Opinion individuelle de M. Ruda (traduction)

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071-19851210-JUD-01-01-EN
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071-19851210-JUD-01-00-EN
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OPINION INDIVIDUELLE DE M. RUDA

[Traduction]

1. J'aivotéen faveur du dispositif del'arrêt, ejte souscrià l'essentieldu
raisonnement qu'il suit. Par contre, je ne peux approuver les conclusions
des paragraphes 41, 42 et 43, au sujet de ce que la Cour appelle une
exception d'ordre juridictionnel >)soulevéepar la Libye.
2. La Tunisie a soumis deux demandes en interprétation et une de-
mandede rectification d'erreur matérielle. Lapremièredemande eninter-
prétation et lademande de rectification d'erreur matérielle serapportent

au premier secteur de la délimitation,et l'autre demande d'interprétation
vise le second secteur.
3. Bien que les demandes en interprétation ne se rapportent pas au
même secteuret soient de nature différente - l'une ayant un caractère
subsidiaire, et l'autre étantune demandeau principal -, la Libye, dans ses
observations,a opposé à toutes deux des objections fondées sur l'article 3
du compromis de juin 1977.
4. La thèsede la Libye sur cepoint est exposéeauxparagraphes 69 à73

de ses observations, où il est rappeléque le compromis, base de compé-
tence de la Cour en l'espèce, prévoyait àl'article3la procédure à suivre au
casoù lesParties ne pourraient semettre d'accord surladélimitationaprès
l'arrêtde la Cour. Cet article 3 dispose qu'après une certaine périodeles
Parties

<(reviendront ensembledevant la Cour et demanderont toutes expli-
cations ou tous éclaircissementsqui faciliteraient la tâche des deux
délégations pour parvenir àlaligneséparantlesdeuxzones du plateau
continental o.

D'aprèsla Libye, les Parties devaient revenir <ensemble >devant la Cour

après s'être efforcéed se bonne foi d'exécuter l'arrêt ; si cet effort était
infructueux, elles devaient indiquer les points de divergence entre elles.
C'est ce que la Tunisie n'aurait pas fait, en refusant de préciser les
difficultésque soulevait, pour elle, le mode d'application de l'arrêtpréco-
nisépar la Libye o.Selonla Libye,l'important n'étaitdoncpasde savoir si
l'article 103 de la Charte des Nations Unies prévaut sur l'article 3 du
compromis, argument avancépar la Tunisie dans sa demande, mais lefait

que l'article3imposait aux Parties une certainemarche à suivre,<(à savoir,
l'obligation évidented'épuiser lavoiededroit constituéepar unedemande
d'explications >)en vertu de l'article 3 du compromis. La Libye en con-
cluait que <(la Cour ne possèdepas la compétencerequise pour recevoirle
recoursen interprétationde la Tunisie o.Cependant, dans lesconclusions
qui figurent dans ses observations, la Libye n'insistait pas sur ce point. 5. L'argument du défaut de juridiction s'est estompé au cours de la
procédureorale, où l'agent de la Libye a déclaré :

<Pour finir, je tiensà préciserque la Libye n'ajamais refuséde
revenir ensemble devant la Cour pour obtenir des explications et des
éclaircissements en vertude l'article 3du compromis. En revanche, la
Libye a bel et bien insisté pour que la Tunisie précisepar écritsa
position, comme elle-même l'avaitfait. Les échangesdiplomatiques
ne laissent subsister aucun doute à cet égard. Permettez-moide sou-
lignerque c'estla Libye,etnon laTunisie, qui afournitout ledossier à

la Cour. Je demande instamment aux membres de la Cour de com-
pulser cedossier,puisqu'il révèlle'attitudeadoptéepar la Tunisie. Les
affirmations répétées des conseils de la Tunisie selon lesquelles la
Libye aurait écarté l'applicationde l'article 3 et refuséde revenir
devant la Cour ne sauraient altérer la vérité. Ainsique les faits le
démontrent, il est apparu dèsle débutque la Tunisie cherchait une
modification et non un éclaircissement.
La Tunisie n'ajamais exposé avec précisionet par écritles points
qui,selon elle,demandaient à êtreexplicitésetéclaircis.Par contraste,

la Libye a exprimépar écritsaposition dans les termes les plus clairs
possible.>)(Audience du 17juin 1985.)
6. A la mêmeaudience l'un des conseils de la Libye n'a évoqué que
brièvement l'article3, à propos de la réactionde la Tunisie à la note du

