Opinion individuelle de M. Ajibola (traduction)

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083-19940203-JUD-01-03-EN
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OPINION INDIVIDUELLE DE M. AJIBOLA

i)Dklimitution ou uttribution

1.J'approuve dans l'ensemble l'arrêtde la Cour, en particulier la cons-

tatation selon laquielle le traité d'amitié et de bon voisinage entre la
République française et le Royaume-Uni de Libye, du 10 août 1955, a
bien pour effet de trancher le différend frontalier entre la Grande Jama-
hiriya arabe libyenne populaire et socialiste (dénommée ci-après la
«Libye») et la République du Tchad (dénomméeci-après le «Tchad»).
Plus que tout, la dkcision sur ce chef règle de façon définitiveles diver-
gences initiales, mais fondamentales, entre les Parties quant a savoir s'il

s'agit d'une affaire de délimitation ou d'attribution.
2. Dans sa notification à la Cour, la Libye a demandé instamment à
celle-ci

«[de] statuer sur les limites de leurs territoires respectifs conformé-
ment aux règlesde droit international applicables en la matière)) (les
italiq~iessont de moi);

tandis que le Tchad, dans sa propre notification, a demandé à la Cour

<<dedéterminer le tracéde lujrontiire entre la République du Tchad
et la Jamahiriya arabe libyenne, conformément aux principes et

règlesde droit international applicables en la matière entre les Par-
ties» (les italiques sont de moi).

3. Effectivement, tandis que le Tchad a prié la Cour de régler un dif-
férend de délimitation ou de frontière, la Libye lui a demandé instam-
ment de statuer sur un différend territorial. Dans la récente affaire du
DifJrond,frontuli~>r.terrestre,insuluir~et maritime (El Sulvuu'or/Honduras;
Nicurngua (intervenant)/ (C.I. J. Rc.rueil 1992, p. 351),où aucune fron-
tière n'avait été déterminéd eans plusieurs régions du territoire terrestre

considéré,la Chambre de la Cour, après avoir examiné les prétentions
territoriales opposéi:~des parties, a ensuite opéréune délimitation dans
l'exercice de sa mission judiciaire normale. En l'espèce laCour a procédé
de la mêmemanière: elle a commencé par éliminerle différendd'attribu-
tion territoriale en décidant que les Parties étaient liées par le traité
de 1955, puis elle a conclu sans difficultéque l'affaire ne concernait pas
l'attribution d'un territoire, mais la délimitation d'une frontière. DIFFÉREND TERRITORIAL(OP. IND. AJIBOLA) 52

4. A cet égard,je partage l'avis exprimépar M. Allot ' en ces termes:

((11me semble très facile de s'égarerdans une discussion sur les

problèmes politiques en Afrique, les problèmes de minorités, les
différends territoriaux, l'impérialisme, etc. Ce dont ilfaut parler,
c'est de différeindsfrontaliers et non de différends territoriaux; en
d'autres termes les différends relatifs aux délimitations, au tracéde
la ligne. Certes., un différend territorial, ou un différend concernant
une minorité, peuvent obliger a tracer de nouveau une frontière,

mais c'est là une conséquence secondaire du différend dont il
s'agit))
5. Une conséquence capitale de cette constatation de la Cour a été sa
conclusion selon laquelle l'article 3 du traité de 1955, avec l'annexe 1

jointe, servait en fait a établir la frontière qui constituait l'objet du diffé-
rend entre les Parties. J'approuve l'interprétation donnée par la Cour de
cet article, mais ai riéanmoinsquelques observations à ajouter.

6. Mon opinion individuelle appuie donc foncièrement l'arrêtde la
Cour et elle n'a qu'un seul but: examiner certains aspects périphériques,

mais non dépourvu:;d'importance, de l'affaire. La Cour a déjàtraité des
points de fait et de droit que le différend meten cause sur le fond. Je sou-
haite donc présentei-quelques observations qui me semblent pertinentes
dans cette importante affaire, afin de faire ressortir mon point de vue per-
sonnel sur les principales questions soumises à la Cour et une partie du
raisonnement qui m'a conduit à approuver l'arrêt.

ii)l,esprohl6tnes (les,fron/it;re.s en Af+iyue
7. Depuis plus d'un siècle, peut-être depuis son partage en 1885,

l'Afrique panse, dans l'amertume. les blessures que son passécolonial lui
a infligées.Des vestiges de cet héritage colonial peu enviable émergent,de
temps a autre, dans les soulèvements discordants d'ordre social, politique
et mêmeéconomique qu'il vaut mieux, disent certains, oublier que se
remémorer. Mais cet héritageest difficile, sinon impossible à oublier; cer-
tains de ses aspects icontinuent, tels des apparitions, à resurgir, et hantent

le continent tout enlier par toutes sortes de manifestations criardes et sté-
riles. Comment oublier des plaies restéesouvertes? L'un des aspects de ce
legs malheureux transparaît dans les incessants différends frontaliers qui
opposent les Etats d'Afrique.
8. Le penchant colonial pour les lignes géométriquesillustré par la
forme en <<ferà cheval)) (de l'hinterland tripolitain de lord Salisbury) a

laisséen Afrique une forte concentration d'Etats dont on a tracéles fron-
tières sans tenir aucun compte. ou presque, des facteurs liésà la géogra-
phie, aux caractères ethniques, à la commodité économique, ou à I'exis-

'Bowztlrrri<usd the Lrrii.NIAjiiccr: A,fi.ir,unBOWK~Jrohl~n~.~1,969,p. 9.tence de moyens de communication acceptables, qui, ailleurs, ont joué un
rôle, dans les délimitations frontalières. Un auteur, spécialistedes pro-
blèmes de frontières en Afrique, a fait observer ceci:

«Nous voyoins lesSomalis répartis entre l'Ethiopie, la Somalie, le
Kenya et Djibouti. les Yorubas au Dahomey et au Nigéria,les Ewes
au Ghana et au Togo. Sur la côte occidentale de l'Afrique, nous
trouvons un sandwich massif d'Etats francophones et anglophones,
dont les relations économiques méconnaissent presque totalement la

proximitéde leurs frontières. On pourrait multiplier ces exemples. » '
9. Il importe donc de garder à l'esprit le caractère purement artificiel de

la plupart des frontihres en Afrique, la frontière litigieuseen l'espèce nefai-
sait pas exception. Dans la plupart des cas, il s'agit de frontières que les
puissances coloniale!;ont établies soitpar suite d'accords conclus entre elles
ou avec des populatiions autochtones, soit par voie de conquêteou d'occu-
pation. Je me hâte d'ajouter que, dans le monde entier, les frontièressont, le
plus souvent, artifici<:ll. outefois en Afrique elles sont à l'évidenceencore

plus artificiellesqu'ailleurs, car la plupart d'entre elles sont de simples lignes
droites tracéessur la planche à dessin sans grand égardaux caractéristiques
physiques sur le terrain. En 1890,déjà,lord Salisbury déclarait:

«nous avons ... tirédes traits sur des cartes re~résentant des terri-
toires où aucun homme blanc n'a jamais pénétré;nous nous distri-
buons montagnes, rivièreset lacs, freinéspar le seul petit handicap
de ne pas connaître l'emplacement desdits montagnes, rivières et
lacs» (mémoirede la Libye, vol. 1,p. 25, par. 3.01; The Times, 7 août
1890).

10. Aussi quand certains pays d'Afrique ont accédéà l'indépendance,
surtout dans les anriéescinquante et soixante, ont-ils commencé à mettre

en cause les frontières mal définiesqui ne tenaient aucun compte de tant
de facteurs humains, qu'ils fussent d'ordre social, politique ou écono-
mique. Quatre pays se sont alors lancés dans des politiques d'irréden-
tisme: la Somalie, le Maroc, le Ghana et le Togo. Il importe de relever
qu'à l'époque(c'est-à-dire avant 1970)la Libye necomptait pas parmi ces
pays. Par l'effet de cette politique, qui contestait en réalitéles frontières

«coloniales» existaintes et le partage territorial en résultant, plusieurs
graves conflits armésse sont déclenchés enAfrique entre la Somalie et le
Kenya, I'Ethiopie et la Somalie, le Togo et le Ghana, le Maroc et la Mau-
ritanie, l'Algérie etle Maroc.
11. Dans le chapitre intitulé«Legacies of Colonialism)) de son ouvrage
Equulity unclFreet/o.r71S:ome Tliird World Per.~pecfivcs, M. C. G. Weera-
mantry a évoquéle découpage de l'Afrique à titre d'exemple classique de

ces ((divisions artifii:ielles» qui ont fini par donner naissance à des «di-

' Samuel Chime. Orguniiutioriof'Africun Unio. und Africun Bounduries: Afiicun
Boundurj.Proh/cri~.c1,969.p. 65.

51 D~FF~~RENDTERRITORIAL (OP.IND. AJIBOLA) 54

zaines de différends frontaliers, dont certains ont donnélieu à de violents
combats entre nations africaines)) '.
12. Selon un autre auteur qui s'est intéresséaux problèmes frontaliers
africains :

«L'un descaractères remarquables de l'Afrique indépendanted'au-
jourd'hui est l'héritagede frontières coloniales mal définies.Comme

Ian Brownlie l'a fait observer àjuste titre, l'expansion européenne en
Afrique a produit une division territoriale qui n'avait rien a voir, ou
presque, avec 11:scaractères et la répartition des populations des
colonies et protectorats antérieurs. Ainsi, les frontières internatio-
nales léguéesaux Etats africains qui viennent d'accéder à lyndépen-
dance ont-elles été imposéesde faqon arbitraire par les anciennes
puissances coloniales européennes. >>"

Voilà dans quel contexte ilfallait considérer la demande de la Libye.

II. EXAMEN DE LA REVENDICATION TERRITORIALE
DE LA LIBYE

13. La Libye fontlait sa revendication sur la thèse selon laquelle, a

toutes les époques pertinentes aux fins du présent différend, les confins
n'ont jamais ététerro nulliusmêmeavant l'arrivéede la France. En parti-
culier, dans les «confins»au sud de la Libye, qui la séparentdu Tchad, iln'y
a jamais eu de fronti~kredéfinie,conventionnelle ou autre. L'autre moyen
fondamental de la Libye étaitque la France n'avait jamais acquis de titre
sur les confins, que ce soit par traité, occupation, ou conquête; et que

puisque le Tchad a silccédéaux titres territoriaux de la France, iln'a reçu
à fortiori aucun titre de la France. Cela ne signifiait pas pour autant, selon
la Libye, qu'il n'ait existéaucun titre. Le titre a toujours appartenu, soute-
nait-elle, aux tribus autochtones, aux Senoussi et, sur le plan internatio-
nal, a l'Empire ottornan, et ilest passéà l'Italie après le traité d'ouchy
en 1912. C'est cemême titre qui a été transmis à la Libye le 24 décembre

1951, date de son indépendance.
14. De façon signiificative.l'argument de la Libye selon lequel les ter-
ritoires habités par des tribus ou des peuples ayant une organisation
sociale et politique ne doivent pas êtreconsidéréscomme trrrunulliusfait
écho à l'observation de la Cour en l'affaire du Suhuru occidentu1selon
laquelle :

«On estimait plutôt en généralque la souveraineté à leur égard ne

Euuitis und Frredorx':SOIIJlzird World Pc~r~n~~cfiHs.nsa Publishers Ltd..
jui~ lG76, p. 36.
- A. Oye Cukwurah, <<TheOrganisation of African Unity and African Territorial
and Boundary Problems 1963-1973», Indiun Journul of'InrernufioncilLow, vol. 13,
p. 178. DIFFE~RENDTERRITORIAL (OP. IND. AJIBOLA) 55

pouvait s'acquéirirunilatéralement par l'occupation de la terranullius

en tant que titre originaire, mais au moyen d'accords conclus avec
des chefs locaux. » (C.I.J. Recueil1975, p. 39, par. 80.)

15. Après avoir nié l'existenced'aucune frontière établievers le sud, la
Libye a alléguédans ses conclusions qu'elle avait un titre:

((sur tout le territoire situé au nord de la ligne tracéesur la carte 105
du mémoirede la Libye ..c'est-à-dire la zone délimitéepar une ligne
qui part de l'intersection de la frontière orientale du Niger et du
1Separallèle, continue dans une direction exactement sud-est jusqu'a
ce qu'elle rencontre le 15cparallèle, puis suit ce parallèle vers l'est
jusqu'i sa jonction avec la frontière existante entre le Tchad et le
Soudan » (CR 9.3129,p. 72).

i) Lu revenriicutionterritoriule etla ((stratégiede l'action
de IcrLih~v »

16. La revendication de la Libye incluait les régions du Borkou, de
I'Ennedi et du Tibesti, y compris I'Erdi, le Kanem et I'Ounianga, ou ce
que la Libye a appelé les «confins>):

«[un] terme ...utilisé... pour la commodité géographique; ils sont
définis au nord par la ligne de la convention franco-britannique
de 1919,revendiquéepar le Tchad, et au sud par le 15'degré de lati-
tude nord » (CR 9311 6,p. 12).

17. A l'appui de cette revendication sur la totalité des ((confins)), la
Libye s'est référée, dans son mémoire et ses plaidoiries, à des facteurs

concernant l'économie,la religion, la géographie, le climat et la sécurité.
Pour ce qui est du facteur économique il a étéfait mention des routes
commerciales du Sahara central, qui vont des côtes méditerranéennes de
la Cyrénaïque et de la Tripolitaine jusqu'aux confins. Comme exemples
de ces routes commeirciales on a citécelle de Tripoli à Sokoto et Kanoau
Nigeria, qui passe par des lieux importants comme Nalut, Ghadamès,
Ghat et Agadès; ainsi qu'une autrede Misuratah à Kuwka par Mourzouk

et Bilma. Une troisiè:meroute ancienne part de Benghazi et atteint Mans-
senya au Baguirmi par Koufra, Tekro (dans 1'Ennedi) et Abeche. De
l'avis de la Libye ce commerce constitue depuis une époque ancienne le
facteur principal de contacts et de relations entre les peuples des extré-
mitésnord et sud du Sahara.
18. La Libye a aussi donnéà entendre que la géographieétaitun critère
à examiner par la Cour, en particulier les caractèristiques géographiques

du sol. A cet égard,elle a soutenu que la Cour avait la mêmelibertéd'ap-
préciation qu'une commission de démarcation pour établir une fron-
tièrede noilo, la où il n'en existait pas, ce qui. selon elle, était le cas en
l'espèce.S'agissant de la religion la Libye a beaucoup insistésur ses liens
avec les Senoussi et (avecl'Empire ottoman musulman, alléguant que la DIFFÉIIEND TERRITORIAL(OP. IND. AJIBOLA) 56

partie nord de l'Afrique ainsi que les confins étaient à prédominance
musulmane, tandis qu'au sud le Tchad était peupléde chrétiens et d'ani-
mistes. A propos du facteur climatique, la Libye a fait observer que, si
l'entière régiondes confins partageait un climat et une végétationdéser-
tique avec la Cyrénaïque et la Tripolitaine, le sud du Tchad bénéficiaitdu

climat du Soudan, de nature tropicale.
19. Sur la questiori de la sécurité,la Libye a émisl'avis que le massif
du Tibesti constituait un danger virtuel pour son complexe industriel
pétrochimique dans le bassin de Syrte: il était donc de la plus haute
importance, du point de vue de la défensenationale libyenne, d'assurer la

sécuritédu massif du Tibesti et de la frontière adjacente. Invoquant les
raisons de sécuritéà l'appui de sa revendication territoriale, la Libye a
soutenu ce qui suit:

«Pour attribuer des territoires et déterminer auel Etat nossède le
meilleur titre au territoire constituant le cadre généraldu présentdif-
férend, la Libye estime qu'il convient de ne pas négligerles intérêts
en matière de sécuritéde chaque Etat a la lumière de tous les faits.
L'attribution à la.Libye des régions décritesdans ses écritureset aux-

quelles la Libye ]revendiquele titre, tiendrait pleinement compte des
intérêtsde la Libye en matière de sécurité,tout en laissant un terri-
toire très étendu entre cette frontière et le cŒur stratégique et écono-
mique du Tchad ce que les Français ont qualifié de ((Tchad
utile.))(Mémoire de la Libye, vol. 1, p. 68,par. 3.1 10.)

20. Les arguments ci-dessus, qui découlent de considérations humaines
et physiques, peuvenl êtreconsidéréscomme le premier fondement sur

lequel reposaient les prétentions de la Libye. Le second fondement, de
nature diplomatique, était axésur le traité de Rome de 1935, encore
appelé traitéLaval-TvIussolini.C'était le traité entre la France et l'Italie
qui définissaitde façon précise lafrontière entre la Libye et les territoires
de l'Afrique équatoriale française et de l'Afrique occidentale française à
l'est de Touinmo.

21. Le traitéde 1935n'est pas entré formellement en vigueur parce que
l'Italie a refusé de procéder à l'échangedes instruments de ratification
correspondants. Toutefois, selon la Libye. cela n'affaiblissait pas l'impor-
tance ni la pertinence du traité en tant que facteur essentiel à prendre en
considération nour réglerle différend dont la Cour était saisie. Les Par-
"
ties étaienten désaccord sur le point de savoir laquelle aurait concédé des
territoires à l'autre. Pour la Libve. c'étaitl'Italie aui avait fait de telles
concessions à la France en échange de la promesse des Français d'ap-
puyer la conquête de I'Ethiopie par les Italiens, et c'était le refus des
Français de respecter cet accord qui avait conduit l'Italie à refuser
l'échangedes instruments de ratification.

22. Selon le Tchad, c'était laFrance qui en 1935 avait offert des con-
cessions territoriales à l'Italie, sur la base de la (<concession coloniale))
promise en vertu de l'article 13 du traité de Londres de 1915. Toutefois, D1FFf:REND TERRITORIAL (OP. IND. AJIBOLA) 57

ce point est de moindre importance par rapport à l'argument de la Libye
selon lequel la Cour pouvait tenir compte de ce traitépour parvenir à une

décisionjuste et équitable.
23. La Libye a soutenu que tout au long de l'histoire de ce différend le
traité de 1935 a étéle seul instrument international qui ait eu pour objet
de tracer une ligne définissant une fois pour toutes la frontière dans la
zone litigieuse. objet qui aurait bel et bien étéatteint n'eût étéle fait que
les instruments de ratification correspondants n'ont pas étééchangés.

C'était un traité, soutenait-elle encore, qui avait été négocié dans ses
moindres détails et conclu par deux Etats exerçant tous deux une souve-
raineté effective sur les territoiresà délimiter. La Libye soutenait donc
que des indications précieusespouvaient êtretiréesd'un traité de délimi-
tation qui avait étéà deux doigts de s'imposer aux parties. Au demeu-
rant, la Libye mettait en avant les vicissitudes des négociations franco-

italiennes entre 1912et 1935comme un facteur de considération équitable
en sa faveur. Le Tchad avait bien pu laisser entendre que l'accord-cadre
permettait à la Cour de statuer uniquement dans les limites du droit
stricto sensu, mais selon la Libye:

«ce constat n'exclut nullement le recours A 1'uc.quitusinfra legem, qui
au contraire est toujours approprié, comme votre Cour l'a dit et
répété tant à propos des délimitations maritimes que des délimita-

tions terrestres):)(CR 93/20, p. 40).
24. La thèse de la Libye apparaît ainsi clairement: iln'existait pas de

frontière entre la Libye et le Tchad, établiepar suite de la conquête oude
l'occupation françaises ou en application du traité de 1955, notamment
son article 3 et la liste des actes internationaux y annexée; il s'agissait
donc pour la Cour de se prononcer sur un différendterritorial et non sur
un différend frontalier; ce faisant, la Cour devait prendre en considéra-
tion le traité de Rome de 1935 mêmesi les instruments de ratification

n'avaient pas étééchiangésl;e territoire litigieux n'avait à aucun moment
ététerru nuiiius mais, à toutes les époquespertinentes, le titre appartenait
aux peuples autochtones et aux Senoussi tandis que, au plan internatio-
nal, ilappartenait A l'Empire ottoman, lequel l'avait en définitivetrans-
mis à l'Italie. La Libye en concluait que le territoire qu'elle revendiquait
devait s'étendre aussi bas vers le sud que le degré de latitude nord.

25. A n'en pas douter, le Tchad a étédécontenancé par l'étenduede la
revendication de la Libye dont ilavait escompté qu'elle se limiterait à la
ligne de 1935 que la Libye invoquait depuis 1977 devant le Conseil de
sécurité,l'Assembléegénérale etl'organisation de l'unité africaine. D'où
son affirmation seloinlaquelle :

«Obtenir la moitiédu Tchad serait idéal,mais, en vérité,la Libye
se satisferait d'un territoire situé au nord de la ligne de 1935. Or,
cette ligne n'en est pas une car le traité n'a pas étératifié.Par con-

séquent, le différend serait un différend territorial et non pas un dif-
férend de frontières, des revendications seraient formulées sur de DIFFÉREND TERRITORIAL (OP. IND. AJIBOLA) 58

larges pans de territoire et, le dernier jour de sa plaidoirie, la Libye

réintroduirait la ligne de 1935 comme une espèce de considération
d'équitt;>)(CR 93/21, p. 55, par. 63.)

26. Le Tchad fait observer que la Libye, au fildes ans, n'a pas toujours
étécohérenteen ce qui concerne ses revendications territoriales. A cela, la
Libye répond que le:$politiques passéesdu Gouvernement libyen en la
matière n'ont guère de rapport avec la présente affaire, où seules comp-
tent les écritures et les conclusions présentéesà la Cour. Je n'ai pas été
convaincu par cette argumentation : au contraire, ilm'apparaît qu'elle va

à l'encontre du droit international.
27. Mon point de vue est confirmé par la jurisprudence de la Cour.
Ainsi, dans l'affaire clela Délimitutionmuritinle duns lu région située entre
Ir Groenlandet Jan kfuycn fDanemark c. Norvège), la Cour, dans l'inter-
prétation qu'elle a donnée tout récemment de I'accord de 1965 entre la

Norvège et le Danemark, a tenu compte du texte que le Gouvernement
norvégien a soumis au débat parlementaire en 1979-1980 :
((Cette absence de rapport entre I'accord de 1965 et l'accord

de 1979 est confirmée par les termes de la communication officielle
de ce dernier texi:eau Parlement par le Gouvernement norvégien. La
proposition no 63 (1979-1 980) au Storting contient le passage sui-
vant :

«Le 8 décembre 1965, la Norvège et le Danemark ont signé un
accord concernant la délimitation du plateau continental entre les
deux Etats.
L'accord ne portait pas sur la délimitation du plateau continen-
tal dans la zone situéeentre la Norvège et les îles Féroé.))

Etant donné que, comme il est indiqué ci-dessus, l'accord de 1965
n'excluait pas expressément de son champ d'application géogra-
phique la zone des îles Féroé,ni aucune autre zone, cette déclaration
est conforme a une interprétation de I'accord de 1965 selon laquelle

celui-ci s'appliquerait exclusivement a la régionpour laquelle ilspé-
cifiait une ligne de délimitation définiepar des coordonnées et une
carte, c'est-à-dire le Skagerrak et une partie de la mer du Nord.))
(C.I.J. Rec~ueil1993, p. 51, par. 29.)

28. Un autre exemmplevient fortement étayer mon point de vue: l'af-
faire des Essuis nuclbuiresde 1974, dans laquelle la Cour a conclu que la
déclaration du Gouvernement français selon laquelle ilne procéderait pas
à de nouveaux essais nucléaires dans l'atmosphère avait des effets juri-

diques.

ii) Les questions cruciules

Cela dit, la ((stratégiede l'action)) libyenne, selon les termes du Tchad
(CR 93121, p. 55, par. 64), mérite d'êtreévaluéeà la lumière de quatre

questions pertinentes: DIFFÉI~END TERRITORIAL (OP. IND. AJIBOLA) 59

1. Dans quelle mesuire la Libye pouvait-elle aujourd'hui se prévaloir du
traité de Rome de 1935?
2. A quel point la tlhèsede la Libye selon laquelle il n'existait pas de
frontière entre elle et le Tchad était-ellevalable?
3. L'interprétation que faisait la Libye des dispositions de l'article 3 (et
de son annexe 1)du traité de 1955 était-ellecorrecte?

4. Quel poids pouvait-on accorder aux prétentions et conclusions de la
Libye concernant la régiondu BET?

iii) Le traitéde Rome et Iëquité

29. S'agissant de:; frontières conventionnelles au centre du présent

différend, le traité de Rome aurait pu êtreconsidérécomme un ((second
choix)) en ce sens que la Cour aurait étéamenéeà l'examiner plus atten-
tivement si le traité de 1955 n'avait pas été concluou s'il avait été
dépourvu de validité. Dans ce cas, un recours aux principes équitables
aurait pu devenir dans une certaine mesure nécessaire,mais le rôle éven-
tuel de l'équitéen matière de différend frontalier reste toujours limité.
L'équiténe peut que: combler une lacune, elle peut être aequitas infra

legem ou aequitas sec~undumlegem, mais non aequitaspraeter legem ou
contra legem. Les deux Parties se sont pratiquement accordées à recon-
naître que telle étaitbien la pratique en droit international. Maisdans la
mesure où une frontière conventionnelle a été reconnue par le traité de
1955et où les instruments de ratification du traitéde Rome n'ont pas été
échangés,l'équitén'avait en fait aucun rôle à jouer en l'espèce; I'appli-
quer serait revenu a statuer extra legem or, en tout état de cause, l'équité

suit le droit.
30. Mêmedans les affaires de délimitation maritime, à l'occasion des-
quelles la Cour a considérablement développéle droit en ce qui concerne
les principes et facteurs équitables, l'équiténe joue jamais contra legern,
mais infraIegcm. On ]peutici conclure qu'il n'y avait pas lieu, en l'espèce,
de recourir a l'équitéet que le traitéde Rome, tout en présentant un cer-

tain intérêt historique, n'étaitpas applicable dejure, faute d'être jamais
entré en vigueur.

iv) l,a thèse libyenne relativà 1absence
defrontière conventionnelle

31. Nous abordons ici cette question afin de mettre en lumière I'in-

constance de la position libyenne à compter du début du différend.
Adoptant une attitude de silence et d'acquiescement dans un premier
temps, la Libye a ensuite niél'occupation d'une partie de la région du
Tibesti, puis a invoqluéle traité de Rome de 1935 pour justifier cette
action. La Libye a ultérieurement alléguédevant la Cour que, dans la
mesure où aucune fi-ontière n'avait été établie, il convenait de tenir
compte du traité de Rome dans la perspective de considérations équi-

tables. Mais quelque justification que l'on puissetrouver à chacune de ces DIFFÉREND TERRITORI.4L (OP. IND. AJIBOLA) 60

positions, c'est l'interprétation du traité de 1955 qui permettait de con-
firmer ou d'infirmer l'absence alléguée de frontière conventionnelle.

V) L Nlterprétationlibyenne du truitéde 1955

32. 11suffit de dire ici qu'il me semble que la Libye n'a niéni la validité
du traitéde 1955ni sa pertinence à l'égarddu présent différend.La Cour

a depuis lors estimé que l'on pouvait considérer qu'il définissaitune fron-
tière conventionnelle, conclusion à laquelle je souscris pleinement.

vi) Quel poids ,peut-onaccorderuus prétentionset conclusions
de la Lihve concernant la rkgiotzdu BET?

33. Ayant estimé qu'il existe une frontière conventionnelle entre la
Libye et le Tchad,on pourrait juger superflu d'examiner cette question. 11

n'est pourtant sans doute pas entièrement inutile de le faire, en raison du
retentissement de cetiteaffaire en Afrique.
34. Ainsi, A suppoijer mêmepour un instant que le traité de 1955 n'ait
pas définide frontière, ilresterait difficile de se prononcer en faveur de
la Libye en fonction de considérations historiques, religieuses, écono-
miques, géographiques ou de sécurité. J'aidéji exprimé plus haut mon
point de vue sur la 'question, en abordant l'histoire de l'Afrique et sa

colonisation. Les puissances coloniales n'ont pas tenu compte de tous ces
facteurs lors des partages opérésaux XIXc etXXc siècles. Lestribus et
peuples autochtones sont disséminéssur l'ensemble du continent africain
indépendamment des frontières et de l'entitédes Etats.
35. M. Tsiranana, alors chef de 1'Etat de Madagascar, a dit en 1963 ':

((11n'est plus ]possibleni souhaitable de modifier les frontières des
nations en fonction de critéresruciau.uou religieux ..si nous devions
prendre pour crit.èresde nos frontières la race, lappurtenanc~etribale,
ou lu religion, certains Etats africains seraient effacésde la carte.»

(Traduction du G'rejje.](Les italiques sont de moi.)
36. Prenons par exemple l'Ordre des Senoussi, dont le chef suprême
était originaire d'Alg,érie:l'influence de cet ordre s'étendait sur toute
l'Afrique du Nord, en particulier l'Algérie,le Maroc et I'Egypte, mais

aussi au sud, sur l'ensemble du territoire qui constitue aujourd'hui le
Tchad, et au-delà. Di:s 1856, une zaouiu senoussi a étéétablie à Kouka
Bornou. La prétention libyenne fondéesur le seul titre senoussi pourrait
avoir pour conséquence logique l'intégration d'environ huit nations en
un seul Etat africain. Autant pour les facteurs religieux et culturels. Les
considérations éconorniques et géographiques se révéleraient descritères

'ICAS SurnrnitiGenllrifll4, p. 4; voir aussi Boutros Boutros-Ghali. Les conflits de
jiontiGrc~sen Afriqcic,197:Z. DIFFÉREND TERRITORIAL (OP. IND. AJIBOLA) 61

encore plus insaisissables et incertains. En outre, elles se heurteraient sou-
vent à des conclusioris fondéessur des facteurs ethniques et culturels.
37. C'est pourquoi je me rallie pleinement au point de vue de la
Chambre de la Cour dans l'affaire du DiSfërendfrontalier (Burkina Faso/
Ripublique du Mali) :

«La Chambre tient néanmoinsa souligner que rien n'autorise un
recours à la notion d'équitépour modifier une frontière établie.
Dans le contexte africain en particulier, on ne saurait invoquerles

insuffisancesairifestes, du point de vue ethnique, géogruphiqueou
administratijde maintes frontières héritéesde la colonisation pour
affirmer que leur modification s'impose ou sejustifie par des consi-
dérations d'équité.))(C.I.J. Rec.ueil 1986p. 633, par. 149; les ita-
liques sont de moi.)

38. En définitive, il me semble difficile d'appuyer aucune des conclu-
sions que la Libye a soumises à la Cour en l'espèce.

III. L'ARGUMENTAT DIUNTCHAD

39. La conclusion généraledu Tchad en la présente affaire étaitque
celle-ciavait pour objet la délimitationde la frontière commune entre les
deux Parties. De son point de vue, le traitéfranco-libyen du 10août 1955
définissait une telle frontière. Dans son exposé liminaire, l'agent du
Tchad a expriméla position du Gouvernement tchadien en ces termes:

«Pour le Tchztd, le traité du 10août 1955est la clédu différend.
Librement, la Libye l'avait négocié, signé et ratifié. Ce traité est
incontournable et décisif.Son application suffit à réglerle litig».
(CR 93\21. p. 14.)

40. Le Tchad a presentédeux thèsessubsidiaires a l'appui de cette con-
clusion.Il a soutenu que, mêmesi le traitéfranco-libyen de 1955n'avait
pas été concluou s'ilétait inapplicable,la définitionde la frontière résul-

tant de certainsinstruimentsinternationaux serait la même.Pour lecas où
ces deux premiers arguments n'emporteraient pas la conviction, le Tchad
a également avancé, 21titre touà fait subsidiaire, que les effectivitésfran-
çaises dans lesconfinsconfirmeraient la même lignefrontière. Le Tchad a
en outre étayéses prétentionsquant à l'existence effectived'une frontière
conventionnelle en invoquant à l'encontre de la Libye l'acquiescement et
I'rstoppelIIa de plus soulevéla question deI'utipossidetisjurien se réfé-
rant à la déclaration du Caire de 1964de l'organisation de l'unité afri-
caine et à une partie de la décisiond'une Chambre de la Cour dans
l'affaire duBiffircwd,fLotzttrlier(Burkina Fa.so/Ripubliqur(lu Mu(C.I.J.

Recueil 1986, p. 554). DIFFEREND TERRITORIAL (OP. IND. AJIBOLA) 62

IV. LE TRAITÉ DE 1955 ET LES POSITIONS DES PARTIES

41. La Libye a convenu avec le Tchad qu'il fallait en l'espèceprendre
comme point dedépart le traitéfranco-libyen de 1955(ci-après dénommé
le ((traitéde 1955))).Parlant au nom de la Libye, son conseil a déclaré:

((L'article 3du traité de 1955 est directement pertinent pour le
règlement du présent différend))(répliquede la Libye, par. 5.04); et
elle avance en effetque «il se peut fort bien que la Cour considère le
traité de 1955 comme le point de départ logique pour déterminer
comment le différend territorial dans la présente affaire doit être

réglé))(ibici.,par. 5.01). Comme aussi bien la Libye que le Tchad
(bien qu'avec certaines réservespour ce dernier) considèrent que le
traité de 1955 revêtune importance capitale pour le règlement du
différend actuel, la Libye commencera par analyser l'article 3 du
traité de 1955.» (CR 93115. p. 15.)

42. Pour sa part, le Tchad a clairement indiqué au début de ses plai-
doiries que sa thèse principale était que le traité de 1955 identifiait ((sans
aucune ambiguïté une ligne frontalière)) (CR 93121. p. 28). Le conseil a
ajouté: ((Commençons par le commencement. Et le commencement juri-

dique - la fin aussi d'ailleur- c'est letraité du 10 août 1955 entre la
France et la Libye.» (CR 93121,p. 29.)

43. L'arrêtde la Cour a abordé comme ilconvient l'interprétation
de l'article 3 du traiitéde 1955 et point n'est besoin d'y revenir ici; je

me bornerai à évoquer certains aspects qui viennent, à mon avis, étayer
l'arrêt.

i) Ohjot et but (ltruiteu' c .55

Pour l'interprétation detout traité,ilest égalementindispensable d'exa-
miner son objet et son but réels(cf. article1,paragraphe 1,de la conven-

tion de Vienne sur le droit des traités).
44. S'agissant du traité de 1955, la position de la Libye à cet égardest
simple: son objet propre était d'obtenir le retrait de l'armée française
du Fezzan pour que son indépendance devienne réalité.Toutes autres

considérations étaient secondaires et, en fait, sans importance. Le moins
qu'on puisse dire est que la Libye ne s'intéressaitpasà l'époque a la déli-
mitation de la frontikre méridionale et aurait préféréne pas aborder cette
question. On a fait valoir qu'en 1955 la Libye n'avait guère les moyens
nécessaires A un tel exercice et, en particulier, qu'elle ne disposait pas

d'experts compétents.
45. M. Kamel Maghur a affirméau nom de la Libye:
((Lorsque les négociations qui ont finalement abouti a la conclu- DIFFÉREND TERRITORIAL (OP. IND. AJIBOLA) 63

sion du traitéde 1955sesont engagées,enjanvier 1955,je pense qu'il
n'y avait pas plus de cinq juristes dans toute la Libye. L'équipe
libyenne n'a bénéficié de l'appui que d'un seul juriste, M. Fekini,

jeune diplôméde la faculté dedroit de Tunisie, qui n'avait aucune
expérienced'aucune sorte ...Comme M. Fekini,j'ignorais totalement
les questions de droit international et de frontières internationales
lorsque j'ai obtenu mon diplôme.» (CR 93114,p. 67.)
46. La Libye a égalementprétendu que la France étaittout aussi peu

disposée aaborder la question de la délimitation. Mention a étéfaite, à
maintes reprises, de la lettre du 2 mai 1955 adresséeau ministre de la
France d'outre-mer par le gouverneur généralde l'Afrique équatoriale
française. Cette lettre soulignait: ((la nécessitde faire reconnaître par ce
pays [la Libye] les frontières résultant de la déclaration franco-britan-
nique de 1899))(mémoirede la Libye, vol. 1, p. 370, par. 5.437).
47. Mais la lettre ne s'arrêtaitpas la. Elle exposait ensuite clairement
quel était ace moment décisif,quatre mois environ avant la signature du
traitéde 1955,l'objectif de la France a l'égardde la frontière méridionale
entre la Libye et le Tchad. D'aprèsla Libye, cet objectif correspondait à

la thèse française énoncéepour la première fois de manière totalement
explicite en 1921-1922,en réponse à la protestation italienne contre la
convention franco-britannique de 1919.Ainis la thèsefrançaise relative à
la frontière, telle qu'elle était formuléedans la lettre, aurait étéla sui-
vante :

« que la Libye devait êtreconsidéréecomme Etat successeur de
l'Italie et rion de la Turquie;
- que les frontières méridionalesde la Libye ont été déterminées
par la déclaration additionnelle anglo-française de 1899,modi-
fiéepar la convention anglo-française de 1919;
- que l'Italie avait officiellement reconnu la déclarationaddition-
nelle de 1899dans les accords franco-italiens de 1900-1902 ;
- que la Libye ne saurait fonder aucune revendication sur le
traitéde 1935parce que ces accords ((n'ontjamuis ktk exkcutks))
(ihid.;les italiques sont de moi).

48. La lettre du 10 mai 1955adresséeau Foreign Office par l'ambas-
sade de France a Londres, que la Libye a citéedans son mémoire,laisse
en outre penser que les deux parties avaient adopté la mêmeattitude à
l'égardde la délimitation puisqu'il y est dit:

«Les deux gouvernements conviennent de s'entenir, en ce qui con-
cerne le tracédes frontières séparantles territoires français et libyen,
aux stipulations; générales destextes internationaux en vigueur à la
date de la créationde 1'Etatlibyen.)) (ihid., p. 375, par. 5.445.)

49. Peut-on éventuellement endéduire qu'aucun désaccord n'existait
quant à l'objet et au but du traité? Au dernier moment, la Libye a
reconnu que la frontière avait été fixéepar les actes internationaux. Selon
elle: DIFFÉREND TERRITORIAL (OP. IND. AJIBOLA) 64

«La Libye ar,de fait, au dernier moment, accepté la rectification
proposée, sous la forte pression des négociateurs français; et le texte
arrêtépour identifier les points considérés figure à l'annexe 1 au
traité de 1955.))(CR 93/15, p. 38.)

50. Quels étaient, selon le Tchad, l'objet et le but de ce traitéde 1955?
D'après lui, il s'agissait d'un accord global tendanti assurer la paix et la

stabilitédans cette :région.C'était,à ses yeux, un traitéd'amitiéet de bon
voisinage entre la France et la Libye. Comme le Tchad l'a affirmédans
son contre-mémoire :

«il se présente comme un ensemble de dispositions concernant des
matières fort diverses: présence des troupes françaises sur le terri-
toire libyen, coopération économique, financièreet culturelle, régime

frontalier...Son objet est très généralementde faciliter les relations
entre les parties et d'établir entre elles une coopération.)) (Contre-
mémoiredu Tchad, livre 1,p. 505, par. 11.68.)

51. Eu égard iil'intitulé,au texte et à la teneur du traité, le point de
vue du Tchad me semble correspondre à une analyse correcte, mêmes'il
n'est pas exclu que chacune des parties ait eu quelque contrepartie en vue.
C'est ainsi que, dans une lettre adressée par l'ambassade du Royaume-

Uni à Paris le 5janvier 1955au Foreign Office à Londres, sur la base de
renseignements fournis par M. Jerbi, un des membres de la délégation
libyenne aux négociations relatives au traité, il étaitprécisé:

«le Gouvernernent français avait, au début des négociations de jan-
vier. indiquéque la France était disposée i retirer ses forces du Fez-
zan pourvu que certaines questions connexes soient réglées en même

temps, notamrnent que la ((frontièreentre le Fezzan et le territoire
français soit convenablement délimitée)) (mémoire de la Libye,
vol. 1,p. 375, par. 5.446).

52. Il convient également de garder à l'esprit qu'entre 1953 et 1954 la
Grande-Bretagne el.les Etats-Unisd'Amérique avaient conclu desaccords
de sécuritéet d'alliance avec la Libye, tenant la France à l'écart.
53. Quels qu'aient pu êtreles motifs propres à chacune des parties, il

ne fait aucun doute que le traité de 1955 avait pour objet et pour but de
garantir des rapports d'amitié et de bon voisinage entre elles. Selon la
règle spécialed'interprétation des traités frontaliers, de tels instruments
sont réputés,sauf preuve contraire, avoir été conclusen vue d'assurer la
paix et la stabilitéet ce. de façon définitive.De nombreuses conventions
multilatérales prévoient des garanties visant à assurer une solution stable

et définitiveen matière de traités frontaliers. Tel est le cas, par exemple,
de la conbention précitéede 1978 sur la succession d'Etats en matière de
traités, en particulier de son article 1I qui stipule qu'une succession
d'Etats ne porte palsatteinte a une frontière établie par un traité, ni aux
obligations et droits établispar un traité et se rapportant au régimed'une DIFFÊREND TERRITORIAL(OP. IND. AJIBOLA) 65

frontière. De même.la convention de Vienne sur le droit des traitésde
1969,dans son article 62, paragraphe 2 a), dispose:
«Un changernent fondamental de circonstances ne peut pas être
invoqué comme motif pour mettre fin à un traité ou pour s'en reti-

rer:
a) s'il sagit diln traité établissat nejrontière.))(Les italiques sont
de moi.)

54. En outre, l'article2, paragraphe 2, de la convention de Vienne de
1986 sur le droit des traitésentre Etats et organisations internationales
ou entre organisations internationales a égalementprévuune exception
concernant les traitks frontaliers, en ces termes:

«Un changement fondamental de circonstances ne peut pas être
invoqué commemotif pour mettre fin à un traité entre deux ou plu-
sieurs Etats et une ou plusieurs organisations internationales ou
pour s'en retirers'il s'ugit d'un traité établissant urontière.))(Les
italiques sont de moi.)

55. On s'accorde a reconnaître, eu égard à son article 3 et a son
annexe 1,que le traitéde 1955étaitpour partie un traité frontalier, même
s'ilne traiteDasexclusivement de la auestion des frontières. A défautde
preuve du contraire:, il faut considérerque les deux parties ont accepté
d'insérer cet article dans le but d'établir leurs frontières et d'assurer
quelque stabilitéet pérennité a cet égard.

