Traduction
Translation
CR 2015/9
Lundi 20 avril 2015 à 15 heures
Monday 20 April 2015 at 3 p.m. - 2 -
10 The PRESIDENT: Please be seated. Professor Kondolf, you may take your place at the
rostrum. I call on counsel for Nicaragua. Would you like to conduct a re-examination? If so, you
have the floor, Mr. Reichler.
M. REICHLER : Merci beaucoup, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la
Cour. Ne vous inquiétez pas, l’interrogatoire complémentaire sera beaucoup, beaucoup plus bref
que le contre-interrogatoire.
Bon après-midi, Monsieur Kondolf. J’aimerais commencer là où M. Wordsworth s’est
arrêté. Si vous vous souvenez, il vous a demandé de vous reporter à la page 8 de votre exposé écrit
de mars 2015, paragraphe 22, et plus particulièrement à votre tableau. Il vous a posé quelques
questions sur ce tableau, que nous voyons maintenant à l’écran. C’est bien votre tableau, tiré de
votre exposé de 2015 ?
M. KONDOLF : C’est exact.
The PRESIDENT: Mr. Wordsworth would like to say something. Mr. Wordsworth, please
come to the microphone so that the interpreters can hear and translate what you have to say.
M. WORDSWORTH : Excusez-moi. Je ne me rappelle pas avoir posé de questions sur ce
tableau de la page 8. M. Kondolf y a fait référence, mais, en fait, il ne contient pas les chiffres au
sujet desquels je l’interrogeais.
M. REICHLER : Eh bien, Monsieur le président, nous pouvons toujours consulter le compte
rendu, mais, sauf erreur, il a été fait référence à ce tableau pendant le contre-interrogatoire. On a
demandé à M. Kondolf, sur la base de ce tableau, quelle était la superficie totale d’où provenaient
les sédiments issus de l’érosion. On l’a aussi interrogé sur la différence entre son estimation de
cette superficie totale et celle utilisée par les experts du Costa Rica dans leurs calculs. De
mémoire, on a cité des chiffres comme 600 000 et 200 000, pour comparer les superficies utilisées
de part et d’autre afin de calculer l’ampleur de l’érosion, l’apport sédimentaire provenant de la
route. C’est de ce calcul qu’il s’agit. Puis-je poursuivre ? - 3 -
The PRESIDENT: You may continue, Mr. Reichler.
11 M. REICHLER : Monsieur Kondolf, ce tableau est-il conforme à votre méthodologie et à
vos calculs de la quantité de sédiments qui sont déversés dans le fleuve en raison de la construction
de la route par le Costa Rica ?
M. KONDOLF : Oui.
M. REICHLER : Pourriez-vous expliquer, s’il vous plaît, aussi brièvement que possible,
mais sans sacrifier l’exactitude, la méthode que vous avez suivie et la manière dont vous avez
calculé la quantité de sédiments qui pénètrent dans le fleuve depuis la route.
M. KONDOLF : Tout d’abord, nous sommes partis de la carte de la zone perturbée qui avait
été établie par Mende et Astorga, les experts du Costa Rica, et…
The PRESIDENT: Sorry to interrupt you, Professor. I believe that Mr. Wordsworth would
like to make another short trip to the microphone. You have the floor, Mr. Wordsworth.
M. WORDSWORTH : Je suis vraiment navré, et je ne veux pas continuer à me lever et à
m’asseoir, mais je n’ai pas posé de questions générales sur la méthodologie de M. Kondolf. Si j’ai
bien compris, le but de l’interrogatoire complémentaire est de poser des questions découlant des
questions qui ont été posées au cours du contre-interrogatoire, et non de procéder à une sorte
d’interrogatoire principal permettant à M. Kondolf d’expliquer à la Cour sa méthodologie générale.
La Cour peut en prendre connaissance en lisant l’exposé. Merci.
M. REICHLER : Puis-je répondre, Monsieur le président ?
The PRESIDENT: Thank you. Mr. Reichler. Yes.
M. REICHLER : Je conviens certainement que M. Wordsworth a passé 50 de ses 67 minutes
à parler des macro-invertébrés. Mais, à la fin de son interrogatoire, il a introduit cette question. Il
a soulevé la question de savoir comment M. Kondolf avait calculé les quantités de sédiments qui
pénètrent dans le fleuve depuis de la route, y compris des points précis concernant la superficie sur - 4 -
laquelle il a basé ses calculs. En outre, il a fourni des informations utiles sur la manière dont
l’expert du Costa Rica avait fait ses calculs. Bien entendu, la Cour connaît mieux que quiconque
12 l’objectif des instructions qu’elle a données aux conseils à propos de l’interrogatoire et de
l’interrogatoire complémentaire. Il va sans dire que nous nous plierons à l’interprétation que
donnera la Cour de ses propres instructions. Mais, sauf erreur, si un point est soulevé lors du
contre-interrogatoire, la partie qui a présenté le témoin a le droit de l’interroger sur ce même point.
Je ne crois pas du moins ce n’est pas ce que nous avons compris que nous soyons limités aux
questions qui ont été posées, mais plutôt aux points qui ont été soulevés. Selon moi, dans le cas
présent, si M. Wordsworth souhaitait nous empêcher d’interroger M. Kondolf sur le tableau et sur
sa façon de calculer les quantités de sédiments rejetés dans le fleuve depuis la route, il aurait dû
s’abstenir de poser les questions qu’il a adressées à l’expert. Mais il va de soi que nous nous en
remettons au jugement de la Cour ; bien plus, nous nous conformerons à sa décision à cet égard, et
je serais reconnaissant de pouvoir poursuivre dans cette voie. L’interrogatoire complémentaire ne
devrait pas prendre plus de quinze minutes.
The PRESIDENT: You may continue, Mr. Reichler.
M. REICHLER : Monsieur Kondolf, la question qui est restée en suspens, je crois, lorsque
M. Wordsworth a soulevé son objection, était de savoir si ce tableau reflétait votre méthodologie et
votre façon de calculer la quantité de sédiments qui est rejetée dans le fleuve en raison de la
construction de la route par le Costa Rica. Pouvez-vous répondre à cette question, s’il vous plaît ?
M. KONDOLF : Oui, c’est bien cela.
M. REICHLER : Puis, j’avais commencé à vous demander d’expliquer, aussi brièvement que
possible, sans sacrifier l’exactitude, la méthode que vous aviez suivie et la manière dont vous aviez
calculé la quantité de sédiments qui pénètrent dans le fleuve depuis la route ?
M. KONDOLF : Eh bien, la route suit la rive du fleuve sur environ 108 kilomètres, et la
superficie perturbée par elle, selon Mende et Astorga, est de 3,5 millions de mètres carrés.
M. REICHLER : Puis-je vous interrompre un instant ? - 5 -
M. KONDOLF : Oui.
M. REICHLER : Mende et Astorga, ce sont… ?
13 M. KONDOLF : Ce sont des experts du Costa Rica. Leurs rapports et leurs cartes ont été
repris dans un grand nombre de rapports d’experts.
M. REICHLER : Je vous prie de continuer.
M. KONDOLF : Donc, il y a ainsi la route elle-même, à laquelle nous avons attribué une
largeur de 10 mètres, que nous avons appliquée dans un certain nombre de ces rapports. Nous
avons traité cette partie séparément, mais, de part et d’autre de ces 10 mètres, il y a des talus,
c’est-à-dire la tranchée pratiquée dans le terrain et la partie qui se trouve habituellement en
contrebas. Pour cette autre partie, nous avons examiné nos 17 points d’érosion marquée. Ils
représentent au total… je crois que le chiffre utilisé antérieurement était de 612… mais je vois ici
788 000 mètres carrés pour la surface occupée par ces 17 points d’érosion marquée. Pour ces
superficies, à l’exclusion de la bande de 10 mètres de la route, d’après notre analyse des
photographies et des images aériennes, nous avons conclu qu’elles subissaient, dans une proportion
de 40 % environ, une érosion active par ravinement et glissement de terrain. Nous avons donc
appliqué un taux d’érosion déterminé à cette partie, en l’occurrence de 0,558 mètre par an, taux
effectivement retenu dans les études costa-riciennes. Pour le reste de cette superficie, les 60 %
restants des zones d’érosion marquée, nous avons utilisé un taux d’érosion de surface, qui se situait,
je crois, entre 0,03 et 0,06 mètre par an. Voilà pour les points d’érosion marquée. Ensuite, il y a la
route elle-même, 108 kilomètres de route, d’une largeur de 10 mètres : dans ce cas nous avons
appliqué un taux d’érosion de surface très modéré, je crois, de 0,01 à 0,02 mètre par an, ce qui
couvrait les points d’érosion marquée, l’ensemble de la route, mais pas le reste de la zone
perturbée. Pour le reste de celle-ci, nous avons simplement appliqué si je me rappelle bien le
taux d’érosion de surface de 0,01 à 0,02 ou, voyons… c’est bien cela, en fait, pour le reste des
points d’érosion marquée, nous avons utilisé des taux de 0,03 à 0,06 pour la route, et de 0,01
à 0,02 mètre par an pour le reste de la zone perturbée. - 6 -
Nous avons ainsi obtenu des chiffres pour chacune des différentes composantes qui sont
touchées par l’érosion selon des taux différents ; nous avons ensuite pu additionner ces taux afin de
calculer le total pour l’ensemble de la route. Il y a par ailleurs les routes d’accès, qui s’étendent sur
une distance totale se situant entre 332 et 440 kilomètres ; les chiffres varient selon les sources.
Nous avons utilisé le bas de la fourchette, à savoir 332 kilomètres, et, pour cette composante, nous
avons estimé à 30 mètres la largeur moyenne de la zone perturbée qui a été observée le long de la
route proprement dite, puis nous l’avons multipliée par le taux d’érosion de surface le plus faible,
c’est-à-dire de 0,01 à 0,02. Nous avons ainsi obtenu une estimation très modérée de la quantité de
sédiments issue de l’érosion de ces routes et qui doivent être transportés jusqu’au fleuve. Le long
de la route 1856, tout au bord du fleuve qui la longe de très près nous avons utilisé ce que
14 nous appelons un ratio de dépôt sédimentaire de 0,6 c’est-à-dire que nous supposons que 60 %
de ces sédiments se déposent directement dans le fleuve, ce qui est, je crois, très modéré étant
donné ce que l’on voit sur les photographies.
Pour les routes d’accès, nous avons supposé un ratio plus faible de 0,1, soit 10 %, ce qui est
encore une fois sensiblement plus modéré que ce que l’on trouve dans la plupart des études, ce qui
rend les résultats très prudent. Nous additionnons ensuite ces deux chiffres pour obtenir le total.
