Déclaration de M. Kooijmans (traduction)

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102-20011023-JUD-01-04-EN
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102-20011023-JUD-01-00-EN
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DECLARATION DE M. KOOIJMANS

(Traduction]

Les Philippines doivent non seulement montrer de quelle manikre leur intérét
d'ordrejuridique peut Ztre en cause. mais égalementpréciserla nature et I'ori-
girzc (ktc,cl/ui--i liéticence a truiter de questions pourtunt pertinentes pour
détrrnliner lu plu~~~i~bilitc lu prétc~ntion - L'r.>;istenced'un intérêdt 'ordre
juridic/l~rn'rrpas été.sujfi.sarnn~et6tnontrC.e.
Coizsi(li.rution.~rc1atii.e.sa /'adiir?zini.strutiodnc,/u-usIntervention d'un

tiers et hase de conlpétencecon.scnsuellc- Utilitéd'exiger que I'intérétd'ordre
juritiiquc .soitspéc~jiiul'ecpricision.

1. Je suis entiérement d'accord avec la constatation de la Cour selon
laquelle les Philippines n'ont pas rempli leur obligation de convaincre la
Cour que des intérlttsd'ordre juridique spécifiés pourraient être en cause
dans les circonstances de la présenteespèce(paragraphe 93 de l'arrêt) et

qu'en conséquence la requête à fin d'intervention des Philippines ne peut
êtreadmise.
2. A mon avis, les Philippines ont établi de façon convaincante que
leur intérêtest, à première vue, en cause dans le différend entre I'Indo-

nésie etla Malaisie au sujet de la souveraineté sur Pulau Ligitan et Pulau
Sipadan, deux îles situées au large du Nord-Bornéo (ou de I'Etat de
Sabah, selon l'appellation actuelle), sur lequel les Philippines reven-
diquent (en partie) letitre. Leur intérêtd'ordre juridique réside,selon elles,
dans «les traités, les accords et autres élémentsde preuve fournis par les

Parties et pris en compte par la Cour qui ont une incidence directe sur la
question du statut juridique du Bornéo septentrional)).
3. Les Philippines avancent que leur intérêtserait affecté par toute
décisionde la Cour interprétant ces traitéset accords comme conférant à

la Malaisie le titre sur le territoire du Nord-Bornéo ou confirmant un tel
titre. La Cour conclut cependant avec raison, du texte des différentsins-
truments ainsi que des interventions de l'Indonésieet de la Malaisie lors
des audiences tenues dans la présente phase de la procédure, que rien
n'indique que l'intérêtd'ordre juridique des Philippines pourrait être

affecté par une dkcision de la Cour en l'instance principale, puisque
aucun de ces instruments ne constitue une source de titre sur le territoire
du Nord-Bornéo. Ce n'est d'ailleurs pas ce que soutiennent les Philip-
pines, exception faite de la concession Sulu-Overbeck de 1878, qui ne cou-
vrait cependant pa:j les deux îles en litige devant la Cour et n'est de toute

manière invoquéeni par l'Indonésieni par la Malaisie à l'appui de leurs
prétentions sur Pulau Ligitan et Pulau Sipadan (paragraphe 66 de l'arrêt).
4. Toutefois, uni autre élément mérite selonmoi une attention plus
soutenue que celle que lui a accordée la Cour. Au paragraphe 60 de

l'arrêt,celle-ci précisece qui suit: PULAU LIGITAN ET PULAU SIPADAN (DECLK . OOIJMANS) 627

«les Philippines ne sauraient introduire une nouvelle affaire ni déve-
lopper une ar,gumentation complète à ce sujet; mais elles doivent
exposer avec .sujjsamment de précision leurs propres prétentions de

souveraineté au Nord-Bornéo ainsi qu'indiquer les instruments juri-
diques supposésfonder ces prétentions))(les italiques sont de moi).

