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141-20091207-ORA-01-01-BI
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CR 2009/29 (traduction)

CR 2009/29 (translation)

Lundi 7 décembre 2009 à 10 heures

Monday 7 December 2009 at 10 a.m. - 2 -

28 Le PRESIDENT: Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte. Je note que

M. le juge Koroma, pour des raisons qu’il m’a exposées, ne peut prendre part à la procédure orale

aujourd’hui. La Cour se réunit ce matin pour entendre la Chine, Chypre, la Croatie et le Danemark

s’exprimer sur la question qui lui est posée. Chacune des délégations dispose de 45minutes,

strictement 45 minutes, pour sa présentation.

Je donne donc à présent la parole à S. Exc. Mme Xue Hanqin.

Mme XUE :

1. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, c’est pour moi un grand honneur et un

privilège de représenter le gouvernement de la République populaire de Chine devant la Cour

internationale de Justice (ci-après, «la Cour»). L’ avis consultatif de la Cour sur la question de la

Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance des institutions

provisoires d’administration autonome du Kosovo est important pour le gouvernement chinois,

dans la mesure où cette affaire soulève de nombreuses questions fondamentales de droit

international, concerne la pére nnité de la paix et de la sabilité dans les Balkans et a des

répercussions sur l’ordre juridique internationaA l’invitation de la Cour, le Gouvernement

chinois a déposé, le 16avril2009, un exposé écritsur la question susmentionnée. Il a en outre

attentivement étudié les écrituredes autres Etats et des auteurs de la déclaration unilatérale

d’indépendance («DUI»), et estime nécessaire de s’exprimer sur certaines questions importantes de

droit international. Bien que la République populai re de Chine participe pour la première fois à la

procédure de la Cour, le Gouvernement chinois a toujours eu le plus profond respect pour l’autorité

et l’importance de la Cour dans le domaine du droit international.

Mon exposé oral sera composé de quatre parties.

P REMIÈRE PARTIE .LA RÉSOLUTION 1244 (1999) DU C ONSEIL DE SÉCURITÉ DE
L ’ORGANISATION DES NATIONS U NIES

2. La Chine souhaite d’emblée réitérer ce qu’elle a déjà dit dans son exposé écrit, à savoir

que, comme le reconnaît très généralement la communauté internationale, la résolution1244 du

Conseil de sécurité de l’Organisati on des NationsUnies est le texte faisant autorité dans le cadre - 3 -

1
29 duquel doit être traitée la question du Kosovo et que, conformément à la Charte de Nations Unies ,

les résolutions du Conseil doivent être respectées. La Chine maintient cette position.

3. La Chine relève que toutes les écritures contiennent des commentaires plus ou moins

développés sur l’alinéa du préambule de la résolution1244 ainsi libellé: «Réaffirmant

l’attachement de tous les Etats Membres à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de la

République fédérale de Yougoslavie.» 2 Bien des Etats ont affirmé que ce paragraphe produisait

3
des effets juridiques , tandis que d’autres exprimaient une opinion différente, à savoir que la

résolution 1244 n’abordait pas le principe du respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale

dans la mesure où la citation ci-dessus pr ovenait du préambule qui constituait un simple

considerandum, une clause non contraignante, et non une garantie de la souveraineté et de

4
l’intégrité territoriale de la Serbie . Cette position préoccupe la Chine. En tant que membre

permanent du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies, elle a participé à l’ensemble

du processus de consultation et d’adoption de la résolution1244 et ne pense pas qu’une telle

interprétation soit plausible.

4. Il ressort clairement du contexte dans lequel la résolution a été adoptée que le respect de la

souveraineté et de l’intégrité territoriale de la République fédérale de Yougoslavie («RFY») a été

l’une des préoccupations majeures. En1999, sans l’autorisation du Conseil de sécurité,

l’Organisation du Traité de l’Atla ntique Nord («OTAN») a lancé à l’ encontre de l’Etat souverain

de la RFY des frappes militaires qui ont duré 79 jours, ce qui était une violation grave de la Charte

des NationsUnies et du droit international et sapai t l’autorité du Conseil de sécurité. Dans ces

circonstances, celui-ci se devait de s’acquitter de sa responsabilité principale en matière de

maintien de la paix et de la sécurité internationa les en recherchant une solution politique à la crise

du Kosovo. Il est bien connu que, tout au long de cette crise, qui d’un conflit ethnique interne s’est

transformée en une menace pour la paix et la sécurité internationales, le maintien de la souveraineté

et de l’intégrité territoriale de la RFY est demeur é au cŒur du problème. L’affirmation répétée de

1
Exposé écrit de la Chine, première partie.
2
Résolution 1244 (1999), préambule, par. 10.
3 Exposé écrit de Chypre, par.92; exposé écrit de la Rssie, p.14-16; exposé écrit de la Serbie, p.169-177;
exposé écrit de l’Espagne, p. 26-33 ; exposé écrit de l’Argentine, p. 18-22.

4 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 6.12 ; exposé écrit des Etats-Unis, p. 22 ; contribution écrite des auteurs de
la DUI en question, par. 9.05. - 4 -

ce principe dans la résolution 1244 et tous les au tres documents pertinents indique que la solution

30
aux conflits ethniques qui déchiraient le Kosovo de vait être trouvée sans qu’il y ait atteinte à la

souveraineté et à l’intégrité territoriale de la RF Y. Au cours du processus d’élaboration de la

résolution, la Chine a proposé un amendement visant à ajouter au préambule du texte un nouvel

alinéa ainsi libellé: «[a]yant à l’esprit les buts et les principes consacrés par la Charte des

NationsUnies, ainsi que la responsabilité principa le du Conseil de sécurité pour le maintien de la

paix et de la sécurité internationales». Cet ame ndement visait à mettre en exergue le respect de la

souveraineté et de l’intégrité territoriale de la RFY, ainsi que le refus du recours à la force dans les

5
relations internationales, et il a été adopté .

5. J’aimerais ici rappeler la déclaration que le représentant de la Chine a faite avant que le

Conseil de sécurité n’adopte la résolution :

«Le projet de résolution dont nous somme s saisis n’a pas pleinement pris en

considération la position de principe et les préoccupations justifiées de la Chine. En
particulier, ce texte ne fait pas mention du désastre causé par les bombardements de
l’OTAN en République fédérale de Yougosla vie, de même qu’il n’impose pas les

restrictions nécessaires à l’invocation du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies.
Nous avons donc d’importantes réticences à l’égard de ce projet de résolution.
Cependant, étant donné que la République fé dérale de Yougoslavie a déjà accepté le

plan de paix et que l’OTAN a suspendu ses bombardements en République fédérale de
Yougoslavie, et dans la mesure où le pr ojet de résolution réaffirme les buts et
principes énoncés dans la Charte des Nati ons Unies, la responsabilité principale du
Conseil de sécurité en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales,

et l’attachement de tous les Etats Membres à la souveraineté et à l’intégrité territoriale
de la République fédérale de Yougoslavie, la délégation chinoise ne fera pas obstacle à
l’adoption de ce projet de résolution.» 6

6. Ainsi, il ressort clairement du contexte hist orique dans lequel le texte a été adopté que,

loin d’être une déclaration générale sans effet contraignant, le préambule de la résolution1244

fournit les principes directeurs et les fondements d’une solution politique à la crise du Kosovo et de

l’établissement d’une administration internationale dans cette région.

7. Le dispositif de la r ésolution qui prévoyait la mise en place de l’administration

internationale, et le mandat ultérieur des ins titutions provisoires d’administration autonome du

Kosovo constituent une preuve s upplémentaire du respect accordé à la souveraineté et à l’intégrité

territoriale de la RFY. Réaffirmé dans le préambule de la résolution, cet attachement ressortait

5
Résolution 1244 (1999), préambule, par. 1.
6
Voir Nations Unies, doc. S/PV.4011, p. 9-10. - 5 -

également de son dispositif. Le Conseil de sécu rité y exigeait que la RFY retire du Kosovo toutes

ses forces militaires, paramilitaires et de police, et prévoyait le déploiement d’une présence

internationale de sécurité au Kosovo. Ces mesur es avaient pour objectif d’empêcher la reprise des

31 hostilités, d’établir un environnement sûr et de garantir le bon fonctionnement de la présence

internationale civile. La résolution autorisait également la création d’

«une présence internationale civile au Kosovo afin d’y assurer une administration
intérimaire dans le cadre de laquelle la population du Kosovo pourra[it] jouir d’une

autonomie substantielle au sein de la Ré publique fédérale de Yougoslavie, et qui
assurera[it] une administration transitoire de même que la mise en place et la
supervision des institutions d’auto-adm inistration démocratiques provisoires

nécessaires pour que to7s les habitants du Koso vo puissent vivre en paix et dans des
conditions normales» .

Dans la résolution, l’expression «accueille avec satisfaction» a été utilisée pour saluer et souligner

8
que la RFY a donné son accord à cette présence . S’agissant du respect de la souveraineté et de

l’intégrité territoriale de la RFY, les dispos itions mentionnées ci-dessus démontrent que la

résolution1244 a circonscrit l’autorité et les foncti ons de la présence internationale civile à la

promotion d’une autonomie substan tielle pour tous les habitants du Kosovo, celui-ci faisant partie

du territoire de la RFY. En vertu de l’auto risation conférée par la résolution, le cadre

constitutionnel pour un gouvernement autonome provi soire au Kosovo a établi les responsabilités

et les pouvoirs des institutions provisoires, qui ne comprennent pas le pouvoir de décider du statut

futur du Kosovo. Toutes les dispositions susm entionnées ont constamment maintenu une limite

claire, à savoir que, comme ils s’y étaient engagés dans la résolution 1244, tous les Etats membres

respectaient la souveraineté et l’intégrité territoriale de la RFY.

8. Tout en autorisant le déploiement de prés ences internationales civile et de sécurité, la

résolution1244 prévoyait un «processus politique » visant à déterminer le statut du Kosovo

conformément à certains principes généraux et a ux principes et conditions figurant dans deux

9
annexes mentionnées au début de son dispositif . Or, dans ces deux annexes, il était exigé que

compte soit pleinement tenu de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de la RFY dans le

7Résolution 1244 (1999), dispositif, par. 10.
8
Ibid., dispositif, par. 5.
9Ibid., dispositif, par. 1. - 6 -

10
«processus politique» . Dans le cadre de la résolution préc itée, le Conseil de sécurité se félicitait

11
de l’adhésion de la RFY aux principes généra ux et aux principes et conditions susmentionnés .

Autrement dit, la souveraineté et l’intégrité territoriale de la RFY devaient être respectées dans le

«processus politique» menant à la détermination du statut du Kosovo, quels que soient la procédure

à adopter ou les résultats à atteindre. Toutes les parties, y compris la RFY ⎯ désormais la

Serbie ⎯ devaient être impliquées dans le processus et toute solution en découlant devait faire

32 l’objet d’un accord. Comme l’a déclaré la Chine lors des délibérations du Conseil de sécurité,

«toute solution envisagée devra tenir pleinement co mpte des vues de la République fédérale de

Yougoslavie» 12.

9. Dans leurs écritures, certains Etats ont soutenu avec insistance que «le «processus

politique envisagé par la réso lution1244 avait pris fin» 13 et que, dès lors, l’adoption de mesures

unilatérales en vue de l’indépendance n’était plus interdite 1. La Chine ne souscrit pas à ce point de

vue.

10. Le conseil de sécurité s’est préoccupé de la situation au Kosovo car elle constituait «une

menace pour la paix et la sécurité internationales» 15. Il lui appartient, en tant qu’organe auquel la

Charte des NationsUnies confère la responsabilité principale du maintien de la paix et de la

sécurité internationales, de déterminer si le «p rocessus politique» est ou non arrivé à son terme et

de décider des mesures ultérieures à prendre. De fait, aux termes de la résolution, le Conseil de

16
sécurité «décide de rester activement saisi de la question» . Etant donné les positions divergentes

des Etats concernés, le Conseil de sécurité n’a po ur l’instant ni adopté une nouvelle résolution ni

17
approuvé la proposition globale de rè glement portant statut du Kosovo , dite «plan Ahtisaari»,

présentée par le représentant spécial du Secrétaire gé néral. Ce silence ne doit cependant pas être

10Résolution 1244 (1999), annexe 1, par. 6 et annexe 2, par. 8.
11
Ibid., dispositif, par. 2.
12
Nations Unies, doc. ONU S/PV.4011, p. 9.
13
Exposé écrit des Etats-Unis, p. 64.
14Exposé écrit de l’Allemagne, p. 28.

15Résolution 1244 (1999), préambule, par. 12.

16Ibid., dispositif, par. 21.
17
Lettre datée du 26mars2007, adress ée par le Secrétaire général au prés ident du Conseil de sécurité. Voir
Nations Unies, doc. S/2007/168 et S/2007/168, Add.1. - 7 -

interprété comme signifiant que le «processus politi que» visant à déterminer le statut du Kosovo a

pris fin. La DUI des institutions provisoires d’administration autonome du Kosovo, quel que soit le

nom qu’on lui donne, est donc contraire à la résolution 1244.

11. C’est pour maintenir la paix et la sécurité dans la région que le Conseil de sécurité, par la

résolution1244, a placé le Kosovo sous administ ration internationale. Les parties devraient

négocier de bonne foi et rechercher activemen t un règlement politique acceptable pour l’une et

l’autre, car c’est là l’unique voi e possible vers une issue juste et raisonnable et une paix durable

dans les Balkans.

D EUXIÈME PARTIE :DROIT INTERNATIONAL GÉNÉRAL

12. Non seulement la déclaration unilatérale d’indépendance des institutions provisoires

d’administration autonome du Kosovo est incompa tible avec la résolution1244 du Conseil de

sécurité, mais elle enfreint également les principes établis du droit international général.

33 13. Il convient de souligner tout d’abord que la RFY, devenue à présent la Serbie, n’est pas

un prolongement de l’ex-République fédérative socialiste de Yougoslavie («RFSY»), mais l’un des

nouveaux Etats souverains qui sont apparus à la suite de la dissolution de la RFSY. A n’en pas

douter, le Kosovo fait partie intégrante du territo ire de ce nouvel Etat, la RFY. La déclaration

unilatérale d’indépendance constitue donc, par nature, une sécession un ilatérale au regard du droit

international.

14. En vertu des principes établis du droit in ternational, un élément constitutif d’un Etat

souverain ne peut prétendre faire sécession unilatéralement.

15. Le respect de l’intégrité territorial e d’un Etat souverain est l’un des principes

fondamentaux du droit international contemporain. Ce principe joue un rôle central dans le

système juridique international et est la pierre an gulaire de l’ordre juridique international. Le

respect de l’intégrité territoriale est l’essence même du principe de l’égalité souveraine des Etats.

