Opinion individuelle de M. Levi Carneiro

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017-19531117-JUD-01-02-EN
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OPIKIOX ISDITiIDUELLE DE 11. LEVI CXRNEIRO

Ayant voté pour la conclusion de l'arrêt et accepté toutes les
nsidérations qu'il présente pour la justifier, je me permets

d'ajouter quelques observations qui ont influencé décisivement
mon vote personnel. Elies se rapportent à des circonstaiices d'ordre
généralqui, à mon avis, expliquent, confirment, coordonnent et
valorisent les actes d'occupation, quelque peu épars au long des
sikcles et pas tous assez significatifs par eux-mêmes.

2. C~itéri5~v dze la décision- Je me suis tenu, dans ce jugement,

aux règles suivantes posées par la Cour permanente de Justice
internationale dans le cas du Statut juridique du Groënland
oriental :
a) les éléments nécessaires en vue d'établir un titre de souve-
raineté valable sont c(l'intention et Ia volonté d'exercer cette
souveraineté et la manifestation de l'activité étatique ,> (pp. 46

et 63) ;
b) la jurisprudence internationale, en beaucoup de cas, n'a
pas exigé ccde nombreuses manifestations d'un exercice de droits
souverains pourvu que l'autre Etat en cause ne pût faire valoir
une prétention supérieure. Ceci est particulièrement vrai des
revendications de souveraineté sur des territoires situés dans des
pays faiblement peuplés ou non occupés par des habitants à
demeure » (p. 46) ;
c) c'est le critérium de la Cour, selon les circonstances de chaque
cas, qui établit si la manifestation et l'exercice des droits de
souveraineté a été ((darîs une mesure suffisante pour constituer
lin titre valable de souveraineté » (pp. 63-64).

3. Fief des ;les de la Manche. - Sans contester l'occupation des
îles de la Manche, dans son ensemble, au xlrnesiècle, par le duc de
Kormandie roi d'Angleterre, le Gouvernement français prétend
que cette occupation résulta de ja donatiûiz faite, en 933, par le
roi Raoul à Guillaume Longue-Epite ; qx'ainsi s'est constitué le
fief des iles, et le duc de Kormandie roi d'Angleterre est devenu
vassal du roi de France ;que le duc et roi a rendu plusieurs fois
l'hommage auquel, dans cette condition,il était obligé. LeGouver-

nement britannique rejeta ces propositions, prétendant que les
îles avaient étéconquises en 916 par les Formands ; que le fief se
limita à la partie continentale de la Normandie ;que l'hommage dû
pour ce fief mêmeétait simplement nominal et n'a étérendu que
selon la convenance ou l'intérêtpolitique du vassal. On ne connaît pas l'acte de la prétendue donation en fief à
Guillaume Longue-Epée ;on ne sait pas si cet acte comprenait les

îles de la Manche ; on n'a pas pu établir avec précision la portée
des hommages que le roi d'Angleterre aurait rendus au roi de
France. Le Gouvernement francais invoque une référence de
Flodoard, suivant laquelle le roi aurait donné au duc ((tevra7.i~
Brittonam in ora maritirna sitaln ))- mais il semble que la seule
traduction exacte de cette citation soit ((territoire breton situé au
long de la côte »,c'est-à-dire des terres du c~ntinent, au bord de la

mer, mais non des îles. Le Gouvernement français a repoussé
l'affirmation de la conquête de ces îles par les Normands, disant
qu'elles ((seraient venues s'ajouter aux autres fiefs 1).11 n'a pas
prouvé de quelle façon aurait été faite cette jonction. Je considère
plus plausible l'hypothèse de la conquête des îles par les puissants
guerriers qu'étaient les Normands.
D'autre part, il faut reconnaître que le vasselage d'un roi devrait

êtreexceptionnel et restreint : Philippe-Auguste même a proclamé,
en 1185, que ((le roi ne doit faire hommage à personne (Henri
Regnault, iWanuel d'Histoire du Droit fiancais, p. 102). Encore
moins acceptable est l'hypothèse que le roi d'Angleterre fut obligé
de rendre hommage-lige au roi de France, si l'on considère qu'à
cette époque la puissance du roi de France était assez réduite

(Pierre Gaxotte, Histoire des Français, vol. 1, pp. 126, 324-325),
tandis que l'autoritç des princes, ducs et comtes grandissait dans
une quarantaine d'Etats féodaux. Dans les grands fiefs, l'autorité
du roi de France était alors (cpurement nominale ))(Glasson,
Histoire du Droit et des Institutions de la France, tome IV, p. 487).
Plusieurs domaines gardèrent, jusqu'à la dernière heure, (leur
droit de souveraineté ))(je souligne) (Glasson, op. cit.). Particulière-

ment, le duc de Normandie était un (véritable souverain )(idem).
Mêmedans le territoire continental de la France, les pouvoirs du
duc n'étaient pas limités :il déclarait la guerre et faisait la paix,
battait monnaie, était ccle seul grand justicier en son duché )I
(op. cit., pp. 504-507, 508). Déjà Rollon avait fondé un Etat à
peu près indépendant »,((sous une suzeraineté tout à fait nominale )1

(idem, p. 497) ; le duc de Normandie fut un des souverains les
plus absolus du moyen âge 1)(idem, pp. 497-498).
Dans ces conditions, je ne peux pas accepter que le duc de Nor-
mandie, étant devenu roi d'Angleterre et ayant retenu les îles de
la Manche quand le roi de France le chassa de la Normandie conti-
nentale, soit resté humblement soumis à la suzeraineté de son
adversaire. Les mêmes circonstances m'empêchent de supposer
que la suzeraineté du roi de France se soit étendue aux îles de la

Manche, d'autant plus qu'il ne les a pas conquises, dans leur
ensemble, au commencement du XIII~~ siècle, quand il a conquis
la Normandie continentale. Dans ce sens, il y a des affirmations
valables. Ainsi, sel de^, cité par Calvo, déclare : ((Lorsque les rois Jean et Henri III perdirent la Normandie,
les îles de Jersey, de Guernesey et [je souligne] les autresiles adja-
cedes continuèrentdedemeurer sousla souverai?zeta énglaise))(Calvo,
Le Droit inter?zational,1870, vol. 1, p. 325.)
Il est vrai que quelques auteurs affirment que le roi d'Angleterre
retenait les îles(par foi et hommage du roi de France 1; la réplique

mêmeles a cités (no 121 et note 68). Mais le roi Jean d'Angleterre,
en 1200 (annexes A 8 et g au mémoire britannique), a fait dona-
tion des îles à Pierre des Préaux sans aucune allusion à la préten-
due suzeraineté du roi de France. Il y a un autre indice valable de
la non-existence de cette suzeraineté sur les îles : le roi d'Angle-
terre n'aurait pas reconnu le vasselage prétendu par le roi de
France ;il aurait refusé de rendre l'hommage demandé. Pour cette
raison, la Cour de France lui imposa la commise en 1202. Le lien
féodal, en tant qu'il existait - sans s'étendre aux îles, àce qu'il me

semble - fut alors éteint - les Partiesl'ont reconnu. (Plaidoiries.)

4. L'ère des traités. - La lutte entre la France et l'Angleterre,

déchaînée après cette décision de la Cour de France, dépasse le
XIII~~ siècle et s'étend jusqu'à la deuxième partie du xvme siècle.
Les interruptions devinrent plus larges et, à la longue, inter-
vinrent des traités de paix. Alors, nous sommes devant des
documents authentiques. Les Parties ont présentéces textes, ont
discuté leur interprétation, interprétation littérale très douteuse.
On sait bien que les cas portés devant les tribunaux sont tou-
jours plus ou moins douteux, et c'est évidemment à cause de
ces doutes que les Parties demandent l'interprétation judiciaire.
Quand le texte n'est pas clair, la situation dans laquelle un traité

a étésigné et les faits ultérieurs de son application doivent
apporter les éléments d'une interprétation bien fondée. Dans
le cas actuel, l'interprétation peut aussi êtrefondée sur d'autres
circonstances.

j. Bases d'interfirétation. - Les traités et d'autres documents
anciens, sur lesquels s'est étendue la controverse, ont été inter-
prétés diversement. Il me semble qu'on doit le faire suivant le
critérium adéquat à chaque cas ; quand même, je suppose que
l'on peut établir quelques bases pour cette interprétation.

La première, c'est le moment historique : un traité de paix,
résultant d'une guerre et d'une victoire militaire décisive, pro-
bablement favorise le vainqueur.

Un autre élémentdans le cas actuel est, de la part de l'Angle-
terre, un intérêt continuel et très vif pour les îles de la Manche,
qui fait contraste, au moins après une certaine époque, avec un
certain désintéressement, ou un intérêtbien moins vif et assidu
de la part de la France. Un géographe français, Elisée Reclus, a
44écrit : (cJersey, Guernesey et [je souligne] les terres voisines sont
donc pour la Grande-Bretagne une possession très précieuse. »

(Nouvelle Géographie universelle, éd. 1881, vol. II, p. 640.) Et
l'intérêtde l'Angleterre a été toujours - on le comprend bien -
plus vigilant et plus intransigeant envers la France. Le conflit
d'intérêtsqui déchaîne les luttes sanglantes depuis 1202 jusqu'à
1360 et mêmeaprès, s'est apaisé au xvmesièclepar le désistement
de la domination de la Normandie continentale de la part de

l'Angleterre, tandis que la France renonçait à conquérir les îles
de la Manche.
Dans la correspondance diplomatique du xlxrne siècle relative
au présent litige, on trouve des expressions non équivoques d'un
certain désintéressement de la France. Dans une note du 15 décem-
bre 1886 (annexe A 41 au mémoire britannique), l'ambassadeur
de France présentait au Foreign Office les titres qui, suivant son

expression, lui «permettraient d'établir son autorité aux Ecréhous » ;
il ajoutait que l'administration française «ne nourrit aucune visée
de nature à inquiéter le Gouvernement de la Reine ))Le Gouver-
nement français a fait plusieurs propositions significatives : il a
écarté la décision sur la souveraineté (A 64) ; il a proposé la
neutralisation des îlots (A 64) ; il a suggéré des compensations
dans une autre partie du monde (A 71-72) Le ministre français

de la Marine, en 1819, est alléjusqu'à reconnaître que les Minquiers
étaient possession britannique. Au cours de la procédure actuelle,
on peut noter que, dans le mémoire, il a affirméque cles espaces
litigieux ne peuvent être déclarés susceptibles d'appropriation
privative par l'une ou l'autre des Parties et que par conséquent
le statu quo doit être maintenu 1)11semblait désirer seulement la

continuation de la situation de communautéqu'il supposait établie
par la convention de 1839.

Plusieurs référence?de la part du Gouvernement français aux
Minquiers et aux Ecréhous accentuèrent qu'ils n'ont presque
aucune valeur. Plus d'une fois, la définition des Minquiers, par
Victor Hugo - ((une nudité dans une solitude » - a étérépétée

\Alaidoiries). Une fois aussi : ccrien à trouver là aue le nau-
frage ». Le contre-mémoire décrit: «trois îlots émergents dans
le groupe des Ecréhous et un îlot dans le groupe des Min-
quiers peuvent, bien que dépourvus de sources, être habitéspendant
l'été». Signalées les petites dimensions des rochers, on disait,
quant, aux Minquiers, que (aucun brin d'herbe n'y pousse », quant
aux Ecréhous : aucune culture n'est possible et l'habitation y

est difficile » (plaidoiries). La région où se trouvent les îlots
a étédécrite par le Gouvernement français comme (un bras de
mer semé de récifs ))- et le représentant britannique s'en est
montré surpris (plaidoiries). Il est vrai que, quand même,l'agent
français a signalé, outre l'intérêt des pêcheurs, l'intérêt c(fon- damental 1)d'un projet lié aux Minquiers qui (doublerait la pro-
duction d'électricité actuelle de la France )) (plaidoiries). C'est
un projet récent, et cette Œuvre grandiose ne pourra peut-être
pas êtreréaliséetout de suite. En tout cas, je considère que l'on

doit prendre en considération ces intérêts(voir conclusion no 23).

Au contraire, l'attitude britannique a toujours été d'affirmer
sa pleine et exclusive souveraineté, sans restriction ni concession.

A4insi,je considère que l'Angleterre n'a pas laissé au pouvoir
de la France - surtout quand l'Angleterre venait de vaincre la

France par les armes - les îles de la Manche dans leur ensemble.
Pas même en conséquence d'un oubli inconcevable.
A travers les incertitudes des faits dus anciens. il,v aiaussi
quelques bases pour établir l'interprétition exacte des actes. Lé
Gouvernement français tire argument de la considération que
lorsqu'on fait mention de quelques-unes des îles de la Manche,
toutes les autres sont exclues :les énumérations seraient limitatives.
Pour ma part, je considère ces référencespresque toujours c(exem-

plificatives ))Les faits historiques antérieurs le justifient, les faits
ultérieurs le confirment. Le contre-mémoire mêmereconnaît qu'au-
cun des actes diplomatiques anciens, qui concernent les îles de
la Manche, n'en donne une énumération complète. Ainsi fait le
traité de Picquigny (duplique) de 1475. Pourquoi? Evidemment
parce que, tenant compte de l'ccunité naturelle 1)de l'archipel
qu'elles forment, l'énumération des îles n'était pas nécessaire,
étant presque impossible. C'est dire que lorsqu'on mentionnait
quelques-unes de ces îles, notamment les principales - celles

que l'on considérait alors comme îles principales -, on devait
sous-entendre que la disposition atteignait aussi les autres îles
non énumérées,comprises dans le mêmearchipel.

6. Le traitéde Lambeth ou le ccprojet d'accord 11,de 1217, mettant
fin aux luttes conséquentes au jugement de 1202, consacre les

victoires navales anglaises de Damme et de Sandwich, et la défaite
des tentatives francaises de prendre les îles de la Manche. Ses
termes et son moment historique autorisent la conviction qu'à
cette époque toutes les îles de la Manche étaient occupées par les
Anglais. Après les victoires maritimes, des faits remarquables,
contemporains de ce traité, confirment la domination anglaise
(plaidoiries). Je rappellerai seulement la proclamation de l'auto-
nomie des îles (rapports de 1199-1216, annexe A 154 au mémoire
britannique) dans laquelle est même recommandée la garde des

ports particulièrement à cause du voisinage du roi de France et
d'autres ennemis. Le Gouvernement français a reconnu que ce traité
dh 90 3IIriQUIERS ET ÉCRÉHOUS (OTIX.INDIV. M. LEVI CARSEIRO)
stipule une ccrestitution 1)de plusieurs îles au roi d'Angleterre, et
s'est contenté de conclure que ce fait implique que les îles n'étaient

pas alors en sa possession (plaidoiries). Cette implication est
acceptable : il y aurait des îles qui n'étaient pas en possession
de l'Angleterre ; mais celles-là lui seraient ccrestituées 1).La domi-
nation anglaise devenait intégrale sur les îles.

On a rapporté les actes d'exécution du compromis de restitution,
consigné dans le traité, par le même amiral anglais qui avait
commandé la flotte anglaise dans la bataille de Sandwich. 11fut
nommégardien des îles et remplacé plus tard dans cette fonction

par un de ses neveux. (Mémoire,nos 23-24.)

Le conseil britannique a cité deux historiens français qui ont
fixéla portée de ce traité : un professeur de Caen a dit que les
îles ccfurent détachées dela Normandie en fait en 1204, en droit
par le traité de 1217 n. (Plaidoiries.)

Le seul argument impressionnant présenté contre ce traité est

que le dauphin Louis agissait ccen son nom personnel, et n'ayant
reçu aucune délégation de poiivoir de la part de son père, le roi
Philippe-Auguste » (plaidoiries). Il me semble difficile de considérer
comme une simple aventure personnelle l'expédition du dauphin,
qui alla jusqu'à Londres, désirant, comme a dit le Gouvernement
français, crenouveler l'exploit de Guillaume le Conquérant ».
N'ayant pas réussi dans cette sortie, le dauphin signa le traité de
Lambeth avec le roi Henri III d'Angleterre ; plus tard, il devint
roi de France sous le titre de Louis VIII. Il diit tenir l'engagement

pris. Pour sa part, le roi Henri III d'Angleterre aurait repris les
~rinci~ales ou (la vlu~art des îles normandes 1)commele reconnaît
ie ~oivernement grançais (contre-mémoire et 'duplique). Pourquoi
n'aurait-il pas repris toutes les îles ? Pourquoi en aurait-il laissé
quelques-unes sous la domination française ?

On doit aussi noter que le Royaume-Uni ne prétend mêmepas
que le traité de Lambeth ait rétabli le lien féodal rompu plus de

jo ansavant :c'est au traité de Paris qu'il attribue cet effet. Alors,
après le traité de Lambeth, on peut dire que l'ensemble des îles
est sous la domination anglaise, sans vasselage.

7. Le traité d'Abbeville-Paris. - Les Parties sont d'accord pour
donner au traité de Paris de 1259 une grande importance (plaidoi-

ries). Le Gouvernement français en fait vraiment son titre origi-
nel ; il a dit (plaidoiries) que son titre primitif a été crenou-
velé et accru » par le traité de 1259. Ensuite, il déclara que le
titre du xme sièclea été incorporé au traité de 1259, (un traité de

47limites, un traité de frontières 1) (plaidoiries). Quelques-unes de

ses observations semblent autoriser une prétention au domaine
plein - non seulement à la suzeraineté - de quelques îles de la
Manche - non pas de tout leur ensemble. Riais la France a préféré
invoquer toujours sa prétendue suzeraineté.

Je ne considère pas le traité de Paris comme un traité de limites.
Ainsi on commettrait la mêmeerreur que, très sagement, on a
recommandé d'éviter :on ne doit pas apprécier un acte avec des
concepts qui ne lui sont pas contemporains. Le traité de Paris
est un traité de paix ;il ne contient aucune description de limites,

l'établissement d'aucune ligne limitrophe. Il aurait rétabli, selon
le Gouvernement français, l'hommage-lige que le roi d'Angleterre
devrait au roi de France par le lien féodal, que le jugement de 1202
aurait rompu. Comment prétendre que de ce fait découla l'incor-
poration des territoires du fief au royaume de France lorsque,
précédemment, ces territoires appartenaient à l'Angleterre ? De
ce simple fait, aucune altération territoriale n'aurait résulté :seul
le lien personnel de vasselage serait rétabli.

Le traité de Paris ne contient aucune référenceexpresse aux

Écréhous ni aux Minquiers, ni mêmeaux îles de la Manche en
général.Les seules dispositions qui peuvent intéresser le présent
litige .ont les articles 4, 6 et 7, reproduits à l'annexe A I du
mémoire.
Les doutes sur son interprétation surgirent tout de suite après
sa signature et se sont étalésau cours de la procédure devant
la Cour. Le Gouvernement britannique dit que par ce traité le
roi Henri III d'Angleterre renonça à toutes ses réclamations
pour la Normandie continentale ; que, après le traité, la France,

retardant ou refusant la restitution de quelques territoires, une
réunion eut lieu à Périgueux, en 1311, pour résoudre ces diver-
gences ; qu'alors la France révéla des prétentions sur les îles
voisines de la Normandie et sur d'autres terres ; que l'Angleterre
repoussa ces prétentions et continua à posséder les îles de la
n'lanche (mémoire, no 18).
Selon le contre-mémoire, le roi d'Angleterre renonça en faveur
du roi de France à la Normandie et à d'autres terres, recon-
naissant ainsi implicitement la légitimitéde l'arrêt de 1202 ; de
l'article4 il résulte que, en revanche, le duché de Guyenne et

divers pays voisins ont été laissés ou rétrocédés à titre de fief
au roi d'Angleterre qui, de ce chef, devait prêter hommage-lige
au roi de France. L'hommage serait rendu pour toutes les îles
relevant du roi de France, qui étaient entre les mains du roi
d'Angleterre, y compris les îles de la Manche qui se trouvent
((deçà le mer d'Engleterre » et qui ont auparavant fait partie
du duché de Normandie (p. 197). Le Gouvernement britannique (réplique, no 129) prétend que
le roi d'Angleterre reconnut la suzeraineté du roi de France sur
ses possessions en France et sur les îles voisines de l'Aunis et de

la Saintonge - mais qu'ccil paraît improbable » que les îles de la
Manche étaient comprises parmi les îles auxquelles le traité faisait
référence ; en tout cas, tel hommage serait simplement nominal
et pour un court délai. Dans la duplique, le Gouvernement de
France affirme que, dans ce traité comme dans les autres traités
postérieurs, ccil n'est jamais question que des îles possédéespar
le roi d'Angleterre 1)La controverse s'est prolongée dans les plai-
doiriesorales - et elle semble devoir durer indéfiniment tant qu'elle

reste attachée à la lettre obscure du traité.

Il résulte de ces débats que la France prétend que la suze-
raineté du roi de France a étérétablie aux îles de la Manche
(plaidoiries) ; le Royaume-Uni considère que l'allégeance a été
rétablie seulement pour l'Aquitaine et ses îles, non pas pour les
îles de la Manche (plaidoiries).

Aucune des deux Parties n'a réussi à Drouver lein ne mentson
interprétation du traité : les textes comportent, peut-être, l'une
et l'autre. Par eux-mêmes, on n'arrive pas à savoir pleinement
quelles étaient les îles (possédées » par l'Angleterre. Il faut consi-
dérer la situation antérieure et comment le traité a étéexécuté -
pour déterminer les îles qui seraient sous la suzeraineté française.
Un historien autorisé et impartial, David Jayne Hill, mentionne

que, par ce traité, le roi d'Angleterre a reçu en fief les îles de la
Sormandie (A History of Diplomacy, vol. 1, p. 388). Dans la
présente procédure, le Royaume-Uni a cité un autre auteur bien
connu, Besnier, qui écrit :

((Le roi de France ....acquiert définitivement la souveraineté
de la Normandie continentale, mais le roi d'Angleterre continue
à tenir les îlespar foi et hommage du roi de France )) (réplique,
n' 121).

Quelles îles ? Celles de la Manche ? Dans le même sens,J. Havet
(réplique). Oavid J. Hill rapporte le traité de Paris à la défaite
du roi Henri III d'Angleterre en 1242 et au désir de paix du

roi de France Louis IX. Ainsi, Louis aurait donné à Henri,
outre son héritage en Aquitaine, «les îles normandes, en fief à
la Couronne de France j).Après ça, le roi de France aurait dit :
ccHenri n'était pas mon vassal, mais il l'est devenu volontaire-
ment. » Les peuples des deux nations restèrent mécontents : les
Anglais se plaignaient du (nouveau vasselage j; les Français, du
fait que les Anglais tenaient pied sur le continent (op. cit., 1,
pp. 388-389). La portée de cette suzeraineté a étédiscutée après

49le traité de Paris et mêmeaprès le traité de 1303 (idem, vol. II,
PP 5-43).

-Al'occasion du traité de Paris - au contraire de ce qui se passait
au temps du traité de Lambeth - la France était victorieuse et
forte, plus forte que l'Angleterre vaincue et divisée. Quand même,
la France n'a pas repris à l'Angleterre les îles de la Manche ;
Louis IX, Saint Louis, ((l'homme juste », est allé plus loin, en lui

rendant les terres de l'Aquitaine, content de soumettre le roi
d'Angleterre à son vasselage même pour les îles de la Manche,
que celui-ci cccontinua » à occuper.

_$insi,le traité de Paris confirma le traité de Lambeth, quoique,
peut-être, il ait établi (ou rétabli, si elle existait au commence-
ment du XIII~~ siècle) la suzeraineté française sur les îles de la
Manche.

On peut concevoir que dès lors les îles seraient soumises en fief

au roi de France - mais de telle sorte toujours occupées par
l'Angleterre, et sans que l'Angleterre ait reconnu ce vasselage.
Il n'y a aucune preuve, aucun indice de sa reconnaissanceexpresse.
Et s'il y avait tel vasselage, on pourrait prévoir que l'Angleterre
tâcherait de s'en débarrasser le plus tôt possible.

