Opinion individuelle de M. Tarazi

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062-19781219-JUD-01-05-EN
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062-19781219-JUD-01-00-EN
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OPINION INDIVIDUELLE DE M. TARAZI

J'ai votéen faveur du dispositif de l'arrêtde la Cour. Toutefois, étant
donnéla complexitédes problèmesque celle-cieut à envisager en vue de
s'assurer de sa compétence,je me suis trouvédans la nécessitd'exposer
certaines idéesqui n'ont pas étéincluses dans les motifs de l'arrêt.

Mes observations ne porteront pas sur l'Acte générald'arbitrage de
Genèvede 1928,quej'ai considéré commeinapte àaccordercompétence à
la Cour de trancher le différend. Maisle Gouvernementhellénique avait
soutenu qu'ilexistaitun autreinstrumentjuridique susceptible d'asseoirla
saisinedelaCour, àsavoir lecommuniquéconjointdeBruxellesdu 3 1 mai
1975auquel étaient parvenus les deux premiers ministres de Grèceet de
Turquie.

Les débatsont égalementrévélé l'existenced'un autre instrumentjuri-
dique liant les deux Etats et qui dépasse en importance le communiqué
conjoint de Bruxelles.Il s'agitdu traité gréco-turcd'amit,e neutralité,
de conciliation et d'arbitrage, signé Ankara le 30octobre 1930, dont
l'échange desratificationsaeu lieu Athènesle5octobre 1931et qui a été
publiédansle Recueildes traités delaSociété desNation. ans salettre du
10 octobre 1978, le Gouvemement turc n'a pas déniél'existence et la
validitédecetraité.LeGouvemement hellénique,tout enenreconnaissant
l'existencen'a pas, au cours de la procédureorale,entendu s'enprévaloir
pour justifier la compétence de la Cour.

Celle-ci n'étaitpas moins tenue, en dépit de l'attitude de la Grèce,
rechercher par tous les moyens en sa possession s'ilexistait un lien quel-
conque entre les dispositions du communiqué conjoint de Bruxelles et
cellesdu traité gréco-turcde 1930et en déduirelaconclusionlogique qui
s'impose. L'objet de mon opinion individuelle est de tenter d'expliquer

cette situation originale. Je me propose donc d'envisager les points
suivants:

1. La naturejuridique du communiquéconjoint de Bruxelleset l'obli-
gationjuridique qui en découle;
2. Le pouvoir que possèdela Cour d'utiliser, au cours des recherches
entreprises pour s'assurer de sa compétence,les dispositions du traité
gréco-turcde 1930;
3. Laconséquencequi s'imposedansl'hypothèsedel'existenced'unlien
entre le communiqué conjoint de Bruxelles et le traité gréco-turc de
1930. Le communiqué conjoint adopté par les chefs des Gouvernements
hellène et turc est ainsi libellé:
((Ils [les deux premiers ministres] ont décidé queces problèmes
[pendants entre lesdeuxpays] doiventêtrerésoluspacifiquement par

la voiedes négociationsetconcernant leplateaucontinental de la mer
Egéepar la Cour internationale de La Haye.
Il résulte de sa lecture que le communiqué conjoint contient trois
éléments:

a) celui de la ((décision >)ou, en d'autres termes, de la constatation de
l'accord auquel les parties sont parvenues au sujet de la solution des
questions litigieuses qui les divisent;
b) celui de la précision, ledifférendau sujet du plateau continental de la

mer Egéeayant étébien mis en évidence;
c) celui du choix du mode de solution du différend en question par la
désignation de la Cour internationale de Justice, en tant qu'organe
chargéde le résoudre.

On a cependant allégué que le communiquéconjoint de Bruxellesétait
dépourvude valeurjuridique et qu'il ne pouvait avoir pour conséquence
d'attribuer compétence à la Cour.
Cette manièredevoirestdémentieparlesdonnéesactuellesdelascience
juridique. Celle-ciaréaliséd ,epuis lafindela secondeguerremondiale, des
progrès considérables. L'attachement auformalisme verbal et technique
qu'onnemanquepas derencontrerdans lesouvragespubliésdans cequ'on

est convenu de désigner sous le vocablede la périodede <l'entre-deux-
guerres )n'estplus de mise.Cequiimporteaujourd'hui, c'estlarecherche
de l'accord des parties et la constatation de leur volonté commune.Le
paragraphe 1de l'article2 de la convention de Vienne de 1969sur le droit
des traités a bien mis en évidencecet étatde fait quand il déclare:

(<1) Aux fins de la présente convention:
a) l'expression traité s'entend d'un accord international conclu
par écrit entre Etats et régipar le droit international, qu'il soit

consignédans uninstrumentunique oudansplusieursinstruments
connexes, et quelle quesoit sa dénomination particulière. (Les
italiques sont de moi.)

Cette disposition n'estpas nouvelle.Ledroitmusulmanavaitdéjàprévu
que (dans lesconventions, ilfaut considérerl'intentiondesparties, et non
pas le sens littéral des mots et des phrases employés ))(traduction de
l'arabe: Al ibratoufil Cuqoudlil makasidi oual mdani, la lil alfazi oual
mabani) 1.

1Voir George A. Young, deuxièmesecrétaire àl'ambassade d'Angleterr àeCons-
tantinople:Corpsde droit ottomanvol. VI, Oxford, Clarendon Press,906,p. 178.

57 Le Code civilfrançaisa prévu,en son article 1156, ((qu'on doit dans les
conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties
contractantes, plutôt que de s'arrêterau sens littéral des termes )).
Ce n'est donc pas parce quelecommuniquéconjoint de Bruxellesne se
présentepas sousla forme d'un traitéou d'une convention qu'il faillelui

dénier toute valeur juridique. Il est d'ailleurà remarquer que l'époque
moderne est caractérisée,dansle domaine des relations internationales,
par la multiplicationdescommuniquésconjointsqui sont publiés à l'issue
des rencontres de chefs d'Etat, de chefs de gouvernement et de ministres
des affaires étrangères. Ces communiqués mentionnent en général des
affirmationsqui rentrent dans les deux catégoriessuivantesou dans l'une
d'elles seulement:

a) soit l'exposéd'une attitude déterminéeet précise au sujet d'un ou
plusieurspoints qui sont l'objet d'undébatau sein de la communauté
internationale ou mondiale. C'est ainsi qu'on prend position sur le
désarmement,lacrisedu Moyen-Orient, ledroit du peuplepalestinien à
l'autodétermination, la discrimination raciale, etc.;
b) soitl'engagementde faire ou de nepas faireune chosedéterminéeou de
souscrire à une certaine prestation.