Depuis l’aube du droit international moderne, le principe de la souveraineté de l’Etat et de

l’intégrité territoriale a toujours été soutenu et réa ffirmé par la pratique des Etats. Il est énoncé

dans un grand nombre d’instruments juridiques inte rnationaux faisant autorité, dont la Charte des

NationsUnies, la déclaration adoptée par l’Assemb lée générale en1970 relative aux principes du - 8 -

droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à

la Charte des NationsUnies et l’acte final de la conférence sur la sécurité et la coopération en

Europe, adopté a Helsinki en 1975.

16. En tant que principaux sujets du droit international et membres de la communauté

internationale, les Etats souverains exigent le r espect de leur territoire qu’ils considèrent comme

leur fondement et le domaine exclusif où s’exerce le ur souveraineté. Les violations de l’intégrité

territoriale d’un Etat ont souvent conduit à des différends, voire à des conflits armés entre Etats, qui

ont menacé la paix et la sécurité internationales. Compte tenu de l’importance vitale du territoire,

aucun Etat n’accepterait que l’un de ses éléments constitutifs puisse faire sécession sans qu’il y

consente. Le but essentiel du principe de la souveraineté de l’Etat et de son intégrité territoriale est

bien de protéger le territoire de l’Etat de toute vi olation extérieure, et la sécession unilatérale d’une

partie d’un Etat n’étant pas protégée en droit intern ational, l’Etat concerné exerce le droit qui est

légitimement le sien de prévenir et dissuader la sécession afin de préserver son intégrité territoriale.

La pratique des Etats en donne d’innombrables exemples.

34 17. Les auteurs de certains exposés écrits affi rment que le droit international n’interdisant

pas la sécession unilatérale, il en découle que la déclaration unilatéra le d’indépendance des

institutions provisoires d’administration autonome du Kosovo y est conforme. La Chine n’adhère

pas à cette thèse. Même s’il n’existe aucune règle juridique internationale interdisant

spécifiquement et expressément la sécession unila térale, on ne saurait en déduire que le droit

international est neutre à ce sujet. Pour déterm iner la licéité d’une sécession unilatérale, il faut

prendre en compte les circonstances précises de chaque cas et les règles applicables du droit

international. En l’espèce, affirmer en général que le droit international n’interdit pas la sécession

unilatérale n’est pas un critère juridique permettant de déterminer si la déclaration unilatérale

d’indépendance des institutions provisoires d’administration autonome du Kosovo est conforme au

droit international. Comme nous l’avons dit plus haut, cette déclaration n’est pas conforme à la

résolution 1244 et enfreint le principe de la souverainet é de l’Etat et de l’intégrité territoriale. Il ne

sert donc à rien de dire que le droit international est neutre sur ce point. Même si le «processus

politique» envisagé dans la résolution 1244 avait pris fin, comme le font valoir certains Etats, tant - 9 -

que le Conseil de sécurité reste saisi de la questi on, aucune partie ne de vrait prendre de mesures

unilatérales pour modifier le statut du Kosovo.

18. Ce serait faire preuve de légèreté que de supposer qu’en exerçant les pouvoirs que lui

confère le chapitre VII de la Charte des Nations Unies pour adopter la résolution 1244, le Conseil

de sécurité pouvait vouloir dire qu’une solution à la crise du Kosovo serait sa sécession unilatérale

d’avec la RFY, devenue la Serbie. Même lorsque la paix et la sécurité sont en jeu, le Conseil ne

manque jamais de souligner le principe fondamental de l’intégrité territoriale des Etats et n’autorise

jamais des actes unilatéraux de sécession comme celui-ci.

T ROISIÈME PARTIE :PRINCIPE DE L AUTODÉTERMINATION DES PEUPLES

19. Un autre point dont il est questi on en l’espèce est le prétendu droit à

«l’autodétermination à titre de re mède» dans le contexte du princi pe de l’autodétermination des

peuples.

20. Dans son exposé écrit, le Gouvernement ch inois a expliqué en détail sa position sur le

principe de l’autodétermination des peuples en dr oit international. On trouve des analyses de ce

principe dans de nombreux exposés écrits, mais aucun n’apporte d’arguments convaincants fondés

sur la pratique des Etats pour démontrer que le Kosovo a le droit de déclarer son indépendance en

exerçant le droit à l’autodétermination en droit in ternational. En revanche, de nombreux Etats ont

35 adopté une attitude prudente à l’égard de l’ application de ce principe en l’espèce 18. Le principe de

l’autodétermination étant interprétée de diverses façons, la Chine juge nécessaire de préciser sa

position.

21. Comme la Chine l’a souligné dans son exposé écrit, c’est dans le contexte historique du

mouvement de décolonisation que le principe d’autodétermination est devenu un principe

fondamental du droit international. Le droit à l’autodétermination reconnu par le droit international

a un contenu et un champ d’application bien circ onscrits. Les cas dans lesquels ce droit a été

exercé et entériné par l’Assemblée générale, le C onseil de Sécurité ou la Cour concernaient tous

exclusivement des situations de domination coloniale, de sujétion et d’occupation étrangères.

18Observations écrites du Royaume-Uni, p.4 de la traduction françaobservations écrites des Etats-Unis,

p. 15-17 de la traduction française. - 10 -

22. Pour définir plus précisément le lien entre le droit à l’autodétermination et le respect de

la souveraineté de l’Etat et de l’intégrité territori ale, la Chine et bien d’autres Etats ont cité le

paragraphe7 de la section de la déclaration su r les relations amicales de1970 concernant «le

principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes», qui se lit

comme suit :

«Rien dans les paragraphes précédents ne sera interprété comme
autorisant ou encourageant une action, quelle qu’elle soit, qui
démembrerait ou menacerait, totale ment ou partiellement, l’intégrité
territoriale ou l’unité politique de tout Etat souverain et indépendant se

conduisant conformément au principe de l’égalité de droits et du droit des
peuples à disposer d’eux-mêmes énoncé ci-dessus et doté ainsi d’un
gouvernement représentant l’ensemble du peuple appartenant au territoire
sans distinction de race, de croyance ou de couleur.»

23. Certains Etats ont qualifié ce qui précède de «clause de sauvegarde» et l’ont interprétée,

par une lecture a contrario du texte, comme énonçant un droit appelé «l’autodétermination à titre

de remède» ou «la sécession à titre de remède». La Chine ne considère pas que cette lecture et

cette interprétation sont exactes et ne croit pas en l’existence d’un tel droit en droit international.

24. Premièrement, les travaux préparatoires de la déclaration sur les relations amicales 19

montrent que l’inclusion de la clause susmenti onnée dans la déclaration visait à bien faire

comprendre que le droit à l’autodéterminati on s’adressait aux peuples ou aux régions sous

domination coloniale, ou sous sujétion ou occupatio n étrangères, et non à des éléments constitutifs

d’Etats souverains et indépendants à population multiethnique. Il s’agissait de garantir la

souveraineté et l’intégrité territoriale d’un Etat et non de conférer ce prétendu «droit à titre de
36

remède» de manière à encourager des minorités ou groupes ethniques internes à revendiquer la

sécession unilatérale d’avec l’Etat en question.

25. Deuxièmement, le prétendu droit à «l ’autodétermination à titre de remède» est

incompatible avec le principe de la souveraineté de l’Etat et de l’intégrité territoriale. Si pareille

revendication était autorisée en vertu du droit in ternational, il existerait manifestement des

dispositions positives et expresses en ce sens puisque ce sont les intérêts fondamentaux des Etats

qui sont concernés. Or, le droit international n’en referme pas.

19
Voir l’exposé écrit de la Serbie, p. 150-151. - 11 -

26. Enfin, le prétendu droit à «l’aut odétermination à titre de remède» découle

essentiellement d’une lecture a contrario de la clause susmentionnée, laquelle va à l’encontre de

l’objet et du but de la déclaration sur les relaons amicales. A ce jour, aucun organe juridique

international faisant autorité ne s’est prononcé pour une telle interprétation. L’existence d’un tel

droit en droit international coutumier n’est pas étayée par la pratique des Etats ou par l’opinio juris.

QUATRIÈME PARTIE : PERTINENCE D ’ÉVÉNEMENTS ULTÉRIEURS À LA DÉCLARATION
UNILATÉRALE D ’INDÉPENDANCE DES INSTITUTIONS PROVISOIRES POUR
LES QUESTIONS JURIDIQUES QUI SE POSENT EN L ESPÈCE

27. Certains Etats ont fait valoir que, plus de60Etats ayant jusqu’à présent reconnu

l’indépendance du Kosovo, même si la déclaration unilatérale d’indépendance n’était pas conforme

au droit international au moment où elle a ét é adoptée, l’indépendance du Kosovo est devenue un

fait accompli à la lumière des événements ultérieu rs. La Chine considère que cet argument est

inapproprié en l’espèce. Le but de l’Assemblée générale en demandant à la Cour de donner un avis

consultatif (résolution63/3) est d’obtenir une répo nse à une question juridique concrète, à savoir,

«la déclaration unilatérale d’indépendance des in stitutions provisoires d’administration autonome

du Kosovo est-elle conforme au droit international ?». Suivant les principes généraux du droit, la

question de savoir si la déclaration unilatérale est conforme au droit inte rnational devrait être

déterminée par rapport à la nature de ladite déclaration à l’époque où l’indépendance a été

proclamée. Les événements ultérieurs ne devr aient pas avoir d’incidence sur la réponse à la

question posée.

28. Certains Etats estiment que, quel que soit l’avis consultatif de la Cour sur ladite question,

il n’aura aucun effet concret sur le statut du Ko sovo, ce qui témoigne d’un certain manque de

respect pour la règle de droit dans les relations internationales. Puisque le Conseil de sécurité

demeure saisi de la question, la Ch ine estime que l’avis consultatif de la Cour aura un effet direct

sur le droit international ainsi que sur l’autorité du Conseil de sécurité.

37 29. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, en tant que Membre permanent du Conseil

de sécurité, la Chine a toujours adopté une attitude responsable face à la situation dans les Balkans,

conformément aux buts et aux principes de la Charte des Nations Unies, et n’a cessé de prôner un

règlement pacifique des différends dans cette région. Elle espère sincèrement qu’une paix et une - 12 -

stabilité durables peuvent s’instaurer dans les Balk ans pour que les peuples vivent en harmonie et

construisent ensemble leur patrie. Si l’on veut y parvenir, il faut que toutes les parties recherchent

des solutions de compromis par la consultation et la négociation. Tout acte unilatéral ne pourrait

que nuire à l’instauration de la paix et de l’ordre dans la région. C’est dans cet esprit de sincérité

que la Chine est venue s’exprimer devant la Cour.

Monsieur le président, Messieurs de la Cour, je vous remercie de votre attention.

Le PRESIDENT: Je remercie S.Exc.l’am bassadeur Xue pour sa présentation. Je donne à

présent la parole à S. Exc. M. James Droushiotis.

M. DROUSHIOTIS :

INTRODUCTION

1. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, c’est un honneur pour moi que de me

présenter devant vous au nom de la République de Chypre, qui interv ient pour la première fois

devant cette Cour, pour exposer son argumentation dans le cadre de la présente procédure orale.

2. Le soin apporté par la République de Chyp re à la rédaction de ses exposés écrits et oraux

reflète l’importance qu’elle attache aux principes du droit international et que la Cour est invitée à

réaffirmer dans sa réponse à la demande d’avis consultatif qui lui a été adressée.

3. La principale préoccupation de Chypre dans cette affaire, et la principale raison pour

laquelle elle participe à ces audiences,est d’attir er l’attention de la Cour sur l’importance

absolument primordiale que revêt aux yeux de Chypre, et de bien d’autres Etats, le respect ce ces

principes en l’espèce.

4. Comme ses voisins des Balkans, Chypre a été en butte à des tentatives visant à lui imposer

un accord politique par la force armée. Répondre à la violence par la violence n’est pas la voie qu’a

choisie Chypre. Au contraire, elle croit fermem ent en la primauté du dr oit dans le cadre des

relations internationales.

38 5. Chypre fait confiance à l’ONU et à la Cour in ternationale de Justice en particulier, pour

respecter le droit international et réaffirmer les principes établis en la matière, qui forment le

principal cadre visant à préserver les relations p acifiques entre Etats. Comme vous l’avez dit, - 13 -

Monsieur le président, dans votre discours à l’A ssemblée générale: «Le droit ne remplace certes ni

la politique ni l’économie, mais sans lui, nous ne pouvons rien constr uire de façon pérenne dans le

cadre de la communauté internationale.» 20

6. Dans maints exposés écrits et oraux soumis à la Cour, il a été souligné que la situation de

Chypre différait de celle du Kosovo. Dans le c as de Chypre, nous sommes face à des violations

flagrantes de l’interdiction de l’empl oi de la force contre les Etats, et ce type de violation a des

conséquences particulières en droi t international. Mais quelles que soient les différences entre les

deux situations, aucune ne sort du champ d’application du droit international.

7. Chypre a présenté deux contributions écr ites détaillées et réaffirme ici les arguments

qu’elle y a développés. Nous souhaitons, à ce stade de la procédure, aborder certaines questions de

droit international, qui se sont posées dans le cadre des deux phases de la procédure écrite.

8. C’est M. Vaughan Lowe qui va maintenant poursuivre l’exposé de Chypre.

M. LOWE :

9. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, c’est un honneur de me présenter devant

vous au nom de la République de Chypre pour v ous exposer cette partie de son argumentation

orale.

10. Il y a en fait cinq principes que nous de mandons à la Cour de r éaffirmer lorsqu’elle

rendra son avis consultatif :

a) premièrement, les actes de sécession ne sont pas simplement des «faits neutres» sur lesquels le

droit international reste muet: il s’agit, au contra ire, de faits ayant une portée juridique et qui

doivent donc être conformes au droit international ;

b) deuxièmement, cela est d’autant plus vrai lorsqu’un acte de sécession résulte de l’emploi illicite

de la force ;

c) troisièmement, le fait que les Nations Unies proposent les termes d’un éventuel règlement par

voie d’accord n’autorise aucune des parties à imposer ces termes unilatéralement ;

d) quatrièmement, le Conseil de sécurité de l’ONU n’a pas le pouvoir d’amputer un Etat d’une

partie de son territoire sans son consentement ; et

20
http://www.icj-cij.org/presscom/files/8/15588.pdf. - 14 -

39 e) cinquièmement, le droit international s’applique à toutes les situations internationales, aussi

exceptionnelles que soient les circonstances: la question n’est pas de savoir si le droit

international s’applique mais comment il s’applique à chaque cas particulier.

11. Je traiterai des quatre premiers point s, tandis que M.Polyviou vous exposera le

cinquième et fera quelques observations sur l’autodétermination.

I. La sécession n’est pas un fait juridiquement neutre

12. Tout d’abord, nous pensons que la sécessi on et les déclarations d’indépendance sont

régis par le droit international, et nous réfut ons l’argument selon lequel il s’agirait de faits

juridiquement neutres, qui ne sont pas réglementés par le droit international.

13. L’ordre international repose sur «le prin cipe de l’égalité s ouveraine de tous les

Membres» de l’Organisation d es Nations Unies, tel qu’énoncé à l’article 2 de la Charte.

