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CR 2012/27 (traduction)

CR 2012/27 (translation)

Lundi 3 décembre 2012 à 15 heures

Monday 3 December 2013 at 3 p.m. - 2 -

12 Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte. La Cour siège aujourd’hui

pour entendre les exposés oraux des Parties en l’affaire du Différend maritime (Pérou c. Chili). Le

juge Greenwood s’est récusé de l’affaire conformément au paragraphe 2 de l’article 17 du Statut de

la Cour.

Je commencerai par noter que le juge Yusuf, p our des raisons qu’il m’a fait connaître, n’est

pas en mesure de siéger aujourd’hui.]

Je relève par ailleurs que, la Cour ne comptant sur son siège aucun juge de la nationalité des

Parties, chacune de celles-ci a usé de la facu lté qui lui est conférée par le paragraphe2 de

l’article31 du Statut de désigner un juge ad hoc. Le Pérou a désigné M.Gilbert Guillaume et le

Chili, M. Francisco Orrego Vicuña.

L’article 20 du Statut dispose que «[t]out membre de la Cour doit, avant d’entrer en fonction,

en séance publique, prendre l’engagement solennel d’ exercer ses attributions en pleine impartialité

et en toute conscience». En vertu du paragra phe6 de l’article31 du Statut, cette disposition

s’applique également aux juges ad hoc.

Avant d’inviter les deux juges ad hoc à faire leur déclaration so lennelle, je dirai d’abord,

selon l’usage, quelques mots de leur carrière et de leurs qualifications.

Mr. Gilbert Guillaume, of French nationality, has a degree in law and a postgraduate diploma

in political economy and economic science from the Un iversity of Paris; he also holds a diploma

from the Paris Institut d’études politiques and is an alumnus of the Ecole nationale

d’administration. Mr. Guillaume is well known to the Court, since he was a Member from 1987 to

2005, and President from 6 February 2000 to 5 February 2003.

Before joining the Court, Mr.Guillaume al ready had behind him a long and distinguished

career, combining the careers of judge and senior offi cial at national and international level. He

has served on the Conseil d’Etat and is now an honorary member of that prestigious institution. He

was legal adviser to the North Atlantic Treat y Organization from 1961 to 1967; he was also

France’s representative on the Legal Committee of the International Civil Aviation Organization

and served as Chairman of the Committee from 1971 to 1975. Mr.Guillaume has also served as

the Director of Legal Affairs of the Organisation for Economic Co-operation and Development and - 3 -

13 as the Director of Legal Affairs at the French Minist ry of Foreign Affairs. In addition, he has been

the Agent of France before the Court of Justic e of the European Communities and the European

Court of Human Rights.

Mr. Guillaume has served as judge ad hoc at the International Court of Justice on numerous

occasions. He is currently judge ad hoc in the case concerning the Request for Interpretation of the

Judgment of 15June1962 in the Case concerning the Temple of PreahVihear (Cambodiav.

Thailand) (Cambodia v. Thailand), in that concerning Certain Activities carried out by Nicaragua

in the Border Area (Costa Rica v. Nicaragua) and in that concerning the Construction of a Road in

Costa Rica along the San Juan River (Nicaragua v. Costa Rica) . A member of the Permanent

Court of Arbitration since 1980, Mr. Guillaume has sa t as arbitrator in a large number of disputes.

He is also an arbitrator for the International Ce ntre for the Settlement of Investment Disputes

(ICSID), and has served many times as president of arbitral courts. He is a Member and former

Vice-President of the Institut de droit interna tional and has also published numerous works on a

wide variety of topics of international law. He has also lectured at The Hague Academy of

International Law. In March 2007, Mr. Guillaum e had the great honour of being elected Member

of the Institut de France (Académie des sciences morales et politiques).

M. Francisco Orrego Vicuña, de nationalité chilienne, est diplômé de l’Université du Chili et

de l’Université de Londres. Il jouit d’une long ue et riche carrière en droit international, en

particulier au sein de mécanismes de règlemen t des différends. M.OrregoVicuña exerce

actuellement la fonction de juge au tribunal ad ministratif du Fonds monétaire international et,

depuis 1992, au tribunal administratif de la Banque mondiale, qu’il a présidé de 2001 à 2004.

Depuis 1995, M.Orrego Vicuña est membre des gr oupes de conciliateurs et d’arbitres du CIRDI.

A cet égard, M.OrregoVicuña a également présidé le tribunal arbitral du CIRDI dans un grand

nombre d’affaires. Membre de diverses instances d’arbitrage, il a par ailleurs mis ses compétences

en matière de règlement des différends au service de son pays, dans le cadre de négociations et de

médiations bilatérales, et au service de l’Organisation des Etats américains.

Parallèlement à ses activités de règlement des différends, M. Orrego Vicuña a à son actif une

brillante carrière universitaire. Professeur de dr oit international au centre pour l’Amérique latine - 4 -

14 de l’Université de Heidelberg, il enseigne aussi à l’institut d’études internationales de l’Université

du Chili (institut dont il a été le directeur), et a en seigné le droit dans de nombreuses institutions

universitaires de par le monde. Il a également donné des cours à l’Académie de droit international

de la Haye.

M. Orrego Vicuña a représenté son gouvernement à maintes reprises, notamment en tant que

président et vice-président de la délégation chilienne auprès de la troisième conférence des

Nations Unies sur le droit de la mer. Membre et ancien président de l’Institut de droit international,

il est l’auteur de nombreuses publications dans le domaine du droit international public.

Conformément à l’ordre de préséance défini au paragraphe 3 de l’article 7 du Règlement de

la Cour, j’inviterai d’abord M. Guillaume à faire la déclaration solennelle prescrite par le Statut, et

je demanderai à toutes les personnes présentes à l’audience de bien vouloir se lever.

GMUrI.LLAUME:

“I solemnly declare that I will perfo rm my duties and exercise my powers as
judge honourably, faithfully, impartially and conscientiously.”

The PRESIDENT: Thank you. J’invite à présent M.Orrego Vicuña à faire la déclaration

solennelle prescrite par le Statut.

Mr. ORREGO VICUÑA:

“I solemnly declare that I will perfo rm my duties and exercise my powers as
judge honourably, faithfully, impartially and conscientiously.”

LE PRESIDENT : Je vous remercie. Veuillez vous asseoir. Je prends acte des déclarations

solennelles faites par MM. Guillaume et Orrego Vicuña et les déclare dûment installés en qualité de

juges ad hoc en l’affaire du Différend maritime (Pérou c. Chili).

* - 5 -

Je vais maintenant rappeler les principales étapes de la procédure en la présente affaire.

15 Le 16janvier2008, le Pérou a déposé au Gr effe de la Cour une requête introductive

d’instance contre le Chili au sujet d’un différend po rtant sur la frontière maritime entre les deux

Etats dans l’océan Pacifique.

Dans sa requête, le Pérou en tend fonder la compétence de la Cour sur les dispositions de

l’articleXXXI du traité américain de règlement pacifique signé le 30avril1948, dénommé, aux

termes de son article LX, le «pacte de Bogotá».

Conformément au paragraphe2 de l’article 40 du Statut de la Cour, le greffier a

immédiatement communiqué la requê te au Gouvernement chilien ; c onformément au paragraphe 3

de cet article, tous les autres Etats admis à ester devant la Cour ont été informés de la requête.

Conformément aux instructions données par la C our en vertu du paragraphe 1 de l’article 43

de son Règlement, le greffier a adressé les notifi cations prévues au paragraphe 1 de l’article 63 du

Statut à tous les Etats parties au pacte de Bogotá. En application des dispositions du paragraphe 3

de l’article 69 du Règlement, le greffier a en outre adressé la notification prévue au paragraphe 3 de

l’article 34 du Statut à l’Organisation des Etats américains (dénommée ci-après l’«OEA»). Par la

suite, le greffier a transmis des exemplaires d es pièces de procédure déposées en l’affaire à cette

organisation, et a demandé à son secrétaire généra l de lui faire savoir si celle-ci entendait présenter

des observations écrites au sens du paragraphe3 de l’article69 du Règlement. L’OEA a indiqué

qu’elle n’avait pas l’intention de présenter de telles observations.

Conformément aux instructions données par la C our en vertu du paragraphe 1 de l’article 43

de son Règlement, le greffier a ad ressé à l’Equateur, en sa qualité d’ Etat partie à la déclaration de

Santiago de 1952 et à l’accord de 1954 relatif à une zone frontière maritime spéciale, la notification

prévue au paragraphe1 de l’artic le63 du Statut. En applicati on des dispositions du paragraphe3

de l’article 69 du Règlement, le greffier a en outre adressé la notification prévue au paragraphe 3 de

l’article34 du Statut à la commission permanente du Pacifique Sud au sujet de la déclaration de

Santiago de 1952 et de l’accord relatif à une z one frontière maritime spéciale de 1954, en

demandant à cette organisation si elle entenda it présenter des observations écrites au sens du

16 paragraphe3 de l’article69 du Règlement. La commission permanente a indiqué que, selon son

statut, son secrétariat n’était pas habilité à interpréter les instruments internationaux. - 6 -

Par ordonnance en date du 31 mars 2008, la Cour a fixé au 20 mars 2009 et au 9 mars 2010,

respectivement, les dates d’expiration des dé lais pour le dépôt du mémoire du Pérou et du

contre-mémoire du Chili ; ces pièces ont été dûment déposées dans les délais ainsi prescrits.

Par ordonnance en date du 27avril2010, la C our a autorisé la présentation d’une réplique

par le Pérou et d’une duplique par le Chili, et a fixé au 9novembre2010 et au 11juillet2011,

respectivement, les dates d’expiration des délais pour le dépôt de ces pièces, qui ont dûment été

produites dans les délais ainsi prescrits.

Se référant au paragraphe 1 de l’article53 du Règlement de la Cour, les Gouvernements de

la Colombie, de l’Equateur et de la Bolivie ont respectivement demandé à obtenir des exemplaires

des pièces de procédure et des documents annex és en l’espèce. S’étant renseignée auprès des

Parties conformément à l’article susvisé, la Cour a décidé d’accéder à ces demandes.

*

Conformément au paragraphe2 de l’article 53 du Règlement, la Cour, après s’être

renseignée auprès des Parties, a décidé que d es exemplaires des pièces de procédure et des

documents annexés seraient rendus accessibles au public à l’ouverture de la procédure orale. En

outre, conformément à la pratique de la Cour, l’ensemble de ces documen ts, sans leurs annexes,

sera placé dès aujourd’hui sur le site Internet de la Cour.

*

Je constate la présence à l’audience des [ministr es des relations extérieures,] agents, conseils

et avocats des deux Parties. Conformément a ux dispositions relatives à l’organisation de la

procédure arrêtées par la Cour, les audiences comprendront un premier et un second tours de

plaidoiries.

17 Le premier tour de plaidoiries débute aujourd’hui et se terminera le

vendredi7décembre2012. Le second tour de pl aidoiries s’ouvrira le mardi 11décembre2012 et

s’achèvera le vendredi 14 décembre 2012. - 7 -

Pour cette première audience, le Pérou peut , si nécessaire, déborder quelque peu au-delà de

18 heures, compte tenu du temps consacré à l’ouverture de la présente audience.

Je donne maintenant la parole à S.Exc.M. AllanWagner, agent du Pérou. Monsieur

l’agent, vous avez la parole.

M. WAGNER :

INTRODUCTION

1. Monsieur le président, Mesdames et Messi eurs de la Cour, c’est un grand honneur pour

moi que de me présenter devant la Cour internationale de Justice, en tant qu’agent de la République

du Pérou, en cette affaire du Différend frontalier qui oppose le Pérou au Chili.

2. Cette affaire revêt la plus haute importan ce pour le Gouvernement et le peuple péruviens.

Car ce qui est en jeu, en l’espèce, c’est, d’une part , la faculté que le dro it international reconnaît à

un Etat côtier tel que le nôtre de se prévaloir des espaces maritimes qui s’étendent au large de son

littoral et, d’autre part, le tracé d’une frontièremaritime avec le Chili qui garantira une solution

équitable.

3. Mais avant tout, permettez-moi de vous fa ire part de notre appréciation pour la manière

dont la Cour a Œuvré et continue d’Œuvrer au règl ement pacifique des différends et à la réalisation

des objectifs énoncés dans la Charte des Nations Unies. La confiance que le Pérou place en elle est

attestée par la déclaration qu’il a faite en2003, acceptant la juridiction obligatoire de la Cour.

Comme vous l’avez dit vous-même, Monsieur le prési dent, lors de la réunion de haut niveau de

l’Organisation des Nations Unies sur la primauté du droit, «la simple saisine de la Cour contribue

généralement à désamorcer les tensions entre Etat s, notamment dans les situations de prétentions

concurrentes en matière de souve raineté ou de zones maritimes» 1. Voilà qui décrit parfaitement

l’objectif que poursuit le Pérou en soumettant cette affaire à la Cour.

4. A cet égard, je voudrais également rendr e hommage au juge José Luis Bustamante y

Rivero, illustre président de notre pays et l’une d es figures de proue de la démocratie péruvienne.

18 M.Bustamantey Rivero fut juge, puis président de la Cour, et sa contribution à la réalisation des

buts et objectifs de celle-ci fut tout sauf négligeab le Il fut en outre l’un des pères fondateurs du

1
Allocution de S. Exc. M. Peter Tomka, président de la C our internationale de Justice, à l’occasion de la réunion
de haut niveau de l’Organisation des Nations Unies sur la primauté du droit. - 8 -

concept des 200 milles marins, qui marque une ét ape essentielle dans le développement du droit de

la mer contemporain.

L’origine de la requête du Pérou

i) L’absence de frontière maritime

5. Ce que le Pérou entend ici faire valoir, c’ est que sa frontière maritime avec le Chili n’a

jamais été délimitée et qu’elle doit, en conséquen ce, l’être par la Cour. Contrairement à ce qu’a

avancé le Chili, il n’existe aucun traité ni auc un autre accord établissant une frontière maritime

entre les deux pays. A la lecture de leurs écritu res, l’on ne saurait d’a illeurs manquer de constater

que nos contradicteurs n’ont su démontrer ni où ni quand les limites maritimes qu’ils allèguent

auraient été établies.

6. Dans sa duplique, le Chili soutient que «les Parties sont en désaccord quant au fondement

juridique et à la nature d’une ligne frontière qui existe depuis de nombreuses décennies et qu’elles

ont respectée dans leur pratique b ilatérale sans réserve ni contestati on» (DC, par.1.2.). Or c’est

une contre-vérité. Il n’y a jamais eu de délimit ation maritime entre les Parties qui ait permis

d’établir par voie conventionnelle ou de facto une telle frontière.

7. Afin de saisir les raisons pour lesquell es le Pérou a introduit la présente instance, il

importe de bien comprendre le contexte historique dans lequel est apparu le différend qui oppose

aujourd’hui les Parties.

8. En1947, le Chili a fait une déclaration, et le président du Pérou a pris un décret,

concernant tous deux la juridi ction exercée respectivement par les deuxpays sur une distance de

200millesmarins depuis leurs côtes. Ces deux text es s’inscrivaient dans la droite ligne de la

proclamation Truman faite deux ans auparavant, et traduisaient la volonté commune qui animait les

deux Etats de protéger les espaces maritimes auxquels chacun avait droit, alors que les activités de

pêche et de chasse à la baleine s’intensifiaient au large de leurs côtes. Aucun de ces textes ne

traitait de délimitation latérale en tre Etats voisins. De fait, le décret présidentiel de 1947 du Pérou

ne faisait pas la moindre mention d’une limite latérale suivant un parallèle ou quelque autre ligne.

9. En 1952, le Pérou signa, avec le Chili et l’Eq uateur, la déclaration de Santiago. Celle-ci

était l’expression de la politique commune du Pérou, du Chili et de l’Equateur envers la - 9 -

19 communauté internationale, visant à préserver et à conserver les espèces exploitées par de larges

flottes de pêche, notamment baleinière. Ces troi s Etats proclamèrent donc leur juridiction jusqu’à

200 milles marins au moins à partir de leurs côtes.

10. Mais, comme l’expliquera le conseil du Pér ou, dans cette déclaration, il n’est nullement

question de frontières latérales. Il est ques tion des espaces maritimes de 200milles marins

revenant à chacun des troisEtats, dans un contex te de pêche et de chasse à la baleine à outrance

pratiquées par des flottes étrangères.

11. Cela n’empêche pas le Chili d’affirmer que les Parties auraient délimité leur frontière

maritime au pointIV de la déclaration de Santia go . Toutefois, le pointIV ne concernait que les

espaces maritimes afférant aux îles; il ne fixait ni la frontière maritime du Pérou et du Chili, ni

celle du Pérou et de l’Equateur; il se bornait à disposer que, lorsque des îles se trouveraient à

moins de 200millesmarins de la zone maritime générale d’un autre Etat signataire, l’espace

maritime auquel elles ouvraient droit serait limité pa r le parallèle passant par le point où aboutit en

mer la frontière terrestre des deuxEtats en cause. Or, tel n’est le cas qu’entre le Pérou et

l’Equateur en raison de la présence d’îles non loin de leurs côtes. Mais même entre le Pérou et

l’Equateur, la frontière maritime ne fut pas déterminée par la déclaration de Santiago, qui

n’énonçait qu’un principe général applicable, le cas échéant, aux îles; elle fut délimitée

conformément à un accord spécifique conclu sous forme d’échange de notes en mai 2011.

12. Le Chili n’ignore nullement que le libellé cl air et le sens ordinaire de la déclaration de

Santiago ne corroborent en rien l’argument selon lequel les Parties seraient convenues, dans ce

cadre, d’une frontière maritime à vocation générale s’étendant sur 200milles. Aussi invoque-t-il,

pour l’étayer, le comportement ultérieur des Par ties. A cet égard, il renvoie notamment à l’accord

de1954 relatif à une zone frontière maritime sp éciale conclu pour éviter les heurts entre leurs

communautés de pêche respectives et à la mise en place de phares côtiers en 1968-1969 pour

guider les navires de pêche artisanale. Mais, c’est faire entorse à la vérité. Car il ne s’agissait là

que de dispositions pratiques concernant les espaces maritimes baignant les côtes des Parties, prises

par celles-ci à titre provisoire et à des fins bien précises.