Il résulte de cette classification que les matières qui composent la
première catégorieont un caractère essentiellement politique et ne sont
sanctionnéespar le droit que si elles sont incluses dans un ou plusieurs
instrumentsjuridiques postérieurement adoptés.
En ce qui concerne les engagements qui rentrent dans la deuxième

catégorie,on peut, à la lueur des développementsrécentsdu droit et de la
pratique internationaux les considérercomme ayant, à partir du moment
où le communiquéconjoint a étéadopté,créé desobligations à la charge
des Etats intéressés.
Cette manière de voir est confirmée par des exemples concrets. On
connaît lesdéclarationsauxquelles ont souscrit les Puissancesalliéesdela
coalition anti-hitlérienneà l'issue de la seconde guerre mondiale. Il faut
ajouter que des déclarations unilatérales ont eu pour effet de créer des
obligationsjuridiques. Telle a étélaportéede laproclamationTruman sur
le plateau continental. Nous voudrions, afin de mieux illustrer notre
pensée,fournir deux exemples typiques de déclarations unilatérales qui

ont produit des effets juridiques.
On sait que l'Egypte,occupéepar lestroupes anglaisesdepuis 1881,était
demeurée vassale de l'Empire ottoman. En 1914, par une déclaration
unilatérale,leRoyaume-Uni décida demettrefin àcesliensdevassalité
et de placer l'Egypte sous le protectorat britannique pour la durée de la
guerre. Le 28 février1922,lord Allenby, haut-commissairedu Royaume-
Uni au Caire, communiqua au sultan Fouad une ((déclaration ))aux
termes de laquelle leGouvernement de SaMajestéterminait leprotectorat
et reconnaissait l'indépendance de l'Egypte sous quatre réserves.
La déclaration du 28 février1822a produit tous ses effets. En vue de58 MER ÉGÉE (OP. IND. TARAZI)

mettre fin aux réserves qu'ellecontenait, le Gouvernement égyptiendut
entreprendre avecceluidu Royaume-Unides négociationslaborieusesqui

aboutirent, le 26août 1936, à la signature à Londres du traité anglo-
égyptien d'alliance 1.
La Syrie et le Liban étaient depuis 1920placés sousle mandat de la
France conformémentauxdispositions du paragraphe 4 de l'article22 du
Pacte de la SociétédesNations. Les traitésque la Franceavait signésavec
la Syrie,le9septembre 1936 à Paris,et avecleLiban, le 13novembre 1936
à Beyrouth, avaient pour objet de mettre fin au mandat et de préluder à
l'admission des deux pays à la Sociétédes Nations. Le Parlementfrançais
n'ayant pas ratifiéles deux traités en question, le mandat demeurait en

vigueur le 3septembre 1939,jour du déclenchementde la seconde guerre
mondiale, dans les deux pays.
Au cours de laguerreintervint un événemenitmportant. Le 8juin 1941,
lesForcesfrançaiseslibres, deconcert aveclesforcesalliées,pénétrèrenten
Syrie et au Liban afin de dégager les deuxEtats de l'emprisede ce qu'on
appelait le Gouvernement de Vichy. Le mêmejour, le général Catroux
proclama, au nom du généralde Gaulle, chef de la France libre et
combattante, àl'aidede tracts lancéspar la voie aérienne,l'indépendance

desdeux pays. LegénéraC l atrouxdisaitensubstance: (<Nous venonschez
vous pour que le mandat cesse. ))
Cette déclaration unilatérale d'indépendancefut réitérée à deux re-
prises. Le général Catroux la proclama solennellement le 27 septembre
1941enprésenceduprésidentdelaRépubliquesyrienneetle26novembre
1941devant le chef du Gouvernementlibanais. Il l'assortit cependant de
réservesdont la plus importante concernait les obligations auxquelles le
Gouvernement français était tenu en vertu de l'acte de mandat. Seule la

Société desNations oul'organisationqui laremplaceraitpouvait,aux yeux
du général Catroux, délier la Francedes obligations en question.
Grâce àladéclarationinitialeproclaméepar legénéraC l atrouxle 8juin
1941,lesGouvernements syrien et libanais furent invités àparticiper àla
conférencede San Francisco et signèrent donc la Charte des Nations
Unies. Celle-ci a prévuen son article 77 que les territoires placéssous le
mandatde la Société desNations seraient placéssouslatutelledes Nations
Unies. Cependantl'article 78delaChartedéclaraque (lerégimedetutelle

ne s'appliquera pas aux pays devenus Membres des Nations Unies, les
relations entre celles-cidevant être fondées surle respect du principe de
l'égalitésouveraine )).
Cet article de la Charte a ainsi disposé de la réserveque le général
Catroux avait émiseau sujet desobligationsinternationales de la France.
Cette remarqueressortclairement du commentaire de la Charteétablipar
Leland M.Goodrich, EdvardHambro etAnnePatricia Simonsou on peut
lire ce qui suit au sujet de l'article78:

1 Voir AndréGros, ((Le statut internationalactuel de 1'E>>p,evue de droit
international.37.59 MER ÉGÉE (OP.IND. TARAZI)

[Traduction]
((La situation de la Syrie et du Liban, tous deux territoires sous
mandat à l'époquede la Société desNations, était à cet égardparti-
culièrement pertinente. Leur indépendance avait été proclamée en

1941, étant entendu que des traités redéfinissantles droits de la
France dans la région seraientconclus. Ils ne l'avaient pas encore été
au moment de la conférencede San Francisco; les deux pays ont
néanmoinsété invitésàparticiperà celle-ciet sont devenus Membres
originaires des Nations Unies 1.))

