Opinion dissidente de M. Elaraby

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123-20050210-JUD-01-02-EN
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123-20050210-JUD-01-00-EN
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40

OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE ELARABY

[Traduc 1ion}

Exception préliminaire à la compétence ratione temporis de la Cour
- Contexte et libelléde la limitatù)/I ratione tempo ris ayant peul-êtrejustifié
que la Cour s'écartedu critère de la «cause réelle» adopté dans des affaires
antérieures- Caractère fautif quant aux faits de la conclusion de la Cour selon
laquelle la cause réelledu différendrésidedans desfaits ou silUations alllérleurs
à la dale critique - La Cour aurait dû joindre au Iond l"exceplion à sa com­
pé/enceratio ne temporis - Rejet in limine de l'affaire par la Cour, après avoir
reconnu l'existence d'un différend enrre les Panies, ne coll1rihuant pas de

manière positive au réglementdes différends internationuux.

i 1 1. Le fait que la Cour a conclu qu'elle n'avait pas compétence ra/ione
temporis et que, déslors, elle n'ava.itpas compétence pour connaître de la
requêtedu Liechtenstein me porte à joindre à l'arrêtla présente opinion
dissidente, afin d'expiiquer !es raisons pour lesquelles j'ai voté contre
cette conclusion.

2. Pour conclure qu'elle n'avait pas compétence ra/Ione tempo ris,la
Cour s'est fondéesur deux prémisses:
i) aux termes de l'alinéaa) de l'article 27 de la convention européenne

pour le règlement pacifique des différends, la Cour n'est pas compé­
tente à l'égarddes «différends concernant des faits ou situations anté­
rieurs à l'entréeen vigueur de [cette] convention entre les parties au
différend [c'est-à-dire antérieurs à 1980]»;

ii) la jurisprudence de la Cour actuelle et celle de sa devanciére ont établi
que sont pertinents pour statuer sur la compétence rarione temporis
1 i, les faits ou les situatians qui constit uen t <(origine ou la cause réelle»
du différend (arrêt, par. 46).

3. En concluant à un défaut de compétence ratione temporis, la Cour
a reconnu à juste titre que «l'élémentdécisifn'[était]pas la dat.e à laquelle
le différend a[vait] vu le jour, mais celle desfaits ou situa/ions concernant
lesquels le différend s'[était]élevé»(arrêt,par. 48; les italiques sont de

moi). Elle a ensuite procédé à la détermination des fails ou situations qui
constituaient «l'origine ou la cause réelle» du différend. La Cour a
conclu «qu'il n'[était]pas contesté que le diflërend u[vait] é/édéclenché
par les décisionsdes juridictions allemandes» (ibid.; les italiques sont de
moi) dans l'affaire du Tableau de Pieter van Laer, ajoutant toutefois que

« [c]ette conclusion ne r[é]gl[ait]... pas la question que la Cour [était]
appelée à trancher» (ibid.) car, mêmesi les décisions de ces juridictions
ont étérendues après la date critique, elles ne constit uent pas {(l'origine
ou la cause réelle» du différend. L'<wrigine ou la cause réelle»du diffé­
rend, d'après la Cour, résideplutôt dans la situation crééepar la conven­

, , tion sur le règlement et les décrets Benes, situation et décrets qui sont
! antérieurs à la date critique (arrêt,par. 52).

38 CERTAINS BIENS (OP.mss. ELARABY) 41

4. En appliquant le critère de la «cause réelle», la Cour a adopté
une analyse faite initialement dans deux affaires soumises à sa devan­
cière, la Cour permanente de Justice internationale, et qu'elle avait
elle-même reprise en 1960 dans l'affaire du Droit de passage. A ce

stade, il convient de souligner que, dans chacune des affaires citéespar la
Cour:

a) les clauses d'exclusion figuraient dans des déclarations faites au titre
de la clause facultative,n dans des traités; et
b) les clauses en question utilisatdes termes identiques qui limitaien t
la compétence de la Cour aux différends «s'élevant ... relativement à
des situationsou faits» postérieursà la date critique, tandis qu'en

l'espèce la limitation temporelle énoncéedans la convention euro­
péenne lui confëre compétence à l'égard de différends «concernant
des faits ou situations» postérieuàsla date critique.

5. De toute évidence,les termes utilisésdans la convention européenne
ont un sens plus généralque ceux des clauses viséesdans les affaires pré­
citées. C'est là un fait qui, de mon point de vue, pouvait imposer une
interprétation du critère de la «cause réelle» différente de celle adoptée

dans ces précédentesaffaires, voire l'application d'un autre critère. De
surcroît, en reconnaissant -comme elle l'a fait à plusieurs reprises dans
son arrêt(par. 48 et 52) - que les décisions prises par les juridictions
allemandes dans les années 1990 avaient ~(déclen lehdéférend, la

Cour paraît avoir également reconnu que ces décisions «concernaient»
des faits ou situations qui étaient bien postériàula date critique; mais
la Cour n'a vu là aucune contradiction.
6. Aux fins de la présente opinion dissidente, cependant, je partiraj de
l'hypothèse que, nonobstant le libelléplus généralde la limitation rarione

temporis en l'espèce,le critère de~(cau rselle»est bien celàiretenir,
et je me borneraià expliquer pourquoi je pense que la Cour est parvenue
à la mauvaise conclusion lorsqu'elle a appliqué ce critère aux circons­
tances particulières de la présente affaire.
7. Pour conclure que la cause réelledu différend ne résidait pas dans

les décisions rendues par lesjuridictions allemandes dans les années 1990,
mais dans des faits et situations intervenus avant les années 1980, la
Cour est partie de l'hypothèse que les décisions de ces juridiction~<ne
[pouvJaient êtredissociées de la convention sur le règlement ni des dé­
crets Benes» (arrêt,par. 51) car, d'après elle, ces décisionsétaient simple­
ment les dernièresrendues dans une longue séried'affaires en lesquelles lesju­

ridictions allemandes avaient toujours conclu que la convention sur le
règlement leur interdisait de se prononcer sur la licéitéde confiscations de
biens opéréesà l'étranger (arrêt, par. 50). Or, ce raisonnementpasse à
côté du point essentiel, qui est que les juridictions allemandes n'avaient

jamais appliqué auparavant la convention sur le règlement à des biens
appartenant à un Etat neutre, de sorte qu'il n'y a pas de longue série
d'affairesàprendre en considération. De plus, la convention sur le règle­
ment est un traité qui vise uniquement les ~<avo ires ands à l'étran-'

391 !