13. Par la suite, le Pérou participa activement à la troisième conférence sur le droit de la mer,

notamment au sein du groupe de négociation n o VII chargé de mettre au point les règles en matière - 10 -

20 de délimitation maritime. Pour le Pérou d’alors, et pour le Pérou aujourd’hui, l’objectif

fondamental à cet égard était d’aboutir à une solu tion équitable, et l’équidistance constituait la

règle générale, dont il ne convenait de s’écarter que si des circonstances spéciales le justifiaient.

14. La convention de 1982 sur le droit de la mer reconnaissait le droit des Etats côtiers à des

espaces maritimes sur 200mille smarins à partir de leur lign es de base, confirmant ainsi le

bien-fondé des prétentions à exercer une juridic tion jusqu’à cette limite qu’avaient exprimées le

Pérou et le Chili. Elle consacrait également le principe selon lequel le but premier de la

délimitation maritime était d’aboutir à une solution équitable.

ii) L’échec des négociations sur la frontière

15. C’est dans ce contexte que, peu après l’adoption de la convention, le Pérou invita le Chili

à entamer des négociations, afin d’établir par voie d’accord la frontière maritime entre les

deuxpays. L’éminent ambassadeur péruvien Juan MiguelBákula s’adressa officiellement, en sa

qualité d’envoyé spécial, au ministre des relations extérieures du Chili sur cette question en 1986,

comme il le rapporte dans un mémorandum établi à la demande du ministre chilien. Le Chili

répondit qu’il examinerait la question et reviendrait vers le Pérou en temps voulu.

16. Malheureusement, par la suite, le Chili ne donna aucun signe qui permît de penser qu’il

examinait effectivement la question ou était disposé à en discuter avec le Pérou. Au contraire, à

partir des années1990, il entreprit un certain no mbre de démarches unilatérales visant à donner

l’impression qu’une frontière maritime avec le Pé rou existait déjà, malgré l’absence totale d’un

quelconque accord à cet effet.

17. Ainsi, le Chili publia des cartes censées repr ésenter sa frontière maritime avec le Pérou,

ce qu’il n’avait jamais fait au cours des quarantea nnées qui suivirent la déclaration de Santiago.

Et, en2000, il déposa auprès de l’Organisation d es NationsUnies des cartes censées figurer une

ligne frontière le long du parallèle de 18° 21' de latitude sud. Le Pérou n’eut d’autre choix que de

protester, ce qu’il fit en soulignant qu’il n’avait jamais signé d’accord de délimitation maritime

avec le Chili.

18. En2004, le Pérou proposa de nouveau officiellement d’enga ger des négociations

bilatérales pour fixer la frontière maritime. Le Ch ili s’y opposa toutefois, arguant qu’une frontière - 11 -

maritime existait déjà. Compte tenu de l’impasse dans laquelle se trouvaie nt les deux pays, leurs

ministres des relations extérieures signèrent, le 4 novembre 2004, un communiqué conjoint prenant

21 acte de leurs positions divergentes quant à la question d’ordre juridique constituée par la

délimitation de leurs espaces mar itimes. A la suite de nouveaux échanges diplomatiques entre les

Parties en2005, il apparut clairement que le Ch ili ne tenait nullement à fixer, par voie de

négociation, une frontière maritime à vocation générale avec le Pérou.

19. Telles sont les circonstances dans lesquelles le Pérou a introduit la présente instance. Le

Pérou est intimement convaincu que les différends doivent, selon le principe énoncé à l’article33

de la Charte des NationsUnies, être résolus pa r des moyens pacifiques, ycompris le règlement

judiciaire, lorsque les négociations ont échoué. C’est ce qui l’a conduit à saisir la Cour en vertu de

l’article XXXI du Pacte de Bogotá, auquel le Chili et lui-même sont tous deux parties, en la priant

d’établir entre eux une frontière maritime équitable.

Les prétentions du Pérou

20. En la présente espèce, Monsieur le prési dent, le Pérou demande deux choses à la Cour :

premièrement, de déterminer les espaces maritim es respectifs des Parties sur la base des principes

et des règles de droit international énoncés par la Cour, à partir du point appelé Concordia, où

aboutit en mer la frontière terrestre ; et, deuxièmem ent, d’affirmer que le Pérou est fondé à exercer

sa juridiction et des droit souverains exclusifs su r une zone située à moins de 200 milles marins de

ses lignes de base, mais à plus de 200milles de celles du Chili, zone que, dans ses écritures, il a

appelée le «triangle extérieur».

i) La frontière maritime et son point de départ

21. En ce qui concerne la délimitation de la frontière maritime, il va de soi que celle-ci doit

partir du point où aboutit en mer la frontière terre stre entre les Parties, frontière dont celles-ci

conviennent qu’elle a été pleineme nt délimitée par le traité de Li ma de1929. Ce point est le

point Concordia, que j’ai déjà mentionné.

22. Le Pérou s’est inquiété de la position adoptée par le Chili dans son contre-mémoire,

selon laquelle la frontière terrestre ne s’achèverait pas sur le rivage, au pointConcordia, mais à

l’intérieur des terres, au niveau de la première bor ne établie dans le cadre de la démarcation de la - 12 -

frontière terrestre en1930. Nous avons montré dans notre réplique que l’argument du Chili ne

pouvait se défendre ; il contrevient de manière patente à ce dont les Parties sont convenues dans le

traité de 1929.

22 23. Dans sa duplique, le Chili a donc été cont raint de revoir sa position. Néanmoins, il

continue à affirmer qu’il existe une frontière maritime le long du parallèle qui passe par la première

borne et que la distance qui sépare celle-ci du point Concordia est négligeable. Cet argument est

parfaitement inadmissible, et va à l’encontre du traité de Lima de 1929.

24. Le Pérou ne s’est jamais entendu avec le Chili sur leur frontière maritime, ni dans la

déclaration de Santiago de1952 ni sous une quelconque autre forme. Et le Pérou n’a assurément

jamais accepté une frontière maritime qui suivra it un parallèle, ou qui commencerait sur le littoral

aunord du véritable point termin al de la frontière terrestre ⎯ le point Concordia ⎯ en territoire

relevant indubitablement de sa s ouveraineté exclusive. Or c’est bien cela qu’implique la position

du Chili.

ii) Les droits du Pérou sur le «triangle extérieur»

25. En ce qui concerne le «triangle extérieur», le fait est qu’il s’agit d’un espace maritime

situé en-deçà de 200 mille marins du littoral péruvien, mais à plus de 200 milles marins de celui du

Chili. Que le Chili puisse contester l’exercice par le Pérou de droits souve rains dans cette zone

dépasse donc l’entendement ! Le droit de la mer contemporain reconnaît en effet à tout Etat côtier

le droit d’exercer sa juridiction et des droits souverains dans les espac es maritimes baignant ses

côtes sur une distance de 200milles marins. Le Chili peut bien le contester, mais aucun des

éléments qu’il avance ne saurait priver le Pérou des droits qui sont les siens.

L’attachement du Pérou au respect du droit international

26. Monsieurle président, au nom du Gouve rnement du Pérou, je souhaiterais faire ici

solennellement état de l’attachement du Pérou au re spect du droit de la mer contemporain, tel qu’il

trouve son expression dans la convention des Nati onsUnies de 1982. La Constitution dont s’est

dotée le Pérou en 1993, son droit interne et sa pra tique sont parfaitement conformes au droit de la

mer moderne. Notre Constitution utilise le terme de «domaine maritime» eu égard aux définitions - 13 -

des espaces maritimes qui figurent dans la conventi on de 1982 ; elle fait expressément référence à

la liberté de communication internationale.

27. En bref, le Pérou accepte et applique l es règles coutumières du droit international de la

mer, telles qu’elles sont énoncées dans la convention.

28. En réalité, le Pérou ne demande rien de plus que ce dont peut se prévaloir chaque Etat

côtier en droit international. Bien qu’il ne soit p as encore partie à la convention sur le droit de la

mer de 1982, tant sa Constitution que sa pratique et son droit internes sont conformes aux règles et

23 principes énoncés dans ce texte, y compris l’obj ectif global recherché en délimitation maritime:

aboutir à une solution équitable.

29. Contrairement à ce qu’affirme le Chili, le Pérou ne cherche nullement à déroger au

principe pacta sunt servanda ni à la stabilité des frontières, et il s’inscrit fermement en faux contre

cette accusation. Aucun accord portant délimitation maritime n’a été conclu entre les Parties. Et

tout au long de son histoire, le Pérou a fait la pr euve d’un engagement sans faille en faveur de la

paix et du droit international.

30. Promouvoir l’intégration régionale a toujours été l’un des principaux objectifs de sa

politique étrangère, et ce, afin de contribuer au bien-être, à l’unité et à la coopération entre

républiques américaines.

31. Je voudrais également signaler que les relations bilatérales entre le Pérou et le Chili sont

bonnes. Les flux d’investissements et de transactions commerciales entre nos deux pays ne cessent

de croître. Des milliers de Péruviens résident au Chili, et des milliers de Chiliens franchissent

chaque jour la frontière pour se procurer biens et services au Pérou. Et nos deux pays participent

ensemble activement à l’ensemble des processus de coopération et d’intégration régionales engagés

en Amérique latine.

32. Le Pérou est certain que la décision que rendra cette éminente Cour permettra de régler le

dernier litige frontalier qui l’oppose au Chili, garantissant à nos deux pays un avenir commun placé

sous le signe de la paix et du bien-être des peuples. - 14 -

Plan des plaidoiries du Pérou

33. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, le plan des plaidoiries du

Pérou, lors de ce premier tour, sera le suivant :

⎯ cet après-midi, le professeur AlainPellet commencera par une présentation générale des

arguments du Pérou.

⎯ Il sera suivi de M. Rodman Bundy, qui exposera la position du Pérou sur le tracé de la frontière

maritime permettant d’aboutir à une solution équitable en l’espèce. Telle est la frontière que

nous prions la Cour de fixer.

Le conseil du Pérou montrera ensuite que l’affirmation du Chili selon laquelle il y aurait déjà

une frontière maritime entre les Parties n’est fondée ni en fait ni en droit et démontrera le caractère

totalement inéquitable du tracé mis en avant par nos contradicteurs.

24 ⎯ A cet égard, le professeur Tullio Treves replacera tout d’abord dans le contexte de l’époque les

textes chilien et péruvien de 1947 et la déclarati on de Santiago de 1952, en les examinant à la

lumière du droit de la mer tel qu’il existait alors.

⎯ Sir Michael Wood évoquera ensuite les textes et faits antérieurs à la déclaration de Santiago sur

lesquels le Chili fait fond.

Ces plaidoiries se poursuivront demain. Enfin, nous aborderons deux questions distinctes,

mais importantes, qui ont été soulevées dans les écritures du Chili: le point de départ de la

frontière maritime et le «triangle extérieur».

34. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, voilà qui clôt mon exposé, et

je vous prierai bien respectueusement, Monsieur le président, d’appeler maintenant à la barre

le professeur Alain Pellet. Je vous remercie de votre attention.

Le PRESIDENT: Je vous remercie, Monsieur l’ambassadeur. I should now like to invite

Professor Pellet to present an overview of the case on behalf of the delegation of Peru. - 15 -

PMELr.LET:
O VERVIEW OF THE CASE

1. Mr. President, Members of the Court, rare ly has a dispute submitted to your august Court

been marked by such a clear “conflict of legal views” . Without exaggerating, it can be said that:

⎯ Peru has placed before you a very simple case of maritime delimitation, which

⎯ Chile is seeking to transform into a rather baffling and highly complex dispute bearing

essentially on treaty law.

25 1. A simple case of maritime delimitation

2. In paragraph 13 of its Application, Peru requests the Court

“to determine the course of the boundary between the maritime zones of the two States
in accordance with international law.. . and to adjudge and declare that Peru

possesses exclusive sovereign rights in the mar itime area situated within the limit of
200nautical miles from its coast but outsi de Chile’s exclusive economic zone or
continental shelf” 3.

And the submissions contained in Peru’s Memo rial and Reply clarify these requests without

modifying them 4.

3. Whether in relation to the “outer triangle” referred to in its second submission or, more

generally, the line of demarcation between the two Parties’ respective maritime areas, Peru requests

you, Members of the Court, to settle the dispute befo re you on the basis of the principles of the law

of the sea, as reflected in the 1982 Convention and as established in the jurisprudence of the Court

and other international tribunals.

4. Articles74 and 83 of the Convention merely indicate, as is well known, that “[t]he

delimitation of the continental shelf [and of th e exclusive economic zone] between States with

opposite or adjacent coasts shall be effected by ag reement... in order to achieve an equitable

2Cf, P.C.I.J., Mavrommatis Palestine Conce ssions, Judgment, No.2, 1924 , p. 11; see alsoQuestions of
Interpretation and Application of the 1971 Montreal Convention arising from the Aerial Incident at Lockerbie (Libyan
Arab Jamahiriya v. United States of America) , Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports, pp.122-123,
para. 21; Certain Property (Liechtenstein v. Germany), Preliminary Objections , Judgment, I.C.J.Reports2005, p. 18,
para. 24; Armed Activities on the Territory of the Congo (New Application: 2002) (Democratic Republic of the Congo v.
Rwanda), Jurisdiction and Admissibility, Judgment, I.C.J. Reports 2006, p. 40, para. 90; Request for Interpretation of the

Judgment of 31March2004 in the Case concerning Avena and Other Mexican Nationals (Mexicov. United States of
America) (Mexico v. United States of America), Povisional Measures, Order of 16July2008, I.C.J.Reports 2008,
pp.325-326, paras.53-57; and Questions relating to the ObligationProsecute or Extradite (Belgium v. Senegal),
Judgment of 20 July 2012, para. 46.
3
Maritime Dispute (Peru v. Chile), 2008, para. 13.
4See MP, p. 275, or RP, p. 331. - 16 -

solution”. If no agreement can be reached, the Parties shall resort to a method of peaceful

5
settlement, again for the purpose of arriving at such a solution ; at the same time, they are

6
encouraged to make “every effort to enter into provisional arrangements of a practical nature” .

5. In the absence of a delimitation agreem ent, which the Santiago Declaration of 1952

certainly is not, the two States did indeed concl ude provisional arrangements of this nature, but

7
following the Chilean refusal to negotiate ⎯ despite preliminary steps in that direction ⎯ Peru

referred the matter to this Court. It is therefor e for the Court to determine the equitable solution

that is required on the basis of the “standard method” 8, a method firmly established and clearly

26 enunciated in the Court’s recent judgments ⎯ in particular in the 2009 Judgment in Romania v.

9 10
Ukraine and last month in Nicaragua v. Colombia ; a method which the International Tribunal

for the Law of the Sea also firmly implemen ted in its judgment of last March in the

11
Bangladesh/Myanmar case .

6. We shall no doubt have the opportunity to re turn to this matter, and I shall not dwell on it

now. Suffice it to recall for the moment that:

⎯ “The Court has made clear on a number of occasions that the methodology which

it will normally employ when called upon to effect a delimitation between
overlapping continental shelf and excl usive economic zone entitlements involves
12 13
proceeding in three stages( )” .

⎯ “These separate stages, broadly explained in the case concerning Continental Shelf
(Libyan Arab Jamahiriya/Malta) 14, have in recent decades been specified with
15
precision” .

5Cf. Art. 74, para. 2, and Art. 83, para. 2, of the United Nations Convention on the Law of the Sea.

6Ibid., para. 3, and Art. 83, para. 3, ibid.

7RP, pp. 206-208, paras. 4.47-4.52.

8Territorial and Maritime Dispute (Nicaragua v. Colombia), Judgment of 19 November 2012, para. 199
9
Maritime Delimitation in the Black Sea (Romania v. Ukraine), Judgment, I.C.J. Reports 2009, p. 61.
10
Territorial and Maritime Dispute (Nicaragua v. Colombia), Judgment of 19 November 2012.
11
ITLOS, Dispute concerning Delimitation of the Maritime Boundary between Bangladesh and Myanmar in the
Bay of Bengal (Bangladesh/Myanmar), Judgment of 14 March 2010,
12
(Continental Shelf (Libyan Arab Jamahiriya/Malta), Judgment, I.C.J. Reports 1985 , p.46, para.60;
Delimitation in the Black Sea (Romania v. Ukraine), Judgment, I.C.J. Reports 2009, p. 101, paras. 115-116)
13
Territorial and Maritime Dispute (Nicaragua v. Colombia), Judgment of 19 November 2012 , para.190. See
also Maritime Delimitation in the Black Sea (Romania v. Ukraine), Judgment, I.C.J. Reports 2009, p. 101, para. 115.
14
Libyan Arab Jamahiriya/Malta, Judgment, I.C.J. Reports 1985, p. 46, para. 60.
15Maritime Delimitation in the Black Sea (Romania v. Ukraine), Judgment, I.C.J. Reports 2009, p. 101, para. 116.

See also ITLOS, Dispute concerning Delimitation of the Maritim e Boundary between Bangladesh and Myanmar in the
Bay of Bengal (Bangladesh/Myanmar), Judgment, 14 March 2012, para. 233. - 17 -

⎯ “In the first stage, the Court establishes a provisional delimitation line between
territories (including the island territories) of the Parties. In doing so it will use

methods that are geometrically objective and appropriate for the geography of the
area” .6

⎯ “This task will consist of the construction of an equidistance line, where the
relevant coasts are adjacent, or a median line between the two coasts, where the

27 relevant coasts are opposite, unless in either case there are compellin17re18ons as a
result of which the establishment of such a line is not feasible( )” .

⎯ “In the second stage, the Court considers whether there are any relevant
circumstances which may call for an adjustment or shifting of the provisional
19
equidistance/median line so as to achieve an equitable result” .

