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Uncorrected Translation
RU
CR 2008/32 (traduction)
CR 2008/32 (translation)
Jeudi 18 septembre 2008 à 15 heures
Thursday 18 September 2008 at 3 p.m. - 2 -
10 Le PRESIDENT: Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte et la Cour se réunit
aujourd’hui pour entendre le second tour de plai doiries de l’Ukraine. Nous l’entendrons cet
après-midi puis de nouveau demain après-midi et j’invite à présent son agent, M.Vassylenko, à
prendre la parole.
M. VASSYLENKO : Je vous remercie.
I. DÉCLARATION DE L ’AGENT DE L ’UKRAINE
1. Madame le président, Messieurs de la Cour, il me revient, en tant qu’agent de l’Ukraine,
d’ouvrir le second tour de plaidoiries de l’Ukraine.
2. Nous avons soigneusement examiné les arguments supplémentaires que la Roumanie a
présentés dans sa plaidoirie en début de semaine. Nous n’y avons vu aucun fait nouveau qui puisse
ébranler la position fondamentale de l’Ukraine et remettre en question la ligne de délimitation
qu’elle propose.
3. Lundi dernier, le conseil de la Roumanie a dit : «après plus de dix heures de plaidoiries, la
ligne de l’Ukraine a été justifiée. Cette justification a duré trois minutes.» 1 Il est exact que
l’Ukraine a consacré relativement peu de temps à l’ exposé final de sa ligne de délimitation. Mais,
en réalité, elle n’avait pas besoin de s’attarder davantage sur cet exercice tout à fait simple, puisque
l’Ukraine s’est déjà longuement penchée, tant dans ses écritures que dans ses plaidoiries, sur la
justification détaillée de la ligne, qui est constructiv e, équitable et appuyée sur la jurisprudence de
la Cour. Les conseils de la Roumanie s’étant efforcés de remodeler le contexte géographique de
l’affaire, l’Ukraine a passé beaucoup de temps à réfuter leur approche inexacte.
4. L’équipe de la Roumanie a cherché à ébranler notre argumenta tion juridique par des
plaisanteries, anecdotes historiques et insinuations de mauvaise foi. Ces plaisanteries et autres
éléments de distraction nous ont amusés mais sont passés à côté de l’essentiel. De notre côté, nous
nous sommes concentrés sur l’argumentation juridiqu e, comme l’exigent les affaires soumises à la
Cour. Par ailleurs, les conseils de la Roumanie n’ont pas examiné sérieusement les arguments de
l’Ukraine concernant le caractère erroné de la ligne de délimitation proposée par la Roumanie.
1
CR 2008/30, p. 21, par. 5. - 3 -
5. Madame le président, Messieurs de la Cour, je tiens à présent à réfuter certaines
déclarations hardies de l’agent de la Roumanie, puis j’exposerai brièvement la structure générale de
la réponse de l’Ukraine aux questions soulevées par les conseils de la Roumanie durant le second
tour.
11 6. Lors du premier tour de plaidoiries, je n’ai pas eu envie de répondre en détail à l’agent de
la Roumanie sur sa vision déformée de l’histoire. Et je n’entendais pas le faire lors du second tour
de plaidoiries. Mais l’ayant entendu prononcer lundi son exposé d’introduction, je dois de nouveau
rejeter catégoriquement les allégations selon lesquelles le statu quo territorial entre l’Ukraine et la
2
Roumanie résulte «d’injustices passées» qui «n e devraient pas être encore amplifié[e]s» . J’ai été
étonné d’entendre l’agent de la Roumanie aller ju squ’à dire qu’il «ne serait pas éthique d’étendre
3
les effets générés par des violations manifestes du droit international» . En disant cela, il insinuait
que le règlement territorial d’après-guerre basé sur le traité de paix de Paris était contraire à
l’éthique et illégal. Ce raisonnement se passe de commentaires.
7. En effet, les injustices passées ne devraient pas être amplifiées. Elles ne devraient pas non
plus reposer sur une vision tendancieuse de l’hi stoire. La Roumanie cherche évidemment à
s’attirer la sympathie et à obtenir réparation dans la présente instance ⎯ce qui n’a aucune
pertinence pour la délimitation maritime. On ne de vrait tout de même pas remercier la Roumanie
d’avoir participé à la guerre d’agression et comm is de graves crimes de guerre sur le territoire
ukrainien occupé. Ayant dit cela, je tiens à répéter que nous cr oyons fermement que ces
événements passés sont sans pertinence pour la présen te affaire. A cet égard, je rappellerai le
préambule du traité de bon voisinage et de c oopération de 1997 aux termes duquel les Parties sont
convaincues de la nécessité pour elles de mettre en Œuvre une politique active, orientée vers
l’avenir, de bonne entente et de confiance, de bon voisinage et de partenariat.
8. L’agent de la Roumanie a répété que le protocole de 1948 n’était pas soumis à ratification
mais a omis de mentionner que ni le gouvernem ent roumain ni le parlement roumain n’avaient
protesté contre le protocole et ses dispositions lorsque, peu après, ceux-ci avaient été
substantiellement repris dans le traité de1949 relatif à la frontiè re roumano-soviétique et dans
2
CR 2008/30, p. 15, par. 15.
3
Ibid., p. 16, par. 16. - 4 -
l’accord de1961 relatif au régime de la frontière , tous deux ratifiés par le parlement roumain. A
cet égard, je prierais à nouveau respectueusem ent la Cour de se référer au chapitre5 du
contre-mémoire de l’Ukraine.
9. La souveraineté ukrainienne sur l’ensemble de son territoire, y compris l’île des Serpents,
a été confirmée par le traité et l’accord additionnel de 1997 ainsi que par le traité de 2003, qui ont
été conclus entre l’Ukraine et la Roumanie et dûment ratifiés par les parlements des deux pays. Ce
12 sont ces instruments qui constituent la base de la délimitation du plateau continental et des zones
économiques exclusives entre les Parties.
10. Madame le président, dans l’exposé d’introduction, l’agent de la Roumanie a répété lundi
ses propos concernant l’existence d’un «compromis juridique bilatéral de 1997» à l’époque de la
conclusion du traité et de l’accord additionnel. Je tiens à préciser que j’ai personnellement
participé au processus de négociation, de finalisa tion et de signature des textes du traité et de
l’accord additionnel de 1997 à Kiev, en tant que chef de l’équipe d’experts ukrainienne et membre
de la délégation gouvernementale ukrainienne, sous la direction du ministre ukrainien des affaires
étrangères, M.Gennady Udovenko. J’étais a ccompagné de mon homologue roumain M.Dumitru
Chaushu, chef de l’équipe d’experts roumaine et membre de la délégation gouvernementale
roumaine, sous la direction du ministre roumain des affaires étrangères, M.Adrian Severin. Les
deux dirigeants avaient paraphé le texte du traité et de l’accord additionnel de 1997. Plus tard, en
tant que membre de la haute délégation officielle ukrainienne, j’ ai participé à la cérémonie de
signature de ces documents à Constanta le 2 juin 1997 par les présidents des deux pays.
11. Aucun accord, exprès ou tacite, n’a été conclu à Kiev ou à Constanta sur une quelconque
forme de compromis dépassant le cadre des documents signés. En fait, l’accord additionnel traduit
lui-même le compromis, dont les éléments essentiels sont les suivants :
⎯ confirmation inconditionnelle de la frontière d’Etat existante en tre l’Ukraine et la Roumanie
dans un traité séparé sur le régime de la fron tière d’Etat, ainsi que la possibilité pour chaque
Partie de saisir la Cour internationale de Justice en cas d’échec des négociations bilatérales sur
la délimitation du plateau continental et de la zone économique exclusive ;
⎯ une condition importante de la saisine de la Cour est que le traité sur le régime de la frontière
d’Etat soit entré en vigueur ; - 5 -
⎯ l’obligation de l’Ukraine de ne pas déployer d’armes offensives sur l’île des Serpents ;
⎯ en raison de différends entre les Parties conc ernant les principes applicables lors des
négociations sur la délimitation, il est convenu que les principes proposés par chaque Partie
13 seront énumérés dans l’accord additionnel. La liste de principes doit simplement servir de base
pour les négociations ;
⎯ comme il n’existe pas d’accord entre les Parties concernant l’effet de l’île des Serpents, il est
fait référence à l’article 121 de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer, sans que
soient précisés les paragraphes de l’article qui doivent être appliqués.
Tous ces éléments étaient reflétés dans l’acco rd additionnel. L’agent de la Roumanie n’a
présenté aucun élément de preuve à l’appui de sa version du compromis.
12. Je rejette également catégoriquement les allégations répétées de l’agent de la Roumanie
concernant les activités de l’Ukraine sur l’île d es Serpents. L’Ukraine n’a pas l’obligation de
s’abstenir de développer l’infrastructure de l’île, étant uniquement tenue de ne pas y déployer
d’armes offensives. Toutes les activités du Gouve rnement ukrainien sur l’île que la délégation
roumaine a mentionnées dans ces plaidoiries ne sont que l’exercice de droits souverains à l’égard
du propre territoire de l’Ukraine. Ainsi que les conseils de l’Ukraine l’exposeront à nouveau, rien
ne permet de laisser entendre que l’Ukraine a fa it une «déclaration allant à l’encontre de ses
intérêts».
13. Madame le président, Messieurs de la Cour, je tiens à répéter que les conseils de la
Roumanie n’ont pas non plus prouvé la préexistence de la prétendue frontière maritime polyvalente
de 12 milles autour de l’île des Serpents, datant de 1949, ni l’existence du mystérieux «pointX».
Les documents des négociations roumano-sovié tiques, la correspondance diplomatique entre
l’Ukraine et la Roumanie, ainsi que les traités b ilatéraux, confirment qu’a ucune ligne de la sorte
n’a jamais été convenue.
14. Madame le président, il me reste à ouvrir le second tour de plaidoiries de l’Ukraine.
15. Premièrement, M.Michael Wood répondra à M.Crawford et à M.Olleson concernant
l’affirmation de la préexistence d’une ligne convenue datant de 1949. - 6 -
16. Puis M. Bundy examinera les arguments avancés par MM Crawford et Lowe concernant
les côtes pertinentes des Parties, et dira quel ques mots sur certaines questions qui ont été posées à
propos de la digue de Sulina.
17. Mme Malintoppi examinera les activités pétrolières et de surveillance des côtes, ainsi que
l’argument roumain fondé sur le caractère fermé ou semi-fermé de la mer Noire. Elle abordera
également quelques questions relatives à l’île des Serpents. Cela nous amènera à demain.
14 18. Demain, M.Quéneudec répondra à nos adve rsaires à propos de la construction de la
ligne d’équidistance provisoire et des circonstances pertinentes à prendre en compte pour
l’établissement d’une ligne équitable.
19. Après M.Quéneudec, M.Bundy abordera la question de l’équité de la ligne de
délimitation de l’Ukraine, et pa rlera à cette occasion de la zone pertinente, de l’application du
critère de proportionnalité et des questions de non-empiètement.
20. Enfin, Madame le président, je lirai les conclusions finales de l’Ukraine.
Madame le président, je vous prierais de bi en vouloir appeler M. Michael Wood à la barre.
Je vous remercie.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, Excellence. J’appelle à présent M. Wood.
Sir Michael WOOD :
II.INEXISTENCE D ’UNE FRONTIÈRE PRÉEXISTANTE À TOUTES FINS AUTOUR
DE L ’ÎLE DES SERPENTS
1. Madame le président, Messieurs de la Cour , je suis appelé aujourd’hui à m’exprimer sur
deux questions en réponse à ce qu’ont dit M.Crawford et M.Olleson lors du deuxième tour: il
s’agit, premièrement, de la compétence de la Cour; deuxièmement, de l’inexistence d’un accord
préexistant fixant une frontière maritime à toutes fins.
2. Comme vous l’avez rappelé à la fin du premie r tour, Madame le président, le présent tour
a pour objet de donner à chaque Partie la po ssibilité de répondre aux arguments avancés en
4
audience par la Partie adverse. Cela ne doit pas être une répétition de déclarations antérieures . Je
me bornerai donc à répondre aux ar guments exposés par la partie adverse pendant le deuxième
4
CR 2008/29, p. 52. - 7 -
tour. Pour l’exposé complet de nos moyens, je renvoie la Cour aux écritures de l’Ukraine et à notre
plaidoirie du premier tour.
15 A. Compétence de la Cour
3. En ce qui concerne la question relative à la compétence qu’a soulevée l’Ukraine, je serai
très bref. En dépit des observations de M. Crawfo rd lors du deuxième tour, l’Ukraine maintient sa
position concernant la compétence de la Cour, telle qu’exposée dans nos écritures et à l’audience la
semaine dernière 5.
4. Mais l’Ukraine accepte, bien entendu, le pr incipe du paragraphe 6 de l’article 36 du Statut
de la Cour. C’est à elle, qui a la compétence de la compétence, qu’il revient de statuer (si cela est
nécessaire) sur la portée de la compétence conférée par l’alinéa h) du paragraphe 4 de l’échange de
lettres de 1997.
5. En réponse à M.Crawford, je voudrais si mplement rappeler ce que j’ai dit la semaine
dernière : à tout le moins, les termes du compromis donnent à penser que les Parties ne prévoyaient
pas que la Cour serait appelée à délimiter une frontiè re maritime à toutes fins le long de la limite
extérieure de la mer territoriale de l’Ukraine. Si cela avait été le cas, le libellé de celui-ci aurait
6
certainement été différent .
B. Inexistence d’une frontière maritime à toutes fins préexistante autour de l’île des Serpents
6. Madame le président, je passe maintenant à ce qui a été dit par la partie adverse en
réponse à nos observations concernant le fait que la Roumanie n’a pas établi l’existence d’un
accord, liant l’Ukraine et la Roumanie, établissant une frontière maritime à toutes fins préexistante
autour de l’île des Serpents. Je vais répondre à leurs arguments principaux dans l’ordre où ils ont
été exposés.
Ce que la conseil de la Partie adverse n’a pas dit
7. Madame le président, je note d’emblée que ce que n’ont pas dit les conseils de la
Roumanie est au moins aussi intéressant que ce qu’ils ont dit. Ils ont répondu à moins de la moitié
5
CR 2008/26, p. 48-49, par. 20-22 (Wood).
6CR 2008/26, p. 49, par. 22 (Wood). - 8 -
des dix points que j’avais énumérés dans mon exposé la semaine dernière . En outre, rien n’a été
dit au sujet de la nécessité d’inte rpréter les accords de délimitation au regard du droit de la mer tel
qu’il était à l’époque de la conclusion de ceux-ci ⎯ aucune référence à la sentence arbitrale rendue
dans l’affaire Guinée-Bissau c. Sénégal 8. Rien n’a été dit au sujet des décrets roumains en matière
9
16 de mer territoriale et de ZEE, avec leurs mentions divergentes des frontières avec les Etats voisins .
Rien n’a été dit au sujet de la carte (ou des cartes) soviétiques, dont la date était presque la même, à
savoir 1951 10. Personne n’a mentionné le fait que la Roumanie a étendu sa mer territoriale à
12 milles en 1951. La Roumanie ignore tout simplement les faits gênants.
L’argument n’a rien de nouveau ?
8. Madame le président, M. Crawford a entamé son exposé en contestant notre position selon
laquelle l’invocation d’un accord préexistant constituait un argument nouveau, un argument conçu
11
par la Roumanie aux fins de la présente procédure. Il a dit: «l’argument n’est pas nouveau» .
Apparemment dans le but de justif ier cette affirmation, M. Crawford a fait valoir qu’«[i]l incombe
souvent aux conseils de clarifier et de déve lopper des positions prises par des diplomates et
12
gouvernements qui… ne sont pas toujours des modèles de cohérence» . Je ne suis pas sûr de bien
comprendre. Je ne suis pas non plus sûr de bien comprendre son autre observation : «Et le fait est
que l’argument concernant l’accord de1949 [je le répète, «l’argument concernant l’accord
13
de 1949»] a été développé sur la base des documents disponibles.» En outre, aux fins de
démontrer que cet argument n’était pas nouveau, il s’est référé à deux cartes marines, produites
en 1994 et en 2001 14 . Mais, avec tout le respect que je lui dois, les cartes marines sont des outils
faits pour les marins, ils ne jouent pas le rôle de conseils dans les procédures.
7 CR 2008/26, p. 44-46, par. 9 (Wood).
8
CR 2008/26, p. 44, par. 9 iv) et 46-48 (Wood).
9
CR 2008/26, p. 45-46, par. 9 viii) (Wood).
10
RU annexe 3.
11CR 2008/30, p. 43, par. 2 (Crawford).
12Ibid.
13Ibid.
14
Ibid. - 9 -
9. Enfin, relativement à ce point, M.Crawfo rd s’est référé à un passage de la propre
documentation de la Roumanie c onsacrée au tour final des négociations de délimitation avec
l’Union soviétique, qui ont eu lieu en octobre1987 15. Ce passage, qui avait été cité par
M. Dinescu, est très intéressant. Je vais entamer ma lecture à partir de la phrase antérieure qu’il a
omise. Selon les documents roumains, le chef de la délégation roumaine a dit ceci en 1987 :
«Comme à ladate de la conclusion de ce procès-verbal, la largeur de la mer
territoriale de la Roumanie était de 6 milles, la ligne de délimitation convenue dans ce
secteur sépara à la fois les eaux territori ales des deux Etats et des zones qui, en
l’absence d’accord, auraient relevé de la haute mer. C’est pourquoi nous avons raison
de considérer que nos gouvernements défi nirent en 1949 une ligne de délimitation sui
generis qui confirma le transfert de l’île de s Serpents à l’URSS et dota celle-ci en
17 partie expressément et en partie implicitement [implicitement !], d’un espace maritime
semi-circulaire d’un rayon de 12milles, dont la limite extérieure sur le segment
séparant les eaux roumaines des eaux soviétiques reçut les caractéristiques d’une
16
frontière d’Etat.»