Ainsi donc desdéclarationsunilatéralesou conjointes peuvent êtreune
source de droit. Dans son arrêt du 5 avril 1933,la Cour permanente de
Justice internationale a décidédans l'affairedu Statutjuridique du Groën-
land orientalqu'il en étaitainsi:

<<La Cour considère comme incontestable qu'une telle réponse à
une démarche du représentant diplomatique d'une Puissance étran-
gèrefaite par le ministre des Affaires étrangèresau nom du Gouver-
nement, dansune affairequi estdesonressort, lielepays dont ilestle
ministre.))(C.P.J.I. sérieA/B no53, p. 71.)

Nous sommes donc en mesure d'affirmer que la décisionde déférerla
questionduplateau continental de la mer Egée à la Courinternationale de
Justice est une décisiond'ordrejuridique et non politique. Elle doit donc
produire des effetsjuridiques. Quelssont cesderniers? En d'autres termes,
lecommuniquéconjointde Bruxellesdu 31mai 1975peut-ilêtreassimilé à

un compromis et est-ilà lui seulsuffisantpourjustifier lacompétence dela
Cour .?
Nous ne saurions aller aussi loin dansnotre raisonnement. Le cornmu-
niquén'apas définid'une manièreconcrèteet préciselesquestionsquela
Courseraitappelée à trancher.La seuleobligation qu'il metà lacharge des
deux parties est celle de négocier etde se mettre d'accord sur le texte du
compromis. Telle est la conclusion à laquelle je suis parvenu à son
sujet.

L'existenceet la validitédu traité gréco-turcde 1930n'ayant étédéniées
par aucunedespartiesen cause,ilestnécessaired'enexaminerleseffetssur
la présente instance.
L'article 21 du traité prévoitqu'en cas d'échecde la procédure de

conciliation entre lesparties celles-ci oul'uned'ellespourraient s'adresser
à la Cour permanente de Justice internationale. La Cour n'a pas entendu

1VoirLelandM.Goodnch,EdvardHambroetAnnePatnciaSimons, Charterofthe
UniteNdations,New Yorket Londres,1969, p.487.retenir ce motif de compétencepour la raison que la Grèce, Etat deman-
deur, n'a pas entendu s'en prévaloir, la Turquie, Etat défendeur, s'étant
tenue à l'écartde toute la procédure.
Je voudrais résumerma position sur ce point en affirmant:

a) que, dans l'exercice de sa fonctionjuridictionnelle, la Cour doit être
guidéepar touslesmoyensjuridiques qu'elle esten mesure de découvrir
au cours de ses investigations.Le professeur Gaston Jèze affirme, à
juste titre,que l'acte juridictionnel est la manifestation de volonté,en
exerciced'un pouvoir légal,quia pour objet deconstater une situation
juridique (généraleou individuelle) ou des faits, avec force de vérité
légale 1O;

b) tant qu'elle netouchepas à lalibertéquepossèdeun Etatde déclinersa
compétence, la Cour internationale de Justice est dans l'obligation
d'examiner celle-ci. C'est en tout cas l'opinion formulée par le juge
Basdevant à l'occasion de l'arrêt du6 juillet 1957 sur les Emprunts
norvégiens:

<Lorsqu'il s'agitde statuer sur sa compétenceet surtout destatuer
sur la portée d'une exception à sa compétence obligatoire dont le
principe a étéadmis entre les Parties, la Cour doit par elle-même
rechercher avec tous les moyens dont elle disposequel est le droit. ))
(C.I.J. Recueil 1957, p. 74.)

Ayant ainsi analysé lasituation qui ressort des piècesécrites,des plai-
doiries et des documents versésau dossier de l'affaire,je voudrais briève-
ment résumerles conséquencesqui en découlent:

a) lecommuniquéconjoint de Bruxellesdu 31mai 1975aimparti auxdeux
partiesl'obligationjuridique de négocierlecompromispar lequel serait
saisie la Cour de leur différend;
b) laTurquieayant refuséde reconnaîtreun effetjuridique quelconque au
communiqué conjoint de Bruxelles, un <différend >)est néentre la
Grèce et la Turquie;
c) ce différend devrait êtrerégléconformément au traité gréco-turc du

30 octobre 1930;
d) le traité en question prévoit le recours,d'abordà la conciliationet, en
cas d'échecde celle-ci, la possibilitéde s'adresserà la Cour;
e) la Courdevrait, leschoses étantcequ'ellessont,déclarerirrecevable la
requêteintroductived'instancede laGrèce,motif pris decequ'elleaété
prématurément introduite.

Je devrais me contenter d'opter pour l'irrecevabilité.Mais la Turquie,
Etat défendeur,n'apas, ainsiqueje l'aidéjàdit, faitacte deprésence.Ellea

1 GastonJèze,Lesprincipes généradudroit administratif, 3eéd.,vParis,1924,
p. 48.entendu faire défaut. Les dispositions du paragraphe 2 de l'article 53 du
Statut enjoignentla Cour, dans cecas précis, d'examiner sacompétence.
En l'étatactueldu dossier,ellene sauraitdéclarerl'action irrecevableavant
d'avoir examinésa compétence. Tellessont les raisonsqui m'ont incité
l'adoption du dispositif de l'arrêt.

(Signé S). TARAZI.

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OPINION INDIVIDUELLE DE M. TARAZI

J'ai votéen faveur du dispositif de l'arrêtde la Cour. Toutefois, étant
donnéla complexitédes problèmesque celle-cieut à envisager en vue de
s'assurer de sa compétence,je me suis trouvédans la nécessitd'exposer
certaines idéesqui n'ont pas étéincluses dans les motifs de l'arrêt.

Mes observations ne porteront pas sur l'Acte générald'arbitrage de
Genèvede 1928,quej'ai considéré commeinapte àaccordercompétence à
la Cour de trancher le différend. Maisle Gouvernementhellénique avait
soutenu qu'ilexistaitun autreinstrumentjuridique susceptible d'asseoirla
saisinedelaCour, àsavoir lecommuniquéconjointdeBruxellesdu 3 1 mai
1975auquel étaient parvenus les deux premiers ministres de Grèceet de
Turquie.

