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CR 2010/11 (traduction)

CR 2010/11 (translation)

Vendredi 17 septembre 2010 à 10 heures

Friday 17 September 2010 at 10 a.m. - 2 -

10 Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte. La Cour siège aujourd’hui

pour entendre le second tour de plaidoiries de la Géorgie. Je donne la parole au premier

intervenant, M. Paul Reichler. Vous avez la parole, Monsieur Reichler.

M. REICHLER :

L’ EXISTENCE D ’UN DIFFÉREND ET DE NÉGOCIATIONS

1. Bonjour, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour.

2. La thèse de la Russie, selon laquelle il n’existe pas de différend juridique relevant de la

CIEDR entre les Parties, et selon laquelle il n’y a jamais eu de négociations sur des questions de

discrimination ethnique, impose à la Cour de faire abstraction de principes bien établis du droit

international.

3. S’il vous semble que j’exagère, je ne vous demande pas de me croire sur parole. Mais

vous pouvez croire sur parole le conseil de la Russie, M.Wordsworth. Voici ce qu’il a dit

1
mercredi : «la Russie fait valoir que les principes généraux ne s’appli
quent pas» (c’est moi qui

souligne).

4. Elle place ainsi la barre assez haut.

5. Et la Russie pousse, avec beaucoup d’imagination, les choses à leur extrême pour parvenir

à son but. Non seulement fait-elle fi de certaines des règles les
plus respectables de la Cour

relatives à l’établissement de l’existence d’un diffé rend, mais elle invente toute une panoplie de

règles nouvelles pour les remplacer.

6. Cela ressort on ne peut plus clairement de ses efforts visant à rejeter et dénigrer les très

nombreuses preuves documentaires présentées par la Géorgie lors du premier tour, ainsi que dans

ses observations écrites, qui attestent qu’existait ⎯ à la date du dépôt de la requête de la Géorgie

[le 12 août 2008] ⎯ un différend entre les Parties relativem ent à des questions entrant dans le

champ de la CIEDR.

7. Je commencerai par répondre brièvement aux différentes objections formulées par la

Russie à l’encontre de ces documents. Je répondrai ensuite à l’affirmation de la Russie selon

1
CR 2010/10, p. 13, par. 12 (Wordsworth). - 3 -

laquelle le présent différend n’a pas trait à la discrimination ethnique, et à son insistance à faire

valoir que le «véritable» différend a trait à un conflit armé ou au statut juridique de certains

territoires. Je conclurai en précisant les vues de la Géorgie quant à l’objet du présent différend.

8. Pour commencer, les documents. Et le pr emier à l’égard duquel la Russie formule des

objections est la déclaration faite par le préside ntSaakachvili le 25février2004, lequel a indiqué

11 que «la plupart de [l]a population» d’Abkhazie ⎯qui était «d’origine géorgienne» ⎯ a été

«chassé[e] par les troupes russes et les séparatistes locaux» ; et que la question «porte avant tout sur

nos relations avec la Russie», puisque ce sont les «généraux russes [qui] sont à la tête de la

2
région» . M.Wordsworth ne conteste pas l’existence de cette déclaration, ni que le

président Saakachvili accusait la Russie de discrimination ethnique. Au lieu de cela, il me reproche

d’avoir dit que cette déclaration avait été «très largement diffusée», alors même que, dans la phrase

suivante, il reconnaît que la BBC l’a diffusée en direct 3. Il indique ensuite qu’il s’agissait d’une

émission au cours de laquelle les auditeurs avai ent la parole, ceux-ci pouvant téléphoner et poser

des questions au président géorgien, et ⎯ comme par miracle ⎯ l’un d’entre eux était «Alexis de

Moscou» 4. Dès lors, M. Wordsworth confirme que la déclaration de M. Saakachvili a été diffusée

dans la Russie tout entière.

9. M.Wordsworth estime néanmoins que la déclaration ne compte pas parce qu’il s’agit

5
d’une interview au cours de laquelle le président a abordé divers sujets . C’est une règle nouvelle

du droit international. Une demande formulée publiquement par un chef d’Etat contre un autre Etat

n’est pas une preuve de l’existence d’un diffé rend, à moins que cette déclaration ne soit

entièrement consacrée à cette seule demande. Si un quelconque autre sujet est mentionné dans la

déclaration, elle ne compte pas. Cette règle est pour le moins étrange.

10. M. Wordsworth rejette ensuite la déclara tion faite par le président Saakachvili devant le

Parlement européen en novembre 2006, dans laquelle il a indiqué que la Russie avait «entrepris un

2 «Ask Georgia’s President», BBC News (25 février 2004) ; OEG, vol. IV, annexe 198.
3
CR2010/10, p.19, par.24 (Wordsworth) (citant «Ask Georgia’s President», BBC News (25 février 2004) ;
OEG, vol. IV, annexe 198).
4
Ibid.
5 CR 2010/10, p. 19, par. 24 (Wordsworth). - 4 -

6
premier nettoyage ethnique» dans les années 1990, et que, «l’histoire semblait se répéter» . Cette

déclaration ne compte pas non plus, parce que le président Saakachvili citait un célèbre cinéaste

géorgien 7. Autre règle nouvelle du droit international. Une déclaration ne saurait être attribuée à

une personne si elle a déjà été fa ite par quelqu’un d’autre et ce, mê me si cette personne cite l’autre

avec approbation. Or, dans ce cas précis, après avoir cité ce cinéaste, le présidentSaakachvili a

expressément repris à son compte ses propos, i ndiquant: «voici donc le lourd passé dont nous

avons hérité. Et c’est l’Etat de non droit et l’injustice auxquels nous sommes confrontés. Cette

fois-ci, ne restons pas silencieux.» 8 En vertu de cette nouvelle rè gle de droit, on ne saurait
12

présumer que, lorsqu’il a lu, mardi, avec approbation, un article rédigé par M. le juge Buergenthal

concernant l’extraterritorialité des instruments relatifs aux droits de l’homme 9, M.Sands

souscrivait ou reprenait à son compte ses propos.

11. M. Wordsworth a ensuite tenté d’écarter la déclaration faite par le président Saakachvili

au Conseil de sécurité en septembre2007, au motif qu’il n’était pas absolument clair que

l’accusation relative aux «politiques moralement répugnantes du nettoyage ethnique, de la division,

10
de la violence et de l’indifférence» était dirigée contre de la Russie . Il ne dit cependant pas à

l’encontre de qui ces propos pouvaient être dirigés. La Géorgie estime qu’il s’agissait de la Russie,

ainsi que cela ressort d’une lecture objective du texte. En ce qui concerne ce même document,

M.Wordsworth a évoqué ce qu’il a appelé, avec euphémisme, une «allusion aux forces russes de

maintien de la paix» 11. Voici cette «allusion» :

6CR 2010/10, p. 20, par. 26 (Wordsworth) (citant le document : présidence de la Géorgie, discours «observations

de S. x. . ikhaïl aakachvili, président de la Géorgie, devant le Parlement européen de Strasbourg»
(14 novembre 2006) ; OEG, vol. IV, annexe 172).
7CR 2010/10, p. 19, par. 26 (Wordsworth).

8Présidence de la Géorgie, discours «observations de S.Exc.M.MikhaïlSaakachvili, président de la Géorgie,
devant le Parlement européen de Strasbourg» (14 novembre 2006).

9CR 2010/9, p. 65, par. 9 (Sands).

10CR2010/10, p.20, par. 28 (Wordsworth) (citant le document: Assemblée générale, septième séance plénière,
allocution de M. Mikhaïl Saakachvili, président de la Géorgie, NationsUn ies, doc. A/62/PV.7 (26 septembre 2007),
p. 18-20 ; OEG, vol. III, annexe 88).

11CR 2010/10, p. 20, par. 28 (Wordsworth). - 5 -

«Depuis que les soldats de la paix russes y ont été déployés, plus
de2000Géorgiens ont péri, et c’est un climat de peur qui y règne…Des années
d’actions partisanes et déséquilibrées de la pa rt de soi-disant forces de maintien de la

paix doivent prendre fin, de manière à laisser la place à du personnel compétent et
neutre…plutôt qu’à tenter d’entretenir un prétendu statu quo tout en préservant en
réalité des injustices existantes.»12

12. Monsieur le président, Mesdames et M essieurs les juges, nous avons beaucoup entendu

la Russie s’autoféliciter pour le rôle qu’elle a joué en tant que facilitateur et force de maintien de la

paix, mais ce rôle ne l’autorisait pas à se dégager de ses obligations juridiques internationales et

notamment de celles qui lui incombaient en vertu de la CIEDR. Même la Russie n’avance pas un

tel argument. Alors la question qui se pose est la suivante: existe-t-il un différend relevant de la

CIEDR du fait que la Géorgie s’est fréquemment plainte de ce que les forces russes de maintien de

la paix se sont associées aux milices locales ossètes et abkhazes qui attaquaient les communautés

géorgiennes, et de ce qu’elles ont profité de leur rôle de gardes -frontières en Ossétie du Sud et en

Abkhazie pour empêcher les Géorgiens de souche ⎯mais pas les membres d’autres groupes

ethniques ⎯d’exercer leur droit au retour? La réponse est forcément positive. Il ressort

clairement de l’article 5 de la c onvention que le droit au retour est garanti. Le conseil de la Russie

13 a rappelé et réaffirmé «l’importance fondamentale du droit au retour en Abkhazie de tous les

13
réfugiés». Sans doute ce principe s’a pplique-t-il également à l’Ossétie du Sud . Manifestement,

le différend évoqué par la Géorgie porte sur un droit consacré par l’article 5 de la convention.

13. M.Wordsworth tente, sans grande subtilité , de disqualifier le reste des éléments de

preuve versés au dossier par la Géorgie. Ainsi, huit de ces documents ne compteraient pas au motif

14
qu’il s’agit de résolutions parlementaires . Voici encore une nouvelle règle: toute résolution

émise par un parlement ne saurait constituer la pre uve de l’existence d’un différend entre Etats.

