Opinion individuelle de M. Levi Carneiro

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015-19520701-JUD-01-01-EN
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OPINION INDIVIDUEI-LE DE M. LEVI CARNEIRO

Ayant voté sur presque toutes les questions avec la majorité
et ayant accepté les conclusions de l'arrêt,je m'excuse de signaler
quelques divergences secondaires et de noter certaines considé-
rations qui ont influencé mon attitude eu égard aux questions
soulevées et que l'arrêt n'a pas consignées.

2. Il a étédécidéde ne pas joindre l'exception au fond, aux
termes de l'article 62 (5) du Règlement de la Cour, comme l'avait
demandé une des Parties.
Je crois que cette jonction doit êtrefaite seulement quand elle
est tout à fait nécessaire. Cependant, sans amver à faire cette
jonction, la décision sur la compétence exige souvent l'appré-
ciation sommaire, superficielle, prima facie, de quelque point
appartenant au fond. Cet examen se home principalement à des
points de droit, sans atteindre les faits controversés, et la décision
sur la compétence peut alors se baser sur des considérations qui
effleurent le fond de l'affaire sans l'atteindre, sans le préjuger.

3. A mon avis, pour affirmer la juridiction de la Cour, dans le
cas actuel, il fallait reconnaître que laclamation de M.Ambatielos
ect « fondée » sur le traité du IO novembre 1886 - c'est-à-dire

qu'elle a donné lieu (suivant le protocole du mêmejour) à une
controverse ((respecting the interpretation or the execzltion» de ce
traité.
Le contre-mémoire britannique a bien fixé le raisonnement par
lequel le Gouvernement hellénique justifia la compétence de la
Cour :

«...le traitement accordé au requérant a donné naissance à une
réclamation contre le Royaume-Uni aux termes de l'articleXI.' du
traité de 1886; que, le Royaume-Uni rejetant cette réclamation,
ce traité et maintenu en vigueur, après la dénonciationde ce traité,
par la déclaration faite lors de la signature du traité de 1926; et
enfin, que le refus du Royaume-Uni de se soumettre à l'arbitrage
soulève un différendsur l'application de la déclaration, différend
que la Cour est compétente pour traiizher, par application de
l'article29 du traité de 1926 »(no IO,contre-mémoirebritannique)
(c'est moi qui souligne).

Vraiment, l'argumentation du Gouvernemerit hellénique a été
ainsi fidèlement résumée.Lc mémoire lielléniquearguait expressé-
ment de l'infraction à l'articleXV, alinéa 3, du traité de 1886, OPIluION lNDIVIDUELLE BE hl.LEVI CARNEIRO
49
rksultant di1 déni de justice. et de l'infraction à l'articleX de ce
mêmetrait6 résultant de l'inégalitéde traitement (mémoire, nos 14
et 22).
L'invocation de ces dispositions du traité paraît pertinente.
Sans apprécier les faits mentionnés dans le mémoire, ni recon-

naître l'exactitiide de ces allégations, on ne peut pas se prononcer
sur le point de savoir si ces dispositions ont étéinvoquées à juste
titre :la Cour ne peut pas le dire dans cette phase du procès. Mais,
prima. facie, cette invocation doit êtrereconnue acceptable. Cela
suffit et cela est nécessaire pour que la compétence de la Cour
soit affirmée. Si la réclamation dépassait de toute évidence les
termes du traité de 1886, la Cour ne serait pas compétente. Par
exemple, si la réclamation se rapportait à des faits antérieurs au
traité de 1886, on devrait reconnaître tout de suite l'incompétence
de la Cour ;l'invocation de ce traité serait- même pfima facie -
mal fondée. A vrai dire, il s'agit de reconnaître simplement si la

réclamation est ou n'est pas admise par le traité.

4. Dans le cas actuel, la reconnaissance du fait que la réclama-
tion est fondéesur le traité de 1886 découlemêmedes déclarations
des Parties.

Dans le contre-mémoire (noII), après le résumédu raisonnement
hellénique que j'ai déjàtranscrit, l'agent du Gouvemement britan-
nique a déclaréque ce raisonnement devrait êtrerejeté « pour les
raisons suivantes »:
«a) la déclaration ne fait pas partie du traité de 1926 etl'ai-
ticle 29 du traiténe saurait par conséquent s'yapplique;

b) la déclarationétait envisagéecomme applicable uniquement
aux réclamations présentées avant la date de sa signature, le
16 juillet 1926))

Le Gouvemement britannique n'a pas repoussé le raisonnement
parce que la réclamation n'était pas basée sur le traité de 1886,
quoiqu'il niât le déni de justice et l'inégalitéde traitement. Au
contraire, il a admis que la réclamation était, prima facie, fondée
sur le traité de 1886.
Sa conclusion première était que la Cour

« n'est pascompétentepour connaîtred'une demande du Gouverne-
ment helléniquetendant à ce qu'elle ordonne au Gouvernement
du Royaume-Uni de déférer à l'a'rbitrage une réclamation du
Goiiverriement helléniquefondéesur l'article XV ou tout autre
article du traité de886 D.
Par la suite, pendant les débats oraux devant la Cour, la recon-
naissance de ce fait est devenue très évidente. Le conseil britan-
nique a posé,dans la séance du 15 mai, les conditions qu'il consi-
dérait nécessairespour admettre la compétence de la Cour : 1)que
la déclaration fît partie du traité de 1926 ;2) que la réclamation

2850 OPINION INDIVIDUELLE DE M. LEVI CARNEIRO

hellénique fût, en même temps, c(fondée sur le traité de 1886 u
et couverte par la déclaration (Plaidoiries, p. 16). Il a cherché à
démontrer que la déclaration ne faisait pas partie du traité de
1926 et qu'elle ne couvrait pas la réclamation; mais il n'a pas dit
un mot pour affirmer que la réclamation n'était pas basée sur le
traité de 1886.
Pour terminer, le conseil hellénique a dit :

c...même nos adversaires étaient d'accord pour estimer que
parmi nos bases juridiques il y en avait une au moins dont ils
reconnaissaient la pertinence: c'était l'articleXV, paragraphe 3,
du traité de 1886 ...D.

Je crois qu'il fallait reconnaître ce fait. La compétence de la
Cour découle de ce que le différend est encadré dans la déclaration
de 1926 : la réc!amation est ((fondée ))sur le traité de 1886.