8. Le traité de Brétigny-Calais. - Il faut rappeler, comme
un élémentd'interprétation du traité de Calais, qu'il a étésigné
-
au début de la guerre de Cent ans, après des victoires anglaises
la grande victoire navale à Sluys en 1340, la victoire terrestre à
Poitiers en 1356, quand le roi Jean-le-Bon de France fut prisonnier
des Anglais. Avant le traité de Calais, le roi prisonnier, en 1359,
signa un accord secret par lequel tout le duché de Normandie
était rendu à la Couronne anglaise (mémoire, no 19) «avecques
touttes les cités,chasteaux, diocèses, terres, païs et lieux de mesme
la duchié 1).Le Gouvernement français a raison de dire (contre-
mémoire, partie III, 1, III) que cet accord secret ne fut pas ratifié.
Mais, à mon avis, il n'a pas raison d'ajouter que le mêmeaccord

« n'eut aucune suite », parce que le traité de Calais en fut la suite,
quoique atténuant laportéede l'accord, en conséquencede nouvelles
circonstances. Si le traité de Calais n'a pas rendu à l'Angleterre,
comme le faisait l'accord secret, « tout le duché de la Normandie ))
- c'est-à-dire la Normandie continentale - il confirma, en termes
généraux,la possession anglaise des îles, comme l'avaient fait les
traités de 1217 et de 1259. On peut voir un indice très significatif
de ce fait dans l'omission de référenceexpresse aux îles, lorsque
l'accord secret faisait mention des «cités, châteaux, diocèses,
terres, pays et lieux 1)Les attaques françaises au commencement

de la guerre de Cent ans avaient eu pour objectif de reprendre
les îles de la Manche ;on ne pourrait pas l'oublier.
50 L'omission montre bien que les îles étaient déjà anglaises.
-Autrement, l'Angleterre n'aurait pas perdu cette opportunité -
au moins dans l'accord secret avec son prisonnier - d'obtenir

le domaine des îles de la Manche. Le traité déclare, avec certaine
bien significative emphase, que le roi d'Angleterre auraitet tiendrait
toutes les autres îles qu'il tenait déjà. 11faut reconnaître que
l'Angleterre dominait - et continua à dominer - l'ensemble des
îles et en avait la possession. ((Toujours est-il que les îles étaient
restées fidèles à Jean sans Terre en 1204, et le traité de Brétigny
(1360) devait explicitement consacrer leur perte pour la France.

A partir de cette époque, ce n'est plus que par la force que les
Francais tentèrent de les reconquérir. » (Perrot, Dezsx expéditions
i~zsztlairesfrançaises, p. 5.)

Le traité de Calais a mêmecédéau roi d'Angleterre - comme le
reconnaît la France (plaidoiries) - «en toute souveraineté »
plusieurs provinces et villes - Calais, le Ponthieu, le Poitou, la

Saintonge, la Guyenne. Comment pourrait-il réserver la suzerai-
neté de la France sur les îles que l'Angleterre possédait déjà ? Le
processus de décomposition de la féodalitéétait assez avancé. Je
crois que plus jamais on n'a parlé d'hommage du roi d'Angleterre
au roi de France. Le Gouvernement français (plaidoiries) en a
indiqué seulement jusqu'à l'an 1200.

Je suis amené à considérer que si le traité de Paris, contre le

gré de l'Angleterre, avait rétabli la suzeraineté du roi de France
aux iles de la Manche, le traité de Calais l'aurait éteinte. Toutes
les c~rconstances du moment historique, que je viens de rappeler,
et le texte mêmedu traité de Calais appuient cette interprétation.

9. Azhtres traités. - D'autres traités ultérieurs - de Troyes
en 1420,, ((Truce of London » en 1471, de Picquigny-Amiens en
1475, dlEtaples en 1492, accords commerciaux de 1606 et de 1655
- ont fait l'objet d'appréciation des Parties qui exclurent toute
modification de la situation antérieure découlant de ces dispositions
(plaidoiries).

Il me semble que l'on peut cueillir une autre preuve circonstan-
cielle à l'appui de l'interprétation donnée aux traités antérieurs
dans le traité de Troyes de 1420. Cetraité a déterminé,en son arti-
cle 22, que, lorsque le roi Henri VI deviendrait roi de France, (le
duché de Normandie et les autres lieux et chacun d'eux »,conquis
par le mêmeroi Henri, passeraient à la juridiction de la Couronne

de France. Cela ne s'appliquerait pas aux îles de la Manche parcequ'elles n'avaient pas étéconquises par le roi Henri. D'autre part,
il est certain que la France avait été, peu avant, vaincue par
l'Angleterre qui alors conquit la Normandie continentale.

Le contre-mémoire français cependant dit : (on peut prétendre

que le traité de Troyes a annulé le traité de Calais et reconstitué
l'unitédu royaume deFrance »(partie III,1, III). Ce serait un grand
argument. Mais la France ne s'en est pas prévalu ; elle a continué à
invoquer le traité de Calais (duplique, partie 1, section 1, 1, C;
plaidoiries) ; elle a reconnu que l'argument était mal fondé. Le
traité de Troyes n'a pas eu cet effet ;les îles de la Manche n'ont pas
passé à la juridiction de la Couronne de France. Pourquoi ? Parce
que les îles de la Manche, comme je viens de le dire, n'avaient
pas étéconquises par le roi Henri VI : elles étaient déjà sous

la domination anglaise et le sont restées.
Ainsi, l'occupation des îles de la Manche par l'Angleterre,
reconnue et légitimée, était rendue définitive et incontestable.
Les tentatives de reprise furent renouvelées jusqu'au xwme siècle.
Mais on n'a plus songé à rétablir la suzeraineté éteinte tout au
plus en 1360.

IO. Sezdement suzeraineté. - Si l'on accepte les allégations du
Gouvernement francais, quelle aurait été lasituation ? Le roi de
France aurait eu, tout au plus, la suzeraineté des îles occupées
par l'Angleterre. Mêmesi l'on accepte que les hommages dus en
conséquence d'une telle suzeraineté n'étaient pas seulement nomi-
naux et auraient été régulièrement rendus, pourrait-on conclure
que cette suzeraineté se soit transformée en souveraineté ? La
réponse à cette question se rapporte à l'extinction de la féodalité.

II. La transformation de La suzeraineté. - Le régUme féodal a
dépérilentement, continuellement. Il disparaît graduellement en
quelques pays, en quelques régions,sans laisser de traits marquants
dans le droit public contemporain.

Dans les rapports d'ordre privé, entre personnes civiles ou
entre un Etat et l'un de ses ressortissants, on peut admettre
qu'au lieu de disparaître complètement, sans laisser aucun vestige,
le fief soit devenu une emphythéose et la suzeraineté devenue
domaine éminent, ou domaine direct ou souveraineté. Ce qui nous
intéresse maintenant est de savoir auelle a étéla conséauence
de la suppression du féodalisme, du hef, de la suzeraineté'et du
vasselage quand, comme dans notre cas particulier, le vassal
était un roi, et le suzerain était un autre roi.
Le Gouvernement français, en référencespéciale aux Minquiers,

a affirmé que ((la suzeraineté féodale du roi de France s'est trans-
formée ipso facto en souveraineté moderne 1) (plaidoiries). La
suzeraineté d'un roi sur un autre roi s'est-elle transformée en
souveraineté sur le territoire du fief éteint, même quand ce fief
était situédans le territoire de l'État du roi vassal - mêmequand 3IIïïQCIERS ET ÉCRÉHOUS (OPIN. INDIV. M. LEVI CAKSEIRO)
96
le roi vassal était un ennemi puissant du roi suzerain ? Je réponds
non. Le concept de la souveraineté nationale dans ce cas détruit
tous les effets, tous les vestiges de la pré-existante suzeraineté.
Dans ce cas, quand la souveraineté s'établit, la ((féodalitépoli-
tique » disparaît.

Comment prétendre que, le lien personnel qu'il y aurait eu entre
le roi d'Angleterre et le roi de France une fois rompu, ce dernier
gagnerait la souveraineté sur la terre anglaise ? Comment, par le
seul fait de l'abolition de la suzeraineté, le soi-disant vassal, le roi
d'Angleterre, libéréde tous les devoirs personnels envers le roi de
France, perdrait au bénéficede son ancien suzerain les attributs
de l'exercice de la souveraineté aux îles de la Manche - la com-
pétencepour l'expédition d'actes d'administration et le relèvement
d'impôts et de taxes, etc. ? Et de tous ces attributs serait investi
le mêmeroi de France ?Kon et non. Mèmeles simples hommages

nominaux, que le duc de Normandie aurait étéobligéde rendre au
roi de France - et qu'il n'a jamais rendus, je crois, eu égard aux
îles - deviendraient, s'ils étaient dus, iiiexigibles. La suzeraineté
francaise, si elle avait existésur les îles de la Manche appartenant
aux ducs de Normandie, serait tout à fait abolie et sans laisser
de trace.

Même à l'intérieur du Royaume, ce fut seulement par la force
des armes que les rois de France, à partir de Philippe-Auguste,

ont commencé à dominer les seigneurs féodaux et, à la longue,
les ont soumis à leur autorité souveraine. Louis XI réduisit à une
complète obéissanceplusieurs seigneurs féodaux. C'étaitla réaction
contre les seigneurs féodaux. C'est la victoire militaire qui devenait
le titre de domination ;et non pas l'ancienne suzeraineté.
Quant àla Normandie, Philippe-Auguste a conquis la Normandie
continentale et en a chassé les Anglais, par un fait d'armes mieux
qu'en exécution d'une décision judiciaire. Mais on n'a pas prouvé
que Philippe-Auguste ait aussi conquis les îles de la Manche. Au
contraire, les traités prouvent qu'elles sont restées, dans leur

ensemble, sous la domination anglaise. Là, ni commise, ni extinc-
tion de la féodalité,ni victoire militaire n'ont troublé pendant
plus d'un sièclela domination anglaise, l'union des îles à l'Angle-
terre, l'implantation de la souveraineté anglaise. L'extinction de
la féodalité afait disparaître la restriction que, par hypothèse,
subissait cette domination.

D'autre part, il ne faut pas oublier que «les vassaux exerçaient
tous les droits de souveraineté » (Laurent, La féodalitéet l'Église,

P 617).
Ainsi, à mon avis, tandis que dépérissait et s'évanouissait le
titre originaire français- consistant tout au plus dans la simple
institution d'une suzeraineté non prouvée et douteuse, qui aurait
53 BIINQUIERS ET ÉCRÉHOUS (OPIK. IXDITT M.. LEVI C.~RNEIRO)
97
étéacceptée de mauvais gré et non respectée par le vassal -,
le titre originaire anglais - provenant de la conquête, probable-
ment inconditionnelle, par les Normands - se fortifiait, se consoli-

dait, se légitimait, au cours des traités successifs et de l'occupation
presque ininterrompue de l'ensemble des îles de la Manche et,
finalement, par l'affirmation de la souveraineté nationale quand
disparut la féodalité politique.

12. Les données géographiques -. J'accepte l'observation du
Gouvernement français :

((L'analyse juridique à laquelle le juge doit se livrer comporte
toujours, dans les affaires mettant en cause la compétenceterri-
toriale, l'examen préalable des donnéesgéographiques. Le droit
international attache à ces facteurs une importance bien marquée
dans l'arrêtde la Cour dans les Pêcheriesnorvégiennesde 1951....»
(Plaidoiries).

Déjà dans la duplique il avait signalé l'importance de cet aspect
de la question actuelle :

((...ces îles, situées dans une baie française, devenues anglaises
[je souligne] parce qu'un baron français, un duc de Normandie,
a conquis l'Angleterre en l'an 1066. Car, en dernière analyse, telle
est la cause première,assez piquante, de ce coup du sort, véritable
défiaux donnéesgéographiques. »

A ce point de vue, la première observation trouve sa source
dans le très ancien détachement de quelques îles du continent :
Jersey aurait été séparée du continent, peut-être en l'an 709
(plaidoiries). Cette considération, basée sur une hypothèse, n'a,

évidemment, aucune influence sur la situation actuelle, dont les
origines sont postérieures d'au moins deux siècles. Si l'on devait
prendre en considération que ((l'ensemble de l'archipel est un
démembrement du continent ))(plaidoiries), on pourrait prétendre
que cet ensemble appartient maintenant à la France. Aussi, une
autre observation francaise sur le fait de la situation des îles
dans une mêmebaie entourée de terres françaises ne me semble

pas contribuer à la solution de la controverse actuelle, parce que,
incontestablement, la plupart des îles situées dans cette baie, ou
les plus importantes d'entre elles se trouvent sous la souveraineté
anglaise.
Mais il y a encore une autre observation que je considère inté-
ressante : le Gouvernement français, tout en insistant sur l'affir-

mation que «l'ensemble de l'archipel est un démembrement
du continent )) (plaidoiries), déclare que «l'unité naturelle » de
l'archipel ((existait avant le XIII~~ siècle 1et que, (à cette époque-là,
le hasard des armes et la volonté des rois ont briséce que la nature
avait uni )) (plaidoiries). Peu avant de formuler cette proposition, le Gouvernement fran-
çais a dit que les îles de la Manche constituent un groupe d'îles
qui semble,présenter une certaine unité naturelle, et l'on pourrait
dire que 1'Etat auquel appartiennent les îles principales doit égale-
ment avoir la souveraineté sur celles dont le statut territorial est
douteux (plaidoiries).

13. L'unité naturelle. - Mais le Gouvernement français n'admet
pas que l'on parle de cette ccunité naturelle 1)après le XIII~~ siècle.
Il prétend avoir acquis les îles de la Manche par leur incorpora-
tion, ((dans leur ensemble )),au duchéde Normandie (plaidoiries).
A cette époque,ces îles formaient untout unique avec la Normandie

(plaidoiries) ; plus tard, en 1259, elles furent divisées ((en deux
groupes » (plaidoiries). (Une partie de l'archipel » a étéattribuée
au roi de France, cune autre partie 1)au roi d'Angleterre (plai-
doiries). Vn de ces groupes, nous le connaissons, c'est toujours
l'archipel anglo-normand. L'autre groupe est formé des Chausey,
auquel la France prétend rattacher les Minquiers et les Ecréhous.

La séparation des Chausey de l'archipel est reconnue. Je ne
considère pas que cette séparation ait entraîné la disparition de
1'«unité naturelle » de l'archipel. L'archipel reste avec toutes les
autres îles. Ce qu'il fallait prouver, c'est que les Minquiers et les
Ecréhous avaient été aussi démembrés en mêmetemps que les
Chausey ou après, et rattachés au continent. Il fallait détruire la

présomption très raisonnable du maintien de leur rattachement à
l'archipel. Selon moi, c'était à la France qu'il incombait d'en faire
la preuve, et cette preuve n'a pas étéfaite. Le Gouvernement
français prétend qu'il y a eu (démembrement » (d'un très grand
nombre d'îles » - le groupe des Chausey, le Mont-Saint-Michel,
Tombelaine, l'île de Bréhat, cpour ne citer que quelques-unes )>

(plaidoiries) - qui sont devenues et restent françaises. Il n'en a pas
cité d'autres que Cezambre. Elles font certainement partie de la
((poussière d'îles, îlots et rochers » dont on a parlé (plaidoiries).
Tout cela ne constitue pas, à mon avis, un très grand nombre
d'îles I)ni même (cla plus grande partie des îles )) (plaidoiries).
Peut-être ces petites îles ne faisaient-elles même pas partie de

l'archipel ; ou bien elles en étaient déjà détachéeset continuèrent
à l'être.

L'histoire aurait bouleversé la géographie. Nais si le démem-

brement n'a touché que les Chausey, et mêmes'il s'est étendu
à d'autres iles moindres, l'archipel aurait gardé et garde encore
la presque-totalité de ses îles, toutes les îles les plus importantes
sous la dénomination que lui donnèrent toutes les cartes et les
livres de géographie : ccarchipel englo-normand » ou (cîles anglo-normandes N, ou (Channel Islands ))ou Kîles de la Manche )).Ce
archipel, ainsi nommé encore aujourd'hui, avec son unité natu-

relle presque intacte, est incontestablement anglais.
Les exceptions que les faits historiques ont apportées à cette
règle devront être admises restrictivement. Le Royaume-Uni
reconnaît une exception :les Chausey. Quant aux îlots sur lesquels
porte le différendactuel, il fallait prouver leur situation. La preuve
apportée est en sens contraire.
L'argument français se fonde, à mon avis, sur une interversion
des (données géographiqyes ))quand il les énonce dans les termes

suivants : c(...leur [des Ecréhous et des Minquiers] appartenance
à un archipel que seuls les accidents historiques ont détaché en
partie de la France. ...))(plaidoiries).
Ainsi on reconnaît, il me semble, que ces îlots faisaient alors
partie de l'archipel, s'ils n'en font plus partie aujourd'hui. Mais
l'archipel étant détaché de la France, non pas en partie, mais
presque totalement (si l'on admet qu'il lui avait étéautrefois
rattaché), il a gardé (son unité naturelle », et les Ecréhous et les

Minquiers lui restent incorporés. La France devrait prouver que
les Écréhous et les Minquiers ne font plus partie de l'archipel,
que les faits historiques les ont détachés de l'«unité naturelle »
des îles. La France n'a pas fait cette preuve ;elle considère qu'il
appartenait au Royaume-Uni de produire la preuve directe de
sa souveraineté sur ces deux groupes. A mon avis, celui qui est
intéressé à restreindre l'application d'une règle établie ou d'un
fait reconnu doit prouver la validité de la restriction. Dans le

cas actuel, les faits prouvés justifient, il me semble, la présomption
que j'ai énoncée ci-dessus.

L'union des îles au continent est une hypothèse géologique,
sans plus de conséquences. L'union des îles à la Normandie
continentale est un fait politique sans plus de conséquences. Mais
l'unité de l'archipel reste encore aujourd'hui reconnue et incon-
testable.

De mêmeque l'on considère que l'occupation, par un État, du
littoral ou d'une partie importante d'une île vaut l'occupation
intégrale de cette île - on doit aussi considérer que l'occupation
des îles principales d'un archipel comprend aussi celle des îlots
et rochers du mêmearchipel, qui ne sont pas effectivement occupés
par un autre Etat.
Aussi, l'cunité naturelle ))de l'archipel explique - comme l'a
noté la réplique (par. 118) - les termes de plusieurs traités et

d'autres actes qui font mention de quelques îles principales pour
désigner l'ensemble de l'archipel. Cette désignation d'un ensemble
par la mention d'une de ses parties est un procédé bien connu.
L'«unité naturelle )) de l'archipel ne pouvait pas et n'a pas été
brisée. ni méconnue. La mention des îles principales suffisait pour désigner l'ensem-
ble de l'archipel. Mais il y a aussi de très fréquentes références
à des îles cadjacentes » à d'autres îles ou à des terres indiquées.
On en trouve un exemple à propos de Jersey dans le traité de

Calais de 1360 (annexe A 2 au mémoire britannique). De même,au
xlvme siècle, dans l'acte de confirmation d'un gardien des îles
principales (plaidoiries), au xvme siècle, dans une pétition au
pape Sixte IV (mémoire, par. 34), ainsi que dans des documents
modernes, comme le règlement du 22 juillet 1843, article XVIII,
la convention du 2 janvier 1859, article XVIII, la convention
du II novembre 1867, article 38, le Rapport des experts français

de 1886.
On parle des cîles de Jersey » dans un acte de donation de
1216 (mémoire,par. 5). Dans une «lettre de protection ))de 1337,
il est fait mention des cEcréhous de Jersey » (annexe A 17 au
mémoire britannique). Le Gouvernement français a soutenu que
dans ce document le mot latin «de ))ne doit pas êtretraduit par
la préposition (de »mais plutôt par la locution (pour le compte

de », cau sujet de » (plaidoiries), et s'est reporté aux dictionnaires.
Un des meilleurs dictionnaires - de Benoist et Goetzer -
présente d'assez nombreuses significations du mot - y comprises
celles de : csur », ctouchant D, «quant à », (relativement ». Mais
la première signification indiquée, la principale, la plus commune
est (cde, hors de, venant de, issu de 1).Et l'on explique :ce mot
((exprime qu'un objet est séparéd'un autre auquel il était rat-

taché )). C'est précisément dans ce sens que l'on aura dit -
Ecréhous de Jersey. La phrase serait incompréhensible si l'on
prenait le mot dans un autre sens, et l'on a montré qu'il a été
utilisésimultanément dans le sens indiqué.

Les référencesaux cdépendances ))ou (îles adjacentes » montrent
que l'on incluait d'autres îlots ou rochers dans la, désignation de
Jersey. Il n'est pas prouvé que ce fussent les Ecréhous et les
Minquiers - ni qu'ils en fussent exclus. Mais il est évideril que
ce ne pouvait être que ces rochers et îlots à quoi l'on faisait

allusion. Cette circonstance corrobore les preuves qui ont été
réunies, justifie les faits d'occupation et les actes d'administration
(lue les autorités jersiaises ont exercés, et exercent encore, aux
Écréhous et aux Minquiers.
L'argument de la ccdépendance » a étéinvoqué aussi par le
Gouvernement français en s'appuyant sur la circonstance que les
Minquiers sont àpeu près àmi-distance entre Jersey et les Chausey ;

les Minquiers seraient une (dépendance ))des Chausey. Mais cet
argument ne paraît pas valable, parce que le Conseil du roi de
France, dans un arrêt du 28 juillet 1772, a désignépar leur nom

57 les 53 îlots compris dans le groupe des Chausey ; les Minquiers
n'ont pas étémentionnés, ni aucun de leurs îlots. (Gibon, pp. 294
et ss.) D'autres documents et circonstances appuient la conclusion
qui résultede cette observation. s'est à Jersey, et non aux Chausey,
que l'on a considéré queles Ecréhous et les Minquiers étaient
rattachés. Et cette constatation est importante, parce que les
Ecréhous et les Minquiers ont rarement éténommésindividuelle-

ment : ou bien ils sont compris dans l'ensemble de l'archipel, ou
bien ils sont traités comme dépendance d'une autre île principale,
c'est-à-dire de Jersey.

14. Proximité du continent. - Faisant abstraction des épisodes
secondaires, des alternatives des guerres, des occupations militaires

temporaires d'une ou de quelques îles, on peut dire qu'en réalité
l'histoire n'a pas bouleversé la géographie. Au contraire, je crois
que ce sont les faits historiques qui ont subi quelque influence
des (donnéesgéographiques 1; ils ont mêmeconsacréun critérium
géographique pour la discrimination des îles de la Manche.
Ce critérium a étéla proximité territoriale. Sont devenues
françaises quelques îles proches du continent, les îles les plus

proches de la côte française, non pas en raison du fait géologique
très ancien qu'elles ont été arrachées au continent (plaidoiries),
mais comme une conséquence nécessairedes faits historiques. Les
îles les plus écartées de la côte sont restéesanglaises. Le Gouverne-
ment français le reconnaît, en disant qu'au XIII~~ siècle le roi
d'Angleterre n'a pas retenu d'autres îles ((plus proches du conti-
nent )) (contre-mémoire, partie III, 1, 1) et qu'après le traité de

Calais, le roi de France ((continue à rester maître des îles proches
du littoral, qui en dépendent ))(annexe A 2 au mémoirebritannique ;
contre-mémoire, partie III, 1, III). Ce roi aura gardé (un groupe
d'îles généralement petites ....proches du littoral français 1)(plai-
doiries). Le Gouvernement français n'a pas indiqué comment se
caractérisent les îles «proches du littoral )) ou (du continent D.

Il n'a pas dit jusqu'à quelle distance du littoral s'étendait cette
((proximité )).Il a parlé aussi de ....(dépendance ))....((dépen-
dance du littoral » - ce qui est assez vague. D'autre part, il
a dit aussi, très exactement, que ((la prétention à l'uniténaturelle
de l'archipel ne prend tout son sens que si l'on tient compte
de la proximité de la côte continentale » (plaidoiries). Il n'a
indiqué aucun acte, ni aucun document, dans lequel les Min-

quiers ou les Écréhous aient été considéréscomme dépendances
du littoral ou des Chausey. Or, il faut certainement tenir compte
de la proximité de la côte continentale, mais en mêmetemps de
l'unité naturelle de l'archipel. Voilà les deux ; données géogra-
phiques )qui se complètent. Les Minquiers et les Ecréhoussont plus
proches de Jersey que du continent, comme le constate le Gouver-

nement français lui-même (plaidoiries). On doit les considérer
plus rattachés à Jersey qu'au continent. On doit les inclure dans
58l'archipel. Ces îlots faisaient et font partie de son (uniténaturelle ».
C'est pourquoi ils sont restés anglais, comme l'archipel même.

15. Faits historiques. - Du reste, le critérium de la proximité

continentale est parfaitement rationnel. Je comprends qu'il ait
étéadopté - ou mieux, qu'il ait prévalu, jusqu'à lm certain point.
Il n'est pas le résultat d'une orientation doctrinaire abstraite,
ni d'une théorie préférée, mais desévénements historiques et des
faits d'armes. Les Anglais, dans l'intérêt deleur propre défense
territoriale, après avoir perdu la Normandie continentale et les
îles de l'océan Atlantique, étaient tenus de garder les îles de la

Manche. La conquête par la Normandie en 1066 était un aver-
tissement. L'Angleterre est mêmealléeplus loin, retenant 1'Aqui-
taine jusqu'au xvme siècle, tâchant de reconquérir la Normandie
continentale et l'occu~ant. au moins' ~artiellement. à la même
époque et pendant pluide &ente ans. Il éstévident l'Angleterre
a toujours témoignéle plus grand intérêtpour les îles de la Manche.
Le conseil britannique a dit, sans être contredit, que depuis 1204
ces îles, sauf deux cas exceptionnels, n'ont pas mêmeétédonnées

en fief, mais gouvernées par un gardien, fonctionnaire admi-
nistratif de la Couronne. Une des exceptions est significative,
parce que, en 1254,ce fief a étéoctroyé au filsdu roi, plus tard le roi
Édouard Ier(plaidoiries du 21 septembre 1953 ; liste desgardiens, de
1204 à 1373, annexe A 158 au mémoirebritannique). En 1226 le
roi proclama l'autonomie des îles de la Manche, encore en vigueur
aujourd'hui, leur donnant une charte de libertés (ménioire,par. 26).

