Déclaration de M. Elaraby

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126-20060203-JUD-01-05-EN
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126-20060203-JUD-01-00-EN
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82

DEuCLARATION DE M. LE JUGE ELARABY

[Traduction]

Accord sur les conclusions de la Cour — Limites du système judicaire inter-
national — Impossibilité pour la Cour de mettre en application le principe de
bonne administration de la justice — Affaires connexes fondées sur des chefs de
compétence différents — Non-reconnaissance par le Rwanda de la juridiction
obligatoire de la Cour — Nature consensuelle de la compétence de la Cour —

Gravité de la situation en cause — Importance de l’acceptation par les Etats de
la juridiction obligatoire de la Cour

1. J’ai voté, non sans quelque réticence, en faveur de l’arrêt par lequel
la Cour déclare n’avoir pas compétence pour connaître de la requête de la
République démocratique du Congo. Tout en souscrivant aux conclu-

sions qui y sont énoncées, parce qu’elles sont en accord avec le Statut de
la Cour et donc fondées en droit, j’ai la ferme conviction qu’il ne devrait
pas être permis aux Etats, d’une manière générale, de soustraire à l’exa-
men judicaire international un crime aussi grave que le génocide. L’inca-
pacité dans laquelle se trouve la Cour d’examiner le fond de l’affaire en
raison des limitations de sa compétence met clairement en évidence une

faiblesse majeure du système judiciaire international contemporain. Je me
suis donc associé à d’autres juges pour émettre une opinion individuelle
conjointe examinant certains aspects de la jurisprudence de la Cour en
matière de réserves. Il me paraît opportun, en outre, d’y ajouter une
brève déclaration développant plus avant d’autres aspects qui ont trait à

la compétence de la Cour.
2. Dans la présente affaire, la Cour s’est trouvée empêchée, du fait de
la nature et des limites du système judicaire international tel qu’il existe
aujourd’hui, de mettre en application le principe de bonne administration
de la justice. C’est ainsi qu’elle n’a pas été en mesure d’examiner au fond
les conclusions de la République démocratique du Congo. Cette inca-

pacité se trouve aggravée par le fait que l’affaire fait partie d’une série
d’affaires soumises à la Cour par la République démocratique du Congo,
concernant les activités armées d’Etats voisins sur son territoire. Bien
qu’il s’agisse d’affaires connexes, dans lesquelles les faits, les circon-
stances et les situations se recouvrent pour une bonne part, ce sont
néanmoins des affaires distinctes, chacune ayant été portée devant la

Cour sur le fondement de ses propres bases de compétence et donnant
lieu à des considérations juridiques qui lui sont propres. La Cour a évo-
qué ce fait dans l’arrêt en déclarant:

«La Cour notera tout d’abord qu’à ce stade de la procédure en la
présente affaire elle ne peut se pencher sur aucun élément relatif au
fond du différend opposant la RDC et le Rwanda. Conformément à

80 ACTIVITÉS ARMÉES DÉCL . ELARABY ) 83

la décision prise dans son ordonnance du 18 septembre 2002 (voir

paragraphe 6 ci-dessus), la Cour n’a à se préoccuper que des ques-
tions de savoir si elle a compétence pour connaître dudit différend et
si la requête de la RDC est recevable.» (Arrêt, par. 14.)

3. Ce point est particulièrement clair pour ce qui est des chefs de com-
pétence sur le fondement desquels la Cour a été priée d’examiner les dif-
férentes affaires. Dans l’affaire des Activités armées sur le territoire du

Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda) , les deux Etats
avaient fait des déclarations d’acceptation de la juridiction obligatoire
conformément au paragraphe 2 de l’article 36 du Statut. L’affaire a été
introduite sur la base, notamment, de la Charte des Nations Unies, de la
Charte de l’Organisation de l’unité africaine et d’autres traités multilaté-

raux auxquels les deux Etats étaient parties. La Cour a ainsi procédé à un
examen circonstancié du fond de l’affaire, rendant son arrêt le 19 dé-
cembre 2005. Dans le cas présent, en revanche, la République démocra-
tique du Congo a accepté la juridiction obligatoire, mais non le Rwanda.

