Opinion individuelle de M. Dillard (traduction)

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055-19740725-JUD-01-05-EN
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OPINION INDIVIDUELLE DE M. DILLARD

[Traduction]

Je souscris à l'arrêtde la Cour. Sije présente uneopinion individuelle,
c'est d'abord pour développer quelques aspects peut-être sujets à contro-
verse de cet arrêtet ensuite pour le situer dans une perspective plus vaste.

Le nŒud du différendest le problème classique nédu conflit d'intérêts

entre un Etat riverain 1qui sedéclarespécialementtributaire de ses ((pêche-
ries côtières)) et un Etat pratiquant la pêchedite ((lointaine )),dont les
droits traditionnels et les besoins présents s'opposent à ceux de 1'Etat
riverain. Cependant, si le problème généralest classique, le problème

particulier qui se pose à la Cour est plus nettement circonscrit. 11s'agit du
sens à donner à l'échangede notes du 11 mars 1961, dont la Cour, au

1 Dans les eaux qui entourent l'Islande, situéàsl'intérieur d'unezone technique-
ment désignéecomme la région Va du Conseil international pour l'exploration de la
mer, les prises ont atteint en moyenne, de 1952à 1972, environ un million de tonnes
par an. L'Islande, le Royaume-Uni et la République fédérale d'Allemagnecapturent
régulièrementde 96 à97 pour cent du volume total des prises. Les principales espèces
de poissons sont actuellement la morue, le capelan, le colin, le sébaste et l'aiglefin.
(Jusqu'en 1966, le hareng occupait aussi une place importante.) Sur l'ensemble des
espèces,ces cinq-là représentent 94 pour cent dutotal; la morue tient la première place.
Le cycle biologique, les habitudes migratoires eles facteurs de reproduction de
toutes les espècessont directement liésl'hydrographie de la région, ycompris l'action
des eaux chaudes et saIlies du Gulf Stream.
Une présentation gra.phique de ces problèmes, avec une sériecomplète de tableaux,
de diagrammes et de données statistiques a étésoumiseà la Cour par M. Arno Meyer
à l'audience publique du 28 mars 1974. Elle figurera dans le volume des Mémoires,
plaidoiries et document::oncernant l'affaire parallèle de la Compétenceen matière de
pêcheries(République fidérule d'Allemagne c. Islande).
Des renseignements statistiques détailléssur les aspects économiquesde l'industrie de
la pêchepour les trois nations figurent dans la circulaire no 314 de la FAO, intitulée
Les effets économiques et sociaux de l'industrie de la pêche- Etude comparée »
(Rome, 1973). Le plus significatif de tous les faits résans cetteétude est peut-être
que les exportations de poisson représentent, pourIslande, 83 pour cent de l'ensemble
des exportations. Si ['Islande a une production locale sensiblement excédentaire par
rapport à la consommation, les deux autres Etats sont en grandpartie tributaires des
sources non locales pour les produits de la pêche.La circulaire de la FAO, tout en
donnant aussi des chiffres sur l'emploi dans le secteur de la capture et du débarquement
des poissons, ne prétend pas fournir de renseignements sur la transformation et la
distribution du poisson, la construction des navires, l'équipement, et les industries
connexes. Pour apprécier la portée des intérêtsen conflit, il faut évidemment tenir
compte à la fois des facteurs biologiques et économiques. Des problèmes de ce genre
sont examinésen détail par McDougal et Burke dans The Public Order of the Oceans
(1967) et D. M. Johnston, The International Lawof Fisheries (1965).

54stade juridictionnel de la présente affaire, a définitivement jugéqu'il cons-

titue un traité en vigueur entre les Parties. L'effet de ce traité sur la na-
ture et la portéede la compétence de la Cour et les droits des Parties, eu
égardaux conclusions du demandeur, n'était nullement évident. La Cour,
pour cette raison, in'apas pu se mettre d'accord sur tous les aspects de

l'affaire.
Comme dans d'autres controverses, l'appréciation des points de fait et
de droit dépend,jusqu'à un certain point, de la conception généraledont
chaque juge s'inspire dans son analyse.
En l'espèce, il n'&ait guère douteux que la tentative faite par l'Islande

pour exercer unilatéralement une compétence exclusive dans les eaux
litigieuses n'était pas opposable au Royaume-Uni. Mais les motifs in-
voqués à l'appui de cette conclusion ne traduisent pas une conception
uniforme et cette diversité a entraîné des interprétations variées quant

aux exigences du tr,aitéet aux conclusions du demandeur.
Je dois dire tout de sliite que l'arrêt dela Cour s'inspire d'une concep-
tion, selon moi, solidement justifiée. Cela n'empêchequ'à mon sens
d'autres conceptions n'étaient nullement incapables d'emporter la con-
viction. Je m'arrêterai brièvement sur deux d'entre elles. S'examinerai

ensuite le problèmi: particulier de la réponse aux troisième et quatrième
conclusions du demandeur 1.

L'une de ces conceptions part de l'idéeque l'Islande a commis une
violation substantii:lle de l'échangede notes de 1961dont la Cour a déjà
déclaré qu'ilconstitue un traitéen vigueur. Les clauses et lesconséquences

de ce traité ne laissent pas place au doute. Mêmesi l'Islande, confor-
mément à son inteintion maintes fois déclarée d'élargirsa zone de pêche
- intention inscrite, elle aussi, dans le traité- avait eu la facultéde pro-
noncer unilatéralerrient un tel élargissement, elle n'avait pas le droit d'ap-

pliquer cet élargissement à l'encontre des navires du Royaume-Uni, sauf
dans trois éventualités:a) si le Royaume-Uni s'abstenait de le contester
ou b) si les Parties aboutissaient à un accord par voie de négociation ou
c) si, à la suite d'une contestation, la Cour statuait sur la licéitéde l'élar-
gissement en droit international.

Le traité, où sont énoncées l'obligation de notifier tout élargissement
six mois à l'avance et celle de s'adresser à la Cour, a été analysé en détail
dans I'arrêtrendu au stade de la compétence et point n'est besoin d'y
revenir ici 2. LIsuffira de dire que la clause aux termes de laquelle ((au cas

où surgirait un différend en la matière, la question sera portée, à la
demande de l'une ou l'autre partie, devant la Cour internationale de
Justice ))ne constituait pas simplement une clause dissociable en raison de

1 Toutes les conclusions du demandeur sont énoncéesau paragraphe II de l'arrêt.
2 Arrêtdu 2 février 1973, C.I.J. Recueil 1973, p. 8-16.son intérêt secondaire;c'était un élément essentielde l'ensemble de

l'accord, dont le Royaume-Uni a souligné l'importance au cours des
négociations. Cette importance tenait en grande partie à ce qu'elle
prévoyait une méthode amiable de règlement des différendséventuels.
Il n'est guère nécessairede s'attarderà démontrer que, I'lslande ayant
donné son accord sur une méthodepar laquelle elle pourrait élargir sa
compétenceen matière de pêcheries vis-à-visdu Royaume-Uni, elle com-
mettait, en ne l'appliquant pas, une violation substantielle du traité.C'est
presque un axiome de dire que quand un accord ou autre instrument
stipule qu'un acte doit être accomplid'une manière précise,il doit l'être
ainsi ou pas du tout.
Cette conception de l'affaire, quisefonde sur une violation flagrante du
traité,priverait depertinence,lors de l'examen du différendau fond, toute

théorie que l'Islande pourrait invoquer pour justifier l'élargissement
décidé par elle. cela^est vrai, que lajustification invoquéesefondesur une
modification du di-oit coutumier, sur ccle caractère raisonnable)) des
limites élargieseu égard àla doctrine du plateau continental, ou sur tout
autre motif. Tant que le traitéreste en vigueur, l'Islande n'a pas le droit
de le rejeter, nielui de s'écarterde la métliode prévuepour réglerle dif-
férend.
Cette conception de l'affaireaurait pour effet de permettreà la Cour de
dire et juger que selon le droit international'Islande ne saurait se faire
justice à elle-mêmeet qu'en ce qui concerne la présenteinstance elle ne
saurait donc opposer l'élargissement décidé par elle au Royaume-Uni.

On peut objecter (quecette manière de raisonner se fonde sur une inter-
prétation trop étroitede ce qu'est leccfond )de l'affaire, telque l'envisage
l'échangede notes de 1961,et qu'elle laissele litige imparfaitement résolu.
En tout cas, cette conception, qui pouvait sejustifier, n'a pas été retenue.
Ily en a une autri: que la majorité dela Cour n'a pasadoptée, que l'on
peut rationnellement justifier mais qui se situe sur un tout autre pla- il
va sans dire que les partisans de ce point de vue ne sont pas responsables
de ma façon de le présenter.Je le rattacherai à la premièreconclusion du
Royaume-Uni.
Cette conclusion (demandait à la Cour de dire et juger:

((que la prétention de l'Islande d'avoir droit à une zone de compé-
tence exclusive sur les pêcheriesjusqu'à 50 milles marins à partir des
lignes de base tracéesautour de ses côtes est sans fondement en droit
international et n'est pas valable.

On notera que cette conclusion diffère,par son caractère général,des
deuxième et troisième conclusions, que la Cour a d'ailleurs accueillies
favorablement,car elle semble demander à la Cour de dire que I'élargisse-
ment proclamé était ipso jure dépourvu de fondement en droit interna-
tional erga omnes, alors que les deuxièr,.; et troisième conclusions limi-
tent rigoureusement le litige à l'opposabilité de cet élargissement au
Royaume-Uni. Naturellement, une décisionsur la première conclusion aurait automa-
tiquement englobéla deuxième et la troisième. De plus, ses termes cor-
respondaient, pour l'essentiel, à ceux dont on s'est serviau cours des négo-
ciations qui ont précédé l'adoption de l'échangede notes de 1961.
Le peu d'empressement mis à statuer sur cette conclusion peut s'expli-
querpar trois considérations distinctesmaisconnexes. (Je ne saurais parler

au nom de mes collègues,et ne donne que mon impression personnelle.)
La première considération a étéque, à s'en tenir à une analyse en
quelque sorte numérique de la pratique des Etats, l'étatdu droit interna-
tional coutumier relatif aux extensions unilatérales de la compétenceen
matière de pêcheriesétaitsi incertain en 1972qu'il rendait fragile toute
décisiondéfinitive à1ce sujet.
La deuxième considération a été la conviction plus profonde, liée à la

nature mêmedu caractère évolutifdu droit international coutumier, que
l'on ne peut ni ne doit identifier celui-ci grâce à la formule classique
- usage répeté joint a l'opiniojuris- mais qu'il faut reconnaître en lui le
produit d'un processus continu de revendications et de contre-revendica-
tions dans le contexte de différends précis.Cette notion rendrait intellec-
tuellement suspecte toute décision définitive sur l'applicabilité ergaomnes
de la ((règledes 12 milles ))qui risquerait, par son caractère trop géné-
ral, de ne pas tenir compte des nombreuses variables qui donnent son

contenu au droit international coutumieretconditionnent sonapplication.
La troisième considération a étél'idée inexmimée au'à cause de la
troisième Conférencesur le droit de la mer il sirait imp;udent de la part
de la Cour d'entreprendre de statuer sur la question d'une limite ((déter-
minée ))en ce qui concerne l'élargissementde la compétenceen matièrede
pêcheries,question dont il est reconnu qu'elle est en pleine évolutionsur
le plan politique etjuridique.
En énonçant ces idées, jen'entends pas suggérerque la Cour a préféré

esquiver le problème de la validitéen droit international de l'extension
décidéepar l'Islande pour le motif qu'il étaittrop difficiled'yrépondre.La
Cour a seulement cherché un moyen de ne pas statuer sur ce point dans
les termes générauxque réclamait la première conclusion du Royaume-
Uni. Pour l'essentiel, elle y est parvenue en insistant sur le caractère
exclusif de l'extension revendiquée au mépris des droits établis du
Royaume-Uni. Elle a jugé que ce caractère était contraire à la norme
supérieure de droit international inscrite dans la clause limitative de

l'article2 de la Convention de 1958sur la haute mer, norme (ou principe)
applicable erga omnes 1.Cette conception de l'affaire, qui apparaît dans

1 L'article 2 précise que la liberté de la haute mer englobe la libertéde là pêche,
côté de la liberté de la navigation, de la liberté de poser des câbles et des pipe-lines
sous-marins et de la liberté de survol. La clause limitative dispose:
«Ces libertés, ainsi que les autres libertés reconnues par les principes généraux
du droit internationial, sont exercéespar tous les Etats en tenant raisonnablement
compte de l'intérêtquela liberté de la haute mer présente pour les autres»Etats.
La «norme» énoncéedans cet article est formulée à la manière d'un «principe»les sous-paragraphes 1 et 2 du dispositif, dispensait la Cour de statuer

définitivementsur la règleditedes 12milles ou sur la première conclusion
du Royaume-Uni.
Cela dit, je tiens ;i présenterles observations suivantes.

L'affirmation selon laquelle, vers le milieu ou la fin des années 60, le
droit international coutumier s'était cristalliséde sorte que la limite

extérieure des zones de pêche exclusivesétait fixéeà 12 milles, sans être
concluante, paraît convaincante. Les évaluations numériquesrelatives à la
pratique des Etats varient dans une certaine mesure en raison des diffé-

rents critères retenus pour déterminer en quoi consiste l'exclusivité(voir
la circulaire des pêchesde la FAO, no 127, Rome, août 1971). 11est clair

que, si I'onveut être réaliste,la question n'est pas du toutde savoir s'ily a
une limite fixe de 12 milles, mais plutôt quel est le nombre d'Etats dont la
mer territoriale et 1:izone de pêche exclusive, prisesensemble ou séparé-

ment, ne dépassent pas 12 milles. Une analyse autorisée de la situation de
cent quarante-sept pays indépendants montre qu'en août 1972 quatre-
vingt-seize Etats avaient des limites de 12milles ou de moins de 12milles,

dix-neuf des limites qui allaient de 15 à 200 milles, quatre étaientdans une
situation ambiguë el:vingt-huit n'avaient aucune ouverture sur la mer. Un

tableau du Départernent d'Etat américainmontre que, sur cent vingt-trois
Etats, quatre-vingt-huit pour cent avaient des limites égalesou inférieures
à 12 milles et douze ilour cent des limites fixéesà wlus de 12 milles. II

existe de nombreuses autres sortes d'énumerations. Pour apprécier pleine-
ment laport& de ceCtsableaux et d'autres du mêmegenre, il faudrait tenir

compte de la répartition géographique, de l'importance variable des in-
térêtsmaritimes et clenombreux autres facteurs qui dépassent le cadre de
la présente opinion.. Des passages du mémoire du Royaume-Uni sur le

fond mettent en lumièrecertains de ces facteurs (par. 245-257) 1.

--pppp--p -.. ----
(sturidurd) et non d'une srèglel~au sens étroit de ceterme. Autrement dit un tribunal,
ou toute autre autorité, peut l'appliquer avec plus de souplesse que si elle obligeait à
mettreen Œuvre ce q~i'onpeut appeler la csyntaxe juridiq~ie1).L'emploi de cprincipes >J
permet de concilier j~isqii'à un certain point le besoin d'une ([norme générale))permet-
tant une prévisibilitk sufisante avec le besoin de s'adapter aux caractéristiques d'une

situation spéciale, point sur lequel je reviendrai dans la présente opinion.
Sur le sens des principes ou standards. voir Pound, fHierarchy of Sources and Forms
in Different Systems of Law)), 7 Tulane LUW Revirw, 475 (1933); sur l'emploi des
critères pour individualiser l'application du droit, voir Pound, An Introdriction to the
PIri1o~opI1.ovfLOIV (I953), p. 64.
1 Une mise en garde s'impose car les tableaux relatifs aux élargissements de compé-
tence risquent d'ind~iire en erreur si I'on n'analyse pas le degré de contrôle que 1'Etat
riverain prétend exercer. Dans la circulaire de la FA0 no 127 (Rome, 1971), le critère
~~cxc,lusive utilisé s'appliq~ieà tout Etat qui réserve le droit de
de la conipétence
pèche à ses ressortissan~ts iin~èmelorsque sa législation ou un accord auquel il est
partie autorise la pêchepar des non-nationaux sous réserve de certaines conditionsl~
(p. 1257). Rien q~i'acccptable, ce critère peut ne pas coïncider avec celui d'autres
én~imérationsoii les mesures de conservation décidéesd'un commun accord ne figu-
reraient pas comme des revendications (exclusives s .
Pour certaines incertitudes dans ce doniaine, voir: Stevenson, (Who is to control
the Oceans: I!S Policy and the 1973 Law of the Sca Conference)), vol. VI, The Inter-

58 CONIPÉTENCEPÊCHERIES (OP. IND. DILLARD) 58

L'argument seloinlequel le droit international coutumier dans sa con-
ception classique consacre une limite extérieurede 12milles est corroboré
par le fait, dont la Cour pourrait prendre acte, qu'en pratique les Etats

reconnaissent la limite de 12 milles a titre d'obligation juridique et non
simplement par tolé:ranceréciproqueou par courtoisie. En revanche, nom-
breuses sont les prétentions à exercer une compétence au-delà de 12milles
qui ont suscitéles protestations des Etats touchéspar ces mesures. On ne
peut pas non plus l~igitimementconclure de l'absence de protestation des
Etats qui ne sont pas intéressés qu'ilsadmettent nécessairement cesexten-
sionsunilatérales de la compétenceexclusive 1.

L'autorité de la Cour internationale de Justice est parfois invoquée
pour justifier une théorie quasi universaliste, par opposition à une théorie
consensuelle du droit international coutumier. C'est ainsi que, dans I'af-
faire des Pêcheries entre le Royaume-Uni et la Norvège, la Cour a décla-
ré, à propos de la règle des 10milles applicable aux baies (C.I.J. Recueil
1951, p. 131):

((la Cour estime nécessaired'observer que si la règle des dix milles
a étéadoptée par certains Etats, aussi bien dans leurs lois nationales
que dans leurs traités et conventions, et si quelques décisions arbi-
trales en ont fait application entre ces Etats, d'autres Etats, en

revanche, ont adopté une limite différente. En conséquence, la
règledes dix miillesn'a pas acquis l'autorité d'une règlegénéralede
droit international n.

11convient cependant de noter que, comme la Cour l'a relevé, laNor-
vège s'était toujours opposée à toute velléitéd'appliquer la règle aux
côtes norvégiennes. Or, par un contraste marqué, tout en proclamant ses
aspirations à Œuvre:ren vue d'une extension future, l'Islande a volontai-
rement reconnu, dans l'échangede notes de 1961, qu'elle respecterait une
limite extérieure de 12 milles. Exprimer des aspirations ou des intentions
n'est pas inconciliable avec le fait d'admettre - comme I'lslande - que,

tant que ces aspirations ne sont pas réalisées,on est liépar la règle des
12milles.
Pour êtretout à fait équitableà l'égard des thèsesde I'lslande, il faut
dire cependant que l'analyse qui précède nerend pas entièrement justice
aux arguments qu'elle a invoqués officiellement en diverses occasions.
L'Islande part d'un principe différent qui exclut implicitement celui dont
procède l'idée d'un droit ((établi D. La pratique des Etats étant très

variable, I'lslande soutient en réalité qu'iln'y a pas de droit applicable
ou, du moins, que le droit considérécomme un ensemble de restrictions

national Law.ver 465-477 (1972). Pour une appréciation récente des revendications
variablesfoririulées en Amérique du Sud, voir Garcia Amador dans 68 American
Journal of Intertiational Law, 33-50 (1974).
1 Logiquement, ce n'est pas parce que les protestations établissent le défaut d'ac-
quiescement que I'abserice de protestations étaI'acquiescement; ce problème fait
l'objet d'un examenan:<D'Amato, Tlie Concept of Custom in International(1971),
p.85, 98à 102, 195.s'imposant au comjportement des Etats présentedes lacunes, donc que le
droit ne s'oppose pas à ce que chaque Etat élargisse sa compétence ex-
clusive en matière de pêcheries.L'lslande n'invoque pas une exception à

une règleétablie, niais une règle d'un genre différent, à savoir une règle
d'habilitation, qui, àdéfautde règleparticulière en sens contraire,permet

à 1'Etat riverain se trouvant dans une situation spécialed'étendre unila-
téralement sa juridiction dans des limitesjugées par lui raisonnables. Elle
soutient en outre que l'extension décidéepar elle est ((raisonnable 1)car

elle coïncide d'une: manière générale avecles limites de son plateau
continental.
On voit tout de suite que cet argument conduit à se poser non seule-

ment la question de la charge de la preuve, mais aussi, en poussant plus
loin la recherche théorique, la question très discutée de l'autonomie des
Etats et de leur lib'ertéd'action et des présomptions qui en découlent.