Quand bien même nous admettrions ce principe dont le fondement n’est cité nulle part, il ne saurait

s’appliquer aux résolutions parlementaires reprises par le ministère des affaires étrangères et

soumises à l’Organisation des Nations Unies pour affirmer la position du gouvernement, comme

12
Assemblée générale, septième séance plénière, allocution de M.MikhaïlSaakachvili, président de la Géorgie,
Nations Unies, doc. A/62/PV.7 (26 septembre 2007), p. 18-20 ; OEG, vol. III, annexe 88.
13
CR 2010/8, p. 35, par. 22.
14CR 2010/10, p. 15, par. 16 a) (Wordsworth). - 6 -

c’est le cas des annexes 76 et 82 aux observations écrites de la Géorgie, dans lesquelles la Russie

est accusée de discrimination.

14. Et voici encore une nouvelle règle: les déclarations publiques émanant du ministère

géorgien des affaires étrangères ne comptent pas 15. Cette règle est nouvelle, en effet, et en

contradiction totale avec celle établie de longue da te par la Cour, selon laquelle la Cour détermine

l’existence d’un différend en se fondant sur «les échanges diplomatiques, les déclarations publiques

16
et autres éléments de preuve pertinents» . La Russie balaye d’un revers de main plusieurs

documents-clés présentés par la Géorgie, notamment la déclaration du ministère des affaires

étrangères en date du 17juillet2008, directement faite en réponse à une déclaration du ministre

russe des affaires étrangères dans laquelle celui-ci s’opposait au retour en Abkhazie des Géorgiens

déplacés dans leur propre pays : «la déclaration de M. Lavrov est en contradiction flagrante avec le

mandat des forces communes de maintien de la pa ix de la CEI qui les oblige…à créer les

conditions nécessaires au retour inconditionnel et dans la dignité des réfugiés et des personnes

17
déplacées dans leur propre pays.»

15. M. Wordsworth ne nous a pas contredits lorsque nous avons affirmé que cette déclaration

publique du ministère des affaires étrangères et l es autres étaient des accusations de discrimination

ethnique formulées à l’encontre de la Russie et, dans le cas de ce document, au titre du déni du

droit au retour. Il les rejette uniquement au motif qu’elles n’ont pas directement été adressées à la

Russie.

14 16. De même, il disqualifie toutes les déclara tions faites par la Géorgie avant son adhésion à

18
la CIEDR, le 2 juin 1999. Cinq documents se voient attribuer un carton rouge pour ce motif alors

que, en réalité, les documents remontant à cette période confirment l’ex istence d’un différend de

longue date sur la question de la discrimination ethnique ⎯un différend qui n’était toujours pas

résolu au moment du dépôt de la requête introducti ve d’instance, le 12août2008. Quoi qu’il en

soit, ces documents ne comptent pas.

15
Ibid., par. 16 b) (Wordsworth).
16 Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada) , compétence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 1998,

p. 449, par. 31.
17 Ministère géorgien des affaires étra ngères, observations du département de la presse et de l’information du
ministère géorgien des affaires étrangères, 17 juillet 2008 ; OEG, vol. IV, annexe 182.

18 CR 2010/10, p. 16, par. 16 d) (Wordsworth). - 7 -

17. On a l’impression d’assister à un match de football surréaliste. La Géorgie marque but

après but, mais à chaque fois l’équipe russe ⎯pas l’arbitre, mais bien l’équipe russe ⎯ prétend

qu’il y a hors-jeu ou faute, ou bien elle invalide le but au motif que le ballon n’aurait pas franchi la

ligne. A chaque fois que la Géorgie marque, cela ne compte tout simplement pas.

18. Examinons quelques uns des exemples les pl us clairs: lorsque le présidentSaakachvili

déclare, en août 2008, que les soldats et les chars russes «ont expulsé l’ensemble de la population

19
de souche géorgienne d’[Ossétie du Sud]» et lorsque, le 11août2008, il «accuse directement la

Russie de nettoyage ethnique dans cette zone», ajoutant que «cela se passe en ce moment même» 20.

19. Mercredi, lors du second tour de plaidoiries, M.Wordsworth a admis que «[c]ertes, le

président a[vait] dit ce qu’il a[vait] dit…» 2. Bien. Peut-être faisons -nous finalement quelques

progrès. Serait-il possible que ces buts soient accordés ?

20. Que nenni! Et pourquoi donc? Parce que, nous dit-il «tout port[ait] à croire que, en

accusant directement la Russie de nettoyage ethni que le11août, il songeait déjà à la demande

22
fondée sur la CIEDR que la Géorgie allait soumettre dans moins de 24 heures» . Et voilà encore

une nouvelle règle, qui plus est extrêmement pernic ieuse. La Russie demande à la Cour de sonder

l’esprit du président géorgien, et pourquoi pas son âme, et de juger qu’il a fait les déclarations du

9 et du 11 août dans le cadre d’un complot qu’il aurait cyniquement ourdi en vue de créer les bases

d’un procès bidon.

21. La Cour pourrait-elle éventuellement juger que la Géorgie et son président ont fabriqué

des accusations de nettoyage ethnique pour avoir un prétexte pour intenter la présente procédure ?

Aucune organisation internationale indépendante et respectée n’abonde en tout cas dans ce sens.
15

Ainsi, la mission d’enquête internationale indépendante de l’Union européenne a-t-elle conclu dans

son rapport, sur lequel la Russie s’est tant appuy ée cette semaine, que «le nettoyage ethnique

a…été pratiqué contre les Géorgiens de souche en Ossétie du sud, avant comme après le conflit

19Présidence de la Géorgie, conférence de presse, «Le président géorgien MikhaïlSaakachvili rencontre des
journalistes étrangers», 9 août 2008 ; OEG, vol. IV, annexe 184.
20
«President Bush condemns Russian invasion of Georgia», CNN, 11 août 2008 ; OEG, vol. IV, annexe 205.
21
CR 2010/10, p. 17, par. 21 (Wordsworth).
22Ibid. - 8 -

23
d’août 2008 » . Le rapporteur de l’assemblée parlementa ire du Conseil de l’Europe a conclu que

«[l]a destruction systématique de chaque» hab itation peuplée de Géorgiens de souche dans des

zones sous occupation russe démontrait «une intention de faire en sorte qu’aucun Géorgien ne

dispose plus d’aucun bien pour pouvoir regagner ces villages» et que cela constituait un «nettoyage

ethnique» 24.

22. M. Wordsworth avance une autre raison qui justifierait que les d éclarations du président

géorgien ne soient pas admises. Elles «ont été faites à une époque où, en vérité, la Géorgie était

25
engagée dans des négociations avec la Russie…» . Tiens, tiens! Et bien voici un but marqué

par la Russie elle-même, un but qui ne pourra p as être rejeté au motif que la Géorgie serait

hors-jeu. Jusqu’au second tour de plaidoiries, la Russie a constamment affirmé que la Géorgie

n’avait pas tenté de négocier avec la Russie. Mais dans son intervention du second tour de

plaidoiries, M.Zimmermann a lu cet extrait de la déclaration qu’a faite au Conseil de sécurité, le

10 août 2008, le représentant permanent de la Russie :

«Bien sûr, cela ne veut pas dire que nous refusons les contacts avec nos
collègues géorgiens. Ceux-ci ont lieu à différents niveaux. Par exemple, il y a

quelques heures à peine il y a eu une longue conversation téléphonique entre notre 26
ministre des affaires étrangères et le ministre des affaires étrangères géorgien …»

23. Cette déclaration est au présent. D es négociations ont lieu à différents niveaux,

notamment entre les ministres des affaires étrangère s. Nous sommes le 10 août 2008. Les soldats

russes maraudent dans les villages géorgiens d’Ossé tie du Sud depuis deux jours, un fait que le

président géorgien a publiquement dénoncé la ve ille. Le lendemain, le ministre des affaires

étrangères géorgien a publiquement sonné l’alarme, déclarant que «des militaires russes»

«procéd[ai]ent à l’arrestation massive» de Géorgiens en Ossétie du Sud 27. Malgré cela,

M.Zimmermann et M.Wordsworth demandent à la Cour de croire que rien de tout cela n’a été

23
Rapport de la mission d’enquête intern ationale indépendante sur le conflit en Géorgie, vol. I, septembre 2009,
par. 27; OEG, vol. III, annexe 120.
24Conseil de l’Europe, Assemblée parlementaire, commission des migrations, des réfugiés et de la population,

rapport, «Les conséquences humanitaires de la guerre entre la Géor gie et la Russie: suites données à la
résolution 1648 (2009)», doc. 11859, 9 avril 2009, par. 29. MG, vol. II, annexe 62.
25CR 2010/10, p. 17, par. 21 (Wordsworth).

26CR 2010/10, p. 41-42, par. 21 (Zimmermann).

27 CR 2010/9, p.18, par.14 (Reichler) (citant le document Ministère géorgien des affaires étrangères,
déclaration du ministre géorgien des affaires étrangères, 11 août 2008; OEG, vol. IV, annexe 185). - 9 -

16 discuté dans le cadre des négociations qui étaient en cours précisément au même moment. Mais de

quoi parlaient-ils donc dans ces négociations, des résultats du football? Le déracinement, le

massacre et l’arrestation massifs des Géorgiens de s ouche, la destruction par le feu et la mise à sac

des maisons et des villages qui étaient en cours, tout cela était gros comme un éléphant. Un

éléphant tellement énorme, en fait, qu’il obstruait totalement le champ de vision. Est-ce que non

seulement les diplomates russes, mais aussi leurs homologues géorgiens, ont choisi d’ignorer tout

cela? Cela n’est tout simplement pas crédible. Lo rsqu’ils revêtent la robe, les juges ne sont pas

tenus de se dépouiller de leur bon sens et de leur expérience pratique

24. Parmi les autres éléments attestant de l’existence de négociations figure une

correspondance échangée entre les présidents Saakachvili et Medvedev en juin et juillet 2008, dans

laquelle ce premier en appelle au retrait des fo rces russes de maintien de la paix des zones

d’Abkhazie encore peuplées de Géorgiens, de manière à permettre le retour des déplacés

28
géorgiens . Le rejet de cette propos ition par le président Medvede v au motif qu’elle était

«inopportun[e]» 29a réduit les chances de parvenir à un accord, mais les efforts se sont poursuivis,

jusqu’à ce que les troupes russes imposent une soluti on en août, en expulsant tous les Géorgiens

jusqu’au dernier ou presque. De toute évidence, il a été satisfait à toute obligation d’engager des

négociations dont on pourrait concevoir l’existence à l’article 22.