30octobre 1982par laquelle la Libye invitait la Tunisie à exposer tous les
points nécessairespour soumettre le problème à la Cour :
<<Lesrenseignements plus completsetplus précisque demandait la
Libye étaientconsidéréspar celle-ci comme une base indispensable

pour un retour devant la Cour. Et cette demande ne pouvait pas être
raisonnablement considéréecomme un rejet par la Libye des dispo-
sitions de l'article3du compromis, relativesà la possibilitéde revenir
devant la Cour pour demander des explications et des éclaircisse-
ments. >)(Ibid.)

7. Un autre conseil de la Libye, exposant la thèselibyenne de l'irrece-
vabilitédes demandes en interprétation et rectification d'erreur, s'estabs-
tenu de souleverla question du défautdejuridiction envertu de l'article3.
Enfin, le dernier conseilà prendre la parole devant la Cour s'estborné à
dire, au début deson intervention :

((La Tunisie seheurte à une premièredifficultédans sa demande en
interprétationdans la mesure où,comme sirFrancis Vallat l'adémon-
tré, l'article3 du compromis imposait à la Tunisie de suivre une
certaine procédure, ce qu'elle n'a absolument pas fait. Je n'ai rieà
ajouter sur ce point.))(Audience de la matinéedu 18juin 1985.)

Cependant ce conseil, on le sait, ne s'étaitpas attardé sur cet argu-
ment.
8. En outre, la Libye, dans ses conclusions finales, a réaffirmélesconclusions contenues dans sesobservations, sansdonc invoquer ledéfaut
de juridiction.
9. Cette position finale de la Libye a étépréciséegrâce à la question
poséepar unjuge au sujet de l'article 60du Statut et du rôle des Parties en
vertu de l'article 3 du compromis, question àlaquelle la Libye a répondu
dans ces termes :

<La Tunisie n'a pas essayéde bonne foi de parvenir à une entente
sur lespoints àexpliquer ou à élucider envuede présenter une requête
conjointe à la Cour en application de l'article 3 du compromis. Une
telle requête conjointe constituait une condition nécessaire pour
revenir devant la Cour en vertu de l'article 3. Le fait que la Tunisie
n'ait pas essayéde préciser lepoint ou les points à expliquer ou à

éluciderdans l'optique d'une démarche conjointepourrait fort bien
êtreconsidéré commelui interdisant d'invoquer l'article60du Statut.
La Libye a cependant préféré ne pas s'appuyer sur ce que la Tunisie
pourrait regarder comme un obstacle purement technique à sa pré-
sente requête.Cette requêteest à tel point dépourvuede fondement
que la Libye a préféré la combattre. ))

10. Selon la Cour, il n'est pas absolument clair que la Libye voulait
ainsi renoncer à une exception d'ordre juridictionnel fondée sur l'ar-
ticle 3))(par. 42infine).Je ne suispas de cet avis. Selonmoi, cette réponse
montre bien que la Libye n'insistait pas sur l'argument du défaut de
juridiction soulevédans ses observations. Commeje l'aidéjàdit, la Libye
n'avait pas retenu cette exception dans ses conclusions. Or les exceptions
d'ordrejuridictionnel doivent normalement êtreformuléesexpressément,
et ne sauraient êtreprésumées à la légère.
11. Malgrécette intention clairement manifestéede la Libye de renon-
cer à l'exception d'ordre juridictionnel, la Cour analyse la question des

rapports entre la procédureprévue à l'article 3 du compromis et la pos-
sibilitédonnée à l'uneou l'autre Partie dedemander une interprétation de
l'arrêten vertu de l'article 60 du Statut. Elle conclut que, dans le cas
d'espèce, l'article3 n'ôte pasà la Tunisie le droit de la saisir unilatérale-
ment sur la base de l'article 60du Statut.
12. Je suis aussi d'un avis différent sur ce point, et je regrette de ne
pouvoir partager les conclusions de la Cour.
13. La lecture de l'article 3 du compromis me conduit à la conclusion
que les Parties y envisageaient une procédurespécialepour saisir la Cour
avant que l'article 60 du Statut pût êtreinvoqué ; l'intention des Parties

