraient également l’efficacité de la convention en tant qu’instrument

73
Voir par exemple Tyrer c. Royaume-Uni (1978), Airey c. Irlande (1979), Marckx c.
Belgique (1979), Dudgeon c. Royaume-Uni (1981), entre autres.
74Voir en ce sens les obiter dicta dans: CIDH, avis consultatif OC-16/99, Right to
Information on Consular Assistance in the Framework of the Guarantees of the Due Pro-
cess of Law (Droit à l’information sur l’assistance consulaire dans le cadre des garanties
d’une procédure régulière) du 1octobre 1999, par. 114-115, et l’opinion concordante du
juge A. A. Cançado Trindade, par. 9-11; CIDH, «Street Children» (Villagrán Morales et
autres c. Guatemala), arrêt du 19 novembre 1999 (fond), par. 193-194; CIDH, Cantoral
Benavides c. Pérou, arrêt du 18 août 2000 (fond), par. 99 et 102-103; CIDH, Bámaca
Velásquez c. Guatemala, arrêt du 25 novembre 2000 (fond), opinion individuelle du juge

A. A. Cançado Trindade, par. 34-38; CIDH, Communauté Mayagna (Sumo) Awas
Tingni c. Nicaragua, arrêt du 31 août 2001 (fond et réparations), par. 148-149; CIDH,
Bámaca Velásquez c. Guatemala , arrêt du 22 février 2002 (réparations), opinion indivi-
duelle du juge A. A. Cançado Trindade, par. 3.
75Par exemple, dans ses arrêts Wemhoff c. République fédérale d’Allemagne (1968),
Belgian Linguistic (1968), Golder c. Royaume-Uni (1975), Irlande c. Royaume-Uni (1978)
et Soering c. Royaume-Uni (1989), entre autres.

122European public order (ordre public)” . There is, thus, a converging

case law of the Inter-American and European Courts of Human Rights —
and indeed of other human rights international supervisory organs — on
the fundamental issue of the proper interpretation of human rights trea-

ties, naturally ensuing from the overriding identity of the object and pur-
pose of those treaties.

89. General international law itself bears witness of the principle (sub-
sumed under the general rule of interpretation of Article 31 of the two
Vienna Conventions on the Law of Treaties) whereby the interpretation

is to enable a treaty to have appropriate effects. In the present domain of
protection, international law has been made use of in order to improve
and strengthen — and never to weaken or undermine — the safeguard of
77
recognized human rights (in pursuance of the principle pro persona
humana, pro victima). The specificity of the international law of human
rights finds expression not only in the interpretation of human rights

treaties in general but also in the interpretation of specific provisions of
those treaties .8

90. Both the European and the Inter-American Courts of Human Rights
have rightly set limits to State voluntarism, have safeguarded the integ-
rity of the respective human rights Conventions and the primacy of con-

siderations of ordre public over the “will” of individual States, have set
higher standards of State behaviour and established some degree of
control over the interposition of undue restrictions by States, and have

reassuringly enhanced the position of individuals as subjects of the interna-
tional law of human rights, with full procedural capacity. In so far as
the basis of their jurisdiction in contentious matters is concerned, eloquent

illustrations can be found of their firm stand in support of the integrity

76European Court of Human Rights, Loizidou v. Turkey case (preliminary objections),
judgment of 23 March 1995, para. 75.
77Cf. A. A. Cançado Trindade, “Co-existence and Co-ordination of Mechanisms of
International Protection of Human Rights (at Global and Regional Levels)”, 202 Col-

lected Courses of the Hague Academy of International Law (1987) p. 401.

78Pertinent illustrations can be found in, e.g., provisions which contain references to
general international law. Such is the case, for example, of the requirement of prior
exhaustion of local remedies as a condition of admissibility of complaints or commu-
nications under human rights treaties; the local remedies rule bears witness of the inter-
action between international law and domestic law in the present domain of protection,
which is fundamentally victim-oriented, concerned with the rights of individual human
beings rather than of States . Generally recognized principles or rules of international law
— which the formulation of the local remedies rule in human rights treaties refers to —

besides following an evolution of their own in the distinct contexts in which they apply,
necessarily suffer, when inserted in human rights treaties, a certain degree of adjustment
or adaptation, dictated by the special character of the object and purpose of those treaties
and by the widely recognized specificity of the international law of human rights. Cf.
A. A. Cançado Trindade, The Application of the Rule of Exhaustion of Local Remedies in
International Law, Cambridge University Press, 1983, pp. 1-443.

123constitutionnel de l’ordre public européen» . Il existe donc une jurispru-

dence convergente des Cours interaméricaine et européenne des droits de
l’homme — et d’ailleurs d’autres organes internationaux de surveillance
des droits de l’homme — sur la question fondamentale de la bonne inter-

prétation des traités relatifs aux droits de l’homme, qui découle naturel-
lement de l’identité déterminante de l’objet et du but de ces traités.

89. Le droit international général lui-même témoigne du principe (sub-
sumé dans la règle générale d’interprétation de l’article 31 des deux
conventions de Vienne sur le droit des traités) selon lequel l’interprétation

vise à donner à un traité les effets appropriés. Dans le domaine de protec-
tion qui nous occupe, le droit international a été utilisé pour améliorer et
renforcer — et jamais pour affaiblir ou miner — les garanties des droits
77
de l’homme reconnues (selon le principe pro persona humana, pro vic-
tima). La spécificité du droit international des droits de l’homme trouve
son expression non seulement dans l’interprétation des traités relatifs aux

droits de l’homme en général, mais également dans l’interprétation de
dispositions spécifiques de ces traités . 78

90. Tant la Cour européenne que la Cour interaméricaine des droits de
l’homme ont, à juste titre, établi des limites au volontarisme des Etats,
préservé l’intégrité des conventions relatives aux droits de l’homme rele-

vant de leurs domaines respectifs et la primauté des considérations d’ordre
public sur la «volonté» des Etats, fixé des normes supérieures de com-
portement des Etats, freiné dans une certaine mesure l’imposition de res-

trictions indues par les Etats et renforcé de façon rassurante la situation
de l’individu en tant que sujet du droit international des droits de
l’homme, doté de la pleine capacité procédurale. En ce qui concerne la

base de leur juridiction en matière contentieuse, on peut trouver des illus-

76 CEDH, Loizidou c. Turquie, arrêt du 23 mars 1995 (exceptions préliminaires),
par. 75.
77 A. A. Cançado Trindade, «Co-existence and Co-ordination of Mechanisms of Inter-
national Protection of Human Rights (at Global and Regional Levels)» (Coexistence et

coordination des mécanismes internationaux de protection des droits de l’homme (aux
plans mondial et régional)), Recueil des cours de l’Académie de droit international de
La Haye, vol. 202 (1987), p. 401.
78 Des illustrations pertinentes peuvent être trouvées par exemple dans les dispositions
contenant des renvois au droit international général. Tel est le cas, par exemple, de la
nécessité d’épuiser les recours internes comme condition d’admissibilité des plaintes ou des
communications présentées au titre des traités relatifs aux droits de l’homme; la règle des
recours internes témoigne de l’interaction entre le droit international et le droit interne
dans le présent domaine de protection, qui est fondamentalement orienté vers la victime,
axé sur les droits de l’être humain plutôt que des Etats . Les principes ou les règles de droit
international généralement reconnus — auxquels fait référence la formulation de la règle

des recours internes figurant dans les traités relatifs aux droits de l’homme —, outre qu’ils
suivent une évolution propre dans le contexte distinct où ils s’appliquent, subissent néces-
sairement, lorsqu’ils sont insérés dans des traités relatifs aux droits de l’homme, certains
ajustements ou adaptations, dictés par le caractère spécial de l’objet et du but de ces
traités et par la spécificité largement reconnue du droit international des droits de
l’homme. Voir A. A. Cançado Trindade, The Application of the Rule of Exhaustion of
Local Remedies in International Law , Cambridge University Press, 1983, p. 1-443.

123of the mechanisms of protection of the two respective regional Conven-
79
tions .
91. The two international human rights tribunals, by correctly resolv-
ing basic procedural issues raised in the aforementioned cases, have aptly
made use of the techniques of public international law in order to

strengthen their respective jurisdictions of protection of the human per-
son. They have decisively safeguarded the integrity of the mechanisms of
protection of the American and European Conventions on Human

Rights, whereby the juridical emancipation of the human person vis-à-vis
her own State is achieved. They have, furthermore, achieved a remark-
able jurisprudential construction on the right of access to justice (and of
obtaining reparation) at international level.

92. As to substantive law, the contribution of the two international
human rights Courts to this effect is illustrated by numerous examples of
their respective case law pertaining to the rights protected under the two

regional Conventions. The European Court has a vast and remarkable
case law, for example, on the right to the protection of liberty and secu-
rity of person (Article 5 of the European Convention), and the right to a
fair trial (Article 6). The Inter-American Court has a significant case law

on the fundamental right to life, comprising also the conditions of living,
as from its decision in the paradigmatic case of the so-called “Street Chil-
dren” (Villagrán-Morales and Others v. Guatemala, Merits, 1999); it has

also a rich case law on distinct forms of reparations.

V. T HE P RINCIPLE OF H UMANITY IN ITS W IDE D IMENSION

93. The previous considerations on the hermeneutics of human rights
treaties lead me now to address the principle of humanity in its wide

dimension. When one refers to the principle of humanity, there is a ten-
dency to consider it in the framework of international humanitarian law.
Thus, for example, it is beyond doubt that, in this framework, civilians
and persons hors de combat are to be treated with humanity. The prin-

ciple of humane treatment of civilians and persons hors de combat is pro-
vided for in the 1949 Geneva Conventions on international humanitarian
law (common Article 3, and Articles 12 (1), 13 (5) and 27 (1)), and

their Additional Protocols I (Article 75 (1)) and II (Article 4 (1)). Such
principle, moreover, is generally regarded as one of customary interna-
tional humanitarian law.

79For example, the decisions of the European Court in the Belilos v. Switzerland case
(1988), in the Loizidou v. Turkey case (preliminary objections, 1995), and in the I. Ilascu,
A. Lesco, A. Ivantoc and T. Petrov-Popa v. Moldovia and the Russian Federation case
(2001), as well as the decisions of the Inter-American Court in the Constitutional Tribunal
and Ivcher Bronstein v. Peru cases (jurisdiction, 1999), in the Hilaire, Constantine and
Benjamin and Others v. Trinidad and Tobago (preliminary objection, 2001), and in the
Barrios Altos v. Peru case (merits, 2001).

124trations éloquentes de leurs prises de position fermes en faveur de l’inté-
79
grité des mécanismes de protection des deux conventions régionales .
91. Les deux tribunaux internationaux des droits de l’homme, en résol-
vant correctement les questions de procédure fondamentales soulevées
dans les cas susmentionnés, ont utilisé à bon escient les techniques du

droit international public pour renforcer leurs juridictions respectives en
matière de protection de la personne humaine. Ils ont préservé de façon
décisive l’intégrité des mécanismes de protection inscrits dans les conven-
tions américaine et européenne des droits de l’homme, porteuses de l’éman-

cipation juridique de la personne humaine vis-à-vis de son propre Etat.
Ces tribunaux ont, en outre, bâti une jurisprudence remarquable sur le
droit d’accès à la justice (et le droit à réparation) au niveau international.

92. En ce qui concerne le droit positif, la contribution des cours inter-
nationales des droits de l’homme est illustrée par de nombreux exemples
de leurs jurisprudences respectives concernant les droits protégés au titre
des deux conventions régionales. La Cour européenne a, par exemple, une

jurisprudence vaste et remarquable sur le droit à la protection de la liberté
et à la sécurité de la personne (article 5 de la convention européenne) et
sur le droit à un procès équitable (article 6). La Cour interaméricaine a
pour sa part une jurisprudence importante sur le droit fondamental à la

vie, qui comprend également les conditions de vie, par exemple sa décision
en l’affaire paradigmatique de ce que l’on a appelé les«Enfants des rues»
(Villagrán Morales et autres c. Guatemala, fond, 1999); cette Cour a éga-
lement une riche jurisprudence sur les différentes formes de réparation.

V. L E PRINCIPE D ’HUMANITÉ AU SENS LARGE

93. Les considérations qui précèdent sur l’herméneutique des traités
des droits de l’homme m’amènent maintenant à examiner le principe
d’humanité au sens large. Quand on parle du principe d’humanité, on a
tendance à l’examiner dans le cadre du droit international humanitaire.

Ainsi, par exemple, il ne fait pas de doute que, dans ce cadre, les civils et
les personnes hors de combat doivent être traités avec humanité. Le prin-
cipe du traitement humain des civils et des personnes hors de combat est
énoncé dans les conventions de Genève de 1949 sur le droit international

humanitaire (article commun 3 et articles 12 1), 13 5) et 27 1)) et leurs
protocoles additionnels I (article 75 1)) et II (article 4 1)). De plus, ce
principe est généralement considéré comme un principe du droit interna-
tional humanitaire coutumier.

79
Par exemple, les décisions de la Cour européenne Belilos c. Suisse (1988), Loizidou c.
Turquie (exceptions préliminaires, 1995) et I. Ilascu, A. Lesco, A. Ivantoc et T. Petrov-
Popa c. Moldova et Fédération de Russie (2001), ainsi que les décisions de la Cour inter-
américaine dans les affaires Constitutional Tribunal et Ivcher Bronstein c. Pérou (com-
pétence, 1999), Hilaire, Constantine et Benjamin et autres c. Trinité-et-Tobago (exception
préliminaire, 2001) et Barrios Altos c. Pérou (fond, 2001).

124 94. My own understanding is in the sense that the principle of human-
ity is endowed with an even wider dimension: it applies in the most dis-

tinct circumstances, both in times of armed conflict and in times of peace,
in the relations between public power with all persons subject to the juris-
diction of the State concerned. That principle has a notorious incidence
when these latter are in a situation of vulnerability, or even defenceless-
ness, as evidenced by relevant provisions of distinct treaties integrating

the international law of human rights. Thus, for example, at UN level,
the 1990 International Convention on the Protection of the Rights of All
Migrant Workers and Members of Their Families provides, inter alia,in
its Article 17 (1), that:

“Migrant workers and members of their families who are deprived
of their liberty shall be treated with humanity and with respect for

the inherent dignity of the human person and for their cultural iden-
tity.”

95. Likewise, the 1989 UN Convention on the Rights of the Child
stipulates (Article 37 (b)) that: “States parties shall ensure that [e]very
child deprived of liberty shall be treated with humanity and respect for
the inherent dignity of the human person, and in a manner which takes
into account the needs of persons of his or her age (. . .)”. Provisions of

the kind can also be found in human rights treaties at regional level.

96. To recall but a couple of examples, the 1969 American Convention
on Human Rights, in providing for the right to humane treatment (Arti-
cle 5), determines inter alia that “[a]ll persons deprived of their liberty

shall be treated with respect for the inherent dignity of the human per-
son” (para. 2). Likewise, the 1981 African Charter on Human and
Peoples’ Rights disposes inter alia that “[e]very individual shall have the
right to the respect of the dignity inherent in a human being and to the
recognition of his legal status” (Article 5).

97. And the 1969 Convention on the Specific Aspects of Refugee
Problems in Africa sets forth, inter alia, that “[t]he grant of asylum to
refugees is a peaceful and humanitarian act (. . .)” (Article II (2)). And
the examples to the same effect multiply. The point I wish to make here
is that the principle of humanity permeates the whole corpus juris of the

international protection of the rights of the human person (encompassing
international humanitarian law, the international law of human rights,
and international refugee law), at global (UN) and regional levels.

98. In respect of the present Diallo case, in particular, it may be

pointed out that the principle of humanity underlies Article 7 of the UN
Covenant on Civil and Political Rights, which protects the individual’s
personal integrity against mistreatment as well as Article 10 of the Cov-
enant (concerning persons under detention), which begins by stating that

“[a]ll persons deprived of their liberty shall be treated with humanity and
with respect for the inherent dignity of the human person” (para. 1). This

125 94. Selon moi, le principe d’humanité revêt une dimension encore plus
large: il s’applique dans les circonstances les plus différentes, tant en

temps de conflit armé qu’en temps de paix, dans les relations entre les
pouvoirs publics et toutes les personnes relevant de la juridiction de l’Etat
concerné. Ce principe a une incidence notoire lorsque ces personnes
se trouvent dans une situation de vulnérabilité, ou même sans défense,
ainsi qu’on le voit dans les dispositions pertinentes des traités intégrant le

droit international des droits de l’homme. Par exemple, au niveau des
Nations Unies, l’article 17, paragraphe 1, de la convention internationale
sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des mem-
bres de leur famille de 1990 stipule ce qui suit:

«Les travailleurs migrants et les membres de leur famille qui sont
privés de leur liberté sont traités avec humanité et avec le respect

de la dignité inhérente à la personne humaine et de leur identité
culturelle.»

95. De même, l’alinéa c) de l’article 37 de la convention des Nations
Unies sur les droits de l’enfant de 1989 précise que les Etats parties doi-
vent veiller à ce que «[t]out enfant privé de liberté soit traité avec huma-
nité et avec le respect dû à la dignité de la personne humaine, et d’une
manière tenant compte des besoins des personnes de son âge». On trouve

des dispositions semblables dans les traités régionaux relatifs aux droits
de l’homme.
96. Pour ne citer que quelques exemples, la convention américaine des
droits de l’homme de 1969, dans son article 5 traitant du droit à un trai-
tement humain, prescrit notamment que «toute personne privée de liberté

doit être traitée avec respect en raison de la dignité inhérente à la per-
sonne humaine» (par. 2). De même, la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples de 1981 dispose entre autres que «[t]out individu
a droit au respect de la dignité inhérente à la personne humaine et à la
reconnaissance de sa personnalité juridique» (art. 5).

97. Le paragraphe 2 de l’article II de la convention de 1969 de l’OUA
régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique dis-
pose pour sa part que «[l]’octroi du droit d’asile aux réfugiés constitue un
acte pacifique et humanitaire». Et les exemples pourraient être multipliés.
Le point que je tiens à souligner ici est que le principe d’humanité imprè-

gne tout le corpus juris de la protection internationale des droits de la
personne humaine (qui englobe le droit international humanitaire, le
droit international des droits de l’homme et le droit international sur les
réfugiés), aux plans mondial (Nations Unies) et régional.
98. S’agissant de la présente affaire Ahmadou Sadio Diallo en particu-

lier, il convient de noter que le principe d’humanité sous-tend l’article 7
du Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations
Unies, qui protège l’intégrité de la personne contre les mauvais traite-
ments, ainsi que l’article 10 du Pacte (concernant les personnes détenues),

qui commence par une déclaration selon laquelle «Toute personne privée
de sa liberté est traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhé-

125comprises not only the negative obligation not to mistreat (Article 7), but

also the positive obligation to ensure that a detainee, under the custody
of the State, is treated with humanity and due respect for his inherent
dignity as a human person.

99. The principle of humanity, in effect, underlies the two General
Comments, No. 9 (of 1982, para. 3) and No. 21 (of 1992, para. 4) on Arti-
cle 10 of the Covenant (humane treatment of persons deprived of their

liberty). The principle of humanity, usually invoked in the domain of
international humanitarian law, thus extends itself also to that of inter-
national human rights law. And, as the Committee rightly stated in its
General Comment No. 31 (of 2004), “both spheres of law are complemen-

tary, not mutually exclusive” (para. 11).

100. The principle of humanity has met with judicial recognition. It is
not my intention here, within the confines of the present separate opinion

in the Diallo case, to rev80w the international case law to this effect, as
I have done so elsewhere . Suffice it here to recall but one selected illus-
tration, on the basis of my own experience. The jurisprudence constante
of the Inter-American Court of Human Rights has properly warned

that the principle of humanity, inspiring the right to humane treatment
(Article 5 of the American Convention on Human Rights), applies
even more forcefully when a person is unlawfully detained, and kept in
an “exacerbated situation of vulnerability” (judgments in the cases of

Maritza Urrutia v. Guatemala, of 27 November 2003, para. 87; of
Juan Humberto Sánchez v. Honduras, of 7 June 2003, para. 96; Cantoral
Benavides v. Peru, of 18 August 2000, para. 90; and cf. Bámaca Velásquez
v. Guatemala, of 25 November 2000, para. 150).

101. In my separate opinion in the judgment in the case of the Mas-
sacre of Plan de Sánchez (of 29 April 2004), concerning Guatemala, I
devoted a whole section (III, paras. 9-23) of it to the judicial acknowl-
edgement of the principle of humanity in the recent case law of that court

as well as of the ad hoc International Criminal Tribunal for the former
Yugoslavia. Furthermore, I therein expressed my understanding that the
principle of humanity, orienting the way one treats others (el trato
humano), “encompasses all forms of human behaviour and the totality of

the condition of the vulnerable human existence” (para. 9).

102. International law is not at all insensitive to that, and the principle
at issue applies in any circumstances, so as to prohibit inhuman treat-

ment, by reference to humanity as a whole, so as to secure protection to

80Cf. A. A. Cançado Trindade, “Le déracinement et la protection des migrants dans le
droit international des droits de l’homme”, 19 Revue trimestrielle des droits de l’homme —
Brussels (2008), pp. 289-328, esp. pp. 295 and 308-316.

126rente à la personne humaine.» (Par. 1.) Le Pacte énonce non seulement

une obligation négative de ne pas soumettre l’individu à de mauvais trai-
tements (art. 7), mais aussi l’obligation positive de garantir que la per-
sonne détenue sous la garde de l’Etat est traitée avec humanité et avec le
respect qui lui est dû en raison de la dignité inhérente à la personne

humaine.
99. Le principe d’humanité est en réalité celui qui sous-tend les deux
observations générales, n 9 (1982, par. 3) et n 21 (1992, par. 4), sur
l’article 10 du Pacte (traitement humain des personnes privées de liberté).

Le principe d’humanité, habituellement invoqué dans le domaine du
droit international humanitaire, s’étend donc également au droit inter-
national des droits de l’homme. Et, comme le Comité l’a correcte-
o
ment déclaré dans son observation générale n 31 (2004), «les deux
domaines du droit sont complémentaires et ne s’excluent pas l’un l’autre»
(par. 11).
100. Le principe d’humanité a été reconnu par les tribunaux. Je n’ai

pas l’intention ici, dans le cadre d’une opinion individuelle en l’affaire
Ahmadou Sadio Diallo, de passer en revue la jurisprudence internationale
à cet effet, l’ayant déjà fait ailleurs . Qu’il suffise de rappeler une seule
illustration tirée de ma propre expérience. La jurisprudence constante de

la Cour interaméricaine des droits de l’homme signale à juste titre que le
principe d’humanité, qui est à l’origine du droit d’être traité avec huma-
nité (article 5 de la convention américaine des droits de l’homme), s’appli-
que avec encore plus de force lorsqu’une personne est détenue illégale-

ment et maintenue dans une «situation exacerbée de vulnérabilité» (arrêts
Maritza Urrutia c. Guatemala , du 27 novembre 2003, par. 87; Juan
Humberto Sánchez c. Honduras , du 7 juin 2003, par. 96; Cantoral Bena-

vides c. Pérou, du 18 août 2000, par. 90; et Bámaca Velásquez c. Guate-
mala, du 25 novembre 2000, par. 150).
101. Dans mon opinion individuelle figurant dans l’arrêt sur l’affaire
relative au Massacre de Plan de Sánchez (du 29 avril 2004) concernant le

Guatemala, j’ai consacré une section entière de mon exposé (III, par. 9-
23) à la reconnaissance judiciaire du principe d’humanité dans la juris-
prudence récente de cette cour et dans celle du Tribunal pénal internatio-
nal ad hoc pour l’ex-Yougoslavie. De plus, j’ai exprimé dans cette opinion

l’idée que le principe d’humanité, qui sert d’orientation au traitement
accordé à l’autre (el trato humano), «englobe toutes les formes de com-
portement humain et la totalité de la condition vulnérable de l’existence

humaine» (par. 9).
102. Le droit international est loin d’être insensible à ces considéra-
tions et le principe en cause s’applique en toutes circonstances dans le but
de proscrire les traitements inhumains pour l’ensemble de l’humanité, de

80
Voir A. A. Cançado Trindade, «Le déracinement et la protection des migrants dans
le droit international des droits de l’homme», Revue trimestrielle des droits de l’homme ,
Bruxelles, vol. 19 (2008), p. 289-328, en particulier p. 295 et 308-316.

126all, including those in a situation of great vulnerability (paras. 17-20).

Humaneness is to condition human behaviour in all circumstances, in
times of peace as well as of disturbances and armed conflict.

103. The principle of humanity permeates the whole corpus juris of

protection of the human person, providing one of the illustrations of the
approximations or convergences between its distinct and complementary
branches (international humanitarian law, the international law of human

rights, and international refugee law), at the hermeneutic level, and also
manifested at the normative and the operational levels. In faithfulness to
my own conception, I have, in this Court likewise, deemed it fit to
develop some reflections on the basis of the principle of humanity
81
lato sensu, in my dissenting opinion in the case of the Obligation to
Prosecute or Extradite (Belgium v. Senegal), Provisional Measures,
I.C.J. Reports 2009, p. 165, as well as in my dissenting opinion 82 in the

case of Jurisdictional Immunities of the State (Germany v. Italy), Counter-
Claim, Order of 6 July 2010, I.C.J. Reports 2010 (I) , p. 329.

104. And, in the Court’s recent Advisory Opinion on Accordance with
International Law of the Unilateral Declaration of Independence in
Respect of Kosovo, I.C.J. Reports 2010 (II) , p. 403, I devoted one entire

section (XIII (4)) of my separate opinion expressly to the “fundamental
principle of humanity” (paras. 196-211) in the framework of the law of
nations 83 itself. I saw it fit to recall that the “founding fathers” of inter-
national law (F. de Vitoria, A. Gentili, F. Suárez, H. Grotius, S. Pufen-

dorf, C. Wolff) propounded a jus gentium inspired by the principle of
humanity lato sensu (paras. 73-74).

105. It may here be pointed out that the principle of humanity is in
line with natural law thinking. It underlies classic thinking on humane
treatment and the maintenance of sociable relationships, also at interna-
tional level. Humaneness came to the fore even more forcefully in the

treatment of persons in situation of vulnerability, or even defenselessness,
such as those deprived of their personal freedom, for whatever reason.

106. The jus gentium, when it began to correspond to the law
of nations, came then to be conceived by its “founding fathers” as regu-
lating the international community constituted by human beings socially
organized in the (emerging) States and co-extensive with humankind,

thus conforming the necessary law of the societas gentium. This latter
prevailed over the will of individual States, respectful of the human per-

81Paragraphs 24-25 and 61.
82Paragraphs 116, 118, 125, 136-139 and 179.
83Cf. also paragraphs 66-67, 74-76, 96, 176, 185 and 239-240.

127garantir la protection de tous, y compris ceux qui sont en situation de

grande vulnérabilité (par. 17-20). L’humanité doit imprégner le compor-
tement humain en toutes circonstances, en temps de paix comme en
temps de troubles et de conflit armé.
103. Le principe d’humanité imprègne tout le corpus juris de protec-

tion de la personne humaine, ce qui illustre la proximité ou la conver-
gence entre ses différentes branches distinctes et complémentaires (droit
international humanitaire, droit international des droits de l’homme et
droit international sur les réfugiés), au plan herméneutique, et il est éga-

lement manifeste au niveau normatif et opérationnel. Par fidélité à ma
propre conception, j’ai également jugé utile de développer, au sein de la
présente Cour, quelques réflexions sur la base du principe d’humanité
81
lato sensu dans mon opinion dissidente en l’affaire relative à des Ques-
tions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c.
Sénégal) (mesures conservatoires, ordonnance du 28 mai 2009, C.I.J.
Recueil 2009, p. 165), ainsi que dans mon opinion dissidente 82 en l’affaire

des Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie) (demande
reconventionnelle, ordonnance du 6 juillet 2010, C.I.J. Recueil 2010 (I) ,
p. 329).
104. De même, dans l’avis consultatif récemment rendu par la Cour

sur la Conformité au droit international de la déclaration unilatérale
d’indépendance relative au Kosovo (C.I.J. Recueil 2010 (II) , p. 403),
j’ai consacré expressément toute une section (XIII, 4)) de mon opi-
nion individuelle au «principe fondamental d’humanité» (par. 196-
83
211) dans le cadre du droit des nations lui-même. J’ai jugé bon de
rappeler que les «pères fondateurs» du droit international (F. de
Vitoria, A. Gentili, F. Suárez, H. Grotius, S. Pufendorf, C. Wolff)

préconisaient un jus gentium inspiré du principe d’humanité au sens large
(par. 73-74).
105. Il convient peut-être de noter ici que le principe d’humanité
concorde avec la réflexion sur le droit naturel. Il sous-tend la réflexion

classique sur le traitement humain et le maintien de relations sociales, y
compris au plan international. L’humanité est devenue encore plus pré-
éminente en ce qui concerne le traitement des personnes vulnérables, ou
même sans défense, comme celles qui sont privées de liberté pour quelque

raison que ce soit.
106. Le jus gentium, lorsqu’il a commencé à correspondre au droit des
nations, en est venu à être conçu par ses «pères fondateurs» comme

régissant la communauté internationale constituée par les êtres humains
organisés socialement dans les Etats (qui émergeaient alors) et recouvrant
l’ensemble de l’humanité, devenant ainsi le droit nécessaire de la societas
gentium. Ce droit avait préséance sur la volonté des Etats individuels,

81
82Par. 24-25 et 61.
83Par. 116, 118, 125, 136-139 et 179.
Voir également par. 66-67, 74-76, 96, 176, 185 et 239-240.

127son, to the benefit of the common good . The precious legacy of natural

law thinking, evoking the natural law of the right human reason (recta
ratio), has never faded away, and this should be stressed time and time
again, particularly in face of the indifference and pragmatism of the
“strategic” droit d’étatistes, so numerous in the legal profession in our

days.

VI. T HE PROHIBITION OF A RBITRARINESS IN

THE INTERNATIONAL LAW OF H UMAN R IGHTS

107. For the consideration of the present Diallo case, a proper under-

standing of the prohibition of arbitrariness, in the framework of the
international law of human rights, assumes a central importance. To that
end, I shall, next, review the notion of arbitrariness, considering the posi-
tion of the UN Human Rights Committee and the African Commission

on Human and Peoples’ Rights, as well as the jurisprudential construc-
tion of the Inter-American and European Courts of Human Rights on
the matter. I shall then present my general assessment of this key issue.

1. The Notion of Arbitrariness

108. The adjective “arbitrary”, derived from the Latin “arbitrarius”,

originally meant that which depended on the authority or will of the
arbitrator, of a legally recognized authority. With the passing of time,
however, it gradually acquired a different connotation; already in the
mid-seventeenth century, it had been taken to mean that which

appeared uncontrolled (arbitrary) in the exercise of will, amounting to
capriciousness or despotism. The qualification “arbitrary” came thus to
be used in order to characterize decisions grounded on simple preference

or prejudice, defying any test of “foresee-ability”, ensuing from the
entirely free will of the authority concerned, rather than based on reason,
on the conception of the rule of law in a democratic society, on the cri-
terion of reasonableness and the imperatives of justice, on the fundamental

principle of equality and non-discrimination.
109. As human rights treaties and instruments conform a law of pro-
tection (a droit de protection), oriented towards the safeguard of the

ostensibly weaker party, the victim, it is not at all surprising that the pro-
hibition of arbitrariness (in its modern and contemporary sense) covers
arrests and detentions, as well as other acts of the public power, such as
expulsions. Bearing in mind the hermeneutics of human rights treaties, as

outlined above, a merely exegetical or literal interpretation of treaty pro-
visions would be wholly unwarranted (cf. infra).

84A. A. Cançado Trindade, A Humanização do Direito Internacional , Belo Horizonte,
Brazil, Edit. Del Rey, 2006, pp. 9-14, 172, 318-319, 393 and 408.

128tenus de respecter la personne humaine dans l’intérêt du bien commun . 84

Le précieux legs du droit naturel, qui évoque un droit fondé dans la rai-
son humaine juste (recta ratio), ne s’est jamais évanoui, et il convient de
le souligner sans cesse, particulièrement face à l’indifférence et au prag-
matisme des droit-d’étatistes «stratégiques», si nombreux dans la profes-

sion juridique de nos jours.

VI. L’ INTERDICTION DE L ’ARBITRAIRE

DANS LE DROIT INTERNATIONAL DES DROITS DE L HOMME

107. Dans l’examen de la présente affaire Ahmadou Sadio Diallo,ilest
d’une importance cruciale de bien comprendre l’interdiction de l’arbi-

traire dans le cadre du droit international des droits de l’homme. A cette
fin, j’examinerai maintenant la notion d’arbitraire, la position du Comité
des droits de l’homme des Nations Unies et de la Commission africaine
des droits de l’homme et des peuples, ainsi que la jurisprudence des Cours

interaméricaine et européenne des droits de l’homme sur cette question.
Je présenterai enfin mon appréciation générale de cette question centrale.

1. La notion d’arbitraire

108. L’adjectif «arbitraire», qui vient du latin arbitrarius, signifiait à
l’origine ce qui dépend de l’autorité ou de la volonté de l’arbitre, d’une
autorité légalement reconnue. Avec le temps, cependant, ce terme a gra-
e
duellement acquis une connotation différente; dès le milieu du XVII siè-
cle, il désignait ce qui était en apparence incontrôlé (arbitraire) dans
l’exercice de la volonté, et était assimilé au caprice ou au despotisme.

C’est ainsi que le qualificatif «arbitraire» en est venu à qualifier les déci-
sions fondées sur la simple préférence ou le préjugé, réfractaires à tout
critère de prévisibilité et découlant du pur libre arbitre de l’autorité, plu-
tôt que d’être fondées sur la raison, sur la notion de règle de droit dans

les sociétés démocratiques, sur le critère de raisonnabilité, sur les impé-
ratifs de la justice et sur le principe fondamental d’égalité et de non-
discrimination.
109. Etant donné que les traités et les instruments relatifs aux droits de

l’homme constituent un droit de protection dont le but est de protéger la
partie manifestement la plus faible, la victime, il n’est pas du tout éton-
nant que l’interdiction de l’arbitraire (au sens moderne et contemporain)
englobe l’arrestation et la détention ainsi que les autres actes des pouvoirs

publics comme l’expulsion. Compte tenu de l’herméneutique des traités
des droits de l’homme exposée plus haut, il serait tout à fait injustifié
d’interpréter ces dispositions des traités de manière purement exégétique

ou littérale (voir infra).

84
A. A. Cançado Trindade, A Humanização de Direito Internacional , Belo Horizonte
(Brésil), éd. Del Rey, 2006, p. 9-14, 172, 318-319, 393 et 408.

128 110. Such has in fact been the understanding of international supervi-

sory organs of human rights protection, as we shall see next. I shall take
as illustrations the positions of two supervisory organs (the UN Human

Rights Committee and the African Commission on Human and Peoples’
Rights), as well as the jurisprudential constructions of two international
human rights tribunals (the Inter-American and the European Courts of

Human Rights).

111. Preliminarily, as to the determination of the breach of the right
not to be deprived arbitrarily of one’s liberty (principle of legality, pro-
hibition of arbitrariness — Article 9 (1) of the UN Covenant on Civil and

Political Rights), may it be recalled that the UN Working Group on
Arbitrary Detention 85 has expressed that view that deprivation of liberty

is to be regarded as arbitrary “when it manifestly cannot be justified on
any legal basis” (such as, e.g., continued detention after the sentence has
been served) . The UN Human Rights Committee (HRC), the supervi-

sory organ of the Covenant on Civil and Political Rights, has dwelt
further upon the matter.

2. The Position of the UN Human Rights Committee

112. To start with, there are decisions which reveal the position taken

by the HRC on the matter at issue. For example, in the Mukong v. Cam-
eroon case (1994), the HRC interpreted “arbitrary” in a broad sense, as

meaning inappropriate, unjust, unpredictable and inconsistent with legal-
ity . More generally, the HRC pondered, in the subsequent Jalloh v.
The Netherlands case (2002), that “arbitrary” ought to be understood as
88
covering “unreasonable action” ; in any event, action ought to be
deemed appropriate and proportional in the circumstances of the case at
89
issue .

85 Established by the former UN Commission on Human Rights, in its resolution 1991/

4286
UN General Assembly doc. A/HRC/7/4/Add.1, of 16 January 2008, p. 3; cf. Reply of
Guinea, para. 1.19.
87 HRC, No. 458/1991, Mukong v. Cameroon, 21 July 1994, para. 9.8.
88 HRC, No. 794/1998, Jalloh v. The Netherlands, 26 March 2002, A/57/40, Vol. II,
p. 132, para. 8.2.
89 Furthermore, the UN Declaration on the Human Rights of Individuals Who Are Not
Nationals of the Country in which They Live (of 13 December 1985) provides (in Article 5)
that:

“aliens shall enjoy, in accordance with domestic law and subject to the relevant
international obligations of the State in which they are present, in particular the fol-
lowing rights: (a) the right to life and security of person, whereby no alien shall be
subjected to arbitrary arrest or detention, and no alien shall be deprived of his or

her liberty except on such grounds and in accordance with such procedures as are

129 110. C’est ainsi d’ailleurs que les organes internationaux de super-

vision de la protection des droits de l’homme ont interprété la situation,
comme nous le verrons maintenant. J’utiliserai comme exemples les posi-

tions de deux organes de supervision (le Comité des droits de l’homme
des Nations Unies et la Commission africaine des droits de l’homme et
des peuples) ainsi que la jurisprudence de deux tribunaux internationaux

des droits de l’homme (les Cours interaméricaine et européenne des droits
de l’homme).

