Opinion dissidente de M. Winiarski

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001-19490409-JUD-01-02-EN
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OPINION DISSIDENTE DE 11. WINIARSKI

Je ne peux pas me rallier à la première partie de l'arrêt parce
que je ne suis pas d'accord sur le fondement juridique que l'arrêt
assigne à la responsabilité de l'Albanie.
Comme la Cour, je ne peux pas retenir la première thèse du

Royaume-Uni, à savoir : que l'Albanie avait une connaissance
directe de l'existence du champ de mines, s'il n'est pas établi
d'abord qu'elle ait eu connaissance du mouillage. Je souscris aux
motifs donnés par la Cour pour écarter la deuxième thèse selon
laquelle l'Albanie aurait mouillé lechamp de mines et pour estimer
que les preuves indirectes produites par le Gouvernement du
Royaume-Uni ne suffisent pas à apporter la preuve judiciaire
décisive ni d'un mouillage de mines effectuépar les navires yougo-
slaves dans les eaux ds Saranda, ni d'une collusion entre les deux
Gouvernements.
Pour conclure à la responsabilité de l'Albanie, la Cour a accepté
la troisième thèse du Royaume-Uni d'après laquelle le mouillage
des niines n'a pu êtreeffectüésans que le Gouvernement albanais
en eût connaissance ;cela admis, comme l'Albanie n'a pas notifié

l'existence du champ de mines et n'a pas averti les navires de
guerre britanniques qui en approchaient, sa responsabilité en
découle.
Cette ccnclusion ne me parait pas fondée,et ceci pour les mêmes
raisons pour lesquelles la Cour n'a pas cru pouvoir retenir l'hypo-
thèse de la collusion: une imputation d'une gravité aqssi exception-
nelle, a dit lu.Cour avec raison, articulée contre un Etat, exigerait
un degré de certitude qui n'est pas atteint ici.
Pour réporidre à la question de savoir si l'Albanie réellement
avait connaissance de l'opération du mouillage des mines, il faut
voir coinment les choses ont pu se passer.
L'opération clandestine a pu êtreobsen-ée par les habitants de
Saranda ;maisl'agglomération est assez éloignée du lieu en question,

et il est difficile d'admettre que l'opération ait pu êtreremarqaée
et reconnue comme telle, si elle a étéeffectuéependant la nuit et
si les précautions les plus élémentairesavaient étéprises. L'opéra-
tion a pu êtreobservée par les organes de la défense côtière. TrGs
naturellenlent, on n'a pu produire de témoins sur ce point. Les
experts des Pa~ties, s'ils paraissaient d'accord sur les conditions
généralesdans lesquelles l'opération pouvait être vue et entendue,
n'étaient plus d'accord quand il s'agissait de déterminer avec
quelque précision l'infliience des conditionsconcrètes dans lesquelles
l'opération a pu êtreeffectuée,compte tenu du lieu et de la date
envisagés comme probables (nuit du 21 au 22 octobre 1946). Unj0 OPINION DISSIDENTE DE M. WINIARSKI

expert albanais a déclaré quel'auteur pouvait être sûr de ne pas
êtreremarqué et encore moins d'êtreidentifié. En particulier, s'il
n'y avait pas de poste de guet au cap Denta, ce fait était de nature
à rendre l'opération clandestine du mouillage des mines non seule-
ment praticable mais plus sûre et plus facile. Les experts de la
Cour, après avoir visité les lieux, ont déclaré queles navires et,
dans certaines conditions, l'opération elle-même,ont dû être remar-
qués surtout du cap Denta si l'on observait les eaux territoriales
normalement.
Mais lJop6ration a-t-elle été remarquéeréellement ?
Les possibilités d'observation du mouillage, de la côte albanaise,

sont indiquées dans l'arrêt. Mais si la surveillance de ce secteur
parait relativement facile et ne dépassant pas les moyens dont
l'Albanie disposait, les dépositions des trois témoins albanais ont
démontrécombien elle était insuffisante. La défensecôtière venait
d'êtreréorganisée à l'époque de l'incident du 15 mai, mais elle
restait manifestement inefficace. Pendant la période critique,
immédiatement avant et après le 22 octobre, le commandant de
la défense côtière était absent ; le commandant du port, qui le
remplaçait, a apparu, à la lumière de sa propre déposition, comme
n'étant pas particulièrement compétent ; il avait l'.instruction
d'observer seulement, mais ses postes ne pouvaient même pas
observer d'une manière tant soit peu efficace ; il a étédit que

pendant la nuit ce peu d'observation était encore réduit et qu'il
n'y avait pas de poste au cap Denta.
Quelle que soit l'importance que l'on voudrait attribuer à ces
témoignages, il ne me paraît pas établi avec certitude que les
autorités locales onteu connaissance de l'opération. Encore serait-il
difficile d'établir dans quelle mesure elles auraient pu informer
leur Gouvernement et arrêter les navires britanniques en temps
utile.
Cette hypothèse a étéformulée par le conseil britannique aussi
sous une autre variante : il importe peu si les autorités locales
savaient ; on pouvait s'arranger pour que rien ne fût remarqué ;
ce qui importe, c'est que le Gouvernement albanais savait.

Mais si le Gouvernement albanais savait - et il faut supposer
que d'après cette conception il le savait d'avance -, ce n'était
plus la connaissance, c'était la collusion. En effet, il paraît difficile
d'affirmer que l'Albanie savait igtabstracto ; si elle savait, elle
savait d'une manière concrète : quand, dans quelles conditions et
sans doute par qui les mines avaient été mouillées. Elle savait
donc, par exemple, que le champ de mines avait étéposépendant
la nuit du 21 au 22 octobre, à l'aide de moyens yougoslaves ; nous
nous trouvons de nouveau devant une hypothèse d'une collusion,
et l'on n'a pas formulé de supposition d'après laquelle l'opération

ait étéeffectuée en collaboration avec un autre auteur disposant
des moyens gouvernementaux pour l'entreprendre efficacement. OPINION PISSIDENTE DE M. WIN'ARSKI
5I
Si la Cour n'admet pas comme prouvée la thèse que le chainp
de mines a étéposé par les deux navires yougoslaves, il parait
aussi difficile d'admettre, commejudiciairement prouvée, la connais-
sance, par l'Albanie, du mouillage effectué par un inconnu.
Admettre sa responsabilité surla base d'une connaissance abstraite,
en quelque sorte immatérielle, de l'opération ou de son résultat,

serait en réalitéla fonder sur une présomption découlant du simple
fait que l'Albanie est la Puissance territoriale, qu'elle a la souve-
raineté sur les lieux où le fait illicite s'est produit.
Si les deux thèses britanniques (collusion et connaissance) ne
peuvent pas êtreretenues comme prouvées, la seulebase sur laquelle
l'Albanie pourrait être reconnue responsable parait être donnée
par le fait qu'elle n'a pas déployéla diligence requise par le droit
international en vue de prévenir et de réprimer l'acte illicite du
22 octobre 1946.
Cependant, deux objections préliminaires devraient être exa-
minées.

a) Le conseil britannique a admis que si l'Albanie n'avait pas
connaissance de l'existence du champ de mines, elle ne peut être
tenue pour responsable. La Cour peut-elle avoir une autre opinion
à ce sujet ? Il ne s'agit pas d'upetitufndes Parties au delà duquel
la Cour n'est pas compétente, mais bien d'une interprétation ou

d'une conception d'une règle du droit international. Ici, la Cour
n'est pas limitéepar les points de vue des Parties, et la Cour perma-
nente de Justice internationale l'areconnu dans l'affaire des Zones
franches (C. P.J. I., Série A/B, no 46, p. 138) :
(A un point de vue général,on ne saurait facilement admettre
que la Cour, dont la fonction est de dire le droit, soit appelée
choisirentre deux ou plusieursinterprétations,déterminéd'avance
par les Parties et dont il se pourrait qu'aucune ne correspondît
l'opinion qu'ellese serait formée.En l'absence d'une disposition
explicite prévoyant le contraire, il faut présumerque la Cour doit
jouir de la liberté qui lui revient normalement et doit êtreen
mesure, si telle est son opinion, non seulement d'accepter une ou
l'autre des deux propositions, mais de rejeter les deux.).

