Opinion dissidente de M. Chagla (traduction)

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032-19600412-JUD-01-11-EN
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032-19600412-JUD-01-00-EN
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OPINION DISSIDENTE DE M. CHAGLA
[Traduction]

A mon avis la cinquième et la sixième exceptions préliminaires
de l'Inde devraient êtreretenues et la Cour devrait juger qu'elle
est sans compétence pour connaître de la requête du Portugal.

Cinquièmeexception

Quant àla cinquième exception, elle ne présente plus, selon moi,
qu'un intérêtthéorique, et je n'ai rien à ajouter à ce que j'ai déjà
dit à ce sujet dans mon opinion dissidente sur les exceptions
préliminaires.
Sixième exception

Je n'ai que très peu de choses à ajouter à ce qui est dit dans mon
opinion dissidente sur les exceptions préliminaires. Je puis résumer
en une phrase cette objection: le véritable différend porte sur
l'obligation de l'Inde et non sur la violation de cette obligation;
et la source du différend résidedans les vues opposées de l'Inde et
du Port~zgal quant au véritable effet juridique des événements qui
se sont déroulésdepuis 1779. Ainsi présentésil .est évident que les
situations et faits invoqués au sujet de cette exception se situent
avant 1930.

En outre, la Cour n'est pas compétente pour statuer sur des faits
et des situations antérieurs à la date pertinente. La question peut
être envisagée sous trois aspects. Les Parties peuvent ne pas
s'opposer quant à ces faits et situations, auquel cas il n'y,a pas
lieu detrancher - c'est ce qui s'est passédans l'affaire de 1'Electri-
cité,où les jugements arbitraux du Tribunal n'étaient pas contestés.
Le second aspect, c'est celui où les faits et situations peuvent ne
représenter qu'une partie des res gestae et mêmen'avoir pas de
rapport de causalité avec le différend. Là encore il n'est pas néces-
saire de trancher au sens exact du mot. Mais le troisième cas est
celui auquel nous avons affaire ici. S'il existe un rapport de causalité
entre les faits et situations et le différend ou encore si les faits et
situations sont la source du différend, la Cour dès lors déciderait
sur ce que 1'Etat qui soumet sa cause à la compétence de la Cour
a expressément exclu de la déclaration acceptant la juridiction de
la Cour. C'était lecas dans l'affaire des phosphates du Maroc où le

dahir de 1921 était antérieurà la période visée.
L'objet de cette réserverationetemporis est évidemment de sous-
traire à la compétence de la Cour les différends anciens. Dans la
présente affaire on demande à la Cour de décider entre les opinions
divergentes des Parties sur des situations et des faits qui remontent
à deux cents ans. Voyons les choses avec réalisme: l'Inde est fort
heureusement en mesure de produire un volume considérable de
114documents qui lui permettent de réfuter la prétention portugaise
et d'en montrer l'inanité. Mais elle serait en très fâcheuse posture
si la preuve n'avait pas étéconservéeou si elle avait étédétruite.
Lorsque l'Inde a fait en 1940 sa déclaration, elle ne prévoyait
assurément pas que des problèmes et des situations datant d'avant
1930 et qui remontaient parfois à deux cents ans seraient soumis
à la Cour internationale et qu'elle serait appelée à les expliquer et
à en rendre compte.
C'est précisémentla raison donnée par la Cour dans l'affaire des
phosphates du Maroc lorsqu'elle parle d'«exclure la possibilité de
voir déférés par requête à la_Cour des situations ou des faits qui
remontent àune époqueoù 1'Etat mis en causene serait pas à même
de prévoir le recours dont pourraient être l'objet ces faits et

situations 1).
Le Portugal s'est efforcéd'établir une distinction entre la source
du droit et la source du différend - et il déclare que les faits et les
situations antérieurs à 1930 ont trait à la source du droit du Portu-
gal. Il y a une erreur évidente dans cet argument. S'il existe une
divergence ou une différenceentre les Parties quant aux sources
du droit revendiqué, il est évident dès lors que cette divergence ou
cette différenceconstitue la source du différend soumis à la Cour.
Dans l'affaire de l'Electricité,la source du droit, c'était les sentences
du tribunal mixte. Aucune différence ouaucune divergencen'oppo-
sait les partiesà l'égard de ces sentences. C'est précisément pour
cela que la Cour a décidéque la date des sentences n'avait pas à
êtreprise en considération à l'égard de la réserveratione temporis.
On ne saurait prétendre, comme le fait le Portugal, qu'à l'égard

de la réserveratione temporis le seul facteur dont on puisse légiti-
mement tenir compte ce sont les actes illicites de l'Inde dont se
plaint le Portugal. Ces prétendus actes illicites ne sont que les
incidents qui ont provoqué la crise et obligéle Portugal à se pré-
senter devant cette Cour. Ils n'ont aucun rapportavecla controverse
qui oppose les Parties. Et si cette controverse remonte plus loin
que 1930, il est évident que la compétence de la Cour est exclue.
Le Portugal affirme que le différendporte sur le droit de passage
et sa violation: ce qui n'est pas exact, strictement parlant. La
substance du différend a trait au droit de passage. La question de
la violation de ce droit n'est que secondaire par rapport à celle du
droit. S'iln'y a pas de droit il ne peut y avoir violation. La violation

ne constitue qu'une aggravation du motif de l'action qui a permis
au Portugal de venir devant la Cour.
Le conseil du Portugal a invoqué l'exemple d'une dette et du
défaut de paiement de cette dette. J'estime que si la dette a été
contractée avant la date pertinente et si la Cour doit se prononcer
sur sa validité, elle ne sera évidemment pas compétente en vertu
de la réserve ratio9zetemporis. Si la dette n'est pas contestée, la
position serait différente. Le Portugal affirme qu'une interprétation aussilarge de la réserve
rationetemporis priverait la Cour de sa compétence dans la plupart
des cas, du fait qu'aux termes du droit international la majeure
partie des titres juridiques sont antérieurs à 1930, date choisie par
la plupart des pays pour accepter la juridiction obligatoire de la
Cour. La notion inexacte qui sert de base à sa prétention c'est que,

dans la plupart des cas, les titres juridiques ne sont pas contestés
comme ne lJét,aien pas, par exemple - pour citer une fois de plus
l'affaire de I'Electricité-, les sentences des tribunaux mixtes.
Je n'ai pas besoin de signaler les innombrables exemples anté-
rieurs à 1930 où l'accès du Portugal aux enclaves a donné lieu à
des divergences de vue et même à de véritables différends. Je me
bornerai à citer la lettre du gouverneur de Goa en date du 12 sep-
tembre 1859 (annexeindienne au contre-mémoire, p. 175) qui parle
des (cdifférends demeurés pendants qui ont depuis si longtemps

séparé les Gouvernements britannique et portugais 1).