CERTAINS RIENS (OP. DISS. ELARABY) 42

gen). Le Liechtenstein est une tierce partie et n'est pas liépar les dispo­
sitions de cette convention. Que les décrets Benes aient étéfondéssur la
nationalité ou sur l'appartenance ethnique (à savoir sur la notion plus
large de personnes appartenant au peuple allemand, indépendamment de

leur nationalité) est sans importance dans l'affaire introduite par le
Liechtenstein contre l'Allemagne puisque cette dernière, le défendeur, n'a
absolument jouéaucun rôle dans l'adoption de ces décrets. Il n'a pas pro­
mulguéou appliqué les décrets BeneSpour confisquer des biens Iiechten­

steinois. En fait, par rapport à Cesdécrets,le demandeur et le défendeur
se trouvent exactement dans la mêmesituation: tous deux ont subi
un préjudice par suite de confiscations opéréesen vertu de ces décrets.
Dans ces conditions, tous les faits et situations qui sont antérieurs à la

date critique au sens de la con'vention européenne servent uniquement
de contexte historique au différend surgi entre les Parties à la présente
affaire.
8. Certains de ces faits seraient pertinents si le défendeurétaitla Tché­
coslovaquie et si la présente procédure avaitété instituéepour contester

un quelconque aspect de la licéitédes décrets Benes. Mais tel n'est pas le
cas ici. En outre, comme je m'efforce de l'expliquer, les circonstances de
l'espècene sont pas les mêmesque celles qui sous-tendaient les trois af­
faires invoquées par la Cour. Il existe en effet une différenceessentielle;

dans chacune des trois affaires antérieures, certains actes imputables au
défendeur et dont se plaignait le demandeur avaient eu lieu aussi bien
avant qu'après la date critique, et la Cour, pour se prononcer sur la por­
téede sa compétence ralione temporis, devait déterminer lesquels de ces
actes constituaient les faits et situations qui étaient ({l'origine ou la cause

réelle»du différend.
9. Ainsi, dans l'affaire des Phosphates du Maroc, l'Italie tirait-elle grief
du fait que la législation française qui établissait un accaparement de
l'industrie marocaine des phosphates au détriment d'une entreprise ita­
lienne avait étéadoptée avanl la date critique, tandis que la décisiondéfi­

nitivc du ministere des affaires étrangères de la France privant cette
entreprise de ses droits avait éteprise après cette date. Dans j'affaire de la
Compagnie d'électricitéde Sofia et de Bulgarie, la"Belgique tirait grief du
fait qu'une municipalité bulgare avait confisquéles biens d'une entreprise
belge et qu'un tribunal mixte belgo-bulgare avait établiune formule pour

fixer le tarif du charbon qui serait vendu par cette entreprise avan 1la date
critique, tandis que les juridictions bulgares avaient appl1quécette for­
mule d'une maniere qui avait étécause d'une perte pour l'entreprise belge
après cette date. Enfin, dans l'affaire du Droit de passage sur territoire

indien, le Portugal faisait valoir que certains {(incidents mineurs)} entre
l'Inde et lui concernant le passage du Portugal sur le territoire indien
s'étaientproduits avant la date critique, tandis que son droit de passage
lui avait étètotalement nié après cette date. La Cour a certes apprécié,
dans chaque affaire, les faits ou situations d'une manière différente

l, - concluant dans une seule des affaires que les faits ou situations cons­
tituant <d'origineou la cause réelle»du différend étaient antérieurs à la

40 CERTAINS lllENS (OP. mss. ELARABY) 43

date critique -, mais le fait est que, dans chacune de ces affaires, elle se
trouvait face à des actes imputables au défendeur et dénoncés par le
demandeur, actes qui avaient eu lieu a)lant la date critique. Il n'y a aucun
acte de cette nature ici. Négligerde reconnaître ce fait et les conséquences
juridiques qui en découlent, c'est s'écarter de la jurisprudence antérieure

de la Cour.
10. 11devrait, à mon sens, êtreparfaitement limpide que ce sont les
décisions par lesquelles, dans les années 1990, soit dix ans après la date
critique, des juridictions allemandes ont considérédes biens du Liechten­
stein, un Etat neutre, comme des avoirs allemands à l'ètranger qui

devraient êtreregardées comme la (cause réelle» du différend. Le Liech­
tenstein a priéla Cour de dire el.juger que (d'Allemagne n'a[vait] pas res­
pectéla souverainete et la neutral ite du Liech tenstei n»(mémoire du Liech­
tenstein, p. 187,par. l, al. a)) au motif que celle-ci avait traité des avoirs
liechtensteinois comme des avoirs allemands. Aussi sa demande porte-t­

elle exclusivement sur la validité,en droit international, des décisions ren­
dues par les tribunaux allemands. La licéitéde la confiscation de biens
lîechtensteinois en Tchécoslovaquie constitue une question distincte qui
pourrait êtrel'objet d'un différend entre le Liechtenstein et la Tchécoslo­
vaquie, mais non entre le Liechtenstein et l'Allemagne. Les décisions des

juridictions allemandes revêtent donc ici le mêmecaractère et la même
nature que les événements qui s'étaient produits après la date critique
dans les affaires de la Compagnie d'électricitéet du Droit de passage.
Dans cette dernière affaire, la Cour avait dit ce qui suit:

«C'est en 1954 seulement qu'une ... controverse a surgi et le dif­
férend porte à la fois sur l'existence d'un droit de passage pour accé­
der aux territoires enclavés et sur le manquement de l'Inde aux obli­
gations qui, selon le Portugal, luiincomberajent à cet égard. C'est de

cet ensemble qu'est néle différend soumis à la Cour; c'est cet en­
semble que concerne le différend. Cel ensemble, quelle que soit l'ori­
gine anCÎenne de l'une de ses parties, n'a existé qu'après {la dale
critique}.» (Droit de passage sur territoire indien, fond, arrêt,
e. IJ. Reeueil 1960, p. 35; les italiques sont de moi.)

11. 11est difficile de saisir comment, en l'espèce, l'((ensemble>>aurait
pu se matérialiser avant 1980 étant donné qu'il n'a étéfait mention, en

l'instance, d'aucune conduite imputable à l'Allemagne qui serait anté­
rieure à cette date. C'est d'ailleurs ce qu'a admis la Cour lorsqu'elle a
confinne que la «question de savoir si cette convention [sur le règlement]
s'appliquait ou non aux biens liechtensteinois n'avait jamais étésoulevée
auparavant devant des juridictions allemandes» (arrêt, par. 50). La Cour

a démontrél'existence d'une « situation nouvelle >),à savoir l'application
«pour la première fois» d'une jurisprudence antérieure fondée sur la
convention sur le règlement à des biens neutres et non allemands, et c'est
cette situation qui, pOUf la première fois, a fait naître un différend entre
le Liechtenstein et l'Allemagne.

41 CERTAINS BIENS (OP, mss, ELARABY) 44

12. Mon raisonnement est le suivant: si nous partons du fait établi,
qui est que le défendeur n'est pas responsable des décrets Benes, il faut
légitimement seposer cette question: le défendeur a-t-il accompli après la
date critique Je moindre acte qui soit susceptible d'engager sa responsa­
bilîtéinternationale?