Si donc le juge arrivait à la conviction que l'Albanie doit être
reconnue responsable sur une base autre que celles formulées par
la Partie adverse, l'opinion exprimée par le conseil britannique
ne devrait pas l'arrêter.

b) Sur la base de l'Accord du 22 novembre 1945 ,ne décision
unanime des déHguésdes quatre grandes Puissances au Comité
Medzon, a confiéla responsabilité de la route Médn 18/32 et 18/34
à la Grèce. Il est vrai que, comme l'a remarqué un expert britan-
nique, le chenal ayant étédéminé, contrôléet reconnu sûr pour la
navigation, la charge de la Grèceétait plutôt nominale. Néanmoins,
la Grèce était responsable pour le maintien d'un certain état de
choses qui lui avait étéconfié,et l'on sait qu'elle a immédiatement52 OPINION DISSIDENTE DE M. WINIARSKI

donné son consentement pour que la marine britannique prît les
mesures nécessaires dans le chenal qui lui avait étéconsigné.

Toutefois, cet aspect de l'affairene concerne que la Grèce, d'un
côté, et le Royaume-Uni, sinon les quatre grandes Puissances ou
le Comité Medzon comme tel, de l'autre. Pour l'Albanie, l'Accord
de 1945 était une resi.izteraliosactaet de l'ensemble de ses déclara-
tions, il paraît certain qu'elle n'a jamais reconnu la décision qui
avait confiéà la Grèce la responsabilité du secteur albanais de la
route Médri 18/3 2t18/34 O.n doit donc estimer qu'ily avait deux
responsabilités distinctes: celle purement conventionnelle de la
Grècepour la route Médri,l'Albanie étant complètement étrangère
à cet aspect de l'affaire, et celle de l'Albanie c.omme Puissance
territoriale, responsabilité de droit commun. C'est seulement cette
dernière que la Cour a étéappeléeà examiner.

Le compromis ne limite pas la Cour au soin de rechercher et de
dire si l'Albanie a mouilléles mines, si elle a participé àce mouillage,
si elleen a eu connaissance en temps utile pour en avertir lesnavires
britanniques. Il lui demande de dire si l'Albanie est responsable
selon le droit international. La mission de la Cour est de retenir
tout chef de responsabilité reconnu par le droit international et
correspondant aux circvnstances de la cause.
Or, selon le droit international,tout Etat est responsable d'un
acte illicites'il a commis cet acte ; s'il a omis de prendre les mesures
nécessaires pour prévenir un acte illicite; et s'il a omis de prendre
les mesures nécessaires pour rechercher et punir les auteurs d'un
acte illicite. Chacune de ces omissions engage la responsabilité
d'un Etat selon le droit international, comme la commission elle-
même.Ce principe général est, naturellement, susceptible d'appli-
cations différentes selon la variétéinfuiie des circonstances de fait
qui accompagnent l'action contraire au droit international ; mais

il est consacré par la jurisprudence et par la doctrine, et il n'est
pas inutile de rappeler à cet égard l'opinion du Comité de juristes
nommé par le Conseil de la Sociétédes Nations, à l'occasion d'une
autre affaire de Corfou, ily a un quart de siècle:
«La responsabilitéd'un État pour crime politique commis sur
la personne des étrangers sur son territoire, ne se trouve engagée
que si cetÉta.t a négligéde prendre toutes les dispositions appro-
priéesen .vue de prévenirle crime et en vue de la poursuite, de
l'arrestation et du jugement du criminel. ))

Le Gouvernement albanais affirme qu'a un gouvernement ne
peut être tenu pour responsable des dommages causés par des
mines, à cause du simple fait que les mines se trouyaient dans ses
eaux territoriales. Pour que la responsabilité de 1'Etat existe, il
faut démontrer, soit que 1'Etat a fait mouiller les mines, soit qu'il

les a laissésciemment mouiller.. ..L'Etat ne saurait êtretenu pour
52 53 OPINION DISSIDENTE DE M. WINIARSKI

responsable de tout ce qui se passe dans ses eaux territoriales ....
Il n'est pas chargé de veiller à la sécuritéde cette navigation ))
(dans ses eaux territoriales).
Il est vrai, etla Cour l'a dit avec raison en parlant de la connais-
sance, que du seul contrôle exercé par un Etat sur son territoire,
y compris ses eaux temtoriales, et indépendamment d'autres
circonstances, on ne saurait conclure à la responsabilité de l'État.
D'autre part, il serait trop facile de dire que l'État ne peut être
tenu responsable de tout fait qui puisse se produire sur son terri-
toire ou que l'État ne peut pas garantir qu'un fait contraire au
droit international ne se produise jamais sur son territoire. Affirmer

une telle responsabilité serait absurde ; le droit international n'a
jamais étéconsidérécomme imposant aux États un fardeau pareil.
Il est également clair qu'on ne peut parler d'un manquement à une
règle ou àun principe du droit international que là où cette règleou
ce principe existent. Mais ici, de telles règles et de tels principes
existent.A ce propos, il convient de citer trois textes qui paraissent
formuler exactement le droit international en vigueur.
M. Max Huber, ancien Président de la Cour permanente de
Justice internationale, dans la décision arbitrale dans l'affaire de
l'île de Palmas, 1928, a dit :

« ...la souveraineté territoriale implique le droit exclusif d'exer-
cer les activités étatiques. Ce droit a pour corollaire un devoir :
l'obligation de protéger, à l'intérieurdu territoire, les droits des
autres États, en particulier leur droit à l'intégritéet à l'iriviola-
que chaque État peut réclamer pour ses nationaux en territoireoits
étranger. L'État ne peut pas remplir ce devoir s'il ne manifeste
pas sa souveraineté territoriale d'une manièreadéquate aux cir-
constances. La souverainetéterritoriale ne peut se limiter à son
aspect négatif, c'est-à-direau fait d'exclureles activitésdes autres
États ;car c'est elle qui sertà répartir entre les nations l'espace
sur lequel se déploient lesactivitéshumaines, afin de leur assurer
en tous lieux le minimum de protection que le droit international
doit garantir.))

M. D. Anzilotti, ancien Président de la Cour permanente de
Justice internationale, a dit dans son Cours de Droit international
(P. 490) :
« Le devoir de l'État ne peut pas consister et ne consiste pas
dans l'exclusionde la possibilitéque desactes de lésionou d'offense
des États étrangers s'accomplissent par des personnes sujettes à
son autorité ;l'État peut seulement êtretenu à prendre les mesures
opportunes pour que ces actes ne se produisent pas ou, lor~qu'ils
se produisent, à procéder.pénalement contre le coupable : tel est
le contenu du devoir de I'Etat, et c'est ici seulement qu'est possible
un acte illicite international.1)
Enfin, M. J. B. Moore, ancien juge à la Cour permanente de
Justice internationale, a constaté dans son opiniori dissidente

dans l'affaire du Lotus (C. P. J. I.,Série A, no IO, p. 88) :54 OPINION DISSIDENTE DE M. WINIARSKI
Il est bien établiqu'un État est dans l'obligation de faire toute
diligence pour empêcherque des actes criminels dirigéscontre
un autre État ou des ressortissants de cet autre État ne soient
commis dans ses possessions. » (United States v. Arjona, 1887,
120, U.S. 479.)