Cela nous ramène à I'affaire controversée du Lotus 1 et à la démarche
suivie par la Cour internationale de Justice en présencedes conclusions
dont elle était saisie:dans l'affaire des Pêcheries2. Je ne saurais examiner

ces problèmes en profondeur sans allonger démesurément la présente
opinion. Qu'il mesuffisede dire pour le moment que, si le problème de la
charge de la preuve peut avoir une certaine importance quand il s'agit de

se prononcer sur des questions de fait et de compétence, iln'a guère d'in-
térêd t ans la présenteespèce. Il en va de mêmede la notion de la liberté
d'action des Etats. M'inspirant de Lauterpacht 3,je dirai que, si l'exer-

cice d'une libertéporte atteinte aux intérêtsd'autres Etats, la question de
sa justification se pose. La Cour doit statuer sur cette question à la lu-
mière du droit applicable et, il n'y a guère avantage à essayer de se per-

mettre des présompi:ions,ou de se fonder sur l'incidence de la charge de la
preuve. On peut soutenir, par exemple, que l'Islande a étéla partie agis-
sante qui s'est efforcéede modifier le droit établiet que c'est à elle qu'il

incombe de prouver que ses prétentions sontjuridiquement justifiées.In-
versement on peut soutenir que le demandeur joue en quelque sorte le
rôle de plaignant eri l'espèceet qu'il lui appartient donc de démontrer le

caractère illicite des mesures prises par l'Islande. De toute façon, la Cour
aura à se Drononcer sur les droits des Parties. La notion de la liberté

d'action de'sEtats et celle de la charge de la preuve suggèrent une analogie
avec les procédures criminelles et civiles de certains Etats. Appliquée àla
présente affaire, cette analogie est déplacée.

- - --
1 C.P.J.I. série A no 10 (1927), p. 18. Cf. Hudson. Tlre Pert?~arretit Corrrt of Itrter-
national Jrrstice(1943), p.611, 612; D'Amato. op. rit. srrprnp. 178-189.
2 C.I.J. Recireil 1951,p.116. Cf. Waldock, (The Anglo-Norwegian Fisheries Case 11,
28 Britivlr Yrar- Book of lntert~ationnl Law(1951), p. 114, ct Fitziiiaiirice1'The Law
and Procedure of the International Court of J~isticc. 1951-1954: Gcneral Principlcs
and So~ircesof Law ))30 Britislr Yerrr Book of Itrtert~rrtiotiul(1953), p. 8-26.
3 Lauterpacht, The ~I'>cvclopine~rtof Itrter-national Lawbi, tlre It~ter/~ationnl Cotrrt

(1958), p. 361. Voir aussi Fitrmaurice, 1The Law and Procedurc of tlie International
COLI^o^f Justice. 1951-1954: Questions of J~irisdiction, Competcnce and Procedure n,
34 BritisliYellr Book of Infer~iational Law (1958), p. 149-150. Sij'estime que la règledes 12milles peut s'appuyer sur une base théo-
rique plus solide qir'une règle rivalereposant sur la notion de I'ccinexis-
tence du droit ))oii d'une ((lacune flagrante )) dans le droit 1, je crois
néanmoins que, cornme il a déjà été indiqué l, processus d'évolution du

droit international coutumier dispense la Cour destatuer sur la première
conclusion du Royaume-Uni, d'après laquelle l'extension unilatérale
décidéepar l'Islande étaitsans fondement en droit international ipsojure
et erga omnes. Il suffit pour statuer en l'espèceque cette extension soit, en

droit international, inopposable au demandeur.
Pendant la procédure orale, un membre de la Cour a posé laquestion
suivante au conseil du Royaume-Uni:

ccLe demandeur soutient-il que ses trois premières conclusions,
c'est-à-dire lesconclusions a), 6) et c), sont à ce point interdépen-
dantes que la Cour doit statuer sur la première pour pouvoir statuer

sur la deuxième et la troisième? ))(Compte rendu du 25 mars 1974,
p. 33.)

En répondant, le conseil du Royaume-Uni a déclaré,après avoir ana-
lyséla teneur des trois conclusions:

((II s'ensuit que les trois conclusions a), b) et c) ne sont pas à ce
point interdépendantes que la deuxième et la troisième ne puissent
êtreexaminéesséparémentde la première. De l'avis du Gouverne-

ment de Sa Ma.jesté, il est par conséquent loisibleà la Cour de statuer
sur les deuxièmeet troisièmeconclusionssans statuer sur la première,

1 La difficulté, si l'on recourt au concept dcinexistence du droitIItientà ce qu'il
risque d'impliquer que liesEtats sont libres d'adopter toute limite qu'ils jugent raison-
nable, idéepropre à rélpandre la confusion età alimenter les conflits. Certes, le fait
qu'il se manifeste, dans la pratique des Etats, des divergences d'où résulte une grande
marge d'incertitude, fart naître des doutes sur l'utilité ou l'opportunité d'une règle
précise, mais le choix n,edoit pas résider entre cela et l'abîme du vide juridique. Une
meilleiire solution cons:istà reconnaître des exceptions à la norme dominante, ou à
reprendre le classement des normes elles-mêmesde manière à tenir compte des circons-
tances spéciales, comme dans l'affaire des Pêcheries.Sur le plan théorique, l'idéede
1' inexistence du droitr ou du ((vide )lsuscite des difficultés d'une grande portée.
Certaines de ces difficultéssont examinées dans les ouvrages citésii référencedans les
notes du paragraphe précédent.
II y a plus. Le fait qu'en 1958 ou 1960les Etats ne soient pas parvenus à un accord
formel sur une limite prijcise ne signifie pas qu'ils aient accepté pour autant le postulat
extrêmede l'autonomie des Etats qui accorderait àchacun d'eux la liberté de fixer les
limites comme bon lui semble. Les conférences sont mêmeparties du principe opposé,
principe dicté par la conscience qu'il existe un intérêtcollectif hostiàel'idéed'une
liberté sans frein. Il convient de rappeler que la conférence de 1958 a rejeté, avec
raison, la seule proposition qui ait été mise aux voix sur la question de la faculté pour
1'Etat riverain de fixeà son gréla limite de sa mer territoriale. S'il n'y a évidemment
pas identité entre les problèmes de la mer territoriale et ceux des pêcheries,la question
des élargissements unilatéraux peut néanmoins constituer un domaine commun. La
proposition a étérejetée à la Première Commission par 44 voix contre 29, avec
9 abstentions et,en séanceplénière,par 47 voix contre 21,avec 17 abstentions. II est
plus significatif encore qu'aucune nouvelle proposition de ce genre n'ait étéfaite.
McDougal et Burke, The Public Order of the Oceans (1962), p. 497-498.

6 1 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.IND. DILLARD) 61

étant évidemment entendu et accepté que les conclusions 6) et c)
sont fondées sur le droit international généralet, bien sûr, ne con-
cernent pas uniquement les effets de l'échangede notes. ))(Compte
rendu du 29 mars 1974,p. 23 et 24.) (Les italiques sont de nous).

Evidemment, les observations des conseils ne lient nullement la Cour.
Toutefois, il n'estpas sans intérêd te remarquer que ledemandeur n'a pas

considérésa première conclusion comme essentielle aux fins du règle-
ment de I'afiire, point de vue que la Cour a adopté aussi, dans l'exercice
de son pouvoir discrétionnaire.
Sur le plan de principes plils généraux,il est permis aussi de soutenir
qu'on aurait peut-être été mal aviséde fixer une limite déterminéepour

l'extension de la compétence en matière de pêcheries erga omnes. II
ressort d'un examen même rapide des nombreux écrits consacrés à la
question qu'il y a tant de diversité dans les espèces de poissons et l'am-
pleur de leur migration, et tant de différencedans la longueur des côtes
et l'étenduedu plateau continental, que l'on peut douter de l'opportunité
d'établir une limite figéed'application générale.LIva de soi que les pois-

sons et, surtout les poissons nectoniques du genre de ceux dont il s'agit en
l'occurrence, ne respectent pas les compétences nationales. Le problème
appelle peut-être l'application de principes souples plutôt que celle de
règlesfixes.
Charles De Visscher, dans son livre intitulé Théories et réalitésen droit

international public.,envisage le vaste problème que pose la détermi-
nation de normes gijnéralesa propos de I'afaire des Pgcheries. Au cours
de son argumentation, il cite en l'approuvant (no 38) le passage suivant de
Brierly, tiré du couirs que celui-ci a fait en 1936 à l'Académiede droit
international de La Haye:

L'uniformi1.én'est bonne que quand elle est commode, c'est-

a-dire quand elle simplifie notre tâche; elle est mauvaise quand elle
résulte d'une assimilation artificielle de cas dissemblables.. . La
nature de la sociétéinternationale ne rend pas seulement difficile le
développement de règlesd'application généraledu droit international,
il arrive souvenit qu'elle les rend peu souhaitables.» (58 Recueil des
cours, IV, p. 1'7et 18.)

Cette digression désintéressée dans la présenteopinion n'a pas pour but
de suggérer qu'en l'espècela Cour affronte directement le problème théo-

rique et complexe qui consiste àconcilier la nécessitédesnormes générales
pour assurer un certain degré de prévisibilitéavec la nécessitéde les
éviter pour tenir compte du caractère particulariste et individualiste de
l'objet auquel les normes s'appliquent. Cette digression a seulement pour
but d'indiquer l'un des aspects plus larges de la compétenceen matière de

pêcheriesqui ont une incidende sur la présente affaire. Pour tous les motifs indiquésci-dessus,j'estime que la Cour a eu raison
d'adopter une position intermédiaire entre la conception étroite de I'af-

faire tirée dela violaltion du traité, à laquellej'ai fait allusion plus haut, et
la conception plus large tirée de la première conclusion du Royaume-
Uni. En bref, les deux premiers sous-paragraphes du dispositif sont préfé-
rables aux autres solutions justifiables. Reste à examiner la position plus
contestableadoptée aux sous-paragraphes3et 4 du dispositif.

Comme je l'ai indiqué plus haut, la compétence que possède la Cour
pour connaître du différend quant au fond a étédéfinitivement établie
dans l'arrêtque ce1l.e-cia rendu le 2 février 1973. Mais l'attribution de
compétence au sens du pouvoi rénéral de connaître du fond d'un diffé-
rend est une chose; la nature et l'étenduede ce pouvoir en sont une autre.

C'est précisément à propos des sous-paragraphes 3 et 4 du dispositif de
l'arrêtque des questions relevant de cette dernière catégorie ont étésou-
levéesau sujet de 1'éi:enduede la compétence que la Cour s'est reconnue.
Au sous-paragraphe 3du dispositif, la Courdit que les deux Parties ont
l'obligation mutuellle d'engager des négociations de bonne foi pour
aboutir à la solution équitablede leurs divergences concernant leurs droits

de pêche respectifsdans les régions situéesautour de l'Islande au large des
limites de pêcheconvenues dans l'échangede notes de 1961.Au sous-para-
graphe 4,elle indique les considérations fondamentales sur lesquelles ces
négociations doivent reposer. En bref, ily est dit que, dans la répartition
des ressources halieutiques de ces régions,ily a lieu de tenir compte de la
part préférentielleà. laquelle l'lslande a droit dans la mesure où elle
remplit les conditions requises pour êtreun Etat spécialementtributaire

des pêcheries deseaux avoisinant ses côtes; qu'il y a également lieu de
tenir compte des droits établisdu Royaume-Uni; que les droits des deux
Etats doivent êtreexercésdans la mesure compatible avec la conservation
et le développement des ressources halieutiques dans la région; qu'il faut
en outre tenir compte des intérêtsqu'ont d'autres Etats à la conservation
et à l'exploitation équitable de ces ressources; enfin, que les deux Etats
doivent continuer à étudier les mesures qu'imposent la conservation, le

développement et l'exploitation équitable desdites ressources sur la base
de renseignements scientifiques et autres données disponibles.
Dans son mémoire sur le fond (par. 300 à 307), le Royaume-Uni a
beaucoup insisté sui- le fait qu'il était souhaitable d'appliquer des prin-
cipes d'équitédans l'intérêt des deux Parties: ces vues se retrouvent dans
les conclusions forniulées tant dans la requêteque dans ledit mémoire
et ont étéréitérées avecforce au cours des plaidoiries. Dans l'affaire

connexe à laquelle la1République fédéraled'Allemagne est Partie deman-
deresse, cette dernière a adopté une position analogue. La justification en
est la nécessitéreconnue d'assurer l'équilibre voulu entre les droits tra-
ditionnels du demandeur et les droits préférentiels de l'Islande,dans I'in-térêt d'une conception rationnelle de l'exploitation et de la conservation
des ressources de la pêchedans !es eaux contestées.
La Cour, qui est imaîtresse de sa propre compétence, n'est évidemment

pas tenue par la position qu'a adoptée le demandeur; elle doit cependant
s'interroger sur l'étendue de sa compétence compte tenu de la source de
celle-ci. LI n'est pas.sans intérêt derelever à ce propos que c'est la Partie
dont les intérêtssont le plus gravement affectés qui sollicitede la Cour une

solution de ce genre, juridiquement fondée sur le principe énoncé à I'ar-
ticle2 de la Conveni.ion de 1958sur la haute mer qui, quoique ne liant pas
I'tslande en tant qu'élémentdu droit conventionnel, a cependant force
obligatoire en tant que norme proclamée et reconnue du droit interna-

tional. Pourquoi donc la Cour n'accueillerait-elle pas favorablement
la proposition tendant à ce qu'une solution équitable soit trouvée au
différend l?
*

Telle que je la comprends, la thèse que l'on fait valoir pour mettre en
doute le pouvoir de la Cour de traiter de ces questions repose sur le rai-
sonnement suivant. Tant l'existence de la compétence de la Cour que
l'étendue de cette compétence découlent uniquement de l'échange de

notes de 1961. Le terme ((différend ))qui figure dans cet échange de notes
doit s'entendre rigoureusement du genre de différend que les Parties ont
envisagé lorsqu'elle~~ont négociéet mis au point les notes qu'elles ont
échangées.Tel est le domaine dans lequel la Cour a compétence, et iln'en

est pas d'autre. A aucun moment intéressant la présente affaire, il n'y a eu
entre les Parties de litige en ce qui concerne des droits préférentiels ou des
mesures de conservation. Bien au contraire, le différend n'aporté que sur
l'élargissenient lui-rnêmeet sur le point de savoir si l'on pouvait consi-

dérer que cet élargissement avait un fondement en droit i,nternational. La
Cour ne saurait mo,difierla nature du différendsans contrevenir à la dis-
position qui, dans l'échangede notes, lui attribue un pouvoir limité.Une
telle interprétation, dit-on, outre qu'elle est renforcée par les travaux

préparatoires, est pleinement conforme au principe souvent répété selon
lequel la Cour devrait toujours faire preuve de la plus grande retenue
lorsqu'il s'agit pour elle de s'attribuer des pouvoirs juridictionnels ou

d'étendre ceux qui lui ont été confiés. Telle estla thèse que l'on fait
valoir. Si plausible soit-elle, cette thèse n'est à mon avis pas suffisamment
convaincante. On a évidemment raison de dire que l'échange denotes est
la source exclusive clela compétence de la Cour; on a également raison de

1 Comme l'a dit le juge Htidson 1Les règles bien connues sous le nom de principes
d'cquité ont depuis longtemps étéconsiderées comme faisant partie du droit inter-
national, et, ce titre,elles ont souvent étéappliqiiéespar des tribunaux internati1)aux
(Prises d'cuiàlu Merise.arrêt,1937, C.P.J.I.sériAIE no 70, p.76). J'ajouterai que ces
principes sont particul ièrement pertinents quand les questions litigieuses concernent
l'usage commun de ressources limitées et quand les normes applicables de droit
international seprésenlent plutôt sous la forme de principe(1standards 81). COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP. IND. DILLARD) 64

dire que la questiori principale dont les Parties ont discuté au cours des

négociations qui ont précédél'échange de notes était l'élargissement
proprementdit de la.juridiction sur les pêcherieset non les droits préféren-
tiels ou les mesures de conservation. Cesdeux dernières questions n'ont
cependant pas ététotalement passéessous silence.

De fait, dès le premier entretien, le ler octobre 1960, sir Patrick Reilly
reconnaissait, dans ses observations liminaires, quetant à l'intérieur qu'à
l'extérieur de la zone situéeentre 6 et 12 milles des côtes islandaises, il
pouvait y avoir des eaux ((dans lesquelles, pour tenir compte du principe
scientifique de la conservation, il faudrait interdire la pêche au chalut 1).

Le représentant de l'Islande, M. Andersen, a rétorquéque ((des mesures
de conservation applicables uniformément à tous ne suffisaient pas à
protéger les pêcheriescôtières de l'Islande ))(Records of the Anglo-lce-
landic Discussions, ler octobre 1960-4décembre 1960, p. 1 et 5).Au sur-

plus, il faut bien reconnaître qu'il existe une certaine ambiguïté quant au
sens du mot ((exclusif»; c'est là une considération qui a ultérieurement
étéinvoquée et que l'on retrouve dans certaines des communicat~ions
diplomatiques qui ont étééchangées postérieurementà la conclusion de

l'échangede notes, par exemple dans la note du Gouvernement islandais
du 11 août 1972, où il est fait expressément mention des droits préfé-
rentiels des navires islandais (mémoire du Royaume-Uni sur le fond,
annexe 10). Quoi qu'il en soit, le point le plus important à mon avis est

le contexte plus vaste dans lequel le différend lui-même sesitue.

On se souviendra que, dans l'échangede notes, il est question de la ré-
solution de I'Althirig du 5 mai 1959 (dont un passage est reproduit au
paragraphe 24 de l'arrêt).Le point qui mérite d'êtrerelevéest que cette
résolution mentionne expressément la ccpolitique consacrée par la loi de

1948 concernant la conservation scientifique des pêcheriesdu plateau
continental ».
La loi de 1948 était intitulée ((Loi concernant la conservation scienti-
fique des pêcheriesdu plateau continental 1)et, aux termes de son article

premier, le ministère des Pêcheriesétait autorisé à établir ((par voie de
règlement, dans lei; limites du plateau continental islandais, des zones
de conserl'ationdéfinies... )) II était égalementdit dans cet article que
((les pêcheries seront intégralement réglementées et contrôlées par

l'Islande.. .))(les italiques sont de nous).
Pour en revenir ii l'échangede notes de 1961, il convient de souligner
qu'il n'y est pas fait mention d'un type particulier d'élargissement, mais
qu'il y est simplement dit que le Gouvernement islandais s'emploiera à
mettre en ceuvre la irésolutiondu 5 mai 1959 ((relativeà l'élargissementde

la juricliction sur les pêcl~erir). Qui plus est, les termes employés pour
décrirele ((différend ))ne sont nullement limités aufait matérielde I'élar-
gissement, mais visent tout ((drffirenden la matière )),et il est prévuqu'aucas où surgirait un tel différend, ((la questio))sera portée devant la Cour
à la demande de l'une ou l'autre partie (les italiques sont de nous). La

clause est rédigée en termes très générauxet, à première vue, rien n'au-
torise une ir-terprétation restrictive.
Compte tenu de l'importance de la résolution du 5 mai 1959et du fait
qu'elle trouve sa base dans la loi de 1948, il me parait clair qu'une inter-
prétation trop étioite de I'échangede notes de 1961n'est ni dictéepar les

termes de ces notes, ni justifiée eu égard au contexte dans lequel le dif-
férend tout entier :jesitue.
Peut-être pourrais-je éclaircir la question en donnant un exemple
hypothétique bien simple. Supposons qu'au lieu de chercher à étendre sa
zone de compétence exclusive dans l'intention d'éteindre les droits du
Royaume-Uni, ou d'une manière telle que les droits de ce pays risque-

raient de s'en trouver éteints, l'Islande, invoquant des droits préférentiels
à exercer ou des mirsures de conservation à appliquer, ait posédescondi-
tions jugées intoléirablespar le Royaume-Uni. Pourrait-on valablement
soutenir que ce genre d'élargissement, bien qu'expressément liéà I'exer-
cice de droits préférentielset aux nécessitésde la conservation, échappe-

rait complètement au champ d'application de I'échangede notes? N'ap-
partiendrait-il pas quand mêmeà la Cour de trancher la question au
regard du droit international? Serait-il plausible de soutenir que, ce
faisant, la Cour a quelque peu transformé la naturedu ((différend))?
A ceux qui po~rr~aientreprocher àcetexemple de porter àfaux, étantdon-

néqu'un tel élargissementrevêtiraiten fait un caractère d'((exclusivité ))je
ne puis que répondre qu'une telle observation porterait elle-même àfaux.
Je partage entièrement l'avis de la Cour lorsqu'elle conclut dans son
arrêtque la prétention de l'Islande est, en fait, une prétention à des droits
exclusifs. Cette coi~clusion est d'ailleurs essentielle au raisonnement sur
lequel repose l'arrêt. Nul ne contestera, du reste, qu'une prétention à une

juridiction qui ne permettrait à un Etatde pratiquer la pêchedans la zone
contestée que si 1'I;tat riverain veut bien le tolérer mérite d'êtrequalifiée
de prétention à des droits exclusifs. IIconvient cependant de noter en
même tempsque la notion de juridiction ((exclusive)) n'est pas dépourvue
de toute ambiguïte, comme le montre l'incertitude qui règne au sujet des

prétentions de nombreux Etats à une zone de-pêchedépassant la limite
des 12 milles. Cette incertitude se retrouve également dans une certaine
mesure dans les communications diplomatiques officielles échangées
entre le Royaume-Uni et l'Islande ainsi que dans la pratique qui a été
suivie en l'espèce.Il n'est donc pas surprenant que, pour répondre à une

question qui avait été poséepar un membre de la Cour, il ait fallu au
conseil du demandeur, lors des plaidoiries, l'équivalent de neuf pages
(version ronéotypée du document, compte rendu du 29 mars 1974,
p. 24-33) pour analyser les nombreux sens que peut avoir lemot ((exclusif »
dans la pratique des Etats, en s'attachant principalement à trois catégo-
ries de cas. L'exemple hypothétique que j'ai donnétend à montrer qu'une

prétention fondée sur les nécessitésde la conservation n'échapperaitpas
au champ d'application de l'échangede notes. SiI'on se place di1point de vue du Royaume-Uni, peu importerait que,
dans l'hypothèse que j'ai indiquée, il s'agisse ou non, objectivement,
d'une prétention à idesdroits exclusifs. Ce qui importe, c'est qu'une pré-

tention à une compiitence élargiefondéesur des motifs tenant à la conser-
vation, ne serait pas exclue en application des dispositions de I'échangede
notes.
La thèse niant. à la Cour compétence pour connaître d'une telle ques-
tion pêche,à mon avis, du fait qu'elle repose sur une conception par trop
simpliste de la nature du différend. De toute évidence, un tribunal ne

peut pas transformer un litige entre deux fermiers sur la propriétéd'une
vache en un litige sur la propriétéd'un tracteur. Toutefois, le différend
que vise l'échangede notes n'a pas un caractère aussi nettement défini.
Quand on parle de l'élargissement de la ((juridiction sur les pêcheries)),
on parle du prolongement du pouvoir national dans une zone qui n'est

pas nationale et cela peut enfreindre les droits du demandeur. II ne faut
pas oublier non pliis que l'un des buts principaux de I'échangede notes
étaitde fournir un ,moyenamiable de résoudre le différend,s'ilen surgis-
sait un entre les parties.
II n'est pas niable que la Cour aurait pu trancher ledifférend enlimitant
le dispositif de son arrêtaux deux premiers sous-paragraphes. Elle aurait