⎯ “In the third and final stage, the Court conducts a disproportionality test in which

it assesses whether the effect of the line, as adju sted or shifted, is that the Parties’
respective shares of the relevant area ar e markedly disproportionate to their
respective relevant coasts” . 20

[Slide 1: An equitable delimitation]

7. This “cut and paste” collection of citations from Nicaragua v. Colombia (equivalents of

which are to be found in Romania v. Ukraine and various other cases) provides a succinct but

sufficient description, I believe, of the reference method commonly known as the

“equidistance-relevant circumstances method”. Th is method, which is legally binding on the

parties and the Court, makes it possible to determine the line of maritime delimitation

corresponding to the equitable solution required both by Articles74 and 83 of the Montego Bay

Convention and by customary law. In this case:

16
Territorial and Maritime Dispute (Nicaragua v. Colombia), Judgment of 19 November 2012 , para.191. See
also Maritime Delimitation in the Black Sea (Romania v. Ukraine), I.C.J. Reports 2009 , p.101, para.116; and ITLOS,
Dispute concerning Delimitation of the Maritime Boundary between Banglades h and Myanmar in the Bay of Bengal
(Bangladesh/Myanmar), Judgment, 14 March 2012, para. 233.

1See Territorial and Maritime Dispute between Nica ragua and Honduras in the Caribbean Sea (Nicaragua v.
Honduras), Judgment, I.C.J. Reports 2007 (II), p. 745, para. 281.

1Territorial and Maritime Dispute (Nicaragua v. Colombia), Judgment of 19 November 2012, , para.191. See
also Maritime Delimitation in the Black Sea (Romania v. Ukraine), Judgment, I.C.J. Reports 2009 , p.101, para.116,
Territorial and Maritime Dispute between Nicaragua and H onduras in the Caribbean Sea (Nicaragua v. Honduras),
Judgment, I.C.J. Reports 2007 (II), p.745, para.281; and ITLOS, Dispute concerning Delimitation of the Maritime

Boundary between Bangladesh and Myanmar in the Bay of Bengal (Bangladesh/Myanmar) , Judgment, 14 March 2012,
para. 233.
1Territorial and Maritime Dispute (Nicaragua v. Colombia), Judgment of 19 November 2012, para.192. See

also Maritime Delimitation in the Black Sea (Romania v. Ukraine), Judgment, I.C.J. Reports 2009, p. 112, para. 155; and
ITLOS, Dispute concerning Delimitation of the Maritime B oundary between Bangladesh and Myanmar in the Bay of
Bengal (Bangladesh/Myanmar), Judgment, 14 March 2012, paras. 233 and 275.
20
Territorial and Maritime Dispute (Nicaragua v. Colombia), Judgment of 19 November 2012, para.193. See
also Maritime Delimitation in the Black Sea (Romania v. Ukraine), Judgment, I.C.J. Reports 2009, p. 129, para. 210; and
ITLOS, Dispute concerning Delimitation of the Maritime B oundary between Bangladesh and Myanmar in the Bay of
Bengal (Bangladesh/Myanmar), Judgment, 14 March 2012, paras. 233 and 497. - 18 -

⎯ there is no “compelling reason” for not having recourse to an equidistance line (one which,

moreover, corresponds almost exactly to a bisector line of the angle form ed by the adjacent

coasts of the two States at the point where their land boundary ends);

28 ⎯ no special or relevant circumstance requires an adjustment of the equidistance line in the

second stage; and

⎯ not only does this line not entail a marked disp roportion between the respective lengths of the

relevant coasts and the areas thus divided, but it achieves a virtually equal division of the areas

of overlap between the two States, whose relevant coasts are almost equal in length.

[End of slide 1]

II. A case unduly complicated by Chile

8. A simple case therefore, Mr.President. But a case which Chile, thanks to the talent and

imagination of its advocates, makes every effort to complicate most unduly. Instead of

acknowledging the obvious absence of a maritime delimitation between the Parties, the Respondent

attempts to prove, subjecting the law of treatie s and the facts of the case to all manner of

contortions in the process, that a frontier line was adopted by treaty in 1952 ⎯ by the Santiago

Declaration ⎯ and has been consistently implemented ever since.

[Slide 2: Point Concordia]

9. Chile’s curious treatment of conventional law is immediately evid ent in the peculiar way

in which it claims to apply ⎯ or have the Court interpret ⎯ the 1929 Treaty of Lima and the Final

Act of the Commission of Limits of 21 July 1930. Under the terms of the latter: “The demarcated

boundary line starts from the Pacific Ocean at a point on the seashore ten kilometres northwest
21
from the first bridge over the River Lluta of the Arica-La Paz railway . . .”

Moreover, this is a straightforward implementation of the treaty itself, which provided that

“[t]he frontier between the territories of Chile and Peru, shall start from a point on the coast to be

named ‘Concordia’, ten kilometres to the north of the bridge over the river Lluta” 22.

21
MP, Ann. 54.
22
Ibid., Ann. 45, Art. 2. - 19 -

10. Mr. Bundy will address this point ⎯ which is one of his pet subjects ⎯ at greater length,

but it seems to me that a sketch-map may suffice to show that the endpoint of the land boundary ⎯

29 and therefore the starting-point of the maritime delimitation ⎯ cannot be situated where Chile

claims, that is to say on the 18°21'00"S parallel. That is the parallel of latitude of the final

boundary marker, Hito No. 1, measured “under WGS84 Datum” 23, but the location of that marker

is not Point Concordia, which is described in the applicable conventional texts and which lies at the

intersection of the land boundary with the coast.

[End of slide 2]

11. Our opponents’ peculiar conception of treaty commitments is reflected in their

presentation of what lies at the heart of the dispute submitted to the Court. Here, however, it is not

an issue of going back on a treaty commitment, like the one fixing the endpoint of the land

boundary, but of inventing one which was never agreed between the Parties and according to which

they agreed on a maritime delimitation whose most obvious consequence would be to deprive Peru

of almost 67,000sqkm of maritime space (an area the size of Sri Lanka or Georgia), space over

which the law of the sea accords Peru an exclusive title to sovereign rights.

12. This improbable result is said to be th e consequence of the delimitation allegedly

effected by the Declaration on the maritime zone signed at Santiago on 18 August 1952 ⎯ known

for short as the “Santiago Declaration”. I shall leave my eminent and learned colleagues to discuss

the uncertain legal nature of that instrument. At this preliminary stage of our oral argument I need

only remind you of the text of its central provision ⎯ its point II (the declaration is reproduced in

full in both Spanish and its French and English transl ations at tab3 in the judges’ folder); that

provision reads as follows:

“In the light of these circumstances, the Governments of Chile, Ecuador and

Peru proclaim as a norm of their interna tional maritime policy that they each possess
exclusive sovereignty and jurisdiction over the sea along the coasts of their respective
countries to a minimum distance of 200 nautical miles from these coasts” 2.

13. I am well aware, Mr.President, that this declaration ⎯ whose purpose, according to its

preamble, was to enable the governments of the th ree States to formulate principles designed to

23
CMC, p. 305.
24
MP, Ann. 47. - 20 -

“conserve and safeguard for their respective peopl es the natural resources of the maritime zones

30 adjacent to their coast” ⎯ also contains a point IV, of which Chile makes a great deal. I shall read

it in full, Mr.President, for reference ⎯ because Chile is only fond of this provision if it is

25
truncated :

“ In the case of island territories, the zone of 200nautical miles shall apply to
the entire coast of the island or group of islands. If an island or group of islands
belonging to one of the countries making the declaration is situated less than

200nautical miles from the general maritime zone belonging to another of those
countries, the maritime zone of the island or group of islands shall be limited by the
parallel at the point at which the land frontier of the States concerned reaches the
26
sea.”

14. No comment is necessary, Mr.President: pointIV of the declaration is expressly and

strictly limited to establishing the maximum extensi on of the potential maritime areas of island

territories. Furthermore, it is highly unlikely that it is sufficient in itself and could be implemented

without the adoption of subsequent agreements specifying its scope (and, in any case, there are no

islands which need to be taken into consideration in the contested area). As for pointII, which I

read out a moment ago, it has nothing whatsoever to do with the lateral delimitation now being

claimed ⎯ unmentioned at the time ⎯ of the zone whose existence it proclaims. Yet it is on this

extremely fragile basis that Chile relies in order to attempt to convince you, Members of the Court,

of the existence of a maritime delimitation ag reement between the two countries. No such

agreement exists.

15. On the strength of this claim (or should I say “on the weakness of this claim”?), Chile

next does its utmost to “demonstrate” that the subsequent practice of the Parties (and third parties

for good measure) “confirmed” or “enforced” the elusive treaty delimitation of 1952 2. However, it

is only possible to confirm or apply a delimitation which has actually been adopted ⎯ no

delimitation in 1952, so obviously no subsequent c onfirmation. And while it is possible to take

account of subsequent practice in order to interp ret a treaty, practice cannot make up for the fact

that no treaty exists or, if one does exist, cannot take its place in order to have it say things which it

25
See RP, p.121, para.3.62; pp.122-125, para.3.63: p.126, para.3.68 and p.127, para.3.70. See also MP,
Ann. 47.
26
Emphasis added.
2See, among many other examples, CMC, p. 2, para.1.4; RC, p.212, para.5. 1; RC, p.242, para.6.9; or RC,
pp. 283-284, para. 8.13. - 21 -

does not ⎯ here, in order to transform a text procla iming the existence of an area of maritime

31 sovereignty and jurisdiction into an agreement delimiting that area. Chile’s argument, which was

28
skilfully concocted shortly after Peru suggested, in 1986, opening negotiations between the two

countries 29, has remained, but for a few nuances, the one which it defends today.

16. Obviously, Mr. President, we shall not sidestep the discussion ⎯ but I can say right now

that this is a false debate: the 1952Declar ation is not a delimitati on agreement; and the

subsequent practice invoked by Chile cannot, by I know not what mysterious alchemy, have

transformed it into something that it is not. Adm ittedly, it is true that after 1952, the two countries

agreed arrangements of a practical nature, in order to regulate on a provisional basis certain

activities in the contested area ⎯ or rather, generally speaking, in certain parts of the contested

area; but those arrangements were mostly limited to the sector closest to the coasts and applied

solely to the superjacent water column and not to the sea-bed and its subso il; the purpose of those

sectoral and provisional arrangements was not to fix a multi-purpose or permanent maritime

boundary, contrary to Chile’s claims.

[Slide 3: The inequitable character of the Chilean line]

17. And what a frontier, Mr. President!

⎯ A frontier which, as I have said, reduces the maritime area over which Peru is entitled to

exercise its sovereign rights by some 67,000 sq km;

⎯ a frontier which radically cuts off Peru’s access to the open sea;

⎯ a frontier which prevents Peru from extending its sovereign rights and jurisdiction as far

seaward as international law permits 3;

⎯ and whereby Chile furthermore intends to deprive Peru of its exclusive rights in an area in

which Chile itself can claim none.

28See in particular F.Orrego Vicuña, The Exclusive Economic Zone: Regime and Legal Nature under
International Law, Cambridge UP, 1989, pp.206-207 (CMC, Ann.301) or F.Orrego Vicuña, “International Ocean

Developments in the Southeast Pacific: The Case of Chile”, in J. P. Craven, J. Schneider, and C. Stimson (The.),
International Implications of Extended Maritime Jurisdiction in the Pacific, 1989, p. 221 (CMC, Ann. 302).
29See the Diplomatic Memorandum annexed to Note5- 4-M/147 of 23May 1986, from the Embassy of Peru to
the Ministry of Foreign Affairs of Chile (MP, Ann. 76).

30See Guinea–Guinea-Bissau Maritime Delimitation Case, Award of 14 February 1985, United Nations, Reports
of International Arbitral Awards (RIAA), vol. XIX, p. 187, para. 104 or para. 115. - 22 -

32 18. And all of this, Mr. President, on the basi s of a jumbled collecti on of indications, which

have been skilfully marshalled by Chile’s coun sel, but which cannot, either separately or as a

whole, constitute convincing proof of the de limitation agreement upon which the Respondent

relies. Members of the Court, you have stated this in clear, plain and persuasive terms: “The

establishment of a permanent maritime boundary is a matter of grave importance and agreement is

not easily to be presumed.” ( Territorial and Maritime Dispute between Nicaragua and Honduras

in the CaribbeanSea (Nicaragua v. Honduras), Judgment, I.C.J.Reports2007 (II) , p.735,

31
para. 253) .

19. The confused array of legal quibbles rais ed by Chile extends beyond the maritime zone

which it is seeking to appropriate at the expense of Peru’s rights, with its claim to deny Peru its

jurisdiction and sovereign rights in what we have termed the “outer triangle”. Here again, Chile

complicates very simple legal facts most unduly: the rights on which it is challenging Peru are

inherent rights ⎯ at least as far as the continental shelf is concerned 32; and as regards the

superjacent waters, the title, the entitlement, of the State bordering them is an exclusive one; in any

event, in this instance Peru has proclaimed its “sovereignty and jurisdiction” over all of that domain

and its resources 33.

20. Moreover, it is not just a question of drawing the logical conclusion from Peru’s

principal submission, which relates to the line of the maritime boundary between the two countries

following the equidistance line: since the two St ates have adjacent and not facing coasts, that line

continues up to a distance of 200 nautical miles from the baselines from wh ich the breadth of the

34
territorial sea is measured , the two States having proclaimed the sovereign rights which

international law accords them over those areas.

31
See also Territorial and Maritime Dispute (Nicaragua v. Colombia), Judgment of 19November 2012,
para. 219; or Dispute concerning delimitation of the maritime boundary between Bangladesh and Myanmar in the Bay of
Bengal (Bangladesh/Myanmar), ITLOS, Judgment of 14 March 2012, para. 95.
3See Art. 77 of the United Nations Convention on the Law of the Sea.

3See Political Constitution of Peru of 12 July 1979 (MP, Ann. 17), Political Constitution of Peru of 29 December
1993 (MP, Ann.19), Law No.28621 of 3November 2005 (MP, Ann.23) and Supreme Decree No.047-2007-RE of
11 August 2007 (MP, Ann. 24).

3Arts. 57 and 76, para. 1, of the United Nations Convention on the Law of the Sea. - 23 -

21. It is true that in its Counter-Memoria l, without formally raising an objection to

35
33 admissibility, Chile accused Peru of asking th e Court to enlarge its maritime dominion ⎯ which

would be contrary to the provisions of Articles74 and 83 of UNCLOS 36. As we remarked in the

37
Reply , in order to formulate that argument Chile has to distort Peru’s submission, which does not

ask the Court to enshrine the notion of maritime dominion ⎯ an expression which does not feature

at all in Peru’s written pleadings ⎯ but formally to recognize its sovereign rights and jurisdiction

in the 200-nautical-mile zone in accordance with the contemporary rules of the law of the sea.

22. In order to allow Chile’s claim, the Court would have to:

(1) decide that one of the signatory States could renounce by a special treaty a maritime zone over

which, under the contemporary law of the sea, it enjoys an exclusive title to sovereign rights,

and that this renunciation would apply both to the international community of States as a whole

and to the other contracting State or States ⎯ which nevertheless have no specific entitlement

in this regard; and

(2) you would also have to accept that the San tiago Declaration can overturn the provisions of

Articles 74 and 83 of the 1982 Convention ⎯ which the two Parties both acknowledge reflect

customary law ⎯ and that the declaration in question deprived Peru of its inherent rights under

the contemporary law of the sea; such a position would cast significant doubt on the validity of

that instrument ⎯ the Santiago Declaration ⎯ on which the Respondent is nevertheless

pinning all its hopes in the present case.

23. Realizing no doubt that in invoking the inadmissibility of Peru’s second submission it

was running a strong risk of being hoist with its own petard, Chile decided not to reiterate that

point in its Rejoinder. A wise precaution, whic h suggests that it now acknowledges that Peru is

entitled to submit that it be accorded sovereign rights within the entire 200-nautical-mile zone ⎯

rights which the contemporary international law of the sea recognizes, no more and no less, as

Ambassador Wagner reiterated very formally a few moments ago. Just like Chile, at the end of the

1940s and the beginning of the 1950s, Peru wished to promote a very broad conception of its

3See CMC, p. 22, para. 1.74.
36
Ibid.
3See RP, pp. 32-36, paras. 1.34-1.40. - 24 -

34 maritime rights; just like Chile, it accepts that the law of the sea has evolved (a process in which

the two States have played a major role) so as to place both geographical and substantive limits on

those rights; and today Peru is certainly not clai ming full sovereignty over that 200-nautical-mile

zone. I would repeat, Mr. President, Peru accepts the law of the sea as it stands and, as its Agent

has said, it is asking for no more (but no less) th an the recognition of rights which that law accords

to all coastal States.

[End of slide 3]

24. Thank you for your attention, Member s of the Court. I would kindly request,

Mr. President, that you call Mr. Rodman Bundy to the Bar. He will describe, in greater detail than

I have just done in this very general presentation, the method to be adopted with a view to fixing

the single maritime boundary between the two countries.

ThePRESIDENT: Thank you, Professor Pellet. La Cour est maintenant prête à entendre

l’exposé de M. Bundy. Vous avez la parole, Monsieur.

M. BUNDY :

L A RECHERCHE D ’UNE SOLUTION ÉQUITABLE À PARTIR DE LA DÉLIMITATION
PROPOSÉE PAR LE P ÉROU

Introduction

1. Merci beaucoup, Monsieur le président, Mesd ames et Messieurs les Membres de la Cour.

C’est, comme toujours, un honneur de paraître de vant cette Cour, et je suis honoré de pouvoir

représenter le Gouvernement du Pérou dans le cadre de la présente instance.

2. L’examen de l’évolution du droit de la dé limitation maritime au fil des ans révèle que

deux principes y ont joué un rôle dominant. Le premier veut que la déli mitation s’effectue par

accord conformément au droit international. Suivan t le second, l’objectif ultime de la délimitation

maritime est la recherche d’une solution équitable. Ces deux principes se trouvent au cŒur même

de la présente affaire.

3. Comme M. Pellet l’a signalé, et malgré les arguments du Chili à l’effet contraire, le Pérou

et ce dernier ne se sont jamais entendus sur la délimitation de leur frontière maritime. Nous

reviendrons sur ce point plus tard au cours de notre exposé, mais c’est précisément en raison de - 25 -

35 l’absence de frontière maritime conventionnelle que le Pérou a engagé la présente procédure, dans

le cadre de laquelle il demande à la Cour de déterminer le tracé de cette frontière en conformité

avec le droit international coutumier.