Chaque cas particulier doit êtreexaminé et jugé, compte tenu
des circonstances qui lui sont propres. La zone des eaux territo-
riales albanaises en question s'étend du point où la frontière albano-
grecque atteint le détroit et jusqu'à un point légèrement au nord

du cap Kiephali où finit la partie de la mer reconnue comme
dangereuse et commence l'espace libre de mines du détroit
d'Otrante. Dans toute la longueur du canal nord de Corfou jusqu'à
la ligne droite tirée du cap Kiephali au cap S. Katerina, il n'y a pas
de mer libre, la frontière maritime entre l'Albanie et la Grècesuivant
la ligne médiane du détroit. Le chenal navigable, en partant du
Sud, longe de très pres la côtegrecque, puis il occupe toutela largeur
du détroit sur quelques kilomètres de longueur, et finalement suit
de très près la côte albanaise jusqu'au cap Kiephali. Cette partie

du clienal navigable, qui suit la côte albanaise sur une longueur de
moins de 15 kilomètres, a étéle théâtre des événementsquiont fait
naître la présente affaire.
L'arrêt a suffisamment caractérisé l'attitude du Gouvernement
albanais à l'égarddu droit de passage des navires étrangers par les
eaux albanaises pendant la période allant du 15 mai au 22 octobre
1946 e,t mêmeau delà de cettedate. L'arrêt constate la volonté du
Gouvernement albanais d'exercer une surveillance jalouse sur ses

eauxterritoriales. En effet,àpartirdu 15 mai il est évidentque le Gou-
vernement albanais étaitbien décidé àdénieraux navires et bateaux
étrangers le libre passage par la partie de la route Médri 18/32 et
18/34 ,ui se trouvait dans les eaux albanaises. Par cela même,
il a rendu impossible tout contrôle que les navires grecs auraient
voulu exercer au nom de l'Organisation internationale de déminage.
Les raisons de cette attitude, l'Albanie les a donnéesdans ses notes
diplomatiques ainsi que dans ses Contre-Mémoire et Duplique, et
dans lesplaidoiries.C'étaient :la frontière vulnérable avec la.Grèce ;

revendications territoriales de cette dernière ;((état de guerre )dont
a parlé le représentant de la Grèceau Conseil de Sécurité ;((incur-
sions piraiesques » des bateaux grecs, dont la note du 21 mai 1946
en spécifiait huit, sans parler des autres ((innombrables incursions
piratesques )et desnombreux cas où les bateaux étrangers entraient
dans les eaux albanaises en patrouille, sans pavillon et sans permis ;
passages des navires de guerre britanniques ;enlèvement des biens
et des citoyens albanais ; infiltration des éléments hostiles; la baie

et le port de Saranda paraissent jouer un rôle important dans les
préoccupations du Gouvernement albanais. L'ensemble créait,
dans l'opinion de ce Gouvernement, ces (conditions exception-
nelles dans le canal nord de Corfou ))que souligne fortement le
Contre-Mémoire. ((La question de la liberté de passage est liée

5455 OPINION DISSIDENTE DE M. WINIARSK1

nécessairement, pour l'Albanie, avec le problème de la sécurité
du pays. »
La note albanaise du zr décembre 1946 a formulé expressément
un autre aspect du problème. Le Gouvernement albanais (désire
déclarer qu'il respecte les principes du droit international concer-
nant la navigation maritime ...les navires ont le droit de passage
inoffensif dans les détroits qui forment une voie de communication
internationale. Toutefois, ce principe du passage inoffensif, autant

qu'il peut êtreappliquéau casprésent, a étéviolédefaçon flagrante
par les navires de Sa Majesté à l'occasion de leur passage par la
partie nord du canal de Corfou. Il est évident qu'on ne peut pas
parler de passage inoffensif quand les navires britanniques navi-
guaient démonstrativement très près de la côte albanaise. )) Et
plus loin : (Si la Grande-Bretagne désire réellement appliquer le
principe du passage inoffensif et assurer la sécuritéde la navigation
de commerce, elle devait prendre le soin de déminer le milieu du
canal nord de Corfou qui est le plus sûr du point devue de la naviga-
tion, de telle façon que la navigation par le canal fût mieux en

accord avec le principe du passage inoffensif mentionné dans la
note britannique. ))
Il parait sûr, et la Duplique confirme cette impression, qu'à
partir du mois de mai 1946 l'Albanie considérait cette partie du
secteur déminé commeun point névralgique et désirait le faire
déplacer vers l'Ouest. Ainsi, ce chenal, venant du Sud, devrait,
selon les vues de l'Albanie, tourner vers le Nord-Ouest légèrement
au sud du monastère Saint-Georges, et non au cap Denta comme
il le fait maintenant, et passer à distance égale entre les deux

côtes ; dans ce cas, le déplacement serait en moyenne de deux
kilomètres.
Il serait naturel que cette attitude du Gouvernement albanais
le déterminât à prendre des mesures spéciales de vigilance dans
le secteur visé ci-dessus et pendant la période en question (mai-
octobre 1946), et son délégué au Conseil de Sécuritéen a parlé.
Cependant, le Contre-MOmoire et la Duplique du Gouvernement
albanais ont attaché un grand prix à démontrer que l'Albanie
n'était pas en mesure de surveiller efficacement sa côte et ses eaux
territoriales, qu'elle n'avait pas le moyen de savoir ce qui s'y passait

et, en particulier, qu'elle ne pouvait rien savoir de l'opération du
mouillage des mines si prèsde sa côte que cela fût. Le Gouvernement
albanais se défendait contre l'idée davoir exercéune vigilance dont
avait parlé son représentant au cours de la discussion de l'affaire
au sein du Conseil de Sécurité,et son Contre-Mémoire insiste sur
cette thèse. Les témoins albanais ont dépeint l'organisation de la
défense côtière et la surveillance des eaux territoriales comme
absolument inadéquates.
Qüelle parait donc avoir été la situation dans le secteur de
Saranda ? II semble que rien, dans l'organisation de la surveillance

de la côte et des eaux territoriales, ne répondait aux protestations56 OPINION DISSIDENTE DE M. WINIARSKI

et aux réactions énergiques contre le passage des navires étrangers
dans les eaux albanaises ; rien qui pût être considéré comme
mesures propres à parer aux dangers allégués d'incursions, infiltra-
tions, enlèvements, par lesquelles le Gouvernement albanais voulait
justifier son attitude à l'égard de la navigation étrangère. C'est
une contradiction qui a caractérisé l'attitude du Gouvernement
albanaisdans tous les stades de la procédure. L'attitude de l'Albanie
révèle une autre contradiction : il n'est pas possible d'afirmer ses

droits de Puissanc~ temtoriale, de les exalter et exagérer jusqu'à
dénieraux autres Etats l'usage de ses eaux territoriales et en même
temps de négliger d'organiser ses services publics d'ordre et de
sûreté en vue de garantir aux Etats admis à emprunter le chenal
navigable leminimum de sécurité auquel ils ont droit en conformité
du plus modeste standard international. Les (circonstances excep-
tionnelles )invoquéespar l'Albanie auraient dû lui dicter saconduite
et lui indiquer ses devoirs, qui n'auraient pas excédéses moyens,
si limités fussent-ils.

A plus forte raison, si l'Albanie était décidéeà engager une action

internationale relativement à ce secteur de ses eaux territoriales,
une action dont le but pouvait être parfaitement légitime (déplace-
ment du chenal navigablej, elle devait, à ce moment tout spéciale-
ment, s'assurer qu'un contrôle effectif lui permettrait d'évitertoute
complication additionnelle.
Après les explosions du 22 octobre et mêmeaprès la notification
du 26 octobre, l'Albanie a notoirement omis d'ouvrir une enquête

en vue de constater les faits ; elle n'a pas non plus offert au Comité
Medzon ou au Royaume-Uni de participer à toute recherche des
causesdes explosions ;elle n'a pas protesté contre la pose du champ
de mines dans ses eaux territoriales, qui constituait une véritable
et importante violation dela souveraineté territoriale de l'Albanie ;
elle a paru rester indifférente à la violation grave du droit des gens
commise sur son territoire et au danger auquel était exposée la
navigation tout près de sa côte ; on ne sait rien d'une enquête en
vue de la recherche et de la punition des auteurs de l'acte qui
constitue aussi un crime du point de vue du droit interne. Une
telle attitude de la part du Gouvernement albanais a étéconsidérée
comme une despreuvesindirectes de la connaissance, chez l'Albanie,

du mouillage des mines ;avec plus de raison, semble-t-il, elle peut
et doit êtreconsidérée commeun chef indépendant de sa respon-
sabilité.
C'est pour ces deux raisons, mais aussi pour ces raisons seules,
que l'Albanie pourrait êtrereconnue responsable en droit interna-
tional des explosions qui ont eu lieu le 22 octobre 1946 dans ses
eaux territoriales. OPINION DISSIDENTE DE M. WiNIARSKI
57

J'ajoute que je ne puis me rallieà la décisionde la Cour sur la
question de sa compétence pour fixer le montant des réparations
dues au Royaume-Uni. En signant le compromis, les Parties ont
mis fin à la procédureintentée par la requête unilatérale,ce qui
correspondait au désir constamment manifestépar la Partie alba-
naise. C'estdonc un acte nouveau et qui doit êtretraité, quant aux
fietita des Parties, comme indépendant de la requêteet destiné
à la remplacer. Or, une demande de fixer, par la Cour, le montant
des réparations n'y est pas formulée,une demande qui est devenue
presque une clause de style dans les compromis de ce genre, et
l'interprétation adoptée en faveur de cette compétence ne m'apas
convaincu.