Sur le fond, j'estime que l'Inde a triomphé à toutes fins utiles.
Bien qu'à mon avislePortugal n'ait aucun droit de passage, puisque
la Cour a reconnu au Portugal un droit très limité réduit aux per-
sonnes privées, aux marchandises et aux fonctionnaires civils et
puisque l'Inde elle-mêmea déclaré qu'ellen'a pas d'objection au
passage des personnes privées et des marchandises et que le droit
concernant les fonctionnaires civils a peu de conséquence et qu'il

est soumis au pouvoir réglementaire du Gouvernement indien, je
considère que, dans l'ensemble, l'arrêtde la Cour approuve I'atti-
tude prise par l'Inde dans la controverse entre elle et le Portugal
surla question du droit de passage.
Je désire indiquer brièvement les motifs pour lesquels j'en suis
arrivé à la concluiion que le Portugal n'avait pas démontré l'exis-
tence du droit de passage tel qu'il le revendique.
Le Portugal formule dans cette affaire une revendication extra-
ordinaire et sans précédent.Il réclameun droit de transit de Damao

à ses enclaves de Dadra et Na~ar-"veli. sur le territoire indien. Il
admet que son droit ne comporte aucune immunité, directement ni
indirectement. Il reconnaît la souveraineté complète et absolue de
l'Inde sur le territoire sur lequel il revendique un droit de transit.
Il soutient que ce droit aboutit non pas au démembrement de cette
souveraineté, mais seulement à l'acceptation par l'Inde de certaines
obligations à l'égard du Portugal, dans l'exercice de cette souve-
raineté. Le Portu~al a refuséde définirl'étendueou le contenu de ce ~ -
droit qui, selon 1;. a pour but de rendre possible l'exercice dans les

enclaves de la souveraineté portugaise et d'assurer, à cet effet, le
maintien des communications entre Damao et les enclaves. Le
Portugal est incapable d'indiquer à la Cour quelles devraient être
les conditions ou les modalités de ce droit; selon lui, c'est à l'Inde
qu'il appartient de les préciser, aussi longtemps qu'elles n'entrent pas en conflit avec le droit fondamental du Portugal au maintien

de communications entre Damao et les enclaves. Le droit ainsi
revendiqué pourrait être comparé à une ligne géométrique sans
épaisseur reliant deux points.
On remarquera qu'il est difficile de fournir des justificationsà
l'appui de la subtile distinction établie par le Portugzl entre
démembrement de scuveraineté et restriction à l'exercice de la
souveraineté. Dans la mesure où l'Inde est souveraine, elle doit
posséder, de façon complète, absolue et illimitée, le droit de régle-
menter - et même d'interdire complètement le passage et la
circulation desbiens et des personnes. Dans la mesure où le Portugal
soutient que l'Inde ne peut luiinterdire lepassage vers lesenclaves,
cela implique inévitablement le démembrement de la souveraineté
de l'Inde et cela entraîne la restriction et la limitation de cette
souveraineté.

Il est également difficile de comprendre comment il peut y avoir
droit de transitsansimmunité aucune. En raison de cette concession,
le droit paraît encore plus dépourvu de fondement. Le Portugal
déclare ne pas avoir le droit de faire des objections à la manière
dont l'Inde peut le réglementer. L'Inde peut imposer des droits de
douane. Elle peut interdire l'entrée de certaines catégoriesde biens;
elle peut exiger une autorisation préalable avant que des armes ou
des personnes arméesn'entrent ou ne sortent des enclaves. Toutes
ces immunités relèvent de la seule compétence de l'Inde - elle ne
peut cependant pas couper complètement les communications du
Portugal avec ses enclaves. En dernière analyse, lorsqu'on étudie
cette situation, on constate quele Portugal réclame, enfait,un droit
de transit assorti d'immunités. Il revendique certaines immunités
que l'Inde ne peut ni modifier, ni abolir. L'Inde peut édicter telle

ou telle interdiction ou telle ou telle réglementation. Mais il y a
d'autres choses qu'elle ne peut ni interdire, ni réglementer. De quoi
s'agit-il donc, si ce n'est de la revendication d'un droit de transit
assorti d'immunités, si limitées ou restreintes soient-elles? Ce n'est
qu'un vain exercice de dialectique que de dire que le Portugal ne
prétend pas porter atteinte au droit de l'Inde de réglementer le
droit detransit, tant que l'Inde n'en rend pas l'exercice impossible.
Le droit que revendique le Portugal suscite une difficulté sup-
plémentaire. Pour lui accorder ce droit, la Cour doit êtreà mêmede
le définiravec clarté - afin qu'il puisse, d'une part, êtreappliqué
et, d'autre part, êtrerespecté. Mais le droit que réclame le Portugal
est vague, obscur, sans fondement et indéterminé.Son contenu et
ses modalitésvarieraient avecle temps et la possibilitéde l'appliquer
dépendrait des circonstances, qui changent de jour en jour. C'est

l'Inde qui déciderait dans quelle mesure le droit devrait êtreadmis
et même,dans certains cas, elle pourrait lesuspendre complètement.
C'est au Portugal qu'il appartient alors de se plaindre d'un acte
illicite commis par l'Inde et de soumettre la question à la Cour.
Nous avons ainsi la sombre perspective de litiges sans fin devant la
117Cour. Qu'il me soit permis de citer un passage du dernier livre du
juge Lauterpacht qui exprime ce que je viens de dire avec concision
et exactitude :

((Il est conformeau véritablerôle dela Courque le différenddont
elle est saisie soit tranché par sa propre décisionet non pas par le
jeu éventuelde l'attitude accommodanteadoptéepar les parties en
litige.