Cette exigence est conforme à l'objet de l'intervention recherchéepar les
Philippines,à savoir préserveret sauvegarder leurs droits d'ordre histo-
rique etjuridique sur le territoire du Nord-Bornéoet informer la Cour de
la nature et de la]portéede ces droits. La Cour n'a toutefois pas déve-
loppéle point de vilecité plushaut, ni déterminési les Philippines avaient
exposéavec suffisamment de précisionleurs propres prétentions.
5. L'Indonésie et la Malaisie, d'une part, et les Philippines, d'autre
part, ne contestenil pas I'existence, entre la Malaisie et les Philippines,
d'un différendrelatif à la souverainetésur le Nord-Bornéo (mêmesi ce
différend estdemeuré latent ces vingt dernièresannées).Dans l'accord de

Manille de 1963, 11:strois pays avaient pris acte de la revendication des
Philippines et décidéde ne ménageraucun effort pour donner à la ques-
tion une solution prompte et équitablepar des moyens pacifiques.
6. Le fait que I'existence de leur revendication aitété reconnue ne
libèretoutefois pas les Philippines de l'obligation de l'exposer avecsuffi-
samment de précision,de mêmeque les instruments juridiques supposés
la fonder, et je suis loin d'être convaincuque les Philippines se soient
acquittéesde cette obligation.
7. Les Philippines ont expliqué à de nombreuses reprises que le titre
sur le Nord-Bornéo découlantde la concession Sulu-Overbeck de 1878
était demeuréaux mains du sultan de Sulu sans interruption jusqu'au
25 novembre 1957,date à laquelle le sultan mit fin a la concession, puis
jusqu'en 1962,annéeoù le titre fut transféréaux Philippines par les héri-

tiers du sultan.Le conseil des Philippines a pris soin de préciserque le
titre des Philippines ne remontait qu'a 1962et qu'il ne provenait pas de
leurs prédécesseurs entitre. l'Espagne et les Etats-Unis d'Amérique.
8. Bien qu'elles yaient étéinvitées expressémentpar le conseil de la
Malaisie, les Philippines n'ont cependant pas fourni de précisionssuffi-
santes sur un certain nombre de questions très pertinentes, parmi les-
quelles celle de savoir comment le Sultanat de Sulu avait survécu adiffé-
rents événements intervenusàla findu XIX'siècleetdurant la première moi-
tiédu XXesiècleen tant qu'entité à même dedétenir desdroits souverains.
Ou encore, quelle étaitla nature juridique de l'instrument par lequel la
souveraineté avait. été transférée aux Philippines? Comment celles-ci
auraient-elles pu exprimer un interêtd'ordre juridique, ou mêmemani-
fester une prétentnon, à l'égarddu Nord-Bornéo avant 1962, annéeoù
elles sont supposéesavoir acquis le titre en question?

9. L'on pourra certes objecter qu'il s'agitla de points qui n'ont pas
lieu d'êtreabordéslors de l'examende la recevabilitéd'une requête, mais
relèventde la phaije du fond, après que la requêtea étéadmise. Cela est
peut-être vraidans la mesure où de telles questions visent à réfuter larequête. Mais,selon moi, tel n'est pas le cas de celles qui viennent d'être
évoquées,mêmesi elles ont étéposéespar la Malaisie, avec laquelle les
Philippines ont un différend concernant le Nord-Bornéo. Ces questions

sont destinéesà fournir à la Cour des précisions suffisantes sur la préten-
tion des I'hilippines, précisions nécessaires«afin d'étayer l'affirmation
selon laquelle elles auraient un intérêdt 'ordre juridique susceptible d'être
mis en cause par le raisonnement de la Cour)), pour citer encore le para-
graphe 60 de l'arrêt:ilest donc approprié qu'il y soit répondu pendant la
phase d'examen de:la recevabilité de la requête, puisqu'elles ne se rap-

portent pas au bien-fondé de la prétention, mais à sa plausibilité.
10. Ainsi, le fait que les Philippines n'aient pas exposéavec suffisamment
de clarté leur propre prétention ni les instruments juridiques supposés la
fonder est un argument qui vient s'ajouter a la conclusion de la Cour selon
laquelle les traitéetaccords fournis par les Parties ou bien sont étrangersa
l'argumentation développéepar les Parties dans l'instance principale, ou

bien sont sans rapport avec la question de savoir si leSultanat de Sulu avait
conservéla souverainetésur le Nord-Bornéo; pris conjointement, ces deux
élémentsmènent à la conclusion que les Philippines n'ont pas été en mesure
de démontrer que leur intérêd t'ordre juridique étaiten cause.
11. Selon moi, il aurait étépréférableque la Cour indique explicite-
ment que les Philippines, bien qu'elles eussent exprimé leur intention de

l'informer de la na.ture et de la portée des droits qui pourraient êtreen
cause, n'avaient pas exposé leurpropre prétention avec suffisamment de
précision. Cette question ne présente pas seulement un intérêtthéorique,
mais a aussi des incidences pratiques.
12. D'aucuns expriment parfois la crainte que, en admettant de façon
libéraleles requêtesà fin d'intervention, la Cour n'encourage les Etats à

