Déclaration de M. le juge Owada

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136-20080604-JUD-01-04-EN
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265

DÉCLARATION DE M. LE JUGE OWADA

[Traduction]

Je souscris à tous les points du dispositif de l’arrêt relatifs à la compé-
tence et au fond, sauf un. En effet, j’ai voté contre l’alinéa d) du point 1,
qui a trait à la compétence de la Cour pour statuer sur le différend
concernant les mandats d’arrêt délivrés le 27 septembre 2006 à l’encontre

de deux hauts fonctionnaires djiboutiens.
Je tiens donc à faire la présente déclaration afin de préciser ma position
à cet égard.

**

1. La Cour, ainsi qu’elle le fait observer à juste titre, «est [pour] la pre-
mière fois ... amenée à trancher au fond un différend porté devant elle par
une requête fondée sur le paragraphe 5 de l’article 38 de son Règlement»
(arrêt, par. 63). Si «[s]a compétence ... peut être fondée sur le forum pro-
rogatum selon des modalités diverses, que le paragraphe 5 de l’article 38

du Règlement n’épuise nullement» (ibid., par. 64), la Cour ne peut, en la
présente espèce, exercer sa compétence sur la base du forum prorogatum
que dans la mesure où l’Etat défendeur a, par sa conduite devant elle ou
dans ses relations avec la Partie demanderesse, agi de manière telle qu’il a
accepté sa compétence (ibid., par. 61).

2. Il apparaît donc clairement que, dans la présente affaire, le fonde-
ment et l’étendue de la compétence de la Cour doivent être déterminés
strictement par référence à l’étendue du consentement donné par le défen-
deur dans sa lettre du 25 juillet 2006 en réponse à l’invitation formulée
par le demandeur dans sa requête. Autrement dit, les éléments conver-

gents contenus dans ces deux documents, qui forment le consentement
commun des Parties, définissent l’étendue précise de la compétence que
celles-ci ont conférée à la Cour en la présente espèce.
3. Réduite à ces éléments essentiels, la présente affaire — qui a été por-
tée devant la Cour sur la base d’un forum prorogatum — ne se distingue
pas, d’un point de vue juridique, d’une instance introduite en application

du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut par la voie de deux déclarations
unilatérales d’acceptation de la juridiction de la Cour en vertu de la
clause facultative, hormis le fait que le défendeur a, en l’espèce, donné un
consentement ad hoc par sa lettre du 25 juillet 2006 et que ce consente-
ment est strictement limité à ce qu’il a accepté, à savoir une compétence

ratione materiae partielle par rapport à ce qu’envisagerait le demandeur
dans sa requête.
4. Dès lors, s’il est vrai que, «[p]our que la Cour soit compétente sur la
base d’un forum prorogatum, l’élément de consentement doit être expli-

92 QUESTIONS CONCERNANT L ’ENTRAIDE JUDICIAIRE DÉCL . OWADA ) 266

cite ou pouvoir être clairement déduit de la conduite pertinente de l’Etat»
(arrêt, par. 62), lorsque l’élément de consentement requis est, comme en
la présente espèce, exprimé par écrit sous la forme d’une lettre du défen-

deur et non par une conduite de sa part qui, comme ce fut le cas en
l’affaire du Détroit de Corfou (Royaume-Uni c. Albanie) , pourrait per-
mettre à la Cour de le déduire, la tâche de cette dernière devrait être la
même que dans une affaire fondée sur deux déclarations faites en vertu de
la clause facultative; il suffit d’interpréter et d’appliquer les deux docu-

ments pertinents, de sorte que l’étendue du consentement commun des
Parties puisse être définie avec précision à partir des éléments convergents
desdits documents.
5. Dans le présent arrêt, la Cour prétend suivre ce principe. Selon moi,
elle établit cependant une distinction entre la présente espèce — en

laquelle sa compétence est fondée sur un forum prorogatum — et des
affaires antérieures dans lesquelles tel n’était pas le cas, tout du moins en
ce qui concerne l’étendue de l’objet du différend à l’égard duquel elle
exerce sa compétence.