Aussi la République démocratique du Congo a-t-elle invoqué, à la place,
pour établir la compétence de la Cour dans cette procédure, les
clauses de règlement des différends d’un certain nombre de conventions
multilatérales.
4. Dans l’arrêt, la Cour a examiné chacun des chefs de compétence

présentés par la République démocratique du Congo, et a conclu qu’aucun
d’eux ne permettait de fonder sa juridiction, en motivant dans chaque cas
sa conclusion. La Cour s’est ainsi trouvée dans l’incapacité de procéder à
l’examen de l’affaire au fond.
5. La Cour a rendu ce prononcé bien qu’elle reconnaisse l’extrême gra-

vité des allégations de la République démocratique du Congo, ce qu’elle
avait déjà fait dans son ordonnance du 10 juillet 2002 sur la demande en
indication de mesures conservatoires (Activités armées sur le territoire du
Congo (nouvelle requête: 2002) (République démocratique du Congo
c. Rwanda), mesures conservatoires, ordonnance du 10 juillet 2002,

C.I.J. Recueil 2002, p. 240-241, par. 54-56, et p. 249-250, par. 93).

6. Au stade des mesures conservatoires, la Cour a déclaré:

«[I]l existe une distinction fondamentale entre la question de
l’acceptation par un Etat de la juridiction de la Cour et la compati-
bilité de certains actes avec le droit international; la compétence

exige le consentement; la compatibilité ne peut être appréciée que
quand la Cour examine le fond, après avoir établi sa compétence et
entendu les deux parties faire pleinement valoir leurs moyens en
droit.» (Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête:
2002) (République démocratique du Congo c. Rwanda), mesures

conservatoires, ordonnance du 10 juillet 2002, C.I.J. Recueil 2002 ,
p. 249, par. 92.)

Cette distinction doit être réaffirmée aujourd’hui, et ce tout particulière-

81 ACTIVITÉS ARMÉES (DÉCL .ELARABY ) 84

ment à la lumière de l’arrêt rendu par la Cour le 19 décembre 2005 en

l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (République
démocratique du Congo c. Ouganda) . Cette affaire a mis en lumière la
complexité de la situation qui règne dans la région des Grands Lacs et le
rôle de tous les Etats de la région dans l’instabilité et les troubles qui sont
au centre des conclusions présentées par la République démocratique du

Congo. Cependant, il est crucial de noter que, alors que dans l’affaire
concernant l’Ouganda la compétence de la Cour était clairement établie
sur le fondement des déclarations d’acceptation de la juridiction obliga-
toire au titre du paragraphe 2 de l’article 36 faites par les deux Etats, cette
base de juridiction, au contraire, n’existe pas dans la présente affaire. La

Cour n’a donc pas compétence pour examiner le fond et, par conséquent,
ne doit pas préjuger les points de droit international avancés par la Répu-
blique démocratique du Congo qui touchent au fond.
7. A l’heure actuelle, la juridiction de la Cour en particulier et le règle-

ment judiciaire international en général sont de nature consensuelle. Le
consentement en est la pierre angulaire et peut se manifester par une
déclaration au titre du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut, une clause
compromissoire appropriée d’un traité ou un compromis, ou même par
acceptation tacite — ce que désigne l’expression forum prorogatum. Sans

un tel consentement, la Cour n’a pas compétence pour examiner une
affaire particulière sur le fond.
8. Les espoirs et les possibilités que recèle la Cour, en tant qu’organe
judiciaire principal des Nations Unies auquel est confiée la mission de
régler les différends, exigent que les Etats soumettent leurs différends à la