4. C’est ici qu’entre en jeu le second principe auquel je viens de faire allusion, celui qui fait

de la recherche d’une solution équitable l’objec tif essentiel de la délimitation maritime. Etant

donné l’importance de ce principe dans l’examen des principales questions soulevées en l’espèce, il

nous a paru souhaitable, afin d’aider la Cour, d’ exposer le plus tôt possible au cours de notre

intervention la position du Pérou sur la question de la délimitation.

5. Monsieur le président, Mesdames et Messieu rs de la Cour, mon rôle consiste donc, cet

après-midi, à expliquer comment il y a lieu d’appliquer les principes et règles du droit international

aux caractéristiques géographiques de la présente affair e, afin de parvenir à une solution équitable.

J’espère ainsi parvenir à démontrer que la présente affaire est un exemple parfait de situation où la

délimitation de la frontière par application de la méthode de l’équidistance permet d’arriver à un tel

résultat.

Les principes et règles applicables

6. J’aborderai pour commencer les principes app licables. Puisque Pérou n’est pas partie à la

Convention des NationsUnies sur le droit de la mer de1982, la frontière maritime séparant les

Parties doit être délimitée en conformité avec le droit international coutumier 38.

7. Je tiens rassurer la Cour : je n’ai pas l’inte ntion de discourir sur le droit de la délimitation

maritime, et ce, pour trois raisons . Premièrement, le Pérou a fait état des principes et règles

39
applicables dans ses pièces de procédure , et il n’y a pas lieu d’en répéter l’exposé.

Deuxièmement, le Chili n’a, dans ses écritures, s oulevé aucune objection quant à l’application de

ces principes. Troisièmement, puisque, à l’évid ence, le corps bien établi de règles dont nous

disposons aujourd’hui en cette matière est princi palement l’Œuvre de la Cour, notamment dans

l’arrêt qu’elle a rendu il y a à peine deux semain es dans l’affaire opposant le Nicaragua à la

38
MP, par. 3.4 ; Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt du 19 novembre 2012, par. 137.
39
Voir ibid., par. 6.3-6.18. - 26 -

Colombie, il ne servirait à rien que je fasse ici un exposé détaillé de la jurisprudence de la Cour,

d’autant plus que mon collègue, M. Pellet, en a déjà relaté les éléments essentiels.

36 8. Je me contenterai de rappeler, co mme l’a fait la Cour dans l’affaire Nicaragua c.

Colombie ainsi que dans l’affaire relative à la Délimitation maritime en mer Noire, que, lorsqu’elle

est appelée à délimiter le plateau continental et la zone économique exclusive d’un Etat, la Cour

procède suivant une démarche comportant trois étapes distinctes: premièrement, établissement

d’une ligne d’équidistance provisoire entre les territoires des Parties ; deuxièmement, recherche de

circonstances pertinentes exigean t l’ajustement de la ligne d’ équidistance pour parvenir à une

solution équitable ; troisièmement, mise à l’épreuve de la ligne résultant des deux premières étapes

40
afin de vérifier qu’elle n’ entraîne aucune disproportion . Le Tribunal international du droit de la

mer a de toute évidence adopté la même démarche dans l’arrêt qu’il a ren du plus tôt cette année
41
dans l’affaire Bangladesh/Myanmar . Or cette démarche constitue le moyen parfait et même idéal

de parvenir, en l’espèce, à un résultat équitable.

9. Comme M. Treves l’expliquera demain, le Pérou a défendu la même position tout au long

de la troisième conférence des Nations Unies sur le droit de la mer. Aujourd’hui encore, il soutient

que l’objectif de la délimitation maritime est de parvenir à un résultat équitable et que, en l’absence

de circonstances spéciales, les espaces maritimes d’Etats contigus devraient être délimités au

moyen d’une ligne d’équidistance 42. Il ne s’agissait là que de la simple expression de la règle de

l’«équidistance/circonstances pertinentes», qui a pr is une importance fondamentale en droit de la

délimitation maritime.

Les côtes pertinentes des Parties et la zone à délimiter

10. Après avoir esquissé la démarche qui rég it la délimitation, j’aborderai maintenant le

contexte géographique dans lequel les principes et règles doivent s’ appliquer. La Cour elle-même

s’est exprimée ainsi dans l’affaire Roumanie c. Ukraine : «Le titre d'un Etat sur le plateau

40
Différend territorial et maritime (Nicagua c. Colombie), arrêt du 19novembre 2012 , par. 190-193 ;
Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009 , p. 101, par. 115-116, p. 101-103,
par. 120-122, et p. 129, par. 211.
41
Différend relatif à la délimitation de la frontière mar itime entre le Bangladesh et le Myanmar dans le golfe du
Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt du 14 mars 2012, p. 76, par. 240.
42Voir réplique du Pérou (RP), Introduction, par. 19 et note 19, et par. 5.2. - 27 -

continental et la zone économique exclusive est fondé sur le principe selon lequel la terre domine la

43
mer du fait de la projection des côtes ou des façades côtières.» Il est donc nécessaire de définir

37 les côtes pertinentes des Parties qui donnent lieu au chevauchement des espaces maritimes

auxquels celles-ci peuvent prétendre et, par le fait même, la zone à délimiter en l’espèce.

i) Les côtes pertinentes

[Projection de la figure 6.2 du mémoire du Pérou, mais sans les traits de surlignement rouge et vert

marquant les côtes respectives des Parties ni les lignes noires représentant leur façade côtière.]

o
11. La carte qui devrait apparaître à l’écran (ongletn 5 du dossier de plaidoiries) montre

l’aspect géographique général de la zone à délimiter.

Le PRESIDENT : Pouvez-vous nous dire si cette carte se trouve dans le dossier des juges ?

M.BUNDY: La carte se trouve effectivement da ns le dossier de plaidoiries. Puis-je vous

inviter à vous reporter à l’onglet n o 5 ? La carte se trouve maintenant à l’écran, et je vous prie de

bien vouloir excuser ce retard. Elle montre les caractéristiques géographiques de la région et,

comme le Pérou l’a expliqué dans ses écritures —il s’agit là d’un point important sur lequel je

reviendrai au cours d’une intervention ultérieure — la frontière terrestre qui le sépare du Chili

commence au point où la frontière terrestre attein t la mer, soit à un point qui porte le nom de

Concordia, lequel est mis en évidence sur la carte projetée et dans votre dossier. C’est de ce point

que doit partir la délimitation maritime [flèche pointant vers le point Concordia].

12. Ce qui frappe, sur cette carte, c’est que le point Concordia se trouve presque exactement

à l’endroit où la côte ouest de l’Amérique du Sud change de direction. A partir du point Concordia,

la côte chilienne correspond presque à l’axe géographique nord-sud. Elle ne présente que quelques

sinuosités mineures, mais aucun promontoire ou échan crure d’importance, ni aucune île côtière.

Par contraste, la côte péruvienne adopte, aunord du pointConcordia, une orientation tout à fait

différente, allant du sud-est vers le nord-ouest. Là encore, on ne trouve aucune caractéristique

43Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J.Recueil20, p. 89, par. 77, citant
Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danema rk) (République fédérale
d’Allemagne/Pays-Bas), arrê t, C.I.J.Recueil1969 , p.51, par.96, Plateau continental (Tun isie/Jamahiriya arabe
libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1982, p. 61, par. 73. - 28 -

géographique notable qui interrompe la direction gé nérale de la côte, ni aucune île susceptible

d’influer sur le tracé de la ligne d’équidistance.

13. Les deux Parties prétendent à des droits en mer sur une distance de 200millesmarins

depuis leurs lignes de bases respectives. Ainsi, le Chili réclame une mer territoriale d’une largeur

de 12 milles marins, ainsi qu’une zone économique exclusive et des droits sur le plateau continental

jusqu’à une distance de 200 milles marins. Pour sa part, le Pérou revendique un domaine maritime

s’étendant sur 200milles marins et comprenant la mer, les fonds marins et le sous-sol,
38
conformément à ses lois constitutionnelles de1979 et de1993 4, qui, comme l’a rappelé plus tôt

son agent, ont été mises en Œuvre conformément à la définition que donne le droit international

moderne de ces espaces. La limite des 200milles ma rins mesurée à partir des côtes des Parties

correspond, sur la carte, au trait hachuré qui sépare la zone de fond blanc de la zone de fond bleu

clair.

14. En vue de définir les côtes pertinentes des Parties et la zone à délimiter, il convient de

rappeler l’observation que la Cour a faite dans l’affaire Roumanie c. Ukraine et confirmée dans

l’affaire Nicaragua c. Colombie : «la côte doit, pour être consid érée comme pertinente aux fins de

la délimitation, générer des projections qui chevau chent celles de la côte de la partie adverse»

(Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J.Recueil2009 , p.97,

par. 99 ; voir aussi Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt du

19 novembre 2012, par. 150).

15. Etant donné que les prétentions des Par ties reposent sur la limite des 200 milles marins,

le Pérou a défini les côtes pertinentes de celles-ci comme étant les segments s’étendant sur la même

distance de part et d’autre du point terminal de la frontière terrestre, soit le pointConcordia,

puisque ce sont ces segments de côte qui donnent lieu au chevauchemen t des espaces maritimes

auxquels ils ouvrent droit, sur une distance de 200millesmarins, et qui rendent nécessaire la

délimitation.

[Ajouter sur la carte les traits rouge, vert et noir de la figure 6.2 du mémoire du Pérou.]

44
MP, annexes 17 et 19. - 29 -

16. Si le système ne fonctionne pas, vous pouvez voir sur la carte se trouvant sous

l’onglet n 5, mais je souhaitais en principe projeter à l’écran la carte montrant les côtes pertinentes.

Celle du Chili s’étend vers le sud à partir du point Concordia sur une distance de 200 milles marins,

comme vous pouvez le voir sur la carte se trouvant dans le dossier de plaidoiries, jusqu’à un endroit

appelé PuntaArenas, qui se trouve à proximité d’une localité du nom d’Antofagasta, du côté

chilien, à une distance de 200milles le long de la cô te. La côte pertinente du Pérou s’étend elle

aussi, à partir du pointConcordia, sur une dist ance de 200millesmarins jusqu’aux environs de

Punta Pescadores.

ii) La zone à délimiter

17. C’est après avoir ainsi défini ces côtes pe rtinentes dont la projection constitue la zone à

délimiter que j’en viens à examiner celle-ci, laque lle, ainsi que la Cour l’a définie en l’affaire

Nicaragua c. Colombie, « correspond à la partie de l’espace ma ritime dans laquelle les droits

39 potentiels des parties se chevauchent» (Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie) :

arrêt du 19novembre2012, par.159 [les italiques sont de nous]). Cette «partie de l’espace

maritime dans laquelle les droits potentiels des parties se chevauchent», cette zone de

chevauchement des espaces auxquels les Parties pe uvent prétendre est, en l’espèce circonscrite par

des arcs de 200 milles marins tracés à partir des points les plus proches sur la côte de chaque Partie.

[Projection de la figure6.3 du mémoire du Pér ou.] Comme vous pouvez le voir sur la carte

projetée à l’écran (qui figure également sous l’onglet n o6 de votre dossier de plaidoiries), le Chili

ne saurait prétendre à aucun espace maritime au-delà de l’arc septentrional de 200 milles représenté

en vert sur la carte, (cette zone se trouvant au-delà de la limite des 200 milles marins du point de la

côte chilienne le plus proche) et le Pérou peut prétendre à quelque espace au-delà ⎯ c’est-à-dire au

sud ⎯ de l’arc méridional représenté en rouge. L’espace défini par ces lignes constitue donc la

zone de chevauchement des espaces maritimes et, par conséquent, la zone à délimiter en l’espèce.

Dans cette zone de fond bleu sur la carte, cha que point se trouve à l’intérieur de la limite des

200 milles marins depuis les côtes des deux Parties et il s’agit de la zone de chevauchement, de la

zone à délimiter. - 30 -

Le tracé de la ligne d’équidistance

18. Après avoir défini les côtes pertinentes des Parties et la zone à délimiter, la prochaine

étape consiste à tracer la ligne d’équidistance provisoire, et, évidemment, il importe pour ce faire

de tenir compte des points de base qui sont fixés sur les côtes de chaque Etat. Dans certains cas, la

question peut porter à controverse et le processus se révéler plus complexe, en particulier lorsqu’un

système de lignes de base droites a été adopté ou lo rsque la délimitation met en jeu des formations

telles que des îles de petite taille ou des hauts-fonds découvrants. La présente espèce, toutefois, ne

comporte aucune complication de cette nature. Les côtes des Parties s’étendant de part et d’autre

du point où leur frontière terrestre rejoint la mer s ont relativement régulières. Ni l’une ni l’autre

des Parties n’a adopté de système de lignes de base droites dans la zone à délimiter et il n’existe

pas d’îles qui, si elles devaient servir de point de base, pourraient faire dévier le cours de la ligne

d’équidistance.

[Projection de la figure 6.6 du mémoire du Pérou.]
o
19. La carte qui apparaît à présent à l’écran (et qui figure également sous l’onglet n 7 de

votre dossier de plaidoiries) montre le tracé de la ligne d’équidistance provisoire et les points de

base sur les côtes des Parties qui ont été utilisés à cette fin. Partant du pointConcordia, où la

frontière terrestre aboutit en mer, la ligne se pr olonge dans une direction générale ouest-sud-ouest

40 jusqu’à la limite des 200milles marins afférente aux espaces revenant à chaque Partie. Sur la

figure projetée, le Pérou a indiqué les coordonnées des divers points d’inflexion de la ligne

d’équidistance, et ces coordonnées apparaissent égal ement sur la carte insérée à la page224 du

mémoire du Pérou. Le fait que les inflexions que comporte la ligne d’équidistance soient peu

accentuées ⎯la ligne suit la même directi on générale sur tout son parcours ⎯ s’explique

justement par le caractère régulier des côtes de chacune des Parties bordant la zone à délimiter.

L’absence de toute circonstance pertinente exigeant l’ajustement

de la ligne d’équidistance

20. La deuxième étape du processus de délimita tion consiste à vérifier s’il existe des

circonstances pertinentes nécessitant l’ajustement de la ligne d’équidistance afin de parvenir à un

résultat équitable. A cet égard, il ressort clairement de la jurisprudence que la Cour doit se

demander s’il existe des facteurs géographiques qui pourraient constituer des circonstances - 31 -

pertinentes, en particulier lorsqu ’elle est appelée à délimiter le plateau continental et la zone

économique exclusive.

21. En l’affaire du Golfe du Maine, par exemple, la Chambre de la Cour a fait observer que,

avec l’appropriation progressive, par la plupart d es Etats côtiers, d’une zone économique exclusive

et, par conséquent, avec la gé néralisation de l’adoption d’une frontière maritime unique, la

45
préférence devrait aller à des critères neutres :

«[C]’est donc vers une application au ca s présent de critères relevant surtout de

la géographie qu'elle estime devoir s'orienter. Et il est évident que, par géographie, il
faut entendre ici essentiellement la géographi e des côtes, qui comporte avant tout un
aspect physique, auquel s’ajoute, à titre complémentaire, un aspect politique.»

(Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine
(Canada/Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 327, par. 195.)

22. Il n’y a en l’espèce aucune circonstance, telle qu’une disparité marquée entre les

longueurs des côtes pertinentes des Parties ou la présence d’îles, qui justifie l’ajustement de la ligne

d’équidistance. En réalité, la géographie d es côtes du Pérou du Chili qui bordent la zone à

délimiter est encore plus simple que celle des Parties dans les affaires Cameroun c. Nigeria ou

Roumanie c. Ukraine, où la Cour avait conclu à l’absence de facteurs nécessitant l’ajustement de la
41
46
ligne d’équidistance . Et une fois de plus, je dira i pour résumer que ses caractéristiques

géographiques font de la présente espèce un exemple parfait de situation où la ligne d’équidistance

elle-même produit un résultat éminemment équitable.

23. La particularité géographique en l’espèce ti ent au changement de direction des côtes qui

s’opère dans le voisinage du point Concordia. Tandis que la côte du Pérou suit une orientation

sud-est/nord-ouest, celle du Chili correspond presque à l’axe géographique nord-sud. Mais la ligne

d’équidistance tient compte de ce facteur. La délimitation entre Etats voisins implique toujours une

certaine part d’amputation ou d’empiètement, dans la mesure où aucune partie ne peut bénéficier,

sur une distance de 200 milles de sa côte, des droits illimités auxquels elle pourrait prétendre si elle

n’avait pas de voisin. En l’espèce, l’application de la méthode de l’équidistance tient compte de

cet effet d’amputation d’une manière équitable et équilibrée.

45
Délimitation de la frontière maritime dans la régidu golfe du Maine (Canada/Etats-Unis d’Amérique),
arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 327, par. 195) C.I.J. Recueil 1984, p. 237, par. 195
46Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun le Nigéria (Cameroun c.Nigéria; Guinée équatoriale
(intervenant)), arrêt, C.I.J.Recueil2002 , p.445-446, par.29Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c.
Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 117-118, par. 168. - 32 -

[Projection de la figure 6.8 (figure de droite uniquement) du mémoire du Pérou.]

24. Si la Cour observe la carte actuellement projetée à l’écran (qui se trouve également sous
o
l’onglet n 8 du dossier de plaidoiries), elle pourra cons tater que, sur la base de la projection des

façades côtières des Parties, la ligne d’équidistance permet d’obtenir un effet d’amputation

équilibré pour les deux Parties. Par exemple, la di stance entre VilaVila, v ille située sur la côte

péruvienne, et la ligne d’équidistance, mesurée pe rpendiculairement à la di rection générale de la

côte, est de 51 milles marins. La distance entre le point correspondant sur la côte chilienne, au sud

du point terminal de la frontière terrestre, et le même point sur la ligne d’équidistance est de

50.6milles marins. De même, la distance entre la v ille d’Ilo, sur la côte péruvienne, et la ligne

d’équidistance est de 168.7milles marins, alor s que 170.8milles marins séparent le point

correspondant sur la côte chilienne du même point su r la ligne d’équidistance, et ainsi de suite,

comme on peut le voir sur la carte.