Une chose est claire: si le Portugal obtient de la Cour ce qu'il
souhaite, le litige entre l'Inde et le Portugal ne sera pas tranché par
la décision de la Cour. Elle ne fera que semer, pour l'avenir, les
germes de différends et de discorde.
La Cour a toujours soulignéla nécessitéde trancher un litige de
façon définitive (voir l'affaire relativeà certains intérêa tsllemandsen
Haute-Silésiepolonaise et celle du détroitde Corfou).
Le droit revendiqué par le Portugal manque de précision pour

une autre raison encore. Il faut le concilier à la fois avec les besoins
du Portugal dans l'exercice de sa souveraineté et avec le pouvoir
qu'a l'Inde de réglementer et de .contrôler ce droit.
Les besoins du Portugal sont une notion tout à fait subjective et
il est impossible pour la Cour de constater l'existence d'un droit
susceptible d'êtreexercé non pas selon un critère formulé par la
Cour, mais selon la définition subjective du Portugal, définition qui
peut varier avec le temps et les circonstances changeantes.
Pour ce qui est de la coutume locale, il est vrai, sansaucun doute,
que pendant toutela périodequi nous intéresse, il y a effectivement
eu transit entre Damao et les enclaves - il y a eu une circulation
incessante et presque continue de biens et de personnes. S'il suffit,
pour créerune coutume locale, d'accumuler de nombreux exemples,

l'on peut alors, sans aucun doute, dire qu'il y a eu, dans ce cas,
création d'une coutume locale. Mais en droit international, il faut
beaucoup plus que cela pour qu'il y ait coutume locale. Il ne suffit
pas d'apporter la preuve de sa manifestation extérieure; il est
égalementimportant d'en établir l'élément moral oupsychologique.
C'est cet élément essentiel qui distingue la coutume d'une simple
pratique ou d'un usage. Lorsque les parties agissent ou s'abstien-
nent d'agir d'une certaine manière, elles doivent avoir le sentiment
d'obéirà une obligation. Cette obligation doit avoir à leurs yeux la
même forceque la loi. Si je puis m'exprimer ainsi, il faut qu'un
sentiment de contrainte - non pas physique mais juridique -
l'emporte sur tout. C'est ce que les auteurs appellent la conviction

de la nécessité.Je n'ai pas l'intention d'aborder les subtilités de la
doctrine en cette matière. Mais les termes du Statut de la Cour sont
clairs et obligatoires pour la Cour. L'article 38, paragraphe I b,
définitl'une des sources du droit international appliqué par la Cour
pour trancher les différends qui lui sont soumis. Il mentionne ((la coutume internationale comme preuve d'une pratique générale
acceptée comme étant le droit ».
Or, de 1818 à 1954, il n'est pas au dossier un seul cas où le
Portugal ait revendiqué comme un droit le transit ou le passage;
il n'est pas un seulcas où la Grande-Bretagne ou'Inde aient reconnu
avoir l'obligation de l'accorder. Lorsque l'on étudie les détailssi
abondamment exposés dans les écritures -, on s'aperçoit qu'il
s'agit de permissions ou d'autorisations accordéespar les autorités
indiennes, permissions ou autorisations modifiées ou mêmesup-

primées, et mêmede prohibitions totales du transit pour certaines
catégories de biens et de personnes.
L'on trouve dans le dossier la mention de plusieurs cas où cer-
taines catégories de biens ont fait l'objet d'une interdiction absolue,
ainsique de cas où des droits de douane ont étéperçus sur des biens.
Voir, par exemple, l'interdiction d'importer du sel en provenance
de Damao et d'importer en Inde britannique l'alcool du pays et
autres produits se rapportant à sa fabrication et provenant de tout
territoireportugais; enfin, l'interdiction absolue detoute importation
à Damao par voie deterrependant les années deguerre 1939 à 1945.
La conférencede Barcelone est importante du fait quel'article 14
de la convention a implicitement prévu que les pays intéressés
prendraient des dispositions distinctes et spéciales à l'égard des
enclaves, y compris les enclaves que nous envisageons dans la
présente espèce. Le Portugal n'a pas laissé entendre, au cours
de cette conférence, qu'il eût le moindre droit detransit.La question
devait êtretranchée non pas sur la base d'un droit, mais sur la

base d'un accord auquel devaient parvenir le Portugal et l'Inde.
Peut-être le Portugal s'est-il rendu compte de la nécessitéde
maintenir les communications avec ses enclaves. Mais la nécessité
éprouvée par le Portugal ne constitue pas la conviction de la
nécessitéqui est exigéepour qu'une coutume locale puisse produire
effet. Il faut que l'autre partie ait aussi clairement conscience d'une
obligation de respecter cette nécessité.Et c'est en vain que l'on en
cherche le signe dans tout le dossier, de818 à1954 ,uand les deux
enclaves ont étéperdues pour le Portugal. De temps à autre les
Gouvernements britannique et indien ont fait des concessions, mais
c'était sur une base de réciprocitéou de bon voisinage, et jamais en
reconnaissant une pratique antérieure comme ayant force de loi.
II ressort clairement du dossier que les fonctionnaires indiens
étaient guidés non par le sentiment d'une obligation à l'égard des
Portugais, mais par les intérêtsbritanniques. Ils étaient disposés
à aider les Portugais, mais seulement si c'était opportun. Ce faisant

ils accueillaient une requête, ils ne respectaient pas un droit.
Au mieux, et dans l'hypothèse la plus favorable, le Portugal n'a
fait que démontrer l'existence d'une séried'actes révocables, faits
par les autorités britanniques par courtoisie et pour rendre service.
Le Portugal lui-mêmea préciséque le passage avait pour fonde-
ment la règle de bon voisinage et de coopération internationale -
119principes de morale dépourvus de contenu juridique (vlarnote
portugaise au Gouvernement de l'Inde IIfévrier1954, annexe 40
au mémoireportugais).
A mon avis, le Portugal n'a donc pas démontrél'existence d'une
,coutume locale mêmeen ce qui concerne un droit de passage limité.
En conséquence,il n'a droàtaucun recours et sa requêtedoit être
rejetée.

(Signé ).C. CHAGLA.

Bilingual Content

DISSENTING OPINION OF JUDGE CHAGLA

In my opinion the fifth and sixth objections of India should
prevail and the Court should hold that it has no jurisdiction to
entertain Portugal's Application.