56. La jurisprudence de la Cour en matière de frontièresconvention-
nelles vientfermement étayerl'analyse ci-dessus.Le clair prononcéde la
Cour dans l'affaire du Temple de PréahVihéar(Cambodge c. Thaïlunde),
en juin 1962,est àcet égardun précédent célèbrE e.n l'espèce,la Cour a
poséle principe du caractère stable et définitif desfrontières convention-
nelles en ces termes:

((D'une manière générale,lorsque deux pays définissententre eux
une frontière, iin de leurs principaux objectifs est d'arrêterune solu-
tion stable et définitive.Cela est impossible si le tracé ainsi établi
peut êtreremis en question a tout moment, sur la base d'une procé-
dure constamment ouverte, et sila rectification peut enêtredemandée
chaque fois que l'on découvre une inexactitude par rapport à une
disposition du traité de base. Pareille procédure pourrait se pour-
suivre indéfinimentet l'on n'atteindrait jamais une solution défini-
tive aussi longiemps qu'il resterait possible de découvrir deserreurs.
La frontière, I'oind'être stable,serait tout à fait précaire.))(C.I.J.,
Recueil 1962, p. 34.)

57. Peut-êtrecette décisionde la Cour, inspiréedu principe quietu non
movere, visait-elleà garantir le règlementdéfinitifet sûr de tout différend
porté devant elle, et à éviter ainsides contestations sans fin, pouvant à
l'occasion dégénéreern hostilitéset en conflits armés. DIFF'ÉREND TERRITORIAL (OP. IND. AJIBOLA) 66

58. A l'évidence,l'objet et le but du traité de 1955 dans son ensemble
étaient multiples puiisque ce traité touchait à tant de domaines, compre-
nant entre autres une convention particulière de bon voisinage prévoyant

les modalités de mise en Œuvre de bons ((rapports de voisinage)) en assu-
rant par exemple la libre circulation des citoyens entre les deux territoires,
une convention de coopération économique ainsiqu'une convention cultu-
relle portant sur l'enseignement, la langue, etc. Le traitécomp~rtait égale-
ment de nombreuses annexes explicitant en détail ses objets et ses buts.

Mais il est également clair que, pour partie. le traité avait pour objet et
pour but de fixer définitivement la frontière méridionale de la Libye.
Ce que selon moi, il a effectivement réalisé.

ii) Approche intégrée

59. Bien que je ni?souhaite pas traiter séparémentdans la présente opi-

nion de l'approche «fondée sur l'intention)) -- ne serait-ce que parce
qu'une telle approche risque d'êtretrop subjective et donc inopportune
(la Cour non plus ne l'a jamais adoptée) , je pense que tout élément
susceptible, éventur:llement, d'en êtretiré, peut aisément êtreexaminé
dans le cadre de l'approche intégrée, laquellepermet peut-être de faire
ressortir l'intention des deux Parties. L'approche intégréedoit de même

permettre de tenir compte comme ilse doit de l'ensemble des compo-
santes du traitéde 1955,ainsi que le prescrit l'article 31,paragraphe 2, de
la convention de Vi.ennesur le droit des traités de 1969:

<<Auxfins de l'interprétation d'un traité,le contexte comprend,
outre le texte,,oréumhuleet rrnnexesinclus:
a) tout clccordayant rapport au traitéet qui est intervenu entre tou-

tes les partiesiil'occasion de la conclusion du traité;
6) tout insrrutnentétablipar une ou plusieurs parties à l'occasion de
la conclusi~ondu traité et ac<~pté pur les uutrcs parties en tant
q~i'instrument ayant rapport au traité.)) (Les italiques sont de
moi.)

60. Si l'on s'applique à interpréter le traité de 1955 conformément à
l'approche intégréesusmentionnée, on ne peut éviterd'aborder certains
des points visés PILIS haut sous le titre «objet et but)) du traité, sur les-

quels je ne reviendrai pas. Il faut cependant de nouveau observer qu'en
présentant sa cause devant la Cour chaque Partie a produit plusieurs
volumes de documents diplomatiques, y compris des lettres, des accords,
des notes ou des procès-verbaux et des cartes, pièces qui ont effective-
ment servi au cours de la procédure orale. Au sujet des documents diplo-
matiques relatifs à la période de janvier à août 1955, certaines observa-

tions importantes et pertinentes peuvent êtrefaites. Peut-êtreconvient-i]
de commencer par le traité Laval-Mussolini de 1935 qui a occupé le
devant de la scènejusqu'en 1955.Ce traité a incontestablement définiune
frontière correspondant à certains avantages ou concessions à la Libye
(quoi qu'ait pu en dire cette dernière). Il était assorti d'une carte surlaquelle la totalité de la «bande d'Aouzou» était figurée en territoire
libyen. Quoique ce traitéait été signé,s instruments de ratification cor-

respondants n'ont jamais été échangé estre les parties. L'Italie s'y est en
effet refusée,accusant la France de manquer à sa parole à propos des
concessions qu'ilaurait étéconvenu de lui accorder concernant ses colo-
nies d'Erythréeet de Somalie.
61. Ce traité de 1935servait de base à une carte indiquant la frontière
sur laquellel'Italie, puis la Libye, se sont fondàetort pendant quelque
temps et qui a été à l'origine d'un désaccord entre l'Italie et la France
avant 1947,puis entre la Libye et la France avant la signature du traitéde
1955.
62. Entre 1935el.le 10août 1955,il s'est ainsiproduit deux incidents,
à Jef-Jef en 1938,elà Aouzou le 28 février1955,qui ont clairement fait
ressortir les positions de chacune des parties à l'égardde la frontière

méridionale de la Libye. Bien que les faits aient étécontestésentre les
Parties, il est évidentque, en ce qui concerne la frontière méridionalede
la Libye avec le Tchad, la France se fondait sur la ligne de 189911919,
alors que l'Italie s'en tenàila ligne de 1935.Ces incidents sont impor-
tants à double titre: pour ce qui est de I'incident de Jef-Jef, on s'est
accordétacitement à reconnaître que l'Italie (et la Libye a cet égard)ne
pouvait s'appuyer sur le traitéde 1935,dont les instruments de ratifica-
tion n'avaient pas été échangéL s.ors de l'incident'Aouzou, il y a eu
égalemententente lacite entre les parties pour revenàrla ligne de 18991
1919,vu que celle de 1935n'existait plus.
63. Du mois de janvier au 10août 1955(date de la signature du traité
de 1955),pas moins de soixante-quatre documents ont été élaborésà pro-
pos des négociations sur le projet de texte ou de ce que devait êtrele

contenu du traité. Dix-sept de cesdocuments traitent de I'incidentAou-
zou, tandis que d'autres se rapportenà des cartes, des controverses et au
retrait des forces françaises du Fezzan. Mêmesi ces documents sont
perçus et interprétésdifféremment par les Parties, il s'en dégagece que
I'on peut raisonniiblement considérer comme un consensus. Pour la
Libye, la question la plus importante étaitcelle du retrait des forces fran-
çaises du Fezzan, et elle était disposée à faire des «concessions» en
échanged'un retrait opérédans les meilleurs délais.Elle s'intéressaitpar
ailleursà toute forme d'assistance de la part de la France. Cette dernière,
quant à elle, considérait la définitionde la frontière méridionale de la
Libye comme une condition sinequanon et entendait que I'on reconnût a
cet effet les lignes de 189911919.
64. Par ailleurs, et contrairemenà ce qu'a affirméla Libye au cours de

la procédure orale.,la France n'étaitpas, selon moi, entièrement satisfaite
du traité de 1955.La situation et les circonstances du moment indiquent
clairement que la France, en signant cet accord, a dû trouver la pilule
amère.La lecture de tous lesdocuments pertinents révèleà l'évidenceque
la France souhaitad alors, non pas un traitéd'amitiéet de bon voisinage,
mais un traité d'alliance avec la Libye, semblableà ceux que cette der-
nièreavait conclu:; avec la Grande-Bretagne en 1953et les Etats-Unis en DIFFÉREND TERRITORIAL (OP. IND. AJIBOLA) 68

1954.C'est ainsi que, parmi les conditions poséespar la commission de IR
défensede l'Union française a la ratification du traité de 1955,figuraient
les suivantes:

«1. Tout l'accord franco-libyen doit prendre le caractère d'un
traitéd'alliance en raison de ses conventions militaires et de bon voi-
sinage pour coinstituer une reconnaissance dejure par 1'Etatlibyen de
la souveraineté de la France sur ses territoires africains;

2. Ce traité nous reconnaîtra le droit de réoccuper militairement
le Fezzan en temps de guerre ou en cas de crises dont la définition
devra couvrir notre sécuritéafricaine à hauteur de cette région.))
(Mémoire de la Libye, vol. 6, pièce 76,p. 1051 .)

65. En fait, I'Asijembléede l'Union française a regretté, à propos du
projet de traité de 1955:

NU) que le défaut de solidarité occidentale n'ait pas permis à la
France de préserver, comme il eût convenu, sa positon au

Fezzan, de tels manquements à la solidarité risquant de mettre
en cause l'Alliance atlantique))(ibid.,p. 1050).

66. D'une manière générale,le traité n'a donc pas permis a la France
d'atteindre son objectif et une lecture attentive de ce qui s'est dit devant
son parlenient, en particulier au cours de la séancedu 22 novembre 1955,
éclairedans une certaine mesure ce point. Dans son exposédevant l'As-
sembléenationale française sur le traité, M. Daniel Mayer, président de
la commission des affaires étrangères et rapporteur, a évoquéce que la

France aurait voulil obtenir de la Libye a la faveur d'un tel traité, si elle
avait pu faire prévaloir son point de vue:

«La France recherchait, à cette époque, avec le nouveau royaume
fédéral,une ulliutzcqui l'eût placée au Fezzan dans une situation
analogue a celle qu'occupait la Grande-Bretagne en Tripolitaine et
en Cyrénaïque.
Ce dessein ne put malheureusement êtreréalisé,les accords signés
en 1953avec la Grande-Bretagne et, l'annéesuivante, avec les Etats-

Unis ayant abondamment pourvu nos interlocuteurs des ressources
qui leur étaient nécessaires etleur ayant permis de négligerles trop
modestes contreparties que nous pouvions leur proposer en échange
d'un droit d'occupation permanente du Fezzan où nos troupes se
trouvaient établies depuis 1942.)) (It~irlpièce 71, p. 5017; les ita-
liques sont de moi.)

67. M. Mayer est allé plus loin dans sa déclaration à l'Assemblée

nationale française, en déplorant les conséquences politiques et psycho-
logiques possibles de l'échecde cette tentative de la France pour obtenir
de la Libye le meilleur accord possible et du fait qu'elle devait se conten-
ter d'un pis-aller-- le traité de 1955: ((Certes, ce traité peut susciter des critiques et il comporte, de
notre part, des concessionsqui risquentdutteindre certainsaspects de
notre amour prt7pre.
Le retrait de nos forces du Fezzan sera, sans doute, péniblement
ressenti par notre arméed'Afrique, en raison des circonstances glo-
rieuses dans le!jquellesnos troupes s'y étaientinstallées.» (Mémoire
de la Libye, vol. 6, pièce 71,p. 5017-5018; les italiques sont de moi.)

68. Dans le contexte de ce traité,la question du Fezzan était incontes-
tablement très épineuse:la Libye étaiten fait disposée à payer le prix du
départdes troupes ifrançaises(quelque quatre cent cinquante hommes en
tout) de son territoire, ce que la France répugnait à faire, le Fezzan étant
pour elle une zone stratégiqueimportante pour ses colonies d'Afrique du
Nord par rapport d l'Afrique équatoriale. Elle se sentait mêmeévincée
puisque ses propre!; forces devaient quitter la Libye en vertu du traité
considéré,alors que les forces britanniques et américaines y étaientles

bienvenues. Elle co.mprenait néanmoinsdans le mêmetemps qu'il valait
mieux, pour les Français, quitter honorablement et librement le Fezzan
que d'être
((amenésa l'évacuerdans quelques semaines, peut-être mêmd eans

quelques jours. après avoir été condamnés à la quasi-unanimité par
un vote de I'O~rganisationdes Nations Unies devant laquelle nous
n'aurions, il faut le dire, pratiquement aucun argument à présenter
pour défendrenotre maintien ..))(ihid., p. 5025).

69. A 1'Assemblkenationale, Jacques Soustelle s'est en fait référé au
traitéde 1955de la manière suivante: ((Traitéd'amitié ?De quelle amitié
s'agit-il?))Ihid., p. 5022.)
70. Il n'en demeurait pas moins opportun et souhaitable pour la
France de signer uri tel accord avec la Libye. Faute d'alliance, la France
avait besoin que la Libye, épauléepar ses nouveaux et puissants «alliés»
- le Royaume-Uni et les Etats-Unis, adopte une attitude pacifique et
de bon voisinage. C'est ce qui ressort clairement du débata l'Assemblée
nationale française :

((Certes, il n')estde but plus louable que d'établirou de consolider
lupaix cctle hortvoisinagedansunepartie quelconquede cet ensemblesi
dangereusemenrp 'arcourude couruntsviolents. ))(Ibid., p. 5020; les ita-
liques sont de moi.)

71. Je suis donc d'avis que la délimitationd'une frontière claire et dis-
tincte était une condition sine qua non de l'instauration d'un climat de
paix et de stabilitéentre les deux nations. D'où l'importance del'article 3
et de l'annexe 1 du traitéde 1955,qui établissent clairement, selon moi,
une frontière convenue qui n'ajamais été contestée par la France, et que
la Libye n'a contestéeque récemment.Si, d'autre part, on considère la

teneur globale des ]négociationsentre la France et la Libye qui ont pré-
cédéla signature di1traite le 10août 1955,il ne fait aucun doute que les DIFFÉREND TERRITORIAL (OP. IND. AJIBOLA) 70

deux parties étaient parvenue à un accord établissant une frontière entre
elles, comme l'indique l'article 3 du traité.

72. Dès le 2 janvier 1955 le négociateur libyen, M. Mustapha Halim,
déclarait à propos des négociations avec la France:
«Je demande l'évacuation définitive etsans conditions du Fezzan

et je ne reviendrai pas sur ce qui a étédit.
Comme vous [la France] craignez qu'il y ait des mouvements a
votre frontière, je suis décidéà conclure avec vous un accord.))
(Réplique de la Libye, vol. 3, pièce 6.4,p. 2.)

73. La Libye a donc énoncé clairementd'embléela considération géné-
rale qui allait êtred la base des négociations et qui devait aboutir au
traitéde 1955.On perçoit ici l'élémentindispensable de contrepartie entre
les deux pays. Ilne faut pas non plus oublier un autre point important,
antérieur aux négociations. L'accord que la France avait signé avec la

Libye lors de son accession à l'indépendance(24 décembre 1951),au sujet
de la présence de forces françaises sur le sol libyen (au Fezzan), était
arrivé à expiration II31 décembre 1954. et en principe la France devait
évacuer ses forces di1 Fezzan.
74. Le procès-verbal des négociations initiales entre la France et la
Libye montre très clairement, à la date du 8 mars 1955, ce qu'acceptait

chaque partie. L'engagement de la France de ((retirer ses forces militaires
actuellement stationnées au Fezzan dans un délaide douze mois après la
mise en vigueur du traité))(ihid, «Négociations franco-libyennes - Pro-
jet de procès-verbal)), p. 2) avait étéprécisépar la Libye, qui considérait
aue ce retrait devrait avoir étéeffectué«à la date du 31 décembre 1955ou
au plus tard dix mois après la signature du traité qui devrait être conclu

le plus tôt possible)) (ibid.).
75. La question de la frontièreétaitégalementtraitéedans ce mêmepro-
jet d'accord.A la sectionIV du mème procès-verbal des négociationfsranco-
libyennes, la Libye et.la France convenaient définitivement dece qui suit:

Les deux gouvernements conviennent de s'en tenir en ce qui con-
cerne le truc.&d(/(ifsiontikrciv séparant les territoires frun(.uis et libyen
aux stipulations générales destextes internutionaux en vigueur à la
date de la crkution de I'Etut libyen.))(Ibid,, p. 5; les italiques sont de
moi.)

76. 11y a lieu de noter certains points importants dans le texte de ce
procès-verbal. Tout d'abord, certains des termes employés sont analo-

gues, sinon identiques, à ceux du libellé définitifde l'article 3 du traité
de 1955. Des mots comme ((frontières », «territoires», ((en vigueur » et
«textes internationaux)) (((international instruments))) figurent dans les
deux docunients, ce qui montre clairement que la Libye avait constam-
ment entendu négocierun accord sur le problème de frontière. En outre,
la Libye était conve.nue de «s'en tenir)) aux stipulations généralesdes
textes internationaux pertinents, ce qui indique manifestement que, même

si elle pouvait avoir eu auparavant quelques doutes sur cette frontière DIFFÉREND TERRITORIAL (OP.IND. AJIBOLA) 71

particulière, la Libye acceptait désormais de la reconnaître. 11convient
par ailleurs d'observer ici que, contrairement au texte définitifdu traitédu
10 août 1955,il étaitfait référence,dans ce projet de procès-verbal, aux
((frontièresséparant/es territoiresfrançaiset libyen»,ce qui désigne claire-
ment et de manièrenon ambiguë la frontière méridionale dela Libye. Au
mêmemoment a peu près, une lettre d'un des hauts-commissaires fran-

çais en Afrique équa.torialefrançaise, M. Chauvet, montre bien de quelle
façon la France souhaitait lier le retrait des forces militaires françaises du
Fezzan à la délimitation de la frontière méridionale de la Libye. Dans
cette lettre,. Chauvet exprimait l'avis que:
«Afin de prévenirtoute revendication ultérieure de la Libyesur la

portiondu Tibestialorscédée U l'Italie,M. Colombani estime que, s'il
était décidé,le retrait des troupes françaisesdu Fezzan devrait être
subordonné à la fixation età la matérialisationde lafrontière telle
qu'elle a été définiepar la dC.clarationfranco-britannique du
21 murs 1899.)) (Réplique de la Libye, vol. 3, pièce 6.5, lettre du
10février1955,p. 1 ;les italiques sont de moi.)

77. Enjuillet 1955,la position des deux parties étaittrès claire,comme
il ressort de l'avant-projet de ((traité d'amitié et de bon voisinage))
négocié à Tripoli, qui a servi de base au texte définitifdu mois d'août
(ihid., pièce6.6, p. 1).
78. Pour conclure cette partie de la présenteopinion, il n'y a pas de
doute que les deux parties, tout comme elles s'accordaient a reconnaître
que la France devait retirer ses troupes du Fezzan, étaient incontestable-
ment convenues que la frontière méridionale dela Libye devait êtrefixée,
et ont en fait concrétisécette intention dans le contexte du traité de1955.

iii) Bonnefoi

79. Le principe de la bonne foi est fondamental en matière d'interpré-
tation des traités. Lir bonne foi est essentiellementà cet égardcelle de
toutes les parties au traité. Ce principe est étroitement liéau principe
pucta sunt servanda,comme il ressort clairement de I'article 26 de la con-
vention de Vienne siIr le droit des traités de 1969, selon lequel: «Tout
traitéen vigueur lie112psarties et doit êtreexécutépar elles de bonnefoi))
(Les italiques sont de moi.) En outre, certaines dispositions de la Charte
des Nations Unies appuient fortement ce principe. C'est ainsiqu'il est dit,
dans le préambule dela Charte, que les peuples des Nations Unies sont
résolus:

«à créerlesconciitions nécessairesau maintien de lajustice et du res-
pect des obligations néesdes traitéset autres sources du droit inter-
national».

Conformément, d'autre part, il'article 2, paragraphe 2, de la Charte:
«Les Membre.s de l'organisation, afin d'assurer à tous la jouis-

sance des droits et avantages résultant de leur qualitéde Membres, DIFFÉREND TERRlTORlAL (OP. IND. AJIBOLA) 72

doivent remplir de bonnefoi les obligations qu'ils ont assumées aux
termes de la présente Charte.)) (Les italiques sont de moi.)

80. Elias se réfère,dans son ouvrage ',à certaines décisionsarbitrales
et judiciaires sur ce point comme, par exemple, l'affaire des Pêcheries
des côtes septentriona.lesde l'Atlantique2. Dans cette affaire, après avoir
observé que, selon uin principe du droit international, les obligations

conventionnelles devaient êtreexécutéesde bonne foi, le tribunal arbi-
tral a estimé que:

«Il résultecependant obligatoirement du traité que l'exercice par
la Grande-Bretagne de son droit de souveraineté en matière régle-
mentaire est limitéaux règlements pris de bonne foi et n'allant pas a
l'encontre du traité. ))

81. La Cour permanente de Justice internationale s'est égalementpro-
noncée a de très nomlbreuses reprises sur le principe de la bonne foi 3.La
Cour a elle-mêmeappliqué ce principe dans l'affaire relative aux Droits

des ressortissants des Etats-Unis d'Amériqueau Maroc, au sujet de I'in-
terprétation des articles 95 et 96 de l'acte d'Algésiras, endéclarant que:
«Le pouvoir d'évalu(:rappartient aux autorités douanières, mais elles
doivent en user raiso:nnablement et de bonne foi.» (C.I.J. Recueil 1952,
p. 212.)

82. Si toutes les pa.rties ont l'obligation de ne pas priver un traité de
son objet et de son but avant son entréeen vigueur (article 18 de la con-
vention de Vienne sur le droit des traités),les parties ont également a for-
tiori l'obligation de ne pas priver le traitéde ses objets et de ses buts une
fois qu'il est en vigueur. En fait, le projet initial de la Commission du
droitinternational qui est devenu l'article 18 de la convention de Vienne

contenait une disposition, ultérieurement écartéecomme superflue, selon
laquelle les parties à Lintraité en vigueur devaient s'abstenir de tout acte
susceptible d'entraver l'application du traité 4.
83. En dernière analyse, l'exécution de bonne foi est essentielle
l'égarddes ccconsi~Ierations»o , u contreparties que s'accordent mutuelle-

ment les parties à un traité, pour utiliser un terme de cotnmon 1ui.tr.elatif
au droit des contrats. La «bonne foi» implique que toutes les parties à un
traité respectent la totalité de leurs obligations et s'en acquittent pleine-
ment. Elles ne sauraient choisir a leur gré les obligations qui leur con-
viennent et celles qu'elles refusent d'exécuter ou entendent écarter ou

ignorer. Les traités peuvent contenir, comme tous accords, des obliga-

' T. O. Elias, The Mou'ernLuii. q/'Treutic,s,1974.p. 41.
Nations Unies, Ret,uc.ildes .sentencesrrrhitrulesXI,lp. 188

' Comme dans : 1)Trciiternenidesnutiorlupolonriiet desuutrespersonnesd'origine
ou de lungu<p~olonui.sedtrns le territoire de Btrntzig, rrvisconsultut~J;1932. C.P.J.I.
séric, /B no64. p. 19-20.Ccoles inorituiresen Alhuniavixcon.suliur;935, C.P.J.I.
Annuuirr dc lu Commi.ssiondu droit internutionul, 1952,vol. II, p. 7.tions ((avantageuses.))ou ((préjudiciables))pour une ou plusieurs parties,
mais toutes les obligations, qu'elles soient ou non exécutoires,doivent
êtrerespectées. C'estainsi qu'Elias remarque par ailleurs:
((L'exécutionde bonne foi ne revient donc pas seulement à s'abs-

tenir d'actes susceptibles d'empêcherd'appliquer dûment le traité,
mais suppose aussi un équilibreéquitable entre des obligations réci-
proques. ))'
84. En vue de maintenir l'équilibre nécessaire entre engagements réci-
proques, ce qu'Elias appelle ((équilibreéquitable)),les Parties doivent être

considérées,dans la présente affaire, comme tenues de s'acquitter de
toutes lesobligations qui leur reviennent. La Libye, pas plusque la France,
ne saurait choisirA son grélesobligations dont elleaccepte de s'acquitter.
Les contreparties fondamentales du traitéde 1955sont, d'une part, le re-
trait par la Francedi1Fezzan et, d'autre part, l'acceptation par la Libye de
ce que l'articleet l'annexe 1du traité de1955ont constaté etfixéla fron-
tière méridionalede la Libye avec le Tchad. Ces obligations conjointes
et indivisibles,opposables aux deux parties, constituent l'assisefondamen-
tale de l'ensemble dl: l'accord. Rosenne, dans un de ses articles', a fait

sur la bonne foi les observations suivantes:
((Selon un princ@e essenti~lld'interprétation, un traité doit être
interprétéde bonnefoi et ne pas aboutir à un résultatmanifestement
absurde.ou dérai.vonnuhleL .'interprétation par le Secrétairegénéralet

par le Conseil de sécuritédes dispositions du Statut concernant la
manière de pouirvoir un siègedevenu vacant peut êtreconsidérée
comme répondant à cette condition.)) (Les italiques sont de moi.)

85. Un nouvel examen du traité de 1955 fait nettement ressortir de

nombreuses obligations de la part de la France qui étaient tout à fait
avantageuses pour la.Libye et qui ont été en fait exécutéesC. ertaines de
ces obligations découlent de la convention de coopération économique
ainsi que de l'annexe V du traité. Conformément A I'annexeVIII,d'autre
part, la France a accepté cequi suit:

1. Les bâtiments ex-italiens, ainsi que les bâtiments construits
par lesforces françaisesë l'exceptiondu groupede bâtiments marqué
(G )sur le plan ci-joint, seront remisenpleinepropriété aux autorités
libyennes.» (Mérnoirede la Libye, vol. 2, pièce28, p. 15.)

86. Mustapha Ben.Halim a, A cette mêmedate - le 10août 1955 -
réagiaux termes de ]"annexeVI11en confirmant ((l'accord du Gouverne-
ment libyen sur ces propositions)) (ibid.). 11s'agit là d'un exemple patent

' Op.ci/.p..43.
((TheElection of Filie Members of the International Court of Justice in 1981»,
Arnericc~Journc~qf InierntrtionulLubc,vol. 76. 1982,p. 365-366. DIFFEREND TERRITORIAL (OP. IND. AJIBOLA) 74

où une obligation d'une partie constituant uiiavantage pour l'autre par-
tie au traité a étéexécutée,et l'on peut se demander pourquoi il y aurait
lieu de considérer différemment toute autre obligation du mêmetraité.
McNair présente la bonne foi en ces termes:

((L'exécutiondes traités est assujettie à une obligationpremièrede
bonne Juimutuelle. Cette obligation est également applicable en
matière d'interprétation des traités, et une partie irait à l'encontre de
cette obligation si elle utilisait une ambiguïtéyuelconque pour faire
valoir une interprétation ne correspondant pas, conformément aux

négociations relatives au traité,iil'intention des parties.» '(Les ita-
liques sont de moi.)
87. Cela résume peut-être la situation dans la présente affaire, dans

laquelle la Libye refuse de donner effet à une partie du traité(article 3 et
son annexe 1),tout einconsidérant valables et exécutoires certains autres
aspects-de cet acte. Pour interpréter ce traité de bonne foi, on doit dès
lors considérer toutes ses dispositions, et notamment l'article 3 et son
annexe 1,comme également valableset comme égalementcontraignantes.

iv) Truvauxpréparatoires

88. En matière d'iriterprétation des traités,les travaux préparatoires et

les circonstances dans lesquelles ces traités ont étéconclus sont réputés
avoir un caractère secondaire ou complémentaire, soit pour confirmer le
sens premier soit pour déterminer ce sens lorsque d'autres moyens d'in-
terprétation laissentII:sens obscur ou ambigu ou conduisent à des résul-
tats manifestement absurdes ou déraisonnables. C'est ce que prévoit l'ar-
ticle 32 de la convention de Vienne. Pour déterminer le sens du traité
considéré,je doute cependant qu'il faille se reporter aux travaux prépa-
ratoires, tout d'abord parce que la règle généraled'interprétation ne

laisse placeiiaucune ambiguïtéou absurdité, et en second lieu parce que
le volume de lettres, de cartes, de documents de négociations, de rapports
et de comptes rendus parlementaires qui nous ont été soumisau titre des
travaux préparatoires font eux-mêmes souvent l'objet d'interprétations
divergentes.

v) Actes ultérieursdes Purties

89. En terminant cette partie demon opinion relative à l'interprétation
du traité de 1955, ilme faut examiner les incidences éventuelles de la
situation ou des actes des Parties après l'entréeen vigueur du traité.Cela
découledu paragraphe 3 de l'article 31 de la convention de Vienne sur le
droit des traités de 1969, selon lequel:

«II sera tenu c'ompte, en même tempsque du contexte:

' The Luiv of Treuties, 1961,p. 465. DIFFÉIRENDTERKITORIAL(OP. IND. AJIBOLA) 75

a) de tout accord ultérieur intervenu entre les parties au sujet de
l'interprétation du traitéou de l'application de ses dispositions;
b) de toute pratique ultérieurement suivie dans l'application du
traité parlacluelleest établiI'accord desparties Al'égardde I'in-
terprétation du traité))

90. Les Parties ont mentionnéplusieurs actes internationaux, auxquels
elles ont cependant donné des interprétations différentes. L'accord du
26 décembre 1956a revêtu laforme d'un échangede lettres relatif à la
délimitation de la frontière franco-libyenne quant à la frontière entre
l'Algérie et la Libye.i1emportait modification ou rectification de la ligne
frontière établiele 12 septembre 1919 entre l'Italie et la France. Cette
négociation frontalièreet l'accord ultérieur n'ont cependant rien à voir

avec la frontière encause dans la présente affaire.
91. Le lienentre cet accord et le traitéde 1955tienà ce que la lignede
septembre 1919,mentionnéedans la lettre du 26 décembre1956adressée
au ministre libyen de:saffaires étrangères,M. Ali Sahli, par M. Jacques
Dumarçay, et A laquirlle il a étérépondu de manière positive ce même
jour, est l'une des six lignes frontières mentionnéesAl'annexe 1 de I'ar-
ticle 3. C'est aussi la ligne frontière convenue par les deux parties en tant
que frontière entre la Libye et ['Algérie.S'il faut tirer quelque conclu-
sions de cet accord, on peut considérer qu'il confirme dans une cer-
taine mesure la validi1.du traitéde 1955;autrement, cet accord ne porte
aucunement sur la frontière contestée. C'estce que confirme la Libye
dans son mémoirede la manière suivante:

((L'accord de 1956 portait sur la frontière algéro-libyenneentre
Ghadamès et Ghat. Il intéressele différendterritorial entre la Libye
et le Tchad parce qu'il a une incidence importante sur le traité
de 1955,ce qui est le cas aussi de l'annexe1...qui portait sur le sec-
teur de la frontière libyennesituéplus au sud,entre Ghat et Toummo.
Comme ni l'un ni1l'autre de ces secteurs ne coïncident avec la région

frontalière actuelle entre la Libye et le Tchad, les rectifications
apportées au tracéde la frontière dans ces deux secteurs n'entrent
pas dans le cadre du différend territorial entre les deux pays.))
(Mémoirede la Libye, vol. 1, p. 393, par. 5.485.)

92. Le deuxièmeacte international riprendre en considération est l'ac-
cord de 1966. Il s'agit de l'accord de bon voisinage et d'amitiéentre la
Républiquedu Tchad et le Royaume-Uni de Libye. Il est important de
noter que les Parties ,ont conclu cet accord lorsque toutes deux avaient
déjiaccédé à l'indépendance, laLibye le 24 décembre1951et le Tchad le
11août 1960.Il importe égalementde noter qu'avant et aprèsI'indépen-
dance du Tchad, et mêmejusqu'à la signature de cet accord de 1966,la
Libye n'ajamais contt:stéla ligne frontière établiepar le traitéde 1955ni
émisaucune protestation à cet égard,pas plus qu'elle n'aprétendu qu'au-
cune frontière n'avait été établieT . out indique au contraire, dans cet
accord de 1966,que la Libye savait et acceptait que la frontièreentre elleet le Tchad avait déjiiété établieC . 'est ainsique, dans I'accord de 1966,
le mot «frontière» est mentionné sept fois. La lecture du texte de cet
accord, tel qu'il a étr5ratifié,fait ressortir sans équivoque que, en subs-
tance, lesdeux Partieistenaient compte de l'établissementde leur frontière
commune et qu'ellesentendaient maintenir cette frontière la où elle avait

déjà étéfixée. Lesarticle 1 et 2 de I'accord éclairent suffisamment ce
point :

Sur lafionfièreséparantle territoire du Royaume-Uni de Libye de
celui de la Républiquedu Tchad, les Gouvernements libyen et tcha-
dien prendront toutes mesures en vue d'assurer le maintien de lbrdre
et delasécurité par une liaison et une coopération de leurs servicesde
sécurité.
II est bien entendu que les dispositions ci-dessous ne sauraient
porter atteinteaii droit d'asile tel qu'il est exercéconformémentaux
usages internationaux.

Article2
Le Gouvernement libyen et le Gouvernement tchadien s'engagent
a accorder des facilitésde circulation aux populations installGesde
part et d'uutre della frontière àl'intérieurdes zones géographiques
délimitéespar les points ci-dessous ..» (Mémoirede la Libye, vol. 2,
pièce no 32; les italiques sont de moi.)

93. L'article 2 énurnère ensuiteles localités biendéfiniessituéesen ter-
ritoire libyen (Koufra, Gatroun, Mourzouq, Oubari et Ghat), et celles
situéesen territoire tchadien (Zouar, Largeau et Fada). Quelle que soit
l'interprétation qu'on veuille donner du traitéde 1955, il me paraît très
clairement ressortir de cet article que les deux Parties savent parfaitement
que leur frontière commune a été établie eo tù elle passe. Autrement, s'il
n'y a pas de frontière ou si nul ne sait où elle passe,il est apparemment
inexplicable que les Parties aient, dans le traitéde 1966,parlé((d'assurer
le maintien de l'ordre et de la sécurité))etse soient engagées à faciliter la

circulation des (<populationsinstalléesde part et d'autre de la frontière)).
Bien que la Libye essaiede nier cette réalitédans son mémoire,elleadmet
au paragraphe 5.541, ;ila page 416 du volume 1de ce document, que, «à
proposde cesquestioris, I'accord de 1966renforce et confirme sans aucun
doute le traitéde 1955)).
94. Ledernier des actes internationaux est la notification adressée à la
Cour par le Tchad le 3 septembre 1990.Selon la Libye, étant donné que
le Tchad y a citédeux autres accords, à savoir le protocole du 10jan-
vier 1924et la déclaration du 21 janvier 1924, qui ne figurent pas dans
l'annexe 1à l'article 3du traitéde 1955,la liste des actes internationaux
donnée à cette annexe 1 n'est pas exhaustive, et aucune délimitation n'a
pu êtreétablie. La Libye énoncecet argument au paragraphe 5.475 du
volume 1 de son mémoire.A mes yeux, il n'est cependant aucunement
convaincant. Quels que soient les actes que le Tchad tente d'ajouter, dans DIFFÉREND TERRITORIAL (OP. IND.AJIBOLA) 77

un contexte distinct, a la liste figuranà l'annexe 1,ceux-ci ne sauraient
par hypothèse faire partie de cette annexe telle qu'elle aétjointe à l'ar-
ticle3. Il n'est pas nécessairede rechercher a l'annexe 1, ni d'ailleursà
l'article 3, ce qui ne s'y trouve pas. Le libelléde cet article 3, avec les six
actes internationaux auxquels il se réfère,établit suffisamment les fron-
tières nécessairestelles qu'elles ont été vouluespar les deux Parties.l ne
m'est donc pas difficile de conclure sur ce point que, nonobstant tout
argument contraire, les actes ultérieurs des Parties corroborent et confir-

ment les frontières indiquées a l'article 3 du traitéde 1955,rapprochéde
son annexe 1.
95. J'ai maintenant achevé,a l'appui de la décisionde la Cour, ce que
je pourrais appeler mon interprétation intrinsèquedu traitéde 1955,eten
particulier de l'articleet de son annexe 1,et je suis d'avis que le traitéa,
entre autres, établi la frontière entre la Libye et le Tchad. Je voudrais
maintenant examiner d'autres moyens de vérificationde cette conclusion,
relevant de ce que j'appellerai une interprétation extrinsèque. Avant de
conclure la présenteolpinionindividuelle,je souhaiterais donc examiner le
rôle que des principes comme l'acquiescement, I'estoppel, lareconnais-
sance, ainsi que lerincipe de I'utipo.~sidetijsuris, pourraient jouer en l'es-
pèce.On peut égalementexaminer a cet égardle concept analogue de la

forclusion.

VI. ESTOPPEL A,CQUIESCEME NOR,LUSION ET RECONNAISSANCE

96. En droit intern.ationa1, l'estoppelest un principe en voie d'évolu-
tion qu'il peut êtredifficilede classer pour le moment, soit dans le cadre
du droit international coutumier, soit dans celui des principes généraux

du droit international.L'estoppela des racines historiques, non seulement
peut-êtredans la comrnon law mais aussi dans les systèmesjuridiques de
tradition romaine, qui retiennent aussi le concept de «forclusion». On
vise ainsi indifféremmentI'estoppelet la forclusion au sein des tribunaux
arbitraux ou judiciaires. Dans de nombreux cas, ces concepts sont liés à
la doctrine de l'acquiescement, parfois décrite comme une absence de
protestation. MacGibbon, qui considère l'acquiescement comme une
forme d'estoppcl,dit ainsi que:

((La fréquence croissante avec laquelle il est fait recours à des
arguments fondéssur le principe de I'esioppelindique utilement la
mesure dans laquelle la doctrine de l'acquiescement constitue elle-
mêmeune règlede conduite équitable, dans laquelle les considéra-
tions de bonne fo.iprédominent. »'

97. Sir Hersch Lauterpacht a aussi estiméque l'absence de protesta-

' «The Scope of Acquie:scencein International Law)), British YmirBook qf'lntcr-
nutionul Lait,, XXXI, 1954,p. 147.

75 DIFFE:REND TERRITORIAL (OP. IND. AJIBOLA) 78

tion pouvait elle-mêmedevenir juridiquement source de droit dans le
cadre de l'estoppelou de la prescription '.
98. Autrement dit., l'acquiescement revient à un consentement tacite
ou implicite qui peut valoir acceptation ou reconnaissance. Tel est le cas,
je pense, dans la présente affaire. En tant qu'Etat ayant acquiescé,la
Libye ne saurait nier ou contester la validitéde la frontière établiepar le
traitéde 1955.Qu'est-ce alors, précisément,que I'e.vioppee 1n droit inter-

national? McNair a expriméle principe simplement de la manière sui-
vante :
«Il est raisoninable de s'attendre a ce que tout systèmejuridique

dispose d'une règledestinée à empêcherune personne faisant, seule
ou avec d'autres, une déclarationsur laquelle une autre personne se
fonde pour modifier sa position, de revenir ultérieurementsur cette
déclaration. Alleguns contruriu non est audiendus ou, en d'autres
termes: «On ne peut souffler le chaud et le froid.))

Elias a estiméde mêineque:
«II y a tout aussi bien lieu d'empêcherun Etat d'invoquer ulté-

rieurement un fait dont il a pris conscience mais auquel il avait
acquiescé.Cela revient a ce que l'on appelle, dans certains systèmes
juridiques, estopl~eldu fait du comportement.))

99. Bref, I'estoppel estliéii la fiabilité,la bonne foi, le caractère défi-
nitif d'un acte, lastal-~iliet la cohérence.Comme Anzilotti l'a fait obser-
ver, le silenced'un Etat après la notification d'un fait ou aprèsque ce fait
est devenu de notoriétégénérale peut valoirconsentement4. Verykios
confirme cette opiniamnd'Anzilotti lorsqu'il remarque qu'il est générale-
ment admis qu'un long silencemaintenu sans raison vaut consentement 5.
100. La reconnaissance est également considéréecomme une forme
d'estoppel. On admet généralementque tout acte de reconnaissance est
source d'estuppelh.Certaines dispositions de la convention de Vienne sur
le droit des traitésde 1969sont aussi des indices suffisants de la justifi-

cation et du bien-fondéde ces principes. Ainsi. l'article45 visela perte du
droit d'invoquer une cause de nullitéd'un traitéou un motif d'y mettre
fin, de s'en retirer ou d'en suspendre l'application.
101. Selon cet article 45, un Etat peut perdre ce droit si, en raison de sa
conduite, il doit êtreconsidéré comme ayant acquiescé, selonle cas, a la
validitédu traitéou 21son maintien en vigueur ou en application.

'British Yeur Book of lnternutional Law, vol. XXVII, 1950, p. 395-396.
Vhe Lail q/'Treuties, 1961,chap. XXIX, p. 485.
The Modern LUI. qf 'ïreaties, 1974,p. 141.
Coursde droit internutional, 1929, p. 344.
Lu prescriptior~et le droit internutionul, 1934. p. 26.
des (,oursrie1'~lcutiémidee droit internutionalde La Huy, 1955,t. 87, p. 253.eil DIFFÉREND TERRITORIAL (OP. IND. AJIBOLA) 79

102. Nous pouvclns maintenant nous demander quelle a étél'attitude
tant de la Cour que de la Cour permanente de Justice internationale sur

ces principes. On peut dire qu'il y a àcet égardsix affaires, concernant le
plus souvent des revendications territoriales, et une ayant trait à la ques-
tion de la compéterice.J'examinerai certaines de ces affaires en faisant
ressortir les aspects importants qu'ellesprésententau regard de I'esroppel,
l'acquiescement, la i:econnaissance, etc.

i) Statut juridique duGrotïllund oriental '

103. En 1933, la Cour permanente de Justice internationale a dû se
prononcer sur la question de la revendication de souverainetédu Dane-
mark sur le Groenla~nd.Elle a estiméque la Norvègene pouvait s'oppo-
ser à la revendication du Danemark étant donnéqu'un représentantde la
Norvège avait auparavant fait une déclarationqui n'étaitpas compatible
avec cette position. La Cour permanente a clairement conclu:

«La Cour considère comme incontestable qu'une telle réponsea
une démarchedu représentant diplomatique d'une Puissance étran-
gère,faite par le ministre des affaires étrangèresau nom du gouver-
nement, dans uineaffaire qui est de son ressort, lie lepays dont il est

le ministre.» (C:P. 1J. série A/B no53, p. 71 .)

104. Dans son arrêt,la Cour permanente a préciséque, mêmesi la
déclaration de M. lhlen pouvait ne pas constituer une reconnaissance
définitivede la souveraineté danoise, elle constituait au moins un enga-
gement, en vertu duquel la Norvègesetrouvait dans l'obligation de s'abs-
tenir d'occuper une partie du Groenland, ce qui revenait à appliquer le
principe de l'estoppcl.

ii) Affaire des Pêcheries(Royuume-Uni c.Norvége)

105. C'est dans cette affaire, en 1951. que la Cour s'est prononcée
pour la première fois en matière d'estoppel international sans le dire
expressément. Le Royaume-Uni contestait la délimitation de la ligne
côtière effectuéepar la Norvège dans la mer du Nord et avait saisi la
Cour a ce sujet. La Cour a observéque la Norvège avait constamment,
au cours d'une périodede plus de soixante ans, exercéun tel droit de déli-
mitation au su du R.oyaume-Uni sans que celui-ci eût émisde protesta-

' Stufut juridique duGroënlund orientul, urrgt, 1933, C.P.I.J. .sno53, p. 22.