10. Selon M.Crawford, cette déclaration «contient les éléments-clés de l’argument de la
Roumanie relativement aux procès-ve rbaux de 1949». Si c’est le cas, l’argument de la Roumanie
est encore plus obscur que ce que j’ avais cru. On voit mal quel «segment» cette déclaration visait.
Et il est loin d’être clair quelle partie de l’étab lissement de la prétendue ligne était «explicite» et
laquelle était «implicite». Dire qu’une ligne de délimitation de mariti me frontière convenue
«implicite» est plutôt improbable est un euphémisme.
11. De toute manière, je me permets de signa ler que les extraits produits devant la Cour
provenant de la documentation établie par les seules autorités roumaines, auxquelles elles seules
ont accès, n’indiquent pas quelle fut la réponse du né gociateur soviétique à la déclaration de ses
homologues roumains. J’ai soutenu la semaine dern ière, et rien de ce qu’a dit M.Crawford n’y
17
change quoi que ce soit, que l’on ne peut obtenir aucune assistance de ces extraits .
12. Même si ces documents montraient effectivement ce que M. Crawford veut y voir, et ce
n’est pas le cas, n’est-il pas remarquable de cons tater que la Roumanie ne peut rien faire de
mieux ? Les conseils de la Roumanie n’ont même pas cherché à signaler des éléments de preuve,
indiquant que la Roumanie ait jamais avancé l’ «argument de l’accord de 1949», pour reprendre
15CR 2008/30, p. 43, par. 3 (Crawford).
16
CR 2008/30, p. 40, par. 23 (Dinescu).
17CR 2008/24, p. 44, par. 38 (Wood). - 10 -
leur expression, avant1987, c’est-à-dire trente -huit ans après qu’un accord eut censé avoir été
conclu entre l’Union soviétique et la Roumanie ; ils n’ont même pas formulé des prétentions en ce
sens, il me semble.
13. Ensuite, M. Crawford a mentionné la carte jointe au document soumis aux Nations Unies
par la Roumanie en 1997 exposant ses lignes de base dr oites. M. Lowe s’est aussi référé, lorsqu’il
a répondu à la deuxième question du juge Oxman, à une carte qu’il a projetée à l’écran 18.
M.Crawford a prétendu que c’était «un nouvel ex emple qui montre qu’il ne s’agissait pas d’un
argument nouveau » 19⎯ cette fois-ci, je le signale, il s’agit d’un exemple qui est postérieur de
presque 50 ans à la conclusion du prétendu accord. Et M. Lowe a cherché à rattacher cette carte au
18 prétendu accord de1949, soutenant que l’Ukraine« n’ayant jamais contesté cette carte, il faut
considérer qu’elle a accepté le tracé qui y est représenté».
14. Madame le président, un certain nombre d’ observations sont de mise à ce stade.
Premièrement, on ne sait pas exactement ce qu’a voulu dire M.Lowe par «le tracé qui est
représenté [sur la carte]». Deuxièmement, il est fort possible que la carte qu’il a montrée à l’écran
ait été la carte déposée par la Roumanie auprès des NationsUnies, mais ce n’était pas la carte
publiée par la division des affaires maritimes et du droit de la mer des Nations Unies (DOALOS).
La carte qui a été publiée par DOALOS–– qui porte le numéro de référence suivant:
MZN15-1997–– est sous l’onglet1 de vos dossiers. La représentation de la zone contiguë de la
Roumanie sur la carte qui a été publiée, ne co rrespond pas à celle que l’on voit sur la carte à
laquelle s’est référé M. Lowe. Troisièmement, la notification roumaine, qui était jointe à la carte,
était la notification adressée au Secrétariat d es NationsUnies des coordonnées de ligne de base
droites de la Roumanie –– une notification faite conformément à l’article 16 de la convention sur le
droit de la mer. Vous trouverez, sous l’onglet2 de vos dossiers, la note du secrétariat des
NationsUnies communiquant aux autres Etats les lignes de base droites roumaines. La note du
Secrétaire général est claire. Elle est intitulée «Dépôt de la liste de coordonnées géographiques des
points pour tracer les lignes de base droites et d’une carte marine indiquant les lignes de base
droites et la limite extérieure de la mer territoriale». Dans le corps de cette note, le secrétaire
18
CR 2008/31, p. 42, par. 3.
19
CR 2008/30, p. 44, par. 4 (Crawford). - 11 -
général dit que, le 19juin 1997, la Roumanie a transmis, pour dépôt auprès du secrétaire général,
conformément à la convention, la liste des coordonnées géographiques pour les points servant au
tracé des lignes de base droites figurant dans la loi roumaine, et une carte marine «indiquant les
lignes de base droites et la limite extérieure de la mer territoriale». On ne parle pas ici de
représentation d’une quelconque zone contiguë. La zone contiguë n’était tout simplement pas
pertinente aux fins de la notification visée par l’ article16. Il n’y a rien eu de publié par les
Nations Unies qui aurait dû donner lieu à une réaction de la part de l’Ukraine. Cet argument, il me
semble, constitue une base fragile pour soutenir que les Parties ont conclu en 1949 un accord de
frontière maritime à toutes fins allant jusqu’au «point X».
15. Comme je l’ai dit plus tôt, il semble que M.Crawford se soit appuyé sur cette carte
de 1997 principalement aux fins de montrer que «l’argument concer nant l’accord de 1949» n’était
pas nouveau en2005. Mais même s’il pouvait montrer qu’une telle thèse avait été avancée
en1997, et je prétends que tel n’est pas le cas, cel a ne servirait en rien la cause de la Roumanie.
19
Cela montrerait simplement que cette thèse a été avancée presque 50ans après la conclusion du
prétendu accord. Ce n’est vraiment pas une répons e de dire que «l’argument concernant l’accord
de 1949 a été développé sur la base des documents disponibles» 2. Ou il y avait un accord en 1949,
ou il n’y en avait pas. Ce n’est pas quelque c hose que l’on peut construi re sur la base «des
documents disponibles».
La note verbale du 28 juillet 1995
16. M.Crawford nous a ensuite produit une nouvelle traduction de la phrase-clé de la note
verbale du 28juillet1995. Mais cette nouvelle traduction n’ajou te rien. Selon cette nouvelle
traduction, la Roumanie a reconnu qu’ «aucun accord n’a été conclu entre la Roumanie et l’Ukraine
sur le délimitation maritime des zones en mer Noire». Il n’y a pas de différence de fond entre cette
traduction et celle que nous avons examinée la se maine dernière. La nouvelle traduction n’étaye
certainement pas la conclusion de M.Crawford selon laquelle cette formule «vise clairement
l’absence d’accord entre les Parties en ce qui concer ne la délimitation du plateau continental et de
20
CR 2008/30, p. 43, par. 2 (Crawford). - 12 -
21
la zone économique exclusive dans leur ensemble» . En outre, comme je le disais la semaine
dernière, cette déclaration de la Roumanie n’est pas du tout une déclaration isolée 22. La position de
la Roumanie dans les annéesquatre-vingt-dix étai t claire, elle a dit que les traités frontaliers
de 1949 et 1961 ne comprenaient pas de dispositions visant la délimitation du plateau continental.
Burkina Faso/Mali
23 24
17. Madame le président, M.Crawford , et ensuite M.Olleson , ont soutenu que nous
avons mal compris l’analyse de la Chambre dans l’arrêt Burkina Faso/Mali. Selon eux, nous avons
soutenu que cet arrêt enseignait que les cartes qui «ont été intégrées parmi les éléments qui
constituent l’expression de la volonté de l’Etat ou des Etats concernés» étaient exclusivement celles
qui sont «annexées à un texte officiel dont elles font partie intégrante». En réalité, nous n’avons
jamais dit cela. De toute manière, avec tout le respect que je dois à MM. Crawford et Olleson, ce
sont eux qui ont mal lu cet arrêt. Ils lui font dire qu’«[i]l peut par exemple s’agir d’une carte
produite par un Etat qui illustre sans réserve une frontière entre le territoire de celui-ci et celui d’un
20
25
autre Etat» . Nulle part, il me semble, l’arrêt ne fait mention d’une idée de ce genre. En réalité,
dans ce passage, la Cour se borne à mentionner à titre d’exemple «les cartes annexées à un texte
officiel» ⎯ c’est le seul exemple qu’elle donne ⎯. On ne donne aucun autre exemple. Vous
trouverez le passage en question, le paragraphe 54 de l’arrêt, sous l’onglet 3. Je n’ai pas besoin de
le lire à nouveau [mais il figurera dans la transcription] :
«les cartes ne sont que de simples indications, plus ou moins exactes selon les cas;
elles ne constituent jamais – à elles seules et du seul fait de leur existence ⎯ un titre
territorial, c’est-à-dire un document auquel le droit international confère une valeur
juridique intrinsèque aux de l’établissement des droits territoriaux. Certes, dans
quelques cas, les cartes peuvent acquérir une telle valeur juridique mais cette valeur ne
découle pas alors de leurs seules qualités intrinsèques : elle résulte de ce que ces cartes
ont été intégrées parmi les éléments qui constituent l’expression de la volonté de l’Etat
ou des Etats concernés. Ainsi en va-t-il, par exemple, lorsque des cartes sont annexées
à un texte officiel dont elles font partie intégrante. En dehors de cette hypothèse
clairement définie, les cartes ne sont que des éléments de preuve de nature
circonstancielle, pour établir ou recons tituer la matérialité des faits.» (Différend
21CR 2008/30, p. 44, par. 5 (Crawford).
22CR 2008/24, p. 47, par. 51 (Wood).
23
CR 2008/19, p. 38, par. 52-53 (Crawford).
24
CR 2008/30, p. 58, par. 11 (Olleson).
25CR 2008/19, p. 38, par. 54 (Crawford). - 13 -
frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, CI.J.Recueil1986 , p.582,
par. 54.)
Charge de la preuve
18. M.Crawford soutient ensuite que la questi on de la charge de la preuve ne se pose tout
simplement pas. La raison en est, pour reprendre ses propres termes, qu’«il est clair qu’il y avait un
accord, en fait, il y avait un certain nombre d’acco rds»; la question n’est donc pas d’établir
l’existence d’un accord, et il semb le convenir que si tel était le cas, la charge de la preuve
incomberait à la Roumanie, mais d’interpréter un accord déjà établi. Je soutiens, Madame le
président, que cette distinction est subtile en l’esp èce. Dire que «il y avait clairement un accord»,
c’est une pétition de principe. C’est se livrer à un argument circulaire. Bien entendu, il y avait des
accords, mais en1997, tous visaien t exclusivement la frontière d’Etat. Peu importe qu’il s’agisse
d’établir l’existence d’un accord de frontière maritime à toutes fins accord ou, par «interprétation»
de dégager un tel accord des accords de1949, le fait demeure que la Roumanie doit prouver le
bien-fondé de ses prétentions. Selon nous, elle ne l’a pas fait. «L’établissement d’une frontière
maritime permanente est une question de grande importance, et un accord ne doit pas être présumé
facilement.» (Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des
Caraïbes (Nicaragua c. Honduras ), arrêt du 8 octobre 2007, par.253.) Si la Roumanie voulait
21 établir l’existence d’un accord de délimitation ma ritime à toutes datant de1949, il aurait fallu
qu’elle produisît des preuves beaucoup plus convaincantes que celles qu’elle a rassemblées dans la
présente procédure.
La mer territoriale de 6 milles
19. Puis, M. Crawford cherche à prouver beaucoup de choses à partir du fait que, en 1949, la
mer territoriale de la Roumanie n’était que de 6milles. Il dit donc: «[l]’idée que les accords
de 1989 et les accords ultérieurs ont seulement dé limité une «frontière d’Etat» séparant des zones
26
relevant de la souveraineté des deux Etats est incorrecte» . En dépit de l’emphase avec laquelle
cet argument a été soutenu, cela ne saurait absolument pas retenir la conviction de la Cour. Il est
manifeste que les Parties délimitaient et démarquaient la frontière d’Etat, et il était parfaitement
26
CR 2008/30, p. 46, par. 13 (Crawford). - 14 -
naturel de leur part de faire cette délimitation en prévision de l’ex tension, par la Roumanie, de sa
mer territoriale à 12 milles.
20. Aux fins de montrer que les Parties n’ avaient pas à l’esprit l’ extension de 12milles
projetée par la Roumanie, les conseils de la partie adverse se sont eux-mêmes livrés à des
conjectures, en dépit du fait qu’ils ont accès aux documents relatifs aux né gociations. L’Ukraine,
bien entendu, n’a accès à aucun de ces documents, puis qu’elle n’était pas partie à ces négociations.
Cependant, la partie adverse n’en a produit aucu n réfutant la déduction assez évidente que nous
avons faite à partir de ce qui a été réellement convenu par les parties concernées. Elle a plutôt
prétendu que la Roumanie n’a élargi sa mer territori ale qu’en 1956. Ce n’est tout simplement pas
27
le cas. Comme la Roumanie elle-même l’a clairement dit dans son mémoire , l’extension à
12milles a eu lieu en septembre 1951, tout juste deux ans après la signature des procès-verbaux
o
de 1949. Sous l’onglet4, Madame le préside nt, vous trouverez le décret roumain n 176, qui fut
publié dans le Bulletin officiel en septembre 1951 28. Il figure aussi à l’annexe 80 du mémoire de la
Roumanie. Comme vous le verrez à la deuxième pa ge, au point 4, deuxième paragraphe, ce décret
dispose que : «L’expression mer territoriale désigne une bande d’une largeur de 12 milles nautiques
(22224mètres) mesurée à partir de la côte.» Je note au passage qu’il n’y a rien d’inhabituel ou
d’inconvenant à prévoir une extension de la mer te rritoriale dans les limites permises par le droit
international.
22 L’intention des Parties
21. Il est remarquable que la Roumanie elle -même n’a produit aucun élément de preuve à
l’appui de ses propres conjectures concernant ce qui était à l’esprit des négociateurs en1949.
Comme je l’ai dit, la Roumanie, qui était partie à ces négociations, doit avoir ses propres
documents. M.Crawford a soutenu que «absol ument rien n’indique, dans les procès-verbaux
de 1949 ou ailleurs, que les parties avaient à l’esprit une mer territoriale «future» de la Roumanie».
Mais selon nous, il est évident que tel est bien ce qu’elles avaient à l’esprit si on se fonde sur ce
qu’elles ont fait. Il est inconcevable que, s’étant entendues sur le point 1439 sur la limite extérieure
27
MR, par. 11.11 et annexe 80.
2MR, annexe 80. - 15 -
de la mer territoriale de 12 milles de l’Union sovi étique, elles n’aient pas eu à l’esprit l’extension
de 12 milles par la Roumanie, laquelle était immi nente. Le fait que le point sur la carte ⎯ la carte
134 ⎯ ne correspond pas précisément au point où, en 1949, les mers territoriales de 12milles
cesseraient de se chevaucher n’est pas la question. Le procès-verbal de1949 ne précisait pas les
coordonnées réelles du point terminal de la frontiè re d’Etat. Cela ne fut fait qu’en2003. Mais
l’intention des Parties en 1949 était claire.
22. Puis, la Partie adverse nous a dit que, et là encore, je cite «si la délimitation ne concernait
[si les Parties] que jusqu’à 12 milles marins du continent, on aurait pu s’attendre à ce que cela soit
indiqué d’une manière ou d’une autre dans le texte des procès-verbaux de1949. Or, cela n’y est
29
pas indiqué» Mais Madame le président, ça l’est. Les nombreux renvois dans les accords
de1948 et 1949à la «frontière d’Etat» constituent une claire indication de l’intention des Parties.
Ce qui est frappant, brille par son absence toute indication ⎯ dans le texte des accords ⎯ d’une
intention de délimiter une frontière allant au-delà de la mer territoriale de 12 milles.
23. Là encore, on nous dit que l’argument de l’Ukraine «est en tièrement fondé sur
l’hypothèse ukrainienne relative à l’étendue de la frontière représentée sur la carte 134». Ce n’est
pas le cas! Notre position est fondée sur notre pe rception de tout l’ensemble des transactions
de 1947 à 1949, qui ont abouti à la conclusion du tra ité frontalier de 1949. Elles avaient pour objet
la fixation de la frontière d’Etat. Ces transac tions ont abouti à un résultat clair. La carte134
constitue un élément, important sans doute ⎯ mais un élément seulement ⎯ d’un tableau général
cohérent.
23 Encarts I et V
24. Je passe maintenant aux encartsI et V. La partie adverse s’est longuement étendue au
sujet de la valeur des encarts I et V. Vous vous rappellerez qu’il s’agit de deux cartes qui seraient
incluses, d’une manière ou d’une autre, dans l’ album de cartes (désigné par le terme «catalogue»),
qui contient les 134cartes jointes au procès-verb al général de 1949. M.Crawford persiste à
qualifier de manière erronée ces cartes. Oui, bien sûr, elles apparaissent au début de l’album de
cartes tel que déposé par la Roumanie au greffe au milieu de l’année 2007. Mais l’on ne voit pas
29
CR 2008/30, p. 46, par. 14 (Crawford). - 16 -
bien, à partir des documents se trouvant sous l’ongletIV-5 de leurs dossiers –– les dossiers remis
aux juges pour l’audience du 15septembre–– ce qui est , et ce qui n’est pas inclus dans l’album.