25. Le Conseil de la Russie a appelé l’atte ntion sur deux déclarations émanant du président

Saakachvili et du représentant permanent de la Géorgie auprès de l’Organisation des

30
NationsUnies, selon lesquelles, «les différe nds ne relèvent plus des griefs ethniques» et «il ne

31
s’agit pas d’un conflit essentiellement ethnique» . Ces déclarations, qui remontent à2007 et

à 2006 respectivement, ont été faites un an et deux ans avant que la Russie ne lance sa campagne de

nettoyage ethnique en août 2008. Elles représente nt vraiment la réponse de la Géorgie à l’époque

28Lettre du président Mikhaïl Saakachvili au président Dmitry Medvedev, 24 juin 2008, MG, vol. V, annexe 308.

29Lettre du président Dmitry Medvedev de la Fédération deRussie au président géorgien Mikhaïl Saakachvili,
1 ejuillet 2008, MG, vol. V, annexe 311.
30 e
CR2010/10, p. 21, par. 29 (Wordsworth) (citan t l’Assemblée générale des Nations Unies, 7 séance plénière,
allocution de M. Mikhaïl Saakachvili, président de la Géorgie, Nations Unies, doc. A/62/PV.7, 26 septembre 2007, p. 19 ;
OEG, vol. II, annexe 88).
31
CR 2010/10, p. 21, par. 32 (Wordsworth) (citant le ministère géorgien des affaires étrangères, déclaration de
M.Irakli Alasania, ambassade ur extraordinaire et plénipotentiaire, représentant permane nt de la Géorgie auprès de
l’Organisation des Nations Unies, 3 octobre 2006 ; OEG, vol. IV, annexe 171). - 10 -

au refus répété de la Russie de permettre aux Géorgiens de souche de retourner en Ossétie du sud et

en Abkhazie au motif que les tensions ethniques avaient pris une ampleur telle que tout retour serait

dangereux. C’est dans ce contexte que le pr ésident Saakachvili a affirmé qu’il s’agissait d’un

prétexte, que la majorité des Géorgiens et des Ossètes, et des Géor giens et des Abkhazes;

17 pouvaient cohabiter en paix comme ils l’avaient fait par le passé, si ce n’était «la manipulation de

l’avidité par une petite minorité d’activistes, de militants, de milices et leurs soutiens étrangers, aux

32
dépens de la population locale» . Dans cette même allocution prononcée devant l’Assemblée

générale en septembre2007, le président S aakachvili a précisé ce qu’il entendait par «soutiens

étrangers» :

«[le] seul obstacle à l’intégration de l’Ossétie du Sud au sein de la Géorgie est un
régime séparatiste consistant pour l’essentiel d’éléments issus des services de sécurité

de la Russie voisine, qui n’33t pas le mo indre lien historique d’ordre ethnique ou
culturel avec le territoire ».

26. M. Wordsworth a fait trois projections deva nt la Cour qui ne laissent pas de doute quant

au fait que c’est la discrimination ethnique qui est au cŒur du présent différend. Il a commencé par

projeter ce que le représentant de la Géorgie avait déclaré devant le CERD en mars2001: «de

graves violations des droits de l’homme con tinuent à être commises pour des motifs ethniques» 34.

Il a ensuite projeté un extrait du rapport publié par le CERD en avril2001, selon lequel, «les

situations en Ossétie du Sud et en Abkhazie ont entraîné une discrimination à l’encontre de

personnes d’origines ethniques différentes, notamme nt d’un grand nombre de personnes déplacées

35
à l’intérieur de leur propre pays et de réfugiés» . Enfin, il a projeté un document contenant des

observations faites par la Géorgie devant le CERD en août 2005, dans lesquelles cet Etat s’est dit

32 e
Assemblée générale, 7 séance plénière, allocution de M.MikhaïlSaakachvili, président de la Géorgie,
Nations unies, doc. A/62/PV.7, 26 septembre 2007, p. 19, les italiques sont de nous ; OEG, vol. III, annexe 88.
33 e
Assemblée générale des Nations Unies, 7 séance plénière, allocution de M.MikhaïlSaakachvili, président de
la Géorgie, Nations Unies, doc. A/62/PV.7, 26 septembre 2007, p. 20 ; OEG, vol. III, annexe 88.
34
CR2010/10, p. 15, par.16 be (Wordsworth) (citant le Comité pour l’ élimination de la discrimination raciale,
compte rendu analytique de la 1454 séance, NationsUnies, doc. CERD/C/SR.1454, 16 mars 2001, par.21); OEG,
vol. III, annexe 67 (les italiques sont de nous).
35
CR2010/10, p.15, par.16 c) (Wordsworth) (citant le Comité pour l’ élimination de la discrimination raciale,
Observations finales du Comité pour l’él imination de la discrimination raciale : Géorgie, NationsUnies,
doc. CERD/C/304/add. 120, 27 avril 2001, par. 4) ; OEG, vol. III, annexe 66. - 11 -

«profondément préoccupé par les infractions aux droits de l’homme des citoyens
géorgiens dans le district de Gali en Abkhazie…La situation des personnes
déplacées à l’intérieur du territoire et qui n’avaient pas pu retourner en Abkhazie
36
constituait un autre sujet de préoccupation.»

27. En tenant compte de ces déclarations faite s devant le CERD et adressées à ce comité, on

ne peut plus soutenir de manière plausible qu’i l n’existait pas de différend fondamental de longue

date touchant la discrimination et hnique et le déni du droit au ret our, questions qui relèvent de la

CIEDR. La seule question qui se pose encore est de savoir si la Géorgie a accusé la Russie d’être

responsable de ces actes et pratiques discriminatoires.

18 28. La Russie estime que «la conclusion logique à tirer du fait que la Géorgie n’a pas dit au

CERD qu’un différend l’opposait à la Russie, était que la Géorgie n’avait pas de grief relevant de la

37
CIEDR contre la Russie» . Permettez-moi de dire que cette conclusion n’est ni évidente, ni

justifiée. La Géorgie a présenté ses rapports au CERD en application de l’article 9, comme cela est

prévu pour tous les Etats parties. Selon cette di sposition, les Etats parties présentent un rapport sur

les mesures qu’ils ont eux-mêmes prises pour appliquer la Convention. Dans ces rapports présentés

en application de l’article9, les Etats parties ne sont pas censés formuler d’observations ou de

critiques sur les pratiques des autres Etats parties. Cela relève de l’article11. M.Crawford

reviendra plus tard sur ce sujet.

29. En somme, il faut retenir que la Géorgi e n’avait pas besoin d’ accuser directement la

Russie de discrimination ethnique devant le CERD , et son omission à cet égard n’appelle pas de

conclusion. Mais surtout, la «conclusion logique» que le Conseil de la Russie met en avant avec

autant de hardiesse, celle selon laquelle la Géorgi e n’a jamais accusé la Russie d’être responsable

des actes de discrimination interdits par la Conve ntion, est complètement contredite par chacune

des multiples déclarations faites par la Géorgie devant le Conseil de sécurité, l’Assemblée générale,

le parlement Européen, l’OSCE, les médias intern ationaux, et la Russie elle-même. Dans ces

déclarations, la Géorgie a directement accusé la Ru ssie de s’être livrée à des actes de nettoyage

ethnique, d’avoir soutenu des tiers commettant ces ac tes, de n’avoir pas empêché la discrimination

36CR2010/10, p.16, par.16 d) (Wordsworth) (citant le Comité pour l’ élimination de la discrimination raciale,
e
compte rendu analytique de la 1706séance, Nations Unies, doc.CERD/C/SR.1706, 10 août 2005, par.24, les italiques
sont de nous ; OEG, vol. III, annexe 72.
37CR 2010/10, p. 13, par. 13 (Wordsworth). - 12 -

ethnique dans les zones relevant de son contrôle effectif, et d’avoir privé les personnes déplacées

du droit de regagner leurs foyers.

30. En fait, au moment même où la Géor gie dénonçait dans ses rapports au CERD la

discrimination ethnique pratiquée en Abkhazie et en Ossétie du Sud, elle déclarait publiquement

dans de nombreuses enceintes que la véritable autor ité dans les deux territoires, l’Etat responsable

de la discrimination ethnique qui y était prati quée, était la Russie elle-même, précisant que les

administrations de facto en Ossétie du Sud et en Abkhazie étaient dirigées par le gouvernement et

38
par le personnel de sécurité russes . Les citations qui s’y ra pportent figureront dans le

compte-rendu.

19 31. En somme, ce qui reste à la Russie ⎯tout ce qui lui reste ⎯ c’est son argument

essentiellement politique selon lequel le «véritable» différend en l’espèce a trait à un conflit armé, à

l’annexion de territoires et au statut juridique de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie. La Russie

campe sur cette position en dépit de tous les éléments de preuve, qu’elle n’a pas pu réfuter si ce

n’est en inventant de nouvelles règles de droit international qu’elle utilise pour affirmer et

réaffirmer que tous les éléments de preuve pr oduits par la Géorgie «ne comptent pas». Les

allégations de la Géorgie sur la discrimination ethnique ne s ont pour elle que «pure fiction

39
juridique» . La Géorgie a agi de mauvaise foi en portant le présent différend devant la Cour. Elle

s’est présentée à la Cour avec les mains sales. Elle devrait être renvoyée chez elle.