5. 011 aurait pu, peut-être, anticiper la décision finale de ce cas
en prononçant - oii en déniant -, dès maintenant, l'obligation,
pour le Gouvernement britannique, de soumettre à l'arbitrage son

différend avec le Gouvernement hellénique à propos de la récla-
mation de M. Ambatielos.
L'ampleur des débats semblait permettre telle décision - et
moi-même j'ai étéincliné à la prononcer. Maintenant, j'admets
que le jugement actuel traite seulement l'exception d'incompé-
tence. En la présentant, le Gouvernement britannique a, très
clairement, détachéla question de fond de la question de compé-
tence. Qiiant au fond. il a dit que le Gouvernement hellénique est

forclos à raison de son retard à présenter une réclamation, et que
la Cour devrait, suivant !a proposition du Gouvemement hellé-
nique, se substituer à la commission d'arbitrage, etc. Sur la question
préliminaire, l'allégatior a étél'incompétence de la Cour pour
ordonner au Gouvernement britannique de déférer à l'arbitrage
une réclamation du Gouvernement hellénique, etc.

La décision actuelle de la Cour est restreinte, dans le jugement
de l'exception préliminaire, à l'affirmation de sa compétence pour
se prononcer à cet égard.
Après, dans la nouvelle pliase de la procédure, sera jugée la
requête hellénique. Alors, et seulement alors, la Cour pourra dire
et juger, comme il a été demandépar le Gouvemement hellénique,

(que le Gouvernement du Royaume-Uni est tenu d'accepter la
soumission à l'arbitrage du différendqui sépare actuellement ce
gouvernement et le Gouvernement hellénique ...».
Il est vrai que le Gouvernement hellénique lui-même, dans les

((observations et conclusions )),s'est écartéde cette orientation et
alors il a demandé à la Cour de
29 OPINION INDIVIDUELLE DE M. LEVI CARNEIRO
5'I
(idire pourdroit que le Gouvernernent du Royaume-Uni est tenu
d'accepter lasoumission A la Cour internationale deJustice siégeant
comme cour arbitrale du différendentre ce gouvernement et le
Gouvernement hellénique,et, en conséquence, fixeraux Parties les
délais pourle dépôt dela répliqueet de la duplique visant le fond
du différend».
La modification est résultée de l'agrément des conseils des deux
Parties, au cours des débats, pour attribuer à la Cour les fonctions

de la commission arbitrale prévue par le protocole de 1886. Cette
solution, proposée par le conseil hellénique, a étéacceptée par
le coriseil britannique, sous la condition que la compétence de
la Cour serait préalablement reconnue. L'arrêta décidé,très juste-
ment, que, par ce fait, la Cour n'est pas devenue compétente pour
la décision de fond.

A mon avis, on devrait déclarer expressément que la Cour pourra
assumer les fonctions de la commission arbitrale moyennant un
compromis entre les deux gouvernements. Les déclarations des
agents, ou mêmedes conseils, au cours de la procédure, peuvent
suffire pour déterminer la compétence de la Cour, par prorogation
de juridiction. Dans le cas actuel, toutefois, la Cour proclame la
compétence de la commicsion arbitrale, fondée dans le protocole
de 1886. Je considère que la Cour ne peut pas accepter qu'une
clause de cet accord intergouvernemental soit abrogée par des

déclarations des conseils et que la compétence pour décider du
différend lui ait ététransféréeen vertu de ces mêmesdéclarations.

En somme, dans la concliision, que j'ai transcrite, de se«obser-
vations »,le Gouvernement hellénique, outre cette proposition sur
la compétence de la Cour - qui est inacceptable -, prévoit la
continuation du procès par la réplique et la duplique. C'est ce
qu'exigent les articles 41 (2) et 62 (5)du Règlement de la Cour -
et aussi les débats oraux suivant les articles 47 et suivants.

Dans cette deuxième phase, on appréciera complètement le
fondement de la réclamation sur la déclaration de 1926. Une des
questions à décider alors sera celie que le coriseil britannique a
soulevée dans son sixième argument, c'est-à-dire que le prétendu
déni de justice commis en violation des principes généraux du

droit international rie constituepas une violation du traité de 1886
parce qu'il n'y a pas dans ce traité de disposition dans ce sens. Je
suis d'accord pour reconnaître que cette question ne devrait pas
être tranchée daris le stade actuel ; mais non parce qu'elle n'a
pas encore étécomplètement débattue par les Parties. Cette ornis-
sion des Parties pourrait être interprétéepar la Cour ;niais j'estime
qu'elle ne justifierait pas de laisser la question sans décision, si
309 OPINION INDIVIDUELLE DE M. LEVI CARNEIRO

une telle décision était opportune. En réalité,c'est parce que cette
question fait partie du fond mêmede l'affaire que la Cour ne peut
pas la trancher maintenant. D'autant plus que ce n'est pas néces-
saire pour affirmer la compétence de la Cour.
Ily aura encore une troisième phase si les Parties s'accordent,
mais seulement après la fin de la deuxième phase, pour attribuer
à la Cour la fonction arbitrale.
La préoccupation, que la Cour doit avoir de ne pas retarder la
fin de la procédure, ne pourra empêcher cet allongement du cas
si les Parties ne l'évitent pas.

6. Le futur prononcé de la Cour sur le fond étant restreint à la

décision portant sur la question de savoir si la réclamation de
M. Ambatielos rentre dans le cadre de la déclaration de 1926, on
ne pourra craindre que le jugement de la commission arbitrale
soit contraire à celui de la Cour. Le seul point que la Cour devra
décider sera la compétence de cette commission. Il est évident
qu'après cela, la commission même ne pourra se dire incompétente.
Ce sera à eue, si la Cour la dit compétente, de décider seulement
sui la validité de la réclamation de M. Ambatielos. Si la commis-
sion, dont la Cour fixerait ainsi la compétence, refuse de prendre
cette décision, la Cour devra ordonner la constitution d'une nou-
velle commission. On a parlé de l'autonomie des commissions

arbitrales. A mon avis, cette autonomie est limitée par l'acte de
leur institution : dans le cas actuel, cet acte sera l'arrêt de la
Cour.

Sans dépasser les limites d'une décision sur sa compétence, la
Cour ne doit pas réduire sa décision à une affirmation doctrinaire,
abstraite, en thèse ; elle doit, nécessairement, se rapporter au cas
concret. La compétence de la Cour découle des traités, des éléments
du cas qu'elle prend en considération. Alors, la Cour fixe définitive-
ment l'extension de sa compétence et de tout autre organe qui
doit intervenir dans le mêmecas.

7. La plus importante des questions présentées était, comme
l'a reconnu l'arrêt, celle de savoir si la déclaration annexée au
traité du 16 juillet 1926 fait ou non partie de ce mêmetraité. Les
considérations que l'arrêt a recueillies sont, sur ce point, bien
suffisantes.
Cependant, il y a un certain intérêtdoctrinaire, je suppose, à
insister sur la nature juridique de cette déclaration.
Elle est - il faut le dire-, suivant une expression courante,
une Idéclaration interprétative 1).Les déclarations de ce genre
proviennent souvent d'une des parties intéressées, et alors elles

précisent une attitude devant certain traité, une façon de l'exé-
3 1 53 OPINION INDIVIDUELLE DE Il.LEVI CAKNEIRO
cuter (Fenwick, International Law, p. 438 ; Oppenheim, Inter-
national Law, 6meédit., vol. 1, p. 787).