[Projeter la couverture avant à l’écran.] Comme vous pouvez le voir à l’écran, la couverture avant
de l’album produit par la Roumanie semble indiquer (dans la mention manuscrite en bas, en langue
roumaine) qu’il y a 149 feuilles (134+13+2). Immédiatement à la suite de la couverture avant dans
la version des dossiers des juges, datant d’il y a quelques jours (cette semaine), mais non pas, à ce
que je peux voir, dans la copie qui est en la possession du Greffe, il y a ensuite ce qui semble être
une table des matières [projeter la table des matières à l’écran] ⎯ je crains que cela ne soit trop
petit pour qu’on puisse la voir, mais cela se trouve sous les onglets qui ont été produits par la
Roumanie ⎯ ou peut-être une partie d’une table des matières, n’y figurent que 145feuilles:
1+4+134+6. L’album de cartes détenu par le Greffe ne semble contenir ni cette table des
matières ni les six dernières feuilles mentionnées dans cette table, dont il est prétendu qu’elles
montrent les «caractéristiques et les représentations de la frontière d’Etat» [retirer de l’écran]. Si
l’on ajoute à ce tableau incertain le fait que la Roumanie n’a «découvert» les encartsI et V
30
qu’après avoir soumis son mémoire , le mystère s’épaissit. De toute manière, l’album de cartes
(quelle que soit sa composition) n’était pas lui-même mentionné dans le procès-verbal de 1949 sous
l’intitulé «Les documents ci-après sont joints au présent protocole» et il n’est mentionné nulle part
ailleurs dans celui-ci. Les seules cartes énumérée s sous cet intitulé étaient les «Cartes de la
frontière d’Etat entre l’URSS et la RPR à l’échelle de 1:25 000», autrement dit les cartes
31
numérotées de 1 à 134 .
25. La Partie adverse n’a, une fois de plus, donné de répon se à aucune de nos observations
par lesquelles nous avons une distinction entre ces deux cartes ⎯ encartsI et V ⎯ et les cartes
24 jointes au procès-verbal général de 1949. Plus précisément, elle n’a pas répondu à l’observation
que j’ai faite à nouveau la semaine dernière concerna nt le rôle des encarts I et V, qui ne consistait
très certainement pas à représenter la frontière d’Etat.
26. Je passe maintenant à un autre point. Tout à fait à part les incertitudes relatives à leur
symbolisation, les cartes auxquelles l’on s’est référé dans la présente procédure soit ne montrent
30
RR, par. 4.65.
31
CR 2008/24, p. 43, par. 31 (Wood). - 17 -
absolument aucune ligne, soit montrent une ligne parcourant plusieurs distances le long de la limite
extérieure de la mer territoriale de l’Ukraine. Comme la Roumanie elle-même le signale, les
longueurs des lignes sur les encarts I et V, et sur les cartes jointes aux différents procès-verbaux, et
sur les autres cartes et cartes, varient. Ces lignes ne vont pas uniformément jusqu’au «point X» de
la Roumanie ou jusqu’à un autre point. La seule c onstante en l’espèce est le pointF, fixé par le
traité de 2003.
27. A cet égard, il est utile de rappeler ce que vous avez dit au sujet des cartes divergentes
dans l’arrêt Indonésie/Malaisie. Vous trouverez l’extrait pertinent sous l’onglet 5. Comme vous le
savez, Madame le président, Messieurs de la Cour, et vous le trouverez au paragraphe90,
l’Indonésie avait présenté :
«un certain nombre de cartes … figurant une ligne se prolongeant au large de la côte
orientale de l’île de Sebatik… La Cour relève que sur ces cartes le prolongement en
mer de la ligne constituant la frontière te rrestre est indiqué par des repères tantôt
identiques, tantôt différents ; par ailleurs, la longueur de la ligne se prolongeant en mer
varie considérablement : sur certaines cartes, elle s’étend sur quelques milles … alors
que, sur d’autres, elle se prolonge jusqu’ à proximité de la frontière entre les
Philippines et la Malaisie.» (Affaire relative à la Souveraineté sur Pulau Ligitan et
Pulau Sipadan (Indonésie/Malaisie), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 667-668, par. 90.)
La Cour a conclu que «[a]u total… le matéri au cartographique soumis par les Parties ne
permet[tait] pas d’aboutir à des conclusions en ce qui concerne l’interprétation de l’article IV de la
convention de 1891» (ibid., p. 668, par. 91).
Le droit international de la mer en 1949
28. Madame le président, M. Crawford a soulevé pas moins de six points en réponse à mes
arguments concernant le droit international de la mer en vigueur en1949. Dans chaque cas, il
semble avoir eu pour objectif de montrer que la notion de plateau continental était connue,
notamment par l’Union soviétique, en1949. La plupart d’entre eux n’appellent pas vraiment
d’observations, par exemple, ceux qui ont trait aux travaux de la CDI en 1950 et en 1951. La
mention du plateau continental dans la déclaration du Tsar de 1916 au sujet des îles de Sibérie est,
il me semble, considérée en général comme une curiosité, qui n’annonce pas la doctrine moderne 3.
Cette déclaration concernait les îles, pas le plateau. Les auteurs du célèbre traité du golfe de Paria
32
W. E. Butler, The Soviet Union et the Law of the Sea (1971), p. 139. - 18 -
33
25 de 1942 , entre la Grande-Bretagne et le Venezuela, ont pris grand soin d’éviter des références
implicites à des droits exclusifs. Il se trouve s ous l’onglet6. Comme cela ressort clairement du
préambule, l’intention des deux gouvernements était de «définir leurs intérêts respectifs dans les
zones sous-marines du golfe de Paria». L’arti cle2 du traité révèle clairement la nature
essentiellement bilatérale de cette transaction. De toute manière, comme M. Crawford le prétend,
la vraie question est de savoir «si des gouvernemen ts informés peuvent avoir compris un accord
de1949 relatif à une zone fron tière maritime… comme une dé limitation non limitée à la mer
34
territoriale» . Bien sûr qu’ils le peuvent. Mais la question n’est pas de savoir si l’Union
soviétique et la Roumanie le peuvent; il s’agit de savoir si ce fut effectivement le cas. Comme je
l’ai expliqué la semaine dernière, et je ne répé terai pas mes observations maintenant, vu l’état du
droit et vu l’attitude des Partie s quant à la notion de platea u continental à l’époque, il est
inconcevable que ce le fut. Rien dans le texte des accords ne donne à penser que ce le fut. Le
contraste avec le traité sur le golfe de Paria ne saurait être plus marqué.
Preuve cartographique : cartes postérieures
29. Madame le président, Messieurs de la Cour, voilà qui conclut ma réponse à M. Crawford.
Je passe maintenant à ce que M. Olleson avait à dire au sujet des cartes postérieures. Comme vous
vous en rappellerez, la Roumanie les invoque «à titre de preuve confir mant et corroborant ses
arguments sur l’effet des procès-verbaux de 1949» 35.
30. M.Olleson a commencé par formuler un certain nombre de prétentions nettement
exagérées. Que les éléments de preuve car tographiques «militent tous dans le même sens» 36.
Qu’«une grande partie des cartes en question a été produite par l’Ukraine et avant elle, par l’Union
37
soviétique» . Que «les premières cartes marines qui aient été retrouvées par l’une et l’autre des
Parties sont celles qui ont été produites par l’Union soviétique en 1957» 38. Que les cartes de 1957
3205 LNTS 121.
3CR 2008/30, p. 53, par. 32 (Crawford).
35
CR 2008/30, p. 56, par. 1 (Olleson).
36
Ibid., p. 57, par. 4.
3Ibid., p. 57, par. 4.
3Ibid., p. 57, par. 6. - 19 -
furent «produites… peu après la conclusion des accords de 1949» 39. Que la carte soviétique
de1957 fut produite «juste un an après que la Roumanie eut étendu sa mer territoriale de
26 6 à 12 milles» 40. Que «[l]’ensemble des cartes produites pa r l’Union soviétique et par l’Ukraine
41
montre la frontière convenue» . Aucune de ces affirmations n’est correcte.
31. M. Olleson s’est ensuite exprimé sur la ju risprudence relative aux cartes. Il nous a dit
que les annotations sur les cartes produites par la Roumanie étaient «claires et concordantes»
comme les six cartes dans l’affaire Malaisie/Singapour. Je me permets de rappeler, bien que cela
ne soit sans doute pas nécessaire, ce qu’étaient ces annotations dans l’affaire Malaisie/Singapour .
Elles sont exposées au paragraphe 269 de votre récent arrêt. L’extrait pertinent est sous l’onglet 7.
Ces cartes ont été publiées par le géomètre général de la Fédération de Malaya et le directeur de la
cartographie nationale de la Malaisie entre 1962 et 1975. Comme vous l’avez dit dans votre arrêt,
«Ces cartes incluent Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, sous laquelle on peut lire
les quatre lignes de légende suivantes :
«Lighthouse 28,
P. Batu Puteh,
(Horsburgh),
(SINGAPORE) ou (SINGAPURA)».»
Vous avez ensuite noté que «[c]ette même mention «(SINGAPORE)» ou «(SINGAPURA)» figure
sur ces cartes sous le nom d’une autre île rele vant incontestablement de la souveraineté
singapourienne». Et même s’il est apparu à la C our «que les annotations sont claires», votre
conclusion fut prudente. Vous avez dit : «La Cour conclut que ces cartes [les six cartes] tendent à
confirmer que la Malaisie considérait que Pe dra Branca/Pulau Batu Puteh relevait de la
souveraineté de Singapour.» ( Ibid., par. 272.) Madame le président, il n’y a aucune comparaison
entre les annotations dans l’affaire Malaisie/Singapour et les annotations sur les cartes produites
par la Roumanie en l’espèce. La seule carte dont on pourrait penser qu’elle comporte quelque
chose qui s’approche d’une annotation «claire» est la carte de 1991 produite par le Bundesamt für
3Ibid., p. 57, par. 6.
40
Ibid., p. 57, par. 6.
4Ibid., p. 58, par. 11. - 20 -
42
Seeschiffahrt und Hidrologie de la République fédérale allemande . Cette carte n’est évidemment
absolument pas recevable vu les Parties à la présente procédure.
27 32. M. Olleson prétend ensuite que 31 cart es postérieures invoquées par la Roumanie sont
«montrent de manière parfaitement uniforme qu e la frontière convenue [comme il l’appelle]
43
s’étend au-delà du point F, et autour l’île des Serpents» . (Je ne suis pas sûr de quelle manière on
en est arrivé au nombre 31, en dépit des grand es capacités de la partie adverse quand il s’agit de
compter. Il me semble que le nombre était 23 dans la réplique. Mais pe u importe.) M.Olleson
vous a une fois encore montré un certain nombre de cartes représentant l’une ou l’autre variante du
«crochet» roumain. Les cartes invoquées par la R oumanie, en effet, «sont toutes concordantes
44
lorsqu’elles montrent que les frontières s’étendent au-delà du point F» . Il n’y a rien de surprenant
en l’occurrence! Si elles n’avaient pas mont ré de telles extensions, au moins d’une certaine
longueur, la Roumanie ne les aurait évidemment pas invoquées. Mais la Roumanie ne reconnaît pas
qu’il y a d’autres cartes, nombreuses, où ne figure pas l’annotation, le «crochet», ce «crochet» qui
occupe une place considérable dans les arguments de la Roumanie. [Projeter la carte de1951 à
l’écran.] La Roumanie prend grand soin d’ignorer, par exemple, la carte soviétique de 1951, que
l’on voit maintenant à l’écran : elle est aussi sous l’onglet 8, et elle est annexée à notre duplique 45.
Voici la carte soviétique de 1951 et, comme vous le vo yez, il n’y a pas de «crochet» ! Il s’agit là,
on s’en rappellera, de la premiè re et presque contemporaine édition de l’une des cartes de1957
invoquées par la Roumanie. Elle a été trouvée et déposée auprès de la Cour par l’Ukraine. De
même, la Roumanie ignore la récente carte de l’amirauté du Royaume-Uni (United Kingdom
46
Admiralty Chart), que l’Ukraine a annexée à son contre-mémoire . [Projeter la carte du
Royaume-Uni à l’écran.] Elle est maintenant à l’écran , et elle est sous l’onglet 9 des dossiers. Là
encore, nous agrandissons la section [agrandissement à l’écran] montrant la frontière terrestre et
l’île des Serpents, et vous voyez qu’il n’y a aucun «crochet». Incidemment, la légende sur cette
42Carte RM A 41 et 42.
43
CR 2008/30, p. 60, par. 21.
44
CR 2008/30, p.61, par 23.
45RU, annexe 3.
46CMU, annexe 44: British Admiralty Chart No. 2232 Black Sea ⎯ Romania et Ukraine: Constan ţa to Yalta,
publiée en 1995, rééditée en 2004. - 21 -
carte britannique, que l’on voit elle-même en cour s d’agrandissement [agrandir la légende], est
intéressante. Elle se lit comme suit : «Sources : Cartes des gouvernements roumain et russe de 1980
à 1994, avec corrections ultérieures.» Une telle a nnotation apparaît souvent sur les cartes, c’est un
exemple d’utilisation, par les cartographes, de données actuelles tirées de cartes antérieures.
M.Crawford a cherché à rabaisser les cartes comme la carte soviétique de1951 et cette carte
britannique de 2004 en les qualifiant de «témoins muet s». Mais avec tout le respect que je lui dois,
et il est possible que cette idée rebute certains membres du barreau, le silence peut aussi être
éloquent. [Retirer la carte de l’écran.]
33. M. Olleson s’en est ensuite pris à mes «conjectures» lorsque j’ai fait valoir que, en 1957,
28
les cartographes de l’Union soviétique avaient à l’esprit les questions de sécurité nationale. En fait,
il n’a pas prétendu que mon explication était improbable . Il s’est contenté de soutenir que, si tel
avait été leur objectif, la ligne aurait fait tout le t our de l’île. Mais cet argument, je le dis avec tout
le respect que je lui dois, est bien peu conva inquant. Un «crochet» constituait une manière
parfaitement claire d’indiquer la présence de l’île des Serpents et de sa mer territoriale de 12 milles.
La plupart des navires étrangers seraient venus du sud, de toute manière, et non pas des propres
ports de l’Union soviétique.
47
34. M. Olleson a aussi dit qu’«[a]ucun élément de preuve n’a été présenté à cet égard» . Il
est étrange d’entendre une telle accusation so rtir de la bouche des personnes qui affirment
gratuitement, sans aucune preuve à l’appui, qu’un cartographe soviétique a décidé, en1957, de
représenter sur une nouvelle édition d’une carte de 1951, une frontière maritime à toutes fins
laquelle est censée avoir été convenue en 1949 par l’Union soviétique et la Roumanie. Par
contraste, mon inférence est fondée sur le fait inc ontournable de l’activité m ilitaire soviétique sur
l’île des Serpents. Si l’Ukraine n’a pas accès à la documentation soviétique concernant ces
activités, il est clair qu’elles furent importantes et, ayant été menées à une frontière externe du
territoire du pacte de Varsovie, elles étaient évidemment sensibles. Comme nous l’avons dit dans
le contre-mémoire, des militaires appartenant à la défense anti-aérienne de l’URSS étaient
stationnées en permanence sur l’île des Serp ents depuis 1946 jusqu’à l’indépendance de
47
CR 2008/30, p. 64, par. 36. - 22 -
l’Ukraine . On peut avoir une certaine idée de l’éche lle de ces activités grâce à l’annexe90 de
notre contre-mémoire, le plan de retrait des forces armées ukrainiennes de l’île de 2002. La grande
quantité d’équipement qui en fut retirée provenait essentiellement de ce que l’Union soviétique y
avait laissé. On mentionne notamment un système de radar et des stations radar, des stations de
radio, 24conteneurs d’outillage technique, un certain nombre de mitraillettes
semi-automatiquesAK-74. Il est clair que les activités militaires sur l’île n’étaient pas
négligeables.
35. On me dit aussi que lorsque j’ai parlé de l’«effet de duplication», je me suis livré à des
conjectures. M.Olleson dit que «[l]es cartes présentées par la Roumanie ont des échelles très
49
variables, et elles représentent différentes zones de la mer Noire» . Mais cela, avec tout le respect
que je lui dois, ne veut pas dire que les données qu’elles contiennent ne proviennent pas de cartes
29 antérieures. Il me semble que c’est une éviden ce de dire que les «crochets» apparaissant sur des
cartes subséquentes pouvaient être rattachés aux «cro chets» sur les cartes de 1957. Cela aurait été
en effet une étrange coïncidence si les cart ographes de plusieurs pays avaient, presque
simultanément, mais indépendamment, décidé de placer un «crochet» sur leurs cartes du nord-ouest
de la mer Noire.