L'autonomie des îles est l'expression politiclue de l'unité naturelle
de l'archipel. Et cette unité avait été déjàreconnue par la décla-
ration de neutralité des îles par le roi Louis XI et le pape Sixte IV.

Les victoires militaires des Anglais, leur puissance navale, leur
permettaient de s'assurer, de façon générale,la domination des
îles. Il me semble inconcevable que, ayant de grands intérêts

aux îles de la Manche, dominant la mer et possédant toutes les
îles principales, l'Angleterre, sans une raison spéciale, n'ait pas
conquis et retenu les Ecréhous et les Minquiers, ou plutôt qu'elle
les ait laissésau pouvoir de la France. Un principe de la politique
britannique était en jeu : la Grande-Bretagne prétendait à la
propriétéde la mer qui la sépare de la France (Calvo, Droit inter-
national public, éd. 1896, 1, pp. 473-476). Ce principe a étérejeté
(plaidoiries), et la France s'opposa ((à ce que la Manche fût

appelée le ((canal britannique 1))).C'est vrai. Toutefois, même
les Français continuent d'appeler les îles de la Manche ((îles anglo-
normandes ))et même ((îles anglaises ». 16. Sitz~ationdéfinitive. - Le principe de la limitation des eaux

territoriales était peut-être contestable en ce temps-là, mais le
développement des faits historiques a conduit à une situation qui
le consacre, peut-être par anticipation. La même circonstance qui
a écartéla domination anglaise de quelques îles, soumises défini-
tivement au domaine français, aurait pu écarter la domination
anglaise des Ecréhous et des Minquiers.
Or, la cause déterminante pour laquelle l'Angleterre n'a pas
dominé toutes les îles de la Manche est, à mon avis, je le répète,
la proximité de la côte française.
Les seules îles que l'on pourrait considérer comprises dans

l'archipel anglo-normand et qui ont été (démembrées 1de l'archipel
et placées sous la domination française, sont celles des Chausey,
situées hors de la stricte zone des eaux territoriales francaises. Mais
les Chausey resïent plus proches de la France continentale que
toutes les autres île;, même Aurigny, qui est incontestablement
anglaise, même les Ecréhous et les Minquiers. Il y a eu de nom-
breuses alternatives dans la domination des Chausey :un écrivain
aurait dit qu'elles auraient dû rester anglaises et l'on a discuté sur
la date de leur possession définitive par la France.

L'agent français a cité d'autres îles. Le Mont-Saint-Michel est
liéau continent ; Tombelaine, suivant la carte française no I, est
placée dans les «sables et rochers découvrant à marée basse );
Bréhat et (cité dans ia plaidoirie) Cezambre sont indiscutable-
ment situées dans les eaux territoriales de la France. Elles ne
pourraient être que françaises. Comme les Chausey elles sont
restées françaises. Toptes les autres sont britanniques - y compris,
par conséquent, les Ecréhous et les Minquiers.

17. La donation de Pierre des Préaux. - On a discuté, avec
beaucoup d'érudition, si la donation par Pierre des Préaux était
bien en franche-aumône et, en conséquence, si elle avait éteint
les droits du donateur. Je n'ai pas besoin de trancher ces questions.
Quelle que soit la solution qu'on leur donne, la question principale
n'est pas celle de savoir si Pierre des Préaux a gardé ou non ses
droits sur l'île, mais seulement de savoir si le duc de Normandie,
pour sa part, a gardéou non les siens. Or, le Gouvernement français,
dans la duplique (partie 1, section 1, II,A, IO), accepte la règle
irréfutable suivant laquelle nul ne peut donner plus que ce qu'il a,
et reconnaît que le duc conserva ses droits.

Il est vrai que le Gouvernement francais ajoute que le roi de
France succéda au duc par la conquête de la Normandie en 1204
et devint seigneur supérieur de l'île d'Ecréhou. Par là, on revient
à une autre question, déjà examinée et tranchée : le roi de France
n'était pas seigneur des îles, le jugement de 1202 ne se rapportait
pas aux îles. La conquêtede la Normandie continentale n'y changerien. Il n'y a aucupe preuve qu'elle ait été étendueaüx îles, parti-
culièrement aux Ecréhous et aux 3linquiers.

Il y a aussi d'autres considérations dans le mêmesens, que je
crois pertinentes :

a) Pierre des Préaux ne pouvait pas, sans le consentement du
seigneur, faire le démembrement d'une partie des îles qq le roi
Jean lui avait données en fief. Peu importe que l'île d'Ecréhou
n'eut aucune valeur, comme l'a dit le Gouvernement français.
Et l'on voit bien l'importance de la donation si elle aurait eu,
comme le prétend le Gouvernement français, pour effet de trans-
férer au roi de France la propriété del'île qui appartenait au roi
d'Angleterre. A ce point de vue, la donation aurait éténulle.

b) Dans 1'((aveu de ses fiefs » que Pierre des Préaux a fait au
roi Philippe de France, apr+ la reddition de Rouen, en 1204, il
n'est pas fait mention des Ecréhous (plaidoiries).
c) Deux ans après, en 1206, le roi d'Angleterre rendait à Pierre
des Préaux la terre qu'il avait en Angleterre et déclarait que, pour
ce qui est des îles, le roi ferait(ce que lui plaira u (annexe A II
au mémoire britannique). Il n'y a aucune restriction résultant de

la donation à l'abbaye de Val-Richer.
18. Les actes d'occupation. - L'origine de l'occupation des
îles par les Anglais étant bien marquée et les circonstances qui

la confirmèrent étant reconnues, les actes xéalisésau cours de
cette occupation, quoique dispersés dans le temps, en démontrent
la continuité et marquent la «lente évolution 1) du processus
d'établissement de la souveraineté.
Je n'ai à ajouter que quelques observations complémentaires
à l'analyse faite par l'arrêt.

19. Visites des pêcheurs -. Les visiteurs les plus assidus et les
plus nombreux étaient les pêcheurs. Le Gouvernement français
a dit qu'après 1839 «il a laisséles pêcheursbritanniques fréquenter
tranquillement les Écréhous et les Minquiers » (plaidoiries). Le
Gouvernement anglais n'a jamais permis la fréquentation des
îlots par les Français.
J'adrnets que, dans certains cas, sous certaines co,nditions, la
présence de personnes privées, ressortissants d'u-n Etat, puisse

indiquer ou entraîner l'occupation par ce mêmeEtat. L'exercice
de la souveraineté se fait sur des personnes qui reconnaissent
cette souveraineté. Je ne peux pas oublier que la limite des pos-
sessions portugaises et espagnoles, en Amérique du Sud, fixée
strictement par le traité de Tordesilhas, fut dépasséepar des
gens du Brésil, qui allaient à la recherche d'émeraudes et d'or
et, malgré que ces gens aient été souvent déçus dans leurs espoirs
or 3IISQCIERS ET ÉCRÉHOUÇ (OPIS. ISDIV. M. LEVI CARSEIRO)
105
et déciméspar les fièvres, ils ont réalisél'eh possidetis pour le
Brésil et agrandi énormément son étendue territoriale.
Ces actes individuels sont d'autant plus importants quand il
s'agit de territoires situés à la frontière de deux pays, qui se

dis~utent la souveraineté dans cette régionU
,iux Écréhouset aux Minquiers, les pêcheurs anglaisont toujours
étéplus nombreux, beaucoup plus nombreux, que les pêcheurs
francais. Les références à des habitations d'Anglais sur les îlots
sont assez nombreuses et remontent à des dates anciennes (an-
nexes A 51, A 54, A 61, A 64 au mémoirebritannique). Ces gens
venaient de Jersey et, certainement, d'autres îles toutes proches.
D'autre part, ce qui est plus significatif, les Francais étaient
repoussés par les Anglais. Et ((à plusieurs reprises ))le ministère

francais de la Narine dit avoir ((demandé à nos ~êcheursde ne
pas créer d'incidents avec les pêcheurs anglais 1) (plaidoiries).
Le plus important n'est pas ,la fréquentation des eaux terri-
toriales des Minquiers et des Ecréhous. Le plus important est
l'installation sur ces îlots. Or, je suppose, les Francais n'y restaient
pas. Le Gouvernement francais a tâché d'expliquer ce fait par
les vents et les courants maritimes contraires (plaidoiries). Quelle
qu'en ait étéla cause, le fait a ses conséquences.

On a cherché, sans y réussir, à démontrer que la convention
de 1839 donnait aux Francais ((non seulement le droit de pêche
autour des Ecréhous et des Minquiers, mais aussi le droit d'y
débarquer et de s'y installer ))(plaidoiries). On n'a pas dit qu'ils
y aient débarqué souvent et, moins encore, qu'ils s'y soient
installés en nombre.

20. Cartes géographiques . Il faut dire un mot sur la preuve

tirée des cartes géographiques. Je sais qu'elles ne sont pas toujours
décisives pour trancher des questions juridiques de souveraineté
territoriale. Néanmoins, elles peuvent apporter une preuve de
la notoriétémêmedu fait de l'occupation ou de l'exercice de cette
souveraineté. Les Parties l'ont reconnu, appuyant leurs allégations
sur des documents de cet ordre. Le Gouvernement anglais a citéla
carte de Stieler, dans les éditions de 1905 et de 1932, qui montrent
les îlots litigieux comme britanniques. Le Gouvernement français

a présenté plusieursautres cartes (plaidoiries). Il y en a qui ont
considéré les Ecréhous comme britanniques, mais ignorent les
Minquiers. D'autres font omission ,de l'un ou de l'autre groupe,
montrant quelquefois même-les Ecréhous en dehors de la zone
britannique. Pour trancher ces conflits de cartes, il faudrait une
étude spécialiséeet prolon~éepour déterminer lesquelles méritent
de prévaloir. En tout cas, elles n'apportent pas une contribution
assez considérable pour per%ettre de statuer. Je ne les prends pas

en considération. 21. Protestations françaises. - En fixant la ((date critique »
à l'année 1839, en déclarant qu'il ne subsiste guère de docu-
ments du moyen âge à cause de la destruction d'une bonne partie
des archives normandes (plaidoiries) et que les documents plus
anciens ont disparu, qu'ils étaient souvent très mal rédigésou
n'ont jamais existé, le Gouvernement français a voulu réduire
considérablement le volume des preuves que la Cour devrait
apprécier. Cependant, lui-même, peu à peu, n'a pas laisséde faire
l'appréciation de faits postérieurs à 1839 ou de les invoquer en sa
faveur. Ces faits sont bien plus nombreux et plus significatifs de
la part de l'Angleterre que de la part de la France. Le Gouverne-

ment français a invoqué les protestations qu'il a opposées à plu-
sieurs de ces actes. Et comme ses protestations n'ont pas atteint
les actes les plus importants, il a expliqué qu'elles ne se rap-
portaient qu'aux actes qui ne signifiaient pas l'exercice de la
souveraineté, parce que, selon son interprétation, ces derniers
étaient autorisés aux deux Etats par la convention de 1839.
Cette interprétation a étérepoussée par l'arrêt. En conséquence,
l'omission française de protester contre les actes d'exercice de la
souveraineté britannique aux îlots dont il s'agit ne peut plus
êtreexcusée. Mêmesur des actes britanniques d'un autre ordre,
les protestations françaises ont étéinsuffisantes et inefficaces. On

peut répéterce que la Cour permanente de Justice internationale
a dit, dans le cas du Groënland oriental, page 62: la nature des
actes du Gouvernement britannique n'a pas étémodifiée par les
protestations que, de temps à autre, le Gouvernement français
a formulées.

Dans aucun cas, la protestation française n'a produit un effet
aussi utile que celui de la protestation britannique dans le cas
de la construction d'une maison aux Minqujers par un citoyen

français, mentionné dans l'arrêt.Quant aux Ecréhous, ces protes-
tations n'ont pas étéprésentéesaprès 1888, pendant soixante ans.
Pour expliquer cette absence de protestation, le Gouvernement
français a présentédeux justifications qu'il faut considérer. Selon
la première, il était (impossible ))à la France de (surveiller conti-
nuellement le Gouvernement britannique » (duplique, partie 1,
section II,sous-section 1). On comprend bien cette impossibilité ;
mais il ne s'agissait pas de cela. Il fallait seulement surveiller les
îlots, comme le Gouvernement britannique les surveillait, de
manière, comme je l'ai déjàdit, qu'il a fait arrêter immédiatement
la construction d'une maison. L'omission d'une telle surveillance,

l'ignorance de ce qui se passait aux îlots signifient le non-exercice,
par la France, de la souveraineté dans cette région. XiIXQUIERS ET ÉCRÉHOUS (OPIN. ISDIV. M. LEVI CARNEIRO)
IO7
La deuxième justification se rapporte au cas très important de
la perception, par les autorités de Jersey, de taxes sur les maisons
construites aux Ecréhous. Le Gouvernement français n'a pas voulu
appliquer à ce cas la justification ci-dessus, et il a dit (duplique,
partie 1, section II, sous-section 1) : (qu'il s'agit d'opérations qui

ont étéaccomplies à Jersey et qui n'ont donnélieu sur le terri-
toire litigieux à aucun acte important et manifeste ». Mêmesi
le paiement des taxes avait étéeffectuédans les îlots, on pourrait
dire, suivant le raisonnement précédent, que le Gouvernement
français l'aurait ignoré, parce qu'il lui était «impossible de sur-
veiller continuellement le Gouvernement britannique ». En réalité,
le prélèvement des taxes devait nécessairement donner lieu à des
actes d'autorité sur les îlots mêmes.Mais ce quiest plus important,
c'est le contraste entre l'attitude des autorités fiscales de Jersey et

celle du Gouvernement de la France ou de quelques-uns de ses
services administratifs, qui n'ont jamais essayéde percevoir quelque
contribution fiscale sur les îlots dont il s'agit. Ils ne l'ont pas fait,
ni même - que je sache - essayé de le faire.

L'action du Gouvernement britannique sur les îlots devenait
toujours plus prolongée et intense. Le Gouvernement français dit
alors à la Cour : cFallait-il recourir, de notre côté, à la force et
à la guerre ? Car ceci est un point à ne pas négliger : aux environs
de 1875 jusqu'en 1904 ...les rapports entre nos deux pays n'étaient

pas ce qu'ils sont aujourd'hui.. ..Fallait-il donc exiger plus, défier
et provoquer une rupture pour les Minquiers et les Ecréhous ?
Il suffisait de protester sur le papier....1)

On ne peut assez louer le Gouvernement français de n'avoir pas
recouru à la force et à la guerre. Mais s'il y avait d'autres cas
litigieux plus importants entre les deux pays, les mêmesconsidéra-
tions qui limitaient l'action du Gouvernement français auraient
dû limiter celle du Gouvernement britannique. Or, tandis que
celui-ci agissait, continuait d'exercer sa souveraineté, le Gouver-

nement français se contentait de protester csur le papier ». Ne
pouvait-il pas faire autre chose ? Il pouvait et devait, si je ne me
trompe, pfoposer l'arbitrage. D'autant plus qu'il y avait entre
les deux Etats le traité du 14 octobre 1903, qui soumettait à la
décisionde la Cour permanente d'Arbitrage tous les différends de
nature juridique ou sur l'interprétation d'un traité.

Le Gouvernement français a rappelé la sentence arbitrale dans
le cas Chamizal, dont il cita le passage suivant : «En droit privé,
l'interruption de la prescription se fait par une action en justice ;

mais dans les relations entre nations, cela est évidemment impos-
sible,à moins que - et jusqu'à ce que - un tribunal international
soit établi à cet effet. » (Plaidoiries.) Cette sentence a étépro-
noncée en 1911 et se rapporte à des faits de 1848 à 1895. A cette

64 époque, il n'y avait pas de Cour internationale. La sentence

conditionne sa proposition à l'existence de ce tribunal : (jusqu'à
ce qu'un tribunal international soit établi ...1).Or, cette création
a eu lieu il y a maintenant de nombreuses années. Pourquoi la
France n'a-t-elle pas proposé - au moins proposé - de faire
porter le différend devant ce tribunal, comme l'a fait l'Angleterre
après plus d'un demi-siècle d'une discussion intermittente et
stérile ? L'omission enlève sa force à la réclamation, si mêmeelle
ne la rend pas caduque.

Sans m'étendre sur cette considération - dont l'importance me
semble évidente - je considère que l'action de la Cour serait
facilement réduite,voireannulée,sil'on permettait que lesdifférends
subsistent indéfiniment, sans justification particulière, et sans
qu'on ait cherché à obtenir son intervention décisive,préférant de
simples protestations (sur le papier »,périodiques et inopérantes.
Cet état de choses serait incompatible avec un régimede définition

et d'assurance des droits de chaque Etat.

22. Deux témoignages . La situation à laquelle on aboutit dans
la seconde moitié du xlxme siècleest devenue définitive. Elle a été
bien définie par deux éminents Français.

Le premier est Victor Hugo. Le Gouvernement français a cité
son roman Les Travailleurs de la Mer, écrit vers 1866, quand
Victor Hugo vivait à Guernesey. Dans l'introduction de ce livre, il
y a ces mots qui méritent aussi d'êtrerappelés, et j'en souligne
quelques-uns : «Les îles de la Manche sont des morceaux de
France tombés dans la mer et ramasséspar l'Angleterre ))(p. XXI).
L'archipel est fait de quatre îles .... sans compter les ;lots »
(p. XXI). (Jersey ouvre du côté de la France le cintre de St. Aubin,

vers laquelle ces deux groupes épars, mais distincts, les Grelets
et les Minquiers, semblent ....se précipiterainsi que deux essaims
vers une porte de ruche )) (p. XXV). Les gens du pays - il l'a
remarqué - étaient des Normands, et ils n'avaient pas oublié
que ce fut la Normandie qui conquit l'Angleterre. Il aurait pu
dire qu'il n'y avait pas de domination anglaise : il y avait union
avec l'Angleterre. Il disait aussi que les Anglais appelaient l'archipel

ccîles normandes » et les Français l'appelaient ctîles anglaises ».
Lui-même les appelle ((îles de la Manche ))ou, en anglais, (Channel
Islands ».
L'autre témoin est Élisée Reclus, l'éminent géographe. Je me
permets d'intervertir les mots de sa proposition (Nouvelle Géo-
graphie universelle, éd. 1881, vol. II, p. 639), sans en altérer le
sens, en disant - avec ses mêmesparoles dont je souligne quelques-

unes : «Jersey, Guernesey, Aurigny et archipels voisins », ces
terres que (les Anglais désigneat sous le nom de Channel Islands,
îles du Canal », quoique étant ccune dépendance naturelle de la
65Normandie française I)appartiennent (politiquement à la Grande-
Bretagne ».

23. Conclusion. - J'ajouterais au dispositif de l'arrêt deux
éclaircissements.

Le premier se rapporte à la possibilité de l'appropriation des
îlots. Je dirais de(son appropriation actuelle ou future ».La mesure
dans laquelle les rochers sont ((susceptibles » d'appropriation est
indéfinie : la Cour ne peut pas la déterminer. On ne peut la fixer
d'avance. Qui aurait prévu, dans un passé pas très lointain,
l'utilisation de la force des marées pour la production d'énergie
électrique dont la France a l'intention aux Minquiers ?
Le deuxième éclaircissement a pour but de sauvegarder :

a) L'exercice des droits de pêchedans les parages des Écréhous
et des Minquiers, selon l'accord du 30 janvier 1951 (annexe A 23
au mémoirebritannique) signépar les représentants de la France
et du Royaume-Lni, et négociépar eux en même temps que le
compromis du 29 janvier 1950. La présente décisionn'atteint pas
cet accord.

b) La possibilité de coopération anglaise à l'exécution du projet
du Gouvernement français de production d'énergie électrique par
des travaux dans la région des Minquiers, aux termes de la
déclaration du représentant du Gouvernement britannique autorisé
par son Gouvernement (plaidoiries).Je veux croire qu'aujourd'hui

aucun juge ne peut suivre aveuglément la trop vieille règle fiat
justitia, pereat mundus (Ripert, La règle.morale dans les Obliga-
tions civiles, passim). Encore moins peut-il être soumis à une
telle règle dans le domaine du droit international, dont les
principes sont peut-être - comme on l'a dit - la consécration
de l'ancien droit naturel. Et je me plairais de prendre acte des
nobles déclarations du représentant du Gouvernement britannique.

(Signé) LEVI CARNEIRO.

Bilingual Content

OPIKIOX ISDITiIDUELLE DE 11. LEVI CXRNEIRO

Ayant voté pour la conclusion de l'arrêt et accepté toutes les
nsidérations qu'il présente pour la justifier, je me permets

d'ajouter quelques observations qui ont influencé décisivement
mon vote personnel. Elies se rapportent à des circonstaiices d'ordre
généralqui, à mon avis, expliquent, confirment, coordonnent et
valorisent les actes d'occupation, quelque peu épars au long des
sikcles et pas tous assez significatifs par eux-mêmes.

2. C~itéri5~v dze la décision- Je me suis tenu, dans ce jugement,

aux règles suivantes posées par la Cour permanente de Justice
internationale dans le cas du Statut juridique du Groënland
oriental :
a) les éléments nécessaires en vue d'établir un titre de souve-
raineté valable sont c(l'intention et Ia volonté d'exercer cette
souveraineté et la manifestation de l'activité étatique ,> (pp. 46

et 63) ;
b) la jurisprudence internationale, en beaucoup de cas, n'a
pas exigé ccde nombreuses manifestations d'un exercice de droits
souverains pourvu que l'autre Etat en cause ne pût faire valoir
une prétention supérieure. Ceci est particulièrement vrai des
revendications de souveraineté sur des territoires situés dans des
pays faiblement peuplés ou non occupés par des habitants à
demeure » (p. 46) ;
c) c'est le critérium de la Cour, selon les circonstances de chaque
cas, qui établit si la manifestation et l'exercice des droits de
souveraineté a été ((darîs une mesure suffisante pour constituer
lin titre valable de souveraineté » (pp. 63-64).