' C.I.J. Recueil 1951, p. 116. Voir égalern:n1) affaire de la Sentence urhitrulc.
rendue pur le roi d'E.spugne1023 déc,emhre1906 (Honduras c. Nicurugua), C.I.J.
Rec~eil 1960, p. 192;21)affaire des Essuis nuclériires(Au.strulie c. Frunce). C.I.J.
Recuril 1974, p. 253: et 3) affaire de la Dc;liniitutionde lufionfitire murilittir dans la
régiondugolf<.du Muine (Canrrdu/Et~its-t1~'An~GriqireJC,.1.J. Recueil 1984,p. 246. DIFFÉREND TERRITORIAL (OP. IND. AJIBOLA) 80

tion ni contesté ce droit. Elle a estimé que le silence du Royaume-Uni
durant une période aussi longue revenait a un acquiescement de sa part,
et s'est donc prononcée en faveur de la Norvège. La Cour a déclaré:

«La Cour constate qu'à l'égard d'une situation qui ne pouvait
manquer de st: fortifier d'année en année, le Gouvernement du
Royaume-Uni s'est abstenu de formuler des réserves.
La notoriété des faits, la tolérance généralede la communauté
internationale, la position de la Grande-Bretagne dans la mer du
Nord, son intérêp t ropre dans la question, son abstention prolongée,

permettraient en tout cas à la Norvège d'opposer son système au
Royaume-Uni. O(C.1.J. Recueil 1951, p. 139.)

iii) Affaire du T~mplede Priuh Vihiur
(Cambodge c. Thuïlunde) '

106. En 1962, la Cour a eu également l'occasion de se prononcer sur le
principe international de I'estoppeldans cette affaire concernant un dif-
férendfrontalier entre le Cambodge et la Thaïlande. A la suite d'un traité

conclu en 1904 entre l'Indochine française et le Siam (aujourd'hui la
Thaïlande), des géoimètresavaient élaboréonze cartes que le Gouverne-
ment thaïlandais, ailquel elles avaient étéenvoyées, n'avait jamais con-
testées.Ce dernier s'était ultérieurement rendu compte que le précieuxet
important promontoire de Préah Vihéar et son temple se trouvaient du
côtécambodgien de la frontière. La Cour a estiméqu'en s'abstenant de

contester lri carte pertinente quand elle aurait dû le faire, la Thaïlande
avait reconnu la frontière telle qu'elle avait été établie.importe de noter
la conclusion remarquable et importante à laquelle la Cour est parvenue,
a l'égardd'une situation analogue a celle du traité de 1955 dans la pré-
sente affaire:

«La Cour e:uDosera maintenant les conclusions au'elle tire des
faits qui viennent d'être rappelés.
Mêmes'il existait un doute sur l'acceptation par le Siam en 1908
de la carte, et par conséquent de la frontière qui y est indiquée, la
Cour, tenant compte des événementsultérieurs, considérerait que la

Thaïlande, en raison de sa conduite, ne saurait aujourd'hui affirmer
qu'elle n'a pas acceptéla carte. Pendant cinquante ans cet Etat ajoui
des avantages que la convention de 1904 lui assurait, quand ce ne
serait que l'avantage d'une frontière stable. » (C.I.J. Recueil 1962,
p. 32.)

107. La Cour a ktabli ce principe d'estopprl international de manière
définitivedans cette affaire en déclarant:

«En réalité,,ainsi qu'on le verra ci-après, un accuséde réception
très net ressort incontestablement de la conduite de la Thaïlande;

' C.I.JRecueil1962. p.6.

78 DIFFÉ:REND TERRITORIAL (OP. IND. AJIBOLA) 81

mais, mêmes'il n'en avait pas étéainsi, il est clair que les circons-
tances étaient dle nature à appeler dans un délai raisonnable une
réactionde la part des autoritéssiamoises, au cas où celles-ciauraient
voulu contester la carte ou auraient eu de graves questions à soule-
ver à son égard. Or, elles n'ont réagi ni à l'époqueni pendant de
nombreuses anniéeset l'on doit, de ce fait, conclureà leur acquies-

cement. Qui rucet consentire videtur si loqui dehuisset uc potuiss)).
(C.I.J. Recueil1962,p. 23.)

108. De nombreuses sentences de tribunaux internationaux renforcent
les principes de I'estoppel ou de I'acquiescement lorsqu'il s'agit d'un
silence ou de l'absencede protestation. Pour n'en citer que quelques-uns,
on peut se référerà l'affaire de la Frontièrede l'Alaska,dans laquelle I'oc-
cupation et la possession de l'Alaska pendant plus de soixante ans, tout
d'abord par la Russie puis par les Etats-Unis d'Amérique,ont privéla
Grande-Bretagne de tout titre sur ce territoire puisque cette occupation
n'avait jamais fait l'objet d'aucune objection ou protestation de sa part.
Dans l'affaire de la Baie Delu~oade 1875. une sentence arbitrale a été
rendue en faveur du Portugal chtre les ~éérlandaiset lesAutrichiens en
raison des constantes revendications de souverainetéde la part du Por-

tugal sans objection ~iiprotestation aucune de l'Autriche ni des Pays-Bas.
Le résultata étéle mêmedans l'affaire de la Frontière entrele Guatemala
et le Honduras, où urie sentence arbitrale a été rendueen faveur du Gua-
temala.
109. En 1909, daris l'affaire des Grisbadurnu opposant la Suède à la
Norvège, la Cour permanente d'arbitrage a décidéque la Norvège avait
acquiescé à certains ,actesde la Suède,et les revendications de la Suède
ont étédonc accueillies. Pour compléter ce tableau des sentences arbi-
trales, on peut aussi mentionner la célèbresentence de Max Huber dans
l'affaire del'llede Palmas, opposant les Pays-Bas aux Etats-Unis d'Amé-
rique, où l'arbitre a jugéque ces derniers avaient un meilleur titre surîle
contestéeen raison de l'exercicecontinu et pacifique de leur autoritééta-
tique durant une longue période, auquel l'Espagne et d'autres pays

avaient acquiescé.
110. Tous ces arguments juridiques et ces décisions judiciaireset arbi-
trales me confirment dans mon opinion, fondéesur le principe de I'estop-
pel, que le silence oui I'acquiescement de la Libye entre la signature du
traitéde 1955 jusqu'à.présent,sans aucune protestation de sa part, milite
clairement contre sa prétention.
111. Il s'est présentéde nombreuses occasions, dont j'ai évoquécer-
taines, où la Libye aurait pu émettredes protestations auprès du Tchad
ou mêmede la France (entre 1955 et 1960)pour contester la validitédu
traitéou mettre en cause l'établissementd'une frontière éventuelle,mais
la Libye n'a dit mot. Depuis 1955,la Libye aurait pu, à de nombreuses
reprises, protester contre la frontière en question, mais elle n'en n'a rien
fait. Elle a, en revanche, signéun autre traitéavec le Tchad en 1966, saris
mentionner aucun défaut du traité de 1955, invoquer aucune cause de DIFFÉREND TERRITORIAL(OP. IND. AJIBOLA) 82

nullité ou une quel~conqueobjection à son encontre. Le traité de 1966
semble au contraire confirmer la frontière fixéepar le traité de 1955 en
reconnaissant qu'il existait en 1966une frontière établie.Une autre occa-
sion s'est présentéeii la Libye en 1964,au coursde la conférencedu Caire
de l'organisation de l'unité africaine, lorsque quatre pays au moins, dont

la Somalie et le Mlaroc, ont protesté contre la déclaration que cette
conférence avait fondésur le principe de l'intangibilité des frontières; or
la Libye n'a pas protesté.
112. La Libye aurait sans doute dîi se manifester le11 août 1960,lors-
que le Tchad a accédé à l'indépendance. Il y avait là pour elle une occa-
sion exceptionnelle ideprotester contre la frontière du Tchad telle qu'elle

avait étéprésentéepar la France à l'organisation des Nations Unies. La
Libye s'est cependant contentée d'accueillir avec satisfaction le Tchad
parmi les Etats indépendants, sans formuler quelque protestation que ce
soit. On peut ensuite sc demander ce que la Libye a fait lorsqu'elle a été
accuséede manière irépétéde'agression devant des organismes internatio-
naux et régionaux. A de nombreuses reprises, le Tchad a fait valoir sa

cause contre la Libye devant l'Assemblée générale et le Conseil de sécu-
rité.Ill'a fait aussi devant l'organisationde l'unitéafricaine. La Libye a
cependant continué i nier tout simplement le fait qu'elle occupait Aouzou
ou a, ultérieurement, invoquéla ligne Laval-Mussolini de 1935,limite qui
n'a bien sûr jamais été acceptéepar les deux Parties, les instruments de
ratification correspondants n'ayant pas été échangés. Déls e début des
annéessoixante-dix, le Tchad a commencéà s'adresser aux organes inter-

nationaux compétents, sur les plansjuridique et politique, pour connaître
de différends entre Etats. La Libye, quant à elle, n'a rien fait.
113. La Libye aflirme que le Tchad est empêché (rstopped) de conti-
nuer à réclamerla bande d'Aouzou. Le Tchad n'a pas cesséde protester,
contre ce qu'il considère comme une occupation illégalede la part de la
Libye. Le Tchad a, devant l'Assemblée générale desNations Unies,

accusé la Libye d'actes d'agression en 1971, 1973 et 1974. Le Tchad a
aussi fait valoir qu'il a formulé des plaintes au sein de l'Organisation de
l'unité africaineen 1977, qu'il n'a cesséde renouveler pendant onze ans,
alors que la Libye n"a réagi, selonle Tchad,que d'une manière évasive. Il
convient peut-être de citer la liste des protestations du Tchad, dont cer-
taines ont même étéconfirméespar la Libye:

({Bienentendu, le Tchad a insistélui aussi sur le fait qu'il existait
une frontière. la frontière décritedans le traité de 1955 et les instru-
ments qui y sont annexés, et a protesté contre la violation de cette
ligne par la Libye. Le Tchad s'est plaint à l'Assembléegénéraledes
Nations Unies, dès 1971, de ce que la Libye nourrissait des visées

expansionnistes; ce n'était pasencore arrivé.Par la suite, il a violem-
ment protesté contre l'invasion libyenne: d'abord auprèsde la Libye,
comme l'a exposé M. Sorel, puis devant l'Assemblée générale en
1977, 1978, 1982, 1983, 1984, 1985, 1986et 1987,et devant le Conseil
de sécurité en11978,1983, 1985 et 1986. Il a déclaréque les forces libyennes avaient franchi la ligne de 1955,que les envahisseurs s'y
trouvaient encore et qu'il fallaitleur demander de se retirer derrière
cette frontière. (CR 93131, p. 80.)

114. En somme, s'agissant d'estoppel,d'acquiescement, de reconnais-
sance, etc., je ne souscris pas à l'argument de la Libye selon lequel le
Tchad aurait acquiescé à l'occupation libyenne dlAouzou. Je suis en
revanche convainc~iqu'en raison du silence et du comportement de la
Libye, le Tchad peut faire valoir, sans aucun doute, que la Libye est
empêchée (estopped) de nier la frontière du traitéde 1955à laquelle cette
dernière a acquiesciiet qu'en fait elle a reconnue.

VII. L'UT1 POSSIBETIS

115. L'expressiori uti possidetisjuris vient du droit romain. Elle dési-
gnait un ordre formieldu préteurinterdisant de troubler la possession de
biens immeubles contestéeentre deux personnes, dès lors que le posses-
seur de ces biens pouvait faire état d'unejouissance paisible et prouver

que sa possession n'étaitni violente, ni clandestine ni précairenec vi,nec
clam, nec precario ah adversario). Selon Niebuhr, cette procédure visait
h l'origineà protéger les occupants des terres domaniales mêmes'ils
n'étaientpas en mesure de produire de titres originaires et, partant, de
soutenir une action en revendication de titre ou de propriété. L'ordreest
ainsi censéconsacrer la reconnaissance et la sanction de 1'Etaten faveur
de ces personnes. L.epossesseur, une fois l'ordre rendu, étaitpour tou-
jours à l'abri d'éventuelles tracasseriesou revendications de la partie
adverse, car l'interdiction valait titre pour le possesseur. Cette procédure
ne tarda pas a servir de moyen accessoire pour déterminer laquelle des
deux parties posséd:ïitle meilleur titre. Le préteurprononçait la formule

suivante :
« Utieusuedes,quibusdeagitur,nec vinecclam,necprecario alterah
altero possidetis,quominusitapossideatis, vimjieri veto))

La traduction courante en anglais est la suivante:
c<Whichever lpartyhas possession of the house in question,without
violence, c1andt:stinelyor permission in respect of the adversary, the

violent disturbance of this possession 1 prohibit.)'
(((J'interdisde troubler en sa possession la partie qui possèdel'im-
meuble dès lors que cette possession n'est ni violente ni clandestine
ni précaire à l'kgard de la partie adverse.»)[Traduction du Grejje.]

116. L'ordre contient in$ne la formule très élégante suivante :uti pos-
sidetis, itu possideatis (((comme vous possédez, ainsiavez-vous titre à
posséder))).Ce principe a cependant étédéveloppéen droit international

'John Bassett Moore. Memouundumon Uti Possideti.~,1911,p. 6.

81 DIFFIREND TERRITORIAL (OP. IND. AJIBOLA) 84

non pas comme sirriple reconnaissance d'une possession, mais aussi en
tant que justificatiori de droits territoriaux et de souveraineté.
117. Nulle part au monde le principe de I'uti possidetisn'a connu un
plus grand développement qu'en Amérique latine,où il a étéappliquéau
règlementde la question des frontières des Etats au débutdu XIXesiècle,
en particulier dans lesanciennes coloniesespagnoles en Amériquedu Sud
et en Amériquecentrale.
118. La doctrine de I'utipossidetisdans cette partie du monde se fonde
sur l'idéequ'il n'ajamais existéde terra nulliusmêmependant la domi-
nation coloniale espagnole et portugaise, et indépendamment de savoir si
le territoire en question étaitou non effectivement occupéà l'époqueper-
tinente. En l'occurrence, on part de l'hypothèse,à titre de principe géné-
ral, que les frontièresdoivent demeurer tellesqu'elles existaientjuridique-
ment lors de la déclaration d'indépendance, a savoiren 1810 en ce qui
concerne les colonies espagnoles d'Amérique du Sud et en 1822 pour
cellesd'Amérique centrale.Avant d'aller plusloin, il faut relever que jus-
qu'a présentl'idéede I'uti possidetisétait généralemene tmployéepar les

juristes internationaux pour évoquer une méthode permettant de déter-
miner les modifications territoriales intervenues à l'issue d'un conflit
armé. Maison ne saurait nier que c'est en Amérique latineque I'utipos-
sidetis a reçu une signification et une application définitivesen raison de
ses avantages apparents. C'était un principe commode a appliquer dans
une région où tous les Etats indépendants qui venaient de naître (al'ex-
ception du Brésilqui étaitune ancienne colonie portugaise) se trouvaient
précédemmentsous domination espagnole. L'uti possidetis se fonde sur
une possession supposéevu que les provinces administratives espagnoles
n'étaient paseffectivement occupées,au su des nouveaux Etats indépen-
dants. On trouve une description très explicite de ce principe dans la sen-
tence arbitrale rendue en 1922 entre la Colombie et le Venezuela, sen-
tence dans laquelle le Conseil fédéralsuisse a fait observer que:

«Lorsque les colonies espagnoles de l'Amériquecentrale et méri-
dionale se proclamèrent indépendantes,dans la seconde décadedu
XIXc siècle, ellesadoptèrent un principe de droit constitutionnel et
international auquel elles donnèrent le nom d'uti possidetis juris

de 1810, à l'effet de constater que les limites des Républiquesnou-
vellement constituéesseraient les frontières des provinces espagnoles
auxquelles elles se substituaient. Ce principe généraloffraitI'avan-
tage de poser en règleabsolue qu'il n'y a pas, en droit, dans l'an-
cienne Amérique espagnole, de territoire sans maître; bien qu'il
existât denombireusesrégionsqui n'avaient pas étéoccupéespar les
Espagnols et de nombreuses régionsinexploréesou habitéespar des
indigènes non civilisés, cesrégionsétaient réputéesappartenir, en
droit,à chacune des Républiques qui avait succédé à la province
espagnole iilaquelle ces territoires étaient rattachés en vertu des
anciennes ordonnances royales de la mèrepatrie espagnole. Ces ter-
ritoires. bienue non occupésen fait, étaientd'un commun accord DIFFI~RENDTERRITORIAL(OP. IND. AJIBOLA) 85

considéréscomme occupésen droit, dès la première heure, par la
nouvelle Répubdique.Des empiétements et des tentatives de coloni-
sation intempestives de l'autre côtéde la frontière, comme aussi les
occupations de fait, devenaient sans portée ou sans conséquenceen
droit. Ce principe avait aussi l'avantage de supprimer, on l'espérait,
les contestations de limites entre les nouveaux Etats ..»'

119. Ainsi ladoctrine faisait partie du droit constitutionnel et du droit
international des Etats d'Amérique latine.Cela étant, tout au moins en
principe, l'emploi de cette doctrine présentaitde nombreux avantages; on
peut la considérercomme une extension de la doctrine de Monroe, des-
tinée à écarterune éventuellerecolonisation des territoires, en ce qu'elle
proclamait l'absence de toute terra nullius; et elle a aussi servi de fonde-
ment juste et équitable pour le règlement de tous les différendsfronta-
liers. C'est ainsi qu'en 1847 les Etats d'Amérique latine ont adopté de

façon générale I'utipossidetis comme base pour la délimitation de leurs
frontières, comme cela ressort du traité de la confédérationsignéau
congrès de Lima cette année-là. L'article7 de ce traité contient notam-
ment les dispositions suivantes:

«Les Républiquesde la confédération reconnaissentl'utipossidefis
de 1810 comme principe fondé en droit, pour la détermination de
leurs frontières 1-espectiveset, en vue de démarquer ces limites là ou
elles ne sont pas naturelles ni claires conviennent que les gouverne-
ments des deux Républiques concernéesnommeront des commis-
saires, qui, ayant examinéle territoire en litige, fixeront les frontières
entre les deux Républiques conformément aux lignes de partage des
eaux, au thalweg:ou autres frontières naturelles, dans toute la mesure
ou le terrain le permettra ..)j2

120. 11existe néanmoinsdeux écolesde penséesur ce principe, tout au
moins en ce qui concerne son interprétation. II y a ceux qui ont soutenu
que l'utipos.~idetisvise purement et simplement une lignejuridique ou une
occupation supposée - I'utipossidetisjuris ou «dejure ».Mais la seconde
école, à laquelle le Brésilsemble appartenir, soutient le point de vue

inverse selon lequel le principe doit être fondésur une occupation effec-
tive et légitimedu territoire - l'utipossidetis defacto.
121. Il faut cependant relever que la doctrine de l'utipossidefis jurisne
constitue pas une exception dans le domaine du droit international. Des
principes analogues sont communs à d'autres normes du droit, comme le
principe de vacance de souveraineté (terra nullius) déjàévoqué,tel qu'il
est énoncé dans l'affaire précitédeu Suhura occidental;la doctrine de I'hin-
terland d'un territoir'eoccupé,qui, comme la présenteaffaire le montre,
a conduit la France à conclure des traités avec la Grande-Bretagne et

' Nations Unies, Recueil des sentencesurhitrulrs, vol. 1.p. 228.
' Note de bas de page figurantdans Nederkunds Tijdschrift voor Internutionuul
Recht. vol. XX. 1973,p. 269. DIFFÉREND TERRITORIAL (OP. IND. AJIBOLA) 86

d'autres puissances, lesquels visaientà garantir mutuellement aux parties
deszones ou sphèred'influence.On peut aussi rappeler que, dans l'affaire
du Groënlund, la revendication du Danemark sur la totalitéde l'îlea été
considéréecomme reconnue par la Norvègebien qu'une partie seulement
de cette île fût l'époqueoccupéepar le Danemark. Ainsi, en ce qui con-
cerne la question de la délimitation ou de la démarcation des frontières

entre d'anciennes colonies espagnoles en Amérique latine, on peut dire
d'une façon généraleque toutes ces anciennes colonies ont succédéaux
territoires coloniaux sans aucune restriction fondéesur la notion de terra
nullius, sur la base d'une possession supposéeplutôt qu'effective. Ce qui
constitue une sorte de fiction juridique, d'où l'emploi du mot «juris».
122. Il faut toutefi~issouligner que l'application de ce principe n'est
pas dépourvue de difficulté enpratique, notamment lorsque les limites
administratives ne sont pas claires, mais au moins peut-on dire que cela
fournissait un point dedépart bien défini.S'ilne fait aucun doute que, au
moins en principe, la doctrine de I'uti possidetisjuris est applicable et
qu'elle aété appliquée entre toutes les anciennes colonies espagnoles, on
ne peut pas en dire autant en ce qui concerne des territoires qui n'étaient
pas auparavant espag,nols.Un exemple en ce sensest celui du Brésil,qui
est une ancienne colonie portugaise. Mêmesi le Brésilaccepte en principe
la doctrine de l'utipossidetis, ill'interprète, ainsi que je l'ai déjàmen-
tionné,comme signifiant qu'il doit y avoir effectivement et concrètement
possession ou occup;ïtion du territoire considéré.Par voie de consé-
quence, c'est l'interprétation de cette doctrine telle qu'elle était admise
par le Brésilqui a été;adoptéedans tous lesdifférends frontaliersentre cet

Etat et d'anciennes colonies espagnoles en Amérique latine, comme le
montrent certaines s1:ntences arbitrales (par exemple Argentine-Brésil
en 1895).De plus, les traitésque le Brésila en définitiveconclus avec ses
voisins hispanophones pour la fixation de nouvellesfrontières étaientbasés
sur «la possessioneffectivedespays respectifslorsqu'ilsont accédé à I'indé-
pendance » '.
123. Après avoir présentéune synthèse complètede la doctrine de I'uti
possidetis,il est maintenant essentiel de montrer en quoi ellepeut êtreper-
tinente dans le présent différendentre la Libye et le Tchad. Mêmesi la
Cour n'a pas estiménécessaired'examiner cette doctrine et ses incidences
dans la présente affaire, bien que les deux Parties l'aient abondamment
évoquéej,'estime opportun de traiter cette question dans la présenteopi-
nion individuelle, sans pour autant remettre aucunement en cause mon
appui à l'arrêtde la Cour.
124. Quelle est donc l'incidenceet la pertinence de l'utipossidetir dans
le présentdifférend? La doctrine de 1'utipossidrti.~est-elle d'application
universelle et donc applicable à tous les différends frontaliers en Afrique
et, partant, au présentdifférend? La question de l'intangibilité desfron-
tières existantà l'époquede l'accession à l'indépendancedes Etats afri-

'Hyde, Internutionul L.air.,vol. 1,p. 502cains est-elle de la pure rhétorique politique dépourvuede tout effetjuri-
dique en droit international? En appliquant le principe de I'uti possidetis
aux différends frontaliers en Afrique, faut-il le faire defacto ou dejure?
Quel rôle, le cas échéant,les effectivitéspeuvent-elles jouer à cet égard?
Quelle est la portée d'une partiede lajurisprudence récentesur cette doc-
trine? Ces questions, 'etd'autres, doivent êtreexaminéesdans le cadre de
la présente affaire.
125. En premier lieu, il faut examiner la pénétrationde cette doctrine
en Afrique. L'Afrique est incontestablement le continent le plus morcelé

du monde. On n'est donc pas surpris d'apprendre qu'a une date aussi
précocedans l'histoire de l'organisation de l'unité africaineque le 25 mai
1963,dans sa charte, l'organisation affirme solennellement le principe du
respect de la souveraineté etde l'intégritéterritoriales de chaque Etat et
son droit inaliénable a une existence indépendante - article II, para-
graphe 3. Cette charte fut suivie par la déclaration adoptée lors de la
conférence des chefs d'Etat et de gouvernement réunis au Caire le
17juillet 1964,où il &taitnotamment déclaré:

« Con.ridéranqrue lesproblèmes frontaliers sont un facteur grave et
permanent de désaccord,
Consciente de l'existence d'agissements d'origine extra-africaine
visant à diviser 112stats africains,
Considc;runte,n outre, que les frontièresdes Etats africains, au jour
de leur indépendance,constituent une réalitétangible,

Rappelunrla création, à la deuxièmesession ordinaire du conseil,
du comitédes onze chargé d'étudierde nouvelles mesures de nature
a renforcer l'uni1.africaine,
Reconnaissant l'impérieusenécessitéde régler, par des moyens
pacifiques et dans le cadre purement africain, tous les différends
entre Etats africains,

Ruppelunf, en outre, que tous les Etats membres se sont engagés,
aux termes de l'article VI de la charte de l'organisation de l'unité
africaine,à respecter scrupuleusement les principes énoncésau para-
graphe 3 de l'article III de ladite charte,
1. RÉAFFIRME :solennellement le respect total par tous les Etats
membres de l'OUA des principes énoncésau paragraphe 3 de I'ar-
ticle III de la ch.artede ladite organisation.

2. D~CLARE sollennellementque tous les Etats membres s'engagent
à respecter les frcontièresexistant au moment où ils ont accédéà l'in-
dépendance. » '
126. De nombreux, chefs d'Etat assistant à la conférencedu Caire ont
exposédans leurs déclarationsla raison pour laquelle ilest nécessaireque

' Abdoul Ba. Bruno KoffietFethi Sahli. L'Orguni.~atdcl'unitéafricuine, Paris,
1984.p. 143. DIFFÉREND TERRITORIAL(OP. IN[>. AJIBOLA) 8 8

l'Afrique adhère au principe de l'intangibilitédes frontières. Beaucoup
d'entre eux ont soulignéla nécessité de viser le réalisme,la stabilité etle
désirde parvenir à une solution définitivede la question. Ils ont considéré
ce principe comme étantle seul moyen de réduirelesdifférends incessants
entre les nouvelles nations africaines. Le premier ministre éthiopien a
déclaré :

«Il est de l'intérêdte tous les Africains de respecter maintenant les
frontières tracéessur les cartes, qu'ellessoient bonnes ou mauvaises,
par les anciens colonisateurs. >'

Le président du Mali a lancéun avertissement analogue et donné le
conseil suivant :
«nous devons prendre l'Afrique telle qu'elle est, et nous devons
renoncer ritoute revendication territoriale, si nous ne souhaitons pas
introduire ce que l'on pourrait appeler l'impérialisme noir en
Afrique ... L'unitit africaine exige de chacun d'entre nous le respect
intégral de I'hérrtageque nous a léguéle système colonial, c'est-

a-dire: le maintien des frontières actuelles de nos Etats respectifs ...
D'ailleurs, si nous considérons certaines parties de l'Afrique dans la
période précoloiîiale, l'histoire nous enseigne qu'il existait une
myriade de royaumes et d'empires ... qui aujourd'hui ont dépassé,
dans le cas de certains Etats, des différendstribaux et ethniques pour
constituer une nation, une nation véritable ...Si nous désironsque
nos nations soient des entités ethniques, parlant la mème langue et
ayant la même façon de penser, alors nous ne trouvons pas une seule
nation véritableen Afrique. » '

127. Dans leurs opinions dissidentes jointes ril'arrêtrendu en I'affaire
relative à la Souver~linefésur cer2ainr.spur celle.f^rontaliires (Belgique/
Puys-Bus), tant M. Armand-Ugon que M. Moreno Quintana ont admis
que le principe de l'uti possidrtis devait être traité commeun principe
généralde droit. Cette position a depuis lors étéadoptée par la Chambre
de la Cour dans l'affaire du D~férendfrontulier(Burkina Fuso/République
du Mali) '. Prenant en considération la situation des nouveaux Etats
indépendants partout dans le monde, mais plus particulièrement en
Afrique, la Chambre a estimé que l'application de ce principe devait
avoir un caractère universel, où que ce soit. On peut ajouter que ce point
de vue a été corroboré dans I'affaire du Temple de PréahVihéuret dans
l'arbitrage du Rann rieKutch qui sont des différends frontaliers relatifs à
des territoires situéshors d'Afrique, dans le sous-continent indien. Le rai-

sonnement qui sous-tend cette décision,comme l'a dit la Chambre, n'est
pas forcé; il vise a protéger l'indépendanceet la stabilitédes nouveaux
Etats contre des différends frontaliers incessants et des conflits armés

VbidEwen, Intrrnutio,aul B(~undurof'Eust Africu, p. 24.
C.I.J. Recueil 1986,p. 554.sans fin, une fois que les puissances coloniales ont quittéle continent. C'est
pour cette raison qu'ela Chambre a estimésouhaitable et conforme au
droit international que les nouveaux Etats d'Afrique respectent les limites
administratives établiiespar l'ancienne puissance coloniale et s'y tenir. En

étayant fermement le point de vue de la Chambre de la Cour dans cette
affaire, le principe de I'utipo~sid~tisne devrait plus être considécomme
limitédans son application et sa portée aux Etats d'Amérique latine et
d'Afrique; c'est au contraire un principe de portéegénérale etuniverselle
qui s'est désormais définitivement dégagéen tant que principe de droit
international coutumier. Indépendamment du point de savoir si certains
membres de l'organisation de l'unité africaineont formulé des objections

à ce principe en 1963et après, ilest maintenant considérécomme un prin-
cipe d'application généralepour l'ensemble des différends frontaliers en
Afrique notamment, à moins que les parties à tel ou tel différendde cette
nature ne convienneiît spécialement au contraire que le principe de I'uti
possidetis ne doit pas.s'appliquer.
128. On a soutenu que le principe de l'utipo.s.sicipttel qu'appliqué en

Amérique latine (à savoir de,jurr) ne saurait s'appliquer en Afrique, où
une occupatioil effective est nécessaire.Il est vain de s'engager dans une
controverse sur cet argument en général,et je ne le ferai pas, mais je me
bornerai à dire qu'il n'est pas applicable dans l'affaire qui nous occupe.
II existe des preuves suffisantes et parfois irréfutables des effectivités
françaises de 1930 à 1943, de 1951 à 1954 et jusqu'à l'époquede l'acces-

sion du Tchad à l'indépendanceen 1960. Les effectivitésont subsistéjus-
qu'en 1971-1973,lorsque la Libye a occupéla régiond'Aouzou. On peut
donc dire que si les effectivités françaises pouvaient être douteuses
en 1912,elles ne I'éta.ientpas à toutes les époquespertinentes, c'est-à-dire
en 1951, lorsque la Libye a accédéà I'indépendance, en 1955, lorsque la
France et la Libye ont signéet ratifiéle traité d'amitié etde bon voisi-

nage, et en 1960lorsque leTchad a accédé I'indépendanceM. ais est-il vrai-
ment important de scivoirsi c'est le principe de I'utipossiticuris ou celui
de I'utipossirk~tistir ,fucatoqui s'applique en ce qui concerne l'Afrique?
Dans son arrêtdu 22 décembre 1986, la Chambre de la Cour a souligné
que ce qui etait priniordial était le maintien du statu quo au moment de
I'indépendance et le principe du respect des frontières établies par voie

conventionnelle, et de celles résultant de siinples divisions administra-
tives. Dans cet arrèt, la Chambre a sans aucun doute donné la préférence
à l'utipo.ssiiietisjuris envisagécomme un droit par rapport à une occupa-
tion réelleou effective, en tant que critère de titre sur un territoire. Elle ne
nie pas pour autant que l'occupation effective puisse êtreprise en consi-
dération (voir I'affaiiredu Difjl~rrndjrontalier (Burkinu Fuso/Rc;puhliq~ud
Muli), C.I.J. Recucil 1986,p. 565-566, par. 22-24, et 586, par. 63). Après

que la Chambre de la Cour eut traité de fason approfondie de I'histo-
rique, de la nature, de l'objet et de la raison d'êtrede I'utipossidetisjuris,
elle a poursuivi en observant en l'espèce:

<<Orl'obligatiion de respecter les frontières internationales préexis- DIFFÉR.END TERRITORIAL(OP. IND. AJIBOLA) 90

tantes en cas de :successiond'Etats découlesans aucun doute d'une
règle généralede droit international, qu'elle trouve ou non son
expression dans la formule uti possidetis. A cet égard auss,ar con-
séquent,les nombreuses af3rmutionssolennelles relativeà l'intangibilité

desfrontièresqui existuientaumoment del'uccessiondes Etats africains
LiI'indépendanceé , munanttantôt d'hommes d'Etuts afiicuins, tantôt
d'organrsde I'Orgunisationde l'unitéufricuineelle-mème,ont munijes-
terrretztune valeut,déclaratoiet nonpas c.onstitutive:elles reconnais-
sent etconjïrmentunprincipee.uistantet nepréconisent pus ljbrmation
d'unprincipe nouveau ou1k.utensionu I'Ajriqued'une règle seulement
appliquée, jusque-là.duns un uutre continent.)> (C.I.J. Recueil1986,
p. 566, par. 24; les italiques sont de moi.)

129. Un autre argument important a étéavancé dans la présente
affaire. Vu que la Libye a obtenu son indépendance en 1951et le Tchad
en 1960 (ce que l'on a appeléles dates critiques), pouvait-on envisager
qu'une déclaration faiteen 1963et en 1964(quatre années plustard dans
le cas du Tchad et treize ans plus tard dans le cas de la Libye) s'impose

ces Etats? Comment pouvait-on penser qu'un acte et une déclaration
subséquents en cette matière pouvaient modifier la situation frontalière
des parties. On observera aussi que cela s'est passéquelque neuf années
après la conclusion du traité de 1955. En réalité,la Libye a mentionné
dans ses plaidoiries le fait que la déclaration était, concrètement, déjà
appliquée d'avance :

«Ce que la Libye et la France faisaient à l'article 3 du traité
de 1955,c'était précisémen atppliquera l'avance, dans leurs relations
mutuelles, lestermes de la déclarationdu Caire qui allait êtreadoptée
neuf ans plus tard en 1964.C'est la raison pour laquelle la Libye n'a
jamais eu de difficulté avecla déclarationdu Caire; elleen avaitdéjà
acceptéles principes, qu'elle avait consacrés dans le traité de 1955
avec la France.>>(CR 93/27, p. 57.)

130. La Chambre chargée de connaître du Dijjgrendfrontalier a dû
prendre cette idéeen considération, puisque le Burkina Faso et le Mali
ont accédé LiI'indépendancecomme le Tchad en 1960,avant l'adoption

de la charte de l'Or,ganisation de l'unitéafricaine de 1963 et avant la
déclaration du Caire de 1964. Dans l'affaire précitéel,a Chambre a très
précisémentviséce point en ces termes:

«Le principe de l'uti possidetissè.~tmuintentrau rung rlesprincipes
juridiques les plus importants, nonohstunt lappurente contradiction
qu'impliquuitsu coe.uistenceuvec 1e.snouvelles normes.En effet c'est
par un choix délibéré que les Etats africains ont, parmi tous les prin-
cipes anciens, retenu celui deI'utipossidetis. C'est une réalité qui ne
suuruit Ljtrecontce.ste.u vu de ce quiprécide,il c~tévidentquUnne
sauraitmettre en douteI'upplic~abilitel'uti possidetis clansluprésente
a-ire simpleme~rp tarce que, en 1960, annéede 1'uccessionà Ilndep~n- u'ancedu Mali et du Burkina Faso, I'Orgunisationde l'unitéaflicuine,
qui uproc31amé ceprincipe, nkxistuit pus encoreet que la résolutionpré-
citéerelcrtiveL1 'ciqagement de respecter lesjrontières préexistuntesne

dute que de 1564. ))(C.J.J. Recueil 1586,p. 567, par. 26; les italiques
sont de moi.)
131. La Chambre a aussi envisagé un autre principe de droit interna-

tional qui se heurte à celui de l'uti possitietijuris, le droit des peuples à
disposer d'eux-mêmes, maiselle a fait observer que l'intérês tuprêmequ'il
y avait à préserver I'iridépendanceobtenue au prix de tant de sacrifices et
le maintien du statu quo frontalier en Afrique était la voie la plus sage
qu'aient pu suivre les hommes d'Etats africains. Elle a déclaré:

((C'est le besoin vital de stabilité pour survivre, se développer et
consolider progressivement leur indépendance dans tous les do-
maines qui a arrienéles Etats africains à consentir au respect des

frontières coloniiiles, et à en tenir compte dans l'interprétation du
principe de l'autodétermination des peuples.)) (Jhid, p. 567, par. 25.)

132. Une autre question qu'il y a lieu d'examiner en l'occurrence, du
fait qu'elle a trait au différend, est la réponse a la question de savoir
quelle est la date critique.I n'y a que quelques dates importantes à consi-
dérer. La Libve a accédéà I'indénendance le 24 décembre 1951: selon
elle. ce doit êtrela date critique à cet égardet elle soutient qu'il n'existait

aucune frontière, conventionnelle ou autre, à cette date entre elle-mème
et le Tchad. Pour le Tchad, la date critique est 1960,année de son acces-
sion à l'indépendance. Comme cette date est la plus récente des deux,
peut-on en déduire qu'elle est la date critique? Il pourrait y avoir là un
argument trks convaincant puisque, à cette date, le traité de 1955 avait
déjàétabli une frontiitre au sud de la Libye.

133. Ce n'est que l'an dernier que la Chambre de la Cour a davantage
explicitéle principe de l'utipo~sid~tisen ce qui concerne des traités sub-
séquentset la notion dedate critique, dans l'affaire du D~férendjiontalier
terrestre, inslr1uirt muritime (El Sali.ucior/Hondurws;Nic~uruguuiii7tcri.e-
nunt)), lorsclu'ellea déclaréce qui suit:

((Des divergences de vues se sont aussi fait jour entre les Parties au
sujet de la((date critique)) en ce qui concerne le présentdifférend.Le
principe de l'utipos.~id~te ist~qujlqu-fosis affirméen termes pres-
que absolus, comme si la situation à la date de l'indépendance était

toujours déterminante; comme si, en bref, il ne pouvait y avoir
d'autre date critique. Or, comme il ressort de l'analyse ci-dessus. il
ne saurait en êtreainsi. Manifestement, une date critique ultérieure
peut apparaître, par exemple par- suite d'une décision d'un juge ou
d'un traité front;îlier))(C.1.J. Re(.ueil 1992, p. 401, par. 67.)

134. On peut ainsi conclure que le traitéde 1955est conforme au prin-
cipe de I'zrtipossici~.st qu'il lie les Parties au présentdifférend. Par con-séquent,l'article 3 et l'annexe 1du traité de 1955 ont établila frontière
entre les deux Parties. L'objectif du principe deI'utipossidetis n'est pas
mis en doute; que ce soit clejacto ou dejure, les modes d'approche sont
analogues en fait, parce que son objectif est de fournir, en définitive, une
solution stable et permanente aux problèmes frontaliers.

(Signe) Bola AJIBOLA.

Bilingual Content

SEPARATE OPINION OF JUDGE AJIBOLA

(i)Delimitution or Attribution

1. 1am generally in agreement with the Judgment of the Court, espe-
cially with its finding that the Treaty of Friendship and Good Neigh-
bourliness between the French Republic and the United Kingdom of
Libya of 10 August 1955 in effect determines the boundary dispute
between the Great Socialist People's Libyan Arab Jamahiriya (herein-

after called "Libya") and the Republic of Chad (hereinafter called
"Chad"). Primarily, this finding definitively settles the initial but funda-
mental differences between the Parties as to whether this is a case of
delimitation or of attribution.
2. Libya, in its notification to the Court, urged it

"to decide upon the limits of their respective territoriesin accordance
with the rules of international law applicable in the matter" (empha-
sis added);

while Chad in its own notification asked the Court to

"determine the course of thefrontier between the Republic of Chad
and the Libyan Arab Jamahiriya, in accordance with the principles
and rules of international law applicable in the matter as between

the Parties" (emphasis added).

3. In effect, while Chad requested the Court to resolve a boundary or
frontier dispute, Libya urged it to decide a territorial dispute. In the
recent Lund, Islund und Muritime Frontier Dispute case (El Sulvur/or/Hon-
durus: Nic.uruguu interivning) (I.C.J. Reports 1992, p. 351), where no
boundary had been determined in several areas of the land territory con-
cerned. the Chamber of the Court dealt with the conflicting territorial
u
clairns of the parties first and subsequently carried out a delimitation
exercise as a normal judicial assignment. By a similar progression the
Court in the present case first eliminated the dispute of territorial attri-
bution by deciding that the Parties were bound by the Treaty of 1955,
then concluded without difficulty that the case was not one of attribution
of territory but one of the delimitation of a boundary. OPINION INDIVIDUELLE DE M. AJIBOLA

i)Dklimitution ou uttribution

1.J'approuve dans l'ensemble l'arrêtde la Cour, en particulier la cons-

tatation selon laquielle le traité d'amitié et de bon voisinage entre la
République française et le Royaume-Uni de Libye, du 10 août 1955, a
bien pour effet de trancher le différend frontalier entre la Grande Jama-
hiriya arabe libyenne populaire et socialiste (dénommée ci-après la
«Libye») et la République du Tchad (dénomméeci-après le «Tchad»).
Plus que tout, la dkcision sur ce chef règle de façon définitiveles diver-
gences initiales, mais fondamentales, entre les Parties quant a savoir s'il

s'agit d'une affaire de délimitation ou d'attribution.
2. Dans sa notification à la Cour, la Libye a demandé instamment à
celle-ci

«[de] statuer sur les limites de leurs territoires respectifs conformé-
ment aux règlesde droit international applicables en la matière)) (les
italiq~iessont de moi);

tandis que le Tchad, dans sa propre notification, a demandé à la Cour

<<dedéterminer le tracéde lujrontiire entre la République du Tchad
et la Jamahiriya arabe libyenne, conformément aux principes et

règlesde droit international applicables en la matière entre les Par-
ties» (les italiques sont de moi).