111. A titre préliminaire, s’agissant de la détermination de la violation
du droit de ne pas être privé arbitrairement de sa liberté (principe de léga-
lité, interdiction de l’arbitraire — paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte

international relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies), je
rappellerai que le groupe de travail des Nations Unies sur la détention
85
arbitraire a exprimé l’avis que la privation de liberté devait être consi-
dérée comme arbitraire «[l]orsqu’il est manifestement impossible d’invo-
quer une base légale quelconque qui la justifie» (par exemple le maintien
86
en détention d’une personne au-delà de l’exécution de la peine) .L e
Comité des droits de l’homme des Nations Unies — l’organe de sur-

veillance du Pacte international relatif aux droits civils et politiques — a
également examiné la question en détail.

2. La position du Comité des droits de l’homme des Nations Unies

112. Pour commencer, les décisions du Comité des droits de l’homme

révèlent sa position sur cette question. Par exemple, en l’affaire Mukong
c. Cameroun (1994), le Comité a interprété le terme «arbitraire» dans un

sens large, comme signifiant inadmissible, injuste, imprévisible et incom-
patible avec la légalité . De façon plus générale, dans une affaire ulté-
rieure, Jalloh c. Pays-Bas (2002), le Comité a exprimé l’avis que le terme

«arbitraire» devait être compris comme signifiant «une action qui n’est
pas raisonnable» ; quoi qu’il en soit, toute action doit être jugée appro-
89
priée et proportionnelle dans les circonstances de l’affaire en cause .

85 Institué par l’ancienne Commission des droits de l’homme des Nations Unies dans sa

ré86lution 1991/42.
Nations Unies, Assemblée générale du 16 janvier 2008, document A/HRC/7/4/Add.1,
p. 3; réplique de la Guinée, par. 1.19. o
87 CDH, Mukong c. Cameroun, 21 juillet 1994, n 458/1991, par. 9.8.
88 CDH, Jalloh c. Pays-Bas, 26 mars 2002, n o 794/1998, A/57/40, vol. II, p. 132,
par. 8.2.
89 De plus, l’article 5 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits de l’homme des
personnes qui ne possèdent pas la nationalité du pays dans lequel elles vivent (du 13 dé-
cembre 1985) dispose ce qui suit:

«Les étrangers jouissent, conformément au droit interne et sous réserve des obli-
gations internationales pertinentes de l’Etat dans lequel ils se trouvent, en particulier
des droits suivants: a) le droit à la vie, à la sûreté de leur personne; nul étranger ne
peut être arbitrairement arrêté ou détenu; nul étranger ne peut être privé de sa li-

berté, si ce n’est pour des motifs et conformément à la procédure prévue par la loi;

129 113. In the aforementioned Mukong v. Cameroon case, the Committee

expressly observed that:

“The drafting history of Article 9 (1) confirms that ‘arbitrariness’

is not to be equated with ‘against the law’, but must be interpreted
more broadly to include elements of inappropriateness, injustice,
lack of predictability and due process of law. (. . .) This means that

remand on custody pursuant to lawful arrest must not only be lawful
but reasonable in all the circumstances. Remand in custody must
further be necessary in all the circumstances.” (Para. 9.8.)

114. By means of its views on communications, the Committee has
further interpreted the Covenant to deal with crucial issues, such as, for
90
example, that of non-derogable rights and states of emergency . It has
made it quite clear, in respect of the issue of arbitrariness of public
authorities, that one is to avoid equating arbitrariness only with the

expression “against the law”. Thus, in the Marques de Morais v. Angola
case (2005), inter alia, it gave arbitrariness a broader interpretation, so as
to encompass elements of injustice, lack of due process of law, inappro-
priateness, and lack of predictability.

115. In the same line of reasoning, earlier on, in the case of R. Moj-
ica v. Dominican Republic (1994) and in the case of Tshishimbi v. Zaire
case (1996), the Committee warned that an interpretation that would

allow States parties “to tolerate, condone or ignore” threats made by
public authorities to the personal liberty and security of non-detained
individuals under the jurisdiction of the States parties concerned “would
render ineffective the guarantees of the Covenant” 91. Likewise, in the

case of L. Rajapakse v. Sri Lanka (2006), the Committee again pon-
dered that personal security was to be safeguarded in distinct circum-
stances, also beyond the context of formal deprivation of liberty

(para. 9.7)
116. The HRC’s concerns to ensure protection to individuals against
arbitrariness on the part of State authorities is not restricted to the right
to personal liberty, but extends to other rights protected under the Cov-

enant as well. It is present in some of its views on communications con-
cerning expulsions, under Article 13 of the Covenant (on the right of
aliens not to be expelled arbitrarily). The test of bona fides or prohibition

of abus de pouvoir on the part of those authorities was applied by the

established by law; (b) the right to protection against arbitrary or unlawful inter-
ference with privacy, family, home or correspondence (...)”.
90Cf., e.g., [Various Authors], Droits intangibles et états d’exception (eds. D. Prémont
et al.), Brussels, Bruylant, 1996, pp. 1 et seq.
91Para. 5.4, in both cases. In the L. Rajapakse v. Sri Lanka case (2006), likewise, the
Committee again pondered that personal security was to be safeguarded in distinct cir-
cumstances, also beyond the context of formal deprivation of liberty.

130 113. Dans l’affaire Mukong c. Cameroun déjà mentionnée, le Comité a

fait l’observation suivante:

«L’historique de la rédaction du paragraphe 1 de l’article 9 confirme

que la notion d’«arbitraire» ne doit pas être confondue avec celle de
«contre la loi», mais être interprétée d’une manière plus large pour
inclure des éléments inappropriés, injustes, imprévisibles et contraires

à la légalité ... [C]ela signifie que la détention provisoire consécutive à
une arrestation légale doit être, non seulement légale, mais aussi rai-
sonnable dans toutes les circonstances. La détention provisoire doit
de plus être nécessaire dans toutes les circonstances.» (Par. 9.8.)

114. Dans ses constatations sur des communications, le Comité a
développé son interprétation du Pacte à propos de questions cruciales
90
comme celle des droits intangibles et des états d’exception . Il a dit de
façon tout à fait claire, en ce qui concerne la question de l’arbitraire des
autorités publiques, qu’il fallait éviter de n’assimiler l’arbitraire qu’à

l’expression «illégal». Ainsi, dans l’affaire Rafael Marques de Morais
c. Angola (2005), il a notamment donné au terme arbitraire une interpré-
tation plus large où entraient des éléments d’injustice, d’absence de pro-
cédure régulière, d’inadmissibilité et d’imprévisibilité.

115. Selon le même raisonnement, le Comité avait déjà, dans les affai-
res R. Mojica c. République dominicaine (1994) et Tshishimbi c. Zaïre
(1996), affirmé qu’une interprétation qui permettrait aux Etats parties «de

tolérer, d’accepter ou de passer sous silence» les menaces à la liberté et à
la sécurité personnelle proférées par les autorités publiques à l’égard
d’individus non détenus relevant de la juridiction des Etats parties concer-
nés «rendrait ineffectives les garanties du Pacte» . De même, en l’affaire

L. Rajapakse c. Sri Lanka (2006), le Comité a à nouveau exprimé l’avis
que la sécurité personnelle devait être garantie dans différentes circonstan-
ces, y compris en dehors du contexte de la privation formelle de liberté

(par. 9.7).
116. Le souci du Comité des droits de l’homme de garantir la protec-
tion des individus contre l’arbitraire des autorités publiques ne se limite
pas au droit à la liberté personnelle, mais s’étend à d’autres droits pro-

tégés par le Pacte. Ce souci s’exprime également dans certaines de ses
constatations sur des communications concernant l’expulsion, présentées
au titre de l’article 13 du Pacte (portant sur le droit des étrangers de ne

pas être expulsés arbitrairement). Le critère de bonne foi ou d’interdiction

b) le droit à la protection contre toute ingérence arbitraire ou illégale dans leur vie
privée et familiale, leur domicile ou leur correspondance ...»
90Voir, par exemple, (différents auteurs), Droits intangibles et états d’exception
(D. Prémont et al., dir. publ.), Bruxelles, Bruylant, 1996, p. 1 et suiv.
91Par. 5.4, dans les deux affaires. Dans L. Rajapakse c. Sri Lanka (2006), le Comité a
également estimé que la sécurité de la personne devait être protégée dans différentes cir-
constances, au-delà du cas de privation formelle de liberté.

130HRC in the A. Maroufidou v. Sweden case (1981); and in the E. Hammel

v. Madagascar case (1987) the HRC upheld the right to an effective (dom-
estic) remedy in such cases of expulsion.

3. The Position of the African Commission on Human
and Peoples’ Rights

117. There are several decisions of the African Commission on Human
and Peoples’ Rights (ACHPR) determining the occurrences of breaches
92
of Article 6 of the African Charter on Human and Peoples’ Rights ,in
so far as the prohibition of arbitrary arrests or detentions is concerned.
In one of those cases in which the ACHPR established a breach of the

kind, namely, the case of L. Zegveld and M. Ephrem v. Eritrea (2003),
the ACHPR stated quite clearly that, by means of its Article 6:

“The African Charter specifically prohibits arbitrary arrests and
detentions.
Evidence before the African Commission indicates that the 11 per-

sons have been held incommunicado and without charge since they
were arrested in September 2001 (. . .). The African Commission notes
that to date it has not received any information or substantiation

from the Respondent State demonstrating that the 11 persons were
being held in appropriate detention facilities and that they had been
produced before courts of law.
Incommunicado detention is a gross human rights violation (. . .).

The African Commission is of the view that all detentions must be
subject to basic human rights standards (. . .). Furthermore, every
detained person must have prompt access to a lawyer and to their

families and their rights with regard to physical and mental health
must be protected as well as entitlement to proper conditions of
detention.” 93

118. In stressing, in its decision in the same L. Zegveld and M. Ephrem
case, the prohibition of arbitrary arrests and detentions under the Afri-

can Charter (Article 6), the ACHPR warned that arbitrariness affected
the right of access to justice itself. In the words of the ACHPR,

“the lawfulness and necessity of holding someone in custody must be
determined by a court of other appropriate judicial authority. The

decision to keep a person in detention should be open to review peri-

92Cf., to this effect, e.g., its decisions in tMedia Rights Agenda v. Nigeria
(2000), paras. 41-44 and 70-75; J. D. Ouko v. Kenya (2000), paras. 21 and 31; K. Ami-
nu v. Nigeria (2000), paras. 21 and 26; D. K. Jawara v. Gambia (2000), paras. 57-59 and
74; Constitutional Rights Project v. Nigeria (1999), paras. 12-16; Law Office of Ghazi
Suleiman v. Sudan (2003), paras. 48-50 and 67; K. Achuthan and Amnesty International
(on Behalf of A. Banda, and O. and V. Chirwa) v. Malawi (1994), paras. 8-9 and 12.
93Paragraphs 52-55.

131de l’abus de pouvoir de la part des autorités a été appliqué par le Comité

des droits de l’homme en l’affaire A. Maroufidou c. Suède (1981); et, en
l’affaire E. Hammel c. Madagascar (1987), le Comité a soutenu le droit à
un recours effectif (interne) dans des cas d’expulsion de ce genre.

3. La position de la Commission africaine
des droits de l’homme et des peuples

117. La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples
(CADHP) a, dans plusieurs de ses décisions, établi qu’il y avait eu viola-

tion de l’article 6 de la Charte africaine des droits de l’homme et des
peuples , qui interdit l’arrestation et la détention arbitraires. Dans l’une
de ces affaires, L. Zegveld et M. Ephrem c. Erythrée (2003), la Commis-
sion a dit très clairement que, dans son article 6:

«[l]a Charte africaine interdit spécifiquement les arrestations et la
détention arbitraires.
La Commission africaine dispose des preuves qui montrent que les
11 personnes ont été gardées au secret et sans inculpation depuis leur

arrestation en septembre 2001 ... La Commission africaine note qu’à
ce jour, elle n’a reçu aucune information ou aucune preuve de la part
de l’Etat défendeur indiquant que les 11 personnes étaient détenues

dans des endroits de détention appropriés et qu’elles avaient com-
paru devant un tribunal.
La détention au secret constitue une grave violation des droits de
l’homme ... La Commission africaine est de l’avis que toutes les

détentions doivent respecter les principes fondamentaux des droits
de l’homme ... En outre, toute personne détenue doit avoir rapide-
ment accès à un avocat et aux membres de sa famille et son droit

relatif à la santé physique et mentale doit être protégé 93nsi que les
droits relatifs aux bonnes conditions de détention.»

118. Soulignant, dans sa décision prononcée dans cette même affaire,
l’interdiction de l’arrestation et de la détention arbitraires inscrite dans la
Charte africaine (art. 6), la CADHP a déclaré que l’arbitraire menaçait le
droit d’accès à la justice lui-même. La Commission s’est exprimée comme

suit:

«la légalité et la nécessité de détenir quelqu’un doivent être détermi-
nées par une cour ou par une autre autorité judiciaire compétente.
La décision de garder une personne en détention devrait être ouverte

92Voir à cet effet, par exemple, Media Rights Agenda c. Nigéria (2000), par. 41-44
et 70-75; J. D. Ouko c. Kenya (2000), par. 21 et 31; K. Aminu c. Nigéria (2000), par. 21
et 26; D. K. Jawara c. Gambie (2000), par. 57-59 et 74; Constitutional Rights Project
c. Nigéria (1999), par. 12-16; Law Office of Ghazi Suleiman c. Soudan (2003), par. 48-50
et 67; K. Achuthan et Ammesty International (au nom de A. Banda, et O. et V. Chirwa)
c. Malawi (1994), par. 8-9 et 12.
93Par. 52-55.

131 odically (. . .). Persons suspected of committing any crime must be

promptly charged with legitimate criminal offences and the State
should initiate legal proceedings that should comply with fair trial
standards as stipulated by the African Commission in its [1992]

Resolution on the Right to Recourse and Fair Trial and elaborated
upon in its [2003] Guidelines on the Right to Fair Trial and Legal
Assistance in Africa.” 94

119. The practice of the African Commission in respect of the prohibi-
tion of arbitrariness is not restricted to Article 6, on the prohibition of
arbitrary arrests and detentions. It extends, naturally, to other rights pro-

tected under the African Charter, such as the right not to be expelled
arbitrarily from a country, as provided in Article 12 (4) of the Charter:
“A non-national legally admitted in a territory of a State party to the

present Charter, may only be expelled from it by virtue of a decision
taken in accordance with the law.” In this connection, in the case of the
Organisation mondiale contre la torture, Association internationale des

juristes democrates, Commission Internationale des juristes and95nion
interafricaine des droits de l’homme v. Rwanda (1996) , the African
Commission clarified that:

“This provision should be read as including a general protection

of all those who are subject to persecution, that they may seek refuge
in another State. Article 12 (4) prohibits the arbitrary expulsion of
such persons from the country of asylum. (. . .).” (Para. 30.) 96

120. In a case lodged with the Commission by the Union Interafricaine
des droits de l’homme, Fédération internationale des ligues des droits de

l’homme, Rencontre africaine des droits de l’hom97, and Organisation
nationale des droits de l’homme au Sénégal , on behalf of certain West
African nationals expelled from Angola in 1996, the ACHPR, in deciding

in favour of the complainants on 11 November 1997, pondered, after
invoking Article 12 (4) of the Charter (para. 14), that:

“African States in general and the Republic of Angola in particu-

lar are faced with many challenges, mainly economic. In the face of
such difficulties, States often resort to radical measures aimed at
protecting their nationals and their economics from non-nationals.

Whatever the circumstances may be, however, such measures should
not be taken at the detriment of human rights. (. . .) By deporting

94Paragraph 56.
95Communications Nos. 27/89, 46/91, 49/91 and 99/93, joined.
96Text reproduced in: Institute for Human Rights and Development, Compilation of
Decisions on Communications of the African Commission on Human and Peoples’ Rights

(1974-2001), p. 324.
Communication No. 159/96.

132 à une révision régulière ... les personnes soupçonnées de crime doi-

vent être promptement inculpées et l’Etat devrait initier la procédure
judiciaire en conformité avec les normes d’un procès équitable, telles
que stipulées par la Commission africaine dans sa Résolution [de

1992] sur la procédure relative au droit de recours et à un procès
équitable et tel qu’élaboré dans ses Lignes directrices [de 2003] sur
le droit à un procès équitable et l’assistance judiciaire en Afrique .» 94

119. La pratique de la Commission africaine en ce qui concerne l’inter-
diction de l’arbitraire ne se limite pas à l’article 6 interdisant l’arrestation
et la détention arbitraires. Cette pratique s’étend naturellement à d’autres

droits protégés par la Charte africaine, comme le droit de ne pas être
expulsé arbitrairement d’un pays, prévu au paragraphe 4 de l’article 12 de
la Charte: «L’étranger légalement admis sur le territoire d’un Etat partie

à la présente Charte ne pourra en être expulsé qu’en vertu d’une décision
conforme à la loi.» A cet égard, en l’affaire Organisation mondiale contre
la torture, Association internationale des juristes démocrates, Commis-

sion internationale des juristes et Union interafricaine des droits de
l’homme c. Rwanda (1996) , la Commission africaine a précisé ce qui
suit:

«Cette disposition devrait être interprétée comme prévoyant une
protection générale pour tous ceux qui sont persécutés afin qu’ils
puissent demander asile dans un autre pays. L’article 12 4) interdit

que ces personnes soient arbitrairement expulsées vers leur pays
d’origine ...» (Par. 30.) 96

120. Dans une affaire dont a connu la Commission à la demande de

l’Union interafricaine des droits de l’homme, la Fédération internationale
des ligues des droits de l’homme, la Rencontre africaine des droits de
l’homme et l’Organisation nationale des droits de l’homme au Sénégal , 97

au nom de certains nationaux ouest-africains expulsés de l’Angola
en 1996, la CADHP, accueillant les demandes des plaignants le 11 novem-
bre 1997, a déclaré, après avoir invoqué le paragraphe 4 de l’article 12 de

la Charte (par. 14):

«les Etats africains en général et la République d’Angola en parti-
culier sont confrontés à de nombreux défis, notamment économi-

ques. Face à ces difficultés, les Etats prennent souvent des mesures
radicales visant à protéger leurs ressortissants et leurs économies des
étrangers. Quelles que soient les circonstances cependant, ces me-

sures ne devraient être prises au détriment de la jouissance des droits

94Par. 56.
95Communications n os27/89, 46/91, 49/91 et 99/93, jointes.
96Texte reproduit dans Institute for Human Rights and Development, Compilation des
décisions sur les communications de la Commission africaine des droits de l’homme et des
peuples (1994-2001), p. 324.
97Communication n 159/96.

132 the victims, thus separating some of them from their families, the

defendant State 98s violated and violates the letter of this text.”
(Paras. 16-17.)

121. Warnings of the kind have been made by the African Commission
in its decisions also in the cases of Modise v. Botswana (2000, paras. 83-
84), Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme v. Zambia

(1997, paras. 30-31),K. Goodv. Republic of Botswana(2010, paras. 206-208),
Institute for Human Rights and Development in Africa v. Angola (2008,
paras. 65 and 69-70). In the aforementioned case of thR e encontre africaine
pour la défense des droits de l’homme , the Commission held that the

deportations at issue breached Articles 2, 7 and 12 of the African Charter,
after pondering that “none of the deportees had the opportunity to seize
the Zambian courts to challenge their detention or deportation” . And in

the aforementionedModisecase, the Commission pondered that the decision
as to who is permitted to remain in a country “should always be made
according to careful and just legal procedures” (para. 83). In other words,
it is not sufficient that State authorities proceed in accordance with the law,

as this latter must be in conformity with the African Charter, and reflect
the basic requirements of justice.
122. In the case of Amnesty International, Comité Loosli Bachelard,

Lawyers Committee for Human Rights, and Association of Members of
the Episcopal Conference of East Africa v. Sudan (1999), concerning the
situation prevailing in Sudan between 1989 and 1993, the ACHPR
observed that Article 6 ought to be interpreted in such a way as to effect

arrests “only in the exercise of powers normally granted to the security
forces in a democratic society”. In its view, the wording of the decree at
issue allowed for individuals to be arrested for “vague reasons, and upon

suspicion, not proven acts”, and that was “not in conformity with the
spirit of the African Charter”; the Commission established “serious and
continuing violations of Article 6”, among other provisions of the Char-
ter100. In sum, the position upheld by the ACHPR in its practice is that

the prohibition of arbitrariness covers not only the right to personal lib-
erty, but other rights protected under the African Charter, such as, inter
alia, the right not to be arbitrarily expelled from a country.

4. The Jurisprudential Construction of the Inter-American
Court of Human Rights

123. Turning now to the jurisprudential construction of the Inter-
American Court of Human Rights (IACtHR) on the matter at issue, in
the paradigmatic case of the “Street Children” (Villagrán Morales and

98The Commission declared that the deportation of the victims constituted a violation
of Articles 2, 7 (1) (a), 12 (4) and (5), 14 and 18 of the African Charter.
99Paragraphs 29-30 and the dispositif of the Commission’s decision.
100Paragraphs 59-60 and the dispositif of the Commission’s decision.

133 de l’homme ... En déportant les victimes, séparant ainsi certaines de

leurs familles98l’Etat défendeur a violé et viole la lettre de ce texte.»
(Par. 16-17.)

121. La Commission africaine a incorporé des mises en garde analo-
gues dans ses décisions dans les affaires Modise c. Botswana (2000,
par. 83-84), Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme

c. Zambie (1997, par. 30-31), K. Good c. République du Botswana (2010,
par. 206-208), Institute for Human Rights and Development in Africa c.
Angola (2008, par. 65 et 69-70). Dans l’affaire susmentionnée introduite
par la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme, la Commis-

sion a jugé que les expulsions en cause violaient les articles 2, 7 et 12 de
la Charte africaine, après avoir déclaré qu’«aucune des victimes n’a[vait]
eu la possibilité de saisir les juridictions zambiennes contre sa détention
99
et subséquemment sa déportation» . Dans l’affaire Modise, la Commis-
sion a déclaré que la décision relative à l’autorisation de rester dans un
pays «devrait toujours être prise conformément à une procédure juridique
précise et juste» (par. 83). En d’autres termes, il ne suffit pas que les

autorités de l’Etat se conforment à la loi, mais celle-ci doit être conforme
à la Charte africaine et refléter les exigences fondamentales de la justice.
122. En l’affaire Amnesty International, Comité Loosli Bachelard,

Lawyers Committee for Human Rights et Association of Members of the
Episcopal Conference of East Africa c. Soudan (1999), concernant la
situation prévalant au Soudan entre 1989 et 1993, la CADHP a fait
observer que l’article 6 devait être interprété de manière à ce que toute

arrestation ne puisse avoir lieu «que dans l’exercice des pouvoirs norma-
lement accordés aux forces de sécurité dans une société démocratique». A
son avis, le libellé du décret en cause permettait d’arrêter des individus

pour «des motifs vagues, sur la foi de soupçons, et non en raison d’actes
prouvés» et cela n’était «pas conforme à l’esprit de la Charte africaine»;
la Commission a jugé qu’il y avait eu «de sérieuses et constantes viola-
tions de l’article 6», entre autres dispositions de la Charte 100. Pour résu-

mer, la position adoptée par la CADHP dans sa pratique est que l’inter-
diction de l’arbitraire vise non seulement le droit à la liberté personnelle,
mais aussi d’autres droits protégés par la Charte africaine, comme, par

exemple, le droit de ne pas être expulsé arbitrairement d’un pays.

4. La jurisprudence de la Cour interaméricaine
des droits de l’homme

123. Pour passer maintenant à la jurisprudence de la Cour interamé-
ricaine des droits de l’homme (CIDH) sur la question qui nous intéresse,
en l’affaire paradigmatique des «Enfants des rues» (Villagrán Morales et

98La Commission a déclaré que la déportation des victimes constituait une violation
des articles 2, 7 1) a), 12 4) et 5), 14 et 18 de la Charte africaine.
99Par. 29-30 et dispositif de la décision de la Commission.
100Par. 59-60 et dispositif de la décision de la Commission.

133Others v. Guatemala, merits, judgment of 19 November 1999), the IAC-

tHR held, in respect of the prohibition of unlawful or arbitrary arrest
(Article 7 (2) and (3) of the American Convention on Human Rights —
ACHR), that no one can be subjected to arrest or imprisonment that,
“although qualified as legal”, may be considered incompatible with fun-

damental human rights, for being, inter alia, “unreasonable, unfore-
seeable or out of proportion” (para. 131). This has become jurisprudence
constante of the IACtHR 101.

124. The IACtHR was soon to reiterate its position on the matter, in
the Bámaca Velásquez v. Guatemala case (judgment of 25 November
2000, para. 139). Later on, applying the same criterion in the Maritza
Urrutia v. Guatemala case (judgment of 27 November 2003, para. 65),

the IACtHR found that the detention in the cas d’espèce had been car-
ried out within the framework of a pattern of arbitrariness on the part of
the agents of the State (paras. 69-70). Likewise, in the Juan Humberto
Sánchez v. Honduras case (judgment of 7 June 2003), the IACtHR, after

reiterating (para. 78) its aforementioned obiter dictum, found the deten-
tions arbitrary, for having been effected within a framework of abus de
pouvoir on the part of the State agents (para. 80).
125. In the case of the Brothers Gómez Paquiyauri v. Peru (judgment

of 8 July 2004), the IACtHR established the arbitrariness of the deten-
tion, which had occurred within the framework of a systematic practice
of human rights violations, with aggravating circumstances (paras. 88-89).
In the Massacre of Mapiripán case, concerning Colombia (judgment of

15 September 2005), the IACtHR upheld that the deprivation of liberty
had been effected in a modus operandi marked by arbitrariness, and other
grave violations of human rights (paras. 136 and 138).
126. In the tragic case of Bulacio, concerning Argentina (judgment of

18 September 2003), the Court recalled that there are “material and for-
mal requirements” (causes, cases or circumstances, as well as procedures,
defined in law) that must be observed (under Article 7 of the American
Convention) in applying a measure or punishment that involves imprison-

ment. Detainees have the right to “humane treatment” and to live in
“conditions of detention that are compatible with their personal dignity”
(paras. 125-126). The State, being responsible for detention centres, is
“the guarantor of these rights of the detainees” (para. 126).

127. Furthermore, in the same Bulacio case, the IACtHR deemed it fit
to ponder that:

“State authorities exercise total control over persons under their

101Cf., earlier on, in the same sense, IACtHR, case Gangaram Panday v. Suriname,
judgment of 21 January 1994, para. 47; IACtHR case Suárez Rosero v. Ecuador, judg-
ment of 12 November 1997, para. 43. And cf., subsequently, to the same effect, IACtHR,
case Acosta Calderón v. Ecuador, judgment of 24 June 2005, para. 57; IACtHR, case
Palamara Iribarne v. Chile, judgment of 22 November 2005, para. 215.

134autres c. Guatemala, fond, arrêt du 19 novembre 1999), la CIDH a jugé,

à propos de l’interdiction de l’arrestation illégale ou arbitraire (paragra-
phes 2 et 3 de l’article 7 de la convention américaine des droits de
l’homme), que nul ne pouvait être arrêté ou incarcéré si cette arrestation
ou cette incarcération, «bien que qualifiée de légale», pouvait être consi-

dérée comme incompatible avec les droits de l’homme fondamentaux, au
motif qu’elle était, notamment, «déraisonnable, imprévisible ou dispro-
portionnée» (par. 131). Cette déclaration est devenue jurisprudence cons-
tante de la CIDH 101.

124. La CIDH devait bientôt réitérer sa position sur cette question
dans l’affaire Bámaca Velásquez c. Guatemala (arrêt du 25 novem-
bre 2000, par. 139). Plus tard, appliquant le même critère dans l’affaire
Maritza Urrutia c. Guatemala (arrêt du 27 novembre 2003, par. 65), la

CIDH a jugé que la détention dans le cas d’espèce avait été effectuée dans
le cadre d’un comportement arbitraire systématique de la part des agents
de l’Etat (par. 69-70). De même, dans l’affaire Juan Humberto Sánchez
c. Honduras (arrêt du 7 juin 2003), la CIDH, après avoir répété (par. 78)

son obiter dictum, a déclaré les mises en détention arbitraires parce
qu’elles avaient eu lieu dans le cadre d’un abus de pouvoir de la part des
agents de l’Etat (par. 80).
125. En l’affaire Frères Gómez Paquiyauri c. Pérou (arrêt du 8 juil-

let 2004), la CIDH a établi le caractère arbitraire de la détention, qui
avait été effectuée dans le cadre de violations systématiques des droits de
l’homme, accompagnées de circonstances aggravantes (par. 88-89). Dans
l’affaire du Massacre de Mapiripán, concernant la Colombie (arrêt du

15 septembre 2005), la CIDH a jugé que la privation de liberté s’était
faite selon un modus operandi marqué par l’arbitraire et par d’autres gra-
ves violations des droits de l’homme (par. 136 et 138).
126. Dans la tragique affaire Bulacio concernant l’Argentine (arrêt du

18 septembre 2003), la Cour a rappelé qu’il existe «des exigences impor-
tantes et formelles» (causes, cas ou circonstances, procédure prévue par
la loi) qui doivent être observées (au titre de l’article 7 de la convention
américaine) en cas de sanction comportant l’incarcération. Les détenus

ont droit à «un traitement humain» et le droit de vivre dans «des condi-
tions de détention compatibles avec la dignité de la personne» (par. 125-
126). L’Etat, qui est responsable des centres de détention, est «le garant
des droits des détenus» (par. 126).

127. De plus, dans la même affaire Bulacio, la CIDH a jugé bon de
dire:

«Les autorités de l’Etat exercent un contrôle total sur les person-

101Voir les décisions antérieures de la CIDH allant dans le même sens: Gangaram Pan-
day c. Suriname, arrêt du 21 janvier 1994, par. 47; Suárez Rosero c. Equateur , arrêt
du 12 novembre 1997, par. 43. Voir aussi, ultérieurement: Acosta Calderón c. Equateur ,
arrêt du 24 juin 2005, par. 57; Palamara-Iribarne c. Chili, arrêt du 22 novembre 2005,
par. 215.

134 custody. The way a detainee is treated must be subject to the closest
scrutiny, taking into account the detainee’s special vulnerability

(. . .). The vulnerability of the detainee aggravates when the deten-
tion is illegal or arbitrary. Then the person is in a situation of com-
plete defencelessness, which causes a definite risk of abridgment of
other rights, such as those to humane and decent treatment. (. . .).
This Court has emphasized that solitary confinement of the detainee

must be exceptional, as it causes him or her moral suffering and
psychological disturbances, as it places the detainee in a situation
of particular vulnerability and increases the risk of aggression and
arbitrariness in prisons, and because it endangers strict observance of

the due process of law.” (Paras. 126-127.)

128. At last, the Court added, in the Bulacio case, that detainees have
likewise the right to be informed of the causes and reasons of detention
“at the time it occurs”, so as to prevent and avoid arbitrariness (para. 128).
To this same effect, they are entitled to count on “immediate judicial
control” of their detention (para. 129). They have the right to notify

a third party that they are under “State custody” (para. 130), as well as to
count on appropriate medical care (para. 131). In sum, detention centres
“must meet certain minimum standards” that ensure respect for the
aforementioned rights (para. 132), so as to prevent and avoid arbitrari-
ness.

129. In the case of Tibi v. Ecuador (judgment of 7 September 2004),
the IACtHR found the preventive detention at issue arbitrary, as there
had been no sufficient indicia to presume that Mr. D. D. Tibi had been
the perpetrator of, or an accomplice to, any delict, nor had it been estab-
lished that such detention was needed (para. 107). The IACtHR deemed

it “indispensable” to underline that the application of preventive deten-
tion, being a very severe measure:

“must be exceptional, since it is limited by the principles of lawful-
ness, presumption of innocence, necessity, and proportionality, indis-
pensable in a democratic society” (para. 106).

130. In the adjudication by the IACtHR of the case Tibi v. Ecuador,
I gathered some energy to include, in my separate opinion, a whole sec-
tion (I) on “The Impact of Arbitrary Detention and of the Conditions

of Incarceration on Human Conscience”, wherein I deemed it fit to
ponder:

“D. D. Tibi, like Josef K., was detained without knowing why.
‘Somebody had slandered Josef K.’ — wrote Franz Kafka at the
very beginning of The Trial (El Proceso, 1925) — ‘as without
having done anything wrong he was detained one morning’ (Chap-

ter I). D. D. Tibi was more fortunate than banker Josef K., but they
both suffered something incomprehensible, if not absurd. Josef K.

135 nes qui sont sous leur garde. Les conditions de traitement des déte-
nus doivent faire l’objet de la plus étroite supervision, compte tenu

de la vulnérabilité spéciale du détenu ... La vulnérabilité du détenu
est d’autant plus grande lorsque la détention est illégale ou arbi-
traire. La personne est alors entièrement sans défense, ce qui entraîne
un risque certain d’affaiblissement des autres droits, comme celui à
un traitement humain et décent ... La Cour a souligné que la mise au

secret du détenu devait être une mesure exceptionnelle, car elle
entraîne des souffrances morales et des perturbations psychologi-
ques et place le détenu dans une situation de vulnérabilité particu-
lière et accroît le risque d’agression et d’arbitraire en milieu carcéral,

en plus de compromettre l’observation stricte de la procédure régu-
lière.» (Par. 126-127.)

128. Enfin, la Cour a ajouté, toujours dans l’affaire Bulacio, que les
détenus avaient également le droit d’être informés des causes et des rai-
sons de leur détention «au moment où elle se produisait», afin de préve-
nir et d’éviter l’arbitraire (par. 128). Dans ce même but, les détenus ont le
droit de compter sur un «contrôle judiciaire immédiat» de leur détention

(par. 129). Ils ont le droit d’informer une tierce partie qu’ils sont sous la
«garde de l’Etat» (par. 130) et de compter sur des soins médicaux appro-
priés (par. 131). Bref, les centres de détention «doivent respecter certaines
normes minimales» de nature à garantir le respect des droits susmention-
nés (par. 132), afin de prévenir et d’éviter l’arbitraire.

129. Dans l’affaire Tibi c. Equateur (arrêt du 7 septembre 2004), la
CIDH a jugé que la détention préventive en cause était arbitraire, au
motif qu’il n’y avait pas suffisamment d’indices pour présumer que
M. D. D. Tibi était l’auteur ou le complice d’une quelconque infraction,
pas plus qu’il n’avait été établi qu’une telle détention était nécessaire

(par. 107). La CIDH a jugé «indispensable» de souligner que l’applica-
tion de la détention préventive, étant une mesure très sévère,

«d[eva]it être exceptionnelle, étant donné qu’elle est limitée par les
principes de légalité, de présomption d’innocence, de nécessité et de
proportionnalité, indispensables dans une société démocratique»
(par. 106).

130. Lors de l’examen par la CIDH de l’affaire Tibi c. Equateur, j’ai
trouvé assez d’énergie pour inclure dans mon opinion individuelle une
section complète (I) sur «l’incidence de la détention arbitraire et des

conditions d’incarcération sur la conscience humaine», dans laquelle j’ai
présenté les réflexions suivantes:

«D. D. Tibi, comme Joseph K., a été détenu sans savoir pourquoi.
«On avait sûrement calomnié Joseph K.» — écrit Franz Kafka
dans les premières phrases du Procès (1925) — «car, sans avoir rien
fait de mal, il fut arrêté un matin» (chap. I). D. D. Tibi a été plus

heureux que le banquier Joseph K., mais tous deux ont été victimes
de quelque chose d’incompréhensible, voire d’absurde. Joseph K.,

135 could only await his summary execution, shortly before which he

exclaimed: ‘Where was the judge whom I never saw? Where was the high
court before which I never appeared?’ (Chapter X). From the beg-
inning of the saga to its end, his efforts were futile in face of the
arbitrariness of a cruelly virtual and despairing ‘justice’.

D. D. Tibi was less unfortunate than Kafka’s character, because
he recovered his liberty and, also, he lives in a time in which, along-
side the national courts (with their idiosyncrasies) there are also
international human rights tribunals. The present Judgment which

the Inter-American Court has just adopted, can contribute to the
recovery of his faith in human justice. In his case, a portrait of daily
life in the jails not only of Latin America but throughout the world,
gives eloquent testimony of the insensitiveness, indifference, and

irrationality of the world which surrounds us all.

Few testimonies of the suffering resulting from arbitrary detention
have been so eloquently described as Antonio Gramsci’s célèbres

Letters from the Prison (1926-1936). In an even literary form, he
wrote that, during the initial period of his detention, it already
seemed to him that time was denser, as space no longer existed for
him (. . .). When he took a train, after 10 years of detention (. . .), he

experienced a ‘terrible impression’ when he saw that ‘during this
time the vast world had continued to exist with its meadows, its for-
ests, the common people, the groups of children, certain trees’ (. . .);
he experienced a terrible impression especially when he saw himself
102
in the mirror after so much time .
Three decades before Gramsci, in the late nineteenth century,
Oscar Wilde gave to the history of universal thought his own per-
sonal testimony of the suffering caused by his incarceration, in his

renowned De Profundis (1897). From the Reading prison, he wrote
that, for those unfairly detained, ‘there is only one season, the sea-
son of sorrow. (. . .) And in the sphere of thought no less than in the
sphere of time, motion is no more’ 103.