Les débatsont égalementrévélé l'existenced'un autre instrumentjuri-
dique liant les deux Etats et qui dépasse en importance le communiqué
conjoint de Bruxelles.Il s'agitdu traité gréco-turcd'amit,e neutralité,
de conciliation et d'arbitrage, signé Ankara le 30octobre 1930, dont
l'échange desratificationsaeu lieu Athènesle5octobre 1931et qui a été
publiédansle Recueildes traités delaSociété desNation. ans salettre du
10 octobre 1978, le Gouvemement turc n'a pas déniél'existence et la
validitédecetraité.LeGouvemement hellénique,tout enenreconnaissant
l'existencen'a pas, au cours de la procédureorale,entendu s'enprévaloir
pour justifier la compétence de la Cour.

Celle-ci n'étaitpas moins tenue, en dépit de l'attitude de la Grèce,
rechercher par tous les moyens en sa possession s'ilexistait un lien quel-
conque entre les dispositions du communiqué conjoint de Bruxelles et
cellesdu traité gréco-turcde 1930et en déduirelaconclusionlogique qui
s'impose. L'objet de mon opinion individuelle est de tenter d'expliquer

cette situation originale. Je me propose donc d'envisager les points
suivants:

1. La naturejuridique du communiquéconjoint de Bruxelleset l'obli-
gationjuridique qui en découle;
2. Le pouvoir que possèdela Cour d'utiliser, au cours des recherches
entreprises pour s'assurer de sa compétence,les dispositions du traité
gréco-turcde 1930;
3. Laconséquencequi s'imposedansl'hypothèsedel'existenced'unlien
entre le communiqué conjoint de Bruxelles et le traité gréco-turc de
1930. SEPARATE OPINION OF JUDGE TARAZI

[Translation]

1 voted in favour of the operative paragraph of the Judgment. At the
same time,given thecomplexity of theproblemsthe Court had to consider
in order to ascertain whether it hadjurisdiction, 1find myself impelled to
present certain ideas which werenot included in the grounds givenfor the
decision.
My observations will not concern the Geneva General Act of 1928,
which 1regarded as incapable of conferringjurisdiction on the Court to
decide the dispute. But the Government of Greece had maintained there
was another legal instrument on which the seisin of the Court could be
founded, namely the BrusselsJoint Communiquéof 31 May 1975,agreed
between the Prime Ministers of both countries, Greece and Turkey.

The oral proceedings also revealed the existence of another legal instru-
ment binding the two States, one exceeding the Brussels Joint Communi-
qué in importance. This is the Greco-Turkish Treaty of Friendshp,

Neutrality, Conciliation and Arbitration signed at Ankara on 30 October
1930,the instruments of whose ratification were exchanged at Athens on
5 October 1931and which was published in the League of Nations Treaty
Series. In its letter of 10October 1978the Government of Turkey did not
deny the existence or validity of ths treaty. The Government of Greece,
while acknowledging its existence, did not, in the course of the oral
proceedings,think fit to availitselfofit inorder tofound thejurisdiction of
the Court.
Despite this attitude on the part of Greece, it was nevertheless incum-
bent on the Court to ascertain by al1means in its possession whether there
was any link between the provisions of the Brussels Joint Communiqué
and those of the 1930Greco-TurkishTreaty and drawthe necessary logical
conclusion therefrom. The purpose of my separate opinion is to try to
explain thisoriginalsituation. 1thereforepropose to consider the following
points:

1. The legal nature of the Brussels Joint Communiqué and the legal
obligation to which it gives rise.
2. The powerwhich the Court possessesto make useof theprovisions of
the 1930 Greco-Turkish Treaty in its research directed to ascertaining
whether it has jurisdiction.
3. The necessary conclusion to be drawn in the event of there being a
link between the BrusselsJoint Communiquéand the 1930Greco-Turkish
Treaty. Le communiqué conjoint adopté par les chefs des Gouvernements
hellène et turc est ainsi libellé:
((Ils [les deux premiers ministres] ont décidé queces problèmes
[pendants entre lesdeuxpays] doiventêtrerésoluspacifiquement par

la voiedes négociationsetconcernant leplateaucontinental de la mer
Egéepar la Cour internationale de La Haye.
Il résulte de sa lecture que le communiqué conjoint contient trois
éléments:

a) celui de la ((décision >)ou, en d'autres termes, de la constatation de
l'accord auquel les parties sont parvenues au sujet de la solution des
questions litigieuses qui les divisent;
b) celui de la précision, ledifférendau sujet du plateau continental de la

mer Egéeayant étébien mis en évidence;
c) celui du choix du mode de solution du différend en question par la
désignation de la Cour internationale de Justice, en tant qu'organe
chargéde le résoudre.

On a cependant allégué que le communiquéconjoint de Bruxellesétait
dépourvude valeurjuridique et qu'il ne pouvait avoir pour conséquence
d'attribuer compétence à la Cour.
Cette manièredevoirestdémentieparlesdonnéesactuellesdelascience
juridique. Celle-ciaréaliséd ,epuis lafindela secondeguerremondiale, des
progrès considérables. L'attachement auformalisme verbal et technique
qu'onnemanquepas derencontrerdans lesouvragespubliésdans cequ'on

est convenu de désigner sous le vocablede la périodede <l'entre-deux-
guerres )n'estplus de mise.Cequiimporteaujourd'hui, c'estlarecherche
de l'accord des parties et la constatation de leur volonté commune.Le
paragraphe 1de l'article2 de la convention de Vienne de 1969sur le droit
des traités a bien mis en évidencecet étatde fait quand il déclare:

(<1) Aux fins de la présente convention:
a) l'expression traité s'entend d'un accord international conclu
par écrit entre Etats et régipar le droit international, qu'il soit

consignédans uninstrumentunique oudansplusieursinstruments
connexes, et quelle quesoit sa dénomination particulière. (Les
italiques sont de moi.)

Cette disposition n'estpas nouvelle.Ledroitmusulmanavaitdéjàprévu
que (dans lesconventions, ilfaut considérerl'intentiondesparties, et non
pas le sens littéral des mots et des phrases employés ))(traduction de
l'arabe: Al ibratoufil Cuqoudlil makasidi oual mdani, la lil alfazi oual
mabani) 1.