Cour et acceptent sa juridiction. Plusieurs dispositions importantes ins-
crites dans la Charte des Nations Unies soulignent le devoir qu’ont les
Etats de régler leurs différends pacifiquement et conformément au droit
international. Des efforts ont été déployés à maintes reprises, ces der-
nières années, en vue d’atteindre l’objectif d’une plus large acceptation de

la juridiction obligatoire de la Cour. Ainsi, l’Assemblée générale a adopté
le 15 novembre 1982 la déclaration de Manille sur le règlement pacifique
des différents internationaux (A/RES/37/10), en mettant particulièrement
l’accent sur l’importance qu’il y a à ce que les Etats reconnaissent la juri-
diction obligatoire de la Cour. En 1992, le Secrétaire général alors en

fonction, M. Boutros-Ghali, dans son rapport intitulé «Agenda pour la
paix», a exhorté tous les Etats Membres à accepter «la juridiction géné-
rale de la Cour internationale conformément à l’article 36 de son Statut,
sans aucune réserve, avant la fin de la décennie des Nations Unies pour le
droit international en l’an 2000» («Agenda pour la paix: diplomatie pré-

ventive, rétablissement de la paix, maintien de la paix», rapport présenté
par le Secrétaire général en application de la déclaration adoptée par la
réunion au sommet du Conseil de sécurité le 31 janvier 1992, A/47/277-
S/24111, par. 39).
9. Plus récemment, le Secrétaire général actuel, M. Kofi Annan, a

appelé les Etats à se soumettre à la juridiction obligatoire de la Cour.
Dans son rapport sur la prévention des conflits armés de 2001, il a

82 ACTIVITÉS ARMÉES (DÉCL . ELARABY ) 85

«engag[é] les Etats Membres qui ne l’ont pas encore fait à envisager
d’accepter la juridiction obligatoire de la Cour» («Prévention des conflits

armés», rapport du Secrétaire général, 7 juin 2001, A/55/285-S/2001/574,
par. 48). Il a poursuivi: «Plus les Etats qui acceptent la juridiction obli-
gatoire de la Cour seront nombreux, plus les chances de pouvoir régler
rapidement les conflits en puissance par des moyens pacifiques seront

grandes.» (Ibid., par. 48.) Dans la recommandation 6 de ce rapport, il a
«invit[é] instamment les Etats Membres à accepter la juridiction générale
de la Cour» (ibid., par. 50). Si donc le consentement constitue bien la
pierre angulaire du système de règlement judiciaire international, les
Etats ont le devoir, en vertu de la Charte, de régler leurs différends paci-

fiquement. Reconnaître la juridiction obligatoire de la Cour, c’est s’acquit-
ter de ce devoir.
10. Certaines limitations intrinsèques du Statut, reflétant les limites du
système judiciaire international en général, sont des vestiges d’une

époque révolue et demandent à être réexaminées. L’affaire soumise
aujourd’hui à la Cour traduit clairement ces limites. Elle vient rappeler à
la communauté internationale qu’il est devenu impératif, au XXI siècle,
de chercher à surmonter les obstacles à l’établissement de la compétence.

La Cour jouera peut-être ainsi un rôle plus important dans le règlement
des différends internationaux et dans le renforcement du respect du droit
international parmi les Etats, contribuant en fait, de la sorte, à

«réaliser, par des moyens pacifiques, conformément aux principes de
la justice et du droit international, l’ajustement ou le règlement de
différends ou de situations, de caractère international, susceptibles

de mener à une rupture de la paix» (Charte des Nations Unies,
art. 1, par. 1).

(Signé) Nabil E LARABY .

83

Bilingual Content

82

DECLARATION OF JUDGE ELARABY

Agreement with findings of the Court — Limitations of the international legal
system — Court precluded from the appropriate administration of justice —
Related cases based on different grounds of jurisdiction — Rwanda’s non-
recognition of the compulsory jurisdiction of the Court — Consensual nature of
the jurisdiction of the Court — Gravity of the situation in question –– Importance

of States’ acceptance of the compulsory jurisdiction of the Court.