3. Fief des ;les de la Manche. - Sans contester l'occupation des
îles de la Manche, dans son ensemble, au xlrnesiècle, par le duc de
Kormandie roi d'Angleterre, le Gouvernement français prétend
que cette occupation résulta de ja donatiûiz faite, en 933, par le
roi Raoul à Guillaume Longue-Epite ; qx'ainsi s'est constitué le
fief des iles, et le duc de Kormandie roi d'Angleterre est devenu
vassal du roi de France ;que le duc et roi a rendu plusieurs fois
l'hommage auquel, dans cette condition,il était obligé. LeGouver-

nement britannique rejeta ces propositions, prétendant que les
îles avaient étéconquises en 916 par les Formands ; que le fief se
limita à la partie continentale de la Normandie ;que l'hommage dû
pour ce fief mêmeétait simplement nominal et n'a étérendu que
selon la convenance ou l'intérêtpolitique du vassal. ISDIVIDcLSL OPISIOI; OF JVDGE LET7 C-IRSEIRO
/Srn~zslatio.ujz
Havii~g voted in favour of the operative clause of the Judgineilt
and accepted al1the reasons in support thereof, I x-enture to add a
fexv obserx-ationç which hax-e decisively iilfhenced mg- personal
vote. These observations relate to circumstances of a general
character xvhich, in my view, explain. confirm, CO-ordinate and
lend value to the acts of occupation which occurred at irregular

intervals throughout the centuries and are not al1 sufficientiy
rignificant if taken individually.
2. Criterion for tlze decision-In this Opinion I ha\-e confined
myself to the follo\t-ingrules n-hich xi-erelaid don-11by the Permanent
Court of International Justice in the case concerning the Lega!
Çtatus of Eastern Greenland :

(a) the elements necessary to establish a valid title to sovereignty
are "the intention and w-il1to exercise such sovereigntj- and the
maniiestation of State activity" (pp. 46 and 63) ;

(b) in many cases international jurisprudence "has been satisfied
11-ith1-ery little in the way of the actilûl exercise of sovereign
rights, provided that the other State could not make out a superior
claim. This is particularly true in the case of claims to sol-ereignty
over areas in thinly populated or unsettled countries" -(p. 46) ;

(c) it is the criterion of the Court in each individual case which
decides whether sovereign rights have been displayed and esercised
"to an estent sufficient to constitute a valid title to sovereignty"
(W. 63-64).
3. Fief of tlze Clza~z~zeI lslands.-TVhilst not disputing the
occupation of the Channel Islands as a ~vhole in the eleventh
centurj- hy the ihke of Xorrnandy, King of England, the French
(;overnrnent contends that this occupation \\-as a consequence of

the grant made in 93; by King Raoul to William Longsxvord ;
that the fief of thc Islands n-as thus constituted and that the Duice
of Xormaildy, King of Englxnd, becaine a vassal of the King of
France ; anci that the i)ulce alld King on several occasions rendered
the homage ox~~ed bs- him in this capacity. The L-nited I(iiigdori1
Governrnc~lt rejects' these costerîtions on the ground that the
Islands wcre concluered in 916 bjr the Sormans ; thzt the fief n-as
li~liited to tlie co11tir:ental portion of Xormandg- ;that the hoi~~age
duc in respcct of this fief \vas merely ilornina1 ancl n-as renderccl
solely hnx-ing regard to the convenieilce or political interest of tlie
~assal. On ne connaît pas l'acte de la prétendue donation en fief à
Guillaume Longue-Epée ;on ne sait pas si cet acte comprenait les

îles de la Manche ; on n'a pas pu établir avec précision la portée
des hommages que le roi d'Angleterre aurait rendus au roi de
France. Le Gouvernement francais invoque une référence de
Flodoard, suivant laquelle le roi aurait donné au duc ((tevra7.i~
Brittonam in ora maritirna sitaln ))- mais il semble que la seule
traduction exacte de cette citation soit ((territoire breton situé au
long de la côte »,c'est-à-dire des terres du c~ntinent, au bord de la

mer, mais non des îles. Le Gouvernement français a repoussé
l'affirmation de la conquête de ces îles par les Normands, disant
qu'elles ((seraient venues s'ajouter aux autres fiefs 1).11 n'a pas
prouvé de quelle façon aurait été faite cette jonction. Je considère
plus plausible l'hypothèse de la conquête des îles par les puissants
guerriers qu'étaient les Normands.
D'autre part, il faut reconnaître que le vasselage d'un roi devrait

êtreexceptionnel et restreint : Philippe-Auguste même a proclamé,
en 1185, que ((le roi ne doit faire hommage à personne (Henri
Regnault, iWanuel d'Histoire du Droit fiancais, p. 102). Encore
moins acceptable est l'hypothèse que le roi d'Angleterre fut obligé
de rendre hommage-lige au roi de France, si l'on considère qu'à
cette époque la puissance du roi de France était assez réduite

(Pierre Gaxotte, Histoire des Français, vol. 1, pp. 126, 324-325),
tandis que l'autoritç des princes, ducs et comtes grandissait dans
une quarantaine d'Etats féodaux. Dans les grands fiefs, l'autorité
du roi de France était alors (cpurement nominale ))(Glasson,
Histoire du Droit et des Institutions de la France, tome IV, p. 487).
Plusieurs domaines gardèrent, jusqu'à la dernière heure, (leur
droit de souveraineté ))(je souligne) (Glasson, op. cit.). Particulière-

ment, le duc de Normandie était un (véritable souverain )(idem).
Mêmedans le territoire continental de la France, les pouvoirs du
duc n'étaient pas limités :il déclarait la guerre et faisait la paix,
battait monnaie, était ccle seul grand justicier en son duché )I
(op. cit., pp. 504-507, 508). Déjà Rollon avait fondé un Etat à
peu près indépendant »,((sous une suzeraineté tout à fait nominale )1

(idem, p. 497) ; le duc de Normandie fut un des souverains les
plus absolus du moyen âge 1)(idem, pp. 497-498).
Dans ces conditions, je ne peux pas accepter que le duc de Nor-
mandie, étant devenu roi d'Angleterre et ayant retenu les îles de
la Manche quand le roi de France le chassa de la Normandie conti-
nentale, soit resté humblement soumis à la suzeraineté de son
adversaire. Les mêmes circonstances m'empêchent de supposer
que la suzeraineté du roi de France se soit étendue aux îles de la

Manche, d'autant plus qu'il ne les a pas conquises, dans leur
ensemble, au commencement du XIII~~ siècle, quand il a conquis
la Normandie continentale. Dans ce sens, il y a des affirmations
valables. Ainsi, sel de^, cité par Calvo, déclare : We do not possess the instrument of the alleged grant in fee to
William Longsword ; it is not known whether this instrument
included the Channel Islands ;it has not been possible to define
the exact scope of the homage allegedly rendered by the King of
England to the King of France. The French Government has
relied on a passage in Flodoard to the effect that the King gave
to the Duke "terram Brittonam in ora nzaritima sitam", but it
would appear that the only correct translation of this expression
is "Breton territory sited along thecoast", that is mainland territory
bordering on the sea, but not islands. The French Government
has challenged the assertion that the Islands were conquered by
the Normans, on the ground that they "were added to the other

fiefs". But it has not shown how this alleged addition was made.
1 consider it more plausible that the Islands were conquered by
the powerful Norman warriors.
It must be recognized, furthermore, that the vassalage of a
king was necessarily exceptional and limited : Philip Augustus
l-iimself proclaimed in 1185 that "the King must do fealty to
no-one" (Henri Regnault, ~2lan.z~edl'Histoire du Droit jrnnpnis,
p. 102). The suggestion that the King of England was obliged to
do fealty to the King of France seems even less probable having
regard to the fact that the power of the King of France at that
time was considerably reduced (PierreGaxotte, Histoire des Fran-
çais, Vol.1,pp. 126, 324-3~5)~whereas the authority of the Princes,
Dukes and Counts in some forty feudal States was iilcreasing. In
the great fiefs, the authority of the King of France was at that

time "purely nominal" (Glasson, Histoire du Droit et des Insti-
tzttions de la France, tome IV, p. 487). Several domains kept to
the very end "their right of sovereignty" (italics supplied) (Glasson,
op. cit.). The Duke of Normandy in particular was a "real sovereign"
(idem). Even on the continental territory of France, the powers
of the Duke were not limited :he declared war and made peace,
minted money, and was "the sole great judge in his Duchy" (op.cit.,
pp. 504-507, 508). Rollo had already founded "a State which was
practically independent", "under suzerainty that was completely
nominal" (idem, p. 497) ; "the Duke of Normandy was one of the
most absolute sovereigns of the Middle Ages" (idem, pp. 497-498).
In these circumstances 1 am unable to accept the view that the
Duke of Normandy, having become King of England, and having
retained the Channel Islands when the King of France drove
him out of Continental Normandy, humbly remained subject to

the suzerainty of his adversary. The same considerations make
it impossible for me to suppose that the suzerainty of the King
of France extended to the Channel Islands, al1 the more so since
he did not conquer them as a whole at the beginning of the
thirteenth century when he conquered Continental Normandy.
Sound authority may be found for my opinion. For example,
Selden, cited by Calvo, has written as follows : ((Lorsque les rois Jean et Henri III perdirent la Normandie,
les îles de Jersey, de Guernesey et [je souligne] les autresiles adja-
cedes continuèrentdedemeurer sousla souverai?zeta énglaise))(Calvo,
Le Droit inter?zational,1870, vol. 1, p. 325.)
Il est vrai que quelques auteurs affirment que le roi d'Angleterre
retenait les îles(par foi et hommage du roi de France 1; la réplique

mêmeles a cités (no 121 et note 68). Mais le roi Jean d'Angleterre,
en 1200 (annexes A 8 et g au mémoire britannique), a fait dona-
tion des îles à Pierre des Préaux sans aucune allusion à la préten-
due suzeraineté du roi de France. Il y a un autre indice valable de
la non-existence de cette suzeraineté sur les îles : le roi d'Angle-
terre n'aurait pas reconnu le vasselage prétendu par le roi de
France ;il aurait refusé de rendre l'hommage demandé. Pour cette
raison, la Cour de France lui imposa la commise en 1202. Le lien
féodal, en tant qu'il existait - sans s'étendre aux îles, àce qu'il me

semble - fut alors éteint - les Partiesl'ont reconnu. (Plaidoiries.)

4. L'ère des traités. - La lutte entre la France et l'Angleterre,

déchaînée après cette décision de la Cour de France, dépasse le
XIII~~ siècle et s'étend jusqu'à la deuxième partie du xvme siècle.
Les interruptions devinrent plus larges et, à la longue, inter-
vinrent des traités de paix. Alors, nous sommes devant des
documents authentiques. Les Parties ont présentéces textes, ont
discuté leur interprétation, interprétation littérale très douteuse.
On sait bien que les cas portés devant les tribunaux sont tou-
jours plus ou moins douteux, et c'est évidemment à cause de
ces doutes que les Parties demandent l'interprétation judiciaire.
Quand le texte n'est pas clair, la situation dans laquelle un traité

a étésigné et les faits ultérieurs de son application doivent
apporter les éléments d'une interprétation bien fondée. Dans
le cas actuel, l'interprétation peut aussi êtrefondée sur d'autres
circonstances.

j. Bases d'interfirétation. - Les traités et d'autres documents
anciens, sur lesquels s'est étendue la controverse, ont été inter-
prétés diversement. Il me semble qu'on doit le faire suivant le
critérium adéquat à chaque cas ; quand même, je suppose que
l'on peut établir quelques bases pour cette interprétation.

La première, c'est le moment historique : un traité de paix,
résultant d'une guerre et d'une victoire militaire décisive, pro-
bablement favorise le vainqueur.

Un autre élémentdans le cas actuel est, de la part de l'Angle-
terre, un intérêt continuel et très vif pour les îles de la Manche,
qui fait contraste, au moins après une certaine époque, avec un
certain désintéressement, ou un intérêtbien moins vif et assidu
de la part de la France. Un géographe français, Elisée Reclus, a
44 "When Kings John and Henry III lost Normandy, the Islands
of Jersey, Guernsey and the other adjacent islands conti7zuedto
remain zuzder E7zglishsocereignty." (Italics supplied.) (Calvo, Le
Droit iiztergzational,1870, Vol. 1, p. 325.)
It is true that some authors state that the King of England
retained the Islands "par foi et hommage du roi de France" ; the
Reply itself has cited such authors (para. 121 and note 6s). But in
1200 King John of England (Annexes A 8and 9 to British Memorial)
granted the Islands to Piers des Préaux without alluding in any
way to the alleged suzerainty of the King of France. There is
a further valid indication disproving the existence of this suzerainty
in respect of the Islands ; the King of England is said to have
refused to recognize the vassalage alleged by the King of France ;

he is said to have refused to render the homage demanded. For
this reason the Court of France confiscated his lands in 1202.
The feudal link-in so far as it existed and without extending,
in my opinion, to the Islands-\vas then severed ;this is common
ground between the Parties. (Oral Arguments.)
4. The period of the Treaties.-The strife between France and
England which broke out after this decision of the Court of France
extended beyond the thirteenthcentury and intc the second half of

the fifteenth century. The interruptions became longer and longer
and peace treaties were ultimately concluded. In respect of this
period, authentic documents are available. The Parties have sub-
mitted these texts and have debated the matter of their interpreta-
tion, but the literalinterpretationisvery doubtful. It isa well-known
fact that cases brought before tribirnals are ahvays more or less
doubtful and it is clearly because of these doubts that the Parties
ask for a judicial interpretation. When a text is not clear, the
circumstances in which a treaty was signed and the subsequent
facts relating to its application must provide a sound basis for
the interpretation. In the present case, the interpretation may
also be based on other circumstances.

5. Bases of inter$retation.-The treaties and other ancient
documents with regard to which there has been lengthy argument
have given rise to different interpretations. It is my view that
the interpretation must be based on the adequate criterion in
each particular case ; 1 nevertheless consider that some bases
may be found for this interpretation.
The first is the historical moment ; a peace treaty which is the
result of a war and a decisive military victory probably favours
the victor.
A further factor in the present case is the continuous and keen
interest shown by England in the Channel Islands, in contrast to
a certain indifference or a much less lively and assiduous interest

shown by,France, at least after a certain period. A French geo-
grapher, Elisée Reclus, has written : "Jersey, Guernsey and theécrit : (cJersey, Guernesey et [je souligne] les terres voisines sont
donc pour la Grande-Bretagne une possession très précieuse. »

(Nouvelle Géographie universelle, éd. 1881, vol. II, p. 640.) Et
l'intérêtde l'Angleterre a été toujours - on le comprend bien -
plus vigilant et plus intransigeant envers la France. Le conflit
d'intérêtsqui déchaîne les luttes sanglantes depuis 1202 jusqu'à
1360 et mêmeaprès, s'est apaisé au xvmesièclepar le désistement
de la domination de la Normandie continentale de la part de

l'Angleterre, tandis que la France renonçait à conquérir les îles
de la Manche.
Dans la correspondance diplomatique du xlxrne siècle relative
au présent litige, on trouve des expressions non équivoques d'un
certain désintéressement de la France. Dans une note du 15 décem-
bre 1886 (annexe A 41 au mémoire britannique), l'ambassadeur
de France présentait au Foreign Office les titres qui, suivant son

expression, lui «permettraient d'établir son autorité aux Ecréhous » ;
il ajoutait que l'administration française «ne nourrit aucune visée
de nature à inquiéter le Gouvernement de la Reine ))Le Gouver-
nement français a fait plusieurs propositions significatives : il a
écarté la décision sur la souveraineté (A 64) ; il a proposé la
neutralisation des îlots (A 64) ; il a suggéré des compensations
dans une autre partie du monde (A 71-72) Le ministre français

de la Marine, en 1819, est alléjusqu'à reconnaître que les Minquiers
étaient possession britannique. Au cours de la procédure actuelle,
on peut noter que, dans le mémoire, il a affirméque cles espaces
litigieux ne peuvent être déclarés susceptibles d'appropriation
privative par l'une ou l'autre des Parties et que par conséquent
le statu quo doit être maintenu 1)11semblait désirer seulement la

continuation de la situation de communautéqu'il supposait établie
par la convention de 1839.

Plusieurs référence?de la part du Gouvernement français aux
Minquiers et aux Ecréhous accentuèrent qu'ils n'ont presque
aucune valeur. Plus d'une fois, la définition des Minquiers, par
Victor Hugo - ((une nudité dans une solitude » - a étérépétée

\Alaidoiries). Une fois aussi : ccrien à trouver là aue le nau-
frage ». Le contre-mémoire décrit: «trois îlots émergents dans
le groupe des Ecréhous et un îlot dans le groupe des Min-
quiers peuvent, bien que dépourvus de sources, être habitéspendant
l'été». Signalées les petites dimensions des rochers, on disait,
quant, aux Minquiers, que (aucun brin d'herbe n'y pousse », quant
aux Ecréhous : aucune culture n'est possible et l'habitation y

est difficile » (plaidoiries). La région où se trouvent les îlots
a étédécrite par le Gouvernement français comme (un bras de
mer semé de récifs ))- et le représentant britannique s'en est
montré surpris (plaidoiries). Il est vrai que, quand même,l'agent
français a signalé, outre l'intérêt des pêcheurs, l'intérêt c(fon-~zeighboc~ring lands are therefore a very precious possessio~zfor
Great Britain". (Italics supplied.) (ATouvelleGtographie universelle,
ed. 1881, Vol. II, p. 640.) And it may be readily understood why
England's interest has always been more vigilant and why she
has been more uncompromising in respect of France. The conflict
of interests lvhich gave rise to the fierce strife between 1202 and
1360, and even thereafter, became less acute when England ceased
to dominate Continental Normandy in the fifteenth century and
France renounced her attempt to conquer the Channel Islands.

In the diplomatic correspondence which \vas exchanged in the
nineteenth century concerning the present dispute, a number of
unequivocal expressions may be found to suggest a certain indif-
ference on the part of France. In a Xote dated December Ijth, 1886
(Annex A 41 to British Mernorial), the French Ambassador sub-
mitted to the Foreign Office the titles which, to use his words,
"~vouldpermit France to establish her authority over the Ecrehos" ;
he added that the French authorities "have in mind no purpose
of a kind to cause concern to Her Majesty's Government". The
French Government made a number of significant proposais : it
rejected a decision on sovereignty (A 64) ;it proposed the neutrali-
zation of the islets (A64); it suggested compensations in other parts
of the world (A 71-72). It is to be noted that during the present
proceedings the French Government stated in its Counter-Memorial

that "the disputed areas cannot be declared to be capable of
appropriation by one Party to the exclusion of the other and
consequently the status quo must be maintained". In 1819 the
French Minister of Marine went so far as to acknowledge that .
the Minquiers were a British possession. That Government appears
to have merely desired the continuation of the joint position
which it considered had been established bythe Convention of 1839.
Several references have been made to the Minquiers and the
Ecrehos by the French Government which suggest that they are
practically of no value. Victor Hugo's definition of the Minquiers :
"a desolation in a barren waste" has been repeated more than
once (Oral Arguments). Reference has once been made to his
words : "There is nothing to be found there except shipwreck."
The Counter-Memorial has stated that "three above-water islets

in the Ecrehos group and one islet in the &Ihquiers group are
habitable during the suminer, although there are no springs".
IVith reference to the small dimensions of the rocks, it was said
that on the Minquiers "not a single blade of grass is to be found",
and, as regards the Ecrehos, "nothing can be groxvn there and
habitation is difficult" (Oral Arguments). The region of the
islets has been described by the French Government as "an
arm of the sea sown with reefs", and the Counsel for the United
Kingdom Government expressed his surprise at this (Oral Argu-

45 damental 1)d'un projet lié aux Minquiers qui (doublerait la pro-
duction d'électricité actuelle de la France )) (plaidoiries). C'est
un projet récent, et cette Œuvre grandiose ne pourra peut-être
pas êtreréaliséetout de suite. En tout cas, je considère que l'on

doit prendre en considération ces intérêts(voir conclusion no 23).

Au contraire, l'attitude britannique a toujours été d'affirmer
sa pleine et exclusive souveraineté, sans restriction ni concession.

A4insi,je considère que l'Angleterre n'a pas laissé au pouvoir
de la France - surtout quand l'Angleterre venait de vaincre la

France par les armes - les îles de la Manche dans leur ensemble.
Pas même en conséquence d'un oubli inconcevable.
A travers les incertitudes des faits dus anciens. il,v aiaussi
quelques bases pour établir l'interprétition exacte des actes. Lé
Gouvernement français tire argument de la considération que
lorsqu'on fait mention de quelques-unes des îles de la Manche,
toutes les autres sont exclues :les énumérations seraient limitatives.
Pour ma part, je considère ces référencespresque toujours c(exem-

plificatives ))Les faits historiques antérieurs le justifient, les faits
ultérieurs le confirment. Le contre-mémoire mêmereconnaît qu'au-
cun des actes diplomatiques anciens, qui concernent les îles de
la Manche, n'en donne une énumération complète. Ainsi fait le
traité de Picquigny (duplique) de 1475. Pourquoi? Evidemment
parce que, tenant compte de l'ccunité naturelle 1)de l'archipel
qu'elles forment, l'énumération des îles n'était pas nécessaire,
étant presque impossible. C'est dire que lorsqu'on mentionnait
quelques-unes de ces îles, notamment les principales - celles

que l'on considérait alors comme îles principales -, on devait
sous-entendre que la disposition atteignait aussi les autres îles
non énumérées,comprises dans le mêmearchipel.

6. Le traitéde Lambeth ou le ccprojet d'accord 11,de 1217, mettant
fin aux luttes conséquentes au jugement de 1202, consacre les

victoires navales anglaises de Damme et de Sandwich, et la défaite
des tentatives francaises de prendre les îles de la Manche. Ses
termes et son moment historique autorisent la conviction qu'à
cette époque toutes les îles de la Manche étaient occupées par les
Anglais. Après les victoires maritimes, des faits remarquables,
contemporains de ce traité, confirment la domination anglaise
(plaidoiries). Je rappellerai seulement la proclamation de l'auto-
nomie des îles (rapports de 1199-1216, annexe A 154 au mémoire
britannique) dans laquelle est même recommandée la garde des

ports particulièrement à cause du voisinage du roi de France et
d'autres ennemis. Le Gouvernement français a reconnu que ce traité
dhments). It is true that the French Agent nevertheless referred,
in addition to the interests of fishermen, to the "fundamental"
importance of a project in connection with the Minquiers, which
"u~oulddouble France's prerent electrical output" (Oral Arguments).
This is a recent project and this magnificent imdertaking mag-
not be immediately realized. In an>- case, 1 am of opinion that

these interests may be taken into consideration (see Conclusion
YO. 23).
On the other hand, the attitude of the British Government has
alwavs been to assert full and exclusive sovereignty, svithout
restriction or concession of any kind.
Accordingly, itis my view that England has not left the Channel
Islands as a whole in the hands of France, particularly when
England had just conquered France by force of arms. This could
not even have followed from an inconceivable oversight.
Despite the uncertainties of the more ancient facts, some bases
may also be found for an exact interpretation of the instruments.
The French Government has sought to rely on the argument that
whenever some of the Channel Islands are mentioned, al1 the
others are excluded :in such cases the enumerations are asserted
to be exhaustive. In my opinion such references are almost
invariably given "as examples", a view which is warranted by
earlier historical facts and confirmed by subsequent facts. It
is admitted in the Counter-Memorial that none of the ancient

diplomatic instruments relating to the Channel Islands gives a
complete enumeration. This is the case for the Treaty of Picquigng-
of 1475 (Rejoinder). Why ? Obviously because, having regard
to the "natural unity" of the archipelago which they constitute.
it was not necessary to enumerate the islands, for it would
have been almost impossible to do so. In other words, whenever
some of the islands were mentioned, particularly the main
islands-or those which were then regarded as the main islands-it
was to be assumed that the provision also covered the other
islands which were not listed but which were included in the
same archipelago.

6. The Treaty of Lambeth or the "Draft Agreement" of 1217
which terminated the strife which followed the Judgment of 1202
confirmed the English naval victories of Damme and Sandwich,
as well as the failure of French attempts to take the Channel
Islands. The terms of this Treaty and the historical moment at

which it was concluded justify the view that al1 the Channel
Islands were occupied by the English at that time. Following the
naval victories, certain significant facts which are contemporaneous
with the Treaty confirm English domination (Oral Arguments).
1 shall merely refer to the proclamation of the autonomy of
the islands (Reports o1199-1216, Annex A 154 to British Memorial)
in which even the protection of the ports is recommended, having
particular regard to the proximity of the King of France and other
46 90 3IIriQUIERS ET ÉCRÉHOUS (OTIX.INDIV. M. LEVI CARSEIRO)
stipule une ccrestitution 1)de plusieurs îles au roi d'Angleterre, et
s'est contenté de conclure que ce fait implique que les îles n'étaient

pas alors en sa possession (plaidoiries). Cette implication est
acceptable : il y aurait des îles qui n'étaient pas en possession
de l'Angleterre ; mais celles-là lui seraient ccrestituées 1).La domi-
nation anglaise devenait intégrale sur les îles.

On a rapporté les actes d'exécution du compromis de restitution,
consigné dans le traité, par le même amiral anglais qui avait
commandé la flotte anglaise dans la bataille de Sandwich. 11fut
nommégardien des îles et remplacé plus tard dans cette fonction

par un de ses neveux. (Mémoire,nos 23-24.)

Le conseil britannique a cité deux historiens français qui ont
fixéla portée de ce traité : un professeur de Caen a dit que les
îles ccfurent détachées dela Normandie en fait en 1204, en droit
par le traité de 1217 n. (Plaidoiries.)

Le seul argument impressionnant présenté contre ce traité est

que le dauphin Louis agissait ccen son nom personnel, et n'ayant
reçu aucune délégation de poiivoir de la part de son père, le roi
Philippe-Auguste » (plaidoiries). Il me semble difficile de considérer
comme une simple aventure personnelle l'expédition du dauphin,
qui alla jusqu'à Londres, désirant, comme a dit le Gouvernement
français, crenouveler l'exploit de Guillaume le Conquérant ».
N'ayant pas réussi dans cette sortie, le dauphin signa le traité de
Lambeth avec le roi Henri III d'Angleterre ; plus tard, il devint
roi de France sous le titre de Louis VIII. Il diit tenir l'engagement

pris. Pour sa part, le roi Henri III d'Angleterre aurait repris les
~rinci~ales ou (la vlu~art des îles normandes 1)commele reconnaît
ie ~oivernement grançais (contre-mémoire et 'duplique). Pourquoi
n'aurait-il pas repris toutes les îles ? Pourquoi en aurait-il laissé
quelques-unes sous la domination française ?

On doit aussi noter que le Royaume-Uni ne prétend mêmepas
que le traité de Lambeth ait rétabli le lien féodal rompu plus de

jo ansavant :c'est au traité de Paris qu'il attribue cet effet. Alors,
après le traité de Lambeth, on peut dire que l'ensemble des îles
est sous la domination anglaise, sans vasselage.