1Voir George A. Young, deuxièmesecrétaire àl'ambassade d'Angleterr àeCons-
tantinople:Corpsde droit ottomanvol. VI, Oxford, Clarendon Press,906,p. 178.

57 AEGEAN SEA (SEP.OP.TARAZI) 56

TheJoint Communiquéadopted by the Prime Ministers of Greece and
Turkey contains the following words:

"They [the two Prime Ministers] decided that those problems
[pending between the twocountries]should be resolved peacefully by
means of negotiations and as regards the continental shelf of the
Aegean Sea by the International Court at The Hague."

Perusal of this text reveals that the Joint Communiqué contains three
elements:
(a) the element of "decision" or, in other words, the placingon record of
the agreement reached by the parties on the solution of the issues in
dispute between them;

(b) the element of specification, with prominence having been given to the
dispute conceming the continental shelf of the Aegean Sea;
(c) the element of choice of method for the solution of the dispute in
question, by thedesignation of theInternational Court ofJusticeas the
organ to be entrusted with its decision.
It has, however, been alleged that the BrusselsJoint Communiqué was

devoid of legal value and could not have the consequence of conferring
jurisdiction on the Court.
This viewiscontradicted by the prevailing tenets of legal theorytoday.
Thephilosophy of lawhasmadeconsiderable progress since theend of the
SecondWorldWar. Theattachment to verbal and technicalformalism still
to be found in works published in what is known for convenience as the
"inter-war period" is no longer appropriate. What matters today is the
search forthe agreementbetween theparties and theascertainment of their
common will. This is a fact which is plainly attested by paragraph 1 of
Article 2 of the 1969Vienna Convention on the Law of Treaties, whch
reads as follows:

"For the purposes of the present Convention:
(a) 'treaty' means an international agreement concluded between
Statesinwrittenform and govemed by international law,whether
embodied in a single instrument or in two or more related in-

struments and whatever its particular designation;"(emphasis
added).
This provision wasno novelty. Islamiclawhad already provided that "in
conventions, one must consider the intention of the parties and not the
literal meaning of the words and phrases employed" (in Arabic: " 'Al
ibratou fil 'ouqoudlil makasidi wal ma'ani,la lil alfazi wal mabani") '.

'SeeGeorge A.Young,SecondSecretaryof theBritishEmbassy at Constantinople:
Corpsde droit ottomanVol.VI, Oxford,Clarendon Press, 1906p,.178.

57 Le Code civilfrançaisa prévu,en son article 1156, ((qu'on doit dans les
conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties
contractantes, plutôt que de s'arrêterau sens littéral des termes )).
Ce n'est donc pas parce quelecommuniquéconjoint de Bruxellesne se
présentepas sousla forme d'un traitéou d'une convention qu'il faillelui

dénier toute valeur juridique. Il est d'ailleurà remarquer que l'époque
moderne est caractérisée,dansle domaine des relations internationales,
par la multiplicationdescommuniquésconjointsqui sont publiés à l'issue
des rencontres de chefs d'Etat, de chefs de gouvernement et de ministres
des affaires étrangères. Ces communiqués mentionnent en général des
affirmationsqui rentrent dans les deux catégoriessuivantesou dans l'une
d'elles seulement:

a) soit l'exposéd'une attitude déterminéeet précise au sujet d'un ou
plusieurspoints qui sont l'objet d'undébatau sein de la communauté
internationale ou mondiale. C'est ainsi qu'on prend position sur le
désarmement,lacrisedu Moyen-Orient, ledroit du peuplepalestinien à
l'autodétermination, la discrimination raciale, etc.;
b) soitl'engagementde faire ou de nepas faireune chosedéterminéeou de
souscrire à une certaine prestation.

Il résulte de cette classification que les matières qui composent la
première catégorieont un caractère essentiellement politique et ne sont
sanctionnéespar le droit que si elles sont incluses dans un ou plusieurs
instrumentsjuridiques postérieurement adoptés.
En ce qui concerne les engagements qui rentrent dans la deuxième

catégorie,on peut, à la lueur des développementsrécentsdu droit et de la
pratique internationaux les considérercomme ayant, à partir du moment
où le communiquéconjoint a étéadopté,créé desobligations à la charge
des Etats intéressés.
Cette manière de voir est confirmée par des exemples concrets. On
connaît lesdéclarationsauxquelles ont souscrit les Puissancesalliéesdela
coalition anti-hitlérienneà l'issue de la seconde guerre mondiale. Il faut
ajouter que des déclarations unilatérales ont eu pour effet de créer des
obligationsjuridiques. Telle a étélaportéede laproclamationTruman sur
le plateau continental. Nous voudrions, afin de mieux illustrer notre
pensée,fournir deux exemples typiques de déclarations unilatérales qui

ont produit des effets juridiques.
On sait que l'Egypte,occupéepar lestroupes anglaisesdepuis 1881,était
demeurée vassale de l'Empire ottoman. En 1914, par une déclaration
unilatérale,leRoyaume-Uni décida demettrefin àcesliensdevassalité
et de placer l'Egypte sous le protectorat britannique pour la durée de la
guerre. Le 28 février1922,lord Allenby, haut-commissairedu Royaume-
Uni au Caire, communiqua au sultan Fouad une ((déclaration ))aux
termes de laquelle leGouvernement de SaMajestéterminait leprotectorat
et reconnaissait l'indépendance de l'Egypte sous quatre réserves.
La déclaration du 28 février1822a produit tous ses effets. En vue de AEGEAN SEA (SEP. OP. TARAZI) 5 7
The French CivilCode provides, in Article 1156,"that one must seekin
conventions what was the common intention of the contracting parties,
rather than confine oneself to the literal meaning of the terms".