(Signé)B. WINIARSKI.

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OPINION DISSIDENTE DE 11. WINIARSKI

Je ne peux pas me rallier à la première partie de l'arrêt parce
que je ne suis pas d'accord sur le fondement juridique que l'arrêt
assigne à la responsabilité de l'Albanie.
Comme la Cour, je ne peux pas retenir la première thèse du

Royaume-Uni, à savoir : que l'Albanie avait une connaissance
directe de l'existence du champ de mines, s'il n'est pas établi
d'abord qu'elle ait eu connaissance du mouillage. Je souscris aux
motifs donnés par la Cour pour écarter la deuxième thèse selon
laquelle l'Albanie aurait mouillé lechamp de mines et pour estimer
que les preuves indirectes produites par le Gouvernement du
Royaume-Uni ne suffisent pas à apporter la preuve judiciaire
décisive ni d'un mouillage de mines effectuépar les navires yougo-
slaves dans les eaux ds Saranda, ni d'une collusion entre les deux
Gouvernements.
Pour conclure à la responsabilité de l'Albanie, la Cour a accepté
la troisième thèse du Royaume-Uni d'après laquelle le mouillage
des niines n'a pu êtreeffectüésans que le Gouvernement albanais
en eût connaissance ;cela admis, comme l'Albanie n'a pas notifié

l'existence du champ de mines et n'a pas averti les navires de
guerre britanniques qui en approchaient, sa responsabilité en
découle.
Cette ccnclusion ne me parait pas fondée,et ceci pour les mêmes
raisons pour lesquelles la Cour n'a pas cru pouvoir retenir l'hypo-
thèse de la collusion: une imputation d'une gravité aqssi exception-
nelle, a dit lu.Cour avec raison, articulée contre un Etat, exigerait
un degré de certitude qui n'est pas atteint ici.
Pour réporidre à la question de savoir si l'Albanie réellement
avait connaissance de l'opération du mouillage des mines, il faut
voir coinment les choses ont pu se passer.
L'opération clandestine a pu êtreobsen-ée par les habitants de
Saranda ;maisl'agglomération est assez éloignée du lieu en question,

et il est difficile d'admettre que l'opération ait pu êtreremarqaée
et reconnue comme telle, si elle a étéeffectuéependant la nuit et
si les précautions les plus élémentairesavaient étéprises. L'opéra-
tion a pu êtreobservée par les organes de la défense côtière. TrGs
naturellenlent, on n'a pu produire de témoins sur ce point. Les
experts des Pa~ties, s'ils paraissaient d'accord sur les conditions
généralesdans lesquelles l'opération pouvait être vue et entendue,
n'étaient plus d'accord quand il s'agissait de déterminer avec
quelque précision l'infliience des conditionsconcrètes dans lesquelles
l'opération a pu êtreeffectuée,compte tenu du lieu et de la date
envisagés comme probables (nuit du 21 au 22 octobre 1946). Un DISSENTING OPINION BY JUDGE \VINIARÇKI.
[Translation.]

I cannot accept the first part of the Judgment, because 1do not
agree ~4th the juridical foundation given by it to Albania's respons-
ibility.
1, like the Court, cannot admit the first argument of the
United Kingdom :that Albania had direct knowledge of the exist-
ence of bhe minefield, if it is not first established that she had
knowledge of the minelaying. 1 agree with the Cou.rt's reasons
for rejecting the second argument, that Albania laid the minefield,
and for considering that the indirect evidence produced by the
United Kingdom Government is not decisive proof either that
mines were laid by Yugoslav vessels in Saranda Bay, or of collu-

sion between the two Governments.

In finding that Albania was responsible, the Court accepted the
United Kingdom's third argument, to the effect that the mines
cannot have been laid without the Albanian Government having
knowledge ; if that be admitted, then, as Albania did not give notice
of the existence of the minefield and did not warn the British
warships that were approaching, her responsibility is involved.

This conclusion does not seem Sound, for the same reasons that
prevented the Court from admitting collusion :such an exception-
ally grave charge against a State, as the Court has rightly said,
would require a degree of certainty that has not been reached here.

To reply to the questionwhetherAlbania really knew of the mine-
laying, the manner in which the events occurred must be considered.

The secret operation could have been seen by the inhabitants
of Saranda ; but the town is rather far from the spot in question,
and it would be difficult to admit that the operation could have
been noticed and recognized as such, if it had been carried out
during the night, and if the most elementary precautions had been
taken. It could have been seen by the coastguard. Very natur-
ally no evidence was produced on this subject. The experts
of the Parties appeared to be in agreement on the general condi-
tions under which the operation could have been seen and heard ;
but they did not agree in determining with some accuracy the
influence of the conditions under which the operation must have
taken place, having regard to the probable place and date (night
of October ~1st-zznd, 1946). An Albaniaii expert declared that thej0 OPINION DISSIDENTE DE M. WINIARSKI

expert albanais a déclaré quel'auteur pouvait être sûr de ne pas
êtreremarqué et encore moins d'êtreidentifié. En particulier, s'il
n'y avait pas de poste de guet au cap Denta, ce fait était de nature
à rendre l'opération clandestine du mouillage des mines non seule-
ment praticable mais plus sûre et plus facile. Les experts de la
Cour, après avoir visité les lieux, ont déclaré queles navires et,
dans certaines conditions, l'opération elle-même,ont dû être remar-
qués surtout du cap Denta si l'on observait les eaux territoriales
normalement.
Mais lJop6ration a-t-elle été remarquéeréellement ?
Les possibilités d'observation du mouillage, de la côte albanaise,

sont indiquées dans l'arrêt. Mais si la surveillance de ce secteur
parait relativement facile et ne dépassant pas les moyens dont
l'Albanie disposait, les dépositions des trois témoins albanais ont
démontrécombien elle était insuffisante. La défensecôtière venait
d'êtreréorganisée à l'époque de l'incident du 15 mai, mais elle
restait manifestement inefficace. Pendant la période critique,
immédiatement avant et après le 22 octobre, le commandant de
la défense côtière était absent ; le commandant du port, qui le
remplaçait, a apparu, à la lumière de sa propre déposition, comme
n'étant pas particulièrement compétent ; il avait l'.instruction
d'observer seulement, mais ses postes ne pouvaient même pas
observer d'une manière tant soit peu efficace ; il a étédit que

pendant la nuit ce peu d'observation était encore réduit et qu'il
n'y avait pas de poste au cap Denta.
Quelle que soit l'importance que l'on voudrait attribuer à ces
témoignages, il ne me paraît pas établi avec certitude que les
autorités locales onteu connaissance de l'opération. Encore serait-il
difficile d'établir dans quelle mesure elles auraient pu informer
leur Gouvernement et arrêter les navires britanniques en temps
utile.
Cette hypothèse a étéformulée par le conseil britannique aussi
sous une autre variante : il importe peu si les autorités locales
savaient ; on pouvait s'arranger pour que rien ne fût remarqué ;
ce qui importe, c'est que le Gouvernement albanais savait.

Mais si le Gouvernement albanais savait - et il faut supposer
que d'après cette conception il le savait d'avance -, ce n'était
plus la connaissance, c'était la collusion. En effet, il paraît difficile
d'affirmer que l'Albanie savait igtabstracto ; si elle savait, elle
savait d'une manière concrète : quand, dans quelles conditions et
sans doute par qui les mines avaient été mouillées. Elle savait
donc, par exemple, que le champ de mines avait étéposépendant
la nuit du 21 au 22 octobre, à l'aide de moyens yougoslaves ; nous
nous trouvons de nouveau devant une hypothèse d'une collusion,
et l'on n'a pas formulé de supposition d'après laquelle l'opération

ait étéeffectuée en collaboration avec un autre auteur disposant
des moyens gouvernementaux pour l'entreprendre efficacement.author might be certain of not being noticed, still less identified.
In particular, if there was no look-out post at Denta Point, this
would render the secret minelaying operation not only practicable,
but safer and more easy. The Court's Experts, after going to
the spot, stated that the vessels and, under certain conditions, the
operation itself, must have been seen, especially from Denta Point,
if a normal watch was kept over territorial waters.

