Opinion dissidente de M. Torres Bernárdez, juge ad hoc

Document Number
096-19981204-JUD-01-09-EN
Parent Document Number
096-19981204-JUD-01-00-EN
Document File
Bilingual Document File

583 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP. DISS. TORRES BERNARDEZ)

2. La question de l'interprétation restrictiveou extensive de la
réserve de l'alinéd) du paragraphe 2 de la déclaration
3. L'économie générale dle a déclarationdu Canada
4. L'intention juridiquement pertinente pour l'interprétationde
la déclarationdu Canada
5. L'interprétationde bonne foi de la déclaration du Canada, y
compris de la réservede son alinéa d)
6. Le sens ordinaire des termes de la réservede l'alinéad) dans
leur contexte et à la lumièrede l'objet et du but de la déclara-
tion du Canada

7. Le rôle du droit international dans l'interprétation dela réserve
de l'alinéad) de la déclarationdu Canada

8. Les circonstances entourant le dépôt de la déclarationdu
Canada comme moyen complémentaire d'interprétation
a) Les déclarations faitesle 12mai 1994au Sénatpar le mi-
nistre canadien des affaires étrangères etdu commerce

international
b) Les déclarations du ministre canadien des pêcheset des
océans
c) Le communiquéde presse du 10mai 1994
9. Autres moyens complémentairesd'interprétation

a) La déclarationdu Canada du 7 avril 1970
b) La convention de 1'OPANOde 1978
10. L'interprétation dela réservede l'alinéad) de la déclaration
canadienne à lumière desrègles,éléments em t éthodes d'inter-
prétationdu droit international

a) Les «mesures» prévuespar la réserve
b) Les «navires pêchant))de la réserve
c) Les «mesures de gestion et de conservation))de la réserve
et la non-définition deces mesures dans la déclaration

d) Les mots l'«exécutionde tellesmesures))dans la réserve et
le silencesur l'usage dela force dans les matièresréservées
par la déclaration
e) L'expression ((différendsauxquels pourraient donner lieu
les mesures..» de la réserveet l'objet du différendsoumis
par l'Espagne

1. La compétence de la compétencede laCour
2. Les objections ou exceptions n'ayant pas un caractère exclusive-
ment préliminaire
3. La portée de lares judicata du présentarrêt 584 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

Dire que je me dissociedu présentarrêt rendu parla Cour est peu dire
tant les divergencesentre la majoritéet moi-mêmesont profondes. C'est
la raison de la longueur de la présenteopinion dissidente dans laquelleje
me suis fait le devoir d'exposer, avec le détailrequis, mes vues sur les
diverses questions de fait et de droit qui, mon avis, se posent dans le
présent incident préliminairesur la compétence,car il arrive soit qu'un
certain nombre de ces questions ne trouvent pas de réponsedans l'arrêt,

soit que les réponsesqu'on y trouve ne sont pas, pour moi, bien fondées,
compte tenu de l'objet du différend soumispar l'Espagne,du droit appli-
cable à l'interprétation eà l'application de la déclaration canadienne
d'acceptation de lajuridiction obligatoire de la Cour et d'autres circons-
tances de l'espèce.

1. La requêteintroductive d'instance déposép ear l'Espagne le 28mars
1995contre le Canada fonde la compétencede la Cour en l'affaire sur le
paragraphe 2 de l'article 36 du Statut de la Cour, les deux pays étantdes

«Etats déclarants)) dans le cadre du systèmede la clause facultative,
l'Espagnepar le dépôtde sa déclarationdu 15octobre 1990et le Canada
par le dépôt de sa déclarationdu 10mai 1994.La qualité d'Etat déclarant
des deux Parties n'est pasen question dans la présenteprocédurecomme
c'estparfois le cas. Par exemple, dans l'affaire desctivitésmilitaires et
paramilitaires au Nicaraguaet contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis
d'Amérique), où l'existenceou la validitéde la déclarationdu demandeur
étaitau centre mêmedu débatjuridictionnel. Rien de tel dans la présente
affaire.
2. Toutefois, le défendeur, dans un premier temps, s'est opposéa la
requêtede l'Espagne en alléguantdans sa lettre du 21 avril 1995l'incom-
pétencemanifeste de la Cour. Invoquer in limine l'incompétence mani-
feste de la Cour entre Etats déclarants dans le cadre du système dela

clause facultative est une attitude qui ne peut pas, et ne doit pas, être
passéesous silencedans la mesure où ellereprésente uneatteinte, au sein
de ce système, àla compétencede la compétencedévolue àla Cour par le
paragraphe 6 de l'article36du Statut, ainsi quepar le droit international.
3. Tout Etat a le choix d'être ou dene pas êtreEtat déclarant confor-
mémentau paragraphe 2 de l'article36 du Statut, mais aucun Etat décla-
rant n'a le droit d'accepter la juridiction obligatoire de la Cour avec la
réservementale de pouvoir exclure unilatéralement,le moment venu, la
compétencede la compétencede la Cour. La déclaration du Canada ne le
fait d'ailleurs pas. Au contraire, elle contient une réserve decompétence
nationale dont le sens doit êtredéterminé objectivement etnon pas de
manière subjective.Dans ces conditions, des allégations d'incompétence

manifeste (qui trouvent leur origine historique dans des cas relevant de585 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS.TORRES BERNARDEZ)

l'article 53 du Statut) ne sont pas de mise et doivent êtredénoncées car
elles sont, en effet, peu compatibles avec les principes de la bonne foi et
de la confiancemutuelle qui présidentauxrapports entre Etats déclarants
dans le cadre du systèmede la clause facultative.
4. Ce qu'un Etat déclarant défendeur estcenséfaire, s'il s'oppose in
limine àune requêted'un autre Etat déclarant,c'est dedéposeren bonne
et due forme un acte introductif d'exception préliminaire,conformément
à l'article 79 du Règlementde la Cour, contenant l'exposéde fait et de
droit sur lequel l'exceptionest fondée.Cet acteintroductif d'exception est

le ((chaînon manquant)), le ((missing link)) de la présenteprocédure et
cette absence a eu des conséquences procédurales regrettablestant dans
la phase écriteque dans la phase orale.
5. La position initiale du Canada sur l'incompétence manifestefut
modifiée à la suite de l'accord intervenu entre les Parties lors d'une réu-
nion que le président de la Cour a tenue avec leurs représentants le
27 avril 1995, ainsi qu'il est expliquédans l'ordonnance du 2 mai 1995
prise par le président; c'est par cette ordonnance que la présente phase
incidente a étéouverte. Le Canada a donc admis qu'il appartient à la
Cour, en vertu du paragraphe 6 de l'article 36 du Statut, de seprononcer
sur l'objectioà la compétencequ'ilavait soulevée.Le contre-mémoire et
les plaidoiries du Canada l'ont aussi confirmé.
6. L'ordonnance du 2 mai 1995signalequ'«il a été convenu qu'ilserait

statué séparément,avant toute procédure surle fond, sur la question de
la compétencede la Cour en l'espèce;et que les Parties sont également
convenues, au cours de la mêmeréunion,des délaispour le dépôtdes
piècesde la procédure sur cette question». Dèslors, compte tenu de cet
accord,la mêmeordonnance hait la date d'expiration des délaispour le
dépôt d'unmémoirede l'Espagne etd'un contre-mémoiredu Canada sur
la question de la compétencede la Cour.
7. Il est donc clair que le demandeur, l'Espagne, a donnéson accordà
l'ordre de présentation des piècesécritesfixépar l'ordonnance du 2 mai
1995.Toutefois, par lettre du le' mai 1995,parvenue au Greffe sous le
couvert d'une lettre du 3 mai 1995de l'ambassadeur d'Espagne aux Pays-
Bas, l'agent de l'Espagne, sans revenir sur l'ordre du dépôtconvenu des

piècesécrites,proposa que le Canada devrait êtreinvitépar la Cour à
présenter par écrit, avant une date déterminée,un exposé sommaire
contenant des indications, en termes généraux,sur le ou les points sur
lesquels le Canada se fonderait pour soutenir que la Cour n'a pas com-
pétence en l'espèceou que l'objet de la requête est irrecevable.'appui
de cette proposition, la lettre de l'agent de l'Espagne signalaque, s'ilen
allait autrement,

«il ne sera[it] pas possible de maintenir l'égalité Parties et cela
pourrait rendre difficilede mener à bien un exposéméthodiqueet
ordonné desvues des Parties de façon à aider la Cour dans sa tâche,
qui est de se prononcer sur sa compétenceen vertu des dispositions

de l'article 36, paragraphe 6, du Statut)).En d'autres termes, l'agent de l'Espagne proposa une procédure qui pré-
sentaitmutatis mutandiscertainesanalogies avec celleadoptée depuislors
dans l'ordonnance de la Cour dans l'affaire de la Délimitationmaritime
et des questions territoriales entre Qataret Bahreïn pour ce qui est des
documents argués de faux par Bahreïn.
8. Par lettre du 15mai 1995,transmise au Greffesous le couvert d'une
lettre du 17mai 1995de l'ambassadeur du Canada aux Pays-Bas, l'agent
du Canada s'estopposé à la proposition de l'Espagne dans lestermes sui-

vants :
«Cette ordonnance [celledu 2mai 19951traduit exactementl'accord
auquel sont parvenus les deux Parties et le présidentde la Cour lors
de la réuniondu 27 avril 1995, en ce qui concerne l'ordre, les dates
limites de dépôtet l'objet des pièces deprocédure écrite.La proposi-
tion de l'Espagne n'estpas acceptable pour le Canada. Nous considé-

rons que la procédureprévuedans l'ordonnance doit êtrerespectée. »
Dans cette lettre, l'agent du Canada revient encore une fois sur l'incom-
pétence manifeste dela Cour «pour les raisons indiquées))dans la lettre
du 21 avril 1995, signale que la procédure convenue et exposéedans
l'ordonnance du 2 mai 1995traduit «le principe que la compétencede la

Cour internationale de Justice ne peut êtreprésumée,mais dépend du
consentement des deux Parties)), et setermine par un commentairesur les
questions de recevabilité rappelant a ce propos que l'ordonnance du
2 mai 1995ne parle que de la question de la compétenceet que, dèslors,
«[il1s'ensuit que les questions ne portant pas sur la compétencene
pourront pas être abordéesau stade actuel. Il est entendu que les

Parties conservent le droit de soulever au cours d'une phase appro-
priéeles questions relatives la recevabilité.»
9. Sa proposition n'ayant pas eu de suite, l'Espagne rédigea son
mémoire sans connaître les considérations de fait et de droit fondant
l'objection du Canada àla compétencede la Cour. Elle a eu à sa disposi-
tion, en tout et pour tout, la lettre du 21 avril 1995du Canada (une page)

où le défendeuraffirmaitl'incompétencemanifestede la Cour en excipant
de la réservede l'alinéad) du paragraphe 2 de sa déclarationdu 10mai
1994.L'Espagne émitdonc dans son mémoire des hypothèsesquant aux
motifs de l'objection du Canada, alors que pour elle - Etat demandeur
- la déclaration canadienne du 10 mai 1994 ne soulevait pas un pro-
blèmede compétence,étantdonné sontexte et l'objet du différendsou-
mis à la Cour par la requête espagnole. L'Espagnea dû aussi, dans son
mémoire,traiter d'éventuellesquestions relatives à la recevabilitéde la
requête,en raison des propos figurant inJine dans la lettre de l'agent du
Canada du 15 mai 1995. Le Canada, lui, par contre, a pu rédigerson
contre-mémoireen ayant à sa disposition deux actes formels de procé-
dure de l'Espagne, à savoir la requête etle mémoiresur la compétence. 10. Cela enlèvebeaucoup de poids à certains commentairesfaits dans
lecontre-mémoiredu Canada qui, par ailleurs,feint d'ignorer l'objet etla
nature du différendsoumis par l'Espagne. Il n'est pas normal que le
contre-mémoire sur la compétencedu Canada ne contienne aucun cha-
pitre ou section sur l'«objet du différend))alors que le défendeuraffir-
mait que la Cour n'était pas compétentepour connaître dudit différend
sur la base d'une réserveformuléeen fonction d'une catégoriedéterminée
de différendsmentionnéedanssa déclarationdu 10mai 1994.Au lieu de
cela, le chapitredu contre-mémoiredu Canada sur la compétence,inti-
tulé«Le contextefactuel et historique)),porte sur la crise de la conserva-
tion des ressourceshalieutiques dans l'Atlantique Nord-Ouest. Ces consi-
dérations seraientà leur place dans une demande reconventionnelle ou
comme moyen de défenseau fond dans la mesure où ellespourraient ser-

vir àjustifier une sorte d'état denécessitface aux faits illicitesinterna-
tionaux que l'Espagne reproche au Canada d'avoir commis à son égard,
mais, comme telles,ellesn'ont rienà voir avecla question de la définition
de l'objet du différendsoumis à la Cour par la requête del'Espagne du
28 mars 1995.
11. Mieux encore, le Canada a soulevédans son contre-mémoireune
nouvelle objection d'irrecevabilité(de non-lieu d'après la toute dernière
terminologie de la Cour) dont il n'a été questionni dans sa lettre du
21 avril 1995, ni dans l'ordonnance du président de la Cour du 2 mai
1995,ni dans la lettre du Canada du 15mai 1995.Le Canada a en effet
consacrétout un chapitre de son contre-mémoire,le chapitre IV, à ((atti-
rer l'attention)) de la Cour sur le fait que le différendaurait étéréglé
depuis le dépôt de la requête espagnoleau motif que celle-ciétait désor-
mais sans objet étant donné l'accord conclule 20 avril 1995 entre le
Canada et la Communauté européenne.Cela confirme, si besoin est, que

le Canada a toujours voulu redéfinirl'objetdu différend malgré sacondi-
tion de défendeurdans l'instance.
12. Le Canada s'est ensuite opposé au deuxièmetour de procédure
écrite(réplique et duplique) demandépar l'Espagne. La décision dela
Cour (ordonnance du 8 mai 1996)de ne pas ordonner un tel deuxième
tour n'a pas contribué non plus à remédieraux défaillances signalées
dans l'application du principede la contradiction pendant la phase écrite.
13. Il a donc fallu attendre jusqu'à la phase orale pour que les posi-
tions respectivesdes Parties puissent vraiment êtremisesen opposition et
pour que le principe de la contradiction fasse sentir pleinement ses effets
bienfaisantsdans ledéroulementdel'instance.L'article43 du Statut de la
Cour veut, cependant, que cela se fasse tant durant la phase orale que
durant la phase écrite dela procédure.
14. Ce n'est donc que durant la phase orale qui s'estdérouléeen juin

1998que l'Espagne a pu répondre aux arguments de fait et de droit du
défendeur concernant la compétence.Et quelle fut alors la réaction du
Canada? Se plaindre des thèseset argumentations espagnoles qui, a-t-on
dit, ne seraient pas compatibles avec les exigencesd'une procédurejudi-
ciaire internationale. Mais, qui la faute de cette surprise affichée?Unepartie qui au cours de la phase écrite s'estsystématiquementopposée à
fairejouer le principe de la contradiction n'est pas dans la meilleure des
positions pour faire de tels commentaireslors de la phase orale.

15. Dans ce contexte, des conseils du Canada ont aussi affirmé quele
demandeur a le devoir de placer le défendeurdevant des thèsesjuridiques
bien définies.Mais, alors, un défendeur qui soulève une objection et qui
en plus est un Etat déclarant dans le cadre du systèmedela clause facul-
tative, n'a-t-il pas une obligation procédurale similaire dès laphase écrite
de l'instance? Le Canada qui, dans la présenteaffaire, défend une concep-

tion subjective et unilatérale de la règle de droit voudrait, semble-t-il,
étendreaussi cette manière de voir à la procédurejudiciaire de la Cour
elle-même.
16. Mais ce n'est pas tout. Le Canada après avoir ((attirél'attention))
de la Cour, dans le chapitre IV de son contre-mémoire,sur sa thèse selon
laquelle le différendétait réglé,a fait marche arrière lors de la phase
orale. Sans doute, s'est-il rendu compte qu'une telle thèsea permis aux
conseils de l'Espagne d'approfondir lors de la phase orale ce qu'il avait
voulu éviter à tout prix, à savoir le traitement détailléde l'objet du dif-
férend soumis à la Cour par la requêteespagnole. Dans la phase orale, en
effet, l'agent adjoint du Canada a déclaré:

«En conséquence,la recevabilité,y compris la question de l'épui-
sement des recours internes, la question de savoir si la procédureest
sans objet - savoir si le différenda étéréglé - et la question du
locus standd ie l'Espagne pour engager la présenteinstance ne sont

pas en cause à ce stade. Le Canada n'a donc pris aucuneposition sur
ces questions.)) (CR98114, p. 8.)
17. Dire que le Canada n'a pris aucune position sur la question de
savoir si la procédureest sans objet après avoir affirmédans tout un cha-
pitre de son contre-mémoire que le différendétait réglén'est pas une
affirmation aui corres~ond aux faits. Le Canada a bel et bien abandonné

au cours de la phase orale cette allégation de non-lieu. L'Espagne, dans
ses conclusions sur la présenteprocédure incidente, a pris acte de l'aban-
don par le Canada de l'allégationselon laquelle le différendqui l'oppose
à l'Espagne n'aurait plus d'objet (voir paragraphe 12 de l'arrêt).
18. Il convient aussi de souligner ici que l'abandon du non-lieu par le
Canada s'estproduit après que l'Espagne eut épuiséson premier tour de
Parole aux audiences. le Canada étant le deuxième orateur lors de la
phase orale. De ce fait, l'Espagne a consacréun temps considérable de
son premier tour de parole à réfuter une allégationde non-lieuqui, par la
suite, a disparu de l'instance.Il n'est pas logique, pour le déroulement
normal d'une instance, de devoir attendre jusqu'au deuxième tour de

parole de la phase orale pour êtreà mêmede connaître l'objet et la portée
d'une objection préliminaire relevantde l'article 79 du Règlement de la
Cour. 19. Dans la déclaration de l'agent adjoint du Canada citéeau para-

graphe 16 ci-dessus, il est aussi question de l'épuisement desrecours in-
ternes ainsi que du locus standi de l'Espagne pour engager la présente
instance. En ce qui concerne cette dernière question, il convient de sou-
ligner que le Canada a reconnu dans la présente procédure incidente
l'existenced'un différendl'opposant àl'Espagne à la date de l'enregistre-
ment de la requête espagnole le 28 mars 1995 et que, lors de la phase
orale, commeje viensde le dire, il a abandonné sonallégationde non-lieu.
Dans le paragraphe 88 de l'arrêt, laCour considère qu'ellen'a pas, dans
les circonstancesde l'espèce,à rechercher d'office si le présentdifférend
est ou non distinct de celui ayant fait l'objet de l'accord du 20 avril 1995
entre la Communauté européenne etle Canada.
20. Quant à la référenceàla règlede l'épuisementdes recours internes
(mentionnée aussi dans le contre-mémoire canadien), le moins que l'on

puisse dire est qu'elle sembledéplacée,ar, comme il ressort de la requête
introductive d'instance, du mémoire et des plaidoiries du demandeur,
l'action que l'Espagne a introduite par le dépôt desa requêten'est pas un
exercicede protection diplomatique en raison des dommages causés àdes
personnes, à des biens ou à des intérêtprivésespagnolspar le compor-
tement du Canada.
21. L'instance introduite par l'Espagne le 28 mars 1995concerne des
comportements du Canada qui, d'aprèsle demandeur, lèsentdirectement
des droits et des intérêde l'Espagne en tant qu'Etat souverain, notam-
ment son droit à l'exercicede sajuridiction exclusiveen haute mer sur les
navires battant son pavillon et son droit de voir aussi le Canada respecter
les libertés de la haute mer et les normes relativesà l'interdiction du
recours à la force dans les relations internationales. Il ne s'agit donc pas
d'un différend en responsabilité internationale assujettià la règle de

l'épuisementpréalable desvoies de recours internes.
22. Il est vrai qu'à présent le Gouvernement du Canada fait l'objet
devant ses propres tribunaux d'une action en dommages et intérêts
intentéepar lesarmateurs de l'Estai pour voies de fait en haute mer, actes
dangereux en haute mer, piraterie, saisie illégale,etc. (voir le texte de la
déclaration,en date du 28juillet 1995,déposéeauprèsde la Cour fédérale
du Canada par les avocats des armateurs de l'Estai relativementaux agis-
sements du Canada à l'égard de ce bateau (mémoire de l'Espagne,
annexes, vol. II, annexe 31). Mais la requêtede l'Espagne du 28 mars
1995n'est pas un exercicede protection diplomatique en raison des dom-
mages causésaux armateurs de l'Estai. Cela ne préjuge en rienle droit de
l'Espagne d'exercer éventuellement,le moment venu, une telle protection
diplomatique moyennant le dépôtd'une nouvelle requête. Lors des plai-

doiries, l'Espagne a réservéses droità cet égard.
23. Je voudrais enfin à l'occasion de la présente affaire faire valoir
mon point de vue en ce qui concerne la nécessitédu recours aux notes
écrites desjuges en particulier dans les affairesconcernant une procédure
préliminairesur la compétence dela Cour. L'expérienceacquise dans la
présenteaffaire me conduit àpenser que la rédaction detelles notes cons-titue en pareil cas la seule méthodede travail qui doit être retenue. Les
notes écritesprocurent en effet les mêmesgaranties objectives aux deux
Parties, car les allégationsd'incompétencesont, en règlegénérale,beau-
coup plus simples que celles qui affirment la compétence.

CHAPITRIE I. LES FAITS GÉNÉRATEURS DU DIFFÉREND

24. Les faits générateursdu différend soumispar la requête del'Es-
pagne se sont produits au débutdu mois de mars 1995.En effet, le 3mars
1995,le règlementcanadien sur la protection des pêcheriescôtières,dans
sa rédaction du 25 mai 1994, fut modifiépar l'adjonction, notamment,
aux ((classesréglementairesde bateaux de pêcheétrangers))viséespar la
loi de 1985 sur la protection des pêchescôtières du Canada, telle que
modifiéepar la loi du 12 mai 1994 (projet de loi C-29), d'une nouvelle
classe:«les bateaux de pêcheétrangers qui naviguent sous le pavillon [du
Portugal ou de l'~s~agne]» pêchantdans la zone de réglementation-de
1'OPANO.

25. Il convient de rappeler que la zone de réglementationde 1'OPANO
est une zone de la haute mer situéeen dehors des 200 milles de la zone
économiqueexclusive du Canada. La convention sur la future coopéra-
tion multilatérale dans les pêchesde l'Atlantique Nord-Ouest du 24 oc-
tobre 1978 (à laquelle le Canada et l'Union européennesont parties) la
définit commesuit au paragraphe 2 de son article premier:

«La zone ci-après appelée«zone de réglementation))désignela
partie de la zone de la convention qui s'étendau-delà des régions
dans lesquelles les Etats côtiers exercent leur juridiction en matière
de pêche.))

Dans la définitionde la loi canadienne les mots: ((au-delà des régions
dans lesquelles les Etats côtiers exercent leur juridiction en matière de
pêche))n'y figurent pas. Ces mots sont pourtant bien significatifsdans la
convention de 1'OPANO !
26. Cette extension, le 3 mars 1995,de la législationcanadienne àdes
navires battant pavillon espagnol se trouvant dans la zone de réglementa-
tion de 1'OPANOen haute mer - constituant en elle-mêmeune préten-
tion manifeste de juridiction du Canada en haute mer à l'encontre des

navires espagnolset des droits souverainsde l'Espagne dans un tel espace
maritime - fut suivie quelques jours plus tard de voies de fait commises
par les garde-côtesou patrouilleurs canadiens à l'encontre des bateaux de
pêcheespagnolsqui pêchaient, àce moment-là, légitimementdans ladite
zone de réglementation de I'OPANO. Ce n'est qu'au début du mois
de mai 1995que le règlementdu 3 mars 1995fut abrogépar le Canada.
27. En effet, six jours seulement après l'adoption du règlement du
3 mars 1995,l'Estai, bateau de pêcheespagnol, fut arraisonné en haute
mer dans la région desGrands Bancs, à 245 milles approximativement

des côtes canadiennes, par le patrouilleurLeonard J. Cowleyet le garde-591 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS.TORRES BERNARDEZ)

côtes Sir Wilfred Grenfelldu Canada. 11le fut aprèsune poursuite com-
mencéeaussi en haute mer, des tentatives successivesd'abordage par des
vedettes rapides avec des individus munis d'armes automatiques et des
manŒuvresd'intimidation avec tirs de semonceau moyen d'un canon de
50 millimètres monté sur le patrouilleur Leonard J. Cowley. Une fois
arraisonnépar l'usagede la force,l'Estai fut conduit par lespatrouilleurs
canadiens au port de St. John's (Terre-Neuve) et son capitaine arrêté et
poursuivi devant la Provincial Court of Newfoundland pour prétendue
((résistanceà l'autorité))en application de la loi sur la protection des

pêchescôtièresdu Canada, dans sa rédactionmodifiéedu 12 mai 1994.

28. Lejour mêmede l'arraisonnement de l'Estai, c'est-à-direle 9 mars
1995,l'ambassade d'Espagneau Canada a adressé deuxnotes verbales au
ministèrecanadien des affaires étrangèreset du commerce international.
Aux termes de la seconde, le Gouvernement espagnol condamnait caté-
goriquement la poursuite et le harcèlement d'un vaisseau espagnol par
des vaisseaux de la marine canadienne, en flagrante violation du droit
international en vigueur, puisque ces faits s'étaient produits au-delàdes
200 milles (voir paragraphe 20 de l'arrêt).
29. En outre, le 10mars 1995,le ministèreespagnol des affairesétran-
gèresa fait tenirà l'ambassade du Canada en Espagne une note verbale

ainsi conçue:

«En effectuantledit arraisonnement [celui de l'Estai],les autorités
canadiennes ont violéla norme universellement acceptéede droit
international coutumier, codifiéeaux articles 92 et concordants de la
convention de 1982sur le droit de la mer, conformément à laquelle
1'Etatdu pavillon possède unejuridiction exclusivesur lesnavires en
haute mer. Vu ce grave incident, qui a causé des dommagesimpor-
tantsà des ressortissants espagnols,l'Espagne présente saprotesta-
tion la plus énergique, et simultanément elle exige la libération
immédiate de l'équipage et du navire etse réservele droit de récla-

mer les indemnisationspertinentes.
Le Gouvernement espagnol considère que l'acte illicite commis
par des navires de la marine canadienne ne peut en aucune manière
êtrejustifiépar de présuméespréoccupations de conservation des
pêcheriesde la zone, car elleviolece qui est établi dansla convention
[OPANO]dont le Canada est partie.
L'arraisonnement du navire est une infraction grave au droit
international, qui ne correspond pas au comportement usuel d'un
Etat responsable, effectuéesous le couvert d'une législationunilaté-
rale non opposable aux autres Etats. Le Gouvernement espagnol
exige,en conséquence,l'annulation de la législationen question.
Le Gouvernement espagnol se voit forcé, à la lumièrede ces évé-

nements, à reconsidérersesrelations avec le Canada, en se réservant
le droit de prendre les mesures qu'il estime pertinentes.Mémoire
de l'Espagne, annexes, vol.1,annexe 8.)(Le paragraphe 20 de l'arrêtne reproduit que le premier paragraphe (en
partie) et le deuxièmeparagraphe de la note ci-dessus.)
30. Comme il ressort de la simple lecture de cette note verbale, l'Es-
pagne n'a soulevédurant ces premiers jours (et elle ne le fera pas non
plus par la suite)aucunequestion relativela conservationou àla gestion
des ressources biologiques dans la zone de réglementation de'OPANO.
Son différendavecle Canada concerne des questions relativesau titre, aux
juridictions ou aux droits des Etats souverains en haute mer et, notam-
ment, à la règlede la juridiction exclusive de 1'Etatdu pavillon sur ses
navires en haute mer etàla non-opposabilitéà l'Espagne de la législation

canadienne. En fait, dans cette note verbale du 10 mars 1995, on peut
déjàtrouver tous les élémentsprincipaux qui configureront la requête
introductive d'instance que l'Espagne déposerale 28 mars 1995. A ce
propos, il convient de rappeler aussi qu'aucun des élémentsconstitutifs
du différendsoumis à la Cour par l'Espagne ne concerne des compé-
tences transféréeen tout ou en partie l'Union européenneparsesEtats
membres dans le cadre de la politique commune de pêchede la Commu-
nauté.
31. Le 10mars 1995,leministèrecanadien des affairesétrangèreset du
commerceinternational a, à son tour, adressé unenote verbalà l'ambas-
sade d'Espagne au Canada, confirmant «que le Canada a[vait]dû procé-
der àl'arrestation d'un chalutierespagnol, l'Estai,le 9 mars vers 16h 50))

et indiquant que l'Estai avait résisté aux tentatives d'arraisonnement que
les inspecteurs canadiens avaient effectuéesconformément à la pratique
internationale et que l'arrestation deEstai avait été renduenécessaire
pour mettre fin à la surpêchedu flétandu Groenland pratiquée par les
pêcheursespagnols (voir paragraphe 20 de l'arrêt). Cette noteverbale
canadienne présente aussi un intérêtpour pouvoir apprécier certains
autres aspectsimportants concernant les faits générateursdu présentdif-
férend entrel'Espagne et le Canada ainsi que la suite des événements.
32. En effet, dans les derniers paragraphes de cette note verbale cana-
dienne(dont le texte n'estpas non plus reproduit dans l'arrêt),il est dit ce
qui suit:

«Le communiqué ci-joint du 9 mars exprime la déception de
l'honorable André Ouellet, ministre des affaires étrangères,quaàt
laposition de l'Unioneuropéennequi aforcé leCanada àprendre des
mesures coercitivesà cettefin.
«Le ministère rappelle égalementque le premier ministre du
Canada a proposé au président de la Commission européenneun
moratoire de soixante jours sur la pêcheauJétan du Groenlandau-
delà de la zone des 200 milles du Canada, afin de permettre la
recherche d'une solution négociée.En signe de bonne foi, l'hono-
rable Brian Tobin, ministre des pêcheset des océans,a annoncéle
9 mars que le Canada ne permettrait pas à ses propres pêcheurs de

pêcherle flétandu Groenland pendant soixantejours, et ce tant à
l'intérieur qu'àl'extérieurde la zonede 200milles.A l'heure actuelle,593 COMPÉTENCE PECHERIES (OP.DISS. TORRES BERNARDEZ)

le ministèrecroit comprendre qu'aucun bateau espagnol ne pêchele
flétandu Groenland sur le Nez et la Queue des Grands Bancs. Le
ministère sollicite la coopération de l'ambassade pour que cette
situation soit maintenue afin de permettre la reprise des négocia-
tions.)) (Mémoirede l'Espagne, annexes, vol.1, annexe 9, p. 46-47;
les italiques sont de moi.)

33. Ainsi donc, c'est la position adoptée parl'Union européenne qui
aurait forcéle Canada à prendre lesmesures coercitivesqui ont conduità
l'arraisonnement de l'Estai le 9 mars 1995, plutôt que les activités de
pêchedu bateau espagnol lui-même. Il s'agissait de prendre en otage
l'Estai et éventuellementla flotte de pêcheespagnole se trouvant à ce
moment-là dans la zone de réglementationde l'OPANO en vue de faire
pression surl'Union européennepour que celle-cichange sa position sur
le différendexistantalors au sein de I'OPANO entre le Canada etl'Union
européenne.

34. Par ailleurs, toujours le 10mars 1995,la Communauté européenne
et ses Etat membres ont saisi le ministre canadien des affairesétrangères
de la note verbale mentionnée à la fin du paragraphe 20 de l'arrêt.Le
texte de cette note verbale se lit comme suit:
«La Communauté et ses Etats membres souhaitent condamner

dans les termes les plus énergiquesl'acte illégalet totalement inac-
ceptable que constitue l'arraisonnement, avec usage de la force, de
l'Estai, bateau de pêche battant pavillon espagnol, par des
patrouilleurs et garde-côtes canadiens dans les eaux internationales
le9 mars 1995.
L'arraisonnement d'un bateau dans les eaux internationales par
un Etat autre que celui dont le bateau bat pavillon et de la juridic-
tion duquel il relèveconstitue un acte illégaltant au regard de la
convention de I'OPANO que du droit international coutumier et ne
saurait sejustifier de quelque façon que ce soit. Par cette action, le
Canada non seulementviolede façon flagrante ledroit international,
mais ne respecte pas non plus le comportement normal des Etats res-

ponsables.
Cet acte est particulièrementinacceptableparce qu'il sape tous les
efforts déployépar la communauté internationale, notamment dans
le cadre de laA0 et de la conférencede l'Organisation des Nations
Unies sur les stocks de poissons chevauchants et les stocks de pois-
sons grands migrateurs, pour parvenir à une conservation efficace
par le renforcement de la coopération en matièrede gestion des res-
sources halieutiques.
Cette grave violation du droit international dépasse deloin la
question de la conservation des pêcheries.Cet arraisonnement est un
acte illégalportant atteinte la souverainetéd'unEtat membre de la
Communauté européenne.De surcroît, les navires canadiens ont,

par leur comportement, manifestement mis en danger la vie de
l'équipageet la sécuritédu bateau espagnol en cause.594 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

La Communautéeuropéenne etses Etats membres exigent que le
Canada restitue immédiatement le bateau, répare les dommages
occasionnés,cessede harceler les bateaux battant pavillon des Etats
membres de la Communauté et abroge sans délaila loi sous le cou-
vert de laquelleil prétend prendre cette mesure unilatérale.
La Communauté européenne et ses Etats membres sont forcés
de réexaminer leursrelations avec le Canada compte tenu de cette
situation déplorable et réserventleur droit de prendre toute mesure
qu'ils jugent indiquée.(Mémoiredel'Espagne, annexes, vol. 1,an-
nexe 11;lepremier et le dernier paragraphe de cettenote ne sont pas

reproduits non plus dans l'arrêt.)

35. La note verbale de la Communauté européenne etde ses Etats
membres distingue, comme il sedoit, entre «la question de la conserva-
tion des pêcheries))etcelle des actes ((portant atteintela souveraineté
d'un Etat)), confirmant ainsi l'autonomie de ces deux questions. La
requête introductive d'instance déposée enl'espècepar l'Espagne ne
s'occupe que des actes du Canada qui, d'aprèsle demandeur, ont porté
atteinte en mars et en avril 1995à la souveraineté de l'Espagneen tant
qu'Etat. Ajoutons que quelques jours après le 10mars 1995,l'Estai fut
restituéàl'Espagneet des négociationsentre la Communauté européenne

et le Canada sur leur différendau sein de 1'OPANOpurent s'ouvrir à
Bruxelles. Par contre, l'abrogation du règlement du 3 mars 1995 et
l'abandon des poursuites pénalescontre le capitaine del'Estai ne se sont
produits qu'après la conclusion de l'accord du 20 avril 1995 entre la
Communauté européenneet le Canada sur les pêchesdans le cadre de la
convention de I'OPANO.
36. Depuis l'épuisement des ressources biologiquesdans la zone des
200millesdu Canada adjacente à la zone de réglementationde I'OPANO,
qui s'est produit dans les annéesquatre-vingt - du fait de l'expansion
excessive des pêchescôtières canadiennes qui a suivi la déclaration de
I'ExtendedFisheries Jurisdiction (EFJ) de 1977(voir, par exemple, à ce
propos l'article de l'auteur canadien William E. Schruauk, ~Extended

Fisheries Jurisdiction, Origins of the Current Crisis in Atlantic Canada's
Fisheries)),Marine Policy, 1995,vol. 19,no4, p. 285-299)-, et au fur et
à mesure de l'aggravation de la crise dans sa zone exclusive,le Canada
devient de plus en plus exigeant dans ses prétentions concernant les
pêchesdans la zone de réglementationde I'OPANO, c'est-à-direen haute
mer. Cela a donnélieu à des divergences au sein de 1'OPANOentre le
Canada et d'autres parties à la convention de I'OPANO, notamment
l'Union européenne.
37. Il faut aussi avoir présent à l'esprit l'arrière-plan du conflit
de févrierlmars1995entre le Canada et l'Union européennedans le cadre
de I'OPANO. En février1995,le Canada agit au seinde I'OPANO en vue
de réduire considérablementle total admissible de captures (TAC) du flé-

tan noir (ou flétande Groenland) dans la zone de réglementation de
1'OPANOet de le ramener à 27000 tonnes pour l'année,tout en se fai-595 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

sant attribuer la part du lion (16300 tonnesà,savoir 10300 tonnes de
plus qu'en 1994.Soixante pour cent environ du TAC de 1995sont donc
ainsi réservésau Canada dans la zone de réglementation de I'OPANO.
En mêmetemps, il réussit,toujours au sein de I'OPANO, à une voix de
majorité, à faire fixer la part réservéeaux pêcheursde l'Union euro-
péenne à douze pour cent environ du TAC de 1995,soit 3400 tonnes de
flétan noir seulement. Une quantité misérabled'après la presse cana-
dienne elle-mêmen , on rentable et bien inférieureau volume traditionnel

de captures des pêcheurs del'Union européenne dans la zone et à leurs
besoins, alors que le volume attribuéau Canada dépassaitses capacités
de pêche(voir, par exemple, l'éditorialdu 18 avril 1995du journalThe
Globe and Mail; mémoire de l'Espagne, annexes, vol.1, annexe 23). On
voit déjà que, dans cette crise de 1995 entre'Union européenne et le
Canada, il n'est pas seulement question de «conservation» mais bel et
bien de «répartition» des ressources.
Devant une telle situation, la Communauté européenne aeu recours à
la procédure d'objection, procédurelégitime prévuedans la convention
de l'OPAN0, de façon à ce que les arrangements de I'OPANO prônés
par le Canada ne lui fussent pas opposables,et, sans changer le TAC éta-

bli, elle a fixéelle-même 18630 tonnes le quota de flétannoir dans la
zone pour les pêcheurs desEtats membres de la Communauté,pêcheurs
espagnols y compris. Les quotas fixéspar I'OPANO ne sont pas appli-
cablesà une partie qui fait objectionconformément aux dispositionsper-
tinentes de la convention de70PAN0.
38. La premièreréactiondu Canada à la position adoptéepar l'Union
européennedans ce conflit de févrierlmarsau sein de 1'OPANOfut, sous
prétextedesurpêche,l'adoption du règlementdu 3mars 1995étendant la
législationnationale canadienne sur la protection des pêchescôtièresaux
navires portugais et espagnols. Cette prétention de juridiction en haute
mer fut suivie de la proposition d'un moratoire de soixantejours sur la
pêcheau flétannoir, dont il est question dans la note verbale canadienne

du 10mars 1995citéeau paragraphe 32 ci-dessus.
39. Le 6 mars 1995,l'Union européenne accepta d'entamer des négo-
ciations bilatéralesavec le Canada sur leur conflit au sein de l'OPAN0,
mais non sur le moratoire proposé, et rappela son opposition àla Iégisla-
tion canadienne en matière de contrôle des activitésde pêchesde navires
non canadiens au-delà des 200 milles (déclaration du Conseil ((affaires
générales))de l'Union européenne du 6 mars 1995; mémoirede l'Es-
pagne, annexes, vol. 1,annexe 10). C'est alors que la deuxièmeréaction
canadienne se produisit et quel'Estai fut arraisonné par le recouàsla
force.
40. C'est à cette déclaration du 6 mars 1995 de l'Union européenne

que fait allusion la note verbale canadienne du 10mars 1995(voir para-
graphe 32ci-dessus)lorsqu'elleseréfèreàla déceptionressentie le 9 mars
1995par le ministre Ouellet etàla position de l'Union européenne qui,
selon sestermes, aurait forcéle Canada prendre des mesures coercitives
dans la zone de réglementation de I'OPANO àl'encontre des bateaux de596 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

pêcheespagnolset dont la première ciblefut le 9 mars 1995,comme nous
venons de le voir, l'Estai.
41. Lesconsidérations qui précèdent (que d'autres documents soumis
à la Cour et des publications dans le domaine public confirment) per-
mettent d'avoir une idée suffisamment précise de ce que le Canada cher-
chait en faità atteindre en févrierlmars1995, àsavoir changer les règles

de jeu dans la zone de réglementation de 1'OPANO au détriment des
droits dont l'Union européenne et ses Etats membres jouissent dans la-
dite zone en vertu de la conventionde 1'OPANOet du droit international
généralde la mer. Le Canada voulait modifieren sa faveurla situationjuri-
dique existante dans la zone au moins sur trois points, à savoir: 1) se
voir reconnaître par l'Union européenne des droits juridictionnels ou
de contrôle privilégiédans les pêcheriesde la zone de réglementationde
I'OPANO; 2) se voir reconnaître par l'Union européennedes droits pré-
férentielsdans la répartition des quotas du TAC sur la base de sa condi-
tion d7Etat côtier sans se soucier des équilibresétablisen la matière par

la convention de 1'OPANO; 3) modifier la procédure d'objection pré-
vue par la convention de YOPANO ou limiter son exerciceau détriment
de l'Union européenne. Si l'on garde cela à l'esprit, il devient évident
que les mesures prises au début dumois de mars 1995 à l'encontre des
bateaux de pêcheespagnols (adoption du règlement du 3 mars 1995;
arraisonnement de l'Estai; harcèlement d'autres bateaux de pêcheespa-
gnols) constituaient en réalides mesures contre l'Union européennequi
n'avaient Dour but aue d'obtenir des concessions de celle-ci afin d'at-
teindre les objectifs que je viens d'énumérer.L'enjeu n'étaitdonc pas la
conservation,mais la modijicationdu droit dans la zone de réglementation

de I'OPANO.
42. La note verbale de la Communauté européenne et de ses Etats
membres du 10mars 1995ne se trompe pas lorsqu'elle se réfère à «la loi
sous le couvert de laquelle [le Canada] prétend prendre» des mesures
unilatérales contre les bateaux de pêcheespagnols. Cela n'est pas sans
pertinence pour la tâche qui est celle de la Cour dans la présente procé-
dure incidente, quoique l'arrêt l'ignoretout fait. Voilà un bon exemple
d'une question qui aurait méritéune réponse,que l'onne trouve pas dans
-'--.êt.
43. Dans les jours qui ont suivi l'arraisonnement de l'Estai, d'autres

bateaux espagnols (Monte Agudo, Freiremar Uno, JoséAntonio Nores,
Verdel,Arosas, Mayi Cuatro et Pescamaro Uno) ont fait l'objet de dif-
férentesmesures de harcèlement et de contrôle par plusieurs garde-côtes
ou patrouilleurs canadiens. Tous ces actes de harcèlement ont eu lieu
dans la zone de réglementation de 170PAN0, c'est-à-dire en haute mer.
Devant l'accroissement dela tension dans la zone et pour mieux protéger
sa flotte de pêche, l'Espagneenvoya un certain nombre de navires de sa
marine qui commencèrent à arriver dans la zone à partir du 17 mars
1995. Dans le document intitulé ((Rapports sur la participation de la
marine espagnole dans les zones de pêchede la zone [OPANO])),il est

dit, en guise d'observation finale, ce qui suit:597 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS.TORRES BERNARDEZ)

((Pendant pratiquement tout notre séjourdans la zone [entre le

17mars et le 4 avril environ], les navires de pêche espagnolsont été
harcelés, avec plusou moins d'intensité,par les patrouilleurs cana-
diens. Ne respectant pas dans certaines occasions la convention
internationale pour prévenirles abordages en mer.» (Mémoirede
l'Espagne, annexes, vol.1, annexe 5.)

44. Dans le cas du bateau Pescamaro Uno, le patrouilleur Leonavd J.
Cowley a sectionnéles funes de son chalut, ce qui a causéla perte de
l'engin et mis en danger la vie des marinsbord. Le document susmen-
tionné décrit, comme suit,le harcèlementdu Pescamavo Unoqui a eu lieu
le 26 mars 1995:

((Vers 21h30 ce mêmejour, cinq patrouilleurs canadiens revien-
nent, à mesure qu'ils s'approchent de la flotte espagnole, ils se dis-
persent et harcèlent différents naviresde pêche avecleurs projec-
teurs. LePescamavo Unonous informe qu'un remorqueur et le L. J.
Cowley se trouventà côtéde lui, un membre de l'équipagede ce der-
nier communique, en espagnol, au chalutier espagnol ((qu'il est en
train de violer les réglementations visant la protection de la pêche
côtière canadienne.Il lui ordonne d'arrêterimmédiatementses ma-

chines et de placer l'échellepour pouvoir aborder son embarcation.
Conformément àla législationdu Canada ils ne sont pas autorisés
à pêcherdu flétannoir dans cette zone.)) Nous lui communiquons,
depuis le Vigia, qu'ils sont en train d'enfreindre la réglementation
OPAN[O] ainsi que le droit international. Ils nous répondent qu'ils
obéissentaux lois canadiennes et non à celles de l'OPAN[O]. Vu
la négative du capitaine du navire espagnol, le L. J. Cowley lui
donne un délaipour retirer l'équipage dupont car il va lui couper les
funes de chalut; le remorqueur canadien illumine le Pescamavo Uno
avec de puissants projecteurs et en mêmetemps passe de la proue à
la poupe, à peu de mètres de son flanc et après avoir dépassé la

poupe du navire de pêcheespagnol, ilvire de quatre-vingt-dix degrés
pour passer perpendiculairement àsa poupe, moment où il largue un
objet coupant (sans doute un grappin) qui sectionne les funes du
chalutier espagnol, avec la perte subséquente de tout l'engin et le
risque subséquentpour les marins qui se trouvaient sur le pont ce
moment-là. Après cet incident, la flotte et nous-mêmesmettons le
cap vers l'est, en laissant les patrouilleurs canadiens derrière nous.
A aucun moment les patrouilleurs impliquésdans les événements
du 26 n'ont hissé lespavillons d'inspectionOPAN[O], ils hissèrent
seulement deux pavillons et un autre indiquant le numéro de code
international (SQ 3 - stoppez ou mettez les machines au point
mort. Je vais monter à bord de votre embarcation) et en même

temps, ils répétaientsans cesse qu'ils agissaient conformément la
loi côtière canadienne. » (Ibid.)
45. Ces actes de harcèlement, postérieuàsl'arraisonnement del'Estai,598 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

commis par le Canada à l'égarddes bateaux espagnols pêchant dans la
zonede réglementationde I'OPANO, se sont produits tant avant qu'après
l'introduction de la présenteinstanceainsiqu'il ressort des notes verbales
adresséesau Canada par l'Espagne le 27 mars et le 7 avril 1995(mémoire
de l'Espagne, annexes, vol. 1,annexes 3 et 4). Le Canada n'a pas répondu
à ces notes. La négociation bilatérale n'a pas étépossible en mars 1995
entre l'Espagne et le Canada en ce qui concerne l'objet du présent diffé-
rend. L'arrêt gardele silence le plus total sur tous ces développements

ultérieursà l'arraisonnement de l'Estai, voire à l'introduction de l'ins-
tance.
46. Ainsi, le 28 mars 1995, l'Espagne, compte tenu de la condition
d'Etat déclarant des deux pays dans le cadre du système de la clause
facultative, a enregistréau Greffe de la Cour une requête introductive
d'instance contre le Canada «au suiet d'un différend relatifà certains
aspects de la compétence exercéepar le Canada en matière de pêcheries »
(paragraphe 2 de l'ordonnance du 2 mai 1995; les italiques sont de moi)
et l'affaire reçut le titre de Compétenceen matière depêcheries (Espagne
c. Canada). La requêtepréciseque la question soumise à la Cour n'est
pas la conservation et la gestion des ressources de pêche[mais] le titre

pour exercer une juridiction sur des espaces en haute mer et [son] oppo-
sabilitéà l'Espagne, notamment l'opposabilité à l'Espagne de la préten-
tion du Canada d'exercer unejuridiction sur les navires battant pavillon
espagnol en haute mer et la responsabilitédu Canada du fait de l'arrai-
sonnement de l'Estai par la force en haute mer.
47. Par lettre, datée du 31 mars 1995, du représentant permanent
de l'Espagne auprèsdes Nations Unies, distribuéecomme document offi-
ciel de l'Assemblée générale et du Conseil de sécurité(doc. A/50/98,
S/1995/252),le Gouvernement espagnol informe le Secrétaire général de
l'organisation des Nations Unies du différendexistant entre l'Espagne
et le Canada comme suit:

((D'ordre de mon gouvernement, j'ai l'honneur de vous faire
savoirque ces dernièressemaines se sont produits en haute mer dans
le nord-ouest de l'Atlantique un certain nombre d'incidents entre des
bateaux de pêchebattant pavillon espagnol et des patrouilleurs
canadiens, incidents au cours desquels ces derniers ont fait usage de
la force.
Je souhaite en particulier me référerau fait que, le 9 mars dernier,
le bateau de pêcheEstai, battant pavillon espagnol, a étéarraisonné
par des patrouilleurs canadiensfaisant usage de la force armée,alors
qu'il se trouvait dans des eaux internationales. Le bateau ainsi que
l'équipage furent conduitsau port de Saint John's où ils ont été rete-
nusjusqu'à leur mise en libertésouscautionjudiciaire. Il convient de

souligner que cette caution a étéverséepar l'armateur du bateau
arraisonné, qui a expressémentfait savoir qu'il ne reconnaissait pas
la compétence destribunaux canadiens.
Postérieurement à ces faits se sont produits divers actes de harcè-599 COMPÉTENCE PECHERIES (OP.DISS. TORRES BERNARDEZ)

lement de la part de patrouilleurs canadienscontre des embarcations
espagnoles pratiquant la pêchehauturière, notamment un incident
sérieux,le 26 mars, au cours duquel les filets du bateau de pêche
espagnol Pescamav 1 ont étédélibérément sectionnés par un
patrouilleur canadien.
Ces faits, qui constituent une violation flagrante par le Canada du
droit international et de la Charte des Nations Unies, ont causé de

graves préjudicesà des citoyens espagnols et, dans certains cas, ont
mis en danger leur vie ou leur intégrité physique,ce qui a amenéle
Gouvernement espagnol à réagir sous la forme de protestations
immédiatespar la voie diplomatique, dans lesquelles il a pleinement
réservéses droits et réclaméles indemnisations pertinentes au titre
des dommages et torts subis.
Soucieux de défendreses nationaux, le Gouvernement espagnol a
décidéen outre d'envoyer deux unités del'armée espagnole dans la
zone où s'étaient produitsles faits, afin de protégerles embarcations
espagnoles qui exercent leurs activitésen se prévalant du principe de
la liberté de la haute mer, dans le cadre des réglementations appli-

cables établiespar les organisations internationales compétentes en
la matière.
Par ailleurs, le Gouvernement espagnol, résoluà résoudrepacifi-
quement les différendsinternationaux conformément aux disposi-
tions de la Charte des Nations Unies, a introduit le 28 mars dernier
une requêtede l'Espagne contre le Canada àla Cour internationale
de Justicepour que celle-cipuisse rendre son arrêtet que soientréta-
blis les droits ainsi foulésau pied.
Je vous serais reconnaissant de bien vouloir faire distribuer le
texte de la présentelettre comme document de l'Assembléegénérale,
au titre des points 39 et c) de la liste préliminaire,et du Conseil
de sécurité.

48. Comme dans la présenteprocédure incidente se posent aussi cer-
taines questions d'interprétation relatiàel'exécution des mesures dites
de gestion et de conservation par des moyens coercitifs, à savoir par
l'usage de la force l'encontre des bateaux de pêcheespagnols en haute
mer, il convient de rappeler ici qu'ily a eu des ((menacesde l'emploi dela
force» par la marine canadienne pendant la période où les bateaux espa-
gnols ont continué àpêcherdans la zone de réglementationde 1'OPANO
après l'arraisonnement de l'Estai (environjusqu'au débutdu mois d'avril
1995).Il y a eu des moments de considérabletension entre les deux pays
qui ne sont pas sans rapport d'ailleurs avec les hauts et les bas qu'ont
connus lesnégociationsqui se déroulaient parallèlementà Bruxellesentre

l'Union européenne et le Canada pour résoudre leur conflit au sein de
I'OPANO. Des publications et des nouvelles de presse et d'autres moyens
d'information publique ont parlé àl'époque demenaces, d'intimidation,
de guerre du flétan,des «rules of engagement))de la marine de guerre
canadienne, etc. 49. Un seul exemple qui se passe de commentaire suffira pour illustrer
les faits que je viens de relater. Dans un article publiéle 17 avril 1995
dans le journal The Globeand Mail de Toronto, intitulé((Naval Threat
Brought Turbot Deal. Diplomacy Prevailed as Canadian Warships Sailed
towards Confrontation with Spain » (((Menace navale :entente sur le flé-
tan noir. Victoire de la diplomatie alors que les navires de guerre cana-
diens allaient vers un affrontement avec l'Espagne»), on peut lire notam-
ment ce qui suit:

[Traduction du GrefSe]

((Ottawaa mis en Œuvre un dispositifd'intervention navale mis au
point quelque temps plus tôt et qui, selon tous les représentants
canadiens, présentait des risques de confrontation armée.
Deux navires fortement armés de la marine canadienne, la frégate
Gatineau et le contre-torpilleur Nipigon, se sont dirigésvers la zone
contestéepour apporter leur appui à six patrouilleurs et garde-côtes
stationnésdans l'Atlantique Nord-Ouest.
La flottille de pêcheespagnole composée deseize chalutiers était
protégéepar deux patrouilleurs espagnols équipésuniquement de
canons de petit calibre. Les Espagnols ne pouvaient pas rivaliser
avec la puissance de feu des navires canadiens.
Selon certaines sources, le commandement maritime canadien a
tenu l'armée espagnole parfaitement informée de la position des
navires canadiens de manière à évitertout affrontement accidentel.

Lorsque l'Espagne a été informée de l'entréeen action du Gati-
neau et du Nipigon, le sérieux desintentions canadiennes ne faisait
plus aucun doute pour les Espagnols, a déclaréune sourcediploma-
tique.

Au moment mêmeoù les navires canadiens convergeaient vers la

zone contestée, des hauts fonctionnaires canadiens à Ottawa et à
Bruxelles ont averti des diplomates européens importants que le
Gouvernement canadien était à bout de ~atience.
Les diplomates de haut rang de 1'~niok européenne,de l'Espagne
et de la France, postés Ottawa, ont été convoquéa su ministère des
affaires étrangèrestard vendredi soir pour se faire dire par le sous-
ministre, M. Gordon Smith, que le temps passait et que le Canada se
remettrait «bientôt» àappliquer lesmesures de contrôle de la pêche,
et notamment à saisir les chalutiers ou couper les filets.» (Mémoire
de l'Espagne, annexes, vol. 1,annexe 23.)

50. La présentation des faits de l'espècepar l'arrêtn'opèrepas de dis-
tinction entre les ((faits générateurs)) dudifférend devant la Cour et
d'«autres faits» qui sont aussi pertinents dans la présenteprocédureinci-
dente, mais pour d'autres fins, notamment pour l'interprétation de la
réserve de l'alinéad) du paragraphe 2 de la déclaration du Canada du 10 mai 1994. Ces derniers types de faits sont exposésd'une façon suffi-
samment détailléedans l'arrêt.On ne peut pas en dire autant de la
relation des «faits générateurs))du différenddevant la Cour. C'est peut-
être unedes raisons de la surprenante conclusion de l'arrêt surla ques-
tion de l'((objet du différend))soumis par l'Espagne à la Cour. Cela
explique aussi les développements de la présente opinion dissidentesur
les ((faits générateurs))du différend. Aprèstout, l'arrêts'occupe tant de

la question de la définition de l'objetdu différendque de l'interprétation
de la déclarationdu Canada et il y a des faits pertinents aussi bien pour
la première question que pour la seconde.
51. Par ailleurs, il faut en l'espèceprêter uneattention particulière
distinction des faits. Autrement, l'intention sous-jacente invoquéepar le
défendeur pourrait encore créer plus de confusion. L'intention relative
aux ((faits générateurs))du différendde mars 1995n'est pas nécessaire-
ment la mêmeque celle que le défendeura pu ou dit avoir eue en mai
1994lorsqu'il a procédéau dépôtde sa déclaration d'acceptation de la
juridiction obligatoire de la Cour. Je passe maintenant à l'examen de la
question de l'objet du différenddevant la Cour.

CHAPITRE III. L'OBJET DU DIFFÉREND

A. La notion de l'objet du différend etses composantes

52. C'est un principe reconnu que:

«L'existenced'un différendinternational demande à êtreétablieob-
jectivement. Le simplefait que l'existenced'un différendest contestée
ne prouve pas que ce différend n'existe pas.)) (Interprétationdes
traitésdepaix. C.I.J. Recueil 1950, p. 74; les italiques sont de moi.)
Dans la présente procédure incidente préliminaire, l'«existenc»d'un dif-

férendentre les Parties à la date du dépôt au Greffe de la Cour de la
requêtede l'Espagne du 28 mars 1995 n'est pas contestée.Les Parties
sont d'accord à ce sujet. Mais ellessont loin de l'êtresur une autre ques-
tion qui demande également à être «établieobjectivement)) par la Cour,
à savoir l'«identification» du différend soumispar le demandeur et de
son «objet». Comment l'objet du différend doit-ilêtre apprécié?Lja uris-
prudence de la Cour ne permet pas denourrir de doutes àcet égard:«La
Cour rappelle que l'objet du présent litigeest indiqué dans la requête
aussi bien que dans la conclusionfinale principale du Gouvernement
suisse...)), la Suisse étant dans l'affaire 1'Etat demandeur (Interhandel,
arrêt,C.I.J. Recueil 1959, p. 21; les italiques sont de moi).
53. D'ailleurs, l'article40 du Statut exigeque la requête indiquel'«ob-

jet du différend)),ce que le paragraphe 1 de l'artic38 du Règlementde
la Cour confirme. En outre, d'après le paragraphe 2 de cette disposition
du Règlement, la requêtedoit notamment, d'une part, indiquer «la
nature précisede la demande)), c'est-à-dire la chose demandée oulepeti-
tum, et, d'autre part, contenir «un exposé succinctdesfaits et moyens sur lesquels [la]demande repose)),c'est-à-dire les motifs de fait et de droit de
la demande ou la causapetendi. Il ne faut donc pas réduirel'«objet du
différend)à l'«objet de la demande)) (voir, par exemple, G. Guyomar,
Commentaire du Règlement dela Cour internationale de Justice, 1983,
p. 236). L'«objet de la demande)) n'est qu'une des composantes de
«l'objet du différend».
54. Déjàen 1927,M. Anzilotti soulignait que parmi les trois éléments
traditionnels d'identification d'un différend soumisà la Cour, à savoir
persona, petitum et causapetendi, ceux qui déterminaient l'objetdu dif-
férend étaientlesdeux derniers. Comme le dit l'éminentjuge, l'expression
«le cas qui a été décidé à))l'article 59 du Statut ((comprend aussi bien la

chose demandéeque la cause de la demande » et:
((C'est dans ces limites que l'arrêt de laCour est obligatoire, et
c'est dans ces mêmeslimites que l'article 60 prévoit le droit pour
toute Partie d'adresserla Cour, encasde contestation, une demande
en interprétation.))(Interprétationdes arrêtsnos 7 et 8 (usine de
Chorzbw), arrêtno 11, 1927, C.P.J.I. sérieA no 13, p. 23.)

55. A son tour, comme on vient de le dire, laausapetendi comprend,
à la fois, les élémentsdefait et de droit visésau paragraphe 2 de l'ar-
ticle 38 du Règlement de la Cour. Sous des différentes formules,les pas-
sagescitésci-dessous,tirésd'opinionsdeM. Anzilotti et deM. Read, confir-
ment aussi que la causa petendi d'un demandeur est constituéepar des
éléments de faitet de droit:

«dans une demande enjustice, l'indication de l'objet du différendne
peut être quel'indication de ce que le demandeur veut obtenir de la
Cour et des motifs de droit ou de fait, pour lesquels il croit avoir le
droit de l'obtenirpetitum et causapetendi))) (Interprétationdu sta-
tut du territoire de Memel, fond, arrêt, 1932,C.P.J.I. sérieAIB
no49, p. 350, opinion dissidente de M. Anzilotti).

«le fond d'un différend comprend les points de fait et de droit qui
donnent lieu àune cause d'action et qu'un Etat demandeur doit éta-
blir pour avoir le droità la réparation demandée))(Anglo-Iranian
Oil Co., exception préliminaire,arrêt,C.Z.J. Recueil 1952, p. 148,
opinion dissidente deM. Read).
56. 11découle dece qui précèdeque la causapetendi d'une requêteest

toujours constituéepar un ensemble de faits ou de situations générateurs
juridiquement qualijîéspar le demandeur par rapport à certains principes
généraux del'ordre juridique qu'il affirme avoir étévioléspar le défen-
deur à son détriment.Il est trèsim~ortant donc d'avoir à tout moment
présent à l'esprit tant les élémentsde fait que les éléments dedroit de la
causapetendi que le demandeur fait valoir dans sa requêteà l'appui de sa
demande, pour être àmêmed'identifieret d'apprécier l'objetdu différend
dont il s'agit. Cela est particulièrement vrai dans la phase préliminaire
d'une affaire, car lepetitum peut faire l'objet de conclusions qui, sans603
COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS T.ORRES BERNARDEZ)

dépasser le cadre global de l'objet du différend tel qu'il ressort de la
requête,sont susceptiblesde modification par le demandeur jusqu'a la fin
de la phase orale sur le fond. Lacausapetendi, elle, n'est pas susceptible
de modification sans changer d'affaire.
57. L'arrêtde la Cour dans l'affaire desTerres à phosphates à Nauru
confirme, si besoin est, cet aspect des choses en rapport avec la question
poséepar la nouvelle demande de Nauru relative aux biens d'outre-mer
des British Phosphates Commissioners (C.I. J. Recueil 1992, p. 264-267,
par. 62-71). Comme il est rappelédans cet arrêt,il faut que la demande
additionnelle soit implicitement contenue dans la requête(C.I.J. Recueil
1962, arrêt,p. 36) ou découle directementde la question qui fait l'objet
de la requête(C.Z.J. Recueil 1974, p. 203, par. 72). Lajurisprudence de la
Cour permanente leconfirmeaussi amplement (voir, par exemple, C.P. J.Z.

sérieAIB no52, p. 14, et no 78, p. 173).

58. A la nécessitégénérale detoujours tenir compte des deux compo-
santes de l'objet du différendpour identifier ce dernier, il s'ajoute, dans la
présente instance incidente,le fait de la rédaction mêmedu titre de juri-
diction en cause qui emploie le terme «différends» (disputes) et non pas
celui de «demandes» (claims) (voir paragraphe 2 de la déclaration du
Canada du 10mai 1994).En fait, ce paragraphe de la déclaration cana-
dienne mentionne cinq fois le terme «différends», y compris dans la
réservede l'alinéad) du paragraphe 2. C'est donc sur le terme ((diffé-
rends» que l'attention du juge doit se porter et non sur le terme
«demande» (claim), qui est un terme d'une portéejuridique bien plus
étroite, qui ne figure pas dans la déclaration canadienne et qui est sus-

ceptible, sans transformer l'objet global du différend de la requête, de
modifications par le requérantjusqu'à lafin de la phase orale sur le fond.

B. L'objet du diffërendà la lumière dela «causa petendi))
et du «petitum» du demandeur

59. Comme nous l'avons vu ci-dessus lors de l'examen des faits géné-
rateurs du présent différend,les élémentsdefait de la causa petendi de
l'Espagne sont essentiellement au nombre de deux, à savoir: 1)l'existence
d'une législation canadiennesur la protection des pêchescôtièresautori-
sant, dans l'ordrejuridique interne du Canada, l'exercicede certains actes
de juridiction de ce pays sur des navires non canadiens dans la zone de
réglementationde 1'OPANO(zone situéeen haute mer), législation ren-

due applicable (en marslavril 1995)aux navires espagnols pêchantdans
ladite zone par le règlement canadien du3 mars 1995;et 2) l'arraisonne-
ment par l'usage de la force dans ladite zone de la haute mer, le 9 mars
1995, du bateau espagnol, l'Estai, par des garde-côtes ou patrouilleurs
canadiens, après avoir reçu les ((autorisations nécessaires))desautorités
canadiennes compétentes (arraisonnement qui a étésuivi en marslavril
1995du harcèlementd'autres bateaux espagnols pêchantdans la zone de
la haute mer en question). 604 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS T.ORRES BERNARDEZ)

60. La loi canadienne sur la protection des pêchescôtièrescessa d'être
appliquée aux bateaux depêcheespagnols au débutdu mois de mai 1995
lorsque le Canada abrogea le règlementdu 3 mars 1995,mais la loi est
toujours en vigueur et son application pourrait dèslors à nouveau être

étenduepar leCanada aux bateaux espagnolscomme ill'avait faitenmars1
avril 1995.En outre, le demandeur considère que la seule existence de la
législation canadienne en question est un fait illicite international, indé-
pendamment de tout acte concret d'application. Cela est conforme à la
jurisprudence de la Cour dans l'avis consultatif concernant 1'Applicabilité
de l'obligation d'arbitrage envertu dela section 21 de 1uccord du 26juin
1947 relatif au siège deI'Ovganisationdes Nations Unies(C.I.J. Recueil
1988, p. 12).En effet, dans cet avis, eà propos de la loi américainecontre
leterrorisme promulguéele 22 décembre1987,la Cour rejeta l'argumenta-
tion des Etats-Unis selon laquelle le différendalléguén'existait pas du fait

que la loi contre le terrorisme en question n'avait pas encore été appliquée
(ibid.,p. 29-30,par. 39-44)'. 11va de soi que la non-opposabilité d'uneloi
ou législation nationale peut êtrel'objet d'une actionen justice devant la
Cour comme ce fut le cas dans des affaires concernant la juridiction en
matièredes pêcheries desannées1973-1974.
61. En ce qui concerne les éléments dedroit de la causa petendi, la
requête de l'Espagne(point 2 de la requête, p.6-8)invoque certains prin-
cipes bien connus de droit international généraldont certains ont été
codifiés.Il s'agit, pour l'essentiel,de principes dedroit international rela-
tifs au régimede la haute mer (statut juridique de res communis de la

haute mer; juridiction exclusivede 1'Etatdu pavillon sur ses bateaux en
haute mer; exercicepar les Etats des libertés de lahaute mer; coopération
dans la gestion et la conservation des ressources de la haute mer; sécurité
en mer ...et de principes de la Charte des Nations Unies et du droit inter-
national généralconcernant l'interdiction de la menace ou de l'emploi de
la force dans les relations internationales, la bonne foi dans l'exécution
des obligations internationales des Etats et la primautédu droit interna-
tional sur le droit interne dans les relations internationales. La requête
n'invoque pas comme motifs de droitde la demande les dispositions de la

convention de I'OPANO de 1978.
62. Ces motifs de droit de la requête de l'Espagnesont largement suf-
fisants, compte tenu des éléments defait signalés,pour établir la causa
petendi du requérant. Ce sont ces motifs de droit, et non d'autres tou-
jours possibles, que le demandeur a choisis aux finsde fonder la demande
contenue dans la requête.Parmi ces motifs, ceux qui occupent le devant
sont incontestablement ceux relatifs à lajuridiction exclusivede 1'Etatdu

' L'on constate ici un infléchissement de la jurisprudence de la Cour. Ce n'est qu'un
exemple, il en a d'autres dans le présentarrêt qui touàdes questions d'intérêt
généralpour lerèglementjudiciaire international. En fait, l'arrêtabonde en innovations
jurisprudentielles qui atteignent un nombre jamais vu dans un seul et mêmearrêt.Le
Canada a été un plaideur bien chanc,ar tous ces infléchissementsetinnovations sont
tombésde son côtéde la barre. Cela n'arrive pas tous lesjours.pavillon sur ses navires en haute mer età l'interdiction de la menace ou
l'emploi de la force contre des navires étrangers qui exercent en haute
mer les libertésou les activitéspacifiques reconnues dans un tel espace
maritime à tous les Etats par le droit international et les conventions
internationales.
63. A ce propos, le requérant affirme: 1) que ces principes juridiques
existent en droit international;2) qu'en l'espèce ilsoctroient certains
droits à l'Espagne, et 3) qu'en l'espèce cesdroits de l'Espagne ont été
violéspar le Canada.
64. Quant au petitum, la requêtede l'Espagne (point 5) réclame:

A) que la Cour déclareque la législation canadienne,dans la mesure où
elle prétend exercer une juridiction sur les navires battant pavillon
étrangeren haute mer, au-delà de la zone économiqueexclusive du
Canada, est inopposable à l'Espagne;

B) que la Cour dise et juge que le Canada doit s'abstenir de réitérerles
actes dénoncés, ainsi qu'offrià l'Espagne la réparation due, concré-
tiséeen une indemnisation dont lemontant doit couvrir tous les dom-
mages et préjudices occasionnés;
C) que, en conséquence,la Cour déclare aussique l'arraisonnement en
haute mer, le 9 mars 1995,du navire sous pavillon espagnol Estai et
les mesures de coercition et l'exercicede la juridiction sur celui-ci et
sur son capitaine constituent une violation concrète des principes et
normes de droit international indiquésdans la requête(voir: les élé-
ments de droit de la causa petendi).

65. Aux fins de la présente phase juridictionnelle, l'intérêt de cette
réclamationdu requérantrésidedans le fait qu'elleconfirme, tout comme
la causapetendi, le genre de différendsur lequel le demandeur demande à
la Cour de statuer dans la présente affaire.On constate sans difficultéque
le différend n'estpas un différendconcernant la pêcheou des mesures de
conservation etlou de gestion de ressources biologiques de la haute mer.
Comme il est dit expressémentdans la requête(point 4), le différend sou-
mis à la Cour par le demandeur:

«ne se réfère pas exactementaux différendsconcernant ces mesures,
sinon àleur origine,à la législation canadiennequi est leur cadre de
référence.La requête espagnoleattaque directement le titre allégué
pour justifier les mesures canadiennes et leurs actes d'exécution, une
législation qui, allant beaucoup plus loin que la simple gestion et

conservation des ressources de pêche, esten soi un fait illicite inter-
national du Canada, car elle est contraire aux principes et normes
fondamentales du droit international; une législation,qui ne relève
pas non plus exclusivement de la juridiction du Canada, selon sa
propre déclaration (point2, lettre c), de la déclaration); une législa-
tion, en outre, qu'uniquement à partir du 3 mars 1995 on a voulu
élargirde façon discriminatoire aux navires battant pavillon espa-
gnol et portugais, ce qui a produit les graves infractions au droit des606 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

gens ci-dessus exposées.La question n'est pas la conservation et la
gestion des ressources de pêche sinonle titre pour exercer une juri-
diction sur des espaces dela haute mer et leur opposabilité à l'Es-
pagne.» (Les italiques sont de moi.)

II s'agit bel et bien d'une demande en responsabilité internationale
pour des faits qui, d'aprèsle demandeur, seraient autant de faitsterna-
tionalement illicites im~utables au défendeuret aue celui-ci aurait com-
mis au détriment du respect dû à la souveraineté de l'Espagne et à la
juridiction exclusivede l'Espagne sur les navires battant son pavillon se
trouvant en haute mer.
66. La première réclamation principale(point A) du petitum demande

à la Cour de déclarer l'inopposabilitéde la législation canadienne à
l'Espagne dans la mesure où cette législationa été invoquée et peut être
invoquée encorepour justifier l'exercicede la juridiction du Canada sur
des navires battant pavillon espagnol se trouvant en haute mer. Elle ne
demandepas cependant à la Cour de déclarer l'invalidde ladite législa-
tion. Il s'agit seulementd'inopposabilità l'Espagne. La réclamationn'a
donc pas la mêmeportée,sur ce point, que cellesdu Royaume-Uni et de
la République fédérale d'Allemagnd eans les affaires de lampétenceen
matière depêcheriesdes années1973-1974.Il y a lieu aussi de noter que
la réclamation parle des «navires» et non des ((bateaux de pêche»et
qu'elle vise«la haute mer» dans son ensemble, n'étant paslimitée àune
zone déterminée quelconque de cet espace maritime.

67. Ayant préciséci-dessus la causa petendi et le petitum du deman-
deur, on est maintenant en mesure d'apprécierl'objet dudifférend,c'est-
à-dire le véritable problèmeen cause devant la Cour, la vraie question
que lui a soumise le demandeur. Cette question est du plus haut intérêt
pour le présent incident juridictionnel car, comme la Cour l'a déclaréen
1960, dans son arrêten l'affaire du Droit de passage sur le territoire
indien:((Pour apprécier la compétence de laCour, il faut considérer quel
est l'objet du différend)).LJ. Recueil 1960, p. 33). Pourquoi la requête
affirme-t-elle qu'il existe entre l'Espagne et le Canada un différend:

«qui, dépassant le cadre de la pêche, affecte gravement l'intégrité
mêmedu mare liberum de la haute mer et de ses libertés comme
concept et catégorie de base de l'ordre international depuis des
siècles,et implique, en outre, une atteinte très gravecontre les droits
souverains de l'Espagne, un précédentinquiétant de recours à la

force dans les relations inter-Etats ...» (point 3 de la requête).
68. Parce que, d'après le demandeur, la législation canadienne invo-
quéepar le défendeurpour justifier l'exercicepar le Canada de sajuridic-

tion en haute mer sur des navires étrangerset appliquée en1995par lui à
des bateaux de pêcheespagnols, en ayant en plus recours à l'usage de la
force, ne saurait valoir titre en droit international dans les relations entre607 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

les deux Etats, et ceci quelle que soit la qualification ou la portée des
mesures adoptéespar le Canada dans son ordre juridique interne et de
l'exécution,dans ce cadre juridique, de telles mesures par ses autoritéset
ses agents.
69. Le Canada oppose à cette thèsejuridique du demandeur sa propre
thèse,d'où la naissance d'un désaccord à cet égardentre les deux Etats
ayant pour objet la question du titre ou du défautde titre du Canada
pour agir en haute mer contre des navires espagnols. Le demandeur a
précisé qu'ielmploie la notion de «titre» dans le sens de lajurisprudence

de la Cour dans l'affaire du Différendfrontalier, où il est dit que la
notion de titre:
«peut également et plus généralemenv tiser aussi bien tout moyen de

preuve susceptibled'établirl'existenced'un droit que la source même
decedroit »(Différendfrontalier (Burkina FasolRépubliquedu Mali),
C.Z.. Recueil 1986, p. 564, par. 18).

La question du titre ou du défautde titre du Canada comme objet du
différend soumis à la Cour par le demandeur fut confirméedans le
mémoire de l'Espagnesur la compétenceet, à défautde réplique, ample-
ment exposéepar l'agent et les conseils de l'Espagne au cours des plai-
doiries.
70. D'après l'argumentation de l'Espagne, il y aurait défaut de titre
international du Canada et ceci entraînerait toute une sériede consé-
quences importantes pour la tâche qui est cellede la Cour dans le présent
incident juridictionnel préliminaire, notamment:

a) que les mesures adoptéespar le Canada à l'égard des navires espa-
gnolsen haute mer, et l'exécutionde tellesmesures par les autoritéset
les agents canadiens par l'emploi de la force, constitueraient des faits
illicites internationaux engageant la responsabilité internationale du
Canada vis-à-vis de l'Espagne et ne sauraient être considérées,en
droit international, comme des mesures de gestion et de conservation

de ressources ou l'exécution detelles mesures par un Etat, qu'il soit
ou non Etat côtier ou riverain de la zone de la haute mer en question;
b) que le différend soumis à la Cour par l'Espagne en qualitéd'Etat du
pavillon ne concerne ni la pêcheni la gestion ou la conservation de
ressources biologiques dans la zone de réglementation deI'OPANO,
mais bel et bien un conflit de compétences souverainesen haute mer
entre le Canada et l'Espagne enraison de l'existenced'une législation
canadienne, toujours en vigueur, qui a crééune situation ou un fait
illicite international continu, qui esà la base de l'atteinte grave
portéeen 1995 à la souveraineté de l'Espagnepar le Canada en haute
mer ;

c) que, de par son objet, le différend soumisa la Cour par l'Espagne ne
tombe pas dans le champ d'application de la réservede l'alinéa d) du
paragraphe 2 de la déclaration du Canada, car il concerne un préa-
lable logique et juridique (un prius), une prémisse fondamentale, ayant en droit international une existence tellement autonome et
séparée des mesuresde gestion et de conservation de ressources qu'il
ne saurait êtreconsidéré comme implicitement comprisdans un tel
type de réservecomptetenu de l'économie généraldee la déclaration;
d) que l'objet du différend soumis à la Cour ne concerne pas la gestion
et la conservation des ~êcheries.mais la auestion de l'exercicede la

juridiction et du contiôle de l'État du iavillon sur ses navires en
haute mer; il s'agit d'ailleursd'une matièrequi ne relèvepas des com-
pétences transférées à la Communauté européenne par ses Etats
membres, d'où il suit que l'accord conclu en 1995entre la Commu-
nautéet le Canada dans le cadre de I'OPANO n'apas pu rendre sans
objet (moot) le présent différend, commele Canada l'affirmeau cha-
pitre IV de son contre-mémoire.

71. D'après l'Espagne, ni l'exercicede la pêchepar des bateaux espa-
gnols, canadiens ou d'un pays tiers - ni la conservation et la gestion de
ressources biologiques de la haute mer dansla zone de réglementation de
1'OPANO ou ailleurs - ne font partie de l'objet du différend qu'ellea
soumis à la Cour. Celui-ciconcernerait, comme on vient de le dire, letitre
ou le défautde titre international du Canada pour prétendre exercer sa
juridiction en haute mer sur des navires espagnols etlou pour employer la
force contre ces navires dans un tel espace maritime sans l'accord de

l'Espagne. Pour le demandeur, le Canada n'aurait pas un tel titre et
l'emploi de la force contre l'Estai en invoquant la législation canadienne
ne saurait non plus êtreconforme ni au droit international généran l ià la
Charte des Nations Unies.
72. Dans ce contexte, l'agent de l'Espagne a rappelé que d'après la
jurisprudence de la Cour I'adjacence naturelle ne génèrepas detitre inter-
national sur la haute mer, ainsi que l'a préciséla Chambre de la Cour
dans l'affaire du Golfe du Maine:

«il est donc correct de dire que le droit international attribue à1'Etat
côtier un titre juridique sur un plateau continental adjacent ou sur
une zone maritime adjacente à sescôtes, il ne le serait pas de dire que
le droit international reconnaît le titre attribuéà I'Etat par l'adju-
cence de ce plateau et de cette zone, comme si le seul fait naturel de
l'adjacence entraînait par lui-mêmedes conséquences juridiques))
(Délimitationde la frontière maritime dans la régiondu golfe du

Maine, arrêt,C.I.J. Recueil 1984, p. 296, par. 103 ; les italiques sont
dans l'original).
73. Ajoutons que la législation canadienne en question (y compris les

règlements)n'indique pas,par voie de renvoi ou autrement, un titre inter-
national quelconque du Canada - mêmesous forme de prétention -
comme fondement desmesures envisagées(ou de leur exécution) àl'égard
des bateaux non canadiens se trouvant en haute mer. La législation cana-
dienne garde le silence sur letitre international du Canadapour agir uni-
latéralement dansla zone de réglementation deI'OPANO en haute mer.609 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

La réserve de l'alinéad) du paragraphe 2 de la déclarationdu Canada est
aussi muette à cet égard.Ainsi le titre international éventueldu Canada
ne fait partie ni de la législationsur la protection des pêchescôtières,ni
de la déclaration du 10mai 1994.
74. Il convient aussi de rappeler que la règlede lajuridiction exclusive
de 1'Etat du pavillon sur ses navires en haute mer est une règlecoutu-
mière de droit international établie de longue date que la Cour perma-
nente dans son arrêtconcernant l'affaire du Lotus énonça ences termes:

«Le principe de la liberté de la mer a pour conséquenceque le
navire en haute mer est assimiléau territoire deEtatdont il porte le
pavillon, car, comme dans le territoire, cet Etat y fait valoir son
autorité, et aucun autre Etat ne peut y exercer la sienne. Tout ce
qu'on peut dire est que, en vertu du principe de la libertéde la mer,
un navire est placé dans la mêmesituation que le territoire de
1'Eta..» (Lotus, arrêtno9, 1927, C.P.J.I. sérieA 12"10, p. 25.)

C. Le titre comme cause de l'action enjustice à la lumière
de lajurisprudence de la Cour relative au droit de la mer

75. Pour pouvoir exercer une juridiction dans un espace maritime
quelconque, les Etats doivent être enpossession d'un titre. La jurispru-
dence de la Cour relative au droit de la mer abonde en passages consacrés
à cette question, éminemmentjuridique, du titre, question qui relève
d'ailleurs du droit international et qui, comme telle, rentre dans la com-
pétence générale dlea Cour et est aussi comprisedans la notion de «dif-
férendsd'ordre juridique)) du paragraphe 2 de l'article 36 du Statut.
76. Le titre des Etats pour exercer unejuridiction dans un espace mari-
time quelconque est de surcroît une question parfaitement détachable
d'autres questions concernant aussi des principes du droit international
de la mer. Elle est douéede l'existence et de l'autonomie requises pour
pouvoir constituer à elle seule l'objet d'une demande enjustice devant la

Cour internationale de Justice. La jurisprudence de la Cour confirme
amplementcette conclusion.
77. A ce propos, s'agissant dans la présente affaire de la haute mer et
seulement de la haute mer, c'est-à-dired'un espace maritime ayant le sta-
tut de res cornmunis en droit international, il convient de commencer
l'examen de cette jurisprudence en rappelant ce que la Cour a dit dans
l'arrêt de1993dans l'affaire de la Délimitationmaritime dans la région
située entrele Groenlandet Jan Mayen:

«La côtede Jan Mayen, tout autant que celledu Groenland orien-
tal, génèreun titre potentiel sur les espaces maritimes reconnuspar
le droit coutumieu, c'est-à-dire en principe jusqu'à la limite des
200milles à partir de seslignes de base.»(C.I.J. Recueil 1993,p. 69,
par. 70; les italiques sont de moi.)

Il est donc correct de présupposer, aux fins du présent incident préli-
minaire, que les côtes du Canada géographiquementadjacentes à la zonedite de ((réglementationde l'OPANO» génèrent untitre potentiel sur les
espaces maritimes reconnus par le droit coutumier jusqu'à la limite des
200milles à partir de leurs lignesde base. L'Estai fut arraisonnéle 9mars

1995 - il convient de le rappeler - à 245 milles des côtes canadiennes
approximativement. Le défendeur n'a pas niéce fait dans la présente
phase incidente de l'affaire.
Et il est également correct, s'agissant de la haute mer, d'adopter
comme point de départ que cet espace maritime est ouvert à tous les
Etats, qu'il est affecté des fins pacifiques et qu'aucun Etat ne peut légi-
timement prétendreen soumettre une partie quelconque à sa souveraineté
(articles 87, 88 et 89 de la convention sur le droit de la mer de 1982).
78. Quelques exemples serviront largement à illustrer la conclusion

que le titre comme catégorie juridique du droit de la mer peut justifier à
lui seul une action en justice devant la Cour. Dans l'arrêtde 1985dans
l'affaire duPlateau continental (Jamahiriya arabe IibyenneIMalte), il est
dit:

«[LlesParties à la présente instanceont longuement débattu de la
portée à attribuer à la pratique étatique en matière de délimitation
du plateau continental - ainsi d'ailleurs que du titre sur le plateau
- question qui sera approfondie dans la suite du présentarrêt.Il est
néanmoins indéniable que,ayant étéadoptée par l'écrasantemajo-
rité desEtats, la convention de 1982revêt uneimportance majeure,
de sorte que, mêmesi les Parties ne l'invoquent pas, il incombe
manifestement à la Cour d'examiner jusqu'à quelpoint l'une quel-

conque de sesdispositions pertinentes lie lesParties en tant que règle
de droit international coutumier. Dans cecontexte, en particulier, les
Parties se sont attachées àdistinguer entre le droit applicableaufon-
dement du titre sur des zones duplateau continental - autrement dit
les règlesrégissantl'existence«ipsojure et ab initio» et l'exercicede
droits souverains de 1'Etatcôtier sur des étendues deplateau conti-
nental situéesdevant sescôtes - et le droit quigouverne ladélimita-
tion de ces étenduesde plateau entre Etats voisins.)) (C.I.J. Recueil

1985, p. 30, par. 27; les italiques sont de moi.)

On voit bien que ce passage de l'arrêtdistingue nettement entre «le
droit applicable au fondement du titre»et «le droit qui gouverne la déli-

mitation du plateau)). Il les considère comme deux catégoriesjuridiques
distinctes.
Il est donc évident que la question du fondement du titre du Canada
pour exercer sajuridiction nationale en haute mer sur desnavires battant
pavillon espagnol - objet du différend soumispar l'Espagne - n'estpas
une question que l'on est autorisé,en droit, à confondre avec celle des
règlesde droit international gouvernant la conservation et la gestion des
ressources biologiques de la haute mer ou avec celles des mesures adop-
tées etlouexécutées à ces fins par les Etats. Elle a une existencepropre et

distincte.611 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS. TORRES BERNARDEZ)

79. Le titre est d'autre part un préalable juridique indispensablepour
agir en mer, c'est le titre ou droit l'exerciced'une juridiction dans un
espace maritime donné qui est déterminant pour trancher les questions
qui peuvent seposer concernant d'autres questionsjuridiques relevant du
mêmeespaceet non pas viceversa. Et pourquoi? Parce que le droit inter-
national de la mer est un ordre juridique cohérent. Par exemple, dans
l'affaire du Plateau continental (Jamahiriya arabe 1ibyennelMalte) men-

tionnéeci-dessus, l'arrêtde la Cour nous dit:
«La Cour n'a mère de doute auant au critère et à la méthode
qu'elle doit employer en premier lieu pour parvenir à une position

provisoireà propos du présent litige.Le critère estliéau droit relatif
au titre juridiqued'un Etat sur le plateau continental. Comme la
Cour l'a constaté plus haut, le droit applicable au présent litige,
c'est-à-dire des prétentions portant sur des plateaux continentaux
situésà moins de 200 milles des côtes des Etats en question, ne se
fonde pas sur des critères géologiquesou géomorphologiques, mais
sur un critère de distance de la côte, ou, pour reprendre l'expression
traditionnelle d'adjacence, sur le principe d'adjacence mesuréepar la
distance. La Cour estime donc logique que lechoix du critère etde la
méthode qu'elledoit employer en premier lieu pour parvenir à un
résultat provisoire soit effectué d'unemanière cohérenteavec les
concepts àla base de l'attribution du titrejuridique. » (C.I.J. Recueil

1985, p. 46-47, par. 61; les italiques sont de moi.)
80. Les arrêtsde 1974dans les affaires de la Compétenceen matièrede
pêchevies(fond)entre leRoyaume-Uni et YIslandeet entre la République

fédérale d'Allemagne et l'Islande distinguent aussi nettemententre la
question du titre juridique (les désaccordssur «l'élargissement unilatéral
par l'Islande de sajuridiction sur lespêcheriesCjusqu'à50millesmarins]»)
et la question de la répartition des ressources halieutiques et des mesures
de conservation visant celles-ci(les désaccords((quantà l'étendue età la
portée de[s]..droits respectifs [desParties] sur les ressourceshalieutiques
et quant aux mesures propres à conserver ces ressources» (C.I.J. Recueil
1974, p. 21, par. 47).
81. La possibilité defonder une action enjustice devant la Cour sur la
question du titre pour agir en haute mer est aussi reconnue dans les arrêts
de 1973concernant la Compétenceen matière de pêcheries(compétence
de la Cour) où on lit ce qui suit:

«Le fait que l'Islande est exceptionnellement tributaire de ses
pêcheries etle principe de la conservation des stocks de poisson
ayant été reconnus,il reste le point de savoirsi l'Islande a la com-

pétencevouluepour s'attribuer unilatéralementunejuridiction exclu-
sive en matière de pêcheries au-delà de 12 milles. En la présente
phase del'instancela Courn'a à seprononcer que sursa compétence
pour trancherce point.)) (C.I.J. Recueil 1973, p. 20, par. 42; les ita-
liques sont de moi.) C'est justement la ((compétencevoulue)) du Canada pour ((s'attribuer
unejuridiction)) dansla zone de réglementationde I'OPANO de la haute
mer sur des navires espagnols qui constitue l'objet du différend soumis

par l'Espagne à la Cour et c'est sur la compétence de laCour pour tran-
cher cette question quel'on doit se prononcer dans la présente procédure
incidente compte tenu de la réservede l'alinéad) du paragraphe 2 de la
déclarationdu Canada.
Dans son opinion individuellejointe à ces arrêtsde 1973,M. Fitzmau-
rice fait la distinction qui s'impose, lorsqu'il s'agit dela haute mer, entre
leproblèmedu titre, d'une part, et lesmesures de conservation en matière
de pêcheries,d'autre part, dans les termes suivants:

((l'adoption concertée de mesures de conservation concernant la
haute mer en vue de protéger despêcheriescommunes dont l'exploi-
tation est ouverteà tous est évidemmenttout autre chose que la pré-
tention émiseunilatéralement par un Etat riverain d'interdire com-

plètement la pêcheaux navires étrangers ou de ne l'autoriser qu'à
son gré et sous soncontrôle. La question de la conservationest donc
sans rapport avec leproblème juridictionneldont la Courest saisie et
qui concerne sa compétencepour trancher un différendrésultantde
la prétention émisepar l'Islande de proclamer unilatéralement sa
juridiction exclusive, en matière de pêche,sur une zone s'étendant
autour de sescôtesjusqu'à une distance de 50millesmarins. »(C.I.J.
Recueil 1973, p. 26-27; les italiques sont de moi.)

82. Ainsi, mêmesi les thèses exposéespar le Canada, dans la pré-
sente procédure incidente, relativementà l'interprétationde la réservede
l'alinéad) du paragraphe 2 de sa déclaration étaientcorrectes pour les
besoins de l'argument, il resterait encoreà déterminersi ces mesures et
leur exécution peuvent de par leur nature mêmedonner lieu, en droit

international,à un différenddont l'objet neporte que sur la question du
titre nécessairepour pouvoir adopter ou exécuterlesmesures en question
et si, en cas de silence du texte de la réservesur cette matière, celle-ci
peut quand mêmeêtreinterprétée commecomprenant dans la catégorie
de différendsqu'elleexclut ceux résultant descomportements du Canada
primafacie sans titre ou contre un titre de l'Espagned'aprèsledroit inter-
national.
83. Ce qui est toutefois certaià la lumièrede la jurisprudence de la
Cour ci-dessus, c'est que l'Espagne, en tant que demandeur, est en pos-
session d'un droit procédural l'autorisantà soumettre à la Cour un dif-
férenddont l'objet n'est, en dernière analyse,que le titre ou le défautde
titre du Canada pour agir comme il l'a fait à l'égard del'Espagne en
haute mer. Celle-ci a le droit d'intenter une action en justice contre le
Canada ne portant que sur cette question du titre en tant que catégorie

juridique différenciéeetautonome du droit de la mer. L'intérêt juridique
de l'Espagne, en sa qualité d'Etat souverain, d'obtenir que la Cour se
prononce sur un différendn'ayant qu'un tel objet saute aux yeux. Il est613 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

incontestable et se passe de commentaire. L'arrêt cependant méconnaît
cet intérêt juridiquedu demandeur. C'est grave, très grave mêmede la
part d'un organe juridictionnel international comme la Cour.

D. La position du défendeursur l'objet du différend

84. Le Canada a eu des difficultés avec l'objetdu différend dela
requête del'Espagne. Lors de la phase écritedu présent incident, il a
biaisésur ledit objet, tout en essayant en mêmetemps de le remplacer par
un autre objet relatif, celui-ci, gestion eà la conservation des pêches.
Le Canada s'est abstenu cependant de déposer une demande reconven-

tionnelle ou une requête principale contre l'Espagne surcet autre objet
éventuel.Comme je l'ai déjà ditau chapitre 1de la présenteopinion dis-
sidente («La singularité dela procédure))),le contre-mémoire canadien
traite non pas de l'exercicede la juridiction étatique en haute mer, mais
de la crise de la conservation des ressources halieutiques dans l'Atlan-
tique Nord-Ouest comme ((contexte factuel et historique)) du présent
différend.Pour le Canada, l'objet du différend avec l'Espagneserait la
conservation et la gestion des pêchesdans la zone, question qui selon le
contre-mémoireaurait d'ailleurs étéréglée(argument du non-lieu). Ces
arguments du défendeur illustrent bien son refus de reconnaître le véri-
table objetdu différenddont la Cour a étésaisiepar l'Espagne.

85. Pourquoi le défendeur a-t-il cherché à redéfinirou à contourner
dans son contre-mémoire le véritableobjet du différenddevant la Cour?
Tout simplementpar manque de confiancedans la portée desa réservede
l'alinéad) du paragraphe 2 de la déclarationdont il excipe. Le Canada a
voulu remplacer le véritable objet du différenddevant la Cour par un
autre objet qui tomberait tel quel dans le champ d'application de cette
réserve.Pour en arriver là, il fallait plaider la coïncidenceentre l'objet du
différend soumis par l'Espagne et l'objet des différendsviséspar la
réserve d) du paragraphe 2 de la déclarationdu Canada.
86. Ainsi, en ce qui concerne la phase écrite,on peut conclure que,
pour le Canada, le différendsoumis par l'Espagne était undifférendsur
la gestion et la conservation des ressources. Mais c'étaittout de même

solliciterun peu trop la requête etla réserve.Alors, au cours de la phase
orale, devant les plaidoiries espagnoles, le Canada a changé quelquepeu
son argument sur l'identité entreI'objet du différend et l'objet de la
réserve,tout en gardant évidemment à l'esprit son but de faire entrer le
différendsoumis à la Cour dans les différendsexclus par la réserve de
l'alinéad) du paragraphe 2 de sa déclaration d'acceptationde lajuridic-
tion obligatoire de la Cour.
87. En effet, pendant les audiences, le Canada va élaborer une thèse
sur l'objet du différenddifférentede celle de son contre-mémoire. C'est
dans ce nouveau contexte que les conseils canadiens parleront, finale-
ment, du véritable objet du différend soumis à la Cour par l'Espagne.
Bien entendu, selon ces conseils, l'objet du différend dela requêtene

serait plus qu'un simpleargument du demandeur, à savoir «la thèseespa- 614 COMPÉTENCE PECHERIES (OP.DISS.TORRES BERNARDEZ)

gnole». De là à s'arroger eux-mêmesle droit de présenter uneautre thèse
ayant dans la procédure une fonction similaire à celle du demandeur, il
n'y avait qu'un pas à faire et ce pas a été franchi.C'est ainsique la ques-
tion de l'objet du différendva s'entremêlerdans les plaidoiries avec celle
du rôle respectif du demandeur et du défendeur dans la définition de
l'objet d'un différend. Mais,tout de même,les conseils canadiens parle-
ront enfin lors des audiences de l'objet du différend de la requête de
l'Espagne et reconnaîtront que: «le critèrede la réserve- ligne de par-

tage entre ce qui relèvede la compétencede la Cour et ce qui n'en relève
pas - c'est l'objet du différend))(CR 98/14, p. 25).
En fait, pendant la phase orale, le Canada va défendre la thèse que
j'appelle del'«aussi». L'objet du différendsoumis par l'Espagne ne por-
terait pas exclusivement sur la pêcheou sur la gestion ou la protection
des ressources biologiques, mais aussi sur ces dernières questions. Et les
conseils du Canada de conclureque ledit différendétait alorsexclu par la
réserve del'alinéad) du paragraphe 2 de la déclaration canadienne. Pour
en arriver là, ils vont tout simplement méconnaîtretant le concept de dif-
férend quecelui de l'objet du différend.
88. Tout d'abord, le Canada va remplacer le concept de différend,
terme qui figure dans la réserve de l'alinéa d)du paragraphe 2 de la

déclaration, par ((catégoriedefaits)) :
«La première chose à retenir au sujet de la réservecanadidnne ...
est qu'ellevise une catégoriede faits. Elle exclut de lajuridiction de
la Cour tout ce qui relèved'une catégoriedéfiniede situations de
fait,à savoir: tout ce qui concerne directement ou indirectement les

mesures de conservation et de "estion des ressources halieutiaues
prises par le Canada contre lesnavires pêchant dans lazone de régle-
mentation de I'OPANO ..tout différendconcernant cette loi [lepro-
jet de la loiC-291ou des mesures prises en vertu de celle-ci entre
dans le champ d'application factuel de la réserve canadienne et
échappedèslors à la juridiction de la Cour.)) (CR98111, p. 46; les
italiques sont de moi.)

Cette première opération a donc consisté à réduire la notion de «dif-
férend» aux élémentd se fait de la causaetendi. On laisse simplement de
côtérien de moins que les éléments de droit de la causa petendi et lepeti-
tum du demandeur. «Différend» serait ainsi l'équivalent des ((éléments
de fait» de la causa petendi. Pourtant, la jurisprudence de la Cour nous
enseigne que «les faits et les situations qui ont mené à un différendne
sauraient être confondus avec le différend même»(Interhandel, arrêt,
C.I.J. Recueil 1959, p. 22). D'autre part, la jurisprudence de la Cour ne
nous dit pas qu'à partir de certains faits ou situations ne puisse s'établir
qu'un seul et mêmedifférendentre deux Etats, ou que la Cour ne puisse

êtresaisie que d'un seul différendpar ces Etats, ou encore que la Cour
puisse être compétente pour un deces différendstout en ne l'étantpas,
éventuellement,pour un autre.
Et pourquoi la jurisprudence ne dit-elle pas et ne peut-elle dire cela?615
COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS . ORRES BERNARDEZ)

Parce que, dans le règlementjudiciaire, les élémentsde fait invoqués en
vue d'établir le droit subjectif par lequel se traduit juridiquement la
demande, prétention ou petitum, doivent toujours être accompagnéspar
des élémentsou allégations de droit ou d'un intérêtlégitime,ou bien
encore par l'indication d'un texte ou d'un principe juridique en cause,
c'est-à-dire des moyens de droit sur lesquels le petitum ou la demande
repose.
89. Cela fait, l'opérationa continuépar une reformulation de la notion
d'«objet du différend))du règlement judiciaire international. La causa
petendi et lepetitum de la requêtene seraient pas suffisants pour l'iden-
tification de l'objet du différend.On ajoute en fait un troisième élément,
à savoir le droit applicableaufondpar lejuge. Mais, comment en arrive-

t-on là? En faisant valoir qu'«un différend estconstitué par un ensemble
indivisible de données factuelles et de règles de droit)) et en ajoutant
qu'«il ne peut pas y avoir compétencede la Cour pour l'une de sescom-
posantes et incompétencepour l'autre)) (CR98112,p. 40). Or, ces ((règles
de droit)) qui deviendraient dans la thèse canadienne un des deux élé-
ments constitutifs de la définitionde l'objet du différendinternational,
engloberaient tant les élémentsde droit de la causapetendi que le droit
applicable au fond par lejuge! Ce faisant, le Canada introduit un nouvel
élément généra aldditionnel pour établir la compétencede la Cour, élé-
ment qui n'est exigéni par les textes ni par la jurisprudence et qui peut
seulement intervenir au stade de la compétence lorsqu'il est explicidans
les titresjuridictionnels en cause.

90. Les éléments dedroit de la causapetendi ne sont pas le droit appli-

cable au fond par la Cour pour réglerle litige entre les Parties quoi qu'en
dise le Canada, mais les principes de droit international, les points de
repère juridiques utiliséspar le demandeur sur le plan judiciaire pour la
qualificationjuridique de l'ensemble des faits dans le but de fonder la
demande (petitum) qu'il soumet au juge dans sa requête. Certes,le droit
international comme ordre juridique, et mêmela notion de ((différend
international» dûment comprise (persona, causa petendi et petitum) ,
répond à un concept d'unité, mais le concept de «compétence» du juge
international, qui est fondé sur la volontédesjusticiables, ne fait pas par-
tie de cet ((ensembleindivisible))dans le sens dont parle le Canada. Au
contraire, la compétencedu juge international est fragmentaire et c'est le
droit international qui le veut. La thèsedu Canada est ainsi échafaudée
sur une confusionentre les éléments dedroit de la causapetendi, qui par-

ticipent de la définitiondu différendet de son objet et qui, à ce titre,
interviennent dans l'établissement ou la détermination in casu de la
((compétence))du juge international, et le droit appliquéau fond par ce
même jugepour réglerle litige en question.
91. Les titres juridictionnels peuvent bien sûr écarter ou modifier le
droit applicable au fond par lejuge international, bien qu'il n'en soit pas
ainsi dans le présentincidentjuridictionnel, mais le droit applicable au
fond n'est en aucun cas un élément dela définitionou de l'identification616 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

d'un différend comme telou de son objet dans le règlement judiciaire
international. Evidemment, le but recherché par la thèse canadienne
n'était pas théorique.Il s'expliquait par le souhait du Canada d'élargir
autant que possible la portéede la réserve de l'alinéad) du paragraphe 2
de sa déclaration d'acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour,
bien qu'elle fût formulée dans la déclaration comme «une exception)) à
une juridiction obligatoire autrement acceptée. Jene saurais souscrire à

une thèsequi ferait d'une réserveformuléeen termes de la conservationet
de la gestion des ressources biologiques de la mer une sorte de trou noir
(black hole), pour utiliser la terminologie des conseils espagnols, qui
aspirerait tout différendsur le régimede la haute mer et sur les droits
qu'ont les Etats dans un tel espace maritime d'après le droit international
de la mer et, pourquoi pas, l'ensembledu droit international et des obli-
gations énoncéesdans la Charte des Nations Unies.
92. L'Espagne s'est opposée, à juste titre à mon avis,à ces tentatives
d'intervention canadiennes dans la définition del'objet du différend dela
requêtedu 28mars 1995.Je ne peux qu'être d'accordavecle principe que
le défendeurne saurait redéfinirou modifier l'obiet du différend soumis

par un Etat demandeur à la Cour par voie de requête.
Il s'agit bien là d'un droit procédural du demandeur. Les moyens pro-
céduraux du défendeursont l'exception préliminaire,la demande recon-
ventionnelle et la possibilité,qui lui est ouverte, de présenter une autre
requêteprincipale contre le demandeur de la première.Le Canada n'a uti-
liséaucune de cestrois possibilités.la place, il a prétendu ignorerl'objet
du différendtel que définipar la requête de l'Espagneou le remplacer par
l'objet des différendsdont il est question dans la réservede la déclaration
dont il excipe. Mais le défendeurn'a pas un tel droit procédural sous
réserve évidemmend te sa faculté defaireconnaîtreà la Cour son point de
vue sur l'objet du différenddéfinipar le demandeur dans sa requête.

E. La nouvelledéfinitionfaite par l'arrêtde l'objet du différend
est-elle conforme au droit applicableetà lajurisprudence
de la Cour?

93. Dans le paragraphe 35 de l'arrêt, l'objet dudifférenddevant la
Cour est défini commesuit:
«Les actions spécifiques ..ayant donné naissance au présent dif-
férendsont les activitéscanadiennes en haute mer qui ont trait à la
poursuite de l'Estai, aux moyens employés pour l'arraisonner, à
l'arraisonnement lui-même,ainsi qu'à la saisie du navire eà l'arres-
tation de son capitaine en vertu de la législationcanadienne sur les

pêchescôtièreset de sa réglementationd'application telles que modi-
fiées.Dans son essence, le différendentre les Parties porte sur la
question de savoir si ces actions ont violéles droits que l'Espagne
tient du droit international et s'ils exigentréparation. Il appartient
maintenant à la Cour de décidersi les Parties lui ont conféré une
compétencepour connaître de ce différend. )) Cette définition,acceptéeapparemment par la majorité,ne correspond
cependantni àcellequi résulte dela lectur- naturelle et raisonnabl-
du texte de la requêtede l'Espagne du 28 mars 1995 compte tenu de
l'intention du demandeur au moment où il l'a déposéeau Greffe de la
Cour, ni à son mémoire et à ses plaidoiries, voire aux conclusions
déposéespar l'Espagne à la fin de la présente phase incidente prélimi-
naire, dans lesquelles son agent a confirméque:

((l'objet du différend estle défautdu titre du Canada pour agir en
haute mer àl'encontre des navires battant pavillon espagnol,l'inop-
posabilitéà l'Espagne de la législationcanadienne des pêches,et la
réparation des faits illicites perpétrés l'égard des naviresespa-

gnols» [notamment l'arraisonnement de l'Estai avec usage de la
force et le harcèlement d'autres bateaux espagnols] (voir le para-
graphe 12 de l'arrêt).
94. Rien de nouveau donc dans ces conclusions espagnoles qui confir-
ment l'objet du différend tel que le petitum et la causa petendi de la

requête du28 mars 1995le définissent.Par contre, la définitiondu para-
graphe 35 de l'arrêtest une formulation qui pose des problèmes très
sérieux,tant par son nouveau contenu (par rapport à l'objet du différend
de la requête) quepar le fait que la Cour s'est substituéeau demandeur
pour ce faire.

95. L'arrêt arriveàla définitionde l'objet du différenddans son para-
graphe 35 à partir de la conclusionsuivante en son paragraphe 34:

«Le dépôt de la requêtea étésuscitépar certaines actions spéci-
fiquesdu Canada dont l'Espagne prétendqu'ellesont violésesdroits
en vertu du droit international. Ces actions ont étéprises sur le fon-
dement de certains textes législatifset réglementairesadoptéspar le
Canada, que l'Espagne estime contraires au droit international et
inopposables à elle-même. C'esdtans cecontexte qu'ilfaudrait consi-
dérerles textes législatifset réglementairesdu Canada.»

96. Une telle conclusion pose tout d'abord la question: que veut dire
l'arrêtavec une telle rédaction? Il semblerait que l'on voudrait écarter
des prononcésjudiciaires sur des principes de droit internationalin abs-
tracto.Or, si cela étaitle cas, je ne vois pas le rapport avec la requête

de l'Espagne du 28mars 1995.La requête du demandeurne parle que des
faits du Canada. Il s'agit de comportements ou d'actions spécifiques
du Canada, bien concrets et admis par le défendeur.Ce sont ces com-
portements du Canada qui sont les faits générateurs du présentdiffé-
rend. Il s'agit avant tout du fait de l'adoption du règlement du 3 mars
1995(étendant aux navires espagnolspêchant dans la zone de réglemen-
tation de I'OPANO l'application d'un autre fait du Canada, à savoir la
loi sur la protection des pêchescôtières dans sa rédaction modifiéedu618 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISSTORRES BERNARDEZ)

12mai 1994)et du fait de l'arraisonnement de'Estai. C'est cet ensemble
de comportements ou de faits canadiens, et non pas comme tels des
textes législatifs, réglementairesou autres du Canada qui sont en cause.
Il n'est pas question des textes en tant que tels, mais bel et bien des
comportements canadiens précisdont l'Espagne a étéla victime. Pour
l'Espagne, cesomportemen/ ont porté atteinte en marslavril 199à ses
droits en haute mer et pourraient le faire enàl'avenir car la loi mo-
difiéeen 1994est toujours en vigueur au Canada. Voilà les actions spéci-
fiques auxquelles la requêtede l'Espagne demandela Cour de remédier
par un arrêt.Ces actions n'obt rien d'abstrait.
97. !+joutods que, elt posant la question en termes de non-opposabilité
à 1'EspBgnede'la législationcanadienne en cause, il n'y a pas le moindre
doute que, pour la requête, l'objet dudifférendsoumià la Cour est le
titre international du Canada pour agir'égardde navires espagnols en
haute mer comme il l'a fait en marslavril 1995. L'arraisonnement de
l'Estai n'est qu'unaect particulier, un épiphénomènedudit objet prin-
cipal de la requête. L'arrêitnverse l'ordre naturel des choses pour ce qui
est de la définitionde l'objet du différend.

98. Les deux catégories de faits du Canada viséspar l'objet de la
requête etles conclusionsdu demandeur sont donc:

1) le fait d'avoir adoptéle règlementdu 3 mars 1995rendant applicable
aux navires espagnols pêchant dans la zone de réglementation de
1'OPANO (en haute mer) la loi canadienne sur la protection des
pêchescôtières dans sa rédactionmodifiéede 1994;
2) lesfaits d'avoir poursuivi et arraisonnéle 9 mars 1995l'Estai en ayant
recours à l'usage de la force et d'avoir harcelépar la suite d'autres
navires espagnols pêchant aussi légitimementdans la zone de régle-
mentation de I'OPANO, à savoir en haute mer.

La requêteespagnole nie que le Canada soit en possession d'un titre
international quelconque pouvant justifier tant le premier fait que les
seconds.
99. Ainsi, le présent différendest un différend entre l'Espagne et le
Canada concernant l'exercice de certaines compétences étatiques à
l'encontre des navires espagnols assuméesproprio motu par le Canada en
haute mer sans le consentement de l'Espagne (conflit de juridiction) et
non pas un différend concernant des divergences entrel'Union euro-
péenneet le Canada ou entre l'Espagne et le Canada relatàla gestion
età la conservation des ressources biologiques dans la zone de réglemen-
tation de I'OPANO (conflit de gestion et de conservation au sein de
I'OPANO). La requêteest très précise à cet égard.Il faut tout simple-
ment la lire ou, plutôt, vouloir la lire. 100. La réclamation de la requêteespagnole est fondée sur les deux
sériesde faits reprochésau Canada que, par défaut de titre international
de ce dernier, le demandeur affirme êtreautant de faits internationale-
ment illicitesengageantla responsabilitéinternationale du Canada envers
l'Espagne. Ces faits violeraient, d'après le demandeur, des droits que
l'Espagne tient, en tant qu'Etat souverain, du droit international général
et, notamment, son droit à voir respecter les libertésde navigation et de
pêcheen haute mer pour ses navires et celui de l'exercice exclusifde sa

juridiction sur lesdits navires en haute mer.

101. Si l'on compare ce que je viens de dire sur l'objet du différend
soumis par la requête espagnoleavec la définition del'objet du différend
qui découle desparagraphes 34 et 35 de l'arrêt,on constate que leurs
divergences sont frappantes et surprenantes. Il ne fait pas de doute que
l'arrêt façonne l'objetdu différendd'une manière radicalementdifférente
de cellede la requête introductive d'instance, du mémoire, des plaidoiries
et conclusions du demandeur. La Cour se substitue ainsi à l'Espagne
pour ce qui est de la définition del'objet du différendque celle-ci a sou-

mis le 28 mars 1995!
102. En effet, la premièredemande principale du point 5 de la requête
- demande A - qui commande le reste du petitum ou de la réclamation
de l'Espagne, à savoir l'inopposabilité de la législationcanadienne en
question au demandeur, a tout simplement disparu de l'objet du diffé-
rend tel qu'ilest reformulépar la Cour. Il ne resterait donc par rapportà
l'objet origineldu différendque la demande C du petitum ou de la récla-
mation de la requêtede l'Espagne. Mais ce n'est pas tout. La demande C
subit, elle aussi, une modification radicale par rapportà la requête.Elle
devient maintenant une demande concernant exclusivement les «me-
sures» prises par le Canada à l'égardde l'Estai sans référence à la ques-

tion fondamentale de la ((souveraineté »poséepar la requêteen termes du
titre international du Canada pour cefaire. Le paragraphe 35de l'arrêtse
garde bien en effet de faire une référencequelconque à la règlede lajuri-
diction exclusivede 1'Etatdu pavillon sur sesnavires en haute mer et à la
question du titre international du Canada pour adopter les mesures dont
il s'agit dans la demande C. Le but de cette nouvelle définitionde l'objet
du différendpar l'arrêtne peut donc êtreplus clair. La majorité écarte la
causa petendi et lepetitum principaux de la requêteen supprimant toute
mention, directe ou indirecte, du titre ou du défaut de titre international
du Canada pour adopter les comportements qui lui sont reprochés par
l'Espagne et cela aussi bien en ce qui concernel'opposabilité de la législa-

tion canadienne à l'Espagne que pour ce qui est de l'arraisonnement de
l'Estai.
103. Cette transformation judiciaire de l'objet du différendest justifiée
dans l'arrêt par la considération suivante qui comporte, en fait, deux
volets: «Il incombe à la Cour, tout en consacrant une attention particu-
lièreà la formulation du différend utiliséepar le demandeur, de
déjïnirelle-même,sur une base objective, le différendqui oppose les
Parties, en examinant la position de l'une et de l'autre.)) (Arrêt,
par. 30; les italiques sont de moi.)

C'est unejustification, acceptéesans aucun doute par lesjuges compo-
sant la majorité, mais qui est dépourvuepour moi de tout fondement en
fait ou en droit. Je la rejette sans appel et sans remords càrmon avis,
elles n'est conforme ni aux principes et règlesde droit pertinents ni la
jurisprudence de la Cour ni aux circonstances de l'espèce.Disons dès
maintenant que je ne saurais souscrireà une telle novation de l'objet d'un
différenddans le cadre du systèmede la clause facultative. Ma conviction
juridique m'oblige à la dénoncer compte tenu: des principes de ce sys-
tème;des principes juridiques générauxet de la logique qui gouvernentla
procédure judiciaire internationale; du Statut et du Règlement de la
Cour; de la condition d'Etat souverain du demandeur; et de la propre

jurisprudence de la Cour en la matière.
104. La définition de l'objet des différendsque les Etats souverains
soumettent à la Cour par requêten'est pas une fonction de la Cour. Sou-
tenir le contraire, c'est assumer une grave responsabilité vis-à-vis de la
bonne administration de la justice internationale, car c'est une règleélé-
mentaire que l'on nepeut pas être à la foisjuge et partie. En tout cas, si
le présent arrêtfait un jour jurisprudence, les Etats déclarants dans le
cadre du systèmede la clause facultativedoivent se rendre compte qu'ils
peuvent désormaisentrer au Palais de la Paix avecun différenddéterminé
et en ressortir quelque temps après en étant obligéspar la res judicata
d'un arrêtportant sur un différendayant un autre objet. Que diront-ils
alors du droit souverain qu'ils avaient lorsqu'ils ont décidé deporter un

différenddéterminédevant laCour? Et même,plus généralement,de leur
consentement à la juridiction de la Cour? L'avenir répondra à ces ques-
tions inquiétantes. C'est le privilègedu demandeur de «définir» le diffé-
rend qu'il soumet à la Cour, quitteà celle-cid'apprécier, depréciser ou
d'interpréter l'objetdu différenddont elle a étésaisie. Là s'arrêtentles
pouvoirs de la Cour en la matière, car qui dit ((définirit avoir compé-
tence pour ((modifier)).La compétence dela compétencedu paragraphe 6
del'article 36 du Statut ne comporte pas une telle facultéde modification.
Je serai toujours le dernierà nier le devoir de la Cour de circonscrire le
véritableproblèmeen cause et, partant, sa facultéd'apprécier, depréciser
ou d'interpréter l'objet d'une requête. Maismodifier l'objet, ou le rem-

placer par un tout autre objet, c'est autre chose. L'on sort, en fait, du
règlementjudiciaire des différendsinternationaux sans savoir vers quoi
l'on s'achemine à la place.
105. Ma position de principe sur cette question de la «définition» par
la Cour de l'objet du différend soumispar requête(premier volet de la
justification de l'arrêt) est développée, avectoute la précision requise,
dans l'opinion dissidente commune desjuges Onyeama, Dillard, Jiménez621 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

de Aréchagaet sir Humphrey Waldock, jointe aux arrêtsde 1974relatifs
aux affaires desssais nucléaires.Je la fais mienne aux finsde la présente
opinion. Les paragraphes pertinents se lisent comme suit:

((11. Dans une affaire portée devant la Cour par requêteles
conclusions formelles des Parties définissent l'objetdu différend,

comme le reconnaît le paragraphe 24 de l'arrêt. Il faut donc consi-
dérerque ces conclusions correspondent aux objectifs que vise le
demandeur en introduisant l'instance judiciaire.

La Cour a certes le droit d'interpréterles conclusions des Par-
ties, mais rien ne l'autoriseles transformer radicalement. La Cour
permanente s'est exprimée ainsisur ce point: «Si elle peut inter-
préter les conclusions des Parties, elle ne saurait se substituerà
celles-cipour en formuler de nouvelles sur la base des seules thèses
avancéeset faits allégués.(C.P.J.I. sérieA no 7,p. 35, affaire rela-
tive à Certains intérêtsallemands en Haute-Silésie polonaise.)
Au paragraphe 29, l'arrêtvoit là une limitation du pouvoir de

la Cour d'interpréterles conclusions ((quand la demande n'est pas
formulée commeil convient parce que les conclusions des parties
sont inadéquates)).Si,toutefois, la Cour n'a pas le pouvoir de refor-
muler des conclusions inadéquates, elle ne saurait à fortiori refor-
muler des conclusions aussi claires et précisesque dans la présente
espèce.
12. Les affaires invoquéespar l'arrêten son paragraphe 29 pour
écarter lapremière conclusiondu demandeur en l'espèce ne justifient
selon nous en aucune manière un traitement aussi sommaire de «la
conclusionprincipalede la requête))D. ans lesditesaffaireslesconclu-
sions que la Cour n'a pas considérées comme des conclusions véri-
tables étaientdesdéveloppementsprécisqui avaientpour seulobjet de

motiver la décisionsollicitée dela Cour dans la «vraie» conclusion
finale. C'est ainsi que dans l'affaire desêcheriesle demandeur a
résumé, sousforme de conclusions, toute une sériede propositions
juridiques, dont certaines n'étaientmêmepas contestées,pour amener
logiquement ses véritables conclusionsfinales (C.I.J.Recueil 1951,
p. 121-123et 126).Dans l'affaire desMinquierset Ecréhousl,a «vraie»
conclusion finalea été énoncé eepremier etsuivie dedeuxarguments
juridiques qui visaientà fournir d'autres motifs pour que la Cour
retienne cette conclusion (C.I.J.ecueil 1953, p. 52); dans l'affaire
Nottebohm une conclusionconcernant la naturalisation de Nottebohm
au Liechtensteinn'a été considéré per la Cour que comme «une rai-
son à l'appui d'unedécisionde la Cour en faveur du Liechtenstein))

sur la «vraie question))dela recevabilitéde la demandeC.I.J. Recueil
1955p ,. 16).Dans la présenteespèce, commenous l'avonsdit, la situa-
tion est entièrement différente.La question fondamentale soumise à
la décisionde la Cour est celledu caractèrelicite ou illicitedes expé-
riencesnucléairesfrançaises enatmosphèredansl'océan Pacifique Sud,622 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS. TORRES BERNARDEZ)

et ilnous paraît entièrement injustide traiter la demande dedéclara-
tion d'illicéité présentper le requérantcomme un simple motif à
l'appui de l'interdictionde nouveaux essaisqu'il solliciteégalement.
13. Conformément àcesprincipes de base, il aurait fallu détermi-
ner la véritablenature de la demande australienne et des objectifs
viséspar le requérant en se fondant sur le sens clair et naturel du
texte de sa conclusion formelle. Dans l'interprétation qu'elle en a
donnéela Cour, selon nous, n'a pas vraiment interprétémais revisé
le texte, et éliminépour finir ce que le requérant avait appelé«la

conclusionprincipale de la requête)),c'est-à-direla demandetendant
à ce que les essais nucléairesatmosphériquesdans l'océanpacidque
Sud soient déclarésillicites. Il est grave de modifier ou de mutiler
radicalement la conclusion d'un plaideqr, sous couleur d'in?P. rét-
tion, car on frustre ainsi son attente légitimeque l'affaire dont il a
saisi la Cour sera examinéeet résolue.

14. Nous pensons que la Cour revisela conclusion du demandeur
en faisant appelà d'autres éléments et notamment aux communica-
tions diplomatiqueset déclarations faites au cours de la procédure.
Ces élémentsne justifient cependant pas l'interprétation qu'entire
l'arrêt.l est fait étatdes demandes réitéréese l'Australie tendanà
obtenir de la France l'assurance qu'il seraitmis fin aux essais. Ces
demandes ne sauraient cependant avoir l'effet que l'arrêtleur attri-
bue. Pendant qu'un procèsse déroule,un demandeur peut prier son
adversaire de l'assurer qu'il ne poursuivra pas l'activité contestée,
mais on ne peut en conclure qu'une assurance sans réserve,à suppo-
ser qu'elle soit donnée, répondraità tous les objectifs que visait le
demandeur en entamant la procédure judiciaire; encore moins

peut-on restreindre ou amender pour cetteraison lesprétentionsfor-
mellement soumises à la Cour. D'après le Règlement,ce résultatne
pourrait être obtenu quesi ledemandeurdonnait une indication pré-
cisedans ce sensen retirant l'affaire,en modifiant sesconclusions ou
par toute autre action équivalente.Ce n'est pas pour rien que les
conclusions doiventêtreprésentées par écritet porter la signature de
l'agent. II est donc illogique d'interpréterles demandes d'assurances
comme une renonciation. une modification ou un retrait tacite de la
requêtedont la Cour reste saisieet qui viseà faire déclarerjudiciai-
rement que les essais atmosphériquessont illicites.Et puisque l'arrêt
attribue au demandeur des intentions et des renonciations implicites,
la Cour aurait dû pour le moins lui donner la possibilité d'expliquer

sesdesseinset objectifsvéritables,au lieu d'entreprendre de lesdéter-
miner inauditaparte. ))(C.I.J. Recueil 1974, p. 316-317.)

106. Le présent arrêtcite justement à l'appui de la définition qu'il
donne de l'objet du différendles arrêtsde la Cour de 1974sur les Essais623 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

nucléaires.Ces arrêts ontune place de choix dans leprésentarrêt(voir les
paragraphes 30, 31 et 32). Voyons alors ce qu'ils disent sur la question
sans couper le passage pertinent:

«C'est donc le devoir de la Cour de circonscrire le véritablepro-
blèmeen cause et de préciserl'objet de la demande. Il n'ajamais été
contestéque la Cour est en droit et qu'ellea mêmele devoir d'inter-
préterles conclusions des parties; c'estl'un des attributs de sa fonc-
tion judiciaire. Assurément, quand la demande n'est pas formulée
comme il convient parce que les conclusions des parties sont inadé-
quates, la Cour n'a pas le pouvoir de «se substituer [aux parties]
pour en formulerde nouvellessurla base des seulesthèse avancéeset
faits allégués))C.P.J.I. sérieA no7, p. 35)'mais tel n'est pas le cas
en l'espèceet la questiond'une formulation nouvelle des conclusions
par la Cour ne se pose pas non plus. En revanche, la Cour a exercé

à maintes reprises le pouvoir qu'ellepossèded'écarter,s'ilest néces-
saire, certaines thèsesou certains arguments avancéspar une partie
comme élémend t e ses conclusions quand elle lesconsidère,non pas
comme des indications de ce que la partie lui demande de décider,
mais comme des motifs invoquéspour qu'elle se prononce dans le
sensdésiréC . 'estainsi que, dans l'affaire descheriesl,a Cour a dit
de neuf destreizepoints quecomportaient lesconclusions du deman-
deur: «Ce sont là des élémentq sui, lecas échéant,pourraient fournir
lesmotifs de l'arrêt et nonen constituer l'objet..I.J. Recueil 1951,
p. 126).» (C.I.J. Recueil 1974, p. 262-263, par. 29; p. 466-467,
par. 30.)

A la lecture de ce passage on constate qu'il n'est nullement question de
«définition» par la Cour de l'objet du différend.Tout au contraire, les
arrêts de1974distinguenttrès nettement entre, d'une part, ((circonscrire
le véritable problèmeen cause et ..préciserl'objet de la demande» et,
d'autre part,«la question d'une formulation nouvelle desconclusions par
la Cour». Il est mêmesoulignéque la Courn'apas lepouvoirde se subs-
tituer aux parties pour formuler de nouvelles conclusions lorsque les

~arties elles-mêmesont formulé leurs conclusions d'une facon inadé-
quate. Le seul pouvoir que se reconnaît la Cour dans ce passage est celui
de faire la distinctionentre ((thèsesou a"guments » et «demandes» Dour
ce qui est des «conclusions» des parties et entre des élémentselevant des
«motifs» ou de l'«objet» pour ce qui est de son arrêt.
107. Il faut égalementrappeler que, dans les arrêtsrelatifs aux Essais
nucléairesde 1974,la question alors considérée seposait dans le contexte
d'un éventuel((non-lieu superveniens» et non pas en rapport avec la
détermination de la «compétence» de la Cour comme en l'espèce.En
outre, le défendeuravait fait défaut. La procédure appliquée était donc
celle de l'article 53 du Statut qui imposeà la Cour des devoirs de vigi-

lance particuliers. Ce n'est pas le cas non plus de la présente affaire.
Malgrétout cela, desjuges dissidents, en 1974,ont critiquétrèsdurement
l'application que la Cour a faite,l'époque,de son devoir d'apprécier, de624 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

préciserou d'interpréter les conclusions des parties malgréles circons-
tances très particulièresdu cas d'espèce. C'estpour dire que l'exerciced'un
tel devoir n'est pas non plusàl'abri d'appréciationssubjectivesdes majo-
rités au sein de la Cour. Le présent arrêtest à cet égard un exemple
d'école.II en découleque l'opposition que l'arrêt fait entre«la formula-
tion du différend utiliséepar le demandeur)), d'une part, et la définition
par la Cour elle-même «sur une base objective)) de l'objet du différend,

d'autre part, est bien loin d'emporter ma conviction dans le présentinci-
dent préliminaire.

108. Je ne saurais non plus souscrire aux conclusions du présentarrêt
concernant la prise en considération de la position du demandeur et de

celle du défendeurdans une opération visant à faire définirou préciser,
selon les cas, l'objet du différendpar la Cour (deuxièmevolet de la jus-
tification au paragraphe 30de l'arrêt).L'arrêtplaceà toutes finsutiles sur
un mêmepied les positions des Parties àcet égard. Oril ne s'agit pas de
cela dans la jurisprudence de la Cour. Par exemple, dans l'arrêt concer-
nant l'affaire deCertaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Aus-
tralie),on lit ce qui suit:

((69. Le paragraphe 1 de l'article 40 du Statut de la Cour stipule
que 1'«objetdu différend»doit êtreindiquédansla requête,etlepara-
graphe 2 de l'article 38 du Règlement de la Cour requiert que la
((nature précisede la demande)) soit indiquée dans la requête.Ces
dispositions sont tellement essentielles au regard de la sécurijuri-
dique et de la bonne administration de la justice qu'elles figuraient
déjà, en substance,dans le texte du Statutde la Cour permanente de

Justiceinternationale adoptéen 1920(art. 40, premier alinéa)et dans
le texte du premier Règlement decette Cour adoptéen 1922(art. 35,
deuxièmealinéa),respectivement. La Cour permanente a, à plusieurs
reprises, eu l'occasion de préciserla portée deces textes. Ainsi, dans
son ordonnance du 4 février 1933, rendue en l'affaire relative à
l'Administration duprince von Pless (exception préliminaire),elle a
affirmé

«qu'aux termes de l'article 40 du Statut, c'est la requête qui in-
diquel'objet du différend; quele mémoire,tout en pouvant éclair-
cir les termes de la requête,ne peut pas dépasserles limites de la
demande qu'elle contient ..» (C.P.J.I. sérieAIB no52, p. 14).

La mêmeCour a déclaréd , ans l'affaire dela Sociétécommerciale de
Belgique :

«Il y a lieu d'observer que la facultélaisséeaux parties de modi- fier leurs conclusionsjusqu'à la fin de la procédure orale doit être
comprise d'une manièreraisonnable et sans porter atteinte à i'ar-
ticle 40 du Statut eà l'article 32, alinéa2, du Règlement,qui dis-
posent que la requêtedoit indiquer l'objet du différend ... il est
évidentque la Cour ne saurait admettre, en principe, qu'un diffé-
rend porté devant ellepar requêtepuisse être transformé, parvoie
de modifications apportéesaux conclusions, en un autre différend
dont le caractère ne serait pas le même.Une semblable pratique
serait de natureà porter préjudice auxEtats tiers qui, conformé-
ment à l'article 40, alinéa2, du Statut, doivent recevoir commu-
nication de toute requêteafin qu'ils puissentse prévaloirdu droit
d'intervention prévupar les articles 62 et 63 du Statut.(C.P.J.I.

sérieAIBno 78,p. 173;cf. Activitésmilitaires etparamilitaires au
Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amé-
rique), compétenceet recevabilité, C.I.J. Recueil 1984, p. 427,
par. 80.). (C.I.J. Recueil 1992, p. 266-267.)

109. Cette jurisprudence confirme sans aucun doute possible qu'il
appartient au demandeur de définirl'objet du différend à cette seule
réserveprèsque les conclusions ne peuvent pas dépasserles limites de la
demande formuléedans la requête. Pourquoi? Parce que le différend
porté devant la Cour par requêtepourrait alors, par voie de modifica-
tions ultérieuresapportées aux conclusions, se transformer en un autre
différenddont lecaractèreet l'objetne seraientpas les mêmesC . ela pour-
rait avoir alors des incidences sur le droit d'intervention des Etats tiers.
Mais, aussi, et surtout, parce qu'un changement de I'objetdu différend
soumis peut avoir une répercussion sur la compétencede la Cour. C'est

précisémentce qui arrive dans la présenteaffaire du fait de la nouvelle
définitionde l'objet du différendfaite par la Cour dans l'arrêt.En tout
cas, si la Cour s'engagedans la formulation de ((définitions nouvelles»,
ou de «précisions» modificatrices de l'objet du différendde la requête
d'un demandeur, n'est-ellepas tenue, pour le moins, d'êtreguidéepar les
critères qu'ellea mêmeappliqués dans le passé aux demandeurs, par
exemple dans l'affaire de Certaines terresà phosphates à Nauru? J'ai le
droit de me le demander.
110. Le défendeura évidemmentle droit procédural de prendre posi-
tion sur l'objet du différendde la requêtedu demandeur et la Cour peut,
évidemment, tenir compte des observations du défendeur lorsqu'elle
apprécie,préciseou interprète l'objet du différend soumispar le deman-
deur, mais le défendeur ne participe pasà la définitionde l'objet du dif-
férendpar le demandeur et il ne saurait pas y participer lorsque, comme

dans le présentarrêt,la Cour se substituant au demandeur, assume elle-
mêmela tâche et la responsabilitéde «redéfinir»l'objet du différendou
d'en formuler une ((nouvelle définition)).En tout état de cause, la pré-
sente affaire réduitle rôle fondamental du demandeur dans la définition
de l'objet du différend celui d'un simpleparticipant àune opération tri-
partite, tout en le tranquillisant, en lui disant que sa position sera exa-626 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS . ORRES BERNARDEZ)

minéepar la Cour avec une ((attention particulière)) lorsqu'elle entre-
prendra de définirl'objet du différend!(Voir paragraphe 30 de l'arrêt.)

111. A l'appui de cette extraordinaire conclusiond'une sorte de parti-
cipation paritaire du demandeur et du défendeur à une nouvelle défini-
tion de l'objet du différendpar la Cour, l'arrêtcite un passage de l'arrêt
de 1960sur le fond dans l'affaire duDroit depassage sur territoire indien
(paragraphe 30 de l'arrêt), etde nouveau les arrêtsde 1974sur les Essais

nucléaires.Cette dernièrejurisprudence est bien mal choisie pour en faire
la démonstration car la France, qui avait fait défaut, n'avait pas participé
alors à la tâche que s'était assignéela Cour de préciser l'objetdu diffé-
rend. Le passage ci-aprèsne peut êtreplus clair:

«c'està la Cour qu'il appartient de s'assurer du but et de l'objet véri-
table de la demande et ellene saurait, pour ce faire, s'entenir au sens
ordinaire des termes utilisés; elle doit considérer l'ensemble de la
requête,les arguments développésdevant la Cour par le demandeur,
les échangesdiplomatiques qui ont été portés à son attention et les
déclarations publiques faites au nom du gouvernement demandeur.»
(Essais nucléaires(Australie c. France), arrêt,C.I.J. Recueil 1974,
p. 263, par. 30; les italiques sont de moi.)

112. Par ailleurs, la citation de l'arrêt surle Droit de passage sur ter-
ritoire indien ne prouve pas non plus ce que le présent arrêt vou-
drait qu'elle prouve. Dans le cas d'espèce,il s'agissait de l'interprétation
d'une condition ratione temporis de la déclaration de l'Inde qui avait
étéjointe au fond lors de la phase préliminaire de1959, étant donné
qu'elle posait des problèmes d'unordre non exclusivement préliminaire,

compte tenu de l'objet du différendde la requête du Portugal.Les termes
«les conclusions des Parties et les déclarations faites à l'audience»
(C.I.J. Recueil 1960, p. 33) concernent la phase sur le fond de l'affaire
et ils sont évoquésaux fins de «confirmer» l'objet du différend de la
requêtedu Portugal. Dans le présent incidentpréliminaire,le Canada n'a
présentéaucune conclusion sur le fond et l'Espagne, étant donné la
singularité de la procédure suivie, n'a pas non plus soumis de mémoire
sur le fond.
113.Il est vrai que lorsque, dans un cas d'espèce, un demandeur
accompagne ses conclusions de (thèses» ou d'«arguments », non pas
comme des indications de son petitum ou de sa demande (ou comme

cause ou fondement de ceux-ci),mais plutôt comme des considérationsou
motifs invoquéspour que la Cour se prononce dans le sens désiréc ,elle-
ci peut les écarter en tant que demande ou fondement de la demande.
Toutefois, dans la pratique, cette distinction n'est pas facilenier. Le627 COMPETENCE PÊCHERIES (OP.DISS.TORRES BERNARDEZ)

présentarrêten est la meilleurepreuve. D'ailleurs,en invoquant les arrêts
de 1974sur les Essais nucléaires,le paragraphe 32 de l'arrêtattire juste-
ment l'attention sur ceux qui ont donnéle plus matière àcontroverse à
cet égard.De plus, que disent ces arrêtsde 1974lorsqu'on les examine
de près? Que la Cour a tenu compte de certaines déclarations publiques
faites par des ministres des parties demanderesses,mais non pas du défen-
deur, pour conclure qu'une des demandes des demandeurs ((ne serait
qu'un moyen utiliséen vue d'une fin [l'autre demande]et non une fin en
soi)).La Cour ajouta mêmedans cesarrêtsqu'elleavait bien ((conscience

du rôlejouépar lesjugements déclaratoiresmais [que]la présente affaire
n'[était]pas de cellesoù un teljugement [était]demandé))(C.I.J. Recueil
1974, p. 263, par. 30).
114. En l'espèce,les autoritésespagnoles n'ont pas fait, après l'enre-
gistrement de la requête du 28 mars 1995, de déclarations susceptibles
d'êtreconsidérées commemodifiant l'objet du différend soumis par
l'Espagne à la Cour. Par ailleurs, les autorités canadiennesn'ont pas non
plus fait savoirà l'Espagne qu'elles s'engageaient à ne plus appliquer
à l'avenir leur législationnationale relativà la protection des pêches
côtièresà des navires espagnols en haute mer ni fait non plus une décla-
ration unilatéraleen ce sens comme cellefaite par la France en 1974.Le

Canada n'a pas déclaréqu'il renonçaità tout jamaisà invoquer sa législa-
tion sur la protection des pêchescôtièresàl'égarddes navires espagnols
en haute mer. La question de l'opposabilité àl'Espagne de cette législa-
tion continue donc à se poser. En outre, dans l'accord conclule 20 avril
1995 à Bruxellesentre la Communauté européenneetle Canada, il est dit
que les deux parties:

((maintiennent leurs positions respectives sur la conformité de
l'amendement de la loi canadienne sur la protection de la pêche
côtièredu 25 mai 1994,et des règlementssuivants, avec le droit cou-
tumier international et la convention OPANO)) (point D, 1, du
compterendu concerté(agreedminutes) qui fait partie de l'accord de
Bruxelles).

115. Lesdemandes A et C du petitum de la requêtede l'Espagne gar-
dent donc toute leur raison d'êtreet la Cour n'aà déciderque si elle est
compétente ou incompétente pour statuer à leur égard. L'arrênte lefait
pas. Je ne peux pas accepter cette manière de répondreau demandeur.

116. La jurisprudence de la Cour dans l'avis consultatif concernant
l'affaire de1'Applicabilitéde l'obligation d'arbitrageen vertu de la sec-

tion 21 de l'accorddu 26juin 1947 relatif au siège del'Organisationdes
Nations Unies est particulièrementpertinente pour comprendre le sens et
la portée de ladite demandeA de la requêtede l'Espagne,ainsi que le fait
que cette demande fassepartie de l'objetdu différenddevant la Cour tant628 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP. DISS. TORRES BERNARDEZ)

subjectivement qu'objectivement2.En outre, cette demande n'est pasnon
plus devenue sans objet (moot) au moment du prononcé du présent
arrêt.Dèslors, à quel titre l'arrêt l'écarte-t-eee la définition de l'objet
du différend?Peut-on sérieusementcroire que l'adoption, l'application et
le maintien en vigueur de la législationcanadienne sont des questions

abstraites de droit international dans la présenteaffaire? Ou encore qu'il
y a une identité quelconque - je dis bien quelconque - entre les cir-
constances de l'affaire du Cameroun septentrional et cellesde la présente
affaire?
117. Dans la procédure arbitrale, des questions sur l'objet du différend
comme celles que je viens de signaler peuvent êtreinvoquées comme
motif de nullité des sentencesarbitrales. Toujours est-il que, pour ce qui
est de la Cour, l'article 56 du Statut tranche la question: ((L'arrêtest

motivé.» Ajoutons que, pour les procéduresjudiciaires internationales,
leslégislationsnationales sont des «faits» et la question de savoir si, dans
un cas donné, lalégislationadoptéepar un Etat constituerait une viola-
tion d'une obligation internationale de 1'Etatvis-à-vis d'un autre Etat est
sans aucun doute susceptible de générerun différendinternational et
d'être tranchée par la Cour sur labase de son Statut. Finalement, en ce
qui concerne les compromis et autres titres de juridiction de nature

conventionnelle(paragraphes 29 et 31 de l'arrêt),il convient d'observer
que la référenceest égalementinappropriée. Dans ces situations, l'objet
du différendn'est pas définien fonction du petitum et de la causapetendi
de la requêtedu demandeur, ou des conclusions, mais par le compromis
ou l'accord des parties en question. Dèslors, il faut effectivement que la
Cour interprète la volonté commune des parties expriméedans le com-
promis ou l'accord s'ilexiste à cet égarddes divergences entre elles.

F. Conclusionsur lechapitre III

118. Compte tenu des considérationsexposéesdans l'ensembledu pré-
sent chapitre, j'arrive à la conclusion que l'objet du différendest bien
celui formulé dans la requêtede l'Espagne en date du 28 mars 1995 et
confirmédans son mémoireet dans sesplaidoiries et conclusions au cours
de la présenteprocédure incidente préliminaire.Je rejette donc la défini-
tion que donne de l'objet du différendle paragraphe 35 de l'arrêt, ainsi

Comme il est dit dans cet avis consultatif:
«si l'existenced'un différend suppose une réclamationtrouvant son origine dans un
comportement ou une décision de l'une des parties,elle n'implique nullement que
toute décision contestéeait été matériellement eBei.en plus, un différend peut
naître mêmesi la partie en cause donne l'assurance qu'aucune mesure d'exécution ne
sera prise tant qu'ellen'aura pas été orpar une décision destribunaux natio-
naux» (C.ZJ. Recueil 1988, p. 30, par. 42).629 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

que toutes les considérationset conclusionsy relatives (paragraphes 29
34 de l'arrêt).
119. J'ai la convictionque la compétencede la compétence dela Cour
(paragraphe 6 de l'article 36 du Statut) ne l'autorise pàs«redéfinir»
l'objet desdifférendsquelesEtats demandeurs lui soumettent par voie de
requête dansl'exercicede leur souveraineté. La Cour peut certes appré-
cier, préciserou interpréter l'objetdu différend d'une requêtedans un
incident préliminaire, mais elle ne peut pas le modifier ou le remplacer

par un autre objet. Ce n'estpasà ellede «définir»l'objet du différend de
la requête.Cela est égalementvrai lorsque, par exemple, une demande
faisant partie de l'objet d'un différend dela requêten'est pas rédigée
d'une façon adéquate. La Cour ne peut pas non plus se substituer au
demandeur pour la corriger. Elle invite le demandeur à le faire et, si
celui-ci ne le fait pas, la Cour ne se prononcera pas sur la demande en
question (C.P.J.I. sérieA no 7, p. 34-35).On est bien loin de la jurispru-
dence établie dansle présentarrêt.Celui-ci ne corrige mêmepas l'objet
du différendsoumis par l'Espagne, il présenteà sa place un nouvel objet

du différend. L'objet de la requêtest donc dénaturé.
120. Dans le chapitre suivant de la présenteopinion, le chapitre,je
me prononcerai sur la compétencede la Cour en l'espèce,compte tenu de
la réserve del'alinéa) du paragraphe 2 de la déclarationdu Canada, en
gardant présent à l'esprit l'objet du différendque je considère comme
étantle véritable objetdu différendsoumis à la Cour par la requête que
l'Espagne a déposéeau Greffe le 28 mars 1995.

CHAPITRE IV. LA COMPÉTENCE DE LA COUR DANS L'AFFAIRE

A. Questions générales

1. La manifestation du consentement à lajuridiction dans le système de
la clausefacultative: les déclarations

121. La Cour ainsi que sa devancière, la Cour permanente, ont
confirmémaintes fois le principe fondamental du consentement àlajuri-
diction inscrit dans le Statut. Par exemple, dans ce passage de l'arrêtde

1928dans l'affaire desDroits de minoritésen Haute-Silésie(écolesmino-
ritaires)
«La juridiction de la Cour dépend de la volontédes Parties. La
Cour est toujours compétente du moment où celles-ciacceptent sa
juridiction, car il n'ya aucun différendque les Etats admis àester
devant la Cour ne puissent lui soumettre.)) (Arrêtno 12, 1928,

C.P.J.I. sérieA no 15, p. 22.)
La ((juridictionobligatoire)) du systèmede la clause facultative ne fait
pas exception au principe du consentement à la juridiction. Les types de
juridiction admis par le Statut se distinguent lesuns des autres seulement
par lesformes autoriséesde manifestation du consentementet le moment où cette manifestation a lieu, mais le consentementde l'une et de l'autre
partie est toujours nécessairepour que la Cour soit compétentedans une

affaire donnée, y compris dans le cadre du systèmede la clause faculta-
tive.
122. Dans ce système,le consentement des parties doit se manifester
par le dépôtdes déclarations unilatérales faites conformémentau para-
graphe 2 de l'article 36 du Statut. Les Etats sont libres de faire ou de ne
pas faire ces déclarations,de les rédiger,de les modifier, de les retirer, de
les remplacer ou d'y mettre fin, mais pendant leurexistence, les déclara-
tions en question ont pour effetjuridique de valoir acceptation par 1'Etat
déclarantde lajuridiction obligatoirede la Cour dans les termes exprimés
dans la déclaration, en vertu précisément dela norme conventionnelle
énoncéeau paragraphe 2 de l'article 36 du Statut de la Cour.
Un des traits les plus caractéristiquesdu systèmede la clause faculta-
tive est que le consentementdu déclarant se manifeste avant la naissance
du litige. Entre déclarants l'instance peut être introduitepar requête uni-
latérale.Dans les cas relevant de ce système,il y a en conséquence un
demandeur et un défendeur,positions qu'occupent respectivement l'Es-
pagne et le Canada dans la présenteaffaire.
123. Lesdéclarations faitesen vertu du paragraphe 2 de l'article 36 du

Statut doivent êtredéposéesauprès du Secrétairegénéralde l7Organisa-
tion des Nations Unies. Elles sont aussi enregistréesau Secrétariat des
Nations Unies, tout comme les traités, etpubliéesensuitedans le Recueil
des traités des Nations Unies et dans l'Annuaire de la Cour. Les décla-
rations sont des actes unilatéraux qui comportent pour 1'Etat déclarant
un engagement juridique international vis-à-vis des autres Etats décla-
rants, engagement qui relèvedu Statut de la Cour, partie intégrante de la
Charte des Nations Unies et du droit international. En d'autres termes, il
s'agit d'engagements internationaux incorporés dans des instruments
internationaux unilatéraux appelés«déclarations», dont les effets sont
régispar le Statut de la Cour et le droit international. Une fois faite et
déposée,la déclaration constitue pour 1'Etat déclarant un engagement
juridique international donnépar écritetformel d'acceptation de la juri-
diction obligatoire de la Cour. Toute déclaration de ce genre a pour objet
et but de produire certains effets, juridiquement contraignants, dans les
relations internationales pour ce qui est de l'acceptation de la juridiction
obligatoire de la Cour aux fins du règlement des différendsentre Etats
souverains,conformément au droit international.

124. Mais l'engagement assumépar 17Etatdéclarantn'est pas un enga-
gement erga omnes. Il a un caractère mutuel et aussi réciproque. Il ne
produit d'effet que dans les relations avec d'autres Etats déclarantsnon
exclus par la déclaration elle-même (mutualité) et seulement, en outre,
dans le cas où le différenddont il s'agit in casuentre tant dans la sphère
du consentement exprimépar la déclaration de 1'Etat demandeur que
dans celle du consentement exprimépar la déclaration de 1'Etat défen-
deur (réciprocité).Comme il est dit au paragraphe 2 de l'article 36 du
Statut, il faut que «la mêmeobligation)) ait été acceptép ear le deman-631 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

deur et par le défendeur,expression qui renvoie la foià la mutualitéet
à la réciprocité.Dans la présenteaffaire,il ne sepose pas de problèmesde
mutualité,l'Espagne ayant déposésa déclaration le 15octobre 1990et le
Canada le 10mai 1994.
125. La requêtede l'Espagne du 28 mars 1995 s'étant fondée unique-
ment sur ces deux déclarationspour établir lacompétencede la Cour, la
présenteaffaire est une affaire qui, en ce qui concerne le consentement

la compétence de la Cour, relève exclusivement du système de clause
facultative du Statut.

2. Se pose-t-il dans leprésent incident unquestion quelconquerelative
auprincipe du consentement a lajuridiction ouà la non-présomption
de ce consentement?

126. L'amalgame fait dans le contre-mémoiredu Canada entre le prin-
cipe du consentement à la juridiction et la question toute différente de
l'interprétationde sa déclarationdu 10mai 1994ne saurait créer unpro-
blème là où il n'existe pas autrement. Malheureusement,à la lecture de

l'arrêt, forceest de constater que cette stratégie a portéses fruits dans la
présenteaffaire.La majorité de la Cour s'est poséela question de la com-
pétence,objet de la présente procédure incidente préliminaire, en fonc-
tion du principe de consentement à la juridiction, plutôt que dans l'op-
tique de l'interprétation du consentement du Canada tel qu'il s'exprime
dans sa déclarationdu 10mai 1994. C'estjustement là où l'on doit aller
chercher la véritableratio decidendidu présentarrêtpour ce qui est de
l'interprétation de ladite déclaration par la majorité.
127. Le moyen que le Canada a utilisépour persuader la majorité de
sa thèseconsisteà mélanger deux chosesqui sont en elles-mêmes fort dif-
férentes.Il a opposéd'embléela notion de ((consentement réel)à cellede
((consentement présumé)). Mais l'Espagne, dans la présente affaire,
n'invoquait aucun ((consentementprésumé)) du Canada et la question

objective de mutualité entre les Parties ne se posait pas non plus. Le
Canada comme l'Espagne ont donnéun ((consentement réel»lorsqu'ils
ont fait leurs déclarations respectives d'acceptation de lajuridiction obli-
gatoire de la Cour et les ont déposéesauprès du Secrétairegénéralde
l'organisation des Nations Unies.
La réalité d'un consentementdu Canada et d'un consentement de
l'Espagne ne fait pas de doute dans la présente affaire. Le seul pro-
blème qui se posait à la Cour était celui de la portée du consentement
exprimépar le Canada dans sa déclaration (étant donné son opposition à
la compétence)et, pour réglerce problème, la seule chose à faire était
d'interpréter ladite déclaration conformément au droit international.

Mais le consentement comme tel du Canada exprimédans sa déclaration
n'a rien de présumé.Il est si réelqu'il a pu êtredéposé,enregistré et
publié.
128. Pourquoi le Canada cherchait-il alors à opposer à son ((consen-
tement réel»un prétendu ((consentementprésumé »que personnen'invo-quait? Les choses deviennent tout à fait claireà la lecture du contre-
mémoire du Canada et en ~articulier de la section intitulée «Les
déclarations en vertu de la clause facultative doivent être interprétées
d'une manière naturelle et raisonnable, de façon à donner plein effetà
l'intention de 17Etatdéclarant)) (les italiques sont de moi). Ce que le
Canada voulait avec cette référence àl'intention de 1'Etatdéclarant,c'est
que la Cour, par voie d'interprétation, assume la tâche de bâtirà poste-
riori, pour le besoin de la cause du Canada dans la présenteinstance inci-
dente, un ((consentement présumé »du Canada qui viendrait se substituer
au ((consentementréel» qu'il a manifestédans sa déclarationdu 10mai
1994 et sur lequel l'Espagne s'est fondée au moment du dépôt de sa

requête !
129. C'était quandmêmeune prétention si extraordinaire du Canada
que l'on aurait pu penser qu'elle nepourrait pas être retenue par la Cour,
surtout si l'on a présent l'esprit que l'intitulé susindiquéne correspond
pas au passage de l'arrêt dans l'affaire de17Anglo-ZranianOil Co. dont il
s'inspire. En effet,dans ce passage il est question de manièrenaturelle
et raisonnable de lire le texte, eu égaàdl'intention de l'Iraà l'époque
où celui-ci a acceptéla compétenceobligatoire de la Cour» (exception
préliminaire, C.Z.J. Recueil1952, p. 104). Il s'agit donc de la manière
naturelle et raisonnable de lire le texte de la déclaration, eu égard à
l'intention lors du dépôt, et non pas de lire d'une manière naturelle et
raisonnable une prétendue intention du déclarant que celui-ci qualifie
d'ailleurs, dans le contre-mémoire,d'«intention sous-jacente)). En fait, le

Canada l'a reconnu lui-mêmedans d'autres paragraphes de son contre-
mémoireet surtout lors de ses plaidoiries dans la phase orale. D'autre
part, cette jurisprudence de l'arrêtde 17Anglo-ZranianOil Co. fut aussi
invoquéesystématiquementpar l'Espagne à l'appui de son interprétation
de la déclaration du Canada, mais toujours dans son intégralité, c'est-
à-dire sans jouerà cache-cache avec les mots «le texte)).
130. L'ambivalence que le Canada a entretenue tout au long de la pro-
cédure sur la manière naturelle et raisonnable de lire soit sa prétendue
intention sous-jacente, soit le texte de sa déclaration, accompagnée de
l'argument psychologique du ((consentement réel»opposéau ((consente-
ment présumé)),a certainement porté ses fruits au sein de la Cour. La
maiorité a cru le Canada Dar une sorte d'acte de foi. Ce faisant. elle a
int;oduit dans le processui interprétatif de la déclaration du canada tel
qu'il résulte del'arrêtles arguments et les thèsesque ce pays avançait et

que je viens de signaler. Je ne saurais l'accepter, car ces thèseset argu-
ments ne sont pas des élémentsinterprétatifs que le droit international
positif contemporain fait intervenir dans l'interprétation des instruments
internationaux, qu'ils soient multilatéraux ou bilatéraux, ou qu'ils aient,
comme les déclarations,une origine unilatérale. En acceptant l'invitation
à peine voiléedu Canada, la majorité s'est attachée dans les motifs de
l'arrêtà reconstruire le consentement exprimédans la déclaration cana-
dienne dans le sens recherchépar le Canada dans la présente procédure
incidente, sans trop se soucier de l'intention de celui-ci en mai 1994,lorsqu'il a déposésa déclaration.Or le consentement àlajuridiction de la
Cour est une chose et l'interprétation juridique d'une déclaration en est
une autre. Le but de l'interprétation d'une déclaration est de rechercher
l'intention expriméedans la déclaration elle-mêmeet la démarcheinter-
prétative doit se faire sansà priori. L'opération interprétative se déve-
loppe à partir du texte de la déclaration et elle est inductive. En tout cas,
elle n'est point une opération déductiveà partir des àpriori juridiques,
politiques ou psychologiques.
Le principe du consentement à la juridiction et de la non-présomption

du consentement n'est pas une règled'interprétationdes déclarations
faites conformémentauparagraphe 2 de l'article36 du Statut. Il n'est pas
censéintervenir dans l'opération juridique d'interprétation des déclara-
tions proprement dite, opération qui obéitàdes règlesjuridiques de droit
international,à des considérations logiques et aux systèmesde valeurs
reconnus et protégéspar le droit international dans son ensemble. Je
crains fort que l'interprétation faite par le présentarrêtde la déclaration
du Canada de 1994 est non seulement, dans sa démarche, déductive à
partir d'un postulat extérieurau texte, mais aussi une interprétation libre
qui ne se soucie guère desrèglesdu droit international positif régissant
l'interprétation des instruments internationaux. En d'autres termes, l'ar-
rêtse place, en matière d'interprétation, comme si l'on étaitencore en
droit international dans une phase prénormative en matièred'interpréta-
tion.
131. Du moment où un Etat se reconnaît Etat déclarant dans le cadre

du système dela clause facultative, cela n'a pas de sens de poser le prin-
cipedu consentement à lajuridiction et de la non-présomptiondu consen-
tement comme une sorte de préalablecommandant I'interprétation de la
déclaration par la Cour. Quel est l'intérêt pour l'interprétationde la
déclaration de proclamer que la Cour tire son autoritéde la volontédes
Etats, ou que la compétence ne se présumejamais, ou encore que les
Etats sont totalement libres de participer ou non au systèmede la clause
facultative?Ni le demandeur ni personne ne peut dire autre chose, car le
principe en question est une règle objective incorporée au Statut de la
Cour.
132. Dans le système de la clause facultative, lorsque l'on parle du
consentement d'un Etat déclarant à la juridiction obligatoire de la Cour,
on se réfèretoujours par définitionà un consentement dudit Etat, incor-

poré dans sa déclaration, antérieureau différend et à la date de I'intro-
duction de l'instance, c'est-à-dire à un consentement préétablionnéen
forme écriteet solennelle. Dans la présente affaire, ce consentement
préétablidu Canada s'est manifestéle 10 mai 1994lors du dépôtde sa
déclaration. Il ne s'agit maintenant que d'interpréter cette déclaration
conformément aux règlesdu droit international relatives à l'interpréta-
tion des instruments internationaux et non pas d'opposer au consente-
ment préétabli dela déclaration du Canada un prétendu consentement
((sous-jacent»du Canada, politique ou psychologique, qui, en plus, pré-
vaudrait sur celui manifestédans la déclarationen question.3. La libertédes Etats d'insérerdes conditions et des réservesdans les
déclarationsa-t-elle des limites?

133. La libertédes Etats d'insérerdes conditions et des réservesdans
les déclarations relevant du systèmede la clause facultative est reconnue
depuis les années vingt, au temps de la Sociétédes Nations, et a été
confirmée expressément à la conférencede San Francisco comme une
pratique établie.
134. Les Partiesà la présenteaffaire sont évidemmentd'accord sur le

principe généralde la libertédesEtats déclarants d'insérerdes conditions
et des réservesdans lesdéclarations faitesconformémentau paragraphe 2
de l'article 36du Statut de la Cour. Elles ont d'ailleurs exercécetteliberté
lorsqu'elles ont formuléleursdéclarationsen vigueur. Mais, tandis que le
Canada affirme que la possibilité d'émettre des réservesest la pierre
angulairede la clause facultativeet que les réservesaux déclarations sont
des manifestations de laliberté absoluedes Etats d'accepter ou de limiter
la compétence obligatoire, l'Espagne a parlé d'interprétationsautoma-
tiques, subjectives,antistatutaires, antijuridiques et mêmenterprétations
allantà l'encontre de la Charte des Nations Unies, s'agissant de la réserve
de l'alinéad) du paragraphe 2 de la déclaration du Canada de 1994.
Ainsi, le débat entre les Parties sur cette question concerne plutôt la
manière d'interpréter les réservesformuléesque la liberté desEtats de

formuler des réservesdans leurs déclarations. Toutefois, la question de
principe a étéposée.Ma position à cet égardest que la souverainetédes
Etats a peu de sens exceptédans le cadre d'un ordre juridique que nous
appelons ((droit international)) et qu'en conséquence il n'y a pas de
((libertésabsolues)) des Etats, y compris en ce qui a traià la question
considérée,mais des libertédsevant s'exercerdans le cadre dudit ordre. En
matière de réservesdans les déclarations relevant du systèmede la clause
facultative, cette liberté est trèslarge, mais elle n'est pas sans limites.

135. La première limitation découle du Statut mêmede la Cour,
l'exempleclassique étantles réservesde compétencenationale dites «sub-
jectives)). Mais l'on peut en imaginer d'autres encore, par exemple, des
réservesqui concerneraient des compétences incidentesou dérivées dela
Cour, de base exclusivement statutaire, ou des réservesrelativàsla force

obligatoireou à la resjudicata des arrêts, oudes réservesayant traàtdes
principes fondamentaux de la procédurejudiciaire comme celui de l'éga-
lité desparties, etc.
En devenant parties au Statut, les Etats acceptent la compétencegéné-
rale de la Cour et les principes et règlesétablisdu règlementjudiciaire.
Aucun Etat n'est obligé de devenirpartie àla Charte des Nations Unies
et au Statut de la Cour. Ainsi, lorsqu'ils le font, ils exercent leur liberté
souveraine. Cela comporte pour eux àla fois des droits et des obligations.
Il est donc contraire aux principes juridiques les plus élémentaireset
notamment à celui de la bonne foi de prétendrepar la suiteinvoquer ces
droits tout en oubliant les obligations assumées.11convient de rappeler,dans ce contexte, que le dépôtdes déclarations dans le cadre du système
de la clause facultative résulte aussi d'un choix souverain et libre et que
ces déclarationssont faites en application du paragraphe 2 de l'article 36
du Statut et conformément à cette disposition conventionnelle.
136. Je considèredonc qu'en présenced'une réservecontraire au Sta-
tut la Cour est dans son droit de l'écarter, car aucun Etat n'a le droit ni
de dénaturer le règlement judiciaire par l'insertion de réservesantistatu-
taires dans une déclaration faite dans le cadre du systèmede la clause
facultative, ni d'abuser de la bonne foi et des attentes des autres Etats
déclarants.Il reste la question, moins étudiée,de la limitation éventuelle
de la libertéde fairedesréservesqui seraientcontraires àdes principes ou

normes fondamentaux de la Charte des Nations Unies ou du droit inter-
national général.Je pense que, dans ce domaine, il existe également des
limitations mais que les conclusions doivent êtreplus nuancées, étant
donné le principe du consentement à la juridiction de la Cour qui fait
aussi partie de la Charte des Nations Unies et du Statut de la Cour.
137. Il se pourrait que, dans certains cas, une réserve dece type serait
à écarter, mais non dans d'autres cas. Par exemple, serait-il légitime
d'exclure par une réserve une disposition structurelle comme celle de
l'article 103de la Charte des Nations Unies? Ou les pouvoirs et compé-
tences que le Conseil de sécuritétient de la Charte? Ou le principe de
l'égalitésouveraine des Etats? Quant au droit international général,il
pourrait égalementy avoir des réservesqui, par leur objet ou par leur
but, pourraient êtredénuées d'effetJ.e pense, par exemple, àdes réserves
faites avec l'intention de promouvoir une guerre d'agression, le génocide,

la traite d'esclavesou des actes de piraterie en haute mer, etc. reste en
outre la question particulière qui pourrait se poser du fait de l'existence
de règlesdu jus cogens, car les déclarations aboutissent en dernière ana-
lyseà des accordsjuridictionnels avec chacun des autres Etats déclarants.
138. L'Etat animé d'une telle intention doit s'abstenir de faire une
déclaration ou de la fairepour une ou des catégoriesdesdifférendsdéter-
minésseulement à l'exclusionde tous les autres, comme c'est son droit le
plus strict. Ce qu'il n'a pas le droit de faire vis-à-vis des autres Etats
déclarants,c'est de bouleverser le système de la clause facultative, c'est-
à-dire commettre un abus de droit par le dépôt d'une déclaration trom-
peuse par son ampleur et par son libellé,tout en se réservantle pouvoir
d'invoquer, le moment venu, des interprétations allant à l'encontre du
Statut, de la Charte des Nations Unies ou du droit international général.
On a le droit d'accepter ou non le système de la clause facultative et

d'insérerdes conditions et des réservesdans les déclarations, mais sans
dépasserles limites des principes de bonne foi et de confiance mutuelleà
la base du système.Dans l'exercicede sa compétence dela compétence,la
Cour ne devrait pas hésiter à exercer un tel contrôle. Le présent arrêt
renonce àle faire. Cela est pour moi aussi grave que la redéfinitionpar la
Cour elle-mêmede l'objet du différendsoumis par l'Espagne le 28 mars
1995.
139. L'arrêt fait mention de la question de l'invalidité ou du caractèreinopérantdes réservesen raison de leur incompatibilitééventuelleavecle
Statut,la Charte des Nations Unies et le droit international. Telle qu'elle
est rédigéel,a réservede l'alinéad) du paragraphe 2 de la déclaration du
Canada ne pose pas pour moi un problème d'incompatibilité. D'autre
part, la réservede l'alinéac) du mêmeparagraphe n'énoncepas non plus
une réservede compétencenationale subjectiveou automatique qui empê-
cherait la Cour d'exercer sa compétencede la compétenceconformément
au paragraphe 6 de l'article 36 du Statut de la Cour. A mon avis, la
réservede l'alinéad) du paragraphe 2 de la déclaration canadienne,
comme telle, ne rentre pas dans la catégorie de cesréservesqui pourraient

êtreconsidérées prima facie comme étantexclues de la liberté d'émettre
des réservesdont jouissent les Etats déclarants. La question soulevéepar
l'Espagne concernait une autre question, à savoir celledes interprétations
de la réserveallantà l'encontre du Statut, de la Charte des Nations Unies
ou du droit international. L'Espagne a défendu la thèse, à laquelle je
souscris, qu'en cas de doute entre deux interprétations possibles d'une
déclaration il faut, comme principe général,interpréter la déclaration,y
compris ses réserves,en conformitéavec le Statut de la Cour, la Charte
des Nations Unies et le droit international. La question de l'incompati-
bilité dela réservecanadienne en tant que telle, voire de sa nullitééven-
tuelle, ne fut pas poséepar le demandeur et l'arrêtne s'en occupe pas.
Toutefois, l'arrêt tombe dansle piègede l'interprétation automatique des
réservesdu moment où le prétendueffet voulupar le Canada commande
en fait l'interprétation qu'il fait de la réserve,car cet effet voulu est pour

l'arrêtcelui que le défendeuraffirme dans leprésent incident préliminaire
avoir eu lorsqu'ilafait sa déclarationen 1994.