3. Effectivement, tandis que le Tchad a prié la Cour de régler un dif-
férend de délimitation ou de frontière, la Libye lui a demandé instam-
ment de statuer sur un différend territorial. Dans la récente affaire du
DifJrond,frontuli~>r.terrestre,insuluir~et maritime (El Sulvuu'or/Honduras;
Nicurngua (intervenant)/ (C.I. J. Rc.rueil 1992, p. 351),où aucune fron-
tière n'avait été déterminéd eans plusieurs régions du territoire terrestre

considéré,la Chambre de la Cour, après avoir examiné les prétentions
territoriales opposéi:~des parties, a ensuite opéréune délimitation dans
l'exercice de sa mission judiciaire normale. En l'espèce laCour a procédé
de la mêmemanière: elle a commencé par éliminerle différendd'attribu-
tion territoriale en décidant que les Parties étaient liées par le traité
de 1955, puis elle a conclu sans difficultéque l'affaire ne concernait pas
l'attribution d'un territoire, mais la délimitation d'une frontière. 4. In this regard, 1sharethe viewof Professor Allot 'when heremarked
that :
"1 feel that one can very easily lose one's way in a discussion on
political problems in Africa, minority problems, territorial disputes,

imperialism, etc. What we should be talking about is boundary dis-
putes, not territorial disputes; in other words, disputes about the
boundaries, about where the line is to be drawn. It is quite true that,
as a consequence of a territorial dispute or a dispute over a minority,
a re-drawing of a boundary may be required, but this is a secondary
consequence of that particular dispute."

5. A cardinal consequence of that finding of the Court was the con-
clusion that Article 3 of the 1955 Treaty, with the Annex 1 attached
thereto, in fact served toestablish the frontier which was the subject-mat-
ter of the dispute between the Parties. I share the Court's interpretation

of this particular Article; however, 1 shall have some further comments
to make.
6. This separate opinion of mine is thus essentially supportive of the
Court's Judgment and is meant to deal only with some peripheral but not
unimportant aspects of the case. The Court has already dealt with the
substantial issues of facts and law involved in the dispute. 1, therefore,
wish to make certain observations which I consider to be pertinent to this
important case, in order to emphasize my individual point of view
regarding the main issues placed before the Court and some of the
reasoning which led me to support the Judgment.

(ii) African BounlluryProbletns

7. For about a century, perhaps since 1885 when it was partitioned,
Africa has been ruefully nursing the wounds inflicted on it by its colonial
past. Remnants of this unenviable colonial heritage intermittently erupt
into discordant social, political and even economic upheavals which,
somemay say, are better forgotten than remembered. But this "heritage"
is difficult, if not impossible to forget; aspects of it continue, like appa-
ritions, to rear their heads, and haunt the entire continent in various
jarring and sterile manifestations: how do you forget unhealed wounds?
One aspect of this unfortunate legacy is to be seen in the incessant
boundary disputes between African States.

8. The colonial penchant for geometric lines (as exemplified by Lord
Salisbury's "horseshoe"-shaped Tripolitanian hinterland), has left Africa

with a high concentration of States whose frontiers are drawn with little
or no consideration for those factors of geography, ethnicity, economic
convenience or reasonable means of communication that have played a

' Boundarie.und the Luit'in Afiica: AfricuriBoundurj Problern.r,1969, p. 9

50 DIFFÉREND TERRITORIAL(OP. IND. AJIBOLA) 52

4. A cet égard,je partage l'avis exprimépar M. Allot ' en ces termes:

((11me semble très facile de s'égarerdans une discussion sur les

problèmes politiques en Afrique, les problèmes de minorités, les
différends territoriaux, l'impérialisme, etc. Ce dont ilfaut parler,
c'est de différeindsfrontaliers et non de différends territoriaux; en
d'autres termes les différends relatifs aux délimitations, au tracéde
la ligne. Certes., un différend territorial, ou un différend concernant
une minorité, peuvent obliger a tracer de nouveau une frontière,

mais c'est là une conséquence secondaire du différend dont il
s'agit))
5. Une conséquence capitale de cette constatation de la Cour a été sa
conclusion selon laquelle l'article 3 du traité de 1955, avec l'annexe 1

jointe, servait en fait a établir la frontière qui constituait l'objet du diffé-
rend entre les Parties. J'approuve l'interprétation donnée par la Cour de
cet article, mais ai riéanmoinsquelques observations à ajouter.

6. Mon opinion individuelle appuie donc foncièrement l'arrêtde la
Cour et elle n'a qu'un seul but: examiner certains aspects périphériques,

mais non dépourvu:;d'importance, de l'affaire. La Cour a déjàtraité des
points de fait et de droit que le différend meten cause sur le fond. Je sou-
haite donc présentei-quelques observations qui me semblent pertinentes
dans cette importante affaire, afin de faire ressortir mon point de vue per-
sonnel sur les principales questions soumises à la Cour et une partie du
raisonnement qui m'a conduit à approuver l'arrêt.

ii)l,esprohl6tnes (les,fron/it;re.s en Af+iyue
7. Depuis plus d'un siècle, peut-être depuis son partage en 1885,

l'Afrique panse, dans l'amertume. les blessures que son passécolonial lui
a infligées.Des vestiges de cet héritage colonial peu enviable émergent,de
temps a autre, dans les soulèvements discordants d'ordre social, politique
et mêmeéconomique qu'il vaut mieux, disent certains, oublier que se
remémorer. Mais cet héritageest difficile, sinon impossible à oublier; cer-
tains de ses aspects icontinuent, tels des apparitions, à resurgir, et hantent

le continent tout enlier par toutes sortes de manifestations criardes et sté-
riles. Comment oublier des plaies restéesouvertes? L'un des aspects de ce
legs malheureux transparaît dans les incessants différends frontaliers qui
opposent les Etats d'Afrique.
8. Le penchant colonial pour les lignes géométriquesillustré par la
forme en <<ferà cheval)) (de l'hinterland tripolitain de lord Salisbury) a

laisséen Afrique une forte concentration d'Etats dont on a tracéles fron-
tières sans tenir aucun compte. ou presque, des facteurs liésà la géogra-
phie, aux caractères ethniques, à la commodité économique, ou à I'exis-

'Bowztlrrri<usd the Lrrii.NIAjiiccr: A,fi.ir,unBOWK~Jrohl~n~.~1,969,p. 9.part in boundary determinations elsewhere. A writer on African bound-
ary problems has remarked :

"We find the Somalis distributed between Ethiopia, Somalia,

Kenya and Djibouti, the Yorubas in Dahomey and Nigeria, the
Ewes in Ghana and Togo. On the West Coast of Africa we find a
massive sandwich of French-speaking and English-speaking states
whose economic contacts almost completely disregard the proximity
of their borders. These examples can be multiplied." '

9. It is therefore important to bear in mind that most African frontiers
are purely artificial, and the boundary in dispute was no exception. In
most cases they are boundaries put in place by the colonial powers as a
result of agreements between them or with indigenous peoples or through

conquest or occupation. 1hasten to add that boundaries the world over
are, most of them, artificial. But in Africa they are patently even more
artificial than elsewhere, since most of them are merely straight lines
traced on the drawing board with little relevance to the physical circum-
stances on the ground. As far back as 1890, Lord Salisbury said:

"We have been engaged . . . in drawing lines upon maps where no
white man's feet have ever trod; we have been giving away moun-

tains and rivers and lakes to each other, but we have only been hin-
dered by the small impediment that we never knew exactly where
those mountains and rivers and lakes were." (Memorial of Libya,
Vol. 1, p. 25, para. 3.01: quoted from The Times, 7 August 1890.)

10. Consequently, some African countries on gaining their indepen-
dence, especially in the 1950sand 1960s,began to question the ill-defined
boundaries that ignored so many human factors, whether social, political
or economic. Four countries then embarked upon irredentist policies,
namely Somalia, Morocco, Ghana and Togo. It is important to note that

at the time (Le., before 1970) Libya was not among those countries. As a
result of this policy, which in effect questioned the existing "colonial"
boundaries and the resultant territorial partition, somemajor armed con-
flicts erupted in Africa between Somalia and Kenya, Ethiopia and Soma-
lia, Togo and Ghana, Morocco and Mauritania, Algeria and Morocco.

11. Professor C. G. Weeramantry in the chapter on "Legacies of Colo-
nialism" in his book Equality und Freedom: Some Third World Perspec-
tives alluded to the partition of Africa as a classic example of these "arti-
ficial divisions" which ultimately resulted in "several dozen frontier

' Samuel Chime, Orgunizutiot~of Ajiicun Unitj und Ajri(.un Buut~duries:Africul~
Boundurj. Prohlen~s,1969, p. 65.

51tence de moyens de communication acceptables, qui, ailleurs, ont joué un
rôle, dans les délimitations frontalières. Un auteur, spécialistedes pro-
blèmes de frontières en Afrique, a fait observer ceci:

«Nous voyoins lesSomalis répartis entre l'Ethiopie, la Somalie, le
Kenya et Djibouti. les Yorubas au Dahomey et au Nigéria,les Ewes
au Ghana et au Togo. Sur la côte occidentale de l'Afrique, nous
trouvons un sandwich massif d'Etats francophones et anglophones,
dont les relations économiques méconnaissent presque totalement la

proximitéde leurs frontières. On pourrait multiplier ces exemples. » '
9. Il importe donc de garder à l'esprit le caractère purement artificiel de

la plupart des frontihres en Afrique, la frontière litigieuseen l'espèce nefai-
sait pas exception. Dans la plupart des cas, il s'agit de frontières que les
puissances coloniale!;ont établies soitpar suite d'accords conclus entre elles
ou avec des populatiions autochtones, soit par voie de conquêteou d'occu-
pation. Je me hâte d'ajouter que, dans le monde entier, les frontièressont, le
plus souvent, artifici<:ll. outefois en Afrique elles sont à l'évidenceencore

plus artificiellesqu'ailleurs, car la plupart d'entre elles sont de simples lignes
droites tracéessur la planche à dessin sans grand égardaux caractéristiques
physiques sur le terrain. En 1890,déjà,lord Salisbury déclarait:

«nous avons ... tirédes traits sur des cartes re~résentant des terri-
toires où aucun homme blanc n'a jamais pénétré;nous nous distri-
buons montagnes, rivièreset lacs, freinéspar le seul petit handicap
de ne pas connaître l'emplacement desdits montagnes, rivières et
lacs» (mémoirede la Libye, vol. 1,p. 25, par. 3.01; The Times, 7 août
1890).

10. Aussi quand certains pays d'Afrique ont accédéà l'indépendance,
surtout dans les anriéescinquante et soixante, ont-ils commencé à mettre

en cause les frontières mal définiesqui ne tenaient aucun compte de tant
de facteurs humains, qu'ils fussent d'ordre social, politique ou écono-
mique. Quatre pays se sont alors lancés dans des politiques d'irréden-
tisme: la Somalie, le Maroc, le Ghana et le Togo. Il importe de relever
qu'à l'époque(c'est-à-dire avant 1970)la Libye necomptait pas parmi ces
pays. Par l'effet de cette politique, qui contestait en réalitéles frontières

«coloniales» existaintes et le partage territorial en résultant, plusieurs
graves conflits armésse sont déclenchés enAfrique entre la Somalie et le
Kenya, I'Ethiopie et la Somalie, le Togo et le Ghana, le Maroc et la Mau-
ritanie, l'Algérie etle Maroc.
11. Dans le chapitre intitulé«Legacies of Colonialism)) de son ouvrage
Equulity unclFreet/o.r71S:ome Tliird World Per.~pecfivcs, M. C. G. Weera-
mantry a évoquéle découpage de l'Afrique à titre d'exemple classique de

ces ((divisions artifii:ielles» qui ont fini par donner naissance à des «di-

' Samuel Chime. Orguniiutioriof'Africun Unio. und Africun Bounduries: Afiicun
Boundurj.Proh/cri~.c1,969.p. 65.

51disputes" which have "flared up, some involving heavy fighting between
African Nations" '.
12. Another writer on African boundary problems described the issue
thus :

"One of the remarkable features of independent Africa today is
the legacy of ill-defined colonial boundaries. As Ian Brownlie has
rightly observed, the European expansion in Africa produced a ter-

ritorial division which bore little or no relation to the character and
distribution of the populations of the former colonies and protector-
ates. Thus, the international boundaries now inherited by the newly
independent African States were arbitrarily imposed by ex-colonial
European powers."

It was against this background that Libya's claim fell to be understood.

II. TERRITORIA LLAIM BY LIBYAEXAMINED

13. Libya's claim was premised on the thesis that at al1 the material

times relevant to this dispute, the borderlands were never terra nullius,
even before the arriva1 of France. Particularly in the "borderlands" to the
south of Libya, dividing it from Chad, there had never been a defined
boundary, either conventional or otherwise. Libya's other fundamental
point was that France never acquired any title to the borderlands, either
by treaty, by occupation or by conquest; and since Chad succeeded to

France's territorial titles, afortiori Chad held no title from France. But
that was not to Say, according to Libya, that title did not exist. It was at
al1 time vested, Libya claimed, in the indigenous tribes, the Senoussiya
and, on the international plane, in the Ottoman Empire, and it passed to
Italy after the Treaty of Ouchy in 1912. It was this same title that passed
to Libya on 24 December 1951, the date of its independence.

14. Significantly, Libya's argument that territories inhabited by tribes
or peoples having social and political organizations are not to be regarded
as terra nullius echoes the Court's comment in the Western Sahara case
that :

"in the case of such territories the acquisition of sovereignty was not

June 1976,atnp. 46.dom: Sonle Tliird World P<~r.rpc>cfvra,nsa Publishers Ltd.,
* A. Oye Cukwurah, "The Organisation of African Unity and African Territorial
and Boundary Problems, 1963-1973", Indiun Jo~lrnulqf'lnternutionul Law, Vol. 13,
p. 178. D~FF~~RENDTERRITORIAL (OP.IND. AJIBOLA) 54

zaines de différends frontaliers, dont certains ont donnélieu à de violents
combats entre nations africaines)) '.
12. Selon un autre auteur qui s'est intéresséaux problèmes frontaliers
africains :

«L'un descaractères remarquables de l'Afrique indépendanted'au-
jourd'hui est l'héritagede frontières coloniales mal définies.Comme

Ian Brownlie l'a fait observer àjuste titre, l'expansion européenne en
Afrique a produit une division territoriale qui n'avait rien a voir, ou
presque, avec 11:scaractères et la répartition des populations des
colonies et protectorats antérieurs. Ainsi, les frontières internatio-
nales léguéesaux Etats africains qui viennent d'accéder à lyndépen-
dance ont-elles été imposéesde faqon arbitraire par les anciennes
puissances coloniales européennes. >>"

Voilà dans quel contexte ilfallait considérer la demande de la Libye.

II. EXAMEN DE LA REVENDICATION TERRITORIALE
DE LA LIBYE

13. La Libye fontlait sa revendication sur la thèse selon laquelle, a

toutes les époques pertinentes aux fins du présent différend, les confins
n'ont jamais ététerro nulliusmêmeavant l'arrivéede la France. En parti-
culier, dans les «confins»au sud de la Libye, qui la séparentdu Tchad, iln'y
a jamais eu de fronti~kredéfinie,conventionnelle ou autre. L'autre moyen
fondamental de la Libye étaitque la France n'avait jamais acquis de titre
sur les confins, que ce soit par traité, occupation, ou conquête; et que

puisque le Tchad a silccédéaux titres territoriaux de la France, iln'a reçu
à fortiori aucun titre de la France. Cela ne signifiait pas pour autant, selon
la Libye, qu'il n'ait existéaucun titre. Le titre a toujours appartenu, soute-
nait-elle, aux tribus autochtones, aux Senoussi et, sur le plan internatio-
nal, a l'Empire ottornan, et ilest passéà l'Italie après le traité d'ouchy
en 1912. C'est cemême titre qui a été transmis à la Libye le 24 décembre

1951, date de son indépendance.
14. De façon signiificative.l'argument de la Libye selon lequel les ter-
ritoires habités par des tribus ou des peuples ayant une organisation
sociale et politique ne doivent pas êtreconsidéréscomme trrrunulliusfait
écho à l'observation de la Cour en l'affaire du Suhuru occidentu1selon
laquelle :

«On estimait plutôt en généralque la souveraineté à leur égard ne

Euuitis und Frredorx':SOIIJlzird World Pc~r~n~~cfiHs.nsa Publishers Ltd..
jui~ lG76, p. 36.
- A. Oye Cukwurah, <<TheOrganisation of African Unity and African Territorial
and Boundary Problems 1963-1973», Indiun Journul of'InrernufioncilLow, vol. 13,
p. 178. generally considered as effected unilaterally through 'occupation' of
terra nu1liu.sby original title but through agreements concluded with
local rulers" (I.C.J.Reports 1975, p. 39, para. 80).

15. Libya, having denied the existence of any established boundary to
the south, claimed in its submissions that it had title:

"to al1the territory north of the line shown on map 105 in Libya's
Memorial . . that is to say the area bounded by a line that starts at

the intersection of the eastern boundary of Niger and 18"N latitude,
continues in a strict south-east direction until it reaches 15" N lati-
tude, and then follows this parallel eastwards to itsjunction with the
existing boundary between Chad and Sudan" (CR 93129,p. 72).

(i) Lihyu :sTerritorial Cluitn und "Litigation Strutegy"

16. Libya's claim encompassed the regions of Borkou, Ennedi and
Tibesti, including Erdi, Kanem and Ounianga, or what Libya described
as the "borderlands" :

"a handy geographical term of reference . . . it is defined in the north
by the 1919Anglo-French Convention line claimed by Chad, and in
the south by 15" N latitude" (CR 93/16, p. 12).

17. In support of this claim to the entire "borderlands", Libya in its
Memorial and oral argument referred to economic, religious, geographic,
climatic and security factors. As to the economic factor, mention was
made of the Central Saharan trade routes from the Mediterranean coasts
of Cyrenaica and Tripolitania to the hinterlands. Examples were given of
such trade routes from Tripoli to Sokoto and Kano in Nigeria, via

important places like Nalut, Ghadamès, Ghat and Agades; another from
Misuratah to Kuwka via Mourzouk and Bilma. A third ancient route
started from Benghazi and reached Manssenya in Baguirmi via Koufra,
Tekro (in Ennedi) and Abeche. It was the view of Libya that trade had
since ancient times been the main factor in the contacts and relationships

between the peoples of the northern and southern reaches of the Sahara.

18. Libya also suggested that geography provided a criterion for the
Court to consider especially the geographical features of the terrain. In
that connection it argued that the Court had the same discretion as a

demarcation commission to effect the establishment of a boundary de
novo where none existed, as allegedly in this case. As to religion, Libya
placed much emphasis on its connection with the Senoussi and the Mus-
lim Ottoman Empire, claiming that the northern part of Africa as well as DIFFE~RENDTERRITORIAL (OP. IND. AJIBOLA) 55

pouvait s'acquéirirunilatéralement par l'occupation de la terranullius

en tant que titre originaire, mais au moyen d'accords conclus avec
des chefs locaux. » (C.I.J. Recueil1975, p. 39, par. 80.)

15. Après avoir nié l'existenced'aucune frontière établievers le sud, la
Libye a alléguédans ses conclusions qu'elle avait un titre:

((sur tout le territoire situé au nord de la ligne tracéesur la carte 105
du mémoirede la Libye ..c'est-à-dire la zone délimitéepar une ligne
qui part de l'intersection de la frontière orientale du Niger et du
1Separallèle, continue dans une direction exactement sud-est jusqu'a
ce qu'elle rencontre le 15cparallèle, puis suit ce parallèle vers l'est
jusqu'i sa jonction avec la frontière existante entre le Tchad et le
Soudan » (CR 9.3129,p. 72).

i) Lu revenriicutionterritoriule etla ((stratégiede l'action
de IcrLih~v »

16. La revendication de la Libye incluait les régions du Borkou, de
I'Ennedi et du Tibesti, y compris I'Erdi, le Kanem et I'Ounianga, ou ce
que la Libye a appelé les «confins>):

«[un] terme ...utilisé... pour la commodité géographique; ils sont
définis au nord par la ligne de la convention franco-britannique
de 1919,revendiquéepar le Tchad, et au sud par le 15'degré de lati-
tude nord » (CR 9311 6,p. 12).

17. A l'appui de cette revendication sur la totalité des ((confins)), la
Libye s'est référée, dans son mémoire et ses plaidoiries, à des facteurs

concernant l'économie,la religion, la géographie, le climat et la sécurité.
Pour ce qui est du facteur économique il a étéfait mention des routes
commerciales du Sahara central, qui vont des côtes méditerranéennes de
la Cyrénaïque et de la Tripolitaine jusqu'aux confins. Comme exemples
de ces routes commeirciales on a citécelle de Tripoli à Sokoto et Kanoau
Nigeria, qui passe par des lieux importants comme Nalut, Ghadamès,
Ghat et Agadès; ainsi qu'une autrede Misuratah à Kuwka par Mourzouk

et Bilma. Une troisiè:meroute ancienne part de Benghazi et atteint Mans-
senya au Baguirmi par Koufra, Tekro (dans 1'Ennedi) et Abeche. De
l'avis de la Libye ce commerce constitue depuis une époque ancienne le
facteur principal de contacts et de relations entre les peuples des extré-
mitésnord et sud du Sahara.
18. La Libye a aussi donnéà entendre que la géographieétaitun critère
à examiner par la Cour, en particulier les caractèristiques géographiques

du sol. A cet égard,elle a soutenu que la Cour avait la mêmelibertéd'ap-
préciation qu'une commission de démarcation pour établir une fron-
tièrede noilo, la où il n'en existait pas, ce qui. selon elle, était le cas en
l'espèce.S'agissant de la religion la Libye a beaucoup insistésur ses liens
avec les Senoussi et (avecl'Empire ottoman musulman, alléguant que lathe borderlands were predominantly Muslim, whereas to the south Chad
was populated by Christians and animists. With regard to the climatic
factor, Libya pointed out that, while the entire area of the borderlands

shared a desert climate and vegetation with Cyrenaica and Tripolitania,
the south of Chad enjoyed the Sudan climate, which is tropical in nature.

19. On the issue of security, Libya was of the opinion that the
Tibesti Massif posed a potential danger to its petrochemical-industrial

complex in the Sirt Basin - hence from the viewpoint of Libya's national
defence it was of utmost importance that the Tibesti Massif and the adja-
cent border be secure. Adducing the security consideration in support of
its territorial claim, Libya submitted that:

"In carrying out the task of attribution of territory and determin-
ing which State has the better claim to title over territory falling

within the General Setting of this dispute, it is the view of Libya that
the security interests of each State in the light ofal1the facts are fac-
tors that should not be overlooked. Attributing to Libya the regions
described in its submissions to which Libya claims to have clear title,
would take full account of Libya's security interests, while at the

same time leaving an extensive land area between such a Libyan
frontier and the strategic and economic heartland of Chad - what
the French have called 'leTchad utile'." (Memorial of Libya, Vol. 1,
p. 68, para. 3.1 10.)

20. The above arguments, derived from human and physical consid-
erations, may be seen as the first leg on which Libya's claim rested. The
second leg was of a diplomatic nature and concentrated on the Rome

Treaty of 1935,otherwise referred to as the Laval-Mussolini Treaty. This
was the Treaty between France and ltaly which specifically defined the
boundary between Libya and the territories of French Equatorial Africa
and French West Africa east of Toummo.

21. The 1935 Treaty did not enter into force formally because ltaly
refused to proceed with the exchange of the instruments of ratification.
However, the argument of Libya was that this did not diminish the
Treaty's importance or its relevance as an essential factor to be taken
into consideration in the settlement of the dispute before the Court. The

Parties disagreed as to who would have conceded territory to the other.
The argument of Libya was that ltaly made such concessions to France in
return for a promise that the French would support the Italians' conquest
of Ethiopia, and that it was the French refusal to keep to that agreement
that led to Italy's refusal to exchange the instruments of ratification.

22. Chad claimed that it was France that in 1935 offered concessions
of territory to Italy. based on the "colonial concession" promised under
Article 13 of the London Treaty of 1915. However, that point is of less DIFFÉIIEND TERRITORIAL(OP. IND. AJIBOLA) 56

partie nord de l'Afrique ainsi que les confins étaient à prédominance
musulmane, tandis qu'au sud le Tchad était peupléde chrétiens et d'ani-
mistes. A propos du facteur climatique, la Libye a fait observer que, si
l'entière régiondes confins partageait un climat et une végétationdéser-
tique avec la Cyrénaïque et la Tripolitaine, le sud du Tchad bénéficiaitdu

climat du Soudan, de nature tropicale.
19. Sur la questiori de la sécurité,la Libye a émisl'avis que le massif
du Tibesti constituait un danger virtuel pour son complexe industriel
pétrochimique dans le bassin de Syrte: il était donc de la plus haute
importance, du point de vue de la défensenationale libyenne, d'assurer la

sécuritédu massif du Tibesti et de la frontière adjacente. Invoquant les
raisons de sécuritéà l'appui de sa revendication territoriale, la Libye a
soutenu ce qui suit:

«Pour attribuer des territoires et déterminer auel Etat nossède le
meilleur titre au territoire constituant le cadre généraldu présentdif-
férend, la Libye estime qu'il convient de ne pas négligerles intérêts
en matière de sécuritéde chaque Etat a la lumière de tous les faits.
L'attribution à la.Libye des régions décritesdans ses écritureset aux-

quelles la Libye ]revendiquele titre, tiendrait pleinement compte des
intérêtsde la Libye en matière de sécurité,tout en laissant un terri-
toire très étendu entre cette frontière et le cŒur stratégique et écono-
mique du Tchad ce que les Français ont qualifié de ((Tchad
utile.))(Mémoire de la Libye, vol. 1, p. 68,par. 3.1 10.)

20. Les arguments ci-dessus, qui découlent de considérations humaines
et physiques, peuvenl êtreconsidéréscomme le premier fondement sur

lequel reposaient les prétentions de la Libye. Le second fondement, de
nature diplomatique, était axésur le traité de Rome de 1935, encore
appelé traitéLaval-TvIussolini.C'était le traité entre la France et l'Italie
qui définissaitde façon précise lafrontière entre la Libye et les territoires
de l'Afrique équatoriale française et de l'Afrique occidentale française à
l'est de Touinmo.

21. Le traitéde 1935n'est pas entré formellement en vigueur parce que
l'Italie a refusé de procéder à l'échangedes instruments de ratification
correspondants. Toutefois, selon la Libye. cela n'affaiblissait pas l'impor-
tance ni la pertinence du traité en tant que facteur essentiel à prendre en
considération nour réglerle différend dont la Cour était saisie. Les Par-
"
ties étaienten désaccord sur le point de savoir laquelle aurait concédé des
territoires à l'autre. Pour la Libve. c'étaitl'Italie aui avait fait de telles
concessions à la France en échange de la promesse des Français d'ap-
puyer la conquête de I'Ethiopie par les Italiens, et c'était le refus des
Français de respecter cet accord qui avait conduit l'Italie à refuser
l'échangedes instruments de ratification.

22. Selon le Tchad, c'était laFrance qui en 1935 avait offert des con-
cessions territoriales à l'Italie, sur la base de la (<concession coloniale))
promise en vertu de l'article 13 du traité de Londres de 1915. Toutefois,importance to the argument of Libya that the Court could take this

Treaty into consideration in arriving at a just and equitable decision.

23. Libya claimed that the 1935 Treaty was the only international
instrument which throughout the history of this dispute was intended to
plot a line defining once and for al1the boundary in the area in dispute
and which actually would have attained its purpose but for the non-

exchange of the instruments of ratification. It was a Treaty, Libya claimed
further, that had been fully negotiated and concluded by two States
which both effectively exercised sovereignty over the territories to be
delimited. Libya thus asserted that valuable indications could be gleaned
from a delimitation treaty which reached the very brink of enforceability.
Indeed, Libya highlighted the ebb and flow of Franco-Italian negotia-
tions between 1912 and 1935 as furnishing an equitable consideration in

its favour.Chad might well have suggested that theAccord-Cadre allowed
the Court to operate solely within the bounds of law, stricto sensu, but
according to Libya:

"ce constat n'exclut nullement le recours ri l'arquitas infra legem, qui
au contraire est toujours approprié, comme votre Cour l'a dit et
répété tant ripropos des délimitations maritimes que des délimita-

tions terrestres" (CR 93/20. p. 40).

24. A clear picture of Libya's claim has now emerged: that there was
no existing boundary between Libya and Chad, either through French
conquests or occupation or by virtue of the Treaty of 1955, particularly
Article 3 with the list of international instruments annexed thereto; that
the Court was therefore in a position to decide a territorial dispute rather
than a boundary dispute; that in doing so the Court should take into

consideration the Rome Treaty of 1935 even though the instruments of
ratification had not been exchanged; that the territory in dispute was at
no time a terra nullius but that at al1material times title was vested in the
indigenous peoples and the Senoussi while on the international plane title
was vested in the Ottoman Empire, which eventually passed it to Italy.
Hence Libya concluded that its territorial claim should extend as far
south as 15" N latitude.

25. There is little doubt that Chad was taken aback at the extent of
Libya's claim, which it had expected to be limited to the 1935 line that
Libya had relied upon since 1977 before the Security Council, the Gen-
eral Assembly and the Organization of African Unity. Hence it asserted
that :

"To get half of Chad would be splendid, but really Libya would
be satisfied with everything north of the 1935 line. That line could

not be argued for as such, because of the non-ratification of that
Treaty. So the dispute would be turned into one about territory
rather than frontiers, large territorial claims would be made, and D1FFf:REND TERRITORIAL (OP. IND. AJIBOLA) 57

ce point est de moindre importance par rapport à l'argument de la Libye
selon lequel la Cour pouvait tenir compte de ce traitépour parvenir à une

décisionjuste et équitable.
23. La Libye a soutenu que tout au long de l'histoire de ce différend le
traité de 1935 a étéle seul instrument international qui ait eu pour objet
de tracer une ligne définissant une fois pour toutes la frontière dans la
zone litigieuse. objet qui aurait bel et bien étéatteint n'eût étéle fait que
les instruments de ratification correspondants n'ont pas étééchangés.

C'était un traité, soutenait-elle encore, qui avait été négocié dans ses
moindres détails et conclu par deux Etats exerçant tous deux une souve-
raineté effective sur les territoiresà délimiter. La Libye soutenait donc
que des indications précieusespouvaient êtretiréesd'un traité de délimi-
tation qui avait étéà deux doigts de s'imposer aux parties. Au demeu-
rant, la Libye mettait en avant les vicissitudes des négociations franco-

italiennes entre 1912et 1935comme un facteur de considération équitable
en sa faveur. Le Tchad avait bien pu laisser entendre que l'accord-cadre
permettait à la Cour de statuer uniquement dans les limites du droit
stricto sensu, mais selon la Libye:

«ce constat n'exclut nullement le recours A 1'uc.quitusinfra legem, qui
au contraire est toujours approprié, comme votre Cour l'a dit et
répété tant à propos des délimitations maritimes que des délimita-

tions terrestres):)(CR 93/20, p. 40).
24. La thèse de la Libye apparaît ainsi clairement: iln'existait pas de

frontière entre la Libye et le Tchad, établiepar suite de la conquête oude
l'occupation françaises ou en application du traité de 1955, notamment
son article 3 et la liste des actes internationaux y annexée; il s'agissait
donc pour la Cour de se prononcer sur un différendterritorial et non sur
un différend frontalier; ce faisant, la Cour devait prendre en considéra-
tion le traité de Rome de 1935 mêmesi les instruments de ratification

n'avaient pas étééchiangésl;e territoire litigieux n'avait à aucun moment
ététerru nuiiius mais, à toutes les époquespertinentes, le titre appartenait
aux peuples autochtones et aux Senoussi tandis que, au plan internatio-
nal, ilappartenait A l'Empire ottoman, lequel l'avait en définitivetrans-
mis à l'Italie. La Libye en concluait que le territoire qu'elle revendiquait
devait s'étendre aussi bas vers le sud que le degré de latitude nord.

25. A n'en pas douter, le Tchad a étédécontenancé par l'étenduede la
revendication de la Libye dont ilavait escompté qu'elle se limiterait à la
ligne de 1935 que la Libye invoquait depuis 1977 devant le Conseil de
sécurité,l'Assembléegénérale etl'organisation de l'unité africaine. D'où
son affirmation seloinlaquelle :

«Obtenir la moitiédu Tchad serait idéal,mais, en vérité,la Libye
se satisferait d'un territoire situé au nord de la ligne de 1935. Or,
cette ligne n'en est pas une car le traité n'a pas étératifié.Par con-

séquent, le différend serait un différend territorial et non pas un dif-
férend de frontières, des revendications seraient formulées sur de then on the very last day of the oral argument Libya would reinsert
the 1935 line as a species of rquitjl." (CR 93/21, p. 55, para. 63.)

26. Chad remarks that over the years Libya has not been consistent
regarding its territorial claim. Libya's submission to this remark is to the

effect that the pastpolicies of its Government on this matter had little to
do with the present case, when only the pleadings and submissions before
the Court are relevant. 1was not persuaded by this line of argument: on
the contrary, 1 am of the opinion that the converse is the position in
international law.
27. My view finds confirmation in the case-law of the Court. For

example, in the case concerning Muritirne Delimitution in the Area betiveen
Greenlandand Jun Muj!en (Denn~urkv. Norii.ay), the Court, in interpret-
ing very recently the 1965 Agreement between Norway and Denmark,
took into consideration the text which the Norwegian Government sub-
mitted for parliamentary debate in 1979-1980:

"This absence of relationship between the 1965 Agreement and
the 1979 Agreement is confirmed by the terms of the official com-
munication of the latter text to Parliament by the Norwegian Gov-
ernment. Proposition No. 63 (1979-1980) to the Storting states that:

'On 8 December 1965 Norway and Denmark signed an agree-
ment concerning the delimitation of the continental shelf between
the two States.

The agreement did not cover the delimitation of the continental
shelf boundary in the area between Norway and the Faroe Islands.'
Since, as noted above, the 1965Agreement did not contain any spe-
cific exclusion of the Faroe Islands area, or of any other area, this

statement is consistent with an interpretation of the 1965Agreement
as applying only to the region for which it specified a boundary line
defined by CO-ordinates and a chart, i.e., the Skagerrak and part of
the North Sea." (I.C.J. Reports 1993, p. 51, para. 29.)

28. Another example that strongly confirms my view is to be found in
the Nuclear Tests cases in 1974when the Court concluded that the state-
ment of the French Government that it would not carry out any further

atmospheric nuclear testing had legal implications.

(ii) Thr Sulient Questions

That said, what Chad styled as Libya's "litigation strategy" (CR 93/21.
p. 55, para. 64) deserved to be evaluated with the aid of four pertinent

questions : DIFFÉREND TERRITORIAL (OP. IND. AJIBOLA) 58

larges pans de territoire et, le dernier jour de sa plaidoirie, la Libye

réintroduirait la ligne de 1935 comme une espèce de considération
d'équitt;>)(CR 93/21, p. 55, par. 63.)

26. Le Tchad fait observer que la Libye, au fildes ans, n'a pas toujours
étécohérenteen ce qui concerne ses revendications territoriales. A cela, la
Libye répond que le:$politiques passéesdu Gouvernement libyen en la
matière n'ont guère de rapport avec la présente affaire, où seules comp-
tent les écritures et les conclusions présentéesà la Cour. Je n'ai pas été
convaincu par cette argumentation : au contraire, ilm'apparaît qu'elle va

à l'encontre du droit international.
27. Mon point de vue est confirmé par la jurisprudence de la Cour.
Ainsi, dans l'affaire clela Délimitutionmuritinle duns lu région située entre
Ir Groenlandet Jan kfuycn fDanemark c. Norvège), la Cour, dans l'inter-
prétation qu'elle a donnée tout récemment de I'accord de 1965 entre la

Norvège et le Danemark, a tenu compte du texte que le Gouvernement
norvégien a soumis au débat parlementaire en 1979-1980 :
((Cette absence de rapport entre I'accord de 1965 et l'accord

de 1979 est confirmée par les termes de la communication officielle
de ce dernier texi:eau Parlement par le Gouvernement norvégien. La
proposition no 63 (1979-1 980) au Storting contient le passage sui-
vant :

«Le 8 décembre 1965, la Norvège et le Danemark ont signé un
accord concernant la délimitation du plateau continental entre les
deux Etats.
L'accord ne portait pas sur la délimitation du plateau continen-
tal dans la zone situéeentre la Norvège et les îles Féroé.))

Etant donné que, comme il est indiqué ci-dessus, l'accord de 1965
n'excluait pas expressément de son champ d'application géogra-
phique la zone des îles Féroé,ni aucune autre zone, cette déclaration
est conforme a une interprétation de I'accord de 1965 selon laquelle

celui-ci s'appliquerait exclusivement a la régionpour laquelle ilspé-
cifiait une ligne de délimitation définiepar des coordonnées et une
carte, c'est-à-dire le Skagerrak et une partie de la mer du Nord.))
(C.I.J. Rec~ueil1993, p. 51, par. 29.)

28. Un autre exemmplevient fortement étayer mon point de vue: l'af-
faire des Essuis nuclbuiresde 1974, dans laquelle la Cour a conclu que la
déclaration du Gouvernement français selon laquelle ilne procéderait pas
à de nouveaux essais nucléaires dans l'atmosphère avait des effets juri-

diques.

ii) Les questions cruciules

Cela dit, la ((stratégiede l'action)) libyenne, selon les termes du Tchad
(CR 93121, p. 55, par. 64), mérite d'êtreévaluéeà la lumière de quatre

questions pertinentes:59 TERRITORIAL DISPUTE (SEP. OP.AJIBOLA)

1. How much reliance could Libya now place on the 1935Rome Treaty?

2. How sound was the thesis of Libya that there was no boundary
between it and Chad?
3. Was Libya correct in its interpretation of the provision of Article 3
(with its Annex 1)of the 1955 Treaty?
4. How strong were the claims and submissions of Libya regarding the
BET region?

(iii)The Rome Treaty and Equity

29. Among the conventional boundaries involved in this dispute the
Rome Treaty might have been regarded as the "second best", in the sense
that the Court would have been compelled to look more closely into it in

the event of the absence or invalidity of the 1955Treaty. In such a situa-
tion, a certain application of equitable principles might have become a
necessity, but where equity has a role in a boundary dispute, that role is
invariably limited. Equity may be applied only to fil1in a gap. It could be
uequitas infra legem or aequitas secundum legem but not aequitaspraeter
legem or contra legem. Both Parties virtually agreed that this was the posi-

tion in international law. But since a conventional boundary had been
recognized by the 1955Treaty and the Rome Treaty's instruments of rati-
fication had not been exchanged, equity had in fact no role to play in this
matter; to apply it would have been to apply equity extra legem - and in
any case, equity follows the law.

30. Even in maritime delimitation cases, where the Court has devel-
oped the law considerably on this issue with regard to equitable prin-
ciples and equitable factors, equity does not operate contra legem but
infra legem. In conclusion here, one can say that equity had no role to
play in this particular case and that the Rome Treaty, though of some

historical interest, was never in force and was therefore not applicable
clrjure.

(iv) Libyu '.Y"No ConventionalBoundury " Thesis

31. This point is touched upon here in order to highlight the shifting

positions taken by Libya from the inception of the dispute. First there
was the period of silence and acquiescence, then the period of denial of
occupation of part of the Tibesti region, followed by a claim that Libya
had a right to such action under the Rome Treaty of 1935.Then before
the Court Libya argued that, while no boundary had been established,
the Rome Treaty ought to be taken into account from the standpoint of

equitable considerations. But no matter what justifications could be
found for each of those stances, the allegation of the non-existence of a DIFFÉI~END TERRITORIAL (OP. IND. AJIBOLA) 59

1. Dans quelle mesuire la Libye pouvait-elle aujourd'hui se prévaloir du
traité de Rome de 1935?
2. A quel point la tlhèsede la Libye selon laquelle il n'existait pas de
frontière entre elle et le Tchad était-ellevalable?
3. L'interprétation que faisait la Libye des dispositions de l'article 3 (et
de son annexe 1)du traité de 1955 était-ellecorrecte?

4. Quel poids pouvait-on accorder aux prétentions et conclusions de la
Libye concernant la régiondu BET?

iii) Le traitéde Rome et Iëquité

29. S'agissant de:; frontières conventionnelles au centre du présent

différend, le traité de Rome aurait pu êtreconsidérécomme un ((second
choix)) en ce sens que la Cour aurait étéamenéeà l'examiner plus atten-
tivement si le traité de 1955 n'avait pas été concluou s'il avait été
dépourvu de validité. Dans ce cas, un recours aux principes équitables
aurait pu devenir dans une certaine mesure nécessaire,mais le rôle éven-
tuel de l'équitéen matière de différend frontalier reste toujours limité.
L'équiténe peut que: combler une lacune, elle peut être aequitas infra

legem ou aequitas sec~undumlegem, mais non aequitaspraeter legem ou
contra legem. Les deux Parties se sont pratiquement accordées à recon-
naître que telle étaitbien la pratique en droit international. Maisdans la
mesure où une frontière conventionnelle a été reconnue par le traité de
1955et où les instruments de ratification du traitéde Rome n'ont pas été
échangés,l'équitén'avait en fait aucun rôle à jouer en l'espèce; I'appli-
quer serait revenu a statuer extra legem or, en tout état de cause, l'équité

suit le droit.
30. Mêmedans les affaires de délimitation maritime, à l'occasion des-
quelles la Cour a considérablement développéle droit en ce qui concerne
les principes et facteurs équitables, l'équiténe joue jamais contra legern,
mais infraIegcm. On ]peutici conclure qu'il n'y avait pas lieu, en l'espèce,
de recourir a l'équitéet que le traitéde Rome, tout en présentant un cer-

tain intérêt historique, n'étaitpas applicable dejure, faute d'être jamais
entré en vigueur.

iv) l,a thèse libyenne relativà 1absence
defrontière conventionnelle

31. Nous abordons ici cette question afin de mettre en lumière I'in-

constance de la position libyenne à compter du début du différend.
Adoptant une attitude de silence et d'acquiescement dans un premier
temps, la Libye a ensuite niél'occupation d'une partie de la région du
Tibesti, puis a invoqluéle traité de Rome de 1935 pour justifier cette
action. La Libye a ultérieurement alléguédevant la Cour que, dans la
mesure où aucune fi-ontière n'avait été établie, il convenait de tenir
compte du traité de Rome dans la perspective de considérations équi-

tables. Mais quelque justification que l'on puissetrouver à chacune de cesconventional boundary stood or fell with the interpretation of the 1955
Treaty.

(v) Libyu S Interpretution of the 1955 Treuty

32. Al1that needs to be said here is that it appears to me that Libya
denied neither the validity of the 1955 Treaty nor the fact that it was
relevant to the present dispute. The Court has meanwhile found that it
may be applied so as to define a conventional boundary, a conclusion

with which 1am in full agreement.