It is possible that the étranger D. D. Tibi experienced the same
feeling as the étranger Mersault; that matters pertaining to the
detention and the process were treated ‘leaving aside’ the detainee,
reflecting the ‘tender indifference’ of the outside world (Chapters

IV-V). As for Gramsci, almost the only thing left to the étranger of
Albert Camus (L’étranger, 1949) was the passing of time; as ‘light
and shadows alternated’, it was ‘the same day ceaselessly passing in
the cell’, and the worst hour was when ‘the noise of the night came

from all the floors of the prison in an entourage of silence’ (Chapter II).

102Antonio Gramsci, Cartas do Cárcere, Rio de Janeiro, Edit. Civilização Brasileira,
1966 (reed.), pp. 135-136 and 370.
103Oscar Wilde, De Profundis, Madrid, Ed. Siruela, 2000 (repr.), p. 54.

136 réduit à attendre son exécution sommaire, se fit, avant d’être exé-

cuté, les réflexions suivantes: «Où était le juge qu’il n’avait jamais
vu? Où était la haute cour à laquelle il n’était jamais parvenu?»
(chap. X). Du début à la fin, ses efforts sont futiles face à l’arbitraire
d’une «justice» cruellement virtuelle et désespérante.

D. D. Tibi a été moins malheureux que le personnage de Kafka,
parce qu’il a recouvré la liberté mais aussi parce qu’il vit à une épo-
que où, en plus des tribunaux nationaux (ayant chacun leur mode de
fonctionnement), il existe des tribunaux internationaux des droits de

l’homme. Le présent arrêt de la Cour interaméricaine peut contri-
buer à lui faire retrouver foi dans la justice humaine. Dans son cas,
le portrait de la vie quotidienne dans les prisons d’Amérique latine,

mais aussi du monde entier, témoigne de façon éloquente de l’insen-
sibilité, de l’indifférence et de l’irrationalité du monde qui est le
nôtre.
Il existe peu de témoignages aussi éloquents des souffrances cau-

sées par la détention arbitraire que les célèbres Lettres de prison
d’Antonio Gramsci (1926-1936). Dans une forme littéraire marquée
au coin de l’équanimité, il écrit que dès le début de sa détention le
temps lui avait paru plus dense, et l’espace inexistant ... Un voyage

en train après dix années de détention ... lui laissa une «impression
terrible», parce qu’il vit que «pendant tout ce temps le vaste monde
avait continué à exister, avec ses champs, ses forêts, les gens de la
rue, les groupes d’enfants, certains arbres» ...; l’impression fut par-

ticulièrement terrible lorsqu’il vit son visage dans un miroir après
une si longue période 102.
Trois décennies avant Gramsci, à la fin du XIX siècle, Oscar

Wilde donnait à l’histoire de la pensée universelle, dans son célèbre
De profundis (1897), un témoignage personnel sur la souffrance cau-
sée par l’emprisonnement. De la prison de Reading, il écrivit que,
pour ceux qui sont injustement détenus, «il n’est qu’une seule sai-

son: la saison de la douleur ... Et dans le domaine de la pensée, non
moins que dans celui du temps, le mouvement n’existe plus.» 103
Il est possible que l’étranger D. D. Tibi ait ressenti, comme lé ’tran-
ger Meursault, que tout ce qui concernait sa détention et son procès se

déroulait «sans [son] intervention», ce qui reflétait la «tendre indiffé-
rence» du monde extérieur (chap. IV-V). Comme pour Gramsci, tout
ce qui restait à l’étranger de Camus ( L’étranger, 1949) était le passage

du temps; au fil de «l’alternance de la lumière et de l’ombre», c’était
«sans cesse le même jour qui déferlait dans [sa] cellule» et l’heure la
plus terrible était celle où «les bruits du soir montaient de tous les éta-
ges de la prison dans un cortège de silence» (chap. II). Meursault aussi

102
A. Gramsci, Lettres de prison, http://classiques.uqac.ca/classiques/gramsci_antonio/
le103es_de_prison/lettres_de_prison.html.
Oscar Wilde, De profundis, Le livre de poche classique, Paris, 2000, p. 110.

136 Mersault also had only the memories of a life that no longer

belonged to him (Chapter IV). For him, all days passed ‘watching, in
their face, the decline of the colours that lead from day to night’, the
latter being ‘like a melancholic truce’ (Chapter V).

.............................
In writing on his conditions of detention and his efforts to flee
both the suffering and the degeneration of the spirit, Oscar Wilde,

referring to the ‘Zeitgeist of a heartless period’, reflected that time
and space are ‘mere accidental conditions of thought’, and that, in
prison, what he had before him was only his past. 104(. . .) This is an
evil that knows no borders, and one that reflects the indifference and

brutalization of the world around us. Today, the characters of
Kafka and Camus are dispersed and forgotten in prisons of all con-
tinents. Many of the detainees are innocent, and those who are not,
having been aggressors, become new victims. Their survival no longer

has a spatial dimension, and the temporal one is what they may, per-
haps, fathom in the hidden depths of their inner life. Anyhow, their
life, in relation to the others, no longer belongs to them. And they
survive in closer and closer intimacy with evil and with the over-

whelming brutalization imposed on them. The law cannot remain
indifferent to all this, to the indifference of the world, in particular in
the pathetically self-named ‘post-modern’ societies.

As a matter of fact, abuses of detention and against the detainees
are not a recent phenomenon. In his classical work Of Crimes
and Punishments (1764), Cesare Beccaria warned about the fact that
‘the punishment is often greater than the crime’, and the ‘refined

ordeals’ conceived by human intellect ‘seem to have been invented
by tyranny rather than by justice’ 105. With the passing of time, the
need for administrative and legislative as well as judicial control
(endowed with particular importance) and supervision of the condi-

tions of detention were reckoned — a control which was transposed
from the domestic law level to that of international law in the mid-
twentieth century.

.............................
As the judgment of the Inter-American Court in the present case

of Tibi v. Ecuador reveals, the law comes to protect also those who
are forgotten in prison, in the ‘house of the dead’ so lucidly
denounced in the nineteenth century by Dostoyevsky. The afore-
mentioned reaction of the law, both ratione personae and ratione

materiae, indicates that human conscience has awakened to the
pressing need and aim of decisively putting an end to the scourges of

104De Profundis, op. cit. supra note 103, pp. 113 and 127.
105Cesare Beccaria,De los Delitos y de las Penas(with comments by Voltaire), 11th repr.,
Madrid, Alianza Ed., 2000, p. 129, and cf. p. 149.

137 n’avait que les souvenirs d’une vie qui ne lui appartenait plus (chap. IV).

Pour lui, tous les jours passaient «à regarder, sur le visage [du ciel], le
déclin des couleurs qui conduit le jour à la nuit», la nuit qui était
«comme une trêve mélancolique» (chap. V).

.............................
A propos de ses conditions de détention et de ses efforts pour fuir

la souffrance et la dégradation de l’esprit, Oscar Wilde parle du
«Zeitgeist d’une époque sans âme» et écrit que le temps et l’espace ne
sont que «des conditions accidentelles de la pensée» et qu’en prison
il n’a plus devant lui que son passé 104... C’est un mal qui ne connaît

pas de frontières et qui reflète le monde indifférent et de plus en plus
brutal qui nous entoure. Aujourd’hui, les personnages de Kafka et
de Camus sont dispersés et oubliés dans les prisons de tous les conti-

nents. Un grand nombre de ces détenus sont innocents et ceux qui ne
le sont pas, d’agresseurs qu’ils étaient, sont devenus victimes. Leur
survie n’a plus de dimension spatiale et la dimension temporelle est
peut-être la seule qu’ils puissent sonder dans les profondeurs cachées

de leur vie intérieure. Quoi qu’il en soit, leur vie avec les autres ne
leur appartient plus et ils survivent en intimité de plus en plus étroite
avec le mal et avec la brutalité écrasante qui pèse sur eux. Le droit ne

saurait demeurer indifférent à tout cela, à cette indifférence du
monde, en particulier dans les sociétés qui se désignent pathétique-
ment elles-mêmes comme «post-modernes».
En réalité, les détentions injustes et les abus contre les détenus ne

sont pas un phénomène récent. Dans son Œuvre classique sur le
crime et le châtiment (1764), Cesare Beccaria dit que le châtiment
dépasse souvent le crime et que les peines infamantes conçues par

l’intelligence humaine semblent avoir été inventées par la tyrannie
plutôt que par la justice 105. Avec le temps, la nécessité du contrôle
administratif et législatif aussi bien que judiciaire (particulièrement
important) et de la supervision des conditions de détention a été

reconnue — contrôle qui a été transposé du domaine du droit
interne à celui du droit international au milieu du XX siècle.

.............................
Ainsi que le révèle l’arrêt de la Cour interaméricaine dans la pré-

sente affaire Tibi c. Equateur, le droit protège maintenant aussi ceux
qui sont oubliés en prison, dans la «maison des morts» dénoncée
avec tant de lucidité au XIX siècle par Dostoïevski. La réaction du

droit évoquée plus haut, tant ratione personae que ratione materiae,
indique que la conscience humaine s’est éveillée à la nécessité pres-
sante et à l’objectif de mettre résolument fin au fléau de la détention

104De profundis, op. cit. supra note 103, p. 188, 205-206.
105Cesare Beccaria, Traité des délits et des peines , http://classiques.uqac.ca/classiques/
beccaria/traite_delits_et_peines/traite_delits_et_peines.html.

137 arbitrary detention (. . .). A role of major relevance is here exercised

by the general principles of law. With that, there is reason to nourish
the hope that the D. D. Tibis, the Joseph K.s, and the Mersaults,
will gradually diminish in number, until they no longer suffer in the
prisons of the ‘post-modern’, insensitive, indifferent and brutalized
world in which we live.” 106

5. The Jurisprudential Construction of the

European Court of Human Rights

131. For its part, on the matter at issue, the European Court of
Human Rights, in finding (para. 54) a breach of Article 5 (1) of the Euro-
pean Convention of Human Rights, for example, in its judgment (of

25 June 1996) in the case of Amuur v. France, pointed out that that provi-
sion on the right to liberty was meant to ensure that no one should be
dispossessed of liberty in an arbitrary way (para. 42). Any such depriva-
tion of liberty — the European Court of Human Rights added in the
Amuur case:

“should be in keeping with the purpose of Article 5, namely, to pro-

tect the individual from arbitrariness (. . .). Where a national law
authorizes deprivation of liberty — especially in respect of a foreign
asylum-seeker — it must be sufficiently accessible and precise, in
order to avoid all risk of arbitrariness. These characteristics are of

fundamental importance with regard to asylum-seekers at airports,
particularly in view of the need to reconcile the protection of funda-
mental rights with the requirements of States’ immigration policies”
(para. 50).

132. Seventeen years earlier, in the Winterwerp v. The Netherlands

case (judgment of 24 October 1979), the European Court of Human
Rights found no violation of Article 5 (1) of the European Convention of
Human Rights (para. 52), as the delay at issue had not involved an arbi-
trary deprivation of liberty in the case, and the detention had been

effected, in its view, “in accordance with a procedure prescribed by law”
(paras. 49-50). Yet, the European Court of Human Rights deemed it fit
to express its view that:

“the words ‘in accordance with a procedure prescribed by law’ essen-
tially refer back to domestic law (. . .). However, the domestic law
must itself be in conformity with the Convention. (. . .). [A]ny meas-

ure depriving a person of his liberty should issue from and be
executed by an appropriate authority and should not be arbitrary.”
(Para. 45.)

106IACtHR, case of Tibi v. Ecuador (judgment of 7 September 2004), separate opinion
of Judge A. A. Cançado Trindade, paras. 2-6, 9, 12-13 and 36.

138 arbitraire ... Les principes généraux du droit jouent ici un rôle

majeur. Grâce à eux, nous pouvons nourrir l’espoir que les D. D. Tibi,
Joseph K. et Meursault diminueront peu à peu en nombre, jusqu’à
ce qu’aucun ne souffre plus dans les prisons d’un monde «post-
moderne» insensible, indifférent et brutal.» 106

5. La jurisprudence de la Cour européenne

des droits de l’homme

131. Pour sa part, s’agissant de la question que nous examinons, la
Cour européenne des droits de l’homme, lorsqu’elle a jugé (par. 54) qu’il
y avait eu violation du paragraphe 1 de l’article 5 de la convention euro-

péenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamen-
tales, par exemple dans son arrêt (du 25 juin 1996) en l’affaire Amuur
c. France, a déclaré que cette disposition concernant le droit à la liberté
visait à garantir que nul ne puisse être dépouillé de ce droit arbitraire-
ment (par. 42). Selon la Cour européenne:

«la Convention exige ... la conformité de toute privation de liberté

au but de l’article 5 (art. 5): protéger l’individu contre l’arbitraire ...
Pareille qualité implique qu’une loi nationale autorisant une pri-
vation de liberté — surtout lorsqu’il s’agit d’un demandeur
d’asile — soit suffisamment accessible et précise afin d’éviter tout

danger d’arbitraire. Ces caractéristiques revêtent une importance
fondamentale dans le domaine des demandeurs d’asile dans les aéro-
ports, compte tenu notamment de la nécessité de concilier la protec-
tion des droits fondamentaux et les impératifs de la politique de

l’immigration des Etats.» (Par. 50.)
132. Dix-sept ans auparavant, dans l’affaire Winterwerp c. Pays-Bas

(arrêt du 24 octobre 1979), la Cour européenne a jugé que le paragra-
phe 1 de l’article 5 de la convention n’avait pas été violé (par. 52), étant
donné que le retard en cause n’avait pas entraîné une privation arbitraire
de la liberté et que la détention avait, selon elle, «eu lieu «selon les voies

légales»» (par. 49-50). La Cour européenne n’en a pas moins jugé utile
d’exprimer le point de vue suivant:

«les mots «selon les voies légales» se réfèrent pour l’essentiel à la
législation nationale ... Toutefois, il faut que le droit interne se
conforme lui-même à la Convention ... [T]oute mesure privative de

liberté doit émaner d’une autorité qualifiée, être exécutée par une
telle autorité et ne pas revêtir un caractère arbitraire.» (Par. 45.)

106CIDH, Tibi c. Equateur, arrêt du 7 septembre 2004, opinion individuelle du juge
A. A. Cançado Trindade, par. 2-6, 9, 12-13 et 36.

138 133. In the Saadi v. United Kingdom case, the Chamber of the Euro-
pean Court of Human Rights considered (judgment of 11 July 2006) the

Applicant’s claims of arbitrariness, and in particular that “there should
be a ‘necessity’ test” for detention (para. 46); this latter “must be com-
patible with the overall purpose of Article 5, which is to protect the indi-
vidual from arbitrariness” (para. 40). The case was then referred to the
Grand Chamber of the European Court of Human Rights, which, though

endorsing the finding that there had been no breach of Article 5 (1) in the
case (but rather a breach of Article 5 (2) — judgment of 29 January
2008), elaborated further on the notion of arbitrariness.

134. In this new judgment, of 2008, in the Saadi case, the Grand
Chamber of the European Court of Human Rights, besides invoking the
principle of bona fides (on the part of the national authorities — paras. 74
and 77), warned that simple compliance with national law was “not
sufficient”, as:

“the notion of ‘arbitrariness’ in Article 5 (1) extends beyond lack of
conformity with national law, so that a deprivation of liberty may be

lawful in terms of domestic law but still arbitrary and thus contrary
to the Convention. (. . .). The notion of arbitrariness in the context
of Article 5 varies to a certain extent depending on the type of deten-
tion involved (. . .).

.............................
One general principle established in the case law is that detention
will be ‘arbitrary’ where, despite complying with the letter of national

law, there has been an element of bad faith or deception on the part
of the authorities (. . .). The condition that there be no arbitrariness
further demands that both the order to detain and the execution of
the detention must genuinely conform with the purpose of the restric-
tions permitted by the relevant subparagraph of Article 5 (1) (. . .).

.............................

The notion of arbitrariness (. . .) also includes an assessment
whether detention was necessary to achieve the stated aim. The deten-
tion of an individual is such a serious measure that it is justified only
as a last resort where other, less severe measures have been considered
and found to be insufficient to safeguard the individual or public

interest which might require that the person concerned be detained
(. . .). The principle of proportionality further dictates that where deten-
tion is to secure the fulfillment of an obligation provided by law,
a balance must be struck between the importance in a democratic

society of securing the immediate fulfillment of the obligation in
question, and the importance of the right to liberty (. . .).” (Paras. 67-
70.)

135. Earlier on, in the Baranowski v. Poland case (judgment of

139 133. Dans l’affaire Saadi c. Royaume-Uni, la chambre de la Cour
européenne a examiné (arrêt du 11 juillet 2006) le grief d’arbitraire du

requérant et a jugé en particulier que «pareille détention doit satisfaire à
un critère de «nécessité»» (par. 46); la détention «doit être compatible
avec l’objet global de l’article 5, qui est de protéger l’individu contre
l’arbitraire» (par. 40). L’affaire a été déférée devant la Grande chambre
de la Cour européenne des droits de l’homme, qui, tout en faisant sienne

la conclusion selon laquelle il n’y avait pas eu violation du paragraphe 1
de l’article 5 dans l’affaire (mais plutôt violation du paragraphe 2 de cet
article — arrêt du 29 janvier 2008), a développé sa pensée sur la notion
d’arbitraire.

134. Dans ce nouvel arrêt, de 2008, sur l’affaire Saadi, la Grande
chambre de la Cour européenne des droits de l’homme, en plus d’invo-
quer le principe de bonne foi (de la part des autorités nationales — par. 74
et 77), a indiqué que le seul respect du droit interne n’était «pas suffi-
sant», étant donné que:

«[L]a notion d’«arbitraire» que contient l’article 5, paragraphe 1,
va au-delà du défaut de conformité avec le droit national, de sorte

qu’une privation de liberté peut être régulière selon la législation
interne tout en étant arbitraire et donc contraire à la Conven-
tion ... la notion d’arbitraire dans le contexte de l’article 5 varie dans
une certaine mesure suivant le type de détention en cause.

.............................
D’après l’un des principes généraux consacrés par la jurispru-
dence, une détention est «arbitraire» lorsque, même si elle est par-

faitement conforme à la législation nationale, il y a eu un élément de
mauvaise foi ou de tromperie de la part des autorités ... La condition
d’absence d’arbitraire exige par ailleurs que non seulement l’ordre
de placement en détention mais aussi l’exécution de cette décision
cadrent véritablement avec le but des restrictions autorisées par l’ali-

néa pertinent de l’article 5, paragraphe 1.
.............................

La notion d’arbitraire ... implique également que l’on recherche si
la détention était nécessaire pour atteindre le but déclaré. La priva-
tion de liberté est une mesure si grave qu’elle ne se justifie qu’en der-
nier recours, lorsque d’autres mesures, moins sévères, ont été consi-
dérées et jugées insuffisantes pour sauvegarder l’intérêt personnel ou

public exigeant la détention ... En outre, le principe de proportion-
nalité veut que, lorsque la détention vise à garantir l’exécution d’une
obligation prévue par la loi, un équilibre soit ménagé entre la néces-
sité dans une société démocratique de garantir l’exécution immédiate

de l’obligation dont il s’agit et l’importance du droit à la liberté ...»
(Par. 67-70.)

135. Dans une affaire antérieure, l’affaire Baranowski c. Pologne (arrêt

13928 March 2000), in establishing a breach of Article 5 (1) and (4) of the
European Convention of Human Rights (paras. 58, 77 and 86), the Euro-

pean Court of Human Rights reiterated the obligation to conform the
substantive and procedural rules of domestic law (under Article 5 (1) of
the Convention — para. 50). Furthermore, it found an absence, in the
domestic law at issue, of “any precise provisions” laying down whether
“detention ordered for a limited period at the investigation stage could

properly be prolonged at the stage of the court proceedings”; this, in the
Court’s view, did not satisfy the test of “foresee ability” (para. 55). It
then stressed that:

“for the purposes of Article 5 (1) of the Convention, detention which
extends over a period of several months and which has not been

ordered by a court or by a judge or any other person ‘authorized
(. . .) to exercise judicial power’ cannot be considered ‘lawful’ in the
sense of that provision” (para. 57).

136. The prohibition of arbitrariness has been upheld by the European
Court of Human Rights not only in respect of the right to personal lib-
erty (Article 5), but also in relation to other rights protected under the
European Convention. Thus, in a triad of cases: Boultif v. Switzerland

(Chamber’s judgment of 2 August 2001, para. 46), Uner v. The Nether-
lands (Grand Chamber’s judgment of 18 October 2006, para. 57), and
Maslov v. Austria (Grand Chamber’s judgment of 23 June 2008, para. 69),
the European Court of Human Rights took the care to elaborate on, and
to establish the criteria to be pursued in assessing whether an expulsion

measure was “necessary” (a “pressing social need”) in a democratic society,
and proportionate to the “legitimate aim pursued”, so as to avoid
and to discard arbitrariness.
137. In the triad of the Al-Nashif cases (Chamber’s judgment of
20 June 2002, paras. 119 and 121), Musa and Others (Chamber’s judg-

ment of 11 January 2007), and Bashir and Others (Chamber’s judgment
of 14 June 2007, para. 41), the three concerning Bulgaria, the respective
Chambers of the European Court, bearing Article 8 (right to respect for
private and family life) of the European Convention of Human Rights in
mind, warned that, when fundamental rights are at stake, domestic law

would run against the rule of law (la prééminence du droit) if the margin
of appreciation left to the Executive knew of no limits; domestic law
should thus provide sufficient guarantees against arbitrariness. In the Al-
Nashif case, it added that the phrase “in accordance with the law”
implied that the legal basis ought to be “accessible” and “foreseeable”, and

that “there must be a measure of legal protection against arbitrary
interferences by public authorities with the rights safeguarded by the
Convention” (para. 119), even in case of an interpretation of “national
security measures” which turns out to be “unlawful or contrary to com-

mon sense and arbitrary” (paras. 123-124).
138. The same warning against such an interpretation of “national

140du 28 mars 2000), jugeant que les paragraphes 1 et 4 de l’article 5 de la
convention européenne des droits de l’homme (par. 58, 77 et 86) avaient

été violés, la Cour européenne a rappelé l’obligation d’observer dans le
droit interne les normes de fond comme de procédure (paragraphe 1 de
l’article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales — par. 50). En outre, la Cour a
constaté l’absence, dans le droit interne concerné, «de toute disposition

précise» indiquant si «la détention ordonnée pour une période limitée au
stade de l’enquête pouvait être régulièrement prolongée au stade de la
procédure judiciaire»; de l’avis de la Cour, pareille absence ne satisfaisait
pas au critère de «prévisibilité» (par. 55). La Cour a ensuite souligné:

«qu’aux fins de l’article 5, paragraphe 1, de la Convention, la déten-
tion qui s’étend sur une période de plusieurs mois et qui n’a pas été

ordonnée par un tribunal ou par un juge ou par toute autre personne
«habilitée ... à exercer des fonctions judiciaires» ne saurait être
considérée comme «régulière» au sens de cette disposition» (par. 57).

136. L’interdiction de l’arbitraire a été confirmée par la Cour euro-
péenne des droits de l’homme non seulement en ce qui concerne le droit
à la liberté de la personne (art. 5), mais également à l’égard d’autres
droits protégés par la convention européenne. Ainsi, dans les trois affaires

Boultif c. Suisse (arrêt de la chambre du 2 août 2001, par. 46), Uner c.
Pays-Bas (arrêt de la Grande chambre du 18 octobre 2006, par. 57) et
Maslov c. Autriche (arrêt de la Grande chambre du 23 juin 2008, par. 69),
la Cour européenne des droits de l’homme a pris la peine de développer
sa réflexion et d’établir les critères à appliquer pour évaluer si une mesure

d’expulsion était «nécessaire» (un «besoin social pressant») dans une
société démocratique, et proportionnée au «but légitime poursuivi», afin
d’éviter et d’écarter tout arbitraire.
137. Dans les trois affaires Al-Nashif (arrêt de la chambre du 20 juin
2002, par. 119 et 121), Musa et autres (arrêt de la chambre du 11 janvier

2007) et Bashir et autres (arrêt de la chambre du 14 juin 2007, par. 41),
concernant toutes trois la Bulgarie, les chambres respectives de la Cour
européenne, ayant à l’esprit l’article 8 de la convention européenne
(droit au respect de la vie privée et de la vie familiale), ont déclaré que,
lorsqu’il s’agissait de questions touchant aux droits fondamentaux, le

droit interne irait à l’encontre de la prééminence du droit si le pouvoir
d’appréciation accordé à l’exécutif ne connaissait pas de limites; en
conséquence, le droit interne devait fournir des garanties suffisantes
contre l’arbitraire. Dans l’affaire Al-Nashif, la chambre a ajouté que les
mots «prévue par la loi» signifiaient que la base juridique devait être

«accessible» et «prévisible» et qu’«il devait exister une protection juridi-
que contre l’intervention arbitraire des autorités publiques à l’égard des
droits garantis par la convention» (par. 119), même lorsque l’interpréta-
tion des «mesures de sécurité nationale» se révélait «illégale, ou contraire

au sens commun et arbitraire» (par. 123-124).
138. La Cour européenne des droits de l’homme a réitéré sa mise en

140security” measures was reiterated by the European Court of Human
Rights in the case of C.G. and Others v. Bulgaria (Chamber’s judgment

of 24 April 2008). In the aforementioned Musa and Others case, the
European Court of Human Rights further warned against “un acte
administratif non motivé, délivré en dehors de toute procédure contra-
dictoire et non susceptible de recours” (para. 60). The Court has expressed
its concern also in relation to domestic policies on immigration and resi-

dence (as in, e.g., the case of Berrehab v. The Netherlands, judgment of
21 June 1988, paras. 28-29).
139. In the same line of reasoning, in the case of Lupsa v. Romania
(Chamber’s judgment of 8 June 2006), the European Court of Human

Rights reiterated the ponderation sedimented in its jurisprudence con-
stante on this matter, to the effect that:
“the expression ‘in accordance with the law’ requires firstly that the

impugned measure should have a basis in domestic law, but also
refers to the quality of the law in question, requiring that it be acces-
sible to the persons concerned and formulated with sufficient preci-
sion to enable them — if need be, with appropriate advice — to
foresee, to a degree that is reasonable in the circumstances, the con-

sequences which a given action may entail.
Admittedly, in the particular context of measures affecting national
security, the requirement to foresee ability cannot be the same as in
many other fields (. . .). Nevertheless, domestic law must afford a
measure of legal protection against arbitrary interferences by public

authorities with the rights guaranteed by the Convention. In matters
affecting fundamental rights it would be contrary to the rule of law,
one of the basic principles of a democratic society enshrined in the
Convention, for a legal discretion granted to the executive to be

expressed in terms of an unfettered power (. . .). The existence of
adequate and effective safeguards against abuse, including in par-
ticular procedures for effective scrutiny by the courts, is all the more
important since a system of secret surveillance designed to protect
national security entails the risk of undermining or even destroying

democracy on the grounds of defending it (. . .).” (Paras. 32-34.)

6. General Assessment

140. The interpretation of the UN Covenant on Civil and Political
Rights by the Human Rights Committee, and of the African Charter on
Human and Peoples’ Rights by the African Commission on Human and
Peoples’ Rights, as well as the jurisprudential construction of the Inter-

American and the European Courts of Human Rights, point towards a
firm prohibition of arbitrariness in distinct circumstances. It is by no
means restricted to the right to personal liberty. It extends likewise to
other protected rights under the respective human rights treaties or con-

ventions.
141. It covers likewise, of course, the right not to be expelled arbitrar-

141garde contre une telle interprétation des mesures de «sécurité nationale»
dans l’affaire C. G. et autres c. Bulgarie (arrêt de la chambre du 24 avril

2008). Dans l’affaire Musa et autres déjà mentionnée, la Cour euro-
péenne a mis en garde contre «un acte administratif non motivé,
délivré en dehors de toute procédure contradictoire et non susceptible de
recours» (par. 60). La Cour a également exprimé sa préoccupation à
l’égard des politiques intérieures en matière d’immigration et de résidence

(comme par exemple dans l’affaire Berrehab c. Pays-Bas, arrêt du
21 juin 1988, par. 28-29).
139. Selon le même raisonnement, dans l’affaire Lupsa c. Roumanie
(arrêt de la chambre du 8 juin 2006), la Cour européenne des droits de

l’homme a rappelé sa jurisprudence constante sur cette question:

«les mots «prévues par la loi» veulent d’abord que la mesure incri-

minée ait une base en droit interne, mais ils ont trait aussi à la qua-
lité de la loi en question: ils exigent l’accessibilité de celle-ci aux
personnes concernées et une formulation assez précise pour leur per-
mettre, en s’entourant, au besoin, de conseils éclairés, de prévoir, à
un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les consé-

quences pouvant résulter d’un acte déterminé.
Certes, dans le contexte particulier des mesures touchant à la sécu-
rité nationale, l’exigence de prévisibilité ne saurait être la même
qu’en maints autres domaines ... Néanmoins, le droit interne doit
offrir une protection contre des atteintes arbitraires de la puissance

publique aux droits garantis par la Convention. Lorsqu’il s’agit de
questions touchant aux droits fondamentaux, la loi irait à l’encontre
de la prééminence du droit, l’un des principes fondamentaux d’une
société démocratique consacrés par la Convention, si le pouvoir

d’appréciation accordé à l’exécutif ne connaissait pas de limites ...
En effet, l’existence de garanties adéquates et suffisantes contre les
abus, dont notamment celle de procédures de contrôle efficace par le
pouvoir judiciaire, est d’autant plus nécessaire que, sous le couvert
de défendre la démocratie, de telles mesures risquent de la saper,

voire de la détruire...» (Par. 32-34.)

6. Appréciation générale

140. L’interprétation du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques des Nations Unies par le Comité des droits de l’homme et de la
Charte africaine des droits de l’homme et des peuples par la Commission
africaine des droits de l’homme et des peuples, ainsi que la jurisprudence éta-

blie par les Cours interaméricaine et européenne des droits de l’homme,
convergent vers une interdiction de l’arbitraire dans différentes circons-
tances. Cette interdiction ne se limite pas du tout au droit à la liberté de
la personne, mais s’étend également à d’autres droits protégés par les trai-

tés et conventions relatifs aux droits de l’homme.
141. Cette interdiction de l’arbitraire concerne également, bien entendu,

141ily from a country, the right to a fair trial, the right to respect for private

and family life, the right to an effective remedy, or any other protected
right. This is, epistemologically, the correct posture in this respect, given
the interrelatedness and indivisibility of all human rights. To attempt to
advance a restrictive view of the prohibition of arbitrariness, or an atom-
ized approach to it, would be wholly unwarranted. And it would run

against the outlook correctly pursued by international human rights
supervisory organs such as the UN Human Rights Committee and the
African Commission on Human and Peoples’ Rights, and by interna-
tional human rights tribunals such as the Inter-American and the Euro-

pean Courts.

142. Human nature being what it is, everyone needs to guard protec-
tion against arbitrariness on the part of State authorities. In a wider hori-

zon, human beings need protection ultimately against themselves, in their
relations with each other. There is hardly any need to require an express
provision to the effect of prohibiting arbitrariness in respect of distinct
rights, or else to require the insertion of the adjective “arbitrary” in dis-

tinct provisions, in order to enable the exercise of protection against arbi-
trariness, in any circumstances, under human rights treaties. The letter
together with the spirit of those provisions under human rights treaties,
converge in pointing to the same direction: the absolute prohibition of

arbitrariness, under the international law of human rights as a whole.
Underlying this whole matter is the imperative of access to justice
lato sensu, the right to the Law (le droit au Droit, el derecho al Derecho),
the right to the realization of justice in a democratic society.

VII. THE M ATERIAL C ONTENT OF THE P ROTECTED RIGHTS

143. Relevant elements of the practice of the UN Human Rights Com-

mittee (its General Comments, as well as its views or decisions on indi-
vidual communications or petitions) can here be recalled, for the deter-
mination of the material content of the vindicated and protected rights
under the Covenant on Civil and Political Rights in the present Diallo

case, namely, the right to liberty and security of person, the right not to
be expelled from a State without a legal basis, and the right not to be
subjected to mistreatment. In a subsequent section (VIII, infra) I shall
cover the jurisprudential construction of the right to information on con-

sular assistance in the conceptual universe of human rights.

144. Under the present section, may I begin by pointing out that, in
the course of the previous examination of the vindication of the protected
rights in the present case (III, supra), reference was made to a couple of

views or decisions of the Human Rights Committee on individual com-
munications or petitions. This is an adequate stage of the present sepa-
rate opinion to return to that point, with attention turned to the material

142le droit de ne pas être expulsé arbitrairement d’un pays, le droit à un pro-
cès équitable, le droit au respect de la vie privée et de la vie familiale, le

droit à un recours effectif ou tout autre droit protégé. Du point de vue
épistémologique, c’est la position appropriée à cet égard, étant donné les
liens qui existent entre tous les droits de l’homme et leur caractère indivi-
sible. Tenter d’avancer un point de vue restrictif sur l’interdiction de l’arbi-
traire, ou une approche fragmentaire, serait tout à fait injustifié et irait à

l’encontre de la perspective qui a été adoptée à juste titre par les organes
internationaux de surveillance des droits de l’homme comme le Comité des
droits de l’homme des Nations Unies et la Commission africaine des droits
de l’homme et des peuples, et par les tribunaux internationaux des droits

de l’homme comme les Cours interaméricaine et européenne.
142. La nature humaine étant ce qu’elle est, tous ont besoin de préser-
ver la protection contre l’arbitraire des autorités de l’Etat. Dans une pers-
pective plus large, les êtres humains ont besoin d’être protégés en défini-
tive contre eux-mêmes, dans leurs relations les uns avec les autres. Nul

n’est besoin d’exiger l’adoption d’une disposition expresse pour interdire
l’arbitraire à l’égard de certains droits, ou de demander que soit inséré
l’adjectif «arbitraire» dans certaines dispositions pour permettre l’exer-
cice de la protection contre l’arbitraire en toutes circonstances, en vertu
des traités des droits de l’homme. La lettre comme l’esprit de ces dispo-

sitions des traités relatifs aux droits de l’homme pointent dans la même
direction: l’interdiction absolue de l’arbitraire, au titre du droit inter-
national des droits de l’homme dans son ensemble. Toute cette question
repose sur l’impératif d’accès à la justice au sens large, du droit au droit,
du droit à la réalisation de la justice dans une société démocratique.

VII. L E CONTENU MATÉRIEL DES DROITS PROTÉGÉS

143. Il convient de rappeler ici les éléments pertinents de la pratique

du Comité des droits de l’homme des Nations Unies (ses observations
générales, ainsi que ses constatations ou décisions sur des communica-
tions ou des requêtes), pour déterminer le contenu matériel des droits
défendus et protégés par le Pacte international relatif aux droits civils et
politiques dans la présente affaire Ahmadou Sadio Diallo, à savoir le

droit à la liberté et à la sécurité de la personne, le droit de ne pas être
expulsé d’un Etat sans base juridique et le droit de ne pas être soumis à de
mauvais traitements. Dans une section ultérieure (VIII, infra), j’examine-
rai la construction jurisprudentielle du droit à l’information sur l’assis-
tance consulaire dans l’univers conceptuel des droits de l’homme.

144. Je rappellerai d’abord ici que, dans l’examen que j’ai fait de la
défense des droits protégés en l’espèce (sect. III, supra), j’ai fait référence
à quelques constatations ou décisions du Comité des droits de l’homme
sur des communications ou requêtes. Il est maintenant opportun de reve-

nir à ce point à propos du contenu matériel de ces droits, soit pour sou-
ligner la pertinence de ces constatations ou décisions pour le cas d’espèce,

142content of those rights, and either to stress the pertinence of such views
or decisions aforementioned for the cas d’espèce, or else to bring to the

fore other views or decisions of the Committee not yet referred to, which
may have pertinence to the present purposes.

1. The Right to Liberty and Security of Person

145. In the course of the preceding examination of the present case,

reference was made to a couple of views or decisions of the Human
Rights Committee on individual communications or petitions. May I
return to this point now, either stressing the pertinence of such decisions
already mentioned for the cas d’espèce, or else bringing to the fore other
decisions by the Committee not yet referred to, likewise pertinent to the

present purposes.
146. As to Article 9 of the Covenant (right to liberty and security of
person), attention may be drawn, e.g., to two leading cases, namely, those of
Adolfo Drescher Caldas v. Uruguay (1983) and of Mukong v. Cameroon
(1994). In the former case, the petitioner had been kept incommunicado

under detention for six weeks, without the possibility of petitioning for a
habeas corpus, and was subsequently charged before a military judge.
The Committee found a breach of Article 9 (4) of the Covenant for lack
of recourse to habeas corpus, and reasoned that:

“Article 9 (2) of the Covenant requires that anyone who is arrested
shall be informed sufficiently of the reasons for his arrest to enable

him to take immediate steps to secure his release if he believes that
the reasons given are invalid or unfounded. It is the view of the
Committee that it was not sufficient simply to inform Adolfo
Drescher Caldas that he was being arrested under the prompt secu-
rity measures without any indication of the substance of the com-

plaint against him.” (Para. 13.2.)
147. And, later on, in the Mukong v. Cameroon case (1994), the

Committee found that the Respondent State had arbitrarily deprived the
petitioner of his freedom, in violation, inter alia, of Article 9 (1) of
the CCPR; the Committee noted that the mere fact that a State party
had complied with its domestic law did not mean that the arrest and
detention of an individual was not arbitrary (para. 9.8). Moreover, in its

General Comment No. 8, of 1982, on theRight to Liberty and Security of
Person (Article 9 of the Covenant), the Human Rights Committee pondered
that Article 9:

“has often been somewhat narrowly understood in reports by States
parties, and they have therefore given incomplete information. The
Committee points out that paragraph 1 is applicable to all depriva-
tions of liberty, whether in criminal cases or in other cases (. . .). In

particular the important guarantee laid down in paragraph 4, i.e.,
the right to control by a court of the legality of the detention, applies

143soit pour mettre en exergue d’autres constatations ou décisions du
Comité non encore citées, qui peuvent être pertinentes aux fins qui nous

occupent.