1. I have voted with a degree of reluctance in favour of the Judgment
that the Court has no jurisdiction to entertain the Application of the
Democratic Republic of the Congo. While I accept the findings and con-

clusions therein as consistent with the Statute and hence sound in law, I
do firmly believe that States, in general, should not be permitted to evade
international judicial scrutiny regarding a crime as grave as genocide.
The Court’s inability to examine the merits due to jurisdictional limita-
tions cogently demonstrates a major weakness in the contemporary inter-
national legal system. I have therefore joined other judges in a separate

opinion which examines certain aspects of the Court’s jurisprudence
in the matter of reservations. In addition, I consider it appropriate to
append a brief declaration to elaborate further on some other aspects
relating to the jurisdiction of the Court.

2. In the instant case, the Court was precluded, by virtue of the nature
and limitations of the international legal system as it exists today, from
the appropriate administration of justice. As a result, the Court has not
been able to examine the merits of the claims of the Democratic Republic
of the Congo. This inability is compounded by the fact that the case

forms part of a series of cases brought before the Court by the Demo-
cratic Republic of the Congo relating to armed activities of neighbouring
States on its territory. Although these cases are related and, to a con-
siderable extent, the facts, circumstances and situations at issue overlap,
they are nonetheless distinct cases, each brought upon its own grounds
for jurisdiction and giving rise to its own legal considerations. The Court

referred to this fact in the Judgment by stating that:

“The Court notes first of all that at the present stage of the pro-
ceedings it cannot consider any matter relating to the merits of this
dispute between the DRC and Rwanda. In accordance with the deci-

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DEuCLARATION DE M. LE JUGE ELARABY

[Traduction]

Accord sur les conclusions de la Cour — Limites du système judicaire inter-
national — Impossibilité pour la Cour de mettre en application le principe de
bonne administration de la justice — Affaires connexes fondées sur des chefs de
compétence différents — Non-reconnaissance par le Rwanda de la juridiction
obligatoire de la Cour — Nature consensuelle de la compétence de la Cour —

Gravité de la situation en cause — Importance de l’acceptation par les Etats de
la juridiction obligatoire de la Cour

1. J’ai voté, non sans quelque réticence, en faveur de l’arrêt par lequel
la Cour déclare n’avoir pas compétence pour connaître de la requête de la
République démocratique du Congo. Tout en souscrivant aux conclu-

sions qui y sont énoncées, parce qu’elles sont en accord avec le Statut de
la Cour et donc fondées en droit, j’ai la ferme conviction qu’il ne devrait
pas être permis aux Etats, d’une manière générale, de soustraire à l’exa-
men judicaire international un crime aussi grave que le génocide. L’inca-
pacité dans laquelle se trouve la Cour d’examiner le fond de l’affaire en
raison des limitations de sa compétence met clairement en évidence une

faiblesse majeure du système judiciaire international contemporain. Je me
suis donc associé à d’autres juges pour émettre une opinion individuelle
conjointe examinant certains aspects de la jurisprudence de la Cour en
matière de réserves. Il me paraît opportun, en outre, d’y ajouter une
brève déclaration développant plus avant d’autres aspects qui ont trait à

la compétence de la Cour.
2. Dans la présente affaire, la Cour s’est trouvée empêchée, du fait de
la nature et des limites du système judicaire international tel qu’il existe
aujourd’hui, de mettre en application le principe de bonne administration
de la justice. C’est ainsi qu’elle n’a pas été en mesure d’examiner au fond
les conclusions de la République démocratique du Congo. Cette inca-

pacité se trouve aggravée par le fait que l’affaire fait partie d’une série
d’affaires soumises à la Cour par la République démocratique du Congo,
concernant les activités armées d’Etats voisins sur son territoire. Bien
qu’il s’agisse d’affaires connexes, dans lesquelles les faits, les circon-
stances et les situations se recouvrent pour une bonne part, ce sont
néanmoins des affaires distinctes, chacune ayant été portée devant la