140. Ajoutons que la possibilitéd'appliquer le principe de la divisibi-
litéaux différentsélémentscomposant une déclaration d'acceptation de
la juridiction obligatoire de la Cour ne saurait, sur le plan des principes,
êtreremise en question. Le principe comme tel est admis. Le commen-

taire de la Commission du droit international sur l'article 41 de son pro-
jet final d'articles sur le droit des traités l'admet d'ailleursexplicitement
pour les déclarations dans le passage qui suit:

«La question de la divisibilité des dispositionsd'un traité auxfins
d'interprétation soulève des difficultéstoutes différentes decellesde
l'application du principe de la divisibilité enmatière de nullité des
traitésou dans les cas où il est mis fin à un traité. Toutefois, si la
jurisprudence des deux Cours ne projette pas beaucoup de lumière
sur ces dernières questions, il est certain que quelques juges dans
l'affaire des Emprunts norvégiens[C.I.J. Recueil 1957, p. 55-59]et
dans l'affaire del'lnterhandel [C.I.J. Recueil 1959,p. 57, 77, 78, 116
et 1171ont admis que le principe de la séparation des dispositions637 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

d'un traité s'appliquait dans un cas où étaitalléguéla nullitéd'une
déclaration unilatéralefaite en vertu de la clause facultative, cela en
raisond'une réservedont la validitéétaitcontestée.»(Nations Unies,
Documents of3ciels de la conférencedes Nations Unies sur le droit
des traités, documents de la conférence,p. 62.)

141. La Cour ne s'est pas prononcée sur les effets de la non-validité
établied'une réservesur la déclaration elle-même. Maislors des affaires
des Emprunts norvégienset de l'lnterhandel, certains juges (Lauterpacht,
Spender) ont conclu à la nullité de la déclaration tout entière, mais
d'autres juges (Klaestad, Read) ont étéd'un avis contraire. Par exemple,
dans son opinion dissidentejointe àl'arrêt dans l'affaire del'lnterhandel

(exceptions préliminaires), le président Klaestad est arrivéà la conclu-
sion suivante:
«Ces considérations m'ont amené à la conclusion que la Cour,

tant par son Statut que par la Charte, est empêchéed'agir en
conformité de la partie de la réservequi est en contradiction avec
l'article 36, paragraphe 6, du Statut, mais que cette circonstance
n'implique pas nécessairement qu'ilest impossible pour la Cour de
donner effet aux autres parties de la déclaration d'acceptation qui
sont conformes au Statut. A mon avis, la partie a) de la quatrième
exception préliminaire doit donc êtrerejetée.» (C.I.J. Recueil 1959,
p. 78.)

En ce qui concerne les traités,la convention de Vienne de 1969,dans
son article44, admet (avec quelques exceptions) la divisibilitédes dispo-
sitions d'un traité en cas d'invocation de la nullitéou de l'extinction, de
retrait d'une des parties ou de la suspension d'application du traità la
condition que la disposition soit séparabledu reste du traitéet qu'ellene
constitue pas une base essentielledu consentement des parties à êtreliées
par le traité dans son ensemble. Savoir quand l'on est en présenced'une

telle condition devient ainsi une question d'espècequi doit êtrerésolue
par interprétation. Je pense que cette solution est applicable mulatis
mutandis aux déclarations. La nullitéde la déclaration ne saurait être
automatique. Il s'agit d'interpréter l'intention du déclarantcompte tenu
des circonstances de l'espèce.
142. En ce qui concerne certaines catégories de réservesaux déclara-
tions, par exemple, celles dites subjectives ou automatiques, certains
auteurs modernesévitentla sanctionde nullitépour l'ensemblede la décla-
ration et proposent à sa place d'autres solutions, comme la non-opposa-
bilitéou l'irrecevabilité.Disons, finalement, que la Cour européenne des
droits de l'homme a écartédes déclarations (réserves)relatives à cer-

taines dispositions de la convention européennedes droits de l'homme et
des libertésfondamentales, tout en acceptant comme valides les déclara-
tions d'acceptation de la compétence de la Cour sur des différends
concernant la convention en question (arrêt du 23 mars 1995 dans
l'affaire Loizidou c. Turquie, exceptionspréliminaires).638 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

4. La bonnefoi et la confiance mutuelle comme principes essentiels du
système de la clausefacultative du Statut de la Cour

143. La jurisprudence de la Cour est riche en prononcéssur la bonne
foi et la confiance mutuelle comme principes essentiels du systèmede la
clause facultative. Par exemple, dans l'arrêtde 1984sur la compétenceet
la recevabilitédans l'affaire relative aux Activitésmilitaires et paramili-
taires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Améri-
que) où il étaitaussi question de déclarations relevant du paragraphe 2
de l'article 36 du Statut, il est dit:

((Enfaitlesdéclarations,bienqu'étantdesactesunilatéraux,établis-
sent une sériede liens bilatérauxavec les autres Etats qui acceptent
la mêmeobligation ...en prenant en considération les conditions,
réserveset stipulations de durée. Dans l'établissement dece réseau
d'engagements que constitue le système de la clause facultative, le
principe de la bonne foijoue un rôle essentiel;et la Cour a souligné
la nécessitéde respecter, dans les relations internationales,les règles
de la bonnefoi et de la confianceen termes particulièrement nets ...»
(C.I.J. Recueil 1984, p. 418, par. 60; les italiques sont de moi.)

144. Le paragraphe 2 de l'article 36 du Statut établit un véritable((sys-
tèmedejuridiction)) dit ((juridictionobligatoire))à caractère facultatif en
ce sens que les Etats parties au Statut sont entièrement libres d'y parti-
ciper ou de s'abstenir de le faire. Il est dans la nature des choses qu'au
cours de l'examenpar la Cour des affairesqui lui sont soumises les décla-
rations des Etats acceptant lajuridiction obligatoirede la Cour occupent

tout le terrain. Mais les déclarations ne sont que le moyen par lequel les
Etats qui le souhaitent participent au systèmeavec une ampleur plus ou
moins grande et pendant des périodes detemps plus ou moins longues.
Les déclarations,actes unilatéraux des Etats participants, ne sont qu'un
moyen de mise en Œuvred'un systèmequi a une base de nature conven-
tionnelle, le Statut de la Cour, qui fait partie intégrante de la Charte des
Nations Unies. Or, comme il est dit au paragraphe 2 de l'article 2 de la
Charte, les Membres de l'organisation, afin d'assurer àtous lajouissance
des droits et avantages résultant de leur qualité de Membre, ((doivent
remplir de bonne foi les obligations qu'ils ont assuméesaux termes de la
présenteCharte».
145. Ainsi, si l'on assume, en toute liberté et par un choix propre et
délibéréa,ux termes du paragraphe 2 de l'article 36 du Statut, des obli-
gations juridictionnelles solennellesàl'égarddes autres Etats déclarants

par le dépôt d'une déclaration,l'on assume une obligation que, par sa
nature, par sesorigines et par sa base conventionnelle,1'Etatdéclaranten
question est tenu remplir de bonne foi. Par exemple, ne serait pas
conforme à la bonne foi du systèmele comportement d'un Etat déclarant
trompeur pour les autres Etats déclarantsou visant à lui servir de dégui-
sement respectable pour commettre des faits internationalement illicites.
Ces viséeséventuellesd'un Etat déclarant ne sont pas compatibles avec le639 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

systèmede la clause facultative. L'Etat qui aurait de tels desseins doit
s'abstenir de participer au systèmede la clause facultative, car il n'a pas
le droit d'abuser de la confiancedes autres Etats déclarants nide tromper
lesattentes que ceux-ciont fondéessur la déclarationqu'il a déposéeL .es
principes de bonne foi et de confiance mutuelle ne se situent pas du tout

hors du systèmede la clause facultative. Au contraire, ils font corps avec
le systèmeà l'intérieur duquelils agissent en tant qu'élémense contrôle
des comportements ou de la conduite des Etats déclarantset ils ont, àce
titre, des effets normatifs susceptiblesd'appréciation judiciaire.
146. Tant qu'il participeau système dela clause facultative et demeure
dans ce système,1'Etatdéclarantdoit seconformer - et on doit présumer
qu'il se conforme - aux principes de bonne foi et de confiancemutuelle
qui présidentà ce système.Le présentarrêtnégligela dimensionnormative
de cesprincipesau seindu systèmede la clausefacultative.Il s'agit làd'une

grave lacune, car les circonstances de la présente affaire, d'après certains
aveux, confirméspar des informations dans le domaine public, soulèvent
des questionsinquiétantes sur l'utilisation quele Canada aurait fait du sys-
tèmede la clause lorsqu'il a rédigépuis déposé sa déclaration le 10 mai
1994auprèsdu Secrétairegénérad le l'organisation des Nations Unies.

147. C'est pour dire, comme nous le verrons dans la suite de la pré-
sente opinion, que dans le cas d'espècela bonne foi n'intervient pas
seulement en tant qu'élémentd'interprétation de la déclaration cana-
dienne. Elle a aussi un deuxièmerôle àjouer, en rapport avec la question
différente dela recevabilitéou de l'opposabilitéàl'Espagne dans les cir-

constances de l'espècede la réserve de l'alinéa) du paragraphe 2 de la-
dite déclarationdu Canada.

5. Règles et méthodesd'interprétation des déclarationisnvoquéespar
les Parties et position généraladoptéepar l'arrês tur la question

148. Comme je l'ai dit, le présent incident préliminaire nepose aucun
problème véritableen ce qui concerne le principe de l'existence d'un
consentement du Canada à lajuridiction de la Cour. Outre la question de
la recevabilitéou de l'opposabilité l'Espagne dela réservede la déclara-

tion du Canada, qui est d'une autre nature, la question qui se pose est en
fait celle de déterminer,par interprétation, le sens et la portée dudit
consentementdu Canada tel qu'il l'a exprimé dans sa déclaration.En effet,
la Cour doit interpréter cettedéclaratipour êtreà même deconclure àsa
compétenceou à son incompétencedans le différend soumispar l'Espagne,
compte tenu du fait que leCanada s'oppose à la compétencedela Cour sur
la base de la réservede l'alinéa) du paragraphe 2 de sa déclaration.
Ce différendinterprétatif entrelesParties est au cŒurmêmedu présent
incident préliminaire.Or, qui dit interprétation dit règles, éléments et
méthodes d'interprétation. Il est donc dans la nature des choses que les

Parties aient débattuces règles, cesélémentset ces méthodes.640 COMPETENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

149. D'une manière générale,on peut dire que l'Espagne a défendu
une interprétation à partir du texte de la déclaration du Canada par
l'application de règles,d'élémentset de méthodes d'interprétationobjec-
tifs, analoguesmutatis mutandis à ceux du systèmed'interprétation de la
convention de Vienne de 1969sur le droit des traités. D'aprèsl'Espagne,
cettefaçon de procéder correspondrait à lajurisprudence de la Cour et de
la Cour permanente relative à l'interprétation des déclarations relevant
du systèmede la clause facultative. Soulignons que l'Espagne défendle

systèmede l'interprétation objective de Vienne et de la jurisprudence de
la Cour avec tous seséléments interprétatifs et non pas une interprétation
purement grammaticale ou littérale. Elle n'écartepas non plus du tout les
moyens complémentairespourvu que leur rôle dans le processus interpré-
tatif soit celui que le droit international leur reconnaît.
150. Par contre, dans son contre-mémoire, le Canada a mis l'accent
sur ce qu'il appelle l'«intention sous-jacente)) du déclarant. Tous les élé-
ments des écolesd'interprétation subjectivistes sont présents dans les
règles, les élémentset les méthodes d'interprétation proposés dansle
contre-mémoiredu Canada. Je n'hésitepas à qualifier ledit systèmeinter-
prétatifdu Canada de «système d'interprétation subjective)).A y regar-

der de plus près, il s'agit mêmed'un systèmesubjectif extrême:

a) subjectivisme quant à l'objet de l'opération interprétative, qui ne
serait pas la déclaration déposée maisce que le contre-mémoire
dénommel'«intention sous-jacente)) du Canada lorsqu'il a déposésa
déclaration, c'est-à-dire qu'il s'agirait d'une intention ((psycholo-
gique)) ou de motifs d'ordre «politique» (on parle mêmede «libre
arbitre politique))) tels que le Canada les formule dans la présentein-
stance (au lieu de le faire lors du dépôt dans sa déclaration) et que
l'on serait censéaller chercher en dehors de la déclaration et de l'acte
de son dépôt;

b) subjectivisme quant au but de l'opération interprétative que doit
effectuer la Cour, qui ne saurait êtrecelui de donner plein effet au
consentement exprimépar le Canada dans sa déclaration, mais celui
de donner plein effetà une intention non manifestéedu Canada, à
savoir la prétendue «intention sous-jacente))mentionnée ci-dessus;
c) subjectivisme quant àla méthodegénérale à suivre pour l'interpréta-
tion du consentementdonné par le Canada, qui ne saurait consisterà
rechercher une interprétation qui soit en harmonie avec la ((manière
naturelle et raisonnable de lire le texte)) de la déclaration, mais avec
une ((manièrenaturelleetraisonnable» d'interpréter l'«intention sous-
jacente)) invoquéepar le Canada dans la présenteinstance;

d) subjectivisme quant à la définitionde l'instrument que la Cour doit
interpréter qui ne saurait être la déclarationdu Canada dans son
ensemble, mais plutôt la réservede l'alinéa d) deson paragraphe 2
prise isolément,avec le résultatque la déclarationpourrait être inter-
prétée, sans que l'onsache pourquoi, d'une façon restrictive, tandis 641 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS. TORRES BERNARDEZ)

que la réservepourrait l'être d'une façon plus large ou libéralee ;t,
finalement.
e) subjectivisme aussi quant aux éléments interprétatifs qui intervien-
draient dans l'opération interprétative,en donnant une valeur inter-
prétativesimilaire, au moins, à la déclaration et aux ((circonstances
ayant entouré sondépôt» (certainesdéclarations ministériellesfaites
au cours des débats parlementaires sur le projet de loi C-29), c'est-
à-dire sans faire la distinction qui s'impose entre les élémentsinter-

prétatifs incorporés à la règle généraled'interprétation (bonnefoi;
texte; contexte; objet et but; droit international, etc.) et les moyens
complémentaires(travaux préparatoires ; circonstances).

151. Tout cela n'a rien à voir,à mon avis, avec lajurisprudence anté-
rieure de la Cour relative à l'interprétationdes déclarationsrelevant du
systèmede la clause facultative, ni avec les règles dedroit international
relativesà l'interprétationd'engagementsinternationaux sousforme écrite,
lesquelsdistinguent entre le texte et les autres élémentisnterprétatifsde la
règlegénérale d'interprétation d'une part,et les moyens complémentaires,
d'autre part. Cela est particulièrement vrai lorsqueles déclarationsunila-
térales,comme cellesrelevant du paragraphe 2 de l'article 36 du Statut,
sont faites dans le contexte d'une convention oud'un traité ouen applica-
tion de ses dispositions, sont déposéeset enregistrées etsont ensuite
publiéesdans des recueils etannuaires internationaux officiels. Jene vois

pas en quoi les trois arrêts,appelés((grands arrêts»par le Canada (Phos-
phates du Maroc, 1938, C.P.J.I. sérieAIB no74,p. 10;Anglo-Iranian Oil
Co., exceptionpréliminaire, C..J. Recueil 1952,p. 93;Plateau continental
de la mer Egée,C.Z.J. Recueil 1978,p. 3) peuvent étayer unsubjectivisme
interprétatifcomme celuiprôné dansle contre-mémoire duCanada.
152. Lors de la phase orale, le Canada n'a pas renoncé à ce que la
Cour interprète la réservedel'alinéa d) du paragraphe 2 de la déclaration
en introduisant dans le processus interprétatifdes éléments des critèreset
des méthodesd'interprétationpropres à l'interprétationsubjective, car il
a toujours parlé d'une intention sous-jacente qui n'est explicitée nidans
la déclarationni dans des instruments ou documentscanadiens y relatifs
antérieursau dépôtde la déclarationou concomitantsde cedépôt. Etelle

n'a pas non plus étéexplicitéeaprèsle dépôt, malgré leparagraphe 3 de
la déclaration de 1994, relatif à des modifications de la déclaration en
vigueur. Mais, lors de la phase orale, le Canada a fait des présentations
générales de la question qui sembleraientadmettre que le point de départ
de l'opération interprétative estla déclarationdéposée. Ainsi,l'on peut
conclure qu'à la fin des plaidoiries le systèmed'interprétation prônépar
le Canada était ambivalent. Il oscillait entre la prétendue intention sous-
jacente et la déclaration et son texte, la premièreayant toujours la préfé-
rence du défendeur. 153. Pourtant. l'invocation Dar le défendeur de son intention sous-
jacente, sous la forme qu'elle revêtdans le contre-mémoireou sous celle
plus édulcorée quilui est donnée dans les plaidoiries, comportait cer-
taines conséquences négativespour lui, que l'arrêtn'aurait pas dû pas-
ser sous silence.Il s'agit de l'aveu indirect, mais tout de mêmenotoire,
que cela implique, à savoir que la déclaration du 10mai 1994,telle que
formulée et déposée,pourrait après tout êtreinsuffisante pour étayer la
conclusion d'incompétencedu Canada. Sinon, il est certain que le Canada
aurait insistépour que la Cour interprète sa déclaration sur la base des
présupposés, desrègles,des élémentset des méthodes de l'interprétation
objective.Il n'est pas raisonnable de penser que le Canada, sesconseils et
ses avocats, ignorent ces présupposés,ces règles, ces élémentset ces

méthodes d'interprétation.Le Canada était doncbien loin des certitudes
de l'incompétencemanifeste dont il a fait part à la Cour et àl'Espagne
dans sa première lettre du 21 avril 1995! C'est une constatation impor-
tante. Or la majoritéde la Cour n'en tire aucune conclusionpour ce qui
est de son inter~rétation de la réservecanadienne. Au contraire. l'arrêt
est lui-mêmeune fuite en avant par rapport à la direction qui avait été
tracéepar le défendeuren ce qui concerne l'application à la déclaration
canadienne d'un systèmesubjectif d'interprétation.
154. En fait, l'arrêt réussit le tour de force d'adopter un système
d'interprétation de la déclaration canadienne encore plus subjectif que
celui prônépar le défendeurlorsde la phase écrite!Pourtant, c'étaitbien
difficilà faire. Ainsi, le paragraphe 46 de l'arrêt nous dit que la Cour
((relèveque les dispositionsde la convention de Viennepeuvent s'appliquer
seulement par analogie dans la mesure où elles sont compatibles avec le

caractère sui generis de l'acceptation unilatérale dela juridiction de la
Cour»! Et nous voilà revenus aux écolesd'inter~rétation subiectivistes
extrêmeset minoritaires qui existaient avant la codificationdu droit des
traitésen 1969.C'estce qu'affirme l'arrêt après que lajurisprudencede la
Cour, dès 1991, a affirmé à plusieurs reprises que les dispositions perti-
nentes de la convention de Vienne étaient déclaratoires dudroit interna-
tional général.
155. Le caractère sui generis des déclarations (instrument unilatéral
rédigé par son auteur en vue de participeràun systèmede base statutaire
conventionnelle) n'est pas invoqué par l'arrêt parrapport à des particu-
larités dans l'application de l'un ou de l'autre élémenitnterprétatif admis
par ledroit international. Ce qui estigenerispour l'arrêt,c'est«I'accep-
tation unilatéralede la juridiction de la Cour))! C'est le systèmede la

clause facultative tout entier qui est en fait visépar le sui generis de
l'arrêt. Jen'ai aucune difficultàaffirmer que cet arrêtest en fait hostile
à cette forme d'acceptation par les Etats de la juridiction de la Cour.

156. A partir de là, tout se comprend, y compris la question fonda-
mentale de ce qui est l'objet de l'interprétationpour l'arrêt. Cet objet
n'est plus, dans l'arrêt,pour l'essentiel,la déclaration rédigéeet déposée
par le Canada auprès du Secrétairegénéral del'organisation des Nations643 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS . ORRES BERNARDEZ)

Unies, comme on aurait pu le croire,mais ((l'acceptationunilatérale de la
juridiction de la Cour» par le Canada. C'est-à-dire les considérations,les
motifs ou les raisons, politiques ou autres, qui ont conduit le Canadaà
déposer sadéclaration du 10 mai 1994. La déclaration comme telle est
écartée oujoue un rôle d'appoint mineur dans l'arrêt pource qui est de
l'interprétation du consentementjuridiquement pertinent du Canada à la
juridiction.
157. Le véritable objet de l'interprétation pour l'ar, u premier ins-

tant mêmede la mise en Œuvre du processus interprétatif, ce sont les
motifs politiques ou psychologiques internes du Canada qui ont conduit
celui-cià déposerla déclaration de 1994.Il ne s'agit plusd'interpréterla
déclaration qua instrument unilatéral international ou le consentement
du Canada objectivédans la déclaration déposéeet dégagépar interpré-
tation, mais bel et bien les viséesde son gouvernementlorsqu'il a fait sa
déclaration. Voilà où nous en sommes avec l'interprétation des déclara-
tions relevant du systèmede la clause facultative près de quatre-vingts
ans aprèsl'adoption du premier Statut. Il serait bien difficilede porter un
coup plus grave à la sécuritjuridique et au modus operandidu système
de la clause facultative.

158. L'arrêtaccepte donc que ce que la Cour doit interpréter c'est
l'«intention sous-jacente» dont parlait le Canada, mais elledéfinitcelle-ci
d'une façon encore plus floue et plus subjective que le Canada ne l'a fait
dans son contre-mémoire et dans ses plaidoiries. L'interprétation ayant
un tel objet dans l'arrêt et laCour ayant, évidemment,la compétence
nécessairepour interpréter la déclaration canadienne, tout devient pos-
sible, car l'opération interprétativà réaliser n'est plus uneopération
assujettie aux contraintes normatives que le droit international établit
en matière d'interprétation d'instruments internationaux. On est donc en
face d'une interprétationlibre d'une prétendue((intention sous-jacente»
du Canada.

159. Je ne saurais accepter un tel systèmed'interprétation des déclara-
tions relevant du systèmede la clause facultative. Mêmesi la Cour est
l'interprète, l'interprétationdes déclarations doit se fairertir de leur
texte, en dégageant l'intention du déclarantau moyen des règlesnorma-
tives d'interprétation qui énoncentde nos jours le droit international
positif et qui ont d'ailleurs étéélaboréespar les Etats en tenant dûment
compte de lajurisprudence de la Cour en la matière. Sile systèmed'inter-
prétationdes déclarations retenupar le présentarrêtseconfirmait à l'ave-
nir, les Etats déclarants devraient désormais, pour savoir à quoi s'en
tenir, faire dans chaque cas une recherche des viséesou raisonspolitiques
ou autres qui ont pu amener chacun d'entre eux à accepter la juridiction

de la Cour par le dépôtd'une déclaration.

160. La technique utiliséepar l'arrêtpour étayer la méthode d'inter-
prétation qu'il applique consisteà faire rentrer le principe du consente-
ment à lajuridiction dans l'opération interprétative comme s'ils'agissait
d'un principe qui serait en mêmetemps un élémentinterprétatif des644 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

déclarations.En d'autres termes, en créant uncercle vicieux. Cequi doit
être démontré par interprétation (le senset la portée du consentementdu
déclarant) devient partie intégrante de la démonstration, c'est-à-dire du
processus d'interprétation que doit réaliser l'interprète. On mélange
dèslors deux choses, pourtant bien différentes,savoird'une part le prin-
cipe du consentement à la juridiction et, d'autre part, l'interprétation
de l'instrument où il se manifeste. C'était une tendance déjà percep-
tible dans certaines opinions de juges (surtout partir de 1994environ)
en ce qui concerne l'interprétation des clauses compromissoires insérées

dans certains traités. La majorité, dans la présenteinstance, étend main-
tenant cette solutionà l'interprétation de la déclaration du Canada du
10 mai 1994, mêmesi en l'espèceles déclarations, tant du défendeur
que du demandeur, sont des déclarations d'acceptation de la juridiction
obligatoire de la Cour que l'on pourrait qualifier, malgré les réserves
qu'ellescomportent, de larges ou générales.
161. C'est dans le systèmed'interprétation appliqué par l'arrêt à la
déclarationdu Canada et dans sa redéfinitionde l'objet du différendsou-
mis par l'Espagne qu'il faut chercher les causes profondes de la présente
opinion dissidente.

6. Les fonctions respectives des Parties et de la Courdans une procé-
dure préliminairesur la compétence

162. Je suis d'accord avec les critèresgénérauxque l'arrêtdégageàce
propos dans sesparagraphes 36 à 38, quoique leur application en l'espèce
laisseà désirer.Par contre, mêmesi le rôle des Parties est d'essayer de
«persuader» la Cour de leurspoints de vues respectifs et celui de la Cour
de trancher la question de l'existence ou non de sa compétence (para-
graphe 6 de l'article 36 du Statut), la distinction entre «persuasion» et
«preuve» reste, dans les faits, trèsthéorique.
163. Il est plus important de rappeler que l'allégation initialed'incom-
pétence manifeste formuléepar le Canada et certains passages de son

contre-mémoireont soulevé certains doutesquant à la position du défen-
deur sur le caractère automatique (self-judging) de la réservede l'ali-
néa d) du paragraphe 2 de la déclaration canadienne. Mais les doutes du
demandeur ont été levésà mon avis, pendant la phase orale. Par ailleurs,
l'Espagne a confirmédans sesconclusions la position qu'ellea soutenueà
son égardtout au long du présent incident, à savoir que:

«le Canada ne peut pas prétendre subordonner l'application de sa
réserveau seul critère de sa législation nationale et de sa propre
appréciation, sans méconnaître la compétencede votre propre com-
pétence,que vous détenezau titre du paragraphe 6 de l'article 36 de
votre Statut)) (voir le paragraphe 12de l'arrêt).

164. Ainsi, à la fin des audiences, les deux Parties ont reconnu d'une
manièregénéralequ'il appartenait àla Cour de décider dela question de
la compétence.Mais quel est le rôle des Parties par rapportàl'établisse-645 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

ment par la Cour de sa compétencelorsque celle-ciest contestée,comme
le Canada le fait dans la présente affaire? La ((persuasion))de chaque
Partie doit êtremise sur un pied d'égalité,c'est-à-dire indépendamment
du fait d'être l'auteur ou non dela déclaration et de sa condition de
défendeur ou de demandeur à l'instance. Le principe de l'égalitédes
parties le veut ainsi. L'appréciation d'une réservepar la partie qui l'a
inséréedans sa propre déclaration ne devrait pas avoir, en tant que telle,
une forcede persuasion relative ni supérieureni inférieurà celleque fait
de cette réservel'autre partie. En d'autres termes, le critère de preuve
rigoureux dont a parléle Canada s'applique au mêmetitre au défendeur
et au demandeur.
165. J'ai le regret de dire qu'à mon avis les choses ne semblent pas

s'être passéeesxactement comme cela dans le présent incident prélimi-
naire. Les allégationsdu défendeurse sont vu attribuer, consciemment ou
non, une force de «persuasion» supérieure additionnelle, dèsle départ,
par rapport à cellesdu demandeur. Or, le systèmede la clause facultative
ne comporte pas et ne doit pas comporter de présomption quelle qu'elle
soit, ni pour ni contre la compétence,tout comme il ne comporte pas non
plus d'à priori sur l'interprétationextensiveou restrictive de la volontéde
s'engager de 1'Etat déclarant. Le résultat pratique est qu'en fait la doc-
trine de l'interprétation automatique des réserves est indirectement
assuméepar l'arrêtmalgré qu'elleeût étéécartée lors de la phase orale
par le défendeur.

166. Je n'ai pas la conviction que l'arrêt s'en tienne strictement aux
principes de bonne administration de la justice internationale. La com-
pétence est certes«une question de droit)) qui ressort à la Cour. Mais
évidemmentla Cour n'a pas à ce propos de compétences qu'ellepeut
exercer discrétionnairement. Elle doit déterminersa compétence objecti-
vement «à la lumière des faits pertinents)) (C.I.J. Recueil 1988, p. 76,
par. 16),ou, comme le dit le présentarrêten son paragraphe 38, ((compte
tenu de tous les faits et de tous les arguments avancés parles parties)). A
la lumière des faits générateursdu différendet d'autres faits pertinents
comme l'objet du différendde la requête,je suis loin de pouvoir cons-
tater, il s'en faut, que tous les faits et tous les arguments pertinents ont

étévéritablement mis en balance et mis sur un même piedavant de
conclure à l'incompétence.Bien au contraire. C'estla raison pour laquelle
ma conclusionsur la compétence estaux antipodes de celle a laquefie est
arrivéela majoritéde la Cour.
167. Une dernièreremarque sur le fait que, dans le présent incident,la
Cour a étéappelée à exercer sa compétence de la compétence (para-
graphe 6 de l'article 36 du Statut) dans le cadre d'une procédure préli-
minaire(article79du Règlement dela Cour) et avant mêmeque ledeman-
deur ait déposésonmémoiresur le fond. Or, selonunejurisprudence bien
établie,il est inhérent aux procédurespréliminairessur la compétenceou
sur la recevabilitéqu'un arrêtde la Cour sur l'objection ou l'exception

soulevée,adopté dans ce contexte comme en l'espèce, ne peut trancher
ni préjuger aucunequestion de fond divisant les parties. Je ne suis pasconvaincu non plus que lesmotifs du présentarrêtn'empiètentpas parfois

sur des questions de fond au-delà de ce qui est admis comme raison-
nable dans une phase préliminaire ou qu'ils ne puissent pas faire l'objet
d'interprétations sollicitées ence sens. Quoi qu'il en soit, de telles éven-
tuelles lectures ou interprétations des motifs du présentarrêtseraient sans
doute ultra vires. Le présentarrêtex dejnitione ne peut pas avoir un tel
effet. Il est opportun de le dire dans la présente opinion pour éviter
des équivoques,car l'ensembledu fond du différendentre les Parties reste
non jugépar le présentarrêt.

B. La question de la recevabilitéou de l'opposabilità l'Espagne
de la réservede l'alinéad) duparagraphe 2 de la déclaration
du Canada dans les circonstancesde l'espèce

168. Lorsqu'on lit le texte de la déclaration du Canada, y compris
celui de la réserve del'alinéa du paragraphe 2, on pourrait être surpris
par son libellé.Il est manifeste que le texte, effet utile ou pas, ne corres-
pond pas à l'intention sous-jacente invoquée par le défendeur pour
échapper à la juridiction de la Cour dans le différend soumispar l'Es-
pagne. Le fait mêmeque le Canada invoque une intention sous-jacente
est la meilleure preuve de ce que son texte ne fait pas l'affaire. En fait, tel
qu'il se présente,ce texte ouvre de grandes portesà la compétencede la
Cour, étant donné l'objetde la requête. Lapremière question qui vient
alors tout naturellement à l'esprit est celle de se demander pourquoi le
Canada ne fut pas plus prudent lors de la rédaction du texte en 1994,
étantdonné l'intention sous-jacentequ'il a invoquéedans le présentinci-
dent préliminaire.
Sur la base du dossier de l'affaire et des informations dans le domaine
public, je suis arrivé certaines conclusions généralesdont je voudrais

faire état dans la présente opinion, car elles concernent directement la
question dont nous nous occupons à présent.
169. D'après les comptes rendus du débat parlementaire sur le projet
de loi C-29, modifiant la loi sur la protection des pêchescôtières du
Canada, devenu loi le 12mai 1994,desmembres du Gouvernementcana-
dien ayant participéau débatont reconnu qu'aucune étude,ni aucun avis
juridique de droit international, n'avaient demandés àdes avocats. Ce
n'est pas la première fois que les politiciens agissent ainsi. Ils se soucient
peu des détailsjuridiques lorsqu'ils ont la volontéd'agir vite sur le plan
politique. Leur pays peut ainsi, hélas,se retrouver un jour devant la jus-
tice internationale.
170. Il est aussi possible que, au milieu du courant politique qui s'est
manifestéde façon majoritaire dans le débat en question, beaucoup de
parlementaires aient pu croire qu'en donnant forme de loi nationale à

une nouvelle politique d'expansion visant une zone géographique adja-
cente de la haute mer le Canada se protégeait suffisamment dans le
domaine des relations internationales et du droit international par uneréserve àla juridiction obligatoire de la Cour comme celle de l'alinéad)
du paragraphe 2 de la déclaration de 1994.
171. II est vrai qu'il étaitsurtout questàoce moment-là, des navires
apatrides et des navires battant un pavillon de complaisance et que la
diplomatie canadienne allait expliquer les choses aux membres de
1'OPANO (organisation internationale ou, du fait de la politique com-
mune de pêche de l'Union européenne,les nombreuses voix dont dispo-
saient auparavant les Etats membres de l'Union ont étéremplacéespar
une seule voix, celle de l'union). Il y avait en outre les nations amies et
alliéesde toujours qui auraient pu prêter leur assistance ou faire montre
de compréhensionen cas de crise.
172. Mais cetteassurance s'estprolongéeun peu trop quand le Canada

a décidé, en1995, de faire un pas de plus et de s'attaquer aux navires
de pêcheportugais et espagnols en haute mer sans modifier, remplacer,
ni retirer la déclaration de 1994,tout en sachant que le Portugal et l'Es-
pagne sont des Etats déclarants dans le cadre du systèmede la clause
facultative. Le Canada aurait pu prendre certaines dispositions quant à
sa rédaction, et cela mêmeaprès l'utilisation de la force contre l'Estai le
9 mars 1995, car la requête introductive d'instance de l'Espagne ne fut
enregistréeau Greffe de la Cour que le 28 mars 1995, la Cour ne se
trouve donc pas devant une requête éclair comme celle du Portugal
contre l'Inde dans l'affaire du Droit depassage sur territoire indien.
173. A ce propos, il convient de rappeler que si, dans l'ordre juridique
canadien, le champ d'application d'une loi peut êtremodifiépar l'adop-
tion de règlementslorsque ceci est prévudans la loi, ce qui est en cause,
ici, c'est le consentement du Canada a la juridiction obligatoire de la
Cour, c'est-à-dire la déclaration du Canada du 10mai 1994. Lesfluctua-

tions du droit interne canadien n'ont aucun effet automatique sur le
consentement à la juridiction exprimédans la déclaration du 10 mars
1994.Pour adapter ou changer ce consentement, il faut modifier la décla-
ration elle-même.Le Canada ne l'a pas fait.
174. Le contraire équivaudraità reconnaître, comme l'a dit un conseil
de l'Espagne, que le consentement donné par le dépôt de la déclaration
est présuméêtre un consentement «à géométrie variable)).Il n'y a rien de
tel dans le systèmede la clause facultative. Ce système est fondé sur la
bonne foi et les principes de mutualité et de réciprocité. faut respecter
les attentes légitimessuscitéchez lesautres Etats déclarantspar le dépôt
de la déclaration,d'où la nécessitde modifier la déclaration si l'on veut
changer, dans les rapports internationaux, le consentement qu'ellemani-
feste.
175. Mais le Canada n'a rien fait du tout en ce qui concerne son

consentementde 1994 à lajuridiction obligatoire de la Cour, ni avant ni
aprèsles événements demars 1995.Il a pu se croire dans une position de
force ou faire confianceà son action diplomatique pour dénouer lacrise
créée dans ses relations avec'Union européenneau sein de I'OPANO et
par la suite avec l'Espagne. Le Gouvernement du Canada a-t-il pensé
que, comme Etat côtier, il était en droit d'adopter la conduite qu'il a648 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

effectivement adoptée à l'égard del'Espagne et des navires espagnols et
portugais lorsqu'il a décidé,ans lespremiers mois de 1995,de remplacer
ce que la lettre du 15 février1995de M. Ron MacDonald, présidentdu
comité permanent des pêcheset des océans de la Chambre des com-
munes, appelle ((subtilitésjuridiques)) (mémoire de l'Espagne, annexes,
vol. 1, annexe 20) par la ((diplomatie de la canonnière)) selon la presse
canadienne (ibid., annexe 23)? Ou bien ce gouvernementa-t-il penséque
le Canada étaitsuffisammentprotégéparla réservede l'alinéad) du para-
graphe 2 de la déclarationde 1994,mêmedans la nouvelle situation créée

Dar lui en 1995?
176. Tout inclineà penser que ce ne fut pas le cas. Ce qui est arrivéau
débutde 1995,comme en mai 1994lors du dépôt de la déclaration,c'est
que lesautorités canadiennesse sont trouvéesplacéesdevant un dilemme.
Devant ce dilemme, l'«intention sous-jacente)) du Canada a fait un
choix. Ce choix comportait des risques, mais il comportait aussi la pos-
sibilité de gagnersur tous les tableaux, car les compétencesen matièrede
pêcheet de gestion et de conservation de ressources halieutiques dans la
zone de réglementation de I'OPANO avaient été transférées à la Com-
munauté européennepar les Etats membres de l'Union. Dans ces condi-
tions, le Canada étant un pays ami et alliéde longue date, on pouvait
s'attendre àce que, pendant la période chaude d'une éventuelle épreuve
de force avec l'Espagne ou le Portugal, la diplomatie des autres Etats

membres de l'Union européennedissuaderait l'Espagne ou le Portugal de
saisir la Cour d'un différendcontre le Canada. En tout cas. l'Union euro-
péenneelle-mêmen'avait pas qualitépour saisir la Cour.
177. Car l'autre branche du dilemme comportait des risques bien plus
graves pour les vraies intentions politiques du Canada dans la zone de
réglementation de I'OPANO, qui étaient de changer les règles du jeu
d'une façon permanente. Pourquoi? Parce qu'une réserve sans failles
dans la déclaration aurait été unaveu implicite de l'inexistence d'untre
de droit international servant de fondement aux mesures adoptées à
l'égard des naviresétrangers pêchant dansles eaux libres de ladite zone.
Or, cette image pouvait avoir des effets très négatifspour l'objectif poli-
tique majeur du gouvernement alors en place, dans un pays qui, ayant
épuiséles ressources biologiques de sa zone économiqueexclusive, vou-
lait seproclamer devant l'opinion «chefde filemondial en matièrede ges-

tion des océans et des ressources maritimes)) (mémoire de l'Espagne,
annexes, vol. 1,annexe 26, p. 442).
178. Le véritable but du Gouvernement canadien, son intention poli-
tique sous-jacente, ne visait pas en 1995la conservation du flétannoir, ni
l'Estai, ni les autres navires espagnols ou portugais, mais la création
d'une situation d'incertitude sur le droit en vigueur,es stocks chevau-
chants étantdestinés à servir de fer de lance pour essayer de négocierune
modification de ce droit en faveur des Etats côtiers, notamment du
Canada, au détriment des équilibres de la convention de 1982 (que le
Canada n'a pas encore ratifiée).En d'autres termes, le Canada cherchait
et cherche un titre international pour étendreses compétences étatiquesdans la zone de la«haute mer» de I'OPANO adjacente aux eaux cana-
diennes, terme qui commence à êtreremplacédans la législationcana-
dienne par un autre sans portéejuridique préciseen droit international,à
savoir le mot «océans».Or, si l'on cherche à obtenir un titre au cours de
négociationsavec d'autres Etats, il n'est jamais bon de commencer par
reconnaître autour de la table, mêmeimplicitement, que le titre que l'on
cherche à se procurer n'existe pas, ni de près ni de loin, dans le droit
international en vigueur. Le Canada n'a pas voulu parler de titre inter-

national, mêmedans son contre-mémoiredans la présenteaffaire! D'où
la position qu'il a adoptéeen feignant d'ignorer l'objet du différendsou-
mis par l'Espagne à la Cour.
179. Lorsqu'on est à la recherche d'un titre ou tout au moins d'une
tolérancegénéraliséd ee la part des autres Etats, ce que tout diplomatie
fait, c'esttout simplement de biaiser sur la question. Voilà cequi explique
le silencede la réservede l'alinéa) du paragraphe 2 de la déclaration de
1994(et de la législationcanadienne)sur la question du titre international
servant de fondementaux mesures adoptées, ou àadopter, par le Canada
pour les navires battant d'autres pavillons, pêchant dans lazone de régle-
mentation de 1'OPANO (autres que les navires apatrides ou battant un

pavillon de complaisance), malgrél'exempleque l'on avait sous la main
dela réservede l'alinéad) de la déclarationcanadiennede 1970(voir para-
graphe 290 ci-après).
180. L'allocution prononcéepar le ministre Tobin le 4 août 1995,lors
de la dernière session de la conférence desNations Unies sur les stocks de
poissons chevauchants et grands migrateurs (mémoire de l'Espagne,
annexes, vol. 1,annexe 25), reflèteclairement ce que je viens de dire. On
y lit, notamment, ce qui suit:

«Aux Canadiens, en particulier à ceux des provinces de l'Atlan-
tique et surtout de Terre-Neuve et Labrador, qu'il me soit permis
d'exprimer ma conviction que cetteconventionpeut mettre un terme
à la surpêcheétrangèredefaçon permanente. Et, en attendant que
cette nouvelle convention soit totalement et dûment appliquée, le
Gouvernement du Canada va conserver la loi C-29 et, au besoin,
s'appuyer à nouveau sur elle pour prendre des me sures.^^ (Les ita-
liques sont de moi.)

181. Que la recherche d'un titre international pour pouvoir agir dans
lespêchesde la zone de réglementationde I'OPANO était etest au centre
des préoccupations du Gouvernementcanadien dans la zone ressort aussi

Dans le texte anglais de la déclarationdu ministre Tobin reproduite dans les annexes
du mémoire,onsemble avoir voulu biffer le mot «foreign)) devant ((overfishing)),mais il
est parfaitement lisible. Voila les problèmesqui se posentètelorsqu'on invoque
le subconscient, les prétendues((intentions sous-jacentes)).650 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

du droit qu'a le Canada, s'ilse soumet aux conditionspertinentes établies
par la convention sur le droit de la mer de 1982, d'étendre au-delàdes
200 milles son plateau continental étant donné le bord extrême dela
marge continentale de ce plateau (articles 76 et suivants de la convention).
Dans un article publiéle 22décembre1995dans The Globe andMail de
Toronto (p. Al) et intitulé «Le Canada pourrait gagner des étendues

aussi vastes que les Prairies. Les scientifiques préparent des arguments
décisifspour revendiquer de grands espaces)),après la mention de l'ar-
ticle 76 de la convention de 1982,on lit par exemple ce qui suit:

«Cette disposition, selon le rapport de trente-quatre pages dont
The Canadian Press a eu communication, pourrait étendre de ma-
nière significative la reconnaissanàel'échelleinternationale de re-
vendications portant sur diverses ressources potentielles: pétrole
et gaz au large des côtes, minéraux des fonds marins et certaines
pêcheries.» (Les italiques sont de moi.) [Traduction du Greffee.]

L'article du journal fait mention du différend avec l'Espagne et est
d'ailleurs accompagnéde la carte reproduite ci-après, la page suivante.
182. On constate encore une fois que les intérêtsdu Canada dans la
zone de réglementation de I'OPANO ne concernent pas seulement la
conservation des stocks chevauchants. Le Canada a d'autres objectifs
importants dans cette zone. Que va-t-il se passer en cas d'extension du
plateau continental canadien à la colonne d'eau sus-jacente où se trou-

vent les bancs de pêchedu «nez» et de la «queue» des Grands Bancs et
ceux du ((Bonnet flamand)) où, àl'heure actuelle, il n'ya mêmepas,àma
connaissance, de stocks chevauchants? La tentation de créer des «effet-
tivités))dans ladite colonne d'eau ne saurait, dans les circonstances,être
négligée.
183. Le présentarrêtne veut rien savoir du titre international que le
Canada cherche à se tailler dans la zone de réglementationde 1'OPANO.
C'est probablement à cause de cela que l'arrêta préféré redéfinli'robjet
du différend de la requête de l'Espagne. Mais le comportement du
Canada pose aussi un problème de bonne foi (abus de droit) qui aurait
dû être considérépar l'arrê éttantdonné que celui-ciaffirme qu'établir la

compétenceest une question de droit que la Cour doit trancher compte
tenu de tous les faits. Y a-t-il des faits plus pertinents que ceux qui peu-
vent receler unabus de droit éventuel dela part d'un Etat déclarant?

184. A ce propos, il faut commencer par rappeler toutes les ambiguïtés
de la loi modificatrice de 1994et les rapports entre celle-ciet la réservede
l'alinéad) du paragraphe 2 de la déclaration du Canada du 10mai 1994.
Quelle est la portéede cette loi modificatrice, compte tenu du fait que le
Canada affirme avoir voulu protéger l'intégritéde celle-cipar la réserve651 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP. DISS. TORRES BERNARDEZ)

Croquis établi d'après lacarte dresséepar la Commission géologique
du Canada et parue dans The Globe and Mail du 22 décembre1995652 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS.TORRES BERNARDEZ)

en question? Au cours du présent incident, la thèsecanadienne de l'«in-
tégritéde la loi» a étéinvoquéead nauseam. Mais ni le Canada ni l'arrêt
ne se sont donné la peine d'approfondir la question. Essayons de le faire
ici en suivant, pour des finsde commodité,le professeurDouglas Day, de
l'université Dalhousieà Halifax. Se référant aux modificationsapportées
en mai 1994 à la loi sur la protection des pêchescôtières,l'auteur souligne
d'abord :

«Pour justifier au niveau international les mesures qu'elle énonce,
la loi modificatrice affirme que l'une desprincipales ressources mon-
diales renouvelables du domaine alimentaire est menacée dedispari-
tion du fait de sa surexploitation et que le Canada se donne donc le

pouvoir d'interdire à certaines catégories de bateaux de pêche
d'exploiter des stocks chevauchants de poissons déterminés dans la
zone de réglementationde I'OPANO afin de garantir que les mesures
de gestion et de conservation prises d'un commun accord par le
Canada et 1'OPANO ne soient pas compromises. En inscrivant son
action dans le cadreinstitutionnel de I'OPANO, la loi s'est attaquée
principalement à la pêche illicipratiquéepar des pays n'apparte-
nant pasà cette organisation et a montréque le Canada étaitprêt à
soutenir celle-cinon pas simplement par des mesures de surveillance
et de contrôle, mais aussipar la mise enplace d'un dispositifefficace
d'application decesmesures. Les patrouilles effectuéespar le Canada

au moyen d'avions Aurora, de bateaux de pêcheet de bâtiments de
sa marine constituent le fer de lance du dispositif de surveillance et
de contrôle de I'OPANO, mais celle-ci ne disposait pas encore d'un
mécanismeinternational efficace de mise en Œuvrede ses efforts de
gestion des stocks. Le Canada pouvait donc désormais faire valoir
qu'il montraità 1'OPANO comment celle-ci pouvait éliminerson
point faible en faisant appeàtout l'arsenal des moyens d'action de
1'Etat côtier. Son opposant le plus virulent était, il ne fallait guère
s'en étonner, l'Union européenne qui, lors de la réunion tenue par
1'OPANO en septembre 1994, a soutenu que le Canada aurait dû
attendre qu'un consensus sedégageparmi lesmembresde l'organisa-

tion avant d'agir.
Le Canada s'efforce aussi de réduireau minimum l'opposition à
son initiative en choisissant le bon moment pour agir et en prenant
d'abord pour cible certaines catégoriesde bateaux.»(((Tendingthe
Achilles' Heelof NAFO. Canada Acts to Protect the Nose and Tai1
of the Grands Banks», Marine Policy, 1995,vol. 19,no4, p. 264; les
italiques sont de moi.)

Et il continue comme suit:

«Le règlementpeut êtremodifié à tout moment par le gouverneur
en conseil,la loi permettant de modulerla réponse face auxnouvelles
menaces qui pourraient peser sur différentsstocks dans les mêmes
secteurs ou face aux menaces que représententles navires battant le pavillon d'un autre pays que ceuxqui ont étéénuméréesn 1994.Bien
qu'elles aient apparemmentpour cible les activitésde la pêchedes
pays non membres dans la zone de réglementation, les dispositionsde
la loimod$ée pourraient étreinvoquées pour régled r'autres dif5-
cultésque le Canada connaît avecI'OPANO. La loi a donné pouvoir
de contraindre d'autres membres à se conformer à la volontéde la
majoritéau sein de I'OPANO. L'histoire de cette organisation est
émailléede conflits opposant le Canada à la CEEIUE au sujet des
mesures de conservation pour les stockschevauchants.Souvent mise
en minorité quand venait le temps des décisionsfixant les totaux
admissibles de capture et les quotas, la CEEIUE (et avant 1986,
l'Espagneet le Portugal également)recourait alorsà la procédurede

l'objection pour fixer ses propres quotas et ainsi surexploiter((léga-
lement»les stocks chevauchants (ou les stocks de poissons de haute
mer). Si la loi avaitpour objectif initial de mettre unfàelapêche
illégalepratiquéepar lespays non membres (surtout par des bateaux
espagnolset portugais ayant changé de pavillon),ellen'enoffrait pas
moins au Canadalafaculté de mod$er rapidement le règlementpour
autoriser la saisie de tout bateau immatriculé dans l'Unioneuro-
péenne violantles mesures de gestion et de conservationsur le Nez et
la Queue du Grand Banc et, dans le cas du flétandu Groenland,
dans la division 3M. La loi modifiéesur la protection des pêches
côtièrespermettait aussi le cas échéant depriver d'effet le recours
la procédure d'objection mise en Œuvre contre les décisions de
I'OPANO sur les stocks chevauchants ..» (D. Day, p. 265; les ita-
liques sont de moi.)[Traduction du Greffe.]

185. On voit donc clairement quelle était la((cibleinitiale manifeste))
du projet de loi C-29, devenu loi au mois de mai 1994, c'est-à-dire au
moment où celui-ci estinvoquépar le Canada en tant que ((circonstances
entourant le dé~ôtde la déclaration)) du 10 mai 1994. Le texte de la
réservede i'aiinkad), tel qu'ilest formulé dans la déclaration, peuteffec-
tivement protégerl'intégrité dela législationcanadienne de 1994,car en
principe il n'y a pas de contradiction flagrante entre ladite législationet
les compétencesque le Canada peut exercer, d'aprèsle droit internatio-
nal, dans une zone appartenant à la haute mer pour lesclassesde navires
alors visées. Maisla question sepose autrement dèslors qu'on invoque la
réservepour protéger non pas l'intégrité de lloi dans sa rédaction modi-

fiéedu 12 mai 1994, mais l'extension de son application à des navires
ayant une nationalité et un pavillon réguliers,espagnols et portugais en
l'espèce,extension réaliséepar le règlement du 3 mars 1995. Pour ces
nouvelles cibles, la réserve,telle qu'elle est formulée,devient de par son
propre texte un oxymoron en droit international.
186. Sice n'était quecela, il n'y aurait qu'un problème d'interpréta-654 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS.TORRES BERNARDEZ)

tion. Mais ce dont il faut tenir compte, c'estque le Canada invoque, dans
leprésent incidentpréliminaire,l'oxymoron de la rédactionde sa déclara-
tion du 10mai 1994pour essayer de persuader la Cour que l'intégrité de
la loi que cette déclaration étaitcenséeprotéger vaut aussi pour l'exten-
sion qui est faite de son application par le règlementdu3 mars 1995.Si
telle était l'intention du Canada en mai 1994, il fallait l'exprimer avec
beaucoup plus de clarté dans la déclaration elle-même,instrument de
droit international ou, tout au moins, le dire nettement dans la déclara-

tion que le ministre des affairesétrangères,M. Ouellet, a faite au Sénatle
12mai 1994lors de la discussion du projet de la loi C-29. Mais le Canada
n'en a rien fait. Que devient alors son obligation de bonne foi dans le
cadre du systèmede la clause facultative vis-à-visdes autres Etats décla-
rants, y compris l'Espagne?
187. La question se pose parce que ni par le texte de la déclaration,ni
par la déclaration du ministreOuellet, ni non plus par la voie diploma-
tique, le Canada n'a informél'Espagne en temps utile de l'intention qu'il
attribue maintenant à sa déclarationdu 10mai 1994pour ce qui est des
navires espagnolspêchanten marslavril 1995dans la zone de réglementa-
tion de 1'OPANO.Le systèmede la clause facultativefondé sur la bonne
foi du déclarant dans l'exécution desobligations qu'il assumen'admet ni

les demi-motsni les faux-semblants. Il se pose donc un problème d'abus
de droit que l'arrêtnéglige.Les nouvelles cibles dont parle le professeur
Douglas Day, si elles existaient, sont restées bien cachéesou ont été
tenues dans l'ombre en mai 1994.
188. Lors du débat sur le projet de loi C-29, les ministres canadiens
n'ont pas préciséavecla clartévoulue par les((principes»de bonne foi du
droit international et du systèmede la clause facultative que la déclara-
tion canadienne d'acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour
couvrait également d'éventuellesapplications de la loi modifiée à des
navires des Etats membres de YOPANO en généralou à des navires espa-
gnols ou portugais en particulier. Ils ont mêmerassuréles parlementaires
canadiens en leur disant que l'Espagne et le Portugal coopéraient totale-

ment avec 1'OPANO.Des ambiguïtéssur les possibilitésd'application de
la loi modifiéeà des navires autres que des navires apatrides ou battant
un pavillon de complaisance ne dérogent point à ce que je viens de dire.
Le Canada n'a pas précisélors du dépôt de sa déclaration que la loi
modifiéepouvait s'appliquer aux navires espagnols, ni que l'intégritéde
la loi modifiéecouverte par sa déclaration du 10 mai 1994 embrassait
également des mesuresadoptées etexécutées éventuellement àl'encontre
des navires espagnols. Tout le reste n'est que commentaire à posteriori
sans pertinence juridique en droit international pour la question que je
suis en train de considérer ici.
189. Mais, en mars 1995,le Canada est passé à l'action en s'attaquant
aux navires de pêcheespagnols dans la zone de réglementation de

I'OPANO. Or. il est un ~rinci~e de droit international bien établi et
reconnu par la jurisprudence de la Cour selon lequelamauvaisefoi ne se
présumepas. Aussi un Etat déclarant, comme l'Espagne, était tenu jus-655 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

qu'à cemoment par ceprincipedans sesrelations d'Etat déclarantavec le
Canada. Dans ce contexte, il n'était pascenséprésumer desviolations
du droit de la haute mer, voire des abus de droit, par le Canada sous le
couvert d'une réservedans la déclaration canadienne qui, de par sa for-
mulation, n'était pas du tout claire à cet égard. La non-présomption
de la mauvaisefoi ou de l'abus dedroit est parfaitement reconnue par la
jurisprudence internationale. Par exemple, par la Cour permanente dans
son arrêtde 1932dans l'affaire des Zones franches dans les termes sui-

vants :
«Une réservedoit être faite pourle cas d'abus de droit, car il est
certain que la France ne peut échapper à l'obligation de maintenir
les zones, en créant, sousle nom de cordon de surveillance, un cor-
don douanier. Mais la Cour ne saurait présumer l'abus du droit.»
(Zonesfranches delaHaute-Savoie et duPays de Gex, 1932, C.P.J.1.

sévieAIB no46, p. 167; les italiques sont de moi.)
190. L'Espagne, en tant qu'Etat déclarant, n'avait pas à présumer
avant mars 1995des violationsdu droit international ou des abusde droit
de la part du Canada en rapport avec sa déclarationdu 10mai 1994.Cela
ne peut pas être sansconséquencejuridique en ce qui concerne la rece-

vabilitéou l'opposabilitéà l'Espagne, dans le présent incident, de ladite
réservecanadienne, quelle que soit sa portée.
Il convient d'ajouter que l'Espagneétaitencoremoins en mesure d'attri-
buer au Canada de telles intentions parce que: 1) la déclaration du
Canada de 1994concernait une réserveobjectivede compétencenationale
(réservede l'alinéac) du paragraphe 2 qui, comme telle,renvoie au droit
international pour ce qui est de la définitiondes questions relevant exclu-
sivementde lajuridiction du Canada, et 2)la règlede lajuridiction exclu-
sive de 1'Etatdu pavillon protégeaitles navires de celui-cien haute mer,
règlecoutumière qui à ce titre s'imposetant au Canada qu'à l'Espagne.
191. Il est vrai que lors de la phase orale du présent incident,les con-
seils du Canada ont plutôt essayéde persuader la Cour que les mesures

adoptéespar le Canada à l'encontre des navires espagnols n'étaient pas
des comportements délictueuxen droit international (d'où les efforts
déployés pour insister sur la pratique des Etats en la matière). Mais dans
son contre-mémoire.face aux argu"ents du demandeur selon lesauels les
mesures en question et leur exécutionétaientdes faits illicitesinternatio-
naux du Canada et non des mesures de gestion et de conservation, ni
l'exécutionde tellesmesures, le Canada a répondu que lechamp d'appli-
cation de sa réservecouvre le tout,àsavoir lesmesures tant licitesqu'illi-
cites au regard du droit international. Cette affirmation ne s'accorde pas,
à mon avis, avec les principes de bonne foi et de confiance mutuelle sur
lesquelsrepose le systèmede la clausefacultative,car letexte de la réserve
n'indique pas que lesmesures en question peuvent êtreillicites.l garde le

silenceà cet égard,or l'Espagnene saurait présumer nila mauvaisefoi du
Canada ni l'abus de droitpar celui-ci.
192. Compte tenu de ce qui précède,j'estime que la réserve de l'ali-656 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

néa d) du paragraphe 2 de la déclaration du Canada, indépendammend te
toute question de validité,ne saurait êtreadmise ou opposéeà l'Espagne
danslaprésenteprocédureincidentepréliminaire.A la rigueur, elledevrait
êtreréexaminée par la Cour lors de la phase sur le fond en pleine connais-
sance de tous lesélémentsdefait et de droit de l'affaire. L'arrêtévite ainsi
de poser une question qui, par sa nature mêmeet par son envergure,
aurait dû êtreexaminéed'officepar la Cour.

L'arrêtrenonce au contrôle de l'abusde droit dans le cadre du système
de la clause facultative. Je ne saurais non plus le suivre sur cette voie. Il
ne s'agit pas ici d'une dérogationau principe du consentement à la juri-
diction, ni d'une limitation quelconque de la facultéd'insérer desréserves
dans les déclarations,mais il s'agit certainement de la conduite des Etats
déclarants dans l'exercicede ces libertés.En somme, de la bonne foi et de
la confiance mutuelle dans les rapports entre Etats déclarants dans le
cadre du systèmede la clause facultative.
193. Rappelons à cepropos qu'en 1945,le futur membre de nationalité
canadienne de la Cour, qui participa àl'élaboration du présent Statut,
M. Read, formula dans une lettre reproduite dans un article publié par
Shabtai Rosenne, intitulé ((Judge John E. Read and the International

Court of Justice)),l'observation suivante au sujet de la facultéqu'ont les
Etats d'insérerdes réservesdans leur déclaration: «L'ex~érienceacauise
enseigneque le risquede voir un pouvoir général deformulerdes réserves
prêterà abus est nul.»(Annuaire canadiende droit international,t. XVII,
1979, p. 19. [Traduction du Greffe.]) Le présent incident préliminaire
montre malheureusement que cela est possible et, ce qui est beaucoup
plus inquiétant, en regardant vers l'avenir, c'est que la Cour, tout au
moins dans le présentarrêt,considère qu'il s'agitlà d'un comportement
admissible de la part d'un Etat déclarant, dont les effets seraient oppo-
sables aux autres Etats déclarants.

C. L'interprétationde la déclaration du Canada du10 mai 1994,
y compris de la réserve de l'alinéa) de son paragraphe2

1. La déclaration canadiennecomme objet de l'interprétation à faire par
la Cour

194. Le Canada excipe de la réservede l'alinéad) du paragraphe 2 de
sa déclaration du 10mai 1994pour s'opposer à la compétence dela Cour
dans la présenteaffaire. La déclaration canadienne est en outre la seule
qui donne lieu à une divergence d'interprétation entre les Parties sur la
compétence dela Cour dans l'affaire et c'est ce désaccordqui doit être
tranchédans le présent incident préliminaire.
195. Ainsi, la première question qui se poseà cet égardest celle de

savoir quel est l'objet del'opération interprétative que laCour est censée
entreprendre? J'aidéjàdonnéci-dessusune premièreréponseprincipale à
cette question lorsque j'ai exprimé maconviction que l'objet de l'inter-
prétation est la déclaration du Canada elle-mêmeet non, comme le pré-tend l'arrêt,les motifs politiques ou autres qui ont menéle Canada à
accepter unilatéralementle 10mai 1994 la juridiction obligatoire de la
Cour (c'est-à-direl'intention subjectivedu Canada de devenir Etat décla-
rant). Il faut maintenant compléter cette conclusionpar une deuxième, à
savoir que l'objet de l'interprétation quela Cour doit faire est la déclara-
tion du Canadadansson ensemble,car comme l'arrêtle rappelle dans son
paragraphe 44 :

«Tous les éléments d'une déclaratiofnaite en vertu du para-
graphe 2 de l'article 36 du Statut qui, pris ensemble, comportent
l'acceptation de la compétencede la Cour par 1'Etat auteur de la
déclaration, doivent être interprétésommeformant un tout, auquel
doivent êtreappliquésles mêmesprincipes juridiques d'interpréta-
tion.» (Les italiques sont de moi.)

196. Les deux Parties avaient reconnu d'ailleurs l'unicitéde la déclara-
tion du Canada, à savoir que lesréservessont aussi la déclarationou font
partie intégrante de la déclaration,mais ellesn'en ont pas tiréles mêmes
conséquencespratiques en ce qui concerne l'interprétation dela réserve
de l'alinéad). L'arrêt,quant à lui, après avoir fait état de l'unicitéde la
déclarationcanadienne,prend aussitôt sesdistances avecune telleconclu-
sion. En fait, pour l'arrêt,si la déclarationdu Canada forme un tout (une
unité),ce n'est que pour mieux souligner qu'il n'existe aucune raison de
donner une interprétation restrictive aux réserves d'une déclaration
d'acceptation de la jurisprudence obligatoire de la Cour.

197. L'arrêtne s'occupe alors plus que de la réservede l'alinéa d) en
l'isolant du reste de la déclaration.Il n'existe finalement plus que cette
réserveou plutôt l'intention subjective ou les motifs politiques que le
Canada dit maintenant avoir eus lorsqu'il l'a inséréedans sa déclaration
du 10mai 1994.Dans le raisonnementinterprétatif de l'arrêt,au tout (la
déclaration)est substituéeune de sesparties (la réservede l'alinéad)) ou,
mieux encore, l'intention que l'arrêt attribueau Canada lorsqu'il a fait la
déclarationle 10mai 1994.Je ne saurais suivre l'arrêtni dans son réduc-
tionnisme ni dans ses contradictions. Par exemple, lorsque l'arrêtmen-
tionne le«contexte)) de la réserveilne renvoie pas du tout au contexte en
tant qu'élémenitnterprétatif admis par le droit international mais à des
circonstances,c'est-à-direàdesmoyenscomplémentairesd'interprétation.

Une déclaration faite dans le cadre du systèmede la clause facultative
forme effectivement un tout. Elle constitue une unité. L'objetde l'inter-
prétation est justement cette unité.C'est de cette unité que se dégagele
consentement à la juridiction donné par 1'Etat déclarant vis-à-vis des
autres Etats déclarants.Les réservesdans une déclaration faite en vertu
de la clause facultativefont corps avecla déclaration.C'est l'ensemblede
la déclaration qui exprime le consentement de l'Etat déclarant à la juri-
diction obligatoirede la Cour et c'est l'ensemblede la déclaration qui esten cause lorsque la compétence estcontestée,mêmesi l'on excipe d'une
partie de la déclaration ou d'une seule condition ou réservecomme en
l'espècepour justifier son opposition àla compétencede la Cour.
Le titre juridictionnel est la déclaration dans son ensemble. Les ré-
serves ou les conditions ne constituent pas des titres autonomes de non-
compétence. C'estpourquoi le principe d'intégration joueun rôle impor-
tant dans l'interprétationdes déclarationsrelevant du systèmede la clause
facultative, qui sont des instrument unilatéraux, mais formels et solen-
nels. La requête de l'Espagne invoque la déclaration duCanada dans son
ensemble comme il sedoit.
198. J'ai déjà signaléque le consentement qu'expriment les déclara-
tions est un consentementpréconstituépar rapport au litige et donnépar

écrit.Ainsi, dans le systèmede la clause facultative, il ne fait guère de
sens d'introduire dans le débat des présomptions négativesou positives
de consentement. Le consentement de 1'Etat déclarant, dans les limites
qu'il a tracées,est devant nous. Il s'exprime dans la déclaration. Il ne
s'agit donc que de préciserson sens et sa portéeen interprétant la décla-
ration conformément aux règles de droit international applicables à
l'interprétation des instruments internationaux et auxquelles la jurispru-
dence de la Cour a fait une contribution historique notable.
199. La déclaration du Canada a été déposé conformémentau para-
graphe 2 de l'article 36 du Statut. Qu'est-ce que cela veut dire? Que le
Canada l'a fait dans un but bien précis, à savoir accepter la juridiction
obligatoire de la Cour ainsi que l'énoncela déclaration. Le point de
départdu raisonnementjuridique ne peut donc pas être, dans ces condi-
tions, que le Canada n'a donné son consentement à rien du tout sauf

preuve du contraire! Il a dû donner son consentement à quelque chose.
Alors, il est touà fait légitimepour tout interprète de bonne foi d'adop-
ter comme point de départ de l'opération interprétativele fait qu'en
déposantsa déclarationle Canada a donnéun consentement àla juridic-
tion obligatoire de la Cour tel que je l'ai déjàdit. Cela relativise dans le
systèmede la clause facultative la ((preuveabsolue du consentement))sur
laquelle le Canada a insisté à maintes reprises. Ainsi, des -affirmations
telles que:«[o]n ne peut pas partir d'une présomption de compétencequi
reposerait sur le fait qu'une déclaration a étéfaite)) n'emporteront pas
ma conviction. En tout cas, aux fins de l'interprétation, «on peut partir
du fait qu'une déclaration a étéfaite)).
200. En outre, dans le cas d'espèce,la déclaration canadienne elle-
même précisq eue-leCanada ((acceptecomme obligatoirede plein droit et

sans convention spéciale ...la juridiction de la Cour en ce qui concerne
tous les différends...autres que» ceux énuméréa sux alinéasa) àd) de
son paragraphe 2. Un interprète ne doit-il pas prendre en considération
dans son raisonnementinterprétatif cettepartie du texte de la déclaration
quijustement précèdeles alinéasconcernant les réserves?Bien sûr qu'il le
peut. Il est mêmeobligéde commencer par là son interprétation. Dire
que cela revient à adopter comme ((règlegénérale)) une présomption en
faveur de la juridiction de la Cour est une absurdité.659 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

201. En revanche, je suis d'accord avec l'arrêtpour dire que les ré-
servesinsérées dans des déclarationsne dérogent pas à une dispositionou
à un texte préalablecomme c'est le cas des réservesaux traités. Tout de
même,en matière d'interprétation, il ne faut pas exagérerles effets de la
distinction entre ces deux types de réservesau risque de tomber dans des
contradictions. Or, le Canada justement a fondé certains de ses argu-
ments sur l'arrêt dela Cour concernant l'interprétation de la réserve dela
Grèce àl'Actegénéralde1928(Plateau continental de la mer Egée,C.I.J.
Recueil 1978, p. 3).

202. Mais, distinction ou pas entre types de réserves,une chose est cer-
taine: ni dans un cas ni dans l'autre l'objet de l'interprétationne viseune
intention subjective ou politique sous-jacenteaux réserves.On interprète
l'instrument dans son ensemble avec ses réserves conformément aux
règlesd'interprétationdu droit international. Cet ordrejuridique ne com-
porte pas de règlesparticulièrespour l'interprétation des réserves. n'y a
pas une interprétation objective de la déclaration et subjective de ses
réserves.Il faut donc interpréter les réservessuivant les mêmes règleset
méthodes que pour le reste de la déclaration, compte tenu du principe
d'intégration mentionné. Or, l'arrêt semble s'inspirer d'un prétendu
«régimede réserves))lorsqu'il interprète la réservecanadienne, régime

qu'il sembleraitdistinguerd'ailleurs du «régimedes déclarations»malgré
des affirmations de principe contraires.

2. La question de l'interprétation restrictiveou extensive de la réserve
de l'alinéad) duparagraphe 2 de la déclaration

203. Selon le Canada, les interprétations espagnoles de l'alinéad) du
paragraphe 2 de la déclaration privent la réservedetout effet pratique, en
somme de son effet utile. L'Espagne voudrait donner àla réservel'inter-

prétation la plus limitéeou restrictive possible en oubliant: que toutes les
composantes d'une déclaration ont exactement la mêmevaleur; qu'il y a
un lien étroit etnécessaireentre une clausejuridictionnelle et les réserves
dont elle fait l'objet; que l'acceptation de la compétence estliéeà I'en-
semble de la déclaration de I'Etat, y compris les réserves;et qu'il n'existe
pas une règled'acceptation généralede la compétencedont les réserves
seraient l'exception, de sorte que l'acceptation de la compétence serait
le principe et la réserve l'exception. Mais dans son contre-mémoire
(p. 34-35, par. 70-71) et dans ses plaidoiries le Canada a reconnu aussi
que «[l]a doctrine de l'effetutile n'autorise pàslire dans le texte ce qui
n'y estpas)).

204. Pour l'Espagne, le défendeur voudrait faire admettre qu'il faut
êtrerestrictif quant à l'interprétation de la déclaration mais permissif
quant àcelledes réserves,malgrél'affirmation rhétorique deleur unité,il
oublie ainsi que le point de départ est l'effet utile de la déclaration et
confond l'effet utile de la réserve avecson acceptation sur la base de la simpleinvocation du défendeur.L'Espagne a niéavoir proposé une inter-
prétation restrictive des réservescomme à priori. Dans sa perspective,
l'interprétation restrictive ou extensive ne saurait être quele résultat de
l'applicationà la déclaration,y compris àses réserves, desrèglesd'inter-
prétation valables pour les instruments internationaux du droit interna-
tional; en l'espèce,l'application desditesrèglàladéclarationduCanada.
Or, la rédaction de la déclaration, y compris sa réservede l'alinéa d),
étaitle fait du Canada et non pas de l'Espagne. L'Espagne a aussi donné
des exemples des effets utiles possibles de la déclaration canadienne et a
soulignédans ce contexte le rôle de la bonne foi et de la règlentrapro-
ferentem.
205. Sur ce point aussi l'arrêt prend faitet cause pour les thèses du

Canada. En fait, pour l'arrêt,le but que le Canada attribue à la réserve
prévaudrait sur tout le reste aux fins de l'interprétation de la déclaration
du Canada. L'effetutile de la déclaration devient ainsi le but de la réserve
de l'alinéa d), englobant d'ailleurs les motifs politiques que le Canada
aurait eus lorsqu'il a déposésa déclaration du 10 mai 1994. C'est le
moment de rappeler que le Canada a fait allusion, dans ce contexte, àla
théoriepolitiquedes ((intérêtsvitaux». L'arrê nte lementionnepas. Mais,
en fait, en le lisant de près,il semble en avoir pris acte. Disons, en pas-
sant, qu'«effet utile»et «intérêtsvitau»cen'estpas la mêmechose en ce
qui concernel'interprétation d'un instrument international. Quoi qu'il en
soit, il est certain que l'arrêt faitune interprétation extensivede la réserve
de l'alinéad) au détriment de l'effet utile de la déclaration du Canada
(réserve comprise) enpartant d'un certain à priori qui ne transparaît pas
tout
à fait dans lesmotifs mais qui est là. Pour l'arrêt, la poàtdonner
à la réserveest celle que le Canada affirme dans le présent incident avoir
voulu lui donner lorsqu'il a fait la déclaration. Ainsi, en fait, l'arrêt
accepte, par Cour interposée, la doctrine dite del'interprétationautoma-
tique des réserves inséréd eans les déclarations.

206. Je ne puis non plus suivre l'arrêt surce point. Comme je l'ai déjà
fait observer dans la présente opinion, l'interprétation des déclarations
relevant du systèmede la clause facultative ne doit pas être entreprise
avec des réservesmentales ou des à priori restrictifs ou extensifs. Mais
bien entendu, cette conclusion est applicable à l'ensemble de la décla-

ration dont il s'agit. Il n'est pas question d'exclure seulement des inter-
prétations restrictives des réserves tout en acceptant, implicitement
ou explicitement, l'interprétation restrictive d'autres composantes de la
déclaration, par exemple, en l'espèce,de la phrase introductive du para-
graphe 2 de la déclaration du Canada et de la réserve del'alinéa c) du-
dit paragraphe. Ce serait en contradiction avec le principe, reconnu
d'ailleurs par l'arrêt, que l'on doit toujours appliquerlesmêmesprincipes
d'interprétationà toutes lescomposantesd'une déclaration. D'autre part,l'exclusiond'à priori restrictifs ou extensifsau départ du processusinter-
prétatifne veut nullement dire que le résultatd'une interprétation donnée
ne puisse pas êtrequalifiéà posteriori de restrictif ou d'extensifpar rap-
port à des paramètres déterminés.Il n'est pas question que l'interprète
s'attache à donner à tout prix au résultat de son interprétation d'une
partie d'une déclarationune portéeextensive(ou viceversa), si le résultat
de l'application in casu des principes d'interprétation du droit interna-
tional ne lejustifie pas. Un interprète n'est pascensé modifierl'intention
objectivéedans la déclaration interprétée.
207. Aussi la question de l'interprétationde la réserve del'alinéadu
paragraphe 2 de la déclarationcanadienne ne doit-ellepas être approchée
en termes abstraits ou théoriques comme le fait le présentarrêt,mais, au
contraire, d'une façon bien concrète, à savoir en regardant de près le

résultatdel'application des élémentisnterprétatifsqui,en l'espèce,entrent
dans ce processus juridique. A ce propos, je constate que c'est le texte
mêmedu paragraphe 2 de la déclaration qui fait de la réservede l'ali-
néa d) uneexception à lajuridiction obligatoireautrement acceptéepar le
Canada par le dépôt desa déclaration. Dans ce paragraphe 2, le Canada
accepte en effet la juridiction obligatoire de la Courpour tous les dif-
férendsautres que» ceux qui sont ensuite énumérésy, compris ceux qui
sont mentionnés à la réserved).
208. C'est donc le texte du paragraphe 2 de la déclaration du Canada
qui fait que lesdifférendsde la réserve) sont une exception à lajuridic-
tion obligatoire autrement acceptéepar la Canada. Du fait qu'il s'agit
bien pour le texte de la déclaration d'uneexception, le résultatde l'inter-
prétation de la réservene peut qu'êtrerestrictif lorsque celle-ci est lue
dans le contextede la déclaration. Quoi qu'il en soit, le résultat de l'inter-

prétation de la réservede l'alinéad) ne saurait empiétersur la portée de
la juridiction obligatoire acceptée par le Canada en vertu du para-
graphe 2 de sa déclaration dans son ensemble sans trahir la volontédu
déclarant. Il faut aussi donner son effet utilà la juridiction obligatoire
assuméepar le Canada en vertu de la déclaration,de toute la déclaration.
La limitationde la réserve del'alinéad) ne peut pas, et ne doit pas, faire
oublier ou négligerle consentement donné parle Canada à la juridiction
obligatoire en vertu du paragraphe 2 de la déclaration qui découlede
la manièrenaturelle et ordinaire de lire le texte du paragraphe dans l'en-
semblede la déclaration. Mais ce constat n'est la conséquenced'aucun à
priori, il résultetout simplement du texte de la déclaration canadienne.

209. C'est le moment de rappeler, étant donné que nous parlons de la
réservede l'alinéa d) et d'effet utile, qu'une conclusionen faveur de la

compétencede la Cour dans l'affaire soumisepar la requêtede l'Espagne
ne priverait point la réserveni de son but ni de son effet véritable.La
thèse contraire est un faux argument démentid'ailleurs par la propre
conduite, dès1994,du Canada. Les mesures dites de gestion et de conser-
vation adoptées par le Canada dans la zone de réglementation de662 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

I'OPANO à l'encontre des bateaux de pêcheespagnols (et portugais)
n'ont étéen vigueur que du 3 mars au débutde mai 1995.Alors! Est-ce
qu'avant le 3 mars 1995et après le début de mai 1995la réserven'avait
aucun but ou était insusceptible de produire un quelconqueeffet? Il suffit
de poser la question dans des termes simples pour voir que la thèseque
développel'arrêt surla base de l'effet utilede la réservene tient pas.

210. Pour justifier son traitement de la question de l'interprétation de
la réservede l'alinéad), l'arrêt invoque encore une foisla question dif-

férentedu principe du consentement à lajuridiction et s'avance aussisur
le terrain doctrinal en prenant position en faveur de certaines thèses
d'écolesur lanature des réservesdans les déclarations d'acceptation de la
juridiction obligatoire de la Cour. Je ne partage pas non plus, dans sa
généralité,les conclusions auxquelles l'arrêt arrive à cet égard. Tout
dépend, àmon avis, de la formule choisie, dans l'exercicede la souverai-
neté, par l'Etat déclarant lorsqu'il a rédigéet déposé l'instrument qui
incorpore sa déclaration.
211. Dans le cas d'espèce,je constate tout simplement que la déclara-
tion du Canada n'est pas un instrument d'après lequel le déclarant
accepte la juridiction obligatoire de la Coureulement pour telle ou telle

catégoriede différends.Au contraire, il accepte cettejuridiction pour tous
les différendspostérieursà la déclaration autres que ceux exclus par les
réserves. Laprésomption de non-consentement comme telle nejoue donc
pas dans le processus d'interprétationcar le texte de la déclarationcom-
mence par proclamer un tel consentement.
212. Finalement, je constate aussi que le paragraphe 3 de la déclara-
tion qualifie de «réserves»les alinéas) à d) de son paragraphe 2 et que
le défendeura invoqué dans le présent incident préliminairela jurispru-
dence de la Cour dans l'affaire du Plateau continental de la mer Egée,
c'est-à-dire l'interprétation d'uneréservedans un instrument d'adhésion
à un instrument conventionnel (l'Actegénéralde 1928).Cette attitude du
défendeur montre bien que la distinction entre «réserves» aux traités et

((réserves))dans les déclarations ne semble pas aussi nette que le laisse
entendre l'arrêt.

3. L'économiegénérale de ld aéclarationdu Canada

213. Le texte de la déclaration du Canada ne pose aucun problème
d'authenticité. Il a été publiédans le Recueil des traitésdes Nations
Unies et dans l'Annuaire de la Cour. Le Canada ne conteste pas que le
texte ainsi publiéest bien le texte de la déclaration remise au Secrétaire
généralde l'organisation des Nations Unies au nom du Gouvernement
canadien, déclaration faiteà New York le 10mai 1994et signéepar le
représentant permanent du Canada auprèsdes Nations Unies. Le Canada

ne conteste pas non plus que sa déclaration du 10 mai 1994 était en
vigueur lors de l'enregistrement de la requêtede l'Espagne au Greffede la
Cour le 28 mars 1995,ni que les situations ou les faits dont il est question663 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

dans la requête sont postérieursau dépôt desa déclaration. Il ne sepose
donc aucun problème ratione temporis pour ce qui est de l'application de
la déclarationau différend soumis à la Cour par l'Espagne.
214. La déclarationdu Canada du 10mai 1994commencepar un para-
graphe 1qui abroge sa déclarationde 1985qui avait elle-même abrogéla

déclaration de 1970.Elle se termine par un paragraphe 3 qui réservele
droit du Canada de compléter,modifier ou retirer les réservesqui y sont
formulées,moyennant une notification adresséeau Secrétairegénéral de
l'organisation des Nations Unies (voir paragraphe 14de l'arrêt).
Entre ces deux paragraphes se trouve le paragraphe 2 dont la sedes
materiae est précisémentl'engagementjuridique assumépar le Canada
vis-à-vis d'autres Etats déclarants concernant l'acceptation de la juridic-
tion obligatoirede la Cour, ainsi que leslimitesde cet engagement, car la
disposition en question contient quatre réserves.Ce paragraphe 2 est
ainsi rédigé:

((2)Nous déclarons que le Gouvernement du Canada, conformé-
ment aux dispositionsdu paragraphe 2 de l'article 36du Statut de la
Cour, accepte comme obligatoire de plein droit et sans convention
spéciale, souscondition de réciprocitéet jusqu'à ce qu'il soit donné
notification de l'abrogation de cette acceptation, la juridiction de la
Cour en ce qui concerne tous les diffërends qui s'élèveraietprès la
date de la présentedéclaration,au sujet de situations ou de faits pos-
térieursà ladite déclaration, autres qu:

a) les différends au sujet desquels les parties en cause seraient
convenues ou conviendraientd'avoir recours à un autre mode de
règlementpacifique;
b) les différendsavec le gouvernement d'un autre pays membre du
Commonwealth britannique des nations, différends qui seront
réglés selon une méthode convenueentre lesparties ou dont elles
conviendront ;
c) les différendsrelatifs à des questions qui, d'après le droit inter-
national, relèventexclusivementde la juridiction du Canada; et

d) les différendsauxquels pourraient donner lieu [en anglais: «ari-
sing out of or concerning»]lesmesures de gestion et de conserva-
tion adoptées par le Canada pour les navires pêchant dans la
zone de réglementation de 170PAN[O],telle que définiedans la
conventionsurla future coopération multilatéraledansles pêches
de l'Atlantique Nord-Ouest, 1978, et l'exécutionde telles me-
sures.» (Les italiques sont de moi.)
Il découle dece texte que le Gouvernement canadien a donné son

consentement à la juridiction obligatoire de la Cour d'une manièregéné-
rale et très large (tout comme l'Espagne dans sa déclaration), à savoir
pour tous les différendsqui s'élèveraientaprès la date de cette déclara-
tion, au sujet de situations ou de faits postérieurs à ladite déclaration
autres que les différendsexclus aux alinéasa), b), c) et d) du para-
graphe 2.664 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

215. Le demandeur souligne tout naturellement l'ampleur de l'accepta-
tion de lajuridiction obligatoire de la Cour qui résulte dela phrase intro-
ductive du paragraphe 2, tandis que le défendeurne parle pratiquement
que de sa réserve de l'alinéad). Il faut aussi noter que le paragraphe 2

ci-dessusne définitaucun des termes ou expressions y employés.Il ne ren-
voie pas non plus expressémentl'interprète à un texte national pour telle
ou telle autre finalité.
216. Il s'agit en fait d'une déclaration qui n'a rien de commun avec
celle del'Iran dans l'affaire de l'dnglo-Iranian Oil Co. (exception préli-
minaire, arrêt,C.I.J., Recueil 1952, p. 93). La déclaration de l'Iran
n'était pas une déclaration acceptant lajuridiction obligatoirede la Cour
pour «tous les différends))à l'exception deceux faisant l'objet de quatre
réservescomme celles de la déclaration du Canada de 1994. C'était,au
contraire, une déclaration qui acceptait la juridiction obligatoire pour
une seule catégorie dedifférends, àsavoir les différendsqui s'élèveraient
«au sujet de situations ou de faits ayant directement ou indirectement

traità l'application des traités ou conventions acceptéspar la Perse et
postérieurs à la ratification de cette déclaration)). Et cette catégorie
de différends était en plus accompagnée dans la déclaration de trois
réserves!
217. Si l'on veut parler des règleset des méthodes d'interprétationdes
déclarations relevant du systèmede la clause facultative, il est manifeste
que ni le Canada ni l'arrêt n'ont intérêt à essayer d'analyser en détail
l'arrêt de1952dans l'affaire de l'dnglo-Iranian Oil Co. Il ne suffit pas de
rappeler que l'arrêt écartees interprétations purement grammaticales ou
exégétiques,que personne ne défend enl'espèce,ainsi que l'indique la
phrase de l'arrêt qui dit que la Cour «doit rechercher l'interprétation qui

est en harmonie avec la manière naturelle et raisonnablede lire le texte.
eu égard à l'intention du Gouvernement de l'Iran àl'époqueoù celui-cia
accepté la compétence obligatoire de la Cour» (C.I.J. Recueil 1952,
p. 104).Cela est absolument vrai et exact. Mais ce qui doit faire réfléchir
est le fait que le demandeur, l'Espagne, invoqueaussi cet arrêt,compris
la phrase citée,pour étayersa conclusion selon laquelle la Cour est com-
pétente dans la présenteaffaire, car il n'yest en effet pas question de la
manière raisonnable et naturelle de lire(l'intentiondu Gouvernementdu
Canada)) à l'époquedu dépôt de sa déclaration, mais bel et bien de la
manière naturelle et raisonnable de lire «le texte de la déclaration»,eu
égard à l'intention du Gouvernement du Canada àl'époqueoù celui-cia

acceptéla compétenceobligatoire de la Cour.

218. En fait, dans cet arrêtde 1952,la Cour donne d'abord l'interpré-
tation qu'elle considère enharmonie avec la manière naturelle et raison-
nable de lire le texte. C'est par la suite que l'arrêtexamine l'intention du
Gouvernement de l'Iranà l'époqueen vue derépondre à une interpréta-
tion grammaticale/littéraledifférentedu demandeur (Royaume-Uni). La
Cour conclut que l'intention du déclarant avait trouvé ((son expression
adéquate dansle texte de la déclarationtel qu'ila[vait] étéinterprétpar665 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS. TORRES BERNARDEZ)

la Cour)),ainsi qu'une confirmation décisivede l'intention du gouverne-
ment déclarant lorsau'il avait fait sa déclarationdans une clause de la loi
iranienne approuvant celle-ci (à l'époquede la Sociétédes Nations les
déclarationsn'étaientpas déposéese )t avait notifiépar la suitela déclara-

tion sans modifier son texte, c'est-à-dire dans des instruments iraniens
ayant trait directement à la déclaration interprétée.Des raisons parti-
culièresdéduitesde l'ensemble de la pratique conventionnelle suivie à
l'époque parl'Iran en ce qui a trait aux traités concernant l'ancienrégime
des capitulations confortent aussi l'interprétation du texte faite par la
Cour en 1952.
219. Lesconclusions quel'on peut tirer de l'arrêt de1978dans l'affaire
du Plateau continental de lamer Egée,invoquétant par le défendeurque
par le demandeurpour l'interprétation des réserves,à la lumièrede l'éco-
nomie générale de l'instrument où elless'insèrent, ne confirmentpas non
plus, tant s'enfaut, les conclusions de l'arrêt surle rôle du droit interna-

tional dans l'interprétation de certains termes et expressions de la réserve
de l'alinéad) de la déclaration canadienne, ni n'expliquent leur silence
sur l'éventuelleincidence que pourrait avoir sur l'interprétation de cette
réservele fait que la déclaration canadienne contient une réserveobjec-
tive (réservede l'alinéa)) de compétencenationale tout comme I'instru-
ment d'adhésionde la Grèce à l'Acte généralde 1928. A l'époque,la
Cour avait cependant tirécertaines conclusions bien connues de ce der-
nier fait pour l'interprétation de l'expressiontatut territorial)) figurant
dans la réservegrecque.

220. Toujours est-il que la déclaration du Canada du 10mai 1994,de
par son économiegénérale,n'est pad su tout une déclarationformuléeen

((termes restrictifs))comme pourraient le faire croire, indirectement, cer-
taines considérations de l'arrêt.Le défendeur lui-mêmel'a reconnu à
l'audience lorsqu'un de ses conseils a déclaréque le champ d'application
de la réservede l'alinéad) est trèslimitéà savoir les pêcheriesdans une
zone géographique définieet que sont potentiellement couverts par la
déclarationcanadienne :

((les différendsterritoriaux, ceux relatifs aux frontières maritimes,
aux investissements, au droit humanitaire international, etc. La liste
est pratiquement infinieet rien de ceci n'est le moindrement affecté
par une interprétationqui permettrait à la réserve dedéployertous
ses effets.)) (CR98112,p. 23, par. 102; les italiques sont de moi.)

Il est bien possible que ledit conseil canadien ne soit pas très familier
avec la terminologie de la Cour permanente dans l'arrêt du Lotus, car
l'on y qualifie les ((navires)) des Etats de ((territoire)). Qu'il s'agissede
((territoire)) selon l'ancienne terminologieou de ((juridiction exclusivede
1'Etat du pavillon)) selon celle aujourd'hui acceptée,la présenteaffaire
concerne un conflit dejuridiction opposant les Parties au sujet de navires
se trouvant en haute mer. A ce titre elleprésenteun aspect territorial ou
spatial évident.666 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS. TORRES BERNARDEZ)

4. L'intentionjuridiquement pertinente pour l'interprétationde la décla-
ration du Canada

221. Commeje l'ai signalétout au longde la présenteopinion, la ques-
tion de l'intention juridiquement pertinente pour l'interprétation de la
déclarationdu Canada du 10mai 1994est au centre du désaccord inter-
prétatif qui sépareles Parties. Celui-ci s'est manifestéd'une façon parti-

culièrementfrappante pour ce qui est de l'interprétation de l'alinéa du
paragraphe 2 de la déclaration.
Pour le demandeur, l'intention juridiquement pertinente pour l'inter-
prétation de la déclaration est l'intention de 1'Etat déclaranà la date
du dépôt telle qu'elle s'est objectivéedans la déclaration elle-même.Le
défendeurinsiste, lui, sur une intention qui serait sous-jacentea décla-
ration ou, en tout cas, sur une intention qui ne se confondrait pas néces-
sairementdans tous sesaspects avec cellequi résulte dela teneur du texte
de la réserve del'alinéad) lu dans le contexte de la déclaration. A cer-
tains égardson pourrait mêmepenser que pour le défendeur l'intention
juridiquement pertinente aurait une autonomie telle vis-à-visde la décla-
ration qu'elle pourrait évolueraprèsle dépôt sans que la déclaration soit
modifiée.

222. La position généraledu Canada sur l'intention juridiquement
pertinente pour l'interprétation de la réserve de l'alinéad) du para-
graphe 2 de la déclaration a maintes fois été critiqupar le demandeur.
Les conseils de l'Espagney ont vu une tentative du défendeurd'adultérer
le rôle capital que doit jouer dans l'interprétation de la réservela règle
généralequi oblige àrechercher de bonne foi le sens courant des termes
dans leur contexte, à moins qu'il n'y revêtentun sens particulier, et en
tenant compte de l'objet et du but de la déclaration. D'après l'Espagne,
avec sesappels à l'intention subjective,le Canada prétendimposer comme
réelleou véritableune intention qui ne s'ajustepas au sens ordinaire, cou-
rant, naturel ou raisonnable des termes et expressions employésdans la
réservede l'alinéad) dans le contexte de cette dernière et dans celui de la
déclaration dans son ensemble.
223. J'ai déjàexpliqué endétail que l'arrêtva encore plus loin dans

son subjectivisme que la thèseinterprétativeavancéepar le défendeur.La
persuasion canadienne a étési forte pour la majorité à l'égardde cette
question centrale pour la décisionque, selon l'arrêt, l'interprétationà
laquelle la Cour doit se livrer n'a mêmepas pour objet et pour but la
découvertede la prétendue intention sous-jacente au texte de la réservede
l'alinéad) invoquéepar le Canada, mais bel et bien les motifs ou les
viséesqui ont conduit le Canada à accepter le 10mai 1994lajuridiction
obligatoire de la Cour.Il existe donc un désaccordradical entre la posi-
tion de l'arrêt etcelle adoptée dans la présenteopinion dissidente.

224. Pour moi, l'intention juridiquement pertinente est celleobjectivée
dans la déclaration du Canada, y comprisdans la réservede l'alinéad) de
son paragraphe 2, et cette intention doit être dégagée enappliquant les667 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS.TORRES BERNARDEZ)

règlesd'interprétation d'instruments internationaux du droit internatio-
nal et, en particulier, tous les élémentsinterprétatifs admis par ces règles
qui jouent en l'espèce,à savoir: le principe de la bonne foi, la règledu
sens ordinaireà attribuer aux termes, la règledu contexte,l'objet et le but
de la déclaration,les règlespertinentes du droit international applicables

dans lesrelations entre les parties ainsi que lescirconstancesqui sont per-
tinentes en l'espèceen tant que moyens complémentairesd'interprétation.

225. Comme le dit l'arrêt «c'est la déclaratiotelle qu'elle existequi,
elle seule, constitue l'ensembàeinterpréter)) (paragraphe 45 de l'arrê).
Mais, l'arrêt n'applique pas cetterègle.Je reconnais aussi que la réserve
de l'alinéad) du paragraphe 2 ne doit pas être interprétée comme limi-
tant la portée d'une acceptation antérieureplus généralpréexistante,par
exemple,cellede la déclarationdu Canada du 10octobre 1985.Cette der-
nière déclaration a étéabrogée et une nouvelle, celle de 1994, lui a été
substituée. Mais, ce que je dis est que la déclaration du 10mai 1994,en
vigueur à la date du dépôtde la requêtede l'Espagne, doit êtreinterprétée

à partir de son texte conformément au droit international et non pas à
partir des motifs politiques ou autres que le Canada aurait pu avoir
lorsqu'il a fait la déclaration et l'a déposéeauprès du Secrétairegénéral
de l'organisation des Nations Unies.
226. Ce qui compte pour l'interprétation à faire, ce ne sont pas ces
motifs ou ces viséeséventuelsdu déclarant,ni lanature unilatéraleet sou-
veraine des actes de rédaction et de dépôt, ni le fait mêmed'insérer ou
non une réserve déterminée.mais l'intention manifestée Dar écrit en
forme solennelle dans l'instrument fait, déposé,enregistréet publié,y
compris toutes ses réserveset conditions, qui est la seule intention juri-
diquement pertinente portée à la connaissance des autres Etats, dont

l'Espagne.

227. Par exemple, dans l'affaire des Phosphates du Maroc, citéepar le
défendeur,dans laquelle les titres interprétés étaientdes déclarations, la
Cour permanente commence par affirmer que «la juridiction n'existeque
dans les termes ou elle a étéacceptée))(arrêt, 1938, C.P.J.I. sérieAIB
no74,p. 23-24).J'aidéjàparlédesarrêtsde la Cour dans l'affairede 1'Anglo-
Iranian Oil Co. et dans cellede la Mer Egée.Il est clair qu'en interprétant
des déclarationsrelevant du paragraphe 2 de l'article6du Statut la Cour

n'a pas manqué d'attacher une certaineimportance à l'intention du décla-
rant. Mais de quelle «intention» s'agit-il?Tout en citant laditejurispru-
dence, le présentarrêtarrive à une conclusion qui est pour moi inédite:
«la Cour n'a pas manqué de mettre l'accent sur l'intentionde I'Etat qui
déposeune telle déclaration» (paragraphe 48 de l'arrêt;les italiques sont
de moi). Cette affirmation est en fait un infléchissementde la jurispru-
dence dans la direction de l'interprétation subjective extrême,doctrine668 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

laquelleje ne peux me rallier ni de façon généralenidans le cadre du sys-
tèmede la clause facultative.
228. L'arrêtne laissed'ailleursaucun doute possible sur lefaitquel'«in-
tention du Canada)) qu'il interprète n'est pas celle qui est exprimée ou
objectivéedans la déclaration elle-même,mais une intention extrinsèque

à celle-cià savoir les motifs politiques qui auraient amenéle Canada à
faire etàdéposerla déclaration. Une réponsegénérale à cette question se
trouve dans un passage de l'arrêt dans l'affairedu Temple de Préah
Vihéav(exceptions préliminaires), à savoir:

celle [la Cour] doit interpréter la déclaration thaïlandaise de 1950
selon sesmériteset sans idée préconçueou à priori, pour déterminer
quels en sont le sens et l'effetvéritables, quand cette déclaration est
lue dans son ensemble et en tenant compte de son but connu, qui n'a
jamais fait de doute » (C.1J. Recueil 1961, p. 32).

Ce passage exprime parfaitement l'intention juridiquement pertinente
aux fins de l'interprétation d'une déclaration.Ce n'est pas la position
qu'adopte l'arrêt. Ajoutons que dans l'affaireduTemple de PréahVihéav
il n'était pas questionde réserves.Il s'agissait bel et bien de I'interpréta-
tion de la déclaration thaïlandaise dans son ensemble. Le but dont parle

cet arrêt, parexemple, est celuide la déclaration et non pas d'une réserve
quelconque. Par contre, le présentarrêt,après avoir affirmé l'unité dela
déclarationdu Canada, cherche toujours à rendre autonome I'interpréta-
tion de la réserve de l'alinéad) du paragraphe 2 de la déclaration. Le
résultat est une contradiction peu commune dans un arrêtde la Cour
entre les considérations générales dedépartet les applications pratiques
qui en sont faites ensuiteàl'interprétation de la réserve.

229. En ce qui concerne la preuve de l'intentionjuridiquement perti-
nente telle queje l'entends, c'est-à-direcellemanifestéeou objectivéedans
la déclaration, il est évident qu'ilfaut prendre en considération tous les
autres éléments interprétatifs qui sont présents,notamment le droit inter-
national dans la mesure où il est pertinent et lesmoyens complémentaires
d'interprétation relatifsà l'élaboration et au dépôt de la déclaration.
Mais je ne saurais tenir compte dans l'interprétation de la déclaration
d'une ((intention du Canada)) comme celle que l'arrêt retient pour inter-
préter laréservedont il s'agit.

Pour déterminerl'étenduedu consentementdu Canada à lajuridiction
obligatoire dans la présenteaffaire,la Cour n'a pas àinterpréterdes chi-
mères maisbel et bien la déclarationdu Canada du 10mai 1994,réserves
comprises. Accepter la thèse del'intention telle que l'arrêtl'entend équi-
vaudrait à mettre en danger l'ensemble du systèmede la clause faculta-
tive.
230. Des raisons élémentairesde sécurité juridique et d'ordre logique669 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

commandent, pour interpréter l'intention de 1'Etatauteur de la déclara-
tion, de partir du texte mêmede l'instrument où l'engagement esténoncé
et non pas de rechercher ab initio, pour ainsi dire, une intention psycho-
logique extérieureetinsaisissable qui seplacerait au-dessus de celleobjec-

tivéedans l'instrument objet de l'interprétation et prévaudrait sur cette
dernière.Or, c'estcequefait l'arrêt.Lepassage suivant de l'arrêtconfirme
bien l'interprétation subjective qui està la base de ses conclusions sur
l'interprétation dela réservecanadienne:

«[Sl'agissantd'uneréserve àune déclarationfaiteen vertu du para-
graphe 2 de l'article 36 du Statut,quiest exigéen toutpremier lieu
est qu'elle soit interprétée d'une manière compatibleavec l'effet
recherchépar I'Etat qui en est l'auteur.» (Paragraphe 52 de l'arrêt;
les italiques sont de moi.)

231. La Cour, les Etats dans deux conférencesde codification rela-
tives au droit des traités, la Commission du droit international et 1'Ins-
titut de droit international ont écarté l'interprétation ditesubiective des
instruments internationaux en adoptant un système objectif d'inter-
prétation, systèmequ'il ne faut pas confondre avec des interprétations
purement grammaticalesou littérales,mais qui adopte clairement comme
point de départ de l'interprétation le texte de l'instrument qui est pré-
sumé êtrel'expression authentique de l'intention de son ou de ses

auteurs.
232. Le droit international contemporain veille aussi, dans l'intérêdte
la sécuritéjuridique,à ce que ce systèmeobjectifd'interprétation necom-
porte pas seulement des méthodes. des canons et des maximes de libre
application par le juge ou des critères de simple logique formelle, mais
aussi un ensemble de règles de droit international que l'interprète est
tenu d'appliquer. L'opération interprétative estdevenue de nosjours une
opération authentiquement juridique du fait qu'elle est régie par le
droit international. L'arrêtest bien loin d'une telle conception de l'inter-
prétation. Il est en outre, à mon avis, en contradiction avec la juris-
prudenceinvoquée.C'estvraiment unepremièreaux conséquencesimpré-
visibles.

233. Il est évidentque dans le cas des déclarationsrelevant du système
de la clause facultative, il ne s'agit que de dégagerl'intention objectivée
dans l'instrument par 1'Etatdéclarant, tandis que dans le cas des traitésil
s'agit de dégagerde l'«intention commune)) des parties. Mais cela ne
changepas cequeje viens de dire. Au contraire, du fait qu'il ne s'agit que
d'un seul auteur, la méthode de l'interprétationobjective est particulière-
ment stricte, règlecontraproferentem ou pas, en matière d'interprétation
juridique des déclarations unilatérales.670 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS T.ORRES BERNARDEZ)

5. L'interprétationde bonnefoi de la déclaration du Canada,y compris
de la réservede son alinéad)

234. J'ai déjà eu l'occasion de souligner toute l'importance qu'ont
les principes de la bonne foi et de la confiance mutuelle dans les cir-

constances de la présente affaire. Mais je n'ai considéré, jusqu'ici, ces
principes qu'en rapport avec la question de la recevabilitéou de l'oppo-
sabilitéà l'Espagne de la réservede l'alinéad) du paragraphe 2 de la
déclaration canadienne. Il me reste maintenant à considérerle rôle de la
bonne foi en tant qu'élémentinterprétatif de cette déclaration.
235. Sur le plan des principes, les Parties sont d'accord pour dire que
la déclarationdu Canada doit être interprétée et appliquéede bonne foi.
Mais, si l'on se demande quelle est la fonction de la bonne foi dans le
processus d'interprétation de la déclaration canadienne, l'accord des
Parties n'est pas évidentdu tout. En fait, leurs divergences sur l'objet, les
règleset les méthodes d'interprétation prennent,ici aussi, le dessus.

236. Pour le Canada, la bonne foi dans l'interprétation de sa déclara-
tion commanderait de rechercher ce qu'il appelle l'«intention véritable))
(lire ((motifssubjectifs)))du Canada comme celui-ci l'affirmedans la pré-
sente procédure incidente.Pour l'Espagne, la bonne foi commanderait de
rechercher l'intention du Canada manifestéeou objectivéedans la décla-
ration lors de son dépôt.Cette divergence sur la fonction de la bonne foi
dans l'interprétation de la déclaration canadienne transparaît aussi, par
voie de conséquence,dans la présentation que lesParties ont faite du rôle
des règlesou des critèresinterprétatifs particulierscontrôléspar la bonne
foi, tels quel'effet utile et la règlecontraproferentem. Il faut donc avoir
présent à l'esprit que lorsque le Canada ou l'Espagne parle de la fonction
de la bonne foi, de l'effet utile ou de la règlecontra proferentem, ils ne

renvoient pas aux mêmesréalités juridiques. Par exemple, dans le cas de
l'effet utile, dont l'application est contrôlàela fois par la bonne foi et
par l'objet et le but de la déclaration, ce n'est évidemmentpas la même
chose de rechercher cet objet et ce but dans les prétendus motifssubjectifs
ou politiquesdu Canada que dans la déclaration qu'il a déposée le 10mai
1994.
237. Notre position sur la fonction de la bonne foi dans l'interpréta-
tion et l'application de la déclaration du Canada est celle que lui attri-
buent les règlesd'interprétation du droit international. C'est-à-dire une
fonction analogue à celle qu'elle exercedans l'interprétation des traités.
Ainsi, la bonne foi aurait pour fonction de contribuer àdégagerl'inten-
tion du Canada telle que celui-ci l'a expriméedans la déclaration qu'il a

lui-mêmerédigéef,aite et déposéeen toute liberté, car l'engagementjuri-
dictionnel assumépar le Canada vis-à-vis des autres Etats déclarants
ayant acceptéla mêmeobligation est celui qui se trouve dans la déclara-
tion et pas ailleurs.
238. Le Canada est seul responsable de la rédaction de la déclaration
qu'il a déposée en1994dans l'exercicede sa souveraineté.Dans ces cir-
constances,la bonne foi doitjouer un rôle fondamental dans l'interpréta- tion et dans l'application de la déclaration. Sinon, faàune requête d'un
Etat déclarant,1'Etatdéclarant défendeurpourrait toujours répondreque
son intention n'était pas,tout compte fait, celle qu'il a expriméedans sa
déclaration, mais des motifs subjectifs (politiques ou autres) qui pour-
raient d'ailleurs évoluerau fil des années.
239. Le rôle du principede la bonne foi dans l'interprétationdes décla-
rations unilatérales ne saurait êtremis en doute par personne. Il est
encore plus fondamental que pour l'interprétationdes traités,justement

parce que toute déclarationest le fait exclusifde 1'Etatdéclarant.C'estce
qu'énonce la jurisprudencede la Cour mêmedans les cas ou la déclara-
tion dont il s'agitne relèvepas du paragraphe 2 de l'article 36 du Statut,
mais du droit international général:
«[L]ecaractère obligatoire d'un engagement international assumé
par déclaration unilatéralerepose sur la bonne foi. Les Etats inté-

resséspeuvent donc tenir compte des déclarations unilatérales et
tabler sur elles;ils sont fondés à exiger que l'obligation ainsicréée
soit respectée.))(Essaisnucléaires(Australie c. France), arrêt,C.I.J.
Recueil 1974, p. 268, par. 46; Essais nucléaires(Nouvelle-Zélande
c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 473, par. 49; les italiques
sont de moi.)

L'arrêt du Il juin 1998de la Cour dans l'affairede la Frontière terrestre
et maritime entre le Camerounet le Nigéria(exceptions préliminaires),
où il est question de déclarations relevant du systèmede la clause facul-
tative, contient aussi une série deconsidérations sur le principe de la
bonne foi en rapport avec la question de savoir s'ilexiste une obligation
d'informer à l'avance de l'acceptation de la juridiction obligatoire de la
Cour et de l'intention de déposer unerequête.Dans ce contexte, la Cour
a observé:

«que le principe de la bonne foi est un principe bien établi dudroit
international. Il est énoncéau paragraphe 2 de l'article 2 de la
Charte des Nations Unies; il a aussi été incorporé à l'article26 de la
convention de Vienne sur le droit des traitésdu 23 mai 1969. Il a été
mentionné dès le début de ce siècledans la sentence arbitrale du
7 septembre 1910rendue en l'affairedes Pêcheries de la côte septen-
trionale de l'Atlantique (Nations Unies, Recueil des sentencesarbi-
trales,vol. XI, p. 188). Il a en outre été consacré dansplusieurs
arrêtsde la Cour...)) (C.I.J. Recueil 1998, p. 296, par. 38.)

La Cour note ensuite que «si le principe de la bonne foi «est l'un des
principes de base qui président à la créationet à l'exécution d'obligations
juridiques...il n'estpas en soi une sourced'obligation quand il n'en exis-
terait pas autrement)) ..»(ibid, p. 297,par. 39; lesitaliques sont de moi).
240. Or, dans la présente affaire, il existe une obligation spécifique
pour un Etat déclarant dansle cadre du systèmede la clause facultative
du Statut de la Cour non pas, certes, de souscrire à ladite clause, qui est672 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

un acte de souverainetéentièrementlibre et volontaire, mais de ne pas le
faire en cachant ses intentions véritables ou en biaisant sur la portéede
l'engagementjuridictionnel qu'il semble assumer à la lumièrede la teneur
de la déclaration. A mon avis, la chicane, pour employer la terminologie

des auteurs classiques, n'a pas sa place dans le systèmede la clause facul-
tative qui est un moyen de créationd'obligations juridictionnelles assu-
méespar 1'Etatdéclarantvis-à-vis des autres Etats déclarants.Ce facteur
semblerait pour l'arrêt apparemment dénué depertinence en ce qui
concernel'interprétation d'une réserve insérédeans une déclarationrele-
vant du systèmede la clause facultative.
241. En effet, à la lecture des motifs de l'arrêt, forceest de conclure
que la bonne foi ne joue aucun rôle comme élémentinterprétatif de la
déclarationdu Canada. Les paragraphes del'arrêc tonsacrésa ['interpré-
tation de la réservede l'alinéa d) ne mentionnent pas une seulefois la
bonnefoi. Par contre, l'arrêt écartela règlecontra proferentem aux fins

d'interpréter cetteréserve(paragraphe 51de l'arrêt),bien que celle-cifût
rédigée par le Gouvernement du Canada et qu'il faille appliquer le prin-
cipe de la bonne foiàl'interprétationdes déclarationsinternationalesuni-
latérales, principe qui ne saurait se réduireune simple règleaccessoire
de nature technique. L'arrêt écarte ensuitele principe généralde droit de
la présomption de régularitédes actes juridiques invoqué par le deman-
deur (paragraphes 53 à55 de l'arrêt)à savoir lajurisprudence de la Cour
dans l'affaire du Droit de passage sur territoire indien, où il est dit:

((C'est une règled'interprétationqu'un texte émanant d'un gou-
vernement doit, en principe, être interprétécomme produisant et
étantdestiné à produire des effets conformes et non pas contraires
au droit existant. » (C.. Recueil 1957, p. 142;les italiques sont de
moi.)

Les considérationspar lesquelles l'arrêt rejette cetterègled'interpréta-
tionillustrentparticulièrement bien l'esprit quiinspirel'ensembledespara-
graphes de l'arrêt concernant l'interprétationde la réservecanadienne.
Ces considérations font d'ailleurs une présentation inexacte des alléga-
tions du demandeur fondéessur la règled'interprétation en question.
242. L'Espagne n'a pas confondu, comme le prétend l'arrêt, « l'accep-
tation par un Etat de la juridiction de laCour» et «la compatibilité de
certains actes avec le droit international)) (par. 55). Le demandeur n'a
pas invoqué larègleen question aux fins de faire trancher par la Cour la

question de fond de la compatibilité ou non de certains comportements
du Canada à son égard avec le droit international. Pas du tout. L'Es-
pagne a invoquéla présomption de régularitédes actesjuridiques éma-
nant d'un gouvernement comme une règled'interprétationexclusivement,
compte tenu de la rédactiondonnéepar le Canada au texte de la réserve
de l'alinéad) du paragraphe 2 de sa déclaration.C'est aux finsd'une telle
interprétation que le demandeur invoque la règleconsacréepar la Cour
dans lajurisprudence de l'affaire du Droit de passage.673 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

243. Et pourquoi cette règle est-elle parfaitement applicable en
l'espèce?Parce qu'il estcontraire au principe de l'interprétationde bonne
foi des déclarations que les ambiguïtés, les obscurités ou lessilences du
texte d'une réserve,ou de n'importe quelle autre partie d'une déclaration,
puissent faire attribuer ce textepar interprétationun sens ou une portée

contraire au droit existant. C'est dans ces hypothèsesque la règlede la
présomption de régularitédes actes juridiques émanant d'un gouverne-
ment devient applicable dans l'interprétation. Or, ces hypothèses sont
bien présentesen l'espèce.D'où l'applicabilité dela règleinvoquéepar le
demandeur dans le présent incident préliminaire.
244. Pour l'arrêt,il y aurait des situations (ce qui aurait étéle cas,
semble-t-il, du Canada en 1994) - bien que le défendeurne l'ait ja-
mais reconnu - où un Etat qui veut faire une déclarationdanslecadre du
systèmede la clausefacultative pense qu'une réservequ'il souhaiteinsérer
dans sa déclarationsoulèveou pourrait soulever un problèmede confor-
mité avecle droit international (paragraphe 54 de l'arrêt).Ce que 1'Etat

déclarantest censéfaire, ànotre avis, dans ces situations, c'estd'êtrepar-
ticulièrementprudent et soigneux dans la rédactiondu texte de la réserve
en question, c'est-à-dire s'exprimer dans la déclaration d'une manière
conforme à une telle intention de sorte que la règlede la présomptionde
régularitédes actes juridiques n'ait pas l'occasion dedéployerses effets
s'ily a matière un jourà interprétation. Prétendrele contraire dérogeau
principe de l'interprétationde bonne foi. Mais la mauvaise foi d'un Etat
ne se présumepas mêmelorsqu'il s'agitde l'interprétation d'uneréserve
dans une déclarationrelevant du paragraphe 2de l'article 36du Statut de
la Cour. Il ne revient pasà l'interprète,en l'espèceà la Cour, de tenir
pour établi que laréserve de l'alinéd), ou que la déclaration canadienne

dans laquelle celle-cis'insère,puisse être interprétée aujourd'huciomme
si le Canada, lorsqu'il a fait sa déclaration, avaitvoulu lui faire produire
des effets contraires au droit international en vigueur.
245. Le ministrecanadien desaffairesétrangèresa d'ailleurs déclaré au
Sénat, lors del'examendu projet de loi C-29, que ladite loi «nous permet
d'agir,sur des bases solides de droit» (mémoirede l'Espagne, annexes,
vol. 1, annexe 16, p. 231; lesitaliques sont de moi). Le Canada n'a pas
admis non plus (malgréles considérations de l'arrêt),ni avant ni après
l'introduction de la présenteaffaire, avoir commis en marslavril 1995,
vis-à-visde l'Espagne,des actes contraires au droit international. En tout
cas, en l'espèce, mêmu ene interprétation de la réserve del'alinéa d)

fondéeexclusivement sur la ~ratiaue du Canada ~ostérieure à mai 1994
ne permettrait pas de conclure,dans le présent incident préliminaire,que
l'auteur voulait que la réserveproduisît dèsle débutdes effets contraires
au droit existant.

246. Il ne s'agit ni du consentement à la juridiction, ni de la liberté
d'insérerdes réservesdans les déclarations,mais bel et bien de l'interpré-
tation de bonne foi des réserves insérée dsans des déclarationsdéposées
par les Etats déclarants. Jeme dissocie donc tout àfait de la thèsegéné-674 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

rale de l'arrêt d'aprèslaquelle la licéité neconstitue pas un élémentde
référence éventueplour l'interprétation desambiguïtés,des obscuritésou
des silences d'une déclaration, y compris des réservesqu'elle pourrait
contenir. Cela dit, je ne saurais faire prévaloir une acceptation générale

de la juridiction de la Cour sur une réserveni vice versa. L'auteur de la
présenteopinion croit fermement à l'intégritetà l'unitédes déclarations.
Je n'oppose pas la déclaration à la réserveni la réserveà la déclaration.
Ce procédéest celui de l'arrêt, pasle mien.

6. Le sens ordinaire des termes de la réserve de l'alinéd a) dans leur
contexte et à la lumière de l'objet et du but de la déclaration du
Canada

247. Le texte de l'ensemble du paragraphe 2 de la déclaration du
Canada du 10mai 1994est reproduit au paragraphe 214 ci-dessus. Nous

pouvons maintenant l'examiner et apprécier les termes de la réservede
l'alinéad) dans le contextede l'obligationjuridictionnelle acceptéepar le
déclarant dans ledit paragraphe 2.
248. La déclaration déposéepar le Canada est un instrument qui
relèvedu droit international. En outre, elle n'incorpore pas la législation
et les règlements canadiens dans son texte. Par exemple, la réserve de
l'alinéad) du paragraphe 2 parle de ((mesures de gestion et de conserva-
tion» adoptéespar le Canada pour les bateaux pêchant dansune zone de
la haute mer définiedans la déclarationpar renvoi àun traité internatio-
nal et de l'exécution detellesmesures sans plus, mais ellene renvoie point
à aucune loi nià aucun règlementcanadien particulier pour une fin quel-
conque. Elle ne mentionne que des mesures de gestionet de conservation

adoptées etexécutées par le Canada dans une zone de la haute mer défi-
nie par un traité international.
249. Il est évident quele Canada, comme tout autre Etat, peut adopter
des mesures dans son ordre juridique interne ainsi que dans l'ordre juri-
dique international. Et il est aussi évidentque l'ordre juridique interne
d'un pays déterminéne se confond pas avec l'ordre juridique internatio-
nal ni par ses sources ni par ses destinataires. En tout cas, il découle de
l'économie généraldee la déclaration que celle-cine concerneque des dif-
férends éventuelsentre le Canada et d'autres Etats déclarants dans le
cadre du systèmedela clause facultative,c'est-à-dire desdifférends inter-
nationaux et pourtant des différendsoù il est question du droit interna-

tional et non pas de l'ordre juridique interne du Canada.
250. Pour lejuge international, comme une jurisprudence bien établie
de la Cour le confirme, la législationet les autres mesures internes du
Canada ne sont que des faits. Ces faits peuvent être générateurs d'un dif-
férendinternational certes, mais ils ne sont pas ex definitione le droit
applicable au règlement du différendinternational en question. Ce der-
nier est le droit international, y compris en ce qui concerne l'interpréta-
tion de titres juridictionnels et des expressions et termes qui y figurent,
sauf indication contraire dans le titre juridictionnel lui-même.675 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

251. Or, si l'on se place comme il se doit sur le plan international, le
langage de la réservede l'alinéad),du paragraphe 2 de la déclarationn'a
de sens que pour autant que son interprétationest établieen fonction des
catégorieset des termes du droit international. Si au contraire, comme le
faisaient certaines interprétations canadiennes, des expressions telles que
((mesures de gestion et de conservation adoptées par le Canada)) sont
interprétées sans faire intervenirle droit international, le texte de la réserve
devient contradictoire, à savoir un véritable oxymoron comme il a été
souligné à juste titre par certains conseils de l'Espagne lors de la phase

orale.
Pourquoi? Parce que les mesures de la réserve visentune zone mari-
time qui fait partie de la haute mer et des bateaux s'ytrouvant qui peu-
vent battre le pavillon d'autres Etats. Or, siun Etat, y compris le Canada,
qualifie dans un instrument international des mesures adoptées par
lui pour la haute mer de ((mesures de gestion et de conservation)), les
mesures en question doivent être de véritables ((mesures de gestion
et de conservation)) au regard du droit international relatif à la haute
mer. Autrement, elles seraient toujours, certes, des ((mesuresadoptées
par le Canada)), mais non pas des ((mesures de gestion et de conservation
adoptéespar le Canada» comme il est dit dans la réserve.Dans l'inter-
prétation des instruments internationaux l'abus de langage, comme
l'abus de droit, n'est jamais présumé.La bonne foi est bien présente

ici, car les déclarations créentdes attentes légitimeschez lesautres Etats
déclarants.

252. Dans le cas d'espèce, ilarrive aussi que ((déclarationcanadienne))
et ((législationcanadienne»ne renvoient pas, il s'enfaut, aux mêmesréa-
litésjuridiques ou matérielles.Il y a coïncidence en ce qui concerne la
délimitation ((géographique))de la réserve (zonede réglementation de
I'OPANO), mais non pas lorsqu'il s'agit d'autres élémentsdélimitant la
réserve du point de vue dit «fonctionnel» selon la terminologie du
contre-mémoiredu Canada. La déclaration, par exemple, ne mentionne
pas les stocks chevauchants comme le fait la législationcanadienne.
En outre, la législationet les règlementscanadiens donnent des défini-

tions (en fait plus d'une) de l'expression«mesures de gestion et de conser-
vation», tandis que le texte de la réservene le fait pas, ni expressémentni
par renvoi. La réserveutilise les mots «et l'exécution detelles mesures»
sans plus. Il n'y estpas question de « mesures d'exécution)).Par contre la
législationet les règlements canadiens distinguent «loi », ((règlements»,
«mesures» et «moyens». D'autre part, l'usage dela force, lesmoyens dits
moins violents et les autres moyens de la législationet des règlements
canadiens ne font pas partie de leurs définitionsde ((mesuresde gestion et
de conservation». Ils sont prévusdans des dispositions distinctes de celles
qui définissentles mesures en question. 676 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS T.ORRES BERNARDEZ)

253. Dans la législationcanadienne, il est aussi question d'une pour-
suiteentaméealors que le bateau de pêcheétrangerse trouve dans la zone
de réglementation de lYOPANO,mais la réservede la déclaration ne
contient pas la moindre référence à des poursuites dans ladite zone, ni
dans aucune autre zone de la haute mer. Notons à ce propos que le droit

international distinguenettement entre l'institution du droit de poursuite
de navires étrangers - qu'il ne reconnaît pas lorsque le navire se trouve
en haute mer lors du commencement de la poursuite - et le régimede
gestion et de conservation des ressources biologiques de la haute mer.
254. La législationcanadienne s'occupe également del'application du
droit pénal canadien à des faits commis dans la zone de réglementation
de 1'OPANO par des personnes à bord ou au moyen d'un bateau de
pêcheétranger, tandis que la réservene souffle pas un mot d'une quel-
conque application du droit pénal canadien. Notons aussi, à ce propos,

qu'en droit international généralles infractions à la réglementation en
matière de pêcheexposent plutôt leur auteur à des mesures administra-
tives. Elles ne sont pas traitéesen tout cas comme des actes ou omissions
relevant du droit pénal.
255. Il est évidentqu'un Etat déclarant peut exclure par des réserves
dans sa déclaration acceptant la juridiction obligatoire de la Cour toute
classe de matières indépendamment du fait qu'elles font ou ne font pas
l'objet de lois ou de règlements nationaux ou, lorsque ces règlements
existent, de la teneur ou de la portéede ces dispositions internes. Mais,
la question pour la Cour n'est pas ce que le Canada aurait pu exclure par

une réservedans sa déclaration lorsqu'il l'arédigéem , ais ce qu'il a effec-
tivement exclulorsqu'il l'adéposée auprèsdu Secrétairegénérad le l'Orga-
nisation des Nations Unies.
Il y a cependant une coïncidence très révélatrice pourla présente
affaire entre le langage de l'alind) duparagraphe2 de la déclarationdu
Canada de 1994 et celui de la législationet de la réglementationcana-
diennes: ni l'uneni l'autre ne s'occupentdu titre international du Canada
pour exercer une juridiction en haute mer sur des navires battant le
pavillon d'un autre Etat.

256. En effet, la législation et la réglementation canadiennes sont
muettes sur le titre de droit international qu'aurait le Canada pour exer-
cer sa juridiction étatique sur des bateaux battant le pavillon d'un autre
Etat dans la zone de réglementationde I'OPANO ou dans une autre par-
tie quelconque de la haute mer; mêmepas en termes de droits invoqués,
prétendus ouexercés defacto par le Canada en haute mer comme dans sa
déclaration de 1970(voir paragraphes 288 à 293 de la présenteopinion).

Sur le titre international du Canada, le silence aux deux niveaux -
réserveet droit canadien - est donc total.
257. En 1994,le ministreTobin a parléau Sénatde «la capacitéquele
Canada s'est donnée au niveau national d'intervenir à l'extérieur delazone économiquede 200 milles))(mémoirede l'Espagne, annexes, vol. 1,
annexe 16,p. 231 ; les italiques sont de moi). Or, la requêtede l'Espagne
a pour objet la capacité d'agir du Canada au niveau international en
haute mer à l'égardde bateaux espagnols.Pour cet aspect des choses, le
ministre Tobin expliqua que les pouvoirs vastes et élargisdépassant la
limite de 200 milles que le Canada s'était donnésau niveau national
l'étaientexpressément à des fins de conservation, que le Canada allait
essayer de réglerle problèmede la surpêchepar voie d'entente dans toute
la mesure du possible et mentionna la coopération au sein de l'OPAN0,
mais il ajouta que le Canada allait ((intervenir de façon unilatérale)),
quoique en tout dernier recours, et qu'il «n'a[vait] demandé l'autorisa-
tion de personne))pour adopter la nouvelle législation (ibid.,p. 231-232).
A ce sujet, les propos du ministre ont étéles suivants:

«Ni le Parlement ni le Gouvernementdu Canada n'ont demandé à
d'autres pays la permission de promulguer ce projet de loi. Nous
n'avons pas l'intention de demander l'autorisation de chaque pays.
Si l'avenir de ces ressources, non seulement pour le Canada mais
pour le monde entier, dépendait du consentement unanime de tous
lespays du monde, je crainsque cette mesure ne voiejamais lejour. »

(Zbid.,p. 232.)
Il est donc évidentque le Canada s'est doté de pouvoirs internes pour
agir en haute mer sans se soucier d'un titre international quelconquepour
cefaire. Il avance des «justifications» éventuellesdesonintervention uni-
latéraleen haute mer fondéessur des doctrines comme cellede la (néces-
sité», de l'«urgence», voire des ((intérêts vitaux))du Canada, mais pas

des «titres internationaux)) servant de fondement aux comportements en
haute mer envisagéspar sa législationnationale. Or, ces prétenduesjus-
tifications relèventdu fond de la présente affaire et non de la phase inci-
dente actuelle.Il s'agit de questions sans rapport avec l'interprétation de
la déclaration du Canada du 10mai 1994.
258. En fait, le Canada a agi à titre de souverain même s'iél taitques-
tion de la haute mer et, de ce fait, a pris des risques qu'il pensait pouvoir
éviterpar la voie diplomatique ou par un certain laisser-faire des autres
Etats. Son assurancenationaliste était telle qu'il n'amêmepas cru néces-
saire de rédiger sa nouvelledéclarationdu 10mai 1994 en tenant dûment
compte du régimeinternational de la haute mer. Ce régime neconcerne
pas seulement les poissons, la conservation ou la gestion de ressources
biologiques. Il est beaucoup plus vaste ce régimede la haute mer! Et tous

les Etats du monde y ont un intérêt juridique etont leur mot à direà ce
propos, pas seulement le Gouvernement du Canada. Il aurait pu exclure
par une réservedans sa déclarationle régimede la haute mer, mais il ne
l'a pas fait. Toute la question est là.

Or, comme je l'ai exposéau chapitre III de la présenteopinion, l'objet
du différenddevant la Cour est justement le titre ou le défautde titre de
droit international du Canada pour agir comme il l'a fait, et pourraitencore le faire à l'avenir (la loi modifiéedu 12 mai 1994est toujours en
vigueur) vis-à-vis des navires battant pavillon espagnol se trouvant en
haute mer.

259. L'arrêt mentionnele contexte comme un critère d'interprétation
et proclame l'unité de la déclaration canadienne, mais sur le plan pra-
tique il n'en tire aucune conclusion pour l'interprétation de la réserve
sauf pour faire prévaloircelle-ci sur la déclaration dans son ensemble. Je
l'ai déjàdit, l'analyse que l'arrêt faitde la réservede l'alinéa) aux fins
de son interprétation est justement le contraire de l'unité proclamée,
car l'arrêts'efforce de sortir la réservede son contexte. Pour l'arrêt le

contexte de la réserven'est pas la déclaration (voir paragraphe 197de la
présenteopinion). En fait pour l'arrêt laseule réalitéjuridique à consi-
dérer dans le présent incident préliminaire n'estque la réserveet ses cir-
constances.Or, la réserve n'est pasl'instrumentjuridictionnel en cause. Il
n'y a pas des ((déclarations))de non-compétence.Il y a des déclarations
comprenant des réserves,ce qui est une chose très différente, auxfins de
l'interprétation. En fait, sans l'avouer explicitement, l'arrêtremplace le
contexte de la réservede l'alinéad) par les circonstances entourant le
dépôtde la déclaration canadienne, c'est-à-dire par des moyens complé-
mentairesd'interprétation! Mais, quoi que l'arrêtfasse, il va de soi que le
texte du paragraphe 2 de la déclaration du Canada, tout comme la décla-
ration dans son ensemble, fait aussi fonction de contexte pour l'interpré-
tation de dispositions, réserves,conditions, phrases, expressions ou ter-
mes particuliers qui figurent dans ce paragraphe, y compris dans la

réservede l'alinéad).

260. Mais, par ailleurs, le droit international nous dit aussi que pour
interpréter un instrument international le texte de l'instrument en cause
n'est pas nécessairementle seulcontexte possible dont ilfaut tenir compte.
Il peut arriver, et c'est souvent le cas, qu'il existe des instruments ou
d'autres éléments extérieura su texte de l'instrument objet de l'interpréta-
tion qui, aux fins de l'opération juridique de l'interprétation, doivent être
pris en considérationpar l'interprèteen tant que contexte.
La question se pose donc de savoir si, aux fins de l'interprétationde la
déclaration canadienne du 10mai 1994,il y a des instruments ou des élé-
ments extérieurs à la déclaration pouvant faire fonction de contexte lors

de son interprétation. Disons tout d'abord que la déclaration n'a fait
l'objet d'aucun débat préalable aux chambres. En tout cas, la Cour n'a
pas été informéd eu contraire.Il n'y a pas eu de loi ou d'acte de ratifica-
tion de la déclaration canadienne porté à la connaissance de la Cour, ni
de compte rendu formel relatif au dépôt ou à la remise de la déclaration
au Secrétaire général dle'Organisation des Nations Unies. Il va sans dire que le Gouvernement du Canada a élaboré,rédigém , is
en forme définitive,approuvé et déposé la déclaration du 10mai 1994en
vertu des pouvoirs qui sont les siens dans le cadre du systèmeconstitu-
tionnel canadien. Mais, s'agissant d'une interprétation selon le droit
international, la méthode que ce gouvernement a suivie fait qu'il n'existe
aucun instrument ou élémentextérieur à la déclaration pouvant faire
fonction aujourd'hui de contexte aux fins de l'interprétation de la décla-
ration canadienne par la Cour. La situation est donc bien différente de
celles qui existaient lors de l'interprétation par la Cour de la déclaration
de l'Iran dans l'affaire de l'dnglo-Iranian Oil Co. ou de la réservede la
Grèce dans l'affaire du Plateau continental de la mer Egée.

261. Quant à la réserve de l'alinéac) du paragraphe 2 de la déclara-
tion, elle est l'exempletypique de réserve objectivede compétencenatio-
nale. Elle pourrait avoir une incidence sur l'interprétationde la réservede

l'alinéad) comme ce fut le cas dans l'affaire du Plateau continental de la
mer Egée surtout dans la mesure où l'on voudrait définir l'expression
((mesures de gestion et de conservation» en excluant le droit internatio-
nal en la matière.Par contre, si la déclaration canadienne relèvedu droit
international comme c'est le cas, la réservede l'alinéad) de son para-
graphe 2 doit être,elle aussi, interprétée conformémentau droit interna-
tional. La position du défendeur surces questions fut loin d'êtreclaire.
En fait le défendeur n'arien dit sur la réservede l'alinéac) ni sur le rap-
port éventuelentre celle-ciet la réservede l'alinéa en tant que contexte
de cette dernière. Pour sa part, l'arrêtest muet sur cet aspect des choses
bien que le demandeur invoque dans l'affaire une règlede compétence
exclusive en ce qui concerne ses navires en haute mer. Pas de réponse
donc dans l'arrêt à toutes ces questions.

262. Il ne resteàexaminer que les autres élémentsextérieur sla décla-
ration dont il faudrait éventuellementtenir compte en mêmetemps que
le contexte. Il s'agit d'éléments extérieurs l'instrument interprété qui,
tout en n'étantni «texte» ni «contexte», doivent cependant êtrepris en
ligne de compte par l'interprète dans le processus interprétatif en même

temps que le contexte. Je parle de ces élémentsinterprétatifs que cer-
tains auteurs de langue anglaise appellent, au risque d'introduire des
ambiguïtés juridiques, «wide context)), concept qu'il faut se garder de
confondre ou de mélanger aveccelui de ((moyenscomplémentairesd'in-
terprétation)) (travaux préparatoires; circonstances de conclusion ou
d'élaboration).
Ces éléments extérieurd sont il faudrait éventuellementtenir compte en
mêmetemps que le contexte sont constitués par des instruments et despratiques ultérieurs à l'adoption de l'instrument interprétéet relatifs à
son interprétation ou à son application, ainsi que par toute règleperti-
nente de droit international qui est applicable entre les parties.
263. Dans le cas d'espèce,le Canada n'a pas fait application, avant
l'introduction de la requête de l'Espagne,du droit qu'il s'est réservéau
paragraphe 3 de sa déclaration de compléter, modifierou retirer les ré-
serves formuléesdans sa déclarationdu 10mai 1994. 11n'a wasnon wlus
formuléd'autres réservesni fait aucune notijication à l'égardde l'inter-

prétationou de l'application desréservesfigurant dans ladite déclaration.
Il n'y a donc aucune notification de ce type du Canada dont il faudrait
tenir compte aux finsde l'interprétationde la déclarationdu 10mai 1994.
Il en est de même ence qui concerne la pratique ultérieureau sujet de
l'interprétation ou de l'application de la déclarationdu 10mai 1994.Le
wrésentdifférendest la wremièreaffaire devant la Cour où la déclaration
canadienne du 10mai 1994est invoquée comme base de la compétence de
la Cour.
264. Il ne reste donc que les règlespertinentes de droit international
applicables dans les relations entre les Parties.ce propos, je pense tout
d'abord que la déclaration du Canada, qui est un instrument interna-
tional destiné, de par son objet et son but, à produire certains effets
dans les relations internationales, doit êtreen général interprétée e atp-
pliquée en conformité avec le droit international positif que la Cour

applique. Mais il se peut aussi, étant donnécertaines formules employées
dans le texte de la déclaration, que le droit international soit appelé à
intervenir dans le processus interprétatàfdes finsbeaucoup plus précises
et concrètes.

265. J'ai mentionné la fonctionimportante qu'ont l'objet etlebut dans
l'interprétationdes déclarationsrelevant du système de la clausefaculta-
tive.11s'agit évidemmentde l'objet et dubut de la déclaration entant que
telle. Dans l'interprétation dela déclaration du Canada, il ne faut donc
pas confondre, comme le fait le présentarrêt,cet élémenitnterprétatif(ni
la règlede l'effet utile) avec le propos ou l'intention de'Etatdéclarant
concernant une disposition, une condition ou une réservedéterminée

inséréedans la déclaration.
En fait, l'arrêtne parle que de l'effetutile de la réservede l'alinéa d) et
négligetout à fait lerôle de l'objet et du but de la déclarationdans l'inter-
prétation de ladite réserve. Mieux encore, l'«effet utile)) de la réserve
devient vite dans l'arrêtl'«effet recherché))ou l'«effet voulu)) de la
réserve(paragraphes 52et 71 de l'arrêt).Une fois encore, le but de I'inter-
prétation serait de ne pas priver la réserve de l'effet «recherché» ou
«voulu» par la prétendue((intention sous-jacente» de 1'Etatdéclarantou
par ses motifs. Les références à l'effet utile ne sont donc qu'un autre
mirage.7. Le rôle du droit international dans l'interprétationde la réservede
l'alinéad) de la déclaration du Canada

266. Dans le domaine de l'interprétation d'un instrument juridique
international déterminé,le droit international a beaucoup à dire, même

lorsqu'il s'agitd'un titrejuridictionnel comme c'est le cas avec la déclara-
tion du Canada de 1994.Ledroitinternational a un rôle à jouer dans l'inter-
prétation des déclarations tant en ce qui concerne les mots et expres-
sions utilisésdans le texte qu'en ce qui concerne les silences du texte.
Les Etats déclarantseux-mêmesemploient normalement des termes et
des expressions de droit international dans la rédaction de leurs déclara-
tions. L'arrêt dela Mer Egéeen est un bon exemple. Il a étéd'ailleurs
invoqué par les deux Parties dans le présent incident préliminaire.
267. Cela dit, rappelons que ((toute règlepertinente de droit interna-
tional applicable dans les relations entre les parties)) est un des éléments
interprétatifs qui sont intégrésdans la règlegénéraled'interprétation de

la conventionde Vienne de 1969(alinéac) du paragraphe 3 de l'article 31
de la convention) et que la réservede l'alinéac) du paragraphe 2 de la
déclaration du Canada de 1994exclut de la juridiction obligatoire de la
Cour acceptéepar ce pays: «les différendsrelatifs à des questions qui,
d'après le droit international,relèvent exclusivementde la juridiction du
Canada)) (les italiques sont de moi).
268. Il découlede ce qui précède - dans la mesure où le défendeur
soutiendrait, directement ou indirectement, que les différends relatifsà
des mesures adoptées par le Canada pour des bateaux pêchant dans la
zone de réglementation de I'OPANO sont des différendsqui, pour une
raison ou une autre, relèventexclusivement de la juridiction du Canada

- que la réservede l'alinéac) du paragraphe 2 de la déclarationdevien-
drait pleinement opérante dans la présenteprocédure incidente prélimi-
naire. A ce stade, il faudrait aller voir ceque le droit international are
en la matière de façon à tirer les conséquencesqui en découlent pour
l'interprétationde la réservede l'alinéad) du paragraphe 2. Car, comme
la Cour permanente l'a déclaré:

«il suffit de remarquer qu'il se peut trèsbien que, dans une matière
qui, comme cellede la nationalité,n'estpas, en principe, régléepar le
droit international, la liberté de 1'Etat de disposer à son grésoit
néanmoins restreinte par des engagements qu'il aurait pris envers
d'autres Etats. En ce cas, la compétence de l'Etat, exclusiveen prin-
cipe, setrouve limitéepar desrèglesdedroit international ..»(Décrets
de nationalité promulguésen Tunisie et au Maroc, avis consultatiJ;
1923, C.P.J.I. sérieB no4, p. 24.)

269. Mais, en fait, lors de la phase orale du présentincident, le Canada
n'est pas allési loin. Pour rejeter des arguments espagnols relatifs aux
interprétations de la réservede l'alinéad) automatiques ou laissées à la
seule appréciation de leurs auteurs, les conseils du Canada ont fait plu-
sieurs fois des déclarationsde ce genre:682 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

«Nous n'avons jamais laisséentendre que quoi que ce soit qui
serait unilatéralement définipar le Canada ou la législationcana-
dienne comme une mesure de conservation et de gestion deviendrait

ipsofacto une mesure de conservation et de gestion aux fins de la
réserve.Nous n'avons pas inclus, dans le texte de la réserve,les mots
«de l'avisdu Canada» ou «au sens de la législationcanadienne ».Et
nous n'avons jamais donné à entendre que la réservedevait être
interprétéecomme si ces mots y figuraient.» (CR 98/14, p. 39.)
«Le Canada ne dit pas «il s'agit de mesuresde conservation et de
gestion parce que nous le disons». Nous ne définissonspas «les

mesures de conservation et de gestion» par simple renvoi à la loi
canadienne. Nous admettons volontiers que la Cour a le pouvoir de
décidersi lesmesures canadiennessont des mesures de conservation
et de gestion- au regard de la pratique générale.Et nous pouvons
aussi admettre que la Cour a le pouvoir de dire si les mesures d'exé-
cution canadiennessont des mesures d'«exécution» - égalementau
regard de la pratique générale. (CR 98/14, p. 11 .)

Ces déclarations canadiennes sont autant d'aveux implicites du défen-
deur que le droit international et la pratique internationaleont un rôle
important à jouer dans l'interprétation dela réservede l'alinéad) du para-
graphe 2 de la déclaration du Canada. Ils valent aussi reconnaissancedu

fait que la réserve est une réservequi demandeà être interprétéaevant de
pouvoir être appliquée.En d'autres termes, on est bien loin de la maxime
du «sens clair»de Vattel. Or, s'ilfaut interpréter laréservede la déclara-
tion, il faut le faire dans le cadre du droit international et conformément
à celui-ci. Dans le cas d'espèce,ce droit international est le droit interna-
tional généracloncernant l'interprétation d'instruments internationaux et
celui fixant le régimejuridique de la haute mer, y compris en ce qui
concerne la conservation et la gestion des ressources biologiques dans cet
espace maritime.
Il y a en effet, dans la réserved) de la déclaration canadienne, des

termes, des expressions et des silences qui, comme nous allons le voir,
exigent de l'interprètele recours au droit international pour êtremême
d'établir,par interprétation, leur sens et leur portée véritablesdans la
réserve.
270. La Cour a dû interpréterdes termes d'instruments internationaux
à la lumière du droit international à plusieurs reprises. Citons, comme
exemples, l'interprétation du mot «différend» dans l'affairerelative aux
Droits des ressortissants desEtats-Unis d'Amériqueau Maroc (1952),du
terme ((mission sacréede civilisation))dans les affaires du Sud-Ouest

Afvicain (1962, 1966)et du terme ((statut territorial)) dans la réserveb)
de l'instrument d'adhésion de la Grèce à l'Acte généralde 1928 dans
l'affaire duPlateau continental de la mer Egée(1978). Le recours par les
tribunaux arbitraux au droit international pour interpréter des instru-
ments internationaux est trèsfréquentaussi et depuis fort longtemps.Par
exemple, en 1919,dans l'affaire desNorth Atlantic Coast Fishevies,le tri-683 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS.TORRES BERNARDEZ)

bunal arbitral interpréta le mot«bays)) d'un traitéde 1818eu égard au
droit international de la mer au moment de la conclusion du traité.
271. Dans l'affaire de la Délimitationmaritime clansla régionsituée
entre le Groenlandet Jan Mayen (1993),la Cour a interprété l'accordde
1965entre le Danemark et la Norvège«dans son contexte, àla lumière de
son objet et de son but »en commençant par rappeler à cet égard ladéfi-

nition du ((plateau continental)) donnée par la convention de Genève de
1958 sur le plateau continental (C.I.J.Recuei1 1993, p. 50, par. 27). Le
droit international est bien présentdans le traitement par la Cour d'autres
questions d'interprétation considéréesdans cet arrêt. Parexemple,à pro-
pos de la question des rapports entre la délimitation du plateau continen-
tal et des zones de pêchedes parties. A cet égard, l'arrêt mentionnele
concept de zone économique exclusive«telle que proclamée par de nom-
breux Etats et définie l'article55de la convention des Nations Unies sur
le droit de la mer de1982))(ibid., p. 59, par. 47).'
272. Quel est le sens de l'expression ((mesuresde gestion et de conser-
vation)) dans le droit international généralen vigueur en 1994 et

aujourd'hui? Pour répondre d'une façon sommaire,mais suffisante dans
le présent contexte,il faut se tourner vers le nouvel ordrejuridique de la
mer que les Etats se sont donnéeux-mêmes à partir de la troisième confé-
rence des Nations Unies sur le droit de la mer et de la conclusion de la
convention des Nations Unies sur le droit de la mer du 10décembre1982.
C'estdans cetteconventionque lesnormes générales concernant la ges-
tion et la conservation des ressources biologiques de laute mer se sont
cristallisées. Lajurisprudence de la Cour a confirmà plusieurs reprises,
et dans des contextes différents, que d'une manière généralela conven-
tion de 1982reflètela pratique des Etats dans lesrelations internationales
contemporaines relatives au droit de la mer, ainsi que leur opiniojuràs
cet égard.

273. Les dispositionsqui traitent de ces mesures sont les articles à16
120de la convention. Il faut y ajouter, pour ce qui est des stocks chevau-
chants, l'article 63 de la convention. L'obligation généraleétabliepar la
convention impose à chaque Etat, d'une part, de prendreà l'égardde ses
ressortissants des mesures pour assurer la conservation des ressources
biologiques de la haute mer et, d'autre part, de coopéreravec les autres
Etats à la prise de telles mesure en haute mer (art. 117).Cette obligation
est développéepar la suite dans les articles 118, 119et 120. Pour ce qui
est de stocks chevauchants, le paragraphe 2 de l'article 63 dispose que:

«l'Etat côtier et les Etats qui exploitent ces stocks dans le secteur
adjacent s'efforcent, directement ou par l'intermédiaire des organi-
sations sous-régionalesou régionalesappropriées,de s'entendre sur
lesmesures nécessairesà la conservationde ces stocksdans le secteur
adjacent».

Aucune disposition de la convention de 1982n'autorise un Etat, côtier
ou non, à exercer sajuridiction sur un navire battant pavillon d'un autre
Etat en haute mer ou à l'arraisonner par l'emploide la force sans l'auto-684 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

risation de 1'Etatdu pavillon, aux fins de la gestion ou la conservation
des ressources biologiques de la haute mer. Ces finalitésne dérogent pas
en droit international général à la juridiction de 1'Etat du pavillon.
Comme il est dit au paragraphe 1de l'article 92 de la convention de 1982:

((Lesnavires naviguent sous le pavillon d'un seul Etat et sont sou-
mis, sauf dans les cas exceptionnels expressémentprévuspar des
traités internationauxoupar la convention, à sajuridiction exclusive
en haute mer ..» (Les italiques sont de moi.)

274. La réserve del'alinéad) de la déclarationdu Canada ne concerne
pas toutes les mesures possibles et imaginables, mais une seule catégorie
de mesures, à savoir les ((mesuresde gestion et de conservation))adoptées
par le Canada pour les bateaux pêchant dans la zone de réglementation

de 1'OPANOet l'exécutionde tellesmesures. On touche ici une limitation
de la réserve - voulue expressémentpar 1'Etat déclarant - qui a une
grande importance pour apprécier la portée du consentement que le
Canada a expriméen 1994dans sa déclaration d'acceptation de lajuridic-
tion obligatoire de la Cour.
275. Le Canada aurait pu formuler sa réserveen parlant tout simple-
ment des ((mesuresadoptées par le Canada...)) Mais il ne l'a pas fait. La
question de savoir pourquoi il ne l'a pas fait est en dehors de la tâche
interprétative qui revient la Cour dans la présenteprocédure incidente.
C'est une question qui entre dans le domaine des motifs politiques ou

autres du Canada lorsqu'il a formulé etdéposéla déclaration du 10mai
1994.La Cour n'a pas à déterminer ou à juger les motifs d'un Etat sou-
verain lorsqu'il fait une déclaration conformémentau paragraphe 2 de
l'article6 du Statut. Sa tâche consiste à apprécier la portée du consen-
tement de I'Etat manifestédans la déclarationen question de façon àêtre
à mêmede lui donner son effet.
276. Quoi qu'il en soit, il serait incompatible avec les règlesd'interpré-
tation généralement acceptées en droit international d'admettre que les
mots «de gestion et de conservation» qui qualifient le terme «mesures»

dans la réservepuissent êtreconsidéréscomme dépourvus detout but ou
de tout effet. A coup sûr,'Etatdéclarant à voulu dire quelque chose avec
les mots ((degestion et de conservation» et ce qu'il a voulu diàece pro-
pos fait aussi partie, dès ce moment-là, des élémentsqui définissentla
portée de laréservede l'alinéad) et, en conséquence,du consentementdu
Canada àla juridiction obligatoire de la Cour.
277. Ainsi, pour pouvoir déterminer le champ d'application de la
réservede l'alinéad), la Cour est appeléeà interpréterle sens de l'expres-
sion ((mesuresde gestion et de conservation» dans la réserve dela décla-
ration canadienne. Elle doit le faire d'autant plus que les Parties sont en

désaccord sur le sens de cette exmession dans cette réserve. C'est une
situation qui se produit très souvent dans des procéduresjuridictionnelles
incidentes relatives aux déclarations. Et comment la Cour doit-elle le685 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

faire? La réponsepour moi ne saurait être que,en l'absenced'unedéjïni-
tion - directe ou indirecte- dans la déclaration du Canada des «me-
sures de gestion et de conservation)) de sa réserve de l'alinéad) lui don-
nant un sensparticulier, l'interprètene peut que l'interprétàrla lumière
de son sens ordinairedans le droit international général.
278. Que l'interprète se tourne ou non vers le droit international
dépend toujours, en dernièreanalyse, de l'intention manifestée,expressé-

ment ou par implication nécessaire,par Sauteur ou les auteurs de l'ins-
trument interprété ou appliqué, caren tant que maître(s) de l'instrument
en question il(s) aurai(en)t pu donner au termejuridique en cause un sens
différentdecelui qu'il possèdeen droit international général, c'est-à-dire
un sensparticulier. Mais, il faut qu'ils aient donnéeffectivement au terme
juridique en cause un tel sens. Le Canada ne l'a pas fait pour ce qui est
des ((mesures de gestion et de conservation)) de la réserve de l'alinéa)
du paragraphe 2 de sa déclaration de 1994.
Lerecours au droit international estfréquent dans l'interprétation d'ins-
truments iuridiaues internationaux unilatéraux ou conventionnels. Cela
arrive trèssouvent mêmelorsqu'il s'agitd'interpréterdes termes employés
pour décrire certains concepts ou notions de base formant partie d'un

ensemble de normes, d'un régimeou d'un statut déterminéde droit inter-
national. Les espaces maritimes, comme la haute mer, en sont un bon
exemple.

8. Les circonstances entourant le dépôt de la déclarationdu Canada
comme moyen complémentaire d'interprétation
279. La Cour n'a pas étésaisie de travaux préparatoiresconcernant la
déclarationdu Canada déposéeauprès du Secrétairegénéral del'organi-
sation des Nations Unies le 10 mai 1994. La Cour a eu cependant à sa
disposition les comptes rendus des débats dela Chambre des communes
et du Sénatdu Canada qui ont eu lieu immédiatementaprès surle projet
de loi C-29 modifiant la loi sur la protection des pêchescôtières du

Canada et le projet de loi C-8 modifiant le code criminel canadien,
adoptésle 12mai 1994.
280. J'accepte, sans difficulté,qu'il existe un rapport entre la nouvelle
déclarationdu Canada et l'adoption des projets de loi C-29 et C-8. Cela
découle des faits notoires suivants: a) la déclaration du Canada du
10mai 1994fut déposée deuxjours seulement avant la sanction de la loi
modifiant la loi sur la protection des pêchescôtièresdu Canada; b) dans
la déclaration de 1994figureune réserve(la réservede l'alinéad) du para-
graphe 2 qui ne faisait pas partie de la déclarationdu Canada du 10sep-
tembre 1985; c) cette déclaration de 1985 fut abrogéepar la nouvelle
déclarationdu 10mai 1994;et d) lors de la séanceque le Sénata tenue le
12mai 1994,le ministre des affaires étrangères etdu commerce interna-

tional du Canada, M. Ouellet, a établiexpressément unrapport entre la
nouvelle déclaration de 1994et le projet de loi C-29 (alors sur le point
d'être adopté)D . e plus, il y a un lien entre le projet de loi C-8 et l'adop-
tion du projet de loi C-29.686 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS. TORRES BERNARDEZ)

Bien entendu, les comptesrendus dont il s'agitne sont pas destravaux
préparatoires de la déclarationelle-mêmen , i non plus des circonstances
concernant l'«élaboration de la déclaration)).l ne s'agit, commel'a fort
bien décritle défendeur, quedes circonstances ((entourant le dépôtde la
déclaration».

a) Les déclarationsfaites le 12mai 1994au Sénatpar le ministre cana-
dien des affaires étrangèreset du commerce international

281. J'ai déjà mentionné, dansdes contextes différents, des déclara-
tions faites par leministreTobin au cours de cesdébats parlementaires.Il
y a aussi les interventions des parlementaires dont certaines ont fait

l'objet de commentaires de la part des Parties, surtout dans lemémoireet
dans le contre-mémoire. Mais, du point de vue de l'interprétation de la
déclaration du Canada du 10 mai 1994, les plus importantes, de loin,
comme preuve ou indice de l'intention qui anima le Canada pour ce qui
est de cette déclaration,ce sont les déclarations faitesau Sénat,le 12mai
1994,par le ministre des affairesétrangèreset ducommerceinternational
du Canada, M. Ouellet. Arrêtons-nousy un moment.
282. La meilleure méthode pour être à mêmede saisir le sens et la
portéedes déclarationsde M. Ouellet (l'arrêtse limiteàreproduire seu-
lement deux phrases aux paragraphes 60 et 77) est de les lire dans le
contextedu débat, carle ministre n'a pasfait sesdéclarations sua sponte,
mais en réponse à des questions poséespar le sénateur Beaudoin. Ces
échangessont reproduits dans le compte rendu (mémoire de l'Espagne,
annexes, vol. 1, annexe 16,p. 231)comme suit:

Le sénateurBeaudoin

«Monsieur le ministre, j'accepte d'embléele principe qui sous-
tend ceprojet deloi. D'ailleurs, j'ai déjàvàtl'étape de ladeuxième
lecture.A titre dejuriste, je suis quelque peu préoccupépar la répu-
tation de notre pays au niveau international.
J'ai lu que certainsjuristes ont déclaqu'à strictementparler, il se
pourrait que l'on agisse dans l'illégalité. Evidemmentd,'autres ju-
ristes feront valoir que c'estvrai mais que nous sommesen situation
de crise,ce queje crois aussi, de sorte que, dans une certaine mesure,
la doctrine de l'urgence s'applique au-delà du territoire du Canada
et mêmeau-delà de la limite de 200 milles.
Vos juristes vous ont-ils donné quelque garantie que ce soit qu'il
existe effectivement des précédents etque nous avons de bons argu-

ments pour agir de la sorte?))
Le ministre Ouellet

«Je rappelleraiaux honorablessénateursque le Canada adéjàuti-
lisé une procédure similairdans les annéessoixante-dix au sujet de
l'Arctique. Donc, il a un précédent.
Je rappellerai aussi qu'à certaines occasions, d'autres pays ont adoptédes lois similaires pour protégerce qu'ils considéraient être
de l'intérêt national.
Nous basons notre projet de loi, qui est une loi qui nous permet
d'agir, sur des bases solides de droit. Afin de protégerl'intégritéde
cette loi, nous avons présentéune réserve,comme vous le savez,
auprès de la Cour internationale de Justice alléguantque, évidem-
ment, cette réserve seraittemporaire, qu'elle ne s'appliqueraitque
pour la période detemps que nousjugeons nécessaired'exercer des
représai2lescontre ceux qui s'adonnent à la surpêche.
Nous avons toutes les raisons de croire que la loi donne au
Canada la capacité d'agircontre cesbateaux pirates et que les autres

pays ne contesteront pas, d'aucune façon, la capacitédu Canada
d'agir. (Les italiques sont de moi.)
Le sénateurBeaudoin

«Vous considérezque cette mesure sera nécessairementtempo-
raire, exceptionnelle et qu'elleest due une crise?))
Le ministre Ouellet

«Oui. Nous pensons que la surpêchemenace d'une façon très
grave des espècesde poisson et qu'à moins d'une intervention rapide
et complètenous ne pourrons sauver ces espèces.
Nous avons dit dès ledébut, et les représentants diplomatiquesdu
Canada à l'étranger dans lesdifférentesambassades ont expliqué à
nos partenaires européerzset autres, que cette mesure s'adressait au
premier chef à l'endroit debateaux qui n'ont pas de drapeau ou des
bateaux qui ont ce que l'onappelle des drapeaux de convenance. Par
conséquent,ce sont ces gens-là qui sont de véritablespirates irres-
ponsables quidoivent êtrechassés decettepartie des GrandsBancs.»
(Les italiques sont de moi.)

283. De cesdéclarations du ministreOuellet on peut tirer deux conclu-
sions principales en ce qui concerne lesintentions du Canada lorsque son

gouvernement a déposéla déclaration du 10 mai 1994.On pourrait les
résumer ainsi :
1) Il y avait un rapport entre le dépôtde la nouvelle déclaration du
Canada et la protection de ce que le ministre a appelé ((l'intégritde la
loi». Or, le projet de la loi C-29 (commed'ailleursle projet de loi C-8)ne
traite pas du titre international du Canada pour exercer sa juridiction
nationale en haute mer à l'égarddes bateaux étrangers, mais desmesures
dites de gestion et de conservationadoptéeset exécutéepsar le Canada en
haute mer à l'encontre des navires qualifiéspar le ministre de «pirates».

La question du titre internationalest laisséede côté.On en trouve confir-
mation dans les déclarations faites par le ministre Tobin. Pour le titre
international,à savoir pour le droit ou la capacitéd'agir du Canada en
haute mer à l'égard dudroit international, le ministre Ouellet comptait
sur la non-contestation d'autres Etats, y compris des Etats européens,688 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

mais cette non-contestation présuméene fait pas non plus partie des dis-
positions de la loi. La loi s'occupe d'établir untitre en droit canadien
pour habiliter le gouvernement à agir dans cet ordre juridique. Pour le
reste, le ministre se limiteaffirmer que le projet de loi se fonde «sur des
bases solides de droit». De plus, il s'agissait, disait-il, de mesures néces-
saires, temporaires et exceptionnelles.
2) Le projet de loi C-29 porte sur l'exercicede la pêchedans une zone

déterminéede la haute mer (la zone de réglementation de I'OPANO)aux
fins, selon son texte, de la conservation et de la gestion des stocks che-
vauchant~ dans cette zone, les bateaux visésétant au premier chef les
bateaux «sans nationalité))et les bateaux avec «des drapeaux de com-
plaisance)). La qualification de ces bateaux par le ministre de pirates
visait, très probablement, à trouver dans le droit international, même à
leurpropos, une basejuridictionnelle et àdissiper ainsi les craintes de cer-
tains parlementaires. Le ministre parle aussi ((d'exercer des représailles
contre ceux qui s'adonnent à la surpêche».Je reviendrai sur l'utilisation
par leministre du terme ((représailles))en rapport avec l'interprétationdu
texte de la réserve de l'alinéad) du paragraphe 2 de la déclaration, car
c'est une notion qui a aussi un sens précis endroit international. Cette

mention est importante.

b) Les déclaratiorzsdu ministre canadien despêcheset des océans

284. Le ministre des pêches et desocéans,M. Tobin, est intervenu à
plusieurs reprises dans les débatsparlementaires sur le projet de loi C-29
et il a fait toutes sortes de déclarations. J'en ai déjà cité quelques-unes.
L'arrêten cite d'autres aussi. M. Tobin a exclu, par exemple, expressé-
ment les bateaux de pêche espagnols etportugais du champ d'application
de la nouvellelégislationcarilscoopéraient àpart entière avecSOPANO,
ce qui est confirmépar la suite par le règlement d'application du 28 mai

1994.D'autre part, il a aussi déclaré, un autre moment, que «[l]eprojet
de loi donn[ait] au Parlement le pouvoir de désignern'importe quelle
classe de bateaux de pêche, auxfins des mesures de conservation. On ne
précisepas contre qui ces dispositions seraient appliquées..» (voir arrêt,
par. 77; les italiques sont de moi). Ainsi pour les nouvelles classes de
bateaux, le ministre Tobin parle donc du Parlement (non pas seulement
des règlements d'application de l'exécutif);il ne parle pas non plus des
mesures de gestion et de conservation adoptéeset exécutéep sar le Canada
indépendamment de I'OPANO ou en violation de la convention de
1'OPANO; et surtout - ce n'était d'ailleurspas sa tâche en tant que mi-
nistre des pêcheset des océans - il n'a pas pris position sur les rapports
éventuelsentre la nouvelle législation canadienne sur la protection des

pêchescôtières et laportéede la déclarationdu Canada du 10mai 1994.
285. Ce n'est que le ministre Ouellet qui l'a fait dans les termes indi-
qués,en tant que ministre des affaires étrangères.Or, sur le plan interna-
tional, ce qui pourrait compter aux fins de l'interprétationdela déclara-tion canadienne ce sont, sans doute, les déclarations du ministre des
affairesétrangères.Ici,comme dans d'autres contextes,l'arrêtbouleverse
l'ordre naturel des choses sans avancerla moindrejustification. On prend
quatre mots des déclarations de M. Ouellet et on les enchaîne à certains
passages d'une des déclarations de M. Tobin!

c) Le communiqué depresse du 10 mai 1994

286. S'agissant de l'intention du Canada, l'arrêtsemble attribuer une
certaine valeur probante à un communiquéde presse canadien du 10mai
1994ainsi rédigé :

((Aujourd'hui, le Canada a modifiéson acceptation de la compé-
tence obligatoire de la Cour internationale de JusticeLa Haye afin
d'empêcher toute situation qui pourrait anéantir les efforts du
Canada pour protéger sesstocks. ))(Paragraphe 60 de l'arrêt;les ita-
liques sont de moi.)

287. Je suis bien moins sûr que l'arrêt que ((toute situation)) est iden-
tique à «toute requête)).Au demeurant, on constate que le communiqué
parle de la protection des stocks canadiens alors que la déclaration
concerne pour sa part la zone de réglementation de I'OPANO (haute
mer) et ne fait pas mention des «stocks» canadiens, chevauchants ou
autres. Quoi qu'il en soit, ce communiquéne modifie en rien les conclu-
sions énoncéesci-dessuc soncernant les déclarationsfaitesdeuxjours plus
tard au Sénatpar le ministre Ouellet. De par sa nature, le communiqué
ne peut pas se voir attribuer une valeur probante supérieure à celle des
déclarationsdu ministre des affairesétrangèresau Sénat,de mêmequ'un
communiqué de presse du Greffe ne saurait prévaloir sur ce qui est dit
dans un arrêtou une ordonnance de la Cour. J'interprètece communiqué
à la lumière desdéclarationssusviséesdu ministre Ouellet.