6. Il est indiqué dans l’arrêt que, «[l]à où la compétence est fondée sur
le forum prorogatum, une attention toute particulière doit être portée à
l’étendue du consentement tel qu’il est circonscrit par l’Etat défendeur»
(arrêt, par. 87). S’interrogeant plus particulièrement sur la question de
savoir si elle a compétence à l’égard d’événements postérieurs à la date du

dépôt de la requête — c’est-à-dire la convocation à témoigner adressée en
2007 au président de Djibouti et les mandats d’arrêt délivrés en 2006 à
l’encontre de deux hauts fonctionnaires djiboutiens —, la Cour précise
que les critères établis par sa jurisprudence aux fins de déterminer si les
faits ou événements postérieurs au dépôt de la requête sont indissociable-

ment liés aux faits ou événements relevant expressément de sa compé-
tence, de sorte qu’ils puissent entrer dans le champ du différend, sont
dépourvus de pertinence en la présente espèce (voir, par exemple, Com-
pétence en matière de pêcheries (République fédérale d’Allemagne c.
Islande); LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique) ;e t Mandat

d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgi-
que)). Dans le présent arrêt, la Cour opère une distinction en indiquant
que, «[d]ans aucune de ces affaires [s]a compétence ... n’était fondée sur
un forum prorogatum ». Elle ajoute que si, «[d]ans la présente espèce, où

tel est le fondement de sa compétence, la Cour est d’avis qu’il n’est pas
pertinent de savoir si les éléments postérieurs en question «dépassent
l’objet déclaré de [l]a requête»»,

«ce qui est décisif ... pour répondre à la question de savoir si elle est

compétente pour connaître des demandes relatives à ces mandats,
n’est pas sa jurisprudence relative aux notions de «continuité» et de
«connexité», qui constituent des critères pertinents pour déterminer
les limites ratione temporis de sa compétence, mais ce que la France
a expressément accepté dans sa lettre du 25 juillet 2006» (arrêt,

par. 88).

93 QUESTIONS CONCERNANT L ’ENTRAIDE JUDICIAIRE DÉCL . OWADA ) 267

7. Il convient cependant de relever que la jurisprudence en question
relative à la «continuité» et à la «connexité» s’est développée non pas
tant dans le contexte d’une limitation ratione temporis que précisément

aux fins de délimiter l’objet qui forme la base de l’acceptation par les
parties de la compétence de la Cour. Ainsi, en l’affaire de la Compétence
en matière de pêcheries (République fédérale d’Allemagne c. Islande) ,la
Cour a indiqué que «[l]a conclusion se fond[ait] sur des faits postérieurs
au dépôt de la requête mais découlant directement de la question qui fai-

[sait] l’objet de cette requête » et que, «[à] ce titre, elle rel[evait] de la
compétence de la Cour telle qu’elle a[vait] été définie dans la clause com-
promissoire de l’échange de notes du 19 juillet 1961» (C.I.J. Recueil 1974,
p. 203, par. 72; les italiques sont de moi). Selon moi, telle est exactement
la situation en la présente espèce pour ce qui concerne les convocations à

témoigner. Autrement dit, la seule question qui se pose est de savoir si les
événements de 2006 relatifs aux mandats d’arrêt délivrés postérieurement
au dépôt de la requête de Djibouti découlaient directement ou non du
différend qui fait l’objet de la requête.

8. La Cour précise que, «[b]ien que ces mandats d’arrêt puissent être
perçus comme un moyen d’exécuter les convocations à témoigner, ils
représentent de nouveaux actes juridiques au sujet desquels la France ne
peut être considérée comme ayant accepté implicitement [s]a compé-
tence» et que, «[p]ar conséquent, les demandes relatives aux mandats

d’arrêt concernent des questions qui n’entrent pas dans le champ de [s]a
compétence ratione materiae » (arrêt, par. 88; les italiques sont de moi).
9. Il est cependant difficile de comprendre pourquoi le fait de délivrer
des mandats d’arrêt, ce qui, après tout, n’est rien d’autre que la consé-
quence juridique qui découle nécessairement du refus de déférer à des

convocations (article 109 du Code de procédure pénale français), consti-
tue un nouvel acte juridique qui devrait être exclu du champ de la com-
pétence de la Cour, alors que la seconde convocation adressée au prési-
dent était une «répétition de la précédente» — dont le défendeur a lui-
même reconnu qu’elle était nulle et non avenue — et qu’il s’agissait donc