Fifth Objection
With regard to the fifth objection in my opinion it is now only
of academicimportance, and 1 have nothing to add to what 1 have
already stated in my dissenting opinion on the Preliminary

Objections.
Sixth Objection

1 have very little to add to what 1 said in my dissenting opinion
on the Preliminary Objections. 1 can sum up the objection in one
sentence. The real dispute is with regard to the obligation of India,
not with regard to her violation of that obligation; and the source
of that dispute is the conflicting viewsaken by India and Portugal
as to the true legal effect of the events from 1779 onwards. Thus
put, it is clear that the situations and facts for the purpose of this
objection took place prior to 1930.

Further the Court has no jurisdiction to adjudicate upon facts
and situations which arose prior to the relevant date. Three aspects
of the matter may be considered. Parties may not be at divergence
with regard to these facts and situations, in which case no adjudi-
cation is called for as in the case of the Electricity casewhere there
was no dispute as to the Awards of the Tribunal. The second aspect
is where the facts and situations may be only part of resgestaeand
may not have any causal connection with the dispute. In this case
also adjudication in the strict sense is not called for. But the third

case is the case we have here. If there is a causal connection
between the facts and situations and the dispute or the facts and
situations are the source of the dispute, then the Court would be
adjudicating upon something which the State submitting to the
jurisdiction of the Court has expressly excluded from the Decla-
ration accepting the jurisdiction of the Court. This was the case in
the MoroccoPhosphatescasewhere the dahir of 1921 was outside
the relevant period.
The object of this reservation ratione temporis is clearly to keep
ancient disputes outside the jurisdiction of the Court. In this case
the Court is being called upon to adjudicate upon the divergent
view of the Parties with regard to situations and facts which go
back zoo years. Let us take a practical view of the matter. India
is fortunately in a position to produce a vast volume of documentary

114 OPINION DISSIDENTE DE M. CHAGLA
[Traduction]

A mon avis la cinquième et la sixième exceptions préliminaires
de l'Inde devraient êtreretenues et la Cour devrait juger qu'elle
est sans compétence pour connaître de la requête du Portugal.

Cinquièmeexception

Quant àla cinquième exception, elle ne présente plus, selon moi,
qu'un intérêtthéorique, et je n'ai rien à ajouter à ce que j'ai déjà
dit à ce sujet dans mon opinion dissidente sur les exceptions
préliminaires.
Sixième exception

Je n'ai que très peu de choses à ajouter à ce qui est dit dans mon
opinion dissidente sur les exceptions préliminaires. Je puis résumer
en une phrase cette objection: le véritable différend porte sur
l'obligation de l'Inde et non sur la violation de cette obligation;
et la source du différend résidedans les vues opposées de l'Inde et
du Port~zgal quant au véritable effet juridique des événements qui
se sont déroulésdepuis 1779. Ainsi présentésil .est évident que les
situations et faits invoqués au sujet de cette exception se situent
avant 1930.

En outre, la Cour n'est pas compétente pour statuer sur des faits
et des situations antérieurs à la date pertinente. La question peut
être envisagée sous trois aspects. Les Parties peuvent ne pas
s'opposer quant à ces faits et situations, auquel cas il n'y,a pas
lieu detrancher - c'est ce qui s'est passédans l'affaire de 1'Electri-
cité,où les jugements arbitraux du Tribunal n'étaient pas contestés.
Le second aspect, c'est celui où les faits et situations peuvent ne
représenter qu'une partie des res gestae et mêmen'avoir pas de
rapport de causalité avec le différend. Là encore il n'est pas néces-
saire de trancher au sens exact du mot. Mais le troisième cas est
celui auquel nous avons affaire ici. S'il existe un rapport de causalité
entre les faits et situations et le différend ou encore si les faits et
situations sont la source du différend, la Cour dès lors déciderait
sur ce que 1'Etat qui soumet sa cause à la compétence de la Cour
a expressément exclu de la déclaration acceptant la juridiction de
la Cour. C'était lecas dans l'affaire des phosphates du Maroc où le

dahir de 1921 était antérieurà la période visée.
L'objet de cette réserverationetemporis est évidemment de sous-
traire à la compétence de la Cour les différends anciens. Dans la
présente affaire on demande à la Cour de décider entre les opinions
divergentes des Parties sur des situations et des faits qui remontent
à deux cents ans. Voyons les choses avec réalisme: l'Inde est fort
heureusement en mesure de produire un volume considérable de
114 evidence to resist Portugal's claim and to demonstrate its hollowness.
But India would have been seriously prejudiced if the evidence had
not been preserved or had been destroyed. When India made her
Declaration in 1940 she definitely did not intend that matters and
situations which arose before 1930 and went back 200 years would
come before the International Court and she would be called upon
to explain and give an account with regard to them.

This is precisely the reason why the Court in the Phosphates in
Morocco case observed: "to preclude the possibility of the sub-
mission to the Court by means of an application of situations or
facts dating from a period when the State whose action was im-
pugned was not in a position to foresee the legal proceedings to

which these facts and situations might give rise".
Portugal has sought to draw a distinction between source of right
and source of dispute-and she says that facts and situations prior
to 1930 deal with the source of Portugal's right. There is a clear
fallacy in this argument. If there is a divergence or difference
between the Parties as to the very sources of the right claimed, then
it is clear that this divergence or differknce constitutes the source
of the dispute which is before the Court. In the Electricity casethe
soqrce of the right was the Awards of the Mixed Tribunal. There
was no difference or divergence between the parties with regard to
these Awards. It is precisely because of this that the Court held
that the date of the Awards was irrelevant for the purpose of
considering the ratione temporis limitation.
It is incorrect to suggest, as suggested by Portugal, that for the
purpose of the ratione temporis limitation the only factor that is
legitimate to consider is the unlawful acts of India about which
Portugal complains. These alleged unlawful acts are only the inci-

dents which brought the matter to a head and forced Portugal to
come to this Court. They can have no bearing on the controversy
between the Parties. And if the controversy goes back further than
1930, then the jurisdiction of the Court is clearly excluded.
Portugal urges that the dispute is about the right of passage and
its violation. That is strictly not correct. The substantial dispute
is about the right of passage. The question of violation is only
ancillary to the question of right. If there is no right, there can be
no violation. Violation merely constitutes the accrual of the cause
of action which entitled Portugal to come to Court.