But was the operation really seen ?
The possibilities of observing minelaying from the Albanian
coast are shown in the Judgment. But while supervision of
this sector seems relatively easy and not beyond the means at
Albania's disposal, the evidence of the three Albanian witnesses
showed how insufficient it was. The coastal defences had just
been reorganized at the time of the incidrnt, May 15th, but they

were manifestly inefficient. During the critical period, immediately
after and before October zznd, the commander of the coastal
defence was absect ; the harbour-master, who replaced him,
judging from his evidence, seemed not to be particularly efficient.
He was instructed only to watch ; but his posts could not even
watch at al1 effectively. It was said that, during the night, this
imperfect ivatch was further reduced, and that there was no post
at Denia point.

IVhatever be the iniportance that it is desired to give to this
evidence, it does not seem to be definitely proved that the local
authorities had knowledge of the operation ; and further, it mould
be difficult to show how far they would have been able to inform
their Government and to stop the British warships in sufficient
time.
This hypothesis was also put forwarc! by United Kingdoni
Counsel under a different form : it does not matter whether the

local authorities knew; it might be arranged that nothing
should be seen. What is important is that the Albanian Govern-
ment knew.
But if the Albanian Governrnent knew-and according to this
conception it must be supposed that it knew beforehand-that
was not knowledce, but collusion. In short, it seems difficult to
assert that Albania knew in. abstrncto; if she knew, she knew in a
concrete manner : when, under what conditions, and no doubt by
whom the mines had been laid. She therefore knew, for instance,
that the minelaying had been done during the night of
October ~1st-zznd, with Yugoslavian material ; we are now faced
once again with the hypothesis of collusion, and it has -not been
suggeçted that the operation was carried out in collaboration with
another party possessing governinental means of performing it
effectively.

50 OPINION PISSIDENTE DE M. WIN'ARSKI
5I
Si la Cour n'admet pas comme prouvée la thèse que le chainp
de mines a étéposé par les deux navires yougoslaves, il parait
aussi difficile d'admettre, commejudiciairement prouvée, la connais-
sance, par l'Albanie, du mouillage effectué par un inconnu.
Admettre sa responsabilité surla base d'une connaissance abstraite,
en quelque sorte immatérielle, de l'opération ou de son résultat,

serait en réalitéla fonder sur une présomption découlant du simple
fait que l'Albanie est la Puissance territoriale, qu'elle a la souve-
raineté sur les lieux où le fait illicite s'est produit.
Si les deux thèses britanniques (collusion et connaissance) ne
peuvent pas êtreretenues comme prouvées, la seulebase sur laquelle
l'Albanie pourrait être reconnue responsable parait être donnée
par le fait qu'elle n'a pas déployéla diligence requise par le droit
international en vue de prévenir et de réprimer l'acte illicite du
22 octobre 1946.
Cependant, deux objections préliminaires devraient être exa-
minées.

a) Le conseil britannique a admis que si l'Albanie n'avait pas
connaissance de l'existence du champ de mines, elle ne peut être
tenue pour responsable. La Cour peut-elle avoir une autre opinion
à ce sujet ? Il ne s'agit pas d'upetitufndes Parties au delà duquel
la Cour n'est pas compétente, mais bien d'une interprétation ou

d'une conception d'une règle du droit international. Ici, la Cour
n'est pas limitéepar les points de vue des Parties, et la Cour perma-
nente de Justice internationale l'areconnu dans l'affaire des Zones
franches (C. P.J. I., Série A/B, no 46, p. 138) :
(A un point de vue général,on ne saurait facilement admettre
que la Cour, dont la fonction est de dire le droit, soit appelée
choisirentre deux ou plusieursinterprétations,déterminéd'avance
par les Parties et dont il se pourrait qu'aucune ne correspondît
l'opinion qu'ellese serait formée.En l'absence d'une disposition
explicite prévoyant le contraire, il faut présumerque la Cour doit
jouir de la liberté qui lui revient normalement et doit êtreen
mesure, si telle est son opinion, non seulement d'accepter une ou
l'autre des deux propositions, mais de rejeter les deux.).

Si donc le juge arrivait à la conviction que l'Albanie doit être
reconnue responsable sur une base autre que celles formulées par
la Partie adverse, l'opinion exprimée par le conseil britannique
ne devrait pas l'arrêter.

b) Sur la base de l'Accord du 22 novembre 1945 ,ne décision
unanime des déHguésdes quatre grandes Puissances au Comité
Medzon, a confiéla responsabilité de la route Médn 18/32 et 18/34
à la Grèce. Il est vrai que, comme l'a remarqué un expert britan-
nique, le chenal ayant étédéminé, contrôléet reconnu sûr pour la
navigation, la charge de la Grèceétait plutôt nominale. Néanmoins,
la Grèce était responsable pour le maintien d'un certain état de
choses qui lui avait étéconfié,et l'on sait qu'elle a immédiatement52 OPINION DISSIDENTE DE M. WINIARSKI

donné son consentement pour que la marine britannique prît les
mesures nécessaires dans le chenal qui lui avait étéconsigné.

Toutefois, cet aspect de l'affairene concerne que la Grèce, d'un
côté, et le Royaume-Uni, sinon les quatre grandes Puissances ou
le Comité Medzon comme tel, de l'autre. Pour l'Albanie, l'Accord
de 1945 était une resi.izteraliosactaet de l'ensemble de ses déclara-
tions, il paraît certain qu'elle n'a jamais reconnu la décision qui
avait confiéà la Grèce la responsabilité du secteur albanais de la
route Médri 18/3 2t18/34 O.n doit donc estimer qu'ily avait deux
responsabilités distinctes: celle purement conventionnelle de la
Grècepour la route Médri,l'Albanie étant complètement étrangère
à cet aspect de l'affaire, et celle de l'Albanie c.omme Puissance
territoriale, responsabilité de droit commun. C'est seulement cette
dernière que la Cour a étéappeléeà examiner.

Le compromis ne limite pas la Cour au soin de rechercher et de
dire si l'Albanie a mouilléles mines, si elle a participé àce mouillage,
si elleen a eu connaissance en temps utile pour en avertir lesnavires
britanniques. Il lui demande de dire si l'Albanie est responsable
selon le droit international. La mission de la Cour est de retenir
tout chef de responsabilité reconnu par le droit international et
correspondant aux circvnstances de la cause.
Or, selon le droit international,tout Etat est responsable d'un
acte illicites'il a commis cet acte ; s'il a omis de prendre les mesures
nécessaires pour prévenir un acte illicite; et s'il a omis de prendre
les mesures nécessaires pour rechercher et punir les auteurs d'un
acte illicite. Chacune de ces omissions engage la responsabilité
d'un Etat selon le droit international, comme la commission elle-
même.Ce principe général est, naturellement, susceptible d'appli-
cations différentes selon la variétéinfuiie des circonstances de fait
qui accompagnent l'action contraire au droit international ; mais

il est consacré par la jurisprudence et par la doctrine, et il n'est
pas inutile de rappeler à cet égard l'opinion du Comité de juristes
nommé par le Conseil de la Sociétédes Nations, à l'occasion d'une
autre affaire de Corfou, ily a un quart de siècle:
«La responsabilitéd'un État pour crime politique commis sur
la personne des étrangers sur son territoire, ne se trouve engagée
que si cetÉta.t a négligéde prendre toutes les dispositions appro-
priéesen .vue de prévenirle crime et en vue de la poursuite, de
l'arrestation et du jugement du criminel. ))