L’Assemblée générale a expliqué la teneur de ce principe dans sa résolution 2625(XXV),

également connue sous le nom de «Déclaration relative aux rela tions amicales». L’égalité

souveraine renferme le principe selon lequel «chaque Etat jouit des droits inhérents à la pleine

souveraineté» et «l’intégrité territoriale et l’indépendance politique de l’Etat sont inviolables».

14. C’est pourquoi le droit international exige que tout changement de souveraineté

territoriale respecte ce que cette Cour a appelé les «modes d’acquisition de titre reconnus par le

droit international» ( Frontière terrestre et mar itime entre le Cameroun et le Nigéria, Cameroun

c.Nigéria: Guinée équatoriale intervenant), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p.352, par.65). Tout

transfert effectif d’un titre souverain sur un te rritoire suppose une forme ou une autre de processus

ayant une existence en droit.

15. En droit international, il existe donc une présomption, que l’on retrouve dans l’Acte final

d’Helsinki, en faveur de la stabilité et du maintie n des frontières territoriales – autrement dit, une

présomption contraire à la fragmentation des Etats. Toute entité qui souhaite agir à l’encontre de

cette présomption doit démontrer qu’elle satisfait aux conditions requises pour agir en ce sens.

C’est pourquoi il s’est révélé nécessaire de prévoir expressément un droit à l’autodétermination des

peuples soumis à la domination coloniale. - 15 -

16. Or, en agissant comme ils l’ont fait, les au teurs de la déclaration n’ont pas respecté ces

principes. Cette déclaration n’est autre que l’affirmation – ou l’instruction implicite – selon laquelle

les Etats tiers ne devaient plus traiter avec les autorités de Belgrade, ni avec la MINUK, mais avec

40 Pristina concernant les affaires du Kosovo. Le Ko sovo cherche à être traité comme un Etat et

souhaite devenir membre d’organisations internationales, engager des relations diplomatiques, jouir

pour lui-même et ses agents des privilèges et immunités d’un Etat, etc.

17. C’est nous induire en erreur que de di re que cette instruction implicite est un fait

juridiquement neutre, que les Etats sont libr es de reconnaître ou non le Kosovo, et que cette

reconnaissance ⎯sur laquelle il n’est pas demandé à la Cour de se prononcer ⎯ est un acte

déclaratoire d’une situation factuelle.

18. C’est nous induire en erreur car si un Etat A reconnaît une entité qui déclare être un

nouvel Etat qui s’est établi lui-même sur le territo ire d’un Etat B, et que ce nouvel Etat ne satisfait

pas aux conditions prescrites par le droit internat ional pour prétendre à la qualité d’Etat, la

reconnaissance par l’Etat A ne respecterait pas les droits reconnus de l’Etat B, qui demeurerait

l’Etat souverain.

19. D’ailleurs, l’Etat A pourrait aller plus loin et, par exemple, fournir une assistance

militaire au nouvel Etat ou acheter ce que le nouvel Etat affirme être sa propriété; toutes ces

actions violeraient les droits reconnus de l’Etat B.

20. Par conséquent, avant de procéder à la reconnaissance de ce nouvel Etat, l’Etat A doit

être convaincu que ce dernier a le droit d’être reconnu et, si tel est le cas, déclarer qu’il ne

reconnaît plus la souveraineté de l’Etat B sur le te rritoire en question. Le droit de reconnaître et le

droit d’être reconnu sont indissociables l’un de l’autre.

21. La reconnaissance n’est pas une question la issée à la seule discrétion des Etats. C’est

pourquoi un certain nombre de critères, clairement établis en droit international, doivent être

remplis pour qu’une entité puisse prétendre à la qualité d’Etat.

22. Ces critères sont bien connus: le territo ire, la population, le gouvernement effectif, la

capacité d’engager des relations avec d’autres Etats, et, comme beaucoup l’ont relevé dans leurs

exposés, le critère de licéité ⎯le fait que l’entité ne doit pas av oir été créée par un processus ou

sous une forme contraire au droit international. - 16 -

23. Il n’est donc pas exact d’affirmer que la sécession est une question purement factuelle

sur laquelle le droit international ne doit pas se pr ononcer, et que tout dépend de la reconnaissance.

Une question se pose, qui en appelle aussi bien à la logique qu’au droit, avant la reconnaissance. Et

cette question est de savoir si l’entité a le droit d’êt re reconnue en tant qu’Etat. Sa prétention à être

un Etat est-elle conforme au droit international ?

41 24. Chypre pense qu’il est particulièrement impor tant que le droit en la matière soit analysé

et cité avec une grande précision. Car il n’y a qu’un pas entre affirmer que la sécession et les

déclarations d’indépendance sont des faits neutres et affirmer que si une partie du territoire d’un

Etat souverain se trouve de facto dans une position d’indépend ance vis-à-vis du gouvernement

légalement établi de cet Etat, la population de cet te partie du territoire a le droit de déclarer

constituer un Etat indépendant, et les autres Etats ont le droit de le reconnaître.

25. Difficile d’imaginer un argument juridi que qui soit davantage capable d’encourager

l’instabilité et la violence dans les affaires internationales, surtout par les temps qui courent.

26. Chypre a déjà expliqué dans son exposé écrit dans quelle mesure elle estime que le

Kosovo satisfait aux critères établis en droit intern ational. Je n’y reviendrai donc pas ici et me

contenterai d’insister sur le fait que les déclarations d’indépendance sont inextricablement liées aux

questions de licéité et de droit international.

27. Chypre demande donc respectueusement à la Cour de dire clairement que le droit

international régit bel et bien la question de la sécession, et que la jouissance d’une certaine

autonomie de facto ne donne pas le droit à un territoire de se séparer d’un Etat souverain dont il fait

juridiquement partie, pas plus qu’il n’autorise d es Etats tiers à reconnaître ce territoire comme un

Etat indépendant.

2. A fortiori en cas d’usage illicite de la force

28. J’en viens à mon deuxième point, qui sera très bref : la question de l’application du droit

international à des situations de sécession se pose avec une acuité particulière en cas d’usage illicite

de la force.

29. Ainsi, une entité créée par le recours à la force, comme dans le cas de la «République

turque de Chypre-Nord» autoproclamée, est le résultat d’un processus contraire au droit - 17 -

international. Et il est clairement stipulé à l’article 41, paragraphe 2, du projet d’articles de la

Commission du droit international sur la responsabilité des Etats qu’il existe une obligation

juridique interdisant de reconnaître comme licite une situation créée par l’emploi illicite de la force

ou d’autres violations graves du droit international.

42 3. La conformité aux propositions des Nations Unies n’est pas suffisante

30. Et j’en arrive à mon troisième point. Dans les exposés et observations présentés à la

Cour, il est fait grand cas de l’implication des Nations Unies au Kosovo et de la résolution 1244 du

Conseil de sécurité.

31. Les principaux faits relatifs à l’implication des Nations Unies ne prêtent pas à

controverse :

⎯ premièrement, en 1999, le Kosovo faisait partie de la Serbie ;

⎯ deuxièmement, en juin 1999, l’autorité exercée par la Serbie au Kosovo a été transférée à une

administration intérimaire des Nations Unies (MINUK) mise en place avec le consentement

exprès du Gouvernement de la RFY ;

⎯ troisièmement, le 16 février 2008, le Kosovo faisait toujours partie de la Serbie ; et

⎯ quatrièmement, la déclaration du 17février 2008 visait à établir un Etat indépendant et

souverain sur une partie du territoire de la Serbie, sans le consentement du Gouvernement

serbe.

32. Il est facile de comprendre comment la MINUK a été reconnue juridiquement

compétente pour administrer le Kosovo: elle l’a fa it avec le consentement de la Serbie. Il est en

revanche plus difficile de comprendre comment une partie du territoire de la Serbie, que le

Gouvernement serbe avait accepté de placer tempor airement sous l’administration des Nations

Unies, ait pu être perdue pour toujours par la Serbie, et ce contre sa volonté.

33. Chypre accepte sans réserve le rôle central joué par l'ONU, et par le Conseil de sécurité

en particulier, dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales. C’est précisément pour

résoudre les problèmes internationaux sans recourir à la force armée que le système des Nations

Unies a été créé, et il est essentiel que la confiance que les Etats ont placée dans l’Organisation soit

préservée. - 18 -

34. Mais une telle confiance, surtout face à des situations dans lesquelles le Conseil de

sécurité cherche à persuader les belligérants de dé poser les armes et d’explorer la possibilité de

parvenir à un règlement pacifique de leur litig e, suppose que l’Organisation agisse de manière

prévisible et légitime.

35. Prévisible, dans le sens où l’ONU doit agir dans les limites des pouvoirs que lui ont

conférés ses Etats Membres, tels qu’énoncés dans la Charte, et suivre scrupuleusement les

procédures prévues par cette même Charte et les résolutions du Conseil de sécurité.

36. Légitime, dans le sens où le Conseil de sécurité doit agir dans le respect du droit

international ⎯ conformément au droit international ⎯ et faire respecter l’état de droit.

43 37. Aucune astuce ni subtilité dans le point qu e je soulève, mais il est absolument capital. Si

l’ONU ne préserve pas la légitimité et la prévisibilité de son action et n’Œuvre pas en faveur de la

primauté du droit, pourquoi les gouvernements devraien t-ils placer l’avenir de leur pays entre ses

mains ? Et cette Cour, est-il besoin de le rappeler, est un organe de l’ONU, et un garant essentiel de

la légitimité et de la prévisibilité de l’Organisation.

38. Lorsqu’ils ont commenté la situation du Kosovo, les juristes du monde entier ont soulevé

de nombreux points de droit concernant la mani ère dont les Nations Unie s avaient traité la

question. L’accord de Kumanovo de 1999, qui a jeté les fondements de la résolution 1244 du

Conseil de sécurité, était-il juridiquement valide, ou était-il nul et non avenu en vertu de

l’article 52 de la convention de Vienne sur le droit des traités car obtenu par la menace ou l’emploi

de la force? La résolution 1244 était-elle compatible avec les buts des Nations Unies tels

qu’énoncés à l’article premier de la Charte ? Et ainsi de suite.

39. Chypre ne souhaite nullement énumér er ici l’ensemble des arguments juridiques

susceptibles d’être invoqués. Mais elle attache une importance toute particulière aux troisième et

quatrième principes de son exposé. Aucun d’eux n’est contesté, mais le respect de chacun d’eux

est essentiel pour garantir la prévisibilité et la légitimité de l’action menée par l’ONU.

40. Je rappelle ici mon troisième principe : lorsque le Conseil de sécurité fait une proposition

pour régler un différend par voie d’accord, cel a n’autorise aucune des parties à imposer

unilatéralement ses propres termes. - 19 -

41. Certains Etats suggèrent que tout comportement qui n’est pas expressément incompatible

avec la résolution 1244, ou qui n’est pas expressément interdit par celle-ci, est licite – ou, s’il n’est

pas nécessairement licite, sa conformité à la résolution 1244 est un facteur revêtant une importance

juridique majeure.

42. Selon Chypre, la déclaration d’indépenda nce du Kosovo n’était en fait pas compatible

avec la résolution 1244. Lorsqu’en 1999, av ec l’accord du gouvernement de Belgrade, la

21
résolution1244 a mis en place «une administration intérimaire pour le Kosovo» , le Conseil de

sécurité a clairement réaffirmé «l’attachement de tous les Etats Membres à la souveraineté et à

l’intégrité territoriale de la République fédérale de Yougoslavie et de tous les autres Etats de la

région» 22 et parlé d’un «processus politique menant à la mise en place d’un accord-cadre politique

44
intérimaire prévoyant pour le Kosovo une autonomie substantielle».

43. Rien dans ce texte ne pourrait être in terprété comme suggérant que l’administration

intérimaire des Nations Unies pouvait mettre fin à son mandat en soustrayant le Kosovo à la

souveraineté de la Serbie. Comme le conseil de l’ Argentine l’a clairement indiqué, rien dans les

débats du Conseil de sécurité n’ indique qu’une telle issue étai t envisagée lorsque la Serbie a

consenti à ce plan. Et nous revient à l’espr it un passage de l’opinion dissidente commune des

jugesBedjaoui, Ranjeva et Koroma en l’affaire Qatar c. Bahreïn : «En matière territoriale, le

consentement à un abandon de souveraineté ne pe ut pas être présumé; la renonciation doit être

exprimée et établie de manière non équivoque.» ( Délimitation maritime et questions territoriales

entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 159, par. 38).

44. Mais telle n’est pas vraiment la ques tion. Le cŒur du débat est que, même s’il était

possible d’interpréter la résolution 1244, ou d’autres documents de l’ONU, comme favorisant,

recommandant ou acceptant l’indépendance du Kosovo comme une solution possible, cette

indépendance serait considérée comme politiquement envisageable, mais seulement comme une

possibilité parmi d’autres solutions envisagées par les auteurs de la résolution. Cela ne signifierait

pas, et ne pourrait signifier, même par déduction, que la solution de l’indépendance pourrait être

21
Résolution 1244 du Conseil de sécurité, annexe 2, par. 5.
22Résolution 1244 du Conseil de sécurité, préambule ; et voir annexe 2, par. [8] (qui renvoie aux « autres pays de

la région ». - 20 -

choisie unilatéralement par l’une des parties a ux discussions sur le Kosovo, pour se voir ensuite

conférer un effet juridique par l’action unilatérale de cette partie.

45. Le fait que les Nations Unies décident qu ’un plan particulier visant à régler un conflit

politique est souhaitable, ou est une solution parmi toute une série d’options souhaitables, ne donne

pas le droit à une partie au conflit d’imposer ce pl an unilatéralement. Agir dans le cadre de la

recherche d’une solution politique est une chose, exercer un droit reconnu en est une autre.

4. Les pouvoirs du Conseil de sécurité ne sont pas illimités

46. J’en viens maintenant à mon quatrième princi pe : même si le Conseil de sécurité agissait

en vertu du chapitre VII de la Charte, et qu’aucune limite expresse n’est posée à la faculté que lui

confère l’article 39 de «décide[r] quelles mesures seront prises conformément aux articles 41 et 42

pour maintenir ou rétablir la paix et la sécur ité internationales», ses pouvoirs ne sont pas pour

45 autant illimités. En particulier, ils ne vont pas ju squ’à lui permettre de tran sférer le territoire d’un

Etat à un autre contre la volonté de l’Etat dépossédé.

47. Le libellé des articles41 et 42 ne laisse nullement entendre que le Conseil dispose de

pouvoirs illimités. Ces deux articles envisagent la possibilité d’exercer des pressions sur les Etats,

soit par des mesures autres que l’emploi de la force, soit par une action militaire. Rien de ce qu’ils

contiennent ne permet ne serait- ce que de supposer que le Consei l aurait le pouvoir de modifier le

statut juridique du territoire d’un Etat Membre s ouverain en adoptant une résolution, que celle-ci

recueille l’unanimité ou une majorité de voix. En fait, un tel pouvoir de démembrer les Etats serait

fondamentalement incompatible avec le principe de l’égalité souveraine.