36. L’«effet de duplication» est un phénomèn e bien reconnu en matière de cartographie,
même dans la jurisprudence. Pourrais-je vous inviter, je vous prie, à ouvrir vos dossiers à
l’ongle1t ? La commission frontalière Erythrée/Ethiopie a dit dans sa décision au
paragraphe 3.17 :
«Il a été présenté à la Commission une grande masse de cartes… Comme c’est
souvent le cas dans des circonstances comme celles auxquelles fait face la
Commission, de nombreuses cartes sont, en fin de compte, des copies de cartes
antérieures. Même si elles semblent augmenter le nombre apparent de cartes
différentes, en pratique, tel n’est pas le cas— sauf qu’elles peuvent éventuellement
montrer le comportement constant d’une Partie. Le nombre de cartes qui peuvent être
considérées comme originales est donc beaucoup plus faible que ce que pourrait
laisser croire la longue liste de cartes produites par les Parties.» 50 [Traduction du
Greffe.]
4CMU, par. 7.68.
49
CR 2008/30, p. 64, par. 38.
5Commission de délimitation des frontières entre l’Erythrée et l’Ethiopie, décision de délimitation de la frontière
entre l’Etat de l’Erythrée et la République démocratique fédérale de l’Ethiopie. - 23 -
37. Le point suivant, Madame le président : M. Olleson a conclu en invoquant une phrase
51
tirée de l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire des Minquiers et des Ecréhous en 1953 .
M.Crawford a cité la même phrase lors du premier tour 52. M.Crawford et M.Olleson ont tous
deux dit que cette jurisprudence enseignait que, et je cite M. Olleson, «une carte publiée par un Etat
sur laquelle est représentée une frontière sans qu’aucune réserve ne soit exprimée doit être
considérée comme» ⎯ et voici le bref passage tiré de l’arrêt — «la preuve des vues officielles [de
l’Etat] à l’époque». En fait, si vous lisez ce passage en entier, son enseignement est très différent.
L’extrait pertinent de cet arrêt se trouve sous l’ onglet 11 des dossiers. Comme vous le voyez avec
le passage que nous avons mis en évidence, la Cour se référait aux échanges diplomatiques entre la
Grande-Bretagne et la France en 1820. Elle n’a pas, comme l’ont laissé entendre M. Crawford et
M. Olleson, dit que «lorsque la carte en question est produite par un Etat et représente une frontière
entre lui-même et un autre Etat», elle doit être considérée comme «la preuve des vues officielles
[de l’Etat] à l’époque» 5. Voici ce que la Cour a en fait dit : ce passage est au milieu de la page.
30 «Par une note du 12 juin 1820 au Foreign Office … l’ambassadeur de France à
Londres a transmis une lettre … du ministre fra nçais de la Marine au ministre français
des Affaires étrangères, où les Minquiers sont indiqués comme «possédés par
l’Angleterre», et sur l’une des cartes annexées et sur l’une des cartes annexées, le
groupe des Minquiers est indiqué comme étant anglais. Le Gouvernement français
soutient que cette admission ne saurait lui être opposée, car elle fut faite au cours de
négociations qui n’ont pas abouti à un accord. Toutefois, il ne s’agit pas d’une
proposition ou d’une concession faite au cour s de négociations, mais de l’énoncé de
faits transmis au Foreign Office par l’ambassadeur de France, qui n’a exprimé aucune
réserve à ce sujet. Cette déclaration doit donc être considérée comme la preuve des
vues officielles françaises à l’époque.» ( Minquiers et Ecréhous
(France/Royaume-Uni), arrêt, C.I.J. Recueil 1953, p. 71.)
Comme vous le voyez, loin de dire que cette carte doit être considérée en elle-même comme un
élément de preuve tendant à indiquer les vues offi cielles de la France, c’est le fait de la
transmission officielle de l’ambassadeur de France au Foreign Office du texte d’une lettre disant
que les îles Minquiers étaient la possession de l’Angleterre et d’une carte indiquant que ces îles
étaient britanniques qu’a souligné la Cour. C’est cela qui tendait à indiquer les vues officielles de
la France.
5CR 2008/30, p. 65, par. 40 (Olleson).
52
CR 2008/19, p. 38, par. 54 (Crawford).
5Ibid. - 24 -
C. Conclusion
38. Madame le président, Messieurs de la Cour, en guise de conclusion, je ferai simplement
trois observations.
39. Premièrement, pour construire ce que M. Crawford a désigné par l’expression «argument
54
de l’accord de 1949» , la Roumanie a mis beaucoup de poids sur les accords qui datent de la fin
des annéesquarante, et il a logiquement cherché à minimiser les accords de1997 et de 2003.
Pourtant, ce sont ces deux accords qui sont au cŒur des relations entre les Parties en cause dans la
présente procédure. La compétence de la Cour découle de l’échange de lettres de1997, qui dit
aussi que l’entrée en vigueur du traité frontalier de 2003 constituait la condition préalable du renvoi
à la Cour de la question de la délimitation du plateau et des zones économiques exclusives. Plus
précisément, le traité frontalier du 17juin2003, est crucial. L’importance du traité de2003 va
au-delà du fait, même s’il est majeur, que c’est par lui que l’Ukraine et la Roumanie sont
finalement parvenues à un accord sur le pointF, le point terminal que l’Union soviétique et la
Roumanie avait laissé en suspens en 1949. Le tr aité de2003est l’instrument qui porte sur la
frontière d’Etat pour les Parties. Il a remplacé le traité de 1961, lequel avait lui-même remplacé le
traité de 1949. Sur le plan juridique, les tra ités de 1961 et 1949ont cédé le pas. Ils ne sont
31 pertinents que dans la seule mesure où ils sont mentionn és dans le traité de 2003. Ils ne sont
pertinents que dans la mesure où ils définissent la frontière d’Etat, laquelle ⎯ comme cela fut
convenu dans le traité de 2003 — aboutit au point F.
40. Il faut rappeler, Madame le président et Messieurs de la Cour, que, pendant un certain
temps, dans les annéesquatre-vingt-dix, après que l’Ukraine eut repris son indépendance, la
Roumanie avait mis en question le caractère obligat oire et la validité de ces accords antérieurs,
surtout de ceux qui dataient de 1948 et 1949, et la Roumanie a cherché la revision du règlement
territorial conclu après la guerre et la frontière d’Etat convenue en 1949. Dans le traité de 2003, les
Parties ont confirmé l’un et l’autre. A son entrée en vigueur en 2004, le traité de 2003 a finalement
et définitivement réglé la question de la frontière d’Etat, ce qui était la condition préalable à la
soumission à la Cour de la question du plateau continental et de la ZEE.
54
CR 2008/30, p. 43, par. 2 (Crawford). - 25 -
41. Ma deuxième observation est qu’il est on ne peut plus clair que le pointF, dont les
coordonnées furent convenues en 2003, était le point terminal de la ligne de la frontière d’Etat,
celle qui fut convenue en 1949, et c onfirmée à plusieurs reprises. Il est aussi clair, et je crois que
les Parties sont d’accord là-dessus, que le point F da ns le traité de 2003 constitue le point de départ
de la délimitation dans la présente procédure.
42. Ma troisième observation est la suivante. En dépit des admonestations de M. Crawford,
la réalité inchangée est que la charge de prouver l’existence d’un accord datant de 1949 incombe à
la Roumanie. C’est certainement une charge très lourde, et nous soutenons qu’elle a totalement
failli à la tâche.
43. Madame le président, Messieurs de la C our, voilà qui conclut mon exposé, et je vous
demanderais d’inviter M.Bundy à poursuivre en suite l’exposé des moyens de l’Ukraine, que ce
soit avant ou après la pause-café. Je vous remercie.
Le PRESIDENT: Je vous remercie, Monsieur Wood. Je voudrais savoir si M.Bundy
préférerait présenter son exposé au complet ultérieurement ou s’il voudrait l’entamer maintenant ?
M. BUNDY : Je serais disposé à l’entamer maintenant, Madame le président.
Le PRESIDENT: Oui, veuillez donc prendre place; M.Bundy est prié d’entamer son
exposé.
32 M. BUNDY : Je vous remercie, Madame le président et Messieurs de la Cour.
III.L ES CÔTES PERTINENTES
1. Dans le cadre du présent exposé, j’ente nds traiter la question importante des côtes
pertinentes des Parties, qui a été examinée par M. Crawford lundi et, dans une moindre mesure, par
M. Lowe mardi. Pour l’essentiel, mes observa tions répondront principalement aux exposés de ces
deux conseils.
2. Dans une deuxième partie de mon exposé, qui sera plus brève, je formulerai aussi
quelques observations sur l’intervention de M. Müller, essentiellement consacrée à la digue de
Sulina —à laquelle M.Lowe s’est lui aussi intére ssé—, puisque la Roumanie attache à celle-ci - 26 -
tant d’importance dans sa conception du contexte géographique pertinent et que la digue de Sulina
détermine une grande partie de la ligne qu’elle revendique.
3. En ce qui concerne la zone pertinente, un autre thème traité par MM. Crawford et Lowe, je
reviendrai sur le sujet demain, lorsque j’exam inerai le caractère équitable de la ligne de
délimitation de l’Ukraine et le critère de proportionnalité.
4. Donc, après cette courte introduction, je passe directement à la question des côtes
pertinentes des Parties dans la présente affaire.
A. Les côtes pertinentes des Parties
1. Les côtes méridionales
5. Lundi dernier, M.Crawford a choisi d’exam iner les côtes pertinent es en sens inverse, en
commençant par le sud. S’il a procédé ainsi, c’est parce que l’Ukraine n’avait selon lui «pas
daigné tenir compte» de la côte méridionale de la Roumanie, d’ où son besoin compréhensible
d’exhumer la côte sud (CR 2008/30, p. 26, par. 22).
6. Permettez-moi d’éclaircir un point d’emblée. Ce n’est pas l’Ukraine qui n’a «pas daigné
tenir compte» d’un quelconque segment des côtes des Parties dans la présente affaire. C’est la
Roumanie. La position de l’Ukraine est très claire. L’Ukraine considère que c’est l’ensemble des
côtes des deux Parties qui jouxtent l’angle nord-ouest de la mer Noire qu’il faut considérer comme
côtes pertinentes en l’espèce aux fins de la délimita tion. Cela vaut pour la côte de la Roumanie
⎯y compris sa côte méridionale— autant que pour celle de l’Ukraine —y compris sa côte
septentrionale.
33 7. La seule qui n’ait «pas daigné tenir compte » de côtes dans la présente affaire, c’est la
Roumanie, car c’est elle qui tente à tout prix d’exclure 630kilomètres de côte ukrainienne
⎯c’est-à-dire deux-tiers de la côte ukrainienne jouxtant cette par tie de la mer Noire— tout en
continuant de faire jouer le rôle de côte pertinente à toute sa côte descendant jusqu’à la Bulgarie.
8. Si l’Ukraine s’est concentrée sur la côte méridionale de la Roumanie, c’est simplement
pour montrer que la Roumanie fa it deux poids deux mesures lors qu’elle examine la géographie
côtière. - 27 -
9. La Roumanie soutient que des parties de la côte ukrainienne sont orientées dans la
mauvaise direction parce que, lorsqu’elle trace des angles de90° à partir de certains segments
choisis de manière arbitraire le long de la côte, ce ux-ci ne donnent pas dans le milieu de la mer.
L’Ukraine a démontré que, si le critère de la perp endicularité est ainsi appliqué — et il ne doit pas
l’être—, mais s’il l’est, alors la côte méridiona le de la Roumanie peut fait l’objet des mêmes
critiques. Ainsi que nous l’avons montré, suivant la thèse de la Roumanie, une grande partie de
cette côte, divisée en segments appropriés, est également orientée dans la mauvaise direction.
10. La Roumanie affirme aussi que la côte ukr ainienne faisant face au sud est trop éloignée
et donc en quelque sorte «éclipsée» par des parties plus proches de la propre côte de l’Ukraine.
Pourtant, l’Ukraine a démontré que cette partie de sa côte, celle qui fait face au sud, n’est pas plus
distante de la zone en cause que la côte méridi onale de la Roumanie. [Projection: onglet4 du
dossier du premier tour.] La Cour se souvie ndra de la carte, actuellement à l’écran, que nous
avions soumise lors de notre présentation du premier tour pour illustrer ce point. La Roumanie n’a
apporté aucune réponse à cette démonstration au début de la semaine.
11. Elle n’a pas répondu non plus à un autre élément mentionné par l’Ukraine la semaine
dernière. Il s’agissait du fait—que je ne vais pas illustrer une nouve lle fois, mais que vous
retrouverez sous l’onglet 26 de votre dossier de la première semaine—que la côte de l’Ukraine
dans son ensemble, je dis bien da ns son ensemble (y compris celle faisant face au sud), est plus
proche des points de base que la Roumanie a utilisés pour construire et tracer sa ligne
d’équidistance que les parties les plus méridionales de la propre côte de la Roumanie.
12. Ces démonstrations me semblent avoir dé finitivement battu en brèche la théorie assez
originale exposée par M.Crawford au premier t our, qu’il a baptisée le «principe de proximité
comparative». Il est révélateur que mon confrère ne soit pas revenu sur cette notion ambitieuse lors
de ses plaidoiries du second tour. En fait, le «principe de proximité comparative» a été mentionné
par la Roumanie cette semaine tout aussi souvent qu’il l’a été par la Cour dans sa jurisprudence
⎯ c’est-à-dire jamais.
34 13. Mais j’en reviens à l’exposé de M. Crawford concernant les côtes des Parties à partir du
sud. Celui-ci a posé comme point de départ le «point Z» de la Roumanie car, je cite : «Ce point est - 28 -
convenu entre les Parties puisqu’il s’agit du poin t terminal des lignes d’équidistance provisoire
tracées par elles.» (CR 2008/30, p. 26, par. 22.)
14. Le «point Z» se trouve certes à l’extrémité de la ligne d’équidistance provisoire des deux
Parties, mais il ne se trouve absolument pas sur les lignes qu’elle revendiquent. Il s’agit là d’un
point purement roumain situé sur la ligne revendiquée par la Roumanie ⎯laquelle ne tient
absolument aucun compte, en tant que circonstance pe rtinente, de la nette disparité qui existe entre
les longueurs des côtes respectives des Parties.
15. Cette précision faite, j’en viens maintena nt au principal argument de M.Crawford, à
savoir que, au sud, les «côtes qui se font face» des Parties seraient faciles à distinguer. Selon lui,
elles avaient une configuration et une orientation similaires et elles étaient à peu près d’égale
longueur, et si la délimitation devait être réa lisée exclusivement entre ces côtes, une ligne
d’équidistance s’imposerait (CR 2008/30, p. 26, par. 23).
16. Mais, là encore, nos contradicteurs mettent leurs Œillères lorsqu’ils tentent de découper
la zone de délimitation en secteurs individuels. La délimitation demandée à la Cour ne se limite
pas à ce secteur. Comme l’Ukraine l’a relevé au premier tour, la tendance de M.Crawford à se
focaliser uniquement sur certaines parties de la côte à tel ou tel moment — en l’occurrence, il s’agit
des côtes «se faisant face»—, sans tenir comp te du contexte géographi que général, n’est pas
compatible avec la manière dont la question des côtes pertinentes est traitée dans la jurisprudence.
[Projection : onglet 31 du dossier soumis par l’Ukraine au premier tour.]
17. Prenons l’affaire du Golfe du Maine . Je puis assurer à la Cour que je n’entends pas
répéter ce que j’ai dit au premier tour, si ce n’est pour signaler que M. Crawford n’a rien répondu
au fait que, dans l’affaire du Golfe du Maine, la Chambre avait résolument décidé de ne pas s’en
tenir strictement à l’équidistance pour délimiter les côtes correspondantes qui se faisaient face côté
américain et côté canadien. Au contraire, la Chambre avait ajusté la ligne d’équidistance entre ces
côtes pour rendre compte de la relation géographique générale qui existait entre les côtes des
parties donnant sur l’ensemble du golfe du Maine.
18. Comment M.Crawford a-t-il donc traité ce précédent? Tout d’abord, en reprochant à
l’Ukraine de l’invoquer et, deuxièmement, en attaquant l’arrêt de la Cour lui-même dans des termes
qui ont même paru décontenancer quelque peu M. Pellet. - 29 -
35 19. Lundi dernier, M.Crawford a affirmé que «[l]’Ukraine a[vait] abordé la question des
côtes pertinentes iniquement en invoquant l’affaire du Golfe du Maine , à laquelle elle se
raccroch[ait] comme à une bouée de secours» (CR2 008/30, p.28, par.29): voilà une bien belle
image.
20. L’Ukraine considère que l’affaire du Golfe du Maine constitue un précédent important,
d’autant plus qu’elle présente un certain nombre de similitudes avec la présente affaire. Toutefois,
l’Ukraine a également évoqué d’autres éléments de la jurisprudence de la Cour pour étayer sa
position. Il est par exemple remarquable que, dans son examen des côtes pertinentes, mon éminent
confrère n’ait pas dit un mot sur ce que nous avons indiqué au sujet de l’affaire Tunisie/Libye. La
Cour se souviendra des exposés faits par l’Ukrain e au premier tour dans le cadre desquels
M.Quéneudec et moi-même nous étions tous de ux penchés assez longuement sur cette affaire et
sur la manière dont la Cour avait alors traité les côtes pertinentes.
21. Nous avions relevé que la Cour n’ava it opéré aucune distinction entre les côtes «se
faisant face» et les côtes «adjacentes» dans son exam en de la côte tunisienne qui était pertinente
pour la délimitation. La Cour n’avait pas davant age exclu le golfe de Gabès en tant que côte
pertinente, ou que partie de la zone pertinente aux fins de la proportionnalité, au motif qu’il aurait
été trop éloigné de la zone à dé limiter ou orienté dans la mauvai se direction. Dans l’affaire
Tunisie/Libye, le fond du golfe de Gabès se trouvait à une cen taine de milles marins de la ligne de
délimitation, soit considérablement plus loin de cette ligne que les côtes tunisiennes situées au nord
et au sud du golfe, mais le golfe n’en avait pas moins été considéré comme une côte pertinente et
comme une partie de la zone pertinente.