égalementpu le faireen statuant sur la première conclusion du Royaume-
Uni comme je l'ai indiqué plus haut dans mon opinion. Elle n'étaitpas
tenue d'aborder la (questiondes droits préférentielset des nécessitésde la
conservation. 11s'agit là, selon moi, de l'exercice de ses pouvoirs discré-
tionnaires, voire d'une question de prudencejudiciaire. Mais tout cela n'a
pas pour conséquericed'empêclierla Courde se prononcer sur le différend

en se plaçant dans l'optique plus large si ardemment souhaitée par le
demandeur. Une interprétation différentede l'échangede notes de 1961,je
veux dire une interprétation beaucoup plus restrictive, aurait pu suffire
à trancher la question immédiate qui divisait les Parties, mais je ne crois
pas qu'elle aurait suffi pour résoudrele différenden reconnaissant les in-
térêts desdeux Parties et en leur fournissantdes principes directeurs pour

leur comportement futur, surtoutdans le cas d'un différendfortement im-
prégné d'éléments relevandte ce que I'on appelle parfois la justice distri-
butive.
Je m'empresse d'ajouter que je ne veux nullement dire que la Cour elle-
même devrait s'efbrcer de résoudre des questions comportant de tels

éléments. Mais,je le répète,la Cour reste dans le cadre de sa fonction
lorsqu'elle indique la nature des droits qui s'opposent et fournit des cri-
tères appropriés en vue de faciliter l'heureuse solution du différend,
comme elle l'a fait dans les affaires du Plateau continental. De toute
évidence, c'est là ce que la Cour a cherché à faire dans les troisième et
quatrième sous-paragraphes du dispositif de son arrêt. J'aurais pu arrêterlà mes observations en ce qui concerne la question
de la compétence,rnais il est un autre problème, plus difficile,je crois, à

résoudre, qui se pose à ce propos. Il est possible de soutenir que, s'il est
vrai que la Cour avait le pouvoir de se prononcer sur l'existence et la per-
tinence des normes juridiques que renferment la notion de droits préfé-
rentiels et celle de droits établis,compte tenu des besoins de la conserva-
tion, elle aurait dû s'abstenir d'imposer aux Parties le devoir de négocier.

En d'autres termes, elle aurait dû se contenter d'indiquer la base des
négociations, sans dire que les Parties avaient le devoir de les engager.
On pourrait mêmefaire valoir que, indépendamment de la question de
savoir si la Cour diijpose ou non de l'autorité voulue à cet effet, il est fal-
lacieux d'imposer aux Parties un tel devoir, surtout si l'on tient compte de

l'accord provisoire de novembre 1973, accord qui semble priver d'une
bonne partie de sa substance l'argument tiré de l'article 33 de la Charte,
dont les dispositions sont limitées à tout différend udont la prolongation
est susceptible de menacer le maintien de la paix et de la sécuritéinterna-
tionale ..)).

Pour placer la question dans sajuste perspective, il convient d'observer
que le devoir de négocier n'implique pas, bien entendu, que les parties
doivent engager des négociations immédiatement ou plus tard. De toute
évidence, il faudrait qu'une partie en prenne l'initiative lorsqu'elle estime
que les circonstances l'exigent. L'autre partie serait alors tenue de prendre

position. Dans la prlisente affaire, il est tout àfait concevable, étant donné
l'importance de l'accord provisoire de 1973, que les Parties maintiennent
le statu quojusqu'à I,'expirrtion de cet accord.
Aux paragraphes 73 à 77 de son arrêt,la Cour aborde la question de
l'autorité dont elle dispose pour spécifier ce qu'est en l'occurrence le

devoir de négocier. Elle déclare: c(II résulte implicitement de la notion de
droits préférentiels'quedes négociations sont nécessairespour définirou
délimiter l'étendue deces droits.. .))(par. 74). Elle s'appuie, semble-t-il,
sur la nécessitéde ntfgocier qui tient à la nature même desdroits préféren-
tiels; elle mentionne la cccollaboration)) requise par la résolution adoptée

à Genève en 1958 sur les situations spéciales touchant les pêcheries
côtières; elle souligne enfin le passage suivant de l'arrêt rendu dans les
affaires du Plateau continental de la mer du Nord ou il est dit que l'obliga-
tion de négocierque les Parties à ce différendavaient assumée aux termes
des compromis:

((ne constitue qu'une application particulière d'un principe qui est à
la base de toute:srelations internationales et qui est d'ailleurs reconnu

à l'article 33 de la Charte des Nations Unies comme l'une des
méthodes de règlement pacifique des différends internationaux 1)
(C.I.J. Rrcuril I969, p. 47, par. 86).

Sans indiquer expressément qu'il se fonde sur l'article 33 de la Charte,
l'arrêt rendudans la.présente affaire donne à entendre que, du fait qu'il
repose sur la nature même desdroits en jeu, son fondement correspond
aux principes et aux dispositions de la Charte. CONIPÉTENCE PÊCHERIES (OP. IND. DILLARD)
68

La référenceà ((la nature même des droits respectifs des Parties))

(par. 75), tout en étantjustifiée, peut paraître cependant une description
par trop énigmatique de la source d'un pouvoir que I'on s'attribue;
elle appelle donc quelques précisions.
S'estime qu'en tout état de cause on peut justifier la conclusion à la-

quelle la Cour est parvenue en invoquantla pratique largement répandue
des Etats tant dans le domaine de la conservation des ressources halieu-
tiques que, en raisonnant par analogie, dans d'autres domaines où les
droits respectifs de:; Etats entrent en opposition a l'occasion de I'utilisa-

tion d'une ressource commune.
Aux paragraphes 266 à 28 1de son mémoiresur le fond, le demandeur a
appelél'attention non seiilement sur la Convention de 1959sur les pêche-
ries de l'Atlantique du nord-est, à laquelle sont parties quatorzeEtats au
nombre desquels figurent tant le demandeur que I'lslande, mais aussi sur

la Convention internationale de 1949 pour les pêcheriesde l'Atlantique
Nord-Ouest, la Corivention de 1966pour la conservation des thonidés de
l'Atlantique, I'accord de 1969entre les Etats-Unis d'Amérique et l'URSS
concernant la pêchea :u crabe, la Convention de 1949entre les Etats-Unis

d'Amérique et Cuba sur la conservation de la crevette, I'accord de 1972
entre le Brésilet les Etats-Unis d'Amérique sur la conservation de la
crevette, la Conveni:ion de 1969 sur la conservation des ressources biolo-
giques de l'Atlantique Sud-Est, I'accord de 1971 entre le Canada et la

Norvège sur la pêcheau phoque et la conservation des stocks de phoque
dans l'Atlantique Nord-Ouest et I'accord de 1972entre I'lslande, la Nor-
vègeet l'URSS sur la réglementation de la pêcheau hareng atlanto-scan-
dinave. Après avoir énuméré de nombreux autres accords et conventions
concernant la mer Baltique, la mer Noire, l'océan Pacifiqueet I'Antarc-

tique, le demandeur conclut que dans six mers et océans,trente Etats au
moins ont participéàdes accordsinternationaux réglementant la pêcheen
haute mer lorsque ;lebesoin s'est fait sentir de prendre des mesures de
conservation, de réglementation et de contrôle 1.

Je ne disnullement que chacun de ces accords est le fruit de l'exécution
d'un devoir antérieur de négocier.Cependant, il est manifeste que chacun
d'eux a étéconclu p;3rceque les parties avaient impérieusement ressenti le
besoin d'engager des négociations pour parvenir à un accommodement
de leurs droits divergents. II n'est pas sans intérêtde rappeler également

que, dans le préambule de la Convention de 1959 sur les pêcheriesde
l'Atlantique du nord-est, tous les Etats parties déclarent qu'ils sont:

1 IIressort de la compilation figurant dans Lay,Churchill, Nordquist, New Directions
inthe Law of the Sea, vol. 11,p. à798, qu'au le' août 1972 il existait non moins de
deux cent dix accords bilatéraux et multilatéraux traitant de divers aspects du droit de
la mer. Après les avoir passésen revue avec une minutie toute particulière, McDougal
et Burke concluent: 1Depuis que I'on a commencé à se préoccuper de questions de
conservation en 191 1...virtuellement tous les accords internationaux traduisent le
sentiment généralque la participation de tous les Etats qui ont un intérêtnon négli-
geableà l'égardd'une pêcherie est nécessaireaux fins d'une action efficace.)](McDougal
et Burke, The Public Order of the Oceans, 1962, p. 965.) ((Désireux d'assurer la conservation des stocks de poisson et
l'exploitation rationnelle des pêcheriesde l'océan Atlantique du
nord-est et des eaux adjacentes ..))
De même, lesdispositions de la Convention sur la pêcheet la conserva-

tion des ressources biologiques de la haute mer imposent à tous les Etats
le devoir de prendre:des mesures pour assurer la conservation de ces res-
sources. A l'article premier, paragraphe 2, il est dit:

((Tous les Etmatssont tenus d'adopter ou de coopéreravec d'autres
Etats pour adopter telles mesures applicables à leurs nationaux
respectifs qui pourront êtrenécessaires pour la conservation des
ressources biologiquesde la haute mer. ))(Les italiques sont de nous.)

Ces dispositions sont renforcéespar celles de l'article 4, paragraphe 1,
où il est dit:

((Si les nationaux de deux ou plusieurs Etats se livrent à la pêche
du mêmestock ou des mêmesstocks de poisson ou autres ressources
biologiques marines dans une ou plusieurs régionsde la haute mer,
ces Etats engagent, à la demande de l'un d'eux, des négociations
en vue d'imposer d'un commun accord à leurs nationaux les mesures
nécessaires pour la conservation des ressources biologiques affec-
tées.))(Les italiques sont de nous.)

Bien que l'Islande ne soit pas partieà cette convention, il est permis de
supposer, compte tenu de la pratique des Etats etdu fait que la nécessité
des mesures de conservation est de plus en plus largement reconnue et
son urgence admise, que le principe que cette convention proclame peut

constituer une nornie de droit international coutumier, surtout si l'on
se souvient de l'observation suivante faite par M. Tanaka en une autre
occasion:
((L'existence d'une organisation mondiale comme les Nations

Unies, celle de la Commission du droit international, et leur acti-
vité,d'une manière générale,ne peuvent qu'accélérer laformation
rapide d'un droit coutumier. ))(C.I.J. Recueil 1969,p. 177.) 1

Un autre argument peut êtretiré dela clause restrictive de l'article 2 de
la Convention sur la haute mer, que l'arrêt mentionne fréquemment.
L'obligation de tenir dûment compte des intérêtsdes autres Etats,
qu'énonce l'article 2, est évidemment une norme juridique que tous les
Etats doivent respecter. Son exécutionpeut être demandéepar tout Etat
qui prétend qu'un autre Etat porte atteinte à ses intérêts,si bien qu'il
en résulte uneobligation de parvenir à un certain arrangement par des

méthodespacifiques. 11convient également de relever que, dans son com-

1 Comparer égalemerit l'observation faite par M. Sorensen (C.I.J. Recueil 1969,
p. 242à 247). Voir, d'une façon générale, Baxter, ((Treaties and Customj), Académie
de droit international de La Haye,ueildes cours,1970, 1,p. 31 à 104.mentaire sur le projet préliminaire quiest finalement devenu l'article 2 de
la Convention sur la haute mer, la Commission du droit international a
indiquéque les droits que visaient les règlesénoncéesétaientnotamment:
((Des droits des Etiits relatifsà la conservationdes ressources biologiques
de la haute mer. )) (Annuaire de la Commission du droit international,
vol. 11,1956,p. 278.) (Les italiques sont de nous.)
Il serait non seule:mentfastidieux, mais inutile, de poursuivre cette ana-

lyse en mentionnant des problèmes analogues qui se posent dans des
domaines autres quiecelui des pêcheries.Je ne puis cependant manquer
d'appeler l'attention sur les observations que M. Jessup a formuléesdans
son opinion individuelle relative aux affaires du Plateau continentalde la
mer du Nord et où il parle du principe, renforcé par la pratique des Etats,
qui proclame la nkcessitéde la coopération internationale en matière
d'exploitation d'une ressource ((naturelle)) commune à deux Etats au

moins. Aux exemples qu'il cite et à ceux que l'on trouve dans l'article
d'onorato, Apportionment of an International Petroleum Deposit »,
17International andComparativeLaw Quarterly(1969)auquel il renvoie,
on peut en ajouter bien d'autres (C.I.J. Recueil 1969, p. 82 et 83).
Envisagédans cette large optique, le pouvoir de la Cour de statuer sur
cette question et de proclamer l'existence d'un devoir de négocier de

bonne foi me parait. fondé en droit.

J'ai fait mention un peu plus haut d'éléments de ((justicedistributive »;
cela m'amène à ajatuter quelques observations, à titre d'explication, au

risque mêmede paraître pontifier.
Tant dans son aspect pratique que dans ses répercussions à long terme,
la présente affaire :soulèvele problème de la répartition rationnelle et
satisfaisante de ressources limitéesou de ce que l'on présume être des
ressources limitées. Elle offre un exemplepour ainsi dire typique de ce
que, dans les théories classiques de la justice, on qualifie de justice dis-

tributive par opposition a la justice commutative (parfois appeléecor-
rective).
De toute évidence, ce n'estguèreici qu'il convient d'entreprendre une
analyse abstraite dei<conditions auxquelles doit répondrece qui pourrait
êtreunejuste solution d'une controverse déterminée. Beaucoupd'encre a
coulésur cette question généraleet il serait prétentieux, et probablement
vain, que je ]'abordLe.Je tiens seulement à dire qu'à la différencede la

justice commutative, la justice distributive pourrait fournir un utile élé-
ment pour analyser la nature d'un différend,le rôle d'un tribunal et le
caractère des normes qu'il peut appliquer 1.
- -- -- - -
1 La notion de justiice distributive peut être analysée de plusieurs façons dont
certaines ont étéexamiinéesdans diverses opinions relatives aux affaires duPlateau
continentalde la mer du Nord. Je reconnais volontiers que, dans le contexte de ces
affaires, le recours par la République fédérale d'Allemagnecette notion était dis-
cutable. En simplifiant biraucoup les choses, on pourrait dire que la différence
entre ces deux sortes de justice est la suivante: les questions liées à l'éta-
blissement d'un syiitèmeou d'un régimede répartition équitabledes res-

sources comportent des élémentsde justice distributive; en revanche, les
perturbations apportées à un tel systèmesont du ressort de lajustice com-
mutative 1.
Il est permis de supposer que les premières sont du ressort du pouvoir
législatif tandis que les secondes relèvent de la Cour. Mais ce moyen
facile d'éluder le problème ne tient aucun compte du climat tumultueux
dans lequel naissent lesdifférends,de la façon dont on en saisit la Cour et
il méconnaîtla nécessité de leur apporter une solution.

Dans la présenteaffaire, on peut faire valoir, comme l'a fait l'Islande,
que, pour assurer uinerépartitionjudicieuse des ressources, il faudrait s'en
remettre aux normes juridiques qui pourraient se dégagerde la troisième
Conférencesur ledroit de la mer. Leméritequepeutavoir cetteposition est
cependant neutralisépar le simple fait que la Cour doit statuer sur une af-
fairequi comporte,fondamentalement, deséléments dejustice distributive.
Aucune théoriedu processus judiciaire qui interdirait à un tribunal

d'analyser tous les élémentsque peut faire intervenir un différend, de
réclamer tous renseignements à l'appui, même ceuxde caractère haute-
ment scientifique, et de ((dire le droit))en ce qui concerne l'établissement
d'un systèmede répartition, ne saurait empêcherla Cour de le faire. Mais
si l'on tient compte de considérations d'ordre pratique, politique et psy-
chologique, on est amené à conclure que cette fonction peut êtrele mieux
remplie, dèsl'origine du différend, par les parties elles-mêmesou, mieux
encore, par d'autres organes particulièrement qualifiéspour apprécierles

intérêtsen présence ainsique les facteurs scientifiques pertinents, sou-
peser les valeurs en jeu et dire s'il faut continuerà revoir le régimepour
l'aménager enfonction de l'évolution dela situation. C'esten sebornant à
fournir les principes juridiques directeurs qui pourraient faciliter I'éta-
blissement du systè:meet, au cas où un différendviendrait ultérieurement
à surgir, en s'employant à rectifier les perturbations apportées au système
que la Cour s'acquitte au mieux de sa fonction. Tout au long de ses tra-

vaux, la Cour a considéréen mêmetemps que lesparties négocieraient,en
fait, de bonne foi.
Telle est, deoute évidence, la positionque la Cour a adoptée aux sous-
paragraphes 3et 4 tlu dispositif de son arrêt.Vu sous cet angle, sa décision
complète les décisrionsqu'elle a prises dans les deux sous-paragraphes
précédents,en mêmetemps qu'elle répond aux impératifs de la justice
distributive.

(Signé)Hardy C. DILLARD.

1 La distinction (encore que sousune forme différentede la mienne) est généralement
attribuéeà Aristote qui l'examine,à propos de la justice1particulière», dans sa
d'autres référencesete brève explication de cette distinction dans Académiede droit
international de La Haye,ecueildes cours, tome 91, 1957-1,p. 549-550.

Bilingual Content

SEPARATE OPINION OF JUDGE DILLARD

1concur in the Judgment of the Court. 1am moved to write a separate
opinion first to elaborate on a few possibly controversial aspects of the

Judgment and second to put it in a broader perspective.

The present controversy centres on the familiar problem of conflicting

interests between a coastal State claiming special dependence on "coastal"
fisheries and a "distant-water" State (so called), whose traditional rights
and continuing needs clash with those of the coastal State 1.But, while
the general problem is a familiar one, the particular problem confronting
the Court was more sharply focussed. It hinged on the meaning to be

attributed to the Exchange of Notes of 11 March 1961, which the Court,

1 In the waters around Iceland, embraced in an area known technically as ICES-
Region Va, the yearly average catchfrom 1952-1972was approximately 1million tons.
Iceland, the United Kingdom and the Federal Republic of Germany take regularly 96
to 97 percent. of the total catch. The main fish species are at present cod, capelin,
saithe, redfish and haddock. (Until 1966, herring was also important.) The five species
represent 94 per cent. of al1species and among the five, cod are the most important.