dans cetexte ne semblait pas êtrederenonceraux droitsque leurconfèrele
Statut, mais d'instaurer une procédure préalablepour saisir la Cour avant
de déciderde faire une demande unilatéraled'interprétation. L'objet de
l'article 3 étaitd'obliger lesPartieà s'efforcer de résoudreentre elles les
pointsde désaccordavant de s'adresser à la Cour ;siellesn'yparvenaient
pas, ellespouvaient alors demander unilatéralementune interprétation en
vertu de l'article 60 du Statut. L'article 3 ne faisait pas obstacle à la
procédure établiepar l'article 60du Statut - pour m'exprimer commelaCour, ilne <(bloquait ))pascetteprocédure - sil'une desParties choisissait
de ne pas coopérer :il prévoyait seulementune procédureque les Parties
devaient essayer de suivre avant de s'adresser à la Cour. Le mécanisme
instaurépar les Parties leur offrait la possibilitéde faire un effort sérieux

pour s'entendre avant de saisir la Cour. Or les documents joints aux
observations libyennes me conduisent à conclure que laTunisie n'ajamais
indiquéexpressément àla Libye lespoints qui, selon elle,nécessitaientdes
explications oudeséclaircissements.Amon avis,en raison decetteattitude
de la Tunisie, il n'yajamais eu d'effort sérieuxpour réglerentre les Parties
les points qui appelaient des explications ou des éclaircissements.
14. Pour ce qui est de l'argument de laTunisie selon lequel l'article 103
de la Charte l'emporte sur toute autre disposition, je me contenterai de

rappeler que cet article a trait seulement aux conflits d'cobligations ))et
non aux conflits de droits. La question a été étudiée en détail par les
commentateurs les plus éminents de la Charte. Il serait juridiquement
intéressantd'examiner si lesEtats peuvent renoncer par compromis aux
droits que leur accorde le Statut, mais la Cour n'avait pas à résoudrece
problème théorique,car ce que les Parties prévoyaientdans leur compro-
mis était une procédureles obligeant à essayer de semettre d'accord pour
demander <(explications et éclaircissements))avant d'invoquer l'article 60

- procédure qui, à mon avis, n'est contraire àaucune des dispositions du
Statut.
15. Pour ces raisons, je suis d'accord avec l'argument avancépar la
Libye dans ses observations,et non pas avec le raisonnement de la Cour.
J'ajouterai, pour reveniràcequeje disais au débutdemonopinion, que cet
argument, s'ilétait formellementinvoqué,reviendrait à plaider une c<ex-
ception d'incompétence ))c'est-à-direune exception préliminaire rejetant
lajuridiction de la Cour. Comme la Libye le disait dans ses observations,

<<la Cour ne possèdepas la compétencerequise pour recevoirlerecoursen
interprétation de la Tunisie D.
16. On l'a vu plus haut, non seulement la Libye n'a pas soulevéfor-
mellement cette exception préliminaire, mais ellea expressémentrenoncé
au droit de lefaire. Dans cesconditions, je pense que la Cour n'avait pas à
analyser les arguments se rattachant à une telle exception, la Partie inté-
resséeayant renoncé à son droit de s'en prévaloir.Cette renonciation

équivalait à un consentement exprès,et, le consentement étantle fonde-
ment de la compétencede la Cour, celle-ci,dans cesconditions, ne pouvait
qu'en prendre acte.

(Signé J)séMaria RUDA.

Bilingual Content

SEPARATE OPINION OF JUDGE RUDA

1. 1have voted in favour of the operative clauses of the Judgment and 1
subscribe to most of its reasoning. However, 1am bound to dissent from
the conclusions reached in paragraphs 41,42 and 43, whch refer to what
the Court calls "a jurisdictional objection raised by Libya".
2. Tunisia submitted two requests for interpretation and one for cor-

rection of an error. One of the requests for interpretation,and the request
for correction of an error, concern the first sector of the delimitation, the
other request for interpretation concerns the second sector.