22. La Partie adverse n’a rien répondu à cette dé monstration en début de semaine. Elle n’a
pas davantage répondu à notre analyse d es côtes pertinentes dans l’affaire Libye/Malte, ou dans
l’affaire Nicaragua c.Honduras , ni à ce que nous avons déclaré au sujet de la façon dont le
Tribunal arbitral avait traité les côtes dans l’ Arbitrage anglo-français pour répondre à l’argument,
formulé par la Roumanie au premier tour, selon le quel il n’existerait pas de troisième catégorie de
relation côtière en dehors de l’opposition et de l’adjacence.
23. Même M.Crawford semble désormais reconnaître ce point que nous avons établi,
puisque, a-t-il déclaré lundi, «[i]l est également vrai que, dans certaines situations, des côtes - 30 -
manifestement situées au sein d’une zone de déli mitation ne peuvent aisément être considérées
comme soit adjacentes, soit se faisant face» (CR 2008/30, p. 27, par. 28). C’est précisément ce que
nous soutenions au premier tour. M.Crawford a maintenu que tel était spécialement le cas des
petites îles, mais il n’a nullement tâché d’étayer ce tte affirmation, et celle-ci ne cadre pas avec la
manière dont la Cour a traité les côtes continentales qui étaient en cause dans des affaires telles que
36 Tunisie/Libye ou Nicaragua c.Honduras , ni même avec le traitement que la Chambre a appliqué
aux côtes continentales des parties dans l’affaire du Golfe du Maine. M. Crawford a ensuite tenté
d’établir que l’affaire du Golfe du Maine était différente pour diverses raisons. Je voudrais
répondre aux observations et commentaires que les con seils de la Roumanie ont formulés dans le
cadre de leur réplique orale mais, étant donné que cela m’amène à un volet distinct de mon exposé,
peut-être faudrait-il marquer notre pause à présent, Madame le président, si cela convient à la Cour.
Le PRESIDENT : Oui, je vous remercie, Monsieur Bundy. La Cour va maintenant se retirer
quelques instants.
L’audience est suspendue de 16 h 25 à 16 h 35.
Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. Monsieur Bundy, vous avez la parole.
M. BUNDY : Je vous remercie, Madame le président, Messieurs de la Cour.
24. Lundi, M.Crawford a reproché à l’Ukraine d’invoquer l’affaire du Golfe du Maine, ou
peut-être de trop l’invoquer. Ceci n’a pas empêché mon distingué collègue de se lancer lui-même
dans de longs développements sur cette affaire, et je vais lui répondre. M.Crawford oublie
également que c’est la Roumanie qui a invoqué ce tte affaire, d’abord dans son mémoire puis, de
nouveau, dans sa réplique, s’agissant de savoir quelles côtes devaient être considérées comme
pertinentes en la présente affaire (MR, par.9.4 et note223, et RR, par.3.55-3.58). C’est aussi la
Roumanie qui, dans son mémoire, a cité le passag e de l’arrêt de la Cour dans lequel la Chambre
notait «qu’une disproportion substantielle par rapport à cette extension, qui résulterait d’une
délimitation établie sur une base différente, représenterait non moins certainement une circonstance
appelant une correction adéquate» (MR, par. 8.61, citant C.I.J. Recueil 1984, p. 323, par. 185). - 31 -
25. En début de semaine, M. Crawford a essayé de distinguer l’affaire du Golfe du Maine de
la présente affaire à un certain nombre d’égards, mais nous estimons qu’aucun de ses arguments
n’est persuasif.
26. Il a d’abord fait valoir qu’à la différen ce du golfe du Maine, le bassin nord-ouest de la
merNoire n’est pas considéré comme une entité di stincte et n’a pas de nom propre (CR2008/30,
p. 28, par. 30 a)).
37 27. Mais les questions de topon ymie sont dénuées de pertinence. Ce n’est pas parce que le
golfe du Maine s’appelait «golfe du Maine» que la Chambre a abouti à sa ligne de délimitation.
Celle-ci a résulté des caractéristiques géographiques de la zone à délimiter.
28. M.Pellet, pour sa part, a affirmé que le nord-ouest de la merNoire n’avait rien à voir
avec le golfe du Maine, et soutenu que les avoc ats de l’Ukraine devraient être sensibles aux
différences existant entre les deux situations, d es différences qui «sautent aux yeux» (CR 2008/31,
p. 39, par. 33).
29. Mais est-il vraiment si évident que les situations géographiques soient si différentes dans
les deux affaires ? Manifestement, si deux affaires ne sont jamais exactement identiques, il est tout
à fait clair que la géographie côtière en cause dans l’af
faire du Golfe du Maine ressemble beaucoup
plus à la situation qui prévaut en l’espèce qu’à la géographique d’aucune des autres affaires citées
par nos adversaires. Permettez-moi de rappeler certains faits essentiels.
30. Le golfe du Maine est entouré sur trois côtés par les côtes des Parties à cette affaire. De
même, en l’espèce, la zone en litige est entourée sur trois côtés par les côtes des Parties.
M.Crawford a dit que le golfe du Maine éta it une «entité exceptionnellement bien définie»
(CR 2008/30, p. 29, par. 31 a)), mais le bassin nord-ouest de la mer Noire est aussi une zone bien
définie, et constitue un espace maritime distinct.
31. Un certain nombre des propres cartes de la Roumanie qualifient expressément cette zone
de «secteur nord-ouest de la merNoire», et en dé finissent les côtes comme allant de la frontière
terrestre roumano-bulgare jusqu’au capSarych. On peut le voir, par exemple, sur les cartes26
et38 du propre atlas cartographique de la Roumanie . On peut également le voir sur la carte que
M.Crawford a montrée lors du premier tour, qu’il a appelée «Le bassin nord-ouest de la
merNoire». Cette carte est maintenant à l’écran ⎯elle est sous l’ongletIV-2 du dossier de la - 32 -
Roumanie pour le premier tour de plaidoiries. Les côtes du «bassin nord-ouest» représentées sur la
carte, ainsi que sur les autres cartes comme je l’ai indiqué, sont précisément les côtes dont
l’Ukraine a montré qu’elles constituaient les «côtes pertinentes» en l’espèce.
32. M.Crawford a soutenu que la présente affaire posait une question inédite à la Cour:
«comment délimiter une frontière maritime dans une zone réduite lorsque les côtes de l’une des
Parties sont plus longues?» (CR2008/30, p.23, par.13.) Mais cette situation est loin d’être
38 nouvelle. Elle est comparable à celle d ont a connu la Chambre dans l’affaire du Golfe du Maine,
dans laquelle la délimitation devait aussi être effectuée dans une zone réduite alors que les côtes de
l’une des Parties étaient plus longues.
33. Mon distingué collègue a fait valoir que, mis à part la ligne symbolique fermant le golfe
du Maine, les côtes atlantiques des Etats-Unis et du Canada ne donna ient pas sur le golfe. Mais,
dans la présente affaire, la cô te ukrainienne au-delà de l’est du cap Sarych ne donne pas non plus
sur le secteur nord-ouest de la mer Noire et n’est p as pertinente ; pas plus que la côte de Bulgarie,
au-delà de la côte roumaine, ou même les parti es les plus méridionales de la côte roumaine
elle-même ne bordent ce secteur nord-ouest de la mer Noire. Je ne vois pas où est la différence.
34. Un autre point soulevé était que l’entrée du golfe du Maine était beaucoup plus large que
profonde (CR 2008/30, p. 29, par. 31 b)). En quoi cela fait une différence, mon collègue ne l’a pas
expliqué (onglet IV-14 du dossier roumain de plai doiries pour le premier tour). Néanmoins, si on
trace une ligne entre l’extrémité de la frontière terrestre roumano-bulgare et le cap Sarych, ligne qui
représente en fait la limite naturelle du secteur nor d-ouest de la merNoire, cette ligne, comme le
montre la carte actuellement à l’écran, est plus longu e (et la superficie enclose plus étendue) que la
distance qui la sépare de la côte ukrainienne faisan t face au sud, tout comme c’était le cas dans le
golfe du Maine ⎯ c’est sous l’onglet 12.
35. M. Crawford a contesté cette ligne de fermet ure. Mais il s’agit de la même ligne que la
Roumanie elle-même a représentée sous l’onglet IV-14 de son dossier pour le premier tour de
plaidoiries afin d’illustrer les côte s pertinentes. Vous pouvez consta ter que la largeur de l’espace
ainsi clos est de 224milles marins alors que la profondeur maximum jusqu’à la côte ukrainienne
faisant face au sud est d’environ 150milles marins ⎯une autre similarité avec l’affaire du Golfe
du Maine. Par contre, comme je le faisais observer la semaine dernière, la ligne de délimitation - 33 -
roumaine coupe cette ligne de fermeture en un point qui est plus proche de la côte ukrainienne que
de la côte roumaine de près de 40 km, alors que la Roumanie a une côte beaucoup plus courte.
36. M. Crawford a ensuite formulé des observations sur la décision rendue dans l’affaire du
Golfe du Maine (CR 2008/30, p. 29-30, par. 32).
37. Sa première observation était la suivante: «Il s’agit d’une décision rendue par une
chambre, et non par la Cour dans sa formation plénière.» (Ibid., par. 32 a).)
38. Mon collègue prétendait-il sérieusement que cet arrêt rendu par une chambre avait moins
de poids que les arrêts rendus en matière de délimitation par la Cour en formation plénière ? Dans
l’affirmative, il semble avoir oublié de coordonne r son exposé avec celui de M.Olleson qui, peu
après que M.Crawford eut pris la parole, a i nvoqué la décision de la Chambre en l’affaire du
39
Différend frontalier pour démontrer la valeur probante des car tes (CR2008/30, p.59, par.17). Il
est notoire que l’article 27 du Statut de la Cour dispose : «Tout arrêt rendu par l’une des chambres
prévues aux articles 26 et 29 sera considéré comme rendu par la Cour.»
39. M. Crawford soutient ensuite que l’arrêt rendu dans l’affaire du Golfe du Maine constitue
«un cas isolé en matière de délimitation»; il s’agir ait de la seule affaire dans laquelle le rapport
entre les côtes a engendré un ajustement précis de la ligne de fermeture ⎯une opération qu’il a
qualifiée d’«originale voire par trop recherchée» (CR 2008/30, p. 29, par. 32 b) et c)).
40. Ce qui est original, si je puis me permettre, c’est de qualifie r un arrêt de la Cour
d’«original … voire par trop recherché». La décisi on rendue récemment par la Cour dans l’affaire
Nicaragua c. Honduras était-elle «originale» parce qu’elle reposait sur une méthode bissectorielle
et non sur la méthode de l’équidistance? Les décisions rendues dans les affaires Libye/Malte et
Jan Mayen étaient-elles «originales» ou «trop recher chées» parce qu’elles utilisaient des méthodes
différentes pour tenir compte d’une disparité significative dans les longueurs des côtes ? En quoi la
décision rendue dans l’affaire du Golfe du Maine était-elle «originale» ? Chaque affaire rend
compte des faits et circonstances qui la caractérisent…
41. Au demeurant, le fait que l’affaire du Golfe du Maine a été citée avec approbation aussi
bien dans l’arrêt Jan Mayen que dans la sentence rendue dans l’affaire Barbade/Trinité-et-Tobago
atteste qu’elle conserve toute sa pertinence jurisprudentielle s’agissant d’étayer la proposition selon
laquelle une disparité marquée dans la longueur des côtes justifie un déplacement de la ligne - 34 -
d’équidistance provisoire (voir C.I.J. Recueil 1993, p.67-38, par.66 et 68; et la sentence rendue
dans l’affaire de l’ Arbitrage entre la Barbade et la République de Trinité-et-Tobago , sentence du
11 avril 2006, par. 377).
42. L’observation de M.Pellet sur la décision rendue dans l’affaire du Golfe du Maine est
quant à elle curieuse. S’il a ⎯à juste titre ⎯ indiqué que la Chambre avait pris en compte une
différence de 1,38 à 1 dans la longueur des côtes des parties pour ajuster la ligne d’équidistance, il
a ensuite affirmé que cet ajustement avait été effectué pour arriver à un ratio de 1 à 1 (CR 2008/31,
p. 39, par. 33).
43. Comment mon distingué collègue et ami a abouti à cette description du raisonnement de
la Chambre demeure pour moi un mystère. Il ne cite aucun passage de l’arrêt, probablement parce
qu’il n’en a pas à citer. Nul part dans cet a rrêt il n’est question d’un ajustement arrivant à un ratio
de 1 à 1.
40 2. Les côtes septentrionales
44.Madame le président, Messieurs de la Cour, après avoir suivi M. Crawford du sud au nord
des côtes pertinentes, je passe maintenant aux côt es septentrionales des Parties. Permettez-moi de
commencer par les côtes des Parties qui sont au voisinage de la frontière terrestre et que la
Roumanie considère comme les «côtes adjacentes des Parties».
[Projection : onglet II-6 du dossier roumain du 15 septembre.]
45. La carte figurant à l’écran a elle aussi été produite par la Roumanie et elle décrit ce que
cette dernière considère comme les côtes pertinentes au nord et au sud de la frontière terrestre.
Deux observation s’imposent.
46. Premièrement, même si l’on suit la thèse de la Roumanie, la côte ukrainienne jusqu’au
«pointS» est quelque trois fois plus longue que la côte roumaine entre la frontière terrestre et la
péninsule de Sacalin. Pourtant, la Roumanie ne donne aucun effet à cette disparité marquée des
longueurs des côtes. Il n’est pas non plus tenu compte du fait que la façade côtière de l’Ukraine
dans cette zone est orientée sud-est. La projec tion de cette côte est amputée par la ligne de
revendication roumaine. - 35 -
47. Deuxièmement, au nord du «point S», la côte ukrainienne garde pratiquement la même
orientation ou direction générale qu’au sud de ce «point S». Ceci n’empêche cependant pas la
Roumanie de postuler un «point S» arbitraire mar quant le début d’un nouveau segment de la côte
ukrainienne que la Roumanie considère comme dé nué de pertinence. Il n’y a aucune raison
d’exclure la côte ukrainienne au nord du «point S» ni d’accorder à ce point une quelconque
pertinence. Il s’agit d’un nouvel élément de la co llection roumaine de points alphabétiques dont la
raison d’être n’est aucunement justifiée.
48. M.Crawford semble penser que l’arrêt Jan Mayen peut-être cité pour justifier
l’élimination par la Roumanie de la côte ukrainienne au-delà du «point S». Et il a de nouveau
évoqué cet arrêt Jan Mayen lundi (CR2008/30, p. 28, par. 28).
49. On trouve dans la duplique de l’Ukrain e, une analyse réellement approfondie de la
manière dont la Cour a traité les côtes pertinentes dans l’affaire Jan Mayen, suivie d’explications
montrant que ce traitement est tout à fait incomp atible avec les tentatives faites en l’espèce par la
Roumanie pour exclure la côte ukrainienne au-delà du «point S». Je renvoie respectueusement la
Cour aux paragraphes4.28 à 4.32 de la duplique . On nous a à juste titre rappelé de ne pas
reprendre des arguments qui figurent dans nos écritures, aussi ne le ferai-je pas et ne répéterai-je
pas les arguments qui y sont formulés, en particu lier puisqu’ils ont été totalement ignorés dans les
41 écritures roumaines. La Roumanie continue de c iter cette affaire pour étayer sa thèse mais elle ne
tient pas compte du fait qu’au sud, dans l’affaire Jan Mayen, la côte pertinente du Groenland était
limitée à la partie de la côte qui ne faisait pas face à un Etat tiers ⎯ l’Islande ⎯ ou aux zones
couvertes par la revendication de 200 milles marins de l’Islande. Au nord, la côte pertinente du
Groenland s’arrêtait en un point où son extensi on à 200 milles coupait la projection de 200 milles
de Jan Mayen et une ligne médiane non ajustée. Et ce raisonnement, tel que formulé dans l’arrêt de
la Cour, ne sert en aucune manière l’objectif de la Roumanie, à savoir supprimer de longs segments
de la côte ukrainienne en l’espèce.
50. J’en arrive maintenant à la côte ukrainienne faisant face au sud entre Odessa et le
cap Tarkhankut.
51. M. Crawford et M. Lowe font essentiellement valoir, pour ne pas prendre cet segment de
la côte ukrainienne en considération, qu’il est «éc lipsé» par d’autres parties de la côte ukrainienne. - 36 -
M. Crawford a dit qu’«il [était] en compétition avec d’autres côtes ukrainiennes, bien plus proches»
(CR 2008/30, p. 31, par. 40). M. Lowe a déclaré ce qui suit :
«la côte septentrionale de l’Ukraine n’est pas évincée par les côtes de la Roumanie.
Ses zones maritimes ne chevauchent pas celles de la Roumanie. Elles chevauchent ses
propres zones maritimes, et ce sont les côtes occidentale et orientale de l’Ukraine
elle-même qui évincent ou éclipsent l’effet de sa côte septentrionale.» (CR2008/31,
p. 49, par. 35.)