De plus, lorsqu’on regarde ces chiffres, il est bon de se rappeler qu’il y a une différence entre les
valeurs exprimées en mètres cubes par année et en tonnes par année. Le nombre de tonnes par
année est plus élevé que le nombre de mètres cubes par année.
M. REICHLER : Le nombre total de mètres cubes par année que vous avez calculé,
pouvez-vous l’indiquer sur la carte ?
M. KONDOLF : Oui, c’est la ligne du bas, dans la colonne de droite : 116 000
à 150 000 mètres cubes par année.
M. REICHLER : De sédiments qui pénètrent dans le fleuve.
M. KONDOLF : Qui pénètrent dans le fleuve. - 7 -
M. REICHLER : Pouvez-vous calculer mentalement le nombre de tonnes que cela représente
par année ?
M. KONDOLF : Si je me souviens bien, l’équivalent en tonnes par année se situe entre 190
et 250, ou quelque chose d’approchant.
M. REICHLER : 190 à 250 milliers de tonnes par année.
M. KONDOLF : Milliers de tonnes par année, en effet.
M. REICHLER : Selon vous, est-ce là une méthode fiable pour calculer la quantité de
sédiments qui pénètrent dans le fleuve depuis la route ?
M. KONDOLF : Oui, je le crois.
M. REICHLER : Pourquoi ?
15 M. KONDOLF : Eh bien, nous avons pris en compte toutes les zones d’érosion et avons
appliqué des taux modérés pour la quantité…
The PRESIDENT: Mr. Wordsworth. If I may interrupt you for a moment, Professor.
Would you come to the microphone please?
M. WORDSWORTH : Excusez-moi encore, mais ceci n’a absolument rien à voir avec le
contre-interrogatoire. Nous sommes en train de déborder des grandes questions de méthodologie,
alors que j’avais posé une question très précise sur la superficie des talus. Vous venez d’entendre
un long discours sur les différents aspects de la méthode suivie et maintenant une question tout à
fait générale sur sa fiabilité. Or cela n’a rien à voir avec les questions soulevées au cours du
contre-interrogatoire de ce matin.
The PRESIDENT: Thank you, Mr. Wordsworth. I would ask Mr. Reichler to ensure that
the re-examination does not turn into the equivalent of an examination-in-chief, which, as you are
aware, has been replaced by the expert’s written statement, and to focus his questions on the issues - 8 -
raised in cross-examination, in accordance with the rules I recalled for the Parties at the start of
these hearings. Thank you.
M. REICHLER : Bien entendu, Monsieur le président. Je vous remercie. M. Wordsworth
vous a posé une question sur l’écart entre votre estimation et celle qui émane de l’expert du
Costa Rica. En quoi vos estimations diffèrent-elles de celles des experts du Costa Rica et en quoi
sont-elles similaires ?
M. KONDOLF : Eh bien, l’un des écarts mentionnés par M. Wordsworth concernait la
superficie de la zone perturbée ; il me semble que c’est ce dont il a parlé. Je continue d’ailleurs de
mentionner le chiffre de 612 000 je vois que, dans mon rapport, j’indique que la superficie est
de 788 000 mètres carrés dans les zones gravement touchées par l’érosion. Il pourrait y avoir là
une explication de cet écart. Puisqu’il est question de superficie, il faut garder à l’esprit que les
experts du Costa Rica MM. Mende et Astorga ont fait état de 3,5 millions de mètres carrés
perturbés. Or il me semble que, si l’on additionne les superficies qui ont été perturbées pour
l’aménagement de ce qu’ils considèrent comme des talus — talus de déblai et talus de remblai — et
16 de la route, on obtient un chiffre beaucoup plus faible ; je ne m’en souviens plus précisément, mais,
quoi qu’il en soit, il ne couvre qu’une petite partie de la superficie qu’ils tenaient auparavant pour
perturbée. Voilà une autre source d’écart.
M. REICHLER : M. Wordsworth a fait valoir devant vous et je suis certain qu’il ne
s’opposera pas à cette question puisqu’il se souviendra vous l’avoir posée M. Wordsworth,
donc, a émis l’hypothèse selon laquelle, pour établir la quantité de sédiments provenant de la route
et déversés dans le fleuve, il aurait été plus juste c’est-à-dire plus juste par rapport à la façon
dont vous-même ou les experts du Costa Rica avez procédé de prélever des échantillons de
sédiments en suspension en amont de la route et de les comparer à des échantillons prélevés en
aval. Etes-vous d’accord avec M. Wordsworth ?
M. KONDOLF : Non, je pense qu’il est préférable de s’en tenir aux éléments de preuve
directs dont on dispose, aux emplacements concernés : on peut en effet constater l’érosion et
mesurer ou estimer les sédiments qui se déversent dans le fleuve, et les deltas en sont notamment la - 9 -
preuve. Si l’on se fonde sur des éléments secondaires, tels que les charges sédimentaires qui
pourraient mesurées en amont et en aval, on fait alors face à tous les problèmes associés à la très
grande variabilité des débits et des charges sédimentaires d’une année sur l’autre… En un sens,
cela rappelle un peu les débats relatifs au changement climatique, qui font rage aux Etats-Unis,
comme vous le savez, où les gens…
M. REICHLER : Je doute que M. Wordsworth souhaite que vous vous engagiez dans cette
voie, et j’aurais tendance à abonder dans le même sens !
M. KONDOLF : Ces données sont largement parasitées et, de même, établir un élément en
particulier au milieu de données parasitées est plus difficile que de se fonder sur l’élément de
preuve direct qu’est l’observation des sédiments déversés dans le fleuve.
M. REICHLER : M. Wordsworth vous a interrogé sur les effets des sédiments pénétrant dans
le fleuve en provenance de la route : ont-ils un impact sur le cours inférieur du San Juan ?
M. KONDOLF : Cela ne fait aucun doute. S’agissant précisément du cours inférieur du
fleuve, il va de soi que chaque tonne de sédiments déversée dans le San Juan est charriée vers
17 l’aval et le point de bifurcation, et pourrait contribuer aux difficultés d’entretien auxquelles le
Nicaragua a fait face lors du dragage de ce bras du fleuve.
M. REICHLER : Je vous remercie, Monsieur Kondolf, et je vous remercie, Monsieur le
président. Je n’ai pas d’autre question.
The PRESIDENT: Thank you, Mr. Reichler. Mr. Kondolf, please stay where you are, as a
number of judges would like to put questions to you. I will call upon them in order of seniority,
and would ask you to answer each question as soon as it is put to you.
I give the floor first to Judge Greenwood.
Le juge GREENWOOD : Je vous remercie. Bonjour, Monsieur Kondolf.
M. KONDOLF : Bonjour. - 10 -
Le juge GREENWOOD : Monsieur, j’ai deux questions à vous poser. La première il est
possible que la réponse soit déjà au dossier, mais je n’ai pas réussi à la trouver. A la page 17 de
votre exposé écrit, vous faites état d’au moins huit deltas de grande taille formés de sédiments
provenant de la route. Pourriez-vous nous donner une idée, si vous le connaissez, du nombre de
deltas présents plus généralement dans cette portion du fleuve sur la rive costa-ricienne ?
M. KONDOLF : De quelle portion du fleuve s’agit-il ?
Le juge GREENWOOD : Le segment que longe la route, d’une longueur
d’environ 100 kilomètres.
M. KONDOLF : Eh bien, il faudrait que je devine, dans ce cas. Je ne sais pas. La question
est intéressante.
Le juge GREENWOOD : Bien, vous ne savez pas ; je comprends. J’essayais simplement de
savoir si ces huit deltas étaient les seuls ou s’il s’agissait des huit plus grands parmi tant d’autres.
18 M. KONDOLF : Je dirais que, dans ces zones gravement touchées par l’érosion, les
huit deltas en question seraient probablement les seuls, mais, pour ce qui est des portions moins
touchées du fleuve, on observerait certainement quelques deltas naturels.
Le juge GREENWOOD : Bien, parce qu’il y a 17 points d’érosion marquée, c’est bien cela ?
Mais des deltas se sont formés sur seulement huit d’entre eux, n’est-ce pas ?
M. KONDOLF : Oui, c’est juste.
Le juge GREENWOOD : Je vous remercie. J’ai besoin de réfléchir plus avant à la portée de
cette réponse. Ma seconde question concerne une remarque qu’a faite M. Thorne dans son exposé
écrit en l’affaire relative à Certaines activités, sur laquelle je souhaite obtenir votre avis, car elle
concerne la relation existant entre les deux affaires.
Au paragraphe 4.7 de son exposé, il fait la déclaration ci-après, que je vais vous lire, car vous
ne l’avez peut-être pas sous les yeux : - 11 -
«Alors qu’on prétend que les sédiments provenant de la Route soulèvent de
graves risques environnementaux pour le Río San Juan, cela semble être en désaccord
avec l’opinion experte des professeurs van Rhee et de Vriend selon laquelle, en dépit
du volume beaucoup plus important de sédiments d’une branche beaucoup plus petite
du fleuve, «tout effet environnemental négatif des modestes activités du Nicaragua
sera négligeable».»
Je souhaiterais simplement que vous nous aidiez à comprendre le lien entre les propos de votre
confrère, M. van Rhee, concernant les effets sur l’environnement de l’enlèvement de sédiments du
cours inférieur du fleuve San Juan et ce qui est dit du dépôt de sédiments en amont dans le fleuve.
M. KONDOLF : Eh bien, puisqu’il est question de l’impact sur le cours inférieur du fleuve,
c’est-à-dire le San Juan inférieur, je crois que le principe est simple : la quantité de sédiments qui
se déverse dans cette partie du fleuve est si importante que tout apport supplémentaire ajoute à cet
impact et alourdit la charge à draguer. Il me semble par ailleurs utile de rappeler que ces charges
sédimentaires très élevées 85 % du bassin versant se situe sur la rive costa-ricienne, qui a subi
une déforestation très importante, de sorte que les charges sédimentaires sont à présent beaucoup
plus élevées qu’à l’état naturel qui se déversent dans le cours inférieur du fleuve sont la cause
d’une grande partie des difficultés évoquées dans la précédente affaire. C’est pourquoi je pense
19 que, d’une certaine façon, puisque la route charrie des sédiments supplémentaires, cela ne fait
qu’aggraver le problème en aval.