9. Autres moyens complémentaires d'interprétation
a) La déclaration du Canadadu 7 avril 1970

288. Il existe une preuve décisivedu fait que l'intention qui animerait
le Canada lorsqu'il a rédigéla réserve de l'alinéa) du paragraphe 2 de
la déclarationdu 10mai 1994ne visait pas la question du titre, des juri-
dictions ou des droits en haute mer du Canada, mais bien les différends
auxquelspourraient donner lieulesmesures de gestion et de conservation

adoptées etexécutéep sar le Canada. Cette preuve, c'estla déclaration du
Canada du 7 avril 1970.
Le ministre Ouellet cite la procédurede 1970 comme précédent.Il
reconnaît ainsique, au moment où le Gouvernement canadien a rédigé la
déclarationdu 10mai 1994, celui-ciavait devant les yeux la déclaration
du Canada du 7 avril 1970 où, effectivement, il y avait une réserved)
relativeà des questions qui préoccupaient alors les autorités canadiennes
au sujet de l'établissementde zones de pêche exclusives et au sujet de lapollution des eaux de l'Arctique. C'étaitun modèle tout prêtsi I'inten-
tion du Gouvernement canadien avait été d'exclurepar une réserveles
différendsconcernant le titre, les juridictions ou les droits du Canada
en haute mer. Mais ce modèletout prêt n'apas étéadopté. Asa place on
a rédigéle texte nouveau de l'alinéa d) du paragraphe 2 de la décla-
ration en vigueur qui ne concerne que des mesures adoptées et exécu-
téespar le Canada. Les différencesentre les deux textes sont tout à fait
concluantes.
289. En 1994,on a adopté la procédure de1970,mais non le texte de
la réservede l'alinéa d) de1970. Ce dernier fut délibérément écarteé n
1994.La conclusion pour l'interprètene peut êtreplus claire: on n'a pas

adoptéle texte de la réservede l'alinéa d) de1970parce que l'intention
du Gouvernement du Canada en 1994 n'était Das celle de 1970. Le
Canada n'ayant donné à la Cour aucune explication satisfaisante de la
différencenotable qui existe entre les textes de ces deux réserves,je consi-
dère prouvé aux fins de la présente procédure incidenteque l'intention
qui animait le Canada lorsqu'il a rédigé laréservede 1994 étaitd'une
portéebeaucoup plus limitéeque celle qui a présidé à la rédaction de la
réservede 1970et qu'elle ne concernait pas les différendssur le titre, les
juridictions ou lesdroits du Canada en haute mer (à propos de la déclara-
tion de 1970,voir l'opinion individuelle de sir Robert Jennings jointe à
l'arrêt quela Cour a rendu en 1984dans l'affaire desActivitésmilitaires
et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, compétence etrecevabi-
lité,C.I.J. Recueil 1984, p. 551).
290. Comment le Canada avait-il formulé alors la réservede l'alinéa d)

de la déclarationde 1970pour atteindre le but politique déclaré l'époque
par son premier ministre? Il l'avait formuléede la façon suivante:
«d) les différends auxquels peuvent donner lieu ou qui concernent
[arising out of or concerning en anglais] la juridiction ou les
droits invoqués ouexercéspar le Canada en ce qui concerne la
conservation, la gestion ou l'exploitation des ressources biolo-

giques de la mer, ou les mesures de prévention ou de lutte
contre la ~ollution ou la contamination du milieu marin dans
les zones marines adjacentes au littoral canadien)) (C.I.J.
Annuaire 1970-1971, p. 50).
Dans cette réservede 1970il est donc question, d'abord, de la ((juridic-
tion» et des «droits invoquésou exercéspar le Canada)) et, ensuite, des

«mesures», alors que dans la déclaration du 10 mai 1994, la réserve
de l'alinéa d) ne parleque des «mesures» ou, plus précisément, des«me-
sures de gestion et de conservation adoptées par le Canada pour les na-
vires ..et l'exécution detelles mesures)). Dans la déclarationen vigueur
aujourd'hui, pas un mot sur la ((juridiction)) ou sur les «droits invoqués
ou exercéspar le Canada)). Aucune interprétation de bonne foi ne permet
d'attribuer à cet égard lamêmeportée à la réservede l'alinéa d)de la
déclarationde 1970et à la réservede l'alinéa d) de la déclarationde 1994.691 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS . ORRES BERNARDEZ)

291. La déclaration du 10mai 1994n'exclut pas de la compétencede
la Cour les différendsconcernant la juridiction ou les droits invoquésou
exercéspar le Canada, le titre international en dernière analyse, dans
aucune zone dela haute mer en rapport avecune matière ou activité quel-
conque, y compris la gestion et la conservation de ressources biologiques
dans la zone de réglementation de I'OPANO.
292. Ainsi donc, les faits parlent d'eux-mêmes, unemêmeprocédure

en 1970et en 1994, mais non pas la mêmeintention et, en conséquence,
des textes différents pour la réservede l'alinéad) dans l'une et dans
l'autre déclaration.Le Canada a fait un choix lorsqu'il a rédigé sa nou-
velledéclarationen 1994.Ce choix ne fut sûrement pas la meilleure façon
de se protégercontre une requête commecelleenregistréele 28 mars 1995
par l'Espagne. Mais c'est le choix que le Canada a fait et ce choix-là, tel
qu'il s'exprimedans la déclarationdu 10mai 1994,constitue pour moi le
consentement du Canada à la juridiction obligatoire de la Cour pour ce
qui est de la présente affaire.
293. Etant donné l'importance de cette circonstance comme élément
de preuve de l'intention du Canada en mai 1994,je ne peux pas m'expli-
quer le silence total du présent arrêtsur la déclaration de 1970 men-

tionnée commeprécédentau Sénatpar le ministre des affaires étrangères,
M. Ouellet. L'arrêtpréfère parlerd'un communiquéde presse! Ma sur-
prise tourne à l'étonnement lorsqueje constate que l'arrêt lui-même
admet que les intentions du gouvernement intéressé peuvent s'établ«en
comparant les termes des deux instruments))(paragraphe 50 de l'arrêt) et
que l'arrêt recourteffectivementà une telle méthodeen ce qui concerne
les déclarationsde 1985et de 1994(voir, par exemple, le paragraphe 59
de l'arrêt).Pour moi, la comparaison entre les déclarationsde 1970et de
1994 a une importance bien plus décisivequant à l'établissement de
l'intention du Canada par le recours à des éléments extrinsèques à la
déclaration.

b) La convention deI'OPANO de 1978

294. La réservede l'alinéad) du paragraphe 2 de la déclaration du
Canada de 1994 limite géographiquement sa portée à la zone de régle-
mentation de I'OPANO telle que définie à l'article premier de la conven-
tion sur la future coopération multilatérale dans les pêchesde l'Atlan-
tique Nord-Ouest, faiteà Ottawa le 24 octobre 1978 (en vigueur depuis
le le'janvier 1979).Le Canada et la Communauté européennesont par-
tiesà cette convention (l'Espagne l'était aussiavant son entréedans la
Communauté).Il est à noter que, pour sa portée géographique, la réserve

renvoie à un traité international auquel le Canada est partie, tandis
qu'elle ne renvoie, dans aucun de ses aspects, à la législationnationale
canadienne comme elle aurait pu le faire.
295. Lesmesuresde gestion et de conservation adoptéesparleCanada,
et l'exécutionde telles mesures, dont il est question dans la réservede
l'alinéad) de la déclarationcanadienne sont donc censéescoexister dansla zone de réglementation de I'OPANO avec celles adoptées par une
organisation internationale, l'organisation des pêchesde l'Atlantique
Nord-Ouest (OPANO), crééepar l'article II de la convention et qui se
compose notamment d'une commission des pêches.Cette commission est
justement chargée de la gestion et de la conservation des ressources
halieutiques de la zone de réglementation de 1'OPANO(article XI de la
convention).
296. Le différendsoumis par l'Espagne à la Cour ne concerne pas la
pêcheou la gestion et la conservation de ressources halieutiques de la
haute mer, dans la zone de réglementation de 1'OPANO ou ailleurs.
Mais, dans la présente procédure incidente préliminaire, se pose une
question d'interprétation d'une réservedans la déclaration du Canada de

1994qui - elle- renvoie à la convention de I'OPANO de 1978et à sa
zone de réglementation. On est donc parfaitement en droit de rechercher
pour le but indiqué si la convention de I'OPANO présente uneutilité
quelconque, à titre de moyen complémentaire,pour l'interprétation dela
réservede l'alinéa d) du paragraphe 2 de la déclaration du Canada de
1994.
297. La question se pose parce que le défendeur soutient que les me-
sures qu'il a prises contre l'Estai et d'autres bateaux battant pavillon
espagnol qui pêchaienten marslavril 1995 dans la zone de réglemen-
tation de I'OPANO (en haute mer) sont, aux fins de l'interprétation de
sa réserve, des((mesuresde gestion et de conservation adoptées par le
Canada ..et l'exécution detelles mesures)).Pour moi il est évident que
le droit international n'est pas du mêmeavis. Mais, la lecture de la

convention de 1'OPANOde 1978prouve aussi que les mesures adoptées
par le Canada àl'encontre des bateaux espagnolset portugais en 1995ne
constituaient pas, non plus, des mesures de gestion ou de conservation,
ou l'exécutionde mesures de gestion ou de conservation, selon le régime
conventionnelde I'OPANO.
298. Cela pose un problème que le présentarrêtécarte. Il concernela
bonne foi. Est-il possible d'admettre une interprétation de certains termes
et expressions utilisésdans la réservecanadienne qui impliquerait néces-
sairement un manquement par le Canada à des dispositions d'un traité
international? Peut-on admettre par voie d'interprétation que leCanada,
lorsqu'il a déposé sadéclarationde 1994,avait l'intention de passer outre
aux dispositionsde la convention de I'OPANO dans la zone de réglemen-
tation de 1'OPANOpour des navires des Etats participant à cette orga-
nisation?Un interprète international ne peut pas présumer unetellemau-

vaise foi de la part d'un Etat déclarant qui est partiela convention en
question. Il n'y a d'ailleurs dans le dossier aucun élément de preuvequi
vienne le confirmer. Au contraire, le Canada se proclamait en mai 1994
champion de I'OPANO et des mesures de gestion et de conservation
approuvéesau sein de celle-ci.
299. La conventionde 1'OPANOne porte point atteinte à l'exercicede
lajuridiction de 1'Etatdu pavillon sur ses bateaux dans la zone de régle-
mentation de I'OPANO, elle ne prévoit pas non plus comme mécanisme693 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP. DISS .ORRES BERNARDEZ)

de contrôle l'utilisation de la force ou de moyens violents ou coercitifs
par d'autres Etats sans l'aval de'Etatdu pavillon contre les bateaux de
pêchede celui-ci et leurs équipages, etc. En unmot, la convention de
I'OPANO s'occupede la gestion et de la conservation de ressources dans
une zone de la haute mer d'une manièreconforme au droit international
généralet à la convention sur le droit de la mer de 1982,c'est-à-direpar
voie de coopération et d'entente entreles Etats intéress,ans le respect
de leur souveraineté. Lorsque, pour une raison ou pour une autre; les
Etats veulent aller plus loin dans les mesures de contrôle de la pêcheen

haute mer que le droit international général,ils concluent des accords
comme celui d'avril 1995entre le Canada et la Communauté européenne.
L'OPANO l'a adopté par la suite.
300. Je pose donc la question suivante: a-t-on le droit d'interpréter,
dans les circonstances de l'espèce,les expressions ((mesuresde gestion et
de conservation)) et ((exécution de telles mesures)) dans la réserve de
l'alinéad) du paragraphe 2 de la déclaration canadienne de 1994d'une
manière qui serait en contradiction avec le sens et la portée que ces
notions ont dans la convention de 1'OPANO qui s'appliquait en mars
1995pour les mêmesbuts à la mêmezone de la haute mer, à laquelle le
Canada est partie et dont il sefaisait le champion en mai994?Peut-on
attribuer une telleintention sous-jacente au Canadacette époque?C'est

grave d'attribuer à un Etat, par l'application de méthodes subjectives
d'interprétation, l'intentionde vouloir violer un traité international afin
de pouvoir attribuer un certain sensà la réservedont il s'agit. Je ne le
ferai pas. L'arrêtn'en parle pas, mais son silencen'est pas une réponse
une question qui se pose nécessairementdans le contexte de l'interpréta-
tion qu'il fait de la réservede l'alinéadu paragraphe 2 de la déclara-
tion du Canada.

10. L'interprétationde la réservede l'alinéad) de la déclarationcana-

dienne à la lumière des règles, léments et méthodes d'interprétation
du droit international

301. Les paragraphes 61 à87 de l'arrêt développenltes considérations
et conclusionsde la majorité relatives l'interprétation proprement dite
de la réservede l'alinéa) du paragraphe 2 de la déclaration du Canada
du 10 mai 1994,invoquéecomme base de la compétencede la Cour par
la requête del'Espagne du 28 mars 1995.Je suis aussi en désaccordtotal
avec l'ensemble deces considérations et conclusions.

a) Les «mesures» prévuespar la réserve
302. Le terme «mesures» apparaît deux fois dans la réservede l'ali-

néad) du paragraphe 2 de la déclaration du Canada avec le mêmesens.
Il n'est défii i dans la réserveelle-mêmeni dans une autre partie quel-
conque de la déclaration. Il faut donc attribuerà ce terme, dans cette694 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS TORRES BERNARDEZ)

réserve,son sens ordinaire. Or, dans son sens ordinaire, ou, si l'on veut,
courant ou naturel, une «mesure» est quelque chose qui est adopté ou
mis en Œuvre en vue d'un résultat déterminé. Laréserve précise le type
de mesures (de gestion et de conservation), qui doit prendre les me-
sures (le Canada), quel est l'objet des mesures adoptées ou exécutées
par le Canada (les navires pêchant dansla zone de réglementationde
1'OPANO)et l'espacemaritime dans lequel lesmesures sont censéess'ap-
pliquer et êtreexécutée(sla zone de lahaute mer définiepar la convention
de I'OPANO commeétant «la zone de réglementation de I'OPANO»).
303. L'interprétation du terme«mesures» dans lecontexte dela réserve
et de la déclaration ne me pose, comme telle, aucun problème. Le
mémoirede l'Espagne a beaucoup spéculésur le sens du terme «mesu-

res» dans le contexte du droit canadien. Mais je m'occupe icidu sens
dudit terme dans la réserved) de la déclaration du Canada, qui est un
instrument international, et non pas du sens que ce terme aurait, ou
pourrait avoir, dans l'ordre juridique interne du Canada.
Je suisd'accord que, dans la réserve,le terme «mesures»renvoie à tou-
tes les mesures adoptéespar le Canada, y compris cellesde nature légis-
lative, comme par exemple la loi modifiéesur la protection des pêches
côtières.Mais alors il faut être cohéren,'est-à-direil faut reconnaître en
mêmetemps que la réservene traite pas du tout du titre ou de laquestion
du titre, mêmepas en ce qui concerne l'ordre juridique interne du
Canada.
Rien n'autorise à confondre le sens du terme «mesures» avec celui du
«titre» du Canada ou de son «droit» pour adopter et exécuterles mesu-
res viséesà la réservede l'alinéad). C'estjustement pour cela que je ne

peux pas admettre l'argument canadien qu'«une exclusion de compétence
concernant unemesure nefait pas qu'inclurel'exclusiondesdifférendsrela-
tifs au droit deprendre cesmesures: elle est avant tout cela»(CR98114,
p. 38). Pour moi, il se peut fort bien qu'à défaut detitre: «les mesures
ne peuvent êtredes mesures, les droits revendiquésne peuvent êtredes
droits, la compétence exercée npeeut êtreune compétence))(ibid., p. 37).
304. Autrement dit. ,.ur moi. le terme «mesures» dans la réserve de
l'alinéad) englobe tout ce qui est «mesures» dans le sens ordinaire ou
naturel du terme en droit international, mais rien d'autre. C'est une
conclusionimportante, car il en découle,par implication nécessaire, que
la question du titre ne rentre pas dans les «mesures» dont il est question
à la réservede l'alinéad) du paragraphe 2 de la déclarationdu Canada.
Quoi qu'on puisse dire, une chose est certaine, le titre, lesjuridictions ou
les droits du Canada ne sont Dasvisésdans la réserveet le sensordinaire

du terme «mesures» en droit international n'embrasse pas la notion de
titre. C'estprobablement la raison pour laquelle la majorité de la Cour a
redéfinil'objet du différend soumispar la requêteespagnole comme elle
l'a fait, savoir en écartant de sa définitionde l'objet du différendla
question du titre ou du défautde titre du Canada en droit international
pour adopter les mesures dont il s'agit dans la réservecanadienne etlou
les exécuter. C'estparfait si l'on cherchà écarterà tout prix la compé-tence, mais la Cour a-t-elle la faculté d'agir ainsi? J'aidéjàrépondu à
cette question au chapitre III de la présenteopinion.
305. Le titre est la qualité, l'autorité oule pouvoir donnànune per-
sonne un droit, ou la capacitéd'exercer celui-ci, ou encore de réclamer
l'exécutiond'une obligationou d'un comportement à une autre personne.
En d'autres termes, le titre est la source ou le fondement du droit, ou de
son exercice,ou de la réclamation,oude la prétentionque l'on fait valoir,

mais aucunement une mesure. Lorsque le «titre» existe, il précèdela
«mesure». Les «mesures» sont adoptées et exécutées soit en vertu d'un
titre, soit contre le titre, soit sans titre. Telle est la question! Mais dans
tous les cas, adoptéeou exécutéeavec un titre, contre un titre ou sans
titre, une «mesure» n'est pas un «titre» selon le sens ordinaire que revê-
tent l'un et l'autre terme en droit international. Or, la déclaration du
Canada de 1994est un instrument de droit international.
306. Le contexte du terme «mesures» dans la réserveconforte le sens
ordinaire du terme que l'on vient de signaler. Il s'agit de mesures de
gestion et de conservation adoptées par le Canada «pour les navires
pêchant ..» et de l'exécutionde telles mesures dans une zone de la haute
mer. à savoir dans la zone de réglementationde 1'OPANO.Or. il est évi-
u
dent que des mesures destinées à s'appliquer à des navirespêchantdans
une zone de la haute mer n'ont rien à voir avec le titre ou les titres aue
le Canada pourrait avoir vis-à-vis d'autres Etats souverains pour agirà
l'égardde leurs navires dans un espace maritime soumis à un régimede
res communis.
307. Le régimeinternational de la haute mer, de toute la haute mer, et
lesjuridictions que les Etats peuventy exercer, d'aprèsce régime,sur les
navires se trouvant dans un tel espace maritime, sont des questions qui
relèventdu droit international et concernent au premier chef des relations
de souverainetéentre les Etats, leurs droits et leurs obligations en haute
mer.
Lorsqu'un texte international, comme celui de la réservede l'alinéad)

du paragraphe 2 de la déclaration du Canada, ne parle que des «me-
sures» adoptées par un seul Etat concernant non pas d'autres Etats,
mais des «navires» dans une zone de la haute mer, il est évidentque ce
texte ne visepas la question du titre ou des titres des Etats en tant que sou-
verains pour agir en haute mer ou pour exercerunejuridiction étatique ou
nationale quelconque en haute mer à l'égardd'autres Etats souverains.
308. Ainsi, le terme «mesures» dans le contexte de la réservede I'ali-
néa d) de la déclaration duCanada ne concernepas le titre de droit inter-
national du Canada pour adopter ou pour exécuterles mesures en ques-
tion. Cette conclusion est confirméepar les moyens complémentaires
d'interprétation,à savoir par les circonstances entourant le dépôt de la
déclarationdu Canada (ycompris lesdéclarationsdes ministres Ouelletet

Tobin au Parlement), ainsique par le libelléque le Canada a retenu pour
sa déclaration d'acceptation delajuridiction obligatoiredela Cour de 1970
lorsqu'il a voulu soustraire la compétencede la Cour titres et mesures
concernant la conservation, la gestionou l'exploitationdes ressourcesbio-logiquesde la mer etla prévention oula lutte contrela pollution du milieu
marin dans les zones maritimes adjacentes au littoral canadien.
309. Le Canada n'a pas donné à la Cour une explication satisfaisante
des raisons pour lesquelles la réserve de l'alinéa d) de la déclaration
de 1994n'a pas suivi le modèle tout prêt dela réservede l'alinéad) de
la déclaration de 1970, malgré la référence à cette dernière comme
«précédent»dans les déclarations du ministre Ouellet au Sénat. Dire,
par exemple, qu'il convient d'éviterque les Etats adoptent des réserves
larges ne règlepas la question. Pas plus que l'affirmation que la réservede

l'alinéad) de 1994n'a rien de défectueux. C'estbien possible, mais il faut
alors conclure qu'elle n'exprimepas la mêmeintention ni ne vise le même
objet que celle de 1970 en ce qui concerne la conservation, la gestion
ou l'exploitation des ressources biologiques.
310. Il se peut également que la réservede l'alinéad) de 1994 soit
fonctionnelle,concrète, spécifiqueou précisepour cequ'ellevise.Mais la
question n'estpas là. La question estjustement de déterminerce que cette
réservede 1994 vise.Pourquoi, si la réserveadoptéeen 1994devait viser
le titre, les juridictions ou les droits du Canada pour adopter et exécuter
les mesures, son texte n'est-il pas similaiàecelui de la réservede 1970
que 1'01-1vait devant les yeux ou ne le suit-il pas de près alors que le
ministre Ouellet mentionne ce dernier comme précédent?La question est
restéesans réponse de la part du défendeur.C'est un silence qui en dit

long sur la véritable intention du Canada lorsqu'il a déposésa déclara-
tion du 10mai 1994.L'arrêt,quant à lui, préfèrene pas y regarder, ni de
prèsni de loin.Il est bien plus commode de modifier l'objet du différend.
311. La question est cependant importante, car la réservede 1994ne
parle pas seulement des «mesures», mais des ((mesuresde gestion et de
conservation ».Elle ne renvoie donc pas le lecteuà un concept ((factuel »
ou «neutre», mais à une catégorie de mesures bien connues en droit
international de la mer, c'est-à-diàeune catégoriejuridique objective. Il
ne suffitpas de dire que lesmesures restent ce qu'ellessont, il faut encore
qu'ellessoient et restent des ((mesures de gestion et de conservation)) en
tant que catégoriede droit international, car la déclaration ne donneses
propres fins aucune définitionparticulièrede ces mesures de gestion et de
conservation.

312. Dans le chapitre III de la présenteopinion, j'ai fait un résumé de
lajurisprudence de la Cour concernant le titre en tant que catégoriejuri-
dique en droit de la mer. La question du titre peut se poser pour toutes
sortes de matières et dans toutes sortes de contextes, y compris dans des
procéduresincidentes préliminairesconcernant la compétence dela Cour.
Il arrive souvent qu'il en soit ainsi lorsque la Cour doit répondreà des
questions soulevéespar des exceptions ou des objections. Il en est ainsi
dans le cas d'exceptions decompétencenationaleou de compétence exclu-
sive des Etats, mais aussi dans d'autres occasions. 313. A ce propos, il ne faut pas oublier que l'alinéac) du paragraphe 2
de la déclaration du Canada de 1994 énonce une réserveobjective de
compétenceexclusiveet que dans le systèmede la clause facultative opère
le principe deréciprocitéen matièrede réservesdans des déclarations.En
outre, l'Espagne, dans sa requête etdans son argumentation, a invoqué
ladite réservecl. En tout étatde cause. cette réservede l'alinéacl cons-
titue uncontexFeaux finsde l'interprétationde la réserve del'alinéad) de
la déclaration du Canada quoique l'arrêt gardeaussi le silence le plus
complet sur le rapport entre les deux réserves.
Quelles sont les conséquences à en tirer pour la présenteprocédure

incidente? Que, dans la mesure où le défendeurprétendrait avoir une
compétenceexclusive concernant le titre pour adopter ou exécuterles
mesures dont il est auestion dans la réserve del'alinéadl en haute mer
sans égardaux navires visés,ou pour interpréter ces mesures exclusive-
ment en fonction de son ordre juridique interne, la réservede l'alinéa c)
de la déclarationdu Canada deviendrait applicable. Or, pour trancher ce
point, la Cour devrait le faire, selon le texte mêmede la réservede l'ali-
néa c), d'après le droit international.C'estce que 1'Etatdéclarant avoulu
dans sa déclaration, quoiqu'ilse cache maintenant derrière saprétendue
intention sous-jacente.
314. Déjàen 1923,dans son avis consultatif no4 concernant un aspect
du différendentre la France et la Grande-Bretag"e au suiet des décretsde
nationalité promulgués en Tunisie et au Maroc (zone française) le
8 novembre 1921 et leur application aux ressortissants britanniques, la
Cour permanente s'était prononcéesur la réserveobjective de compé-

tence exclusivede l'article 15, paragraphe 8, du Pacte de la Sociétédes
Nations comme suit :

((11est égalementvrai que le seul fait que l'une des parties invoque
des engagements d'ordre international pour contester la compétence
exclusivede l'autre partie ne suffit pas pour écarter l'application du
paragraphe 8. Mais dèsque les titres invoquéssont de nature à per-
mettre la conclusion provisoirequ'ils peuvent avoir une importance
juridique pour le différend soumisau Conseil, et que la question de
savoir si un Etat est compétentpour prendre telle ou telle mesure se
trouve subordonnéea l'appréciationde la validitéet à l'interprétation
de ces titres,la disposition du paragraphe 8 de l'article 15 cesse
d'êtreapplicable et l'on sort du domaine exclusif de 1'Etat pour
entrer dans le domaine régipar le droit international.

Sil'on devait,pour répondre àune question de compétenceexclu-
sive, soulevéeen vertu du paragraphe 8, seprononcer au fond sur la
valeur des titres invoquéspar les parties à ce sujet, cela ne serait
guèreconforme au systèmeétabli par le Pacte en vue d'assurer le
règlement pacifique desdifférendsinternationaux.698 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS T.ORRES BERNARDEZ)

En se basant sur les considérations qui précèdent, la Courestime,
contrairement aux conclusions finales du Gouvernement français,
qu'elle n'estappeléeà examiner les arguments et titres invoquéspar
les gouvernements intéressésque dans la mesure nécessaireà I'appré-
ciation de la nature du différend.S'il est évidentque ces titres et

arguments nepeuvent élargirni les termes de la requête adresséeà la
Courpar le Conseil,ni la compétenceque le Conseila conférée à la
Cour par sa résolution,il est égalementclair que la Cour doitles
examiner pour seformer une opinionsur la nature du différendvisé
par ladite résolutionet au sujet duquel son avis est demandé.))
(Décretsde nationalité promulguésen Tunisie et au Maroc, C.P.J.I.
sérieB no4, p. 26; les italiques sont de moi.)

La majoritéde la Cour a considéré pluscommode de ne pas examiner
la question des titres du Canada pour prendre les mesures dont il s'agit
lors de son interprétation de la réservede l'alinéad) du paragraphe 2 de
la déclaration du Canada.
315. L'arrêtlaisse en effet totalement dans l'ombre la question du titre
ou du défautde titre international du Canada pour adopter etlou exécu-
ter les mesures prévuesdans la réserve. Quelleest la raison de cette igno-
rance voulue? D'éviter justement quecette question, pourtant centrale
pour la requêtedu demandeur, n'entre en ligne de compte dans la déter-
mination de la compétencede la Cour dans l'affaire. Car le terme diffé-

rend est le premier mot de la réservede l'alinéad) du paragraphe 2 de la
déclaration du Canada que la Cour doit interpréter, et l'objet de ce dif-
férend estparticulièrement déterminant pour trancher la question de la
compétencede la Cour dans l'affaire.
316. Le titre ou le défaut de titre international du Canada pour adop-
ter etlou exécuterles mesures est certainement, dans la présenteaffaire,
une question qui intervient aussi, d'une manièredécisive,dans la présente
procédure préliminaire sur la compétence de la Cour, quoiqu'en dise
l'arrêt.Je la tiens donc toujours pour présentedans l'interprétation queje
fais de la réservede l'alinéa) de la déclaration du Canada.

b) Les ((navirespêchant))de la réserve

317. La réservede l'alinéad) de la déclaration concerne des mesures
adoptées etexécutées par le Canada ((pour les navires pêchant))dans la
zone de réglementationde 1'OPANO.Elle est donc limitéegéographique-
ment à cette zone. Le texte le dit et les Parties sont d'accord. Il s'agit

d'une zone bien précisedélimitéepar la conventionde I'OPANO de 1978.
Elle est situéà l'extérieur dela limite des 200 milles du Canada, c'est-
à-dire en haute mer.
318. La requêtede l'Espagne vise l'ensemble de la haute mer en tant
qu'espace maritime soumis à un régimejuridique qui lui est propre et pas
seulement la zone de réglementation de I'OPANO. C'est un point à ne
pas négligerdans la décisionsur la compétencecar l'objet du différend699 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS TORRES BERNARDEZ)

soumis par la requêtede l'Espagne ne concerne pas seulement le règle-
ment du 3mars 1995portant application de la loi modifiéesur la protec-
tion des pêchescôtières, ou l'arraisonnement de l'Estai trois jours plus
tard (événements qui concernent effectivementla zone de réglementation
de I'OPANO), mais l'existenced'une législationcanadienne qui prétend
ignorer le titre international de l'Espagne l'exercice exclusifde sa juri-
diction sur ses navires en haute mer et qui pourrait s'étendre aussi,du

seul fait du Canada, à des zones de la haute mer autres que la zone de
réglementationde 1'OPANO.
319. Indépendamment du fait que la législationcanadienne devienne
un jour applicable,par décisiondu Canada, à d'autres zones de la haute
mer adjacentes aux zones maritimes exclusivesdu Canada, il y a aussi le
fait que l'Estai, par exemple, a étépoursuivi par des garde-côtes ou des
patrouilleurs canadiens lorsqu'il pêchait dans lazone de réglementation
de I'OPANO, et qu'une telle poursuite aurait pu avoir lieu en direction
d'autres zones de la haute mer situéesendehors de la zone de réglementa-
tion de I'OPANO. En fait, la législation nationale canadienne, telle
qu'elle se présenteaujourd'hui, pourrait déjàviser en pratique, pour ce

qui est d'une poursuite donnée,des zones de la haute mer situéesbien
au-delà de la zone de réglementationde I'OPANO. L'arrên t e donne pas
de réponse àcette question que soulèvela requêtede SEspagne.

320. En mai 1994,lors de l'examenpar le Parlement canadien du pro-
jet de loi C-29, le Gouvernement canadien a indiqué qu'il visait les navi-
res apatrides et les navires battant un pavillon de complaisance. Dans les
déclarations qu'il a faitesau Sénatle 12 mai 1994, le ministre Ouellet
qualifiait ces navires de navires pirates. Le ministre Tobin avait en outre,
dans ses déclarationsau Parlement, exclu expressémentles navires espa-

gnols et portugais. Toujours est-ilque le premier règlementd'application
de la loi modifiéesur la protection des pêchescôtièresdu Canada, celui
du 25mai 1994,ne concernait que lesnavires apatrides et lesnavires bat-
tant un pavillon de complaisance. Or, les circonstances entourant le
dépôt dela déclarationdu 10mai 1994sont justement celles-là. Il n'est
pas acceptable, pour interpréter laréservede l'alinéa) en droit interna-
tional, de tenir compte des circonstances telles qu'elles seprésentaient au
mois de mars 1995!Alors, comment ceux qui adoptent comme objet de
l'interprétation la prétendue intention sous-jacentedu Canada et non pas
le libelléde la réserve del'alinéad) répondent-ils à cette question? En
disant que d'après des mécanismesinternes insérésdans la loi cana-
dienne, celle-cipouvait être rendue applicableàd'autres navires pêchant

dans la zone de réglementationde 1'OPANOmoyennant l'adoption de
règlements (voir paragraphes 74-77 de l'arrêt).Cela est vrai en droit
canadien. Mais en quoi cela participe-t-il l'établissement endroit inter-
national de l'intention juridiquement pertinente du Canada aux fins de
l'interprétation dela réserve de l'alinéa ? 321. D'ailleurs, le moins que l'on puisse dire à ce propos, quoique
l'arrêt soitd'un avis différent,c'est qu'en mai 1994 les messages parle-
mentaires des ministres canadiensétaient équivoqueset trompeurs, car ils
semblaient limiter aux seuls ((bateaux pirates »l'application de la législa-
tion canadienne en question. L'intention sous-jacente manifestéepar les
ministrescanadiensn'était ni nette ni claire. M. Tobin lui-mêmeparla du
pouvoir du Parlement de désignerde nouvelles classes réglementairesde
bateaux qui pourraient à l'avenir être assujettià la loi modifiée(para-
graphe 77 de l'arrêt).
322. Le principe de la bonne foi ne peut que jouer ici à plein dans
l'interprétation d'une quelconque intention «sous-jacente» du Canada.
Mais, l'arrêt, nousle savons déjà, ignore tout simplement la bonne foi

dans l'interprétation qu'il faitde la réserve de l'alinéad). Pour l'arrêtil
n'y a donc là aucunecontradiction avec les exigencesd'un comportement
de bonne foi. Mais dans la présenteopinion, je base l'interprétationde la
réservecanadienne sur des règleset méthodesobjectives d'interprétation
qui exigent que les termes de l'instrument soientinterprétésde bonne foi.
En tout état de cause, que l'interprétation soitobjective ou subjective, il
n'est pas raisonnable de conclure, à la lumière des moyens complémen-
taires d'interprétation invoquéspar les Parties, que l'intention exprimée
dans le règlementadoptéle 3mars 1995,c'est-à-direprèsd'un an aprèsla
déclaration objet de l'interprétation, puisse êtreconsidérée commeune
circonstance entourant le dépôtde la déclaration canadienne le 10mai
1994.Pour l'interprétation, il s'agitévidemmentd'une intention bien trop
postérieureau dépôt de la déclaration.

323. Comme il est évident quel'interprétation subjectiviste de l'inten-
tion sous-jacente de mai 1994 ne lui permet pas d'aboutir au résultat
voulu pour l'interprétation des termesanavires pêchant)),le défendeurse
proclame sur ce point farouchement littéraliste, en allant mêmejusqu'à
déclarer,en réponse à des arguments espagnols, qu'il faut respecter les
règlesde grammaire! L'interprétation par le Canada du passage de l'arrêt
de l'dnglo-Iuanian Oil Co. sur l'intention de 1'Etatdéclarant,citéad nau-
seam par le défendeur,est mis quelque peu en sourdine dans le présent
contexte. Et que fait l'arràtcet égard?Il suit une fois de plus la position
du défendeuret change de méthode d'interprétationen fonction du point
à interpréter.
324. Pour le Canada comme pour l'arrêt,les mots ((navirespêchant))
désignent dans la réserve de l'alinéad) de la déclaration les navires

pêchant dans lazone de réglementationde I'OPANO, car c'estce que dit
le texte de la réserve. Ainsi,la déclaration faitela Chambre des com-
munes le 11mai 1994par le ministredes pêcheset des océans,M. Tobin,
dans laquelle il dit, notamment, qu'il n'y a pas d'exception, n'est utilisée
que pour confirmer le sens du texte. Mais il y a aussi les déclarations
faites au Sénatle 12mai 1994par le ministre des affairesétrangèreset ducommerce international, M. Ouellet, qui soulèvent des doutessérieuxsur
l'interprétation que l'on faitdu texte de la réserve de l'alinéad). Com-
ment le Canada et l'arrêtrèglent-ilsalors cet aspect des choses? En uti-
lisant seulement quelques phrases choisies des déclarationsdeM. Ouellet
et en oubliant le reste.
325. Bien que le texte de la loi modifiéedu 12mai 1994parle en géné-
ral des ((bateaux de pêcheétrangers)) qui continuent d'exploiter des
stocks dans la zone de réglementation de YOPANO d'une manière qui
compromet l'efficacitédes ((mesuresvalables))de conservation et de ges-
tion, notamment cellesprises souslerégimede la conventionde 170PAN0

de 1978 (mémoirede l'Espagne, annexes, vol. 1, annexe 14, p. 70), le
règlementd'application du 25 mai 1994dit expressémentque les classes
réglementairesde bateaux sont respectivement les bateaux sans natio-
nalité et les bateaux de pêcheétrangers qui naviguent sous le pavillon
d'un Etat viséau tableau III de son article 21,à savoir le Belize,les îles
Cayman, leHonduras, lePanama, Saint-Vincent-et-Grenadinesetla Sierra
Leone (ibid., annexe 17, p. 297-298). Ce n'est que dans le règlementdu
3 mars 1995 que le Gouvernement canadien (et non le Parlement) a
ajouté aux classesréglementaires debateaux de pêcheétrangers sus-indi-
quées«les bateaux de pêcheétrangers qui naviguentsousle pavillon d'un
Etat viséau tableau IV du présentarticle)),à savoir le Portugal et l'Es-
pagne (ibid., annexe 19,p. 309 et 311)
326. Ces faits sont concluants sur un pointà savoirque la loi modifiée
ne s'estpas appliquée,entremai 1994et mars 1995,aux navires espagnols

et portugais ni aux navires d'un autre Etat participant à I'OPANO. A
cela il faut ajouter que l'intention juridiquementpertinente en l'espèce est
cellerelativeàla déclaration d'acceptation parle Canada de lajuridiction
obligatoire de la Cour et non pas l'intention des ministres et parlemen-
taires canadiensconcernant le champ d'application de la future loi modi-
fiéeet ses possibilités d'évolution à l'avenir; évolution qui pourrait
d'ailleurs élargir oulimiter ladite application car, après l'accord d'avril
1995entre le Canada et la Communauté européenne,on en est revenu à
la situation existant entre mai 1994et mars 1995.A présent, laloi modi-
fiéene s'applique à nouveau qu'aux navires «pirates» de mai 1994. Et
pourtant la déclaration canadiennedu 10mai 1994esttoujours la même!

327. Est-ce que cela veut dire que la réservede l'alinéad) de la décla-
ration de 1994 n'a à présent aucun effet utile comme voudrait le faire
croire le Canada lorsqu'il rejette telle ou telle interprétationespagnole de

la réserve?On est en droit de sele demander étantdonné lafacilité avec
laquelle le défendeur invoquel'effet utile propos de l'interprétation de
ladite réserve.Car le Canada a plaidé quesi les navires battant pavillon
espagnol ou portugais ou d'un autre Etat pêchant dansla zone de régle-
mentation de I'OPANO tombaient en dehors du champ d'application de
la réservecelle-cin'aurait aucun effet utile. Encore une fois,je suis obligé
de le dire, le Canada plaide une chose et son contraire.
328. L'intention générale qui sous-tend en mai 1994le débatdu projet702 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

de loi C-29 et du règlementdu 25 mai 1994,quoique confuse, n'est pas
cependant que ces dispositions du droit canadien s'appliquent aux na-
vires des Etats membres de l'Union européenne pêchant dans lazone de
réglementation de YOPANO. Pour ces pays, en cas de besoin, on allait
faire appelà la diplomatie canadienne. Les déclarations que le ministre
des affairesétrangères,M. Ouellet, a faites au Sénatle 12mai 1994sont

concluantes à cet égard.Or, c'estle 10mai 1994que le Canada dépose sa
déclaration auprèsdu Secrétairegénéral desNations Unies et non pas
en mars 1995.
329. L'intention du Canada en mai 1994est donc loin de ce qui a été
fait en mars 1995. Or, si l'on examine l'intention sous-jacente, la seule
intention qui peut compter est cellequi sous-tend le dépôt de la déclara-
tion et non pas une intention quelconque postérieure à ce dépôt.C'est
sans doute pour évitercette contradiction frappante que le Canada et
l'arrêtabandonnent sur le point considéré leur thèsienterprétativegéné-
rale sur l'intention et se tournent cette fois-civers le texte de la réserve de
l'alinéad) de la déclarationdu Canada.

330. Pour ma part, j'applique à l'interprétation de la déclaration du
Canada, l'interprétation objective,c'est-à-diredes règleset des méthodes
interprétatives quipartent du texte de l'instrument objet de l'interpréta-
tion, sans exclure pour autant des éléments relatifsla détermination de
l'intention dans la mesure et pour les fins admises en droit international.
A ce propos, je constate que le texte comme tel est applicableà tous les
navires. L'intention sous-jacente du Canada est moins claire. Un doute
raisonnable est permis. C'estdans leslimitesde ce doute que doit jouer la
bonne foi dans l'interprétation.

En tout cas, le Canada n'a pas modifiéen 1995lestermes dans lesquels
il a donnéen 1994son consentement à la juridiction obligatoire de la
Cour. Il n'a pas fait usage du droit de modification réserdans le para-
graphe 3 de la déclaration.Modifier sa déclarationpar voie interprétative
après dépôt dela requête de l'Espagnen'estcompatible ni avecle système
de la clause facultative, ni avec une interprétation de bonne foi.
Il faut ajouter qu'en droit international une interprétationde bonne foi
ne peut pas non plus s'entenir pour certainspoints au texte de la déclara-
tion et pour d'autres points renvoyer à l'intention dite sous-jacente du
Canada qui évolueraiten plus au fildes mois ou, encore, aux motifs que
le Canada aurait pu avoir lorsqu'il a fait et déposéla déclaration du
10mai 1994. Il faut choisir.

331. La conclusion que les mots ((pour les navires pêchant)) de la
réservede l'alinéad) de la déclaration du Canada s'applique à tous lesnavires a cependant une conséquencenégativepour l'argument de l'effeet
utile de la réserveavancépar le Canada, car les((navirescanadiens))tom-
bent aussi alors dans le champ d'application éventuelde la réserve.

Qu'est-ceque celaveut dire?Tout simplement que sile Canada un jour
adopte unilatéralementdes mesures «dites» de gestionet de conservation
dans la zone de réglementationde I'OPANO, maisfavorables en fait aux
navires canadiens au détrimentdes navires des autres Etats ou de certains

de ceux-ci(par exempleen matièrede répartitionde quotas du TAC), les
différendsqui pourraient en résulterentre Etats sont exclusdu consente-
ment du Canada à la juridiction de la Cour exprimédans la déclaration
de 1994.
332. Le Canada, par contre, garde le silencesur ceteffet utile possible,
et pas du tout négligeable, desmots «pour les navires pêchant»de la
réserve. C'est l'évidence mêq muee si l'on s'attache sur ce point'inter-
prétation littéraleles navires canadiens pêchant dans la zone OPANO
entrent dans la réserve.Cette conclusion n'estrîas absurde du tout. Car.
ce qui serait exclu de la juridiction de la Cour par la réserve,ce ne sont
pas les rapports entre le Canada et les navires canadiens, mais les rap-
ports entre le Canada et un autre Etat pour ce qui est des mesures adop-
téesou exécutéep sar le Canada à l'égarddes navires canadiens, mesures
qui pourraient bien êtrediscriminatoires à l'égarddes navires battant le

pavillon d'un autre Etat ou contrairesauxintérêtsdecedernier Etat dans
les pêches enquestion. Si,à cela s'ajoutent les navires apatrides et ceux
battant pavillon de complaisance, on peut constater facilement que la
non-application de la réservede l'alinéad) à d'autres navires ne priverait
pas du tout celle-ci d'effet utile. En fait, c'est la situation qui existait
avant le 3mars 1995et qui existeaprèsle débutde mai 1995,c'est-à-dire
la situation actuelle.

c) Les ((mesuresde gestionet de conservation))de la réserveet la non-
délfinitide cesmesures dansla déclaration

333. Comme je l'ai déjàmentionné,le Canada aurait pu formuler la
réservede l'alinéa d) de sa déclaration de 1994en parlant tout simple-
ment des ((mesuresadoptéespar leCanada ..».Cette formule aurait alors
compris toutes les mesures possibles et imaginables adoptées par le

Canada. Mais le Canada ne l'apas fait dans l'exercicede sa souveraineté.
Pour ma part, je me refuse, dans le contexte de l'interprétation de la
réserve, à entrer dans le débat qui consiste à se demander pourquoi le
Canada ne l'a pas fait. C'estun domaine qui concerne leschoixpolitiques
internes du Canada, tout comme faire ou ne pas faire une déclaration
d'acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour. Je ne saurais
admettre ce genre d'interprétationssubjectives dans le cadre du système
de la clausefacultative. C'estl'intention expriméedans la déclarationque
j'interprète dans la présenteopinion.
334. Au demeurant, on touche iciune limitation objectivede la réserve704 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

voulue expressémentpar 1'Etatdéclarantet qui fait partie du texte de la
réserve. Lesmesures de la réservedoivent êtredes ((mesuresdegestion et
de conservation». Nous ne sommes pas devant des motifs ou mêmeune
intention sous-jacente quelconque, mais bel et bien devant une intention

qui se manifeste dans le libellédu texte. Par ailleurs, ni la réservede
l'alinéad) ni aucune autre partie de la déclaration canadienne ne définis-
sent l'expression ((mesuresde gestion et de conservation)),directement ou
indirectement, ni n'attribuent un sens particulier à cette expression ou à
l'un quelconque des termes la composant.

335. En l'absence d'une définitionparticulière - directe ou indirecte
- donnée par le Canada, l'expression «mesures de gestion et de conser-
vation)) utiliséedans la réservede l'alinéad) ne peut être interprétéqeu'à
la lumièredu droit international général. La qualification, dans le texte

de la réserve,du terme «mesures» par les mots «de gestion et de conser-
vation ))et la non-définitionde l'expressiondans la déclarationelle-même
traduisent l'intention objective de 1'Etatdéclarantde lui attribuer le sens
qu'elle a en droit international, cadrejuridique de référence desdéclara-
tions relevant du systèmede la clause facultative. En outre, l'application
des règlesd'interprétation conduit à la mêmeconclusion car les règles
pertinentes de droit international applicables dans les relations entre les
parties sont un des éléments interprétatifs admis dont il faut tenir compte
«en mêmetemps que du contexte)).
336. De surcroît. le Canada lui-mêmea insistélors des audiences sur le

caractèuegénérique de l'expression ((mesuresde gestion et de conserva-
tion» de la réservede l'alinéad) de sa déclaration en invoquant lajuris-
prudence de l'arrêt surle Plateau continentalde lamer Egée.Ce faisant,
il a reconnu dans le présent incident préliminairele rôle du droit inter-
national dans l'interprétation de l'expression «mesures de gestion et de
conservation» de la réservecar, dans l'affaire de laMer Egée,il est ques-
tion du sens que revêtenten droit international certains termes incor-
porés dans un instrument juridique international. Cet arrêtinterprète
l'expression «statut territorial)) d'après le droit international et l'évolu-
tion que celui-ci a connue.

337. Ainsi, pour apprécier si les mesures adoptées par le Canada
en mars 1995 à l'encontre des navires battant pavillon espagnol étaient
des ((mesures de gestion et de conservation)) au sens de la réserve de
l'alinéad) de la déclaration du Canada du 10mai 1994,il faut se tourner
vers le droit international. Et il faut le faire parce que cela découle dela
déclaration elle-mêmeet des règlesd'interprétation du droit internatio-
nal.

338. L'arrêtlui-mêmereconnaît que la Cour doit interpréter la réserve
de l'alinéad) du paragraphe 2 de la déclaration du Canada en s'enqué-
rant du sens que l'expression «mesures de gestion et de conservation» yrevêt «à la lumièredu droit international)) (paragraphe 69 de l'arrêt). On
aurait pu croire que l'arrêtfinissait par se mettre au diapason du droit
international, mais ce n'est pas du tout le cas. En effet, dans le para-
graphe suivant, l'arrêt nous dit que «[s]elon le droit international, pour
qu'une mesure puisse êtrequalifiéede((mesurede gestion et de conserva-
tion, iluf$t qu'elleait pour objet de géreret de conserver des ressources
biologiques et réponde à diverses caractéristiquestechniques))(les itali-
ques sont de moi). Pour l'arrêt, l'auteurdes mesures, les zones maritimes

qu'ellesaffectentetlou la manièredont leur exécutionest prévuene sont
pas des éléments de la définition des((mesuresde gestion et de conserva-
tion» en droit international. Ces derniers élémentsn'entreraient en ligne
de compte qu'aux fins d'apprécier lalicéité des mesures dont il s'agit au
regard du droit international (paragraphe 70 de l'arrêt).

339. L'auteur de la présenteopinion est en total désaccord aveccette
conclusion de l'arrêt.Les mesures «de gestion et de conservation))sont
définiesen droit international par rapportà des critèresjuridiques et pas
seulement ou exclusivementselon des critères techniques. L'arrêtaffirme
par contre tardivement que «[l]e droit international qualifie donc les
((mesuresde gestion et de conservation)) par rapport à des critères fac-
tuels et scientifiques))(paragraphe70 de l'arrêt),mais sans apporter la

preuve de lapratique internationale ni de l'opiniojuris des Etats. L'arrêt
confond ici, en fait, le droit international général avecles règlements
d'application de la loi canadienne sur la protection des pêches côtièrst
leurs annexes ou, encore, avec d'autres législations nationales qu'ilmen-
tionne sans les analyser! Nous allons voir ci-dessousque le droit interna-
tional généralcristallisédans la convention sur le droit de la mer de 1982
ainsi que des accords internationaux y relatifs récemmentconclus sont
d'un autre avis, par exemple,l'accord de laFA0 de novembre 1993,inti-
tulé ((Accord visant à favoriser le respect par les navires de pêcheen
haute mer des mesures internationales de conservation et de gestion» et
l'accord desNations Unies du 4 décembre1995dénommé ((Accordaux
fins de l'application des dispositions de la convention des Nations Unies
sur le droit de la mer du 10décembre1982relatives à la conservation et
à la gestion des stocksde poissons dont lesdéplacementss'effectuenttant
à l'intérieur qu'au-delàde zones économiquesexclusives(stocks chevau-

chants) et des stocks de poissons grands migrateurs)). Je suis donc entiè-
rement d'accord avecla critique qui est faite aussi dans d'autres opinions
dissidentes de la conclusion de la majorité surle sens attribuer en droit
international àl'expression((mesuresde gestion et de conservation» des
ressources biologiques de la haute mer. Les référenceque l'arrêt fait ce
propos à l'article 62 de la convention sur le droit de la mer de 1982,à
certains autres accords et conventions et à certains textes de l'Union
européenneetde 170PAN0 ne sauraient êtreacceptéescomme preuvede
la pratique internationale ni comme constatation de l'opiniojuris des
Etats en la matière.706 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

340. Pour arriver à sa conclusion sur le sens de ladite notion en droit
international - et aussi dans la réservede l'alinéad) de la déclaration
canadienne compte tenu du silence de celle-ci à cet égard-, l'arrêt fait
intervenir une foisencore la questionde laicéitédesmesures(voir lepara-
graphe 70). Mais,il admet que la question de l'existenceet du contenu de
la notion en droit international est une question de définitionquoique,

d'après lui, rechercher si une action déterminée, inclusedans le champ
d'application de la notion, enfreint les prescriptions normatives dudit
ordre juridique, serait toujours une question de licéité. C'estbien sur le
terrain de la définitionde la notion qu'il faut se placer pour interpréter
l'expression considéréedans le présent incident préliminairesur la com-
pétence maisil arrive souvent, comme pour ce qui est de la définition des
((mesuresde gestion et de conservation)) en droit international de la mer,
que la définition dela notion comporte des élémentsou des critèresjuri-
diques et pas seulement techniques, factuels ou scientifiques. Et il arrive

aussi que la question de la licéité puifaire partie de la définitionmême
d'une notion juridique déterminée.Dans des situations de ce genre, la
conclusion dans un incident préliminairepourrait bien être qu'uneobjec-
tion ou exception donnée n'a pas un caractère exclusivement prélimi-
naire. En fait, c'est pour écarter cette possibilité que l'arrêts'efforce
d'exclure de la notion des ((mesures de gestion et de conservation)) tout
critèrejuridique en tant qu'élément relatià l'existence ou au contenu de
la notion, c'est-à-dire de sa définition.

341. Reprenons mes propres considérations sur la question à l'exa-
men. Le recours au droit international pour interpréter l'expression
((mesuresde gestion et de conservation)) se trouve facilité enl'espècepar
le contextede l'expressionmêmedans la réservede l'alinéa d) de la décla-
ration du Canada, car il ressort de celle-ciqu'il s'agit de mesuresde ges-
tion et de conservation adoptées par le Canada pour des navires pêchant
dans la zone de rég"ementation de 1'OPANO et de l'exécution detelles
mesures. Le contexte place ainsi l'interprète dans le cadre d'un domaine
déterminé dudroit international, à savoir celui du droit de la mer et,à

l'intérieurdu droit international de la mer, dans le régimejuridique appli-
cable à une seule zone d'un espace maritime bien déterminé, à savoir la
zone de réglementationde I'OPANO en haute mer.
342. Nous ne sommes pas devant le texte d'une réservequi renvoie à
deux ou à plusieurs espaces maritimes. La réservede l'alinéad) n'exclut
pas, par exemple, de la juridiction obligatoire de la Cour des différends
concernant des mesures de gestion et de conservation adoptées par le
Canada pour sa zone économiqueexclusive.Cela facilite aussi beaucoup
la tâche de l'interprète parce que, contrairement à ce que le Canada et
l'arrêt affirment,les mesures de gestion et de conservation des ressources

biologiques de la mer ne sont pas définiesde la mêmemanièrepour tous
les espaces maritimes reconnus par le droit international. Et pourquoi en707 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS. TORRES BERNARDEZ)

est-il ainsi? Parce que le droit international tient compteà cet égarddu
régimejuridique général de l'espacemaritime en cause, de l'auteur des
mesures en question et de la nature des mesures adoptées.
343. Certes, il y a des mesures de gestion et de conservation en haute
mer, mais elles ne se définissentpas de manière similaire à celles, par
exemple, applicables dans la zone économique exclusive d'un Etat. La
gestion et la conservation des ressources biologiques sont un objectif du
droit de la mer, une valeur sociale, protégéepar l'ordre juridique inter-

national, qui s'applique aux différents espaces maritimes reconnus, mais
les ((mesuresde gestion et de conservation))n'ont ni la même existenceni
le mêmecontenu dans tous ces espaces du fait précisément des différences
existant entre leurs régimesjuridiques respectifs. Une mesure qui en droit
international est une mesure de gestion et de conservation dans une zone
économique exclusive peut très bien ne point êtreune telle mesure en
haute mer. L'arrêtnégligece qui pour moi est si évident, tombe sous le
sens, sans aucune démonstration véritable de la pratique internationale
des Etats et de leuropiniojuris.
344. Le droit international - comme les ordres juridiques internes
d'ailleurs- est un systèmecohérent.Par exemple, si un agent canadien
adopte une mesure non prévueparmi les mesures que le droit canadien

reconnaît comme étant des mesures de gestion ou de conservaBon, la
mesure en question peut-elle êtrequalifiéede mesure de gestion et de
conservation dans ledit ordrejuridique? Le Canada a affirméle contraire
dans le présent incident.Par exemple, lorsqu'il a répondu aux arguments
sur l'application extraterritoriale de son code criminel ou sur l'usagede la
force. Les choses se passent mutatis mutandis de la mêmemanière en
droit international. Celui-ciprend en considérationl'auteur de la mesure,
l'espacemaritime en cause, l'objet et la nature de la mesure et la manière
de l'exécuterau niveau de sa définition des((mesures de gestion et de
conservation)) des ressources biologiques de la mer.
345. Voyonsencore d'autres exemplesen guised'illustration. Lorsqu'un

agent de la paix d'un Etat déterminéet un terroriste privent une personne
de sa liberté,est-ce que la qualité ou condition de l'auteur de la mesure
n'intervient pas et peut-on toujours parler de ((mesurede police))?Et lors-
que ledit agent de la paix poursuit et arrêteun malfaiteur sur le territoire
d'un Etat voisin, ces actes sont-ils toujours une mesure rentrant dans la
définition dela notion «mesure de police))? Les systèmesjuridiques ne
prennent pas en considérationseulement l'objet factuel ou matériel dela
mesure, voire son but, lorsqu'ils définissentun type déterminé demesures
admises. Ils font aussi intervenir, aux fins d'une telle définition,d'autres
critèresqui, de ce fait, sont autant de critèresjuridiques de la définition
des mesures dont il s'agit. Le droit international fait de même.

346. Considérons maintenant les interprétations respectives que les
Parties ont données à l'expression ((mesures de gestion et de conserva-tion» dans la réservede l'alinéad) du Canada, en commençant par celle
du demandeur. L'Espagne affirmetout d'abord quela gestion etlaconser-
vation de ressources neconcernent pas l'objetdu différend qu'ellea soumis
à la Cour, àsavoir le titre internationaldu Canada pour exercer sajuridic-
tion en haute mer à l'égard des naviresespagnols et de leurs équipages.
Pour l'Espagne, la prétention d'unEtat côtier àl'exerciceunilatéral d'une
compétencesur les espaces maritimes internationaux de la haute mer ou
sur des navires étrangers se trouvant dans lesdits espaces ne saurait se
cacher derrière l'alibi de la gestion et de la conservation des ressources.
Or, la réservede l'alinéa) de la déclarationcanadienneparle de ((mesures
de gestion et de conservation pour les navires pêchant»et non pas de la
juridiction ou des droits du Canada en haute mer vis-à-visd'autres Etats

ou des navires battant pavillon d'autres Etats se trouvant en haute mer.
347. Pour l'Espagne, derrière la législationcanadienne sur la protec-
tion des pêchescôtièresse cacherait la prétention du Canada de vouloir
étendresa souverainetésurdes espaces internationaux de la haute mer au
détrimentdes droits des autres Etats souverainsdans ces espaces, en pro-
cédantmêmepour ce faire à une application extraterritoriale de sa légis-
lation pénaleet en autorisant l'usage de la force.
348. D'après l'Espagne,le régimejuridique de la haute mer fait qu'il
est impossible que le Canada soit en possession d'un titre international
l'autorisantà exercer sajuridiction sur des navires espagnols se trouvant
en haute mer. Un tel titre ne découleraitpas du droit général dela mer ni
non plus de la convention de I'OPANO de 1978et il n'existepas d'accord
bilatéral entre l'Espagne et le Canada permettant de tels agissements
canadiens à l'encontre de navires espagnols dans les eaux internationales.

Certes, le Canada invoque sa législationnationale mais celle-cin'est pas
opposableaux autres Etats, y comprisl'Espagne, car ellen'estpas fondée
sur un titre de droit international.
349. L'Espagne souligneaussi que,d'après sontexte, la réservede l'ali-
néa d) n'exclut de lajuridiction obligatoire de la Cour qu'une seule caté-
gorie demesures: les ((mesuresde gestion et de conservation)).L'Espagne
n'admet pas pourtant que cette expression puisse être interprétéceomme
englobantd'autres faits, licites ou illicites,ou d'autres catégoriespossibles
de mesures telles que, par exemple, cellede ((mesuresd'exécution)).
350. L'Espagne estime aussi qu'ayant été formulées en termes d'une
catégorie objective nondéfinieautrement dansla déclaration(par exemple,
par un renvoi à la législationcanadienne), lesmesures en question doivent
être de véritables ((mesuresde gestion et de conservation))n droit inter-

national pour pouvoir entrer dans le champ d'application de la réserve de
l'alinéad). A l'égarddu droit international et de la pratique internatio-
nale, d'après l'Espagne,les différentes mesuresadoptées etexécutées par
le Canada en l'espècen'étaient pasau regard de ce droit et de cette pra-
tique de véritables ((mesures de gestion et de conservation». Elles ne
seraient pas en conséquence couvertespar la réservede l'alinéa d). Elles
ne seraient que des simples comportements defait, voire desfaits illicites
internationaux. 351. La loi modifiéesur la protection des pêchescôtièresdu Canada,
avec la prétention qu'elle comporte d'exercer la juridiction canadienne
sur des navires étrangersen haute mer, l'extension du droit pénal cana-
dien aux équipages des naviresétrangersen haute mer et l'autorisation
d'utiliserla force contre ceséquipagesetnavires, ne saurait êtrequalifiée
de «mesure de gestion et de conservation))dans le droit international de
la haute mer. Mêmel'article 73de la convention sur le droit de la mer de
1982relatif à la mise en application des lois et règlements de1'Etatcôtier
dans sa zone économiqueexclusive n'envisagepas l'application du droit
pénal contre les navires étrangers et leur équipagesse trouvant dans
ladite zone.
352. De l'emploi de l'expression «mesures de gestion et de conserva-
tion» dans le texte de la réservede l'alinéa d) du paragraphe 2 de la

déclaration canadienne, l'Espagne tire deux conclusions principales, à
savoir: a) que l'effet utile de la réserveest plus limitéque ne l'affirmele
Canada; et b) que la réserven'estpas susceptible d'applicationau diffé-
rend qu'elle a soumis à la Cour à la suite des événements de mars 1995.
Si l'intention du Canada avait été en1994 cellequ'il affirmeêtre dansle
présent incident préliminaire, le Canada aurait alors, selon l'Espagne,
commis une incohérenceou une erreur dans la rédaction de la réserve,
car celle-ci n'est pas objectivement susceptible d'application des évé-
nements comme ceux qui ont eu lieu en marslavril 1995. La réserve
n'était passusceptible de s'appliquerà ces événementsS . on propre texte
l'empêcherait.A cet égard, des conseils de l'Espagne ont qualifiéla
réservede bancale. Il appartient au Canada d'assumer maintenant les
conséquencesde son fait de 1994lorsqu'il a rédigéet déposé sadéclara-

tion.Il n'appartient pas aux autres Etats déclarants,comme l'Espagne,
d'assumer les conséquences dece qui ne serait que le résultat duseul fait
du Canada.
353. En ce qui concerne l'insistance du Canada sur le contenu ou
l'objet factuel des mesures comme critèreprivilégiépour l'interprétation
de l'expression«mesuresde gestion et de conservation», l'Espagne a sou-
lignéque cette prise de position canadienne méconnaissait le principe
d'intégrité dans l'interprétation de la déclaration, l'instrument objedte
l'interprétation étant la déclaration et non pas seulement la réservede
l'alinéad). En d'autres termes, l'interprétationde cette réservene devrait
pas se faire sans tenir compte de la déclaration dans son ensemble, des
propos tenus en 1994par les ministres responsables lors des débats par-
lementaires sur le projet de loi C-29 (navires dits «pirates») et de l'objet

du différend soumis à la Cour par l'Espagne («titre» du Canada).
354. Finalement, pour l'Espagne, les catégoriesjuridiques ne peuvent
pas être arbitraireset leur capacitéévolutive éventuellene doit pas être
confondue avec la volatilitédu sens et de la portéedes termes employés.
Les termes, y compris les génériquess,'adaptent aux circonstances, mais
ils ne sauraient dénaturer les catégoriesjuridiques dont il s'agit. Ainsi,le
caractère générique éventued le ladite expression dans la réservedont
excipe le Canada ne saurait convertir celle-ci enun véritabletrou noir,710 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS.TORRES BERNARDEZ)

d'autant plus que les mesures adoptées par le Canada en mars 1995
n'étaientmêmepas des ((mesures de gestion et de conservation))dans le
cadre de la convention de I'OPANO.

355. Partant de l'affirmation selon laquelle le mot «mesures» est un
terme large qui embrasse toutes sortes d'actions, y compris législatives,
visant àatteindre une fin ou un but, le Canada a affirméle caractèrelarge
et englobant des mots «de gestion et de conservation))dans la réservede
l'alinéad). Ces mots n'emporteraient aucune restriction particulière si ce

n'est que la mesure doit bien évidemmentviser les ressources halieutiques
et leur exploitationrationnelle. Les termes qualificatifs ((gestionet conser-
vation)) recouvreraient toutes les mesures prises par 1'Etat canadien
(législatives,réglementaires,administratives)relativement aux ressources
biologiques de la mer (protection des ressources, conservation propre-
ment dite, gestion des pêches).
356. Cette conception large des ((mesuresde gestion et de conserva-
tion» de la réservede l'alinéa d) conduit en fait le Canada à assimiler
jusqu'à un certain point ces mesuresà des mesures pour ou concernant la
gestion et la conservation. Une mesure serait, pour le Canada, une
mesure de gestion et de conservation sielleest conçue dans le but de gérer
et de conserver des pêcheriesou si, de par son contenu ou son objet, on
pourrait conclure qu'elleconcerne la gestion et la conservation despêche-
ries. Les mesures adoptéespar le Canada n'auraient rien d'inhabituel en

matière de gestion et de conservation des pêcherieset elles se retrouve-
raient dans les accords internationaux et dans des législationsnationales
sur la pêchede sorte qu'elles seraient des ((mesures de gestio . et de
conservation» aux fins de la réservede l'alinéad). En tout étatde cause,
contenu et objet factuels et but recherchéseraient les élémentsà retenir
pour définirles ((mesures de gestion et de conservation))de la réserve.

Le Canada a quand mêmeadmis que l'expression ((mesuresde gestion
et de conservation» de la réserverenvoie à une catégoriegénériquede
mesures qui serait d'ailleurs ouverte des évolutionsfutures, après avoir
reproché à l'Espagne de limiterla portéede l'expressionà ce qui a étéfait
à cet égardpar le passé.Et il a aussi parléde la ((nature)) des mesures en
question.
357. Le Canada soutient aussi que l'expression((mesuresde gestion et

de conservation)) de la réservede l'alinéad) englobe tant les mesures
conformesque celles contraires au droit internationalcar - dit-i- une
mesure est une mesure qu'elle soit licite ou non (voir, par exemple,
CR98112, p. 11-14, 16). Si elle concerne la gestion et la conservation, la
mesure, mêmesi elleest illicite, serait une mesure de gestion et de conser-
vation, car le libelléde la réservene parle pas de mesures autoriséesou de
mesures internationalement licites ou, encore, de mesures prises en vertu
d'un titre valable (ily a ici une tentative de renversement de la règled'interprétation concernant la présomption de régularité des actes juri-
diques en cas de silencede l'instrument objet de l'interprétationdont j'ai
déjà parlédans la présente opinion).Quoi qu'ilen soit, d'aprèsleCanada,
la thèse espagnole selon laquelleles mesures ne sauraient, en l'absencede
titre, êtreconsidérées comme des ((mesures de gestion et de conserva-
tion» serait contredite par le libelléde la réserve canadienne.
358. L'existenceou l'absencede titre et la licéou l'illicéité des mesures

adoptéesne permettraient nullement, d'aprèsle Canada, de répondre à la
question de savoir si la réserve estapplicable en l'espèce,car il s'agitlà
d'une question sur laquellela Cour aurait àseprononcer au stade du fond.
Faire passer le fond avant la compétenceserait une absurdité selon le
Canada. Cet argument canadien ne répond qu'en partie à la thèse espa-
gnole,car cettedernièrene sefonde pas seulementsur I'illicéitédesmesures
adoptéespar le Canada mais aussi sur leur inexistenceen tant que «me-
sures de gestion et de conservation))dans le droit international de la haute
mer.

359. C'est l'évidence mêmq eue le Canada a cherché,dans les thèses
et arguments qu'il a développéssur la définitionde l'expressionici consi-
dérée, à surmonter l'obstacle considérableque représentait pour lui -
étant donnéle libelléde la réserve - le régimejuridique de la haute mer.
C'estpour cela que lesconseilsdu Canada se sont trouvés dansla nécessité
de souligner maintes fois que, ce qui compte, c'est le contenu ou l'objet
factuel des mesures plutôt que les régimesou les catégories juridiques.
On peut lire, par exemple, dans les comptes rendus des audiences que les
mesures adoptéeset exécutées en 1995 à l'encontre des navires espagnols
étaientdesmesures de gestion et de conservation parfaitement ordinaires à
ceciprès qu'elles ont étéappliquées dans une zone de la haute mer ou,

encore, que la seule chosequi les distinguent est le lieu où le Canada les a
appliquées. Il y a donc quelque chose qui distingue lesdites mesures de
1995 des mesures de gestion et de conservation ordinaires et cela, le
Canada l'admet tout de même,quoique bien discrètement.
360. Ayant admis l'inévitable,le Canada a fait de son mieux pour
minimiser les effets de cette reconnaissance dans l'interprétation de
l'expression ((mesuresde gestion et de conservation» dans la réservede
l'alinéad). C'est alors qu'il accusera l'Espagne de confondre ce qui est
essentielet ce qui est accessoire. La zone géographiqueou le lieu de leur
application, voire l'auteur de la mesure, ne relèveraitpas de l'essencedes
mesures de gestion et de conservation. Ce seraient donc des éléments

accessoires. L'arrêt suità la lettre cette thèse canadienne (voir le para-
graphe 338 de la présente opinion). La distinction entre «notion» et
((essencedela notion »(ou ((caractéristiquesessentiellesde la notion »)de
la majorité estempruntée auxplaidoiries canadiennes et non pas au droit
international.712 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

361. Pour le Canada, le régimejuridique de l'espace maritime où les
mesures s'appliquent, ou qui les adopte ou à qui elles s'appliquent dans
un tel espace ou comment elless'exécutent,seraient des éléments sansim-
portance pour la définitiondes ((mesuresde gestion et de conservation))

de la réserve.Il faut tout simplement lire la convention sur le droit de la
mer de 1982 (ou les accords mentionnés ci-dessus) pour se convaincre
du contraire. Mais, pour le Canada comme pour l'arrêt,les critèresjuri-
diques n'entreraient pas en ligne de compte pour l'interprétation et l'ap-
plication de la réserve del'alinéa). Aux dires des conseils canadiens, ils
ne seraient pas des ((éléments suffisamment objectifs» !Que les mesures
s'appliquent à l'intérieur oà l'extérieur des 200milles serait donc dénué
d'importance, d'après le Canada et l'arrêt, auxfins de l'interprétation
de l'expression ((mesuresde gestion et de conservation)) de la réserve.

362. Or, il faut dire que la réservede l'alinéad) de la déclaration cana-

dienne ne définit pas du tout l'expression ((mesures de gestion et de
conservation)) en fonction du contenu ou de l'objet factuel des mesures
adoptées ou exécutées par le Canada. Ces mots ne figurent que dans des
arguments avancéspar le Canada dans le présent incident préliminaire.
Le Canada qualifie en effet la loi modifiéeet sesrèglementsd'application
de mesures de gestion et de conservation en invoquant à cet égardleur
contenu ou objet factuelet leur but. Mais ces termes ne font pas partie du
texte de la réserve insérédeans la déclaration et ne se dégagentpas non
plus des moyens complémentairesd'interprétation dela déclaration sou-
mis àla Cour par les Parties. Je n'ai trouvédans les comptesrendus par-
lementairesrelatifs au projet de loi C-29 aucune définitionpar les respon-

sables canadiens de l'expression «mesures de gestion et de conservation))
de la réserve del'alinéad). Le Canada a reconnu que la loi modifiéesur
la protection des pêchescôtièresprévoitdes sanctions en cas d'infractions
et qu'elle contient des dispositions consacrées à l'application du droit
pénalcanadien dans la zone de réglementation de I'OPANO, quoique
strictement limitées,dit-il, aux cas où les infractions sont commises au
cours de l'application de la loi. Ainsi, directement làél'application des
mesures de gestion et de conservation adoptées par le Canada, les dispo-
sitions en question seraient alors couvertes par la réserve.

363. Les arguments initiaux canadiens concernant la définition des

mesures de la réservede l'alinéad) évoluerontau cours de la phase orale.
A l'audience, les conseils du Canada chercheront des termes de référence
plus objectifs pour démontrer que les mesures adoptées etexécutées par
le Canada en mars 1995 à l'encontre des navires espagnolsdans la zone
de réglementation de I'OPANO étaientbel et bien des ((mesuresde ges-
tion et de conservation))aux fins de l'interprétation de la réserve. Ainsi,
les différentsalinéasdu paragraphe 4 de l'article 62 de la convention sur
le droit de la mer de 1982ont étémentionnés (l'arrê letfait aussi) comme
preuves du fait que les mesures appliquéesaux navires espagnolsfigurant
dans le tableau V du règlement du 3 mars 1995étaientdes mesures de 713 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

gestion et de conservation.Il s'agit bien entendu d'une disposition rela-
tive à la zone économiqueexclusive et non pas à la haute mer, tout
comme les articles 61 et 73 de cette convention qui ont étéaussi men-
tionnés par les conseils du Canada. Ceux-ci ont égalementindiqué que
l'accord de 1995sur les stocks chevauchants emploie l'expression «me-
sures de conservation et de gestion)), que l'ensemble de cet accord

concernela haute mer et que lesmesures de gestion et de conservation de
I'OPANO s'appliquent dans une zone de la haute mer. Ils oublient cepen-
dant l'essentiel, savoir qu'il s'agit des mesuresappliquéesen zones de la
haute mer, qui sontprévuesdans desaccordsinternationaux conclusentre
les Etats intéressés!On est donc bien loin des mesures adoptées etexé-
cutéespar le Canada en 1995 à l'encontre des navires battant pavillon
espagnol se trouvant en haute mer. La majoritéva s'attacher àparache-
ver ceseffortscanadiens par des recherches supplémentairesqui n'appor-
tent rien de nouveau, mais que l'arrêtprésente commes'il s'agissait de
véritables preuvesde la pratique internationale des Etats et de leurnio
juris pour ce qui est de la définition des ((mesuresdegestion et de conser-

vation )).
364. Finalement, à ces ambiguïtés canadiennes, il faut ajouter celle
relativeà la position du Canada dans la présente instance sur la conven-
tion de I'OPANO de 1978et son système.Or, on est ici devant des enga-
gements conventionnels du Canada applicables à la zone de la haute mer
où les événementsde marslavril 1995 sesont produits. Les conseils du
Canada se sont cependant opposés à ce que l'on définisseles ((mesuresde
gestion et de conservation))de la réservede l'alinéad) par rapport à la
convention de l'OPAN0, malgréles références à I'OPANO et aux me-
sures adoptées par celle-ci dans la loi modifiéesur la protection des
pêchescôtièresdu Canada. Est-ce que ces dispositions ne font pas par-

tie de l'intégritéde la loi que la réserveétaitcenséeprotéger d'aprèsle
ministre Ouellet?

365. Quels sont le sens et la portéede l'expression((mesuresde gestion
et de conservation))dans le droit international en vigueur concernant la
haute mer? Pour répondre à la question, il faut se tourner vers certains
principes du nouvel ordre juridique de la mer que les Etats se sont donnés
à partir de la troisième conférence desNations Unies sur le droit de la
mer et de la conclusionde la convention des Nations Unies sur ledroit de

la mer du 10décembre1982.C'estdans cetteconvention que lestout der-
niers principes généraux concernant lagestion et la conservation des res-
sources biologiques de la haute mer se sont cristallisés.
366. La jurisprudence de la Cour a confirmé à plusieurs reprises, et
dans des contextes différents, que d'une manièregénéralela convention
de 1982 reflètela pratique des Etats dans les relations internationales
contemporaines relatives au droit de la mer, ainsi que leurpiniojuris à
cet égard.Il faut ajouter que la déclaration du Canada fut déposéele 714 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

10 mai 1994, c'est-à-dire environ douze ans après la conclusion de la
convention sur le droit de la mer et que le Canada fut un des Etats les
plus actifs au sein de la troisième conférence.Il convient aussi de rappeler

que le Canada a une zone économiqueexclusivede 200 milles et possède
d'autres droits en tantu'Etat côtier en vertu du nouvel ordre juridique
de la mer quel'Espagne et d'autres Etats ont accepté.Au cours de la pré-
sente procédure incidente, tant l'Espagne que le Canada ont cité des dis-
positions de la convention sur le droit de la mer de 198àl'appui de leurs
thèses respectives sur l'interprétation de la réserve de l'alinéa de la
déclarationdu Canada.
367. Aujourd'hui commehier, le droit international proclamela liberté
de la haute mer et prévoit qu'aucun Etat ne peut légitimementprétendre
soumettre une partie quelconque de la haute mer à sa souveraineté.Cette
liberté de la haute mer comvorte vour les Etats une sériede droits et

notamment la liberté de naviiationLet la liberté depêche.La liberté de la
haute mer s'exercedans les conditions prévuespar les dispositions de la
convention de 1982et les autres règlesdu droit international, c'est-à-dire
qu'ellene s'exercepas dans lesconditions prévuespar la législationnatio-
nale d'un Etat, quel qu'il soit. En outre, chaque Etat doit exercer les
libertés que comporte pour lui la liberté de la haute mer en tenant
dûment compte de l'intérêt qup erésentel'exercicede cettelibertépour les
autres Etats (articles 87 et 89 de la convention de 1982).
368. Conscient de la nécessitéde protéger tous les droits et intérêtsen
cause dans tous les différentsespaces maritimes reconnus, le droit inter-
national exige mêmeque les ((lois et règlements de I'Etat côtier)) en
matière de conservation applicables à sa propre zone économiqueexclu-

sive soientcompatibles avec la convention sur le droit de la mer de 1982
(art. 62, par. 4). On voit ainsique la nature des «mesuresde gestion et de
conservation» n'est indifférente,tant s'en faut, nà l'auteur des mesures
en question ni au régime général de l'espace maritime où elles sont
censéesêtre appliquéesA . ffirmer le contraire, comme le fait l'arrêt,ne me
semblepas conforme au droit de la mer. En outre, le sens dit «technique»
ou «factuel» que l'arrêtattribue aux mesures de la réservede l'alinéad)
ne peut êtredégagé par interprétation du texte de la réserve.Pour arriver
à une telle conclusion, il faut que l'interprète ajoute au texte des qualifi-
cations qui n'y figurent point et il faudrait aussà,mon avis, écarterle
droit international dans l'interprétation de la réserve.
369. Tout Etat a le droit de faire naviguer en haute mer des navires

battant son pavillon. Ces dernierspossèdent la nationalité de1'Etatdont
ils sont autorisésà battre le pavillon. Il doit exister un lien substantiel
entre 1'Etatet le navire, mais chaque Etat fixeles conditions auxquelles il
soumet l'attribution de sa nationalité aux navires, les conditions d'imma-
triculation des navires sur son territoire et les conditions requises pour
qu'ils aient le droit de battre son pavillon. Les navires naviguent sous le
pavillon d'unseul Etat et sont soumis, sauf dans les cas exceptionnels
expressémentprévuspar des traités internationauxou par la convention
de 1982, à sajuridiction exclusive en haute mer. Un navire qui naviguesous les pavillons de plusieurs Etats, dont il fait usaàesa convenance,
ne peut se prévaloir cependant, vis-à-vis de tout Etat tiers, d'aucune de
ces nationalités et peut êtreassimilé un navire sans nationalité (articles
90, 91 et 92 de la convention de 1982).
370. Tout Etat doit exercer effectivementsa juridiction et son contrôle
sur les navires battant son pavillon et doit lorsqu'il prànleur égardles
mesures nécessaires en l'espèce,se conformer aux règles,procédures et
pratiques internationales généralement acceptéesa,insi que prendre tou-
tes les dispositions nécessairespour en assurer le respect. Tout Etat qui a
desmotifs sérieux depenser que lajuridictionet le contrôleappropriéssur

un navire enhaute mer n'ontpas été exercéspeutsignalerlesfaits àI'Etat
dupavillon. Une fois avisé, celui-ciprocède àune enquête et prend,s'ily
a lieu, les mesures nécessairespour remédier à la situation. Chaque Etat
a l'obligation d'ordonner l'ouverture d'une enquête surtout comporte-
ment en mer dans lequel est impliqué un navire battant son pavillon et
qui a coûté lavie ou occasionné de graves blessures à des ressortissants
d'un autre Etat, ou des dommages importants à des navires ou des ins-
tallations d'un autre Etatu au milieumarin. L'Etat du pavillon et l'autre
Etat doivent coopérer dans la conduite de l'enquête (article 94 de la
convention de 1982).Même en casd'abordage ou de tout autre incident
de navigation maritime en haute mer, la juridiction pénaleou discipli-
naire est cellede 1'Etatdu pavillon ou de 1'Etatdont l'intéresa la natio-
nalité (article97 de la convention de 1982).

371. L'ensemble des dispositions généralesdu régimejuridique inter-
national applicable àla haute mer est fondé surdeux principes de base, à
savoir celui de lajuridiction exclusive deI'Etat dupavillon sur ses navires
en haute mer et celui de la coopération desEtats dans une sériede ma-
tièresconcernant la haute mer présentant un intérêt commun(assistance
en mer; transport d'esclaves; répressionde la piraterie; trafic illicite de
stupéfiants;diffusion d'émissionsnon autorisées;protection des câbles ou
des pipelines sous-marins). Cela explique que la saisie, le droit de visite et
le droit de poursuite d'un navireen haute mer par un Etat autre que celui
du pavillon soient des exceptions strictement réglementéespar le droit
international général dela haute mer (articles 105, 110 et 111 de la

convention de 1982).
372. La conservation et la gestion des ressources biologiques de la
haute mer obéissentaux mêmesprincipes et considérationsgénérales.
Certes, dans le nouvel ordre juridique de la mer, la liberté de pêcheen
haute mer est soumise à la réservedes conditions énoncéesdans la sec-
tion 2 (articles 116à 120) de la partie VI1 de la convention de 1982et,
notamment, de leurs obligations conventionnelles et des droits et obliga-
tions ainsi que des intérêtdes Etats côtiers énoncésaux articles 63 à 67
de la convention de 1982concernant la zone économique exclusive et en
particulier le paragraphe 2 de l'article63 sur les stocks chevauchants.Mais, quelle est l'obligation générale desEtats en la matière? Deprendre
les mesures,applicables à leursressortissants, quipeuvent êtrenécessaires
pour assurerla conservationdes ressources biologiquesde la haute mer et
de coopérer avec les autres Etats a la prise detelles mesures (article 117
de la convention de 1982).
373. Les mesures de gestion et de conservation des ressources biolo-
giques de la haute mer correspondent par leur nature à cette obligation
générale. Ainsi, l'article118de la convention dit que:

«Les Etats dont les ressortissants exploitent des ressources bio-
logiques différentes situéesdans une mêmezone ou des ressources
biologiques identiques négocient en vue de prendre les mesures
nécessairesà la conservation des ressources concernées.A cette fin,
ils coopèrent, si besoin est, pour créer desorganisations de pêche
sous-régionalesou régionales. »

L'OPANO est justement l'une de ces organisations.
374. L'article 119de la convention de 1982énonce desrèglesdétaillées
relativement à l'organisation de la coopération des Etats intéressésdans
la conservation et la gestion des ressources dela haute mer, y compris en
ce qui concerne le volume admissible de captures et d'autres mesures de
conservation, ainsi que les critères objectifs, compris scientifiques, sur
lesquels ces mesures doivent se fonder. En outre, l'article se termine par
un paragraphe 3 du plus haut intérêc toncernant le principe de non-dis-
crimination. Il est ainsi conçu:

«Les Etats concernésveillent à ce que les mesures de conservation
et leur application n'entraînent aucune discrimination de droit ou de
faità l'encontre d'aucun pêcheur, quel que soit1'Etatdont il est res-
sortissant.)

La condition de non-discrimination des ((mesures de gestion et de
conservation))adoptées pour une zone ou régionde la haute mer n'est
pas nouvelle d'ailleurs. Elle figure déjàdans la convention de 1958sur la
pêcheet la conservation des ressources biologiques de la haute mer (voir
articles 5 et 7 de la convention). Elle découle nécessairementdu régimede
res communis de la haute mer.

375. Lesdeux accords récemment conclusconcernant spécifiquementla
gestion et la conservation des ressources biologiquesde la haute mer défi-
nissent les mesures de gestion et de conservation en prenant dûment en
considérationdes critèresd'ordre juridique et, en particulier, les règlesper-

tinentes de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982.
Ainsi,dans l'article(définitions),alinéab), de l'accordde la FA0 visant à
favoriserle respect par lesnavires de pêcheen haute mer des mesuresinter-
nationales de conservation et de gestion, il est dit qu'aux fins de l'accord:
«par ((mesures internationales de conservation et de gestion)) on717 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS TORRES BERNARDEZ)

entend les mesures visant à conserver ou à gérer une ou plusieurs
espècesde ressources biologiquesmarines,qui sont adoptéeset appli-
quéesconformémentaux règles pertinentes de droit international
telles que reflétées danlsa convention desNations Uniessur le droit
de la mer de 1982. Ces mesures peuvent êtreadoptéessoit par des

organisations mondiales, régionales ou sous-régionaless'occupant
des pêches, sous réserve dd esoits et obligations deleurs membres,
soit par accordinternational.»(Les italiques sont de moi.)
Le Canada a acceptécet accord le20mai 1994(dixjours aprèsle dépôt

de sa déclaration),et la Communauté européennele 6 août 1996.
376. L'accord aux fins de l'application des dispositions de la conven-
tion des Nations Unies sur le droit de la mer du 10décembre1982rela-
tives à la conservation et à la gestion des stocks de poissons dont les
déplacementss'effectuent tant à l'intérieur qu'au-delàdes zones écono-
miques exclusives(stocks chevauchants)et des stocks de poissons grands
migrateurs du 4 décembre1995,seplace aussi tout à fait, pour ce qui est
de la définition des((mesuresde gestion et de conservation», dans ledroit
fil des dispositions pertinentes du droit international de la mer codifié
dans la convention sur le droit de la mer de 1982. L'accord n'est pas
encore en vigueur, mais les Parties l'ont mentionné dansla présente pro-
cédure incidente dans certains contextes et l'arrêtle fait aussi.

377. L'arrêtaffirme que sa conclusion sur la définition des((mesures
de gestion et de conservation))n'est nullement infirméepar l'alinéa) du
paragraphe 1de l'article premier de l'accord de 1995mentionnéci-dessus
car, dit-il, cette disposition ne définit pas elle-mêmeles mesures de
conservation et de gestion (ni non plus par l'accord delaA0 de 1993).
Je pense exactement le contraire car je lis, dans ladite disposition, qu'aux
fins du présent accord:

«On entend par ((mesuresde conservation et de gestion» les me-
sures visant à conserver età gérerune ou plusieurs espècesde res-
sources biologiques marines qui sont adoptées etappliquées dema-
nière compatible avec les règlespertinentedsudroit international telles
qu'elles ressortentde laconvention[sur le droit delamer de19821et
duprésent accord. » (AICONF.164137;les italiques sont de moi.)

Cela est toutà fait conforme à la définitiondesdites mesures qui résulte
du droit international général dela mer et que la présente opinion
défend.La définitionde l'accord de 1995prouve autant que la conven-
tion sur le droit de la mer de 1982(et que l'accord de laFA0 de 1993)
que, pour le droit international en vigueur, le critère de la compatibilité
des mesures dont il s'agit avecles règlespertinentes du droit internatio-

nal applicables à l'espace maritime en question est un élémentsine qua
non de la définitiondes ((mesuresde gestionet de conservation))des res-
sources biologiques de la mer dudit ordre juridique. Ajoutons que,
d'après l'article 4 de l'accord de1995 ((Aucune disposition [dudit accord] ne porte atteinte aux droits, à
la juridiction et aux obligations des Etats en vertu de la convention
[de 19821.Leprésentaccord est interprétéet appliquédans lecontexte
de la convention [de 19821et d'unemanièrecompatible avec celle-ci. ))

378. De plus, l'article 5 de l'accord de 1995,intitulé ((Principesgéné-
raux)), précisequ'en vue d'assurer la conservationet la gestion des stocks
viséspar l'accord «les Etats côtierset lesEtats qui selivrent àla pêcheen
haute mer, en exécutionde l'obligationde coopérerque leur impose la
convention [de 19821:a) adoptent des mesures...)) (les italiques sont de
moi); et l'article3 fait la distinction qui s'impose, d'aprèsle droit inter-
national de la mer, entre, d'une part, les((zonesrelevant de lajuridiction
nationalen et, d'autre part, les ((zones au-delà de la juridiction natio-
nale». Ajoutons que, dans l'accord de 1995,comme dans la convention

de 1982,il n'existe pas de ((mesuresde gestion et de conservation)) en
haute mer adoptéespar un Etat côtier à l'encontre des navires battant le
pavillon d'un autre Etat setrouvant dans un tel espacemaritime sauf par
voie d'accordentre les Etats intéressés.
379. La majorité fait de son mieux au paragraphe 70 de l'arrêt pour
échapper aux conclusionssus-énoncées sur la définitiondes ((mesuresde
gestion et de conservation)) en haute mer du droit international générae lt
des accordsinternationaux, mais lesdéfinitionsjuridiques ont la vie dure.
Ce n'est pas par cette sorte de considérationsque l'arrêt peum t odifier ou
renverser le droit international positif en vigueur en la matière. L'auteur,
l'espacemaritime, la nature des mesures, etc. - et non pas seulement le
contenu ou l'objet factuel des mesures -, sont autant d'éléments inhé-
rents à la définitionmêmedes ((mesures de gestion et de conservation))

des ressources biologiques de la mer en droit international et, partant,
dans la réservede l'alinéa d) de la déclaration du Canada. Le Canada
lui-mêmea reconnu, dans le présent incident préliminaire, queles me-
sures de gestion et de conservation viséesdans la réservene sont pas
nécessairement celles que le Canada affirme avoir un tel caractère.
C'étaitune façon pour le Canada, désireux dese tirer d'affaire, de laisser
à la Cour le soin de parler pour lui. Et une fois encore la majorité l'a
suivi.
Toutefois, la démonstration que fait l'arrêtde ce qu'il considèreêtre le
sens et la portée del'expression((mesuresde gestion et de conservation))
en droit international est tout à fait insuffisante. C'est une autre grave
faiblesse de l'arrêt, pouvant avoir d'ailleursdes conséquencesallant bien

au-delà du présent incidentpréliminaire. En fait, pour pouvoir conclure à
l'incompétence,la majoritéa d'une certaine façon adaptéle droit inter-
national en la matière à la prétendue intention sous-jacenteou aux pré-
tendusmotifs de la réservede l'alinéa d) de la déclarationdu Canada car,
comme il est dit expressémentau paragraphe 71 de l'arrêt, ((toute autre
interprétation de cette expression priverait la réserve de son effet
voulu ))!719 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

380. Dans la présentephase incidente, il n'est pas question de se pro-
noncer sur tel ou tel aspect de l'illicéou de la responsabilitérelevant du
fond de l'affaire, ou sur les moyens de défenseau fond dont le Canada
pourra exciper le moment venu, mais tout simplement d'interpréterla
déclaration dans le cadre de la compétencede la compétencede la Cour
(paragraphe 6 de l'article 36 du Statut), car le Canada conteste la com-
pétencede la Cour en invoquant la réserve del'alinéa d) de sa déclara-
tion. C'estdonc en rapport avecl'objetde la présenteprocédureincidente

que je conclus, compte tenu des considérationsci-dessus:

a) que le sens à attribuer à l'expression ((mesures de gestion et de
conservation))dans la réservede l'alinéad) du paragraphe 2 de la
déclaration canadienne, étantcelui du droit international généralde
la haute mer, ne saurait êtredéterminéen fonction seulement du
contenu ou de l'objet factuel ou matérieldes mesures en question,
qui, d'ailleurs, demanderait à êtreappréciéin casu4;

b) que les mesures adoptées par le Canada, objet de la présenteaffaire,
en invoquant sa législationinterne, ne sont pas pour le droit interna-
tional générad lela haute mer des ((mesuresde gestionet de conserva-
tion»: elles n'existent pas comme telles dans le droit international
gouvernant un tel espace maritime.

381. Cette deuxième conclusion est fondéesur des considérationspar-
faitementcompatibles avec l'exercicepar la Cour de sa compétencede la
compétence.Les mesures adoptéesen l'espècepar le Canada ne sont pas
dans le droit généralde la haute mer - ni partant dans la réserve de
l'alinéad) - des ((mesuresde gestion et de conservation))pour des rai-

sons très simples, a savoir:

a) elles ont étéadoptées pour des bateaux se trouvant en haute mer et
ayant une nationalité et un pavillon réguliersnon pas du Canada,
mais d'autres Etats souverains comme l'Espagne;
b) elles ont étéadoptées d'unemanière unilatérale sans égardau prin-
cipe de coopération entre les Etats concernés, n'étant le résultat
d'aucune négociation,entente ou accord entre ces Etats (dont l'Es-
pagne) ;
c) elles ont étéadoptéesmalgréles compétences conventionnelles exer-

cées enla matière par I'OPANO pour les bateaux des Etats pêchant
dans sa zone de réglementation(dont le Canada et l'Espagne); et, en
outre,

J'ai déjàmentionnéplus haut que lesmesures adoptéeset exécutéeesn l'espècepar le
Canada en mars1995 àl'encontre des navires espagnt ortugais pêchant dansla zone
leur but factuels étantceux de faire changerla position de européenneet de seet
faire reconnaître par celle-cicertains droits prdans ladite zone.720 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

d) elles ont entraîné, en l'espèce,une discrimination à l'encontre de
l'Espagne et du Portugal ainsi que des pêcheurs espagnols et portu-
gais.

Le caractère discriminatoire des mesures adoptées par le Canada
en marslavril 1995 à l'encontre debateaux espagnols est un fait prouvé
dans la présente procédure incidente, car ilest inscrit dans le règlement
canadien sur la protection des pêcheriescôtièresdu 3 mars1995soumis à
la Cour (mémoire de l'Espagne, annexes, vol.1,annexe 19,p. 311).A lui
seul ce fait enlèveaux mesures adoptéesen l'espècepar le Canada toute
possibilitéjuridique de pouvoir êtreconsidérées endroit international
comme étantdes ((mesuresde gestion et de conservation)) de ressources
biologiques de la haute mer et ainsi, pour les raisons indiquées, empêche
de leur attribuerce sens dans l'interprétationde la réservede l'alinéad)
du paragraphe 2 de la déclarationdu Canada.

382. Ces conclusions ne sauraient êtreni plus ni moins restrictives que
le texte mêmede la réservede l'alinéad) de la déclaration duCanada du
10 mai 1994. Et elles ne s'opposent pas non plus à ce que l'expression

((mesuresde gestion et de conservation)) puisse être interprétée dansne
déclaration déterminée comme ayant un autre sens ou une autre portée;
par exemple, celuid'une loi ou d'un règlementnational quelconque.Cela
pourrait parfaitement se produire car le consentementà lajuridiction de
la Cour ne saurait être confonduavec les principes et les règlesdu droit
international matériel. Et il se pourrait égalementqu'une cour de justice
soit censéedonner effet à un instrument juridictionnel qui ne soit pasà
l'aune du droit international du fait des termes mêmesdans lesquels
1'Etat en question a donné son consentemeiit à la juridiction (voir par
exemple paragraphes 66-68 de l'arrêt).Mais aucune de ces hypothèses
n'està considéreren l'espèce,car 17Etatdéclarantn'a pas donné, directe-
ment ou indirectement, une définitionparticulière des mesures en ques-

tion, ni dans la réserveni dans la déclaration dans son ensemble ni
ailleurs, avant l'introduction de l'instance.
383. L'arrêtn'invoque apparemment comme motif principal de sa
conclusion sur le point considéréqu'un seul élémentinterprétatif ayant
en outre un caractère complémentaire, à savoir la référencefaite dans la
déclarationau Sénatdu ministre Ouellet à la protection de l'intégrité de
la loi canadienne, en oubliant que le ministre des affairesétrangèreset du
commerce international du Canada a également insistésur d'autres
aspects comme par exemple les bases solides de droit de la loi en ques-
tion. Si l'on invoque comme preuve d'une intention sous-jacente un tel
moyen complémentaired'interprétation,il faudrait, au moins, le prendre
aussi dans son intégralité. Sans parlerque le ministreuellet renvoie le
lecteur aux navires dits «pirates» et au précédentde la déclaration cana-

dienne de 1970.
384. Que la question de la «conformité»d'un acteau droit internatio-721 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

na1 soit une question de «licéité»(paragraphe 68 de l'arrêt), doncde
fond, je suis d'accord. Mais dans les deux sens bien sûr, savoir celui de
la «licéité»ou de I'«illicéitéde l'acte en question, et la présente procé-
dure n'est qu'une procédure incidentepréliminaire.En outre, la question
différentede l'«existence»ou non de la mesure dont il s'agit, saréalien
tant que ((mesurede gestion et de conservation» en droit international
(étant donnésa non-définition dans le texte de la déclaration),n'est pas

une question de fond. Je n'estimepas que les mesures que le demandeur
reproche au défendeuren l'espèce,et que celui-ci admet, aient d'exis-
tence, de réalitéjuridique dansle droit international général e la mer en
tant que ((mesures de gestion et de conservation», d'où il découlepour
moi qu'elles nepeuvent pas êtrequalifiées in casude mesures de «gestion
et de conservation)) comme le fait l'arrêt aux finsde l'interprétationde la
réservede l'alinéa d) du paragraphe 2 de la déclaration du Canada.

385. Ma prise en considération, dans le présent contexte, du droit
international de la mer n'a pas de finalités relevantdu fond,à savoir la
conformité ou non des mesures canadiennes audit droit. C'est seulement

aux fins de l'interprétation de la réserveet du fait de son silence en la
matière, quej'ai tourné monattention vers le droit international général
et que j'ai eula réponse quecet ordre juridique ne connaît pas, en tant
que ((mesurede gestion et de conservation», des mesures comme celles
adoptéespar le Canada en l'espèceen 1995 à l'encontre des navires espa-
gnols dans la zone de réglementationde l'OPANO.
386. Le droit international généralnous dit aussi que le contenu ou
l'objet factuel des mesures n'est pas le seul critère qui entre en ligne de
compte pour déterminerl'existenced'une ((mesurede gestion et deconser-
vation)) en droit international. D'autres critères interviennent au même
titre,à savoir: l'espace maritime en question, le caractère unilatéralou
non des mesures, sa nature discriminatoire ou non, la finalité deconser-

vation ou non des mesures concrètes adoptées, etc. L'accord dela FA0
et celui des Nations Unies mentionnésci-dessusne font que confirmer le
droit international général dela mer en la matière.
387. Je ne saurais donc accepter les conclusions de l'arrêtsur la ques-
tion considérée comme représentantune manière naturelle et raisonnable
de lire le texte de la réservedans le contextede la déclaration et eu égard
aussi à l'intention de l'Etat déclaranttelle qu'ellese dégage des moyens
complémentairesd'interprétation soumisà la Cour par les Parties.

d) Les mots ((l'exécutionde tellesmesures))dans la réserveet le silence
sur l'usage de laforce dans les matières réservéespar la déclara-
tion

388. Ayant conclu que les «mesures» adoptéespar le Canada in casu
n'étaient pasdes ((mesuresde gestion et de conservation» au sens de la
réservede l'alinéa d) du paragraphe 2 de la déclarationdu Canada du10mai 1994,il est évidentpour l'auteur de la présenteopinion que l'exé-
cution de telles mesures par le Canada est un aspect du différendqui ne
rentre pas non plus dans le champ d'application de ladite réserve.Mais
comme l'arrêt donneune autre interprétation de l'expression((mesuresde
gestion et de conservation», il convient que je prenne égalementposition
sur l'interprétation des mots «l'exécutionde telles mesures)) en tant que
tels dans la réservecanadienne,c'est-à-direindépendamment de l'interpré-

tation des mesures adoptéespar le Canada en l'espèce etde leur qualifica-
tion comme mesures de gestion et de conservation en droit international.
389. Pour interpréter les mots «l'exécution de telles mesures)), il
convient en premier lieu d'avoir présent à l'esprit la distinction entre
«mesures» et leur «exécution». La réservede l'alinéa d) du paragraphe 2
de la déclaration du Canada ne traite que d'une seule catégoriede me-
sures,à savoir les «mesures de gestion et de conservation» adoptées par
le Canada pour les navires pêchant dans lazone de réglementation de
I'OPANO. L'«exécution» n'est pas dans la réserveune mesure ou une
catégorie autonome de mesures. Il ne s'agit que de la mise en Œuvredes-
dites «mesuresde gestion et de conservation». L'arrêtpar contre, en sui-
vant une fois de plus les thèses canadiennes, arrive à une conclusion

contraire. En effet, il parle «des mesures d'exécutiàndes finsde conser-
vation)) (voir par exemple paragraphe 82 de l'arrêt).
390. Pour l'auteur de la présente opinion, le terme «exécution» ne
peut cependant pas être interprété dans laréservede l'alinéad) indépen-
damment des ((mesures de gestion et de conservation)), auxquelles il est
subordonné. Sansl'existencede cettedernièrecatégoriede mesures, il n'y
a pas d'«exécution»dans la réservede la déclarationdu Canada. Ainsi, à
partir du moment où, dans les circonstance de l'espèce,le Canada aurait
adoptédes mesures d'un type différent,l'exécutionde ce type différentde
mesures n'entre pas dans le champ d'application de la réservede la décla-
ration du Canada ni au titre de l'«adoption» ni au titre de l'«exécution»
des mesures.

391. L'Espagne a insistéà plusieurs reprises sur la distinction opérée
ci-dessus. Cette distinction est en effàtla base de son deuxièmeargu-
ment principal en faveur de la compétencede la Cour dans l'affaire, à
savoir que l'emploi de la force par le Canada contre des navires en haute
mer battant pavillon espagnol ne peut être considéré, raisonnablement,
comme l'exécutionde mesures relatives à la gestion et à la conservation
de stocks de poissons. Pour l'Espagne, le droit international ayant inter-
dit l'emploi dela force, celle-ci ne peut pas êtrecomprise dans la réserve

de l'alinéad) étant donnéle silencedu texte de la réserveet de la déclara-
tion du Canada dans son ensemble sur l'usage de la force dans les
matières exclues par les réservesfigurant dans la déclaration.
392. Pour l'Espagne, il est clair que l'usage dela force n'est pas com-
pris dans la réserve de l'alinéa parce que celle-ci ne le dit pas et parceque l'emploi de la force, prévudans la législationcanadienne, contre des
navires étrangers en haute mer est un comportement contraire au droit
international, selon lequel les déclarations du systèmede la clause facul-
tative établissant la compétence de la Cour doivent être interprétées.
Ainsi, l'arraisonnement par la force de l'Estai en haute mer le 9 mars
1995n'était pasen soi un acte d'exécutiond'une mesure de gestion et de
conservation en droit international, mais tout autre chose.
393. Selon l'Espagne, la force interdite par le droit international n'est
pas seulement l'agression armée.La force interdite serait l'usage de la
force arméed'un Etat à l'encontre d'un autre Etat, qu'il s'agissedu ter-
ritoire ou des personnes ou des objets placéssous la souveraineté ou la

juridiction exclusive de ce dernier Etat, y compris s'ils se trouvent en
haute mer. L'usage de la force en haute mer contre un navire battant le
pavillon d'un autre Etat est contraire, d'après l'Espagne, la Charte des
Nations Unies, au droit international général etau droit de la haute mer
et, en tant que tel, ne peut être couvert par une interprétation de la
réservede l'alinéad) du paragraphe 2 de la déclaration du Canada sans
une référence explicitedans le texte de cette dernière dans son ensemble
ou de la réservedont le Canada excipe.

394. Quant aux faits, l'Espagne a soulignél'usagede la force prévupar
la législationcanadiennepertinente en vigueur contre des bateaux battant
pavillon d'un autre Etat en haute mer; l'ampleur du conflit de 1995; la
gravité desincidents; le degréde force utilisépar les patrouilleurs cana-
diens lors de la poursuite et de l'arraisonnement de l'Estaià environ

245 milles des côtes canadiennes; le harcèlement, les jours suivants,
d'autres bateaux de pêcheespagnols dans la zone de réglementation de
I'OPANO, et l'envoi dans ladite zone d'unités de la marine de guerre
espagnole.
395. En ce qui concernela législationcanadienne, l'Espagne a souligné
l'extension du droit pénal canadien à la zone de réglementation de
I'OPANO, ce qui permettait aux agents de la paix canadiens d'empioyer
la force en haute mer contre des bateaux étrangers avec le risque de cau-
ser la mort ou des lésionscorporelles graves. Elle a ainsi rejeté égard
les arguments canadiens selon lesquels il s'agissait de limiter le recoàrs
la force aux cas graves et dans des situations de légitime défense.L'Es-
pagne a aussi insistésur le fait que la législationcanadienne incriminéeet
le théâtre des actions canadiennes concernent la haute mer (la zone de
réglementationde I'OPANO) et sur le fait que les rapports entre Etats en

haute mer sont régispar le droit international de la haute mer et non pas
Dar les normes du droit de la mer relatives à la zone économiaue exclu-
sivedes Etats côtiers ou par la législationnationale de ces derniers. Ainsi,
elle a rejetél'application la haute mer du régimejuridique des espaces
nationaux comme justification pour exercer certains pouvoirs coercitifs
de 1'Etat côtierà l'encontre des navires étrangers se trouvant en haute
mer.
396. Pour l'Espagne, le Canada n'a pas de titre international pouremployer la force contre des bateaux battant pavillon espagnol dans la
zone de réglementation de I'OPANO, ni dans aucune autre zone de la
haute mer. A ce propos, l'Espagne s'est demandé où se trouve cette pra-
tique, mêmecoutumière, classique, bien connue, qui permet le recours à
la force en haute mer à l'encontre des bateaux étrangers, en marge des
dispositions restrictives imposéespar les articles 110et 111de la conven-
tion des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982.Finalement, elle a
rappelé que l'accord des Nations Unies de 1995 sur les stocks chevau-
chants n'est pas en vigueuret ne lie aucun Etat et que le Canada n'estpas
encore devenu partie à la convention de 1982 sur le droit de la mer,
l'accord de 1995étantun accord d'application de certaines dispositions
de celle-ci.

397. Le Canada a eu des difficultés à répondre à ces arguments de
l'Espagne. Il a essayéde le faire d'une façon indirecte. Il a tout d'abord
essayéde contourner la relation établiedans la réservedel'alinéad) entre
«les mesures de gestion et de conservation ...et l'exécution detelles me-
sures» en élaborant une nouvelle catégoriede mesures, à savoir celle des
((mesures d'exécution)), inconnue dans le texte de la réserve. D'une
manièregénéralel,e contre-mémoirecanadien s'inspired'un tel critère, et
il en est de mêmede quelques-unes des interventions canadiennes à
l'audience. Des conseilsdu Canada ont dit, par exemple, que l'expression
((mesuresd'exécution))utiliséedans la réserve(sic!) ne saurait désigner
que les pouvoirs et procédures expressément énoncéd sans la loi modifiée
sur la protection des pêchescôtièresde 1994.Mais la réservene parle pas

de «mesures» d'exécution.
398. Parfois, le Canada a évitél'emploi du mot «exécution» ou s'est
référéau sens ordinaire dudit terme d'une façon isoléede son contexte
dans la réserve.Parfois, ses conseils ont parlé aussi de ((mesures liti-
gieuses»pour se référertant aux ((mesures de gestion et de conservation »
de la réservequ'à ((l'exécutionde telles mesures)) ou ont eu recouàdes
formules descriptives telles que ((mesuresqui sont nécessairespour pro-
céder...))Toutes ces présentations du Canada cherchaient à éliminerou
réduire dans l'interprétation dela réservel'effet utiledu mot «telles» ou
à isoler ce mot du contexte des ((mesures de gestion et de conservation))
qui le précèdedans la réserve.Le Canada en est arrivé à dire que si
l'emploi de la force n'est pas expressément exclu,l doit êtreinclus dans
toute définitionraisonnable et logique du terme ((exécutionC'est-à-dire
qu'il a voulu renverser le principe général dedroit et de la jurisprudence

de la Cour qui est celui de la présomption de régularitédes actes juri-
diques mentionné dans la présenteopinion (arrêt dans l'affaire du Droit
de passage).
399. Pour le Canada, la force employée à l'encontre de l'Estai le
9 mars 1995 en haute mer (le Canada ne parle pas du harcèlement à
l'époque d'autres bateaux depêcheespagnols dans la zone de réglemen-tation de I'OPANO) est une «exécution»des ((mesures de gestion et de
conservation» adoptées par lui pour les bateaux pêchant dansla zone
de réglementation de I'OPANO conformémentau règlement canadien
de 1995de mise en Œuvrede la loi modifiéesur la protection des pêches
côtières. En conséquence,tous ces agissements canadiens tomberaient
dans le champ d'application de la réserve. Cela n'empêchc aependant pas
les conseils du Canada de mentionner aussi quelques moyens de défense
au fond, tels que la nécessiet l'urgenced'agir en 1995à cause de la sur-
pêchepratiquéepar les pêcheurs espagnols,ainsi que le caractère nor-
mal et habituel des actions adoptées, encore qu'ils admettront que la
Cour ne saurait, dans la présente procédure préliminaire surla compé-
tence, se prononcer sur la question du degré deforce utiliséin casu.
400. Les conseilscanadiens ont insistésur le fait que les mesures adop-
tées en1995par le Canada àl'encontredes navires espagnols et portugais

étaientdes mesuresde gestion et de conservation «classiques»,comparant
à ce propos lesdites mesures canadiennes à celles énuméréea su para-
graphe 4 de l'article 61 de la convention sur le droit de la mer de 1982
concernant la «zone économiqueexclusive», selon uneposition générale
adoptéeparleCanada dans laprésenteprocédure incidente d'aprèslaquelle
l'espacemaritime en cause ne présenteaucune pertinence. Comme il a été
dit à l'audience, la seule différenceconcerne l'endroit ou le Canada a
appliquécesmesures : la zone de réglementation de1'OPANOdésignée de
façon précisepar la réserve!Les conseils canadiens ont mentionné aussi
d'autres législationsnationales mais sans en donner des exemplesprécis.
401. Le Canada a accusél'Espagne de dramatiser à propos du degré
de la force employéepar les garde-côtescanadiens à l'encontre de YEstai
lors de son arraisonnement le 9 mars 1995.Le bateau n'avait jamais été
pris pour cible et l'arraisonnement s'était déroulé sans perte devies

humaines et sans lésionscorporelles graves. Il s'agissait d'une force rai-
sonnable employéedans le seul but d'arraisonner un navire de pêchequi
résistaitet était soupçonné d'avoir enfreintdes mesures de conservation
et de gestion prévuesdans la législationcanadienne. En d'autres termes,
il ne s'agissait que d'employer une force visantà faire appliquer la loi
canadienne et qu'il fut nécessairede recourirà la force dans l'exécution
des lois était uneévidencedictéepar le bon sens. Que le navire soit espa-
gnol, la loi canadienneet l'espacemaritimeune zone de la haute mer sont
de menusdétailsqui, de surcroît ne seraient ni pertinents ni objectifs, aux
fins de l'interprétationde la réservede l'alinéa d)du paragraphe2 de la
déclarationdu Canada.
402. LeCanada a affirméque lesmesures appliquées àl'Estai n'avaient
rien àvoir avec le recoursà la force dans les relations entre Etats dont il
est question dans la Charte des Nations Unies, tout en ajoutant qu'il

reconnaissait que l'interdiction de l'emploi de la force prévuau para-
graphe 4 de l'article2 de la Charte des Nations Unies était une norme
impérative (jus cogens). En mêmetemps ses conseils ont soulignéque,
aux fins d'interprétation dela réserve,la licéiou l'illicéide l'«exécu-
tion)) des mesures est une circonstanceindifférenteen s'abstenant de qua-lifieà cet égardles propres actes du Canada (adoption du règlementdu
3 mars 1995;arraisonnement de l'Estai; harcèlementd'autres bateaux de
pêche espagnols).
403. La loi canadienne permettait l'utilisation de la force pour arrai-
sonner l'Estai, mais seulement en dernier ressort et de la façon la plus
limitée possible.Car, la législation pénalecanadienne est une législation
généralequi aurait: «un but entièrement humanitaire et louable ...la
force de nature à causer la mort ou les lésionscorporelles n'estpas jus-
tifiée,sauf si elle est nécessairepour protégerla vie de qui applique cette
force ou celle d'autrui, c'est-à-dire sauf en cas de légitimedéfense))
(CR98114, p. 46-47; les italiques sont de moi). Qui donc a attaqué les

garde-côtesou lespatrouilleurs canadiens qui ont arraisonnél'Estai? Qui
a mis ces garde-côtes et ces patrouilleurs dans une situation de((légitime
défense))?Le Canada n'a pas réponduàces questions, dès lors son argu-
ment fondésur la légitime défense ne tient pas. Malgré l'invocationde la
législationcanadienne (qui n'est pour la Cour qu'un fait dans le présent
incident et non le droit applicable), les conseils du Canada vont se tour-
ner quand même,autant qu'ils le pourront, vers le droit international
pour essayer dejustifier l'usage dela force prévudans la législationcana-
dienne et son application en haute mer au navire espagnol l'Estai le
9 mars 1995.

404. Les arguments du Canada sur l'usage de la force incorporé à sa
législationetlou sur la force utilisàel'encontre de l'Estai ne trouvent de

fondement ni dans le texte de la réservede l'alinéad) de sa déclarationni
dans sa prétendue intention sous-jacente.En ce qui concerne letexte de la
réserve,le mot ((exécution»(enforcementen anglais) ne visepas dans son
sens ordinaire ou naturel des ((mesurescoercitives)).De plus, en anglais,
on ne saurait confondre enforcement avec ((enforcement action)). Il est
trèssignificatif cet égard que dans leurs interventions les conseilscana-
diens ont parléd'enforcement et d'enforcementaction comme s'ils'agis-
sait de la mêmechose. Ainsi, ces arguments canadiens ajoutent au texte
de la réserve des mots quin'y sont pas. C'est le moment de se demander
si la grammaire s'applique seulement àl'interprétationdes mots ((navires
pêchant»dans la réserve.Plus significatifencoreest le fait que le Canada
parle, certes, de sa législationnationale, mais non pas de ce qui intéresse
vraiment l'interwrétation dela réservedu woint de vue de l'«intention
sous-jacente))maintes fois évoquée à d'autres sujets. Pas un mot, par
exemple,des déclarationsde M. Ouellet ou de M. Tobin. Cela est tout de

mêmesurprenant, car le premier a parléde «représailles» dans sa décla-
ration au Sénatdu 12mai 1995.Or le terme ((représailles))est un terme
de droit international qui a un sens bien préciset généralement accepté
dans cet ordre juridique.
405. Pour ce qui est des faits, le Canada, on vient de le dire, les pré-
sente comme des mesures dites de gestion et de conservation prévuespar 727 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

sa législationnationale ou comme l'exécution detelles mesures. Mais la
question mériteune étude beaucoupplus approfondie des «faits généra-
teurs)) du présent différendtel que soumis par l'Espagne à la Cour le
28 mars 1995(voir chapitre II de la présente opinion). Si on analyse ces
faits, on voit clairement apparaître que tant l'adoption du règlementdu
3 mars 1995que l'arraisonnement de l'Estai par la force ne sont pas des
actes concernant véritablement la conservation des ressources biolo-

giques de la mer, mais des actes de rétorsion dirigéscontre des mesures
adoptées pour la zone de réglementation de L'OPANO par un tiers,
l'Union européenne.

406. Et que fait l'arrêten ce qui concernel'interprétationdes mots«et
l'exécutionde tellesmesures))figurant dans la réservede l'alinéad) de la
déclaration du Canada? Il rejette l'un après l'autre, dans ses para-
graphes 78 à84, lesarguments de l'Espagne qu'il identifie,àsavoir: l'exé-
cution contraire au droit international; l'application extraterritoriale du
droit pénal canadien; le silence de la déclaration et de sa réserve de

l'alinéad) sur l'emploi de la force; et l'irrégularité parrapport au droit
international des dispositionspertinentes de la législationcanadienne.

407. Malgréles dispositions de la convention sur le droit de la mer de
1982, l'arrêtne voit, apparemment, rien d'anormal dans la législation
nationale canadienne, en tout cas aux finsde l'interprétation de laréserve
de la déclaration canadiennedont il s'agit.l affirmeen fait qu'un certain
emploi de la force à l'encontre des navires étrangersen haute mer est
admis dans les relations entre Etats souverains pour ce qui est de la
conservation et de la gestion des ressources biologiques de la haute mer.
C'est un autre infléchissementjurisprudentiel de l'arrêt d'une portée
générale,aux conséquences imprévisibles,que je n'accepte point, sauf

accord entre les Etats concernés.

408. Quelles sont les preuves de la pratique des Etats et de leur opinio
juris avancées àcet égardpar l'arrêt?Les mêmesque le Canada, à savoir
la législationcanadienne, d'autres législationsnationales non identifiées
ni analyséeset l'alinéac) du paragraphe 1de l'article22 de la convention
de décembre1995sur les stocks chevauchants(paragraphe 81 de l'arrêt).
L'auteur de la présenteopinion ne saurait admettre sans preuve concrète
de la pratique des Etats et de leur opiniouris que la disposition citéede
la convention sur les stocks chevauchants est «une pratique générale
acceptée commeétantle droit »(paragraphe 1b) de L'article38du Statut

de la Cour), ni en mars 1995ni aujourd'hui. En tout cas, il ne partage pas
la conclusion,pour lui surprenante, du paragraphe 84 de l'arrêt, d'après
laquelle l'emploi dela force en haute mer prévudans la législationcana-
dienne à l'encontre des navires battant pavillon d'un Etat étrangerest,
aujourd'hui, ((communémentconsidéré comme l'exécution de mesures de728 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

gestion et de conservation» de façon à faire entrerà tout prix, certains
comportements du Canada à l'égardde l'Espagne dans le champ d'appli-
cation de la réservede l'alinéad) du paragraphe 2 de sa déclarationdu
10mai 1994.
409. Je ne trouve ni «naturel» ni ((raisonnable))que l'on puisse affir-

mer, comme le fait l'arrêt,que l'usage de la force (minimal ou non) à
l'encontre des navires étrangersse trouvant en haute mer soit désormais
inclus par le droit international générl ans la notion d'«exécution»des
mesures de gestion et de conservation des ressources biologiquesde la
haute mer. A mon avis, pour un tel usage dela force, le droit internatio-
nal généralexige toujours l'accord des Etats concernés.Il n'est pas sans
intérêdte reproduire ici, ce propos, le point 6 des déclarations interpré-
tativesconcernant la signaturepar la Communautéeuropéenneet sesEtats
membres de l'accord des Nations Unies de 1995 sur les stocks chevau-
chants :

«La Communauté européenne etses Etats membres réaffirment
que tous lesEtats doivent s'abstenir, dans leursrelations, de recourir
à la menace ou à l'usage de la force, conformément aux principes
générauxdu droit international, de la Charte des Nations Unies et
de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer.
Par ailleurs, la Communauté européenne et ses Etats membres

soulignent que l'usage de la force visél'article 22 [de l'accord sur
les stocks chevauchants] constitue une mesure exceptionnelle qui
doit être fondée surle respect le plus strict du principe de propor-
tionnalitéet que tout abus engagera la responsabilitéinternationale
de1'Etatd'inspection. Tout cas de non-observation doit seréglerpar
des moyens pacifiques,conformémentaux procéduresapplicables en
matièrede règlement desdifférends.
En outre, la Communauté européenneetsesEtats membres consi-
dèrent que l'élaborationdes conditions appropriées d'arraisonne-
ment et d'inspection doit se poursuivre conformément aux principes
applicables du droit international dans le cadre des organismes et

accords appropriés degestion des pêcheriesrégionauxou sous-régio-
naux.» (Union européenne, extrait du projet de procès-verbalde la
1935"session du Conseil (pêche),tenue à Luxembourg, le 10juin
1996,point iià l'annexe1 de l'extrait du compte rendu; leRoyaume-
Uni a fait une déclaration interprétativecet égard.)

410. Il est aussi évident,en tout cas pour moi, que dans les circons-
tances de fait et de droit de l'espèce,l'arrêtaborde une question impor-
tante divisant les Parties sur le fond de l'affaire. Par sa présentation dela
question, l'arrêtpréjuge enfaitle fond au-delà de ce qui est admissible
dans une procédurepréliminairesur la compétencede la Cour. Le para-
graphe 7 de l'article 79 du Règlementde la Cour pourrait donc êtreune729 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS.TORRES BERNARDEZ)

autre victime du présentarrêt.L'arrêt fait entreren effet, on vient de le
voir, l'emploi dela forcede la législationcanadiennedans la définition de
ce qui, d'après lui,est ((communément»considéré comme ((l'exécutionde
mesures de gestion et de conservation», mais les Parties sont diviséesau
fond sur le degréde la force employéepar le Canada en l'espèce,ce qui

pose aussi la question de la qualification des actes précisdu Canada.
L'arrêtne répond pas à cette dernière question. Il va de soi que l'arrêt
garde, en outre, le silenceleplus total surla question de savoir sil'emploi
de la force qu'il admet peut se concilier avec la règlede la juridiction
exclusivede 1'Etatdu pavillon sur ses navires en haute mer.
411. L'arrêtnégligeaussi la question de l'adoptiondu règlementcana-
dien du 3 mars 1995et cherche toujours à se placer seulement ou princi-
palement sur le terrain des actes d'exécution en cause relatifsarraison-
nement par la force de l'Estai. Mais la premièredemande de la requête
espagnole est justement la non-opposabilitéde la législationcanadienne
donc, avant tout, l'adoption du règlementdu 3 mars 1995en tant que
telle. Les actes relatifs'Estai ne sont qu'une conséquencede l'adoption

d'un tel règlement.C'estcela la mesure par excellencedont il devrait être
question dans le présent incident auxfins de l'interprétation dela réserve
canadienne.

412. Pour cequi est de l'emploide la force, tout comme pour les autres
aspects du différend,dans le présent incident,il s'agit de déterminersi
une telle forme d'exécution des mesures degestion et de conservation est
ou n'est pas exclue par la réservede la déclarationdu Canada, car cette
dernièregarde le silence leplus absolu sur la force et son emploi.De plus,
la déclaration dans son ensemble nous dit que le Canada a donné, en

1994, son consentement à la juridiction pour tous les différendsautres
que ceux énuméréd sans les réservesfigurant dans la déclaration elle-
même(alinéasa) à d) du paragraphe 2).

413. Dans cescirconstances, l'exécutionpar la force des mesures visées
dans la réserve de l'alind) ne peut pas être interprétéeomme allant de
soi, car l'ordre juridique international comporte une interdiction générale
du recours à la force par les Etats dans les relations internationales. On
trouve une formulation de cette interdiction généraledu recours à la
force, que le Canada lui-mêmea reconnue comme étantune règleimpé-
rative, dans l'avis consultatif concernant la Licéitéde la menace ou de

l'emploi d'armes nucléaires (C.I.J. Recueil 1996, p. 247, par. 48). Le
défendeurn'a pas expliqué defaçon adéquate sonsilencesur l'usagede la
force dans sa déclarationdu 10 mai 1994,y compris dans la réservede
l'alinéad).
414. A cette première contribution à l'interprétation de la réserve
canadienne, le droit international en ajoute une autre qui procède direc-
tement du droit général dela mer. La haute mer est un espace maritimeaffectéà des fins pacifiques (article 88de la convention de Montego Bay)
où n'estpas reconnue l'exécutionpar la force desmesures de gestion et de
conservation des ressources biologiques par un Etat àl'encontre de navi-
res battant le pavillon d'un autre Etat dans cet espace. Il n'y a pas une
seule disposition de ladite convention qui autorise une conclusion
contraire. Or, il s'agità de règlesde droit international qui, à titre de

droit coutumier ou général, sont applicables entre le Canada et l'Es-
pagne.
415. Un Etat déclarant peut exclure par une réservedes principes et
règlesdu droit international dans n'importe quel domaine des relations
internationales aux fins de son consentement à la juridiction de la Cour,
mais il faut évidemment qu'il l'indiquedans sa déclaration,expressément
ou par implication nécessaire,car le silence de la déclarationdéposéene
joue pas à l'encontre mais en faveur du droit international en vigueur,
malgréles conclusions contraires à cet égarddu présentarrêt.
Dans le cas d'espèce,il existe aussi dans la zone de la haute mer en
question un régimemultilatéral conventionnelconcernant la gestion et la

conservation des ressources biologiques de la zone, celui de la convention
de I'OPANO de 1978,auquel sont soumis les bateaux de pêche des deux
Parties, convention que la réservecanadienne mentionne expressément
aux fins de la délimitation de son champ d'application géographique. Or
ce régimeconventionnel particulier ne connaît pas non plus l'exécution
par la force des mesures de gestion et de conservation des ressources à
l'encontre des navires étrangers,sauf accord des parties concernées (c'est
le cas du document NAFOIFC Doc. 9611mentionnéau paragraphe 70de
l'arrêt).
416. En outre, les déclarations relevant du paragraphe 2 de l'article 36
du Statut doivent être faites, interprétées etappliquées debonnefoi. Les
Etats déclarantsdans le cadre du systèmede la clause facultative - qui

est un système dans le domaine public - ont le droit de connaître la
portée du consentement à la juridiction obligatoire de la Cour donné
par chacun d'eux, ainsi que I'évolutionéventuelledudit consentement
aprèsle dépôtde la déclaration originale. Les silences,les demi-mots, les
faux-semblants,etc., ne correspondent ni à la lettre ni à l'esprit du sys-
tèmede la clause facultative et la Cour ne doit pas les encourager dans
l'interprétation des déclarations. D'autant plus qu'il y a, en l'espèce,
plusieurs déclarationsen vigueur qui excluent expressémentpar voie de
réservesdes différendsou des situations où il est question de l'usage de
la force.
La Cour a déclarémaintesfois, et dans des contextesdifférents,que le

systèmede la clause facultative tout entier est fondé sur la bonne foi et la
conJiancemutuelle entre Etats déclarants.Je l'ai dit et répété dans la pré-
sente opinion. En outre, la réciprocitédans l'application des réserves
contenues dans les déclarations fait aussi partie du système.Tout cela
s'oppose à ce qu'on reconnaisse comme allant de soi le silence ou les
réservesmentales de 1'Etatdéclarant sur l'usage de la force dans I'inter-
prétation des déclarations. 417. Lorsqu'un Etat déclarant fait et déposeune déclarationpour tous
les différends autres que ceux spécifiquementsoustraits à la compétence
de la Cour comme c'est le cas de la déclaration du Canada et aue. dans
A,
aucune des réservesinsérées dans la déclaration,l'usagede la force n'est
exclupar le texte, prétendrepar la suiteque le silencedu texte sur l'usage
de la forcedoit être interprété, cause d'une législationnationale interne,
comme excluant de la juridiction acceptéeun différend(ou un aspect
d'un différend)avec un autre Etat déclarantrelatif à l'usage de la force
n'est une interprétation ni acceptableni conforme au droit international.

418. Voyons maintenant plus concrètementce que le ministre Ouellet
a dit au Sénatle 12mai 1994.11a certes déclaréque laCanada avait, afin
de protégersa loi modifiéesur la protection des pêches côtièresf,ait une
réservedans la nouvelle déclarationdu 10mai 1994,mais sans analyser le
texte de celle-cien tant que tel. Ce texte n'a pas été ou commenténon
plus au Sénat. En outre,il a déclaréque laréservene s'appliquerait «que
pour la périodedetemps que nous jugeons nécessaired'exercer des repré-

saillescontre ceux qui s'adonnent à la surpêche))et que les bateaux visés
étaientles((bateaux pirates))irresponsables(bateaux apatrides et bateaux
battant pavillon de complaisance). Ce dernier aspect des choses a déjàété
examinédans la présente opinion, mais pas encore la mention par le mi-
nistre de l'exercicede «représailles».
419. Le contexte s'y prêtebien pour le faire, car du point de vue
conceptuel les propos du ministre Ouellet renvoient le lecteuràla notion
d'«exécution» demesures. Or, il est fort intéressant derelever que le mi-
nistre lui-mêmenous renvoie à cet égardau droit international, car les
représaillessont une institution du droit international coutumier que
l'article 30 du projet d'articles sur la responsabilitédes Etats de la Com-

mission du droit international appelle «contre-mesures» (Annuaire de la
CDI, 1979,vol. II, deuxièmepartie, p. 128-135).
420. Indépendamment du fait qu'elles soient ou non armées,et de la
question du rapport desreprésaillesdites «armées»avecla norme du para-
graphe 4 de l'article 2 de la Charte des Nations Unies, il est certain qu'il
y a unanimité sur la déjïnitiondes représailles oucontre-mesures. Cette
définitiona été formuléedans lasentence arbitrale du 3 1juillet 1928dans
l'affaire en responsabilité entre l'Allemagne et le Portugal relative à
l'Incident de Naulilaa dans les termes suivants:

«La représailleest un acte de propre justice (Selbshilfehandlung)
de 1'Etatléséa,cte répondant - aprèssommation restée infructueuse
- à un acte contraire au droit des gens de YEtat offenseur. Elle a
pour effet de suspendremomentanément, dans lesrapports des deux

Etats, l'observation de telle ou telle règledu droit des gens. Elle est
limitéepar les expériencesde l'humanité etles règlesde la bonne foi,
applicables dans les rapports d'Etat à Etat. Elle serait illégale si un acte préalable, contraire au droit des gens, n'en avait fourni le
motif.» (Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. II,
p. 1026; les italiques sont dans le texte original de la sentence
arbitrale.)

Le ministre Ouellet lui-mêmenous renvoie donc, comme il se doit, au
droit international et non pas à la législationcanadienne ou à ses règle-
ments d'application pour ce qui est de la définition del'«exécution»des
mesures viséespar la réservede l'alinéad) de la déclaration canadienne.
Or, si l'on admet, en interprétant les propos du ministre, que mêmeles
représailles arméessont effectivement incluses dans la réserve, entant
qu'exécution desmesures adoptées,il fauttout de suite sedemander quel
acte préalable contraire au droit des gens en haute mer le Canada repro-

chait à l'Espagnelorsqu'il a adoptéle règlementdu 3 mars 1995et arrai-
sonnél'Estai le 9 mars 1995? Le défendeur n'a pas plaidé,et encore
moins prouvé, dans la présenteprocédure incidentel'existenced'un fait
internationalement illicitepréalable imputable àl'Espagne.Il a seulement
parléen général desurpêchedans une zone de la haute mer. Ce n'est pas
suffisant en droit international pour exercer des représailles.

421. La conclusion ne peut donc êtreplus claire. Les moyens complé-
mentaires d'interprétation invoquéspar le défendeurne font que confir-
mer dans les circonstances de l'espècel'interprétationdes mots ((l'exécu-
tion de tellesmesures)),de la réservecanadienne, à laquelleje suis arrivé

sur la base de la bonne foi, du texte, du contexte et du droit international
applicable entre les Parties. La Cour est donc aussi compétente - selon
l'auteur de la présenteopinion - pour connaître de cet aspect de la
requête de l'Espagne, queles mesures adoptées in casu par le Canada
soient ou non des «mesures de gestion et de conservation)) en droit inter-
national.

422. Finalement, il y a lieu de souligner que l'arrêt gardele silencele
plus complet sur le harcèlement par les garde-côtes canadiens en parti-
culier des navires de pêcheespagnolsautres que l'Estai. L'arrêtne souffle
pas mot non plus de la question de savoir si la «menace» de l'emploi de
la force militaire par le Gouvernement canadien, après l'arraisonnement
de l'Estai, afin que l'ensemble des bateaux de pêcheespagnols cessent
leurs activités dans la zone de réglementation de I'OPANO, doit être
considérée, entant que telle, comme procédant de l'exécution desme-

suresde gestion et de conservation au sens de la réservede l'alinéa d)du
paragraphe 2 de la déclaration duCanada du 10mai 1994.Est-ceque ces
menaces de l'emploide la force relèvent aussicommunémentde l'exécu-
tion des mesures de gestion et de conservation des ressources biologiques
de la haute mer en droit international? L'arrêtne répond pas à cette
question.733 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP. DISS. TORRES BERNARDEZ)

e) L'expression ((différends auxquelspourraient donner lieules me-
sures..» de la réserveet l'objet du différend soumispar l'Espagne

423. Commeje l'aiexposétout au long de la présenteopinion, en par-
ticulier au chapitre III, l'objet du différend soumispar l'Espagne à la

Cour concerne le titre ou le défaut de titredu Canada pour exercer cer-
tainesjuridictions, certainsdroits ou certainesprétentions en haute merà
l'égard des naviresbattant pavillon espagnol se trouvant dans un tel
espace maritime et ledit différend,en conséquence, n'estpas exclu du
consentement à la juridiction de la Cour exprimépar le Canada dans sa
déclaration de 1994malgréla réservede l'alinéa d) du paragraphe 2 qui
fait partie de la déclaration. Dans cette réserve,il ne s'agit que des
«mesures de gestion et de conservation)) adoptées par le Canada et de
((l'exécutiondetelles mesures» et non pas du titre de droit international
du Canada pour pouvoir adopter et exécuterles mesures en question a
l'égardde l'Espagne et de ses navires en haute mer. La réserve dela
déclaration canadienneen vigueur ne soustrait pas a la compétence dela

Cour le titre et lesmesures, commece fut le cas de la réservede l'alinéa
du paragraphe 2 de la déclaration canadienne de 1970.
424. Il s'ensuitpour moi que l'adoption par le Canada des mesures de
gestion et de conservation et l'exécutionde tellesmesures même sc iela
correspondait aux faits et au droit ne pourraient pas donner lieu à un
différenddont l'objet est le titre ou le défautde titre du Canada pour
précisémentadopter etlou exécuterles mesures en question. Juridique-
ment et logiquement, le titre ou le défaut de titredu Canada est unprius
par rapport aux mesures adoptéesetlou exécutées par le Canada.
425. Cette premièreconclusion écarterait déjà l'objection à la compé-
tence du Canada fondée sur la réservede l'alinéa d) de sa déclaration
de 1994.En d'autres termes, les mesures de la réserve ne pourraient pas

donner lieu (((arising out of or concerning))à un différend commecelui
soumis a la Cour par la requête de l'Espagne du28 mars 1995.Ainsi, les
mots employésdans la réserve nesauraient, d'emblée,jouer un rôle d'ex-
clusion dans les circonstances de la présenteaffaire. 11faut noter que,
dans la déclaration de1970du Canada, la réserve de l'alinéa d) contenait
lesmêmesmots et, cependant, ceux qui les suivaient englobaient desjuri-
dictions, des droits et desprétentionsdu Canada aussi bien que desmesu-
res adoptéespar le Canada. Ce n'est pas le cas de la présenteréserve,où
il n'est question, après les mots en cause, que des mesures adoptéeset
exécutées par le Canada.

426. La conclusion qui précèdecorrespond à celle défenduepar l7Es-

pagne tout au long du présent incident préliminaire. La position du
Canada sur ce point a été d'abord, commeje l'ai dit, cellede l'identité de
l'objet du différendet de l'objet dela réserve de l'alinéade sa déclara-
tion. Cet argument sera remplacé à la phase orale par celui selon lequel
l'objetdu différendserait aussi la gestion et la conservation des pêch.sA
partir de cemoment, tous leseffortscanadiensvont viser àdémontrerque734 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS.TORRES BERNARDEZ)

les différendsdela réserveconcernent un concept plus large que celui du
différendayant pour objet des ((mesures de gestion et de conservation».
Pour le Canada, il y aurait donc certains aspects ou éléments communs
entre le différendet la réservequi seraient suffisantspour faire tomber le
différenddans lechamp d'application de la réserve.C'estdans cecontexte
que le Canada va se souvenir de l'expression((différendsauxquels pour-

raient donner lieu les mesures...)), surtout dans sa formulation anglaise
(((arisingout of or concerning)). Ainsi,toute question soulevéepar les me-
sures adoptées directement ou indirectement par le Canada relativement
à un point quelconquetelqueletitre,la nécessitél,'opportunité,laméthode
d'exécution,etc. (arising out of or concerning), serait couverte par la
réserve.Arising out of viserait l'origine et concerningl'objetdu différend.
427. A première vue, cette interprétation du Canada semblerait
s'appuyer sur le texte de la réservede l'alinéa. Ce n'esttoutefois qu'un
mirage. Outre le fait que les mots ((directement ou indirectement)) ne
sont pas mentionnés dans le texte de la réserve,les arguments canadiens
abandonneront vite les formulations française et anglaise du texte de la

réservepour d'autres. Cela équivaut à une reconnaissance du fait que le
texte de la réservene conforte pas la thèse canadienne de l'aussi. Les
conseils du Canada vont se tourner alors vers l'«ayant trait» de la
réserve grecquedans l'affaire du Plateau continental de la mer Egée
(C.I.J. Recueil 1978, p. 3).
428. Ledéfendeura ainsi pris tout de suite des libertésavec sonpropre
texte de la réserve.Dans les interventions canadiennes à l'audience, on
note une véritablecascadede termes nouveaux. se substituant à l'exvres-
sion ((auxquelspourraient donner lieu» (arising out of or concerning) de
la réserve.Tout ne s'arrête pas à l'ayant trait. Parfois cette formule
s'accompagne d'une autre formule, à savoir «se rapporter à». Mais il y
en a beaucoup d'autres, malgréles affirmations rassurantes que le texte

est clair et que l'intention qui secache derrièrele texte ne l'estpas moins.
J'ai noté,par exemple,lesformulessuivantes: ((serapporte aussi» ;((qu'il
ait étéoccasionnépar» ;«qu'il soit en relation avec;((mettre en cause» ;
((mettre enjeu», ((êtrené»,etc.
429. Au terme de ce parcours, on ne peut que constater, une fois de
plus, que pour le Canada la réserve n'a pasde texte ou, tout au moins,
qu'ilseconsidèreautorisé à le modifier selon le moment ou les besoins de
l'argumentation. On n'est plus dans l'interprétation d'une déclaration
relevant du systèmedela clause facultative. Il faut le dire. Il est clair que
l'invocation initiale de l'expression ((auxquels pourraient donner lieu»
(arising out of or concerning) n'était qu'une questionde stratégiejudi-
ciaire. C'estencorel'intention sous-jacentedu Canada qui présideet gou-

verne le tout.
430. Pour l'arrêt,lesformulations employéesdans la réservedel'alinéa
d) donneraient àl'exclusionétabliepar la réserveun caractère plus large
et plus englobant. L'arrêt adopte donc l'argument canadien et, tout
comme le Canada, semet aussi à utiliser d'autres formulespour expliquer
ce qui serait autrement parfaitement clair (voir paragraphes 62 et 63 de735 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS. TORRES BERNARDEZ)

l'arrêt).Or,à ce moment-là de son raisonnement, l'arrêt avaitdéjàpris
soin d'écarter laquestion du titre ou du défaut de titredu Canada en tant
qu'objet du présent différend.L'arrêtne s'estdonc pas vu dans la néces-
sité deprendre position sur lerius, c'est-à-dire sur la contradiction juri-

dique et logique que j'ai mentionnée ci-dessus. En outre, l'arrêtne se
donne pas la peine de procéderici àla comparaison des termes des deux
déclarations,méthodequ'il reconnaîtet applique à d'autres finsauxpara-
graphes 50 et autres. Comme je l'ai déjàdit, la réservede l'alinéa du
paragraphe 2 de la déclarationde 1970du Canada n'est pasdu tout men-
tionnéedans l'arrêt,seulement cellede 1985.

431. Disons pour conclure que l'expression«différendsauxquels pour-
raient donner lieu les mesures...)) qu'emploie la réservede l'alinéade
la déclarationdu Canada de 1994ne semblejouer qu'un rôlebien secon-
dairedans lesmotifs de l'arrêt et pourles mêmesraisonsque dans la pré-
sente opinion dissidente, bien quel'on arrivedes conclusionsdifférentes

sur l'existencede la compétence.Ayant conclu que les mesures adoptées
et exécutéespar le Canada en marslavril 1995 à l'encontre des navires
espagnols ne sont pas pour moi des mesures de gestion et de conserva-
tion, ou l'exécutionde telles mesures, au sens que revêtentces termes
dans la réserve, l'expressionsusmentionnée((différendsauxquels pour-
raient donner lieu les mesures...)) n'a plus de rôle majeurjouer dans
l'interprétation dela réserve.Cette conclusion vient donc s'ajouter la
conclusion à laquelle je suis arrivé dans les premiers paragraphes de la
présente section. Ainsi,ni le terme «différends» qui précèdeles formules
en question, ni l'expression «mesures de gestion et de conservation..»
qui les suit, ne modifient en rien l'interprétation quiest faite de la réserve
canadiennedans la présenteopinion compte tenu de mes considérations
et conclusions sur ledit terme et sur ladite expression.

1. La compétencede la compétence dela Cour

432. En réponseàdes argumentsde l'Espagne, lesconseils du Canada
ont répété maintes foiqsue celui-ciou celui-là relevait du «fond» et non
pas de la «compétence»,sanssesoucier du caractère«préliminaire»de la
présenteprocédure incidente. Or, c'est faire erreur que d'affirmer que
compétencelfondest synonymede préliminairelnonpréliminaire.La ques-
tion de la compétencedoit toujours être tranchéeen premier lieu, mais
celapeut sefaire tant dans une phase incidente préliminairequelors de la

phase sur le fond. Le fait qu'une exception ou objection soit présentée
sous une forme préliminaire,comme l'a fait le Canada, ne veut pas dire
qu'ellesoit véritablement préliminaireou qu'il soitpossible dela trancher
dans une phase incidente préliminaire.
Comme lajurisprudence le confirme, en qualifiant certaines exceptions
de préliminaires, l'article79 du Règlementde la Cour montre bien que:736 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

«lorsqu'elles présentent exclusivement ce caractère, les exceptions
doivent être tranchées sans délai, mais que, dansle cas contraire, et
notamment lorsque ce caractère n'est pas exclusifpuisqu'elles com-

portent àla foisdes aspects préliminaireset des aspectsde fond, elles
devront êtreréglées au stade du fond. Ce procédétend d'autre part
à découragertoute prolongation inutile de la procédureau stade de
la compétence. » (Activitésmilitaires et paramilitaires au Nicaragua
et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amérique), C.I.J.
Recueil 1986, p. 31, par. 41.)

Ainsi, en déclarant,par exemple,que l'objectiondu Canada fondée sur la
réservede l'alinéad) n'a pas, dans lescirconstancesde l'espèce, uncarac-
tèreexclusivementpréliminaire, la Cour ne trancherait point la question
de la licéité des esures de gestion et de conservation de la réserveou de
leur exécution.Une telle déclarationsignifierait tout simplement que la
Cour ne statuerait sur ces questions qu'au stade du fond. L'arrêtsemble-
rait s'inspirer de considérations d'un autre ordre, savoir de la fameuse
((intention sous-jacente))du Canada qui entendait exclure par la réserve

tout examen au fond que ce soit à la phase de la compétence oupar la
suite.

2. Les objections ou exceptions
n'ayantpas un caractèreexclusivementpréliminaire

433. Le paragraphe 7 de l'article 79 du Règlement dela Cour prévoit
que celle-ci, après avoir entendu les parties, statue dans un arrêt par
lequel elleretient l'exception,la rejette ou déclareque cette exception n'a
pas dans les circonstancesde l'espèceun caractèreexclusivementprélimi-
naire. L'Espagne, dans son mémoireet lors des audiences, a invoquécette

disposition réglementaire à l'égardde certaines interprétations de la
réservecanadienne avancéespar le défendeur. L'arrêt écarte toute décla-
ration de caractère non exclusivement préliminaire. Il le fait en établis-
sant une distinctionentre l'interprétation de la réserveet la question de la
licéitédes actes visésà l'alinéad) du paragraphe 2 de la déclarationdu
Canada (paragraphe 85 de l'arrêt).

434. Pour l'arrêt,cela serait possiblemêmelorsqu'il s'agitd'interpréter
des ambiguïtés,desobscuritéset des silencesdes réservesinséréed sans les
déclarations.Les paragraphes 54 et 79 de l'arrêt - que je rejett- sont

absolument clairs àcet égard. La bonne foi n'aurait aucun rôle àjouer
dans I'interprétationdes réserves!L'arrêtsemble se plaire à le souligner,
par exemple, lorsqu'il affirme:
«La Cour n'a jamais donné à entendre, dans sa jurisprudence,

qu'une interprétation privilégiantla conformité au droit interna-
tional des actes exclus de la compétencede la Cour est la règlequi
s'imposepour I'interprétation detellesréserves. »(Paragraphe 54 de
l'arrêt.)737 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

435. Cette conclusionincroyable de l'arrêtme semble toutefois insuf-
fisante pour que l'on puisse écarter dans l'interprétationd'une réserve
toute déclarationde caractère non exclusivementpréliminaire. Malgré la
redéfinitionpar l'arrêtde l'objet du différend (exclusionpar exemple du
titre ou du défaut de titre du Canada ou de l'opposabilité ou de laon-
opposabilité àl'Espagne dela législationcanadienne), je suisloin de pou-

voir conclure avec l'arrêt qu'aucunedes questions qu'il traite n'a en
l'espèceun caractèrenon exclusivement préliminaire,notamment pour ce
qui est de la définitiondes ((mesuresde gestion et de conservation))et des
mots «l'exécutionde tellesmesures» dans la réserveainsi que de l'appré-
ciation de l'usage de la force par le Canadain casu à l'encontre des na-
vires espagnols et de ses menaces ultérieuresen haute mer. En tout cas,
l'arrêtpasse outreà la troisièmealternative offerte par le paragraphe 7 de
l'article 79 du Règlement dela Cour pour des procéduresincidentes sur
des objections ou exceptions préliminaires.

3. La portée dela res judicata duprésentarrêt

436. Tous les arrêtsde la Cour, et partant le présentarrêt,sont obli-
gatoires pour les parties, définitifset sans recours (articles 59 et 60 du
Statut), sans préjudice évidemment des demandesen interprétation ouen
revision tellesque prévuesaux articles 60 et 61 du Statut respectivement.
11va de soi que la resjudicata du présentarrêtne concerneque la ques-
tion préliminairede la compétencede la Cour pour statuer sur le diffé-
rend, l'objet du différendde la requêteayant étéd'autre part reformulé
par l'arrêtlui-même.En outre, adoptédans une procédureincidente pré-
liminaire, l'arrêtn'est pas susceptible de par sa nature mêmede trancher

ou de préjugeren rien que ce soit des questions ayant trait au fond du
différendqui diviselesParties et cela quoique sesmotifs puissent direce
sujet. Ainsi donc,toutes les questionsrelevant dufond du différend entre
l'Espagneet le Canada soumis à la Courpar la requêtede l'Espagnedu
28 mars 1995 restent tout àfait en dehors de laportéede la res judicata
duprésentarrêtsur la compétence.

437. A la lumière de l'ensemble desconsidérations sus-énoncéesj,e

conclus que la Cour est parfaitement compétente pour statuer sur le dif-
férendporté devantellepar la requête quel'Espagnea déposée le28mars
1995.
Lesmotifs essentielssur lesquelsla présenteopiniondissidente sefonde
sont au nombre de trois. Tout d'abord, le rôle fondamental du principe
de la bonne foi tant dans leodus operandidu systèmede la clausefacul-738 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS. TORRES BERNARDEZ)

tative que dans l'interprétation et l'application par la Cour des décla-
rations faites par les Etats conformémentau paragraphe 2 de l'article 36
du Statut de la Cour. En deuxième lieu, la distinction tout aussi fonda-
mentale que l'on doit toujours faire entre, d'une part, le principe du
consentement des Etats en cause à la juridiction de la Cour et, d'autre
part, l'interprétation, conformément auxrèglesd'interprétation du droit
international, du consentement manifesté objectivement dans les décla-
rations lorsde leur dépôt auprèsdu Secrétariatgénéral dNations Unies.

Enfin, l'exigencenon moins fondamentale de la procédure internationale
que, dans l'intérêtdu principe de l'égalité dparties, le droit souverain
de 1'Etatdemandeur de définirl'objet du différend qu'ilsoumeà la Cour
soit tout autant respectéque le droit souverain de 1'Etat défendeur de
s'opposer à la juridiction de la Cour par la présentation d'objections ou
d'exceptions préliminairesou de déposer àson tour une demande recon-
ventionnelle.
Chacun de cesmotifsfondamentaux est en lui-mêmesuffisant pour que
je ne puisse pas souscrirà un arrêtdont je crains les effets particulière-
ment négatifs,au-delà mêmede la présente affaire, pour le développe-
ment du systèmede la clause facultative en tant que moyen d'acceptation

par les Etats de lajuridiction obligatoire de la Cour, tel qu'il estàprévu
l'article 36 du Statut de la Cour.

(SignéS )antiago TORRES BERNARDEZ.

Bilingual Content

DISSENTING OPINION OF JUDGE TORRES BERNARDEZ

[Translation]

TABLE OF CONTENTS

Page

584
584

CHAPTEIR I. THEFACTS CONSTITUTIN TGESOURC EF THEDISPUTE 590

CHAPTEIR II. THESUBJECT OF THE DISPUTE 601

A. The notion of the subjectof the dispute and its constituent e601ents
B. The subject of the dispute in the light of the Applicant's "causa
petendi" and 'petitum"
C. Title as a cause of action in the light of the jurisprudence of the
Court regarding the law of the sea
D. The Respondent's position on the subject of the dispute
E. Does the new definition of the subject of the dispute contained in
the Judgment accord with the applicable law and with the juris-
prudence of the Court?
F. Conclusion to Chapter III

CHAPTEIR V. THEJURISDICTION OF THE COURT IN THE CASE

A. General
1. Manifestation of consent to jurisdiction under the optional
clause system: declarations
2. Do the present incidental proceedings raise any question relat-
ing to the principle of consent to jurisdiction or to the non-

presumption of such consent?
3. Are there any limits to the freedom of States to insert condi-
tions and reservations in their declarations?
4. Good faith and mutual trust as essential principles of the
optional clause system under the Statute of the Court
5. Rulesand methods forinterpretingdeclarationsrelied onby thePar-
tiesand generalpositionadoptedby the Judgmenton thequestion
6. The respectivefunctions of the parties and the Court ini-
nary proceedings on jurisdiction

B. The question of admissibility or opposability to Spain, in the cir-
cumstances of the case, of the reservation in paragraph 2 (d) of
the Canadian declaration
C. The interpretation of the Canadian declaration of 10 May 1994,
including the reservation in paragraph 2 (d) of the declaration

1. The Canadian declaration as the subject-matter of the interpre-
tation which the Court must undertake583 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP. DISS. TORRES BERNARDEZ)

2. La question de l'interprétation restrictiveou extensive de la
réserve de l'alinéd) du paragraphe 2 de la déclaration
3. L'économie générale dle a déclarationdu Canada
4. L'intention juridiquement pertinente pour l'interprétationde
la déclarationdu Canada
5. L'interprétationde bonne foi de la déclaration du Canada, y
compris de la réservede son alinéa d)
6. Le sens ordinaire des termes de la réservede l'alinéad) dans
leur contexte et à la lumièrede l'objet et du but de la déclara-
tion du Canada

7. Le rôle du droit international dans l'interprétation dela réserve
de l'alinéad) de la déclarationdu Canada

8. Les circonstances entourant le dépôt de la déclarationdu
Canada comme moyen complémentaire d'interprétation
a) Les déclarations faitesle 12mai 1994au Sénatpar le mi-
nistre canadien des affaires étrangères etdu commerce

international
b) Les déclarations du ministre canadien des pêcheset des
océans
c) Le communiquéde presse du 10mai 1994
9. Autres moyens complémentairesd'interprétation

a) La déclarationdu Canada du 7 avril 1970
b) La convention de 1'OPANOde 1978
10. L'interprétation dela réservede l'alinéad) de la déclaration
canadienne à lumière desrègles,éléments em t éthodes d'inter-
prétationdu droit international

a) Les «mesures» prévuespar la réserve
b) Les «navires pêchant))de la réserve
c) Les «mesures de gestion et de conservation))de la réserve
et la non-définition deces mesures dans la déclaration

d) Les mots l'«exécutionde tellesmesures))dans la réserve et
le silencesur l'usage dela force dans les matièresréservées
par la déclaration
e) L'expression ((différendsauxquels pourraient donner lieu
les mesures..» de la réserveet l'objet du différendsoumis
par l'Espagne

1. La compétence de la compétencede laCour
2. Les objections ou exceptions n'ayant pas un caractère exclusive-
ment préliminaire
3. La portée de lares judicata du présentarrêt FISHERIES JURISDICTION (DISS. OP. TORRES BERNARDEZ)

2. The question of the restrictive or extensiveinterpretation of the

reservation in paragraph 2 (d) of the declaration
3. The general scheme of Canada's declaration
4. The legally material intention for the interpretation of Can-
ada's declaration
5. Interpretation in goodfaith of the Canadian declaration, includ-
ing the reservation in subparagraph (d)
6. The ordinary meaning of the terms of the reservation in sub-
paragraph (d) in their context and in the light of the object and
purpose of Canada's declaration
7. The role of international law in interpretation of the reserva-
tion contained in subparagraph (d) of the Canadian declara-
tion
8. The circumstances surrounding the deposit of the Canadian
declaration as a supplementary means of interpretation

(a) The statements made in the Senate on 12 May 1994 by
the Canadian Minister of Foreign Affairs and Interna-
tional Trade
(b) The statements by the Canadian Minister of Fisheries
and Oceans
(c) The news release of 10May 1994

9. Other supplementary means of interpretation
(a) The Canadian declaration of 7 April 1970
(b) The NAFO Convention of 1978
10. The interpretation of the reservation in subparagraph (d) of

the Canadian declaration in the light of the rules, elements
and methods of interpretation of international law
(a) The "measures" referred to in the reservation
(b) The "vessels fishing"referred to in the reservation
(c) The "conservation and management measures" of the
reservation and the failure to define such measures in
the declaration
(d) The words "the enforcement of such measures" in the
reservation and the silence on the use of force in respect
of the matters reserved by the declaration

(e) The expression "disputes arising out of or concerning . ..
measures" in the reservation and the subject of the dis-
pute submitted by Spain

1. The Court's power to determineits own jurisdiction
2. Objections which do not possess an exclusivelypreliminary char-
acter
3. The extent to which the present Judgment constitutes resjudicata 584 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

Dire que je me dissociedu présentarrêt rendu parla Cour est peu dire
tant les divergencesentre la majoritéet moi-mêmesont profondes. C'est
la raison de la longueur de la présenteopinion dissidente dans laquelleje
me suis fait le devoir d'exposer, avec le détailrequis, mes vues sur les
diverses questions de fait et de droit qui, mon avis, se posent dans le
présent incident préliminairesur la compétence,car il arrive soit qu'un
certain nombre de ces questions ne trouvent pas de réponsedans l'arrêt,

soit que les réponsesqu'on y trouve ne sont pas, pour moi, bien fondées,
compte tenu de l'objet du différend soumispar l'Espagne,du droit appli-
cable à l'interprétation eà l'application de la déclaration canadienne
d'acceptation de lajuridiction obligatoire de la Cour et d'autres circons-
tances de l'espèce.

1. La requêteintroductive d'instance déposép ear l'Espagne le 28mars
1995contre le Canada fonde la compétencede la Cour en l'affaire sur le
paragraphe 2 de l'article 36 du Statut de la Cour, les deux pays étantdes

«Etats déclarants)) dans le cadre du systèmede la clause facultative,
l'Espagnepar le dépôtde sa déclarationdu 15octobre 1990et le Canada
par le dépôt de sa déclarationdu 10mai 1994.La qualité d'Etat déclarant
des deux Parties n'est pasen question dans la présenteprocédurecomme
c'estparfois le cas. Par exemple, dans l'affaire desctivitésmilitaires et
paramilitaires au Nicaraguaet contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis
d'Amérique), où l'existenceou la validitéde la déclarationdu demandeur
étaitau centre mêmedu débatjuridictionnel. Rien de tel dans la présente
affaire.
2. Toutefois, le défendeur, dans un premier temps, s'est opposéa la
requêtede l'Espagne en alléguantdans sa lettre du 21 avril 1995l'incom-
pétencemanifeste de la Cour. Invoquer in limine l'incompétence mani-
feste de la Cour entre Etats déclarants dans le cadre du système dela

clause facultative est une attitude qui ne peut pas, et ne doit pas, être
passéesous silencedans la mesure où ellereprésente uneatteinte, au sein
de ce système, àla compétencede la compétencedévolue àla Cour par le
paragraphe 6 de l'article36du Statut, ainsi quepar le droit international.
3. Tout Etat a le choix d'être ou dene pas êtreEtat déclarant confor-
mémentau paragraphe 2 de l'article36 du Statut, mais aucun Etat décla-
rant n'a le droit d'accepter la juridiction obligatoire de la Cour avec la
réservementale de pouvoir exclure unilatéralement,le moment venu, la
compétencede la compétencede la Cour. La déclaration du Canada ne le
fait d'ailleurs pas. Au contraire, elle contient une réserve decompétence
nationale dont le sens doit êtredéterminé objectivement etnon pas de
manière subjective.Dans ces conditions, des allégations d'incompétence

manifeste (qui trouvent leur origine historique dans des cas relevant de The differences of view between the majority and myself are so wide
that to Saythat 1dissociate myself from the Judgment now handed down
by the Court is something of an understatement. Hence the length of this
dissenting opinion, in which 1 have seen it as my duty to set out, in the
necessary detail, my viewson the various issues of law and fact which, in
my opinion, arise in the present preliminary incidental proceedings on
jurisdiction.1find that either these issues are not dealt with at al1in the
Judgment or the answers given are not, in my view, well founded, given
the subject of the dispute submitted by Spain, the law applicable to the
interpretation and application of the Canadian declaration of acceptance
of the compulsoryjurisdiction of the Court, and other relevant circum-
stances.

1. The Application instituting proceedings filed by Spain against
Canada on 28 March 1995 founds the jurisdiction of the Court in this
case on Article 36, paragraph 2, of the Court's Statute, both countries
being "declarant States" for the purposes of the optional clause system,
Spain having deposited its declaration on 15 October 1990, Canada on
10May 1994.The status of declarant State of the two Parties isnot in ques-
tion in the present proceedings, as is sometimes the case. For example,
in the Military and Paramilitary Activities in and against Nicaragua
(Nicaragua v. UnitedStates of America) case, the existence or the valid-
ity of Nicaragua's declaration was at the very heart of the discussion on
jurisdiction. Nothing of the kind arises in the present case.

2. Nevertheless, the Respondent's initial step was to object to the
Spanish Application by contending in its letter of 21 April 1995that the
Court manifestly lacked jurisdiction. To invoke in limine the Court's
manifest lack of jurisdiction as between declarant States under the

optional clause system is an attitude which cannot, and should not, go
unremarked, inasmuch as it represents a challenge within that system to
the "compéteacede la compétence"assigned to the Court by Article 36,
paragraph 6, of the Statute and by international law.
3. Every State may choose whether or not to be a declarant State in
accordance with Article 36,paragraph 2, of the Statute, but no declarant
State is entitled to accept the compulsoryjurisdiction of the Court with
the mental reservation that, when the time cornes, it may unilaterally
exclude the "compétencede la compétence"of the Court. In any case the
Canadian declaration does not do this. On the contrary, it contains a res-
ervation of national jurisdiction the meaning of which must be inter-
preted objectively rather than subjectively. It follows that allegations of
manifest lack of jurisdiction (which historically have their origin in cases585 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS.TORRES BERNARDEZ)

l'article 53 du Statut) ne sont pas de mise et doivent êtredénoncées car
elles sont, en effet, peu compatibles avec les principes de la bonne foi et
de la confiancemutuelle qui présidentauxrapports entre Etats déclarants
dans le cadre du systèmede la clause facultative.
4. Ce qu'un Etat déclarant défendeur estcenséfaire, s'il s'oppose in
limine àune requêted'un autre Etat déclarant,c'est dedéposeren bonne
et due forme un acte introductif d'exception préliminaire,conformément
à l'article 79 du Règlementde la Cour, contenant l'exposéde fait et de
droit sur lequel l'exceptionest fondée.Cet acteintroductif d'exception est

le ((chaînon manquant)), le ((missing link)) de la présenteprocédure et
cette absence a eu des conséquences procédurales regrettablestant dans
la phase écriteque dans la phase orale.
5. La position initiale du Canada sur l'incompétence manifestefut
modifiée à la suite de l'accord intervenu entre les Parties lors d'une réu-
nion que le président de la Cour a tenue avec leurs représentants le
27 avril 1995, ainsi qu'il est expliquédans l'ordonnance du 2 mai 1995
prise par le président; c'est par cette ordonnance que la présente phase
incidente a étéouverte. Le Canada a donc admis qu'il appartient à la
Cour, en vertu du paragraphe 6 de l'article 36 du Statut, de seprononcer
sur l'objectioà la compétencequ'ilavait soulevée.Le contre-mémoire et
les plaidoiries du Canada l'ont aussi confirmé.
6. L'ordonnance du 2 mai 1995signalequ'«il a été convenu qu'ilserait

statué séparément,avant toute procédure surle fond, sur la question de
la compétencede la Cour en l'espèce;et que les Parties sont également
convenues, au cours de la mêmeréunion,des délaispour le dépôtdes
piècesde la procédure sur cette question». Dèslors, compte tenu de cet
accord,la mêmeordonnance hait la date d'expiration des délaispour le
dépôt d'unmémoirede l'Espagne etd'un contre-mémoiredu Canada sur
la question de la compétencede la Cour.
7. Il est donc clair que le demandeur, l'Espagne, a donnéson accordà
l'ordre de présentation des piècesécritesfixépar l'ordonnance du 2 mai
1995.Toutefois, par lettre du le' mai 1995,parvenue au Greffe sous le
couvert d'une lettre du 3 mai 1995de l'ambassadeur d'Espagne aux Pays-
Bas, l'agent de l'Espagne, sans revenir sur l'ordre du dépôtconvenu des

piècesécrites,proposa que le Canada devrait êtreinvitépar la Cour à
présenter par écrit, avant une date déterminée,un exposé sommaire
contenant des indications, en termes généraux,sur le ou les points sur
lesquels le Canada se fonderait pour soutenir que la Cour n'a pas com-
pétence en l'espèceou que l'objet de la requête est irrecevable.'appui
de cette proposition, la lettre de l'agent de l'Espagne signalaque, s'ilen
allait autrement,

«il ne sera[it] pas possible de maintenir l'égalité Parties et cela
pourrait rendre difficilede mener à bien un exposéméthodiqueet
ordonné desvues des Parties de façon à aider la Cour dans sa tâche,
qui est de se prononcer sur sa compétenceen vertu des dispositions

de l'article 36, paragraphe 6, du Statut)).coming under Article 53 of the Statute) are out of place and to be con-
demned, sincethey are incompatible with the principles of good faith and
mutual trust which govern relations between declarant States under the
optional clause system.
4. What a respondent declarant State is supposed to do, if it objects in
limineto an application by another declarant State, isto filea formal pre-
liminaryobjection, under Article 79of the Rules of Court, setting out the
facts and the law on which that objection is based. This preliminary
objection is the "missing link" in the present proceedings and the lack of
it has had regrettable procedural consequences in both the written and
the oral phases of the proceedings.

5. Canada's initialposition on the issueof manifest lack ofjurisdiction
was modified as a result of the agreement reached between the Parties at
a meeting of the President of the Court with their representatives on
27 April 1995,as is explained in the President's Order of 2 May 1995;it

was that Order which opened the present incidental phase. Canada has
thus accepted that it isfor the Court, by virtue of Article 36, paragraph 6,
of the Statute, to rule on the jurisdictional objection raised by it. The
Canadian Counter-Memorial and oral pleadings also confirmed this.

6. The Order of 2 May 1995Statesthat "it was agreed that the ques-
tion of the jurisdiction of the Court in this case should be separately
determined before any proceedings on the merits", and that "at that
meeting agreement was also reached on time-limits for the filing of writ-
ten pleadings on that question". Taking into account that agreement,the
Order accordingly fixed time-limitsfor the filingof a Memorial by Spain
and a Counter-Memorial by Canada on the question of the Court's juris-
diction.
7. It is therefore clear that the Applicant, Spain, gave its agreement to
the sequence of submission for the written pleadings fixed by the Order
of 2 May 1995. However, by letter of 1 May 1995, transmitted to the
Registry under cover of a letter of 3 May 1995from the Ambassador of
Spain to the Netherlands, the Agent of Spain,without seekingto re-open

the agreed sequence for the filingof the written pleadings, proposed that
Canada should be invited by the Court to submit in writing, no later than
a specifieddate, a summary statement containing indications in general
terms of the point or points on which Canada would rely in its conten-
tions that the Court iswithoutjurisdiction in this case or that the subject-
matter of the Application isinadmissible. In support of that proposal, the
letter of the Agent of Spain indicated that, otherwise,

"maintenance of the equality of the Parties [would] be impossible
and it might prove difficult to complete an orderly exposition of the
views ofthe Parties in order to assist the Court in its duty to decide
itsjurisdiction under Article 36, paragraph 6, of the Statute".En d'autres termes, l'agent de l'Espagne proposa une procédure qui pré-
sentaitmutatis mutandiscertainesanalogies avec celleadoptée depuislors
dans l'ordonnance de la Cour dans l'affaire de la Délimitationmaritime
et des questions territoriales entre Qataret Bahreïn pour ce qui est des
documents argués de faux par Bahreïn.
8. Par lettre du 15mai 1995,transmise au Greffesous le couvert d'une
lettre du 17mai 1995de l'ambassadeur du Canada aux Pays-Bas, l'agent
du Canada s'estopposé à la proposition de l'Espagne dans lestermes sui-

vants :
«Cette ordonnance [celledu 2mai 19951traduit exactementl'accord
auquel sont parvenus les deux Parties et le présidentde la Cour lors
de la réuniondu 27 avril 1995, en ce qui concerne l'ordre, les dates
limites de dépôtet l'objet des pièces deprocédure écrite.La proposi-
tion de l'Espagne n'estpas acceptable pour le Canada. Nous considé-

rons que la procédureprévuedans l'ordonnance doit êtrerespectée. »
Dans cette lettre, l'agent du Canada revient encore une fois sur l'incom-
pétence manifeste dela Cour «pour les raisons indiquées))dans la lettre
du 21 avril 1995, signale que la procédure convenue et exposéedans
l'ordonnance du 2 mai 1995traduit «le principe que la compétencede la

Cour internationale de Justice ne peut êtreprésumée,mais dépend du
consentement des deux Parties)), et setermine par un commentairesur les
questions de recevabilité rappelant a ce propos que l'ordonnance du
2 mai 1995ne parle que de la question de la compétenceet que, dèslors,
«[il1s'ensuit que les questions ne portant pas sur la compétencene
pourront pas être abordéesau stade actuel. Il est entendu que les

Parties conservent le droit de soulever au cours d'une phase appro-
priéeles questions relatives la recevabilité.»
9. Sa proposition n'ayant pas eu de suite, l'Espagne rédigea son
mémoire sans connaître les considérations de fait et de droit fondant
l'objection du Canada àla compétencede la Cour. Elle a eu à sa disposi-
tion, en tout et pour tout, la lettre du 21 avril 1995du Canada (une page)

où le défendeuraffirmaitl'incompétencemanifestede la Cour en excipant
de la réservede l'alinéad) du paragraphe 2 de sa déclarationdu 10mai
1994.L'Espagne émitdonc dans son mémoire des hypothèsesquant aux
motifs de l'objection du Canada, alors que pour elle - Etat demandeur
- la déclaration canadienne du 10 mai 1994 ne soulevait pas un pro-
blèmede compétence,étantdonné sontexte et l'objet du différendsou-
mis à la Cour par la requête espagnole. L'Espagnea dû aussi, dans son
mémoire,traiter d'éventuellesquestions relatives à la recevabilitéde la
requête,en raison des propos figurant inJine dans la lettre de l'agent du
Canada du 15 mai 1995. Le Canada, lui, par contre, a pu rédigerson
contre-mémoireen ayant à sa disposition deux actes formels de procé-
dure de l'Espagne, à savoir la requête etle mémoiresur la compétence.In other words, the Agent of Spain proposed a procedure which mutatis
mutandis offered certain analogies with the procedure subsequently
adopted in the Court's Order in the Maritime Delimitation and Territo-
rial Questions between Qatar and Bahrain case in regard to the docu-
ments alleged by Bahrain to be forgeries.
8. By letter of 15May 1995,transmitted to the Registry under cover of
a letter of 17 May 1995from the Ambassador of Canada to the Nether-
lands, the Agent of Canada objected to the above proposa1 by Spain in
the following terms :

"This Order [of 2 May 19951reflects accurately the Agreement on
the sequence, filing dates and subject-matter of the writtenproceed-
ings reached by the two Parties and the President of the Court at
their meeting of 27 April 1995.The Spanish proposa1 is not accept-
able to Canada. We believe that the procedure established in the
Order should be respected."
In that letter the Agent of Canada again reverts to the manifest lack of

jurisdiction of the Court "for reasons indicated" in the letter of 21 April
1995; he observes that the procedure agreed upon and set out in the
Order of 2 May 1995reflects "the principle that jurisdiction in the Inter-
national Court of Justice cannot be presumed, but rather depends upon
the consent of both Parties". He ends with a comment on questions of
admissibility, pointing out that the Order of 2 May 1995 refers exclu-
sivelyto the question of jurisdiction, and that accordingly
"issues that do not involve questions of jurisdiction are not to be
addressed at this time. It is understood that the Parties retain the

right toraise questions of admissibility at an appropriate stage."