recourir plus souvent à cette procédure, ce qui pourrait créer une situa-
tion incompatible avec le systèmede juridiction consensuelle; de plus, le
risque d'interventions potentielles pourrait rendre les Etats parties à un
différend moins enclins a conclure un compromis en vue de soumettre
leur différend a la Cour.
13. Ce raisonnement n'est certes pas sans fondement; il ne semble

cependant pas tenir compte du fait que le pouvoir discrétionnaire conféré
a la Cour par le paragraphe 2 de I'article 62du Statut n'est pas un

((pouvoir discrétionnaire lui permettant d'accepter ou de rejeter une
requêteà fin d'intervention pour de simples raisons d'opportunité.
Au contraire ... [la fonction de la Cour] est de déterminer si la
requêteest admissible ou non par application des dispositions perti-
nentes du Statut.)) (PIurcuu contincv~tul(TunisielJ~1n7uhiriyuurahe
lihj~cwno),rcquête à ,fit?d'intrrvc~nrion,urr.St,C.1.J. Recueil 1981,

p. 12, par. 17.)
Les considérations d'opportunité ne peuvent donc à elles seules dissiper
les craintes évoquéesplus haut.

14. Le critère primordial énoncéau paragraphe 1 de l'article 62 du
Statut est l'intérêtd'ordre juridique. A cet égard, ce dernier est en lui-mêmeaussi important que les risques auxquels il pourrait êtreexposépar
la décisionde la Cour si l'intervention n'étaitDas admise. ce aui ressort
d'ailleurs clairement de la jurisprudence de la Cour. Qu'il me soit permis
de le dire respectueusement: j'ai l'impression que, dans la présenteespèce,

la Cour a accordé trop d'attention au second aspect.
15. Souvent, I'intérêdt'ordre juridique alléguédans une requêteà fin
d'intervention ne prendra pas la forme d'une prétention distincte du
demandeur, que cette prétention corresponde ou non a un intérêtliéà
l'objet de l'instance principale. Les parties en litige verront cependant
avec une extrême c:irconspection les intervenants potentiels qui avance-

ront comme intérêd t 'ordre juridique une prétention à l'encontre de l'une
ou l'autre d'entre elles. Dans de tels cas, la Cour devrait, pour des raisons
de bonne administration de la justice, accorder d'emblée une attention
particulièrea la plausibilitéde la prétention et, partant, au caractère bien
spécifiéde I'intérêdt'ordre juridique. Sur ce point, il est tout fait per-
tinent que la Cour ait expressément indiqué qu'un Etat qui se prévaut
d'un intérêd t'ordre.juridique ne portant pas sur l'objet mêmede l'affaire

doit nécessairementétablir avecuneclartétoute particulière l'existence de
I'intérêdtont il se réclame(paragraphe 59 de l'arrêt).
16. En l'espèce,les Philippines n'ont pas, à mon avis, réussia démon-
trer la plausibilité de leur prétention, du fait qu'elles ont négligéde ré-
pondre aux questions fort pertinentes qui avaient étéposéesau cours de
la procédure orale.Jleregrette que la Cour ne l'ait pas dit formellemenUn

Etat qui souhaite intervenir doit savoir que, pour y êtreautorisé, ildoit
établira la pleine satisfaction de la Cour l'intérêtd'ordre juridique qui
pourrait être en cause

(Signé) P. H. KOOIJMANS.

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DECLARATION DE M. KOOIJMANS

(Traduction]

Les Philippines doivent non seulement montrer de quelle manikre leur intérét
d'ordrejuridique peut Ztre en cause. mais égalementpréciserla nature et I'ori-
girzc (ktc,cl/ui--i liéticence a truiter de questions pourtunt pertinentes pour
détrrnliner lu plu~~~i~bilitc lu prétc~ntion - L'r.>;istenced'un intérêdt 'ordre
juridic/l~rn'rrpas été.sujfi.sarnn~et6tnontrC.e.
Coizsi(li.rution.~rc1atii.e.sa /'adiir?zini.strutiodnc,/u-usIntervention d'un

tiers et hase de conlpétencecon.scnsuellc- Utilitéd'exiger que I'intérétd'ordre
juritiiquc .soitspéc~jiiul'ecpricision.