«en substance de la même convocation» (arrêt, par. 91), laquelle entrait,
partant, dans le champ de la compétence de la Cour.
10. Selon moi, la question est, dans les deux cas, la même. Il s’agit de
savoir si les actes postérieurs au dépôt de la requête entrent dans le

champ de l’acceptation par la France de la compétence ratione materiae
de la Cour tel qu’il peut être déduit des termes employés par la France
dans sa lettre du 25 juillet 2006, et notamment de l’expression «pour le
différend qui fait l’objet de la requête et dans les strictes limites des
demandes formulées dans celle-ci par la République de Djibouti» (ibid.,

par. 77).
11. Je pense, en accord avec l’arrêt, que la limitation de la compétence
de la Cour imposée par la France dans sa lettre n’est, de toute évidence,
pas une limitation ratione temporis mais une limitation ratione materiae.
C’est précisément pour cette raison que la question de savoir si les deux

éléments susmentionnés entrent dans le champ du «différend qui fait

94 QUESTIONS CONCERNANT L ’ENTRAIDE JUDICIAIRE (DÉCL .OWADA ) 268

l’objet de la requête» a trait à une limitation de fond et non temporelle.
En examinant attentivement la requête de Djibouti, on constate que les

éléments contenus aux alinéas e), f) et h) ii) du paragraphe 4 se rappor-
tent clairement à une situation donnée (la violation de certaines immuni-
tés) à la date de cette requête et non à des événements particuliers (l’émis-
sion de convocations) qui s’étaient produits avant son dépôt (requête,
p. 6, par. 4). En ce sens, la jurisprudence de la Cour telle qu’établie dans

les affaires susmentionnées (voir paragraphe 6 ci-dessus) est pertinente en
la présente espèce pour ce qui concerne la limitation de fond — et non
temporelle — aux fins d’interpréter le contenu de la lettre d’acceptation
de la France. (Il en irait différemment si la lettre de la France avait fait

état d’une limitation ratione temporis précise, excluant expressément de
la compétence de la Cour tous les événements postérieurs à la date du
dépôt de la requête).
12. Pour les raisons exposées ci-dessus, je suis au regret de ne pouvoir
souscrire à l’arrêt sur ce point, en ce qu’il s’écarte de la jurisprudence bien

établie de la Cour sur la question de l’étendue de l’«objet du différend»
en retenant un nouveau critère aux fins de déterminer si les événements
postérieurs au dépôt de la requête étaient ou non de «nouveaux actes
juridiques» (arrêt, par. 88). A l’aune de ce critère, la seconde convocation

adressée au président de Djibouti en 2007 devrait elle aussi être «un nou-
vel acte juridique».
13. J’ajouterai que, en dépit de cette réserve, je souscris à l’arrêt de la
Cour en ce qui concerne les éléments de fond de la question relative à
l’immunité des hauts fonctionnaires djiboutiens. Dès lors, la réserve que

j’ai exprimée sur cet aspect de la compétence n’a, en définitive, aucune
incidence sur la conclusion à laquelle la Cour est parvenue sur cette
question.

(Signé) Hisashi O WADA .

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265

DECLARATION OF JUDGE OWADA

I concur with all the points in the operative clause of the Judgment
relating both to jurisdiction and to the merits, except one. However, I
have voted against subparagraph (1) (d) relating to jurisdiction to adju-
dicate upon the dispute concerning the arrest warrants issued against the

two senior Djiboutian officials on 27 September 2006.
For this reason, I wish to make this statement to clarify my position on
that point.