Counsel for Portugal gave the instance of a debt and the failure
to pay the debt. In my opinion, if the debt was contracted before
the relevant date and the Court has to pronounce upon its validity,
then clearly the Court would have no jurisdiction by reason of
ratione temporis. If the debt was not disputed, then the position
would be different.documents qui lui permettent de réfuter la prétention portugaise
et d'en montrer l'inanité. Mais elle serait en très fâcheuse posture
si la preuve n'avait pas étéconservéeou si elle avait étédétruite.
Lorsque l'Inde a fait en 1940 sa déclaration, elle ne prévoyait
assurément pas que des problèmes et des situations datant d'avant
1930 et qui remontaient parfois à deux cents ans seraient soumis
à la Cour internationale et qu'elle serait appelée à les expliquer et
à en rendre compte.
C'est précisémentla raison donnée par la Cour dans l'affaire des
phosphates du Maroc lorsqu'elle parle d'«exclure la possibilité de
voir déférés par requête à la_Cour des situations ou des faits qui
remontent àune époqueoù 1'Etat mis en causene serait pas à même
de prévoir le recours dont pourraient être l'objet ces faits et

situations 1).
Le Portugal s'est efforcéd'établir une distinction entre la source
du droit et la source du différend - et il déclare que les faits et les
situations antérieurs à 1930 ont trait à la source du droit du Portu-
gal. Il y a une erreur évidente dans cet argument. S'il existe une
divergence ou une différenceentre les Parties quant aux sources
du droit revendiqué, il est évident dès lors que cette divergence ou
cette différenceconstitue la source du différend soumis à la Cour.
Dans l'affaire de l'Electricité,la source du droit, c'était les sentences
du tribunal mixte. Aucune différence ouaucune divergencen'oppo-
sait les partiesà l'égard de ces sentences. C'est précisément pour
cela que la Cour a décidéque la date des sentences n'avait pas à
êtreprise en considération à l'égard de la réserveratione temporis.
On ne saurait prétendre, comme le fait le Portugal, qu'à l'égard

de la réserveratione temporis le seul facteur dont on puisse légiti-
mement tenir compte ce sont les actes illicites de l'Inde dont se
plaint le Portugal. Ces prétendus actes illicites ne sont que les
incidents qui ont provoqué la crise et obligéle Portugal à se pré-
senter devant cette Cour. Ils n'ont aucun rapportavecla controverse
qui oppose les Parties. Et si cette controverse remonte plus loin
que 1930, il est évident que la compétence de la Cour est exclue.
Le Portugal affirme que le différendporte sur le droit de passage
et sa violation: ce qui n'est pas exact, strictement parlant. La
substance du différend a trait au droit de passage. La question de
la violation de ce droit n'est que secondaire par rapport à celle du
droit. S'iln'y a pas de droit il ne peut y avoir violation. La violation

ne constitue qu'une aggravation du motif de l'action qui a permis
au Portugal de venir devant la Cour.
Le conseil du Portugal a invoqué l'exemple d'une dette et du
défaut de paiement de cette dette. J'estime que si la dette a été
contractée avant la date pertinente et si la Cour doit se prononcer
sur sa validité, elle ne sera évidemment pas compétente en vertu
de la réserve ratio9zetemporis. Si la dette n'est pas contestée, la
position serait différente. It is contended by Portugal that such a wide construction of the
ratione temporis reservation would deprive the Court of jurisdiction
in most cases, because under international law most legal titles
arise before 1930, the date selected by most countries accepting the
compulsory jurisdiction of the Court. The fallacy underlying this
contention is that in most cases, legal titles are not disputed, as-
to refer once more to the Electricity case-the Awards of the Mixed
Tribunal were not disputed.

It is unnecessary for me to point out the innumerable instances
prior to 1930 where Portuguese access to the enclaves gave rise to
divergence of opinion and even to actual disputes. Let me only
quote from a letter of the Governor of Goa dated 12September 1859
(p. 175, Indian Annex to Counter-Memorial) : "The ever-mooting
disputes which have for so long troubled the British and Portuguese
Governmen ts."

On the merits, in my opinion, India has substantially won. Al-
though 1 take the view that Portugal has no right of passage
whatever, inasmuch as the Court has found in favour of Portugal
a very limited right confined to private persons, goods and civil
officials, andinasmuch as India herself has stated that she has no
objection to the passage of private persons and goods, andthe right
regarding civil officialsis of little consequence and is also subject to

the regulatory power of the Government of India, 1think that the
Judgrnent of the Court in the main vindicates the attitude taken
up by India in the controversy between herself and Portugal over
the question of the right of passage.
1should like briefly to state the reasons why 1 have come to the
conclusion that Portugal has failed to establish that she has any
right of passage as claimed by her.
The claim put forward by Portugal in this case is an extraordinary
and unprecedented one. She claims a right oftransit from Daman
to her enclaves in Dadra and Nagar-Aveli through Indian territory.
She concedes that her right is without immunities-direct or in-
direct. She admits the complete and absolute sovereignty of India
over the territory over which she claims a right of transit. Her case
is that the right she claims does not lead to the dismemberment of
India's sovereignty but only the acceptance by India of certain
obligations towards Portugal in the exercise of her sovereignty.
Portugalhas refused to define the extent or the content of this right.

The purpose of this right, according to her, is to make it possible
to exercise her sovereigfity in the enclaves and for that purpose to
maintain a liaison between Daman and the enclaves. She is unable
to tell the Court what the conditions or modalities of this right
should be-this, according to her, is for India to lay down, so long
as these do not conflict with her fundamental right to maintain a Le Portugal affirme qu'une interprétation aussilarge de la réserve
rationetemporis priverait la Cour de sa compétence dans la plupart
des cas, du fait qu'aux termes du droit international la majeure
partie des titres juridiques sont antérieurs à 1930, date choisie par
la plupart des pays pour accepter la juridiction obligatoire de la
Cour. La notion inexacte qui sert de base à sa prétention c'est que,

dans la plupart des cas, les titres juridiques ne sont pas contestés
comme ne lJét,aien pas, par exemple - pour citer une fois de plus
l'affaire de I'Electricité-, les sentences des tribunaux mixtes.
Je n'ai pas besoin de signaler les innombrables exemples anté-
rieurs à 1930 où l'accès du Portugal aux enclaves a donné lieu à
des divergences de vue et même à de véritables différends. Je me
bornerai à citer la lettre du gouverneur de Goa en date du 12 sep-
tembre 1859 (annexeindienne au contre-mémoire, p. 175) qui parle
des (cdifférends demeurés pendants qui ont depuis si longtemps

séparé les Gouvernements britannique et portugais 1).