13. Un examen du dossier de l'affaire donne à penser que deux actes
de cette nature ont étéaccomplis par l'Allemagne, Le premier est l'échange
de notes

{(entre les Trois Puissances occidentales et le Gouvernement de la
République fédéraled'Allemagne (les parties à la convention sur le
règlement), aux termes duquel cette convention cesserait d'êtreen
vigueur à la date d'entrée en vigueur du traité. Si cet échange de

notes mettait fin à la convention sur le règlement elle-même,et
notamment à l'article5 du chapitre sixième(relatif à J'indemnisation
par l'Allemagne), il prévoyait que les paragraphes 1 et 3de l'article3
du chapitre sixième «demeurer[aient] cependant en vigueun),»)
(Arrêt,par. 15.)

En conséquence, J'Allemagne a maintenu la disposition énoncée à l'ar­
ticle 3 du chapitre sixièmede la convention sur le règlement,qui lui impose

de ne «soul[ever] ... aucune objection)) contre les mesures prises à J'en­
contre d'«avoirs allemands à l'étrangen), mais elle a mis fin à l'obliga­
tion d'indemnisation prévue .ill'article 5 dudit chapitre, lequel stipule que
«[l]a République fédéraleveillera à ce que les anciens propriétaires de
biens saisis en exécutiondes mesures viséesaux articles 2 et 3 du présent

chapitre reçoivent une indemnisation )).Le second acte imputable.il l'Alle­
magne est la décision prise par ses tribunaux d'appliquer la convention
sur le règlement à des biens appartenant aux ressortissants d'un Etat
neutre. Ces deux actes ont eu lieu bien après la date critique.
14. Il importe de rappeler, dans ce contexte, que la Cour européenne
des droits de l'homme (la «CEDH;;) est parvenue à une conclusion simi­

laire .il la mienne lorsqu'elle a eu à se prononcer sur sa compétence
ra/lone lemporis dans l'affaire portée devant elle par le prince de Liech­
tenstein. Dans cette affaire, le prince formulait deux prétentions dis­
tinctes,dont une seule est reprise en l'espèce. S'agissant de la première
- selon laquelle les décrets tchèques étaient illicites -, la CEDH a

conclu qu'elle n'avait pas compétencera/ione /emporis 1.EUea cependant
établi une distinction importante entre cette prétention et la seconde
prétention du prince, totalement distincte, à l'égard de laquelle elle a
relevé

«que le grief du requérant ... n'a[vait] pas traità la confiscation ini­
tiale du tableau opérée par les autorités de l'ex-Tchécoslovaquie

1 Prince Hans-Ar/am If de Uech/enstein c. Allemagne. Cour européenne des droits de
l'homme. requête n 42527/98.arrêtdu 12 juil/el 200(exception, préliminaires de
. l'Allemagne, vol. Il, annexe l, p. 29-30, par. 84-85).

42 CERTAINS lllENS (OP, mss, ELARAllY) 45

en 1946. En l'espèce,l'intéressése plaint de ce que, comme il n'a pas
pu obtenir une décision sur le fond de l'action en restitution du

tableau qu'il a instituée devant les juridictions allemandes en 1992,
l'Œuvre ait finalement étérendue à la République tchèque. La com­
pétence de la Cour pour connaître de cet aspect de la requête n'est
donc pas exclue ralione temporis.H 2

15. Ainsi la Cour européenne a-t-elle conclu que toute prétention rela­
tive aux décisions de justice rendues en l'affa.ire Pieter van Laer - la
seconde prétention que le prince de Liechtenstein lui avait soumise -
n'était«pas exclue (de sa compétence] ralione temporis» 3 car les faits per­

tinents avaient eu lieu dans les années 1990, après la date critique, Or,
c'est uniquement de cette seconde prétention que le Liechtenstein a saisi la
Cour internationale de Justice, et celle-ci aurait selon moi dû conclure, à
l'instar de la CEDH, qu'elle n'était pas empêchéed'exercer sa compé­

tence à l'égardde cette prétention du Liechtenstein.
16. Pour résumer, je suis d'avis que la limitation temporelle figurant
dans la convention européenne ne constituait pas une base appropriée
pour conclure à un défaut de compétence de la Cour. A titre subsidiaire,

j'estime que les différentes dimensions de l'affaire auraient pu êtremieux
explicitées si la Cour avait choisi d'examiner cette affaire plus avant en
joignant la deuxième exception préliminaire de ]'Allemagne au fond,

conformément au paragraphe 9 de l'article 79 de son Règlement, au lîeu
de rejeter j'affaire inlimine.
17, Je ne puis conclure sans exprimer les préoccupations que j'éprouve
quant au résultat final. La Cour a déclaréqu'un différend d'ordre juri­

dique existait bien entre les Parties, et a conclu que le véritable objet du
différend était

~~d eavoir si, en appliquant l'article 3 du chapitre sixième de la
convention sur le règlement à des biens liechtensteînoîs confisques
par la Tchécoslovaquie en 1945au titre des décrets Benes, j'Allemagne

a[vait] violé les obligations qui lui incombaient envers le Liech­
tenstein et, dans l'affirmative, de déterminer quelle serait la respon­
sabilité internationale de l'Allemagne» (arrêt, par. 26).

Décliner sa compétence quand un dif1ërend persiste n'apporte pas de

contribution positive au règlement des différends internationaux, qui
constitue la mission fondamentale de la Cour.

2 Exceptions préliminaires de l'Allemagne, vol. II, a!.p.29. par. 81.
] [hid.;les italiques sont de moi. La CEDH a pris soin de souligner qu'elle ne consi­
dérait pas la conduite de l'Allemagne comme une continuation de celle de la Tehé­
coslovaq uie:

«La Cour ajoute que, dans ces conditions, il n'est nullement question d'nne vio­
lation continue dla convention impnlableilla République fédéraled'Allemagne et
>usceptible de déployer des effe15,ur les limites temporelles il la compétence de la
COllT.)(Ibid..par. 85.)

43 CERTAINS BIENS (OP. mss. ELARAI:IY) 46

18. Compte tenu de ce qui précède,j'ai voté pour ['alinéa a) du pa­
ragraphe 1 du dispositif, mais j'ai dû voter contre l'alinéab) dudit pa­
ragraphe et le paragraphe 2 du dispositif.

(Signé) Nabîl ELARAI:IY.

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DTSSENTING OPTNTON OF JUDGE ELARABY

Preliminary objection ta jurisdiction of Court ratione ternporis - Context
and wording of limitation ratione temporis may have justified deparllIre from
"real cause" test adopted in prior cases - COUrl'Sconclusion dwl real cause of
dispule was in facls or siluarions prior ta crilical dale wrong on Ihe jacis -
Court should have joined objection ta ifs jurisdiction ratione temporis ta
mairs - COUrl 's disposaI of case in limine, afteilhad recognized Illat tllere

was ildispute belween Ihe Pa riies, nol a positive contribution10 selilement of'
international disputes.