Cour sur le fondement de ses propres bases de compétence et donnant
lieu à des considérations juridiques qui lui sont propres. La Cour a évo-
qué ce fait dans l’arrêt en déclarant:

«La Cour notera tout d’abord qu’à ce stade de la procédure en la
présente affaire elle ne peut se pencher sur aucun élément relatif au
fond du différend opposant la RDC et le Rwanda. Conformément à

8083 ARMED ACTIVITIES (DECL .ELARABY )

sion taken in its Order of 18 September 2002 (see paragraph 6

above), the Court is required to address only the questions of
whether it is competent to hear the dispute and whether the DRC’s
Application is admissible.” (Judgment, para. 14.)

3. This is particularly clear in relation to the jurisdictional bases upon
which the Court has been asked to examine the individual cases. In the
case concerning Armed Activities on the Territory of the Congo (Demo-

cratic Republic of the Congo v. Uganda), both States had made declara-
tions of acceptance of compulsory jurisdiction in accordance with
Article 36, paragraph 2, of the Statute. The case was brought on the
basis, inter alia, of the Charter of the United Nations, the Charter of the
Organization of African Unity and other multilateral treaties to which

both States were parties. The Court thus proceeded to a full examination
of the case on its merits, delivering its Judgment on 19 December 2005. In
the instant case, however, while the Democratic Republic of the Congo
has accepted the compulsory jurisdiction, Rwanda has not. Thus the

Democratic Republic of the Congo has instead invoked the dispute
settlement clauses of a number of multilateral conventions as the basis
for establishing jurisdiction in these proceedings.

4. In the Court’s Judgment, it examines each individual basis of juris-

diction asserted by the Democratic Republic of the Congo. The Court
has found that none of these suggested bases would establish jurisdiction.
In each case, it has given reasons supporting its findings. Thus, the Court
has been unable to proceed to the merits of the case at hand.
5. The Court has made such a finding even though it acknowledges

that the allegations made by the Democratic Republic of the Congo are
of a most serious nature. This seriousness has already been acknowledged
in the Court’s Order of 10 July 2002 on the request for the indication of
provisional measures (Armed Activities on the Territory of the Congo
(New Application: 2002) (Democratic Republic of the Congo v.

Rwanda), Provisional Measures, Order of 10 July 2002, I.C.J. Reports
2002, pp. 240-241, paras. 54-56, and pp. 249-250, para. 93).
6. At the provisional measures stage, the Court stated:

“there is a fundamental distinction between the question of the
acceptance by a State of the Court’s jurisdiction and the compatibil-
ity of particular acts with international law; the former requires con-

sent; the latter question can only be reached when the Court deals
with the merits after having established its jurisdiction and having
heard full legal arguments by both parties” (Armed Activities on the
Territory of the Congo (New Application: 2002) (Democratic
Republic of the Congo v. Rwanda), Provisional Measures, Order of

10 July 2002, I.C.J. Reports 2002 , p. 249, para. 92).

This distinction must be reiterated today. This is all the more so in the

81 ACTIVITÉS ARMÉES DÉCL . ELARABY ) 83

la décision prise dans son ordonnance du 18 septembre 2002 (voir

paragraphe 6 ci-dessus), la Cour n’a à se préoccuper que des ques-
tions de savoir si elle a compétence pour connaître dudit différend et
si la requête de la RDC est recevable.» (Arrêt, par. 14.)

3. Ce point est particulièrement clair pour ce qui est des chefs de com-
pétence sur le fondement desquels la Cour a été priée d’examiner les dif-
férentes affaires. Dans l’affaire des Activités armées sur le territoire du

Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda) , les deux Etats
avaient fait des déclarations d’acceptation de la juridiction obligatoire
conformément au paragraphe 2 de l’article 36 du Statut. L’affaire a été
introduite sur la base, notamment, de la Charte des Nations Unies, de la
Charte de l’Organisation de l’unité africaine et d’autres traités multilaté-

raux auxquels les deux Etats étaient parties. La Cour a ainsi procédé à un
examen circonstancié du fond de l’affaire, rendant son arrêt le 19 dé-
cembre 2005. Dans le cas présent, en revanche, la République démocra-
tique du Congo a accepté la juridiction obligatoire, mais non le Rwanda.