Le juge GREENWOOD : Je vous remercie, Monsieur Kondolf. Tout cela est fort
intéressant, mais je pense que ce n’était pas tout à fait là où voulait en venir M. Thorne. Peut-être
vaudrait-il mieux que je lui pose la question directement, plus tard au cours de la semaine. Il m’a
toutefois semblé qu’il s’agissait d’un argument peut-être plus simple portant, en gros, sur la
question de savoir pourquoi, si l’enlèvement de 200 000 mètres cubes de sédiments du cours
inférieur du fleuve San Juan avait un effet négligeable sur l’environnement, le dépôt de
200 000 mètres cubes de sédiments dans le cours supérieur du fleuve aurait, lui, un impact
important.
M. KONDOLF : Il est possible que mon explication ne soit pas claire, mais je pense que
l’idée est que, parce que la quantité de sédiments est déjà trop importante et pose un problème que - 12 -
l’apport supplémentaire ne fait qu’aggraver. Le dragage ne semble pas offrir de solution pérenne,
car la sédimentation se poursuit, laissant inchangé l’état du fleuve à cet endroit.
Le juge GREENWOOD : Je vous remercie beaucoup, Monsieur Kondolf.
The PRESIDENT: Thank you. I now give the floor to Judge Xue.
La juge XUE : Je vous remercie, Monsieur le président. Monsieur Kondolf, j’aurais besoin
d’un éclaircissement technique de votre part. Dans les rapports rédigés par les experts du
Nicaragua, pas seulement le vôtre, mais ceux de vos confrères également, il est dit que la
construction de la route 1856 a conduit au déversement de grandes quantités de sédiments dans le
fleuve San Juan. Compte tenu des conditions hydrologiques et météorologiques qui caractérisent
celui-ci, les sédiments en suspension suivent son cours vers l’aval. A Delta Colorado, où le fleuve
San Juan bifurque pour donner naissance au Colorado et au San Juan inférieur, ainsi que vos
rapports l’indiquent, environ 80 à 90 % de ses eaux se jettent dans le Colorado. Si je comprends
bien, dans ces conditions, la majeure partie des sédiments en suspension se déverserait aussi dans le
Colorado, ou du moins je le suppose. Existe-t-il des facteurs ou des variables dont je n’ai pas
connaissance et qui rendraient ma compréhension erronée ?
M. KONDOLF : Non, je pense que vous avez raison et, si je peux permettre d’apporter
quelques précisions, la régie costa-ricienne d’électricité (ICE) a expliqué dans son rapport que les
sédiments se divisent en deux catégories distinctes, soit celle des sédiments grossiers, composés en
grande partie de sable se déplaçant le long du lit du fleuve, ce que l’on appelle la charge
20 sédimentaire de fond, et celle des sédiments en suspension, dans lesquels on peut retrouver du
sable, mais qui se composent plutôt de la boue et du limon présents dans le fleuve. Les agents de
l’ICE estiment ainsi que 16 % des sédiments en suspension se déversent dans le cours inférieur du
fleuve San Juan.
La juge XUE : Seize ou soixante ?
M. KONDOLF : Seize… seize, si ma mémoire est bonne. Mais ils estiment cette proportion
à 20 %, me semble-t-il, en ce qui concerne la charge de fond, c’est-à-dire qu’un pourcentage - 13 -
légèrement supérieur des sédiments reposant sur le lit du fleuve passeraient dans le San Juan
inférieur. Mais en somme, vous avez raison : il y a bifurcation du cours d’eau et la majeure partie
des eaux et des sédiments se déversent dans le Colorado.
La juge XUE : Je vous remercie beaucoup.
The PRESIDENT: Thank you. I now give the floor to Judge Bhandari.
Le juge BHANDARI : Je vous remercie, Monsieur le président. Monsieur Kondolf, j’ai
deux questions à vous poser. Dans votre exposé écrit et au cours de votre intervention de ce matin,
vous avez fait état d’une pénurie de données sur les espèces de poissons habitant le fleuve
San Juan. En connaissez-vous les raisons ?
M. KONDOLF : Je pense que le problème réside simplement dans le fait que peu de
scientifiques ont étudié cette région, qui est très étendue. Il existe de nombreuses régions du
monde pour lesquelles on manque de données sur ce type de ressources.
Le juge BHANDARI : Ma seconde question est la suivante : au paragraphe 59 de votre
exposé écrit, en page 20, vous dites que les séismes importants sont inéluctables dans la région et
que, lorsqu’ils surviennent, on peut s’attendre à l’effondrement massif des talus déstabilisés par la
route 1856. Au vu de cette affirmation, je souhaite vous poser les questions suivantes :
1) Comment définiriez-vous avec précision la raison et le fondement de votre conclusion selon
laquelle des séismes importants sont inéluctables dans cette région ?
21 2) Est-il possible d’estimer les volumes de terre qui seraient déversés dans le fleuve en cas de
séisme dans la région à laquelle vous faites référence ?
M. KONDOLF : Premièrement, nous savons qu’il s’agit d’une zone active sur le plan
géologique : des volcans y sont présents et ce type de géologie active ou activité
tectonique est généralement propice aux séismes. Nous pouvons également nous fonder sur le
rapport de M. Astorga, géologue costa-ricien, qui enseigne que, depuis l’année 1700, si mon
souvenir est bon, le bassin du fleuve San Juan a connu 17 séismes majeurs sur une période - 14 -
d’environ trois cent dix ans, soit un séisme tous les vingt ans environ. Cela nous donne une idée de
la fréquence de ces phénomènes.
Quant à la question du volume de sédiments qui seraient produits, M. Astorga a également
procédé à une estimation du volume de sédiments qui serait dégagé par les volcans à l’occasion de
ce type de séismes et, selon lui, il se situerait entre 1 et 3-4 millions de tonnes, je crois, pour chaque
séisme. Quoi qu’il en soit, je pense que votre question concernait plutôt la route, et l’érosion de
celle-ci qui serait susceptible d’en résulter. Je ne me suis pas risqué à avancer une estimation
globale du volume total de sédiments qui risqueraient d’être déplacés en pareil cas, mais, dans l’un
de mes rapports, nous avons estimé le volume des remblais pour certains des grands passages et on
pourrait s’attendre à ce que la totalité ou une grande partie de ce volume soit mobilisée. J’essaie de
me souvenir, mais je crois que c’était de l’ordre de 30 000 mètres cubes dans un cas précis. Je
peux me tromper, mais les chiffres étaient élevés.
Le juge BHANDARI : Je vous remercie beaucoup, Monsieur Kondolf.
The PRESIDENT: Thank you, Professor. The final question will be put to you by
Judge Robinson. Judge Robinson, you have the floor.
Le juge ROBINSON : Je vous remercie beaucoup, Monsieur le président. Monsieur,
j’aimerais revenir sur le paragraphe 23 de votre exposé écrit. Dans ce passage, vous abordez ce
que vous appelez la sous-estimation par le Costa Rica de l’apport sédimentaire provenant de la
route et vous tentez de démontrer que les calculs des experts costa-riciens sont profondément
erronés et sous-évaluent considérablement la quantité de sédiments déposés dans le fleuve. Vous
vous intéressez ensuite aux nouveaux rapports soumis par le Costa Rica avec sa duplique, dans
22 lesquels, selon vous, les experts costa-riciens reconnaissent la plupart de ces erreurs. Vous
poursuivez toutefois en faisant valoir que ces nouveaux rapports comportent eux-mêmes nombre de
nouvelles erreurs, et vous en relevez quatre. En bref, la première concerne le nouveau rapport de
l’UCR, l’une de ses erreurs étant selon vous que, malgré l’adjonction de quatre nouveaux points, il
n’est toujours pas tenu compte de nombre d’emplacements gravement touchés par l’érosion ; vous
vous intéressez ensuite, deuxièmement, au nouvel inventaire Mende ; troisièmement, au chiffre - 15 -
considérablement inférieur concernant l’érosion de la chaussée ; et quatrièmement, aux zones
perturbées exclues des calculs du Costa Rica.
La question que je souhaite poser est celle de savoir si vous êtes d’avis que ces erreurs,
prises individuellement ou collectivement, invalident l’estimation faite par le Costa Rica, en tout ou
en partie. J’incline à penser qu’il s’agit de la seconde hypothèse, mais c’est à vous de répondre. Si
tel est le cas, toutefois, pourriez-vous nous indiquer dans quelle mesure, dans quelle
proportion je ne sais pas s’il vous est possible de l’établir à ce moment précis , c’est-à-dire si
l’invalidation est de l’ordre de 40 %, 50 % ou un autre pourcentage ? Je vous remercie.
M. KONDOLF : Je suis d’accord pour dire que pareilles erreurs minent gravement la
crédibilité des résultats et, par conséquent, je dirais qu’elles invalident partiellement l’estimation
faite par le Costa Rica. Comme vous le dites, il y a sans doute certains éléments de ces rapports qui
sont justes, mais, à mon sens, il y a suffisamment d’éléments qui posent des problèmes d’une
gravité certaine pour remettre en question les conclusions. Pour ce qui est d’attribuer un
pourcentage, il me serait certainement possible de le faire en reprenant chaque composante et en
étudiant les facteurs ayant conduit à la sous-estimation ou à la surestimation de tel ou tel élément,
afin de pouvoir aboutir à un chiffre global. Cela dit, je ne peux pas malheureusement pas le faire
séance tenante.
Le juge ROBINSON : Je vous remercie. J’entends qu’il vous est impossible de le faire
maintenant, mais, pour ma part, je crois que votre estimation sur ce point me serait utile, même si je
comprends tout à fait que vous ne puissiez le faire ici.
The PRESIDENT: Thank you, Professor. That brings your deposition to a close. We are
grateful to you for appearing before the Court. You may leave the rostrum. Thank you.
Le juge TOMKA : Je vous remercie beaucoup, Monsieur le président. Monsieur Kondolf, je
vous remercie pour votre contribution. J’aurais besoin d’un éclaircissement de votre part,
concernant le tableau figurant à la page 8 de votre exposé écrit du 16 mars de cette année, la
synthèse de vos rapports. Selon vous, le volume total de sédiments provenant de la route 1856
23 serait de 116 000 à 150 000 mètres cubes par an, pour le tronçon de route d’une longueur de - 16 -
108 kilomètres, sur la base de l’hypothèse selon laquelle 60 % des sédiments seraient déversés dans
le fleuve. Puis-je vous demander quelle est la largeur moyenne du fleuve ?