1. The Court's finding that it lacks jurisdiction ratione temporis and
conseq uently that ithas no jurisdiction to entertain Liechtenstein's Appli­
cation prompts me to append this dissenting opinion in order ta clarify
the reasons for which 1 cast a dissenting vote.

2. The Court based its conclusion that it has no jurisdiction ratione
temporis on two premises:

(i) under Article 27 (a) of the European Convention for the Peaceful
Settlement of Disputes, the Court does not have jurisdiction over
"disputes re1ating ta facts or situations prior ta the entry into force
of this Convention as between the parties to the dispute [i.e. 1980]";

'.
(ii) the case law of this Court and of its predecessor have established that
the facts or situations that are relevant ta a ratione tempo ri.\analysis
are those that constitute the "source or real cause" of the dispute
(Judgment, para. 46).

3. In applying the exclusion of jurisdiction ralione temporis, the Court
rightly recognized that "the critical issue is not the date when the dispute
arase, but the date of the facts or situations in relation to which the dis­
pute arose" (Judgment, para. 48; emphasis added). It went on ta decide

which facts or situations were the "source or real cause" of the dispute. lt
concluded that "it is not contested that the present dispute \Vas triggered
hy the decisîons of the German courts" (ibid.; emphasis added) in the
PieTer van Laer Painting case, but that this "conclusion does not ... dis­

pose of the question the Court is called upon to decide" (ibid.) because
evcn though the German courts' decisions came after the critical date,
they were not the dispute's "source or real cause". The "source or real
cause", according ta the Court, was instead the situation created by the

Settlement Convention and the Benes Decrees, both of which predated
the critieal date (Judgment, para. 52).

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OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE ELARABY

[Traduc 1ion}

Exception préliminaire à la compétence ratione temporis de la Cour
- Contexte et libelléde la limitatù)/I ratione tempo ris ayant peul-êtrejustifié
que la Cour s'écartedu critère de la «cause réelle» adopté dans des affaires
antérieures- Caractère fautif quant aux faits de la conclusion de la Cour selon
laquelle la cause réelledu différendrésidedans desfaits ou silUations alllérleurs
à la dale critique - La Cour aurait dû joindre au Iond l"exceplion à sa com­
pé/enceratio ne temporis - Rejet in limine de l'affaire par la Cour, après avoir
reconnu l'existence d'un différend enrre les Panies, ne coll1rihuant pas de

manière positive au réglementdes différends internationuux.

i 1 1. Le fait que la Cour a conclu qu'elle n'avait pas compétence ra/ione
temporis et que, déslors, elle n'ava.itpas compétence pour connaître de la
requêtedu Liechtenstein me porte à joindre à l'arrêtla présente opinion
dissidente, afin d'expiiquer !es raisons pour lesquelles j'ai voté contre
cette conclusion.

2. Pour conclure qu'elle n'avait pas compétence ra/Ione tempo ris,la
Cour s'est fondéesur deux prémisses:
i) aux termes de l'alinéaa) de l'article 27 de la convention européenne

pour le règlement pacifique des différends, la Cour n'est pas compé­
tente à l'égarddes «différends concernant des faits ou situations anté­
rieurs à l'entréeen vigueur de [cette] convention entre les parties au
différend [c'est-à-dire antérieurs à 1980]»;

ii) la jurisprudence de la Cour actuelle et celle de sa devanciére ont établi
que sont pertinents pour statuer sur la compétence rarione temporis
1 i, les faits ou les situatians qui constit uen t <(origine ou la cause réelle»
du différend (arrêt, par. 46).

3. En concluant à un défaut de compétence ratione temporis, la Cour
a reconnu à juste titre que «l'élémentdécisifn'[était]pas la dat.e à laquelle
le différend a[vait] vu le jour, mais celle desfaits ou situa/ions concernant
lesquels le différend s'[était]élevé»(arrêt,par. 48; les italiques sont de

moi). Elle a ensuite procédé à la détermination des fails ou situations qui
constituaient «l'origine ou la cause réelle» du différend. La Cour a
conclu «qu'il n'[était]pas contesté que le diflërend u[vait] é/édéclenché
par les décisionsdes juridictions allemandes» (ibid.; les italiques sont de
moi) dans l'affaire du Tableau de Pieter van Laer, ajoutant toutefois que

« [c]ette conclusion ne r[é]gl[ait]... pas la question que la Cour [était]
appelée à trancher» (ibid.) car, mêmesi les décisions de ces juridictions
ont étérendues après la date critique, elles ne constit uent pas {(l'origine
ou la cause réelle» du différend. L'<wrigine ou la cause réelle»du diffé­
rend, d'après la Cour, résideplutôt dans la situation crééepar la conven­

, , tion sur le règlement et les décrets Benes, situation et décrets qui sont
! antérieurs à la date critique (arrêt,par. 52).

3841 CERTAIN PROPEH.TY (DiSS. OP. ELARABV)

4. ln applying the "real cause" test, the Court adopted an analysis
originally applied in two cases that came before the Court's predecessor,
the Permanent Court of International Justice, and reapplied in the Right
of Passage case before this Court in 1960. At this juncture, it is appro­
priate to point out that in each of the cases cited by the Court:

(a) the exclusion clause was inserted into an optional clause declaration,
not a treaty; and
(b) the clauses atissue contained identica1 language that limited the
jurisdiction of the Court to disputes which "aris[ej ... );vithregard
to situations or faets" occurring after the eritical date, whereas in
the instant case the temporal limitation in the European Convention
eonferred jurisdiction over disputes which "re/al [ej tofaets or situa­
tions" occurring after the critical date.

5. Clearly, the language in the European Convention in this case is
broader than the language at issue in the previous cases. In my view, this
faet may have required a different interpretation of the "real cause" test
than that whieh was previously applied in prior cases, or indeed a differ­
ent test. Moreover, it wouJd appear that by acknowledging - as it did

several times in its Judgment (paras. 48 and 52) - that the German
courts' decisions of the 1990s "triggered" the dispute, the Court also
acknowledged that these decisions "relate" to facts or situations that
occurred well after the critical date; but the Court saw no contradiction
in this.