Dans The British Year Book of International Law (1948,
pp. 201-zoz), A. B. Eyons, se référantà une déclaration du Gouver-
nement français sur la clause de la nation la plus favorisée, a
observé que la Cour compétente (held that the interpretativedeclar-
ation must be read with and deemedto form part of the text of the
treaty and were binding on the cozlrts ».
La déclaration de 1926 dont il s'agit a étésignéepar les mêmes
représentants de deux gouvernements signataires du traité de
la même date. Elle prend la signification d'une interprétation
authentique qui s'incorpore au traité même. Letraité comprend
trois parties - articles, liste douanière et déclaration.

Marcel Sibert a dit que la déclaration dégagede certaines inipré-
cisions des principes considérés comme l'expression du droit inter-
national en vigueur. Ainsi, la déclaration incorporée au traité de
1926 dégage de certaines imprécisions l'application de ce même
traité et du précédenttraité dont il prenait alors la place.

Il est vrai que la déclaration se rapporte au traité de 1886 en
sauvegardant les réclamations - déjà présentéeset qui pouvaient
encore êtreprésentées - fondéessur les dispositions de ce même
traité, et en assurant la continuité de leur appréciation en certains
cas. Or, cette assurance a éténécessaire seulement parce qu'un
nouveau traité est survenu en 1926. Ainsi la déclaration a restreint

l'application du traité de 1926 en l'excluant dans les cas qu'elle
mentionne. Par ce fait même, ellepourrait être iriséréedans le
nouveau traité et elle en est partie intégrante, comme les deux
gouvernements l'ont considérédans les in-,trunents de ratification.
Au point de vue intellectuel, au point de vue idéologique, au
point de vue juridique, la déclaration fait partie du traité de 1926.

8. Il y a encore une considération à l'appui de cette conclusion :
si on ne l'adoptait pas, il n'y aurait pas de procédure préétablie
pour résoudre le différendentre les deux gouvernements sur l'inter-
prétation et l'application de cette déclaration.
Or, cette situation doit êtreévitée,pnricipalement dans le cas
de deux nations amies - cornnie la Grèce et le Royaume-Uni -

inspirées également par leur esprit démocratique et leur amour
de la paix, et qui ne manqueraient pas de pourvoir au règlement
à l'amiable des différends qui surgiraient de leurs deux traités
de commerce successifs. Je ne pourrais accepter que le Royaume-
Uni et la Grèce, ayant conclu, à quarante ans d'intervalle, deux
traités - qui se sont succédésans interruption - dominés par
la niêmepréoccupation de garantir et de favoriser les ressortis-
sants de chaque pays sur le territoire de l'autre et ayant. prévu
expressément dans les deux actes la solution amiable des diffé-

3254 OPINION INDIVIDUELLE DE M. LEVI CAKNEIRO
rends (protocole annexé au traité de 1886, article 29 du traité de
1926) se trouvent en desaccord sur l'application de l'un de ces
traités sans qu'il y ait de solution pour cette divergence, ni par
l'arbitrage ni par le recours à quelque organe de la justice inter-
nationale.

g. Je considère cette situation d'autant plus étrange et inaccep
table que le progrès du droit international, dans le sensde prévenir
la guerre et d'assurer la coopération internationale, consiste, avant
tout, dans l'assurance du règlement pacifique des différends.
L'interprétation et l'application des traités sont le domaine
préféréde l'arbitrage, par cela même qii'elles provoquent des

questions purement juridiques. Ainsi l'ont déclaré la Deuxième
Conférence de La Haye en 1907, l'article 13 du Pacte de la Société
des Nations et, encore maintenant, l'article 36 du Statut de cette
Cour.
Si l'on considère que la déclaration di1 16 juillet 1926 fait partie
du traité signé le même jour, la divergence sur l'interprétation
ou l'application de cette déclaration sera régléesuivant l'article 29
du mêmetraité, combiné à l'article 37 du Statut de cette Cour,
par cette même Cour.

IO. Pour ce qui est de l'application rétroactive des dispositions
d'ordre procédural et de celles sur la compétence - que l'arrêt
a repoussée -, je me permettrai d'ajouter que, dans le domaine
du droit international, elle doit êtreadmise seulement quand elle
résulte des textes mêmes. Mêmequand l'organe antérieurement
compétent a étésupprimé, on ne considère pas que ses attributions
passent automatiquement à l'organe nouveau qui le remplace.
Ainsi, pour que cette Cour ait les attributions de l'ancienne Cour
permanente, il a éténécessaire que l'article 37 du Statut le déter-
mine expressément. Or, dans le traité de 1926, il n'y a pas de
disposition supprimant la commission arbitrale prévue par le
traité de 1886 ;au contraire, rien n'empêche que cette commission

soit encore constituée quand cela est nécessaire. D'un autre côté,
la déclaration annexée au traité de 1926 maintient expressément
la solution par arbitrage, suivant le protocole annexé au traité
de 1886, des différends fondés sur cc traité ;l'article 29 du traité
de 1926 restreint la solution, par la Cour internationale, aux diffé-
rends sur l'interprétation ou l'application de l'une quelco~que des
dispositions de ce nouveau traité. L'application rétroactive de
l'article 29 ne serait pas justifiée et a étéexpressément exclue.

(Signé) LEVI CARNEIRO.

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OPINION INDIVIDUEI-LE DE M. LEVI CARNEIRO

Ayant voté sur presque toutes les questions avec la majorité
et ayant accepté les conclusions de l'arrêt,je m'excuse de signaler
quelques divergences secondaires et de noter certaines considé-
rations qui ont influencé mon attitude eu égard aux questions
soulevées et que l'arrêt n'a pas consignées.

2. Il a étédécidéde ne pas joindre l'exception au fond, aux
termes de l'article 62 (5) du Règlement de la Cour, comme l'avait
demandé une des Parties.
Je crois que cette jonction doit êtrefaite seulement quand elle
est tout à fait nécessaire. Cependant, sans amver à faire cette
jonction, la décision sur la compétence exige souvent l'appré-
ciation sommaire, superficielle, prima facie, de quelque point
appartenant au fond. Cet examen se home principalement à des
points de droit, sans atteindre les faits controversés, et la décision
sur la compétence peut alors se baser sur des considérations qui
effleurent le fond de l'affaire sans l'atteindre, sans le préjuger.