32. Cet argument n’est pas nouveau. Dans l’affaire Nicaragua c. Etats-Unis, les Etats-Unis

ont invoqué des motifs très semblables pour obt enir que les demandes du Nicaragua soient

déclarées irrecevables :

«le Nicaragua prie instamment la Cour … de se prononcer sur une demande touchant

un conflit armé … En outre, et fait d’auta nt plus remarquable, le Nicaragua demande
à la Cour de se prononcer dans un contexte d’hostilités déclenchées en partie par ses

38
Voir par exemple, Conseil de sécurité des Nations Unies, lettre datée du 27 octobre 2005, adressée au président
du Conseil de sécurité par le représentant permanent de la Géorgie auprès de l’Organisation de s NationsUnies,
Nations Unies, doc. S/2005/678 (27 octobre2005); OEG, vol. III, annexe 75. (« Les postes de l’appareil administratif
séparatiste sont pourvus par des fonctionnaires détachés directement de postes qu’ils occupe nt en Fédération de Russie,
parfois même en Sibérie.») Voir aussi, Assemblée générale, Conseil de sécurité, lettre datée du 9novembre2005,
adressée au Secrétaire général par le représentant permanent de la Géorgie auprès de l’Or ganisation des Nations Unies,
annexe, NationsUnies, doc.A/60/552, 10 novembre 2005; OEG, vol. III, annexe 76 («des citoyens russes ont été
nommés à des postes de haut niveau (premier ministre, ministres de la défense et de l’application de la loi, commandants

d’unités militaires, etc.) à Tskhinvali et Sukhumi et continuent simultanément à travailler pour les services de maintien de
l’ordre et les services spéciaux de la Fédération de Russie»).
39CR 2010/10, p. 18, par. 22 (Wordsworth). - 13 -

propres attaques contre ses voisins…le Nicaragua pourrait utiliser la Cour pour
détourner l’attention de ses propres viol ations des droits de l’homme…Cette
demande sens dessus dessous et essen tiellement politique du Nicaragua est
40
irrecevable.»

33. Cet argument a été rejeté par un vote unanime des seize membres de la Cour, dont celui

du juge Schwebel 41.

34. Concernant particulièrement la question de la compétence, par opposition à celle de la

recevabilité, la Cour a déclaré ce qui suit dans l’affaire de la Licéité de l’emploi de la force : «La

Cour est d’avis qu’elle ne peut refuser de connaître d’une affaire simplement du fait des

motivations alléguées de l’une des parties, ou en raison des conséquences que son arrêt pourrait

avoir dans une autre instance.» 42

35. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, la Russie s’étant attachée aux

minuties de chaque document et déclaration, il m’a fallu répondre dans le détail au lieu de

privilégier une analyse globale. C’est justement à cette analyse globale que j’aimerai consacrer les

dernières minutes de ma plaidoirie.

20 36. Voici comment M. Wordsworth résume l es faits de l’espèce : «nous sommes face à une

question de réfugiés très importante, effectivement, mais non face à un différend entre la Géorgie et

43
la Russie en matière de discrimination raciale» . Il s’agit là d’une remarque malencontreuse qui

en dit long sur la manière dont la Russie envisage le s faits de l’espèce : celle-ci semble simplement

incapable ou peu désireuse de faire face à la réa lité qui a contraint des centaines de milliers de

Géorgiens de souche à quitter leurs foyers, villa ges et villes en Ossétie du Sud et en Abkhazie

entre1992 et2008, et à devenir ainsi des «r éfugiés», pour reprendre le terme employé par

M. Wordsworth. Ce n’est pas une catastrophe naturelle qui a causé leur départ. Ils n’ont pas choisi

de partir, à la recherche de nouveaux horizons ou de nouvelles perspectives. Ils n’ont pas été

empêchés de rentrer de vacances par une action volcanique imprévue.

40
Activités militaires et paramilitaires au Nicaraguacontre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique) ,
compétence et recevabilité, mémoires, plaidoiries et documents, vol. III, p. 251 (More).
41
Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 442, par. 13.
42Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c.Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt,

C.I.J. Recueil 2004 (III), p. 1323, par. 38.
43CR 2010/10, p. 20, par. 29 (Wordsworth). - 14 -

37. Non, Monsieur le président, ces personnes sont des «réfugiés» dans leur propre pays,

parce qu’une politique de discrimination ethnique les a contraintes au départ. Cette politique a été

adoptée par la Russie en 1991, et été appliquée de manière systématique depuis lors dans le but de

modifier la composition ethnique de ces deux te rritoires. Cette politique fait sans aucun doute

partie d’une entreprise géopolitique plus vaste qui vise à créer une nouvelle zone d’influence

s’étendant jusqu’en Abkhazie et en Ossétie du Su d, qui sont aujourd’hui des entités ethniquement

homogènes ne comptant plus de population géor gienne. Mais la Cour n’a pas besoin de

s’intéresser à des motivations ou à la géopoliti que. A ce stade, l’accent doit être mis sur

l’application de cette politique par la Russie d’une manière délibérément discriminatoire à

l’encontre des Géorgiens de souche dans un effort de les expulser d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud,

et sur les objections persistantes de la Géorgie contre les mesures prises par la Russie à cette fin.

Cela constitue un différend.

38. Monsieur le président, nous sommes effec tivement face à une question de réfugiés très

importante, qui est le résultat direct de la politique de discrimination mise en Œuvre par la Russie,

en violation de la CIEDR. Les réfugiés ne le sont pas s’ils peuvent rentrer chez eux. Des centaines

de milliers de Géorgiens de souche sont des «réf ugiés» en Géorgie parce que la Russie ne les

autorise pas à regagner leurs foyers. Dans ses conclusions finales, l’agent de la Russie s’est penché

sur cette question. Il a souligné un certain nombre de points. Selon lui, «on ne saurait assimiler

44
«non-retour» et «discrimination raciale» . Cela peut être sans doute vr ai en règle générale. Mais

l’agent de la Russie admet que, dans certaines circonstances, le déni du droit au retour constituera

un acte de discrimination qui est contraire à la C onvention. Voilà une concession de poids. Elle

est d’autant plus importante si l’on tient compte de l’argument de M.Gevorgian selon lequel «la

Russie a eu une attitude constante sur la questio n du retour des déplacés, quelle que soit leur
21
appartenance ethnique» 45. Les éléments de preuve n’étay ent pas cet argument. En réalité,

l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie facilitaient le retour des Ossètes et des Abkhazes alors qu’elles

faisaient obstacle à celui des Géorgiens de souche 46. C’est ce qu’on appelle de la discrimination.

44CR 2010/10, p. 51, par. 9 (Gevorgian).
45
CR 2010/10, p. 51, par. 9 (Gevorgian).
46MG, par. 5.1-5.25, 6. 47-6.87 ; 7.36-7.51 ; OEG, par. 6.4-6.18. - 15 -

C’est une question qui relève de la Convention. La Géorgie n’a cessé de s’opposer clairement à

47
cette politique depuis le début des années1990. Qui a élaboré et appliqué cette politique? La

Russie. A la prétendue «frontière» avec la Géor gie, qui a réglementé la procédure d’entrée des

48
visiteurs ? La Russie. Et qui a contrôlé cette frontière ? L’armée russe .

39. La responsabilité de la Russie pour ces actes relevant de la CIEDR est une question de

fond. Mais concernant le point de savoir si un différend existait entre la Géorgie et la Russie sur

des questions relevant de la Convention à partir du 12août2008, la réponse ne saurait être plus

claire : de toute évidence, il en existait un. En faisant valoir qu’aucun différend ne l’opposait à la

Géorgie au sujet de la discrimination ethnique pra tiquée contre les Géorgiens en Ossétie du Sud et

en Abkhazie au sujet du déni du droit au retour, qui constitue une discrimination, dans la période

entre1999 et 2008, la Russie tourne le dos a ux réalités. Nous sommes persuadés que la Cour ne

voudra pas agir de la même manière.

40. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je vous remercie une fois de

plus de votre courtoisie et de votre attention, et vous prie de bien vouloir donner la parole à

M. Crawford.

Le PRESIDENT : Je vous remercie, M. Reichler de votre exposé. J’appelle

M. James Crawford à la barre.

22 M. CRAWFORD :

E XCEPTIONS PRÉLIMINAIRES 2 À 4

I. Introduction

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, dans cet exposé qui,

heureusement, sera fort bref, je reviendrai sur un certain nombre de questions ayant trait aux

deuxième, troisième et quatrième exceptions pr éliminaires. Je le ferai sous une forme

impressionniste, sinon pointilliste.

47Conseil de sécurité, lettre datée du 8 septembre 1992, adressée au président du Conseil de sécurité par le chargé

d’affaires par intérim de la mission permanente de la Fédéra tion de Russie auprès de l’Or ganisation des Nations Unies,
annexe, Nations Unies, doc. S/24523, 8 septembre 1992 ; OEG, vol. III, annexe 45. OSCE, déclaration de la délégation
de la Géorgie, doc. Pc .del/306/08, 17 avril 2008. Ovol.III, annexe 112. Pour d’autres documents sur les
négociations entre la Géorgie et la Russie au sujet du retour, voir, OEG, par. 3.78-3.110.
48MG, par. 5.1-5.25, 6.47-6.87 ; 7.36-7.51 ; OEG, par. 6.4-6.18. - 16 -

II. La théorie du «sens spécial»

2. Le premier point que je vais aborder con cerne la théorie du «sens spécial» développée par

M.Wordsworth, selon laquelle une «question» ne devient un «différend» que sous l’effet de

l’alchimie opérée par la commission de conciliation ad hoc. J’ai réfuté cette théorie mardi dernier,

en montrant que l’article13 utilisait indifféremme nt les termes «question» et «différend», sans

qu’on trouve dans ses dispositions la moindre trace du «sens spécial» que M. Wordsworth prétend

y discerner 49. En réplique, M.Wordsworth a affirm é que, au moment où la plainte est portée

devant la commission, elle n’est encore qu’une «question», et qu’elle ne devient un «différend»

qu’à un stade ultérieur (CR 2010/10, p.12, par. 7) . Mais observons de plus près ce petit exercice

de transsubstantiation. Voici, à l’écran, le para graphe1 de l’article12 : les mots pertinents

apparaissent en surbrillance [Projection de l’article 12 1)]. Vous le voyez, dans la seconde phrase,

au stade où elles consentent à la désignati on des membres de la commission de conciliation ⎯ et,

donc, avant que celle-ci n’ait été établie ⎯, les parties sont des «parties au différend». Le

changement, donc, a déjà eu lieu. Abracadabra ! Mais attendez un instant : la magie n’a pas opéré,

puisque, arrivés à la fin de la phrase, nous trouvons les mots «solution amiable de la question». Le

«différend» aurait ainsi retrouvé sa forme première? Que nenni, et en voici la preuve: dans la

phrase qui suit, les Etats sont de nouveau présentés comme des «parties au différend», une

formulation employée à deux reprises au paragraphe 1 b), et qui se retrouve aux paragraphes 2, 5, 6

et 7. A n’en pas douter, plus moyen maintenant de faire machine arrière ⎯ finie l’entropie, tout va

rentrer dans l’ordre! Eh bien non, hélas, car que trouvons-nous encore, alors même que nous en

sommes à la fin du processus visé à l’article12 ? Je vous renvoie ici au paragraphe1 de

l’article 13 qui emploie tout à la fois les termes de «question» et de «différend». Nulle cohérence,

ici, mais une constante oscillation.