6. For the purposes of this dissenting opinion, however, 1 will assume
that, notwithstanding the broader language in the exclusion ratione tem­
poris in this case, the "real cause" test is the correct test and 1will confine
my remarks to an explanation of why 1 believe the Court reached the
wrong conclusion in its application of this test ta the specifie circum­

stances of this case.
7. The basis of the Court's finding that the real cause of the dispute is
not the German courts' decisions of the 1990s, but faets and situations
that occurred before the 1980s, is that the German court deeisioTIs"can­
not be separated from the Settlement Convention and the Benes Decrees"
(Judgment, para. 51). This îs beeause, according to the Court, the Ger­
man courts' decisions simply represented the latest in a long line of cases
in whieh the German courts had consistently held that they lacked com­
petence under the SeUlement Convention ta rule on the legaIity of prop­
erty confiscated abroad (Judgment, para. 50). This misses the central
point, however, which is that the German courts had never beforéapplied

the Settlement Convention ta property belonging to a neutral State, so
there is no long line of cases to be taken into account. Moreover, the
Settlement Convention is a treaty dealing only with "German externaJ
assets". Liechtenstein is a third party and is not bound by its provisions.
Whether the Benes Decrees were based on citizenship or ethnicity (that is,

39 CERTAINS BIENS (OP.mss. ELARABY) 41

4. En appliquant le critère de la «cause réelle», la Cour a adopté
une analyse faite initialement dans deux affaires soumises à sa devan­
cière, la Cour permanente de Justice internationale, et qu'elle avait
elle-même reprise en 1960 dans l'affaire du Droit de passage. A ce

stade, il convient de souligner que, dans chacune des affaires citéespar la
Cour:

a) les clauses d'exclusion figuraient dans des déclarations faites au titre
de la clause facultative,n dans des traités; et
b) les clauses en question utilisatdes termes identiques qui limitaien t
la compétence de la Cour aux différends «s'élevant ... relativement à
des situationsou faits» postérieursà la date critique, tandis qu'en

l'espèce la limitation temporelle énoncéedans la convention euro­
péenne lui confëre compétence à l'égard de différends «concernant
des faits ou situations» postérieuàsla date critique.

5. De toute évidence,les termes utilisésdans la convention européenne
ont un sens plus généralque ceux des clauses viséesdans les affaires pré­
citées. C'est là un fait qui, de mon point de vue, pouvait imposer une
interprétation du critère de la «cause réelle» différente de celle adoptée

dans ces précédentesaffaires, voire l'application d'un autre critère. De
surcroît, en reconnaissant -comme elle l'a fait à plusieurs reprises dans
son arrêt(par. 48 et 52) - que les décisions prises par les juridictions
allemandes dans les années 1990 avaient ~(déclen lehdéférend, la

Cour paraît avoir également reconnu que ces décisions «concernaient»
des faits ou situations qui étaient bien postériàula date critique; mais
la Cour n'a vu là aucune contradiction.
6. Aux fins de la présente opinion dissidente, cependant, je partiraj de
l'hypothèse que, nonobstant le libelléplus généralde la limitation rarione

temporis en l'espèce,le critère de~(cau rselle»est bien celàiretenir,
et je me borneraià expliquer pourquoi je pense que la Cour est parvenue
à la mauvaise conclusion lorsqu'elle a appliqué ce critère aux circons­
tances particulières de la présente affaire.
7. Pour conclure que la cause réelledu différend ne résidait pas dans

les décisions rendues par lesjuridictions allemandes dans les années 1990,
mais dans des faits et situations intervenus avant les années 1980, la
Cour est partie de l'hypothèse que les décisions de ces juridiction~<ne
[pouvJaient êtredissociées de la convention sur le règlement ni des dé­
crets Benes» (arrêt,par. 51) car, d'après elle, ces décisionsétaient simple­
ment les dernièresrendues dans une longue séried'affaires en lesquelles lesju­

ridictions allemandes avaient toujours conclu que la convention sur le
règlement leur interdisait de se prononcer sur la licéitéde confiscations de
biens opéréesà l'étranger (arrêt, par. 50). Or, ce raisonnementpasse à
côté du point essentiel, qui est que les juridictions allemandes n'avaient

jamais appliqué auparavant la convention sur le règlement à des biens
appartenant à un Etat neutre, de sorte qu'il n'y a pas de longue série
d'affairesàprendre en considération. De plus, la convention sur le règle­
ment est un traité qui vise uniquement les ~<avo ires ands à l'étran-'

3942 CERTAIN PROPERTY (DTSS. OP. ELARABV)

the wider concept of persans belonging to the German people regardless
of nationality), is irrelevant in the case instituted by Liechtenstein against
Gennany because Germany, the Respondent, was in no sense connected
ta the promulgation of the Benes Decrees. Tt did not issue or apply the
Benes Decrees ta confiscate Liechtenstein property. Indeed, its relation­

ship ta the Decrees is identical ta the Applicant's: bath sustained damage
as a resultof confiscations that took place under them. Thus, ail the facts
and situations that predate the critical date under the European Conven­
tion serve only as historical background ta the dispute between the
parties ta this case.

8. Sorne of these facts would be relevant if the Respondent were
Czechoslovakia and the purpose of the proceedings was ta challenge
sorne aspect of the lawfulness of the Benes Decrees. But this is not the
case here. Moreover, as 1seek ta clarify, the factual circumstances of this
case are not identical ta those underlying the three cases relied upon by

the Court. One difference is fundamental: in each of the three previous
cases, certain acts aUributable ta the Respondent and complained of by
the Applicant took place both be/ore the critical date and after the criti­
cal date, and the Court, in deciding the scope of its jurisdiction ralione
temporis, had ta decide which of these acts constituted the facts and
situations that were the "source or real cause" of the dispute.

9. Thus, in Phosphates in Morocco, Italy complained that French legis­
lation monopolizing the Moroccan phosphate industry to the detriment
of an Italian company occurred before the critical date, whereas a final
denial of the company's rights by the French Ministry of Foreign Affairs
occurred after il. ln the Eleclricity Company of Sofia and Bulgaria case,

Belgium complained that a Bulgarian municîpality confiscated property
of a Belgian company and that a mixed Belgo-Bulgarian tribunal estab­
lished a fonnula for the price of coal ta be sold by the company bf:fore
the critical date, whereas the Bulgarian courts applied this formula in a
way that caused the Belgian company ta suffer a loss qfter il. And finally

in Right (~ Pfassage over lndian Territory, Portugal complained that cer­
tain "minor incidents" between it and India regarding Portugal's passage
over lndian territory occurred before the critical date, whereas a full-seale
obstruction of its right of passage occurred after it. Although the Court
in each case weighed the faets or situations differently - finding in only
one of the cases that the facts or situations ttconstituted the "source or

real cause" of the dispute occurred before the critical date - the point is
that in each of these cases there were acts attribulable lo the Respondenl
and complained of by the Applicant that occurred before the crilical
date. There are no sueh acts here. Ta neglect recognizing this fact and the

401 !