9. Having failed to getits proposa1accepted,Spainprepared its Memo-
rial without knowledge of the considerations of fact and law supporting
Canada's objection to the Court's jurisdiction. Al1that it had at its dis-
posa1 was Canada's letter of 21 April 1995 (one page), in which the
Respondent stated that the Court manifestly lacked jurisdiction, quoting
the terms of subparagraph (d) of paragraph 2 of the reservation to its

declaration of 10May 1994.The Spanish Memorial therefore proceeded
on the basis of suppositions with regard to the grounds of Canada's
objection, whereas, for it, applicant State, the Canadian declaration of
10May 1994did not raise an issue ofjurisdiction, given its terms and the
subject-matter of the dispute submitted to the Court by the Spanish
Application. In its Memorial Spain was also obliged, in light of the con-
cluding sentence of the above-mentioned letter of 15May 1995from the
Agent of Canada, to deal with possible questions that might be raised
with regard to the admissibility of the Application. By contrast, Canada
was able to prepare its Counter-Memorial whist having available to it
two forma1 procedural instruments filed by Spain, namely the Applica-
tion and the Memorial on jurisdiction. 10. Cela enlèvebeaucoup de poids à certains commentairesfaits dans
lecontre-mémoiredu Canada qui, par ailleurs,feint d'ignorer l'objet etla
nature du différendsoumis par l'Espagne. Il n'est pas normal que le
contre-mémoire sur la compétencedu Canada ne contienne aucun cha-
pitre ou section sur l'«objet du différend))alors que le défendeuraffir-
mait que la Cour n'était pas compétentepour connaître dudit différend
sur la base d'une réserveformuléeen fonction d'une catégoriedéterminée
de différendsmentionnéedanssa déclarationdu 10mai 1994.Au lieu de
cela, le chapitredu contre-mémoiredu Canada sur la compétence,inti-
tulé«Le contextefactuel et historique)),porte sur la crise de la conserva-
tion des ressourceshalieutiques dans l'Atlantique Nord-Ouest. Ces consi-
dérations seraientà leur place dans une demande reconventionnelle ou
comme moyen de défenseau fond dans la mesure où ellespourraient ser-

vir àjustifier une sorte d'état denécessitface aux faits illicitesinterna-
tionaux que l'Espagne reproche au Canada d'avoir commis à son égard,
mais, comme telles,ellesn'ont rienà voir avecla question de la définition
de l'objet du différendsoumis à la Cour par la requête del'Espagne du
28 mars 1995.
11. Mieux encore, le Canada a soulevédans son contre-mémoireune
nouvelle objection d'irrecevabilité(de non-lieu d'après la toute dernière
terminologie de la Cour) dont il n'a été questionni dans sa lettre du
21 avril 1995, ni dans l'ordonnance du président de la Cour du 2 mai
1995,ni dans la lettre du Canada du 15mai 1995.Le Canada a en effet
consacrétout un chapitre de son contre-mémoire,le chapitre IV, à ((atti-
rer l'attention)) de la Cour sur le fait que le différendaurait étéréglé
depuis le dépôt de la requête espagnoleau motif que celle-ciétait désor-
mais sans objet étant donné l'accord conclule 20 avril 1995 entre le
Canada et la Communauté européenne.Cela confirme, si besoin est, que

le Canada a toujours voulu redéfinirl'objetdu différend malgré sacondi-
tion de défendeurdans l'instance.
12. Le Canada s'est ensuite opposé au deuxièmetour de procédure
écrite(réplique et duplique) demandépar l'Espagne. La décision dela
Cour (ordonnance du 8 mai 1996)de ne pas ordonner un tel deuxième
tour n'a pas contribué non plus à remédieraux défaillances signalées
dans l'application du principede la contradiction pendant la phase écrite.
13. Il a donc fallu attendre jusqu'à la phase orale pour que les posi-
tions respectivesdes Parties puissent vraiment êtremisesen opposition et
pour que le principe de la contradiction fasse sentir pleinement ses effets
bienfaisantsdans ledéroulementdel'instance.L'article43 du Statut de la
Cour veut, cependant, que cela se fasse tant durant la phase orale que
durant la phase écrite dela procédure.
14. Ce n'est donc que durant la phase orale qui s'estdérouléeen juin

1998que l'Espagne a pu répondre aux arguments de fait et de droit du
défendeur concernant la compétence.Et quelle fut alors la réaction du
Canada? Se plaindre des thèseset argumentations espagnoles qui, a-t-on
dit, ne seraient pas compatibles avec les exigencesd'une procédurejudi-
ciaire internationale. Mais, qui la faute de cette surprise affichée?Une 10. This removes much of the force from certain comments in Can-
ada's Counter-Memorial, which, moreover, pretends ignorance of the
subject and nature of the dispute submitted by Spain. Itisnot logicalthat
Canada's Counter-Memorial on jurisdiction should contain no chapter
or section on "the subject of the dispute", given that the Respondent's
contention that the Court has no jurisdiction to entertain the dispute is
based on a reservationcontained in its declaration of 10May 1994which
is formulated by reference to a specific category of disputes. Instead,
Chapter 1 of Canada's Counter-Memorial on jurisdiction, entitled "Fac-
tua1 and Historical Background", deals with the conservation crisis in
respect of fisheriesstocks in the northwest Atlantic. The proper place for
such considerations would be in a counter-claim or as a defence on the
merits inasmuch as they might serve to establish some sort of state of
necessity in the face of Spain's allegations of unlawful international
acts committed against it by Canada but, in themselves, they are of no
relevance to the issue of the definition of the subject of the dispute sub-

mitted to the Court by Spain's Application of 28 March 1995.

11. Furthermore, in its Counter-Memorial, Canada raised a new objec-
tion founded on admissibility ("mootness" according to the Court's very
latest terminology), of which there was no mention either in its letter of
21 April 1995,or in the President's Order of 2 May 1995,or in Canada's
letter of 15 May 1995. Thus Canada devoted an entire chapter of its
Counter-Memorial, Chapter IV, to "drawing the attention" of the Court
to the contention that the dispute had been settled since the filing of the
SpanishApplication on the ground that it had become devoid of purpose
as a result of the agreement concluded on 20 April 1995between Canada
and the European Union. This is confirmation, if confirmation were
needed, that Canada has constantly sought to redefine the subject of the
dispute notwithstanding its position as Respondent in the proceedings.
12. Canada subsequentlyopposed Spain's request for a second round
of written pleadings (Reply and Rejoinder). And the Court's decision
(Order of 8 May 1996)not to order a second round of written pleadings
did nothing to make good these flawsin the operation of the adversarial
principle at the written stage.

13. It was therefore necessaryto awaitthe oral stage before the Parties'
respectivepositionscould be properlycompared,and the beneficial effects
of the adversarialprinciple on the conduct of the proceedings could thus
make themselves fully felt. However, Article 43 of the Court's Statute
requires that this should occur at both the oral and the written stage of
the proceedings.
14. Thus it was only at the oral pleadings stage, which took place
in June 1998,that Spain was able to reply to the Respondent's arguments
of fact and law concerningjurisdiction. And what then was Canada's
reaction? To complain that the manner in which Spain had argued its
case did not accord with the requirements of international judicial pro-
ceedings. But whose fault was it that Canada had, as it claimed, beenpartie qui au cours de la phase écrite s'estsystématiquementopposée à
fairejouer le principe de la contradiction n'est pas dans la meilleure des
positions pour faire de tels commentaireslors de la phase orale.

15. Dans ce contexte, des conseils du Canada ont aussi affirmé quele
demandeur a le devoir de placer le défendeurdevant des thèsesjuridiques
bien définies.Mais, alors, un défendeur qui soulève une objection et qui
en plus est un Etat déclarant dans le cadre du systèmedela clause facul-
tative, n'a-t-il pas une obligation procédurale similaire dès laphase écrite
de l'instance? Le Canada qui, dans la présenteaffaire, défend une concep-

tion subjective et unilatérale de la règle de droit voudrait, semble-t-il,
étendreaussi cette manière de voir à la procédurejudiciaire de la Cour
elle-même.
16. Mais ce n'est pas tout. Le Canada après avoir ((attirél'attention))
de la Cour, dans le chapitre IV de son contre-mémoire,sur sa thèse selon
laquelle le différendétait réglé,a fait marche arrière lors de la phase
orale. Sans doute, s'est-il rendu compte qu'une telle thèsea permis aux
conseils de l'Espagne d'approfondir lors de la phase orale ce qu'il avait
voulu éviter à tout prix, à savoir le traitement détailléde l'objet du dif-
férend soumis à la Cour par la requêteespagnole. Dans la phase orale, en
effet, l'agent adjoint du Canada a déclaré:

«En conséquence,la recevabilité,y compris la question de l'épui-
sement des recours internes, la question de savoir si la procédureest
sans objet - savoir si le différenda étéréglé - et la question du
locus standd ie l'Espagne pour engager la présenteinstance ne sont

pas en cause à ce stade. Le Canada n'a donc pris aucuneposition sur
ces questions.)) (CR98114, p. 8.)
17. Dire que le Canada n'a pris aucune position sur la question de
savoir si la procédureest sans objet après avoir affirmédans tout un cha-
pitre de son contre-mémoire que le différendétait réglén'est pas une
affirmation aui corres~ond aux faits. Le Canada a bel et bien abandonné

au cours de la phase orale cette allégation de non-lieu. L'Espagne, dans
ses conclusions sur la présenteprocédure incidente, a pris acte de l'aban-
don par le Canada de l'allégationselon laquelle le différendqui l'oppose
à l'Espagne n'aurait plus d'objet (voir paragraphe 12 de l'arrêt).
18. Il convient aussi de souligner ici que l'abandon du non-lieu par le
Canada s'estproduit après que l'Espagne eut épuiséson premier tour de
Parole aux audiences. le Canada étant le deuxième orateur lors de la
phase orale. De ce fait, l'Espagne a consacréun temps considérable de
son premier tour de parole à réfuter une allégationde non-lieuqui, par la
suite, a disparu de l'instance.Il n'est pas logique, pour le déroulement
normal d'une instance, de devoir attendre jusqu'au deuxième tour de

parole de la phase orale pour êtreà mêmede connaître l'objet et la portée
d'une objection préliminaire relevantde l'article 79 du Règlement de la
Cour.taken by surprise in this way? A party which at the written stage of the
proceedings has systematically opposed itself to the operation of the
adversarial principle is not in the best of positions to make such com-
ments on reaching the oral stage.
15. In this connection, counsel for Canada also contended that the
Applicant is under a duty to confront the Respondent with clearly
defined legal arguments. But, in that case, does not a Respondent who
raises such an objection - a Respondent, moreover, who is a declarant

State under the optional clause system - have a similar procedural duty
at the written stage of the proceedings? Canada, which defends a position
in this case based on a subjective, unilateral conception of the law, also
apparently wishes to extend this approachto thejudicial procedure of the
Court itself.
16. But that is not all. Canada, having, in Chapter IV of its Counter-
Memorial, "drawn the attention" of the Court to its contention that the
dispute was settled, then retreated from this position at the oral pleadings
stage. No doubt it realized that this argument enabled Spain's counsel to
go into matters at that stage whose discussion Canada had at al1costs
wished to avoid, that is to say a detailed examination of the subject-

matter of the dispute submitted to the Court by the SpanishApplication.
Thus at the oral pleadings the Deputy-Agent for Canada stated the fol-
lowing :
"Accordingly, questions of admissibility, including the exhaustion
of local remedies, and of mootness - that is, whether the dispute
has been settled - and of the locus stando if Spain to bring this

case: those questions are not in issue at this stage. Canada therefore
has taken no position on those questions." (CR98114, p. 8.)

17. The statement that Canada took no position on the question as to
whether the proceedings were moot, after devoting one whole chapter in

its Counter-Memorial to asserting that the dispute had been settled, does
not correspond to the facts. At the oral stage of the proceedings, Canada
quite clearly abandoned the allegation of mootness. In its submissions in
the present incidental proceedings, Spain took note of the fact that
Canada had abandoned the allegation that the dispute between itselfand
Spain had become moot (see paragraph 12 of the Judgrnent).
18. It should also be emphasized here that Canada abandoned the
allegation of mootness after Spain had finished its first round of oral
argument, Canada being the second to speak. As a result, Spain devoted
a considerable amount of time in the first round to refuting an allegation
of mootness which subsequently disappeared from the proceedings. In
properly conducted proceedings, it is unreasonable to have to wait until

the second round of oral argument before being in a position to know the
subject and scopeof a preliminaryobjection under the terms of Article 79
of the Rules of Court. 19. Dans la déclaration de l'agent adjoint du Canada citéeau para-

graphe 16 ci-dessus, il est aussi question de l'épuisement desrecours in-
ternes ainsi que du locus standi de l'Espagne pour engager la présente
instance. En ce qui concerne cette dernière question, il convient de sou-
ligner que le Canada a reconnu dans la présente procédure incidente
l'existenced'un différendl'opposant àl'Espagne à la date de l'enregistre-
ment de la requête espagnole le 28 mars 1995 et que, lors de la phase
orale, commeje viensde le dire, il a abandonné sonallégationde non-lieu.
Dans le paragraphe 88 de l'arrêt, laCour considère qu'ellen'a pas, dans
les circonstancesde l'espèce,à rechercher d'office si le présentdifférend
est ou non distinct de celui ayant fait l'objet de l'accord du 20 avril 1995
entre la Communauté européenne etle Canada.
20. Quant à la référenceàla règlede l'épuisementdes recours internes
(mentionnée aussi dans le contre-mémoire canadien), le moins que l'on

puisse dire est qu'elle sembledéplacée,ar, comme il ressort de la requête
introductive d'instance, du mémoire et des plaidoiries du demandeur,
l'action que l'Espagne a introduite par le dépôt desa requêten'est pas un
exercicede protection diplomatique en raison des dommages causés àdes
personnes, à des biens ou à des intérêtprivésespagnolspar le compor-
tement du Canada.
21. L'instance introduite par l'Espagne le 28 mars 1995concerne des
comportements du Canada qui, d'aprèsle demandeur, lèsentdirectement
des droits et des intérêde l'Espagne en tant qu'Etat souverain, notam-
ment son droit à l'exercicede sajuridiction exclusiveen haute mer sur les
navires battant son pavillon et son droit de voir aussi le Canada respecter
les libertés de la haute mer et les normes relativesà l'interdiction du
recours à la force dans les relations internationales. Il ne s'agit donc pas
d'un différend en responsabilité internationale assujettià la règle de

l'épuisementpréalable desvoies de recours internes.
22. Il est vrai qu'à présent le Gouvernement du Canada fait l'objet
devant ses propres tribunaux d'une action en dommages et intérêts
intentéepar lesarmateurs de l'Estai pour voies de fait en haute mer, actes
dangereux en haute mer, piraterie, saisie illégale,etc. (voir le texte de la
déclaration,en date du 28juillet 1995,déposéeauprèsde la Cour fédérale
du Canada par les avocats des armateurs de l'Estai relativementaux agis-
sements du Canada à l'égard de ce bateau (mémoire de l'Espagne,
annexes, vol. II, annexe 31). Mais la requêtede l'Espagne du 28 mars
1995n'est pas un exercicede protection diplomatique en raison des dom-
mages causésaux armateurs de l'Estai. Cela ne préjuge en rienle droit de
l'Espagne d'exercer éventuellement,le moment venu, une telle protection
diplomatique moyennant le dépôtd'une nouvelle requête. Lors des plai-

doiries, l'Espagne a réservéses droità cet égard.
23. Je voudrais enfin à l'occasion de la présente affaire faire valoir
mon point de vue en ce qui concerne la nécessitédu recours aux notes
écrites desjuges en particulier dans les affairesconcernant une procédure
préliminairesur la compétence dela Cour. L'expérienceacquise dans la
présenteaffaire me conduit àpenser que la rédaction detelles notes cons- 19. The statement by the Deputy-Agent of Canada quoted in para-
graph 16above also refers to the exhaustion of local remedies and to the
locus standi of Spain to bring the case. On the latter point, it should be
emphasized that Canada has recognized in the present incidental pro-
ceedings that a dispute between itself and Spain indeed existed on the
date the SpanishApplication was filed - 28 March 1995 - and that, as
1 have just said, at the oral stage of the proceedings it abandoned its
claim that the dispute was moot. In paragraph 88 of the Judgment the
Court Statesthat, in the circumstances of the case, it is not required to
determine proprio motu whether or not the present dispute is distinct
from the dispute which was the subject of the Agreement of 20April 1995
between the European Community and Canada.
20. As for the reference to the rule of the exhaustion of local remedies
(also mentioned in Canada's Counter-Memorial), the least that can be

said is that this seemsinappropriate, since,as is apparent from the Appli-
cation instituting proceedings, the Applicant's Memorial and the oral
arguments, Spain's action in lodging its Application is not an exercisein
diplomatic protection arising out of injury to Spanish individuals, prop-
erty or private interests caused by Canada's conduct.

21. The proceedings instituted by Spain on 28 March 1995 concern
acts by Canada which, in the Applicant's view, directly violate the rights
and interests of Spain as a sovereign State, and particularly its right to
exercise exclusivejurisdiction over vesselsflyingits flag on the high seas
and its right to see that Canada, too, respects the freedom of the high
seasand complieswith the noms governingthe prohibition on the use of
force in international relations. Thisis therefore not a dispute over inter-
national responsibility, which is subject to the rule of the prior exhaus-

tion of local remedies.
22. It is true that the Government of Canada iscurrentlythe subject of
civil proceedings before its own courts by the owners of the Estai for
damage resulting from "trespass on the high seas", "endangerment on the
high seas", "piracy", "unlawful seizure", etc. (seetext of the statement of
claim filed on 28 July 1995in the Federal Court of Canada by the solici-
tors of the shipowners of the Estai relating to the actions by Canada
against the vessel, Memorial of Spain, Vol. II, pp. 913-945). However,
Spain's Application of 28 March 1995was not an exercisein diplomatic
protection arising from the damage caused to the owners of the Estai.
But this in no way prejudices Spain's right to exercise such diplomatic
protection in due course by lodging a fresh application. In the oral argu-
ments, Spain reserved the right to do so.

23. In conclusion, 1would take this opportunity to expressmy viewon
the need for judges' written notes, in particular in cases involving pre-
liminary proceedings concerningthe Court's jurisdiction. The experience
in this case convincesme that in situations of this kind the preparation of
written notes is the only acceptable working method. Written notestitue en pareil cas la seule méthodede travail qui doit être retenue. Les
notes écritesprocurent en effet les mêmesgaranties objectives aux deux
Parties, car les allégationsd'incompétencesont, en règlegénérale,beau-
coup plus simples que celles qui affirment la compétence.

CHAPITRIE I. LES FAITS GÉNÉRATEURS DU DIFFÉREND

24. Les faits générateursdu différend soumispar la requête del'Es-
pagne se sont produits au débutdu mois de mars 1995.En effet, le 3mars
1995,le règlementcanadien sur la protection des pêcheriescôtières,dans
sa rédaction du 25 mai 1994, fut modifiépar l'adjonction, notamment,
aux ((classesréglementairesde bateaux de pêcheétrangers))viséespar la
loi de 1985 sur la protection des pêchescôtières du Canada, telle que
modifiéepar la loi du 12 mai 1994 (projet de loi C-29), d'une nouvelle
classe:«les bateaux de pêcheétrangers qui naviguent sous le pavillon [du
Portugal ou de l'~s~agne]» pêchantdans la zone de réglementation-de
1'OPANO.

25. Il convient de rappeler que la zone de réglementationde 1'OPANO
est une zone de la haute mer situéeen dehors des 200 milles de la zone
économiqueexclusive du Canada. La convention sur la future coopéra-
tion multilatérale dans les pêchesde l'Atlantique Nord-Ouest du 24 oc-
tobre 1978 (à laquelle le Canada et l'Union européennesont parties) la
définit commesuit au paragraphe 2 de son article premier:

«La zone ci-après appelée«zone de réglementation))désignela
partie de la zone de la convention qui s'étendau-delà des régions
dans lesquelles les Etats côtiers exercent leur juridiction en matière
de pêche.))

Dans la définitionde la loi canadienne les mots: ((au-delà des régions
dans lesquelles les Etats côtiers exercent leur juridiction en matière de
pêche))n'y figurent pas. Ces mots sont pourtant bien significatifsdans la
convention de 1'OPANO !
26. Cette extension, le 3 mars 1995,de la législationcanadienne àdes
navires battant pavillon espagnol se trouvant dans la zone de réglementa-
tion de 1'OPANOen haute mer - constituant en elle-mêmeune préten-
tion manifeste de juridiction du Canada en haute mer à l'encontre des

navires espagnolset des droits souverainsde l'Espagne dans un tel espace
maritime - fut suivie quelques jours plus tard de voies de fait commises
par les garde-côtesou patrouilleurs canadiens à l'encontre des bateaux de
pêcheespagnolsqui pêchaient, àce moment-là, légitimementdans ladite
zone de réglementation de I'OPANO. Ce n'est qu'au début du mois
de mai 1995que le règlementdu 3 mars 1995fut abrogépar le Canada.
27. En effet, six jours seulement après l'adoption du règlement du
3 mars 1995,l'Estai, bateau de pêcheespagnol, fut arraisonné en haute
mer dans la région desGrands Bancs, à 245 milles approximativement

des côtes canadiennes, par le patrouilleurLeonard J. Cowleyet le garde-afford both Parties the same objectiveguarantees, arguments denying the
Court's jurisdiction being generally a gseatal simpler to expound than
those which seekto uphold it.

CHAPTER II. THEFACTS CONSTITUTIN TGE SOURC EF THE DISPUTE

24. The facts constituting the source of the dispute submitted by the

Spanish Application occurred at the beginning of March 1995. Thus on
3 March 1995the Canadian Coastal Fisheries Protection Regulations, in
their version of 25 May 1994,were amended so as, inter alia, to add to
the existing "prescribed classes of foreign fishing vessels" laidn by
the 1985 Canadian Coastal Fisheries Protection Act, as amended on
12May 1994(Bill C-29), a new category entitled, "foreign fishingvessels
that fly the flag [of Portugal or Spain]" which are fishing in the NAFO
Regulatory Area.

25. It should be recalled that the NAFO Regulatory Area is a region
of the high seas situated outside Canada's 200-mile exclusiveeconomic
zone. Article 1, paragraph 2, of the Convention on Future Multilateral

Cooperation in the Northwest Atlantic Fisheries of 24 October 1978(to
which both Canada and the European Union are parties) States:

"The area referred to in this Convention as 'the Regulatory Area'
is that part of the Convention Area which lies beyond the areas in

which coastal States exercise fisheriesjurisdiction."

The words "beyond the areas in which coastal States exercise fisheries
jurisdiction" do not feature in the definition contained in the Canadian
Act. These are, however, words of great significancein the NAFO Con-

vention !
26. This extension, on 3 March 1995, ofCanadian legislation to cover
vesselsflying the Spanish flag on the highseas within the NAFO Regu-
latory Area - which, in itself, constituted a clear claim by Canada to
jurisdiction over the high seaswith respect to Spanish vesselsand a viola-
tion of Spanish sovereign rights withinsuch a maritime area - was fol-
lowed a few days later by attacks by Canadian coastguard or fisheries
patrol vesselson Spanish fishingvesselswhich were, at that time, fishing
legallywithin the NAFO Regulatory Area. It was not until the beginning
of May 1995 that the Regulations of 3 March 1995 were repealed by
Canada.
27. A mere six days after the adoption of the Regulations of 3 March

1995,the Estai, a Spanish fishingvessel,was intercepted and boarded by
the Canadian fisheriespatrol vesselLeonard J. Cowley and the Canadian
coastguard ship Sir Wilfred Grenfellon the high seas in the region of the591 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS.TORRES BERNARDEZ)

côtes Sir Wilfred Grenfelldu Canada. 11le fut aprèsune poursuite com-
mencéeaussi en haute mer, des tentatives successivesd'abordage par des
vedettes rapides avec des individus munis d'armes automatiques et des
manŒuvresd'intimidation avec tirs de semonceau moyen d'un canon de
50 millimètres monté sur le patrouilleur Leonard J. Cowley. Une fois
arraisonnépar l'usagede la force,l'Estai fut conduit par lespatrouilleurs
canadiens au port de St. John's (Terre-Neuve) et son capitaine arrêté et
poursuivi devant la Provincial Court of Newfoundland pour prétendue
((résistanceà l'autorité))en application de la loi sur la protection des

pêchescôtièresdu Canada, dans sa rédactionmodifiéedu 12 mai 1994.

28. Lejour mêmede l'arraisonnement de l'Estai, c'est-à-direle 9 mars
1995,l'ambassade d'Espagneau Canada a adressé deuxnotes verbales au
ministèrecanadien des affaires étrangèreset du commerce international.
Aux termes de la seconde, le Gouvernement espagnol condamnait caté-
goriquement la poursuite et le harcèlement d'un vaisseau espagnol par
des vaisseaux de la marine canadienne, en flagrante violation du droit
international en vigueur, puisque ces faits s'étaient produits au-delàdes
200 milles (voir paragraphe 20 de l'arrêt).
29. En outre, le 10mars 1995,le ministèreespagnol des affairesétran-
gèresa fait tenirà l'ambassade du Canada en Espagne une note verbale

ainsi conçue:

«En effectuantledit arraisonnement [celui de l'Estai],les autorités
canadiennes ont violéla norme universellement acceptéede droit
international coutumier, codifiéeaux articles 92 et concordants de la
convention de 1982sur le droit de la mer, conformément à laquelle
1'Etatdu pavillon possède unejuridiction exclusivesur lesnavires en
haute mer. Vu ce grave incident, qui a causé des dommagesimpor-
tantsà des ressortissants espagnols,l'Espagne présente saprotesta-
tion la plus énergique, et simultanément elle exige la libération
immédiate de l'équipage et du navire etse réservele droit de récla-

mer les indemnisationspertinentes.
Le Gouvernement espagnol considère que l'acte illicite commis
par des navires de la marine canadienne ne peut en aucune manière
êtrejustifiépar de présuméespréoccupations de conservation des
pêcheriesde la zone, car elleviolece qui est établi dansla convention
[OPANO]dont le Canada est partie.
L'arraisonnement du navire est une infraction grave au droit
international, qui ne correspond pas au comportement usuel d'un
Etat responsable, effectuéesous le couvert d'une législationunilaté-
rale non opposable aux autres Etats. Le Gouvernement espagnol
exige,en conséquence,l'annulation de la législationen question.
Le Gouvernement espagnol se voit forcé, à la lumièrede ces évé-

nements, à reconsidérersesrelations avec le Canada, en se réservant
le droit de prendre les mesures qu'il estime pertinentes.Mémoire
de l'Espagne, annexes, vol.1,annexe 8.)Grand Banks, some 245 miles from the Canadian coast. This act had
been preceded by a pursuit which likewisebegan on the high seas, suc-
cessiveattempts at interception by high-speed patrol boats carrying per-
sonnelarmed with automatic weapons, and by intimidatory manŒuvres,
including the firing of warning shots from a 50-millimetregun mounted
on board the patrol vessel Leonard J. Cowley. Having been boarded by
force, the Estai was escorted by the Canadian patrol vesselsto the port of
St. John's (Newfoundland), where her master was arrested and charged
before the Provincial Court of Newfoundland with having "resisted
authority" under the Canadian Coastal Fisheries Protection Act in its
amended version of 12May 1994.
28. On the same day that the Estai was seized, 9 March 1995, the
Spanish Embassy in Canada addressed two Notes Verbales to the Cana-
dian Minister of Foreign Affairs and International Trade. Under the
terms of the second of these Notes the SpanishGovernment categorically
condemned the pursuit and harassment of the Spanish vessel by vessels of

the Canadian navy, in flagrant violation of the international law in force,
sincethese acts took place outside the 200-milezone (seeparagraph 20 of
the Judgment).
29. In addition, on 10 March 1995,the Spanish Minister for Foreign
Affairs addressed a Note Verbale to the Canadian Embassy in Spain in
the following terms :

"In carrying out the said boarding operation, the Canadian
authorities breached the universally accepted norm of customary
international law codifiedin article 92 and articles of theme effect
of the 1982Convention on the Law of the Sea, according to which
ships on the highseas shall be subject to the exclusivejurisdiction of
the flag State. In the light of this serious incident, which has caused
substantialdamage to Spanish nationals, Spain lodges the most vig-
orous protest and at the same time demands the immediate release
of the crewand the vesseland reservesthe right to claim appropriate
compensation.
The SpanishGovernment considers that the wrongful act commit-

ted by ships of the Canadian navy can in no way bejustified by pre-
sumed concern to conserve fisheriesin the area, since it violates the
established provisions of the NAFO Convention to which Canada is
aParty.
The boarding of the vessel constitutes a serious offence against
international law, not in keeping with the usual conduct of aespon-
sible State, carried out under cover of unilateral legislation not
opposable to other States. Consequently the Spanish Government
demands the repeal of the legislation in question.
The Spanish Government finds itself constrained, in the light of
these events, to reconsider its relations with Canada, and reserves
the right to take whatever measures it considers appropriate."
(Memorial of Spain, Annexes, Vol. 1,Ann. 8.)(Le paragraphe 20 de l'arrêtne reproduit que le premier paragraphe (en
partie) et le deuxièmeparagraphe de la note ci-dessus.)
30. Comme il ressort de la simple lecture de cette note verbale, l'Es-
pagne n'a soulevédurant ces premiers jours (et elle ne le fera pas non
plus par la suite)aucunequestion relativela conservationou àla gestion
des ressources biologiques dans la zone de réglementation de'OPANO.
Son différendavecle Canada concerne des questions relativesau titre, aux
juridictions ou aux droits des Etats souverains en haute mer et, notam-
ment, à la règlede la juridiction exclusive de 1'Etatdu pavillon sur ses
navires en haute mer etàla non-opposabilitéà l'Espagne de la législation

canadienne. En fait, dans cette note verbale du 10 mars 1995, on peut
déjàtrouver tous les élémentsprincipaux qui configureront la requête
introductive d'instance que l'Espagne déposerale 28 mars 1995. A ce
propos, il convient de rappeler aussi qu'aucun des élémentsconstitutifs
du différendsoumis à la Cour par l'Espagne ne concerne des compé-
tences transféréeen tout ou en partie l'Union européenneparsesEtats
membres dans le cadre de la politique commune de pêchede la Commu-
nauté.
31. Le 10mars 1995,leministèrecanadien des affairesétrangèreset du
commerceinternational a, à son tour, adressé unenote verbalà l'ambas-
sade d'Espagne au Canada, confirmant «que le Canada a[vait]dû procé-
der àl'arrestation d'un chalutierespagnol, l'Estai,le 9 mars vers 16h 50))

et indiquant que l'Estai avait résisté aux tentatives d'arraisonnement que
les inspecteurs canadiens avaient effectuéesconformément à la pratique
internationale et que l'arrestation deEstai avait été renduenécessaire
pour mettre fin à la surpêchedu flétandu Groenland pratiquée par les
pêcheursespagnols (voir paragraphe 20 de l'arrêt). Cette noteverbale
canadienne présente aussi un intérêtpour pouvoir apprécier certains
autres aspectsimportants concernant les faits générateursdu présentdif-
férend entrel'Espagne et le Canada ainsi que la suite des événements.
32. En effet, dans les derniers paragraphes de cette note verbale cana-
dienne(dont le texte n'estpas non plus reproduit dans l'arrêt),il est dit ce
qui suit:

«Le communiqué ci-joint du 9 mars exprime la déception de
l'honorable André Ouellet, ministre des affaires étrangères,quaàt
laposition de l'Unioneuropéennequi aforcé leCanada àprendre des
mesures coercitivesà cettefin.
«Le ministère rappelle égalementque le premier ministre du
Canada a proposé au président de la Commission européenneun
moratoire de soixante jours sur la pêcheauJétan du Groenlandau-
delà de la zone des 200 milles du Canada, afin de permettre la
recherche d'une solution négociée.En signe de bonne foi, l'hono-
rable Brian Tobin, ministre des pêcheset des océans,a annoncéle
9 mars que le Canada ne permettrait pas à ses propres pêcheurs de

pêcherle flétandu Groenland pendant soixantejours, et ce tant à
l'intérieur qu'àl'extérieurde la zonede 200milles.A l'heure actuelle,(Paragraph 20 of the Judgment reproduces only part of the first para-
graph and the second paragraph of the above Note Verbale.)
30. As can be seen from a simple reading of this Note Verbale, Spain
did not initially raise any issues connected with the conservation or man-
agement of biological resources in the NAFO Regulatory Area (nor did it
do so subsequently).Its dispute with Canada is concerned with questions
of title, with the rights or jurisdiction of sovereign States on the high
and, in particular, with the rule that the flag State has exclusivejurisdic-
tion over its ships on the high seas and with the non-opposability to
Spain of the Canadian legislation. Thus in this Note Verbale of 10March
1995one can already seeal1of the principal elements which were to form
the basis of the Application instituting the present proceedings filed by
Spain on 28 March 1995. In this regard, it is also important to bear in
mind that none of the constituent elements of the dispute which Spain
has submitted to the Court concern powers which have been transferred
in whole or in part to the European Union by member States under the

Community's common fisheries policy.

31. On 10 March 1995the Canadian Minister of Foreign Affairs and
International Trade in his turn addressed a Note Verbale to the Spanish
Embassy in Canada, confirming "that Canada [had been] obliged to
arrest a Spanish trawler, the Estai, at about 4.50 p.m. on 9 March" and
stating that the Estai had resisted the efforts to board her made by Cana-
dian inspectors in accordance with international practice and that the
arrest of the Estai had been necessary in order to put a stop to the over-
fishing of Greenland halibut by Spanish fishermen (see paragraph 20 of
the Judgment). This Canadian Note Verbale is also of interest for the
insight that it affords us into certain other significant aspects of the facts
which gave rise to the current dispute between Spain and Canada and
into the subsequent course of events.
32. Thus in its final paragraphs (not reproduced either in the Judg-
ment) the Canadian Note Verbale States the following:

"The attached communiqué of 9 March expresses the disappoint-
ment of the Honourable André Ouellet, Minister of Foreign Affairs,
regarding the position of the European Union which has forced
Canada to take measures of coercionfor this purpose.
The Department would also point out that the Prime Minister of
Canada proposed to the President of the European Commission a
60-day moratorium onjishing for Greenland halibut beyond Cana-
da's 200-mile area, inorder to facilitate the search for a negotiated
solution. As a token of good faith, the Honourable Brian Tobin,
Minister of Fisheries and Oceans, announced on 9 March that
Canada would not allow its own fishermen to fish for Greenland
halibut over a period of 60 days, both within and outside the 200-
mile area. At the present time it is the Department's understanding593 COMPÉTENCE PECHERIES (OP.DISS. TORRES BERNARDEZ)

le ministèrecroit comprendre qu'aucun bateau espagnol ne pêchele
flétandu Groenland sur le Nez et la Queue des Grands Bancs. Le
ministère sollicite la coopération de l'ambassade pour que cette
situation soit maintenue afin de permettre la reprise des négocia-
tions.)) (Mémoirede l'Espagne, annexes, vol.1, annexe 9, p. 46-47;
les italiques sont de moi.)

33. Ainsi donc, c'est la position adoptée parl'Union européenne qui
aurait forcéle Canada à prendre lesmesures coercitivesqui ont conduità
l'arraisonnement de l'Estai le 9 mars 1995, plutôt que les activités de
pêchedu bateau espagnol lui-même. Il s'agissait de prendre en otage
l'Estai et éventuellementla flotte de pêcheespagnole se trouvant à ce
moment-là dans la zone de réglementationde l'OPANO en vue de faire
pression surl'Union européennepour que celle-cichange sa position sur
le différendexistantalors au sein de I'OPANO entre le Canada etl'Union
européenne.

34. Par ailleurs, toujours le 10mars 1995,la Communauté européenne
et ses Etat membres ont saisi le ministre canadien des affairesétrangères
de la note verbale mentionnée à la fin du paragraphe 20 de l'arrêt.Le
texte de cette note verbale se lit comme suit:
«La Communauté et ses Etats membres souhaitent condamner

dans les termes les plus énergiquesl'acte illégalet totalement inac-
ceptable que constitue l'arraisonnement, avec usage de la force, de
l'Estai, bateau de pêche battant pavillon espagnol, par des
patrouilleurs et garde-côtes canadiens dans les eaux internationales
le9 mars 1995.
L'arraisonnement d'un bateau dans les eaux internationales par
un Etat autre que celui dont le bateau bat pavillon et de la juridic-
tion duquel il relèveconstitue un acte illégaltant au regard de la
convention de I'OPANO que du droit international coutumier et ne
saurait sejustifier de quelque façon que ce soit. Par cette action, le
Canada non seulementviolede façon flagrante ledroit international,
mais ne respecte pas non plus le comportement normal des Etats res-

ponsables.
Cet acte est particulièrementinacceptableparce qu'il sape tous les
efforts déployépar la communauté internationale, notamment dans
le cadre de laA0 et de la conférencede l'Organisation des Nations
Unies sur les stocks de poissons chevauchants et les stocks de pois-
sons grands migrateurs, pour parvenir à une conservation efficace
par le renforcement de la coopération en matièrede gestion des res-
sources halieutiques.
Cette grave violation du droit international dépasse deloin la
question de la conservation des pêcheries.Cet arraisonnement est un
acte illégalportant atteinte la souverainetéd'unEtat membre de la
Communauté européenne.De surcroît, les navires canadiens ont,

par leur comportement, manifestement mis en danger la vie de
l'équipageet la sécuritédu bateau espagnol en cause. that no Spanish boat is fishing for Greenland halibut on the Nose

and Tai1of the Grand Banks. The Department requeststhe coopera-
tion of the Embassy to ensure that this situation is maintained so as
to make possible the resumption of negotiations." (Memorial of
Spain, Annexes, Vol. 1,Ann. 9, pp. 46-47; emphasis added.)

33. Thus it is the position adopted by the European Union which is
stated to have forced Canada to take the measures of coercion which led
to the boarding of the Estai on 9 March 1995, rather than the fishing

activities of the Spanish vesselitself. It was a matter of taking the Estai
hostage, and possibly the entire Spanish fishingfleet in the NAFO Regu-
latory Area at that time, with a viewto putting pressure on the European
Union to change its position in the dispute which then existed between
Canada and the Union within NAFO.

34. Furthermore, still on 10 March 1995, the European Community
and its member States addressed to the Canadian Minister of Foreign
Affairs the Note Verbale mentioned at the end of paragraph 20 of the
Judgment. The text of this Note Verbale read as follows:

"In relation with the violent arrest of the fishingvesseltai, fly-
ingthe flagof Spain, by Canadian Patrol and Coast Guard vesselsin
international waters on 9 March 1995,the Community and its mem-
ber States wish to express their strongest condemnation of such an
illegal and totally unacceptable act.

The arrest of a vesselin international waters by a State otheran
the State of which the vessel isflyingthe flag and under whosejuris-
diction it falls, is an illegal act under both the NAFO Convention
and customary international law, and cannot be justified by any
means. With this action Canada is not only flagrantly violating
international law, but is failing to observe normal behaviour of
responsible States.

This act is particularly unacceptable since it undermines al1the

efforts of the international community, notably in the framework of
the FA0 and the United Nations Conference on Straddling Fish
Stocks and Highly Migratory Fish Stocks, to achieve effective co-
operation through enhanced cooperation in the management of
fisheriesresources.

This serious breach of international law goes far beyond the
question of fisheriesconservation. The arrest is a lawlessact against
the sovereignty of a Member State of the European Community.
Furthermore the behaviour of the Canadian vessels has clearly
endangeredthe livesof the crew and the safety of the Spanish vessel
concerned.594 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

La Communautéeuropéenne etses Etats membres exigent que le
Canada restitue immédiatement le bateau, répare les dommages
occasionnés,cessede harceler les bateaux battant pavillon des Etats
membres de la Communauté et abroge sans délaila loi sous le cou-
vert de laquelleil prétend prendre cette mesure unilatérale.
La Communauté européenne et ses Etats membres sont forcés
de réexaminer leursrelations avec le Canada compte tenu de cette
situation déplorable et réserventleur droit de prendre toute mesure
qu'ils jugent indiquée.(Mémoiredel'Espagne, annexes, vol. 1,an-
nexe 11;lepremier et le dernier paragraphe de cettenote ne sont pas

reproduits non plus dans l'arrêt.)

35. La note verbale de la Communauté européenne etde ses Etats
membres distingue, comme il sedoit, entre «la question de la conserva-
tion des pêcheries))etcelle des actes ((portant atteintela souveraineté
d'un Etat)), confirmant ainsi l'autonomie de ces deux questions. La
requête introductive d'instance déposée enl'espècepar l'Espagne ne
s'occupe que des actes du Canada qui, d'aprèsle demandeur, ont porté
atteinte en mars et en avril 1995à la souveraineté de l'Espagneen tant
qu'Etat. Ajoutons que quelques jours après le 10mars 1995,l'Estai fut
restituéàl'Espagneet des négociationsentre la Communauté européenne

et le Canada sur leur différendau sein de 1'OPANOpurent s'ouvrir à
Bruxelles. Par contre, l'abrogation du règlement du 3 mars 1995 et
l'abandon des poursuites pénalescontre le capitaine del'Estai ne se sont
produits qu'après la conclusion de l'accord du 20 avril 1995 entre la
Communauté européenneet le Canada sur les pêchesdans le cadre de la
convention de I'OPANO.
36. Depuis l'épuisement des ressources biologiquesdans la zone des
200millesdu Canada adjacente à la zone de réglementationde I'OPANO,
qui s'est produit dans les annéesquatre-vingt - du fait de l'expansion
excessive des pêchescôtières canadiennes qui a suivi la déclaration de
I'ExtendedFisheries Jurisdiction (EFJ) de 1977(voir, par exemple, à ce
propos l'article de l'auteur canadien William E. Schruauk, ~Extended

Fisheries Jurisdiction, Origins of the Current Crisis in Atlantic Canada's
Fisheries)),Marine Policy, 1995,vol. 19,no4, p. 285-299)-, et au fur et
à mesure de l'aggravation de la crise dans sa zone exclusive,le Canada
devient de plus en plus exigeant dans ses prétentions concernant les
pêchesdans la zone de réglementationde I'OPANO, c'est-à-direen haute
mer. Cela a donnélieu à des divergences au sein de 1'OPANOentre le
Canada et d'autres parties à la convention de I'OPANO, notamment
l'Union européenne.
37. Il faut aussi avoir présent à l'esprit l'arrière-plan du conflit
de févrierlmars1995entre le Canada et l'Union européennedans le cadre
de I'OPANO. En février1995,le Canada agit au seinde I'OPANO en vue
de réduire considérablementle total admissible de captures (TAC) du flé-

tan noir (ou flétande Groenland) dans la zone de réglementation de
1'OPANOet de le ramener à 27000 tonnes pour l'année,tout en se fai- The European Community and its member States demand that
Canada immediately release the vessel, repair any damages caused,
cease and desist from its harassment of vessels flying the flag of
Community member States and immediately repeal the legislation
under which it claims to take such unilateral action.
The European Community and its member States are forced to
reassess their relationship with Canada in the light of this deplorable
situation and reserve their rights to take any action which they deem
appropriate." (Memorial of Spain, Annexes, Vol. 1, Ann. 11; the
first and the last paragraph of this Note are not reproduced in the
Judgment either.)

35. The Note Verbale from the European Community and its member
States correctly makes the distinction between "the question of fisheries
conservation" and that of acts "against the sovereignty of a State",
thereby confirming that these are two quite separate issues. The Applica-
tion instituting proceedings filed by Spain in this case is concerned only
with those actions of Canada which, in the Applicant's view, constituted
an attack in March and April 1995on the sovereignty of Spain qua State.
1would add that a few days after 10 March 1995the Estai was released
to Spainand negotiations between the European Communityand Canada
with regard to their dispute within NAFO could be opened in Brussels.
On the other hand, the repeal of the Regulations of 3 March 1995 and
the discharge of criminal proceedings against the master of the Estai did
not occur until after the conclusion of the Agreement of 20 April 1995
between the European Community and Canada on fisheries in the con-

text of the NAFO Convention.
36. Followingthe exhaustion of living resources in the Canadian 200-
mile zone adjacent to the NAFO Regulatory Area in the 1980s - as a
result of the excessive expansion in Canadian coastal fishing which fol-
lowed the declaration of the Extended Fisheries Jurisdiction (EFJ) of
1977 (see, for example, the article by the Canadian author William E.
Schruauk, "Extended Fisheries Jurisdiction, Origins of the Current Crisis
in Atlantic Canada's Fisheries", in Marine Policy, 1995,Vol. 19,No. 4,
pp. 285-299) - and as the crisisin the exclusivezone became increasingly
serious, Canada has become more and more demanding in its claims con-
cerning fisheriesin the NAFO Regulatory Area, that is to Sayon the high
seas. This has given rise to disagreements within NAFO between Canada
and other parties to the NAFO Convention, notably the European

Union.

37. It is also necessary to keep in mind the background to the conflict
of FebruaryIMarch 1995between Canada and the European Community
within NAFO. In February 1995 Canada took steps within NAFO to
reduce substantially the total allowable catch (TAC) of Greenland hali-
but in the NAFO Regulatory Area to 27,000 tonnes per year, whilst
allocating to herself the lion's share of 16,300 tonnes, that is to Say595 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

sant attribuer la part du lion (16300 tonnesà,savoir 10300 tonnes de
plus qu'en 1994.Soixante pour cent environ du TAC de 1995sont donc
ainsi réservésau Canada dans la zone de réglementation de I'OPANO.
En mêmetemps, il réussit,toujours au sein de I'OPANO, à une voix de
majorité, à faire fixer la part réservéeaux pêcheursde l'Union euro-
péenne à douze pour cent environ du TAC de 1995,soit 3400 tonnes de
flétan noir seulement. Une quantité misérabled'après la presse cana-
dienne elle-mêmen , on rentable et bien inférieureau volume traditionnel

de captures des pêcheurs del'Union européenne dans la zone et à leurs
besoins, alors que le volume attribuéau Canada dépassaitses capacités
de pêche(voir, par exemple, l'éditorialdu 18 avril 1995du journalThe
Globe and Mail; mémoire de l'Espagne, annexes, vol.1, annexe 23). On
voit déjà que, dans cette crise de 1995 entre'Union européenne et le
Canada, il n'est pas seulement question de «conservation» mais bel et
bien de «répartition» des ressources.
Devant une telle situation, la Communauté européenne aeu recours à
la procédure d'objection, procédurelégitime prévuedans la convention
de l'OPAN0, de façon à ce que les arrangements de I'OPANO prônés
par le Canada ne lui fussent pas opposables,et, sans changer le TAC éta-

bli, elle a fixéelle-même 18630 tonnes le quota de flétannoir dans la
zone pour les pêcheurs desEtats membres de la Communauté,pêcheurs
espagnols y compris. Les quotas fixéspar I'OPANO ne sont pas appli-
cablesà une partie qui fait objectionconformément aux dispositionsper-
tinentes de la convention de70PAN0.
38. La premièreréactiondu Canada à la position adoptéepar l'Union
européennedans ce conflit de févrierlmarsau sein de 1'OPANOfut, sous
prétextedesurpêche,l'adoption du règlementdu 3mars 1995étendant la
législationnationale canadienne sur la protection des pêchescôtièresaux
navires portugais et espagnols. Cette prétention de juridiction en haute
mer fut suivie de la proposition d'un moratoire de soixantejours sur la
pêcheau flétannoir, dont il est question dans la note verbale canadienne

du 10mars 1995citéeau paragraphe 32 ci-dessus.
39. Le 6 mars 1995,l'Union européenne accepta d'entamer des négo-
ciations bilatéralesavec le Canada sur leur conflit au sein de l'OPAN0,
mais non sur le moratoire proposé, et rappela son opposition àla Iégisla-
tion canadienne en matière de contrôle des activitésde pêchesde navires
non canadiens au-delà des 200 milles (déclaration du Conseil ((affaires
générales))de l'Union européenne du 6 mars 1995; mémoirede l'Es-
pagne, annexes, vol. 1,annexe 10). C'est alors que la deuxièmeréaction
canadienne se produisit et quel'Estai fut arraisonné par le recouàsla
force.
40. C'est à cette déclaration du 6 mars 1995 de l'Union européenne

que fait allusion la note verbale canadienne du 10mars 1995(voir para-
graphe 32ci-dessus)lorsqu'elleseréfèreàla déceptionressentie le 9 mars
1995par le ministre Ouellet etàla position de l'Union européenne qui,
selon sestermes, aurait forcéle Canada prendre des mesures coercitives
dans la zone de réglementation de I'OPANO àl'encontre des bateaux de FISHERIES JURISDICTION (DISSO. P.TORRES BERNARDEZ)
595

10,300tonnes more than in 1994.Some60per cent of the 1995TAC within
the NAFO Regulatory Area was thus reserved for Canada. At the same
time Canada succeeded, still withinNAFO and by a majority of one vote,
in having the quota reserved for European Union fishermen fixedat some
12 per cent of the 1995TAC, namely a mere 3,400 tonnes of Greenland
halibut. According to Canada's own press the quota was stingy, non-
viable, far smaller than the catch which European Union fishermen were
accustomed to taking in the area and insufficient for their needs, whilst
the volume allocated to Canada exceeded her fishing capabilities (see,for
example, the editorial of 18April 1995in The Globe and Mail; Memorial
of Spain, Annexes, Vol. 1, Ann. 23). It can already be seen that in this
1995crisis between the European Union and Canada the issue is not just

one of "conservation" but quite clearly of "apportionment" of resources.

Faced with this situation, the European Community had recourse to
the objection procedure as it was legitimately entitled to do under the
NAFO Convention claiming that the NAFO quotas proposed by Canada
were not acceptable, and, without altering the established TAC, itself
fixed at 18,630 tonnes the quota of Greenland halibut designated for
European Community fishermen (including Spanish fishermen) fishing in
the area. Quotas fked by NAFO are not applicable to a party which
makes an objection under the relevant provisions of the NAFO Conven-
tion.
38. Canada's initial reaction to the position adopted by the European
Union in the FebruaryIMarch conflict within NAFO was the adoption,

on the pretext of overfishing,of the Regulations of3 March 1995extend-
ing the Canadian coastal fisheries protection legislation to Spanish and
Portuguese vessels. This claim to jurisdiction on the high seas was fol-
lowed by the proposa1 for a 60-day moratorium on fishing for Greenland
halibut referred to in the Canadian Note Verbale of 10 March 1995
quoted at paragraph 32 above.
39. On 6 March 1995the European Union agreed to enter into bilat-
eral negotiations with Canada concerningits dispute within NAFO, but
it did not consent regarding the proposed moratorium and reiterated its
opposition to Canadian legislation controlling the fishing activities of
non-Canadian vessels outside the 200-mile limit (Statement by the Gen-
eral Affairs Council of the European Union of 6 March 1995; Memorial
of Spain, Annexes, Vol. 1, Ann. 10). It was then that the second Cana-

dian reaction took place, and that the Estai was forcibly boarded.

40. It is to this Statement by the European Union of 6 March 1995
that the Canadian Note Verbale of 10 March 1995 (seepara. 32 above)
makes reference when it speaks of the disappointment felt on 9 March
1995 by Minister Ouellet and of the position of the European Union
which, in its words, had forced Canada to take measures of coercion
against Spanish vesselsfishingin the NAFO Regulatory Area; and, as we596 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

pêcheespagnolset dont la première ciblefut le 9 mars 1995,comme nous
venons de le voir, l'Estai.
41. Lesconsidérations qui précèdent (que d'autres documents soumis
à la Cour et des publications dans le domaine public confirment) per-
mettent d'avoir une idée suffisamment précise de ce que le Canada cher-
chait en faità atteindre en févrierlmars1995, àsavoir changer les règles

de jeu dans la zone de réglementation de 1'OPANO au détriment des
droits dont l'Union européenne et ses Etats membres jouissent dans la-
dite zone en vertu de la conventionde 1'OPANOet du droit international
généralde la mer. Le Canada voulait modifieren sa faveurla situationjuri-
dique existante dans la zone au moins sur trois points, à savoir: 1) se
voir reconnaître par l'Union européenne des droits juridictionnels ou
de contrôle privilégiédans les pêcheriesde la zone de réglementationde
I'OPANO; 2) se voir reconnaître par l'Union européennedes droits pré-
férentielsdans la répartition des quotas du TAC sur la base de sa condi-
tion d7Etat côtier sans se soucier des équilibresétablisen la matière par

la convention de 1'OPANO; 3) modifier la procédure d'objection pré-
vue par la convention de YOPANO ou limiter son exerciceau détriment
de l'Union européenne. Si l'on garde cela à l'esprit, il devient évident
que les mesures prises au début dumois de mars 1995 à l'encontre des
bateaux de pêcheespagnols (adoption du règlement du 3 mars 1995;
arraisonnement de l'Estai; harcèlement d'autres bateaux de pêcheespa-
gnols) constituaient en réalides mesures contre l'Union européennequi
n'avaient Dour but aue d'obtenir des concessions de celle-ci afin d'at-
teindre les objectifs que je viens d'énumérer.L'enjeu n'étaitdonc pas la
conservation,mais la modijicationdu droit dans la zone de réglementation

de I'OPANO.
42. La note verbale de la Communauté européenne et de ses Etats
membres du 10mars 1995ne se trompe pas lorsqu'elle se réfère à «la loi
sous le couvert de laquelle [le Canada] prétend prendre» des mesures
unilatérales contre les bateaux de pêcheespagnols. Cela n'est pas sans
pertinence pour la tâche qui est celle de la Cour dans la présente procé-
dure incidente, quoique l'arrêt l'ignoretout fait. Voilà un bon exemple
d'une question qui aurait méritéune réponse,que l'onne trouve pas dans
-'--.êt.
43. Dans les jours qui ont suivi l'arraisonnement de l'Estai, d'autres

bateaux espagnols (Monte Agudo, Freiremar Uno, JoséAntonio Nores,
Verdel,Arosas, Mayi Cuatro et Pescamaro Uno) ont fait l'objet de dif-
férentesmesures de harcèlement et de contrôle par plusieurs garde-côtes
ou patrouilleurs canadiens. Tous ces actes de harcèlement ont eu lieu
dans la zone de réglementation de 170PAN0, c'est-à-dire en haute mer.
Devant l'accroissement dela tension dans la zone et pour mieux protéger
sa flotte de pêche, l'Espagneenvoya un certain nombre de navires de sa
marine qui commencèrent à arriver dans la zone à partir du 17 mars
1995. Dans le document intitulé ((Rapports sur la participation de la
marine espagnole dans les zones de pêchede la zone [OPANO])),il est

dit, en guise d'observation finale, ce qui suit:have just seen, on 9 March 1995the Estai had become the first target of
those measures.
41. The above considerations (which are confirmed by other docu-

ments submitted to the Court and by publications in the public domain)
give a sufficiently precise idea of what Canada was really seeking to
achievein FebruaryIMarch 1995,namely, to alter the ground rules in the
NAFO Regulatory Area to the detriment of those rights enjoyed by the
European Union and its member States in the said Area by virtue of the
NAFO Convention and the general international law of the sea. Canada
wished to modify in its own favour at least three aspects of the existing
legal situation in the area: (1) to secure recognition by the European
Union of preferential rights of jurisdiction and control over fisheries
within the NAFO Regulatory Area; (2) to secure recognition by the
European Union, by virtue of its position as a coastal State, of preferen-
tial rights in the apportionment of TAC quotas without any regard for
the parities established in this respect by the NAFO Convention; (3) to
amend the objection procedure provided by the NAFO Convention, or
restrict its exercise to the detriment of the European Union. Bearing al1
this in mind, it becomes evident that the measures taken at the beginning
of March 1995against Spanish fishing vessels (adoption of the Regula-
tions of 3 March 1995;boarding of the Estai; harassment of other Span-

ish fishing vessels) constituted, in truth, measures directed at the Euro-
pean Union with no other aim but to secure concessions from the latter
for the purpose of achieving the objectives which 1 have just outlined.
Thus what was at stake here was not consevvationbut revisionof the law
in the NAFO Regulatory Area.

42. The Note Verbale of the European Community and its member
States of 10 March 1995is correct when it refers to "the Act under the
coverof which Canada claims to take" unilateral measures against Span-
ish fishingvessels.This fact is not without relevance to the Court's task in
the present incidental proceedings and yet the Judgment totally ignores
it. Here is a goodexample of a question which merited a response that we
do not find in the Judgment.

43. During the days which followed the boarding of the Estai, other
Spanish vessels(Monte Agudo, Freiremar Uno,JoséAntonio Nores, Ver-
del, Arosas, Mayi Cuatroand Pescamaro Uno)were subjected to various
measures of harassment and control by a number of Canadian coast-

guard and patrol vessels. Al1 of these acts of harassment took place
within the NAFO Regulatory Area, that is to say on the high seas. In the
face of increasing tension in the Area and in order to protect her fishing
fleet, Spaindespatched a certain number of ships of her own navy, which
began to arrive in the Area from 17 March 1995.The document entitled
"Reports on the Part Played by the Spanish Navy in the Fishing Grounds
of the NAFO Area" observes in its concludingparagraph that:597 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS.TORRES BERNARDEZ)

((Pendant pratiquement tout notre séjourdans la zone [entre le

17mars et le 4 avril environ], les navires de pêche espagnolsont été
harcelés, avec plusou moins d'intensité,par les patrouilleurs cana-
diens. Ne respectant pas dans certaines occasions la convention
internationale pour prévenirles abordages en mer.» (Mémoirede
l'Espagne, annexes, vol.1, annexe 5.)

44. Dans le cas du bateau Pescamaro Uno, le patrouilleur Leonavd J.
Cowley a sectionnéles funes de son chalut, ce qui a causéla perte de
l'engin et mis en danger la vie des marinsbord. Le document susmen-
tionné décrit, comme suit,le harcèlementdu Pescamavo Unoqui a eu lieu
le 26 mars 1995:

((Vers 21h30 ce mêmejour, cinq patrouilleurs canadiens revien-
nent, à mesure qu'ils s'approchent de la flotte espagnole, ils se dis-
persent et harcèlent différents naviresde pêche avecleurs projec-
teurs. LePescamavo Unonous informe qu'un remorqueur et le L. J.
Cowley se trouventà côtéde lui, un membre de l'équipagede ce der-
nier communique, en espagnol, au chalutier espagnol ((qu'il est en
train de violer les réglementations visant la protection de la pêche
côtière canadienne.Il lui ordonne d'arrêterimmédiatementses ma-

chines et de placer l'échellepour pouvoir aborder son embarcation.
Conformément àla législationdu Canada ils ne sont pas autorisés
à pêcherdu flétannoir dans cette zone.)) Nous lui communiquons,
depuis le Vigia, qu'ils sont en train d'enfreindre la réglementation
OPAN[O] ainsi que le droit international. Ils nous répondent qu'ils
obéissentaux lois canadiennes et non à celles de l'OPAN[O]. Vu
la négative du capitaine du navire espagnol, le L. J. Cowley lui
donne un délaipour retirer l'équipage dupont car il va lui couper les
funes de chalut; le remorqueur canadien illumine le Pescamavo Uno
avec de puissants projecteurs et en mêmetemps passe de la proue à
la poupe, à peu de mètres de son flanc et après avoir dépassé la

poupe du navire de pêcheespagnol, ilvire de quatre-vingt-dix degrés
pour passer perpendiculairement àsa poupe, moment où il largue un
objet coupant (sans doute un grappin) qui sectionne les funes du
chalutier espagnol, avec la perte subséquente de tout l'engin et le
risque subséquentpour les marins qui se trouvaient sur le pont ce
moment-là. Après cet incident, la flotte et nous-mêmesmettons le
cap vers l'est, en laissant les patrouilleurs canadiens derrière nous.
A aucun moment les patrouilleurs impliquésdans les événements
du 26 n'ont hissé lespavillons d'inspectionOPAN[O], ils hissèrent
seulement deux pavillons et un autre indiquant le numéro de code
international (SQ 3 - stoppez ou mettez les machines au point
mort. Je vais monter à bord de votre embarcation) et en même

temps, ils répétaientsans cesse qu'ils agissaient conformément la
loi côtière canadienne. » (Ibid.)
45. Ces actes de harcèlement, postérieuàsl'arraisonnement del'Estai, FISHERIES JURISDICTION (DISS .P. TORRES BERNARDEZ) 597

"During practically the whole of Our stay in the area [between
17 March and 4 April, approximately], the Spanish fishing vessels
were harassed by Canadian patrol boats, with greater or lesserinten-
sity. On certain occasions the patrol boats failed to respect the Inter-
national Convention on the International Regulations for Prevent-
ing Collisions at Sea." (Memorial of Spain, Annexes, Vol. 1,Ann. 5.)

44. In the case of the vessel Pescamavo Uno, the patrol boat Leonavd
J. Cowleycut its trawl-warps, an act which caused the loss of its gear and
endangered the life of the crew members on board. The above-mentioned
document describes as follows the harassment of the Pescamavo Uno on
26 March 1995:

"At about 21.30 hours on that same day, five Canadian patrol
boats returned and, as they drew close to the Spanish fleet, dispersed
and harassed different fishing vesselswith theirprojectors. The Pes-
camaro Uno informs us that a tug boat and the Leonard J. Cowley
both drew alongside it and a member of the latter vessel's crew
addressed the Spanish trawler in Spanish, saying that 'it was violat-
ing regulations aimed at protecting Canadian coastal fishing. He
ordered it to stop itsngines at once and put down a ladder so that

it could be boarded as, under Canadian legislation, it was not
authorised to fish for Greenland halibut in that area'. We told him,
from the Vigia, that they were in breach of the NAFO regulations
and of international law; they answered that they were obeying the
laws of Canada andnot those of NAFO. Given the negativeresponse
from the Captain of the Spanish vessel, the Leonavd J. Cowley gave
it a period of time in which to clear its crew from the deck, saying
that it was going to cut its trawl-warps. The Canadian tug boat
shone powerful projectors on the Pescamavo Unoto light it up and,
at the same time, sailed past it from Sternto bow, just a few metres
away from its side. After having sailed past the bow of the Spanish
fishing boat, it took a 90 degree turn to pass at a right angle to its
bow, at which time it loosed a cutting device (doubtless a grapnel)
which sliced through the trawl-warps of the Spanish trawler, with

the subsequent loss of al1the gear and endangering the fishermen
who were on deck at that time. After that incident the fleet andour-
selves moved off in an easterly direction, leaving the Canadian
patrol boats behind.
At no time did the patrol boats involved in the events of 26th hoist
NAFO inspection flags; they only hoisted two flags and one other
giving the number of the International Code SQ3 (meaning 'Stop or
put your engines in neutral gear, 1am about to board your vessel'),
while at the same time they kept on repeating that they were acting
in accordance with the coastal legislation of Canada." (Ibid.)

45. These acts of harassment subsequent to the boarding of the Estai,598 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

commis par le Canada à l'égarddes bateaux espagnols pêchant dans la
zonede réglementationde I'OPANO, se sont produits tant avant qu'après
l'introduction de la présenteinstanceainsiqu'il ressort des notes verbales
adresséesau Canada par l'Espagne le 27 mars et le 7 avril 1995(mémoire
de l'Espagne, annexes, vol. 1,annexes 3 et 4). Le Canada n'a pas répondu
à ces notes. La négociation bilatérale n'a pas étépossible en mars 1995
entre l'Espagne et le Canada en ce qui concerne l'objet du présent diffé-
rend. L'arrêt gardele silence le plus total sur tous ces développements

ultérieursà l'arraisonnement de l'Estai, voire à l'introduction de l'ins-
tance.
46. Ainsi, le 28 mars 1995, l'Espagne, compte tenu de la condition
d'Etat déclarant des deux pays dans le cadre du système de la clause
facultative, a enregistréau Greffe de la Cour une requête introductive
d'instance contre le Canada «au suiet d'un différend relatifà certains
aspects de la compétence exercéepar le Canada en matière de pêcheries »
(paragraphe 2 de l'ordonnance du 2 mai 1995; les italiques sont de moi)
et l'affaire reçut le titre de Compétenceen matière depêcheries (Espagne
c. Canada). La requêtepréciseque la question soumise à la Cour n'est
pas la conservation et la gestion des ressources de pêche[mais] le titre

pour exercer une juridiction sur des espaces en haute mer et [son] oppo-
sabilitéà l'Espagne, notamment l'opposabilité à l'Espagne de la préten-
tion du Canada d'exercer unejuridiction sur les navires battant pavillon
espagnol en haute mer et la responsabilitédu Canada du fait de l'arrai-
sonnement de l'Estai par la force en haute mer.
47. Par lettre, datée du 31 mars 1995, du représentant permanent
de l'Espagne auprèsdes Nations Unies, distribuéecomme document offi-
ciel de l'Assemblée générale et du Conseil de sécurité(doc. A/50/98,
S/1995/252),le Gouvernement espagnol informe le Secrétaire général de
l'organisation des Nations Unies du différendexistant entre l'Espagne
et le Canada comme suit:

((D'ordre de mon gouvernement, j'ai l'honneur de vous faire
savoirque ces dernièressemaines se sont produits en haute mer dans
le nord-ouest de l'Atlantique un certain nombre d'incidents entre des
bateaux de pêchebattant pavillon espagnol et des patrouilleurs
canadiens, incidents au cours desquels ces derniers ont fait usage de
la force.
Je souhaite en particulier me référerau fait que, le 9 mars dernier,
le bateau de pêcheEstai, battant pavillon espagnol, a étéarraisonné
par des patrouilleurs canadiensfaisant usage de la force armée,alors
qu'il se trouvait dans des eaux internationales. Le bateau ainsi que
l'équipage furent conduitsau port de Saint John's où ils ont été rete-
nusjusqu'à leur mise en libertésouscautionjudiciaire. Il convient de

souligner que cette caution a étéverséepar l'armateur du bateau
arraisonné, qui a expressémentfait savoir qu'il ne reconnaissait pas
la compétence destribunaux canadiens.
Postérieurement à ces faits se sont produits divers actes de harcè-committed by Canada againstSpanish vesselsfishingin the NAFO Regu-
latory Area, occurred both before and after the commencement of these
proceedings, as is shown by the Notes Verbales addressed to Canada
by Spain on 27 March and 7 April 1995(Memorial of Spain, Annexes,
Vol. 1.Anns. 3 and 4). Canada did not res~ond to those Notes. Bilateral
negotiations between Spain and canadi on matters concerning the
subject-matter of this dispute were not possible in March 1995. The
Judgment remains totally silent on the subject of al1these developments
subsequent to the boarding of the Estai, and indeed to the commencement
of these proceedings.
46. Thus, on 28 March 1995,Spain, in reliance upon the fact that both
States were declarant States under the optional clause system, filedin the
Registry of the Court an Application instituting proceedings against
Canada "with respect to a dispute concerning certain aspects of thejuris-
diction exercisedby Canada in relation to fisheries" (second paragraph of

the Order of 2 May 1995;emphasis added) and the case receivedthe title
of Fisheries Juvisdiction (Spain v. Canada). The Application makes it
clear that the question submitted to the Court is not the conservation and
management of fisheries resources [but] the right to exercisejurisdiction
over the high seas and [its] opposability to Spain, and in particular the
opposability to Spain of Canada's claim to exercisejurisdiction over ves-
sels flying the Spanish flag on the high seas and Canada's responsibility
by reason of the forcible boarding of the Estai on the high seas.

47. By a letter dated 31 March 1995from the Permanent Representa-
tive of Spain to the United Nations, distributed as an officia1document
of the General Assembly and the Security Council (doc. A150198,SI19951
252), the Spanish Government informed the United Nations Secretary-
General of the dispute between Spainand Canada in the followingterms :

"On instructions from my Government, 1 have the honour to
inform you that in recent weeks situations of tension have occurred

on the high seas in the North-West Atlantic between fishing vessels
flying the Spanish flag and Canadian patrol boats, and that these
have involved the use of force on the part of the latter.

In particular,1wish to refer to the fact that on 9 March 1995the
fishingvessel Estai, flying the Spanish flag, was arrested in interna-
tional waters by Canadian patrol boats using armed force. Both the
fishing boat and the crew were taken to the port of St. John's, where
they were detained until their subsequent release on bail. It should
be emphasized that when paying the bail, the owner of the detained
vesselmade an explicit statement of non-recognition of the jurisdic-
tion of the Canadian courts.

Subsequent to these incidents, various acts of harassment by599 COMPÉTENCE PECHERIES (OP.DISS. TORRES BERNARDEZ)

lement de la part de patrouilleurs canadienscontre des embarcations
espagnoles pratiquant la pêchehauturière, notamment un incident
sérieux,le 26 mars, au cours duquel les filets du bateau de pêche
espagnol Pescamav 1 ont étédélibérément sectionnés par un
patrouilleur canadien.
Ces faits, qui constituent une violation flagrante par le Canada du
droit international et de la Charte des Nations Unies, ont causé de

graves préjudicesà des citoyens espagnols et, dans certains cas, ont
mis en danger leur vie ou leur intégrité physique,ce qui a amenéle
Gouvernement espagnol à réagir sous la forme de protestations
immédiatespar la voie diplomatique, dans lesquelles il a pleinement
réservéses droits et réclaméles indemnisations pertinentes au titre
des dommages et torts subis.
Soucieux de défendreses nationaux, le Gouvernement espagnol a
décidéen outre d'envoyer deux unités del'armée espagnole dans la
zone où s'étaient produitsles faits, afin de protégerles embarcations
espagnoles qui exercent leurs activitésen se prévalant du principe de
la liberté de la haute mer, dans le cadre des réglementations appli-

cables établiespar les organisations internationales compétentes en
la matière.
Par ailleurs, le Gouvernement espagnol, résoluà résoudrepacifi-
quement les différendsinternationaux conformément aux disposi-
tions de la Charte des Nations Unies, a introduit le 28 mars dernier
une requêtede l'Espagne contre le Canada àla Cour internationale
de Justicepour que celle-cipuisse rendre son arrêtet que soientréta-
blis les droits ainsi foulésau pied.
Je vous serais reconnaissant de bien vouloir faire distribuer le
texte de la présentelettre comme document de l'Assembléegénérale,
au titre des points 39 et c) de la liste préliminaire,et du Conseil
de sécurité.

48. Comme dans la présenteprocédure incidente se posent aussi cer-
taines questions d'interprétation relatiàel'exécution des mesures dites
de gestion et de conservation par des moyens coercitifs, à savoir par
l'usage de la force l'encontre des bateaux de pêcheespagnols en haute
mer, il convient de rappeler ici qu'ily a eu des ((menacesde l'emploi dela
force» par la marine canadienne pendant la période où les bateaux espa-
gnols ont continué àpêcherdans la zone de réglementationde 1'OPANO
après l'arraisonnement de l'Estai (environjusqu'au débutdu mois d'avril
1995).Il y a eu des moments de considérabletension entre les deux pays
qui ne sont pas sans rapport d'ailleurs avec les hauts et les bas qu'ont
connus lesnégociationsqui se déroulaient parallèlementà Bruxellesentre

l'Union européenne et le Canada pour résoudre leur conflit au sein de
I'OPANO. Des publications et des nouvelles de presse et d'autres moyens
d'information publique ont parlé àl'époque demenaces, d'intimidation,
de guerre du flétan,des «rules of engagement))de la marine de guerre
canadienne, etc. Canadian patrol boats of Spanish fishing vessels operating on the
high seas have taken place, including a serious incident on 26 March
in which the nets of the Spanish fishing vesse1Pescamar 1 were
deliberatelycut by a Canadian patrol boat.

These actions, which constitute a flagrant violation by Canada of
international law and of the Charter of the United Nations, have
caused serious hann to Spanish citizens and in some cases have
endangeredtheir livesand physical integrity, a situation to which the
Spanish Government has reacted by inimediately making the rele-
vant protests through the diplomatic channel, while fully reserving
its rights and its claim to the corresponding compensation for the

damage and injury sustained.
As an additional means of defending its nationals, the Spanish
Government has decided to send two units of the Spanish Navy to
the area where the incidents took place to protect Spanish vessels
engaging in their activitiesunder the protection of the principle of
freedom of the high seas and in conformity with the applicable regu-
lations established by the competent international organizations.

In addition, as part of the SpanishGovernment's firm intention to
resolve international disputes by peaceful means in accordance with
the provisions of the Charter of the United Nations, on 28 March
1995 Spain filed the relevant complaint against Canada with the
International Court of Justice, seeking its ruling and the restoration
of the rights violated.
1 should be grateful if you would have this letter circulated as a
document of the General Assembly, under items 39 and 98 (c) of
the preliminary list, and of the Security Council."

48. Given that the present incidental proceedings raise certain ques-
tions of interpretation in relation to the enforcement of the said conserva-
tion and management measures by coercive means, that is by the use of
force against Spanish fishing vessels on the high seas, it is well to recall
here that there were "threats to use force" by Canadian Government ves-
selsduring the period while Spanish ships continued to fish in the NAFO
Regulatory Area after the boarding of the Estai (until about the begin-
ning of April 1995).There were moments of considerabletension between
the two countries, which were moreover not unrelated to the ups and
downs in the negotiations being held simultaneouslyin Brussels between
the European Union and Canada with a view to the resolution of their
dispute within NAFO. Contemporary publications and reports in the
press and other public media spoke of threats, intimidation, turbot war,
"rules of engagement" of the Canadian Navy, etc. 49. Un seul exemple qui se passe de commentaire suffira pour illustrer
les faits que je viens de relater. Dans un article publiéle 17 avril 1995
dans le journal The Globeand Mail de Toronto, intitulé((Naval Threat
Brought Turbot Deal. Diplomacy Prevailed as Canadian Warships Sailed
towards Confrontation with Spain » (((Menace navale :entente sur le flé-
tan noir. Victoire de la diplomatie alors que les navires de guerre cana-
diens allaient vers un affrontement avec l'Espagne»), on peut lire notam-
ment ce qui suit:

[Traduction du GrefSe]

((Ottawaa mis en Œuvre un dispositifd'intervention navale mis au
point quelque temps plus tôt et qui, selon tous les représentants
canadiens, présentait des risques de confrontation armée.
Deux navires fortement armés de la marine canadienne, la frégate
Gatineau et le contre-torpilleur Nipigon, se sont dirigésvers la zone
contestéepour apporter leur appui à six patrouilleurs et garde-côtes
stationnésdans l'Atlantique Nord-Ouest.
La flottille de pêcheespagnole composée deseize chalutiers était
protégéepar deux patrouilleurs espagnols équipésuniquement de
canons de petit calibre. Les Espagnols ne pouvaient pas rivaliser
avec la puissance de feu des navires canadiens.
Selon certaines sources, le commandement maritime canadien a
tenu l'armée espagnole parfaitement informée de la position des
navires canadiens de manière à évitertout affrontement accidentel.

Lorsque l'Espagne a été informée de l'entréeen action du Gati-
neau et du Nipigon, le sérieux desintentions canadiennes ne faisait
plus aucun doute pour les Espagnols, a déclaréune sourcediploma-
tique.

Au moment mêmeoù les navires canadiens convergeaient vers la

zone contestée, des hauts fonctionnaires canadiens à Ottawa et à
Bruxelles ont averti des diplomates européens importants que le
Gouvernement canadien était à bout de ~atience.
Les diplomates de haut rang de 1'~niok européenne,de l'Espagne
et de la France, postés Ottawa, ont été convoquéa su ministère des
affaires étrangèrestard vendredi soir pour se faire dire par le sous-
ministre, M. Gordon Smith, que le temps passait et que le Canada se
remettrait «bientôt» àappliquer lesmesures de contrôle de la pêche,
et notamment à saisir les chalutiers ou couper les filets.» (Mémoire
de l'Espagne, annexes, vol. 1,annexe 23.)

50. La présentation des faits de l'espècepar l'arrêtn'opèrepas de dis-
tinction entre les ((faits générateurs)) dudifférend devant la Cour et
d'«autres faits» qui sont aussi pertinents dans la présenteprocédureinci-
dente, mais pour d'autres fins, notamment pour l'interprétation de la
réserve de l'alinéad) du paragraphe 2 de la déclaration du Canada du 49. A single example, which needs no comment, will suffice to illus-
trate the facts that 1 have just recounted. In an article published on
17April 1995in the Toronto Globe andMail, under the headline "Naval
Threat Brought Turbot Deal. Diplomacy Prevailed as Canadian War-
ships Sailed towards Confrontation with Spain", we read intev alia the
following :

"Ottawa set in motion a naval contingency plan that had been
drawn up some time before, and was known to al1Canadian officials
to involve the risk of gunfire.
Two heavily armed navy gunboats, the frigate Gatineau and the

destroyer Nipigon, sailed for the disputed zone to back up six fish-
eries patrol and Coast Guard vessels on station in the north-west
Atlantic.
The Spanish fishing fleet of about 16 trawlers was protected by
two of Spain's patrol boats, armed only with small-bore cannons.
The Spanish could not match the firepower of the Canadian flotilla.

Sources Say the Canadian maritime command kept the Spanish
military fully informed of the whereabouts of the Canadian gun-
boats so as to avoid an accidental confrontation.
.............................
When Spain was told that the Gatineau and the Nipigon were
being brought into play there could be no doubt in Spanish minds of
the seriousness of Canada's intentions, a diplomatic source said.

.............................
As the Canadian ships converged on the disputed zone, the senior
Canadian officials in Ottawa and Brussels warned key European
diplomats that the government's patience was exhausted.

Theranking Ottawa-based diplomats of the EU, Spain and France
were called into the Department of Foreign Affairs late Friday night
and warned by deputy minister Gordon Smith that the clock was
ticking and that Canada would 'shortly' resume fisheries enforce-
ment action, such as the seizure of trawlers or cutting of nets."
(Memorial of Spain, Annexes, Vol. 1, Ann. 23.)

50. The account of the facts of the case given in the Judgment makes
no distinction between the "facts which are the source" of the dispute and
"other facts" that are alsomaterial to the present incidental proceedings,
but for other purposes, and in particular forpurposes of interpretation of
the reservation contained in paragraph 2 (d) of Canada's declaration of 10 mai 1994. Ces derniers types de faits sont exposésd'une façon suffi-
samment détailléedans l'arrêt.On ne peut pas en dire autant de la
relation des «faits générateurs))du différenddevant la Cour. C'est peut-
être unedes raisons de la surprenante conclusion de l'arrêt surla ques-
tion de l'((objet du différend))soumis par l'Espagne à la Cour. Cela
explique aussi les développements de la présente opinion dissidentesur
les ((faits générateurs))du différend. Aprèstout, l'arrêts'occupe tant de

la question de la définition de l'objetdu différendque de l'interprétation
de la déclarationdu Canada et il y a des faits pertinents aussi bien pour
la première question que pour la seconde.
51. Par ailleurs, il faut en l'espèceprêter uneattention particulière
distinction des faits. Autrement, l'intention sous-jacente invoquéepar le
défendeur pourrait encore créer plus de confusion. L'intention relative
aux ((faits générateurs))du différendde mars 1995n'est pas nécessaire-
ment la mêmeque celle que le défendeura pu ou dit avoir eue en mai
1994lorsqu'il a procédéau dépôtde sa déclaration d'acceptation de la
juridiction obligatoire de la Cour. Je passe maintenant à l'examen de la
question de l'objet du différenddevant la Cour.

CHAPITRE III. L'OBJET DU DIFFÉREND

A. La notion de l'objet du différend etses composantes

52. C'est un principe reconnu que:

«L'existenced'un différendinternational demande à êtreétablieob-
jectivement. Le simplefait que l'existenced'un différendest contestée
ne prouve pas que ce différend n'existe pas.)) (Interprétationdes
traitésdepaix. C.I.J. Recueil 1950, p. 74; les italiques sont de moi.)
Dans la présente procédure incidente préliminaire, l'«existenc»d'un dif-

férendentre les Parties à la date du dépôt au Greffe de la Cour de la
requêtede l'Espagne du 28 mars 1995 n'est pas contestée.Les Parties
sont d'accord à ce sujet. Mais ellessont loin de l'êtresur une autre ques-
tion qui demande également à être «établieobjectivement)) par la Cour,
à savoir l'«identification» du différend soumispar le demandeur et de
son «objet». Comment l'objet du différend doit-ilêtre apprécié?Lja uris-
prudence de la Cour ne permet pas denourrir de doutes àcet égard:«La
Cour rappelle que l'objet du présent litigeest indiqué dans la requête
aussi bien que dans la conclusionfinale principale du Gouvernement
suisse...)), la Suisse étant dans l'affaire 1'Etat demandeur (Interhandel,
arrêt,C.I.J. Recueil 1959, p. 21; les italiques sont de moi).
53. D'ailleurs, l'article40 du Statut exigeque la requête indiquel'«ob-

jet du différend)),ce que le paragraphe 1 de l'artic38 du Règlementde
la Cour confirme. En outre, d'après le paragraphe 2 de cette disposition
du Règlement, la requêtedoit notamment, d'une part, indiquer «la
nature précisede la demande)), c'est-à-dire la chose demandée oulepeti-
tum, et, d'autre part, contenir «un exposé succinctdesfaits et moyens sur 10 May 1994. These latter types of fact are set out in a sufficiently
detailed manner in the Judgment. The same cannot be said of the account
of the "facts which are the source" of the dispute before the Court. That
is perhaps one of the reasons for the Judgment's surprising finding on the
issue of the "subject of the dispute7'submitted by Spain to the Court. It
explains also why 1 have expatiated in this dissenting opinion on the
"facts which are the source" of the dispute. After all, the Judgment deals
both with the issue of the definition of the subject of the dispute and with
the interpretation of Canada's declaration, and there are facts that are
material as much to the first question as to the second.

51. In this case, moreover, particular attention needs to be paid to this
factual distinction. Otherwise the underlying intention invoked by the
Respondent could create stillfurther confusion. Theintention with regard
to the "facts which are the source" of the dispute of March 1995 is not
necessarily the same as that which the Respondent may have had, or
claims to have had, in May 1994 when it deposited its declaration of
acceptance of the compulsory jurisdiction of the Court. 1now pass on to
an examination of the issue of the subject of the dispute before the Court.

CHAPTER III. THESUBJEC TF THE DISPUTE

A. The Notion of the Subject of the Dispute andits Constituent Elements

52. It is an accepted principle tha:
"Whether there exists an international dispute is a matter for
objective determination. The mere denial of the existence of a
dispute does not prove its non-existence." (Interpretation of Peace
Treaties, I.C.J. Reports 1950, p. 74; emphasis added.)

In the present preliminary incidental proceedings, the "existence" of a
dispute between the Parties at the date of the filing in the Court Registry
of Spain's Application of 28 March 1995is not questioned. The Parties
are agreed on the matter. But they are far from being agreed on another
issue also requiring "objective determination" by the Court, namely the
"identification" of the dispute submitted by the Applicant and its "sub-
ject". How must the subject of the dispute be determined? The Court's
jurisprudence leaves no room for doubt in this respect: "The Court
would recall that the subject of the present dispute is indicated in the

Application and in the Principal Final Submission of the Swiss Govern-
ment .. .", Switzerland being the applicant State in the case (Interhandel,
Judgment, I.C.J. Reports 1959, p. 21 ; emphasis added).
53. Furthermore, Article 40 of the Statute requires the application to
indicate the "subject of the dispute", and thisis confirmed by Article 38,
paragraph 1, of the Rules of Court. Paragraph 2 of Article 38 further
provides that the application must in particular both specify "the precise
nature of the claim", namely the thing requested or thepetitum, and con-
tain "a succinct statement of the facts and grounds on which the claim is lesquels [la]demande repose)),c'est-à-dire les motifs de fait et de droit de
la demande ou la causapetendi. Il ne faut donc pas réduirel'«objet du
différend)à l'«objet de la demande)) (voir, par exemple, G. Guyomar,
Commentaire du Règlement dela Cour internationale de Justice, 1983,
p. 236). L'«objet de la demande)) n'est qu'une des composantes de
«l'objet du différend».
54. Déjàen 1927,M. Anzilotti soulignait que parmi les trois éléments
traditionnels d'identification d'un différend soumisà la Cour, à savoir
persona, petitum et causapetendi, ceux qui déterminaient l'objetdu dif-
férend étaientlesdeux derniers. Comme le dit l'éminentjuge, l'expression
«le cas qui a été décidé à))l'article 59 du Statut ((comprend aussi bien la

chose demandéeque la cause de la demande » et:
((C'est dans ces limites que l'arrêt de laCour est obligatoire, et
c'est dans ces mêmeslimites que l'article 60 prévoit le droit pour
toute Partie d'adresserla Cour, encasde contestation, une demande
en interprétation.))(Interprétationdes arrêtsnos 7 et 8 (usine de
Chorzbw), arrêtno 11, 1927, C.P.J.I. sérieA no 13, p. 23.)

55. A son tour, comme on vient de le dire, laausapetendi comprend,
à la fois, les élémentsdefait et de droit visésau paragraphe 2 de l'ar-
ticle 38 du Règlement de la Cour. Sous des différentes formules,les pas-
sagescitésci-dessous,tirésd'opinionsdeM. Anzilotti et deM. Read, confir-
ment aussi que la causa petendi d'un demandeur est constituéepar des
éléments de faitet de droit:

«dans une demande enjustice, l'indication de l'objet du différendne
peut être quel'indication de ce que le demandeur veut obtenir de la
Cour et des motifs de droit ou de fait, pour lesquels il croit avoir le
droit de l'obtenirpetitum et causapetendi))) (Interprétationdu sta-
tut du territoire de Memel, fond, arrêt, 1932,C.P.J.I. sérieAIB
no49, p. 350, opinion dissidente de M. Anzilotti).

«le fond d'un différend comprend les points de fait et de droit qui
donnent lieu àune cause d'action et qu'un Etat demandeur doit éta-
blir pour avoir le droità la réparation demandée))(Anglo-Iranian
Oil Co., exception préliminaire,arrêt,C.Z.J. Recueil 1952, p. 148,
opinion dissidente deM. Read).
56. 11découle dece qui précèdeque la causapetendi d'une requêteest

toujours constituéepar un ensemble de faits ou de situations générateurs
juridiquement qualijîéspar le demandeur par rapport à certains principes
généraux del'ordre juridique qu'il affirme avoir étévioléspar le défen-
deur à son détriment.Il est trèsim~ortant donc d'avoir à tout moment
présent à l'esprit tant les élémentsde fait que les éléments dedroit de la
causapetendi que le demandeur fait valoir dans sa requêteà l'appui de sa
demande, pour être àmêmed'identifieret d'apprécier l'objetdu différend
dont il s'agit. Cela est particulièrement vrai dans la phase préliminaire
d'une affaire, car lepetitum peut faire l'objet de conclusions qui, sansbased", that is, the reasons of fact and law underlying the claim, the
causapetendi. The "subject of the dispute" must therefore not be reduced
to the "subject of the claim" (see, for example, G. Guyomar, Commen-
taire du Règlement de la Cour internationale de Justice, 1983, p. 236).
The "subject of the claim" is but one component of the "subject of the
dispute".
54. As long ago as 1927,Judge Anzilotti stressed that, of the three tra-
ditional elements identifying a dispute submitted to the Court, namely
persona, petitum and causapetendi, those determining the subject of the
dispute were the latter two. As the eminent judge said, the expression
"that particular case" in Article 59 of the Statute "covers both the object

and the grounds of the claim" and:
"It is withinthese limits that the Court's judgment is binding, and
it is within these same limits that Article 60 provides that any Party
shall have the right, in the event of a dispute, to request the Court to
construe it." (Znterpretationof Judgments Nos. 7 and 8 (Factor? ut
Chouzciw),Judgment No. 11, 1927, P.C.I.J., Series A, No. 13,p. 23.)

55. For its part, as has just been pointed out, the causapetendi com-
prises the elements both of fact and of law referred to in Article 38, para-
graph 2, of the Rules of Court. In different language, the passages cited
below, taken from opinions of Judges Anzilotti and Read, also confirm
that the causapetendi of an Applicant is constituted by elements of fact
and of law :

"in such a claim [for legal redress] the specificationof the subject of
the dispute can only be a statement of that which the Applicant
wishes to obtain from the Court and of the reasons of law or of fact
on the basis of which he feels entitled to obtain it (petitum et causa
petendi)" (Znterpretation of the Statute of the Memel Territory,
Merits, Judgment, 1932, P.C.I.J., Series AIB, No. 49, p. 350, dis-
senting opinion of Judge Anzilotti);

"the merits of a dispute consist of the issues of fact and law which
give rise to a cause of action, and which an applicant State must
establish inorder to be entitled to the relief claimed" (Anglo-Zranian
Oil Co., Preliminary Objection, Judgment, 1.C.J. Reports 1952,
p. 148,dissenting opinion of Judge Read).
56. It follows from the foregoing that the causapetendi of an applica-
tion always consists of a set of originating facts or circumstances, legally
characterized by the applicant by reference to certain general principles

of law that it claims to have been breached by the respondent to its detri-
ment. It is therefore very important always to bear in mind both the
elements of fact and the elements of law of the causapetendi on which
the applicant reliesin its application in support of its claim, inrder to be
in a position to identify and determine the subject of the dispute in ques-
tion. This is particularly true in the preliminary phase of a case, for the
petitum may be the subject of submissions which, without exceeding the603
COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS T.ORRES BERNARDEZ)

dépasser le cadre global de l'objet du différend tel qu'il ressort de la
requête,sont susceptiblesde modification par le demandeur jusqu'a la fin
de la phase orale sur le fond. Lacausapetendi, elle, n'est pas susceptible
de modification sans changer d'affaire.
57. L'arrêtde la Cour dans l'affaire desTerres à phosphates à Nauru
confirme, si besoin est, cet aspect des choses en rapport avec la question
poséepar la nouvelle demande de Nauru relative aux biens d'outre-mer
des British Phosphates Commissioners (C.I. J. Recueil 1992, p. 264-267,
par. 62-71). Comme il est rappelédans cet arrêt,il faut que la demande
additionnelle soit implicitement contenue dans la requête(C.I.J. Recueil
1962, arrêt,p. 36) ou découle directementde la question qui fait l'objet
de la requête(C.Z.J. Recueil 1974, p. 203, par. 72). Lajurisprudence de la
Cour permanente leconfirmeaussi amplement (voir, par exemple, C.P. J.Z.

sérieAIB no52, p. 14, et no 78, p. 173).

58. A la nécessitégénérale detoujours tenir compte des deux compo-
santes de l'objet du différendpour identifier ce dernier, il s'ajoute, dans la
présente instance incidente,le fait de la rédaction mêmedu titre de juri-
diction en cause qui emploie le terme «différends» (disputes) et non pas
celui de «demandes» (claims) (voir paragraphe 2 de la déclaration du
Canada du 10mai 1994).En fait, ce paragraphe de la déclaration cana-
dienne mentionne cinq fois le terme «différends», y compris dans la
réservede l'alinéad) du paragraphe 2. C'est donc sur le terme ((diffé-
rends» que l'attention du juge doit se porter et non sur le terme
«demande» (claim), qui est un terme d'une portéejuridique bien plus
étroite, qui ne figure pas dans la déclaration canadienne et qui est sus-

ceptible, sans transformer l'objet global du différend de la requête, de
modifications par le requérantjusqu'à lafin de la phase orale sur le fond.

B. L'objet du diffërendà la lumière dela «causa petendi))
et du «petitum» du demandeur

59. Comme nous l'avons vu ci-dessus lors de l'examen des faits géné-
rateurs du présent différend,les élémentsdefait de la causa petendi de
l'Espagne sont essentiellement au nombre de deux, à savoir: 1)l'existence
d'une législation canadiennesur la protection des pêchescôtièresautori-
sant, dans l'ordrejuridique interne du Canada, l'exercicede certains actes
de juridiction de ce pays sur des navires non canadiens dans la zone de
réglementationde 1'OPANO(zone situéeen haute mer), législation ren-

due applicable (en marslavril 1995)aux navires espagnols pêchantdans
ladite zone par le règlement canadien du3 mars 1995;et 2) l'arraisonne-
ment par l'usage de la force dans ladite zone de la haute mer, le 9 mars
1995, du bateau espagnol, l'Estai, par des garde-côtes ou patrouilleurs
canadiens, après avoir reçu les ((autorisations nécessaires))desautorités
canadiennes compétentes (arraisonnement qui a étésuivi en marslavril
1995du harcèlementd'autres bateaux espagnols pêchantdans la zone de
la haute mer en question).overall scope of the subject of the dispute as reflected in the application,
may be modified by the applicant up to the end of the oral phase on the
merits. The causa petendi, for its part, cannot be modified without a
change of case.
57. The Judgment of the Court in the case concerning Certain Phos-
phate Lands in Nauru provides confirmation of this view, if such be
needed, when it deals with the question raised by Nauru's fresh claim
concerning the overseas assets of the British Phosphate Commissioners
(1.C.J. Reports 1992,pp. 264-267,paras. 62-71).As the Judgment reminds
us, any additional claim must have been implicitly contained in the
Application (I.C.J. Reports 1962, Judgment, p. 38) or must arise directly
out of the question which is the subject-matter of that Application (I.C.J.
Reports 1974, p. 203, para. 72). The jurisprudence of the Permanent

Court also amply confirms this (see, for example, P.C.I.J., Series AIB,
No. 52, p. 14, and No. 78, p. 173).
58. To the general requirement that account must always be taken of
both components of the subject of the dispute in order to identify it, there
must be added, in the present incidental proceedings, the actual language
of the basis of jurisdiction in question, which uses the word "disputes"
and not "claims" (see paragraph 2 of Canada's declaration of 10 May
1994).That paragraph of the Canadian declaration in fact uses the word
"disputes" five times, including in the reservation contained in para-
graph 2 (d). It is therefore on the term "disputes" that the Court must
concentrate and not on the word "claim", which is a legally much nar-
rower term not featuring in the Canadian declaration and which, without
transforming the overall subject of the dispute to which the Application
relates, is open to modification by the applicant up to the end of the oral
phase on the merits.

B. The Subject of the Dispute in the Light of the Applicant's
"Causa Petendi" and "Petitum"

59. As we have seen above in Ourexamination of the facts constituting
the source of this dispute, thefactual elements of Spain's causa petendi
are basically two in number, namely (1)the existence of Canadian coastal
fisheries protection legislation authorizing, in the interna1 legalrder of
Canada, the exercise of certain acts of jurisdiction by that country over
non-Canadian ships in the NAFO Regulatory Area (an area of the high
seas), which legislation was made applicable (in MarchlApril 1995) to
Spanish ships fishing in that area by the Canadian Regulations of
3 March 1995;and (2) the forcible boarding in that area of the high seas,
on 9 March 1995, of the Spanish ship Estai by Canadian coastguard
vessels or patrol boats, after they had received "the necessary authori-
zations" from the competent Canadian authorities (which boarding was
followedin MarchIApril 1995by the harassment of other Spanish vessels
fishing in the area of the highseas in question). 604 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS T.ORRES BERNARDEZ)

60. La loi canadienne sur la protection des pêchescôtièrescessa d'être
appliquée aux bateaux depêcheespagnols au débutdu mois de mai 1995
lorsque le Canada abrogea le règlementdu 3 mars 1995,mais la loi est
toujours en vigueur et son application pourrait dèslors à nouveau être

étenduepar leCanada aux bateaux espagnolscomme ill'avait faitenmars1
avril 1995.En outre, le demandeur considère que la seule existence de la
législation canadienne en question est un fait illicite international, indé-
pendamment de tout acte concret d'application. Cela est conforme à la
jurisprudence de la Cour dans l'avis consultatif concernant 1'Applicabilité
de l'obligation d'arbitrage envertu dela section 21 de 1uccord du 26juin
1947 relatif au siège deI'Ovganisationdes Nations Unies(C.I.J. Recueil
1988, p. 12).En effet, dans cet avis, eà propos de la loi américainecontre
leterrorisme promulguéele 22 décembre1987,la Cour rejeta l'argumenta-
tion des Etats-Unis selon laquelle le différendalléguén'existait pas du fait

que la loi contre le terrorisme en question n'avait pas encore été appliquée
(ibid.,p. 29-30,par. 39-44)'. 11va de soi que la non-opposabilité d'uneloi
ou législation nationale peut êtrel'objet d'une actionen justice devant la
Cour comme ce fut le cas dans des affaires concernant la juridiction en
matièredes pêcheries desannées1973-1974.
61. En ce qui concerne les éléments dedroit de la causa petendi, la
requête de l'Espagne(point 2 de la requête, p.6-8)invoque certains prin-
cipes bien connus de droit international généraldont certains ont été
codifiés.Il s'agit, pour l'essentiel,de principes dedroit international rela-
tifs au régimede la haute mer (statut juridique de res communis de la

haute mer; juridiction exclusivede 1'Etatdu pavillon sur ses bateaux en
haute mer; exercicepar les Etats des libertés de lahaute mer; coopération
dans la gestion et la conservation des ressources de la haute mer; sécurité
en mer ...et de principes de la Charte des Nations Unies et du droit inter-
national généralconcernant l'interdiction de la menace ou de l'emploi de
la force dans les relations internationales, la bonne foi dans l'exécution
des obligations internationales des Etats et la primautédu droit interna-
tional sur le droit interne dans les relations internationales. La requête
n'invoque pas comme motifs de droitde la demande les dispositions de la

convention de I'OPANO de 1978.
62. Ces motifs de droit de la requête de l'Espagnesont largement suf-
fisants, compte tenu des éléments defait signalés,pour établir la causa
petendi du requérant. Ce sont ces motifs de droit, et non d'autres tou-
jours possibles, que le demandeur a choisis aux finsde fonder la demande
contenue dans la requête.Parmi ces motifs, ceux qui occupent le devant
sont incontestablement ceux relatifs à lajuridiction exclusivede 1'Etatdu

' L'on constate ici un infléchissement de la jurisprudence de la Cour. Ce n'est qu'un
exemple, il en a d'autres dans le présentarrêt qui touàdes questions d'intérêt
généralpour lerèglementjudiciaire international. En fait, l'arrêtabonde en innovations
jurisprudentielles qui atteignent un nombre jamais vu dans un seul et mêmearrêt.Le
Canada a été un plaideur bien chanc,ar tous ces infléchissementsetinnovations sont
tombésde son côtéde la barre. Cela n'arrive pas tous lesjours. 60. The Canadian Coastal Fisheries Protection Act ceasedto be applied
to Spanish fishing vessels at the beginning of May 1995, when Canada
repealed the Regulations of 3March 1995,but the Act is stillin force and

therefore could again be extended by Canada to Spanish vesselsas it was
in MarchIApril 1995.Furthermore, the Applicant considers that the mere
existence of the Canadian legislation in question is illegal under interna-
tional law,regardless of any specificmeasure of enforcement. This accords
with the jurisprudence of the Court in the Advisory Opinion concerning
Applicability of the Obligation to Arbitrate under Section 21 of the
UnitedNations Headquarters Agreement of 26 June 1947 (1C..J. Reports
1988, p. 12). In that Opinion, which concerned the United States Anti-
Terrorism Act, signed into law on 22 December 1987,the Court rejected
the contention of the United States that the alleged dispute did not exist

since the Anti-Terrorism Act in question had not yet been applied (ibid.,
pp. 29-30, paras. 39-44)'.It goes without saying that the opposability of
a national statute or other legislation may be challenged before the
Court, as happened in fisheriesjurisdiction cases in 1973and 1974.

61. With regard to the legal elements of the causa petendi, Spain's
Application (point 2 of the Application, pp. 7-9) relies on certain well-
known principles of general international law, some of which have been

codified. Basically,the principles involved are those relating to the régime
of the high seas (legal status of the high seas as res communis; exclusive
jurisdiction of the flag State over its vessels on the high seas; exercise by
States of the freedoms of the high seas; CO-operationin conservation and
management of the resources of the high seas; safety at sea, etc.), together
with principles of the United Nations Charter and of general interna-
tional law concerning prohibition of the threat or use of force in inter-
national relations, good faith in the discharge by States of their interna-
tional obligations, and the primacy of international law over interna1law
in international relations. The Application does not adduce as legal

grounds in support of the claim the provisions of the 1978NAFO Con-
vention.
62. These legal grounds of Spain's Application are amply sufficient,in
view of the factual elements cited, to establish the Applicant's causa
petendi. It is on these legal grounds, and not on others which might also
have been open to it, that the Applicant has chosen to base the claim
contained in the Application. Of these grounds, the foremost are unques-
tionably those relating to the exclusivejurisdiction of the flag State over

l We observe here a modification in the jurisprudence of the Court. This is but one
vance to international judicial decisions. The Judgment in fact abounds injurisprudential
innovations, reaching a number unprecedented in a single decision. Canada has been
remarkably fortunate litigant, for every one of these modifications and innovations has
gone in its favo-r a rare occurrence indeed.pavillon sur ses navires en haute mer età l'interdiction de la menace ou
l'emploi de la force contre des navires étrangers qui exercent en haute
mer les libertésou les activitéspacifiques reconnues dans un tel espace
maritime à tous les Etats par le droit international et les conventions
internationales.
63. A ce propos, le requérant affirme: 1) que ces principes juridiques
existent en droit international;2) qu'en l'espèce ilsoctroient certains
droits à l'Espagne, et 3) qu'en l'espèce cesdroits de l'Espagne ont été
violéspar le Canada.
64. Quant au petitum, la requêtede l'Espagne (point 5) réclame:

A) que la Cour déclareque la législation canadienne,dans la mesure où
elle prétend exercer une juridiction sur les navires battant pavillon
étrangeren haute mer, au-delà de la zone économiqueexclusive du
Canada, est inopposable à l'Espagne;

B) que la Cour dise et juge que le Canada doit s'abstenir de réitérerles
actes dénoncés, ainsi qu'offrià l'Espagne la réparation due, concré-
tiséeen une indemnisation dont lemontant doit couvrir tous les dom-
mages et préjudices occasionnés;
C) que, en conséquence,la Cour déclare aussique l'arraisonnement en
haute mer, le 9 mars 1995,du navire sous pavillon espagnol Estai et
les mesures de coercition et l'exercicede la juridiction sur celui-ci et
sur son capitaine constituent une violation concrète des principes et
normes de droit international indiquésdans la requête(voir: les élé-
ments de droit de la causa petendi).

65. Aux fins de la présente phase juridictionnelle, l'intérêt de cette
réclamationdu requérantrésidedans le fait qu'elleconfirme, tout comme
la causapetendi, le genre de différendsur lequel le demandeur demande à
la Cour de statuer dans la présente affaire.On constate sans difficultéque
le différend n'estpas un différendconcernant la pêcheou des mesures de
conservation etlou de gestion de ressources biologiques de la haute mer.
Comme il est dit expressémentdans la requête(point 4), le différend sou-
mis à la Cour par le demandeur:

«ne se réfère pas exactementaux différendsconcernant ces mesures,
sinon àleur origine,à la législation canadiennequi est leur cadre de
référence.La requête espagnoleattaque directement le titre allégué
pour justifier les mesures canadiennes et leurs actes d'exécution, une
législation qui, allant beaucoup plus loin que la simple gestion et

conservation des ressources de pêche, esten soi un fait illicite inter-
national du Canada, car elle est contraire aux principes et normes
fondamentales du droit international; une législation,qui ne relève
pas non plus exclusivement de la juridiction du Canada, selon sa
propre déclaration (point2, lettre c), de la déclaration); une législa-
tion, en outre, qu'uniquement à partir du 3 mars 1995 on a voulu
élargirde façon discriminatoire aux navires battant pavillon espa-
gnol et portugais, ce qui a produit les graves infractions au droit desits vessels on the high seas and the prohibition of the threat or use of
force against foreign vessels exercising on the high seas the peaceful
freedoms or activities accorded in respect of that part of the sea to al1
States by international law and international agreements.

63. In this respect,the Applicant asserts: (1) thatthese legal principles
exist in international law; (2) that in this case they confer certain rights
on Spain; and (3) that in this case these rights have been violated by
Canada.
64. As to the petitum, Spain's Application (point 5) requests:

(A) that the Court declare that the legislation of Canada, in so far as it
claims to exerciseajurisdiction over ships flyinga foreign flag on the
high seas, outside the exclusive economic zone of Canada, is not
opposable to Spain;
(B) that the Court adjudge and declare that Canada is bound to refrain
from any repetition of the acts complained of, and to offer to Spain
the reparation that is due, in the forrn of an indemnitythe amount of
which must cover al1the damages and injuries occasioned; and
(C) that, consequently, the Court declare also that the boarding on the
high seas, on 9 March 1995, ofthe ship Estai flyingthe flag of Spain
and the measures of coercion and the exercise of jurisdiction over

that ship and over its captain constitute a concrete violation of the
principles and norms of international law mentioned in the Applica-
tion (see legal elements of the causa petendi).
65. For the purposes of the presentjurisdictional phase, the relevance
of these claims by the Applicant lies in the fact that, like the causa
petendi, they confirm the nature of the dispute on which the Applicant is

requesting the Court to givejudgment in the present case. It can readily
be seen that the dispute is not one concerning fishing or measures of con-
servation andlor management of living resources of the high seas. As
expressly stated in the Application (point 4), the dispute submitted to the
Court by the Applicant :

"does not refer exactly to the disputes concerning those measures,
but rather to their origin, to the Canadian legislation which consti-
tutes their frame of reference. The Application of Spain directly
attacks the title asserted to justify theanadian measures and their
actions to enforce them, a piece of legislation which, going a great
deal further than the mere management and conservation of fishery
resources, is in itself an internationally wrongful act of Canada, as it
is contrary to the fundamental principles and norms of international
law; a piece of legislation which for that reason does not fa11exclu-
sivelywithin the jurisdiction of Canada either, according to its own
Declaration (para. 2 (c) thereof). Moreover, only as from 3 March
1995has an attempt been made to extend that legislation, in a dis-
criminatory manner, to ships flying the flags of Spain and Portugal,606 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

gens ci-dessus exposées.La question n'est pas la conservation et la
gestion des ressources de pêche sinonle titre pour exercer une juri-
diction sur des espaces dela haute mer et leur opposabilité à l'Es-
pagne.» (Les italiques sont de moi.)

II s'agit bel et bien d'une demande en responsabilité internationale
pour des faits qui, d'aprèsle demandeur, seraient autant de faitsterna-
tionalement illicites im~utables au défendeuret aue celui-ci aurait com-
mis au détriment du respect dû à la souveraineté de l'Espagne et à la
juridiction exclusivede l'Espagne sur les navires battant son pavillon se
trouvant en haute mer.
66. La première réclamation principale(point A) du petitum demande

à la Cour de déclarer l'inopposabilitéde la législation canadienne à
l'Espagne dans la mesure où cette législationa été invoquée et peut être
invoquée encorepour justifier l'exercicede la juridiction du Canada sur
des navires battant pavillon espagnol se trouvant en haute mer. Elle ne
demandepas cependant à la Cour de déclarer l'invalidde ladite législa-
tion. Il s'agit seulementd'inopposabilità l'Espagne. La réclamationn'a
donc pas la mêmeportée,sur ce point, que cellesdu Royaume-Uni et de
la République fédérale d'Allemagnd eans les affaires de lampétenceen
matière depêcheriesdes années1973-1974.Il y a lieu aussi de noter que
la réclamation parle des «navires» et non des ((bateaux de pêche»et
qu'elle vise«la haute mer» dans son ensemble, n'étant paslimitée àune
zone déterminée quelconque de cet espace maritime.

67. Ayant préciséci-dessus la causa petendi et le petitum du deman-
deur, on est maintenant en mesure d'apprécierl'objet dudifférend,c'est-
à-dire le véritable problèmeen cause devant la Cour, la vraie question
que lui a soumise le demandeur. Cette question est du plus haut intérêt
pour le présent incident juridictionnel car, comme la Cour l'a déclaréen
1960, dans son arrêten l'affaire du Droit de passage sur le territoire
indien:((Pour apprécier la compétence de laCour, il faut considérer quel
est l'objet du différend)).LJ. Recueil 1960, p. 33). Pourquoi la requête
affirme-t-elle qu'il existe entre l'Espagne et le Canada un différend:

«qui, dépassant le cadre de la pêche, affecte gravement l'intégrité
mêmedu mare liberum de la haute mer et de ses libertés comme
concept et catégorie de base de l'ordre international depuis des
siècles,et implique, en outre, une atteinte très gravecontre les droits
souverains de l'Espagne, un précédentinquiétant de recours à la

force dans les relations inter-Etats ...» (point 3 de la requête).
68. Parce que, d'après le demandeur, la législation canadienne invo-
quéepar le défendeurpour justifier l'exercicepar le Canada de sajuridic-

tion en haute mer sur des navires étrangerset appliquée en1995par lui à
des bateaux de pêcheespagnols, en ayant en plus recours à l'usage de la
force, ne saurait valoir titre en droit international dans les relations entre which has led to the serious offences against international law set

forth above. The question is not the conservation andmanagement of
jshery resources,but rather the entitlement to exercise ajurisdiction
over areas of the high seas and the opposability of such measures to
Spain. " (Emphasis added.)
This is quite clearly a claim in international responsibility on account

of acts alleged by the Applicant to constitute breaches of international
law imputable to the Respondent State, and committed to the detriment
of the respect due to Spanish sovereignty and to Spain's exclusivejuris-
diction over ships flying its flag on the high seas.

66. The first main claim (point A) of thepetitum requests the Court to
declare that the legislation of Canada is not opposable to Spain in so far
as it has been invoked, and may still be invoked, to justify the exercise of
Canada's jurisdiction over ships flying the Spanish flag on the high seas.
However, the Court is not asked to declare that legislation invalid. Al1
that is claimed is its non-opposability to Spain. The claim thus does not
go as far on this point as those of the United Kingdom and the Federal
Republic of Germany in the Fisheries Jurisdiction cases of 1973-1974.It
should also be noted that the claim speaks of "ships", not of "fishing
vessels"and that it refers to "the highseas" as a whole, with no restriction
to any particular area thereof.

67. Having thus defined the Applicant's causapetendi and petitum, we
are now in a position to determine the subject of the dispute, that is to
Say,the real issue before the Court, the true question submitted to it by
the Applicant. This question is of the utmost relevance to the present
incidental proceedings since, as the Court stated in 1960,in its Judgment
in the case concerning Right of Passage overZndianTerritory: "In order
to form a judgment as to the Court's jurisdiction it is necessary to con-
sider what is the subject of the dispute" (I.C.J. Reports 1960, p. 33).
Why, then, does the Application state that there is a dispute between
Spain and Canada,

"which, going beyond the framework of fishing, seriously affects the
very integrity of themare liberum of the high seas and the freedoms
thereof, a basic concept and category of the international order for
centuries, and implies, moreover, a very serious infringement of
the sovereign rights of Spain, a disquieting precedent of recourse
to force in inter-State relations. . ."(point 3 of the Application)?

68. Because, according to the Applicant, the Canadian legislation
relied upon by the Respondent to justify the exercise by Canada of its
jurisdiction on the high seas over foreign ships and applied by it in 1995
to Spanish fishing vessels,with, moreover, recourse to force, cannot con-
stitutea title in international law in relations between the two States, irre-607 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

les deux Etats, et ceci quelle que soit la qualification ou la portée des
mesures adoptéespar le Canada dans son ordre juridique interne et de
l'exécution,dans ce cadre juridique, de telles mesures par ses autoritéset
ses agents.
69. Le Canada oppose à cette thèsejuridique du demandeur sa propre
thèse,d'où la naissance d'un désaccord à cet égardentre les deux Etats
ayant pour objet la question du titre ou du défautde titre du Canada
pour agir en haute mer contre des navires espagnols. Le demandeur a
précisé qu'ielmploie la notion de «titre» dans le sens de lajurisprudence

de la Cour dans l'affaire du Différendfrontalier, où il est dit que la
notion de titre:
«peut également et plus généralemenv tiser aussi bien tout moyen de

preuve susceptibled'établirl'existenced'un droit que la source même
decedroit »(Différendfrontalier (Burkina FasolRépubliquedu Mali),
C.Z.. Recueil 1986, p. 564, par. 18).

La question du titre ou du défautde titre du Canada comme objet du
différend soumis à la Cour par le demandeur fut confirméedans le
mémoire de l'Espagnesur la compétenceet, à défautde réplique, ample-
ment exposéepar l'agent et les conseils de l'Espagne au cours des plai-
doiries.
70. D'après l'argumentation de l'Espagne, il y aurait défaut de titre
international du Canada et ceci entraînerait toute une sériede consé-
quences importantes pour la tâche qui est cellede la Cour dans le présent
incident juridictionnel préliminaire, notamment:

a) que les mesures adoptéespar le Canada à l'égard des navires espa-
gnolsen haute mer, et l'exécutionde tellesmesures par les autoritéset
les agents canadiens par l'emploi de la force, constitueraient des faits
illicites internationaux engageant la responsabilité internationale du
Canada vis-à-vis de l'Espagne et ne sauraient être considérées,en
droit international, comme des mesures de gestion et de conservation

de ressources ou l'exécution detelles mesures par un Etat, qu'il soit
ou non Etat côtier ou riverain de la zone de la haute mer en question;
b) que le différend soumis à la Cour par l'Espagne en qualitéd'Etat du
pavillon ne concerne ni la pêcheni la gestion ou la conservation de
ressources biologiques dans la zone de réglementation deI'OPANO,
mais bel et bien un conflit de compétences souverainesen haute mer
entre le Canada et l'Espagne enraison de l'existenced'une législation
canadienne, toujours en vigueur, qui a crééune situation ou un fait
illicite international continu, qui esà la base de l'atteinte grave
portéeen 1995 à la souveraineté de l'Espagnepar le Canada en haute
mer ;

c) que, de par son objet, le différend soumisa la Cour par l'Espagne ne
tombe pas dans le champ d'application de la réservede l'alinéa d) du
paragraphe 2 de la déclaration du Canada, car il concerne un préa-
lable logique et juridique (un prius), une prémisse fondamentale,spective of the position under Canadian domestic law with regard to the
characterization and scope of the measures adopted by Canada and the
enforcement,within that legalframework, of suchmeasures by its authori-
ties and agents.
69. To this view of the Applicant with regard to the legal position,
Canada opposes its own view; hence the emergence of a disagreement in
this respect between the two States over the issue of Canada's title or lack
of title to act on the high seas against Spanish ships. The Applicant has
made it clear that it uses the word "title" in the sense of the decision in
the Frontier Dispute case, where the Court stated that the concept of
titl:

"may also, and more generally, comprehend both any evidence
which may establish the existence of a right, and the actual source of
that right"(FrontievDispute (Burkina FasolRepublicof Mali), 1. C.J.
Reports 1986, p. 564, para. 18).

That it was Canada's title or lack thereof that was the subject of the
dispute brought before the Court by the Applicant was confirmed in
Spain's Memorial on jurisdiction and, in the absence of a Reply, amply
addressed by the Agent and Counsel of Spain in oral argument.

70. Spain argues that Canada lacks international title, and that from
this there flows a whole series of significant consequences for the task
incumbent upon the Court in the present incidental proceedings, and
inter alia contends that :

(a) the measures adopted by Canada in regard to Spanish vesselson the
high seas, and the enforcement of such measures by the authorities
and agents of Canada through the use of force, constitute interna-
tionally wrongful acts engaging Canada's international responsibil-
ity vis-à-vis Spain and cannot be regarded, in international law, as
measures of management and conservation of resources or the

enforcement of such measures by a State, whether or not it be a
coastal State bordering on the area of the high seas in question;
(b) the dispute brought before the Court by Spain as the flag State con-
cerns neither fishing nor the management or conservation of living
resources in the NAFO Regulatory Area, but is in reality a conflict
over sovereign jurisdiction on the high seas between Canada and
Spain as a result of Canadian legislation, which is still in force and
which has created a situation or continuing international wrongful
act that underlies the serious violation by Canada in 1995 of the
sovereignty of Spain on the high seas;

(c) by reason of its subject, the dispute laid before the Court by Spain
does not fa11within the scope of paragraph 2 (d) of Canada's dec-
laration, for it concerns a logical and legal prerequisite, a fundamen-
ta1premise, having in international law an existenceso independent ayant en droit international une existence tellement autonome et
séparée des mesuresde gestion et de conservation de ressources qu'il
ne saurait êtreconsidéré comme implicitement comprisdans un tel
type de réservecomptetenu de l'économie généraldee la déclaration;
d) que l'objet du différend soumis à la Cour ne concerne pas la gestion
et la conservation des ~êcheries.mais la auestion de l'exercicede la

juridiction et du contiôle de l'État du iavillon sur ses navires en
haute mer; il s'agit d'ailleursd'une matièrequi ne relèvepas des com-
pétences transférées à la Communauté européenne par ses Etats
membres, d'où il suit que l'accord conclu en 1995entre la Commu-
nautéet le Canada dans le cadre de I'OPANO n'apas pu rendre sans
objet (moot) le présent différend, commele Canada l'affirmeau cha-
pitre IV de son contre-mémoire.

71. D'après l'Espagne, ni l'exercicede la pêchepar des bateaux espa-
gnols, canadiens ou d'un pays tiers - ni la conservation et la gestion de
ressources biologiques de la haute mer dansla zone de réglementation de
1'OPANO ou ailleurs - ne font partie de l'objet du différend qu'ellea
soumis à la Cour. Celui-ciconcernerait, comme on vient de le dire, letitre
ou le défautde titre international du Canada pour prétendre exercer sa
juridiction en haute mer sur des navires espagnols etlou pour employer la
force contre ces navires dans un tel espace maritime sans l'accord de

l'Espagne. Pour le demandeur, le Canada n'aurait pas un tel titre et
l'emploi de la force contre l'Estai en invoquant la législation canadienne
ne saurait non plus êtreconforme ni au droit international généran l ià la
Charte des Nations Unies.
72. Dans ce contexte, l'agent de l'Espagne a rappelé que d'après la
jurisprudence de la Cour I'adjacence naturelle ne génèrepas detitre inter-
national sur la haute mer, ainsi que l'a préciséla Chambre de la Cour
dans l'affaire du Golfe du Maine:

«il est donc correct de dire que le droit international attribue à1'Etat
côtier un titre juridique sur un plateau continental adjacent ou sur
une zone maritime adjacente à sescôtes, il ne le serait pas de dire que
le droit international reconnaît le titre attribuéà I'Etat par l'adju-
cence de ce plateau et de cette zone, comme si le seul fait naturel de
l'adjacence entraînait par lui-mêmedes conséquences juridiques))
(Délimitationde la frontière maritime dans la régiondu golfe du

Maine, arrêt,C.I.J. Recueil 1984, p. 296, par. 103 ; les italiques sont
dans l'original).
73. Ajoutons que la législation canadienne en question (y compris les

règlements)n'indique pas,par voie de renvoi ou autrement, un titre inter-
national quelconque du Canada - mêmesous forme de prétention -
comme fondement desmesures envisagées(ou de leur exécution) àl'égard
des bateaux non canadiens se trouvant en haute mer. La législation cana-
dienne garde le silence sur letitre international du Canadapour agir uni-
latéralement dansla zone de réglementation deI'OPANO en haute mer. of and separate from measures for the conservation and manage-
ment of resources that it cannot be regarded as implicitlyincluded in
a reservation of this type, given the general structure of the declara-
tion ;and
(d) the subject of the dispute laid before the Court does not concern
fisheriesmanagement and conservation, but the issue of the exercise
ofjurisdiction and control by the flag State over its ships on the high
seas; this is furthermore not a matter covered by the powers trans-
ferred to the European Community by its member States, from
which it follows that the Agreement concluded in 1995between the
Communityand Canada in the framework of NAFO couldnot have

rendered the present dispute moot, as Canada asserts in Chapter IV
of its Counter-Memorial.
71. According to Spain, neither the exercise of fishing by vessels of

Spain, Canada or a third country nor the conservation and management
of livingresources of the high seasin the NAFO Regulatory Area or else-
where form part of the subject of the dispute it has laid before the Court.
As just stated, it is Spain's contention that the dispute concernsCanada's
international title or lack thereof to seek to exerciseitsjurisdiction on the
high seas over Spanish ships andlor use force against such ships in that
area of the sea without Spain's consent. For the Applicant, Canada pos-
sessesno such title; nor can the use of force against the Estai in reliance
on Canadian legislation be in accordance either with general interna-
tional law or with the Charter of the United Nations.

72. In this context the Agent of Spain recalled that, according to the
Court's jurisprudence, natural adjacency did not create any international
title over the high seas, as the Chamber of the Court made clear in the

case concerningthe Gulf of Maine:
"it is therefore correct to Saythat international law confers on the
coastal State a legal title to an adjucent continental shelf or to a
maritime zone adjucent to its coasts; it would not be correct to say

that international law recognizes the title conferred on the State by
the adjucency of that shelf or that zone, as if the mere natural fact of
adjacency produced legal consequences" (Delimitation of the Mari-
time Boundary in the Gulf of Maine Area, Judgment, I.C.J. Reports
1984, p. 296, para. 103;original emphasis).

73. It should also be pointed out that the Canadian legislation in ques-
tion (including the Regulations) does not indicate, whether by express
reference or otherwise, any international title of Canada - or even a
claim to such a title- as a basis for the measures envisaged (or for their
enforcement) in regard to non-Canadian vessels on the high seas. The
Canadian legislation is silent on Canada's internationaltitle to act uni-
laterally in the NAFO Regulatory Area of the high seas. The reservation609 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

La réserve de l'alinéad) du paragraphe 2 de la déclarationdu Canada est
aussi muette à cet égard.Ainsi le titre international éventueldu Canada
ne fait partie ni de la législationsur la protection des pêchescôtières,ni
de la déclaration du 10mai 1994.
74. Il convient aussi de rappeler que la règlede lajuridiction exclusive
de 1'Etat du pavillon sur ses navires en haute mer est une règlecoutu-
mière de droit international établie de longue date que la Cour perma-
nente dans son arrêtconcernant l'affaire du Lotus énonça ences termes:

«Le principe de la liberté de la mer a pour conséquenceque le
navire en haute mer est assimiléau territoire deEtatdont il porte le
pavillon, car, comme dans le territoire, cet Etat y fait valoir son
autorité, et aucun autre Etat ne peut y exercer la sienne. Tout ce
qu'on peut dire est que, en vertu du principe de la libertéde la mer,
un navire est placé dans la mêmesituation que le territoire de
1'Eta..» (Lotus, arrêtno9, 1927, C.P.J.I. sérieA 12"10, p. 25.)

C. Le titre comme cause de l'action enjustice à la lumière
de lajurisprudence de la Cour relative au droit de la mer

75. Pour pouvoir exercer une juridiction dans un espace maritime
quelconque, les Etats doivent être enpossession d'un titre. La jurispru-
dence de la Cour relative au droit de la mer abonde en passages consacrés
à cette question, éminemmentjuridique, du titre, question qui relève
d'ailleurs du droit international et qui, comme telle, rentre dans la com-
pétence générale dlea Cour et est aussi comprisedans la notion de «dif-
férendsd'ordre juridique)) du paragraphe 2 de l'article 36 du Statut.
76. Le titre des Etats pour exercer unejuridiction dans un espace mari-
time quelconque est de surcroît une question parfaitement détachable
d'autres questions concernant aussi des principes du droit international
de la mer. Elle est douéede l'existence et de l'autonomie requises pour
pouvoir constituer à elle seule l'objet d'une demande enjustice devant la

Cour internationale de Justice. La jurisprudence de la Cour confirme
amplementcette conclusion.
77. A ce propos, s'agissant dans la présente affaire de la haute mer et
seulement de la haute mer, c'est-à-dired'un espace maritime ayant le sta-
tut de res cornmunis en droit international, il convient de commencer
l'examen de cette jurisprudence en rappelant ce que la Cour a dit dans
l'arrêt de1993dans l'affaire de la Délimitationmaritime dans la région
située entrele Groenlandet Jan Mayen:

«La côtede Jan Mayen, tout autant que celledu Groenland orien-
tal, génèreun titre potentiel sur les espaces maritimes reconnuspar
le droit coutumieu, c'est-à-dire en principe jusqu'à la limite des
200milles à partir de seslignes de base.»(C.I.J. Recueil 1993,p. 69,
par. 70; les italiques sont de moi.)

Il est donc correct de présupposer, aux fins du présent incident préli-
minaire, que les côtes du Canada géographiquementadjacentes à la zone FISHERIES JURISDICTION (DISSO. PTORRES BERNARDEZ) 609

contained in paragraph 2 (d) of Canada's declaration is also silent on
this. Thus any international title of Canada forms part neither of its
coastal fisheries protection legislation nor of the declaration of 10 May
1994.
74. It should also be recalled that the rule of exclusivejurisdiction of
the flag State over its ships on the high seas is a long-standing customary
rule of international law, which the Permanent Court, in its Judgment in
the "Lotus" case, stated in the following terms:

"A corollary of the principle of the freedom of the seas is that a
ship on the high seas is assimilated to the territory of the State the
flag of which it flies,for, just as in its own territory, that Stater-
cises its authority upon it, and no other State may do so. Al1that
can be said is that by virtue of the principle of the freedom of the
seas, a ship is placed in the same position as national territory. . ."
("Lotus", Judgment No. 9, 1927, P.C.I.J., Series A, No. 10, p. 25.)

C. Title as a Cause of Action in the Light of the Jurisprudence
of the Court vegarding the Law of the Sea
75. In order to be able to exercisejurisdiction over an area of the sea,
States must be in possession of a title. The jurisprudence of the Court

regarding the law of the sea abounds in passages devoted to this emi-
nently legal question of title, one which is, moreover, a matter of inter-
national law and, as such, falls within the general jurisdiction of the
Court and is also covered by the notion of "legal disputes" contained in
Article 36, paragraph 2, of the Statute.
76. Furthermore, the title of States to exercisejurisdiction over an area
of the sea is a question readily separable from other matters also pertain-
ing to principles of the international law of the sea. It has the requisite
existence and autonomy to be able to stand on its own as the subject of
a claim for legal redress before the International Court of Justice. The
jurisprudence of the Court amply bears this out.

77. In this connection, given that the present case involves the high

seas and only the high seas, that is to Say,a maritime area with the status
of res communisin international law, it is appropriateto begin considera-
tion of that jurisprudence by recalling what the Court said in its 1993
Judgment in the case concerning Maritime Delimitation in the Area
between Greenlandand Jan Mayen:
"The Coastof Jan Mayen, no less than that of eastern Greenland,
generates potential title to the maritime areas recognized by custom-

avy law, i.e., in principle up to a limit of 200 miles from its base-
lines." (1C.J. Reports 1993, p. 69, para. 70; emphasis added.)

It is therefore correct to assume, for the purposes of the present inci-
dental proceedings, that the coasts of Canada geographically adjacent todite de ((réglementationde l'OPANO» génèrent untitre potentiel sur les
espaces maritimes reconnus par le droit coutumier jusqu'à la limite des
200milles à partir de leurs lignesde base. L'Estai fut arraisonnéle 9mars

1995 - il convient de le rappeler - à 245 milles des côtes canadiennes
approximativement. Le défendeur n'a pas niéce fait dans la présente
phase incidente de l'affaire.
Et il est également correct, s'agissant de la haute mer, d'adopter
comme point de départ que cet espace maritime est ouvert à tous les
Etats, qu'il est affecté des fins pacifiques et qu'aucun Etat ne peut légi-
timement prétendreen soumettre une partie quelconque à sa souveraineté
(articles 87, 88 et 89 de la convention sur le droit de la mer de 1982).
78. Quelques exemples serviront largement à illustrer la conclusion

que le titre comme catégorie juridique du droit de la mer peut justifier à
lui seul une action en justice devant la Cour. Dans l'arrêtde 1985dans
l'affaire duPlateau continental (Jamahiriya arabe IibyenneIMalte), il est
dit:

«[LlesParties à la présente instanceont longuement débattu de la
portée à attribuer à la pratique étatique en matière de délimitation
du plateau continental - ainsi d'ailleurs que du titre sur le plateau
- question qui sera approfondie dans la suite du présentarrêt.Il est
néanmoins indéniable que,ayant étéadoptée par l'écrasantemajo-
rité desEtats, la convention de 1982revêt uneimportance majeure,
de sorte que, mêmesi les Parties ne l'invoquent pas, il incombe
manifestement à la Cour d'examiner jusqu'à quelpoint l'une quel-

conque de sesdispositions pertinentes lie lesParties en tant que règle
de droit international coutumier. Dans cecontexte, en particulier, les
Parties se sont attachées àdistinguer entre le droit applicableaufon-
dement du titre sur des zones duplateau continental - autrement dit
les règlesrégissantl'existence«ipsojure et ab initio» et l'exercicede
droits souverains de 1'Etatcôtier sur des étendues deplateau conti-
nental situéesdevant sescôtes - et le droit quigouverne ladélimita-
tion de ces étenduesde plateau entre Etats voisins.)) (C.I.J. Recueil

1985, p. 30, par. 27; les italiques sont de moi.)

On voit bien que ce passage de l'arrêtdistingue nettement entre «le
droit applicable au fondement du titre»et «le droit qui gouverne la déli-

mitation du plateau)). Il les considère comme deux catégoriesjuridiques
distinctes.
Il est donc évident que la question du fondement du titre du Canada
pour exercer sajuridiction nationale en haute mer sur desnavires battant
pavillon espagnol - objet du différend soumispar l'Espagne - n'estpas
une question que l'on est autorisé,en droit, à confondre avec celle des
règlesde droit international gouvernant la conservation et la gestion des
ressources biologiques de la haute mer ou avec celles des mesures adop-
tées etlouexécutées à ces fins par les Etats. Elle a une existencepropre et

distincte.the "NAFO Regulatory Area" generate potential title to the maritime
areas recognized by customary law up to a limit of 200 miles from their
baselines. The Estai was boarded on 9 March 1995 - it should be
recalled - some 245milesfrom the Canadian coast. The Respondent has
not denied this fact in the present incidental phase of the case.

It is likewisecorrect, given that we are dealing here with the high seas,
to assume as Our starting point that this maritime area is open to al1
States, that it is reserved for peaceful purposes and that no State may
validlypurport to subject any part of it to its sovereignty (Articles 87, 88
and 89 of the 1982Convention on the Law of the Sea).
78. A few examples will amply serve to illustrate the contention that
title as a legal category of the law of the sea can on its own provide a
sufficientcause of action to support proceedings before the Court. In the

1985Judgment in the Continental Shelf (Libyan Arab JamahiriyalMalta)
case, it is stated that:
"There has . . .been much debate between the Parties in the
present case as to the significance, for the delimitation of - and

indeed entitlement to - the continental shelf,of State practice in the
matter, and this will be examined further at a later stage in the
present judgrnent. Nevertheless, it cannot be denied that the 1982
Convention is of major importance, having been adopted by an
overwhelmingmajority of States; hence it is clearly the duty of the
Court, even independently of the references made to the Convention
by the Parties, to consider in what degree any of its relevant provi-
sions are binding upon the Parties as a rule of customary interna-
tional law. In this context particularly, the Parties have laid some
emphasis on a distinction between the law applicableto the basis of

entitlement to areas of continental shelf - the rules governing the
existence, "ipso jure and ab initio", and the exercise of sovereign
rights of the coastal State over areas of continental shelf situate off
its coasts - and the law applicable to the delimitation of such areas
of shelf between neighbouring States." (I.C.J. Reports 1985, p. 30,
para. 27; emphasis added.)

Itis evident that this passage of the Judgment draws a clear distinction
between "the law applicable to the basis of entitlement" and "the law
applicable to the delimitation" of the continental shelf. It regards them as
two different legal categories.
Clearly, therefore, the question of the basis of Canada's title to exercise
its national jurisdiction on the high seas over ships flyingthe Spanish flag
- the subject of the dispute laid before the Court by Spain - is not a
question that we are permitted, in law, to confuse with that of the rules of

international law governing the conservation and management of the
living resources of the high seas or with those of the measures adopted
andlor enforced for such purposes by States. It has its own separate exist-
ence.611 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS. TORRES BERNARDEZ)

79. Le titre est d'autre part un préalable juridique indispensablepour
agir en mer, c'est le titre ou droit l'exerciced'une juridiction dans un
espace maritime donné qui est déterminant pour trancher les questions
qui peuvent seposer concernant d'autres questionsjuridiques relevant du
mêmeespaceet non pas viceversa. Et pourquoi? Parce que le droit inter-
national de la mer est un ordre juridique cohérent. Par exemple, dans
l'affaire du Plateau continental (Jamahiriya arabe 1ibyennelMalte) men-

tionnéeci-dessus, l'arrêtde la Cour nous dit:
«La Cour n'a mère de doute auant au critère et à la méthode
qu'elle doit employer en premier lieu pour parvenir à une position

provisoireà propos du présent litige.Le critère estliéau droit relatif
au titre juridiqued'un Etat sur le plateau continental. Comme la
Cour l'a constaté plus haut, le droit applicable au présent litige,
c'est-à-dire des prétentions portant sur des plateaux continentaux
situésà moins de 200 milles des côtes des Etats en question, ne se
fonde pas sur des critères géologiquesou géomorphologiques, mais
sur un critère de distance de la côte, ou, pour reprendre l'expression
traditionnelle d'adjacence, sur le principe d'adjacence mesuréepar la
distance. La Cour estime donc logique que lechoix du critère etde la
méthode qu'elledoit employer en premier lieu pour parvenir à un
résultat provisoire soit effectué d'unemanière cohérenteavec les
concepts àla base de l'attribution du titrejuridique. » (C.I.J. Recueil

1985, p. 46-47, par. 61; les italiques sont de moi.)
80. Les arrêtsde 1974dans les affaires de la Compétenceen matièrede
pêchevies(fond)entre leRoyaume-Uni et YIslandeet entre la République

fédérale d'Allemagne et l'Islande distinguent aussi nettemententre la
question du titre juridique (les désaccordssur «l'élargissement unilatéral
par l'Islande de sajuridiction sur lespêcheriesCjusqu'à50millesmarins]»)
et la question de la répartition des ressources halieutiques et des mesures
de conservation visant celles-ci(les désaccords((quantà l'étendue età la
portée de[s]..droits respectifs [desParties] sur les ressourceshalieutiques
et quant aux mesures propres à conserver ces ressources» (C.I.J. Recueil
1974, p. 21, par. 47).
81. La possibilité defonder une action enjustice devant la Cour sur la
question du titre pour agir en haute mer est aussi reconnue dans les arrêts
de 1973concernant la Compétenceen matière de pêcheries(compétence
de la Cour) où on lit ce qui suit:

«Le fait que l'Islande est exceptionnellement tributaire de ses
pêcheries etle principe de la conservation des stocks de poisson
ayant été reconnus,il reste le point de savoirsi l'Islande a la com-

pétencevouluepour s'attribuer unilatéralementunejuridiction exclu-
sive en matière de pêcheries au-delà de 12 milles. En la présente
phase del'instancela Courn'a à seprononcer que sursa compétence
pour trancherce point.)) (C.I.J. Recueil 1973, p. 20, par. 42; les ita-
liques sont de moi.) 79. Title is, moreover, a legalprerequisite for action taken in respect of
the sea; it is the title or right to the exercise of jurisdiction in a given

maritime area that is decisive for the settlement of any questions arising
in relation to other legalissuespertaining to that area, and not viceversa.
And why? Because the international law of the sea constitutes a coherent
legal order. Thus, in its Judgment in the Continental Shelf (Libyan Arab
JamahiriyalMalta) case referred to above, the Court states:

"The Court has little doubt which criterion and method it must
employ at the outset in order to achieve a provisional position in the
present dispute. The criterion is linked with the law relating to a
State's legal title to the continental shelf. As the Court has found
above, the law applicable to the present dispute, that is, to claims
relating to continental shelves located less than 200 miles from the
coasts of the States in question, is based not on geological or geo-
morphological criteria, but on a criterion of distance from the Coast
or, to use the traditional term, on the principle of adjacency as meas-
ured by distance. It therefore seems logical to the Court that the
choice of the criterion and the method which it is to employ in the
first place to arrive at a provisional resulthould be made in a man-
ner consistent with the concepts underlying the attribution of legal
title."(1C.J. Reports 1985, pp. 46-47, para. 61; emphasis added.)

80. The Judgments of 1974in the FisheriesJurisdiction (Merits) cases
between the United Kingdom and Iceland and between the Federal
Republic of Germany and Iceland also draw a clear distinction between
the question of legal title (the disagreements over "Iceland's unilateral
extension of its fisheriesjurisdiction [up to 50 nautical miles]") and the
question of the allocation of fisheriesresources and measures to conserve
those resources (the disagreements "as to the extent and scope of [the]
respective rights [of the Parties] in the fishery resources and the adequacy

of measures to conserve them") (1C.J. Reports 1974, p. 21, para. 47).

81. The possibility of basing proceedings before the Court on the issue
of title to act on the high seas is also accepted in the 1973 Judgments
concerning Fisheries Jurisdiction (Jurisdiction of the Court), where the
Court states :

"The exceptional dependence of Iceland on its fisheries and the
principle of conservation of fish stocks having been recognized, the
question remains as to whether Icelandis or is not competent unilat-
erally to assert an exclusive jisheries jurisdiction extending beyond
the 12-mile limit. The issue before the Court in the present phase of
theproceedings concerns solely itsjurisdiction to determine the latter
point." (I.C.J. Reports 1973, p. 20, para. 42; emphasis added.) C'est justement la ((compétencevoulue)) du Canada pour ((s'attribuer
unejuridiction)) dansla zone de réglementationde I'OPANO de la haute
mer sur des navires espagnols qui constitue l'objet du différend soumis

par l'Espagne à la Cour et c'est sur la compétence de laCour pour tran-
cher cette question quel'on doit se prononcer dans la présente procédure
incidente compte tenu de la réservede l'alinéad) du paragraphe 2 de la
déclarationdu Canada.
Dans son opinion individuellejointe à ces arrêtsde 1973,M. Fitzmau-
rice fait la distinction qui s'impose, lorsqu'il s'agit dela haute mer, entre
leproblèmedu titre, d'une part, et lesmesures de conservation en matière
de pêcheries,d'autre part, dans les termes suivants:

((l'adoption concertée de mesures de conservation concernant la
haute mer en vue de protéger despêcheriescommunes dont l'exploi-
tation est ouverteà tous est évidemmenttout autre chose que la pré-
tention émiseunilatéralement par un Etat riverain d'interdire com-

plètement la pêcheaux navires étrangers ou de ne l'autoriser qu'à
son gré et sous soncontrôle. La question de la conservationest donc
sans rapport avec leproblème juridictionneldont la Courest saisie et
qui concerne sa compétencepour trancher un différendrésultantde
la prétention émisepar l'Islande de proclamer unilatéralement sa
juridiction exclusive, en matière de pêche,sur une zone s'étendant
autour de sescôtesjusqu'à une distance de 50millesmarins. »(C.I.J.
Recueil 1973, p. 26-27; les italiques sont de moi.)

82. Ainsi, mêmesi les thèses exposéespar le Canada, dans la pré-
sente procédure incidente, relativementà l'interprétationde la réservede
l'alinéad) du paragraphe 2 de sa déclaration étaientcorrectes pour les
besoins de l'argument, il resterait encoreà déterminersi ces mesures et
leur exécution peuvent de par leur nature mêmedonner lieu, en droit

international,à un différenddont l'objet neporte que sur la question du
titre nécessairepour pouvoir adopter ou exécuterlesmesures en question
et si, en cas de silence du texte de la réservesur cette matière, celle-ci
peut quand mêmeêtreinterprétée commecomprenant dans la catégorie
de différendsqu'elleexclut ceux résultant descomportements du Canada
primafacie sans titre ou contre un titre de l'Espagned'aprèsledroit inter-
national.
83. Ce qui est toutefois certaià la lumièrede la jurisprudence de la
Cour ci-dessus, c'est que l'Espagne, en tant que demandeur, est en pos-
session d'un droit procédural l'autorisantà soumettre à la Cour un dif-
férenddont l'objet n'est, en dernière analyse,que le titre ou le défautde
titre du Canada pour agir comme il l'a fait à l'égard del'Espagne en
haute mer. Celle-ci a le droit d'intenter une action en justice contre le
Canada ne portant que sur cette question du titre en tant que catégorie

juridique différenciéeetautonome du droit de la mer. L'intérêt juridique
de l'Espagne, en sa qualité d'Etat souverain, d'obtenir que la Cour se
prononce sur un différendn'ayant qu'un tel objet saute aux yeux. Il est It is precisely Canada's "competence" to "assert a jurisdiction" in the

NAFO Regulatory Area of the high seas over Spanish vessels that con-
stitutes the subject of the dispute laid before the Court by Spain, and it is
on thejurisdiction of the Court to settle this issue that a decision must be
reached in the present incidental proceedings, having regard to the reser-
vation contained in paragraph 2 (d) of Canada's declaration.

In his separate opinion appended to those Judgments of 1973, Judge
Fitzmaurice draws the necessary distinction, in the case of the high seas,
between the issue of title on the one hand and, on the other, measures to
conserve fisheries, thus :

"agreed measures of conservation on the high seas for the preserva-
tion of common fisheriesin which al1have a right to participate, is oj
course a completely different matter from a unilateral claim by a
coastal State to prevent fishing by foreign vessels entirely, or to
allow it only at the will and under the control of that State. The
question of conservation has therefore no relevance to the jurisdic-

tional issue now before the Court, which involves its competence to
adjudicate upon a dispute occasioned by Iceland's claimunilaterally
to assert exclusivejurisdiction for fishery purposes up to a distance
of 50 nautical miles from and around her coasts." (I.C.J. Reports
1973, pp. 26-27; emphasisadded.)

82. Thus, even assuming for the sake of argument that Canada's con-
tentions in the present incidental proceedings regarding interpretation of
the reservation in paragraph 2 (d) of its declaration were correct, the
Court would still have to determine whether the measures in question
and their enforcement could by their very nature give rise, in interna-
tional law, to a dispute whose subject concerns only the issue of the title
to take or enforce such measures and whether, should the terms of the
reservation make no mention of the matter, the reservation can none-
theless beinterpreted as comprising within the category of disputes which
itexcludes those arising out of conduct by Canada prima facie lacking
in title or contrary to a title held by Spain under international law.

83. What is, however, certain in the light of the abovejurisprudence of
the Court is that Spain, as Applicant, has a procedural right entitling it to
bring before the Court a dispute whose subject is, in the final analysis,
simply the title or lack of title of Canada to act as it did in regard to
Spain on the high seas. Spain is entitled to institute proceedings against
Canada concerning only this question of title as a distinct and autono-
mous legal category of the law of the sea. The legal interest of Spain, as
a sovereign State, in securing a decision by the Court on a dispute having
this alone as its subject is self-evident. It is indisputable and needs no
comment. The Judgment, however, ignores this legal interest of the613 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

incontestable et se passe de commentaire. L'arrêt cependant méconnaît
cet intérêt juridiquedu demandeur. C'est grave, très grave mêmede la
part d'un organe juridictionnel international comme la Cour.

D. La position du défendeursur l'objet du différend

84. Le Canada a eu des difficultés avec l'objetdu différend dela
requête del'Espagne. Lors de la phase écritedu présent incident, il a
biaisésur ledit objet, tout en essayant en mêmetemps de le remplacer par
un autre objet relatif, celui-ci, gestion eà la conservation des pêches.
Le Canada s'est abstenu cependant de déposer une demande reconven-

tionnelle ou une requête principale contre l'Espagne surcet autre objet
éventuel.Comme je l'ai déjà ditau chapitre 1de la présenteopinion dis-
sidente («La singularité dela procédure))),le contre-mémoire canadien
traite non pas de l'exercicede la juridiction étatique en haute mer, mais
de la crise de la conservation des ressources halieutiques dans l'Atlan-
tique Nord-Ouest comme ((contexte factuel et historique)) du présent
différend.Pour le Canada, l'objet du différend avec l'Espagneserait la
conservation et la gestion des pêchesdans la zone, question qui selon le
contre-mémoireaurait d'ailleurs étéréglée(argument du non-lieu). Ces
arguments du défendeur illustrent bien son refus de reconnaître le véri-
table objetdu différenddont la Cour a étésaisiepar l'Espagne.

85. Pourquoi le défendeur a-t-il cherché à redéfinirou à contourner
dans son contre-mémoire le véritableobjet du différenddevant la Cour?
Tout simplementpar manque de confiancedans la portée desa réservede
l'alinéad) du paragraphe 2 de la déclarationdont il excipe. Le Canada a
voulu remplacer le véritable objet du différenddevant la Cour par un
autre objet qui tomberait tel quel dans le champ d'application de cette
réserve.Pour en arriver là, il fallait plaider la coïncidenceentre l'objet du
différend soumis par l'Espagne et l'objet des différendsviséspar la
réserve d) du paragraphe 2 de la déclarationdu Canada.
86. Ainsi, en ce qui concerne la phase écrite,on peut conclure que,
pour le Canada, le différendsoumis par l'Espagne était undifférendsur
la gestion et la conservation des ressources. Mais c'étaittout de même

solliciterun peu trop la requête etla réserve.Alors, au cours de la phase
orale, devant les plaidoiries espagnoles, le Canada a changé quelquepeu
son argument sur l'identité entreI'objet du différend et l'objet de la
réserve,tout en gardant évidemment à l'esprit son but de faire entrer le
différendsoumis à la Cour dans les différendsexclus par la réserve de
l'alinéad) du paragraphe 2 de sa déclaration d'acceptationde lajuridic-
tion obligatoire de la Cour.
87. En effet, pendant les audiences, le Canada va élaborer une thèse
sur l'objet du différenddifférentede celle de son contre-mémoire. C'est
dans ce nouveau contexte que les conseils canadiens parleront, finale-
ment, du véritable objet du différend soumis à la Cour par l'Espagne.
Bien entendu, selon ces conseils, l'objet du différend dela requêtene

serait plus qu'un simpleargument du demandeur, à savoir «la thèseespa-applicant State. This is a serious thing - a very serious thing - for an
international judicial body like the Court to do.

D. The Respondent's Position onthe Subject of the Dispute

84. Canada has had difficulties with the subject of the dispute in
Spain's Application. In the written phase of the present incidental pro-
ceedings it was evasive on the matter, while at the same time seeking to
replace it with a differentsubject, namely fisheriesconservation and man-
agement. However, Canada refrained from filing a counter-claim or a

principal application against Spain on this other possible subject. As
1 have already pointed out in Chapter 1of this dissentingopinion ("The
Unusual Procedure"), the Canadian Counter-Memorial deals not with
the exerciseof Statejurisdiction on the high seas but with the crisis in the
conservation of fishery resources in the North-West Atlantic as the "fac-
tua1 and historical context" of the present dispute. Canada claims that
the subject of the dispute with Spain is the conservation and management
of fisheries in the area, a question, moreover, which according to the
Counter-Memorial had already been settled (the mootness argument).
These arguments of the Respondent wellillustrate its refusa1to recognize
the true subject of the dispute laid before the Court by Spain.
85. Why has the Respondent sought to redefine or evade in its
Counter-Memorial the true subject of the dispute before the Court? Quite
simply out of lack of confidencein the scope of the reservationcontained

in paragraph 2 (d) of the declaration on whichit relies.Canada has sought
to replace the true subject of the dispute before the Court with a different
subject, falling assuch within the scope of that reservation. To do this,
Canada was obliged to argue that the subject of the dispute submitted by
Spain was the same as that of disputes covered by the reservation con-
tained in paragraph 2 (d) of Canada's declaration.
86. Thus, as regards the written phase, it may be concluded that, for
Canada, the dispute submitted by Spain was a dispute over the conserva-
tion and management of resources. However, that was asking rather too
much of the Application and the reservation. Accordingly, during the
oral phase, in the face of the Spanish arguments, Canada somewhat
changed its ground with regard to the identity of the subject of the dispute
with that of the reservation, while of course keeping in mind its aim of

bringing the dispute laid before the Court within the scope of those
excluded by paragraph 2 (d) of its declaration of acceptance of the com-
pulsory jurisdiction of the Court.
87. Thus at the hearings Canada proceeded to formulate an argument
on the subject of the dispute differentfrom that in its Counter-Mernorial.
It was in this new context that counsel for Canada finally addressed the
real subject of the dispute as laid before the Court by Spain. Evidently,
for them, the subject of the dispute contained in the Application was a
mere argument of the Applicant, "the Spanish thesis". It was but a step 614 COMPÉTENCE PECHERIES (OP.DISS.TORRES BERNARDEZ)

gnole». De là à s'arroger eux-mêmesle droit de présenter uneautre thèse
ayant dans la procédure une fonction similaire à celle du demandeur, il
n'y avait qu'un pas à faire et ce pas a été franchi.C'est ainsique la ques-
tion de l'objet du différendva s'entremêlerdans les plaidoiries avec celle
du rôle respectif du demandeur et du défendeur dans la définition de
l'objet d'un différend. Mais,tout de même,les conseils canadiens parle-
ront enfin lors des audiences de l'objet du différend de la requête de
l'Espagne et reconnaîtront que: «le critèrede la réserve- ligne de par-

tage entre ce qui relèvede la compétencede la Cour et ce qui n'en relève
pas - c'est l'objet du différend))(CR 98/14, p. 25).
En fait, pendant la phase orale, le Canada va défendre la thèse que
j'appelle del'«aussi». L'objet du différendsoumis par l'Espagne ne por-
terait pas exclusivement sur la pêcheou sur la gestion ou la protection
des ressources biologiques, mais aussi sur ces dernières questions. Et les
conseils du Canada de conclureque ledit différendétait alorsexclu par la
réserve del'alinéad) du paragraphe 2 de la déclaration canadienne. Pour
en arriver là, ils vont tout simplement méconnaîtretant le concept de dif-
férend quecelui de l'objet du différend.
88. Tout d'abord, le Canada va remplacer le concept de différend,
terme qui figure dans la réserve de l'alinéa d)du paragraphe 2 de la

déclaration, par ((catégoriedefaits)) :
«La première chose à retenir au sujet de la réservecanadidnne ...
est qu'ellevise une catégoriede faits. Elle exclut de lajuridiction de
la Cour tout ce qui relèved'une catégoriedéfiniede situations de
fait,à savoir: tout ce qui concerne directement ou indirectement les

mesures de conservation et de "estion des ressources halieutiaues
prises par le Canada contre lesnavires pêchant dans lazone de régle-
mentation de I'OPANO ..tout différendconcernant cette loi [lepro-
jet de la loiC-291ou des mesures prises en vertu de celle-ci entre
dans le champ d'application factuel de la réserve canadienne et
échappedèslors à la juridiction de la Cour.)) (CR98111, p. 46; les
italiques sont de moi.)

Cette première opération a donc consisté à réduire la notion de «dif-
férend» aux élémentd se fait de la causaetendi. On laisse simplement de
côtérien de moins que les éléments de droit de la causa petendi et lepeti-
tum du demandeur. «Différend» serait ainsi l'équivalent des ((éléments
de fait» de la causa petendi. Pourtant, la jurisprudence de la Cour nous
enseigne que «les faits et les situations qui ont mené à un différendne
sauraient être confondus avec le différend même»(Interhandel, arrêt,
C.I.J. Recueil 1959, p. 22). D'autre part, la jurisprudence de la Cour ne
nous dit pas qu'à partir de certains faits ou situations ne puisse s'établir
qu'un seul et mêmedifférendentre deux Etats, ou que la Cour ne puisse

êtresaisie que d'un seul différendpar ces Etats, ou encore que la Cour
puisse être compétente pour un deces différendstout en ne l'étantpas,
éventuellement,pour un autre.
Et pourquoi la jurisprudence ne dit-elle pas et ne peut-elle dire cela?from there for counsel to arrogate to themselves the right to put forward
a different thesis, having a similar procedural function to that of the
Applicant, and that step was duly taken. Thus at the oral proceedings the
issue of the subject of the dispute became intertwined with that of the
respective roles of applicant and respondent in defining the subject of a
dispute. Nonetheless, at the hearings the Canadian counsel did finally
address the subject of the dispute as set out in Spain's Application and
acknowledge that: "The criterion of the reservation - the dividing line
between what does and what does not pertain to the jurisdiction of the
Court - is the subject of the dispute." (CR98114, p. 25.)

In effect, during the oral phase Canada relied on an argument that
1 cal1the "also" argument. It contended that the subject of the dispute
submitted by Spain was concerned not exclusively with fisheries or the
management or protection of living resources but also with these ques-
tions. From this, counsel for Canada concluded that the said dispute was
excluded by the terms of the reservation contained in paragraph 2 (d) of
the Canadian declaration. To get to this point, counsel simply ignored
both the concept of dispute and that of the subject of the dispute.
88. Canada began by replacing the concept of dispute, the term used in
the reservationcontained in paragraph 2 (d) of the declaration, by 'ifac-
tual category":

"The first point to note about the Canadian reservation ... is that
it refers to a factual category. It excludes from the Court's jurisdic-
tion everything falling within a defined class of fact situations,
namely : anything directly or indirectly related to fisheries conserva-
tion and management measures taken by Canada against vessels
fishingin the NAFO Regulatory Area .. .any dispute involving this
legislation [BillC-291or actions taken under it falls within thefac-
tua1ambit of Canada's reservation and therefore outside the juris-
diction of the Court." (CR98111, p. 46; emphasis added.)

This initial operation thus consisted in reducing the notion of "dis-
pute" to the factual elements of the causapetendi. It simply ignores the
entire legal aspects of the causapetendi and the petitum of the Applicant.
"Dispute" thus becomes equivalent to the "factual elements" of the causa
petendi. Yet the case-law of the Court shows us that "the facts and situa-
tions which have led to a dispute must not be confused with the dispute

itself'(Interhandel,Judgment, I.C.J. Reports 1959, p. 22). Moreover, the
case-law of the Court does not tell us that particular facts or situations
can giverise to only one and the same dispute between two States, or that
the Court can be seised of only one dispute by those States, or that the
Court can have jurisdiction for one such dispute while not having it for
another.

And why is it that the case-law does not and cannot Saythat? Because,615
COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS . ORRES BERNARDEZ)

Parce que, dans le règlementjudiciaire, les élémentsde fait invoqués en
vue d'établir le droit subjectif par lequel se traduit juridiquement la
demande, prétention ou petitum, doivent toujours être accompagnéspar
des élémentsou allégations de droit ou d'un intérêtlégitime,ou bien
encore par l'indication d'un texte ou d'un principe juridique en cause,
c'est-à-dire des moyens de droit sur lesquels le petitum ou la demande
repose.
89. Cela fait, l'opérationa continuépar une reformulation de la notion
d'«objet du différend))du règlement judiciaire international. La causa
petendi et lepetitum de la requêtene seraient pas suffisants pour l'iden-
tification de l'objet du différend.On ajoute en fait un troisième élément,
à savoir le droit applicableaufondpar lejuge. Mais, comment en arrive-

t-on là? En faisant valoir qu'«un différend estconstitué par un ensemble
indivisible de données factuelles et de règles de droit)) et en ajoutant
qu'«il ne peut pas y avoir compétencede la Cour pour l'une de sescom-
posantes et incompétencepour l'autre)) (CR98112,p. 40). Or, ces ((règles
de droit)) qui deviendraient dans la thèse canadienne un des deux élé-
ments constitutifs de la définitionde l'objet du différendinternational,
engloberaient tant les élémentsde droit de la causapetendi que le droit
applicable au fond par lejuge! Ce faisant, le Canada introduit un nouvel
élément généra aldditionnel pour établir la compétencede la Cour, élé-
ment qui n'est exigéni par les textes ni par la jurisprudence et qui peut
seulement intervenir au stade de la compétence lorsqu'il est explicidans
les titresjuridictionnels en cause.

90. Les éléments dedroit de la causapetendi ne sont pas le droit appli-

cable au fond par la Cour pour réglerle litige entre les Parties quoi qu'en
dise le Canada, mais les principes de droit international, les points de
repère juridiques utiliséspar le demandeur sur le plan judiciaire pour la
qualificationjuridique de l'ensemble des faits dans le but de fonder la
demande (petitum) qu'il soumet au juge dans sa requête. Certes,le droit
international comme ordre juridique, et mêmela notion de ((différend
international» dûment comprise (persona, causa petendi et petitum) ,
répond à un concept d'unité, mais le concept de «compétence» du juge
international, qui est fondé sur la volontédesjusticiables, ne fait pas par-
tie de cet ((ensembleindivisible))dans le sens dont parle le Canada. Au
contraire, la compétencedu juge international est fragmentaire et c'est le
droit international qui le veut. La thèsedu Canada est ainsi échafaudée
sur une confusionentre les éléments dedroit de la causapetendi, qui par-

ticipent de la définitiondu différendet de son objet et qui, à ce titre,
interviennent dans l'établissement ou la détermination in casu de la
((compétence))du juge international, et le droit appliquéau fond par ce
même jugepour réglerle litige en question.
91. Les titres juridictionnels peuvent bien sûr écarter ou modifier le
droit applicable au fond par lejuge international, bien qu'il n'en soit pas
ainsi dans le présentincidentjuridictionnel, mais le droit applicable au
fond n'est en aucun cas un élément dela définitionou de l'identificationin international judicial proceedings, the factual elements relied upon to
establishthe right of action which is the legalembodiment of the claim or
petitum must always be accompanied by references to law or to a legiti-
mate interest, or by the indication of a relevant legal text or principle, in
other words the legal grounds on which the petitum or claim rests.

89. The operation then continued with a reformulation of the notion

of "subject of the dispute" in international proceedings. The causapetendi
and the petitum of the Application were said to be insufficientto identify
the subject of the dispute. Thus a third element was added, namely the
law applicable to the merits by the Court. But how was this done? By
contending that "a dispute isconstituted by an indivisiblewhole compris-
ing facts together with rules of law" and adding that "the Court cannot
havejurisdiction with regard to one of these elements and not have juris-
diction with regard to the other" (CR98112,p. 40). Now these "rules of
law", which on the Canadian argument would become one of the two
constituent elements in determining the subject of an international dis-
pute, are claimed to cover both the legal elements of the causapetendi
and the law applicable to the merits by the Court! In this way Canada
introduces a new additional general criterion for establishingthe jurisdic-
tion of the Court, one required neither by the relevant texts nor by the

Court's jurisprudence, and which may have its place at the jurisdiction
stage only when expresslyprovided for in the documentsconferring juris-
diction in the case.
90. The legal elements of the causapetendi are not, whatever Canada
may contend, the law applicable to the merits by the Court to settle the
dispute between the Parties, but the principles of international law, the
legalyardsticks relied on by the applicant in its suit to characterize in law
the totality of the facts in order to found the claim (petitum) which it
lays before the Court in its application. Granted, international law as a
legal order, and indeed the term "international dispute" as it is properly
understood (persona, causapetendi and petitum), entails the notion of
unity, but the concept of the Court's "jurisdiction", which is based on the
willof those subject to that jurisdiction, does not form part of that "indi-
visible whole" in the sense referred to by Canada. On the contrary, the
Court's jurisdiction is fragrnented and this is how international law

wishes it to be. Canada's thesis is thus founded on a confusion between
the legal elementsof the causapetendi - which are elementsin the defini-
tion of the dispute and of its subject-matter and which are accordingly
relevant for the purpose of determining whether the Court has "jurisdic-
tion" in a particular case - and the law applied to the merits by that
same Court in order to settle the dispute in question.
91. The titles conferringjurisdiction may of course exclude or modify
the law applicable to the merits by the Court, although this is not the case
in the present incidental proceedings, but the law applicable to the merits
can in no circumstances be an element in the definition or identification616 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

d'un différend comme telou de son objet dans le règlement judiciaire
international. Evidemment, le but recherché par la thèse canadienne
n'était pas théorique.Il s'expliquait par le souhait du Canada d'élargir
autant que possible la portéede la réserve de l'alinéad) du paragraphe 2
de sa déclaration d'acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour,
bien qu'elle fût formulée dans la déclaration comme «une exception)) à
une juridiction obligatoire autrement acceptée. Jene saurais souscrire à

une thèsequi ferait d'une réserveformuléeen termes de la conservationet
de la gestion des ressources biologiques de la mer une sorte de trou noir
(black hole), pour utiliser la terminologie des conseils espagnols, qui
aspirerait tout différendsur le régimede la haute mer et sur les droits
qu'ont les Etats dans un tel espace maritime d'après le droit international
de la mer et, pourquoi pas, l'ensembledu droit international et des obli-
gations énoncéesdans la Charte des Nations Unies.
92. L'Espagne s'est opposée, à juste titre à mon avis,à ces tentatives
d'intervention canadiennes dans la définition del'objet du différend dela
requêtedu 28mars 1995.Je ne peux qu'être d'accordavecle principe que
le défendeurne saurait redéfinirou modifier l'obiet du différend soumis

par un Etat demandeur à la Cour par voie de requête.
Il s'agit bien là d'un droit procédural du demandeur. Les moyens pro-
céduraux du défendeursont l'exception préliminaire,la demande recon-
ventionnelle et la possibilité,qui lui est ouverte, de présenter une autre
requêteprincipale contre le demandeur de la première.Le Canada n'a uti-
liséaucune de cestrois possibilités.la place, il a prétendu ignorerl'objet
du différendtel que définipar la requête de l'Espagneou le remplacer par
l'objet des différendsdont il est question dans la réservede la déclaration
dont il excipe. Mais le défendeurn'a pas un tel droit procédural sous
réserve évidemmend te sa faculté defaireconnaîtreà la Cour son point de
vue sur l'objet du différenddéfinipar le demandeur dans sa requête.