Sur le fond, j'estime que l'Inde a triomphé à toutes fins utiles.
Bien qu'à mon avislePortugal n'ait aucun droit de passage, puisque
la Cour a reconnu au Portugal un droit très limité réduit aux per-
sonnes privées, aux marchandises et aux fonctionnaires civils et
puisque l'Inde elle-mêmea déclaré qu'ellen'a pas d'objection au
passage des personnes privées et des marchandises et que le droit
concernant les fonctionnaires civils a peu de conséquence et qu'il

est soumis au pouvoir réglementaire du Gouvernement indien, je
considère que, dans l'ensemble, l'arrêtde la Cour approuve I'atti-
tude prise par l'Inde dans la controverse entre elle et le Portugal
surla question du droit de passage.
Je désire indiquer brièvement les motifs pour lesquels j'en suis
arrivé à la concluiion que le Portugal n'avait pas démontré l'exis-
tence du droit de passage tel qu'il le revendique.
Le Portugal formule dans cette affaire une revendication extra-
ordinaire et sans précédent.Il réclameun droit de transit de Damao

à ses enclaves de Dadra et Na~ar-"veli. sur le territoire indien. Il
admet que son droit ne comporte aucune immunité, directement ni
indirectement. Il reconnaît la souveraineté complète et absolue de
l'Inde sur le territoire sur lequel il revendique un droit de transit.
Il soutient que ce droit aboutit non pas au démembrement de cette
souveraineté, mais seulement à l'acceptation par l'Inde de certaines
obligations à l'égard du Portugal, dans l'exercice de cette souve-
raineté. Le Portu~al a refuséde définirl'étendueou le contenu de ce ~ -
droit qui, selon 1;. a pour but de rendre possible l'exercice dans les

enclaves de la souveraineté portugaise et d'assurer, à cet effet, le
maintien des communications entre Damao et les enclaves. Le
Portugal est incapable d'indiquer à la Cour quelles devraient être
les conditions ou les modalités de ce droit; selon lui, c'est à l'Inde
qu'il appartient de les préciser, aussi longtemps qu'elles n'entrentliaison between Daman and the enclaves. The right she claims is
like a geometrical line between two points without any breadth.

It will be noticed that the subtle distinction drawn by Portugal
between dismemberment of sovereignty and limitation in the exer-

cise of sovereignty is difficult to substantiate. To the extent that
India is sovereign shemust have complete, absolute and unrestricted
right to regulate the passage of goods, men and traffic-and
regulation must include complete prohibition. To the extent that
Portugal claims that India cannot prohibit her passage to the
enclaves it must inevitably mean the dismemberment of her sover-
eignty-it must involve a restraint and limitation of her sovereignty.

It is also difficult to understand how any right of transit can be
without any immunities whatever. This concession makes the right
even more unsubstantial than it already is. Portugal says that she
has no right to object to the manner in which India can regulate
this right. She can impose customs duties. She can prohibit the
entry of certain types of goods, she can insist on prior authorization
before arms or armed men can enter or leave the enclaves. These
are al1immunities which are under the sole competence of India-

but she cannot completely cut off Portugal's communications with
her enclaves. When one analyses the situation, in the ultimate
analysis, Portugal is in fact claiming a right of transit with immuni-
ties. Sheis claiming certain immunities which India cannot change
or abolish. India can prohibit this or that, she can regulate this or
that, but she cannot prohibit or regulate something else. What else
can this be except a claim of a right of transit with immunities,
however limited or restricted they may be? It is merely a futile
exercise in dialectics to Say that Portugal does not wish to interfere
with India's right to regulate the right of transit so long as India
does not make the exercise of that right impossible.

There is one further difficulty about the right which Portugal
claims. In order that the Court should award her that right, the
Court must be in a position clearly to define it-so that it would be

capable of being enforced on the one hand and of being complied
with on the other. But the right claimed by Portugal is a vague,
shadowy, unsubstantial and indefinite right-whose content and
modalities would change from time to time and whose enforceability
would depend upon circumstances asthey change from day to day.
India would determine to what extent the right should be allowed
and even in certain eventualities to suspend it altogether. It would
then be for Portugal to complain of an unlawful act on the part of
India and bring the matter before the Court. So we have a grim pas en conflit avec le droit fondamental du Portugal au maintien

de communications entre Damao et les enclaves. Le droit ainsi
revendiqué pourrait être comparé à une ligne géométrique sans
épaisseur reliant deux points.
On remarquera qu'il est difficile de fournir des justificationsà
l'appui de la subtile distinction établie par le Portugzl entre
démembrement de scuveraineté et restriction à l'exercice de la
souveraineté. Dans la mesure où l'Inde est souveraine, elle doit
posséder, de façon complète, absolue et illimitée, le droit de régle-
menter - et même d'interdire complètement le passage et la
circulation desbiens et des personnes. Dans la mesure où le Portugal
soutient que l'Inde ne peut luiinterdire lepassage vers lesenclaves,
cela implique inévitablement le démembrement de la souveraineté
de l'Inde et cela entraîne la restriction et la limitation de cette
souveraineté.

Il est également difficile de comprendre comment il peut y avoir
droit de transitsansimmunité aucune. En raison de cette concession,
le droit paraît encore plus dépourvu de fondement. Le Portugal
déclare ne pas avoir le droit de faire des objections à la manière
dont l'Inde peut le réglementer. L'Inde peut imposer des droits de
douane. Elle peut interdire l'entrée de certaines catégoriesde biens;
elle peut exiger une autorisation préalable avant que des armes ou
des personnes arméesn'entrent ou ne sortent des enclaves. Toutes
ces immunités relèvent de la seule compétence de l'Inde - elle ne
peut cependant pas couper complètement les communications du
Portugal avec ses enclaves. En dernière analyse, lorsqu'on étudie
cette situation, on constate quele Portugal réclame, enfait,un droit
de transit assorti d'immunités. Il revendique certaines immunités
que l'Inde ne peut ni modifier, ni abolir. L'Inde peut édicter telle