CERTAINS RIENS (OP. DISS. ELARABY) 42

gen). Le Liechtenstein est une tierce partie et n'est pas liépar les dispo­
sitions de cette convention. Que les décrets Benes aient étéfondéssur la
nationalité ou sur l'appartenance ethnique (à savoir sur la notion plus
large de personnes appartenant au peuple allemand, indépendamment de

leur nationalité) est sans importance dans l'affaire introduite par le
Liechtenstein contre l'Allemagne puisque cette dernière, le défendeur, n'a
absolument jouéaucun rôle dans l'adoption de ces décrets. Il n'a pas pro­
mulguéou appliqué les décrets BeneSpour confisquer des biens Iiechten­

steinois. En fait, par rapport à Cesdécrets,le demandeur et le défendeur
se trouvent exactement dans la mêmesituation: tous deux ont subi
un préjudice par suite de confiscations opéréesen vertu de ces décrets.
Dans ces conditions, tous les faits et situations qui sont antérieurs à la

date critique au sens de la con'vention européenne servent uniquement
de contexte historique au différend surgi entre les Parties à la présente
affaire.
8. Certains de ces faits seraient pertinents si le défendeurétaitla Tché­
coslovaquie et si la présente procédure avaitété instituéepour contester

un quelconque aspect de la licéitédes décrets Benes. Mais tel n'est pas le
cas ici. En outre, comme je m'efforce de l'expliquer, les circonstances de
l'espècene sont pas les mêmesque celles qui sous-tendaient les trois af­
faires invoquées par la Cour. Il existe en effet une différenceessentielle;

dans chacune des trois affaires antérieures, certains actes imputables au
défendeur et dont se plaignait le demandeur avaient eu lieu aussi bien
avant qu'après la date critique, et la Cour, pour se prononcer sur la por­
téede sa compétence ralione temporis, devait déterminer lesquels de ces
actes constituaient les faits et situations qui étaient ({l'origine ou la cause

réelle»du différend.
9. Ainsi, dans l'affaire des Phosphates du Maroc, l'Italie tirait-elle grief
du fait que la législation française qui établissait un accaparement de
l'industrie marocaine des phosphates au détriment d'une entreprise ita­
lienne avait étéadoptée avanl la date critique, tandis que la décisiondéfi­

nitivc du ministere des affaires étrangères de la France privant cette
entreprise de ses droits avait éteprise après cette date. Dans j'affaire de la
Compagnie d'électricitéde Sofia et de Bulgarie, la"Belgique tirait grief du
fait qu'une municipalité bulgare avait confisquéles biens d'une entreprise
belge et qu'un tribunal mixte belgo-bulgare avait établiune formule pour

fixer le tarif du charbon qui serait vendu par cette entreprise avan 1la date
critique, tandis que les juridictions bulgares avaient appl1quécette for­
mule d'une maniere qui avait étécause d'une perte pour l'entreprise belge
après cette date. Enfin, dans l'affaire du Droit de passage sur territoire

indien, le Portugal faisait valoir que certains {(incidents mineurs)} entre
l'Inde et lui concernant le passage du Portugal sur le territoire indien
s'étaientproduits avant la date critique, tandis que son droit de passage
lui avait étètotalement nié après cette date. La Cour a certes apprécié,
dans chaque affaire, les faits ou situations d'une manière différente

l, - concluant dans une seule des affaires que les faits ou situations cons­
tituant <d'origineou la cause réelle»du différend étaient antérieurs à la

4043 CERTAIN PROPERTY (mss. OP. ELARAI:IY)

legal consequences that flow from it is to deviate from the prior jurispru­
dence of the Court.

10. Ttshould, in my view, be manifestly clear that the German courts'
decisions purporting to inc\ude neutral Liechtenstein property under the
umbrella of German external assets - in the 1990s, a decade after the
critical date - should be considered the "real cause" of the dispute.

Liechtenstein requested the Court to adjudge and declare that "German y
has failed to respect the sovereignty and neutrality of Liechtenstein"
(Memorial of Liechtenstein, p. 187, para. 1 (a) because it treated Liech­
tenstein property as German assets. Thus, its daim relates exclusively to
the propriety under international law of the German courts' decisions.
The lawfulness of the confiscation of Liechtenstein property in Czecho­

s!ovakia represents a separate issue which could constitute a dispute
between Liechtenstein and Czechoslovakia but not Liechtenstein and
Gennany. Here then, the German courts' decisions have the same
character and nature as the events that took place after the critical date
in the Electricity Company and RighI of Passage cases. ln the latter case,

the Court held thal:

"It was only in 1954 that ... a controversy arase and the dispute
relates both to the existence of a right of passage to go into the
enclaved territories and to India's failure to comply with obligations
which, according to Portugal, were binding upon it in this connec­
tion. It was from ail of this that the dispute referred to the Court

arose; it is with regard to al! of this that the dispute exists. This
whole, whatever may have been the eartier origin of one of ils parts,
came into existence only after [rhe aitical dateJ." (Right of Passage
over Indian Territory, Mails. Judgment, J.C.J. Reports 1960, p.35;
emphasis added.)

1L It is difficult to grasp how in the instant case the "whole" could
have materialized before 1980 since no pre-1980 cond uct attribu table to

Germany was raised in the proceedings. lndeed the Court, by confirming
that the "issue whether or not the Settlement Convention applied to
Liechtenstein property had not previously arisen before German courts"
(Judgment, para. 50) admitted as much. The Court has demonstrated
that a "new situation", namely the application of ear/ier case law under
the Settlement Convention for the "first time" to neutral and non­

German pro perty, existed, and it is this situation that for the first time
caused a dispute between Liechtenstein and Germany.

41 CERTAINS lllENS (OP. mss. ELARABY) 43

date critique -, mais le fait est que, dans chacune de ces affaires, elle se
trouvait face à des actes imputables au défendeur et dénoncés par le
demandeur, actes qui avaient eu lieu a)lant la date critique. Il n'y a aucun
acte de cette nature ici. Négligerde reconnaître ce fait et les conséquences
juridiques qui en découlent, c'est s'écarter de la jurisprudence antérieure

de la Cour.
10. 11devrait, à mon sens, êtreparfaitement limpide que ce sont les
décisions par lesquelles, dans les années 1990, soit dix ans après la date
critique, des juridictions allemandes ont considérédes biens du Liechten­
stein, un Etat neutre, comme des avoirs allemands à l'ètranger qui

devraient êtreregardées comme la (cause réelle» du différend. Le Liech­
tenstein a priéla Cour de dire el.juger que (d'Allemagne n'a[vait] pas res­
pectéla souverainete et la neutral ite du Liech tenstei n»(mémoire du Liech­
tenstein, p. 187,par. l, al. a)) au motif que celle-ci avait traité des avoirs
liechtensteinois comme des avoirs allemands. Aussi sa demande porte-t­

elle exclusivement sur la validité,en droit international, des décisions ren­
dues par les tribunaux allemands. La licéitéde la confiscation de biens
lîechtensteinois en Tchécoslovaquie constitue une question distincte qui
pourrait êtrel'objet d'un différend entre le Liechtenstein et la Tchécoslo­
vaquie, mais non entre le Liechtenstein et l'Allemagne. Les décisions des

juridictions allemandes revêtent donc ici le mêmecaractère et la même
nature que les événements qui s'étaient produits après la date critique
dans les affaires de la Compagnie d'électricitéet du Droit de passage.
Dans cette dernière affaire, la Cour avait dit ce qui suit:

«C'est en 1954 seulement qu'une ... controverse a surgi et le dif­
férend porte à la fois sur l'existence d'un droit de passage pour accé­
der aux territoires enclavés et sur le manquement de l'Inde aux obli­
gations qui, selon le Portugal, luiincomberajent à cet égard. C'est de

cet ensemble qu'est néle différend soumis à la Cour; c'est cet en­
semble que concerne le différend. Cel ensemble, quelle que soit l'ori­
gine anCÎenne de l'une de ses parties, n'a existé qu'après {la dale
critique}.» (Droit de passage sur territoire indien, fond, arrêt,
e. IJ. Reeueil 1960, p. 35; les italiques sont de moi.)