48. Comment pourrait-il en être autrement? Il est aisé d’imaginer pourquoi les Etats

acceptent un système de sécurité collective et même un système proche d’un régime de police

collective, qui peut se retourner contre eux s’ils vi olent le droit international. Ce choix obéit à un

calcul rationnel, à savoir que, tout bien pesé, la protection offerte par ce système à tous les Etats

respectueux du droit présente plus d’avantages que de contraintes. Mais pourquoi les Etats

accepteraient-ils de pouvoir être démembrés, et de voir transférer leur territoire à un autre Etat ?

49. Marquons une pause pour souligner l’importance concrète de ce point. Comment espérer

que les Etats se laissent convaincre d’accepter une administration internationale ou d’autres - 21 -

arrangements temporaires pour résoudre des crises te lles que celle qui a éclaté dans les Balkans,

s’ils savent qu’ils courent le risque d’être irrévocablement privés des pouvoirs qu’ils ont

provisoirement partagés avec une autre entité ou lui ont délégués? Ce serait comme confier un

enfant à une personne pour quelque temps, puis s’ entendre dire qu’on ne vous le rendra jamais.

Quelles en seraient les conséquences pour les efforts déployés au sein de l’Organisation des

Nations Unies, de l’Union africaine ou de l’OSCE afin de faire cesser les tueries et de régler

pacifiquement les crises internationales ?

50. Rien n’indique que la Charte des Nations Unies investisse le Conseil de sécurité d’un tel

pouvoir, ni même qu’on ait eu l’intention de le lu i donner. Nul ne suggère que le Conseil ait tous

pouvoirs — et qu’il ait, par exemple, celui d’impo ser des pénalités aux Etats. Rien ne permet non

plus de soutenir que le Conseil se serait vu confie r, entre autres pouvoirs, celui de transférer le

territoire d’Etats Membres de l’Organisation des Nations Unies et d’en disposer à son gré, contre la

volonté de l’Etat concerné.

46 51. Ainsi que le juge Fitzmaurice l’a d éclaré dans un célèbre passage de son opinion

dissidente dans l’affaire de la Namibie :

«Même quand il s’agit vraiment de maintien de la paix, le Conseil de sécurité
n’est pas compétent pour effectuer des changements définitifs de souveraineté
territoriale ou de droits d’administration.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Même quand il agit en vertu du chapitre VII de la Charte le Conseil de sécurité

n’a le pouvoir ni d’abroger ni de modifier des droits territoriaux, qu’il s’agisse de
droits de souveraineté ou de droits d’administration.» ( Conséquences juridiques pour
les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain)
nonobstant la résolution 276 (1970) du Con seil de sécurité, avis consultatif ,

C.I.J. Recueil 1971, p. 294, par. 114-115 ; les italiques sont de nous.)

52. La position défendue par le juge Fitzmaurice est solide et convaincante. Et bien que le

Conseil de sécurité ait pu à l’occasion, par ex emple dans le cas de l’Iraq et du Koweït 23, confirmer

les frontières établies par le droit internationa l, il ne s’est jamais arrogé le droit de transférer un

territoire. S’il ne dispose pas lu i-même de ce pouvoir, il ne peut manifestement pas le conférer à

d’autres.

23
Voir la résolution 687 du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies. - 22 -

53. Par conséquent, Chypre soutient que, si la formulation des résolutions du Conseil de

sécurité peut certes présenter de l’intérêt et de l’importance pour d’autres aspects juridiques de la

question dont la Cour est actuellement saisie, aucune résolution de l’Organisation des Nations

Unies, quels qu’en soient les termes, ne saurait avoir pour effet de priver licitement un Etat

Membre d’une partie de son territoire souverain contre son gré, ni d’autoriser pareille dépossession

territoriale.

54. Et il est encore moins permis, nature llement, de soutenir que l’Organisation des

NationsUnies aurait en quelque sorte, faute d’av oir condamné ou déclaré nulle et non avenue la

déclaration du 17 février, conféré ou reconnu une valid ité juridique à celle-ci. Si l’Organisation ne

peut autoriser le démembrement d’un Etat par une action expresse, elle ne peut assurément pas le

faire par son inaction.

55. Voilà qui met un terme à ma partie de nos exposés oraux, que M. Polyvios Polyviou va

maintenant conclure au nom de la République de Chypre. Je vous remercie, Monsieur le président.

47 M. POLYVIOU :

5. Il n’existe aucun droit de sécession en faveur des minorités

56. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, c’est réellement un honneur que de me

présenter devant vous pour conclure l’exposé oral de la République de Chypre en l’instance.

57. Nous avons exposé les principes juridiqu es qui selon Chypre sont applicables dans la

présente affaire. Ces principes ne donnent pas ra ison aux auteurs de la déclaration. Ceux qui

plaident en faveur de ces derniers doivent mont rer qu’ils avaient quelque légitimité, en droit

international, à déclarer le Kosovo séparé de la Serbie. J’examinerai deux des arguments avancés

par les partisans de la déclaration; le premier consiste à dire que la déclaration pourrait être

justifiée en tant qu’acte d’autodétermination et le second, que la situation revêt un caractère sui

generis et que les règles classiques du droit international ne peuvent lui être appliquées.

58. La République de Chypre a présenté son point de vue dans son exposé écrit. Elle estime

pour l’essentiel que le droit à l’autodétermination est un droit dévolu à «tous les peuples», mais non

aux minorités ou aux autres groupes vivant au sein d’un Etat. Les minorités peuvent naturellement - 23 -

se prévaloir de l’ensemble des droits de l’homme, mais elles n’ont absolument pas le droit de

démembrer le territoire d’Etats existants.

59. Tel est aussi le cas lorsque les droits de l’homme des membres d’une minorité peuvent

être considérés comme ayant été bafoués. Il exis te des mécanismes pour défe ndre de tels droits:

dans le cadre des législations nationales, devant des organes régionaux tels que la Cour européenne

des droits de l’homme, ou au sein d’instances inte rnationales comme le Conseil des droits de

l’homme des Nations Unies. Toute minorité dispose d’une panoplie de recours et de mécanismes.

Aucune n’a le pouvoir de démembrer ou d’amputer le territoire d’un Etat.

60. S’il y a violation des droits de l’homme, il faut évidemment y porter remède. Ce remède

consiste à veiller à ce que l’Etat s’acquitte des ob ligations qui lui incombent à l’égard des êtres

humains placés sous sa juridiction. Il ne consiste certainement pas à faire éclater l’Etat.

61. La population du Kosovo n’est pas, d’après Chypre, une «entité susceptible

d’autodétermination». Elle peut incontestablement prétendre à ce que les droits de l’homme de ses

membres soient respectés de même que ses droits en tant que minorité vivant au sein d’un Etat.

C’est indiscutable, bien entendu. Mais la viola tion de ses droits ne l’autorise pas à faire sécession

de l’Etat où elle vit ou à en provoquer le démembrement.

48 6. Les situations sui generis n’échappent pas à l’empire du droit

62. La République de Chypre note que, dans nombre des exposés écrits soumis à la Cour,

tant par les partisans que par les détracteurs de la déclaration du Kosovo, le cas du Kosovo a été

distingué de celui de la partie septentrionale de Chypre. Certains l’ont fait en attirant l’attention sur

les violations flagrantes du droit international qui av aient permis à un régime de s’établir dans le

nord de Chypre à la suite de l’invasion militaire turque de 1974, une illicéité qui empêcherait selon

eux la création d’un Etat juridiquement valide. D’autres se sont référés à l’obligation juridique

continue, exprimée dans certaines résolutions du Con seil de sécurité et incombant à tous les Etats,

de ne pas reconnaître la soi-disant «RTCN», la République turque de Chypre-Nord : de fait, seul un

Etat au monde, la Turquie, qui est le pays respon sable des violations du dro it international dans le

cas de Chypre, a reconnu la RTCN. - 24 -

63. Il est bien entendu utile de tenir compte des caractéristiques qui différencient ou peuvent

différencier le cas du Kosovo d’autres situations. En fait, une analyse de la situation du Kosovo

qui ne tiendrait pas sérieusement compte de ces caractéristiques particulières serait lacunaire et

inadéquate.

64. Cette approche présente toutefois des dangers que tous les exposés écrits n’ont pas réussi

à éviter. En effet, on peut commencer par dresser une liste des caractéristiques propres au Kosovo,

et partir ensuite du principe que celui-ci constitue un cas sui generis, pour en arriver finalement à la

conclusion que les règles et principes établis du dr oit international n’ont pas à lui être appliqués

précisément parce qu’il s’agit, penserait-on, d’un cas sui generis.

65. Un tel raisonnement, Monsieur le président et Messieurs de la Cour, est manifestement

erroné et il ne faut pas y céder.

66. Evidemment, chaque situation a ses caract éristiques propres qui la distinguent de la

plupart des autres, avec lesquelles elle partage néanmoins certains traits communs. Lorsqu’il est dit

que la justice et l’état de droit consistent à assu rer une égalité de traitement à toutes les affaires

similaires, cela ne signifie pas qu’elles doivent être parfaitement identiques pour être soumises à

une règle donnée.

67. Monsieur le président et Messieurs de la Cour, c’est rappeler un principe fondamental, et

même une évidence, que de dire que le droit est conçu pour s’appliquer à l’ensemble des situations

globalement similaires qui entrent dans une catégorie définie par la loi. Chypre ne nie pas que le

Kosovo ait ses caractéristiques propres. En fait, chaque situation est spécifique. Si cette spécificité

doit nous inciter à appliquer les règles du droit international au Kosovo avec discernement, ce n’est

49
sûrement pas une raison suffisante pour dire que ces règles ne peuvent nullement lui être

appliquées.

68. Si la Cour devait un jour déclarer qu’elle peut, en effet, suspendre l’exécution du droit

pour un cas donné parce que celui-ci présente certaines caractéristiques particulières, elle créerait,

de façon on ne peut plus claire, un précédent permettant de suspendre l’exécution du droit à l’égard

de n’importe quel cas, en raison des spécificités de ce dernier.

69. En outre, il est peu probable que la Cour puisse limiter l’effet de son avis au cas

particulier du Kosovo. Certaines des caractéri stiques qui, selon plusieurs exposés soumis à la - 25 -

Cour, devraient conduire celle-ci à conclure que le Kosovo est un cas sui generis échappant à

l’application du droit international pourraient, entr e les mains de n’importe quel juriste habile ou

politicien manipulateur, être généralisées de manière à s’appliquer à beaucoup d’autres situations.

70. Si la Cour devait fonder son av is sur l’idée que le Kosovo constitue un cas sui generis,

elle cesserait d’être une cour de justice et j ouerait le rôle des autres organes principaux de

l’Organisation des Nations Unies—qui consiste à décider de la façon de traiter une situation

particulière sur le plan politique.

71. La Cour n’a jamais assumé un tel rôle et , de l’humble avis de la République de Chypre,

elle devrait s’en garder en l’espèce. La Cour ⎯ et nous l’y exhortons avec respect et avec force ⎯

ne devrait jamais se départir du rôle qui est le si en, en tant que cour de justice et que véritable

gardienne de l’ordre juridique international.

72. Enfin, et je serai très bref, Monsieur le président et Messieurs de la Cour, permettez-moi

de résumer ici les principes fondamentaux auxquels est attachée la République de Chypre :

a) premièrement, les actes de sécession ne sont pas des «faits neutres» sur lesquels le droit

international n’a rien à dire: au contraire, les actes de sécession ont une portée juridique et

doivent être conformes au droit international ;

b) deuxièmement, cela est d’autant plus vrai lorsqu’un acte de sécession résulte de l’emploi illicite

de la force ;

c) troisièmement, le fait que les Nations Unies proposent les termes d’un éventuel règlement par

voie d’accord n’autorise aucune des parties à imposer ces termes unilatéralement ;

d) quatrièmement, le Conseil de sécurité de l’ONU n’a pas le pouvoir d’amputer un Etat d’une

partie de son territoire sans son consentement ; et

50 e) cinquièmement, le droit international s’applique à toutes les situations internationales, aussi

exceptionnelles que soient les circonstances.

73. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, voilà qui conclut notre exposé oral. Au nom

de la République de Chypre, je vous remercie de votre attention. - 26 -

Le PRESIDENT : Je vous remercie M. Polyvios Polyviou.

Le moment me semble bien choisi pour fair e une pause. Deux autres participants doivent

encore s’exprimer, pendant 45 minutes chacun. Je déclare donc la séance suspendue pendant une

quinzaine de minutes, jusqu’à 11 h 30.

L’audience est suspendue de 11 h 15 à 11 h 30.

Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. Je donne à présent la parole à

S. Exc. Mme Andreja Metelko-Zgombić.

Mm ETELKO-ZGOMBI Ć :

1. Monsieur le président, Messieurs de la Cour , j’ai l’honneur et le privilège de m’adresser

de nouveau à vous au nom du Gouvernement de la République de Croatie.

2. Je me propose maintenant de donner la réponse de notre gouvernement à la question

posée, de fournir certaines informations et d’exprimer les vues de la Croatie, dans le but d’aider la

Cour et de contribuer à éclaircir les circonstances qui entourent la demande d’avis consultatif.

I.INTRODUCTION

3. La République de Croatie a reconnu le Ko sovo comme Etat indépendant et souverain le

19 mars 2008. Dans la déclaration commune qu’ils ont publiée avant de reconnaître simultanément

la République du Kosovo, les Gouvernements de s Républiques de Croatie , de Hongrie et de

Bulgarie ont déjà exposé certaines des raisons pour lesquelles ils reconnaissaient l’indépendance du

Kosovo. Ils ont notamment rappelé l’échec des in itiatives prises par la communauté internationale

pour parvenir à un règlement négocié entre Belgrade et Pristina sur le statut du Kosovo et souligné

51 qu’en pareille circonstance le statu quo était inacceptable et le changement nécessaire. Ils ont

également fait observer que le Kosovo était un cas sui generis découlant des circonstances

exceptionnelles que furent la désintégration de l’ ex-RFSY et la longue période d’administration

internationale. Les trois gouvernements confirmaient que les institutions du Kosovo s’étaient

engagées, entre autres, à appliquer dans leur tota lité les principes et arrangements prévus dans la - 27 -

Proposition globale de règlement du statut du Kosovo élaborée par l’envoyé spécial du Secrétaire

général de l’ONU.

4. Dans leur déclaration commune, les troi s pays ont souligné qu’ils attachaient une

importance primordiale à la stabilité en Europe du Sud-Est. Ils ont également affirmé leur volonté

de développer leurs liens avec la Serbie qui av ait de bonnes relations avec ses voisins, vivait une

période de croissance économique et conservait une orientation européenne.

5. La République de Croatie a établi des re lations diplomatiques avec la République du

Kosovo le 24juin2008, après que cette dernière eut adopté une constitution et d’autres textes

fondamentaux qui précisaient l’ordre juridique de l’Etat nouvellement créé et garantissaient

l’exercice et la protection des droits de l’homme, en particulier des droits des minorités.