M. KONDOLF : Elle est probablement de l’ordre de 100 mètres environ.
Le juge TOMKA : Cent mètres. Cela signifie donc que, si ces chiffres sont exacts, pour
environ 1000 mètres carrés, le volume de sédiments se situerait entre 1,07 et 1,38 mètre cube. J’ai
divisé le volume total que vous avancez par la longueur du fleuve, puis appliqué la largeur que
vous venez de m’indiquer. Est-ce correct ? Cela signifie que, pour une zone qui est au moins deux
fois plus étendue que la grande salle de justice, il y aurait environ un mètre cube de sédiments,
en moyenne.
M. KONDOLF : Je crains d’être obligé de… vous avez probablement raison, mais il me
faudrait refaire le calcul. Donc, en somme, vous divisez le nombre total de mètres cubes par 108,
et multipliez par 100 mètres. Eh bien, je m’en remets à vos connaissances en arithmétique.
Le juge TOMKA : Disposez-vous d’un chiffre ? Quel pourcentage des sédiments se
trouvent en définitive rejetés en mer ? En effet, tous les sédiments ne restent pas sur le lit du
fleuve. Je comprends qu’un certain volume se dépose au fond, mais qu’une autre partie est charriée
vers l’aval, avant d’être rejetée en mer, par la voie du fleuve Colorado ou du fleuve San Juan.
M. KONDOLF : Oui, encore une fois, il s’agit là de chiffres annuels, de sorte que c’est le
même volume chaque année. Pour ce qui est du pourcentage de sédiments rejeté en mer, ce point
fait quelque peu débat. Il semble que la majeure partie des sédiments se déposent dans le delta, ce
qui explique sa présence même : les sédiments grossiers se déposent au sommet du delta et la
plupart des sédiments fins se déposent progressivement en aval, au fur et à mesure que l’eau douce
se mélange à l’eau de mer. On observe alors une floculation de certaines argiles, dont une partie
est ensuite certainement rejetée en mer. Pour ce delta en particulier, je ne sais pas quel serait le
pourcentage global de sédiments rejetés en mer.
Le juge TOMKA : Je vous remercie beaucoup. Thank you, Mr. President. - 17 -
24 The PRESIDENT: Thank you, Professor. That brings your deposition to a close. We are
grateful to you for appearing before the Court. You may leave the rostrum. Thank you.
M. KONDOLF : Merci.
The PRESIDENT: The Court will now hear Mr. Andrews. Mr. Andrews, you may take
your place at the rostrum.
M. ANDREWS : Je vous remercie.
The PRESIDENT: Good day, Professor.
M. ANDREWS : Bonjour Monsieur le président.
The PRESIDENT: I call upon you to make the solemn declaration for experts as set out in
Article 64, subparagraph (b), of the Rules of Court.
M. ANDREWS :
«Je déclare solennellement, en tout honneur et en toute conscience, que je dirai
la vérité, toute la vérité et rien que la vérité et que mon exposé correspondra à ma
conviction sincère.»
The PRESIDENT: Thank you, Mr. Andrews. I now give the floor to counsel for Nicaragua,
who will ask you to confirm the written statement in front of you. Mr. Reichler.
M. REICHLER : Je vous remercie Monsieur le président. Bonjour Monsieur Andrews.
Puis-je vous demander de confirmer que les trois documents que vous avez devant vous à savoir
l’exposé écrit que vous avez établi aux fins de la présente audience et les deux rapports que vous
avez préparés pour la présente affaire sont le reflet sincère de votre avis d’expert ?
M. ANDREWS : Je n’ai établi qu’un seul rapport pour l’affaire.
25 M. REICHLER : Je vous prie de m’excuser. Pouvez-vous alors confirmer que les
deux documents qui se trouvent devant vous l’exposé écrit que vous avez établi aux fins de la - 18 -
présente audience et votre autre rapport au sujet de la présente affaire sont le reflet sincère de
votre avis d’expert?
M. ANDREWS : Oui, ils le sont.
M. REICHLER : Je vous remercie.
The PRESIDENT: Thank you, I now give the floor to Mr. Wordsworth for the
cross-examination. Mr. Wordsworth, you have the floor.
M. WORDSWORTH : Je vous remercie beaucoup, Monsieur le président. Bonjour
Monsieur Andrews. Puis-je vous demander d’aller à la page 2 de votre rapport, au paragraphe 4, et
d’en lire les trois premières phrases ? Excusez-moi je veux dire de votre exposé écrit.
M. ANDREWS : Le paragraphe 4 ?
M. WORDSWORTH : Le paragraphe 4.
M. ANDREWS :
«Les arguments présentés par le Costa Rica et ses experts concernant la
sédimentation et l’impact de la route sont biaisés. Certains reposent sur des
paradigmes incomplets ou dépourvus de pertinence pour l’évaluation de l’impact des
sédiments provenant de la route. Par exemple, que l’apport sédimentaire provenant de
la route constitue ou non un pourcentage important ou faible de la charge globale
totale ne change rien au fait que, la charge existante étant élevée, tout sédiment
supplémentaire apporté à cause de la route entraînera un dépôt et nécessitera un
dragage supplémentaire.»
M. WORDSWORTH : Merci beaucoup. Pour plus de clarté, je souhaiterais seulement vous
poser quelques questions au sujet de la dernière phrase dont il vient d’être question de nouveau
dans l’interrogatoire de M. Kondolf. Puis-je vous demander d’aller à la page 26 de votre exposé
écrit ?
M. ANDREWS : L’exposé écrit...
M. WORDSWORTH : Le paragraphe 26 de votre exposé écrit. - 19 -
M. ANDREWS : D’accord.
26 M. WORDSWORTH : Vous y écrivez que «[l]a quasi-totalité des sédiments relativement
grossiers transportés dans le Río San Juan inférieur se déposeront sur le lit du fleuve sur les
trois premiers kilomètres». Est-ce exact ?
M. ANDREWS : Oui, c’est exact.
M. WORDSWORTH : Il s’agit pour l’essentiel des trois kilomètres qui précèdent la
bifurcation entre le cours inférieur du San Juan et le fleuve Colorado.
M. ANDREWS : C’est exact.
M. WORDSWORTH : Nous venons d’entendre M. Kondolf qui nous a donné une estimation
globale de l’apport sédimentaire total chaque année ; le chiffre vient de s’inscrire à l’écran, et cette
quantité annuelle de sédiments, qui vient de la route, est de 116 000 à 150 000 mètres cubes.
M. ANDREWS : Je crois que c’est bien ça.
M. WORDSWORTH : Bien évidemment, les chiffres du Costa Rica sont beaucoup plus
faibles, mais utilisons ceux-ci pour l’instant. Ils représentent la quantité totale de sédiments
supplémentaires qui devraient provenir de la route, n’est-ce pas ? S’agit-il à la fois de sédiments
grossiers et de sédiments en suspension ?
M. ANDREWS : C’est exact.
M. WORDSWORTH : Dans votre rapport, l’annexe 3 de la réplique du Nicaragua, vous
laissez entendre que la charge de sédiments grossiers représente peut-être de 12 à 18 % de la charge
sédimentaire totale ?
M. ANDREWS : Du sable, de la charge en suspension, 12 à 18 %, je crois que la charge de
fond est en plus. - 20 -
M. WORDSWORTH : Alors les sédiments qui se déposent sur ces trois premiers kilomètres
représentent de 12 à 18 % de ce qui a été emporté dans les sédiments en suspension dans le fleuve ?
M. ANDREWS : Plus la charge de fond, il y a deux éléments : les sédiments relativement
grossiers qui sont simplement balayés le long du lit, appelés la charge de fond, puis une partie de
27 cette charge, à savoir le sable, qui est en suspension tout cela fait partie des sédiments grossiers.
Ainsi, dans son rapport, l’ICE estime que 28 % de tous les sédiments feront partie de cette fraction
relativement grossière.
M. WORDSWORTH : Bien. Nous avons maintenant une idée de ce qui se dépose
réellement dans cette région du delta et vous admettez, je crois, qu’environ 10 % du débit du fleuve
et des sédiments se déversent dans le cours inférieur du San Juan et environ 90 % dans le
fleuve Colorado ? Est-ce exact ?
M. ANDREWS : Non, le rapport de l’ICE laisse entendre que 10 % de l’eau se déverse dans
le cours inférieur du San Juan mais que 16 % des sédiments en suspension et 20 % de la charge de
fond y vont aussi. Par conséquent, l’eau et les sédiments ne se répartissent pas proportionnellement
dans les deux chenaux à la bifurcation. La proportion de sédiments est plus élevée comme
l’indiquent l’analyse et les mesures de l’ICE.
M. WORDSWORTH : Je m’en remets véritablement à votre avis d’expert. Je voudrais me
référer au rapport que vous avez établi et qui était joint à la réplique du Nicaragua. Voici ce que
vous y écrivez :
«En partant des mêmes hypothèses, [il s’agit des hypothèses de M. Kondolf au
sujet des quantités de sédiments provenant de la route] décrites ci-dessus, à savoir que
10 pour cent des sédiments vont dans le cours inférieur du San Juan [et vous devrez
me dire dans un moment d’où vous vient cette hypothèse] et que 12 à 18 pour cent de
la charge sédimentaire totale du fleuve est relativement grossière, de 1270 à 2340 m 3
de sédiments provenant de la seule route 1856, et de 1390 à 2700 m de sédiments
provenant de la route 1856 et des routes d’accès seront déposés sur les trois premiers
kilomètres du cours inférieur du San Juan.»
M. ANDREWS : Dans son premier rapport, présenté en 2013, l’ICE laisse entendre que la
répartition de l’eau et des sédiments serait proportionnelle; que 10 % du débit irait dans le cours - 21 -
inférieur du San Juan et 10 % des sédiments aussi. Mais dans son nouveau rapport, paru en
décembre 2014, l’ICE estime la proportion d’eau à 10 %, celle de sédiments relativement grossiers
à 20 % et celle de sédiments en suspension à 16 % ; je m’en tiens juste à ces chiffres. Il fait des
mesures, des mesures de déversement. C’est pourquoi je me suis fié à sa nouvelle estimation de la
quantité de sédiments, la quantité disproportionnée qui va dans le cours inférieur du fleuve.
28 M. WORDSWORTH : Vous dites que l’ICE a des mesures exactes de déversement, l’ICE
est un organisme costa-ricien, n’est-ce pas ?
M. ANDREWS : C’est exact, et il a procédé à des mesures de déversement dans le
fleuve Colorado.
M. WORDSWORTH : Oui, donc il n’a pas les bonnes mesures de déversement, n’est-ce
pas ? Parce qu’il ne peut pas identifier ce qui est dans le fleuve San Juan, ce qui va dans le fleuve
Colorado et ce qui va dans le cours inférieur du San Juan. Il n’a pas la bonne série de données,
n’est-ce pas ?