(vi) How Strong Wus the Cluirnof Libyu R~jguru'Nztg he BET Region .?

33. Having decided that there is a conventional boundary established
between Chad and Libya, one might consider it redundant to examine
this question. Nevertheless it may not be entirely out of place to do so,

because of the importance of this case in Africa.
34. Assuming for a moment, therefore, that the Treaty of 1955did not
create a boundary, it might still have been very difficult to find in favour
of Libya on the basis of the historic. religious, economic, geographic and
security considerations it placed before the Court. Earlier in this opinion,
1have expressed my view on this point, referring to the history of Africa
and its colonization. The colonial powers did not take al1 those factors

into consideration when the partitioning took place in the nineteenth and
twentieth centuries. Tribes and indigenous peoples are spread al1 over
Africa without regard for boundaries or the entity of States.
35. President Tsiranana, the then Head of State of Madagascar said in
1963 ':

"lt is no longer either possible or desirable to modify the frontiers
of nations in the name of ruciul or religiou.~criteviu . . if we were to
take as a criterion of our frontiers either rucc, tribe, or religioncertain
States in Africa would be wiped off the map." (Emphasis added.)

36. Take for example the Senoussi Order, whose grand patron hailed
from Algeria: the influence of this Order stretched across the whole of
Northern Africa, especially Algeria, Morocco and Egypt. The influence

of the Order also stretched to the south through the length and breadth
of the present Chad and beyond. As early as 1856a Senoussi zuwiyu was
established in Kuka Bornou. The logical consequence of Libya's claim
based on Senoussi title alone could involve the inteera"ion of about eight.,
nations altogether as one State in Africa. So much for religious and cul-
tural factors. Economic and geographical considerations would present

'ICAS Summit1GenlInfll4. p. 4; see also Boutros Boutros-Ghali. Le.!c.onfld.ec
fionti6iten Afriquc. 1972. DIFFÉREND TERRITORI.4L (OP. IND. AJIBOLA) 60

positions, c'est l'interprétation du traité de 1955 qui permettait de con-
firmer ou d'infirmer l'absence alléguée de frontière conventionnelle.

V) L Nlterprétationlibyenne du truitéde 1955

32. 11suffit de dire ici qu'il me semble que la Libye n'a niéni la validité
du traitéde 1955ni sa pertinence à l'égarddu présent différend.La Cour

a depuis lors estimé que l'on pouvait considérer qu'il définissaitune fron-
tière conventionnelle, conclusion à laquelle je souscris pleinement.

vi) Quel poids ,peut-onaccorderuus prétentionset conclusions
de la Lihve concernant la rkgiotzdu BET?

33. Ayant estimé qu'il existe une frontière conventionnelle entre la
Libye et le Tchad,on pourrait juger superflu d'examiner cette question. 11

n'est pourtant sans doute pas entièrement inutile de le faire, en raison du
retentissement de cetiteaffaire en Afrique.
34. Ainsi, A suppoijer mêmepour un instant que le traité de 1955 n'ait
pas définide frontière, ilresterait difficile de se prononcer en faveur de
la Libye en fonction de considérations historiques, religieuses, écono-
miques, géographiques ou de sécurité. J'aidéji exprimé plus haut mon
point de vue sur la 'question, en abordant l'histoire de l'Afrique et sa

colonisation. Les puissances coloniales n'ont pas tenu compte de tous ces
facteurs lors des partages opérésaux XIXc etXXc siècles. Lestribus et
peuples autochtones sont disséminéssur l'ensemble du continent africain
indépendamment des frontières et de l'entitédes Etats.
35. M. Tsiranana, alors chef de 1'Etat de Madagascar, a dit en 1963 ':

((11n'est plus ]possibleni souhaitable de modifier les frontières des
nations en fonction de critéresruciau.uou religieux ..si nous devions
prendre pour crit.èresde nos frontières la race, lappurtenanc~etribale,
ou lu religion, certains Etats africains seraient effacésde la carte.»

(Traduction du G'rejje.](Les italiques sont de moi.)
36. Prenons par exemple l'Ordre des Senoussi, dont le chef suprême
était originaire d'Alg,érie:l'influence de cet ordre s'étendait sur toute
l'Afrique du Nord, en particulier l'Algérie,le Maroc et I'Egypte, mais

aussi au sud, sur l'ensemble du territoire qui constitue aujourd'hui le
Tchad, et au-delà. Di:s 1856, une zaouiu senoussi a étéétablie à Kouka
Bornou. La prétention libyenne fondéesur le seul titre senoussi pourrait
avoir pour conséquence logique l'intégration d'environ huit nations en
un seul Etat africain. Autant pour les facteurs religieux et culturels. Les
considérations éconorniques et géographiques se révéleraient descritères

'ICAS SurnrnitiGenllrifll4, p. 4; voir aussi Boutros Boutros-Ghali. Les conflits de
jiontiGrc~sen Afriqcic,197:Z.even more fluid and unreliable guides. Besides,they would often conflict
with findings drawn from considerations of an ethno-cultural nature.
37. That is why 1am in entire agreement with the viewof the Chamber
of the Court in the case of the Frontirr Dispute (Burkina Faso/Republicof
Mali) :

"The Chamber would however stressmore generally that to resort

to the concept of equity in order to modify an established frontier
would be quite unjustified. Especially in the African context, the
ohvious dejciencies of muny,frontiers inhrritedfronz coloniïation,from
the ethnic, geographical oratiministrative stundpoint,cannot support
an assertion that the modification of these frontiers is necessary or
justifiable on the ground of considerations of equity."(1.C.J.Reports
1986, p. 633, para. 149;emphasis added.)

38. To conclude, 1Soundit difficult to support any of the submissions
presented to the Court by Libya in the present case.

III.CHAD'S CASE

39. Chad's general submission on this case was that it concerned the
delimitation of the common boundary between the two Parties. As far as
Chad was concerned, the Franco-Libyan Treaty of 10 August 1955

defined the frontier between it and Libya. In his opening address, the
Agent for Chad expressed the view of the Government of Chad as
follows :

"In Chad's view, the Treaty of 10 August 1955is the key to the
dispute. Libya negotiated, signed and ratified it freely. The Treaty
cannot be sidestepped, it is decisive. Its implementation suffices to
settle the dispute." (CR 93/21, p. 14.)

40. Chad put forward two subsidiary theses in support of this submis-
sion. It contended that, even if the Franco-Libyan Treaty of 1955had not
been concluded or were inapplicable, the frontier definition resulting
from certain international instruments would be the same. Alternatively
Chad argued that the same frontier line would result from French effeec-
tivitésin the borderlands, assuming that the first two lines of contention
failed. Chad further buttressed its claim that a conventional boundary

actually existed with allegations of acquiescence and estoppel against
Libya. The issue of uti pos.sidc~turis was also raised by Chad, referring
to the Cairo Declaration of the Organization of African Unity in
1964,and a part of the decision of a Chamber of this Court in the case
concerning the Fronti~.r Dispute (Burkina Fu.~o/Rrpublic of Muli)
(I.C.J. Reports 1986, p. 554). DIFFÉREND TERRITORIAL (OP. IND. AJIBOLA) 61

encore plus insaisissables et incertains. En outre, elles se heurteraient sou-
vent à des conclusioris fondéessur des facteurs ethniques et culturels.
37. C'est pourquoi je me rallie pleinement au point de vue de la
Chambre de la Cour dans l'affaire du DiSfërendfrontalier (Burkina Faso/
Ripublique du Mali) :

«La Chambre tient néanmoinsa souligner que rien n'autorise un
recours à la notion d'équitépour modifier une frontière établie.
Dans le contexte africain en particulier, on ne saurait invoquerles

insuffisancesairifestes, du point de vue ethnique, géogruphiqueou
administratijde maintes frontières héritéesde la colonisation pour
affirmer que leur modification s'impose ou sejustifie par des consi-
dérations d'équité.))(C.I.J. Rec.ueil 1986p. 633, par. 149; les ita-
liques sont de moi.)

38. En définitive, il me semble difficile d'appuyer aucune des conclu-
sions que la Libye a soumises à la Cour en l'espèce.

III. L'ARGUMENTAT DIUNTCHAD

39. La conclusion généraledu Tchad en la présente affaire étaitque
celle-ciavait pour objet la délimitationde la frontière commune entre les
deux Parties. De son point de vue, le traitéfranco-libyen du 10août 1955
définissait une telle frontière. Dans son exposé liminaire, l'agent du
Tchad a expriméla position du Gouvernement tchadien en ces termes:

«Pour le Tchztd, le traité du 10août 1955est la clédu différend.
Librement, la Libye l'avait négocié, signé et ratifié. Ce traité est
incontournable et décisif.Son application suffit à réglerle litig».
(CR 93\21. p. 14.)

40. Le Tchad a presentédeux thèsessubsidiaires a l'appui de cette con-
clusion.Il a soutenu que, mêmesi le traitéfranco-libyen de 1955n'avait
pas été concluou s'ilétait inapplicable,la définitionde la frontière résul-

tant de certainsinstruimentsinternationaux serait la même.Pour lecas où
ces deux premiers arguments n'emporteraient pas la conviction, le Tchad
a également avancé, 21titre touà fait subsidiaire, que les effectivitésfran-
çaises dans lesconfinsconfirmeraient la même lignefrontière. Le Tchad a
en outre étayéses prétentionsquant à l'existence effectived'une frontière
conventionnelle en invoquant à l'encontre de la Libye l'acquiescement et
I'rstoppelIIa de plus soulevéla question deI'utipossidetisjurien se réfé-
rant à la déclaration du Caire de 1964de l'organisation de l'unité afri-
caine et à une partie de la décisiond'une Chambre de la Cour dans
l'affaire duBiffircwd,fLotzttrlier(Burkina Fa.so/Ripubliqur(lu Mu(C.I.J.

Recueil 1986, p. 554). IV. THE 1955 TREATY AND THE STAND OF THE PARTIES

41. Libya agreed with Chad that the starting point in this case should
be the Franco-Libyan Treaty of 1955(hereinafter called "the 1955Treaty").
Counsel stated on its behalf:

"'Article 3 of the 1955Treaty is directly pertinent to resolving the
present dispute' (Reply of Libya, para. 5.04); and, indeed, Libya
suggests that 'The Court may well regard the 1955Treaty as the logi-

cal starting point in its consideration of how to resolve the territorial
dispute in this case'(ibid,para. 5.01). Since both Libya and Chad
(although the latter with some reservations) regard the 1955 Treaty
as being of critical importance to the resolution of the present dis-

pute, Libya will begin byanalysing Article 3 of that Treaty." (CR 931
15, p. 15.)

42. Chad, for its part, made it clear at the opening of its oral argu-
ments that its most important thesis was that the Treaty of 1955 "quite
unambiguously identified a boundary line" (CR 93/21, p. 28). Counsel
added: "Let us begin at the beginning. And the legal beginning - and

also the end - is the Treaty of 10 August 1955 between France and
Libya." (CR 93121,p. 29.)

V. INTERPRETIN THE 1955 TREATY

43. The Judgment of the Court dealt adequately with the interpre-

tation of Article 3 of the 1955 Treaty which 1 need not repeat in this
opinion, but 1 shall only touch on some areas of it which 1 think are
supportive of the Judgment.

(i) Ohject andPurposeof the 1955 Treaty

In the interpretation of any treaty it isequally essential to look into its
actual object and purpose (cf. Article 31, paragraph 1,of the Vienna
Convention on the Law of Treaties).

44. As far as the 1955Treaty is concerned, Libya's view on this point
is straightforward - its own object was to secure the removal of the
French army from Fezzan in order to give effective meaning to Libyan
independence. Al1 other considerations were secondary and in fact un-
important. To say the least, Libya was not then interested in the delimi-

tation of the southern boundary, and would have preferred not to have
anything to do with the issue of delimitation of the frontier. Reference
was made to the fact that Libya was ill-equipped for such exercise in
1955, and in particular lacked appropriate experts.
45. Mr. Kamel Maghur for Libya said that:

"When the negotiations that ultimately led to the 1955 Treaty DIFFEREND TERRITORIAL (OP. IND. AJIBOLA) 62

IV. LE TRAITÉ DE 1955 ET LES POSITIONS DES PARTIES

41. La Libye a convenu avec le Tchad qu'il fallait en l'espèceprendre
comme point dedépart le traitéfranco-libyen de 1955(ci-après dénommé
le ((traitéde 1955))).Parlant au nom de la Libye, son conseil a déclaré:

((L'article 3du traité de 1955 est directement pertinent pour le
règlement du présent différend))(répliquede la Libye, par. 5.04); et
elle avance en effetque «il se peut fort bien que la Cour considère le
traité de 1955 comme le point de départ logique pour déterminer
comment le différend territorial dans la présente affaire doit être

réglé))(ibici.,par. 5.01). Comme aussi bien la Libye que le Tchad
(bien qu'avec certaines réservespour ce dernier) considèrent que le
traité de 1955 revêtune importance capitale pour le règlement du
différend actuel, la Libye commencera par analyser l'article 3 du
traité de 1955.» (CR 93115. p. 15.)

42. Pour sa part, le Tchad a clairement indiqué au début de ses plai-
doiries que sa thèse principale était que le traité de 1955 identifiait ((sans
aucune ambiguïté une ligne frontalière)) (CR 93121. p. 28). Le conseil a
ajouté: ((Commençons par le commencement. Et le commencement juri-

dique - la fin aussi d'ailleur- c'est letraité du 10 août 1955 entre la
France et la Libye.» (CR 93121,p. 29.)

43. L'arrêtde la Cour a abordé comme ilconvient l'interprétation
de l'article 3 du traiitéde 1955 et point n'est besoin d'y revenir ici; je

me bornerai à évoquer certains aspects qui viennent, à mon avis, étayer
l'arrêt.

i) Ohjot et but (ltruiteu' c .55

Pour l'interprétation detout traité,ilest égalementindispensable d'exa-
miner son objet et son but réels(cf. article1,paragraphe 1,de la conven-

tion de Vienne sur le droit des traités).
44. S'agissant du traité de 1955, la position de la Libye à cet égardest
simple: son objet propre était d'obtenir le retrait de l'armée française
du Fezzan pour que son indépendance devienne réalité.Toutes autres

considérations étaient secondaires et, en fait, sans importance. Le moins
qu'on puisse dire est que la Libye ne s'intéressaitpasà l'époque a la déli-
mitation de la frontikre méridionale et aurait préféréne pas aborder cette
question. On a fait valoir qu'en 1955 la Libye n'avait guère les moyens
nécessaires A un tel exercice et, en particulier, qu'elle ne disposait pas

d'experts compétents.
45. M. Kamel Maghur a affirméau nom de la Libye:
((Lorsque les négociations qui ont finalement abouti a la conclu- started in January 1955,1would estimate there were not more than

five lawyers in Libya. Only one lawyer, Mr. Fekini, fresh from law
school in Tunisia, with no experience of any kind, was assigned to
assist the Libyan team .. .Like Mr. Fekini, 1 knew nothing about
matters of international law and international boundaries when 1
graduated from law school." (CR 93114,p. 67.)

46. It is alleged by Libya that France also was loath to go into the
issue of delimitation. Mention was persistently made of the letter of
2 May 1955from the Governor-General of French Equatorial Africa to
the Ministre de la France d'Outre-Mer. The letter advised: "la nécessité
de faire reconnaître par ce pays [la Libye] les frontières résultantde la
déclaration franco-britannique de 1899" (Memorial of Libya, Vol. 1,
p. 370, para. 5.437).
47. But the letter did not stop there. It went further to state clearly the
objective of France with regard to the southern frontier of Libya with
Chad at this crucial time, which was about four months before the
signing of the 1955 Treaty. According to Libya, this corresponded to

the French thesis that had first been formulated and fully articulated in
1921-1922 in response to the Italian protest against the 1919 Anglo-
French Convention. Thus the French thesis on the frontier, as explained
in the letter, is said to be as follows:

"- that Libya should be considered to be a successor State to Italy

not to Turkey;
- that Libya's southern boundaries were determined by the 1899
Anglo-French Additional Declaration, as modified by the
1919 Anglo-French Convention;
- that Italy had formally recognized the 1899Additional Decla-
ration in the 1900-1902 Franco-Italian Accords; and
- that Libya could base no claim on the 1935 Treaty because
these accords 'n'ontjamais ktk e.~dcutC;s'(Ibid; emphasis added.)

48. The letter of 10 May 1955 which the French Embassy in London
sent to the British Foreign Office, and which Libya quoted in its Memo-
rial, suggests moreover that both parties took the same attitude towards
delimitation, for itStates:
"Les deux gouvernements conviennent de s'entenir, en ce qui con-

cerne le tracédes frontièresséparantles territoires français et libyen,
aux stipulations générales des textesinternationaux en vigueur A la
date de la créationde 1'Etatlibyen." (Ibid p. 375, para. 5.445.)
49. May one perhaps deduce therefrom that there was no disagree-
ment as to the object and purpose of the Treaty? Libya at the last
moment agreed that the boundary had been fixed by the international
acts. Libya, mentions that: DIFFÉREND TERRITORIAL (OP. IND. AJIBOLA) 63

sion du traitéde 1955sesont engagées,enjanvier 1955,je pense qu'il
n'y avait pas plus de cinq juristes dans toute la Libye. L'équipe
libyenne n'a bénéficié de l'appui que d'un seul juriste, M. Fekini,

jeune diplôméde la faculté dedroit de Tunisie, qui n'avait aucune
expérienced'aucune sorte ...Comme M. Fekini,j'ignorais totalement
les questions de droit international et de frontières internationales
lorsque j'ai obtenu mon diplôme.» (CR 93114,p. 67.)
46. La Libye a égalementprétendu que la France étaittout aussi peu

disposée aaborder la question de la délimitation. Mention a étéfaite, à
maintes reprises, de la lettre du 2 mai 1955 adresséeau ministre de la
France d'outre-mer par le gouverneur généralde l'Afrique équatoriale
française. Cette lettre soulignait: ((la nécessitde faire reconnaître par ce
pays [la Libye] les frontières résultant de la déclaration franco-britan-
nique de 1899))(mémoirede la Libye, vol. 1, p. 370, par. 5.437).
47. Mais la lettre ne s'arrêtaitpas la. Elle exposait ensuite clairement
quel était ace moment décisif,quatre mois environ avant la signature du
traitéde 1955,l'objectif de la France a l'égardde la frontière méridionale
entre la Libye et le Tchad. D'aprèsla Libye, cet objectif correspondait à

la thèse française énoncéepour la première fois de manière totalement
explicite en 1921-1922,en réponse à la protestation italienne contre la
convention franco-britannique de 1919.Ainis la thèsefrançaise relative à
la frontière, telle qu'elle était formuléedans la lettre, aurait étéla sui-
vante :

« que la Libye devait êtreconsidéréecomme Etat successeur de
l'Italie et rion de la Turquie;
- que les frontières méridionalesde la Libye ont été déterminées
par la déclaration additionnelle anglo-française de 1899,modi-
fiéepar la convention anglo-française de 1919;
- que l'Italie avait officiellement reconnu la déclarationaddition-
nelle de 1899dans les accords franco-italiens de 1900-1902 ;
- que la Libye ne saurait fonder aucune revendication sur le
traitéde 1935parce que ces accords ((n'ontjamuis ktk exkcutks))
(ihid.;les italiques sont de moi).

48. La lettre du 10 mai 1955adresséeau Foreign Office par l'ambas-
sade de France a Londres, que la Libye a citéedans son mémoire,laisse
en outre penser que les deux parties avaient adopté la mêmeattitude à
l'égardde la délimitation puisqu'il y est dit:

«Les deux gouvernements conviennent de s'entenir, en ce qui con-
cerne le tracédes frontières séparantles territoires français et libyen,
aux stipulations; générales destextes internationaux en vigueur à la
date de la créationde 1'Etatlibyen.)) (ihid., p. 375, par. 5.445.)

49. Peut-on éventuellement endéduire qu'aucun désaccord n'existait
quant à l'objet et au but du traité? Au dernier moment, la Libye a
reconnu que la frontière avait été fixéepar les actes internationaux. Selon
elle: "Libya did, at the last moment, agree to this proposed rectifica-
tion,under considerable pressure from the French negotiators; and
the text of what was agreed by way of identification of these points
was embodied in Annex 1 to the 1955 Treaty." (CR 93/15, p. 38.)

50. What was the purpose and object of this 1955Treaty according to
Chad? As far as Chad is concerned, it was a package deal to ensure peace

and stability within that region. In the eyes of Chad, it was a Treaty of
Friendship and Good Neighbourliness between France and Libya. As
stated in Chad's Counter-Memorial:

"it comes in the form of a body of provisions concerning a great
variety of subjects: the presence of French troops on Libyan terri-
tory, economic, financial and cultural CO-operation,frontier régime,
etc. Its object is very generally to facilitate relations between the par-

ties and establish CO-operation between them." (Counter-Memorial
of Chad, Vol. 1,p. 505, para. 11.68.)

51. In the terms of the title, text and content of the Treaty, the view of
Chad seems to me to be the correct approach, even though each of the
parties could aim at a kind of quidpro quo. This was expressed in a letter
of 5 January 1955from the British Embassy in Paris to the Foreign Office

in London, based on the information provided by Mr. Jerbi, one of the
members of the Libyan delegation at the negotiations of the Treaty.
According to the letter:

"the French Government had taken the view at the outset of the
January negotiations that France was willing to withdraw its forces
from Fezzan provided certain related questions were settled at the
same time, one of them being that 'the frontier between Fezzan and

French territory must be properly delimited'" (Memorial of Libya,
Vol. 1, p. 375, para. 5.446).

52. It should also be remembered that at this time between 1953 and
1954, Britain and the United States of America had concluded agree-
ments on security and alliance with Libya, while France was left out.
53. Whatever may be the motive of the parties independently, there is

no doubt that the object and purpose of the 1955 Treaty was to ensure
friendship and good neighbourliness between the parties. The special rule
of interpretation of treaties regarding boundaries is that it must, failing
contrary evidence, be supposed to have been concluded in order to ensure
peace, stability and finality. Many multilateral conventions have provi-
sions safeguarding and ensuring stability and finality with regard to
boundary treaties. An example of such treaties is the 1978Convention on

the Succession of States in Respect of Treaties (which 1referred to above)
especially Article 11 therein, which stipulates that a succession of States
does not alter or affect a boundary established by a treaty, and neither
does it affect the obligations and rights established by such a treaty when DIFFÉREND TERRITORIAL (OP. IND. AJIBOLA) 64

«La Libye ar,de fait, au dernier moment, accepté la rectification
proposée, sous la forte pression des négociateurs français; et le texte
arrêtépour identifier les points considérés figure à l'annexe 1 au
traité de 1955.))(CR 93/15, p. 38.)

50. Quels étaient, selon le Tchad, l'objet et le but de ce traitéde 1955?
D'après lui, il s'agissait d'un accord global tendanti assurer la paix et la

stabilitédans cette :région.C'était,à ses yeux, un traitéd'amitiéet de bon
voisinage entre la France et la Libye. Comme le Tchad l'a affirmédans
son contre-mémoire :

«il se présente comme un ensemble de dispositions concernant des
matières fort diverses: présence des troupes françaises sur le terri-
toire libyen, coopération économique, financièreet culturelle, régime

frontalier...Son objet est très généralementde faciliter les relations
entre les parties et d'établir entre elles une coopération.)) (Contre-
mémoiredu Tchad, livre 1,p. 505, par. 11.68.)

51. Eu égard iil'intitulé,au texte et à la teneur du traité, le point de
vue du Tchad me semble correspondre à une analyse correcte, mêmes'il
n'est pas exclu que chacune des parties ait eu quelque contrepartie en vue.
C'est ainsi que, dans une lettre adressée par l'ambassade du Royaume-

Uni à Paris le 5janvier 1955au Foreign Office à Londres, sur la base de
renseignements fournis par M. Jerbi, un des membres de la délégation
libyenne aux négociations relatives au traité, il étaitprécisé:

«le Gouvernernent français avait, au début des négociations de jan-
vier. indiquéque la France était disposée i retirer ses forces du Fez-
zan pourvu que certaines questions connexes soient réglées en même

temps, notamrnent que la ((frontièreentre le Fezzan et le territoire
français soit convenablement délimitée)) (mémoire de la Libye,
vol. 1,p. 375, par. 5.446).

52. Il convient également de garder à l'esprit qu'entre 1953 et 1954 la
Grande-Bretagne el.les Etats-Unisd'Amérique avaient conclu desaccords
de sécuritéet d'alliance avec la Libye, tenant la France à l'écart.
53. Quels qu'aient pu êtreles motifs propres à chacune des parties, il

ne fait aucun doute que le traité de 1955 avait pour objet et pour but de
garantir des rapports d'amitié et de bon voisinage entre elles. Selon la
règle spécialed'interprétation des traités frontaliers, de tels instruments
sont réputés,sauf preuve contraire, avoir été conclusen vue d'assurer la
paix et la stabilitéet ce. de façon définitive.De nombreuses conventions
multilatérales prévoient des garanties visant à assurer une solution stable

et définitiveen matière de traités frontaliers. Tel est le cas, par exemple,
de la conbention précitéede 1978 sur la succession d'Etats en matière de
traités, en particulier de son article 1I qui stipule qu'une succession
d'Etats ne porte palsatteinte a une frontière établie par un traité, ni aux
obligations et droits établispar un traité et se rapportant au régimed'uneit involves the issue of boundaries. Similarly, in the 1969Vienna Conven-
tion on the Law of Treaties, Article 62, paragraph 2 (a), provides:
"A fundamental change of circumstances may not be invoked as a

ground for terminating or withdrawing from a treaty

(a) ifthe treaty establis/zeda boundary. " (Emphasis added.)

54. Furthermore, Article 62, paragraph 2, of the 1986Vienna Conven-
tion on the Law of Treaties between States and International Organiza-
tions or between International Organizations also created an exemption
regarding boundary treaties by stating that :

"A fundamental change of circumstances may not be invoked as
ground for terminating or withdrawing from a treaty between two or
more States and one or more international organizations ifthr treaty
establishrsa hounu'ary"(Emphasis added.)

55. The 1955Treaty does not exclusivelydeal with the issue of bound-
aries, nevertheless it is common ground that it is partially a boundary
treaty in view of Article 3 of the Treaty and Annex 1 thereto. Failing
proof to the contrary, this Article must be viewed as a provision inserted
by both parties to establish and ensure some degree of stability and final-
ity with regard to their boundary.
56. The jurisprudence of the Court in matters of conventional bound-
aries lends firm support to the above analysis. The celebrated authority
on this point is the clear pronouncement of the Court in the case con-
cerning the Temple of Preuh Vihear (Cambodia v. Thailand), decided in
June 1962. The Court in that case established the principle of stability
and finality as follows:

"In general, when two countries establish a frontier between them,
one of the primary objects is to achieve stability and finality. This is
impossible if the line so established can, at any moment, and on the
basis of a continuously available process, be called in question, and
its rectification claimed, whenever any inaccuracy by reference to a
clause in the parent treaty is discovered. Such a process could con-
tinue indefinitely, and finality would never be reached so long as
possible errors still remained to be discovered. Such a frontier, so far
from being stable, would be completely precarious." (I.C.J. Reports
1962, p. 34.)

57. Perhaps this decision of the Court, with its judicial flavour of
quietu non movere,was aimed at ensuring finality and certainty on any
dispute presented to it, and thereby preventing protracted and endless
iitigation which at times provoke hostilities and armed conflict. DIFFÊREND TERRITORIAL(OP. IND. AJIBOLA) 65

frontière. De même.la convention de Vienne sur le droit des traitésde
1969,dans son article 62, paragraphe 2 a), dispose:
«Un changernent fondamental de circonstances ne peut pas être
invoqué comme motif pour mettre fin à un traité ou pour s'en reti-

rer:
a) s'il sagit diln traité établissat nejrontière.))(Les italiques sont
de moi.)

54. En outre, l'article2, paragraphe 2, de la convention de Vienne de
1986 sur le droit des traitésentre Etats et organisations internationales
ou entre organisations internationales a égalementprévuune exception
concernant les traitks frontaliers, en ces termes:

«Un changement fondamental de circonstances ne peut pas être
invoqué commemotif pour mettre fin à un traité entre deux ou plu-
sieurs Etats et une ou plusieurs organisations internationales ou
pour s'en retirers'il s'ugit d'un traité établissant urontière.))(Les
italiques sont de moi.)

55. On s'accorde a reconnaître, eu égard à son article 3 et a son
annexe 1,que le traitéde 1955étaitpour partie un traité frontalier, même
s'ilne traiteDasexclusivement de la auestion des frontières. A défautde
preuve du contraire:, il faut considérerque les deux parties ont accepté
d'insérer cet article dans le but d'établir leurs frontières et d'assurer
quelque stabilitéet pérennité a cet égard.

56. La jurisprudence de la Cour en matière de frontièresconvention-
nelles vientfermement étayerl'analyse ci-dessus.Le clair prononcéde la
Cour dans l'affaire du Temple de PréahVihéar(Cambodge c. Thaïlunde),
en juin 1962,est àcet égardun précédent célèbrE e.n l'espèce,la Cour a
poséle principe du caractère stable et définitif desfrontières convention-
nelles en ces termes:

((D'une manière générale,lorsque deux pays définissententre eux
une frontière, iin de leurs principaux objectifs est d'arrêterune solu-
tion stable et définitive.Cela est impossible si le tracé ainsi établi
peut êtreremis en question a tout moment, sur la base d'une procé-
dure constamment ouverte, et sila rectification peut enêtredemandée
chaque fois que l'on découvre une inexactitude par rapport à une
disposition du traité de base. Pareille procédure pourrait se pour-
suivre indéfinimentet l'on n'atteindrait jamais une solution défini-
tive aussi longiemps qu'il resterait possible de découvrir deserreurs.
La frontière, I'oind'être stable,serait tout à fait précaire.))(C.I.J.,
Recueil 1962, p. 34.)

57. Peut-êtrecette décisionde la Cour, inspiréedu principe quietu non
movere, visait-elleà garantir le règlementdéfinitifet sûr de tout différend
porté devant elle, et à éviter ainsides contestations sans fin, pouvant à
l'occasion dégénéreern hostilitéset en conflits armés. 58. The object and purpose of the 1955Treaty as a whole was undoubt-
edly multiple, since it was a Treaty with so many dimensions, containing
inter aliu a particular convention on good neighbourliness spelling out

how to effect "good-neighbourly relations", by, for example, ensuring the
free movement of citizens from one territory to the other; a convention
on economic CO-operation;and also a cultural convention on education,
language, etc. It also contains many annexes to spell out the objects and
purposes of the Treaty comprehensively. But it is equally clear that a part
of the object and purpose of the Treaty was to establish once and for al1

the Libyan southern boundary. This was in fact, to my mind, accom-
plished.

(ii) Integrution Approuch

59. While it is not my wish to treat the "intention approach" as a dis-
tinct heading of interpretation in this opinion - if only because such an

approach may be over-subjective and thus undesirable (the Court has
never followed this approach either) - whatever substance, if any, can
be derived therefrom can easily be discussed and subsumed under the
integration approach, which may perhaps highlight the intention of both
Parties. The integration approach will equally deal adequately with the

entire content of the 1955 Treaty in the way expressed thus in Article 31,
paragraph 2. of the 1969 Vienna Convention on the Law of Treaties:

"The context for the purpose of the interpretation of a treaty shall
comprise, in addition to the text, including its preumhle undunne'ces:
(u) any ugreement relating to the treaty which was made between
al1the parties in connection with the conclusion of the treaty;

(hl unq'instrument which was made by one or more parties in con-
nection with the conclusion of the treaty and accepred hy the
olher parties as an instrument related to the treaty." (Emphasis
added.)

60. Handling the interpretation of the 1955Treaty under what is here
referred to as an integration approach cannot but touch on some of the
points earlier referred to under "object and purpose", which 1 do not
intend to repeat. Again, it must be observed that each Party, in the pres-

entation of its case to the Court, submitted volumes of diplomatic docu-
ments, including correspondence, agreements, notes or procks verhuu.~,
and maps. These documents were effectively used during the oral pro-
ceedings. On the diplomatic documents relating to the period from Janu-
ary to August 1955, some important and pertinent observations can be
made. It may be appropriate to start from the Laval-Mussolini Treaty of

1935, which was in the limelight between 1935 and 1955. That Treaty
undoubtedly featured a boundary which gave Libya some advantage or
concession (even though this was disputed by Libya). It went with a map
which put the entire "Aouzou strip" within the territory of Libya. Even DIFF'ÉREND TERRITORIAL (OP. IND. AJIBOLA) 66

58. A l'évidence,l'objet et le but du traité de 1955 dans son ensemble
étaient multiples puiisque ce traité touchait à tant de domaines, compre-
nant entre autres une convention particulière de bon voisinage prévoyant

les modalités de mise en Œuvre de bons ((rapports de voisinage)) en assu-
rant par exemple la libre circulation des citoyens entre les deux territoires,
une convention de coopération économique ainsiqu'une convention cultu-
relle portant sur l'enseignement, la langue, etc. Le traitécomp~rtait égale-
ment de nombreuses annexes explicitant en détail ses objets et ses buts.

Mais il est également clair que, pour partie. le traité avait pour objet et
pour but de fixer définitivement la frontière méridionale de la Libye.
Ce que selon moi, il a effectivement réalisé.

ii) Approche intégrée

59. Bien que je ni?souhaite pas traiter séparémentdans la présente opi-

nion de l'approche «fondée sur l'intention)) -- ne serait-ce que parce
qu'une telle approche risque d'êtretrop subjective et donc inopportune
(la Cour non plus ne l'a jamais adoptée) , je pense que tout élément
susceptible, éventur:llement, d'en êtretiré, peut aisément êtreexaminé
dans le cadre de l'approche intégrée, laquellepermet peut-être de faire
ressortir l'intention des deux Parties. L'approche intégréedoit de même

permettre de tenir compte comme ilse doit de l'ensemble des compo-
santes du traitéde 1955,ainsi que le prescrit l'article 31,paragraphe 2, de
la convention de Vi.ennesur le droit des traités de 1969:

<<Auxfins de l'interprétation d'un traité,le contexte comprend,
outre le texte,,oréumhuleet rrnnexesinclus:
a) tout clccordayant rapport au traitéet qui est intervenu entre tou-

tes les partiesiil'occasion de la conclusion du traité;
6) tout insrrutnentétablipar une ou plusieurs parties à l'occasion de
la conclusi~ondu traité et ac<~pté pur les uutrcs parties en tant
q~i'instrument ayant rapport au traité.)) (Les italiques sont de
moi.)

60. Si l'on s'applique à interpréter le traité de 1955 conformément à
l'approche intégréesusmentionnée, on ne peut éviterd'aborder certains
des points visés PILIS haut sous le titre «objet et but)) du traité, sur les-

quels je ne reviendrai pas. Il faut cependant de nouveau observer qu'en
présentant sa cause devant la Cour chaque Partie a produit plusieurs
volumes de documents diplomatiques, y compris des lettres, des accords,
des notes ou des procès-verbaux et des cartes, pièces qui ont effective-
ment servi au cours de la procédure orale. Au sujet des documents diplo-
matiques relatifs à la période de janvier à août 1955, certaines observa-

tions importantes et pertinentes peuvent êtrefaites. Peut-êtreconvient-i]
de commencer par le traité Laval-Mussolini de 1935 qui a occupé le
devant de la scènejusqu'en 1955.Ce traité a incontestablement définiune
frontière correspondant à certains avantages ou concessions à la Libye
(quoi qu'ait pu en dire cette dernière). Il était assorti d'une carte surthough the Treaty was signed it was not exchanged between the parties.
ltaly refused to do so because it accused France of a breach of faith with
regard to what was agreed on the concession to be granted to Italy, in
connection with its colonies in Eritrea and Somalia.

61. This 1935 Treaty underlay a map that indicated the boundary
which Italy, and subsequently Libya, erroneously relied upon for some
time and which brought about a conflict of opinions between Italy and

France before 1947,and between Libya and France before the signing of
the 1955Treaty.
62. Thus, between 1935and 10 August 1955,two incidents occurred
which clearly gave an indication of the stands of both parties with regard
to the boundary south of Libya. The incidents were the Jef-Jef incident in
1938and Aouzou incident on 28 February 1955. Even though the facts
were disputed by the Parties, it is obvious that while France was relying
on the 189911919frontier as Libya's boundary to the south with Chad,
Italy still relied on the 1935line. These incidents are significant for two
reasons. On the Jef-Jef incident, there was a tacit understanding that
Italy (and Libya for that matter) could not rely on the 1935Treaty, the
ratification of which was not exchanged. On the Aouzou incident, there
was also a tacit understanding that, since the 1935line was no longer in
place, the parties agreed to revert to the 189911919 line.

63. BetweenJanuary and 10August 1955(when the 1955Treaty was
signed) there were as many as 64 documents dealing with negotiations on

the draft text or what should be the agreed context of the Treaty. Seven-
teen deal with the Aouzou incident, while others deal with maps, contro-
versies and the movement of French troops from Fezzan. Even though
there are conflicting views and different interpretations attached tothese
documents by the Parties, a reasonable formulation of what may be con-
sidered as a consensus ad idem clearly emerged. On the Libyan side, the
most important issue was the movement of the French troops out of Fez-
zan, and it was equally prepared to give "concessions" if this movement
out of Fezzan could be completed as soon as possible. Libya was also
interested in any form of assistance from France. France, for its part,
made the issue of the Libyan southern boundary a conditio sinquu non,
and as far as it was concerned the 189911919lines had to be recognized as
the frontier line.
64. Furthermore, contrary to the submission made during the oral
proceedings by Libya, France was not, in my opinion, absolutely happy
about the 1955 Treaty. The situation and circumstances of that period

gave a clear indication that France just had to swallow a bitter pill by
signing such an agreement. Reading al1the relevant documents, it is clear
that what France wanted at the material time was not a treaty of friend-
ship and good neighbourliness, but a treaty of alliance with Libya likethe
ones it signed with Britain in 1953and the United States of America inlaquelle la totalité de la «bande d'Aouzou» était figurée en territoire
libyen. Quoique ce traitéait été signé,s instruments de ratification cor-

respondants n'ont jamais été échangé estre les parties. L'Italie s'y est en
effet refusée,accusant la France de manquer à sa parole à propos des
concessions qu'ilaurait étéconvenu de lui accorder concernant ses colo-
nies d'Erythréeet de Somalie.
61. Ce traité de 1935servait de base à une carte indiquant la frontière
sur laquellel'Italie, puis la Libye, se sont fondàetort pendant quelque
temps et qui a été à l'origine d'un désaccord entre l'Italie et la France
avant 1947,puis entre la Libye et la France avant la signature du traitéde
1955.
62. Entre 1935el.le 10août 1955,il s'est ainsiproduit deux incidents,
à Jef-Jef en 1938,elà Aouzou le 28 février1955,qui ont clairement fait
ressortir les positions de chacune des parties à l'égardde la frontière

méridionale de la Libye. Bien que les faits aient étécontestésentre les
Parties, il est évidentque, en ce qui concerne la frontière méridionalede
la Libye avec le Tchad, la France se fondait sur la ligne de 189911919,
alors que l'Italie s'en tenàila ligne de 1935.Ces incidents sont impor-
tants à double titre: pour ce qui est de I'incident de Jef-Jef, on s'est
accordétacitement à reconnaître que l'Italie (et la Libye a cet égard)ne
pouvait s'appuyer sur le traitéde 1935,dont les instruments de ratifica-
tion n'avaient pas été échangéL s.ors de l'incident'Aouzou, il y a eu
égalemententente lacite entre les parties pour revenàrla ligne de 18991
1919,vu que celle de 1935n'existait plus.
63. Du mois de janvier au 10août 1955(date de la signature du traité
de 1955),pas moins de soixante-quatre documents ont été élaborésà pro-
pos des négociations sur le projet de texte ou de ce que devait êtrele

contenu du traité. Dix-sept de cesdocuments traitent de I'incidentAou-
zou, tandis que d'autres se rapportenà des cartes, des controverses et au
retrait des forces françaises du Fezzan. Mêmesi ces documents sont
perçus et interprétésdifféremment par les Parties, il s'en dégagece que
I'on peut raisonniiblement considérer comme un consensus. Pour la
Libye, la question la plus importante étaitcelle du retrait des forces fran-
çaises du Fezzan, et elle était disposée à faire des «concessions» en
échanged'un retrait opérédans les meilleurs délais.Elle s'intéressaitpar
ailleursà toute forme d'assistance de la part de la France. Cette dernière,
quant à elle, considérait la définitionde la frontière méridionale de la
Libye comme une condition sinequanon et entendait que I'on reconnût a
cet effet les lignes de 189911919.
64. Par ailleurs, et contrairemenà ce qu'a affirméla Libye au cours de

la procédure orale.,la France n'étaitpas, selon moi, entièrement satisfaite
du traité de 1955.La situation et les circonstances du moment indiquent
clairement que la France, en signant cet accord, a dû trouver la pilule
amère.La lecture de tous lesdocuments pertinents révèleà l'évidenceque
la France souhaitad alors, non pas un traitéd'amitiéet de bon voisinage,
mais un traité d'alliance avec la Libye, semblableà ceux que cette der-
nièreavait conclu:; avec la Grande-Bretagne en 1953et les Etats-Unis en1954. Take, for example, the Defence Committee of the French Union
which, while giving as part of its conditions for the ratification of the
1955 Treaty, stated as follows:

" 1. Any Franco-Libyan agreement must, on account of its mili-
tary and good neighbourliness conventions, take the form of a treaty

of alliance, so as to constitutdejure recognition by the Libyan State
of the sovereignty of France over its African territories.
2. This treaty must recognize our right to bring Fezzan under
military occupation again in time of war or in the event of a crisis,
the definition of which will have to cover our African security in the
vicinity of this region." (Memorial of Libya, Vol. 6, Exhibit 76,

p. 1051.)
65. In fact. the Assembly of the French Union expressed regret with

regard to the draft Treaty of1955,when it expressed an opinion as follows:

"(a) that the insufficiency of Western solidarity has not allowed
France to preserve its position in Fezzan as would have been
appropriate, such shortcomings in solidarity being liable to
compromise the Atlantic Alliance" (ibid.,p. 1050).