E. La nouvelledéfinitionfaite par l'arrêtde l'objet du différend
est-elle conforme au droit applicableetà lajurisprudence
de la Cour?

93. Dans le paragraphe 35 de l'arrêt, l'objet dudifférenddevant la
Cour est défini commesuit:
«Les actions spécifiques ..ayant donné naissance au présent dif-
férendsont les activitéscanadiennes en haute mer qui ont trait à la
poursuite de l'Estai, aux moyens employés pour l'arraisonner, à
l'arraisonnement lui-même,ainsi qu'à la saisie du navire eà l'arres-
tation de son capitaine en vertu de la législationcanadienne sur les

pêchescôtièreset de sa réglementationd'application telles que modi-
fiées.Dans son essence, le différendentre les Parties porte sur la
question de savoir si ces actions ont violéles droits que l'Espagne
tient du droit international et s'ils exigentréparation. Il appartient
maintenant à la Cour de décidersi les Parties lui ont conféré une
compétencepour connaître de ce différend. ))of a dispute as such, or of its subject, in international proceedings. The
purpose of the Canadian argument was of course not a purely theoretical

one. It resulted from Canada's wish to extend as widely as possible the
scope of the reservation in paragraph 2 (d) of its declaration of accept-
ance of the compulsoryjurisdiction of the Court, although it was formu-
lated in the declaration as "an exception" to compulsory jurisdiction
otherwise accepted. 1cannot accept an argument making of a reservation
formulated in terms of the conservation and management of living
resources of the sea a sort of "black hole" - to use the terminology of
Spain's counsel - that would swallow up any dispute over the rules
governing the high seas and the rights thereover enjoyed by States under
the international law of the sea and - why not? - the entire corpus of

international law and of the obligations set out in the United Nations
Charter.
92. Spain opposed - rightly in my opinion - those attempts by
Canada to intervene in the determination of the subject of the dispute to
which the Application of 28 March 1995related. 1 can only agree with
the principle that the respondent cannot redefine or change the subject of
the dispute laid by an applicant State before the Court in its application.
This is clearly a procedural right of the applicant. The procedural
means open to the respondent are the preliminary objection, the counter-
claim and the possibility of filingits own principal application in opposi-

tion to that of the original applicant. Canada did not avail itself of any of
these three possibilities. Instead, it sought to disregard the subject of the
dispute as defined in Spain's Application or to replace it with the subject
of a dispute of the kind referred to in the reservation to its declaration.
However, the respondent enjoys no such procedural right, subject of
course to its right to put to the Court its viewregarding the subject of the
dispute as defined by the applicant in its application.

E. Does the New Dejînition of the Subject of the Dispute Contained in
the Judgment Accord with the ApplicableLaw and with

the Jurisprudence of the Court?
93. In paragraph 35 of the Judgment, the subject of the dispute before
the Court is defined as follows:

"The specificacts ... which gave rise to the present dispute are the
Canadian activities on the high seas in relation to the pursuit of the
Estai, the means used to accomplish its arrest and the fact of its
arrest, and the detention of the vesse1and arrest of its master, arising
from Canada's amended Coastal Fisheries Protection Act and imple-

menting regulations. The essence of the dispute between the Parties
is whether these acts violated Spain's rights under international law
and require reparation. The Court must now decide whether the
Parties have conferred upon it jurisdiction in respect of that dispute." Cette définition,acceptéeapparemment par la majorité,ne correspond
cependantni àcellequi résulte dela lectur- naturelle et raisonnabl-
du texte de la requêtede l'Espagne du 28 mars 1995 compte tenu de
l'intention du demandeur au moment où il l'a déposéeau Greffe de la
Cour, ni à son mémoire et à ses plaidoiries, voire aux conclusions
déposéespar l'Espagne à la fin de la présente phase incidente prélimi-
naire, dans lesquelles son agent a confirméque:

((l'objet du différend estle défautdu titre du Canada pour agir en
haute mer àl'encontre des navires battant pavillon espagnol,l'inop-
posabilitéà l'Espagne de la législationcanadienne des pêches,et la
réparation des faits illicites perpétrés l'égard des naviresespa-

gnols» [notamment l'arraisonnement de l'Estai avec usage de la
force et le harcèlement d'autres bateaux espagnols] (voir le para-
graphe 12 de l'arrêt).
94. Rien de nouveau donc dans ces conclusions espagnoles qui confir-
ment l'objet du différend tel que le petitum et la causa petendi de la

requête du28 mars 1995le définissent.Par contre, la définitiondu para-
graphe 35 de l'arrêtest une formulation qui pose des problèmes très
sérieux,tant par son nouveau contenu (par rapport à l'objet du différend
de la requête) quepar le fait que la Cour s'est substituéeau demandeur
pour ce faire.

95. L'arrêt arriveàla définitionde l'objet du différenddans son para-
graphe 35 à partir de la conclusionsuivante en son paragraphe 34:

«Le dépôt de la requêtea étésuscitépar certaines actions spéci-
fiquesdu Canada dont l'Espagne prétendqu'ellesont violésesdroits
en vertu du droit international. Ces actions ont étéprises sur le fon-
dement de certains textes législatifset réglementairesadoptéspar le
Canada, que l'Espagne estime contraires au droit international et
inopposables à elle-même. C'esdtans cecontexte qu'ilfaudrait consi-
dérerles textes législatifset réglementairesdu Canada.»

96. Une telle conclusion pose tout d'abord la question: que veut dire
l'arrêtavec une telle rédaction? Il semblerait que l'on voudrait écarter
des prononcésjudiciaires sur des principes de droit internationalin abs-
tracto.Or, si cela étaitle cas, je ne vois pas le rapport avec la requête

de l'Espagne du 28mars 1995.La requête du demandeurne parle que des
faits du Canada. Il s'agit de comportements ou d'actions spécifiques
du Canada, bien concrets et admis par le défendeur.Ce sont ces com-
portements du Canada qui sont les faits générateurs du présentdiffé-
rend. Il s'agit avant tout du fait de l'adoption du règlement du 3 mars
1995(étendant aux navires espagnolspêchant dans la zone de réglemen-
tation de I'OPANO l'application d'un autre fait du Canada, à savoir la
loi sur la protection des pêchescôtières dans sa rédaction modifiéedu However, this definition, apparently accepted by the majority, corre-
sponds neither to that resulting from a natural and reasonable reading of
the text of Spain's Application of 28March 1995,having regard to the
intention of the Applicant at the time when it filedthat Application in the
Court Registry, nor to its Memorial and oral arguments, nor indeed to
the submissions lodged by Spain at the end of the present phase of inci-
dental proceedings, in which its Agent confirmed that :

"the subject-matter of the dispute is Canada's lack of title to act
on the high seas against vessels flyingthe Spanish flag, the fact that
Canadian fisherieslegislation cannot be invoked against Spain, and
reparation for the wrongful acts perpetrated against Spanish vessels"
[including the forcible boarding of the Estai and the harassment of
other Spanish vessels] (seeparagraph 12 of the Judgment).

94. There is thus nothing new in those Spanish submissionsconfirming
the subject of the dispute as defined by thepetitum and the causa petendi
of the Application of 28 March 1995.On the other hand, the definition
set out in paragraph 35 of the Judgment is one presenting very serious
problems, on account both of its new content (in relation to the subject
of the dispute as set out in the Application) and of the fact that the Court
thereby substituted itself for the Applicant.

95. The Judgment arrives at its definitionof the subject of the dispute
in paragraph 35 on the basis of the followingfinding in paragraph 34:
"The filing of the Application was occasioned by the specificacts
of Canada which Spain contends violated its rights under interna-
tional law. These acts were carried out on the basis of certain enact-

ments and regulations adopted by Canada, which Spain regards as
contrary to international law and not opposable to it. It is in that
context that the legislative enactments and regulations of Canada
should be considered."
96. Such a finding first raises the question of what the Judgment
means in using this form of wording. It would seem that the intention
was to avoid ruling on principles of international law in abstracto. If so,

1fail to see the connection with Spain's Application of 28 March 1995.
The Application speaks only of Canada's acts. That is to say, specific
conduct or actions by Canada, of an actual concrete nature and admitted
by the Respondent. It is this course of conduct by Canada that consti-
tutes the source of the present dispute and, above all, the adoption of the
Regulations of 3 March 1995(extending to Spanish vesselsfishing in the
NAFO Regulatory Area the application of another act of Canada,
namely the Coastal Fisheries Protection Act as amended on 12 May
1994)and the boarding of the Estai. It is this ensemble of Canadian con-618 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISSTORRES BERNARDEZ)

12mai 1994)et du fait de l'arraisonnement de'Estai. C'est cet ensemble
de comportements ou de faits canadiens, et non pas comme tels des
textes législatifs, réglementairesou autres du Canada qui sont en cause.
Il n'est pas question des textes en tant que tels, mais bel et bien des
comportements canadiens précisdont l'Espagne a étéla victime. Pour
l'Espagne, cesomportemen/ ont porté atteinte en marslavril 199à ses
droits en haute mer et pourraient le faire enàl'avenir car la loi mo-
difiéeen 1994est toujours en vigueur au Canada. Voilà les actions spéci-
fiques auxquelles la requêtede l'Espagne demandela Cour de remédier
par un arrêt.Ces actions n'obt rien d'abstrait.
97. !+joutods que, elt posant la question en termes de non-opposabilité
à 1'EspBgnede'la législationcanadienne en cause, il n'y a pas le moindre
doute que, pour la requête, l'objet dudifférendsoumià la Cour est le
titre international du Canada pour agir'égardde navires espagnols en
haute mer comme il l'a fait en marslavril 1995. L'arraisonnement de
l'Estai n'est qu'unaect particulier, un épiphénomènedudit objet prin-
cipal de la requête. L'arrêitnverse l'ordre naturel des choses pour ce qui
est de la définitionde l'objet du différend.

98. Les deux catégories de faits du Canada viséspar l'objet de la
requête etles conclusionsdu demandeur sont donc:

1) le fait d'avoir adoptéle règlementdu 3 mars 1995rendant applicable
aux navires espagnols pêchant dans la zone de réglementation de
1'OPANO (en haute mer) la loi canadienne sur la protection des
pêchescôtières dans sa rédactionmodifiéede 1994;
2) lesfaits d'avoir poursuivi et arraisonnéle 9 mars 1995l'Estai en ayant
recours à l'usage de la force et d'avoir harcelépar la suite d'autres
navires espagnols pêchant aussi légitimementdans la zone de régle-
mentation de I'OPANO, à savoir en haute mer.

La requêteespagnole nie que le Canada soit en possession d'un titre
international quelconque pouvant justifier tant le premier fait que les
seconds.
99. Ainsi, le présent différendest un différend entre l'Espagne et le
Canada concernant l'exercice de certaines compétences étatiques à
l'encontre des navires espagnols assuméesproprio motu par le Canada en
haute mer sans le consentement de l'Espagne (conflit de juridiction) et
non pas un différend concernant des divergences entrel'Union euro-
péenneet le Canada ou entre l'Espagne et le Canada relatàla gestion
età la conservation des ressources biologiques dans la zone de réglemen-
tation de I'OPANO (conflit de gestion et de conservation au sein de
I'OPANO). La requêteest très précise à cet égard.Il faut tout simple-
ment la lire ou, plutôt, vouloir la lire.duct or acts - and not Canada's legislative, regulatory or other texts as
such - that is at issue. We are concernedhere not with the legislation as
such, but in truth with the specific conduct by Canada of which Spain
was the victim. For Spain, that conduct violated its rights on the high
seas in March and April 1995and could do so again in the future, since
the Act as amended in 1994 is still in force in Canada. Those are the

specificactions that Spah's Applicationrequeststhe Court to make good
by means of a Judgment. There is nothing abstract about them.

97. Moreover, inasmuch as the Application presented the issue in
terms of the non-opposability to Spain of the relevant Canadian legisla-
tion, there can be absolutely no doubt that, as far as the Application is
concerned, the subject of the dispute laid before the Court is Canada's
internationaltitle to act vis-à-vis Spanish vesselson the high seas as it did
in March and April 1995.The boarding of the Estai is but one specific
aspect, a by-product of the principal subject of the Application. In defin-
ing the subject of the dispute, the Judgment reverses the natural order of

things.

98. The two categories of Canada's acts covered by the subject of the
Application and by the Applicant's submissions are thus :
(1) the adoption of the Regulations of 3 March 1995applying to Span-

ish vessels fishing in the NAFO Regulatory Area (of the high seas)
the Canadian Coastal Fisheries Protection Act as amended in 1994;
and
(2) the pursuit and forcible boarding of the Estai on 9 March 1995and
the subsequent harassment of other Spanish ships also lawfully fish-
ing in the NAFO Regulatory Area, that is to Sayon the high seas.

Spain's Application denies that Canada possesses any international
title to act as it did in either case.

99. The present dispute is thus a dispute between Spain and Canada
over the exercise of certain State powers against Spanish ships assumed
proprio motu by Canada in respect of the high seas without the consent

of Spain (conflict of jurisdiction) and not a dispute concerning differ-
ences between the European Union and Canada or between Spain and
Canada over the management and conservation of living resources in the
NAFO Regulatory Area (management and conservation con$ict within
NAFO). The Application is quite precise in this respect. One has only to
read it or, rather, wish to read it. 100. La réclamation de la requêteespagnole est fondée sur les deux
sériesde faits reprochésau Canada que, par défaut de titre international
de ce dernier, le demandeur affirme êtreautant de faits internationale-
ment illicitesengageantla responsabilitéinternationale du Canada envers
l'Espagne. Ces faits violeraient, d'après le demandeur, des droits que
l'Espagne tient, en tant qu'Etat souverain, du droit international général
et, notamment, son droit à voir respecter les libertésde navigation et de
pêcheen haute mer pour ses navires et celui de l'exercice exclusifde sa

juridiction sur lesdits navires en haute mer.

101. Si l'on compare ce que je viens de dire sur l'objet du différend
soumis par la requête espagnoleavec la définition del'objet du différend
qui découle desparagraphes 34 et 35 de l'arrêt,on constate que leurs
divergences sont frappantes et surprenantes. Il ne fait pas de doute que
l'arrêt façonne l'objetdu différendd'une manière radicalementdifférente
de cellede la requête introductive d'instance, du mémoire, des plaidoiries
et conclusions du demandeur. La Cour se substitue ainsi à l'Espagne
pour ce qui est de la définition del'objet du différendque celle-ci a sou-

mis le 28 mars 1995!
102. En effet, la premièredemande principale du point 5 de la requête
- demande A - qui commande le reste du petitum ou de la réclamation
de l'Espagne, à savoir l'inopposabilité de la législationcanadienne en
question au demandeur, a tout simplement disparu de l'objet du diffé-
rend tel qu'ilest reformulépar la Cour. Il ne resterait donc par rapportà
l'objet origineldu différendque la demande C du petitum ou de la récla-
mation de la requêtede l'Espagne. Mais ce n'est pas tout. La demande C
subit, elle aussi, une modification radicale par rapportà la requête.Elle
devient maintenant une demande concernant exclusivement les «me-
sures» prises par le Canada à l'égardde l'Estai sans référence à la ques-

tion fondamentale de la ((souveraineté »poséepar la requêteen termes du
titre international du Canada pour cefaire. Le paragraphe 35de l'arrêtse
garde bien en effet de faire une référencequelconque à la règlede lajuri-
diction exclusivede 1'Etatdu pavillon sur sesnavires en haute mer et à la
question du titre international du Canada pour adopter les mesures dont
il s'agit dans la demande C. Le but de cette nouvelle définitionde l'objet
du différendpar l'arrêtne peut donc êtreplus clair. La majorité écarte la
causa petendi et lepetitum principaux de la requêteen supprimant toute
mention, directe ou indirecte, du titre ou du défaut de titre international
du Canada pour adopter les comportements qui lui sont reprochés par
l'Espagne et cela aussi bien en ce qui concernel'opposabilité de la législa-

tion canadienne à l'Espagne que pour ce qui est de l'arraisonnement de
l'Estai.
103. Cette transformation judiciaire de l'objet du différendest justifiée
dans l'arrêt par la considération suivante qui comporte, en fait, deux
volets: 100. The complaint in the Spanish Application is based on the two
series of acts with which Canada is reproached and which, in the absence
of any international title on the latter's part, the Applicant asserts to be
internationally wrongful acts incurring Canada's international responsi-
bility towards Spain. According to the Applicant, these acts violate rights
that Spain, as a sovereign State, derives from general international law
and, in particular, its right to respect for freedom of navigation and of

fishing on the high seas for its ships and its right to exclusive exerciseof
jurisdiction over those ships on the high seas.

101. If we compare what 1have just said on the subject of the dispute
submitted by Spain's Application with the definition of the dispute
according to paragraphs 34 and 35 of the Judgment, it can be seen that
the differences are striking and surprising. It is clear that the Judgment
presents the subject of the dispute in a manner radically different from
the Application instituting proceedings, the Memorial and the oral argu-
ments and submissions of the Applicant. The Court is thereby substitut-
ing itself for Spain in defining the subject of the dispute submitted by the
latter on 28 March 1995!

102. Thus the first principal request set out in point 5 of the Applica-
tion - request A - which governs the remainder of Spain'spetitum or
complaint, namely the non-opposability to the Applicant of the Cana-
dian legislation in question, has quite simply disappeared from the sub-
ject of the dispute as reformulated by the Court. Hence there remains, in
relation to the original subject of the dispute, only request C of the peti-
tum or complaint set out in Spain's Application. But that is not all.
Request C has also undergone a radical change by comparison with the
Application. It now becomes a request solely concerning the "measures"
taken by Canada in regard to the Estai without reference to the fun-
damental issue of "sovereignty" raised by the Application in terms of
Canada's international title so to act. In effect paragraph 35 of the Judg-
ment takes good care to avoid any reference to the rule of the exclusive
jurisdiction of the flag State over its ships on the high seas and to the

matter of Canada's international title to take the measuresreferred to in
request C. Thus the aim of this redefinition by the Judgment of the
subject of the dispute cannot be clearer. The majority ignores the prin-
cipal causa petendi and petitum of the Application by suppressing any
reference, direct or indirect, to Canada's international title, or lack
thereof, to take the actions complained of by Spain, both as regards the
opposability of the Canadian legislation to Spain and in relation to the
boarding of the Estai.

103. This judicial transformation of the subject of the dispute isjusti-
fied in the Judgment by the following argument, which in effect consists
of two limbs: «Il incombe à la Cour, tout en consacrant une attention particu-
lièreà la formulation du différend utiliséepar le demandeur, de
déjïnirelle-même,sur une base objective, le différendqui oppose les
Parties, en examinant la position de l'une et de l'autre.)) (Arrêt,
par. 30; les italiques sont de moi.)

C'est unejustification, acceptéesans aucun doute par lesjuges compo-
sant la majorité, mais qui est dépourvuepour moi de tout fondement en
fait ou en droit. Je la rejette sans appel et sans remords càrmon avis,
elles n'est conforme ni aux principes et règlesde droit pertinents ni la
jurisprudence de la Cour ni aux circonstances de l'espèce.Disons dès
maintenant que je ne saurais souscrireà une telle novation de l'objet d'un
différenddans le cadre du systèmede la clause facultative. Ma conviction
juridique m'oblige à la dénoncer compte tenu: des principes de ce sys-
tème;des principes juridiques générauxet de la logique qui gouvernentla
procédure judiciaire internationale; du Statut et du Règlement de la
Cour; de la condition d'Etat souverain du demandeur; et de la propre

jurisprudence de la Cour en la matière.
104. La définition de l'objet des différendsque les Etats souverains
soumettent à la Cour par requêten'est pas une fonction de la Cour. Sou-
tenir le contraire, c'est assumer une grave responsabilité vis-à-vis de la
bonne administration de la justice internationale, car c'est une règleélé-
mentaire que l'on nepeut pas être à la foisjuge et partie. En tout cas, si
le présent arrêtfait un jour jurisprudence, les Etats déclarants dans le
cadre du systèmede la clause facultativedoivent se rendre compte qu'ils
peuvent désormaisentrer au Palais de la Paix avecun différenddéterminé
et en ressortir quelque temps après en étant obligéspar la res judicata
d'un arrêtportant sur un différendayant un autre objet. Que diront-ils
alors du droit souverain qu'ils avaient lorsqu'ils ont décidé deporter un

différenddéterminédevant laCour? Et même,plus généralement,de leur
consentement à la juridiction de la Cour? L'avenir répondra à ces ques-
tions inquiétantes. C'est le privilègedu demandeur de «définir» le diffé-
rend qu'il soumet à la Cour, quitteà celle-cid'apprécier, depréciser ou
d'interpréter l'objetdu différenddont elle a étésaisie. Là s'arrêtentles
pouvoirs de la Cour en la matière, car qui dit ((définirit avoir compé-
tence pour ((modifier)).La compétence dela compétencedu paragraphe 6
del'article 36 du Statut ne comporte pas une telle facultéde modification.
Je serai toujours le dernierà nier le devoir de la Cour de circonscrire le
véritableproblèmeen cause et, partant, sa facultéd'apprécier, depréciser
ou d'interpréter l'objet d'une requête. Maismodifier l'objet, ou le rem-

placer par un tout autre objet, c'est autre chose. L'on sort, en fait, du
règlementjudiciaire des différendsinternationaux sans savoir vers quoi
l'on s'achemine à la place.
105. Ma position de principe sur cette question de la «définition» par
la Cour de l'objet du différend soumispar requête(premier volet de la
justification de l'arrêt) est développée, avectoute la précision requise,
dans l'opinion dissidente commune desjuges Onyeama, Dillard, Jiménez "It is for the Court itself, while giving particular attention to the
formulation of the dispute chosen by the Applicant, to determine on
an objective basis the dispute dividing the parties by examining the
position of both Parties." (Judgment, para. 30; emphasis added.)

This is a justification accepted without question by the Judges making
up the majority, but it is one which, in my view,lacks any basis in fact or
in law. 1reject it absolutely and without compunction, for in my view it
is compatible neither with the relevant principles and rules of law nor
with the case-law of the Court, or with the circumstances of the case. Let
me make it clear at once that 1cannot accept such a reformulation of the
subject of a dispute brought under the optional clause system. In my view
of the law itis unsustainable, in light of: the principles of the system; the

general principles of law and logic which govern international judicial
proceedings; the Statute and the Rules of Court; the sovereign status of
the Applicant; and the Court's own case-law in the matter.

104. Defining the subject of disputes laid before the Court by applica-
tion by sovereign States is not a function of the Court. To assert the con-
trary is to assume an extremely heavy responsibility in terms of the sound
administration of international justice, for it is an elementary rule that
onecannot be at the same time both judge and litigant. Moreover, should
this Judgment one day come to constitute a precedent, declarant States
under the optional clause system must be aware that they may henceforth
find themselves going into the Peace Palace with a given dispute, only to
emerge later bound by the resjudicata of ajudgment relating to a dispute
having a different subject. What will they then have to Say of the sov-
ereign right that they possessed when they took the decision to bring a
particular dispute before the Court? And what, more generally, will they
have to say of their consent to the Court's jurisdiction? The future will

bring us a reply to these troubling questions. It is the privilege of the
applicant to "define" the dispute which it lays before the Court, while the
latter is free to evaluate, clarify or interpret the subject of the dispute sub-
mitted to it. That is the limit of the Court's powers in the matter, for
"defining" means having power to "change7'.The power of the Court to
determineits ownjurisdiction, under Article 36, paragraph 6, of the Stat-
ute, does not comprise any such power of change. 1should be the last to
deny the duty of the Court to isolate the real issue in the case and, hence,
its power to evaluate, clarify or interpret the subject of an application.
But to changethe subject or to replace it with an entirely new one is quite
another matter. That is to forsake the judicial settlement of international
disputes and set off instead in some unknown direction.
105. My position of principle on this question of the "definition" by
the Court of the subject of the dispute submitted in the Application (first
limb of the argument in the Judgment) is developed, with al1requisite
precision, in the joint dissenting opinion of Judges Onyeama, Dillard,621 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

de Aréchagaet sir Humphrey Waldock, jointe aux arrêtsde 1974relatifs
aux affaires desssais nucléaires.Je la fais mienne aux finsde la présente
opinion. Les paragraphes pertinents se lisent comme suit:

((11. Dans une affaire portée devant la Cour par requêteles
conclusions formelles des Parties définissent l'objetdu différend,

comme le reconnaît le paragraphe 24 de l'arrêt. Il faut donc consi-
dérerque ces conclusions correspondent aux objectifs que vise le
demandeur en introduisant l'instance judiciaire.

La Cour a certes le droit d'interpréterles conclusions des Par-
ties, mais rien ne l'autoriseles transformer radicalement. La Cour
permanente s'est exprimée ainsisur ce point: «Si elle peut inter-
préter les conclusions des Parties, elle ne saurait se substituerà
celles-cipour en formuler de nouvelles sur la base des seules thèses
avancéeset faits allégués.(C.P.J.I. sérieA no 7,p. 35, affaire rela-
tive à Certains intérêtsallemands en Haute-Silésie polonaise.)
Au paragraphe 29, l'arrêtvoit là une limitation du pouvoir de

la Cour d'interpréterles conclusions ((quand la demande n'est pas
formulée commeil convient parce que les conclusions des parties
sont inadéquates)).Si,toutefois, la Cour n'a pas le pouvoir de refor-
muler des conclusions inadéquates, elle ne saurait à fortiori refor-
muler des conclusions aussi claires et précisesque dans la présente
espèce.
12. Les affaires invoquéespar l'arrêten son paragraphe 29 pour
écarter lapremière conclusiondu demandeur en l'espèce ne justifient
selon nous en aucune manière un traitement aussi sommaire de «la
conclusionprincipalede la requête))D. ans lesditesaffaireslesconclu-
sions que la Cour n'a pas considérées comme des conclusions véri-
tables étaientdesdéveloppementsprécisqui avaientpour seulobjet de

motiver la décisionsollicitée dela Cour dans la «vraie» conclusion
finale. C'est ainsi que dans l'affaire desêcheriesle demandeur a
résumé, sousforme de conclusions, toute une sériede propositions
juridiques, dont certaines n'étaientmêmepas contestées,pour amener
logiquement ses véritables conclusionsfinales (C.I.J.Recueil 1951,
p. 121-123et 126).Dans l'affaire desMinquierset Ecréhousl,a «vraie»
conclusion finalea été énoncé eepremier etsuivie dedeuxarguments
juridiques qui visaientà fournir d'autres motifs pour que la Cour
retienne cette conclusion (C.I.J.ecueil 1953, p. 52); dans l'affaire
Nottebohm une conclusionconcernant la naturalisation de Nottebohm
au Liechtensteinn'a été considéré per la Cour que comme «une rai-
son à l'appui d'unedécisionde la Cour en faveur du Liechtenstein))

sur la «vraie question))dela recevabilitéde la demandeC.I.J. Recueil
1955p ,. 16).Dans la présenteespèce, commenous l'avonsdit, la situa-
tion est entièrement différente.La question fondamentale soumise à
la décisionde la Cour est celledu caractèrelicite ou illicitedes expé-
riencesnucléairesfrançaises enatmosphèredansl'océan Pacifique Sud,Jiménezde Aréchagaand Sir Humphrey Waldock appended to the 1974

Judgments in the Nuclear Tests cases. 1endorse it for the purposes of the
present opinion. The relevant paragraphs read as follows :

"11. In a case brought to the Court by means of an application
the forma1 submissions of the parties define the subject of the
dispute, as is recognized in paragraph 24 of the Judgment. Those
submissions must therefore be considered as indicating the objec-
tiveswhich are pursued by an applicant through thejudicial proceed-
ings.
While the Court is entitled to interpret the submissions of the
parties, itis not authorized to introduce into them radical altera-
tions. The Permanent Court said in this respect: '. . .though it can
construe the submissions of the Parties, it cannot substitute itself for
them and formulate new submissions simply on the basis of argu-
ments and facts advanced' (P.C.I.J., Series A, No. 7, p. 35,case con-
cerning Certain GermanInterests inPolish UpperSilesia). The Judg-
ment (para. 29) refers to this as a limitation on the power of the

Court to interpret the submissions 'when the claim is not properly
formulated because the submissions of the parties are inadequate'.
If, however, the Court lacks the power to reformulate inadequate
submissions, a fortiori it cannot reformulate submissions as clear
and specificas those in this case.

12. In any event, the cases cited in paragraph 29 of the Judgment
to justify the settingaside in the present instance of the Applicant's
first submission do not, in Ourview, provide any warrant for such a
summary disposa1of the 'main prayer in the Application'. In those
cases the submissions held by the Court not to be true submissions
were specificpropositions advanced merely to furnish reasons in sup-
port of the decision requested of the Court in the 'true'final submis-
sion. Thus, in the Fisheriescase the Applicant had summarized in the
form of submissions a whole series of legal propositions, some not
even contested, merely as steps logicallyleading to its true final sub-
missions (1C.J. Reports 1951, at pp. 121-123and 126).In the Min-

quiers and Ecrehos case the 'true'final submissionwas stated first and
two legalpropositions were then adduced by way offurnishing alter-
native grounds on which the Court might uphold it (1C.J. Reports
1953,at p. 52); and in the Nottebohm case a submissionregardingthe
naturalization of Nottebohm in Liechtenstein was considered by the
Court to be merely 'a reason advancedfor a decision by the Court in
favour of Liechtenstein'on the 'real issue'of the admissibility of the
claim (I.C.J. Reports 1955, at p. 16).In the present case, as we have
indicated, the situationis quite othenvise. The legality or illegalityof
the carrying out by France of atmospheric nuclear tests in the South
PacificOcean is the basic issuesubmitted to the Court's decision, and
it seemsto us wholly unjustifiable to treat the Applicant's request for622 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS. TORRES BERNARDEZ)

et ilnous paraît entièrement injustide traiter la demande dedéclara-
tion d'illicéité présentper le requérantcomme un simple motif à
l'appui de l'interdictionde nouveaux essaisqu'il solliciteégalement.
13. Conformément àcesprincipes de base, il aurait fallu détermi-
ner la véritablenature de la demande australienne et des objectifs
viséspar le requérant en se fondant sur le sens clair et naturel du
texte de sa conclusion formelle. Dans l'interprétation qu'elle en a
donnéela Cour, selon nous, n'a pas vraiment interprétémais revisé
le texte, et éliminépour finir ce que le requérant avait appelé«la

conclusionprincipale de la requête)),c'est-à-direla demandetendant
à ce que les essais nucléairesatmosphériquesdans l'océanpacidque
Sud soient déclarésillicites. Il est grave de modifier ou de mutiler
radicalement la conclusion d'un plaideqr, sous couleur d'in?P. rét-
tion, car on frustre ainsi son attente légitimeque l'affaire dont il a
saisi la Cour sera examinéeet résolue.

14. Nous pensons que la Cour revisela conclusion du demandeur
en faisant appelà d'autres éléments et notamment aux communica-
tions diplomatiqueset déclarations faites au cours de la procédure.
Ces élémentsne justifient cependant pas l'interprétation qu'entire
l'arrêt.l est fait étatdes demandes réitéréese l'Australie tendanà
obtenir de la France l'assurance qu'il seraitmis fin aux essais. Ces
demandes ne sauraient cependant avoir l'effet que l'arrêtleur attri-
bue. Pendant qu'un procèsse déroule,un demandeur peut prier son
adversaire de l'assurer qu'il ne poursuivra pas l'activité contestée,
mais on ne peut en conclure qu'une assurance sans réserve,à suppo-
ser qu'elle soit donnée, répondraità tous les objectifs que visait le
demandeur en entamant la procédure judiciaire; encore moins

peut-on restreindre ou amender pour cetteraison lesprétentionsfor-
mellement soumises à la Cour. D'après le Règlement,ce résultatne
pourrait être obtenu quesi ledemandeurdonnait une indication pré-
cisedans ce sensen retirant l'affaire,en modifiant sesconclusions ou
par toute autre action équivalente.Ce n'est pas pour rien que les
conclusions doiventêtreprésentées par écritet porter la signature de
l'agent. II est donc illogique d'interpréterles demandes d'assurances
comme une renonciation. une modification ou un retrait tacite de la
requêtedont la Cour reste saisieet qui viseà faire déclarerjudiciai-
rement que les essais atmosphériquessont illicites.Et puisque l'arrêt
attribue au demandeur des intentions et des renonciations implicites,
la Cour aurait dû pour le moins lui donner la possibilité d'expliquer

sesdesseinset objectifsvéritables,au lieu d'entreprendre de lesdéter-
miner inauditaparte. ))(C.I.J. Recueil 1974, p. 316-317.)

106. Le présent arrêtcite justement à l'appui de la définition qu'il
donne de l'objet du différendles arrêtsde la Cour de 1974sur les Essais FISHERIES JURISDICTION (DISSO. P.TORRES BERNARDEZ) 622

a declaration of illegalitymerely as reasoning advanced in support of
its request for anOrder prohibiting further tests.

13. In accordancewith these basicprinciples,the true nature of the
Australian claim, and of the objectivessought by the Applicant ought
to have been determinedon the basis of the clear and natural meaning
of the text of its formal submission.The interpretation of that submis-
sion made by the Court constitutes in Ourviewnot an interpretation
but a revision of the text, which ends in eliminatingwhat the Appli-
cant stated is 'themain prayer in the Application', namely the request
for a declaration of illegalityof nuclear atmospheric tests in the South

Pacific Ocean. A radical alteration or mutilation of an applicant's
submissionunder the guiseof interpretation has seriousconsequences
becauseit constitutes a frustration of a party's legitimateexpectations
that the case which it has put before the Court will be examined and
decided.

14. The Judgment revises, we think, the Applicant's submission
by bringing in other materials such as diplomatic communications
and statements made in the course of the hearings. These materials
do not justify, however, the interpretation arrived at in the Judg-

ment. They refer to requests made repeatedly by the Applicant for
an assurance from France as to the cessation of tests. But these
requests for an assurance cannot have the effect attributed to them
by the Judgment. While litigation is in progress an applicant may
address requests to a respondent to give an assurance that it will not
pursue the contested activity, but such requests cannot by them-
selvessupport the inferencethat an unqualified assurance, ifreceived,
would satisfy al1the objectives the applicant is seeking through the
judicial proceedings; still less can they restrict or amend the claims
formally submitted to the Court. According to the Rules of Court,
this can only result from a clear indication by the applicant to that
effect, through a withdrawal of the case, a modification of its sub-
missions or an equivalent action. It is not for nothing that the sub-
missions are required to be presented in writing and bear the signa-
ture of the agent. It is anon sequitur, therefore, to interpret such

requests for an assurance as constituting an implied renunciation, a
modification or a withdrawal of the claim which is still maintained
before the Court, asking for a judicial declaration of illegality of
atmospheric tests. At the very least, since the Judgment attributes
intentions and implied waivers to the Applicant, that Party should
have been given an opportunity to explain its real intentions and
objectives, instead of proceeding to such a determination inaudita
parte." (I.C.J. Reports 1974, pp. 316-317.)

106. The present Judgment does indeed cite in support of its definition
of the subject of the dispute the 1974 Judgments of the Court in the623 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

nucléaires.Ces arrêts ontune place de choix dans leprésentarrêt(voir les
paragraphes 30, 31 et 32). Voyons alors ce qu'ils disent sur la question
sans couper le passage pertinent:

«C'est donc le devoir de la Cour de circonscrire le véritablepro-
blèmeen cause et de préciserl'objet de la demande. Il n'ajamais été
contestéque la Cour est en droit et qu'ellea mêmele devoir d'inter-
préterles conclusions des parties; c'estl'un des attributs de sa fonc-
tion judiciaire. Assurément, quand la demande n'est pas formulée
comme il convient parce que les conclusions des parties sont inadé-
quates, la Cour n'a pas le pouvoir de «se substituer [aux parties]
pour en formulerde nouvellessurla base des seulesthèse avancéeset
faits allégués))C.P.J.I. sérieA no7, p. 35)'mais tel n'est pas le cas
en l'espèceet la questiond'une formulation nouvelle des conclusions
par la Cour ne se pose pas non plus. En revanche, la Cour a exercé

à maintes reprises le pouvoir qu'ellepossèded'écarter,s'ilest néces-
saire, certaines thèsesou certains arguments avancéspar une partie
comme élémend t e ses conclusions quand elle lesconsidère,non pas
comme des indications de ce que la partie lui demande de décider,
mais comme des motifs invoquéspour qu'elle se prononce dans le
sensdésiréC . 'estainsi que, dans l'affaire descheriesl,a Cour a dit
de neuf destreizepoints quecomportaient lesconclusions du deman-
deur: «Ce sont là des élémentq sui, lecas échéant,pourraient fournir
lesmotifs de l'arrêt et nonen constituer l'objet..I.J. Recueil 1951,
p. 126).» (C.I.J. Recueil 1974, p. 262-263, par. 29; p. 466-467,
par. 30.)

A la lecture de ce passage on constate qu'il n'est nullement question de
«définition» par la Cour de l'objet du différend.Tout au contraire, les
arrêts de1974distinguenttrès nettement entre, d'une part, ((circonscrire
le véritable problèmeen cause et ..préciserl'objet de la demande» et,
d'autre part,«la question d'une formulation nouvelle desconclusions par
la Cour». Il est mêmesoulignéque la Courn'apas lepouvoirde se subs-
tituer aux parties pour formuler de nouvelles conclusions lorsque les

~arties elles-mêmesont formulé leurs conclusions d'une facon inadé-
quate. Le seul pouvoir que se reconnaît la Cour dans ce passage est celui
de faire la distinctionentre ((thèsesou a"guments » et «demandes» Dour
ce qui est des «conclusions» des parties et entre des élémentselevant des
«motifs» ou de l'«objet» pour ce qui est de son arrêt.
107. Il faut égalementrappeler que, dans les arrêtsrelatifs aux Essais
nucléairesde 1974,la question alors considérée seposait dans le contexte
d'un éventuel((non-lieu superveniens» et non pas en rapport avec la
détermination de la «compétence» de la Cour comme en l'espèce.En
outre, le défendeuravait fait défaut. La procédure appliquée était donc
celle de l'article 53 du Statut qui imposeà la Cour des devoirs de vigi-

lance particuliers. Ce n'est pas le cas non plus de la présente affaire.
Malgrétout cela, desjuges dissidents, en 1974,ont critiquétrèsdurement
l'application que la Cour a faite,l'époque,de son devoir d'apprécier, de FISHERIES JURISDICTION (DISSO. P.TORRES BERNARDEZ) 623

Nuclear Tests cases.Those Judgments feature prominently in the present
Judgment (see paragraphs 30, 31 and 32). Let us see then what they Say
on the question, without making any cuts in the relevant passage:

"Thus it is the Court's duty to isolate the real issuein the case and
to identify the object of the claim. It has never been contested that
the Court is entitled to interpret the submissions of the parties, and
in fact is bound to do so; this is one of the attributes of its judicial
functions. It is true that, when the claim is not properly formulated
because the submissions of the parties are inadequate, the Court has
no power to 'substitute itself for them and formulate new submis-
sions simplyon the basis of arguments and factsadvanced' (P. C.IJ.,
Series A, No. 7, p. 35), but that is not the case here, nor is it a case
of the reformulation of submissions by the Court. The Court has on
the other hand repeatedly exercised the power to exclude, when
necessary,certain contentions or arguments which wereadvanced by
a party as part of the submissions, but which were regarded by the

Court, not as indications of what the party was asking the Court to
decide, but as reasons advanced why the Court should decide in the
sense contended for by that party. Thus in the Fisheries case, the
Court said of nine of the thirteen points in the Applicant's submis-
sions: 'Theseare elementswhich might furnish reasons in support of
the Judgment, but cannot constitute the decision' (I.C.J. Reports
1951, p. 126)."(1C ..J. Reports 1974, pp. 262-263,para. 29; pp. 466-
467, para. 30.)

On reading this passage one can see that there is no question of "defi-
nition" by the Court of the subject of the dispute. On the contrary, the
1974Judgments distinguish very clearly between, on the one hand, "[the
Court's duty]to isolate the real issuein the case and to identify the object
of the claim" and, on the other, "the reformulation of submissions by the
Court". It is even emphasized that the Court has no power to substitute
itselffor theparties andformulate new submissionswhen the submissions
of the parties themselves are inadequate. The only power which the
Court allows itself in this passage is that of distinguishing between "con-
tentions or arguments" and "claims" in the "submissions" of the parties
and, in regard to its Judgment, between elements pertaining to the

"reasons" therefor and the "decision" itself.
107. It must also be recalled that, in the Judgments in the 1974
Nuclear Tests cases, the question then considered arose in the context of
a possible "mootness superveniens" and not in connection with the deter-
mination of the Court's "jurisdiction" as in the present case. Further-
more, the Respondent had failed to appear before the Court. The pro-
cedure applied was therefore that of Article 53 of the Statute, which lays
upon the Court special duties of vigilance. This is not the case either in
the present proceedings. Even so, some of the dissenting judges in 1974
strongly criticizedthe manner in which the Court at the time exercisedits624 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

préciserou d'interpréter les conclusions des parties malgréles circons-
tances très particulièresdu cas d'espèce. C'estpour dire que l'exerciced'un
tel devoir n'est pas non plusàl'abri d'appréciationssubjectivesdes majo-
rités au sein de la Cour. Le présent arrêtest à cet égard un exemple
d'école.II en découleque l'opposition que l'arrêt fait entre«la formula-
tion du différend utiliséepar le demandeur)), d'une part, et la définition
par la Cour elle-même «sur une base objective)) de l'objet du différend,

d'autre part, est bien loin d'emporter ma conviction dans le présentinci-
dent préliminaire.

108. Je ne saurais non plus souscrire aux conclusions du présentarrêt
concernant la prise en considération de la position du demandeur et de

celle du défendeurdans une opération visant à faire définirou préciser,
selon les cas, l'objet du différendpar la Cour (deuxièmevolet de la jus-
tification au paragraphe 30de l'arrêt).L'arrêtplaceà toutes finsutiles sur
un mêmepied les positions des Parties àcet égard. Oril ne s'agit pas de
cela dans la jurisprudence de la Cour. Par exemple, dans l'arrêt concer-
nant l'affaire deCertaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Aus-
tralie),on lit ce qui suit:

((69. Le paragraphe 1 de l'article 40 du Statut de la Cour stipule
que 1'«objetdu différend»doit êtreindiquédansla requête,etlepara-
graphe 2 de l'article 38 du Règlement de la Cour requiert que la
((nature précisede la demande)) soit indiquée dans la requête.Ces
dispositions sont tellement essentielles au regard de la sécurijuri-
dique et de la bonne administration de la justice qu'elles figuraient
déjà, en substance,dans le texte du Statutde la Cour permanente de

Justiceinternationale adoptéen 1920(art. 40, premier alinéa)et dans
le texte du premier Règlement decette Cour adoptéen 1922(art. 35,
deuxièmealinéa),respectivement. La Cour permanente a, à plusieurs
reprises, eu l'occasion de préciserla portée deces textes. Ainsi, dans
son ordonnance du 4 février 1933, rendue en l'affaire relative à
l'Administration duprince von Pless (exception préliminaire),elle a
affirmé

«qu'aux termes de l'article 40 du Statut, c'est la requête qui in-
diquel'objet du différend; quele mémoire,tout en pouvant éclair-
cir les termes de la requête,ne peut pas dépasserles limites de la
demande qu'elle contient ..» (C.P.J.I. sérieAIB no52, p. 14).

La mêmeCour a déclaréd , ans l'affaire dela Sociétécommerciale de
Belgique :

«Il y a lieu d'observer que la facultélaisséeaux parties de modi-duty to evaluate, clarify or interpret the subrnissions of the parties, not-
withstanding the very special circumstances of the case. Which only goes
to show that even the exercise of a duty of this kind is not proof against
subjective appreciations by majorities within the Court. The present
Judgment is a classic example. In consequence the distinction drawn in
the Judgment between, on the one hand, "the formulation of the dispute
chosen by the Applicant" and, on the other, the definition by the Court
itself "on an objective basis" of the subject of the dispute falls far short of
securing my support in the present incidental proceedings.

108. Nor can 1 subscribe to the conclusions of the Judgment with
regard to the consideration to be given to the respective positions of
applicant and respondent in a process the aim of which is the determina-
tion or clarification, as the casemay be, by the Court of the subject of the
dispute (second limb of the argument in paragraph 30 of the Judgment).
The Judgment for al1 practical purposes places the positions of the
Parties in this regard on an identical footing. Yet this is not what the
Court's jurisprudence tells us. For example, in the case concerning Cer-
tain Phosphate Lands in Nauru (Nauru v. Australia) we find the follow-
ing :

"69. Article 40, paragraph 1,of the Statute of the Court provides
that the 'subject of the dispute' must be indicated in the Application;
and Article 38, paragraph 2, of the Rules of Court requires 'the pre-
cise nature of the claim' to be specified in the Application. These
provisions are so essential from the point of view of legal security
and the good administration of justice that they were already, in
substance, part of the text of the Statute of the Permanent Court of
International Justice, adopted in 1920(Art. 40, first paragraph), and

of the text of the firstules of that Court, adopted in 1922(Art. 35,
second paragraph), respectively.On several occasions the Permanent
Court had to indicate the precise significance ofthese texts. Thus, in
itsOrder of 4 February 1933in the case concerning the Prince von
Pless Administration (Preliminary Objection), it stated that:

'under Article 40 of the Statute, it is the Application which sets

out the subject of the dispute, and the Case, though it may eluci-
date the terms of the Application, must not go beyond the limits
of the claim as set out therein . ..' (P.C.Z.J., Series AIB, No. 52,
p. 14).
In the case concerning the Société commerciale de Belgique, the
Permanent Court stated :

'It is to be observed that the liberty accorded to the parties to fier leurs conclusionsjusqu'à la fin de la procédure orale doit être
comprise d'une manièreraisonnable et sans porter atteinte à i'ar-
ticle 40 du Statut eà l'article 32, alinéa2, du Règlement,qui dis-
posent que la requêtedoit indiquer l'objet du différend ... il est
évidentque la Cour ne saurait admettre, en principe, qu'un diffé-
rend porté devant ellepar requêtepuisse être transformé, parvoie
de modifications apportéesaux conclusions, en un autre différend
dont le caractère ne serait pas le même.Une semblable pratique
serait de natureà porter préjudice auxEtats tiers qui, conformé-
ment à l'article 40, alinéa2, du Statut, doivent recevoir commu-
nication de toute requêteafin qu'ils puissentse prévaloirdu droit
d'intervention prévupar les articles 62 et 63 du Statut.(C.P.J.I.

sérieAIBno 78,p. 173;cf. Activitésmilitaires etparamilitaires au
Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amé-
rique), compétenceet recevabilité, C.I.J. Recueil 1984, p. 427,
par. 80.). (C.I.J. Recueil 1992, p. 266-267.)

109. Cette jurisprudence confirme sans aucun doute possible qu'il
appartient au demandeur de définirl'objet du différend à cette seule
réserveprèsque les conclusions ne peuvent pas dépasserles limites de la
demande formuléedans la requête. Pourquoi? Parce que le différend
porté devant la Cour par requêtepourrait alors, par voie de modifica-
tions ultérieuresapportées aux conclusions, se transformer en un autre
différenddont lecaractèreet l'objetne seraientpas les mêmesC . ela pour-
rait avoir alors des incidences sur le droit d'intervention des Etats tiers.
Mais, aussi, et surtout, parce qu'un changement de I'objetdu différend
soumis peut avoir une répercussion sur la compétencede la Cour. C'est

précisémentce qui arrive dans la présenteaffaire du fait de la nouvelle
définitionde l'objet du différendfaite par la Cour dans l'arrêt.En tout
cas, si la Cour s'engagedans la formulation de ((définitions nouvelles»,
ou de «précisions» modificatrices de l'objet du différendde la requête
d'un demandeur, n'est-ellepas tenue, pour le moins, d'êtreguidéepar les
critères qu'ellea mêmeappliqués dans le passé aux demandeurs, par
exemple dans l'affaire de Certaines terresà phosphates à Nauru? J'ai le
droit de me le demander.
110. Le défendeura évidemmentle droit procédural de prendre posi-
tion sur l'objet du différendde la requêtedu demandeur et la Cour peut,
évidemment, tenir compte des observations du défendeur lorsqu'elle
apprécie,préciseou interprète l'objet du différend soumispar le deman-
deur, mais le défendeur ne participe pasà la définitionde l'objet du dif-
férendpar le demandeur et il ne saurait pas y participer lorsque, comme

dans le présentarrêt,la Cour se substituant au demandeur, assume elle-
mêmela tâche et la responsabilitéde «redéfinir»l'objet du différendou
d'en formuler une ((nouvelle définition)).En tout état de cause, la pré-
sente affaire réduitle rôle fondamental du demandeur dans la définition
de l'objet du différend celui d'un simpleparticipant àune opération tri-
partite, tout en le tranquillisant, en lui disant que sa position sera exa- FISHERIES JURISDICTION (DISSO. P.TORRES BERNARDEZ) 625

amend their submissions up to the end of the oral proceedings
must be construed reasonably and without infringingthe terms of
Article 40 of theStatute and Article 32, paragraph 2, ofthe Rules,
which provide that the Application must indicate the subject of
the dispute ...it is clear that the Court cannot, in principle, allow
a dispute brought before it by application to be transformed by
amendments in the submissions into another dispute which is dif-
ferent in character. A practice of this kind would be calculated to
prejudice the interests of third States to which, under Article 40,
paragraph 2, al1applicationsmust be communicated in order that

they may be in a position to avail themselves of the right of inter-
ventionprovidedfor in Articles 62and 63 of the Statute.' (P.C.I.J.,
Series AIB, No. 78, p. 173; cf. Military and Paramilitary Activi-
ties in and against Nicaragua (Nicaragua v. United States of
America), Jurisdiction and Admissibility, I.C.J. Reports 1984,
p. 427, para. 80.)" (1C.J. Reports 1992, pp. 266-267.)

109. This jurisprudence confirms beyond any possible doubt that it is
for the applicant to define the subject of the dispute, subject only to the
proviso that the submissions cannot go beyond the limits of the claim as
set out in the application. Why not? Because the dispute brought before
the Court by application could then, by subsequent amendments of the
submissions, be transformed into another dispute having a different char-
acter and subject-matter. This could then affect the right of intervention

of third States. But also, and above all, because a change inthe subject of
the dispute submitted may have repercussionson the jurisdiction of the
Court. This is just what has happened in the present case, as a result of
the Court's redefinition in the Judgment of the subject of the dispute. In
any event, if the Court ventures to produce "redefinitionsXor "clarifica-
tions" which changethe subject of the dispute as set out by an applicant
in its application,is it not required, at the very least, to be guided by the
criteria that it has itself applied in the past to applicant States, as in the
case concerning Certain Phosphate Lands in Nauru? That is a question 1
am entitled to ask myself.

110. The respondent clearly has the procedural right to adopt a posi-
tion on the subject of the dispute as formulated in the application, and

the Court is clearly entitled to take account of the respondent's observa-
tions when evaluating, clarifying or interpreting the subject of the dispute
submitted to it by the applicant; however, the respondent does not par-
ticipate in the definition of the subject of the dispute by the applicant and
cannot do so where, as in the present Judgment, the Court, substituting
itself for the applicant, itself assumes the task of and responsibility for
"redefining" the subject of the dispute or formulating a "new definition"
thereof. In effect, the present case reduces the fundamental role of the
applicant in defining the subject of the dispute to that of a mere partici-
pant in a tripartite process, while pacifying it with the statement that the626 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS . ORRES BERNARDEZ)

minéepar la Cour avec une ((attention particulière)) lorsqu'elle entre-
prendra de définirl'objet du différend!(Voir paragraphe 30 de l'arrêt.)

111. A l'appui de cette extraordinaire conclusiond'une sorte de parti-
cipation paritaire du demandeur et du défendeur à une nouvelle défini-
tion de l'objet du différendpar la Cour, l'arrêtcite un passage de l'arrêt
de 1960sur le fond dans l'affaire duDroit depassage sur territoire indien
(paragraphe 30 de l'arrêt), etde nouveau les arrêtsde 1974sur les Essais

nucléaires.Cette dernièrejurisprudence est bien mal choisie pour en faire
la démonstration car la France, qui avait fait défaut, n'avait pas participé
alors à la tâche que s'était assignéela Cour de préciser l'objetdu diffé-
rend. Le passage ci-aprèsne peut êtreplus clair:

«c'està la Cour qu'il appartient de s'assurer du but et de l'objet véri-
table de la demande et ellene saurait, pour ce faire, s'entenir au sens
ordinaire des termes utilisés; elle doit considérer l'ensemble de la
requête,les arguments développésdevant la Cour par le demandeur,
les échangesdiplomatiques qui ont été portés à son attention et les
déclarations publiques faites au nom du gouvernement demandeur.»
(Essais nucléaires(Australie c. France), arrêt,C.I.J. Recueil 1974,
p. 263, par. 30; les italiques sont de moi.)

112. Par ailleurs, la citation de l'arrêt surle Droit de passage sur ter-
ritoire indien ne prouve pas non plus ce que le présent arrêt vou-
drait qu'elle prouve. Dans le cas d'espèce,il s'agissait de l'interprétation
d'une condition ratione temporis de la déclaration de l'Inde qui avait
étéjointe au fond lors de la phase préliminaire de1959, étant donné
qu'elle posait des problèmes d'unordre non exclusivement préliminaire,

compte tenu de l'objet du différendde la requête du Portugal.Les termes
«les conclusions des Parties et les déclarations faites à l'audience»
(C.I.J. Recueil 1960, p. 33) concernent la phase sur le fond de l'affaire
et ils sont évoquésaux fins de «confirmer» l'objet du différend de la
requêtedu Portugal. Dans le présent incidentpréliminaire,le Canada n'a
présentéaucune conclusion sur le fond et l'Espagne, étant donné la
singularité de la procédure suivie, n'a pas non plus soumis de mémoire
sur le fond.
113.Il est vrai que lorsque, dans un cas d'espèce, un demandeur
accompagne ses conclusions de (thèses» ou d'«arguments », non pas
comme des indications de son petitum ou de sa demande (ou comme

cause ou fondement de ceux-ci),mais plutôt comme des considérationsou
motifs invoquéspour que la Cour se prononce dans le sens désiréc ,elle-
ci peut les écarter en tant que demande ou fondement de la demande.
Toutefois, dans la pratique, cette distinction n'est pas facilenier. LeCourt will consider its position with "particular attention" when under
taking its definition of the subject of the dispute! (See paragraph 30 of
the Judgment.)

111. In support of this extraordinary notion of a sort of round-table
participation by applicant and respondent in a redefinition of the subject
of the dispute by the Court, the Judgment cites a passage from the 1960
Judgment on the merits in the case concerningthe Right of Passage over
Indian Territory (paragraph 30 of the Judgment), and once more the
1974 Nuclear Tests Judgments. This latter jurisprudence is ill-chosen
indeed for the purposes of the demonstration, since France, having failed
to appear before the Court, had taken no part in the Court's self-
appointed task of clarifying the subject of the dispute. The following
passage could not be clearer:

"the Court must ascertain the true object and purpose of the claim
and in doing so it cannot confine itself to the ordinary meaning of
the words used; it must take into account the Application as a
whole, the arguments of the Applicant before the Court, the diplo-
matic exchanges brought to the Court's attention, and public state-
ments made on behalf of the applicant Government" (Nuclear Tests
(Australia v. France), Judgment, I.C.J. Reports 1974, p. 263,
para. 30; emphasis added).

112. Nor does the quotation from the Right of Passage case support
what the present Judgment would have it prove. In that case, what was
being interpreted was a condition ratione temporis of India's declaration
which had been joined to the merits in the preliminary phase in 1959,
because it raised issues which werenot of an exclusively preliminary
nature, given the subject of the dispute set out in Portugal's Application.
The words "the Submissions of the Parties and statements made in the
course of the hearings" (1.C.J. Reports 1960, p. 33) concern the merits

phase of the case and they are cited in order to "confirm" the subject of
the dispute in Portugal's Application. In the present preliminary proceed-
ings, Canada has made no submission on the merits and Spain, because
of the unusual nature of the procedure followed,did not submit a Memo-
rial on the merits either.

113. It is true that when, in a given case, an applicant Stateccompa-
nies its submissions with "contentions" or "arguments", not as indica-
tions of itspetitum or claim (or as their ground or basis), but rather as
considerations or reasons advanced in order to induce the Court to rule
in its favour, the latter may disregard them as elements of the claim or
the basis of the claim. In practice, however, the distinction is not easy to
apply. The present Judgrnent is the clearest evidence of this. Moreover,627 COMPETENCE PÊCHERIES (OP.DISS.TORRES BERNARDEZ)

présentarrêten est la meilleurepreuve. D'ailleurs,en invoquant les arrêts
de 1974sur les Essais nucléaires,le paragraphe 32 de l'arrêtattire juste-
ment l'attention sur ceux qui ont donnéle plus matière àcontroverse à
cet égard.De plus, que disent ces arrêtsde 1974lorsqu'on les examine
de près? Que la Cour a tenu compte de certaines déclarations publiques
faites par des ministres des parties demanderesses,mais non pas du défen-
deur, pour conclure qu'une des demandes des demandeurs ((ne serait
qu'un moyen utiliséen vue d'une fin [l'autre demande]et non une fin en
soi)).La Cour ajouta mêmedans cesarrêtsqu'elleavait bien ((conscience

du rôlejouépar lesjugements déclaratoiresmais [que]la présente affaire
n'[était]pas de cellesoù un teljugement [était]demandé))(C.I.J. Recueil
1974, p. 263, par. 30).
114. En l'espèce,les autoritésespagnoles n'ont pas fait, après l'enre-
gistrement de la requête du 28 mars 1995, de déclarations susceptibles
d'êtreconsidérées commemodifiant l'objet du différend soumis par
l'Espagne à la Cour. Par ailleurs, les autorités canadiennesn'ont pas non
plus fait savoirà l'Espagne qu'elles s'engageaient à ne plus appliquer
à l'avenir leur législationnationale relativà la protection des pêches
côtièresà des navires espagnols en haute mer ni fait non plus une décla-
ration unilatéraleen ce sens comme cellefaite par la France en 1974.Le

Canada n'a pas déclaréqu'il renonçaità tout jamaisà invoquer sa législa-
tion sur la protection des pêchescôtièresàl'égarddes navires espagnols
en haute mer. La question de l'opposabilité àl'Espagne de cette législa-
tion continue donc à se poser. En outre, dans l'accord conclule 20 avril
1995 à Bruxellesentre la Communauté européenneetle Canada, il est dit
que les deux parties:

((maintiennent leurs positions respectives sur la conformité de
l'amendement de la loi canadienne sur la protection de la pêche
côtièredu 25 mai 1994,et des règlementssuivants, avec le droit cou-
tumier international et la convention OPANO)) (point D, 1, du
compterendu concerté(agreedminutes) qui fait partie de l'accord de
Bruxelles).

115. Lesdemandes A et C du petitum de la requêtede l'Espagne gar-
dent donc toute leur raison d'êtreet la Cour n'aà déciderque si elle est
compétente ou incompétente pour statuer à leur égard. L'arrênte lefait
pas. Je ne peux pas accepter cette manière de répondreau demandeur.

116. La jurisprudence de la Cour dans l'avis consultatif concernant
l'affaire de1'Applicabilitéde l'obligation d'arbitrageen vertu de la sec-

tion 21 de l'accorddu 26juin 1947 relatif au siège del'Organisationdes
Nations Unies est particulièrementpertinente pour comprendre le sens et
la portée de ladite demandeA de la requêtede l'Espagne,ainsi que le fait
que cette demande fassepartie de l'objetdu différenddevant la Cour tantthe 1974Nuclear Tests Judgments cited in paragraph 32 of the Judgment

are preciselythose that have givenrise to most controversyin this regard.
And what do those 1974Judgments Saywhen examined closely?That the
Court took account of certain public statementsmade by ministers of the
Applicant Parties, though not of the Respondent, in ruling that one of
the claims of the Applicants "would beonly a means to an end [the other
claim],and not an end in itself'. Inhose Judgrnentsthe Court moreover
added that it was "of course aware of the role of declaratoryjudgments,
but [that] the present case [was]not one in which such a judgment [was]
requested" (L C.J. Reports 1974, p. 263, para. 30).

114. In the present case, following the filing of the Application of
28 March 1995,the Spanishauthorities did not make any statements that
could be regarded as amending the subject of the dispute laid by Spain
before the Court. Nor did the Canadian authorities notify Spain that
they undertook in future to cease applyingtheir national coastal fisheries
protection legislation to Spanish ships on the higheas, or make any uni-
lateral declaration to that effect similar to the one issued by France in

1974. Canada did not make a declaration that it would never again
invoke its coastal fisheriesprotection legislation against Spanish ships on
the high seas. The issue of the opposability to Spain of that legislation
therefore remains an open one. Furthermore, in the Agreement con-
cluded in Brussels on 20 April 1995between the European Comrnunity
and Canada, it is stated that the two Parties:

"maintain their respectivepositions on the conformity of the amend-
ment of 25 May 1994to Canada's Coastal Fisheries Protection Act,
and subsequent regulations, with customary international law and
the NAFO Convention" (point D, 1, of the Agreed Minute which
forms part of the BrusselsAgreement).

115. Requests A and C of the petitum of Spain's Application accord-
ingly retain their raison d'être andit is simply for the Court to decide

whether it does or does not have jurisdiction to adjudicate upon them.
The Judgment fails todo this. That, in my view,is not an acceptable way
of replying to the Applicant.
116. Thejurisprudence of the Court in the Advisory Opinion concern-
ing the case of the Applicability of the Obligation to Arbitrate under Sec-
tion 21 of the UnitedNations Headquarters Agreement of 26 June 1947 is
particularly relevant to an understanding of the meaning and scope of
request A of Spain's Application, and to establishing that, both subjec-
tively and objectively, that request forms part of the subject of the dis-628 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP. DISS. TORRES BERNARDEZ)

subjectivement qu'objectivement2.En outre, cette demande n'est pasnon
plus devenue sans objet (moot) au moment du prononcé du présent
arrêt.Dèslors, à quel titre l'arrêt l'écarte-t-eee la définition de l'objet
du différend?Peut-on sérieusementcroire que l'adoption, l'application et
le maintien en vigueur de la législationcanadienne sont des questions

abstraites de droit international dans la présenteaffaire? Ou encore qu'il
y a une identité quelconque - je dis bien quelconque - entre les cir-
constances de l'affaire du Cameroun septentrional et cellesde la présente
affaire?
117. Dans la procédure arbitrale, des questions sur l'objet du différend
comme celles que je viens de signaler peuvent êtreinvoquées comme
motif de nullité des sentencesarbitrales. Toujours est-il que, pour ce qui
est de la Cour, l'article 56 du Statut tranche la question: ((L'arrêtest

motivé.» Ajoutons que, pour les procéduresjudiciaires internationales,
leslégislationsnationales sont des «faits» et la question de savoir si, dans
un cas donné, lalégislationadoptéepar un Etat constituerait une viola-
tion d'une obligation internationale de 1'Etatvis-à-vis d'un autre Etat est
sans aucun doute susceptible de générerun différendinternational et
d'être tranchée par la Cour sur labase de son Statut. Finalement, en ce
qui concerne les compromis et autres titres de juridiction de nature

conventionnelle(paragraphes 29 et 31 de l'arrêt),il convient d'observer
que la référenceest égalementinappropriée. Dans ces situations, l'objet
du différendn'est pas définien fonction du petitum et de la causapetendi
de la requêtedu demandeur, ou des conclusions, mais par le compromis
ou l'accord des parties en question. Dèslors, il faut effectivement que la
Cour interprète la volonté commune des parties expriméedans le com-
promis ou l'accord s'ilexiste à cet égarddes divergences entre elles.

F. Conclusionsur lechapitre III

118. Compte tenu des considérationsexposéesdans l'ensembledu pré-
sent chapitre, j'arrive à la conclusion que l'objet du différendest bien
celui formulé dans la requêtede l'Espagne en date du 28 mars 1995 et
confirmédans son mémoireet dans sesplaidoiries et conclusions au cours
de la présenteprocédure incidente préliminaire.Je rejette donc la défini-
tion que donne de l'objet du différendle paragraphe 35 de l'arrêt, ainsi

Comme il est dit dans cet avis consultatif:
«si l'existenced'un différend suppose une réclamationtrouvant son origine dans un
comportement ou une décision de l'une des parties,elle n'implique nullement que
toute décision contestéeait été matériellement eBei.en plus, un différend peut
naître mêmesi la partie en cause donne l'assurance qu'aucune mesure d'exécution ne
sera prise tant qu'ellen'aura pas été orpar une décision destribunaux natio-
naux» (C.ZJ. Recueil 1988, p. 30, par. 42).pute2. Nor did that request become moot when the present Judgment
was rendered. What, then, is the justification for the Judgment's removal
of it from the definition of the subject of the dispute? Can it be seriously
believed that the adoption, application and maintenance in force of the
Canadian legislation are abstract questions of international law in the

present case? Or again that there is any similarity - any at al1 -
between the circumstances of the Northern Cameroonscase and those of
the present case?

117. In arbitral proceedings, questionsregardingthe subject of the dis-
pute such as those to which 1 have just referred may be invoked as
grounds for the annulment of an award. The fact remains that, so far as
the Court is concerned,Article 56 of the Statute settles the matter: "The

judgment shall state the reasons on which it is based." 1would add that,
in international judicial proceedings, domestic legislation constitutes an
"act" and the question whether, in a given case, the legislation adopted
by a State amounts to a violation of an international obligation of that
State vis-à-vis another State is undoubtedly one capable of giving rise to
an international dispute and of being settled by the Court on the basis of
its Statute. Finally,as regards specialagreements and other titles ofjuris-
diction of a conventionalkind (paragraphs 29 and 31 of the Judgment), it

should be observed that the reference is again misplaced. In such situa-
tions the subject of the dispute is not determined on the basis of the peti-
tum and the causapetendi in the applicant's application, or of the sub-
missions, but by the special or other agreement of the parties in question.
The Court then indeed has to interpret the common will of the parties as
expressed in the special or other agreement,should there be differences of
opinion between them in this regard.

F. Conclusion to Chapter III

118. Havingregard to the considerations set out in the present chapter

as a whole, 1 come to the conclusion that the subject of the dispute is
indeed that formulated in Spain'sApplication of 28 March 1995and con-
firmed in its Memorial and in its oral arguments and submissions during
the present preliminary incidental proceedings. 1 accordingly reject the
definition of the subject of the dispute given in paragraph 35 of the Judg-

As the Advisory Opinion State:

"While the existenceof a dispute does presuppose a claim arising out of the behav-
iour of or a decision by one of the parties, it in no way requires that any contested
arise even if the party in question gives an assurance that no measure of execution
will be taken until ordered by decision of the domestic cour..J. Reports 1988,
p. 30, para. 42.)629 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

que toutes les considérationset conclusionsy relatives (paragraphes 29
34 de l'arrêt).
119. J'ai la convictionque la compétencede la compétence dela Cour
(paragraphe 6 de l'article 36 du Statut) ne l'autorise pàs«redéfinir»
l'objet desdifférendsquelesEtats demandeurs lui soumettent par voie de
requête dansl'exercicede leur souveraineté. La Cour peut certes appré-
cier, préciserou interpréter l'objetdu différend d'une requêtedans un
incident préliminaire, mais elle ne peut pas le modifier ou le remplacer

par un autre objet. Ce n'estpasà ellede «définir»l'objet du différend de
la requête.Cela est égalementvrai lorsque, par exemple, une demande
faisant partie de l'objet d'un différend dela requêten'est pas rédigée
d'une façon adéquate. La Cour ne peut pas non plus se substituer au
demandeur pour la corriger. Elle invite le demandeur à le faire et, si
celui-ci ne le fait pas, la Cour ne se prononcera pas sur la demande en
question (C.P.J.I. sérieA no 7, p. 34-35).On est bien loin de la jurispru-
dence établie dansle présentarrêt.Celui-ci ne corrige mêmepas l'objet
du différendsoumis par l'Espagne, il présenteà sa place un nouvel objet

du différend. L'objet de la requêtest donc dénaturé.
120. Dans le chapitre suivant de la présenteopinion, le chapitre,je
me prononcerai sur la compétencede la Cour en l'espèce,compte tenu de
la réserve del'alinéa) du paragraphe 2 de la déclarationdu Canada, en
gardant présent à l'esprit l'objet du différendque je considère comme
étantle véritable objetdu différendsoumis à la Cour par la requête que
l'Espagne a déposéeau Greffe le 28 mars 1995.

CHAPITRE IV. LA COMPÉTENCE DE LA COUR DANS L'AFFAIRE

A. Questions générales

1. La manifestation du consentement à lajuridiction dans le système de
la clausefacultative: les déclarations

121. La Cour ainsi que sa devancière, la Cour permanente, ont
confirmémaintes fois le principe fondamental du consentement àlajuri-
diction inscrit dans le Statut. Par exemple, dans ce passage de l'arrêtde

1928dans l'affaire desDroits de minoritésen Haute-Silésie(écolesmino-
ritaires)
«La juridiction de la Cour dépend de la volontédes Parties. La
Cour est toujours compétente du moment où celles-ciacceptent sa
juridiction, car il n'ya aucun différendque les Etats admis àester
devant la Cour ne puissent lui soumettre.)) (Arrêtno 12, 1928,

C.P.J.I. sérieA no 15, p. 22.)
La ((juridictionobligatoire)) du systèmede la clause facultative ne fait
pas exception au principe du consentement à la juridiction. Les types de
juridiction admis par le Statut se distinguent lesuns des autres seulement
par lesformes autoriséesde manifestation du consentementet le momentment, along with al1the considerations and conclusions relating thereto
(paragraphs 29 to 34 of the Judgrnent).
119. It is my firm belief that the power of the Court to determine its
own jurisdiction (Article 36, paragraph 6, of the Statute) does not allow
it to "redefine" the subject of disputes that applicant Statesy before it
by application in the exercise of their sovereignty. True, in preliminary
proceedings the Court may evaluate, clarify or interpret the subject of the
dispute in an application, but it cannot change it or replace it with
another subject. It is not for the Court to "redefine" the subject of the
dispute. The same applies when, for example, a claim forming part of the

subject of a dispute in the application is inadequately drafted. Here too,
the Court is not entitled to substitute itself for the applicant iner to
make the necessary correction. It invites the applicant to do so and, if the
latterfails to do so, the Court willnot adjudicate upon the claim in ques-
tion (P.C.Z.J., Series A, No. 7,pp. 34-35).This is a far cry from the juris-
prudence established by the present Judgment, which does not even cor-
rect the subject of the dispute submitted by Spain; instead it replaces it
with a new subject. The subject of the Application is thus denatured.
120. In the next chapter of this opinion, Chapter IV, 1 shall give my
views on the Court's jurisdiction in the present case in light of the reser-
vation contained in paragraph 2 (d) of Canada's declaration, bearing in
mind the subject of the dispute that I consider to be the true subject of
the dispute laid before the Court in the Application that Spain filedin the
Registry on 28 March 1995.

CHAPTER IV. THEJURISDICTIO OF THE COURT IN THE CASE

A. General

1. Manifestation of consent to jurisdiction under the optional clause
system : declarations

121. The Court and its predecessor, the Permanent Court, have on
many occasions confirmed the fundamental principle of consent to juris-
diction laid down in the Statute. For example, in this passage from the

Judgrnent of 1928in the case concerning Rights of Minorities in Upper
Silesia (Minority Schools) :
"The Court's jurisdiction depends on the will of the Parties. The
Court is always competent once the latter have accepted its jurisdic-
tion,since there is no dispute which States entitled to appear before
the Court cannot refer to it." (Judgment No. 12, 1928, P.C.I.J.,
Series A, No. 15, p. 22.)

The "compulsory jurisdiction" of the optional clause system is no
exception to the principle of consent to jurisdiction. The types ofjurisdic-
tion accepted by the Statute are distinguished from one another only by
the forms in which consent may be manifested and the time at which such où cette manifestation a lieu, mais le consentementde l'une et de l'autre
partie est toujours nécessairepour que la Cour soit compétentedans une

affaire donnée, y compris dans le cadre du systèmede la clause faculta-
tive.
122. Dans ce système,le consentement des parties doit se manifester
par le dépôtdes déclarations unilatérales faites conformémentau para-
graphe 2 de l'article 36 du Statut. Les Etats sont libres de faire ou de ne
pas faire ces déclarations,de les rédiger,de les modifier, de les retirer, de
les remplacer ou d'y mettre fin, mais pendant leurexistence, les déclara-
tions en question ont pour effetjuridique de valoir acceptation par 1'Etat
déclarantde lajuridiction obligatoirede la Cour dans les termes exprimés
dans la déclaration, en vertu précisément dela norme conventionnelle
énoncéeau paragraphe 2 de l'article 36 du Statut de la Cour.
Un des traits les plus caractéristiquesdu systèmede la clause faculta-
tive est que le consentementdu déclarant se manifeste avant la naissance
du litige. Entre déclarants l'instance peut être introduitepar requête uni-
latérale.Dans les cas relevant de ce système,il y a en conséquence un
demandeur et un défendeur,positions qu'occupent respectivement l'Es-
pagne et le Canada dans la présenteaffaire.
123. Lesdéclarations faitesen vertu du paragraphe 2 de l'article 36 du

Statut doivent êtredéposéesauprès du Secrétairegénéralde l7Organisa-
tion des Nations Unies. Elles sont aussi enregistréesau Secrétariat des
Nations Unies, tout comme les traités, etpubliéesensuitedans le Recueil
des traités des Nations Unies et dans l'Annuaire de la Cour. Les décla-
rations sont des actes unilatéraux qui comportent pour 1'Etat déclarant
un engagement juridique international vis-à-vis des autres Etats décla-
rants, engagement qui relèvedu Statut de la Cour, partie intégrante de la
Charte des Nations Unies et du droit international. En d'autres termes, il
s'agit d'engagements internationaux incorporés dans des instruments
internationaux unilatéraux appelés«déclarations», dont les effets sont
régispar le Statut de la Cour et le droit international. Une fois faite et
déposée,la déclaration constitue pour 1'Etat déclarant un engagement
juridique international donnépar écritetformel d'acceptation de la juri-
diction obligatoire de la Cour. Toute déclaration de ce genre a pour objet
et but de produire certains effets, juridiquement contraignants, dans les
relations internationales pour ce qui est de l'acceptation de la juridiction
obligatoire de la Cour aux fins du règlement des différendsentre Etats
souverains,conformément au droit international.

124. Mais l'engagement assumépar 17Etatdéclarantn'est pas un enga-
gement erga omnes. Il a un caractère mutuel et aussi réciproque. Il ne
produit d'effet que dans les relations avec d'autres Etats déclarantsnon
exclus par la déclaration elle-même (mutualité) et seulement, en outre,
dans le cas où le différenddont il s'agit in casuentre tant dans la sphère
du consentement exprimépar la déclaration de 1'Etat demandeur que
dans celle du consentement exprimépar la déclaration de 1'Etat défen-
deur (réciprocité).Comme il est dit au paragraphe 2 de l'article 36 du
Statut, il faut que «la mêmeobligation)) ait été acceptép ear le deman- FISHERIES JURISDICTION (DISS . P. TORRES BERNARDEZ) 630

manifestation of consent takes place, but the consent of both parties is
always needed in order for the Court to have jurisdiction in a given case,
even under the optional clause system.

122. Under that system the consent of the parties must be manifested
through the filing of unilateral declarations made in accordance with
Article 36, paragraph 2, of the Statute. States are free to make or not to
make such declarations and to draft, amend, withdraw, replace or termi-
nate them, but during their existence the declarations in question have
the legal effect of signifyingacceptance by the declarant State of the com-

pulsory jurisdiction of the Court in the terms expressed in the decla-
ration, by virtue specifically of the conventional rule laid down in
Article 36, paragraph 2, of the Statute of the Court.
One of the most characteristicfeatures of the optional clause system is
that the consent of the declarant State is manifested before the dispute
comes into being. Betweendeclarant States proceedings may be instituted
by unilateral application. In proceedings under this system, there are
accordingly an applicant and a respondent, which positions are occupied
respectively by Spain and Canada in the present case.
123. Declarations under Article 36, paragraph 2, of the Statute must
be deposited with the Secretary-General of the United Nations. They are
also registered at the United Nations Secretariat, like treaties, and sub-
sequently published in the United Nations Treaty Series and in the Year-

book of the Court. Declarations are unilateral acts involving on the part
of the declarant State an international legal obligation towards other
declarant States, an obligation contemplated by the Statute of the Court,
which is an integral part of the United Nations Charter and of interna-
tional law. In other words, they are international obligations incorpo-
rated in unilateral international instruments called "declarations", whose
effectsare governed by the Statute of the Court and by international law.
Once it has been made and deposited, the declaration constitutes for the
declarant State aformal, written, internationallegalundertaking to accept
the compulsoryjurisdiction of the Court. Al1such declarations have the
object and purpose of producing specific legallybinding effects in inter-
national relations regarding acceptance of the compulsoryjurisdiction of
the Court for the purposes of settlement of disputes between sovereign
States, in accordance with international law.

124. However, the obligation assumed by the declarant State is not an
obligation erga omnes. Its character is both mutual and reciprocal. It has
an effect only in relations with other declarant States not excluded by the
declaration itself(mutuality) and only, moreover,in cases where the dis-
pute in question falls within the scope both of the consent expressed by
the declaration of the applicant State and within that of the consent
expressed by the declaration of the respondent State (reciprocity). As
stated in Article 36, paragraph 2, of the Statute, applicant and respon-
dent must have accepted "the same obligation7',an expression covering631 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

deur et par le défendeur,expression qui renvoie la foià la mutualitéet
à la réciprocité.Dans la présenteaffaire,il ne sepose pas de problèmesde
mutualité,l'Espagne ayant déposésa déclaration le 15octobre 1990et le
Canada le 10mai 1994.
125. La requêtede l'Espagne du 28 mars 1995 s'étant fondée unique-
ment sur ces deux déclarationspour établir lacompétencede la Cour, la
présenteaffaire est une affaire qui, en ce qui concerne le consentement

la compétence de la Cour, relève exclusivement du système de clause
facultative du Statut.

2. Se pose-t-il dans leprésent incident unquestion quelconquerelative
auprincipe du consentement a lajuridiction ouà la non-présomption
de ce consentement?

126. L'amalgame fait dans le contre-mémoiredu Canada entre le prin-
cipe du consentement à la juridiction et la question toute différente de
l'interprétationde sa déclarationdu 10mai 1994ne saurait créer unpro-
blème là où il n'existe pas autrement. Malheureusement,à la lecture de

l'arrêt, forceest de constater que cette stratégie a portéses fruits dans la
présenteaffaire.La majorité de la Cour s'est poséela question de la com-
pétence,objet de la présente procédure incidente préliminaire, en fonc-
tion du principe de consentement à la juridiction, plutôt que dans l'op-
tique de l'interprétation du consentement du Canada tel qu'il s'exprime
dans sa déclarationdu 10mai 1994. C'estjustement là où l'on doit aller
chercher la véritableratio decidendidu présentarrêtpour ce qui est de
l'interprétation de ladite déclaration par la majorité.
127. Le moyen que le Canada a utilisépour persuader la majorité de
sa thèseconsisteà mélanger deux chosesqui sont en elles-mêmes fort dif-
férentes.Il a opposéd'embléela notion de ((consentement réel)à cellede
((consentement présumé)). Mais l'Espagne, dans la présente affaire,
n'invoquait aucun ((consentementprésumé)) du Canada et la question

objective de mutualité entre les Parties ne se posait pas non plus. Le
Canada comme l'Espagne ont donnéun ((consentement réel»lorsqu'ils
ont fait leurs déclarations respectives d'acceptation de lajuridiction obli-
gatoire de la Cour et les ont déposéesauprès du Secrétairegénéralde
l'organisation des Nations Unies.
La réalité d'un consentementdu Canada et d'un consentement de
l'Espagne ne fait pas de doute dans la présente affaire. Le seul pro-
blème qui se posait à la Cour était celui de la portée du consentement
exprimépar le Canada dans sa déclaration (étant donné son opposition à
la compétence)et, pour réglerce problème, la seule chose à faire était
d'interpréter ladite déclaration conformément au droit international.

Mais le consentement comme tel du Canada exprimédans sa déclaration
n'a rien de présumé.Il est si réelqu'il a pu êtredéposé,enregistré et
publié.
128. Pourquoi le Canada cherchait-il alors à opposer à son ((consen-
tement réel»un prétendu ((consentementprésumé »que personnen'invo-both mutuality and reciprocity. In the present case there are no issues of
mutuality, Spain having deposited its declaration on 15 October 1990
and Canada on 10 May 1994.

125. Spain's Application of 28 March 1995 having relied solely on
those two declarations to found thejurisdiction of the Court, the present
case is one which, as regards consent to thejurisdiction of the Court, per-
tains exclusivelyto the optional clause system of the Statute.

2. Do the present incidental proceedings raise any question relating to
the principle of consent to jurisdiction or to the non-presumption of
such consent ?

126. The fact that Canada's Counter-Memorial has confused the prin-
cipleof consent tojurisdiction with the quite different matter of the inter-
pretation of its declaration of 10 May 1994 cannot create a problem
where it would not otherwise exist. Unfortunately, it is clear from the
Judgment that this strategyhas succeededin the present case. A majority
of the Court has posed the question of jurisdiction, the subject of these
preliminary proceedings, in terms of the principle of consent to jurisdic-
tion rather than by reference to the interpretation of Canada's consent as
expressed in its declaration of 10May 1994.It is there that the realratio
decidendi of this Judgment is to be found regarding the interpretation of
that declaration by the majority.

127. The argument used by Canada to convince the majority of its
thesis consists in mixing together two elements that in themselves are
quite distinct. From the outset it opposed the notion of "genuine consent"
to that of "presumed consent". However, in these proceedings Spain has
not relied on the "presumed consent" of Canada; nor has the objective
question of mutuality between the Parties been at issue. Both Canada

and Spain gave their "genuine consent" when they made their respective
declarations of acceptance of the compulsoryjurisdiction of the Court
and deposited them with the Secretary-General of the United Nations.

The reality of a consent by Canada and of a consent by Spain is
beyond doubt in the present case. The only issue facing the Court was
that of the scope of the consent expressed by Canada in its declaration
(given that it disputed jurisdiction) and the only way of resolving that
issue was to interpret that declaration in accordance with international
law. However, Canada's consent as such, as expressed in its declaration,
has nothing presurned about it. It is so genuine that it was able to be
deposited, registered and published.

128. Why then was Canada seekingto oppose to its "genuine consent"
a purported "presumed consent"? Al1becomes perfectly clear when onequait? Les choses deviennent tout à fait claireà la lecture du contre-
mémoire du Canada et en ~articulier de la section intitulée «Les
déclarations en vertu de la clause facultative doivent être interprétées
d'une manière naturelle et raisonnable, de façon à donner plein effetà
l'intention de 17Etatdéclarant)) (les italiques sont de moi). Ce que le
Canada voulait avec cette référence àl'intention de 1'Etatdéclarant,c'est
que la Cour, par voie d'interprétation, assume la tâche de bâtirà poste-
riori, pour le besoin de la cause du Canada dans la présenteinstance inci-
dente, un ((consentement présumé »du Canada qui viendrait se substituer
au ((consentementréel» qu'il a manifestédans sa déclarationdu 10mai
1994 et sur lequel l'Espagne s'est fondée au moment du dépôt de sa

requête !
129. C'était quandmêmeune prétention si extraordinaire du Canada
que l'on aurait pu penser qu'elle nepourrait pas être retenue par la Cour,
surtout si l'on a présent l'esprit que l'intitulé susindiquéne correspond
pas au passage de l'arrêt dans l'affaire de17Anglo-ZranianOil Co. dont il
s'inspire. En effet,dans ce passage il est question de manièrenaturelle
et raisonnable de lire le texte, eu égaàdl'intention de l'Iraà l'époque
où celui-ci a acceptéla compétenceobligatoire de la Cour» (exception
préliminaire, C.Z.J. Recueil1952, p. 104). Il s'agit donc de la manière
naturelle et raisonnable de lire le texte de la déclaration, eu égard à
l'intention lors du dépôt, et non pas de lire d'une manière naturelle et
raisonnable une prétendue intention du déclarant que celui-ci qualifie
d'ailleurs, dans le contre-mémoire,d'«intention sous-jacente)). En fait, le

Canada l'a reconnu lui-mêmedans d'autres paragraphes de son contre-
mémoireet surtout lors de ses plaidoiries dans la phase orale. D'autre
part, cette jurisprudence de l'arrêtde 17Anglo-ZranianOil Co. fut aussi
invoquéesystématiquementpar l'Espagne à l'appui de son interprétation
de la déclaration du Canada, mais toujours dans son intégralité, c'est-
à-dire sans jouerà cache-cache avec les mots «le texte)).
130. L'ambivalence que le Canada a entretenue tout au long de la pro-
cédure sur la manière naturelle et raisonnable de lire soit sa prétendue
intention sous-jacente, soit le texte de sa déclaration, accompagnée de
l'argument psychologique du ((consentement réel»opposéau ((consente-
ment présumé)),a certainement porté ses fruits au sein de la Cour. La
maiorité a cru le Canada Dar une sorte d'acte de foi. Ce faisant. elle a
int;oduit dans le processui interprétatif de la déclaration du canada tel
qu'il résulte del'arrêtles arguments et les thèsesque ce pays avançait et

que je viens de signaler. Je ne saurais l'accepter, car ces thèseset argu-
ments ne sont pas des élémentsinterprétatifs que le droit international
positif contemporain fait intervenir dans l'interprétation des instruments
internationaux, qu'ils soient multilatéraux ou bilatéraux, ou qu'ils aient,
comme les déclarations,une origine unilatérale. En acceptant l'invitation
à peine voiléedu Canada, la majorité s'est attachée dans les motifs de
l'arrêtà reconstruire le consentement exprimédans la déclaration cana-
dienne dans le sens recherchépar le Canada dans la présente procédure
incidente, sans trop se soucier de l'intention de celui-ci en mai 1994, FISHERIES JURISDICTION (DISSO. P.TORRES BERNARDEZ) 632

examines Canada's Counter-Memorial, particularly the section headed
"Optional Clause Declarations Must Be Interpreted in a 'Natural and
Reasonable Way', Giving Full Effect to the Intention of the Declaring
State" (emphasis added). What Canada sought by that reference to the
intention of the declarant State was that the Court should, through inter-
pretation, assume the task of constructing a posteriori, to suit Canada's
needs in the present incidental proceedings, a "presumed consent" of

Canada taking the place of the "genuine consent" which it manifested in
its declaration of 10May 1994,and on which Spain relied when filingits
Application !

129. This was nonetheless such an extraordinary claim on Canada's
part that one might have supposed that it could not be countenanced by
the Court, particularly bearing in mind that the above heading does not
match the passage from the Judgment in the Anglo-Iranian Oil Co. case
upon which it draws. That passage talks of "a natural and reasonable
way of reading the text, having due regard to the intention of the Gov-
ernment of Iran at the time when it accepted the compulsoryjurisdiction
of the Court" (Preliminary Objection, I.C.J. Reports 1952, p. 104).That

is to say, a natural and reasonable way of reading the text of the declara-
tion, havingdue regard to the intention at the time of its deposit, and not
a natural and reasonable way of reading a purported intention of the
declarant State, one described, moreover, in the Counter-Memorial as an
"underlying intention". Canada in fact itself recognized thisin other para-
graphs of its Counter-Memorial and, above all, in its argument at the
oral phase. Furthermore, the Anglo-Iranian Oil Co. decision was also
systematically cited by Spain in support of its interpretation of Canada's
declaration, but always in its entirety, that is, without playingide-and-
seek with the words "the text".
130. The ambivalence that Canada maintained throughout the pro-
ceedingswith regard to the natural and reasonable construction, whether
of its purported underlying intention or of the text of its declaration,
accompanied by the psychological argument of "genuine consent" as

opposed to "presumed consent", certainly paid off within the Court. A
majority accepted Canada's view by a sort of act of faith. In so doing, it
introduced into the process of interpretation of Canada's declaration, as
reflected in the Judgment, the contentions and arguments put forward by
Canada that 1have just cited. This to me is unacceptable, for those con-
tentions and arguments are not elements applicable, under positive inter-
national law as it currently stands, in the interpretationof international
instruments, whether multilateral or bilateral or, as with declarations, of
unilateral origin. In accepting Canada's thinly-veiled invitation, the
majority devoted its efforts in the reasoning of the Judgment to constru-
ing the consent expressed in the Canadian declaration in the sense sought
by the Respondent in the present incidental proceedings, without greatly
concerning itself with that country's intention in May 1994,when it filedlorsqu'il a déposésa déclaration.Or le consentement àlajuridiction de la
Cour est une chose et l'interprétation juridique d'une déclaration en est
une autre. Le but de l'interprétation d'une déclaration est de rechercher
l'intention expriméedans la déclaration elle-mêmeet la démarcheinter-
prétative doit se faire sansà priori. L'opération interprétative se déve-
loppe à partir du texte de la déclaration et elle est inductive. En tout cas,
elle n'est point une opération déductiveà partir des àpriori juridiques,
politiques ou psychologiques.
Le principe du consentement à la juridiction et de la non-présomption

du consentement n'est pas une règled'interprétationdes déclarations
faites conformémentauparagraphe 2 de l'article36 du Statut. Il n'est pas
censéintervenir dans l'opération juridique d'interprétation des déclara-
tions proprement dite, opération qui obéitàdes règlesjuridiques de droit
international,à des considérations logiques et aux systèmesde valeurs
reconnus et protégéspar le droit international dans son ensemble. Je
crains fort que l'interprétation faite par le présentarrêtde la déclaration
du Canada de 1994 est non seulement, dans sa démarche, déductive à
partir d'un postulat extérieurau texte, mais aussi une interprétation libre
qui ne se soucie guère desrèglesdu droit international positif régissant
l'interprétation des instruments internationaux. En d'autres termes, l'ar-
rêtse place, en matière d'interprétation, comme si l'on étaitencore en
droit international dans une phase prénormative en matièred'interpréta-
tion.
131. Du moment où un Etat se reconnaît Etat déclarant dans le cadre

du système dela clause facultative, cela n'a pas de sens de poser le prin-
cipedu consentement à lajuridiction et de la non-présomptiondu consen-
tement comme une sorte de préalablecommandant I'interprétation de la
déclaration par la Cour. Quel est l'intérêt pour l'interprétationde la
déclaration de proclamer que la Cour tire son autoritéde la volontédes
Etats, ou que la compétence ne se présumejamais, ou encore que les
Etats sont totalement libres de participer ou non au systèmede la clause
facultative?Ni le demandeur ni personne ne peut dire autre chose, car le
principe en question est une règle objective incorporée au Statut de la
Cour.
132. Dans le système de la clause facultative, lorsque l'on parle du
consentement d'un Etat déclarant à la juridiction obligatoire de la Cour,
on se réfèretoujours par définitionà un consentement dudit Etat, incor-

poré dans sa déclaration, antérieureau différend et à la date de I'intro-
duction de l'instance, c'est-à-dire à un consentement préétablionnéen
forme écriteet solennelle. Dans la présente affaire, ce consentement
préétablidu Canada s'est manifestéle 10 mai 1994lors du dépôtde sa
déclaration. Il ne s'agit maintenant que d'interpréter cette déclaration
conformément aux règlesdu droit international relatives à l'interpréta-
tion des instruments internationaux et non pas d'opposer au consente-
ment préétabli dela déclaration du Canada un prétendu consentement
((sous-jacent»du Canada, politique ou psychologique, qui, en plus, pré-
vaudrait sur celui manifestédans la déclarationen question. its declaration. However, consent to the jurisdiction of the Court is one
thing, while the legal interpretation of a declarationis quite another. The
purpose ofinterpreting a declaration isto ascertaintheintention expressed
in the declaration itself, and the act of interpretation must take place
without any form of preconception. The interpretative process is con-
ducted on the basis of the text of the declaration and is an inductiveone.
In no circumstances can it be a deductive process founded on legal,

political or psychological preconceptions.
The principle of consent to jurisdiction and of the non-presumption of
consent is not a rule of interpretation of declarations made pursuant to
Article 36, paragraph 2, of the Statute. It is not regarded as having any
part to play in the legal process of interpreting declarations properly so-
called, a process governed by noms of international law, by logical con-
siderations and by the systems of values recognized and protected by
international law as a whole. 1fear that the interpretation placed by the
present Judgment upon Canada's declaration of 1994is not only based
on a deductiveapproach, starting from a premise external to the text, but
is also a free interpretation, which takes scant account of the current
rules of international law governing the interpretation of international
instruments. In other words, the Judgment approaches the matter of
interpretation as if we were still at a pre-normative stage in international

law as far as interpretation is concerned.

131. Once a State has acquired the status of declarant State under the
optional clause system, it makes no sense to invoke the principle of con-
sent to jurisdiction and of the non-presumption of consent as a sort of
prior condition governing the Court's interpretation of the declaration.
Of what relevance is it, for purposes of the interpretation of a declara-
tion, to declare that the Court derives its authority from the will of
States, or that jurisdiction isnever presumed, or again that States are
absolutely free to participate, or not to participate, in the optional clause
system?Neither the Applicant nor anyone elsecan dispute this, since the
principle in question is an objective rule embodied in the Statute of the
Court.
132. Under the optional clause system, when we speak of the consent

of a declarant State to the compulsoryjurisdiction of the Court, we are
always, by definition,referring to the consent of that State embodied in
its declaration given prior to the dispute and to the date of institution of
the proceedings, that is to say, to a prior consent given insolemn written
form. In the present case, the prior consent of Canada was manifested on
10 May 1994when it deposited its declaration. It is now simply a matter
of interpreting that declaration in accordance with the rules of interna-
tional law relating to the interpretation of international instruments,
rather than seekingto oppose to the prior consent contained in Canada's
declaration a purported "underlying" consent by Canada, whether politi-
cal or psychological - one claimed, moreover, to take precedence over
that manifested in the declaration in question.3. La libertédes Etats d'insérerdes conditions et des réservesdans les
déclarationsa-t-elle des limites?

133. La libertédes Etats d'insérerdes conditions et des réservesdans
les déclarations relevant du systèmede la clause facultative est reconnue
depuis les années vingt, au temps de la Sociétédes Nations, et a été
confirmée expressément à la conférencede San Francisco comme une
pratique établie.
134. Les Partiesà la présenteaffaire sont évidemmentd'accord sur le

principe généralde la libertédesEtats déclarants d'insérerdes conditions
et des réservesdans lesdéclarations faitesconformémentau paragraphe 2
de l'article 36du Statut de la Cour. Elles ont d'ailleurs exercécetteliberté
lorsqu'elles ont formuléleursdéclarationsen vigueur. Mais, tandis que le
Canada affirme que la possibilité d'émettre des réservesest la pierre
angulairede la clause facultativeet que les réservesaux déclarations sont
des manifestations de laliberté absoluedes Etats d'accepter ou de limiter
la compétence obligatoire, l'Espagne a parlé d'interprétationsautoma-
tiques, subjectives,antistatutaires, antijuridiques et mêmenterprétations
allantà l'encontre de la Charte des Nations Unies, s'agissant de la réserve
de l'alinéad) du paragraphe 2 de la déclaration du Canada de 1994.
Ainsi, le débat entre les Parties sur cette question concerne plutôt la
manière d'interpréter les réservesformuléesque la liberté desEtats de

formuler des réservesdans leurs déclarations. Toutefois, la question de
principe a étéposée.Ma position à cet égardest que la souverainetédes
Etats a peu de sens exceptédans le cadre d'un ordre juridique que nous
appelons ((droit international)) et qu'en conséquence il n'y a pas de
((libertésabsolues)) des Etats, y compris en ce qui a traià la question
considérée,mais des libertédsevant s'exercerdans le cadre dudit ordre. En
matière de réservesdans les déclarations relevant du systèmede la clause
facultative, cette liberté est trèslarge, mais elle n'est pas sans limites.

135. La première limitation découle du Statut mêmede la Cour,
l'exempleclassique étantles réservesde compétencenationale dites «sub-
jectives)). Mais l'on peut en imaginer d'autres encore, par exemple, des
réservesqui concerneraient des compétences incidentesou dérivées dela
Cour, de base exclusivement statutaire, ou des réservesrelativàsla force

obligatoireou à la resjudicata des arrêts, oudes réservesayant traàtdes
principes fondamentaux de la procédurejudiciaire comme celui de l'éga-
lité desparties, etc.
En devenant parties au Statut, les Etats acceptent la compétencegéné-
rale de la Cour et les principes et règlesétablisdu règlementjudiciaire.
Aucun Etat n'est obligé de devenirpartie àla Charte des Nations Unies
et au Statut de la Cour. Ainsi, lorsqu'ils le font, ils exercent leur liberté
souveraine. Cela comporte pour eux àla fois des droits et des obligations.
Il est donc contraire aux principes juridiques les plus élémentaireset
notamment à celui de la bonne foi de prétendrepar la suiteinvoquer ces
droits tout en oubliant les obligations assumées.11convient de rappeler,3. Are there any limits to thefreedom of States to insert conditions and
reservationsin their declarations?

133. The freedom of States to insert conditions and reservations in
their declarations under the optional clause system has been recognized
since the 1920s,the era of the League of Nations, and was expresslycon-
firmed at the San Francisco Conference as an establishedpractice.

134. The Parties in the present case are clearly agreed on the general
principle of the freedom of declarant States to insert conditions and reser-
vations in their declarations under Article 36, paragraph 2, of the Stat-
ute of the Court. They have, moreover, exercised that freedom when
formulating their current declarations. However, whereas Canada argues
that the right to make reservations is the cornerstone of the optional
clause system and that reservations to declarations are manifestations of

the absolutefreedom of States to accept or to restrict compulsory juris-
diction, Spain has spoken, with reference to the reservation contained in
paragraph 2 (d) of Canada's 1994declaration, of automatic, subjective,
anti-statutory and anti-law interpretations and even of interpretations
that are contrary to the Charter of the United Nations.
Thus the debate between the Parties on this issue relates rather to the
manner of interpreting the reservationsmade by States than to their free-
dom to make such reservations in their declarations. The question of
principle has nonetheless been raised. My position in this respect is that
State sovereignty has little meaning except within the framework of that
legal order which we cal1"international law" and that consequentlythere
are no "absolute freedoms" of States, even in regard to the question
under consideration here, but freedoms that must be exercised within the
framework of that order. With regard to reservations in declarations
under the optional clause system, that freedom is very broad but it is not
boundless.
135. The first limitation derives from the Statute of the Court itself,
the classic example being "subjective" reservations of national jurisdic-

tion. However, it is possible to imagine others, such as reservations con-
cerningincidental or derived powers of the Court arising exclusivelyfrom
the Statute, or reservations relating to the binding force or the resjudi-
cata of judgments, or reservations concerningfundamental principles of
judicial proceedings such as the equality of the parties, and so on.

On becoming parties to the Statute, States accept the general jurisdic-
tion of the Court and the established principles and rules of the judicial
process. No State is obliged to become a party to the United Nations
Charter and the Statute of the Court. Thus, when they do so, they exer-
cise their sovereign freedom. This entails both rights and obligations for
them. It is therefore contrary to the most elementary legal principles,
including that of good faith, subsequently to invoke those rights while
ignoringthe obligationsassumed. It should be recalled in this connectiondans ce contexte, que le dépôtdes déclarations dans le cadre du système
de la clause facultative résulte aussi d'un choix souverain et libre et que
ces déclarationssont faites en application du paragraphe 2 de l'article 36
du Statut et conformément à cette disposition conventionnelle.
136. Je considèredonc qu'en présenced'une réservecontraire au Sta-
tut la Cour est dans son droit de l'écarter, car aucun Etat n'a le droit ni
de dénaturer le règlement judiciaire par l'insertion de réservesantistatu-
taires dans une déclaration faite dans le cadre du systèmede la clause
facultative, ni d'abuser de la bonne foi et des attentes des autres Etats
déclarants.Il reste la question, moins étudiée,de la limitation éventuelle
de la libertéde fairedesréservesqui seraientcontraires àdes principes ou

normes fondamentaux de la Charte des Nations Unies ou du droit inter-
national général.Je pense que, dans ce domaine, il existe également des
limitations mais que les conclusions doivent êtreplus nuancées, étant
donné le principe du consentement à la juridiction de la Cour qui fait
aussi partie de la Charte des Nations Unies et du Statut de la Cour.
137. Il se pourrait que, dans certains cas, une réserve dece type serait
à écarter, mais non dans d'autres cas. Par exemple, serait-il légitime
d'exclure par une réserve une disposition structurelle comme celle de
l'article 103de la Charte des Nations Unies? Ou les pouvoirs et compé-
tences que le Conseil de sécuritétient de la Charte? Ou le principe de
l'égalitésouveraine des Etats? Quant au droit international général,il
pourrait égalementy avoir des réservesqui, par leur objet ou par leur
but, pourraient êtredénuées d'effetJ.e pense, par exemple, àdes réserves
faites avec l'intention de promouvoir une guerre d'agression, le génocide,

la traite d'esclavesou des actes de piraterie en haute mer, etc. reste en
outre la question particulière qui pourrait se poser du fait de l'existence
de règlesdu jus cogens, car les déclarations aboutissent en dernière ana-
lyseà des accordsjuridictionnels avec chacun des autres Etats déclarants.
138. L'Etat animé d'une telle intention doit s'abstenir de faire une
déclaration ou de la fairepour une ou des catégoriesdesdifférendsdéter-
minésseulement à l'exclusionde tous les autres, comme c'est son droit le
plus strict. Ce qu'il n'a pas le droit de faire vis-à-vis des autres Etats
déclarants,c'est de bouleverser le système de la clause facultative, c'est-
à-dire commettre un abus de droit par le dépôt d'une déclaration trom-
peuse par son ampleur et par son libellé,tout en se réservantle pouvoir
d'invoquer, le moment venu, des interprétations allant à l'encontre du
Statut, de la Charte des Nations Unies ou du droit international général.
On a le droit d'accepter ou non le système de la clause facultative et

d'insérerdes conditions et des réservesdans les déclarations, mais sans
dépasserles limites des principes de bonne foi et de confiance mutuelleà
la base du système.Dans l'exercicede sa compétence dela compétence,la
Cour ne devrait pas hésiter à exercer un tel contrôle. Le présent arrêt
renonce àle faire. Cela est pour moi aussi grave que la redéfinitionpar la
Cour elle-mêmede l'objet du différendsoumis par l'Espagne le 28 mars
1995.
139. L'arrêt fait mention de la question de l'invalidité ou du caractèrethat the deposit of declarations under the optional clause system also
flows from a free, sovereign choice and that such declarations are made
pursuant to Article 36, paragraph 2, of the Statute and in accordance
with that conventional provision.
136. 1therefore consider that, when faced with a reservation contrary
to the Statute, the Court is entitled to disregard it, for no State has the
right either todistort the nature of the judicial process by inserting anti-
statutory reservations in a declaration under the optional clause system,
or to abuse the good faith and expectations of the other declarant States.
There remains the less well-studied question of a possible restriction on
the freedom to make reservations which breach fundamental principles
or noms of the United Nations Charter or of general international
law. 1 believe that, in this area too, there exist restrictions, but here my
conclusions require qualification, given the principle of consent to the

jurisdiction of the Court, which also forms part of the United Nations
Charter and of the Statute of the Court.
137. It might be that in some instances a reservation of this kind ought
to be disregarded but not in others. For example, would it be lawful to
exclude by reservation a structural provision such as Article 103 of the
United Nations Charter? Or the powers and attributions of the Security
Council under the Charter? Or the principle of the sovereign equality of
States? As to general international law, there might also be reservations
which, by reason of their object or purpose, could be void. 1am thinking,
for example, of reservationsmade with the intention of promoting a war
of aggression, genocide, the slave trade, or acts of piracy on the high seas,
and so forth. There further remains the particular question that might
arise on account of the existence of rules ofjus cogens, for, in the final
analysis, declarations amount to agreements on jurisdiction with each of
the other declarant States.
138. Anv State harbouring such an intention must refrain from
making a declaration or do so only in respect of one or more specific

categories of dispute to the exclusion of al1others, as it is perfectly en-
titled to do. What it is not entitled to do in regard to the other declarant
States is to undermine the optional clause system, that is to Say,to com-
mit an abuse of rights by depositing a declaration that is misleading in its
scope and wording, while reserving the right, when the time cornes, to
invoke interpretations that are at variance with the Statute, with the
United Nations Charter or with general international law. States are
entitled to accept or not to accept the optional clause system and to
insert conditions and reservations in declarations, but not to overstep
the bounds of the principles of good faith and mutual trust underlying
the system. In exercising its power to determine its own jurisdiction, the
Court should have no hesitation in exercising such supervision. The
present Judgrnent declines to do so. For me this is just as serious as its
own redefinition of the subject of the dispute submitted to it by Spain
on 28 March 1995.
139. The Judgment refers to the question of reservations being invalidinopérantdes réservesen raison de leur incompatibilitééventuelleavecle
Statut,la Charte des Nations Unies et le droit international. Telle qu'elle
est rédigéel,a réservede l'alinéad) du paragraphe 2 de la déclaration du
Canada ne pose pas pour moi un problème d'incompatibilité. D'autre
part, la réservede l'alinéac) du mêmeparagraphe n'énoncepas non plus
une réservede compétencenationale subjectiveou automatique qui empê-
cherait la Cour d'exercer sa compétencede la compétenceconformément
au paragraphe 6 de l'article 36 du Statut de la Cour. A mon avis, la
réservede l'alinéad) du paragraphe 2 de la déclaration canadienne,
comme telle, ne rentre pas dans la catégorie de cesréservesqui pourraient

êtreconsidérées prima facie comme étantexclues de la liberté d'émettre
des réservesdont jouissent les Etats déclarants. La question soulevéepar
l'Espagne concernait une autre question, à savoir celledes interprétations
de la réserveallantà l'encontre du Statut, de la Charte des Nations Unies
ou du droit international. L'Espagne a défendu la thèse, à laquelle je
souscris, qu'en cas de doute entre deux interprétations possibles d'une
déclaration il faut, comme principe général,interpréter la déclaration,y
compris ses réserves,en conformitéavec le Statut de la Cour, la Charte
des Nations Unies et le droit international. La question de l'incompati-
bilité dela réservecanadienne en tant que telle, voire de sa nullitééven-
tuelle, ne fut pas poséepar le demandeur et l'arrêtne s'en occupe pas.
Toutefois, l'arrêt tombe dansle piègede l'interprétation automatique des
réservesdu moment où le prétendueffet voulupar le Canada commande
en fait l'interprétation qu'il fait de la réserve,car cet effet voulu est pour

l'arrêtcelui que le défendeuraffirme dans leprésent incident préliminaire
avoir eu lorsqu'ilafait sa déclarationen 1994.

140. Ajoutons que la possibilitéd'appliquer le principe de la divisibi-
litéaux différentsélémentscomposant une déclaration d'acceptation de
la juridiction obligatoire de la Cour ne saurait, sur le plan des principes,
êtreremise en question. Le principe comme tel est admis. Le commen-

taire de la Commission du droit international sur l'article 41 de son pro-
jet final d'articles sur le droit des traités l'admet d'ailleursexplicitement
pour les déclarations dans le passage qui suit:

«La question de la divisibilité des dispositionsd'un traité auxfins
d'interprétation soulève des difficultéstoutes différentes decellesde
l'application du principe de la divisibilité enmatière de nullité des
traitésou dans les cas où il est mis fin à un traité. Toutefois, si la
jurisprudence des deux Cours ne projette pas beaucoup de lumière
sur ces dernières questions, il est certain que quelques juges dans
l'affaire des Emprunts norvégiens[C.I.J. Recueil 1957, p. 55-59]et
dans l'affaire del'lnterhandel [C.I.J. Recueil 1959,p. 57, 77, 78, 116
et 1171ont admis que le principe de la séparation des dispositions FISHERIES JURISDICTION (DISSO. PTORRES BERNARDEZ) 636

or inoperative by reason of their possible incompatibility with the
Statute, with the United Nations Charter and with international law. As
drafted, paragraph 2 (d) of Canada's declaration does not present me
with any problem of incompatibility. Nor, moreover, does the reserva-
tion in paragraph 2 (c) contain any subjective or automatic reservation
of national jurisdiction that would prevent the Court from exercising its
power to determine its own jurisdiction pursuant to Article 36, para-
graph 2, of the Statute of the Court. In my view, the reservation in para-
graph 2 (d) of Canada's declaration does not fa11as such within the

category of those reservations which could be regarded prima facie as
being excluded from the freedom to make reservations enjoyed by declar-
ant States. The question raised by Spain concerned a different issue,
namely the interpretation of a reservation in a manner contrary to the
Statute, the United Nations Charter or to international law. Spain's
argument, with which 1agree, was that in the event of doubt as between
two possible interpretations of a declaration, one must, as a general prin-
ciple, interpret the declaration, including its reservationin accordance
with the Statute of the Court, with the United Nations Charter and with
international law. The question of the incompatibility of the Canadian
reservation as such, or even of its possible invalidity, was not raised by
the Applicant and the Judgment does not deal with it. However, the
Judgrnent falls into the trap of a self-judging approach to the interpreta-
tion of reservations, for it has effectively allowed Canada's purported

intended effect to govern its interpretation of the reservation, inasmuch
as, according to the Judgment, that intended effect is the one which the
Respondent claims in the present incidental proceedings to have had in
mind when it made its declaration in 1994.

140. 1 should add that the possibility of applying the notion of sepa-
rability to the various parts of a declaration of acceptance of the com-

pulsory jurisdiction of the Court is in principle beyond question. The
principle assuch is accepted. Moreover, the commentary of the Interna-
tional Law Commission on Article 41 of its final draft articles on the Law
of Treaties expressly acknowledges this in the following passage:

"The question of the separability of treaty provisionsfor the pur-
poses of interpretation raises quite different issues from the applica-
tion of the principle of separability to the invalidity or termination
of treaties. However, if thejurisprudence of the two Courts does not
throw much light on these latter questions, it is quite certain that
judges in separate opinions in the Norwegian Loans [I.C.J. Reports
1957,pp. 55-59]and Interhandel [I.C.J. Reports 1959, pp. 57, 77, 78,
116 and 1171cases accepted the applicability of the principle of
separating treaty provisions in the case of the alleged nullity of a637 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

d'un traité s'appliquait dans un cas où étaitalléguéla nullitéd'une
déclaration unilatéralefaite en vertu de la clause facultative, cela en
raisond'une réservedont la validitéétaitcontestée.»(Nations Unies,
Documents of3ciels de la conférencedes Nations Unies sur le droit
des traités, documents de la conférence,p. 62.)

141. La Cour ne s'est pas prononcée sur les effets de la non-validité
établied'une réservesur la déclaration elle-même. Maislors des affaires
des Emprunts norvégienset de l'lnterhandel, certains juges (Lauterpacht,
Spender) ont conclu à la nullité de la déclaration tout entière, mais
d'autres juges (Klaestad, Read) ont étéd'un avis contraire. Par exemple,
dans son opinion dissidentejointe àl'arrêt dans l'affaire del'lnterhandel

(exceptions préliminaires), le président Klaestad est arrivéà la conclu-
sion suivante:
«Ces considérations m'ont amené à la conclusion que la Cour,

tant par son Statut que par la Charte, est empêchéed'agir en
conformité de la partie de la réservequi est en contradiction avec
l'article 36, paragraphe 6, du Statut, mais que cette circonstance
n'implique pas nécessairement qu'ilest impossible pour la Cour de
donner effet aux autres parties de la déclaration d'acceptation qui
sont conformes au Statut. A mon avis, la partie a) de la quatrième
exception préliminaire doit donc êtrerejetée.» (C.I.J. Recueil 1959,
p. 78.)

En ce qui concerne les traités,la convention de Vienne de 1969,dans
son article44, admet (avec quelques exceptions) la divisibilitédes dispo-
sitions d'un traité en cas d'invocation de la nullitéou de l'extinction, de
retrait d'une des parties ou de la suspension d'application du traità la
condition que la disposition soit séparabledu reste du traitéet qu'ellene
constitue pas une base essentielledu consentement des parties à êtreliées
par le traité dans son ensemble. Savoir quand l'on est en présenced'une

telle condition devient ainsi une question d'espècequi doit êtrerésolue
par interprétation. Je pense que cette solution est applicable mulatis
mutandis aux déclarations. La nullitéde la déclaration ne saurait être
automatique. Il s'agit d'interpréter l'intention du déclarantcompte tenu
des circonstances de l'espèce.
142. En ce qui concerne certaines catégories de réservesaux déclara-
tions, par exemple, celles dites subjectives ou automatiques, certains
auteurs modernesévitentla sanctionde nullitépour l'ensemblede la décla-
ration et proposent à sa place d'autres solutions, comme la non-opposa-
bilitéou l'irrecevabilité.Disons, finalement, que la Cour européenne des
droits de l'homme a écartédes déclarations (réserves)relatives à cer-

taines dispositions de la convention européennedes droits de l'homme et
des libertésfondamentales, tout en acceptant comme valides les déclara-
tions d'acceptation de la compétence de la Cour sur des différends
concernant la convention en question (arrêt du 23 mars 1995 dans
l'affaire Loizidou c. Turquie, exceptionspréliminaires). FISHERIES JURISDICTION (DISSO. P.TORRES BERNARDEZ) 637

unilateral declaration under the Optional Clause, by reason of a
reservation the validity of which was contested." (United Nations,
Official Records of the United Nations Conference on the Law of
Treaties, Documents of the Conference,p. 57.)

141. The Court did not rule on the effect of the established invalidity
of a reservation on the declaration itself. However, in the Norwegian
Loans and Interhandel cases certain judges (Lauterpacht and Spender)
held that the declaration as a whole was invalid, while others (Klaestad
and Read) were of the contrary opinion. Thus, in his dissenting opinion
to the Judgment in the Interhandel (Preliminary Objections) case Presi-
dent Klaestad came to the following conclusion :

"These considerations have led me to the conclusion that the
Court, both by its Statute and by the Charter, is prevented from
acting upon that part of the Reservation which is in conflict with
Article 36,paragraph 6, of theStatute, but that this circumstance does
not necessarily implythat it is impossible for the court to give effect

to the other parts of the Declaration of Acceptance which are in con-
formity with the Statute. Part (a) of the Fourth Preliminary Objec-
tion should therefore in my view be rejected." (1.C.J. Reports 1959,
p. 78.)

As far as treaties are concerned,Article 44 of the 1969Vienna Conven-
tion allows (with certain exceptions) for the separability of treaty provi-
sions in the event of the invalidation,termination or withdrawal of one of
the Parties or the suspension of the operation of the treaty, provided that
the clause is separable from the remainder of the treaty and was not an
essential basis of the consent of the parties to be bound by the treaty as
a whole. To determine whether such a condition exists thus becomes a
question dependent on the circumstances of the case, which must be
resolved by interpretation. 1believe that this solution is applicable muta-
tis mutandis to declarations. There can be no question of the declaration
being automatically invalid. The intention of the declarant State has to
be interpreted in the light of the circumstances of the case.
142. With respect to certain categories of reservations to declarations,

for example those termed "subjective" or "self-judging", some modern
writers avoid applying the sanction of nullity to the entire declaration
and propose non-opposability or inadmissibility as alternative solutions.
Finally, it should be noted that the European Court of Human Rights
has held that certain declarations (reservations) relating to particular
provisions of the Convention for the Protection of Human Rights and
Fundamental Freedoms were invalid while at the same time upholding as
valid declarations acceptingthejurisdiction of the Court in respect of dis-
putesconcerningthe Convention (Judgment of 23 March 1995in the case
Loizidou v. Turkey, Preliminary Objections).638 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

4. La bonnefoi et la confiance mutuelle comme principes essentiels du
système de la clausefacultative du Statut de la Cour

143. La jurisprudence de la Cour est riche en prononcéssur la bonne
foi et la confiance mutuelle comme principes essentiels du systèmede la
clause facultative. Par exemple, dans l'arrêtde 1984sur la compétenceet
la recevabilitédans l'affaire relative aux Activitésmilitaires et paramili-
taires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Améri-
que) où il étaitaussi question de déclarations relevant du paragraphe 2
de l'article 36 du Statut, il est dit:

((Enfaitlesdéclarations,bienqu'étantdesactesunilatéraux,établis-
sent une sériede liens bilatérauxavec les autres Etats qui acceptent
la mêmeobligation ...en prenant en considération les conditions,
réserveset stipulations de durée. Dans l'établissement dece réseau
d'engagements que constitue le système de la clause facultative, le
principe de la bonne foijoue un rôle essentiel;et la Cour a souligné
la nécessitéde respecter, dans les relations internationales,les règles
de la bonnefoi et de la confianceen termes particulièrement nets ...»
(C.I.J. Recueil 1984, p. 418, par. 60; les italiques sont de moi.)

144. Le paragraphe 2 de l'article 36 du Statut établit un véritable((sys-
tèmedejuridiction)) dit ((juridictionobligatoire))à caractère facultatif en
ce sens que les Etats parties au Statut sont entièrement libres d'y parti-
ciper ou de s'abstenir de le faire. Il est dans la nature des choses qu'au
cours de l'examenpar la Cour des affairesqui lui sont soumises les décla-
rations des Etats acceptant lajuridiction obligatoirede la Cour occupent

tout le terrain. Mais les déclarations ne sont que le moyen par lequel les
Etats qui le souhaitent participent au systèmeavec une ampleur plus ou
moins grande et pendant des périodes detemps plus ou moins longues.
Les déclarations,actes unilatéraux des Etats participants, ne sont qu'un
moyen de mise en Œuvred'un systèmequi a une base de nature conven-
tionnelle, le Statut de la Cour, qui fait partie intégrante de la Charte des
Nations Unies. Or, comme il est dit au paragraphe 2 de l'article 2 de la
Charte, les Membres de l'organisation, afin d'assurer àtous lajouissance
des droits et avantages résultant de leur qualité de Membre, ((doivent
remplir de bonne foi les obligations qu'ils ont assuméesaux termes de la
présenteCharte».
145. Ainsi, si l'on assume, en toute liberté et par un choix propre et
délibéréa,ux termes du paragraphe 2 de l'article 36 du Statut, des obli-
gations juridictionnelles solennellesàl'égarddes autres Etats déclarants

par le dépôt d'une déclaration,l'on assume une obligation que, par sa
nature, par sesorigines et par sa base conventionnelle,1'Etatdéclaranten
question est tenu remplir de bonne foi. Par exemple, ne serait pas
conforme à la bonne foi du systèmele comportement d'un Etat déclarant
trompeur pour les autres Etats déclarantsou visant à lui servir de dégui-
sement respectable pour commettre des faits internationalement illicites.
Ces viséeséventuellesd'un Etat déclarant ne sont pas compatibles avec le4. Goodfaith and mutual trust as essential principles of the optional
clause system under the Statute of the Court

143. The Court's jurisprudence contains many decisions on good faith
and mutual trust as essential principles of the optional clause system. For
example, in the Judgment of 1984onjurisdiction and admissibility in the
case concerning Military and Paramilitary Activities in and againstNica-
ragua (Nicaragua v. United States of America), which likewise con-
cerned declarations under Article 36, paragraph 2, of the Statute, it is
stated :

"In fact, the declarations, even though they are unilateral acts,
establish a series of bilateral engagements with other States accept-
ing the same obligation . ..in which the conditions,reservationsand
time-limit clauses are taken into consideration. In the establishment
of this network of engagements, which constitutes the Optional
Clause system, the principle of good faith plays an important role;
the Court has em~hasized the need in international relations for
respect for good Suith and confidence in particularly unambig&us
terms . . ."(I.C.J. Reports 1984, p. 418, para. 60; emphasisadded.)

144. Article 36,paragraph 2, of the Statute establishes a veritable "sys-
tem of jurisdiction", termed "compulsory jurisdiction", which is of an
optional nature in that Statesparties to the Statute are completely free to
participate in it or to refrain from doing so. Naturally, when the Court
examines cases submitted to it, it is with States' declarations of accept-
ance of its compulsory jurisdiction that the Court concerns itself. But
declarations are only the means by which States which so desire partici-
pate in the system, to a greater or lesser extent and for longer or shorter
periods of time. Declarations, which are unilateral acts by States, are but
a means of implementing a system founded on agreement, namely the
Statute of the Court, which forms an integral part of the Charter of the
United Nations. As Article 2, paragraph 2, of the Charter makes clear,

al1 Members, in order to ensure to al1 of them the rights and benefits
resulting from membership, "shall fulfil in good faith the obligations
assumed by them in accordance with the present Charter".

145. Consequently, if, through the deposit of a declaration, a State,
acting freely and of its own deliberate choice, assumes solemn legal obli-
gations vis-à-visother declarant States in accordance with Article 36,para-
graph 2, of the Statute, it follows that those are obligations which, by
reason of their nature, their source and the fact that they are treaty-
based,must be fulfilledby the declarant State in good faith. For example,
it would not be consistent with the good faith of the system for a declar-
ant State to engage in conduct which deceived other declarant States, or
which served as a cloak of respectability enabling it to commit interna-
tionally unlawful acts. Any such objectives on the part of a declarant639 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

systèmede la clause facultative. L'Etat qui aurait de tels desseins doit
s'abstenir de participer au systèmede la clause facultative, car il n'a pas
le droit d'abuser de la confiancedes autres Etats déclarants nide tromper
lesattentes que ceux-ciont fondéessur la déclarationqu'il a déposéeL .es
principes de bonne foi et de confiance mutuelle ne se situent pas du tout

hors du systèmede la clause facultative. Au contraire, ils font corps avec
le systèmeà l'intérieur duquelils agissent en tant qu'élémense contrôle
des comportements ou de la conduite des Etats déclarantset ils ont, àce
titre, des effets normatifs susceptiblesd'appréciation judiciaire.
146. Tant qu'il participeau système dela clause facultative et demeure
dans ce système,1'Etatdéclarantdoit seconformer - et on doit présumer
qu'il se conforme - aux principes de bonne foi et de confiancemutuelle
qui présidentà ce système.Le présentarrêtnégligela dimensionnormative
de cesprincipesau seindu systèmede la clausefacultative.Il s'agit làd'une

grave lacune, car les circonstances de la présente affaire, d'après certains
aveux, confirméspar des informations dans le domaine public, soulèvent
des questionsinquiétantes sur l'utilisation quele Canada aurait fait du sys-
tèmede la clause lorsqu'il a rédigépuis déposé sa déclaration le 10 mai
1994auprèsdu Secrétairegénérad le l'organisation des Nations Unies.

147. C'est pour dire, comme nous le verrons dans la suite de la pré-
sente opinion, que dans le cas d'espècela bonne foi n'intervient pas
seulement en tant qu'élémentd'interprétation de la déclaration cana-
dienne. Elle a aussi un deuxièmerôle àjouer, en rapport avec la question
différente dela recevabilitéou de l'opposabilitéàl'Espagne dans les cir-

constances de l'espècede la réserve de l'alinéa) du paragraphe 2 de la-
dite déclarationdu Canada.

5. Règles et méthodesd'interprétation des déclarationisnvoquéespar
les Parties et position généraladoptéepar l'arrês tur la question

148. Comme je l'ai dit, le présent incident préliminaire nepose aucun
problème véritableen ce qui concerne le principe de l'existence d'un
consentement du Canada à lajuridiction de la Cour. Outre la question de
la recevabilitéou de l'opposabilité l'Espagne dela réservede la déclara-

tion du Canada, qui est d'une autre nature, la question qui se pose est en
fait celle de déterminer,par interprétation, le sens et la portée dudit
consentementdu Canada tel qu'il l'a exprimé dans sa déclaration.En effet,
la Cour doit interpréter cettedéclaratipour êtreà même deconclure àsa
compétenceou à son incompétencedans le différend soumispar l'Espagne,
compte tenu du fait que leCanada s'oppose à la compétencedela Cour sur
la base de la réservede l'alinéa) du paragraphe 2 de sa déclaration.
Ce différendinterprétatif entrelesParties est au cŒurmêmedu présent
incident préliminaire.Or, qui dit interprétation dit règles, éléments et
méthodes d'interprétation. Il est donc dans la nature des choses que les

Parties aient débattuces règles, cesélémentset ces méthodes.State are incompatible with the optional clause system. Any State har-
bouring such intentions must abstain from participating in the optional
clause system, for it is not entitled to betray the trust of the other declar-
ant States, or to frustrate their expectations founded on the declaration
which it has deposited. The principles of good faith and mutual trust are
in no sense extraneous to the optional clause system. On the contrary,
they are an integral part of that system,within which they act as controls
upon the actions or conduct of declarant States and, as such, they have

normative effects open to judicial appraisal.
146. As long as a declarant State participates in and remains within
the optional chse system, it must comply - and must be presumed to
be complying - with the principles of good faith and mutual trust which
are the guiding principles of that system. The Judgment in this case fails
to take into consideration the normative aspect of these principles in the
context of the optional clause system. This is a serious omission, for,
according to certain admissions, which have been confirmed by informa-
tion in the public domain, the circumstances of the case raise worrying
questions about the use which Canada sought to make of the clause
system when it drafted its declaration and then deposited it on 10 May
1994with the Secretary-General of the United Nations.
147. In other words, as we shall see further on in this opinion, in the
present case good faith is a factor which not only has a part to play in the

interpretation of the Canadian declaration; it also has a further role,
related to the separate question of the admissibility or opposability to
Spain, in the circumstances of the case, of the reservation contained in
paragraph 2 (d) of Canada's said declaration.

5. Rules and methodsfor interpreting declarationsrelied onby the Parties
and generalposition adopted by the Judgment on the question

148. As 1 said, these preliminary proceedings do not raise any real
problem as regards the principle of the existence of Canada's consent to
the Court's jurisdiction. Quite apart from the issue of the admissibility or
opposability to Spain of the reservation to Canada's declaration, which is

a separate matter, the real question here is to determine, by interpreta-
tion, the meaning and scope of Canada's said consent as expressed in its
declaration. Thus, the Court must interpret this declarationin order to be
in a position to decide whether it hasjurisdiction in the dispute submitted
by Spain, given that Canada contests the Court's jurisdiction on the basis
of the reservation contained in paragraph 2 (d) of its declaration.

This difference between the Parties with regard to interpretation lies
at the very heart of these preliminary proceedings. But "interpretation"
necessarily implies rules, elements and methods of interpretation. It is
therefore in the nature of things that the Parties should have debated
these rules, elements and methods.640 COMPETENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

149. D'une manière générale,on peut dire que l'Espagne a défendu
une interprétation à partir du texte de la déclaration du Canada par
l'application de règles,d'élémentset de méthodes d'interprétationobjec-
tifs, analoguesmutatis mutandis à ceux du systèmed'interprétation de la
convention de Vienne de 1969sur le droit des traités. D'aprèsl'Espagne,
cettefaçon de procéder correspondrait à lajurisprudence de la Cour et de
la Cour permanente relative à l'interprétation des déclarations relevant
du systèmede la clause facultative. Soulignons que l'Espagne défendle

systèmede l'interprétation objective de Vienne et de la jurisprudence de
la Cour avec tous seséléments interprétatifs et non pas une interprétation
purement grammaticale ou littérale. Elle n'écartepas non plus du tout les
moyens complémentairespourvu que leur rôle dans le processus interpré-
tatif soit celui que le droit international leur reconnaît.
150. Par contre, dans son contre-mémoire, le Canada a mis l'accent
sur ce qu'il appelle l'«intention sous-jacente)) du déclarant. Tous les élé-
ments des écolesd'interprétation subjectivistes sont présents dans les
règles, les élémentset les méthodes d'interprétation proposés dansle
contre-mémoiredu Canada. Je n'hésitepas à qualifier ledit systèmeinter-
prétatifdu Canada de «système d'interprétation subjective)).A y regar-

der de plus près, il s'agit mêmed'un systèmesubjectif extrême:

a) subjectivisme quant à l'objet de l'opération interprétative, qui ne
serait pas la déclaration déposée maisce que le contre-mémoire
dénommel'«intention sous-jacente)) du Canada lorsqu'il a déposésa
déclaration, c'est-à-dire qu'il s'agirait d'une intention ((psycholo-
gique)) ou de motifs d'ordre «politique» (on parle mêmede «libre
arbitre politique))) tels que le Canada les formule dans la présentein-
stance (au lieu de le faire lors du dépôt dans sa déclaration) et que
l'on serait censéaller chercher en dehors de la déclaration et de l'acte
de son dépôt;

b) subjectivisme quant au but de l'opération interprétative que doit
effectuer la Cour, qui ne saurait êtrecelui de donner plein effet au
consentement exprimépar le Canada dans sa déclaration, mais celui
de donner plein effetà une intention non manifestéedu Canada, à
savoir la prétendue «intention sous-jacente))mentionnée ci-dessus;
c) subjectivisme quant àla méthodegénérale à suivre pour l'interpréta-
tion du consentementdonné par le Canada, qui ne saurait consisterà
rechercher une interprétation qui soit en harmonie avec la ((manière
naturelle et raisonnable de lire le texte)) de la déclaration, mais avec
une ((manièrenaturelleetraisonnable» d'interpréter l'«intention sous-
jacente)) invoquéepar le Canada dans la présenteinstance;

d) subjectivisme quant à la définitionde l'instrument que la Cour doit
interpréter qui ne saurait être la déclarationdu Canada dans son
ensemble, mais plutôt la réservede l'alinéa d) deson paragraphe 2
prise isolément,avec le résultatque la déclarationpourrait être inter-
prétée, sans que l'onsache pourquoi, d'une façon restrictive, tandis 149. Generally speaking, it may be said that Spain was in favour of a
text-based interpretation of Canada's declaration, through the applica-
tion of objective rules, elements and methods of interpretation analogous
mutatis mutandis to those of the system of interpretation embodied in the
1969 Vienna Convention on the Law of Treaties. In Spain's view, this
approach would accord with the jurisprudence of the Court and of the
Permanent Court regarding the interpretation of declarationsmade under
the optional clause system. We would stress that Spain defends the objec-
tive approach to interpretation in accordance with the Vienna rules and

with the jurisprudence of the Court, with al1its interpretative elements,
and does not support a purely grammatical or literal interpretation. Nor
does it rule out recourse to supplementary means, provided that their role
in the interpretative process is accepted by international law.
150. In contrast, in its Counter-Memorial Canada emphasized what it
called the declarant State's "underlying intention". Al1 the elements of
the subjectivist schools of interpretation are to be found in the rules, ele-
ments and methods of interpretation proposed by Canada in its Counter-
Memorial. 1have no hesitation in calling Canada's interpretative system
a "system of subjective interpretation". On closer inspection, it proves
indeed to be a system of extreme subjectivity:

(a) iprocess,whichis said to be not the declaration as deposited,but some-e

thing which the Counter-Memorial calls Canada's "underlying inten-
tion" at the time when it deposited its declaration; that is to say, we
are dealing here with a "psychological" intention or with reasons of a
"political" nature (there isevena referenceto a "freepolitical choice"),
as formulated by Canada in the present proceedings (rather than in
its declaration at the time of deposit) and which are apparently to
be sought by looking beyond the declaration and the fact of its
deposit ;
(b) it is subjectivewith regard to the purpose of the interpretative pro-
cess in which the Court must engage, which it claims is not to give
full effect to the consent expressed by Canada in its declaration, but
to givefull effect to an intention not manifested by Canada, namely
the so-called "underlying intention" referred to above;

(c) it is subjective with regard to the general method to be followed in
order to interpret the consent given by Canada, which is said to con-
sist in seeking an interpretation according not with the "natural and
reasonable way of reading the text", but with a "natural and
reasonable" way of interpreting the "underlying intention" relied on
by Canada in these proceedings;
(d) it is subjectivewith regard to the definition of the instrument which
the Court must interpret, which is alleged not to be Canada's dec-
laration in its entirety, but rather the reservation in paragraph 2 (d)
taken in isolation, with the result that the declaration can be inter-
preted in a restrictive manner - though we are not told why - 641 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS. TORRES BERNARDEZ)

que la réservepourrait l'être d'une façon plus large ou libéralee ;t,
finalement.
e) subjectivisme aussi quant aux éléments interprétatifs qui intervien-
draient dans l'opération interprétative,en donnant une valeur inter-
prétativesimilaire, au moins, à la déclaration et aux ((circonstances
ayant entouré sondépôt» (certainesdéclarations ministériellesfaites
au cours des débats parlementaires sur le projet de loi C-29), c'est-
à-dire sans faire la distinction qui s'impose entre les élémentsinter-

prétatifs incorporés à la règle généraled'interprétation (bonnefoi;
texte; contexte; objet et but; droit international, etc.) et les moyens
complémentaires(travaux préparatoires ; circonstances).

151. Tout cela n'a rien à voir,à mon avis, avec lajurisprudence anté-
rieure de la Cour relative à l'interprétationdes déclarationsrelevant du
systèmede la clause facultative, ni avec les règles dedroit international
relativesà l'interprétationd'engagementsinternationaux sousforme écrite,
lesquelsdistinguent entre le texte et les autres élémentisnterprétatifsde la
règlegénérale d'interprétation d'une part,et les moyens complémentaires,
d'autre part. Cela est particulièrement vrai lorsqueles déclarationsunila-
térales,comme cellesrelevant du paragraphe 2 de l'article 36 du Statut,
sont faites dans le contexte d'une convention oud'un traité ouen applica-
tion de ses dispositions, sont déposéeset enregistrées etsont ensuite
publiéesdans des recueils etannuaires internationaux officiels. Jene vois

pas en quoi les trois arrêts,appelés((grands arrêts»par le Canada (Phos-
phates du Maroc, 1938, C.P.J.I. sérieAIB no74,p. 10;Anglo-Iranian Oil
Co., exceptionpréliminaire, C..J. Recueil 1952,p. 93;Plateau continental
de la mer Egée,C.Z.J. Recueil 1978,p. 3) peuvent étayer unsubjectivisme
interprétatifcomme celuiprôné dansle contre-mémoire duCanada.
152. Lors de la phase orale, le Canada n'a pas renoncé à ce que la
Cour interprète la réservedel'alinéa d) du paragraphe 2 de la déclaration
en introduisant dans le processus interprétatifdes éléments des critèreset
des méthodesd'interprétationpropres à l'interprétationsubjective, car il
a toujours parlé d'une intention sous-jacente qui n'est explicitée nidans
la déclarationni dans des instruments ou documentscanadiens y relatifs
antérieursau dépôtde la déclarationou concomitantsde cedépôt. Etelle

n'a pas non plus étéexplicitéeaprèsle dépôt, malgré leparagraphe 3 de
la déclaration de 1994, relatif à des modifications de la déclaration en
vigueur. Mais, lors de la phase orale, le Canada a fait des présentations
générales de la question qui sembleraientadmettre que le point de départ
de l'opération interprétative estla déclarationdéposée. Ainsi,l'on peut
conclure qu'à la fin des plaidoiries le systèmed'interprétation prônépar
le Canada était ambivalent. Il oscillait entre la prétendue intention sous-
jacente et la déclaration et son texte, la premièreayant toujours la préfé-
rence du défendeur. whereas the reservation can be interpreted more widely or more
liberally; and, lastly,
(e) it is subjectivewith regard to the interpretative elements which it is
claimed should be used in the interpretative process, in that it gives
at least equal interpretative value to the declaration and to "the sur-

rounding circumstances" (various ministerial statements made dur-
ing parliamentary debates on Bill C-29),that is to say without draw-
ing the requisite distinction between the interpretative elements
embodied in the general rules of interpretation (good faith, context,
object and purpose, international law, etc.) and supplementary
means (travaux préparatoires;circumstances).

151. In my opinion, this is al1totally inconsistent with the Court's pre-
viousjurisprudence on the interpretation of declarationsunder the optional
clausesystem,and with the rules of international law regardingthe interpre-
tation of written instruments embodying international obligations, which
distinguishbetween, onthe one hand, the text and other interpretative ele-
ments under the general rules of interpretation and, on the other, supple-
mentary means. This is particularly true whereunilateral declarations, such
as those under Article 36,paragraph 2, of the Statute, are made in the con-

text of a convention or treaty - or in application of provisions thereof -
and deposited, registered and subsequently published in officia1interna-
tional yearbooks and reports. 1fail to see how the three case, referred to
by Canada as "leading cases" (Phosphates in Morocco, 1938, P.C.I.J.,
Series AIB, No. 74, p. 10;Anglo-Iranian Oil Co., Preliminary Objection,
I.C.J. Reports 1952, p. 93 ;Aegean Sea Continental ShelJ;I.C.J. Reports
1978, p. 3) can support a subjective approach to interpretation of the
kind advocated in Canada's Counter-Memorial.
152. During the oral phase, Canada did not give up its attempts to
persuade the Court to interpret the reservation in paragraph 2 (d) of the
declaration by introducing into the interpretative process elements, cri-
teria and methods of interpretation proper to subjective interpretation;

it constantly referred to an underlying intention, of which there was no
express mention in the declaration or in Canadian documents or instru-
ments relating thereto prior to or at the time of deposit. Nor was there
any such mention after deposit, notwithstanding the provisions of para-
graph 3 of the 1994 declaration concerning amendments to the current
declaration. However, during the oral phase, Canada presented general
submissions on the matter which would appear to accept that the start-
ing-point for the interpretative process is the declaration as deposited. It
may therefore be concluded that, by the end of the oral arguments, the
approach to interpretation advocated by Canada was an ambivalent one.
It swung back and forth between the purported underlying intention and
the declaration and text thereof, but its preference was always for the

underlying intention. 153. Pourtant. l'invocation Dar le défendeur de son intention sous-
jacente, sous la forme qu'elle revêtdans le contre-mémoireou sous celle
plus édulcorée quilui est donnée dans les plaidoiries, comportait cer-
taines conséquences négativespour lui, que l'arrêtn'aurait pas dû pas-
ser sous silence.Il s'agit de l'aveu indirect, mais tout de mêmenotoire,
que cela implique, à savoir que la déclaration du 10mai 1994,telle que
formulée et déposée,pourrait après tout êtreinsuffisante pour étayer la
conclusion d'incompétencedu Canada. Sinon, il est certain que le Canada
aurait insistépour que la Cour interprète sa déclaration sur la base des
présupposés, desrègles,des élémentset des méthodes de l'interprétation
objective.Il n'est pas raisonnable de penser que le Canada, sesconseils et
ses avocats, ignorent ces présupposés,ces règles, ces élémentset ces

méthodes d'interprétation.Le Canada était doncbien loin des certitudes
de l'incompétencemanifeste dont il a fait part à la Cour et àl'Espagne
dans sa première lettre du 21 avril 1995! C'est une constatation impor-
tante. Or la majoritéde la Cour n'en tire aucune conclusionpour ce qui
est de son inter~rétation de la réservecanadienne. Au contraire. l'arrêt
est lui-mêmeune fuite en avant par rapport à la direction qui avait été
tracéepar le défendeuren ce qui concerne l'application à la déclaration
canadienne d'un systèmesubjectif d'interprétation.
154. En fait, l'arrêt réussit le tour de force d'adopter un système
d'interprétation de la déclaration canadienne encore plus subjectif que
celui prônépar le défendeurlorsde la phase écrite!Pourtant, c'étaitbien
difficilà faire. Ainsi, le paragraphe 46 de l'arrêt nous dit que la Cour
((relèveque les dispositionsde la convention de Viennepeuvent s'appliquer
seulement par analogie dans la mesure où elles sont compatibles avec le

caractère sui generis de l'acceptation unilatérale dela juridiction de la
Cour»! Et nous voilà revenus aux écolesd'inter~rétation subiectivistes
extrêmeset minoritaires qui existaient avant la codificationdu droit des
traitésen 1969.C'estce qu'affirme l'arrêt après que lajurisprudencede la
Cour, dès 1991, a affirmé à plusieurs reprises que les dispositions perti-
nentes de la convention de Vienne étaient déclaratoires dudroit interna-
tional général.
155. Le caractère sui generis des déclarations (instrument unilatéral
rédigé par son auteur en vue de participeràun systèmede base statutaire
conventionnelle) n'est pas invoqué par l'arrêt parrapport à des particu-
larités dans l'application de l'un ou de l'autre élémenitnterprétatif admis
par ledroit international. Ce qui estigenerispour l'arrêt,c'est«I'accep-
tation unilatéralede la juridiction de la Cour))! C'est le systèmede la

clause facultative tout entier qui est en fait visépar le sui generis de
l'arrêt. Jen'ai aucune difficultàaffirmer que cet arrêtest en fait hostile
à cette forme d'acceptation par les Etats de la juridiction de la Cour.

156. A partir de là, tout se comprend, y compris la question fonda-
mentale de ce qui est l'objet de l'interprétationpour l'arrêt. Cet objet
n'est plus, dans l'arrêt,pour l'essentiel,la déclaration rédigéeet déposée
par le Canada auprès du Secrétairegénéral del'organisation des Nations 153. However, the Respondent's reliance on its underlying intention,
whether in the form taken in the Counter-Memorial or in the watered
down version put fonvard in oral argument, had certain adverse conse-
quences for it, on which the Judgment ought not to have remained silent.
1refer to the indirect, but nonetheless clear, admission that this implies,
namely that the declaration of 10 May 1994, as formulated and depos-
ited, might not sufficeafter al1to support Canada's submission of lack of
jurisdiction. Otherwise, Canada would certainlyhave urged the Court to
interpret its declaration on the basis of the premises, rules, elements and
methods of objective interpretation. It cannot reasonably be supposed
that Canada, its counsel and lawyers would not be aware of these rules,
elements and methods of interpretation. Canada was therefore far from
certain about the manifest lack of jurisdiction which it asserted to the
Court and to Spain in its first letter of 21 April 1995.This is an important
fact to note. Yet the majority of the Court did not draw any conclusions

from it when it came to interpret the Canadian reservation. On the con-
trary, the Judgment itself goes even further in the direction mapped out
by the Respondent with regard to the application to the Canadian dec-
laration of a subjective system of interpretation.

154. In fact, the Judgment succeedsin performing the amazing feat of
adopting a system for the interpretation of the Canadian declaration
which is even more subjective than that advocated by the Respondent in
the written phase! However, this was not easy to do. Thus, paragraph 46
of the Judgment tells us that the Court "observes that the provisions of
that Convention may only apply analogously to the extent compatible
with the sui generis character of the unilateral acceptanceof the Court's
jurisdiction". Here we are back to the extreme subjectivist and minority
schools of interpretation which were to be found prior to the codification
of treaty law in 1969.This is what the Judgment asserts,after the Court's
jurisprudence since 1991has stated on several occasions that the relevant
provisions of the Vienna Convention are declaratory of general interna-
tional law.

155. When the Judgment invokesthe sui generischaracter of declara-
tions (a unilateral instrument drawn up by its author with a view to par-
ticipating in a system with an agreed statutory basis), it does so not with
reference to particular aspects of the application of one or more interpre-
tative elements accepted by international law. What is sui generis for the
Judgment is the "unilateral acceptance of the jurisdiction of the Court" !
It is effectivelythe entire optional clause system that is deemed suigeneris
by the Judgment. 1have no difficultyin affirming that this Judgment is in
truth hostile to this form of acceptance by States of the Court's jurisdic-
tion.
156. Al1 now becomes clear, including the fundamental question of
what the Judgment considers to be the subject-matter of the interpreta-
tion. In essence,for the Judgment, this is no longer the declaration drawn
up by Canada and deposited with the Secretary-General of the United643 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS . ORRES BERNARDEZ)

Unies, comme on aurait pu le croire,mais ((l'acceptationunilatérale de la
juridiction de la Cour» par le Canada. C'est-à-dire les considérations,les
motifs ou les raisons, politiques ou autres, qui ont conduit le Canadaà
déposer sadéclaration du 10 mai 1994. La déclaration comme telle est
écartée oujoue un rôle d'appoint mineur dans l'arrêt pource qui est de
l'interprétation du consentementjuridiquement pertinent du Canada à la
juridiction.
157. Le véritable objet de l'interprétation pour l'ar, u premier ins-

tant mêmede la mise en Œuvre du processus interprétatif, ce sont les
motifs politiques ou psychologiques internes du Canada qui ont conduit
celui-cià déposerla déclaration de 1994.Il ne s'agit plusd'interpréterla
déclaration qua instrument unilatéral international ou le consentement
du Canada objectivédans la déclaration déposéeet dégagépar interpré-
tation, mais bel et bien les viséesde son gouvernementlorsqu'il a fait sa
déclaration. Voilà où nous en sommes avec l'interprétation des déclara-
tions relevant du systèmede la clause facultative près de quatre-vingts
ans aprèsl'adoption du premier Statut. Il serait bien difficilede porter un
coup plus grave à la sécuritjuridique et au modus operandidu système
de la clause facultative.

158. L'arrêtaccepte donc que ce que la Cour doit interpréter c'est
l'«intention sous-jacente» dont parlait le Canada, mais elledéfinitcelle-ci
d'une façon encore plus floue et plus subjective que le Canada ne l'a fait
dans son contre-mémoire et dans ses plaidoiries. L'interprétation ayant
un tel objet dans l'arrêt et laCour ayant, évidemment,la compétence
nécessairepour interpréter la déclaration canadienne, tout devient pos-
sible, car l'opération interprétativà réaliser n'est plus uneopération
assujettie aux contraintes normatives que le droit international établit
en matière d'interprétation d'instruments internationaux. On est donc en
face d'une interprétationlibre d'une prétendue((intention sous-jacente»
du Canada.

159. Je ne saurais accepter un tel systèmed'interprétation des déclara-
tions relevant du systèmede la clause facultative. Mêmesi la Cour est
l'interprète, l'interprétationdes déclarations doit se fairertir de leur
texte, en dégageant l'intention du déclarantau moyen des règlesnorma-
tives d'interprétation qui énoncentde nos jours le droit international
positif et qui ont d'ailleurs étéélaboréespar les Etats en tenant dûment
compte de lajurisprudence de la Cour en la matière. Sile systèmed'inter-
prétationdes déclarations retenupar le présentarrêtseconfirmait à l'ave-
nir, les Etats déclarants devraient désormais, pour savoir à quoi s'en
tenir, faire dans chaque cas une recherche des viséesou raisonspolitiques
ou autres qui ont pu amener chacun d'entre eux à accepter la juridiction

de la Cour par le dépôtd'une déclaration.

160. La technique utiliséepar l'arrêtpour étayer la méthode d'inter-
prétation qu'il applique consisteà faire rentrer le principe du consente-
ment à lajuridiction dans l'opération interprétative comme s'ils'agissait
d'un principe qui serait en mêmetemps un élémentinterprétatif desNations, as one might have thought, but Canada's "unilateral acceptance
of the jurisdiction of the Court", that is to say the considerations,
motives or reasons - political or other - which led Canada to deposit
its declaration of 10 May 1994. The declaration as such is ignored or
plays only a minor supporting role in the Judgment as far as the inter-
pretation of Canada's legally pertinent consent to jurisdiction is con-
cerned.
157. For the Judgment, right from the very outset of the interpretative
process, it is the political or interna1 psychological reasons which led
Canada to deposit the 1994 declaration that comprise the true subject-
matter of the interpretation. It is no longer a matter of interpreting the

declaration qua unilateral international instrument, or Canada's consent
as embodied in the deposited declaration and ascertained by interpreta-
tion, but in truth of interpretingthe aims of the Canadian Government at
the time when it made its declaration. This is the point we have reached
in the interpretation of declarations under the optional clause some
eighty years after the adoption of the first Statute. It would be hard to
strike a more devastating blow at legal security, and at the operation of
the optional clause system.
158. The Judgment thus accepts that what the Court must interpret is
the "underlying intention" of which Canada spoke, but which the Court
defines even more vaguely and subjectively than did Canada in its
Counter-Memorial and oral argument. Once the Judgment takes this as
the subject-matter of its interpretation, and given that the Court evidently
has the requisite jurisdiction to interpret the Canadian declaration, then

anything is possible, for the interpretative process is no longer subject to
the constraints imposed by international law on the interpretation of
international instruments. Thus what we are faced with here is a free
interpretation of Canada's purported "underlying intention".

159. 1cannot accept such an approach to the interpretation of decla-
rations under the optional clause system. Even if the Court is the inter-
preter, the interpretation of declarationsmust be carried out on the basis
of their text, the declarant State's intention being ascertained by the
application of the normative rules of interpretation, which reflectthe cur-
rent state of international law and have, moreover, been formulated by
States after taking due account of the Court's jurisprudence on the sub-
ject. If the approach to the interpretation of declarations adopted in this
Judgment wereto become confirmedin the future, then, in order to know
what where they stood, declarant States would in every case have to

enquire into the political or other aims or reasonswhich had led each of
them to accept the Court's jurisdiction through the deposit of a declara-
tion.
160. The technique used by the Judgment in support of the method of
interpretation which it applies consists in bringing the principle of con-
sent to jurisdiction into the interpretative process, as if it were a principle
which was also an element in the interpretation of declarations. In other644 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

déclarations.En d'autres termes, en créant uncercle vicieux. Cequi doit
être démontré par interprétation (le senset la portée du consentementdu
déclarant) devient partie intégrante de la démonstration, c'est-à-dire du
processus d'interprétation que doit réaliser l'interprète. On mélange
dèslors deux choses, pourtant bien différentes,savoird'une part le prin-
cipe du consentement à la juridiction et, d'autre part, l'interprétation
de l'instrument où il se manifeste. C'était une tendance déjà percep-
tible dans certaines opinions de juges (surtout partir de 1994environ)
en ce qui concerne l'interprétation des clauses compromissoires insérées

dans certains traités. La majorité, dans la présenteinstance, étend main-
tenant cette solutionà l'interprétation de la déclaration du Canada du
10 mai 1994, mêmesi en l'espèceles déclarations, tant du défendeur
que du demandeur, sont des déclarations d'acceptation de la juridiction
obligatoire de la Cour que l'on pourrait qualifier, malgré les réserves
qu'ellescomportent, de larges ou générales.
161. C'est dans le systèmed'interprétation appliqué par l'arrêt à la
déclarationdu Canada et dans sa redéfinitionde l'objet du différendsou-
mis par l'Espagne qu'il faut chercher les causes profondes de la présente
opinion dissidente.

6. Les fonctions respectives des Parties et de la Courdans une procé-
dure préliminairesur la compétence

162. Je suis d'accord avec les critèresgénérauxque l'arrêtdégageàce
propos dans sesparagraphes 36 à 38, quoique leur application en l'espèce
laisseà désirer.Par contre, mêmesi le rôle des Parties est d'essayer de
«persuader» la Cour de leurspoints de vues respectifs et celui de la Cour
de trancher la question de l'existence ou non de sa compétence (para-
graphe 6 de l'article 36 du Statut), la distinction entre «persuasion» et
«preuve» reste, dans les faits, trèsthéorique.
163. Il est plus important de rappeler que l'allégation initialed'incom-
pétence manifeste formuléepar le Canada et certains passages de son

contre-mémoireont soulevé certains doutesquant à la position du défen-
deur sur le caractère automatique (self-judging) de la réservede l'ali-
néa d) du paragraphe 2 de la déclaration canadienne. Mais les doutes du
demandeur ont été levésà mon avis, pendant la phase orale. Par ailleurs,
l'Espagne a confirmédans sesconclusions la position qu'ellea soutenueà
son égardtout au long du présent incident, à savoir que:

«le Canada ne peut pas prétendre subordonner l'application de sa
réserveau seul critère de sa législation nationale et de sa propre
appréciation, sans méconnaître la compétencede votre propre com-
pétence,que vous détenezau titre du paragraphe 6 de l'article 36 de
votre Statut)) (voir le paragraphe 12de l'arrêt).

164. Ainsi, à la fin des audiences, les deux Parties ont reconnu d'une
manièregénéralequ'il appartenait àla Cour de décider dela question de
la compétence.Mais quel est le rôle des Parties par rapportàl'établisse-words, by creating a vicious circle: that which has to be proved by inter-

pretation (the meaning and scope of the declarant State's consent)
becomes an integral part of the demonstration, that is to Sayof the inter-
pretative process to be carried out by the interpreter. This is in effect to
confuse two elements which are, however, quite distinct, namely, on the
one hand, the principle of consent to jurisdiction and, on the other, the
inter~retation of the instrument in which that consent is manifested. This
treni was already perceptible in some opinions ofjudges (especiallyfrom
about 1994onwards) on the interpretation of the compromissory clauses
in certain treaties. The majority in the present case now extend this solu-
tion to the interpretation of Canada's declaration of 10 May 1994, even
though the declarations here, both of the Respondent and of the Appli-
cant, are declarations of acceptance of the compulsoryjurisdiction of the
Court, which may be characterized, notwithstanding the reservations
they contain, as wide or general.
161. It is in the approach to interpretation applied by the Judgrnent to
Canada's declaration and in its redefinition of the subject of the dispute
submitted by Spain that the fundamental reasons for this dissenting

opinion are to be found.

6. The respectivefunctions of the parties and the Court in preliminary
proceedings onjurisdiction

162. 1agree with the general criteria adduced by the Judgment in this
regard in its paragraphs 36 to 38, although their application in this case
leaves something to be desired.On the other hand, even if the role of the
parties is to "persuade" the Court to adopt their respective points of view
and the Court's role is to decide whether it has jurisdiction (Art. 36,
para. 6, of the Statute), the distinction between "persuasion"and "proof"
remains, in truth, a highly theoretical one.
163. More importantly, it should be recalled that Canada's initial con-
tention of manifest lack of jurisdiction and certain passages of its Coun-
ter-Memorial raised some doubts as to the Respondent's position with
regard to the self-judging nature of the reservation contained in para-
graph 2 (d) of its declaration. However, in my view, these doubts of the

Respondent were dispelled in the oral phase. Moreover, Spain confirmed
in its submissions the position it has consistently held on the reservation
throughout these proceedings, namely:
"Canada cannot claim to subordinate the application of its reser-
vation to the sole criterion of its national legislation and its own
appraisal without disregarding your competence, under Article 36,
paragraph 6, of the Statute, to determineyour ownjurisdiction" (see
paragraph 12 of the Judgment).

164. Thus, by the end of the hearings, both Parties recognized gener-
ally that it was for the Court to determine the issue of jurisdiction. But
what role do the parties play in the determination by the Court of its645 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

ment par la Cour de sa compétencelorsque celle-ciest contestée,comme
le Canada le fait dans la présente affaire? La ((persuasion))de chaque
Partie doit êtremise sur un pied d'égalité,c'est-à-dire indépendamment
du fait d'être l'auteur ou non dela déclaration et de sa condition de
défendeur ou de demandeur à l'instance. Le principe de l'égalitédes
parties le veut ainsi. L'appréciation d'une réservepar la partie qui l'a
inséréedans sa propre déclaration ne devrait pas avoir, en tant que telle,
une forcede persuasion relative ni supérieureni inférieurà celleque fait
de cette réservel'autre partie. En d'autres termes, le critère de preuve
rigoureux dont a parléle Canada s'applique au mêmetitre au défendeur
et au demandeur.
165. J'ai le regret de dire qu'à mon avis les choses ne semblent pas

s'être passéeesxactement comme cela dans le présent incident prélimi-
naire. Les allégationsdu défendeurse sont vu attribuer, consciemment ou
non, une force de «persuasion» supérieure additionnelle, dèsle départ,
par rapport à cellesdu demandeur. Or, le systèmede la clause facultative
ne comporte pas et ne doit pas comporter de présomption quelle qu'elle
soit, ni pour ni contre la compétence,tout comme il ne comporte pas non
plus d'à priori sur l'interprétationextensiveou restrictive de la volontéde
s'engager de 1'Etat déclarant. Le résultat pratique est qu'en fait la doc-
trine de l'interprétation automatique des réserves est indirectement
assuméepar l'arrêtmalgré qu'elleeût étéécartée lors de la phase orale
par le défendeur.

166. Je n'ai pas la conviction que l'arrêt s'en tienne strictement aux
principes de bonne administration de la justice internationale. La com-
pétence est certes«une question de droit)) qui ressort à la Cour. Mais
évidemmentla Cour n'a pas à ce propos de compétences qu'ellepeut
exercer discrétionnairement. Elle doit déterminersa compétence objecti-
vement «à la lumière des faits pertinents)) (C.I.J. Recueil 1988, p. 76,
par. 16),ou, comme le dit le présentarrêten son paragraphe 38, ((compte
tenu de tous les faits et de tous les arguments avancés parles parties)). A
la lumière des faits générateursdu différendet d'autres faits pertinents
comme l'objet du différendde la requête,je suis loin de pouvoir cons-
tater, il s'en faut, que tous les faits et tous les arguments pertinents ont

étévéritablement mis en balance et mis sur un même piedavant de
conclure à l'incompétence.Bien au contraire. C'estla raison pour laquelle
ma conclusionsur la compétence estaux antipodes de celle a laquefie est
arrivéela majoritéde la Cour.
167. Une dernièreremarque sur le fait que, dans le présent incident,la
Cour a étéappelée à exercer sa compétence de la compétence (para-
graphe 6 de l'article 36 du Statut) dans le cadre d'une procédure préli-
minaire(article79du Règlement dela Cour) et avant mêmeque ledeman-
deur ait déposésonmémoiresur le fond. Or, selonunejurisprudence bien
établie,il est inhérent aux procédurespréliminairessur la compétenceou
sur la recevabilitéqu'un arrêtde la Cour sur l'objection ou l'exception

soulevée,adopté dans ce contexte comme en l'espèce, ne peut trancher
ni préjuger aucunequestion de fond divisant les parties. Je ne suis pasjurisdiction when that jurisdiction is disputed, as it is in the present case
by Canada? The "persuasion" exercised by each party must be placed on
an equal footing, that is to say, irrespective of whether a given party is
the author of the declaration, or of its status as respondent or applicant
in the case. The principle of the equality of the parties requires this. A
party's own view of a reservation inserted by it in its declaration should
not, as such, possess a persuasive force any stronger or weaker than that
attributed to the reservation by the other party. In other words, the cri-
terion of a high standard of proof, to which Canada referred, applies

equally to both respondent and applicant.

165. 1 am sorry to Say that, in my opinion, this is not exactly what
appears to have occurred in these preliminary proceedings. From the out-
set, the Respondent's contentions were accorded - consciously or un-
consciously - additional, superior, "persuasive" force by comparison
with that attributed to those of the Applicant. However, the optional
clause system does not and must not involve any presumption whatso-
ever for or against jurisdiction, any more than it involves a prior com-
mitment to an extensive or restrictive interpretation of the declarant
State's intention to enter into a binding obligation. The practical result is
that, in reality, a self-judging approach to the interpretation of reserva-

tions is indirectly endorsed by the Judgment, even though the Respon-
dent disowned it in the oral phase.
166. 1 am not convinced that the Judgment strictly respects the prin-
ciples of the sound administration of international justice. Jurisdiction is
assuredly a "point of law" which it is for the Court to decide. However,
the Court's jurisdiction in this regard is clearly not a discretionary one. It
must determine whether it hasjurisdiction in an objectivemanner, "in the
light of the relevant facts" (I.C.J. Reports 1988, p. 76, para. 16)or, as the
Judgment puts it in paragraph 38, "from al1the facts and taking into
account al1the arguments advanced by the Parties". In the light of the
facts which were the source of the dispute and of other relevant facts,

such as the subject of the dispute submitted in the Application, 1 am a
long way - a very long way - from being able to find that al1the rele-
vant facts and arguments were truly weighed against one another and
given equal consideration before the conclusion of lack of jurisdiction
was reached. Quite the contrary.That is why my finding as to jurisdiction
is diametrically opposed to that arrived at by the majority of the Court.
167. One final comment on the fact that, in these proceedings, the
Court was called upon to exercise its "compétence dela compétence"
(Art. 36,para. 6, of the Statute) in the context of preliminary proceedings
(Art. 79of the Rules of Court)and even before the Applicant had filedits
Memorialon the merits.According to well-establishedjurisprudence, it is

of the essence of preliminary proceedings to determine jurisdiction or
admissibility that a judgment by the Court on the objection raised,
adopted in a context like that of the present case, cannot decide or pre-
judge any issuebetween theparties going to the merits. Here again, 1amconvaincu non plus que lesmotifs du présentarrêtn'empiètentpas parfois

sur des questions de fond au-delà de ce qui est admis comme raison-
nable dans une phase préliminaire ou qu'ils ne puissent pas faire l'objet
d'interprétations sollicitées ence sens. Quoi qu'il en soit, de telles éven-
tuelles lectures ou interprétations des motifs du présentarrêtseraient sans
doute ultra vires. Le présentarrêtex dejnitione ne peut pas avoir un tel
effet. Il est opportun de le dire dans la présente opinion pour éviter
des équivoques,car l'ensembledu fond du différendentre les Parties reste
non jugépar le présentarrêt.