**

1. As the Court rightly observes, “this is the first time it falls to the
Court to decide on the merits of a dispute brought before it by an appli-
cation based on Article 38, paragraph 5, of the Rules of Court” (Judg-
ment, para. 63). While “the jurisdiction of the Court can be founded on
forum prorogatum in a variety of ways, by no means all of which fall

under Article 38, paragraph 5” (ibid., para. 64), in the present case the
Court can exercise jurisdiction on the basis of forum prorogatum only to
the extent that the respondent State has, through its conduct before the
Court or in relation to the applicant State, acted in such a way as to have
consented to the jurisdiction of the Court (ibid., para. 61).

2. It is thus clear that in the present case the basis and scope of the
jurisdiction of the Court has to be determined strictly with reference to
the scope of the consent given by the Respondent in its letter of
25 July 2006 in relation to the offer made by the Applicant in its Applica-
tion. In other words, the overlapping elements in these two documents

forming the common consent of the Parties define the precise scope of
jurisdiction conferred upon the Court by the Parties in the present case.

3. When reduced to these essential elements, the present case brought
before the Court on the basis of forum prorogatum is no different in its
legal analysis from a case brought under Article 36, paragraph 2, of the

Statute of the Court on the basis of two unilateral declarations accepting
the jurisdiction of the Court under the optional clause, except for the fact
that the consent of the Respondent in the present case has been given
ad hoc by the letter of the Respondent of 25 July 2006 and is confined
strictly to what the Respondent has accepted in terms of jurisdiction lim-

ited ratione materiae in relation to the Application of the Applicant.

4. Thus while it is true that “[f]or the Court to exercise jurisdiction on
the basis of forum prorogatum, the element of consent must be either

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DÉCLARATION DE M. LE JUGE OWADA

[Traduction]

Je souscris à tous les points du dispositif de l’arrêt relatifs à la compé-
tence et au fond, sauf un. En effet, j’ai voté contre l’alinéa d) du point 1,
qui a trait à la compétence de la Cour pour statuer sur le différend
concernant les mandats d’arrêt délivrés le 27 septembre 2006 à l’encontre

de deux hauts fonctionnaires djiboutiens.
Je tiens donc à faire la présente déclaration afin de préciser ma position
à cet égard.

**

1. La Cour, ainsi qu’elle le fait observer à juste titre, «est [pour] la pre-
mière fois ... amenée à trancher au fond un différend porté devant elle par
une requête fondée sur le paragraphe 5 de l’article 38 de son Règlement»
(arrêt, par. 63). Si «[s]a compétence ... peut être fondée sur le forum pro-
rogatum selon des modalités diverses, que le paragraphe 5 de l’article 38

du Règlement n’épuise nullement» (ibid., par. 64), la Cour ne peut, en la
présente espèce, exercer sa compétence sur la base du forum prorogatum
que dans la mesure où l’Etat défendeur a, par sa conduite devant elle ou
dans ses relations avec la Partie demanderesse, agi de manière telle qu’il a
accepté sa compétence (ibid., par. 61).

2. Il apparaît donc clairement que, dans la présente affaire, le fonde-
ment et l’étendue de la compétence de la Cour doivent être déterminés
strictement par référence à l’étendue du consentement donné par le défen-
deur dans sa lettre du 25 juillet 2006 en réponse à l’invitation formulée
par le demandeur dans sa requête. Autrement dit, les éléments conver-

gents contenus dans ces deux documents, qui forment le consentement
commun des Parties, définissent l’étendue précise de la compétence que
celles-ci ont conférée à la Cour en la présente espèce.
3. Réduite à ces éléments essentiels, la présente affaire — qui a été por-
tée devant la Cour sur la base d’un forum prorogatum — ne se distingue
pas, d’un point de vue juridique, d’une instance introduite en application

du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut par la voie de deux déclarations
unilatérales d’acceptation de la juridiction de la Cour en vertu de la
clause facultative, hormis le fait que le défendeur a, en l’espèce, donné un
consentement ad hoc par sa lettre du 25 juillet 2006 et que ce consente-
ment est strictement limité à ce qu’il a accepté, à savoir une compétence

ratione materiae partielle par rapport à ce qu’envisagerait le demandeur
dans sa requête.
4. Dès lors, s’il est vrai que, «[p]our que la Cour soit compétente sur la
base d’un forum prorogatum, l’élément de consentement doit être expli-