M. ANDREWS : Une série complète, non, mais il dispose de données pour faire une analyse.
M. WORDSWORTH : Il n’a qu’un tiers du tableau d’ensemble, n’est-ce pas ? Il a des
données sur ce qui se déverse dans le fleuve Colorado. Il n’en a pas sur ce qui va dans le San Juan
et il n’en a pas non plus sur ce qui va dans le cours inférieur du San Juan.
M. ANDREWS : Cela me semble exact.
M. WORDSWORTH : Avez-vous formé votre propre avis d’expert quant à la répartition de
l’eau et des flux sédimentaires ?
M. ANDREWS : Pas à cet endroit.
M. WORDSWORTH : A un autre endroit ?
M. ANDREWS : Oui, nous en avons pour l’embouchure du fleuve et pour la quantité de
sédiments qui se déposent au-dessus du cours inférieur du San Juan. - 22 -
M. WORDSWORTH : Vous avez accès à des données sur les débits et celles sur les dépôts
de sédiments sont de seconde main, n’est-ce pas ?
M. ANDREWS : J’ai utilisé les données dont nous disposions et estimé, en me fondant sur
ma propre expérience, la proportion de sédiments qui se déposeraient.
29 M. WORDSWORTH : Permettez-moi de vous poser une question au sujet de ce chiffre. Ce
qui m’intéresse vraiment, c’est ce que vous écrivez dans votre rapport joint à la réplique du
Nicaragua, page 28, si vous voulez vous y reporter. Je viens de vous le lire et ce dont vous parlez
c’est de la quantité de sédiments déposée dans les trois premiers kilomètres du cours inférieur du
San Juan. Si je comprends bien, vous dites que cette quantité, y compris les sédiments qui
viendraient des routes d’accès, est de 1390 à 2700 mètres cubes. Est-ce exact ?
M. ANDREWS : Oui. Mais je pense que ces chiffres seraient quelque peu plus élevés s’ils
étaient fondés sur les estimations revisées qui figurent dans le rapport de l’ICE pour 2014.
M. WORDSWORTH : D’accord. Mais pour l’instant, servons-nous de ces chiffres car ce
sont ceux qui figurent dans votre rapport. Et je voudrais les comparer de 1390 à 2700 mètres
cubes déposés avec ce qui est réellement dragué à cet endroit. Vous souvenez-vous que
M. van Rhee a confirmé vendredi qu’en 2012 le Nicaragua draguait 176 918 mètres cubes dans
cette zone du Delta ? Vous vous en souvenez ?
M. ANDREWS : Oui, je ne me souviens pas du chiffre précis mais je sais qu’il est de l’ordre
de 100 000 mètres cubes.
M. WORDSWORTH : Vous souvenez-vous que M. van Rhee a confirmé qu’en 2013, le
Nicaragua a dragué 304 000 mètres cubes.
M. ANDREWS : Cela me semble exact.
M. WORDSWORTH : En 2014, le chiffre était de 158 000 mètres cubes. - 23 -
M. ANDREWS : Je ne me souviens pas des chiffres précis pour chacune de ces années, mais
je sais que pour la période de quatre ans, le total s’établissait à 700 000 mètres cubes.
M. WORDSWORTH : Exactement. Et, mis à part le dragage initial de quelque
90 000 mètres cubes, je pense que M. van Rhee a parlé de «dragage d’entretien».
Reconnaissez-vous maintenant que la quantité de sédiments, et je me fonde sur vos chiffres, que la
route apporte sur ces trois kilomètres ne représente qu’une fraction infime de ce que le Nicaragua
drague réellement. C’est exact n’est-ce pas ?
30 M. ANDREWS : Le dragage reste pourtant nécessaire et ces quantités considérables de
sédiments dragués viennent du Costa Rica et sont dues à un aménagement des sols désastreux
pendant quatre décennies, de 1950 à 1990.
M. WORDSWORTH : Nous avons observé que les experts du Nicaragua ne manquaient
jamais de le souligner. Mais ce n’est pas une réponse à la question que je posais et qui concernait
précisément la route, n’est-ce pas ? Et il n’est pas exact de parler d’une fraction infime je pense
que cela représente de 0,5 à 2 % du volume que le Nicaragua drague à cet emplacement depuis
trois ans.
M. ANDREWS : C’est exact, et le dragage reste nécessaire.
M. WORDSWORTH : En fait, ces chiffres se situent dans la marge de variabilité à laquelle
M. Kondolf se référait précédemment, n’est-ce pas ? Tout à fait dans la marge.
M. ANDREWS : Ces sédiments doivent être dragués. Il y a des incertitudes mais la
variabilité ne signifie pas qu’ils ne sont pas là. Nous savons qu’ils sont dans le fleuve, nous savons
qu’ils seront transportés en aval et nous savons qu’ils se déposeront à cet endroit.
M. WORDSWORTH : Mais ce que vous dites juste pour que je comprenne bien c’est
tout simplement qu’une fraction vraiment infime de ce qui est réellement dragué vient de la route et
qu’elle doit être draguée, c’est cela n’est-ce pas ? - 24 -
M. ANDREWS : Oui. Et nous ne parlons que d’un seul endroit. La majorité des sédiments
qui viennent de la route se déposent plus en aval dans le delta.
M. WORDSWORTH : Absolument, ce serait les sédiments fins.
M. ANDREWS : J’imagine que ce serait le cas.
M. WORDSWORTH : Et là encore, ce sédiment représenterait une fraction infime de ce qui
vient du reste du fleuve.
M. ANDREWS : Une fraction plus importante.
31 M. WORDSWORTH : Mais, relativement parlant, il s’agit toujours d’un très faible
pourcentage par rapport au pourcentage total ?
M. ANDREWS : Cela reste une quantité considérable… Plus tôt, vous avez dit que cette
salle avait une superficie de quelques 400 mètres carrés, admettons ; le Costa Rica estime que
44 000 mètres cubes viennent de la route. Cela correspondrait à 100 mètres : la superficie de cette
salle sur 100 mètres de haut, comme un terrain de football. Et le chiffre le plus élevé serait celui
qu’a indiqué M. Kondolf, 150 000 mètres cubes, ce qui ferait la superficie de cette salle sur
350 mètres de haut. C’est considérable. Pensez au dragage que cela représente.
M. WORDSWORTH : Oui, à mon avis nous ne devrions pas débattre de la question de la
quantité réelle de sédiments. Cela n’est guère utile dans un sens car la présente affaire concerne le
préjudice important subi. Si les sédiments remplissant cette grande salle s’étendaient sur une
distance de 108 kilomètres, ils se diffuseraient et c’est là l’important. La question est de savoir
s’ils ont un impact significatif. Celle que je vous pose est la suivante : étant donné que, d’après les
éléments de preuve que vous avez présentés, de 0,5 à 2 % seulement de la quantité réellement
draguée par le Nicaragua provient de la route, peut-on la considérer comme importante ?
M. ANDREWS : Et le postulat dans votre question est que cette quantité se répand
régulièrement, ce qui n’est pas le cas, elle ne se répand pas dans les mêmes proportions en divers
endroits du chenal, autour des bancs, des bancs de sable, qui sont relativement peu profonds et où - 25 -
le débit est faible. Les sédiments ne peuvent plus être transportés, ils se déposent et c’est là que des
obstacles à la navigation se créent.
M. WORDSWORTH : Pouvez-vous m’indiquer le moindre élément de preuve dans le
dossier qui montre que cette quantité de 0,5 à 2 % provenant de la route et déposée dans la zone du
delta est répandue le long de bancs de sable où irrégulièrement, contrairement à la quantité restante
de ces sédiments, soit 99,5 ou 98 % ?
M. ANDREWS : Je ne dirai pas que les 99 % restants se répartissent régulièrement. Je sais
par expérience que le dépôt n’est pas uniforme dans un bief et qu’il se concentre dans un endroit
32 donné, selon le débit, la courbe du chenal ou sa largeur, et qu’il y a donc des zones où les
sédiments s’accumulent plus facilement.
M. WORDSWORTH : Bien. Vous n’êtes pas en train de dire n’est-ce pas que les 0,5 % ou
2 % qui, d’après vous, viennent de la route créent une sorte de point de non-retour et sont en
quelque sorte la goutte d’eau qui fait déborder le vase ?
M. ANDREWS : Non.
M. WORDSWORTH : Je vous remercie et je suppose que vous êtes d’accord avec
M. Van Rhee lorsqu’il note au paragraphe 6 de son exposé écrit, à propos de la situation existant
avant la construction de la route, c’est-à-dire environ en 2008, et je le cite :
«la sédimentation et la réduction de débit qui en résultent entravent la navigation sur le
fleuve. En 2008, les autorités de réglementation environnementale du Nicaragua ont
conclu que la sédimentation dans le fleuve San Juan inférieur «[a posé] de graves
problèmes pour la navigation». Au moins 2,2 kilomètres carrés de la section du fleuve
située entre le Delta et le caño [San Juan] en aval s’est révélée être très peu
profonde … [à moins de 0,3 mètres dans certains endroits], rendant la navigation
impossible, même par petits bateaux. De nombreux bancs de sable se sont également
développés.»
Les autorités municipales prédisent une aggravation de la situation. C’était la situation d’avant,
n’est-ce pas ?
M. ANDREWS : C’est ce qui est dit, oui. - 26 -
M. WORDSWORTH : Alors l’important pour vous, c’est que ce qui se passe, cette infime
quantité de sédiments provenant de la route, ne fait pas grande différence ?
M. ANDREWS : Je pense que nous parlons de la situation qui existait avant la route. Le
texte que vous avez lu renvoyait à cette époque.
M. WORDSWORTH : Exact.
M. ANDREWS : et…
M. WORDSWORTH : c’est précisément ce que je veux dire…
M. ANDREWS : Lorsque l’on parle d’obstacle à la navigation, cela ne signifie pas que sur
une distance de quelques kilomètres chaque mètre serait obstrué et que vous ne pourriez pas
33 naviguer. Il suffit d’un obstacle toutes les centaines de mètres ou à peu près et vous êtes coincés,
d’un seul obstacle sur deux ou trois kilomètres. Si votre bateau ne passe pas, il ne passe pas. Sur
toute cette partie du fleuve, une seule obstruction, dans un seul endroit, empêche la navigation.