3. A mon avis, pour affirmer la juridiction de la Cour, dans le
cas actuel, il fallait reconnaître que laclamation de M.Ambatielos
ect « fondée » sur le traité du IO novembre 1886 - c'est-à-dire

qu'elle a donné lieu (suivant le protocole du mêmejour) à une
controverse ((respecting the interpretation or the execzltion» de ce
traité.
Le contre-mémoire britannique a bien fixé le raisonnement par
lequel le Gouvernement hellénique justifia la compétence de la
Cour :

«...le traitement accordé au requérant a donné naissance à une
réclamation contre le Royaume-Uni aux termes de l'articleXI.' du
traité de 1886; que, le Royaume-Uni rejetant cette réclamation,
ce traité et maintenu en vigueur, après la dénonciationde ce traité,
par la déclaration faite lors de la signature du traité de 1926; et
enfin, que le refus du Royaume-Uni de se soumettre à l'arbitrage
soulève un différendsur l'application de la déclaration, différend
que la Cour est compétente pour traiizher, par application de
l'article29 du traité de 1926 »(no IO,contre-mémoirebritannique)
(c'est moi qui souligne).

Vraiment, l'argumentation du Gouvernemerit hellénique a été
ainsi fidèlement résumée.Lc mémoire lielléniquearguait expressé-
ment de l'infraction à l'articleXV, alinéa 3, du traité de 1886, INDIVIDUAL OPINION OF JUDGE LEVI CARNEIRO

[Translation]
Though 1 have voted with the majority on nearly a11 the
questions and have accepted the conclusions of the Judgment,
1 nevertheless venture to draw attention to some secondary
differences of vievi, and to refer to certain considerations which

have influenced ~riy attitude in regard to questions which have
been raised, but which have not been dealt with in the Judgment.
2. It has been clecided not to join the Objection to the merits,
in conformity witti Article 62, paragraph 5, of the Rules of Court,
as had been requested by one of the Parties.
1 consider that such a joinder should only be made when it

is absolutely necessary. However, it often happens that, although
no joinder is made, the decision on the jiirisdiction involves a
summary, superficial, or prima facie consideration of certain
questions pertainirig to the merits. Such an examination is mainly
confined to the legal issues, without dealing with the facts that
are in dispute, and the decision on the jurisdiction may then
be foundeu on considerations which touch upon these questions,
without dealing e:<haustively with them and without prejudging
them.

3. Iri my opinio~n,in order to establish the Court's jurisdiction
in the present case.,it should have been decided that the Ambatielos
claim is "based" on the Treaty of November ~oth, 188Gthat
is to Say, that it has given rise, in the words of the Protocol of
the same date, to a controversy "respecting the interpretation
or the execution" of the Treaty.
The United Kingdom Counter-Memorial has correctly indicated
the line of argument by which the Hellenic Government justifies
the Court's jurisdiiction:

"...it contendls that the treatment accorded to the claimant
gave rise toa claim against the United Kingdom under Article XV
of the Z'reaty of 1886; that, since the United Kingdom rejects
this claim, it should be subrnitted to arbitrationer the Protocol
annexed to thal: Treaty and continucdiiiforceafter the termination
of the Treatv by the Declaration made on the date of signature
of the Treaty of 19zt); and finally that the refusal of the United
Kingdom to go to arbitration raises a disputc as to the application
of the Declaration which the Court has jurisdiction to decide
under Article 29 of the Treaty of 1926" (paragraph IO, British
Counter-Memorial) (my italics).
Certainly, the J-Iellenic Government's argument was correctly
summarized in that passage. The Greek Mernorial exprcssly

contended that thiere had been a \,iolatiori of Articlc XV, parn- OPIluION lNDIVIDUELLE BE hl.LEVI CARNEIRO
49
rksultant di1 déni de justice. et de l'infraction à l'articleX de ce
mêmetrait6 résultant de l'inégalitéde traitement (mémoire, nos 14
et 22).
L'invocation de ces dispositions du traité paraît pertinente.
Sans apprécier les faits mentionnés dans le mémoire, ni recon-

naître l'exactitiide de ces allégations, on ne peut pas se prononcer
sur le point de savoir si ces dispositions ont étéinvoquées à juste
titre :la Cour ne peut pas le dire dans cette phase du procès. Mais,
prima. facie, cette invocation doit êtrereconnue acceptable. Cela
suffit et cela est nécessaire pour que la compétence de la Cour
soit affirmée. Si la réclamation dépassait de toute évidence les
termes du traité de 1886, la Cour ne serait pas compétente. Par
exemple, si la réclamation se rapportait à des faits antérieurs au
traité de 1886, on devrait reconnaître tout de suite l'incompétence
de la Cour ;l'invocation de ce traité serait- même pfima facie -
mal fondée. A vrai dire, il s'agit de reconnaître simplement si la

réclamation est ou n'est pas admise par le traité.

4. Dans le cas actuel, la reconnaissance du fait que la réclama-
tion est fondéesur le traité de 1886 découlemêmedes déclarations
des Parties.

Dans le contre-mémoire (noII), après le résumédu raisonnement
hellénique que j'ai déjàtranscrit, l'agent du Gouvemement britan-
nique a déclaréque ce raisonnement devrait êtrerejeté « pour les
raisons suivantes »:
«a) la déclaration ne fait pas partie du traité de 1926 etl'ai-
ticle 29 du traiténe saurait par conséquent s'yapplique;

b) la déclarationétait envisagéecomme applicable uniquement
aux réclamations présentées avant la date de sa signature, le
16 juillet 1926))

Le Gouvemement britannique n'a pas repoussé le raisonnement
parce que la réclamation n'était pas basée sur le traité de 1886,
quoiqu'il niât le déni de justice et l'inégalitéde traitement. Au
contraire, il a admis que la réclamation était, prima facie, fondée
sur le traité de 1886.
Sa conclusion première était que la Cour

« n'est pascompétentepour connaîtred'une demande du Gouverne-
ment helléniquetendant à ce qu'elle ordonne au Gouvernement
du Royaume-Uni de déférer à l'a'rbitrage une réclamation du
Goiiverriement helléniquefondéesur l'article XV ou tout autre
article du traité de886 D.
Par la suite, pendant les débats oraux devant la Cour, la recon-
naissance de ce fait est devenue très évidente. Le conseil britan-
nique a posé,dans la séance du 15 mai, les conditions qu'il consi-
dérait nécessairespour admettre la compétence de la Cour : 1)que
la déclaration fît partie du traité de 1926 ;2) que la réclamation

28 INDIVIDUAL OPINION OF JUDGE LEVI CARNEIRO 49

graph 3, of the Treaty of 1886, consisting of a denial of justice,
and of Article X of the said Treaty, consisting of inequality of
treatment (Memorial, paragraphs 14 and 22).
The invocation of these provisions of the Treaty seems to be
relevant. Without passing on the fncts stated in the Memorial,
or recognizing the correctness of these allegations, it would not
be possible to say whether the invocation of the clauses of the
Treaty of 1886 wa:; justified. The Court cannot do so at the present
stage of the proceedings. However, this invocation miist, prima

facie, be regardeci as acceptable. That is both sufficient and
necessary to enable the Court's jurisdiction to be asserted. If
the claim manifestly went beyond the terms of the Treaty of
1886, the Cowt would have no jurisdiction. For example, if the
claim related to iiacts prior to the Treaty of 1886,-the Coiirt's
lack of jurisdiction would have to be at once admitted ; the
invocation of this Treaty would-even prima facie-appear to
be iU-foutided. In fact, what has to be decided is simply whether
the claim is or is not admitted by the Treaty.