Hence the Brussels Joint Communiquédoes not have to be denied al1
legal value because it was not given the form of a treaty or convention. It
should moreover be obsemed that the modern era is characterized, in the
field of international relations, by theincreasingnumber ofjoint commu-
niquéswhich are issued following the meetings of heads of State,heads of
govemment and foreign ministers. These communiquésgenerally include
statements falling into either or both of the following categories:

(a) either the expression of a given specific attitude to one or more issues
under discussionwithin theinternational or world community: thus a
position might be adopted with regard to disarmament, the Middle
East crisis, the right of the Palestinian people to self-determination,
racial discrimination, etc.;
(b) or an undertaking to do or not do a given thing or consent to the
performance of a certain obligation.

It emergesfromthis classification that thematters comprised in thefirst
category are of an essentially politicalnature and are only sanctioned by
law if included in a subsequent legal instrument or instruments.

As for theundertakings in the secondcategory,they may, in the light of
recent developments in international law and practice, be regarded as
having createdobligationsincumbentupon theStatesconcerned,fromthe
moment of the adoption of the joint communiqué.

This view is corroborated by concrete examples. There are the well-
known declamions issued by the allied powers of theanti-Hitlercoalition
after the Secorid World War. It must be added that some unilateral
declarationshave had the effect of creating legal obligations. Suchwas the
significance of the Truman Proclamation on the continental shelf. The
better to illustrate my thought, 1wish to provide two typical examples of
unilateral declarations which produced legal effects.

It will be recalled that Egypt, though occupied by Bntish troops since
1881,had remained avassalof the Ottoman Empire. In 1914,by means ofa
unilateral declaration, the United Kingdom "decided" to put an end to
these ties of vassalage and place Egypt under a Bntishprotectorate for the
duration of the war. On 28 February 1922Lord Allenby, the British High
Commissioner in Cairo, communicated to Sultan Fuad a "declaration"
whereby His Majesty's Government put an end to the protectorate and
recognized the independence of Egypt subject to four reservations.
The declaration of 28 February 1922took full effect. In order to remove58 MER ÉGÉE (OP. IND. TARAZI)

mettre fin aux réserves qu'ellecontenait, le Gouvernement égyptiendut
entreprendre avecceluidu Royaume-Unides négociationslaborieusesqui

aboutirent, le 26août 1936, à la signature à Londres du traité anglo-
égyptien d'alliance 1.
La Syrie et le Liban étaient depuis 1920placés sousle mandat de la
France conformémentauxdispositions du paragraphe 4 de l'article22 du
Pacte de la SociétédesNations. Les traitésque la Franceavait signésavec
la Syrie,le9septembre 1936 à Paris,et avecleLiban, le 13novembre 1936
à Beyrouth, avaient pour objet de mettre fin au mandat et de préluder à
l'admission des deux pays à la Sociétédes Nations. Le Parlementfrançais
n'ayant pas ratifiéles deux traités en question, le mandat demeurait en

vigueur le 3septembre 1939,jour du déclenchementde la seconde guerre
mondiale, dans les deux pays.
Au cours de laguerreintervint un événemenitmportant. Le 8juin 1941,
lesForcesfrançaiseslibres, deconcert aveclesforcesalliées,pénétrèrenten
Syrie et au Liban afin de dégager les deuxEtats de l'emprisede ce qu'on
appelait le Gouvernement de Vichy. Le mêmejour, le général Catroux
proclama, au nom du généralde Gaulle, chef de la France libre et
combattante, àl'aidede tracts lancéspar la voie aérienne,l'indépendance

desdeux pays. LegénéraC l atrouxdisaitensubstance: (<Nous venonschez
vous pour que le mandat cesse. ))
Cette déclaration unilatérale d'indépendancefut réitérée à deux re-
prises. Le général Catroux la proclama solennellement le 27 septembre
1941enprésenceduprésidentdelaRépubliquesyrienneetle26novembre
1941devant le chef du Gouvernementlibanais. Il l'assortit cependant de
réservesdont la plus importante concernait les obligations auxquelles le
Gouvernement français était tenu en vertu de l'acte de mandat. Seule la

Société desNations oul'organisationqui laremplaceraitpouvait,aux yeux
du général Catroux, délier la Francedes obligations en question.
Grâce àladéclarationinitialeproclaméepar legénéraC l atrouxle 8juin
1941,lesGouvernements syrien et libanais furent invités àparticiper àla
conférencede San Francisco et signèrent donc la Charte des Nations
Unies. Celle-ci a prévuen son article 77 que les territoires placéssous le
mandatde la Société desNations seraient placéssouslatutelledes Nations
Unies. Cependantl'article 78delaChartedéclaraque (lerégimedetutelle

ne s'appliquera pas aux pays devenus Membres des Nations Unies, les
relations entre celles-cidevant être fondées surle respect du principe de
l'égalitésouveraine )).
Cet article de la Charte a ainsi disposé de la réserveque le général
Catroux avait émiseau sujet desobligationsinternationales de la France.
Cette remarqueressortclairement du commentaire de la Charteétablipar
Leland M.Goodrich, EdvardHambro etAnnePatricia Simonsou on peut
lire ce qui suit au sujet de l'article78:

1 Voir AndréGros, ((Le statut internationalactuel de 1'E>>p,evue de droit
international.37.the reservations it contained, the Egyptian Government had to enter into
laborious negotiations with the British Government; these resulted on

26 August 1936in the signingin London of the Anglo-EgyptianTreaty of
Alliance 1.
Syria and Lebanon had since 1920 been under French mandate in
accordancewith theprovisions of paragraph 4 of Article 22 of the Coven-
ant of the League of Nations. The purpose of the treaties concluded by
France with Syria in Paris on 9 September 1936,and with Lebanon in
Beirut on 13November 1936,wasto end the mandateand pavethe wayfor
theadmission of the twocountries to membership of the League.However,
as the French parliament had not ratified either treaty, themandate was
still in force in both countries on 3 September 1939,the day the Second
World War broke out.
It was during theWar that an important event occurred.On 8June 1941
the Free French forces,acting in concert with their allies, penetrated into

Syria and Lebanon in order to loosen the hold of what was known as the
Vichy Government over these two States. On the same day General
Catroux, with the aid of leaflets showered from the air, proclaimed the
independence of both Statesin the name of General de Gaulle, the leader
of laFrancelibreet combattante.What General Catroux said was substan-
tially this: "We have come in order that the mandate shall end."
Thisunilateral declaration ofindependence was twicereiterated. Gener-
alCatroux proclaimed it solemnlyon 27 September 1941inthepresence of
the President of theSyrianRepublic,and on 26 November 1941beforethe
head of the Lebanese Government. At the same time he attached to it
certain reservations the most important of which concerned the obliga-
tions incumbent upon the French Government by virtue of the Mandate
Agreement. In his eyes, solelythe League of Nations or such organization
as rnight replace it could release France from those obligations.