1. Le droit à la liberté et à la sécurité de la personne

145. Dans l’examen qui a été fait précédemment de la présente affaire,

il a été fait référence à quelques vues ou décisions du Comité des droits de
l’homme sur des communications ou requêtes. Je voudrais maintenant y
revenir, soit pour souligner la pertinence, pour le cas d’espèce, des déci-
sions déjà mentionnées, soit pour présenter d’autres décisions du Comité

pertinentes aux fins qui nous occupent.

146. En ce qui concerne l’article 9 du Pacte (droit à la liberté et à la
sécurité de la personne), deux affaires importantes peuvent être citées, à
savoir l’affaire Adolfo Drescher Caldas c. Uruguay (1983) et l’affaire

Mukong c. Cameroun (1994). Dans la première, le requérant avait été
détenu au secret pendant six semaines, sans avoir la possibilité d’invo-
quer l’habeas corpus, et avait ensuite été traduit et inculpé devant un juge
militaire. Le Comité a jugé que le paragraphe 4 de l’article 9 du Pacte

avait été violé en raison du défaut de recours à l’habeas corpus, selon le
raisonnement suivant:

«[E]n vertu du paragraphe 2 de l’article 9 du Pacte, toute personne
arrêtée doit être informée dans une mesure suffisante des raisons de
son arrestation afin de pouvoir prendre immédiatement des disposi-
tions pour obtenir sa libération si elle considère que les raisons avan-
cées sont nulles et non avenues ou mal fondées. De l’avis du Comité

il ne suffisait pas d’informer simplement Adolfo Drescher Caldas
qu’il était arrêté en vertu des mesures urgentes de sécurité sans pré-
ciser en rien ce qui lui était reproché quant au fond.» (Par. 13.2.)

147. Dans l’affaire Mukong c. Cameroun (1994), le Comité a jugé que
l’Etat défendeur avait privé le requérant de sa liberté de façon arbitraire,
ce qui était notamment contraire au paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte

international relatif aux droits civils et politiques; le Comité a noté que le
simple fait qu’un Etat partie ait respecté son droit interne ne signifiait pas
que l’arrestation et la détention d’un individu n’étaient pas arbitraires
(par. 9.8). De plus, dans son observation générale n 8 de 1982 sur Le
droit à la liberté et à la sécurité de la personne (article 9 du Pacte), le

Comité des droits de l’homme a dit que l’article 9:
«fait souvent l’objet d’une interprétation assez étroite dans les rap-

ports des Etats parties, qui, de ce fait, fournissent des informations
incomplètes. Le Comité fait observer que le paragraphe 1 s’applique
à tous les cas de privation de liberté, qu’il s’agisse d’infractions pé-
nales ou d’autres cas ... [E]n particulier l’importante garantie énoncée
au paragraphe 4, c’est-à-dire le droit de demander à un tribunal de

143 to all persons deprived of their liberty by arrest or detention. Further-
more, States parties have, in accordance with Article 2 (3), also to

ensure that an effective remedy is provided in other cases in which an
individual claims to be deprived of his liberty in violation of the
Covenant.

.............................
If so-called preventive detention is used, for reasons of public

security, (. . .) it must not be arbitrary, and must be based on
grounds and procedures established by law (para. 1), (. . .) informa-
tion of the reasons must be given (para. 2) (. . .) and court control of
the detention must be available (para. 4) (. . .) as well as compensa-
tion in the case of a breach (para. 5). And if, in addition, criminal

charges are brought in such cases, the full protection of Article 9 (2)
and (3), as well as Article 14, must also be granted.” (Paras. 1 and 4.)

2. The Right Not to Be Expelled from a State without a Legal Basis

148. Four years later, the Human Rights Committee issued its General
Comment No. 15, of 1986, on the Position of Aliens under the Covenant

(to include not only foreigners, but also refugees and stateless persons).
Under the Covenant (Article 13), the Human Rights Committee observed
that:

“the rights set forth in the Covenant apply to everyone, irrespective
of reciprocity, and irrespective of his or her nationality or stateless-
ness.
Thus, the general rule is that each one of the rights of the Cov-

enant must be guaranteed without discrimination between citizens
and aliens.
.............................

(. . .) Article 13 (. . .) is applicable to all procedures aimed at the
obligatory departure of an alien, whether described in national law
as expulsion or otherwise. If such procedures entail arrest, the safe-
guards of the Covenant relating to deprivation of liberty (Articles 9

and 10) may also be applicable. (. . .) [I]f the legality of an alien’s
entry or stay is in dispute, any decision on this point leading to his
expulsion or deportation ought to be taken in accordance with Arti-
cle 13. It is for the competent authorities of the State party, in good

faith and in the exercise of their powers, to apply and interpret the
domestic law, observing, however, such requirements under the Cov-
enant as equality before the law (Article 26).

.............................

144 statuer sur la légalité de la détention, s’appliqu[e] à toutes les per-
sonnes qui se trouvent privées de leur liberté par arrestation ou

détention. En outre, les Etats parties doivent également, conformé-
ment au paragraphe 3 de l’article 2, veiller à ce que des voies de
recours utiles soient prévues dans les autres cas où un individu se
plaint d’être privé de sa liberté en violation du Pacte.

.............................
Même si l’on a recours à l’internement dit de sûreté, pour des rai-

sons tenant à la sécurité publique, cet internement ... ne doit pas être
arbitraire, [et] doit être fondé sur des motifs et conforme à des pro-
cédures prévues par la loi (par. 1), ... l’intéressé doit être informé des
raisons de l’arrestation (par. 2) et ... un tribunal doit pouvoir statuer

sur la légalité de la détention (par. 4) et ... il doit être possible d’obte-
nir réparation en cas de manquement (par. 5). Et si, en outre, il s’agit
d’une inculpation pénale, il faut également accorder une protection
totale en vertu des paragraphes 2 et 3 de l’article 9 ainsi que de l’ar-
ticle 14.» (Par. 1 et 4.)

2. Le droit de ne pas être expulsé d’un Etat sans base juridique

148. Quatre ans plus tard, le Comité des droits de l’homme a publié
o
son observation générale n 15 de 1986 sur La situation des étrangers (qui
comprennent non seulement les ressortissants étrangers, mais également
les réfugiés et les apatrides) au regard du Pacte (art. 13). Le Comité des
droits de l’homme a fait les observations suivantes:

«les droits énoncés dans le Pacte s’appliquent à toute personne, sans
considération de réciprocité, quelle que soit sa nationalité ou même

si elle est apatride.
Ainsi, la règle générale est que chacun des droits énoncés dans le
Pacte doit être garanti, sans discrimination entre les citoyens et les
étrangers.

.............................
L’article 13 ... est applicable à toutes les procédures tendant à

contraindre un étranger à quitter un pays, que la législation natio-
nale qualifie ce départ d’expulsion ou qu’elle emploie un autre terme.
Si la procédure comporte l’arrestation, les garanties prévues par le
Pacte en cas de privation de liberté (art. 9 et 10) peuvent aussi être

applicables ... [S]i la légalité de l’entrée ou du séjour d’un étranger
fait l’objet d’un litige, toute décision pouvant entraîner l’expulsion
de l’étranger doit être prise dans le respect de l’article 13. Il appar-
tient aux autorités compétentes de l’Etat partie d’appliquer et d’inter-
préter le droit national de bonne foi, dans l’exercice de leurs pou-

voirs, tout en respectant les obligations prévues par le Pacte, et
notamment le principe de l’égalité devant la loi (art. 26).
.............................

144 Its purpose [of Article 13] is clearly to prevent arbitrary
expulsions. (. . .) An alien must be given full facilities for pursuing

his remedy against expulsion so that this right will in all the circum-
stances of his case be an effective one. (. . .) Discrimination may not
be made between different categories of aliens in the application of
Article 13.” (Paras. 1-2 and 9-10.)

149. Also in respect of Article 13 of the Covenant, reference can
further be made to three other cases dealt with by the Human Rights
Committee, namely, those of Hammel v. Madagascar (1987), of Cañon
García v. Ecuador (1991) and of Mansour Ahani v. Canada (2004). In

the first of these cases, that of Hammel v. Madagascar, the Committee,
having found breaches of Articles 9 (4) and 13 of the Covenant, because:
(a) the petitioner had been unable to take proceedings before a court to
determine the lawfulness of his arrest; and (b) for “grounds that were
not those of compelling reasons of national security, he was not allowed

to submit the reasons against his expulsion and to have his case reviewed
by a competent authority within a reasonable time” (para. 20).

150. The relevance of the Hammel v. Madagascar case to the present
Diallo case before this Court is manifest, given the fact that the Human

Rights Committee not only suggested that, in order to deny an individual
the right to challenge his expulsion, the State party ought to demonstrate
that there were “compelling reasons of national security” but also con-
cluded that, in casu, the reasons adduced by Madagascar were not rea-
sons of “national security”. This seems to contradict the view, advanced

by the DRC in the present case before this Court, that the State con-
cerned would be the sole and final judge in relation to acts presumably
threatening its national security.
151. In the second of the aforementioned cases — that of Cañon
García v. Ecuador — the Human Rights Committee, noting that the

Respondent State had not sought to refute the petitioner’s allegations
pertaining to Articles 7, 9 and 13 of the Covenant, found accordingly
that the Respondent State had incurred in breaches of those provisions
(paras. 5 (2) and 6 (1)). And, in the third case, that of Mansour Ahani v.
Canada, the Human Rights Committee found a breach of Article 13 of

the Covenant, which encompassed not only the certificate attesting the
grounds for expulsion, but also “the Minister’s decision on risk of harm”
prior to the deportation of the petitioner to the country wherefrom he
sought refuge. The Committee did not accept that “compelling reasons of
national security existed to exempt the State party from its obligation

under that Article to provide the procedural protections in question”,
and reasoned that the petitioner should be afforded such protections
(para. 10.8, and cf. paras. 10.9 and 12).
152. In its General Comment No. 31, of 2004, the Nature of the Gen-

eral Legal Obligation Imposed on the States Parties to the Covenant , the
Human Rights Committee further clarified its position on the material

145 Son objectif évident [de l’article 13] est d’éviter les expulsions
arbitraires ... L’étranger doit recevoir tous les moyens d’exercer son

recours contre l’expulsion, de manière à être en toutes circonstances
à même d’exercer effectivement son droit ... Aucune discrimination
ne peut être opérée entre différentes catégories d’étrangers dans
l’application de l’article 13.» (Par. 1-2 et 9-10.)

149. Toujours à propos de l’article 13 du Pacte, on peut citer trois
autres affaires dont a connu le Comité des droits de l’homme, à savoir les
affaires Hammel c. Madagascar (1987), Cañon García c. Equateur (1991)
et Mansour Ahani c. Canada (2004). Dans la première de ces affaires,

Hammel c. Madagascar, le Comité a jugé qu’il y avait eu violation du
paragraphe 4 de l’article 9 et de l’article 13 du Pacte pour les raisons sui-
vantes: a) le requérant n’avait pu se pourvoir devant un tribunal pour
que celui-ci détermine la légalité de son arrestation; et b) «pour des rai-

sons qui n’étaient pas des raisons impérieuses de sécurité nationale, il n’a
pas été en mesure de faire valoir des motifs contre son expulsion et de
faire examiner son cas par une autorité compétente dans un délai raison-
nable» (par. 20).
150. La pertinence de l’affaire Hammel c. Madagascar pour celle dont

connaît maintenant la Cour est évidente: le Comité des droits de l’homme
a non seulement précisé que, pour refuser à un individu le droit de
contester son expulsion, l’Etat partie devait démontrer qu’il existait des
«raisons impérieuses de sécurité nationale», mais il a également conclu

que, en l’espèce, les raisons invoquées par Madagascar n’étaient pas des
raisons de «sécurité nationale». Cette affirmation paraît contredire le
point de vue avancé devant la Cour en l’espèce par la RDC, qui a sou-
tenu que l’Etat concerné était le seul et dernier juge des actes qui mena-
cent sa sécurité nationale.

151. Dans la deuxième affaire susmentionnée — l’affaire Cañon Gar-
cía c. Equateur —, le Comité des droits de l’homme, notant que l’Etat
défendeur n’avait pas tenté de réfuter les allégations du requérant concer-
nant les articles 7, 9 et 13 du Pacte, a jugé que l’Etat défendeur avait

effectivement violé ces dispositions (par. 5, al. 2), et 6, al. 1)). Dans la
troisième affaire, Mansour Ahani c. Canada, le Comité des droits de
l’homme a conclu à une violation de l’article 13 du Pacte, violation qui
concernait non seulement le certificat énonçant les motifs d’expulsion,
mais également «la décision prise par le ministre sur le risque de préju-

dice» avant l’expulsion du requérant vers le pays d’où il cherchait à trou-
ver refuge. Le Comité n’a pas accepté qu’«il existait des raisons impé-
rieuses de sécurité nationale qui exemptaient l’Etat partie de l’obligation
que lui faisait cet article d’accorder les protections procédurales en ques-

tion» et a jugé que le requérant devait bénéficier de ces protections
(par. 10.8, et voir par. 10.9 et 12).
152. Dans son observation générale n 31 (2004) sur La nature de l’obli-
gation juridique générale incombant aux Etats parties au Pacte , le Comité
des droits de l’homme a précisé encore sa position sur le contenu matériel

145content of the right not to be expelled from a State without a legal basis.
The Committee added therein that States parties have an:

“obligation not to extradite, deport, expel or otherwise remove a
person from their territory, where there are substantial grounds for

believing that there is a real risk of irreparable damage, such as that
contemplated by Articles 6 and 7 of the Covenant, either in the
country to which removal is to be effected or in any country to
which the person may be subsequently removed” (para. 12).

This has a bearing on the issue of the interrelationship between the pro-
tected rights under the Covenant, to which I shall next turn attention.

3. The Interrelationship between the Protected Rights

153. I have already referred to the vindication, in the present case, of
the right not to be subjected to mistreatments,tricto sensu, under Articles 7

and 10 (1) of the Covenant on Civil and Political Rights (supra). The
Human Rights Committee has a vast practice on those provisions; at
regional level, that right has been the object of an extensive case law of
the European and the Inter-American Courts of Human Rights, as well
as of the African Commission on Human and Peoples’ Rights to date. It

is beyond the purpose of this separate opinion to dwell upon this mat-
ter. May I only add that, mistreatment lato sensu can be inferred also
from a combination of those Articles of the Covenant with its own pro-
visions concerning some other protected rights.

154. For example, in the already mentioned case of Hammel v. Mada-
gascar (supra), the Human Rights Committee related Articles 9 (4) to Art-
icle 13 of the Covenant, finding breaches of both of them: of Article 9 (4),
because the victim was unable to challenge his arrest (during his deten-
tion preceding his expulsion), he was unable to take proceedings before

a court to determine the lawfulness or otherwise of his arrest; and of
Article 13, because, for grounds that “were not those of compelling
reasons of national security”, he was “not allowed to submit the reasons
against his expulsion”, and “to have his case reviewed by a competent
authority within a reasonable time” (paras. 19 (4) and 20).

155. Likewise, Article 13 of the Covenant appears intertwined, e.g.,
with Article 12 (on the right to freedom of movement). Those two Arti-
cles, together, safeguard a set of individual rights related essentially to
freedom of movement. Article 12 (1) states that “[e]veryone within the

territory of a State shall, within that territory, have the right to liberty of
movement and freedom to choose his residence”. And Article 12 (4) adds
that “[n]o one shall be arbitrarily deprived of the right to enter his own
country”.

156. It cannot pass unnoticed, in the circumstances of the present case,
that Article 12 (4) of the Covenant extends an unrestricted protection

146du droit de ne pas être expulsé d’un Etat sans base juridique. Le Comité
a ajouté que les Etats parties avaient:

«l’obligation de ne pas extrader, déplacer, expulser quelqu’un ou le
transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs

sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable dans
le pays vers lequel doit être effectué le renvoi ou dans tout pays vers
lequel la personne concernée peut être renvoyée par la suite, tel le
préjudice envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte» (par. 12).

Ce point de vue a une incidence sur la relation qui existe entre les droits
protégés par le Pacte, question que j’examinerai maintenant.

3. La relation entre les droits protégés

153. J’ai déjà mentionné la défense, dans le cadre de la présente
affaire, du droit de ne pas être soumis à de mauvais traitements, stricto

sensu, consacré aux articles 7 et 10, paragraphe 1, du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques (supra). Le Comité des droits de
l’homme a une vaste pratique de ces dispositions; au plan régional, ce
droit a fait l’objet d’une importante jurisprudence des Cours européenne
et interaméricaine des droits de l’homme ainsi que de la Commission afri-

caine des droits de l’homme et des peuples. L’examen approfondi de cette
question dépasse les limites de la présente opinion individuelle. J’ajoute-
rai seulement que la notion de mauvais traitements lato sensu peut être
déduite également d’une combinaison des articles du Pacte dont les dis-
positions portent sur d’autres droits protégés.

154. Par exemple, dans l’affaire Hammel c. Madagascar déjà mention-
née, le Comité des droits de l’homme a établi un lien entre le para-
graphe 4 de l’article 9 et l’article 13 du Pacte, et il a jugé que les deux
dispositions avaient été violées: le paragraphe 4 de l’article 9 parce que, la
victime n’ayant pu contester son arrestation (pendant la détention qui a

précédé son expulsion), elle n’a pas pu engager de procédure devant un
tribunal pour lui demander de statuer sur la légalité de son arrestation; et
l’article 13 parce que, pour des raisons «qui n’étaient pas des raisons
impérieuses de sécurité nationale», le requérant n’avait pu «faire valoir
des motifs contre son expulsion» et «faire examiner son cas par une auto-

rité compétente dans un délai raisonnable» (par. 19, al. 4), et 20).
155. De même, l’article 13 du Pacte semble être lié, notamment, à
l’article 12 (sur le droit à la liberté de circulation). Ces deux articles, lus
conjointement, garantissent un ensemble de droits individuels liés essen-
tiellement à la liberté de circulation. Le paragraphe 1 de l’article 12 dit

que «[q]uiconque se trouve légalement sur le territoire d’un Etat a le droit
d’y circuler librement et d’y choisir librement sa résidence». Quant au
paragraphe 4 de cet article, il précise que «[n]ul ne peut être arbitraire-
ment privé du droit d’entrer dans son propre pays».

156. On ne saurait passer sous silence le fait que, dans les circonstan-
ces de la présente affaire, le paragraphe 4 de l’article 12 du Pacte garantit

146against expulsion to aliens who, like Mr. A. S. Diallo, have developed

such a close relationship with the State of residence that has practically
become his “home country”: in the cas d’espèce, Mr. A. S. Diallo came
to the State of residence at the age of 17, having been living there for 30
107
years . Likewise, in the previous case of Hammel v. Madagascar (1987),
Mr. E. Hammel had been a practicing attorney in Madagascar for 19 years,
until his expulsion on 11 February 1982, without having been indicted

nor brought before a magistrate on any charge (para. 18.2).

157. A holistic view of the protected rights under the Covenant seems

to have helped to clarify aspects of concrete cases brought into the cog-
nizance of the Human Rights Committee. For example, in so far as a
possible breach of other human rights enshrined into the Covenant is

concerned, the Committee has found that there can be a violation of a
person’s right to family life (Article 17), when the expulsion of a person
results in a separation from her family. Although the mere fact that one

member of the family is entitled to remain in the territory of a State party
does not necessarily mean that requiring other members of the family to
leave involves such interference0, the Committee specified that:

“the relevant criteria for assessing whether or not the specific inter-

ference with family life can be objectively justified must be consid-
ered, on the one hand, in light of the significance of the State party’s
reasons for the removal of the person concerned, and, on the other,

the degree of hardship the family a109its members would encounter
as a consequence of such removal.”

VIII. THE JURISPRUDENTIAL C ONSTRUCTION OF THE
RIGHT TO NFORMATION ON C ONSULAR A SSISTANCE IN THE
CONCEPTUAL U NIVERSE OF H UMAN R IGHTS

1. The Individual Right beyond the Inter-State Dimension

158. In its substantial and ground-breaking Advisory Opinion No. 16,
of 1 October 1999, on the Right to Information on Consular Assistance

in the Framework of the Due Process of Law, the Inter-American Court
of Human Rights (IACtHR), after reviewing the legislative history and
evolving application of Article 36 (1) (b) of the 1963 Vienna Convention

on Consular Relations, pondered that the bearer (titulaire) of the rights
mentioned therein:

“is the individual. In effect, this Article is unequivocal in stating that
rights to consular information and notification are ‘accorded’ to the

107Reply of Guinea, para. 1.122.
108Cf. Winata v. Australia, CCPR/C/72/D/930/2000, 21 July 2001, para. 7.1.
109
Cf. Madafferi v. Australia, CCPR/C/81/D/1011/2001, 26 July 2004, para. 9.8; and
cf. alsoByahurangav. Denmark, communication No. 1222/2003, 1 November 2004, para. 11.9.

147une protection illimitée contre l’expulsion aux étrangers qui, comme

M. A. S. Diallo, ont établi avec le temps une relation tellement étroite
avec l’Etat de résidence que ce dernier est pratiquement devenu leur
«patrie»: dans le cas d’espèce, M. A. S. Diallo est arrivé dans l’Etat de
107
résidence à l’âge de 17 ans et y a résidé pendant trente ans . De même,
dans l’affaire Hammel c. Madagascar (1987), M. E. Hammel avait pra-
tiqué le droit à Madagascar pendant dix-neuf ans avant d’en être expulsé

le 11 février 1982 sans être inculpé ni traduit devant un magistrat pour
répondre de quelque chef d’accusation que ce soit (par. 18.2).

157. L’adoption d’une vue holistique des droits protégés par le Pacte
semble avoir aidé le Comité des droits de l’homme à préciser certains
aspects des affaires qui lui ont été soumises. Par exemple, s’agissant d’une

violation éventuelle d’autres droits de l’homme garantis par le Pacte, le
Comité a jugé qu’il pouvait y avoir violation du droit à la vie de famille
d’une personne (art. 17) lorsque son expulsion entraînait sa séparation de

sa famille. Bien que le simple fait que l’un des membres d’une famille ait
le droit de rester sur le territoire d’un Etat partie ne fasse pas forcément
de l’éviction d’autres membres de la même famille une immixtion du
108
même ordre , le Comité a cru bon de préciser:

«Les critères pertinents pour déterminer si une immixtion dans la
vie de famille peut être objectivement justifiée doivent être examinés
à la lumière, d’une part, de l’importance des raisons qui poussent

un Etat à expulser l’intéressé et, d’autre part, de la gravité des diffi-
cultés que connaîtraient la famille et ses membres par suite de cette
expulsion.» 109

VIII. D ÉVELOPPEMENT DE LA JURISPRUDENCE RELATIVE
AU DROIT À L ’INFORMATION SUR L ’ASSISTANCE CONSULAIRE

DANS L UNIVERS CONCEPTUEL DES DROITS DE L HOMME

1. Le droit individuel par-delà la dimension interétatique

158. Dans son solide et novateur avis consultatif n 16 du 1o erocto-

bre 1999 relatif au droit à l’information sur l’assistance consulaire dans le
cadre d’une procédure régulière, la Cour interaméricaine des droits de

l’homme (CIDH), après avoir passé en revue l’histoire législative et l’évo-
lution de l’application de l’article 36, paragraphe 1, alinéa b),d eal
convention de Vienne sur les relations consulaires de 1963, a exprimé

l’avis que le titulaire des droits mentionné dans cette disposition:
«[était] l’individu. En fait, le libellé de cet article ne laisse aucun

doute sur le fait que les droits à l’information consulaire et à la noti-

107Réplique de la Guinée, par. 1.122.
108Winata c. Australie, 21 juillet 2001, CCPR/C/72/D/930/2000, par. 7.1.
109Madafferi c. Australie, 26 juillet 2004, CCPR/C/81/D/1011/2001, par. 9.8; voir aussi
Byahuranga c. Danemark,1 ernovembre 2004, communication n 1222/2003, par. 11.9.

147 interested person. In this respect, Article 36 is a notable exception to

what are essentially State’s rights and obligations accorded else-
where in the Vienna Convention on Consular Relations. As inter-
preted by this Court in the present Advisory Opinion, Article 36 is a
notable advance over international law’s traditional conceptions of

this subject.

The rights accorded to the individual under subparagraph (b) of
Article 36 (1), cited earlier, tie in with the next subparagraph [(c)]

(. . .) That exercise of this right is limited only by the individual’s
choice.

.............................
The Court therefore concludes that Article 36 of the Vienna Con-
vention on Consular Relations endows a detained foreign national

with individual rights that are the counterpart of the host State’s
correlative duties. This interpretation is supported by the Article’s
legislative history. There, although in principle some States believed
that it was inappropriate to include clauses regarding the rights of

nationals of the sending State, in the end the view was that there was
no reason why that instrument should not confer rights upon indi-
viduals.” (Paras. 82-84.)

159. And the IACtHR added that the consular communication,
referred to by Article 36 of the 1963 Vienna Convention,

“does indeed concern the protection of the rights of the national of

the sending State and may be of benefit to him. This is the proper
interpretation of the functions of ‘protecting the interests’ of that
national and the possibility of receiving ‘help and assistance’, par-
ticularly with arranging appropriate ‘representation before the tribu-

nals’.” (Para. 87.)

In sum, in its Advisory Opinion No. 16, of 1999, the IACtHR thus held
that Article 36 of the 1963 Vienna Convention recognizes to the foreigner
under detention individual rights — among which the right to informa-
tion on consular assistance — to which correspond duties incumbent

upon the receiving State (irrespective of its federal or unitary structure)
(paras. 84 and 140).
160. The IACtHR pointed out that the evolutive interpretation and
application of the corpus juris of the international law of human rights 110

have had “a positive impact on international law in affirming and develop-
ing the aptitude of this latter to regulate the relations between States and

110The Court stated that “human rights treaties are living instruments, whose inter-
pretation ought to follow the evolution of times and the current conditions of life”
(para. 114). The Court made it clear that, in its interpretation of the norms of the Amer-
ican Convention on Human Rights, it should aim at extending protection in new situations
on the basis of preexisting rights.

148 fication sont «accordés» à la personne. A cet égard, l’article 36 est

une exception notable par rapport aux droits et obligations essen-
tiellement étatiques prévus dans les autres dispositions de la conven-
tion de Vienne sur les relations consulaires. Interprété dans le sens
que lui donne la Cour dans le présent avis consultatif, l’article 36

constitue un progrès notable par rapport aux conceptions tradition-
nelles du droit international en la matière.
Les droits accordés à l’individu à l’alinéa b) du paragraphe 1 de
l’article 36, cité plus haut, concordent avec les termes de l’alinéa [c)]

qui le suit ... L’exercice du droit mentionné n’est limité que par le
choix de l’individu.

.............................
La Cour conclut donc que l’article 36 de la convention de Vienne

sur les relations consulaires confère à l’étranger détenu des droits
individuels qui sont la contrepartie des droits correspondants
de l’Etat hôte. Cette interprétation est étayée par l’histoire législative
de cet article. Bien que certains Etats aient estimé peu approprié

en principe d’inclure dans le traité des clauses concernant les droits
des nationaux de l’Etat d’envoi, il a été jugé en définitive que rien
n’empêchait que cet instrument confère des droits aux individus.»
(Par. 82-84.)

159. La CIDH a ajouté que la communication consulaire mentionnée

à l’article 36 de la convention de Vienne de 1963

«concerne effectivement la protection des droits du national de
l’Etat d’envoi et peut lui être utile. C’est ainsi qu’il convient d’inter-
préter la fonction de «protection des intérêts» du national et la

possibilité de lui fournir «aide et assistance», particulièrement en
prenant des dispositions pour qu’il soit adéquatement «représenté
devant les tribunaux».» (Par. 87.)

Pour résumer, dans son avis consultatif n 16 de 1999, la CIDH a jugé
que l’article 36 de la convention de Vienne de 1963 reconnaissait à

l’étranger détenu des droits individuels — notamment le droit à l’infor-
mation sur l’assistance consulaire — auxquels correspondent des obliga-
tions pour l’Etat de résidence (par. 84 et 140).

160. La CIDH a fait observer que l’interprétation évolutive et l’appli-
cation du corpus juris du droit international des droits de l’homme 110
avaient eu «un impact positif sur le droit international en affirmant et en
développant la capacité de ce dernier de régir les relations entre les

110
La Cour a déclaré que «les traités relatifs aux droits de l’homme sont des instru-
ments vivants, dont l’interprétation doit suivre l’évolution des temps et les conditions de
vie actuelles» (par. 114). La Cour a bien dit que, dans son interprétation des normes de la
convention américaine des droits de l’homme, elle devait viser à élargir la protection à de
nouvelles situations sur la base des droits préexistants.

148human beings under their respective jurisdictions” (para. 115). The IAC-

tHR thus adopted the “proper approach” in considering the matter sub-
mitted to it in the framework of “the evolution of the fundamental rights of
the human person in contemporary international law” (paras. 114-115).

161. The IACtHR sustained the view that, for the due process of law
to be preserved, “a defendant must be able to exercise his rights and

defend his interests effectively and in full procedural equality with other
defendants” (para. 117). In order to attain its objectives, “the judicial
process ought to recognize and correct the factors of real inequality” of

those taken to justice (para. 119); thus, the notification, to persons
deprived of their liberty abroad, of their right to communicate with
their consul, contributes to safeguard their defence and the respect for

their procedural rights (paras. 121-122). The individual right to infor-
mation under Article 36 (1) (b) of the Vienna Convention on Consular
Relations thus renders effective the right to the due process of law
111
(para. 124) .
162. The IACtHR thereby linked the right at issue to the evolving
guarantees of due process of law. This Advisory Opinion No. 16 of the

IACtHR, truly pioneering, has served as inspiration for the emerging
international case lawi,n statu nascend,ion the matter , and is having a sen-
sible impact on the practice of States in the region on the issue. That historical

Advisory Opinion, furthermore, reveals the impact of the international law of
human rights in the evolution of public international law itself, specifically for
having the IACtHR been the first international tribunal to warn that, if non-

compliance with Article 36 (( 1))of the Vienna Convention on Consular Rela-
tions of 1963 takes place, it occurs to the detriment not only of a State party but
also of the human beings at issue.113

2. The Humanization of Consular Law

163. That Advisory Opinion was followed, four years later, in the
same line of thinking, by Advisory Opinion No. 18 of the IACtHR, of
17 September 2003, on the Juridical Condition and Rights of Undocu-

mented Migrants. This latter opened new ground for the protection of

111The non-observance or obstruction of the exercise of this right affects the judicial
guarantees (para. 129).
112As promptly acknowledged by expert writing; cf., e.g., G. Cohen-Jonathan, “Cour
européenne des droits de l’homme et droit international général (2000)”, 46 Annuaire
français de droit international (2000), p. 642; M. Mennecke, “Towards the Humanization
of the Vienna Convention of Consular Rights — The LaGrand Case before the Interna-
tional Court of Justice”, 44 German Yearbook of International Law/Jahrbuch für inter-
nationales Recht(2001), pp. 430-432, 453-455, 459-460 and 467-468; Ph. Weckel, M. S. E. Hel-
ali and M. Sastre, “Chronique de jurisprudence internationale”, 104 Revue générale de
droit international public (2000), pp. 794 and 791; Ph. Weckel, “Chronique de jurispru-
dence internationale”, 105 Revue générale de droit international public (2001), pp. 764-

76113nd 770.
As the ICJ subsequently also admitted, in the LaGrand case.

149Etats et les personnes relevant de leur juridiction respective» (par. 115).

La CIDH a donc adopté «l’approche appropriée» lorsqu’elle a examiné
la question qui lui avait été soumise dans le cadre de «l’évolution des
droits fondamentaux de la personne humaine dans le droit international

contemporain» (par. 114-115).
161. La CIDH a été d’avis que, pour préserver la procédure régulière,
«un défendeur doit être en mesure d’exercer ses droits et de défendre ses

intérêts de façon effective et en pleine égalité procédurale avec les autres
défendeurs» (par. 117). Pour atteindre ses objectifs, «le processus judi-

ciaire doit reconnaître et corriger les facteurs d’inégalité réelle» entre les
justiciables (par. 119); ainsi, informer les personnes privées de leur liberté à
l’étranger de leur droit de communiquer avec leur consul contribue à

garantir leur défense et le respect de leurs droits procéduraux (par. 121-
122). Le droit de l’individu à l’information au titre de l’article 36, paragra-
phe 1, alinéa b), de la convention de Vienne sur les relations consulaires
111
rend donc effectif le droit à une procédure régulière (par. 124) .

162. La CIDH a ainsi lié le droit en question à l’évolution des garanties
o
d’une procédure régulière. Cet avis consultatif n 16 de la CIDH, qui est
vraiment novateur, a servi d’inspiration à la jurisprudence internationale in
statu nascendi sur la question 112et a une incidence sensible sur la pratique

des Etats de la région dans ce domaine. En outre, cet avis consultatif his-
torique révèle l’impact du droit international des droits de l’homme sur
l’évolution du droit international public lui-même, parce que la CIDH a

été le premier tribunal international à préciser que le non-respect de l’arti-
cle 36, paragraphe 1, alinéab), de la convention de Vienne sur les relations
consulaires de 1963 entraîne des conséquences néfastes non seulement pour
113
l’Etat partie mais également pour les personnes concernées .

2. L’humanisation du droit consulaire

163. Cet avis consultatif a été suivi quatre ans plus tard, dans le même
esprit, de l’avis consultatif n 18 de la CIDH, en date du 17 septem-

bre 2003, sur La situation juridique et les droits des migrants sans papiers .
Ce dernier avis consultatif a ouvert de nouvelles perspectives à la protec-

111La non-observation ou le fait de faire obstacle à l’exercice de ce droit a une inci-
dence sur les garanties judiciaires (par. 129).
112
Comme l’a vite reconnu la doctrine; voir, par exemple, G. Cohen-Jonathan, «Cour
européenne des droits de l’homme et droit international général (2000)», Annuaire français
de droit international, vol. 46 (2000), p. 642; M. Mennecke, «Towards the Humanization
of the Vienna Convention of Consular Rights — The LaGrand Case before the Interna-
tional Court of Justice», German Yearbook of International Law/Jarbuch für internatio-
nales Recht, vol. 44 (2001), p. 430-432, 453-455, 459-460 et 467-468; Ph. Weckel,
M. S. E. Helali et M. Sastre, «Chronique de jurisprudence internationale», Revue géné-
rale de droit international public , vol. 104 (2000), p. 794 et 791; Ph. Weckel, «Chronique
de jurisprudence internationale», Revue générale de droit international public , vol. 105
(2001), p. 764-765 et 770.
113Ainsi que la CIJ l’a également reconnu, dans l’affaire LaGrand.

149migrants, in acknowledging the prevalence of the rights inherent to
114
human beings, irrespective of their migratory status . The Court made
it clear that States ought to respect and ensure respect for human

rights in the light of the general and basic principle of equality and non-
discrimination, and that any discriminatory treatment with regard to
the protection and exercise of human rights generates the international

responsibility of the States. In the view of the IACtHR, the fundamental
principle of equality and non-discrimination has entered into the domain
of jus cogens.

164. The IACtHR added that States cannot discriminate or tolerate
discriminatory situations to the detriment of migrants, and ought to

guarantee the due process of law to any person, irrespective of his or her
migratory status. This latter cannot be a justification for depriving a per-
son of the enjoyment and exercise of his or her human rights, including

labour rights. Undocumented migrant workers have the same labour
rights as the other workers of the State of employment, and this latter
ought to ensure respect for those rights in practice. States cannot subor-

dinate or condition the observance of the principle of equality before the
law and non-discrimination to the aims of their migratory or other poli-
115
cies .
165. Advisory Opinion No. 18 propounded the same dynamic or evo-
lutive interpretation of international human rights law heralded by the
116
IACtHR four years earlier, in its Advisory Opinion No. 16 of 1999 .In
2003, the IACtHR reiterated and expanded its forward-looking outlook,

114This more recent advisory opinion No. 18 is likewise having an impact on the
theory and practice of international law in the present domain of protection of the human
rights of migrants as also promptly acknowledged by expert writing; cf., e.g., L. Hen-

nebel, “L’humanisation du droit international des droits de l’homme — Commentaire sur
l’avis consultatif no. 18 de la Cour Interaméricaine relatif aux droits des travailleurs
migrants”, 15 Revue trimestrielle des droits de l’homme (2004) No. 59, pp. 747-756;
S. H. Cleveland, “Legal Status and Rights of Undocumented Migrants — Advisory Opinion
OC-18/03 [of the] Inter-American Court of Human Rights”, 99 American Journal of
International Law (2005), pp. 460-465; C. Laly-Chevalier, F. da Poïan and H. Tigroudja,
“Chronique de la jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l’homme (2002-
2004)”, 16 Revue trimestrielle des droits de l’homme (2005), No. 62, pp. 459-498.