Aussi la République démocratique du Congo a-t-elle invoqué, à la place,
pour établir la compétence de la Cour dans cette procédure, les
clauses de règlement des différends d’un certain nombre de conventions
multilatérales.
4. Dans l’arrêt, la Cour a examiné chacun des chefs de compétence

présentés par la République démocratique du Congo, et a conclu qu’aucun
d’eux ne permettait de fonder sa juridiction, en motivant dans chaque cas
sa conclusion. La Cour s’est ainsi trouvée dans l’incapacité de procéder à
l’examen de l’affaire au fond.
5. La Cour a rendu ce prononcé bien qu’elle reconnaisse l’extrême gra-

vité des allégations de la République démocratique du Congo, ce qu’elle
avait déjà fait dans son ordonnance du 10 juillet 2002 sur la demande en
indication de mesures conservatoires (Activités armées sur le territoire du
Congo (nouvelle requête: 2002) (République démocratique du Congo
c. Rwanda), mesures conservatoires, ordonnance du 10 juillet 2002,

C.I.J. Recueil 2002, p. 240-241, par. 54-56, et p. 249-250, par. 93).

6. Au stade des mesures conservatoires, la Cour a déclaré:

«[I]l existe une distinction fondamentale entre la question de
l’acceptation par un Etat de la juridiction de la Cour et la compati-
bilité de certains actes avec le droit international; la compétence

exige le consentement; la compatibilité ne peut être appréciée que
quand la Cour examine le fond, après avoir établi sa compétence et
entendu les deux parties faire pleinement valoir leurs moyens en
droit.» (Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête:
2002) (République démocratique du Congo c. Rwanda), mesures

conservatoires, ordonnance du 10 juillet 2002, C.I.J. Recueil 2002 ,
p. 249, par. 92.)

Cette distinction doit être réaffirmée aujourd’hui, et ce tout particulière-

8184 ARMED ACTIVITIES (DECL .ELARABY )

light of the Court’s Judgment of 19 December 2005 in the case concern-

ing Armed Activities on the Territory of the Congo (Democratic Republic
of the Congo v. Uganda). That case highlighted the complexity of the
circumstances in the Great Lakes region and the role of all States in the
region in the instability and turmoil which are at the heart of the claims
advanced by the Democratic Republic of the Congo. Yet it is crucial to

note that, whereas in the case concerning Uganda, the Court clearly had
jurisdiction on the basis of the declarations of both States accepting com-
pulsory jurisdiction under Article 36, paragraph 2, in the instant case —
by way of contrast — no such jurisdiction exists. Thus, the Court is not
competent to examine the merits and accordingly must not prejudge the

substantive issues of international law asserted by the Democratic Repub-
lic of the Congo.

7. At present, the jurisdiction of the Court in particular, and inter-

national adjudication in general, is of a consensual nature. Consent is
its cornerstone and can manifest itself through a declaration under
Article 36, paragraph 2, of the Statute, an appropriate compromissory
clause in a treaty, special agreement or even through tacit acceptance
referred to as forum prorogatum. Without such consent, however, the

Court has no jurisdiction to examine the merits of a particular case.