25. Comme l’a fait observer M.Weil dans son ouvrage, Les perspectives du droit de la

délimitation maritime , sauf dans des situati ons particulières qui a ppellent une correction,

«l’équidistance permet de tenir la frontière à la distance maximale de chacun des Etats et d’éviter

ainsi toute amputation excessive de leurs projections maritimes» 4.

42 26. Et c’est précisément le résultat auquel conduit l’application de la ligne d’équidistance en

l’espèce, la situation dont il s’agit. La ligne d’équidistance aboutit en soi à un résultat équitable

sans qu’il soit nécessaire de procéder à un ajustement. Par ailleurs, il n’existe pas d’autres facteurs

pertinents qui justifieraient que la Cour déplace la ligne d’équidistance provisoire, comme cela a pu

être envisagé et le plus souvent rejeté dans d’autres affaires.

[Projection de la figure 6.7 du mémoire du Pérou.]

27. Le caractère équitable de la ligne d’équidistance me semble également confirmé par la

comparaison du résultat de son application avec ce lui que l’on obtiendrait par la méthode de la

bissectrice des côtes, qui repose sur la directi on générale des côtes des Parties. Comme vous

pouvez le voir sur la carte actuellement projetée à l’écran, en réalité, la ligne bissectrice suit de très

près le tracé de la ligne de l’équidistance, ce qui n’est pas surprenant étant donné le caractère

47
Prosper Weil, Perspectives du droit de la délimitation maritime, Pedone, Paris, 1988, p. 66. - 33 -

relativement régulier de la côte, et confirme donc le caractère équitable d’une frontière

correspondant à la ligne d’équidistance.

Vérification de l’absence de disproportion

28. Voilà, Monsieur le président, qui m’amène à la dernière partie de mon exposé, dans

laquelle je voudrais aborder la troi sième étape, la vérification de l’absence de disproportion. J’en

aurais pour six ou sept minutes, mais je suis à votre disposition.

Le PRESIDENT : Vous pouvez poursuivre votre exposé.

M. BUNDY : Je vous remercie. Comme je l’ai dit, j’en viens à présent à la troisième étape

du processus de délimitation : la vérification de l’ absence de disproportion. Sur ce point, la Cour

s’est systématiquement dite d’avis que la propor tionnalité, prise au sens d’un simple partage de la

zone litigieuse en proportion de l’étendue respective des côtes des Parties, ne constituait pas en soi

une méthode de délimitation 48. Au contraire, la proportionnalité (ou absence de disproportion) est

un critère ex post facto, en d’autres termes, un moyen de vérifier l’équité du résultat obtenu par

d’autres moyens 4. Ainsi que la Cour l’a fait observer dans son arrêt en l’affaire de la Mer Noire,

elle se tourne vers ce critère pour s’assurer «que le résultat auquel elle est parvenue jusqu’à présent

concernant la ligne de délimitation envisagée n’en traîne pas de disproportion marquée entre les

43
longueurs respectives des côtes et les es paces répartis par ladite ligne» ( Délimitation maritime en

mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 129, par. 210 ; Différend territorial

et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt du 19 novembre 2012, par. 240).

29. Ce critère est systématiquement appliqué lorsque la délimitation concerne des Etats dont

les côtes sont adjacentes, et lorsque la zone à délimiter peut être définie avec une précision

raisonnable sans empiéter sur les espaces auxquels pe uvent prétendre des Etats tiers. Tel était le

cas dans l’affaire Tunisie/Lybie, dans l’affaire de la Mer Noire , où ce critère a également été

appliqué, ainsi que dans l’affaire Bangladesh/Myanmar, tranchée par le TIDM plus tôt cette année,

et, bien évidemment, dans la récente affaire Nicaragua c. Colombie. Dans chaque cas, le critère de

48Délimitation de la frontière maritime dans la ron du golfe du Maine (Canada/Etats-Unis d’Amérique) ,
arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 323, par. 185.
49
Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 49, par. 66. - 34 -

l’absence de disproportion a été appliqué pour vérifier que la frontière obtenue par d’autres moyens

aboutissait à un résultat équitable et non «disproportionné».

30. En l’espèce, la géographie côtière des Parties est telle que le critère de l’absence de

disproportion non seulement peut être appliqué aisém ent, mais devrait l’être pour vérifier l’équité

de la ligne revendiquée par chaque Partie. La délimitation concer ne des Etats dont les côtes sont

adjacentes ; elle est restreinte à une zone bien dé finie du littoral occidental de l’Amérique du Sud,

où la zone à délimiter peut être définie avec une grande précision; et cette zone n’est pas bordée

par des Etats tiers dont les intérêts pourraient être t ouchés par la décision de la Cour. Le critère de

la proportionnalité ou d’absence de disproportion convient parfaitement dans de telles situations.

o
[Projection de la figure n 6.9 du mémoire du Pérou.]
o
31. La figure à l’écran, qui se trouve sous l’onglet n 10 du dossier de plaidoiries, représente

la frontière obtenue sur la base de l’équidistance. La zone à délimiter apparaît en violet clair.

Comme je l’ai expliqué, il s’agit de la zone de chevauchement des espaces auxquels peuvent

prétendre les Parties sur une distance de 200 milles marins. Les côtes pertinentes sont celles que je

viens de décrire. Mesurée en ligne droite comme façadecôtière, la côte pertinente de chaque

Partie, de part et d’autre du point Concordia, fait 200milles de long, d’où un rapport de un

contreun. Si, par ailleurs, on mesure ces côtes en tenant compte de leurs sinuosités, les chiffres

sont légèrement différents. La côte pertinente du Pérou fait 475 k ilomètres de long, celle du Chili,

446kilomètres, d’où un rapport entre les côtes de1,06 contre1, qui favorise très légèrement le

Pérou.

32. Comme vous pouvez le voir sur la carte à l’écran, la ligne d’équidistance divise la zone

pertinente en deux parties, dans un rapport de1,06 contre1. Il ne s’agissait pas de justifier un

44 résultat fixé d’avance, mais bien du produit de la géographie, en raison de la simplicité de la

configuration des côtes des Parties. Et la diffé rence que représente ce rapport de 1,06 contre 1 est

négligeable. Selon moi, il est évident qu’une lig ne d’équidistance satisfait sans conteste au critère

de l’absence de disproportion et produit un résultat équitable. - 35 -

Conclusions

33. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, ce qui frappe le plus dans les

écritures du Chili, c’est que ce dernie r ne conteste pas ce que je vien s d’exposer. Il n’a pas mis en

doute l’analyse faite par le Pérou des principes et règles de la déli mitation maritime qui

s’appliquent en vertu du droit international coutum ier. Il n’a exprimé aucune objection contre la

description qu’a faite le Pérou des côtes pertinentes et de la zone à délimiter. Il n’a rien dit de la

façon dont le Pérou a calculé la ligne d’équidistance; et il n’ a pas non plus contredit la

démonstration faite par le Pérou qu’il n’exis tait pas de circonstances pertinentes exigeant

l’ajustement de cette ligne. En outre, il n’a pas essayé de faire valoir que la ligne d’équidistance ne

satisfaisait pas au critère de l’absence de dispr oportion ni qu’elle n’aboutissait pas à une solution

équitable.

34. L’ensemble de la thèse du Chili repose sur l’hypothèse selon laquelle les Parties ont déjà,

dans le cadre de la déclaration de Santiago de1952, délimité leur frontière maritime le long d’un

parallèle. Mes collègues établiront que ce n’est tout simplement pas le cas.

35. Mais j’ajouterais que si la théorie chilienne d’une frontière préexistante entre les Parties,

délimitant à la fois les fonds marins et le sous-sol et la colonne d’eau, est infondée, et c’est bien le

cas, le Chili n’a proposé aucune solution de rechange à la Cour.

36. Il ne fait guère de doute que cela traduit une stratégie judiciaire délibérée de la part de la

Partie adverse. Le Chili ne veut pas s’opposer au Pérou sur les points que j’ai évoqués parce qu’il

ne veut pas prendre le risque de recentrer l’attention sur les véritables problèmes qui se posent en

l’espèce, de peur que cela relègue au second plan son argument unique et erroné fondé sur la

préexistence d’une frontière. Ce choix lui appar tient. Mais, parallèlement, le Chili a tout à fait

conscience qu’une ligne d’équidistance produit de toute évidence un résultat équitable entre les

côtes pertinentes des Parties, alors que ce n’est assurément pas le cas du parallèle qu’il revendique

pour frontière. M. Pellet reviendra demain sur ce point.

45 37. Monsieur le président, Mesdames et Messieu rs de la Cour, ayant démontré le bien-fondé

de la ligne de délimitation proposée par le Pérou, je vous remercie pour votre attention et votre

patience, et vous invite à donner la parole à M.Tr eves, qui, après la pause habituelle, poursuivra

l’exposé du Pérou. Je vous remercie. - 36 -

Le PRESIDENT : Merci. L’audience est suspendue pour vingt minutes. Nous reprendrons à

17 heures précises.

L’audience est suspendue de 16 h 40 à 17 h 5.

Le PRESIDENT: Veuillez vous asseoir. La séance est rouverte et j’appelle à la barre

M. Tullio Treves. Vous avez la parole, Monsieur.

M. TREVES :

H ISTORIQUE

Introduction

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est pour moi un grand

honneur, après une vingtaine d’années, d’intervenir à nouveau devant cette illustre juridiction.

C’est grâce au Gouvernement péruvien, auquel je tiens à exprimer toute ma reconnaissance, qu’il

m’est donné de le faire.

2. Certains des principaux documents juridiqu es dont le Chili affirme qu’ils sont pertinents

en la présente espèce remontent à une soixantaine d’années, ce qui est le cas de la déclaration de

Santiago, ou sont même plus anciens, comme les proclamations de 1947 par lesquelles le Pérou et

le Chili ont revendiqué des zones maritimes d’une largeur de 200milles marins. Comme mes

collègues l’expliqueront plus en détail, ces instru ments, considérés séparément ou ensemble, n’ont

en aucune façon valeur d’accord international de délimitation maritime.

3. A l’époque où ces textes ont été adoptés, le dr oit international de la mer était fort différent

de ce qu’il est aujourd’hui. Au cours des soixante dernières années, les Nations Unies ont consacré

trois conférences au droit de la mer, la jurisprudence en matière maritime de la Cour internationale

de Justice et des juridictions arbitrales s’est enrichie, tandis que la pratique des Etats se

développaient considérablement et que se multipliaient les études consacrées au droit de la mer.

46 4. Pour interpréter convenablement ces documents, il est indispensable d’opérer un retour en

arrière et de les considérer dans le contexte de ce qu’étaient le droit et les politiques de la mer

durant la décennie qui a suivi la seconde guerre mondiale.

5. Pareille démarche est conforme à la doct rine du droit intertemporel, souvent invoquée par

la Cour, par exemple dans son arrê t du 19 décembre 1978 en l’affaire du Plateau continental de la - 37 -

mer Egée (Grèce c.Turquie) 50, ainsi que par les tribunaux arbitraux, qui ont suivi le dictum bien

51
connu de Max Huber en l’affaire de l’île de Palmas .

6. Mon propos n’est certes pas de disserter de vant la Cour sur des questions d’intérêt

purement historique. C’est parce que le Chili prét end interpréter des documents qui remontent au

milieu du siècle dernier à la lumière du droit intern ational de la mer sous sa forme contemporaine

que je fais ce retour sur le passé et me permets de rappeler à la Cour ce qu’était le droit de la mer

au milieu du vingtième siècle. Ce rappel permettra de mieux comprendre quelles étaient les

positions des Etats d’Amérique du Sud riverains du P acifique avant l’adoption de la déclaration de

Santiago de 1952, et de mieux cerner le sens qu’il convient d’attribuer aux documents auxquels ces

Etats ont souscrit.

7. Après ce rappel, il apparaîtra évident à la Cour qu’il eût été extraordinaire, dans le

contexte de 1952, que le Pérou et le Chili, co mme celui-ci le prétend aujourd’hui, concluent un

accord contraignant de délimitation maritime qui aurait défini une frontière maritime à vocation

générale coïncidant avec un para llèle, frontière dont le tracé serait très inéquitable pour l’une des

Parties, comme le démontrera demain le professeur Pellet.

Le droit international de la mer dans les années 1947-1952

8. Le droit international de la mer, tel qu’ il se présentait en 1947, lorsque le Chili et le Pérou

ont revendiqué par proclamation une zone maritime de 200 milles marins, ou en 1952, lorsqu’avec

l’Equateur, ils ont signé la déclaration de San tiago, peut être qualifié de droit de la mer

«traditionnel». Il s’agissait du droit de la mer is su des tentatives de codification faites sous les

auspices de la Société des Nations, qui étaient restées inabouties, et de s travaux doctrinant qui

avaient suivi, en particulier ceux de Gilbert Gide l, consignés dans un ouvrage monumental intitulé

«Le droit international public de la mer» (1932-1934), qui a eu un grand retentissement.

47 Cependant, une évolution se dessin ait, amorcée par la publication, le 28septembre1945, de deux

proclamations d’Harry Truman, président des Etats-Unis.

50
Plateau continental de la mer Egée (Grèce c. Turquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1978, p. 32, par. 75.
51 Island of Palmas case (Netherlandsv. United States), 4 avril 1928, Nations Unies, Recueil des sentences
arbitrales (RSA) , vol.II, p.845; voir éement l’affaire de laDélimitation maritime entre la Guinée-Bissau et le
Sénégal (Guinée-Bissau c. Sénégal), Nations Unies, RSA, vol. 20, p. 151, par. 85. - 38 -

Le droit de la mer traditionnel

9. Place à part étant faite pour le régime des eaux intérieures, le droit de la mer «traditionnel»

était fondé sur la reconnaissance de deux zones mar itimes distinctes: la mer territoriale, étroite

bande de mer adjacente à la côte dont la largeur n’ avait pas été universellement définie, et la haute

mer. Sous réserve de certaines restrictions e xpresses, les Etats avaient souveraineté sur la mer

territoriale, comme l’Institut de droit international l’avait spécifié dès 1928 à l’article premier de sa

résolution de Stockholm sur la mer territoriale.

10. Quant au régime de la haute mer, il relevait du principe de la liberté de tous les Etats.

11. Les Etats côtiers se voyaient néanmoins r econnaître certains droits fonctionnels au-delà

des limites de leur mer territoriale. Il s’agissa it du droit de poursuite et du droit de prendre des

mesures d’exécution, notamment pour assurer le resp ect de la réglementation douanière, dans une

zone étroite contiguë à la mer territoriale, dont la définition serait plus tard codifiée dans la

convention de Genève sur la mer territoriale et la zone contiguë de 1958.

12. Il ne fait toutefois aucun doute que les zones où pouvaient s’exercer ces droits

fonctionnels continuaient de faire partie de la haute mer. Il était clair également que les droits

exercés dans la zone contiguë ne s’étendaient pas aux pêcheries, comme Gidel avait pris soin de le

52 53
préciser , suivi plus tard en cela par Garcia Amador , juriste et diplomate cubain, à la lumière de

l’évolution observée jusqu’à la conférence de Genève de 1958.

13. Dès les années1930, certains Etats s’ét aient rendu compte que l’exercice de la

souveraineté sur la mer territoriale ne suffisa it pas à assurer la conservation des ressources

halieutiques des zones adjacentes à celle-ci. Toutef ois, nombre de juristes considéraient qu’il était

peu souhaitable de s’en remettre à cet égard à des décisions unilaté rales des Etats côtiers. Selon

Gidel, le faire risquerait de conduire à l’adoption de mesures «outrancières» et «arbitraires» 54.

52
Gilbert Gidel, Le droit international public de la mer, Vol. III, «La mer territoriale et la zone contiguë», Paris,
Recueil Sirey, 1934, p. 473.
53
Garcia Amador, The Exploitation and Conservation of the Resources of the Sea, 1959, p. 65.
54Gilbert Gidel, Le droit international public de la mer, Vol. III, p. 468. - 39 -

Les proclamations Truman
55
14. Les proclamations Truman de 1945 ont marqué un tournant.

48 15. Aux termes de la proclamation Truman su r le plateau continental (voir l’onglet n o11 du

dossier des juges), le Gouvernement des Etats-Unis considérait les ressources naturelles des fonds

marins et du sous-sol de la par tie du plateau continental contiguë aux côtes des Etats-Unis qui est

recouverte par la haute mer comme «appartenant» aux Etats-Unis, et soumise à sa compétence et

son autorité. Cette revendication d’exclusivité allait au-delà de ce qui était jusqu’alors admis en

droit international.

16. En revanche, la proclamationTruman sur les pêcheries côtières, bien que posant qu’il

était «urgent» de conserver les ressources halieuti ques des parties de la haute mer contiguës aux

côtes des Etats-Unis, restait beaucoup plus proches du droit international traditionnel. La

revendication d’exclusivité se limitait en effet à la réglementation et au contrôle. Elle ne s’étendait

pas aux ressources elles-mêmes.

17. Les deux proclamations soulignaient «l’a ppartenance à la haute mer», respectivement,

des eaux recouvrant le plateau continental, et d es «zones de conservation», et elles spécifiaient

qu’elles étaient sans effet sur le «droit de navi gation libre et sans entrave» dans les zones

considérées.

Les revendications des Etats d’Amérique latine

18. Les Etats latino-américains ont d’abord accueilli favorablement les deux

proclamations Truman, considérant qu’elles ouvraien t la voie à l’extension par les Etats côtiers du

contrôle et de la protection qu’ils pouvaient exercer sur les ressources de la mer adjacente.

Toutefois, ces Etats se sont vite rendu compte que les régimes particuliers institués par ces

proclamations, essentiellement pour les ressources minérales du plateau et pour les ressources

biologiques des eaux adjacentes aux côtes, étaient déséquilibrés et conçus en fonction des besoins

des Etats-Unis, pays doté d’un vaste plateau c ontinental et exerçant d’importantes activités de

pêche le long des côtes d’autres Etats (latino-américains en particulier).