23 3. M.Wordsworth a loué les travaux du Comité pour l’élimination de la discrimination

raciale, mais m’a reproché de ne pas avoir fait ré férence au règlement intérieur établi par ce comité

(CR2010/10, p12, par.7). Si je ne l’ai pas fait, c’est parce que la question qui nous occupe ici

touche l’interprétation de la convention de 1965 et non d’un règlement adopté par la suite. Mais la

distinction fondamentale que fait M.Wordsworth en tre «question» et «différend», si elle existe,

49
CR 2010/9, p. 35-36, par. 6-8. - 17 -

aura assurément été prise en compte par le Comité, qui l’aura à n’ en pas douter reflétée dans son

règlement.

4. M.Wordsworth a mentionné un «processus de cristallisation en cinq étapes», au terme

duquel une «question» devient un «di fférend»; c’est ce qui ressort, selon lui, de «l’interprétation

[faite par le] Comité dans la formulation de son règlement intérieur» (CR2010/10, p.12, par.7).

Rappelons que le Comité a adopté son règlement en 1970 et citons encore M. Wordsworth :

«L’ar[ticel] ⎯ nous dit-il ⎯ fait apparaître clairement qu’[il n’y a différend
en vertu du] paragraphe2 de l’article 11 que lorsque la procédure en 5 étapes
s’achève, et que la question revient devant le Comité pour la seconde fois, comme le

prévoit le paragraphe 2 de l’article 11» (CR 2010/8, p. 30, par. 9).

[Graphique montrant l’article112) , le mot «question» apparaît en surbrillance ; article 72, le mot

«différend» apparaît en surbrillance]

5. Vous voyez à l’écran le libellé du paragra phe2 de l’article11: il ne mentionne qu’une

«question» ⎯et il le fait à deux reprises. Mais voici maintenant l’article72, qui renvoie au

«différend dont [le Comité] a été saisi en vertu du paragraphe 2 de l’article 11», et qui emploie ce

mot ⎯ différend ⎯ à deux reprises.

6. Las, si le Comité l’envisageait peut-être comme un «différend», le paragraphe2 de

l’article11, utilise clairement le mot «questi on». En réalité, l’article11 présente bien une

cohérence interne, mais le Comité ne semble en avoir fait aucun cas. Son propre règlement

intérieur fait référence à un «différend» au stade de l’article 11.

7. Ce ne sont pas les seuls exemples de manque de cohérence entre la terminologie du

règlement intérieur et celle de la CIEDR, mais ils suffisent à notre démonstration. Le Comité

lui-même reprend pas la dichotomie mise en avant par M. Wordsworth.

8. M. Wordsworth, enfin, a écarté ma référence au traité des eaux de l’ Indus en la qualifiant

d’«ésotérique» (CR2010/10, p.12, par.10). Je doi s dire que je trouve quelque peu singulier de

qualifier d’«ésotérique» un important traité relatif à un fleuve reconnaissant le droit à l’eau à des

millions d’habitants du sous-continen t. Ce qui est bel et bien ésotérique en revanche, c’est la

complexité du système de règlement des litiges pr évu par ce traité, dont une disposition indique

expressément à quel moment précis un simple différend devient un «litige» ⎯ et devient, dès lors, - 18 -

24 justiciable. Mon propos était de montrer qu’un mécanisme aussi raffiné ⎯ et disons-le

ésotérique ⎯ ne pouvait être inféré, et que les argum ents d’ordre linguistique sur lesquels

M.Wordsworth s’est appuyé pour tenter de faire précisément cela ⎯inférer un tel système de la

deuxième partie de la CIEDR ⎯ étaient de toute évidence dépourvus de fondement.

9. Enfin, M.Wordsworth se re tranche derrière la formule latine «lex specialis», qu’il agite

comme un talisman : la CIEDR serait une lex specialis (CR 2010/10, p. 10-11, par. 12), et, dès lors,

elle serait inoculée contre toute possibilité d’infec tion par le droit internati onal général et l’affaire

Mavrommatis en particulier. Selon M.Wordsworth, l’arrêt Mavrommatis ⎯ qui donne une

définition très large du mot «différend» et ne prévoit guère d’exigences strictes en matière de

«négociations» ⎯ ne s’applique que «dans le cadre d’affaires portées devant [la Cour] au titre des

déclarations facultatives prévues au paragraphe 2 de l’article36 du Statut ou des clauses

compromissoires figurant dans les traités bilatéraux et multilatéraux», qui ne présentent pas les

spécificités de la CIEDR (CR2010/10, p.13, par.12). Voilà un ra isonnement quelque peu

circulaire: la formule «lex specialis» est invoquée parce que le traité est spécial, et le traité est

spécial parce qu’il est lex specialis. Mais tous les traités sont dotés de caractéristiques propres ; à

en croire la Russie, ils constitueraient donc autant de leges speciales. A ce compte-là, il n’y a plus

de droit international général des traités !

III. L’histoire des deux Etats A et B

10. J’en reviens à l’histoire des deux Etats A et B, dont vous vous souvenez peut-être.

M.Wordsworth n’a pas très bien compris ma para bole des deux Etats. Il a déclaré que «si l’on

retrouv[ait] un peu le sens des réalités», selon sa pe rception personnelle, «un Etat A [avait] pris un

autre chemin et [s’était] fourvoyé. Cet Etat a[va it] recouru à l’emploi illicite de la force militaire

pour résoudre ses problèmes.» (CR 2010/10, p. 10-11, par. 3.)

11. Or ma parabole n’était pas censée être le reflet des faits en litige en la présente instance ;

et, dans ma parabole, le nettoyage ethnique avait eu lieu dans l’Etat B. L’idée était de faire

apparaître le sens évident de l’article 22 et ses liens avec les articles 11 à 13. Le sens d’un article

ne change pas selon les situations de fait. Soit la Cour est compétente pour connaître d’une affaire

relevant de la CIEDR, soit elle ne l’est pas, sel on l’interprétation que l’on don ne de l’article 22, et - 19 -

indépendamment de toute question relative à l’usage de la force militaire. Je ferais en outre

observer que, du côté du défendeur, auc une exception préliminaire n’invoque ⎯ce qui est sans

aucun doute fort sage ⎯ la doctrine des «mains propres». Le reste relève du fond.

25 IV. Le système de la deuxième partie de la CIEDR

12. Le défendeur nous a accusés de négliger la deuxième partie de la CIEDR et de placer

l’article 22 dans un splendide isolement, voire de le mettre à l’abri d’un cordon sanitaire. Mais en

réalité, la deuxième partie de la convention a sa propre économie, qui est assez différente des

dispositions finales. Cela ressort, par exemple, de l’article 9. Aux termes de cet article, les Etats

parties doivent présenter pour examen par le Comité «un rapport sur les mesures d’ordre législatif,

judiciaire, administratif ou autre qu’ils ont arrê tées et qui donnent effet aux dispositions de la

présente convention».

13. Le paragraphe 1 de l’article 11, qui est la disposition de fond suivante (l’article 10 ayant

trait au règlement, au bureau, au secrétariat et aux réunions du Comité) reprend cette formulation :

«[s]i un Etat partie estime qu’un autre Etat égalem ent partie n’applique pas les dispositions de la

présente convention, il peut appeler l’attention du Comité sur la question».

14. Il apparaît clairement que les procédures énoncées aux articles11 et 12 visent à

compléter les dispositions de l’article 9. Celui- ci impose aux Etats d’exposer la manière dont ils

donnent effet à la convention, notamment par des mesures d’ordre législatif. Si un autre Etat

estime que les mesures ainsi présentées comme «donn[ant] effet» à la convention sont inadéquates,

c’est au moyen du mécanisme prévu à l’article11 qu’il peut appeler l’a ttention du Comité sur ce

point. Cela est tout à fait logique, puisque c’est le Comité qui examine les rapports présentés en

application de l’article9. La différence avec l’article22 est très nette, celui-ci étant formulé en

termes généraux: «[t]out différend…touchant l’ interprétation ou l’application de la présente

convention».

15. Tout cela démontre que les articles 11 et 12 n’ont pas pour objet d’établir des procédures

obligatoires devant précéder la saisine de la C our, mais d’aider le Comité à s’acquitter de la

fonction qui lui est assignée par le paragraphe2 de l’article9, et qui consiste à «faire des - 20 -

suggestions et des recommandations…fondées sur l’examen des rapports et des renseignements

reçus des Etats partie».