8. The promise and possibilities of the Court, as the principal judicial
organ of the United Nations entrusted with the responsibility of settling
disputes, requires that States submit their disputes to the Court and

accept its jurisdiction. The duty of States to settle their disputes peace-
fully and in accordance with international law is emphasized in a number
of important provisions enshrined in the Charter of the United Nations.
Efforts to realize the objective of wider acceptance of the compulsory
jurisdiction of the Court have been exerted on many occasions in recent

years. The Manila Declaration on the Peaceful Settlement of Interna-
tional Disputes was adopted by the General Assembly on 15 Novem-
ber 1982 (A/RES/37/10) with a particular emphasis on the importance of
States recognizing the compulsory jurisdiction of the Court. In 1992 the
then Secretary-General, Boutros-Ghali, in his Agenda for Peace Report

called on all Member States to accept the “general jurisdiction of the
International Court under Article 36 of its Statute, without any reserva-
tion, before the end of the United Nations Decade of International Law
in the year 2000” (An Agenda for Peace: Preventive Diplomacy, Peace-
making and Peace-keeping , Report of the Secretary-General adopted by

a summit meeting of the Security Council on 31 January 1992, A/47/277-
S/24111, para. 39).

9. More recently, Secretary-General Kofi Annan has called on States

to submit to the compulsory jurisdiction of the Court. In his 2001 Report
on the Prevention of Armed Conflict, he “reiterate[d] [his] appeal to

82 ACTIVITÉS ARMÉES (DÉCL .ELARABY ) 84

ment à la lumière de l’arrêt rendu par la Cour le 19 décembre 2005 en

l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (République
démocratique du Congo c. Ouganda) . Cette affaire a mis en lumière la
complexité de la situation qui règne dans la région des Grands Lacs et le
rôle de tous les Etats de la région dans l’instabilité et les troubles qui sont
au centre des conclusions présentées par la République démocratique du

Congo. Cependant, il est crucial de noter que, alors que dans l’affaire
concernant l’Ouganda la compétence de la Cour était clairement établie
sur le fondement des déclarations d’acceptation de la juridiction obliga-
toire au titre du paragraphe 2 de l’article 36 faites par les deux Etats, cette
base de juridiction, au contraire, n’existe pas dans la présente affaire. La

Cour n’a donc pas compétence pour examiner le fond et, par conséquent,
ne doit pas préjuger les points de droit international avancés par la Répu-
blique démocratique du Congo qui touchent au fond.
7. A l’heure actuelle, la juridiction de la Cour en particulier et le règle-

ment judiciaire international en général sont de nature consensuelle. Le
consentement en est la pierre angulaire et peut se manifester par une
déclaration au titre du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut, une clause
compromissoire appropriée d’un traité ou un compromis, ou même par
acceptation tacite — ce que désigne l’expression forum prorogatum. Sans

un tel consentement, la Cour n’a pas compétence pour examiner une
affaire particulière sur le fond.
8. Les espoirs et les possibilités que recèle la Cour, en tant qu’organe
judiciaire principal des Nations Unies auquel est confiée la mission de
régler les différends, exigent que les Etats soumettent leurs différends à la

Cour et acceptent sa juridiction. Plusieurs dispositions importantes ins-
crites dans la Charte des Nations Unies soulignent le devoir qu’ont les
Etats de régler leurs différends pacifiquement et conformément au droit
international. Des efforts ont été déployés à maintes reprises, ces der-
nières années, en vue d’atteindre l’objectif d’une plus large acceptation de

la juridiction obligatoire de la Cour. Ainsi, l’Assemblée générale a adopté
le 15 novembre 1982 la déclaration de Manille sur le règlement pacifique
des différents internationaux (A/RES/37/10), en mettant particulièrement
l’accent sur l’importance qu’il y a à ce que les Etats reconnaissent la juri-
diction obligatoire de la Cour. En 1992, le Secrétaire général alors en

fonction, M. Boutros-Ghali, dans son rapport intitulé «Agenda pour la
paix», a exhorté tous les Etats Membres à accepter «la juridiction géné-
rale de la Cour internationale conformément à l’article 36 de son Statut,
sans aucune réserve, avant la fin de la décennie des Nations Unies pour le
droit international en l’an 2000» («Agenda pour la paix: diplomatie pré-

ventive, rétablissement de la paix, maintien de la paix», rapport présenté
par le Secrétaire général en application de la déclaration adoptée par la
réunion au sommet du Conseil de sécurité le 31 janvier 1992, A/47/277-
S/24111, par. 39).
9. Plus récemment, le Secrétaire général actuel, M. Kofi Annan, a

appelé les Etats à se soumettre à la juridiction obligatoire de la Cour.
Dans son rapport sur la prévention des conflits armés de 2001, il a