92266 QUESTIONS OF MUTUAL ASSISTANCE (DECL .OWADA )

explicit or clearly to be deduced from the relevant conduct of a State”
(Judgment, para. 62), in a situation where the necessary element of con-
sent is expressed in the written form of a letter from the Respondent as in
the present case, rather than through its conduct that would enable the

Court to deduce the element of consent as in the Corfu Channel case, the
task of the Court should not be any different from a case based on two
declarations under the optional clause. All that is required is to interpret
and apply the two relevant documents, so that the precise scope of the
common consent of the parties may be defined through identifying the

overlapping elements common to the two relevant documents.

5. The Court in the present Judgment professes to follow this princi-
ple. It is my view, however, that the Judgment in fact makes a distinction
between the present case where the Court’s jurisdiction is founded on

forum prorogatum and other past cases where such is not the case, at any
rate with regard to the scope of the subject-matter of the dispute over
which the Court assumes jurisdiction.
6. The Judgment states that “[w]here jurisdiction is based on forum pro-
rogatum, great care must be taken regarding the scope of the consent as

circumscribed by the respondent State” (Judgment, para. 87). Specifi-
cally, in determining whether the Court has jurisdiction over events that
took place after the filing of the Application, i.e., the witness summons of
2007 served on the President of Djibouti and the arrest warrants of 2006
issued against the Djiboutian senior officials, the Judgment rejects as

irrelevant to the present situation the criteria established in its jurispru-
dence as to whether those facts or events which are subsequent to the fil-
ing of the Application are inseparably connected to the facts or events
expressly falling within the purview of the Court’s jurisdiction, so that
they may be covered by the scope of the subject of the dispute (e.g., Fish-

eries Jurisdiction (Federal Republic of Germany v. Iceland); LaGrand
(Germany v. United States of America) ; and Arrest Warrant of
11 April 2000 (Democratic Republic of the Congo v. Belgium)). The
Judgment makes a distinction by stating that “[i]n none of these cases
was the Court’s jurisdiction founded on forum prorogratum”. Whereas

“[i]n the present case, where it is so founded, the Court considers it
immaterial whether these later elements would ‘go beyond the declared
subject of (the) Application’”,

“what is decisive is that the question of its jurisdiction over the
claims relating to these arrest warrants is not to be answered by
recourse to jurisprudence relating to ‘continuity’ and ‘connexity’,
which are criteria relevant for determining limits ratione temporis to
its jurisdiction, but by that which France has expressly accepted in

its letter of 25 July 2006” (Judgment, para. 88).

93 QUESTIONS CONCERNANT L ’ENTRAIDE JUDICIAIRE DÉCL . OWADA ) 266

cite ou pouvoir être clairement déduit de la conduite pertinente de l’Etat»
(arrêt, par. 62), lorsque l’élément de consentement requis est, comme en
la présente espèce, exprimé par écrit sous la forme d’une lettre du défen-

deur et non par une conduite de sa part qui, comme ce fut le cas en
l’affaire du Détroit de Corfou (Royaume-Uni c. Albanie) , pourrait per-
mettre à la Cour de le déduire, la tâche de cette dernière devrait être la
même que dans une affaire fondée sur deux déclarations faites en vertu de
la clause facultative; il suffit d’interpréter et d’appliquer les deux docu-

ments pertinents, de sorte que l’étendue du consentement commun des
Parties puisse être définie avec précision à partir des éléments convergents
desdits documents.
5. Dans le présent arrêt, la Cour prétend suivre ce principe. Selon moi,
elle établit cependant une distinction entre la présente espèce — en

laquelle sa compétence est fondée sur un forum prorogatum — et des
affaires antérieures dans lesquelles tel n’était pas le cas, tout du moins en
ce qui concerne l’étendue de l’objet du différend à l’égard duquel elle
exerce sa compétence.