16. La Russie tente de reformuler la présen te espèce en appelant la Cour à préserver

l’intégrité d’un système imaginaire de conciliatio n obligatoire devant le CEDR prévu par la

convention 5. Cela est erroné. La CIEDR n’est pas «l e seul traité relatif aux droits de l’homme

comportant une procédure de conciliation obligatoire», elle est le premier traité relatif aux droits de

l’homme à avoir établi un organe, lequel a servi de modèle à ceux qui l’ont suivi, sachant que ni le

CEDR ni les sept autres Comités des droits de l’homme ne se sont vu conférer l’autorité de mener

26
une conciliation contre la volonté des Etats parties. En fait, cela serait contre-productif, dès lors

que le consentement, le rapprochement mutuel et le compromis sont au cŒur de la conciliation.

V. L’article 22 de la CIEDR

17. A la lumière de ce qui précède, j’en viens maintenant à la question centrale de

l’interprétation de l’article 22.

18. Quoique M.Pellet ait dit que nous n’ en tenions pas compte, nous considérons en

réalité ⎯tout comme la Cour, ainsi qu’elle l’a indiqué au paragraphe114 de son ordonnance en

indication de mesures conservatoires ⎯que l’expression «qui n’aura pas été réglé par voie de

négociation ou au moyen des procédures expressément prévues par ladite convention» a bel et bien

un sens. Pour reprendre les termes employés par la Cour dans son ordonnance, «la partie

demanderesse doit avoir tenté d’engager, avec la partie défenderesse, des discussions sur des

questions pouvant relever de la CIEDR» 51. La Cour a néanmoins estimé clairement que cette

expression n’exigeait pas l’épuisement des procédures prévues par la CIEDR.

19. M.Pellet a tiré la conclusion contraire du mot «ou», un «ou» qu’il a exploré à maintes

reprises. Armé du Cambridge Advanced Learners Dictionary — ce qui ne l’a pas empêché de se

fourvoyer quelque peu—il a soutenu que «ou» signifiait «et» après une proposition négative

(CR 2010/10, p. 25, par. 7). Malheureusement, et n’en déplaise au Cambridge Advanced Learners

50
CR 2010/10, p. 38, par. 38 (Pellet).

51Ordonnance du 15 octobre 2008, C.I.J. Recueil 2008, p. 388, par. 114. - 21 -

Dictionary, la langue anglaise a tendance à ne pas se c onformer à toutes les règles ; d’ailleurs, les

conjonctions «et» et «ou» posent problème dans bien des langues. A cet égard, il suffit d’appeler

l’attention de la Cour sur le paragraphe 2 de l’article 11 de la convention, qui énonce les conditions

procédurales préalables permettant de soume ttre de nouveau un différend au Comité. Cette

disposition se lit comme suit : «Si … la question n’est pas réglée à la satisfaction des deux Etats

[«n’est pas réglée», proposition négative], par voie de négociations bilatérales ou par toute autre

procédure qui serait à leur disposition». La forme est négative, mais le «ou» continue de signifier

«ou».

20. En définitive, il n’y a pas d’autre soluti on que de suivre les règles d’interprétation

énoncées par la convention de Vienne, compte tenu de l’objet et du but de la CIEDR. Or, celle-ci

avait avant tout pour but de fournir un moyen de rè glement efficace sur le plan international dans

les cas graves de discrimination raciale, et notamment ethnique. Elle avait pour but d’être efficace.

Ainsi que ma parabole des Etats A et B l’a dé montré, le défendeur, pa r son interprétation,

transforme le mécanisme de la CIEDR en un piège et en un obstacle. M. Pellet n’a cessé d’affirmer

27 que, dans certains contextes, «ou» pouvait signifier «et»; je lui rappellerai simplement que, dans

tous les contextes, «ou» peut signifier «ou». Le principe d’efficacité est donc essentiel pour écarter

l’interprétation cumulative.

21. M.Pellet a, sans grande conviction, tenté d’avancer qu’une co mmission de conciliation

ad hoc était une enceinte au moins aussi appropriée que la Cour pour connaître de griefs en matière

de discrimination ; à cet égard, il a relevé que l’ examen des affaires portées devant la Cour pouvait

être long, ce qui est sans doute vrai. Il n’en reste pas moins que la Cour a la faculté d’indiquer des

mesures conservatoires contraignantes, ce qui n’est le cas ni du CEDR ni de la commission de

conciliation ad hoc. Par ailleurs, aux termes de l’article 16 de la CIEDR, le principe international

habituel du libre choix des moyens de règlemen t s’applique aux moyens disponibles hors de la

convention. M.Pellet a reconnu le bien-fondé de mon argument selon lequel, en vertu de

l’article16, les Etats parties à la clause facultatie ne sont pas tenus de recourir aux procédures

prévues dans la deuxième partie de la CIEDR (CR2010/10, p.33-34, par.28). Il s’agit là,

estime-t-il, d’un des risques ou d’un des avantages—selon que vous êtes l’EtatA ou l’EtatB—

du système de la clause facultative. Cependant, si l’intégrité des procédures énoncées dans la - 22 -

deuxième partie de la convention revêtait une si grande importance, elle aurait pu être imposée aux

Parties comme une condition pour faire partie de ce régime. Or, la présence de l’article16

concourt à démontrer que la CIEDR ne constitue pas un tel régime, et que le principe du libre choix

des moyens doit l’emporter.

22. M.Pellet n’a nullement cherché à répondre sur le fond à mes arguments relatifs à

l’affaire du Rwanda, se contentant de les qualifier d’explications embarrassées [« embarrassed

explanations»] 52. Pourtant, la tentative d’invoquer la constitution de l’OMS en cette affaire était

une simple interprétation post hoc, théorique de surcroît. Je rappellerai d’ailleurs qu’il a été

question de ladite affaire au cours de la phase de l’examen des mesures conservatoires en la

présente espèce, et que cela n’a pas empêché la Cour de conclure que l’expression pertinente

figurant à l’article22, «prise dans son sens natu rel, ne donne pas à penser que la tenue de

négociations formelles au titre de la convention ou le recours aux procédures visées à l’article22

constituent des conditions préalables auxquelles il do it être satisfait avant toute saisine de la

Cour» 53.

23. En ce qui concerne les travaux préparatoires, il n’y a aucune raison de répéter ce qui a

déjà été dit mardi, et c’est à la Cour qu’il incombe de trancher entre les argumentations

diamétralement opposées des Parties. Il est impossible que celles-ci aient toutes deux raison sur ce

point. Aussi me contenterai-je de renvoyer la Cour au résumé de ces travaux, qui figure en
28
54
appendice aux observations écrites , les travaux préparatoires étant reproduits dans leur intégralité

aux annexes 1 à 40 des observations écrites (vol. II).

24. Pour les raisons exposées ci-dessus, rien ne saurait conduire la Cour à revoir

l’interprétation provisoire de l’article 22 qu’elle a donnée dans so n ordonnance de 2008. M. Pellet

a soutenu que cette interprétation devrait au contraire être revue en raison de la question du recours

à la force armée (CR 2010/10, p. 38, par. 38) mais, ai nsi que je l’ai fait observer, l’affaire ayant été

plaidée comme elle l’a été, cette question relève de l’examen au fond.

52CR 2010/10, p. 31-32, par. 24, se référant au CR 2010/9, p. 37, par. 15.

53
Ordonnance du 15 octobre 2008, C.I.J. Recueil 2008, p. 388, par. 114.

54OEG, p. 352-367. - 23 -

VI. Les troisième et quatrième exceptions préliminaires

25. J’en viens à présent brièvement à l’examen des deux exceptions préliminaires restantes,

si tant est que ce dernier terme convienne.

26. Au premier tour, la Russie n’a rien dit au sujet de ses troisième et quatrième exceptions

préliminaires, et ce alors même que nous y avio ns répondu de manière très complète dans nos

observations écrites. En réponse à ce que nous av ons indiqué mardi, la Russie s’est montrée très

confuse sur ses intentions en ce qui concerne la troisième exception préliminaire, celle qui porte sur

la compétence ratione loci. M. Zimmermann a dit à la Cour que la Russie avait décidé de «cesser

55
de la plaider en tant qu’exception préliminaire» . L’agent de la Russie, M.Gevorgian, a ensuite

estimé que ces questions étaient si étroitement liées aux faits qu’elles devaient être examinées lors

56
de la phase sur le fond , sans toutefois demander expressément à la Cour de les joindre au fond.

27. Trois possibilités semblent donc s’offrir à la Cour: 1) considérer que l’exception

préliminaire a été retirée et ne pas examiner cette question plus avant; 2) se prononcer sur cette

exception de la manière dont nous l’avons invitée à le faire, c’est-à-dire en la rejetant au motif que

la Russie ne s’est appuyée sur aucune source faisant autorité et n’a pas opposé le moindre argument

à notre thèse détaillée ; ou ⎯ mais peut-être devrais-je dire «et» ⎯ 3) joindre l’exception au fond.

28. Selon nous, rien ne saurait fonder cette troisième approche, étant donné que la Russie n’a

présenté aucun argument pour justifier une telle décision et n’a pas répondu à notre conclusion

selon laquelle l’exception soulevée est sans lien avec le fond. Etant donné que nous avons

pleinement exposé notre argumentation, nous considérons que la Cour devrait rejeter l’exception au

stade actuel de l’instance, et non se contenter de la considérer comme ayant été retirée. Pour

29 reprendre l’expression que M.Zimmermann a fort obligeamment employée 57, une des Parties a

présenté son «argumentation complète», et le fait que la Russie ait choisi de ne pas y répondre ne

devrait pas retarder la décision de la Cour. La troisième exception préliminaire est dépourvue de

fondement, et nous prions la Cour de se prononcer en ce sens.

29. S’agissant de la quatrième exception préliminaire ⎯ c’est-à-dire l’exception

ratione temporis ⎯il apparaît désormais qu’il ne s’agit pas réellement d’une exception

55CR 2010/10, p. 46, par. 47 (Zimmermann).
56
Ibid., p. 53, par. 22 (Gevorgian).
57CR 2010/10, p. 47, par. 49 (Zimmermann). - 24 -

d’incompétence, mais plutôt d’une demande te ndant à ce que la convention soit déclarée non

rétroactive. Or, la phase des exceptions préliminaires ne saurait donner lieu à une telle déclaration.