B. La question de la recevabilitéou de l'opposabilità l'Espagne
de la réservede l'alinéad) duparagraphe 2 de la déclaration
du Canada dans les circonstancesde l'espèce

168. Lorsqu'on lit le texte de la déclaration du Canada, y compris
celui de la réserve del'alinéa du paragraphe 2, on pourrait être surpris
par son libellé.Il est manifeste que le texte, effet utile ou pas, ne corres-
pond pas à l'intention sous-jacente invoquée par le défendeur pour
échapper à la juridiction de la Cour dans le différend soumispar l'Es-
pagne. Le fait mêmeque le Canada invoque une intention sous-jacente
est la meilleure preuve de ce que son texte ne fait pas l'affaire. En fait, tel
qu'il se présente,ce texte ouvre de grandes portesà la compétencede la
Cour, étant donné l'objetde la requête. Lapremière question qui vient
alors tout naturellement à l'esprit est celle de se demander pourquoi le
Canada ne fut pas plus prudent lors de la rédaction du texte en 1994,
étantdonné l'intention sous-jacentequ'il a invoquéedans le présentinci-
dent préliminaire.
Sur la base du dossier de l'affaire et des informations dans le domaine
public, je suis arrivé certaines conclusions généralesdont je voudrais

faire état dans la présente opinion, car elles concernent directement la
question dont nous nous occupons à présent.
169. D'après les comptes rendus du débat parlementaire sur le projet
de loi C-29, modifiant la loi sur la protection des pêchescôtières du
Canada, devenu loi le 12mai 1994,desmembres du Gouvernementcana-
dien ayant participéau débatont reconnu qu'aucune étude,ni aucun avis
juridique de droit international, n'avaient demandés àdes avocats. Ce
n'est pas la première fois que les politiciens agissent ainsi. Ils se soucient
peu des détailsjuridiques lorsqu'ils ont la volontéd'agir vite sur le plan
politique. Leur pays peut ainsi, hélas,se retrouver un jour devant la jus-
tice internationale.
170. Il est aussi possible que, au milieu du courant politique qui s'est
manifestéde façon majoritaire dans le débat en question, beaucoup de
parlementaires aient pu croire qu'en donnant forme de loi nationale à

une nouvelle politique d'expansion visant une zone géographique adja-
cente de la haute mer le Canada se protégeait suffisamment dans le
domaine des relations internationales et du droit international par une FISHERIES JURISDICTION (DISSO. P.TORRES BERNARDEZ) 646

by no means convinced that the reasoning in this Judgment does not on
occasion encroach further upon issues of the merits than is accepted as
reasonable at the preliminary stage, or might not be interpreted as doing
so. Be this as it may,such readings or interpretations of the reasoning in
the Judgment would undoubtedly be ultra vires. The Judgment cannot,
by definition, have such an effect. It was necessary to point this out in
this opinion in order to avoid doubt, inasmuch as the entire merits of the
dispute between the Parties remain undecided by the present Judgment.

B. The Question of Admissibility or Opposability to Spain, in the Cir-
cumstances of the Case, of the Reservation in Paragraph 2 (d) of the
CanadianDeclaration

168. Reading the text of the Canadian declaration, including the res-
ervation in paragraph 2 (d), one might find its wording surprising. It is
clear that the text, irrespectiveof issues of "effectiveness",does not reflect
the underlying intention relied upon by the Respondent in order to
escape the Court's jurisdiction in the dispute submitted by Spain. The
very fact that Canada invokes an underlying intention is the best possible
evidence that its text is inadequate. In fact, as it stands, this text leaves
the door wide open to the Court's jurisdiction, given the subject of the
Application. The first question which then quite naturally springs to
mind is to ask oneself why Canada was not more careful in the drafting
of the 1994text, bearing in mind the underlying intention invoked by it in

these preliminary proceedings.

On the basis of the case-fileand of information in the public domain,
1have drawn certain general conclusions which 1would like to expound
in this opinion, for they have a direct bearing on the question we are con-
sidering at present.
169. According to the transcripts of the parliamentary debate on Bill
C-29 amending the Canadian Coastal Fisheries Protection Act, which
became law on 12 May 1994,certain members of the Canadian Govern-
ment who took part in the debate acknowledged that no one had asked
any lawyer for a brief or opinion on issues of international law. This is
not the first time that politicians have acted in this way. They pay scant
heed to legal niceties when they are determined to take rapid political

action. The consequence, alas, is that their country may one day find
itself brought before an international court.
170. It is also possible that many members of parliament, swept along
by the majority tide of political opinion which emerged in favour of this
policy during the debate in question, believed that, having embodied in a
domestic statute a new policy of expansion aimed at a geographical area
of the highseasadjacent to its exclusiveeconomiczone, Canada was pro-
tecting itself sufficientlyin terms of international relations and of inter-réserve àla juridiction obligatoire de la Cour comme celle de l'alinéad)
du paragraphe 2 de la déclaration de 1994.
171. II est vrai qu'il étaitsurtout questàoce moment-là, des navires
apatrides et des navires battant un pavillon de complaisance et que la
diplomatie canadienne allait expliquer les choses aux membres de
1'OPANO (organisation internationale ou, du fait de la politique com-
mune de pêche de l'Union européenne,les nombreuses voix dont dispo-
saient auparavant les Etats membres de l'Union ont étéremplacéespar
une seule voix, celle de l'union). Il y avait en outre les nations amies et
alliéesde toujours qui auraient pu prêter leur assistance ou faire montre
de compréhensionen cas de crise.
172. Mais cetteassurance s'estprolongéeun peu trop quand le Canada

a décidé, en1995, de faire un pas de plus et de s'attaquer aux navires
de pêcheportugais et espagnols en haute mer sans modifier, remplacer,
ni retirer la déclaration de 1994,tout en sachant que le Portugal et l'Es-
pagne sont des Etats déclarants dans le cadre du systèmede la clause
facultative. Le Canada aurait pu prendre certaines dispositions quant à
sa rédaction, et cela mêmeaprès l'utilisation de la force contre l'Estai le
9 mars 1995, car la requête introductive d'instance de l'Espagne ne fut
enregistréeau Greffe de la Cour que le 28 mars 1995, la Cour ne se
trouve donc pas devant une requête éclair comme celle du Portugal
contre l'Inde dans l'affaire du Droit depassage sur territoire indien.
173. A ce propos, il convient de rappeler que si, dans l'ordre juridique
canadien, le champ d'application d'une loi peut êtremodifiépar l'adop-
tion de règlementslorsque ceci est prévudans la loi, ce qui est en cause,
ici, c'est le consentement du Canada a la juridiction obligatoire de la
Cour, c'est-à-dire la déclaration du Canada du 10mai 1994. Lesfluctua-

tions du droit interne canadien n'ont aucun effet automatique sur le
consentement à la juridiction exprimédans la déclaration du 10 mars
1994.Pour adapter ou changer ce consentement, il faut modifier la décla-
ration elle-même.Le Canada ne l'a pas fait.
174. Le contraire équivaudraità reconnaître, comme l'a dit un conseil
de l'Espagne, que le consentement donné par le dépôt de la déclaration
est présuméêtre un consentement «à géométrie variable)).Il n'y a rien de
tel dans le systèmede la clause facultative. Ce système est fondé sur la
bonne foi et les principes de mutualité et de réciprocité. faut respecter
les attentes légitimessuscitéchez lesautres Etats déclarantspar le dépôt
de la déclaration,d'où la nécessitde modifier la déclaration si l'on veut
changer, dans les rapports internationaux, le consentement qu'ellemani-
feste.
175. Mais le Canada n'a rien fait du tout en ce qui concerne son

consentementde 1994 à lajuridiction obligatoire de la Cour, ni avant ni
aprèsles événements demars 1995.Il a pu se croire dans une position de
force ou faire confianceà son action diplomatique pour dénouer lacrise
créée dans ses relations avec'Union européenneau sein de I'OPANO et
par la suite avec l'Espagne. Le Gouvernement du Canada a-t-il pensé
que, comme Etat côtier, il était en droit d'adopter la conduite qu'il anational law by a reservation to the compulsoryjurisdiction of the Court
of the kind contained in paragraph 2 (d) of the 1994declaration.
171. Itis true that, at that time, the primary concern was with stateless
and flag-of-conveniencevessels and that Canadian diplomats would be
explaining the situation to the members of NAFO (an international
organization where, as a result of the European Union's comrnon fisher-
ies policy, the numerous votes previously held by the member States of
the Union had been replaced by a singlevote, that of the Union). In addi-
tion, there were friendly or allied nations which might be able to lend
assistance or demonstrate their understanding in the event of a crisis.

172. But this assurance wore somewhat thin when Canada decided in
1995to go a step further and attack Portuguese and Spanish fishing ves-
sels on the high seas, without having amended, replaced or withdrawn
the 1994 Declaration, while knowing full well that Portugal and Spain
were declarant States under the optional clause system. Canada could
have taken certain steps in respect of the wording of that declaration,
even after it had used force against theEsta i n 9 March 1995,for the
Spanish Application instituting proceedings was not filed with the
Registry of the Court until 28 March 1995.The Court is not therefore
facedwith a "lightning" Application likethat brought by Portugal against
India in the case concerningthe Right of Passage over Indian Territory.
173. In this connection, it should be recalled that, notwithstanding
that under the Canadian legal systemthe scope of an Act can be varied
by regulation where this is provided for in the Act, the point at issuehere
is Canada's consent to the compulsoryjurisdiction of the Court, that isto
Say the Canadian declaration of 10 May 1994. Changes in Canadian
municipal law can have no automatic effecton the consent to jurisdiction
manifested in the declaration of 10 May 1994. In order to adapt or

change that consent, the declaration itself must be amended. Canada has
not done so.
174. The opposite viewwould be tantamount to recognizing, as Span-
ish counsel put it, that the consent expressed by the deposit of the decla-
ration is presumed to be one based on "variable geometry". The optional
clause system makes no provision for this whatsoever. The system rests
on good faith and the principles of mutuality and reciprocity.The legiti-
mate expectations raised with other declarant States by the deposit of a
declaration must be respected; hence the need for a declarant State to
amend its declaration if, in the context of its international relations, it
wishes to Varythe consent thereby manifested.
175. But Canada did nothing at al1about the consent it had given in
1994to the compulsoryjurisdiction of the Court, either before or after
the events of March 1995.Possibly it believedthat it was in a position of
strength, or it might have been relying on action by its diplomats to
resolve thecrisis created in its relations with the European Union within
NAFO, and subsequently with Spain. Did the Canadian Government
believethat, as a coastal State, it was entitled to act as it did with regard648 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

effectivement adoptée à l'égard del'Espagne et des navires espagnols et
portugais lorsqu'il a décidé,ans lespremiers mois de 1995,de remplacer
ce que la lettre du 15 février1995de M. Ron MacDonald, présidentdu
comité permanent des pêcheset des océans de la Chambre des com-
munes, appelle ((subtilitésjuridiques)) (mémoire de l'Espagne, annexes,
vol. 1, annexe 20) par la ((diplomatie de la canonnière)) selon la presse
canadienne (ibid., annexe 23)? Ou bien ce gouvernementa-t-il penséque
le Canada étaitsuffisammentprotégéparla réservede l'alinéad) du para-
graphe 2 de la déclarationde 1994,mêmedans la nouvelle situation créée

Dar lui en 1995?
176. Tout inclineà penser que ce ne fut pas le cas. Ce qui est arrivéau
débutde 1995,comme en mai 1994lors du dépôt de la déclaration,c'est
que lesautorités canadiennesse sont trouvéesplacéesdevant un dilemme.
Devant ce dilemme, l'«intention sous-jacente)) du Canada a fait un
choix. Ce choix comportait des risques, mais il comportait aussi la pos-
sibilité de gagnersur tous les tableaux, car les compétencesen matièrede
pêcheet de gestion et de conservation de ressources halieutiques dans la
zone de réglementation de I'OPANO avaient été transférées à la Com-
munauté européennepar les Etats membres de l'Union. Dans ces condi-
tions, le Canada étant un pays ami et alliéde longue date, on pouvait
s'attendre àce que, pendant la période chaude d'une éventuelle épreuve
de force avec l'Espagne ou le Portugal, la diplomatie des autres Etats

membres de l'Union européennedissuaderait l'Espagne ou le Portugal de
saisir la Cour d'un différendcontre le Canada. En tout cas. l'Union euro-
péenneelle-mêmen'avait pas qualitépour saisir la Cour.
177. Car l'autre branche du dilemme comportait des risques bien plus
graves pour les vraies intentions politiques du Canada dans la zone de
réglementation de I'OPANO, qui étaient de changer les règles du jeu
d'une façon permanente. Pourquoi? Parce qu'une réserve sans failles
dans la déclaration aurait été unaveu implicite de l'inexistence d'untre
de droit international servant de fondement aux mesures adoptées à
l'égard des naviresétrangers pêchant dansles eaux libres de ladite zone.
Or, cette image pouvait avoir des effets très négatifspour l'objectif poli-
tique majeur du gouvernement alors en place, dans un pays qui, ayant
épuiséles ressources biologiques de sa zone économiqueexclusive, vou-
lait seproclamer devant l'opinion «chefde filemondial en matièrede ges-

tion des océans et des ressources maritimes)) (mémoire de l'Espagne,
annexes, vol. 1,annexe 26, p. 442).
178. Le véritable but du Gouvernement canadien, son intention poli-
tique sous-jacente, ne visait pas en 1995la conservation du flétannoir, ni
l'Estai, ni les autres navires espagnols ou portugais, mais la création
d'une situation d'incertitude sur le droit en vigueur,es stocks chevau-
chants étantdestinés à servir de fer de lance pour essayer de négocierune
modification de ce droit en faveur des Etats côtiers, notamment du
Canada, au détriment des équilibres de la convention de 1982 (que le
Canada n'a pas encore ratifiée).En d'autres termes, le Canada cherchait
et cherche un titre international pour étendreses compétences étatiquesto Spain, and to Spanish and Portuguese vessels,when it decided, in the
first months of 1995,to replace what the letter of 15February 1995from
Mr. Ron MacDonald, Chair of the House of Commons Standing Com-
mittee on Fisheries and Oceans, calls "legal niceties" (Memorial of Spain,
Annexes, Vol. 1,Ann. 20) by "gunboat diplomacy", to quote the words
used by the Canadian press (ibid., Ann. 23)? Or did the Government
think that Canada was adequately protected by the reservation in para-
graph 2 (d) of the 1994declaration, even in the new situation created by
it in 1995?

176. Al1the indications are that this was not the case. What happened
at the beginning of 1995, as in May 1994 when the declaration was
deposited, was that the Canadian authorities were faced with a dilemma.

Confronted with this dilemma, Canada's "underlying intention" made a
choice. This choice entailed risks, but it also offered a chance of winning
on al1counts, forjurisdiction over fisheriesand the management and con-
servation of fish stocks in the NAFO Regulatory Area had been trans-
ferred by member States to the European Union. In these circumstances,
since Canada was a long-standing friend and ally, it might have been
expected that, if there was a showdown with Spain or Portugal, the diplo-
macy of the other member States of the European Union would dissuade
Spain or Portugal from submitting a dispute with Canada to the Court.
At al1events, the European Union itself was not entitled to bring the
matter before the Court.

177. For the other horn of the dilemma involved far more serious risks
for Canada's true policy aims within the NAFO Regulatory Area, which
were to change the rules of the game on a permanent basis. Why?
Because a fireproof reservation in the declaration would have been an
implicit admission of the lack of any title under international law as a
basis for the measures taken with regard to foreign vesselsfishing in the

free waters of the said area. This image could have had a very negative
impact on the Government's overriding political aim at that time in a
country which, having exhausted the biological resources in its exclusive
economic zone, sought to proclaim itself "world leader in oceans and
maritime resource management" (Memorial of Spain, Annexes, Vol. 1,
Ann. 26, p. 442).

178. In 1995, the Canadian Government's true target, its underlying
political intention, was not the conservation of Greenland halibut, or the
Estai, or the other Spanish or Portuguese vessels, but the creation of a
situation of uncertainty as to the existing law, whereby straddling stocks
were intended to serveas a spearhead in an attempt to negotiate a change
in that law in favour of coastal States, and in particular Canada, to the
detriment of the balances established in the 1982 Convention (which
Canada has not yet ratified). In other words, Canada was and is seeking
international title to extend its State jurisdiction into the NAFO Area ojdans la zone de la«haute mer» de I'OPANO adjacente aux eaux cana-
diennes, terme qui commence à êtreremplacédans la législationcana-
dienne par un autre sans portéejuridique préciseen droit international,à
savoir le mot «océans».Or, si l'on cherche à obtenir un titre au cours de
négociationsavec d'autres Etats, il n'est jamais bon de commencer par
reconnaître autour de la table, mêmeimplicitement, que le titre que l'on
cherche à se procurer n'existe pas, ni de près ni de loin, dans le droit
international en vigueur. Le Canada n'a pas voulu parler de titre inter-

national, mêmedans son contre-mémoiredans la présenteaffaire! D'où
la position qu'il a adoptéeen feignant d'ignorer l'objet du différendsou-
mis par l'Espagne à la Cour.
179. Lorsqu'on est à la recherche d'un titre ou tout au moins d'une
tolérancegénéraliséd ee la part des autres Etats, ce que tout diplomatie
fait, c'esttout simplement de biaiser sur la question. Voilà cequi explique
le silencede la réservede l'alinéa) du paragraphe 2 de la déclaration de
1994(et de la législationcanadienne)sur la question du titre international
servant de fondementaux mesures adoptées, ou àadopter, par le Canada
pour les navires battant d'autres pavillons, pêchant dans lazone de régle-
mentation de 1'OPANO (autres que les navires apatrides ou battant un

pavillon de complaisance), malgrél'exempleque l'on avait sous la main
dela réservede l'alinéad) de la déclarationcanadiennede 1970(voir para-
graphe 290 ci-après).
180. L'allocution prononcéepar le ministre Tobin le 4 août 1995,lors
de la dernière session de la conférence desNations Unies sur les stocks de
poissons chevauchants et grands migrateurs (mémoire de l'Espagne,
annexes, vol. 1,annexe 25), reflèteclairement ce que je viens de dire. On
y lit, notamment, ce qui suit:

«Aux Canadiens, en particulier à ceux des provinces de l'Atlan-
tique et surtout de Terre-Neuve et Labrador, qu'il me soit permis
d'exprimer ma conviction que cetteconventionpeut mettre un terme
à la surpêcheétrangèredefaçon permanente. Et, en attendant que
cette nouvelle convention soit totalement et dûment appliquée, le
Gouvernement du Canada va conserver la loi C-29 et, au besoin,
s'appuyer à nouveau sur elle pour prendre des me sures.^^ (Les ita-
liques sont de moi.)

181. Que la recherche d'un titre international pour pouvoir agir dans
lespêchesde la zone de réglementationde I'OPANO était etest au centre
des préoccupations du Gouvernementcanadien dans la zone ressort aussi

Dans le texte anglais de la déclarationdu ministre Tobin reproduite dans les annexes
du mémoire,onsemble avoir voulu biffer le mot «foreign)) devant ((overfishing)),mais il
est parfaitement lisible. Voila les problèmesqui se posentètelorsqu'on invoque
le subconscient, les prétendues((intentions sous-jacentes)).the "high seas" adjacent to Canadian waters, an expression which is

beginning to be replaced in Canadian legislation by another, without pre-
ciselegal meaning in international law, namely the word "oceans". If one
is attempting to negotiate rights with other States, it is never wise to
begin by acknowledging to al1and sundry, even implicitly, that the title
one is seeking to secure is nowhere to be found in current international
law. Canada did not wish to speak of international title, not even in its
Counter-Memorial in this case. Hence the position it adopted of feigning
ignorance with regard to the subject of the dispute submitted to the
Court by Spain.

179. When a title or, at the very least, general tolerance from other
States is being sought, what diplomacy does is to fudge the issue. This
explains why the reservation in paragraph 2 (d) of the 1994declaration
(and Canadian legislation) remains silent on the matter of the interna-
tional title underpinning the measures adopted, or to be adopted, by
Canada with regard to foreign flag vesselsfishing in the NAFO Regula-
tory Area (other than statelessor flag-of-conveniencevessels),despite the

example set by the reservationin subparagraph (d) of the 1970Canadian
declaration (see paragraph 290 below).

180. The statement made by Mr. Tobin, Canadian Minister of Fisher-
ies and Oceans, on 4 August 1996 to the Final Session of the United
Nations Conference on Straddling Fish Stocks and Highly Migratory
Fish Stocks(Memorial of Spain, Annexes,Vol. 1,Ann. 25)clearlyreflects
what 1have just said. We find, inter alia, the following:

"To the people of Canada, especiallyin the Atlantic provinces and
most especiallyin my own Newfoundland, let me express my confi-
dence that this new convention can endforeign overjishingperma-
nently. And, until the new convention is fully and properly imple-

mented, the Government of Canada will retain Bill C-29[, and if
necessary invoke it again in support of mea~uresl*."~(Emphasis
added.)

181. The fact that the search for an international title enabling the

Canadian Government to take action in the fisheriesof the NAFO Regu-
latory Area was - and is - central to its concerns in the area is also

* Note by the Registry: these words do not appear in the English text reproduced in
AnnIn the English text of Mr Tobin's statement, reproduced in the Annexes to the Memo-
rial, the word 'yoreign"before "overj'isappears to have been crossed out, but it
is perfectly legible. These are the sort of problems an interpreter faces when the sub-
conscious- the purported "underlying intentions" - is invoked.
?? 1650 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

du droit qu'a le Canada, s'ilse soumet aux conditionspertinentes établies
par la convention sur le droit de la mer de 1982, d'étendre au-delàdes
200 milles son plateau continental étant donné le bord extrême dela
marge continentale de ce plateau (articles 76 et suivants de la convention).
Dans un article publiéle 22décembre1995dans The Globe andMail de
Toronto (p. Al) et intitulé «Le Canada pourrait gagner des étendues

aussi vastes que les Prairies. Les scientifiques préparent des arguments
décisifspour revendiquer de grands espaces)),après la mention de l'ar-
ticle 76 de la convention de 1982,on lit par exemple ce qui suit:

«Cette disposition, selon le rapport de trente-quatre pages dont
The Canadian Press a eu communication, pourrait étendre de ma-
nière significative la reconnaissanàel'échelleinternationale de re-
vendications portant sur diverses ressources potentielles: pétrole
et gaz au large des côtes, minéraux des fonds marins et certaines
pêcheries.» (Les italiques sont de moi.) [Traduction du Greffee.]

L'article du journal fait mention du différend avec l'Espagne et est
d'ailleurs accompagnéde la carte reproduite ci-après, la page suivante.
182. On constate encore une fois que les intérêtsdu Canada dans la
zone de réglementation de I'OPANO ne concernent pas seulement la
conservation des stocks chevauchants. Le Canada a d'autres objectifs
importants dans cette zone. Que va-t-il se passer en cas d'extension du
plateau continental canadien à la colonne d'eau sus-jacente où se trou-

vent les bancs de pêchedu «nez» et de la «queue» des Grands Bancs et
ceux du ((Bonnet flamand)) où, àl'heure actuelle, il n'ya mêmepas,àma
connaissance, de stocks chevauchants? La tentation de créer des «effet-
tivités))dans ladite colonne d'eau ne saurait, dans les circonstances,être
négligée.
183. Le présentarrêtne veut rien savoir du titre international que le
Canada cherche à se tailler dans la zone de réglementationde 1'OPANO.
C'est probablement à cause de cela que l'arrêta préféré redéfinli'robjet
du différend de la requête de l'Espagne. Mais le comportement du
Canada pose aussi un problème de bonne foi (abus de droit) qui aurait
dû être considérépar l'arrê éttantdonné que celui-ciaffirme qu'établir la

compétenceest une question de droit que la Cour doit trancher compte
tenu de tous les faits. Y a-t-il des faits plus pertinents que ceux qui peu-
vent receler unabus de droit éventuel dela part d'un Etat déclarant?

184. A ce propos, il faut commencer par rappeler toutes les ambiguïtés
de la loi modificatrice de 1994et les rapports entre celle-ciet la réservede
l'alinéad) du paragraphe 2 de la déclaration du Canada du 10mai 1994.
Quelle est la portéede cette loi modificatrice, compte tenu du fait que le
Canada affirme avoir voulu protéger l'intégritéde celle-cipar la réservedemonstrated by Canada's right, subject to its acceptance of the relevant
conditions as laid down in the 1982Convention on the Law of the Sea, to
extend its continental shelf beyond the 200-mile limit, given the location
of the outer edge of the shelf s continental margin (Articles 76 et seq. of
the Convention). In an article published on 22 December 1995 in the
Toronto Globeand Mail (p. Al), entitled "Canada Could Gain Area the
Sizeof the Prairies. ScientistsPreparing ConclusiveClaim to Vast Tract",
we find, for example, after a reference to Article 76 of the 1982Conven-
tion, the following:

"This provision could significantly increase the international
recognition of claims to potential assets in offshore oil and gas, sea-
bed minerals and somejîsheries, says the 34 pages report, obtained
by The Canadian Press." (Emphasis added.)

The article refers to the dispute with Spain and is also accompanied by
the sketch map reproduced on the following page.
182. Once again we find that Canada's interests in the NAFO Regu-
latory Area do not merely concern the conservation of straddling stocks.
Canada has other important objectives in the area. What will happen
if the Canadian continental shelf is extended to the superjacent water
column containing the fishing banks of the Nose and Tai1 of the

Grand Banks and those of the Flemish Cap, where at present, as far as
1 know, there are not even any straddling stocks? In the circumstances,
the temptation to create effectivités in that water column cannot be
ignored.

183. The present Judgment displays no interest at al1in the interna-
tional title which Canada seeks to forge for itself in the NAFO Regula-
tory Area. This is probably the reason why the Judgment preferred to
redefine the subject of the dispute submitted in Spain's Application. But
Canada's conduct also poses a problem of good faith (abuse of rights)
which the Judgment should have considered, given its assertion that the
establishment of jurisdiction is a question of law which the Court must
determine in the light of al1the facts. Are there any facts more pertinent
than those which possibly mask some abuse of a right by a declarant
State?

184. In this respect, we must first look at al1 the ambiguities in the
amending Act of 1994and the relationship between it and the reservation
in paragraph 2 (d) of the Canadian declaration of 10May 1994.What is
the scope of that amending Act, bearing in mind Canada's assertion that
it wished to protect the integrity of this legislation by means of the res-651 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP. DISS. TORRES BERNARDEZ)

Croquis établi d'après lacarte dresséepar la Commission géologique
du Canada et parue dans The Globe and Mail du 22 décembre1995 FISHERIES JURISDICTION (DISS. OP. TORRES BERNARDEZ) 651

Sketch-map drawn from the map published by Geological Survey of Canada
and appearing inThe Globe andMail on 22 December 1995652 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS.TORRES BERNARDEZ)

en question? Au cours du présent incident, la thèsecanadienne de l'«in-
tégritéde la loi» a étéinvoquéead nauseam. Mais ni le Canada ni l'arrêt
ne se sont donné la peine d'approfondir la question. Essayons de le faire
ici en suivant, pour des finsde commodité,le professeurDouglas Day, de
l'université Dalhousieà Halifax. Se référant aux modificationsapportées
en mai 1994 à la loi sur la protection des pêchescôtières,l'auteur souligne
d'abord :

«Pour justifier au niveau international les mesures qu'elle énonce,
la loi modificatrice affirme que l'une desprincipales ressources mon-
diales renouvelables du domaine alimentaire est menacée dedispari-
tion du fait de sa surexploitation et que le Canada se donne donc le

pouvoir d'interdire à certaines catégories de bateaux de pêche
d'exploiter des stocks chevauchants de poissons déterminés dans la
zone de réglementationde I'OPANO afin de garantir que les mesures
de gestion et de conservation prises d'un commun accord par le
Canada et 1'OPANO ne soient pas compromises. En inscrivant son
action dans le cadreinstitutionnel de I'OPANO, la loi s'est attaquée
principalement à la pêche illicipratiquéepar des pays n'apparte-
nant pasà cette organisation et a montréque le Canada étaitprêt à
soutenir celle-cinon pas simplement par des mesures de surveillance
et de contrôle, mais aussipar la mise enplace d'un dispositifefficace
d'application decesmesures. Les patrouilles effectuéespar le Canada

au moyen d'avions Aurora, de bateaux de pêcheet de bâtiments de
sa marine constituent le fer de lance du dispositif de surveillance et
de contrôle de I'OPANO, mais celle-ci ne disposait pas encore d'un
mécanismeinternational efficace de mise en Œuvrede ses efforts de
gestion des stocks. Le Canada pouvait donc désormais faire valoir
qu'il montraità 1'OPANO comment celle-ci pouvait éliminerson
point faible en faisant appeàtout l'arsenal des moyens d'action de
1'Etat côtier. Son opposant le plus virulent était, il ne fallait guère
s'en étonner, l'Union européenne qui, lors de la réunion tenue par
1'OPANO en septembre 1994, a soutenu que le Canada aurait dû
attendre qu'un consensus sedégageparmi lesmembresde l'organisa-

tion avant d'agir.
Le Canada s'efforce aussi de réduireau minimum l'opposition à
son initiative en choisissant le bon moment pour agir et en prenant
d'abord pour cible certaines catégoriesde bateaux.»(((Tendingthe
Achilles' Heelof NAFO. Canada Acts to Protect the Nose and Tai1
of the Grands Banks», Marine Policy, 1995,vol. 19,no4, p. 264; les
italiques sont de moi.)

Et il continue comme suit:

«Le règlementpeut êtremodifié à tout moment par le gouverneur
en conseil,la loi permettant de modulerla réponse face auxnouvelles
menaces qui pourraient peser sur différentsstocks dans les mêmes
secteurs ou face aux menaces que représententles navires battant leervation in question?The Canadian argument about "the integrity of the
legislation" has been invoked ad nauseam during the present incidental
proceedings, yet neither Canada nor the Judgment took the trouble to
examine the issue. Let us try and do that now, for convenience's sake
with the help of Professor Douglas Day of Dalhousie University, Hali-
fax. Speaking of the amendments of May 1994to the Coastal Fisheries
Protection Act, he first points out:

"To justify its actions internationally,hese amendments declare
that one of the world's major renewable food resources is threatened
with extinction by continued exploitation, and that Canada was
assuming the power to prohibit certain classes of foreign vessels
from exploiting prescribed straddling stocks in NAFO's Regulatory
Area in order to ensure that the agreed conservation and manage-
ment measures of Canada and NAFO are not undermined. In defin-
ing NAFO as the institutional framework for its action, the Act
focused on illegalfishing by non-members of NAFO and showed that
Canada is pvepared to extend its support to that organisation in
terms not just of surveillance and monitoring, but also effective
enforcement. Canadian patrols by Aurora aircraft, fisheries and
naval vessels,fonn the backbone of NAFO's surveillance and moni-

toring efforts, but the organisation still lacked an effective interna-
tional enforcement effort to support its stock management efforts.
Canada could now advocate that it was showing NAFO how it
could cure its Achilles' heelby enlisting the support of the coastal
state's full enforcement capabilities.Canada's most vocal opponent
was, not unexpectedly, the EU and at NAFO's September 1994
meeting it pleaded that Canada should have waited for a consensus
of NAFO members before taking action.

Canada also sought to minimise the amount of opposition to its
move through both its timing and the initial definition of targeted
vessels..." ("Tending the Achilles' Heelof NAFO. Canada Acts to

Protect the Nose and Tai1 of the Grand Banks", Marine Policy,
1995,Vol. 19,No. 4, p. 264; emphasis added.)

Professor Day continues :

"The regulations can be amended by Governor in Council at any
time, so that the Actprovides flexibilityin the face of new threats to
different stocks in the same areas and threats by vessels with other
registrationsthan those specified in May 1994.Although ostensibly pavillon d'un autre pays que ceuxqui ont étéénuméréesn 1994.Bien
qu'elles aient apparemmentpour cible les activitésde la pêchedes
pays non membres dans la zone de réglementation, les dispositionsde
la loimod$ée pourraient étreinvoquées pour régled r'autres dif5-
cultésque le Canada connaît avecI'OPANO. La loi a donné pouvoir
de contraindre d'autres membres à se conformer à la volontéde la
majoritéau sein de I'OPANO. L'histoire de cette organisation est
émailléede conflits opposant le Canada à la CEEIUE au sujet des
mesures de conservation pour les stockschevauchants.Souvent mise
en minorité quand venait le temps des décisionsfixant les totaux
admissibles de capture et les quotas, la CEEIUE (et avant 1986,
l'Espagneet le Portugal également)recourait alorsà la procédurede

l'objection pour fixer ses propres quotas et ainsi surexploiter((léga-
lement»les stocks chevauchants (ou les stocks de poissons de haute
mer). Si la loi avaitpour objectif initial de mettre unfàelapêche
illégalepratiquéepar lespays non membres (surtout par des bateaux
espagnolset portugais ayant changé de pavillon),ellen'enoffrait pas
moins au Canadalafaculté de mod$er rapidement le règlementpour
autoriser la saisie de tout bateau immatriculé dans l'Unioneuro-
péenne violantles mesures de gestion et de conservationsur le Nez et
la Queue du Grand Banc et, dans le cas du flétandu Groenland,
dans la division 3M. La loi modifiéesur la protection des pêches
côtièrespermettait aussi le cas échéant depriver d'effet le recours
la procédure d'objection mise en Œuvre contre les décisions de
I'OPANO sur les stocks chevauchants ..» (D. Day, p. 265; les ita-
liques sont de moi.)[Traduction du Greffe.]

185. On voit donc clairement quelle était la((cibleinitiale manifeste))
du projet de loi C-29, devenu loi au mois de mai 1994, c'est-à-dire au
moment où celui-ci estinvoquépar le Canada en tant que ((circonstances
entourant le dé~ôtde la déclaration)) du 10 mai 1994. Le texte de la
réservede i'aiinkad), tel qu'ilest formulé dans la déclaration, peuteffec-
tivement protégerl'intégrité dela législationcanadienne de 1994,car en
principe il n'y a pas de contradiction flagrante entre ladite législationet
les compétencesque le Canada peut exercer, d'aprèsle droit internatio-
nal, dans une zone appartenant à la haute mer pour lesclassesde navires
alors visées. Maisla question sepose autrement dèslors qu'on invoque la
réservepour protéger non pas l'intégrité de lloi dans sa rédaction modi-

fiéedu 12 mai 1994, mais l'extension de son application à des navires
ayant une nationalité et un pavillon réguliers,espagnols et portugais en
l'espèce,extension réaliséepar le règlement du 3 mars 1995. Pour ces
nouvelles cibles, la réserve,telle qu'elle est formulée,devient de par son
propre texte un oxymoron en droit international.
186. Sice n'était quecela, il n'y aurait qu'un problème d'interpréta- designed to target non-member fishing in the Regulatory Area, the
latent potential of the Canada's amended Act could be invoked to
eliminate more of Canada's concerns about NAFO. The Act embod-
ied the power to make other members conform with majority think-
ing within NAFO. NAFO's history has been marked by conflict
between Canada and the EECIEU on management measures for
straddling stocks. The EECIEU (and before 1986,Spain and Portu-
gal also) has often occupied a minority position on TAC and quota
decisions and invoked the objectionprocedure to set its own quotas,
thus 'legally'allowing it to overfish the straddling (and high seas)
stocks. Although the Act's initial target was control of illegalfishing
by non-members (especially expatriate Spanish and Portuguese ves-
sels), Canada could quickly amend the Regulations to allow the
arrest of any EU-registered vesse1contravening approved conserva-

tion and management measures on the Nose and Tai1and, in the case
of turbot, in Division 3M. The latent potential of the amended
Coastal Fisheries Protection Act included the ability to nullify use of
the objection procedure in regard to NAFO decisions on straddling
stocks . . .(D. Day, p. 265; emphasis added.)

185. We therefore see clearly what the "manifest initial target" was of

BillC-29, which became law in May 1994,that is to say, at the time when
Canada invokes it as "circumstances surrounding the deposit of the
declaration" of 10 May 1994. The text of the reservation in subpara-
graph (d), as formulated in the declaration, can indeed protect the inte-
grity of the 1994Canadian legislation, since in principle there is no glar-
ing contradiction between that legislation and the powers which Canada
is entitled, by international law, to exercise in an area of the high seas
in regard to the classesof vesselswhich the legislation then contemplated.
The matter appears in a different light, however, when the reservation
is invoked in order to protect, not the integrity of the legislation as
amended on 12 May 1994, but the extension, by the Regulations of
3 March 1995, of its application to vessels having a proper nationality
and flag - in this case, Spanish and Portuguese. As far as these fresh
targets are concerned,the very text of the reservation,given the terms in
which it is formulated, becomes self-contradictory in international law.
186. If that were all, the only problem would be one of interpretation.654 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS.TORRES BERNARDEZ)

tion. Mais ce dont il faut tenir compte, c'estque le Canada invoque, dans
leprésent incidentpréliminaire,l'oxymoron de la rédactionde sa déclara-
tion du 10mai 1994pour essayer de persuader la Cour que l'intégrité de
la loi que cette déclaration étaitcenséeprotéger vaut aussi pour l'exten-
sion qui est faite de son application par le règlementdu3 mars 1995.Si
telle était l'intention du Canada en mai 1994, il fallait l'exprimer avec
beaucoup plus de clarté dans la déclaration elle-même,instrument de
droit international ou, tout au moins, le dire nettement dans la déclara-

tion que le ministre des affairesétrangères,M. Ouellet, a faite au Sénatle
12mai 1994lors de la discussion du projet de la loi C-29. Mais le Canada
n'en a rien fait. Que devient alors son obligation de bonne foi dans le
cadre du systèmede la clause facultative vis-à-visdes autres Etats décla-
rants, y compris l'Espagne?
187. La question se pose parce que ni par le texte de la déclaration,ni
par la déclaration du ministreOuellet, ni non plus par la voie diploma-
tique, le Canada n'a informél'Espagne en temps utile de l'intention qu'il
attribue maintenant à sa déclarationdu 10mai 1994pour ce qui est des
navires espagnolspêchanten marslavril 1995dans la zone de réglementa-
tion de 1'OPANO.Le systèmede la clause facultativefondé sur la bonne
foi du déclarant dans l'exécution desobligations qu'il assumen'admet ni

les demi-motsni les faux-semblants. Il se pose donc un problème d'abus
de droit que l'arrêtnéglige.Les nouvelles cibles dont parle le professeur
Douglas Day, si elles existaient, sont restées bien cachéesou ont été
tenues dans l'ombre en mai 1994.
188. Lors du débat sur le projet de loi C-29, les ministres canadiens
n'ont pas préciséavecla clartévoulue par les((principes»de bonne foi du
droit international et du systèmede la clause facultative que la déclara-
tion canadienne d'acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour
couvrait également d'éventuellesapplications de la loi modifiée à des
navires des Etats membres de YOPANO en généralou à des navires espa-
gnols ou portugais en particulier. Ils ont mêmerassuréles parlementaires
canadiens en leur disant que l'Espagne et le Portugal coopéraient totale-

ment avec 1'OPANO.Des ambiguïtéssur les possibilitésd'application de
la loi modifiéeà des navires autres que des navires apatrides ou battant
un pavillon de complaisance ne dérogent point à ce que je viens de dire.
Le Canada n'a pas précisélors du dépôt de sa déclaration que la loi
modifiéepouvait s'appliquer aux navires espagnols, ni que l'intégritéde
la loi modifiéecouverte par sa déclaration du 10 mai 1994 embrassait
également des mesuresadoptées etexécutées éventuellement àl'encontre
des navires espagnols. Tout le reste n'est que commentaire à posteriori
sans pertinence juridique en droit international pour la question que je
suis en train de considérer ici.
189. Mais, en mars 1995,le Canada est passé à l'action en s'attaquant
aux navires de pêcheespagnols dans la zone de réglementation de

I'OPANO. Or. il est un ~rinci~e de droit international bien établi et
reconnu par la jurisprudence de la Cour selon lequelamauvaisefoi ne se
présumepas. Aussi un Etat déclarant, comme l'Espagne, était tenu jus-What has to be borne in mind, however, is that in the presentpreliminary
incidental proceedings Canada invokes the self-contradiction embodied
in the wording of its declaration of 10 May 1994in an attempt to con-
vince the Court that the integrity of the legislation which the declaration
was intended to protect applies also to the extension of that legislation's
scope effected by the Regulations of 3 March 1995.If that was Canada's
intention in May 1994,it should have been expressed far more clearly in
the declaration itself which is an instrument of international law - or
at the very least expressedin plain terms in the statement which the Min-

ister of Foreign Affairs, Mr. Ouellet, made in the Senate on 12May 1994
when Bill C-29 was being discussed. But Canada did nothing of the sort.
So what then becomes of its duty of good faith under the optional clause
system vis-à-vis other declarant States, including Spain?
187. This question indeed arises because neither in the text of the dec-
laration, nor in the statement by Minister Ouellet, nor indeed through
diplomatic channels, did Canada give Spain due notice of the intention
which it now ascribes to its declaration of 10 May 1994 in regard to
Spanish vessels fishing in MarchIApril 1995 in the NAFO Regulatory
Area. Equivocation or falsepretences have no part to play in the optional
clause system, which is based on the good faith of the declarant in the
performance of the obligations which it undertakes. Hence an issue of
abuse of rights arises, and the Judgment ignores it. The new targets which

Professor Day spoke of, if they existed, remained carefully concealed or
kept well in the background in May 1994.
188. In the debate on Bill C-29, Canada's Ministers failed to make
clear, to the extent required by the "principles" of good faith inherent in
international law and the optional clause system, that the Canadian dec-
laration acceptingthe compulsory jurisdiction of the Court also covered
the possibility of the amended Act being applied to vessels of NAFO
member States in general, and to Spanish or Portuguese vessels in par-
ticular. They even went so far as to reassure the members of the Cana-
dian Parliament by telling them that Spain and Portugal were co-
operating fully with NAFO. Ambiguities about the possibility of the
amended Act being applied to vessels other than stateless or flag-of-con-
venience vesselsin no way detract from what 1have just said. In depos-
iting its declaration Canada did not specify that the amended Act might

apply to Spanish vessels,nor that the integrity of the amended legislation
covered by its declaration of 10May 1994also embraced measures which
might be taken and enforced against Spanish vessels. Al1else is simply
a posteriori comment, of no legal relevance under international law in
regard to the question 1am now examining.

189. Nevertheless, in March 1995 Canada took action by attacking
Spanish fishing vessels in the NAFO Regulatory Area. It is of course a
well-established principle of international law, and one acknowledged in
the Court's case-law, that badfaith is not to be presumed. Accordingly,
until this time a declarant State such as Spain was bound by that prin-655 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

qu'à cemoment par ceprincipedans sesrelations d'Etat déclarantavec le
Canada. Dans ce contexte, il n'était pascenséprésumer desviolations
du droit de la haute mer, voire des abus de droit, par le Canada sous le
couvert d'une réservedans la déclaration canadienne qui, de par sa for-
mulation, n'était pas du tout claire à cet égard. La non-présomption
de la mauvaisefoi ou de l'abus dedroit est parfaitement reconnue par la
jurisprudence internationale. Par exemple, par la Cour permanente dans
son arrêtde 1932dans l'affaire des Zones franches dans les termes sui-

vants :
«Une réservedoit être faite pourle cas d'abus de droit, car il est
certain que la France ne peut échapper à l'obligation de maintenir
les zones, en créant, sousle nom de cordon de surveillance, un cor-
don douanier. Mais la Cour ne saurait présumer l'abus du droit.»
(Zonesfranches delaHaute-Savoie et duPays de Gex, 1932, C.P.J.1.

sévieAIB no46, p. 167; les italiques sont de moi.)
190. L'Espagne, en tant qu'Etat déclarant, n'avait pas à présumer
avant mars 1995des violationsdu droit international ou des abusde droit
de la part du Canada en rapport avec sa déclarationdu 10mai 1994.Cela
ne peut pas être sansconséquencejuridique en ce qui concerne la rece-

vabilitéou l'opposabilitéà l'Espagne, dans le présent incident, de ladite
réservecanadienne, quelle que soit sa portée.
Il convient d'ajouter que l'Espagneétaitencoremoins en mesure d'attri-
buer au Canada de telles intentions parce que: 1) la déclaration du
Canada de 1994concernait une réserveobjectivede compétencenationale
(réservede l'alinéac) du paragraphe 2 qui, comme telle,renvoie au droit
international pour ce qui est de la définitiondes questions relevant exclu-
sivementde lajuridiction du Canada, et 2)la règlede lajuridiction exclu-
sive de 1'Etatdu pavillon protégeaitles navires de celui-cien haute mer,
règlecoutumière qui à ce titre s'imposetant au Canada qu'à l'Espagne.
191. Il est vrai que lors de la phase orale du présent incident,les con-
seils du Canada ont plutôt essayéde persuader la Cour que les mesures

adoptéespar le Canada à l'encontre des navires espagnols n'étaient pas
des comportements délictueuxen droit international (d'où les efforts
déployés pour insister sur la pratique des Etats en la matière). Mais dans
son contre-mémoire.face aux argu"ents du demandeur selon lesauels les
mesures en question et leur exécutionétaientdes faits illicitesinternatio-
naux du Canada et non des mesures de gestion et de conservation, ni
l'exécutionde tellesmesures, le Canada a répondu que lechamp d'appli-
cation de sa réservecouvre le tout,àsavoir lesmesures tant licitesqu'illi-
cites au regard du droit international. Cette affirmation ne s'accorde pas,
à mon avis, avec les principes de bonne foi et de confiance mutuelle sur
lesquelsrepose le systèmede la clausefacultative,car letexte de la réserve
n'indique pas que lesmesures en question peuvent êtreillicites.l garde le

silenceà cet égard,or l'Espagnene saurait présumer nila mauvaisefoi du
Canada ni l'abus de droitpar celui-ci.
192. Compte tenu de ce qui précède,j'estime que la réserve de l'ali-ciple in its relations as declarant State with Canada. In this context, it was
not for Spain to presume violations by Canada of rights over the high
seas, stilllessan abuse of rights, under cover of a reservation in the Cana-
dian declaration whose wording was far from clear in this regard. The
presumption against bad faith or abuse of rights is fully recognized in
international jurisprudence, for example by the Permanent Court in its
Judgment in 1932in the Free Zones case in the following terms:

"A reservation must be made as regards the case of abuses of a
right,sinceit is certain that France must not evade the obligation to
maintain the zones by erecting a customs barrier under the guise of
a control cordon. But an abuse cannotbe presumed by the Court."
(FreeZones of UpperSavoy and the District of Gex, 1932, P.C.I.J.,
Series AIB, No. 46, p. 167;emphasis added.)

190. Before March 1995 it did not lie with Spain, as a declarant State,
to presume that there had been violations of international law or an
abuse of rights by Canada in regard to its declaration of 10 May 1994.
This must have legal consequences for the admissibility or the opposabil-
ity to Spain of the Canadian reservation in question in the present inci-
dental proceedings, irrespective of its scope.
Moreover, Spain was al1the less in a position to attribute such inten-
tions to Canada, in that: (1) the Canadian declaration of 1994contained

an objective reservation of national jurisdiction (the reservation in para-
graph 2 (c) which, as such, refers to international law for purposes of
defining questions which fa11 exclusively within the jurisdiction of
Canada); and (2) the rule of the exclusivejurisdiction of the flag State
afforded protection to its vesselson the high seas - a customary rule and
binding accordingly on both Canada and Spain.
191. It is true that, in the oral phase of the present incidentalroceed-
ings, counsel for Canada sought rather to persuade the Court that the
measures taken by Canada against Spanish vessels did not constitute
delictual conduct in international law (hence the efforts to lay emphasis
on Statepractice in the matter). In its Counter-Memorial, however, when
faced with the Applicant's arguments that the measures in question and
their enforcement were internationally wrongful acts of Canada and not

conservation and managument measures. or the enforcement of such
measures, Canada replied that the scope of its reservation covered every-
thing, that is to Saymeasures both legal and illegal under international
law. That assertion does not, in my opinion, sit wellwith the principles of
good faith and mutual trust on which the optional clause systemis based,
because the text of the reservation does not indicate that the measures in
question might be illegal.While the text remains silent on that point, it is
not for Spain to presume either badfaith or an abuseof rights on the part
of Canada.
192. In the light of the foregoing, 1believethat the reservation in para-656 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

néa d) du paragraphe 2 de la déclaration du Canada, indépendammend te
toute question de validité,ne saurait êtreadmise ou opposéeà l'Espagne
danslaprésenteprocédureincidentepréliminaire.A la rigueur, elledevrait
êtreréexaminée par la Cour lors de la phase sur le fond en pleine connais-
sance de tous lesélémentsdefait et de droit de l'affaire. L'arrêtévite ainsi
de poser une question qui, par sa nature mêmeet par son envergure,
aurait dû êtreexaminéed'officepar la Cour.

L'arrêtrenonce au contrôle de l'abusde droit dans le cadre du système
de la clause facultative. Je ne saurais non plus le suivre sur cette voie. Il
ne s'agit pas ici d'une dérogationau principe du consentement à la juri-
diction, ni d'une limitation quelconque de la facultéd'insérer desréserves
dans les déclarations,mais il s'agit certainement de la conduite des Etats
déclarants dans l'exercicede ces libertés.En somme, de la bonne foi et de
la confiance mutuelle dans les rapports entre Etats déclarants dans le
cadre du systèmede la clause facultative.
193. Rappelons à cepropos qu'en 1945,le futur membre de nationalité
canadienne de la Cour, qui participa àl'élaboration du présent Statut,
M. Read, formula dans une lettre reproduite dans un article publié par
Shabtai Rosenne, intitulé ((Judge John E. Read and the International

Court of Justice)),l'observation suivante au sujet de la facultéqu'ont les
Etats d'insérerdes réservesdans leur déclaration: «L'ex~érienceacauise
enseigneque le risquede voir un pouvoir général deformulerdes réserves
prêterà abus est nul.»(Annuaire canadiende droit international,t. XVII,
1979, p. 19. [Traduction du Greffe.]) Le présent incident préliminaire
montre malheureusement que cela est possible et, ce qui est beaucoup
plus inquiétant, en regardant vers l'avenir, c'est que la Cour, tout au
moins dans le présentarrêt,considère qu'il s'agitlà d'un comportement
admissible de la part d'un Etat déclarant, dont les effets seraient oppo-
sables aux autres Etats déclarants.

C. L'interprétationde la déclaration du Canada du10 mai 1994,
y compris de la réserve de l'alinéa) de son paragraphe2

1. La déclaration canadiennecomme objet de l'interprétation à faire par
la Cour

194. Le Canada excipe de la réservede l'alinéad) du paragraphe 2 de
sa déclaration du 10mai 1994pour s'opposer à la compétence dela Cour
dans la présenteaffaire. La déclaration canadienne est en outre la seule
qui donne lieu à une divergence d'interprétation entre les Parties sur la
compétence dela Cour dans l'affaire et c'est ce désaccordqui doit être
tranchédans le présent incident préliminaire.
195. Ainsi, la première question qui se poseà cet égardest celle de

savoir quel est l'objet del'opération interprétative que laCour est censée
entreprendre? J'aidéjàdonnéci-dessusune premièreréponseprincipale à
cette question lorsque j'ai exprimé maconviction que l'objet de l'inter-
prétation est la déclaration du Canada elle-mêmeet non, comme le pré- FISHERIES JURISDICTION (DISSO. P.TORRES BERNARDEZ) 656

graph 2 (d) of the Canadiandeclaration, regardlessof any issue of valid-
ity, is neither admissiblenor opposableto Spain in thepresent preliminary
incidentalproceedings. If need be, the Court should reconsider it at the
merits stage in the light of al1the factual and legal elements which the
case involves. The Judgment omits to pose a question which, by its very
nature and importance, the Court should have examined proprio motu.

The Judgment declines to consider whether there has been an abuse of

rights within the framework of the optional clause system. Here also,
1cannot agree with its approach. The issue here is not one of derogation
from the principle of consent to jurisdiction, or of a restriction on the
freedom to insert reservations in declarations; it is about the conduct of
declarant States in the exercise of those freedoms. In short, about good
faith and mutual trust in relations between declarant States within the
framework of the optional clause system.
193. It may be recalled in this connection that in 1945, in a letter
reproduced in an article by Shabtai Rosenne entitled "Judge John E.
Read and the International Court of Justice", Judge Read, the future
Canadian Member of the Court, who took part in the drafting of the
present Statute, made the following observation in regard to the power of
States to include reservations in their declarations: "The experience of

the past has shown that there is no likelihood of a general power of res-
ervation being abused" (The Canadian Yearbook of International Law,
Vol. XVII, 1979,p. 19). Regrettably, the present preliminary incidental
proceedings show this to be possible; and what is far more alarming,
looking to the future, is that, at least in the present Judgment, the Court
considers this conduct acceptableon the part of a declarant State and its
effects opposable to other declarant States.

C. The Interpretation of the CanadianDeclaration of 10 May 1994,
Including the Reservation in Paragraph 2 (d) of the Declaration

1. The Canadian declaration as the subject-matter of the interpretation
which the Court must undertake

194. Canada invokes the reservation in paragraph 2 (d) of its declara-
tion of 10 May 1994in order to challenge the Court's jurisdiction in the
present case. The Canadian declaration is, moreover, the only one which
gives rise to a difference of interpretation between the Parties as to the
Court's jurisdiction in this case, and it is this disagreement which has to
be resolved in the present preliminary incidental proceedings.
195. Accordingly, the first question which arises in this respect is, what
is the subject-matter of the interpretative process which the Court must
undertake? My initial and principal answer to this question was given
earlier, when 1expressed my conviction that the subject of the interpreta-
tion is theCanadian declaration itself and not, as the Judgment main-tend l'arrêt,les motifs politiques ou autres qui ont menéle Canada à
accepter unilatéralementle 10mai 1994 la juridiction obligatoire de la
Cour (c'est-à-direl'intention subjectivedu Canada de devenir Etat décla-
rant). Il faut maintenant compléter cette conclusionpar une deuxième, à
savoir que l'objet de l'interprétation quela Cour doit faire est la déclara-
tion du Canadadansson ensemble,car comme l'arrêtle rappelle dans son
paragraphe 44 :

«Tous les éléments d'une déclaratiofnaite en vertu du para-
graphe 2 de l'article 36 du Statut qui, pris ensemble, comportent
l'acceptation de la compétencede la Cour par 1'Etat auteur de la
déclaration, doivent être interprétésommeformant un tout, auquel
doivent êtreappliquésles mêmesprincipes juridiques d'interpréta-
tion.» (Les italiques sont de moi.)

196. Les deux Parties avaient reconnu d'ailleurs l'unicitéde la déclara-
tion du Canada, à savoir que lesréservessont aussi la déclarationou font
partie intégrante de la déclaration,mais ellesn'en ont pas tiréles mêmes
conséquencespratiques en ce qui concerne l'interprétation dela réserve
de l'alinéad). L'arrêt,quant à lui, après avoir fait état de l'unicitéde la
déclarationcanadienne,prend aussitôt sesdistances avecune telleconclu-
sion. En fait, pour l'arrêt,si la déclarationdu Canada forme un tout (une
unité),ce n'est que pour mieux souligner qu'il n'existe aucune raison de
donner une interprétation restrictive aux réserves d'une déclaration
d'acceptation de la jurisprudence obligatoire de la Cour.

197. L'arrêtne s'occupe alors plus que de la réservede l'alinéa d) en
l'isolant du reste de la déclaration.Il n'existe finalement plus que cette
réserveou plutôt l'intention subjective ou les motifs politiques que le
Canada dit maintenant avoir eus lorsqu'il l'a inséréedans sa déclaration
du 10mai 1994.Dans le raisonnementinterprétatif de l'arrêt,au tout (la
déclaration)est substituéeune de sesparties (la réservede l'alinéad)) ou,
mieux encore, l'intention que l'arrêt attribueau Canada lorsqu'il a fait la
déclarationle 10mai 1994.Je ne saurais suivre l'arrêtni dans son réduc-
tionnisme ni dans ses contradictions. Par exemple, lorsque l'arrêtmen-
tionne le«contexte)) de la réserveilne renvoie pas du tout au contexte en
tant qu'élémenitnterprétatif admis par le droit international mais à des
circonstances,c'est-à-direàdesmoyenscomplémentairesd'interprétation.

Une déclaration faite dans le cadre du systèmede la clause facultative
forme effectivement un tout. Elle constitue une unité. L'objetde l'inter-
prétation est justement cette unité.C'est de cette unité que se dégagele
consentement à la juridiction donné par 1'Etat déclarant vis-à-vis des
autres Etats déclarants.Les réservesdans une déclaration faite en vertu
de la clause facultativefont corps avecla déclaration.C'est l'ensemblede
la déclaration qui exprime le consentement de l'Etat déclarant à la juri-
diction obligatoirede la Cour et c'est l'ensemblede la déclaration qui esttains, the political or other reasons which led Canada to accept the com-
pulsory jurisdiction of the Court unilaterally on 10 May 1994(that is to
Say, Canada's subjective intention to become a declarant State). This
conclusion must now be supplemented by a further conclusion, namely
that the subject-matter of the interpretation to be undertaken by the
Court is the Canadiandeclarationas a whole,for, as the Judgment points
out in paragraph 44:

"Al1 elernents in a declaration under Article 36, paragraph 2, of
the Statute which, read together, comprise the acceptance by the
declarant State of the Court's jurisdiction, are to be interpreted as a
unity, applying the same legal principles of interpretation through-
out." (Emphasis added.)

196. The two Parties had, moreover, themselves acknowledged the

unity of the Canadian declaration, that is to say the fact that reservations
also constitute the declaration or form an integral part of it, but they did
not infer the same practical consequences from this for purposes of the
interpretation of the reservation in subparagraph (d). The Judgment, for
its part, havingnoted the unity of the Canadian declaration, immediately
distances itself from that conclusion. In effect, in so far as the Judgment
states that the Canadian declaration constitutes a whole (a unity), this is
only in order the better to emphasize that there is no reason to interpret
restrictively reservations contained in a declaration of acceptance of the
compulsoryjurisdiction of the Court.
197. The Judgment thenceforth confines its attention to the reserva-
tion in subparagraph (d), isolatingit from the rest of the declaration. Al1
we are left with, ultimately, is the reservation, or rather the subjective
intention or political motives which Canada now claims to have had
when it included the reservation in its declaration of 10May 1994.In the
interpretative reasoning of the Judgment, the whole (the declaration) is
replaced by one of its parts (the reservation in subparagraph (d)) or,
going evenfurther, the intention which theJudgment attributesto Canada

when it made the declaration of 10May 1994.1 cannot accept either this
reductionist approach of the Judgrnent or the contradictions which it
involves. For example, when the Judgment talks of the "context" of the
reservation,far from invokingthe context as an element of interpretation
recognized in international law, it refers instead to circumstances, that is
to say, to supplementary means of interpretation.
A declaration made under the optional clause system effectivelyforms
a whole. It constitutes a unity. The subject-matter of the interpretation is
precisely that unity. It is from that unity that we have to ascertain the
consent to jurisdiction given bya declarant State vis-à-visother declarant
States.Reservations to a declaration under the optional clause system are
part and parce1of the declaration. It is the declaration as a whole which
expresses the consent of the declarant State to the compulsory jurisdic-
tion of the Court and it is the declaration as a whole which is at issueen cause lorsque la compétence estcontestée,mêmesi l'on excipe d'une
partie de la déclaration ou d'une seule condition ou réservecomme en
l'espècepour justifier son opposition àla compétencede la Cour.
Le titre juridictionnel est la déclaration dans son ensemble. Les ré-
serves ou les conditions ne constituent pas des titres autonomes de non-
compétence. C'estpourquoi le principe d'intégration joueun rôle impor-
tant dans l'interprétationdes déclarationsrelevant du systèmede la clause
facultative, qui sont des instrument unilatéraux, mais formels et solen-
nels. La requête de l'Espagne invoque la déclaration duCanada dans son
ensemble comme il sedoit.
198. J'ai déjà signaléque le consentement qu'expriment les déclara-
tions est un consentementpréconstituépar rapport au litige et donnépar

écrit.Ainsi, dans le systèmede la clause facultative, il ne fait guère de
sens d'introduire dans le débat des présomptions négativesou positives
de consentement. Le consentement de 1'Etat déclarant, dans les limites
qu'il a tracées,est devant nous. Il s'exprime dans la déclaration. Il ne
s'agit donc que de préciserson sens et sa portéeen interprétant la décla-
ration conformément aux règles de droit international applicables à
l'interprétation des instruments internationaux et auxquelles la jurispru-
dence de la Cour a fait une contribution historique notable.
199. La déclaration du Canada a été déposé conformémentau para-
graphe 2 de l'article 36 du Statut. Qu'est-ce que cela veut dire? Que le
Canada l'a fait dans un but bien précis, à savoir accepter la juridiction
obligatoire de la Cour ainsi que l'énoncela déclaration. Le point de
départdu raisonnementjuridique ne peut donc pas être, dans ces condi-
tions, que le Canada n'a donné son consentement à rien du tout sauf

preuve du contraire! Il a dû donner son consentement à quelque chose.
Alors, il est touà fait légitimepour tout interprète de bonne foi d'adop-
ter comme point de départ de l'opération interprétativele fait qu'en
déposantsa déclarationle Canada a donnéun consentement àla juridic-
tion obligatoire de la Cour tel que je l'ai déjàdit. Cela relativise dans le
systèmede la clause facultative la ((preuveabsolue du consentement))sur
laquelle le Canada a insisté à maintes reprises. Ainsi, des -affirmations
telles que:«[o]n ne peut pas partir d'une présomption de compétencequi
reposerait sur le fait qu'une déclaration a étéfaite)) n'emporteront pas
ma conviction. En tout cas, aux fins de l'interprétation, «on peut partir
du fait qu'une déclaration a étéfaite)).
200. En outre, dans le cas d'espèce,la déclaration canadienne elle-
même précisq eue-leCanada ((acceptecomme obligatoirede plein droit et

sans convention spéciale ...la juridiction de la Cour en ce qui concerne
tous les différends...autres que» ceux énuméréa sux alinéasa) àd) de
son paragraphe 2. Un interprète ne doit-il pas prendre en considération
dans son raisonnementinterprétatif cettepartie du texte de la déclaration
quijustement précèdeles alinéasconcernant les réserves?Bien sûr qu'il le
peut. Il est mêmeobligéde commencer par là son interprétation. Dire
que cela revient à adopter comme ((règlegénérale)) une présomption en
faveur de la juridiction de la Cour est une absurdité.when jurisdiction is challenged, even if part of a declaration or a single
condition or reservation, as in the present case, is invoked to justify that
State's objection to the Court's jurisdiction.
The jurisdictional title is the declaration as a whole. Reservations or
conditions cannot stand on their own as titles excluding jurisdiction.
That is why the principle of integrality plays an important role in the
interpretation of declarations made under the optional clause system,
which are unilateral instruments, but formal and solemn ones. Spain's
Application refers to the Canadian declaration as a whole. Quite cor-
rectly.
198. 1have already pointed out that the consent expressed in declara-
tions is a consent given in writing prior to the dispute. Accordingly,
under the optional clause system, it makes little senseto bring negative or
positive presumptions of consent into the debate. The consent of the
declarant State, within the limits it has set, is manifest. It is expressed in
the declaration. All, therefore, that needs to be done is to ascertain its

precise meaning and scope by interpreting the declaration in accordance
with the rules of international law applicable to the interpretation of
international instruments, rules to which the Court's jurisprudence has
made a notable contribution over the years.
199. Canada's declaration was deposited in accordance with Ar-
ticle36, paragraph 2, of the Statute. What does this mean? That Canada
took this step for a very precise purpose, namely to accept the compul-
sory jurisdiction of the Court as expressed in the declaration. That being
so, the point of departure of the legal reasoning cannot be that Canada
has given its consent to nothing at all, unless there is evidence to the con-
trary! It must have given its consent to something. It is therefore per-
fectly legitimate for any interpreter acting in good faith to take as the
point of departure of the interpretative process the fact that, by deposit-
ingits declaration, Canada gave a consent to the compulsoryjurisdiction
of the Court of the kind 1 have mentioned. This means that, under the
optional clause system, the requirement of "strict proof of consent", so
frequently emphasized by Canada, is less than absolute. Consequently,
assertions such as "[ylou cannot start from a presumptioiz of jurisdiction
based on the fact that a declaration has been made" carry no weight with

me. Certainly, for the purposes of interpretation, "you can start from the
fact that a declaration has been made".
200. What is more, in the present case the Canadian declaration itself
states that Canada "accepts as compulsory ipsofacto and without special
convention .. .the jurisdiction of the International Court of Justice . ..
over al1disputes .. .other than" those enumerated in paragraphs 2 (a) to
(d). 1s an interpreter, in his interpretative reasoning, not to take into
consideration that part of the text of the declaration which immediately
precedes the subparagraphs containing the reservations? Of course he
may. He is indeed obliged to begin his interpretation there. To say that
this is tantamount to making a "general rule" of a presumption in favour
of the jurisdiction of the Court is absurd.659 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

201. En revanche, je suis d'accord avec l'arrêtpour dire que les ré-
servesinsérées dans des déclarationsne dérogent pas à une dispositionou
à un texte préalablecomme c'est le cas des réservesaux traités. Tout de
même,en matière d'interprétation, il ne faut pas exagérerles effets de la
distinction entre ces deux types de réservesau risque de tomber dans des
contradictions. Or, le Canada justement a fondé certains de ses argu-
ments sur l'arrêt dela Cour concernant l'interprétation de la réserve dela
Grèce àl'Actegénéralde1928(Plateau continental de la mer Egée,C.I.J.
Recueil 1978, p. 3).

202. Mais, distinction ou pas entre types de réserves,une chose est cer-
taine: ni dans un cas ni dans l'autre l'objet de l'interprétationne viseune
intention subjective ou politique sous-jacenteaux réserves.On interprète
l'instrument dans son ensemble avec ses réserves conformément aux
règlesd'interprétationdu droit international. Cet ordrejuridique ne com-
porte pas de règlesparticulièrespour l'interprétation des réserves. n'y a
pas une interprétation objective de la déclaration et subjective de ses
réserves.Il faut donc interpréter les réservessuivant les mêmes règleset
méthodes que pour le reste de la déclaration, compte tenu du principe
d'intégration mentionné. Or, l'arrêt semble s'inspirer d'un prétendu
«régimede réserves))lorsqu'il interprète la réservecanadienne, régime

qu'il sembleraitdistinguerd'ailleurs du «régimedes déclarations»malgré
des affirmations de principe contraires.

2. La question de l'interprétation restrictiveou extensive de la réserve
de l'alinéad) duparagraphe 2 de la déclaration

203. Selon le Canada, les interprétations espagnoles de l'alinéad) du
paragraphe 2 de la déclaration privent la réservedetout effet pratique, en
somme de son effet utile. L'Espagne voudrait donner àla réservel'inter-

prétation la plus limitéeou restrictive possible en oubliant: que toutes les
composantes d'une déclaration ont exactement la mêmevaleur; qu'il y a
un lien étroit etnécessaireentre une clausejuridictionnelle et les réserves
dont elle fait l'objet; que l'acceptation de la compétence estliéeà I'en-
semble de la déclaration de I'Etat, y compris les réserves;et qu'il n'existe
pas une règled'acceptation généralede la compétencedont les réserves
seraient l'exception, de sorte que l'acceptation de la compétence serait
le principe et la réserve l'exception. Mais dans son contre-mémoire
(p. 34-35, par. 70-71) et dans ses plaidoiries le Canada a reconnu aussi
que «[l]a doctrine de l'effetutile n'autorise pàslire dans le texte ce qui
n'y estpas)).

204. Pour l'Espagne, le défendeur voudrait faire admettre qu'il faut
êtrerestrictif quant à l'interprétation de la déclaration mais permissif
quant àcelledes réserves,malgrél'affirmation rhétorique deleur unité,il
oublie ainsi que le point de départ est l'effet utile de la déclaration et
confond l'effet utile de la réserve avecson acceptation sur la base de la 201. On the other hand, 1 agree with the statement in the Judgment
that reservations contained in declarations do not derogate from an
earlier provision or text, as is the case with reservations to treaties.l1
the same, as far as interpretation is concerned, we should not exaggerate
the effects of the distinction between these two kinds of reservations at
the risk of leading ourselves into contradictions. Yet Canada has based
some of its arguments precisely on the Court's Judgment concerningthe
interpretation of the reservation by Greece to the General Act of 1928
(Aegean Sea Continental ShelJ;Judgment, I.C.J. Reports 1978, p. 3).
202. However, irrespective of any distinction between kinds of reser-
vations, one thing iscertain: in neither case does the subject-matter of the
interpretation involve a subjective or political intention underlying the
reservation. We interpret the instrument as a whole with its reservations,
in accordance with the rules of interpretation of international law. The
latter has no specialrules for the interpretation of reservations.There can
be no question of an objective interpretation of the declaration and a

subjective interpretation of its reservations. Thus reservations must be
interpreted according to the same rules and by the same methods as the
rest of the declaration, bearing in mind the principle of integrality which
1have already mentioned. The Judgment, however, seemsto proceed on
the basis of a purported "reservations régime" wheninterpreting the
Canadian reservation, a régime,moreover, which it would appear to dis-
tinguish from the "declarations régime",despite assertions of principle to
the contrary.

2. The question of the restrictive or extensive interpretation of the reser-
vation inparagraph2 (d) of the declaration

203. According to Canada, the Spanish interpretations of para-
graph 2 (d) of the declaration deprive the reservation of any practical
effect, in short of its effectiveness(effet utile). It contends that Spain
seeks to interpret the reservation in the most limited or restrictive man-
ner possible, disregarding the fact that al1the component elements of a
declaration have precisely the same value; that there is a close and
necessary link between a jurisdictional clause and its reservations; that

the acceptance of jurisdiction relates to the entire declaration by the
State, including the reservations; and that there is no rule of general
acceptance of jurisdiction to which reservations are the exception,
making acceptance of jurisdiction the rule and the reservation the
exception. Yet in its Counter-Memorial (p. 32, paras. 70-71) and its
oral pleadings, Canada itself acknowledged that "[tlhe effectiveness
doctrine does not provide a licenceto read anything into the text".
204. Spain argues that the Respondent wishes to have the declaration
interpreted restrictively but the reservation permissively,despite rhetori-
cal statementsas to their unity, therebyignoringthe fact that the point of
departure is the effet utile of the declaration and confusingthe effet utile
of the reservationwith its acceptance, by virtue purely of its having been simpleinvocation du défendeur.L'Espagne a niéavoir proposé une inter-
prétation restrictive des réservescomme à priori. Dans sa perspective,
l'interprétation restrictive ou extensive ne saurait être quele résultat de
l'applicationà la déclaration,y compris àses réserves, desrèglesd'inter-
prétation valables pour les instruments internationaux du droit interna-
tional; en l'espèce,l'application desditesrèglàladéclarationduCanada.
Or, la rédaction de la déclaration, y compris sa réservede l'alinéa d),
étaitle fait du Canada et non pas de l'Espagne. L'Espagne a aussi donné
des exemples des effets utiles possibles de la déclaration canadienne et a
soulignédans ce contexte le rôle de la bonne foi et de la règlentrapro-
ferentem.
205. Sur ce point aussi l'arrêt prend faitet cause pour les thèses du

Canada. En fait, pour l'arrêt,le but que le Canada attribue à la réserve
prévaudrait sur tout le reste aux fins de l'interprétation de la déclaration
du Canada. L'effetutile de la déclaration devient ainsi le but de la réserve
de l'alinéa d), englobant d'ailleurs les motifs politiques que le Canada
aurait eus lorsqu'il a déposésa déclaration du 10 mai 1994. C'est le
moment de rappeler que le Canada a fait allusion, dans ce contexte, àla
théoriepolitiquedes ((intérêtsvitaux». L'arrê nte lementionnepas. Mais,
en fait, en le lisant de près,il semble en avoir pris acte. Disons, en pas-
sant, qu'«effet utile»et «intérêtsvitau»cen'estpas la mêmechose en ce
qui concernel'interprétation d'un instrument international. Quoi qu'il en
soit, il est certain que l'arrêt faitune interprétation extensivede la réserve
de l'alinéad) au détriment de l'effet utile de la déclaration du Canada
(réserve comprise) enpartant d'un certain à priori qui ne transparaît pas
tout
à fait dans lesmotifs mais qui est là. Pour l'arrêt, la poàtdonner
à la réserveest celle que le Canada affirme dans le présent incident avoir
voulu lui donner lorsqu'il a fait la déclaration. Ainsi, en fait, l'arrêt
accepte, par Cour interposée, la doctrine dite del'interprétationautoma-
tique des réserves inséréd eans les déclarations.

206. Je ne puis non plus suivre l'arrêt surce point. Comme je l'ai déjà
fait observer dans la présente opinion, l'interprétation des déclarations
relevant du systèmede la clause facultative ne doit pas être entreprise
avec des réservesmentales ou des à priori restrictifs ou extensifs. Mais
bien entendu, cette conclusion est applicable à l'ensemble de la décla-

ration dont il s'agit. Il n'est pas question d'exclure seulement des inter-
prétations restrictives des réserves tout en acceptant, implicitement
ou explicitement, l'interprétation restrictive d'autres composantes de la
déclaration, par exemple, en l'espèce,de la phrase introductive du para-
graphe 2 de la déclaration du Canada et de la réserve del'alinéa c) du-
dit paragraphe. Ce serait en contradiction avec le principe, reconnu
d'ailleurs par l'arrêt, que l'on doit toujours appliquerlesmêmesprincipes
d'interprétationà toutes lescomposantesd'une déclaration. D'autre part, FISHERIES JURISDICTION (DISSO. P.TORRES BERNARDEZ) 660

invoked by the Respondent. Spain denies having argued that reservations
must a priori be interpreted restrictively. Spain's approach is that a
restrictive or extensiveinterpretation can only result from the application
to the declaration, includingits reservations, ofthose rules of interpreta-
tion applicable under international law to internationalinstruments; in the
present case, the application of those rules to the Canadian declaration.
However, the declaration, including its reservation in subparagraph (d),
was drafted by Canada and not by Spain. Thus Spain gave examples of
the possible effets utiles of that declaration and emphasized in this
connection the role of good faith and the contraproferentem rule.

205. On this point too the Judgment espouses the arguments put for-
ward by Canada. In effect, for the Judgment the aim attributed by
Canada to the reservation takes precedence over al1else for purposes of
the interpretation of its declaration. Theffet utile of the declaration thus
becomes the purpose of the reservation in subparagraph (d), including,
moreover, the political reasons which Canada purportedly had at the
time when it deposited its declaration of 10 May 1994.At this point it
should be recalled that Canada referred in this context to the political
theory of "vital interests". The Judgment makes no mention of this.
However, on a close reading, the Judgrnent does indeed appear to have
taken it into account. We would point out, in passing, that "effet utile"
and "vital interests" are not the same thing in the context of the inter-
pretation of an international instrument. Be that as it may, it is clear that
the Judgment applies an extensive interpretation to the reservation in

subparagraph (d) to the detriment of the effet utile of Canada's declara-
tion (including the reservation), in that it starts from a certain a priori
assumption which, while not totally apparent in the reasoning, is none-
theless there. For the Judgment, the scope to be given to the reservation
is that which Canada claims in these incidental proceedings to have
intended to give to it at the time when it made the declaration. Thus, in
effect, the Judgment endorses the application, through the intermediary
of the Court, of the doctrine known as the self-judging interpretation of
reservations in declarations.
206. 1 cannot accept the Judgment on this point either. As 1 have
already pointed out in this opinion, the interpretation of declarations
under the optional clause system must not be undertaken with mental
reservations or subject to a priori restrictive or extensive assumptions.
And this applies, of course, to the entirety of the declaration concerned.

There can be no question of excluding restrictive interpretations only for
reservations while accepting, implicitly or explicitly, a restrictive interpre-
tation of other elements of the declaration, for example, in the present
case, the initial clause of paragraph 2 of Canada's declaration and the
reservationcontained in subparagraph (c) of that paragraph. This would
be contrary to the principle, recognized moreover by the Judgment, that
one must always apply the same principles of interpretation to al1of the
component elements of a declaration. Moreover, the exclusion of aprioril'exclusiond'à priori restrictifs ou extensifsau départ du processusinter-
prétatifne veut nullement dire que le résultatd'une interprétation donnée
ne puisse pas êtrequalifiéà posteriori de restrictif ou d'extensifpar rap-
port à des paramètres déterminés.Il n'est pas question que l'interprète
s'attache à donner à tout prix au résultat de son interprétation d'une
partie d'une déclarationune portéeextensive(ou viceversa), si le résultat
de l'application in casu des principes d'interprétation du droit interna-
tional ne lejustifie pas. Un interprète n'est pascensé modifierl'intention
objectivéedans la déclaration interprétée.
207. Aussi la question de l'interprétationde la réserve del'alinéadu
paragraphe 2 de la déclarationcanadienne ne doit-ellepas être approchée
en termes abstraits ou théoriques comme le fait le présentarrêt,mais, au
contraire, d'une façon bien concrète, à savoir en regardant de près le

résultatdel'application des élémentisnterprétatifsqui,en l'espèce,entrent
dans ce processus juridique. A ce propos, je constate que c'est le texte
mêmedu paragraphe 2 de la déclaration qui fait de la réservede l'ali-
néa d) uneexception à lajuridiction obligatoireautrement acceptéepar le
Canada par le dépôt desa déclaration. Dans ce paragraphe 2, le Canada
accepte en effet la juridiction obligatoire de la Courpour tous les dif-
férendsautres que» ceux qui sont ensuite énumérésy, compris ceux qui
sont mentionnés à la réserved).
208. C'est donc le texte du paragraphe 2 de la déclaration du Canada
qui fait que lesdifférendsde la réserve) sont une exception à lajuridic-
tion obligatoire autrement acceptéepar la Canada. Du fait qu'il s'agit
bien pour le texte de la déclaration d'uneexception, le résultatde l'inter-
prétation de la réservene peut qu'êtrerestrictif lorsque celle-ci est lue
dans le contextede la déclaration. Quoi qu'il en soit, le résultat de l'inter-

prétation de la réservede l'alinéad) ne saurait empiétersur la portée de
la juridiction obligatoire acceptée par le Canada en vertu du para-
graphe 2 de sa déclaration dans son ensemble sans trahir la volontédu
déclarant. Il faut aussi donner son effet utilà la juridiction obligatoire
assuméepar le Canada en vertu de la déclaration,de toute la déclaration.
La limitationde la réserve del'alinéad) ne peut pas, et ne doit pas, faire
oublier ou négligerle consentement donné parle Canada à la juridiction
obligatoire en vertu du paragraphe 2 de la déclaration qui découlede
la manièrenaturelle et ordinaire de lire le texte du paragraphe dans l'en-
semblede la déclaration. Mais ce constat n'est la conséquenced'aucun à
priori, il résultetout simplement du texte de la déclaration canadienne.

209. C'est le moment de rappeler, étant donné que nous parlons de la
réservede l'alinéa d) et d'effet utile, qu'une conclusionen faveur de la

compétencede la Cour dans l'affaire soumisepar la requêtede l'Espagne
ne priverait point la réserveni de son but ni de son effet véritable.La
thèse contraire est un faux argument démentid'ailleurs par la propre
conduite, dès1994,du Canada. Les mesures dites de gestion et de conser-
vation adoptées par le Canada dans la zone de réglementation deassumptions of a restrictive or extensive nature at the outset of the inter-
pretative process in no sense means that the result of a given interpreta-
tion cannot be afterwards characterized as restrictive or extensive in
terms of specificparameters. There can be no question of the interpreter
seeking at any price to givean extensive scope (or viceversa) to the result
of his interpretation of a part of a declaration, if the result of the applica-
tion to the particular case in question of the principles of interpretation
of international law do not justify this. It is not the duty of an interpreter
to alter the intention embodied in the declaration under interpretation.
207. Thus the question of the interpretation of the reservation con-
tained in paragraph 2 (d) of the Canadian declaration must not be
approached in abstract or theoretical terms as the Judgrnent does, but,
on the contrary, in a quite concrete way, that is to say by examining
closelythe result of the application of the relevant interpretative elements

in this case. In this connection 1 note that it is the actual wording of
paragraph 2 of the declaration which makes the reservation in subpara-
graph (d) an exception to the compulsoryjurisdiction othenvise accepted
by Canada by the deposit of its declaration. Thus, in paragraph 2 Canada
accepts the compulsoryjurisdiction of the Court "over al1disputes other
than" those set out thereinafter, including those mentioned in reserva-
tion (d).
208. It is, then, the wording of paragraph 2 of Canada's declaration
which makes the disputes in reservation (d) an exception to the compul-
soryjurisdiction otherwise accepted by Canada. Since the text of the dec-
laration itself creates an exception, it follows that the result of the inter-
pretation of the reservation is bound to be restrictive when that reserva-
tion is read in the context of the declaration. In any event, the result of
the interpretation of the reservation in subparagraph (d) cannot encroach
upon the scope of the compulsoryjurisdiction accepted by Canada pur-
suant to paragraph 2 of its declaration as a whole without betraying the
declarant's intention. Moreover, it is also necessary to give an effet utile

to the compulsoryjurisdiction accepted by Canada by virtue of its dec-
laration, that is the declaration in its entirety.The restriction embodied in
the reservation in subparagraph (d) cannot and must not allowus to for-
get or disregard the consent given by Canada to compulsoryjurisdiction
under paragraph 2 of the declaration which results from the natural and
ordinary way of reading the text of the paragraph in the context of the
declaration as a whole. However, this finding is not the consequence of
any apriori assumption; it follows quite simply from the language of the
Canadian declaration.
209. It is appropriate at this stage to point out, in the context of the
reservation in subparagraph (d) and of its effet utile, that a finding that
the Court has jurisdiction in the dispute submitted by Spain's Applica-
tion would in no way deprive the reservationeither of its purpose or of its
true effect. The contrary argument is a false one, contradicted moreover
by Canada's own conduct in 1994.The so-called conservation and man-
agement measures adopted by Canada in the NAFO Regulatory Area in662 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

I'OPANO à l'encontre des bateaux de pêcheespagnols (et portugais)
n'ont étéen vigueur que du 3 mars au débutde mai 1995.Alors! Est-ce
qu'avant le 3 mars 1995et après le début de mai 1995la réserven'avait
aucun but ou était insusceptible de produire un quelconqueeffet? Il suffit
de poser la question dans des termes simples pour voir que la thèseque
développel'arrêt surla base de l'effet utilede la réservene tient pas.

210. Pour justifier son traitement de la question de l'interprétation de
la réservede l'alinéad), l'arrêt invoque encore une foisla question dif-

férentedu principe du consentement à lajuridiction et s'avance aussisur
le terrain doctrinal en prenant position en faveur de certaines thèses
d'écolesur lanature des réservesdans les déclarations d'acceptation de la
juridiction obligatoire de la Cour. Je ne partage pas non plus, dans sa
généralité,les conclusions auxquelles l'arrêt arrive à cet égard. Tout
dépend, àmon avis, de la formule choisie, dans l'exercicede la souverai-
neté, par l'Etat déclarant lorsqu'il a rédigéet déposé l'instrument qui
incorpore sa déclaration.
211. Dans le cas d'espèce,je constate tout simplement que la déclara-
tion du Canada n'est pas un instrument d'après lequel le déclarant
accepte la juridiction obligatoire de la Coureulement pour telle ou telle

catégoriede différends.Au contraire, il accepte cettejuridiction pour tous
les différendspostérieursà la déclaration autres que ceux exclus par les
réserves. Laprésomption de non-consentement comme telle nejoue donc
pas dans le processus d'interprétationcar le texte de la déclarationcom-
mence par proclamer un tel consentement.
212. Finalement, je constate aussi que le paragraphe 3 de la déclara-
tion qualifie de «réserves»les alinéas) à d) de son paragraphe 2 et que
le défendeura invoqué dans le présent incident préliminairela jurispru-
dence de la Cour dans l'affaire du Plateau continental de la mer Egée,
c'est-à-dire l'interprétation d'uneréservedans un instrument d'adhésion
à un instrument conventionnel (l'Actegénéralde 1928).Cette attitude du
défendeur montre bien que la distinction entre «réserves» aux traités et

((réserves))dans les déclarations ne semble pas aussi nette que le laisse
entendre l'arrêt.

3. L'économiegénérale de ld aéclarationdu Canada

213. Le texte de la déclaration du Canada ne pose aucun problème
d'authenticité. Il a été publiédans le Recueil des traitésdes Nations
Unies et dans l'Annuaire de la Cour. Le Canada ne conteste pas que le
texte ainsi publiéest bien le texte de la déclaration remise au Secrétaire
généralde l'organisation des Nations Unies au nom du Gouvernement
canadien, déclaration faiteà New York le 10mai 1994et signéepar le
représentant permanent du Canada auprèsdes Nations Unies. Le Canada

ne conteste pas non plus que sa déclaration du 10 mai 1994 était en
vigueur lors de l'enregistrement de la requêtede l'Espagne au Greffede la
Cour le 28 mars 1995,ni que les situations ou les faits dont il est question FISHERIES JURISDICTION (DISSO. P.TORRES BERNARDEZ) 662

respect of Spanish (and Portuguese) fishing vessels were in force only
from 3 March 1995 until the beginning of May. Well then! Does that
mean that. before 3 March 1995and after the benin"ing o" Mav 1995.the
reservation had no purpose or was incapable of producing any effect? It
sufficesto pose the question in simple terms in order to seethat the argu-
ment developed by the Judgment on the basis of the effectivenessof the
reservation does not stand up.
210. In order to justify its-treatment of the question of the interpreta-
tion of the reservation in subparagraph (d), the Judgment once again

invokes the different question of the principle of consent to jurisdiction,
and also ventures into the doctrinal arena, adoptinga stance in favour of
a certain school of thought on the nature of reservations in declarations
of acceptance of compulsoryjurisdiction of the Court. Here too 1cannot
share, as a whole, the conclusions reached by the Judgment in this
respect. Ital1depends, in my view, on the wording chosen, in the exercise
of its sovereignty, by the declarant State when it drafted and deposited
the instrument containing its declaration.
211. In the present case, 1simply note that Canada's declaration is not
an instrument whereby the declarant accepts the compulsoryjurisdiction
of the Court solely for a specificcategory of disputes. On the contrary, it
accepts that jurisdiction for al1 disputes subsequent to the declaration
other than those excluded by the reservations. The presumption of non-
consent as such cannot therefore have any role to play in the interpreta-

tive process,since the text of the declaration begins by announcingsuch a
consent.
212. Finally, 1note also that paragraph 3 of the declaration refers to
subparagraphs (a) to (d) of its paragraph 2 as "reservations" and that
the Respondent relied in these preliminary proceedings on the decision of
the Court in the case concerningthe Aegean Sea Continental Shelf, that
is to say the interpretation of a reservation in an instrument of accession
to an international agreement(the General Act of 1928).This attitude on
the part of the Respondent shows clearly that the distinction between
"reservations" to treaties and "reservations" in declarations appears not
to be as clear as the Judgrnent would have us believe.

3. The general scheme of Canada's declaration

213. The text of Canada's declaration poses no problem of authenti-
city. It was published in the United Nations Treaty Series and in the
Court Yearbook. Canada does not dispute that the text so published is
indeed the text of the declaration forwarded to the Secretary-General of
the United Nations in the name of the Canadian Government, done at
New York on 10May 1994and signed by the Permanent Representative
of Canada to the United Nations. Nor does Canada dispute that its dec-
laration of 10 May 1994 was in force at the time when Spain filed its
Application with the Registry of the Court on 28 March 1995,or that the
circumstances or facts referred to in the Application are subsequent to663 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

dans la requête sont postérieursau dépôt desa déclaration. Il ne sepose
donc aucun problème ratione temporis pour ce qui est de l'application de
la déclarationau différend soumis à la Cour par l'Espagne.
214. La déclarationdu Canada du 10mai 1994commencepar un para-
graphe 1qui abroge sa déclarationde 1985qui avait elle-même abrogéla

déclaration de 1970.Elle se termine par un paragraphe 3 qui réservele
droit du Canada de compléter,modifier ou retirer les réservesqui y sont
formulées,moyennant une notification adresséeau Secrétairegénéral de
l'organisation des Nations Unies (voir paragraphe 14de l'arrêt).
Entre ces deux paragraphes se trouve le paragraphe 2 dont la sedes
materiae est précisémentl'engagementjuridique assumépar le Canada
vis-à-vis d'autres Etats déclarants concernant l'acceptation de la juridic-
tion obligatoirede la Cour, ainsi que leslimitesde cet engagement, car la
disposition en question contient quatre réserves.Ce paragraphe 2 est
ainsi rédigé:

((2)Nous déclarons que le Gouvernement du Canada, conformé-
ment aux dispositionsdu paragraphe 2 de l'article 36du Statut de la
Cour, accepte comme obligatoire de plein droit et sans convention
spéciale, souscondition de réciprocitéet jusqu'à ce qu'il soit donné
notification de l'abrogation de cette acceptation, la juridiction de la
Cour en ce qui concerne tous les diffërends qui s'élèveraietprès la
date de la présentedéclaration,au sujet de situations ou de faits pos-
térieursà ladite déclaration, autres qu:

a) les différends au sujet desquels les parties en cause seraient
convenues ou conviendraientd'avoir recours à un autre mode de
règlementpacifique;
b) les différendsavec le gouvernement d'un autre pays membre du
Commonwealth britannique des nations, différends qui seront
réglés selon une méthode convenueentre lesparties ou dont elles
conviendront ;
c) les différendsrelatifs à des questions qui, d'après le droit inter-
national, relèventexclusivementde la juridiction du Canada; et

d) les différendsauxquels pourraient donner lieu [en anglais: «ari-
sing out of or concerning»]lesmesures de gestion et de conserva-
tion adoptées par le Canada pour les navires pêchant dans la
zone de réglementation de 170PAN[O],telle que définiedans la
conventionsurla future coopération multilatéraledansles pêches
de l'Atlantique Nord-Ouest, 1978, et l'exécutionde telles me-
sures.» (Les italiques sont de moi.)
Il découle dece texte que le Gouvernement canadien a donné son

consentement à la juridiction obligatoire de la Cour d'une manièregéné-
rale et très large (tout comme l'Espagne dans sa déclaration), à savoir
pour tous les différendsqui s'élèveraientaprès la date de cette déclara-
tion, au sujet de situations ou de faits postérieurs à ladite déclaration
autres que les différendsexclus aux alinéasa), b), c) et d) du para-
graphe 2.the deposit of its declaration. There is thus no problem ratione temporis
as regards the application of the declaration to the dispute submitted to
the Court by Spain.
214. Canada's declaration of 10 May 1994begins with a paragraph 1
abrogating its declaration of 1985,which had itself abrogated the decla-
ration of 1970.It ends with a paragraph 3 which reservesCanada's right
to add to, amend or withdraw any of the reservations which it contains,
by means of a notification addressed to the Secretary-General of the
United Nations (see paragraph 14of the Judgment).
Between these two paragraphs is paragraph 2, which deals specifically

with the legal obligation assumed by Canada vis-à-vis other declarant
States regarding the acceptance of the compulsory jurisdiction of the
Court, together with the limitations on that obligation, for the provision
in question contains four reservations. Paragraph 2 reads as follows:

"(2) 1declare that the Government of Canada accepts as compul-
sory ipsofacto and without specialconvention, on condition of reci-
procity, thejurisdiction of the International Court of Justice, in con-
formity with paragraph 2 of Article 36 of the Statute of the Court,
untilsuch time as notice may be given to terminate the acceptance,
over al1disputes arising after the present declaration with regard to

situations or facts subsequent to this declaration, otherthan:

(a) disputes in regard to which the parties have agreed or shall
agree to have recourse to some other method of peaceful settle-
ment;
(b) disputes with the Government of any other country which is a
member of the Commonwealth, al1of which disputes shall be
settled inuch manner as the parties have agreed or shall agree;

(c) disputeswith regard to questions which by international law fa11
exclusivelywithin the jurisdiction of Canada; and
(d) disputes arising out of or concerningconservation and manage-
ment measures taken by Canada with respect to vesselsfishing
in the NAFO Regulatory Area, as definedin the Convention on

Future Multilateral Co-operation in the Northwest Atlantic
Fisheries, 1978, and the enforcement of such measures."
(Emphasis added.)

It is clear from this text that the Canadian Government gave its
consent to the compulsoryjurisdiction of the Court in a very broad and
general manner (as did Spain in its declaration), namely for al1disputes
arising after the declaration with regard to situations or facts subse-
quent to that declaration, other than the disputes excluded by subpara-
graphs (a), (b), (c) and (d) of paragraph 2.664 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

215. Le demandeur souligne tout naturellement l'ampleur de l'accepta-
tion de lajuridiction obligatoire de la Cour qui résulte dela phrase intro-
ductive du paragraphe 2, tandis que le défendeurne parle pratiquement
que de sa réserve de l'alinéad). Il faut aussi noter que le paragraphe 2

ci-dessusne définitaucun des termes ou expressions y employés.Il ne ren-
voie pas non plus expressémentl'interprète à un texte national pour telle
ou telle autre finalité.
216. Il s'agit en fait d'une déclaration qui n'a rien de commun avec
celle del'Iran dans l'affaire de l'dnglo-Iranian Oil Co. (exception préli-
minaire, arrêt,C.I.J., Recueil 1952, p. 93). La déclaration de l'Iran
n'était pas une déclaration acceptant lajuridiction obligatoirede la Cour
pour «tous les différends))à l'exception deceux faisant l'objet de quatre
réservescomme celles de la déclaration du Canada de 1994. C'était,au
contraire, une déclaration qui acceptait la juridiction obligatoire pour
une seule catégorie dedifférends, àsavoir les différendsqui s'élèveraient
«au sujet de situations ou de faits ayant directement ou indirectement

traità l'application des traités ou conventions acceptéspar la Perse et
postérieurs à la ratification de cette déclaration)). Et cette catégorie
de différends était en plus accompagnée dans la déclaration de trois
réserves!
217. Si l'on veut parler des règleset des méthodes d'interprétationdes
déclarations relevant du systèmede la clause facultative, il est manifeste
que ni le Canada ni l'arrêt n'ont intérêt à essayer d'analyser en détail
l'arrêt de1952dans l'affaire de l'dnglo-Iranian Oil Co. Il ne suffit pas de
rappeler que l'arrêt écartees interprétations purement grammaticales ou
exégétiques,que personne ne défend enl'espèce,ainsi que l'indique la
phrase de l'arrêt qui dit que la Cour «doit rechercher l'interprétation qui

est en harmonie avec la manière naturelle et raisonnablede lire le texte.
eu égard à l'intention du Gouvernement de l'Iran àl'époqueoù celui-cia
accepté la compétence obligatoire de la Cour» (C.I.J. Recueil 1952,
p. 104).Cela est absolument vrai et exact. Mais ce qui doit faire réfléchir
est le fait que le demandeur, l'Espagne, invoqueaussi cet arrêt,compris
la phrase citée,pour étayersa conclusion selon laquelle la Cour est com-
pétente dans la présenteaffaire, car il n'yest en effet pas question de la
manière raisonnable et naturelle de lire(l'intentiondu Gouvernementdu
Canada)) à l'époquedu dépôt de sa déclaration, mais bel et bien de la
manière naturelle et raisonnable de lire «le texte de la déclaration»,eu
égard à l'intention du Gouvernement du Canada àl'époqueoù celui-cia

acceptéla compétenceobligatoire de la Cour.

218. En fait, dans cet arrêtde 1952,la Cour donne d'abord l'interpré-
tation qu'elle considère enharmonie avec la manière naturelle et raison-
nable de lire le texte. C'est par la suite que l'arrêtexamine l'intention du
Gouvernement de l'Iranà l'époqueen vue derépondre à une interpréta-
tion grammaticale/littéraledifférentedu demandeur (Royaume-Uni). La
Cour conclut que l'intention du déclarant avait trouvé ((son expression
adéquate dansle texte de la déclarationtel qu'ila[vait] étéinterprétpar 215. The Applicant quite naturally emphasizes the broad terms of the
acceptance of the Court's compulsory jurisdiction with which para-
graph 2 begins, whilstthe Respondent virtually speaks only of its reserva-
tion in subparagraph (d). It should also be noted that paragraph 2 does
not define any of the words or expressions used therein. Nor does it
expresslyrefer the interpreter to any text of domestic law for that or any
other purpose.

216. This is in reality a declaration which has nothing in common with
that of Iran in the Anglo-Iranian Oil Co. case (Preliminary Objection,
Judgment, I.C.J. Reports 1952, p. 93). Iran's declaration was not a dec-
laration accepting the compulsory jurisdiction of the Court for "al1dis-
putes", with the exception of those covered by four reservations like
those in Canada's declaration of 1994.On the contrary, it was a declara-
tion which accepted compulsory jurisdiction for a single category of dis-
putes, namely disputes "with regard to situations or facts relating directly
or indirectly to the application of treaties or conventions accepted by
Persia and subseauent to the ratification of this declaration". And that
category of dispites was further accompanied in the declaration by
three reservations !

217. In terms of the rules and methods of interpretation of declara-
tions under the optional clause system, it is abundantly clear that it
would not be in the interest either of Canada or of the Judgment to
attempt to analyse in detail the 1952Judgment in the Anglo-Iranian Oil
Co. case. It is not merely that that Judgment rejects purely grammatical
or exegeticalinterpretations of the text - which nobody seeks to defend
in this case- as is shown by its statement that the Court "must seek the
interpretation which is in harmony with a natural and reasonable way of
reading the text, having due regard to the intention of the Government of
Iran at the time when it accepted the compulsory jurisdiction of the
Court7' (I.C.J. Reports 1952, p. 104).This is absolutely true and correct.
However, what must give pause for thought is the fact that the Appli-
cant, Spain, also cites this Judgment, including the passage just quoted,
in support of its submission that the Court has jurisdiction in the present

proceedings, for here the issue is not in effect that of the natural and
reasonable way of reading "the intention of the Government of Canada"
at the time when it deposited its declaration, but in reality that of the
natural and reasonable way of reading "the text of the declaration",
having due regard to the intention of the Government of Canada at
the time when it accepted the compulsory jurisdiction of the Court.
218. Thus, in that Judgment of 1952,the Court first givesthe interpre-
tation that it considers to be in harmonv with the natural and reasonable
way of reading the text. The Judgment then goes on to examine the inten-
tion of the Government of Iran at the time in order to rebut the different,
literal/grammatical interpretation relied on by the Applicant (United
Kingdom). The Court concluded that the declarant's intention had found
"an adequate expression in the text of the Declaration as interpreted665 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS. TORRES BERNARDEZ)

la Cour)),ainsi qu'une confirmation décisivede l'intention du gouverne-
ment déclarant lorsau'il avait fait sa déclarationdans une clause de la loi
iranienne approuvant celle-ci (à l'époquede la Sociétédes Nations les
déclarationsn'étaientpas déposéese )t avait notifiépar la suitela déclara-

tion sans modifier son texte, c'est-à-dire dans des instruments iraniens
ayant trait directement à la déclaration interprétée.Des raisons parti-
culièresdéduitesde l'ensemble de la pratique conventionnelle suivie à
l'époque parl'Iran en ce qui a trait aux traités concernant l'ancienrégime
des capitulations confortent aussi l'interprétation du texte faite par la
Cour en 1952.
219. Lesconclusions quel'on peut tirer de l'arrêt de1978dans l'affaire
du Plateau continental de lamer Egée,invoquétant par le défendeurque
par le demandeurpour l'interprétation des réserves,à la lumièrede l'éco-
nomie générale de l'instrument où elless'insèrent, ne confirmentpas non
plus, tant s'enfaut, les conclusions de l'arrêt surle rôle du droit interna-

tional dans l'interprétation de certains termes et expressions de la réserve
de l'alinéad) de la déclaration canadienne, ni n'expliquent leur silence
sur l'éventuelleincidence que pourrait avoir sur l'interprétation de cette
réservele fait que la déclaration canadienne contient une réserveobjec-
tive (réservede l'alinéa)) de compétencenationale tout comme I'instru-
ment d'adhésionde la Grèce à l'Acte généralde 1928. A l'époque,la
Cour avait cependant tirécertaines conclusions bien connues de ce der-
nier fait pour l'interprétation de l'expressiontatut territorial)) figurant
dans la réservegrecque.

220. Toujours est-il que la déclaration du Canada du 10mai 1994,de
par son économiegénérale,n'est pad su tout une déclarationformuléeen

((termes restrictifs))comme pourraient le faire croire, indirectement, cer-
taines considérations de l'arrêt.Le défendeur lui-mêmel'a reconnu à
l'audience lorsqu'un de ses conseils a déclaréque le champ d'application
de la réservede l'alinéad) est trèslimitéà savoir les pêcheriesdans une
zone géographique définieet que sont potentiellement couverts par la
déclarationcanadienne :

((les différendsterritoriaux, ceux relatifs aux frontières maritimes,
aux investissements, au droit humanitaire international, etc. La liste
est pratiquement infinieet rien de ceci n'est le moindrement affecté
par une interprétationqui permettrait à la réserve dedéployertous
ses effets.)) (CR98112,p. 23, par. 102; les italiques sont de moi.)

Il est bien possible que ledit conseil canadien ne soit pas très familier
avec la terminologie de la Cour permanente dans l'arrêt du Lotus, car
l'on y qualifie les ((navires)) des Etats de ((territoire)). Qu'il s'agissede
((territoire)) selon l'ancienne terminologieou de ((juridiction exclusivede
1'Etat du pavillon)) selon celle aujourd'hui acceptée,la présenteaffaire
concerne un conflit dejuridiction opposant les Parties au sujet de navires
se trouvant en haute mer. A ce titre elleprésenteun aspect territorial ou
spatial évident.above by the Court"; the Court found decisiveconfirmation of the inten-
tion of the declarant Government at the time when it made its declara-
tion in a clause of the Iranian law approving that declaration (during the
League of Nations period there was no provision for the deposit of dec-
larations), holding that it had subsequently given notice of its declaration
without changingits text, namely in Iranian instruments relating directly

to the declaration under interpretation. The interpretation of the text
made by the Court in 1952was also supported by particular considera-
tions drawn from the general treaty practice followed by Iran at the time
with regard to treaties concerningthe former régimeof capitulations.
219. Nor, in light of the general scheme of the instrument containing
the reservations in question, do the conclusions to be drawn from the
1978 Judgment in the Aegean Sea Continental Shelf case (which was
cited both by the Respondent and by the Applicant in connection with
the interpretation of reservations) confirm the findings of the Judgment
- indeed far from it - on the role of international law in the interpre-
tation of certain words and expressions in the reservation in subpara-
graph (d) of the Canadian declaration; nor do they explain the silenceof
the Judgment on the possible effect on the interpretation of that reserva-
tion of the fact that the Canadian declaration contains an objective

reservation (subparagraph (c)) of national jurisdiction, just as did the
Greek instrument of accession to the General Act of 1928. At that
time the Court had, however, drawn certain well known conclusions
from this latter fact for purposes of its interpretation of the expression
"territorial status" in the Greek reservation.
220. The fact remains that the Canadian declaration of 10 May 1994,
in terms of its general scheme, is not in any sense a declaration formu-
lated in "restrictive terms", as certain passages of the Judgment might,
indirectly, lead one to believe. The Respondent itself recognized this at
the hearings when one of its counsel stated that the scope of the reserva-
tion in subparagraph (d) was very limited, namely to fisheries in a
defined geographic area, and that the Canadian declaration potentially
covered:

"disputes concerning territory, maritime boundaries, investment,
humanitarian law, etc. The list is practically endless, and none of this
is affected in the least by an interpretation givingfull effect to the
reservation." (CR98112, p. 23, para. 102; emphasis added.)

It may well bethat the Canadian counsel in question is not particularly
familiar with the terminology of the Permanent Court in the Lotus Judg-
ment, where "vessels" of States are assimilated to "territory". Whether
we are talking of "territory" according to the old terminology or of
"exclusivejurisdiction of the flag State" according to that accepted today,
the present proceedings concern a conflict of jurisdiction between the
Parties over vesselson the high seas. In these circumstances its territorial
or spatial aspect is clear.666 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS. TORRES BERNARDEZ)

4. L'intentionjuridiquement pertinente pour l'interprétationde la décla-
ration du Canada

221. Commeje l'ai signalétout au longde la présenteopinion, la ques-
tion de l'intention juridiquement pertinente pour l'interprétation de la
déclarationdu Canada du 10mai 1994est au centre du désaccord inter-
prétatif qui sépareles Parties. Celui-ci s'est manifestéd'une façon parti-

culièrementfrappante pour ce qui est de l'interprétation de l'alinéa du
paragraphe 2 de la déclaration.
Pour le demandeur, l'intention juridiquement pertinente pour l'inter-
prétation de la déclaration est l'intention de 1'Etat déclaranà la date
du dépôt telle qu'elle s'est objectivéedans la déclaration elle-même.Le
défendeurinsiste, lui, sur une intention qui serait sous-jacentea décla-
ration ou, en tout cas, sur une intention qui ne se confondrait pas néces-
sairementdans tous sesaspects avec cellequi résulte dela teneur du texte
de la réserve del'alinéad) lu dans le contexte de la déclaration. A cer-
tains égardson pourrait mêmepenser que pour le défendeur l'intention
juridiquement pertinente aurait une autonomie telle vis-à-visde la décla-
ration qu'elle pourrait évolueraprèsle dépôt sans que la déclaration soit
modifiée.

222. La position généraledu Canada sur l'intention juridiquement
pertinente pour l'interprétation de la réserve de l'alinéad) du para-
graphe 2 de la déclaration a maintes fois été critiqupar le demandeur.
Les conseils de l'Espagney ont vu une tentative du défendeurd'adultérer
le rôle capital que doit jouer dans l'interprétation de la réservela règle
généralequi oblige àrechercher de bonne foi le sens courant des termes
dans leur contexte, à moins qu'il n'y revêtentun sens particulier, et en
tenant compte de l'objet et du but de la déclaration. D'après l'Espagne,
avec sesappels à l'intention subjective,le Canada prétendimposer comme
réelleou véritableune intention qui ne s'ajustepas au sens ordinaire, cou-
rant, naturel ou raisonnable des termes et expressions employésdans la
réservede l'alinéad) dans le contexte de cette dernière et dans celui de la
déclaration dans son ensemble.
223. J'ai déjàexpliqué endétail que l'arrêtva encore plus loin dans

son subjectivisme que la thèseinterprétativeavancéepar le défendeur.La
persuasion canadienne a étési forte pour la majorité à l'égardde cette
question centrale pour la décisionque, selon l'arrêt, l'interprétationà
laquelle la Cour doit se livrer n'a mêmepas pour objet et pour but la
découvertede la prétendue intention sous-jacente au texte de la réservede
l'alinéad) invoquéepar le Canada, mais bel et bien les motifs ou les
viséesqui ont conduit le Canada à accepter le 10mai 1994lajuridiction
obligatoire de la Cour.Il existe donc un désaccordradical entre la posi-
tion de l'arrêt etcelle adoptée dans la présenteopinion dissidente.

224. Pour moi, l'intention juridiquement pertinente est celleobjectivée
dans la déclaration du Canada, y comprisdans la réservede l'alinéad) de
son paragraphe 2, et cette intention doit être dégagée enappliquant les4. The legally material intentionfor the interpretation of Canada'sdec-
laration

221. As 1 have pointed out al1through this opinion, the issue of the
legallymaterial intentionfor purposes oftheinterpretation of Canada'sdec-
laration of 10May 1994is at the heart of the interpretative dispute which
divides the Parties. This has already manifested itself in a particularly

striking manner with regard to the interpretation of subparagraph 2 (d)
of the declaration.
For the Applicant, the legally material intention for the interpretation
of the declaration is the intention of the declarant State at the date
of deposit as embodied in the declaration itself. The Respondent, for its
part, emphasizes an intention purportedly underlying the declaration or,
in any event, an intention which is not necessarily identical in al1respects
with that ascertainable from the terms of the reservation in subpara-
graph (d) read in the context of the declaration. In certain respects it
might wellbe thought that, for the Respondent, the legally material inten-
tion enjoys an autonomy in relation to the declaration such that it
could undergo change after the deposit without any amendment of the
declaration.
222. The general position of Canada on the legally material intention
for purposes of interpretation of the reservation in paragraph 2 (d) of

the declaration has been criticized over and over again by the Applicant.
Spain's counselsaw this as an attempt by the Respondent to diminish the
preponderant role which must be played in the interpretation of the res-
ervation by the general rule of interpretation in good faith in accordance
with the ordinary meaning of the terms in their context - subject to any
specialmeaning attaching to them -in light of the object and purpose of
the declaration. On Spain's view, in appealing to its subjective intention,
Canada seeks to impose as real or true an intention which does not
accord with the ordinary, current, natural or reasonable meaning of the
words and expressions used in the reservation in subparagraph (d) in its
context and in the context of the declaration as a whole.
223. 1 have already explained in detail that the Judgrnent goes even
further in its subjective approach than the interpretative thesis advanced
by the Respondent. The persuasiveforce of the Canadian argument was so

strong for the majority with regard to this issuecentral to theecisionthat,
for the Judgrnent, the object and purpose of the interpretative process
in which the Court must engage is not even to ascertain the purported
intention underlying the text of the reservation in subparagraph (d)
invoked by Canada, but in truth the reasons or motives which on
10 May 1994 led Canada to accept the compulsory jurisdiction of the
Court. There is thus a radical divergence between the position taken by
the Judgment and that adopted in this dissenting opinion.
224. In my view, the legally material intention is that embodied in
Canada's declaration, including the reservation in subparagraph 2 (d),
and that intention must be ascertained by applying the rules for the inter-667 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS.TORRES BERNARDEZ)

règlesd'interprétation d'instruments internationaux du droit internatio-
nal et, en particulier, tous les élémentsinterprétatifs admis par ces règles
qui jouent en l'espèce,à savoir: le principe de la bonne foi, la règledu
sens ordinaireà attribuer aux termes, la règledu contexte,l'objet et le but
de la déclaration,les règlespertinentes du droit international applicables

dans lesrelations entre les parties ainsi que lescirconstancesqui sont per-
tinentes en l'espèceen tant que moyens complémentairesd'interprétation.

225. Comme le dit l'arrêt «c'est la déclaratiotelle qu'elle existequi,
elle seule, constitue l'ensembàeinterpréter)) (paragraphe 45 de l'arrê).
Mais, l'arrêt n'applique pas cetterègle.Je reconnais aussi que la réserve
de l'alinéad) du paragraphe 2 ne doit pas être interprétée comme limi-
tant la portée d'une acceptation antérieureplus généralpréexistante,par
exemple,cellede la déclarationdu Canada du 10octobre 1985.Cette der-
nière déclaration a étéabrogée et une nouvelle, celle de 1994, lui a été
substituée. Mais, ce que je dis est que la déclaration du 10mai 1994,en
vigueur à la date du dépôtde la requêtede l'Espagne, doit êtreinterprétée

à partir de son texte conformément au droit international et non pas à
partir des motifs politiques ou autres que le Canada aurait pu avoir
lorsqu'il a fait la déclaration et l'a déposéeauprès du Secrétairegénéral
de l'organisation des Nations Unies.
226. Ce qui compte pour l'interprétation à faire, ce ne sont pas ces
motifs ou ces viséeséventuelsdu déclarant,ni lanature unilatéraleet sou-
veraine des actes de rédaction et de dépôt, ni le fait mêmed'insérer ou
non une réserve déterminée.mais l'intention manifestée Dar écrit en
forme solennelle dans l'instrument fait, déposé,enregistréet publié,y
compris toutes ses réserveset conditions, qui est la seule intention juri-
diquement pertinente portée à la connaissance des autres Etats, dont

l'Espagne.

227. Par exemple, dans l'affaire des Phosphates du Maroc, citéepar le
défendeur,dans laquelle les titres interprétés étaientdes déclarations, la
Cour permanente commence par affirmer que «la juridiction n'existeque
dans les termes ou elle a étéacceptée))(arrêt, 1938, C.P.J.I. sérieAIB
no74,p. 23-24).J'aidéjàparlédesarrêtsde la Cour dans l'affairede 1'Anglo-
Iranian Oil Co. et dans cellede la Mer Egée.Il est clair qu'en interprétant
des déclarationsrelevant du paragraphe 2 de l'article6du Statut la Cour

n'a pas manqué d'attacher une certaineimportance à l'intention du décla-
rant. Mais de quelle «intention» s'agit-il?Tout en citant laditejurispru-
dence, le présentarrêtarrive à une conclusion qui est pour moi inédite:
«la Cour n'a pas manqué de mettre l'accent sur l'intentionde I'Etat qui
déposeune telle déclaration» (paragraphe 48 de l'arrêt;les italiques sont
de moi). Cette affirmation est en fait un infléchissementde la jurispru-
dence dans la direction de l'interprétation subjective extrême,doctrinepretation of international instruments laid down by international law
and, in particular, al1 of the interpretative elements accepted by those
rules which are applicable to the circumstances of the case, namely: the
principle of good faith; the rule that words must be given their ordinary
meaning, in their context, in the light of the object and purpose of the
declaration; the relevant rules of international law applicable in the rela-
tions between the parties; together with al1 relevant circumstances as
supplementary means of interpretation.
225. As the Judgment says, "it is the declaration in existence that
alone constitutes the unity to be interpreted" (paragraph 45 of the Judg-

ment). However, the Judgment does not apply this rule. 1 too recognize
that the reservation in subparagraph 2 (d) must not be interpreted as
restricting the scope of a prior more general acceptance, for example that
of Canada's declaration of 10October 1985.That declaration was abro-
gated and replaced by a new one, that of 1994.However, what 1do Sayis
that the declaration of 10May 1994,which was in force at the time when
Spain filed its Application, must be interpreted by reference to its text in
accordance with international law and not by reference to such political
or other reasons that Canada may have had when it made the declaration
and deposited it with the Secretary-General of the United Nations.

226. What counts for purposes of the interpretation which we have to
make is not these reasons, or any other motives that the declarant may
have had, nor the unilateral and sovereign nature of the acts of drafting
and deposit, nor even the fact that a particular reservation has or has not
been included, but the intention manifested in solemnwritten form in the
instrument made, deposited, registered and published, including al1of its

reservations and conditions, which is the sole legally material intention
notified to other States, including Spain.

227. For example, in the Phosphates in Morocco case, cited by the
Respondent, in whichthe titlesinterpreted weredeclarations,the Permanent
Court beginsby affirmingthat "this jurisdiction onlyexists with.inthe limits
within which it has been accepted" (Judgment, 1938, P.C.I.J., SeviesAIB,
No. 74,pp. 23-24;emphasisadded). 1have already spokenof the Judgrnents
of the Court in theAnglo-Iranian OilCo.and AegeanSea ContinentalShelf
cases.It is clear that, in interpretingdeclarations under paragraph 2 of Ar-
ticle36of the Statute, the Court has not hesitated to attach a certainimpor-
tance to the intention of the declarant State. But what "intention" is at
issue?Whilecitingthe aforementionedjurisprudence,the present Judgrnent
comesto what 1regard as an unprecedentedconclusion: "the Court has not

hesitated to place a certain emphasis on the intention of the depositing
State" (paragraph 48 of the Judgment; emphasis added). This effectively
represents a change of direction in the Court's jurisprudence in favour of668 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

laquelleje ne peux me rallier ni de façon généralenidans le cadre du sys-
tèmede la clause facultative.
228. L'arrêtne laissed'ailleursaucun doute possible sur lefaitquel'«in-
tention du Canada)) qu'il interprète n'est pas celle qui est exprimée ou
objectivéedans la déclaration elle-même,mais une intention extrinsèque

à celle-cià savoir les motifs politiques qui auraient amenéle Canada à
faire etàdéposerla déclaration. Une réponsegénérale à cette question se
trouve dans un passage de l'arrêt dans l'affairedu Temple de Préah
Vihéav(exceptions préliminaires), à savoir:

celle [la Cour] doit interpréter la déclaration thaïlandaise de 1950
selon sesmériteset sans idée préconçueou à priori, pour déterminer
quels en sont le sens et l'effetvéritables, quand cette déclaration est
lue dans son ensemble et en tenant compte de son but connu, qui n'a
jamais fait de doute » (C.1J. Recueil 1961, p. 32).

Ce passage exprime parfaitement l'intention juridiquement pertinente
aux fins de l'interprétation d'une déclaration.Ce n'est pas la position
qu'adopte l'arrêt. Ajoutons que dans l'affaireduTemple de PréahVihéav
il n'était pas questionde réserves.Il s'agissait bel et bien de I'interpréta-
tion de la déclaration thaïlandaise dans son ensemble. Le but dont parle

cet arrêt, parexemple, est celuide la déclaration et non pas d'une réserve
quelconque. Par contre, le présentarrêt,après avoir affirmé l'unité dela
déclarationdu Canada, cherche toujours à rendre autonome I'interpréta-
tion de la réserve de l'alinéad) du paragraphe 2 de la déclaration. Le
résultat est une contradiction peu commune dans un arrêtde la Cour
entre les considérations générales dedépartet les applications pratiques
qui en sont faites ensuiteàl'interprétation de la réserve.

229. En ce qui concerne la preuve de l'intentionjuridiquement perti-
nente telle queje l'entends, c'est-à-direcellemanifestéeou objectivéedans
la déclaration, il est évident qu'ilfaut prendre en considération tous les
autres éléments interprétatifs qui sont présents,notamment le droit inter-
national dans la mesure où il est pertinent et lesmoyens complémentaires
d'interprétation relatifsà l'élaboration et au dépôt de la déclaration.
Mais je ne saurais tenir compte dans l'interprétation de la déclaration
d'une ((intention du Canada)) comme celle que l'arrêt retient pour inter-
préter laréservedont il s'agit.

Pour déterminerl'étenduedu consentementdu Canada à lajuridiction
obligatoire dans la présenteaffaire,la Cour n'a pas àinterpréterdes chi-
mères maisbel et bien la déclarationdu Canada du 10mai 1994,réserves
comprises. Accepter la thèse del'intention telle que l'arrêtl'entend équi-
vaudrait à mettre en danger l'ensemble du systèmede la clause faculta-
tive.
230. Des raisons élémentairesde sécurité juridique et d'ordre logique FISHERIES JURISDICTION (DISSO. PTORRES BERNARDEZ) 668

extreme subjectiveinterpretation, a doctrine with which 1cannot associate
myself,either generallyor in the context of the optional clause system.
228. Furthermore, the Judgment leaves no possible room for doubt
that the "intention of Canada" that it interprets is not the one expressed
or embodied in the declaration itself, but an intention extrinsic to the
declaration, namely the political reasons alleged to have led Canada to
make and deposit the declaration. A general response to that question is

to be found in a passage of the Judgment in the Temple of Preah Vihear
(Preliminary Objections) case, which reads :

"[the Court] must interpret Thailand's 1950Declaration on its own
merits, and without any preconceptions of an apriori kind, in order
to determine what is its real meaning and effect if that Declaration is
read as a whole and in the light of its known purpose, which has
never been in doubt" (I.C.J. Reports 1961, p. 32).

This passage expresses perfectly the legally material intention for pur-
poses of interpretation of a declaration. It is not the position that the
Judgrnent adopts. It should also be pointed out that the question of res-
ervations did not arise in the Templeof Preah Vihearcase. The issue was
quite simplythe interpretation of Thailand's declaration as a whole. Thus
the purpose of which the Judgrnent speaks is that of the declaration, not
that of any reservation. On the other hand, the present Judgment, after
emphasizing the unity of the Canadian declaration, still seeksto make the
interpretation of the reservation in paragraph 2 (d) of the declaration

stand on its own. The result is a contradiction seldom seenin a Judgrnent
of the Court between the initial general considerations and the practical
consequences subsequently drawn therefrom in the interpretation of the
reservation.

229. With regard to the evidence of the legally material intention as
1understand it, that is, the intention manifested or embodied in the dec-
laration, it is clear that consideration must be given to al1the other inter-

pretative elements present, including international law in so far as it is
relevant and the supplementary means of interpretation concerning the
drafting and deposit of the declaration. But 1cannot lend any weight, in
the interpretation of the declaration, to an "intention of Canada" such as
the one adopted by the Judgment in order to interpret the reservation in
question.
To determine the extent of Canada's consent to compulsory jurisdic-
tion in the present case, it is not the task of the Court to interpret imagi-
nary items, but simply Canada's declaration of 10 May 1994,including
the reservations. To accept the thesis of the intention as understood by
the Judgment would be tantamount to jeopardizing the entire optional
clause system.
230. Elementary reasons of legal security and logic require that, in669 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

commandent, pour interpréter l'intention de 1'Etatauteur de la déclara-
tion, de partir du texte mêmede l'instrument où l'engagement esténoncé
et non pas de rechercher ab initio, pour ainsi dire, une intention psycho-
logique extérieureetinsaisissable qui seplacerait au-dessus de celleobjec-

tivéedans l'instrument objet de l'interprétation et prévaudrait sur cette
dernière.Or, c'estcequefait l'arrêt.Lepassage suivant de l'arrêtconfirme
bien l'interprétation subjective qui està la base de ses conclusions sur
l'interprétation dela réservecanadienne:

«[Sl'agissantd'uneréserve àune déclarationfaiteen vertu du para-
graphe 2 de l'article 36 du Statut,quiest exigéen toutpremier lieu
est qu'elle soit interprétée d'une manière compatibleavec l'effet
recherchépar I'Etat qui en est l'auteur.» (Paragraphe 52 de l'arrêt;
les italiques sont de moi.)

231. La Cour, les Etats dans deux conférencesde codification rela-
tives au droit des traités, la Commission du droit international et 1'Ins-
titut de droit international ont écarté l'interprétation ditesubiective des
instruments internationaux en adoptant un système objectif d'inter-
prétation, systèmequ'il ne faut pas confondre avec des interprétations
purement grammaticalesou littérales,mais qui adopte clairement comme
point de départ de l'interprétation le texte de l'instrument qui est pré-
sumé êtrel'expression authentique de l'intention de son ou de ses

auteurs.
232. Le droit international contemporain veille aussi, dans l'intérêdte
la sécuritéjuridique,à ce que ce systèmeobjectifd'interprétation necom-
porte pas seulement des méthodes. des canons et des maximes de libre
application par le juge ou des critères de simple logique formelle, mais
aussi un ensemble de règles de droit international que l'interprète est
tenu d'appliquer. L'opération interprétative estdevenue de nosjours une
opération authentiquement juridique du fait qu'elle est régie par le
droit international. L'arrêtest bien loin d'une telle conception de l'inter-
prétation. Il est en outre, à mon avis, en contradiction avec la juris-
prudenceinvoquée.C'estvraiment unepremièreaux conséquencesimpré-
visibles.

233. Il est évidentque dans le cas des déclarationsrelevant du système
de la clause facultative, il ne s'agit que de dégagerl'intention objectivée
dans l'instrument par 1'Etatdéclarant, tandis que dans le cas des traitésil
s'agit de dégagerde l'«intention commune)) des parties. Mais cela ne
changepas cequeje viens de dire. Au contraire, du fait qu'il ne s'agit que
d'un seul auteur, la méthode de l'interprétationobjective est particulière-
ment stricte, règlecontraproferentem ou pas, en matière d'interprétation
juridique des déclarations unilatérales. FISHERIES JURISDICTION (DISS .P. TORRES BERNARDEZ) 669

order to interpret the intention of the declarant State, we take as Our
starting point the actual text of the instrument in which the obligation is
set forth, rather than seeking out ab initio, as it were, some extrinsic,

indefinable psychological intention supposedlygoverningthe one embod-
ied in the instrument to be interpreted, and prevailing over that intention.
Yet this is what the Judgment does. The following passage from the
Judgment clearly confirms the subjective interpretation which is at the
basis of its conclusions concerning the interpretation of the Canadian
reservation :

"What is required in theJirst place for a reservation to a declara-
tion made under Article 36, paragraph 2, of the Statute, is that it
should be interpreted in a manner compatible with the effect sought
by the reserving State" (paragraph 52 of the Judgment; emphasis
added).

231. The Court, States in two codification conferences concerningthe
law of treaties, the International Law Commission and the Institut de
droit international have rejected the so-called subjective interpretation of

international instruments, endorsing an objective system of interpreta-
tion, a system that must not be confused with purely grammatical or lit-
eralinterpretations, but which clearly takes as the starting point for inter-
pretation the text of the instrument, which ispresumed to be the authentic
expression of the intention of its author or authors.

232. Contemporary international law also seeks, in the interests of
legal security, to ensure that this objective system of interpretation
involves not only methods, canons and maxims to be freely applied by
the Court, or criteria of purely forma1 logic, but also a set of rules of

international law that the interpreter is required to apply. The interpre-
tative process has now become a genuinely legal one by virtue of the fact
that it is governed by international law. The Judgment is a far cry from
that conception of interpretation. In my opinion, it is also inconsistent
with the jurisprudence on which it relies. It is truly a 'tfirst", with un-
foreseeable consequences.

233. It is clear that in the case of declarations under the optional
clause system, the task is simply to ascertain the intention embodied in

the instrument by the declarant State, while in the case of treaties it is to
ascertain the "common intention7'of the parties. But that does not alter
what 1have just said. On the contrary, because we are dealinghere with
a single author, the method of objective interpretation has to be particu-
larly strict- regardless of the contra proferentem rule - where legal
interpretation of unilateral declarations is concerned.670 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS T.ORRES BERNARDEZ)

5. L'interprétationde bonnefoi de la déclaration du Canada,y compris
de la réservede son alinéad)

234. J'ai déjà eu l'occasion de souligner toute l'importance qu'ont
les principes de la bonne foi et de la confiance mutuelle dans les cir-

constances de la présente affaire. Mais je n'ai considéré, jusqu'ici, ces
principes qu'en rapport avec la question de la recevabilitéou de l'oppo-
sabilitéà l'Espagne de la réservede l'alinéad) du paragraphe 2 de la
déclaration canadienne. Il me reste maintenant à considérerle rôle de la
bonne foi en tant qu'élémentinterprétatif de cette déclaration.
235. Sur le plan des principes, les Parties sont d'accord pour dire que
la déclarationdu Canada doit être interprétée et appliquéede bonne foi.
Mais, si l'on se demande quelle est la fonction de la bonne foi dans le
processus d'interprétation de la déclaration canadienne, l'accord des
Parties n'est pas évidentdu tout. En fait, leurs divergences sur l'objet, les
règleset les méthodes d'interprétation prennent,ici aussi, le dessus.

236. Pour le Canada, la bonne foi dans l'interprétation de sa déclara-
tion commanderait de rechercher ce qu'il appelle l'«intention véritable))
(lire ((motifssubjectifs)))du Canada comme celui-ci l'affirmedans la pré-
sente procédure incidente.Pour l'Espagne, la bonne foi commanderait de
rechercher l'intention du Canada manifestéeou objectivéedans la décla-
ration lors de son dépôt.Cette divergence sur la fonction de la bonne foi
dans l'interprétation de la déclaration canadienne transparaît aussi, par
voie de conséquence,dans la présentation que lesParties ont faite du rôle
des règlesou des critèresinterprétatifs particulierscontrôléspar la bonne
foi, tels quel'effet utile et la règlecontraproferentem. Il faut donc avoir
présent à l'esprit que lorsque le Canada ou l'Espagne parle de la fonction
de la bonne foi, de l'effet utile ou de la règlecontra proferentem, ils ne

renvoient pas aux mêmesréalités juridiques. Par exemple, dans le cas de
l'effet utile, dont l'application est contrôlàela fois par la bonne foi et
par l'objet et le but de la déclaration, ce n'est évidemmentpas la même
chose de rechercher cet objet et ce but dans les prétendus motifssubjectifs
ou politiquesdu Canada que dans la déclaration qu'il a déposée le 10mai
1994.
237. Notre position sur la fonction de la bonne foi dans l'interpréta-
tion et l'application de la déclaration du Canada est celle que lui attri-
buent les règlesd'interprétation du droit international. C'est-à-dire une
fonction analogue à celle qu'elle exercedans l'interprétation des traités.
Ainsi, la bonne foi aurait pour fonction de contribuer àdégagerl'inten-
tion du Canada telle que celui-ci l'a expriméedans la déclaration qu'il a

lui-mêmerédigéef,aite et déposéeen toute liberté, car l'engagementjuri-
dictionnel assumépar le Canada vis-à-vis des autres Etats déclarants
ayant acceptéla mêmeobligation est celui qui se trouve dans la déclara-
tion et pas ailleurs.
238. Le Canada est seul responsable de la rédaction de la déclaration
qu'il a déposée en1994dans l'exercicede sa souveraineté.Dans ces cir-
constances,la bonne foi doitjouer un rôle fondamental dans l'interpréta-5. Interpretation in good faith of the Canadian declaration, including
the reservation in subparagraph (d)

234. 1have already had occasion to stressthe importance of the prin-
ciples of good faith and mutual trust in the circumstances of the present
case. But hitherto 1 have considered these principles only in relation to
the question of the admissibility or opposability to Spain of the reserva-
tion contained in paragraph 2 (d) of the Canadian declaration. It now
remains for me to consider the role of good faith as an element in the
interpretation of that declaration.
235. At the level ofprinciples, the Parties agree that Canada's declara-

tion must be interpreted and applied in good faith. But on the question of
the role of good faith in the process of interpretation of the Canadian
declaration, there is no clear agreement at al1between the Parties. Here
too, it is their differences with regard to the subject-matter, rules and
methods of interpretation which predominate.
236. In Canada's view, good faith in the interpretation of its declara-
tion would require seekingout what it callsits "true intention" (for which
read "subjective reasons") as alleged by it inthese incidental proceedings.
In Spain'sview,good faith would require seekingthe intention of Canada
as manifested or embodied in the declaration at the time of its deposit.
This difference as to the role of good faith in the interpretation of the
Canadian declaration is also to be seen, in consequence, in the Parties'
presentation of the role of the rules or particular interpretative criteria
governed by good faith, such as effectiveness and the contraproferentem
rule. It must thus be borne in mind that when Canada or Spain speaks of
the role of good faith, of effectivenessor of the contra proferentem rule,
they are not referring to the same legal realities. For example, in the case

of effectiveness, application of which is governed both by good faith and
by the object and purpose of the declaration, it is clearly not the same
thing to seek that object and purpose in Canada's purported subjective
or political reasons as it is to seek it in the declaration deposited by the
latter on 10 May 1994.

237. My position on the role of good faith in the interpretation and
application of the Canadian declaration concurs with that assigned to
that role by the rules of interpretation of international law: that is, a role
analogous to the one it plays in the interpretation of treaties.Thus, good
faith has the function of helping to ascertain Canada's intention as
expressed in the declaration that Canada itself freely drafted, made and
deposited; for the legal obligation assumed by Canada in relation to
other declarant Statesacceptingthe same obligation is that to be found in
the declaration, and nowhere else.

238. Canada is solely responsible for the wording of the declaration

deposited by it in 1994 in exercise of its sovereignty. In these circum-
stances, good faith must play a fundamental role in the interpretation tion et dans l'application de la déclaration. Sinon, faàune requête d'un
Etat déclarant,1'Etatdéclarant défendeurpourrait toujours répondreque
son intention n'était pas,tout compte fait, celle qu'il a expriméedans sa
déclaration, mais des motifs subjectifs (politiques ou autres) qui pour-
raient d'ailleurs évoluerau fil des années.
239. Le rôle du principede la bonne foi dans l'interprétationdes décla-
rations unilatérales ne saurait êtremis en doute par personne. Il est
encore plus fondamental que pour l'interprétationdes traités,justement

parce que toute déclarationest le fait exclusifde 1'Etatdéclarant.C'estce
qu'énonce la jurisprudencede la Cour mêmedans les cas ou la déclara-
tion dont il s'agitne relèvepas du paragraphe 2 de l'article 36 du Statut,
mais du droit international général:
«[L]ecaractère obligatoire d'un engagement international assumé
par déclaration unilatéralerepose sur la bonne foi. Les Etats inté-

resséspeuvent donc tenir compte des déclarations unilatérales et
tabler sur elles;ils sont fondés à exiger que l'obligation ainsicréée
soit respectée.))(Essaisnucléaires(Australie c. France), arrêt,C.I.J.
Recueil 1974, p. 268, par. 46; Essais nucléaires(Nouvelle-Zélande
c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 473, par. 49; les italiques
sont de moi.)

L'arrêt du Il juin 1998de la Cour dans l'affairede la Frontière terrestre
et maritime entre le Camerounet le Nigéria(exceptions préliminaires),
où il est question de déclarations relevant du systèmede la clause facul-
tative, contient aussi une série deconsidérations sur le principe de la
bonne foi en rapport avec la question de savoir s'ilexiste une obligation
d'informer à l'avance de l'acceptation de la juridiction obligatoire de la
Cour et de l'intention de déposer unerequête.Dans ce contexte, la Cour
a observé:

«que le principe de la bonne foi est un principe bien établi dudroit
international. Il est énoncéau paragraphe 2 de l'article 2 de la
Charte des Nations Unies; il a aussi été incorporé à l'article26 de la
convention de Vienne sur le droit des traitésdu 23 mai 1969. Il a été
mentionné dès le début de ce siècledans la sentence arbitrale du
7 septembre 1910rendue en l'affairedes Pêcheries de la côte septen-
trionale de l'Atlantique (Nations Unies, Recueil des sentencesarbi-
trales,vol. XI, p. 188). Il a en outre été consacré dansplusieurs
arrêtsde la Cour...)) (C.I.J. Recueil 1998, p. 296, par. 38.)

La Cour note ensuite que «si le principe de la bonne foi «est l'un des
principes de base qui président à la créationet à l'exécution d'obligations
juridiques...il n'estpas en soi une sourced'obligation quand il n'en exis-
terait pas autrement)) ..»(ibid, p. 297,par. 39; lesitaliques sont de moi).
240. Or, dans la présente affaire, il existe une obligation spécifique
pour un Etat déclarant dansle cadre du systèmede la clause facultative
du Statut de la Cour non pas, certes, de souscrire à ladite clause, qui est FISHERIES JURISDICTION (DISSO. P.TORRES BERNARDEZ) 671

and application of the declaration. Otherwise, faced with an application
by a declarant State, the respondent declarant State could always reply
that its intention consisted in truth not in that expressed in its declara-
tion, but in subjective considerations - political or other - which
might, moreover, change over the course of time.
239. The role of the principle of good faith in the interpretation of
unilateral declarations is not open to question by anyone. It is even more

fundamental than in the case of the interpretation of treaties, precisely
because every declaration is an act solely attributable to the declarant
State. That is what the jurisprudence of the Court States, even in cases
where the declaration in question is governed not by paragraph 2 of
Article 36 of the Statute, but by general international law:
"[Just as the very rule ofpacta sunt servandain the law of treaties]

is based on good faith, so also is the binding character of an inter-
national obligation assumed by unilateral declaration. Thus inter-
ested States may take cognizance of unilateral declarations and place
confidence in them, and are entitled to require that the obligation
thus created be respected." (Nuclear Tests (Australia v. France),
Judgment, I.C.J. Reports 1974, p. 268, para. 46; Nuclear Tests
(New Zealand v. France), Judgment, I.C.J. Reports 1974, p. 473,
para. 49; emphasis added.)

The Judgment of the Court of 11June 1998in the case concerningthe
Land and Maritime Boundary between Cameroon and Nigeria(Prelimi-
nary Objections), which involves declarations under the optional clause
system, also contains a number of statements regarding the principle of
good faith in relation to the question whether there is an obligation to
give advance notification of acceptance of the compulsoryjurisdiction of
the Court and of the intention to file an application. In this context, the
Court observed :

"that the principle of good faith is a well-established principle of
international law. It is set forth in Article 2, paragraph 2, of the
Charter of the United Nations; it is also embodied in Article 26 of
the Vienna Convention on the Law of Treaties of 23 May 1969. It
was mentioned as early as the beginning of this century in the Arbi-
tral Award of 7 September 1910in the North Atlantic Fisheriescase
(United Nations, Reports of International Arbitral Awards, Vol. XI,
p. 188).It was moreover upheld in severaljudgments of the [Perma-
nent] Court . . ."(I.C.J. Reports 1998, p. 296, para. 38.)

The Court goes on to note that "although the principle of good faith is
'one of the basic principles governing the creation and performance of
legal obligations . .,.it is not in itself a source of obligation where none
would othenvise exist' . . ."(ibid., p. 297, para. 39; emphasisadded).
240. In the present case, we are dealing with a specificobligation on a
declarant State under the optional clause system of the Statute of the
Court: not, indeed, to subscribe to that clause, which is an entirely free672 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

un acte de souverainetéentièrementlibre et volontaire, mais de ne pas le
faire en cachant ses intentions véritables ou en biaisant sur la portéede
l'engagementjuridictionnel qu'il semble assumer à la lumièrede la teneur
de la déclaration. A mon avis, la chicane, pour employer la terminologie

des auteurs classiques, n'a pas sa place dans le systèmede la clause facul-
tative qui est un moyen de créationd'obligations juridictionnelles assu-
méespar 1'Etatdéclarantvis-à-vis des autres Etats déclarants.Ce facteur
semblerait pour l'arrêt apparemment dénué depertinence en ce qui
concernel'interprétation d'une réserve insérédeans une déclarationrele-
vant du systèmede la clause facultative.
241. En effet, à la lecture des motifs de l'arrêt, forceest de conclure
que la bonne foi ne joue aucun rôle comme élémentinterprétatif de la
déclarationdu Canada. Les paragraphes del'arrêc tonsacrésa ['interpré-
tation de la réservede l'alinéa d) ne mentionnent pas une seulefois la
bonnefoi. Par contre, l'arrêt écartela règlecontra proferentem aux fins

d'interpréter cetteréserve(paragraphe 51de l'arrêt),bien que celle-cifût
rédigée par le Gouvernement du Canada et qu'il faille appliquer le prin-
cipe de la bonne foiàl'interprétationdes déclarationsinternationalesuni-
latérales, principe qui ne saurait se réduireune simple règleaccessoire
de nature technique. L'arrêt écarte ensuitele principe généralde droit de
la présomption de régularitédes actes juridiques invoqué par le deman-
deur (paragraphes 53 à55 de l'arrêt)à savoir lajurisprudence de la Cour
dans l'affaire du Droit de passage sur territoire indien, où il est dit:

((C'est une règled'interprétationqu'un texte émanant d'un gou-
vernement doit, en principe, être interprétécomme produisant et
étantdestiné à produire des effets conformes et non pas contraires
au droit existant. » (C.. Recueil 1957, p. 142;les italiques sont de
moi.)

Les considérationspar lesquelles l'arrêt rejette cetterègled'interpréta-
tionillustrentparticulièrement bien l'esprit quiinspirel'ensembledespara-
graphes de l'arrêt concernant l'interprétationde la réservecanadienne.
Ces considérations font d'ailleurs une présentation inexacte des alléga-
tions du demandeur fondéessur la règled'interprétation en question.
242. L'Espagne n'a pas confondu, comme le prétend l'arrêt, « l'accep-
tation par un Etat de la juridiction de laCour» et «la compatibilité de
certains actes avec le droit international)) (par. 55). Le demandeur n'a
pas invoqué larègleen question aux fins de faire trancher par la Cour la

question de fond de la compatibilité ou non de certains comportements
du Canada à son égard avec le droit international. Pas du tout. L'Es-
pagne a invoquéla présomption de régularitédes actesjuridiques éma-
nant d'un gouvernement comme une règled'interprétationexclusivement,
compte tenu de la rédactiondonnéepar le Canada au texte de la réserve
de l'alinéad) du paragraphe 2 de sa déclaration.C'est aux finsd'une telle
interprétation que le demandeur invoque la règleconsacréepar la Cour
dans lajurisprudence de l'affaire du Droit de passage.and voluntary sovereign act; but not to do so while concealing its true
intentions or equivocating with regard to the scope of the legal obligation
it appears to be undertaking in the light of the terms of the declaration.
In my view, chicanery, to use the traditional term, has no place in the
optional clause system, which is a means of creating legal obligations
assumed by the declarant State vis-à-vis the other declarant States. This
point would seem to be regarded by the Judgment as irrelevant to the
interpretation of a reservation in a declaration under the optional clause
system.

241. Indeed, reading the reasoning of the Judgment, one is forced to
conclude that good faith plays no role as an element in the interpretation
of Canada's declaration. The paragraphs of the Judgment devoted to the
interpretation of the reservation in subparagraph2 (d) do not once men-
tion goodfaith. Conversely, the Judgment rejects the contra proferentem
rule for purposes of interpreting that reservation (seeparagraph 51 of the
Judgment), even though the reservation was drafted by the Canadian
Government and it is necessary to apply the principle of good faith to the
interpretation of unilateral international declarations, a principle that
cannot be reduced to a mere secondary rule of a technical nature. The
Judgment then rejects the general principle of the presumption of the
legality of legal instruments, invoked by the Applicant (paragraphs 53to
55 of the Judgrnent) and expressed in the Court's jurisprudence in the
Right of Passage overIndian Territory case, where it is stated:

"It is a rule of interpretation that a text emanating from a Gov-
ernment must, in principle, be interpreted as producing and as
intended to produce effects in accordance with existing law and not
in violation of it." (C.J. Reports 1957, p. 142; emphasis added.)

The considerations on the basis of which the Judgment rejects this rule
of interpretation are a particularly good illustration of the spirit that
inspires al1those paragraphs of the Judgment concerningthe interpreta-
tion of the Canadian reservation. These considerationsalso give an inac-
curate representation of the Applicant's arguments founded on that rule.
242. Spain has not, as the Judgrnent claims, confused "the acceptance
by a State of the Court's jurisdiction and the compatibility of particular
acts with international law" (para. 55). The Applicant did not invoke the
rule in question in order to obtain a decision from the Court on the sub-
stantive issue as to whether or not certain forms of conduct engaged in by
Canada in its regard were compatible with international law. Far from it.
Spain invoked the presumption of the legality of legal instruments ema-
nating from a government exclusively as a rule of interpretation, taking
account of the wording by Canada of the text of the reservation inpara-
graph2 (d) of its declaration. It is for the purposes of such an interpreta-
tion that the Applicant relies on the rule laid down by the Court in the

Right of Passage case.673 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

243. Et pourquoi cette règle est-elle parfaitement applicable en
l'espèce?Parce qu'il estcontraire au principe de l'interprétationde bonne
foi des déclarations que les ambiguïtés, les obscurités ou lessilences du
texte d'une réserve,ou de n'importe quelle autre partie d'une déclaration,
puissent faire attribuer ce textepar interprétationun sens ou une portée

contraire au droit existant. C'est dans ces hypothèsesque la règlede la
présomption de régularitédes actes juridiques émanant d'un gouverne-
ment devient applicable dans l'interprétation. Or, ces hypothèses sont
bien présentesen l'espèce.D'où l'applicabilité dela règleinvoquéepar le
demandeur dans le présent incident préliminaire.
244. Pour l'arrêt,il y aurait des situations (ce qui aurait étéle cas,
semble-t-il, du Canada en 1994) - bien que le défendeurne l'ait ja-
mais reconnu - où un Etat qui veut faire une déclarationdanslecadre du
systèmede la clausefacultative pense qu'une réservequ'il souhaiteinsérer
dans sa déclarationsoulèveou pourrait soulever un problèmede confor-
mité avecle droit international (paragraphe 54 de l'arrêt).Ce que 1'Etat

déclarantest censéfaire, ànotre avis, dans ces situations, c'estd'êtrepar-
ticulièrementprudent et soigneux dans la rédactiondu texte de la réserve
en question, c'est-à-dire s'exprimer dans la déclaration d'une manière
conforme à une telle intention de sorte que la règlede la présomptionde
régularitédes actes juridiques n'ait pas l'occasion dedéployerses effets
s'ily a matière un jourà interprétation. Prétendrele contraire dérogeau
principe de l'interprétationde bonne foi. Mais la mauvaise foi d'un Etat
ne se présumepas mêmelorsqu'il s'agitde l'interprétation d'uneréserve
dans une déclarationrelevant du paragraphe 2de l'article 36du Statut de
la Cour. Il ne revient pasà l'interprète,en l'espèceà la Cour, de tenir
pour établi que laréserve de l'alinéd), ou que la déclaration canadienne

dans laquelle celle-cis'insère,puisse être interprétée aujourd'huciomme
si le Canada, lorsqu'il a fait sa déclaration, avaitvoulu lui faire produire
des effets contraires au droit international en vigueur.
245. Le ministrecanadien desaffairesétrangèresa d'ailleurs déclaré au
Sénat, lors del'examendu projet de loi C-29, que ladite loi «nous permet
d'agir,sur des bases solides de droit» (mémoirede l'Espagne, annexes,
vol. 1, annexe 16, p. 231; lesitaliques sont de moi). Le Canada n'a pas
admis non plus (malgréles considérations de l'arrêt),ni avant ni après
l'introduction de la présenteaffaire, avoir commis en marslavril 1995,
vis-à-visde l'Espagne,des actes contraires au droit international. En tout
cas, en l'espèce, mêmu ene interprétation de la réserve del'alinéa d)

fondéeexclusivement sur la ~ratiaue du Canada ~ostérieure à mai 1994
ne permettrait pas de conclure,dans le présent incident préliminaire,que
l'auteur voulait que la réserveproduisît dèsle débutdes effets contraires
au droit existant.

246. Il ne s'agit ni du consentement à la juridiction, ni de la liberté
d'insérerdes réservesdans les déclarations,mais bel et bien de l'interpré-
tation de bonne foi des réserves insérée dsans des déclarationsdéposées
par les Etats déclarants. Jeme dissocie donc tout àfait de la thèsegéné- 243. And why is that rule perfectly applicable in the present case?
Because it is contrary to the principle of interpretation in good faith of
declarations that the arnbiguities, obscurities or silences in the text of a

reservation or of any other part of a declaration should enable a meaning
or scope at variance with existing law to be attributed to that text by
interpretation. It is in such circumstances that the rule of presumption of
the legality of legal instruments emanating from a government becomes
applicable for purposes of interpretation. And those circumstances are
clearly presentin this case. Hence the applicability of the rule relied on by
the Applicant in the present preliminary proceedings.
244. According to the Judgment, there might be situations - as,
apparently, was the case with Canada in 1994,although the Respondent
has never acknowledged it - in which a State wishing to make a declara-
tion under the optional clause system believes that a reservation that it
intends to include in its declaration raises or might raise a problem of

legality under international law (paragraph 54 of the Judgment). What,
in my view, the declarant State ought to do in such situations is to exer-
cise particular caution and care in drafting the text of the reservation in
question, that is, to express itself in the declaration in a manner consist-
ent with such an intention, so that, if one day it requires interpretation,
the rule of the presumption of the lawfulness of legal instruments willnot
be brought into play. To assert the contrary is to derogate from the prin-
ciple of interpretation in good faith. However, bad faith on the part of a
State is not to be presumed, even in the case of interpretation of a reser-
vation in a declaration under Article 36, paragraph 2, of the Statute of
the Court. It is not for the interpreter - in this case the Court - to take
it as establishedfact that the reservation in paragraph 2 (d), or the dec-

laration in which it is incorporated, can be interpreted today as though
Canada, when making its declaration, had wished to cause it to produce
effects contrary to existing international law.
245. Furthemore, during consideration of Bill (2-29, the Canadian
Minister for Foreign Affairs declared in the Senate that the Bill, "which
contains provisions that enable us to take action, has a solid legal basis"
(Memorial of Spain, Annexes, Vol. 1,Ann. 16, p. 271; emphasisadded).
Nor did Canada admit (notwithstandingthe considerations evoked in the
Judgment), either before or after the institution of the present proceed-
ings, having committed in March-April 1995 acts in relation to Spain
which violated international law. Moreover, on the facts, even an inter-

pretation of the reservation in paragraph 2 (d) based exclusivelyon the
practice of Canada subsequent to May 1994 would not enable one to
conclude, in the present preliminary proceedings, that its author intended
the reservation to produce from the outset effects contrary to existing
law.
246. The point at issue is neither consent to jurisdiction, nor freedom
to include reservations in declarations, but simply and solely the inter-
pretation in good faith of the reservations in declarations deposited by
declarant States. 1 therefore dissociate myself wholly from the general674 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

rale de l'arrêt d'aprèslaquelle la licéité neconstitue pas un élémentde
référence éventueplour l'interprétation desambiguïtés,des obscuritésou
des silences d'une déclaration, y compris des réservesqu'elle pourrait
contenir. Cela dit, je ne saurais faire prévaloir une acceptation générale

de la juridiction de la Cour sur une réserveni vice versa. L'auteur de la
présenteopinion croit fermement à l'intégritetà l'unitédes déclarations.
Je n'oppose pas la déclaration à la réserveni la réserveà la déclaration.
Ce procédéest celui de l'arrêt, pasle mien.

6. Le sens ordinaire des termes de la réserve de l'alinéd a) dans leur
contexte et à la lumière de l'objet et du but de la déclaration du
Canada

247. Le texte de l'ensemble du paragraphe 2 de la déclaration du
Canada du 10mai 1994est reproduit au paragraphe 214 ci-dessus. Nous

pouvons maintenant l'examiner et apprécier les termes de la réservede
l'alinéad) dans le contextede l'obligationjuridictionnelle acceptéepar le
déclarant dans ledit paragraphe 2.
248. La déclaration déposéepar le Canada est un instrument qui
relèvedu droit international. En outre, elle n'incorpore pas la législation
et les règlements canadiens dans son texte. Par exemple, la réserve de
l'alinéad) du paragraphe 2 parle de ((mesures de gestion et de conserva-
tion» adoptéespar le Canada pour les bateaux pêchant dansune zone de
la haute mer définiedans la déclarationpar renvoi àun traité internatio-
nal et de l'exécution detellesmesures sans plus, mais ellene renvoie point
à aucune loi nià aucun règlementcanadien particulier pour une fin quel-
conque. Elle ne mentionne que des mesures de gestionet de conservation

adoptées etexécutées par le Canada dans une zone de la haute mer défi-
nie par un traité international.
249. Il est évident quele Canada, comme tout autre Etat, peut adopter
des mesures dans son ordre juridique interne ainsi que dans l'ordre juri-
dique international. Et il est aussi évidentque l'ordre juridique interne
d'un pays déterminéne se confond pas avec l'ordre juridique internatio-
nal ni par ses sources ni par ses destinataires. En tout cas, il découle de
l'économie généraldee la déclaration que celle-cine concerneque des dif-
férends éventuelsentre le Canada et d'autres Etats déclarants dans le
cadre du systèmedela clause facultative,c'est-à-dire desdifférends inter-
nationaux et pourtant des différendsoù il est question du droit interna-

tional et non pas de l'ordre juridique interne du Canada.
250. Pour lejuge international, comme une jurisprudence bien établie
de la Cour le confirme, la législationet les autres mesures internes du
Canada ne sont que des faits. Ces faits peuvent être générateurs d'un dif-
férendinternational certes, mais ils ne sont pas ex definitione le droit
applicable au règlement du différendinternational en question. Ce der-
nier est le droit international, y compris en ce qui concerne l'interpréta-
tion de titres juridictionnels et des expressions et termes qui y figurent,
sauf indication contraire dans le titre juridictionnel lui-même.argument of the Judgment that lawfulness does not constitute a potential
yardstick for interpretation of theambiguities, obscuritiesor silences of a
declaration, including those in any reservations it might contain. That
said,1cannot givegreaterweightto a generalacceptanceof the Court'sjuris-
diction than to a reservation, or vice versa. The author of this opinion
is a firm believer in the integrity and unity of declarations. 1 do not seek
to oppose the declaration to the reservation, or the reservation to the
declaration. That is the course adopted by the Judgment, not by myself.

6. The ovdinavy meaning of the terms of the reservation in subpara-
graph (d) in their context and in the light of the object andpurpose of
Canada's declaration

247. The entire text of paragraph 2 of Canada's declaration of 10May
1994isreproduced in paragraph 214 above. We may now examine it and
construe the terms of the reservation in subparagraph (d) in the context
of the legal obligation accepted by the declarant State in paragraph 2.

248. The declaration deposited by Canada is an instrument of interna-
tional law. Furthermore, it does not incorporate the Canadian legislation
and regulations in its text. Thus, the reservation in paragraph 2 (d)
speaks of "conservation and management measures" taken by Canada
with respect to vessels fishing in an area of the high seas defined in the
declaration by reference to an international treaty, and of the enforce-
ment of such measures, without further clarification,but it makes no spe-
cific reference for any purpose to any Canadian law or regulation. It
mentions only conservation and management measures taken and
enforced by Canada in an area of the high seas defined by an interna-
tional treaty.
249. It is clear that Canada, like any other State, may take measures

both under its own domestic legal order and under the international legal
order. And it is also clear that the domestic legal order of a givencountry
is not to be confused with the international legal order, whether in terms
of its sources or of its subjects. It follows, moreover, from the general
scheme of the declaration that it concerns only possible disputes between
Canada and other declarant States under the optional clause system,
namely, international disputes, that is disputes involving international
law, not Canada's domestic legal order.

250. For an international Court, as the Court's settled case-law con-
firms, Canada's legislation and other interna1 measures are only facts.
Those facts may indeed generate an international dispute, but they are
not ex dejînitionethe law applicable to the settlement of the international
dispute in question. The applicable law is international law, including for
purposes of the interpretation of jurisdictional titles and of the expres-
sions and terms to be found therein, unless othenvise stated in the juris-
dictional title itself.675 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

251. Or, si l'on se place comme il se doit sur le plan international, le
langage de la réservede l'alinéad),du paragraphe 2 de la déclarationn'a
de sens que pour autant que son interprétationest établieen fonction des
catégorieset des termes du droit international. Si au contraire, comme le
faisaient certaines interprétations canadiennes, des expressions telles que
((mesures de gestion et de conservation adoptées par le Canada)) sont
interprétées sans faire intervenirle droit international, le texte de la réserve
devient contradictoire, à savoir un véritable oxymoron comme il a été
souligné à juste titre par certains conseils de l'Espagne lors de la phase

orale.
Pourquoi? Parce que les mesures de la réserve visentune zone mari-
time qui fait partie de la haute mer et des bateaux s'ytrouvant qui peu-
vent battre le pavillon d'autres Etats. Or, siun Etat, y compris le Canada,
qualifie dans un instrument international des mesures adoptées par
lui pour la haute mer de ((mesures de gestion et de conservation)), les
mesures en question doivent être de véritables ((mesures de gestion
et de conservation)) au regard du droit international relatif à la haute
mer. Autrement, elles seraient toujours, certes, des ((mesuresadoptées
par le Canada)), mais non pas des ((mesures de gestion et de conservation
adoptéespar le Canada» comme il est dit dans la réserve.Dans l'inter-
prétation des instruments internationaux l'abus de langage, comme
l'abus de droit, n'est jamais présumé.La bonne foi est bien présente

ici, car les déclarations créentdes attentes légitimeschez lesautres Etats
déclarants.

252. Dans le cas d'espèce, ilarrive aussi que ((déclarationcanadienne))
et ((législationcanadienne»ne renvoient pas, il s'enfaut, aux mêmesréa-
litésjuridiques ou matérielles.Il y a coïncidence en ce qui concerne la
délimitation ((géographique))de la réserve (zonede réglementation de
I'OPANO), mais non pas lorsqu'il s'agit d'autres élémentsdélimitant la
réserve du point de vue dit «fonctionnel» selon la terminologie du
contre-mémoiredu Canada. La déclaration, par exemple, ne mentionne
pas les stocks chevauchants comme le fait la législationcanadienne.
En outre, la législationet les règlementscanadiens donnent des défini-

tions (en fait plus d'une) de l'expression«mesures de gestion et de conser-
vation», tandis que le texte de la réservene le fait pas, ni expressémentni
par renvoi. La réserveutilise les mots «et l'exécution detelles mesures»
sans plus. Il n'y estpas question de « mesures d'exécution)).Par contre la
législationet les règlements canadiens distinguent «loi », ((règlements»,
«mesures» et «moyens». D'autre part, l'usage dela force, lesmoyens dits
moins violents et les autres moyens de la législationet des règlements
canadiens ne font pas partie de leurs définitionsde ((mesuresde gestion et
de conservation». Ils sont prévusdans des dispositions distinctes de celles
qui définissentles mesures en question. 251. Thus, when viewed - as it must be - from the international per-
spective, the language of the reservation in paragraph 2 (d) of the dec-
laration has a meaning only if interpreted by reference to the categories
and terms of international law. If, on the contrary, as was the case with
certain Canadian interpretations, expressions such as "conservation and

management measures taken by Canada" are interpreted without refer-
ence to international law, the text of the reservation becomes contradic-
tory - indeed, a completeoxymoron - as was rightly stressed by coun-
sel for Spain in the oral proceedings.

Why? Becausethe measures in the reservation refer to a maritime area
that is part of the high seas and to vesselsin that area that may be flying
the flag of other States. However, if a State, including Canada, refers in
an international instrument to measures taken by it concerning the high
seas as "conservation and management measures", the measures in ques-
tion must be genuine "conservation and management measures" under
the international law of the sea. Otherwise, while still undoubtedly being

"measures taken by Canada7',they would not be "conservationand man-
agement measures taken by Canada", as stated in the reservation. In the
interpretation of international instruments, the abuse of language, like
the abuse of law, is never presumed. Good faith does indeed have a role
to play here, for declarations give rise to legitimate expectations on the
part of other declarant States.

252. In the present case, the fact is that "the Canadian declaration"
and "Canadian legislation" do not refer - far from it in fact - to the

same legal or material realities. They coincide as regards the "geographi-
cal" delimitation of the reservation (the NAFO Regulatory Area), but
not with regard to other elements defining the scope of the reservation
from the "functional" standpoint, to use the terminology employed in the
Counter-Memorial of Canada. For example, the declaration, unlike the
Canadian legislation,makes no mention of "straddling stocks".
Moreover, the Canadian legislation and regulations give definitions
(indeed, more than one) of the expression "conservation and manage-
ment measures", while the text of the reservation gives none, either
expressly or by reference. The reservation uses the words "and the
enforcement of such measures", without further specification.It does not

refer to "enforcement measures". Conversely, the Canadian legislation
and regulations distinguish between the terms "Act", "regulations",
"measures" and "means". Furthermore, the use of force, so-called less
violent means and the other means provided for in the Canadian legisla-
tion and regulations do not form part of their definitions of "conserva-
tion and management measures". They are dealt with in provisions dis-
tinct from those that define the measures in question. 676 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS T.ORRES BERNARDEZ)

253. Dans la législationcanadienne, il est aussi question d'une pour-
suiteentaméealors que le bateau de pêcheétrangerse trouve dans la zone
de réglementation de lYOPANO,mais la réservede la déclaration ne
contient pas la moindre référence à des poursuites dans ladite zone, ni
dans aucune autre zone de la haute mer. Notons à ce propos que le droit

international distinguenettement entre l'institution du droit de poursuite
de navires étrangers - qu'il ne reconnaît pas lorsque le navire se trouve
en haute mer lors du commencement de la poursuite - et le régimede
gestion et de conservation des ressources biologiques de la haute mer.
254. La législationcanadienne s'occupe également del'application du
droit pénal canadien à des faits commis dans la zone de réglementation
de 1'OPANO par des personnes à bord ou au moyen d'un bateau de
pêcheétranger, tandis que la réservene souffle pas un mot d'une quel-
conque application du droit pénal canadien. Notons aussi, à ce propos,

qu'en droit international généralles infractions à la réglementation en
matière de pêcheexposent plutôt leur auteur à des mesures administra-
tives. Elles ne sont pas traitéesen tout cas comme des actes ou omissions
relevant du droit pénal.
255. Il est évidentqu'un Etat déclarant peut exclure par des réserves
dans sa déclaration acceptant la juridiction obligatoire de la Cour toute
classe de matières indépendamment du fait qu'elles font ou ne font pas
l'objet de lois ou de règlements nationaux ou, lorsque ces règlements
existent, de la teneur ou de la portéede ces dispositions internes. Mais,
la question pour la Cour n'est pas ce que le Canada aurait pu exclure par

une réservedans sa déclaration lorsqu'il l'arédigéem , ais ce qu'il a effec-
tivement exclulorsqu'il l'adéposée auprèsdu Secrétairegénérad le l'Orga-
nisation des Nations Unies.
Il y a cependant une coïncidence très révélatrice pourla présente
affaire entre le langage de l'alind) duparagraphe2 de la déclarationdu
Canada de 1994 et celui de la législationet de la réglementationcana-
diennes: ni l'uneni l'autre ne s'occupentdu titre international du Canada
pour exercer une juridiction en haute mer sur des navires battant le
pavillon d'un autre Etat.

256. En effet, la législation et la réglementation canadiennes sont
muettes sur le titre de droit international qu'aurait le Canada pour exer-
cer sa juridiction étatique sur des bateaux battant le pavillon d'un autre
Etat dans la zone de réglementationde I'OPANO ou dans une autre par-
tie quelconque de la haute mer; mêmepas en termes de droits invoqués,
prétendus ouexercés defacto par le Canada en haute mer comme dans sa
déclaration de 1970(voir paragraphes 288 à 293 de la présenteopinion).

Sur le titre international du Canada, le silence aux deux niveaux -
réserveet droit canadien - est donc total.
257. En 1994,le ministreTobin a parléau Sénatde «la capacitéquele
Canada s'est donnée au niveau national d'intervenir à l'extérieur dela 253. The Canadian legislation also refers to a continuing pursuit com-
mencing while a foreign fishing vessel is in the NAFO Regulatory Area,
but the reservation in the declaration contains not the slightest reference
to pursuits in that Area, or in any other area of the high seas. In this
regard it should be noted that international law clearly distinguishes
between a right of hot pursuit of foreign vessels - which it does not rec-
ognize if the vessel is on the high seas when the pursuit commences -
and the régimeof conservation and management of the living resources
of the sea.
254. The Canadian legislation also deals with the application of Cana-
dian criminal law to acts committed in the NAFO Regulatory Area by

persons on board or by means of a foreign fishing vessel,whereas the res-
ervation makes no mention whatever of any application of Canadian
criminal law. In this connection, it should also be noted that under gen-
eral international law breaches of fisheries regulations will normally
render the perpetrator liable to administrative sanctions. They are cer-
tainly not treated as acts or omissions punishable under criminal law.

255. It is clear that a declarant State may exclude, by means of reser-
vations in its declaration accepting the compulsory jurisdiction of the
Court, any category of matters, irrespective of whether or not they are
covered by national laws or regulations, or of the content or scope of any
such laws or regulations, where these exist. But the question for the
Court is not what Canada might have excluded by means of a reservation
in its declaration at the time when it was drafting it, but what it actually

excluded when it deposited the declaration with the Secretary-General of
the United Nations.
There is, however, a coincidence of great sign$cance to the present
case between the language of paragraph 2 (d) of Canada's1994 declara-
tion and that of the Canadian legislation and regulations: neither the
former nor the latter deals with Canada's international titleto exercise
jurisdiction on the high seas over vesselsflying thefEagof another State.

256. Indeed, the Canadian legislation and regulationsare silent on the
question of Canada's title under international law to exercise its State
jurisdiction over vessels flying the flag of another State in the NAFO

Regulatory Area or in any other place on the high seas; not even in terms
of rights invoked, claimed or exercised defacto by Canada on the high
seas, as in its 1970declaration (seeparagraphs 288to 293of this opinion).
On the question of Canada's international title, there is thus total silence
both in the reservation and in Canadian law.