6. Il est indiqué dans l’arrêt que, «[l]à où la compétence est fondée sur
le forum prorogatum, une attention toute particulière doit être portée à
l’étendue du consentement tel qu’il est circonscrit par l’Etat défendeur»
(arrêt, par. 87). S’interrogeant plus particulièrement sur la question de
savoir si elle a compétence à l’égard d’événements postérieurs à la date du

dépôt de la requête — c’est-à-dire la convocation à témoigner adressée en
2007 au président de Djibouti et les mandats d’arrêt délivrés en 2006 à
l’encontre de deux hauts fonctionnaires djiboutiens —, la Cour précise
que les critères établis par sa jurisprudence aux fins de déterminer si les
faits ou événements postérieurs au dépôt de la requête sont indissociable-

ment liés aux faits ou événements relevant expressément de sa compé-
tence, de sorte qu’ils puissent entrer dans le champ du différend, sont
dépourvus de pertinence en la présente espèce (voir, par exemple, Com-
pétence en matière de pêcheries (République fédérale d’Allemagne c.
Islande); LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique) ;e t Mandat

d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgi-
que)). Dans le présent arrêt, la Cour opère une distinction en indiquant
que, «[d]ans aucune de ces affaires [s]a compétence ... n’était fondée sur
un forum prorogatum ». Elle ajoute que si, «[d]ans la présente espèce, où

tel est le fondement de sa compétence, la Cour est d’avis qu’il n’est pas
pertinent de savoir si les éléments postérieurs en question «dépassent
l’objet déclaré de [l]a requête»»,

«ce qui est décisif ... pour répondre à la question de savoir si elle est

compétente pour connaître des demandes relatives à ces mandats,
n’est pas sa jurisprudence relative aux notions de «continuité» et de
«connexité», qui constituent des critères pertinents pour déterminer
les limites ratione temporis de sa compétence, mais ce que la France
a expressément accepté dans sa lettre du 25 juillet 2006» (arrêt,

par. 88).

93267 QUESTIONS OF MUTUAL ASSISTANCE DECL . OWADA )

7. It should be pointed out, however, that the jurisprudence in ques-
tion relating to so-called “continuity” and “connexity” has been devel-
oped, not so much in the context of limitation ratione temporis as pre-
cisely for the purpose of determining the scope of the subject-matter

which forms the basis of acceptance of the jurisdiction of the Court by
the parties. Thus in the Fisheries Jurisdiction (Federal Republic of Ger-
many v. Iceland) case, the Court stated that “[t]he submission is one
based on facts subsequent to the filing of the Application, but arising
directly out of the question which is the subject-matter of that Applica-

tion” and “[a]s such it falls within the scope of the Court’s jurisdiction
defined in the compromissory clause of the Exchange of Notes of
19 July 1961” (I.C.J. Reports 1974, p. 203, para. 72; emphasis added). In
my view, this is exactly the situation with regard to the present case in
relation to the witness summonses. In other words, the sole issue here is

whether or not the events of 2006 relating to the arrest warrants issued
after the filing of the Application by Djibouti arose directly out of the
issue that constitutes the subject-matter of the Application.
8. The Court declares that “[a]lthough the arrest warrants could be
perceived [to be] a method of enforcing the summonses, they represent

new legal acts in respect of which France cannot be considered as having
implicitly accepted the Court’s jurisdiction” and that “[t]herefore, the
claims relating to the arrest warrants arise in respect of issues which are
outside the scope of the Court’s jurisdiction ratione materiae” (Judg-
ment, para. 88; emphasis added).

9. It is hard to follow, however, why the issuance of arrest warrants,
which after all is nothing else than what is the necessary legal conse-
quence that is bound to follow from the refusal to comply with the sum-
monses (Article 109 of the French Code of Civil Procedure), represents a
new legal act that should be excluded from the scope of jurisdiction,

whereas the issuance of the new summons to the President was “a repeti-
tion of the preceding one”, which the Respondent itself admitted as null
and void, and thus “in its substance, it is the same summons” (Judgment,
para. 91), thus bringing this latter act within the purview of the jurisdic-
tion of the Court.