58
Contrairement à ce que semble suggérer la Russie , elle ne saurait pas non plus donner lieu

à une interprétation du sens et de l’effet de la notion de violation continue. Aussi la Géorgie

invite-t-elle la Cour à rejeter également cette non-exception préliminaire.

VII. Conclusion : le rôle de la Cour

30. En conclusion, pour ce qui concerne le rôle de la Cour, M. Pellet — lorsqu’il ne pratique

pas le formalisme juridique — endosse, en la prés ente instance, un autre costume inhabituel, celui

de droits-de-l’hommiste [«human rightist»]. Il m’accuse en effet non sans véhémence de dénigrer

le CERD 59. Bien évidemment, rien de ce que j’ai dit ne visait à critiquer l’excellent travail effectué

60
par ce Comité et les autres organes co nventionnels relatifs aux droits de l’homme . En réalité, la

question est d’ordre juridique: il s’agit de savoir si la «compétence» de ces organes ⎯si tant est

que ce terme soit approprié ⎯ exclut celle de la Cour ou, à tout le moins, peut retarder l’accès à la

Cour pendant des années et des années. Dans une situation où de nouvelles négociations, quelle

que soit la façon dont elles seraient organisées, ne résoudraient manifestement rien, il est vain et

risquerait de se révéler très domma geable pour les victimes d’insister pour que le processus de

l’article 12 suive laborieusement son cours.

31. Pour décrire le CERD, M. Wordsworth a employé des termes rappelant ceux de la Cour

royale de Justice : il a par exemple employé celui de «question» comme étant «le nom formel de la

communication sur la base de laquelle la Commission fait son rapport», ajoutant fort

obligeammentque «[l]a Commission présente un rappor t sur une question, de la même manière

61
qu’une juridiction se prononce sur une demande» . Au risque de me répéter, les organes

conventionnels tels que le CERD ne sont pas d es organes judiciaires; ce ne sont pas des

58Ibid., p. 48, par. 55-57 (Zimmermann).

59
Voir CR 2010/10, p. 34-35, par. 31.

60Voir, par exemple, P.Alston & J.Crawford (dir.Publ.)The Future of UN Human Rights Treaty Monitoring ,
(Cambridge, Cambridge University Press, 2000).

61CR 2010/10, p. 11, par. 6. - 25 -

30 juridictions, et ils n’ont pas le pouvoir de rendr e des décisions contraignantes pour les Etats.

Certes, le CEDR a, depuis 1993, mis en place des pr océdures d’alerte rapide et d’action urgente.

Ces procédures sont, à n’en pas douter, utiles, et il en a été fait usage. Ce nonobstant, elles ne

sauraient se substituer aux mesures conservatoires indiquées par la Cour. Au titre de ces

procédures — et je les cite — le Comité pourra «exprim[er] ses inquiétudes particulières et

adress[er] des recommandations» 62.

32. Et le point essentiel est là. Il va de soi que les Etats peuvent créer des procédures

spéciales et confier certaines fonctions aux commi ssions de conciliation, comités des droits de

l’homme ou autres organes ad hoc de leur choix. Ils peuvent attribuer à ces organes une

compétence exclusive ou exiger l’épuisement préalable de ces procédures. Il n’en demeure

cependant pas moins que la compétence de la Cour ratione materiae s’étend au droit international

dans son ensemble. J’ai indiqué mardi qu’il devait y avoir une présomption selon laquelle la

compétence de la Cour ne peut être écartée ou indûment retardée en raison de procédures non

63
contraignantes devant des organes non juridictionnels . Cela entre dans le cadre du rôle de la

Cour en tant qu’organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies, organisation

internationale universelle. Les conseils de la Fédération de Russie n’ont pas répondu à mon

argument mercredi ; celui-ci n’a pas été réfuté.

33. Cela ne signifie pas que la Cour ne puisse pas tenir compte des recommandations et des

vues formulées par des organes de traités relatifs aux droits de l’homme ; bien sûr qu’elle le peut.

Cependant, ce n’est pas se montrer irrévérencieux e nvers ces organes c onventionnels que de

préciser que ce ne sont pas des juridictions, ains i que la Cour d’appel néozélandaise l’a indiqué

dans une affaire concernant le Comité des droits de l’homme, qui a par la suite reçu la bénédiction

peut-être superflue du Conseil privé 64. Ces exceptions préliminaires ne mettent pas en jeu le crédit

62Voir par.14 c) des directives applicables aux procédures d’aler te rapide et d’intervention d’urgence, rapport
annuel, doc.A/62/18, annexe III, revisées pour la dernière fois par le Comité à sa 71n d’août2007; les italiques
sont de nous.

63CR 2010/9, p. 46, par. 41 (Crawford).

64
Affaire Tangiora v. Wellington District Legal Services Committee , (1997), 115 ILR 655, aff’d [1999]
UKPC 42. - 26 -

ou l’influence des organes de traités relatifs aux droits de l’homme ou du CEDR, mais le rôle de la

Cour à l’égard d’un traité multilatéral de première importance. Des organes n’exerçant pas le

pouvoir judiciaire sur un plan international ne saura ient, sans mandat exprès, retarder indéfiniment

l’accès d’un Etat au pouvoir judiciaire, et en particulier à celui de la Cour.

34. Ma petite parabole de l’Etat A et de l’Et at B vise à montrer qu’il est absurde d’imposer à

un Etat qui a subi un nettoyage ethnique à grande éch elle de passer par les différentes étapes d’une

31 longue procédure axée sur la négociation et a boutissant à une simple recommandation, lorsque

l’autre Etat refuse catégoriquement de coopérer. Telle est pourtant bien l’interprétation que la

Russie s’obstine à défendre.

35. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je vous remercie de l’attention

que vous avez bien voulu accorder aux conjonctions de coordination ; ce sont ces petites choses qui

font et défont les plus grands principes. Monsieur le président, perm ettez-moi de vous demander

de bien vouloir donner la parole à l’agent de la Géorgie, Mme Burjaliani.

Le PRESIDEN:TJe remercie M C.rawford pour son exposé. J’appelle

Mme Tina Burjaliani, agent de la Géorgie.

Mme BURJALIANI :

O BSERVATIONS F INALES ET CONCLUSIONS

1. Monsieur le président, Mesdames et Messi eurs de la Cour, c’est un honneur pour moi de

clore les plaidoiries de la Géorgie et de présenter nos conclusions finales.

2. M. Reichler a indiqué que, de longue date, un différend a existé et des négociations se sont

tenues entre la Géorgie et la Russie en ce qui concerne le nettoyage ethnique des populations

géorgiennes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud et la di scrimination dont elles font l’objet par suite du

déni de leur droit au retour. Ce différend concerne manifestement des questions visées par la

convention de 1965. M. Crawford a exposé qu’il n’y a pas de condition préalable à l’exercice de la

compétence de la Cour en vertu de l’article 22 et que même s’il existait de telles conditions, elles

ne seraient certainement pas cumulatives et auraie nt clairement été satisfaites. La Cour a

compétence dans cette affaire. - 27 -

3. Tout au long de cette audience, la Fédé ration de Russie a prononcé à l’encontre de la

Géorgie une série d’accusations non fondées et dé pourvues de pertinence juridique. Au premier

jour des plaidoiries, l’agent de la Fédération de Russie a affirmé devant la Cour que la Géorgie

avait «inversé les faits» et présenté des «revendications fabriquées de toutes pièces» 65. Pourtant,

c’est la Fédération de Russie qui a mis en Œuvr e tous les moyens imaginables pour faire échec à

l’exercice de la compétence de la Cour et pour empêcher que ces faits soient considérés de façon

objective. La Géorgie est condamnée par la Russie pour avoir saisi la Cour et pour son adhésion au

droit international. Or, c’est la Géorgie qui inv ite la Cour à établir les faits, convaincue que les

preuves accablantes de la discrimination ethnique et de la violence dont elle fait grief satisfont aux
32

critères juridiques de la convention de 1965.

4. C’est en dernier ressort que la Géorgie s’adresse à la Cour. Elle saisit la Cour pour

protéger les droits humains de centaines de milliers de ses citoyens contre la violence

discriminatoire et les déplacements forcés dont ce ux-ci sont les victimes par suite des actes de

l’Etat défendeur et des forces placées sous le contrôle et l’autorité de celui-ci. Malgré les

nombreux obstacles qu’elle a renc ontré depuis son indépendance en 1991, la Géorgie s’est révélée

être un Etat démocratique et multiethnique, où les différends groupes ethniques vivent en

harmonie. Mais elle a constamment souffert d’un e incitation au conflit ethnique sur son territoire,

que l’Etat défendeur utilise comme un moyen de contrôle et de domination. Cette politique a forcé

plus de 300 000 Géorgiens de souche à quitter leurs foyers en Ossétie du Sud et en Abkhazie, entre

les années1990 et la fin de2008. Pendant près devingtans, ces Géorgiens de souche déplacés

dans leur propre pays ont été empêchés par l’Etat défendeur de retourner chez eux, pour des raisons

discriminatoires.

5. L’agent de la Fédération de Russie a a bondamment invoqué le rapport publié en 2009 par

la mission d’enquête internationale indépendante de l’Union européenne sur le conflit en Géorgie.

Il l’a invoqué à l’appui de l’argument de la Russie selon lequel la Géorgie a saisi la Cour

uniquement à cause du conflit armé pendant l’été2008. Or, le rapport de l’UE ne corrobore pas

cette thèse. La mission d’enquête de l’Union eu ropéenne considère que l’affrontement militaire

65
CR 2010/8, p. 13, par. 5-7 (Gevorgian). - 28 -

d’août2008 était «le point culminant d’une longue période d’aggravation des tensions, des

provocations et des incidents» et elle a confirmé que «le conflit était profondément enraciné dans

l’histoire de la région» 66. La mission confirme en outre, dans son rapport, que «les intérêts des

grandes puissances et des puissances voisines, en partic ulier ceux de la Fédération de Russie» sont

un aspect central des relations de la Géorgie avec les Abkhazes et les Ossètes 67. Ainsi,

contrairement à ce qu’a déclaré l’agent de la Fédé ration de Russie dans ses observations finales, la

mission d’enquête de l’Union européenne confirme que l’aggravation de la situation pendant

l’été2008 ne fait que s’inscrire dans le prolon gement d’un différend long de vingtans et

profondément enraciné dans l’histoire, dans lequel la Russie est directement impliquée.