4. In the present case, recognition of the fact that the claim
is based on the Treaty of 1886 follows from the declarations of
the Parties.
In the Counter-Memorial (paragraph II), after the summary
of the HeUenic Govemment's reasoning, which 1 have quoted
above, the Agent for the United Kingdom Government submitted
that this reasonin,g ought to be rejected because :
"(a) the Dec:larationdoes not form part of the Treaty of 1926
and Article 29 of the Treaty is therefore not applicable to it, and
because
(b) the Declaration wasonly intended to apply to claimsbrought
before the date of its signature (16th July 1926)."

The British Go-vernment did not reject the reasoning on the
ground that the claim was not based on the Treaty of 1886,
although it disput.ed the denial of justice and the inequality of
treatment. On the contrary, it admitted that the claim was, prima
facie, based on the Treaty of 1886.
Its first submisçion was that the Court
"has no jurisdic;tionto entertain a request hy the HellenicGovern-
ment that it should order the United Kingdom Government to
submit to arbitration a clairby the Hellenic Government based
on Article XV or any other article of the Treaty of 1886".

Subsequently, dluring the oral proceedings before the Court,
the recognition of this fact became quite clear. Counsel for the
United Kingdom, at the hearing on May 15th, stated the condi-
tions which he regarded as necessary for the admission of the
Court's jurisdiction :(1) that the Declaration was a provision of
2850 OPINION INDIVIDUELLE DE M. LEVI CARNEIRO

hellénique fût, en même temps, c(fondée sur le traité de 1886 u
et couverte par la déclaration (Plaidoiries, p. 16). Il a cherché à
démontrer que la déclaration ne faisait pas partie du traité de
1926 et qu'elle ne couvrait pas la réclamation; mais il n'a pas dit
un mot pour affirmer que la réclamation n'était pas basée sur le
traité de 1886.
Pour terminer, le conseil hellénique a dit :

c...même nos adversaires étaient d'accord pour estimer que
parmi nos bases juridiques il y en avait une au moins dont ils
reconnaissaient la pertinence: c'était l'articleXV, paragraphe 3,
du traité de 1886 ...D.

Je crois qu'il fallait reconnaître ce fait. La compétence de la
Cour découle de ce que le différend est encadré dans la déclaration
de 1926 : la réc!amation est ((fondée ))sur le traité de 1886.

5. 011 aurait pu, peut-être, anticiper la décision finale de ce cas
en prononçant - oii en déniant -, dès maintenant, l'obligation,
pour le Gouvernement britannique, de soumettre à l'arbitrage son

différend avec le Gouvernement hellénique à propos de la récla-
mation de M. Ambatielos.
L'ampleur des débats semblait permettre telle décision - et
moi-même j'ai étéincliné à la prononcer. Maintenant, j'admets
que le jugement actuel traite seulement l'exception d'incompé-
tence. En la présentant, le Gouvernement britannique a, très
clairement, détachéla question de fond de la question de compé-
tence. Qiiant au fond. il a dit que le Gouvernement hellénique est

forclos à raison de son retard à présenter une réclamation, et que
la Cour devrait, suivant !a proposition du Gouvemement hellé-
nique, se substituer à la commission d'arbitrage, etc. Sur la question
préliminaire, l'allégatior a étél'incompétence de la Cour pour
ordonner au Gouvernement britannique de déférer à l'arbitrage
une réclamation du Gouvernement hellénique, etc.

La décision actuelle de la Cour est restreinte, dans le jugement
de l'exception préliminaire, à l'affirmation de sa compétence pour
se prononcer à cet égard.
Après, dans la nouvelle pliase de la procédure, sera jugée la
requête hellénique. Alors, et seulement alors, la Cour pourra dire
et juger, comme il a été demandépar le Gouvemement hellénique,

(que le Gouvernement du Royaume-Uni est tenu d'accepter la
soumission à l'arbitrage du différendqui sépare actuellement ce
gouvernement et le Gouvernement hellénique ...».
Il est vrai que le Gouvernement hellénique lui-même, dans les

((observations et conclusions )),s'est écartéde cette orientation et
alors il a demandé à la Cour de
29 INDIVIDUAL OPINION OF JUDGE LEVI CARNEIRO
5O
the Treaty of 1926 ; (2)that the Greek claim was both "based
on the Treaty of 1886" and covered by the Declaration (Oral
Argument, page 16). He sought to show that the Declaration
did not form part of the Treaty of 1926, and that it did not cover
the claim ; but he did nat attempt to show that the claim was
not based on the Treaty of 1886.
In conclusion, the Greek Counsel said :

"...even our opponents agreed that our legal bases included at
least one which t.heyrecognized as pertinen:that was Article XV,
paragraph 3, of the Treaty of 1886 ....".

1think that this fact should have been recognized. The Court's
jiirisdiction results from the fact that the dispute is within the
framework of the Declaration of 1926 :the claim is "based" on
the Treaty of 1886.
5. It might perh.aps have been possible to anticipate the final

decision of this case by at once affirming-or denying-the
obligation of the 'United Kingdom Government to submit to
arbitration its dispute with the Hellenic Government in regard
to M. Ambatielos's claim.
The fullness of the arguments appeared to allow of such a
decision-and 1 myself was in favour of giving it. 1 now recognize
that the present Judgment deals solely with the Objection to
the jurisdiction. In. presenting it, the British Government very
clearly separated t:he question of jurisdiction from the question
of the merits. In regard to the latter, it said that the claim of
the Hellenic Government was barred by reason of the delay in
its submission, ancl that the Court should, in accordance with
the Hellenic Government's proposal, substitute itself for the
Arbitration Commission, etc. On the preliminary question, what
was alleged was the Court's lack of jurisdiction to order the
British Government to submit to arbitration a claim by the

Hellenic Governme:nt , etc.
The present decision of the Court, in its Judgment on the
Preliminary Objection, is limited to an affirmation of its com-
petence to give the ruling referred to.
Subsequently, in the nest stage of the procedure, the Hellenic
Government's request will be adjudicated upon. Then, and only
then, will the Court be in a position to adjudge and declare, as
requected by the I-Iellenic Government :
"that the United Kingdom Government is under an obligation
to refer its present dispute with the Hellenic Government to
arbitration....".