55
MP, annexe 88. - 40 -

56
19. Les Etats d’Amérique latine pourvus d’un plateau continental, comme l’Argentine et le

Mexique 57, ont rapidement suivi l’exemple des Etats-Un is et proclamé leurs droits souverains sur

ce plateau. Ils ont aussi proclamé des dro its analogues sur les eaux recouvrant le plateau

continental. Ces proclamations procédaient de la notion de «mer épicontinentale».

20. Les Etats latino-américains riverains du Pacifique n’ont pas de plateau continental

étendu, les fonds marins, au large de leurs côt es, descendant en pente raide jusqu’aux plaines

abyssales. Lorsque les revendications concernant le plateau continental et ses ressources se sont

49 multipliées, ces Etats ont eu le sentiment d’être victimes d’une injustice du fait que leur situation

les privait de la possibilité d’exploiter des re ssources minérales. Estimant avoir droit à une

compensation qui redresserait cette injustice, ils s’attachèrent d’urgence à préserver les richesses

biologiques de la mer adjacente à leurs côtes des pratiques abusives des baleiniers et des navires de

pêche étrangers, dont le rayon d’action s’était ét endu vers le sud après la publication de la

proclamation Truman sur les pêcheries côtières. Comme l’a expliqué M.AlbertoUlloa, juriste

péruvien bien connu (chef de la délégation péruvienne à la c onférence de Santiago de1952, puis

chef de la délégation péruvienne à la conférence de Genève de 1958), la revendication par le Pérou,

le Chili et l’Equateur d’une zone de 200 milles ma rins établissant une norme qui était «juste parce

que compensant, pour les pays dépourvus de plateau continental, ce que les pays qui en ont un sont

en mesure de recevoir et d’exploiter» 58[traduction du Greffe].

La déclaration de Santiago de 1952

21. Les principaux facteurs qui ont motivé les proclamations émises en 1947 par le Chili et le

Pérou et l’adoption de la déclaration de Santiago de 1952 étaient la nécessité de réagir à la chasse

intensive pratiquée par des baleinie rs étrangers et à l’intensifica tion de la pêche par des navires

étrangers dans les eaux adjacentes aux côtes chiliennes et péruviennes, ainsi que le fait que les deux

Etats n’étaient pas satisfaits de la convention in ternationale de1946 sur la chasse à la baleine,

56 Décret n 14708 du 11octobre1946 relatif à la souveraineté nationale sur la mer épicontinentale et le plateau
continental de l’Argentine, MP, annexe 90.

57 Déclaration présidentielle du 29 octobre 1945 relative au plateau continental, MP, annexe 89.

58 AlbertoUlloa, Derecho internacional público , vol.I, 4 éd., 1957, p.565. Le te xte original espagnol se lit
comme suit : «Norma justa porque representa la compensación para los paises que no tienen Plataforma de lo que reciben
y usan los paises que tienen Plataforma». - 41 -

qu’ils avaient signée, mais décidé de ne pas ra tifier après avoir constaté qu’elle avantageait les

principales puissances pratiquant la chasse à la bale ine, au détriment de leurs propres industries

59
baleinières . Comme l’a dit M. Ulloa devant la première commission de la conférence de Genève,

la déclaration de Santiago avait «un caractère défens if et n’a[vait] d’autre but que la conservation

60
des ressources biologiques de la mer» .

Une terminologie et des concepts incertains

22. Les termes et les concepts mêmes employés pour exprimer les revendications d’une zone

de 200 milles marins étaient incertains et variables. On ne saurait leur attribuer le sens précis que

le droit international de la mer leur donne aujourd’hui, après deux entreprises majeures de

codification.

23. Dans le contexte des proclamations et de la déclaration de Santiago, le terme

«souveraineté» était entendu par les représentants du Chili et du Pérou à la conférence de Genève

50 comme ne signifiant rien d’autre que des droits sur les ressources. A propos de ce terme,

M. Gutierrez Olivos, représentant du Chili, notait que «la terminologie dont on se ser[vait] en droit

61
international n’[étai]t pas uniforme» . Ses propres interventions illustrent d’ailleurs ce manque

d’uniformité. Dans l’intervention dont est extra ite la citation qui précède, il faisait mention non

seulement de «droits souverains s’exerçant à des fins déterminé es», mais aussi de «souveraineté

limitée sur une zone de 200milles» , tandis que dans une autre interv ention, il parlait de «droits

souverains … à l’effet d’assurer la protection des ressources biologiques du Pacifique Sud» 62.

Pour sa part, M. Garcia Sayan, représentant du Pérou à la conférence de Genève de 1958 (et ancien

ministre des affaires étrangères) expliquait que «la notion de souve raineté qui figur[ait] dans les

proclamations du Pérou et des autres Etats… n’a[vait] pas une signification absolue et

s’identifi[ait] en réalité avec des notions de juridic tion et de contrôle qui a pparaiss[ai]ent dans la

63
proclamation faite par le président Truman en 1945» .

59MP, par. 4.43.
60
Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer, Documents officiels, vol. III, Première Commission, p. 7 ;
MP, annexe 100.
61
Ibid., p. 37.
62Ibid., p. 169.

63MP, annexe 101. - 42 -

24. Les instructions données par le ministre pé ruvien des affaires étrangères aux fins de la

signature de la déclaration de Sa ntiago sont particulièrement pert inentes. Le ministre y indiquait

clairement que les mesures donnant effet à la d éclaration de Santiago seraient prises «sans

64
impliquer l’exercice plein et entier de la souveraineté» .

25. Egalement, la terminologie employée dans les dispositions relatives à la protection des

droits de navigation dans la zone des 200 milles n’est pas la même dans les proclamations de 1947

et dans la déclaration de Santiago. Dans le s premières, il est question des «droits de libre

navigation en haute mer» (Chili) et du «droit de libre navigation des navires quel que soit leur

pavillon» (Pérou), alors que la déclaration de Santiago fait mention du «passage inoffensif des

navires de toutes les nations».

26. Compte tenu du manque d’uniformité de la terminologie employée à l’époque, on ne

saurait interpréter valablement la déclaration de Santiago en retena nt la signification actuelle des

concepts du droit international de la mer. Consid érer que les signataires de la déclaration, parce

que celle-ci fait mention du passage inoffensif, entendaient assimiler la zone maritime des

200milles à une mer territoriale serait une erreur doublée d’un anachronisme. D’ailleurs, telle

n’était pas l’interprétation que les signataires donna ient eux-mêmes de la déclaration. On le

constate clairement à la lecture des réponses co mmunes qu’ils ont décidé de faire en1955 aux

objections élevées par les Etats-Unis et le Royaume- Uni au sujet de la déclaration de Santiago.

L’Equateur, le Chili et le Pérou indiquaient dans ces réponses que la déclaration de Santiago était

«motivée de façon précise et bien définie par un s ouci de conservation et d’utilisation prudente des

51 ressources naturelles», et qu’elle sauvegardait «l’intérêt légitime que d’autres Etats pouvaient avoir

65
pour la navigation et le commerce» .

27. Dans une déclaration faite en 1960 à la fi n de la deuxième conférence des Nations Unies

sur le droit de la mer, le chef de la délégati on péruvienne, s’exprimant au sujet de l’échec de la

conférence, a confirmé que le régime établi par le Pérou demeurait en vigueur «avec ses

caractéristiques essentielles, à savoir de ne pas gêne r la navigation maritime et aérienne à des fins

64
MP, annexe 91.
65
Ibid., par. 4.108 et annexe 58, par. d). - 43 -

légitimes et de ne pas faire de distinction entre les pêcheurs étrangers qui se soumett[ai]ent à ces

mesures de règlement et de contrôle» . 66

Les prétentions à un espace de 200 milles marins et le droit international de l’époque

28. Lorsqu’ils ont adopté leurs proclamations et la déclaration de Santiago, le Chili, le Pérou

et l’Equateur étaient parfaitement conscients que leurs revendications ne cadraient pas avec les

règles établies du droit international de l’époque . Leur but était d’ouvrir une nouvelle voie,

d’engager un processus qui —ils l’espéraient tous les trois—, conduirait in fine à la

reconnaissance générale des droits inédits qu’ils revendiquaient. Les protestations vigoureuses

émises en 1948 par le Royaume-Uni et les Etats-Unis 67montrent que ces deux Etats considéraient

les revendications de 1947 comme allant au-delà de ce qui était autorisé par le droit international.

La Cour internationale de Justice a elle-même ré cemment confirmé cette analyse de la situation à

l’époque, lorsqu’elle a déclaré en l’affaire Roumanie c. Ukraine que, en 1949, «[la notion] de zone

économique exclusive … allait encore mettre de longues années à s’imposer en droit international»

(Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil2009 , p.87,

par. 70).

29. A l’époque de la conférence de Genève de1958, les Etats sud-américains riverains du

Pacifique savaient que leurs revendications ne cad raient toujours pas avec les règles du droit

international. S’adressant à la conférence, le re présentant du Pérou, M.Ulloa, constata que la

Commission du droit international ne s’était pas ralliée aux «nouveaux principes» énoncés par les

pays sud-américains et qu’il «se passera[it] beau coup de temps encore avant que ces principes [ne]

68
soient intégrés au droit international, lequel n’évolu[ait] que lentement» .

52 30. De la même manière, dans la déclaration conjointe qu’ils présentèrent le 27avril1958,

dernier jour de la conférence, les chefs des dé légations chilienne, équatorienne et péruvienne

reconnurent que les positions défendues par leur s pays ne correspondaient pas à ce qui était

69
acceptable aux yeux des Etats participant à la conférence .

66 MP, annexe 103.
67
Ibid., annexes 61 et 62
68
Ibid., annexe 100.
69 Ibid., annexe 102. - 44 -

31. Les conclusions que nous pouvons tirer des revendications formulées par le Chili,

l’Equateur et le Pérou sur un espace mariti me de 200milles marins, à une époque où la

terminologie et les concepts étaient encore imprécis et où l’évolution du droit demeurait incertaine,

sont les suivantes :

a) les trois Etats revendiquaient de nouveaux droits sur les ressources biologiques dans la

haute mer adjacente à leurs côtes ;

b) ces droits n’étaient pas de nature à établir une mer territoriale de 200 milles marins ;

c) ces revendications ne portaient pas atteinte à la liberté de navigation ;

d) ces droits étaient revendiqués en sachant qu’ ils ne cadraient pas avec les règles du droit

coutumier telles qu’elles existaient à l’époque.

Délimitation maritime

32. Monsieur le président, Mesdames et Messi eurs de la Cour, c’est à la lumière de ces

éléments que nous devons examiner la question de la délimitation.

33. Dans les années1930, les Etats n’attachaient pas tant d’importance aux questions de

délimitation, nonobstant le précédent constitué par l’arbitrage en l’ Affaire des Grisbadarna 70. La

question de la délimitation latérale de la mer territoriale fut abordée dans le cadre des discussions

ayant précédé la conférence pour la codification du dr oit international de 1930, mais elle ne faisait

pas partie des «bases de discussion» de la conférence.

34. Les observations qui suivent donnent une idée de ce qu’était le droit international en

matière de délimitation à l’époque de la déclara tion de Santiago. Les conclusions auxquelles nous

parviendrons sur ce point montreront clairement que cette déclaration peut difficilement être

interprétée comme signifiant que ses signataires s’étaient implicitement entendus, comme le

prétend le Chili, sur une ligne de délimitation coïncidant avec le parallèle.

35. En 1952, la pratique consistant à re vendiquer des zones maritimes étendues au-delà des

limites de la mer territoriale commençait à peine à vo ir le jour. Comme la Cour internationale de

53 Justice l’a fait observer dans les affaires du Plateau continental de la mer du Nord , à l’époque,

«s’agissant de la délimitation, le grand problème n’était pas celui des limites entre Etats mais celui

70
Nations Unies, RSA (Norvège/ Suède), 23 octobre 1909, vol. XI, p. 155. - 45 -

de la limite vers le large de l’étendue sur laque lle l’Etat riverain p[ouvai]t revendiquer des droits

d’exploitation exclusifs» (Plateau continental de la mer du Nord, arrêt, C.I.J. Recueil 1969 , p. 33,

par. 48).

36. A l’époque de la déclaration de Santiago, il n’existait pas vraiment de précédents en

matière de délimitation d’espaces maritimes au-del à de la mer territoriale. Deux documents

peuvent néanmoins être cités, l’un étant un accord bi latéral et l’autre, une proclamation unilatérale.

Il convient de souligner qu’aucun des deux ne fait référence à une zone de 200 milles marins.

37. Le premier est le traité de1942 conclu entre le Royaume-Uni et le Venezuela aux fins

d’«établir et [de] définir entre eux les inté rêts respectifs des deux pays dans les régions

71
sous-marines du golfe de Paria» situé entre Trinité-et-Tobago et le Venezuela . (Voir

l’onglet no 12 dans le dossier des juges.)

38. Ce traité anglo-vénézuélie n fut le premier traité portant sur les fonds marins et leur

sous-sol au-delà de la mer territoriale (dont la larg eur était à l’époque de 3 milles marins). Il avait

pour but de définir les intérêts respectifs des partie s contractantes dans le golfe de Paria riche en

hydrocarbures. Chacun des deux Etats s’engageait à ne «faire valoir aucun droit de souveraineté ou

de contrôle» sur les fonds marins situés au-delà d’une certaine ligne, et à reconnaître les droits

souverains licitement acquis par l’autre, ou qui pou rraient l’être à l’aven ir, sur lesdites régions

sous-marines. La ligne ainsi établie produisait des effets comparables à ceux d’une ligne de

délimitation, mais valait exclusivement pour les fonds marins ; en aucun cas, elle ne constituait une

frontière à vocation générale, puis que la notion de délimitation à vocation générale n’est apparue

que plus tard, lorsque la notion de zone économique exclusive est devenue communément admise.

39. La méthode retenue pour tracer cette ligne n’était pas précisée. Cependant, j’invite

o
respectueusement la Cour à regarder la carte qui apparaît à l’écran et à se reporter à l’onglet n 13

du dossier des juges, où sont figurées la ligne effectivement convenue entre les parties dans le golfe

de Paria (segment de droite A-B) et la ligne hypothétique d’équidistance. On constate que la droite

qui relie les pointsA etB laisse à Trinité-et- Tobago une zone relativem ent étendue, àl’est, qui

aurait dû revenir au Venezuela selon le principe de l’équidistance et, de la même manière, laisse au

71Traité entre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d ’Irlande du Nord et les Etats-Unis de Venezuela relatif
aux régions sous-marines du golfe de Paria, signé à Caracas (Venezuela) le 26 février 1942, Société des Nations, Recueil
des traités, vol. 205, p. 122. - 46 -

Venezuela une zone plus ou moins équivalente, àl’ouest, qui, selon ce même principe, aurait dû

54 revenir à Trinité-et-Tobago. Si les parties ont jugé commode de tracer une ligne droite pour

délimiter la zone en question, elles ont néanmoins pris soin de le faire de manière que la part

dévolue à chacune soit d’une taille comparable à celle qui lui aurait été attribuée en appliquant le

principe de l’équidistance. En effet, elles avaient à cŒur d’opérer un partage des ressources qui

respecte le principe d’égalité et, plus important encore, le principe d’équité.

40. Le second document est la proclamation Trum an de 1945 sur le plateau continental (voir

l’onglet no 11 du dossier des juges) , qui traite de la question de la délimitation, mais uniquement à

propos du plateau continental, et dans laquelle il est dit: «Là où le plateau continental s’étend

jusqu’aux rivages d’un autre Etat, ou est commun à un Etat adjacent, la frontière sera déterminée

par les Etats-Unis et l’Etat intéressé sur la base de l’équité».

41. Il est difficile de conclure sur la base de ces deux documents qu’il existait, en 1952, une

règle de droit international relative à la délimitation du plateau continental ou des espaces

maritimes s’étendant au-delà de la mer territoriale. Il va sans dire que deux précédents, distincts et

isolés, ne sauraient suffire à établir une règle cout umière, et tout particulièrement une règle relative

à des zones maritimes nouvelles qui, comme nous l’ avons déjà indiqué, n’étaient pas considérées

par l’ensemble des Etats comme compatibles avec le droit international général.

42. Quoi qu’il en soit, les documents dont je vi ens de parler ne sont pas sans importance. Ils

montrent la valeur attachée à la notion d’équité. En effet, la proclama tionTruman fait référence

aux principes équitables, et la ligne tracée en ve rtu du traité relatif au golfe de Paria reflète

l’intention des parties de procéder à un partage équitable des ressources.

43. A l’époque de la déclaration de Santiago, et même après, il n’était pas de la première

importance ou de la première urgence pour l es Etats de délimiter leurs espaces maritimes

respectifs. Les Etats-Unis et le Mexique, par exemple, deuxEtats voisins qui avaient proclamé

l’existence de zones maritimes au-delà de leur mer territoriale avant même la déclaration de

Santiago, ont attendu les années1970 pour commen cer à conclure des accords bilatéraux de

72
MP, annexe 88. - 47 -

délimitation, le dernier en date remontant à l’année2000 73. De même, l’attitude du Chili et du

55 Pérou, lors de l’adoption de la déclaration de Santiago, montre clairement que les deuxpays ne

voyaient pas l’urgence ni même la nécessité de définir leurs frontières maritimes latérales.

44. En l’absence d’une règle spécifique de droit international général en matière de

délimitation, les principes généraux du droit international pouvaient trouver à s’appliquer.

45. A l’époque de la déclaration de Santiago, les principes applicables étaient la souveraineté

de l’Etat et l’obligation qui en découle d’éviter d’ empiéter sur la souveraineté de l’Etat voisin.

Procédaient de la notion de souveraineté les dro its de l’Etat sur des espaces maritimes, qu’il

détenait ou dont il pouvait se prévaloir dans l’exer cice de son autorité sur son territoire. Par

conséquent, en1952, les questions de délimitatio n entre Etats ayant des prétentions maritimes

concurrentes devaient être résolues en appliq uant la notion d’extension maximale de la

souveraineté d’un Etat d’une manière qui soit compatible avec l’extension maximale de la

souveraineté de l’Etat voisin.