7. Le traité d'Abbeville-Paris. - Les Parties sont d'accord pour
donner au traité de Paris de 1259 une grande importance (plaidoi-

ries). Le Gouvernement français en fait vraiment son titre origi-
nel ; il a dit (plaidoiries) que son titre primitif a été crenou-
velé et accru » par le traité de 1259. Ensuite, il déclara que le
titre du xme sièclea été incorporé au traité de 1259, (un traité de

47enemies. The French Government has admitted that this Treaty
provides for the "restoration" of several islands to the King of
England, but it has merely inferred therefrom that the islands were
not in his possession at that time (OralArguments). This inference
is acceptable : there were islands which were not in the possession
of the King of England ;but these islands were "restored" to him.
The English obtained complete domination over the islands.
Reference has been made to the instruments providing for the
implementation of the restoration, which had been agreed upon
in the Treaty by the same English admira1 who had commanded
the English fleet at the Battle of Sandwich. He was appointed
Warden of the islands and subsequently replaced in this office
by one of his nephews. (Memorial, Nos. 23-24.)
Counsel for the United Kingdom Government has quoted two

French historians who defined the scope of this Treaty :a Professor
from Caen has stated that the islands "were detached from Nor-
mandy in fact in 1204, in law by the Treaty of 1217". (Oral Argu-
ments.)
The only impressive argument that has been raised against this
Treaty is the contention that the Dauphin Louis acted "in his own
name, not having been delegated to do so by his father, King
Philip Augustus" (Oral Arguments). 1 find it difficult to con-
sider as no more than a mere persona1 adventure the Dauphin's
expedition, which went as far as London in an effort, to use the
words of the French Government, "to repeat the exploit of William
the Conqueror". Having been unsuccessful in this enterprise, the
Dauphin signed the Treaty of Lambeth with King Henry III of
England ;he subsequently became King of France as Louis VIII.
He was bound to abide by his undertaking. For his part, King
Henry III of England retook the main or "the majority of the
Norman islands" in the admission of the French Government

(Counter-Memorial and Rejoinder). Why should he nothaveretaken
al1 the islands ? Why should he have left some of them under
French domination ?
It should also be noted that the Gnited Kingdom does not ex-en
contend that the Treaty of Lambeth re-established the feudal link
which had been severed more than fifty years before : the United
Kingdom Government attributes this effect to the Treaty of Paris.
It may therefore be said that after the Treaty of Lambeth al1the
Channel Islands were under English domination, without vassalage
of any kind.

7. The Ireaty of Abbez~ille-Paris.-It is common ground between
the Parties that the Treaty of Paris of 1259 is very important
(Oral Arguments). The French Government actually purports to
find its original title in that Treaty ;it has asserted (Oral Argu-
ments) that its original title\vas "renewed and streilgthened" by
the Treaty of 1259. It then goes on to Say that itstenth centurylimites, un traité de frontières 1) (plaidoiries). Quelques-unes de

ses observations semblent autoriser une prétention au domaine
plein - non seulement à la suzeraineté - de quelques îles de la
Manche - non pas de tout leur ensemble. Riais la France a préféré
invoquer toujours sa prétendue suzeraineté.

Je ne considère pas le traité de Paris comme un traité de limites.
Ainsi on commettrait la mêmeerreur que, très sagement, on a
recommandé d'éviter :on ne doit pas apprécier un acte avec des
concepts qui ne lui sont pas contemporains. Le traité de Paris
est un traité de paix ;il ne contient aucune description de limites,

l'établissement d'aucune ligne limitrophe. Il aurait rétabli, selon
le Gouvernement français, l'hommage-lige que le roi d'Angleterre
devrait au roi de France par le lien féodal, que le jugement de 1202
aurait rompu. Comment prétendre que de ce fait découla l'incor-
poration des territoires du fief au royaume de France lorsque,
précédemment, ces territoires appartenaient à l'Angleterre ? De
ce simple fait, aucune altération territoriale n'aurait résulté :seul
le lien personnel de vasselage serait rétabli.

Le traité de Paris ne contient aucune référenceexpresse aux

Écréhous ni aux Minquiers, ni mêmeaux îles de la Manche en
général.Les seules dispositions qui peuvent intéresser le présent
litige .ont les articles 4, 6 et 7, reproduits à l'annexe A I du
mémoire.
Les doutes sur son interprétation surgirent tout de suite après
sa signature et se sont étalésau cours de la procédure devant
la Cour. Le Gouvernement britannique dit que par ce traité le
roi Henri III d'Angleterre renonça à toutes ses réclamations
pour la Normandie continentale ; que, après le traité, la France,

retardant ou refusant la restitution de quelques territoires, une
réunion eut lieu à Périgueux, en 1311, pour résoudre ces diver-
gences ; qu'alors la France révéla des prétentions sur les îles
voisines de la Normandie et sur d'autres terres ; que l'Angleterre
repoussa ces prétentions et continua à posséder les îles de la
n'lanche (mémoire, no 18).
Selon le contre-mémoire, le roi d'Angleterre renonça en faveur
du roi de France à la Normandie et à d'autres terres, recon-
naissant ainsi implicitement la légitimitéde l'arrêt de 1202 ; de
l'article4 il résulte que, en revanche, le duché de Guyenne et

divers pays voisins ont été laissés ou rétrocédés à titre de fief
au roi d'Angleterre qui, de ce chef, devait prêter hommage-lige
au roi de France. L'hommage serait rendu pour toutes les îles
relevant du roi de France, qui étaient entre les mains du roi
d'Angleterre, y compris les îles de la Manche qui se trouvent
((deçà le mer d'Engleterre » et qui ont auparavant fait partie
du duché de Normandie (p. 197). title was incorporated in the Treaty of 1259, "a treaty of frontiers,
a treaty of boundaries" (Oral Arguments). Some of its remarks
would appear to justify a claim to full ownership, not merelgr
to suzerainty, of certair, of the Channel Islands, but not of the
Channel Islands as a whole. France has, however, preferred to relv

throughout on her alleged suzerainty.
1 do not regard the Treaty of Paris as a treaty of frontiers. To
do so ~vould be to fa11into the very error which hve have been
n-arned against : an instrument must not be appraised in the light
of concepts which are not contemporaneous with it. The Treaty
of Paris is a treaty of peace ;it contains no provisions on frontiers
and establishes no boundaries. In the opinion of the French Govern-
ment, it re-established the homage due by the King of England
to the King of France by virtue of the feudal link which the Judg-
ment of 1202 had severed. How can it be argued that as a result
of this fact the territories of the fief were incorporated in the
Kingdom of France when these territories formerly belonged to
England ? No territorial alteration of any kind can have resulted
from this mere fact : the persona1 link of vassalage alone m-as
re-established.

The Treaty of Paris contains no express reference to the Ecrehoa
or the Minquiers, or even to the Channel Islands in genera.1. The
only provisions which might be relevant to the present dispute
are Articles 4, 6 and 7, which are reproduced in Annex A I to the
Memorial.
Doubts as to the interpretation of this Treaty arose immediately
after its signature and were revived during the proceedings before
this Court. The United Kingdom Government has asserted that
by this Treaty King Henry III of England renounced al1his claims
to Continental Normandy ;that after the Treaty, France having
delayed or refused to implement the restoration of certain territories,
a meeting was held at Périgueux in 1311 to resolve these differ-
ences ; that France then asserted claims to the islands adjoining

Normandy and to other lands ; that England rejected these claims
and continued to possess the Channel Islands (Rlemorial, para. 18).

According to the Counter-Memorial, the King ofEngland renounc-
ed Kormandy and other lands in favour of the King of France,
thus impliedly recognizing the validity of the Judgment of 1202 ;
on the other hand, it is said to follow from Article 4 that the
Duchy of Guyenne and various neighbouring regions 1%-ereleft,
or returned as fiefs, to the King ofEngland, who had to pay homage
in respect of them to the King of France. Homage, it is asserted,
was rendered in respect of al1 the islands subject to the King of
France which nrere in the hands of the King of England, including
the Channel Islands, which were situated "on this side of the
English sea" and which previously were a part of the Iluchj- of

Normandy (y. 197).
4s Le Gouvernement britannique (réplique, no 129) prétend que
le roi d'Angleterre reconnut la suzeraineté du roi de France sur
ses possessions en France et sur les îles voisines de l'Aunis et de

la Saintonge - mais qu'ccil paraît improbable » que les îles de la
Manche étaient comprises parmi les îles auxquelles le traité faisait
référence ; en tout cas, tel hommage serait simplement nominal
et pour un court délai. Dans la duplique, le Gouvernement de
France affirme que, dans ce traité comme dans les autres traités
postérieurs, ccil n'est jamais question que des îles possédéespar
le roi d'Angleterre 1)La controverse s'est prolongée dans les plai-
doiriesorales - et elle semble devoir durer indéfiniment tant qu'elle

reste attachée à la lettre obscure du traité.

Il résulte de ces débats que la France prétend que la suze-
raineté du roi de France a étérétablie aux îles de la Manche
(plaidoiries) ; le Royaume-Uni considère que l'allégeance a été
rétablie seulement pour l'Aquitaine et ses îles, non pas pour les
îles de la Manche (plaidoiries).

Aucune des deux Parties n'a réussi à Drouver lein ne mentson
interprétation du traité : les textes comportent, peut-être, l'une
et l'autre. Par eux-mêmes, on n'arrive pas à savoir pleinement
quelles étaient les îles (possédées » par l'Angleterre. Il faut consi-
dérer la situation antérieure et comment le traité a étéexécuté -
pour déterminer les îles qui seraient sous la suzeraineté française.
Un historien autorisé et impartial, David Jayne Hill, mentionne

que, par ce traité, le roi d'Angleterre a reçu en fief les îles de la
Sormandie (A History of Diplomacy, vol. 1, p. 388). Dans la
présente procédure, le Royaume-Uni a cité un autre auteur bien
connu, Besnier, qui écrit :

((Le roi de France ....acquiert définitivement la souveraineté
de la Normandie continentale, mais le roi d'Angleterre continue
à tenir les îlespar foi et hommage du roi de France )) (réplique,
n' 121).

Quelles îles ? Celles de la Manche ? Dans le même sens,J. Havet
(réplique). Oavid J. Hill rapporte le traité de Paris à la défaite
du roi Henri III d'Angleterre en 1242 et au désir de paix du

roi de France Louis IX. Ainsi, Louis aurait donné à Henri,
outre son héritage en Aquitaine, «les îles normandes, en fief à
la Couronne de France j).Après ça, le roi de France aurait dit :
ccHenri n'était pas mon vassal, mais il l'est devenu volontaire-
ment. » Les peuples des deux nations restèrent mécontents : les
Anglais se plaignaient du (nouveau vasselage j; les Français, du
fait que les Anglais tenaient pied sur le continent (op. cit., 1,
pp. 388-389). La portée de cette suzeraineté a étédiscutée après

49 In paragraph 129 of its Reply, the United Kingdom Government
contends that the King of England acknowledged the suzerainty
of the King of France over his possessions in France and over
the islands ~vhich he held off Aunis and Saintonge, but that it
"appears improbable" that the Channel Islands were included
among the islands to which the Treaty refers ; in any case, this
homage is said to have been merely nominal and for a very short
time. In the Rejoinder, the French Government asserts that in this,
as in the subsequent treaties, "there is never any question of any
islands but those in the possession of the King of England". The

discussion on this point continued throughout the oral proceedings
and could go on indefinitely as long as it is directed to the obscure
wording of the Treaty.
It is clear from the debate that France claims that the suzerainty
of the King of France was re-established in respect of the Channel
Islands (OralArguments) ; on the other hand, the United Kingdom
considers that the fealty was re-established only in respect of
Aquitaine and its islands, not in respect of the Channel Islands
(Oral Arguments).
Neither Party has succeeded in fully proving its own interpre-
tation of the Treaty : it may well be that both interpretations
are justified by the text of the Treaty. From the-terms of the
Treaty themselves, it is not possible to ascertain with certainty
which were the islands "possessed" by England. In order to deter-
mine which islands were under French suzerainty, it is necessary
to consider the situation which existed before the Treaty was
signed, as well as the manner in which the Treaty was carried out.
An authoritative and impartial historian, David Jayne Hill, has

pointed out that by this Treaty the King of England received
the islands of Normandy in fee (A History ofDiplomacy, Vol. 1,
p. 388). In the present proceedings the United Kingdom has cited
another well-known author, Besnier, who wrote as follows :
"The King of France ...definitively acquired the sovereignty
ofContinental Normandy, but the King ofEngland continued to
hold the islandsby faith andomage of the King ofFrance" (Reply,
para.121).

Which islands ? Those of the Channel ? In the same
sense, J. Havet (Reply). David J. Hill relates the Treaty of
Paris to the defeat of King Henry III of England in 1242
and to a desire for peace on the part of King Louis IX of
France. Louis is accordingly said to have given Henry, in addition
to his heritage in Aquitaine, "the Norman islands in fee to the
Crown of France". The King of France is alleged to have said
thereafter : "Henry was not my vassal but he has voluntarily

become one." The peoples of the two nations continued to be
discontented : the English complained of "the new vassalage"
and the French complained of the fact that the English continuedle traité de Paris et mêmeaprès le traité de 1303 (idem, vol. II,
PP 5-43).

-Al'occasion du traité de Paris - au contraire de ce qui se passait
au temps du traité de Lambeth - la France était victorieuse et
forte, plus forte que l'Angleterre vaincue et divisée. Quand même,
la France n'a pas repris à l'Angleterre les îles de la Manche ;
Louis IX, Saint Louis, ((l'homme juste », est allé plus loin, en lui

rendant les terres de l'Aquitaine, content de soumettre le roi
d'Angleterre à son vasselage même pour les îles de la Manche,
que celui-ci cccontinua » à occuper.

_$insi,le traité de Paris confirma le traité de Lambeth, quoique,
peut-être, il ait établi (ou rétabli, si elle existait au commence-
ment du XIII~~ siècle) la suzeraineté française sur les îles de la
Manche.

On peut concevoir que dès lors les îles seraient soumises en fief

au roi de France - mais de telle sorte toujours occupées par
l'Angleterre, et sans que l'Angleterre ait reconnu ce vasselage.
Il n'y a aucune preuve, aucun indice de sa reconnaissanceexpresse.
Et s'il y avait tel vasselage, on pourrait prévoir que l'Angleterre
tâcherait de s'en débarrasser le plus tôt possible.

8. Le traité de Brétigny-Calais. - Il faut rappeler, comme
un élémentd'interprétation du traité de Calais, qu'il a étésigné
-
au début de la guerre de Cent ans, après des victoires anglaises
la grande victoire navale à Sluys en 1340, la victoire terrestre à
Poitiers en 1356, quand le roi Jean-le-Bon de France fut prisonnier
des Anglais. Avant le traité de Calais, le roi prisonnier, en 1359,
signa un accord secret par lequel tout le duché de Normandie
était rendu à la Couronne anglaise (mémoire, no 19) «avecques
touttes les cités,chasteaux, diocèses, terres, païs et lieux de mesme
la duchié 1).Le Gouvernement français a raison de dire (contre-
mémoire, partie III, 1, III) que cet accord secret ne fut pas ratifié.
Mais, à mon avis, il n'a pas raison d'ajouter que le mêmeaccord

« n'eut aucune suite », parce que le traité de Calais en fut la suite,
quoique atténuant laportéede l'accord, en conséquencede nouvelles
circonstances. Si le traité de Calais n'a pas rendu à l'Angleterre,
comme le faisait l'accord secret, « tout le duché de la Normandie ))
- c'est-à-dire la Normandie continentale - il confirma, en termes
généraux,la possession anglaise des îles, comme l'avaient fait les
traités de 1217 et de 1259. On peut voir un indice très significatif
de ce fait dans l'omission de référenceexpresse aux îles, lorsque
l'accord secret faisait mention des «cités, châteaux, diocèses,
terres, pays et lieux 1)Les attaques françaises au commencement

de la guerre de Cent ans avaient eu pour objectif de reprendre
les îles de la Manche ;on ne pourrait pas l'oublier.
50to have a foothold on the Continent (O$.cit., 1, pp. 388-389). The
scope of this suzerainty was questioned after the Treaty of Paris
and even after the Treaty of 1303 (idem, Vol. II, pp. 7-8).
When the Treaty of Paris was signed, in contrast to the position
at the time of the Treaty of Lambeth, France was victorious and
strong, stronger than England, which had been vanquished and
divided. Nevertheless, France did not take the Channel Islands
back from England ; Louis IX, Saint Louis, "l'homnze juste",
went even further by returning to him the lands of Aquitaine,
being content to subject the King of England to his vassalage,
even in respect of the Channel Islands, which the latter "con-
tinued" to occupy.
The Treaty of Paris thus confirmed the Treaty of Lambeth,
although it may well have established (or re-established, if it
existed at the beginning of the thirteenth century) French suze-
rainty over the Channel Islands.
It is conceivable that thenceforth the islands, as a fief, were

subject to the King of France but in such a way that they continued
to be occupied by England without England having acknowledged
this vassalage. There is no evidence to show, nor any indication
to suggest, that England acknowledged this vassalage in express
terms. And if such vassalage had actually existed, England might
have been expected to seek to rid herself of it as soon as possible.

8. The T~eaty of Brétigny-Calais.-It is proper to recall, as an
element in the interpretation of the Treaty of Calais, that it was
signed at the beginning of the Hundred Years \Var and after the
great English naval victory at Sluys in 1340 and a land victory
at Poitiers in 1356, when King John the Good of France was taken
prisoner by the English. Before the Treaty of Calais, a secret
agreement \vas signed by the Royal prisoner in 1359,which provided
for the restoration to the English Crown of al1the Duchy of ?;or-
mandy (Pllemorial,para. 19) "with al1 the cities, castles, dioceses,
lands, regions and places lying within the Duchy itself". The
French Government is quite right when it points out (Counter-

Memorial, Part III, 1, III) that this secret agreement was never
ratified. But in my view it is not right in adding that the same
agreement "produced no effects", for one of the effects was the
Treaty of Calais, although the latter restricted the scope of the
agreement,havingregard to new developments.Although the Treaty
of Calais did not restore toEngland, as the secret agreement had
done, "al1the Duchy of Normandy"-i.e. Continental Normandy-
it did nevertheless confirm in general terms the English possession
of the islands, as had been done in the Treaties of 1217 and 12j9.
A very significant indication of this fact may be found in the
absence of any express reference to the islands when the secret
agreement refers to "cities, castles, dioceses, lands, regions and
places". The purpose of the French attacks at the beginning of the L'omission montre bien que les îles étaient déjà anglaises.
-Autrement, l'Angleterre n'aurait pas perdu cette opportunité -
au moins dans l'accord secret avec son prisonnier - d'obtenir

le domaine des îles de la Manche. Le traité déclare, avec certaine
bien significative emphase, que le roi d'Angleterre auraitet tiendrait
toutes les autres îles qu'il tenait déjà. 11faut reconnaître que
l'Angleterre dominait - et continua à dominer - l'ensemble des
îles et en avait la possession. ((Toujours est-il que les îles étaient
restées fidèles à Jean sans Terre en 1204, et le traité de Brétigny
(1360) devait explicitement consacrer leur perte pour la France.

A partir de cette époque, ce n'est plus que par la force que les
Francais tentèrent de les reconquérir. » (Perrot, Dezsx expéditions
i~zsztlairesfrançaises, p. 5.)

Le traité de Calais a mêmecédéau roi d'Angleterre - comme le
reconnaît la France (plaidoiries) - «en toute souveraineté »
plusieurs provinces et villes - Calais, le Ponthieu, le Poitou, la

Saintonge, la Guyenne. Comment pourrait-il réserver la suzerai-
neté de la France sur les îles que l'Angleterre possédait déjà ? Le
processus de décomposition de la féodalitéétait assez avancé. Je
crois que plus jamais on n'a parlé d'hommage du roi d'Angleterre
au roi de France. Le Gouvernement français (plaidoiries) en a
indiqué seulement jusqu'à l'an 1200.

Je suis amené à considérer que si le traité de Paris, contre le

gré de l'Angleterre, avait rétabli la suzeraineté du roi de France
aux iles de la Manche, le traité de Calais l'aurait éteinte. Toutes
les c~rconstances du moment historique, que je viens de rappeler,
et le texte mêmedu traité de Calais appuient cette interprétation.

9. Azhtres traités. - D'autres traités ultérieurs - de Troyes
en 1420,, ((Truce of London » en 1471, de Picquigny-Amiens en
1475, dlEtaples en 1492, accords commerciaux de 1606 et de 1655
- ont fait l'objet d'appréciation des Parties qui exclurent toute
modification de la situation antérieure découlant de ces dispositions
(plaidoiries).

Il me semble que l'on peut cueillir une autre preuve circonstan-
cielle à l'appui de l'interprétation donnée aux traités antérieurs
dans le traité de Troyes de 1420. Cetraité a déterminé,en son arti-
cle 22, que, lorsque le roi Henri VI deviendrait roi de France, (le
duché de Normandie et les autres lieux et chacun d'eux »,conquis
par le mêmeroi Henri, passeraient à la juridiction de la Couronne

de France. Cela ne s'appliquerait pas aux îles de la Manche parceHundred Years War was to retake the Channel Islands ;this is a
fact which should not be forgotten.
The absence of the reference is clear evidence that the islands
were already English. If this were not so, England would certainly
not have lost this opportunity-at least, in the secret agreement
with its prisoner-to obtain the domain of the Channel Islands.
TVith very significant emphasis, the Treaty stipulates that the
King of England shall have and shall hold al1 the other islands
which he already holds. It must be recognized that England
dominated, and continued to dominate, the islands as a whole,
and that she continued to possess tbem. "In any event the islands
had remained faithful to John Lackland in 1204, and the Treaty of
Brétigny (1360) was to confirm their loss by France in express
terms. Henceforth the French sought to re-conquer them solely
by force of arms." (Perrot, Deux expéditionsinsulaires francaises,

P. The Treaty of Calais even ceded to the King of England-as is

acknowledged by France (Oral Arguments)-"in full sovereignty",
several provinces and towns-Calais, Ponthieu, Poitou, Saintonge,
Guyenne. How could it possibly have reserved the suzerainty
of France over the islands which England already possessed ?
The process of the disintegration of feudalism was already quite
advanced. 1 do not believe that reference was ever made again
to homage by the King of England to the King of France. The
French Government (Oral Arguments) has indicated only that
such homage existed until the year 1200.
1 incline to the view that if, against the will of England, the
Treaty of Paris had re-established the suzerainty of the King of
France over the Channel Islands, the Treaty of Calais would have
extinguished that suzerainty. This view is supported by al1 the
circumstances attendant upon the historical moment when the
Treaty was concluded-already referred to above-as well as
by the text of the Treaty of Calais itself.

9. Other treaties.-Subsequent treaties-the Treaty of Troyes of
1420, the "Truce of London" of 1471, the Treaties of Picquigny-
Amiens of 1475, and of Etaples of 1492, as well as the commercial
agreements of 1606 and 1665-have been analyzed by the Parties,
who did not consider that any modification of the pre-existing
situation resulted from the provisions of these treaties (Oral
Arguments).
It seems to me that further circumstantial evidence may be
found in the Treaty of Troyes of 1420 in support of the construction
placed on the older treaties. Article 22 of the Treaty of Troyes
provided that when King Henry VI should become King of France,
"the Duchy of Normandy and also the other places and each of
them" conquered by him in the Kingdom of France, should be
under the jurisdiction of the Crown of France. This could notqu'elles n'avaient pas étéconquises par le roi Henri. D'autre part,
il est certain que la France avait été, peu avant, vaincue par
l'Angleterre qui alors conquit la Normandie continentale.

Le contre-mémoire français cependant dit : (on peut prétendre

que le traité de Troyes a annulé le traité de Calais et reconstitué
l'unitédu royaume deFrance »(partie III,1, III). Ce serait un grand
argument. Mais la France ne s'en est pas prévalu ; elle a continué à
invoquer le traité de Calais (duplique, partie 1, section 1, 1, C;
plaidoiries) ; elle a reconnu que l'argument était mal fondé. Le
traité de Troyes n'a pas eu cet effet ;les îles de la Manche n'ont pas
passé à la juridiction de la Couronne de France. Pourquoi ? Parce
que les îles de la Manche, comme je viens de le dire, n'avaient
pas étéconquises par le roi Henri VI : elles étaient déjà sous

la domination anglaise et le sont restées.
Ainsi, l'occupation des îles de la Manche par l'Angleterre,
reconnue et légitimée, était rendue définitive et incontestable.
Les tentatives de reprise furent renouvelées jusqu'au xwme siècle.
Mais on n'a plus songé à rétablir la suzeraineté éteinte tout au
plus en 1360.

IO. Sezdement suzeraineté. - Si l'on accepte les allégations du
Gouvernement francais, quelle aurait été lasituation ? Le roi de
France aurait eu, tout au plus, la suzeraineté des îles occupées
par l'Angleterre. Mêmesi l'on accepte que les hommages dus en
conséquence d'une telle suzeraineté n'étaient pas seulement nomi-
naux et auraient été régulièrement rendus, pourrait-on conclure
que cette suzeraineté se soit transformée en souveraineté ? La
réponse à cette question se rapporte à l'extinction de la féodalité.

II. La transformation de La suzeraineté. - Le régUme féodal a
dépérilentement, continuellement. Il disparaît graduellement en
quelques pays, en quelques régions,sans laisser de traits marquants
dans le droit public contemporain.