52. M. Crawford et M. Lowe ont projeté le même graphique pour illustrer leur argument.
Vous le voyez maintenant à l’écran [onglet IX-7 de l’exposé du 16septembre de M.Lowe]. Ce
graphique était destiné à montrer l’«effet d’évin cement» dont aurait souffert la côte ukrainienne
faisant face au sud du fait de ses voisines orientées sud-est et ouest.
53. La première observation que je voudrais fa ire est que nos adversaires ont été incapables
de citer un seul précédent à l’appui de la propositi on selon laquelle un segment de la côte d’une
partie qui est «éclipsé» ou «évincé» par un autre segme nt de la côte de la même partie ne doit plus
être considéré comme pertinent. Rien ne vient étayer une telle théorie.
54. A l’opposé, il existe bien des précédents qui réfutent cette approche. Je songe en
particulier aux affaires Tunisie/Libye et du Golfe du Maine.
[Projection : carte de l’affaire Tunisie/Libye.]
55. Voici la Libye: et voici la zone en litige dans l’affaire Tunisie/Libye. Selon la thèse
roumaine, sa théorie de l’«éclipse», dans l’affaire Tunisie/Libye la totalité du golfe de Gabes aurait
dû être «éclipsée» ou «évincée» par les côtes tunisi ennes plus proches de la zone où se trouvait la
42 ligne de délimitation ⎯à savoir la côte tunisienne le long de l’île de Djerba au sud et la côte
continentale de la Tunisie au nord de Ras Yonga, y compris les îles Kerkannah au nord.
56. Selon la «théorie des vagues» roumaine, les vagues créées par les côtes se trouvant à
l’intérieur du golfe de Gabès auraient dû être coupées par les vagues correspondantes se projetant à
partir de Djerba et de la côte située au nord de RasYonga. Mais la Cour, dans cette affaire, n’a
aucunement suivi cette approche. Comme l’a fait observer l’Ukraine ⎯ et c’est un point sur lequel
la Roumanie n’a jamais fait d’observation ⎯ ni lors du premier tour ni lors du second ⎯ la Cour a
considéré la totalité de la côte du golfe de Gabès comme une côte pertinente et la totalité de la zone
se trouvant à l’intérieur du golfe comme faisant partie de la zone pertinente. Elle n’était ni
«éclipsée» ni «évincée». - 37 -
[Projection : carte du golfe du Maine.]
57. La même approche a été adoptée par la Chambre dans l’affaire du Golfe du Maine en ce
qui concerne la baie de Fundy. Les côtes de ce tte baie n’ont pas été «éclipsées» ni «évincées» par
d’autres parties de la côte canadienne bordant le golfe du Maine. Au contraire, la majeure partie de
la côte de la baie de Fundy a été considérée par la Chambre comme faisant partie du golfe du
Maine proprement dit, et a été prise en compte comme côte pertinente pour ajuster la ligne
d’équidistance plus au large.
58. Ce n’est pas que la projection de la côte ukrainienne faisant face au sud soit éclipsée par
d’autres parties de la côte ukrainienne; en fait, l es projections de la côte ukrainienne sur les trois
côtés de la zone pertinente s’étendent toutes vers le large. Elles s’ajoutent et se complètent
mutuellement.
[Projection : carte des «vagues».]
59. Ceci ressort de la carte que vous voyez maintenant à l’écran: c’est ⎯ l’effet cumulatif
est représenté sous l’onglet 13 ⎯ mais je vais vous montrer cela pa r étapes. Vous avez d’abord la
projection de la côte ukrainienne faisant face au sud. [Ajout à la carte.] Puis vous avez la
projection de la côte ukrainienne faisant face au sud-est. [Ajout.] Et, troisièmement, nous avons la
projection de la côte ukrainienne le long de la Crimée. [Ajout.]
60. Chacune de ces projections ne s’arrête p as par magie lorsqu’elle rencontre la projection
d’une autre côte, pas plus que les droits gé néraux de l’Ukraine à des espaces maritimes ne
s’arrêtent lorsqu’ils rencontrent ceux de la Roumanie. Pour utiliser les mots que la Cour a souvent
employés, ces droits se rencontrent et se chevauchent.
43 61. C’est ce qui arrive à la projection de la côte ukrainienne faisant face au sud. Elle
rencontre et chevauche des projections voisines, renforçant ainsi l’effet d’ensemble. Et c’est ce
phénomène qui a amené M.Quéneudec à faire obser ver la semaine dernière que la géographie
côtière de l’Ukraine dans cette partie de la mer Noire était dominante et la plus intense.
62. M.Lowe a déclaré mardi que, pour la Roumanie, «il convient de se demander non pas
quels segments côtiers pourraient engendrer un droit sur une zone maritime en tout point situé dans
les eaux adjacentes des deux Etats, mais plutôt que ls sont, en tout point, les segments côtiers qui
engendrent effectivement un tel droit» (CR 2008/31, p. 50, par. 43). - 38 -
63. Telle n’est assurément pas la manière dont la Cour a analysé les côtes pertinentes dans
l’affaire Tunisie/Libye ni dont la Chambre a tenu compte de la géographie côtière dans l’affaire du
Golfe du Maine. Comme je l’ai déjà dit, dans ces deux affaires, les côtes du golfe de Gabès et de la
baie de Fundy, respectivement, pouvaient générer, et ont généré, des droits à des zones maritimes,
et c’est pourquoi elles ont été prises en compte. Et il en va de même de la côte ukrainienne faisant
face au sud. Elle fait face à une zone uniquement pertinente pour la délimitation avec la Roumanie,
non avec des Etats tiers qui se trouvent bien plus au sud, à la différence, par exemple, des parties de
la côte libyenne qui faisaient face à Malte, ou de la côte tunisienne qui faisaient face à l’Italie, et
qui n’ont donc pas été considérées comme pertinentes dans cette affaire.
64. Les mêmes considérations font également obstacle à la tentative faite par la Roumanie
pour exclure le golfe de Karkinits’ka aux fins de la délimitation. Et, une fois encore, les décisions
rendues dans les affaires Tunisie/Libye et du Golfe du Maine réfutent les arguments roumains.
Comme la Chambre l’a souligné dans l’affaire du Golfe du Maine, et je cite l’arrêt :
«A ce propos, la Chambre tient à souli gner que le fait que les rives se faisant
face de la baie de Fundy sont toutes deux canadiennes ne saurait constituer une raison,
ni de méconnaître que la baie fait partie du golfe du Maine, ni de prendre en
considération qu’une seule de ces rives aux fins du calcul de la longueur des côtes
canadiennes dans l’aire de délimitation.»
Et la Chambre de poursuivre, citant précisément l’exemple du golfe de Gabès dans l’affaire
Tunisie/Libye :
«Rien en effet ne saurait justifier l’ idée que, pour qu’une baie relativement
importante ouvrant sur un golfe plus étendu puisse être considérée comme faisant
partie de celui-ci, il faudrait que ses rives n’appartiennent pas au même Etat.» (Affaire
de la délimitation de la frontière ma ritime dans la région du golfe du Maine
(Canada/Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueils 1984, p. 336, par. 221.)
65. Les mêmes considérations s’appliquent au golfe de Karkinits’Ka. Il fait partie du bassin
nord-ouest de la mer Noire et lui aussi fait partie de la côte pertinente de l’Ukraine.
44 66. Madame le président, Messieurs de la Cour, j’en ai terminé avec ce que j’avais à dire des
côtes pertinentes des Parties. L’Ukraine estim e qu’elle a montré de manière convaincante et
juridiquement étayée pourquoi toutes ses côtes bordant cette partie de la merNoire doivent être
considérées comme des côtes pertinentes aux fins de la délimitation. - 39 -
B. La digue de Sulina
67. Je voudrais maintenant aborder très brièvement un certain nombre de questions touchant
la digue de Sulina, dont dépend une si grande pa rtie des arguments roumains. M. Quéneudec vous
parlera plus longuement de la digue demain, mais il me faut, pour ma part, rectifier un certain
nombre d’erreurs faites par les conseils de la Roumanie lors de leur second tour de plaidoiries en ce
qui concerne la digue et son rôle dans le processus de délimitation.
68. Permettez-moi de commencer par l’exposé de M.Müller. Pour justifier la démarche
roumaine consistant à prendre la digue de Sulina comme point de base pour la plus grande partie de
sa ligne d’équidistance, M. Müller a cité des exemples de cas dans lesquels il avait été donné effet à
des installations portuaires aux fins d’une délimitation maritime.
69. Premièrement, M.Müller a cité l’arbitrage Sharjah/Doubaï comme attestant qu’il était
fréquent, dans la prati que, de donner plein effet à des insta llations portuaires (CR2008/30, p.70,
par.15). La Cour se souviendra que j’ai examiné le rôle que jouaient les installations portuaires
dans l’affaire Sharjah/Doubaï de manière assez approfondie durant mon intervention jeudi dernier
(CR 2008/28, p. 30, par. 14-16).
70. J’ai rappelé que ce qui était en cause dans cette affaire étaient les installations portuaires
des deux parties. Ces installations étaient beaucoup plus vastes que la digue de Sulina
(3000mètres contre 150mètres) et se projetaient beaucoup moins loin en mer que la digue.
Comme il était noté dans la sentence elle-même, l’utilisation des installations portuaires des deux
parties ⎯celle de Sharjah et celle de Doubaï ⎯ n’avait eu qu’un très léger effet sur la ligne
d’équidistance, à la différence de la digue de Sulina qui, en l’espèce, a un effet énorme sur la ligne
d’équidistance roumaine.
71. Mes collègues pour la Roumanie n’ont rien eu à répondre à cette description de la
situation dans l’affaire Sharjah/Doubaï.
72. Au lieu de cela, M. Müller a cité deux exemples de la pratique des Etats dont force m’est
de supposer qu’il estime qu’ils étayent la thèse roumaine.
45 73. Le premier concerne les installations portuaires de Zeebrugge, en Belgique, dont
M.Müller affirme qu’elles ont eu une influence sensible sur le tracé de la ligne de délimitation
convenue entre la Belgique et les Pays-Bas. Pour étayer son argument, il a cité l’article2 de - 40 -
l’accord de délimitation conclu en1996 par les Pays-Bas et la Belgique (CR2008/30, p.71,
par. 16).
74. L’extrait de l’article2 qu’a cité M. Müller apparaît maintenant à l’écran dans sa
traduction anglaise. Voici le passage que M. Müller a cité : [projection de la citation à l’écran]
«La limite, constituée par les points énoncés à l’article premier, est basée sur le
principe de l’équidistance à partir d’une li gne de base maximale, à savoir la laisse de
basse mer le long de la côte. Il a été tenu compte de l’extension vers la mer du port de
Zeebrugge en Belgique…» (CR 2008/31, p. 71, par. 16.)
75. Il est regrettable que mon collègue ait choisi de ne pas donner lecture du reste de
l’article 2 du traité, et le membre de phrase qu’il a omis est maintenant ajouté à la citation à l’écran
[ajout en rouge]. Comme la Cour peut le cons tater, dans son intégralité la deuxième phrase de
l’article 2 se lit comme suit : «Il a été tenu compte de l’extension vers la mer du port de Zeebrugge
en Belgique et des hauts-fonds de «Rassen» au large de la côte des Pays-Bas.»
76. C’est une omission importante [projection : carte de délimitation]. Comme vous pouvez
le constater sur la carte projetée à l’écran ⎯ c’est la carte de la zone de délimitation (onglet 14) ⎯
«Rassen» est un haut-fond découvrant situé à peu près à la même distance au large de la côte des
Pays-Bas que celle sur laquelle les installations portuaires de Zeebrugge s’avancent en mer depuis
la côte belge. Il a été tenu compte des deux formations aux fins de la délimitation et manifestement
elles s’«équilibrent». M. Müller a méconnu ce point primordial.
77. Mon collègue a aussi fait une analyse tronquée de l’utilisation des installations portuaires
de Zeebrugge dans l’accord de délimitation entre la Belgique et le Royaume-Uni [projection d’une
carte] (onglet 14). Là encore, voici une carte de la zone concernée par l’accord. Le conseil a omis
de mentionner que, du côté du Royaume-Uni de la frontière, un haut-fond découvrant appelé «Long
Sand Head» ⎯qui était situé à environ 11,7milles marins au large ⎯ a aussi été pris en compte
pour établir la ligne de délimitation. Ainsi, dans les deux exemples cités par M. Müller, ce ne sont
pas les seules installations portuaires qui ont été prises en considération aux fins de la délimitation ;
des hauts-fonds découvrants appartenant à l’autre partie l’ont également été. Dans ces conditions,
on peut se demander pourquoi, comme le soutient la Roumanie, une île à part entière ⎯ comme
46 l’île des Serpents ⎯ ne devrait avoir aucun effet aux fins de la délimitation du plateau continental
et de la zone économique exclusive. - 41 -
78. L’autre question dont il me faut traiter con cerne l’effet de la digue de Sulina sur la ligne
d’équidistance provisoire roumaine. Comme nous l’avons souligné la semaine dernière, le point de
base retenu à l’extrémité de la digue contrôle quelque 160kilomètres de la ligne d’équidistance
roumaine, et nous avons aussi montré que l’utilisa tion de la digue a un effet considérable sur la
ligne roumaine.
79. M.Lowe a indiqué mardi que la Roumanie n’avait pas en fait tracé sa ligne
d’équidistance à partir de l’extrémité de la digue mais à partir du phare qui se trouve presque à
l’extrémité de la digue (CR2008/31, p.53, par. 56). Ce n’est pas ce que disent les écritures
roumaines, et la Roumanie ne l’a pas démontré durant la procédure orale en cours. En deux
endroits de son mémoire, la Roumanie déclare expressément que «sur la côte roumaine, seul un
point est pertinent pour construire la ligne d’équidi stance : il s’agit de l’extrémité (extérieure) de la
digue de Sulina». Ceci figure dans le mémoir e de la Roumanie, au pa ragraphe11.65; on trouve
une déclaration comparable dans la réplique (RR, par. 8.31).
80. Plus important toutefois, M.Lowe a accusé l’Ukraine d’avoir mal calculé l’effet de la
digue de Sulina sur la ligne d’équidistance roumaine (CR 2008.31, p. 19, par. 38).
[Projection : carte corrigée de la Roumanie.]
81. M. Lowe a présenté ⎯ je crois que c’était mardi ⎯ la carte que vous voyez maintenant à
l’écran. Selon lui, la ligne rouge de l’Ukraine ⎯qui représente l’effet de la digue ⎯ «semble
avoir été tracée en utilisant une ligne de base située quelque peu en retrait vers l’intérieur de la côte
naturelle de Sulina» (ibid.). Il a ensuite soutenu que si l’on utilise le point le plus éloigné de la côte
naturelle ⎯ la côte naturelle de la Roumanie ⎯ la «véritable ligne d’équidistance», ainsi qu’il l’a
qualifiée, est celle qui est représentée en jaune sur cette carte, et «la digue a beaucoup moins d’effet
sur la ligne d’équidistance que le prétend l’Ukra ine» (CR2008/31, p.19-20, par.38). Tel était
l’argument de M. Lowe.
82. J’y réponds ce qui suit.
83. Premièrement, M.Lowe n’a pas du tout démontré, pour étayer son argument, que
l’Ukraine n’avait pas utilisé, comme ligne de base, la côte naturelle de la Roumanie mais une ligne
située quelque peu en retrait de celle-ci vers l’intérieur. Il l’a simplement affirmé ⎯ il ne l’a pas
démontré ⎯ et il n’a pas montré les points régissant la nouvelle ligne jaune de la Roumanie. - 42 -
47 84. Toutefois, après l’intervention de M. Lowe, nous étions préoccupés, et nous avons donc
vérifié très soigneusement ce point mardi soir. L es résultats de cette vérification montrent que
M. Lowe s’est trompé, et que la ligne jaune de la Roumanie est erronée.
[Projection : les points de base.]
85. Vous voyez maintenant à l’écran les points de base sur les côtes naturelles des Parties qui
devraient être utilisés si l’on ne tient pas compte de la digue de Sulina (onglet15). La Cour
constatera que nous avons utilisé le point le plus au large de la cô te naturelle de la Roumanie qui
s’avance dans la mer ⎯non pas un point situé au retrait, comme l’a laissé entendre M.Lowe.
C’est le point où la terre se termine. On voit au ssi le point de base correspondant de l’Ukraine.
Vous voyez maintenant à l’écran une photographie agrandie de ces points; chacun des points de
base respectifs. [Agrandissement.]
86. Les experts de l’Ukraine ont ensuite calculé la ligne d’équidistance entre ces points de
base. Cette ligne suit un azimut de 116°, comme vous le voyez à l’écran [projection] (également
sous l’onglet 15).
87. Si cet azimut est projeté en mer, comme indiqué par la ligne verte figurant maintenant
sur la carte [nouvelle carte], on cons tate que l’Ukraine a légèrement sous-estimé l’effet de la digue
sur la ligne d’équidistance roumaine. La ligne verte passe légèrement au sud de la ligne rouge.
88. La ligne jaune de la Roumanie n’a absolument aucun fondement. M.Lowe n’ayant
donné aucun détail quant à la manière dont elle a été construite, on ne peut à cet égard faire que des
suppositions.
89. Ce qui est clair ⎯ l’Ukraine l’a déjà dit et elle va le répéter ⎯ c’est que l’effet qu’a cette
structure artificielle longue et étroite sur la ligne d’équidistance de la Roumanie est très, très
important, et manifestement disproportionné si l’on compare la digue à l’île des Serpents, que la
Roumanie persiste à ignorer.