M. WORDSWORTH : Je vous remercie. Je m’efforce juste de déterminer si vous pouvez
mettre en évidence que quoi que ce soit provenant de la route crée cet obstacle particulier. Et si je
comprends bien votre réponse, vous dîtes de manière générale que les sédiments créent des bancs
de sable. Vous ne pouvez pas identifier quoi que ce soit provenant de la route.
M. ANDREWS : Je pense que les sédiments de la route se mélangent avec tous les autres et
contribuent à l’obstruction à la navigation, et à la nécessité de draguer davantage.
M. WORDSWORTH : Je vous remercie beaucoup, Monsieur Andrews.
The PRESIDENT: Thank you, Mr. Wordsworth. Mr. Reichler, counsel for Nicaragua,
would you like to conduct a re-examination? If not, you may stay where you are. If so, you have
the floor. - 27 -
M. REICHLER : Merci beaucoup, Monsieur le président. Je suis désolé de ma lenteur et
vous remercie de votre proposition, mais nous ne voyons pas la nécessité d’un interrogatoire
complémentaire.
The PRESIDENT: Thank you, Mr. Reichler. I give the floor to Judge Bhandari, who would
like to put a question to Professor Andrews. Judge Bhandari, you have the floor.
M. le juge BHANDARI : Merci Monsieur le président, je voudrais vous poser une question,
Monsieur Andrews.
M. ANDREWS : Je vous remercie.
Le juge BHANDARI : Au paragraphe 3 de votre exposé écrit, vous indiquez que «tout
apport sédimentaire supplémentaire provenant de la route s’ajoutera nécessairement au transport
34 sédimentaire déjà excessif et accéléra le dépôt, ce qui nécessitera un dragage accru par le
Nicaragua». Toutefois, à la fin de cet exposé, au paragraphe 39, vous écrivez que «sans de
fréquents prélèvements d’échantillons de sédiments pendant plusieurs années avant la construction
de la route … il ne serait pas possible de déterminer si la charge sédimentaire du fleuve a
augmenté, et si tel est le cas, de combien». A la lumière de ces observations et de votre témoignage
d’expert dans son ensemble, est-il juste de dire que vous n’avez pas tiré de conclusion sur les
deux questions suivantes : 1) la construction de la route 1856 a-t-elle entraîné le dépôt de quantités
supplémentaires de sédiments dans le fleuve San Juan ; 2) l’importance du dragage supplémentaire
éventuel que le Nicaragua doit entreprendre dans le fleuve en raison de la construction de la
route 1856 ? Voilà mes questions.
M. ANDREWS : Vous avez cité deux paragraphes, il y aura donc une réponse en deux
parties. La première partie — vous avez tous vu les photographies de l’érosion qui montrent les
sédiments se déversant directement dans le fleuve et nous avons l’estimation quantitative du
Costa Rica et celle du Nicaragua qui bien évidemment sont assez différentes — la première partie
de la réponse est donc que des sédiments sont déversés dans le fleuve, dont une fraction va dans le
cours inférieur du San Juan et devra être draguée même si nous ne pouvons pas dire exactement - 28 -
dans quelle mesure, car elle ne va pas disparaître ou s’évaporer ou se dissoudre dans l’eau. Une
fois dans le fleuve, ces sédiments seront transportés vers l’aval et devront être dragués. Voilà la
réponse à la question de savoir si des sédiments vont dans le fleuve. Le paragraphe 39 indique
pourquoi il n’y pas eu de mesures effectuées Je vais essayer d’expliquer ce qui y est dit et qui est
un peu technique.
Il n’aurait pas été possible d’installer une station de jaugeage fluvial en 2011 avant la
construction de la route et de mesurer l’augmentation parce qu’il n’y aurait pas eu de point de
comparaison. Si le Costa Rica avait dit en 2000, «nous allons construire une route dans dix ans, et
nous ne ferons rien d’autre dans le bassin de drainage susceptible de compliquer la situation,
Nicaragua, voulez-vous bien installer une station de jaugeage et vous pourrez mesurer les effets de
la route». Dans ce cas-là, il y aurait eu un niveau de référence bien défini et que ne viendraient pas
perturber d’autres activités dans le bassin. Il aurait alors été possible de continuer à mesurer les
apports postérieurs à la route et de faire des comparaisons. C’est ce dont il est question dans ce
paragraphe. C’est une méthode expérimentale courante en hydrologie. En cas de construction de
route ou d’abattage d’arbres ou de quoi que ce soit d’autre, vous commencez par faire des mesures
35 préalables pour établir le niveau de référence puis vous procédez aux travaux, qu’il s’agisse
d’agriculture ou d’abattage d’arbres, et ensuite, vous pouvez mesurer l’impact. Ce niveau de
référence préalable est indispensable, vous devez le mesurer sans qu’interviennent d’autres facteurs
qui compliquent la situation ; voilà ce qui est expliqué dans ce paragraphe.
Le juge BHANDARI : Je vous remercie Monsieur Andrews.
The PRESIDENT: Thank you, Professor Andrews. That brings your deposition to a close.
We are grateful to you for appearing before the Court. You may leave the rostrum. Thank you.
M. ANDREWS : Merci beaucoup. Ce fut un grand honneur que de comparaître devant vous.
The PRESIDENT: The Court will now take a 15-minute break, after which it will hear the
fourth expert called by Nicaragua. The hearing is suspended.
The Court adjourned from 4.10 p.m. to 4.30 p.m. - 29 -
The PRESIDENT: Please be seated. The Court will now hear the fourth expert called by
Nicaragua, Mr. William Sheate. Mr. Sheate, you may take your place at the rostrum.
Good afternoon, sir. I call upon you to make the solemn declaration for experts as set out in
Article 64, subparagraph (b), of the Rules of Court
M. SHEATE : Je suis désolé, j’ai un petit problème technique…
The PRESIDENT: We will of course help you to adjust your headphones.
M. SHEATE :
«Je déclare solennellement, en tout honneur et en toute conscience, que je dirai
la vérité, toute la vérité et rien que la vérité et que mon exposé correspondra à ma
conviction sincère.»
The PRESIDENT: Thank you, Mr. Sheate. I now give the floor to counsel for Nicaragua,
who will ask you to confirm the written statement in front of you.
36 M. LOEWENSTEIN : Bonjour, Monsieur Sheate. Puis-je vous demander de confirmer que
les deux documents que vous avez devant vous, à savoir l’exposé écrit que vous avez établi aux
fins de la présente audience et le rapport que vous avez rédigé au sujet de la présente affaire,
reflètent votre avis sincère en tant qu’expert ?
M. SHEATE : Je le confirme.
M. LOEWENSTEIN : Je crois que le conseil du Costa Rica souhaite vous poser quelques
questions.
The PRESIDENT: Thank you. I now give the floor to counsel for Costa Rica for the
cross-examination, for which you have around 15 minutes, taking into account the time spent
cross-examining the previous experts. Professor, you have the floor.
M. KOHEN: Thank you. Si vous le permettez, Monsieur le président, je vais poursuivre en
anglais. Bonjour Monsieur Sheate.
M. SHEATE : Bonjour, Monsieur. - 30 -
M. KOHEN : Vous admettez que dans certaines situations, il peut être impossible de
procéder à une évaluation de l’impact d’un projet sur l’environnement avant le démarrage des
travaux, n’est-ce pas ?
M. SHEATE : Certes, il y a des situations telles qu’il peut ne pas être possible, vu la nature
du travail que représente la collecte des données nécessaires pour une telle évaluation, de recueillir
ces données en même temps que sont entreprises des activités urgentes.
M. KOHEN : Je vois. Au paragraphe 32 de votre exposé écrit, vous admettez «que
surviennent des situations dans lesquelles il est tout simplement impossible d’entreprendre une EIE
en raison de la nécessité de prendre des mesures ou de mettre en place des infrastructures pour
sauver des vies», et vous écrivez plus loin au paragraphe 35, alinéa b), que «les exemptions pour
urgence sont en grande partie limitées aux réponses aux situations d’urgence telles que les
catastrophes naturelles». Vous donnez donc les catastrophes naturelles comme exemple de
situation d’urgence justifiant des exemptions. On peut citer comme autre exemple de situation
justifiant une exemption pour urgence le cas où un Etat est envahi par un autre Etat. Vous êtes
d’accord ?
37 M. SHEATE : J’admets qu’un tel cas pourrait très probablement être considéré comme une
situation d’urgence ; je pense que la réponse à la question de savoir si une exemption de
l’obligation de procéder à une évaluation d’impact sur l’environnement est justifiée dépend de la
mesure dans laquelle il y a proportionnalité entre la gravité de l’urgence et la renonciation à
l’évaluation d’impact, compte tenu soit de la nature de l’urgence, soit de la situation dont il s’agit.
M. KOHEN : Et une situation dans laquelle un Etat serait exposé à une menace militaire
pourrait-elle également constituer une situation d’urgence ?
M. SHEATE : Il pourrait certainement en être ainsi.
M. KOHEN : Bon, je vous remercie. Vous admettez donc que les régimes d’évaluation de
l’impact sur l’environnement comportent des clauses dérogatoires applicables aux projets liés à la
défense nationale ? - 31 -
M. SHEATE : Oui, bien sûr, certains régimes prévoient effectivement des dérogations pour
les projets relevant de la défense nationale.
M. KOHEN : Très bien, je vous remercie. Veuillez porter votre attention sur le rapport de
M. Craik, qui figure sous l’onglet n 1 du dossier qui est devant vous.
M. SHEATE : L’onglet n 1 ?
M. KOHEN : Oui, pages 17 à 19, M. Craik cite des textes législatifs de différents pays,
y compris une dérogation pour urgence figurant dans la législation nicaraguayenne, n’est-ce pas ?
M. SHEATE : C’est exact.
M. KOHEN : Ainsi, même selon la législation nicaraguayenne, une évaluation d’impact sur
l’environnement n’a pas nécessairement à être entreprise en cas de situation d’urgence. Vous êtes
d’accord là-dessus ?
M. SHEATE : Excusez-moi, pourriez-vous répéter votre question ?
M. KOHEN : Même selon la législation nicaraguayenne, une évaluation d’impact sur
l’environnement n’a pas nécessairement à être entreprise en cas de situation d’urgence. Etes-vous
d’accord là-dessus ?
38 M. SHEATE : La législation nicaraguayenne relative aux évaluations d’impact sur
l’environnement prévoit effectivement une exemption, comme du reste la législation de nombreux
autres pays, mais il est intéressant de noter que la législation correspondante du Costa Rica n’en
prévoit pas.