11. 11est difficile de saisir comment, en l'espèce, l'((ensemble>>aurait
pu se matérialiser avant 1980 étant donné qu'il n'a étéfait mention, en

l'instance, d'aucune conduite imputable à l'Allemagne qui serait anté­
rieure à cette date. C'est d'ailleurs ce qu'a admis la Cour lorsqu'elle a
confinne que la «question de savoir si cette convention [sur le règlement]
s'appliquait ou non aux biens liechtensteinois n'avait jamais étésoulevée
auparavant devant des juridictions allemandes» (arrêt, par. 50). La Cour

a démontrél'existence d'une « situation nouvelle >),à savoir l'application
«pour la première fois» d'une jurisprudence antérieure fondée sur la
convention sur le règlement à des biens neutres et non allemands, et c'est
cette situation qui, pOUf la première fois, a fait naître un différend entre
le Liechtenstein et l'Allemagne.

4144 CERTAIN PROPERTY (DiSS. OP. ELARABY)

12. My Ilne of reasonlng lSas follows: if we proceed from the estab­
llshed fact that the Respondent is not responsible for the Benes Decrees,
the question should be legitimately asked: did the Respondent undertake
any post critical date act that potential1yengaged its international respon­
sibility?

13. An examination of the case file suggests that two such acts were
adopted by Germany. The firstis the Exchange of Notes which

."was executed between the three Western Powers and the Govern­
ment of the Federal Republic of Germany (the parties to the Settle­
ment Convention) under which that Convention would terminate
simultaneously with the entry into force of the Treaty. Whereas that
Exchange of Notes terminated the SeUlement Convention itselr,
including Article 5 of Chapter Six (relating to compensation by
Gcrmany), it provided that paragraphs 1and 3 of Article 3, Chapter
Six, 'shal1,however, remain in force'." (Judgment, para. 15.)

Thus, Germany retained the clause in Article 3, Chapter Six, of the Settle­
ment Convention requiring Germany to "raise no objections" ta meas­
ures taken against "German external assets", but terminated the obliga­

tion ta pay compensation provided for in Article 5 of Chapter Six of the
Seulement Convention, which stipulates that "[t]he Federal Republic
shan ensure that the former owners of property seized pursuant to the
measures referred to in Articles 2 and 3 of this Chapter shal1be compen­
sated". The second act attributable ta Germany is the decisioll of the
German courts ta apply the Settlement Convention to property belong­
ing ta nationals of a neutral country. Bath these acts occurred weil after
the critical date.
14. Itis relevant ta recall, in this context, that the European Court of
Human Rights ("ECHR") reached a conclusion similar to the one 1am

espousing when it analysed its jurisdiction ralione temporis in the case
brought by the Prince of Liechtenstein. ln that case, the Prince of Liech­
tenstein made two separate claims, only one of which Liechtenstein
duplicates here. In regard ta the first claim - that the Czech Decrees
were unlawful- the ECHR round that it did not have temporal jurisdic­
tion 1.But the Court drew an important distinction between this claim
and the Prince's second and entirely separate daim. The Court, with
respect to this second daim, noted:

"that the applicant's complaint ... does not concern the original
confiscation of the painting which had been carried out by authori-

1 Prince Hans-Adam Il of Liechtenstein v. Germany. European Court of HI/man Rigil/s,
Applica/ion No_ 42527/98, Judgment, 12 July 200/ (Prcliminary Objections of Germany,
VoL II, Ann. 1, pp. 29-30, paras. 84-85).

42 CERTAINS BIENS (OP, mss, ELARABY) 44

12. Mon raisonnement est le suivant: si nous partons du fait établi,
qui est que le défendeur n'est pas responsable des décrets Benes, il faut
légitimement seposer cette question: le défendeur a-t-il accompli après la
date critique Je moindre acte qui soit susceptible d'engager sa responsa­
bilîtéinternationale?

13. Un examen du dossier de l'affaire donne à penser que deux actes
de cette nature ont étéaccomplis par l'Allemagne, Le premier est l'échange
de notes

{(entre les Trois Puissances occidentales et le Gouvernement de la
République fédéraled'Allemagne (les parties à la convention sur le
règlement), aux termes duquel cette convention cesserait d'êtreen
vigueur à la date d'entrée en vigueur du traité. Si cet échange de

notes mettait fin à la convention sur le règlement elle-même,et
notamment à l'article5 du chapitre sixième(relatif à J'indemnisation
par l'Allemagne), il prévoyait que les paragraphes 1 et 3de l'article3
du chapitre sixième «demeurer[aient] cependant en vigueun),»)
(Arrêt,par. 15.)

En conséquence, J'Allemagne a maintenu la disposition énoncée à l'ar­
ticle 3 du chapitre sixièmede la convention sur le règlement,qui lui impose

de ne «soul[ever] ... aucune objection)) contre les mesures prises à J'en­
contre d'«avoirs allemands à l'étrangen), mais elle a mis fin à l'obliga­
tion d'indemnisation prévue .ill'article 5 dudit chapitre, lequel stipule que
«[l]a République fédéraleveillera à ce que les anciens propriétaires de
biens saisis en exécutiondes mesures viséesaux articles 2 et 3 du présent

chapitre reçoivent une indemnisation )).Le second acte imputable.il l'Alle­
magne est la décision prise par ses tribunaux d'appliquer la convention
sur le règlement à des biens appartenant aux ressortissants d'un Etat
neutre. Ces deux actes ont eu lieu bien après la date critique.
14. Il importe de rappeler, dans ce contexte, que la Cour européenne
des droits de l'homme (la «CEDH;;) est parvenue à une conclusion simi­

laire .il la mienne lorsqu'elle a eu à se prononcer sur sa compétence
ra/lone lemporis dans l'affaire portée devant elle par le prince de Liech­
tenstein. Dans cette affaire, le prince formulait deux prétentions dis­
tinctes,dont une seule est reprise en l'espèce. S'agissant de la première
- selon laquelle les décrets tchèques étaient illicites -, la CEDH a

conclu qu'elle n'avait pas compétencera/ione /emporis 1.EUea cependant
établi une distinction importante entre cette prétention et la seconde
prétention du prince, totalement distincte, à l'égard de laquelle elle a
relevé

«que le grief du requérant ... n'a[vait] pas traità la confiscation ini­
tiale du tableau opérée par les autorités de l'ex-Tchécoslovaquie

1 Prince Hans-Ar/am If de Uech/enstein c. Allemagne. Cour européenne des droits de
l'homme. requête n 42527/98.arrêtdu 12 juil/el 200(exception, préliminaires de
. l'Allemagne, vol. Il, annexe l, p. 29-30, par. 84-85).