Dans les rapports d'ordre privé, entre personnes civiles ou
entre un Etat et l'un de ses ressortissants, on peut admettre
qu'au lieu de disparaître complètement, sans laisser aucun vestige,
le fief soit devenu une emphythéose et la suzeraineté devenue
domaine éminent, ou domaine direct ou souveraineté. Ce qui nous
intéresse maintenant est de savoir auelle a étéla conséauence
de la suppression du féodalisme, du hef, de la suzeraineté'et du
vasselage quand, comme dans notre cas particulier, le vassal
était un roi, et le suzerain était un autre roi.
Le Gouvernement français, en référencespéciale aux Minquiers,

a affirmé que ((la suzeraineté féodale du roi de France s'est trans-
formée ipso facto en souveraineté moderne 1) (plaidoiries). La
suzeraineté d'un roi sur un autre roi s'est-elle transformée en
souveraineté sur le territoire du fief éteint, même quand ce fief
était situédans le territoire de l'État du roi vassal - mêmequand 3IIKQUIERS ,4XD ECREHOS (INDIV.OPIN. 31. LEVI CARKEIRO) 9j

apply to the Channel Islands, because these had not been conquered
by King Henry. Furthermore, it is a fact that shortly before that
date France had been defeated by England, which then conquered
Continental Normandy.
It is nevertheless stated in the Counter-Mernorial that :"It may
be said that the Treaty of Troyes annulled the Treaty of Calais and
re-established the unity of theingdom ofFrance" (Part III, 1,III).
This would be a strong argument. But France has nût relied upon
it; she continued to invoke the Treaty of Calais (Rejoinder,

Section 1, 1, ;OralAruments) ;she admitted that the argument was
unsound. The Treaty of Troyes did not have this effect ;the Channel
Islands did not pass under the jurisdiction of the Crown of France.
Why did theynot do so ? Because, as 1have already gointed out,the
Channel Islands had not been conquered by King Henry T'I :they
were already under English domination and remained thereunder.
Accordingly, the occupation of the Channel Islands by England,
which had been acknowledged and legalized, became definitive
and incontestable. Attempts to retake them were renewed until
the sixteenth century. But no effort was made to re-establish the
suzerainty which had lapsed at the latest in 1360.

IO. Sfiuerainty alo7ze.-If the contentions of the French Govern-
ment were admitted, what would have been the situation ? At
most the King of France would have had suzerainty over the
islands occupied by England. Even if it were agreed that the
homage due in respect of such suzerainty was not purely nominal
but had been regularly rendered, could it be concluded that
this suzerainty was transformed into sovereignty ? The answer
to this question is related to the demise of the feudal system.

II. The transformation of suzerainty.-The feudal system disap-
peared slowly but by a continuous process. It disappeared gradually
in certain countries and in certain regions svithout leaving any
important traces in modern public law.
In private law, when relations are involved between individuals
or between a State and one of its nationals, it may be admitted

that the fief did not disappear completely without leaving any
trace, but rather became an emphyteusis, suzerainty having
become eminent or direct domain, or sovereignty. We are here
concerned with ascertaining the consequences of the disappearance
of feudalism, of the fief, of suzerainty and vassalage, when the
vassal, as in Our particular case, was a king and the suzerain
was another king.
With particular reference to the Minquiers, the French Govern-
ment has asserted that "the feudal suzerainty of the King of
France was ipso facto transformed into modern sovereignty".
(Oral Arguments.) Was the suzerainty of a king over another
king transformed into sovereignty over the territory of the
extinguished fief? Even when the fief was situated on the territory 3IIïïQCIERS ET ÉCRÉHOUS (OPIN. INDIV. M. LEVI CAKSEIRO)
96
le roi vassal était un ennemi puissant du roi suzerain ? Je réponds
non. Le concept de la souveraineté nationale dans ce cas détruit
tous les effets, tous les vestiges de la pré-existante suzeraineté.
Dans ce cas, quand la souveraineté s'établit, la ((féodalitépoli-
tique » disparaît.

Comment prétendre que, le lien personnel qu'il y aurait eu entre
le roi d'Angleterre et le roi de France une fois rompu, ce dernier
gagnerait la souveraineté sur la terre anglaise ? Comment, par le
seul fait de l'abolition de la suzeraineté, le soi-disant vassal, le roi
d'Angleterre, libéréde tous les devoirs personnels envers le roi de
France, perdrait au bénéficede son ancien suzerain les attributs
de l'exercice de la souveraineté aux îles de la Manche - la com-
pétencepour l'expédition d'actes d'administration et le relèvement
d'impôts et de taxes, etc. ? Et de tous ces attributs serait investi
le mêmeroi de France ?Kon et non. Mèmeles simples hommages

nominaux, que le duc de Normandie aurait étéobligéde rendre au
roi de France - et qu'il n'a jamais rendus, je crois, eu égard aux
îles - deviendraient, s'ils étaient dus, iiiexigibles. La suzeraineté
francaise, si elle avait existésur les îles de la Manche appartenant
aux ducs de Normandie, serait tout à fait abolie et sans laisser
de trace.

Même à l'intérieur du Royaume, ce fut seulement par la force
des armes que les rois de France, à partir de Philippe-Auguste,

ont commencé à dominer les seigneurs féodaux et, à la longue,
les ont soumis à leur autorité souveraine. Louis XI réduisit à une
complète obéissanceplusieurs seigneurs féodaux. C'étaitla réaction
contre les seigneurs féodaux. C'est la victoire militaire qui devenait
le titre de domination ;et non pas l'ancienne suzeraineté.
Quant àla Normandie, Philippe-Auguste a conquis la Normandie
continentale et en a chassé les Anglais, par un fait d'armes mieux
qu'en exécution d'une décision judiciaire. Mais on n'a pas prouvé
que Philippe-Auguste ait aussi conquis les îles de la Manche. Au
contraire, les traités prouvent qu'elles sont restées, dans leur

ensemble, sous la domination anglaise. Là, ni commise, ni extinc-
tion de la féodalité,ni victoire militaire n'ont troublé pendant
plus d'un sièclela domination anglaise, l'union des îles à l'Angle-
terre, l'implantation de la souveraineté anglaise. L'extinction de
la féodalité afait disparaître la restriction que, par hypothèse,
subissait cette domination.

D'autre part, il ne faut pas oublier que «les vassaux exerçaient
tous les droits de souveraineté » (Laurent, La féodalitéet l'Église,

P 617).
Ainsi, à mon avis, tandis que dépérissait et s'évanouissait le
titre originaire français- consistant tout au plus dans la simple
institution d'une suzeraineté non prouvée et douteuse, qui aurait
53 3IINQUIERS AXD ECREHOS (INDLV. OPIN. AI.LEVI C.SRNEIRO)
96
of the State of the vassal king ? Even when the vassal king was
a powerful enemy of the suzerain king ? My reply is in the negative.
In such a case the concept of national sovereignty destroys al1
the effects and traces of the former suzerainty. In such a case,
when sovereignty is established, "political feudalism" disappears.
How can it be argued that once any persona1 link which may

have existed between the King of England and the King of France
was severed, the latter should have obtained sovereingty over
the soi1 of England ? How is it conceivable that, by the sole fact
that suzerainty was abolished, the so-called vassal, the King of
England, freed of al1 persona1 duties in respect of the King of
France, should have lost to his former suzerain the attributes of
the exercise of sovereignty over the Channel Islands, the competence
to carry out administrative acts, collect dues and taxes,etc. ? How
is it conceivable that al1 these attributes silould be vested in the
King of France ? Here again, my answer is in the negative. Even
inere nominal homage which may have been owed by the Duke of
Normandy to the King of France, and which 1 believe was never

rendered in respect of the islands, could no longer be required,
even if it had ever been due. Even admitting that French suze-
rainty existed in respect of the Channel Islands belonging to the
Dukes of Sormandy, such suzerainty would have been coinpletely
abolished without leaving a trace.
Even within the Kingdoin, it was only by force of arms that the
Kings of France, from Philip Augustus onwards, bugan to doininate
the feudal lords and ultimately made them subject to their sovereign
authority. Louis XI reduced a number of feudal lords to complete
obedience. This was the reaction against the feudal lords. Military
victory, and not the former suzerainty, became the title to domina-
tion.

ils regards Norinandy, Philip Augustus conquered Continental
Xormaildy and drove the English therefrom, by force of arn~s
rather than by the execution of a judicial decision. But it has not
been proved that Philip Augustus also conquered the Channel
Islailds:on the contrary, the treaties prove that these islands as s
whole remained under English domination. In these islands, for
more than a century, neither forfeiture nor the disappearance of
feudalism, nor inilitary victory, disturbed English domination,
the union of the islands with England and the establishment of
Eriglish sovereignty. The disappearance of feudalism reinoved the
restriction which might hypothetically have attached to this
domination.

Furthermore, it must not be forgotten that "vassals exercised
al1 the. rights of sovereignty" (Laurent, Ln féodalitéet L'Église,
P 617).
Accordingly, it is my view that while the French original title-
which rested at most on an unproved and doubtful suzerainty
said to have been accepted against the will of the vassal and ilot to BIINQUIERS ET ÉCRÉHOUS (OPIK. IXDITT M.. LEVI C.~RNEIRO)
97
étéacceptée de mauvais gré et non respectée par le vassal -,
le titre originaire anglais - provenant de la conquête, probable-
ment inconditionnelle, par les Normands - se fortifiait, se consoli-

dait, se légitimait, au cours des traités successifs et de l'occupation
presque ininterrompue de l'ensemble des îles de la Manche et,
finalement, par l'affirmation de la souveraineté nationale quand
disparut la féodalité politique.

12. Les données géographiques -. J'accepte l'observation du
Gouvernement français :

((L'analyse juridique à laquelle le juge doit se livrer comporte
toujours, dans les affaires mettant en cause la compétenceterri-
toriale, l'examen préalable des donnéesgéographiques. Le droit
international attache à ces facteurs une importance bien marquée
dans l'arrêtde la Cour dans les Pêcheriesnorvégiennesde 1951....»
(Plaidoiries).

Déjà dans la duplique il avait signalé l'importance de cet aspect
de la question actuelle :

((...ces îles, situées dans une baie française, devenues anglaises
[je souligne] parce qu'un baron français, un duc de Normandie,
a conquis l'Angleterre en l'an 1066. Car, en dernière analyse, telle
est la cause première,assez piquante, de ce coup du sort, véritable
défiaux donnéesgéographiques. »

A ce point de vue, la première observation trouve sa source
dans le très ancien détachement de quelques îles du continent :
Jersey aurait été séparée du continent, peut-être en l'an 709
(plaidoiries). Cette considération, basée sur une hypothèse, n'a,

évidemment, aucune influence sur la situation actuelle, dont les
origines sont postérieures d'au moins deux siècles. Si l'on devait
prendre en considération que ((l'ensemble de l'archipel est un
démembrement du continent ))(plaidoiries), on pourrait prétendre
que cet ensemble appartient maintenant à la France. Aussi, une
autre observation francaise sur le fait de la situation des îles
dans une mêmebaie entourée de terres françaises ne me semble

pas contribuer à la solution de la controverse actuelle, parce que,
incontestablement, la plupart des îles situées dans cette baie, ou
les plus importantes d'entre elles se trouvent sous la souveraineté
anglaise.
Mais il y a encore une autre observation que je considère inté-
ressante : le Gouvernement français, tout en insistant sur l'affir-

mation que «l'ensemble de l'archipel est un démembrement
du continent )) (plaidoiries), déclare que «l'unité naturelle » de
l'archipel ((existait avant le XIII~~ siècle 1et que, (à cette époque-là,
le hasard des armes et la volonté des rois ont briséce que la nature
avait uni )) (plaidoiries).have been respected by him-while this title was disappearing and
becoming extinct, the English original title-resting on what was
probably unconditional conquest by the Normans-was growing
stronger, becoming consolidated, and finding a legal basis as a
result of the successive treaties and the almost uninterrupted

occupation of the Channel Islands as a whole, and, finally, of the
assertion of national sovereignty when political feudalism dis-
appeared.

12. Geographicai data.-1 accept the following observation of
the French Government :
"The juridical analysis which a court has to undertake always
involves a previous examination of the geographical data, in cases
which raise the question of territorial competence. International
law attached very great importance to these factors in the Court's
Judgment on the NorwegianFisheriesin 1951 ....(OralArguments.)

In its Rejoinder the French Government had already indicated
the importance of this aspect of the present question :
"...these islands, lying in a French bay,whiclzhave becomeEnglish
[italics supplied] because a French baron, a Duke of Normandy,
conquered England in 1066. For in the ultimate analysis this is
the somewhat piquant first cause of this trick of fate, which is
completely at odds with the geographical data."

From this point of view, the source of the first observation is to
be found in the very remote separation of certain of the islands
from the Continent : Jersey is said to have been separated from
the Continent perhaps in the year 709 (Oral Arguments). This
consideration, which is based on a hypothesis, can obviously have
no bearing on the present situation, whose origins are to be found
in a period at least two centuries later. If the argument that

"the archipelago, taken as a whole, represents a dismemberment
of the mainland" (Oral Arguments) were to be taken into consider-
ation, it might be contended that this whole now belongs to France.
Likewise, another observation of the French Government, to the
effect that the islands are situated in a bay bordered by French
soil, does not appear in my view to contribute to a solution of
the present dispute, because obviously most of the islands in that
bay, or the more important of them, are under English sovereignty.
There is, however, another observation which 1 regard as an
interesting one : whilst stressing the fact that "the archipelago,
taken as a whole, represents a dismemberment of the mainland"
(Oral Arguments), the French Government asserts that "the
natural unity" of the archipelago "did exist before the thirteenth

century" and that "at that period the chance of arms and the
will of kings rent asunder what nature had joined together" (Oral
Arguments). Peu avant de formuler cette proposition, le Gouvernement fran-
çais a dit que les îles de la Manche constituent un groupe d'îles
qui semble,présenter une certaine unité naturelle, et l'on pourrait
dire que 1'Etat auquel appartiennent les îles principales doit égale-
ment avoir la souveraineté sur celles dont le statut territorial est
douteux (plaidoiries).

13. L'unité naturelle. - Mais le Gouvernement français n'admet
pas que l'on parle de cette ccunité naturelle 1)après le XIII~~ siècle.
Il prétend avoir acquis les îles de la Manche par leur incorpora-
tion, ((dans leur ensemble )),au duchéde Normandie (plaidoiries).
A cette époque,ces îles formaient untout unique avec la Normandie

(plaidoiries) ; plus tard, en 1259, elles furent divisées ((en deux
groupes » (plaidoiries). (Une partie de l'archipel » a étéattribuée
au roi de France, cune autre partie 1)au roi d'Angleterre (plai-
doiries). Vn de ces groupes, nous le connaissons, c'est toujours
l'archipel anglo-normand. L'autre groupe est formé des Chausey,
auquel la France prétend rattacher les Minquiers et les Ecréhous.

La séparation des Chausey de l'archipel est reconnue. Je ne
considère pas que cette séparation ait entraîné la disparition de
1'«unité naturelle » de l'archipel. L'archipel reste avec toutes les
autres îles. Ce qu'il fallait prouver, c'est que les Minquiers et les
Ecréhous avaient été aussi démembrés en mêmetemps que les
Chausey ou après, et rattachés au continent. Il fallait détruire la

présomption très raisonnable du maintien de leur rattachement à
l'archipel. Selon moi, c'était à la France qu'il incombait d'en faire
la preuve, et cette preuve n'a pas étéfaite. Le Gouvernement
français prétend qu'il y a eu (démembrement » (d'un très grand
nombre d'îles » - le groupe des Chausey, le Mont-Saint-Michel,
Tombelaine, l'île de Bréhat, cpour ne citer que quelques-unes )>

(plaidoiries) - qui sont devenues et restent françaises. Il n'en a pas
cité d'autres que Cezambre. Elles font certainement partie de la
((poussière d'îles, îlots et rochers » dont on a parlé (plaidoiries).
Tout cela ne constitue pas, à mon avis, un très grand nombre
d'îles I)ni même (cla plus grande partie des îles )) (plaidoiries).
Peut-être ces petites îles ne faisaient-elles même pas partie de

l'archipel ; ou bien elles en étaient déjà détachéeset continuèrent
à l'être.

L'histoire aurait bouleversé la géographie. Nais si le démem-

brement n'a touché que les Chausey, et mêmes'il s'est étendu
à d'autres iles moindres, l'archipel aurait gardé et garde encore
la presque-totalité de ses îles, toutes les îles les plus importantes
sous la dénomination que lui donnèrent toutes les cartes et les
livres de géographie : ccarchipel englo-normand » ou (cîles anglo- Shortly before asserting this proposition, the French Govern-
ment stated that the Channel Islands constitute a group of islands
which seems to present a certain natural unity, so that it might
be said that the Stateto mrhichthe principal islands belong should
also possess sovereignty over the islands whose territorial status
is uncertain (Oral Arguments).

13. Natural unity.-But the French Government does not agree
that reference should be made to this "natural unity" after the
thirteenth century. It claims to have acquired the Channel Islands
through their incorporation "as a whole" in the Duchy of Nor-
mandy (Oral Arguments). 4t that period the islands formed a
single complete whole with Normandy (Oral Arguments) ; later,
in 12j9, they are said to have been divided "into tm-Ogroups"
(Oral Arguments). "A part of the archipelago" was assigned to
the King of France, "another part" to the King of England (Oral

Arguments). \Ire know one of these groups :it is still the Anglo-
Norman archipelago. The other group is made up of the Chausey
Islands, to which France claims that the Ninquiers and the Ecrehos
must be attached. The dismemberment of the Chausey from the
archipelago has been admitted. I do not consider that this dis-
memberment involved the disappearance of the "natural ui-iity"
of the archipelago. The archipelago formed by al1the other islands
continued to exist. lVhat it was necessary to prove was that the
Minquiers and the Ecrehos wei-e also detached at the same time
as the Chausey or later, and oncc more attached to the Continent.
It was necessary to invalidate the very reasonable presumption that
they continued to be attached to the archipelago. In my opinion,
the burden of proving this was on France, and France has not
discharged this burden. The French Government claims that
there has been a "dismemberment ....of a great number of
islandsH-the Chausey group, Mont-Saint-Michel, Tombelaine, the
island of Bréhat, "to mention only a few of them" (Oral Argu-

ments), which became and remained French. Ko other islands,
except Cezambre, are cited. They are certainly a part of the
"cluster of islai-ids, islets ai-id rocks" to mrhich reference has
beei-i made (Oral Arguments). Al1 this does i-iot, in iny view,
constitute "a very large number of islands", or even "the greater
part of the islands" (Oral Arguments). These small islands may
not even have been a part of the archipelago ; or else they had
already been detached from it, and continued to be so detached.
History is said to have beeil at odds with geography. But if the
dismemberment only involved the Chausey and even if it extended
to other lesser islands, the archipelago would nevertheless have
included and would still include almost al1the islands, al1the more
important islands which are described in al1 inaps and geograpl-iy
books as "Anglo-Norman archipelago" or "Anglo-Norman islands",normandes N, ou (Channel Islands ))ou Kîles de la Manche )).Ce
archipel, ainsi nommé encore aujourd'hui, avec son unité natu-

relle presque intacte, est incontestablement anglais.
Les exceptions que les faits historiques ont apportées à cette
règle devront être admises restrictivement. Le Royaume-Uni
reconnaît une exception :les Chausey. Quant aux îlots sur lesquels
porte le différendactuel, il fallait prouver leur situation. La preuve
apportée est en sens contraire.
L'argument français se fonde, à mon avis, sur une interversion
des (données géographiqyes ))quand il les énonce dans les termes

suivants : c(...leur [des Ecréhous et des Minquiers] appartenance
à un archipel que seuls les accidents historiques ont détaché en
partie de la France. ...))(plaidoiries).
Ainsi on reconnaît, il me semble, que ces îlots faisaient alors
partie de l'archipel, s'ils n'en font plus partie aujourd'hui. Mais
l'archipel étant détaché de la France, non pas en partie, mais
presque totalement (si l'on admet qu'il lui avait étéautrefois
rattaché), il a gardé (son unité naturelle », et les Ecréhous et les

Minquiers lui restent incorporés. La France devrait prouver que
les Écréhous et les Minquiers ne font plus partie de l'archipel,
que les faits historiques les ont détachés de l'«unité naturelle »
des îles. La France n'a pas fait cette preuve ;elle considère qu'il
appartenait au Royaume-Uni de produire la preuve directe de
sa souveraineté sur ces deux groupes. A mon avis, celui qui est
intéressé à restreindre l'application d'une règle établie ou d'un
fait reconnu doit prouver la validité de la restriction. Dans le

cas actuel, les faits prouvés justifient, il me semble, la présomption
que j'ai énoncée ci-dessus.

L'union des îles au continent est une hypothèse géologique,
sans plus de conséquences. L'union des îles à la Normandie
continentale est un fait politique sans plus de conséquences. Mais
l'unité de l'archipel reste encore aujourd'hui reconnue et incon-
testable.

De mêmeque l'on considère que l'occupation, par un État, du
littoral ou d'une partie importante d'une île vaut l'occupation
intégrale de cette île - on doit aussi considérer que l'occupation
des îles principales d'un archipel comprend aussi celle des îlots
et rochers du mêmearchipel, qui ne sont pas effectivement occupés
par un autre Etat.
Aussi, l'cunité naturelle ))de l'archipel explique - comme l'a
noté la réplique (par. 118) - les termes de plusieurs traités et

d'autres actes qui font mention de quelques îles principales pour
désigner l'ensemble de l'archipel. Cette désignation d'un ensemble
par la mention d'une de ses parties est un procédé bien connu.
L'«unité naturelle )) de l'archipel ne pouvait pas et n'a pas été
brisée. ni méconnue. or ''Channel Islands". This archipelago, which still bears this name
to-day, with itsnatural unity almost intact, is indisputably English.

Any exceptions which historical facts may have made to this rule
should be accepted restrictively. The United Kingdom acknowl-
edges one exception :the Chausey. As regards the disputed islets
in the present case, it was necessary to prove that they also consti-
tuted an exception. The evidence adduced points the other way.
In my opinion, the French argument is based on an inversion
of the "geopraphical data" when these are set out in the following
terms : "...their [the Ecrehos and the Minquiers] membership of
an archipelago which the accidents of history alone have separated
in part from France.. .."(Oral Arguments).

In my opinion this constitutes a recognition that these islets
were then a part of the archipelago, even though they may no
longer be a part thereof to-day. But since the archipelago is detached
from France, not partially but almost entirely (on the view that it
was formerly attached to France), it has kept "its natural unity"
and the Ecrehos and the Minquiers remain incorporated therein.
The burden of proving that the Ecrehos and the Minquiers are no
longer a part of the archipelago and that historical facts have
detached them from the "natural unity" of the islands was on
France. France has not discharged this burden ;she considers that
it was for the United Kingdom to provide direct evidence of its
sovereignty over these two groups. It seems to me that it is for
the Party interested in restricting the application of an established
rule or of a recognized fact to prove that such a restriction is valid.
In my opinion, the facts proved justify the presumption which 1
have stated above.
The union of the islands with the Continent is a geological
hypothesis having no further consequences. The union of the
islands with Continental Normandy is a political fact, having no
further consequences. But the unity of the archipelago continues

to be recognized as an undisputed fact to-day.
Just as a State which has occupied the coast or an important
part of an island is deemed to have occupied the island as a
whole, the occupation of the principal islands of an archipelago
must also be deemed to include the occupation of islets and rocks
in the same archipelago, which have not been actually occupied
by another State.
As has been noted in the Reply (para. II~), the "natural unity"
of the archipelago also explains the terms of a number of treaties
and other instruments which mention a few of the principal
islands in order to designate the archipelago as a whole. This
method of referring to a xvhole by merely mentioning one of its
parts is common procedure. The "natural unity" of the archipelago
could not be broken and has not been broken ; nor has it been
disregarded.

56 La mention des îles principales suffisait pour désigner l'ensem-
ble de l'archipel. Mais il y a aussi de très fréquentes références
à des îles cadjacentes » à d'autres îles ou à des terres indiquées.
On en trouve un exemple à propos de Jersey dans le traité de

Calais de 1360 (annexe A 2 au mémoire britannique). De même,au
xlvme siècle, dans l'acte de confirmation d'un gardien des îles
principales (plaidoiries), au xvme siècle, dans une pétition au
pape Sixte IV (mémoire, par. 34), ainsi que dans des documents
modernes, comme le règlement du 22 juillet 1843, article XVIII,
la convention du 2 janvier 1859, article XVIII, la convention
du II novembre 1867, article 38, le Rapport des experts français

de 1886.
On parle des cîles de Jersey » dans un acte de donation de
1216 (mémoire,par. 5). Dans une «lettre de protection ))de 1337,
il est fait mention des cEcréhous de Jersey » (annexe A 17 au
mémoire britannique). Le Gouvernement français a soutenu que
dans ce document le mot latin «de ))ne doit pas êtretraduit par
la préposition (de »mais plutôt par la locution (pour le compte

de », cau sujet de » (plaidoiries), et s'est reporté aux dictionnaires.
Un des meilleurs dictionnaires - de Benoist et Goetzer -
présente d'assez nombreuses significations du mot - y comprises
celles de : csur », ctouchant D, «quant à », (relativement ». Mais
la première signification indiquée, la principale, la plus commune
est (cde, hors de, venant de, issu de 1).Et l'on explique :ce mot
((exprime qu'un objet est séparéd'un autre auquel il était rat-

taché )). C'est précisément dans ce sens que l'on aura dit -
Ecréhous de Jersey. La phrase serait incompréhensible si l'on
prenait le mot dans un autre sens, et l'on a montré qu'il a été
utilisésimultanément dans le sens indiqué.

