Opinion individuelle de MM. Basdevant, Alvarez, Winiarski, Zoricic, De Vissher, Badawi Pacha, Krylov

Document Number
001-19480325-JUD-01-01-EN
Parent Document Number
001-19480325-JUD-01-00-EN
Document File
Bilingual Document File

OPINION INDIVIDUELLE DE MM. BASDEVANT, ALVAREZ,
WINIARSKI, ZORICIC, DE VISSCHER BADAWI PACHA
ET KRYLOV

Tout en souscrivant à l'arrêt de la Cour, nous croyons devoir

déclarer que nous aurions désiré voirla Cour se prononcer sur le
bien-fondé de la prétention du Gouvernement du Royaume-Uiii
de traiter la présente affaire comme rentrant dans la juridiction
obligatoire de la Cour. La requête s'étant appuyéesur cette préten-
tion et celle-ci, si elle est fondée, justifiantlle seule l'emploi
de ce mode d'introduction de l'instance sans qu'il soit besoin
d'examiner la portée de la lettre du juille1947, il nous apparaît
que, logiquement, la question de la juridiction obligatoire se posait
en premier lieu.
Cette question a étéamplement discutée tant dans les écritures
qu'en plaidoiries. Si elle s'est posée,c'est qu'on s'est trouvé ici en
présenced'une procédure qui, considéréedans son ensemble, est le
résultat d'une innovation de la Charte des Nations unies. Sous le
régime de celle-ci, la règle demeure que la juridiction de la Cour
internationale de Justice, comme antérieurement celle de la Cour

permanente de Justice internationale, repose sur le consentement
des Etats qui sont parties au différend; mais l'article36 de la
Charte a fait apparaître la possibilitépour le Conseil de Sécuritéde
recommander aux parties de soumettre leur différend à la Cour
internationale de Justice conformément aux dispositions du Statut
de la Cour. Le Conseil de Sécuritéa, pour la première fois, uséde
cette facultéleg avril 1947.La voie contentieuse à laquelle il s'est
ainsi référé nécessitep,our que la Cour soit saisie, une certaine
action des parties ou, éventuellement, de l'une d'elles. En présence
de ce cas nouveau, les Gouvernements en cause ont eu des vues
différentessur la portée de la recommandation et, en conséquence,
sur la voie à suivre pour saisir la Cour.

Le Gouvernement du Royaume-Uni a estimé, pour divers motifs
par lui déduitsde textes de la Charte etduStatut,qu'on se trouvait

ici en présence d'un cas nouveau de juridiction obligatoire de la
Cour. En conséquence, il a procédépar voie de requêteet a men-
tionnédans celle-ci les textes de la Charte et du Statut sur lesquels
il prétendait établir la compétence de la Cour.
Les arguments présentésau nom du Royaume-Uni en vue d'éta-
blir qu'on serait ici en présence d'un nouveau cas de juridiction
obligatoire, arguments que l'agent et le conseil duGouvernement
albanais se sont attachés à réfuter, ne nous ont pas convaincus. En32 OPINION INDIVIDUELLE COLLECTIVE
particulier, tenant compte 1" du sens habituel du terme recomman-
dation, sens que ce terme a conservé dans la langue diplomatique

ainsi que l'atteste la pratique des Conférencespanaméricaines, de
la Société des Nations, de l'organisation internationale du Travail,
etc., 2" du système général dela Charte et du Statut qui fonde la
juridiction de la Cour sur le consentement des Etats, 3"des termes
employés dans l'article 36, paragraphe 3, de la Charte, et de son
but qui est de rappeler au Conseil de Sécurité que les différends
d'ordre juridique relèvent des méthodes judiciaires de règlement,

il ne nous paraît pas possible d'admettre une interprétation selon
laquelle cet article aurait introduit, sans le dire, d'une manière en
quelque sorte subreptice, un cas nouveau de juridiction obligatoire.

Sur ce point, la thèse soutenue au nom du Gouvernement albanais
nous parait fondée,mais quand ce Gouvernement prétend endéduire

qu'en l'espècela voie de larequêteétaitirrégulière,nousne pouvons,
pour les motifs donnés dans l'arrêt, le suivre dans cette déduction.