3. Although the requests forinterpretation weresubrnitted in relation to
different sectors and have a different nature, because onehas a subsidiary
character and the other is a principal request, both were objected to in
Libya'sObservations on the basis of Article 3of the SpecialAgreement of
June 1977.
4. Libya developed its argument in paragraphs 69-73 of its Observa-
tions, recalling that the Special Agreement provided the basis of the
Court's jurisdiction, and that it included in Article 3 a procedure to be
followed in case of lack of agreement on the delimitation, following the
Court'sJudgment. Thisprocedure ofArticle 3 provides that after acertain
period, the Parties

"shall together go back to the Court and request any explanations or
clarifications whichwould facilitate the task of the two delegations to
arrive at a line separating the two areas of the continental shelf".

Libya understands that the Partiesshould goback "together" to the Court,
after making an effort, in good faith, to implement the Judgment ;if this

effort fails, they are obliged to indicate the points of difference. That is
what Tunisia, according to Libya, had not done, refusing "to specify the
difficulties ithad with the wayLibya has indicated theJudgment shouldbe
implemented". Libya, then, subrnitted that the point was not whether
Article 103 of the United Nations Charter overrides Article 3 of the
compromis, an argument advanced by Tunisia in the Request, but that
Article 3required the parties to follow a certainprocedure ;it added "that
is, the evident obligation for them first to exhaust the remedy of seeking
explanations and clarifications, under Article 3of the SpecialAgreement".
Libya concluded that "the Court does not possess the requisitejurisdiction
to admit the request for interpretation". However, in the submissions
included in the Observations, Libya did not insist on this proposition. OPINION INDIVIDUELLE DE M. RUDA

[Traduction]

1. J'aivotéen faveur du dispositif del'arrêt, ejte souscrià l'essentieldu
raisonnement qu'il suit. Par contre, je ne peux approuver les conclusions
des paragraphes 41, 42 et 43, au sujet de ce que la Cour appelle une
exception d'ordre juridictionnel >)soulevéepar la Libye.
2. La Tunisie a soumis deux demandes en interprétation et une de-
mandede rectification d'erreur matérielle. Lapremièredemande eninter-
prétation et lademande de rectification d'erreur matérielle serapportent

au premier secteur de la délimitation,et l'autre demande d'interprétation
vise le second secteur.
3. Bien que les demandes en interprétation ne se rapportent pas au
même secteuret soient de nature différente - l'une ayant un caractère
subsidiaire, et l'autre étantune demandeau principal -, la Libye, dans ses
observations,a opposé à toutes deux des objections fondées sur l'article 3
du compromis de juin 1977.
4. La thèsede la Libye sur cepoint est exposéeauxparagraphes 69 à73

de ses observations, où il est rappeléque le compromis, base de compé-
tence de la Cour en l'espèce, prévoyait àl'article3la procédure à suivre au
casoù lesParties ne pourraient semettre d'accord surladélimitationaprès
l'arrêtde la Cour. Cet article 3 dispose qu'après une certaine périodeles
Parties

<(reviendront ensembledevant la Cour et demanderont toutes expli-
cations ou tous éclaircissementsqui faciliteraient la tâche des deux
délégations pour parvenir àlaligneséparantlesdeuxzones du plateau
continental o.

D'aprèsla Libye, les Parties devaient revenir <ensemble >devant la Cour

après s'être efforcéed se bonne foi d'exécuter l'arrêt ; si cet effort était
infructueux, elles devaient indiquer les points de divergence entre elles.
C'est ce que la Tunisie n'aurait pas fait, en refusant de préciser les
difficultésque soulevait, pour elle, le mode d'application de l'arrêtpréco-
nisépar la Libye o.Selonla Libye,l'important n'étaitdoncpasde savoir si
l'article 103 de la Charte des Nations Unies prévaut sur l'article 3 du
compromis, argument avancépar la Tunisie dans sa demande, mais lefait

que l'article3imposait aux Parties une certainemarche à suivre,<(à savoir,
l'obligation évidented'épuiser lavoiededroit constituéepar unedemande
d'explications >)en vertu de l'article 3 du compromis. La Libye en con-
cluait que <(la Cour ne possèdepas la compétencerequise pour recevoirle
recoursen interprétationde la Tunisie o.Cependant, dans lesconclusions
qui figurent dans ses observations, la Libye n'insistait pas sur ce point. 5. The argument of lack ofjurisdiction faded away in the course of the
oral pleadings. The Libyan Agent said :