M. KOHEN : Et vous reconnaissez dans votre rapport, à la page 27, que «le fait pour le
Costa Rica de se prévaloir de pareilles exemptions [exemptions en cas d’urgence] n’est pas
particulièrement inhabituel», n’est-ce pas ?
M. SHEATE : C’est exact. Oui. - 32 -
M. KOHEN : Bon, je vous remercie. Vous avez rédigé un rapport d’expert pour l’Uruguay
en l’affaire des Usines de pâte à papier, si je ne me trompe ?
M. SHEATE : Oui.
M. KOHEN : Ce rapport est du domaine public. Il se trouve sous l’onglet n 2 du dossier
que vous avez devant vous. Vous avez écrit en haut de la page 3 qu’«une évaluation d’impact sur
l’environnement est un processus, et non un événement ponctuel», vous vous en souvenez ?
M. SHEATE : Oui, certainement.
M. KOHEN : Ensuite, au paragraphe 2.4, vous avez écrit ceci, je cite : «Il importe de bien
voir que le processus que constitue une évaluation d’impact sur l’environnement est bien cela, un
processus. Il ne s’agit pas simplement de produire un seul rapport intitulé «état de l’impact sur
l’environnement».» Maintenez-vous cette position ?
M. SHEATE : Oui. Il faut bien voir qu’une évaluation d’impact sur l’environnement relève
d’un processus complexe, et qu’il ne s’agit pas seulement de produire un «état de l’impact sur
l’environnement» ou un «rapport sur l’impact environnemental». Généralement, le processus
d’évaluation comporte plusieurs étapes : tri préliminaire, définition du champ d’évaluation,
identification et évaluation des différents types d’impacts. La rédaction d’un rapport est un
élément courant du processus, mais il y a aussi des consultations publiques et, bien souvent, au
moins dans certains cas, un suivi des impacts identifiés.
39 M. KOHEN : Dans le même rapport, au paragraphe 2.9, vous avez examiné différentes
formes de processus d’évaluation de l’impact environnemental. Vous avez écrit qu’un certain type
de processus d’évaluation peut comprendre quelque chose que l’on peut appeler une évaluation
générale, laquelle est suivie de plusieurs autres évaluations d’impact ou d’autres formes
d’évaluation, et vous citez en particulier les projets relatifs à l’infrastructure des transports comme
exemples de projets exécutés par tranches dont l’approbation peut s’échelonner sur une très longue
période. Le projet en cause en la présente affaire ne relève-t-il pas de cette catégorie ? - 33 -
M. SHEATE : Non, ce n’est pas le cas, parce qu’il ne s’agit pas d’un programme de travaux,
par exemple je fais référence à l’exemple que j’ai pris lorsque je me suis exprimé ici au sujet de
l’affaire des Usines de pâte à papier. Je pense que cette distinction est importante, parce que dans
le cas d’un programme de travaux, vous avez une évaluation d’ensemble et vous avez aussi des
évaluations distinctes pour chacune des sections de la route. La manière dont je comprends le
projet qui est l’objet de la présente affaire est qu’il s’agit d’un projet isolé consistant à construire
une route particulière ; à ma connaissance, il n’y a pas eu de plan d’ensemble ni d’évaluation
portant sur tout le tracé de la route.
M. KOHEN : Considérez-vous la route comme un élément de l’infrastructure des
transports ?
M. SHEATE : Il semblerait en effet que la route relève de l’infrastructure des transports.
Oui, je suis d’accord, il s’agit bien de cela.
M. KOHEN : Si je vous comprends bien, les insuffisances que peut comporter tel document,
par exemple un état de l’impact sur l’environnement, ne compromettent pas l’ensemble du
processus d’évaluation de l’impact sur l’environnement. Est-ce que je me trompe ?
M. SHEATE : Je dirai qu’un état de l’impact sur l’environnement reflète ou est censé
refléter, s’il est bien fait le processus qui a précédé son établissement. Ainsi, s’il y a eu une
étape de définition du champ d’évaluation consistant à déterminer les domaines probablement
prioritaires, définir les paramètres à considérer, identifier les différents types d’impacts et les
classer en fonction de leur importance, tous ces éléments, ainsi que les résultats des consultations
publiques, devraient être consignés dans l’état de l’impact sur l’environnement. Ainsi donc, un état
de l’impact sur l’environnement reflète ou est censé refléter l’ensemble du processus qui a
précédé son établissement.
M. KOHEN : Précédé seulement ?
40 M. SHEATE : Pas uniquement. Je considère que l’état de l’impact sur l’environnement doit
envisager les solutions de rechange, les mesures d’atténuation à prendre lors de l’exécution du - 34 -
projet, routier ou autre, et devrait aussi comporter des recommandations sur le suivi des mesures
d’atténuation, suivi qui doit permettre de déterminer si les impacts prévus se manifestent et si des
impacts imprévus surviennent.
M. KOHEN : Donc, si je vous comprends bien, atténuation et suivi ou surveillance devraient
être parties intégrantes du processus d’évaluation de l’impact sur l’environnement.
M. SHEATE : Cela dépend du régime d’évaluation de l’impact sur l’environnement.
M. KOHEN : Pas toujours.
M. SHEATE : Pardon ?
M. KOHEN : Pas toujours.
M. SHEATE : On peut s’attendre à ce qu’un processus typique d’évaluation de l’impact sur
l’environnement comprenne un programme de surveillance, mais cela dépend du régime ; si vous
considérez par exemple le régime de l’Union européenne, la dernière directive, ou du moins la
version antérieure à l’adoption de l’amendement le plus récent, ne fait pas obligation de prévoir un
programme de surveillance.
M. KOHEN : Permettez-moi de vous rappeler l’opinion que vous avez exprimée lors de
l’affaire des Usines de pâte à papier. A la page 9, paragraphe 2.14 de votre rapport, vous avez
écrit ceci : «Atténuation et surveillance devraient être parties intégrantes d’un processus
d’évaluation de l’impact sur l’environnement.»
M. SHEATE : Non, je ne reviendrai pas sur cette observation. Ce que je disais là, c’est que
les mesures d’atténuation et la surveillance devraient faire partie du processus, et ce que je viens de
dire dans ma réponse précédente, c’est tout simplement que souvent, tel n’est pas le cas, et que cela
dépend du régime.
M. KOHEN : Cependant, vous êtes allé plus loin. Vous avez dit aussi que le processus
d’évaluation nécessite également une surveillance avant et après le démarrage du projet et - 35 -
l’adoption de mesures d’atténuation des impacts inacceptables. Dans le rapport que vous avez
41 établi pour l’affaire des Usines de pâte à papier, vous rejetiez un argument avancé par l’Argentine,
que vous exposiez comme suit au paragraphe 3.8 : «L’Argentine a conclu que parce qu’elle
considère que l’état de l’impact sur l’environnement établi initialement est déficient, l’ensemble du
processus d’évaluation de l’impact sur l’environnement est vicié.» Vous avez rejeté cet argument,
et vous avez donc considéré que dans l’affaire en question, la déficience d’un document ne
compromettait pas l’ensemble du processus d’évaluation. C’est bien cela ?
M. SHEATE : Il s’agit-là d’une affaire ancienne, mais si je me souviens bien, le processus
comprenait plusieurs étapes, et la législation uruguayenne relative à l’évaluation de l’impact sur
l’environnement prévoyait plusieurs phases, ce qui veut dire que s’agissant par exemple de la
délivrance d’autorisations et de permis, tout ne se ramenait pas à un seul processus. Ainsi, l’état de
l’impact sur l’environnement dont vous avez parlé faisait partie du processus général d’évaluation,
mais la délivrance des autorisations et des permis, autant que je me souvienne, relevait d’un
processus distinct.
M. KOHEN : Très bien. Peut-on donc considérer que les mesures d’atténuation et de suivi
de l’impact sur l’environnement des travaux d’infrastructure routière et tous les rapports s’y
rapportant font partie du processus d’évaluation de l’impact sur l’environnement suivi par le
Costa Rica ?
M. SHEATE : Non, il ne me semble pas que tel soit le cas.
M. KOHEN : Pourquoi ?
M. SHEATE : Parce que, si vous considérez par exemple le diagnostic d’impact sur
l’environnement, celui-ci n’est pas prévu par la législation costa-ricienne relative à l’évaluation de
l’impact sur l’environnement, il n’est pas défini par cette législation, et je conçois un diagnostic
d’impact comme une forme parmi d’autres d’évaluation environnementale.
M. KOHEN : S’agit-il d’obligations de droit international ou d’obligations de droit interne ? - 36 -
M. SHEATE : Vous m’aviez demandé si, par exemple, un diagnostic d’impact sur
l’environnement faisait partie ou non du processus d’évaluation de l’impact.
M. KOHEN : Au sens du droit international ?
42 M. SHEATE : Je ne le pense pas, parce que le diagnostic d’impact ne semble pas faire partie
d’un processus national d’évaluation de l’impact sur l’environnement, si bien que je ne vois pas
vraiment comment il pouvait être considéré comme un élément de… Il s’agit en un sens d’une
évaluation qui se suffit à elle-même. Je pense que l’explication peut être trouvée dans le terme
même de «diagnostic». Un diagnostic consiste simplement à déterminer d’abord quels sont les
problèmes, et à prescrire ensuite des remèdes. Un diagnostic n’a pas le même objectif qu’une
évaluation de l’impact sur l’environnement, qui tend à prévenir ces impacts.
M. KOHEN : Vous avez écrit qu’évaluation et surveillance faisaient partie d’une évaluation
de l’impact sur l’environnement ?
M. SHEATE : Oui, à condition que les mesures d’atténuation et de surveillance s’inscrivent
dans le cadre de l’évaluation et ne soient pas traitées séparément. Si l’atténuation et la surveillance,
de même d’ailleurs que les remèdes, sont traités séparément, cela revient tout simplement à essayer
de coller un sparadrap sur une plaie béante. Le processus d’évaluation de l’impact sur
l’environnement consiste à essayer d’anticiper, de prévoir quels seront probablement les effets
importants, et à tenir compte de ces prévisions pour décider de la planification et de la conception
du projet ; ainsi considérée, l’évaluation d’impact est un processus itératif qui influe sur la
conception du projet dans le but d’exclure dès le stade de la conception les risques d’impacts
néfastes, ou du moins le plus grand nombre possible d’entre eux. Il est clair que le diagnostic
d’impact sur l’environnement ne fait rien de tel, il consiste simplement à chercher des remèdes aux
dommages qui se sont déjà produits parce que la route a été conçue sans qu’il soit procédé au
préalable à une évaluation de l’impact du projet sur l’environnement.