ou telle interdiction ou telle ou telle réglementation. Mais il y a
d'autres choses qu'elle ne peut ni interdire, ni réglementer. De quoi
s'agit-il donc, si ce n'est de la revendication d'un droit de transit
assorti d'immunités, si limitées ou restreintes soient-elles? Ce n'est
qu'un vain exercice de dialectique que de dire que le Portugal ne
prétend pas porter atteinte au droit de l'Inde de réglementer le
droit detransit, tant que l'Inde n'en rend pas l'exercice impossible.
Le droit que revendique le Portugal suscite une difficulté sup-
plémentaire. Pour lui accorder ce droit, la Cour doit êtreà mêmede
le définiravec clarté - afin qu'il puisse, d'une part, êtreappliqué
et, d'autre part, êtrerespecté. Mais le droit que réclame le Portugal
est vague, obscur, sans fondement et indéterminé.Son contenu et
ses modalitésvarieraient avecle temps et la possibilitéde l'appliquer
dépendrait des circonstances, qui changent de jour en jour. C'est

l'Inde qui déciderait dans quelle mesure le droit devrait êtreadmis
et même,dans certains cas, elle pourrait lesuspendre complètement.
C'est au Portugal qu'il appartient alors de se plaindre d'un acte
illicite commis par l'Inde et de soumettre la question à la Cour.
Nous avons ainsi la sombre perspective de litiges sans fin devant la
117prospect of unending litigations in this Court. May 1 be permitted
to quote a passage from Judge Lauterpacht's latest book, which
very succinctly and very appropriately describes what 1have just
been saying :

"It is in accordance with the true function of the Court that
the dispute submitted to it should be determined by its own
decision and not by the contingent operation of an attitude of
accommodation on the part of the disputants."
One thing is clear-if Portugal gets from this Court what she is
asking, the dispute between India and Portugal will not be deter-

rnined by its own decision. The Court will only be sowing seeds for
future disputes and discords.
The Court has consistently emphasized the necessity of finally
settling a dispute (seethe case of Certain GermanInterests in Polish
Upper Silesia and also the Corfu Channel case).
The right claimed by Portugal lacks precision for another reason.
You have to reconcile it between the needs of Portugal to exercise
sovereignty and the regulating power of India to control and
regulate it.
Needs of Portugal is an entirely subjective concept and it is
impossible for the Court to declare a right which can be exercised,
not according to any criterion laid down by the Court, but according
to the subjective determination of Portugal, which determination
may Varyfrom time to time and according to varying circumstances.
On the question of local custom it is undoubtedly true that
throughout the material period there was in fact transit between
Daman and the enclaves-there was a constant and almost con-
tinuous traffic of goods and men. If the establishment cf a local

custom depends merely on a piling up of a large number ofinstances,
then undoubtedly local custom can be said to be established in this
case. But local custom under international law requires much more
than that. It is not enough to have its external manifestation proved;
it is equally important that its mental or psychological element
must be established. It is this all-important element that dis-
tinguishes mere practice or usage from custom. In doing something
or in forbearing from doing something, the parties must feel that
they are doing or forbearing out of a sense of obligation. They must
look upon it as something which has the same force as law. If 1
rnight put it that way, there must be an overriding feeling of
compulsion-not physical but legal. That is what the jurisprudence
on the subject calls the conviction of necessity.1 do not wish to go
into the subtleties of this jurisprudence. But the language of the
Statute of the Court is clear and binding upon the Court. Article 38
(1)(b) lays down one of the sources of international law which the
Court shall apply in decidingdisputes before it. It says:international
custom, as evidence of a general practice accepted as law.Cour. Qu'il me soit permis de citer un passage du dernier livre du
juge Lauterpacht qui exprime ce que je viens de dire avec concision
et exactitude :

((Il est conformeau véritablerôle dela Courque le différenddont
elle est saisie soit tranché par sa propre décisionet non pas par le
jeu éventuelde l'attitude accommodanteadoptéepar les parties en
litige.

Une chose est claire: si le Portugal obtient de la Cour ce qu'il
souhaite, le litige entre l'Inde et le Portugal ne sera pas tranché par
la décision de la Cour. Elle ne fera que semer, pour l'avenir, les
germes de différends et de discorde.
La Cour a toujours soulignéla nécessitéde trancher un litige de
façon définitive (voir l'affaire relativeà certains intérêa tsllemandsen
Haute-Silésiepolonaise et celle du détroitde Corfou).
Le droit revendiqué par le Portugal manque de précision pour

une autre raison encore. Il faut le concilier à la fois avec les besoins
du Portugal dans l'exercice de sa souveraineté et avec le pouvoir
qu'a l'Inde de réglementer et de .contrôler ce droit.
Les besoins du Portugal sont une notion tout à fait subjective et
il est impossible pour la Cour de constater l'existence d'un droit
susceptible d'êtreexercé non pas selon un critère formulé par la
Cour, mais selon la définition subjective du Portugal, définition qui
peut varier avec le temps et les circonstances changeantes.
Pour ce qui est de la coutume locale, il est vrai, sansaucun doute,
que pendant toutela périodequi nous intéresse, il y a effectivement
eu transit entre Damao et les enclaves - il y a eu une circulation
incessante et presque continue de biens et de personnes. S'il suffit,
pour créerune coutume locale, d'accumuler de nombreux exemples,

l'on peut alors, sans aucun doute, dire qu'il y a eu, dans ce cas,
création d'une coutume locale. Mais en droit international, il faut
beaucoup plus que cela pour qu'il y ait coutume locale. Il ne suffit
pas d'apporter la preuve de sa manifestation extérieure; il est
égalementimportant d'en établir l'élément moral oupsychologique.
C'est cet élément essentiel qui distingue la coutume d'une simple
pratique ou d'un usage. Lorsque les parties agissent ou s'abstien-
nent d'agir d'une certaine manière, elles doivent avoir le sentiment
d'obéirà une obligation. Cette obligation doit avoir à leurs yeux la
même forceque la loi. Si je puis m'exprimer ainsi, il faut qu'un
sentiment de contrainte - non pas physique mais juridique -
l'emporte sur tout. C'est ce que les auteurs appellent la conviction

de la nécessité.Je n'ai pas l'intention d'aborder les subtilités de la
doctrine en cette matière. Mais les termes du Statut de la Cour sont
clairs et obligatoires pour la Cour. L'article 38, paragraphe I b,
définitl'une des sources du droit international appliqué par la Cour
pour trancher les différends qui lui sont soumis. Il mentionne ((la Now, from 1818right down to 1954, there is not a single instance
on record where Portugal has claimed the transit or passage as a
right, or where Britain or Indi? has adrnitted an obligation on their

part to grant it. When one goes through the details-set out in such
wealth in the pleadings-it is a case of permission or authorization
granted by the Indian authorities, of permission or authorization
modified or even permission or authorization revoked and even
transit of certain types of goods and certain kinds of personnel
completely prohibited.
The record contains several instances of complete prohibition of
certain kinds of goods, and also of goods being made subject to the
payment of customs duty. See, for instance, the prohibition of salt
from Daman, the prohibition in British India of country liquor
and other articles connected with its manufacture from any Portu-
guese territory, and the complete prohibition of al1imports by land
into Daman during the war years of 1939-1945.