6. La République de Croatie a la convicti on qu’en reconnaissant la République du Kosovo,

elle a pris acte d’un fait international légal, à savoir l’existence d’un nouvel Etat. Elle est

également convaincue que, ce faisant, elle a contribué à l’instauration de conditions favorables à la

paix et à la stabilité dans la région.

7. Au même moment, d’autres pays de la région ont reconnu la République du Kosovo, dont

ses deux voisins immédiats qui sont également limitrophes de la République de Serbie: la

République de Macédoine et le Monténégro, ce de rnier ayant fait partie pendant longtemps du

même Etat que le Kosovo, après la dissolution de la RFSY.

8. Alors que vous êtes aujourd’hui saisis de cette affaire et qu’un grand nombre d’Etats ont

exprimé leurs vues à ce sujet, la Croatie, en tant qu’Etat successeur de l’ex-République fédérative

socialiste de Yougoslavie (RFSY) et qu’Etat de la région, estime approprié de présenter ses vues et

de donner les informations en sa possession.

52 II.RÉPONSE À LA QUESTION POSÉE À LA COUR

9. La question posée à la Cour est la suivan te: «La déclaration un ilatérale d’indépendance

des institutions provisoires d’administration autonome du Kosovo est-elle conforme au droit

international?». La Croatie répond pour sa part que «la déclaration d’indépendance du Kosovo»,

adoptée lors d’une session extraordinaire de l’Assemblée du Kosovo tenue le 17 février 2008, n’est - 28 -

contraire à aucune règle ni principe applicables du droit international et ne viole aucune mesure

contraignante adoptée par la communauté internationale se rapportant au Kosovo.

10. La Croatie considère que la question posée à la Cour est précise et limitée, et que la

réponse qui y sera donnée devrait de même n’avoir trait qu’à la licéité de la déclaration

d’indépendance. Nous posons d’emblée qu’aucune règle de droit international ne régit, et a fortiori

n’interdit, l’adoption d’une déclaration d’indé pendance. Compte tenu de la présomption

d’admissibilité avalisée par la Cour et par la Cour permanente qui l’a précédée dans un certain

nombre d’affaires dans lesquelles la licéité internationale d’une action contestée a été appréciée

o o
(par exemple l’affaire du Lotus , arrêt n 9, 1927, C.P.J.I. série A n 10 et l’avis consultatif sur les

Armes nucléaires ), la Croatie est d’avis que cette déclaration n’est pas contraire au droit

international. Il en découle donc qu’elle est «conforme au droit international».

11. La pratique des Etats confirme que l’ad option d’une déclaration d’indépendance, ou des

actes juridiques analogues, se produisent fréquemment au moment de la création d’un nouvel Etat.

En tant que tel, cet acte-même ⎯celui de déclarer l’indépendance ⎯ est neutre du point de vue

juridique. De nombreux spécialistes ont étudié la question et il a été fait référence à certains
24
d’entre eux dans plusieurs des exposés éc rits que des Etats ont soumis à la Cour . La République

de Croatie souscrit aux vues des nombreux Etats qui ont suivi le même raisonnement dans leurs

exposés écrits. Elle est d’avis qu’il n’est pas besoin d’explications supplémentaires en l’espèce.

12. En outre, il convient de re lever que ce n’est pas l’acte de déclarer l’indépendance qui

conduit à la création d’un nouvel Etat. Le droit in ternational établit des critères qui doivent être

réunis pour qu’un Etat naisse ou existe. Toutefois, ces conditions peuvent être réunies, et le sont

très souvent, l’une après l’autre. Aussi la créa tion d’un Etat indépendant et souverain du Kosovo

53 doit-elle être considérée comme un processus qui était en devenir avant l’adoption de la déclaration

d’indépendance et que le foncti onnement légitime des institutions de l’Etat nouvellement formé

permet aujourd’hui d’apprécier.

24Exposé écrit des Etats-Unis d’Amérique, p.41; contribution écrite de lRépublique du Kosovo,

par. 8.08-8.10 ; exposé écrit de la République fédérale d’Allemagne, p. 18-20, etc. - 29 -

III.LES CIRCONSTANCES QUI ONT CONDUIT A L ’INDEPENDANCE DU KOSOVO

13. Monsieur le Président, la Cour jugera peut-être utile d’examiner les circonstances qui ont

conduit le Kosovo à accéder à l’indépendance. Aussi la Croatie tient-elle à en appeler l’attention

sur certaines circonstances qui, selon elle, revêtent une pertinence particulière.

14. La Croatie souhaite en particulier aborder les questions suivantes :

⎯ la situation constitutionnelle du Kosovo au sein de la République fédérative socialiste de

Yougoslavie ;

⎯ la suppression illégale de l’autonomie du Kosovo ainsi que les événements qui ont eu une

incidence sur sa situation pendant le processu s de dissolution de la République fédérative

socialiste de Yougoslavie ;

⎯ les graves violations des droits de l’homme commises à l’encontre des Albanais du Kosovo

⎯et la répression systématique menée contre eux ⎯ par la République fédérale de

Yougoslavie, devenue la République de Serbie ;

⎯ l’établissement de l’administration interna tionale au Kosovo en application de la

résolution1244 et la mise en place des in stitutions d’administration autonome par

l’administration intérimaire ;

⎯ l’échec de tous les efforts de la communauté internationale pour parvenir à une solution

négociée entre Belgrade et Pristina concernant le statut final du Kosovo ; et, enfin,

⎯ l’adoption de la déclaration d’indépendance.

1. Situation constitutionnelle du Kosovo au sein de l’ex-RFSY

15. Aux fins de répondre à la question posée à la Cour, il est important d’examiner la

situation constitutionnelle du Kos ovo en tant que province autonome au sein de la République

fédérative socialiste de Yougoslavie près de 20 ans après que cette Fédération a cessé d’exister, et

ce pour deux raisons.

16. Premièrement, en vertu de la constitution de la RFSY de 1974, le Kosovo était une entité

constitutive de l’ancienne Fédéra tion, dotée d’une autonomie politique et territoriale importante.

En tant qu’entité constitutive de la Fédération, le Kosovo possédait d’importants attributs d’Etat,

largement équivalents à ceux des républiques. - 30 -

54 17. Deuxièmement, au cours de la période qui a suivi la dissolution de l’ancienne Fédération,

la question du statut du Kosovo n’a pas été tranchée. Par la suite, les attributs d’Etat dont jouissait

le Kosovo dans l’ancienne Fédération ont jeté les bases de sa personnalité internationale.

18. La Constitution de la R FSY de1974 a mis en place un système fédéral s’apparentant à

une confédération à bien des égards. La Yougosla vie était définie comme un état fédéral formé de

huit entités constitutives: six républiques (la Bosnie -Herzégovine, la Croatie , le Monténégro, la

Macédoine, la Slovénie et la Serbie) et deux pr ovinces autonomes (le Kosovo et la Voïvodine).

Ces dernières faisaient à la fois partie de la Fédération et de la République socialiste de Serbie.

19. Le fait que la procédure d’adoption et de revision de la constitution prévoyait le

consentement des assemblées des républiques et desdites provinces montre immédiatement

l’importance et le statut des provinces autonomes. Autrement dit, aucune modification de leur

statut, tel que prévu par la constitution, n’était possible sans leur consentement.

20. Les entités constitutives de la Fédération di sposaient de la compétence de droit commun

pour la conduite de leurs affaires intérieures. Tout ce qui n’était pas expressément attribué à l’Etat

fédéral par la constitution de la Fédération constituait le domaine réservé des républiques et des

provinces autonomes.

21. La Cour constitutionnelle de la RFSY avait compétence pour connaître des différends

entre la Fédération et chacune de ses huit en tités constitutives, ainsi que des différends opposant

ces entités entre elles.

22. Le fonctionnement de la Fédération, la composition des organes fédéraux et le processus

de décision confirmaient le principe de l’éga lité constitutionnelle des républiques et des provinces

autonomes. Ainsi, tous les organes collectifs de la Fédération étaient fondés sur une représentation

égale des républiques et une représentation appropriée des provinces autonomes.

23. La direction collective de l’Etat — la présidence de la RFSY — était composée d’un

représentant de chacune des républiques et de ch acune des provinces autonomes. Le Président de

la présidence était élu pour un mandat d’un an au sein des différentes républiques et provinces

autonomes, selon un ordre prédéterminé.

24. L’Assemblée de la RFSY — qui était l’or gane de la Fédération investi de l’autorité

suprême ⎯était composée de la chambre fédérale et de la chambre des républiques et des - 31 -

provinces. Ces deux chambres garantissaient une représentation appropriée des républiques et des

provinces.

55 25. La chambre des républiques et des provinces était un important instrument de

l’expression de la volonté de ces républiques et provinces au niveau fédéral. Elle s’assurait que

leurs assemblées étaient parvenues à un accord dans les domaines où l’accord de toutes les

assemblées était nécessaire pour qu’une loi fédé rale puisse être adoptée et promulguée. Cette

procédure était suivie pour les décisions les plus importantes, telles que l’adoption du budget

fédéral, l’adoption de la législation fédérale régissant les relations au sein du système monétaire, le

régime de change, le commerce extérieur, les re lations économiques avec des pays étrangers, etc.,

ainsi que la ratification de certains accords internationaux signés par la RFSY.

26. La chambre des républiques et des provi nces partageait avec la chambre fédérale ⎯ et

ce, sur un pied d’égalité — le pouvoir de nominati on et de révocation des plus hauts responsables

de la Fédération, tels que le président et les me mbres de la Cour constitutionnelle et de la Cour

suprême de Yougoslavie.

27. Même lors de l’élection des me mbres du Gouvernement de la Fédération ⎯ le «conseil

exécutif fédéral» —, le principe de la représen tation égale des républiqu es et d’une représentation

appropriée des provinces autonomes était pris en compte. Ces principes étaient également

appliqués pour pourvoir les plus hauts postes des organes fédéraux et de l’administration de l’Etat.

28. Tout comme les républiques, les provinces autonomes ne pouvaient voir modifiés leurs

territoires et leurs frontières sans leur consentement. Aux termes de l’article 5 de la Constitution de

la RFSY de 1974, le territoire d’ une république ne pouvait être modifié sans son consentement. Il

en allait de même pour le territoire d’une province autonome.

29. La Constitution de 1974 prévoyait le renfor cement des attributs d’Etat des républiques et

des provinces autonomes, ainsi que de leurs ins titutions. Chaque province autonome avait sa

propre assemblée et son propre conseil exécutif ⎯ terme désignant son gouvernement ⎯, sa propre

banque centrale, son pouvoir judiciaire, sa police et son système d’éducation. La langue albanaise

était l’une des langues officielles utilisées dans la province autonome du Kosovo.

30. Tout comme les républiques, les provi nces autonomes avaient leur propre constitution

ainsi que leur propre législation dans les domai nes qui n’entraient pas dans le champ de la - 32 -

compétence exclusive de la Fédération. La législation fédérale se composait des textes régissant

les règles de procédure (en matière civile, pénale et en ce qui concerne l’application des lois) et

seulement de quelques textes relatifs à des qu estions de fond (tels que ceux énonçant les

obligations en matière civile ou pénale). Les ré publiques et les provinces avaient donc leur propre

législation dans des domaines tels que le droit de la famille, le droit des successions, le droit de la
56

propriété et le droit pénal. En raison de la forte dimension conféd érale de la Fédération, la RFSY

avait également une loi fédérale sur le règlement des conflits de lois entre ses républiques et ses

provinces, ainsi qu’une loi fédérale sur le règlement des conflits de lois avec d’autres Etats.

31. Ces éléments attestent que le Kosovo possédait d’importants attributs d’Etat au sein de la

RFSY, éléments qui étaient garantis et régis pa r la constitution fédérale , la constitution de la

République de Serbie et la cons titution de la province autonome du Kosovo. Cela signifie que le

Kosovo, en tant que province autonome, jouissait d’un statut largement égal à celui des républiques

de la Fédération.

32. Je conclurai cette partie de mon exposé en citant le président de la République de

Croatie, M. Stjepan Mesić, qui fut membre de la présidence de l’ancienne RFSY au moment de sa

dissolution et le témoin direct des événemen ts de cette période. Ces propos de M.Mesi ć, qui

concernaient la structure de l’ancien Etat et la situation des républiques en son sein, ont été repris

dans un article publié dans Večernji list :

«Premièrement, la Yougoslavie était composée de républiques et de provinces,
ces dernières étant donc les entités constitutives de la Fédération. Deuxièmement, les
provinces faisaient partie de la Serbie, ce qui signifie que, outre les liens
constitutionnels qui les unissaient à la Fédération, elles étaient également liées à l’une

de ses entités fédérales. Troisièmement, les républiques et les provinces s’étaient
librement unies pour former la Yougoslavie. Elles ne sauraient donc être maintenues
contre leur gré dans ce cadre étatique. S’agissant des provinces, cela vaut aussi bien
vis-à-vis de la Fédération que vis-à-vis de l’entité fédérale. Enfin, quatrièmement, les

citoyens, c’est-à-dire les nations et nationalités des provinces, exercent leurs droits
souverains.» [Traduction du Greffe.]

33. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, il ressort des événements qui se sont

produits en1989/1990 et du cont exte de la dissolution de l’ ex-Yougoslavie que les conditions

politiques et juridiques du règlement du statut du Kosovo n’étaient pas réunies à l’époque. - 33 -

2. La suppression illégale de l’autonomie du Kosovo

34. Les amendements apportés en mars 1989 à la Constitution de la République socialiste de

Serbie ont entraîné la destruction du concept fédéraliste qui sous-tendait la Constitution de 1974 en

réduisant considérablement les pouvoirs des provin ces autonomes. Permettez-moi de revenir sur

l’un de ces amendements, celui qui a privé le Kosovo du pouvoir de s’élever contre des

amendements à la Constitution de la Serbie.

57 35. Cette mesure a déclench é des manifestations au Kosovo qui ont amené la présidence

fédérale à décider de déployer des forces de l’armé e et de la police fédérales dans cette province.

Néanmoins, le 22 mars 1989, le gouvernement du Kos ovo, sous la pression politique directe de la

Serbie, a approuvé les amendements à la Constitution de la République socialiste de Serbie. C’est

dans des conditions aussi contestables de contrainte, également exposées dans le jugement du TPIY
25
en l’affaire Milutinović et consorts , et alors que des véhicules de la police et de l’armée serbes

patrouillaient dans les rues de Priština, que l’ Assemblée du Kosovo a accepté les amendements en

question. L’Assemblée de Serbie les a ensuite adoptés à Belgrade le 28 mars 1989.

36. En dépit de la résistance et des manifestations des Albanais du Kosovo, la République

socialiste de Serbie a adopté une nouvelle constitution en1990 qui abolissait totalement

l’autonomie du Kosovo et de la Voïvodine. Ce tte constitution privait l es deux provinces de tous

leurs attributs d’Etat et la province du Kosovo fut renommée «Kosovo-Metohija» .