The life cycle, migratory habits and reproduction factorof al1 species are directly
connected with the hydrography of the area including the effect of the warm and saline
water of the Gulf Stream.
A graphic account of these matters accompanied by a comprehensive series of charts,
diagrams and statistical data was presented to the Court by Dr. Arno Meyer, at its
public sitting on 28 March 1974. It will appear in the Pleadings series of the Court
dealing with the companion case of the Federal Republic of Germany.

Detailed statistical data bearing on the economic aspects of the fishery industry in
relation to the threenations, appeain FA0 Circular No. 314, entitled "The Economic
and Social Effects of Fishing Industry-AComparative Study" (Rome, 1973). Perhaps
the most significant single fact disclosed in the survey is that fish exports represent for
Iceland 83 per cent. of al1exports. On the other hand, while Iceland has a significant
surplus of local production over consumption, the other two States depend for fish
largely on non-local sources. The FA0 Circular while also revealing employment
figures dealing with the catch and landing of fish, does not purport to include data on
the processing and distributing of fish or in the manufacture of boats, gear and associ-
ated industries. In assessing the scope of conflicting interestboth biological and
economic factors are, of course, significant. Matters of this kind are dealt with exten-
sively in McDougal and Burke, The Public Order of the Oceans (1962) and D. M.
Johnston, The InrernationalLaw of Fisheries(1965). OPINION INDIVIDUELLE DE M. DILLARD

[Traduction]

Je souscris à l'arrêtde la Cour. Sije présente uneopinion individuelle,
c'est d'abord pour développer quelques aspects peut-être sujets à contro-
verse de cet arrêtet ensuite pour le situer dans une perspective plus vaste.

Le nŒud du différendest le problème classique nédu conflit d'intérêts

entre un Etat riverain 1qui sedéclarespécialementtributaire de ses ((pêche-
ries côtières)) et un Etat pratiquant la pêchedite ((lointaine )),dont les
droits traditionnels et les besoins présents s'opposent à ceux de 1'Etat
riverain. Cependant, si le problème généralest classique, le problème

particulier qui se pose à la Cour est plus nettement circonscrit. 11s'agit du
sens à donner à l'échangede notes du 11 mars 1961, dont la Cour, au

1 Dans les eaux qui entourent l'Islande, situéàsl'intérieur d'unezone technique-
ment désignéecomme la région Va du Conseil international pour l'exploration de la
mer, les prises ont atteint en moyenne, de 1952à 1972, environ un million de tonnes
par an. L'Islande, le Royaume-Uni et la République fédérale d'Allemagnecapturent
régulièrementde 96 à97 pour cent du volume total des prises. Les principales espèces
de poissons sont actuellement la morue, le capelan, le colin, le sébaste et l'aiglefin.
(Jusqu'en 1966, le hareng occupait aussi une place importante.) Sur l'ensemble des
espèces,ces cinq-là représentent 94 pour cent dutotal; la morue tient la première place.
Le cycle biologique, les habitudes migratoires eles facteurs de reproduction de
toutes les espècessont directement liésl'hydrographie de la région, ycompris l'action
des eaux chaudes et saIlies du Gulf Stream.
Une présentation gra.phique de ces problèmes, avec une sériecomplète de tableaux,
de diagrammes et de données statistiques a étésoumiseà la Cour par M. Arno Meyer
à l'audience publique du 28 mars 1974. Elle figurera dans le volume des Mémoires,
plaidoiries et document::oncernant l'affaire parallèle de la Compétenceen matière de
pêcheries(République fidérule d'Allemagne c. Islande).
Des renseignements statistiques détailléssur les aspects économiquesde l'industrie de
la pêchepour les trois nations figurent dans la circulaire no 314 de la FAO, intitulée
Les effets économiques et sociaux de l'industrie de la pêche- Etude comparée »
(Rome, 1973). Le plus significatif de tous les faits résans cetteétude est peut-être
que les exportations de poisson représentent, pourIslande, 83 pour cent de l'ensemble
des exportations. Si ['Islande a une production locale sensiblement excédentaire par
rapport à la consommation, les deux autres Etats sont en grandpartie tributaires des
sources non locales pour les produits de la pêche.La circulaire de la FAO, tout en
donnant aussi des chiffres sur l'emploi dans le secteur de la capture et du débarquement
des poissons, ne prétend pas fournir de renseignements sur la transformation et la
distribution du poisson, la construction des navires, l'équipement, et les industries
connexes. Pour apprécier la portée des intérêtsen conflit, il faut évidemment tenir
compte à la fois des facteurs biologiques et économiques. Des problèmes de ce genre
sont examinésen détail par McDougal et Burke dans The Public Order of the Oceans
(1967) et D. M. Johnston, The International Lawof Fisheries (1965).

5454 FISHERIESIURISDICTION (SEP. OP. DILLARD)

at the jurisdictional phase of the present proceedings, had definitively
pronounced to be a treaty in force between the Parties. The impact of that
treaty on the nature and scope of the Court's jurisdiction and the rights
of the Parties consequent upon the submissions of the Applicant were by
no means self-revealing. It resulted that the Court could not agree on al1
aspects of the case.

As in other controversies, an appreciation of the factual and legal
issues depends, to some extent, on the general approach which individual
judges bring to bear on their analysis.
In the present case there was little doubt that the attempt by Iceland
unilaterally to exerciseexclusive jurisdiction in the disputed waters could
not be opposed to the vessels of the United Kingdom. But the reasons
in support of this conclusion did not reflect a uniform approachand this,
in turn, affected varying interpretations to be given to the requirements
of the treaty and the submissions of the Applicant.
At the outset, 1should say that the Judgment of the Court reflects an
approach which 1consider soundly grounded. On the other hand, other

approaches were, in my view, by no means lacking in persuasive force.
1 shall elaborate briefly on two of them. 1 shall then turn to the special
problem involved in responding to the Applicant's third and fourth
submissions 1.

One such approach would rest on the proposition that Iceland has
materially breached the Exchange of Notes of 1961which the Court had
previously pronounced to be a treaty in force. The terms and implication
of that treaty admit of no doubt. Even if Iceland, in keeping with her

repeatedly announced aspiration to extend her limits-an aspiration also
embedded in the treaty-had been privileged unilaterally to pronounce
an extension, she was not legally privileged to apply that extension to the
vessels of the United Kingdom except under any one of three contingen-
cies: (a) that the United Kingdom failed to challenge it or (6) that
through negotiations the Parties reached an agreement or (c) that, if
challenged, this Court would have pronounced on whether the extension
was well founded under international law.
The analysis of the treaty, including the obligation to give six months'
notice of any extension and the obligation to have recourse to the Court,
have been analysed in detail in the Judgment of the Court at the juris-

dictional stage and need not be repeated here 2.Sufficeit to say that the
requirement that "in case of a dispute in relation to such extension, the
matter shall, at the request of either Party, be referred to the International
Court of Justice", was no mere severable clause of minor significance

1AI1of the Applicant's submissionsareset out in para. 11of the Judgment.
2 Judgmentof 2 February 1973, I.C.J. Reports 1973, pp. 8-16.

55stade juridictionnel de la présente affaire, a définitivement jugéqu'il cons-

titue un traité en vigueur entre les Parties. L'effet de ce traité sur la na-
ture et la portéede la compétence de la Cour et les droits des Parties, eu
égardaux conclusions du demandeur, n'était nullement évident. La Cour,
pour cette raison, in'apas pu se mettre d'accord sur tous les aspects de

l'affaire.
Comme dans d'autres controverses, l'appréciation des points de fait et
de droit dépend,jusqu'à un certain point, de la conception généraledont
chaque juge s'inspire dans son analyse.
En l'espèce, il n'&ait guère douteux que la tentative faite par l'Islande

pour exercer unilatéralement une compétence exclusive dans les eaux
litigieuses n'était pas opposable au Royaume-Uni. Mais les motifs in-
voqués à l'appui de cette conclusion ne traduisent pas une conception
uniforme et cette diversité a entraîné des interprétations variées quant

aux exigences du tr,aitéet aux conclusions du demandeur.
Je dois dire tout de sliite que l'arrêt dela Cour s'inspire d'une concep-
tion, selon moi, solidement justifiée. Cela n'empêchequ'à mon sens
d'autres conceptions n'étaient nullement incapables d'emporter la con-
viction. Je m'arrêterai brièvement sur deux d'entre elles. S'examinerai

ensuite le problèmi: particulier de la réponse aux troisième et quatrième
conclusions du demandeur 1.

L'une de ces conceptions part de l'idéeque l'Islande a commis une
violation substantii:lle de l'échangede notes de 1961dont la Cour a déjà
déclaré qu'ilconstitue un traitéen vigueur. Les clauses et lesconséquences

de ce traité ne laissent pas place au doute. Mêmesi l'Islande, confor-
mément à son inteintion maintes fois déclarée d'élargirsa zone de pêche
- intention inscrite, elle aussi, dans le traité- avait eu la facultéde pro-
noncer unilatéralerrient un tel élargissement, elle n'avait pas le droit d'ap-

pliquer cet élargissement à l'encontre des navires du Royaume-Uni, sauf
dans trois éventualités:a) si le Royaume-Uni s'abstenait de le contester
ou b) si les Parties aboutissaient à un accord par voie de négociation ou
c) si, à la suite d'une contestation, la Cour statuait sur la licéitéde l'élar-
gissement en droit international.

Le traité, où sont énoncées l'obligation de notifier tout élargissement
six mois à l'avance et celle de s'adresser à la Cour, a été analysé en détail
dans I'arrêtrendu au stade de la compétence et point n'est besoin d'y
revenir ici 2. LIsuffira de dire que la clause aux termes de laquelle ((au cas

où surgirait un différend en la matière, la question sera portée, à la
demande de l'une ou l'autre partie, devant la Cour internationale de
Justice ))ne constituait pas simplement une clause dissociable en raison de

1 Toutes les conclusions du demandeur sont énoncéesau paragraphe II de l'arrêt.
2 Arrêtdu 2 février 1973, C.I.J. Recueil 1973, p. 8-16.55 FISHERlESJURISDICTION (SEP. OP. DILLARD)

but an essential element of the entire agreement, the importance of which
to the United Kingdom was underlined in the negotiations. And its
importance was enhanced by providing an amicable method of resolving
a potential dispute.

It hardly needs extensive elaboration to demonstratethat when Iceland
agreed to a specifiednlethod whereby an extension of fisheriesjurisdiction
by Iceland could be effected vis-à-vis the United Kingdom, her repudia-
tion of that method constituted a material breach of the treaty. It is
almost axiomatic that when an agreement or other instrument itself

provides for the way in which a given thing is to be done, it must be done
in that way or not at al1 (1.C.J.Reports 1972, p. 68).
This approach, based on a clear violation of the treaty, would render
irrelei~anat the "merit" stage of the dispute any purported theory Iceland
might advance to justify her extension. This is true whether the alleged
justification is keyed to a change in customary law, or to the "reason-

ableness" of the extended limits by reference to the continental shelf
doctrine or any other reason. So long as the treaty is one in force she is
not legally privileged to repudiate it, or to ignore the method whereby
the dispute was to be resolved.

The consequence of this approach would be to allow the Court to

adjudge and declare that under international law Iceland is not privileged
to take the law into her own hands and, so far as the present proceedings
are concerned, she cannot therefore oppose her extension to the United
Kingdom.
It might be objected that this approach is based on too narrow a view
of the nieaning of the merits as contemplated in the Exchange of Notes

of 1961 and that it does not sufficiently dispose of the controversy. In
any event, while a permissible approach, it was not adopted.
Another approach which the majority of the Court failed to adopt but
which can be rationally defended is of an entirely different order (needless
to suggest those who espouse this approach are not to be charged with

my way of putting the matter). 1shall key it to the first submission of the
United Kingdom.
That submission asked the Court to adjudge and declare:

". .. that the claim by Iceland to be entitled to a zone of exclusive
fisheries jurisdiction extending 50 nautical miles from baselines
around the Coast of Iceland is without foundation in international
law and is invalid".

It will be observed that the sweeping character of this submission
differed from the second and third submissions (which, in effect, the
Court responded to favourably) in that it appeared to require the Court
to Saythat the proclaimed extension was ipsojure not well founded under

international law erga onines,whereas the second and third submissions
strictly confined the issue to the opposability of the extension to the
United Kingdom.son intérêt secondaire;c'était un élément essentielde l'ensemble de

l'accord, dont le Royaume-Uni a souligné l'importance au cours des
négociations. Cette importance tenait en grande partie à ce qu'elle
prévoyait une méthode amiable de règlement des différendséventuels.
Il n'est guère nécessairede s'attarderà démontrer que, I'lslande ayant
donné son accord sur une méthodepar laquelle elle pourrait élargir sa
compétenceen matière de pêcheries vis-à-visdu Royaume-Uni, elle com-
mettait, en ne l'appliquant pas, une violation substantielle du traité.C'est
presque un axiome de dire que quand un accord ou autre instrument
stipule qu'un acte doit être accomplid'une manière précise,il doit l'être
ainsi ou pas du tout.
Cette conception de l'affaire, quisefonde sur une violation flagrante du
traité,priverait depertinence,lors de l'examen du différendau fond, toute

théorie que l'Islande pourrait invoquer pour justifier l'élargissement
décidé par elle. cela^est vrai, que lajustification invoquéesefondesur une
modification du di-oit coutumier, sur ccle caractère raisonnable)) des
limites élargieseu égard àla doctrine du plateau continental, ou sur tout
autre motif. Tant que le traitéreste en vigueur, l'Islande n'a pas le droit
de le rejeter, nielui de s'écarterde la métliode prévuepour réglerle dif-
férend.
Cette conception de l'affaireaurait pour effet de permettreà la Cour de
dire et juger que selon le droit international'Islande ne saurait se faire
justice à elle-mêmeet qu'en ce qui concerne la présenteinstance elle ne
saurait donc opposer l'élargissement décidé par elle au Royaume-Uni.

On peut objecter (quecette manière de raisonner se fonde sur une inter-
prétation trop étroitede ce qu'est leccfond )de l'affaire, telque l'envisage
l'échangede notes de 1961,et qu'elle laissele litige imparfaitement résolu.
En tout cas, cette conception, qui pouvait sejustifier, n'a pas été retenue.
Ily en a une autri: que la majorité dela Cour n'a pasadoptée, que l'on
peut rationnellement justifier mais qui se situe sur un tout autre pla- il
va sans dire que les partisans de ce point de vue ne sont pas responsables
de ma façon de le présenter.Je le rattacherai à la premièreconclusion du
Royaume-Uni.
Cette conclusion (demandait à la Cour de dire et juger:

((que la prétention de l'Islande d'avoir droit à une zone de compé-
tence exclusive sur les pêcheriesjusqu'à 50 milles marins à partir des
lignes de base tracéesautour de ses côtes est sans fondement en droit
international et n'est pas valable.

On notera que cette conclusion diffère,par son caractère général,des
deuxième et troisième conclusions, que la Cour a d'ailleurs accueillies
favorablement,car elle semble demander à la Cour de dire que I'élargisse-
ment proclamé était ipso jure dépourvu de fondement en droit interna-
tional erga omnes, alors que les deuxièr,.; et troisième conclusions limi-
tent rigoureusement le litige à l'opposabilité de cet élargissement au
Royaume-Uni. Naturally a pronouncement on the first submission would have auto-
matically embraced the second and third. Furthermore its terminology
corresponded to the main thrust of the language employed in the nego-
tiations preceding the adoption of the Exchange of Notes of 1961.

The reluctance to pronounce on this submission may be attributable
to three separate but related considerations. (L cannot speak for my
coHeagues, 1 am only expressing my own assessment.)
First, there was the notion that the state of customary international

law in 1972 with respect to unilateral extensions of fishery jurisdiction
was so charged with uncertainty, viewed simply as a kind of "head count"
analysis of State practice, as to make tenuous any definitive pronounce-
ment on this issue.
Second, there was the deeper notion, keyed to the very nature of the

evolutionary character of customary international law which would
deny that it can or should be captured in the classical formula of repetitive
usage coupled with opinio juris, instead of recognizing that it is the
product of a continuing process of claim and counter-claim in the
context of specific disputes. This concept would render intellectually

suspect any definitive pronouncement on the "12-mile rule" erga omnes,
which, because of its too generalized nature, tended to ignore the many
variables that give content to customary international law and condition
its application.
Third, there was the inarticulated notion that because of the Third

Conference on the Law of the Sea it would be imprudent for the Court
to attempt to pronounce on the issue of a "fixed" limit for the extension
of fisheriesjurisdiction when the issue was in a state of such acknowledged
political and legal flux.

In stating these notions 1 do not mean to imply that the Court was
inclined to duck the issue of the validity of Iceland's extension under
international law on the ground that it was too difficult to assess. It only
sought a way of avoidingthe pronouncement on the issue in the expansive

way required by the United Kingdom's first submission. In essence it did
so by emphasizing the exclusire character of the claimed extension in
defiance of the established rights of the United Kingdom. This, it held
to be contrary to the over-riding norm of international law enshrined in
the qualifying paragraph of Article 2 of the 1958Convention on the Law

of the Sea, a norm (or standard) applicable erga onlnes 1. This approach,
reflected in the first and second subparagraphs of the dispositiS, made it

1 Article 2 specifies that freedom of the high seas comprises freedoni offishing, along
with freedom of navigation, to lay submarine cables and pipelines and freedom to fly
over the high seas. The qualifying paragraph States:
"These freedoms, and others which are recognized by the general principles of
international law, shall be exercised by al1 States wrth reasonnble regard to the
interests of other States in their exercise of the freedom of the high seas." (Em-
phasis added.)
The "norm" expressed by this Article1scouched in the language of a "standard Naturellement, une décisionsur la première conclusion aurait automa-
tiquement englobéla deuxième et la troisième. De plus, ses termes cor-
respondaient, pour l'essentiel, à ceux dont on s'est serviau cours des négo-
ciations qui ont précédé l'adoption de l'échangede notes de 1961.
Le peu d'empressement mis à statuer sur cette conclusion peut s'expli-
querpar trois considérations distinctesmaisconnexes. (Je ne saurais parler

au nom de mes collègues,et ne donne que mon impression personnelle.)
La première considération a étéque, à s'en tenir à une analyse en
quelque sorte numérique de la pratique des Etats, l'étatdu droit interna-
tional coutumier relatif aux extensions unilatérales de la compétenceen
matière de pêcheriesétaitsi incertain en 1972qu'il rendait fragile toute
décisiondéfinitive à1ce sujet.
La deuxième considération a été la conviction plus profonde, liée à la

nature mêmedu caractère évolutifdu droit international coutumier, que
l'on ne peut ni ne doit identifier celui-ci grâce à la formule classique
- usage répeté joint a l'opiniojuris- mais qu'il faut reconnaître en lui le
produit d'un processus continu de revendications et de contre-revendica-
tions dans le contexte de différends précis.Cette notion rendrait intellec-
tuellement suspecte toute décision définitive sur l'applicabilité ergaomnes
de la ((règledes 12 milles ))qui risquerait, par son caractère trop géné-
ral, de ne pas tenir compte des nombreuses variables qui donnent son

contenu au droit international coutumieretconditionnent sonapplication.
La troisième considération a étél'idée inexmimée au'à cause de la
troisième Conférencesur le droit de la mer il sirait imp;udent de la part
de la Cour d'entreprendre de statuer sur la question d'une limite ((déter-
minée ))en ce qui concerne l'élargissementde la compétenceen matièrede
pêcheries,question dont il est reconnu qu'elle est en pleine évolutionsur
le plan politique etjuridique.
En énonçant ces idées, jen'entends pas suggérerque la Cour a préféré

esquiver le problème de la validitéen droit international de l'extension
décidéepar l'Islande pour le motif qu'il étaittrop difficiled'yrépondre.La
Cour a seulement cherché un moyen de ne pas statuer sur ce point dans
les termes générauxque réclamait la première conclusion du Royaume-
Uni. Pour l'essentiel, elle y est parvenue en insistant sur le caractère
exclusif de l'extension revendiquée au mépris des droits établis du
Royaume-Uni. Elle a jugé que ce caractère était contraire à la norme
supérieure de droit international inscrite dans la clause limitative de

l'article2 de la Convention de 1958sur la haute mer, norme (ou principe)
applicable erga omnes 1.Cette conception de l'affaire, qui apparaît dans

1 L'article 2 précise que la liberté de la haute mer englobe la libertéde là pêche,
côté de la liberté de la navigation, de la liberté de poser des câbles et des pipe-lines
sous-marins et de la liberté de survol. La clause limitative dispose:
«Ces libertés, ainsi que les autres libertés reconnues par les principes généraux
du droit internationial, sont exercéespar tous les Etats en tenant raisonnablement
compte de l'intérêtquela liberté de la haute mer présente pour les autres»Etats.
La «norme» énoncéedans cet article est formulée à la manière d'un «principe»unnecessary for the Court to pronounce definitively on the so-called
12-milerule or the United Kingdom's first submission.