1. Je suis entiérement d'accord avec la constatation de la Cour selon
laquelle les Philippines n'ont pas rempli leur obligation de convaincre la
Cour que des intérlttsd'ordre juridique spécifiés pourraient être en cause
dans les circonstances de la présenteespèce(paragraphe 93 de l'arrêt) et

qu'en conséquence la requête à fin d'intervention des Philippines ne peut
êtreadmise.
2. A mon avis, les Philippines ont établi de façon convaincante que
leur intérêtest, à première vue, en cause dans le différend entre I'Indo-

nésie etla Malaisie au sujet de la souveraineté sur Pulau Ligitan et Pulau
Sipadan, deux îles situées au large du Nord-Bornéo (ou de I'Etat de
Sabah, selon l'appellation actuelle), sur lequel les Philippines reven-
diquent (en partie) letitre. Leur intérêtd'ordre juridique réside,selon elles,
dans «les traités, les accords et autres élémentsde preuve fournis par les

Parties et pris en compte par la Cour qui ont une incidence directe sur la
question du statut juridique du Bornéo septentrional)).
3. Les Philippines avancent que leur intérêtserait affecté par toute
décisionde la Cour interprétant ces traitéset accords comme conférant à

la Malaisie le titre sur le territoire du Nord-Bornéo ou confirmant un tel
titre. La Cour conclut cependant avec raison, du texte des différentsins-
truments ainsi que des interventions de l'Indonésieet de la Malaisie lors
des audiences tenues dans la présente phase de la procédure, que rien
n'indique que l'intérêtd'ordre juridique des Philippines pourrait être

affecté par une dkcision de la Cour en l'instance principale, puisque
aucun de ces instruments ne constitue une source de titre sur le territoire
du Nord-Bornéo. Ce n'est d'ailleurs pas ce que soutiennent les Philip-
pines, exception faite de la concession Sulu-Overbeck de 1878, qui ne cou-
vrait cependant pa:j les deux îles en litige devant la Cour et n'est de toute

manière invoquéeni par l'Indonésieni par la Malaisie à l'appui de leurs
prétentions sur Pulau Ligitan et Pulau Sipadan (paragraphe 66 de l'arrêt).
4. Toutefois, uni autre élément mérite selonmoi une attention plus
soutenue que celle que lui a accordée la Cour. Au paragraphe 60 de

l'arrêt,celle-ci précisece qui suit: "the Philippines may not introduce a new case before the Court nor
make comprehensive pleadings thereon, but must explain with suj$-
cient clurity its o1c.nclaimof sovereignty in North Borneo and the
legal instruments on which it is said to rest" (emphasis added).

This requirement is in conformity with the objects of the intervention

sought by the Philippines, viz., to preserve and safeguard its legal and
historical rights to the territory of North Borneo andto inform the Court
of their nature and extent. The Court, however, has not givena follow-up
to the statement just quoted, nor has it determined whether the Philip-
pines has provided sufficient clarity about its own claim.
5. It is not contested between Indonesia and Malaysia, on the one
hand, and the Philippines, on the other, that there is a dispute between
Malaysia and the Philippines concerning sovereignty over North Borneo
(even if that dispute has been dormant for the last 20 years). In the 1963
Manila Accord, the three countriestook note of the Philippine claim and
agreed to exert their best endeavours to bring the claim to a just and
expeditious resolution by peaceful means.
6. The fact that the existenceof the claim is recognized does not, how-
ever, relieve the Philippines of the obligation to explain that claim with
sufficient clarity and the legal instruments on which itis said to rest, and

1am not at al1convinced that the Philippines has complied with that obli-
gation.
7. It has repeatedly explained that title to North Borneo under the
1878 Sulu-Overbeck agreement remained with the Sultan of Sulu
uninterruptedly until 25 November 1957,when the grant was terminated
by the Sultan, and thereafter until 1962when the heirs of the Sultan trans-
ferred the title to the Philippines. It was explicitly stated by counsel for
the Philippines that the Philippines own title dates back no further than
1962and is not derived from its legal predecessors, Spain and the United
States of America.
8. Although explicitly invited to do so by counsel for Malaysia, the
Philippines, however, did not provide sufficientclarity about a number of
highly relevant issues; for instance, how did the Sultanateof Sulu survive
a number of events, which took place at the end of the nineteenth and in
the first half of the twentieth century, as an entity able to hold sovereign

rights? What was the legal nature of the instrument through which sov-
ereignty was transferred to the Philippines? How could the Philippines
express a legal interest in or even manifest a claim to North Borneo
before 1962,the year it allegedly obtained its title?