37. C’est en recourant à ces mesures et moyens de pression que la Serbie a supprimé le degré

élevé d’autonomie politique dont le Kosovo et la Vo ïvodine avaient bénéficié jusque-là. Les deux

provinces ont été privées du droit d’avoir une cons titution, un pouvoir législatif, une présidence,

une cour suprême et une cour constitutionnelle qui leurs soient propres.

38. La Constitution de 1990 a également privé le Kosovo et la Voïvodine de leur autonomie

territoriale. Ces deux provinces autonomes ne pouva ient plus donner ou refuser leur consentement

à d’éventuelles modifications de leur territoire, et les questions s’y rapportant devaient être résolues

par voie législative sans qu’elles aient leur mot à di re dans cette procédure. La constitution de la

province autonome du Kosovo fut remplacée par le «statut»adopté par l’Assemblée nationale de

Serbie.

25 o
Milutinović et consorts, jugement, affaire n IT-05-87-T, vol. 1, par. 219. - 34 -

39. En retirant au Kosovo et à la Voïvodine le ur statut d’unités constitutives de la Fédération

yougoslave, l’Assemblée de la République socialiste de Serbie a violé la Constitution de la RFSY

de 1974 et sapé les fondements même de cet Etat.

40. Les répercussions de ces modifications constitutionnelles sur le statut du Kosovo et

l’évaluation de leur conformité à la Constitution de 1974 font l’objet d’une étude approfondie dans

les observations écrites de la République de Slovéni e. Je suis heureux de confirmer aujourd’hui

que nous partageons les vues qui y sont exprimées.

58 41. En prenant les mesures précitées, la Se rbie a aboli l’autonomie du Kosovo et de la

Voïvodine, garantie par la cons titution fédérale. Elle a maintenu des représentants dans les

organismes fédéraux, s’assurant ainsi de dominer le processus de prise de décisions politiques. La

Serbie pouvait ainsi continuer à affi rmer sa domination sur la présid ence collective de la RFSY et

d’autres organes de la Fédération, qui ne foncti onnaient plus conformément aux principes de la

Constitution de 1974.

42. Permettez-moi de dire à ce stade que, sur le plan constitutionnel, le processus d’abolition

des provinces autonomes concernait les deux provinces al ors que, sur le plan législatif, les diverses

lois et mesures adoptées se rapportaient uniquement au Kosovo. Pour ce qui est de cette province,

une série de nouvelles mesures intitulées «Programme pour la réalisation de la paix et de la

prospérité au Kosovo» ont été adoptées afin d’améliorer le statut des Serbes du Kosovo. Alors que

ces derniers se voyaient offrir divers avantages en matière d’investissements et dans des domaines

connexes, les Albanais du Kosovo étaient l’objet d’un e série de mesures et de lois qui en faisaient

des citoyens de seconde zone en Serbie. Ces me sures discriminatoires constituaient des violations

graves des droits de l’homme, co mme l’a reconnu la communauté internationale. Elles allaient

conduire à l’interdiction des jour naux de langue albanaise et à la fermeture de l’académie des

sciences et des arts du Kosovo. Un nombre important d’Albanais du Kosovo fut expulsé des

services publics et d’Etat.

43. Pendant les années1990, les Albanais du Kosovo, qui représentaient 90% de la

population de la province, ont manifesté clairement la volonté de voir leur statut régi sur d’autres

bases que celles imposées par Belgrade. Les dr oits fondamentaux garantis par le droit

international, à savoir l’égalité et l’autodétermination des peuples ⎯ par rapport à la participation - 35 -

et à la représentation des Albanais du Kosovo au se in du gouvernement et de l’administration de

leur Etat originel ⎯ leur furent déniés par l’abolition illicite de l’autonomie du Kosovo.

44. Dès cette époque, le peuple du Kosovo a cherché à rétablir et revendiquer pour le

«Kosovo» les caractéristiques d’une unité constitutive de la Fédération. Les membres albanais de

l’Assemblée du Kosovo ont adopté une résolution dans laquelle ils déclaraient leur province «entité

indépendante et égale au sein de la Fédération de Yougoslavie». Les as pirations du peuple du

Kosovo à sa propre identité et à la réalisation du droit à l’autodétermina tion dans un Etat dans

lequel ces droits leur étaient refusés se sont transformées en une volonté clairement exprimée de

59 voir le Kosovo devenir un Etat indépendant et so uverain. Cette volonté a été confirmée par le

référendum de1991 sur l’adoption d’une déclarati on d’indépendance. Sur 87% des électeurs

ayant qualité pour voter qui ont participé au référendum, 99 % ont voté en faveur de la déclaration.

45. Pour ce qui est de la dissolution de la Fédération et de l’effet inévitable de cette

dissolution sur ses éléments constitutifs, le Kosovo en particulier, le président Mesi ć a souligné ce

qui suit dans l’article que j’ai déjà mentionné :

«Cette Fédération s’est dissoute. Un des éléments qui la constituaient a disparu,

mais cela ne signifie pas qu’il a été automatiquement transmis à ce qui est aujourd’hui
la République de Serbie simplement parce que la province du Kosovo faisait
également partie de la République de Serb ie dans la Yougoslavi e fédérale. C’est
précisément parce que l’élément que représentait le lien du Kosovo avec l’ancienne

Fédération avait disparu et que seul demeurait le lien avec la Serbie que le besoin s’est
fait sentir de déterminer le statut nouveau et final de cette province.»

3. La dissolution de l’ancienne RFSY et le statut du Kosovo dans le cadre de ce processus

46. Monsieur le président, messieurs de la Cour, les années1990 en Yougoslavie ont été

marquées par les premières élections véritablement dé mocratiques. Il en a résulté la mise en place

de parlements et de systèmes multipartites dans les républiques de Croatie et de Slovénie et,

finalement, l’adoption de déclarations d’indépe ndance et de souveraineté dans ces deux Etats le

25 juin 1991. A la fin de cette même année, la Bosnie-Herzégovine et la Macédoine avaient suivi

le même chemin.

47. Le travail de la commission d’arbitrage, mise en place en1991 dans le cadre de la

conférence de paix pour l’ex-Yougoslavie, est d’ une importance décisive pour comprendre les - 36 -

aspects juridiques de la dissolution de la Fédéra tion et l’émergence de nouveaux Etats sur le

territoire de l’ex-Yougoslavie.
o
48. Dans son avis n 1 du 29 novembre 1991, la commission d’arbitrage a conclu que la

RFSY était engagée dans un processus de dissolutio n. Elle a également exprimé un ensemble de

vues importantes sur l’application du droit internat ional au cas concret de la dissolution de la

RFSY, qui, selon nous, n’ont rien perdu de leur valeur. Ainsi, la commission a relevé que

l’existence ou la disparition d’un Etat était une qu estion de fait, que les effets de la reconnaissance

par d’autres Etats étaient purement déclaratifs et que c’était le droit international qui définissait

dans quelles conditions une entité constituait un Etat.

49. La commission d’arbitrage a conclu que la RFSY était engagée dans un processus de

dissolution du fait de la déclaration d’indé pendance déjà adoptée par les quatre républiques

60 (Bosnie-Herzégovine, Croatie, Ma cédoine et Slovénie), et parc e que la composition et le

fonctionnement des organes essentiels de la Fédé ration ne satisfaisaient plus aux critères de

participation et de représentation de tous les membres de la Fédération, qui sont inhérents à un Etat

fédéral. Il convient de relever que la conformi té de ces décisions sur l’indépendance au droit

international n’a jamais été contestée par la commission d’arbitrage. Dans son avis n o8, celle-ci a

confirmé que le processus de dissolution de la Y ougoslavie était arrivé à s on terme et que cet Etat

n’existait plus.

50. Au même moment, la Communauté européenne a adopté la déclaration relative aux

conditions de la reconnaissance des nouveaux Etats et des lignes directrices sur la reconnaissance

des nouveaux Etats en Europe orientale et en Uni on soviétique. Cela signifiait qu’en prenant le

droit international comme point de départ, la Communauté européenne aiderait les Etats membres à

prendre des décisions politiques concernant la r econnaissance des Etats qui s’étaient formés sur le

territoire de la RFSY.

51. Le respect par la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, la Macédoine et la Slovénie des

os
conditions énoncées dans la déclaration et dans le s lignes directrices a fait l’objet des avis n 4, 5,

6 et 7 de la commission d’arbitrage ⎯ lesquels ont ouvert la voie à la reconnaissance de ces Etats.

52. Quant à la Serbie et au Monténégro, ils n’ont pas soulevé la question de leur accession à

l’indépendance et de leur reconnaissance. Ils ont affirmé, sans la moindre base juridique, qu’ils - 37 -

étaient les seuls successeurs licites de l’ex-Yougoslavie et la continuité de la RFSY et que la

sécession des quatre autres républiques était illicite.

53. Les vues de la présidence de la RFSY, que la Serbie dominait déjà à l’époque, ont été

exposées dans un texte détaillé intitulé «Evaluations et positions de la présidence de la RFSY au

sujet de la proclamation d’indépendance de la République de Croatie et de la République de

Slovénie» 2. Ce document, rédigé à Belgrade le 11 octobre1991, évoque irrésistiblement des

points de vue entendus récemment dans cette salle d’audience et exposés dans les écritures de

l’Etat qui conteste aujourd’hui, comme il l’avait fait à l’époque, l’indépendance du nouvel Etat. Il

est dit dans ce document que l’indépendance ne peut être obtenue qu’avec l’accord de la

Yougoslavie, les actes sécessionnistes de la Slovéni e et de la Croatie y sont décrits comme une

menace directe pour l’intégrité territoriale de la Yougoslavie et toute tentative de reconnaissance de
61

ces deux Etats est qualifiée d’ingérence flagrante dans les affaires intérieures de la Yougoslavie,

d’acte dirigé contre la subjectivité internationale et l’intégrité territoriale de celle-ci.

54. Comme on l’a déjà dit, bien que la vol onté du peuple du Kosovo ait déjà été clairement

exprimée, le règlement de la question du statut de cette province n’a pas été examiné à l’époque.

55. Le Kosovo, unité constitutive de ce qui éta it déjà l’ancienne Fédération, est resté une

unité territoriale au sein de la République fédérale de Yougoslavie mais sans jouir de l’autonomie.

Les évènements qui ont suivi ont cependant sensib ilisé la communauté internationale à la nécessité

de régler la question du statut de cette province.

4. Les violations des droits de l’homme et la répression systématique des Albanais du Kosovo

56. Monsieur le président, M essieurs de la Cour, nous estimons que les violations graves et

continues des droits de l’homme de la popula tion albanaise du Kosovo ainsi que la répression

systématique dont elle a été l’objet de la part de la République fédérale de Yougoslavie revêtent la

plus haute importance aux fins de l’examen de la question posée à la Cour.

57. Les violations des droits de l’homme ont pris une ampleur considérable. En ce sens, la

résistance de la population du Kosovo aux actes des autorités serbes, sa longue résistance passive et

26
Reproduit dans Snežana Trifunovska (dir. de publ.) Yugoslavia Through Documents: From its creation to its
Dissolution, p. 354. - 38 -

le désir qu’elle a exprimé d’accéder à l’indépe ndance peuvent être considérés comme une forme

d’expression d’un droit de légitime défense.

58. La communauté internationale a reconnu le caractère illicite de ces actes. Elle a, au

début des années1990, condamné fermement et à ma intes reprises la discrimination perpétrée à

l’encontre de la population albana ise du Kosovo et les violations d es droits de l’homme dont elle

était victime.

59. La mission de vérification de l’OSCE au Kosovo s’est dite profondément préoccupée par

l’escalade de la violence et les violations des dro its de l’homme au Kosovo, et ce dès 1992. Après

le refus de la République fédé rale de Yougoslavie d’accepter la prorogation du mandat de cette

mission, le Conseil de sécurité des NationsUni es, dans sa résolution855(1993), a exprimé sa

profonde préoccupation face à cette décision de la République fédérale de Yougoslavie et lui a

demandé de la reconsidérer.

62 60. Les documents dans lesquels ces actes sont examinés et condamnés par la communauté

internationale sont nombreux. Le rapport de la mission inter-organisations d’évaluation des

besoins communiqué au Conseil de sécurité en 1999 27 est en un exemple important.

61. Les violations généralisées des droits de l’homme et les crimes perpétrés sont également

exposés de manière détaillée dans le j ugement rendu par le TPIY en l’affaire Milutinović et

consorts 28.

62. En réponse à cette situation, la communauté internationale a adopté la résolution 1244 en

vertu du chapitreVII de la Charte des NationsUn ies. Les violations continues des droits de

l’homme avaient en effet créé une situation qui constituait une menace pour la paix et la sécurité de

la région.

5. L’administration intérimaire pour le Kosovo (résolution 1244 (1999)

du Conseil de sécurité des Nations Unies)

63. Monsieur le président, j’examinerai brièvement certains aspects de la présence

internationale au Kosovo.

27
Rapport de la mission inter-organisations d’évaluon des besoins envoyée en République fédérale de
Yougoslavie par le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies (S/1999/662).
28Milutinović et consorts , jugement, IT-05-87-T, voir plus particuliè rement le vol.II, par.534-555, 669-690,
795-802, 1150-1265. - 39 -

64. Selon la Croatie, la déclar ation d’indépendance n’est pas contraire à la résolution1244.

Cette résolution ne préjugeait pas le statut fi nal du Kosovo. Elle prévoyait simplement le

lancement ultérieur d’un processus politique qui perm ettrait de déterminer le statut final du

Kosovo. L’issue de ce processus restait à déte rminer. Dès lors, l’indépendance constituait

incontestablement, au regard de la résolution, l’ une des solutions possibles. Les deux parties aux

négociations en étaient conscientes.

65. D’ailleurs, le passage de la résolu tion qui évoquait le processus politique visant à

déterminer le statut final du Kosovo faisait ré férence aux accords de Rambouillet(S/1999/648),

accords dans lesquels la volonté du peuple était au premier rang des facteurs devant être pris en

compte pour trancher la question du statut. Il est donc encore plus clair que l’indépendance du

Kosovo, que le peuple appelait de ses vŒux depuis quelque temps déjà, était, sinon très probable,

du moins envisagée comme l’une des issues pos sibles du processus politique prévu par la

résolution.

63 66. Permettez-moi maintenant d’ appeler votre attention sur divers autres aspects de la mise

en Œuvre de la résolution qui confirment que, mê me du temps de l’administration intérimaire des

NationsUnies au Kosovo, celui-ci était rec onnu comme constituant une unité et une entité

territoriales distinctes. C’est au cours de cette pé riode que la personnalité internationale du Kosovo

s’est développée et cristallisée.

67. Dans le cadre constitutionnel pour un gouvernement autonome provisoire au Kosovo

de 2001, le Kosovo était défini comme une «entité sous administration internationale provisoire» et

un «territoire uni» et, partant, comme une entité terr itoriale à part entière et complète totalement

indépendante de la Serbie sur les plans politique et administratif.