90. En dernière analyse, et bien que la Roumanie s’efforce de donner à la digue de Sulina
plus d’importance qu’elle n’en a, nos adversai res n’ont toujours pas pu expliquer pourquoi il est
équitable d’accorder plein effet aux fins de la délimitation du plateau continental et de la zone
économique exclusive à une structure artificielle composée de deux quais de pierres longs et - 43 -
étroits, séparés d’environ 150 mètres et s’étendant sur 7,5 km, al ors qu’une île naturelle beaucoup
plus grande n’a pas droit à un traitement équivalent.
91. Madame le président, Messieurs de la Cour, ainsi se termine ce que j’avais à dire à ce
stade en ce qui concerne la géographie côtière et je vous serais reconnaissant, Madame le président,
si vous pouviez donner la parole à Mme Malintoppi. Je vous remercie.
48 Le PRESIDENT : Je vous remercie Monsieur Bundy ; j’appelle à présent Mme Malintoppi à
la barre.
Mme MALINTOPPI : Je vous remercie Madame le président, Messieurs de la Cour.
IV. LES ACTIVITÉS PÉTROLIÈRES ET DE SURVEILLANCE DES CÔTES ,LES ARGUMENTS
DE LA R OUMANIE RELATIFS AU CARACTÈRE FERMÉ DE LA MER N OIRE ET
À LA PRATIQUE RÉGIONALE ,ET LA NATURE ET LES CARACTÉRISTIQUES
DE L’ÎLE DES S ERPENTS
Introduction
1. Madame le président, Messieurs de la Cour , je répondrai cet après-midi à trois aspects du
second tour des plaidoiries de la Roumanie : premiè rement, les affirmations de la Roumanie en ce
qui concerne les activités pétrolières et gazières des Parties ainsi que les opérations de surveillance
des côtes menées par l’Ukraine; deuxièmement, les observations de la Roumanie sur l’effet, aux
fins de la présente délimitation, de la nature fe rmée ou semi-fermée de la mer Noire ainsi que de la
pratique régionale limitée en matière de délimitation dans cette mer ; et, troisièmement, la position
de la Roumanie en ce qui concerne la nature et les caractéristiques de l’île des Serpents.
A. Les affirmations de la Roumanie relatives aux activités pétrolières et
de surveillance des côtes
2. Je traiterai d’abord des arguments de la Roumanie à propos des activités pétrolières et de
surveillance des côtes.
3. La première observation gé nérale que l’on peut faire s’ag issant de l’exposé de lundi du
coagent est qu’il est passé sur plusieurs points que j’ai soulevés dans mon exposé à ce sujet lors du
premier tour de plaidoiries de l’Ukraine ou qu’il s’est contenté de répéter des allégations déjà faites
par la Roumanie au premier tour. - 44 -
4. Un bon exemple concerne les arguments de l’Ukraine selon lesquels la conduite de la
Roumanie dans la zone en litige est totalement incompatible avec la revendication qu’elle soumet à
présent à la Cour. A ce sujet, le coagent s’est c ontenté de présenter une variante des arguments
qu’il a déjà exposés au premier tour. En répon se aux arguments de l’Ukraine selon lesquels les
activités de la Roumanie dans la zone tendent à confirmer l’absence de tout accord de délimitation
antérieur autour de l’île des Serpents ou allant jusqu’au «pointX», le coagent de la Roumanie a
affirmé que les concessions accordées par son pays après1990 ne sont pas les seules activités
55
étatiques menées par la Roumanie dans la zone en litige . Il a indiqué qu’il existe des secteurs
49 couverts par des «activités d’explor ation» de la Roumanie qui chev auchent la zone en litige et
56
concordent avec les prétentions de cet Etat . Ces arguments sont fondés sur la carte qui représente
des profils sismiques reproduite en tant que figure RR26 dans la réplique de la Roumanie, et sur
des études indépendantes produites pour la première fois au cours des présentes audiences.
5. Nous avons déjà examiné la figure RR 26 et je n’y reviendrai donc pas. Quant aux études,
le coagent de la Roumanie a affirmé qu’elles sont aussi «dignes de foi et aussi indépendantes» que
57
la carte de Petroconsultants produite par l’Ukraine . Toutefois, telle n’est pas la question. Tout
d’abord, Petroconsultants ⎯aujourd’hui dénommé HISEnergy à la suite d’une restructuration
d’entreprise ⎯ est une des principales sociétés fourni ssant des données relatives aux activités et à
la production pétrolières et gazières. Marine Geology, la revue qui a publié les études produites par
la Roumanie, est un revue académique, qui ⎯ bien que réputée ⎯ est une publication scientifique
qui traite des domaines de la géologie, de la géochimie et de la géophysique marines.
Manifestement, Petroconsultants est une source d’in formations bien plus fiable s’agissant de
l’industrie des hydrocarbures et des activités d’exploration et d’exploitation pétrolières.
6. En outre, la Roumanie continue de s’ appuyer sur des sources secondaires et non sur ses
propres documents, qui devraient constituer sa premiè re source d’informations et qui auraient donc
dues être soumises à la Cour. Il est tout aussi révélateur que pas un mot n’ait été dit par nos
éminents adversaires pour essayer d’expliquer ce silence ou pour réfuter que la Roumanie a
55CR 2008/30, p. 37, par. 13-15.
56
CR 2008/30, p. 39, par. 20.
57CR 2008/30, p. 37-38, par. 17. - 45 -
affectivement accordé les blocs Pelican, Istria, Midia et Neptun de la manière dont l’indique la
carte de Petroconsultants.
7. Mais examinons les études sur lesquelles la Roumanie fonde ses allégations. Comme je
l’ai dit, elles ont été publiées dans la revue Marine Geology en 2000, 2004 et 2007. Soit dit en
passant, la Roumanie n’a pas produit les études dans leur intégralité et les deux dernières ne sont
accessibles que par abonnement.
8. La première étude, publiée en 2000, est le résultat d’un effort conj oint des instituts de
géologie et de géophysique marines roumain, allemand et russe. Elle porte sur l’histoire du niveau
d’eau et de la sédimentation dans la partie nord-occidentale de la mer Noire à l’époque du
58
quaternaire supérieur .
50 9. Les profiles sismiques ont apparemment été réalisés lors de campagnes de recherche
conduites en 1992, 1993 et 1994. L’étude indique que deux sociétés roumaines ont fourni des
données relatives à des profiles sismiques industriels obtenus lors d’analyses réalisées entre1970
et1971, 1981 et 1988 et en 1994. Elle renvoie également à deux trous de forage, Ovidiu et
Heraclea. Toutefois, on n’y trouve aucune information concernant les profiles sismiques
industriels qui auraient été réalisés par les soci étés roumaines et, en particulier, s’agissant des
profiles antérieurs à l’indépendan ce de l’Ukraine, il n’y a aucun moyen de savoir quoi que ce soit
sur les circonstances de leur réalisation ni, par exemple, s’ils ont été effectués conjointement par
des sociétés soviétique et roumaine. Quant aux tr ous de forage, ils ne semblent pas avoir été forés
en vue d’activités d’exploration pétrolière puis que, selon l’étude, les puits ne dépassent pas 300
59
à 600 mètres de profondeur et ne permettent donc ni l’exploration ni l’exploitation pétrolières .
10. Les deux études suivantes n’ont été mentionn ées par la Roumanie que cette semaine. La
seconde, publiée en 2004 par un groupe de scientifiques et de professeurs d’universités
franco-roumains, concerne, comme son nom l’ indique, le canyon sous-marin du Danube: sa
60
morphologie et le processus de sédimentation . L’étude, dont la nature est, encore une fois,
purement académique, indique que la société ro umaine Petrom a fourni dix lignes sismiques
58CR 2008/30, p. 38, par. 18.
59
Les trous sont représentés sur la figure 8, p. 139.
60CR 2008/31, p. 38, par. 19. - 46 -
industrielles, mais cette information est la même que celle de 1994 menti onnée dans la précédente
étude de 2000.
11. Le coagent de la Roumanie, en toute équ ité, s’est contenté de mentionner indirectement
la troisième étude, publiée en 2007, bien qu’il semble l’avoir présentée comme une opération
conjointe de la France et de la Roumanie bien qu’elle n’ait apparemment été effectuée que par des
61
institutions scientifiques françaises . Il s’agit d’une étude sur la surface d’érosion messénienne de
la mer Noire. Un sujet fascinant, sans aucun dout e, mais l’étude n’indique pas que les recherches
ont été conduites à des fins d’exploration pétro lière ou que des sociétés pétrolières y ont été
associées d’aucune manière.
12. En conséquence, ces études sont loin de démontrer que la Roumanie a mené des activités
d’exploration pétrolière qui aient une quelconque pertinence pour la ligne qu’elle revendique.
13. Le coagent de la Roumanie m’a reproché d’avoir soit disant fait deux erreurs concernant
les faits : la première tient à ce que j’ai indiqué qu’«un certain nombre» des permis ukrainiens ont
51 été accordés avant la conclusion de l’échange de lettres, alors qu’un seul, le bloc Delphin, l’a été, et
la seconde, pour avoir dit que les coordonnées de la zone en litige n’avaient jamais été fixées à la
suite de l’échange de lettres de 1997 62.
14. Le coagent de la Roumanie a dû mal lir e les comptes rendus : pour ce qui est du premier
reproche, j’ai en réalité dit «[qu’]un certain nombre des permis que j’ai évoqués plus tôt ( comme le
bloc ukrainien Delphin, et, selon la Roumanie, les blocs roumains) » avaient été accordés avant
l’échange de lettres de 1997 63. Il est clair que je ne limitais pas ma déclaration aux blocs
ukrainiens, mais que je faisais référence tant a ux permis ukrainiens qu’aux permis roumains. Pour
ce qui est de la seconde erreur factuelle que j’aurais faite, une fois de plus, je pense avoir été mal
comprise car, si les revendications des Parties, te lles qu’elles étaient formulées à l’époque, étaient
peut-être connues, les coordonnées de la zone à délimiter n’avaient jamais été fixées par les Parties
comme le prévoyait l’échange de lettres.
61Ibid.
62
CR 2008/31, p. 35, par. 5.
63CR 2008/28, p. 32, par. 35. - 47 -
15. Le coagent de la Roumanie m’a égal ement reproché de n’ avoir retenu que deux
protestations de la Roumanie contre les activités pétrolières et gazières de l’Ukraine alors que,
a-t-ilprécisé, la Roumanie a adressé une correspondance à l’Ukraine entre2001 et2006 64. Mais
dans cette correspondance, la Roumanie a uniquement protesté contre de prétendues activités
d’exploitation de l’Ukraine, arguant qu’elles étaient me nées en violation des échanges de lettres
de 1997, et non contre ses activités d’exploration. L’Ukraine a répondu à ces lettres, comme nous
l’avons montré dans nos écritures 6, et a dit d’une manière très claire que ces opérations n’entraient
pas dans la définition «de l’exploitation des ressources minérales» utilisée à l’alinéa f) du
paragraphe 4 de l’échange de lettres. Il est révé lateur que la Roumanie ne se soit pas opposée dans
ses lettres aux activités de l’Ukraine parce qu’elles étaient menées dans des espaces maritimes qui
avaient été délimités auparavant par l’accord sovi éto-roumain de1949. Il convient également de
noter qu’apparemment pendant un moment, la Roumanie semble avoir perdu de vue la date critique
qu’elle avait elle-même définie comme étant1997, bien avant l’envoi de la première de ces deux
lettres.
16. Mais la date critique est réapparue qua nd le coagent de la Roumanie a examiné les
activités ukrainiennes de surveillance des côtes. En réalité, ce sujet a peu retenu l’attention, à
l’exception d’une observation de troi s lignes à l’effet que les opérati ons de surveillance effectuées
par l’Ukraine dans la zone en litige ne devaient pas être prises en considération parce qu’elles
66
52 étaient antérieures à la date critique . Autrement, le coagent de la Roumanie n’a nullement essayé
de répondre à nos arguments selon lesquels l’inaction de la Roumanie et son silence face à
l’affirmation par l’Ukraine de sa responsabilité au regard des activités de surveillance des côtes
dans la zone en litige contredisent fondamentalement son allégation selon la quelle une délimitation
avait déjà été convenue au sujet de cette zone.
17. Ce qu’ont dit nos éminents contradicteurs à cet égard cadrait en réalité plus avec la
position de l’Ukraine qu’avec celle de la Roumanie. Ces observations ne venaient pas du coagent
mais de M. Lowe. Il a fait un aveu extraordinai re pendant son exposé sur l’équité des propositions
64CR 2008/30, p. 40-41, par. 26.
65
RU, p. 123-125, par. 6.86-6.91.
66CR 2008/30, p. 41, par. 28. - 48 -
des Parties lorsqu’il a essayé de réfuter la déclar ation de M. Bundy selon laquelle seule l’Ukraine
assurait la surveillance des eaux contestées. M. Lowe a en effet déclaré: «si ces eaux étaient
reconnues comme appartenant à la Roumanie, c’est elle qui en assurerait la surveillance, pour
autant que les activités qui s’y déroulent nécessitent une surveillance» 67. En d’autres termes,
Madame le président, même le conseil de la Roumanie reconnaît que la théorie de ce pays relative à
un accord de délimitation maritime préexistant n’ est que pure fiction. Si la Roumanie avait
reconnu que ces eaux lui appartenaient en vertu d’une frontière préexistante convenue en1949,
pourquoi ne surveillait-elle donc p as la zone considérée ? M. Lowe n’a pas donné d’explication à
ce sujet.
18. Pour ce qui est de la date critique, le coagent de la Roumanie a souhaité clarifier une
déclaration incorrecte que j’aurais faite, à savoi r que la Roumanie avait choisi1997 comme date
critique. Il a affirmé qu’en réalité, dans sa réplique , la Roumanie avait dit que la date de l’accord
additionnel de1997 était la date critique «la plus récente possible en l’ espèce» et non, comme je
68
l’avais fait observer, la date critique retenue par la Roumanie . En réalité, pour mémoire, il est bel
et bien dit dans la réplique que 1997 était la date critique, et la Roumanie a donné cette information
précisément en relation avec l’examen de la pratique ukrainienne en matière d’octroi de permis. Le
passage pertinent se lit comme suit: «ce n’est que très récemment que l’ Ukraine a commencé à
69
délivrer des permis, bien après la date critique ⎯ 1997» .
19. Pour être précis, le prem ier permis délivré par l’Ukraine ⎯ le bloc Delphin ⎯ date
70
de 1993 . Mais en tout état de cau se, l’approche de la date criti que par la Roumanie en l’espèce
révèle son souci d’écarter les activités ukrainiennes qui pourraient contredire sa thèse : les activités
53 pétrolières et les opérations de surveillance des cô tes, et les actes administratifs de l’Ukraine se
rapportant à l’île des Serpents. Le caractère intéressé de cet exercice est évident.
20. Quand nos contradicteurs examinent la date critique, ils mettent l’accent sur le mot
différend et semblent oublier que la date critique est celle où le différend s’est cristallisé, ou pour
67CR 2008/31, p. 52, par. 47.
68
CR 2008/30, p. 36, par. 11.
69
RR, p. 250, par. 7.13.
70CR 2008/28, p. 26, par. 10. - 49 -
citer la Chambre dans le Différend frontalier , la date à laquelle la montre s’arrête ( Différend
frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J.Recueil1986 , p.568, par.30). En
d’autres termes, la date critique est celle à laquelle les Parties ont exprimé leurs positions avec
assez de précision pour que l’on puisse dire que le différend s’est cristallisé. Lorsque, comme en
l’espèce, la Cour est appelée à opérer une délimita tion maritime, il peut être plus difficile de
déterminer une date critique que dans le cas de conflits territoriaux. Cela est d’autant plus
problématique dans une situation, comme la présente, où des positions différentes peuvent avoir été
exprimées par les Parties au cours de longues négoc iations, voire introduites pour la première fois
dans le cadre de la présente procédure. En outre, quelle que soit la date critique du présent
différend, la conduite récente de l’Ukraine ne saura it être interprétée comme visant à améliorer sa
position juridique parce qu’elle représente la continuation d’activités étatiques antérieures.
21. Dans ces circonstances , nous estimons qu’il serait erroné de choisir1995, voir1997
71
comme date critique parce que, comme je l’ai déjà dit au cours du premier tour , jusqu’en 1997 les
Parties ne s’étaient même pas entendues sur les principes appli cables à la conduite de leurs
négociations et avaient encore moins défini leurs revendications et positions respectives.
22. C’est pour cette raison que l’Ukraine a suggé ré que pour ce qui est de la date critique, à
supposer que la Cour décide qu’elle peut jouer un rôle aux fins de la délimitation, il serait plus
approprié de retenir2004, année doublement significative en l’espèce. En effet, c’est l’année où
l’Ukraine a saisi la Cour du présent différend, et c’est également celle de l’entrée en vigueur du
traité de 2003 qui définit la frontière d’Etat entre le s Parties et le point de départ de la délimitation
maritime que la Cour est appelée à établir.
54 B. Les arguments de la Roumanie relatifs aux accords de délimitation en mer Noire
23. Je vais à présent examiner les arguments de M.Pellet sur d’autres accords de
délimitation en mer Noire.
24. Mardi, M. Pellet a cité la pratique en matière de délimitation ailleurs en mer Noire pour
72
montrer que ces accords «confirment» l’équité de la ligne revendiquée par la Roumanie .
71
CR 2008/28, p. 25, par. 6.