Having said this, 1am impelled to make the following observations.
The contention that by the middle or late 1960scustomary international
law had crystallized to a point which set an outer limit of 12 miles for

exclusive fishery zones, while not conclusive, is persuasive. "Head counts"
dealing with "State" practice, Vary to some extent owing to different
criteria as to what is exclusive (see FA0 Circular No. 127, Rome, August
1971). Clearly the issue is realistically framed not in terms of a set limit

of 12 miles but is keyed rather to the number of States whose territorial
sea andior exclusive fisheries jurisdiction taken jointly or separately do
not exceed 12 miles. An authoritative analysis of 147 independent

countries shows, as of August 1972, 96 States with 12 miles or less, 19
with limits ranging from 15to 200 miles, 4 ambiguous and 28 landlocked.
A United States State Department tabulation of 123jurisdictions showed

88 per cent. as having 12 miles or less and 12 per cent. in excess of 12
miles. Other kinds of enumerations are plentiful. To determine the
significrrnce of these and other tabulations, account would need to be
taken of geographical spread, degrees of maritime interest and many

other factors beyond the reach of this opinion. References in the United
Kingdom Memorial on the merits illuminate some of these factors
(paras. 245-257) 1.

- -- -- p.-

and not that of a "rule" (in the narrow sense). This means that a court, or any other
decision-maker, has more flexibility in applying it than if it required an exercise in what
is called "jura1 syntax". The use of "standards"permits some accommodation of the
need for a "general norm" permitting a tolerable degree of predictability with the need
to adjust to the peculiarities of a special situation, a point to be alluded to later in this
opinion.
On the meaning of "standards" see Pound, "Hierarchy of Sources and Forms in
Different Systems of Law", 7 TirlarieLaw Review, 475 (1933) and on the use of standards
in "individualizing" the application of law see Pound, Aii Introductioii ro tl~ePhi-
losopliy of Law (1953). p. 64.
1The warning should be sounded that tabulations of jurisdictional extensions may
be misleading unless an analysis is made of the degree of control the coastal State
purports to exercise. IFA0 Circular No. 127(Rome, 1971)the criterion of "exclusive"
jurisdiction ~isedin its enumeration, includes any State which reserves to its nationals
the right to fish "regardless of whether the legislation or an agreement to which
itis a party permits fishing by non-nationals subject to certain conditions" (p. 1257).
While this might be an acceptable criterion it may not coincide with that in other
enumerations which would not include agreed upon conservation measures as con-
stituting an "exclusive" claim.
For some ~incertainties in this area, see: Stevenson,"Who is to Control the Oceans:
US Policy and the 1973 Law of the Sea Conference", Vol. VI, Tl~eItlternatio~~alLawyer

58les sous-paragraphes 1 et 2 du dispositif, dispensait la Cour de statuer

définitivementsur la règleditedes 12milles ou sur la première conclusion
du Royaume-Uni.
Cela dit, je tiens ;i présenterles observations suivantes.

L'affirmation selon laquelle, vers le milieu ou la fin des années 60, le
droit international coutumier s'était cristalliséde sorte que la limite

extérieure des zones de pêche exclusivesétait fixéeà 12 milles, sans être
concluante, paraît convaincante. Les évaluations numériquesrelatives à la
pratique des Etats varient dans une certaine mesure en raison des diffé-

rents critères retenus pour déterminer en quoi consiste l'exclusivité(voir
la circulaire des pêchesde la FAO, no 127, Rome, août 1971). 11est clair

que, si I'onveut être réaliste,la question n'est pas du toutde savoir s'ily a
une limite fixe de 12 milles, mais plutôt quel est le nombre d'Etats dont la
mer territoriale et 1:izone de pêche exclusive, prisesensemble ou séparé-

ment, ne dépassent pas 12 milles. Une analyse autorisée de la situation de
cent quarante-sept pays indépendants montre qu'en août 1972 quatre-
vingt-seize Etats avaient des limites de 12milles ou de moins de 12milles,

dix-neuf des limites qui allaient de 15 à 200 milles, quatre étaientdans une
situation ambiguë el:vingt-huit n'avaient aucune ouverture sur la mer. Un

tableau du Départernent d'Etat américainmontre que, sur cent vingt-trois
Etats, quatre-vingt-huit pour cent avaient des limites égalesou inférieures
à 12 milles et douze ilour cent des limites fixéesà wlus de 12 milles. II

existe de nombreuses autres sortes d'énumerations. Pour apprécier pleine-
ment laport& de ceCtsableaux et d'autres du mêmegenre, il faudrait tenir

compte de la répartition géographique, de l'importance variable des in-
térêtsmaritimes et clenombreux autres facteurs qui dépassent le cadre de
la présente opinion.. Des passages du mémoire du Royaume-Uni sur le

fond mettent en lumièrecertains de ces facteurs (par. 245-257) 1.

--pppp--p -.. ----
(sturidurd) et non d'une srèglel~au sens étroit de ceterme. Autrement dit un tribunal,
ou toute autre autorité, peut l'appliquer avec plus de souplesse que si elle obligeait à
mettreen Œuvre ce q~i'onpeut appeler la csyntaxe juridiq~ie1).L'emploi de cprincipes >J
permet de concilier j~isqii'à un certain point le besoin d'une ([norme générale))permet-
tant une prévisibilitk sufisante avec le besoin de s'adapter aux caractéristiques d'une

situation spéciale, point sur lequel je reviendrai dans la présente opinion.
Sur le sens des principes ou standards. voir Pound, fHierarchy of Sources and Forms
in Different Systems of Law)), 7 Tulane LUW Revirw, 475 (1933); sur l'emploi des
critères pour individualiser l'application du droit, voir Pound, An Introdriction to the
PIri1o~opI1.ovfLOIV (I953), p. 64.
1 Une mise en garde s'impose car les tableaux relatifs aux élargissements de compé-
tence risquent d'ind~iire en erreur si I'on n'analyse pas le degré de contrôle que 1'Etat
riverain prétend exercer. Dans la circulaire de la FA0 no 127 (Rome, 1971), le critère
~~cxc,lusive utilisé s'appliq~ieà tout Etat qui réserve le droit de
de la conipétence
pèche à ses ressortissan~ts iin~èmelorsque sa législation ou un accord auquel il est
partie autorise la pêchepar des non-nationaux sous réserve de certaines conditionsl~
(p. 1257). Rien q~i'acccptable, ce critère peut ne pas coïncider avec celui d'autres
én~imérationsoii les mesures de conservation décidéesd'un commun accord ne figu-
reraient pas comme des revendications (exclusives s .
Pour certaines incertitudes dans ce doniaine, voir: Stevenson, (Who is to control
the Oceans: I!S Policy and the 1973 Law of the Sca Conference)), vol. VI, The Inter-

5858 FISHERIESJURISDICTION (SEP. OP. DILLARD)

The argument that classically conceived customary international law
supports an outer limit of 12 miles is fortified by considering the fact,
of which the Court could take judicial notice, that in practice States
accord deference to the 12-milelimit as a matter of legal obligation and
not merely as a matter of reciprocal tolerance or comity. In contrast
many assertions of jurisdiction beyond 12 miles have generated protests
from affected States. Nor can a legitimate inference be drawn from lack
of protests by non-interested States that they necessarily acquiesce in
such unilateral extensions of exclusivejurisdiction 1.

The authority of the International Court of Justice is sometimes
invoked in support of a quasi-universalist, as opposed to a consensus

theory of customary international law. Thus in the Anglo-Norwegian
Fisheriescase the Court, in discussing the IO-milerule for bays, stated
{Z.C. RJeports 1951, 116at p. 131):

". .. the Court deems it necessary to point out that although the
ten-mile rule has been adopted by certain States both in their
national law and in their treaties and conventions, and although

certain arbitral decisions have applied it as between these States,
other States have adopted a different limit. Consequently, the
ten-mile rule has not acquired the authority of a general rule of
international law."
However, it is worth noting, as the Court pointed out, that Norway

had alwaysopposed anyattempt to apply the rule to the Norwegian Coast.
In striking contrast, Iceland, while reserving the aspiration to work for
an extension, yet freely acknowledged that she would abide by an outer
limit of 12miles in the Exchange of Notes of 1961.The elucidation of an
aspiration or pronounced intention, is not incompatible with the conces-
sion that, until it is achieved, she bound by the 12-milerule.

In fairness to the contentions of Iceland, however, it should be stated
that the analysis above does not do full justice to the arguments which,
on various officialoccasions, she has advanced. She starts from a different
premise which implicitly denies the premise on which the concept of an
"established" law depends. Because of the wide divergencies in State

practice, she contends, in effect, that theres no law or at best a lacuna
in the law viewed as a body of restraints on State conduct, and therefore

465-477 (1972). For a recentevaluation of varying South Americanclaims, see Garcia
Amador in 68 American Journalof InternationalLaw, 33-50 (1974).
1 Logicallyitdoes not follow that because "protest" shows lack of "acquiescence"
that lack of protest shows acquiescence. The matter is discussed in D'Amato,
TheConcept of Custom in InternationalLaw (1971), at pp. 85,98-102, 195. CONIPÉTENCEPÊCHERIES (OP. IND. DILLARD) 58

L'argument seloinlequel le droit international coutumier dans sa con-
ception classique consacre une limite extérieurede 12milles est corroboré
par le fait, dont la Cour pourrait prendre acte, qu'en pratique les Etats

reconnaissent la limite de 12 milles a titre d'obligation juridique et non
simplement par tolé:ranceréciproqueou par courtoisie. En revanche, nom-
breuses sont les prétentions à exercer une compétence au-delà de 12milles
qui ont suscitéles protestations des Etats touchéspar ces mesures. On ne
peut pas non plus l~igitimementconclure de l'absence de protestation des
Etats qui ne sont pas intéressés qu'ilsadmettent nécessairement cesexten-
sionsunilatérales de la compétenceexclusive 1.

L'autorité de la Cour internationale de Justice est parfois invoquée
pour justifier une théorie quasi universaliste, par opposition à une théorie
consensuelle du droit international coutumier. C'est ainsi que, dans I'af-
faire des Pêcheries entre le Royaume-Uni et la Norvège, la Cour a décla-
ré, à propos de la règle des 10milles applicable aux baies (C.I.J. Recueil
1951, p. 131):

((la Cour estime nécessaired'observer que si la règle des dix milles
a étéadoptée par certains Etats, aussi bien dans leurs lois nationales
que dans leurs traités et conventions, et si quelques décisions arbi-
trales en ont fait application entre ces Etats, d'autres Etats, en

revanche, ont adopté une limite différente. En conséquence, la
règledes dix miillesn'a pas acquis l'autorité d'une règlegénéralede
droit international n.

11convient cependant de noter que, comme la Cour l'a relevé, laNor-
vège s'était toujours opposée à toute velléitéd'appliquer la règle aux
côtes norvégiennes. Or, par un contraste marqué, tout en proclamant ses
aspirations à Œuvre:ren vue d'une extension future, l'Islande a volontai-
rement reconnu, dans l'échangede notes de 1961, qu'elle respecterait une
limite extérieure de 12 milles. Exprimer des aspirations ou des intentions
n'est pas inconciliable avec le fait d'admettre - comme I'lslande - que,

tant que ces aspirations ne sont pas réalisées,on est liépar la règle des
12milles.
Pour êtretout à fait équitableà l'égard des thèsesde I'lslande, il faut
dire cependant que l'analyse qui précède nerend pas entièrement justice
aux arguments qu'elle a invoqués officiellement en diverses occasions.
L'Islande part d'un principe différent qui exclut implicitement celui dont
procède l'idée d'un droit ((établi D. La pratique des Etats étant très

variable, I'lslande soutient en réalité qu'iln'y a pas de droit applicable
ou, du moins, que le droit considérécomme un ensemble de restrictions

national Law.ver 465-477 (1972). Pour une appréciation récente des revendications
variablesfoririulées en Amérique du Sud, voir Garcia Amador dans 68 American
Journal of Intertiational Law, 33-50 (1974).
1 Logiquement, ce n'est pas parce que les protestations établissent le défaut d'ac-
quiescement que I'abserice de protestations étaI'acquiescement; ce problème fait
l'objet d'un examenan:<D'Amato, Tlie Concept of Custom in International(1971),
p.85, 98à 102, 195.59 FISHERIES JURISDICTION (SEP. OP. DILLARD)

the law does not prevent the extension by each State of its exclusive

fisheriesjurisdiction. She is not claiming an exception to an established
rule but a different kind of rule, namely a permissive rule which, in the
absence of a specific rule to the contrary, permits the coastal State in a
special situation to extend unilaterally its jurisdiction to an extent that
it deems reasonable. She further claims that her extension is "reasonable"
because it coincides generally with the limits of her continental shelf.

It is immediately apparent that the argument above invites an enquiry
not only into the question of the burden of proof but at a deeper theo-
retical level into the much discussed question of State autonomy and

freedom of State action and presumptions flowing from such concepts.
In turn this goes back to the controversial Lotuscase 1 and to the manner
in which the International Court of Justice handled the submissions in
the Anglo-NorwegianFisheriescasel. It would extend this opinion to
inordinate lengths if these matters were broached in depth. Sufice it to
suggest at'present that, while the burden of proof problem may have

some relevance in determining factual and jurisdictional issues, it has
little bearing on the present case. Likewise with the notion of freedom of
State action. Borrowing from Lauterpacht 3, I would put the matter as
follows: if the exercise of freedom trespasses on the interests of other
States then the issue arises as to its justification. This the Court must
determine in light of the applicable law and it does not advance the
lean on a burden
enquiry to attempt to indulge in a presumption or to
of proof. It can be argued, for instance, that lceland was the "actor"
who sought to change the established law and the burden of proving legal
justification rests on her. Conversely it can be argued that the Applicant
was in the role of plaintiff and should therefore have the burden of
establishing the illegality of Iceland's actions. In either event the Court

must determine the rights of the Parties. Freedom of State action and
burdens of proof suggest analogies to the criminal and civilprocedures of
some States. Applied to the present case the analogy is misplaced.

- ~-

1 P.C.I.J., Series A, No. 10 (1927) at p. 18. Cf. Hudson, Tlie Pertnanent Court of
It2fI.C.J. Reports 1951, p. 116.Cf. Waldock, "The Anglo-Norwegian Fisheries Case",
28 Brifish Year Book of International La~v(1951). p. 114 and Fitzmaiirice, "The Law
and Procedure of tlie International Co~irt of Justice, 1951-1954: General Principles
and Sources of Law", 30 Brifislr Year Book of lntertrational Law'(1953), pp. 8-26.
3 Lauterpacht, The Developtnent of Itrt~~rtiatiotialL/?ytlie Ititernational Coiirt
(1958), p. 361. See also, Fitzmaurice, "The Law and Procedure of the International
Court of Jiistice, 1951-1954: Questions of J~irisdiction. Competcnce and Procediire",
34 Britisli Year Book of Ititertiafiotial Law (1958), pp. 149-150.s'imposant au comjportement des Etats présentedes lacunes, donc que le
droit ne s'oppose pas à ce que chaque Etat élargisse sa compétence ex-
clusive en matière de pêcheries.L'lslande n'invoque pas une exception à

une règleétablie, niais une règle d'un genre différent, à savoir une règle
d'habilitation, qui, àdéfautde règleparticulière en sens contraire,permet

à 1'Etat riverain se trouvant dans une situation spécialed'étendre unila-
téralement sa juridiction dans des limitesjugées par lui raisonnables. Elle
soutient en outre que l'extension décidéepar elle est ((raisonnable 1)car

elle coïncide d'une: manière générale avecles limites de son plateau
continental.
On voit tout de suite que cet argument conduit à se poser non seule-

ment la question de la charge de la preuve, mais aussi, en poussant plus
loin la recherche théorique, la question très discutée de l'autonomie des
Etats et de leur lib'ertéd'action et des présomptions qui en découlent.

Cela nous ramène à I'affaire controversée du Lotus 1 et à la démarche
suivie par la Cour internationale de Justice en présencedes conclusions
dont elle était saisie:dans l'affaire des Pêcheries2. Je ne saurais examiner

ces problèmes en profondeur sans allonger démesurément la présente
opinion. Qu'il mesuffisede dire pour le moment que, si le problème de la
charge de la preuve peut avoir une certaine importance quand il s'agit de

se prononcer sur des questions de fait et de compétence, iln'a guère d'in-
térêd t ans la présenteespèce. Il en va de mêmede la notion de la liberté
d'action des Etats. M'inspirant de Lauterpacht 3,je dirai que, si l'exer-

cice d'une libertéporte atteinte aux intérêtsd'autres Etats, la question de
sa justification se pose. La Cour doit statuer sur cette question à la lu-
mière du droit applicable et, il n'y a guère avantage à essayer de se per-

mettre des présompi:ions,ou de se fonder sur l'incidence de la charge de la
preuve. On peut soutenir, par exemple, que l'Islande a étéla partie agis-
sante qui s'est efforcéede modifier le droit établiet que c'est à elle qu'il

incombe de prouver que ses prétentions sontjuridiquement justifiées.In-
versement on peut soutenir que le demandeur joue en quelque sorte le
rôle de plaignant eri l'espèceet qu'il lui appartient donc de démontrer le

caractère illicite des mesures prises par l'Islande. De toute façon, la Cour
aura à se Drononcer sur les droits des Parties. La notion de la liberté

d'action de'sEtats et celle de la charge de la preuve suggèrent une analogie
avec les procédures criminelles et civiles de certains Etats. Appliquée àla
présente affaire, cette analogie est déplacée.

- - --
1 C.P.J.I. série A no 10 (1927), p. 18. Cf. Hudson. Tlre Pert?~arretit Corrrt of Itrter-
national Jrrstice(1943), p.611, 612; D'Amato. op. rit. srrprnp. 178-189.
2 C.I.J. Recireil 1951,p.116. Cf. Waldock, (The Anglo-Norwegian Fisheries Case 11,
28 Britivlr Yrar- Book of lntert~ationnl Law(1951), p. 114, ct Fitziiiaiirice1'The Law
and Procedure of the International Court of J~isticc. 1951-1954: Gcneral Principlcs
and So~ircesof Law ))30 Britislr Yerrr Book of Itrtert~rrtiotiul(1953), p. 8-26.
3 Lauterpacht, The ~I'>cvclopine~rtof Itrter-national Lawbi, tlre It~ter/~ationnl Cotrrt

(1958), p. 361. Voir aussi Fitrmaurice, 1The Law and Procedurc of tlie International
COLI^o^f Justice. 1951-1954: Questions of J~irisdiction, Competcnce and Procedure n,
34 BritisliYellr Book of Infer~iational Law (1958), p. 149-150. Although, in my view, the 12-milerule may be grounded on a sounder
theoretical base than an alternative rule grounded on a concept of "no

law" or a "gaping lacuna" in the law 1,it yet seems to me that the way
in which customary international law evolves, as noted previously, made
it unnecessaryfor the Court to pronounce on the first submission of the
United Kingdom, namely that Iceland's unilateral extension was without
foundation in international law ipsojure and erga omnes. It sufficed for
the disposa1 of the case that under international law Iceland's extension

could not be opposed to the Applicant.
In the course of the oral proceedings a Member of the Court put to
counsel the following question:

"1s it the contention of the Applicant that its first three submis-
sions, that is to Say, submissions (a), (b) and (c), are so connected
that it is necessary for the Court to adjudicate on the first in order
to adjudicate on the second and third?" (CR 7411, p. 33.)

In replying, counsel, after analysing the purport of al1 three sub-
missions, 'declared :

"It follows when these three submissions are analysed in this
way that (a), (6) and (c) are not so connected that the second and

third cannot stand without the first, and in the viewof Her Majesty's
Government it is therefore open to the Court to adjudicate on the
second and the third of those subnlissions without adjudicatingtrpon

1 The difficulty wita "no law" concept is that it is apt to imply that States are free
to fixany limit they think reasonable, a notion likely to generate confusion and breed
conflict. Clearly the fact that thereare discordances in the practice of States leading to
a large measure of uncertainty casts doubt on the utility or wisdom of a specific rule,
but the alternative is not to leap intothe abyss of a legal vacuum. The better alternative
is to recognize exceptions to the prevalent norm or to re-classify the norms themselves
to take account of special circumstances as was done in the Anglo-Norwegian Fisheries
case. At the theoretical level the difficulties with a "no law" or "vacuum" concept are
profound. The references cited in the footnotes to the preceding paragraph contain
discussions of some of these difficulties.