115In addition, the four individual opinions presented were, significantly, all of them,

concurring opinions. In my own lengthy concurring opinion, as [then] President of the
Court, I dwelt upon nine points, namely: (a) the civitas maxima gentium and the uni-
versality of the human kind; (b) the disparities of the contemporary world and the vul-
nerability of migrants; (c) the reaction of the universal juridical conscience; (d) the
construction of the individual subjective right of asylum; (e) the position and the role of
the general principles of law; (f) the fundamental principles as substratum of the legal
order itself; (g) the principle of equality and non-discrimination in the international law
of human rights; (h) the emergence, the content and the scope of jus cogens ; and (i) the
emergence and the scope of obligations erga omnes of protection (their horizontal and

ve116cal dimensions).
In that sixteenth and pioneering Advisory Opinion, of major importance, the Inter-
American Court clarified that, in its interpretation of the norms of the American Conven-
tion, it should extend protection in new situations (such as that concerning the observance

150tion des migrants, en reconnaissant la prééminence de leurs droits inhé-

rents en tant que personnes humaines, en dépit de leur statut de
migrants 11. La Cour a dit clairement que les Etats doivent respecter les

droits de l’homme et veiller à leur respect à la lumière du principe général
et fondamental d’égalité et de non-discrimination, et que tout traitement

discriminatoire en ce qui concerne la protection et l’exercice des droits de
l’homme engage la responsabilité internationale des Etats. De l’avis de la
CIDH, le principe fondamental d’égalité et de non-discrimination est

entré dans le domaine du jus cogens.
164. La CIDH a ajouté que les Etats ne peuvent exercer de discrimina-

tion ou tolérer de situations discriminatoires au détriment des migrants et
doivent garantir une procédure régulière à toute personne, indépendam-

ment de son statut en tant que migrant. Ce statut ne saurait justifier que
l’on prive une personne de la jouissance et de l’exercice de ses droits de
l’homme, y compris les droits du travail. Les travailleurs migrants sans

papiers ont les mêmes droits du travail que les autres travailleurs de
l’Etat d’emploi, et ce dernier doit veiller au respect de ces droits dans la

pratique. Les Etats ne peuvent subordonner l’observation du principe
d’égalité devant la loi et de non-discrimination aux objectifs de leurs poli-
115
tiques de migration ou autres . o
165. Dans son avis consultatif n 18, la CIDH a adopté la même inter-
prétation dynamique ou évolutive du droit international des droits de

l’homme qu’elle l’avait fait en 1999, quatre ans plus tôt, dans son avis
consultatif n 16 116. En 2003, la CIDH a réitéré et développé sa vision

114 o
Ce récent avis consultatif n 18 a également un impact sur la théorie et la pratique
du droit international dans le domaine de la protection des droits de l’homme des migrants
qui nous intéresse ici — ainsi que cela a été rapidement reconnu dans la doctrine; voir, par
exemple, L. Hennebel, «L’humanisation du droit international des droits de l’homme
— Commentaire sur l’avis consultatif no 18 de la Cour interaméricaine relatif aux droits
des travailleurs migrants»,Revue trimestrielle des droits de l’homme, vol. 15 (2004), n
p. 747-756; S. H. Cleveland, «Legal Status and Rights of Undocumented Migrants

— Advisory Opinion OC-18/03 [of the] Inter-American Court of Human Rights»,Ameri-
can Journal of International Law, vol. 99 (2005), p. 460-465; C. Laly-Chevalier, F. da
Poïan et H. Tigroudja, «Chronique de la jurisprudence de la Cour interaméricaine des
droits de l’homme» (2002-2004),Revue trimestrielle des droits de l’homme, vol. 16 (2005),
no 62, p. 459-498.
115 De plus, les quatre opinions individuelles présentées allaient toutes dans le même
sens, ce qui est significatif. Dans ma propre opinion concordante, assez exhaustive, en tant
que président de la Cour à l’époque, j’ai traité neuf points, à savoir: a) la civitas maxima

gentium et l’universalité de la famille humaine; b) les disparités du monde contemporain
et la vulnérabilité des migrants; c) la réaction de la conscience juridique universelle; d) la
construction du droit d’asile individuel subjectif; e) la position et le rôle des principes
généraux du droit; f) les principes fondamentaux comme substrat de l’ordre juridique lui-
même; g) le principe d’égalité et de non-discrimination dans le droit international des
droits de l’homme; h) l’émergence, le contenu et la portée du jus cogens ; i) l’émergence
et la portée des obligations erga omnes de protection (leurs dimensions horizontale et

ve116cale).
Dans ce seizième avis consultatif très important et novateur, la Cour interaméricaine
a précisé que, dans son interprétation des normes de la convention américaine, elle se
devait d’élargir la protection à de nouvelles situations (comme celle concernant l’observa-

150in its Advisory Opinion No. 18, on the Juridical Condition and Rights of

Undocumented Migrants, constructed upon the evolving concepts of jus
cogens and of obligations erga omnes of protection (in their horizontal
and vertical dimensions). This jurisprudential construction points in a

clear direction: consular assistance and protection have become much
closer to human rights protection.
166. It so happens that consular assistance and protection have indeed

undergone a process of jurisdictionalization , integrating, in the light of
the outlook advanced by the Inter-American Court, the enlarged concep-
tion of the due process of law, proper of our times. This is gradually being

grasped in contemporary expert writing, which now rightly acknowledges
that, while diplomatic protection remains ineluctably discretionary, pur-
suing an unsatisfactory inter-State dimension, consular assistance and

protection are now linked to the obligatory guarantees of due process of
law, in the framework of the international law of human rights 11. The
ultimate beneficiaries of this evolution are the individuals facing adver-

sity, particularly those deprived of their personal liberty abroad.

3. The Irreversibility of the Advance of Humanization

167. Advisory Opinion No. 16 (of 1 October 1999) of the IACtHR, on
the Right to Information on Consular Assistance in the Framework of the
Due Process of Law, was extensively relied upon by the contending

parties in the proceedings (written and oral phases) before the ICJ in the
LaGrand and Avena cases. In the LaGrand case, it was invoked in both
the Memorial of Germany (of 16 September 1999, para. 4.13) and in the

Counter-Memorial of the United States (of 27 March 2000, para. 102,
No. 110); and it was object of further attention in the oral arguments of
both Germany 118and the United States 11.

168. Likewise, in the Avena case, that Advisory Opinion of the IAC-
tHR was invoked, in the course of the written phase of the proceedings
before the ICJ, by Mexico in its Application (paras. 65, 77 and 271) as

well as in its Memorial (of 20 June 2003, paras. 157-158, 194, 332, 336
and 344), and by the United States in its Counter-Memorial (para. 6.84).
Mexico further invoked it in its oral arguments before the ICJ 12. The

ICJ was obviously quite aware of the inspiring contents of Advisory

of the right to information on consular assistance) on the basis of preexisting rights
(supra).
117 Cf. E. Decaux, “La protection consulaire et les droits de l’homme”, in: Société
française pour le droit international (SFDI), La protection consulaire (Journée d’études
de Lyon de 2005), Paris, Pedone, 2006, pp. 56-57, 64 and 69-72.
118CR 2000/26 of 13 November 2000, paras. 10-14; CR 2000/27 of 13 November 2000,
paras. 21, 23 and 29; CR 2000/30 of 16 November 2000, paras. 4-5 and 10-11.
119CR 2000/29 of 14 November 2000, para. 6.23; CR 2000/31 of 17 November 2000,
paras. 4.7.
120
CR 2003/24 of 15 December 2003, paras. 34-36 and 39; CR 2003/25 of 15 Decem-
ber 2003, para. 451.

151dans son avis consultatif n 18 sur La situation juridique et les droits des

migrants sans papiers, fondée sur les concepts émergents du jus cogens et
des obligations de protection erga omnes (dans leurs dimensions horizon-
tale et verticale). L’orientation de cet édifice jurisprudentiel est claire:

l’assistance et la protection consulaires se sont rapprochées considérable-
ment de la protection des droits de l’homme.
166. L’assistance et la protection consulaires se sont en effet sensible-

ment juridictionnalisées en intégrant, dans la perspective avancée par la
Cour interaméricaine, une conception élargie de la procédure régulière,

propre à notre temps. Cette évolution imprègne peu à peu la doctrine
contemporaine, qui reconnaît maintenant à juste titre que, si la protec-
tion diplomatique demeure inévitablement discrétionnaire et conserve

une dimension interétatique, si peu satisfaisante soit-elle, l’assistance et la
protection consulaires sont maintenant liées aux garanties obligatoires de
la procédure régulière dans le cadre du droit international des droits de
117
l’homme . Les bénéficiaires de cette évolution sont, en définitive, les
individus en difficulté, en particulier ceux qui sont privés de leur liberté
personnelle à l’étranger.

3. Le caractère irréversible du progrès de l’humanisation

167. L’avis consultatif n 16 (du 1 eroctobre 1999) de la CIDH sur Le
droit à l’information sur l’assistance consulaire dans le cadre des garan-

ties d’une procédure régulière a été souvent évoqué par les parties (dans la
procédure tant écrite qu’orale) qui se sont opposées devant la CIJ dans
les affaires LaGrand et Avena. Dans l’affaire LaGrand, cet avis consulta-

tif a été invoqué par l’Allemagne dans son mémoire (du 16 septem-
bre 1999, par. 4.13) et par les Etats-Unis dans leur contre-mémoire (du
27 mars 2000, par. 102, note 110); l’Allemagne 118 et les Etats-Unis 119 y

sont tous deux revenus dans leurs plaidoiries.
168. De même, dans l’affaire Avena, cet avis consultatif de la CIDH a

été invoqué au cours de la procédure écrite, d’abord par le Mexique dans
sa requête (par. 65, 77 et 271) puis dans son mémoire (du 20 juin 2003,
par. 157-158, 194, 332, 336 et 344), et ensuite par les Etats-Unis dans leur

contre-mémoire (par. 6.84). Le Mexique l’a cité de nouveau dans ses plai-
doiries devant la Cour 120. Celle-ci était évidemment tout à fait consciente
du contenu inspirant de l’avis consultatif n 16 de la CIDH sur Le droit

tion du droit à l’information sur l’assistance consulaire) sur la base des droits préexistants
(s117a).
Voir E. Decaux, «La protection consulaire et les droits de l’homme», dans Société
française pour le droit international (SFDI), La protection consulaire (Journée d’études de
Lyon de 2005), Paris, Pedone, 2006, p. 56-57, 64 et 69-72.
118CR 2000/26 du 13 novembre 2000, par. 10-14; CR 2000/27 du 13 novembre 2000,
par. 21, 23 et 29; CR 2000/30 du 16 novembre 2000, par. 4-5 et 10-11.
119CR 2000/29 du 14 novembre 2000, par. 6.23 ; CR 2000/31 du 17 novembre 2000,
par. 4.7.
120CR 2003/24 du 15 décembre 2003, par. 34-36 et 39; CR 2003/25 du 15 décembre
2003, par. 451.

151Opinion No. 16 of the IACtHR, on The Right to Information on Consu-
lar Assistance in the Framework of the Guarantees of the Due Process of

Law (1999), when it issued its Judgments in the LaGrand (2001) and
Avena (2004) cases, though it did not care to refer to that relevant judicial
precedent, as it should have, on both occasions.
169. In the line of the aforementioned ground-breaking Advisory Opin-
ion No. 16 of the IACtHR, the ICJ also identified, in the LaGrand case

(Judgment of 27 June 2001), the “individual rights” under Article 36 (1)
of the 1963 Vienna Convention (I.C.J. Reports 2001, p. 494, para. 77).
But the ICJ’s reasoning remained à mi-chemin, not pursuing it up to the
point of inserting those individual rights into the conceptual universe of

human rights. Subsequently, in the Avena case (Judgment of 31 March
2004), the Court related the individual rights thereunder to the corre-
sponding obligations incumbent upon the State concerned (I.C.J. Reports
2004 (I), p. 46, para 76).
170. In the same Avena case, the Court was then faced with Mexico’s

contention — well in conformity with the aforementioned Advisory
Opinion No. 16 of 1999 of the IACtHR (supra) — that:

“the right to consular notification and consular communication
under the Vienna Convention is a fundamental human right that
constitutes part of due process in criminal proceedings and should
be guaranteed in the territory of each of the Contracting Parties to
the Vienna Convention; according to Mexico, this right, as such, is

so fundamental that its infringement will ipso facto produce the
effect of vitiating the entire process of the criminal proceedings con-
ducted in violation of this fundamental right.” (Ibid., pp. 60-61,
para. 124.)

171. The Court, after summarizing Mexico’s argument grounded in
the aforementioned Advisory Opinion No. 16 of the IACtHR, took a
step backwards when it added suddenly, in a rather dogmatic and authori-

tarian tone:
“Whether or not the Vienna Convention rights are human rights

is not a matter that this Court need decide. The Court would, how-
ever, observe that neither the text nor the object and purpose of the
Convention, nor any indication in the travaux préparatoires, sup-
port the conclusion that Mexico draws from its contention in that
regard.” (Ibid., p. 61, para. 124.)

And the Court promptly concluded, ex cathedra, that Mexico’s submis-
sion could not therefore be upheld (ibid., p. 61, para. 125).

172. Yet, if the Court was not prepared to examine Mexico’s conten-
tion, and felt — for whatever reasons that escape my comprehension —
that it did not need to decide on it, it should not have made such a state-
ment without indicating on which assumptions it was based. The author-

ity of argument is always far more persuasive than the argument of
authority. The fact is that the Court’s statement is, data venia, without

152à l’information sur l’assistance consulaire dans le cadre des garanties

d’une procédure régulière (1999) lorsqu’elle a rendu ses arrêts dans les
affaires LaGrand (2001) et Avena (2004), bien qu’elle n’ait pas jugé bon
de mentionner ce précédent judiciaire pertinent, comme elle aurait dû le
faire les deux fois.
169. Dans le même esprit que l’avis consultatif novateur n 16 de la

CIDH, la CIJ a aussi identifié, en l’affaire LaGrand (arrêt du 27 juin 2001),
les «droits individuels» garantis par le paragraphe 1 de l’article 36 de la
convention de Vienne de 1963 (C.I.J. Recueil 2001, p. 494, par. 77). Mais
la Cour s’est arrêtée à mi-chemin dans son raisonnement, sans aller

jusqu’à intégrer ces droits individuels dans l’univers conceptuel des droits
de l’homme. Plus tard, en l’affaire Avena (arrêt du 31 mars 2004), la Cour
a lié les droits individuels garantis dans cette disposition aux obligations
correspondantes de l’Etat concerné (C.I.J. Recueil 2004 (I),p .,

par. 76).
170. Dans cette même affaire Avena, la Cour a dû répondre à la thèse
défendue par le Mexique — et tout à fait conforme à l’avis consultatif
n 16 de 1999 de la CIDH (supra) — selon laquelle:

«le droit de notification et de communication consulaires prévu par
la convention de Vienne est un droit de l’homme fondamental

faisant partie des droits de la défense (due process) en procédure
pénale et devant être garanti sur le territoire de chacune des parties
contractantes de la convention de Vienne; selon le Mexique, ce
droit, en tant que tel, est si fondamental que sa violation a ipso facto

pour effet de vicier l’ensemble de la procédure pénale conduite en
contravention dudit droit.» (Ibid., p. 60-61, par. 124.)

171. Après avoir résumé l’argument du Mexique fondé sur l’avis
consultatif n 16 de la CIDH, la Cour a reculé d’un pas lorsqu’elle a sou-
dainement ajouté, sur un ton assez dogmatique et autoritaire:

«Sans qu’il lui soit nécessaire de se prononcer sur la question de

savoir si le droit en cause est ou non un droit de l’homme, la Cour
fera observer que ni le texte ni l’objet et le but de la convention, ni
aucune indication qui figurerait dans les travaux préparatoires, ne
permettent d’arriver à la conclusion que le Mexique tire de cet argu-

ment.» (Ibid., p. 61, par. 124.)

La Cour a rapidement conclu, ex cathedra, que la conclusion du Mexique
ne pouvait en conséquence être accueillie (ibid., p. 61, par. 125).
172. Pourtant, si la Cour n’était pas prête à accueillir la thèse du Mexi-
que et estimait — pour des raisons qui m’échappent — qu’elle n’avait pas
besoin de se prononcer sur cette question, elle n’aurait pas dû s’exprimer

ainsi sans indiquer sur quelle base elle se fondait. L’autorité d’un argu-
ment est toujours plus persuasive que l’argument d’autorité. Le fait est
que l’affirmation de la Cour est, data venia, sans fondement. Elle ne

152foundation. It does not resist closer examination, either in respect of the
text of Article 36 (1) (b) of the 1963 Vienna Convention, or in respect of

its object and purpose, or in respect of its travaux préparatoires.

(a) The text of the 1963 Vienna Convention

173. As to the text, it has already been pointed out that it is the indi-
vidual who has the right to information on consular assistance, as indi-
cated in Article 36 (1) (b) in fine of the 1963 Vienna Convention (supra).

The last phrase of Article 36 (1) (b) leaves no doubt that it is the indi-
vidual, and not the State , who is the titulaire of the right to be informed
on consular assistance. However intertwined may this provision be with
States parties’ obligations, this is clearly an individual right. If this indi-
vidual right is breached, the guarantees of the due process of law will

ineluctably be affected.

174. As the Inter-American Court rightly pondered, in this respect, in
its Advisory Opinion No. 16 of 1999,

“The International Covenant on Civil and Political Rights recog-
nizes the right to the due process of law (Article 14) as a right that
‘derive[s] from the inherent dignity of the human person’. That Arti-

cle enumerates a number of guarantees that apply to ‘everyone
charged with a criminal offence’, and in that respect is consistent
with the principal international human rights instruments.
In the opinion of this Court, for ‘the due process of law’ a defend-
ant must be able to exercise his rights and defend his interests effec-

tively and in full procedural equality with other defendants. It is
important to recall that the judicial process is a means to ensure,
insofar as possible, an equitable resolution of a difference. The body
of procedures, of diverse character and generally grouped under the
heading of the due process, is all calculated to serve that end. To

protect the individual and see justice done, the historical develop-
ment of the judicial process has introduced new procedural rights.
Examples of the evolving nature of judicial process are the rights not
to incriminate oneself, and to have an attorney present when one
speaks. These two rights are already part of the legislation and juris-

prudence of the more advanced legal systems. And so, the body of
judicial guarantees given in Article 14 of the International Covenant
on Civil and Political Rights has evolved gradually. It is a body of
judicial guarantees to which others of the same character, conferred
by various instruments of international law, can and should be

added.

In this regard the Court has held that the procedural requirements
that must be met to have effective and appropriate judicial guaran-

tees ‘are designed to protect, to ensure, or to assert the entitlement to
a right or the exercise thereof’ and are ‘the prerequisites necessary to

153résiste pas à un examen attentif, ni au regard du texte de l’article 36,
paragraphe 1, alinéa b), de la convention de Vienne de 1963, ni au regard

de son objet et de son but, ou de ses travaux préparatoires.

a) Le texte de la convention de Vienne de 1963

173. Selon le texte, il a déjà été indiqué que c’est l’individu qui est titu-
laire du droit à l’information sur l’assistance consulaire, comme il est pré-

cisé dans la dernière partie de l’article 36, paragraphe 1, alinéa b),dela
convention de Vienne de 1963 (supra). Le dernier membre de phrase de
cet alinéa ne laisse en effet aucun doute sur le fait que c’est l’individu, et
non l’Etat, qui est le titulaire du droit d’être informé sur l’assistance
consulaire. Quels que soient les liens qui existent entre cette disposition

et les obligations des Etats parties, il s’agit de toute évidence d’un droit
individuel. Toute violation de ce droit individuel met inévitablement en
danger la garantie d’une procédure régulière.
174. Comme l’a dit fort à propos la Cour interaméricaine dans son
o
avis consultatif n 16 de 1999,
«[l]e Pacte international relatif aux droits civils et politiques reconnaît
le droit à une procédure régulière (article 14), droit qui «découle de la

dignité inhérente à la personne humaine». Cet article énumère un cer-
tain nombre de garanties qui s’appliquent à «toute personne qui est
accusée d’une infraction pénale» et, à cet égard, il est conforme aux
principaux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme.

De l’avis de la Cour, pour qu’il y ait «procédure régulière», le
défendeur doit être en mesure d’exercer ses droits et de défendre ses
intérêts de façon effective et en pleine égalité procédurale avec les
autres défendeurs. Il est important de rappeler que le processus judi-
ciaire vise à assurer, autant que possible, le règlement équitable d’un

différend. L’ensemble des procédures de nature diverse que l’on
regroupe généralement sous l’appellation de procédure régulière a
pour unique but d’atteindre cet objectif. Pour protéger l’individu et
garantir la justice, de nouveaux droits procéduraux se sont graduel-

lement ajoutés au cours du développement historique du processus
judiciaire. Parmi ces nouveaux droits, on compte celui de ne pas
s’incriminer soi-même et de ne parler qu’en présence d’un avocat.
Ces deux droits sont déjà intégrés à la législation et à la jurispru-
dence des systèmes juridiques les plus avancés. Aussi l’ensemble de

garanties judiciaires prévues à l’article 14 du Pacte international rela-
tif aux droits civils et politiques a-t-il évolué peu à peu. C’est un
ensemble de garanties judiciaires auxquelles d’autres droits ou garan-
ties de même nature, inscrits dans différents instruments de droit

international, peuvent et doivent s’ajouter.
A cet égard, la Cour a jugé que les exigences procédurales qui doi-
vent être respectées pour que les garanties judiciaires soient effectives
et appropriées «visent à protéger, à garantir ou à affirmer un droit
ou son exercice» et sont «les conditions préalables nécessaires pour

153 ensure the adequate protection of those persons whose rights or obli-
gations are pending judicial determination’.

To accomplish its objectives, the judicial process must recognize
and correct any real disadvantages that those brought before the bar
might have, thus observing the principle of equality before the law
and the courts and the corollary principle prohibiting discrimination.
The presence of real disadvantages necessitates countervailing meas-

ures that help to reduce or eliminate the obstacles and deficiencies that
impair or diminish an effective defense of one’s interests. Absent those
countervailing measures, widely recognized in various stages of the
proceeding, one could hardly say that those who have the disadvan-

tages enjoy a true opportunity for justice and the benefit of the due
process of law equal to those who do not have those disadvantages.
This is why an interpreter is provided when someone does not
speak the language of the court, and why the foreign national is
accorded the right to be promptly advised that he may have consular

assistance. These measures enable the accused to fully exercise other
rights that everyone enjoys under the law. Those rights and these,
which are inextricably inter-linked, form the body of procedural
guarantees that ensures the due process of law.
In the case to which this Advisory Opinion refers, the real situa-

tion of the foreign nationals facing criminal proceedings must be
considered. Their most precious juridical rights, perhaps even their
lives, hang in the balance. In such circumstances, it is obvious that
notification of one’s right to contact the consular agent of one’s
country will considerably enhance one’s chances of defending one-

self and the proceedings conducted in the respective cases, including
the police investigations, are more likely to be carried out in accord
with the law and with respect for the dignity of the human person.
The Court therefore believes that the individual right under analy-
sis in this Advisory Opinion must be recognized and counted among

the minimum guarantees essential to providing foreign nationals the
opportunity to adequately prepare their defense and receive a fair
trial.
The incorporation of this right into the Vienna Convention on
Consular Relations — and the discussions that took place as it was

being drafted — are evidence of a shared understanding that the right
to information on consular assistance is a means for the defense of
the accused that has repercussions — sometimes decisive repercus-
sions — on enforcement of the accused’s other procedural rights.
In other words, the individual’s right to information, conferred

upon in Article 36 (1) (b) of the Vienna Convention on Consular
Relations, makes it possible for the right to the due process of law
upheld in Article 14 of the International Covenant on Civil and Politi-
cal Rights, to have practical effects in tangible cases; the minimum

guarantees established in Article 14 of the International Covenant can
be amplified in the light of other international instruments like the

154garantir la protection adéquate des personnes dont les droits ou les
obligations sont en instance devant les tribunaux».

Si l’on veut qu’il atteigne ses objectifs, le processus judiciaire doit
reconnaître et corriger les facteurs d’inégalité réelle entre les justicia-
bles, et reconnaître ainsi le principe d’égalité devant la loi et la justice et
le principe de non-discrimination qui en découle. L’existence de désa-
vantages réels appelle des mesures de compensation, qui aident à

réduire ou à éliminer les obstacles et les lacunes qui entravent ou rédui-
sent la possibilité de défendre effectivement ses intérêts. Sans de telles
mesures, largement reconnues aux différentes étapes de la procédure,
l’on pourrait difficilement dire que les personnes désavantagées ont

vraiment la possibilité d’obtenir justice et de bénéficier de la procédure
régulière sur un pied d’égalité avec les personnes qui ne le sont pas.
C’est la raison pour laquelle un interprète est présent lorsque l’ac-
cusé ne parle pas la langue de la Cour, et c’est pourquoi l’on accorde
au détenu étranger le droit d’être informé qu’il peut faire appel à

l’assistance de son consulat. Ces mesures permettent à l’accusé d’exer-
cer pleinement d’autres droits qui sont offerts à tous en vertu de la
loi. Tous ces droits sont inextricablement liés et forment l’ensemble
des garanties d’une procédure régulière.
Dans le cas sur lequel porte le présent avis consultatif, la situation

réelle des ressortissants étrangers qui font face à une procédure
pénale doit être prise en considération. Leurs droits les plus précieux
au regard de la loi, peut-être même leur vie, sont en jeu. En pareilles
circonstances, il est évident qu’être informé de son droit de contacter
un agent consulaire de son pays améliore considérablement les chan-

ces de l’accusé de se défendre, et la procédure, y compris l’enquête
policière, a plus de chances de se dérouler conformément à la loi et
dans le respect de la dignité de la personne humaine.
La Cour estime donc que le droit individuel analysé dans le pré-
sent avis consultatif doit être reconnu et doit compter parmi les

garanties minimales essentielles pour offrir aux ressortissants étran-
gers la possibilité de préparer adéquatement leur défense et de béné-
ficier d’un procès équitable.
L’insertion de ce droit dans la convention de Vienne sur les rela-
tions consulaires — et les discussions qui ont entouré la rédaction de

cette convention — témoignent du fait que, selon les rédacteurs de la
convention, le droit à l’information sur l’assistance consulaire est un
moyen de défense de l’accusé qui a des répercussions — parfois déci-
sives — sur l’exercice des autres droits procéduraux de l’accusé.
En d’autres termes, grâce au droit à l’information que l’individu

tient de l’article 36, paragraphe 1, alinéa b), de la convention de
Vienne sur les relations consulaires, le droit à une procédure régulière
garanti par l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils
et politiques peut avoir des effets pratiques dans des affaires concrè-

tes; les garanties minimales énoncées à l’article 14 du Pacte peuvent
être amplifiées à la lumière d’autres instruments internationaux

154 Vienna Convention on Consular Relations, which broadens the scope

of the protection afforded to those accused.” (Paras. 116-124.)

(b) The object and purpose of the 1963 Vienna Convention

175. As to the object and purpose of the Vienna Convention on Con-
sular Relations, they are affected, to the point of not being fulfilled, in
case of a breach of the individual right to information on consular assist-

ance (Article 36 (1) (b) of the Convention). Its object and purpose lie in
the commonality of interests of all the States parties to the 1963 Vienna
Convention, in the sense that compliance by the States parties, with
all the obligations set forth there under — including the obligation of

compliance with the individual right at issue — is to be secured. Accord-
ingly, in so far as consular assistance is concerned, the preservation
of, and compliance with, the individual right to information on it

(Article 36 (1) (b)) becomes essential to the fulfillment of the object and
purpose of the Vienna Convention on Consular Relations.

(c) The travaux préparatoires of the 1963 Vienna Convention

176. The travaux préparatoires of that provision of the 1963 Vienna
Convention contain valuable indications to the same effect. Thosteravaux

préparatoires have been insufficiently explored in expert writing, but were
the object of close attention on the part of the Advisory Opinion No. 16, of
1999, of the Inter-American Court of Human Rights (IACtHR), on The

Right to Information on Consular Assistance in the Framework of the Guar-
antees of the Due Process of Law. The aforementioned conclusions, on the
matter at issue, arrived at by the IACtHR, were grounded on an in-depth
analysis of thetravaux préparatoires of the 1963 Vienna Convention.

177. Besides the elements of those travaux referred to by the IACtHR
in its Advisory Opinion No. 16 of 1999 121 (and also discussed in the
pleadings before the Court 122), I deem it fit to add, in this separate

opinion in the present Diallo case, which the ICJ has just resolved, the
following ones, which I find relevant for the clarification of the point at
issue, examined herein. In the debates of the 1963 UN Conference on

Consular Relations, held in Vienna, the Delegate of Greece (Mr. Spyri-
dakis), for example, stated that Article 36 (1) (b) of the [then] Draft Con-
vention was intended: “to establish an additional safeguard for the rights
of the individual and to reinforce the ideal of humanism” 123.

121Paragraph 90, notes 71-73.
122Cf. e.g., IACtHR, Advisory Opinion No. 16, on The Right to Information on Con-
sular Assistance in the Framework of the Guarantees of the Due Process of (1999),
Series B (Pleadings, Oral Arguments and Documents), 2000, pp. 39, 66-67, 74, 88, 90-91,
93-94, 117, 129, 131, 146, 167 and 206-207.
123 United Nations Conference on Consular Relations (Vienna, 4 March-22 April 1963),
Vol. I — UN, Official Records, New York, 1963, p. 39.

155 comme la convention de Vienne sur les relations consulaires, qui élar-

git la portée de la protection garantie aux accusés.» (Par. 116-124.)

b) L’objet et le but de la convention de Vienne de 1963

175. Quant à l’objet et au but de la convention de Vienne sur les rela-
tions consulaires, ils sont touchés, voire compromis, en cas de violation
du droit individuel à l’information sur l’assistance consulaire (alinéa b)

du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention). En effet, l’objet et le but
de la convention de Vienne de 1963 résident dans les intérêts communs de
tous les Etats parties, au sens où cette convention vise à garantir le res-

pect par les Etats parties de toutes les obligations qui y sont énoncées, y
compris celle de respecter le droit individuel en cause. En conséquence,
s’agissant de l’assistance consulaire, la préservation et le respect du droit

individuel à l’information sur cette assistance (alinéa b) du paragraphe 1
de l’article 36) sont essentiels si l’on doit réaliser l’objet et le but de la
convention de Vienne sur les relations consulaires.

c) Les travaux préparatoires de la convention de Vienne de 1963

176. Les travaux préparatoires de cette disposition de la convention de
Vienne de 1963 fournissent des indications précieuses à ce sujet. S’ils ont
été quelque peu négligés par la doctrine, ces travaux préparatoires ont été
o
étudiés de près dans le cadre de l’avis consultatif n 16 de 1999 de la Cour
interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) sur Le droit à l’informa-
tion sur l’assistance consulaire dans le cadre des garanties d’une procé-

dure régulière. Les conclusions formulées par la CIDH sur cette question
sont fondées sur une analyse approfondie des travaux préparatoires de la
convention de Vienne de 1963.

177. Outre les élémenos de ces travaux dont fait mention la CIDH dans
son avis consultatif n 16 de 1999 121(et également évoqués devant elle au
cours de la procédure 122), je crois bon d’ajouter, dans mon opinion indi-

viduelle en cette récente affaire Ahmadou Sadio Diallo dont la Cour vient
de connaître, les éléments ci-après, qui me paraissent pertinents pour la
compréhension de la question. Au cours des débats de la Conférence des

Nations Unies sur les relations consulaires tenue à Vienne en 1963, le
délégué de la Grèce (M. Spyridakis), par exemple, a déclaré que l’arti-
cle 36, paragraphe 1, alinéa b), de [ce qui était alors] le projet de conven-

tion avait pour but «d’établir une garantie additionnelle des droits de
l’individu et de renforcer l’idéal de l’humanisme» 12.

121Par. 90, notes 71-73.
122Voir, par exemple, CIDH, avis consultatif n 16, sur Le droit à l’information sur
l’assistance consulaire dans le cadre des garanties d’une procédure régulière (1999), série B
(Mémoires, plaidoiries et documents), 2000, p. 39, 66-67, 74, 88, 90-91, 93-94, 117, 129,
131, 146, 167 et 206-207.
123
Conférence des Nations Unies sur les relations consulaires (Vienne, 4 mars-22 avril
1963), vol. I — Nations Unies, Documents officiels, New York, 1963, p. 39.

155In stressing the relevance of that provision, he added that that work of

codification of international law on consular relations had taken into
account the promotion and protection of human rights, and “future gen-
124
erations would be grateful” for that .
178. The Delegate of Australia (Mr. Woodberry), in the same line,

stressed the importance, in the present context of consular assistance, of
securing respect for the fundamental rights of the individual, emanating
from a “principle upon which the United Nations was based” 125. The

Delegate of Korea (Mr. Chin), in turn, deemed it fit to point out that the
duty of the receiving State under Article 36 (1) (b) of the Draft Conven-

tion was: “extremely important, because it related to one of the funda-
mental and indispensable rights of the individual” 126.

179. In the same line of reasoning, the Delegate of Tunisia (Mr. Bouziri)
also singled out the great importance of consular assistance, as detention
was “a serious infringement of the freedom and dignity of the indi-

vidual”; the measures provided for in Article 36 (1) (b) of the Draft
Convention were thus “necessary to protect the rights of foreigners” 12.

The same point was made by the Delegates of the United Kingdom
(Mr. Evans) 128 and of Kuwait (Mr. S. M. Hosni) 129. The Delegate of

France (Mr. de Menthon) stressed the need to secure respect for one of
the fundamental rights of the individual, and thus to reinforce further
information on consular assistance 130.

180. The Delegate of Spain (Mr. Pérez Hernández) regarded the right
to information on consular assistance and to enjoy willingly such assist-

ance, as “one of the most sacred rights of foreign residents in a coun-
try 131. The Delegate of Vietnam (Mr. Vu-Van-Mau) made the point that,

as titulaire of the right to information on consular assistance, it was the
individual himself who was to decide whether he wished or not to count
on the assistance of his consul: one was here faced with “the rights of the
132
detained person” . Likewise, the Delegate of India (Mr. Krishna Rao)
also stated that it was for the individual concerned to decide whether to
133
avail himself or not of consular assistance .
181. In connection with this latter, the Delegates of Ecuador
134 135
(Mr. Alvarado Garaicoa) and Ukraine (Mr. Zabigailo) saw it fit to

124 United Nations Conference on Consular Relations , note 123 supra, p. 339.

125
126 Ibid., pp. 331-332.
Ibid., p. 338.
127 Ibid., p. 339.
128 Ibid., p. 339.
129 Ibid., p. 332.
130 Ibid., pp. 38, 332 and 344.
131 Ibid., p. 332, and cf. also pp. 335 and 344.
132
133 Ibid., p. 37.
Ibid., p. 339, and cf. p. 333.
134 Ibid., p. 333.
135 Ibid., p. 46.

156Soulignant la pertinence de cette disposition, il a ajouté que ce travail de

codification du droit international sur les relations consulaires avait pris
en compte la promotion et la protection des droits de l’homme et que
124
«les générations futures seraient reconnaissantes» à cet égard .
178. Le délégué australien (M. Woodberry), abondant dans ce sens, a

souligné pour sa part qu’il importait, dans le contexte de l’assistance
consulaire, d’assurer le respect des droits fondamentaux de l’individu, qui

découlaient d’un «principe sur lequel les Nations Unies étaient fon-
dées» 125. Le délégué de la Corée (M. Chin) a jugé pertinent de signaler
que le devoir de l’Etat de résidence au titre de l’article 36, paragraphe 1,

alinéa b), était «extrêmement important, puisqu’il était lié à l’un des
droits fondamentaux et indispensables de l’individu» 126.

179. Dans la même ligne de pensée, le délégué de la Tunisie (M. Bou-
ziri) a aussi relevé l’importance considérable de l’assistance consulaire, la

détention étant «une grave atteinte à la liberté et à la dignité de l’indi-
vidu»; les mesures prévues à l’article 36, paragraphe 1, alinéa b), du pro-

jet de convention étaient donc «nécessaires pour protéger les droits des
étrangers» 127. Le même argument a été avancé par les délégués du
Royaume-Uni (M. Evans) 128 et du Koweït (M. S. M. Hosni) 129. Le délé-

gué de la France (M. de Menthon) a souligné la nécessité de faire respec-
ter l’un des droits fondamentaux de l’individu et donc de renforcer
130
l’information sur l’assistance consulaire .
180. Le délégué de l’Espagne (M. Pérez Hernandez) considérait le droit

de recevoir de l’information sur l’assistance consulaire et de bénéficier, s’ils
le souhaitaient, d’une telle assistance comme «l’un des droits les plus sacrés
131
des résidents étrangers d’un pays» . Le délégué du Vietnam (M. Vu-Van-
Mau) a signalé que, en tant que titulaire du droit à l’information sur
l’assistance consulaire, c’était l’individu lui-même qui devait décider s’il

souhaitait ou non avoir recours à l’assistance de son consul: il s’agissait ici
des «droits de la personne détenue» . De même, le délégué de l’Inde

(M. Krishna Rao) a déclaré qu’il appartenait à l’individu concerné de déci-
der s’il souhaitait ou non se prévaloir de l’assistance consulaire . 133

181. Sur ce dernier point, les délégués de l’Equateur (M. Alva-
rado Garaicoa) 134 et de l’Ukraine (M. Zabigailo) 135 ont évoqué la Décla-

124 Conférence des Nations Unies sur les relations consulaires, op. cit. suprnote 123,
p. 339.
125 Ibid., p. 331-332.
126 Ibid., p. 338.
127
128 Ibid., p. 339.
Ibid., p. 339.
129 Ibid., p. 332.
130 Ibid., p. 38, 332 et 344.
131 Ibid., p. 332, et voir aussi p. 335 et 344.
132 Ibid., p. 37.
133 Ibid., p. 339, et voir p. 333.
134
135 Ibid., p. 333.
Ibid., p. 46.