10. In my view, the issue in both instances is the same. It is the issue of
whether the acts subsequent to the filing of the Application fall within the
scope of the acceptance by France of the Court’s jurisdiction ratione
materiae as can be deduced from the language used in France’s letter of
25 July 2006, in particular the expression “in respect of the dispute form-
ing the subject of the Application and strictly within the limits of the

claims formulated therein by the Republic of Djibouti” (ibid., para. 77).

11. I agree with the Judgment that the limitation on jurisdiction
imposed by France in this letter is clearly not a limitation ratione tempo-
ris but a limitation ratione materiae. Precisely for this reason, the issue of

whether the two instances fall within the scope of “the dispute forming
the subject of the Application” is a question that relates to the limitation

94 QUESTIONS CONCERNANT L ’ENTRAIDE JUDICIAIRE DÉCL . OWADA ) 267

7. Il convient cependant de relever que la jurisprudence en question
relative à la «continuité» et à la «connexité» s’est développée non pas
tant dans le contexte d’une limitation ratione temporis que précisément

aux fins de délimiter l’objet qui forme la base de l’acceptation par les
parties de la compétence de la Cour. Ainsi, en l’affaire de la Compétence
en matière de pêcheries (République fédérale d’Allemagne c. Islande) ,la
Cour a indiqué que «[l]a conclusion se fond[ait] sur des faits postérieurs
au dépôt de la requête mais découlant directement de la question qui fai-

[sait] l’objet de cette requête » et que, «[à] ce titre, elle rel[evait] de la
compétence de la Cour telle qu’elle a[vait] été définie dans la clause com-
promissoire de l’échange de notes du 19 juillet 1961» (C.I.J. Recueil 1974,
p. 203, par. 72; les italiques sont de moi). Selon moi, telle est exactement
la situation en la présente espèce pour ce qui concerne les convocations à

témoigner. Autrement dit, la seule question qui se pose est de savoir si les
événements de 2006 relatifs aux mandats d’arrêt délivrés postérieurement
au dépôt de la requête de Djibouti découlaient directement ou non du
différend qui fait l’objet de la requête.

8. La Cour précise que, «[b]ien que ces mandats d’arrêt puissent être
perçus comme un moyen d’exécuter les convocations à témoigner, ils
représentent de nouveaux actes juridiques au sujet desquels la France ne
peut être considérée comme ayant accepté implicitement [s]a compé-
tence» et que, «[p]ar conséquent, les demandes relatives aux mandats

d’arrêt concernent des questions qui n’entrent pas dans le champ de [s]a
compétence ratione materiae » (arrêt, par. 88; les italiques sont de moi).
9. Il est cependant difficile de comprendre pourquoi le fait de délivrer
des mandats d’arrêt, ce qui, après tout, n’est rien d’autre que la consé-
quence juridique qui découle nécessairement du refus de déférer à des

convocations (article 109 du Code de procédure pénale français), consti-
tue un nouvel acte juridique qui devrait être exclu du champ de la com-
pétence de la Cour, alors que la seconde convocation adressée au prési-
dent était une «répétition de la précédente» — dont le défendeur a lui-
même reconnu qu’elle était nulle et non avenue — et qu’il s’agissait donc

«en substance de la même convocation» (arrêt, par. 91), laquelle entrait,
partant, dans le champ de la compétence de la Cour.
10. Selon moi, la question est, dans les deux cas, la même. Il s’agit de
savoir si les actes postérieurs au dépôt de la requête entrent dans le

champ de l’acceptation par la France de la compétence ratione materiae
de la Cour tel qu’il peut être déduit des termes employés par la France
dans sa lettre du 25 juillet 2006, et notamment de l’expression «pour le
différend qui fait l’objet de la requête et dans les strictes limites des
demandes formulées dans celle-ci par la République de Djibouti» (ibid.,

par. 77).
11. Je pense, en accord avec l’arrêt, que la limitation de la compétence
de la Cour imposée par la France dans sa lettre n’est, de toute évidence,
pas une limitation ratione temporis mais une limitation ratione materiae.
C’est précisément pour cette raison que la question de savoir si les deux