(Signé)BASDEVANT.

( )) ) ALVAREZ.
( )) ) B. WINIARSKI.
( )) ) Dr ZORICIC.

( )) ) CH. DE VISSCHER.
( )) ) A. BADAWI.

( )) ) S. KRYLOV.

Bilingual Content

OPINION INDIVIDUELLE DE MM. BASDEVANT, ALVAREZ,
WINIARSKI, ZORICIC, DE VISSCHER BADAWI PACHA
ET KRYLOV

Tout en souscrivant à l'arrêt de la Cour, nous croyons devoir

déclarer que nous aurions désiré voirla Cour se prononcer sur le
bien-fondé de la prétention du Gouvernement du Royaume-Uiii
de traiter la présente affaire comme rentrant dans la juridiction
obligatoire de la Cour. La requête s'étant appuyéesur cette préten-
tion et celle-ci, si elle est fondée, justifiantlle seule l'emploi
de ce mode d'introduction de l'instance sans qu'il soit besoin
d'examiner la portée de la lettre du juille1947, il nous apparaît
que, logiquement, la question de la juridiction obligatoire se posait
en premier lieu.
Cette question a étéamplement discutée tant dans les écritures
qu'en plaidoiries. Si elle s'est posée,c'est qu'on s'est trouvé ici en
présenced'une procédure qui, considéréedans son ensemble, est le
résultat d'une innovation de la Charte des Nations unies. Sous le
régime de celle-ci, la règle demeure que la juridiction de la Cour
internationale de Justice, comme antérieurement celle de la Cour

permanente de Justice internationale, repose sur le consentement
des Etats qui sont parties au différend; mais l'article36 de la
Charte a fait apparaître la possibilitépour le Conseil de Sécuritéde
recommander aux parties de soumettre leur différend à la Cour
internationale de Justice conformément aux dispositions du Statut
de la Cour. Le Conseil de Sécuritéa, pour la première fois, uséde
cette facultéleg avril 1947.La voie contentieuse à laquelle il s'est
ainsi référé nécessitep,our que la Cour soit saisie, une certaine
action des parties ou, éventuellement, de l'une d'elles. En présence
de ce cas nouveau, les Gouvernements en cause ont eu des vues
différentessur la portée de la recommandation et, en conséquence,
sur la voie à suivre pour saisir la Cour.

Le Gouvernement du Royaume-Uni a estimé, pour divers motifs
par lui déduitsde textes de la Charte etduStatut,qu'on se trouvait

ici en présence d'un cas nouveau de juridiction obligatoire de la
Cour. En conséquence, il a procédépar voie de requêteet a men-
tionnédans celle-ci les textes de la Charte et du Statut sur lesquels
il prétendait établir la compétence de la Cour.
Les arguments présentésau nom du Royaume-Uni en vue d'éta-
blir qu'on serait ici en présence d'un nouveau cas de juridiction
obligatoire, arguments que l'agent et le conseil duGouvernement
albanais se sont attachés à réfuter, ne nous ont pas convaincus. EnSEPARATE OPINION BY JUDGES BASDEVANT, ALVAREZ,
WINIARSKI, ZORICIC, DE VISSCHER, BADAWI PASHA

AND KRYLOV.

Whilst concurring in the judgment of the Court, we feel obliged
to state that we should have wished the Court to have passed upon
the merits of the claim of the Government of the United Kingdom
to trcat the preserit case as one falling within the compulsory juris-
diction of the Court. Since the Application was based upon this
claim and since the claim, if well-founded, would, in itself, have
justified recourse to this method of instituting proceedings without
there having been any need to consider the effrct of the letter of
July end, 1947, it appears to us that, logically, the question of
compulsory jurisdiction falls to be dealt with first of all.
Illiis question has been discussed at length both in the pleadings