Le Gouvernement albanais affirme qu'a un gouvernement ne
peut être tenu pour responsable des dommages causés par des
mines, à cause du simple fait que les mines se trouyaient dans ses
eaux territoriales. Pour que la responsabilité de 1'Etat existe, il
faut démontrer, soit que 1'Etat a fait mouiller les mines, soit qu'il

les a laissésciemment mouiller.. ..L'Etat ne saurait êtretenu pour
52 DISSENTING OPINION BY JUDGE WINIARSKI 52
immediately consented that the British Navy should take the

necessary measures in the Channel that had been handed over to
Greece.
But this aspect of the affair concerns only Greece, on the one
hand, and the United Kingdom, if not the four Great Powers or the
Medzon Board as such, on the other hand. For Albania, the
Agreement of 1945 was â res inter alios acta; and it seems certain,
from the whole of the Albanian statements, that Albania never
recognized the decision placing on Greece the responsibility for the
Albanian sector of Medri Route 18/32 and 18/34. We must
therefore reckon that there were two distinct responsibilities : that
of Greece, purely the result of a treaty, for the Medri channel, a
matter completely foreign to Albania ; and that of Albania, a
responsibility under ordinary international law, as territorial
Power. It is only this latter responsibility that the Court is called

upon to consider.
The Special Agreement does not limit the Court to considering and
determiningwhether Albania laid the mines, or helped to lay them,
or knew they had been laid in sufficient time to warn the British
ships. The Court is asked to say whether Albania is responsible
in international law. The Court's task is to consider every ground
of responsibility recognized by international law, and corresponding
to the circumstances of the case.
In international law, every State is responsible for an unlawful
act, if it has committed that act, or has failed to taketheecessary
steps to prevent an unlawful act,orhas omitted to take the necessary
steps to detect and punish the authors of an unlawful act. Each
of these omissions involves a State'ç,responsibility in international
law, jiist like the commission of the act itself.This general prin-
ciple is naturally capable of applications that differ according

to the infinite variety of facts accompanying the act contrary to
international law ; but doctrine and jurisprudence recognize it,
and it may be well to refer on this subject to the opinion of the
Committee of Jurists appointed by the Council of the League of
Nations in connexion with another Corfu Case, a quarter of a
century ago :

"The responsibility of a State is only involved by the com-
mission in its territory of a political crime against the persons
of foreigners, if the State has neglected to take al1 reasonable
and bringing to justicetofnthe criminal."and the pursuit, arrest,

The Albanian Government asserts that :"A govemment cannot
be held responsible for damage caused by mines merely because
the mines were found in its territorial waters. To involve the

responsibility of theState, it must be proved either that the State
caused the mines to be laid, or that it knowingly allowed them to
be laid....The State cancot be held responsible for everything that 53 OPINION DISSIDENTE DE M. WINIARSKI

responsable de tout ce qui se passe dans ses eaux territoriales ....
Il n'est pas chargé de veiller à la sécuritéde cette navigation ))
(dans ses eaux territoriales).
Il est vrai, etla Cour l'a dit avec raison en parlant de la connais-
sance, que du seul contrôle exercé par un Etat sur son territoire,
y compris ses eaux temtoriales, et indépendamment d'autres
circonstances, on ne saurait conclure à la responsabilité de l'État.
D'autre part, il serait trop facile de dire que l'État ne peut être
tenu responsable de tout fait qui puisse se produire sur son terri-
toire ou que l'État ne peut pas garantir qu'un fait contraire au
droit international ne se produise jamais sur son territoire. Affirmer

une telle responsabilité serait absurde ; le droit international n'a
jamais étéconsidérécomme imposant aux États un fardeau pareil.
Il est également clair qu'on ne peut parler d'un manquement à une
règle ou àun principe du droit international que là où cette règleou
ce principe existent. Mais ici, de telles règles et de tels principes
existent.A ce propos, il convient de citer trois textes qui paraissent
formuler exactement le droit international en vigueur.
M. Max Huber, ancien Président de la Cour permanente de
Justice internationale, dans la décision arbitrale dans l'affaire de
l'île de Palmas, 1928, a dit :

« ...la souveraineté territoriale implique le droit exclusif d'exer-
cer les activités étatiques. Ce droit a pour corollaire un devoir :
l'obligation de protéger, à l'intérieurdu territoire, les droits des
autres États, en particulier leur droit à l'intégritéet à l'iriviola-
que chaque État peut réclamer pour ses nationaux en territoireoits
étranger. L'État ne peut pas remplir ce devoir s'il ne manifeste
pas sa souveraineté territoriale d'une manièreadéquate aux cir-
constances. La souverainetéterritoriale ne peut se limiter à son
aspect négatif, c'est-à-direau fait d'exclureles activitésdes autres
États ;car c'est elle qui sertà répartir entre les nations l'espace
sur lequel se déploient lesactivitéshumaines, afin de leur assurer
en tous lieux le minimum de protection que le droit international
doit garantir.))

M. D. Anzilotti, ancien Président de la Cour permanente de
Justice internationale, a dit dans son Cours de Droit international
(P. 490) :
« Le devoir de l'État ne peut pas consister et ne consiste pas
dans l'exclusionde la possibilitéque desactes de lésionou d'offense
des États étrangers s'accomplissent par des personnes sujettes à
son autorité ;l'État peut seulement êtretenu à prendre les mesures
opportunes pour que ces actes ne se produisent pas ou, lor~qu'ils
se produisent, à procéder.pénalement contre le coupable : tel est
le contenu du devoir de I'Etat, et c'est ici seulement qu'est possible
un acte illicite international.1)
Enfin, M. J. B. Moore, ancien juge à la Cour permanente de
Justice internationale, a constaté dans son opiniori dissidente

dans l'affaire du Lotus (C. P. J. I.,Série A, no IO, p. 88) : DISSENTING OPINION BY JUDGE WINIARSKI 53
happens in its territorial waters... It is not responsible forwatching
ovérthe safety of that navigation" (in its territorial waters).

It is true, as the Court rightly said in speaking of knowledge,

that the responsibility of a State cannot be held to be involved
solely because of the supervision it exercises over its territority,
including its territorial waters, and independently of other circum-
stances. On the other hand, it would be too easy to Say that a
State cannot be held responsible for any occurrence on its territory,
or that a State cannot guarantee that an act contrary to inter-
national law will never happen on its territory. To allege such a
responsibility would be absurd ; international law has never been
held to impose such a burden on States. It is equally clear that
there can be no question of a breach of a de or of a principle of
international law, Save in so far as that nile or that principle
exists. But in this case, such des and principles do exist. Three
passages, which seem to formulate existing international law
exactly, may be quoted on this subject.
M. Max Huber, former President of the Permanent Court of

International Justice, in the Arbitral Award in the Palmas case,
1928, said :
"Territorial sovereignty ...involves the exclusive right to
display the activities of a State. This right has as corollary a
duty : the obligation to protect within the territory the rights
of other States, in particular their right to integrity and inviol-
ability in peace and in war, together with the right? which each
State may claim for its nationals in foreign territory. Without
manifesting its territorial sovereignty in amarner corresponding
to circumstances, the State cannot fulfil this duty. Territorial
the activities of other States; for it serves toidedivide betweenluding
nations the space upon which human activities are employed,
in order to assure them at al1points the minimilm of protection
of which international law is the guardian."

M. D. Anzilotti, former President of the Permanent Court of
International Justice, said in his Course of Irtternationd Law
(P. 490):
"The duty of a State camot consist and does not consist in
the exclusion of the possibility of the committing of acts that
harm or offend foreign States by persons subject to its authority ;
a State can only be bound to take suitable measures to prevent
these acts happening or, when they do happen, to take criminal
proceedings against the guilty : such is the duty of a State and
only within these limits is an unlawful international act possible."

Lastly, in his dissenting opinion in the Lotus case (P.C.I.J.,
Series A., No. IO, p. 88), Mr. J. B. Moore, former Judge of the
Pennanent Court of International Justice, said :

5354 OPINION DISSIDENTE DE M. WINIARSKI
Il est bien établiqu'un État est dans l'obligation de faire toute
diligence pour empêcherque des actes criminels dirigéscontre
un autre État ou des ressortissants de cet autre État ne soient
commis dans ses possessions. » (United States v. Arjona, 1887,
120, U.S. 479.)