"Finally, 1 should like to make clear that Libya never refused to
return jointly to the Court to seek explanations and clarifications
under Article 3 of the Special Agreement. However, Libya did insist
that Tunisia setforth in writing itspreciseposition as Libya had done.
The diplomatic exchanges leave no room for doubt on this. Let me
point out that the Court has been provided with the whole file by
Libya, not by Tunisia. 1urge Members of the Court to read that file
since it reveals Tunisia's attitude. The repeated claims of counsel for
Tunisia that Libya rejected Article 3 and refused to return cannot
change the truth. As the record shows, it was apparent from the start

that what Tunisia sought was modification, not clarification.

Tunisia never set forth precisely in writing the points it considered
torequireexplanations and clarifications. In contrast, Libya set forth
its position in writing in the clearest terms." (Sitting of 17 June
1985.)

6. Counsel for Libya made only a short reference to Article 3, com-
menting on the Tunisian attitude to the Note of 30 October 1982,where
Libya invited Tunisia to state al1the points necessary to refer the matter to
the Court. He said :
"The Libyan request for more complete and precise information
was considered by Libya to be a necessary basis for reference back to
the Court.This request could not reasonablybeconsidereda rejection

by Libya of the provisions of Article 3 of the Special Agreement,
regarding going back to the Court to request explanation and clari-
fication." (Ibid.)

7. Another counsel for Libya, who developed the Libyan thesis on
"L'irrecevabilitédes demandes en interprétation et correction d'erreur"
did not touch the subject of want ofjurisdiction on the basis of Article 3.
Finally, the last counsel to address the Court merely said, at the beginning

of his intervention, the following :
"Tunisia facesan initial difficulty in itsrequest forinterpretationin
that, as Sir Francis Vallat has shown, Article 3 of the Special Agree-
ment required Tunisia to follow a certain procedure, which she has
totally failed to do. 1need add nothing moreon that point." (Sitting of
18June 1985,morning.)

But, as we know this counsel had not developed this argument.

8. Moreover, the Libyan final subrnissions reaffirmed the submissions 5. L'argument du défaut de juridiction s'est estompé au cours de la
procédureorale, où l'agent de la Libye a déclaré :

<Pour finir, je tiensà préciserque la Libye n'ajamais refuséde
revenir ensemble devant la Cour pour obtenir des explications et des
éclaircissements en vertude l'article 3du compromis. En revanche, la
Libye a bel et bien insisté pour que la Tunisie précisepar écritsa
position, comme elle-même l'avaitfait. Les échangesdiplomatiques
ne laissent subsister aucun doute à cet égard. Permettez-moide sou-
lignerque c'estla Libye,etnon laTunisie, qui afournitout ledossier à

la Cour. Je demande instamment aux membres de la Cour de com-
pulser cedossier,puisqu'il révèlle'attitudeadoptéepar la Tunisie. Les
affirmations répétées des conseils de la Tunisie selon lesquelles la
Libye aurait écarté l'applicationde l'article 3 et refuséde revenir
devant la Cour ne sauraient altérer la vérité. Ainsique les faits le
démontrent, il est apparu dèsle débutque la Tunisie cherchait une
modification et non un éclaircissement.
La Tunisie n'ajamais exposé avec précisionet par écritles points
qui,selon elle,demandaient à êtreexplicitésetéclaircis.Par contraste,

la Libye a exprimépar écritsaposition dans les termes les plus clairs
possible.>)(Audience du 17juin 1985.)
6. A la mêmeaudience l'un des conseils de la Libye n'a évoqué que
brièvement l'article3, à propos de la réactionde la Tunisie à la note du

30octobre 1982par laquelle la Libye invitait la Tunisie à exposer tous les
points nécessairespour soumettre le problème à la Cour :
<<Lesrenseignements plus completsetplus précisque demandait la
Libye étaientconsidéréspar celle-ci comme une base indispensable

pour un retour devant la Cour. Et cette demande ne pouvait pas être
raisonnablement considéréecomme un rejet par la Libye des dispo-
sitions de l'article3du compromis, relativesà la possibilitéde revenir
devant la Cour pour demander des explications et des éclaircisse-
ments. >)(Ibid.)