9. Now, it may be said that such issues should not be discussed during
the Application proceedings, but that they belong to the merits phase,
once the intervention is granted. That may be true in so far as such ques-
tions amount to vcfutution.sof the claim. But in my opinion, this is not PULAU LIGITAN ET PULAU SIPADAN (DECLK . OOIJMANS) 627

«les Philippines ne sauraient introduire une nouvelle affaire ni déve-
lopper une ar,gumentation complète à ce sujet; mais elles doivent
exposer avec .sujjsamment de précision leurs propres prétentions de

souveraineté au Nord-Bornéo ainsi qu'indiquer les instruments juri-
diques supposésfonder ces prétentions))(les italiques sont de moi).

Cette exigence est conforme à l'objet de l'intervention recherchéepar les
Philippines,à savoir préserveret sauvegarder leurs droits d'ordre histo-
rique etjuridique sur le territoire du Nord-Bornéoet informer la Cour de
la nature et de la]portéede ces droits. La Cour n'a toutefois pas déve-
loppéle point de vilecité plushaut, ni déterminési les Philippines avaient
exposéavec suffisamment de précisionleurs propres prétentions.
5. L'Indonésie et la Malaisie, d'une part, et les Philippines, d'autre
part, ne contestenil pas I'existence, entre la Malaisie et les Philippines,
d'un différendrelatif à la souverainetésur le Nord-Bornéo (mêmesi ce
différend estdemeuré latent ces vingt dernièresannées).Dans l'accord de

Manille de 1963, 11:strois pays avaient pris acte de la revendication des
Philippines et décidéde ne ménageraucun effort pour donner à la ques-
tion une solution prompte et équitablepar des moyens pacifiques.
6. Le fait que I'existence de leur revendication aitété reconnue ne
libèretoutefois pas les Philippines de l'obligation de l'exposer avecsuffi-
samment de précision,de mêmeque les instruments juridiques supposés
la fonder, et je suis loin d'être convaincuque les Philippines se soient
acquittéesde cette obligation.
7. Les Philippines ont expliqué à de nombreuses reprises que le titre
sur le Nord-Bornéo découlantde la concession Sulu-Overbeck de 1878
était demeuréaux mains du sultan de Sulu sans interruption jusqu'au
25 novembre 1957,date à laquelle le sultan mit fin a la concession, puis
jusqu'en 1962,annéeoù le titre fut transféréaux Philippines par les héri-

tiers du sultan.Le conseil des Philippines a pris soin de préciserque le
titre des Philippines ne remontait qu'a 1962et qu'il ne provenait pas de
leurs prédécesseurs entitre. l'Espagne et les Etats-Unis d'Amérique.
8. Bien qu'elles yaient étéinvitées expressémentpar le conseil de la
Malaisie, les Philippines n'ont cependant pas fourni de précisionssuffi-
santes sur un certain nombre de questions très pertinentes, parmi les-
quelles celle de savoir comment le Sultanat de Sulu avait survécu adiffé-
rents événements intervenusàla findu XIX'siècleetdurant la première moi-
tiédu XXesiècleen tant qu'entité à même dedétenir desdroits souverains.
Ou encore, quelle étaitla nature juridique de l'instrument par lequel la
souveraineté avait. été transférée aux Philippines? Comment celles-ci
auraient-elles pu exprimer un interêtd'ordre juridique, ou mêmemani-
fester une prétentnon, à l'égarddu Nord-Bornéo avant 1962, annéeoù
elles sont supposéesavoir acquis le titre en question?

9. L'on pourra certes objecter qu'il s'agitla de points qui n'ont pas
lieu d'êtreabordéslors de l'examende la recevabilitéd'une requête, mais
relèventde la phaije du fond, après que la requêtea étéadmise. Cela est
peut-être vraidans la mesure où de telles questions visent à réfuter lathe case as far as the questions just mentioned are concerned, even if they
have been formulated by Malaysia, the opponent of the Philippines in the
dispute over North Borneo. These questions serve to provide the Court
with sufficientclarity about the claim and that clarity is needed "to make
concrete its submission that it has an interest of a legal nature which
might be harmed by the reasoning of the Court", to quote again para-
graph 60 of the Judgment; they, therefore, properly have to be answered

during the Application phase of the procedure, since they do not bear on
the soundness of the claim, but on its plausibility.