Chaque cas particulier doit êtreexaminé et jugé, compte tenu
des circonstances qui lui sont propres. La zone des eaux territo-
riales albanaises en question s'étend du point où la frontière albano-
grecque atteint le détroit et jusqu'à un point légèrement au nord

du cap Kiephali où finit la partie de la mer reconnue comme
dangereuse et commence l'espace libre de mines du détroit
d'Otrante. Dans toute la longueur du canal nord de Corfou jusqu'à
la ligne droite tirée du cap Kiephali au cap S. Katerina, il n'y a pas
de mer libre, la frontière maritime entre l'Albanie et la Grècesuivant
la ligne médiane du détroit. Le chenal navigable, en partant du
Sud, longe de très pres la côtegrecque, puis il occupe toutela largeur
du détroit sur quelques kilomètres de longueur, et finalement suit
de très près la côte albanaise jusqu'au cap Kiephali. Cette partie

du clienal navigable, qui suit la côte albanaise sur une longueur de
moins de 15 kilomètres, a étéle théâtre des événementsquiont fait
naître la présente affaire.
L'arrêt a suffisamment caractérisé l'attitude du Gouvernement
albanais à l'égarddu droit de passage des navires étrangers par les
eaux albanaises pendant la période allant du 15 mai au 22 octobre
1946 e,t mêmeau delà de cettedate. L'arrêt constate la volonté du
Gouvernement albanais d'exercer une surveillance jalouse sur ses

eauxterritoriales. En effet,àpartirdu 15 mai il est évidentque le Gou-
vernement albanais étaitbien décidé àdénieraux navires et bateaux
étrangers le libre passage par la partie de la route Médri 18/32 et
18/34 ,ui se trouvait dans les eaux albanaises. Par cela même,
il a rendu impossible tout contrôle que les navires grecs auraient
voulu exercer au nom de l'Organisation internationale de déminage.
Les raisons de cette attitude, l'Albanie les a donnéesdans ses notes
diplomatiques ainsi que dans ses Contre-Mémoire et Duplique, et
dans lesplaidoiries.C'étaient :la frontière vulnérable avec la.Grèce ;

revendications territoriales de cette dernière ;((état de guerre )dont
a parlé le représentant de la Grèceau Conseil de Sécurité ;((incur-
sions piraiesques » des bateaux grecs, dont la note du 21 mai 1946
en spécifiait huit, sans parler des autres ((innombrables incursions
piratesques )et desnombreux cas où les bateaux étrangers entraient
dans les eaux albanaises en patrouille, sans pavillon et sans permis ;
passages des navires de guerre britanniques ;enlèvement des biens
et des citoyens albanais ; infiltration des éléments hostiles; la baie

et le port de Saranda paraissent jouer un rôle important dans les
préoccupations du Gouvernement albanais. L'ensemble créait,
dans l'opinion de ce Gouvernement, ces (conditions exception-
nelles dans le canal nord de Corfou ))que souligne fortement le
Contre-Mémoire. ((La question de la liberté de passage est liée

54 DISSENTING OPINION BY JUDGE WiNIARSKI 54
"It is well settled that a State is bound to use due diligence
to prevent the commission within its dominions of criminal acts
against another nation or its peôple." (United States v.Arjona,
1887, 120, U.S. 479.)

Each particular case must be considered and judged with regard
for the circumstances peculiar to it. The zone of Albanian
territorial waters in question extends from the point where the
Albanian-Greek frontier reaches the Strait, up to a point somewhat
to the north of Cape Kiephali, where that part of the sea recognized
as dangerous ends, and the mine-free space of the Strait of
Otranto begins. Throughout the length of the North Corfu
Channel, up to a straight line drawn from Cape Kiephali to Cape
S. Katerina, there is no free sea, the maritime frontier between
Albania and Greece following the median line of the Strait. The
navigable channel, starting from the South, goes very close to the
Greek coast ;it then occupies the whole width of the Strait for a few
kilometres, and finally follows the Albanian coast very closely, as
far as Cape Kiephali. That part of the navigable channel that
follows the Albanian coast for less than fifteen kilometres was the
theatre of events that gave rise to the present case.

The Judgment has sufficiently shown what was the attitude
of the Albanian Govemment in regard to the right of passage of
foreign warships through Albanian waters during the period
between May 15th and October zznd, 1946, and even after. The
Judgment refers to the Albanian Govemment's wish to keep a
jealous watch over its territorial waters. In fact, from May 15th
onwards-it is clear that the Albanian Govemment was determined
to refuse a freepassage to foreign ships and boats through that part
of the Medri route 18/32 and 18/34 that was in Albanian waters.
In that way, it rendered any supervision that the Greek vessels
might have desired to exercise in the name of the Intemational
Mine Clearance Organization impossible. The reasons for this
attitude were given by Albania in her diplomatic notes and in her
Counter-Memorial and Rejoinder, and during the arguments. They
were : the vulnerable frontier with Greece ;the territorial claims

of that country ; the "state of war" of which the Representative
of Greece spoke at the Security Council ; the "piratical incursions"
oI Greek boats, eight of which were mentioned in the note of
May z~st, 1946, not to mention the other "innumerable piratical
incursions" and a number of cases in which foreign vessels entered
Albanian waters on patrol, without showing their flag and without
permission ; passages of British warships ; removal of property
and of Albanian citizens ; infiltrationof hostile elements ; the
Bay and the Port of Saranda seem to play an important part in
the Albanian Government's anxieties. The result was, in the
opinion of that Govemment, the "exceptional circumstances in
the North Corfu Channel" stressed in the Counter-Memorial. "The55 OPINION DISSIDENTE DE M. WINIARSK1

nécessairement, pour l'Albanie, avec le problème de la sécurité
du pays. »
La note albanaise du zr décembre 1946 a formulé expressément
un autre aspect du problème. Le Gouvernement albanais (désire
déclarer qu'il respecte les principes du droit international concer-
nant la navigation maritime ...les navires ont le droit de passage
inoffensif dans les détroits qui forment une voie de communication
internationale. Toutefois, ce principe du passage inoffensif, autant

qu'il peut êtreappliquéau casprésent, a étéviolédefaçon flagrante
par les navires de Sa Majesté à l'occasion de leur passage par la
partie nord du canal de Corfou. Il est évident qu'on ne peut pas
parler de passage inoffensif quand les navires britanniques navi-
guaient démonstrativement très près de la côte albanaise. )) Et
plus loin : (Si la Grande-Bretagne désire réellement appliquer le
principe du passage inoffensif et assurer la sécuritéde la navigation
de commerce, elle devait prendre le soin de déminer le milieu du
canal nord de Corfou qui est le plus sûr du point devue de la naviga-
tion, de telle façon que la navigation par le canal fût mieux en

accord avec le principe du passage inoffensif mentionné dans la
note britannique. ))
Il parait sûr, et la Duplique confirme cette impression, qu'à
partir du mois de mai 1946 l'Albanie considérait cette partie du
secteur déminé commeun point névralgique et désirait le faire
déplacer vers l'Ouest. Ainsi, ce chenal, venant du Sud, devrait,
selon les vues de l'Albanie, tourner vers le Nord-Ouest légèrement
au sud du monastère Saint-Georges, et non au cap Denta comme
il le fait maintenant, et passer à distance égale entre les deux

côtes ; dans ce cas, le déplacement serait en moyenne de deux
kilomètres.
Il serait naturel que cette attitude du Gouvernement albanais
le déterminât à prendre des mesures spéciales de vigilance dans
le secteur visé ci-dessus et pendant la période en question (mai-
octobre 1946), et son délégué au Conseil de Sécuritéen a parlé.
Cependant, le Contre-MOmoire et la Duplique du Gouvernement
albanais ont attaché un grand prix à démontrer que l'Albanie
n'était pas en mesure de surveiller efficacement sa côte et ses eaux
territoriales, qu'elle n'avait pas le moyen de savoir ce qui s'y passait

et, en particulier, qu'elle ne pouvait rien savoir de l'opération du
mouillage des mines si prèsde sa côte que cela fût. Le Gouvernement
albanais se défendait contre l'idée davoir exercéune vigilance dont
avait parlé son représentant au cours de la discussion de l'affaire
au sein du Conseil de Sécurité,et son Contre-Mémoire insiste sur
cette thèse. Les témoins albanais ont dépeint l'organisation de la
défense côtière et la surveillance des eaux territoriales comme
absolument inadéquates.
Qüelle parait donc avoir été la situation dans le secteur de
Saranda ? II semble que rien, dans l'organisation de la surveillance

de la côte et des eaux territoriales, ne répondait aux protestations DISSENTING OPINION BY JUDGE WINIARSKI 55
question of free passage is, for Albania, necessarily connected with
the problem of the country's security."
The Albanian note of December e~st, 1946, expressly set out
another aspect of the problem. The Albanian Govemment
"desires to declare that it respects the principles of international