7. Un autre conseil de la Libye, exposant la thèselibyenne de l'irrece-
vabilitédes demandes en interprétation et rectification d'erreur, s'estabs-
tenu de souleverla question du défautdejuridiction envertu de l'article3.
Enfin, le dernier conseilà prendre la parole devant la Cour s'estborné à
dire, au début deson intervention :

((La Tunisie seheurte à une premièredifficultédans sa demande en
interprétationdans la mesure où,comme sirFrancis Vallat l'adémon-
tré, l'article3 du compromis imposait à la Tunisie de suivre une
certaine procédure, ce qu'elle n'a absolument pas fait. Je n'ai rieà
ajouter sur ce point.))(Audience de la matinéedu 18juin 1985.)

Cependant ce conseil, on le sait, ne s'étaitpas attardé sur cet argu-
ment.
8. En outre, la Libye, dans ses conclusions finales, a réaffirméles 234 APPLICATION FOR REVISION (SEP. OP. RUDA)

contained in the Observations. No reference, therefore, was made there to
lack of jurisdiction.
9. This final position of Libya was clarified thanks to the question put

by ajudge as to the relation of Article 60 and the role of the Parties under
Article 3. Libya replied :

"Tunisia has not made a bonafide attempt to agree on points of
explanation or clarification for the purpose of ajoint request to the
Court under Article 3of the SpecialAgreement. Suchajoint request is
a necessary condition for return to the Court under Article 3. The

failure of Tunisia to attempt to specify the point or points of expla-
nation or clarification for the purposes of ajoint request could well be
regarded as debarring Tunisia's resort to Article 60 of the Statute.
Libya, however,has chosen not to rely on what might be regarded by
Tunisia as a purely technical bar to the present Application. Libya
believes that the application is so lacking in merit that Libya has
preferred to oppose it."

10. To the Court it "is by no means clear" that Libya, by thisstatement,
"intended to waiveajurisdictional objection,based onArticle 3" (para. 42,
infine). 1dissent on thispoint.This isfor meaclearindication that Libya is
not insisting on the argument of lack ofjurisdiction raised in the Obser-
vations. As 1saidbefore, Libya didnot include thisjurisdictional objection
inits submissions. Objections of this nature, shouldnormally be raised in a
forma1way, and they are not lightly to be presumed.

11. Despite this clear statement of intention to waive the objection,the
Court, however, goes into the question of the relationship between the
procedure contemplated by Article 3 of the Special Agreement and the
possibility of either Party to request an interpretation under Article 60 of
the Statute. The Court findsthat Article 3 does not impair, in the circum-
stances of this case, the right of Tunisia, under Article 60of the Statute, to
seise the Court unilaterally.

12. 1am also of a different opinion on this point, and 1regret that 1do
not share the Court's findings.
13. My reading of Article 3 of the Special Agreement leads me to the
conclusion that the Parties foresee a special procedure of coming to the
Court, before Article 60of the Statute couldbe invoked ;it does not seem
tobe the intention of the Parties to waivetheir rights under the Statute, but
to establish a previous procedure for coming to the Court, before they
decide to ask unilaterally for an interpretation. The purpose of Article 3is
to oblige the Parties to make an effort to settle between themselveswhich
are the points of difference, before coming to the Court ;if such an effort
fails, the Parties then could ask unilaterally for an interpretation under
Article 60 of the Statute. Article 3 is not a bar, or a "block" - to use the
Court's terminology -, to the procedure established in Article 60 of theconclusions contenues dans sesobservations, sansdonc invoquer ledéfaut
de juridiction.
9. Cette position finale de la Libye a étépréciséegrâce à la question
poséepar unjuge au sujet de l'article 60du Statut et du rôle des Parties en
vertu de l'article 3 du compromis, question àlaquelle la Libye a répondu
dans ces termes :