68. A L’époque de l’administration des NationsUnies, il a été reconnu que le Kosovo

assurait la continuité du Kosovo de l’époque de l’ex-RFSY quant au droit applicable sur ce

territoire. Ainsi, les règlements de la MINUK (MINUK/REG/2000/59) précisaient que, outre les

lois adoptées par l’administration intérimaire, le droit applicable était également «le droit en

vigueur au Kosovo le 22 mars 1989».

69. Il convient en outre de relever que, déjà du temps de l’ administration intérimaire, le

Kosovo jouissait d’une certaine personnalité intern ationale. L’administration intérimaire avait - 40 -

d’ailleurs conclu certains accords internationaux, tels que l’ALECE, l’accord sur la zone d’aviation

commune européenne et un certain nombre d’acco rds bilatéraux de libre-échange, au nom du

Kosovo.

6. Les efforts de la communauté internationale pour parvenir au règlement définitif
de la question du statut futur du Kosovo

70. Entre le moment où la résolution 1244 (19 99) a été adoptée et le mois de mai 2005, date

à laquelle le Secrétaire général a lancé le processu s qui devait conduire au règlement définitif du

statut futur du Kosovo, il s’était écoulé six an s durant lesquels le Kosovo était resté sous

administration internationale intérimaire.

71. Ainsi que cela est précisé dans un certain nombre d’exposés et d’observations écrits, des

négociations approfondies ont eu lieu afin d’explorer tous les aspects possibles d’une solution

négociée.

72. Malgré deux années de négociatio ns, les points de vue de Belgrade ⎯ qui insistait pour

que le Kosovo continue de fa ire partie de la Serbie ⎯ et de Priština —qui luttait pour

l’indépendance ⎯ sont demeurés irréconciliables.

73. Au vu des documents qui ont été adoptés tout au long de cette période (tels que le rapport

de l’envoyé spécial pour le Kosovo en date du 26mars2006, le rapport de la Mission au Kosovo

du Conseil de sécurité des Nations Unies du 4 ma i 2007 et la déclaration du groupe de contact sur

64 le Kosovo faite à NewYork le 27septe mbre2007), il devint évident que le statu quo n’était plus

tenable.

74. L’envoyé spécial du Secrétaire général au Kosovo, M. Martti Ahtisaari, a fini par mettre

un terme à ce processus en concluant que «toutes l es possibilités de parvenir à une issue négociée

d’un commun accord des parties [avaient] été épuisées» et que «la seule option viable pour le

Kosovo [était] l’indépendance, en un premier temps sous la supervis ion de la communauté

internationale»29.

29
Rapport de l’envoyé spécial du Secrétaire général sur le statut futur du Kosovo, par. 1-3. - 41 -

7. L’adoption de la déclaration d’indépendance

75. C’est dans ce contexte que les repr ésentants du peuple du Kosovo ont adopté la

déclaration d’indépendance lors de la session pl énière extraordinaire de l’Assemblée du Kosovo

tenue le 17 février 2008, confirmant ainsi la créati on d’un nouvel Etat indépendant. Le fait que la

déclaration a été signée par le président du Kos ovo, le premier ministre et le président de

l’Assemblée, puis par tous les membres de l’Assemblée présents appelés à tour de rôle atteste que

cet acte se situait en dehors du cadre des travaux or dinaires de l’Assemblée. A l’évidence, toutes

les personnes présentes avaient clairement l’intention d’agir au nom du peuple du Kosovo.

76. Par cette déclaration, le peuple du Kosovo a confirmé sa volonté de respecter pleinement

les obligations incombant au Kosovo qui figura ient dans la proposition globale de règlement

portant statut du Kosovo. Nous y voyons la preuve qu’il s’est clairement engagé à respecter l’état

de droit et à garantir les droits de tous les groupes ethniques vivant au Kosovo, y compris leur

participation active au processus politique et au processus décisionnel.

77. A la lumière de ce qui précède, la Croatie tient à ajouter que les obligations assumées par

le nouvel Etat sont un gage impor tant de l’évolution démocrati que de la République du Kosovo

ainsi que de la garantie future de la paix et de la stabilité dans la région.

IV. C ONCLUSIONS

78. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, la Croatie a exposé les circonstances

particulières qui, selon elle, ont entouré l’accession du Kosovo à l’indépendance. L’existence de la
65
République du Kosovo est un fait de droit international qui s’est produit conformément à ce droit.

79. En conclusion, Monsieur le président, étan t donné que le droit international ne régit pas

la question des déclarations d’indépendance en tant que telles, la Croatie prie la Cour de juger la

déclaration d’indépendance du Kosovo conforme au droit international.

80. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, je vous remercie pour votre attention.

Le PRESIDENT : Je remercie S. Exc. Mme Andreja Metelko-Zgombić de son exposé. Je

donne maintenant la parole à S. Exc. M. Thomas Winkler. - 42 -

M. WINKLER :

INTRODUCTION

Monsieur le président, Messieurs de la Cour, c’est un grand honneur pour moi, en ma qualité

d’agent du Royaume du Danemark, de me présenter aujourd’hui devant vous, dans le cadre d’une

procédure revêtant une telle importance.

Fondamentalement, pour mon gouvernement, la question posée à la Cour se résume à savoir

si la déclaration d’indépendance des représentants du peuple du Kosovo était contraire au droit

international.

Le Danemark estime que la réponse à cette ques tion est non. Il le pense pour trois raisons,

que je vais à présent développer :

a) premièrement, il n’existe pas, en droit intern ational, d’interdiction générale applicable aux

déclarations d’indépendance. Il est arrivé, dans des cas bien précis, que le Conseil de sécurité et

l’Assemblée générale condamnent de telles décl arations. Mais ils l’ont fait lorsque ces

déclarations s’inscrivaient dans le cadre d’un processus global qui violait des normes

fondamentales de droit international. Aucune condamnation de cette nature n’a été formulée en

l’espèce. En outre, les adversaires de l’i ndépendance du Kosovo n’ont établi l’existence

d’aucune règle prohibitive générale. En l’absen ce d’interdiction, l’illicéité ne saurait être

présumée ;

b) deuxièmement, la résolution1244 n’excluait p as l’indépendance du Kosovo en tant qu’issue

possible du processus de détermination du statut. De fait, elle laissait cette question ouverte.

Or, le 17 février 2008, toutes les chances de voir aboutir ce processus avaient définitivement été

épuisées. Les intenses efforts entrepris, de bonne foi, par l’envoyé spécialAhtisaari, dont le

résultat avait été endossé par le Secrétaire général de l’Organisation des NationsUnies,

66
n’avaient pas reçu l’aval de la Serbie. Les initiatives prises ensuite par la troïka, mise en place

par le groupe de contact avaient, de même, fa it long feu. Il était largement admis que la

poursuite des négociations n’aurait pas permis d’ aboutir à un accord entre les parties sur le

statut du Kosovo. Et le statu quo était intenable. A la lumière de ce contexte, la - 43 -

résolution 1244 ne saurait être interprétée comme interdisant la déclaration d’indépendance ni,

du reste, l’indépendance elle-même ;

c) troisièmement, nous avons affaire à un cas très pa rticulier. Ses caractéristiques factuelles et

juridiques uniques ont été amplement mises en évidence au cours de ces audiences. Tant les

événements qui ont mené ⎯et fait suite– à la dissolution de la Yougoslavie dans les

années1990 que l’implication exceptionnelle de la communauté internationale, par le biais de

la résolution 1244, font du Kosovo un cas tout à fa it à part. Aussi ne partageons-nous pas les

craintes que d’aucuns ont exprimées de voir la déclaration d’indépendance du Kosovo créer un

précédent porteur d’instabilité. Et nous exhortons la Cour à ne pas se laisser influencer par ces

craintes.

LA PERSPECTIVE DU D ANEMARK

Monsieur le président, avant d’examiner plus en détail ces trois points, je voudrais brosser un

bref tableau du contexte dans lequel s’inscrit la participation du Danemark à la présente procédure

consultative, ce que je ferai en exposant les éléments qui ont guidé notre réflexion.

Mon éminente collègue de la Croatie vient de vous apporter un éclairage fort intéressant,

celui d’un pays voisin. Elle a rendu compte de manière exhaustive des changements apportés au

régime constitutionnel de la Yougoslavie à la fin des années 1980. La perspective du Danemark est

également celle d’un Etat européen, mais d’un Et at géographiquement plus distant et, partant,

influencé par un contexte différent.

Il n’y a pas eu de liens historiques particuliers, ou de relations ⎯ par exemple

commerciales ⎯ spécifiques, entre le Danemark et l’Eur ope du Sud-est. Je crois qu’il serait juste

de dire que ce sont les événements tragiques des années 1990 qui ont amené de nombreux Danois à

s’intéresser plus particulièrement aux Balkans occi dentaux. Ces événements nous ont brutalement

rappelé que les horreurs indicibles que nous tenions pour de l’histoire ancienne pouvaient encore se

produire en Europe. Comme d’autres membres de la communauté internationale, nous nous

sommes ainsi trouvés confrontés à un défi de taille : celui de savoir comment ramener la paix et la

stabilité dans la région. - 44 -

67 Dans ce cadre, les forces danoises ont, depuis le début des années1990, constamment

participé aux missions de maintien de la paix da ns les Balkans. Depuis 1990, quelque 400 casques

bleus danois sont présents au Kosovo, en applica tion de la résolution1244. Ces soldats ont pour

l’essentiel été stationnés dans la ville pluriethnique de Mitrovica, au nord du Kosovo.

Le Danemark, en prenant ces initiatives, et d’autres, dans la région, était animé par la volonté

de promouvoir les droits de l’homme, la stabilité et le développement économique.

Monsieur le président, le Danemark est un pays ami tant de la Serbie que du Kosovo. Notre

présence ici aujourd’hui n’y change rien. Elle témoigne au contraire de notre ferme attachement à

Œuvrer sans relâche en faveur de la paix et de la prospérité pour ces deux nations. Il va sans dire

que le Danemark aurait grandement préféré que le statut final du Kosovo puisse être réglé par la

voie de négociations entre les parties. Nous n’avons pas ménagé nos efforts pour contribuer à jeter

les bases d’un tel accord. Mais il s’est révélé impossible à conclure. Et le statu quo n’était pas

tenable.

L E DROIT INTERNATIONAL NE TRAITE PAS DE LA LICÉITÉ DES
DÉCLARATIONS D ’INDÉPENDANCE

Monsieur le président, Messieurs de la Cour, j’en viens maintenant au premier argument du

Gouvernement danois : le droit international général n’interdit pas les déclarations d’indépendance.

Permettez-moi cependant de commencer par rappeler le caractère extrêmement limité de

l’objet de la question soumise à la Cour. Cette que stion est étroite et spécifique. Elle ne concerne

que la déclaration d’indépendance.

Comme l’a dit ici mon éminent collègue serbe, voici moins d’une semaine : «[I]l s’agit d’une

question limitée, dans la mesure où elle porte sur la DUI et non sur des points connexes, mais

30
clairement distincts, tels que la reconnaissance.» Le Danemark souscrit à cette affirmation.

La Cour n’a pas été priée par l’Assemblée gé nérale de donner son avis sur les éventuelles

conséquences de ses conclusions. C’est là une question, doit-on comprendre, que l’Assemblée

générale entendait voir traiter dans un autre cadre ⎯ au terme de processus politiques, notamment

au sein de l’Organisation des Nations Unies.

30
CR 2009/24, p. 41, par. 17. - 45 -

68 Je voudrais ensuite faire une remarque en rappor t avec ce premier point, qui a trait à l’aspect

temporel de la question soumise à la Cour. Celle-ci est assez curieusement formulée au présent:

«La déclaration d’indépendance est-elle», etc., alors qu’elle concerne bien évidemment un

événement factuel passé.

C’est un peu comme si l’on demandait : «Est-ce illégal lorsque j’ai pris la pomme ?»

Pour le Danemark, l’événement factuel que constitue la déclaration d’indépendance du

Kosovo ne peut être apprécié qu’au regard du droit et des faits cont emporains de cette déclaration.

La date critique est le 17 février 2008. La Cour n’a pas été priée de se prononcer sur l’effet qu’ont

pu avoir sur la déclaration les faits survenus au cours de la période de près de deux ans qui a suivi.

Monsieur le président, fondamentalement, le Danemark considère que le droit international

général ne traite pas de la licéité des déclar ations d’indépendance faites par des entités ou des

peuples au sein d’un territoire.

A l’évidence, en droit interne, pareill es déclarations peuvent tout à fait être ⎯ et sont

d’ailleurs souvent ⎯ interdites. Mais, en droit international, la proclamation de l’indépendance est

essentiellement un événement factuel. Un événement factuel qui, conjugué à d’autres faits, tels que

l’existence d’un territoire défi ni et d’une population permanente, peut être réputé entraîner

immédiatement ou à terme, la création d’un nouve l Etat. Le droit international général ne se

prononce pas sur l’existence de tels faits. Il est muet à cet égard.

Le Conseil de sécurité ou l’Assemblée géné rale n’ont exprimé une opinion négative sur des

déclarations d’indépendance qu’en de rares occasi ons, lorsque ces déclarations participaient d’un

processus global violant des normes fondamentales du droit international. Tel a notamment été le

cas, comme nous l’avons détaillé dans notre expo sé écrit, en ce qui concerne le Katanga, la

Rhodésie et Chypre-Nord 31. Ces exemples montrent que des déclarations ont été condamnées

lorsqu’elles représentaient l’aboutissement d’une série d’événements qui eux-mêmes constituaient

déjà de graves violations du droit international.

31
Exposé écrit, p. 3. - 46 -

Il est à relever que la déclaration d’indé pendance du Kosovo n’a fait l’objet d’aucune

condamnation. Au contraire ⎯nous le montrerons ⎯, elle était pleinement compatible avec la

résolution 1244.

69 D’aucuns ont fait référence à la résolution 1246 du 11juin1999 relative au Timor oriental,

qui prévoyait expressément une consultation p opulaire sur l’indépendance de la population

timoraise. Ils l’ont invoquée à l’appui de l’idée que les déclarations d’indépendance ne peuvent

être promulguées qu’à condition d’avoir été explicitement autorisées 32.

D’autres, en revanche, ont tiré argument de la résolution787 (1992) du Conseil de sécurité

concernant la RepublikaSrpska, qui indique qu e le Conseil n’admettra aucune déclaration

unilatérale d’indépendance. Ils l’ont invoquée à l’appui de la thèse voulant que, en l’absence de

33
dispositions expresses, il n’existe pas d’interdiction .

S’il ne fait aucun doute que le Danemark privilégie cette dernière optique, du moins

l’existence de vues divergentes devrait-elle suffire à démontrer qu’il n’existe en droit international

aucune règle générale régissant les déclarations d’indépendance.

Monsieur le président, j’affirme que c’est à ceux qui tiennent la déclaration pour illicite qu’il

incombe d’établir l’existence, en droit international, d’une règle générale prohibitive.

L’interdiction ne saurait être présumée. La pra tique de la Cour mentionnée dans l’exposé écrit du

Danemark vient confirmer cette thèse ⎯qu’on l’appelle principe du Lotus ou principe résiduel 34.