257. In 1994MinisterTobin spoke in the Senate of "the authority that
Canada has given to itself domestically to act beyond 200 miles" (Memo-zone économiquede 200 milles))(mémoirede l'Espagne, annexes, vol. 1,
annexe 16,p. 231 ; les italiques sont de moi). Or, la requêtede l'Espagne
a pour objet la capacité d'agir du Canada au niveau international en
haute mer à l'égardde bateaux espagnols.Pour cet aspect des choses, le
ministre Tobin expliqua que les pouvoirs vastes et élargisdépassant la
limite de 200 milles que le Canada s'était donnésau niveau national
l'étaientexpressément à des fins de conservation, que le Canada allait
essayer de réglerle problèmede la surpêchepar voie d'entente dans toute
la mesure du possible et mentionna la coopération au sein de l'OPAN0,
mais il ajouta que le Canada allait ((intervenir de façon unilatérale)),
quoique en tout dernier recours, et qu'il «n'a[vait] demandé l'autorisa-
tion de personne))pour adopter la nouvelle législation (ibid.,p. 231-232).
A ce sujet, les propos du ministre ont étéles suivants:

«Ni le Parlement ni le Gouvernementdu Canada n'ont demandé à
d'autres pays la permission de promulguer ce projet de loi. Nous
n'avons pas l'intention de demander l'autorisation de chaque pays.
Si l'avenir de ces ressources, non seulement pour le Canada mais
pour le monde entier, dépendait du consentement unanime de tous
lespays du monde, je crainsque cette mesure ne voiejamais lejour. »

(Zbid.,p. 232.)
Il est donc évidentque le Canada s'est doté de pouvoirs internes pour
agir en haute mer sans se soucier d'un titre international quelconquepour
cefaire. Il avance des «justifications» éventuellesdesonintervention uni-
latéraleen haute mer fondéessur des doctrines comme cellede la (néces-
sité», de l'«urgence», voire des ((intérêts vitaux))du Canada, mais pas

des «titres internationaux)) servant de fondement aux comportements en
haute mer envisagéspar sa législationnationale. Or, ces prétenduesjus-
tifications relèventdu fond de la présente affaire et non de la phase inci-
dente actuelle.Il s'agit de questions sans rapport avec l'interprétation de
la déclaration du Canada du 10mai 1994.
258. En fait, le Canada a agi à titre de souverain même s'iél taitques-
tion de la haute mer et, de ce fait, a pris des risques qu'il pensait pouvoir
éviterpar la voie diplomatique ou par un certain laisser-faire des autres
Etats. Son assurancenationaliste était telle qu'il n'amêmepas cru néces-
saire de rédiger sa nouvelledéclarationdu 10mai 1994 en tenant dûment
compte du régimeinternational de la haute mer. Ce régime neconcerne
pas seulement les poissons, la conservation ou la gestion de ressources
biologiques. Il est beaucoup plus vaste ce régimede la haute mer! Et tous

les Etats du monde y ont un intérêt juridique etont leur mot à direà ce
propos, pas seulement le Gouvernement du Canada. Il aurait pu exclure
par une réservedans sa déclarationle régimede la haute mer, mais il ne
l'a pas fait. Toute la question est là.

Or, comme je l'ai exposéau chapitre III de la présenteopinion, l'objet
du différenddevant la Cour est justement le titre ou le défautde titre de
droit international du Canada pour agir comme il l'a fait, et pourraitrial of Spain, Annexes, Vol. 1,Ann. 16,p. 271; emphasis added). How-
ever, the subject of Spain's Application is Canada's capacity to act inter-
nationally on the high seas against Spanish vessels.Regarding this aspect
of the matter, Minister Tobin explained that the broad-ranging author-
ity, extending beyond 200 miles, that Canada had given itself domesti-
cally was expressly for the purpose of conservation and that Canada
would attempt to resolve the problem of foreign overfishing by agree-
ment, wherever agreement was possible. He mentioned CO-operation
within NAFO, but added that Canada would "act by unilateral action",
though only where that was the only remaining alternative, and that he
"[did] not propose to ask anybody for permission" to adopt the new
legislation (ibid., pp. 271-272). In that connection, the Minister spoke
as follows:

"Neither the Parliament nor the Government of Canada have
asked permission of other nations to enact such a piece of legisla-
tion. It would not be Ourintention to ask permission of everynation.
If the litmus test to determine Ourfate with respect to the future of
these resources, not only for ourselves but for the world, was to have
al1nations of the world concur in this action, 1am afraid this action
would never happen." (Ibid., p. 272.)

It is thus evident that Canada gave itself domestic powers to take action
on the high seas without any concern as to whether it had any interna-
tional title to do so. It put forward possible "justifications" for its uni-
lateral intervention on the high seas founded on doctrines such as "neces-
sity", "emergency" and even the "vital interests" of Canada, but no
"international titles" serving as a basis for the conduct on the high seas
envisaged by its national legislation. However, these allegedjustifications
relate to the substance of the case and not to the present incidental
proceedings. These questions have no bearing on the interpretation of
Canada's declaration of 10 May 1994.
258. In truth, Canada acted in its sovereign capacity even though the
matter concerned the high seas and, consequently, took risks that it
believed it would be able to deal with through diplomatic channels or
thanks to inaction on the part of other States. Its national self-assurance

was such that it did not even consider it necessary to draft its new dec-
laration of 10 May 1994 so as to take due account of the international
régimegoverning the high seas. That régimedoes not concern only fish
and the management or conservation of livingresources. It is a great deal
wider than that! And not only the Government of Canada, but al1the
States of the world, have a legal interest in it, and their own word to Say
on the matter. Canada could have excluded the régimegoverning the
high seas by means of a reservation in its declaration, but did not do so.
That is the cnix of the matter.
As 1 stated in Chapter III of this opinion, the subject of the dispute
before the Court is precisely Canada's international title or lack thereof
to act as it did, and as it mightain do in the future (as the amended Actencore le faire à l'avenir (la loi modifiéedu 12 mai 1994est toujours en
vigueur) vis-à-vis des navires battant pavillon espagnol se trouvant en
haute mer.

259. L'arrêt mentionnele contexte comme un critère d'interprétation
et proclame l'unité de la déclaration canadienne, mais sur le plan pra-
tique il n'en tire aucune conclusion pour l'interprétation de la réserve
sauf pour faire prévaloircelle-ci sur la déclaration dans son ensemble. Je
l'ai déjàdit, l'analyse que l'arrêt faitde la réservede l'alinéa) aux fins
de son interprétation est justement le contraire de l'unité proclamée,
car l'arrêts'efforce de sortir la réservede son contexte. Pour l'arrêt le

contexte de la réserven'est pas la déclaration (voir paragraphe 197de la
présenteopinion). En fait pour l'arrêt laseule réalitéjuridique à consi-
dérer dans le présent incident préliminaire n'estque la réserveet ses cir-
constances.Or, la réserve n'est pasl'instrumentjuridictionnel en cause. Il
n'y a pas des ((déclarations))de non-compétence.Il y a des déclarations
comprenant des réserves,ce qui est une chose très différente, auxfins de
l'interprétation. En fait, sans l'avouer explicitement, l'arrêtremplace le
contexte de la réservede l'alinéad) par les circonstances entourant le
dépôtde la déclaration canadienne, c'est-à-dire par des moyens complé-
mentairesd'interprétation! Mais, quoi que l'arrêtfasse, il va de soi que le
texte du paragraphe 2 de la déclaration du Canada, tout comme la décla-
ration dans son ensemble, fait aussi fonction de contexte pour l'interpré-
tation de dispositions, réserves,conditions, phrases, expressions ou ter-
mes particuliers qui figurent dans ce paragraphe, y compris dans la

réservede l'alinéad).

260. Mais, par ailleurs, le droit international nous dit aussi que pour
interpréter un instrument international le texte de l'instrument en cause
n'est pas nécessairementle seulcontexte possible dont ilfaut tenir compte.
Il peut arriver, et c'est souvent le cas, qu'il existe des instruments ou
d'autres éléments extérieura su texte de l'instrument objet de l'interpréta-
tion qui, aux fins de l'opération juridique de l'interprétation, doivent être
pris en considérationpar l'interprèteen tant que contexte.
La question se pose donc de savoir si, aux fins de l'interprétationde la
déclaration canadienne du 10mai 1994,il y a des instruments ou des élé-
ments extérieurs à la déclaration pouvant faire fonction de contexte lors

de son interprétation. Disons tout d'abord que la déclaration n'a fait
l'objet d'aucun débat préalable aux chambres. En tout cas, la Cour n'a
pas été informéd eu contraire.Il n'y a pas eu de loi ou d'acte de ratifica-
tion de la déclaration canadienne porté à la connaissance de la Cour, ni
de compte rendu formel relatif au dépôt ou à la remise de la déclaration
au Secrétaire général dle'Organisation des Nations Unies.of 12May 1994is still in force), against vesselsflyingthe Spanish flag on
the high seas.

259. The Judgment mentions the context as a criterion for interpreta-
tion and stresses the unity of the Canadian declaration, but on the prac-
tical level it draws no conclusion from this as regards the interpretation
of the reservation, except to make the reservation prevail over the decla-

ration as a whole. As 1have already pointed out, the Judgment's analysis
of the reservation contained in paragraph 2 (d) for the purposes of
its interpretation actually runs contrary to the unity which it proclaims,
for the Judgment seeks to remove the reservation from its context. For
the Judgment, the context of the reservation is not the declaration (see
paragraph 197 of this opinion). In truth, as far as the Judgment is con-
cerned, the only legal reality to be taken into consideration in the pres-
ent preliminary proceedings is the reservation and its circumstances.
However, the reservation is not the jurisdictional instrument at issue.
There is no such thing as a "declaration" of lack ofjurisdiction. There are
declarations containing reservations, which is quite a different matter
for purposes of interpretation. In fact, without acknowledging it expli-
citly, the Judgment replaces the context of the reservation contained
in paragraph 2 (d) by the circumstances surrounding the deposit of the
Canadian declaration, that is, by supplementary means of interpreta-

tion! But, pace the Judgment, it goeswithout saying that the text of para-
graph 2 of the Canadian declaration, like the declaration as a whole, also
servesas a context for the interpretation of particular provisions, reserva-
tions, conditions, phrases, expressions or terms to be found in that
paragraph, including those in the reservation contained in its subpara-
graph (dl.
260. But, furthermore, international law also tells us that in interpret-
ing an international instrument the text of the instrument in question is
not necessarilythe only possiblecontext of which account must be taken.
It may be - and this is often the case - that there are instruments or
other elements extrinsic to the text of the instrument to be interpreted
which, for the purposes of the legal process of interpretation, must be
taken into consideration as a context by the interpreter.
The question thus arises whether, for the purposes of interpretation of

the Canadian declaration of 10 May 1994,there are any instruments or
elements extrinsic to the declaration that may serve as a context for its
interpretation. It should be said at the outset that the declaration was not
the subject of any prior debate in either Chamber of Parliament. At any
rate. the Court has not been informed to the contrarv. The Court has not
been apprised of any law or act of ratification of the Canadian declara-
tion, or of any official record concerning the deposit or delivery of the
declaration to the Secretary-General of the United Nations. Il va sans dire que le Gouvernement du Canada a élaboré,rédigém , is
en forme définitive,approuvé et déposé la déclaration du 10mai 1994en
vertu des pouvoirs qui sont les siens dans le cadre du systèmeconstitu-
tionnel canadien. Mais, s'agissant d'une interprétation selon le droit
international, la méthode que ce gouvernement a suivie fait qu'il n'existe
aucun instrument ou élémentextérieur à la déclaration pouvant faire
fonction aujourd'hui de contexte aux fins de l'interprétation de la décla-
ration canadienne par la Cour. La situation est donc bien différente de
celles qui existaient lors de l'interprétation par la Cour de la déclaration
de l'Iran dans l'affaire de l'dnglo-Iranian Oil Co. ou de la réservede la
Grèce dans l'affaire du Plateau continental de la mer Egée.

261. Quant à la réserve de l'alinéac) du paragraphe 2 de la déclara-
tion, elle est l'exempletypique de réserve objectivede compétencenatio-
nale. Elle pourrait avoir une incidence sur l'interprétationde la réservede

l'alinéad) comme ce fut le cas dans l'affaire du Plateau continental de la
mer Egée surtout dans la mesure où l'on voudrait définir l'expression
((mesures de gestion et de conservation» en excluant le droit internatio-
nal en la matière.Par contre, si la déclaration canadienne relèvedu droit
international comme c'est le cas, la réservede l'alinéad) de son para-
graphe 2 doit être,elle aussi, interprétée conformémentau droit interna-
tional. La position du défendeur surces questions fut loin d'êtreclaire.
En fait le défendeur n'arien dit sur la réservede l'alinéac) ni sur le rap-
port éventuelentre celle-ciet la réservede l'alinéa en tant que contexte
de cette dernière. Pour sa part, l'arrêtest muet sur cet aspect des choses
bien que le demandeur invoque dans l'affaire une règlede compétence
exclusive en ce qui concerne ses navires en haute mer. Pas de réponse
donc dans l'arrêt à toutes ces questions.

262. Il ne resteàexaminer que les autres élémentsextérieur sla décla-
ration dont il faudrait éventuellementtenir compte en mêmetemps que
le contexte. Il s'agit d'éléments extérieurs l'instrument interprété qui,
tout en n'étantni «texte» ni «contexte», doivent cependant êtrepris en
ligne de compte par l'interprète dans le processus interprétatif en même

temps que le contexte. Je parle de ces élémentsinterprétatifs que cer-
tains auteurs de langue anglaise appellent, au risque d'introduire des
ambiguïtés juridiques, «wide context)), concept qu'il faut se garder de
confondre ou de mélanger aveccelui de ((moyenscomplémentairesd'in-
terprétation)) (travaux préparatoires; circonstances de conclusion ou
d'élaboration).
Ces éléments extérieurd sont il faudrait éventuellementtenir compte en
mêmetemps que le contexte sont constitués par des instruments et des It goes without saying that the Government of Canada prepared,
drafted, finalized, adopted and depositedthe declaration of 10May 1994
by virtue of its powersunder the Canadian constitutional system. But, in
the context of an interpretation under international law, the method
adopted by that Government means that there is no instrument or ele-
ment extrinsic to the declaration that can now serve as a context for pur-
poses of interpretation of the Canadian declaration by the Court. The
situation isthus quite differentfrom those that obtained when the Court

interpreted Iran's declaration in the Anglo-Iranian Oil Co. case, or
Greece's reservation in the Aegean Sea Continental Shelfcase.

261. As for the reservation in subparagraph2 (c) of the declaration, it

is a typicalexample of an objective reservation of national jurisdiction. It
was capable of having an effecton the interpretation of the reservation in
subparagraph 2 (d), as in the Aegean Sea Continental Shelfcase, espe-
cially in so far as it is sought to define the expression "conservation and
management measures" without reference to international law. On the
other hand, inasmuch as the Canadian declaration is governed by interna-
tional law - as is the cas- then the reservation in subparagraph 2 (d)
must also be interpreted in conformity with international law. The
Respondent's position on these questions was far from clear. Indeed, the
Respondent said nothing with regard to the reservation in subparagraph
2 (c), or to any relationship between it and the reservation in subpara-
graph 2 (d) as a context for the latter. The Judgment, too, is silent on
this point, even though the Applicant has invoked in these proceedings a
rule of exclusivejurisdiction in respect of its vessels on the high seas.

Thus, no reply is to be found in the Judgment to any of these questions.

262. It only remains to consider the other elements extrinsic to the dec-
laration of which account might need to be taken together with the con-
text. These are elements extrinsic to the instrument interpreted which,

while comprising neither "text" nor "context", must nevertheless be
taken into account by the interpreter in the interpretative process along
with the context. 1am referring to those interpretative elements that some
English-language writers qualify, at the risk of introducing legal ambigui-
ties, as "wide context", a concept that must not be mistaken or confused
with that of "supplementary means of interpretation" (e.g. travaux pré-
paratoires; circumstances of conclusion or preparation).

These extrinsic elements of which account may have to be taken con-
currently with the context consist of instruments and practices subse-pratiques ultérieurs à l'adoption de l'instrument interprétéet relatifs à
son interprétation ou à son application, ainsi que par toute règleperti-
nente de droit international qui est applicable entre les parties.
263. Dans le cas d'espèce,le Canada n'a pas fait application, avant
l'introduction de la requête de l'Espagne,du droit qu'il s'est réservéau
paragraphe 3 de sa déclaration de compléter, modifierou retirer les ré-
serves formuléesdans sa déclarationdu 10mai 1994. 11n'a wasnon wlus
formuléd'autres réservesni fait aucune notijication à l'égardde l'inter-

prétationou de l'application desréservesfigurant dans ladite déclaration.
Il n'y a donc aucune notification de ce type du Canada dont il faudrait
tenir compte aux finsde l'interprétationde la déclarationdu 10mai 1994.
Il en est de même ence qui concerne la pratique ultérieureau sujet de
l'interprétation ou de l'application de la déclarationdu 10mai 1994.Le
wrésentdifférendest la wremièreaffaire devant la Cour où la déclaration
canadienne du 10mai 1994est invoquée comme base de la compétence de
la Cour.
264. Il ne reste donc que les règlespertinentes de droit international
applicables dans les relations entre les Parties.ce propos, je pense tout
d'abord que la déclaration du Canada, qui est un instrument interna-
tional destiné, de par son objet et son but, à produire certains effets
dans les relations internationales, doit êtreen général interprétée e atp-
pliquée en conformité avec le droit international positif que la Cour

applique. Mais il se peut aussi, étant donnécertaines formules employées
dans le texte de la déclaration, que le droit international soit appelé à
intervenir dans le processus interprétatàfdes finsbeaucoup plus précises
et concrètes.

265. J'ai mentionné la fonctionimportante qu'ont l'objet etlebut dans
l'interprétationdes déclarationsrelevant du système de la clausefaculta-
tive.11s'agit évidemmentde l'objet et dubut de la déclaration entant que
telle. Dans l'interprétation dela déclaration du Canada, il ne faut donc
pas confondre, comme le fait le présentarrêt,cet élémenitnterprétatif(ni
la règlede l'effet utile) avec le propos ou l'intention de'Etatdéclarant
concernant une disposition, une condition ou une réservedéterminée

inséréedans la déclaration.
En fait, l'arrêtne parle que de l'effetutile de la réservede l'alinéa d) et
négligetout à fait lerôle de l'objet et du but de la déclarationdans l'inter-
prétation de ladite réserve. Mieux encore, l'«effet utile)) de la réserve
devient vite dans l'arrêtl'«effet recherché))ou l'«effet voulu)) de la
réserve(paragraphes 52et 71 de l'arrêt).Une fois encore, le but de I'inter-
prétation serait de ne pas priver la réserve de l'effet «recherché» ou
«voulu» par la prétendue((intention sous-jacente» de 1'Etatdéclarantou
par ses motifs. Les références à l'effet utile ne sont donc qu'un autre
mirage.quent to the adoption of the instrument under interpretation and relevant
to its interpretation or application, and of any relevant rule of interna-
tional law that is applicable as between the parties.
263. In the present case, Canada did not exercise,prior to the filing of
Spain's Application, the right it reserved to itself in paragraph 3 of its
declaration to add to, amend or withdraw the reservations formulated in
its declaration of 10 May 1994.It did not formulate other reservations,
nor didit make any notijîcation with regard to the interpretation or appli-
cation of the reservations contained in the declaration. There is thus no
such notification by Canada of which account is required to be taken for
purposes of interpretation of the declaration of 10May 1994.The same is

true as regards subsequent practice concerning the interpretation or
application of the declaration of 10May 1994.The present dispute is the
first case tocome before the Court in which the Canadian declaration of
10 May 1994is relied upon as the basis for the Court's jurisdiction.

264. Consequently, there only remain the relevant rules of interna-
tional law applicable in relations between the parties. On this question 1
believe, first and foremost, that the Canadian declaration, which is an
international instrument intended, by its object and purpose, to produce
certain effects in international relations, must in general be interpreted
and applied in conformity with the positive international law that the
Court applies. But it is also possible, givencertain expressions used in the
text of the declaration, that international law may be invoked in the
interpretative process for much more specificand concrete purposes.

265. 1 have mentioned the important function of the object and pur-
pose in the interpretation of declarations under the optional clause sys-
tem. It is of course the object and purpose of the declarationas such that
are relevant here. In interpreting the Canadian declaration, it is impor-
tant not to confuse, as does the Judgrnent, that interpretative element (or
indeed the rule of effectiveness) with the purpose or intention of the
declarant State regarding a specific provision, condition or reservation
included in the declaration.
Thus the Judgment speaks only of the effectivenessof the reservation
contained in paragraph 2 (d) and entirely neglects the role of the object
and purpose of the declaration in interpretation of that reservation.
Moreover, in the Judgment the "effectiveness" of the reservation swiftly
becomes the "effect sought" or the "intended effect" of the reservation
(paragraphs 52 and 71 of the Judgment). Here again, the purpose of the
interpretation appears to be not to deprive the reservation of the effect
"sought" or "intended by the alleged "underlying intention" or motives
of the declarant State. The references to effectivenessare thus simply yet
another mirage.7. Le rôle du droit international dans l'interprétationde la réservede
l'alinéad) de la déclaration du Canada

266. Dans le domaine de l'interprétation d'un instrument juridique
international déterminé,le droit international a beaucoup à dire, même

lorsqu'il s'agitd'un titrejuridictionnel comme c'est le cas avec la déclara-
tion du Canada de 1994.Ledroitinternational a un rôle à jouer dans l'inter-
prétation des déclarations tant en ce qui concerne les mots et expres-
sions utilisésdans le texte qu'en ce qui concerne les silences du texte.
Les Etats déclarantseux-mêmesemploient normalement des termes et
des expressions de droit international dans la rédaction de leurs déclara-
tions. L'arrêt dela Mer Egéeen est un bon exemple. Il a étéd'ailleurs
invoqué par les deux Parties dans le présent incident préliminaire.
267. Cela dit, rappelons que ((toute règlepertinente de droit interna-
tional applicable dans les relations entre les parties)) est un des éléments
interprétatifs qui sont intégrésdans la règlegénéraled'interprétation de

la conventionde Vienne de 1969(alinéac) du paragraphe 3 de l'article 31
de la convention) et que la réservede l'alinéac) du paragraphe 2 de la
déclaration du Canada de 1994exclut de la juridiction obligatoire de la
Cour acceptéepar ce pays: «les différendsrelatifs à des questions qui,
d'après le droit international,relèvent exclusivementde la juridiction du
Canada)) (les italiques sont de moi).
268. Il découlede ce qui précède - dans la mesure où le défendeur
soutiendrait, directement ou indirectement, que les différends relatifsà
des mesures adoptées par le Canada pour des bateaux pêchant dans la
zone de réglementation de I'OPANO sont des différendsqui, pour une
raison ou une autre, relèventexclusivement de la juridiction du Canada

- que la réservede l'alinéac) du paragraphe 2 de la déclarationdevien-
drait pleinement opérante dans la présenteprocédure incidente prélimi-
naire. A ce stade, il faudrait aller voir ceque le droit international are
en la matière de façon à tirer les conséquencesqui en découlent pour
l'interprétationde la réservede l'alinéad) du paragraphe 2. Car, comme
la Cour permanente l'a déclaré:

«il suffit de remarquer qu'il se peut trèsbien que, dans une matière
qui, comme cellede la nationalité,n'estpas, en principe, régléepar le
droit international, la liberté de 1'Etat de disposer à son grésoit
néanmoins restreinte par des engagements qu'il aurait pris envers
d'autres Etats. En ce cas, la compétence de l'Etat, exclusiveen prin-
cipe, setrouve limitéepar desrèglesdedroit international ..»(Décrets
de nationalité promulguésen Tunisie et au Maroc, avis consultatiJ;
1923, C.P.J.I. sérieB no4, p. 24.)

269. Mais, en fait, lors de la phase orale du présentincident, le Canada
n'est pas allési loin. Pour rejeter des arguments espagnols relatifs aux
interprétations de la réservede l'alinéad) automatiques ou laissées à la
seule appréciation de leurs auteurs, les conseils du Canada ont fait plu-
sieurs fois des déclarationsde ce genre:7. The role of international law in interpretation of the reservation
contained in subparagraph (d) of the Canadiandeclaration

266. International law has much to say regarding the interpretation of
any given international legal instrument, even when the instrument in
question is a jurisdictional title, as is the case with the 1994 Canadian

declaration. International law has a role to play in the interpretation of
declarations both as regards the words and expressions used in the text
and as regards its silences.
Declarant States themselves normally use terms and expressions of
international law in wording their declarations. The Aegean Sea Judg-
ment is a good example of this, and it has in fact been cited by both
Parties in the present proceedings.
267. That said, we should bear in mind that "any relevant rules of
international law applicable in the relations between the parties" are
among the elements which make up the general rule of interpretation laid
down in the 1969Vienna Convention on the Law of Treaties (Art. 31,
para. 3 (c), of the Convention)and that the reservation in paragraph 2 (c)
of the Canadian declaration of 1994 excludes from the Court's com-
pulsory jurisdiction - jurisdiction which Canada accepted - "disputes

with regard to questions which by internationallawfa11exclusivelywithin
the jurisdiction of Canada" (emphasis added).
268. It follows - inasmuch as the Respondent, directly or indirectly,
maintains that disputes relating to measures taken by Canada in respect
of vessels fishing in the NAFO Regulatory Area are disputes which, for
one reason or another, are subject exclusivelyto Canadian jurisdiction -
that the reservation in subparagraph 2 (c) of the declaration should be
fully applicable in the present preliminary proceedings. At this point, we
need to see what international law has to say on this subject in order to
determine the resultant consequences for the interpretation of the reser-
vation in subparagraph 2 (d). As the Permanent Court stated:

"it is enough to observe that it may well happen that, in a matter
which, like that of nationality, is not, in principle, regulated by inter-
national law, the right of a State to use its discretionis nevertheless
restricted by obligations which it may have undertaken towards
other States. In such a case, jurisdiction which, in principle, belongs
solely to the State, is limited by rules of international law . . ."
(Nationality Decrees Issued in Tunis and Morocco, Advisory Opin-
ion, 1923, P.C.I.J., Series B, No. 4, p. 24.)

269. In point of fact, however, in the oral phase of the present pro-
ceedings Canada did not go that far. In rejecting the Spanish arguments
regarding "automatic" or "self-judging" interpretations of the reserva-
tion in subparagraph (d), counsel for Canada more than once made
statements like the following:682 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

«Nous n'avons jamais laisséentendre que quoi que ce soit qui
serait unilatéralement définipar le Canada ou la législationcana-
dienne comme une mesure de conservation et de gestion deviendrait

ipsofacto une mesure de conservation et de gestion aux fins de la
réserve.Nous n'avons pas inclus, dans le texte de la réserve,les mots
«de l'avisdu Canada» ou «au sens de la législationcanadienne ».Et
nous n'avons jamais donné à entendre que la réservedevait être
interprétéecomme si ces mots y figuraient.» (CR 98/14, p. 39.)
«Le Canada ne dit pas «il s'agit de mesuresde conservation et de
gestion parce que nous le disons». Nous ne définissonspas «les

mesures de conservation et de gestion» par simple renvoi à la loi
canadienne. Nous admettons volontiers que la Cour a le pouvoir de
décidersi lesmesures canadiennessont des mesures de conservation
et de gestion- au regard de la pratique générale.Et nous pouvons
aussi admettre que la Cour a le pouvoir de dire si les mesures d'exé-
cution canadiennessont des mesures d'«exécution» - égalementau
regard de la pratique générale. (CR 98/14, p. 11 .)

Ces déclarations canadiennes sont autant d'aveux implicites du défen-
deur que le droit international et la pratique internationaleont un rôle
important à jouer dans l'interprétation dela réservede l'alinéad) du para-
graphe 2 de la déclaration du Canada. Ils valent aussi reconnaissancedu

fait que la réserve est une réservequi demandeà être interprétéaevant de
pouvoir être appliquée.En d'autres termes, on est bien loin de la maxime
du «sens clair»de Vattel. Or, s'ilfaut interpréter laréservede la déclara-
tion, il faut le faire dans le cadre du droit international et conformément
à celui-ci. Dans le cas d'espèce,ce droit international est le droit interna-
tional généracloncernant l'interprétation d'instruments internationaux et
celui fixant le régimejuridique de la haute mer, y compris en ce qui
concerne la conservation et la gestion des ressources biologiques dans cet
espace maritime.
Il y a en effet, dans la réserved) de la déclaration canadienne, des

termes, des expressions et des silences qui, comme nous allons le voir,
exigent de l'interprètele recours au droit international pour êtremême
d'établir,par interprétation, leur sens et leur portée véritablesdans la
réserve.
270. La Cour a dû interpréterdes termes d'instruments internationaux
à la lumière du droit international à plusieurs reprises. Citons, comme
exemples, l'interprétation du mot «différend» dans l'affairerelative aux
Droits des ressortissants desEtats-Unis d'Amériqueau Maroc (1952),du
terme ((mission sacréede civilisation))dans les affaires du Sud-Ouest

Afvicain (1962, 1966)et du terme ((statut territorial)) dans la réserveb)
de l'instrument d'adhésion de la Grèce à l'Acte généralde 1928 dans
l'affaire duPlateau continental de la mer Egée(1978). Le recours par les
tribunaux arbitraux au droit international pour interpréter des instru-
ments internationaux est trèsfréquentaussi et depuis fort longtemps.Par
exemple, en 1919,dans l'affaire desNorth Atlantic Coast Fishevies,le tri- "We have never suggested that anything Canada or Canadian
legislation unilaterally defines as a conservation and management
measure is ipso facto a conservation and management measure
for the purposes of the reservation. We did not include in the text
of the reservation the words 'in the opinion of Canada', or 'as
defined by Canadian legislation'. And, we have never suggested

that the reservation should be interpreted as if those words were
there." (CR 98/14, p. 39.)
"Canada does not say 'These are conservation and management
measures - because we SaySO.'We do not define 'conservation and
management measurés'simply by reference to Canadian law. We
readily concede to the Court the power to decide whether the Cana-
dian measures are conservation and management measures - by
reference to general practice. And we can also concede the Court's

power to decide whether the Canadian enforcement actions are
'enforcement' actions - also by reference to general practice."
(CR 98/14, p. 11 .)

These statements by Canada represent implicit admissions by the
Respondent that international law and international practice have an
important role to play in the interpretation of the reservation insubpara-
graph 2 (d) of the declaration. They also serve to acknowledge the fact
that the reservation is one which requires to be interpreted before it can
be applied. In other words, we are far from Vattel's "clear meaning"
maxim. And if the reservation has to be interpreted, then it has to be
interpreted within the framework of international law and in accordance
with it. In the present case, the international law in question is the general
international law concerning the interpretation of international instru-
ments and that establishingthe legal régimefor the high seas, including

the conservation and management of living resources within that mari-
time space.
There are definitely words, expressions and silences in the reservation
in subparagraph (d) of the Canadian declaration which, as we shall see,
require the interpreter to have recourse to international law in order to be
able to establish, by interpretation, the meaning and scope they actually
bear in the reservation.
270. The Court has had to interpret words in international instru-
ments in the light of international law on more than one occasion.
Examples of this are the interpretation of the word "dispute7' in the
case concerning Rights of Nationals of the United States of America in

Morocco (1952), the expression "sacred trust of civilization" in the
South West Africa cases (1962, 1966) and the term "territorial status"
in reservation (b) to Greece'sinstrument of accession to the General Act
of 1928in the Aegean Sea Continental Shelf case (1978). Recourse to
international law by arbitral tribunals in interpretinginternational instru-
ments is also very frequent and long-standing. In 1919, for example, in
the North Atlantic Coast Fisheries case, the arbitral tribunal interpreted683 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS.TORRES BERNARDEZ)

bunal arbitral interpréta le mot«bays)) d'un traitéde 1818eu égard au
droit international de la mer au moment de la conclusion du traité.
271. Dans l'affaire de la Délimitationmaritime clansla régionsituée
entre le Groenlandet Jan Mayen (1993),la Cour a interprété l'accordde
1965entre le Danemark et la Norvège«dans son contexte, àla lumière de
son objet et de son but »en commençant par rappeler à cet égard ladéfi-

nition du ((plateau continental)) donnée par la convention de Genève de
1958 sur le plateau continental (C.I.J.Recuei1 1993, p. 50, par. 27). Le
droit international est bien présentdans le traitement par la Cour d'autres
questions d'interprétation considéréesdans cet arrêt. Parexemple,à pro-
pos de la question des rapports entre la délimitation du plateau continen-
tal et des zones de pêchedes parties. A cet égard, l'arrêt mentionnele
concept de zone économique exclusive«telle que proclamée par de nom-
breux Etats et définie l'article55de la convention des Nations Unies sur
le droit de la mer de1982))(ibid., p. 59, par. 47).'
272. Quel est le sens de l'expression ((mesuresde gestion et de conser-
vation)) dans le droit international généralen vigueur en 1994 et

aujourd'hui? Pour répondre d'une façon sommaire,mais suffisante dans
le présent contexte,il faut se tourner vers le nouvel ordrejuridique de la
mer que les Etats se sont donnéeux-mêmes à partir de la troisième confé-
rence des Nations Unies sur le droit de la mer et de la conclusion de la
convention des Nations Unies sur le droit de la mer du 10décembre1982.
C'estdans cetteconventionque lesnormes générales concernant la ges-
tion et la conservation des ressources biologiques de laute mer se sont
cristallisées. Lajurisprudence de la Cour a confirmà plusieurs reprises,
et dans des contextes différents, que d'une manière généralela conven-
tion de 1982reflètela pratique des Etats dans lesrelations internationales
contemporaines relatives au droit de la mer, ainsi que leur opiniojuràs
cet égard.

273. Les dispositionsqui traitent de ces mesures sont les articles à16
120de la convention. Il faut y ajouter, pour ce qui est des stocks chevau-
chants, l'article 63 de la convention. L'obligation généraleétabliepar la
convention impose à chaque Etat, d'une part, de prendreà l'égardde ses
ressortissants des mesures pour assurer la conservation des ressources
biologiques de la haute mer et, d'autre part, de coopéreravec les autres
Etats à la prise de telles mesure en haute mer (art. 117).Cette obligation
est développéepar la suite dans les articles 118, 119et 120. Pour ce qui
est de stocks chevauchants, le paragraphe 2 de l'article 63 dispose que:

«l'Etat côtier et les Etats qui exploitent ces stocks dans le secteur
adjacent s'efforcent, directement ou par l'intermédiaire des organi-
sations sous-régionalesou régionalesappropriées,de s'entendre sur
lesmesures nécessairesà la conservationde ces stocksdans le secteur
adjacent».

Aucune disposition de la convention de 1982n'autorise un Etat, côtier
ou non, à exercer sajuridiction sur un navire battant pavillon d'un autre
Etat en haute mer ou à l'arraisonner par l'emploide la force sans l'auto- FISHERIES JURISDICTION (DISSO. PTORRES BERNARDEZ) 683

the word "bays" in a treaty of 1818in the light of the international law
of the sea as it stood at the time the treaty was concluded.
271. In the case concerning Maritime Delimitation in the Area between
Greenland andJan Mayen (1993),the Court interpreted the 1965Agree-
ment between Denmark and Norway "in its context, in the light of its
object and purpose", beginning in this respect with a reference to the
definition of "continental shelf' in the 1958Geneva Convention on the
Continental Shelf (1.C.J. Reports 1993,p. 50,para. 27). International law
is fully evident in the Court's treatment of other issues of interpretation
which are dealt with in that Judgment, for example, the question of the

relationship between the delimitation of the continental shelf and the
fishery zones of the Parties. On this point, the Judgrnent mentions the
concept of the exclusive economic zone "as proclaimed by many States
and defined in Article 55 of the 1982United Nations Convention on the
Law of the Sea" (ibid., p. 59, para. 47).
272. What is the meaning of the expression "conservationand manage-
ment measures" in generalinternational law as it was in 1994and as it is
today? To reply briefly,but adequately for the present purpose, we must
turn to the new legal order of the sea which States established at the
Third United Nations Conference on the Law of the Sea, by concluding
the United Nations Convention on the Law of the Sea of 10 December
1982.
This Convention gives forma1expression to the general rules concern-

ing the conservation and management of the living resources of the high
seas. The Court's case-law has confirmed on a number of occasions and
in varying contexts that the 1982Convention reflectsthe general practice
of States in present-day international relations concerningthe law of the
sea, as well as their opiniojuris in this respect.

273. The provisions which deal with such measures are Articles 116to
120of the Convention, and also, as regards straddling stocks, Article 63
of the Convention. The broad duty laid down in the Convention is that
each State shall take such measures for its respective nationals as may be
necessary for the conservation of the living resources of the high seas,
and CO-operatewith other States in taking those measures (Art. 117).
This duty is expanded on in Articles 118, 119 and 120. As regards
straddling stocks, Article 63, paragraph 2,provides that:

"the coastal State and the States fishing for such stocks in the
adjacent area shall seek, either directly or through appropriatesub-
regional or regional organizations, to agree upon the measures
necessary for the conservation of these stocks in the adjacent area".

There is no provision in the 1982Convention which authorizes a State,
whether coastal or not, to exerciseitsjurisdiction over a vesselflying the
flag of another State on the high seas, or board such a vessel by force684 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

risation de 1'Etatdu pavillon, aux fins de la gestion ou la conservation
des ressources biologiques de la haute mer. Ces finalitésne dérogent pas
en droit international général à la juridiction de 1'Etat du pavillon.
Comme il est dit au paragraphe 1de l'article 92 de la convention de 1982:

((Lesnavires naviguent sous le pavillon d'un seul Etat et sont sou-
mis, sauf dans les cas exceptionnels expressémentprévuspar des
traités internationauxoupar la convention, à sajuridiction exclusive
en haute mer ..» (Les italiques sont de moi.)

274. La réserve del'alinéad) de la déclarationdu Canada ne concerne
pas toutes les mesures possibles et imaginables, mais une seule catégorie
de mesures, à savoir les ((mesuresde gestion et de conservation))adoptées
par le Canada pour les bateaux pêchant dans la zone de réglementation

de 1'OPANOet l'exécutionde tellesmesures. On touche ici une limitation
de la réserve - voulue expressémentpar 1'Etat déclarant - qui a une
grande importance pour apprécier la portée du consentement que le
Canada a expriméen 1994dans sa déclaration d'acceptation de lajuridic-
tion obligatoire de la Cour.
275. Le Canada aurait pu formuler sa réserveen parlant tout simple-
ment des ((mesuresadoptées par le Canada...)) Mais il ne l'a pas fait. La
question de savoir pourquoi il ne l'a pas fait est en dehors de la tâche
interprétative qui revient la Cour dans la présenteprocédure incidente.
C'est une question qui entre dans le domaine des motifs politiques ou

autres du Canada lorsqu'il a formulé etdéposéla déclaration du 10mai
1994.La Cour n'a pas à déterminer ou à juger les motifs d'un Etat sou-
verain lorsqu'il fait une déclaration conformémentau paragraphe 2 de
l'article6 du Statut. Sa tâche consiste à apprécier la portée du consen-
tement de I'Etat manifestédans la déclarationen question de façon àêtre
à mêmede lui donner son effet.
276. Quoi qu'il en soit, il serait incompatible avec les règlesd'interpré-
tation généralement acceptées en droit international d'admettre que les
mots «de gestion et de conservation» qui qualifient le terme «mesures»

dans la réservepuissent êtreconsidéréscomme dépourvus detout but ou
de tout effet. A coup sûr,'Etatdéclarant à voulu dire quelque chose avec
les mots ((degestion et de conservation» et ce qu'il a voulu diàece pro-
pos fait aussi partie, dès ce moment-là, des élémentsqui définissentla
portée de laréservede l'alinéad) et, en conséquence,du consentementdu
Canada àla juridiction obligatoire de la Cour.
277. Ainsi, pour pouvoir déterminer le champ d'application de la
réservede l'alinéad), la Cour est appeléeà interpréterle sens de l'expres-
sion ((mesuresde gestion et de conservation» dans la réserve dela décla-
ration canadienne. Elle doit le faire d'autant plus que les Parties sont en

désaccord sur le sens de cette exmession dans cette réserve. C'est une
situation qui se produit très souvent dans des procéduresjuridictionnelles
incidentes relatives aux déclarations. Et comment la Cour doit-elle le FISHERIES JURISDICTION (DISS . P. TORRES BERNARDEZ) 684

without the authorization of the flag State, for purposes of the conserva-
tion and management of the living resources of the high seas. In general
international law such purposes do not derogate from the jurisdiction of
the flag State. As Article 92, paragraph 1,of the 1982Convention puts it:

"Ships shall sail under the flag of one State only and, save in
exceptional cases expressly provided for in international treaties or
in this Convention, shall be subject to its exclusivejurisdiction on the
high seas." (Emphasis added.)

274. The reservation in subparagraph (d) of the Canadian declaration
does not concern every possible and imaginable measure, but one single
category of measures, namely "conservationand management measures"
taken by Canada with respect to vesselsfishing in the NAFO Regulatory
Area, and the enforcement of such measures. This is a limitation of the
reservation - expressly intended by the declarant State - which is of
great importance in evaluating the scope of the consent which Canada
expressed in 1994inits declaration accepting the compulsory jurisdiction

of the Court.
275. Canada might have worded its reservation so as to refer simplyto
"measures taken by Canada .. .",but it did not do so. Why it did not do
so lies outside the task of interpretation which falls to the Court in the
present proceedings. That is a question which concerns the political or
other motives which Canada had in formulating and depositing the dec-
laration of 10May 1994.The Court is not required to determine or pass
judgment on the motives of a sovereign State where it makes a declara-
tion under Article 36, paragraph 2, of the Statute. Its task is to assessthe
extent of the consent which the State has manifested in the declaration in
question, so as to be able to give it effect.

276. In any case, it would be incompatible with the rules of interpreta-
tion generally accepted in international law to hold that the words "con-
servation and management" qualifying the word "measures" in the res-
ervation are totally without purpose or effect. The declarant State must
certainly have had some meaning in view when it used the words "con-
servation and management", and therefore what it intended to Sayin this
regard also forms part of the elements which define the scope of the res-
ervation in subparagraph (d) and, consequently, of Canada's consent to
the compulsory jurisdiction of the Court.
277. Thus in order, to be in a position to determine the scope of the

reservation in subparagraph (d), the Court has to interpret the meaning
of the expression "conservationand management measures" contained in
the reservation, particularly since the Parties cannot agree on it. This
situation very often arises in preliminary proceedings onjurisdiction con-
cerningdeclarations. How should the Court go about this? In my opinion,
there is only one answer: in the absence in the Canadian declaration of685 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

faire? La réponsepour moi ne saurait être que,en l'absenced'unedéjïni-
tion - directe ou indirecte- dans la déclaration du Canada des «me-
sures de gestion et de conservation)) de sa réserve de l'alinéad) lui don-
nant un sensparticulier, l'interprètene peut que l'interprétàrla lumière
de son sens ordinairedans le droit international général.
278. Que l'interprète se tourne ou non vers le droit international
dépend toujours, en dernièreanalyse, de l'intention manifestée,expressé-

ment ou par implication nécessaire,par Sauteur ou les auteurs de l'ins-
trument interprété ou appliqué, caren tant que maître(s) de l'instrument
en question il(s) aurai(en)t pu donner au termejuridique en cause un sens
différentdecelui qu'il possèdeen droit international général, c'est-à-dire
un sensparticulier. Mais, il faut qu'ils aient donnéeffectivement au terme
juridique en cause un tel sens. Le Canada ne l'a pas fait pour ce qui est
des ((mesures de gestion et de conservation)) de la réserve de l'alinéa)
du paragraphe 2 de sa déclaration de 1994.
Lerecours au droit international estfréquent dans l'interprétation d'ins-
truments iuridiaues internationaux unilatéraux ou conventionnels. Cela
arrive trèssouvent mêmelorsqu'il s'agitd'interpréterdes termes employés
pour décrire certains concepts ou notions de base formant partie d'un

ensemble de normes, d'un régimeou d'un statut déterminéde droit inter-
national. Les espaces maritimes, comme la haute mer, en sont un bon
exemple.

8. Les circonstances entourant le dépôt de la déclarationdu Canada
comme moyen complémentaire d'interprétation
279. La Cour n'a pas étésaisie de travaux préparatoiresconcernant la
déclarationdu Canada déposéeauprès du Secrétairegénéral del'organi-
sation des Nations Unies le 10 mai 1994. La Cour a eu cependant à sa
disposition les comptes rendus des débats dela Chambre des communes
et du Sénatdu Canada qui ont eu lieu immédiatementaprès surle projet
de loi C-29 modifiant la loi sur la protection des pêchescôtières du

Canada et le projet de loi C-8 modifiant le code criminel canadien,
adoptésle 12mai 1994.
280. J'accepte, sans difficulté,qu'il existe un rapport entre la nouvelle
déclarationdu Canada et l'adoption des projets de loi C-29 et C-8. Cela
découle des faits notoires suivants: a) la déclaration du Canada du
10mai 1994fut déposée deuxjours seulement avant la sanction de la loi
modifiant la loi sur la protection des pêchescôtièresdu Canada; b) dans
la déclaration de 1994figureune réserve(la réservede l'alinéad) du para-
graphe 2 qui ne faisait pas partie de la déclarationdu Canada du 10sep-
tembre 1985; c) cette déclaration de 1985 fut abrogéepar la nouvelle
déclarationdu 10mai 1994;et d) lors de la séanceque le Sénata tenue le
12mai 1994,le ministre des affaires étrangères etdu commerce interna-

tional du Canada, M. Ouellet, a établiexpressément unrapport entre la
nouvelle déclaration de 1994et le projet de loi C-29 (alors sur le point
d'être adopté)D . e plus, il y a un lien entre le projet de loi C-8 et l'adop-
tion du projet de loi C-29.any definition - direct or indirect- of the "conservation and manage-
ment measures" referred to in subparagraph (d) of its reservation which
givesthat expression a specialmeaning, the interpreter can only construe
it in the light of itsrdinary meaning in general international law.

278. Whether or not the interpreter turns to international law always
depends, in thelast analysis, on theintention manifested -either expressly

or by necessary implication - by the author or authors of the instrument
to be interpreted or applied, because, as masters of the text, he or they
could have given the legal term in question a meaning different from the
one it possesses in general international law, in other words, a special
meaning. But they must actually have done so. Canada has not done so
in respect of the "conservation and management measures" referred to in
the reservation in paragraph 2 (d) of its 1994declaration.

Recourse is frequentlyhad to international law in the interpretation of
unilateral or conventional international legal instruments. It happens
very often, even where it is a case of interpreting terms used to describe
certain basic concepts or notions forming part of a body of rules, a

régimeor a particular international legal status. Maritime spaces such as
the high seas are a good example of this.

8. The circumstances surrounding the deposit of the Canadian declara-
tion as a supplementary means of intevpvetation
279. The Court has not been provided with any travaux préparatoires
concerning the declaration which Canada deposited with the United
Nations Secretary-General on 10 May 1994, but there have been avail-
able to it the reports of the debates in the Canadian House of Commons,
and in the Senate immediately afterwards, on Bill C-29 amending the

Canadian Coastal Fisheries Protection Act, and on BillC-8 amendingthe
Canadian Criminal Code, both of which became law on 12 May 1994.

280. 1 have no difficulty in accepting the existence of a relationship
between Canada's new declaration and the passing of BillsC-29 and C-8.
This arises from the following well-established facts: (a) the Canadian
declaration of 10 May 1994was deposited only two days before the Act
amending the Canadian Coastal Fisheries Protection Act was assented
to; (b) the 1994declaration contains a reservation in paragraph 2 (d)
which was not part of the Canadian declaration of 10 September 1985;
(c) the 1985declaration was revoked by the new declaration of 10May

1994; and (d) on 12 May 1994,in the Senate, the Canadian Minister of
Foreign Affairs and International Trade, Mr. Ouellet, expressly estab-
lished a relationship between the new 1994 declaration and Bill C-29,
which was then about to be passed. A link also exists between Bill C-8
and the passing of Bill C-29.686 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS. TORRES BERNARDEZ)

Bien entendu, les comptesrendus dont il s'agitne sont pas destravaux
préparatoires de la déclarationelle-mêmen , i non plus des circonstances
concernant l'«élaboration de la déclaration)).l ne s'agit, commel'a fort
bien décritle défendeur, quedes circonstances ((entourant le dépôtde la
déclaration».

a) Les déclarationsfaites le 12mai 1994au Sénatpar le ministre cana-
dien des affaires étrangèreset du commerce international

281. J'ai déjà mentionné, dansdes contextes différents, des déclara-
tions faites par leministreTobin au cours de cesdébats parlementaires.Il
y a aussi les interventions des parlementaires dont certaines ont fait

l'objet de commentaires de la part des Parties, surtout dans lemémoireet
dans le contre-mémoire. Mais, du point de vue de l'interprétation de la
déclaration du Canada du 10 mai 1994, les plus importantes, de loin,
comme preuve ou indice de l'intention qui anima le Canada pour ce qui
est de cette déclaration,ce sont les déclarations faitesau Sénat,le 12mai
1994,par le ministre des affairesétrangèreset ducommerceinternational
du Canada, M. Ouellet. Arrêtons-nousy un moment.
282. La meilleure méthode pour être à mêmede saisir le sens et la
portéedes déclarationsde M. Ouellet (l'arrêtse limiteàreproduire seu-
lement deux phrases aux paragraphes 60 et 77) est de les lire dans le
contextedu débat, carle ministre n'a pasfait sesdéclarations sua sponte,
mais en réponse à des questions poséespar le sénateur Beaudoin. Ces
échangessont reproduits dans le compte rendu (mémoire de l'Espagne,
annexes, vol. 1, annexe 16,p. 231)comme suit:

Le sénateurBeaudoin

«Monsieur le ministre, j'accepte d'embléele principe qui sous-
tend ceprojet deloi. D'ailleurs, j'ai déjàvàtl'étape de ladeuxième
lecture.A titre dejuriste, je suis quelque peu préoccupépar la répu-
tation de notre pays au niveau international.
J'ai lu que certainsjuristes ont déclaqu'à strictementparler, il se
pourrait que l'on agisse dans l'illégalité. Evidemmentd,'autres ju-
ristes feront valoir que c'estvrai mais que nous sommesen situation
de crise,ce queje crois aussi, de sorte que, dans une certaine mesure,
la doctrine de l'urgence s'applique au-delà du territoire du Canada
et mêmeau-delà de la limite de 200 milles.
Vos juristes vous ont-ils donné quelque garantie que ce soit qu'il
existe effectivement des précédents etque nous avons de bons argu-

ments pour agir de la sorte?))
Le ministre Ouellet

«Je rappelleraiaux honorablessénateursque le Canada adéjàuti-
lisé une procédure similairdans les annéessoixante-dix au sujet de
l'Arctique. Donc, il a un précédent.
Je rappellerai aussi qu'à certaines occasions, d'autres pays ont The reports of the debate are not of course travaux préparatoiresof
the declaration itself, nor are they circumstances "surrounding" the
declaration. As the Respondent has most aptly put it, they are merely
circumstances "surrounding the deposit of the declaration".

(a) The statements made in the Senate on 12 May 1994 by the Cana-
dian Minister of Foreign Affairs and International Trade

281. 1 have already referred in various contexts to statements made
by Mr. Tobin during these parliamentary debates. There are also the
statements of Members of Parliament, some of which have been com-
mented on by the Parties, in particular in the Memorial and the Counter-
Memorial. From the point of view, however, of interpreting the Cana-
dian declaration of 10 May 1994,by far the most important, as evidence

of Canada's intentions regarding this declaration, or as an indication of
them, are the statementsmade in the Senate on 12May 1994by the Cana-
dian Minister of Foreign Affairs and International Trade, Mr. Ouellet.
Let us examine these for a moment.
282. The best way of successfullygrasping the meaning and scope of
Mr. Ouellet's statements (only two sentences of which are reproduced in
the Judgment, in paragraphs 60 and 77) is to read them in the context of
the debate, since the Minister did not make his statements on his own
initiative but in reply to questions put by Senator Beaudoin. These
exchanges are reproduced in the records (Memorial of Spain, Annexes,
Vol. 1,Ann. 16, p. 271) as follows:

Senator Beaudoin
"Mr. Minister, 1 have no problem with the principle of the bill.
1 have already voted on second reading. As a jurist 1 am a little

concerned about the reputation of Our country in the international
field.
1 have read that some jurists have stated that, strictly speaking,
Canada may be making something that is beyond law; but, of
course, some other jurists will Say that, yes, we are in a crisis, and
1agree that we are in a crisis. Sothey are applying to a certain extent
the doctrine of emergency outside the territory of Canada, and even
over the 200-milelimit.
Do you have any assurance from your legalexperts that this is not
unprecedented, that we may have good reasons to do it?"

Minister Ouellet
"1 may remind honourable senators that Canada took a similar
approachin the 70s with respect to the Arctic, so there is aprecedent.

1 may also recall that on a number of occasions, other countries adoptédes lois similaires pour protégerce qu'ils considéraient être
de l'intérêt national.
Nous basons notre projet de loi, qui est une loi qui nous permet
d'agir, sur des bases solides de droit. Afin de protégerl'intégritéde
cette loi, nous avons présentéune réserve,comme vous le savez,
auprès de la Cour internationale de Justice alléguantque, évidem-
ment, cette réserve seraittemporaire, qu'elle ne s'appliqueraitque
pour la période detemps que nousjugeons nécessaired'exercer des
représai2lescontre ceux qui s'adonnent à la surpêche.
Nous avons toutes les raisons de croire que la loi donne au
Canada la capacité d'agircontre cesbateaux pirates et que les autres

pays ne contesteront pas, d'aucune façon, la capacitédu Canada
d'agir. (Les italiques sont de moi.)
Le sénateurBeaudoin

«Vous considérezque cette mesure sera nécessairementtempo-
raire, exceptionnelle et qu'elleest due une crise?))
Le ministre Ouellet

«Oui. Nous pensons que la surpêchemenace d'une façon très
grave des espècesde poisson et qu'à moins d'une intervention rapide
et complètenous ne pourrons sauver ces espèces.
Nous avons dit dès ledébut, et les représentants diplomatiquesdu
Canada à l'étranger dans lesdifférentesambassades ont expliqué à
nos partenaires européerzset autres, que cette mesure s'adressait au
premier chef à l'endroit debateaux qui n'ont pas de drapeau ou des
bateaux qui ont ce que l'onappelle des drapeaux de convenance. Par
conséquent,ce sont ces gens-là qui sont de véritablespirates irres-
ponsables quidoivent êtrechassés decettepartie des GrandsBancs.»
(Les italiques sont de moi.)

283. De cesdéclarations du ministreOuellet on peut tirer deux conclu-
sions principales en ce qui concerne lesintentions du Canada lorsque son

gouvernement a déposéla déclaration du 10 mai 1994.On pourrait les
résumer ainsi :
1) Il y avait un rapport entre le dépôtde la nouvelle déclaration du
Canada et la protection de ce que le ministre a appelé ((l'intégritde la
loi». Or, le projet de la loi C-29 (commed'ailleursle projet de loi C-8)ne
traite pas du titre international du Canada pour exercer sa juridiction
nationale en haute mer à l'égarddes bateaux étrangers, mais desmesures
dites de gestion et de conservationadoptéeset exécutéepsar le Canada en
haute mer à l'encontre des navires qualifiéspar le ministre de «pirates».

La question du titre internationalest laisséede côté.On en trouve confir-
mation dans les déclarations faites par le ministre Tobin. Pour le titre
international,à savoir pour le droit ou la capacitéd'agir du Canada en
haute mer à l'égard dudroit international, le ministre Ouellet comptait
sur la non-contestation d'autres Etats, y compris des Etats européens, have passed similar laws to protect what they considered to be the
national interest.
Our bill, which contains provisions that enable us to take action,
has a solid legal basis. As you know, to protect the integrity of this
legislation, we registered a reservation to the International Court of
Justice, explaining that this reservation wouldof course be tempo-
rary and wouldapply only duringsuch time as wefelt was necessary
to take retaliatory action againstthose engaged in over3shing.

We have every reason to believe that the legislation gives Canada
the right to take action against these pirate vessels and that other
countrieswillnot challengeCanada'sright to act." (Emphasisadded.)

Senator Beaudoin
"You see this is as a necessarily temporary, extraordinary

measure, to deal with an emergency?"
Minister Ouellet

"Yes. We think that overfishing is a very serious threat to certain
fish species and that unless we intervene quickly, across the board,
we will not be able to Savethese species.
We have said from the outset, and Canada's representativesabroad
in our various embassies have explained to our European partners
and otherparties, that this measure is directedfirst of al1toward ves-
sels that are unjlagged or that operate under so-calledflags of con-
venience, and these are the people who act like irresponsiblepirates
and must be removedfrom the Nose and Tai1of the Grand Banks."
(Emphasis added.)

283. Two main conclusions can be drawn from these statements by
Mr. Ouellet as to Canada's intentions when its Government deposited
the declaration of 10May 1994.They can be summed up as follows:

(1) There was a connection between the deposit of Canada's new dec-
laration and the protection of what the Minister called "the integrity of
the legislation".Yet Bill C-29 (and Bill C-8 too) deal not with the inter-
national title of Canada to exercise its national jurisdiction on the high
seas over foreign vessels,but with what are called conservation and man-
agement measures taken and enforced by Canada on the high seas
against vesselsdescribed by the Minister as "pirate" vessels.The question
of international title is not touched upon. This is confirmed in the
statements made by Mr. Tobin. As regards international title, namely
Canada's right or capacity to act on the highseasunder international law,
Mr. Ouellet was counting on the absence of any challenge from other
States, including European States, but that presumed absence does not688 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

mais cette non-contestation présuméene fait pas non plus partie des dis-
positions de la loi. La loi s'occupe d'établir untitre en droit canadien
pour habiliter le gouvernement à agir dans cet ordre juridique. Pour le
reste, le ministre se limiteaffirmer que le projet de loi se fonde «sur des
bases solides de droit». De plus, il s'agissait, disait-il, de mesures néces-
saires, temporaires et exceptionnelles.
2) Le projet de loi C-29 porte sur l'exercicede la pêchedans une zone

déterminéede la haute mer (la zone de réglementation de I'OPANO)aux
fins, selon son texte, de la conservation et de la gestion des stocks che-
vauchant~ dans cette zone, les bateaux visésétant au premier chef les
bateaux «sans nationalité))et les bateaux avec «des drapeaux de com-
plaisance)). La qualification de ces bateaux par le ministre de pirates
visait, très probablement, à trouver dans le droit international, même à
leurpropos, une basejuridictionnelle et àdissiper ainsi les craintes de cer-
tains parlementaires. Le ministre parle aussi ((d'exercer des représailles
contre ceux qui s'adonnent à la surpêche».Je reviendrai sur l'utilisation
par leministre du terme ((représailles))en rapport avec l'interprétationdu
texte de la réserve de l'alinéad) du paragraphe 2 de la déclaration, car
c'est une notion qui a aussi un sens précis endroit international. Cette

mention est importante.

b) Les déclaratiorzsdu ministre canadien despêcheset des océans

284. Le ministre des pêches et desocéans,M. Tobin, est intervenu à
plusieurs reprises dans les débatsparlementaires sur le projet de loi C-29
et il a fait toutes sortes de déclarations. J'en ai déjà cité quelques-unes.
L'arrêten cite d'autres aussi. M. Tobin a exclu, par exemple, expressé-
ment les bateaux de pêche espagnols etportugais du champ d'application
de la nouvellelégislationcarilscoopéraient àpart entière avecSOPANO,
ce qui est confirmépar la suite par le règlement d'application du 28 mai

1994.D'autre part, il a aussi déclaré, un autre moment, que «[l]eprojet
de loi donn[ait] au Parlement le pouvoir de désignern'importe quelle
classe de bateaux de pêche, auxfins des mesures de conservation. On ne
précisepas contre qui ces dispositions seraient appliquées..» (voir arrêt,
par. 77; les italiques sont de moi). Ainsi pour les nouvelles classes de
bateaux, le ministre Tobin parle donc du Parlement (non pas seulement
des règlements d'application de l'exécutif);il ne parle pas non plus des
mesures de gestion et de conservation adoptéeset exécutéep sar le Canada
indépendamment de I'OPANO ou en violation de la convention de
1'OPANO; et surtout - ce n'était d'ailleurspas sa tâche en tant que mi-
nistre des pêcheset des océans - il n'a pas pris position sur les rapports
éventuelsentre la nouvelle législation canadienne sur la protection des

pêchescôtières et laportéede la déclarationdu Canada du 10mai 1994.
285. Ce n'est que le ministre Ouellet qui l'a fait dans les termes indi-
qués,en tant que ministre des affaires étrangères.Or, sur le plan interna-
tional, ce qui pourrait compter aux fins de l'interprétationdela déclara-form part of the provisions of the Act either. The purpose of the Act is
to establish a title under Canadian law enabling the Government to
act within that legal order. Moreover, the Minister confined himself
to asserting that the bill has "asolid legal basis". What is more, he said,
it was a necessarily temporary and extraordinary measure.

(2) Bill C-29 concerns fishing activities in a specified area of the high
seas (the NAFO Regulatory Area) for the stated purpose of conservation
and management of the straddling stocks in that area, the vessels con-

templated being primarily "stateless" vessels and vessels flying "flags of
convenience". The Minister's description of these vesselsaspirate vessels
was very probably designed to seek out some basis for jurisdiction in
international law, even in respectof those vessels, and thus to dispel the
misgivings ofcertain Members of Parliament. The Minister also spoke of
taking "vetaliatory action against those engaged in overjishing". 1 shall
come back to the Minister's use of the term "retaliatory action" ["repré-
sailles"] in connection with the interpretation of the text of the reserva-
tion in paragraph 2 (d) of the declaration, since it is a notion which also
has a precise meaning in international law. Its use by the Minister is sig-
nificant.

(b) The statements by the Canadian Ministev of Fisheries and
Oceans

284. The Minister of Fisheries and Oceans, Mr. Tobin, spoke on more
than one occasion in the parliamentary debates on Bill C-29, and to vari-
ous effects. 1have already cited some of his statements and the Judgment
cites others too. For example, he expressly excluded Spanish and Portu-
guese fishingvesselsfrom the sphere of application of the new legislation
because Spain and Portugal participated fully as NAFO member States,
and this was confirmed subsequently by the implementing regulations of
28 May 1994.What is more, he also said, on another occasion, that "[tlhe
legislation gives Parliament of Canada the authority to designate any
class of vesse1for enfovcement of conservation measuves. The legislation
does not categorize whom we would enforce against" (see Judgment,
para. 77; emphasis added). As regards these new classes of vessels,there-

fore, the Minister was referring to Parliament (and not just the imple-
menting regulations made by the executive); nor did he talk about con-
servation and management measures taken and enforced by Canada
independently of NAFO orin violation of the NAFO Convention; above
al1- this was not of course his responsibility as Minister of Fisheries and
Oceans - he expressed no view about the possible relationship between
the new Canadian legislation on protection of coastal fisheries and the
scope of the Canadian declaration of 10 May 1994.
285. Mr. Ouellet was the only person to do that, in the terms 1 have
indicated, as Minister of Foreign Affairs. And internationally, any state-
ments to be taken into account in the interpretation of the Canadian dec-tion canadienne ce sont, sans doute, les déclarations du ministre des
affairesétrangères.Ici,comme dans d'autres contextes,l'arrêtbouleverse
l'ordre naturel des choses sans avancerla moindrejustification. On prend
quatre mots des déclarations de M. Ouellet et on les enchaîne à certains
passages d'une des déclarations de M. Tobin!

c) Le communiqué depresse du 10 mai 1994

286. S'agissant de l'intention du Canada, l'arrêtsemble attribuer une
certaine valeur probante à un communiquéde presse canadien du 10mai
1994ainsi rédigé :

((Aujourd'hui, le Canada a modifiéson acceptation de la compé-
tence obligatoire de la Cour internationale de JusticeLa Haye afin
d'empêcher toute situation qui pourrait anéantir les efforts du
Canada pour protéger sesstocks. ))(Paragraphe 60 de l'arrêt;les ita-
liques sont de moi.)

287. Je suis bien moins sûr que l'arrêt que ((toute situation)) est iden-
tique à «toute requête)).Au demeurant, on constate que le communiqué
parle de la protection des stocks canadiens alors que la déclaration
concerne pour sa part la zone de réglementation de I'OPANO (haute
mer) et ne fait pas mention des «stocks» canadiens, chevauchants ou
autres. Quoi qu'il en soit, ce communiquéne modifie en rien les conclu-
sions énoncéesci-dessuc soncernant les déclarationsfaitesdeuxjours plus
tard au Sénatpar le ministre Ouellet. De par sa nature, le communiqué
ne peut pas se voir attribuer une valeur probante supérieure à celle des
déclarationsdu ministre des affairesétrangèresau Sénat,de mêmequ'un
communiqué de presse du Greffe ne saurait prévaloir sur ce qui est dit
dans un arrêtou une ordonnance de la Cour. J'interprètece communiqué
à la lumière desdéclarationssusviséesdu ministre Ouellet.

9. Autres moyens complémentaires d'interprétation
a) La déclaration du Canadadu 7 avril 1970

288. Il existe une preuve décisivedu fait que l'intention qui animerait
le Canada lorsqu'il a rédigéla réserve de l'alinéa) du paragraphe 2 de
la déclarationdu 10mai 1994ne visait pas la question du titre, des juri-
dictions ou des droits en haute mer du Canada, mais bien les différends
auxquelspourraient donner lieulesmesures de gestion et de conservation

adoptées etexécutéep sar le Canada. Cette preuve, c'estla déclaration du
Canada du 7 avril 1970.
Le ministre Ouellet cite la procédurede 1970 comme précédent.Il
reconnaît ainsique, au moment où le Gouvernement canadien a rédigé la
déclarationdu 10mai 1994, celui-ciavait devant les yeux la déclaration
du Canada du 7 avril 1970 où, effectivement, il y avait une réserved)
relativeà des questions qui préoccupaient alors les autorités canadiennes
au sujet de l'établissementde zones de pêche exclusives et au sujet de la FISHERIES JURISDICTION (DISS O.P. TORRES BERNARDEZ) 689

laration would undoubtedly be those of the Minister of Foreign Affairs.
Here, as in other contexts, the Judgment overturns the natural order of
thingswithout offering the slightestjustification. Itotes just a fewlines
from Mr. Ouellet's statements and links them to certain passages from
one of Mr. Tobin's!

(c) The news release of IO May 1994

286. As regards Canada's intentions, the Judgrnent seems to ascribe
a certain evidential value to a Canadian news release of 10 May 1994,
which read as follows:

"Canada has today amended its acceptance of the compulsory
jurisdiction of the International Court of Justice in The Hague
to preclude any challengewhich might undermine Canada's ability
to pvotect the stocks." (Paragraph 60 of the Judgment; emphasis
added.)

287. 1 am far less certain than the Judgment that "any challenge" is
the same thing as "any application to the Court". After all, the news
release speaks of the protection ofCanadian stocks, whereas the declara-
tion concerns the NAFO Regulatory Area (the high seas) and makes no
mention of "stocks", whether Canadian, straddling or any other. At al1
events, the news release does nothing to detract from the conclusions
expressed above with regard to the statements made two days later by
Mr. Ouellet in the Senate. By its very nature, the news release cannot be
accorded greater evidential value than the statements in the Senate by
the Minister of Foreign Affairs,just as a Registry press release cannot
take precedence over the contents of a judgment or an order of the
Court. 1 interpret this news release in the light of those statements by

Mr. Ouellet.

9. Other supplementary means of interpretation

(a) The Canadian declavation of 7 April1970
288. Decisive proof exists that Canada's intention when it drafted the
reservation in paragraph 2 (d) of the declaration of 10 May 1994was

directed not to the question of Canada's title,jurisdiction or rights on the
high seas, but in fact to the disputes which might arise from the conserva-
tion and management measures which it took and enforced. That proof
lies in the Canadian declaration of 7 April 1970.

Mr. Ouellet cites the 1970 approach as a precedent. In doing so he
acknowledges that when the Canadian Government drew up the declara-
tion of 10May 1994it had to hand its declaration of 7 April 1970,which
did in factcontain a reservation ((d) relating to questions then of con-
Cernto the Canadian authorities with regard to the creation of exclusive
fishery zones and the pollution of the waters of the Arctic. Here was apollution des eaux de l'Arctique. C'étaitun modèle tout prêtsi I'inten-
tion du Gouvernement canadien avait été d'exclurepar une réserveles
différendsconcernant le titre, les juridictions ou les droits du Canada
en haute mer. Mais ce modèletout prêt n'apas étéadopté. Asa place on
a rédigéle texte nouveau de l'alinéa d) du paragraphe 2 de la décla-
ration en vigueur qui ne concerne que des mesures adoptées et exécu-
téespar le Canada. Les différencesentre les deux textes sont tout à fait
concluantes.
289. En 1994,on a adopté la procédure de1970,mais non le texte de
la réservede l'alinéa d) de1970. Ce dernier fut délibérément écarteé n
1994.La conclusion pour l'interprètene peut êtreplus claire: on n'a pas

adoptéle texte de la réservede l'alinéa d) de1970parce que l'intention
du Gouvernement du Canada en 1994 n'était Das celle de 1970. Le
Canada n'ayant donné à la Cour aucune explication satisfaisante de la
différencenotable qui existe entre les textes de ces deux réserves,je consi-
dère prouvé aux fins de la présente procédure incidenteque l'intention
qui animait le Canada lorsqu'il a rédigé laréservede 1994 étaitd'une
portéebeaucoup plus limitéeque celle qui a présidé à la rédaction de la
réservede 1970et qu'elle ne concernait pas les différendssur le titre, les
juridictions ou lesdroits du Canada en haute mer (à propos de la déclara-
tion de 1970,voir l'opinion individuelle de sir Robert Jennings jointe à
l'arrêt quela Cour a rendu en 1984dans l'affaire desActivitésmilitaires
et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, compétence etrecevabi-
lité,C.I.J. Recueil 1984, p. 551).
290. Comment le Canada avait-il formulé alors la réservede l'alinéa d)

de la déclarationde 1970pour atteindre le but politique déclaré l'époque
par son premier ministre? Il l'avait formuléede la façon suivante:
«d) les différends auxquels peuvent donner lieu ou qui concernent
[arising out of or concerning en anglais] la juridiction ou les
droits invoqués ouexercéspar le Canada en ce qui concerne la
conservation, la gestion ou l'exploitation des ressources biolo-

giques de la mer, ou les mesures de prévention ou de lutte
contre la ~ollution ou la contamination du milieu marin dans
les zones marines adjacentes au littoral canadien)) (C.I.J.
Annuaire 1970-1971, p. 50).
Dans cette réservede 1970il est donc question, d'abord, de la ((juridic-
tion» et des «droits invoquésou exercéspar le Canada)) et, ensuite, des

«mesures», alors que dans la déclaration du 10 mai 1994, la réserve
de l'alinéa d) ne parleque des «mesures» ou, plus précisément, des«me-
sures de gestion et de conservation adoptées par le Canada pour les na-
vires ..et l'exécution detelles mesures)). Dans la déclarationen vigueur
aujourd'hui, pas un mot sur la ((juridiction)) ou sur les «droits invoqués
ou exercéspar le Canada)). Aucune interprétation de bonne foi ne permet
d'attribuer à cet égard lamêmeportée à la réservede l'alinéa d)de la
déclarationde 1970et à la réservede l'alinéa d) de la déclarationde 1994.ready-made model for the Canadian Government if its intention was, by
way of a reservation, to exclude disputes concerning Canada's title, juris-
diction or rights on the high seas. But that ready-made model was not
utilized. In its place came the newtext of paragraph 2 (d) of the present
declaration, which relates solely to measures taken and enforced by
Canada. The differences between the two texts are absolutely conclusive.

289. In 1994,the 1970procedure was adopted but not the text of the
1970reservation in subparagraph (d). That was deliberately discarded in
1994.The conclusion to be drawn by the interpreter could not be clearer:
the text of the 1970 reservation in subparagraph (d) was not adopted
becausethe Canadian Government's intention in 1994was not the same as
in 1970. Since Canada has not given the Court any satisfactory explana-
tion of the significant difference between the texts of these two reserva-
tions, 1considerit demonstrated for the purpose of the present proceedings
that Canada's intention in drawing up the 1994reservation was far more

limited in scopethan its intention with the 1970reservation, and that it did
not concern disputes relatingto Canada's title,jurisdiction or rights on the
high seas(in connection withthe 1970declaration, seethe separate opinion
of Sir Robert Jennings appended to the Judgment which the Court deliv-
ered in 1984in the case concerning Military and Paramilitary Activities in
and against Nicaragua(Nicaragua v. UnitedStates of America), Jurisdic-
tion and Admissibility, Judgment, I.C.J. Reports 1984, p. 551).
290. How then did Canada formulate the reservation in subpara-
graph (d) of the 1970 declaration in order to achieve the political aim
expressed at the time by its Prime Minister? Ttworded it as follows:

"(d) disputes arising out of or concerning jurisdiction or rights
claimed or exercisedby Canada in respect of the conservation,
management or exploitation of the living resources of the sea,
or in respect of the prevention or control of pollution or
contamination of the marine environment in marine areas
adjacent to the Coastof Canada" (I. C.J. Yearbook 1970-1971,
p 49).

In the 1970reservation, therefore, the first issue is "jurisdiction" and
"rights claimed or exercised by Canada", followed by measures "in
respect of the prevention or control of pollution", whereas in theeclara-
tion of 10 May 1994the reservation in subparagraph (d) is confined to
"measures", specifically to "conservation and management measures
taken by Canada with respect to vessels ... and the enforcement of such
measures". There is not a word in the present declaration about "jurisdic-
tion" or "rights claimed or exercised by Canada". In this respect no
honest interpretation can attribute the same scope to the reservation in
subparagraph (d) of the 1970declaration as to that in subparagraph (d)
of the 1994declaration.691 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS . ORRES BERNARDEZ)

291. La déclaration du 10mai 1994n'exclut pas de la compétencede
la Cour les différendsconcernant la juridiction ou les droits invoquésou
exercéspar le Canada, le titre international en dernière analyse, dans
aucune zone dela haute mer en rapport avecune matière ou activité quel-
conque, y compris la gestion et la conservation de ressources biologiques
dans la zone de réglementation de I'OPANO.
292. Ainsi donc, les faits parlent d'eux-mêmes, unemêmeprocédure

en 1970et en 1994, mais non pas la mêmeintention et, en conséquence,
des textes différents pour la réservede l'alinéad) dans l'une et dans
l'autre déclaration.Le Canada a fait un choix lorsqu'il a rédigé sa nou-
velledéclarationen 1994.Ce choix ne fut sûrement pas la meilleure façon
de se protégercontre une requête commecelleenregistréele 28 mars 1995
par l'Espagne. Mais c'est le choix que le Canada a fait et ce choix-là, tel
qu'il s'exprimedans la déclarationdu 10mai 1994,constitue pour moi le
consentement du Canada à la juridiction obligatoire de la Cour pour ce
qui est de la présente affaire.
293. Etant donné l'importance de cette circonstance comme élément
de preuve de l'intention du Canada en mai 1994,je ne peux pas m'expli-
quer le silence total du présent arrêtsur la déclaration de 1970 men-

tionnée commeprécédentau Sénatpar le ministre des affaires étrangères,
M. Ouellet. L'arrêtpréfère parlerd'un communiquéde presse! Ma sur-
prise tourne à l'étonnement lorsqueje constate que l'arrêt lui-même
admet que les intentions du gouvernement intéressé peuvent s'établ«en
comparant les termes des deux instruments))(paragraphe 50 de l'arrêt) et
que l'arrêt recourteffectivementà une telle méthodeen ce qui concerne
les déclarationsde 1985et de 1994(voir, par exemple, le paragraphe 59
de l'arrêt).Pour moi, la comparaison entre les déclarationsde 1970et de
1994 a une importance bien plus décisivequant à l'établissement de
l'intention du Canada par le recours à des éléments extrinsèques à la
déclaration.

b) La convention deI'OPANO de 1978

294. La réservede l'alinéad) du paragraphe 2 de la déclaration du
Canada de 1994 limite géographiquement sa portée à la zone de régle-
mentation de I'OPANO telle que définie à l'article premier de la conven-
tion sur la future coopération multilatérale dans les pêchesde l'Atlan-
tique Nord-Ouest, faiteà Ottawa le 24 octobre 1978 (en vigueur depuis
le le'janvier 1979).Le Canada et la Communauté européennesont par-
tiesà cette convention (l'Espagne l'était aussiavant son entréedans la
Communauté).Il est à noter que, pour sa portée géographique, la réserve

renvoie à un traité international auquel le Canada est partie, tandis
qu'elle ne renvoie, dans aucun de ses aspects, à la législationnationale
canadienne comme elle aurait pu le faire.
295. Lesmesuresde gestion et de conservation adoptéesparleCanada,
et l'exécutionde telles mesures, dont il est question dans la réservede
l'alinéad) de la déclarationcanadienne sont donc censéescoexister dans 291. The declaration of 10 May 1994 does not exclude from the
Court's jurisdiction disputes concerningjurisdiction or rights claimed or
exercised by Canada - ultimately, disputes concerningits international
title- in any area of the high seas in regard to matters or activities of
whatever nature, including the conservation and management of living
resources in the NAFO Regulatory Area.
292. The facts thus speak for themselves: the same approach in 1970
and 1994,but not the sarneintention and consequentlydifferent texts for
the reservation in subparagraph (d) of each of the declarations. Canada
made a choice when it drew up its new declaration in 1994.That choice
was surely not the best way of defending itself against an application of

the kind filed by Spain on 28 March 1995.But that is the choice which
Canada made, and in my opinion that choice, as expressedin the declara-
tion of 10May 1994,representsthe consent of Canada to the compulsory
jurisdiction of the Court in regard to the present case.

293. Given the importance of this circumstance as evidence of
Canada's intentions in May 1994, 1 cannot understand why the present
Judgment is totally silent with regard to the 1970declaration, which was
mentioned in the Senate as a precedent by the Minister of Foreign
Affairs, Mr. Ouellet. The Judgment prefers to talk of a news release! My
surprise turns to astonishment at the fact that the Judgment itself
acknowledges that the intentions of the Government concerned can be
ascertained "by comparing the terms of the two instruments" (para-
graph 50 of the Judgment), and the fact that it employs that method in

regard to the 1985and 1994declarations (see, for example, paragraph 59
of the Judgment). In my opinion, the comparison between the 1970and
1994 declarations is of far more decisive importance for ascertaining
Canada's intention from elements extrinsic to the declaration.

(b) The NAFO Convention of 1978

294. Geographically, the scope of the reservation in paragraph 2 (d)
of the Canadian declaration of 1994isconfined to the NAFO Regulatory
Area, as defined in Article 1 of the Convention on Future Multilateral
Cooperation in the Northwest Atlantic Fisheries, done at Ottawa on
24 October 1978 (and in force since 1 January 1979). Canada and the
European Community are parties to this Convention (Spain was also a

party before it joined the Community). It should be noted that the geo-
graphical scope of the reservation is defined in terms of an international
treaty to which Canada is a party and not, in any respect, by reference to
Canadian national legislation, as could have been the case.

295. The conservation and management measures taken by Canada,
and their enforcement as contemplated in the reservation in subpara-
graph (d) of the Canadian declaration, are therefore deemed to CO-existla zone de réglementation de I'OPANO avec celles adoptées par une
organisation internationale, l'organisation des pêchesde l'Atlantique
Nord-Ouest (OPANO), crééepar l'article II de la convention et qui se
compose notamment d'une commission des pêches.Cette commission est
justement chargée de la gestion et de la conservation des ressources
halieutiques de la zone de réglementation de 1'OPANO(article XI de la
convention).
296. Le différendsoumis par l'Espagne à la Cour ne concerne pas la
pêcheou la gestion et la conservation de ressources halieutiques de la
haute mer, dans la zone de réglementation de 1'OPANO ou ailleurs.
Mais, dans la présente procédure incidente préliminaire, se pose une
question d'interprétation d'une réservedans la déclaration du Canada de

1994qui - elle- renvoie à la convention de I'OPANO de 1978et à sa
zone de réglementation. On est donc parfaitement en droit de rechercher
pour le but indiqué si la convention de I'OPANO présente uneutilité
quelconque, à titre de moyen complémentaire,pour l'interprétation dela
réservede l'alinéa d) du paragraphe 2 de la déclaration du Canada de
1994.
297. La question se pose parce que le défendeur soutient que les me-
sures qu'il a prises contre l'Estai et d'autres bateaux battant pavillon
espagnol qui pêchaienten marslavril 1995 dans la zone de réglemen-
tation de I'OPANO (en haute mer) sont, aux fins de l'interprétation de
sa réserve, des((mesuresde gestion et de conservation adoptées par le
Canada ..et l'exécution detelles mesures)).Pour moi il est évident que
le droit international n'est pas du mêmeavis. Mais, la lecture de la

convention de 1'OPANOde 1978prouve aussi que les mesures adoptées
par le Canada àl'encontre des bateaux espagnolset portugais en 1995ne
constituaient pas, non plus, des mesures de gestion ou de conservation,
ou l'exécutionde mesures de gestion ou de conservation, selon le régime
conventionnelde I'OPANO.
298. Cela pose un problème que le présentarrêtécarte. Il concernela
bonne foi. Est-il possible d'admettre une interprétation de certains termes
et expressions utilisésdans la réservecanadienne qui impliquerait néces-
sairement un manquement par le Canada à des dispositions d'un traité
international? Peut-on admettre par voie d'interprétation que leCanada,
lorsqu'il a déposé sadéclarationde 1994,avait l'intention de passer outre
aux dispositionsde la convention de I'OPANO dans la zone de réglemen-
tation de 1'OPANOpour des navires des Etats participant à cette orga-
nisation?Un interprète international ne peut pas présumer unetellemau-

vaise foi de la part d'un Etat déclarant qui est partiela convention en
question. Il n'y a d'ailleurs dans le dossier aucun élément de preuvequi
vienne le confirmer. Au contraire, le Canada se proclamait en mai 1994
champion de I'OPANO et des mesures de gestion et de conservation
approuvéesau sein de celle-ci.
299. La conventionde 1'OPANOne porte point atteinte à l'exercicede
lajuridiction de 1'Etatdu pavillon sur ses bateaux dans la zone de régle-
mentation de I'OPANO, elle ne prévoit pas non plus comme mécanisme FISHERIES JURISDICTION (DISSO. PTORRES BERNARDEZ) 692

in the NAFO Regulatory Area with those taken by an international
organization, the Northwest Atlantic Fisheries Organization (NAFO) set
up by Article II of the Convention, and including a Fisheries Comrnis-
sion. It is of course this Commission which is responsible for the man-
agement and conservation of the fishery resources of the NAFO Regula-
tory Area (Article XI of the Convention).

296. The dispute referred to the Court by Spain does not concern fish-
eries or the management and conservation of the fishery resources of the
high seas, either in the NAFO Regulatory Area or elsewhere. Neverthe-
less,a question does arise in the presentpreliminary proceedings as to the

interpretation of a reservation in the Canadian declaration of 1994,a res-
ervation which refers to the 1978NAFO Convention and its Regulatory
Area. This purpose fullyjustifies Ourexamining whether the NAFO Con-
vention is of some value as a supplementary means of interpreting the
reservation in paragraph 2 (d) of that declaration.

297. The question arises because of the Respondent's contention that,
for the purpose of interpretingits reservation,the measures which it took
against the Estai and other vessels flying the Spanish flag and fishing
in MarchIApril 1995 in the NAFO Regulatory Area (on the high seas)
are "conservation and management measures taken by Canada . . and
the enforcement of such measures". It is clear to me that international
law does not take the same view.And a reading of the 1978NAFO Con-

vention also shows that the measures taken by Canada against Spanish
and Portuguese vesselsin 1995represented neither management and con-
servation measures nor their enforcementas contemplated in the NAFO
treaty régime.

298. This raises a problem which the presentJudgment ignores. It con-
cerns good faith. Can we accept an interpretation of certain terms and
expressionsin the Canadian reservation which inevitably implies a breach
by Canada of the provisions of an international treaty? Can we accept by
means of interpretation that Canada intended, when it depositedits 1994
declaration, to violate the provisions of the NAFO Convention in the
Regulatory Area in regard to vessels ofStates which are members of that
Organization? In international law the interpreter cannot presume such a

degree of bad faith on the part of a declarant State which is a party to the
convention in question. Nor is there any evidence of it in the documents.
On the contrary, in May 1994Canada championed the cause of NAFO
and the management and conservation measures approved by the
organization.

299. The NAFO Convention does not affect the exercise by the flag
State of jurisdiction over its vessels in the Regulatory Area, nordoes it
provide any means of control involving the use of force or violence or693 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP. DISS .ORRES BERNARDEZ)

de contrôle l'utilisation de la force ou de moyens violents ou coercitifs
par d'autres Etats sans l'aval de'Etatdu pavillon contre les bateaux de
pêchede celui-ci et leurs équipages, etc. En unmot, la convention de
I'OPANO s'occupede la gestion et de la conservation de ressources dans
une zone de la haute mer d'une manièreconforme au droit international
généralet à la convention sur le droit de la mer de 1982,c'est-à-direpar
voie de coopération et d'entente entreles Etats intéress,ans le respect
de leur souveraineté. Lorsque, pour une raison ou pour une autre; les
Etats veulent aller plus loin dans les mesures de contrôle de la pêcheen

haute mer que le droit international général,ils concluent des accords
comme celui d'avril 1995entre le Canada et la Communauté européenne.
L'OPANO l'a adopté par la suite.
300. Je pose donc la question suivante: a-t-on le droit d'interpréter,
dans les circonstances de l'espèce,les expressions ((mesuresde gestion et
de conservation)) et ((exécution de telles mesures)) dans la réserve de
l'alinéad) du paragraphe 2 de la déclaration canadienne de 1994d'une
manière qui serait en contradiction avec le sens et la portée que ces
notions ont dans la convention de 1'OPANO qui s'appliquait en mars
1995pour les mêmesbuts à la mêmezone de la haute mer, à laquelle le
Canada est partie et dont il sefaisait le champion en mai994?Peut-on
attribuer une telleintention sous-jacente au Canadacette époque?C'est

grave d'attribuer à un Etat, par l'application de méthodes subjectives
d'interprétation, l'intentionde vouloir violer un traité international afin
de pouvoir attribuer un certain sensà la réservedont il s'agit. Je ne le
ferai pas. L'arrêtn'en parle pas, mais son silencen'est pas une réponse
une question qui se pose nécessairementdans le contexte de l'interpréta-
tion qu'il fait de la réservede l'alinéadu paragraphe 2 de la déclara-
tion du Canada.

10. L'interprétationde la réservede l'alinéad) de la déclarationcana-

dienne à la lumière des règles, léments et méthodes d'interprétation
du droit international

301. Les paragraphes 61 à87 de l'arrêt développenltes considérations
et conclusionsde la majorité relatives l'interprétation proprement dite
de la réservede l'alinéa) du paragraphe 2 de la déclaration du Canada
du 10 mai 1994,invoquéecomme base de la compétencede la Cour par
la requête del'Espagne du 28 mars 1995.Je suis aussi en désaccordtotal
avec l'ensemble deces considérations et conclusions.

a) Les «mesures» prévuespar la réserve
302. Le terme «mesures» apparaît deux fois dans la réservede l'ali-

néad) du paragraphe 2 de la déclaration du Canada avec le mêmesens.
Il n'est défii i dans la réserveelle-mêmeni dans une autre partie quel-
conque de la déclaration. Il faut donc attribuerà ce terme, dans cette FISHERIES JURISDICTION (DISSO. P.TORRES BERNARDEZ) 693

coercion by other States,without the consent of the flag State, againstthe
latter's fishingvesselsand their crews, etc. In a word, the NAFO Conven-
tion deals with the management and conservation of resources in an area
of the high seas in a manner compatible with general international law
and the 1982Convention on the Law of the Sea, namely through co-op-
eration and agreement among the States concerned and in respect for
their sovereignty. Where for one reason or another States wish to go
further than general international law in controlling fishing on the high
seas,they conclude agreementslike the one of April1995 between Canada
and the European Community, which NAFO subsequentlyadopted.

300. 1therefore put the following question: are we entitled, in the cir-
cumstances of this case, to interpret the expressions "conservation and
management measures" and "enforcement of such measures" in the res-
ervation in paragraph 2 (d) of the 1994Canadian declaration in a man-
ner running counter to the meaningand scope possessed by those notions
in the NAFO Convention, which in March 1995 applied for the same
purposes and to the same area of the high seas, and to which Canada is
a party and whose cause it championed in May 1994? Can such an
underlyingintention be attributed to Canada at that time? It is a serious
matter to ascribe to a State, by means of subjective methods of interpre-
tation, an intention to violate an international treaty in order to be able
to attributea particular meaning to the present reservation.1shall refrain
from doing so. The Judgment is silent on this point, but its silenceis no

answer to a question which inevitably arises in the context of the inter-
pretation it places on the reservation in paragraph 2 (d) of the Canadian
declaration.

10. The interpretation of the reservation in subparagraph(d) of the
Canadian declaration inthe light of the rules, elements and methods
of interpretation of international law

301. Paragraphs 61 to 87 of the Judgment set out the considerations
and conclusions of the majority of the Court with regard to the actual
interpretation of the reservation in paragraph 2(d) of the Canadian dec-
laration of 10 May 1994, which the Spanish Application of 28 March
1995invokes as a basis for the jurisdiction of the Court. 1 am in total

disagreement with the whole of these considerations and conclusions as
well.

(a) The "measures" referred to in the reservation

302. The word "measures" appears twice in the reservation in para-
graph 2 (d) of the Canadian declaration and with the same meaning. It
is not defined either in the reservation itself or in any other part of the
declaration. In this reservation the word must therefore be given itsrdi-694 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS TORRES BERNARDEZ)

réserve,son sens ordinaire. Or, dans son sens ordinaire, ou, si l'on veut,
courant ou naturel, une «mesure» est quelque chose qui est adopté ou
mis en Œuvre en vue d'un résultat déterminé. Laréserve précise le type
de mesures (de gestion et de conservation), qui doit prendre les me-
sures (le Canada), quel est l'objet des mesures adoptées ou exécutées
par le Canada (les navires pêchant dansla zone de réglementationde
1'OPANO)et l'espacemaritime dans lequel lesmesures sont censéess'ap-
pliquer et êtreexécutée(sla zone de lahaute mer définiepar la convention
de I'OPANO commeétant «la zone de réglementation de I'OPANO»).
303. L'interprétation du terme«mesures» dans lecontexte dela réserve
et de la déclaration ne me pose, comme telle, aucun problème. Le
mémoirede l'Espagne a beaucoup spéculésur le sens du terme «mesu-

res» dans le contexte du droit canadien. Mais je m'occupe icidu sens
dudit terme dans la réserved) de la déclaration du Canada, qui est un
instrument international, et non pas du sens que ce terme aurait, ou
pourrait avoir, dans l'ordre juridique interne du Canada.
Je suisd'accord que, dans la réserve,le terme «mesures»renvoie à tou-
tes les mesures adoptéespar le Canada, y compris cellesde nature légis-
lative, comme par exemple la loi modifiéesur la protection des pêches
côtières.Mais alors il faut être cohéren,'est-à-direil faut reconnaître en
mêmetemps que la réservene traite pas du tout du titre ou de laquestion
du titre, mêmepas en ce qui concerne l'ordre juridique interne du
Canada.
Rien n'autorise à confondre le sens du terme «mesures» avec celui du
«titre» du Canada ou de son «droit» pour adopter et exécuterles mesu-
res viséesà la réservede l'alinéad). C'estjustement pour cela que je ne

peux pas admettre l'argument canadien qu'«une exclusion de compétence
concernant unemesure nefait pas qu'inclurel'exclusiondesdifférendsrela-
tifs au droit deprendre cesmesures: elle est avant tout cela»(CR98114,
p. 38). Pour moi, il se peut fort bien qu'à défaut detitre: «les mesures
ne peuvent êtredes mesures, les droits revendiquésne peuvent êtredes
droits, la compétence exercée npeeut êtreune compétence))(ibid., p. 37).
304. Autrement dit. ,.ur moi. le terme «mesures» dans la réserve de
l'alinéad) englobe tout ce qui est «mesures» dans le sens ordinaire ou
naturel du terme en droit international, mais rien d'autre. C'est une
conclusionimportante, car il en découle,par implication nécessaire, que
la question du titre ne rentre pas dans les «mesures» dont il est question
à la réservede l'alinéad) du paragraphe 2 de la déclarationdu Canada.
Quoi qu'on puisse dire, une chose est certaine, le titre, lesjuridictions ou
les droits du Canada ne sont Dasvisésdans la réserveet le sensordinaire

du terme «mesures» en droit international n'embrasse pas la notion de
titre. C'estprobablement la raison pour laquelle la majorité de la Cour a
redéfinil'objet du différend soumispar la requêteespagnole comme elle
l'a fait, savoir en écartant de sa définitionde l'objet du différendla
question du titre ou du défautde titre du Canada en droit international
pour adopter les mesures dont il s'agit dans la réservecanadienne etlou
les exécuter. C'estparfait si l'on cherchà écarterà tout prix la compé-nary meaning. In its ordinary meaning, or its usual or natural meaning if
one prefers, a "measure" is something which is taken or implemented
with a view to a given result. The reservation specifiesthe kind of meas-
ures (conservation and management), who is to take the measures
(Canada), the object of the measures taken or enforced by Canada (ves-
selsfishingin the NAFO Regulatory Area) and the maritime spacewithin
which those measures are to apply and be enforced (the area of the high
seas defined by the NAFO Convention as "the Regulatory Area").

303. 1 have no problem with the interpretation as such of the word
"measures" in the context of the reservation and the declaration. The
Spanish Memorial dwelt at length on the meaning of "measures" in the
context of Canadian law. Here, however, 1 am dealing with its meaning
in the reservation in subparagraph (d) of the Canadian declaration,
which is an international instrument, and not with the meaning which the

term has or might have in the interna1 legal order of Canada.
1 agree that, in the reservation, "measures" refers to al1the measures
taken by Canada, including legislative measures, such as the amended
Coastal Fisheries Protection Act. This being so, we should be consistent
and acknowledge at the same time that the reservation is not concerned
in any way with title or the question of title, not even as regards the inter-
na1legal order of Canada.

There is no justification for confounding the meaning of "measures"
with that of Canada's "title" or "right" to take and enforce the measures
contemplated in the reservation in subparagraph (d). This is precisely
why 1cannot accept the Canadian argument that "an exclusion ofjuris-
diction with respect to a measure not only includes but is above al1an
exclusion of disputes about the legal right to take those measures"
(CR98114, p. 38). In my opinion, it is perfectly possible that where there
is no title"the measures cannot bemeasures, the rights claimed couldnot
be rights, thejurisdiction exercised couldnot bejurisdiction" (ibid.,p. 37).
304. In other words, 1 consider the "measures" of the reservation in

subparagraph (d) to embrace everything connoted by "measures" in the
ordinary or natural meaning of the word in international law, but noth-
ing else.This is an important conclusion because it carries the implication
that the question oftitle does not fa11within the "measures" referred to in
the reservation in paragraph 2 (d) of the Canadian declaration. What-
ever may be said, one thing is certain: the title,jurisdiction and rights of
Canada are not contemplated in the reservation and the ordinary mean-
ing of the word "rneasures" in international law does not embrace the
notion of title. That is probably why the majority of the Court re-defined
the subject-matter of the dispute referred to it in the SpanishApplication
in the way it did, namely by excluding from its definition of it the ques-
tion of Canada's title or absence of title in internationalaw to take the
measures referred to in its reservation andlor enforce them. This is al1
very fine and well ifthe aim is to exclude the Court's jurisdiction at al1tence, mais la Cour a-t-elle la faculté d'agir ainsi? J'aidéjàrépondu à
cette question au chapitre III de la présenteopinion.
305. Le titre est la qualité, l'autorité oule pouvoir donnànune per-
sonne un droit, ou la capacitéd'exercer celui-ci, ou encore de réclamer
l'exécutiond'une obligationou d'un comportement à une autre personne.
En d'autres termes, le titre est la source ou le fondement du droit, ou de
son exercice,ou de la réclamation,oude la prétentionque l'on fait valoir,

mais aucunement une mesure. Lorsque le «titre» existe, il précèdela
«mesure». Les «mesures» sont adoptées et exécutées soit en vertu d'un
titre, soit contre le titre, soit sans titre. Telle est la question! Mais dans
tous les cas, adoptéeou exécutéeavec un titre, contre un titre ou sans
titre, une «mesure» n'est pas un «titre» selon le sens ordinaire que revê-
tent l'un et l'autre terme en droit international. Or, la déclaration du
Canada de 1994est un instrument de droit international.
306. Le contexte du terme «mesures» dans la réserveconforte le sens
ordinaire du terme que l'on vient de signaler. Il s'agit de mesures de
gestion et de conservation adoptées par le Canada «pour les navires
pêchant ..» et de l'exécutionde telles mesures dans une zone de la haute
mer. à savoir dans la zone de réglementationde 1'OPANO.Or. il est évi-
u
dent que des mesures destinées à s'appliquer à des navirespêchantdans
une zone de la haute mer n'ont rien à voir avec le titre ou les titres aue
le Canada pourrait avoir vis-à-vis d'autres Etats souverains pour agirà
l'égardde leurs navires dans un espace maritime soumis à un régimede
res communis.
307. Le régimeinternational de la haute mer, de toute la haute mer, et
lesjuridictions que les Etats peuventy exercer, d'aprèsce régime,sur les
navires se trouvant dans un tel espace maritime, sont des questions qui
relèventdu droit international et concernent au premier chef des relations
de souverainetéentre les Etats, leurs droits et leurs obligations en haute
mer.
Lorsqu'un texte international, comme celui de la réservede l'alinéad)

du paragraphe 2 de la déclaration du Canada, ne parle que des «me-
sures» adoptées par un seul Etat concernant non pas d'autres Etats,
mais des «navires» dans une zone de la haute mer, il est évidentque ce
texte ne visepas la question du titre ou des titres des Etats en tant que sou-
verains pour agir en haute mer ou pour exercerunejuridiction étatique ou
nationale quelconque en haute mer à l'égardd'autres Etats souverains.
308. Ainsi, le terme «mesures» dans le contexte de la réservede I'ali-
néa d) de la déclaration duCanada ne concernepas le titre de droit inter-
national du Canada pour adopter ou pour exécuterles mesures en ques-
tion. Cette conclusion est confirméepar les moyens complémentaires
d'interprétation,à savoir par les circonstances entourant le dépôt de la
déclarationdu Canada (ycompris lesdéclarationsdes ministres Ouelletet

Tobin au Parlement), ainsique par le libelléque le Canada a retenu pour
sa déclaration d'acceptation delajuridiction obligatoiredela Cour de 1970
lorsqu'il a voulu soustraire la compétencede la Cour titres et mesures
concernant la conservation, la gestionou l'exploitationdes ressourcesbio-costs, but does the Court have the power to act in this way? 1 have
already answered this question in Chapter III of the present opinion.
305. Title is the status, authority or power conferringupon a person a
right, or the ability to exercisethat right, or toenforce the performance
of an obligation, or doing of an act, by another person. In other words,
title is the source or basis of the right, or of its exercise,or of the enforce-
ment or other claim, but it is not a measure. Where the "title" exists, it

precedes the "measure". "Measures" are taken and enforced by virtue of,
in opposition to, or without title. This is the whole point! In every case,
though, whether a "measure" is taken or enforced under, in opposition
to, or without title, its not a "title" in the ordinary meaning of either of
these words in international law. And the Canadian declaration of 1994
is an international legal instrument.

306. The context of the word "measures" in the reservation lends sup-
port to the ordinary meaning of the term which 1havejust indicated. The
measures are those of conservation and management taken by Canada
"with respect to vesselsfishing. . ."and of the enforcement of such meas-
ures in an area of the high seas, namely the NAFO Regulatory Area.
Clearly, measures intended to apply to vesselsfishing in an area of the
high seas have nothing to do with any title or titles that Canada might
possess in regard to other sovereign States to take action against their

vesselsin a maritime space which is subject to a régimeof ves communis.

307. The international régimeof the high seas - of the high seas as a
whole - and the kinds ofjurisdiction which that régimeentitlesStates to
exerciseon the high seasover vessels withinthat maritime space are ques-
tions of international law, and in the first instance concern relations of
sovereigntybetween States, their rights and their duties on the high seas.

Where an international text such as that of the reservation in para-
graph 2 (d) of the Canadian declaration speaks simply of "measures"
taken by a single State, concerningnot other States but "vessels" within
an area of the high seas, it obviously does not cover the question of the
title or titles of States as sovereignsto act on the high seas or to exercise
any kind of State or national jurisdiction on the high seaswith regard to

other sovereign States.
308. It followsthat, in the contextof the reservationin subparagraph (d)
of the Canadian declaration, the word "measures" does not concern
Canada's title under international law to take or enforce the measures in
question. This conclusion is confirmed by the supplementary means of
interpretation,that is toSay,by the circumstancessurrounding the deposit
of the Canadian declaration (includingthe statements by Mr. Ouellet and
Mr. Tobin in Parliament), and by the wording which Canada employedin
its declaration acceptingthe compulsoryjurisdiction of the Court in 1970,
whenit wishedto excludethejurisdiction of the Court with regard to titles
and measures relating to the conservation, management or exploitation oflogiquesde la mer etla prévention oula lutte contrela pollution du milieu
marin dans les zones maritimes adjacentes au littoral canadien.
309. Le Canada n'a pas donné à la Cour une explication satisfaisante
des raisons pour lesquelles la réserve de l'alinéa d) de la déclaration
de 1994n'a pas suivi le modèle tout prêt dela réservede l'alinéad) de
la déclaration de 1970, malgré la référence à cette dernière comme
«précédent»dans les déclarations du ministre Ouellet au Sénat. Dire,
par exemple, qu'il convient d'éviterque les Etats adoptent des réserves
larges ne règlepas la question. Pas plus que l'affirmation que la réservede

l'alinéad) de 1994n'a rien de défectueux. C'estbien possible, mais il faut
alors conclure qu'elle n'exprimepas la mêmeintention ni ne vise le même
objet que celle de 1970 en ce qui concerne la conservation, la gestion
ou l'exploitation des ressources biologiques.
310. Il se peut également que la réservede l'alinéad) de 1994 soit
fonctionnelle,concrète, spécifiqueou précisepour cequ'ellevise.Mais la
question n'estpas là. La question estjustement de déterminerce que cette
réservede 1994 vise.Pourquoi, si la réserveadoptéeen 1994devait viser
le titre, les juridictions ou les droits du Canada pour adopter et exécuter
les mesures, son texte n'est-il pas similaiàecelui de la réservede 1970
que 1'01-1vait devant les yeux ou ne le suit-il pas de près alors que le
ministre Ouellet mentionne ce dernier comme précédent?La question est
restéesans réponse de la part du défendeur.C'est un silence qui en dit

long sur la véritable intention du Canada lorsqu'il a déposésa déclara-
tion du 10mai 1994.L'arrêt,quant à lui, préfèrene pas y regarder, ni de
prèsni de loin.Il est bien plus commode de modifier l'objet du différend.
311. La question est cependant importante, car la réservede 1994ne
parle pas seulement des «mesures», mais des ((mesuresde gestion et de
conservation ».Elle ne renvoie donc pas le lecteuà un concept ((factuel »
ou «neutre», mais à une catégorie de mesures bien connues en droit
international de la mer, c'est-à-diàeune catégoriejuridique objective. Il
ne suffitpas de dire que lesmesures restent ce qu'ellessont, il faut encore
qu'ellessoient et restent des ((mesures de gestion et de conservation)) en
tant que catégoriede droit international, car la déclaration ne donneses
propres fins aucune définitionparticulièrede ces mesures de gestion et de
conservation.

312. Dans le chapitre III de la présenteopinion, j'ai fait un résumé de
lajurisprudence de la Cour concernant le titre en tant que catégoriejuri-
dique en droit de la mer. La question du titre peut se poser pour toutes
sortes de matières et dans toutes sortes de contextes, y compris dans des
procéduresincidentes préliminairesconcernant la compétence dela Cour.
Il arrive souvent qu'il en soit ainsi lorsque la Cour doit répondreà des
questions soulevéespar des exceptions ou des objections. Il en est ainsi
dans le cas d'exceptions decompétencenationaleou de compétence exclu-
sive des Etats, mais aussi dans d'autres occasions.the livingresourcesof the sea and the prevention or control of pollution of
the marine environment in marine areas adjacent to the Canadian Coast.
309. Canada has given the Court no satisfactory explanation of why
the reservation in subparagraph (d) of the 1994declaration did not fol-
low the mode1provided by the reservation in subparagraph (d) of the
1970declaration, despite the reference to the latter as a "precedent" in
Mr. Ouellet's statements in the Senate. To Say,for example, that States

should not be permitted to make broadly worded reservations does not
solve the point. Nor does the assertion that the reservation in the 1994
subparagraph (d) is perfect. That may well be the case, but the conclu-
sion then is that the reservation does not express the same intention or
address the same object as the 1970reservation does in regard to the con-
servation, management or exploitation of the living resources of the sea.
310. It may also be the case that the reservation in the 1994subpara-
graph (d) isfunctional, concrete,specificor preciseinrelation toitssubject-
matter.But that isnot the point; the realquestionisto determinethesubject-
matter of the 1994reservation. If the subject of the reservation adopted in
1994wasintendedto be the title,jurisdiction or rightsof Canada to take and

enforce the measures, why does it not use wording similar to, or closely
following,that of the 1970reservation - whichwas ready to hand - even
though Mr. Ouelletreferredto it as a precedent?The Respondent has failed
to answerthis question. Itssilencespeaksvolumesabout Canada'srealinten-
tions whenit depositedits declarationof 10May 1994.The Judgment for its
part prefers not to consider the point, whether closelyor from a distance.
It is clearly more convenient to change the subject of the dispute.
311. The question is nevertheless important, sincethe 1994reservation
does not simply talk of "measures", but of "conservation and manage-
ment measures". Thus, it refers the reader not to a "factual" or "neutral"
concept, but to a category of measures which are clearly recognizedin the

international law of the sea, that is to say to an objective legal category.
It is not sufficient to say that the measures are what they are; they have
to be, and remain to be, something more than this, namely "conservation
and management measures" - an international legal category - since
the declaration fails to provide for its own purposes any specificdefini-
tion of such conservation and management measures.

312. In Chapter III of the present opinion, 1 summed up the Court's
case-lawregarding title as a legalcategory in the law of the sea. The ques-

tion of title can arise in al1kinds of matters and contexts, including that
of preliminary proceedings concerning the jurisdiction of the Court. This
is often the case where the Court has to deal with issues raised by way of
defence or objection. Defences of national or exclusive jurisdiction of
States are such a case, but there are other instances too. 313. A ce propos, il ne faut pas oublier que l'alinéac) du paragraphe 2
de la déclaration du Canada de 1994 énonce une réserveobjective de
compétenceexclusiveet que dans le systèmede la clause facultative opère
le principe deréciprocitéen matièrede réservesdans des déclarations.En
outre, l'Espagne, dans sa requête etdans son argumentation, a invoqué
ladite réservecl. En tout étatde cause. cette réservede l'alinéacl cons-
titue uncontexFeaux finsde l'interprétationde la réserve del'alinéad) de
la déclaration du Canada quoique l'arrêt gardeaussi le silence le plus
complet sur le rapport entre les deux réserves.
Quelles sont les conséquences à en tirer pour la présenteprocédure

incidente? Que, dans la mesure où le défendeurprétendrait avoir une
compétenceexclusive concernant le titre pour adopter ou exécuterles
mesures dont il est auestion dans la réserve del'alinéadl en haute mer
sans égardaux navires visés,ou pour interpréter ces mesures exclusive-
ment en fonction de son ordre juridique interne, la réservede l'alinéa c)
de la déclarationdu Canada deviendrait applicable. Or, pour trancher ce
point, la Cour devrait le faire, selon le texte mêmede la réservede l'ali-
néa c), d'après le droit international.C'estce que 1'Etatdéclarant avoulu
dans sa déclaration, quoiqu'ilse cache maintenant derrière saprétendue
intention sous-jacente.
314. Déjàen 1923,dans son avis consultatif no4 concernant un aspect
du différendentre la France et la Grande-Bretag"e au suiet des décretsde
nationalité promulgués en Tunisie et au Maroc (zone française) le
8 novembre 1921 et leur application aux ressortissants britanniques, la
Cour permanente s'était prononcéesur la réserveobjective de compé-

tence exclusivede l'article 15, paragraphe 8, du Pacte de la Sociétédes
Nations comme suit :

((11est égalementvrai que le seul fait que l'une des parties invoque
des engagements d'ordre international pour contester la compétence
exclusivede l'autre partie ne suffit pas pour écarter l'application du
paragraphe 8. Mais dèsque les titres invoquéssont de nature à per-
mettre la conclusion provisoirequ'ils peuvent avoir une importance
juridique pour le différend soumisau Conseil, et que la question de
savoir si un Etat est compétentpour prendre telle ou telle mesure se
trouve subordonnéea l'appréciationde la validitéet à l'interprétation
de ces titres,la disposition du paragraphe 8 de l'article 15 cesse
d'êtreapplicable et l'on sort du domaine exclusif de 1'Etat pour
entrer dans le domaine régipar le droit international.

Sil'on devait,pour répondre àune question de compétenceexclu-
sive, soulevéeen vertu du paragraphe 8, seprononcer au fond sur la
valeur des titres invoquéspar les parties à ce sujet, cela ne serait
guèreconforme au systèmeétabli par le Pacte en vue d'assurer le
règlement pacifique desdifférendsinternationaux. 313. In this connection, we must remember that paragraph 2 (c) of the
Canadian declaration of 1994establishesan objectivereservation of exclu-
sivejurisdiction, and that the principle of reciprocity of reservations con-
tained in declarations applies to the optional clause system.Furthermore,
Spain has invoked reservation (c) in its Application and arguments. At
al1events, the reservation in subparagraph (c) represents a context for the
purpose of interpreting the reservation in subparagraph (d) of the Cana-
dian declaration, although here again the Judgment remains utterly silent
about the relationship between the two reservations.
What conclusions can be drawn from this for purposes of the present
proceedings? Inasmuch as the Respondent claims exclusivejurisdiction in
regard to its title to take or enforce the measures referred to in the res-

ervation in subparagraph (d) on the high seas, irrespective of the vessels
concerned, or to interpret those measures exclusively in the light of its
own interna1 legal order, it follows that the reservation in subpara-
graph (c) of the Canadian declaration is applicable. In deciding this
point the Court should, according to the terms of the reservation itself,
do so in accordance with international law. That is what the declarant
State intended in its declaration, even though it now takes refuge in its
purported underlying intention.
314. As far back as 1923,the Permanent Court, in its Advisory Opin-
ion No. 4 concerningan aspect of the dispute between France and Great
Britainwithregard to thenationality decreesissuedinTunisand Morocco
(French Zone) on 8 November 1921 and their application to British
nationals, had this to say about the objective reservation of exclusive
jurisdiction laid down in Article 15, paragraph 8, of the League of
Nations Covenant :

"It is equally true that the mere fact that one of the parties appeals
to engagements of an international character in order to contest the

exclusive jurisdiction of the other is not enough to render para-
graph 8inapplicable. But whenonce it appears that the legal grounds
(titres) relied on are such as to justify the provisional conclusionthat
they are of juridical importance for the dispute submitted to the
Council, and that the question whether it is competent for one State
to take certain measures is subordinated to the formation of an
opinion with regard to the validity and construction of these legal
grounds (titres), the provisions contained in paragraph 8of Article 15
cease to apply and the matter, ceasing to be one solely within the
domestic jurisdiction of the State, enters the domain governed by
international law.
If, in order to reply to a question regarding exclusivejurisdiction,
raised under paragraph 8, it were necessary to give an opinion upon
the merits of the legal grounds (titres) invoked by the Parties in this
respect, this would hardly be in conformity with the system estab-
lished by the Covenant for the pacific settlement of international dis-

putes.698 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS T.ORRES BERNARDEZ)

En se basant sur les considérations qui précèdent, la Courestime,
contrairement aux conclusions finales du Gouvernement français,
qu'elle n'estappeléeà examiner les arguments et titres invoquéspar
les gouvernements intéressésque dans la mesure nécessaireà I'appré-
ciation de la nature du différend.S'il est évidentque ces titres et

arguments nepeuvent élargirni les termes de la requête adresséeà la
Courpar le Conseil,ni la compétenceque le Conseila conférée à la
Cour par sa résolution,il est égalementclair que la Cour doitles
examiner pour seformer une opinionsur la nature du différendvisé
par ladite résolutionet au sujet duquel son avis est demandé.))
(Décretsde nationalité promulguésen Tunisie et au Maroc, C.P.J.I.
sérieB no4, p. 26; les italiques sont de moi.)

La majoritéde la Cour a considéré pluscommode de ne pas examiner
la question des titres du Canada pour prendre les mesures dont il s'agit
lors de son interprétation de la réservede l'alinéad) du paragraphe 2 de
la déclaration du Canada.
315. L'arrêtlaisse en effet totalement dans l'ombre la question du titre
ou du défautde titre international du Canada pour adopter etlou exécu-
ter les mesures prévuesdans la réserve. Quelleest la raison de cette igno-
rance voulue? D'éviter justement quecette question, pourtant centrale
pour la requêtedu demandeur, n'entre en ligne de compte dans la déter-
mination de la compétencede la Cour dans l'affaire. Car le terme diffé-

rend est le premier mot de la réservede l'alinéad) du paragraphe 2 de la
déclaration du Canada que la Cour doit interpréter, et l'objet de ce dif-
férend estparticulièrement déterminant pour trancher la question de la
compétencede la Cour dans l'affaire.
316. Le titre ou le défaut de titre international du Canada pour adop-
ter etlou exécuterles mesures est certainement, dans la présenteaffaire,
une question qui intervient aussi, d'une manièredécisive,dans la présente
procédure préliminaire sur la compétence de la Cour, quoiqu'en dise
l'arrêt.Je la tiens donc toujours pour présentedans l'interprétation queje
fais de la réservede l'alinéa) de la déclaration du Canada.

b) Les ((navirespêchant))de la réserve

317. La réservede l'alinéad) de la déclaration concerne des mesures
adoptées etexécutées par le Canada ((pour les navires pêchant))dans la
zone de réglementationde 1'OPANO.Elle est donc limitéegéographique-
ment à cette zone. Le texte le dit et les Parties sont d'accord. Il s'agit

d'une zone bien précisedélimitéepar la conventionde I'OPANO de 1978.
Elle est situéà l'extérieur dela limite des 200 milles du Canada, c'est-
à-dire en haute mer.
318. La requêtede l'Espagne vise l'ensemble de la haute mer en tant
qu'espace maritime soumis à un régimejuridique qui lui est propre et pas
seulement la zone de réglementation de I'OPANO. C'est un point à ne
pas négligerdans la décisionsur la compétencecar l'objet du différend For the foregoing reasons, the Court holds, contrary to the final
conclusions of the French Government, that it is only called upon to
consider the arguments and legal grounds (titres) advanced by the
interested Governments in sofur as is necessary in order toform an
opinion upon the nature of the dispute. While it is obvious that these
legal grounds (titres) and arguments cannot extend either the terms

of the request submitted to the Court by the Council or the compe-
tence conferred upon the Court by the Council's resolution, it is
equally clear that the Court must consider them in order toform an
opinion as to the nature of the dispute referred to in the said resolu-
tion - with regard to which the Court'sopinionhas been requested."
(Nationality Decrees Issued inTunis and Morocco, P.C.I.J., Series
B, No. 4, p. 26; emphasis added.)

In interpreting the reservation in paragraph 2 (d) of the Canadian
declaration, the majority of the Court has found it more convenient
to refrain from examining the question of Canada's titles to take the
measures in question.
315. The fact is that the Judgment leavesthe reader totally in the dark
about the question of Canada's title or absence of title to take andlor
enforce the measures contemplated in the reservation. Why this deliber-
ate silence?Why specificallyavoid giving this question consideration -
central though it is to Spain's Application - in determiningthe Court's
jurisdiction in the present case?Indeed, the word dispute is the first word
in the reservation in paragraph 2 (d) of the Canadian declaration which

the Court must interpret, and the subject-matter of the dispute is particu-
larly decisiveto a determination of the issue of the Court's jurisdiction in
this case.
316. In the present case, it is quite clear that Canada's title or absence
of title in international law to take andlor enforce the measures in ques-
tion is also a matter of decisiverelevance for the present preliminary pro-
ceedingsconcerningthe Court's jurisdiction, whatever the Judgrnent may
say. It therefore permeates my entire interpretation of the reservation in
subparagraph (d) of the Canadian declaration.

(b) The "vesselsjîshing" referred to in the reservation

317. The reservation in subparagraph (d) of the declaration concerns
measures taken and enforced by Canada "with respect to vesselsfishing"
in the NAFO Regulatory Area. It is therefore confined geographically to
that area. The text says so and the Parties agree. It is an area clearly

delimited by the NAFO Convention of 1978and it lies outside the Cana-
dian 200-mile limit, that is to Sayon the high seas.

318. The SpanishApplication relates to the entire high seas as a mari-
time space subject to its own legal régime,and not just to the NAFO
Regulatory Area. That point should not be overlooked in the decision on
the Court's jurisdiction, sincethe subject-matter of the dispute referred to699 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS TORRES BERNARDEZ)

soumis par la requêtede l'Espagne ne concerne pas seulement le règle-
ment du 3mars 1995portant application de la loi modifiéesur la protec-
tion des pêchescôtières, ou l'arraisonnement de l'Estai trois jours plus
tard (événements qui concernent effectivementla zone de réglementation
de I'OPANO), mais l'existenced'une législationcanadienne qui prétend
ignorer le titre international de l'Espagne l'exercice exclusifde sa juri-
diction sur ses navires en haute mer et qui pourrait s'étendre aussi,du

seul fait du Canada, à des zones de la haute mer autres que la zone de
réglementationde 1'OPANO.
319. Indépendamment du fait que la législationcanadienne devienne
un jour applicable,par décisiondu Canada, à d'autres zones de la haute
mer adjacentes aux zones maritimes exclusivesdu Canada, il y a aussi le
fait que l'Estai, par exemple, a étépoursuivi par des garde-côtes ou des
patrouilleurs canadiens lorsqu'il pêchait dans lazone de réglementation
de I'OPANO, et qu'une telle poursuite aurait pu avoir lieu en direction
d'autres zones de la haute mer situéesendehors de la zone de réglementa-
tion de I'OPANO. En fait, la législation nationale canadienne, telle
qu'elle se présenteaujourd'hui, pourrait déjàviser en pratique, pour ce

qui est d'une poursuite donnée,des zones de la haute mer situéesbien
au-delà de la zone de réglementationde I'OPANO. L'arrên t e donne pas
de réponse àcette question que soulèvela requêtede SEspagne.

320. En mai 1994,lors de l'examenpar le Parlement canadien du pro-
jet de loi C-29, le Gouvernement canadien a indiqué qu'il visait les navi-
res apatrides et les navires battant un pavillon de complaisance. Dans les
déclarations qu'il a faitesau Sénatle 12 mai 1994, le ministre Ouellet
qualifiait ces navires de navires pirates. Le ministre Tobin avait en outre,
dans ses déclarationsau Parlement, exclu expressémentles navires espa-

gnols et portugais. Toujours est-ilque le premier règlementd'application
de la loi modifiéesur la protection des pêchescôtièresdu Canada, celui
du 25mai 1994,ne concernait que lesnavires apatrides et lesnavires bat-
tant un pavillon de complaisance. Or, les circonstances entourant le
dépôt dela déclarationdu 10mai 1994sont justement celles-là. Il n'est
pas acceptable, pour interpréter laréservede l'alinéa) en droit interna-
tional, de tenir compte des circonstances telles qu'elles seprésentaient au
mois de mars 1995!Alors, comment ceux qui adoptent comme objet de
l'interprétation la prétendue intention sous-jacentedu Canada et non pas
le libelléde la réserve del'alinéad) répondent-ils à cette question? En
disant que d'après des mécanismesinternes insérésdans la loi cana-
dienne, celle-cipouvait être rendue applicableàd'autres navires pêchant

dans la zone de réglementationde 1'OPANOmoyennant l'adoption de
règlements (voir paragraphes 74-77 de l'arrêt).Cela est vrai en droit
canadien. Mais en quoi cela participe-t-il l'établissement endroit inter-
national de l'intention juridiquement pertinente du Canada aux fins de
l'interprétation dela réserve de l'alinéa ?it in the Spanish Application concerns not only the Regulations of
3 March 1995 implementing the amended Coastal Fisheries Protection
Act, or the boarding of the Estai three days later (matters which do in
fact involve the NAFO Regulatory Area), but the existence of Canadian
legislation which seeks to ignore Spain's international title to the exclu-
siveexerciseof itsjurisdiction over its vesselson the high seas and is also
capable of being extended, on the initiative of Canada alone, so as to
encompass areas of the high seas other than the Regulatory Area.

319. Quite apart from the matter of whether, as a result of a decision
by Canada, its legislation becomes applicable in the future to other areas
of the high seas adjacent to Canada's exclusive maritime zones, there is
also the fact that the Estai, for example, was pursued by Canadian coast-
guard vessels or patrol boats while it was fishing in the NAFO Regula-
tory Area, and that this pursuit could have been extended towards other
areas of the high seas lying outside the Regulatory Area. In point of fact,

as it stands at present theCanadian legislation could already, in a par-
ticular instance of pursuit, apply in practice to areas of the high seas situ-
ated well beyond the NAFO Regulatory Area. The Judgment provides
no answer to this question which the Spanish Application raises.

320. In May 1994, when the Canadian Parliament debated Bill C-29,
the Canadian Government stated that the measure was aimed at stateless
vesselsand those flying flagsof convenience. In his statement to the Sen-
ate on 12May 1994,Minister Ouellet described such vesselsas pirate ves-
sels.Addressing Parliament, MinisterTobin moreover expresslyexcluded
Spanish and Portuguese vessels. And the fact remains that the initial
implementing regulations to Canada's amendedCoastal Fisheries Protec-
tion Act, those of 25 May 1994,concerned only stateless and flag-of-con-
venience vessels.Yet these were the preciselythe circumstances surround-

ing the deposit of the declaration of 10May 1994.It is not acceptable, for
purposes of interpretation under international law of the reservations
contained in subparagraph (d), to take account of the circumstances
obtaining in March 1995! So, how do those who hold that the subject-
matter of the interpretation is Canada's purported underlying intention,
and not the actual wording of the reservation contained in subpara-
graph (d), answer this question? They do so by claiming that, by means
of interna1legislative devicesinserted in the Canadian Act, the latter can
be made applicable to other vessels fishing in the NAFO Regulatory
Areathroughtheadoption ofregulations (seeparagraphs 74-77ofthe Judg-
ment). This is true in Canadian law. But howdoes thiscontribute to estab-
lishing in international law Canada's legally material intention for the
purposes of interpreting the reservation contained in subparagraph (d) ? 321. D'ailleurs, le moins que l'on puisse dire à ce propos, quoique
l'arrêt soitd'un avis différent,c'est qu'en mai 1994 les messages parle-
mentaires des ministres canadiensétaient équivoqueset trompeurs, car ils
semblaient limiter aux seuls ((bateaux pirates »l'application de la législa-
tion canadienne en question. L'intention sous-jacente manifestéepar les
ministrescanadiensn'était ni nette ni claire. M. Tobin lui-mêmeparla du
pouvoir du Parlement de désignerde nouvelles classes réglementairesde
bateaux qui pourraient à l'avenir être assujettià la loi modifiée(para-
graphe 77 de l'arrêt).
322. Le principe de la bonne foi ne peut que jouer ici à plein dans
l'interprétation d'une quelconque intention «sous-jacente» du Canada.
Mais, l'arrêt, nousle savons déjà, ignore tout simplement la bonne foi

dans l'interprétation qu'il faitde la réserve de l'alinéad). Pour l'arrêtil
n'y a donc là aucunecontradiction avec les exigencesd'un comportement
de bonne foi. Mais dans la présenteopinion, je base l'interprétationde la
réservecanadienne sur des règleset méthodesobjectives d'interprétation
qui exigent que les termes de l'instrument soientinterprétésde bonne foi.
En tout état de cause, que l'interprétation soitobjective ou subjective, il
n'est pas raisonnable de conclure, à la lumière des moyens complémen-
taires d'interprétation invoquéspar les Parties, que l'intention exprimée
dans le règlementadoptéle 3mars 1995,c'est-à-direprèsd'un an aprèsla
déclaration objet de l'interprétation, puisse êtreconsidérée commeune
circonstance entourant le dépôtde la déclaration canadienne le 10mai
1994.Pour l'interprétation, il s'agitévidemmentd'une intention bien trop
postérieureau dépôt de la déclaration.

323. Comme il est évident quel'interprétation subjectiviste de l'inten-
tion sous-jacente de mai 1994 ne lui permet pas d'aboutir au résultat
voulu pour l'interprétation des termesanavires pêchant)),le défendeurse
proclame sur ce point farouchement littéraliste, en allant mêmejusqu'à
déclarer,en réponse à des arguments espagnols, qu'il faut respecter les
règlesde grammaire! L'interprétation par le Canada du passage de l'arrêt
de l'dnglo-Iuanian Oil Co. sur l'intention de 1'Etatdéclarant,citéad nau-
seam par le défendeur,est mis quelque peu en sourdine dans le présent
contexte. Et que fait l'arràtcet égard?Il suit une fois de plus la position
du défendeuret change de méthode d'interprétationen fonction du point
à interpréter.
324. Pour le Canada comme pour l'arrêt,les mots ((navirespêchant))
désignent dans la réserve de l'alinéad) de la déclaration les navires

pêchant dans lazone de réglementationde I'OPANO, car c'estce que dit
le texte de la réserve. Ainsi,la déclaration faitela Chambre des com-
munes le 11mai 1994par le ministredes pêcheset des océans,M. Tobin,
dans laquelle il dit, notamment, qu'il n'y a pas d'exception, n'est utilisée
que pour confirmer le sens du texte. Mais il y a aussi les déclarations
faites au Sénatle 12mai 1994par le ministre des affairesétrangèreset du 321. Moreover, the least that can be said in this regard, notwithstand-
ing the contrary position taken by the Judgment, is that in May 1994the
Canadian Ministers' statements to Parliament were equivocal and mis-
leading, since they appeared to restrict the application of the Canadian
legislation in question to "pirate vessels" alone. The underlying inten-
tion evidenced by the Canadian Ministers was neither plain nor clear.
Mr. Tobin himself referred to Parliament's authority to designate new
prescribed classes of vesselswhich might subsequently be brought within
the terms of the amended Act (paragraph 77 of the Judgment).
322. The principle of good faith must come fully into play here in rela-

tion to the interpretation of any "underlying" intention on Canada's
part. Yet, as we know, the Judgment quite simply ignores good faith in
its interpretation of the reservation contained in subparagraph (d). For
the Judgment, there is accordingly no inconsistency with the require-
ments of conduct in good faith. In this opinion, however, 1base my inter-
pretation of the Canadian reservation on the objective rules and methods
of interpretation, which require that the terms of the instrument be inter-
preted in good faith. In any event, whether the interpretation be objective
or subjective, it is unreasonable to conclude, in light of the supplemen-
tary means of interpretation put forward by the Parties, that the inten-
tion expressed in the regulationsadopted on 3 March 1995 - almost one
year after the declaration under interpretation - may be considered as a
circumstance surrounding the deposit of the Canadian declaration of
10 May 1994. For the purposes of interpretation, this intention clearly

came into being far too long after the deposit of the declaration.

323. Since it is clear that a subjective interpretation of the underlying
intention of May 1994 does not enable it to achieveits ends regardingthe
interpretation of the words "vessels fishing", the Respondent doggedly
insists on a literal interpretation here, going so far as to declare, in reply
to Spain's arguments, that the rules of grammar must be respected!
Canada's interpretation of the passage on the intention of the declarant
State in the Judgment in the Anglo-Iranian Oil Co. case, quoted by it ad
nauseam,was somewhat played down in this context. And what does the
Judgment do? Once again it adopts the Respondent's position, changing
its method of interpretation according to the point to be interpreted.

324. For Canada, as for the Judgment, the words "vessels fishing", in
the reservationcontained in subparagraph (d) of the declaration, refer to
vesselsfishing in the NAFO Regulatory Area, since this is what the text
of the reservation says. Hence, the statement to the House of Commons
on 11 May 1994 by the Minister of Fisheries and Oceans, Mr. Tobin, in
which he says, inter alia,that there are no exceptions, servesonly to con-
firm the meaning of the text. Yet there is also the statement to the Senate
on 12 May 1994 by the Minister of Foreign Affairs and Internationalcommerce international, M. Ouellet, qui soulèvent des doutessérieuxsur
l'interprétation que l'on faitdu texte de la réserve de l'alinéad). Com-
ment le Canada et l'arrêtrèglent-ilsalors cet aspect des choses? En uti-
lisant seulement quelques phrases choisies des déclarationsdeM. Ouellet
et en oubliant le reste.
325. Bien que le texte de la loi modifiéedu 12mai 1994parle en géné-
ral des ((bateaux de pêcheétrangers)) qui continuent d'exploiter des
stocks dans la zone de réglementation de YOPANO d'une manière qui
compromet l'efficacitédes ((mesuresvalables))de conservation et de ges-
tion, notamment cellesprises souslerégimede la conventionde 170PAN0

de 1978 (mémoirede l'Espagne, annexes, vol. 1, annexe 14, p. 70), le
règlementd'application du 25 mai 1994dit expressémentque les classes
réglementairesde bateaux sont respectivement les bateaux sans natio-
nalité et les bateaux de pêcheétrangers qui naviguent sous le pavillon
d'un Etat viséau tableau III de son article 21,à savoir le Belize,les îles
Cayman, leHonduras, lePanama, Saint-Vincent-et-Grenadinesetla Sierra
Leone (ibid., annexe 17, p. 297-298). Ce n'est que dans le règlementdu
3 mars 1995 que le Gouvernement canadien (et non le Parlement) a
ajouté aux classesréglementaires debateaux de pêcheétrangers sus-indi-
quées«les bateaux de pêcheétrangers qui naviguentsousle pavillon d'un
Etat viséau tableau IV du présentarticle)),à savoir le Portugal et l'Es-
pagne (ibid., annexe 19,p. 309 et 311)
326. Ces faits sont concluants sur un pointà savoirque la loi modifiée
ne s'estpas appliquée,entremai 1994et mars 1995,aux navires espagnols

et portugais ni aux navires d'un autre Etat participant à I'OPANO. A
cela il faut ajouter que l'intention juridiquementpertinente en l'espèce est
cellerelativeàla déclaration d'acceptation parle Canada de lajuridiction
obligatoire de la Cour et non pas l'intention des ministres et parlemen-
taires canadiensconcernant le champ d'application de la future loi modi-
fiéeet ses possibilités d'évolution à l'avenir; évolution qui pourrait
d'ailleurs élargir oulimiter ladite application car, après l'accord d'avril
1995entre le Canada et la Communauté européenne,on en est revenu à
la situation existant entre mai 1994et mars 1995.A présent, laloi modi-
fiéene s'applique à nouveau qu'aux navires «pirates» de mai 1994. Et
pourtant la déclaration canadiennedu 10mai 1994esttoujours la même!

327. Est-ce que cela veut dire que la réservede l'alinéad) de la décla-
ration de 1994 n'a à présent aucun effet utile comme voudrait le faire
croire le Canada lorsqu'il rejette telle ou telle interprétationespagnole de

la réserve?On est en droit de sele demander étantdonné lafacilité avec
laquelle le défendeur invoquel'effet utile propos de l'interprétation de
ladite réserve.Car le Canada a plaidé quesi les navires battant pavillon
espagnol ou portugais ou d'un autre Etat pêchant dansla zone de régle-
mentation de I'OPANO tombaient en dehors du champ d'application de
la réservecelle-cin'aurait aucun effet utile. Encore une fois,je suis obligé
de le dire, le Canada plaide une chose et son contraire.
328. L'intention générale qui sous-tend en mai 1994le débatdu projetTrade, Mr. Ouellet, which raises serious doubts as to that interpretation
of the text of the reservation in subparagraph (d). How then do Canada
and the Judgment resolve this aspect of the matter? Quite simply by
relying on a few selected sentences from Mr. Ouellet's statement and
forgetting the rest.
325. While the text of the amended Act of 12May 1994refers in gen-
eral to "foreign fishing vessels" which continue to fish for stocks in the
NAFO Regulatory Area in a manner that underminesthe effectivenessof
"sound" conservation and management measures, and in particular the
measures taken under the 1978NAFO Convention (Memorial of Spain,
Annexes, Vol. 1, Ann. 14, p. 70), the implementing Regulations of
25 May 1994 specifically state that the classes of vesse1to which the

Regulations apply are vesselswithout nationality and foreign fishingves-
selsflyingunder the flag of a Stateset out in Table IIIto Section 21 of the
Regulations, namely Belize, Cayman Islands, Honduras, Panama,
Saint Vincent and the Grenadines, and Sierra Leone (ibid., Ann. 17,
pp. 297-298). It was only in the Regulations of 3 March 1995 that the
Canadian Government (and not Parliament) added to the above-
mentioned classesof foreign fishingvessels"foreign fishingvesselsthat fly
the flag of any state set out in Table IV to this Section", namely Portugal
and Spain (ibid., Ann. 19,pp. 309 and 311).

326. These facts are conclusive on one point, namely that
between May 1994and March 1995 the amended Act did not apply to
Spanishand Portuguese vessels,nor did it apply to vesselsfrom any other
NAFO State. It must also be said that the legally material intention in
this case is that relating to Canada's declaration of acceptance of the
compulsory jurisdiction of the Court, not the intention of Canadian Min-
isters and Parliamentarians concerning the scope of the future amended
Act and its possible future evolution; an evolution which might, more-
over, broaden or restrict the scope of the Act since, following the agree-

ment of April 1995between Canada and the European Community, the
situation obtaining between May 1994and March 1995has been restored.
At present the amended Act once again applies solely to the "pirate" ves-
sels of May 1994. And yet the Canadian declaration of 10 May 1994
remains the same!
327. Does this mean that the reservation in subparagraph (d) of the
1994 declaration now lacks effectiveness, as Canada would have us
believe when it rejects this or that aspect of Spain's interpretation of the
reservation? This is a question we are entitled to ask, in view of the
Respondent's readiness to rely on effet utile inits interpretation of the
reservation. For Canada has argued that if vessels flying the Spanish or
Portuguese flag, or that of some other State fishing in the NAFO Regu-
latory Area, were to be excluded from the scope of the reservation, then
the reservation would cease to have any effet utile. Once again, 1have to
say, Canada puts forward two diametrically opposed arguments.
328. The overall intention behind the debates on Bill C-29 in May702 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

de loi C-29 et du règlementdu 25 mai 1994,quoique confuse, n'est pas
cependant que ces dispositions du droit canadien s'appliquent aux na-
vires des Etats membres de l'Union européenne pêchant dans lazone de
réglementation de YOPANO. Pour ces pays, en cas de besoin, on allait
faire appelà la diplomatie canadienne. Les déclarations que le ministre
des affairesétrangères,M. Ouellet, a faites au Sénatle 12mai 1994sont

concluantes à cet égard.Or, c'estle 10mai 1994que le Canada dépose sa
déclaration auprèsdu Secrétairegénéral desNations Unies et non pas
en mars 1995.
329. L'intention du Canada en mai 1994est donc loin de ce qui a été
fait en mars 1995. Or, si l'on examine l'intention sous-jacente, la seule
intention qui peut compter est cellequi sous-tend le dépôt de la déclara-
tion et non pas une intention quelconque postérieure à ce dépôt.C'est
sans doute pour évitercette contradiction frappante que le Canada et
l'arrêtabandonnent sur le point considéré leur thèsienterprétativegéné-
rale sur l'intention et se tournent cette fois-civers le texte de la réserve de
l'alinéad) de la déclarationdu Canada.

330. Pour ma part, j'applique à l'interprétation de la déclaration du
Canada, l'interprétation objective,c'est-à-diredes règleset des méthodes
interprétatives quipartent du texte de l'instrument objet de l'interpréta-
tion, sans exclure pour autant des éléments relatifsla détermination de
l'intention dans la mesure et pour les fins admises en droit international.
A ce propos, je constate que le texte comme tel est applicableà tous les
navires. L'intention sous-jacente du Canada est moins claire. Un doute
raisonnable est permis. C'estdans leslimitesde ce doute que doit jouer la
bonne foi dans l'interprétation.

En tout cas, le Canada n'a pas modifiéen 1995lestermes dans lesquels
il a donnéen 1994son consentement à la juridiction obligatoire de la
Cour. Il n'a pas fait usage du droit de modification réserdans le para-
graphe 3 de la déclaration.Modifier sa déclarationpar voie interprétative
après dépôt dela requête de l'Espagnen'estcompatible ni avecle système
de la clause facultative, ni avec une interprétation de bonne foi.
Il faut ajouter qu'en droit international une interprétationde bonne foi
ne peut pas non plus s'entenir pour certainspoints au texte de la déclara-
tion et pour d'autres points renvoyer à l'intention dite sous-jacente du
Canada qui évolueraiten plus au fildes mois ou, encore, aux motifs que
le Canada aurait pu avoir lorsqu'il a fait et déposéla déclaration du
10mai 1994. Il faut choisir.

331. La conclusion que les mots ((pour les navires pêchant)) de la
réservede l'alinéad) de la déclaration du Canada s'applique à tous les1994 and on the implementing Regulations of 25 May 1994, although
somewhat obscure, was not, however, that these provisions of Canadian
law should apply to vessels of member States of the European Union
fishing in the NAFO Regulatory Area. For those countries, Canadian
diplomacy would be called into play if need be. The statement to the Sen-

ate on 12May 1994by the Minister for Foreign Affairs,Mr. Ouellet, was
conclusivein this respect. Yet it was on 10May 1994that Canada depos-
ited its declaration with the Secretary-General of the United Nations, not
in March 1995.
329. Canada's intention in May 1994was thus far from what was done
in March 1995.Yet, as far as the underlyingintention is concerned, the
only intention which may be taken into consideration is that underlying
the deposit of the declaration, not some intention which came into exist-
ence after that deposit. It is doubtless inrder to avoid this flagrant con-
tradiction that, at this point, Canada and the Judgment abandon their
general line of argument with regard to the interpretation of the intention

and this time turn to the text of the reservation contained in subpara-
graph (d) of Canada's declaration.

330. For my part, 1interpret Canada's declaration objectively, apply-
ing the rules and methods of interpretation based on the text of the
instrument being interpreted, yet without excluding factors relating to the
determination of the intention in the light of international law and for
purposes which are accepted in international law. In this connection,
1 note that the text as such is applicable to al1vessels. Canada's under-

lying intention is lessclear. A reasonable doubt is permitted. It is within
the confines of such doubt that good faith should come into play in the
interpretation.
In any event, in 1995Canada did not change the language in which it
consented to the Court's compulsory jurisdiction in 1994.It did not avail
itself of the right of amendment which it had reserved in paragraph 3 of
the declaration. Amending its declaration by interpretation after the
filing of Spain's application is compatible neither with the optional
clause system, nor with an interpretation in good faith.
Moreover, in international law an interpretation in good faith cannot
restrict itself to the text of the declaration on some points, and on others
refer either to Canada's underlying intention - an intention which,

moreover, apparently changes over the months - or to the reasons
which Canada might have had when it made and deposited the declara-
tion of 10May 1994.A choice has to be made.

331. The conclusion that the words "with respect to vesselsfishing" in
the reservation contained in subparagraph (d) of the Canadian declara-navires a cependant une conséquencenégativepour l'argument de l'effeet
utile de la réserveavancépar le Canada, car les((navirescanadiens))tom-
bent aussi alors dans le champ d'application éventuelde la réserve.

Qu'est-ceque celaveut dire?Tout simplement que sile Canada un jour
adopte unilatéralementdes mesures «dites» de gestionet de conservation
dans la zone de réglementationde I'OPANO, maisfavorables en fait aux
navires canadiens au détrimentdes navires des autres Etats ou de certains

de ceux-ci(par exempleen matièrede répartitionde quotas du TAC), les
différendsqui pourraient en résulterentre Etats sont exclusdu consente-
ment du Canada à la juridiction de la Cour exprimédans la déclaration
de 1994.
332. Le Canada, par contre, garde le silencesur ceteffet utile possible,
et pas du tout négligeable, desmots «pour les navires pêchant»de la
réserve. C'est l'évidence mêq muee si l'on s'attache sur ce point'inter-
prétation littéraleles navires canadiens pêchant dans la zone OPANO
entrent dans la réserve.Cette conclusion n'estrîas absurde du tout. Car.
ce qui serait exclu de la juridiction de la Cour par la réserve,ce ne sont
pas les rapports entre le Canada et les navires canadiens, mais les rap-
ports entre le Canada et un autre Etat pour ce qui est des mesures adop-
téesou exécutéep sar le Canada à l'égarddes navires canadiens, mesures
qui pourraient bien êtrediscriminatoires à l'égarddes navires battant le

pavillon d'un autre Etat ou contrairesauxintérêtsdecedernier Etat dans
les pêches enquestion. Si,à cela s'ajoutent les navires apatrides et ceux
battant pavillon de complaisance, on peut constater facilement que la
non-application de la réservede l'alinéad) à d'autres navires ne priverait
pas du tout celle-ci d'effet utile. En fait, c'est la situation qui existait
avant le 3mars 1995et qui existeaprèsle débutde mai 1995,c'est-à-dire
la situation actuelle.

c) Les ((mesuresde gestionet de conservation))de la réserveet la non-
délfinitide cesmesures dansla déclaration

333. Comme je l'ai déjàmentionné,le Canada aurait pu formuler la
réservede l'alinéa d) de sa déclaration de 1994en parlant tout simple-
ment des ((mesuresadoptéespar leCanada ..».Cette formule aurait alors
compris toutes les mesures possibles et imaginables adoptées par le

Canada. Mais le Canada ne l'apas fait dans l'exercicede sa souveraineté.
Pour ma part, je me refuse, dans le contexte de l'interprétation de la
réserve, à entrer dans le débat qui consiste à se demander pourquoi le
Canada ne l'a pas fait. C'estun domaine qui concerne leschoixpolitiques
internes du Canada, tout comme faire ou ne pas faire une déclaration
d'acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour. Je ne saurais
admettre ce genre d'interprétationssubjectives dans le cadre du système
de la clausefacultative. C'estl'intention expriméedans la déclarationque
j'interprète dans la présenteopinion.
334. Au demeurant, on touche iciune limitation objectivede la réservetion apply to al1 vessels nevertheless has a negative implication for
Canada's argument based on the effectiveness of the reservation, since
"Canadian vessels" therefore also fa11within the possible scope of the
reservation.
What does this mean? Quite simply that if one day Canada were uni-
laterally to take measures "described" as conservation and management
measures in the NAFO Regulatory Area, but which are in fact measures
favouring Canadian vesselsto the detriment of vesselsbelonging to other
States or certain other States (for example in the allocation of TAC
quotas), any resultant disputes between States would be excluded from
Canada's consent to the jurisdiction to the Court expressed in the 1994
declaration.
332. Canada, on the other hand, remains silent on this possible, by no
means insignificant, effet utile of the words in the reservation "with

respect to vessels fishing". Clearly, interpreting these words literally,
Canadian vessels fishing in the NAFO Regulatory Area would be cov-
ered by the reservation.This conclusion is by no means absurd. For what
the reservation would exclude from the Court's jurisdiction would not be
relations between Canada and Canadian vessels, but relations between
Canada and another State with regard to measures taken or enforced by
Canada in respect of Canadian vessels, which might well discriminate
against vesselsflyingthe flag of another State or run counter to the inter-
est of that State in the fisheries concerned. If, to this, we then add state-
less and flag-of-convenience vessels, it can easily be seen that the exclu-
sion of other vesselsfrom the reservation contained in subparagraph (d)
would in no way deprive the reservation of effectiveness. In fact, this is
the situation which existed before 3 March 1995and which has existed
since early May 1995,Le., the current situation.

(c) The "conservation and management measures" of the reservation
and thefailure to dejîne such measures in the declaration

333. As 1have already mentioned, Canada could have formulated the
reservation contained in subparagraph (d) of its 1994 declaration by
referring quite simply to "measures taken by Canada ...". This wording
would then have covered al1possible and conceivable measures taken by
Canada. Yet Canada, in the exerciseof its sovereignty, did not do so. For
my part, in the context of the interpretation of the reservation,refuse to
enter into the debate as to why Canada did not do so.This is a matter for
Canada's domestic political choices, as is the fact of making a declaration
acceptingthe Court's compulsoryjurisdiction or not making such'a dec-
laration. I cannot accept this kind of subjective approach to interpreta-
tion in the context of the optional clause system. It is the intention
expressed in the declaration which 1interpret in this opinion.

334. Moreover, we are dealing here with an objective limitation of the704 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

voulue expressémentpar 1'Etatdéclarantet qui fait partie du texte de la
réserve. Lesmesures de la réservedoivent êtredes ((mesuresdegestion et
de conservation». Nous ne sommes pas devant des motifs ou mêmeune
intention sous-jacente quelconque, mais bel et bien devant une intention

qui se manifeste dans le libellédu texte. Par ailleurs, ni la réservede
l'alinéad) ni aucune autre partie de la déclaration canadienne ne définis-
sent l'expression ((mesuresde gestion et de conservation)),directement ou
indirectement, ni n'attribuent un sens particulier à cette expression ou à
l'un quelconque des termes la composant.

335. En l'absence d'une définitionparticulière - directe ou indirecte
- donnée par le Canada, l'expression «mesures de gestion et de conser-
vation)) utiliséedans la réservede l'alinéad) ne peut être interprétéqeu'à
la lumièredu droit international général. La qualification, dans le texte

de la réserve,du terme «mesures» par les mots «de gestion et de conser-
vation ))et la non-définitionde l'expressiondans la déclarationelle-même
traduisent l'intention objective de 1'Etatdéclarantde lui attribuer le sens
qu'elle a en droit international, cadrejuridique de référence desdéclara-
tions relevant du systèmede la clause facultative. En outre, l'application
des règlesd'interprétation conduit à la mêmeconclusion car les règles
pertinentes de droit international applicables dans les relations entre les
parties sont un des éléments interprétatifs admis dont il faut tenir compte
«en mêmetemps que du contexte)).
336. De surcroît. le Canada lui-mêmea insistélors des audiences sur le

caractèuegénérique de l'expression ((mesuresde gestion et de conserva-
tion» de la réservede l'alinéad) de sa déclaration en invoquant lajuris-
prudence de l'arrêt surle Plateau continentalde lamer Egée.Ce faisant,
il a reconnu dans le présent incident préliminairele rôle du droit inter-
national dans l'interprétation de l'expression «mesures de gestion et de
conservation» de la réservecar, dans l'affaire de laMer Egée,il est ques-
tion du sens que revêtenten droit international certains termes incor-
porés dans un instrument juridique international. Cet arrêtinterprète
l'expression «statut territorial)) d'après le droit international et l'évolu-
tion que celui-ci a connue.

337. Ainsi, pour apprécier si les mesures adoptées par le Canada
en mars 1995 à l'encontre des navires battant pavillon espagnol étaient
des ((mesures de gestion et de conservation)) au sens de la réserve de
l'alinéad) de la déclaration du Canada du 10mai 1994,il faut se tourner
vers le droit international. Et il faut le faire parce que cela découle dela
déclaration elle-mêmeet des règlesd'interprétation du droit internatio-
nal.

338. L'arrêtlui-mêmereconnaît que la Cour doit interpréter la réserve
de l'alinéad) du paragraphe 2 de la déclaration du Canada en s'enqué-
rant du sens que l'expression «mesures de gestion et de conservation» yreservation, one which was specificallysought by the declarant State and
which forms part of the text of the reservation itself. The measures in the
reservation must be "conseuvation andmanagement measuues". We are
not dealing with the reasons for the reservation or even with some under-

lying intention, but clearly and simply with an intention expressed in the
actual wording of the text. Moreover, there is no definition - direct or
indirect - of the expression "conservation and management measures",
either in the reservation in subparagraph (d) or in any other part of the
Canadian declaration; nor is any particular meaning there given to the
expression, or to any of the words used.
335. In the absence of any specific definition - direct or indirect -
provided by Canada, the expression "conservation and management
measures" used in the reservation in subparagraph (d) can only be inter-
preted in the light of general international law. The qualification in the
text of the reservation of the term "measures" by the words "conserva-
tion and management", together with the failure to define this expression

in the declaration itself, reflects the objective intention of the declarant
State to give this term the meaning it has in international law, the legal
frame of reference for declarations under the optional clause system.
Moreover, the application of the rules of interpretation leads to the same
conclusion, sincethe relevant rules of international law applicable in rela-
tions between the Parties are one of the accepted elements of interpreta-
tion which must be taken into account "together with the context".
336. Furthermore, at the hearings Canada itselfemphasized the generic
chauacteuof the expression "conservation and management measures" in
the reservationin subparagraph (d) of its declaration, invokingthe juris-
prudence of the Aegean Sea Continental Shelfcase. It thus recognized, in

the context of these preliminary proceedings, the role of international law
in the interpretation of the expression "conservation and management
measures" in the reservation, since the point at issue in the Aegean Sea
case was the meaning in international law of certain terms embodied in
an international legal instrument. That Judgment interpreted the expres-
sion "territorial status" in accordance with international law and the evo-
lution it has undergone.
337. Hence, we must look to international law in order to determine
whether the measures taken by Canada in March 1995against vesselsfly-
ing the Spanish flag were "conservation and management measures"
within the meaning of the reservation contained in subparagraph (d) of

the Canadian declaration of 10May 1994.And we are obliged to do this
by virtue of the terms of the declaration itself and of the rules of inter-
pretation of international law.

338. The Judgment itself accepts that the Court must interpret the res-
ervation in subparagraph (d) of paragraph 2 of the Canadian declara-
tion by ascertaining the meaning attaching "in the light of internationalrevêt «à la lumièredu droit international)) (paragraphe 69 de l'arrêt). On
aurait pu croire que l'arrêtfinissait par se mettre au diapason du droit
international, mais ce n'est pas du tout le cas. En effet, dans le para-
graphe suivant, l'arrêt nous dit que «[s]elon le droit international, pour
qu'une mesure puisse êtrequalifiéede((mesurede gestion et de conserva-
tion, iluf$t qu'elleait pour objet de géreret de conserver des ressources
biologiques et réponde à diverses caractéristiquestechniques))(les itali-
ques sont de moi). Pour l'arrêt, l'auteurdes mesures, les zones maritimes

qu'ellesaffectentetlou la manièredont leur exécutionest prévuene sont
pas des éléments de la définition des((mesuresde gestion et de conserva-
tion» en droit international. Ces derniers élémentsn'entreraient en ligne
de compte qu'aux fins d'apprécier lalicéité des mesures dont il s'agit au
regard du droit international (paragraphe 70 de l'arrêt).

339. L'auteur de la présenteopinion est en total désaccord aveccette
conclusion de l'arrêt.Les mesures «de gestion et de conservation))sont
définiesen droit international par rapportà des critèresjuridiques et pas
seulement ou exclusivementselon des critères techniques. L'arrêtaffirme
par contre tardivement que «[l]e droit international qualifie donc les
((mesuresde gestion et de conservation)) par rapport à des critères fac-
tuels et scientifiques))(paragraphe70 de l'arrêt),mais sans apporter la

preuve de lapratique internationale ni de l'opiniojuris des Etats. L'arrêt
confond ici, en fait, le droit international général avecles règlements
d'application de la loi canadienne sur la protection des pêches côtièrst
leurs annexes ou, encore, avec d'autres législations nationales qu'ilmen-
tionne sans les analyser! Nous allons voir ci-dessousque le droit interna-
tional généralcristallisédans la convention sur le droit de la mer de 1982
ainsi que des accords internationaux y relatifs récemmentconclus sont
d'un autre avis, par exemple,l'accord de laFA0 de novembre 1993,inti-
tulé ((Accord visant à favoriser le respect par les navires de pêcheen
haute mer des mesures internationales de conservation et de gestion» et
l'accord desNations Unies du 4 décembre1995dénommé ((Accordaux
fins de l'application des dispositions de la convention des Nations Unies
sur le droit de la mer du 10décembre1982relatives à la conservation et
à la gestion des stocksde poissons dont lesdéplacementss'effectuenttant
à l'intérieur qu'au-delàde zones économiquesexclusives(stocks chevau-

chants) et des stocks de poissons grands migrateurs)). Je suis donc entiè-
rement d'accord avecla critique qui est faite aussi dans d'autres opinions
dissidentes de la conclusion de la majorité surle sens attribuer en droit
international àl'expression((mesuresde gestion et de conservation» des
ressources biologiques de la haute mer. Les référenceque l'arrêt fait ce
propos à l'article 62 de la convention sur le droit de la mer de 1982,à
certains autres accords et conventions et à certains textes de l'Union
européenneetde 170PAN0 ne sauraient êtreacceptéescomme preuvede
la pratique internationale ni comme constatation de l'opiniojuris des
Etats en la matière.law" to the expression "conservation and management measures" as used
in that reservation (paragraph 69 of the Judgment). It might have been
thought that the Judgment was now finally to fa11into line with interna-
tional law, yet this was not atl1the case. For the followingparagraph of
the Judgment states: "According to international law, in order for a
measure to be characterized as a 'conservation and management meas-
ure', it is sufficient that its purpose is to conserve and manage living
resources and that, . . .,it satisfies various technical requirements."
(Emphasis added.) For the Judgment, the authority taking such meas-
ures, the maritime areas affected by them, andlor the way in which they
are to be enforced are not elements belonging to the definition of "con-
servation and management measures" in international law. These latter
elements are taken into consideration only for the purpose of determin-
ing the legality of such measures under international law (paragraph 70
of the Judgment).
339. The author of this opinion disagrees totally with this conclusion

of the Judgment. "Conservation and management" measures are defined
in international law by reference to legalcriteria and not solelyor exclu-
sivelytechnical ones. The Judgment, on the other hand, belatedly asserts:
"International law thus characterizes 'conservation and management
measures'by reference to factual and scientificcriteria" (paragraph 70 of
the Judgment),without howeverproviding evidenceof internationalprac-
tice nor of the opiniojuris of States. Here, the Judgment in effect con-
founds general international law with the implementing regulations and
annexes to Canada's Coastal Fisheries Protection Act, or even with the
domestic legislation of other countries, which it refers to but without any
form of analysis! It will be seen below that both general international
law, as embodied in the 1982 Convention on the Law of the Sea, and
recently concluded international agreementsrelating to this Convention
take a different stand: for example, the FA0 "Agreement to Promote
Compliance with International Conservation and Management Measures
by Fishing Vesselson the High Seas" of November 1993,and the United
Nations "Agreement for the Implementation of the Provisions of the
United Nations Conference on the Law of the Sea of 10December 1982

Relating to the Conservation and Management of StraddlingFish Stocks
and Highly Migratory Fish Stocks" of 4 December 1995. 1 therefore
agree entirely with the criticism in other dissenting opinions of thejor-
ity conclusion as to the meaning in international law of the expression
"conservation and management measures" of the living resources of the
high seas. The referencesin the Judgment to Article 62 of the 1982Con-
vention on the Law of the Sea to certain other agreements and conven-
tions and to certainEuropean Union and NAFO texts cannot be accepted
as evidenceof international practice, nor as a record of theopiniojuris of
States in thismatter.706 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

340. Pour arriver à sa conclusion sur le sens de ladite notion en droit
international - et aussi dans la réservede l'alinéad) de la déclaration
canadienne compte tenu du silence de celle-ci à cet égard-, l'arrêt fait
intervenir une foisencore la questionde laicéitédesmesures(voir lepara-
graphe 70). Mais,il admet que la question de l'existenceet du contenu de
la notion en droit international est une question de définitionquoique,

d'après lui, rechercher si une action déterminée, inclusedans le champ
d'application de la notion, enfreint les prescriptions normatives dudit
ordre juridique, serait toujours une question de licéité. C'estbien sur le
terrain de la définitionde la notion qu'il faut se placer pour interpréter
l'expression considéréedans le présent incident préliminairesur la com-
pétence maisil arrive souvent, comme pour ce qui est de la définition des
((mesuresde gestion et de conservation)) en droit international de la mer,
que la définition dela notion comporte des élémentsou des critèresjuri-
diques et pas seulement techniques, factuels ou scientifiques. Et il arrive

aussi que la question de la licéité puifaire partie de la définitionmême
d'une notion juridique déterminée.Dans des situations de ce genre, la
conclusion dans un incident préliminairepourrait bien être qu'uneobjec-
tion ou exception donnée n'a pas un caractère exclusivement prélimi-
naire. En fait, c'est pour écarter cette possibilité que l'arrêts'efforce
d'exclure de la notion des ((mesures de gestion et de conservation)) tout
critèrejuridique en tant qu'élément relatià l'existence ou au contenu de
la notion, c'est-à-dire de sa définition.

341. Reprenons mes propres considérations sur la question à l'exa-
men. Le recours au droit international pour interpréter l'expression
((mesuresde gestion et de conservation)) se trouve facilité enl'espècepar
le contextede l'expressionmêmedans la réservede l'alinéa d) de la décla-
ration du Canada, car il ressort de celle-ciqu'il s'agit de mesuresde ges-
tion et de conservation adoptées par le Canada pour des navires pêchant
dans la zone de rég"ementation de 1'OPANO et de l'exécution detelles
mesures. Le contexte place ainsi l'interprète dans le cadre d'un domaine
déterminé dudroit international, à savoir celui du droit de la mer et,à

l'intérieurdu droit international de la mer, dans le régimejuridique appli-
cable à une seule zone d'un espace maritime bien déterminé, à savoir la
zone de réglementationde I'OPANO en haute mer.
342. Nous ne sommes pas devant le texte d'une réservequi renvoie à
deux ou à plusieurs espaces maritimes. La réservede l'alinéad) n'exclut
pas, par exemple, de la juridiction obligatoire de la Cour des différends
concernant des mesures de gestion et de conservation adoptées par le
Canada pour sa zone économiqueexclusive.Cela facilite aussi beaucoup
la tâche de l'interprète parce que, contrairement à ce que le Canada et
l'arrêt affirment,les mesures de gestion et de conservation des ressources

biologiques de la mer ne sont pas définiesde la mêmemanièrepour tous
les espaces maritimes reconnus par le droit international. Et pourquoi en FISHERIES JURISDICTION (DISS .P. TORRES BERNARDEZ) 706

340. In reaching its conclusion on the meaning of this concept in inter-
national law - and also in the reservation contained in subpara-
graph (d) of the Canadian declaration, bearing in mind that the latter is
silent on this point - the Judgment once again refers to the question of
the legality ofthemeasures(seeparagraph 70).It accepts,however,that the

question of the existence and the content of the concept in international
law is a question of definition, while at the same time maintaining that
whether a particular action covered by the concept violates the normative
requirements of that legal order remains a question of legality. While it is
indeed the definition of the notion in question that must form the basis
for an interpretation of the expression under consideration in these pre-
liminary proceedings on jurisdiction, it nonetheless often happens - as
with the definition of "conservation and management measures" in the
international law of the sea - that such definition includes legal criteria,
not merely technical, factual or scientificones. And it is also the case that

the notion of legality may form an integral part of the definition of a par-
ticular legal concept. In such circumstances, the Court in preliminary
proceedings might well conclude that a given objection does not possess
an exclusively preliminary character. And it is in fact to eliminate this
possibility that the Judgrnent seeksto exclude any legal criterion from the
elements relating to the existence or content of the notion of "conserva-
tion and management measures", that is to say, from its definition.

341. Let me recapitulate my own views on this issue. Recourse to
international law to interpret the expression "conservation and manage-
ment measures" is encouraged in this case by the context of that expres-
sion in the reservation contained in subparagraph (d) of the Canadian
declaration, which tellsus that we are dealing here with conservation and
management measures taken by Canada against vessels fishing in the
NAFO Regulatory Area, together with the enforcement of such meas-
ures. The context thus places the interpreter within a specific field of
international law, namely the law of the sea, and, within that field, in the

legal régimeapplicable to a single, precisely defined maritime space,
namely the NAFO Regulatory Area of the high seas.

342. We are not dealing with a reservation which refers to two or more
maritime areas. For example, the reservation contained in subpara-
graph (d) does not exclude from the Court's compulsory jurisdiction
disputes concerning conservation and management measures taken by
Canada within its exclusive economic zone. This, too, greatly facilitates
the interpreter's task, since, contrary to what is claimed by Canada

and by the Judgment, conservation and management measures affecting
the living resources of the sea are not defined in the same way in al1
the maritime areas recognized by international law. And why is this so?707 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS. TORRES BERNARDEZ)

est-il ainsi? Parce que le droit international tient compteà cet égarddu
régimejuridique général de l'espacemaritime en cause, de l'auteur des
mesures en question et de la nature des mesures adoptées.
343. Certes, il y a des mesures de gestion et de conservation en haute
mer, mais elles ne se définissentpas de manière similaire à celles, par
exemple, applicables dans la zone économique exclusive d'un Etat. La
gestion et la conservation des ressources biologiques sont un objectif du
droit de la mer, une valeur sociale, protégéepar l'ordre juridique inter-

national, qui s'applique aux différents espaces maritimes reconnus, mais
les ((mesuresde gestion et de conservation))n'ont ni la même existenceni
le mêmecontenu dans tous ces espaces du fait précisément des différences
existant entre leurs régimesjuridiques respectifs. Une mesure qui en droit
international est une mesure de gestion et de conservation dans une zone
économique exclusive peut très bien ne point êtreune telle mesure en
haute mer. L'arrêtnégligece qui pour moi est si évident, tombe sous le
sens, sans aucune démonstration véritable de la pratique internationale
des Etats et de leuropiniojuris.
344. Le droit international - comme les ordres juridiques internes
d'ailleurs- est un systèmecohérent.Par exemple, si un agent canadien
adopte une mesure non prévueparmi les mesures que le droit canadien

reconnaît comme étant des mesures de gestion ou de conservaBon, la
mesure en question peut-elle êtrequalifiéede mesure de gestion et de
conservation dans ledit ordrejuridique? Le Canada a affirméle contraire
dans le présent incident.Par exemple, lorsqu'il a répondu aux arguments
sur l'application extraterritoriale de son code criminel ou sur l'usagede la
force. Les choses se passent mutatis mutandis de la mêmemanière en
droit international. Celui-ciprend en considérationl'auteur de la mesure,
l'espacemaritime en cause, l'objet et la nature de la mesure et la manière
de l'exécuterau niveau de sa définition des((mesures de gestion et de
conservation)) des ressources biologiques de la mer.
345. Voyonsencore d'autres exemplesen guised'illustration. Lorsqu'un

agent de la paix d'un Etat déterminéet un terroriste privent une personne
de sa liberté,est-ce que la qualité ou condition de l'auteur de la mesure
n'intervient pas et peut-on toujours parler de ((mesurede police))?Et lors-
que ledit agent de la paix poursuit et arrêteun malfaiteur sur le territoire
d'un Etat voisin, ces actes sont-ils toujours une mesure rentrant dans la
définition dela notion «mesure de police))? Les systèmesjuridiques ne
prennent pas en considérationseulement l'objet factuel ou matériel dela
mesure, voire son but, lorsqu'ils définissentun type déterminé demesures
admises. Ils font aussi intervenir, aux fins d'une telle définition,d'autres
critèresqui, de ce fait, sont autant de critèresjuridiques de la définition
des mesures dont il s'agit. Le droit international fait de même.