Nor is thisall. The fact that the States in 1958 or 1960 did not reach a formal agree-
ment on a specified limit does not signify that they accepted as an alternative the
extreme postulate of State autonomy which would accord each State the freedom to
set such limits as it chose. Indeed the conferences were based on the opposite assump-
tion, an assumption dictated by a consciousness of the existence of a community
interest hostile to the notion of uninhibited freedom. It is worth recalling that the 1958
Conference soundly rejected the only proposal coming to a vote on the question of
allowing a coastal State discretion to set any limit it wished for the territorial sea.
While obviously problems of the territorial sea are notco-extensive with those con-
cerning fisheries, yet the problem of unilateral extensions may be common to each. In
the First Committee the proposal was rejected by a vote of 4412919and in the plenary
session by 47/21/17. More significant is the fact that no further proposals of the kind
were made. McDougal and Burke, The PubliO crder of the Oceans (1962), pp. 497-
498. Sij'estime que la règledes 12milles peut s'appuyer sur une base théo-
rique plus solide qir'une règle rivalereposant sur la notion de I'ccinexis-
tence du droit ))oii d'une ((lacune flagrante )) dans le droit 1, je crois
néanmoins que, cornme il a déjà été indiqué l, processus d'évolution du

droit international coutumier dispense la Cour destatuer sur la première
conclusion du Royaume-Uni, d'après laquelle l'extension unilatérale
décidéepar l'Islande étaitsans fondement en droit international ipsojure
et erga omnes. Il suffit pour statuer en l'espèceque cette extension soit, en

droit international, inopposable au demandeur.
Pendant la procédure orale, un membre de la Cour a posé laquestion
suivante au conseil du Royaume-Uni:

ccLe demandeur soutient-il que ses trois premières conclusions,
c'est-à-dire lesconclusions a), 6) et c), sont à ce point interdépen-
dantes que la Cour doit statuer sur la première pour pouvoir statuer

sur la deuxième et la troisième? ))(Compte rendu du 25 mars 1974,
p. 33.)

En répondant, le conseil du Royaume-Uni a déclaré,après avoir ana-
lyséla teneur des trois conclusions:

((II s'ensuit que les trois conclusions a), b) et c) ne sont pas à ce
point interdépendantes que la deuxième et la troisième ne puissent
êtreexaminéesséparémentde la première. De l'avis du Gouverne-

ment de Sa Ma.jesté, il est par conséquent loisibleà la Cour de statuer
sur les deuxièmeet troisièmeconclusionssans statuer sur la première,

1 La difficulté, si l'on recourt au concept dcinexistence du droitIItientà ce qu'il
risque d'impliquer que liesEtats sont libres d'adopter toute limite qu'ils jugent raison-
nable, idéepropre à rélpandre la confusion età alimenter les conflits. Certes, le fait
qu'il se manifeste, dans la pratique des Etats, des divergences d'où résulte une grande
marge d'incertitude, fart naître des doutes sur l'utilité ou l'opportunité d'une règle
précise, mais le choix n,edoit pas résider entre cela et l'abîme du vide juridique. Une
meilleiire solution cons:istà reconnaître des exceptions à la norme dominante, ou à
reprendre le classement des normes elles-mêmesde manière à tenir compte des circons-
tances spéciales, comme dans l'affaire des Pêcheries.Sur le plan théorique, l'idéede
1' inexistence du droitr ou du ((vide )lsuscite des difficultés d'une grande portée.
Certaines de ces difficultéssont examinées dans les ouvrages citésii référencedans les
notes du paragraphe précédent.
II y a plus. Le fait qu'en 1958 ou 1960les Etats ne soient pas parvenus à un accord
formel sur une limite prijcise ne signifie pas qu'ils aient accepté pour autant le postulat
extrêmede l'autonomie des Etats qui accorderait àchacun d'eux la liberté de fixer les
limites comme bon lui semble. Les conférences sont mêmeparties du principe opposé,
principe dicté par la conscience qu'il existe un intérêtcollectif hostiàel'idéed'une
liberté sans frein. Il convient de rappeler que la conférence de 1958 a rejeté, avec
raison, la seule proposition qui ait été mise aux voix sur la question de la faculté pour
1'Etat riverain de fixeà son gréla limite de sa mer territoriale. S'il n'y a évidemment
pas identité entre les problèmes de la mer territoriale et ceux des pêcheries,la question
des élargissements unilatéraux peut néanmoins constituer un domaine commun. La
proposition a étérejetée à la Première Commission par 44 voix contre 29, avec
9 abstentions et,en séanceplénière,par 47 voix contre 21,avec 17 abstentions. II est
plus significatif encore qu'aucune nouvelle proposition de ce genre n'ait étéfaite.
McDougal et Burke, The Public Order of the Oceans (1962), p. 497-498.

6 16 1 FISHERIES JURISDICTION (SEP. OP. DILLARD)

the$rst, it beingof course understood and accepted that submissions
(b) and (c) are based on general international law and are of course
not confined merely to the effect of the Exchange of Notes." (CR
7413, pp. 23, 24; emphasis added.)

The observations of counsel are, of course, in no sense controlling on
the Court. Nevertheless it is not without significance to observe that the
Applicant considered that its first submission was not essential to the
disposition of the case, a position which the Court, in the exercise of its
independent discretion, also assumed.
At a broader policy level it can also be argued that it might have been
undesirable to specify any set limit for the extension of fisheries juris-

dictions erga omnes. It is apparent from even a casual survey of the
massive literature on the subject that there are so many disparities in the
types of fishes and their migratory ranges, to say nothing of wide varia-
tions in the extent of Coast lines and continental shelves, that the wisdom
of freezing a limit applicable generally may be questioned. Fish and
especially free swimming fish such as those involved in the present case
are, of course, no respecters of national jurisdictions. The problem may
well cal1for the application of flexible standards instead of fixed rules.

Charles De Visscher, in his book entitled Tlleory and Reality in Public
International Law (Corbett Translation, 1'957)addressed himself to the
broad problem involved in the specification of general norms in his
consideration of the Anglo-Norwegian Fisileries case. In the course of his
discussion he quoted with approval (n. 38, p. 154) the following passage
from Brierly, extracted from the latter's 1936 lectures before the Hague

Academy of International Law:
"Uniformity is good only when it is convenient, that is to Say
when it simplifies the task in hand; it is bad when it results from an

artificial assimilation of dissimilar cases ... The nature of inter-
national society does not merely make it difficult to develop rules of
international law of general application, it sometimes makes them
undesirable." (58 Recueil des cours, pp. 17-18.)

This gratuitous digression in the present opinion is not intended to
suggest that in the present case the Court is directlyconcerned with the
complex jurisprudential problem of knowing how best to reconcile the
need for general norms in the interest of some degree of predictability
versus the need to avoid them in the interest of the particularistic and
individualistic nature of the subject-matter to which the norms are
applicable. The digression is only intended to point to one of the broader
aspects of fisheries jurisdiction impinging on the present case.

*
* * COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.IND. DILLARD) 61

étant évidemment entendu et accepté que les conclusions 6) et c)
sont fondées sur le droit international généralet, bien sûr, ne con-
cernent pas uniquement les effets de l'échangede notes. ))(Compte
rendu du 29 mars 1974,p. 23 et 24.) (Les italiques sont de nous).

Evidemment, les observations des conseils ne lient nullement la Cour.
Toutefois, il n'estpas sans intérêd te remarquer que ledemandeur n'a pas

considérésa première conclusion comme essentielle aux fins du règle-
ment de I'afiire, point de vue que la Cour a adopté aussi, dans l'exercice
de son pouvoir discrétionnaire.
Sur le plan de principes plils généraux,il est permis aussi de soutenir
qu'on aurait peut-être été mal aviséde fixer une limite déterminéepour

l'extension de la compétence en matière de pêcheries erga omnes. II
ressort d'un examen même rapide des nombreux écrits consacrés à la
question qu'il y a tant de diversité dans les espèces de poissons et l'am-
pleur de leur migration, et tant de différencedans la longueur des côtes
et l'étenduedu plateau continental, que l'on peut douter de l'opportunité
d'établir une limite figéed'application générale.LIva de soi que les pois-

sons et, surtout les poissons nectoniques du genre de ceux dont il s'agit en
l'occurrence, ne respectent pas les compétences nationales. Le problème
appelle peut-être l'application de principes souples plutôt que celle de
règlesfixes.
Charles De Visscher, dans son livre intitulé Théories et réalitésen droit

international public.,envisage le vaste problème que pose la détermi-
nation de normes gijnéralesa propos de I'afaire des Pgcheries. Au cours
de son argumentation, il cite en l'approuvant (no 38) le passage suivant de
Brierly, tiré du couirs que celui-ci a fait en 1936 à l'Académiede droit
international de La Haye:

L'uniformi1.én'est bonne que quand elle est commode, c'est-

a-dire quand elle simplifie notre tâche; elle est mauvaise quand elle
résulte d'une assimilation artificielle de cas dissemblables.. . La
nature de la sociétéinternationale ne rend pas seulement difficile le
développement de règlesd'application généraledu droit international,
il arrive souvenit qu'elle les rend peu souhaitables.» (58 Recueil des
cours, IV, p. 1'7et 18.)

Cette digression désintéressée dans la présenteopinion n'a pas pour but
de suggérer qu'en l'espècela Cour affronte directement le problème théo-

rique et complexe qui consiste àconcilier la nécessitédesnormes générales
pour assurer un certain degré de prévisibilitéavec la nécessitéde les
éviter pour tenir compte du caractère particulariste et individualiste de
l'objet auquel les normes s'appliquent. Cette digression a seulement pour
but d'indiquer l'un des aspects plus larges de la compétenceen matière de

pêcheriesqui ont une incidende sur la présente affaire. From al1that has been said above 1 find thatthe Court was iustified in
taking an intermediate position between the narrow approach based on
breach of the treaty, to which allusion was made earlier, and the more
expansive approach based on the United Kingdom's first submission.

In short, the first two subparagraphs of the dispositif are preferable to
permissible alternatives. It remains to discuss the more controversial
position reflected in subparagraphs 3 and 4 of the dispositif.

The jurisdiction of the Court to entertain the merits of the dispute
was, as previously noted, definitively established by its Judgment of
2 February 1973. But the endowment of jurisdiction in the sense of the
generalpower to deal with the merits is one thing; thenature and scope of
that power is quite another.

It is precisely with reference to the third and fourth subparagraphs of
the dispositifthat questions of the latter kind have been raised concerning
the extent of the Court's assumption ofjurisdiction.
The third subparagraph states that the two Parties are under mutual
obligations to undertake negotiations in good faith for the equitable
solution of their differences concerning their respective fishery rights in

the areas around Iceland to seaward of the fishery limits agreed to in the
Exchange of Notes of 1961.The fourth subparagraph indicates the guide-
lines for doing so. Briefly summarized it specifies that in the distribution
of the fishery resources, account be taken of the preferential share to
which Iceland is entitled to the extent that she qualifies as a State in a
condition of special dependence on coastal fisheries; that account also

be taken of the established rights of the United Kingdom; that the rights
of both States should be given effect to the extent compatible with the
conservation and development of the fishing resources in the area; that
regard also be paid to the interests of other States in the conservation and
equitable exploitation of the resources and that the two States keep under
review the measures required for the conservation, development and

equitable exploitation of the resources in light of scientific and other
available information.

The United Kingdom in its Memorial on the merits (paras. 300-307)
earnestly pressed upon the Court the desirability of applying equitable
principles in fairness to both Parties, an attitude also reflected in the

subniissions contained in its Application and Memorial on the merits and
repeated emphatically in the oral hearings. A similar attitude was
displayed by the Applicant in thecompanion case concerning the Federal
Republic of Germany. The justification was rooted in the acknowledged
need to balance the traditional rights of the Applicant against the
preferential rights of Iceland in the interests of a rational approach to the

63 Pour tous les motifs indiquésci-dessus,j'estime que la Cour a eu raison
d'adopter une position intermédiaire entre la conception étroite de I'af-

faire tirée dela violaltion du traité, à laquellej'ai fait allusion plus haut, et
la conception plus large tirée de la première conclusion du Royaume-
Uni. En bref, les deux premiers sous-paragraphes du dispositif sont préfé-
rables aux autres solutions justifiables. Reste à examiner la position plus
contestableadoptée aux sous-paragraphes3et 4 du dispositif.

Comme je l'ai indiqué plus haut, la compétence que possède la Cour
pour connaître du différend quant au fond a étédéfinitivement établie
dans l'arrêtque ce1l.e-cia rendu le 2 février 1973. Mais l'attribution de
compétence au sens du pouvoi rénéral de connaître du fond d'un diffé-
rend est une chose; la nature et l'étenduede ce pouvoir en sont une autre.

C'est précisément à propos des sous-paragraphes 3 et 4 du dispositif de
l'arrêtque des questions relevant de cette dernière catégorie ont étésou-
levéesau sujet de 1'éi:enduede la compétence que la Cour s'est reconnue.
Au sous-paragraphe 3du dispositif, la Courdit que les deux Parties ont
l'obligation mutuellle d'engager des négociations de bonne foi pour
aboutir à la solution équitablede leurs divergences concernant leurs droits

de pêche respectifsdans les régions situéesautour de l'Islande au large des
limites de pêcheconvenues dans l'échangede notes de 1961.Au sous-para-
graphe 4,elle indique les considérations fondamentales sur lesquelles ces
négociations doivent reposer. En bref, ily est dit que, dans la répartition
des ressources halieutiques de ces régions,ily a lieu de tenir compte de la
part préférentielleà. laquelle l'lslande a droit dans la mesure où elle
remplit les conditions requises pour êtreun Etat spécialementtributaire

des pêcheries deseaux avoisinant ses côtes; qu'il y a également lieu de
tenir compte des droits établisdu Royaume-Uni; que les droits des deux
Etats doivent êtreexercésdans la mesure compatible avec la conservation
et le développement des ressources halieutiques dans la région; qu'il faut
en outre tenir compte des intérêtsqu'ont d'autres Etats à la conservation
et à l'exploitation équitable de ces ressources; enfin, que les deux Etats
doivent continuer à étudier les mesures qu'imposent la conservation, le

développement et l'exploitation équitable desdites ressources sur la base
de renseignements scientifiques et autres données disponibles.
Dans son mémoire sur le fond (par. 300 à 307), le Royaume-Uni a
beaucoup insisté sui- le fait qu'il était souhaitable d'appliquer des prin-
cipes d'équitédans l'intérêt des deux Parties: ces vues se retrouvent dans
les conclusions forniulées tant dans la requêteque dans ledit mémoire
et ont étéréitérées avecforce au cours des plaidoiries. Dans l'affaire

connexe à laquelle la1République fédéraled'Allemagne est Partie deman-
deresse, cette dernière a adopté une position analogue. La justification en
est la nécessitéreconnue d'assurer l'équilibre voulu entre les droits tra-
ditionnels du demandeur et les droits préférentiels de l'Islande,dans I'in-exploitation and conservation of the fisheries in the waters under dispute.

It is true, of course, that the Court, as master of its own jurisdiction,

is not controlled by the position taken by the Applicant but is compelled
to inquire into the scope of its own jurisdiction in light of its source.
Nevertheless it is not irrelevant that the Party whose interests are most
vitally affected should urge upon the Court a solution of this kind,
grounded legally on the principle enunciated in Article 2 of the Conven-

tion on the High Seas of 1958 which, while not binding on Iceland as a
matter of conventional law, is yet binding as a declared and acknowledged
norm of international law. Why then should the Court not respond
favourably to the proposed equitable solution of the controversy? 1

As 1 understand it, the argument questioning the Court's power to
deal with the above issues rests on the following chain of reasoning. Both
the existence and scope of the Court's jurisdiction is confined to the

Exchange of Notes of 1961.The reference in the Exchange of Notes to a
"dispute" must be strictly confined to the kind of dispute contemplated
by the parties in negotiating and framing the Exchange of Notes. This,
and this alone, constitutes the subject-matter to which the Court's juris-
diction attaches. At no relevant time was there a dispute concerning

preferential rights or conservation. Quite the contrary, it concerned only
the extension itself and whether it could be held well founded under
international law. The Court is not privileged to change the nature of the
dispute without doing violence to its endowment of limited power in the

Exchange of Notes. This interpretation is asserted to be fortified by the
trai3airx prbparatoires and to be consonant with the frequently stated
proposition that the Court should, as a matter of policy, exercise the
greatest restraint in assuming or extending its own jurisdictional powers.
So runs the argument. In my view the argument, while plausible, is not

sufficiently persuasive. It is true, of course, that the exclusive source of the
Court'sjurisdiction is the Exchange of Notes; it is also fair to Saythat the
major subject discussed in the negotiations preceding the Exchange dealt
with the extension as such and not with preferential rights or conservation.
But references to the latter were not altogether lacking.

1 In the words of Judge Hudson: "What are widely known as principles of equity
have long been considered to constitute a part of international law, and as such they
have often been applied by international tribunals"(Divrrsiotr of Woter from the
Me~rsr,1937, P.C.I.J., Scrics A/B, 70, p. 76)1would add that those principles are
particiilarly relevwhen the issues focus on the cominon use of limited resources
and the applicable norms of international law is couched in the form of a-standard".térêt d'une conception rationnelle de l'exploitation et de la conservation
des ressources de la pêchedans !es eaux contestées.
La Cour, qui est imaîtresse de sa propre compétence, n'est évidemment

pas tenue par la position qu'a adoptée le demandeur; elle doit cependant
s'interroger sur l'étendue de sa compétence compte tenu de la source de
celle-ci. LI n'est pas.sans intérêt derelever à ce propos que c'est la Partie
dont les intérêtssont le plus gravement affectés qui sollicitede la Cour une

solution de ce genre, juridiquement fondée sur le principe énoncé à I'ar-
ticle2 de la Conveni.ion de 1958sur la haute mer qui, quoique ne liant pas
I'tslande en tant qu'élémentdu droit conventionnel, a cependant force
obligatoire en tant que norme proclamée et reconnue du droit interna-

tional. Pourquoi donc la Cour n'accueillerait-elle pas favorablement
la proposition tendant à ce qu'une solution équitable soit trouvée au
différend l?
*

Telle que je la comprends, la thèse que l'on fait valoir pour mettre en
doute le pouvoir de la Cour de traiter de ces questions repose sur le rai-
sonnement suivant. Tant l'existence de la compétence de la Cour que
l'étendue de cette compétence découlent uniquement de l'échange de

notes de 1961. Le terme ((différend ))qui figure dans cet échange de notes
doit s'entendre rigoureusement du genre de différend que les Parties ont
envisagé lorsqu'elle~~ont négociéet mis au point les notes qu'elles ont
échangées.Tel est le domaine dans lequel la Cour a compétence, et iln'en

est pas d'autre. A aucun moment intéressant la présente affaire, il n'y a eu
entre les Parties de litige en ce qui concerne des droits préférentiels ou des
mesures de conservation. Bien au contraire, le différend n'aporté que sur
l'élargissenient lui-rnêmeet sur le point de savoir si l'on pouvait consi-

dérer que cet élargissement avait un fondement en droit i,nternational. La
Cour ne saurait mo,difierla nature du différendsans contrevenir à la dis-
position qui, dans l'échangede notes, lui attribue un pouvoir limité.Une
telle interprétation, dit-on, outre qu'elle est renforcée par les travaux

préparatoires, est pleinement conforme au principe souvent répété selon
lequel la Cour devrait toujours faire preuve de la plus grande retenue
lorsqu'il s'agit pour elle de s'attribuer des pouvoirs juridictionnels ou

d'étendre ceux qui lui ont été confiés. Telle estla thèse que l'on fait
valoir. Si plausible soit-elle, cette thèse n'est à mon avis pas suffisamment
convaincante. On a évidemment raison de dire que l'échange denotes est
la source exclusive clela compétence de la Cour; on a également raison de

1 Comme l'a dit le juge Htidson 1Les règles bien connues sous le nom de principes
d'cquité ont depuis longtemps étéconsiderées comme faisant partie du droit inter-
national, et, ce titre,elles ont souvent étéappliqiiéespar des tribunaux internati1)aux
(Prises d'cuiàlu Merise.arrêt,1937, C.P.J.I.sériAIE no 70, p.76). J'ajouterai que ces
principes sont particul ièrement pertinents quand les questions litigieuses concernent
l'usage commun de ressources limitées et quand les normes applicables de droit
international seprésenlent plutôt sous la forme de principe(1standards 81). Indeed at the very first discussion on 1 October 1960Sir Patrick Reilly
in his opening remarks conceded that there may be areas both inside and
outside the 6-12-mile zone "which on the scientific principle of conserva-

tion should be reserved from trawling". Mr. Andersen of Iceland coun-
tered with the assertion that "conservation measures applicable to al1
alike were not sufficient to safeguard Iceland's coastal fisheries" (Records
of the Anglo-lcelandic Discussions, 1October 1960to 4 December 1960,
at pp. 1 and 5). Furthermore it should be recognized that a certain
ambiguity attends the meaning of the term "exclusive", a point to be
alluded to later and revealed in some of the diplomatic exchanges subse-
quent to the adoption of the Exchange of Notes, as, for instance, in the

Government of Iceland's Note of 11 August 1972 in which preferential
rights are expressly mentioned (United Kingdom Memorial on the merits,
Annex 10, p. 125).But the more important point, in my view, is the larger
context in which the dispute itself is located.