46. En proclamant, dans la déclaration de Santiago, «la souveraineté et la juridiction

exclusives» de chacun d’eux sur la mer qui baigne les côtes de son pays «jusqu’à 200 milles marins

au moins à partir desdites côtes», en tant que «fondement» de sa politique maritime, les Etats

signataires n’ont pas voulu exprimer autre chose que leur intention d’étendre aussi loin que

possible leur souveraineté et leur juridiction.

47. L’application de ces principes produit grosso modo le même résultat que la méthode de

l’équidistance. Les considérati ons d’équité ont également un rôle important à jouer, comme en

attestent les deux précédents que je viens d’évoquer.

Conclusion

48. On ne saurait prétendre que le double critère de l’extension maximale et de

l’empiètement minimal constituait une règle techni que de délimitation des zones maritimes à une

époque où de telles règles n’existaient pas. En revanche, il relevait du prin cipe juridique qui veut

73Traité visant à résoudre les différends frontaliers pendants et à maintenir le Rio Grande et le fleuve Colorado
en tant que frontière internationale , signé le 23novembre 1970et entré en vigueur le 18 avEchange de notes
constituant un accord relatif aux frontières marit, en date du 24novembre 1976; Traité relatif aux frontières
maritimes (mer des Caraïbes et océan Pacifique) , signé le 4mai 1978 et entré en vigueur le 13novembre 1997; Traité
relatif à la délimitation du plateau con tinental dans la région occidentale du golfe du Mexique au-de là de 200 milles

marins, signé le 9 juin 2000 et entré en vigueur le 17 janvier 2001. - 48 -

que la souveraineté de l’Etat soit compatible avec les relations de bon voisinage. Ce dernier aspect

apparaît d’autant plus pertinent ici que les trois Etats concernés Œuvraient ensemble pour établir et

défendre, face à un monde sceptique et méfiant, une politique maritime entièrement nouvelle.

49. On ne saurait pas davantage prétendr e que, en définissant cette politique, l’une des

parties aurait accepté — ou, pire encore, aurait été perçue comme ayant accepté — une délimitation

manifestement contraire à ses intérêts, telle que ce lle constituée par le parallèle. Cette observation

vaut de manière générale mais aussi dans le cad re particulier de la conférence de Santiago, à

56 laquelle — comme le démontrera M. Lowe — le Pér ou avait été invité pour traiter de la protection

des baleines face à la chasse abusive pratiquée pa r des Etats étrangers. Comment peut-on penser,

dans ce contexte, que le Pérou aurait accepté, sansdébat se rapportant à la question, sans autres

formalités, des limites latérales qui ne satisfaisaient pas au principe de l’extension maximale de la

portée de ses droits souverains et de sa juridi ction d’une manière qui soit compatible avec

l’extension des droits souverains et de la juridiction de ses voisins ?

Je vous remercie Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, de votre patiente

attention. Je vous prierai de donner à présent la parole à sirMichaelWood, prochain orateur à

s’exprimer au nom du Pérou.

Le PRÉSIDENT: Je vous remercie M.Treves pour votre plaidoirie et appelle à la barre

sir Michael Wood. Vous avez la parole, Monsieur.

M. WOOD :

L’ INVOCATION PAR LE C HILI D’ÉVÉNEMENTS ANTÉRIEURS À
LA DÉCLARATION DE S ANTIAGO DE 1952

I. Introduction

1. Merci beaucoup, Monsieur le président. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs

de la Cour, c’est un honneur pour moi que de me présenter devant vous au nom du Pérou.

2. Comme M. Bundy vient de le préciser, la fron tière maritime entre le Pérou et le Chili suit

la ligne d’équidistance en commençant au point terminal de la frontière terrestre et en se

poursuivant sur 200milles marins dans une direct ion sud-ouest. Cette ligne a été établie en - 49 -

appliquant la méthode en trois étapes que la Cour a, encore récemment, exposée dans l’arrêt qu’elle

74
a rendu en l’affaire Nicaragua c. Colombie .

3. Selon le Chili, le pointIV de la déclar ation de Santiago de195 2 constitue cependant, on

ne sait trop comment, un accord portant délimitation d’une frontière maritime internationale, lequel

aurait établi une frontière maritime à vocation générale et permanente entre les deux Etats. Le

Chili s’efforce d’étayer cette affirmation en se référant à différents éléments qu’il considère comme

formant une «pratique». Ainsi que nous le démontrerons, son argumentation n’est tout simplement

pas crédible.

4. Permettez-moi de rappeler brièvement les prescriptions du droit international qui régissent

l’établissement d’une frontière maritime. A cet égard, c’est au Chili qu’il incombe de prouver qu’il

existe un accord portant délimitati on de pareille frontière. Or, dans ce domaine, ainsi que la Cour

75
57 — et, quelques mois auparavant, le Tribunal de Hambourg —, l’ont clairement précisé, la charge

de la preuve est lourde. Selon les term es employés par la Cour dans l’affaire Nicaragua

c. Honduras, «[l’]établissement d’une frontière maritim e permanente est une question de grande

importance, et un accord ne doit pas être présumé facilement» ( Différend territorial et maritime

entre le Nicaragua et le Honduras dans la m er des Caraïbes (Nicaragua c. Honduras), arrêt,

C.I.J. Recueil 2007, p. 735, par. 253; voir également Délimitation maritime en mer Noire

(Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009 , p. 86, par. 68 ; Différend territorial et maritime

(Nicaragua c. Colombie) , arrêt du 19 novembre 2012, par. 219) . Comme M.Lowe l’expliquera

plus tard, on ne saurait, aux fins d’établir une frontière maritime, se c ontenter de prendre des

exemples particuliers de l’exercice, par un gouvernement, de son autorité et affirmer que chacun de

ces exemples doit être pris en compte pour déterminer laquelle des prétentions des deux Etats est la

mieux fondée. Et pourtant, telle est bien l’approc he que le Chili souhaiterait que la Cour suive.

Cette approche est tout à fait erronée. Rien dans les volumineuses écritures du Chili ne tend, d’une

quelconque manière, à attester l’existence d’un accord portant délimitation d’une frontière

maritime obligatoire pour les deux Parties. Le Chili n’est pas parvenu à en établir la preuve.

74
Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, 19 novembre 2012, par. 190-193.
75Délimitation de la frontière maritime dans la baie du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt du 14 mars 2012,
TIDM, par. 95. - 50 -

5. Monsieur le président, au vu de ses écritures, la position du Chili repose entièrement sur la

question de savoir si un accord portant délimitati on d’une frontière maritime internationale entre

les deux Etats est ou non énoncé au pointIV de la déclaration de Santiago de1952 76. M.Lowe

traitera cette question demain matin. Pour ma part, je m’attacherai à présent aux événements

antérieurs à la déclaration de1952 sur lesquels le Chili se fonde. J’examiner ai en particulier les

deux instruments de1947, c’est-à-dire la déclara tion du Chili du 23juin, et le décret présidentiel

péruvien du 1 eraoût. Comme je vais l’expliquer, ces deux instruments ne revêtent pas l’importance

que le Chili cherche à leur prêter.

II. Deux observations d’ordre général

6. Je commencerai par formuler deux observa tions générales. Premièrement, ainsi que

M.Trevez vient de l’indiquer, pour bien compre ndre l’importance des différents instruments et

événements qu’invoque le Chili, il est nécessaire de remonter dans le temps et de les considérer à la

lumière des circonstances qui prévalaient dans les années1940 et au début des années1950. Or,

comme mon collègue l’a précisé, le droit de la mer était, à cette époque, fort différent de ce qu’il

est aujourd’hui. Il n’existait, pour ainsi dire, aucune pratique en matière de délimitation de

frontières maritimes. La doctrine du plateau continental ne faisait pas partie du droit établi. L’idée
58

de zones de 200milles marins, qui commençait à se faire jour sur le continent américain, était

révolutionnaire. Il faudrait encore attendre 25 ans pour qu’elle soit confirmée dans un traité. Aussi

les prétentions formulées par le Chili et le Pérou en 1947 étaient-elles très en avance sur leur temps.

Dès lors, elles étaient nécessairement hypothétiques. Faisant suite à des prétentions formulées par

les Etats-Unis d’Amérique en1945 ⎯les proclamations Truman —, le Mexique, également

en 1945, et l’Argentine en 1946 7, elles ont été formulées en réponse à l’activité accrue de navires

étrangers en matière de pêche et, plus particuliè rement de chasse à la baleine dans le Pacifique

sud-est 7. De plus, ainsi que M.Treves vient de le rappeler, les deux instruments de1947 ont

suscité de vives réactions de la part de certains Etats.

76DC, par. 1.6 et 2.1.
77
MP, par. 4.11-4.44.
78CMC, par. 2.22-2.26. - 51 -

7. J’en viens maintenant à ma deuxième observation d’ordre général. La charge qui pèse sur

le Chili, tandis que celui-ci se démène pour démont rer l’existence d’un accord, est particulièrement

lourde, compte tenu de l’inéquité manifeste et saisissante du parallèle qu’il revendique.

[Projection: croquis montrant le parallèle et les lignes d’équidistance. ] Comme l’expliquera

M. Pellet, même en faisant preuve de beaucoup d’ imagination, un parallèle ne saurait produire une

«solution équitable» entre le Pérou et le Ch ili. Son caractère inéquitable apparaît en effet

clairement d’un simple coup d’Œil à la direction générale des côtes, lesquelles forment un angle

tout à fait apparent à proximité du point terminal de la frontière terrestre : sud-est/nord-ouest en ce

qui concerne la côte du Pérou; nord-sud en ce qui concerne le Chili. Comme vous le voyez à

l’écran, un parallèle aurait un effet d’amputation co nsidérable sur la côte du Pérou, laquelle est

orientée vers le sud-est. [Projection n o4, faisant apparaître les chiffres de proportionnalité.] Cela

conduirait à une division de la zone pertinente da ns une proportion de0.39 pour1 en faveur du

Chili, alors que les côtes pertinentes des Parties sont quasiment de longueur égale. [Projection n o5,

faisant apparaître les chiffres relatifs aux zones.] Histoire de compliquer encore les choses, le

Chili soutient en outre que le Pérou aurait re noncé à une autre zone de plus de 28 000 km 2au sud

du parallèle et en dehors de tout espace a uquel il pourrait prétendre. Il est franchement

inconcevable que, tout en réclamant une nouvelle zone maritime de 200 milles marins, le Pérou ait

renoncé à d’importantes portions de cette même zone. [Fin de projection.]

III. Les arguments du Chili relatifs aux instruments de 1947

8. Monsieur le président, j’en viens maintenant à la déclaration du Chili du 23juin1947 et

er
au décret présidentiel péruvien en date du 1 août. Dans chacun de ces deux cas, le point essentiel

qu’il convient de relever est que l’objectif était d’affirmer son autorité, vis-à-vis du reste du monde,

59
sur une zone maritime s’étendant jusqu’à 20 0millesmarins. Ni la déclaration ni le

décret présidentiel n’avaient pour objet d’établir des frontières latérales entre Etats voisins.

9. Monsieur le président, il n’est pas facile de discerner le rôle précis que jouent les

instruments de1947 dans l’argumentation juridique du Chili. C’est qu’en effet, les arguments du

Chili sont vagues et mouvants. Dans sa duplique, celui-ci soutient que «[l]’importance primordiale

des proclamations de1947 dans la pr ésente affaire tient au fait qu’elles ont préparé la voie à - 52 -

79
l’accord de délimitation maritime entre les Parties» . Ailleurs dans cette même pièce, et de

manière toute aussi vague, il se réfère aux inst ruments de1947 comme étant «la source de la

déclaration de Santiago» 80. Le Chili est même allé jusqu’à avancer que, étant donné que ⎯ comme

il l’affirme ⎯ des frontières latérales ont été unilatéra lement proclamées en1947, «[l]a question

des frontières maritimes latérales pouvait être réglée en termes succincts dans la déclaration de

81
Santiago, et le fut effectivement à cette occasion» .

10. Dans notre réplique, nous nous sommes e fforcés de démêler et de comprendre les

arguments juridiques du Chili relatifs à la pertinence des instruments de1947, et ce, en reprenant

82
les termes même que celui-ci a em ployés dans son contre-mémoire . Malheureusement, le Chili

n’a nullement clarifié sa position dans sa duplique 8, même s’il a au moins reconnu que les

instruments de1947 ne constituaient pas un accord portant délimitation d’une frontière maritime

84
internationale entre le Pérou et le Chili . Sur ce point, les Parties semblent désormais d’accord.

11. Toujours dans sa duplique, le Chili a ce pendant exposé de nouvelles variantes de son

argument fondé sur les documents de1947. Ainsi, il soutient que ceux-ci sont «[p]ertinents en

l’espèce dans la mesure où [ils] constituent des d éclarations unilatérales portant revendication de

zones de 200milles marins» 85. Là encore, le sens précis de cette phrase n’est pas clair. Le Chili

affirme-t-il qu’il s’agissait de déclarations un ilatérales susceptibles de créer des obligations

juridiques? Peut-être bien, puisqu’il poursuit en se référant assez longuement à l’affaire des

Essais nucléaires 86. Mais dans ce cas, quelles sont donc les obligations juridiques que ces

instruments auraient, selon lui, créées ? Ainsi que la Cour l’a indiqué dans ladite affaire, «[q]uand

1’Etat auteur de la déclaration entend être lié conformément à ses termes», cette intention confère à

60 la déclaration le caractère d’un engagement interna tional, 1’Etat intéressé étant alors tenu en droit

de «suivre une ligne de conduite conforme à sa déclaration» (Essais nucléaires (Australie

79DC, par. 2 4

80Ibid., par. 2.5

81CMC, par. 4.57
82
Ibid., par. 1.3, cité dans la RP, par. 3 ; CMC, par. 4.1, cité dans la RP, par. 6.
83
DC, par. 2.3-2.11.
84Ibid., par. 2.3.

85Ibid., par. 2.5.

86Ibid. - 53 -

c. France), C.I.J. Recueil 1974, p. 267, par. 43 ; Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c.France),

C.I.J. Recueil 1974, p. 472, par. 46). La Cour a confirmé ce point dans l’affaire Burkina Faso/Mali

(Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J.Recueil1986 , p.573,

par. 39), dans laquelle elle a relevé que les ci rconstances étaient radicalement différentes de celles

des Essais nucléaires. En effet, «[r]ien ne s’opposait en l’espèce à ce que les Parties manifestent

leur intention de reconnaître [certaines conclusion] par la voie normale: celle d’un accord formel

fondé sur une condition de réciprocité» ( ibid., par. 40). Concernant le décret présidentiel péruvien

de 1947, il n’y avait clairement aucune intention d’être lié vis-à-vis d’un autre Etat. De même, rien

ne s’opposait à ce que les Parties, si elles le souhaitaient, concluent un accord relatif à leur frontière

latérale. Cela concorde d’ailleurs aussi avec la position du Chili lui-même, lequel ne semble pas

soutenir que les instruments de1947 ont établi d es obligations relatives à une frontière latérale 87.

Mais alors, pourquoi le Chili s’est-il référé aux Essais nucléaires ?

12. Toujours dans sa duplique, le Chili avan ce que, en1947, les espaces maritimes des

Parties étaient «contigus, mais ne se chevauchai ent pas», et que «[l]a délimitation des espaces

maritimes générés par les littoraux continentaux constituait donc une opération simple et non

litigieuse lorsqu’elle a été effectuée en1952». Et le Chili de poursuivre en affirmant que «la

délimitation consistait à confirmer la li gne de démarcation des espaces revendiqués

unilatéralement, lesquels ne se chevauchaient pas» 88. Autrement dit, le Chili semble sous-entendre

que, en 1952, les Parties auraient, par une sorte d’accord implicite ⎯ tant il est vrai qu’il n’y a rien

eu d’explicite ⎯ adopté, en tant que frontière maritim e commune, une ligne que chacun d’eux

avait unilatéralement déclarée en 1947. Cet argu ment comporte deux volets, qui sont, l’un comme

l’autre, erronés. Le premier consiste à dire que, en1947, le Pérou et le Chili avaient chacun

déterminé unilatéralement les frontières latérales de leurs zones maritimes respectives. Cela est

tout simplement inexact, et je le démontrerai. Le second volet consiste à dire que, dans la

déclaration de Santiago, le Pérou et le Chili sont convenus d’une frontière maritime internationale

suivant la frontière déterminée unilatéralement. M. Lowe démontrera que cela aussi est inexact.

87
DC, par. 2.5-2.9.
88Ibid., par. 2.4. - 54 -

13. Formulant ainsi une nouvelle variante de son argumentation, le Chili soutient, sans autre

explication, que les instruments de 1947 «constituent les circonstances qui entourent la signature de

la déclaration de Santiago» et la conc lusion de l’accord de1954, circonstances qui ⎯ je cite ⎯
61

«éclairent particulièrement leur interprétation, en conformité avec l’article32 de la convention de

Vienne» .89

[Projection : article 32 de la convention de Vienne.]

14. L’article 32 apparaît à présent à l’écran. Il est reproduit sous l’onglet n o15 du dossier de

plaidoiries, et nous le connaissons tous par cŒur. Dans son contre-mémoire, le Chili ne s’est référé

qu’à la partie de cette disposition qui porte sur le fait de confirmer un sens résultant de l’application

90
de la règle générale d’inte rprétation énoncée à l’article 31 . [L’expression «sens ambigu ou

o
obscur» est surlignée à l’écran (Projection n 8)]. Le Chili n’a pas invoqué l’article32 pour

alléguer que l’interprétation de la déclarati on de1952 selon les règles générales énoncées à

l’article31 laissait le sens ambigu ou obscur. Cela est tout à fait compréhensible. Le Chili peut

difficilement admettre que le sens de la déclar ation de Santiago est ambigu ou obscur, tout en

affirmant que cette déclaration constitue un accord portant délimitation d’une frontière maritime

internationale. [L’expression «manifestement ab surde ou déraisonnable» est surlignée à l’écran

o
(projection n 9)]. De même, le Chili ne semble p as considérer que l’interprétation de la

déclaration de Santiago suivant la règle généra le conduit à «un résultat qui est manifestement

absurde ou déraisonnable». [L’expression «circonstances dans lesquelles le traité a été conclu» est

surlignée à l’écran (projectionn o10)]. Il ne lui reste donc pl us qu’à tenter de recourir aux

instruments de 1947 comme de simples «circonstances dans lesquelles [la déclaration de Santiago]

a été conclu[e]» pour «confirmer» ce qui est, selon lui, le sens de cette déclaration. [Fin de

projection.] Considérer que des instruments data nt de1947 puissent constituer des circonstances

entourant la conclusion d’un instrument adopté cinqan s plus tard est loin d’être évident. Il n’est

pas fait mention de ces instruments dans la déclara tion. De surcroît, le Chili n’explique nullement

comment ceux-ci pourraient servir de base pour interpréter une déclaration qui, après tout, comptait

trois signataires. Or, l’Equateur n’avait adopté aucun instrument équivalent à ceux de 1947.