It is true that the Hellenic Government itself. in its "Obser-
vations and Submir;sions" departed from tliis attitude and asked
the Court
29 OPINION INDIVIDUELLE DE M. LEVI CARNEIRO
5'I
(idire pourdroit que le Gouvernernent du Royaume-Uni est tenu
d'accepter lasoumission A la Cour internationale deJustice siégeant
comme cour arbitrale du différendentre ce gouvernement et le
Gouvernement hellénique,et, en conséquence, fixeraux Parties les
délais pourle dépôt dela répliqueet de la duplique visant le fond
du différend».
La modification est résultée de l'agrément des conseils des deux
Parties, au cours des débats, pour attribuer à la Cour les fonctions

de la commission arbitrale prévue par le protocole de 1886. Cette
solution, proposée par le conseil hellénique, a étéacceptée par
le coriseil britannique, sous la condition que la compétence de
la Cour serait préalablement reconnue. L'arrêta décidé,très juste-
ment, que, par ce fait, la Cour n'est pas devenue compétente pour
la décision de fond.

A mon avis, on devrait déclarer expressément que la Cour pourra
assumer les fonctions de la commission arbitrale moyennant un
compromis entre les deux gouvernements. Les déclarations des
agents, ou mêmedes conseils, au cours de la procédure, peuvent
suffire pour déterminer la compétence de la Cour, par prorogation
de juridiction. Dans le cas actuel, toutefois, la Cour proclame la
compétence de la commicsion arbitrale, fondée dans le protocole
de 1886. Je considère que la Cour ne peut pas accepter qu'une
clause de cet accord intergouvernemental soit abrogée par des

déclarations des conseils et que la compétence pour décider du
différend lui ait ététransféréeen vertu de ces mêmesdéclarations.

En somme, dans la concliision, que j'ai transcrite, de se«obser-
vations »,le Gouvernement hellénique, outre cette proposition sur
la compétence de la Cour - qui est inacceptable -, prévoit la
continuation du procès par la réplique et la duplique. C'est ce
qu'exigent les articles 41 (2) et 62 (5)du Règlement de la Cour -
et aussi les débats oraux suivant les articles 47 et suivants.

Dans cette deuxième phase, on appréciera complètement le
fondement de la réclamation sur la déclaration de 1926. Une des
questions à décider alors sera celie que le coriseil britannique a
soulevée dans son sixième argument, c'est-à-dire que le prétendu
déni de justice commis en violation des principes généraux du

droit international rie constituepas une violation du traité de 1886
parce qu'il n'y a pas dans ce traité de disposition dans ce sens. Je
suis d'accord pour reconnaître que cette question ne devrait pas
être tranchée daris le stade actuel ; mais non parce qu'elle n'a
pas encore étécomplètement débattue par les Parties. Cette ornis-
sion des Parties pourrait être interprétéepar la Cour ;niais j'estime
qu'elle ne justifierait pas de laisser la question sans décision, si
30 INDIVIDUAL OPINION OP JUDGE LEVI CARNEIRO 51
"to hold that the United Kingdom Government is bound to
accept the sub&ion to the International Court of Justice,
sitting as an arbitral tribunal, of the dispute now existing between
that Government and the Hellenic Govemment, and accordingly
to fix tirne-limits for the filing by the Parties of the Reply and
the Rejoinder dealing with the merits of the dispute".

A modification resulted from the acceptance by Counsel of the
two Parties, duririg the oral proceedings, of the principle that
the Court should exercise the functions of the Commission of
Arbitration referred tg in the Protocol of 1886. This proposal,
which was propos.ed by Counsel for the Hellenic Government,
was accepted by the United Kingdom Counsel, subject to the
condition that the Court should first hold that it was competent.

It has been very correctly decided in the Judgment that the
Court has not thereby been invested with jurisdiction to decide
on the merits.
In my view, it should be declared expressly that the Court
could assume the function of the Arbitral Commission as a result
of a Special Agreement between the two Governments. The
declarations of the Agents, or even of Counsel, in the course of
the proceedings, niay suffice to establish the competence of the
Court, by a prorogation of jurisdiction. However, in the present
case, the Court holds that competence belongs to the Commission
of Arbitration provided for in the Protocol of 1886. In my opinion,

the Court could riot agree to any derogation from the clause
contained in this inter-governmental agreement on the basis of
the mere declarations of Counsel ; nor could it admit that juris-
diction to adjudicate on the dispute has been transferred to it
by virtue of such declarations.
In short, in the submission which 1 have quoted from its
"Obsenrations", th.e Greek Government envisages, in addition to
this proposal ,regai-ding the Court's cornpet ence-which is unac-
ceptable-the continuation of the proceedings by a Keply and a
Rejoinder. This is required by Articles 41, paragraph 2, and 62,
paragraph 5, of the Rules of Court, just as Articles 47 etsqq. cal1

for further oral arprnent.
In this second phase, the question whether the clairn is based
on the Declaratiori of 1926 will be fully examined. Cirie of the
points that will then have to be decided is that raised by Coiirisel
for the United Kingdom in his sixth argument, where he conrr.ntfed
that the aiieged denial of justice committed in violarion of the
general principles of international law did not constitute a \.iolatiori
of the Treaty of 1886, because this Treaty contairied iiG ;)i.:,~ri~i:;:i
to that effect. 1 agree that this question ought not to b:~ (I~:I:!UC:J
at the present stage of the proceedings, but not cri thi ;c:)i!~:d
that it has not yet been fully argued by the Parties. l'bat :>rrii.i:t:i;

by the Parties miglht be interpreted by the Court ; bi?~1 corissder
that it would not be a ground for failinig to decide this cjcesriuii,
309 OPINION INDIVIDUELLE DE M. LEVI CARNEIRO

une telle décision était opportune. En réalité,c'est parce que cette
question fait partie du fond mêmede l'affaire que la Cour ne peut
pas la trancher maintenant. D'autant plus que ce n'est pas néces-
saire pour affirmer la compétence de la Cour.
Ily aura encore une troisième phase si les Parties s'accordent,
mais seulement après la fin de la deuxième phase, pour attribuer
à la Cour la fonction arbitrale.
La préoccupation, que la Cour doit avoir de ne pas retarder la
fin de la procédure, ne pourra empêcher cet allongement du cas
si les Parties ne l'évitent pas.

6. Le futur prononcé de la Cour sur le fond étant restreint à la

décision portant sur la question de savoir si la réclamation de
M. Ambatielos rentre dans le cadre de la déclaration de 1926, on
ne pourra craindre que le jugement de la commission arbitrale
soit contraire à celui de la Cour. Le seul point que la Cour devra
décider sera la compétence de cette commission. Il est évident
qu'après cela, la commission même ne pourra se dire incompétente.
Ce sera à eue, si la Cour la dit compétente, de décider seulement
sui la validité de la réclamation de M. Ambatielos. Si la commis-
sion, dont la Cour fixerait ainsi la compétence, refuse de prendre
cette décision, la Cour devra ordonner la constitution d'une nou-
velle commission. On a parlé de l'autonomie des commissions

arbitrales. A mon avis, cette autonomie est limitée par l'acte de
leur institution : dans le cas actuel, cet acte sera l'arrêt de la
Cour.