Thanks to the initial declaration proclaimed by General Catroux on
8June 1941the Syrian and LebaneseGovernments were invited to parti-
cipate in the San FranciscoConferenceand thus signed the Charter of the
United Nations. Article 77 of this Charter provides for territories under
League of Nations mandate to be placed in United Nations trusteeship.
Article 78, however, stipulates that: "The trusteeship system shall not
apply to territories which have become Members of the United Nations,
relationship among which shall be based on respect for the principle of
sovereign equality."
In thiswayArticle 78of the Charter disposed of thereservationGeneral
Catroux had expressed regarding France's international obligations.This
point clearly emerges from the commentary on the Charter written by
Leland M. Goodrich, Edvard Hambro and Anne Patricia Simons, which

has this to Sayon Article 78:

1See AndréGros, "Lestatutinternationalactuelde I'Egypte",Revue dedroit inter-
narional, 1937.

5959 MER ÉGÉE (OP.IND. TARAZI)

[Traduction]
((La situation de la Syrie et du Liban, tous deux territoires sous
mandat à l'époquede la Société desNations, était à cet égardparti-
culièrement pertinente. Leur indépendance avait été proclamée en

1941, étant entendu que des traités redéfinissantles droits de la
France dans la région seraientconclus. Ils ne l'avaient pas encore été
au moment de la conférencede San Francisco; les deux pays ont
néanmoinsété invitésàparticiperà celle-ciet sont devenus Membres
originaires des Nations Unies 1.))

Ainsi donc desdéclarationsunilatéralesou conjointes peuvent êtreune
source de droit. Dans son arrêt du 5 avril 1933,la Cour permanente de
Justice internationale a décidédans l'affairedu Statutjuridique du Groën-
land orientalqu'il en étaitainsi:

<<La Cour considère comme incontestable qu'une telle réponse à
une démarche du représentant diplomatique d'une Puissance étran-
gèrefaite par le ministre des Affaires étrangèresau nom du Gouver-
nement, dansune affairequi estdesonressort, lielepays dont ilestle
ministre.))(C.P.J.I. sérieA/B no53, p. 71.)

Nous sommes donc en mesure d'affirmer que la décisionde déférerla
questionduplateau continental de la mer Egée à la Courinternationale de
Justice est une décisiond'ordrejuridique et non politique. Elle doit donc
produire des effetsjuridiques. Quelssont cesderniers? En d'autres termes,
lecommuniquéconjointde Bruxellesdu 31mai 1975peut-ilêtreassimilé à

un compromis et est-ilà lui seulsuffisantpourjustifier lacompétence dela
Cour .?
Nous ne saurions aller aussi loin dansnotre raisonnement. Le cornmu-
niquén'apas définid'une manièreconcrèteet préciselesquestionsquela
Courseraitappelée à trancher.La seuleobligation qu'il metà lacharge des
deux parties est celle de négocier etde se mettre d'accord sur le texte du
compromis. Telle est la conclusion à laquelle je suis parvenu à son
sujet.

L'existenceet la validitédu traité gréco-turcde 1930n'ayant étédéniées
par aucunedespartiesen cause,ilestnécessaired'enexaminerleseffetssur
la présente instance.
L'article 21 du traité prévoitqu'en cas d'échecde la procédure de

conciliation entre lesparties celles-ci oul'uned'ellespourraient s'adresser
à la Cour permanente de Justice internationale. La Cour n'a pas entendu

1VoirLelandM.Goodnch,EdvardHambroetAnnePatnciaSimons, Charterofthe
UniteNdations,New Yorket Londres,1969, p.487. AEGEAN SEA (SEP. OP. TARAZI) 5 9

"Of particular relevance was the situation of Syria and Lebanon,
both of which had been Class A mandated territories under the
League of Nations. They had been declared independent in 1941,
subject to the conclusion of treaties redefining French rights in the
area. At the time of the San Francisco Conference, these treaties had

not yet been concluded; nonetheless, both countries were invited to
participate in the Conference and became original members of the
United Nations 1."
Thus unilateral orjoint declarations can be sources of law. The Perma-

nent Court of International Justice held this to be so in its Judgrnent of
5 April 1933in the Legal Status of Eastern Greenlandcase:

"The Court considers it beyond al1dispute that a reply of this
nature given by the Minister for Foreign Affairs on behalf of his

Government inresponse to arequest by thediplomaticrepresentative
of aforeign Power, inregard to aquestionfallingwithin his province,
isbindingupon thecountry to which theMinister belongs." (P.C.I.J.,
SeriesA/ B, No. 53, p. 71 .)
Hence weare able to affirm that the decision to refer thequestion of the

Aegean continental shelf to the International Court of Justice is a decision
of a legal,not a politicalnature. There are therefore legaleffectsattaching
to it. What are those effects? In other words, can the Brussels Joint
Communiquéof 31May 1975be equated to a special agreement and is it
sufficient in itself to found thejurisdiction of the Court?

It would,1feel,begoing toofar to argue that thisis so.The communiqué
did not define in precise and concrete fashion the questions the Court
would be calledon to decide.The only obligationitlaysupon theparties is
to negotiate and to agreeupon the text of the specialagreement. Suchis the
conclusion 1 have reached in this regard.

As neither of the Partiesconcerned has denied the existence or validity
of the 1930Greco-TurkishTreaty, it is necessary to consider its effects on
the present proceedings.
Article 21 of the Treaty provides that, if the procedure for conciliation
between the parties breaks down, either or both of them may turn to the
Permanent Court of International Justice. TheCourt hasnot thought fit to

1 See~eÏand M.Goodrich, Edvard Hambro and Anne Patricia Simons,Churterofthe
United Nations, New York and London, 1969,p. 487.