66. In the overall context of the Treaty, therefore, France did not, in
fact, achieve its aim, and a careful reading of what transpired in its
Parliament, especially during the debates of the meeting of 22 Novem-

ber 1955, will throw some light on this view. In his explanation to the
National Assembly of France on the Treaty, Mr. Daniel Mayer, the
Chairman of the Foreign Affairs Commission and Rapporteur, touched
on what France would have wanted from Libya, regarding such a Treaty,
if it could have had its way:

"At the time, France sought to conclude with the new Federal
Kingdom an alliance that would have placed her, in Fezzan, in a

situation analogous to that of Great Britain in Tripolitania and
Cyrenaica.
It was unfortunately impossible to accomplish that objective since
the Agreements signed in 1953 with Great Britain and the following
year with the United States, had amply provided Our interlocutors
with the resources they needed and enabled them to disregard the

very modest yuid pro yuo we were able to propose to them in
exchange for a right of permanent occupation of Fezzan, where Our
troops had been stationed since 1942." (Ihirl.Exhibit 71, p. 5017;
emphasis added.)

67. Mr. Mayer went further in his address to the French National
Assembly, lamenting the possible political and psychological conse-
quences of the failure of France to secure the best deal from Libya and its

having to content itself with the second best agreement - the
1955 Treaty : DIFFÉREND TERRITORIAL (OP. IND. AJIBOLA) 68

1954.C'est ainsi que, parmi les conditions poséespar la commission de IR
défensede l'Union française a la ratification du traité de 1955,figuraient
les suivantes:

«1. Tout l'accord franco-libyen doit prendre le caractère d'un
traitéd'alliance en raison de ses conventions militaires et de bon voi-
sinage pour coinstituer une reconnaissance dejure par 1'Etatlibyen de
la souveraineté de la France sur ses territoires africains;

2. Ce traité nous reconnaîtra le droit de réoccuper militairement
le Fezzan en temps de guerre ou en cas de crises dont la définition
devra couvrir notre sécuritéafricaine à hauteur de cette région.))
(Mémoire de la Libye, vol. 6, pièce 76,p. 1051 .)

65. En fait, I'Asijembléede l'Union française a regretté, à propos du
projet de traité de 1955:

NU) que le défaut de solidarité occidentale n'ait pas permis à la
France de préserver, comme il eût convenu, sa positon au

Fezzan, de tels manquements à la solidarité risquant de mettre
en cause l'Alliance atlantique))(ibid.,p. 1050).

66. D'une manière générale,le traité n'a donc pas permis a la France
d'atteindre son objectif et une lecture attentive de ce qui s'est dit devant
son parlenient, en particulier au cours de la séancedu 22 novembre 1955,
éclairedans une certaine mesure ce point. Dans son exposédevant l'As-
sembléenationale française sur le traité, M. Daniel Mayer, président de
la commission des affaires étrangères et rapporteur, a évoquéce que la

France aurait voulil obtenir de la Libye a la faveur d'un tel traité, si elle
avait pu faire prévaloir son point de vue:

«La France recherchait, à cette époque, avec le nouveau royaume
fédéral,une ulliutzcqui l'eût placée au Fezzan dans une situation
analogue a celle qu'occupait la Grande-Bretagne en Tripolitaine et
en Cyrénaïque.
Ce dessein ne put malheureusement êtreréalisé,les accords signés
en 1953avec la Grande-Bretagne et, l'annéesuivante, avec les Etats-

Unis ayant abondamment pourvu nos interlocuteurs des ressources
qui leur étaient nécessaires etleur ayant permis de négligerles trop
modestes contreparties que nous pouvions leur proposer en échange
d'un droit d'occupation permanente du Fezzan où nos troupes se
trouvaient établies depuis 1942.)) (It~irlpièce 71, p. 5017; les ita-
liques sont de moi.)

67. M. Mayer est allé plus loin dans sa déclaration à l'Assemblée

nationale française, en déplorant les conséquences politiques et psycho-
logiques possibles de l'échecde cette tentative de la France pour obtenir
de la Libye le meilleur accord possible et du fait qu'elle devait se conten-
ter d'un pis-aller-- le traité de 1955: "Admittedly, this treaty can give rise to criticism and it involves,
on Our part, concessionsliableto hurt ourpride incertuinrespects.

Since our troops covered themselves withglory in the Fezzan, Our
African army will no doubt be sensitive to the withdrawal of Our
forces from there." (Memorial of Libya, Vol. 6, Exhibit 71,pp. 5017-
5018; emphasis added.)

68. There is no doubt that Fezzan was a very thorny issue in this
Treaty, when Libya was in fact prepared to pay the price to get rid of the
French troops (about 450 soldiers in all) from its territory and France
was most reluctant to leave Fezzan. To France, Fezzan was a strategic
area of importance with regard to its colonies in North Africa vis-A-vis
Equatorial Africa. France even considered that she was left out in the
cold, because while British and American troops were being welcomed
into Libya, her own troops were being asked to move out under this
1955 Treaty. But at the same time France understood that it would be
better to move out honourably and free from Fezzan than:

"to evacuate it within a few weeks, perhaps within a few days, after
being condemned by a near-unanimous vote in the United Nations,
where, it cannot be denied, we would be very hard put to find any
argument in support of Our continued occupation of the area . . ."
(ibid., p. 5025).

69. In fact, Mr. Jacques Soustelle, in the National Assembly referred
to the 1955Treaty as follows: "Treaty of Friendship?What friendship is
this?" (Ibid., p. 5022.)
70. Nevertheless, itremained clearlyexpedient and desirable for France
to sign such an agreement with Libya. In the absence of an alliance,
France needed peace and good neighbourliness from Libya with its own
new and powerful "alliesw- Britain and the United States of America.
This was clearly reflected inthe debate at the French National Assembly:

"True, there is no more praiseworthy aim than that of establishing
or consolidating peuce and good neighbourlyrelutions in any purt
~t~lîatsoeverf areas containing so many hotbeds of violence." (Ibid.,
p. 5020; emphasis added.)

71. It is therefore my view that in order to establish an atmosphere of
peace and stability between the two nations, a clear and distinct delimi-
tation of their respective boundaries was a contiitiosine quanon. Hence
the importance of Article 3 with Annex 1 of the 1955Treaty, which in n~y
opinion clearly established a frontier as agreed to and never denied either
by Libya or France until recently (by Libya). If, on the other hand, one
considers the entire content of the negotiations that took place between
France and Libya before the signing of the 1955Treaty on 10 August, ((Certes, ce traité peut susciter des critiques et il comporte, de
notre part, des concessionsqui risquentdutteindre certainsaspects de
notre amour prt7pre.
Le retrait de nos forces du Fezzan sera, sans doute, péniblement
ressenti par notre arméed'Afrique, en raison des circonstances glo-
rieuses dans le!jquellesnos troupes s'y étaientinstallées.» (Mémoire
de la Libye, vol. 6, pièce 71,p. 5017-5018; les italiques sont de moi.)

68. Dans le contexte de ce traité,la question du Fezzan était incontes-
tablement très épineuse:la Libye étaiten fait disposée à payer le prix du
départdes troupes ifrançaises(quelque quatre cent cinquante hommes en
tout) de son territoire, ce que la France répugnait à faire, le Fezzan étant
pour elle une zone stratégiqueimportante pour ses colonies d'Afrique du
Nord par rapport d l'Afrique équatoriale. Elle se sentait mêmeévincée
puisque ses propre!; forces devaient quitter la Libye en vertu du traité
considéré,alors que les forces britanniques et américaines y étaientles

bienvenues. Elle co.mprenait néanmoinsdans le mêmetemps qu'il valait
mieux, pour les Français, quitter honorablement et librement le Fezzan
que d'être
((amenésa l'évacuerdans quelques semaines, peut-être mêmd eans

quelques jours. après avoir été condamnés à la quasi-unanimité par
un vote de I'O~rganisationdes Nations Unies devant laquelle nous
n'aurions, il faut le dire, pratiquement aucun argument à présenter
pour défendrenotre maintien ..))(ihid., p. 5025).

69. A 1'Assemblkenationale, Jacques Soustelle s'est en fait référé au
traitéde 1955de la manière suivante: ((Traitéd'amitié ?De quelle amitié
s'agit-il?))Ihid., p. 5022.)
70. Il n'en demeurait pas moins opportun et souhaitable pour la
France de signer uri tel accord avec la Libye. Faute d'alliance, la France
avait besoin que la Libye, épauléepar ses nouveaux et puissants «alliés»
- le Royaume-Uni et les Etats-Unis, adopte une attitude pacifique et
de bon voisinage. C'est ce qui ressort clairement du débata l'Assemblée
nationale française :

((Certes, il n')estde but plus louable que d'établirou de consolider
lupaix cctle hortvoisinagedansunepartie quelconquede cet ensemblesi
dangereusemenrp 'arcourude couruntsviolents. ))(Ibid., p. 5020; les ita-
liques sont de moi.)

71. Je suis donc d'avis que la délimitationd'une frontière claire et dis-
tincte était une condition sine qua non de l'instauration d'un climat de
paix et de stabilitéentre les deux nations. D'où l'importance del'article 3
et de l'annexe 1 du traitéde 1955,qui établissent clairement, selon moi,
une frontière convenue qui n'ajamais été contestée par la France, et que
la Libye n'a contestéeque récemment.Si, d'autre part, on considère la

teneur globale des ]négociationsentre la France et la Libye qui ont pré-
cédéla signature di1traite le 10août 1955,il ne fait aucun doute que les70 TERRITORIAL DISPUTE (SEP.OP. AJIBOLA)

there is no doubt whatsoever that both parties reached agreement to
establish a boundary between them as indicated in Article 3 of the Treaty.

72. As early as 2 January 1955,the Libyan negotiator, Mr. Mustapha
Halim, while discussing the question of negotiation with France, said:
"1am asking for the final and unconditional evacuation of Fezzan

and 1 shall not go back on what has already been said.
As you [France] are afraid that there may be disturbances on your
frontier, 1am resolved to conclude an agreement with you." (Reply
of Libya, Vol. 3, Exhibit 6.4, p. 2.)

73. The overall or general consideration which was to form the basis
of their negotiations and which ultimately led to the agreement of the
1955 Treaty, was thus made clear by Libya from the inception. One can
see the necessary element of quidpro quo between both parties. Another

important point prior to the commencement of this negotiation must also
be kept in view. The agreement that France signed with Libya on its inde-
pendence (24 December 1951) with regard to the French troops on the
soi1of Libya (in Fezzan) expired on 31 December 1954 and France was
expected to evacuate its troops from Fezzan.
74. The record of the initial negotiations between France and Libya of

8 March 1955 shows very clearly what each party agreed to. While
France gave an undertaking to: "withdraw its military forces currently
stationed in Fezzan within a period of 12 months after the entry into
force of the treaty" (ibid, "Négociations franco-libyennes - Projet de
procès-verbal", p. 2), this was qualified by Libya which considered that

such evacuation should be completed "by 31 December 1955 or, at the
latest, ten months after the signature of the treaty, which should be con-
cluded as early as possible" (ihiri.).
75. The issue of the frontier was also dealt with in the same draft
agreement. In section IV of the same summary record of Franco-Libyan
negotiations, Libya definitively agreed with France as follows:

"The two Governments agree, so far as the Jrontier line between
the Frc~nchunciLihyun territoriesis concerned, to uhide by the general

provisions contained in the internutiotztrlin.strur~lcninforce on the
date of the estuhli.~hmentof' ihe Lihyan Stute." (Ihid., p.;5emphasis
added.)

76. There are some important points to be noted in the text of this
negotiation. In the first case, some of the words employed are similar, if
not the same, as those contained in the final text of Article 3 of the
1955 Treaty. Words like "frontier", "territories", "in force" and "inter-
national instruments" are common to both texts, which clearly shows

that Libya al1 along desired to negotiate an agreement on the frontier
issue. Furthermore, Libya agreed to "uhicie b" the general provisions of
the relevant international instruments. This clearly indicates that even
though Libya might before then have been nursing some doubts about
this particular frontier, it then agreed to stand by it. It should also be DIFFÉREND TERRITORIAL (OP. IND. AJIBOLA) 70

deux parties étaient parvenue à un accord établissant une frontière entre
elles, comme l'indique l'article 3 du traité.

72. Dès le 2 janvier 1955 le négociateur libyen, M. Mustapha Halim,
déclarait à propos des négociations avec la France:
«Je demande l'évacuation définitive etsans conditions du Fezzan

et je ne reviendrai pas sur ce qui a étédit.
Comme vous [la France] craignez qu'il y ait des mouvements a
votre frontière, je suis décidéà conclure avec vous un accord.))
(Réplique de la Libye, vol. 3, pièce 6.4,p. 2.)

73. La Libye a donc énoncé clairementd'embléela considération géné-
rale qui allait êtred la base des négociations et qui devait aboutir au
traitéde 1955.On perçoit ici l'élémentindispensable de contrepartie entre
les deux pays. Ilne faut pas non plus oublier un autre point important,
antérieur aux négociations. L'accord que la France avait signé avec la

Libye lors de son accession à l'indépendance(24 décembre 1951),au sujet
de la présence de forces françaises sur le sol libyen (au Fezzan), était
arrivé à expiration II31 décembre 1954. et en principe la France devait
évacuer ses forces di1 Fezzan.
74. Le procès-verbal des négociations initiales entre la France et la
Libye montre très clairement, à la date du 8 mars 1955, ce qu'acceptait

chaque partie. L'engagement de la France de ((retirer ses forces militaires
actuellement stationnées au Fezzan dans un délaide douze mois après la
mise en vigueur du traité))(ihid, «Négociations franco-libyennes - Pro-
jet de procès-verbal)), p. 2) avait étéprécisépar la Libye, qui considérait
aue ce retrait devrait avoir étéeffectué«à la date du 31 décembre 1955ou
au plus tard dix mois après la signature du traité qui devrait être conclu

le plus tôt possible)) (ibid.).
75. La question de la frontièreétaitégalementtraitéedans ce mêmepro-
jet d'accord.A la sectionIV du mème procès-verbal des négociationfsranco-
libyennes, la Libye et.la France convenaient définitivement dece qui suit:

Les deux gouvernements conviennent de s'en tenir en ce qui con-
cerne le truc.&d(/(ifsiontikrciv séparant les territoires frun(.uis et libyen
aux stipulations générales destextes internutionaux en vigueur à la
date de la crkution de I'Etut libyen.))(Ibid,, p. 5; les italiques sont de
moi.)

76. 11y a lieu de noter certains points importants dans le texte de ce
procès-verbal. Tout d'abord, certains des termes employés sont analo-

gues, sinon identiques, à ceux du libellé définitifde l'article 3 du traité
de 1955. Des mots comme ((frontières », «territoires», ((en vigueur » et
«textes internationaux)) (((international instruments))) figurent dans les
deux docunients, ce qui montre clairement que la Libye avait constam-
ment entendu négocierun accord sur le problème de frontière. En outre,
la Libye était conve.nue de «s'en tenir)) aux stipulations généralesdes
textes internationaux pertinents, ce qui indique manifestement que, même

si elle pouvait avoir eu auparavant quelques doutes sur cette frontièreobserved here that, unlike the final text of the 10August 1955Treaty, this
draft negotiation record referred to the 'Ifrontierline betiveen the French
and Libyan territories",which is a clear and unambiguous reference to the
southern boundary of Libya. About this time, a letter from one of the
French High Commissioners in French Equatorial Africa, Mr. Chauvet,
vividly demonstrated the way France wished to couple the evacuation of

French troops from Fezzan to the delimitation of the boundary to the
south of Libya. In his letter he advised as follows:

"In order to anticipate any subsequent claim by Libya to the por-
tion of Tibestithen ceded to Italy,Mr. Colombani considers that the
withdrawalof the Frenchtroops,fromFezzan, if this should be decided,
should be made conditional on the3xing anddemarcation of the fron-
tier lineas defined by the Franco-British Declarationof 21 March
1899." (Reply of Libya, Vol. 3, Exhibit 6.5, Letter of 10 February
1955, p. 1 ;emphasis added.)

77. By July 1955,the position of both parties was very clear, as may be
ascertained from the preliminary draft of the "Treaty of Friendship and
Good Neighbourliness" negotiated in Tripoli, which served as the basis
of the final text in August (ibid.,Exhibit 6.6, p. 1).

78. In conclusion on this part, there is no doubt that both parties, just
as they agreed that France should evacuate its troops from Fezzan,
equally and undoubtedly agreed that the frontier to the south of Libya
should be delimited, and in fact, they carried out this intention within the
context of the Treaty.

(iii)Good Faith

79. The principle of good faith is a fundamental one in interpretation
of treaties.In this context good faith is essentially the good faith of al1the

parties to the treaty. It is a principle that is closely interwoven with the
principle of pacta sunt servanda, as clearly stated in Article 26 of the
1969 Vienna Convention on the Law of Treaties which says that "every
treaty in force isbinding upon the Parties to it and must be performed by
them in goodfuith" (emphasis added). In addition to this, certain provi-
sions of the United Nations Charter give very strong support to this prin-
ciple.A part of its preamble states that the United Nations would:

"establish conditions under which justice and respect for the obliga-
tions arising from treaties and other sources of international law can
be maintained".

Furthermore, Article 2,paragraph 2,of the Charter enjoins:

"AI1 Members, in order to ensure to al1 of them the rights and
benefits resulting from membership, shall ,fulJilingoodfaith the ohli- DIFFÉREND TERRITORIAL (OP.IND. AJIBOLA) 71

particulière, la Libye acceptait désormais de la reconnaître. 11convient
par ailleurs d'observer ici que, contrairement au texte définitifdu traitédu
10 août 1955,il étaitfait référence,dans ce projet de procès-verbal, aux
((frontièresséparant/es territoiresfrançaiset libyen»,ce qui désigne claire-
ment et de manièrenon ambiguë la frontière méridionale dela Libye. Au
mêmemoment a peu près, une lettre d'un des hauts-commissaires fran-

çais en Afrique équa.torialefrançaise, M. Chauvet, montre bien de quelle
façon la France souhaitait lier le retrait des forces militaires françaises du
Fezzan à la délimitation de la frontière méridionale de la Libye. Dans
cette lettre,. Chauvet exprimait l'avis que:
«Afin de prévenirtoute revendication ultérieure de la Libyesur la

portiondu Tibestialorscédée U l'Italie,M. Colombani estime que, s'il
était décidé,le retrait des troupes françaisesdu Fezzan devrait être
subordonné à la fixation età la matérialisationde lafrontière telle
qu'elle a été définiepar la dC.clarationfranco-britannique du
21 murs 1899.)) (Réplique de la Libye, vol. 3, pièce 6.5, lettre du
10février1955,p. 1 ;les italiques sont de moi.)

77. Enjuillet 1955,la position des deux parties étaittrès claire,comme
il ressort de l'avant-projet de ((traité d'amitié et de bon voisinage))
négocié à Tripoli, qui a servi de base au texte définitifdu mois d'août
(ihid., pièce6.6, p. 1).
78. Pour conclure cette partie de la présenteopinion, il n'y a pas de
doute que les deux parties, tout comme elles s'accordaient a reconnaître
que la France devait retirer ses troupes du Fezzan, étaient incontestable-
ment convenues que la frontière méridionale dela Libye devait êtrefixée,
et ont en fait concrétisécette intention dans le contexte du traité de1955.

iii) Bonnefoi

79. Le principe de la bonne foi est fondamental en matière d'interpré-
tation des traités. Lir bonne foi est essentiellementà cet égardcelle de
toutes les parties au traité. Ce principe est étroitement liéau principe
pucta sunt servanda,comme il ressort clairement de I'article 26 de la con-
vention de Vienne siIr le droit des traités de 1969, selon lequel: «Tout
traitéen vigueur lie112psarties et doit êtreexécutépar elles de bonnefoi))
(Les italiques sont de moi.) En outre, certaines dispositions de la Charte
des Nations Unies appuient fortement ce principe. C'est ainsiqu'il est dit,
dans le préambule dela Charte, que les peuples des Nations Unies sont
résolus:

«à créerlesconciitions nécessairesau maintien de lajustice et du res-
pect des obligations néesdes traitéset autres sources du droit inter-
national».

Conformément, d'autre part, il'article 2, paragraphe 2, de la Charte:
«Les Membre.s de l'organisation, afin d'assurer à tous la jouis-

sance des droits et avantages résultant de leur qualitéde Membres,72 TERRITORIAL DISPUTE (SEP. OP.AJIBOLA)

gutions assumed by them in accordance with the present Charter."
(Emphasis added.)

80. Elias, in his book ' referred to some of the arbitral and judicial
decisions on this point. Such an example is the North Atlantic Fisheries
case *.In this case, after the Arbitral Tribunal had observed that the prin-
ciple of international law is that treaty obligations are to be executed in
good faith, it further held:

"But from the Treaty results an obligatory relation whereby the
right of Great Britain to exercise its right of sovereignty by making
regulations is limited to such regulations as are made in good faith,
and are not in violation of the Treaty."

81. The Permanent Court of International Justice also made many
pronouncements on the principle of good faith '.The Court applied it, in
the case concerning the Rights of Nutionals qf the UnitedStatrs of Amrricu
in Morocco, to the interpretation of Articles 95 and 96 of the Act of Alge-

ciras, pronouncing as follows: "The power of making the valuation rests
with the Customs authorities, but it is a power which must be exercised
reasonably and in good faith." (I.C.J. Reports 1952, p. 212.)

82. If there is an obligation on the part of al1the parties not to defeat

the object and purpose of a treaty prior to its entry into force (Article 18
of the Vienna Convention), the parties are uf;)rtiori also under obligation
not to defear such objects and purposes of a treaty when it has ultimately
entered into force. In fact, the original lnternational Law Commission
draft of Article 18of the Vienna Convention contained a provision, sub-

sequently discarded as unnecessary, that the parties to a treaty (after its
execution) must refrain from any act that may prevent its application4.

83. In final analysis. execution in good faith is essential to the protec-
tion of the "considerations" mutually granted by and between the parties
in a treaty, to use a term from the Law of Contracts in Common Law.

"Good faith" implies that al1 parties to a treaty must comply with and
perform al1their obligations. They may not pick and choose which obli-
gations they would comply with and which they would refuse to perform,
ignore or disregard. Treaties like any agreement may contain obligations
"beneficial" or "detrimental" to a particular party or parties, neverthe-

'T. O. Elias, Th(.Mou'criiLuitO/'Treutic..,974,p. 41.
p. 188.ted Nations, report.^($ hiernutioncrl Arhitrul Ait.uru(cI.C'NRIAA). Vol. XI,
Examples are (1) Treotmc,i~tfPoli~11ntionu1.sund OrhcrPcrson~ of PolishOrigin
or Speochin rlieDu112iTerriro-., Adviso- Opinion.1932,P.C.I.J., Stries A/B, No. 44,
p. 28; (2) Minor.itj3Schools in Alhunitr,Advisor:)Opinion. 1935, P.J... Series A/B.
No. 64, pp. 19-20.
Yeurhookof~lic Inter~iutionulLUII.Conimi.s.sior.952.Vol. II, p. 7. DIFFÉREND TERRlTORlAL (OP. IND. AJIBOLA) 72

doivent remplir de bonnefoi les obligations qu'ils ont assumées aux
termes de la présente Charte.)) (Les italiques sont de moi.)

80. Elias se réfère,dans son ouvrage ',à certaines décisionsarbitrales
et judiciaires sur ce point comme, par exemple, l'affaire des Pêcheries
des côtes septentriona.lesde l'Atlantique2. Dans cette affaire, après avoir
observé que, selon uin principe du droit international, les obligations

conventionnelles devaient êtreexécutéesde bonne foi, le tribunal arbi-
tral a estimé que:

«Il résultecependant obligatoirement du traité que l'exercice par
la Grande-Bretagne de son droit de souveraineté en matière régle-
mentaire est limitéaux règlements pris de bonne foi et n'allant pas a
l'encontre du traité. ))

81. La Cour permanente de Justice internationale s'est égalementpro-
noncée a de très nomlbreuses reprises sur le principe de la bonne foi 3.La
Cour a elle-mêmeappliqué ce principe dans l'affaire relative aux Droits

des ressortissants des Etats-Unis d'Amériqueau Maroc, au sujet de I'in-
terprétation des articles 95 et 96 de l'acte d'Algésiras, endéclarant que:
«Le pouvoir d'évalu(:rappartient aux autorités douanières, mais elles
doivent en user raiso:nnablement et de bonne foi.» (C.I.J. Recueil 1952,
p. 212.)

82. Si toutes les pa.rties ont l'obligation de ne pas priver un traité de
son objet et de son but avant son entréeen vigueur (article 18 de la con-
vention de Vienne sur le droit des traités),les parties ont également a for-
tiori l'obligation de ne pas priver le traitéde ses objets et de ses buts une
fois qu'il est en vigueur. En fait, le projet initial de la Commission du
droitinternational qui est devenu l'article 18 de la convention de Vienne

contenait une disposition, ultérieurement écartéecomme superflue, selon
laquelle les parties à Lintraité en vigueur devaient s'abstenir de tout acte
susceptible d'entraver l'application du traité 4.
83. En dernière analyse, l'exécution de bonne foi est essentielle
l'égarddes ccconsi~Ierations»o , u contreparties que s'accordent mutuelle-

ment les parties à un traité, pour utiliser un terme de cotnmon 1ui.tr.elatif
au droit des contrats. La «bonne foi» implique que toutes les parties à un
traité respectent la totalité de leurs obligations et s'en acquittent pleine-
ment. Elles ne sauraient choisir a leur gré les obligations qui leur con-
viennent et celles qu'elles refusent d'exécuter ou entendent écarter ou

ignorer. Les traités peuvent contenir, comme tous accords, des obliga-

' T. O. Elias, The Mou'ernLuii. q/'Treutic,s,1974.p. 41.
Nations Unies, Ret,uc.ildes .sentencesrrrhitrulesXI,lp. 188

' Comme dans : 1)Trciiternenidesnutiorlupolonriiet desuutrespersonnesd'origine
ou de lungu<p~olonui.sedtrns le territoire de Btrntzig, rrvisconsultut~J;1932. C.P.J.I.
séric, /B no64. p. 19-20.Ccoles inorituiresen Alhuniavixcon.suliur;935, C.P.J.I.
Annuuirr dc lu Commi.ssiondu droit internutionul, 1952,vol. II, p. 7.less, al1the obligations, whether executory or not, must be performed.
Hence Elias remarked further :

"Accordingly, performance in good faith means not only mere
abstention from acts likely to prevent the due performance of the
treaty, but also presupposes a fair balance between reciprocal obli-
gations." '
84. In order to sustain the necessary compromissory equilibrium, or
what Elias called "fair balance", in this case, each of the Parties must be

seen to carry out al1its part of the obligations. Libya cannot pick and
choose which obligations it would perform, neither can France. The fun-
damental considerations in this ~reat~ of 1955,the quidpro quo, are the
issue of France's evacuation from Fezzan and the issue of Libya accept-
ing that Article 3, with Annex 1,of the 1955Treaty had recognized and
established the Libyan southern boundary with Chad. This is the funda-
mental basis of the package deal, as joint and indivisible obligations
opposable to both parties. Rosenne, in one of his articles2 remarked on
good faith thus:

"It is acardinalprinciple of interpretation that a treaty should be
interpreted in goodfuith and not lead to a result that would be mani-
frstly absurd or unreasonahle. The interpretation by the Secretary-
General and by the Security Council of the provisions of the Statute
on the filling of casual vacancies in this case may be held up as an
illustration of an interpretation meeting this condition." (Emphasis
added.)

85. A second look at the 1955Treaty plainly indicates many obliga-
tions on the part of France to be performed which are al1quite beneficial
to Libya and which werein fact performed. Some of these obligations are
contained in the Convention on Economic Co-operation and also
Annex V to the Treaty. In Annex VIII, for example, France transferred
to Libya:

"1. Those buildings, which wereformerly Italian, together with the
buildings erected by the French forces (with the exception of the
group of buildings marked 'G' on the attached plan) shall be trans-
jeférr6.o thefull o~i,ner.rlzpf'the Libyun uutJzoriticic."Mernorial of
Libya, Vol. 2, Exhibit 28, p. 15.)

86. This content of Annex VI11 was replied to by Mustapha Ben
Halim on the same date - 10 August 1955,confirming "that the Gov-
ernment of Libya is in agreement with these proposals" (ihid.).This

Op. cir.,p. 43.
"The Election of Five Members of the International Court of Justice in 1981".
76 ArnericuizJourtiul~f'lnteniurionulLuiv, 1982,365-366.tions ((avantageuses.))ou ((préjudiciables))pour une ou plusieurs parties,
mais toutes les obligations, qu'elles soient ou non exécutoires,doivent
êtrerespectées. C'estainsi qu'Elias remarque par ailleurs:
((L'exécutionde bonne foi ne revient donc pas seulement à s'abs-

tenir d'actes susceptibles d'empêcherd'appliquer dûment le traité,
mais suppose aussi un équilibreéquitable entre des obligations réci-
proques. ))'
84. En vue de maintenir l'équilibre nécessaire entre engagements réci-
proques, ce qu'Elias appelle ((équilibreéquitable)),les Parties doivent être

considérées,dans la présente affaire, comme tenues de s'acquitter de
toutes lesobligations qui leur reviennent. La Libye, pas plusque la France,
ne saurait choisirA son grélesobligations dont elleaccepte de s'acquitter.
Les contreparties fondamentales du traitéde 1955sont, d'une part, le re-
trait par la Francedi1Fezzan et, d'autre part, l'acceptation par la Libye de
ce que l'articleet l'annexe 1du traité de1955ont constaté etfixéla fron-
tière méridionalede la Libye avec le Tchad. Ces obligations conjointes
et indivisibles,opposables aux deux parties, constituent l'assisefondamen-
tale de l'ensemble dl: l'accord. Rosenne, dans un de ses articles', a fait

sur la bonne foi les observations suivantes:
((Selon un princ@e essenti~lld'interprétation, un traité doit être
interprétéde bonnefoi et ne pas aboutir à un résultatmanifestement
absurde.ou dérai.vonnuhleL .'interprétation par le Secrétairegénéralet

par le Conseil de sécuritédes dispositions du Statut concernant la
manière de pouirvoir un siègedevenu vacant peut êtreconsidérée
comme répondant à cette condition.)) (Les italiques sont de moi.)

85. Un nouvel examen du traité de 1955 fait nettement ressortir de

nombreuses obligations de la part de la France qui étaient tout à fait
avantageuses pour la.Libye et qui ont été en fait exécutéesC. ertaines de
ces obligations découlent de la convention de coopération économique
ainsi que de l'annexe V du traité. Conformément A I'annexeVIII,d'autre
part, la France a accepté cequi suit:

1. Les bâtiments ex-italiens, ainsi que les bâtiments construits
par lesforces françaisesë l'exceptiondu groupede bâtiments marqué
(G )sur le plan ci-joint, seront remisenpleinepropriété aux autorités
libyennes.» (Mérnoirede la Libye, vol. 2, pièce28, p. 15.)

86. Mustapha Ben.Halim a, A cette mêmedate - le 10août 1955 -
réagiaux termes de ]"annexeVI11en confirmant ((l'accord du Gouverne-
ment libyen sur ces propositions)) (ibid.). 11s'agit là d'un exemple patent

' Op.ci/.p..43.
((TheElection of Filie Members of the International Court of Justice in 1981»,
Arnericc~Journc~qf InierntrtionulLubc,vol. 76. 1982,p. 365-366.74 TERRITORIAL DISPUTE (SEP.OP. AJIBOLA)

is a clear example where a part of the obligation and benefit contained in
the Treaty had been executed. One wonders why any other obligation
contained in the same Treaty should be treated differently. McNair
describes good faith as follows:

"The performance of treaties is subject to an mer-riding obligation
of mutual goodfaith. This obligation is also operative in the sphere of
the interpretation of treaties, and itwould be a breach of this obli-
gation for a party to make use ofan umbiguity in order to put for-
ward an interpretation which it was known to the negotiators of the
treaty not to be the intention of the parties." '(Emphasis added.)

87. This, perhaps, summarizes the situation in this case, where nega-
tive interpretation is now being placed on a part of an Article (Article 3
with its Annex 1) by Libya in this matter, while some aspects of it are
considered operative and effective. To interpret this Treaty, therefore, in
good faith one must treat al1aspects of it and particularly Article 3, with
its Annex 1, as equally valid, and as equally binding.

(iv) Travau'cPréparatoires

88. In the interpretation of treaties, preparatory work and the circum-
stancesof their conclusion are considered as secondary or supplementary
means, either for confirming the primary meaning or for determining the
same when other means of interpretation lead to results which are either
obscure, or ambiguous, manifestly absurd or unreasonable. This is stated
in Article 32 of the Vienna Convention. For actually determining the
meaning, 1 doubt that there is any need at al1to resort to the truvau.u,
firstly because the primary means of interpretation do not leave any resi-
due of ambiguity or absurdity, and secondly because the voluminous
items of correspondence, maps, negotiation documents, reports and par-
liamentary debates presented to us as forming part of the travaux pré-
purutoires are themselves frequently subject to conflicting interpretations.

(v) The Subsryuent Arts of the Purties

89. In rounding off my opinion on the interpretation of the
1955Treaty, 1must consider whether the situation or the acts of the Par-
ties after the Treaty had come into effect have any relevance. The need
for this transpires from paragraph 3 of Article 31 of the Vienna Conven-
tion on the Law of Treaties of 1969 which states as follows:
"There shall be taken into account, together with the context:

' The Laiv of Treaties, 1961,p. 465 DIFFEREND TERRITORIAL (OP. IND. AJIBOLA) 74

où une obligation d'une partie constituant uiiavantage pour l'autre par-
tie au traité a étéexécutée,et l'on peut se demander pourquoi il y aurait
lieu de considérer différemment toute autre obligation du mêmetraité.
McNair présente la bonne foi en ces termes:

((L'exécutiondes traités est assujettie à une obligationpremièrede
bonne Juimutuelle. Cette obligation est également applicable en
matière d'interprétation des traités, et une partie irait à l'encontre de
cette obligation si elle utilisait une ambiguïtéyuelconque pour faire
valoir une interprétation ne correspondant pas, conformément aux

négociations relatives au traité,iil'intention des parties.» '(Les ita-
liques sont de moi.)
87. Cela résume peut-être la situation dans la présente affaire, dans

laquelle la Libye refuse de donner effet à une partie du traité(article 3 et
son annexe 1),tout einconsidérant valables et exécutoires certains autres
aspects-de cet acte. Pour interpréter ce traité de bonne foi, on doit dès
lors considérer toutes ses dispositions, et notamment l'article 3 et son
annexe 1,comme également valableset comme égalementcontraignantes.

iv) Truvauxpréparatoires

88. En matière d'iriterprétation des traités,les travaux préparatoires et

les circonstances dans lesquelles ces traités ont étéconclus sont réputés
avoir un caractère secondaire ou complémentaire, soit pour confirmer le
sens premier soit pour déterminer ce sens lorsque d'autres moyens d'in-
terprétation laissentII:sens obscur ou ambigu ou conduisent à des résul-
tats manifestement absurdes ou déraisonnables. C'est ce que prévoit l'ar-
ticle 32 de la convention de Vienne. Pour déterminer le sens du traité
considéré,je doute cependant qu'il faille se reporter aux travaux prépa-
ratoires, tout d'abord parce que la règle généraled'interprétation ne

laisse placeiiaucune ambiguïtéou absurdité, et en second lieu parce que
le volume de lettres, de cartes, de documents de négociations, de rapports
et de comptes rendus parlementaires qui nous ont été soumisau titre des
travaux préparatoires font eux-mêmes souvent l'objet d'interprétations
divergentes.

v) Actes ultérieursdes Purties

89. En terminant cette partie demon opinion relative à l'interprétation
du traité de 1955, ilme faut examiner les incidences éventuelles de la
situation ou des actes des Parties après l'entréeen vigueur du traité.Cela
découledu paragraphe 3 de l'article 31 de la convention de Vienne sur le
droit des traités de 1969, selon lequel:

«II sera tenu c'ompte, en même tempsque du contexte:

' The Luiv of Treuties, 1961,p. 465.75 TERRITORIAL DISPUTE (SEP.OP. AJIBOLA)

(a) any subsequent agreement between the parties regarding the
interpretation of the treaty or the application of its provisions;
(h) any subsequent practice in the application of the treaty which
establishes the agreement of the parties regarding its interpre-
tation."

90. Some international instruments were mentioned by the Parties, but
given different interpretations. The Agreement of 26 December 1956
took the form of an exchange of letters concerning delimitation of the
Franco-Libyan frontier with regard to the boundary between Algeriaand
Libya. It amounted to a modification or rectification of the boundary line
established on 12September 1919between Italy and France. This bound-
ary negotiation and the subsequent Accord has nothing to do with the

frontier in issue in this case.
91. The linkage of this Agreement with the 1955Treaty is that the line
of September 1919, which is mentioned in the said letter of 26 Decem-
ber 1956 addressed to the Minister for Foreign Affairs of Libya,
Mr. Ali Sahli by Mr. Jacques Dumarçay, and positively replied to on
the same date, is one of the six frontier lines mentioned in Annex 1to
Article 3. This also is the frontier line agreed to by both parties as estab-
lishing a boundary between Libya and Algeria. If there is any conclusion
to be deduced from this Agreement at all, it may be considered as still
somehow supportive of the effective validity of the 1955Treaty, other-
wise this is an Agreement that is clearly separate from the boundary in
dispute. This fact is confirmed by Libya in its Memorial thus:

"The 1956 Agreement concerned the Algerian-Libyan frontier
between Ghadamès and Ghat. It is relevant to the territorial dispute
between Libya and Chad because it has an important bearing on the
1955Treaty, just as does the provision of Annex 1 .. .of the Libyan
frontier further south, between Ghat and Toummo. Since neither
frontier sector concerned the present frontier area between Libya
and Chad, the rectifications of these sectors of the Libyan boundary
are not part of the territorial dispute between Libya and Chad."
(Memorial of Libya, Vol. 1, p. 393, para. 5.485.)

92. The next international instrument to be considered is the
1966 Accord. It is the Treaty of Good Neighbourliness and Friendship
between the Republic of Chad and the United Kingdom of Libya. It is
significant to note that the Parties entered into this Accord when both of
them had secured their independence, Libya on 24 December 1951and
Chad on 11August 1960.It is equally important to note that before and
afterChad's independence and even until the signirigof this 1966Accord,
Libya had never challenged nor protested the boundary line established

in the 1955Treaty, neither did it claim that no boundary had been estab-
lished. On the contrary, there are al1the indications in the 1966Accord
that lend credence to the idea that Libya knew and accepted that the DIFFÉIRENDTERKITORIAL(OP. IND. AJIBOLA) 75

a) de tout accord ultérieur intervenu entre les parties au sujet de
l'interprétation du traitéou de l'application de ses dispositions;
b) de toute pratique ultérieurement suivie dans l'application du
traité parlacluelleest établiI'accord desparties Al'égardde I'in-
terprétation du traité))

90. Les Parties ont mentionnéplusieurs actes internationaux, auxquels
elles ont cependant donné des interprétations différentes. L'accord du
26 décembre 1956a revêtu laforme d'un échangede lettres relatif à la
délimitation de la frontière franco-libyenne quant à la frontière entre
l'Algérie et la Libye.i1emportait modification ou rectification de la ligne
frontière établiele 12 septembre 1919 entre l'Italie et la France. Cette
négociation frontalièreet l'accord ultérieur n'ont cependant rien à voir

avec la frontière encause dans la présente affaire.
91. Le lienentre cet accord et le traitéde 1955tienà ce que la lignede
septembre 1919,mentionnéedans la lettre du 26 décembre1956adressée
au ministre libyen de:saffaires étrangères,M. Ali Sahli, par M. Jacques
Dumarçay, et A laquirlle il a étérépondu de manière positive ce même
jour, est l'une des six lignes frontières mentionnéesAl'annexe 1 de I'ar-
ticle 3. C'est aussi la ligne frontière convenue par les deux parties en tant
que frontière entre la Libye et ['Algérie.S'il faut tirer quelque conclu-
sions de cet accord, on peut considérer qu'il confirme dans une cer-
taine mesure la validi1.du traitéde 1955;autrement, cet accord ne porte
aucunement sur la frontière contestée. C'estce que confirme la Libye
dans son mémoirede la manière suivante:

((L'accord de 1956 portait sur la frontière algéro-libyenneentre
Ghadamès et Ghat. Il intéressele différendterritorial entre la Libye
et le Tchad parce qu'il a une incidence importante sur le traité
de 1955,ce qui est le cas aussi de l'annexe1...qui portait sur le sec-
teur de la frontière libyennesituéplus au sud,entre Ghat et Toummo.
Comme ni l'un ni1l'autre de ces secteurs ne coïncident avec la région

frontalière actuelle entre la Libye et le Tchad, les rectifications
apportées au tracéde la frontière dans ces deux secteurs n'entrent
pas dans le cadre du différend territorial entre les deux pays.))
(Mémoirede la Libye, vol. 1, p. 393, par. 5.485.)

92. Le deuxièmeacte international riprendre en considération est l'ac-
cord de 1966. Il s'agit de l'accord de bon voisinage et d'amitiéentre la
Républiquedu Tchad et le Royaume-Uni de Libye. Il est important de
noter que les Parties ,ont conclu cet accord lorsque toutes deux avaient
déjiaccédé à l'indépendance, laLibye le 24 décembre1951et le Tchad le
11août 1960.Il importe égalementde noter qu'avant et aprèsI'indépen-
dance du Tchad, et mêmejusqu'à la signature de cet accord de 1966,la
Libye n'ajamais contt:stéla ligne frontière établiepar le traitéde 1955ni
émisaucune protestation à cet égard,pas plus qu'elle n'aprétendu qu'au-
cune frontière n'avait été établieT . out indique au contraire, dans cet
accord de 1966,que la Libye savait et acceptait que la frontièreentre ellefrontier between it and Chad had already been established. For example,
in the 1966 Accord the word "frontier" was mentioned seven limes.
Reading through the Agreement as ratified, one finds an unequivocal
indication within the content of the Accord that both Parties were aware
of the establishment of their common frontier and that they intended to
keep to it where it had already been delimited. Articles 1 and 2 of the
Accord throw sufficient light on this fact.

"Article1
The Government of the Kingdom of Libya and the Government
of the Republic of Chad undertake to take al1necessary measures to
ensure the maintenanceof orderundsecurityalong thefronrierbetween
their two countries through contact and CO-operationbetween their

respective security authorities,such measures not to affect the right
of asylum as recognized in international practice.