It will be recalled that the Exchange of Notes speaks of the Althing
Resolution of 5 May 1959 (quoted in para. 24 of the Judgment). The
significant point is that this resolution explicitly referred to the "policy
adopted by the Law of 1948 concerning the Scientific Conservation of
the Continental Shelf Fisheries ...".

The title of the 1948 Law is a "Law concerning the Scientific Conserva-
tion of the Continental Shelf Fisheries" and Article 1 authorized the
Ministry of Fisheries to ". .. issue regulations establishing explicitly
bounded conserration zones within the limits of the continental shelf of
Iceland ..." (emphasis added). It went on to declare that "al1 fisheries
shall be subject to Icelandic rules and control ...".

Reverting to the Exchange of Notes of 1961it is necessary to emphasize
that it does not refer to any particular type of extension but only that the
Government would work for the implementation of the 5 May resolution
"regarding the extension ofJisheries jurisdictiorl". Furthermore the terms
used to describe the "dispute" are by no means restricted to the,fao cft
extension but to "a dispute in relation to such extension" and in the event
of such dispute, "the matter" shall, at the request of either party be COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP. IND. DILLARD) 64

dire que la questiori principale dont les Parties ont discuté au cours des

négociations qui ont précédél'échange de notes était l'élargissement
proprementdit de la.juridiction sur les pêcherieset non les droits préféren-
tiels ou les mesures de conservation. Cesdeux dernières questions n'ont
cependant pas ététotalement passéessous silence.

De fait, dès le premier entretien, le ler octobre 1960, sir Patrick Reilly
reconnaissait, dans ses observations liminaires, quetant à l'intérieur qu'à
l'extérieur de la zone situéeentre 6 et 12 milles des côtes islandaises, il
pouvait y avoir des eaux ((dans lesquelles, pour tenir compte du principe
scientifique de la conservation, il faudrait interdire la pêche au chalut 1).

Le représentant de l'Islande, M. Andersen, a rétorquéque ((des mesures
de conservation applicables uniformément à tous ne suffisaient pas à
protéger les pêcheriescôtières de l'Islande ))(Records of the Anglo-lce-
landic Discussions, ler octobre 1960-4décembre 1960, p. 1 et 5).Au sur-

plus, il faut bien reconnaître qu'il existe une certaine ambiguïté quant au
sens du mot ((exclusif»; c'est là une considération qui a ultérieurement
étéinvoquée et que l'on retrouve dans certaines des communicat~ions
diplomatiques qui ont étééchangées postérieurementà la conclusion de

l'échangede notes, par exemple dans la note du Gouvernement islandais
du 11 août 1972, où il est fait expressément mention des droits préfé-
rentiels des navires islandais (mémoire du Royaume-Uni sur le fond,
annexe 10). Quoi qu'il en soit, le point le plus important à mon avis est

le contexte plus vaste dans lequel le différend lui-même sesitue.

On se souviendra que, dans l'échangede notes, il est question de la ré-
solution de I'Althirig du 5 mai 1959 (dont un passage est reproduit au
paragraphe 24 de l'arrêt).Le point qui mérite d'êtrerelevéest que cette
résolution mentionne expressément la ccpolitique consacrée par la loi de

1948 concernant la conservation scientifique des pêcheriesdu plateau
continental ».
La loi de 1948 était intitulée ((Loi concernant la conservation scienti-
fique des pêcheriesdu plateau continental 1)et, aux termes de son article

premier, le ministère des Pêcheriesétait autorisé à établir ((par voie de
règlement, dans lei; limites du plateau continental islandais, des zones
de conserl'ationdéfinies... )) II était égalementdit dans cet article que
((les pêcheries seront intégralement réglementées et contrôlées par

l'Islande.. .))(les italiques sont de nous).
Pour en revenir ii l'échangede notes de 1961, il convient de souligner
qu'il n'y est pas fait mention d'un type particulier d'élargissement, mais
qu'il y est simplement dit que le Gouvernement islandais s'emploiera à
mettre en ceuvre la irésolutiondu 5 mai 1959 ((relativeà l'élargissementde

la juricliction sur les pêcl~erir). Qui plus est, les termes employés pour
décrirele ((différend ))ne sont nullement limités aufait matérielde I'élar-
gissement, mais visent tout ((drffirenden la matière )),et il est prévuqu'au65 FISHERIES JURISDICTION (SEP.OP. DILLARD)

referred to the Court (emphasisadded). The terms are quite general and,
on the face of it, hardly suggest the need for a restrictive interpretation.

In light of the importance of the 5 May resolution and its basis in the
Law of 1948it seems to me clear that a too narrow interpretation of the
1961 Exchange of Notes is neither compelled by its terms nor warranted
by the context in which the whole dispute is located.

Perhaps a simple hypothetical example will help to illuminate the

issue. Suppose Iceland had not purported to extend its exclusive juris-
diction in a fashion that was intended or likely to extinguish the rights
of the United Kingdom but, under the guise of preferential rights and
conservation, she laid down conditions that the United Kingdom found
intolerable. Could it be plausibly argued that this type of extension,
although expressly keyed to preferential rights and conservation needs,

fell completely outside the ambit of the Exchange of Notes? Would it
not still fall to the Court to decide the issue under international law?
And could it be plausibly argued that in doing so the Court had somehow
converted one type of "dispute" into another "type"?

If it is contended that this illustration misses the point since such an
extension would, in fact, be "exclusive" 1can only reply that this observa-
tion misses the point of the illustration.
1agree entirely with the conclusion stated in the Judgment that Ice-
land's claim was, in fact, an exclusive one. Indeed this conclusion is

essential to the rationale of the Judgment. Furthermore it can be readily
conceded that an assertion of jurisdiction which permits a State to fish
in the disputed area only by the tolerant forbearance of the coastal State
may be characterized as the assertion of an exclusive claim. At the same
time, it should be noted that a certain ambiguity attends the notion of
"exclusive" jurisdiction as revealed in the uncertainties which attach to

many claims of States reaching beyond the 12-mile limit. These uncer-
tainties were also reflected to some extent in the official diplornatic
exchanges between the United Kingdom and lceland and actual practice
in the present case. It is not surprising therefore that, in the course of the
oral proceedings, in response to a question put bya Member of the Court,
counsel for the Applicant required (in the mimeographed version of the

hearing of 29 March 1974) nine pages to analyse the many meanings of
"exclusive" in State practice in which three types were emphasized (pp.
24-33). The hypothetical illustration is designed to show that an asserted
claim based on conservation needs would not fall outside the reach of the
Exchange of Notes.cas où surgirait un tel différend, ((la questio))sera portée devant la Cour
à la demande de l'une ou l'autre partie (les italiques sont de nous). La

clause est rédigée en termes très générauxet, à première vue, rien n'au-
torise une ir-terprétation restrictive.
Compte tenu de l'importance de la résolution du 5 mai 1959et du fait
qu'elle trouve sa base dans la loi de 1948, il me parait clair qu'une inter-
prétation trop étioite de I'échangede notes de 1961n'est ni dictéepar les

termes de ces notes, ni justifiée eu égard au contexte dans lequel le dif-
férend tout entier :jesitue.
Peut-être pourrais-je éclaircir la question en donnant un exemple
hypothétique bien simple. Supposons qu'au lieu de chercher à étendre sa
zone de compétence exclusive dans l'intention d'éteindre les droits du
Royaume-Uni, ou d'une manière telle que les droits de ce pays risque-

raient de s'en trouver éteints, l'Islande, invoquant des droits préférentiels
à exercer ou des mirsures de conservation à appliquer, ait posédescondi-
tions jugées intoléirablespar le Royaume-Uni. Pourrait-on valablement
soutenir que ce genre d'élargissement, bien qu'expressément liéà I'exer-
cice de droits préférentielset aux nécessitésde la conservation, échappe-

rait complètement au champ d'application de I'échangede notes? N'ap-
partiendrait-il pas quand mêmeà la Cour de trancher la question au
regard du droit international? Serait-il plausible de soutenir que, ce
faisant, la Cour a quelque peu transformé la naturedu ((différend))?
A ceux qui po~rr~aientreprocher àcetexemple de porter àfaux, étantdon-

néqu'un tel élargissementrevêtiraiten fait un caractère d'((exclusivité ))je
ne puis que répondre qu'une telle observation porterait elle-même àfaux.
Je partage entièrement l'avis de la Cour lorsqu'elle conclut dans son
arrêtque la prétention de l'Islande est, en fait, une prétention à des droits
exclusifs. Cette coi~clusion est d'ailleurs essentielle au raisonnement sur
lequel repose l'arrêt. Nul ne contestera, du reste, qu'une prétention à une

juridiction qui ne permettrait à un Etatde pratiquer la pêchedans la zone
contestée que si 1'I;tat riverain veut bien le tolérer mérite d'êtrequalifiée
de prétention à des droits exclusifs. IIconvient cependant de noter en
même tempsque la notion de juridiction ((exclusive)) n'est pas dépourvue
de toute ambiguïte, comme le montre l'incertitude qui règne au sujet des

prétentions de nombreux Etats à une zone de-pêchedépassant la limite
des 12 milles. Cette incertitude se retrouve également dans une certaine
mesure dans les communications diplomatiques officielles échangées
entre le Royaume-Uni et l'Islande ainsi que dans la pratique qui a été
suivie en l'espèce.Il n'est donc pas surprenant que, pour répondre à une

question qui avait été poséepar un membre de la Cour, il ait fallu au
conseil du demandeur, lors des plaidoiries, l'équivalent de neuf pages
(version ronéotypée du document, compte rendu du 29 mars 1974,
p. 24-33) pour analyser les nombreux sens que peut avoir lemot ((exclusif »
dans la pratique des Etats, en s'attachant principalement à trois catégo-
ries de cas. L'exemple hypothétique que j'ai donnétend à montrer qu'une

prétention fondée sur les nécessitésde la conservation n'échapperaitpas
au champ d'application de l'échangede notes. Viewed from the point of view of the United Kingdom it would be
quite irrelevant whether, under the stated hypothesis, it was or was not
objectively an exclusive claim. The point is that a clairn of extended
jurisdiction asserted on conservation grounds would not be excluded

under the Exchange of Notes.

The weakness, as 1see it, in the argument which would deny the Court
jurisdictional power to respond to this issue is rooted in a too simplistic
concept of the nature of the dispute. Clearly a court could not convert a
dispute between two farmers over the ownership of a cow into one over

the ownership of a tractor. But the dispute covered in the Exchange of
Notes is not of this clearly delineated character. To speak of the extension
of "fisheries jurisdiction" is to speak of the projection of national power
into an area that is not national and that could impinge on the rights of
the Applicant. And it must be recalled that one of the main purposes of
the Exchange of Notes was to provide an amicable method of resolving

a dispute.

No doubt the Court could have disposed of the dispute by limiting its
dispositij'to the first two subparagraphs. It could also have disposed of the
dispute by responding to the United Kingdom's first submission as
indicated earlier in this opinion. It was not compelled to refer to prefer-

ential rights and conservation needs. This, 1 take to be a question of
judicial discretion and even prudence. But al1 this does not entail the
consequence that it is precluded from dealing with the dispute on the
broader grounds so earnestly sought by the Applicant. To read the
Exchange of Notes of 1961 otherwise, that is to Say, in a too restrictive
fashion, may have sufficed to decide the immediate issue between the

Parties but, in my view, it would not have sufficiently sufficed to resolile
the dispute by recognizing the interests of bot11Parties and supplying
guides for their future conduct, especially when the dispute is itself
heavily impregnated with elements of what is sometimes called distributive
justice.

1hasten to add that 1am not suggesting that the Court, itself, should
attempt to resolve issues involving those elements. But, to repeat, it is
not beyond the range of its function to indicate the nature of the legal
rights involved and to provide appropriate guidelines in order to facilitate

the better resolution of the dispute as was done in the Continental Sheif
cases. This, of course, is what the third and fourth subparagraphs of
the dispositifpurport to do. SiI'on se place di1point de vue du Royaume-Uni, peu importerait que,
dans l'hypothèse que j'ai indiquée, il s'agisse ou non, objectivement,
d'une prétention à idesdroits exclusifs. Ce qui importe, c'est qu'une pré-

tention à une compiitence élargiefondéesur des motifs tenant à la conser-
vation, ne serait pas exclue en application des dispositions de I'échangede
notes.
La thèse niant. à la Cour compétence pour connaître d'une telle ques-
tion pêche,à mon avis, du fait qu'elle repose sur une conception par trop
simpliste de la nature du différend. De toute évidence, un tribunal ne

peut pas transformer un litige entre deux fermiers sur la propriétéd'une
vache en un litige sur la propriétéd'un tracteur. Toutefois, le différend
que vise l'échangede notes n'a pas un caractère aussi nettement défini.
Quand on parle de l'élargissement de la ((juridiction sur les pêcheries)),
on parle du prolongement du pouvoir national dans une zone qui n'est

pas nationale et cela peut enfreindre les droits du demandeur. II ne faut
pas oublier non pliis que l'un des buts principaux de I'échangede notes
étaitde fournir un ,moyenamiable de résoudre le différend,s'ilen surgis-
sait un entre les parties.
II n'est pas niable que la Cour aurait pu trancher ledifférend enlimitant
le dispositif de son arrêtaux deux premiers sous-paragraphes. Elle aurait

égalementpu le faireen statuant sur la première conclusion du Royaume-
Uni comme je l'ai indiqué plus haut dans mon opinion. Elle n'étaitpas
tenue d'aborder la (questiondes droits préférentielset des nécessitésde la
conservation. 11s'agit là, selon moi, de l'exercice de ses pouvoirs discré-
tionnaires, voire d'une question de prudencejudiciaire. Mais tout cela n'a
pas pour conséquericed'empêclierla Courde se prononcer sur le différend

en se plaçant dans l'optique plus large si ardemment souhaitée par le
demandeur. Une interprétation différentede l'échangede notes de 1961,je
veux dire une interprétation beaucoup plus restrictive, aurait pu suffire
à trancher la question immédiate qui divisait les Parties, mais je ne crois
pas qu'elle aurait suffi pour résoudrele différenden reconnaissant les in-
térêts desdeux Parties et en leur fournissantdes principes directeurs pour

leur comportement futur, surtoutdans le cas d'un différendfortement im-
prégné d'éléments relevandte ce que I'on appelle parfois la justice distri-
butive.
Je m'empresse d'ajouter que je ne veux nullement dire que la Cour elle-
même devrait s'efbrcer de résoudre des questions comportant de tels

éléments. Mais,je le répète,la Cour reste dans le cadre de sa fonction
lorsqu'elle indique la nature des droits qui s'opposent et fournit des cri-
tères appropriés en vue de faciliter l'heureuse solution du différend,
comme elle l'a fait dans les affaires du Plateau continental. De toute
évidence, c'est là ce que la Cour a cherché à faire dans les troisième et
quatrième sous-paragraphes du dispositif de son arrêt. Although the observations above may suffice to dispose of the juris-
dictional issue, another and, in my view, more troublesome problem is
involved. It is arguable that while the Court was privileged to pronounce
upon the existence and relevance of the legal norms embraced in the
concept of preferential and established rights in light of conservation

needs, it should have stopped short of imposing on the parties a duty to
negotiate. In other words, it should have merely indicated the Sasis for
negotiations without including a duty to engage in them. Indeed it is
arguablethat, apart from lack of adequate authority, it is disingenuous to
impose this duty on the Parties, especially in light of the interimagreement
of November 1973,an agreement which would appear to render tenuous
the invocation of Article 33 of the Charter, the terrns of which are confined

to any dispute, "the continuance of which is likely to endanger the
maintenance of international peace and security ...".

Of course, to put the matter in perspective, it should be observed that
a duty to negotiate does not imply that the parties nlust immediately or

later engage in negotiations. Obviously one of the parties would need to
initiate them when it considered that circumstances so required. The
duty to respond would then lie with the other Party. In the present case,
owing to the impact of the interim agreement of November 1973 it is
readily conceivable that the status quo would not be disturbed until the
expiry of that agreement.
The Judgment, in paragraphs 73-77, addresses itself to the problem

of its authority to specify theduty to negotiate. It Statesthat "It is implicit
in the concept of preferential rights that negotiations are required in
order to define or delimit the extent of those rights . .." (para. 74). It
appears to draw upon the need for collaboration flowing from the very
nature of preferential rights; it alludes to the requirement of "collabo-
ration" prescribed in the 1958Geneva Resolution on Special Situations
relating to Coastal Fisheries; and it stresses a dictum in the North Sea

Continental Shelf cases which stated that the obligation to negotiate
assumed in the Special Agreements of the Parties (in that case):

". .. merely constitutes a special application of a principle which
underlies al1 international relations, and which is moreover recog-
nized in Article 33 of the Charter of the United Nations as one of the
methodsfor the peaceful settlement of international disputes" (I.C.J.
Reports 1969, p. 47, para. 86).

The Judgment in the present case did not, however, specifically ground
its holding on Article 33 of the Charter but suggested that its holding,
based on the very nature of the rights in question, would correspond to
the Principles and provisions of the Charter. J'aurais pu arrêterlà mes observations en ce qui concerne la question
de la compétence,rnais il est un autre problème, plus difficile,je crois, à

résoudre, qui se pose à ce propos. Il est possible de soutenir que, s'il est
vrai que la Cour avait le pouvoir de se prononcer sur l'existence et la per-
tinence des normes juridiques que renferment la notion de droits préfé-
rentiels et celle de droits établis,compte tenu des besoins de la conserva-
tion, elle aurait dû s'abstenir d'imposer aux Parties le devoir de négocier.

En d'autres termes, elle aurait dû se contenter d'indiquer la base des
négociations, sans dire que les Parties avaient le devoir de les engager.
On pourrait mêmefaire valoir que, indépendamment de la question de
savoir si la Cour diijpose ou non de l'autorité voulue à cet effet, il est fal-
lacieux d'imposer aux Parties un tel devoir, surtout si l'on tient compte de

l'accord provisoire de novembre 1973, accord qui semble priver d'une
bonne partie de sa substance l'argument tiré de l'article 33 de la Charte,
dont les dispositions sont limitées à tout différend udont la prolongation
est susceptible de menacer le maintien de la paix et de la sécuritéinterna-
tionale ..)).

Pour placer la question dans sajuste perspective, il convient d'observer
que le devoir de négocier n'implique pas, bien entendu, que les parties
doivent engager des négociations immédiatement ou plus tard. De toute
évidence, il faudrait qu'une partie en prenne l'initiative lorsqu'elle estime
que les circonstances l'exigent. L'autre partie serait alors tenue de prendre

position. Dans la prlisente affaire, il est tout àfait concevable, étant donné
l'importance de l'accord provisoire de 1973, que les Parties maintiennent
le statu quojusqu'à I,'expirrtion de cet accord.
Aux paragraphes 73 à 77 de son arrêt,la Cour aborde la question de
l'autorité dont elle dispose pour spécifier ce qu'est en l'occurrence le

devoir de négocier. Elle déclare: c(II résulte implicitement de la notion de
droits préférentiels'quedes négociations sont nécessairespour définirou
délimiter l'étendue deces droits.. .))(par. 74). Elle s'appuie, semble-t-il,
sur la nécessitéde ntfgocier qui tient à la nature même desdroits préféren-
tiels; elle mentionne la cccollaboration)) requise par la résolution adoptée

à Genève en 1958 sur les situations spéciales touchant les pêcheries
côtières; elle souligne enfin le passage suivant de l'arrêt rendu dans les
affaires du Plateau continental de la mer du Nord ou il est dit que l'obliga-
tion de négocierque les Parties à ce différendavaient assumée aux termes
des compromis:

((ne constitue qu'une application particulière d'un principe qui est à
la base de toute:srelations internationales et qui est d'ailleurs reconnu

à l'article 33 de la Charte des Nations Unies comme l'une des
méthodes de règlement pacifique des différends internationaux 1)
(C.I.J. Rrcuril I969, p. 47, par. 86).