60retenir ce motif de compétencepour la raison que la Grèce, Etat deman-
deur, n'a pas entendu s'en prévaloir, la Turquie, Etat défendeur, s'étant
tenue à l'écartde toute la procédure.
Je voudrais résumerma position sur ce point en affirmant:

a) que, dans l'exercice de sa fonctionjuridictionnelle, la Cour doit être
guidéepar touslesmoyensjuridiques qu'elle esten mesure de découvrir
au cours de ses investigations.Le professeur Gaston Jèze affirme, à
juste titre,que l'acte juridictionnel est la manifestation de volonté,en
exerciced'un pouvoir légal,quia pour objet deconstater une situation
juridique (généraleou individuelle) ou des faits, avec force de vérité
légale 1O;

b) tant qu'elle netouchepas à lalibertéquepossèdeun Etatde déclinersa
compétence, la Cour internationale de Justice est dans l'obligation
d'examiner celle-ci. C'est en tout cas l'opinion formulée par le juge
Basdevant à l'occasion de l'arrêt du6 juillet 1957 sur les Emprunts
norvégiens:

<Lorsqu'il s'agitde statuer sur sa compétenceet surtout destatuer
sur la portée d'une exception à sa compétence obligatoire dont le
principe a étéadmis entre les Parties, la Cour doit par elle-même
rechercher avec tous les moyens dont elle disposequel est le droit. ))
(C.I.J. Recueil 1957, p. 74.)

Ayant ainsi analysé lasituation qui ressort des piècesécrites,des plai-
doiries et des documents versésau dossier de l'affaire,je voudrais briève-
ment résumerles conséquencesqui en découlent:

a) lecommuniquéconjoint de Bruxellesdu 31mai 1975aimparti auxdeux
partiesl'obligationjuridique de négocierlecompromispar lequel serait
saisie la Cour de leur différend;
b) laTurquieayant refuséde reconnaîtreun effetjuridique quelconque au
communiqué conjoint de Bruxelles, un <différend >)est néentre la
Grèce et la Turquie;
c) ce différend devrait êtrerégléconformément au traité gréco-turc du

30 octobre 1930;
d) le traité en question prévoit le recours,d'abordà la conciliationet, en
cas d'échecde celle-ci, la possibilitéde s'adresserà la Cour;
e) la Courdevrait, leschoses étantcequ'ellessont,déclarerirrecevable la
requêteintroductived'instancede laGrèce,motif pris decequ'elleaété
prématurément introduite.

Je devrais me contenter d'opter pour l'irrecevabilité.Mais la Turquie,
Etat défendeur,n'apas, ainsiqueje l'aidéjàdit, faitacte deprésence.Ellea

1 GastonJèze,Lesprincipes généradudroit administratif, 3eéd.,vParis,1924,
p. 48. AEGEAN SEA (SEP. OP. TARAZI) 60

consider this basis ofjunsdiction because Greece,theapplicant State,has
preferred not to avail itself of it, and Turkey, the respondent State, has
chosen to remain absent throughout the proceedings.
1would surnmarize my position on this point by stating:

(a) In theexerciseofitsjudicialfunction,theCourtshouldbe guidedbyal1
thejuridical means it is able to discover in the course of its investi-
gations. Professor Gaston Jèze has rightly declared that "the act
performed by acourt oflawisamanifestation of will,in the exerciseof
a legal power, the purpose of which is to determine a (general or
particular) legal situation or to ascertainfacts, with the force of legal
truth 1".
(b) So long as it does not encroach upon a State's freedom to refuse its
jurisdiction, theInternational Court ofJusticeis under an obligation to

explore the question of its competence. That, at al1events, was the
opinion expressed by Judge Basdevant on the occasion of the Judg-
ment of 6 July 1957in the CertainNorwegianbans case:
"When it is a matter of determining itsjurisdiction and, above all,
of determiningthe effect of an objection to its compulsory jurisdic-

tion,theprinciple of which has been admitted as between theParties,
the Court must, of itself, seek with al1the means at its disposa1 to
ascertain what is the law." (I.C.J. Reports 1957, p. 74.)

After having thus analysed the situation which emergesfrom the plead-
ings, oral arguments and documentscontributed to the case-file, 1would
like briefly to summarize the consequences arising out of it:
(a) the Brussels Joint Communiqué of 31May 1975has laid upon both

parties a legal obligation to negotiate the special agreement whereby
the Court would be seised of their dispute;
(6) as Turkeyhas refused to acknowledge that the BrusselsJoint Comrnu-
niquéhas anylegal effect, a "dispute" has arisen between Greece and
Turkey ;
(c) this dispute should be settled in accordance with the Greco-Turkish
Treaty of 30 October 1930;
(d) that Treaty provides first for recourse to conciliation and, should that
fail, for the possibility of turning to this Court;

(e) asmatters stand, theCourt wouldhavetodeclareGreece'sApplication
instituting proceedings inadmissible, on the ground of having been
submitted prematurely.
I should be satisfied with opting for inadmissibility. But, as 1 have
already said,Turkey,therespondentState,hasnotput in an appearance. It

1Gaston Jèze,Lesprincipesgénéraududroitadministratif;3red.Vol. 1Paris1924,
p.48.entendu faire défaut. Les dispositions du paragraphe 2 de l'article 53 du
Statut enjoignentla Cour, dans cecas précis, d'examiner sacompétence.
En l'étatactueldu dossier,ellene sauraitdéclarerl'action irrecevableavant
d'avoir examinésa compétence. Tellessont les raisonsqui m'ont incité
l'adoption du dispositif de l'arrêt.

(Signé S). TARAZI. AEGEAN SEA (SEP. OP. TARAZI)
61
has chosen not to participate in the proceedings. In that situation, the
provisions of paragraph 2 of Article 53 of its Statute enjoin the Court to

examinethe question of its jurisdiction. As the case stands at present, it
could not declare the action inadmissiblebefore having examined that
question.Suchare thereasons whichhaveled metoconcur in theoperative
paragraph of the Judgment.

(SigneS d.TARAZI.

Document file FR
Document Long Title

Opinion individuelle de M. Tarazi

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