Sans dépasser les limites d'une décision sur sa compétence, la
Cour ne doit pas réduire sa décision à une affirmation doctrinaire,
abstraite, en thèse ; elle doit, nécessairement, se rapporter au cas
concret. La compétence de la Cour découle des traités, des éléments
du cas qu'elle prend en considération. Alors, la Cour fixe définitive-
ment l'extension de sa compétence et de tout autre organe qui
doit intervenir dans le mêmecas.

7. La plus importante des questions présentées était, comme
l'a reconnu l'arrêt, celle de savoir si la déclaration annexée au
traité du 16 juillet 1926 fait ou non partie de ce mêmetraité. Les
considérations que l'arrêt a recueillies sont, sur ce point, bien
suffisantes.
Cependant, il y a un certain intérêtdoctrinaire, je suppose, à
insister sur la nature juridique de cette déclaration.
Elle est - il faut le dire-, suivant une expression courante,
une Idéclaration interprétative 1).Les déclarations de ce genre
proviennent souvent d'une des parties intéressées, et alors elles

précisent une attitude devant certain traité, une façon de l'exé-
3 1 INDIVIDUAL OPINION OF JUDGE LEVI CARNEIRO
52
if it were opportune to do so. In fact, it is because this question
pertains to the merits of the case that the Court cannot decide
it at this time. That is al1the more true because it is not necessary
to consider this question in nrder to assert the Court's jurisdiction.
There will still be a third phase if the Parties agree, only after
the end of the second phase, to confer the arbitral function upon

the Court.
The Court's concern not to delay the proceedings cannot be
allowed to prevent this prolongation of the case if the Parties
do not find means of avoiding it.

6. The Court's future decicion on the merits, being confined to
a decision on the question whether the Ambatielos claim falls
within the franicwork of the Declaration of 1926, there 'is no
reason to fear that the judgment of the Commission of Arbitration
would conflict wit:h such a decision. The only point which the
Court will have tcl decide wiil be the competence of that Com-
mission. Tt is clear that even the Commission itself could not
then declare that it lacks jurisdiction. If the Court should hold
the Commission competent, it will be for it to decide the sole
question of the validity of the Ambatielos claim. If the Com-
mission, its competence having thus been established by the

Court, refuses to decide this question, the Court ciil1 have to
order a new comniission to be constituted. Something has been
said of the autonomy of the arbitral commissions ; in my view,
their autonomy is limited by the instrument which institutes
them-and in the precent case that instrument is constituted
by the Judgment of this Court.
While not excee:ding the limits of a decision as to its com-
petence, the Court should not reduce its decision to a doctrinal,
abstract or theoretical assertion ; it must necessarily relate its
decision to the specific case. The Court's jurisdiction is derivcd
from treaties, and from the featxes of the particular case bcfore
it. And so the Court will definitively determine the estent of
its jurisdiction and that of any othcr organ which has to act in
the samc case.

7. The most important of the questions submitted is, as has
been recognized in thc Jiidgn~crit, whether the Declaration annexed

to the Treaty of July 16th, 1926, is a part of that Treaty. The
Court's reasons in this connection are amply sufficient.

There is, however, 1 suppose, some doctrinal intcrest in empha-
sizirig the juridical nature of this 1)eclaration.
It is-it must be so dcscribed-according to a current expres-
sion, an "interpretati\,e dcclaration". Declarations of this sort
are often made b!: one of the parties concerned to dcfine the
attitude adoptcd towartls :L iver rtreaty, a method of executing 53 OPINION INDIVIDUELLE DE Il.LEVI CAKNEIRO
cuter (Fenwick, International Law, p. 438 ; Oppenheim, Inter-
national Law, 6meédit., vol. 1, p. 787).

Dans The British Year Book of International Law (1948,
pp. 201-zoz), A. B. Eyons, se référantà une déclaration du Gouver-
nement français sur la clause de la nation la plus favorisée, a
observé que la Cour compétente (held that the interpretativedeclar-
ation must be read with and deemedto form part of the text of the
treaty and were binding on the cozlrts ».
La déclaration de 1926 dont il s'agit a étésignéepar les mêmes
représentants de deux gouvernements signataires du traité de
la même date. Elle prend la signification d'une interprétation
authentique qui s'incorpore au traité même. Letraité comprend
trois parties - articles, liste douanière et déclaration.

Marcel Sibert a dit que la déclaration dégagede certaines inipré-
cisions des principes considérés comme l'expression du droit inter-
national en vigueur. Ainsi, la déclaration incorporée au traité de
1926 dégage de certaines imprécisions l'application de ce même
traité et du précédenttraité dont il prenait alors la place.

Il est vrai que la déclaration se rapporte au traité de 1886 en
sauvegardant les réclamations - déjà présentéeset qui pouvaient
encore êtreprésentées - fondéessur les dispositions de ce même
traité, et en assurant la continuité de leur appréciation en certains
cas. Or, cette assurance a éténécessaire seulement parce qu'un
nouveau traité est survenu en 1926. Ainsi la déclaration a restreint

l'application du traité de 1926 en l'excluant dans les cas qu'elle
mentionne. Par ce fait même, ellepourrait être iriséréedans le
nouveau traité et elle en est partie intégrante, comme les deux
gouvernements l'ont considérédans les in-,trunents de ratification.
Au point de vue intellectuel, au point de vue idéologique, au
point de vue juridique, la déclaration fait partie du traité de 1926.

8. Il y a encore une considération à l'appui de cette conclusion :
si on ne l'adoptait pas, il n'y aurait pas de procédure préétablie
pour résoudre le différendentre les deux gouvernements sur l'inter-
prétation et l'application de cette déclaration.
Or, cette situation doit êtreévitée,pnricipalement dans le cas
de deux nations amies - cornnie la Grèce et le Royaume-Uni -

inspirées également par leur esprit démocratique et leur amour
de la paix, et qui ne manqueraient pas de pourvoir au règlement
à l'amiable des différends qui surgiraient de leurs deux traités
de commerce successifs. Je ne pourrais accepter que le Royaume-
Uni et la Grèce, ayant conclu, à quarante ans d'intervalle, deux
traités - qui se sont succédésans interruption - dominés par
la niêmepréoccupation de garantir et de favoriser les ressortis-
sants de chaque pays sur le territoire de l'autre et ayant. prévu
expressément dans les deux actes la solution amiable des diffé-

32 INDIVIDUAL OPINION OF JUDGE LEVI CARNEIRO
53
ït (Fenwick, International Law, p. 438 ; Oppenheim, International
Law, 6th edit., Vol. 1, p. 787).
In the British Year Book of International Law (1948, pp. 201-
202), Mr. A. B. Lyons, refemng to a declaration by the French
Govemment on the most-favoured-nation clause, observed that
the competent court had "held that the interpretative declaration
must be read with and deemed to form part of the test of the
treaty and was binding on the courts".