33 6. L’Etat défendeur n’a pas nié son interv ention militaire directe et les conséquences de

celle-ci. Il essaye cependant de justifier ses actions en invoquant une prétendue attaque géorgienne

contre des forces russes de maintien de la paix . Cette attaque n’a pas eu lieu. La mission

d’enquête de l’Union européenne n’a trouvé aucune preuve d’un affrontement militaire avec des

forces russes de maintien de la paix préalablement à l’invasion russe 68. L’opération militaire

menée à l’été2008 par la Russie en Ossétie du Sud, en Abkhazie et dans les régions adjacentes

avait pour seul objectif de parachever deux décennies de discrimination ethnique en chassant

d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud les derniers élém ents de la population géorgienne qui avait de

profondes racines historiques dans ces territoir es et en créant ainsi des entités ethniquement

homogènes. La communauté internationale a c ondamné et rejeté ce comportement illicite et

inique.

7. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, l’Etat défendeur a parrainé et

soutenu les séparatistes sud-ossètes et abkhazes da ns leurs campagnes destinées à modifier la

composition ethnique de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie, en chassant les Géorgiens de souche de

leurs foyers et de leurs communautés. Cette politiq ue est contraire aux obligations que la Russie a

contractées en vertu de la convention de 1965 et la Géorgie n’a cessé de le dire.

66
Mission d’enquête internationale indépendante de l’Uni on européenne sur le conflit en Géorgie, rapport, vol. I
(septembre 2009), p. 11, par. 3.
67Mission d’enquête internationale indépendante de l’Union européenne sur le conflit en Géorgie, rapport, vol. II

(septembre 2009), p. 121, par. 3.
68Mission d’enquête internationale indépendante de l’Union européenne sur le conflit en Géorgie, rapport, vol. II
(septembre 2009), p. 270, 327. - 29 -

8. Dans ses observations finales, l’agent de la Fédération de Russie a déclaré qu’au fil des

ans, il y avait eu «[des négociations] sur divers aspects du règlement des conflits osséto-géorgien et

abkhazo-géorgien, parmi lesquels le retour des réfugiés et des déplacés de diverses nationalités,

69
mais jamais, au grand jamais, sur des questions de discrimination raciale» . L’agent de la Russie

passe à côté de l’essentiel, à savoir que la politique russe en matière de retour des réfugiés et des

personnes déplacées est un acte discriminatoire. Faire grief de cette politique, c’est le faire de la

discrimination. Le déni du droit au retour d es personnes déplacées dans leur propre pays et des

réfugiés pour des raisons d’origine ethnique est vi sé par l’article5 de la convention de 1965; un

point connexe tient au fait que, dans le contexte d es négociations entre la Géorgie et la Russie, la

question du retour des réfugiés et des personnes déplacées est allée de pair avec d’autres,

notamment, mais pas exclusivement, celle de la sécurité et d’autres aspects du règlement pacifique

du conflit. Le rapport publié en 2009 par l’Union europée nne, que la défenderesse approuve,

indique ce qui suit :

«[le retour des personnes déplacées dans leur propre pays et des réfugiés] comportait

des aspects importants pour la politique et la sécurité, étant donné que le retour massif
en Abkhazie des réfugiés géorgiens et des personnes déplacées dans leur propre pays y
modifierait à nouveau gravement la compositi on ethnique et, à terme, la structure du

34 pouvoir. Ces deux questions étaient tout efois largement interdépendantes et, par
conséquent, elles ont souvent de fait ét é négociées en bloc au cours de cette
période .»

Rien n’autorise à dire que ces questions ne relèvent pas de la convention de 1965 si l’on tient

compte de ce que suppose en réalité, sur le terrain, un retour dans des conditions de sûreté et de

dignité.

9. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les Membres de la Cour, la Géorgie

considère que ce différend qui oppose de longue date les deux Etats devrait être réglé

conformément au droit international. Cette af faire revêt une grande importance pour le peuple

géorgien, pour les centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants qui ont vu leurs

maisons et leurs villages brûlés et rasés, qui ont pe rdus leurs proches, assassinés ou victimes de la

cruauté. Ceux, peu nombreux, qui sont restés dans les districts de Galli et d’Akhalgori souffrent

chaque jour de la violence ethnique et d’autres formes de discrimination. La Géorgie considère que

69
CR 2010/8, p. 51, par. 8 (Gevorgian).
70
Mission d’enquête internationale indépendante de l’Union européenne, rapport, Vol. II, p. 82. - 30 -

la Cour a un rôle important à jouer en contribua nt au règlement pacifique du différend entre les

deux pays. La Géorgie lui soumet cette affaire au nom d’hommes et de femmes ordinaires qui ont

souffert et pour qui la Cour est un symbole de justice. C’est leur seule chance de pouvoir, un jour,

retrouver l’existence qu’ils ont été obligés de quitter, en raison de leur seule identité ethnique.

10. Monsieur le président, Mesdames et Messi eurs les Membres de la Cour, cela me conduit

à nos conclusions finales. La Géorgie invite la Cour à rejeter les argume nts de la Fédération de

Russie. Je vais maintenant donner lecture de nos conclusions finales :

La Géorgie prie la Cour :

1) de rejeter les exceptions préliminaires soulevées par la Fédération de Russie ;

2) de se déclarer compétente pour connaître des demandes présentées par la Géorgie, et de dire

que ces demandes sont recevables.

Il me reste à remercier les membres éminents de la délégation russe de leur courtoisie tout au

long de cette audience, le Greffe de son assi stance, les interprètes et enfin vous-mêmes,

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, de votre attention.

Le PRESIDENT : Je remercie Mme Tina Burjaliani, agent de la Géorgie, de sa présentation.

La Cour prend note des conclusions finales dont vous avez donné lecture au nom de la Géorgie,

comme elle a pris note, ce mercredi, des conclusions finales de la Fédération de Russie.

35 Quelques juges souhaitent prendre la parole pour poser des questions aux Parties. Je donne la

parole à M. le juge Koroma, qui a une question à poser aux Parties. M. le juge Koroma, vous avez

la parole.

M. le juge KOROMA: Merci, monsieur le pr ésident. Etant donné que l’article 22 de la

Convention est au cŒur des débats, j’invite les deux Parties à revenir sur cet article et à donner

quelques précisions à l’usage de la Cour. Ma question est la suivante :

De l’avis des Parties, quels sont au juste l’obj et et le but de la clause ainsi libellée: «qui

n'aura pas été réglé par voie de négociation ou au moyen des procédures expressément prévues par

ladite Convention», contenue dans l’article22 de la convention sur l'élimination de toutes les

formes de discrimination raciale ? Je vous remercie, Monsieur le président. - 31 -

Le PRESIDENT: Je vous remercie, Monsieur le juge Koroma. Le prochain juge est

M. le juge Abraham, qui souhaite poser une question aux Parties. M. le juge Abraham, vous avez la

parole.

Judge ABRAHAM: Thank you, Mr.President. My question is directed to the Russian

Federation.

At this stage of the proceedings, the Court only has to decide on the preliminary objections

raised by the Respondent. In the light of the discussion which has taken place during the hearings,

are we to understand that Russia has withdrawn the third of its preliminary objections? Thank you.

Le PRESIDENT: Je vous remercie Monsieur le juge Abraham pour votre question. Je me

tourne à présent vers le juge Cançado Trindade, qui a une question à poser aux deux Parties.

M. le juge Cançado Trindade, vous avez la parole.

Judge CANÇADO TRINDADE: Thank you Mr. President. I should like to put a question to

both Parties.

In your understanding, does the nature of human rights treaties such as the CERD

Convention (regulating relations at intra-State level) have a bearing or incidence on the

interpretation and application of a compromissory clause contained therein?

36 To maintain the linguistic balance of the Court, I shall also put my question to the Parties in

the other official language of the Court.

A votre avis, la nature des traités relatifs aux droits de l’homme tels que la CIEDR (régissant

des relations au niveau intra -étatique) a-t-elle des conséquences ou une incidence sur

l’interprétation et l’application des clauses compromissoires qu’ils contiennent ? Merci, Monsieur

le président.

Le PRESIDENT: Je vous remercie Monsieur le juge Cançado Trindade. Le texte de ces

questions sera communiqué par écrit aux Parties dès que possible. Les Parties sont invitées à

fournir leurs réponses par écrit avant le vendredi 24septembre2010. J’ajouterais que toutes

observations écrites qu’une Partie pourrait vouloi r présenter, conformément à l’article72 du - 32 -

Règlement de la Cour, sur la réponse de l’autre Pa rtie devront être communiquées au plus tard le

er
vendredi 1 octobre 2010.

Ceci met un terme à cette semaine d’audiences consacrée aux plaidoiries des Parties. Je

voudrais remercier les agents, conseils et avocats des deux Parties pour leurs exposés.

Conformément à la pratique, je prierai les deux agents de rester à la disposition de la Cour

pour tout renseignement complémentaire dont elle pourrait avoir besoin. Sous cette réserve, je

déclare maintenant close la procédure orale su r les exceptions préliminaires soulevées par la

Fédération de Russie en l’affaire relative à l’ Application de la convention internationale sur

l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie).

La Cour va maintenant se retirer pour délib érer. Les agents des Parties seront avisés en

temps utile de la date à laquelle la Cour rendra son arrêt.

La Cour n’étant saisie d’aucune autre question aujourd’hui, l’audience est levée.

L’audience est levée à 11 h 15.

___________

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