<La Tunisie n'a pas essayéde bonne foi de parvenir à une entente
sur lespoints àexpliquer ou à élucider envuede présenter une requête
conjointe à la Cour en application de l'article 3 du compromis. Une
telle requête conjointe constituait une condition nécessaire pour
revenir devant la Cour en vertu de l'article 3. Le fait que la Tunisie
n'ait pas essayéde préciser lepoint ou les points à expliquer ou à

éluciderdans l'optique d'une démarche conjointepourrait fort bien
êtreconsidéré commelui interdisant d'invoquer l'article60du Statut.
La Libye a cependant préféré ne pas s'appuyer sur ce que la Tunisie
pourrait regarder comme un obstacle purement technique à sa pré-
sente requête.Cette requêteest à tel point dépourvuede fondement
que la Libye a préféré la combattre. ))

10. Selon la Cour, il n'est pas absolument clair que la Libye voulait
ainsi renoncer à une exception d'ordre juridictionnel fondée sur l'ar-
ticle 3))(par. 42infine).Je ne suispas de cet avis. Selonmoi, cette réponse
montre bien que la Libye n'insistait pas sur l'argument du défaut de
juridiction soulevédans ses observations. Commeje l'aidéjàdit, la Libye
n'avait pas retenu cette exception dans ses conclusions. Or les exceptions
d'ordrejuridictionnel doivent normalement êtreformuléesexpressément,
et ne sauraient êtreprésumées à la légère.
11. Malgrécette intention clairement manifestéede la Libye de renon-
cer à l'exception d'ordre juridictionnel, la Cour analyse la question des

rapports entre la procédureprévue à l'article 3 du compromis et la pos-
sibilitédonnée à l'uneou l'autre Partie dedemander une interprétation de
l'arrêten vertu de l'article 60 du Statut. Elle conclut que, dans le cas
d'espèce, l'article3 n'ôte pasà la Tunisie le droit de la saisir unilatérale-
ment sur la base de l'article 60du Statut.
12. Je suis aussi d'un avis différent sur ce point, et je regrette de ne
pouvoir partager les conclusions de la Cour.
13. La lecture de l'article 3 du compromis me conduit à la conclusion
que les Parties y envisageaient une procédurespécialepour saisir la Cour
avant que l'article 60 du Statut pût êtreinvoqué ; l'intention des Parties

dans cetexte ne semblait pas êtrederenonceraux droitsque leurconfèrele
Statut, mais d'instaurer une procédure préalablepour saisir la Cour avant
de déciderde faire une demande unilatéraled'interprétation. L'objet de
l'article 3 étaitd'obliger lesPartieà s'efforcer de résoudreentre elles les
pointsde désaccordavant de s'adresser à la Cour ;siellesn'yparvenaient
pas, ellespouvaient alors demander unilatéralementune interprétation en
vertu de l'article 60 du Statut. L'article 3 ne faisait pas obstacle à la
procédure établiepar l'article 60du Statut - pour m'exprimer commela 235 APPLICATION FOR REVISION (SEP.OP.RUDA)

Statute, if one of the Parties chooses not to CO-operate : it is only a

procedure that thePartiesshouldtry to follow,before coming to the Court.
The mechanism set up by the Parties provides for a serious effort to reach
an agreement, before coming to the Court. My reading of the documents
submitted by Libya, attached to its Observations, leads me to the conclu-
sion that Tunisia neverconcretely submitted toLibyawhat werethepoints
that it considered needed some explanation or clarification. To my mind,
because of this position of Tunisia, there has never been a serious effort to
try to settle between the Parties what were the points that needed expla-
nations or clarifications.
14. As to the Tunisian argument based on the overriding character of
Article 103of the Charter, 1would like simply to recall that this article
refersonly to aconflict of "obligations", not of rights. The subject hasbeen
dealt with in detail by the most distinguished commentatorson the Char-

ter. It would be an interestingjuridical exercise to study whether States
may waive their rights under the Statute in a Special Agreement, but this
theoretical problem is not before the Court, because the Parties have
envisagedin their SpecialAgreement aprocedure whichrequires, first, that
they should try and reach an agreement to seek "explanations and clari-
fications" before invoking Article 60, a procedure which, to my mind, is
not against any provision of the Statute.