Les référencesaux cdépendances ))ou (îles adjacentes » montrent
que l'on incluait d'autres îlots ou rochers dans la, désignation de
Jersey. Il n'est pas prouvé que ce fussent les Ecréhous et les
Minquiers - ni qu'ils en fussent exclus. Mais il est évideril que
ce ne pouvait être que ces rochers et îlots à quoi l'on faisait

allusion. Cette circonstance corrobore les preuves qui ont été
réunies, justifie les faits d'occupation et les actes d'administration
(lue les autorités jersiaises ont exercés, et exercent encore, aux
Écréhous et aux Minquiers.
L'argument de la ccdépendance » a étéinvoqué aussi par le
Gouvernement français en s'appuyant sur la circonstance que les
Minquiers sont àpeu près àmi-distance entre Jersey et les Chausey ;

les Minquiers seraient une (dépendance ))des Chausey. Mais cet
argument ne paraît pas valable, parce que le Conseil du roi de
France, dans un arrêt du 28 juillet 1772, a désignépar leur nom

57 MINQUIERS AND ECREHOS (IKDIV. OPIN. BI. LEVI CARNEIRO) 100

The mention of the principal islands was sufficient to designate
the archipelago as a whole. But there have also been very frequent
references to islands "adjacent" to other islands or lands indicated.
An example of this may be found in respect of Jersey in the
Treaty of Calais of 1360 (Annex A 2 to British Memorial).
Likewise, in the fourteenth century, in an instrument confirming
a Warden of the principal islands (Oral Arguments), in a Petition
of the fifteenth century to Pope Sixtus IV (Memonal, para. 34),
as well as in such modern documents as the Regulations of
July 22nd, 1843 (Article XVIII), the Convention of January 2nd,
1859 (Article XVIII), the Convention of November t th, 1867
(Article 38) and the Report of the French Experts of 1886.
Reference was made to the "islands of Jersey" in a Grant of
1216 (Memorial, para. 5). Reference is made to "Acrehowe ....
de Iereseye" in a Letter of Protection of 1337 (Annex A 17 to

British Memorial). In respect of this document the French
Agent has argued that the Latin word "de" must not be translated
by the preposition "of" (de), but rather by the expression "on
behalf of" ("pour le compte de"), "concerning" ("au sujet de")
(Oral Arguments), and he referred to the use of dictionaries.
One of the best dictionaries, the one by Benoist and Goetzer, gives
a considerable number of meanings for the word, including the
meaning : "sur", "touchant", "quant à", "relativement". But the
first meaning given, and the principal one, the most comnion
one, is "de, hors de, venant de, issu de". And an explanation is
given to the effect that the word "expresses the fact that an
object is separated from another to which it was attached"
("ex$rime qu'un objetest séparé d'un autre auqztelil étaitrattaché").
It is precisely in this sense that the expression was used in the
words "Acrehowe ....de Iereseye". If any other meaning were

attributed to the word, the phrase would be incomprehensible ;
it has moreover been shown that it was used at the same time
with this meaning in other instances.
The references to "dependencies" or "adjacent islands" are
evidence that other islets or rocks were included in the designation
of Jersey. It hasnot been proved thatthe Ecrehos and the Minquiers
were so included, nor that they were excluded therefrom. But it
is clear that it could only have been these islets and rocks to which
allusion was made. This consideration corroborates the evidence
which has been assembled and justifies the acts of occupation and
administration which the Jersey authorities have exercised and
still exercise on the Ecrehos and the Minquiers.
The argument based on "dependency" has also been invoked by
the French Government, which relies on the fact that the Minquiers

are approximately equidistant from Jersey and the Chausey ;
the Minquiers are said to be a "dependency" of the Chausey. But
this does not appear to be a valid argument, for in a Judgment
of July 28th, 1772, the Council of the King of France designated
57 les 53 îlots compris dans le groupe des Chausey ; les Minquiers
n'ont pas étémentionnés, ni aucun de leurs îlots. (Gibon, pp. 294
et ss.) D'autres documents et circonstances appuient la conclusion
qui résultede cette observation. s'est à Jersey, et non aux Chausey,
que l'on a considéré queles Ecréhous et les Minquiers étaient
rattachés. Et cette constatation est importante, parce que les
Ecréhous et les Minquiers ont rarement éténommésindividuelle-

ment : ou bien ils sont compris dans l'ensemble de l'archipel, ou
bien ils sont traités comme dépendance d'une autre île principale,
c'est-à-dire de Jersey.

14. Proximité du continent. - Faisant abstraction des épisodes
secondaires, des alternatives des guerres, des occupations militaires

temporaires d'une ou de quelques îles, on peut dire qu'en réalité
l'histoire n'a pas bouleversé la géographie. Au contraire, je crois
que ce sont les faits historiques qui ont subi quelque influence
des (donnéesgéographiques 1; ils ont mêmeconsacréun critérium
géographique pour la discrimination des îles de la Manche.
Ce critérium a étéla proximité territoriale. Sont devenues
françaises quelques îles proches du continent, les îles les plus

proches de la côte française, non pas en raison du fait géologique
très ancien qu'elles ont été arrachées au continent (plaidoiries),
mais comme une conséquence nécessairedes faits historiques. Les
îles les plus écartées de la côte sont restéesanglaises. Le Gouverne-
ment français le reconnaît, en disant qu'au XIII~~ siècle le roi
d'Angleterre n'a pas retenu d'autres îles ((plus proches du conti-
nent )) (contre-mémoire, partie III, 1, 1) et qu'après le traité de

Calais, le roi de France ((continue à rester maître des îles proches
du littoral, qui en dépendent ))(annexe A 2 au mémoirebritannique ;
contre-mémoire, partie III, 1, III). Ce roi aura gardé (un groupe
d'îles généralement petites ....proches du littoral français 1)(plai-
doiries). Le Gouvernement français n'a pas indiqué comment se
caractérisent les îles «proches du littoral )) ou (du continent D.

Il n'a pas dit jusqu'à quelle distance du littoral s'étendait cette
((proximité )).Il a parlé aussi de ....(dépendance ))....((dépen-
dance du littoral » - ce qui est assez vague. D'autre part, il
a dit aussi, très exactement, que ((la prétention à l'uniténaturelle
de l'archipel ne prend tout son sens que si l'on tient compte
de la proximité de la côte continentale » (plaidoiries). Il n'a
indiqué aucun acte, ni aucun document, dans lequel les Min-

quiers ou les Écréhous aient été considéréscomme dépendances
du littoral ou des Chausey. Or, il faut certainement tenir compte
de la proximité de la côte continentale, mais en mêmetemps de
l'unité naturelle de l'archipel. Voilà les deux ; données géogra-
phiques )qui se complètent. Les Minquiers et les Ecréhoussont plus
proches de Jersey que du continent, comme le constate le Gouver-

nement français lui-même (plaidoiries). On doit les considérer
plus rattachés à Jersey qu'au continent. On doit les inclure dans
58by name the fifty-three islets included in the Chausey group ;
the Minquiers are not mentioned therein ; nor are any of the
Minquiers islets. (Gibon, pp. 294 et sqq.) Other documents and
considerations support the conclusiondeduced from this observation.
The Ecrehos and the Minquiers w-ere regarded as attached to
Jersey and not tothe Chausey. And this is an important considera-
tion, because the Ecrehos and the Minquiers have rarely been
designated individually ;they are either included in the archipelago
as a whole, or treated as a dependency of another principal island,
i.e. Jersey.

14. Proximity of the Continent.-Apart from events of secondary
importance, successive wars andthe temporary military occupation
of one or a number of islands, it may be said that history has not
in fact been at odds with geography. My view is rather that histo-
rical factshave been influenced by the "geographical data" ; these
facts have even confirmed a geographical criterion for the dis-
crimination of the Channel Islands.
This criterion was that of territorial proximity. The islands that
were close to the Continent, the islands that were closest to the
French coast, became French, not by reason of the very ancient
geological fact that they were separated from the mainland (Oral
Arguments), but as a necessary consequence of historical facts.
The islands which were furthest removed from the coast remained
English. This has been acknowledged by the French Government,
when it said that in the thirteenth century the King of England
did not retain other islands "closer to the Continent" (Counter-
Memorial, Part III, 1, 1)and that after the Treaty of Calais, the
King of France "continues to remain the master of the islands close

to the coast, which depend on it" (Annex A 2 to British Memorial ;
Counter-Memorial, Part III, 1, III). The King is said to have kept
"a group of islands which are generally small ....close to the
French coast" (Oral Arguments). The French Government has
not indicated what characterized the islands "close to the coast"
or "to the mainland". It has not stated what distance from
the coast constituted "proximity". It referred also to "depen-
dency" ... "dependency on the toast"-which is rather vague.
That Government has also stated, and rightly so, that "the
claim that the archipelago constituted a natural unity can only
be given its full meaning by taking into consideration the
proximity of the coast of the mainland". (Oral Arguments.) But
it has referred to no instrument or document in which the Min-
quiers of the Ecrehos were regarded as dependencies of the coast
or of the Chausey. Of course, the proximity of the coast of the
mainland must be taken into consideration, but the natural
unity of the archipelago must also be considered at the same
time. What we have here are two "geographical data" which

complement each other. As is stated by the French Government
58l'archipel. Ces îlots faisaient et font partie de son (uniténaturelle ».
C'est pourquoi ils sont restés anglais, comme l'archipel même.

15. Faits historiques. - Du reste, le critérium de la proximité

continentale est parfaitement rationnel. Je comprends qu'il ait
étéadopté - ou mieux, qu'il ait prévalu, jusqu'à lm certain point.
Il n'est pas le résultat d'une orientation doctrinaire abstraite,
ni d'une théorie préférée, mais desévénements historiques et des
faits d'armes. Les Anglais, dans l'intérêt deleur propre défense
territoriale, après avoir perdu la Normandie continentale et les
îles de l'océan Atlantique, étaient tenus de garder les îles de la

Manche. La conquête par la Normandie en 1066 était un aver-
tissement. L'Angleterre est mêmealléeplus loin, retenant 1'Aqui-
taine jusqu'au xvme siècle, tâchant de reconquérir la Normandie
continentale et l'occu~ant. au moins' ~artiellement. à la même
époque et pendant pluide &ente ans. Il éstévident l'Angleterre
a toujours témoignéle plus grand intérêtpour les îles de la Manche.
Le conseil britannique a dit, sans être contredit, que depuis 1204
ces îles, sauf deux cas exceptionnels, n'ont pas mêmeétédonnées

en fief, mais gouvernées par un gardien, fonctionnaire admi-
nistratif de la Couronne. Une des exceptions est significative,
parce que, en 1254,ce fief a étéoctroyé au filsdu roi, plus tard le roi
Édouard Ier(plaidoiries du 21 septembre 1953 ; liste desgardiens, de
1204 à 1373, annexe A 158 au mémoirebritannique). En 1226 le
roi proclama l'autonomie des îles de la Manche, encore en vigueur
aujourd'hui, leur donnant une charte de libertés (ménioire,par. 26).

L'autonomie des îles est l'expression politiclue de l'unité naturelle
de l'archipel. Et cette unité avait été déjàreconnue par la décla-
ration de neutralité des îles par le roi Louis XI et le pape Sixte IV.

Les victoires militaires des Anglais, leur puissance navale, leur
permettaient de s'assurer, de façon générale,la domination des
îles. Il me semble inconcevable que, ayant de grands intérêts

aux îles de la Manche, dominant la mer et possédant toutes les
îles principales, l'Angleterre, sans une raison spéciale, n'ait pas
conquis et retenu les Ecréhous et les Minquiers, ou plutôt qu'elle
les ait laissésau pouvoir de la France. Un principe de la politique
britannique était en jeu : la Grande-Bretagne prétendait à la
propriétéde la mer qui la sépare de la France (Calvo, Droit inter-
national public, éd. 1896, 1, pp. 473-476). Ce principe a étérejeté
(plaidoiries), et la France s'opposa ((à ce que la Manche fût

appelée le ((canal britannique 1))).C'est vrai. Toutefois, même
les Français continuent d'appeler les îles de la Manche ((îles anglo-
normandes ))et même ((îles anglaises ».itself (Oral Arguments), the Minquiers and the Ecrehos are closer
to Jersey than to the mainland. They must be regarded as attached
to Jersey rather than to the mainland. They must be included in
the archipelago. These islets were, and continue to be, a part of its
"natural unity". It is for this reason that they remained English,
as did the archipelago itself.

15. Historical facts.-Moreover, the criterion of continental
proximity is perfectly rational. 1 can readily understand why it has
been adopted, or rather, why it has prevailed up to a certain point.
It has not been the result of any abstract doctrinal trend, or of any
preferred theory ; it has resulted from historical events and from

force of arms. After they had lost Continental Normandy and the
islands of the Atlantic Ocean, the English were obliged to keep the
Channel Islands in the interests of their own territorial defence.
The conquest by Normandy in 1066 was a warning. England went
even further, by keeping Aquitaine until the fifteenth century,
seeking to re-conquer Continental Normandy and occupying it,
at least in part, in the same period, for more than thirty years. It
is clear that England has always shown the greatest interest in the
Channel Islands. Counsel for the United Kingdom has stated-a fact
which has not been challenged-that since 1204 these islands were
not given in fee (save in two exceptional cases) but were governed
by a Warden, who was an administrative officia1of the Crown.
One of these exceptions is significant because, in 1254, a fief was
granted to the King's son, who later became Edward 1 (Oral
Arguments for September z~st, 1953 ;List of Wardens from 1204-
1373, Annex A 158to British Memorial). In 1226the Kingproclaimed
the autonomy of the Channel Islands, which is still in force at the
present day, and granted them a charter of liberties (Memorial,
para. 26). The autonomy of the islands is the political expression

of the natural unity of the archipelago. And this unity had already
been recognized by the declaration of the neutrality of the islands
made by Louis XI and Pope Sixtus IV.
The military victories of the English and their naval power
allowed them to secure the domination of these islands generally.
It seems inconceivable to me that England, having an important
interest in the Channel Islands and full domination over the sea,
and possessing al1 the principal islands, should not, without some
special reason, have conquered and retained the Ecrehos and the
Minquiers or, rather, that she should have left them to France.
A principle of British policy was at stake : Great Britain claimed
ownership of the sea which separated that country from France
(Calvo, Droit international public, ed. 1896, 1, pp. 473-476). This
principle was rejected (Oral Arguments), and France objected "to
the Channel being called the 'British Channel' ".This is quite true,
and yet even the French continued to cal1 the Channel Islands
"Anglo-Norman islands" and even "English islands". 16. Sitz~ationdéfinitive. - Le principe de la limitation des eaux

territoriales était peut-être contestable en ce temps-là, mais le
développement des faits historiques a conduit à une situation qui
le consacre, peut-être par anticipation. La même circonstance qui
a écartéla domination anglaise de quelques îles, soumises défini-
tivement au domaine français, aurait pu écarter la domination
anglaise des Ecréhous et des Minquiers.
Or, la cause déterminante pour laquelle l'Angleterre n'a pas
dominé toutes les îles de la Manche est, à mon avis, je le répète,
la proximité de la côte française.
Les seules îles que l'on pourrait considérer comprises dans

l'archipel anglo-normand et qui ont été (démembrées 1de l'archipel
et placées sous la domination française, sont celles des Chausey,
situées hors de la stricte zone des eaux territoriales francaises. Mais
les Chausey resïent plus proches de la France continentale que
toutes les autres île;, même Aurigny, qui est incontestablement
anglaise, même les Ecréhous et les Minquiers. Il y a eu de nom-
breuses alternatives dans la domination des Chausey :un écrivain
aurait dit qu'elles auraient dû rester anglaises et l'on a discuté sur
la date de leur possession définitive par la France.

L'agent français a cité d'autres îles. Le Mont-Saint-Michel est
liéau continent ; Tombelaine, suivant la carte française no I, est
placée dans les «sables et rochers découvrant à marée basse );
Bréhat et (cité dans ia plaidoirie) Cezambre sont indiscutable-
ment situées dans les eaux territoriales de la France. Elles ne
pourraient être que françaises. Comme les Chausey elles sont
restées françaises. Toptes les autres sont britanniques - y compris,
par conséquent, les Ecréhous et les Minquiers.

17. La donation de Pierre des Préaux. - On a discuté, avec
beaucoup d'érudition, si la donation par Pierre des Préaux était
bien en franche-aumône et, en conséquence, si elle avait éteint
les droits du donateur. Je n'ai pas besoin de trancher ces questions.
Quelle que soit la solution qu'on leur donne, la question principale
n'est pas celle de savoir si Pierre des Préaux a gardé ou non ses
droits sur l'île, mais seulement de savoir si le duc de Normandie,
pour sa part, a gardéou non les siens. Or, le Gouvernement français,
dans la duplique (partie 1, section 1, II,A, IO), accepte la règle
irréfutable suivant laquelle nul ne peut donner plus que ce qu'il a,
et reconnaît que le duc conserva ses droits.

Il est vrai que le Gouvernement francais ajoute que le roi de
France succéda au duc par la conquête de la Normandie en 1204
et devint seigneur supérieur de l'île d'Ecréhou. Par là, on revient
à une autre question, déjà examinée et tranchée : le roi de France
n'était pas seigneur des îles, le jugement de 1202 ne se rapportait
pas aux îles. La conquêtede la Normandie continentale n'y change 3IINQIiIERS AND ECREHOS (INDIV. OPIN. 31. LEVI CARNEIRO)
103
16. The deft?zitivesituation.-The principle of the limitation of
territorial watersmay have been questionable at that time, but
the development of history has led to a situation which confirms
that principle, perhaps by anticipation. The same consideration

which prevented English domination of some of the islands which
were definitively subject to the French domain might have
prevented English domination over the Ecrehos and the Rilinquiers.
But the determining cause which in my opinion esplains the
fact that England did not have domination over al1 the Channel
Islands is the proximity of the French coast.
The only islands which might be regarded as included in the
Anglo-Korman archipelago and which were "dismembered" from
the archipelago and placed under French domination, are the
Chausey which are situated outside the strict belt of French
territorial waters. But the Chausey are closer to the French main-

land than al1the other islands, even Alderney, which is indisputably
English, and even the Ecrehos and the Minquiers. There n-as
considerable alternation in the domination of the Chausey : one
writer is alleged to have said that they ought to have remained
English and the date of their definitive possession by France
has been debated.
The French Agent has cited other islands. The Mont-Saint-
Michel is linked to themainland ;Tombelaine, according to French
chart No. 1, is situated in the "sands and rocks uncovering at
low water" ;Bréhat and Cezambre (cited in the Oral Arguments)
are indisputably situated in French territorial waters. They could
only be French. Like the Chausey they remained French. Al1

the other islands are British, including therefore the Ecrehos
and the Minquiers.

17. The grant of Piers des Préaz~x.-There has been very learned
argument upon the question whether the grant by Piers des
Préaux was really in frankalmoin and whether, therefore, it
extinguished the rights of the grantor. do not consider it necessary
to decide these questions. Jihatever view one may have, the
principal question is not whether Piers des Préaux retained his
rights on the island, but simply whether or not the Duke of
- Normandy retained his. In its Rejoinder (Part 1, Section 1,II, A, IO),
the French Government has accepted the irrefutable rule that

none may grant more than he possesses and that Government
fias acknowledged that the Duke retained his rights.
It is true that the French Government goes on to Say that the
King of France succeeded the Duke, by the conquest of Nor-
mandy in 1204, and became the overlord of the island of Ecrehos.
This brings us back to another question which has already
been dealt with and settled : the King of France was not the
lord of the islands, the Judgment of 1202 did not relate to therien. Il n'y a aucupe preuve qu'elle ait été étendueaüx îles, parti-
culièrement aux Ecréhous et aux 3linquiers.

Il y a aussi d'autres considérations dans le mêmesens, que je
crois pertinentes :

a) Pierre des Préaux ne pouvait pas, sans le consentement du
seigneur, faire le démembrement d'une partie des îles qq le roi
Jean lui avait données en fief. Peu importe que l'île d'Ecréhou
n'eut aucune valeur, comme l'a dit le Gouvernement français.
Et l'on voit bien l'importance de la donation si elle aurait eu,
comme le prétend le Gouvernement français, pour effet de trans-
férer au roi de France la propriété del'île qui appartenait au roi
d'Angleterre. A ce point de vue, la donation aurait éténulle.

b) Dans 1'((aveu de ses fiefs » que Pierre des Préaux a fait au
roi Philippe de France, apr+ la reddition de Rouen, en 1204, il
n'est pas fait mention des Ecréhous (plaidoiries).
c) Deux ans après, en 1206, le roi d'Angleterre rendait à Pierre
des Préaux la terre qu'il avait en Angleterre et déclarait que, pour
ce qui est des îles, le roi ferait(ce que lui plaira u (annexe A II
au mémoire britannique). Il n'y a aucune restriction résultant de

la donation à l'abbaye de Val-Richer.
18. Les actes d'occupation. - L'origine de l'occupation des
îles par les Anglais étant bien marquée et les circonstances qui

la confirmèrent étant reconnues, les actes xéalisésau cours de
cette occupation, quoique dispersés dans le temps, en démontrent
la continuité et marquent la «lente évolution 1) du processus
d'établissement de la souveraineté.
Je n'ai à ajouter que quelques observations complémentaires
à l'analyse faite par l'arrêt.

19. Visites des pêcheurs -. Les visiteurs les plus assidus et les
plus nombreux étaient les pêcheurs. Le Gouvernement français
a dit qu'après 1839 «il a laisséles pêcheursbritanniques fréquenter
tranquillement les Écréhous et les Minquiers » (plaidoiries). Le
Gouvernement anglais n'a jamais permis la fréquentation des
îlots par les Français.
J'adrnets que, dans certains cas, sous certaines co,nditions, la
présence de personnes privées, ressortissants d'u-n Etat, puisse

indiquer ou entraîner l'occupation par ce mêmeEtat. L'exercice
de la souveraineté se fait sur des personnes qui reconnaissent
cette souveraineté. Je ne peux pas oublier que la limite des pos-
sessions portugaises et espagnoles, en Amérique du Sud, fixée
strictement par le traité de Tordesilhas, fut dépasséepar des
gens du Brésil, qui allaient à la recherche d'émeraudes et d'or
et, malgré que ces gens aient été souvent déçus dans leurs espoirs
or MIKQCIERS ASD ECREHOS (INDIV. OPIN. M. LEVI CARNEIRO) 104
islands. The conquest of Continental Normandy did not affect
the situation in any way. There is no evidence to show that the
conquest extended to the islands, or, in particular, to the Ecrehos
and the Minquiers.
There are certain other considerations to the same effect which
I regard as relevant :

(a) Piers des Préaux could not, without the consent of the
lord, effect the dismemberment of a part of the islands which
King John had granted him in fee. It matters little that the island
of Ecrehos was of no value, as stated by the French Government.
And it is easy to discem the importance of the grant if, as is alleged
by the French Government, it had the effect of transferring to
the King of France the ownership of the island which belonged
to the King of England. In such circumstances the grant would
have been a nullity.
(b) In the "acknowledgment of his fiefs" made by Piers des

Préaux to King Philip of France after the surrender of Rouen in
1204, there is no reference to the Ecrehos (Oral Arguments).
(c) Sn-O years later, in 1206, the King of England restored to
1)ic.r~des Préaux the lands which he held in England and he stated
witliregardto the islandsthat the King would "do his pleasure"

(AnnesA II to British Mernorial). There is no restriction resulting
from the grant to the Abbey of Val-Richer.
18. .~~ts O/ occztpation.-The origin of the occupation of the

islands by the English being clearly defined and the circumstances
confirming that occupation being acknowledged, the acts carried
out during this occupation, although they are scattered in time,
bear witness to the continuity of that occupation and reflect the
evolution" of the process whereby sovereignty is established-
1need only add a few complementary observations to the analysis
given in the Judgment .