8285 ARMED ACTIVITIES (DECL .ELARABY )

Member States who have not yet done so to consider accepting the com-
pulsory jurisdiction of the Court” (Prevention of Armed Conflict , Report
of the Secretary-General, 7 June 2001, A/55/985-S/2001/574, para. 48).

He continued: “the more States that accept compulsory jurisdiction of
the Court, the higher the chances that potential disputes can be expedi-
tiously resolved through peaceful means” (ibid., para. 48). Recommenda-
tion 6 of this Report “urge[d] Member States to accept the general juris-
diction of the Court” (ibid., para. 50). Thus, while consent forms the

cornerstone of the system of international adjudication, States have a
duty under the Charter to settle their disputes peacefully. Recognition of
the compulsory jurisdiction of the Court fulfils this duty.

10. Some built-in limitations of the Statute, resonant of limitations of
the international legal system generally, are relics of a past era which
need to be revisited. The case before the Court today represents a clear

reflection of these limitations. It serves as a reminder to the international
community in the twenty-first century of the imperative of actively seek-
ing to overcome the hurdles in establishing jurisdiction. The Court may
thereby play a stronger role in the peaceful settlement of international
disputes and in enhancing respect for international law among States,

thus contributing in fact

“to bring[ing] about by peaceful means, and in conformity with the
principles of justice and international law, adjustment or settlement
of international disputes or situations which might lead to a breach
of the peace” (Art. 1, para. 1, of the Charter of the United Nations).

(Signed) Nabil E LARABY .

83 ACTIVITÉS ARMÉES (DÉCL . ELARABY ) 85

«engag[é] les Etats Membres qui ne l’ont pas encore fait à envisager
d’accepter la juridiction obligatoire de la Cour» («Prévention des conflits

armés», rapport du Secrétaire général, 7 juin 2001, A/55/285-S/2001/574,
par. 48). Il a poursuivi: «Plus les Etats qui acceptent la juridiction obli-
gatoire de la Cour seront nombreux, plus les chances de pouvoir régler
rapidement les conflits en puissance par des moyens pacifiques seront

grandes.» (Ibid., par. 48.) Dans la recommandation 6 de ce rapport, il a
«invit[é] instamment les Etats Membres à accepter la juridiction générale
de la Cour» (ibid., par. 50). Si donc le consentement constitue bien la
pierre angulaire du système de règlement judiciaire international, les
Etats ont le devoir, en vertu de la Charte, de régler leurs différends paci-

fiquement. Reconnaître la juridiction obligatoire de la Cour, c’est s’acquit-
ter de ce devoir.
10. Certaines limitations intrinsèques du Statut, reflétant les limites du
système judiciaire international en général, sont des vestiges d’une

époque révolue et demandent à être réexaminées. L’affaire soumise
aujourd’hui à la Cour traduit clairement ces limites. Elle vient rappeler à
la communauté internationale qu’il est devenu impératif, au XXI siècle,
de chercher à surmonter les obstacles à l’établissement de la compétence.

La Cour jouera peut-être ainsi un rôle plus important dans le règlement
des différends internationaux et dans le renforcement du respect du droit
international parmi les Etats, contribuant en fait, de la sorte, à

«réaliser, par des moyens pacifiques, conformément aux principes de
la justice et du droit international, l’ajustement ou le règlement de
différends ou de situations, de caractère international, susceptibles

de mener à une rupture de la paix» (Charte des Nations Unies,
art. 1, par. 1).

(Signé) Nabil E LARABY .

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Déclaration de M. Elaraby

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