Telles sont, selon moi, les indications que nous donn e le droit international et elles suffisent pour

permettre de répondre à la question soumise à la Cour.

Aujourd’hui encore, nous avons entendu avancer des arguments en faveur de l’existence

d’une règle prohibitive. Monsieur le président, je le dis très respectueusement, le Danemark est

loin d’avoir été convaincu. Il semble y avoir une tendance à confondre la question étroite posée à

la Cour avec des questions bien plus larges ⎯ des questions qui sont clairement exclues du cadre

de la présente instance. Ainsi, certains Etats hostile s à la déclaration ont fait valoir que c’était aux

32CR 2009/24, p. 51, par. 9.
33
CR 2009/25, p. 48, par. 10.
34P. 2-3. - 47 -

tenants de la thèse opposée qu’il revenait de montre r, par exemple, «que le titre a[vait] été

35
licitement transféré à un nouvel Etat du «Kosovo»» .

exhorter ⎯comme cela a été fait ce matin ⎯ à expliciter le fondement juridique du

transfert du titre territorial, de la sécession et l’adhésion aux organisati ons internationales, va

selon moi bien au-delà de l’objet de la présente procédure consultative qui, je le répète très

respectueusement, se limite à la déclaration d’indépendance.

70 Pour conclure sur ce point ⎯mon premier argument ⎯, je proposerai une réponse simple,

mais amplement suffisante, à la question soumise à la Cour: le droit international n’autorise ni

n’interdit les déclarations d’indépendance et, dès lors, la déclaration d’indépendance du Kosovo ne

contrevenait pas au droit international.

R ÉSOLUTION 1244 DU CONSEIL DE SÉCURITÉ

Monsieur le président, Messieurs de la Cour , un certain nombre de points touchant à la

résolution 1244 ont été soulevés par d’autres participants. Si le Danemark tendrait à privilégier une

réponse simple à la question soumise à la Cour, que lques observations sur la résolution 1244 et sur

le processus qui a mené à la déclaration d’indépendance nous semblent néanmoins s’imposer.

Cela m’amène à mon deuxième point, qui co mprend deux parties: dans la première, je

montrerai que tous les efforts en vue de parven ir à un règlement négocié du statut du Kosovo, tel

que prescrit par la résolution1244, avaient été é puisés à la fin de l’année2007; dans la seconde,

j’établirai que la résolution1244 ne peut être interprétée comme interdisant la déclaration

d’indépendance du Kosovo, et que, a ux termes de cette résolution, le consentement de la Serbie à

une telle déclaration n’était pas requis.

En ce qui concerne la première de ces questions, les Etats hostiles à la déclaration

d’indépendance soutiennent que la résolution1244 exigeait la tenue de nouvelles négociations

entre les parties. Très respectueusement, nous ne le pensons pas.

Je ne vais pas revenir en détail sur le processus de détermination du statut qui vous a déjà été

exhaustivement relaté. Il semble toutefois nécessai re de s’y arrêter un instant, notamment au vu

des tentatives faites, à l’audience, pour déprécier la manière dont le présidentAhtisaari avait

35
Exposé écrit, Chypre, par. 88. - 48 -

conduit le processus et jeter le doute sur le bi en-fondé de ses conclusions. Pour contrer ces

arguments, un bref rappel historique est nécessaire.

Le président Ahtisaari a été nommé en novembre2005 par le Secrétaire général de

l’Organisation des Nations Unies en qualité d’envoyé spécial sur le statut futur du Kosovo.

M. Ahtisaari était chargé de diriger le processus au nom du Secrétaire général et était habilité

à en définir le rythme et la durée, en concertation avec celui-ci. Ni son mandat d’envoyé spécial ni

la résolution1244 ne conditionnaient le règlement au consentement de la Serbie ni, d’ailleurs,

n’excluaient l’indépendance du Kosovo.

Fait important, Monsieur le président, ce processus n’a jamais été conçu comme non limité

dans le temps. Au contraire, il était globale ment admis que, ainsi qu’exprimé par le groupe de

contact en2006, «le processus devait être mené à son terme, en particulier pour réduire au
71

minimum les effets déstabilisateurs, aux plans politique et économique, de l’incertitude qui

persistait autour du statut futur du Kosovo» 36.

Au terme de nombreux cycles de consultations et d’intenses efforts, le présidentAhtisaari

transmit au Secrétaire général de l’Organisation des NationsUnies, en2007, un ensemble de

recommandations détaillées.

Ces recommandations, que le Secrétaire général a expressément avalisées, partaient du

principe que le statu quo ⎯ le maintien d’une administration internationale ⎯ n’était pas viable et

que toutes les possibilités de parvenir à un règlement négocié avaient été épuisées.

Faute d’accord au sein du Conseil de sécurité quant à l’opportunité d’endosser le

plan Ahtisaari, une dernière démarche fut entrep rise par l’intermédiaire d’une troïka constituée par

le groupe de contact. Cette tentative infructueuse marqua la fin des efforts sans précédent déployés

pour parvenir à un accord sur le statut du Kosovo , lesquels étaient toujours restés pleinement

conformes au processus envisagé par la résolution 1244.

Cette conclusion, Monsieur le président, est au cŒur de l’analyse de la résolution1244 du

Conseil de sécurité, qui fait l’objet de la seconde partie de mon argument. Je me propose de

montrer que la résolution1244 ne peut être interprétée comme interdisant la déclaration

36
CR 2009/25, p. 23, par. 32. - 49 -

d’indépendance du Kosovo, et que le consentement de la Serbie à pareille déclaration n’était pas

requis selon ses termes.

Les dispositions essentielles à cet égard sont les alinéas e) et f) de l’article11 de la

résolution1244. Ces clauses du dispositif traitent de la question du statut définitif. Elles

n’excluent ni implicitement ni explicitement la possibilité d’une déclaration d’indépendance, et ne

prévoient pas non plus qu’une telle déclaration ne peut s’envisager sans le consentement de la

Serbie. De fait, la résolution1244 ne préjuge pas de l’issue du processus de détermination du

statut. Elle est «neutre quant au statut».

Si le Conseil de sécurité avait tenu à excl ure telle ou telle issue, il aurait pu le faire

⎯ comme il l’a fait dans plusieurs autres résolutions portant sur des litiges territoriaux. Mais nul

n’ignore que déjà, en 1999, des vues divergentes s’exprimaient en son sein quant à l’opportunité de

procéder ainsi dans le cas du Kosovo.

Certains Etats membres du Conseil, ainsi qu ’il nous a été dit ce matin, voyaient dans

l’intégrité territoriale mentionnée dans le préambul e de la résolution le principe prépondérant.
72
D’autres mettaient en exergue la référence expresse que comportait la résolution aux accords de

Rambouillet, lesquels mentionnaient «la volonté du peuple».

Or, cette référence, Monsieur le président, est cruciale. Il était devenu évident, à la fois

pendant les négociations tenues à Rambouillet just e après la crise de1999 et tout au long des

années d’administration de la MINUK, que l’ écrasante majorité de la population du Kosovo

souhaitait accéder à l’indépendance. C’est là un élément dont on ne saurait faire abstraction.

A cet égard, est également pertinent le fait que la version finale des accords de Rambouillet

n’ait pas retenu la référence à une obligation «d’acco rd mutuel» entre les parties qui figurait dans

certains des projets de texte. Lors de sa plai doirie, le conseil du Kosovo a démontré de manière

37
convaincante l’importance de ce fait .

Monsieur le président, les résolutions du Con seil de sécurité sont des documents juridiques

qui résultent d’un processus politique. Etant souvent le fruit d’un compromis, elles ne sont pas

toujours claires ou dépourvues d’ambiguïté, y compris dans leurs paragraphes les plus importants.

37
Cf. CR 2009/25, p. 53-54. - 50 -

Ce qui est clair, toutefois, en ce qui concerne la résolution1244, c’est qu ’elle est à l’origine d’un

processus de détermination du statut du Kosovo.

La résolution1244 a engagé ce processus au lendemain d’une répression brutale du peuple

du Kosovo, et en mettant en place, parallèleme nt, une administration des NationsUnies qui a

assumé l’autorité jusqu’alors exercée par la Serbie au Kosovo. L’issue du processus de

détermination du statut n’était pas pour autant préd éterminée. Si la résolution 1244 n’excluait pas

l’éventualité d’une déclaration d’indépendance du Kosovo, une lecture de bonne foi montre qu’elle

ne préjugeait pas de l’issue du processus.

Cela, Monsieur le président, m’amène presque à la fin de mon deuxième point. Je ferais

toutefois preuve de négligence si je n’abordais pas ici le principe de l’autodétermination

longuement évoqué par un certain nombre d’autres participants.

Plusieurs aspects de ce principe ont déjà été clarifiés par la Cour. Un certain nombre d’entre

eux demeurent pourtant irrésolus et même controversés. Le Gouvernement danois ne s’attend pas à

ce que la Cour se prononce ici sur ces questions. Le Danemark considère en effet que la Cour n’a

pas nécessairement à traiter de la question de l’ autodétermination qui, d’une certaine façon, ne

relève pas du cadre étroit de la question qui lui a été soumise.

73 Permettez-moi cependant de signaler que, pour le Gouvernement danois, certaines des

circonstances propres à la présente affaire renvoient en réalité précisément aux valeurs et intérêts

qui sous-tendent le principe de l’autodétermination.

En effet, on peut soutenir que la r ésolution1244 reconnaissait foncièrement, sinon

expressément, le peuple du Kosovo en tant qu’en tité pouvant prétendre à l’autodétermination,

puisqu’elle posait que le statut définitif ne deva it pas être déterminé sans la participation et le

consentement du peuple du Kosovo.

La disposition des accords de Rambouillet qui prévoit la création d’un mécanisme de

règlement définitif fondé sur «la volonté du peuple» est explicite. Cette formulation est plus

parlante que celle de l’article 22 du pacte de la Société des Nations, analysé par la Cour dans son

avis de 1971 relatif à la Namibie. Le premier paragraphe de l’article 22 du pacte visait des peuples

non encore capables de se diriger eux-mêmes et leur développement, qualifié de «mission sacrée de

civilisation». - 51 -

Or, dans son avis en l’affaire de la Namibie, la Cour a interprété le libellé de cet article à la

lumière de l’évolution ultérieure consacrée dans le principe de l’autodéte rmination, concluant que

«[d]u fait de cette évolution, il n’y a[vait] guèrede doute que la «mission sacrée de civilisation»

avait pour objectif ultime l’autodétermina tion et l’indépendance des peuples en cause»

(Conséquences juridiques pour les Etats de la prés ence continue de l’Afrique du Sud en Namibie

(Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 ( 1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif,

C.I.J. Recueil 1971, p.31, par.53). Je note que cette conclusion a été adoptée par la Cour à la

majorité.

Monsieur le président, ainsi s’achève l’expo sé de mon deuxième point. Le processus prévu

par la résolution1244 avait été pleinement obser vé, d’une manière compatible avec les principes

fondamentaux du droit international.

L E CARACTÈRE UNIQUE DE CE CAS

Monsieur le président, Messieurs de la Cour, j’ en arrive à mon troisième et dernier point, à

savoir que le cas qui nous occupe ici possède des car actéristiques factuelles et juridiques uniques.

Il ne peut ni ne doit servir de précédent pour justifier des mouvements sécessionnistes.

Deux aspects particuliers lui confèrent ce caractère sui generis : premièrement, son contexte

historique ⎯des violations flagrantes des droits de l’homme commises à l’encontre de la

population du Kosovo dans les annéequatre-vingt-dix, suivies de huit années d’administration

74 internationale en vertu de la résolution 1244 et d’un processus unique de détermination du statut du

Kosovo; deuxièmement, le rôle constitutionnel particulier du Kos ovo au sein de la Yougoslavie,

avant les événements des années 1990 qui ont mené à la désintégration de celle-ci.

Mon éminente collègue de la Croatie vient de décrire en détail le cadre constitutionnel dont,

si l’on se reporte en outre à la contribution écrite de la Slovénie, l’on peut estimer qu’il a été dressé

un tableau exhaustif et convaincant.

Le Danemark n’a rien à ajouter à cet égard; il se contentera de relever que le rôle

constitutionnel du Kosovo, province autonome jusqu’ en1989, paraît très similaire à celui des

anciennes républiques constitutives de Yougoslavie, lesquelles ont acquis leur indépendance dans

les années quatre-vingt-dix. - 52 -

Monsieur le président, d’autres entités pourraient bien s’inspirer du cas du Kosovo et

chercher à faire avancer leur cause dans son sillage . Mais il faut bien en tendu rejeter tous les faux

parallèles. Nous ne voyons aucune raison valable d’ établir de tels parallèles dans la réalité ou de

les exploiter dans la pratique.

Nous notons également qu’un large consensus s’est fait jour sur la singularité du cas du

Kosovo. Celle-ci a été notée par l’ensemble des 27 pays de l’Un ion européenne, y compris la

République de Chypre, par les repr ésentants des Etats-Unis et de la Russie, par le Secrétaire

général de l’Organisation des Nations Unies et par bi en d’autres. Il ne s’agit pas, et je pense qu’il

est important de le souligner, d’inviter la Cour à suspendre le droit, comme on l’a prétendu ce

matin. Il s’agit de l’inviter à dire clairement que des faits spécifiques ont bien évidemment des

conséquences juridiques différentes.

C ONCLUSION

Monsieur le président, j’en viens maintenant à ma conclusion. Ainsi que je l’ai déjà dit, la

paix, la stabilité et la prospérité pour la région et pour l’Europe dans son ensemble ont constitué les

motivations principales de l’implication du Danema rk dans les Balkans occidentaux au cours des

vingt dernières années.

Le Danemark s’est montré un ferme partisan de l’intégration de la Serbie comme du Kosovo

au sein des structures européenn es pertinentes. Nous observons que la situation au Kosovo ne

cesse de progresser et que tant la Serbie que le Kosovo ont à présent des perspectives européennes.

Par l’intermédiaire de la mission EULEX, l’ Union européenne, y compris le Danemark,

apporte son appui aux in stitutions du Kosovo et jette les ba ses d’une administration publique

efficace et transparente pour tous les habitants du Kosovo.

75 Nous estimons que ce processus ne doit ⎯ni ne peut ⎯ être inversé. Il est temps de

regarder vers l’avant et de répondre aux besoins réels, quotidiens, du peuple du Kosovo et de la

région.

Monsieur le président, Messieurs de la Cour, ainsi s’achève l’exposé oral du Danemark. Je

vous remercie de votre attention. - 53 -

Le PRESIDENT : Je remercie S. Exc. M. Thomas Winkler de son exposé.

Voilà qui met un terme à l’exposé et aux observations présentés oralement par le Danemark,

et qui conclut l’audience d’aujourd’hui. La C our se réunira de nouveau demain à 10 heures, pour

entendre l’Espagne, les Etats-Unis d’Amérique, la Fédération de Russie et la Finlande. L’audience

est levée.

L’audience est levée à 12 h 40.

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