The Declaration c~f 1926, which has been referred to, was signed
by the same representatives of the two Govemments who were
signatories of the Treaty of the same date. It has the significance
of an authentic interpretation, embodied in the Treaty itself.
The Treaty consist.~ of three parts-Articles, Customs Schedule
and Declaration.
Marcel Sibert has said that a declaratiori removes various
uncertainties from the principles which are considered as the
expression of the international law in force. Thus, the Declaration
embodied in the Treaty of 1926 removes some uncertainties in
regard to the app1ic:ation of that Treaty and of the earlier treaty
which it replaced.
It is true that the Declaration relates to the Treaty of 1886,
in that it saves clainis-which have been or may yet be presented-
based on the provisions of that Treaty, and ensures the continuity
of their remedies in certain cases. Now, this safeguard only became

necessary because ;inew treaty made its appearance in 1926.
Thus, the Declaration restricted the application of the Treaty
of 1926 by providi:ng that it should not apply to the cases it
mentioned. In virtue of that fact, it could be inserted in the new
treaty, and it formç an integral part thereof ;it was so regarded
by the two Governments in their instruments of ratification.
From an inteilecitual, ideological and juridical point of view,
the Declaration forrns part of the Treaty of 1926.

8. There is anoth.er consideration which supports that conclu-
sion : if it were not adopted, there would be no pre-established
procedure for the settlement of a dispute between the two Govern-
ments on the interpretation and application of the Declaration.
But such a situation must be avoided, more especially in the
case of two friendiji nations-like Greece and the United King-

dom-which are united by their love of deniocracy and of peace :
they would not fail itoprovide for a friendly settlement of disputes
which might arise in connection with their two successive corn-
mercial treaties. 1 could never believe that the United Kingdom
and Greece, having concluded two treaties, forty years apart, i~i
the operation of which there was no interruption, motivated by
the sarne solicitude for the safeguarding and assisting of their
respective nationals in the territory of the other State, and having
expressly provided, -intwo instruments, for the friendly settlement

3254 OPINION INDIVIDUELLE DE M. LEVI CAKNEIRO
rends (protocole annexé au traité de 1886, article 29 du traité de
1926) se trouvent en desaccord sur l'application de l'un de ces
traités sans qu'il y ait de solution pour cette divergence, ni par
l'arbitrage ni par le recours à quelque organe de la justice inter-
nationale.

g. Je considère cette situation d'autant plus étrange et inaccep
table que le progrès du droit international, dans le sensde prévenir
la guerre et d'assurer la coopération internationale, consiste, avant
tout, dans l'assurance du règlement pacifique des différends.
L'interprétation et l'application des traités sont le domaine
préféréde l'arbitrage, par cela même qii'elles provoquent des

questions purement juridiques. Ainsi l'ont déclaré la Deuxième
Conférence de La Haye en 1907, l'article 13 du Pacte de la Société
des Nations et, encore maintenant, l'article 36 du Statut de cette
Cour.
Si l'on considère que la déclaration di1 16 juillet 1926 fait partie
du traité signé le même jour, la divergence sur l'interprétation
ou l'application de cette déclaration sera régléesuivant l'article 29
du mêmetraité, combiné à l'article 37 du Statut de cette Cour,
par cette même Cour.

IO. Pour ce qui est de l'application rétroactive des dispositions
d'ordre procédural et de celles sur la compétence - que l'arrêt
a repoussée -, je me permettrai d'ajouter que, dans le domaine
du droit international, elle doit êtreadmise seulement quand elle
résulte des textes mêmes. Mêmequand l'organe antérieurement
compétent a étésupprimé, on ne considère pas que ses attributions
passent automatiquement à l'organe nouveau qui le remplace.
Ainsi, pour que cette Cour ait les attributions de l'ancienne Cour
permanente, il a éténécessaire que l'article 37 du Statut le déter-
mine expressément. Or, dans le traité de 1926, il n'y a pas de
disposition supprimant la commission arbitrale prévue par le
traité de 1886 ;au contraire, rien n'empêche que cette commission

soit encore constituée quand cela est nécessaire. D'un autre côté,
la déclaration annexée au traité de 1926 maintient expressément
la solution par arbitrage, suivant le protocole annexé au traité
de 1886, des différends fondés sur cc traité ;l'article 29 du traité
de 1926 restreint la solution, par la Cour internationale, aux diffé-
rends sur l'interprétation ou l'application de l'une quelco~que des
dispositions de ce nouveau traité. L'application rétroactive de
l'article 29 ne serait pas justifiée et a étéexpressément exclue.

(Signé) LEVI CARNEIRO. INDIVIDUAL OPINION OF JUDGE LEVI CARNEIRO 54

of their disputes (F'rotocol annexed to theTreaty of 1886,Article 29
of the Treaty of 1926), should find themselves unable to agree
on the applicatiori of one of these Treaties, without there being
any solution for such disagreement, either by arbitration or by
recourse to some organ of international justice.

9. 1 consider such a situation al1 the more strange and unac-
ceptable because 1:he progress of international law, in its efforts
to prevent war anid promote international CO-operation,is above
al1 directed to the pacific settlement of disputes.
The interpretatiion and application of treaties constitute the
special domain of arbitration for the very reason that they give
rise to purely juriclical questions. This was declared by the Second
Hague Conference in 1907 and in Article 13 of the Covenant of
the League of Naitions and now, once more, in Article 36 of the
Court's Statute.
If it is held that the Declaration of the 16th July, 1926, forms
part of the Treat:y signed on that day, the difference regarding

the interpretation or application of that Declaration must be
settled by the International Court of Justice, in accordance with
Article 29 of the said Treaty in conjunction with Article 37 of
the Statute of the Court.
IO. In regard to the retroactive application of procedural
provisions, and provisions relating to jurisdiction-which the
Court has rejected-1 venture to add that, in the sphere of inter-

national law, such an application can orily be allowed when it
is expressly provided for. Even when the organ which was formerly
competent has been abolished, its powers cannot be regarded
as automatically transferred to the new organ which replaces
it.Thus, in order that this Court rnight inherit the powers of the
Permanent Court of International Justice, it was necessary that
this should be expressly laid down in Article 37 of the Statute.
But, in the Treaty of 1926, there is no provision abolishing the
Arbitral Commissions provided for in the 'I'reaty of 1886. On the
contrary, there is nothing to prevent these Commissions from
being constituted, should that be necessary. From another point
of view, the Declaration annexed to the Treaty of 1926 expressly
maintains the means of settlement by arhitration, in accordance
with the Protocol annexed to the Treaty of 1886, of disputes
based on that Treaty ;Article 29 of the Treaty of 1926 limits
the powers of the International Court to the settlement of disputes

as to the interpretation or application of any of the provisions
of the new treaty. The retroactive application of Article 29 would
not be justified and has been expressly excluded.

(Signed) LEVICARNEIRO.

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Document Long Title

Opinion individuelle de M. Levi Carneiro

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