Article 2

The Government of the Kingdom of Libya and the Government
of the Republic of Chad undertake to facilitate the movement of
people living onhoth sides of thefrontier between the two countries
within the geographical area bounded by the following points .. ."
(Memorial of Libya, Vol. 2, Exhibit 32, p. 2; emphasis added.)
93. Then this Article goes on to state specified places within the terri-
tory of Libya as Koufra, Gatroun, Mourzouq, Oubari and Ghat and
others within Chadian territory as Zouar, Largeau and Fada. Whatever
may be the argument on the interpretation of the 1955Treaty, it seemsto
me very clear from this Article that both Parties are perfectly aware of

the location and establishment of their common boundary. Otherwise, if
there is no frontier or such frontier is unknown, it is apparently incon-
ceivable that both Parties would mention in the 1966Treaty, the issue of
"maintenance of order and security" or undertaking "to facilitate the
movement of people living on both sides of the frontiers between the two
countries". Even though Libya tried to explain this fact in its Memorial,
it admitted in paragraph 5.541 on page 416 thereof that "in dealing with
these questions, the 1966Accord supports and confirms the 1955Treaty
without any doubt".
94. The last of the international acts is the notification of Chad to the
Court dated 3 September 1990.Here the argument of Libya is that since
Chad had included in it two other agreements, viz., the Protocol of
10January 1924and the Declaration of 2 1January 1924,which werenot
included in Annex 1 to Article 3 of the 1955Treaty, the listing of such
international acts is not exclusive, and no boundary could possibly have
been established. This argument of Libya is contained in its Memorial at
paragraph 5.475.This, to me, is not an impressiveargument at all. What-
ever Chad may attempt to add in a separate context to the list featuredet le Tchad avait déjiiété établieC . 'est ainsique, dans I'accord de 1966,
le mot «frontière» est mentionné sept fois. La lecture du texte de cet
accord, tel qu'il a étr5ratifié,fait ressortir sans équivoque que, en subs-
tance, lesdeux Partieistenaient compte de l'établissementde leur frontière
commune et qu'ellesentendaient maintenir cette frontière la où elle avait

déjà étéfixée. Lesarticle 1 et 2 de I'accord éclairent suffisamment ce
point :

Sur lafionfièreséparantle territoire du Royaume-Uni de Libye de
celui de la Républiquedu Tchad, les Gouvernements libyen et tcha-
dien prendront toutes mesures en vue d'assurer le maintien de lbrdre
et delasécurité par une liaison et une coopération de leurs servicesde
sécurité.
II est bien entendu que les dispositions ci-dessous ne sauraient
porter atteinteaii droit d'asile tel qu'il est exercéconformémentaux
usages internationaux.

Article2
Le Gouvernement libyen et le Gouvernement tchadien s'engagent
a accorder des facilitésde circulation aux populations installGesde
part et d'uutre della frontière àl'intérieurdes zones géographiques
délimitéespar les points ci-dessous ..» (Mémoirede la Libye, vol. 2,
pièce no 32; les italiques sont de moi.)

93. L'article 2 énurnère ensuiteles localités biendéfiniessituéesen ter-
ritoire libyen (Koufra, Gatroun, Mourzouq, Oubari et Ghat), et celles
situéesen territoire tchadien (Zouar, Largeau et Fada). Quelle que soit
l'interprétation qu'on veuille donner du traitéde 1955, il me paraît très
clairement ressortir de cet article que les deux Parties savent parfaitement
que leur frontière commune a été établie eo tù elle passe. Autrement, s'il
n'y a pas de frontière ou si nul ne sait où elle passe,il est apparemment
inexplicable que les Parties aient, dans le traitéde 1966,parlé((d'assurer
le maintien de l'ordre et de la sécurité))etse soient engagées à faciliter la

circulation des (<populationsinstalléesde part et d'autre de la frontière)).
Bien que la Libye essaiede nier cette réalitédans son mémoire,elleadmet
au paragraphe 5.541, ;ila page 416 du volume 1de ce document, que, «à
proposde cesquestioris, I'accord de 1966renforce et confirme sans aucun
doute le traitéde 1955)).
94. Ledernier des actes internationaux est la notification adressée à la
Cour par le Tchad le 3 septembre 1990.Selon la Libye, étant donné que
le Tchad y a citédeux autres accords, à savoir le protocole du 10jan-
vier 1924et la déclaration du 21 janvier 1924, qui ne figurent pas dans
l'annexe 1à l'article 3du traitéde 1955,la liste des actes internationaux
donnée à cette annexe 1 n'est pas exhaustive, et aucune délimitation n'a
pu êtreétablie. La Libye énoncecet argument au paragraphe 5.475 du
volume 1 de son mémoire.A mes yeux, il n'est cependant aucunement
convaincant. Quels que soient les actes que le Tchad tente d'ajouter, dansin Annex 1,cannot ex hypothesi form part of that Annex as attached
to Article 3. It is not necessary to read into Annex 1or for that matter
Article 3, what is not contained therein. The Article as it stands, with
the six international instruments, sufficiently established the necessary
boundaries as intended by both parties. It is, therefore, not difficult for
me to conclude on this point that, notwithstanding contrary arguments,

the subsequent acts of the Parties support and confirm the frontiers as
indicated in Article3, with its Annex 1, of the 1955Treaty.

95. 1 have now in support of the decision of the Court, concluded
what 1may cal1my intrinsic interpretation ofthe 1955Treaty, and in par-
ticular the provision of Article 3, with Annex 1 thereof, and my view is
that the Treaty has inter alia established the frontier between Libya and
Chad. What 1now wish to examine are other means of verification of my
conclusion, and this 1have decided to cal1extrinsic interpretation. Before
1conclude this separate opinion, I therefore wish to examine the role that
the principles like acquiescence, estoppel, recognition and uti possideti.~
juris could possibly play in this matter. The analogous concept of preclu-
sion or foreclusion may also be touched upon.

VI. ESTOPPEL A,CQUIESCENCE, PRECLUSIO AND RECOGNITION

96. Estoppel in international law is a developing principle that it may
be difficult toclassify at this moment, either as forming part of custom-
ary international law oras belonging to the general principles of interna-
tional law. It has its historic root, perhaps not only in the common law
but also in civil law systems, which also include among their concepts
"preclusion" or "foreclusion". Hence, in international arbitral or judicial

tribunals estoppel and preclusion have tended to be referred to inter-
changeably or indiscriminately. In many instances they are bound up
with the doctrine of acquiescence, which isat times described as absence
of protest. MacGibbon, who considers acquiescericeas an estoppel, said :

"The growing frequency with which use is made of arguments
based upon the principle of estoppel affords avaluable indication of
the extent to which the doctrine of acquiescence itself constitutes a
precept for equitable conduct in which considerations of good faith
are predominant." '
97. Judge Sir Hersch Lauterpacht also expressed the viewthat absence

'"The Scope of Acquiescence in International Law", British Yrur Book of Inter-
nutional LUIL,Vol. XXXI, 1954,p. 147.

75 DIFFÉREND TERRITORIAL (OP. IND.AJIBOLA) 77

un contexte distinct, a la liste figuranà l'annexe 1,ceux-ci ne sauraient
par hypothèse faire partie de cette annexe telle qu'elle aétjointe à l'ar-
ticle3. Il n'est pas nécessairede rechercher a l'annexe 1, ni d'ailleursà
l'article 3, ce qui ne s'y trouve pas. Le libelléde cet article 3, avec les six
actes internationaux auxquels il se réfère,établit suffisamment les fron-
tières nécessairestelles qu'elles ont été vouluespar les deux Parties.l ne
m'est donc pas difficile de conclure sur ce point que, nonobstant tout
argument contraire, les actes ultérieurs des Parties corroborent et confir-

ment les frontières indiquées a l'article 3 du traitéde 1955,rapprochéde
son annexe 1.
95. J'ai maintenant achevé,a l'appui de la décisionde la Cour, ce que
je pourrais appeler mon interprétation intrinsèquedu traitéde 1955,eten
particulier de l'articleet de son annexe 1,et je suis d'avis que le traitéa,
entre autres, établi la frontière entre la Libye et le Tchad. Je voudrais
maintenant examiner d'autres moyens de vérificationde cette conclusion,
relevant de ce que j'appellerai une interprétation extrinsèque. Avant de
conclure la présenteolpinionindividuelle,je souhaiterais donc examiner le
rôle que des principes comme l'acquiescement, I'estoppel, lareconnais-
sance, ainsi que lerincipe de I'utipo.~sidetijsuris, pourraient jouer en l'es-
pèce.On peut égalementexaminer a cet égardle concept analogue de la

forclusion.

VI. ESTOPPEL A,CQUIESCEME NOR,LUSION ET RECONNAISSANCE

96. En droit intern.ationa1, l'estoppelest un principe en voie d'évolu-
tion qu'il peut êtredifficilede classer pour le moment, soit dans le cadre
du droit international coutumier, soit dans celui des principes généraux

du droit international.L'estoppela des racines historiques, non seulement
peut-êtredans la comrnon law mais aussi dans les systèmesjuridiques de
tradition romaine, qui retiennent aussi le concept de «forclusion». On
vise ainsi indifféremmentI'estoppelet la forclusion au sein des tribunaux
arbitraux ou judiciaires. Dans de nombreux cas, ces concepts sont liés à
la doctrine de l'acquiescement, parfois décrite comme une absence de
protestation. MacGibbon, qui considère l'acquiescement comme une
forme d'estoppcl,dit ainsi que:

((La fréquence croissante avec laquelle il est fait recours à des
arguments fondéssur le principe de I'esioppelindique utilement la
mesure dans laquelle la doctrine de l'acquiescement constitue elle-
mêmeune règlede conduite équitable, dans laquelle les considéra-
tions de bonne fo.iprédominent. »'

97. Sir Hersch Lauterpacht a aussi estiméque l'absence de protesta-

' «The Scope of Acquie:scencein International Law)), British YmirBook qf'lntcr-
nutionul Lait,, XXXI, 1954,p. 147.

75of protest may in itself become a sourceof legal right in relation to estop-
pel or prescription '.
98. In other words, acquiescence amounts to tacit or implied consent,
which may constitute an admission or recognition. This 1 believe to be
apposite to the present case. As an acquiescent State, Libya is precluded
from denying or challenging the validity of the boundary established by
the 1955Treaty. What then, precisely, is estoppel in international law?
McNair expressed the principle in a simple way thus:

"It is reasonable to expect that any legal system should possess a
rule designed to prevent a person who makes or concurs in a state-
ment upon which another person in privity with him relies to the
extent of changing his position, from later asserting a different state
of affairs.Allrgans contraria non est audiendus, or in the vernacular:

'You cannot blow hot and cold.'" "
Elias expressed a similar view thus:

"Equally, a state must be precluded from subsequently invoking
any ground of which hehad become aware but in which it has acqui-
esced. This would amount to what in certain legal systems is called
estoppel by conduct."

99. In short, estoppel entails reliability, good faith, finality, stability
and consistency. As Judge Anzilotti once remarked, the silence main-
tained by a State may mean consent after a situation has been notified or
become generally known 4.Verykios confirmed the statement of Anzilotti
when he also remarked that it is generally admitted that long silence
maintained without reason is equivalent to consent 5.

100. Recognition is also considered as an aspect of estoppel. It has
generally been admitted that every act of recognition creates an estop-
pe1 6.There are also provisions in the Vienna Convention on the Law of
Treaties of 1969which give sufficientindication as to thejustification and
legitimacy of these principles. For example, Article 45 deals with the loss
of right to invoke a ground for invalidating, terminating, withdrawing
from or suspending the operation of a treaty.
101. Article 45 States that such a right may be lost if by reason of the
conduct of a State it can be considered that it has acquiesced in the valid-
ity of the treaty or in its maintenance in force or in operation as the case
may be.

'British Yeur BookofInternational Luii, Vol. XXVII, 1950,pp. 395-396.
TlzeLaiz of Treuties, 1961,Chap. XXIX, p. 485.
The Modern Laii qf Treuties, 1974, p. 141.
Coursde droit internutionul, 1929,p. 344.
La pre.~criptionet droit internationul,1934.p. 26.
lccted Coursesof the Huguc Academj of Internutionul Law, 1955,Vol. 87, p. 253. DIFFE:REND TERRITORIAL (OP. IND. AJIBOLA) 78

tion pouvait elle-mêmedevenir juridiquement source de droit dans le
cadre de l'estoppelou de la prescription '.
98. Autrement dit., l'acquiescement revient à un consentement tacite
ou implicite qui peut valoir acceptation ou reconnaissance. Tel est le cas,
je pense, dans la présente affaire. En tant qu'Etat ayant acquiescé,la
Libye ne saurait nier ou contester la validitéde la frontière établiepar le
traitéde 1955.Qu'est-ce alors, précisément,que I'e.vioppee 1n droit inter-

national? McNair a expriméle principe simplement de la manière sui-
vante :
«Il est raisoninable de s'attendre a ce que tout systèmejuridique

dispose d'une règledestinée à empêcherune personne faisant, seule
ou avec d'autres, une déclarationsur laquelle une autre personne se
fonde pour modifier sa position, de revenir ultérieurementsur cette
déclaration. Alleguns contruriu non est audiendus ou, en d'autres
termes: «On ne peut souffler le chaud et le froid.))

Elias a estiméde mêineque:
«II y a tout aussi bien lieu d'empêcherun Etat d'invoquer ulté-

rieurement un fait dont il a pris conscience mais auquel il avait
acquiescé.Cela revient a ce que l'on appelle, dans certains systèmes
juridiques, estopl~eldu fait du comportement.))

99. Bref, I'estoppel estliéii la fiabilité,la bonne foi, le caractère défi-
nitif d'un acte, lastal-~iliet la cohérence.Comme Anzilotti l'a fait obser-
ver, le silenced'un Etat après la notification d'un fait ou aprèsque ce fait
est devenu de notoriétégénérale peut valoirconsentement4. Verykios
confirme cette opiniamnd'Anzilotti lorsqu'il remarque qu'il est générale-
ment admis qu'un long silencemaintenu sans raison vaut consentement 5.
100. La reconnaissance est également considéréecomme une forme
d'estoppel. On admet généralementque tout acte de reconnaissance est
source d'estuppelh.Certaines dispositions de la convention de Vienne sur
le droit des traitésde 1969sont aussi des indices suffisants de la justifi-

cation et du bien-fondéde ces principes. Ainsi. l'article45 visela perte du
droit d'invoquer une cause de nullitéd'un traitéou un motif d'y mettre
fin, de s'en retirer ou d'en suspendre l'application.
101. Selon cet article 45, un Etat peut perdre ce droit si, en raison de sa
conduite, il doit êtreconsidéré comme ayant acquiescé, selonle cas, a la
validitédu traitéou 21son maintien en vigueur ou en application.

'British Yeur Book of lnternutional Law, vol. XXVII, 1950, p. 395-396.
Vhe Lail q/'Treuties, 1961,chap. XXIX, p. 485.
The Modern LUI. qf 'ïreaties, 1974,p. 141.
Coursde droit internutional, 1929, p. 344.
Lu prescriptior~et le droit internutionul, 1934. p. 26.
des (,oursrie1'~lcutiémidee droit internutionalde La Huy, 1955,t. 87, p. 253.eil 102. We may now ask what has been the attitude of both the Court
and the Permanent Court of International Justice regarding these prin-
ciples. One can say that there are about six such cases, mostly involving
territorial claims and one dealing with the procedural question of juris-
diction. 1shall now deal with some of these cases highlighting important

aspects of them with regard to estoppel, acquiescence,recognition, etc.

(i)Legul Stutus of Eastern Greenlund'

103. In 1933, the Permanent Court of International Justice had to
decide on the issue of the Danish claim of sovereignty over Greenland.

The Court held that Norway could not object to the Danish claim
because the Norwegian officialhad previously made a statement which is
not consistent with such claim. The pronouncement of the Court was
clear :

"The Court considers it beyond al1 dispute that a reply of this
nature given by the Minister of Foreign Affairs on behalf of his
Government in response to a request by the diplomatic representa-
tive of a foreign power, in regard to a question falling within his
province, isbinding upon thecountry to which the Minister belongs."

(P.C. I.J.,Series A/B, No. 53, p. 71 .)
104. The Court in its Judgment made it clear that even though the

undertaking given by Mr. Ihlen may not constitute a definitive recogni-
tion of Danish sovereignty, but at least it did constitute an engagement
obliging Norway to refrain from occupying any part of Greenland which
in effect is tantamount to estoppel.

(ii)Fisheries case f United Kingdom v. Norviay)

105. It is in this case that the Court first pronounced on international
estoppel without actually saying so in 1951.Norway effected the delimi-
tation of its coastline along the North Sea which was objected to by the
United Kingdom, hence the filing of the Application by the latter. The
Court observed that Norway had consistently, for a period of over
60 years, been exercising such a right of delimitation without any protest
or the same being contested by the United Kingdom, who must have had

'Legd Stutus cf Eustcrn Greenlund.Judgment. 1933. P.C.I.J., Series A/B. No. 53,
p. 22.
1.C.J. Reports 1951,p. 116.See also (1)Arhitrul Awurd Made by the King of Spuin
on 23 Decemher 1906 (Hondurus v. Nicciruguu). I.C.J. Reports 1960, p. 192;
(2) Nueleur Tests i Austruliu v. Frunce), 1.C'J.. Reports 1974, p. 253; (3) Drli~nirufion
uf'the Muritim~l Boundury in the Gulf of'Maine Areu (CunuduIUnited Stutes of
A~noricu).1.C.J. Reports 1984, p246. DIFFÉREND TERRITORIAL (OP. IND. AJIBOLA) 79

102. Nous pouvclns maintenant nous demander quelle a étél'attitude
tant de la Cour que de la Cour permanente de Justice internationale sur

ces principes. On peut dire qu'il y a àcet égardsix affaires, concernant le
plus souvent des revendications territoriales, et une ayant trait à la ques-
tion de la compéterice.J'examinerai certaines de ces affaires en faisant
ressortir les aspects importants qu'ellesprésententau regard de I'esroppel,
l'acquiescement, la i:econnaissance, etc.

i) Statut juridique duGrotïllund oriental '

103. En 1933, la Cour permanente de Justice internationale a dû se
prononcer sur la question de la revendication de souverainetédu Dane-
mark sur le Groenla~nd.Elle a estiméque la Norvègene pouvait s'oppo-
ser à la revendication du Danemark étant donnéqu'un représentantde la
Norvège avait auparavant fait une déclarationqui n'étaitpas compatible
avec cette position. La Cour permanente a clairement conclu:

«La Cour considère comme incontestable qu'une telle réponsea
une démarchedu représentant diplomatique d'une Puissance étran-
gère,faite par le ministre des affaires étrangèresau nom du gouver-
nement, dans uineaffaire qui est de son ressort, lie lepays dont il est

le ministre.» (C:P. 1J. série A/B no53, p. 71 .)

104. Dans son arrêt,la Cour permanente a préciséque, mêmesi la
déclaration de M. lhlen pouvait ne pas constituer une reconnaissance
définitivede la souveraineté danoise, elle constituait au moins un enga-
gement, en vertu duquel la Norvègesetrouvait dans l'obligation de s'abs-
tenir d'occuper une partie du Groenland, ce qui revenait à appliquer le
principe de l'estoppcl.

ii) Affaire des Pêcheries(Royuume-Uni c.Norvége)

105. C'est dans cette affaire, en 1951. que la Cour s'est prononcée
pour la première fois en matière d'estoppel international sans le dire
expressément. Le Royaume-Uni contestait la délimitation de la ligne
côtière effectuéepar la Norvège dans la mer du Nord et avait saisi la
Cour a ce sujet. La Cour a observéque la Norvège avait constamment,
au cours d'une périodede plus de soixante ans, exercéun tel droit de déli-
mitation au su du R.oyaume-Uni sans que celui-ci eût émisde protesta-

' Stufut juridique duGroënlund orientul, urrgt, 1933, C.P.I.J. .sno53, p. 22.

' C.I.J. Recueil 1951, p. 116. Voir égalern:n1) affaire de la Sentence urhitrulc.
rendue pur le roi d'E.spugne1023 déc,emhre1906 (Honduras c. Nicurugua), C.I.J.
Rec~eil 1960, p. 192;21)affaire des Essuis nuclériires(Au.strulie c. Frunce). C.I.J.
Recuril 1974, p. 253: et 3) affaire de la Dc;liniitutionde lufionfitire murilittir dans la
régiondugolf<.du Muine (Canrrdu/Et~its-t1~'An~GriqireJC,.1.J. Recueil 1984,p. 246.80 TERRITORIAL DISPUTE (SEP.OP.AJIBOLA)

notice of thesame. The Court held that the United Kingdom's silencefor
such a long period amounted to acquiescence hence Judgment was given
in favour of Norway. The Court held:
"The Court notes that in respect of a situation which could only
be strengthened with the passage of time, the United Kingdom Gov-
ernment refrained from formulating reservations.

The notoriety of the facts, the general toleration of the interna-
tional community, Great Britain's position in the North Sea, her
own interest in the question, and her prolonged abstention would in
any case warrant Norway's enforcement of her system against the
United Kingdom." (1.C.J. Reports 1951, p. 139.)

(iii) Case concerning the Temple of Preah Vihear
(Catnboclia v.Thailunrl) '

106. In 1962, the Court also had the opportunity to pronounce on
international principles of estoppel in this case between Cambodia and
Thailand with regard to their boundary dispute. As a result of the Agree-
ment entered into in 1904between the then French Indochina and Siam
(now Thailand), the surveyors produced 11maps which were sent to the
Thai Government who never objected to them. Consequently, it was
realized later that the valuable and important Preah Vihear promon-
tory together with the Temple was on the Cambodian side of the frontier.
The Court held that Thailand's failure to object to the particular map
when it ought to do so compelled it to recognize the boundary as estab-
lished. The conclusion of the Court (which is similar to the situation in
this case with regard to the 1955Treaty), is very remarkable and impor-
tant to note:

"The Court will now state the conclusions it draws from the facts
as above set out.
Even if there were any doubt as to Siam's acceptance of the map
in 1908, and hence of the frontier indicated thereon, the Court
would consider, in the light of the subsequent course of events, that
Thailand is now precluded by her conduct from asserting that she
did not accept it. She has, forifty years, enjoyed such benefits as the
Treaty of 1904conferred on her, if only the benefit of a stable fron-
tier."(I.C.J. Reports 1962, p. 32.)

107. The Court established this principle of international estoppel
definitively foral1time in the case quoted above as follows:
"In fact, as will be seen presently, an acknowledgment by conduct
was undoubtedly made in a very definite way; but even if it were

' I.C.J. Reports 1962,6.

78 DIFFÉREND TERRITORIAL (OP. IND. AJIBOLA) 80

tion ni contesté ce droit. Elle a estimé que le silence du Royaume-Uni
durant une période aussi longue revenait a un acquiescement de sa part,
et s'est donc prononcée en faveur de la Norvège. La Cour a déclaré:

«La Cour constate qu'à l'égard d'une situation qui ne pouvait
manquer de st: fortifier d'année en année, le Gouvernement du
Royaume-Uni s'est abstenu de formuler des réserves.
La notoriété des faits, la tolérance généralede la communauté
internationale, la position de la Grande-Bretagne dans la mer du
Nord, son intérêp t ropre dans la question, son abstention prolongée,

permettraient en tout cas à la Norvège d'opposer son système au
Royaume-Uni. O(C.1.J. Recueil 1951, p. 139.)

iii) Affaire du T~mplede Priuh Vihiur
(Cambodge c. Thuïlunde) '

106. En 1962, la Cour a eu également l'occasion de se prononcer sur le
principe international de I'estoppeldans cette affaire concernant un dif-
férendfrontalier entre le Cambodge et la Thaïlande. A la suite d'un traité

conclu en 1904 entre l'Indochine française et le Siam (aujourd'hui la
Thaïlande), des géoimètresavaient élaboréonze cartes que le Gouverne-
ment thaïlandais, ailquel elles avaient étéenvoyées, n'avait jamais con-
testées.Ce dernier s'était ultérieurement rendu compte que le précieuxet
important promontoire de Préah Vihéar et son temple se trouvaient du
côtécambodgien de la frontière. La Cour a estiméqu'en s'abstenant de

contester lri carte pertinente quand elle aurait dû le faire, la Thaïlande
avait reconnu la frontière telle qu'elle avait été établie.importe de noter
la conclusion remarquable et importante à laquelle la Cour est parvenue,
a l'égardd'une situation analogue a celle du traité de 1955 dans la pré-
sente affaire:

«La Cour e:uDosera maintenant les conclusions au'elle tire des
faits qui viennent d'être rappelés.
Mêmes'il existait un doute sur l'acceptation par le Siam en 1908
de la carte, et par conséquent de la frontière qui y est indiquée, la
Cour, tenant compte des événementsultérieurs, considérerait que la

Thaïlande, en raison de sa conduite, ne saurait aujourd'hui affirmer
qu'elle n'a pas acceptéla carte. Pendant cinquante ans cet Etat ajoui
des avantages que la convention de 1904 lui assurait, quand ce ne
serait que l'avantage d'une frontière stable. » (C.I.J. Recueil 1962,
p. 32.)

107. La Cour a ktabli ce principe d'estopprl international de manière
définitivedans cette affaire en déclarant:

«En réalité,,ainsi qu'on le verra ci-après, un accuséde réception
très net ressort incontestablement de la conduite de la Thaïlande;

' C.I.JRecueil1962. p.6.

78 otherwise, it is clear that the circumstances were such as called for

some reaction, within a reasonable period, on the part of the Siamese
authorities, if they wished to disagree with the map or had any
serious question to raise in regard to it. They did not do so, either
then or for many years, and thereby must be held to have acquiesced.
Qui tacet consentire videtur si loqui debuisset ac potuisset." (I.C.J.
Reports 1962, p. 23.)

108. There are many awards of international tribunals also supporting
the principles of estoppel or acquiescence in the sense of silence or
absence of protest. To mention a few, one may refer to the Alaskan
Boundary case, where the occupation and possession of Alaska for over
60 years, first by Russia and then by the United States of America, dis-

entitled Great Britain to its claim over the territory, since there was never
any British objection or protest at such occupation. In the Delagoa Bay
Arbitration of 1875, the Award was given in favour of Portugal against
the Dutch and the Austrians, because of Portugal's continued claims to
sovereignty without any objection or protest on the part of Austria or the
Netherlands. The same result was given in the Guutemala/HondurasBound-

ary Arbitration in favour of Guatemala.

109. In 1909, in the Grisbudurnu Arbitration between Sweden and
Norway, the Permanent Court of Arbitration in its award decided that

Norway had acquiesced in certain acts of Sweden; consequently, the
claim of Sweden was upheld. To complete this picture of international
awards, mention must be made of the celebrated Award of Judge Huber
in the Islundof Palmas Arbitration, where the arbitrator adjudged that, as
between the Netherlands and the United Statesof America, the latter had
a better title to the disputed island, because of its continuous and peace-

ful display of State authority during a long period of time, which Spain
and others had acquiesced in.
110. All these legal, judicial as well as arbitral references fortify my
view, based on the principle of estoppel, that the silence or acquiescence
of Libya from the date of signing the 1955 Treaty to the present time,
without any protest whatsoever, clearly militates against its claim.

111. There were many occasions, some of which 1 have referred to,
when Libya could have protested to Chad or even France (between 1955
and 1960)that the Treaty was invalid or had failed to create the expected
boundary, yet Libya was silent. Since 1955, Libya had many opportuni-
ties to protest against this frontier but it did nothing. Instead, it signed
another Treaty with Chad in 1966without making mention of any defect

or presenting a case of nullity or even raising any objection whatsoever
against the 1955 Treaty. On the contrary, the Treaty of 1966 apparently DIFFÉ:REND TERRITORIAL (OP. IND. AJIBOLA) 81

mais, mêmes'il n'en avait pas étéainsi, il est clair que les circons-
tances étaient dle nature à appeler dans un délai raisonnable une
réactionde la part des autoritéssiamoises, au cas où celles-ciauraient
voulu contester la carte ou auraient eu de graves questions à soule-
ver à son égard. Or, elles n'ont réagi ni à l'époqueni pendant de
nombreuses anniéeset l'on doit, de ce fait, conclureà leur acquies-

cement. Qui rucet consentire videtur si loqui dehuisset uc potuiss)).
(C.I.J. Recueil1962,p. 23.)

108. De nombreuses sentences de tribunaux internationaux renforcent
les principes de I'estoppel ou de I'acquiescement lorsqu'il s'agit d'un
silence ou de l'absencede protestation. Pour n'en citer que quelques-uns,
on peut se référerà l'affaire de la Frontièrede l'Alaska,dans laquelle I'oc-
cupation et la possession de l'Alaska pendant plus de soixante ans, tout
d'abord par la Russie puis par les Etats-Unis d'Amérique,ont privéla
Grande-Bretagne de tout titre sur ce territoire puisque cette occupation
n'avait jamais fait l'objet d'aucune objection ou protestation de sa part.
Dans l'affaire de la Baie Delu~oade 1875. une sentence arbitrale a été
rendue en faveur du Portugal chtre les ~éérlandaiset lesAutrichiens en
raison des constantes revendications de souverainetéde la part du Por-

tugal sans objection ~iiprotestation aucune de l'Autriche ni des Pays-Bas.
Le résultata étéle mêmedans l'affaire de la Frontière entrele Guatemala
et le Honduras, où urie sentence arbitrale a été rendueen faveur du Gua-
temala.
109. En 1909, daris l'affaire des Grisbadurnu opposant la Suède à la
Norvège, la Cour permanente d'arbitrage a décidéque la Norvège avait
acquiescé à certains ,actesde la Suède,et les revendications de la Suède
ont étédonc accueillies. Pour compléter ce tableau des sentences arbi-
trales, on peut aussi mentionner la célèbresentence de Max Huber dans
l'affaire del'llede Palmas, opposant les Pays-Bas aux Etats-Unis d'Amé-
rique, où l'arbitre a jugéque ces derniers avaient un meilleur titre surîle
contestéeen raison de l'exercicecontinu et pacifique de leur autoritééta-
tique durant une longue période, auquel l'Espagne et d'autres pays

avaient acquiescé.
110. Tous ces arguments juridiques et ces décisions judiciaireset arbi-
trales me confirment dans mon opinion, fondéesur le principe de I'estop-
pel, que le silence oui I'acquiescement de la Libye entre la signature du
traitéde 1955 jusqu'à.présent,sans aucune protestation de sa part, milite
clairement contre sa prétention.
111. Il s'est présentéde nombreuses occasions, dont j'ai évoquécer-
taines, où la Libye aurait pu émettredes protestations auprès du Tchad
ou mêmede la France (entre 1955 et 1960)pour contester la validitédu
traitéou mettre en cause l'établissementd'une frontière éventuelle,mais
la Libye n'a dit mot. Depuis 1955,la Libye aurait pu, à de nombreuses
reprises, protester contre la frontière en question, mais elle n'en n'a rien
fait. Elle a, en revanche, signéun autre traitéavec le Tchad en 1966, saris
mentionner aucun défaut du traité de 1955, invoquer aucune cause deconfirmed the boundary established by the 1955Treaty because in 1966it
recognized that there was a boundary in place. Another opportunity that
knocked at the door of Libya was in 1964, during the Cairo Conference
of the Organization of African Unity, when at least four nations, includ-

ing Somalia and Morocco, protested at the Cairo Declaration, but Libya
did not. It did not oppose the Declaration based by the Conference on
the principle of intangibility of frontiers.

112. Perhaps one should have started with 11 August 1960, when
Chad secured her independence. That was a unique opportunity for

Libya to protest the boundary of Chad as presented by France to the
United Nations. But on the contrary, al1that Libya did was to welcome
Chad into the fold of independent States - there was no protest of any
kind. Next, one may ask what Libya did al1 the time that it was being
repeatedly accused of aggression before international and regional
bodies? Chad, on many occasions, presented its case against Libya before

the General Assembly and the Security Council. It also took its case
before the Organization of African Unity. But Libya continued either to
flatly deny occupying Aouzou or (at a later stage) claimed the 1935Laval-
Mussolini frontier, and, of course, that is a line not accepted by both
Parties, because the ratifications were not exchanged. Chad started

from the 1970s to take its case to appropriate international bodies
which dealt politically and legally with inter-State disputes. But Libya
did nothing.

113. Libya submits that Chad is estopped from claiming any longer

the Aouzou strip. But Chad kept protesting al1along against what it con-
sidered an illegal occupation by Libya. Chad, at the General Assembly of
the United Nations, accused Libya of acts of aggression in 1971, 1973
and 1974. It was part of Chad's case that it made its complaint to the
Organization of African Unity in 1977 and kept the same before that

body for 11 years, but Libya's reaction, according to Chad, was merely
evasive. It may be necessary to quote Chad's list of protests, some of
which Libya even confirmed:

"Of course, Chad, too, insisted that there was a frontier, the fron-

tier described by the 1955Treaty and its annexed instruments, and it
protested Libya's violation of that line. Chad complained to the
United Nations General Assembly as early as 1971 that Libya har-
boured expansionist aims; it had not actually arrived yet. Thereafter
it protested vociferously against Libya's invasion: at first to Libya,
as we have seen from Professor Sorel, then to the General Assembly

in 1977, 1978, 1982, 1983, 1984, 1985, 1986and 1987,and the Secu-
rity Council in 1978, 1983, 1985 and 1986. It stated that Libyan
forces had crossed the 1955 line, that the invaders were still there, DIFFÉREND TERRITORIAL(OP. IND. AJIBOLA) 82

nullité ou une quel~conqueobjection à son encontre. Le traité de 1966
semble au contraire confirmer la frontière fixéepar le traité de 1955 en
reconnaissant qu'il existait en 1966une frontière établie.Une autre occa-
sion s'est présentéeii la Libye en 1964,au coursde la conférencedu Caire
de l'organisation de l'unité africaine, lorsque quatre pays au moins, dont

la Somalie et le Mlaroc, ont protesté contre la déclaration que cette
conférence avait fondésur le principe de l'intangibilité des frontières; or
la Libye n'a pas protesté.
112. La Libye aurait sans doute dîi se manifester le11 août 1960,lors-
que le Tchad a accédé à l'indépendance. Il y avait là pour elle une occa-
sion exceptionnelle ideprotester contre la frontière du Tchad telle qu'elle

avait étéprésentéepar la France à l'organisation des Nations Unies. La
Libye s'est cependant contentée d'accueillir avec satisfaction le Tchad
parmi les Etats indépendants, sans formuler quelque protestation que ce
soit. On peut ensuite sc demander ce que la Libye a fait lorsqu'elle a été
accuséede manière irépétéde'agression devant des organismes internatio-
naux et régionaux. A de nombreuses reprises, le Tchad a fait valoir sa

cause contre la Libye devant l'Assemblée générale et le Conseil de sécu-
rité.Ill'a fait aussi devant l'organisationde l'unitéafricaine. La Libye a
cependant continué i nier tout simplement le fait qu'elle occupait Aouzou
ou a, ultérieurement, invoquéla ligne Laval-Mussolini de 1935,limite qui
n'a bien sûr jamais été acceptéepar les deux Parties, les instruments de
ratification correspondants n'ayant pas été échangés. Déls e début des
annéessoixante-dix, le Tchad a commencéà s'adresser aux organes inter-

nationaux compétents, sur les plansjuridique et politique, pour connaître
de différends entre Etats. La Libye, quant à elle, n'a rien fait.
113. La Libye aflirme que le Tchad est empêché (rstopped) de conti-
nuer à réclamerla bande d'Aouzou. Le Tchad n'a pas cesséde protester,
contre ce qu'il considère comme une occupation illégalede la part de la
Libye. Le Tchad a, devant l'Assemblée générale desNations Unies,

accusé la Libye d'actes d'agression en 1971, 1973 et 1974. Le Tchad a
aussi fait valoir qu'il a formulé des plaintes au sein de l'Organisation de
l'unité africaineen 1977, qu'il n'a cesséde renouveler pendant onze ans,
alors que la Libye n"a réagi, selonle Tchad,que d'une manière évasive. Il
convient peut-être de citer la liste des protestations du Tchad, dont cer-
taines ont même étéconfirméespar la Libye:

({Bienentendu, le Tchad a insistélui aussi sur le fait qu'il existait
une frontière. la frontière décritedans le traité de 1955 et les instru-
ments qui y sont annexés, et a protesté contre la violation de cette
ligne par la Libye. Le Tchad s'est plaint à l'Assembléegénéraledes
Nations Unies, dès 1971, de ce que la Libye nourrissait des visées

expansionnistes; ce n'était pasencore arrivé.Par la suite, il a violem-
ment protesté contre l'invasion libyenne: d'abord auprèsde la Libye,
comme l'a exposé M. Sorel, puis devant l'Assemblée générale en
1977, 1978, 1982, 1983, 1984, 1985, 1986et 1987,et devant le Conseil
de sécurité en11978,1983, 1985 et 1986. Il a déclaréque les forces and that they ought to be required to withdraw back behind that
frontier." (CR 93131,p. 80.)

114. The sum total of my viewon the issue of estoppel, acquiescence,
recognition, etc., is that while1do not agree with Libya's claim of acqui-
escence against Chad over its (Libya's) occupation of Aouzou, 1 am con-
vinced that, by the silence and conduct of Libya, there is, without doubt,
a strong case for saying, in favour of Chad, that Libya is estopped from
denying the 1955Treaty boundary since it has acquiesced in and in fact
recognized it.

115. The term utipossidetisjuris has its historical origin in Roman law.
It was designated as a formal order of the Praetor which forbade the dis-
turbance of any immovables between two individuals once it could be
proved that the possessor of such immovables was in peaceful possession
without use of force and had not clandestinely obtained permission given
by the claimant (nec vi, nec clam, necprecurio ah adi~ersario).Niebuhr
opined that the origin of the procedure was to protect the occupants of
the public land even though they could not show original titles and hence
could not sustain an action in title or ownership. The writ is therefore
designed to give such people the recognition and sanction of the State.

The possessor, once issued with this award, was forever free from any
molestation or claim by the adversary because this interdict served as the
possessor's title.Soon it became an auxiliary process used in determining
which of two claimants had a better title. The Praetor framed the formula
thus :

"Utieusuedes,quibusdeagitur, necvinec clum,necprecarioalterah
ulteropossidetis, quotninusitapossideatis,vim$eri veto. "

Standardly translated to mean:

"Whichever party has possession of the house in question, without
violence, clandestinely or permission in respect of the adversary, the
violent disturbance of his possession 1 prohibit." '

116. The final text of the decree is formulated in a very elegantly
worded manner as follows "utipossidetis,itapossidruti.~""as you possess,
so may you possess". This principle has, however, been developed in

John Bassett Moore, Mernorundurnon Uti Possidc~tis,1911. p. 6. libyennes avaient franchi la ligne de 1955,que les envahisseurs s'y
trouvaient encore et qu'il fallaitleur demander de se retirer derrière
cette frontière. (CR 93131, p. 80.)

114. En somme, s'agissant d'estoppel,d'acquiescement, de reconnais-
sance, etc., je ne souscris pas à l'argument de la Libye selon lequel le
Tchad aurait acquiescé à l'occupation libyenne dlAouzou. Je suis en
revanche convainc~iqu'en raison du silence et du comportement de la
Libye, le Tchad peut faire valoir, sans aucun doute, que la Libye est
empêchée (estopped) de nier la frontière du traitéde 1955à laquelle cette
dernière a acquiesciiet qu'en fait elle a reconnue.

VII. L'UT1 POSSIBETIS

115. L'expressiori uti possidetisjuris vient du droit romain. Elle dési-
gnait un ordre formieldu préteurinterdisant de troubler la possession de
biens immeubles contestéeentre deux personnes, dès lors que le posses-
seur de ces biens pouvait faire état d'unejouissance paisible et prouver

que sa possession n'étaitni violente, ni clandestine ni précairenec vi,nec
clam, nec precario ah adversario). Selon Niebuhr, cette procédure visait
h l'origineà protéger les occupants des terres domaniales mêmes'ils
n'étaientpas en mesure de produire de titres originaires et, partant, de
soutenir une action en revendication de titre ou de propriété. L'ordreest
ainsi censéconsacrer la reconnaissance et la sanction de 1'Etaten faveur
de ces personnes. L.epossesseur, une fois l'ordre rendu, étaitpour tou-
jours à l'abri d'éventuelles tracasseriesou revendications de la partie
adverse, car l'interdiction valait titre pour le possesseur. Cette procédure
ne tarda pas a servir de moyen accessoire pour déterminer laquelle des
deux parties posséd:ïitle meilleur titre. Le préteurprononçait la formule

suivante :
« Utieusuedes,quibusdeagitur,nec vinecclam,necprecario alterah
altero possidetis,quominusitapossideatis, vimjieri veto))

La traduction courante en anglais est la suivante:
c<Whichever lpartyhas possession of the house in question,without
violence, c1andt:stinelyor permission in respect of the adversary, the

violent disturbance of this possession 1 prohibit.)'
(((J'interdisde troubler en sa possession la partie qui possèdel'im-
meuble dès lors que cette possession n'est ni violente ni clandestine
ni précaire à l'kgard de la partie adverse.»)[Traduction du Grejje.]

116. L'ordre contient in$ne la formule très élégante suivante :uti pos-
sidetis, itu possideatis (((comme vous possédez, ainsiavez-vous titre à
posséder))).Ce principe a cependant étédéveloppéen droit international

'John Bassett Moore. Memouundumon Uti Possideti.~,1911,p. 6.

81international law not as a mere recognition of possession, but also as a
justification of territorial rights and sovereignty.

117. Nowhere in the world has the principle of utipossidetisbeen more
greatly developed than in Latin America, with regard to the settlement of
States' boundaries at the beginning of the nineteenth century, especially
in the former Spanish colonies in South and Central America.