The Barcelona Conference is important for the fact that, under
Article 14 of the Convention, it was implicit that separate and
special provisions with regard to enclaves, including the enclaves
we are considering in this case, were to be made by the countries

concerned. There was no suggestion at this Conference, by Por-
tugal, that she had any right of transit. The question was to be
regulated, not on the basis of any right but on the basis of an
agreement to be arrived at between Portugal and India.
It may be that Portugal realized the necessity of maintaining a
liaison with her enclaves. But Portugal's necessity does not consti-
tute the conviction of necessityrequired for a local custom to which
effect can be given. There must be an equally clear realization on
the other side of an obligation to respect this necessity. And we
seek in vain to find any such realization in the whole of the record,
from 1818 till 1954, when both the enclaves were lost to Portugal.
Concessions were made from time to time, both by the British and
Indian Governments, but they were on the basis of either reciprocity
or good-neighbourliness; but never on the basis of accepting a past
practice as having the force of law. The record clearly shows that
it was British interests, not asense of obligation to the Portuguese,
that guided Indian officials. They were prepared to help the Portu-
guese but only if it was convenient to do so. When they did so

they were granting a request, not respecting a right.

At best and at the highest, Portugal has only established a series
of revocable acts of courtesy and accommodation on the part of
the British authorities.
The basis of the passage, as stated by Portugal herself, was the
nile of good neighbourhood and international CO-operation-moral coutume internationale comme preuve d'une pratique générale
acceptée comme étant le droit ».
Or, de 1818 à 1954, il n'est pas au dossier un seul cas où le
Portugal ait revendiqué comme un droit le transit ou le passage;
il n'est pas un seulcas où la Grande-Bretagne ou'Inde aient reconnu
avoir l'obligation de l'accorder. Lorsque l'on étudie les détailssi
abondamment exposés dans les écritures -, on s'aperçoit qu'il
s'agit de permissions ou d'autorisations accordéespar les autorités
indiennes, permissions ou autorisations modifiées ou mêmesup-

primées, et mêmede prohibitions totales du transit pour certaines
catégories de biens et de personnes.
L'on trouve dans le dossier la mention de plusieurs cas où cer-
taines catégories de biens ont fait l'objet d'une interdiction absolue,
ainsique de cas où des droits de douane ont étéperçus sur des biens.
Voir, par exemple, l'interdiction d'importer du sel en provenance
de Damao et d'importer en Inde britannique l'alcool du pays et
autres produits se rapportant à sa fabrication et provenant de tout
territoireportugais; enfin, l'interdiction absolue detoute importation
à Damao par voie deterrependant les années deguerre 1939 à 1945.
La conférencede Barcelone est importante du fait quel'article 14
de la convention a implicitement prévu que les pays intéressés
prendraient des dispositions distinctes et spéciales à l'égard des
enclaves, y compris les enclaves que nous envisageons dans la
présente espèce. Le Portugal n'a pas laissé entendre, au cours
de cette conférence, qu'il eût le moindre droit detransit.La question
devait êtretranchée non pas sur la base d'un droit, mais sur la

base d'un accord auquel devaient parvenir le Portugal et l'Inde.
Peut-être le Portugal s'est-il rendu compte de la nécessitéde
maintenir les communications avec ses enclaves. Mais la nécessité
éprouvée par le Portugal ne constitue pas la conviction de la
nécessitéqui est exigéepour qu'une coutume locale puisse produire
effet. Il faut que l'autre partie ait aussi clairement conscience d'une
obligation de respecter cette nécessité.Et c'est en vain que l'on en
cherche le signe dans tout le dossier, de818 à1954 ,uand les deux
enclaves ont étéperdues pour le Portugal. De temps à autre les
Gouvernements britannique et indien ont fait des concessions, mais
c'était sur une base de réciprocitéou de bon voisinage, et jamais en
reconnaissant une pratique antérieure comme ayant force de loi.
II ressort clairement du dossier que les fonctionnaires indiens
étaient guidés non par le sentiment d'une obligation à l'égard des
Portugais, mais par les intérêtsbritanniques. Ils étaient disposés
à aider les Portugais, mais seulement si c'était opportun. Ce faisant

ils accueillaient une requête, ils ne respectaient pas un droit.
Au mieux, et dans l'hypothèse la plus favorable, le Portugal n'a
fait que démontrer l'existence d'une séried'actes révocables, faits
par les autorités britanniques par courtoisie et pour rendre service.
Le Portugal lui-mêmea préciséque le passage avait pour fonde-
ment la règle de bon voisinage et de coopération internationale -
119122 RIGHT OF PASSAGE (DISS. OPIN. OF JUDGE CHAGLA)

principles which lack a legal content (see the Portuguese Note to
Government of India of 11/2/54-Annex 40 to the Portuguese
Memorial).

In my opinion, therefore, Portugal has failed to establish any
local custom even with regard to a limited right of passage. In the
result, she is not entitled to any relief and her Application should
be dismissed.principes de morale dépourvus de contenu juridique (vlarnote
portugaise au Gouvernement de l'Inde IIfévrier1954, annexe 40
au mémoireportugais).
A mon avis, le Portugal n'a donc pas démontrél'existence d'une
,coutume locale mêmeen ce qui concerne un droit de passage limité.
En conséquence,il n'a droàtaucun recours et sa requêtedoit être
rejetée.

(Signé ).C. CHAGLA.

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Document Long Title

Opinion dissidente de M. Chagla (traduction)

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