72
CR 2008/31, p. 29-30, par. 17. - 50 -
25. Pour illustrer son argument, mon ami M. Pellet a projeté la figure qui apparaît à présent à
73
l’écran et qui est également reproduite sous l’onglet16 . Non seulement, M.Pellet a conjecturé
sur l’emplacement des futures frontières maritimes sur cette carte (elles sont représentées par des
lignes bleues séparant la Russie de l’Ukraine, la Roumanie de la Bulgarie et la Roumanie de
l’Ukraine). Mais il a également superposé des lignes rouges, présentées comme des lignes de
délimitation qui auraient été obtenues si la méthode proposée par l’Ukraine en l’espèce devait
s’appliquer à d’autres frontières.
26. Une fois de plus, nos collègues de la Partie adverse persistent à tracer arbitrairement des
lignes sur des cartes sans donner la moindre justification ni la moindre explication quant à la
manière dont elles ont été construites.
27. Cependant, la carte de M.Pellet présente une utilité: elle montre très clairement la
différence entre les caractéristiques géographiques du nord-ouest de la mer Noire et le reste de cette
mer.
28. Permettez-moi de m’arrêter sur la situati on entre l’Ukraine et la Turquie au niveau où
M. Pellet a tracé une ligne rouge au nord de la ligne réellement fixée par l’accord maritime. Bien
qu’il n’ait pas expliqué la base sur laquelle cette ligne rouge a été construite, il faut supposer que
mon cher collègue présumait que la côte turque per tinente était plus longue que la côte ukrainienne
correspondante.
29. Il est clair que c’est inexact. A l’est, et si l’on utilise les points côtiers contrôlant le point
terminal de la ligne bleue proposée par M. Pelle t pour représenter sa délimitation imaginaire entre
l’Ukraine et la Russie, on constate que la côte tur que pertinente aux fins de la délimitation avec la
Russie est approximativement aussi longue que la cô te ukrainienne correspondante. [Projection:
ajout d’une ligne noire à partir de la côte turque au tripoint Russie/Ukraine/Turquie.]
55 30. A l’ouest, la côte turque pe rtinente aux fins de la délimitation avec la Bulgarie est d’une
longueur comparable à celle de la côte bulgare. [P rojection : ajout d’une autre ligne noire jusqu’au
quadripoint point Bulgarie/Turquie/Ukraine/Roumanie.]
73
Onglet VIII-3 du dossier du deuxième tour de plaidoiries de la Roumanie. - 51 -
31. Il reste donc le milieu ⎯le segment de côte turque compris entre les deux lignes
noires ⎯ en d’autres termes, la côte turque pertinente faisant face à l’Ukraine. On peut constater
que les longueurs de côtes pertinentes de l’Ukraine et de la Turquie sont pratiquement identiques.
Il s’agit donc d’une ligne médiane de délimitation.
32. En revanche, Madame le pr ésident, la partie nord-ouest de la mer Noire est totalement
différente. Là, nous avons une zone entourée sur trois côtés par le littoral d’un seul Etat
⎯l’Ukraine. Nous constatons aussi entre l es longueurs de côte des Parties une différence
considérable peu favorable à l’application d’une stricte équidistance. Et nous avons une île ⎯ l’île
des Serpents. Ces éléments n’existent tout simplement pas ailleurs dans la mer Noire.
C. La nature et les particularités de l’île des Serpents
33. Je vais à présent répondre aux observations de la Roumanie en ce qui concerne la nature
et les particularités de l’île des Serpents.
34. Premièrement, je remarque que nos éminents contradicteurs ont fait preuve d’une grande
retenue ⎯et c’est peu dire ⎯ s’agissant des propositions faites par la Roumanie lors de la
conférence sur le droit de la mer. Les conseils de la Roumanie n’en ont guère parlé, à l’exception
de M.Lowe qui a rappelé en quelques mots que la Roumanie avait fait diverses propositions,
participé activement aux négociations et cherché en vain à inclure une disposition dans la
convention portant «sur le statut de l’île des Serpents» 74. Il a ajouté qu’il ne fallait pas être surpris
que la Roumanie ait cherché à ajouter «une di sposition plus large, anticipant peut-être les
ingénieuses tentatives que ferait l’Ukraine pour se mettre hors de portée du paragraphe3 de
75
l’article 121» .
35. Cela dit, pas un mot n’a été prononcé pour réfuter la thèse de l’Ukraine selon laquelle la
position adoptée par la Roumanie lors de la c onférence est foncièrement incompatible avec sa
position actuelle, selon laquelle ⎯je cite M. Lowe ⎯ «il existe un accord contraignant entre les
76
Parties sur le traitement à réserver à l’île [des Serpents]» .
74CR 2008/31, p. 16, par. 28.
75
Ibid.
76CR 2008/31, p. 16, par. 29. - 52 -
56 36. En conséquence, l’argument de l’Ukraine selon lequel la conduite de la Roumanie lors de
la conférence confirme qu’il n’y avait pas d’accord contraignant entre les Parties délimitant un arc
de 12milles marins autour de l’île des Serpen ts demeure sans réponse. Si la question du
«traitement à réserver à l’île» avait déjà été réglée par un «accord contraignant», comme l’affirme
la Roumanie avec beaucoup d’assurance, pourquoi la R oumanie a-t-elle, lors de la conférence, tant
bataillé pour doter d’un régime spécial les îlots et îles comparables à des îlots? Pourquoi était-il
nécessaire d’anticiper «les ingénieuses tentatives que ferait l’Ukraine pour se mettre hors de portée
du paragraphe3 de l’article121», si un régime av ait déjà été établi pour l’île des Serpents au
moyen d’un «accord contraignant»? La Roumanie n’a toujours pas répondu à ces questions
cruciales.
37. En ce qui concerne la déclaration faite par la Roumanie au moment de la signature et de
la ratification de la convention sur le droit de la mer, nous n’avons rien entendu de nouveau de la
part de nos collègues roumains en réponse au premier tour de plaidoiries de l’Ukraine.
38. La Roumanie fait valoir que l’Ukraine aurait dû formuler une objection à sa déclaration
et, d’une manière générale, ignore les arguments avancés par l’Ukraine. M. Lowe a répété que l’on
pouvait tirer des conclusions du fait que l’Ukraine n’avait pas formulé d’obj ection à la déclaration
de la Roumanie. Mais, Madame le président, quelles pourraient être ces conclusions et pourquoi
tirer pareilles conclusions ? Comme le reconnaît la Roumanie, l’Ukraine n’était juridiquement pas
tenue de réagir, et la déclaration de la Roumanie ne pouvait avoir aucun effet pour l’Ukraine. Cette
déclaration était tout ce qui restait à la Roumanie après les tentatives infructueuses qu’elle avait
faites pour obtenir un soutien favorable à ses dive rses propositions concerna nt l’effet des petites
îles. Il s’agissait d’une déclaration interprétative unilatérale et, en vertu de ce que dit expressément
l’article310, elle «ne vis[e] pas à exclure ou à mo difier l’effet juridique des dispositions de la
Convention».
39. En ce qui concerne les particularités physiqu es de l’île des Serpents et sa capacité de se
prêter à l’habitation humaine ou à une vie économ ique propre, l’Ukraine a choisi, au premier
tour ⎯contrairement à ses contradicteurs ⎯, de ne pas infliger à la Cour une longue litanie
d’extraits d’ouvrages historiques ou littéraires. Nous avons préféré, à la place, renvoyer à la
documentation jointe à nos écritures. Pourtant, af in de répondre à l’allégation de l’agent de la - 53 -
Roumanie selon laquelle l’Ukrain e n’est pas parvenue à examiner «les nombreux éléments de
77
preuve présentés» , il convient de rappeler brièvement certains des éléments saillants qui
57 ressortent du dossier dans son ensemble, dont les ré férences figureront dans le compte rendu et qui
attestent que l’île des Serpents se prête à l’habitation humaine ou à une vie économique propre.
⎯ C’est sous le nom de «Leuke» que l’île des Se rpents était mentionnée dans les récits de
l’Antiquité à partir du VII esiècle avant J.C., qui faisaient état de son temple voué au culte
d’Achille 78. L’île des Serpents était bien connue des marins qui venaient au temple pour lui
79
rendre son culte ; selon certains auteurs de l’An tiquité, dont Arrien, un oracle résida sur l’île .
Il semble également que le prêtre chargé du culte d’Achille vivait sur l’île, quelquefois en
compagnie de domestiques 80. Des pièces de monnaie antiques d’un certain nombre de pays ont
été retrouvées sur l’île, attestant qu’elle joui ssait d’une renommée considérable et que des
81
personnes de différentes nationalités, même dans l’Antiquité, s’y rendaient .
⎯ A l’époque romaine, l’île des Se rpents était un avant-poste de l’ Empire romain dans la région
82
de la mer Noire. Des objets de céramique et des pièces attestent de la présence romaine .
⎯ Avec la chute de l’Empire romain, le temple de l’île des Serpents perdit sa signification
religieuse et, même si des navires continuaient de s’y arrêter, il n’est plus souvent question de
l’île, jusqu’au Moyen-Âge, où elle était c onstamment représentée comme une île importante
83
sur les cartes et dans les guides géographiques .
⎯ En 1837, la Russie commença à y ériger un phare, dont la construction s’acheva six ans plus
84
tard, en 1843 . Je vous ai montré des illustrations du phare la semaine dernière. Le phare
85
était ⎯ et est toujours ⎯ habité .
77 CR 2008/30, p. 14, par. 13.
78 CMU, annexe 48, 52, 56, 57.
79
CMU, annexe 52.
80
Ibid.
81
CMU, annexe 57.
82 CMU, annexe 52.
83 Ibid. Voir aussi Atlas cartographique de la Roumanie, cartes MR A1 à MR A6.
84 CMU, annexe 57.
85
Voir, par exemple, CMU, annexe 10. - 54 -
⎯ Toujours au XIX siècle, l’île accueillit des commissions de quarantaine qui effectuèrent
également des recherches archéologiques sur l’île pendant leurs sé jours, lesquelles s’étendirent
58 sur dix ans, de 1841 à 1851, date à laque lle le poste de quarantaine fut fermé 86. Après la
défaite russe à la fin de la guerre de Crimée, l’île passa aux mains de l’Empire ottoman 87.
88
⎯ Durant la première guerre mondiale, des soldats russes furent affectés sur l’île des Serpents .
⎯ Lorsque l’île était placée sous son autorité, da ns l’entre-deux-guerres, la Roumanie conçut
plusieurs plans visant à y construire des inst allations et à développe r l’île des Serpents,
montrant ainsi qu’elle-même croyait à sa capacité de se prêter à l’habitation humaine et à une
vie économique propre 89.
⎯ Des troupes soviétiques stationnèrent sur l’île à titre permanent entre 1946 et1991, date à
90
laquelle l’Ukraine recouvra son indépendance .
⎯ Peu après 1991, l’Ukraine continua de favoriser le développement éc onomique de l’île des
Serpents. Dans ses écritures comme dans ses plaidoiries, elle a rappelé les diverses mesures
91
administratives promulguées à cet effet depuis 1995 . Soit dit en passant, en ce qui concerne
les mesures administratives de l’Ukraine, et c ontrairement à ce qu’a déclaré l’agent de la
Roumanie lundi 92, je n’ai pas déformé ses propos lorsque j’ai fait référence à la résolution
o 93
ukrainienne n 713 de 2002 . Avec tout le respect qui lui est dû, j’ai dû donner le titre exact
94
de ce texte ⎯qu’il avait appelé à tort «programme global de transformation de l’île» ⎯,
dans le but de dissiper la fausse impression que ses propos pouvaient avoir créée.
⎯ Quant à la présence d’eau sur l’île, plusieurs comptes rendus font état de l’existence de puits et
95
de réservoirs, qui sont également re présentés sur des cartes topographiques . L’une d’elles,
86CMU, annexe 57.
87Ibid.
88CMU, annexe 58.
89
MR, annexe RM 6 et CMU, annexe 61.
90
CMU, par. 7.67, p. 191.
91
CMU, par. 7.72-7.88 ; CR 2008/29, p. 14, par. 43.
92CR 2008/30, p. 14, par. 13.
93CR 2008/29, p. 14, par. 43.
94CR 2008/20, p. 56, par. 6.
95
CMU, annexe 57. - 55 -
peut-être la première, a été établie par un offici er russe en 1801. Elle figure à l’écran et sous
l’onglet17. Une autre carte topographique, établie par un hydrographe russe en1823, figure
59 également sous le même onglet et est maintenant projetée à l’écran. Comme vous le voyez sur
les images reproduites à l’écran, les deux cartes montrent des puits et des ruines 96. C’est aussi
97
le cas d’une carte produite par la Roumanie, la carte RM A6 de son atlas . Malheureusement,
il semble qu’après le retrait des troupes soviétiques de l’île, les réserves d’eau aient été
polluées par des déchets chimiques et autres déchets toxiques. L’Ukraine s’est toutefois lancée
dans un projet d’épuration de l’eau 98. Selon les conclusions du rapport d’information déposé
en tant qu’annexe9 du contre -mémoire de l’Ukraine, le système d’épuration est «efficace,
fiable et simple à utiliser». L’un des puits est opérationnel depuis 2004 et assure
«l’approvisionnement en eau potable (après tra itement supplémentaire) et en eau à usage
domestique» 99.
40. Sur la base de ces informations, on peut conc lure que l’île des Serpents peut se prêter, et
se prête en fait depuis longtemps, à l’habitation humaine, et qu’elle peut avoir une vie économique
propre. La Roumanie elle-même partageait cette analyse lorsqu’e lle détenait la souveraineté sur
l’île. A l’époque, elle pensait qu’il valait la peine d’investir des ressources nationales en vue de
favoriser le développement de l’île des Serpents, comme l’Ukraine l’ a fait et continue de le faire
depuis qu’elle a recouvré son indépendance. Dans ces conditions, on ne peut affirmer de façon
crédible que l’île des Serpents est un «rocher» isolé et aride, très éloigné de la côte ukrainienne.
41. En fait, de par ses caractéristiques, l’île des Serpents peut tout autant, si ce n’est plus, se
prêter à l’habitation humaine et à une vie économique que Jan Mayen. S’il est vrai que cette île est
plus grande que l’île des Serpents, elle est n éanmoins beaucoup moins acce ssible; c’est une île
volcanique, qui n’a pas de population stable et qui est habitée uniquement de manière saisonnière
par du personnel technique. Et pourtant la comm ission de conciliation établie par la Norvège et
l’Islande aux fins de dé terminer la délimitation maritime dans la zone de Jan Mayen a conclu que
96Ibid.
97
Atlas cartographique de la Roumanie, carte RM A6.
98
CMU, annexe 9 ; RR, par. 5.59-56 et CR 2008/19, p. 64, par. 35.
99CMU, annexe 9. - 56 -
cette île, selon ses termes, «pouvait en principe prétendre à ses propres mer territoriale, zone
100
contiguë, zone économique exclusive et plateau continental» [traduction du Greffe] . Pour sa
part, en l’affaire de la délimitation maritime dans la région située entre le Groenland et Jan Mayen,
la Cour a reconnu que la côte de Jan Mayen géné rait des droits en mer potentiels à hauteur de
60 200milles à partir de ses lignes de base ( Délimitation maritime dans la région située entre le
Groenland et Jan Mayen (Danemark c. Norvège), arrêt, C.I.J. Recueil 1993, p. 69, par. 70).
Conclusion
42. Madame le président, Messieurs de la Cour, selon l’Ukraine, l’île des Serpents ne peut
être privée de son statut d’île relevant du paragraphe 2 de l’article 121. En tant que telle, son effet
sur la délimitation ne peut être ignoré. L’île des Serpents est incontestablement un élément à
prendre en compte pour aboutir à un résultat équitable.
43. L’un des aspects les plus remarquables d es exposés de nos collègues et adversaires au
cours de cette procédure est leur incapacité à dém ontrer la moindre cohérence entre la conduite de
la Roumanie ⎯ avant et après la date critique que la Roumanie a elle-même fixée ⎯et l’existence
d’une prétendue délimitation maritime conventionnelle autour de l’île des Serpents.
44. En particulier, ni les prétendues activit és pétrolières de la Roumanie, ni même les
recherches scientifiques entrepri ses par des établissements universitaires de Roumanie et d’autres
pays, ni les propositions formulées par la Roumanie pendant la conférence sur le droit de la mer, ne
contiennent la moindre allusion à l’existence d’une telle frontière déjà convenue.
45. L’absence de référence à une telle délimitation dans le compromis entre les Parties
confirme encore ⎯ si besoin était ⎯ la même conclusion: la délimitation d’une frontière
«polyvalente» autour de l’île des Serpents est une construction à posteriori, qui n’existe que dans
l’imagination de nos adversaires.
Madame le président, Messieurs de la Cour, je vois que nous avons fini un peu plus tôt que
prévu, mais je tiens cependant à vous remercier de votre attention et vous prierais d’appeler demain
M. Quéneudec à poursuivre l’exposé de l’Ukraine.
100
Dans ILM (1981), p. 797, 803-804. - 57 -
Le PRESIDENT: Je vous remercie, Madame Malintoppi. L’audience reprendra demain
matin à 10 heures. L’audience d’aujourd’hui est à présent achevée et levée. J’ai malheureusement
fait une erreur, ne vous effrayez pas : c’est demain à 15 heures que nous reprendrons.
L’audience est levée à 17 h 50.
___________
Traduction