10. The failure to explain with sufficient clarity its own claim and the
underlying legal instruments is therefore an argument which is additional
to the Court's finding that the treaties and agreements furnished by the
Parties either form no part of the arguments of the Parties in the main
case or do not bear on the issue of retention by the Sultanate of Sulu of
sovereignty over North Borneo; in combination, both lead to the conclu-
sion that the Philippines has not been able to demonstrate that its legal
interest may be affected by the Court's decision.

11. In my opinion, it would have been preferable if the Court had
explicitly stated that the Philippines has not explained with sufficient
clarity its own claim in spite of its purported intention to inform the
Court of the nature and extent of the rights which may be affected by the
Court's decisions. This point is not merely of theoretical importance, but

it also has practical implications.
12. Fear is sometimes expressed that a liberal policy of granting per-
mission to intervene might encourage States to attempt to intervene more
often, which might lead to a situation at odds with the system of consen-
sual jurisdiction; moreover, the risk of potential interventions might
make States parties to a dispute less inclinedto conclude a Special Agree-
ment to submit that dispute to the Court.

13. This line of reasoning is certainly not without ground; it seem-
ingly, however, overlooks the fact that the discretion conferred upon the
Court by Article 62, paragraph 2, of the Statute is not a

"general discretion to accept or reject a request for permission to
intervene for reasons simply of policy. On the contrary . .. [the
Court's task] is to determine the admissibility or otherwise of the
request by reference to the relevant provisions of the Statute." (Con-
tinental Shelf (TunisiuILihyun Arub Jumuhiri~~u),Application for
Permission to It~terilene,Judg~nent, I.C.J. Reports 1981, p. 12,
para. 17.)

Judicial policy alone therefore cannot allay the fears just mentioned.

14. The all-important criterion mentioned in Article 62, paragraph 1,
of the Statute is the legal interest. In this respect, the legal interest itself isrequête. Mais,selon moi, tel n'est pas le cas de celles qui viennent d'être
évoquées,mêmesi elles ont étéposéespar la Malaisie, avec laquelle les
Philippines ont un différend concernant le Nord-Bornéo. Ces questions

sont destinéesà fournir à la Cour des précisions suffisantes sur la préten-
tion des I'hilippines, précisions nécessaires«afin d'étayer l'affirmation
selon laquelle elles auraient un intérêdt 'ordre juridique susceptible d'être
mis en cause par le raisonnement de la Cour)), pour citer encore le para-
graphe 60 de l'arrêt:ilest donc approprié qu'il y soit répondu pendant la
phase d'examen de:la recevabilité de la requête, puisqu'elles ne se rap-

portent pas au bien-fondé de la prétention, mais à sa plausibilité.
10. Ainsi, le fait que les Philippines n'aient pas exposéavec suffisamment
de clarté leur propre prétention ni les instruments juridiques supposés la
fonder est un argument qui vient s'ajouter a la conclusion de la Cour selon
laquelle les traitéetaccords fournis par les Parties ou bien sont étrangersa
l'argumentation développéepar les Parties dans l'instance principale, ou

bien sont sans rapport avec la question de savoir si leSultanat de Sulu avait
conservéla souverainetésur le Nord-Bornéo; pris conjointement, ces deux
élémentsmènent à la conclusion que les Philippines n'ont pas été en mesure
de démontrer que leur intérêd t'ordre juridique étaiten cause.
11. Selon moi, il aurait étépréférableque la Cour indique explicite-
ment que les Philippines, bien qu'elles eussent exprimé leur intention de

l'informer de la na.ture et de la portée des droits qui pourraient êtreen
cause, n'avaient pas exposé leurpropre prétention avec suffisamment de
précision. Cette question ne présente pas seulement un intérêtthéorique,
mais a aussi des incidences pratiques.
12. D'aucuns expriment parfois la crainte que, en admettant de façon
libéraleles requêtesà fin d'intervention, la Cour n'encourage les Etats à

recourir plus souvent à cette procédure, ce qui pourrait créer une situa-
tion incompatible avec le systèmede juridiction consensuelle; de plus, le
risque d'interventions potentielles pourrait rendre les Etats parties à un
différend moins enclins a conclure un compromis en vue de soumettre
leur différend a la Cour.
13. Ce raisonnement n'est certes pas sans fondement; il ne semble

cependant pas tenir compte du fait que le pouvoir discrétionnaire conféré
a la Cour par le paragraphe 2 de I'article 62du Statut n'est pas un