346. Considérons maintenant les interprétations respectives que les
Parties ont données à l'expression ((mesures de gestion et de conserva-Because in this regard international law takes into account the general
legal régimegoverning the maritime area concerned, the author of the
measures in question and the nature of the measures adopted.
343. Admittedly,there are conservationand management measures on
the high seas, but they are not defined in the same way as, for example,
those applicable within a State's exclusiveeconomic zone. The conserva-
tion and management of living resources is one of the aims of the law of
the sea, a social value, protected by the international legal order and
applicable to the various recognized maritime areas, but "conservation
and management measures" have neither the same nature nor the same

content in al1of these areas, precisely because of the differences in the
latter's respective legal régimes.A measure which international law con-
siders to be a conservation and managementmeasure within an exclusive
economic zone may well not be one on the high seas. The Judgrnent dis-
regards what to me is clear and self-evident,without producing any real
evidence of the international practice of States and of their opinio juris.

344. International law - like municipal legal systems - is a coherent
system. For example, were a Canadian agency to take a measurenot rec-
ognized under Canadian law as a conservation and management meas-
ure, could that measure be described as a conservation and management
measure within that legal system? In these proceedings, Canada says not,
for examplein its response to the arguments on the extraterritorial appli-
cation of itscriminal code or on the use of force. Mutatis mutandis, the

same appliesin international law. In defining "conservation and manage-
ment measures" affectingthe livingresources of the sea,international law
takes into account the authority responsible for the measure, the mari-
time area concerned, the purpose and nature of the measure and the
manner in which it is enforced.

345. Let us take a fewmore examplesto illustratethe matter. When an
individual is deprived of his liberty by a police officerof a given State or
by a terrorist,does not the capacity or status of the author of that meas-
ure have some role to play, and can this always be described as a "police
measure"? And when the said police officer pursues and arrests an
offender in the territory of a neighbouring State, do such acts still fa11
within definition of a "police measure"? In defining a particular type of
accepted measure, legal systems take into account not merely its factual

or material object, or even its purpose. They also rely for their definition
on other criteria, which are thus equally relevantfor purposes of the legal
definition of the measures concerned. International law does the same.

346. Let us now examine the Parties' respective interpretations of the
expression "conservation and management measures" in the Canadiantion» dans la réservede l'alinéad) du Canada, en commençant par celle
du demandeur. L'Espagne affirmetout d'abord quela gestion etlaconser-
vation de ressources neconcernent pas l'objetdu différend qu'ellea soumis
à la Cour, àsavoir le titre internationaldu Canada pour exercer sajuridic-
tion en haute mer à l'égard des naviresespagnols et de leurs équipages.
Pour l'Espagne, la prétention d'unEtat côtier àl'exerciceunilatéral d'une
compétencesur les espaces maritimes internationaux de la haute mer ou
sur des navires étrangers se trouvant dans lesdits espaces ne saurait se
cacher derrière l'alibi de la gestion et de la conservation des ressources.
Or, la réservede l'alinéa) de la déclarationcanadienneparle de ((mesures
de gestion et de conservation pour les navires pêchant»et non pas de la
juridiction ou des droits du Canada en haute mer vis-à-visd'autres Etats

ou des navires battant pavillon d'autres Etats se trouvant en haute mer.
347. Pour l'Espagne, derrière la législationcanadienne sur la protec-
tion des pêchescôtièresse cacherait la prétention du Canada de vouloir
étendresa souverainetésurdes espaces internationaux de la haute mer au
détrimentdes droits des autres Etats souverainsdans ces espaces, en pro-
cédantmêmepour ce faire à une application extraterritoriale de sa légis-
lation pénaleet en autorisant l'usage de la force.
348. D'après l'Espagne,le régimejuridique de la haute mer fait qu'il
est impossible que le Canada soit en possession d'un titre international
l'autorisantà exercer sajuridiction sur des navires espagnols se trouvant
en haute mer. Un tel titre ne découleraitpas du droit général dela mer ni
non plus de la convention de I'OPANO de 1978et il n'existepas d'accord
bilatéral entre l'Espagne et le Canada permettant de tels agissements
canadiens à l'encontre de navires espagnols dans les eaux internationales.

Certes, le Canada invoque sa législationnationale mais celle-cin'est pas
opposableaux autres Etats, y comprisl'Espagne, car ellen'estpas fondée
sur un titre de droit international.
349. L'Espagne souligneaussi que,d'après sontexte, la réservede l'ali-
néa d) n'exclut de lajuridiction obligatoire de la Cour qu'une seule caté-
gorie demesures: les ((mesuresde gestion et de conservation)).L'Espagne
n'admet pas pourtant que cette expression puisse être interprétéceomme
englobantd'autres faits, licites ou illicites,ou d'autres catégoriespossibles
de mesures telles que, par exemple, cellede ((mesuresd'exécution)).
350. L'Espagne estime aussi qu'ayant été formulées en termes d'une
catégorie objective nondéfinieautrement dansla déclaration(par exemple,
par un renvoi à la législationcanadienne), lesmesures en question doivent
être de véritables ((mesuresde gestion et de conservation))n droit inter-

national pour pouvoir entrer dans le champ d'application de la réserve de
l'alinéad). A l'égarddu droit international et de la pratique internatio-
nale, d'après l'Espagne,les différentes mesuresadoptées etexécutées par
le Canada en l'espècen'étaient pasau regard de ce droit et de cette pra-
tique de véritables ((mesures de gestion et de conservation». Elles ne
seraient pas en conséquence couvertespar la réservede l'alinéa d). Elles
ne seraient que des simples comportements defait, voire desfaits illicites
internationaux.reservation in subparagraph (d), beginning with that of the Applicant. In
the first place Spain contends that the conservation and management of
resources is not a matter relevant to the subject of the dispute which it
has brought before the Court, namely Canada's international title to
exerciseitsjurisdiction on the high seas against Spanish vesselsand their
crews. In Spain's view a claim by a coastal State unilaterally to exercise
jurisdiction over the highseas, an international maritime space, or against
foreign vessels on the high seas, cannot shelter behind the pretext of the
conservation and management of resources. The reservation in subpara-
graph (d) of the Canadian declaration refers to "conservation and man-
agement measures with respect to vessels fishing" and not to Canada's
jurisdiction or rights on the highseas against other States or against ves-
sels flying other flags on the high seas.
347. For Spain, the Canadian coastal fisheries protection legislation is
a cover for a claim to extend its sovereignty over the international space
of the high seas, to the detriment of the rights of other sovereign States,

even to the extent of enforcingits criminal law outside its territory and
authorizing the use of force.

348. For Spain, the legal régimeof the high seas precludes the posses-
sion by Canada of an international title allowing it to exercisejurisdiction
against Spanish vesselson the high seas. No such title can derive from the
general law of the sea or from the 1978NAFO Convention, and there is
no bilateral agreement between Spain and Canada allowing such Cana-
dian activities against Spanish vessels in international waters. True,
Canada relies on its national legislation, but this is not opposable to
other States,includingSpain, sinceit is not based on a title valid in inter-
national law.

349. Spain also points out that the text of the reservation in subpara-
graph (d) excludesthe compulsoryjurisdiction of the Court in respect of
a single category of measures: "conservation and management meas-
ures". However, Spain does not accept that this expression may be taken
to include other acts lawful or unlawful, or other possible categories of

measures, for example "enforcement measures".
350. Spain also considers that, being formulated in terms of an objec-
tive category not otherwise defined in the declaration (for example by ref-
erence to Canadian legislation), the measuresconcernedmust be genuine
"conservation and management measures" in international law in order
to fa11within the scope of the reservation in subparagraph (d). From the
standpoint of international law and international practice, in Spain's
view the various measures taken and enforced by Canada in this case
were not true "conservation and management measures". Consequently
they are not covered by the reservation in subparagraph (d). They
merely constitute acts, indeed internationally unlawful acts. 351. La loi modifiéesur la protection des pêchescôtièresdu Canada,
avec la prétention qu'elle comporte d'exercer la juridiction canadienne
sur des navires étrangersen haute mer, l'extension du droit pénal cana-
dien aux équipages des naviresétrangersen haute mer et l'autorisation
d'utiliserla force contre ceséquipagesetnavires, ne saurait êtrequalifiée
de «mesure de gestion et de conservation))dans le droit international de
la haute mer. Mêmel'article 73de la convention sur le droit de la mer de
1982relatif à la mise en application des lois et règlements de1'Etatcôtier
dans sa zone économiqueexclusive n'envisagepas l'application du droit
pénal contre les navires étrangers et leur équipagesse trouvant dans
ladite zone.
352. De l'emploi de l'expression «mesures de gestion et de conserva-
tion» dans le texte de la réservede l'alinéa d) du paragraphe 2 de la

déclaration canadienne, l'Espagne tire deux conclusions principales, à
savoir: a) que l'effet utile de la réserveest plus limitéque ne l'affirmele
Canada; et b) que la réserven'estpas susceptible d'applicationau diffé-
rend qu'elle a soumis à la Cour à la suite des événements de mars 1995.
Si l'intention du Canada avait été en1994 cellequ'il affirmeêtre dansle
présent incident préliminaire, le Canada aurait alors, selon l'Espagne,
commis une incohérenceou une erreur dans la rédaction de la réserve,
car celle-ci n'est pas objectivement susceptible d'application des évé-
nements comme ceux qui ont eu lieu en marslavril 1995. La réserve
n'était passusceptible de s'appliquerà ces événementsS . on propre texte
l'empêcherait.A cet égard, des conseils de l'Espagne ont qualifiéla
réservede bancale. Il appartient au Canada d'assumer maintenant les
conséquencesde son fait de 1994lorsqu'il a rédigéet déposé sadéclara-

tion.Il n'appartient pas aux autres Etats déclarants,comme l'Espagne,
d'assumer les conséquences dece qui ne serait que le résultat duseul fait
du Canada.
353. En ce qui concerne l'insistance du Canada sur le contenu ou
l'objet factuel des mesures comme critèreprivilégiépour l'interprétation
de l'expression«mesuresde gestion et de conservation», l'Espagne a sou-
lignéque cette prise de position canadienne méconnaissait le principe
d'intégrité dans l'interprétation de la déclaration, l'instrument objedte
l'interprétation étant la déclaration et non pas seulement la réservede
l'alinéad). En d'autres termes, l'interprétationde cette réservene devrait
pas se faire sans tenir compte de la déclaration dans son ensemble, des
propos tenus en 1994par les ministres responsables lors des débats par-
lementaires sur le projet de loi C-29 (navires dits «pirates») et de l'objet

du différend soumis à la Cour par l'Espagne («titre» du Canada).
354. Finalement, pour l'Espagne, les catégoriesjuridiques ne peuvent
pas être arbitraireset leur capacitéévolutive éventuellene doit pas être
confondue avec la volatilitédu sens et de la portéedes termes employés.
Les termes, y compris les génériquess,'adaptent aux circonstances, mais
ils ne sauraient dénaturer les catégoriesjuridiques dont il s'agit. Ainsi,le
caractère générique éventued le ladite expression dans la réservedont
excipe le Canada ne saurait convertir celle-ci enun véritabletrou noir, 351. Canada's amended Coastal Fisheries Protection Act, with its
claim that Canadian jurisdiction may be exercised against foreign vessels
on the high seas, the extension of Canadian criminal law to the crews of
foreign vesselson the high seas, and the authorization of the use of force
against such crews and vessels cannot be described as a "conservation
and management measure" in the international law of the high seas. Even
Article 73 of the 1982Convention on the Law of the Sea, concerningthe
enforcement of the laws and regulations of the coastal State in its exclu-
sive economic zone, does not envisage the enforcement of criminal law
against foreign vesselsand their crews in that zone.

352. Spain draws two main conclusionsfrom the use of the expression
"conservation and management measures" in the text of the reservation

in subparagraph2 (d) of the Canadian declaration: (a) the effet utile of
the reservation ismore limited than Canada claims; (b) the reservationis
not capable of being applied to the dispute which Spain has brought
before the Court as a result of the events of March 1995.Had Canada's
intention in 1994 been as it claimed in these preliminary proceedings,
then, in Spain's view, Canada would have been inconsistent or mistaken
in the wording of its reservation, since, on an objective view, the reserva-
tion cannot apply to events such as those of MarchIApril 1995.The res-
ervation was not capable of being applied to those events. Its own text
would prevent this. Counsel for Spain described the reservation as lame.
Canada must now take responsibility for the consequences of its actions
in 1994,when it drafted and deposited its declaration. It is not for other
declarant States, such as Spain, to bear the brunt of consequences result-
ing from action by Canada alone.

353. As to Canada's insistence on the content or factual object of the
measuresas the decisivecriterion for interpreting the expression "conser-

vation and management measures", Spainhas pointed out that the Cana-
dian position ignored the principle of integrality in the interpretation of
the declaration, since the instrument which was the subject of the inter-
pretation was the declaration and not merely the reservation in subpara-
graph (d). In other words, the reservation cannot be interpreted without
regard for the declaration as a whole, for the statements in 1994by the
relevant Ministers during the parliamentary debates on Bill C-29 (refer-
ences to so-called "pirate" vessels), and to the subject of the dispute
brought before the Court by Spain (Canada's "title").
354. Lastly, for Spain, legal categories cannot be arbitrary, and any
capacity for evolution which they may possess must not be confused with
volatility in regard to the meaning and scope of the terms employed.
Terms, including generic terms, adapt themselves to circumstances, but
they cannot change the nature of the legal categories concerned. Thus
any generic character claimed by Canada for the expression in the reser-
vation cannot turn that reservation into a black hole, al1the more so in710 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS.TORRES BERNARDEZ)

d'autant plus que les mesures adoptées par le Canada en mars 1995
n'étaientmêmepas des ((mesures de gestion et de conservation))dans le
cadre de la convention de I'OPANO.

355. Partant de l'affirmation selon laquelle le mot «mesures» est un
terme large qui embrasse toutes sortes d'actions, y compris législatives,
visant àatteindre une fin ou un but, le Canada a affirméle caractèrelarge
et englobant des mots «de gestion et de conservation))dans la réservede
l'alinéad). Ces mots n'emporteraient aucune restriction particulière si ce

n'est que la mesure doit bien évidemmentviser les ressources halieutiques
et leur exploitationrationnelle. Les termes qualificatifs ((gestionet conser-
vation)) recouvreraient toutes les mesures prises par 1'Etat canadien
(législatives,réglementaires,administratives)relativement aux ressources
biologiques de la mer (protection des ressources, conservation propre-
ment dite, gestion des pêches).
356. Cette conception large des ((mesuresde gestion et de conserva-
tion» de la réservede l'alinéa d) conduit en fait le Canada à assimiler
jusqu'à un certain point ces mesuresà des mesures pour ou concernant la
gestion et la conservation. Une mesure serait, pour le Canada, une
mesure de gestion et de conservation sielleest conçue dans le but de gérer
et de conserver des pêcheriesou si, de par son contenu ou son objet, on
pourrait conclure qu'elleconcerne la gestion et la conservation despêche-
ries. Les mesures adoptéespar le Canada n'auraient rien d'inhabituel en

matière de gestion et de conservation des pêcherieset elles se retrouve-
raient dans les accords internationaux et dans des législationsnationales
sur la pêchede sorte qu'elles seraient des ((mesures de gestio . et de
conservation» aux fins de la réservede l'alinéad). En tout étatde cause,
contenu et objet factuels et but recherchéseraient les élémentsà retenir
pour définirles ((mesures de gestion et de conservation))de la réserve.

Le Canada a quand mêmeadmis que l'expression ((mesuresde gestion
et de conservation» de la réserverenvoie à une catégoriegénériquede
mesures qui serait d'ailleurs ouverte des évolutionsfutures, après avoir
reproché à l'Espagne de limiterla portéede l'expressionà ce qui a étéfait
à cet égardpar le passé.Et il a aussi parléde la ((nature)) des mesures en
question.
357. Le Canada soutient aussi que l'expression((mesuresde gestion et

de conservation)) de la réservede l'alinéad) englobe tant les mesures
conformesque celles contraires au droit internationalcar - dit-i- une
mesure est une mesure qu'elle soit licite ou non (voir, par exemple,
CR98112, p. 11-14, 16). Si elle concerne la gestion et la conservation, la
mesure, mêmesi elleest illicite, serait une mesure de gestion et de conser-
vation, car le libelléde la réservene parle pas de mesures autoriséesou de
mesures internationalement licites ou, encore, de mesures prises en vertu
d'un titre valable (ily a ici une tentative de renversement de la règlethat the measures taken by Canada in March 1995were not even "con-
servation and management measures" under the NAFO Convention.

355. On the basis that the word "measures" is a broad term encom-
passing al1kinds of acts, including legislative acts done with a specific
aim or purpose in view, Canada has claimed a broad, all-encompassing
meaning for the words "conservation and management" in the reserva-

tion contained in subparagraph (d). It is said that these words are not
subject to any particular restriction, except that the measures must clearly
concern fisheriesresources and their rational exploitation. The qualifying
terms "conservation and management" are said to cover al1 measures
taken by the Canadian State (whether legislative, regulatory or adminis-
trative) in respect ofthe livingresources of the sea(protection of resources,
conservation properly so-called, management of fisheries).
356. This broad conception of the expression "conservation and man-
agement measures" in the reservation in subparagraph (d) leads Canada
in practice to equate such measures to some extent with measures for or
concevningconservation and management. For Canada, a measure is a
conservation and managementmeasure if it has been devisedfor the pur-
pose of conserving and managing fisheries, or if it might be concluded
that, by reason of its content or object, the measure concerns the conser-

vation and management of fisheries. The measures taken by Canada are
said to be not at al1unusual in the conservation and management of fish-
eries and to be found both in international agreements and in national
legislation on fisheries,making them "conservation and management
measures" for the purposes of the reservation in subparagraph (d). It is
claimed that, in effect, it is the factual content and subject, and the aim
pursued, that are the elements to be taken into consideration in defining
the "conservation and management measures" of the reservation.
Canada has, however, accepted that the expression "conservation and
management measures" in the reservation refers to a generic category of
measures, one moreover which might be subject to future change, after
criticizing Spain for restricting the scope of the expression to what was
done in the past. Canada also spoke of the "nature" of the measures con-
cerned.

357. Canada also contends that the expression "conservation and
management measures" in the reservation in subparagraph (d) encom-
passes both measures which are in conformity with international law and
those which are contrary to it, since - so it claims - a measure is a
measure whether it be lawful or not (see, for example, CR98112, pp. 11-
14, 16).A measure, even if it is unlawful, is a conservation and manage-
ment measure if it concerns conservation and management, for the res-
ervation does not speak of authorized measures or internationally lawful
measures or even of measures taken pursuant to a valid title (there is and'interprétation concernant la présomption de régularité des actes juri-
diques en cas de silencede l'instrument objet de l'interprétationdont j'ai
déjà parlédans la présente opinion).Quoi qu'ilen soit, d'aprèsleCanada,
la thèse espagnole selon laquelleles mesures ne sauraient, en l'absencede
titre, êtreconsidérées comme des ((mesures de gestion et de conserva-
tion» serait contredite par le libelléde la réserve canadienne.
358. L'existenceou l'absencede titre et la licéou l'illicéité des mesures

adoptéesne permettraient nullement, d'aprèsle Canada, de répondre à la
question de savoir si la réserve estapplicable en l'espèce,car il s'agitlà
d'une question sur laquellela Cour aurait àseprononcer au stade du fond.
Faire passer le fond avant la compétenceserait une absurdité selon le
Canada. Cet argument canadien ne répond qu'en partie à la thèse espa-
gnole,car cettedernièrene sefonde pas seulementsur I'illicéitédesmesures
adoptéespar le Canada mais aussi sur leur inexistenceen tant que «me-
sures de gestion et de conservation))dans le droit international de la haute
mer.

359. C'est l'évidence mêmq eue le Canada a cherché,dans les thèses
et arguments qu'il a développéssur la définitionde l'expressionici consi-
dérée, à surmonter l'obstacle considérableque représentait pour lui -
étant donnéle libelléde la réserve - le régimejuridique de la haute mer.
C'estpour cela que lesconseilsdu Canada se sont trouvés dansla nécessité
de souligner maintes fois que, ce qui compte, c'est le contenu ou l'objet
factuel des mesures plutôt que les régimesou les catégories juridiques.
On peut lire, par exemple, dans les comptes rendus des audiences que les
mesures adoptéeset exécutées en 1995 à l'encontre des navires espagnols
étaientdesmesures de gestion et de conservation parfaitement ordinaires à
ceciprès qu'elles ont étéappliquées dans une zone de la haute mer ou,

encore, que la seule chosequi les distinguent est le lieu où le Canada les a
appliquées. Il y a donc quelque chose qui distingue lesdites mesures de
1995 des mesures de gestion et de conservation ordinaires et cela, le
Canada l'admet tout de même,quoique bien discrètement.
360. Ayant admis l'inévitable,le Canada a fait de son mieux pour
minimiser les effets de cette reconnaissance dans l'interprétation de
l'expression ((mesuresde gestion et de conservation» dans la réservede
l'alinéad). C'est alors qu'il accusera l'Espagne de confondre ce qui est
essentielet ce qui est accessoire. La zone géographiqueou le lieu de leur
application, voire l'auteur de la mesure, ne relèveraitpas de l'essencedes
mesures de gestion et de conservation. Ce seraient donc des éléments

accessoires. L'arrêt suità la lettre cette thèse canadienne (voir le para-
graphe 338 de la présente opinion). La distinction entre «notion» et
((essencedela notion »(ou ((caractéristiquesessentiellesde la notion »)de
la majorité estempruntée auxplaidoiries canadiennes et non pas au droit
international. FISHERIES JURISDICTION (DISS .P. TORRES BERNARDEZ) 711

attempt here to overturn the rule of interpretation that legal instruments
are presumed to be lawfulif nothing is said in the instrument under inter-
pretation, a rule 1have alreadymentioned in this opinion). Thus, accord-

ing to Canada, Spain's contention that the measures cannot be consid-
ered to be "conservation and management measures" in the absence of a
titleis contradicted by the wording of the Canadian reservation.
358. In Canada's view,the existenceor lack of title, and the legality or
illegality of the measures taken, provide no answer to the question
whether the reservation is applicable in this case,since this is a question
for the Court to deal with at the merits stage. According to Canada,
it would be absurd to deal with the merits before jurisdiction. This
argument by Canada is only a partial response to the Spanish thesis,
since this is based not only on the illegality of the measures taken by
Canada but also on the contention that, in terms of the international
law of the high seas, they cannot exist as "conservation and management

measures".

359. It is quite clear that, in its arguments on the definition of the
expression, Canada sought to overcome the considerableobstacle repre-
sented - in viewof the wording of the reservation - by the legal régime
applicableto the high seas. It was for this reason that counselfor Canada
found themselves obliged to repeat again and again that it was the con-
tent or the factual object of the measures which was important rather
than legal régimesor categories. In the verbatim records of the hearings,
for example, we read that the measures taken and enforced in 1995

against Spanish vessels were quite ordinary conservation and manage-
ment measures except for the fact that they were applied on the high seas
or, further, that the only thing that made them diffeerentis where Canada
applied them. Hence there is an element which distinguishes the said
measures of 1995from ordinary conservation and management meas-
ures, and Canada does accept this, albeit discreetly.

360. Having accepted the inevitable, Canada did its best to minimize
the effects of this admission as regards the interpretation of the expres-
sion "conservation and management measures" in the reservation in sub-
paragraph (d). It was at this point that it accused Spain of confusing
what was essential and what was merely incidental. The geographical

area or the place of enforcement, even the authority responsible for the
measure, were said not to appertain to the essence of conservation and
management measures. They were thus mere incidental elements. The
Judgrnentfollowsthis Canadian argumentalmost word forword (seepara-
graph 338of this opinion). The distinctionmade by the majority between
the "concept" and the "essence of the concept" (or the "[essential]char-
acteristics of the concept") has been lifted from Canada's oral arguments
and not from international law.712 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

361. Pour le Canada, le régimejuridique de l'espace maritime où les
mesures s'appliquent, ou qui les adopte ou à qui elles s'appliquent dans
un tel espace ou comment elless'exécutent,seraient des éléments sansim-
portance pour la définitiondes ((mesuresde gestion et de conservation))

de la réserve.Il faut tout simplement lire la convention sur le droit de la
mer de 1982 (ou les accords mentionnés ci-dessus) pour se convaincre
du contraire. Mais, pour le Canada comme pour l'arrêt,les critèresjuri-
diques n'entreraient pas en ligne de compte pour l'interprétation et l'ap-
plication de la réserve del'alinéa). Aux dires des conseils canadiens, ils
ne seraient pas des ((éléments suffisamment objectifs» !Que les mesures
s'appliquent à l'intérieur oà l'extérieur des 200milles serait donc dénué
d'importance, d'après le Canada et l'arrêt, auxfins de l'interprétation
de l'expression ((mesuresde gestion et de conservation)) de la réserve.

362. Or, il faut dire que la réservede l'alinéad) de la déclaration cana-

dienne ne définit pas du tout l'expression ((mesures de gestion et de
conservation)) en fonction du contenu ou de l'objet factuel des mesures
adoptées ou exécutées par le Canada. Ces mots ne figurent que dans des
arguments avancéspar le Canada dans le présent incident préliminaire.
Le Canada qualifie en effet la loi modifiéeet sesrèglementsd'application
de mesures de gestion et de conservation en invoquant à cet égardleur
contenu ou objet factuelet leur but. Mais ces termes ne font pas partie du
texte de la réserve insérédeans la déclaration et ne se dégagentpas non
plus des moyens complémentairesd'interprétation dela déclaration sou-
mis àla Cour par les Parties. Je n'ai trouvédans les comptesrendus par-
lementairesrelatifs au projet de loi C-29 aucune définitionpar les respon-

sables canadiens de l'expression «mesures de gestion et de conservation))
de la réserve del'alinéad). Le Canada a reconnu que la loi modifiéesur
la protection des pêchescôtièresprévoitdes sanctions en cas d'infractions
et qu'elle contient des dispositions consacrées à l'application du droit
pénalcanadien dans la zone de réglementation de I'OPANO, quoique
strictement limitées,dit-il, aux cas où les infractions sont commises au
cours de l'application de la loi. Ainsi, directement làél'application des
mesures de gestion et de conservation adoptées par le Canada, les dispo-
sitions en question seraient alors couvertes par la réserve.

363. Les arguments initiaux canadiens concernant la définition des

mesures de la réservede l'alinéad) évoluerontau cours de la phase orale.
A l'audience, les conseils du Canada chercheront des termes de référence
plus objectifs pour démontrer que les mesures adoptées etexécutées par
le Canada en mars 1995 à l'encontre des navires espagnolsdans la zone
de réglementation de I'OPANO étaientbel et bien des ((mesuresde ges-
tion et de conservation))aux fins de l'interprétation de la réserve. Ainsi,
les différentsalinéasdu paragraphe 4 de l'article 62 de la convention sur
le droit de la mer de 1982ont étémentionnés (l'arrê letfait aussi) comme
preuves du fait que les mesures appliquéesaux navires espagnolsfigurant
dans le tableau V du règlement du 3 mars 1995étaientdes mesures de 361. For Canada, the legal régimegoverning the maritime area in
which the measures apply, the authority taking the measures, those
affected by the measures, or the way in which the measures are enforced
are al1said to be unimportant in definingthe "conservation and manage-
ment measures" referred to in the reservation. Yet one has only to read

the 1982 Convention on the Law of the Sea (or the other agreements
referred toabove) to be convinced othenvise. But for Canada and for the
Judgment, legal criteria are not to be taken into account for purposes of the
interpretation and application of the reservation in subparagraph (d).
Accordingly to counsel for Canada, they are not "sufficiently objec-
tive elements" ! For Canada and for the Judgment, whether the measures
are applied inside or outside the 200-mile limit is accordingly of no
importance, for the purposes of interpreting the expression "conservation
and management measures" in the reservation.
362. However, it has to be said that the reservation in subpara-
graph (d) of the Canadian declaration in no way defines the expression
"conservation and management measures" by reference to the content or
factual object of the measurestaken or enforcedby Canada. Thesenotions
are found only in the arguments put forward by Canada in these prelimi-
nary proceedings. Thus Canada characterizes the amended Act and its

implementingregulations as conservation and managementmeasures, on
the basis of arguments concerning their content or factual object and
theirpurpose. However, these words are not in the text of the reservation
contained in the declaration, nor can they be found in the supplementary
means of interpretation of the declaration submitted by the Parties to the
Court. Nowhere in the records of the parliamentary debates on Bill C-29
could 1find any definition by those responsible of the expression "con-
servation and mananement measures" as used in the reservation in sub-
paragraph (d). canada has admitted that the amended Coastal Fisheries
Protection Act provides penalties for violations of the Act and that it
contains provisionsfor the enforcement of Canadian criminal law within
the NAFO Regulatory Area, although it is claimed that such provisions
are strictly limited to caseswhere offencesare committed in the course of
enforcingthis legislation. Hence, being directly linked to the enforcement
of conservation and management measures taken by Canada, the provi-

sions concerned would accordingly be covered by the reservation.
363. The initial Canadian arguments about the definition of the meas-
ures specifiedin the reservation in subparagraph (d) were to shift their
ground during the oral phase. At the hearings, counsel for Canada
sought more objective terms of reference in order to show that the meas-
ures taken and enforced by Canada in March 1995against Spanish ves-
sels in the NAFO Regulatory Area really were "conservation and man-
agement measures" for purposes of the interpretation of the reservation.
Thus various subparagraphs of Article 62,paragraph 4, of the 1982Con-
vention on the Law of the Sea were mentioned (as also in the Judgrnent)
in support of the contention that the measures taken against the Spanish
vessels- measures set out in Table V of the Regulations of 3 March 713 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

gestion et de conservation.Il s'agit bien entendu d'une disposition rela-
tive à la zone économiqueexclusive et non pas à la haute mer, tout
comme les articles 61 et 73 de cette convention qui ont étéaussi men-
tionnés par les conseils du Canada. Ceux-ci ont égalementindiqué que
l'accord de 1995sur les stocks chevauchants emploie l'expression «me-
sures de conservation et de gestion)), que l'ensemble de cet accord

concernela haute mer et que lesmesures de gestion et de conservation de
I'OPANO s'appliquent dans une zone de la haute mer. Ils oublient cepen-
dant l'essentiel, savoir qu'il s'agit des mesuresappliquéesen zones de la
haute mer, qui sontprévuesdans desaccordsinternationaux conclusentre
les Etats intéressés!On est donc bien loin des mesures adoptées etexé-
cutéespar le Canada en 1995 à l'encontre des navires battant pavillon
espagnol se trouvant en haute mer. La majoritéva s'attacher àparache-
ver ceseffortscanadiens par des recherches supplémentairesqui n'appor-
tent rien de nouveau, mais que l'arrêtprésente commes'il s'agissait de
véritables preuvesde la pratique internationale des Etats et de leurnio
juris pour ce qui est de la définition des ((mesuresdegestion et de conser-

vation )).
364. Finalement, à ces ambiguïtés canadiennes, il faut ajouter celle
relativeà la position du Canada dans la présente instance sur la conven-
tion de I'OPANO de 1978et son système.Or, on est ici devant des enga-
gements conventionnels du Canada applicables à la zone de la haute mer
où les événementsde marslavril 1995 sesont produits. Les conseils du
Canada se sont cependant opposés à ce que l'on définisseles ((mesuresde
gestion et de conservation))de la réservede l'alinéad) par rapport à la
convention de l'OPAN0, malgréles références à I'OPANO et aux me-
sures adoptées par celle-ci dans la loi modifiéesur la protection des
pêchescôtièresdu Canada. Est-ce que ces dispositions ne font pas par-

tie de l'intégritéde la loi que la réserveétaitcenséeprotéger d'aprèsle
ministre Ouellet?

365. Quels sont le sens et la portéede l'expression((mesuresde gestion
et de conservation))dans le droit international en vigueur concernant la
haute mer? Pour répondre à la question, il faut se tourner vers certains
principes du nouvel ordre juridique de la mer que les Etats se sont donnés
à partir de la troisième conférence desNations Unies sur le droit de la
mer et de la conclusionde la convention des Nations Unies sur ledroit de

la mer du 10décembre1982.C'estdans cetteconvention que lestout der-
niers principes généraux concernant lagestion et la conservation des res-
sources biologiques de la haute mer se sont cristallisés.
366. La jurisprudence de la Cour a confirmé à plusieurs reprises, et
dans des contextes différents, que d'une manièregénéralela convention
de 1982 reflètela pratique des Etats dans les relations internationales
contemporaines relatives au droit de la mer, ainsi que leurpiniojuris à
cet égard.Il faut ajouter que la déclaration du Canada fut déposéele FISHERIES JURISDICTION (DISSO. P.TORRES BERNARDEZ) 713

1995 - were conservation and management measures. This provision
relates of course to the exclusiveeconomic zone and not to the high seas,
as do Articles 61 and 73 of the Convention, which counsel for Canada

also mentioned. They further pointed out that the 1995Agreement on
Straddling Stocks uses the expression "conservation and management
measures", that the entire Agreement concerns the high seas and that the
NAFO conservation and management measures apply in an area of the
high seas. But they overlooked the essential point, namely that these are
measures applied in areas of the high seas pursuant to international
agreements concluded between the States concerned! This is a far cry
from the measures taken and enforced by Canada in 1995against vessels
on the high seas flying the Spanish flag. The majority set themselves to
putting the finishing touches to Canada's endeavours by means of addi-
tional research which produced nothing new, but which the Judgment
presents as though it were genuine evidence of the international practice
of Statesand their opiniojurisin regard to the definition of "conservation
and management measures".

364. Finally,1should mention one further Canadian ambiguity of this

kind, which relates to Canada's position in the present proceedings as
regards the 1978NAFO Convention and its régime.Here we have treaty
commitments by Canada applicable to the area of the high seas in which
the MarchJApril 1995events took place. Yet counsel for Canada never-
theless objected to the "conservation and management measures" of the
reservation in subparagraph (d) being definedby reference to the NAFO
Convention, despite the referencesin the amended Coastal Fisheries Pro-
tection Act to NAFO and to the measures adopted by that body. 1sit
that these provisions do not form part of the integrity of the legislation
which, according to Mr. Ouellet, the reservation was designedto protect?

365. What are the meaning and the scope of the expression "conserva-

tion and management measures" in today's international law of the high
seas? To answer this question, we must turn to certain principles of the
new legal order of the sea which States themselves created at the Third
United Nations Conference on the Law of the Sea, by signingthe United
Nations Convention on the Law of the Sea of 10 December 1982.It is
this Convention which gave forma1expression to the most recent general
principles of conservation and management of the living resources of the
high seas.
366. The Court's case-law has conhed on a number of occasions
and in varying contexts that the 1982Convention reflects in general the
practice of States in present-day international relations concerning the
law of the sea, as well as their opinio juris in this respect. Moreover,
Canada's declaration was deposited on 10 May 1994,that is, approxi- 714 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

10 mai 1994, c'est-à-dire environ douze ans après la conclusion de la
convention sur le droit de la mer et que le Canada fut un des Etats les
plus actifs au sein de la troisième conférence.Il convient aussi de rappeler

que le Canada a une zone économiqueexclusivede 200 milles et possède
d'autres droits en tantu'Etat côtier en vertu du nouvel ordre juridique
de la mer quel'Espagne et d'autres Etats ont accepté.Au cours de la pré-
sente procédure incidente, tant l'Espagne que le Canada ont cité des dis-
positions de la convention sur le droit de la mer de 198àl'appui de leurs
thèses respectives sur l'interprétation de la réserve de l'alinéa de la
déclarationdu Canada.
367. Aujourd'hui commehier, le droit international proclamela liberté
de la haute mer et prévoit qu'aucun Etat ne peut légitimementprétendre
soumettre une partie quelconque de la haute mer à sa souveraineté.Cette
liberté de la haute mer comvorte vour les Etats une sériede droits et

notamment la liberté de naviiationLet la liberté depêche.La liberté de la
haute mer s'exercedans les conditions prévuespar les dispositions de la
convention de 1982et les autres règlesdu droit international, c'est-à-dire
qu'ellene s'exercepas dans lesconditions prévuespar la législationnatio-
nale d'un Etat, quel qu'il soit. En outre, chaque Etat doit exercer les
libertés que comporte pour lui la liberté de la haute mer en tenant
dûment compte de l'intérêt qup erésentel'exercicede cettelibertépour les
autres Etats (articles 87 et 89 de la convention de 1982).
368. Conscient de la nécessitéde protéger tous les droits et intérêtsen
cause dans tous les différentsespaces maritimes reconnus, le droit inter-
national exige mêmeque les ((lois et règlements de I'Etat côtier)) en
matière de conservation applicables à sa propre zone économiqueexclu-

sive soientcompatibles avec la convention sur le droit de la mer de 1982
(art. 62, par. 4). On voit ainsique la nature des «mesuresde gestion et de
conservation» n'est indifférente,tant s'en faut, nà l'auteur des mesures
en question ni au régime général de l'espace maritime où elles sont
censéesêtre appliquéesA . ffirmer le contraire, comme le fait l'arrêt,ne me
semblepas conforme au droit de la mer. En outre, le sens dit «technique»
ou «factuel» que l'arrêtattribue aux mesures de la réservede l'alinéad)
ne peut êtredégagé par interprétation du texte de la réserve.Pour arriver
à une telle conclusion, il faut que l'interprète ajoute au texte des qualifi-
cations qui n'y figurent point et il faudrait aussà,mon avis, écarterle
droit international dans l'interprétation de la réserve.
369. Tout Etat a le droit de faire naviguer en haute mer des navires

battant son pavillon. Ces dernierspossèdent la nationalité de1'Etatdont
ils sont autorisésà battre le pavillon. Il doit exister un lien substantiel
entre 1'Etatet le navire, mais chaque Etat fixeles conditions auxquelles il
soumet l'attribution de sa nationalité aux navires, les conditions d'imma-
triculation des navires sur son territoire et les conditions requises pour
qu'ils aient le droit de battre son pavillon. Les navires naviguent sous le
pavillon d'unseul Etat et sont soumis, sauf dans les cas exceptionnels
expressémentprévuspar des traités internationauxou par la convention
de 1982, à sajuridiction exclusive en haute mer. Un navire qui naviguemately 12years after the signature of the Convention on the Law of the
Sea, and Canada was among the most active States at the Third Confer-
ence. What is more, by virtue of the new legal order of the sea accepted
by Spain and other States, Canada has a 200-mile exclusiveeconomic
zone and possesses other rights as a coastal State. During the present
incidental proceedings, both Spain and Canada cited provisions of the
1982 Convention on the Law of the Sea in support of their respective

arguments on the interpretation of the reservation in subparagraph (d)
of the Canadian declaration.

367. Today, as in the past, international law proclaimsthe freedom of
the high seasand enjoins that no State may validly purport to subject any
part of the high seas to its sovereignty. This freedom of the high seas
givesStates a whole seriesof rights, including freedom of navigation and
freedom of fishing. Freedom of the high seas is exercisedunder the con-
ditions laid down by the provisions of the 1982 Convention and other
rules of international law; that is to say, it is not exercisedunder condi-
tions stipulated in the national legislation of any State whatsoever.
Furthermore, every State must exercise the freedoms conferred on it
by the freedom of the high seas with due regard for the interests which
that freedom impliesfor other States (Articles87and 89of the 1982Con-
vention).

368. Conscious of the need to protect al1the rights and interests which
the various recognized maritime spaces involve, international law even
requires that the "laws and regulations of the coastal State" in regard to
conservation applicable in its own exclusiveeconomic zone shall be con-
sistent with the 1982Convention on the Law of the Sea (Art. 62,para. 4).
Thus the nature of "conservation and management measures" is far from
indifferent either to theirauthor or to the general régimegoverning the
maritime space in which they are intended to operate. To assert other-
wise, as the Judgment does, seems to me to conflict with the law of the
sea. What is more, the so-called "technical" or "factual" meaning which
the Judgment ascribesto the measures specifiedin the reservationin sub-
paragraph (d) cannot be ascertained by interpreting the text of the res-
ervation. To reach such a conclusion, the interpreter would have to
qualify the text by the addition of words which are not there and also, in

my view,disregard international law in interpreting the reservation.
369. Every State has the right to sail ships flying its flag on the high
seas. Ships have the nationality of the State whose flag they are entitled
to fly.Theremust exist a genuine link between the Stateand the ship,and
every State must fix the conditions for the granting of its nationality to
ships, for the registration of ships in its territory and for the right to fly
its flag.Ships must sail under the $ag of one State only and, save in
exceptional cases expresslyprovidedfor in international treaties or in the
1982 Convention, are subject to its exclusivejurisdiction on the high seas.
A ship which sails under the flags of two or more States, using them
according to convenience,may not, however, claim any of the nationali-sous les pavillons de plusieurs Etats, dont il fait usaàesa convenance,
ne peut se prévaloir cependant, vis-à-vis de tout Etat tiers, d'aucune de
ces nationalités et peut êtreassimilé un navire sans nationalité (articles
90, 91 et 92 de la convention de 1982).
370. Tout Etat doit exercer effectivementsa juridiction et son contrôle
sur les navires battant son pavillon et doit lorsqu'il prànleur égardles
mesures nécessaires en l'espèce,se conformer aux règles,procédures et
pratiques internationales généralement acceptéesa,insi que prendre tou-
tes les dispositions nécessairespour en assurer le respect. Tout Etat qui a
desmotifs sérieux depenser que lajuridictionet le contrôleappropriéssur

un navire enhaute mer n'ontpas été exercéspeutsignalerlesfaits àI'Etat
dupavillon. Une fois avisé, celui-ciprocède àune enquête et prend,s'ily
a lieu, les mesures nécessairespour remédier à la situation. Chaque Etat
a l'obligation d'ordonner l'ouverture d'une enquête surtout comporte-
ment en mer dans lequel est impliqué un navire battant son pavillon et
qui a coûté lavie ou occasionné de graves blessures à des ressortissants
d'un autre Etat, ou des dommages importants à des navires ou des ins-
tallations d'un autre Etatu au milieumarin. L'Etat du pavillon et l'autre
Etat doivent coopérer dans la conduite de l'enquête (article 94 de la
convention de 1982).Même en casd'abordage ou de tout autre incident
de navigation maritime en haute mer, la juridiction pénaleou discipli-
naire est cellede 1'Etatdu pavillon ou de 1'Etatdont l'intéresa la natio-
nalité (article97 de la convention de 1982).

371. L'ensemble des dispositions généralesdu régimejuridique inter-
national applicable àla haute mer est fondé surdeux principes de base, à
savoir celui de lajuridiction exclusive deI'Etat dupavillon sur ses navires
en haute mer et celui de la coopération desEtats dans une sériede ma-
tièresconcernant la haute mer présentant un intérêt commun(assistance
en mer; transport d'esclaves; répressionde la piraterie; trafic illicite de
stupéfiants;diffusion d'émissionsnon autorisées;protection des câbles ou
des pipelines sous-marins). Cela explique que la saisie, le droit de visite et
le droit de poursuite d'un navireen haute mer par un Etat autre que celui
du pavillon soient des exceptions strictement réglementéespar le droit
international général dela haute mer (articles 105, 110 et 111 de la

convention de 1982).
372. La conservation et la gestion des ressources biologiques de la
haute mer obéissentaux mêmesprincipes et considérationsgénérales.
Certes, dans le nouvel ordre juridique de la mer, la liberté de pêcheen
haute mer est soumise à la réservedes conditions énoncéesdans la sec-
tion 2 (articles 116à 120) de la partie VI1 de la convention de 1982et,
notamment, de leurs obligations conventionnelles et des droits et obliga-
tions ainsi que des intérêtdes Etats côtiers énoncésaux articles 63 à 67
de la convention de 1982concernant la zone économique exclusive et en
particulier le paragraphe 2 de l'article63 sur les stocks chevauchants.ties in questionwith respect to any other State, and may be assimilated to
a ship without nationality (Articles 90, 91 and 92 of the 1982 Conven-
tion).

370. Every State must effectively exerciseits jurisdiction and control
over ships flyingits flag and, in taking the necessary measures in relation
to such ships, must conform to generally accepted international regula-
tions, procedures and practices and take any steps which may be neces-
sary to secure their observance. A State which has clear grounds to

believe that proper jurisdiction and control with respectto a ship on the
high seas have not been exercised rnay report thefacts to thejlag State.
Upon receiving such a report the flag State must investigate the matter
and, if appropriate, take any action necessary to remedy the situation.
Each State must cause an enquiry to be held into every instance of con-
duct at sea involving a ship flyingits flag and causing loss of life or seri-
ous injury to nationals of another State or serious damage to ships or
installations of another State or to the marine environment. ~he flag
State and the other State shall CO-operatein the conduct of the enquiry
(Article 94 of the 1982Convention). Even in the event of a collision or
any other incident of navigation concerning a ship on the high seas,
the penal or disciplinary jurisdiction is that of the State of which the
person concerned is a national (Article 97 of the 1982Convention).

371. The body of general provisions constituting the international
legal régimeapplicable to the high seas is based on two fundamental

principles: that ofthe exclusivejurisdiction of thejag State over its ves-
sels on the high seas and that of CO-operation among States on a seriesof
matters of common interest concerning the high seas (assistance at sea;
transport of slaves; repression of piracy; illicit traffic in narcotic drugs;
unauthorized broadcasting; protection of submarine cables and pipe-
lines). The seizure,right ofvisit and right of hot pursuit of a vesse1on the
high seas by a State other than the flag State are thus exceptions which
are strictly regulated by the general international law of the high seas
(Articles 105, 110and 111 of the 1982Convention).

372. The sameprinciples and generalconsiderationsgovern the conser-
vation and management of theliving resourcesof the highseas. In the new
legal order of the sea, freedom of fishingis of course subject to the con-
ditions laid down in Part VII, section 2, of the 1982Convention (Arts.
116-120),includingStates' treaty obligationsand the rights and duties, as
well as the interests, of coastal States laid down in Articles 63-67 ofthe
Convention with regard to the exclusiveeconomic zone, and especiallyin
Article 63, paragraph 2, on straddling stocks. But what is the duty of
States in these matters in general? To take, or to CO-operatewith otherMais, quelle est l'obligation générale desEtats en la matière? Deprendre
les mesures,applicables à leursressortissants, quipeuvent êtrenécessaires
pour assurerla conservationdes ressources biologiquesde la haute mer et
de coopérer avec les autres Etats a la prise detelles mesures (article 117
de la convention de 1982).
373. Les mesures de gestion et de conservation des ressources biolo-
giques de la haute mer correspondent par leur nature à cette obligation
générale. Ainsi, l'article118de la convention dit que:

«Les Etats dont les ressortissants exploitent des ressources bio-
logiques différentes situéesdans une mêmezone ou des ressources
biologiques identiques négocient en vue de prendre les mesures
nécessairesà la conservation des ressources concernées.A cette fin,
ils coopèrent, si besoin est, pour créer desorganisations de pêche
sous-régionalesou régionales. »

L'OPANO est justement l'une de ces organisations.
374. L'article 119de la convention de 1982énonce desrèglesdétaillées
relativement à l'organisation de la coopération des Etats intéressésdans
la conservation et la gestion des ressources dela haute mer, y compris en
ce qui concerne le volume admissible de captures et d'autres mesures de
conservation, ainsi que les critères objectifs, compris scientifiques, sur
lesquels ces mesures doivent se fonder. En outre, l'article se termine par
un paragraphe 3 du plus haut intérêc toncernant le principe de non-dis-
crimination. Il est ainsi conçu:

«Les Etats concernésveillent à ce que les mesures de conservation
et leur application n'entraînent aucune discrimination de droit ou de
faità l'encontre d'aucun pêcheur, quel que soit1'Etatdont il est res-
sortissant.)

La condition de non-discrimination des ((mesures de gestion et de
conservation))adoptées pour une zone ou régionde la haute mer n'est
pas nouvelle d'ailleurs. Elle figure déjàdans la convention de 1958sur la
pêcheet la conservation des ressources biologiques de la haute mer (voir
articles 5 et 7 de la convention). Elle découle nécessairementdu régimede
res communis de la haute mer.

375. Lesdeux accords récemment conclusconcernant spécifiquementla
gestion et la conservation des ressources biologiquesde la haute mer défi-
nissent les mesures de gestion et de conservation en prenant dûment en
considérationdes critèresd'ordre juridique et, en particulier, les règlesper-

tinentes de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982.
Ainsi,dans l'article(définitions),alinéab), de l'accordde la FA0 visant à
favoriserle respect par lesnavires de pêcheen haute mer des mesuresinter-
nationales de conservation et de gestion, il est dit qu'aux fins de l'accord:
«par ((mesures internationales de conservation et de gestion)) onStates in taking, such measures for their respective nationals as may
be necessaryfor the conservation of the living resourcesof the high seas
(Article 117 of the 1982Convention).

373. By their nature, measures for the conservation and management
of the living resources of the high seas are representative of that general
duty. Thus Article 118of the Convention provides that :

"States whose nationals exploit identical living resources, or dif-
ferent living resources in theame area, shall enter into negotiations
with a view to taking the measures necessary for the conservation of
the living resources concerned. They shall, as appropriate, CO-
operate to establishsubregional or regional fisheriesorganizations to
this end."
NAFO is precisely such an organization.
374. Article 119 of the 1982 Convention lays down detailed rules on
the organization of CO-operationamong States concerned in the conser-

vation and management of the resources of the high seas, including rules
concerningthe allowable catch and other conservation measures, as well
as objective criteria, including scientificcriteria, on whichuch measures
are to be based. In addition, the Article ends with a paragraph 3 which is
of the utmost interest in connection with the principle of non-discrimina-
tion. The paragraph is worded as follows:
"States concerned shall ensure that conservation measures and
their implementation do not discriminate in form or in fact against
the fishermen of any State."

The requirement of non-discrimination in "conservation and manage-
ment measures" taken in respect of an area or region of the high seas is
not of course new. It already exists in the 1958Convention on Fishing
and Conservation of the Living Resources of the High Seas (see
Articles 5 and 7 of the Convention). It is a requirement which necessarily
flows from the régimeof res communis governing the high seas.

375. Two recently concluded agreements specifically concerning the
conservation and management of the living resources of the high seas
define conservation and management measures with due regard for legal

criteria, and in particular the pertinentules of the 1982United Nations
Convention on the Law of the Sea. For example under Article 1 (Defi-
nitions), paragraph (b), of the FA0 Agreement to Promote Compliance
with International Conservation and Management Measures by Fishing
Vessels on the High Seas, for the purposes of the Agreement:
"'international conservation and management measures' means717 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS TORRES BERNARDEZ)

entend les mesures visant à conserver ou à gérer une ou plusieurs
espècesde ressources biologiquesmarines,qui sont adoptéeset appli-
quéesconformémentaux règles pertinentes de droit international
telles que reflétées danlsa convention desNations Uniessur le droit
de la mer de 1982. Ces mesures peuvent êtreadoptéessoit par des

organisations mondiales, régionales ou sous-régionaless'occupant
des pêches, sous réserve dd esoits et obligations deleurs membres,
soit par accordinternational.»(Les italiques sont de moi.)
Le Canada a acceptécet accord le20mai 1994(dixjours aprèsle dépôt

de sa déclaration),et la Communauté européennele 6 août 1996.
376. L'accord aux fins de l'application des dispositions de la conven-
tion des Nations Unies sur le droit de la mer du 10décembre1982rela-
tives à la conservation et à la gestion des stocks de poissons dont les
déplacementss'effectuent tant à l'intérieur qu'au-delàdes zones écono-
miques exclusives(stocks chevauchants)et des stocks de poissons grands
migrateurs du 4 décembre1995,seplace aussi tout à fait, pour ce qui est
de la définition des((mesuresde gestion et de conservation», dans ledroit
fil des dispositions pertinentes du droit international de la mer codifié
dans la convention sur le droit de la mer de 1982. L'accord n'est pas
encore en vigueur, mais les Parties l'ont mentionné dansla présente pro-
cédure incidente dans certains contextes et l'arrêtle fait aussi.

377. L'arrêtaffirme que sa conclusion sur la définition des((mesures
de gestion et de conservation))n'est nullement infirméepar l'alinéa) du
paragraphe 1de l'article premier de l'accord de 1995mentionnéci-dessus
car, dit-il, cette disposition ne définit pas elle-mêmeles mesures de
conservation et de gestion (ni non plus par l'accord delaA0 de 1993).
Je pense exactement le contraire car je lis, dans ladite disposition, qu'aux
fins du présent accord:

«On entend par ((mesuresde conservation et de gestion» les me-
sures visant à conserver età gérerune ou plusieurs espècesde res-
sources biologiques marines qui sont adoptées etappliquées dema-
nière compatible avec les règlespertinentedsudroit international telles
qu'elles ressortentde laconvention[sur le droit delamer de19821et
duprésent accord. » (AICONF.164137;les italiques sont de moi.)

Cela est toutà fait conforme à la définitiondesdites mesures qui résulte
du droit international général dela mer et que la présente opinion
défend.La définitionde l'accord de 1995prouve autant que la conven-
tion sur le droit de la mer de 1982(et que l'accord de laFA0 de 1993)
que, pour le droit international en vigueur, le critère de la compatibilité
des mesures dont il s'agit avecles règlespertinentes du droit internatio-

nal applicables à l'espace maritime en question est un élémentsine qua
non de la définitiondes ((mesuresde gestionet de conservation))des res-
sources biologiques de la mer dudit ordre juridique. Ajoutons que,
d'après l'article 4 de l'accord de1995 measures to conserve or manage one or more species of living
marine resources that are adopted and applied in accordancewith the
relevant rules of international law as re$ected in the 1982 United
Nations Convention on the Law of the Sea. Such measures may be
adopted either by global, regional or subregionalJisheries organiza-
tions subject to the rights and obligations of their members, or by
treaties or other international agreements." (Emphasis added.)

Canada accepted this agreement on20 May 1994 (ten days after the
depositof its declaration),and the European Community on6August 1996.
376. The Agreement for the Implementation of the Provisions of the
United Nations Convention on the Law of the Sea of 10December 1982
relating to the Conservation and Management of Straddling Fish Stocks
and Highly Migratory Fish Stocks of 4 December 1995is also perfectly in
line, as regards the definition of "conservation and management meas-
ures", with the pertinent provisions of the international law of the sea as
codified in the 1982 Convention on the Law of the Sea. Although the
Agreement is not yet in force, the Parties referred to it in the presenti-
dental proceedings in certain contexts and the Judgrnent does so as well.

377. The Judgment contends that Article 1 (1) (b) of the 1995Agree-
ment cited above does nothing to invalidate its conclusionregarding the
meaning of "conservation and management measures" because, it says,
that provision does not itself defineconservation and management meas-
ures (any more than the FA0 Agreement of 1993).1 take precisely the
opposite view, since 1read in this provision that, for the purposes of the
1995Agreement:

"'conservation and management measures' means measures to
conserve and manage one or more speciesof livingmarine resources
that are adopted and applied consistent with the relevant rules of
international law as reflected in the Convention [on the Law of the
Sea of 19821 and this Agreement" (AICONF.164137 ; emphasis
added).

That is wholly compatible with the definition of those measures which
results from the general international law of the sea and which this
opinion upholds. The definition in the 1995Agreement demonstrates just
as much as the 1982 Convention on the Law of the Sea (and the 1993
FA0 Agreement) that, in current international law, the criterion of com-
patibility of the measures in question with the pertinent rules of interna-
tional law applicable to the maritime space concerned is an element
which is a sine qua non of the definition of "conservation and manage-
ment measures" for the livingresources of the sea whichthe international
legal order contemplates. Moreover, Article 4 of the 1995 Agreement
provides that : ((Aucune disposition [dudit accord] ne porte atteinte aux droits, à
la juridiction et aux obligations des Etats en vertu de la convention
[de 19821.Leprésentaccord est interprétéet appliquédans lecontexte
de la convention [de 19821et d'unemanièrecompatible avec celle-ci. ))

378. De plus, l'article 5 de l'accord de 1995,intitulé ((Principesgéné-
raux)), précisequ'en vue d'assurer la conservationet la gestion des stocks
viséspar l'accord «les Etats côtierset lesEtats qui selivrent àla pêcheen
haute mer, en exécutionde l'obligationde coopérerque leur impose la
convention [de 19821:a) adoptent des mesures...)) (les italiques sont de
moi); et l'article3 fait la distinction qui s'impose, d'aprèsle droit inter-
national de la mer, entre, d'une part, les((zonesrelevant de lajuridiction
nationalen et, d'autre part, les ((zones au-delà de la juridiction natio-
nale». Ajoutons que, dans l'accord de 1995,comme dans la convention

de 1982,il n'existe pas de ((mesuresde gestion et de conservation)) en
haute mer adoptéespar un Etat côtier à l'encontre des navires battant le
pavillon d'un autre Etat setrouvant dans un tel espacemaritime sauf par
voie d'accordentre les Etats intéressés.
379. La majorité fait de son mieux au paragraphe 70 de l'arrêt pour
échapper aux conclusionssus-énoncées sur la définitiondes ((mesuresde
gestion et de conservation)) en haute mer du droit international générae lt
des accordsinternationaux, mais lesdéfinitionsjuridiques ont la vie dure.
Ce n'est pas par cette sorte de considérationsque l'arrêt peum t odifier ou
renverser le droit international positif en vigueur en la matière. L'auteur,
l'espacemaritime, la nature des mesures, etc. - et non pas seulement le
contenu ou l'objet factuel des mesures -, sont autant d'éléments inhé-
rents à la définitionmêmedes ((mesures de gestion et de conservation))

des ressources biologiques de la mer en droit international et, partant,
dans la réservede l'alinéa d) de la déclaration du Canada. Le Canada
lui-mêmea reconnu, dans le présent incident préliminaire, queles me-
sures de gestion et de conservation viséesdans la réservene sont pas
nécessairement celles que le Canada affirme avoir un tel caractère.
C'étaitune façon pour le Canada, désireux dese tirer d'affaire, de laisser
à la Cour le soin de parler pour lui. Et une fois encore la majorité l'a
suivi.
Toutefois, la démonstration que fait l'arrêtde ce qu'il considèreêtre le
sens et la portée del'expression((mesuresde gestion et de conservation))
en droit international est tout à fait insuffisante. C'est une autre grave
faiblesse de l'arrêt, pouvant avoir d'ailleursdes conséquencesallant bien

au-delà du présent incidentpréliminaire. En fait, pour pouvoir conclure à
l'incompétence,la majoritéa d'une certaine façon adaptéle droit inter-
national en la matière à la prétendue intention sous-jacenteou aux pré-
tendusmotifs de la réservede l'alinéa d) de la déclarationdu Canada car,
comme il est dit expressémentau paragraphe 71 de l'arrêt, ((toute autre
interprétation de cette expression priverait la réserve de son effet
voulu ))! "Nothing in [the 19951Agreement shall prejudice the rights, juris-
diction and duties of States under the [1982] Convention. This
Agreement shall be interpreted and applied in the context of and in
a manner consistent with the [1982]Convention."

378. Furthermore, Article 5 of the 1995Agreement, entitled "General
principles", states that inorder to conserve and manage the stocks cov-
ered by the Agreement "coastal States and States fishingon the high seas
shall, in giving effect to their duty to CO-operatein accordance with the
[1982] Convention: (a) adopt measures . . ."(emphasis added); and
Article 3 makes the distinction which the international law of the sea
requires between, on the one hand, "areas under national jurisdiction"
and, on the other, "areas beyond national jurisdiction". Furthermore, in
both the 1995 Agreement and the 1982 Convention, no "conservation
and management measures" can be taken by a coastal State on the high
seasagainst vesselsin that maritime space flyingthe flag of another State
except by agreement between theStates concerned.

379. The majority does its best in paragraph 70 of the Judgment to
evade the conclusions stated above regarding the meaning of "conserva-
tion and management measures" on the high seas as understood in gen-
eral international law and international agreements; however, legal defi-
nitions are hard to kill. No considerations of the kind evoked justify the
Judgment in altering or overturning the existing positive international
law on this subject. The author of the measures, the maritime space they
concern, their nature and so on - and not just their content or factual
object - are al1elements inherent in the very definition of "conservation
and management measures" in respect of the living resources of the sea
under international law, and hence of the measures referred to in the
reservation contained in subparagraph (d) of the Canadian declaration.
Canada itself has admitted, in the present preliminary proceedings, that
the conservation and managementmeasurescontemplated in the reserva-

tion are not necessarily the same as those stated by it to be measures of
that kind. For Canada, this was a way out of its difficulty, leaving it to
the Court to speak on its behalf. And, once again, the majority followed.
However, the Judgment's demonstration of what it considers to be the
meaning and scope of the expression "conservation and management
measures" in international law is totally inadequate. This is another seri-
ous weakness of the Judgment, one which could have consequences
extending well beyond the present preIiminary proceedings. In effect, in
order to reach the conclusion that the Court has no jurisdiction, the
majority have, one might say, adjusted the international law on the sub-
ject to suit Canada's purported underlying intention or purported reasons
for the reservation in subparagraph (d) of its declaration; for, as
paragraph 71 of the Judgment expressly states, "any other interpretation
of that expression would deprive the reservation of its intended effect" !719 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

380. Dans la présentephase incidente, il n'est pas question de se pro-
noncer sur tel ou tel aspect de l'illicéou de la responsabilitérelevant du
fond de l'affaire, ou sur les moyens de défenseau fond dont le Canada
pourra exciper le moment venu, mais tout simplement d'interpréterla
déclaration dans le cadre de la compétencede la compétencede la Cour
(paragraphe 6 de l'article 36 du Statut), car le Canada conteste la com-
pétencede la Cour en invoquant la réserve del'alinéa d) de sa déclara-
tion. C'estdonc en rapport avecl'objetde la présenteprocédureincidente

que je conclus, compte tenu des considérationsci-dessus:

a) que le sens à attribuer à l'expression ((mesures de gestion et de
conservation))dans la réservede l'alinéad) du paragraphe 2 de la
déclaration canadienne, étantcelui du droit international généralde
la haute mer, ne saurait êtredéterminéen fonction seulement du
contenu ou de l'objet factuel ou matérieldes mesures en question,
qui, d'ailleurs, demanderait à êtreappréciéin casu4;

b) que les mesures adoptées par le Canada, objet de la présenteaffaire,
en invoquant sa législationinterne, ne sont pas pour le droit interna-
tional générad lela haute mer des ((mesuresde gestionet de conserva-
tion»: elles n'existent pas comme telles dans le droit international
gouvernant un tel espace maritime.

381. Cette deuxième conclusion est fondéesur des considérationspar-
faitementcompatibles avec l'exercicepar la Cour de sa compétencede la
compétence.Les mesures adoptéesen l'espècepar le Canada ne sont pas
dans le droit généralde la haute mer - ni partant dans la réserve de
l'alinéad) - des ((mesuresde gestion et de conservation))pour des rai-

sons très simples, a savoir:

a) elles ont étéadoptées pour des bateaux se trouvant en haute mer et
ayant une nationalité et un pavillon réguliersnon pas du Canada,
mais d'autres Etats souverains comme l'Espagne;
b) elles ont étéadoptées d'unemanière unilatérale sans égardau prin-
cipe de coopération entre les Etats concernés, n'étant le résultat
d'aucune négociation,entente ou accord entre ces Etats (dont l'Es-
pagne) ;
c) elles ont étéadoptéesmalgréles compétences conventionnelles exer-

cées enla matière par I'OPANO pour les bateaux des Etats pêchant
dans sa zone de réglementation(dont le Canada et l'Espagne); et, en
outre,

J'ai déjàmentionnéplus haut que lesmesures adoptéeset exécutéeesn l'espècepar le
Canada en mars1995 àl'encontre des navires espagnt ortugais pêchant dansla zone
leur but factuels étantceux de faire changerla position de européenneet de seet
faire reconnaître par celle-cicertains droits prdans ladite zone. 380. In the present incidental phase, it is not a question of the Court
adjudicatingupon a particular aspect of illegality or responsibility in con-
nection with the merits of the case, or on the defences which Canada
might in due course plead on the merits, but quite simply of it interpret-
ing the declaration by virtue of its power to determine its own jurisdic-

tion (Article 36,paragraph 6, of the Statute), since Canada challengesthe
Court's jurisdiction in reliance on the reservation in subparagraph (d) of
its declaration. It is thus in connection with the subject of the present
incidental proceedings that 1 conclude, in the light of the above consid-
erations, that :

(a) the meaning to be given to the expression "conservation and man-
agement measures" in the reservation in paragraph 2 (d) of the
Canadian declaration, because it is the meaning which it bears
under the general international law of the high seas, cannot be deter-
mined solely by reference to the content or the factual or material
object of those measures, which itself has to be ascertained in light

of the particular circumstances of the case4;
(b) the measures concerned in the present case, which Canada took on
the basis of its interna1legislation, are not "conservation and man-
agement measures" under the general international law of the high
seas: they do not exist as such in the internationallawgoverningthat
maritime space.

381. The latter conclusion is based on considerations which are per-
fectlycompatible with the exerciseby the Court of its power to determine
its own jurisdiction. The measures taken in the present case by Canada
are not "conservation and management measures" under the general law
of the high seas - nor therefore under the terms of the reservation in
subparagraph (d) - for very simple reasons:

(a) they were taken in regard to vesselson the high seas having a genu-
ine nationality and flag, not of Canada but of other sovereign States

such as Spain;
(b) they were taken unilaterally, regardless of the principle of co-opera-
tion between the States concerned. and were not the outcome of
any negotiations or any understanding or agreement between those
States (including Spain);
(c) they were taken despite the pertinent treaty functions exercised by
NAFO in regard to vessels of States fishing in its Regulatory Area
(including Canada and Spain); and, in addition,

1mentioned earlier that the measures taken and enforced by Canada in the circum-
stances of the present case in March 1995against Spanishand Portuguese vesselsfishing
in the NAFO Regulatory Area were not directed towards "conservation", their factual
object andpurpose being to procure a change in the position of the European Union and
the attribution by it to Canada of certain preferential rights inthat720 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

d) elles ont entraîné, en l'espèce,une discrimination à l'encontre de
l'Espagne et du Portugal ainsi que des pêcheurs espagnols et portu-
gais.

Le caractère discriminatoire des mesures adoptées par le Canada
en marslavril 1995 à l'encontre debateaux espagnols est un fait prouvé
dans la présente procédure incidente, car ilest inscrit dans le règlement
canadien sur la protection des pêcheriescôtièresdu 3 mars1995soumis à
la Cour (mémoire de l'Espagne, annexes, vol.1,annexe 19,p. 311).A lui
seul ce fait enlèveaux mesures adoptéesen l'espècepar le Canada toute
possibilitéjuridique de pouvoir êtreconsidérées endroit international
comme étantdes ((mesuresde gestion et de conservation)) de ressources
biologiques de la haute mer et ainsi, pour les raisons indiquées, empêche
de leur attribuerce sens dans l'interprétationde la réservede l'alinéad)
du paragraphe 2 de la déclarationdu Canada.

382. Ces conclusions ne sauraient êtreni plus ni moins restrictives que
le texte mêmede la réservede l'alinéad) de la déclaration duCanada du
10 mai 1994. Et elles ne s'opposent pas non plus à ce que l'expression

((mesuresde gestion et de conservation)) puisse être interprétée dansne
déclaration déterminée comme ayant un autre sens ou une autre portée;
par exemple, celuid'une loi ou d'un règlementnational quelconque.Cela
pourrait parfaitement se produire car le consentementà lajuridiction de
la Cour ne saurait être confonduavec les principes et les règlesdu droit
international matériel. Et il se pourrait égalementqu'une cour de justice
soit censéedonner effet à un instrument juridictionnel qui ne soit pasà
l'aune du droit international du fait des termes mêmesdans lesquels
1'Etat en question a donné son consentemeiit à la juridiction (voir par
exemple paragraphes 66-68 de l'arrêt).Mais aucune de ces hypothèses
n'està considéreren l'espèce,car 17Etatdéclarantn'a pas donné, directe-
ment ou indirectement, une définitionparticulière des mesures en ques-

tion, ni dans la réserveni dans la déclaration dans son ensemble ni
ailleurs, avant l'introduction de l'instance.
383. L'arrêtn'invoque apparemment comme motif principal de sa
conclusion sur le point considéréqu'un seul élémentinterprétatif ayant
en outre un caractère complémentaire, à savoir la référencefaite dans la
déclarationau Sénatdu ministre Ouellet à la protection de l'intégrité de
la loi canadienne, en oubliant que le ministre des affairesétrangèreset du
commerce international du Canada a également insistésur d'autres
aspects comme par exemple les bases solides de droit de la loi en ques-
tion. Si l'on invoque comme preuve d'une intention sous-jacente un tel
moyen complémentaired'interprétation,il faudrait, au moins, le prendre
aussi dans son intégralité. Sans parlerque le ministreuellet renvoie le
lecteur aux navires dits «pirates» et au précédentde la déclaration cana-

dienne de 1970.
384. Que la question de la «conformité»d'un acteau droit internatio-(d) in this particular case they constituted an act of discrimination
against Spain and Portugal and Spanish and Portuguese fishermen.

The discriminatory nature of the measures taken by Canada in Marchl
April 1995against Spanish vesselsis a proven fact in the present inciden-
ta1proceedings, since it is embodied in the Canadian Coastal Fisheries
Protection Regulations of 3 March 1995, which are before the Court
(Memorial of Spain, Annexes, Vol. 1, Ann. 19, p. 311). This fact alone
makes it quite impossible legally for the measures taken in the present
case by Canada to enjoy consideration in international law as "conserva-
tion and management measures" for the living resources of the high seas,
and thus, for the reasons indicated, precludes them from being accorded
that meaning in the interpretation of the reservation in paragraph 2 (d)
of the Canadian declaration.

382. These conclusions can be no more or no less restrictive than the
actual text of the reservation in subparagraph (d) of the Canadian dec-
laration of 10May 1994.Nor do they prevent the expression "conserva-
tion and management measures" fi-ombeing interpreted in a given dec-
laration as having a differentmeaning or a different scope; for example,
that contained in a national law or regulations. That might perfectly well

happen, since consent to the Court's jurisdiction is not to be confused
with the principles and rules of the pertinent international law. And it
could also happen that the Court is required to give effect to a jurisdic-
tional instrument without reference to international law because of the
terms themselves in which the State concerned gave its consent to juris-
diction (see,for example, paragraphs 66-68of the Judgment). But neither
of these eventualities is at issue here, since the declarant State did not,
either directly or indirectly, giveany particular definition of the measures
in question, either in the reservation or in the declaration as a whole or
elsewhere, before the proceedings were instituted.

383. The principal ground invoked in the Judgment for its finding on
the present point would seem to be no more than a single- and supple-

mentary - element of interpretation, namely the reference which
Mr. Ouellet made in his statement in the Senate to the protection of the
integrity of Canadian legislation; the fact that the Canadian Minister of
Foreign Affairs and International Trade emphasized other factors as
well,such as the sound legal basis of that legislation, is overlooked. If this
kind of supplementary means of interpretation is adduced as proof of
an underlying intention, it should at least be taken in its entirety.
Nor should we forget Mr. Ouellet's reference to what he called "pirate"
vessels, or the precedent represented by the Canadian declaration
of 1970.
384. 1agree that the question of the "conformity" of an act with inter-721 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

na1 soit une question de «licéité»(paragraphe 68 de l'arrêt), doncde
fond, je suis d'accord. Mais dans les deux sens bien sûr, savoir celui de
la «licéité»ou de I'«illicéitéde l'acte en question, et la présente procé-
dure n'est qu'une procédure incidentepréliminaire.En outre, la question
différentede l'«existence»ou non de la mesure dont il s'agit, saréalien
tant que ((mesurede gestion et de conservation» en droit international
(étant donnésa non-définition dans le texte de la déclaration),n'est pas

une question de fond. Je n'estimepas que les mesures que le demandeur
reproche au défendeuren l'espèce,et que celui-ci admet, aient d'exis-
tence, de réalitéjuridique dansle droit international général e la mer en
tant que ((mesures de gestion et de conservation», d'où il découlepour
moi qu'elles nepeuvent pas êtrequalifiées in casude mesures de «gestion
et de conservation)) comme le fait l'arrêt aux finsde l'interprétationde la
réservede l'alinéa d) du paragraphe 2 de la déclaration du Canada.

385. Ma prise en considération, dans le présent contexte, du droit
international de la mer n'a pas de finalités relevantdu fond,à savoir la
conformité ou non des mesures canadiennes audit droit. C'est seulement

aux fins de l'interprétation de la réserveet du fait de son silence en la
matière, quej'ai tourné monattention vers le droit international général
et que j'ai eula réponse quecet ordre juridique ne connaît pas, en tant
que ((mesurede gestion et de conservation», des mesures comme celles
adoptéespar le Canada en l'espèceen 1995 à l'encontre des navires espa-
gnols dans la zone de réglementationde l'OPANO.
386. Le droit international généralnous dit aussi que le contenu ou
l'objet factuel des mesures n'est pas le seul critère qui entre en ligne de
compte pour déterminerl'existenced'une ((mesurede gestion et deconser-
vation)) en droit international. D'autres critères interviennent au même
titre,à savoir: l'espace maritime en question, le caractère unilatéralou
non des mesures, sa nature discriminatoire ou non, la finalité deconser-

vation ou non des mesures concrètes adoptées, etc. L'accord dela FA0
et celui des Nations Unies mentionnésci-dessusne font que confirmer le
droit international général dela mer en la matière.
387. Je ne saurais donc accepter les conclusions de l'arrêtsur la ques-
tion considérée comme représentantune manière naturelle et raisonnable
de lire le texte de la réservedans le contextede la déclaration et eu égard
aussi à l'intention de l'Etat déclaranttelle qu'ellese dégage des moyens
complémentairesd'interprétation soumisà la Cour par les Parties.

d) Les mots ((l'exécutionde tellesmesures))dans la réserveet le silence
sur l'usage de laforce dans les matières réservéespar la déclara-
tion

388. Ayant conclu que les «mesures» adoptéespar le Canada in casu
n'étaient pasdes ((mesuresde gestion et de conservation» au sens de la
réservede l'alinéa d) du paragraphe 2 de la déclarationdu Canada du FISHERIES JURISDICTION (DISSO. PTORRES BERNARDEZ) 721

national law is one of "legality" (paragraph 68 of the Judgment), and
therefore a matter for the merits. Of course the word is being used in a
double sense - the reference being to the "legality" or "illegality" of the
act concerned - and the present proceedings are indeed only preliminary

incidental proceedings. However, the separate question of the "existence"
or "non-existence" of the measureconcerned - itsreality as a "conserva-
tion and management measure" under international law (since it is not
defined in the text of the declaration) - is not a question going to the
merits. 1 do not consider that the measures with which the Applicant
charges the Respondent in the present case, and which the Respondent
admits, have any existence, any legal reality in the general international
law of the sea as "conservation and management measures", and there-
fore they cannot, in my view, be characterized in the particular circum-
stances of this case as measures of "conservation and management",

which is how the Judgment describesthem for the purpose of interpreting
the reservation in paragraph 2 (d) of the Canadian declaration.
385. My purpose in taking account, in the present context, of the
international law of the sea has nothing to do with the merits of the case,
namely the conformity or non-conformity of the Canadian measures with
that law. The interpretation of the reservation and its silence on the sub-
ject are my sole reason for having turned to general international law,
where 1 find that that law does not recognize measures such as those
taken by Canada in this case in 1995 against Spanish vessels in the

NAFO Regulatory Area as "conservation and management measures".

386. General international law also tells us that the content or factual
object of the measures is not the only criterion to be taken into account
in determining the existence of a "conservation and management meas-
ure" under international law. Other criteria come into play here, namely
the maritime space concerned, whether or not the measures are unilat-
eral, whether or not they are discriminatory, whether or not the specific
measures taken aim at conservation, and so on. The FA0 and United
Nations Agreements referred to above simply serve to confirm the gen-

eral international law of the sea on this subject.
387. 1cannot therefore accept the conclusions of the Judgment on this
issue as representing a natural and reasonable manner of construing the
text of the reservation in the context of the declaration, having regard
also to the intention of the declarant State as reflected in theupplemen-
tary means of interpretation submitted to the Court by the Parties.

(d) The words "the enforcement of such measures" in the reservation
and the silence on the use of force in respect of the matters
reserved by the declaration

388. Having concluded that the "measures" taken by Canada in the
present instance were not "conservation and management measures"
within the meaning of paragraph 2 (d) of the Canadian declaration of10mai 1994,il est évidentpour l'auteur de la présenteopinion que l'exé-
cution de telles mesures par le Canada est un aspect du différendqui ne
rentre pas non plus dans le champ d'application de ladite réserve.Mais
comme l'arrêt donneune autre interprétation de l'expression((mesuresde
gestion et de conservation», il convient que je prenne égalementposition
sur l'interprétation des mots «l'exécutionde telles mesures)) en tant que
tels dans la réservecanadienne,c'est-à-direindépendamment de l'interpré-

tation des mesures adoptéespar le Canada en l'espèce etde leur qualifica-
tion comme mesures de gestion et de conservation en droit international.
389. Pour interpréter les mots «l'exécution de telles mesures)), il
convient en premier lieu d'avoir présent à l'esprit la distinction entre
«mesures» et leur «exécution». La réservede l'alinéa d) du paragraphe 2
de la déclaration du Canada ne traite que d'une seule catégoriede me-
sures,à savoir les «mesures de gestion et de conservation» adoptées par
le Canada pour les navires pêchant dans lazone de réglementation de
I'OPANO. L'«exécution» n'est pas dans la réserveune mesure ou une
catégorie autonome de mesures. Il ne s'agit que de la mise en Œuvredes-
dites «mesuresde gestion et de conservation». L'arrêtpar contre, en sui-
vant une fois de plus les thèses canadiennes, arrive à une conclusion

contraire. En effet, il parle «des mesures d'exécutiàndes finsde conser-
vation)) (voir par exemple paragraphe 82 de l'arrêt).
390. Pour l'auteur de la présente opinion, le terme «exécution» ne
peut cependant pas être interprété dans laréservede l'alinéad) indépen-
damment des ((mesures de gestion et de conservation)), auxquelles il est
subordonné. Sansl'existencede cettedernièrecatégoriede mesures, il n'y
a pas d'«exécution»dans la réservede la déclarationdu Canada. Ainsi, à
partir du moment où, dans les circonstance de l'espèce,le Canada aurait
adoptédes mesures d'un type différent,l'exécutionde ce type différentde
mesures n'entre pas dans le champ d'application de la réservede la décla-
ration du Canada ni au titre de l'«adoption» ni au titre de l'«exécution»
des mesures.

391. L'Espagne a insistéà plusieurs reprises sur la distinction opérée
ci-dessus. Cette distinction est en effàtla base de son deuxièmeargu-
ment principal en faveur de la compétencede la Cour dans l'affaire, à
savoir que l'emploi de la force par le Canada contre des navires en haute
mer battant pavillon espagnol ne peut être considéré, raisonnablement,
comme l'exécutionde mesures relatives à la gestion et à la conservation
de stocks de poissons. Pour l'Espagne, le droit international ayant inter-
dit l'emploi dela force, celle-ci ne peut pas êtrecomprise dans la réserve

de l'alinéad) étant donnéle silencedu texte de la réserveet de la déclara-
tion du Canada dans son ensemble sur l'usage de la force dans les
matières exclues par les réservesfigurant dans la déclaration.
392. Pour l'Espagne, il est clair que l'usage dela force n'est pas com-
pris dans la réserve de l'alinéa parce que celle-ci ne le dit pas et parce 10May 1994,it is clear to the author of this opinion that the enforcement
of such measures by Canada is, too, an aspect of the dispute which does
not fa11within the scope of the reservation. However, since the Judgment
gives a differentinterpretation of the expression "conservation and man-
agement measures", 1must also state my viewon the interpretation of the
words "the enforcement of such measures" as used in the Canadian res-
ervation, that is to say, independently of the interpretation of the meas-
ures taken by Canada in the present case and of their characterization as
conservation and management measures under international law.
389. In interpreting the words "the enforcement of such measures",
the first thing to bear in mind is the distinction between "measures" and
their "enforcement". The reservation in paragraph 2 (d) of the Canadian
declaration deals with only a single category of measures, namely the
"conservation and management measures" taken by Canada in regard to
vesselsfishingin the NAFO Regulatory Area. In thereservation, "enforce-
ment" is not a measure or a separate category of measures; it simply

relates to the implementation of the "conservation and management
measures" in question. The Judgment on the other hand, aligning itself
yet again with the Canadian position, arrives at the opposite conclusion,
talking of "measures in enforcement of conservation" (see, for example,
paragraph 82 of the Judgment).
390. The author of this opinion, however, believes that the word
"enforcement" cannot be interpreted in the reservation in subpara-
graph (d) independently of the "conservation and management measures"
which govern it. Without the existence of this latter category of measures,
there can be no "enforcement" within the meaning of the reservation to
the Canadian declaration. Accordingly, once it is established that the
measures taken by Canada in the case are of a different kind, then the
enforcement of that different kind of measure does not fa11within the
scope of the reservation, whether as the "taking" or as the "enforcement"
of measures.

391. Spain stressed on a number of occasions the distinction which
1 have drawn above. This distinction is what underlies its second main
argument in favour of the Court's jurisdiction in this case, namely that
the use of force by Canada against vessels on the high seas flying the
Spanish flag cannot reasonably be regarded as the enforcement of meas-
ures relating to the conservation and management of fish stocks. In
Spain's view, since international law has prohibited the use of force, its
use cannot be covered by the reservation in subparagraph (d), bearing in
mind that the text of Canada's reservation and declaration as a whole
is silent on the use of force in relation to the matters excluded by the
reservations contained in the declaration.
392. In Spain'sview, the use of force is clearly not covered by the res-
ervation in subparagraph (d), because the reservation does not mentionque l'emploi de la force, prévudans la législationcanadienne, contre des
navires étrangers en haute mer est un comportement contraire au droit
international, selon lequel les déclarations du systèmede la clause facul-
tative établissant la compétence de la Cour doivent être interprétées.
Ainsi, l'arraisonnement par la force de l'Estai en haute mer le 9 mars
1995n'était pasen soi un acte d'exécutiond'une mesure de gestion et de
conservation en droit international, mais tout autre chose.
393. Selon l'Espagne, la force interdite par le droit international n'est
pas seulement l'agression armée.La force interdite serait l'usage de la
force arméed'un Etat à l'encontre d'un autre Etat, qu'il s'agissedu ter-
ritoire ou des personnes ou des objets placéssous la souveraineté ou la

juridiction exclusive de ce dernier Etat, y compris s'ils se trouvent en
haute mer. L'usage de la force en haute mer contre un navire battant le
pavillon d'un autre Etat est contraire, d'après l'Espagne, la Charte des
Nations Unies, au droit international général etau droit de la haute mer
et, en tant que tel, ne peut être couvert par une interprétation de la
réservede l'alinéad) du paragraphe 2 de la déclaration du Canada sans
une référence explicitedans le texte de cette dernière dans son ensemble
ou de la réservedont le Canada excipe.

394. Quant aux faits, l'Espagne a soulignél'usagede la force prévupar
la législationcanadiennepertinente en vigueur contre des bateaux battant
pavillon d'un autre Etat en haute mer; l'ampleur du conflit de 1995; la
gravité desincidents; le degréde force utilisépar les patrouilleurs cana-
diens lors de la poursuite et de l'arraisonnement de l'Estaià environ

245 milles des côtes canadiennes; le harcèlement, les jours suivants,
d'autres bateaux de pêcheespagnols dans la zone de réglementation de
I'OPANO, et l'envoi dans ladite zone d'unités de la marine de guerre
espagnole.
395. En ce qui concernela législationcanadienne, l'Espagne a souligné
l'extension du droit pénal canadien à la zone de réglementation de
I'OPANO, ce qui permettait aux agents de la paix canadiens d'empioyer
la force en haute mer contre des bateaux étrangers avec le risque de cau-
ser la mort ou des lésionscorporelles graves. Elle a ainsi rejeté égard
les arguments canadiens selon lesquels il s'agissait de limiter le recoàrs
la force aux cas graves et dans des situations de légitime défense.L'Es-
pagne a aussi insistésur le fait que la législationcanadienne incriminéeet
le théâtre des actions canadiennes concernent la haute mer (la zone de
réglementationde I'OPANO) et sur le fait que les rapports entre Etats en

haute mer sont régispar le droit international de la haute mer et non pas
Dar les normes du droit de la mer relatives à la zone économiaue exclu-
sivedes Etats côtiers ou par la législationnationale de ces derniers. Ainsi,
elle a rejetél'application la haute mer du régimejuridique des espaces
nationaux comme justification pour exercer certains pouvoirs coercitifs
de 1'Etat côtierà l'encontre des navires étrangers se trouvant en haute
mer.
396. Pour l'Espagne, le Canada n'a pas de titre international pourit, and because the use of force for which the Canadian legislation pro-
vides in respect of foreign vessels on the high seas constitutes conduct
contrary to international law, that being the law which governsthe inter-
pretation of declarations made under the optional clause system estab-
lishing the Court's jurisdiction. Thus the boarding of the Estai by force
on the hiuh seas on 9 March 1995was not in itself an act of enforcement
of a conservation and management measure under international law, but
something altogether different.
393. According to Spain,the force whose use is prohibited by interna-
tional law is not confined to actual armed aggression. What is prohibited
is the use ofarmed force by a State against another State,whether in rela-
tion to territory, persons or objects, including those on the high seas, fall-

ing under the sovereignty or exclusive jurisdiction of that latter State.
The use of force on the high seasagainst a vesse1flyingthe flag of another
State is, Spain maintains, contrary to the United Nations Charter, to gen-
eral international law and to the law of the high seas and, as such, can-
not be covered by an interpretation of the reservationin paragraph 2 (d)
of the Canadian declaration unless the text of the declaration as a
whole, or of the reservation relied on by Canada, makes explicitreference
to it.
394. As far as the facts are concerned, Spain placed particular empha-
sison the provision in Canada's current relevant legislation for the use of
force against vesselsflying the flag of another State on the high seas; on
the magnitude of the 1995conflict; on the gravity of the incidents; on the
degree of force employed by the Canadian patrol boats in their pursuit

and boarding of the Estai some 245 miles from the Canadian Coast; in
the harassment, over the following days, of other Spanish fishing vessels
in the NAFO Regulatory Area; and on the despatch to the area of units
of the Spanish Navy.
395. As regards the Canadian legislation, Spain laid particular stress
on the extension of Canadian criminal law to the NAFO Regulatory
Area, permitting Canadian peace officers to use force on the high seas
against foreign vesselsat the risk of causing deathor seriousbodily harm.
Spain thus rejected the Canadian arguments in this regard that the use of
force was intended to be confined to serious cases and to situations of
self-defence.Spain also emphasized the fact that the Canadian legislation
complained of, and the theatre of the Canadian actions, concerned the
highseas (the NAFO Regulatory Area) and that relations between States
on the high seas are governed by the international law of the high seas,

and not by the rules of the law of the sea relating to coastal States' exclu-
sive economic zones, or by their national legislation. It thus rejected the
notion that the legal régimegoverning national maritime areas could be
applied to the high seas so as to justify the exercise of certain powers of
coercion of the coastal State against foreign vesselson the high seas.

396. In Spain's view, Canada has no international title to use forceemployer la force contre des bateaux battant pavillon espagnol dans la
zone de réglementation de I'OPANO, ni dans aucune autre zone de la
haute mer. A ce propos, l'Espagne s'est demandé où se trouve cette pra-
tique, mêmecoutumière, classique, bien connue, qui permet le recours à
la force en haute mer à l'encontre des bateaux étrangers, en marge des
dispositions restrictives imposéespar les articles 110et 111de la conven-
tion des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982.Finalement, elle a
rappelé que l'accord des Nations Unies de 1995 sur les stocks chevau-
chants n'est pas en vigueuret ne lie aucun Etat et que le Canada n'estpas
encore devenu partie à la convention de 1982 sur le droit de la mer,
l'accord de 1995étantun accord d'application de certaines dispositions
de celle-ci.

397. Le Canada a eu des difficultés à répondre à ces arguments de
l'Espagne. Il a essayéde le faire d'une façon indirecte. Il a tout d'abord
essayéde contourner la relation établiedans la réservedel'alinéad) entre
«les mesures de gestion et de conservation ...et l'exécution detelles me-
sures» en élaborant une nouvelle catégoriede mesures, à savoir celle des
((mesures d'exécution)), inconnue dans le texte de la réserve. D'une
manièregénéralel,e contre-mémoirecanadien s'inspired'un tel critère, et
il en est de mêmede quelques-unes des interventions canadiennes à
l'audience. Des conseilsdu Canada ont dit, par exemple, que l'expression
((mesuresd'exécution))utiliséedans la réserve(sic!) ne saurait désigner
que les pouvoirs et procédures expressément énoncéd sans la loi modifiée
sur la protection des pêchescôtièresde 1994.Mais la réservene parle pas

de «mesures» d'exécution.
398. Parfois, le Canada a évitél'emploi du mot «exécution» ou s'est
référéau sens ordinaire dudit terme d'une façon isoléede son contexte
dans la réserve.Parfois, ses conseils ont parlé aussi de ((mesures liti-
gieuses»pour se référertant aux ((mesures de gestion et de conservation »
de la réservequ'à ((l'exécutionde telles mesures)) ou ont eu recouàdes
formules descriptives telles que ((mesuresqui sont nécessairespour pro-
céder...))Toutes ces présentations du Canada cherchaient à éliminerou
réduire dans l'interprétation dela réservel'effet utiledu mot «telles» ou
à isoler ce mot du contexte des ((mesures de gestion et de conservation))
qui le précèdedans la réserve.Le Canada en est arrivé à dire que si
l'emploi de la force n'est pas expressément exclu,l doit êtreinclus dans
toute définitionraisonnable et logique du terme ((exécutionC'est-à-dire
qu'il a voulu renverser le principe général dedroit et de la jurisprudence

de la Cour qui est celui de la présomption de régularitédes actes juri-
diques mentionné dans la présenteopinion (arrêt dans l'affaire du Droit
de passage).
399. Pour le Canada, la force employée à l'encontre de l'Estai le
9 mars 1995 en haute mer (le Canada ne parle pas du harcèlement à
l'époque d'autres bateaux depêcheespagnols dans la zone de réglemen- FISHERIES JURISDICTION (DISSO. P.TORRES BERNARDEZ) 724

against vesselsflying the Spanish flag in the NAFO Regulatory Area, or
in any other area of the high seas. In this connection, Spain asked where
was the practice, whether customary, traditional or wellknown, that per-
mitted the use offorceon the high seas against foreign vessels,in defiance
of the restrictive provisions imposed by Articles 110and 111of the 1982
United Nations Convention on the Law of the Sea. Finally, it reminded
the Court that the 1995United Nations Agreement on Straddling Stocks
is not in force and not binding on any State and that Canada is not yet a
party to the 1982 Convention on the Law of the Sea, the former being
intended to implement certain provisions of the latter.

397. Canada had difficulty in answering these Spanish arguments. It
endeavoured to do so indirectly,trying first to get round the link created

in the reservation in subparagraph (d) between "conservation and man-
agement measures . . and the enforcement of such measures" by con-
structing a new category of measures, namely, "enforcement measures",
not found in the text of the reservation. This approach is that of the
Canadian Counter-Memorial in general, and the same can be said of
some of the Canadian statements at the hearings. For example, Canada's
counsel argued that the expression "enforcement measures" used in the
reservation (sic!) cannot mean anything less than the powers and pro-
cedures that are expressly set out in the amended Coastal Fisheries Pro-
tection Act of 1994. But the reservation says nothing about enforce-
ment "measures".
398. Occasionally, Canada avoided using the word "enforcement" or
referred to its ordinary meaning in a manner isolatingit from its context
in the reservation. Sometimes its counsel talked of "disputed measures",
meaning both the "conservation and management measures" mentioned
in the reservation and "the enforcement of such measures", or else they
resorted to descriptive formulae, such as "measures such as those neces-

sary to effect. . .".These various presentations of the issue by Canada
sought to eliminate or reduce, in the interpretation of the reservation, the
effectivenessof the word "such" orto isolate it from the context of "con-
servation and management measures" which precedes it in the reserva-
tion. Canada went so far as to Saythat, if the use of force is not specifi-
callyexcluded,it must be includedin anyreasonableand logical definition
of the word "enforcement". In other words, it tried to overturn the gen-
eral principle of law and of the Court's jurisprudence to which 1 have
already referred to the effect that juridical instruments are to be pre-
sumed to conform to the law (Right of Passage Judgrnent).
399. Canada maintained that the use of force against the Estai on
9 March 1995on the high seas (no mention was made of the harassment
at that time of other Spanish fishing vessels in the NAFO Regulatorytation de I'OPANO) est une «exécution»des ((mesures de gestion et de
conservation» adoptées par lui pour les bateaux pêchant dansla zone
de réglementation de I'OPANO conformémentau règlement canadien
de 1995de mise en Œuvrede la loi modifiéesur la protection des pêches
côtières. En conséquence,tous ces agissements canadiens tomberaient
dans le champ d'application de la réserve. Cela n'empêchc aependant pas
les conseils du Canada de mentionner aussi quelques moyens de défense
au fond, tels que la nécessiet l'urgenced'agir en 1995à cause de la sur-
pêchepratiquéepar les pêcheurs espagnols,ainsi que le caractère nor-
mal et habituel des actions adoptées, encore qu'ils admettront que la
Cour ne saurait, dans la présente procédure préliminaire surla compé-
tence, se prononcer sur la question du degré deforce utiliséin casu.
400. Les conseilscanadiens ont insistésur le fait que les mesures adop-
tées en1995par le Canada àl'encontredes navires espagnols et portugais

étaientdes mesuresde gestion et de conservation «classiques»,comparant
à ce propos lesdites mesures canadiennes à celles énuméréea su para-
graphe 4 de l'article 61 de la convention sur le droit de la mer de 1982
concernant la «zone économiqueexclusive», selon uneposition générale
adoptéeparleCanada dans laprésenteprocédure incidente d'aprèslaquelle
l'espacemaritime en cause ne présenteaucune pertinence. Comme il a été
dit à l'audience, la seule différenceconcerne l'endroit ou le Canada a
appliquécesmesures : la zone de réglementation de1'OPANOdésignée de
façon précisepar la réserve!Les conseils canadiens ont mentionné aussi
d'autres législationsnationales mais sans en donner des exemplesprécis.
401. Le Canada a accusél'Espagne de dramatiser à propos du degré
de la force employéepar les garde-côtescanadiens à l'encontre de YEstai
lors de son arraisonnement le 9 mars 1995.Le bateau n'avait jamais été
pris pour cible et l'arraisonnement s'était déroulé sans perte devies

humaines et sans lésionscorporelles graves. Il s'agissait d'une force rai-
sonnable employéedans le seul but d'arraisonner un navire de pêchequi
résistaitet était soupçonné d'avoir enfreintdes mesures de conservation
et de gestion prévuesdans la législationcanadienne. En d'autres termes,
il ne s'agissait que d'employer une force visantà faire appliquer la loi
canadienne et qu'il fut nécessairede recourirà la force dans l'exécution
des lois était uneévidencedictéepar le bon sens. Que le navire soit espa-
gnol, la loi canadienneet l'espacemaritimeune zone de la haute mer sont
de menusdétailsqui, de surcroît ne seraient ni pertinents ni objectifs, aux
fins de l'interprétationde la réservede l'alinéa d)du paragraphe2 de la
déclarationdu Canada.
402. LeCanada a affirméque lesmesures appliquées àl'Estai n'avaient
rien àvoir avec le recoursà la force dans les relations entre Etats dont il
est question dans la Charte des Nations Unies, tout en ajoutant qu'il

reconnaissait que l'interdiction de l'emploi de la force prévuau para-
graphe 4 de l'article2 de la Charte des Nations Unies était une norme
impérative (jus cogens). En mêmetemps ses conseils ont soulignéque,
aux fins d'interprétation dela réserve,la licéiou l'illicéide l'«exécu-
tion)) des mesures est une circonstanceindifférenteen s'abstenant de qua-Area) is "enforcement" of the "conservation and management measures"
taken by it in regard to vessels fishing in the NAFO Regulatory Area
under the 1995regulations implementing its amended Coastal Fisheries
Protection Act. Consequently, al1of these actions by Canada, it was con-
tended, came within the scope of the reservation. However, this did not
prevent Canada's counsel from referring also to certain defences on the
merits, such as the need for urgent action in 1995because of overfishing
by Spanish fishermen and the normal and customary nature of the action
taken, although they acknowledged that, in the present preliminary pro-
ceedingsconcerningjurisdiction, the Court couldnot rule on the question
of the degree of force employed in this particular case.

400. Canadian counsel emphasized that the measures taken by Canada
in 1995 against Spanish and Portuguese vessels were "traditional" con-
servation and management measures; in this respect they compared the
Canadian measures with those provided for in Article 61, paragraph 4, of

the 1982 Convention on the Law of the Sea concerning the "exclusive
economic zone", in keeping with Canada's general thesis in the present
incidental proceedings that the nature of maritime space in question is
quite irrelevant. According to their statements at the hearings, the only
differencewas wherethese measures were applied by Canada: the NAFO
Regulatory Area which is so precisely designated in the reservation!
Canada's counsel also mentioned other countries' legislation but gave no
specificexamples of it.
401. Canada accused Spain of dramatizing the degree of force used by
Canadian coastguard vessels against the Estai when it was boarded on
9 March 1995.No shots had been fired at the vessel, and the boarding
had taken place without loss of life or serious bodily harm. The force was
reasonableforce, employed for the sole purpose of arresting a fishingves-
selwhich offered resistance and was suspected of having violated conser-
vation and management measures prescribed by Canadian law. In other
words, it was force used solely to enforce Canadian law, and plain com-
mon sense required that force needs to be used in enforcingthe law. The

fact that the vessel was Spanish, the law Canadian and the maritime
spacean area of the high seasweremere details, neither relevant nor of any
value for the purpose of interpreting the reservation in paragraph 2 (d)
of the Canadian declaration.

402. Canada asserted that the measures taken against the Estai had
nothing to do with the use of force in relations between States as con-
templated in the United Nations Charter, adding, however, that it recog-
nized that the prohibition of the use of force laid down in Article 2,
paragraph 4, of the United Nations Charter was a peremptory nom (jus
cogens). At the same time Canada's counsel pointed out that, as far as
the interpretation of the reservation was concerned, the legality or ille-
gality of the "enforcement" of the measures was immaterial, but theylifieà cet égardles propres actes du Canada (adoption du règlementdu
3 mars 1995;arraisonnement de l'Estai; harcèlementd'autres bateaux de
pêche espagnols).
403. La loi canadienne permettait l'utilisation de la force pour arrai-
sonner l'Estai, mais seulement en dernier ressort et de la façon la plus
limitée possible.Car, la législation pénalecanadienne est une législation
généralequi aurait: «un but entièrement humanitaire et louable ...la
force de nature à causer la mort ou les lésionscorporelles n'estpas jus-
tifiée,sauf si elle est nécessairepour protégerla vie de qui applique cette
force ou celle d'autrui, c'est-à-dire sauf en cas de légitimedéfense))
(CR98114, p. 46-47; les italiques sont de moi). Qui donc a attaqué les

garde-côtesou lespatrouilleurs canadiens qui ont arraisonnél'Estai? Qui
a mis ces garde-côtes et ces patrouilleurs dans une situation de((légitime
défense))?Le Canada n'a pas réponduàces questions, dès lors son argu-
ment fondésur la légitime défense ne tient pas. Malgré l'invocationde la
législationcanadienne (qui n'est pour la Cour qu'un fait dans le présent
incident et non le droit applicable), les conseils du Canada vont se tour-
ner quand même,autant qu'ils le pourront, vers le droit international
pour essayer dejustifier l'usage dela force prévudans la législationcana-
dienne et son application en haute mer au navire espagnol l'Estai le
9 mars 1995.

404. Les arguments du Canada sur l'usage de la force incorporé à sa
législationetlou sur la force utilisàel'encontre de l'Estai ne trouvent de

fondement ni dans le texte de la réservede l'alinéad) de sa déclarationni
dans sa prétendue intention sous-jacente.En ce qui concerne letexte de la
réserve,le mot ((exécution»(enforcementen anglais) ne visepas dans son
sens ordinaire ou naturel des ((mesurescoercitives)).De plus, en anglais,
on ne saurait confondre enforcement avec ((enforcement action)). Il est
trèssignificatif cet égard que dans leurs interventions les conseilscana-
diens ont parléd'enforcement et d'enforcementaction comme s'ils'agis-
sait de la mêmechose. Ainsi, ces arguments canadiens ajoutent au texte
de la réserve des mots quin'y sont pas. C'est le moment de se demander
si la grammaire s'applique seulement àl'interprétationdes mots ((navires
pêchant»dans la réserve.Plus significatifencoreest le fait que le Canada
parle, certes, de sa législationnationale, mais non pas de ce qui intéresse
vraiment l'interwrétation dela réservedu woint de vue de l'«intention
sous-jacente))maintes fois évoquée à d'autres sujets. Pas un mot, par
exemple,des déclarationsde M. Ouellet ou de M. Tobin. Cela est tout de

mêmesurprenant, car le premier a parléde «représailles» dans sa décla-
ration au Sénatdu 12mai 1995.Or le terme ((représailles))est un terme
de droit international qui a un sens bien préciset généralement accepté
dans cet ordre juridique.
405. Pour ce qui est des faits, le Canada, on vient de le dire, les pré-
sente comme des mesures dites de gestion et de conservation prévuesparrefrained from characterizingCanada's own acts in this regard (adoption
of the Regulations of 3 March 1995; boarding of the Estai; harassment
of other Spanish fishing vessels).
403. The Canadian legislation permitted the use of force to board the
Estai, but only as a last resort and in the most limited way possible, since
Canadian criminal legislation was general lawhaving"an entirely humani-
tarian and commendable purpose . . force likely to cause death or seri-
ous injury is not justified unlessit is necessary for self-preservation or the
preservation of any other person - in brief, self-defence" (CR 98/14,
pp. 46-47;emphasisadded).Who then attacked the Canadian coastguard
vessels or patrol boats that boarded the Estai? Who was it that placed
these coastguard vesselsand patrol boats in a situation of "self-defence"?
Canada failed to answer these questions and thereforeits argument based
on self-defence does not hold water. Despite invoking Canadian legisla-
tion (which for the Court is simply a fact in the present proceedings and
not the applicable law), Canada's counsel nevertheless sought recourse,
as far as they were able, in international law inorder to attempt to justify

the use of force provided for in the Canadian legislation and its applica-
tion on the high seas to the Spanish vesse1Estai on 9 March 1995.

404. Canada's arguments concerning the use of force provided for in
its legislation andlor the force used against the Estai have no basis either
in the text of the reservation in subparagraph (d) of its declaration or in
its purported underlyingintention. As far as the text of the reservation is
concerned, the word "enforcement", taken in its ordinary or natural
sense, does not cover "coercive measures". What is more, enforcement is
not to be confused with "enforcement action". It is highly significant in
this respect that the statements by Canada's counsel talked of enforce-
ment and enforcement action as though they were the same thing. These
Canadian arguments thus add words to the text of the reservation which

are not in it. Thisis the time to ask ourselves whether the application of
grammar is to be confined to the interpretation of the words "vesselsfish-
ing" in the reservation. Even more significant is the fact that Canada,
while certainly speaking of its national legislation,makes no mention of
those matters really relevant to the interpretation of the reservationfrom
the point of view of the "underlying intention", so frequently referred to
in other contexts. Not a word, for example, of the statements of Mr.
Ouellet or Mr. Tobin. This is somewhat surprising, since Mr. Ouellet
spoke of reprisals ("retaliatory action") in his statement to the Senate on
12May 1995,and reprisalsis a term which in international law has a very
precise and generally accepted meaning.
405. As to the facts, Canada, as we have just said, presents them as
so-called conservation and management measures as provided for in its 727 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

sa législationnationale ou comme l'exécution detelles mesures. Mais la
question mériteune étude beaucoupplus approfondie des «faits généra-
teurs)) du présent différendtel que soumis par l'Espagne à la Cour le
28 mars 1995(voir chapitre II de la présente opinion). Si on analyse ces
faits, on voit clairement apparaître que tant l'adoption du règlementdu
3 mars 1995que l'arraisonnement de l'Estai par la force ne sont pas des
actes concernant véritablement la conservation des ressources biolo-

giques de la mer, mais des actes de rétorsion dirigéscontre des mesures
adoptées pour la zone de réglementation de L'OPANO par un tiers,
l'Union européenne.

406. Et que fait l'arrêten ce qui concernel'interprétationdes mots«et
l'exécutionde tellesmesures))figurant dans la réservede l'alinéad) de la
déclaration du Canada? Il rejette l'un après l'autre, dans ses para-
graphes 78 à84, lesarguments de l'Espagne qu'il identifie,àsavoir: l'exé-
cution contraire au droit international; l'application extraterritoriale du
droit pénal canadien; le silence de la déclaration et de sa réserve de

l'alinéad) sur l'emploi de la force; et l'irrégularité parrapport au droit
international des dispositionspertinentes de la législationcanadienne.

407. Malgréles dispositions de la convention sur le droit de la mer de
1982, l'arrêtne voit, apparemment, rien d'anormal dans la législation
nationale canadienne, en tout cas aux finsde l'interprétation de laréserve
de la déclaration canadiennedont il s'agit.l affirmeen fait qu'un certain
emploi de la force à l'encontre des navires étrangersen haute mer est
admis dans les relations entre Etats souverains pour ce qui est de la
conservation et de la gestion des ressources biologiques de la haute mer.
C'est un autre infléchissementjurisprudentiel de l'arrêt d'une portée
générale,aux conséquences imprévisibles,que je n'accepte point, sauf

accord entre les Etats concernés.

408. Quelles sont les preuves de la pratique des Etats et de leur opinio
juris avancées àcet égardpar l'arrêt?Les mêmesque le Canada, à savoir
la législationcanadienne, d'autres législationsnationales non identifiées
ni analyséeset l'alinéac) du paragraphe 1de l'article22 de la convention
de décembre1995sur les stocks chevauchants(paragraphe 81 de l'arrêt).
L'auteur de la présenteopinion ne saurait admettre sans preuve concrète
de la pratique des Etats et de leur opiniouris que la disposition citéede
la convention sur les stocks chevauchants est «une pratique générale
acceptée commeétantle droit »(paragraphe 1b) de L'article38du Statut

de la Cour), ni en mars 1995ni aujourd'hui. En tout cas, il ne partage pas
la conclusion,pour lui surprenante, du paragraphe 84 de l'arrêt, d'après
laquelle l'emploi dela force en haute mer prévudans la législationcana-
dienne à l'encontre des navires battant pavillon d'un Etat étrangerest,
aujourd'hui, ((communémentconsidéré comme l'exécution de mesures denational legislation, or as the enforcement of suchmeasures. But the issue
calls for a far more detailed study of the "facts which are the source" of
the present dispute submitted to the Court by Spain on 28 March 1995
(see Chapter II of this opinion). On an examination of these facts, it
emerges clearly that neither the adoption of the Regulations of 3 March
1995nor the boarding by force of the Estai are acts which genuinelycon-
Cernthe conservation of the livingresources of the sea,but acts of retalia-
tion directed against measures adopted in respect of the NAFO Regula-
tory Area by a third Party, the European Union.

406. And what line does the Judgment take as regards the interpreta-
tion of the words "and the enforcement of such measures" in the reserva-
tion in subparagraph (d) of Canada's declaration? In paragraphs 78 to
84, it identifies and rejects one by one the Spanish arguments, namely:
enforcement contrary to international law; the extra-territorial applica-
tion of Canadian criminal law; the silenceof the declaration and the res-
ervation in subparagraph (d) on the use of force; and the illegality,
under international law, of the relevant provisions of the Canadian
legislation.
407. Notwithstanding the provisions of the 1982 Convention on the
Law of the Sea, the Judgment apparently sees nothing abnormal in the
Canadian domestic legislation, at least for purposes of the interpretation
of the reservation in the Canadian declaration with which we are con-
cerned. Indeed, it asserts that the use of a certain degree of force against
foreign vessels on the high seas is permissible in relations between sov-
ereign States where the conservation and management of the living

resources of the high seas are concerned. This again represents a shift of
direction by the Judgment in the Court's jurisprudence, both general in
scope and unforeseeable in its consequences,to wliich1cannot subscribe,
excePtin regard to cases of agreement between the States concerned.
408. What evidence does the Judgment put forward about the practice
of States and their opinio juris in this respect? The same as Canada,
namely Canada's own legislation, unidentified and unanalysed legislation
of other countries, and Article 22, paragraph 1 (c), of the Convention
of December 1995on Straddling Stocks(paragraph 81 of the Judgment).
The author of this opinion cannot agree, in the absence of specificevi-
dence about the practice of States and their opiniojuris, that the provi-
sion of the Convention on Straddling Stocks cited by the Judgment is "a
general practice accepted as law" (Article 38, paragraph 1 (b), of the
Court's Statute), either in March 1995or today. Neither can 1 share the
astonishing conclusion in paragraph 84 of the Judgment that the use of
force on the high seas as contemplated by the Canadian legislation
against vessels flying the flag of a foreign State is today "comrnonly
understood as enforcement of conservation and management measures",728 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

gestion et de conservation» de façon à faire entrerà tout prix, certains
comportements du Canada à l'égardde l'Espagne dans le champ d'appli-
cation de la réservede l'alinéad) du paragraphe 2 de sa déclarationdu
10mai 1994.
409. Je ne trouve ni «naturel» ni ((raisonnable))que l'on puisse affir-

mer, comme le fait l'arrêt,que l'usage de la force (minimal ou non) à
l'encontre des navires étrangersse trouvant en haute mer soit désormais
inclus par le droit international générl ans la notion d'«exécution»des
mesures de gestion et de conservation des ressources biologiquesde la
haute mer. A mon avis, pour un tel usage dela force, le droit internatio-
nal généralexige toujours l'accord des Etats concernés.Il n'est pas sans
intérêdte reproduire ici, ce propos, le point 6 des déclarations interpré-
tativesconcernant la signaturepar la Communautéeuropéenneet sesEtats
membres de l'accord des Nations Unies de 1995 sur les stocks chevau-
chants :

«La Communauté européenne etses Etats membres réaffirment
que tous lesEtats doivent s'abstenir, dans leursrelations, de recourir
à la menace ou à l'usage de la force, conformément aux principes
générauxdu droit international, de la Charte des Nations Unies et
de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer.
Par ailleurs, la Communauté européenne et ses Etats membres

soulignent que l'usage de la force visél'article 22 [de l'accord sur
les stocks chevauchants] constitue une mesure exceptionnelle qui
doit être fondée surle respect le plus strict du principe de propor-
tionnalitéet que tout abus engagera la responsabilitéinternationale
de1'Etatd'inspection. Tout cas de non-observation doit seréglerpar
des moyens pacifiques,conformémentaux procéduresapplicables en
matièrede règlement desdifférends.
En outre, la Communauté européenneetsesEtats membres consi-
dèrent que l'élaborationdes conditions appropriées d'arraisonne-
ment et d'inspection doit se poursuivre conformément aux principes
applicables du droit international dans le cadre des organismes et

accords appropriés degestion des pêcheriesrégionauxou sous-régio-
naux.» (Union européenne, extrait du projet de procès-verbalde la
1935"session du Conseil (pêche),tenue à Luxembourg, le 10juin
1996,point iià l'annexe1 de l'extrait du compte rendu; leRoyaume-
Uni a fait une déclaration interprétativecet égard.)

410. Il est aussi évident,en tout cas pour moi, que dans les circons-
tances de fait et de droit de l'espèce,l'arrêtaborde une question impor-
tante divisant les Parties sur le fond de l'affaire. Par sa présentation dela
question, l'arrêtpréjuge enfaitle fond au-delà de ce qui est admissible
dans une procédurepréliminairesur la compétencede la Cour. Le para-
graphe 7 de l'article 79 du Règlementde la Cour pourrait donc êtreune thus enabling certain conduct by Canada with regard to Spain to be
brought willy-nillywithin the sphere of application of the reservation in
paragraph 2 (d) of the Canadian declaration of 10 May 1994.

409. 1 find it neither "natural" nor "reasonable" to assert, as the Judg-
ment does, that in general international law the notion of "enforcement"
of conservationand management measures relating to the livingresources
of the high seas now includes the use of force (whether minimal or not)
against foreign vesselson the high seas. In my opinion, for such force to
be used, general international law still requires the agreement of the
States concerned. In this connection, it is of interest to reproduce here
point 6 of the interpretative declarationsconcerning the signing by the
European Community and its member States of the 1995United Nations

Agreement on Straddling Stocks:

"The European Community and its member States reiterate that
al1 States shall refrain in their relations from the threator use of
force in accordance with general principles of international law, the
United Nations Charter and the United Nations Convention on the
Law of the Sea.

Moreover, the European Community and its member States
emphasize that the use of force contemplated in Article 22 [of the
Agreement on Straddling Stocks] is an exceptional measure, to be
based on the most rigorous respect for the principle of proportion-
ality, and that any abuse will engage the international responsibility
of the inspecting State. Any case of non-compliance shall be settled
by peaceful means, in accordance with the relevant procedures for
dispute settlement.
Furthermore, the European Community and its member States
consider that the relevant terms and conditions for boarding and
inspection should be elaborated in accordance with the relevant
principles of international law in the framework of the appropriate
regional and sub-regional fisheries management organizations and
arrangements." (European Union, extract from the draft Minutes of
the 1935th session of the Fisheries Council, held at Luxembourg on
10June 1996,Annex 1,point (ii), to the extract from the record; the
United Kingdom made an interpretative declaration in this respect.)

410. It is also clear, at least to me, that, in the legal and factual cir-
cumstances of the present case, the Judgment broaches an important
issue which divides the Parties on the merits of the matter. In its presenta-
tion of the issue, the Judgment effectively prejudges the merits to an
extent unacceptable in preliminary proceedings concerning the Court's
jurisdiction. Article 79, paragraph 7, of the Rules of Court, might thus be729 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS.TORRES BERNARDEZ)

autre victime du présentarrêt.L'arrêt fait entreren effet, on vient de le
voir, l'emploi dela forcede la législationcanadiennedans la définition de
ce qui, d'après lui,est ((communément»considéré comme ((l'exécutionde
mesures de gestion et de conservation», mais les Parties sont diviséesau
fond sur le degréde la force employéepar le Canada en l'espèce,ce qui

pose aussi la question de la qualification des actes précisdu Canada.
L'arrêtne répond pas à cette dernière question. Il va de soi que l'arrêt
garde, en outre, le silenceleplus total surla question de savoir sil'emploi
de la force qu'il admet peut se concilier avec la règlede la juridiction
exclusivede 1'Etatdu pavillon sur ses navires en haute mer.
411. L'arrêtnégligeaussi la question de l'adoptiondu règlementcana-
dien du 3 mars 1995et cherche toujours à se placer seulement ou princi-
palement sur le terrain des actes d'exécution en cause relatifsarraison-
nement par la force de l'Estai. Mais la premièredemande de la requête
espagnole est justement la non-opposabilitéde la législationcanadienne
donc, avant tout, l'adoption du règlementdu 3 mars 1995en tant que
telle. Les actes relatifs'Estai ne sont qu'une conséquencede l'adoption

d'un tel règlement.C'estcela la mesure par excellencedont il devrait être
question dans le présent incident auxfins de l'interprétation dela réserve
canadienne.

412. Pour cequi est de l'emploide la force, tout comme pour les autres
aspects du différend,dans le présent incident,il s'agit de déterminersi
une telle forme d'exécution des mesures degestion et de conservation est
ou n'est pas exclue par la réservede la déclarationdu Canada, car cette
dernièregarde le silence leplus absolu sur la force et son emploi.De plus,
la déclaration dans son ensemble nous dit que le Canada a donné, en

1994, son consentement à la juridiction pour tous les différendsautres
que ceux énuméréd sans les réservesfigurant dans la déclaration elle-
même(alinéasa) à d) du paragraphe 2).

413. Dans cescirconstances, l'exécutionpar la force des mesures visées
dans la réserve de l'alind) ne peut pas être interprétéeomme allant de
soi, car l'ordre juridique international comporte une interdiction générale
du recours à la force par les Etats dans les relations internationales. On
trouve une formulation de cette interdiction généraledu recours à la
force, que le Canada lui-mêmea reconnue comme étantune règleimpé-
rative, dans l'avis consultatif concernant la Licéitéde la menace ou de

l'emploi d'armes nucléaires (C.I.J. Recueil 1996, p. 247, par. 48). Le
défendeurn'a pas expliqué defaçon adéquate sonsilencesur l'usagede la
force dans sa déclarationdu 10 mai 1994,y compris dans la réservede
l'alinéad).
414. A cette première contribution à l'interprétation de la réserve
canadienne, le droit international en ajoute une autre qui procède direc-
tement du droit général dela mer. La haute mer est un espace maritime FISHERIES JURISDICTION (DISSO. P.TORRES BERNARDEZ) 729

one more victim of the present Judgment. As we have seen, the Judgment
brings the use of force under the Canadian legislation within the defini-
tion of what are "commonly" understood as "enforcement of conserva-
tion and management measures", but the Parties are divided on the mer-
its as to the degree of force used by Canada in this case, and this also
raises the question of how Canada's specificacts should be characterized.

The Judgment does not deal with this latter issue. And of course it also
remains utterly silent on the question whether the use of force which it
accepts can be reconciled with the rule of the exclusivejurisdiction of the
flag State over its vesselson the high seas.
411. The Judgment also fails to deal with the question of the adoption
of the Canadian Regulations of 3 March 1995; throughout, its sights
are set, either exclusively or in the main, on the acts of enforcement
involved in the forcible boarding of the Estai. Yet the first request in the
Spanish Application concerns precisely the non-opposability of the
Canadian legislation, and thus above al1the adoption of the Regulations
of 3 March 1995. The acts concerning the Estai are simply a conse-
quence of the adoption of the Regulations. It is this measure first and
foremost which should be the focus of the present incidental proceedings
for purposes of interpretation of the Canadian reservation.

412. As regards the use of force, as with the other aspects of the dis-
pute, the task of the present incidental proceedings should be to deter-
mine whether such a form of enforcement of conservation and manage-
ment measures is or is not excluded by the reservation in the Canadian
declaration, the declaration being totally silent about force and its use.
The declaration as a whole also tellsus that in 1994Canada gave its con-
sent to thejurisdiction in regard toal1disputes other than those enumer-
ated in the reservations contained in the declaration itself (paras. 2(a)

to (d)).
413. In these circumstances, the use of force to enforce the measures

contemplated in the reservation in subparagraph (d) cannot simply be
taken for granted, since the international legal order contains a general
prohibition on the use of force by States in international relations. One
formulation of this general prohibition of the use offorce, recognized by
Canada itselfas a peremptory nom, isto be found in the Advisory Opin-
ion on the Legality of the Threat or Use of Nuclear Weapons (1C.J.
Reports 1996, p. 247, para. 48). The Respondent has given no adequate
explanation of why its declaration of 10May 1994,includingthe reserva-
tion in subparagraph (d), is silent about the use of force.

414. To this initial contribution to the interpretation of theCanadian
reservation, international law adds another which follows directly from
the general law of thesea. The high seas are a maritime area reserved foraffectéà des fins pacifiques (article 88de la convention de Montego Bay)
où n'estpas reconnue l'exécutionpar la force desmesures de gestion et de
conservation des ressources biologiques par un Etat àl'encontre de navi-
res battant le pavillon d'un autre Etat dans cet espace. Il n'y a pas une
seule disposition de ladite convention qui autorise une conclusion
contraire. Or, il s'agità de règlesde droit international qui, à titre de

droit coutumier ou général, sont applicables entre le Canada et l'Es-
pagne.
415. Un Etat déclarant peut exclure par une réservedes principes et
règlesdu droit international dans n'importe quel domaine des relations
internationales aux fins de son consentement à la juridiction de la Cour,
mais il faut évidemment qu'il l'indiquedans sa déclaration,expressément
ou par implication nécessaire,car le silence de la déclarationdéposéene
joue pas à l'encontre mais en faveur du droit international en vigueur,
malgréles conclusions contraires à cet égarddu présentarrêt.
Dans le cas d'espèce,il existe aussi dans la zone de la haute mer en
question un régimemultilatéral conventionnelconcernant la gestion et la

conservation des ressources biologiques de la zone, celui de la convention
de I'OPANO de 1978,auquel sont soumis les bateaux de pêche des deux
Parties, convention que la réservecanadienne mentionne expressément
aux fins de la délimitation de son champ d'application géographique. Or
ce régimeconventionnel particulier ne connaît pas non plus l'exécution
par la force des mesures de gestion et de conservation des ressources à
l'encontre des navires étrangers,sauf accord des parties concernées (c'est
le cas du document NAFOIFC Doc. 9611mentionnéau paragraphe 70de
l'arrêt).
416. En outre, les déclarations relevant du paragraphe 2 de l'article 36
du Statut doivent être faites, interprétées etappliquées debonnefoi. Les
Etats déclarantsdans le cadre du systèmede la clause facultative - qui

est un système dans le domaine public - ont le droit de connaître la
portée du consentement à la juridiction obligatoire de la Cour donné
par chacun d'eux, ainsi que I'évolutionéventuelledudit consentement
aprèsle dépôtde la déclaration originale. Les silences,les demi-mots, les
faux-semblants,etc., ne correspondent ni à la lettre ni à l'esprit du sys-
tèmede la clause facultative et la Cour ne doit pas les encourager dans
l'interprétation des déclarations. D'autant plus qu'il y a, en l'espèce,
plusieurs déclarationsen vigueur qui excluent expressémentpar voie de
réservesdes différendsou des situations où il est question de l'usage de
la force.
La Cour a déclarémaintesfois, et dans des contextesdifférents,que le

systèmede la clause facultative tout entier est fondé sur la bonne foi et la
conJiancemutuelle entre Etats déclarants.Je l'ai dit et répété dans la pré-
sente opinion. En outre, la réciprocitédans l'application des réserves
contenues dans les déclarations fait aussi partie du système.Tout cela
s'oppose à ce qu'on reconnaisse comme allant de soi le silence ou les
réservesmentales de 1'Etatdéclarant sur l'usage de la force dans I'inter-
prétation des déclarations.peaceful purposes (Article 88 of the Montego Bay Convention), where no
State is entitled to use force inorder to enforce measures of conservation
and management of livingresources against vesselsin that area flyingthe
flag of another State. There is not a single provision in the Convention
which permits any conclusion to the contrary. And these are rules of
international law which, as customary or general law, are applicable

between Canada and Spain.

415. A declarant State may, by way of reservation, exclude principles
and rules of international law in any sphere of international relations in
connection with its consent to the jurisdiction of the Court, but, clearly,
it must say so in its declaration, either expressly or by necessary implica-
tion, since the silence of the declaration deposited operates not against,
but in favour of, the international law in force, notwithstanding the con-
clusions to the contrary in this respect in the present Judgrnent.
In the present case, there also exists in relation to the area of the high
seas in question a multilateral treaty régimeconcerningthe management

and conservation of the living resources of the area, that of the NAFO
Convention of 1978,to which the fishing vessels of the two Parties are
subject - a convention which the canadian reservation expressly men-
tions for the purpose of delimiting its geographical scope. Under this par-
ticular treaty régimetoo, force may not be used in order to enforce
measures of conservation and management of resources against foreign
vessels, inthe absence of agreement between the parties concerned (this is
the position set out in document NAFOIFC Doc. 96.1mentioned in para-
graph 70 of the Judgment).
416. Moreover, declarations under Article 36, paragraph 2, of the
Statute must be made, interpreted and applied in goodfaith. Within the

framework of the optional clause system - which is a system in the pub-
lic domain - declarant States are entitled to know the extent of the con-
sent to the compulsoryjurisdiction of the Court which each of them has
given, as well as any changes which take place in that consent after the
deposit of the original declaration. Silences, equivocations, false pre-
tences, etc., represent neither the letter nor the spirit of the optional
clause system and the Court should not encourage them when it inter-
prets declarations. This is particularly so inasmuch as in the present case
there are a number of declarations in force expresslyexcluding by way of
reservation disputes or situations involving the use of force.

The Court has stated time and again, and in differentcontexts, that the
entire optional clause system is based on good faith and mutual trust
among declarant States. 1 have said and repeated this in the present
opinion. Moreover, reciprocity in the application of reservations con-
tained in declarations is also part of the system. Al1 of this militates
against any automatic conclusions being drawn, in the interpretation of
declarations, from the silence or mental reservations of the declarant
State with regard to the use of force. 417. Lorsqu'un Etat déclarant fait et déposeune déclarationpour tous
les différends autres que ceux spécifiquementsoustraits à la compétence
de la Cour comme c'est le cas de la déclaration du Canada et aue. dans
A,
aucune des réservesinsérées dans la déclaration,l'usagede la force n'est
exclupar le texte, prétendrepar la suiteque le silencedu texte sur l'usage
de la forcedoit être interprété, cause d'une législationnationale interne,
comme excluant de la juridiction acceptéeun différend(ou un aspect
d'un différend)avec un autre Etat déclarantrelatif à l'usage de la force
n'est une interprétation ni acceptableni conforme au droit international.

418. Voyons maintenant plus concrètementce que le ministre Ouellet
a dit au Sénatle 12mai 1994.11a certes déclaréque laCanada avait, afin
de protégersa loi modifiéesur la protection des pêches côtièresf,ait une
réservedans la nouvelle déclarationdu 10mai 1994,mais sans analyser le
texte de celle-cien tant que tel. Ce texte n'a pas été ou commenténon
plus au Sénat. En outre,il a déclaréque laréservene s'appliquerait «que
pour la périodedetemps que nous jugeons nécessaired'exercer des repré-

saillescontre ceux qui s'adonnent à la surpêche))et que les bateaux visés
étaientles((bateaux pirates))irresponsables(bateaux apatrides et bateaux
battant pavillon de complaisance). Ce dernier aspect des choses a déjàété
examinédans la présente opinion, mais pas encore la mention par le mi-
nistre de l'exercicede «représailles».
419. Le contexte s'y prêtebien pour le faire, car du point de vue
conceptuel les propos du ministre Ouellet renvoient le lecteuràla notion
d'«exécution» demesures. Or, il est fort intéressant derelever que le mi-
nistre lui-mêmenous renvoie à cet égardau droit international, car les
représaillessont une institution du droit international coutumier que
l'article 30 du projet d'articles sur la responsabilitédes Etats de la Com-

mission du droit international appelle «contre-mesures» (Annuaire de la
CDI, 1979,vol. II, deuxièmepartie, p. 128-135).
420. Indépendamment du fait qu'elles soient ou non armées,et de la
question du rapport desreprésaillesdites «armées»avecla norme du para-
graphe 4 de l'article 2 de la Charte des Nations Unies, il est certain qu'il
y a unanimité sur la déjïnitiondes représailles oucontre-mesures. Cette
définitiona été formuléedans lasentence arbitrale du 3 1juillet 1928dans
l'affaire en responsabilité entre l'Allemagne et le Portugal relative à
l'Incident de Naulilaa dans les termes suivants:

«La représailleest un acte de propre justice (Selbshilfehandlung)
de 1'Etatléséa,cte répondant - aprèssommation restée infructueuse
- à un acte contraire au droit des gens de YEtat offenseur. Elle a
pour effet de suspendremomentanément, dans lesrapports des deux

Etats, l'observation de telle ou telle règledu droit des gens. Elle est
limitéepar les expériencesde l'humanité etles règlesde la bonne foi,
applicables dans les rapports d'Etat à Etat. Elle serait illégale si 417. Where a declarant State makes and deposits a declaration relat-
ing to al1disputes other than those specificallyexcluded from the Court's
jurisdiction, as is the case with theanadian declaration, and where none
of the reservations in the declaration specificallyexcludes the use of force
in its text, it is neither acceptable nor in conformity with international
law to contend subsequently that, by virtue of interna1 domestic legisla-
tion, the silence of the text with regard to the use of force is to be inter-
preted as excluding from the jurisdiction which the State has accepted a
dispute (or an aspect of a dispute) with another declarant State concern-

ing the use of force.

418. Let us now take a closer look at what Minister Ouellet said in the
Senate on 12May 1994.He undoubtedly stated that Canada, in order to
protect its amended Coastal Fisheries Protection Act, had made a reser-
vation in its new declaration of 10May 1994,but he did not discuss the
text of the reservation as such. Nor was the text read out or commented

on in the Senate. Furthermore, he stated that the reservation would apply
"only during such time as we felt was necessary to take retaliatory action
['représailles']against those engaged in overfishing" and that the vessels
concerned were irresponsible"pirate" vessels(Statelessvesselsand vessels
flying a flag of convenience). This latter aspect of the matter has already
been discussed in the present opinion, but not as yet the mention by the
Minister of taking "retaliatorv action".
419. The con& readily l&ds itself to this, because from the concep-
tua1 point of view Mr. Ouellet's words refer the reader to the notion of
"enforcement" of measures. Yet it is highly pertinent to note that the
Minister himself refers us in this regard to international law, since "repri-
sais" are an institution of customary international law, called counter-
measures in Article 30 of the International Law Commission's draft

articles on State responsibility (ZLC Yearbook, 1979,Vol. II, Part Two,
pp. 128-135).
420. Whether reprisals are armed or not, and regardless of the ques-
tion of the relationship between "armed" reprisals and the rule in
Article 2, paragraph 4, of the United Nations Charter, there is clearly
unanimity about the dejînition of reprisals or countermeasures. This
definition was formulated in the following terms in the Arbitral
Award of 31 July 1928 in the responsibility case between Germany
and Portugal with regard to the Naulilaa Incident:

"Reprisals are an act of self-redress (Selbsthilfehandlung) of the
injured State, an act done in reply - after giving notice and not
receivingsatisfaction - to an act contrary to the law of nations by
the offending State. Their effect is temporarily to suspend, in the
relations between the two States, the observance of one or another
rule of the law of nations. They are limited by humanitarian experi-
ence and by the rules of good faith applicable in relations between un acte préalable, contraire au droit des gens, n'en avait fourni le
motif.» (Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. II,
p. 1026; les italiques sont dans le texte original de la sentence
arbitrale.)

Le ministre Ouellet lui-mêmenous renvoie donc, comme il se doit, au
droit international et non pas à la législationcanadienne ou à ses règle-
ments d'application pour ce qui est de la définition del'«exécution»des
mesures viséespar la réservede l'alinéad) de la déclaration canadienne.
Or, si l'on admet, en interprétant les propos du ministre, que mêmeles
représailles arméessont effectivement incluses dans la réserve, entant
qu'exécution desmesures adoptées,il fauttout de suite sedemander quel
acte préalable contraire au droit des gens en haute mer le Canada repro-

chait à l'Espagnelorsqu'il a adoptéle règlementdu 3 mars 1995et arrai-
sonnél'Estai le 9 mars 1995? Le défendeur n'a pas plaidé,et encore
moins prouvé, dans la présenteprocédure incidentel'existenced'un fait
internationalement illicitepréalable imputable àl'Espagne.Il a seulement
parléen général desurpêchedans une zone de la haute mer. Ce n'est pas
suffisant en droit international pour exercer des représailles.

421. La conclusion ne peut donc êtreplus claire. Les moyens complé-
mentaires d'interprétation invoquéspar le défendeurne font que confir-
mer dans les circonstances de l'espècel'interprétationdes mots ((l'exécu-
tion de tellesmesures)),de la réservecanadienne, à laquelleje suis arrivé

sur la base de la bonne foi, du texte, du contexte et du droit international
applicable entre les Parties. La Cour est donc aussi compétente - selon
l'auteur de la présenteopinion - pour connaître de cet aspect de la
requête de l'Espagne, queles mesures adoptées in casu par le Canada
soient ou non des «mesures de gestion et de conservation)) en droit inter-
national.

422. Finalement, il y a lieu de souligner que l'arrêt gardele silencele
plus complet sur le harcèlement par les garde-côtes canadiens en parti-
culier des navires de pêcheespagnolsautres que l'Estai. L'arrêtne souffle
pas mot non plus de la question de savoir si la «menace» de l'emploi de
la force militaire par le Gouvernement canadien, après l'arraisonnement
de l'Estai, afin que l'ensemble des bateaux de pêcheespagnols cessent
leurs activités dans la zone de réglementation de I'OPANO, doit être
considérée, entant que telle, comme procédant de l'exécution desme-

suresde gestion et de conservation au sens de la réservede l'alinéa d)du
paragraphe 2 de la déclaration duCanada du 10mai 1994.Est-ceque ces
menaces de l'emploide la force relèvent aussicommunémentde l'exécu-
tion des mesures de gestion et de conservation des ressources biologiques
de la haute mer en droit international? L'arrêtne répond pas à cette
question. States. They would be unlawful ifa prior act contrary to the law of
nations had not furnished the cause for them." (United Nations,
Reports of International Arbitral Awards, Vol. II, p. 1026[transla-
tion by the Registry]; the emphasis is that of the original text of the
arbitral award.)

Thus Mr. Ouellet himself refers us, quite rightly, to international law,
and not to Canadian legislation or its implementing regulations, in
regard to the definition of "enforcement" of the measures contemplated
by the reservation in subparagraph (d) of the Canadian declaration. But
if we accept, in interpreting the Minister's remarks, that in fact even
armed retaliation is covered by the reservation, inasmuch as it constitutes
enforcement of the measures adopted, we must immediately ask our-
selves,what prior act contrary to the law of nations on the high seas was
being charged against Spain by Canada when it adopted the Regulations
of 3 March 1995and boarded the Estai on 9 March 1995?In the mesent
incidental proceedings the Respondent has not argued, far less proved,
the existence of a prior internationally wrongful act imputable to Spain.

It has merely spoken in general teams of overfishing in an area of
the high seas. That is insufficient in international law for the taking of
reprisais.
421. The conclusion could not therefore be clearer. In the circum-
stances of the present case the supplementary means of interpretation
invoked by the Respondent serve only to confirm my interpretation of
the words "enforcement of such measures" in the Canadian reservation,
an interpretation reached on the basis of good faith, the text, the context
and the international law applicable between the Parties. Accordingly,
the Court also has jurisdiction - in the viewof the author of this opinion
- to deal with this aspect of the SpanishApplication, whether or not the
specificmeasures taken by Canada are "conservation and management
measures" under international law.

422. Finally, it should be noted that the Judgment remains totally
silent with regard to the harassment, by Canadian coastguard vesselsin
particular, of Spanish fishing vessels other than the Estai. Nor does it

breathe a singleword about the question whether the "threat" of military
force by the Canadian Government, after the boarding of the Estai, so as
to induce al1Spanish fishing vesselsto cease their activities in the NAFO
Regulatory Area is, as such, to be considered as having its origin in the
enforcement of conservation and managementmeasures within the mean-
ing of the reservation in paragraph 2 (d) of the Canadian declaration of
10 May 1994. 1s such threat of force also comrnonly included in the
notion of enforcement of measures of conservation and management of
the living resources of the high seas in international law? The Judgment
fails to answer this question.733 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP. DISS. TORRES BERNARDEZ)

e) L'expression ((différends auxquelspourraient donner lieules me-
sures..» de la réserveet l'objet du différend soumispar l'Espagne

423. Commeje l'aiexposétout au long de la présenteopinion, en par-
ticulier au chapitre III, l'objet du différend soumispar l'Espagne à la

Cour concerne le titre ou le défaut de titredu Canada pour exercer cer-
tainesjuridictions, certainsdroits ou certainesprétentions en haute merà
l'égard des naviresbattant pavillon espagnol se trouvant dans un tel
espace maritime et ledit différend,en conséquence, n'estpas exclu du
consentement à la juridiction de la Cour exprimépar le Canada dans sa
déclaration de 1994malgréla réservede l'alinéa d) du paragraphe 2 qui
fait partie de la déclaration. Dans cette réserve,il ne s'agit que des
«mesures de gestion et de conservation)) adoptées par le Canada et de
((l'exécutiondetelles mesures» et non pas du titre de droit international
du Canada pour pouvoir adopter et exécuterles mesures en question a
l'égardde l'Espagne et de ses navires en haute mer. La réserve dela
déclaration canadienneen vigueur ne soustrait pas a la compétence dela

Cour le titre et lesmesures, commece fut le cas de la réservede l'alinéa
du paragraphe 2 de la déclaration canadienne de 1970.
424. Il s'ensuitpour moi que l'adoption par le Canada des mesures de
gestion et de conservation et l'exécutionde tellesmesures même sc iela
correspondait aux faits et au droit ne pourraient pas donner lieu à un
différenddont l'objet est le titre ou le défautde titre du Canada pour
précisémentadopter etlou exécuterles mesures en question. Juridique-
ment et logiquement, le titre ou le défaut de titredu Canada est unprius
par rapport aux mesures adoptéesetlou exécutées par le Canada.
425. Cette premièreconclusion écarterait déjà l'objection à la compé-
tence du Canada fondée sur la réservede l'alinéa d) de sa déclaration
de 1994.En d'autres termes, les mesures de la réserve ne pourraient pas

donner lieu (((arising out of or concerning))à un différend commecelui
soumis a la Cour par la requête de l'Espagne du28 mars 1995.Ainsi, les
mots employésdans la réserve nesauraient, d'emblée,jouer un rôle d'ex-
clusion dans les circonstances de la présenteaffaire. 11faut noter que,
dans la déclaration de1970du Canada, la réserve de l'alinéa d) contenait
lesmêmesmots et, cependant, ceux qui les suivaient englobaient desjuri-
dictions, des droits et desprétentionsdu Canada aussi bien que desmesu-
res adoptéespar le Canada. Ce n'est pas le cas de la présenteréserve,où
il n'est question, après les mots en cause, que des mesures adoptéeset
exécutées par le Canada.

426. La conclusion qui précèdecorrespond à celle défenduepar l7Es-

pagne tout au long du présent incident préliminaire. La position du
Canada sur ce point a été d'abord, commeje l'ai dit, cellede l'identité de
l'objet du différendet de l'objet dela réserve de l'alinéade sa déclara-
tion. Cet argument sera remplacé à la phase orale par celui selon lequel
l'objetdu différendserait aussi la gestion et la conservation des pêch.sA
partir de cemoment, tous leseffortscanadiensvont viser àdémontrerque FISHERIES JURISDICTION (DISSO. P.TORRES BERNARDEZ) 733

(e) Theexpression"disputesavisingout of ovconcerning .. .measures"in
the reservationand the subjectof the disputesubmitted by Spain

423. As 1 have made clear throughout this opinion, in particular in
Chapter III, the subject of the dispute submitted by Spain to the Court
concerns Canada's title or lack of title to exercise certain jurisdiction,

rights or claims on the high seas in regard to vessels in that maritime
space flying the Spanish flag; accordingly, this dispute does not fa11out-
side the consent to the jurisdiction of the Court expressed by Canada in
its 1994declaration, despite the reservation in paragraph 2 (d) included
in that declaration. The reservation refers only to "conservation and
management measures" taken by Canada and "the enforcement of such
measures", and not to Canada's entitlement under international law to
take and enforce the measures in question against Spain and its vesselson
the high seas. The reservation in the existing Canadian declaration does
not deprive the Court of jurisdiction with regard to the title and meas-
ures, as was the case with the reservation in paragraph 2 (d) of the 1970

declaration.

424. It follows,in my view,that the taking and enforcement by Canada
of conservation and management measures - even if it were compatible
with the facts and the law - could not give rise to a dispute whose sub-
ject is precisely Canada's title or lack of title to take andlor enforce the
measures in question. Law and logic require that the issue of Canada's
title or lack thereof be treated as a pre-condition for the measurestaken
andlor enforced by Canada.
425. This initialconclusion alone would dispose of the objection to the
Court's jurisdiction which Canada founds on the reservation in subpara-

graph (d) of its 1994declaration. In other words, a dispute of the kind
submitted to the Court by the Spanish Application of 28 March 1995
could not be a dispute avisingout of or concerningthe measures to which
the reservation refers. Thus it is clear from the outset that the words used
in the reservation cannot operate so as to excludejurisdiction in the cir-
cumstances of the present case. It should be noted that, in Canada's 1970
declaration, the reservation in subparagraph (d) contained the same
words, but those which followed them referred also to the jurisdiction,
rights and claims of Canada as well as to the measures taken by Canada.
This is not the case with the present reservation, in which the phrase fol-
lowingthe words in question relates solelyto measures taken and enforced

by Canada.
426. The foregoing conclusion represents what Spain has argued
throughout the present preliminary incidental proceedings. At first, as
1 said, Canada's position on this point was that the subject of the dispute
was identical with the subject-matter of the reservation in subpara-
graph (d) of its declaration. At the oral stage of the proceedings,that argu-
ment was replaced by the contention that the subject of the dispute
was also the conservation and management of fisheries. From then on,734 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS.TORRES BERNARDEZ)

les différendsdela réserveconcernent un concept plus large que celui du
différendayant pour objet des ((mesures de gestion et de conservation».
Pour le Canada, il y aurait donc certains aspects ou éléments communs
entre le différendet la réservequi seraient suffisantspour faire tomber le
différenddans lechamp d'application de la réserve.C'estdans cecontexte
que le Canada va se souvenir de l'expression((différendsauxquels pour-

raient donner lieu les mesures...)), surtout dans sa formulation anglaise
(((arisingout of or concerning)). Ainsi,toute question soulevéepar les me-
sures adoptées directement ou indirectement par le Canada relativement
à un point quelconquetelqueletitre,la nécessitél,'opportunité,laméthode
d'exécution,etc. (arising out of or concerning), serait couverte par la
réserve.Arising out of viserait l'origine et concerningl'objetdu différend.
427. A première vue, cette interprétation du Canada semblerait
s'appuyer sur le texte de la réservede l'alinéa. Ce n'esttoutefois qu'un
mirage. Outre le fait que les mots ((directement ou indirectement)) ne
sont pas mentionnés dans le texte de la réserve,les arguments canadiens
abandonneront vite les formulations française et anglaise du texte de la

réservepour d'autres. Cela équivaut à une reconnaissance du fait que le
texte de la réservene conforte pas la thèse canadienne de l'aussi. Les
conseils du Canada vont se tourner alors vers l'«ayant trait» de la
réserve grecquedans l'affaire du Plateau continental de la mer Egée
(C.I.J. Recueil 1978, p. 3).
428. Ledéfendeura ainsi pris tout de suite des libertésavec sonpropre
texte de la réserve.Dans les interventions canadiennes à l'audience, on
note une véritablecascadede termes nouveaux. se substituant à l'exvres-
sion ((auxquelspourraient donner lieu» (arising out of or concerning) de
la réserve.Tout ne s'arrête pas à l'ayant trait. Parfois cette formule
s'accompagne d'une autre formule, à savoir «se rapporter à». Mais il y
en a beaucoup d'autres, malgréles affirmations rassurantes que le texte

est clair et que l'intention qui secache derrièrele texte ne l'estpas moins.
J'ai noté,par exemple,lesformulessuivantes: ((serapporte aussi» ;((qu'il
ait étéoccasionnépar» ;«qu'il soit en relation avec;((mettre en cause» ;
((mettre enjeu», ((êtrené»,etc.
429. Au terme de ce parcours, on ne peut que constater, une fois de
plus, que pour le Canada la réserve n'a pasde texte ou, tout au moins,
qu'ilseconsidèreautorisé à le modifier selon le moment ou les besoins de
l'argumentation. On n'est plus dans l'interprétation d'une déclaration
relevant du systèmedela clause facultative. Il faut le dire. Il est clair que
l'invocation initiale de l'expression ((auxquels pourraient donner lieu»
(arising out of or concerning) n'était qu'une questionde stratégiejudi-
ciaire. C'estencorel'intention sous-jacentedu Canada qui présideet gou-

verne le tout.
430. Pour l'arrêt,lesformulations employéesdans la réservedel'alinéa
d) donneraient àl'exclusionétabliepar la réserveun caractère plus large
et plus englobant. L'arrêt adopte donc l'argument canadien et, tout
comme le Canada, semet aussi à utiliser d'autres formulespour expliquer
ce qui serait autrement parfaitement clair (voir paragraphes 62 et 63 de735 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS. TORRES BERNARDEZ)

l'arrêt).Or,à ce moment-là de son raisonnement, l'arrêt avaitdéjàpris
soin d'écarter laquestion du titre ou du défaut de titredu Canada en tant
qu'objet du présent différend.L'arrêtne s'estdonc pas vu dans la néces-
sité deprendre position sur lerius, c'est-à-dire sur la contradiction juri-

dique et logique que j'ai mentionnée ci-dessus. En outre, l'arrêtne se
donne pas la peine de procéderici àla comparaison des termes des deux
déclarations,méthodequ'il reconnaîtet applique à d'autres finsauxpara-
graphes 50 et autres. Comme je l'ai déjàdit, la réservede l'alinéa du
paragraphe 2 de la déclarationde 1970du Canada n'est pasdu tout men-
tionnéedans l'arrêt,seulement cellede 1985.

431. Disons pour conclure que l'expression«différendsauxquels pour-
raient donner lieu les mesures...)) qu'emploie la réservede l'alinéade
la déclarationdu Canada de 1994ne semblejouer qu'un rôlebien secon-
dairedans lesmotifs de l'arrêt et pourles mêmesraisonsque dans la pré-
sente opinion dissidente, bien quel'on arrivedes conclusionsdifférentes

sur l'existencede la compétence.Ayant conclu que les mesures adoptées
et exécutéespar le Canada en marslavril 1995 à l'encontre des navires
espagnols ne sont pas pour moi des mesures de gestion et de conserva-
tion, ou l'exécutionde telles mesures, au sens que revêtentces termes
dans la réserve, l'expressionsusmentionnée((différendsauxquels pour-
raient donner lieu les mesures...)) n'a plus de rôle majeurjouer dans
l'interprétation dela réserve.Cette conclusion vient donc s'ajouter la
conclusion à laquelle je suis arrivé dans les premiers paragraphes de la
présente section. Ainsi,ni le terme «différends» qui précèdeles formules
en question, ni l'expression «mesures de gestion et de conservation..»
qui les suit, ne modifient en rien l'interprétation quiest faite de la réserve
canadiennedans la présenteopinion compte tenu de mes considérations
et conclusions sur ledit terme et sur ladite expression.

1. La compétencede la compétence dela Cour

432. En réponseàdes argumentsde l'Espagne, lesconseils du Canada
ont répété maintes foiqsue celui-ciou celui-là relevait du «fond» et non
pas de la «compétence»,sanssesoucier du caractère«préliminaire»de la
présenteprocédure incidente. Or, c'est faire erreur que d'affirmer que
compétencelfondest synonymede préliminairelnonpréliminaire.La ques-
tion de la compétencedoit toujours être tranchéeen premier lieu, mais
celapeut sefaire tant dans une phase incidente préliminairequelors de la

phase sur le fond. Le fait qu'une exception ou objection soit présentée
sous une forme préliminaire,comme l'a fait le Canada, ne veut pas dire
qu'ellesoit véritablement préliminaireou qu'il soitpossible dela trancher
dans une phase incidente préliminaire.
Comme lajurisprudence le confirme, en qualifiant certaines exceptions
de préliminaires, l'article79 du Règlementde la Cour montre bien que: FISHERIES JURISDICTION (DISSO. PTORRES BERNARDEZ) 735

fectlyclear (seeparagraphs 62 and 63of the Judgment). At this point in its
reasoning the Judgment had already been careful to eliminate the ques-
tion of Canada's title or lack of title as a subject of the present dispute.
The Judgment thus did not deem it necessary to express an opinion on
the pre-condition, that is to say, the legal and logical contradiction men-
tioned above. Moreover, it did not even bother at this point to compare
the expressions in the two declarations, a procedure which it accepts and
employs for other purposes in paragraph 50 and elsewhere. As 1 have
alreadypointed out, nowhere in the Judgment is there any mention of the

reservation in paragraph 2 (d) of the Canadian declaration of 1970,but
only of the 1985reservation.
431. Let it besaid in conclusion that the matter of the words used in
subparagraph (d) of the reservation in the 1994 Canadian declaration
seems to play a quite secondary role in the reasoning of the Judgment,
and for the same reasons as in the present dissenting opinion, although
differentconclusions are reached as to the existence ofjurisdiction. Once
one has concluded, as 1 have done, that the measures adopted and
enforced by Canada in MarchIApril 1995 against Spanish vessels were
not conservation and management measures, or the enforcement of such
measures, within the meaning which these expressions bear in the reser-
vation, the words of the reservation no longer have a major part to play
in its interpretation. This conclusion accordingly reinforces that which

1reached in the opening paragraphs of the present section. Thus neither
the word "disputes", which precedes the phrase in question, nor the
expression "conservation and management measures", which follows it,
do anything to alter the interpretation which this opinion attributes to
the Canadian reservation in the light of my observationsand conclusions
with regard to that word and that expression.

1. The Court'sPower to Determine Its Own Jurisdiction
432. In replying to Spain's arguments, counsel for Canada stated
repeatedly that this or that issue was a matter for the "merits" and not

the "jurisdiction", thereby overlookingthe "preliminary" character of the
present incidental proceedings. For to assert that "jurisdiction/merits" is
synonymous with "preliminarylnon-preliminary" is erroneous. The ques-
tion of jurisdiction must always be decided first, but that can occur both
in the preliminaryincidental phase and at the meritsphase. The fact that
a defence or objection is put forward in a preliminaryform, as was done
by Canada, does not mean that it is genuinely preliminary or that it can
be settled in a preliminary incidental phase.

As the case-lawconfirms, by categorizingcertain objectionsas prelimi-
nary, Article 79 of the Rules of Court makes it quite clear that:736 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

«lorsqu'elles présentent exclusivement ce caractère, les exceptions
doivent être tranchées sans délai, mais que, dansle cas contraire, et
notamment lorsque ce caractère n'est pas exclusifpuisqu'elles com-

portent àla foisdes aspects préliminaireset des aspectsde fond, elles
devront êtreréglées au stade du fond. Ce procédétend d'autre part
à découragertoute prolongation inutile de la procédureau stade de
la compétence. » (Activitésmilitaires et paramilitaires au Nicaragua
et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amérique), C.I.J.
Recueil 1986, p. 31, par. 41.)

Ainsi, en déclarant,par exemple,que l'objectiondu Canada fondée sur la
réservede l'alinéad) n'a pas, dans lescirconstancesde l'espèce, uncarac-
tèreexclusivementpréliminaire, la Cour ne trancherait point la question
de la licéité des esures de gestion et de conservation de la réserveou de
leur exécution.Une telle déclarationsignifierait tout simplement que la
Cour ne statuerait sur ces questions qu'au stade du fond. L'arrêtsemble-
rait s'inspirer de considérations d'un autre ordre, savoir de la fameuse
((intention sous-jacente))du Canada qui entendait exclure par la réserve

tout examen au fond que ce soit à la phase de la compétence oupar la
suite.

2. Les objections ou exceptions
n'ayantpas un caractèreexclusivementpréliminaire

433. Le paragraphe 7 de l'article 79 du Règlement dela Cour prévoit
que celle-ci, après avoir entendu les parties, statue dans un arrêt par
lequel elleretient l'exception,la rejette ou déclareque cette exception n'a
pas dans les circonstancesde l'espèceun caractèreexclusivementprélimi-
naire. L'Espagne, dans son mémoireet lors des audiences, a invoquécette

disposition réglementaire à l'égardde certaines interprétations de la
réservecanadienne avancéespar le défendeur. L'arrêt écarte toute décla-
ration de caractère non exclusivement préliminaire. Il le fait en établis-
sant une distinctionentre l'interprétation de la réserveet la question de la
licéitédes actes visésà l'alinéad) du paragraphe 2 de la déclarationdu
Canada (paragraphe 85 de l'arrêt).

434. Pour l'arrêt,cela serait possiblemêmelorsqu'il s'agitd'interpréter
des ambiguïtés,desobscuritéset des silencesdes réservesinséréed sans les
déclarations.Les paragraphes 54 et 79 de l'arrêt - que je rejett- sont

absolument clairs àcet égard. La bonne foi n'aurait aucun rôle àjouer
dans I'interprétationdes réserves!L'arrêtsemble se plaire à le souligner,
par exemple, lorsqu'il affirme:
«La Cour n'a jamais donné à entendre, dans sa jurisprudence,

qu'une interprétation privilégiantla conformité au droit interna-
tional des actes exclus de la compétencede la Cour est la règlequi
s'imposepour I'interprétation detellesréserves. »(Paragraphe 54 de
l'arrêt.) "when they are exclusively of that character they will have to be
decided upon immediately, but if they are not, especially when the
character of the objections is not exclusively preliminary because
they contain both preliminary aspects and other aspects relating to
the merits, they will have to be dealt with at the stage of the merits.
This approach also tends to discourage the unnecessary prolonga-
tion of proceedings at the jurisdictional stage." (Military and Para-

military Activities in and against Nicaragua (Nicaragua v. United
States of America), I.C.J. Reports 1986, p. 31, para. 41.)
Thus in declaring, for example, that Canada's objection founded on the
reservation in subparagraph (d) did not, in the circumstances of the case,
possess an exclusively preliminary character, the Court would in no way
be ruling upon the legality of the conservation and management meas-
ures referred to in the reservation, or of their enforcement. Such a dec-

laration would simply mean that the Court would decide those issues
only at the merits stage.The Judgrnent seemsto proceed from considera-
tions of a different kind, namely the famous "underlying intention" of
Canada that the reservation should exclude any consideration of merits,
whether at the jurisdiction phase or subsequently.

2. Objections Which Do Not Possess an Exclusively Preliminary
Character

433. Article 79,paragraph 7, of the Rules of Court provides that, after
hearing the parties, the Court shall giveits decision in the form of ajudg-
ment, by which it shall either uphold the objection, reject it, or declare
that the objection does not possess, in the circumstances of the case, an
exclusively preliminary character. In its Memorial and in the hearings,

Spain invoked this provision of the Rules with regard to certain interpre-
tations of the Canadian reservation put forward by the Respondent. The
Judgment avoids making any declaration to the effect that the objection
does not have an exclusivelypreliminarycharacter. It does this by draw-
ing a distinction between the interpretation of the reservation and the
question of the legality of the acts referred to in paragraph 2 (d) of the
Canadian declaration (paragraph 85 of the Judgment).
434. For the Judgment, that is possible even when interpreting ambi-
guities, uncertainties and silences in reservations contained in declara-
tions. Paragraphs 54 and 79 of the Judgment - which 1 reject - are
absolutely clear on this point. Good faith, it seems, has no part to play
in the interpretation of reservations! The Judgment appears to take
pleasure in stressing this point, forexample when it states:

"Nowhere in the Court's case-lawhas it been suggested that inter-
pretation in accordance with the legality under international law of
the matters exempted from thejurisdiction of the Court is a rule that
governs the interpretation of such reservations." (Paragraph 54 of
the Judgment.)737 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS .ORRES BERNARDEZ)

435. Cette conclusionincroyable de l'arrêtme semble toutefois insuf-
fisante pour que l'on puisse écarter dans l'interprétationd'une réserve
toute déclarationde caractère non exclusivementpréliminaire. Malgré la
redéfinitionpar l'arrêtde l'objet du différend (exclusionpar exemple du
titre ou du défaut de titre du Canada ou de l'opposabilité ou de laon-
opposabilité àl'Espagne dela législationcanadienne), je suisloin de pou-

voir conclure avec l'arrêt qu'aucunedes questions qu'il traite n'a en
l'espèceun caractèrenon exclusivement préliminaire,notamment pour ce
qui est de la définitiondes ((mesuresde gestion et de conservation))et des
mots «l'exécutionde tellesmesures» dans la réserveainsi que de l'appré-
ciation de l'usage de la force par le Canadain casu à l'encontre des na-
vires espagnols et de ses menaces ultérieuresen haute mer. En tout cas,
l'arrêtpasse outreà la troisièmealternative offerte par le paragraphe 7 de
l'article 79 du Règlement dela Cour pour des procéduresincidentes sur
des objections ou exceptions préliminaires.

3. La portée dela res judicata duprésentarrêt

436. Tous les arrêtsde la Cour, et partant le présentarrêt,sont obli-
gatoires pour les parties, définitifset sans recours (articles 59 et 60 du
Statut), sans préjudice évidemment des demandesen interprétation ouen
revision tellesque prévuesaux articles 60 et 61 du Statut respectivement.
11va de soi que la resjudicata du présentarrêtne concerneque la ques-
tion préliminairede la compétencede la Cour pour statuer sur le diffé-
rend, l'objet du différendde la requêteayant étéd'autre part reformulé
par l'arrêtlui-même.En outre, adoptédans une procédureincidente pré-
liminaire, l'arrêtn'est pas susceptible de par sa nature mêmede trancher

ou de préjugeren rien que ce soit des questions ayant trait au fond du
différendqui diviselesParties et cela quoique sesmotifs puissent direce
sujet. Ainsi donc,toutes les questionsrelevant dufond du différend entre
l'Espagneet le Canada soumis à la Courpar la requêtede l'Espagnedu
28 mars 1995 restent tout àfait en dehors de laportéede la res judicata
duprésentarrêtsur la compétence.

437. A la lumière de l'ensemble desconsidérations sus-énoncéesj,e

conclus que la Cour est parfaitement compétente pour statuer sur le dif-
férendporté devantellepar la requête quel'Espagnea déposée le28mars
1995.
Lesmotifs essentielssur lesquelsla présenteopiniondissidente sefonde
sont au nombre de trois. Tout d'abord, le rôle fondamental du principe
de la bonne foi tant dans leodus operandidu systèmede la clausefacul- FISHERIES JURISDICTION (DISS .P. TORRES BERNARDEZ) 737

435. However, even this extraordinary conclusion of the Judgment
seems to me insufficient to justify the exclusion, from the interpretation
of a reservation, of a declaration that a particular objectionis not of an
exclusivelypreliminary character. Despite the Judgment's having rede-

fined the subject of the dispute (for example, by excluding Canada's title
or lack of title or the opposability or non-opposability of the Canadian
legislation to Spain), 1find it quite impossibleto agree with its conclusion
that, in the present case, not one of the issues which it addresses is other
than of an exclusively preliminary character,in particular the meaning of
the expressions "conservation and management measures" and "the
enforcement of such measures" in the reservation, as wellas the matter of
Canada's use of forcein the circumstancesagainst Spanish vesselsand its
subsequentthreatening acts on the high seas. At al1events, the Judgment
ignores the third alternative which Article 79, paragraph 7, of the Rules
of Court offers in regard to incidental proceedings on preliminary objec-
tions.

3. The Extent to Which the Present Judgment
Constitutes Res Judicata

436. All the Court's judgments, including therefore the present one,
are binding on the parties, final and without appeal (Articles 59and 60of
the Statute), without prejudice of course to requests for interpretation or
applications for revision as provided in Articles 60 and 61 of the Statute
respectively. Self-evidently,the present Judgment is res judicata only as
far as the preliminary question of the Court's jurisdiction to decide the
dispute is concerned,the subject of the dispute as submittedin the Appli-
cation having moreover been reformulated by the Judgment itself. What

is more, having been deliveredin preliminaryincidental proceedings, the
Judgment cannot by its very nature decide or prejudge any question
whatsoever relating to the merits of the dispute between the Parties,
whatever its reasoning may say on that subkct. Consequently, al1 the
questions concerning the merits of the dispute between Spain and Canada
submitted to the Court in the Spanish Application of 28 March 1995full
entirely outside the scope of the res judicata of the present Judgment on
jurisdiction.

437. In the light of al1of the foregoingconsiderations, 1conclude that
the Court has full jurisdiction to adjudicate upon the dispute brought
before it by the Application filed by Spain on 28 March 1995.

There are three principal grounds on which this dissenting opinion is
based. First of all, the fundamental role of the rule of good faith both in
the modus operandi of the optional clause system and in the interpreta-738 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.DISS. TORRES BERNARDEZ)

tative que dans l'interprétation et l'application par la Cour des décla-
rations faites par les Etats conformémentau paragraphe 2 de l'article 36
du Statut de la Cour. En deuxième lieu, la distinction tout aussi fonda-
mentale que l'on doit toujours faire entre, d'une part, le principe du
consentement des Etats en cause à la juridiction de la Cour et, d'autre
part, l'interprétation, conformément auxrèglesd'interprétation du droit
international, du consentement manifesté objectivement dans les décla-
rations lorsde leur dépôt auprèsdu Secrétariatgénéral dNations Unies.

Enfin, l'exigencenon moins fondamentale de la procédure internationale
que, dans l'intérêtdu principe de l'égalité dparties, le droit souverain
de 1'Etatdemandeur de définirl'objet du différend qu'ilsoumeà la Cour
soit tout autant respectéque le droit souverain de 1'Etat défendeur de
s'opposer à la juridiction de la Cour par la présentation d'objections ou
d'exceptions préliminairesou de déposer àson tour une demande recon-
ventionnelle.
Chacun de cesmotifsfondamentaux est en lui-mêmesuffisant pour que
je ne puisse pas souscrirà un arrêtdont je crains les effets particulière-
ment négatifs,au-delà mêmede la présente affaire, pour le développe-
ment du systèmede la clause facultative en tant que moyen d'acceptation

par les Etats de lajuridiction obligatoire de la Cour, tel qu'il estàprévu
l'article 36 du Statut de la Cour.

(SignéS )antiago TORRES BERNARDEZ.tion and application by the Court of declarations made by States under
Article 36, paragraph 2, of its Statute. Secondly, the equally fundamental
distinction which must always be made between, on the one hand, the
principle of the consent to the Court's jurisdiction of the States involved
and, on the other, the interpretation, in accordance with the rules of
interpretation laid down by international law, of the consent objectively
manifested in declarations at the time of their deposit with the United
Nations Secretary-General. Lastly, the no less fundamental requirement
of international proceedings that, in the interest of the principle of the
equality of the parties, the sovereign right of the applicant State to define
the subject of the dispute which it submits to the Court should be
respected just as much as that of the sovereign right of the respondent
State to challenge the Court's jurisdiction by presenting preliminary

objections or filing a counter-claim.

Each of these fundamental erounds is sufficientin itself to vrevent me
from subscribing to a ~udgmegtwhich 1fear may have partic;larly nega-
tive consequences, extending well beyond the present case, for the devel-
opment of the optional clause system as a means whereby States accept
the compulsory jurisdiction of the Court pursuant to Article 36 of its
Statute.

(Signed) Santiago TORRES BERNARDEZ.

Document file FR
Document Long Title

Opinion dissidente de M. Torres Bernárdez, juge ad hoc

Links