éléments susmentionnés entrent dans le champ du «différend qui fait

94268 QUESTIONS OF MUTUAL ASSISTANCE (DECL .OWADA )

on substance, and not to the limitation on time. When one examines Dji-
bouti’s Application carefully, the items in paragraph 4 (e), (f) and (h) (ii)

clearly refer to a state of affairs (the existence of violation of immunities)
that prevailed at the time of Djibouti’s Application, rather than particu-
lar events (the issuance of summonses) that had taken place by the time
of the submission of its Application (Application, p. 7, para. 4). In this
sense, the jurisprudence of the Court as established in the cases referred

to above (see paragraph 6 above) is of relevance to the present case in
terms of limitation on substance, and not in terms of limitation on time,
in interpreting what is contained in France’s letter of acceptance. (It
would be different, if France’s letter had spoken of the finite limitation

ratione temporis expressly excluding everything that had happened after
the date of Application from the jurisdiction of the Court.)

12. For these reasons I regretfully cannot agree with the Judgment on
this point, in that the Judgment departs from the established jurispru-

dence on the issue of the scope of the “subject-matter of the dispute” in
introducing a new criterion of whether the subsequent events after the
submission of the Application were “new legal acts” or not (Judgment,
para. 88). By this yardstick, the new summons issued in 2007 addressed

to the President of Djibouti should also be a new legal act.

13. It may be added that in spite of this reservation on my part, I con-
cur with the Judgment of the Court as far as the merit aspects of this
issue relating to the immunity of the senior Djiboutian officials are con-

cerned. Under these circumstances, my reservation on this point of juris-
diction in the final analysis does not affect the conclusion that the Court
has reached on the issue of the immunity of the senior Djiboutian offi-
cials.

(Signed) Hisashi O WADA .

95 QUESTIONS CONCERNANT L ’ENTRAIDE JUDICIAIRE (DÉCL .OWADA ) 268

l’objet de la requête» a trait à une limitation de fond et non temporelle.
En examinant attentivement la requête de Djibouti, on constate que les

éléments contenus aux alinéas e), f) et h) ii) du paragraphe 4 se rappor-
tent clairement à une situation donnée (la violation de certaines immuni-
tés) à la date de cette requête et non à des événements particuliers (l’émis-
sion de convocations) qui s’étaient produits avant son dépôt (requête,
p. 6, par. 4). En ce sens, la jurisprudence de la Cour telle qu’établie dans

les affaires susmentionnées (voir paragraphe 6 ci-dessus) est pertinente en
la présente espèce pour ce qui concerne la limitation de fond — et non
temporelle — aux fins d’interpréter le contenu de la lettre d’acceptation
de la France. (Il en irait différemment si la lettre de la France avait fait

état d’une limitation ratione temporis précise, excluant expressément de
la compétence de la Cour tous les événements postérieurs à la date du
dépôt de la requête).
12. Pour les raisons exposées ci-dessus, je suis au regret de ne pouvoir
souscrire à l’arrêt sur ce point, en ce qu’il s’écarte de la jurisprudence bien

établie de la Cour sur la question de l’étendue de l’«objet du différend»
en retenant un nouveau critère aux fins de déterminer si les événements
postérieurs au dépôt de la requête étaient ou non de «nouveaux actes
juridiques» (arrêt, par. 88). A l’aune de ce critère, la seconde convocation

adressée au président de Djibouti en 2007 devrait elle aussi être «un nou-
vel acte juridique».
13. J’ajouterai que, en dépit de cette réserve, je souscris à l’arrêt de la
Cour en ce qui concerne les éléments de fond de la question relative à
l’immunité des hauts fonctionnaires djiboutiens. Dès lors, la réserve que

j’ai exprimée sur cet aspect de la compétence n’a, en définitive, aucune
incidence sur la conclusion à laquelle la Cour est parvenue sur cette
question.

(Signé) Hisashi O WADA .

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Déclaration de M. le juge Owada

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