89
DC, par. 2.12.
90CMC, par. 4.54. - 55 -

15. Monsieur le président, le Chili tente égal ement d’invoquer ce qu’ il qualifie d’exemples

91
antérieurs d’utilisation des parallèles da ns la pratique des Etats américains . Il se réfère ainsi à

deux parallèles de la frontière terrestre entre le Ca nada et les Etats-Unis sur l’Atlantique et le

Pacifique qui ont été utilisés pour définir la zone de neutralité établie en 1939 par la déclaration de

Panama, ainsi qu’à une ligne équatorienne ayant la même fin. [Projection.] Cette zone de

neutralité apparaît à l’écran. Il est tout à fait clai r que les lignes en question n’ont absolument rien

à voir avec des prétentions maritimes. Elles se rapportent à des arrangements d’urgence en matière
62
o
de défense. [Projection n 16: Ligne du golfe du Maine.] Elles ne constituent nullement des

précédents en ce qui concerne la délimitation de z ones de droits souverains et de juridiction entre

Etats. La seule frontière maritime existante entr e le Canada et les Etats-Unis, qui a été déterminée

92
par une chambre de la Cour , ne suit pas, bien évidemment, un quelconque parallèle. [Fin de

projection.]

A. La déclaration du Chili en date du 23 juin 1947

16. Monsieur le président, Mesdames et Messi eurs de la Cour, je voudrais vous parler à

présent du libellé des deux instruments de 1947. J’examinerai tout d’abord la déclaration chilienne

du 23 juin, que vous trouverez sous l’onglet n o 17 du dossier de plaidoiries. Comme nous l’avons

expliqué de manière assez détaillée dans notre réplique, il ne s’agissait pas ⎯et ce, tout à fait

délibérément ⎯ d’un instrument ayant valeur juridique 93, mais de l’expression d’une volonté

politique. Cette déclaration a en effet été publiée dans un journal, El Mercurio, et non au

journal officiel du Chili ainsi que cela est requis pour les instruments ayant valeur juridique. Elle

n’était pas conforme à la législation chilienne existante.

17. [Projection à l’écran.] La déclaration du Chili ne traite nullement des limites latérales

avec les Etats adjacents ⎯et n’oublions pas que le Chili a deux Etats côtiers qui lui sont

adjacents ⎯, l’Argentine et le Pérou. D’ailleurs, comme vous pouvez le constater à l’écran, on ne

voit guère comment l’interprétation que donne le Chili de la déclaration, en ce que celle-ci

91
CMC, par. 2.44-2.49.
92
Délimitation de la frontière maritime dans la régidu golfe du Maine (Canada/Etats-Unis d’Amérique),
arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 246.
93RP, par. 3.18-3.27. - 56 -

établirait une frontière longeant un parallèle, pourra it s’appliquer à la configuration géographique

différente, et plus complexe, qui existe entre lui et l’Argentine. [Fin de la projection.]

18. Comme vous le verrez, au paragraphe 1 de la déclaration, le Président du Chili a relevé

que le Gouvernement proclamait sa souveraineté sur «tout le plateau continental contigu aux côtes

continentales et insulaires du territoire national». Au paragraphe 2 était pr oclamée la souveraineté

sur «les mers contiguës à s es côtes…sur toute l’étendue nécessaire pour réserver…les

ressources … naturelles … qui se trouvent sur lesdites mers, sur leur lit et dans leur sous-sol».

Aucune limite, pas même extérieure, vers le la rge, n’est énoncée dans ces paragraphes. Au

paragraphe 3 est évoqué ce qui serait en réalité une démarcation provisoire des zones de protection

en matière de chasse à la baleine et de pêche en ha uteur de mer, démarcation devant être décidée à

63 l’avenir:«lorsque le Gouvernement le jugera opportun, les limites de cette zone pouvant être

confirmées, étendues ou modifiées d’une manière que lconque en tenant compte des connaissances,

des découvertes, des études et des intérêts du Chi li dans l’avenir». On est bien loin de la

description d’une frontière fixée de manière permanente. Le paragraphe3 se poursuit en

proclamant la protection et le contrôle de «t outes les eaux maritimes situées à l’intérieur du

périmètre délimité par la côte et par un parallèle mathématique projeté sur la mer à une distance de

200millesmarins des côtes continentales chiliennes» . Comme c’est le cas du décret pris par le

Pérou, la déclaration fait également mention des zones maritimes des îles ⎯d’une distance de

200millesmarins calculée à partir de leurs côtes. A cet égard, je relèverai que la déclaration du

Chili ne préfigure pas le pointIV de la déclara tion de Santiago, laquelle s’est, bien évidemment,

contentée d’énoncer un principe concernant les zones maritimes de certaines îles.

19. Le paragraphe4 indique que la «déclar ation de souveraineté» «reconnaît les droits

légitimes analogues des autres Etats, sur une base de réciprocité» ; nulle trace ici d’une intention de

la part du Chili de fixer une frontière avec les Et ats adjacents. Les term es de la déclaration

chilienne dans son ensemble sont, ce qui n’est guère surprenant, conditionnels et généraux.

20. Le Chili a insisté sur la référence à un «pér imètre» contenue dans le paragraphe 3. Cette

référence, bien qu’énigmatique, est en réalité asse z intéressante, car elle tranche avec le décret

présidentiel du Pérou et avec la déclaration de Santiago elle-même, en ce qu’aucun de ces textes ne

renvoie à la notion de «périmètre». - 57 -

21. Dans la déclaration chilienne, il est également fait mention d’un «parallèle

mathématique». Cette référence est tout aussi énigmatique, si ce n’est davantage. Contrairement à

un parallèle de latitude, cela n’a aucun sens juridique ou technique.

22. Monsieur le président, pour résumer mon propos sur la déclaration du Chili, je dirai que

celle-ci n’a établi aucune limite latérale avec les Etats adjacents ⎯c’est-à-dire le Pérou et

l’Argentine ⎯ et qu’elle n’a pas non plus d’effet juridique en droit international.

B. Le décret présidentiel n 781 du Pérou

er 94
23. J’examinerai à présent très brièvement le décret présidentiel du Pérou du 1 août 1947

(vous le trouverez sous l’ongletn o19 du dossier de plaidoiries). Contrairement à la déclaration

chilienne, ce décret avait des effets en droit intern e, en tant que texte de rang inférieur aux textes

législatifs, prévu dans la Constitution. Il a été publié au journal officiel du Pérou, El peruano.

24. Il ressort clairement des paragraphes 1 et 2 du décret présidentiel que celui-ci n’avait pas
64

pour objet de fixer des limites latérales. Il s’agissait d’une affirmation, formulée en termes

généraux, du prolongement vers le large des compétences juridictionnelles et ⎯comme dans la

déclaration chilienne ⎯ même les limites extérieures étaient expressément présentées comme étant

sujettes à modifications «suivant les circons tances révélées par de nouvelles découvertes,

l’évolution de la recherche et les intérêts nationaux qui pourraient apparaitre à l’avenir». Le décret

présidentiel ne contenait aucune indication concernant les limites latérales avec les Etats voisins.

25. Les termes sur lesquels s’appuie le Chili figurent au milieu du paragraphe3. La

première partie de ce paragraphe montre bien que le Pérou s’était réservé le droit d’établir, à

l’avenir, les limites des zones de contrôle et de protection nouvellement proclamées, et de les

modifier, le cas échéant, en fonction de nouvelles ci rconstances. Dès lors, les informations qui

suivaient étaient essentie llement provisoires. Dans la sec onde partie du para graphe, le Pérou

déclarait que, dans le même temps, il exercerait ce contrôle et cette protection «sur les eaux

adjacentes à la côte péruvienne dans une zone co mprise entre cette côte et une ligne imaginaire

parallèle à celle-ci et tracée en mer à une dist ance de deuxcents (200)milles marins, calculée

suivant la ligne des parallèles géographiques».

94
MP, vol. II, annexe 6. - 58 -

26. Dans sa duplique, le Chili s’empare de ces derniers termes et affirme qu’«[i]l ressort de

cette conception de la projecti on vers le large que la limite méridionale de l’espace maritime

péruvien était le parallèle passant par le point où aboutissait en mer la frontière terrestre entre le

Pérou et le Chili» .95

96
27. Dans sa duplique, comme dans son contre mémoire , le Chili dénature le décret

présidentiel du Pérou et le cite de manière erron ée. Selon le paragraphe3, c’est la «ligne

imaginaire parallèle» à la côte ⎯ le tracé parallèle, la limite extérieure ⎯, qui est «calculée suivant

la ligne des parallèles géographiques». Le fait que ces parallèles soient utilisés pour effectuer un

tracé parallèle ne signifie aucunement qu’ils étaient eux-mêmes censés devenir des frontières

internationales. Les parallèles n’étaient rien d’ autre que des lignes de construction géométrique.

Cette partie du paragraphe3 du décret présiden tiel concernait exclusivement le tracé, par la

méthode des parallèles, d’une limite extérieure à 200millesmarins de distance. Comme nous

l’avons précisé dans le mémoire, cela vise la manière dont serait déli mitée, sur une carte, la limite

65 97
extérieure de la zone initiale . Cette limite elle-même était provisoire compte tenu de la

possibilité, annoncée précédemment dans le même paragraphe, de la modifier à tout moment.

28. En résumé, en ce qui concerne le décret présidentiel du Pérou :

⎯ Premièrement, en1947, l’intention n’était nullement de délimiter la zone nouvellement

proclamée par rapport aux Etats adjacents, mais de proclamer une limite extérieure de

200 milles marins vers le large.

⎯ Deuxièmement, cette intention se reflète parfaitement da ns les termes employés dans le décret

présidentiel. Le parallèle géographique était utilisé comme moyen d’effectuer le tracé parallèle

et à nulle autre fin.

⎯ Troisièmement, le Chili semble prétendre, dans sa duplique 98, que le décret présidentiel était

une déclaration unilatérale engageant internationa lement l’Etat intéressé, comme celle dont il

était question dans les affaires des Essais nucléaires . Or, le décret présidentiel était un

95DC, par. 2.4
96
CMC, par. 4.56.
97
MP, par. 4.58.
98DC, par. 2.5-2.9. - 59 -

instrument de droit interne. L’intention n’éta it nullement de faire une déclaration unilatérale

engageant l’Etat quant à sa délimitation latérale avec les Etats voisins.

⎯ Quatrièmement, le tracé parallèle lui-même n’ét ait pas considéré comme une solution

définitive. Comme je l’expliquerai dans un inst ant, si vous le permettez, il a été rapidement

remplacé par la méthode des «arcs de cercle».

29. Monsieur le président, j’en ai encore pour cinq à dix minutes.

Le PRESIDENT : Je vous en prie, veuillez poursuivre.

IV. La loi sur le pétrole adoptée par le Pérou en mars 1952

30. Monsieur le président, au mois de mars 1952, le parlement péruvien a adopté la loi sur le

pétrole , laquelle a ensuite été publiée au Journal officiel 10. Vous en trouverez un extrait sous

o
l’onglet n 20. L’importance de cette loi —un texte législ atif, dont la nature et la valeur en droit

sont supérieures à celles du décret présidentiel de 1947 — tient au fait que, dans sa définition de la

limite extérieure de 200 milles du plateau continenta l du Pérou, elle utilise la méthode des arcs de

cercle et non celle du tracé pa rallèle. Aux fins de cette loi, le Pérou a été divisé, à l’article 14, en

66 quatre «zones», la quatrième étant la «zone du plat eau continental». Celle-ci était définie comme

«la zone située entre la limite occidentale de la z one côtière [sur la côte] et une ligne imaginaire

tracée en mer à une distance constante de 200 milles marins depuis la laisse de basse mer le long

de la côte continentale».

31. Dans cette loi, il a donc été renoncé à la méthode obsolète et peu pratique du tracé

parallèle au profit de la méthode moderne dite «des arcs de cercle». Ainsi que cela ressort du

croquis qui vous est projeté à l’écran, la différence est considérable. [Projection de la figure no 4.1

du mémoire du Pérou.] Comme vous pouvez le cons tater, la limite extérieure tracée selon la

méthode des «arcs de cercle», qui apparaît en rouge , est beaucoup plus régulière, et, sur toute sa

longueur, plus éloignée de la côte que celle qui est ét ablie suivant le tracé parallèle. En outre, cette

méthode réfute toute allégation selon laquelle il ser ait fait usage des parallè les de latitude, même

pour déterminer la limite extérieure. [Fin de projection.]

99
MP, par. 4.60-4.61 et annexe 8 ; RP, par. 3.60.
100El Peruano, 14 mars 1952. - 60 -

32. La loi sur le pétrole a été adoptée à peine cinq mois avant la conférence de Santiago, sans

susciter la moindre protestation de la part du Chili. Ainsi, au moment où s’est tenue la conférence,

le Pérou —mais pas le Chili— avait tracé la li mite extérieure de sa zone de 200milles selon la

méthode des arcs de cercle. Le Chili, quant à lu i, s’était contenté de proclamer sa volonté de

disposer d’une zone de 200milles, et avait décl aré qu’il entendait établir celle-ci à l’aide d’«un

parallèle mathématique».

33. A l’appendiceA de sa duplique 101, le Chili vous a fait une description savante mais

quelque peu partielle de ce qu’il qualifie d’«évolution historique des méthodes de détermination de

la limite extérieure des espaces maritimes». Ce fa isant, il tente de persuader la Cour que, au mois

d’août 1952, lorsque la déclaration de Santiago a été adoptée, ⎯ je cite ⎯ «la méthode des arcs de

cercle (préconisée par les géographes et les hydr ographes)…était beaucoup moins reconnue que

celle du tracé parallèle (privilégiée par les juristes et diplomates)» 10, et qu’«[i]l ne fai[sai]t aucun

doute que, en 1952, il était généralement admis par la doctrine que la limite extérieure de l’espace

relevant de la juridiction d’un Etat sur le fonde ment du critère de distance suivait les sinuosités de

la côte, selon un tracé parallèle» 10. Quoi qu’il en soit, dans la déclaration de Santiago, c’est la

méthode des arcs de cercle, déjà utilisée dans la loi péruvienne sur le pétrole, qui a été retenue. La

67 Cour elle-même venait de relever, l’année précédente, dans l’arrêt qu’elle avait rendu dans l’affaire

104
des Pêcheries anglo-norvégiennes, les différences importantes entre ces deux méthodes .

34. La méthode permettant de déterminer la limite extérieure n’a fait l’objet d’un examen

approfondi qu’à la conférence de codification de LaHaye, en1930. Des indications générales,

105
telles que la formule «suiva[n]t les sinuosités de la côte» , n’appellent pas l’application d’une

méthode en particulier. Toutefois, ainsi que Boggs —dont Gidel partageait généralement les

106
vues — l’a écrit dans son important article de 1930, «il n’[était] pas indiqué clairement comment

101DC, vol. 1, p. 286-204.

102Ibid., par. A.3.
103
Ibid., par. A.47.
104
Affaire des Pêcheries (Royaume–Uni c. Norvège), arrêt, C.I.J. Recueil 1951, p. 128-129.
105DC, vol. I, par. A.6-A.21.

106G. Gidel, Le droit international public de la mer, vol. III, p. 153-192, cité dans la DC, vol. I, par. A.32-A.33. - 61 -

107
les sinuosités de la côte d[evai]ent être suivies» . Cet aspect a été élucidé par Boggs de la

manière suivante: «La première méthode [c’est-à-dire celle du tracé parallèle]…, est parfois

proposée dans les publications. Cependant, elle est absolument impraticable et n’a pas été

proposée à la conférence de LaHaye.» 108 De plus, contrairement à ce qu’affirme le Chili 109, la

méthode du tracé parallèle ne «ressortait» pas non plus nécessairement du texte rédigé par la

deuxièmesous-commission de la deuxièmecommis sion de la conférence de1930. Ce que le

Gouvernement des Etats-Unis avait proposé à la c onférence de LaHaye, c’était la méthode «des

arcs de cercles», celle préconisée par le comité d’ experts qui s’est réuni en avril1953, par la

commission du droit international et, finalement, par la conférence sur le droit de la mer en 1958.

V. Conclusion

35. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, en résumé, les affirmations du

Chili concernant les instruments de1947 sont fantaisistes. Les Parties semblent désormais

convenir qu’aucun des instruments unilatéraux de 1947 n’avait pour obj et, ou pour effet, d’établir

une frontière internationale entre les domaines maritimes étendus dont le principe avait été

proclamé à l’époque par le Pérou et le Chili. Ces deux instruments étaient par essence —et

uniquement — des instruments provisoires visant à établir des domaines maritimes étendus jusqu’à

la limite des 200 milles marins.

36. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, voilà qui conclut mon exposé,

et je vous remercie de votre attention et de votre patience.

107S. Whittemore Boggs, «La méthode de délimitation proposée par la délégation des Etats-Unis à la conférence

de La Haye pour la codification du droit international», AJIL , vol. 24, p. 541 (1930), reprodui t à l’annexe 188, p. 543 de
l’original.
108Ibid., p. 543.

109DC, vol. 5, par. A.26. - 62 -

68 Le PRESIDENT: Merci beaucoup, sir Michael . Votre exposé conclut l’audience qui s’est

tenue aujourd’hui. La procédure orale repre ndra demain, 4décembre, à 10heures, et nous

entendrons la suite du premier tour de plaidoiries du Pérou.

Merci, l’audience est levée.

L’audience est levée à 18 h 5.

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