((pouvoir discrétionnaire lui permettant d'accepter ou de rejeter une
requêteà fin d'intervention pour de simples raisons d'opportunité.
Au contraire ... [la fonction de la Cour] est de déterminer si la
requêteest admissible ou non par application des dispositions perti-
nentes du Statut.)) (PIurcuu contincv~tul(TunisielJ~1n7uhiriyuurahe
lihj~cwno),rcquête à ,fit?d'intrrvc~nrion,urr.St,C.1.J. Recueil 1981,

p. 12, par. 17.)
Les considérations d'opportunité ne peuvent donc à elles seules dissiper
les craintes évoquéesplus haut.

14. Le critère primordial énoncéau paragraphe 1 de l'article 62 du
Statut est l'intérêtd'ordre juridique. A cet égard, ce dernier est en lui-as important as the risks to which it may be exposed by the Court's deci-
sion if the intervention is not granted, and this is clear from the Court's
jurisprudence in previous cases. With al1due respect, 1 have the impres-
sion that in this case the Court has concentrated too much on the second
aspect.

15. In cases of requests for permission to intervene, the alleged legal
interest will often not be a separate legal claim of the would-be inter-
vener, whether that claim reflects an interest in the subject-matter of the
main case or not. Parties to a dispute will, however, be extra-sensitive
with regard to potential interveners which present as their legal interest a
claim against one or both of them. In such cases, the Court should, for

reasons of judicial policy, already give special attention to the plausibility
of the claim and thereby to the specificity of the legal interest. In this
respect, it is highly relevant that the Court has explicitly stated that a
State which relies on an interest of a legal nature other than in the sub-
ject-matter of the case itself necessarily bears the burden of showing with
a particular clarity the existence of the interest of a legal nature which it
claims to have (paragraph 59 of the Judgment).

16. In the present case the Philippines has, in my opinion, failed to
make its claim sufficiently plausible by not providing answers to highly
pertinent questions which were put during the oral proceedings. 1 regret
that the Court has not explicitly said so. A State which wishes to inter-
vene should know that, in order to be allowed todo so, it must establish

with fully convincing arguments the legal interest which may be affected
by the Court's decision.

(Signed) P. H. KOOIJMANS.mêmeaussi important que les risques auxquels il pourrait êtreexposépar
la décisionde la Cour si l'intervention n'étaitDas admise. ce aui ressort
d'ailleurs clairement de la jurisprudence de la Cour. Qu'il me soit permis
de le dire respectueusement: j'ai l'impression que, dans la présenteespèce,

la Cour a accordé trop d'attention au second aspect.
15. Souvent, I'intérêdt'ordre juridique alléguédans une requêteà fin
d'intervention ne prendra pas la forme d'une prétention distincte du
demandeur, que cette prétention corresponde ou non a un intérêtliéà
l'objet de l'instance principale. Les parties en litige verront cependant
avec une extrême c:irconspection les intervenants potentiels qui avance-

ront comme intérêd t 'ordre juridique une prétention à l'encontre de l'une
ou l'autre d'entre elles. Dans de tels cas, la Cour devrait, pour des raisons
de bonne administration de la justice, accorder d'emblée une attention
particulièrea la plausibilitéde la prétention et, partant, au caractère bien
spécifiéde I'intérêdt'ordre juridique. Sur ce point, il est tout fait per-
tinent que la Cour ait expressément indiqué qu'un Etat qui se prévaut
d'un intérêd t'ordre.juridique ne portant pas sur l'objet mêmede l'affaire

doit nécessairementétablir avecuneclartétoute particulière l'existence de
I'intérêdtont il se réclame(paragraphe 59 de l'arrêt).
16. En l'espèce,les Philippines n'ont pas, à mon avis, réussia démon-
trer la plausibilité de leur prétention, du fait qu'elles ont négligéde ré-
pondre aux questions fort pertinentes qui avaient étéposéesau cours de
la procédure orale.Jleregrette que la Cour ne l'ait pas dit formellemenUn

Etat qui souhaite intervenir doit savoir que, pour y êtreautorisé, ildoit
établira la pleine satisfaction de la Cour l'intérêtd'ordre juridique qui
pourrait être en cause

(Signé) P. H. KOOIJMANS.

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Déclaration de M. Kooijmans (traduction)

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