118. The doctrine of uti possidetisin this region of the world is based

on the concept that there was nothing like terra nulliuseven during the
Spanish and Portuguese colonial rule and regardless of whether the ter-
ritory in question was physically occupied at the material time or not.
The assumption here, as a general principle, is that boundaries must
remain as they were in law at the declaration of independence, namely,
1810with regard to the Spanish colonies in South America and 1822 for
those in Central America. Before going further it must be observed that

hitherto the idea of uti possidetisused to be employed by international
lawyers to connote a method of determining the territorial changes that
had occurred as a result of an armed conflict. But it cannot be denied that
it was in Latin America that utipossidetiswas given a definitive meaning
and application because of its apparent advantages. It was a convenient
principle to apply within such a region where al1the emerging indepen-
dent States (with the exception of Brazil which was a former colony of

Portugal) were formerly under Spanish rule. Uti possidetisis based on
constructive possession since the Spanish administrative provinces were
not effectively occupied to the knowledge and understanding of the new
independent States. A very clear picture of this principle is reflected in the
Colombia-Venezuela Arbitral Award of 1922, where the Swiss Federal
Council remarked :

"When the Spanish colonies of Central and South America pro-
claimed themselves independent in the second decade of the nine-
teenth century, they adopted a principle of constitutional and inter-
national law to which they gave the name Uti PossidetisJuris of

1810, with the effect of laying down the rule that the bounds of the
newly created Republics should be the frontiers of the Spanish Prov-
inces for which they were substituted. This general principle offered
the advantage of establishing an absolute rule that there was not in
law in the old Spanish America any territory without a master; while
there might exist many regions which had never been occupied by
the Spaniards and many unexplored or inhabited by non-civilized
aborigines, these regions were reputed to belong in law to whichever

of the Republics succeeded to the Spanish Province to which these
territories were attached by virtue of the old Royal Ordinances of
the Spanish Mother Country. These territories although not occu-
pied in fact were by common consent deemed as occupied in law DIFFIREND TERRITORIAL (OP. IND. AJIBOLA) 84

non pas comme sirriple reconnaissance d'une possession, mais aussi en
tant que justificatiori de droits territoriaux et de souveraineté.
117. Nulle part au monde le principe de I'uti possidetisn'a connu un
plus grand développement qu'en Amérique latine,où il a étéappliquéau
règlementde la question des frontières des Etats au débutdu XIXesiècle,
en particulier dans lesanciennes coloniesespagnoles en Amériquedu Sud
et en Amériquecentrale.
118. La doctrine de I'utipossidetisdans cette partie du monde se fonde
sur l'idéequ'il n'ajamais existéde terra nulliusmêmependant la domi-
nation coloniale espagnole et portugaise, et indépendamment de savoir si
le territoire en question étaitou non effectivement occupéà l'époqueper-
tinente. En l'occurrence, on part de l'hypothèse,à titre de principe géné-
ral, que les frontièresdoivent demeurer tellesqu'elles existaientjuridique-
ment lors de la déclaration d'indépendance, a savoiren 1810 en ce qui
concerne les colonies espagnoles d'Amérique du Sud et en 1822 pour
cellesd'Amérique centrale.Avant d'aller plusloin, il faut relever que jus-
qu'a présentl'idéede I'uti possidetisétait généralemene tmployéepar les

juristes internationaux pour évoquer une méthode permettant de déter-
miner les modifications territoriales intervenues à l'issue d'un conflit
armé. Maison ne saurait nier que c'est en Amérique latineque I'utipos-
sidetis a reçu une signification et une application définitivesen raison de
ses avantages apparents. C'était un principe commode a appliquer dans
une région où tous les Etats indépendants qui venaient de naître (al'ex-
ception du Brésilqui étaitune ancienne colonie portugaise) se trouvaient
précédemmentsous domination espagnole. L'uti possidetis se fonde sur
une possession supposéevu que les provinces administratives espagnoles
n'étaient paseffectivement occupées,au su des nouveaux Etats indépen-
dants. On trouve une description très explicite de ce principe dans la sen-
tence arbitrale rendue en 1922 entre la Colombie et le Venezuela, sen-
tence dans laquelle le Conseil fédéralsuisse a fait observer que:

«Lorsque les colonies espagnoles de l'Amériquecentrale et méri-
dionale se proclamèrent indépendantes,dans la seconde décadedu
XIXc siècle, ellesadoptèrent un principe de droit constitutionnel et
international auquel elles donnèrent le nom d'uti possidetis juris

de 1810, à l'effet de constater que les limites des Républiquesnou-
vellement constituéesseraient les frontières des provinces espagnoles
auxquelles elles se substituaient. Ce principe généraloffraitI'avan-
tage de poser en règleabsolue qu'il n'y a pas, en droit, dans l'an-
cienne Amérique espagnole, de territoire sans maître; bien qu'il
existât denombireusesrégionsqui n'avaient pas étéoccupéespar les
Espagnols et de nombreuses régionsinexploréesou habitéespar des
indigènes non civilisés, cesrégionsétaient réputéesappartenir, en
droit,à chacune des Républiques qui avait succédé à la province
espagnole iilaquelle ces territoires étaient rattachés en vertu des
anciennes ordonnances royales de la mèrepatrie espagnole. Ces ter-
ritoires. bienue non occupésen fait, étaientd'un commun accord85 TERRITORIAL DISPUTE (SEP. OP. AJIBOLA)

from the first hour by the new Republic. Encroachments and
untimely attempts at colonization on the part of the adjacent State,
as well as occupations in fact became without importance and with-
out consequence in law. This principle had also the advantage of
suppressing as it was hoped, disputes as to limits between the new
states . .." '

119. Thus the doctrine formed part of the constitutional and interna-
tional law of the States in Latin America. However, at least in principle
the doctrine served many advantageous functions; it may be considered
as an extension of the Monroe Doctrine, in order to ward off possible
re-colonization of the territories by declaringthere was no resnullius,and
it also served as a just and equitable foundation for the settlement of al1
their boundary disputes. For example, in 1847uti possidetis was by and
large accepted by the Latin American community as basis for the delimi-
tation of their boundaries, as reflected in the Treaty of Confederation
signed at the Congress of Lima that year. Article 7 of the Treaty reads
inter aliaas follows:

"The Republics of the Confederation recognize, as a principle
based on law, the utipossidetis of 1810for the determination of their
respective boundaries and in order to demarcate such limits, where
they are not natural and clear, agree that the Governments of the
two Republics concerned will name commissioners, who having
examined the disputed territory, shall fix the boundary between the

two Republics according to the water-sheds, the thuliveg or other
natural boundaries, as far as the terrain would permit . .."2

120. Nevertheless, there are two schools of thought on this principle at
least in its interpretation. There are those who argued that uti possidetis
must mean merely a juridical line or constructive occupation - utipos-
sidetis juris or "dejure". While the other, to which Brazil apparently

belongs hold the contrary view that the principle must be based on a
rightful and actual occupation of the territory - uti possidetis defacto.

121. It must however be observed that the utipossidetisjuris doctrine is
not an exception in the field of international law. Similar principles are
shared with other norms of the law like the principle of terra nullius
already mentioned and as enunciated in the case of Western Sahura
earlier mentioned; the doctrine of hinterland of an occupied territory
which as reflectedin this case led France to enter into treaties with Britain
and other powers to secure for themselves zones or spheres of influence.

' UNRIAA, Vol. 1,p. 228. or Hyde, Intc,rnutionulLuit,, Vol. 1,503, note 16.
' Footnote of Nederlunds Tijdschrifr voor Intrrnurionuul Recht. Vol. XX, 1973,
p. 269. DIFFI~RENDTERRITORIAL(OP. IND. AJIBOLA) 85

considéréscomme occupésen droit, dès la première heure, par la
nouvelle Répubdique.Des empiétements et des tentatives de coloni-
sation intempestives de l'autre côtéde la frontière, comme aussi les
occupations de fait, devenaient sans portée ou sans conséquenceen
droit. Ce principe avait aussi l'avantage de supprimer, on l'espérait,
les contestations de limites entre les nouveaux Etats ..»'

119. Ainsi ladoctrine faisait partie du droit constitutionnel et du droit
international des Etats d'Amérique latine.Cela étant, tout au moins en
principe, l'emploi de cette doctrine présentaitde nombreux avantages; on
peut la considérercomme une extension de la doctrine de Monroe, des-
tinée à écarterune éventuellerecolonisation des territoires, en ce qu'elle
proclamait l'absence de toute terra nullius; et elle a aussi servi de fonde-
ment juste et équitable pour le règlement de tous les différendsfronta-
liers. C'est ainsi qu'en 1847 les Etats d'Amérique latine ont adopté de

façon générale I'utipossidetis comme base pour la délimitation de leurs
frontières, comme cela ressort du traité de la confédérationsignéau
congrès de Lima cette année-là. L'article7 de ce traité contient notam-
ment les dispositions suivantes:

«Les Républiquesde la confédération reconnaissentl'utipossidefis
de 1810 comme principe fondé en droit, pour la détermination de
leurs frontières 1-espectiveset, en vue de démarquer ces limites là ou
elles ne sont pas naturelles ni claires conviennent que les gouverne-
ments des deux Républiques concernéesnommeront des commis-
saires, qui, ayant examinéle territoire en litige, fixeront les frontières
entre les deux Républiques conformément aux lignes de partage des
eaux, au thalweg:ou autres frontières naturelles, dans toute la mesure
ou le terrain le permettra ..)j2

120. 11existe néanmoinsdeux écolesde penséesur ce principe, tout au
moins en ce qui concerne son interprétation. II y a ceux qui ont soutenu
que l'utipos.~idetisvise purement et simplement une lignejuridique ou une
occupation supposée - I'utipossidetisjuris ou «dejure ».Mais la seconde
école, à laquelle le Brésilsemble appartenir, soutient le point de vue

inverse selon lequel le principe doit être fondésur une occupation effec-
tive et légitimedu territoire - l'utipossidetis defacto.
121. Il faut cependant relever que la doctrine de l'utipossidefis jurisne
constitue pas une exception dans le domaine du droit international. Des
principes analogues sont communs à d'autres normes du droit, comme le
principe de vacance de souveraineté (terra nullius) déjàévoqué,tel qu'il
est énoncé dans l'affaire précitédeu Suhura occidental;la doctrine de I'hin-
terland d'un territoir'eoccupé,qui, comme la présenteaffaire le montre,
a conduit la France à conclure des traités avec la Grande-Bretagne et

' Nations Unies, Recueil des sentencesurhitrulrs, vol. 1.p. 228.
' Note de bas de page figurantdans Nederkunds Tijdschrift voor Internutionuul
Recht. vol. XX. 1973,p. 269.It may also be mentioned that in the Greenlandcase, Denmark's claim to
the entire island was adjudged as recognized by Norway even though
only part of the island was then occupied by Denmark. With regard,
therefore, to the issue of delimitation or demarcation of boundaries
between former colonies of Spain in Latin America, it can be generally
expressed, that they al1succeeded to the colonial territories devoid of any
limitation based on terra nulliuson the basis of constructive rather than
actual possession. It was a kind of legal fiction, hence the use of the word
"juris".

122. It must however be pointed out that the application of this prin-
ciple is not without its difficulties on the ground, especially where the
administrative boundaries are not clear, but at least it can be said that it
gave a definitive starting point. While there is no doubt that, at least, in
principle the doctrine of uti possidrtis juris is applicable and applied
among al1the former Spanish colonies, onecannot say so regarding non-
former Spanish territories. A case in mind is that of Brazil which is a
former Portuguese colony. Even though Brazil accepts in principle the
doctrine of utipossidetis her interpretation, as already mentioned, is that
there must be actual physical possession or occupation of the territory in
question. As a result it was the interpretation of this doctrine as accepted
by Brazil that was adopted in al1the boundary dispute cases between it
and other former Spanish colonial countries in Latin America as reflected
in some Arbitral Awards - Le., Argentina-Brazil in 1895.Furthermore,
the treaties which Brazil finally concluded with her Spanish-speaking
neighbours for the fixing of new boundaries were based on "the actual
possession of the respective countries when they acquire independence" '.

123. After giving a full background of the doctrine of utipossidetis it is
now essential to relate its relevance to this dispute between Libya and
Chad. Even though the Court did not consider it necessary to deal with
this doctrine and its bearing on the present case despite the fact that both
Parties mentioned it significantly in their arguments, 1consider it expe-
dient to deal with it in this separate opinion, without in any way detract-
ing from my support for the Court's Judgment.

124. What then is the bearing and the relevance of utipossidetis to this
dispute? 1s the doctrine of uti possi<-letkof universal application and
therefore applicable to al1boundary disputes in Africa and therefore the
dispute herein? 1s the issue of intangibility of frontiers existing at the
time of independence of African States mere political rhetoric with no

' Hyde. Irrtrrtratiot7ulLuit. Vol. 1. p. 502.

84 DIFFÉREND TERRITORIAL (OP. IND. AJIBOLA) 86

d'autres puissances, lesquels visaientà garantir mutuellement aux parties
deszones ou sphèred'influence.On peut aussi rappeler que, dans l'affaire
du Groënlund, la revendication du Danemark sur la totalitéde l'îlea été
considéréecomme reconnue par la Norvègebien qu'une partie seulement
de cette île fût l'époqueoccupéepar le Danemark. Ainsi, en ce qui con-
cerne la question de la délimitation ou de la démarcation des frontières

entre d'anciennes colonies espagnoles en Amérique latine, on peut dire
d'une façon généraleque toutes ces anciennes colonies ont succédéaux
territoires coloniaux sans aucune restriction fondéesur la notion de terra
nullius, sur la base d'une possession supposéeplutôt qu'effective. Ce qui
constitue une sorte de fiction juridique, d'où l'emploi du mot «juris».
122. Il faut toutefi~issouligner que l'application de ce principe n'est
pas dépourvue de difficulté enpratique, notamment lorsque les limites
administratives ne sont pas claires, mais au moins peut-on dire que cela
fournissait un point dedépart bien défini.S'ilne fait aucun doute que, au
moins en principe, la doctrine de I'uti possidetisjuris est applicable et
qu'elle aété appliquée entre toutes les anciennes colonies espagnoles, on
ne peut pas en dire autant en ce qui concerne des territoires qui n'étaient
pas auparavant espag,nols.Un exemple en ce sensest celui du Brésil,qui
est une ancienne colonie portugaise. Mêmesi le Brésilaccepte en principe
la doctrine de l'utipossidetis, ill'interprète, ainsi que je l'ai déjàmen-
tionné,comme signifiant qu'il doit y avoir effectivement et concrètement
possession ou occup;ïtion du territoire considéré.Par voie de consé-
quence, c'est l'interprétation de cette doctrine telle qu'elle était admise
par le Brésilqui a été;adoptéedans tous lesdifférends frontaliersentre cet

Etat et d'anciennes colonies espagnoles en Amérique latine, comme le
montrent certaines s1:ntences arbitrales (par exemple Argentine-Brésil
en 1895).De plus, les traitésque le Brésila en définitiveconclus avec ses
voisins hispanophones pour la fixation de nouvellesfrontières étaientbasés
sur «la possessioneffectivedespays respectifslorsqu'ilsont accédé à I'indé-
pendance » '.
123. Après avoir présentéune synthèse complètede la doctrine de I'uti
possidetis,il est maintenant essentiel de montrer en quoi ellepeut êtreper-
tinente dans le présent différendentre la Libye et le Tchad. Mêmesi la
Cour n'a pas estiménécessaired'examiner cette doctrine et ses incidences
dans la présente affaire, bien que les deux Parties l'aient abondamment
évoquéej,'estime opportun de traiter cette question dans la présenteopi-
nion individuelle, sans pour autant remettre aucunement en cause mon
appui à l'arrêtde la Cour.
124. Quelle est donc l'incidenceet la pertinence de l'utipossidetir dans
le présentdifférend? La doctrine de 1'utipossidrti.~est-elle d'application
universelle et donc applicable à tous les différends frontaliers en Afrique
et, partant, au présentdifférend? La question de l'intangibilité desfron-
tières existantà l'époquede l'accession à l'indépendancedes Etats afri-

'Hyde, Internutionul L.air.,vol. 1,p. 502legal effect in international law? In applying the principle of utipossidetis
to boundary disputes in Africa should it be defacto or dejure? What role
if any can effectivitésplay in this regard?What is the significanceof some
of the recent case-laws on this doctrine? These questions and more have
to be examined with regard to this case.

125. First, there is need to examine the inroad of this doctrine into
Africa. There is no doubt that Africa is the most partitioned continent in
the entire world. It is, therefore, not surprising to learn that as early in
the history of the Organization of African Unity as 25 May 1963, by its
Charter, it solemnly declares the principle of respect for the sovereignty
and territorial integrity of each State and its inalienable right to inde-
pendent existence - Article II, paragraph 3. This was followed by the
Declaration adopted by the Assembly of the African Heads of State and
Government at the Cairo Conference on 17July 1964, which Statesinter
alia:

"Consideringthat border problems constitute a grave and perma-
nent factor of dimension,
Consciousof the existence of extra-African manŒuvres aimed at
dividing African States,

Consideringfurtherthat the borders of African States, on the day
of their independence, constitute a tangible reality,
Recallingthe establishment in the course of the Second Ordinary
Session of the Council of the Committee of Eleven charged with
studying further measures for strengthening African Unity,
Recogniïingthe imperious necessity of settling, by peaceful means
and within a strictly African framework, al1disputes between African
States,

Recallingjurthei that al1 Member States have pledged, under
Article VI of the Charter of African Unity, to respect scrupulously
al1principles laid down in paragraph 3 of Article III of the Charter
of the Organisation of African Unity,
1. Solemnly reaj$rms the strict respect by al1 Member States
of the Organisation for the principles laid down in paragraph 3 of

Article III of the Charter of the Organisation of African Unity;
2. Solemnly declaresthat al1Member States pledge themselves to
respect the borders existing on their achievement of national inde-
pendence." '

126. Many Heads of State at the Cairo Conference explained in their
statementsthe reason why it is necessary for Africa to adhere to the prin-

' Ian Brownlie, Ajricun Bounduri:sA Legul und Dip/oniuricErrcyc~lopucdp,. 11.cains est-elle de la pure rhétorique politique dépourvuede tout effetjuri-
dique en droit international? En appliquant le principe de I'uti possidetis
aux différends frontaliers en Afrique, faut-il le faire defacto ou dejure?
Quel rôle, le cas échéant,les effectivitéspeuvent-elles jouer à cet égard?
Quelle est la portée d'une partiede lajurisprudence récentesur cette doc-
trine? Ces questions, 'etd'autres, doivent êtreexaminéesdans le cadre de
la présente affaire.
125. En premier lieu, il faut examiner la pénétrationde cette doctrine
en Afrique. L'Afrique est incontestablement le continent le plus morcelé

du monde. On n'est donc pas surpris d'apprendre qu'a une date aussi
précocedans l'histoire de l'organisation de l'unité africaineque le 25 mai
1963,dans sa charte, l'organisation affirme solennellement le principe du
respect de la souveraineté etde l'intégritéterritoriales de chaque Etat et
son droit inaliénable a une existence indépendante - article II, para-
graphe 3. Cette charte fut suivie par la déclaration adoptée lors de la
conférence des chefs d'Etat et de gouvernement réunis au Caire le
17juillet 1964,où il &taitnotamment déclaré:

« Con.ridéranqrue lesproblèmes frontaliers sont un facteur grave et
permanent de désaccord,
Consciente de l'existence d'agissements d'origine extra-africaine
visant à diviser 112stats africains,
Considc;runte,n outre, que les frontièresdes Etats africains, au jour
de leur indépendance,constituent une réalitétangible,

Rappelunrla création, à la deuxièmesession ordinaire du conseil,
du comitédes onze chargé d'étudierde nouvelles mesures de nature
a renforcer l'uni1.africaine,
Reconnaissant l'impérieusenécessitéde régler, par des moyens
pacifiques et dans le cadre purement africain, tous les différends
entre Etats africains,

Ruppelunf, en outre, que tous les Etats membres se sont engagés,
aux termes de l'article VI de la charte de l'organisation de l'unité
africaine,à respecter scrupuleusement les principes énoncésau para-
graphe 3 de l'article III de ladite charte,
1. RÉAFFIRME :solennellement le respect total par tous les Etats
membres de l'OUA des principes énoncésau paragraphe 3 de I'ar-
ticle III de la ch.artede ladite organisation.

2. D~CLARE sollennellementque tous les Etats membres s'engagent
à respecter les frcontièresexistant au moment où ils ont accédéà l'in-
dépendance. » '
126. De nombreux, chefs d'Etat assistant à la conférencedu Caire ont
exposédans leurs déclarationsla raison pour laquelle ilest nécessaireque

' Abdoul Ba. Bruno KoffietFethi Sahli. L'Orguni.~atdcl'unitéafricuine, Paris,
1984.p. 143.88 TERRITORIAL DISPUTE (SEP.OP. AJIBOLA)

ciple of intangibility of frontiers. Many of them stressed the need for
realism, stability and the desire to ensure finality on the issue. They con-
sidered this principle as the only means of reducing incessant disputes
among the emerging nations of Africa. The Ethiopian Prime Minister
said :

"It is in the interest of al1Africans now to respect the frontiers
drawn on the maps, whether they are good or bad, by the former
colonizers." '
The President of Mali gave a similar warning and advised thus:

"we must take Africa as it is, and we must renounce any territorial
claims, if we do not wish to introduce what we might cal1 black
imperialism in Africa . . .African unity demands of each one of us
complete respect for the legacy that we have received from the colo-
nial system, that is to say: maintenance of the present frontiers of
Our respective states . ..Indeed, if we take certain parts of Africa in
the pre-colonial period, history teaches us that there existed a myriad
kingdoms and empires. . .which today have transcended, in the case

of certain states, tribal and ethnic differences to constitute a nation,
a real nation . ..if wedesire that Ournations should be ethnic enti-
ties, speaking the same language and having the same psychology,
then we shall find no single veritable nation in Africa."

127. In their dissenting opinions in the case of SovereigntyoverCertain

Frontier Land (Belgium/Nethcrlands) both Judges Armand-Ugon and
MorenoQuintana agreed that the utipossidetisprinciple should be treated
as a general principle of law. This stand has since been taken by the
Chamber of theCourt in the Frontier Disputecase (BurltinuFuso/Repuhlic
of Mali) j. Considering the position of newly independent States any-
where in the world, but particularly in Africa, the Chamber felt that the
application of this principle ought to be universal wherever it may occur.
In support of this view, one may add that it was supported in the Temple
of Preuh Vihearcase and Runn of Kutch Arbitration which are boundary
disputes relating to territories outside Africa, in the Indian subcontinent.
The rationale behind this decision, as was stated by the Chamber, is not
far-fetched; to prevent the independence and stability of the new States
from incessant boundary disputes and endless armed conflicts, once the
colonial powers had left. It is for this reason that it was thought desirable
and in accord with international law by the Chamber that the new Afri-

'McEwen, Internutionul Bounduric.~qf'ErisfAfiicu, p. 24
* Ibid.
I.C.J. report.^1986, p. 554. DIFFÉREND TERRITORIAL(OP. IN[>. AJIBOLA) 8 8

l'Afrique adhère au principe de l'intangibilitédes frontières. Beaucoup
d'entre eux ont soulignéla nécessité de viser le réalisme,la stabilité etle
désirde parvenir à une solution définitivede la question. Ils ont considéré
ce principe comme étantle seul moyen de réduirelesdifférends incessants
entre les nouvelles nations africaines. Le premier ministre éthiopien a
déclaré :

«Il est de l'intérêdte tous les Africains de respecter maintenant les
frontières tracéessur les cartes, qu'ellessoient bonnes ou mauvaises,
par les anciens colonisateurs. >'

Le président du Mali a lancéun avertissement analogue et donné le
conseil suivant :
«nous devons prendre l'Afrique telle qu'elle est, et nous devons
renoncer ritoute revendication territoriale, si nous ne souhaitons pas
introduire ce que l'on pourrait appeler l'impérialisme noir en
Afrique ... L'unitit africaine exige de chacun d'entre nous le respect
intégral de I'hérrtageque nous a léguéle système colonial, c'est-

a-dire: le maintien des frontières actuelles de nos Etats respectifs ...
D'ailleurs, si nous considérons certaines parties de l'Afrique dans la
période précoloiîiale, l'histoire nous enseigne qu'il existait une
myriade de royaumes et d'empires ... qui aujourd'hui ont dépassé,
dans le cas de certains Etats, des différendstribaux et ethniques pour
constituer une nation, une nation véritable ...Si nous désironsque
nos nations soient des entités ethniques, parlant la mème langue et
ayant la même façon de penser, alors nous ne trouvons pas une seule
nation véritableen Afrique. » '

127. Dans leurs opinions dissidentes jointes ril'arrêtrendu en I'affaire
relative à la Souver~linefésur cer2ainr.spur celle.f^rontaliires (Belgique/
Puys-Bus), tant M. Armand-Ugon que M. Moreno Quintana ont admis
que le principe de l'uti possidrtis devait être traité commeun principe
généralde droit. Cette position a depuis lors étéadoptée par la Chambre
de la Cour dans l'affaire du D~férendfrontulier(Burkina Fuso/République
du Mali) '. Prenant en considération la situation des nouveaux Etats
indépendants partout dans le monde, mais plus particulièrement en
Afrique, la Chambre a estimé que l'application de ce principe devait
avoir un caractère universel, où que ce soit. On peut ajouter que ce point
de vue a été corroboré dans I'affaire du Temple de PréahVihéuret dans
l'arbitrage du Rann rieKutch qui sont des différends frontaliers relatifs à
des territoires situéshors d'Afrique, dans le sous-continent indien. Le rai-

sonnement qui sous-tend cette décision,comme l'a dit la Chambre, n'est
pas forcé; il vise a protéger l'indépendanceet la stabilitédes nouveaux
Etats contre des différends frontaliers incessants et des conflits armés

VbidEwen, Intrrnutio,aul B(~undurof'Eust Africu, p. 24.
C.I.J. Recueil 1986,p. 554.89 TERRITORIAL DISPUTE (SEP.OP. AJIBOLA)

can States should respect and abide by the administrative boundaries
established by their former colonial power. In strongly supporting the
view of the Chamber of the Court in this case, the utipossidetis principle

should no longer be viewed as a principle limited in its application and
scope to Latin America and African States, but one of general scope and
universality which has now finally emerged as a principle of customary
international law. Regardless of whether some Members of the Organi-
zation of African Unity objected to this principle in 1963 and after, it is

now considered to be a principle of general application to the entire
boundary disputes in Africa in particular, unless parties to any dispute of
this nature specifically agree to the contrary that the principle of uti
possidetis should not be applied.

128. It is argued that the principle of uti possi(ic'tisas applied in Latin
America - de,jure - cannot be applied in Africa where effective occu-

pation is required. It is futile to enter into any controversy generally on
this argument and 1shall not do so, but it may be sufficient to Say that
this is not applicable to the case in hand. There is sufficient and at times
incontrovertible evidence of French tifj;ctiilitL;sfrom 1930 to 1943, from
1951 to 1954 and up to the time of the independence of Chad in 1960.

The ef'bctivit4.~continued up to 1971-1973 when Libya occupied the
Aouzou area. It can therefore be said that if the French effectivitt;.was in
doubt in 1912 it was not at al1the material time, Le., in 1951,when Libya
had her independence, in 1955when France and Libya signed and rati-
fied the Treaty of Friendship and Good Neighbourliness, and 1960 when

Chad gained her independence. But does it matter seriously whether the
principle is uti possi~letisjuris or uti pos.~idetisriejucto with regard to its
application in Africa? In its Judgment on 22 December 1986,the Cham-
ber of the Court emphasized that what is paramount is the maintenance
of the status quo at the time of independence and the principle of respect

for the boundaries established as a result of treaties and those resulting
from mere administrative divisions. The Judgment undoubtedly gave
preference to uti possidoti.~juris as a legal right over actual or effective
occupation as the yardstick for title to a territory. Nevertheless it does
not deny the fact that effective occupation could be taken into consid-

eration (see the case of the Frontier Dispute (Burkinu Faso/Repuhlic of
Mali), I.C.J. Reports 1986, pp. 565-566, paras. 22-24, and p. 586,
para. 63). After the Chamber of the Court had dealt extensively with the
history, natüre, purpose and rationale of uti po.~sirietijsuris it went on to
remark in this case thus:

"There is no doubt that the obligation to respect pre-existingsans fin, une fois que les puissances coloniales ont quittéle continent. C'est
pour cette raison qu'ela Chambre a estimésouhaitable et conforme au
droit international que les nouveaux Etats d'Afrique respectent les limites
administratives établiiespar l'ancienne puissance coloniale et s'y tenir. En

étayant fermement le point de vue de la Chambre de la Cour dans cette
affaire, le principe de I'utipo~sid~tisne devrait plus être considécomme
limitédans son application et sa portée aux Etats d'Amérique latine et
d'Afrique; c'est au contraire un principe de portéegénérale etuniverselle
qui s'est désormais définitivement dégagéen tant que principe de droit
international coutumier. Indépendamment du point de savoir si certains
membres de l'organisation de l'unité africaineont formulé des objections

à ce principe en 1963et après, ilest maintenant considérécomme un prin-
cipe d'application généralepour l'ensemble des différends frontaliers en
Afrique notamment, à moins que les parties à tel ou tel différendde cette
nature ne convienneiît spécialement au contraire que le principe de I'uti
possidetis ne doit pas.s'appliquer.
128. On a soutenu que le principe de l'utipo.s.sicipttel qu'appliqué en

Amérique latine (à savoir de,jurr) ne saurait s'appliquer en Afrique, où
une occupatioil effective est nécessaire.Il est vain de s'engager dans une
controverse sur cet argument en général,et je ne le ferai pas, mais je me
bornerai à dire qu'il n'est pas applicable dans l'affaire qui nous occupe.
II existe des preuves suffisantes et parfois irréfutables des effectivités
françaises de 1930 à 1943, de 1951 à 1954 et jusqu'à l'époquede l'acces-

sion du Tchad à l'indépendanceen 1960. Les effectivitésont subsistéjus-
qu'en 1971-1973,lorsque la Libye a occupéla régiond'Aouzou. On peut
donc dire que si les effectivités françaises pouvaient être douteuses
en 1912,elles ne I'éta.ientpas à toutes les époquespertinentes, c'est-à-dire
en 1951, lorsque la Libye a accédéà I'indépendance, en 1955, lorsque la
France et la Libye ont signéet ratifiéle traité d'amitié etde bon voisi-

nage, et en 1960lorsque leTchad a accédé I'indépendanceM. ais est-il vrai-
ment important de scivoirsi c'est le principe de I'utipossiticuris ou celui
de I'utipossirk~tistir ,fucatoqui s'applique en ce qui concerne l'Afrique?
Dans son arrêtdu 22 décembre 1986, la Chambre de la Cour a souligné
que ce qui etait priniordial était le maintien du statu quo au moment de
I'indépendance et le principe du respect des frontières établies par voie

conventionnelle, et de celles résultant de siinples divisions administra-
tives. Dans cet arrèt, la Chambre a sans aucun doute donné la préférence
à l'utipo.ssiiietisjuris envisagécomme un droit par rapport à une occupa-
tion réelleou effective, en tant que critère de titre sur un territoire. Elle ne
nie pas pour autant que l'occupation effective puisse êtreprise en consi-
dération (voir I'affaiiredu Difjl~rrndjrontalier (Burkinu Fuso/Rc;puhliq~ud
Muli), C.I.J. Recucil 1986,p. 565-566, par. 22-24, et 586, par. 63). Après

que la Chambre de la Cour eut traité de fason approfondie de I'histo-
rique, de la nature, de l'objet et de la raison d'êtrede I'utipossidetisjuris,
elle a poursuivi en observant en l'espèce:

<<Orl'obligatiion de respecter les frontières internationales préexis-90 TERRITORIAL DISPUTE (SEP. OP.AJIBOLA)

international frontiers in the event of a State succession derives from

a general rule of international law, whether or not the rule is
expressed in the formula uti possidetis. Hence the numeroussolemn
aj$rmations of the intungibility of thefrontiers existing ut the time of
the independenceof Ajrican States, ivhether made by senior African
statesmenor by orguns of the Organizution of Ajrican Unity itself; are
evidently declaratory rather than constitutive: they recognizeand con-
Jirm un existingprinciple, and do not seektu consecrutea newprinciple
or the extension to Africa of a rule previously applied only in another
continent." (I.C.J. Reports 1986, p. 566, para. 24; emphasis added.)

129. There is another important argument put forward in this case.
Since Libya obtained her independence in 1951 and Chad in 1960(the
so-called critical dates) could one expect a Declaration passed in 1963
and 1964 - (four years later in the case of Chad and thirteen years later
in the case of Libya) - to be binding on them? How could one expect a
subsequent act and a declaration for that matter to alter the boundary
situation of the Parties. It should also be observed that that was about
nine years after the 1955Treaty. In fact Libya did mention this fact in its

oral argument that the Declaration was in effect already applied in
advance :

"What Libya and France were doing in Article 3 of the
1955Treaty was precisely to apply in advance, in their mutual rela-
tions, the terms of the Cairo Declaration to be adopted nine years
later in 1964.That is why Libya never had any problems with the
Cairo Declaration; she had already accepted the principles which it
embodied in the 1955Treaty with France." (CR 93/27, p. 57.)

130. This approach must have been taken into consideration by the
Chamber in the Frontier Dispute case since Burkina Faso and Mali

achieved independence like Chad in 1960, before the adoption of the
Organization of African Unity Charter of 1963and the Cairo Declara-
tion of 1964.This point was definitively referred to by the Chamber in
this case under discussion as follows:

"Thus the principle of uti possidetis has kept ifs place umong the
most important legalprinciples.despitetheappurent contradiction which
its coe-~istencealongside the neir norms implied. Indeed it was by
deliberate choice that African States selected, among al1the classic
principles, that of uti possideti.~ This remuins an undeniablejact. In
the Iightof'thejoregoing remarks, it i.7cleur thut the applicahility of
uti possidetisin thepresent casecunnotbecl~allengcdmereh becausein

1960,theyear ivhenMali und Burkina Fasoachieved independencet,he DIFFÉR.END TERRITORIAL(OP. IND. AJIBOLA) 90

tantes en cas de :successiond'Etats découlesans aucun doute d'une
règle généralede droit international, qu'elle trouve ou non son
expression dans la formule uti possidetis. A cet égard auss,ar con-
séquent,les nombreuses af3rmutionssolennelles relativeà l'intangibilité

desfrontièresqui existuientaumoment del'uccessiondes Etats africains
LiI'indépendanceé , munanttantôt d'hommes d'Etuts afiicuins, tantôt
d'organrsde I'Orgunisationde l'unitéufricuineelle-mème,ont munijes-
terrretztune valeut,déclaratoiet nonpas c.onstitutive:elles reconnais-
sent etconjïrmentunprincipee.uistantet nepréconisent pus ljbrmation
d'unprincipe nouveau ou1k.utensionu I'Ajriqued'une règle seulement
appliquée, jusque-là.duns un uutre continent.)> (C.I.J. Recueil1986,
p. 566, par. 24; les italiques sont de moi.)

129. Un autre argument important a étéavancé dans la présente
affaire. Vu que la Libye a obtenu son indépendance en 1951et le Tchad
en 1960 (ce que l'on a appeléles dates critiques), pouvait-on envisager
qu'une déclaration faiteen 1963et en 1964(quatre années plustard dans
le cas du Tchad et treize ans plus tard dans le cas de la Libye) s'impose

ces Etats? Comment pouvait-on penser qu'un acte et une déclaration
subséquents en cette matière pouvaient modifier la situation frontalière
des parties. On observera aussi que cela s'est passéquelque neuf années
après la conclusion du traité de 1955. En réalité,la Libye a mentionné
dans ses plaidoiries le fait que la déclaration était, concrètement, déjà
appliquée d'avance :

«Ce que la Libye et la France faisaient à l'article 3 du traité
de 1955,c'était précisémen atppliquera l'avance, dans leurs relations
mutuelles, lestermes de la déclarationdu Caire qui allait êtreadoptée
neuf ans plus tard en 1964.C'est la raison pour laquelle la Libye n'a
jamais eu de difficulté avecla déclarationdu Caire; elleen avaitdéjà
acceptéles principes, qu'elle avait consacrés dans le traité de 1955
avec la France.>>(CR 93/27, p. 57.)

130. La Chambre chargée de connaître du Dijjgrendfrontalier a dû
prendre cette idéeen considération, puisque le Burkina Faso et le Mali
ont accédé LiI'indépendancecomme le Tchad en 1960,avant l'adoption

de la charte de l'Or,ganisation de l'unitéafricaine de 1963 et avant la
déclaration du Caire de 1964. Dans l'affaire précitéel,a Chambre a très
précisémentviséce point en ces termes:

«Le principe de l'uti possidetissè.~tmuintentrau rung rlesprincipes
juridiques les plus importants, nonohstunt lappurente contradiction
qu'impliquuitsu coe.uistenceuvec 1e.snouvelles normes.En effet c'est
par un choix délibéré que les Etats africains ont, parmi tous les prin-
cipes anciens, retenu celui deI'utipossidetis. C'est une réalité qui ne
suuruit Ljtrecontce.ste.u vu de ce quiprécide,il c~tévidentquUnne
sauraitmettre en douteI'upplic~abilitel'uti possidetis clansluprésente
a-ire simpleme~rp tarce que, en 1960, annéede 1'uccessionà Ilndep~n- Orgunization of Africun Unity ivhiclziras to proclainz thisprinciple rlid
not jlet e-uist,an(/ the ubove-mentionedresolution culling,for respectfor
the pre-e.uistingfrontiers thtes onlj from 1964." (1.C. J. Reports 1986,

p. 567, para. 26; emphasis added.)

131. The Chamber also considered another principle in international

law that conflicts with uti possidcti.~,juris- the right of people to self-
determination, but observed that the overriding interest of preserving the
independence that has been achieved by much sacrifice and the mainte-
nance of the status quo in terms of African boundary should be seen as
the wisest course that was taken by African statesmen. The Chamber

remarked that :
"The essential requirement of stability in order to survive, to
develop and gradually to consolidate their independence in al1fields,

has induced African States judiciously to consent to the respecting of
colonial frontiers, and to take account of it in the interpretation of
the principle of self-determination of peoples." (Ibid., p. 567,
para. 25.)

132. Another issue to be considered here as it relates to the dispute is
to answer the question of what is the critical date. There are few impor-
tant dates to be considered. Libya achieved her independence on
24 December 1951 ; as far as Libya is concerned that must be the critical

date in this regard and it is her argument that there was no boundary
conventional or otherwise on this date between her and Chad. The criti-
cal date for Chad is 1960when she obtained her independence. Since this
is the last of the two dates can one therefore consider this to be the criti-
cal date? This may be a very persuasive argument since on this date the

Treaty of 1955had already established a boundary to the south of Libya.

133. Only last year the Chamber of the Court further elucidated on the
principle of uripossidetix vis-Li-vissubsequent treaties and the notion of
the critical date, in the case concerning the Lund, ishnd unci Mliritime
Frontier Dispute (El Salvador/Honrlurus : Nicuraguu intervening) when the

Chamber held thus:
"There has also been soine argument between the Parties about
the 'critical date' in relation to this dispute. The principle of utipos-

.sidetisjuri.~is sometimes stated in almost absolute terms, suggesting
that the position at the date of independence is always determina-
tive; in short, that no other critical date can arise. As appears from
the discussion above, this cannot be so. A later critical date clearly
may arise, for example, either from adjudication or from a boundary

treaty." (I.C.J. Reports 1992, p. 401. para. 67.)

134. Thus it can be concluded that the 1955 Treaty accords with the

principle of uti possidetis and that the Parties to this dispute are bound u'ancedu Mali et du Burkina Faso, I'Orgunisationde l'unitéaflicuine,
qui uproc31amé ceprincipe, nkxistuit pus encoreet que la résolutionpré-
citéerelcrtiveL1 'ciqagement de respecter lesjrontières préexistuntesne

dute que de 1564. ))(C.J.J. Recueil 1586,p. 567, par. 26; les italiques
sont de moi.)
131. La Chambre a aussi envisagé un autre principe de droit interna-

tional qui se heurte à celui de l'uti possitietijuris, le droit des peuples à
disposer d'eux-mêmes, maiselle a fait observer que l'intérês tuprêmequ'il
y avait à préserver I'iridépendanceobtenue au prix de tant de sacrifices et
le maintien du statu quo frontalier en Afrique était la voie la plus sage
qu'aient pu suivre les hommes d'Etats africains. Elle a déclaré:

((C'est le besoin vital de stabilité pour survivre, se développer et
consolider progressivement leur indépendance dans tous les do-
maines qui a arrienéles Etats africains à consentir au respect des

frontières coloniiiles, et à en tenir compte dans l'interprétation du
principe de l'autodétermination des peuples.)) (Jhid, p. 567, par. 25.)

132. Une autre question qu'il y a lieu d'examiner en l'occurrence, du
fait qu'elle a trait au différend, est la réponse a la question de savoir
quelle est la date critique.I n'y a que quelques dates importantes à consi-
dérer. La Libve a accédéà I'indénendance le 24 décembre 1951: selon
elle. ce doit êtrela date critique à cet égardet elle soutient qu'il n'existait

aucune frontière, conventionnelle ou autre, à cette date entre elle-mème
et le Tchad. Pour le Tchad, la date critique est 1960,année de son acces-
sion à l'indépendance. Comme cette date est la plus récente des deux,
peut-on en déduire qu'elle est la date critique? Il pourrait y avoir là un
argument trks convaincant puisque, à cette date, le traité de 1955 avait
déjàétabli une frontiitre au sud de la Libye.

133. Ce n'est que l'an dernier que la Chambre de la Cour a davantage
explicitéle principe de l'utipo~sid~tisen ce qui concerne des traités sub-
séquentset la notion dedate critique, dans l'affaire du D~férendjiontalier
terrestre, inslr1uirt muritime (El Sali.ucior/Hondurws;Nic~uruguuiii7tcri.e-
nunt)), lorsclu'ellea déclaréce qui suit:

((Des divergences de vues se sont aussi fait jour entre les Parties au
sujet de la((date critique)) en ce qui concerne le présentdifférend.Le
principe de l'utipos.~id~te ist~qujlqu-fosis affirméen termes pres-
que absolus, comme si la situation à la date de l'indépendance était

toujours déterminante; comme si, en bref, il ne pouvait y avoir
d'autre date critique. Or, comme il ressort de l'analyse ci-dessus. il
ne saurait en êtreainsi. Manifestement, une date critique ultérieure
peut apparaître, par exemple par- suite d'une décision d'un juge ou
d'un traité front;îlier))(C.1.J. Re(.ueil 1992, p. 401, par. 67.)

134. On peut ainsi conclure que le traitéde 1955est conforme au prin-
cipe de I'zrtipossici~.st qu'il lie les Parties au présentdifférend. Par con-92 TERRITORIAL DISPUTE (SEP.OP. AJIBOLA)

by it. Consequently, Article 3with Annex 1ofthe 1955Treaty established
the frontier between the two Parties. The objective of the principle

uripossidetis is not in doubt; whether defucto or dejure the methods of
approach are similar in effect becausitsaim is to provide, ultimately, a
stable and permanent solution of boundary problems.

(SignedB )ola AJIBOLAséquent,l'article 3 et l'annexe 1du traité de 1955 ont établila frontière
entre les deux Parties. L'objectif du principe deI'utipossidetis n'est pas
mis en doute; que ce soit clejacto ou dejure, les modes d'approche sont
analogues en fait, parce que son objectif est de fournir, en définitive, une
solution stable et permanente aux problèmes frontaliers.

(Signe) Bola AJIBOLA.

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Opinion individuelle de M. Ajibola (traduction)

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