156refer to the 1948 Universal Declaration of Human Rights. The Delegate

of Switzerland (Mr. Serra), on his turn, referred, in the present context of
consular assistance, to “the freedom of the human person” and “the
expression of the will of the individual”, as “fundamental principles”

taken into account by the “instruments concluded under the auspices of
the United Nations” 136. He added emphatically that:

“[t]he Swiss Delegation was prepared to agree to any proposal which
referred to the freely expressed wish of the person concerned. That
was the object of its amendment for the addition of a new paragraph

(. . .). What mattered was that the essential principle which (. . .) was
laid down in a number of bilateral conventions should be stated in
the text being prepared by the Conference. [It] would be unable to

accept any formula which ignored the will of the persons con-
cerned.” 137

(d) General assessment

182. All the aforementioned interventions, at an advanced stage of the
preparatory work of the 1963 Vienna Convention on Consular Relations

— which, in historical perspective, preceded in three years the adoption
of the two UN Covenants on Human Rights (on Civil and Political
Rights, as well as on Economic, Social and Cultural Rights, respec-

tively) — indicated that, already at that time, there was awareness among
participating Delegations as to the need to insert the right to information
on consular assistance into the conceptual universe of human rights.

There were, in the debates of 1963 at the Vienna Conference, no less than
19 interventions pointing in this same direction.

183. In addition to those interventions, the UN High Commissioner
for Refugees submitted a memorandum to the 1963 Vienna Conference,
wherein it singled out that draft Article 36 of the Draft Convention was

one of its two provisions that had a direct bearing upon its own work, in
so far as the protection of the rights of nationals of the sending State in
the State of residence were concerned 138. There was indeed an awareness

of the imperative of human rights protection, even before the adoption of
the Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination
(CERD) in 1965 and of the two UN Covenants on Human Rights in

136Cf. United Nations Conference on Consular Relations , note 123 supra, p. 335.

137
Ibid., p. 335. On the Swiss amendment, cf. United Nations Conference on Consular
Relations (Vienna, 4 March-22 April 1963), Vol. II — UN, Official Records, New York,
1963, p. 83. The comment to draft Article 36 of the Draft Convention observed that “[s]i
les droits prévus au présent article doivent s’exercer conformément aux lois et règlements
de l’Etat de résidence, cela ne veut pas dire que ces lois et règlements pourraient mettre à
néant les droits dont il s’agit”; ibid., p. 25.
138Cf. doc. A/CONF.25/L.6, reproduced in United Nations Conference on Consular
Relations, op. cit. supra, note 137, p. 53.

157ration universelle des droits de l’homme de 1948. Le délégué de la Suisse

(M. Serra) s’est référé pour sa part, à propos de l’assistance consulaire, à
«la liberté de la personne humaine» et à «l’expression de la volonté de
l’individu», qu’il considérait comme les «principes fondamentaux» pris

en compte dans les «instruments conclus sous les auspices des Nations
Unies» 136. Il a insisté sur le fait que:

«[l]a délégation suisse était prête à accepter toute proposition qui
ferait mention du souhait librement exprimé de la personne intéres-
sée. Tel était l’objet de son amendement visant à ajouter un nouveau

paragraphe ... L’important était que le principe essentiel ... énoncé
dans un certain nombre de conventions bilatérales soit exprimé dans
le texte que la conférence était en train de rédiger. [La Suisse] ne

pourrait accepter une formulation qui ne mentionne pas la volonté
des personnes intéressées.» 137

d) Appréciation générale

182. Toutes les interventions évoquées plus haut, qui ont été faites à
une étape avancée des travaux préparatoires de la convention de Vienne

sur les relations consulaires de 1963 — qui, historiquement, ont précédé
de trois ans l’adoption des deux pactes des Nations Unies relatifs aux
droits de l’homme (le Pacte international relatif aux droits civils et poli-

tiques et le Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels) —,
indiquent que, dès cette époque, les délégations participantes étaient
conscientes de la nécessité d’inclure le droit à l’information sur l’assis-

tance consulaire dans l’univers conceptuel des droits de l’homme. Pas
moins de dix-neuf interventions ont été faites en ce sens au cours de la
conférence de Vienne de 1963.

183. En plus de ces interventions, le Haut Commissariat des Nations
Unies pour les réfugiés a présenté à la conférence un mémorandum dans
lequel il précisait que le projet d’article 36 du projet de convention était

l’une des deux dispositions du texte qui avaient une incidence directe sur
son activité, sous l’angle de la protection des droits des nationaux de
l’Etat d’envoi dans l’Etat de résidence 13. L’impératif de protection des

droits de l’homme était donc bien présent dans les esprits, même avant
l’adoption de la convention sur l’élimination de toutes les formes de dis-
crimination raciale en 1965 et des deux pactes des Nations Unies relatifs

136Conférence des Nations Unies sur les relations consulaires, op. cit.note 123,
p. 335.
137
Ibid., p. 335. Sur l’amendement suisse, voir Conférence des Nations Unies sur les
relations consulaires (Vienne, 4 mars-22 avril 1963), vol. II — Nations Unies, Documents
officiels, New York, 1963, p. 83. Dans le commentaire sur le projet d’article 36 du projet
de convention, on lit que, «[s]i les droits prévus au présent article doivent s’exercer
conformément aux lois et règlements de l’Etat de résidence, cela ne veut pas dire que ces
lois et règlements pourraient mettre à néant les droits dont il s’agit»; ibid., p. 25.
138Voir Nations Unies, doc. A/CONF.25/L.6, reproduit dans Conférence des Nations
Unies sur les relations consulaires, op. cit. supra note 137, p. 53.

1571966, at the early stage of the legislative phase of UN human rights

treaties.

184. Such awareness, and the legal consequences of the consideration
of the matter within the conceptual universe of human rights, were
grasped and properly developed, more than three decades later, by the

IACtHR in its Advisory Opinion No. 16 on The Right to Information on
Consular Assistance in the Framework of the Guarantees of the Due
Process of Law (1999) — consolidated by its Advisory Opinion No. 18
on the Juridical Condition and Rights of Undocumented Migrants

(2003) — which contributed decisively to the process of humanization of
consular law 13, going well beyond the inter-State dimension.

185. The aforementioned Advisory Opinion No. 16 (1999) was brought

to the attention of the ICJ in proceedings before this latter, and paved
the way its reasonings in the resolution of the triad of the Breard/
LaGrand/Avena cases. Such advance of humanization of consular law
is bound to be an irreversible one. Human conscience, the universal juri-

dical conscience (as the ultimate material source of international law),
was soon awakened so as to fulfill a pressing need to this effect. Human
conscience was soon attentive to fulfill the needs of protection of human
beings in all circumstances, including in situations of deprivation of per-

sonal liberty abroad. Such irreversibility of the advance of humanization,
in the present domain of international law, among others, is a reassuring
one.
186. It leaves no room for steps backwards, or hesitations. From the
preceding review, it is clear that, contrary to what this Court stated in

paragraph 124 (cit. supra, para. 171) in its Judgment of 2004 in the Avena
case (dismissing a submission by Mexico), the point at issue — concern-
ing a provision of a UN Convention of universal scope, such as the 1963
Vienna Convention on Consular Relations — is a point which this Court,

as the principal judicial organ of the United Nations, needs indeed to
pronounce upon or decide.

187. It could have done so in the present Diallo case — since the point

was raised before it in the course of the oral phase of the proceedings of
the cas d’espèce — but it preferred to give a rather summary treatment
to the consideration of Article 36 (1) (b) of the 1963 Vienna Convention.
Moreover — and contrary again to what this Court asserted in 2004 in

the Avena case — both the text, and object and purpose of the 1963
Convention, as well as several indications in its travaux préparatoires (cf.
supra), clearly support the view (then advanced by Mexico, on the basis

139Cf. A. A. Cançado Trindade, “The Humanization of Consular Law: The Impact of
Advisory Opinion No. 16 (1999) of the Inter-American Court of Human Rights on Inter-
national Case Law and Practice”, 6 Chinese Journal of International Law (2007), pp. 1-16.

158aux droits de l’homme en 1966 , dès le début de la phase législative qui

a vu la rédaction des traités des Nations Unies relatifs aux droits de
l’homme.
184. Cet impératif, de même que les conséquences juridiques de l’exa-
men de cette question dans le cadre de l’univers conceptuel des droits de

l’homme, étaient aussi présents, plus de trois décennies plus tard, dans
l’esprit de la CIDH, laquelle leur a donné la forme voulue dans son avis
consultatif n 16 sur Le droit à l’information sur l’assistance consulaire
dans le cadre des garanties d’une procédure régulière (1999) — renforcé
o
ensuite par son avis consultatif n 18 sur La situation juridique et les
droits des migrants sans papiers (2003) — qui a contribué de façon déci-
sive au processus d’humanisation du droit consulaire 139, bien au-delà de

sa dimension interétatique. o
185. L’avis consultatif n 16 de 1999 a été porté à l’attention de la CIJ
à l’occasion d’affaires dont elle a connu et a ouvert la voie au raisonne-
ment de la Cour dans les trois affaires Breard, LaGrand et Avena.C e

progrès dans l’humanisation du droit consulaire est sans nul doute irré-
versible. La conscience humaine, la conscience juridique universelle (en
tant que source matérielle ultime du droit international) ont vite été
éveillées à la nécessité de répondre à ce besoin pressant. La conscience

humaine est vite devenue attentive au besoin de protéger la personne
humaine dans toutes les circonstances, y compris lorsqu’elle est privée de
sa liberté personnelle à l’étranger. Ce caractère irréversible de l’humanisa-
tion du domaine de droit international qui nous intéresse, entre autres,

est rassurant.
186. Ce mouvement ne laisse place ni au recul ni à l’hésitation. L’exa-
men qui précède montre clairement que, contrairement à ce que la Cour

internationale de Justice a dit au paragraphe 124 (cit. supra, par. 171) de
son arrêt de 2004 en l’affaire Avena (dans lequel elle rejetait une conclu-
sion du Mexique), la question en cause — qui touche une disposition
d’une convention des Nations Unies de portée universelle comme la

convention de Vienne sur les relations consulaires de 1963 — est une
question que la Cour, en tant qu’organe judiciaire principal des Nations
Unies, doit effectivement juger ou trancher.
187. La Cour aurait pu le faire dans la présente affaire Ahmadou Sadio

Diallo — car la question a été soulevée devant elle au cours de la phase
orale de la procédure — mais elle a préféré traiter de façon assez som-
maire l’article 36, paragraphe 1, alinéa b), de la convention de Vienne

de 1963. D’autant plus — et encore une fois contrairement à ce que la
Cour a affirmé en 2004 dans l’affaire Avena — que le texte, aussi bien que
l’objet et le but de la convention de 1963, ainsi que plusieurs indications
des travaux préparatoires (supra), étayent à l’évidence le point de vue

139
Voir A. A. Cançado Trindade, «The Humanization of Consular Law: The Impact
of Advisory Opinion No. 16 (1999) of the Inter-American Court of Human Rights on
International Case Law and Practice», Chinese Journal of International Law , vol. 6
(2007), p. 1-16.

158of the Advisory Opinion No. 16, of 1999, of the IACtHR) that the right

to information on consular assistance belongs to the conceptual universe
of human rights, and non-compliance with it ineluctably affects judicial
guarantees vitiating the due process of law.

188. It is not for this Court to keep on cultivating, in obiter dicta,
hesitations or ambiguities, such as those of paragraph 124 of its Avena
Judgment of 2004. Furthermore, in this transparent age of internetot

attempt capriciously to overlook or to ignore the contribution of other
contemporary international tribunals to the progressive development of
international law — in the sense of the irreversible advance of its
humanization — seems to attempt to avoid the penetrating sunlight

with a fragile blindfold.

IX. T HE N OTION OF “C ONTINUING S ITUATION”:

THE P ROJECTION OF H UMAN R IGHTS VIOLATIONS IN TIME

189. Having examined the material content of the human rights pro-
tected in the cas d’espèce, as well as the jurisprudential construction of
the right to information on consular assistance in the conceptual universe

of human rights, I may now turn to the next point, before moving on to
the question of the right to reparation in the present Diallo case: I allow
myself to turn now to the notion of “continuing situation”, in the frame-

work of the projection of human rights violations in time. This is an issue
which has not yet been satisfactorily resolved in contemporary interna-
tional case law and legal doctrine, and thus requires careful attention in
our days.

190. We have already seen that the ACHPR, in the case of Amnesty
International, Comité Loosli Bachelard, Lawyers Committee for Human
Rights, and Association of Members of the Episcopal Conference of East

Africa v. Sudan (1999), establ140ed the occurrence of “serious and con-
tinuing violations of Article 6” of the African Charter (cf. para. 122,
supra). This was not the only occasion wherein the notion of “continuing
situation” marked presence in the practice of the ACHPR.

191. To recall but another example, in its decision in the L. Zegveld
and M. Ephrem v. Eritrea case (2003), the ACHPR, having found that
11 persons were being held, since September 2001, under “secret deten-
tion without any access to the courts, lawyers or family”, added:

“Regrettably, these persons’ rights are continually being violated
even today, as the Respondent State is still holding them in secret

14Emphasis added.

159(alors avancé par le Mexique sur la base de l’avis consultatif n 16 de

1999 de la CIDH) selon lequel le droit à l’information sur l’assistance
consulaire appartient à l’univers conceptuel des droits de l’homme et le
méconnaître revient inéluctablement à saper les garanties judiciaires et à
compromettre la régularité de la procédure.

188. Il ne convient pas que la Cour internationale de Justice continue
à cultiver, dans ses obiter dicta, l’atermoiement ou l’ambiguïté, comme
elle l’a fait au paragraphe 124 de son arrêt Avena de 2004. Bien plus, à
l’ère de la transparence et de l’Internet, tenter capricieusement de passer

sous silence ou de négliger la contribution d’autres tribunaux internatio-
naux contemporains au développement progressif du droit international
— au sens du progrès irréversible de son humanisation — revient à se

couvrir les yeux d’un fragile bandeau pour occulter la lumière pénétrante
du soleil.

IX. L A NOTION DE «SITUATION CONTINUE »:
LA PROJECTION DES VIOLATIONS DES DROITS DE HOMME DANS LE TEMPS

189. Après avoir examiné le contenu matériel des droits de l’homme

protégés dans le cas d’espèce, ainsi que la jurisprudence relative au droit
à l’information sur l’assistance consulaire dans l’univers conceptuel des
droits de l’homme, je peux maintenant examiner le point suivant, avant

de passer à la question du droit à réparation en l’affaire Ahmadou Sadio
Diallo. Je me permets maintenant d’aborder la notion de «situation
continue» dans le cadre de la projection des violations des droits de
l’homme dans le temps. Cette question n’a jusqu’à présent pas été résolue

de façon satisfaisante dans la doctrine et le droit international contem-
porains et exige en conséquence un examen attentif.
190. Nous avons déjà vu que la CADHP, en l’affaire Amnesty Inter-
national, Comité Loosli Bachelard, Lawyers Committee for Human Rights

et Association of Members of the Episcopal Conference of East Africa c.
Soudan (1999), a établi qu’il y avait eu «de sérieuses et constantes viola-
tions de l’article 6»140de la Charte africaine (par. 122, supra). Ce n’est

pas la seule apparition de la notion de «situation continue» dans la pra-
tique de la Commission.
191. Pour ne citer qu’un autre exemple, dans sa décision en l’affaire
L. Zegveld et M. Ephrem c. Erythrée (2003), la CADHP, après avoir jugé

que onze personnes avaient, depuis septembre 2001, été gardées en déten-
tion «au secret, sans aucun accès aux tribunaux, à des avocats ou à leurs
familles», a ajouté:

«Malheureusement, les droits de ces personnes continuent d’être

violés jusqu’à présent, comme elles sont encore gardées au secret, en

140
Les italiques sont de moi.

159 detention in blatant violation of their rights to liberty and recourse
141
to fair trial.”

192. Likewise, in its practice the UN Human Rights Committee has
acknowledged the existence of “continuing” or “persistent” violations of
human rights under the Covenant on Civil and Political Rights. It has
also referred to “continuing” or “persistent effects” of certain human

rights breaches under the Covenant, in relation with the difficulties it has
at times faced to examine ratione temporis certain individual communi-
cations lodged with it 142. In fact, in its practice, the Committee has dis-

played its keen awareness of the time factor in the settlement of cases
raising issues of competence ratione temporis.

193. In this respect, reference can also be made to the Committee’s

General Comment No. 26 (of 1997), on the continuity of obligations , with
an incidence in the law of treaties (cf. para. 3). Reference can further be
made to its General Comment No. 31 (of 2004), where the Committee

espoused the view that the individual’s right to an effective remedy
“may in certain circumstances require States parties to provide for

and implement provisional or interim measures to avoid continu-
ing situations and to endeavour to repair at the earliest possible
opportunity any harm that may have been caused by such viola-
143
tions” .

194. In sum, in the exercise of its functions, the Committee has, in my
view, aptly identified, in its interpretation of the Covenant on Civil and
Political Rights, the proper time and space dimensions in all its conse-
quences. Examples of the former are provided by its endorsement of the

notions of continuing situation and persistent effects, in its handling of
communications, as well as, in certain circumstances, of potential victims.
As to the latter, an example is provided by its endorsement of the extra-

territorial application of the protected rights. It is beyond the scope of
the present separate opinion to embark on an examination of this latter.
195. I have, in fact, devoted considerable attention to the notion of
“continuing situation” in my recent dissenting opinion in the case of

Jurisdictional Immunities of the State (Germany v. Italy) (Counter-
Claim, Order of 6 July 2010, I.C.J. Reports 2010 ( , Ip). 329), having devoted
four sections of it (VII-X) to: (a) the origins of that concept in interna-

tional legal doctrine (paras. 60-64); (b) its configuration in international
litigation and case law, in public international law as well as in Interna-
tional Human Rights Law (paras. 65-83); (c) its configuration in inter-

141Para. 57; emphasis added.
142For a recent assessment, cf. L. Hennebel, La jurisprudence du Comité des droits de
l’homme des Nations Unies — Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques
et son mécanisme de protection individuelle , Brussels, Bruylant/Nemesis, 2007, pp. 374-
381.
143Para. 19; emphasis added.

160 violation flagrante de leurs droits à la liberté et au recours à un pro-
141
cès équitable.»

192. De même, dans sa pratique, le Comité des droits de l’homme des
Nations Unies a reconnu l’existence de violations «continues» ou «per-
sistantes» des droits de l’homme au regard du Pacte international relatif

aux droits civils et politiques. Le Comité a également parlé d’«effets
continus» ou «persistants» de certaines violations des droits de l’homme
commises au regard du Pacte, à propos des difficultés qu’il avait parfois

rencontrées po142examiner ratione temporis certaines communications à
lui soumises . En fait, dans sa pratique, le Comité s’est montré très
conscient du facteur temps dans le règlement des affaires soulevant des

questions de compétence ratione temporis.
193. A cet égard, il peut également être fait mention de l’observation
générale n 26 (de 1997) du Comité, portant sur La continuité des obliga-
tions et l’incidence de cet aspect dans le droit des traités (par. 3). On peut
o
également mentionner l’observation générale n 31 (de 2004), dans la-
quelle le Comité s’est dit d’avis que le droit de l’individu à un recours utile

«p[ouvai]t dans certaines circonstances obliger l’Etat partie à prévoir
et à appliquer des mesures provisoires ou conservatoires pour éviter

la poursuite des violations et tenter de réparer au plus vite tout pré-
judice susceptible d’avoir été causé par de telles violations» 143.

194. Bref, lorsqu’il a, dans l’exercice de ses fonctions, interprété le

Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Comité a selon
moi bien identifié les dimensions temporelle et spatiale de la question et
toutes leurs conséquences. S’agissant du temps, le Comité a, par exemple,

fait siennes les notions de situation continue et d’effets persistants dans
son traitement des communications, et, dans certaines circonstances, la
notion de victime potentielle. S’agissant de l’espace, le Comité a approuvé

l’application extraterritoriale des droits protégés. L’examen de ce dernier
aspect dépasse cependant la portée de la présente opinion individuelle.
195. J’ai consacré une attention considérable à la notion de «situation
continue» dans ma récente opinion dissidente en l’affaire des Immunités

juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie) (demande reconvention-
nelle, ordonnance du 6 juillet 2010, C.I.J. Recueil 2010 (I) , p. 329), ques-
tion à laquelle j’ai consacré quatre sections (VII-X) de mon opinion,

notamment sur les aspects suivants: a) les origines de ce concept dans la
doctrine internationale (par. 60-64); b) sa configuration dans les affaires
litigieuses et la jurisprudence internationales, dans le droit international

141
142Par. 57; les italiques sont de moi.
Pour une évaluation récente, voir L. Hennebel, La jurisprudence du Comité des
droits de l’homme des Nations Unies — Le Pacte international relatif aux droits civils et
politiques et son mécanisme de protection individuelle , Bruxelles, Bruylant/Nemesis, 2007,
p. 374-381.
143Par. 19; les italiques sont de moi.

160national legal conceptualization at normative level; and (d) its presence

in that case. It is not my intention to repeat here the analysis I developed
therein.

196. Suffice it here to refer to my considerations on the jurisprudential
construction of “continuing situation” on the part of both the Euro-

pean and the Inter-American Courts of Human Rights (paras. 73-83).
Particularly illustrative are, inter alia, the three judgments of the Inter-
American Court in the leading case of Blake v. Guatemala (preliminary
objections, of 2 July 1996; merits, of 24 January 1998; and reparations,

of 22 January 1999), and the recent judgment of the Grand Chamber
of the European Court in Varnava and Others v. Turkey case (of
18 September 2009). It is not at all surprising that the notion of “continuing
situation” has been developed to a larger extent in the domain of the

international protection of human rights. This significant jurisprudential
development cannot pass unnoticed to the ICJ in our days.
197. In the consideration of the present Diallo case, the point at issue
is reflected in the joint declaration of five Members of this Court 14,

appended to the present Judgment. I feel obliged to add yet another
remark thereto, in the line of the observations developed in this section
(IX) of my separate opinion. The griefs suffered by Mr. A. S. Diallo in
the present case disclose a factual nexus between the arrests and deten-

tions of 1988-1989 and those of 1995-1996, prior to his expulsion from
the country of residence in 1996. Those griefs, extended in time, were in
breach of the applicable law in the present case (Articles 9 and 13 of the
Covenant on Civil and Political Rights, Articles 6 and 12 (4) of the Afri-
can Charter on Human and Peoples’ Rights, Article 36 (1) (b) of the

Vienna Convention on Consular Relations), as interpreted in pursuance
of the hermeneutics of human rights treaties.

198. At the time of his arrests and detention, Mr. A. S. Diallo was not
informed of the charges against him, nor could he have availed himself
without delay of his right to information on consular assistance. His
griefs were surrounded by arbitrariness on the part of State authorities.

Moreover, there was a chain of causation, a causal nexus, in that conti-
nuity of occurrences, to be borne in mind (with a direct incidence on the
reparation due to Mr. A. S. Diallo), which the Court’s majority regret-
tably failed to consider. The projection of human rights in time also

raises the issue of the prolonged lack of access to justice.

199. This causal nexus could at least have been considered as evidence
put before the Court, but was simply discarded by the Court’s major-

144Cf. joint declaration of Judges Al-Khasawneh, Simma, Bennouna, Cançado Trin-
dade and Yusuf.

161public ainsi que dans le droit international des droits de l’homme (par. 65-

83); c) sa configuration dans les concepts juridiques internationaux
adoptés au plan normatif; et d) sa présence en l’instance. Je ne repren-
drai pas ici l’analyse déjà développée.
196. Je rappellerai seulement les considérations que j’ai présentées sur
la construction jurisprudentielle de la notion de «situation continue» par

les Cours européenne et interaméricaine des droits de l’homme (par. 73-
83). Les trois arrêts de la Cour interaméricaine dans l’importante affaire
Blake c. Guatemala (exceptions préliminaires, 2 juillet 1996; fond, 24 jan-
vier 1998; et réparations, 22 janvier 1999) et le récent arrêt de la

Grande chambre de la Cour européenne en l’affaire Varnava et autres
c. Turquie (18 septembre 2009) sont particulièrement instructifs à cet
égard. Il n’est pas du tout étonnant que la notion de «situation continue»
se soit développée particulièrement dans le domaine de la protection

internationale des droits de l’homme. Cette évolution importante de la
jurisprudence ne saurait aujourd’hui passer inaperçue à la CIJ.
197. Dans la présente affaire Ahmadou Sadio Diallo, la question qui
nous intéresse est abordée dans la déclaration commune de cinq membres
144
de la Cour annexée à l’arrêt. Je me sens obligé d’ajouter encore à ce
sujet une autre remarque, qui va dans le sens des observations déjà pré-
sentées dans cette section (IX) de mon opinion individuelle. Les préju-
dices subis par M. A. S. Diallo dans la présente affaire révèlent un nŒud

factuel, des éléments de fait indissociables, dans les arrestations et place-
ments en détention de 1988-1989 et de 1995-1996, avant l’expulsion de
M. Diallo de son pays de résidence en 1996. Ces préjudices, qui se sont
prolongés dans le temps, étaient contraires au droit applicable en l’espèce
(articles 9 et 13 du Pacte international relatif aux droits civils et politi-

ques, article 6 et paragraphe 4 de l’article 12 de la Charte africaine des
droits de l’homme et des peuples, alinéa b) du paragraphe 1 de l’arti-
cle 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires), interprété
conformément à l’herméneutique des traités des droits de l’homme.

198. Lorsqu’il a été arrêté et placé en détention, M. A. S. Diallo n’a
pas été informé des accusations portées contre lui et n’a pu se prévaloir
sans délai de son droit à l’information sur l’assistance consulaire. Les pré-
judices qu’il a subis ont été accompagnés d’arbitraire de la part des auto-

rités étatiques. De plus, il existait une chaîne de causalité, un nŒud causal,
dans cette séquence continue d’événements, dont il doit être tenu compte
(ce qui aura une incidence directe sur la réparation due à M. Diallo), élé-
ment que la majorité de la Cour n’a, malheureusement, pas pris en consi-

dération. La projection des droits de l’homme dans le temps soulève
également la question du déni prolongé d’accès à la justice.
199. Ce nŒud causal aurait pu au moins être considéré comme un élé-
ment de preuve présenté devant la Cour, mais la majorité de la Cour l’a

144Voir déclaration commune de MM. les juges Al-Khasawneh, Simma, Bennouna,
Cançado Trindade et Yusuf.

161ity14. The Court could at least have taken into account — in my view it

should have — the circumstances of the arrests and detention in 1988-
1989 in its consideration of the arrests and detention of 1995-1996, prior
to Mr. A. S. Diallo’s expulsion from the DRC in 1996. Keeping the

aforementioned factual nexus and causal nexus in mind, it could hardly
be denied that there was a continuing situation of breaches of
Mr. A. S. Diallo’s individual rights (specified supra), in the period extend-

ing from 1988 to 1996.

X. T HE INDIVIDUAL AS V ICTIM :
R EFLECTIONS ON THE R IGHT TO R EPARATION

200. I have now come to the consideration of the issue of the right to
reparation in the cas d’espèce. As to resolutory points 7 and 8 (duty to

make appropriate reparation) of the dispositif of the Court’s Judgment in
the present Diallo case, which were adopted with my concurring vote, I
feel obliged, in addition, to express my concern that the provision of

adequate reparation is still to wait further, till the Court eventually
decides later on this aspect (pursuant to resolutory point 7), in case the
contending Parties fail to reach an agreement on this issue within the

forthcoming six months. To my mind, this resembles an arbitral, rather
than a truly judicial procedure, and looks somewhat disquieting to me.

201. This is particularly so, if we bear in mind the prolonged length of
time that the handling of this case by the Court has taken. Since Guinea’s
Application of 1998 until the delivery by the Court of its decision of 2007
146
on preliminary objections, almost a decade was consumed . Subse-
quently, from the deposit of the DRC’s Counter-Memorial of 2008 until
the end of the oral phase of pleadings before the Court in 2010, another
147
three years have passed . At last, the Court has just delivered today,
30 November 2010, its present Judgment on the merits of the cas d’espèce.
202. The basic claim underlying the present Diallo case has thus
remained, for consideration by this Court, before this latter for almost 12

years, from the end of December 1998 to the end of November 2010.
It could hardly be denied that this has been a prolonged and cumber-
some procedure, and a particularly time-consuming one, for reasons not

attributable to the Court itself, except for its apparent outlook of such

145Despite what it partly conceded in para. 82 of the present Judgment.
146Guinea’s Application instituting proceedings was lodged with the Court on
28 December 1998, and the deposit of its Memorial took place on 23 March 2001. The
DRC raised its preliminary objections on 3 October 2002, to which Guinea opposed its
Written Statement of 7 July 2003. Four years later, on 24 May 2007, the Court delivered
its Judgment on preliminary objections.
147The DRC’s Counter-Memorial dates from 27 March 2008, Guinea’s Reply was

deposited on 19 November 2008, and the DRC’s Rejoinder on 5 June 2009; the oral argu-
ments of the Parties in pleadings before the Court lasted from 19 to 29 April 2010.

162tout simplement écarté 145. La Cour aurait pu — aurait dû à mon avis —

au moins prendre en considération les circonstances de l’arrestation et de
la détention de M. Diallo en 1988-1989 lorsqu’elle a examiné son arresta-
tion et sa détention en 1995-1996, avant qu’il ne soit expulsé de la RDC

en 1996. Si l’on garde à l’esprit les nŒuds factuel et causal susmentionnés,
il est difficile de nier qu’il y a eu une situation continue de violation des
droits individuels de M. A. S. Diallo (spécifiés supra) pendant la période

allant de 1988 à 1996.

X. L’ INDIVIDU EN TANT QUE VICTIME :
RÉFLEXIONS SUR LE DROIT À RÉPARATION

200. J’en viens maintenant à la question du droit à réparation dans la
présente affaire. En ce qui concerne les points 7 et 8 (obligation de four-
nir une réparation appropriée) du dispositif de l’arrêt de la Cour dans

cette affaire Ahmadou Sadio Diallo, sur lesquels j’ai donné mon accord,
je me sens obligé d’exprimer en outre ma préoccupation face au fait que
la réparation adéquate doit encore attendre la décision ultérieure de la

Cour à ce sujet (aux termes du point 7 du dispositif), au cas où les Parties
ne pourraient se mettre d’accord sur cette question dans les six mois sui-
vant l’arrêt. A mon avis, cette décision a les apparences d’une procédure
arbitrale, plutôt que vraiment judiciaire, ce qui me semble un peu préoc-

cupant.
201. Cette décision est particulièrement préoccupante si l’on tient
compte du temps qu’il a fallu à la Cour pour examiner cette affaire.

Depuis la requête introduite par la Guinée en 1998 jusqu’à la décision de
la Cour en 2007 sur les exceptions préliminaires, près d’une décennie s’est
écoulée 146. Par la suite, entre le dépôt du contre-mémoire de la RDC en

2008 jusqu’à la fin de la procédure orale en 2010, trois autres années ont
passé 147. Enfin, la Cour vient de rendre aujourd’hui, le 30 novembre
2010, son arrêt au fond.

202. La Cour a donc été saisie de la demande principale en l’affaire
Ahmadou Sadio Diallo pendant près de douze ans, de la fin de décembre
1998 à la fin de novembre 2010. On ne saurait guère nier que la procédure

a été lourde et prolongée, qu’elle a été spécialement exigeante du point de
vue du temps, pour des raisons que l’on ne peut attribuer à la Cour elle-
même, si l’on exclut le fait que la Cour semble avoir envisagé cette pro-

145Malgré ce qu’elle a partiellement reconnu au paragraphe 82 du présent arrêt.
146
La requête introductive d’instance de la Guinée a été déposée auprès de la Cour le
28 décembre 1998 et son mémoire, le 23 mars 2001. La RDC a élevé, le 3 octobre 2002,
des exceptions préliminaires auxquelles la Guinée a opposé sa déclaration écrite du 7 juil-
let 2003. Quatre ans plus tard, le 24 mai 2007, la Cour a rendu son arrêt sur les exceptions
pr147minaires.
Le contre-mémoire de la RDC est daté du 27 mars 2008, la réplique de la Guinée a
été déposée le 19 novembre 2008, et la duplique de la RDC le 5 juin 2009; les Parties ont
présenté leurs plaidoiries devant la Cour entre le 19 et le 29 avril 2010.

162procedure inadequately resembling rather that of an arbitral tribunal —

something which is, in my view, to be avoided, particularly when repar-
ation for human rights breaches is at stake . The Court is the master of its
own jurisdiction, and of its own procedure, and unreasonable prolongation
of time-limits for the performance of procedural acts is to be curtailed and

avoided.
203. By virtue of the decision taken by the Court in resolutory point 8
of the dispositif of the present Judgment, the determination of reparation
is now extended for another period of up to six months, to start with. This

does not appear reasonable to me, as the subject (titulaire) of the rights
breached in the present case is not the Applicant State, but the indi-
vidual concerned, Mr. A. S. Diallo, who is also the ultimate beneficiary
of the reparations due. It is thus all too proper to keep in mind the indi-

vidual’s right to reparation in the light of the applicable law in the cas
d’espèce — the international law of human rights, in particular the
Covenant on Civil and Political Rights and the African Charter on
Human and Peoples’ Rights (in addition to the Vienna Convention on

Consular Relations).
204. This issue takes us beyond the domain of international proce-
dural law, into that of juridical epistemology, encompassing one’s own
conception of international law in our times. Here, the Applicant State is

the claimant, but the victim is the individual. The Applicant State claims
for reparation, but the titulaire of the right to reparation is the indi-
vidual, whose rights have been breached. The Applicant State suffered no
damage at all, it rather incurred costs and expenses, in espousing the

cause of its national abroad. The damage was suffered by the individual
himself (subjected to arbitrary arrests and detention, and expulsion from
the State of residence), not by his State of nationality.

205. The individual concerned is at the beginning and at the end of the
present case, and his saga has not yet ended, as a result also of the
unreasonable prolongation of the proceedings before this Court. As it
can be seen from my own voting on the distinct resolutory points of the

dispositif of the present Judgment, these latter have left me with mixed
feelings, for the lack of consistency of the Court’s reasoning on the
successive points submitted to its decision. It is about time for this
Court to overcome the acrobaties intellectuelles ensuing from an undue

reliance on the old Vattelian fiction, revived by the PCIJ in tM heavrommatis
fiction 148(not a principle, simply a largely surpassed fiction).

148In the words of the Permanent Court of International Justice (PCIJ) in the case of
the Mavrommatis Palestine Concessions (Greece v. United Kingdom), Judgment No. 2,
1924, P.C.I.J., Series A, No. 2 ,

“It is an elementary principle of international law that a State is entitled to protect
its subjects, when injured by acts contrary to international law committed by another
State, from whom they have been unable to obtain satisfaction through the ordinary
channels. By taking up the case of one of its subjects and by resorting to diplomatic

163cédure plutôt à la manière d’un tribunal arbitral — ce qu’il convient à

mon avis d’éviter, particulièrement lorsqu’il s’agit de réparation à raison
de violations des droits de l’homme . La Cour est maîtresse de sa compé-
tence et de sa procédure, et une prolongation déraisonnable des délais
doit être évitée.

203. En raison de la décision prise par la Cour au titre du point 8 du
dispositif de l’arrêt, la détermination de la réparation est reportée initia-

lement d’une période maximale de six mois. Cela ne me paraît pas rai-
sonnable, étant donné que le titulaire des droits violés en l’espèce n’est
pas l’Etat requérant, mais l’individu concerné, M. A. S. Diallo, qui est
également, en définitive, le bénéficiaire de la réparation. Il n’est donc que

normal de garder à l’esprit le droit à réparation de l’individu à la lumière
du droit applicable en l’espèce — à savoir le droit international des droits
de l’homme, plus particulièrement le Pacte international relatif aux droits

civils et politiques et la Charte africaine des droits de l’homme et des
peuples (en plus de la convention de Vienne sur les relations consulaires).