19. Visitsoffishermen.-The most assiduous and most numerous
visitors were fishermen. The French Govemment has said that
after 1839 "it allowed British fishermen to go peacefully to the
Ecrehos and the Minquiers" (Oral Arguments). The English
Government has never permitted Frenchmen to frequent the
islets.
1quite agree that in certain cases, and in certain circurnstances,
the presence of private persons who are nationals of a given State
may signify or entai1 occupation by that State. Sovereignty is

exercised over persons who recognize that sovereignty. 1 have in
mind the fact that the limits of the Portuguese and Spanish posses-
sions in South America, mhich had been strictly laid down in the
Treaty of Tordesilhas, were exceeded by persons from Brazil in
search of gold and emeralds, and that, although these persons were
frequently disappointed in their espectations and their ranks
61 3IISQCIERS ET ÉCRÉHOUÇ (OPIS. ISDIV. M. LEVI CARSEIRO)
105
et déciméspar les fièvres, ils ont réalisél'eh possidetis pour le
Brésil et agrandi énormément son étendue territoriale.
Ces actes individuels sont d'autant plus importants quand il
s'agit de territoires situés à la frontière de deux pays, qui se

dis~utent la souveraineté dans cette régionU
,iux Écréhouset aux Minquiers, les pêcheurs anglaisont toujours
étéplus nombreux, beaucoup plus nombreux, que les pêcheurs
francais. Les références à des habitations d'Anglais sur les îlots
sont assez nombreuses et remontent à des dates anciennes (an-
nexes A 51, A 54, A 61, A 64 au mémoirebritannique). Ces gens
venaient de Jersey et, certainement, d'autres îles toutes proches.
D'autre part, ce qui est plus significatif, les Francais étaient
repoussés par les Anglais. Et ((à plusieurs reprises ))le ministère

francais de la Narine dit avoir ((demandé à nos ~êcheursde ne
pas créer d'incidents avec les pêcheurs anglais 1) (plaidoiries).
Le plus important n'est pas ,la fréquentation des eaux terri-
toriales des Minquiers et des Ecréhous. Le plus important est
l'installation sur ces îlots. Or, je suppose, les Francais n'y restaient
pas. Le Gouvernement francais a tâché d'expliquer ce fait par
les vents et les courants maritimes contraires (plaidoiries). Quelle
qu'en ait étéla cause, le fait a ses conséquences.

On a cherché, sans y réussir, à démontrer que la convention
de 1839 donnait aux Francais ((non seulement le droit de pêche
autour des Ecréhous et des Minquiers, mais aussi le droit d'y
débarquer et de s'y installer ))(plaidoiries). On n'a pas dit qu'ils
y aient débarqué souvent et, moins encore, qu'ils s'y soient
installés en nombre.

20. Cartes géographiques . Il faut dire un mot sur la preuve

tirée des cartes géographiques. Je sais qu'elles ne sont pas toujours
décisives pour trancher des questions juridiques de souveraineté
territoriale. Néanmoins, elles peuvent apporter une preuve de
la notoriétémêmedu fait de l'occupation ou de l'exercice de cette
souveraineté. Les Parties l'ont reconnu, appuyant leurs allégations
sur des documents de cet ordre. Le Gouvernement anglais a citéla
carte de Stieler, dans les éditions de 1905 et de 1932, qui montrent
les îlots litigieux comme britanniques. Le Gouvernement français

a présenté plusieursautres cartes (plaidoiries). Il y en a qui ont
considéré les Ecréhous comme britanniques, mais ignorent les
Minquiers. D'autres font omission ,de l'un ou de l'autre groupe,
montrant quelquefois même-les Ecréhous en dehors de la zone
britannique. Pour trancher ces conflits de cartes, il faudrait une
étude spécialiséeet prolon~éepour déterminer lesquelles méritent
de prévaloir. En tout cas, elles n'apportent pas une contribution
assez considérable pour per%ettre de statuer. Je ne les prends pas

en considération.decimated by fever, they achieved the utipossedetis for Brazil
and greatly increased her territory.
Such individual actions are particularly important in respect of
territories situated at the border of two countries which both
claim sovereignty in that region.
On the Ecrehos and the Minquiers, English fishermen have
always been more numerous, much more numerous, than French
fishermen. References to English houses on the islets are quite
frequent and go back to ancient dates (Annexes A 51, A 54, A 61,
A 64 to British Memorial). These perçons came from Jersey and
certainly from other islands close by. A furtherand more significant
fact is that the French were pushed back by the English. And "on
several occasions" the French Ministry of Marine stated it had
"requested Our fishermen not to create incidents %th the English

fishermen" (Oral Arguments).
But the most important consideration is not the mere going
into the territorial waters of the Minquiers and the Ecrehos. The
most important matter is the actual settling on the islets. But 1
consider that the French never remained there. The French Gov-
ernment has sought to explain this fact by referring to prevailing
winds and currents (Oral Arguments). Whatever may have been
the cause, the fact gives rise to certain consequences.
An attempt has been made, without success, to show that the
1839 Convention gave the French "not only a right to fish around
the Minquiers and the Ecrehos, but also a right to go ashore on the
islets and to settle there" (Oral Arguments). But it has not been
said that they landed there frequently, or even less, that they
actually settled there in any numbers.

20. [email protected] is necessary to say something on the evidence
supplied by maps. 1 know that such evidence is not always decisive
in the settlement oflegal questions relating to territorial sovereignty.

It may however constitute proof of the fact that the occupation
or exercise of sovereignty was well known. The Parties have
admitted this and have based certain contentions on documents
of this kind. The United Kingdom Government has cited the map
by Stieler, editions of 1905 and 1933, which show the disputed
islets as British. The French Agent has submitted several other
maps (Oral Arguments) ;some of these regard the Ecrehos as
British but make no reference to the Minquiers. Still other maps
omit both groups, or in some cases show the Ecrehos as falling
outside the British zone. A searching and specialized study
would be required in order to decide tvhich of the contending
views in respect of maps should prevail. At any rate, maps do not
constitute a sufficiently important contribution tonable a decision
to be based on them. 1 shall not take the evidence of maps into
consideration. 21. Protestations françaises. - En fixant la ((date critique »
à l'année 1839, en déclarant qu'il ne subsiste guère de docu-
ments du moyen âge à cause de la destruction d'une bonne partie
des archives normandes (plaidoiries) et que les documents plus
anciens ont disparu, qu'ils étaient souvent très mal rédigésou
n'ont jamais existé, le Gouvernement français a voulu réduire
considérablement le volume des preuves que la Cour devrait
apprécier. Cependant, lui-même, peu à peu, n'a pas laisséde faire
l'appréciation de faits postérieurs à 1839 ou de les invoquer en sa
faveur. Ces faits sont bien plus nombreux et plus significatifs de
la part de l'Angleterre que de la part de la France. Le Gouverne-

ment français a invoqué les protestations qu'il a opposées à plu-
sieurs de ces actes. Et comme ses protestations n'ont pas atteint
les actes les plus importants, il a expliqué qu'elles ne se rap-
portaient qu'aux actes qui ne signifiaient pas l'exercice de la
souveraineté, parce que, selon son interprétation, ces derniers
étaient autorisés aux deux Etats par la convention de 1839.
Cette interprétation a étérepoussée par l'arrêt. En conséquence,
l'omission française de protester contre les actes d'exercice de la
souveraineté britannique aux îlots dont il s'agit ne peut plus
êtreexcusée. Mêmesur des actes britanniques d'un autre ordre,
les protestations françaises ont étéinsuffisantes et inefficaces. On

peut répéterce que la Cour permanente de Justice internationale
a dit, dans le cas du Groënland oriental, page 62: la nature des
actes du Gouvernement britannique n'a pas étémodifiée par les
protestations que, de temps à autre, le Gouvernement français
a formulées.

Dans aucun cas, la protestation française n'a produit un effet
aussi utile que celui de la protestation britannique dans le cas
de la construction d'une maison aux Minqujers par un citoyen

français, mentionné dans l'arrêt.Quant aux Ecréhous, ces protes-
tations n'ont pas étéprésentéesaprès 1888, pendant soixante ans.
Pour expliquer cette absence de protestation, le Gouvernement
français a présentédeux justifications qu'il faut considérer. Selon
la première, il était (impossible ))à la France de (surveiller conti-
nuellement le Gouvernement britannique » (duplique, partie 1,
section II,sous-section 1). On comprend bien cette impossibilité ;
mais il ne s'agissait pas de cela. Il fallait seulement surveiller les
îlots, comme le Gouvernement britannique les surveillait, de
manière, comme je l'ai déjàdit, qu'il a fait arrêter immédiatement
la construction d'une maison. L'omission d'une telle surveillance,

l'ignorance de ce qui se passait aux îlots signifient le non-exercice,
par la France, de la souveraineté dans cette région. 21. F~ench protests.-By fixing the "critical date" in the year

1839, and by stating that very few documents have come down
from the Middle Ages by reason of the destruction of a substantial
portion of the Norman archives (Oral Arguments) and that the
more ancient documents have disappeared, that they were fre-
quently very badly drafted, or may even never have existed at all,
the French Government has sought to reduce considerably the
volume of evidence upon which the Court may base its decision.
Nevertheless, that same Government did not fail to consider acts
subsequent to 1839, as the proceedings progressed, or to invoke
them in support of its case.Such acts are much more nurnerous
and more significant on the English side than on the French side.
The French Government has invoked the protests which it made
against several such acts. And since these protests were not
made against the most important of these acts, the French Govem-
ment has sought to explain this on the ground that the protests
were solely directed against acts which did not signify an
exercise of sovereignty because, according to its interpretation,

both States were authorized to carry out such acts by the
Convention of 1839. This interpretation has been rejected by
the Court in its Judgment. There can consequently no longer be
any excuse for the failure of the French Government to protest
against the acts by which the British Government exercised sover-
eignty over the disputed islets. The French protests were even
inadequate and ineffective in respect of British acts of another
order. The words of the Permanent Court of International Justice
in the Eastern Greenland case (p. 62) may be repeated here :
the character of the acts of the British Government is not altered
by the protests which, from time to time, were made by the French
Government .
In no case did the French protest produce as effective a result
as that of the British Govemment in the case, mentioned in the
Judgment, of the construction of a house on the Minquiers by
a French national. As regards the Ecrehos, no protests were
made after 1888 for sixty years. The French Govemment has

sought to explain the absence of protests by relying on two
grounds which must now be considered. According to the first,
it was "impossible" for France to "keep the United Kjngdom
Govemment continually under surveillance" (Rejoinder, Part 1,
Section II, Sub-Section 1). Such an impossibility is quite under-
standable, but that was not the question. Al1 that was required
of the French Govemment was that it should have kept the islets
under surveillance, just as the British Government had done, a
surveillance which had permitted the latter Government, as 1 have
already pointed out, to cause the construction of a house to be
stopped immediately. Failure to exercise such surveillance and
ignorance of what was going on on the islets indicate that France
was not exercising sovereignty in that area.

63 XiIXQUIERS ET ÉCRÉHOUS (OPIN. ISDIV. M. LEVI CARNEIRO)
IO7
La deuxième justification se rapporte au cas très important de
la perception, par les autorités de Jersey, de taxes sur les maisons
construites aux Ecréhous. Le Gouvernement français n'a pas voulu
appliquer à ce cas la justification ci-dessus, et il a dit (duplique,
partie 1, section II, sous-section 1) : (qu'il s'agit d'opérations qui

ont étéaccomplies à Jersey et qui n'ont donnélieu sur le terri-
toire litigieux à aucun acte important et manifeste ». Mêmesi
le paiement des taxes avait étéeffectuédans les îlots, on pourrait
dire, suivant le raisonnement précédent, que le Gouvernement
français l'aurait ignoré, parce qu'il lui était «impossible de sur-
veiller continuellement le Gouvernement britannique ». En réalité,
le prélèvement des taxes devait nécessairement donner lieu à des
actes d'autorité sur les îlots mêmes.Mais ce quiest plus important,
c'est le contraste entre l'attitude des autorités fiscales de Jersey et

celle du Gouvernement de la France ou de quelques-uns de ses
services administratifs, qui n'ont jamais essayéde percevoir quelque
contribution fiscale sur les îlots dont il s'agit. Ils ne l'ont pas fait,
ni même - que je sache - essayé de le faire.

L'action du Gouvernement britannique sur les îlots devenait
toujours plus prolongée et intense. Le Gouvernement français dit
alors à la Cour : cFallait-il recourir, de notre côté, à la force et
à la guerre ? Car ceci est un point à ne pas négliger : aux environs
de 1875 jusqu'en 1904 ...les rapports entre nos deux pays n'étaient

pas ce qu'ils sont aujourd'hui.. ..Fallait-il donc exiger plus, défier
et provoquer une rupture pour les Minquiers et les Ecréhous ?
Il suffisait de protester sur le papier....1)

On ne peut assez louer le Gouvernement français de n'avoir pas
recouru à la force et à la guerre. Mais s'il y avait d'autres cas
litigieux plus importants entre les deux pays, les mêmesconsidéra-
tions qui limitaient l'action du Gouvernement français auraient
dû limiter celle du Gouvernement britannique. Or, tandis que
celui-ci agissait, continuait d'exercer sa souveraineté, le Gouver-

nement français se contentait de protester csur le papier ». Ne
pouvait-il pas faire autre chose ? Il pouvait et devait, si je ne me
trompe, pfoposer l'arbitrage. D'autant plus qu'il y avait entre
les deux Etats le traité du 14 octobre 1903, qui soumettait à la
décisionde la Cour permanente d'Arbitrage tous les différends de
nature juridique ou sur l'interprétation d'un traité.

Le Gouvernement français a rappelé la sentence arbitrale dans
le cas Chamizal, dont il cita le passage suivant : «En droit privé,
l'interruption de la prescription se fait par une action en justice ;

mais dans les relations entre nations, cela est évidemment impos-
sible,à moins que - et jusqu'à ce que - un tribunal international
soit établi à cet effet. » (Plaidoiries.) Cette sentence a étépro-
noncée en 1911 et se rapporte à des faits de 1848 à 1895. A cette

64 311NQCIERS ASD ECREHOS (IKDIV. OPIK. SI. LEVI C-~RKEIRO)
107
The second ground on which the French Governmerit seeks to
rely relates to the very important matter of the rating of houses
on the Ecrehos by the Jersey authorities. The French Government
lias not chosen to apply to this matter the justification referred
to above, and it has stated (Rejoinder, Part 1, Section II, Sub-

Section 1) : "that these measures were carried out in Jersey and
did not gi1.e rise to any importa~it or overt act in the territory
under dispute". It might be said, according to the foregoing
justification, that even if the payrnent of taxes had Seen carried
out on the islets, the French Government would have been una-
ware of this fact because it was "impossible for it to keep the
United Kingdom Government continually under surveillance".
Indeed, the levying of taxes niust necessarily have given rise to
acts of authority on the islets themselves. But tvhat is more
important is the contrast between the attitude of the Jersey tax
authorities and that of the French Government, or of some of its
ztdministrative departments, which never attempted to obtain any
fiscal contribution from the disputed islets. They did not do so,
nor-so far as 1 am aware-did they ever attempt to do so.

The action of the Eritish Government on the islets became
more continuous and more intensive. The French Government
then asks the Court :"Should we, on our side, have resorted to force
and war ? For this is not a negligible point in thepenod tvhich runs
from approximately 187j to 1904....The relations between ourtwo
countries were not what they are to-day ....Should we therefore
have made a greater demand ;should we have defiecl the British
Government, and provoked a breaking off of relations because of the
Minquiers and the Ecrehos ? It was sufficient to protest onpaper ...."
It is irnpossible to Say too much in praise of the French Govern-
ment for not having resorted to force and war, but if there were
other more important disput.es between the tnro countries, the
same considerations which restrained the French Government
should also have restrained the British Government, yet while
the
the latter acted and continued to c?xercise its sovereignty,
French Government was satisfied to make a "paper" protest.
Could it not have done anything else ?It could have, and it ought
to have, unless 1 am mistaken, proposed arbitration ; al1 the
more so since the two States were bound by the Treat~ of
October 14th, 1903, tvhich provided for the settlement b\- the
Permanent Court of Arbitration of al1 legal disputes or diiputcs
involving the interpretation of a treaty.
The French Government has referred to the arbitral award in
the Chamizal case and has cited the following passage :"In private
law, the interruption of prescription is cffected by a suit but in
dealings between nations this is, of course, impossible, unless and
until an international tribunal is establishcd for such purposes."
(Oral Arguments.) This award was made in 1911 and relates to
facts in the period 1848-1895. 11t that tirnt. thcrt: n:as no inter-

'54 époque, il n'y avait pas de Cour internationale. La sentence

conditionne sa proposition à l'existence de ce tribunal : (jusqu'à
ce qu'un tribunal international soit établi ...1).Or, cette création
a eu lieu il y a maintenant de nombreuses années. Pourquoi la
France n'a-t-elle pas proposé - au moins proposé - de faire
porter le différend devant ce tribunal, comme l'a fait l'Angleterre
après plus d'un demi-siècle d'une discussion intermittente et
stérile ? L'omission enlève sa force à la réclamation, si mêmeelle
ne la rend pas caduque.

Sans m'étendre sur cette considération - dont l'importance me
semble évidente - je considère que l'action de la Cour serait
facilement réduite,voireannulée,sil'on permettait que lesdifférends
subsistent indéfiniment, sans justification particulière, et sans
qu'on ait cherché à obtenir son intervention décisive,préférant de
simples protestations (sur le papier »,périodiques et inopérantes.
Cet état de choses serait incompatible avec un régimede définition

et d'assurance des droits de chaque Etat.

22. Deux témoignages . La situation à laquelle on aboutit dans
la seconde moitié du xlxme siècleest devenue définitive. Elle a été
bien définie par deux éminents Français.

Le premier est Victor Hugo. Le Gouvernement français a cité
son roman Les Travailleurs de la Mer, écrit vers 1866, quand
Victor Hugo vivait à Guernesey. Dans l'introduction de ce livre, il
y a ces mots qui méritent aussi d'êtrerappelés, et j'en souligne
quelques-uns : «Les îles de la Manche sont des morceaux de
France tombés dans la mer et ramasséspar l'Angleterre ))(p. XXI).
L'archipel est fait de quatre îles .... sans compter les ;lots »
(p. XXI). (Jersey ouvre du côté de la France le cintre de St. Aubin,

vers laquelle ces deux groupes épars, mais distincts, les Grelets
et les Minquiers, semblent ....se précipiterainsi que deux essaims
vers une porte de ruche )) (p. XXV). Les gens du pays - il l'a
remarqué - étaient des Normands, et ils n'avaient pas oublié
que ce fut la Normandie qui conquit l'Angleterre. Il aurait pu
dire qu'il n'y avait pas de domination anglaise : il y avait union
avec l'Angleterre. Il disait aussi que les Anglais appelaient l'archipel

ccîles normandes » et les Français l'appelaient ctîles anglaises ».
Lui-même les appelle ((îles de la Manche ))ou, en anglais, (Channel
Islands ».
L'autre témoin est Élisée Reclus, l'éminent géographe. Je me
permets d'intervertir les mots de sa proposition (Nouvelle Géo-
graphie universelle, éd. 1881, vol. II, p. 639), sans en altérer le
sens, en disant - avec ses mêmesparoles dont je souligne quelques-

unes : «Jersey, Guernesey, Aurigny et archipels voisins », ces
terres que (les Anglais désigneat sous le nom de Channel Islands,
îles du Canal », quoique étant ccune dépendance naturelle de la
65naticnal court. The award makes such a course contingent upon
the existence of such a tribunal :"zuztil an international tribunal

is established....".But such a tribunal has now been created
and has existed for many years. Why did France not at least
propose that the dispute should be referred to this tribunal, as
England has done, after more than half a century of intermittent
and fruitless discussion? The failure to make such a proposa1
deprives the claim of much of its force ; it may even render it
obsolete.
Without dwelling on this matter, which in my opinion is obviously
an important one, 1 consider that the action of the Court might
easily be restricted or even nullified if disputes were allowed to
be prolonged indefinitely without good reason and if an attempt
were not made to obtain the Court's decisive intervention but
preference were given to mere periodical and ineffectual "paper"
protests. This state of affairs would be incompatible with the
régime under which the rights of each State would be specifiedamd
guaranteed.

22. Two further pieces of evidence.-The position which was
achieved in the second half of the nineteenth century became
definitive. It has been very well described by two famous French-
men.
The first of these is Victor Hugo. The French Government has
cited his novel Les Travailleurs de la Mer, written around 1866,
when Victor Hugo lived at Guernsey. In the introduction to this
book the following words also deserve to be quoted, and 1 have
myself italicized some of them :"The Channel Islands are pieces of
France that have fallen into the sea and have beengatheredup by
England" (p. XXI). "The archipelagois made up of four islands ....
mithout mentioning theislets" (p. XXI). "Facing France, the inden-
tation of the Jersey coast at St. Aubin seems like the opening of
a hive towards which these two scattered but separate groups, the
Grelets and the Minquiers, appear to swarm" (p. XXV). Hugo
noted that the local population were Normans and that they had
not forgotten that it was Normandy that had conquered England.

He might have said that there was no English domination but
rather union with England. He also pointed out that the English
called the archipelago the "Norman islands" and that the
French called them "English islands" and Hugo himself called
them "îles de la Manche" or, in English, "Channel Islands".
The other piece of evidence is supplied by the famous geographer,
Élisée Reclus. 1 shall take the liberty of changing the order of the
words in his proposition (Nouvelle Géographieztni7ierselle,ed. 1881,
Vol. II, p. 639), without altering their meaning, using the same
words as he did, some of which 1have italicized : "Jersey, Guemsey,
Alderney and neighbouring archipelagos", those lands which "the
English cal1 the Channel Islands", belong "politically to Great

65Normandie française I)appartiennent (politiquement à la Grande-
Bretagne ».

23. Conclusion. - J'ajouterais au dispositif de l'arrêt deux
éclaircissements.

Le premier se rapporte à la possibilité de l'appropriation des
îlots. Je dirais de(son appropriation actuelle ou future ».La mesure
dans laquelle les rochers sont ((susceptibles » d'appropriation est
indéfinie : la Cour ne peut pas la déterminer. On ne peut la fixer
d'avance. Qui aurait prévu, dans un passé pas très lointain,
l'utilisation de la force des marées pour la production d'énergie
électrique dont la France a l'intention aux Minquiers ?
Le deuxième éclaircissement a pour but de sauvegarder :

a) L'exercice des droits de pêchedans les parages des Écréhous
et des Minquiers, selon l'accord du 30 janvier 1951 (annexe A 23
au mémoirebritannique) signépar les représentants de la France
et du Royaume-Lni, et négociépar eux en même temps que le
compromis du 29 janvier 1950. La présente décisionn'atteint pas
cet accord.

b) La possibilité de coopération anglaise à l'exécution du projet
du Gouvernement français de production d'énergie électrique par
des travaux dans la région des Minquiers, aux termes de la
déclaration du représentant du Gouvernement britannique autorisé
par son Gouvernement (plaidoiries).Je veux croire qu'aujourd'hui

aucun juge ne peut suivre aveuglément la trop vieille règle fiat
justitia, pereat mundus (Ripert, La règle.morale dans les Obliga-
tions civiles, passim). Encore moins peut-il être soumis à une
telle règle dans le domaine du droit international, dont les
principes sont peut-être - comme on l'a dit - la consécration
de l'ancien droit naturel. Et je me plairais de prendre acte des
nobles déclarations du représentant du Gouvernement britannique.

(Signé) LEVI CARNEIRO.Britain" although they are "a natural dependency of French
Pu'ormandy ".

23. Conclusion.-1 should like to add two clarifications to the
operative clause of the Judgment.
The first relates to the possibility of appropriating the islets :

1 would refer to "present or future appropriation". The extent to
which the rocks are "capable" of appropriation is unspecified and
the Court cannot determine this point. It is a matter which cannot
be fixed in advance. Who could have foreseen in the not too distant
past that France would some day plan to utilize tidal power at
the Minquiers for the production of electrical energy ?
The purpose of the second clarification is to safeguard :
(a) The exercise of fishery rights in the waters of the Ecrehos
and the Minquiers, in accordance with the Agreement of Janu-
ary 3oth, 1951 (Annex A 23 to British Memorial), signed by the
representatives of France and the United Kingdom and negotiated
by them at th2 same time as the SpecialAgreement of January qth,

1950. The present Judgment in no way affects that Agreement.
(b) The possibility of English CO-operation in carrying out the
French Government's project for the production of electrical
energy by means of works in the Minquiers region, in accordance
with the declaration made by the British representative with the
authorization of his Government (OralArguments). 1am willing to
believe that no judge nowadays can blindly follow the obsolete
rule fiat justitia, pereat mzmdus (Ripert, La règlemorale dans les
Obligations civiles, passim). Still less can we be bound by such a
rule in the field of international law whose principles, as it has
been said, may represent the consecration of the former natural
law. And 1 would have been pleased to place on record the ge'nerous

declarations of the representative of the British Government.

Document file FR
Document Long Title

Opinion individuelle de M. Levi Carneiro

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