4245 CERTAIN PROPERTY (mss. OP. ELARABY)

ties of former Czechoslovakia in 1946. Jn the present proceedings,
the applicant complains that, as in the German court proceedings

instituted in 1992 he could not obtain a decision on the merits of his
claim for ownership of the painting, it was eventually returned to the
Czeeh Republic. The Court's competence ta deal with this aspect of
the application is therefore not excluded ratione temporis."2

15. Thus, the European Court found that any claim regarding the
Pieter )lan Laer court decisions - the Prince of Lieehtenstein's second
daim before the European Court - was "not excluded ratione tempo­
ris" 3beeause the relevant faets occurred in the 1990s, after the critical

date. Liechtenstein raised only this second daim before this Court and in
my view this Court should, like the ECHR, have found that it was not
precluded from exercising jurisdiction over Liechtenstein's daim.

16. ln sum, 1 am of the opinIOn that the temporal limitation in the
European Convention was not a proper basis for a finding of no-jurisdic­
tion. In the alternative, 1 believe that the various dimensions of the case

could have been better clarified had the Court opted to explore the
case further by joining the German second objection to the merits in con­
formity with Article 79, paragraph 9, of the Rules of Court instead of
disposing of the case in limine.

17. 1 cannot conclude without expressing my concern regarding the
final outcome. The Court has round that a legal dispute does exist
between the Parties and made the finding that the real subject-matter of

the dispute is:

"whether, by applying Article 3, Chapter Six, of the Seulement Con­
vention to Liechtenstein property that had been contiscated in
Czechoslovakia under the Benes Decrees in 1945, Germany was in

breach of the international obligations itowed to Liechtenstein and,
if so, what is Germany's international responsibility" (Judgment,
para. 26).

Deelining jurisdiction while a dispute persists does not represent a
positive contribution to the settlement of international disputes, which is

the central function of the Court.

:zPreliminary Objections of Germany, Vol. Il, Ann. l, p. 29, para. 81.
3 Ibid.emphasis addcd. The ECHR was earcful to point out that it did nOI eonsider
Germany's conduel 10 be a continuation of the former Czechoslovakia's:

"The Court would add tha! in these eircumstances Ihere is no question of a con­
linuing violation of the Convention whicb could be imputable to the Federal Repub­
lieof Germany and which could have effects as to the temporal limitations of the
competence of the court.(Ibid.para. 85.)

43 CERTAINS lllENS (OP, mss, ELARAllY) 45

en 1946. En l'espèce,l'intéressése plaint de ce que, comme il n'a pas
pu obtenir une décision sur le fond de l'action en restitution du

tableau qu'il a instituée devant les juridictions allemandes en 1992,
l'Œuvre ait finalement étérendue à la République tchèque. La com­
pétence de la Cour pour connaître de cet aspect de la requête n'est
donc pas exclue ralione temporis.H 2

15. Ainsi la Cour européenne a-t-elle conclu que toute prétention rela­
tive aux décisions de justice rendues en l'affa.ire Pieter van Laer - la
seconde prétention que le prince de Liechtenstein lui avait soumise -
n'était«pas exclue (de sa compétence] ralione temporis» 3 car les faits per­

tinents avaient eu lieu dans les années 1990, après la date critique, Or,
c'est uniquement de cette seconde prétention que le Liechtenstein a saisi la
Cour internationale de Justice, et celle-ci aurait selon moi dû conclure, à
l'instar de la CEDH, qu'elle n'était pas empêchéed'exercer sa compé­

tence à l'égardde cette prétention du Liechtenstein.
16. Pour résumer, je suis d'avis que la limitation temporelle figurant
dans la convention européenne ne constituait pas une base appropriée
pour conclure à un défaut de compétence de la Cour. A titre subsidiaire,

j'estime que les différentes dimensions de l'affaire auraient pu êtremieux
explicitées si la Cour avait choisi d'examiner cette affaire plus avant en
joignant la deuxième exception préliminaire de ]'Allemagne au fond,

conformément au paragraphe 9 de l'article 79 de son Règlement, au lîeu
de rejeter j'affaire inlimine.
17, Je ne puis conclure sans exprimer les préoccupations que j'éprouve
quant au résultat final. La Cour a déclaréqu'un différend d'ordre juri­

dique existait bien entre les Parties, et a conclu que le véritable objet du
différend était

~~d eavoir si, en appliquant l'article 3 du chapitre sixième de la
convention sur le règlement à des biens liechtensteînoîs confisques
par la Tchécoslovaquie en 1945au titre des décrets Benes, j'Allemagne

a[vait] violé les obligations qui lui incombaient envers le Liech­
tenstein et, dans l'affirmative, de déterminer quelle serait la respon­
sabilité internationale de l'Allemagne» (arrêt, par. 26).

Décliner sa compétence quand un dif1ërend persiste n'apporte pas de

contribution positive au règlement des différends internationaux, qui
constitue la mission fondamentale de la Cour.

2 Exceptions préliminaires de l'Allemagne, vol. II, a!.p.29. par. 81.
] [hid.;les italiques sont de moi. La CEDH a pris soin de souligner qu'elle ne consi­
dérait pas la conduite de l'Allemagne comme une continuation de celle de la Tehé­
coslovaq uie:

«La Cour ajoute que, dans ces conditions, il n'est nullement question d'nne vio­
lation continue dla convention impnlableilla République fédéraled'Allemagne et
>usceptible de déployer des effe15,ur les limites temporelles il la compétence de la
COllT.)(Ibid..par. 85.)

4346 CERTAIN PROPERTY (mss. OP. ELARABY)

18. In the Iight of the foregoing, 1 voted for paragraph 1 ((J of the
disposit!l butwas compelled to vote against paragraphs 1 (b J and 2 of
the dispositif

(SignedJ Nabil ELARABY.

44 CERTAINS BIENS (OP. mss. ELARAI:IY) 46

18. Compte tenu de ce qui précède,j'ai voté pour ['alinéa a) du pa­
ragraphe 1 du dispositif, mais j'ai dû voter contre l'alinéab) dudit pa­
ragraphe et le paragraphe 2 du dispositif.

(Signé) Nabîl ELARAI:IY.

44

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Document Long Title

Opinion dissidente de M. Elaraby

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