15. For these reasons, 1 share the Libyan argument presented in its
Observations, and not theCourt's reasoning. 1would liketo add, returning
to the beginning of this opinion, that this proposition, if formally submit-
ted, will amount to the submission of an "exception d'incompétence':a

preliminary objection challenging thejurisdiction of the Court. As Libya
said in the Observations : "The Court does not possess jurisdiction to
admit the Tunisian request for interpretation."

16. As 1said before, Libya not only did not formally submit this pre-
liminaryobjection but specificallywaivedits right. In thesecircumstances,
1 do not think it is for the Court to go into the analysis of the arguments
related to such objection, when the interested Party has waived its right to
invoke it ;this renunciation is tantamount to a very specific consent, and
asconsent is the basis of thejurisdiction of this tribunal,theCourt,in such
circumstances, could not but take judicial notice of the waiver.

(Signed) José Maria RUDA.Cour, ilne <(bloquait ))pascetteprocédure - sil'une desParties choisissait
de ne pas coopérer :il prévoyait seulementune procédureque les Parties
devaient essayer de suivre avant de s'adresser à la Cour. Le mécanisme
instaurépar les Parties leur offrait la possibilitéde faire un effort sérieux

pour s'entendre avant de saisir la Cour. Or les documents joints aux
observations libyennes me conduisent à conclure que laTunisie n'ajamais
indiquéexpressément àla Libye lespoints qui, selon elle,nécessitaientdes
explications oudeséclaircissements.Amon avis,en raison decetteattitude
de la Tunisie, il n'yajamais eu d'effort sérieuxpour réglerentre les Parties
les points qui appelaient des explications ou des éclaircissements.
14. Pour ce qui est de l'argument de laTunisie selon lequel l'article 103
de la Charte l'emporte sur toute autre disposition, je me contenterai de

rappeler que cet article a trait seulement aux conflits d'cobligations ))et
non aux conflits de droits. La question a été étudiée en détail par les
commentateurs les plus éminents de la Charte. Il serait juridiquement
intéressantd'examiner si lesEtats peuvent renoncer par compromis aux
droits que leur accorde le Statut, mais la Cour n'avait pas à résoudrece
problème théorique,car ce que les Parties prévoyaientdans leur compro-
mis était une procédureles obligeant à essayer de semettre d'accord pour
demander <(explications et éclaircissements))avant d'invoquer l'article 60

- procédure qui, à mon avis, n'est contraire àaucune des dispositions du
Statut.
15. Pour ces raisons, je suis d'accord avec l'argument avancépar la
Libye dans ses observations,et non pas avec le raisonnement de la Cour.
J'ajouterai, pour reveniràcequeje disais au débutdemonopinion, que cet
argument, s'ilétait formellementinvoqué,reviendrait à plaider une c<ex-
ception d'incompétence ))c'est-à-direune exception préliminaire rejetant
lajuridiction de la Cour. Comme la Libye le disait dans ses observations,

<<la Cour ne possèdepas la compétencerequise pour recevoirlerecoursen
interprétation de la Tunisie D.
16. On l'a vu plus haut, non seulement la Libye n'a pas soulevéfor-
mellement cette exception préliminaire, mais ellea expressémentrenoncé
au droit de lefaire. Dans cesconditions, je pense que la Cour n'avait pas à
analyser les arguments se rattachant à une telle exception, la Partie inté-
resséeayant renoncé à son droit de s'en prévaloir.Cette renonciation

équivalait à un consentement exprès,et, le consentement étantle fonde-
ment de la compétencede la Cour, celle-ci,dans cesconditions, ne pouvait
qu'en prendre acte.

(Signé J)séMaria RUDA.

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Opinion individuelle de M. Ruda (traduction)

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