law concerning maritime navigation ....ships have the right of
innocent passage in Straits which form an international highway of
communication. But this principle of innocent passage, so far
as it can be applied to the present case. was flagrantly violated by
the ships of His Majesty, on the occasion of their passage through -
the northern part of the Corfu Channel. It is evident that there
was no innocent passage when British ships were sailing demon-
stratively very close to the Albanian coast." And further on :
"If Great Britain really wishes to apply the principle of innocent
passage and to provide for the safety of commercial shipping, she
should undertake the sweeping of the iniddle of the North Corfu
Channel, which is the safest for shipping, in such a way that
navigation through the Channel would be more in accordance
with the principle of innocent passage mentioned in the United
Kingdom note."
Itseems certain-and this is confirmed in the Rejoinder-that
from the month of May, 1946, Albania considered this part of the

swept area a critical place and wished to move the sector towards
the West. In this way, according to Albania's view, the channel
coming from the South should bend north-westward somewhat
to the south of St. George's Monastery, and not at Denta Point,
as it does at present, and would pass at an equal distance from
either coast ; in this case, it would be moved about two kilo-
metres.
It would be natural that this attitude of the Albanian Govern-
ment should lead it to take special measures of vigilance in the
sector mentioned above during the period in question (May-
October, 1946) ; and the Albanian delegate at the Security Council
spoke of these. None the les, the Albanian Counter-Mernonal
and Rejoinder took great pains to show that Albania was not in
a position to keep an effective watch over her coast-line and terri-
torial waters ; that she had no means of knowing what happened
there and, in particular, could learn nothing of the minelaying

operation, however close to the coast it may have been. The
Albanian Government resisted the idea that she had been ulatchful
in the way her representative at the Security Council stated during
the discussion of the matter; and the Counter-Memorial insists
upon this. The Albanian witnesses depicted the coastal defence
organization and the watch over the territorial sea as absolutely
hadequate.
What then does the situation in the Saranda sector appear to
have been ? It would seem that in the organization of the watch
over the coast and the temtonal waters, there was nothing
5556 OPINION DISSIDENTE DE M. WINIARSKI

et aux réactions énergiques contre le passage des navires étrangers
dans les eaux albanaises ; rien qui pût être considéré comme
mesures propres à parer aux dangers allégués d'incursions, infiltra-
tions, enlèvements, par lesquelles le Gouvernement albanais voulait
justifier son attitude à l'égard de la navigation étrangère. C'est
une contradiction qui a caractérisé l'attitude du Gouvernement
albanaisdans tous les stades de la procédure. L'attitude de l'Albanie
révèle une autre contradiction : il n'est pas possible d'afirmer ses

droits de Puissanc~ temtoriale, de les exalter et exagérer jusqu'à
dénieraux autres Etats l'usage de ses eaux territoriales et en même
temps de négliger d'organiser ses services publics d'ordre et de
sûreté en vue de garantir aux Etats admis à emprunter le chenal
navigable leminimum de sécurité auquel ils ont droit en conformité
du plus modeste standard international. Les (circonstances excep-
tionnelles )invoquéespar l'Albanie auraient dû lui dicter saconduite
et lui indiquer ses devoirs, qui n'auraient pas excédéses moyens,
si limités fussent-ils.

A plus forte raison, si l'Albanie était décidéeà engager une action

internationale relativement à ce secteur de ses eaux territoriales,
une action dont le but pouvait être parfaitement légitime (déplace-
ment du chenal navigablej, elle devait, à ce moment tout spéciale-
ment, s'assurer qu'un contrôle effectif lui permettrait d'évitertoute
complication additionnelle.
Après les explosions du 22 octobre et mêmeaprès la notification
du 26 octobre, l'Albanie a notoirement omis d'ouvrir une enquête

en vue de constater les faits ; elle n'a pas non plus offert au Comité
Medzon ou au Royaume-Uni de participer à toute recherche des
causesdes explosions ;elle n'a pas protesté contre la pose du champ
de mines dans ses eaux territoriales, qui constituait une véritable
et importante violation dela souveraineté territoriale de l'Albanie ;
elle a paru rester indifférente à la violation grave du droit des gens
commise sur son territoire et au danger auquel était exposée la
navigation tout près de sa côte ; on ne sait rien d'une enquête en
vue de la recherche et de la punition des auteurs de l'acte qui
constitue aussi un crime du point de vue du droit interne. Une
telle attitude de la part du Gouvernement albanais a étéconsidérée
comme une despreuvesindirectes de la connaissance, chez l'Albanie,

du mouillage des mines ;avec plus de raison, semble-t-il, elle peut
et doit êtreconsidérée commeun chef indépendant de sa respon-
sabilité.
C'est pour ces deux raisons, mais aussi pour ces raisons seules,
que l'Albanie pourrait êtrereconnue responsable en droit interna-
tional des explosions qui ont eu lieu le 22 octobre 1946 dans ses
eaux territoriales. DISSENTING OPINION BY JUDGE WINIARSKI
56
that corresponded to the protests and energeiic reaction against
the passage of foreign vessels through Albanian waters ; nothing
that could be considered as measures of appropriate protection
against alleged danger of incursions, infiltrations, and abductions,
by which the Albanian Government endeavoured to justify its
attitude towards foreign shipping. This contradiction was charac-

teristic of the Albanian Govemment 's attitude throughout the
proceedings. Her attitude shows another contradiction : it is
not possible to proclaim one's rights as a teiritorial Power, to
exalt and exaggerate them in such a way as to refuse to allow
other States to use one's territorial waters, and at the same time
to neglect the organization of one's public order and security
services intended to guarantee to States allowed to use the navig-
able channel that minimum of security to which they are entitled
according to the most modest international standard. The
"exceptional circumstances" relied on by Albania ought to have
guided her conduct and dictated to her her duties, which would
not have exceeded her capacities, however limited.
Still more, if Albania had decided to set international action
in motion in this sector of her territorial waters, an action whose

purpose might be perfectly legitimate (shifting of the navigable
channel), she ought, especially at that moment, to have made
certain that effective surveillance would enable her to avoid any
additional complications.
After the explosions of October zend, and even after the notifica-
tion of October 26th, Albania evidently omitted to open an enquiry
to discover the facts ; nor did she propose that the Medzon Board
or the United Kingdom should take part in any investigation of the
causes of the explosion ; she did not protest against the laying of

the minefield in her territorial waters, which was truly a serious
violation of her territorial sovereignty ; she seerned to remain
indifferent to the grave breach of international law committed on
her territory, and to the dangers to which shipping quite close to
her coast was exposed ;nothing is known of an enquiry for the
pursuit and bringing to justice of the authors of the act which also
constitutes a crime from the viewpoint of dornestic law. Such an
attitude on the part of the Albanian Government has been held to
be an indirect proof of Albania's knowledge of the minelaying ;
it would seem more reasonable to hold that it can and must be
considered as an independent ground for her responsibility.

For these reasons, but for these only, Albania might be con-
sidered responsible under international law for the explosions that

occurred on October zznd, 1946, in her territorial waters. OPINION DISSIDENTE DE M. WiNIARSKI
57

J'ajoute que je ne puis me rallieà la décisionde la Cour sur la
question de sa compétence pour fixer le montant des réparations
dues au Royaume-Uni. En signant le compromis, les Parties ont
mis fin à la procédureintentée par la requête unilatérale,ce qui
correspondait au désir constamment manifestépar la Partie alba-
naise. C'estdonc un acte nouveau et qui doit êtretraité, quant aux
fietita des Parties, comme indépendant de la requêteet destiné
à la remplacer. Or, une demande de fixer, par la Cour, le montant
des réparations n'y est pas formulée,une demande qui est devenue
presque une clause de style dans les compromis de ce genre, et
l'interprétation adoptée en faveur de cette compétence ne m'apas
convaincu.

(Signé)B. WINIARSKI. DISSENTING OPINION BY JUDGE WINIARSKI 57

1would add that 1 cannot agree with the Court's decision on
the question of its jurisdiction to assess the amount of compens-
ation due to the United Kingdom. When they signed the Special
Agreement, the Parties put an end to the proceedings instituted
by the unilateral application ; this was in accordance with the
wish constantly expressed on the Albanian side. The Special
Agreement is therefore a new instrument and, as regards the
submissions of the Parties, to be treated as independent of. the
Application, and intended to replace it. There is no request for
the Court to assess the amount of compensation in the Special
Agreement ; yet such a request has become almost a clause de
style,in special agreements of this nature, and 1 have not been

convinced by the interpretation adopted in favour of jurisdiction
on this point.

(Signed) B. WINIARSKI.

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Opinion dissidente de M. Winiarski

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