M. KOHEN : Eh bien, il y a là des éléments de droit international auxquels nous reviendront
o
plus tard. Monsieur Sheate, puis-je vous demander de porter votre attention sur l’onglet n 3 du - 37 -
dossier qui se trouve devant vous. Vous y trouverez la liste des 22 études scientifiques produites
par le Costa Rica ou pour son compte, qui portent toutes sur la route. Avez-vous pris connaissance
de toutes ces études ?
M. SHEATE : Non. Je ne les ai pas toutes examinées.
M. KOHEN : Vous n’avez donc pas une vue complète des différentes composantes de
l’évaluation de l’impact du projet de construction de la route sur l’environnement, n’est-ce pas ?
M. SHEATE : Non, mais mon rôle dans l’examen de cette situation particulière consiste à
déterminer dans quelle mesure il a été procédé à une évaluation environnementale préliminaire, et
dans quelle mesure aussi celle-ci répond à ce qu’on peut attendre lorsque les meilleures pratiques
internationales sont suivies.
43 M. KOHEN : Avez-vous connaissance d’un projet similaire la construction d’une route
d’environ 150 kilomètres de long qui aurait fait l’objet d’une pareille quantité d’évaluations
scientifiques ?
M. SHEATE : Je pense que la plupart des projets routiers pourraient être…
M. KOHEN : Pouvez-vous en citer un ?
M. SHEATE : … ce qui me vient à l’esprit, ce sont des projets d’infrastructure des transports
que je connais bien, des projets de construction d’autoroutes au Royaume-Uni, par exemple, des
projets de construction de lignes de chemin de fer à grande vitesse, pour un grand nombre desquels
on constatera que le nombre des études scientifiques et des annexes techniques sur les impacts
environnementaux étaient beaucoup beaucoup plus nombreux que dans le cas du projet dont il est
question ici.
M. KOHEN : Pouvez-vous en citer un seul ?
M. SHEATE : Le projet d’élargissement de l’autoroute de ceinture M25, à la périphérie de
Londres, par exemple. Ou le projet de ligne ferroviaire à grande vitesse... - 38 -
The PRESIDENT: Professor, I believe that you have now used your allocated time. I am
therefore obliged to bring this cross-examination to an end. Thank you.
I call on counsel for Nicaragua. Would you like to conduct a re-examination? If so, you
have the floor for the same length of time.
M. LOEWENSTEIN : Monsieur le président, le Nicaragua ne juge pas utile de procéder à un
interrogatoire complémentaire.
The PRESIDENT: Thank you very much. I would ask the expert to remain at the rostrum
for a few moments, as one of the judges would like to put a question or questions to him. I give the
floor to Judge Bhandari.
Le juge BHANDARI : Merci, Monsieur le président. Monsieur Sheate, j’ai une question à
vous poser. Tout au long de votre exposé écrit, vous donnez des exemples de ce que vous appelez
la pratique internationale concernant les circonstances dans lesquelles il y a lieu de procéder à une
évaluation de l’impact sur l’environnement, et ce qu’est censée être la teneur d’une telle évaluation.
44 Il semblerait que vos exemples de la pratique internationale soient dans une large mesure tirés de
pratiques régionales, celle des Etats-Unis et celle de l’Union européenne. Aussi voudrais-je vous
poser deux questions auxquelles vous voudrez bien répondre en fonction de votre expérience
professionnelle d’expert :
1. Pouvez-vous me donner des exemples de la pratique internationale suivie dans d’autres régions
du monde, notamment, mais vous pouvez en citer d’autres, l’Amérique centrale et l’Amérique
du sud et/ou d’autres régions tropicales ?
2. Dans l’affirmative, pouvez-vous indiquer si les pays qui suivent cette pratique sont motivés par
la conviction qu’ils sont juridiquement tenus de le faire ?
M. SHEATE : Pour ce qui est d’autres exemples, il est vrai que j’ai largement tiré mes
exemples de la pratique des Etats-Unis et de celle de l’Union européenne, et de celle aussi aussi des
pays membres de la commission économique des Nations Unies pour l’Europe, s’agissant bien
entendu, pour ces pays, de l’application de la convention d’Espoo ; cela étant, je dois dire que la
pratique des Etats-Unis et celle de l’Union européenne ont exercé une influence considérable, parce - 39 -
qu’elles ont abouti à la définition de concepts et de modèles dont s’inspirent les régimes institués
dans d’autres régions. Par exemple, lorsqu’on considère la manière dont la pratique des
évaluations de l’impact sur l’environnement s’est répandue dans le monde, on constate que de
nombreux pays ont adopté une formule qui se rapproche du régime établi aux Etats-Unis dans le
cadre du National Environmental Policy Act. Je prends le cas de l’Australie : la législation du
Commonwealth qu’elle applique est dans une large mesure calquée sur le régime des Etats-Unis, et
il est intéressant de noter que cette législation prévoit elle aussi une exemption, mais que cette
exemption a un champ étroitement limité.
Pour ce qui est des autres régimes, de ceux en vigueur dans des régions tropicales, il est vrai
que mon expérience professionnelle porte principalement sur des régions non tropicales, mais je
précise, pour ce qui concerne mon rôle dans l’examen de la présente affaire, que j’ai été invité à
adopter une large perspective internationale plutôt qu’à considérer des circonstances locales
particulières.
Le juge BHANDARI : Je vous remercie, Monsieur Sheate.
The PRESIDENT: Thank you. I now give the floor to Judge Bennouna.
Judge BENNOUNA: Thank you, Mr. President. Good afternoon, Mr. Sheate. You have
addressed the question about the environmental impact assessment. I should like to put two general
questions to you, but would ask you to be precise in your answers, since you are the expert, and an
expert must be both precise and to the point.
45 (1) My first question is as follows: could you conceive of the environmental impact assessment for
this road, given its location along the river, taking place without prior consultation with
Nicaragua, with the other Party?
That is my first question.
(2) My second question: what would you, as an expert, have focused on when carrying out such an
assessment; what, in your view, is the most important aspect of an assessment in this type of
situation?
Thank you. - 40 -
M. SHEATE : Merci. Je comprends ainsi votre première question : l’évaluation de l’impact
de la route sur l’environnement pouvait-elle être réalisée sans consultation préalable avec le
Nicaragua ? A mon avis, mon avis en tant qu’expert, qui tient compte de ce que nous enseigne
l’expérience et des meilleures pratiques, des meilleures pratiques internationales, on s’attendrait à
ce qu’un pays voisin soit consulté lorsqu’est envisagé un projet susceptible d’avoir des
répercussions pour lui. Je me serais donc certainement attendu à ce qu’une évaluation de l’impact
sur l’environnement soit réalisée pour un projet concernant une route de cette nature, vu en
particulier que cette route traverse un site inscrit sur la liste de Ramsar, et se trouve très proche
d’une frontière internationale, et je me serais attendu aussi à ce que cette évaluation donne lieu à
une consultation transfrontière. Sans aucun doute.
J’en viens à votre deuxième question, celle de savoir sur quoi devait être concentrée
l’évaluation de l’impact sur l’environnement dans le cas considéré ici. Pour une route de ce type,
je pense que la portée et l’objet principal de l’évaluation de l’impact sur l’environnement ne
devraient pas être très différents de ceux retenus pour bien d’autres projets routiers. De tels projets
entrainement toute une gamme de conséquences, qui découlent non seulement des travaux de
construction, mais encore de l’exploitation de la route. La construction implique évidemment des
travaux de déboisement, la création de la route elle-même, et entraine des risques de pollution, de
rejets de sédiments, de ruissellements, certainement, de déversements, etc. qui peuvent contaminer
le fleuve en raison de sa proximité. Mais il faut considérer aussi, dès lors que la route traverse un
site inscrit sur la liste de Ramsar, les répercussions que sa construction peut avoir sur la faune et la
flore sauvages, particulièrement dans les zones humides. Donc, pour un projet de cette nature, la
portée géographique de l’évaluation de l’impact sur l’environnement devrait comprendre non
seulement les abords de la route, mais aussi les autres secteurs susceptibles de subir les
conséquences de sa présence il pourrait s’agir de secteurs situés dans le prolongement de la
route, en aval de celle-ci, si je puis dire. L’évaluation devrait aussi porter sur l’exploitation de la
route, et il y a là matière à s’inquiéter de ce que ne dit pas le diagnostic environnemental ; un tel
46
diagnostic, en effet, ne porte en aucune façon sur les conséquences de l’existence de la route une
fois celle-ci mise en service. J’ajoute qu’une évaluation de l’impact sur l’environnement devrait - 41 -
considérer les conséquences futures de la réalisation du projet, les incidences que peut avoir
l’existence de la route après sa mise en service, comme par exemple l’apparition de nouvelles
implantations le long de son parcours.
Judge BENNOUNA: Thank you. That clarifies things for me and, I hope, for the Court. In
view of the fact that this road, as you have said, is not just any project and is extremely close to the
river bank, should a certain amount of work be carried out in co-operation between the two
countries, so as to take preventive measures against any adverse environmental impacts? In view
of the fact that one Party has sovereignty over the water and the other over the land — and in this
case we have a river close by and work that is being carried out on land, but very near the water —
do not certain measures to prevent adverse environmental impacts require co-operation between the
two Parties? Thank you.
M. SHEATE : Merci, Monsieur le juge. Oui, je m’attendrais certainement à ce qu’il y ait
coopération pour tenter d’éviter les impacts négatifs. Autre point qui, je pense, est tout aussi
important : si le projet avait fait l’objet d’une évaluation de son impact sur l’environnement, la
prise en considération de solutions de rechange et la conception retenue auraient permis dès le
départ d’éviter nombre des problèmes auxquels il faut maintenant porter remède. Le tracé de la
route aurait pu, par exemple, être modifié afin qu’il évite autant que possible les environnements
les plus fragiles, où les ruissellements, entre autres, peuvent avoir des conséquences
particulièrement graves. Je pense donc que la coopération avec le pays voisin est manifestement de
bonne pratique lorsqu’il s’agit d’évaluer l’impact transfrontière sur l’environnement.
Judge BENNOUNA: Thank you, Mr. Sheate.
The PRESIDENT: Thank you, Mr. Sheate. That brings your deposition to a close. We are
grateful to you for appearing before the Court. You may now leave the rostrum. Thank you.
M. SHEATE : Merci, Monsieur le président. - 42 -
47 The PRESIDENT: This concludes this afternoon’s sitting. The Court will meet again
tomorrow at 10 a.m. The sitting is adjourned.
The Court rose at 5 p.m.
___________
Traduction