204. Cette question dépasse le domaine du droit procédural interna-

tional, et nous fait entrer dans le domaine de l’épistémologie juridique,
qui comprend notre propre conception du droit international à notre
époque. Ici, l’Etat requérant est le demandeur, mais la victime est l’indi-

vidu. L’Etat requérant demande réparation, mais le titulaire du droit à
réparation est l’individu dont les droits ont été violés. L’Etat requérant
n’a souffert aucun préjudice, mais plutôt des coûts et des dépens, lorsqu’il
a fait sienne la cause de son ressortissant à l’étranger. Le préjudice a été

subi par l’individu lui-même (qui a subi des arrestations et une détention
arbitraires ainsi que l’expulsion de l’Etat de résidence), et non par son
Etat de nationalité.

205. L’individu concerné est le début et la fin de la présente procédure
et sa saga n’a pas encore pris fin, en raison notamment de la prolongation
déraisonnable de la procédure devant la Cour. Ainsi qu’en témoigne mon
vote sur les différents points du dispositif, ces derniers m’ont inspiré des

sentiments mitigés, en raison du manque de cohérence du raisonnement
de la Cour sur les points successifs de sa décision. Il est temps que la
Cour surmonte les acrobaties intellectuelles découlant d’une confiance

indue dans la vieille fiction vattélienne, ranimée par la Cour 148manente
de Justice internationale dans la fiction Mavrommatis (qui n’est en
effet pas un principe, mais simplement une fiction largement dépassée).

148
Eo l’affaire des Concessioos Mavrommatis en Palestine (Grèce c. Royaume–Uni),
arrêt n 2, 1924, C.P.J.I. série A2, la Cour permanente de Justice internationale s’est
exprimée comme suit:
«C’est un principe élémentaire du droit international que celui qui autorise l’Etat à
protéger ses nationaux lésés par des actes contraires au droit international commis
par un autre Etat, dont ils n’ont pu obtenir satisfaction par les voies ordinaires. En
prenant fait et cause pour l’un des siens, en mettant en mouvement, en sa faveur,

163 206. It can no longer keep on reasoning within the hermetic para-

meters of the exclusively inter-State dimension. The recognition of the
damage suffered by the individual (paragraph 98 of the Judgment) has ren-
dered unsustainable the old theory of the State’s assertion of its “own rights”

(droits propres), with its underlying voluntarist approach. The titulaire
of the right to reparation is the individual, who suffered the damage,
and State action in diplomatic protection is to secure the reparation due
to the individual concerned 149. Such action in diplomatic protection aims

at reparation for a damage, usually already consummated, to the detri-
ment of the individual; consular assistance and protection, much closer now-
adays to human rights protection, are exercised in a rather preventive

way, so as to avoid a probable or a new damage to the individual
concerned. This affinity of contemporary consular assistance and protec-
tion with human rights protection is largely due to the historical rescue of

the individual, of the human person, as subject of international law.

207. Had the Court pursued the hermeneutics of the human rights trea-

ties, invoked by the contending States throughout thewhole of its pro-
ceedings (cf. supra), in the whole Judgment, this latter would have been
entirely a much more consistent and satisfactory one. In particular, the

unreasonable prolongation of the presentation of this case before this
Court, and of its examination thereof, now added to the prolongation of
the settlement of the reparation due to the individual concerned, brings to

the fore a concern I have raised, more than once, within the Court: as I
sought to demonstrate, and warn, in my dissenting opinion (paras. 46-64)
in the case concerning Questions relating to the Obligation to Prosecute
or Extradite (Belgium v. Senegal) (Provisional Measures, Order of

28 May 2009, I.C.J. Reports 2009, p. 139) as well as in my dissenting
opinion (para. 118) in the case of Jurisdictional Immunities of the State
(Germany v. Italy) (Counter-Claim, Order of 6 July 2010, I.C.J. Reports

2010 (I), p. 329), the time of human justice is not at all the time of human
beings.

action or international judicial proceedings on his behalf, a State is in reality assert-
ing its own rights — its right to ensure, in the person of its subjects, respect for the
rules of international law.
The question, therefore, whether the present dispute originates in an injury to a
private interest, which in point of fact is the case in many international disputes, is
irrelevant from this standpoint. Once a State has taken up a case on behalf of one of
its subjects before an international tribunal, in the eyes of the latter the State is sole
claimant.” (P. 12.)

149Cf. S. Touzé, La protection des droits des nationaux à l’étranger — Recherches sur
la protection diplomatique , Paris, Pedone, 2007, pp. 23, 228-229, 255-257, 319, 322-324
and 453-456; and cf. C. Santuli, “Entre protection diplomatique et action directe: la
représentation — Eléments épars du statut international des sujets internes”, in: Société
française pour le droit international (SFDI), Le sujet en droit international (colloque du
Mans, 2004), Paris, Pedone, 2005, pp. 93-95.

164 206. La Cour ne peut continuer à raisonner dans les paramètres her-

métiques de la dimension exclusivement interétatique. La reconnaissance
du préjudice subi par l’individu (paragraphe 98 de l’arrêt) rend indéfen-
dable la vieille théorie de l’affirmation par l’Etat de ses «droits propres»,
avec l’approche volontariste qui la sous-tend. Le titulaire du droit à répa-

ration est l’individu qui a subi le préjudice et l’action de l’Etat dans le
cadre de la protection diplomatique vise à obtenir la réparation due à
l’individu concerné 149. L’action entreprise dans le cadre de la protection

diplomatique a pour but d’obtenir la réparation d’un préjudice, habituel-
lement déjà consommé, au détriment de l’individu; l’assistance et la pro-
tection consulaires, qui se rapprochent de nos jours beaucoup plus de la
protection des droits de l’homme, s’exercent d’une manière plutôt préven-

tive afin d’empêcher un préjudice probable ou nouveau pour l’individu
concerné. Cette affinité entre l’assistance et la protection consulaires
contemporaines et la protection des droits de l’homme est en grande par-

tie attribuable au sauvetage historique de l’individu, de la personne
humaine, en tant que sujet du droit international.
207. Si la Cour avait adhéré tout au long de son arrêt à l’herméneu-
tique des traités des droits de l’homme invoqués par les Etats en présence

tout au long de la procédure (supra), son arrêt aurait été beaucoup plus
cohérent et satisfaisant. En particulier, l’allongement déraisonnable de la
présentation de cette affaire devant la Cour et de son examen, s’ajoutant

maintenant à la prolongation du règlement de la réparation due à l’indi-
vidu concerné, met en lumière une préoccupation que j’ai soulevée plus
d’une fois devant la Cour: comme j’ai essayé de le démontrer, sous forme
de mise en garde, dans mon opinion dissidente (par. 46-64) en l’affaire

relative à des Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extra-
der (Belgique c. Sénégal) (mesures conservatoires, ordonnance du
28 mai 2009, C.I.J. Recueil 2009 , p. 139), ainsi que dans mon opinion

dissidente (par. 118) en l’affaire des Immunités juridictionnelles de l’Etat
(Allemagne c. Italie) (demande reconventionnelle, ordonnance du 6 juillet
2010, C.I.J. Recueil 2010 (1) , p. 329), le temps de la justice humaine
n’est pas du tout celui des êtres humains.

l’action diplomatique ou l’action judiciaire internationale, cet Etat fait, à vrai dire,
valoir son droit propre, le droit qu’il a de faire respecter en la personne de ses res-
sortissants le droit international.
Il n’y a donc pas lieu, à ce point de vue, de se demander si, à l’origine du litige, on
trouve une atteinte à un intérêt privé, ce qui d’ailleurs arrive dans un grand nombre
de différends entre Etats. Du moment que l’Etat prend fait et cause pour un de ses
nationaux devant une juridiction internationale, cette juridiction ne connaît comme
plaideur que le seul Etat.» (P. 12.)
149Voir S. Touzé, La protection des droits humains des nationaux à l’étranger — Recher-
ches sur la protection diplomatique , Paris, Pedone, 2007, p. 23, 228-229, 255-257, 319, 322-
324 et 453-456 ; et C. Santuli, «Entre protection diplomatique et action directe: la
représentation — Eléments épars du statut international des sujets internes», dans Société
française pour le droit international (SFDI), Le sujet en droit international (colloque du
Mans, 2004), Paris, Pedone, 2005, p. 93-95.

164 208. In the present Diallo case, the criteria followed by the Human
Rights Committee on the matter at issue may provide an indication to

this Court for the determination of an appropriate reparation for the
breaches of the rights under the Covenant (cfs .upra) suffered by the victim.
Ultimately, this may amount to a proper compensation (in the unlike-
lihood of restitutio in integrum) — among other forms of reparation (such
as satisfaction, public apology, rehabilitation of the victim, guarantees

of non-repetition of the harmful acts, among others) — for the violations
of the rights there under, that is, for material and moral damages, fixed
to some extent on the basis of considerations of equity.

209. In cases of the kind, such reparations are to be granted from the
perspective of the victims , human beings (their original claims, needs and
aspirations). This discloses a wider horizon in the matter of reparations,
when human rights are at stake. The most advanced international case
law on such distinct forms of reparation, in cases pertaining to human

rights breaches (individually and collectively) is, at present, that of the
Inter-American Court of Human Rights (cf. infra). As we are here con-
cerned with the UN Covenant on Civil and Political Rights, suffice it
now to recall that, in the same line of reasoning, the Human Rights Com-
mittee, in its General Comment No. 31 (of 2004), on thenature of the gen-

eral legal obligation (under Article 2) incumbent upon States parties to
the Covenant, reminded that Article 2 (3) of the Covenant provides for
reparations to individuals whose Covenant rights have been violated, and
further noted in this respect that reparations can consist of:

“restitution, rehabilitation and measures of satisfaction, such as
public apologies, public memorials, guarantees of non-repetition and
changes in relevant laws and practices, as well as bringing to justice
the perpetrators of human rights violations” (para.16).

210. As already quoted, Article 9 (5) of the Covenant on Civil
and Political Rights stipulates that “[a]nyone who has been the victim of
unlawful arrest or detention shall have an enforceable right to compen-
sation”. I have already sustained the need to consider Article 9 of the
Covenant as a whole (paras. 35-49,supra), including, now, its paragraph 5.

In its practice, whenever breaches of Article 9 (and other provisions of the
Covenant, such as, inter alia, Article 13) have been found, the Human
Rights Committee has determined compensation (as a form of repara-
tion) utilizing the general formula:

“In accordance with the provisions of Article 2 of the Covenant,

the State party is under an obligation to take measures to remedy
the violations suffered by [the petitioner].”

165 208. Dans la présente affaire Ahmadou Sadio Diallo, les critères adop-
tés par le Comité des droits de l’homme sur la question à l’examen peu-

vent fournir une indication à la Cour pour déterminer une réparation
appropriée pour les violations des droits garantis par le Pacte (supra)
subies par la victime. Cela peut prendre en définitive la forme d’un
dédommagement approprié (la restitutio in integrum étant peu probable)

— parmi d’autres formes de réparation (satisfaction, excuses publiques,
réhabilitation de la victime, garanties de non-répétition des actes préju-
diciels, entre autres) — pour les violations des droits visés, c’est-à-dire
dommages matériels et moraux, fixés dans une certaine mesure sur la
base de considérations d’équité.

209. Dans les affaires de cette nature, cette réparation doit être accor-
dée du point de vue de la victime , la personne humaine (ses demandes ori-
ginales, ses besoins et ses aspirations). Les réparations appropriées lors-
que les droits de l’homme sont en cause sont à examiner dans une

perspective plus large. La jurisprudence internationale la plus avancée en
ce qui concerne ces formes de réparation dans les affaires concernant les
violations des droits de l’homme (individuels et collectifs) est à l’heure
actuelle celle de la Cour interaméricaine des droits de l’homme (infra).
Puisqu’il s’agit ici du Pacte international relatif aux droits civils et poli-

tiques des Nations Unies, il suffira de rappeler pour l’instant que, adop-
tant un raisonnement analogue, le Comité des droits de l’homme, dans
son observation générale n 31 (2004) sur La nature de l’obligation juri-
dique générale (au titre de l’article 2) incombant aux Etats parties au

Pacte, a rappelé que le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte prévoyait le
versement de réparations aux individus dont les droits aux termes du
Pacte ont été violés, et il a noté à cet égard que les réparations pouvaient
prendre la forme de:

«restitution, réhabilitation, mesures pouvant donner satisfaction (ex-

cuses publiques, témoignages officiels), garanties de non-répétition
et modification des lois et pratiques en cause aussi bien que la tra-
duction en justice des auteurs de violations de droits de l’homme»
(par. 16).

210. Le paragraphe 5 de l’article 9 du Pacte international relatif aux
droits civils et politiques, déjà cité, stipule que «[t]out individu victime

d’arrestation ou de détention illégale a droit à réparation». J’ai déjà
insisté sur la nécessité de considérer l’article 9 du Pacte comme un tout
(par. 35-49, supra), notamment son paragraphe 5. Dans sa pratique,
lorsqu’il a constaté des violations de l’article 9 (et d’autres dispositions du

Pacte, comme par exemple l’article 13), le Comité des droits de l’homme
a accordé des dédommagements (une forme de réparation) selon la for-
mule générale suivante:

«En vertu de l’article 2 du Pacte, l’Etat partie est tenu de prendre
des mesures pour octroyer [au requérant] une réparation pour les
violations qu’il a subies.»

165 211. Article 2 of the Covenant sets forth a general obligation to the
150
States parties , which is added to the specific obligations in relation to
each of the rights guaranteed there under. The aforementioned general

formula allows for flexibility, in the determination of the measures of
compensation or other forms of reparation to the victim(s) concerned.

The ultimate aim is, naturally, whenever possible, the restitutio in inte-
grum, but, when that is not possible, recourse is to be made to the provi-
sion of other adequate forms of reparation, as I have just indicated.

212. In any case, and whatever the circumstances might be, it is to
be borne in mind that the duty to make reparation reflects a funda-

mental principle of general international law, promptly captured by the
Permanent Court of International Justice (PCIJ), early in its case law,
and endorsed by the case law of the ICJ 151. That obligation to make

reparation is governed by international law in all its aspects (such as,
e.g., its scope, forms and characteristics, and the determination of the

beneficiaries). Accordingly, compliance with it cannot be made subject
to modification or suspension, in any circumstances, by any Respon-
dent States, through the invocation of provisions (or difficulties) of
152
their own domestic law .

150 Article 2 of the Covenant on Civil and Political Rights states that:

“1. Each State party to the present Covenant undertakes to respect and to ensure
to all individuals within its territory and subject to its jurisdiction the rights
recognized in the present Covenant, without distinction of any kind, such as
race, colour, sex, language, religion, political or other opinion, national or
social origin, property, birth or other status.

2. Where not already provided for by existing legislative or other measures, each
State party to the present Covenant undertakes to take the necessary steps, in

accordance with its constitutional processes and with the provisions of the
present Covenant, to adopt such legislative or other measures as may be neces-
sary to give effect to the rights recognized in the present Covenant.
3. Each State party to the present Covenant undertakes:

(a) To ensure that any person whose rights or freedoms as herein recognized
are violated shall have an effective remedy, notwithstanding that the vio-
lation has been committed by persons acting in an official capacity;

(b) To ensure that any person claiming such a remedy shall have his rights
thereto determined by competent judicial, administrative or legislative
authorities, or by any other competent authority provided for by the legal
system of the State, and to develop the possibilities of judicial remedy;

(c) To ensure that the competent authorities shall enforce such remedies
when granted.”
151 Cf. Factory at Chorzów, Jurisdiction, Judgment No. 8, 1927, P.C.I.J., Series A,

No. 9,p.21;Factory at Chorzów, Merits, Judgment No. 13, 1928, P.C.I.J., Series A,
No. 17,p.29;Interpretation of Peace Treaties with Bulgaria, Hungary and Romania ,
Second Phase, Advisory Opinion, I.C.J. Reports 1950 , p. 228; among others.
152 Cf. Jurisdiction of the Courts of Danzig, Advisory Opinion, 1928, P.C.I.J., Series B,
No. 15, pp. 26-27; Greco-Bulgarian “Communities”, Advisory Opinion, 1930, P.C.I.J.,
Series B, No. 17, pp. 32 and 35; Free Zones of Upper Savoy and the District of Gex ,
Order of 6 December 1930, P.C.I.J., Series A, No. 24 , p. 12, and Free Zones of Upper

166 211. L’article 2 du Pacte énonce une obligation générale des Etats
parties 150, qui s’ajoute aux obligations spécifiques concernant chacun des

droits garantis par le Pacte. La formule générale citée plus haut permet
une certaine latitude dans la définition des mesures de dédommagement
ou d’autres formes de réparation accordées aux victimes. Le but final est

naturellement, lorsque cela est possible, la restitutio in integrum, mais,
lorsque cette dernière n’est pas possible, on doit avoir recours à d’autres

formes adéquates de réparation, comme je l’ai déjà indiqué.
212. En tout état de cause, et quelles que soient les circonstances, il

convient de rappeler que le devoir de réparation reflète un principe fon-
damental du droit international général, que la Cour permanente de

Justice internationale a rapidement saisi dès sa toute première jurispru-
dence, et que la CIJ a repris à son compte dans la sienne 151 . Cette obli-

gation de réparation est régie par le droit international sous tous ses
aspects (par exemple la portée, les formes et les caractéristiques de la

réparation, et ses bénéficiaires). En conséquence, le respect de cette
obligation ne peut faire l’objet de modification ou de suspension, en

quelque circonstance que ce soit, par les Etats défendeurs, sous prétexte
que leur droit interne l’interdit ou y fait obstacle 152 .

150
L’article 2 du Pacte relatif aux droits civils et politiques est ainsi libellé:
«1. Les Etats parties au présent Pacte s’engagent à respecter et à garantir à tous les

individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence les droits
reconnus dans le présent Pacte, sans distinction aucune, notamment de race, de
couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre
opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute
autre situation.

2. Les Etats parties au présent Pacte s’engagent à prendre, en accord avec leurs
procédures constitutionnelles et avec les dispositions du présent Pacte, les
arrangements devant permettre l’adoption de telles mesures d’ordre législatif ou
autre, propres à donner effet aux droits reconnus dans le présent Pacte qui ne
seraient pas déjà en vigueur.

3. Les Etats parties au présent Pacte s’engagent à:
a) Garantir que toute personne dont les droits et libertés reconnus dans le
présent Pacte auront été violés disposera d’un recours utile, alors même que

la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de
leurs fonctions officielles;
b) Garantir que l’autorité compétente, judiciaire, administrative ou législative,
ou toute autre autorité compétente selon la législation de l’Etat, statuera sur
les droits de la personne qui forme le recours et développer les possibilités de
recours juridictionnel;

c) Garantir la bonne suite donnée par les autorités compétentes à tout recours
qui aura été reconnu justifié.»
151 o o
Voir Usine de Chorzów, comoétence, arrêt n 8, 1927,oC.P.J.I. série A n 9,p.21;
Usine de Chorzów, fond, arrêt n 13, 1928, C.P.J.I. série A n 17,p.29; Interprétation des
traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, deuxième phase, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 1950 , p. 228, entre autres.
152 Voir Compétence des tribunaux de Dantzig, avis consultatif, 1928, C.P.J.I. série B
o
no 15, p. 26-27; «Communautés» gréco-bulgares, avis consultatif, 1930, C.P.J.I. série B
n 17,p.32et35; Zones franches de la Haute-Savoie et du Pays de Gex, ordonnance du
6 décembre 1930, C.P.J.I. série A n o 24, p. 12, et arrêt, 1932, C.P.J.I. série A/B no 46,

166 XI. B EYOND THE INTER -STATE D IMENSION :

INTERNATIONAL L AW FOR THE H UMAN PERSON

213. The present A. S. Diallo case shows that diplomatic protection
was initially resorted to herein, keeping in mind property rights or invest-

ments, but the dynamics of the case, at the stage of its merits, underwent
a metamorphosis, and it reassuringly turned out to be a case, ultimately,
of human rights protection, of the rights inherent to the human person,

concerning its liberty and legal security. It is reassuring to see that even a
tool conceived in the inter-State optics like diplomatic protection, may
turn out to be utilized to safeguard human rights.

214. Whether the outcome of this case corresponded to the original
motivations that gave rise to it, is hard to tell. The handling of each case

in the course of international adjudication has a dynamics of its own.
Yet, the outcome of the cas d’espèce is indeed reassuring, in so far as the
rights protected are concerned, and it contains a couple of lessons that

cannot here pass unnoticed. Let me now address them briefly, as I per-
ceive them.
215. To start with, attempts to revitalize traditional diplomatic protec-
tion, with its ineluctable discretionary nature, should not be undertaken

underestimating human rights protection — as suggested to the Interna-
tional Law Commission (ILC) in 2000 153. In my understanding, the
greatest legacy of the international legal thinking of the twentieth cen-

tury, to that of this new century, lies in the historical rescue of the human
person as subject of rights emanating directly from the law of nations
(the droit des gens), as a true subject (not only “actor”) of contemporary

international law. The emergence of the international law of human
rights has considerably enriched contemporary international law, at both
substantive and procedural levels.

216. Secondly, once we move into the much wider (and more satisfac-
tory and gratifying) conceptual universe of the international law of

human rights, we have to guard ourselves against inclinations towards

Savoy and the District of Gex, Judgment, 1932, P.C.I.J., Series A/B, No. 46 , p. 167;
Treatment of Polish Nationals and Other Persons of Polish Origin or Speech in the Danzig
Territory, Advisory Opinion, 1932, P.C.I.J., Series A/B, No. 44 ,p.24.
153The suggestion tried to make one believe that remedies provided by human rights
treaties and instruments were “weak”, while diplomatic protection offered a “more effec-
tive remedy”, as “most States” would treat it “more seriously” than a complaint against

their conduct to “a human rights monitoring body”; ILC, “First Report on Diplomatic
Protection” (rapporteur J. R. Dugard), UN doc. A/CN.4/506, of 7 March 2000, para. 31.
The suggestion simply begs the question, and ignores the considerable achievements under
the international law of human rights in recent decades (including remarkable changes in
domestic legislation and administrative practices in numerous countries), that would
never have been accomplished under discretionary diplomatic protection.

167 XI. P AR -DELÀ LA DIMENSION INTERÉTATIQUE :

LE DROIT INTERNATIONAL POUR LA PERSONNE HUMAINE

213. Dans la présente affaire Ahmadou Sadio Diallo, la protection

diplomatique a été invoquée à l’origine, compte tenu des droits de pro-
priété ou des investissements, mais la dynamique de l’affaire, au stade du
fond, a connu une transformation et l’affaire est finalement devenue — ce

qui est rassurant — une affaire de protection des droits de l’homme, des
droits inhérents à la personne humaine, concernant sa liberté et sa sécu-
rité juridique. Il est rassurant de constater que même un outil conçu dans

l’optique interétatique comme la protection diplomatique peut finalement
servir à garantir les droits de l’homme.
214. Il est difficile de dire si l’issue de la présente affaire correspond

aux motivations originales qui ont été à sa source. Le traitement de cha-
que affaire par la justice internationale a sa propre dynamique. Pourtant,
l’issue de la présente instance est effectivement de nature à rassurer, du
point de vue des droits protégés, et elle contient quelques enseignements

qui ne doivent pas être passés sous silence. Qu’il me soit permis de les
examiner brièvement dans ma propre perspective.
215. Pour commencer, l’on ne devrait pas tenter de raviver la protec-

tion diplomatique traditionnelle, qui est par nature inévitablement discré-
tionnaire, en sous-estimant la protection des droits de l’homme — ainsi
qu’il a été suggéré à la Commission du droit international (CDI)
153
en 2000 . A mon sens, le legs le plus précieux de la pensée juridique
internationale du XX siècle à celle du nouveau siècle est le sauvetage his-
torique de la personne humaine comme sujet de droits émanant directe-

ment du droit des gens, en tant que véritable sujet (et non seulement
«acteur») du droit international contemporain. L’émergence du droit
international des droits de l’homme a considérablement enrichi le droit

international contemporain, tant du point de vue du fond que du point
de vue de la procédure.
216. En deuxième lieu, une fois entrés dans l’univers conceptuel beau-

coup plus large (et plus satisfaisant et gratifiant) du droit international
des droits de l’homme, nous devons nous garder de toute perspective par-

p. 167; Traitement des nationaux polonais et des autres personnes d’origine ou de langue
polonaise dans le territoire de Dantzig, avis consultatif, 1932, C.P.J.I. série A/B n
p. 24.
153Cette suggestion visait à implanter l’idée que les recours offerts par les traités et les
instruments des droits de l’homme sont «faibles», alors que la protection diplomatique
offre un «recours plus effectif», étant donné que «la plupart des Etats» la traiteront
«plus sérieusement» qu’une plainte contre leur conduite introduite devant «un organe de
surveillance des droits de l’homme»; CDI, «Premier rapport sur la protection diploma-
tique» (rapporteur J. R. Dugard), Nations Unies, doc. A/CN.4/506 du 7 mars 2000,
par. 31. Cette suggestion élude simplement la question et fait fi des réalisations consi-
dérables accomplies au cours des dernières décennies dans le cadre du droit international
des droits de l’homme (notamment les changements remarquables apportés aux législa-

tions nationales et aux pratiques administratives de nombreux pays), réalisations qui
n’auraient jamais été possibles en vertu de la protection diplomatique discrétionnaire.

167any partial or atomized outlook 154, such as the one, e.g., put to the ILC

one decade ago, to the effect that

“[w]hile the European Convention on Human Rights may offer real

remedies to millions of Europeans, it is difficult to argue that the
American Convention on Human Rights or the African Charter on
Human and Peoples’ Rights have achieved the same degree of
155
success” .

217. This is simply not true. One could easily be led into such hurried
“conclusion” on the basis of statistical data, but statistics are, in my view,
to be approached with great caution, if not critically, as they tend to

reveal as much as they conceal. Not all advances in the domain of human
rights protection are amenable to quantification. To me, quality prevails
over quantity. No one would question the considerable achievements in

the European system of human rights protection, as disclosed by its vast
and remarkable case law, e.g., on the right to personal liberty and secu-
156
rity and the right to a fair trial .

218. Yet, there is no reason, or basis, to underestimate or minimize
remarkable achievements attained likewise in the inter-American and the
African systems of human rights protection. There is general recognition

today that the most advanced case law on reparations (in its distinct
forms, and including in collective cases) and on provisional measures of

protection (encompassing the members of several human collectivities) is
that of the Inter-American Court of Human Rights 157. Likewise, the
African Commission on Human and Peoples’ Rights has settled cases of

154
If one remains imprisoned in the Vattelian dream-world of exclusive inter-State rela-
tions, one is easily led to the vision that “as long as the State remains the dominant actor
in international relations” diplomatic protection “remains the most effective remedy for
the promotion of human rights” (UN doc. A/CN.4/506, para. 32) — a vision which simply
does not hold true. It overlooks the considerable achievements around the world, in recent
decades, underthe international law of human rights, reassessed by the United Nations,
inter alia, in its II World Conference on Human Rights (Vienna, 1993).

155
156Cf. ibid., para. 25.
Articles 5 and 6 of the European Convention of Human Rights.

157Carefully constructed, in particular, as from the period 1998-2006. On forms of
reparation in cases concerning individuals or individualized victims (as distinguished from
those concerning members of whole communities), cf. the IACtHR’s judgments in the
cases of Loayza Tamayo v. Peru (27 November 1998), Suárez Rosero v. Ecuador (20 Janu-
ary 1999), “Street Children” (Villagrán Morales and Others v. Guatemala) (26 May

2001), Cantoral Benavides v. Peru (3 December 2001), Bámaca Velásquez v. Guatemala
(22 February 2002), Hilaire, Benjamin and Constantine et al. v. Trinidad and Tobago
(21 June 2002), Myrna Mack Chang v. Guatemala (25 November 2003), Maritza Urrutia
v. Guatemala (27 November 2003); and, on forms of reparation in cases concerning a

168tielle ou fragmentaire 154, comme celle qui a été proposée à la CDI il y a

une décennie, et selon laquelle,

«bien que la convention européenne de sauvegarde des droits de

l’homme et des libertés fondamentales puisse offrir de véritables
recours à des millions d’Européens, il est difficile de soutenir que la
convention américaine des droits de l’homme ou la Charte africaine

des droits de l’homme et des peuples aient atteint le même degré de
succès» 155.

217. Cette affirmation n’est tout simplement pas exacte. Si l’on peut
être facilement amené, sur la foi de données statistiques, à cette «conclu-
sion» hâtive, il convient selon moi de regarder les statistiques avec beau-

coup de prudence, voire d’esprit critique, car elles cachent au moins
autant qu’elles ne révèlent. Tous les progrès dans le domaine de la pro-
tection des droits de l’homme ne peuvent être quantifiés. Pour moi, la

qualité l’emporte sur la quantité. Personne ne souhaite contester les réa-
lisations considérables du système européen de protection des droits de

l’homme, dont témoigne sa vaste et remarquable jurisprudence, par
exemple sur le droit à la liberté et à la sécurité de la personne et le droit
à un procès équitable 156.

218. Rien ne justifie pourtant que l’on sous-estime ou minimise les
remarquables réalisations des systèmes interaméricain et africain de pro-
tection des droits de l’homme. Il est généralement reconnu aujourd’hui

que la jurisprudence la plus avancée en matière de réparations (sous dif-
férentes formes, y compris dans les affaires collectives) et en matière de

mesures conservatoires de protection (embrassant les membres de plu-
sieurs collectivités humaines) est celle de la Cour interaméricaine des
droits de l’homme 157. De même, la Commission africaine des droits de

154
Si l’on se laisse emprisonner dans le monde vattélien onirique des relations étatiques
exclusives, on est facilement amené à penser que, «tant que l’Etat demeure l’acteur domi-
nant des relations internationales», la protection diplomatique «reste le recours le plus
efficace pour promouvoir les droits de l’homme» (Nations Unies, doc. A/CN.4/506,
par. 32) — vision qui ne tient simplement pas la route. En effet, elle ne tient pas compte
des réalisations considérables auxquelles on a assisté dans le monde, ces dernières décen-
nies, au titre du droit international des droits de l’homme, réévalué par l’Organisation des
Nations Unies lors de sa deuxième Conférence mondiale sur les droits de l’homme

(V155ne, 1993).
156Voir ibid., par. 25.
Articles 5 et 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et
des libertés fondamentales.
157Soigneusement constituée, en particulier, pendant la période 1998-2006. Sur les
formes de réparation dans les affaires concernant des individus ou des victimes consi-
dérées en tant qu’individus (par opposition aux affaires concernant des membres de com-
munautés entières), voir les arrêts de la CIDH dans les affaires Loayza Tamayo c. Pérou
(27 novembre 1998), Suárez Rosero c. Equateur (20 janvier 1999), «Street Children» (Vil-

lagrán Morales et autres c. Guatemala) (26 mai 2001), Cantoral Benavides c. Pérou
(3 décembre 2001), Bámaca Velásquez c. Guatemala (22 février 2002), Hilaire, Benjamin
et Constantine et autres c. Trinité-et-Tobago (21 juin 2002), Myrna Mack Chang c. Gua-
temala (25 novembre 2003), Maritza Urrutia c. Guatemala (27 novembre 2003). Sur les

168special gravity (on the fundamental right to life itself, and other protected
158
rights) that hardly find any parallel either at the UN or at other
regional levels.

219. One is thus to avoid the traditional Euro-centric outlook, so com-
mon in the study of the law of nations of the past, and so typical of the
static vision of so-called “realists”, and one is to pursue a respectful uni-

versalist perspective, not only of UN procedures, but also of regional
systems of human rights protection, as these latter operate also within the
framework of the universality of human rights. The present Diallo case

affords evidence to this effect, as it has just been resolved by the World
Court on the basis of the relevant provisions of a universal instrument
(the UN Covenant on Civil and Political Rights) together with a regional
instrument (the African Charter on Human and Peoples’ Rights), and a

UN codification Convention (the Vienna Convention on Consular Rela-
tions).

220. Thirdly, in order to provide adequate reparation to the victims of
violated rights, we have to move into the domain of the international law
of human rights; we cannot at all remain in the strict and short-sighted

confines of diplomatic protection, as a result of not only its ineluctable
discretionary nature, but also its static inter-State dimension. Repara-
tions, here, require an understanding of the conception of the law of

nations centred on the human person (pro persona humana) . Human
beings — and not the States — are indeed the ultimate beneficiaries of
reparations for human rights breaches to their detriment.

221. The Vattelian fiction of 1758 (expressed in the formula — “Qui-

conque maltraite un citoyen offense indirectement l’Etat, qui doit protéger

plurality of victims, or members of whole communities, cf. the IACtHR’s judgments in
the cases of Aloeboetoe and Others v. Suriname (10 March 1993), Mayagna (Sumo) Awas
Tingni Community v. Nicaragua case (1 February 2000), Massacre of Plan de Sánchez v.
Guatemala (19 November 2004), Yakye Axa Indigenous Community v. Paraguay (17 June
2005), Massacre of Mapiripán v. Colombia (15 September 2005), Massacre of Pueblo
Bello v. Colombia (31 January 2006), Moiwana Community v. Suriname (8 February
2006), Sawhoyamaxa Indigenous Community v. Paraguay (20 March 2006), Ituango Mas-
sacres v. Colombia (1 July 2006).
158Cf. the case of The Democratic Republic of the Congo v. Burundi, Rwanda and
Uganda (communication No. 227/99): the African Commission was therein faced with an

inter-State communication, in a case involving the use of armed force by the respondent
States. In its decision of May 2003, it found the respondent States in breach of Articles 2,
4, 5, 12 (1) and (2), 14, 16, 17, 18 (1) and (3), 19, 20, 21, 22 and 23 of the African Charter.
The ACHPR found that “the killings, massacres, rapes, mutilations and other grave
human rights abuses committed while the respondent States’ armed forces were still in
effective occupation of the eastern provinces of the complainant State” were also incon-
sistent with international humanitarian law (para. 79).

169l’homme et des peuples a connu d’affaires particulièrement graves (concer-
158
nant le droit fondamental à la vie lui-même et d’autres droits protégés)
dont on trouve peu de parallèles au sein des Nations Unies ou dans
d’autres régions.

219. Il faut donc éviter d’adopter la perspective euro-centrique tradi-
tionnelle si répandue dans l’étude du droit des gens du passé et si typique

de la vision statique des pseudo-«réalistes», et adopter plutôt une pers-
pective universaliste respectueuse non seulement de la procédure des
Nations Unies, mais également des systèmes régionaux de protection des

droits de l’homme, car ces derniers fonctionnent également dans le cadre
de l’universalité des droits de l’homme. La présente affaire Ahmadou
Sadio Diallo étaye cette position, car elle a été résolue par la Cour mon-

diale sur la base des dispositions pertinentes d’un instrument universel (le
Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations
Unies) et d’un instrument régional (la Charte africaine des droits de

l’homme et des peuples) et d’une convention de codification des Nations
Unies (la convention de Vienne sur les relations consulaires).

220. En troisième lieu, pour accorder une réparation adéquate aux vic-
times de violations des droits, nous devons entrer dans le domaine du
droit international des droits de l’homme, car nous ne pouvons demeurer

dans les confins stricts et à courte vue de la protection diplomatique, par
suite non seulement de sa nature inévitablement discrétionnaire, mais
également de sa dimension interétatique statique. Les réparations, en

l’espèce, exigent une interprétation de la conception du droit des gens
axée sur la personne humaine (pro persona humana) . Ce sont en effet les
personnes humaines, et non les Etats, qui sont en définitive les bénéficiai-

res des réparations pour les violations des droits de l’homme commises à
leurs dépens.

221. La fiction vattélienne de 1758 (exprimée dans la formule «Qui-
conque maltraite un citoyen offense indirectement l’Etat, qui doit proté-

formes de réparation dans les affaires concernant plusieurs victimes ou membres de com-
munautés entières, voir Aloeboetoe et autres c. Seriname (10 mars 1993), Commu-
nauté Mayagna (Sumo) Awas Tingni c. Nicaragua (1 février 2000), Massacre de Plan de
Sánchez c. Guatemala (19 novembre 2004), Communauté indigène Yakye Axa c. Para-
guay (17 juin 2005), Massacre de Mapiripán c. Colombie (15 septembre 2005), Massacre
de Pueblo Bello c. Colombie (31 janvier 2006), Communauté Moiwana c. Suriname
(8 février 2006), Communauté indigène Sawhoyamaxa c. Paraguay (20 mars 2006), Massa-
cres d’Ituango c. Colombie (1juillet 2006).
158Voir République démocratique du Congo c. Burundi, Rwanda et Ouganda (commu-
nication n 227/99). La Commission africaine fut à cette occasion saisie d’une communi-
cation interétatique dans une affaire concernant l’utilisation de la force armée par les

Etats défendeurs. Dans sa décision de mai 2003, elle a jugé les Etats défendeurs coupables
de violations des articles 2, 4, 5, 12 1) et 2), 14, 16, 17, 18 1) et 3), 19, 20, 21, 22 et 23 de
la Charte africaine. La Commission africaine a dit que «les meurtres, massacres, viols,
mutilations et autres graves abus des droits de l’homme commis alors que les forces
armées des Etats défendeurs occupaient toujours effectivement les provinces orientales de
l’Etat requérant» étaient également incompatibles avec le droit international humanitaire
(par. 79).

169ce citoyen” 15) has already played its role in the history and evolution of

international law. The challenge faced today by the World Court is of a
different nature, going well beyond such inter-State dimension. It requires
from the Court preparedness to explore the ways of incorporating, in its
modus operandi — starting with its own reasoning — the acknowledge-

ment of the consolidation of the international legal personality of indi-
viduals, and the gradual assertion of their international legal capacity —
to vindicate rights which are theirs and not their own State’s — as sub-
jects of rights and bearers of duties emanating directly from international

law, in sum, as true subjects of international law.