and during the oral proceedings. It arose because we were faced
here with a procedure which, regarded as a whole, is the outcome
of an innovation in the Charter of the United Nations. Under the
régimeof the Charter, the rule holds good that the jurisdiction of
the International Court of Justice, as of the Permanent Court of
International Justice before it,depends on the consent of the
States parties to a dispute. But Articlc36 of the Charter Ilas
niacie it po-s:b'c for the Sccurity Council to recomnlend the
parties to reler their dispute to tlie Iritei-national Court of Justice
in accordance with the provisions of the Court's Statute. The
Security Council, for the first time, avniled itself of this power
on April gth, 1947. The contentious procedure, recourse to wliich
the Security Council thus recommended, involves, in order that
the Court may be seized of the case, certain action by the parties

or, possibly, by one of them. Faced with this new solution, the
Governme~ts coiicerped had different views as to the cftect of
the reconlmendation and, consequently, as to the nlethod to be
adopted in bringing the case before the Couii.
The Govern~nent of the United Kingdom held, or1various groimds
deduced by it from the provisions of tlic Charter aiid Stritute. tliat
this was a new case where the coinpulsoi y jurisdictiori of the Court
existed. Accordingly, it instituted proceedings by Application
atld cited in its Application the provisions oi tlie Cliarter riiid
Statute on which it founded the Court's jurisdiction.
The arguments presented on behalf of the United I<irigdom to
estriblisli that tliis was a new case of conipulsory jurisdiction-
wliicli arguments the Agent and Counsel for tlic Albaniaii Govern-
ment sought to refute-have not convinced us. In particulrir,32 OPINION INDIVIDUELLE COLLECTIVE
particulier, tenant compte 1" du sens habituel du terme recomman-
dation, sens que ce terme a conservé dans la langue diplomatique

ainsi que l'atteste la pratique des Conférencespanaméricaines, de
la Société des Nations, de l'organisation internationale du Travail,
etc., 2" du système général dela Charte et du Statut qui fonde la
juridiction de la Cour sur le consentement des Etats, 3"des termes
employés dans l'article 36, paragraphe 3, de la Charte, et de son
but qui est de rappeler au Conseil de Sécurité que les différends
d'ordre juridique relèvent des méthodes judiciaires de règlement,

il ne nous paraît pas possible d'admettre une interprétation selon
laquelle cet article aurait introduit, sans le dire, d'une manière en
quelque sorte subreptice, un cas nouveau de juridiction obligatoire.

Sur ce point, la thèse soutenue au nom du Gouvernement albanais
nous parait fondée,mais quand ce Gouvernement prétend endéduire

qu'en l'espècela voie de larequêteétaitirrégulière,nousne pouvons,
pour les motifs donnés dans l'arrêt, le suivre dans cette déduction.

(Signé)BASDEVANT.

( )) ) ALVAREZ.
( )) ) B. WINIARSKI.
( )) ) Dr ZORICIC.

( )) ) CH. DE VISSCHER.
( )) ) A. BADAWI.

( )) ) S. KRYLOV. JOINT SEPARATE OPINION 32
having regard (1)to the normar meaning of the word recommend-
ation, a meaning which this word has retained in diplomatic
language, as is borne out by the practice of the Pan-American
Conferences, of the League of Nations, of the International Labour

Organization, etc., (2) to the general structure of the Charter and
of the Statute which founds the jurisdiction of the Court on the
consent of States, and (3) to- the terms used in Article 36, para-
graph 3, of the Charter and to its object which is to remind the
Security Council that legal disputes should normally be decided
by judicial methods, it appears impossible to us to accept an inter-
pretation according to which this article, without explicitly saying
so, has introduced more or less surreptitiously, a new case of com-
pulsory jurisdiction.
On this point, the view maintained on behalf of the Albanian
Government appears to us well-founded, but when that Govern-
ment claims to argue therefrom that in this case the institution of
proceedings by application was irregular, then we are unable, for
the reasons given in the judgrnent, to accept this argument.

(Signed) BASDEVANT.
( ,, ) ALVAREZ.
( ,, ) B. WINIARSKI.
( ,, ) Dr. ZORICIC.

( ,, ) CH. DE VISSCHER.
( ,, ) A. BADAWI.
( ,, ) S. KRYLOV.

Document file FR
Document Long Title

Opinion individuelle de MM. Basdevant, Alvarez, Winiarski, Zoricic, De Vissher, Badawi Pacha, Krylov

Links