Sans indiquer expressément qu'il se fonde sur l'article 33 de la Charte,
l'arrêt rendudans la.présente affaire donne à entendre que, du fait qu'il
repose sur la nature même desdroits en jeu, son fondement correspond
aux principes et aux dispositions de la Charte. Reference to the "very nature of the respective rights of the Parties"

(para. 75) while justified, may yet appear to be too cryptic a description
of an assumed power and therefore to need some elaboration.

In any event, 1submit that the conclusion reached can be fortified by
reference to the widespread practice of States both in the matter of
conservation of fishery resources and, analogically, in other areas in
which the conflicting rights of States impinge on the use of a common
resource.

In its Memorial on the merits the Applicant, in paragraphs 266-281,
has called attention not only to the North-East Atlantic Fisheries Conven-
tion of 1959to which 14States including both the Applicant and Iceland
are parties but to the International Convention for the North-West
Atlantic Fisheries of 1949; the Atlantic Tuna Convention of 1966; the
USA/USSR King Crab Fisheries Agreement of 1969; the UsAlCuba
Shrimp Convention of 1949; the BrazillUSA Shrimp Conservation

Agreement of 1972; the Convention on the Conservation of the Living
Resources of the South-East Atlantic of 1969; the CanadaINorway
Agreement on Sealing and the Conservation of Seal Stocks in the North-
West Atlantic of 1971 and the Iceland/Norway/USSR Agreement on
the Regulation of the Fishing of the Atlanto-Scandinavian Herring of
1972. After enumerating numerous other agreements and conventions
in the Baltic, the Black Sea, the Pacific and the Antarctic, the conclusion
js reached that in six oceans and seas, 30 or more States have participated

in international agreements regulating high seas fisheries when the need
for conservation, regulation and control is present 1.

It is not here suggested that each of these agreements resulted from the
application of a prior duty to negotiate. Yet clearly each was the con-

sequence of an imperatively felt need to engage in negotiations in order
to accommodate the conflicting rights of the parties. It is worth recalling
also that the preamble to the North-East Atlantic Fisheries Convention
of 1959puts al1the parties on record as:

1 According to a compilation in Lay, Churchill, Nordquist, New Directions in the
Law of the Sea,Vol. II, pp. 771-798, there were,as of 1 August 1972,no fewer than
210 bilateral and multilateral agreementsdealing with various aspects of the law of
the sea. After a characteristicallythorough survey, McDougal and Burke conclude
effort in 111. .witness the general understandingthat the participationof al1States
substantially concerned witha fisheryis necessary for effective action".McDougal and
Burke, ThePublicOrder of the Oceans(1962)at p. 965. CONIPÉTENCE PÊCHERIES (OP. IND. DILLARD)
68

La référenceà ((la nature même des droits respectifs des Parties))

(par. 75), tout en étantjustifiée, peut paraître cependant une description
par trop énigmatique de la source d'un pouvoir que I'on s'attribue;
elle appelle donc quelques précisions.
S'estime qu'en tout état de cause on peut justifier la conclusion à la-

quelle la Cour est parvenue en invoquantla pratique largement répandue
des Etats tant dans le domaine de la conservation des ressources halieu-
tiques que, en raisonnant par analogie, dans d'autres domaines où les
droits respectifs de:; Etats entrent en opposition a l'occasion de I'utilisa-

tion d'une ressource commune.
Aux paragraphes 266 à 28 1de son mémoiresur le fond, le demandeur a
appelél'attention non seiilement sur la Convention de 1959sur les pêche-
ries de l'Atlantique du nord-est, à laquelle sont parties quatorzeEtats au
nombre desquels figurent tant le demandeur que I'lslande, mais aussi sur

la Convention internationale de 1949 pour les pêcheriesde l'Atlantique
Nord-Ouest, la Corivention de 1966pour la conservation des thonidés de
l'Atlantique, I'accord de 1969entre les Etats-Unis d'Amérique et l'URSS
concernant la pêchea :u crabe, la Convention de 1949entre les Etats-Unis

d'Amérique et Cuba sur la conservation de la crevette, I'accord de 1972
entre le Brésilet les Etats-Unis d'Amérique sur la conservation de la
crevette, la Conveni:ion de 1969 sur la conservation des ressources biolo-
giques de l'Atlantique Sud-Est, I'accord de 1971 entre le Canada et la

Norvège sur la pêcheau phoque et la conservation des stocks de phoque
dans l'Atlantique Nord-Ouest et I'accord de 1972entre I'lslande, la Nor-
vègeet l'URSS sur la réglementation de la pêcheau hareng atlanto-scan-
dinave. Après avoir énuméré de nombreux autres accords et conventions
concernant la mer Baltique, la mer Noire, l'océan Pacifiqueet I'Antarc-

tique, le demandeur conclut que dans six mers et océans,trente Etats au
moins ont participéàdes accordsinternationaux réglementant la pêcheen
haute mer lorsque ;lebesoin s'est fait sentir de prendre des mesures de
conservation, de réglementation et de contrôle 1.

Je ne disnullement que chacun de ces accords est le fruit de l'exécution
d'un devoir antérieur de négocier.Cependant, il est manifeste que chacun
d'eux a étéconclu p;3rceque les parties avaient impérieusement ressenti le
besoin d'engager des négociations pour parvenir à un accommodement
de leurs droits divergents. II n'est pas sans intérêtde rappeler également

que, dans le préambule de la Convention de 1959 sur les pêcheriesde
l'Atlantique du nord-est, tous les Etats parties déclarent qu'ils sont:

1 IIressort de la compilation figurant dans Lay,Churchill, Nordquist, New Directions
inthe Law of the Sea, vol. 11,p. à798, qu'au le' août 1972 il existait non moins de
deux cent dix accords bilatéraux et multilatéraux traitant de divers aspects du droit de
la mer. Après les avoir passésen revue avec une minutie toute particulière, McDougal
et Burke concluent: 1Depuis que I'on a commencé à se préoccuper de questions de
conservation en 191 1...virtuellement tous les accords internationaux traduisent le
sentiment généralque la participation de tous les Etats qui ont un intérêtnon négli-
geableà l'égardd'une pêcherie est nécessaireaux fins d'une action efficace.)](McDougal
et Burke, The Public Order of the Oceans, 1962, p. 965.) "Desiring to ensure the conservation of the fish stocks and the
rational exploitation of the fisheries of the North-East Atlantic
Ocean and adjacent waters."

And the terms of the Convention on Fishing and Conservation of the
Living Resources of the High Seas places the duty of acting to conserve
resources on al1States. Asstated in Article 1(2) :

"Al1 States have the duw to adopt, or to CO-operatewith other
States in adopting, such measures for their respective nationals as
may be necessary for the conservation of the living resources of the
high seas." (Emphasis added.)

This is further fortified by Article 4 (1):

"If the nationals of two or more States are engaged in fishing the
same stock or stocks of fish or other living marine resources in any

area or areas of the high seas, these States shall, at the request of
any of them, enter inro negotiations with a view to prescribing by
agreement for their nationals the necessary measures for the con-
servation of the living resources affected." (Emphasis added.)

Although Iceland was not a party to this Convention it is yet possible
to surmise that, in light of the practice of States and the widespread and
insistent recognition of the need for conservation measures that the
principle it announces may qualify as a norm of customary international
law, bearing in mind the observation made by Judge Tanaka in another
context, that :

"The role played by the existence of a world-wide international
organization like the United Nations, its agency the International
Law Commission, and their activities generally do not fail to
accelerate the rapid formation of a customary law 1.''(I.C.J.Reports
1969, p. 177.)

Further support can be derived from the qualifying paragraph of
Article 2 of the High Seas Convention, to which frequent allusion is made
in the text of the Judgment. The obligation to pay due regard to the
interests of other States contained in Article 2 is, of course, a norm of
law which lies upon al1 States. It can be triggered by any State whose
interests are allegedly infringed by another State involving thereby an
obligation to come to some kind of peaceful arrangement. It is worth
noting, also, that the International Law Commission in commenting on

247. See generally, Baxter, "Treaties andCustom", Hague AcademyofInternational
Law, Recueildes cours, 1970,1, pp. 31-104. ((Désireux d'assurer la conservation des stocks de poisson et
l'exploitation rationnelle des pêcheriesde l'océan Atlantique du
nord-est et des eaux adjacentes ..))
De même, lesdispositions de la Convention sur la pêcheet la conserva-

tion des ressources biologiques de la haute mer imposent à tous les Etats
le devoir de prendre:des mesures pour assurer la conservation de ces res-
sources. A l'article premier, paragraphe 2, il est dit:

((Tous les Etmatssont tenus d'adopter ou de coopéreravec d'autres
Etats pour adopter telles mesures applicables à leurs nationaux
respectifs qui pourront êtrenécessaires pour la conservation des
ressources biologiquesde la haute mer. ))(Les italiques sont de nous.)

Ces dispositions sont renforcéespar celles de l'article 4, paragraphe 1,
où il est dit:

((Si les nationaux de deux ou plusieurs Etats se livrent à la pêche
du mêmestock ou des mêmesstocks de poisson ou autres ressources
biologiques marines dans une ou plusieurs régionsde la haute mer,
ces Etats engagent, à la demande de l'un d'eux, des négociations
en vue d'imposer d'un commun accord à leurs nationaux les mesures
nécessaires pour la conservation des ressources biologiques affec-
tées.))(Les italiques sont de nous.)

Bien que l'Islande ne soit pas partieà cette convention, il est permis de
supposer, compte tenu de la pratique des Etats etdu fait que la nécessité
des mesures de conservation est de plus en plus largement reconnue et
son urgence admise, que le principe que cette convention proclame peut

constituer une nornie de droit international coutumier, surtout si l'on
se souvient de l'observation suivante faite par M. Tanaka en une autre
occasion:
((L'existence d'une organisation mondiale comme les Nations

Unies, celle de la Commission du droit international, et leur acti-
vité,d'une manière générale,ne peuvent qu'accélérer laformation
rapide d'un droit coutumier. ))(C.I.J. Recueil 1969,p. 177.) 1

Un autre argument peut êtretiré dela clause restrictive de l'article 2 de
la Convention sur la haute mer, que l'arrêt mentionne fréquemment.
L'obligation de tenir dûment compte des intérêtsdes autres Etats,
qu'énonce l'article 2, est évidemment une norme juridique que tous les
Etats doivent respecter. Son exécutionpeut être demandéepar tout Etat
qui prétend qu'un autre Etat porte atteinte à ses intérêts,si bien qu'il
en résulte uneobligation de parvenir à un certain arrangement par des

méthodespacifiques. 11convient également de relever que, dans son com-

1 Comparer égalemerit l'observation faite par M. Sorensen (C.I.J. Recueil 1969,
p. 242à 247). Voir, d'une façon générale, Baxter, ((Treaties and Customj), Académie
de droit international de La Haye,ueildes cours,1970, 1,p. 31 à 104.the preliminary draft which ultimately emerged as Article 2 of the High
Seas Convention indicated that its rules concern particularly: "The
rights of States relative to the conservation of the living resources of the
high seas" (Yearbook of the InternatiorralLaw Commission, Vol. TI,1956,
p. 278; emphasis added.)

It would be tedious and unnecessary to extend this discussion by

referring to analogous problems in areas other than fisheries. Yet, 1
cannot forbear calling attention to Judge Jessup's observations in his
separate opinion in the North Sea Continental Shelf cases in which he
alluded to the principle, fortified by State practice, of the need for inter-
national CO-operationin the exploitation of a "natural" resource common
to more than one State. To the examples he cites and to those in Onorata's
"Apportionment of an International Petroleum Deposit", 17 Inter-
national and Comparatiive Law Quarterly (1969), to which he referred,
many others could be added. (I.C.J. Reports 1969, pp. 82-83.)

Projected against this broad background, the power of the Court to
adjudicate on this issue and to specify a duty to negotiate in good faith,
seemto me to be wellfounded in law.

The reference earlier in this opinion to elements of "distributive

justice" impels me, even at the risk of appearing "textbookish" to add an
explanatory comment.
The present case involves, both in its practical aspect and its long-range
implication the problem of the wise or meritorious allocation of limited
resources or what are presumed to be limited resources. This presents
an almost typical instance of what, in classical theories ofjustice, may be
described as distributive as opposed to corrective (sometimes called
remedial) justice.

Obviously this is no place to undertake an abstract discussion of the
requirements of what may be ajust solution to a specificcontroversy. The

general subject commands an immense literature and it would be at once
pretentiousand possibly irrelevant to broach it. 1 am merely suggesting
that, when contrasted with corrective justice, it may provide a helpful
analytical tool in considering the nature of a dispute, the role of a court
and the character of the norms at its disposal 1.

1 There are many ways of analysing the concept of distributive justice and some
were discussed in various opinions in the North Sea Continental Shelf cases. 1would
agree that in the context of that case the use of the concept by the Federal Republic
of Germany was questionable.mentaire sur le projet préliminaire quiest finalement devenu l'article 2 de
la Convention sur la haute mer, la Commission du droit international a
indiquéque les droits que visaient les règlesénoncéesétaientnotamment:
((Des droits des Etiits relatifsà la conservationdes ressources biologiques
de la haute mer. )) (Annuaire de la Commission du droit international,
vol. 11,1956,p. 278.) (Les italiques sont de nous.)
Il serait non seule:mentfastidieux, mais inutile, de poursuivre cette ana-

lyse en mentionnant des problèmes analogues qui se posent dans des
domaines autres quiecelui des pêcheries.Je ne puis cependant manquer
d'appeler l'attention sur les observations que M. Jessup a formuléesdans
son opinion individuelle relative aux affaires du Plateau continentalde la
mer du Nord et où il parle du principe, renforcé par la pratique des Etats,
qui proclame la nkcessitéde la coopération internationale en matière
d'exploitation d'une ressource ((naturelle)) commune à deux Etats au

moins. Aux exemples qu'il cite et à ceux que l'on trouve dans l'article
d'onorato, Apportionment of an International Petroleum Deposit »,
17International andComparativeLaw Quarterly(1969)auquel il renvoie,
on peut en ajouter bien d'autres (C.I.J. Recueil 1969, p. 82 et 83).
Envisagédans cette large optique, le pouvoir de la Cour de statuer sur
cette question et de proclamer l'existence d'un devoir de négocier de

bonne foi me parait. fondé en droit.

J'ai fait mention un peu plus haut d'éléments de ((justicedistributive »;
cela m'amène à ajatuter quelques observations, à titre d'explication, au

risque mêmede paraître pontifier.
Tant dans son aspect pratique que dans ses répercussions à long terme,
la présente affaire :soulèvele problème de la répartition rationnelle et
satisfaisante de ressources limitéesou de ce que l'on présume être des
ressources limitées. Elle offre un exemplepour ainsi dire typique de ce
que, dans les théories classiques de la justice, on qualifie de justice dis-

tributive par opposition a la justice commutative (parfois appeléecor-
rective).
De toute évidence, ce n'estguèreici qu'il convient d'entreprendre une
analyse abstraite dei<conditions auxquelles doit répondrece qui pourrait
êtreunejuste solution d'une controverse déterminée. Beaucoupd'encre a
coulésur cette question généraleet il serait prétentieux, et probablement
vain, que je ]'abordLe.Je tiens seulement à dire qu'à la différencede la

justice commutative, la justice distributive pourrait fournir un utile élé-
ment pour analyser la nature d'un différend,le rôle d'un tribunal et le
caractère des normes qu'il peut appliquer 1.
- -- -- - -
1 La notion de justiice distributive peut être analysée de plusieurs façons dont
certaines ont étéexamiinéesdans diverses opinions relatives aux affaires duPlateau
continentalde la mer du Nord. Je reconnais volontiers que, dans le contexte de ces
affaires, le recours par la République fédérale d'Allemagnecette notion était dis-
cutable. Allowing for gross over-simplification the distinction may be put this
way: questions of establishinga system or régimeof equitable allocation
of resources engage elernents of distributive justice; on the other hand
disturbancesto the system faIl under the province of correctivejustice 1.

It is not unusual to assume that the former lies exclusively in the lap
of the legislative branch and the latter in that of the Court. But this easy
way out of the problem ignores the turbulent way in which disputes are
generated, the manner in which they are put in the lap of the Court, and
the need to resolve them.
In the present case it may be urged, as Iceland has, that the wise
allocation of resources should be left to the norms of law which may
emerge from the Conference on the Law of the Sea. Whatever virtue

adheres to this position is, however, neutralized by the sheer fact that
the Court must decide a case in which, basically, elements of distributive
justice intrude.
Its capacity to do so is not precluded by any theory of the judicial
process which inhibits it from analysing al1the elements involved in any
dispute, marshalling ail the supporting data, even ofa highly sophisticated
scientific character, and "laying down the law" in terms of the establish-
ment of a régimeof allocation. But considerations of a practical, political

and psychological nature dictate that this function is best done at the
outset by the parties themselves or better still by other bodies specially
qualified to assess the conflicting interests, the relevant scientific factors,
the values involved, and the continuing need for revising the régimein
light of changing conditions. The Court's role is best limited to providing
legal guide-lines which may facilitate the establishment of the system and
in the event of a subsequent dispute, to help redress disturbances to it.
Meanwhile the Court has consistently indulged the assumption that the
Parties will, in fact, negotiate in good faith.

This, of course, is the approach taken by the Court in subparagraphs 3
and 4 of its dispositif. Viewed in this light, it supplements the findings in
the first two subparagraphs, while also responding to the requirements of
distributive justice.
(Signed) Hardy C. DILLARD.

1The distinction (although notin the form1 have put it) is usually attributed to
Aristotle who discusses it in connection with "particular" justice in hiscs (III,
9 and V, 1) and his NicornacheanEtllics (V, 3, 1-17). See also Aristotle, Etl~ics(Every-
the distinction may be found in Academy of International Law, 91ecueil des cours, of
1957-1,pp. 549-550. En simplifiant biraucoup les choses, on pourrait dire que la différence
entre ces deux sortes de justice est la suivante: les questions liées à l'éta-
blissement d'un syiitèmeou d'un régimede répartition équitabledes res-

sources comportent des élémentsde justice distributive; en revanche, les
perturbations apportées à un tel systèmesont du ressort de lajustice com-
mutative 1.
Il est permis de supposer que les premières sont du ressort du pouvoir
législatif tandis que les secondes relèvent de la Cour. Mais ce moyen
facile d'éluder le problème ne tient aucun compte du climat tumultueux
dans lequel naissent lesdifférends,de la façon dont on en saisit la Cour et
il méconnaîtla nécessité de leur apporter une solution.

Dans la présenteaffaire, on peut faire valoir, comme l'a fait l'Islande,
que, pour assurer uinerépartitionjudicieuse des ressources, il faudrait s'en
remettre aux normes juridiques qui pourraient se dégagerde la troisième
Conférencesur ledroit de la mer. Leméritequepeutavoir cetteposition est
cependant neutralisépar le simple fait que la Cour doit statuer sur une af-
fairequi comporte,fondamentalement, deséléments dejustice distributive.
Aucune théoriedu processus judiciaire qui interdirait à un tribunal

d'analyser tous les élémentsque peut faire intervenir un différend, de
réclamer tous renseignements à l'appui, même ceuxde caractère haute-
ment scientifique, et de ((dire le droit))en ce qui concerne l'établissement
d'un systèmede répartition, ne saurait empêcherla Cour de le faire. Mais
si l'on tient compte de considérations d'ordre pratique, politique et psy-
chologique, on est amené à conclure que cette fonction peut êtrele mieux
remplie, dèsl'origine du différend, par les parties elles-mêmesou, mieux
encore, par d'autres organes particulièrement qualifiéspour apprécierles

intérêtsen présence ainsique les facteurs scientifiques pertinents, sou-
peser les valeurs en jeu et dire s'il faut continuerà revoir le régimepour
l'aménager enfonction de l'évolution dela situation. C'esten sebornant à
fournir les principes juridiques directeurs qui pourraient faciliter I'éta-
blissement du systè:meet, au cas où un différendviendrait ultérieurement
à surgir, en s'employant à rectifier les perturbations apportées au système
que la Cour s'acquitte au mieux de sa fonction. Tout au long de ses tra-

vaux, la Cour a considéréen mêmetemps que lesparties négocieraient,en
fait, de bonne foi.
Telle est, deoute évidence, la positionque la Cour a adoptée aux sous-
paragraphes 3et 4 tlu dispositif de son arrêt.Vu sous cet angle, sa décision
complète les décisrionsqu'elle a prises dans les deux sous-paragraphes
précédents,en mêmetemps qu'elle répond aux impératifs de la justice
distributive.

(Signé)Hardy C. DILLARD.

1 La distinction (encore que sousune forme différentede la mienne) est généralement
attribuéeà Aristote qui l'examine,à propos de la justice1particulière», dans sa
d'autres référencesete brève explication de cette distinction dans Académiede droit
international de La Haye,ecueildes cours, tome 91, 1957-1,p. 549-550.

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Document Long Title

Opinion individuelle de M. Dillard (traduction)

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