XII. C ONCLUDING O BSERVATIONS

222. In this perspective, and as a starting-point in this direction, in its
present Judgment in the A.S. Diallo case the Court was right in concen-
trating its attention, in particular, in the breaches found of Articles 9 and
13 of the UN Covenant on Civil and Political Rights, and Articles 6

and 12 (4) of the African Charter of Human and Peoples’ Rights, as well
as Article 36 (1) (b) of the Vienna Convention on Consular Relations.
They concern the rights of Mr. A. S. Diallo as an individual, as a human
person. The breaches of his individual rights as associé of the two com-

panies come to the fore by way of consequence, having been likewise
affected.

223. The subject of the rights, that the Court has found to have been

breached by the Respondent State in the present case, is not the Appli-
cant State: the subject of those rights is Mr. A. S. Diallo, an individual.
The procedure for the vindication of the claim originally utilized (by the
Applicant State) was that of diplomatic protection, but the substantive

law applicable in the present case — as clarified after the Court’s Judg-
ment of 2007 on preliminary objections, in the course of the proceedings
(written and oral phases) as to the merits — is the international law of
human rights.

224. Whenever the Court diverted, in parts of the present Judgment,
from the proper hermeneutics of human rights treaties, it incurred into
inconsistencies (such as those of resolutory points 1, 5 and 6 of the dis-
positif of the present Judgment). Those deviations disclosed a somewhat

crooked line of reasoning, which could and should have been avoided.
Once the applicable law is identified and conformed, as in the present
case, by human rights treaties, the Court is to interpret and apply them in
pursuance of the general rule of interpretation of treaties (Article 31 of

the two Vienna Conventions on the Law of Treaties, of 1969 and 1986),
bearing in mind their special nature.

159E. Vattel, Le droit des gens (1758), Book II, para. 71.

170ger ce citoyen» 15) a déjà joué son rôle dans l’histoire et l’évolution du

droit international. Le défi que doit aujourd’hui relever la Cour mondiale
est d’une nature différente et dépasse de loin cette dimension interéta-
tique. Pour le relever, la Cour doit être prête à explorer les moyens d’in-
corporer dans son modus operandi — à commencer par son propre
raisonnement — la reconnaissance de la consolidation de la person-

nalité juridique internationale de l’individu et l’affirmation graduelle de
sa capacité juridique internationale — de défendre les droits qui sont les
siens et non ceux de l’Etat — en tant que sujet de droit et porteur d’obli-
gations émanant directement du droit international, bref, en tant que

véritable sujet du droit international.

XII. O BSERVATIONS FINALES

222. Dans cette perspective et pour commencer à avancer en ce sens, la

Cour a eu raison, dans son arrêt en l’affaire Ahmadou Sadio Diallo,de
concentrer son attention plus particulièrement sur les violations des arti-
cles 9 et 13 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques des
Nations Unies et des articles 6 et 12, paragraphe 4), de la Charte africaine
des droits de l’homme et des peuples, aussi bien que de l’article 36, para-

graphe 1, alinéa b), de la convention de Vienne sur les relations consu-
laires. Ces violations concernent les droits de M. A. S. Diallo en tant
qu’individu et que personne humaine. Ses droits individuels en tant
qu’associé des deux entreprises ont été examinés par voie de conséquence,

parce qu’ils ont été également violés.
223. Le sujet des droits que la Cour a estimé violés par l’Etat défen-
deur en l’espèce n’est pas l’Etat requérant: le sujet de ces droits est
M. A. S. Diallo, un individu. Le moyen de défense initialement utilisé

(par l’Etat requérant) est la protection diplomatique, mais le droit subs-
tantiel applicable en l’espèce — tel qu’il a été précisé après l’adoption de
l’arrêt de 2007 de la Cour sur les exceptions préliminaires, au cours de la
procédure (écrite et orale) sur le fond — est le droit international des

droits de l’homme.

224. Chaque fois que la Cour s’est écartée, dans certains passages de
son arrêt, de l’herméneutique appropriée des traités des droits de l’homme,

elle s’est engagée dans des contradictions (par exemple dans les points 1,
5 et 6 du dispositif). Ces écarts ont révélé un raisonnement quelque peu
tortueux, qui aurait pu et aurait dû être évité. Une fois que le droit appli-
cable est identifié et correspond, comme en l’espèce, aux traités des droits
de l’homme, la Cour doit interpréter et appliquer ces derniers conformé-

ment à la règle générale d’interprétation des traités (article 31 des deux
conventions de Vienne sur le droit des traités de 1969 et 1986) compte
tenu de leur nature particulière.

159E. Vattel, Le droit des gens (1758), livre II, par. 71.

170 225. After all, human rights treaties do apply in the framework of
intra-State relations (such as, in the present case, the relations between

the DRC and Mr. A. S. Diallo). In properly interpreting and applying
such treaties, the Court is thereby giving its contribution to the develop-
ment of the aptitude of international law to regulate relations at intra-
State, as well as inter-State, levels. In the present case, in the framework
of the international law of human rights, the contending Parties have

sought to substantiate the arguments on the basis of the relevant provi-
sions of two human rights treaties — the UN Covenant on Civil and
Political Rights and the African Charter on Human and Peoples’
Rights — as well as on the basis of the provision on an individual right

enshrined into the Vienna Convention on Consular Relations (Arti-
cle 36 (1) (b)), and construed in the conceptual universe of human rights.
226. The present case concerns, thus, the human rights (to liberty and
security of person; not to be expelled from a State without a legal basis;
not to be subjected to mistreatment; and to information on consular

assistance in the framework of the guarantees of the due process of law)
of which the titulaire is Mr. A. S. Diallo. Had the Court pursued the
proper hermeneutics of human rights treaties throughout the whole Judg-
ment, in all likelihood it would have arrived at a conclusion distinct from
that found in resolutory points 1, 5 and 6 of the dispositif of the present

Judgment, and I would not have needed to vote against them.
227. The fact that the contentious procedure before the Court keeps
on being exclusively an inter-State one — not by an intrinsic necessity,
nor by a juridical impossibility of being of another form — does not
mean that the reasoning of the Court ought to develop within an essen-

tially and exclusively inter-State optics, above all when it is called to pro-
nounce, in the peaceful settlement of the corresponding disputes, on
questions which go beyond the interests of the contending States, and
which pertain to the fundamental rights of the human person, and even
to the international community as a whole.

228. The relations governed by contemporary international law, in
distinct domains of regulation, transcend to a large extent the purely
inter-State dimension (e.g., in the international protection of human rights,
intheinternationalprotectionoftheenvironment,ininternationalhuman-
itarian law, in international refugee law, in the law of international

institutions, among others), and the ICJ, called upon to pronounce
upon those relations, is not bound to restrain itself to an anachronistic
inter-State optics. The anachronism of its mechanism of operation ought
not to, and cannot, condition its reasoning, so as to enable it to exert
faithfully and fully its functions of principal judicial organ of the

United Nations.
229. In any case, the present Judgment, in so far as resolutory points
2, 3, 4 and 7 of its dispositif are concerned, with which I concur, consti-
tutes a valuable contribution of its case law to the settlement of disputes

originated at intra-State level, when human rights are at stake. This is
indeed a human rights case, decided today, on 30 November 2010, by the

171 225. Après tout, les traités des droits de l’homme s’appliquent effecti-
vement dans le cadre des relations intra-étatiques (par exemple, en

l’espèce, les relations entre la RDC et M. A. S. Diallo). En interprétant et
en appliquant ces traités de façon appropriée, la Cour apporte sa pierre à
la capacité du droit international de réglementer les relations au niveau
tant intra- qu’interétatique. En l’instance, dans le cadre du droit interna-
tional des droits de l’homme, les Parties ont appuyé leur argumentation

sur les dispositions pertinentes de deux traités des droits de l’homme — le
Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies
et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples — de même
que sur la disposition de la convention de Vienne sur les relations consu-

laires (alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36) concernant un droit indi-
viduel interprété dans le cadre conceptuel des droits de l’homme.
226. La présente affaire concerne donc les droits de l’homme (droit à
la liberté et à la sécurité de sa personne; droit de ne pas être expulsé d’un
Etat sans base juridique; droit de ne pas être soumis à de mauvais trai-

tements; droit à l’information sur l’assistance consulaire dans le cadre des
garanties d’une procédure régulière), dont le titulaire est M. A. S. Diallo.
Si la Cour avait adopté l’herméneutique appropriée des traités des droits
de l’homme dans l’ensemble de son arrêt, elle serait fort probablement
parvenue à une conclusion distincte de celle qui figure aux points 1, 5 et

6 du dispositif et je n’aurais pas eu besoin de voter contre ces points.
227. Le fait que la procédure contentieuse devant la Cour continue
d’opposer exclusivement des Etats — non par nécessité intrinsèque, ni du
fait d’une impossibilité juridique d’adopter une autre forme — ne signifie
pas que le raisonnement de la Cour doive se développer dans une optique

essentiellement et exclusivement interétatique, surtout lorsque la Cour est
appelée à se prononcer, pour régler pacifiquement les différends, sur des
questions qui dépassent les intérêts des Etats en cause et qui concernent
les droits fondamentaux de la personne humaine, et même la commu-
nauté internationale dans son ensemble.

228. Les relations régies par le droit international contemporain, dans
différents domaines, transcendent dans une grande mesure la dimension
purement interétatique (par exemple la protection internationale des
droits de l’homme, l’environnement, le droit international humanitaire, le
droit international des réfugiés, le droit des institutions internationales,

entre autres) et la CIJ, qui est appelée à se prononcer sur ces relations,
n’est pas tenue de se limiter à une perspective interétatique anachronique.
Le caractère anachronique de son mode de fonctionnement ne doit pas,
et ne peut pas, conditionner son raisonnement si elle veut exercer fidèle-
ment et pleinement ses fonctions d’organe judiciaire principal des Nations

Unies.
229. Quoi qu’il en soit, le présent arrêt, en ce qui concerne du moins
les points 2, 3, 4 et 7 de son dispositif, avec lesquels je suis d’accord, cons-
titue une contribution valable de la jurisprudence de la Cour au règle-

ment de différends trouvant leur source au niveau intra-étatique, lorsque
les droits de l’homme sont en cause. C’est bien sur une affaire relative aux

171ICJ, despite the strict and anachronistic inter-State procedure before this

latter. The fact that a human rights case has at last been decided by the
ICJ itself is particularly significant to me.

230. It shows that, at times, reality can appear better than the pros-

pects. The human mind does not conform itself to a straightjacket. One is
not to lose faith in the progressive development of international law,
despite the bias of the majority of the legal profession. The fact that a
human rights case has now been decided by the ICJ itself, further shows

that contemporary international law has notably developed to such an
extent that States themselves see it fit to make use of a contentious pro-
cedure of the kind, originally devised in 1920 and confirmed in 1945 for
their own and exclusive utilization, in order to obtain from the Court its

decision on human rights, on rights inherent to the human person, onto-
logically anterior and superior to the State itself.
231. This amounts, furthermore, to a clear and reassuring acknowl-
edgement of the existence of common and superior values that States

themselves no longer hesitate to recognize. This is, in so far as the present
case is concerned, very much to the credit of both Guinea and the DRC,
two African States that have thereby given a good example to be fol-
lowed in other continents and latitudes. It is in line with the evolving

international law for the human person (pro persona humana), the new
jus gentium of this beginning of the twenty-first century.

XIII. EPILOGUE :T OWARDS A N EW E RA OF INTERNATIONAL
A DJUDICATION OF H UMAN R IGHTS CASES BY THE ICJ

232. Having endeavoured to identify the lessons extracted from the

present Diallo case (supra), I could not conclude this separate opinion
without a brief epilogue on its historical transcendence. The case resolved
today by the ICJ had as claimant a State, and as victim — and benefici-
ary of reparation — an individual. As I pointed out at the beginning of

this separate opinion, this is the first time in its history that the World
Court has resolved a case on the basis of the applicable law conformed
by two human rights treaties together, one at universal level (the UN
Covenant on Civil and Political Rights) and the other at regional level

(the African Charter on Human and Peoples’ Rights), in addition to the
relevant provision (Article 36 (1) (b)) of the Vienna Convention on Con-
sular Relations, situated also in the domain of the international protec-
tion of human rights.

233. It is reassuring that, due originally to the exercise of diplomatic
protection; the cause of Mr. A. S. Diallo reached this Court. This was as
far as diplomatic protection, a traditional instrument, went, and could

go. We cannot expect more from it than what it can provide. It is, after
all, as traditional as the rationale of the procedure before this Court.

172droits de l’homme que la CIJ a rendu son arrêt aujourd’hui, 30 novem-

bre 2010, en dépit de la procédure interétatique stricte et anachronique
qui a été suivie. Le fait que la CIJ ait enfin jugé une affaire relative aux
droits de l’homme est en soi particulièrement significatif à mes yeux.
230. La réalité dépasse en effet parfois les attentes. L’esprit humain ne
se laisse pas enfermer dans un carcan. Il ne faut pas perdre foi dans le

développement progressif du droit international malgré la tendance majo-
ritaire du monde juridique. Le fait que la CIJ ait connu d’une affaire rela-
tive aux droits de l’homme montre en outre que le droit international
contemporain s’est sensiblement développé, à telle enseigne que les Etats

eux-mêmes jugent bon d’utiliser une procédure contentieuse de cette
nature, initialement conçue en 1920 et confirmée en 1945 pour leur usage
propre et exclusif, afin d’obtenir de la Cour une décision sur les droits de
l’homme, sur des droits inhérents à la personne humaine, ontologique-

ment antérieure et supérieure à l’Etat.
231. Il s’agit en outre d’une reconnaissance claire et rassurante de
l’existence de valeurs communes et supérieures, que les Etats eux-mêmes
n’hésitent plus à reconnaître. Dans la présente affaire en tout cas, il est

tout à fait à l’honneur de la Guinée et de la RDC, deux Etats africains,
d’avoir montré l’exemple à suivre sous d’autres latitudes et sur d’autres
continents. Leur attitude est conforme à l’évolution du droit internatio-
nal pour la personne humaine (pro persona humana) du nouveau jus gen-
e
tium de ce début du XXI siècle.

XIII. V ERS UNE NOUVELLE ÈRE DE JUSTICE INTERNATIONALE
EN MATIÈRE DE DROITS DE L HOMME À LA CIJ

232. M’étant efforcé d’identifier les enseignements à tirer de la pré-
sente affaire Ahmadou Sadio Diallo (supra) , je ne peux conclure cette
opinion individuelle sans m’arrêter, dans un bref épilogue, sur sa trans-

cendance historique. L’affaire réglée aujourd’hui par la CIJ avait comme
demandeur un Etat et comme victime — et bénéficiaire de la répara-
tion — un individu. Ainsi que je l’ai dit au début de cette opinion indi-
viduelle, c’est la première fois dans son histoire que la Cour mondiale a

connu d’une affaire dans laquelle le droit applicable était constitué par
deux traités des droits de l’homme, l’un universel (le Pacte international
relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies) et l’autre régional
(la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples), en plus de la

disposition pertinente (alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36) de la
convention de Vienne sur les relations consulaires, qui appartient égale-
ment au domaine de la protection internationale des droits de l’homme.
233. Il est rassurant de constater que la cause de M. A. S. Diallo ait été
portée devant la Cour, à l’origine, au titre de l’exercice de la protection

diplomatique. La protection diplomatique, instrument traditionnel, n’a
servi qu’à cela, ce qui était tout à fait normal. La protection diplomatique
ne peut donner que ce qu’elle a. Elle est, après tout, aussi traditionnelle

172Individuals keep suffering a capitis diminutio, as they still need to rely on

that traditional instrument to reach this Court, whilst they already have
locus standi in judicio or even jus standi before other contemporary inter-
national tribunals. This shows that there is epistemologically no impedi-
ment for individuals to have either locus standi or jus standi before the
World Court as well; what is lacking is the animus to render that possi-

ble, given the usual prevalence of mental inertia.

234. Notwithstanding, there is something both reassuring and novel in

the present Diallo case now resolved by this Court: as from the proceed-
ings on the merits (written and oral phases), the case has been to a large
extent heard, and adjudicated upon, in the conceptual framework of the
international law of human rights. It is this latter, and not diplomatic

protection, that is apt to safeguard the rights of persons under adversity,
or socially marginalized or excluded, or in situations of the utmost vulner-
ability.
235. Diplomatic protection was here originally exercised by Guinea

to protect a successful businessman, devoted to making money for
many years, who, later on, fell in disgrace abroad, in the country of his
residence, the DRC. Diplomatic protection remains ontologically dis-
cretionary, and thus limited in scope and possibilities. What has diplo-

matic protection been doing to safeguard the human rights of millions
of documented and undocumented migrants, struggling to survive
through their own labour, and daily humiliated around the world? Vir-
tually nothing.
236. The only protection that “the wretched of the earth” 160have been

finding is the one provided under certain international instruments and
treaties of the international law of human rights. Attention is thus to be
shifted from the differing de facto capabilities of States to extend protec-
tion to their nationals abroad, into the satisfaction of the basic needs of

protection of those forgotten by the world, the poor and the oppressed,
who have already lost faith in human justice. This is a great challenge to
international justice today, a challenge that can effectively be faced only
in the realm of the international law of human rights, beyond the purely

inter-State dimension.
237. Moreover, this is the first time in its history that the World
Court has expressly taken into account the contribution of the case law
of two international human rights tribunals, the European and the Inter-

American Courts, to the perennial struggle of human beings against arbi-
trariness. The ICJ, much to its credit, has done so, in paragraph 68
of the present Judgment, in relation to the interpretation, by the European
and the Inter-American Courts, respectively, of Article 1 of Protocol No. 7 to

160To paraphrase a humanist of the twentieth century, Frantz O. Fanon, Les damnés
de la terre, 1961.

173que la raison d’être de la procédure introduite devant la Cour. L’individu

continue de souffrir une capitis diminutio, puisqu’il doit continuer de
s’appuyer sur cet instrument traditionnel pour arriver jusqu’à la Cour,
alors qu’il a déjà locus standi in judicio et même jus standi devant d’autres
tribunaux internationaux contemporains. Il n’existe donc, du point de

vue épistémologique, aucun obstacle à la qualité d’agir ou au droit d’agir
des individus devant la Cour mondiale également; le seul élément man-
quant est le désir de faire en sorte que cela soit possible, étant donné
l’inertie qui continue de prévaloir dans les mentalités.

234. Néanmoins, l’affaire Ahmadou Sadio Diallo dont la Cour vient de
connaître apporte des éléments nouveaux qui sont de nature à rassurer: à
partir de la phase du fond (procédures écrite et orale), l’affaire Ahmadou
Sadio Diallo a été dans une grande mesure défendue et jugée dans le

cadre conceptuel du droit international des droits de l’homme. C’est ce
dernier, et non la protection diplomatique, qui est de nature à garantir les
droits des personnes en difficulté, socialement marginalisées ou exclues
ou extrêmement vulnérables.

235. La protection diplomatique a été exercée à l’origine, en l’espèce,
par la Guinée pour protéger un homme d’affaires prospère, qui avait pen-
dant de nombreuses années travaillé à s’enrichir et qui est tombé en dis-
grâce à l’étranger, dans le pays de résidence qu’il avait choisi, la RDC. La

protection diplomatique demeure essentiellement discrétionnaire et donc
limitée dans sa portée et ses possibilités. Qu’a fait la protection diploma-
tique pour protéger les droits de l’homme de millions de migrants avec et
sans papiers, qui s’efforcent de survivre par leur propre travail et qui sont

quotidiennement humiliés dans le monde entier? Pratiquement ri160
236. La seule protection que les «damnés de la Terre» ont trouvée
est celle que leur fournissent certains instruments et traités internationaux
relatifs aux droits de l’homme. Il faut donc cesser d’axer notre attention

sur les moyens inégaux dont disposent les Etats pour protéger leurs res-
sortissants à l’étranger, et essayer plutôt de satisfaire les besoins fonda-
mentaux de protection des oubliés de ce monde, les pauvres et les oppri-
més, qui ont déjà perdu toute foi dans la justice humaine. C’est là un

grand défi pour la justice internationale aujourd’hui, un défi qui ne peut
être efficacement relevé que dans le domaine du droit international des
droits de l’homme, par-delà la dimension purement interétatique.
237. De plus, c’est la première fois dans son histoire que la Cour mon-

diale a expressément pris en compte la contribution de la jurisprudence
de deux tribunaux internationaux des droits de l’homme, les Cours euro-
péenne et interaméricaine, à la lutte perpétuelle de l’être humain contre
l’arbitraire. La CIJ — et c’est tout à son honneur — l’a fait au paragra-

phe 68 du présent arrêt, concernant l’interprétation donnée par les Cours
européenne et interaméricaine respectivement de l’article 1 du protocole

160Pour paraphraser un humaniste du XX siècle, Frantz O. Fanon, Les damnés de la
terre, 1961.

173the European Convention of Human Rights, and of Article 22 (6) of the

American Convention on Human Rights, which it regarded as consistent
with what it has found in paragraph 65 of the present Judgment 161. Para-
graph 65 refers to the protection of the human person against arbitrary
162
treatment, encompassing the prohibition of arbitrary expulsion .

238. This discloses a new mentality in relation to another relevant
issue. The co-existence of multiple international tribunals, fostering access

to international justice on the part of a growing number of justiciables
around the world in distinct domains of human activity, bears evidence
of the way contemporary international law has developed in the old

search for the realization of international justice. Contemporary interna-
tional tribunals have much to learn from each other.

239. Article 92 of the UN Charter states that this Court, the ICJ, is “the
principal judicial organ of the United Nations”. In addition, Article 95 of
the UN Charter leaves the door open to Member States to entrust the
solution of their differences to “other tribunals by virtue of agreements

already in existence or which may be concluded in the future”. Ours has
become the age of international tribunals, and this is a highly positive
phenomenon, as what ultimately matters is the enlarged or expanded

access to justice, lato sensu, comprising the realization of justice.
240. Misleading and deleterious expressions, such as “proliferation of
international tribunals”, “forum shopping”, and “fragmentation of inter-

national law”, should be definitively discarded, not only for their super-
ficiality (despite the regrettable fascination which they seem to have been
exerting upon a large and hectic segment of the legal profession), but also
because they do not at all belong to the lexicon of international law. And

they simply miss the point — the overriding imperatives of justice. Con-
temporary international tribunals should pursue their common mission —
the realization of international justice — working together, without

antagonisms, self-sufficiencies or protagonist moves.

241. This is another lesson that can be extracted from the adjudication
of the present Diallo case. It is indeed reassuring that the ICJ has dis-
closed a new vision of this particular issue, in so far as international
human rights tribunals are concerned. This is particularly important at a

161By reference to the corresponding provisions of the Covenant on Civil and Political
Rights and of the African Charter on Human and Peoples’ Rights.
162Particularly relevant, for a study of the right to freedom of movement and residence
under Article 22 of the American Convention on Human Rights, are the judgment of the
Inter-American Court, of 15 June 2005, in the case of the Moiwana Community v. Suri-
name (paras. 107-121), as well as the IACtHR’s order (on provisional measures of pro-
tection), of 18 August 2000, in the case of Haitians and Haitian-Origin Dominicans in the
Dominican Republic (paras. 9-11), and concurring opinion of Judge A. A. Cançado Trin-
dade (paras. 2-25).

174n 7 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et

des libertés fondamentales et de l’article 22, paragraphe 6, de la conven-
tion américaine des droits de l’homme, qu’elle a jugée compatible avec la
teneur du paragraphe 65 de son arrêt 161. Le paragraphe 65 concerne la

protection de la personne humaine c162re l’arbitraire, y compris l’inter-
diction de l’expulsion arbitraire .
238. La Cour a ainsi fait preuve d’un esprit nouveau à l’égard d’une
autre question pertinente. La coexistence de nombreux tribunaux inter-

nationaux, qui ouvre l’accès à la justice internationale à un nombre
croissant de justiciables dans le monde entier dans différents domaines
d’activité humaine, témoigne de la manière dont le droit international

contemporain s’est développé dans la recherche, déjà ancienne, de la
réalisation de la justice internationale. Les tribunaux internationaux
contemporains ont beaucoup à apprendre les uns des autres.

239. L’article 92 de la Charte des Nations Unies affirme que la CIJ
constitue «l’organe judiciaire principal des Nations Unies». De plus, l’arti-
cle 95 de la Charte permet aux Etats membres de confier la solution de
leurs différends «à d’autres tribunaux en vertu d’accords déjà existants ou

qui pourront être conclus à l’avenir». Nous vivons à l’ère des tribunaux
internationaux, phénomène extrêmement positif, car ce qui compte en défi-
nitive est d’élargir ou de faciliter l’accès à la justice au sens large, c’est-à-

dire notamment à la réalisation de la justice.
240. Des expressions trompeuses et délétères comme «prolifération
des tribunaux internationaux», «recherche du tribunal le plus favorable»

et «fragmentation du droit international» doivent être définitivement
rejetées, non seulement parce qu’elles sont superficielles (malgré la fasci-
nation regrettable qu’elles semblent exercer sur une partie nombreuse et
agitée de la profession juridique), mais également parce qu’elles n’appar-

tiennent pas du tout au vocabulaire du droit international. De plus, ces
expressions occultent l’enjeu véritable — à savoir les impératifs préémi-
nents de la justice. Les tribunaux internationaux contemporains doivent

accomplir leur mission commune — la réalisation de la justice interna-
tionale — en travaillant de concert, sans antagonisme, autosuffisance ni
recherche de la gloriole.

241. C’est un autre enseignement que l’on peut tirer du jugement
rendu dans la présente affaire Ahmadou Sadio Diallo. Il est de fait ras-
surant que la CIJ ait manifesté une nouvelle vision de cette question,
pour ce qui a trait aux tribunaux internationaux des droits de l’homme.

161Par référence aux dispositions correspondantes du Pacte relatif aux droits civils et
politiques et de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.
162D’une pertinence particulière pour une étude du droit à la liberté de circulation et de
résidence consacré à l’article 22 de la convention américaine des droits de l’homme sont
l’arrêt de la Cour interaméricaine du 15 juin 2005 en l’affaire Communauté Moiwana
c. Suriname (par. 107-121) et son ordonnance (sur des mesures conservatoires de protec-
tion) du 18 août 2000 en l’affaire Haïtiens et Dominicains d’origine haïtienne en Répu-
blique dominicaine (par. 9-11) et l’opinion concordante du juge A. A. Cançado Trindade
(par. 2-25).

174time when States rely, in their submissions to this Court, on relevant pro-

visions of human rights conventions, as both Guinea and the DRC have
done in the present case, in their arguments centred on the UN Covenant
on Civil and Political Rights and the African Charter on Human and

Peoples’ Rights (in addition to the relevant provision of the Vienna Con-
vention on Consular Relations, in the framework of the international
protection of human rights).

242. This is not the only example wherein this has occurred. On

29 May 2009, the ICJ delivered its Order (on provisional measures) in the
case concerning Questions relating to the Obligation to Prosecute or
Extradite, wherein Belgium and Senegal presented their submissions con-

cerning the interpretation and application of the relevant provisions of
the 1984 UN Convention against Torture. And, very recently, a few days
ago, in the public sittings before this Court of 13 to 17 September 2010,

Georgia and the Russian Federation submitted their oral arguments in
the case concerning the Application of the International Convention on
the Elimination of All Forms of Racial Discrimination , another UN

human rights treaty. It is reassuring that States begin to rely on human
rights treaties before this Court, heralding a move towards an era of pos-
sible adjudication of human rights cases by the ICJ itself. The interna-

tional juridical conscience has at last awakened to the fulfillment of this
need.
243. The ICJ, in the exercise of its contentious as well as advisory

functions in recent years, has referred either to relevant provisions of a
human rights treaty such as the Covenant on Civil and Political Rights,
or to the work of its supervisory organ, the Human Rights Committee 163.

These antecedents are not to pass unnoticed, in acknowledging the turning-

163Thus, as to contentious cases, in its Judgment in the case of Armed Activities on the
Territory of the Congo (The Democratic Republic of the Congo v. Uganda) (I.C.J.

Reports 2005, p. 168), the Court held that the Covenant provisions were applicable to the
case. Shortly afterwards, in its Judgment in the case of the Application of the Convention
on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovinv.
Serbia and Montenegro) (I.C.J. Reports 2007 (I), p. 43) the Court recalled the wording
of Articles 2 and 3 of the Covenant to support its interpretation of the meaning of the
word “undertakes” in the Convention against Genocide (Article 1). As to its advisory
function, the ICJ held, in its Advisory Opinion on Legal Consequences of the Construc-
tion of a Wall in the Occupied Palestinian Territory (I.C.J. Reports 2004 (I), p. 136) that
the Covenant is not unconditionally suspended in times of conflict (para. 106), and that
the Covenant applies outside the States parties’ territory when they exercise their jurisdic-
tion therein, as emerges from the legislative history of the Covenant, as well as from the
consistent practice of the Human Rights Committee (paras. 107-111 and 134). Earlier on,
in its Advisory Opinion on the Legality of the Threat or Use of Nuclear Weapons (I.C.J.
Reports 1996 (I), p. 226), the ICJ referred to Article 6 (on the right to life) of the Cov-
enant. Very recently, in my separate opinion in the Court’s Advisory Opinion on Accord-
ance with International Law of the Unilateral Declaration of Independence in Respect of

of Kosovo (I.C.J. Reports 2010 (II) , p. 403) I deemed it fit to refer to Article 1 of the two
UN Covenants on Human Rights as well as to the Human Rights Committee’s position

175Cela est particulièrement important à une époque où les Etats s’appuient,

dans les conclusions qu’ils soumettent à la Cour, sur des dispositions per-
tinentes de conventions relatives aux droits de l’homme, comme l’ont fait
en l’espèce la Guinée et la RDC lorsqu’elles ont invoqué dans leur argu-

mentation le Pacte international relatif aux droits civils et politiques des
Nations Unies et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples
(en plus de la disposition pertinente de la convention de Vienne sur les

relations consulaires dans le cadre de la protection internationale des
droits de l’homme).
242. Cet exemple n’est pas le seul. Le 29 mai 2009, la CIJ a rendu son

ordonnance (sur des mesures conservatoires) en l’affaire relative à des
Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader , dans
laquelle la Belgique et le Sénégal ont présenté des conclusions fondées sur
l’interprétation et l’application des dispositions pertinentes de la conven-

tion des Nations Unies contre la torture de 1984. Il y a quelques jours à
peine, au cours des audiences tenues devant la Cour du 13 au 17 septem-
bre 2010, la Géorgie et la Fédération de Russie ont présenté leurs plai-

doiries en l’affaire concernant l’Application de la convention internatio-
nale sur l’élimination de toute forme de discrimination raciale , un autre
traité des Nations Unies relatif aux droits de l’homme. Il est bon que les

Etats commencent à invoquer devant la Cour des traités relatifs aux
droits de l’homme, ce qui annonce une nouvelle ère où la CIJ elle-même
pourrait connaître d’affaires relatives aux droits de l’homme. La cons-

cience juridique internationale s’est enfin éveillée à ce besoin.
243. Dans l’exercice de ses fonctions en matière contentieuse aussi bien
que consultative ces dernières années, la CIJ s’est reportée à des disposi-

tions pertinentes d’un traité relatif aux droits de l’homme comme le Pacte
international relatif aux droits civils et politiques ou aux travaux de son
organe de surveillance, le Comité des droits de l’homme 163. Ce fait ne

163Ainsi, en matière contentieuse, dans son arrêt en l’affaire des Activités armées sur le
territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda) (C.I.J. Recueil 2005,
p. 168), la Cour a dit que les dispositions du Pacte étaient applicables en l’instance. Peu
après, dans son arrêt en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la préven-
tion et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro)
(C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 43), la Cour a rappelé le libellé des articles 2 et 3 du Pacte
pour étayer son interprétation du sens du mot «s’engagent» figurant dans la convention
contre le génocide (article premier). En matière consultative, la CIJ a jugé, dans son avis
consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire pa-
lestinien occupé (C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 136), que le Pacte n’était pas suspendu de
façon inconditionnelle en période de conflit (par. 106) et s’appliquait en dehors du terri-
toire des Etats parties lorsque ceux-ci y exerçaient leur compétence, comme en témoignent

l’histoire législative du Pacte ainsi que la pratique constante du Comité des droits de
l’homme (par. 107-111 et 134). Antérieurement, dans son avis consultatif sur la Licéité de
la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires (C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 226), la CIJ avait
renvoyé à l’article 6 (relatif au droit à la vie) du Pacte. Très récemment, dans mon opinion
individuelle relative à l’avis consultatif de la Cour sur la Conformité au droit international
de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo (C.I.J. Recueil 2010 (II) ,
p. 403), j’ai jugé bon de rappeler l’article premier des deux pactes des Nations Unies rela-
tifs aux droits de l’homme ainsi que la position du Comité des droits de l’homme sur la

175point which has just occurred in the present Diallo case: the Court, in the

Judgment being delivered today, 30 November 2010, has gone much further,
beyond the United Nations system, in acknowledging the contribution
of the jurisprudential construction of two other international tribunals,
the Inter-American and the European Courts of Human Rights. It has

also dwelt upon the contribution of an international human rights super-
visory organ, the African Commission on Human and Peoples’ Rights.
The three regional human rights systems operate within the frame-
work of the universality of human rights.

244. Contemporary international tribunals should pursue their com-
mon mission — the realization of international justice — in a spirit of

respectful dialogue, learning from each other, keeping in mind the per-
ennial lesson of Socrates, so perspicaciously grasped by Karl Popper in
the twentieth century:

“Every solution of a problem creates new unsolved problems. The
harder the original problem and the bolder the attempt to solve it, the

more interesting these new problems are. The more we learn about
the world, and the deeper our learning, the more conscious, clear and
well-defined will be our knowledge of what we do not know, our
knowledge of our ignorance. The main source of our ignorance

lies in the fact that our know164ge can only be finite, while our ignorance
must necessarily be infinite.”

245. By cultivating this dialogue, attentive to each other’s work in pur-
suance of a common mission, contemporary international tribunals will
provide avenues not only for States, but also for human beings, every-

where, and in respect of distinct domains of international law, to recover
their faith in human justice. They will thus be enlarging and strengthen-
ing the aptitude of contemporary international law to resolve disputes
occurred not only at inter-State level, but also at intra-State level. And

they will thus be striving towards securing to States as well as to human
beings what they are after: the realization of justice.

(Signed) Antônio Augusto C ANÇADO TRINDADE .

on the States’ automatic succession in respect of human rights treaties and on the extra-
te164torial application of human rights (p. 583, para. 154 and p. 599, para. 191).
K. R. Popper, On the Sources of Knowledge and of Ignorance , Oxford University
Press, 1960, pp. 150-151.

176saurait être oublié, au moment de saluer le point tournant que constitue

la présente affaire Ahmadou Sadio Diallo : la Cour, dans l’arrêt qu’elle
rend aujourd’hui, 30 novembre 2010, est allée bien plus loin, au-delà du
système des Nations Unies, lorsqu’elle a reconnu la contribution de la
jurisprudence de deux autres tribunaux internationaux, les Cours intera-

méricaine et européenne des droits de l’homme. La Cour a également
tenu compte de la contribution d’un organe international de supervision
des droits de l’homme, la Commission africaine des droits de l’homme et

des peuples. Ces trois systèmes régionaux fonctionnent dans le cadre de
l’universalité des droits de l’homme.
244. Les tribunaux internationaux contemporains doivent remplir leur
mission commune — qui est de réaliser la justice internationale — dans

un esprit de dialogue respectueux, en apprenant les uns des autres et en
gardant à l’esprit l’enseignement durable de Socrate, que Karl Popper a
compris de façon si perspicace au XX siècle:

«Toute solution d’un problème donne naissance à de nouveaux

problèmes qui exigent à leur tour solution ... Plus nous apprenons
sur le monde, et plus ce savoir s’approfondit, plus la connaissance de
ce que nous ne savons pas, la connaissance de notre ignorance prend
forme et gagne en spécificité comme en précision. Là réside en effet

la source majeure de notre ignorance: le fait que notre connaissance
ne peut être que finie, tandis que notre ignorance est nécessairement
infinie.» 164

245. En cultivant ce dialogue, attentifs les uns aux autres dans la réa-
lisation d’une mission commune, les tribunaux internationaux contem-

porains donneront non seulement aux Etats, mais également aux êtres
humains du monde entier, dans différents domaines du droit internatio-
nal, des raisons de reprendre confiance dans la justice humaine. Ce fai-

sant, ces tribunaux élargiront et renforceront la capacité du droit inter-
national contemporain de résoudre les différends survenant non seulement
au niveau interétatique, mais également au niveau intra-étatique. Ils aide-
ront ainsi les Etats et les êtres humains à atteindre l’objectif recherché par

tous: la réalisation de la justice.

(Signé) Antônio Augusto C ANÇADO T RINDADE .

succession automatique des Etats à l’égard des traités des droits de l’homme et sur
l’application extraterritoriale des droits de l’homme (p. 583, par. 154, et p. 599, par. 191).
164Karl Popper, Des sources de la connaissance et de l’ignorance , Paris, Payot et
Rivages, 1998, p. 150-151.

176

Document file FR
Document Long Title

Opinion individuelle de M. le juge Cançado Trindade

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